N° 1860

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 septembre 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à condamner la dérive illibérale et autoritaire du gouvernement géorgien et à réaffirmer notre soutien au destin européen de la Géorgie,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Constance LE GRIP, M. Laurent MAZAURY, M. Frédéric PETIT, Mme Isabelle RAUCH, Mme Liliana TANGUY, M. Benoît BITEAU,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis de nombreux mois, la situation politique en Géorgie suscite une inquiétude croissante. Le changement de gouvernement consécutif aux élections législatives du 26 octobre 2024 a marqué une rupture nette avec la trajectoire européenne jusque‑là poursuivie. Les nouvelles autorités portées au pouvoir par le parti « Rêve géorgien » ont amorcé une inflexion préoccupante, en s’éloignant des valeurs démocratiques européennes et en accentuant les tensions avec la société civile.

Ces dérives n’étaient pas imprévisibles. Dès l’été 2024, les institutions européennes avaient exprimé leurs préoccupations : le Conseil européen, dans ses conclusions de juin, appelait à garantir des élections libres et régulières, dénonçant les pressions exercées sur les opposants et les journalistes. Le scrutin du 26 octobre 2024, organisé dans des conditions inéquitables, n’a fait que confirmer ces alertes. Selon le rapport du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH), organe créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la campagne fut marquée par un usage abusif des ressources publiques, une couverture médiatique partiale et des pressions sur les électeurs. Ces critiques ont trouvé un écho dans les déclarations de la présidente Salomé Zourabichvili, qui a dénoncé une « falsification totale » du scrutin, l’imputant à une proximité croissante avec Moscou. Mme Zourabichvili avait alors alerté sur une « opération russe spéciale, une forme moderne de guerre hybride contre le peuple géorgien ».

Dans leurs conclusions de décembre 2024, les ministres des Affaires étrangères de l’Union avaient déjà dénoncé un recul démocratique manifeste et condamné la répression des manifestations pacifiques. Ces alertes furent relayées avec force par la France, l’Allemagne et la Pologne : dans un communiqué conjoint publié le 31 décembre 2024, les ministres des Affaires étrangères du Triangle de Weimar ont condamné « la décision prise par le Rêve géorgien de geler le processus d’adhésion à l’Union européenne », ainsi que « les violences contre des manifestants pacifiques, des médias et des dirigeants de l’opposition ». Ils ont rappelé qu’il incombait aux autorités géorgiennes de respecter les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, avertissant que la politique de répression et de recul démocratique avait déjà conduit à une dégradation des relations bilatérales et européennes, et entraîné la fin du régime sans visa pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service.

Ces mises en garde sont restées lettre morte : au premier semestre 2025, la répression s’est aggravée, comme l’a constaté le Parlement européen dans sa résolution adoptée en juillet 2025. Le 11 juillet 2025, vingt ministres européens, aux côtés du Haut représentant, ont publiquement condamné la dérive autoritaire et exigé la libération des opposants.

La dégradation de l’État de droit se traduit ainsi concrètement : l’ancien président Mikheïl Saakachvili demeure détenu dans des conditions indignes, dénoncées par des organisations internationales. Plusieurs figures de l’opposition, parmi lesquelles Nika Melia et Zurab Japaridze, ont été poursuivies ou arrêtées au terme de procédures contestées. Des dizaines de manifestants pacifiques, dont de nombreux étudiants, ont été interpellés arbitrairement, condamnés à des peines de détention administrative ou à de lourdes amendes.

Ces évolutions ne peuvent être isolées du contexte géopolitique régional. L’influence idéologique et stratégique de Moscou s’exerce de plus en plus fortement en Géorgie, par des relais politiques, économiques et médiatiques. Elle trouve son incarnation dans le rôle déterminant du fondateur du parti au pouvoir Rêve géorgien et oligarque pro‑russe, Bidzina Ivanishvili, dont l’ingérence dans les affaires politiques, économiques et judiciaires a été qualifiée par le Parlement européen d’obstacle majeur au développement démocratique.

Dans le même temps, les autorités géorgiennes instrumentalisent l’histoire et la rhétorique nationale. Alors que la Cour européenne des droits de l’homme a établi en 2021 la responsabilité de la Russie pour des violations graves et massives des droits fondamentaux de civils géorgiens lors de l’agression de 2008 – la Cour a retenu, entre autres, les qualifications de « meurtres de civils », « détention arbitraire de civils » et « actes de torture » –, une commission parlementaire composée exclusivement d’élus du Rêve géorgien a imputé, en septembre 2025, à l’administration issue du Mouvement national uni, parti de l’ex‑Président M. Saakachvili et devenu principal parti d’opposition, l’origine du conflit, reprenant ainsi la rhétorique du Kremlin et délégitimant l’opposition. Face à ces manipulations, la France a rappelé avec force, le 7 août 2025, son attachement plein et entier à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Géorgie dans ses frontières internationalement reconnues, condamnant la militarisation des régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, toujours occupées illégalement par la Fédération de Russie, et réaffirmant son soutien aux aspirations européennes et démocratiques du peuple géorgien.

Cette stratégie s’accompagne d’un durcissement continu des pratiques répressives. Le 29 août 2025, l’Union européenne a dénoncé comme une atteinte grave aux droits fondamentaux la décision des autorités de geler les comptes bancaires de plusieurs ONG, mesure visant à réduire au silence des acteurs essentiels au pluralisme démocratique et au rapprochement européen du pays.

Début septembre 2025, vingt manifestants ont en outre été condamnés à des peines de prison pour leur participation à des rassemblements antigouvernementaux, parmi lesquels le militant Saba Skhvitaridze et l’acteur Andro Chichinadze. Selon de nombreux témoignages, ces procès ont été entachés de violations graves des droits fondamentaux : détentions arbitraires, allégations de torture restées sans enquête, aveux extorqués, absence de garanties procédurales et refus d’un procès équitable.

Ainsi, les atteintes aux droits fondamentaux, la répression de l’opposition, la réécriture de l’histoire et l’influence croissante de Moscou traduisent une dérive systémique. Face à ce constat, il revient à la France et à l’Union européenne d’agir avec lucidité et fermeté, en soutien aux principes démocratiques, à la souveraineté européenne et à la volonté d’intégration européenne exprimée par une large partie de la société géorgienne.

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023,

Vu la Convention européenne des droits de l’homme,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu la communication COM(2022)0405 de la Commission européenne du 17 juin 2022 intitulée « Avis de la Commission sur la demande d’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne »,

Vu les conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022 sur les demandes d’adhésion de l’Ukraine, de la République de Moldavie et de la Géorgie,

Vu les conclusions du Conseil européen du 27 juin 2024, du 17 octobre 2024 et du 19 décembre 2024,

Vu les conclusions du Conseil sur l’élargissement du 17 décembre 2024,

Vu les résolutions du Parlement européen du 9 juin 2022, du 14 décembre 2022, du 28 novembre 2024, du 12 février 2025 et du 9 juillet 2025,

Considérant que la Géorgie a obtenu le statut de pays candidat à l’Union européenne en décembre 2023 et que, selon les enquêtes d’opinion disponibles, une large majorité de la population soutient l’adhésion à l’Union européenne ;

Considérant que les élections législatives du 26 octobre 2024, selon le rapport final de la mission d’observation électorale du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ont été marquées par une campagne fortement polarisée, l’usage abusif de ressources administratives, une couverture médiatique partiale, des pressions sur les électeurs, ainsi qu’un manque de confiance dans les institutions électorales et un cadre juridique sujet à des interprétations divergentes ;

Considérant la déclaration conjointe du 11 juillet 2025 des ministres des Affaires étrangères de vingt États européens, dont la France, ainsi que du Haut représentant de l’Union européenne, exprimant leur profonde préoccupation face à la dégradation de la situation démocratique en Géorgie, condamnant les arrestations politiques récentes et appelant les autorités géorgiennes à revenir sur leur législation répressive ;

Considérant la déclaration de la France du 7 août 2025, réaffirmant son plein attachement à la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Géorgie dans ses frontières internationalement reconnues ;

Considérant la décision des autorités géorgiennes de geler les comptes bancaires de plusieurs organisations de la société civile, dénoncée le 29 août 2025 par l’Union européenne comme une nouvelle atteinte grave aux droits fondamentaux et un instrument de répression politique ;

Considérant que le Parlement européen ne reconnaît pas la légitimité des autorités issues du scrutin du 26 octobre 2024 et a appelé à l’organisation de nouvelles élections sous supervision internationale ;

Considérant que la liberté d’opinion, d’expression, d’association et de réunion pacifique sont des droits fondamentaux consacrés par la Constitution de la Géorgie ;

Considérant que de nombreux textes adoptés depuis fin 2024 ont restreint gravement les libertés fondamentales et renforcé les mesures répressives ;

Considérant que le rôle central de Bidzina Ivanishvili dans l’évolution politique du pays est dénoncé par les institutions européennes comme contraire aux principes de séparation des pouvoirs ;

Considérant que la société civile géorgienne, notamment les jeunes et les universitaires, continue de se mobiliser massivement pour la défense des valeurs démocratiques européennes ;

Affirme son attachement au respect des principes consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, notamment la démocratie, l’État de droit, l’indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression et de la presse, la liberté d’association et les garanties procédurales fondamentales ;

Exprime sa pleine solidarité avec le peuple géorgien mobilisé pour son avenir démocratique et européen ;

Salue la déclaration conjointe du 11 juillet 2025 signée par vingt États européens, dont la France, et par le Haut représentant de l’Union européenne, dénonçant la dérive autoritaire à l’œuvre en Géorgie ;

Condamne la dérive autoritaire du gouvernement géorgien, les atteintes aux droits fondamentaux, les restrictions à la liberté d’expression et de manifestation, et l’usage disproportionné de la force contre les manifestants pacifiques ;

Appelle les institutions européennes à conditionner l’ouverture de toute négociation d’adhésion au respect effectif des critères politiques, en particulier à la tenue d’élections législatives libres, équitables et conformes aux standards internationaux ;

Invite le Gouvernement de la République française à soutenir activement les acteurs démocratiques en Géorgie, notamment les organisations non gouvernementales, les médias indépendants et les institutions universitaires ;

Invite le Gouvernement de la République française à dénoncer publiquement les ingérences extérieures, en particulier les influences exercées par le régime russe sur les institutions politiques géorgiennes et sur l’oligarque Bidzina Ivanishvili ;

Demande au Gouvernement de la République française de soutenir, en coordination avec ses partenaires européens, l’adoption de sanctions individuelles ciblées contre les personnes mentionnées dans la résolution du Parlement européen du 13 février 2025, notamment Bidzina Ivanishvili et ses proches collaborateurs, conformément à l’appel formulé par le Parlement européen et dans le sillage des sanctions déjà imposées par les États‑Unis ;

Appelle le Gouvernement de la République française à exiger la libération immédiate de l’ensemble des prisonniers politiques, notamment les dirigeants de l’opposition et les jeunes manifestants pacifiques condamnés pour leur engagement démocratique ;

Demande au Gouvernement de la République française d’examiner les conditions dans lesquelles Bidzina Ivanishvili a été décoré de la Légion d’honneur et d’envisager le retrait de cette distinction, au regard de ses agissements contraires aux valeurs portées par la République ;

Appelle les institutions de l’Union européenne et les États membres à faire preuve d’une vigilance accrue sur le respect des droits fondamentaux en Géorgie et à examiner, dans un esprit de cohérence, les suites à donner aux atteintes constatées, y compris par la mobilisation d’instruments restrictifs ciblés, si les violations persistent ;

Demande que la coordination des États membres au sein du Conseil de l’Union européenne permette d’exprimer une position commune fondée sur la défense des valeurs démocratiques, la libération immédiate des détenus politiques et la préservation des conditions d’un dialogue national inclusif ;

Invite l’Union européenne à rappeler fermement aux autorités géorgiennes leur obligation de garantir pleinement le respect des droits fondamentaux de tous les ressortissants de l’Union européenne présents sur leur territoire, notamment la liberté d’expression et de la presse, la sûreté des personnes et la liberté de circulation, dans le respect des engagements internationaux de la Géorgie ;

Invite l’Union européenne à adapter ses mécanismes d’assistance en faveur de la société civile géorgienne, afin d’en garantir l’efficacité et la pérennité dans un contexte institutionnel dégradé, sans renoncer à l’objectif d’un ancrage européen de la Géorgie ;

Invite l’Union européenne et ses États membres, y compris la France, à réorienter leur coopération avec la Géorgie au bénéfice direct de la société civile, en garantissant que l’assistance européenne contribue concrètement à la résilience démocratique du pays ;

Réaffirme que l’avenir européen de la Géorgie ne saurait être compromis par les dérives de son gouvernement actuel et appelle à maintenir ouverte la perspective d’adhésion pour autant que les conditions politiques soient réunies.