N° 1760
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
sur l’affiliation sociale des enfants de travailleurs frontaliers,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Isabelle RAUCH,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans l’Union européenne, la coordination des systèmes de sécurité sociale repose sur les règlements (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 et (CE) n° 987/2009 du 16 septembre 2009. Ces règlements établissent le principe d’unicité de la législation applicable, selon lequel une personne ne peut relever que d’un seul régime de sécurité sociale à la fois. Si ce principe vise à éviter les chevauchements de droits et à garantir une certaine cohérence juridique entre les États membres, il s’avère inadapté à certaines situations spécifiques, en particulier celles concernant les familles de travailleurs frontaliers.
Les particularités propres à ces travailleurs – actifs dans un État membre et résidant dans un autre – soulèvent des difficultés croissantes en matière de coordination administrative, de prise en charge médicale, et d’égalité de traitement. Ces problématiques deviennent particulièrement fortes lorsque la situation familiale des parents est complexe, comme c’est le cas lors d’une séparation ou d’un divorce. Dans ces cas, l’application stricte des règles européennes conduit à des dysfonctionnements dans l’affiliation sociale des enfants.
En France, la législation permet, par dérogation à toutes dispositions contraires, le rattachement de l’enfant sur le dossier des deux parents (article R. 161‑8 du code de la sécurité sociale), dès lors que ces derniers sont tous deux affiliés au régime français. Ce mécanisme facilite l’accès aux soins, l’exercice partagé de l’autorité parentale et la répartition équitable des obligations entre les deux parents. Toutefois, ce dispositif n’est pas transposé dans un contexte transfrontalier, créant ainsi une inégalité de traitement manifeste entre les familles unies par un seul régime national et celles qui relèvent de deux États membres.
En effet, concernant les travailleurs frontaliers, en vertu de l’article 11.1 du règlement (CE) n° 883/2004, l’enfant est rattaché sur le compte d’un seul ouvrant droit, dont les règles de l’article 59 du règlement CE n° 987/2009 donnent la priorité à la législation du pays de résidence, sauf lorsque l’autre parent, travaillant dans un autre État membre, ouvre droit à des prestations plus favorables, permettant à l’enfant ou son représentant légal de demander à en bénéficier. Combinée aux définitions variables de la notion de « résidence » entre les États membres, cette situation conduit à des cas de rupture d’égalité de traitement. Il en résulte souvent que seul un des deux parents est en mesure de bénéficier du tiers payant et de la télétransmission pour les remboursements de soins médicaux. Le parent non‑résident, même en cas de garde alternée, se voit contraint d’avancer les frais médicaux et d’effectuer des démarches administratives complexes pour obtenir un remboursement. Ce décalage dans l’accès aux soins et dans la gestion quotidienne des droits sociaux des enfants peut créer des tensions parentales, des retards de traitement, voire un renoncement aux soins pour des raisons financières.
Par exemple, en cas de divorce d’un couple de travailleurs frontaliers, dont l’un est affilié à la sécurité sociale française et l’autre au régime luxembourgeois, l’enfant ne peut être rattaché qu’à un seul des deux systèmes. Si la résidence principale de l’enfant est en France, le parent affilié au Luxembourg ne peut le rattacher à son régime, même s’il assume une part significative de l’entretien médical de l’enfant. Ce parent devra avancer tous les frais engagés en son nom, sans pouvoir bénéficier du tiers payant. En cas de résidence alternée, la situation devient encore plus problématique : les deux parents sont considérés comme assurant un entretien égal, sans que cela ne soit reconnu dans le système de sécurité sociale applicable.
Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle entre en contradiction avec des principes juridiques fondamentaux. L’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne affirme que « les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien‑être ». Cette obligation est réitérée à l’article 3 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ratifiée par l’ensemble des États membres de l’Union. Ces textes imposent aux législateurs nationaux et européens d’adapter les cadres juridiques aux besoins des enfants. En France, cette exigence est également consacrée par l’article 371‑2 du code civil, qui prévoit que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ». En pratique, le cadre juridique européen actuel empêche l’exercice effectif de cette responsabilité partagée dans les situations transfrontalières.
Il devient donc impératif d’adapter le droit européen afin de permettre, lorsque la situation le justifie, un rattachement simultané de l’enfant aux deux parents affiliés dans deux États membres distincts. Ce rattachement dual est essentiel pour garantir l’égalité d’accès aux soins, simplifier les démarches des familles transfrontalières, et respecter pleinement l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les objectifs de la présente proposition sont de mieux sécuriser les droits des travailleurs frontaliers dans des situations complexes et aujourd’hui négligées. Elle vise ainsi à garantir au parent affilié dans un autre État membre la possibilité de demander et d’obtenir le rattachement de son enfant, même lorsque celui‑ci et le parent résident dans deux États différents, en particulier en cas de séparation ou de divorce.
Premièrement, il convient de modifier l’article 16 du règlement (CE) n° 883/2004 afin d’y insérer une disposition explicite permettant, par voie de dérogation encadrée, le rattachement simultané de l’enfant aux régimes de sécurité sociale des deux parents lorsqu’ils sont affiliés dans deux États membres différents. Ce rattachement doit être autorisé dès lors qu’il est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment dans le cadre d’une garde alternée ou d’une résidence partagée.
Deuxièmement, il convient de mettre en place un mécanisme européen de coordination administrative et de compensation financière entre les institutions de sécurité sociale des États membres concernés. Ce mécanisme permettrait de répartir les obligations entre les régimes d’affiliation des deux parents, de faciliter l’accès au tiers payant et à la télétransmission pour chacun d’eux, et d’assurer ainsi la continuité et l’égalité de la couverture santé de l’enfant, sans charge administrative ou financière disproportionnée pour l’un ou l’autre parent.
Troisièmement, il est nécessaire d’harmoniser au niveau européen la définition de la résidence de l’enfant dans le contexte des familles transfrontalières, afin d’éviter les conflits d’interprétation entre régimes nationaux. Cette harmonisation devrait intégrer les réalités concrètes de la vie familiale – telles que la garde alternée effective, le lieu de scolarisation ou la fréquence des séjours – et permettre une lecture commune et cohérente des droits sociaux applicables aux enfants dans l’ensemble de l’Union.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,
Vu le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004,
Vu l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, notamment son article 3,
Considérant la nécessité d’adapter le cadre juridique européen à la réalité des situations familiales transfrontalières complexes, notamment pour garantir une protection sociale cohérente et effective des enfants de travailleurs frontaliers afin d’éviter les ruptures de droits et d’assurer une égalité d’accès aux prestations sociales indépendamment du lieu de résidence,
Estime nécessaire une révision des règlements européens relatifs à la coordination des systèmes de sécurité sociale pour permettre le rattachement simultané de l’enfant aux deux parents dans les situations familiales transfrontalières, en particulier en cas de séparation ou de divorce,
Estime indispensable une clarification des règles de coordination administrative entre États membres afin de sécuriser et simplifier juridiquement les démarches liées à l’affiliation des enfants, notamment par l’instauration d’un mécanisme de compensation interétatique,
Invite la Commission européenne à modifier l’article 16 du règlement (CE) n° 883/2004 afin d’y insérer une disposition explicite permettant, par dérogation encadrée, le rattachement simultané d’un enfant aux régimes de sécurité sociale de ses deux parents affiliés dans des États membres différents, lorsque cela est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant ;
Invite la Commission européenne à instaurer un mécanisme européen de coordination administrative et de compensation financière entre les institutions de sécurité sociale des États membres concernés afin d’assurer la répartition des obligations entre régimes, la continuité des droits sociaux de l’enfant et l’accès équitable des deux parents aux dispositifs de tiers payant et de télétransmission ;
Invite la Commission européenne à proposer une définition harmonisée de la notion de résidence de l’enfant dans les situations transfrontalières, intégrant les réalités de la vie familiale, afin d’éviter les conflits d’interprétation entre régimes nationaux et de garantir une portabilité effective des droits sociaux des enfants concernés.