N° 1755
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à la création d’un dispositif national “Grand Chaud”, déclenché lors des alertes canicule,
présentée par
Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Lisa BELLUCO,
députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, en 2025, des hommes, des femmes et des enfants meurent encore dans la rue. Morts de froid l’hiver. Morts de chaud l’été. Morts d’abandon toute l’année. Cela devrait être un scandale d’État et pourtant, c’est devenu une banalité.
Plus de 330 000 personnes sont ainsi sans domicile en France, selon la Fondation pour le logement des défavorisés. Parmi elles, près de 3 000 enfants dorment chaque soir à la rue. Ces chiffres glaçants, inacceptables dans un pays aussi riche, ne sont pas des statistiques : ce sont des vies brisées, sacrifiées sur l’autel de l’austérité budgétaire, de la bureaucratie indifférente, et d’un mépris systémique pour les plus précaires.
Les différentes politiques publiques mises en place ont méthodiquement démantelé l’hébergement d’urgence. En 2023, plus de 7 000 places ont été supprimées. Le budget de l’hébergement a été amputé de plus de 200 millions d’euros. Des centres d’accueil ferment, des travailleurs sociaux épuisés démissionnent, des familles entières se retrouvent à la rue sans solution. Et tout cela, en pleine explosion du coût de la vie, en pleine crise climatique et en pleine multiplication des canicules.
L’été, la rue devient un four. Le bitume brûle, les nuits restent suffocantes et les abris sont inexistants. Les sans‑abri dorment sur des trottoirs à 35 degrés Celsius, sans eau, sans ombre ni secours. Dans ces conditions, les risques de déshydratation, d’insolation et d’arrêt cardiaque sont immédiats. Ce ne sont pas des « victimes du climat ». Ce sont des victimes d’un choix politique, celui de ne rien faire.
Il existe un « plan canicule », mais ce dernier repose essentiellement sur des circulaires administratives, des alertes météo et des bons conseils fournis sur les médias et réseaux sociaux. Il ne prévoit aucun déploiement massif, aucune ouverture systématique de lieux frais, aucun renfort obligatoire des maraudes et aucune coordination. Il est symbolique, inopérant et aveugle au réel.
Pendant ce temps, la Fondation pour le logement des défavorisés, le samu social, la Croix‑Rouge et la Fédération des acteurs de la solidarité demandent à l’État d’agir. Elles alertent sur les appels non traités au 115, sur les femmes enceintes sans logement, sur les mineurs isolés en errance, sur les travailleurs pauvres qui dorment dans leur voiture. Mais le gouvernement reste sourd.
Le plan Grand froid, lui, existe : quand la température chute, les préfectures se mobilisent, les associations sont renforcées, les lieux d’accueil s’ouvrent et des solutions sont trouvées, parfois en quelques heures. Alors, pourquoi ce qui est possible l’hiver devient‑il impossible l’été ?
Le changement climatique est là. Les canicules sont devenues une norme. Il ne s’agit plus d’un aléa exceptionnel mais d’un phénomène régulier, prévisible, que les services météorologiques annoncent plusieurs jours à l’avance. Et pourtant, l’État n’agit pas.
Ce texte propose ainsi de créer un plan national « Grand chaud », sur le modèle du plan Grand Froid en lien avec les préfectures et les Agences Régionales de Santé. Un plan qui ne se contente pas d’émettre des recommandations, mais qui déploie des moyens d’urgence immédiats : lieux climatisés ouverts à tous, renforts des maraudes sociales, kits de survie distribués, mobilisation du 115 et pilotage centralisé avec les préfectures.
Les services déconcentrés de l’État et les collectivités ne peuvent plus rester seuls face à ce qui, aujourd’hui, est une menace récurrente sur les plus précaires. Ils ont besoin de la mobilisation de l’État, de sa force de coordination et de réponse aux situations de crise.
Cette proposition n’est pas seulement une mesure de santé publique. C’est une exigence de dignité et d’humanité.
Tant que des êtres humains mourront dans nos rues de causes évitables, notre République ne pourra se targuer de la fraternité pavoisant sur ses frontons.
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proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Considérant que les épisodes caniculaires sont désormais annuels et de plus en plus intenses, avec des vigilances rouges déclenchées en 2019, 2020, 2022, 2023 et 2025 ;
Considérant que durant les quatre épisodes de l’été 2023, près de 1 500 décès ont été directement attribués à la chaleur, et plus de 5 000 décès ont été comptabilisés sur l’ensemble de la période estivale, soit 3 % de la mortalité totale entre juin et septembre ;
Considérant que les passages aux urgences pour des pathologies liées à la chaleur, telles que l’hyperthermie, la déshydratation et les coups de chaleur, ont été multipliés par 2 lors des épisodes caniculaires, et ont entraîné plus de 10 600 hospitalisations entre juin et septembre 2023 et 20 000 recours aux urgences en lien avec la chaleur ;
Considérant que la mort liée à la chaleur frappe particulièrement les personnes âgées, responsables de plus de la moitié des passages aux urgences et de 75 % des décès caniculaires, mais qu’un nombre croissant de victimes sont en situation de précarité extrême, notamment personnes sans‑abri, migrants, travailleurs en plein air, femmes enceintes et enfants isolés ;
Considérant que la Cour des comptes a identifié des manques persistants dans le dispositif actuel : absence de prise en compte suffisante de la morbidité liée à la chaleur, de la situation des personnes sans domicile, et d’une préparation accrue des établissements et services sociaux et médico‑sociaux en cas d’alerte canicule ;
Considérant les recommandations de la Cour des comptes d’une meilleure structuration des plans canicule, des registres actualisés des publics vulnérables, et l’inventaire des capacités d’accueil rafraîchies ;
Considérant que les acteurs de terrain – Fondation pour le logement des défavorisés, Fédération des acteurs de la solidarité, Samu social, Croix‑Rouge – alertent sur le fait que les personnes sans‑abri, en squats ou bidonvilles, ainsi que les enfants à la rue, sont systématiquement oubliés dans la réponse institutionnelle, faute de coordination, d’ouverture de lieux frais et de renforts des maraudes ;
Considérant que les conditions de vie indignes – absence d’ombrage, rues exposées – exposent quotidiennement des milliers de sans‑abri à une précarité thermique extrême, amplifiée par le phénomène d’îlot de chaleur urbain ;
Considérant les recommandations de l’Agence régionale de santé préconisant l’usage systématique de brumisateurs, fontaines, ventilateurs, et une information ciblée pour les populations en difficulté ;
Considérant l’urgence climatique, l’augmentation significative des vagues de chaleur et les projections alarmantes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat selon lesquelles les journées chaudes seront la norme, rendant indispensable un dispositif national adapté, coordonné et durable ;
Invite le Gouvernement à instaurer un dispositif interministériel national « Grand Chaud », déclenché automatiquement lors des alertes canicule émises par Météo France, et piloté par les préfectures et les Agences régionales de santé en coordination avec les associations, les collectivités territoriales et les services de secours. Ce dispositif interministériel “Grand Chaud” prévoirait notamment l’ouverture massive de lieux rafraîchis accessibles à toutes et tous ; le renforcement des maraudes de rue, y compris en horaires de nuit ; la mise à disposition de moyens d’urgence adaptés et la mobilisation d’une cellule de crise sanitaire et sociale « Grand Chaud » au niveau départemental et national.