N° 1789
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à interdire l’acétamipride dans l’Union européenne,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Pierrick COURBON, M. Olivier FAURE, M. François RUFFIN, M. Emmanuel MAUREL, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Laurent BAUMEL, M. Karim BENBRAHIM, M. Benoît BITEAU, M. Mickaël BOULOUX, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Arthur DELAPORTE, Mme Dieynaba DIOP, M. Julien GOKEL, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Céline HERVIEU, Mme Karine LEBON, Mme Estelle MERCIER, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Christophe PROENÇA, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite « Duplomb », débattue dans des conditions discutables à l’Assemblée nationale, a été définitivement adoptée le 8 juillet 2025.
Elle a suscité de fortes oppositions, tant de la part des parlementaires, que de la part d’une grande diversité d’acteurs de la société civile. Une pétition demandant son abrogation, lancée à la suite de son adoption, a recueilli un soutien populaire d’une ampleur inédite, avec plus de 2,1 millions de signatures citoyennes, preuve de la sensibilité croissante de la population pour les sujets touchant à la préservation du vivant, à la biodiversité et à la protection de la santé humaine.
L’article 2 de la loi « Duplomb » prévoyait notamment la réautorisation de plusieurs insecticides néonicotinoïdes et constituait à ce titre une régression inadmissible de la législation sur les pesticides en France. Une telle décision aurait condamné la biodiversité et la survie des pollinisateurs, en particulier des abeilles, et menacé gravement, entre autres, la filière apicole française.
La France a en effet interdit les cinq principaux néonicotinoïdes ‑ imidaclopride, clothianidine, thiaméthoxame, thiaclopride et acétamipride – dès 2018. C’était une victoire de la science, de la biodiversité, et de la santé publique.
En souhaitant revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes, inscrite à l’article L. 253‑8 II du code rural et de la pêche maritime, le texte entrait en contradiction avec l’évolution progressive des objectifs européens visant à réduire l’usage des pesticides et à promouvoir des pratiques agricoles durables.
Si cette mesure phare de la « loi Duplomb » a été censurée par la décision 7 août 2025 du Conseil constitutionnel, au nom de la Charte de l’environnement, il n’en demeure pas moins que l’interdiction française coexiste avec le règlement d’exécution 2018/113 de la Commission européenne du 24 janvier 2018, lequel autorise l’utilisation de l’acétamipride jusqu’au 28 février 2033. Ladite substance demeure le dernier des néonicotinoïdes à être autorisé par l’Union européenne.
Cette dichotomie entre droit français et européen, mise en avant par les défenseurs de la loi « Duplomb », perpétue les conditions d’une concurrence inéquitable, dans le cadre du marché européen.
Aussi, dans l’optique de préserver notre santé et notre environnement, cette résolution invite la Commission européenne à porter une proposition législative harmonisée visant à interdire sans délai l’acétamipride, au même titre que tous les néonicotinoïdes, dans l’Union européenne.
La présente résolution invite également la Commission européenne à légiférer en faveur de la mise en place de clauses miroirs s’appliquant aux produits agricoles et agroalimentaires importés, afin de préserver les capacités de production des agriculteurs français et de les prémunir de distorsions de concurrence au niveau européen.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 43 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne selon lequel « la politique de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement […] est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive »,
Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999, désigné sous les termes de « loi européenne sur le climat » ou « Pacte vert »,
Vu le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques,
Vu la stratégie de l’Union européenne « De la ferme à la table » présentée par la Commission européenne le 20 mai 2020, et la résolution du Parlement européen du 20 octobre 2021 sur une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement, 2020/2260(INI),
Vu la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030,
Vu la résolution du Parlement européen du 23 novembre 2023 sur l’initiative européenne sur les pollinisateurs révisée – Un nouveau pacte en faveur des pollinisateurs, 2023/2720(RSP),
Vu le règlement d’exécution (UE) 2018/113 de la Commission du 24 janvier 2018, qui autorise l’utilisation de l’acétamipride jusqu’au 28 février 2033,
Vu les objectifs à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé contenus dans la Charte de l’environnement du 1er mars 2005 et notamment les alinéas 2, 3, 6 et 7,
Vu la décision n° 2008‑564 du 19 juin 2008 du Conseil constitutionnel, qui confirme la constitutionnalité du droit de l’environnement,
Vu la décision n° 2019‑823 QPC du 31 janvier 2020 du Conseil constitutionnel qui consacre la protection de l’environnement et la protection de la santé, en réaffirmant qu’elles constituent des objectifs à valeur constitutionnelle,
Vu la loi n° 2016‑1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui interdit l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes,
Vu les objectifs chiffrés que s’est fixée la France et notamment la Stratégie Écophyto 2030 publiée le 6 mai 2024 confirmant l’objectif de réduction de l’utilisation produits phytosanitaires de 50 % et de leurs risques d’ici à 2030,
Considérant que l’Autorité européenne de sécurité des aliments estime dans son avis du 27 mars 2024 qu’il demeure des incertitudes majeures dans l’éventail des preuves de toxicité neurodéveloppementale de l’acétamipride ainsi que des doutes sur ses effets en tant que perturbateur endocrinien, et que l’exposition à l’acétamipride est associée à une baisse des niveaux de testostérone ;
Considérant l’étude intitulée « The Effect of Increasing the Dose of Acetamiprid and Dichlorvos Pesticides on the Reproductive Performance of Laboratory Mice » publiée le 26 décembre 2022 dans la revue Advanced Biomedical Research, selon laquelle des résidus d’acétamipride peuvent atteindre le liquide céphalorachidien des enfants ;
Considérant la publication du 31 mai 2025 dans la revue Environmental Monitoring and Contaminants Research de chercheurs japonais, faisant état des premières détections d’acétamipride dans l’eau de pluie ;
Considérant l’absence de connaissances scientifiques quant à l’effet combiné de l’acétamipride en interaction avec d’autres pesticides, dit « effet cocktail » ;
Considérant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail recommande, dans son avis de juillet 2015, la diminution du recours aux intrants dans les pratiques agricoles afin de diminuer l’exposition globale des abeilles aux produits phytopharmaceutiques ;
Considérant que tous les produits néonicotinoïdes, exceptés ceux à base d’acétamipride, sont interdits dans l’Union européenne depuis le 19 décembre 2018 ;
Considérant que le principe de l’interdiction des produits à base de néonicotinoïdes en France date de la loi n° 2016‑1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, avec une entrée en vigueur initiale fixée au 1er septembre 2018, et que la multiplication des dérogations jusqu’en 2020 puis jusqu’en 2023 auront laissé le temps aux professionnels d’anticiper et de s’adapter à ce changement de législation ;
Considérant que des alternatives chimiques et non chimiques existent notamment avec des pratiques culturales adaptées comme la rotation des cultures, des semis tardifs ou le recours à des variétés résistantes, comme l’a rappelé l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans un avis de 2018 ;
Considérant la recommandation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments de réduire par cinq la dose journalière admissible pour trente‑huit produits agricoles, dont l’acétamipride ;
Considérant les tentatives de réautorisation de l’acétamipride en France par le biais de propositions de loi n’ayant fait l’objet d’aucune étude d’impact ;
Considérant la décision n° 2025‑891 du Conseil constitutionnel du 7 août 2025 relative à la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, qui statue que les dispositions autorisant la réintroduction de l’acétamipride sont contraires à la Constitution française ;
Considérant la pétition d’initiative citoyenne intitulé « Non à la Loi Duplomb – Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » qui a recueilli le chiffrage historique de plus de deux millions de signatures, soit la deuxième pétition la plus signée de l’histoire en France ;
Jugeant urgent d’accorder à chaque citoyen européen un cadre de vie sain, exempt de pollutions nocives, fondé notamment sur la préservation de l’environnement et la sécurité sanitaire, dans une perspective de justice sociale et de respect des générations futures ;
Invite le Gouvernement français à soutenir activement auprès des institutions européennes l’adoption d’une proposition législative visant à interdire l’utilisation de l’acétamipride dans l’Union européenne ;
Invite la Commission européenne à porter une proposition législative harmonisée visant à interdire tous les néonicotinoïdes dans l’Union européenne ;
Invite la Commission européenne et les États membres à soutenir davantage les efforts de recherche et d’innovation en faveur de solutions alternatives aux néonicotinoïdes et à l’ensemble des produits phytosanitaires les plus impactant sur la santé et l’environnement, afin de contribuer à la transition agroécologique de l’agriculture ;
Invite la Commission européenne à encourager l’harmonisation des normes environnementales en vigueur dans les États membres ;
Invite la Commission européenne à légiférer en faveur de la mise en place de clauses miroirs s’appliquant aux produits agricoles et agroalimentaires importés, afin de lutter contre la concurrence déloyale et préserver notre santé et notre environnement ;
Demande à la Commission européenne d’interdire au plus vite l’importation de produits agricoles produits à l’aide de néonicotinoïdes interdits dans l’Union européenne.