N° 1761

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à la création d’un statut de réfugié climatique au sein de l’Union européenne,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Jean-Paul LECOQ, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Marie POCHON, M. Marc PENA, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Karine LEBON, Mme Lisa BELLUCO, M. Nicolas BONNET, M. Steevy GUSTAVE, M. Arnaud BONNET, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Alexis CORBIÈRE,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le XXIe siècle est confronté à un défi humanitaire et environnemental sans précédent  : celui des déplacements forcés dus aux effets du dérèglement climatique. Ce ne sont pas des migrations de confort, mais des migrations pour survivre. Des millions de femmes, d’hommes et d’enfants sont d’ores et déjà contraints d’abandonner leur foyer non pas à cause de la guerre ou des persécutions politiques, mais en raison de la montée des eaux, des sécheresses prolongées, de la désertification, de l’érosion côtière ou d’inondations devenues récurrentes.

En 2022, ce sont ainsi 32,6 millions de personnes qui ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la suite de catastrophes climatiques. D’ici 2050, la Banque mondiale estime que 216 millions de personnes pourraient être déplacées pour des raisons environnementales à l’échelle interne, et à l’horizon 2100, jusqu’à 187 millions d’êtres humains pourraient être contraints de franchir des frontières, fuyant des régions devenues entièrement inhabitables.

Ces chiffres vertigineux ne sont pas de lointaines projections théoriques. Ils prennent déjà corps à travers des drames bien réels. Dans le Pacifique, des États insulaires comme Tuvalu ou Kiribati voient leur territoire grignoté par la montée des océans. En Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique est frappée par des sécheresses historiques qui détruisent l’agriculture locale. En Asie du Sud, les moussons deviennent plus violentes et plus imprévisibles, submergeant des villages entiers. Et même au sein de l’Europe, les Balkans ont connu en 2014 des inondations extrêmes, provoquant des déplacements massifs.

Pourtant, aucun cadre juridique international ou européen ne reconnaît aujourd’hui les déplacés climatiques. Ni la Convention de Genève, ni le droit d’asile européen ne prennent en compte les causes environnementales comme motifs de protection. Ainsi, des populations entières, privées d’accès à l’eau, à une terre vivable ou à un air respirable, sont exclues de toute reconnaissance et de tout droit et sont suspendues à des politiques nationales d’accueil au cas par cas. Elles errent dans l’angle mort du droit international, invisibles et vulnérables.

Des avancées existent, mais elles restent fragmentaires et insuffisantes. En 2018, le Pacte mondial sur les réfugiés a officiellement reconnu l’interaction croissante entre les facteurs environnementaux et les dynamiques d’exil. En janvier 2020, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rappelé qu’il est illégal de renvoyer une personne vers un pays où sa vie est menacée par les effets du changement climatique. Et en 2023, un accord conclu entre l’Australie et Tuvalu a permis aux habitants de ce micro‑État menacé par les eaux d’accéder à un droit de résidence permanent.

Par ailleurs, l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) le 23 juillet 2025 vient renforcer l’urgence et la légitimité d’un statut juridique pour les réfugiés climatiques. La CIJ y affirme avec clarté que les États ont, en vertu du droit international coutumier et des traités multilatéraux, des obligations strictes de prévention des dommages significatifs au système climatique, ainsi qu’un devoir de coopération pour protéger l’environnement. Elle reconnaît expressément que les effets du dérèglement climatique ; montée des eaux, catastrophes météorologiques extrêmes, désertification ; constituent une menace existentielle pour les populations humaines, en particulier pour les communautés vulnérables des petits États insulaires et des zones côtières. Ces menaces illustrent de manière concrète que les déplacements climatiques ne relèvent plus de l’anticipation, mais du présent. Dès lors, les États ayant historiquement contribué aux émissions de gaz à effet de serre portent une responsabilité juridique et morale à l’égard de celles et ceux que ces bouleversements contraignent à l’exil. L’avis de la CIJ réaffirme ainsi que la protection des personnes déplacées par le climat est une exigence de droit international, et qu’il est temps d’y répondre par un cadre structuré.

Car au fond, l’enjeu est aussi moral que juridique. L’injustice climatique fondamentale est la suivante : ceux qui paient le prix le plus lourd du réchauffement sont ceux qui y ont le moins contribué. Les pays du Sud, fortement touchés, sont responsables de peu d’émissions de gaz à effet de serre. À l’inverse, l’Europe, les États‑Unis et les autres grandes puissances industrialisées, dont la France, portent une part écrasante de la responsabilité historique.

Notre modèle économique fondé sur la surexploitation des ressources, la croissance carbonée et la surconsommation a provoqué ce dérèglement global. Aujourd’hui encore, l’Union européenne figure parmi les quatre plus gros émetteurs mondiaux de CO2. Et même si ses émissions ont diminué, elle continue à exporter un modèle énergétique et industriel climaticide.

Nous avons une dette écologique et morale, et il est temps de l’assumer. Refuser l’accueil des réfugiés climatiques aujourd’hui, c’est les condamner à survivre dans des territoires invivables, à errer sans statut, sans droits et sans protection. C’est aussi préparer les conflits de demain  : tensions géopolitiques, guerres de l’eau, crispations aux frontières, et montée des extrêmes.

À l’inverse, reconnaître un statut de réfugié climatique au niveau de l’Union européenne, c’est faire preuve de lucidité, de solidarité et de responsabilité. C’est anticiper plutôt que subir. C’est offrir une réponse humaine, légale et stable à une situation d’urgence qui, de toute manière, ne fera que s’intensifier. Ce statut permettrait de garantir un accueil digne, des procédures claires, et une répartition équitable de l’effort entre les États membres. Il incarnerait aussi un message fort  : l’Europe ne détourne pas les yeux. Elle choisit d’assumer sa part, d’agir pour la justice climatique, et de protéger ceux que nos émissions ont poussés à l’exil.

Le dérèglement climatique est déjà là. Les migrations environnementales aussi. L’inaction n’est plus une option.

Construire un droit de l’exil écologique, c’est ouvrir une voie. Une voie juste, humaine et nécessaire, à la hauteur de l’enjeu du siècle.

Le chaos ne viendra pas de l’accueil des réfugiés climatiques. Il viendra de leur abandon.

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 67, 78, 80 et 191,

Vu la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951,

Vu le Pacte mondial sur les réfugiés adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 17 décembre 2018,

Vu l’avis du Comité des droits de l’homme des Nations unies du 7 janvier 2020 (affaire Ioane Teitiota c. Nouvelle‑Zélande, CCPR/C/127/D/2728/2016),

Vu les conclusions de la 26e Conférence des Parties à la Convention‑cadre des Nations unies sur les changements climatiques,

Vu les rapports de la Banque mondiale, de l’Organisation météorologique mondiale, et du Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sur les déplacements liés au changement climatique,

Vu l’avis du 23 juillet 2025 rendu par la Cour internationale de justice relatif aux obligations des États en matière de changement climatique,

Considérant que le changement climatique constitue un facteur majeur, croissant et irréversible de déplacements humains à l’échelle mondiale,

Considérant que l’Union européenne et ses États membres portent une responsabilité historique dans la crise climatique du fait de leurs émissions passées et présentes de gaz à effet de serre,

Considérant l’inexistence, dans les cadres juridiques international et européen, d’un statut permettant de protéger les personnes déplacées pour des raisons environnementales,

Considérant que la reconnaissance d’un statut de réfugié climatique est un impératif de justice, de solidarité et de cohérence écologique,

Considérant que l’Union européenne a vocation à devenir un acteur exemplaire de la justice climatique et des droits humains,

Appelle la Commission européenne à présenter dans les meilleurs délais une proposition législative créant un statut européen de « réfugié climatique », définissant des critères clairs et protecteurs fondés sur l’exposition avérée de personnes ou de communautés aux effets graves, durables et irréversibles du changement climatique ou de la dégradation environnementale ;

Demande que ce statut ouvre droit à une protection internationale effective, notamment sous la forme d’un droit à l’asile climatique ou d’un permis de séjour humanitaire fondé sur des considérations environnementales ;

Appelle à la mise en place d’un mécanisme européen de solidarité pour l’accueil des réfugiés climatiques, reposant sur une répartition équitable des responsabilités entre États membres et sur la création d’un fonds européen pour les migrations climatiques, dédié à l’accueil, à l’hébergement, à l’intégration et au soutien aux pays d’origine ;

Invite le Gouvernement français à porter activement cette initiative dans toutes les enceintes européennes pertinentes, notamment au sein du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne et du Parlement européen, en vue de faire de l’Union un acteur de référence dans la reconnaissance et la protection des exilés environnementaux.