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N° 369

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2017.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social,

 

 

 

Par MLaurent PIETRASZEWSKI,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  237.


 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

Travaux de la commission

I. Audition de la ministre

II. Auditions des partenaires sociaux

1. Audition des organisations représentatives des employeurs (MEDEF, CPME et U2P)

2. Audition des organisations représentatives des salariés (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC)

III. Examen des articles

Article 1er Ratification de lordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective

Article 2 [nouveau] Modification de plusieurs dispositions issues de lordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective

Compte rendu des débats sur les articles 1 et 2

Article 3 [nouveau] Ratification de lordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales

Première partie : le comité social et économique et le conseil dentreprise

A.

Deuxième partie : Renforcer le dialogue social en valorisant lengagement syndical et représentatif

Troisième partie : Droit dexpression directe et collective des salariés

Article 4 [nouveau] Modification de plusieurs dispositions issues de lordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales

Compte rendu des débats sur les articles 3 et 4

Article 5 [nouveau] Ratification de lordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail

titre premier : renforcer la prévisibilité et sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et leurs salariés

titre II : dispositions relatives au licenciement pour motif économique

titre III : la modification des règles de recours à certaines formes particulières de travail

Titre IV : Renforcer la juridiction prudhomale

Titre V. Lextension du bénéfice et la revalorisation de lindemnité de licenciement

Article 6 [nouveau] Modification de plusieurs dispositions issues de lordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail

Compte rendu des débats sur les articles 5 et 6

Article 7 [nouveau] Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : modalités du suivi médical et gestion des personnels médicaux

Article 8 [nouveau] Ratification de l’ordonnance n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective

I. Sécurisation des règles dextension et délargissement des accords collectifs

A. Les aménagements apportés à la procédure dextension des accords collectifs

1. Le renforcement des pouvoirs du ministre chargé du travail

2. Le droit dopposition des organisations patronales est précisé

B. Lextension de la procédure délargissement

II. Redéfinition des secteurs relevant du niveau national et multiprofessionnel

III. Adaptation des modalités de fonctionnement et de répartition des crédits du fonds paritaire pour le dialogue social

1. Les difficultés soulevées par les critères transitoires de répartition des crédits entre les organisations professionnelles demployeurs

2. Le dispositif proposé

Article 9 [nouveau] Ratification de l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention

I. Le compte personnel de prévention de la pénibilité (c3P) sest heurté à des difficultés de mise en place opérationnelle

1. La genèse du compte personnel de prévention de la pénibilité

2. Des difficultés de mise en œuvre malgré les adaptations apportées par la loi du 17 août 2015

II. Un dispositif à adapter tout en préservant les droits des salariés en matière de prévention et de compensation de lexposition aux facteurs de risques professionnels

1. Le périmètre de la prévention des risques professionnels est inchangé

2. Lobligation de négocier au niveau de lentreprise sur la prévention des effets de lexposition aux facteurs de risques est maintenue et adaptée

III. La Création du compte professionnel de prévention (C2P) répond à lobjectif de simplification de la prise en compte de la pénibilité au travail

1. Lobligation de déclaration des employeurs limitée à six facteurs de risques professionnels

2. Les règles de fonctionnement du compte restent globalement inchangées

a. Ouverture et abondement du compte

b. Règles dutilisation du compte

3. Les modalités de gestion du compte évoluent

a. La gestion du compte est confiée à la branche AT-MP de la CNAMTS

b. Les modalités de contrôle et de réclamation

4. Le financement du C2P relève désormais des organismes nationaux de la branche AT-MP

IV. Lextension du dispositif de retraite anticipée pour incapacité à quatre facteurs de risques complexes à mesurer

A. Le dispositif proposé

B. Les modalités de financement

V. Un droit à la formation professionnelle renforcé pour les salariés victimes dincapacité permanente

VI. Modalités dentrée en vigueur et dispositions Transitoires

1. Entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la prévention de lexposition aux risques professionnels

2. Dispositions transitoires

3. Prise en compte des points acquis sur le compte personnel de prévention de la pénibilité

4. Modalités de transfert

annexeS

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Liste des liens vidéo relatifs à l’examen du projet de loi


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   Avant-propos

Le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social représente la dernière étape du parcours législatif de la première réforme engagée par le Gouvernement dans le champ des relations de travail.

L’exercice proposé, consistant pour le Parlement à ratifier plusieurs ordonnances prises par le Gouvernement, sur le fondement de l’habilitation qui lui a été accordée, diffère sensiblement de l’examen d’un projet de loi ordinaire, tant par le caractère singulier d’un projet de loi de ratification d’ordonnances, que par la méthode retenue par le Gouvernement et approuvée par notre Assemblée l’été dernier.

Pour l’élaboration de ses ordonnances, le Gouvernement a en effet choisi de faire résolument confiance au dialogue social : une ambition qui se traduit à la fois dans le contenu des mesures retenues dans les ordonnances et dans la méthode choisie pour conduire cette réforme.

Cette réforme très importante, comprise par nos concitoyens, démontre le bien-fondé de la méthode gouvernementale de la concertation. Ce n’est qu’une première étape. De nouveaux blocs de concertation sont déjà ouverts avec la future réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage. D’autres réformes suivront, dont celles de l’assurance chômage et des retraites.

Dans le même temps, le travail est valorisé par la hausse du pouvoir d’achat des actifs, avec la suppression des cotisations maladie et chômage, et l’augmentation de la prime d’activité. C’est un ensemble cohérent.

Dès le mois de mai 2017, au lendemain de l’élection présidentielle, le Gouvernement a ainsi lancé un cycle de réunions bilatérales, conduites par le Président de la République, le Premier ministre et la Ministre du travail. Ces réunions se sont poursuivies, tout au long de l’été, par des réunions bilatérales entre la Ministre du travail et les huit organisations syndicales et patronales représentatives, afin que chaque organisation soit entendue et puisse faire part de ses observations quant aux mesures envisagées par le Gouvernement.

En parallèle, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont été saisis d’un projet de loi d’habilitation visant à définir les contours de la réforme, qui portait essentiellement sur trois volets :

 la bonne articulation des niveaux de négociation et le développement de la négociation collective, pour donner des capacités d’initiative aux entreprises et aux salariés ;

 la simplification et le renforcement du dialogue économique et social ;

 la sécurisation des relations de travail.

Grâce à un accord obtenu en commission mixte paritaire, ce projet de loi a été adopté définitivement par notre assemblée le 1er août et par le Sénat le 2 août. La loi d’habilitation a été promulguée le 15 septembre 2017 ([1]).

Sur le fondement de cette loi d’habilitation, le Gouvernement a publié le 22 septembre 2017 cinq ordonnances portant principalement sur les trois volets déjà mentionnés, et proposant également plusieurs dispositions techniques ainsi que la réforme du compte personnel de prévention de la pénibilité, devenu compte professionnel de prévention. Sauf dispositions contraires, les dispositions de ces ordonnances sont entrées en vigueur au lendemain de leur publication.

Le présent projet de loi de ratification, soumis à l’examen de la commission des affaires sociales, comportait initialement un article unique prévoyant la ratification de ces cinq ordonnances. Pour favoriser la clarté du débat parlementaire, notamment au stade de la séance publique, le rapporteur a proposé, en concertation avec la Présidente de la commission, de diviser cet article unique par voie d’amendement, afin que chaque ordonnance puisse faire l’objet d’une discussion spécifique, et qu’elle soit ratifiée au sein d’un article distinct.

Outre ces préoccupations de nature essentiellement procédurale, le rapporteur comme les autres députés de la commission se sont interrogés sur l’étendue du droit d’amendement sur un projet de loi de ratification d’ordonnances, compte tenu du caractère particulier de ce texte.

En pratique, tant qu’elle n’est pas ratifiée par la représentation nationale, les dispositions d’une ordonnance peuvent à loisir être modifiées, complétées voire supprimées par le législateur. Les amendements pouvaient donc porter non seulement sur les dispositions du code du travail modifiées par les ordonnances, mais également sur l’ensemble des autres dispositions du code du travail. À ce titre, 227 amendements ont été déposés au stade de la commission, dont 22 ont été adoptés.

● S’agissant tout d’abord de l’ordonnance n° 2017-1385 ([2]), celle-ci a procédé à une refonte de l’architecture conventionnelle, par l’application par défaut d’un principe de subsidiarité, qui implique que le niveau le plus adapté de fixation de la norme en matière de droit du travail est celui de l’entreprise, car une règle de proximité a plus de chances d’être adaptée aux caractéristiques et situations spécifiques à chaque entreprise.

Il ne s’agit pas d’une inversion de la hiérarchie des normes, comme d’aucuns pouvaient le craindre : en effet, les règles légales, d’ordre public, continuent de prévaloir sur les règles conventionnelles. Pas plus qu’à une inversion de la hiérarchie des normes n’assiste-t-on avec cette ordonnance à une remise en cause du principe de faveur, selon lequel les accords collectifs peuvent toujours prévoir des dispositions plus favorables aux salariés que les dispositions légales. Ce principe continue de figurer, de manière inchangée, à l’article L. 2251‑1 du code du travail, et le texte de l’ordonnance ne l’a donc aucunement remis en cause.

Elle a en revanche profondément revu la règle de priorité entre les différents niveaux d’accords, en posant, on l’a dit, par défaut, le principe de la primauté de l’accord d’entreprise.

Cette démarche s’accompagne d’un clair renforcement des missions des branches et des domaines dans lesquelles celles-ci doivent au contraire pouvoir faire prévaloir leurs règles : il s’agit bien sûr de l’ensemble des domaines pour lesquels il est procédé à la définition des garanties et des protections des salariés dans le cadre de leurs conditions de travail : salaires minima hiérarchiques, classifications, garanties complémentaires santé et prévoyance, mutualisation des fonds de financement du paritarisme et de la formation professionnelle, etc. Au total, ce sont désormais treize domaines qui relèvent de la primauté légale de l’accord de branche, et quatre domaines supplémentaires qui relèvent de la primauté facultative de la branche, si celle-ci le souhaite.

Cette ordonnance a également procédé à la mise en place d’un régime unique d’accords dits de « compétitivité », là où coexistaient jusqu’alors une multiplicité de régimes, de procédures de conclusion d’accords, de règles applicables au licenciement du salarié refusant l’application d’un tel accord, etc. Le régime unifié permet d’englober l’ensemble des accords collectifs d’entreprise qui ont un impact sur la rémunération, la durée du travail ou la mobilité interne des salariés, qui clarifie à la fois le régime de la rupture du contrat de travail du salarié refusant l’application de l’accord et les modalités de son accompagnement à l’issue de cette rupture. Le rapporteur a sur ce sujet simplement souhaité encadrer le délai imparti à l’employeur pour engager la procédure de licenciement du salarié après notification du refus de ce dernier, pour tenir compte des exigences formulées par le Conseil constitutionnel.

L’ordonnance a porté ensuite une attention toute particulière aux très petites (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME), jusqu’alors souvent exclues de facto du renforcement de la négociation collective en raison de l’absence de représentants syndicaux dans ces entreprises et au niveau des branches.

Afin que ces dernières bénéficient des mêmes souplesses et capacités d’adaptation du droit que les grandes entreprises en matière de négociation collective, l’ordonnance a ainsi entrepris de réformer les modalités de négociation applicables aux entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégués syndicaux, en leur permettant selon les cas de consulter directement les salariés pour ratifier un projet d’accord, ou de négocier un accord avec les élus du personnel. Des observatoires tripartites d’appui au dialogue social, institués dans chaque département, accompagneront les petites entreprises désireuses de s’engager sur la voie du dialogue social, en leur apportant leur concours et leur expertise.

Elle a également posé une nouvelle condition d’extension des accords de branche, par l’obligation d’inclure dans ces accords des dispositions spécifiques aux petites entreprises.

Enfin, le renforcement de la négociation collective se traduit par l’élargissement des marges de manœuvre imparties aux branches comme aux entreprises en matière de négociation obligatoire, à travers la possibilité de conclure des accords de méthode fixant la périodicité des négociations obligatoires, leur contenu et les informations transmises dans ce cadre, dans le respect des dispositions d’ordre public. Cette mesure a principalement pour objectif de favoriser la négociation de branche et d’entreprise et d’améliorer celle‑ci sur le plan qualitatif, afin que les différents sujets soient abordés régulièrement, mais conformément au rythme qui convient le mieux aux spécificités de l’entreprise ou de la branche considérée.

● L’ordonnance n° 2017-1386 ([3]) propose en premier lieu de mettre en place une nouvelle organisation du dialogue social dans l’entreprise, grâce à la création du comité social et économique (CSE), issu de la fusion de trois instances de représentation du personnel : délégués du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La mise en place de ce comité, dont les attributions et les modalités de fonctionnement reprennent en les adaptant le cas échéant celles anciennement dévolues aux trois instances fusionnées, permettra aux représentants des salariés dans l’entreprise de disposer d’une vision exhaustive des enjeux de l’entreprise. Le dialogue social dans l’entreprise devrait ainsi gagner en efficacité. Afin que les intérêts des salariés continuent d’être convenablement représentés, l’ordonnance a doté le nouveau comité d’attributions importantes en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail ; le comité disposera d’ailleurs des mêmes moyens d’action que l’ancien CHSCT pour exercer ces compétences. Le comité s’est également vu confier des attributions économiques, sociales et culturelles, à l’instar des attributions jusque-là exercées par le comité d’entreprise.

Convaincu que la création du comité social et économique permettra de renouveler en profondeur le dialogue social dans l’entreprise, et que ce comité est doté de moyens suffisants et cohérents au regard des attributions qui lui ont été confiées, le rapporteur n’a pas proposé de modification au dispositif proposé, à l’exception d’une disposition technique visant à porter à trois le nombre maximal de mandats successifs des membres du CSE central et des membres des comités d’établissement. La commission des affaires sociales a également adopté, sur proposition de M. Boris Vallaud, membre du groupe Nouvelle gauche, un amendement permettant au comité de financer la formation des représentants de proximité.

Une évolution plus significative a en revanche été adoptée par la commission s’agissant du conseil d’entreprise. Ce dernier représente une véritable avancée pour la négociation d’entreprise, car il regroupe, au sein d’une instance unique, les membres du comité social et économique et les délégués syndicaux, dotés de la compétence de négociation. Afin d’inciter à la création de tels conseils d’entreprise, la commission a donc adopté un amendement de M. Aurélien Taché, membre du groupe La République en marche, visant à étendre à l’ensemble des conventions ou accords d’entreprise ou d’établissement la compétence du conseil d’entreprise en matière de négociation, alors que l’ordonnance avait exclu certains types d’accords d’entreprise soumis à des règles de validité spécifiques.

Bien qu’elles n’aient pas fait l’objet de modifications de la part de la commission, le rapporteur tient à souligner l’importance des dispositions de cette ordonnance relatives à l’exercice et à la valorisation des responsabilités représentatives et syndicales. S’inspirant des mesures proposées par M. Jean‑Dominique Simonpoli ([4]), auquel la Ministre du travail avait demandé d’établir un bilan des meilleures actions et pratiques de promotion de la reconversion professionnelle et de la valorisation et reconnaissance des compétences des représentants du personnel et des mandataires syndicaux, l’ordonnance a par exemple prévu de généraliser la réalisation, au cours de l’entretien de fin de mandat, d’un bilan de compétences, pour tous les représentants du personnel ou syndicaux exerçant dans des entreprises d’au moins deux mille salariés. Elle a également prévu l’obligation, pour l’employeur, de maintenir intégralement la rémunération des salariés en congé de formation économique, sociale et syndicale.

D’autres dispositions, qui ne relèvent pas du domaine de la loi, viendront compléter ces premières mesures, afin de permettre aux élus du personnel et aux syndicats qui souhaitent s’engager dans le dialogue social de bénéficier de moyens supplémentaires ainsi que d’une meilleure reconnaissance au cours et à l’issue de leur mandat : citons par exemple la mobilisation d’un réseau de grandes écoles et d’universités volontaires pour former chaque année des militants syndicaux. Le rapporteur sera particulièrement attentif à la mise en place de ces dispositifs, afin que, mis bout à bout, ceux-ci constituent un corpus cohérent et exhaustif de garanties et de droits pour les représentants du personnel et les représentants syndicaux.

● L’ordonnance n° 2017-1387 ([5]) répond à la volonté du Gouvernement de renforcer la prévisibilité du droit du travail pour les entreprises, et d’offrir aux salariés de nouvelles protections, grâce à la négociation et à l’amélioration de la sécurité juridique.

Pour sécuriser les relations de travail, et offrir aux salariés et aux entreprises – notamment aux TPE-PME – davantage de prévisibilité, la mise en place d’un barème de dommages et intérêts versés par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse permettra de lever l’incertitude pesant sur l’employeur relative au coût d’une rupture potentielle, et garantira une plus grande équité pour les salariés, grâce à une homogénéisation des dommages et intérêts versés. La commission a toutefois souhaité préciser que le juge prud’homal ne pouvait tenir compte de l’indemnité légale de licenciement pour la détermination du montant des dommages et intérêts alloués au salarié.

En outre, ce barème impératif ne s’applique ni aux licenciements entachés de nullité en raison d’un manquement grave de l’employeur (harcèlement moral ou sexuel, discrimination, etc.), ni en cas de rupture du contrat de travail faisant suite à un manquement d’une gravité similaire, comme l’a précisé un amendement du rapporteur adopté par la commission.

Cette ordonnance a également poursuivi un effort de sécurisation des relations de travail et des conditions de leur rupture, par toute une série de mesures comme la simplification des règles de motivation du licenciement et la distinction plus claire de ce qui relève d’une irrégularité de fond ou d’un vice de forme,  la réduction et l’harmonisation des délais de recours en cas de rupture du contrat de travail ou encore l’assouplissement de la procédure du reclassement pour inaptitude.

Afin de favoriser une meilleure anticipation des restructurations et de permettre aux entreprises de mieux gérer les situations difficiles en amont d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’ordonnance a offert un cadre juridique stabilisé aux plans de départs volontaires, sous la forme d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective. Cet outil, véritablement prometteur, doit permettre aux entreprises de mieux anticiper leurs projets de réorganisation et leurs efforts d’adaptation aux changements conjoncturels ou structurels, dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences désormais très élargie. Convaincu du progrès important qui est ainsi accompli en la matière, le rapporteur a souhaité apporter toutes les garanties à cet outil : il a ainsi proposé plusieurs amendements qui ont été adoptés par la commission des affaires sociales, pour prévoir que l’accord collectif doit obligatoirement préciser la durée pendant laquelle des ruptures de contrat peuvent être engagées sur le fondement de l’accord, mais qu’il doit également fixer les conditions de conclusion d’une rupture conventionnelle individuelle dans ce contexte et les délais de réflexion des parties. Il a également souhaité revoir la possibilité pour l’employeur de soumettre un nouveau projet à l’administration, en précisant que dans ce cas, il ne peut nullement s’agir d’un projet unilatéral, mais bien d’un accord qui a fait l’objet d’une nouvelle négociation avec les organisations syndicales présentes dans l’entreprise.

S’agissant du licenciement pour motif économique, plusieurs dispositions sont venues apporter des éléments de simplification ou d’assouplissement dans une procédure dont tout le monde connaît l’excessive complexité. Ainsi, le périmètre d’appréciation des difficultés économiques a-t-il été limité au territoire national, afin de mettre un terme à une jurisprudence qui n’a aucun équivalent chez nos voisins européens et qui consiste à apprécier les difficultés économiques d’une entreprise en France à l’aune de la situation économique des filiales du groupe éventuellement installées à l’étranger et qui relèvent du même secteur d’activité. La commission des affaires sociales a toutefois souhaité se prémunir contre la création artificielle de difficultés économiques en particulier par des mécanismes de présentation comptable, et a ainsi adopté un amendement visant à lutter contre de tels comportements de la part de grands groupes.

L’ordonnance a également limité en conséquence le périmètre des obligations de reclassement interne au territoire national ; elle a procédé à des ajustements du périmètre de fixation des critères d’ordre des licenciements afin d’harmoniser les situations pour tout licenciement économique, qu’il s’agisse de petits ou de grands licenciements, et que ceux-ci fassent l’objet d’un accord collectif ou d’un document unilatéral de l’employeur. Enfin, le mécanisme dérogatoire visant à favoriser la reprise d’entreprise sans reprendre l’ensemble des contrats de travail – en élargissant la possibilité de procéder à des licenciements en amont d’un projet de reprise – , jusqu’alors limité aux entreprises de plus de 1 000 salariés, a été généralisé dans le cadre de cette ordonnance.

Ce texte a également traduit le renforcement du rôle de la branche affirmé dans le cadre de l’ordonnance n° 2017-1385, en autorisant celle-ci à négocier d’une part sur la durée totale, les conditions de renouvellement et le délai de carence entre deux contrats en matière de CDD et de contrats de mission, et d’autre part sur la définition et les conditions applicables au CDI de chantier ou d’opération.

Les salariés bénéficieront en outre de nouveaux droits et de nouvelles protections dans leurs relations de travail, grâce notamment à l’instauration d’un véritable « droit » au télétravail, une modalité de travail qu’un nombre croissant de salariés appellent de leurs vœux. Afin que ce droit soit pleinement applicable, la commission des affaires sociales a adopté un amendement du rapporteur permettant d’organiser le recours au télétravail occasionnel ou régulier par un simple accord formalisé entre l’employeur et le salarié, à défaut d’accord collectif ou de charte.

Enfin, le renforcement de la protection des salariés se traduit dans cette ordonnance par la revalorisation des indemnités légales de licenciement et la diminution de l’ancienneté requise pour en bénéficier, qui est passée de 12 mois à 8 mois. Ainsi, après un an d’ancienneté, l’indemnité de licenciement due à un salarié dont le salaire brut est de 2 000 euros mensuels, est passée de 400 à 500 euros. Elle est passée de 2 000 à 2 500 euros après 5 ans d’ancienneté, et de 4 000 à 5 000 euros pour 10 ans d’ancienneté.

● L’ordonnance n° 2017-1388 ([6]) du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective n’a pas fait l’objet de modifications par la commission. Elle se composait en effet principalement de mesures techniques, n’appelant pas de remarque particulière de la part du rapporteur.

 Enfin, lordonnance n° 2017-1389 ([7]) traduit la volonté du Gouvernement de rendre juste et opérationnelle la prise en compte des effets de lexposition aux facteurs de risques professionnels, alors que le dispositif de compte de prévention de la pénibilité sétait heurté, depuis sa création, à dimportantes difficultés de mise en œuvre.

La principale mesure réside dans la réforme du compte professionnel de prévention de la pénibilité (C3P), qui poursuit un double objectif : la simplification des démarches des employeurs, et la préservation des droits des salariés en matière de prévention et de compensation de leur exposition aux facteurs de risques professionnels.

Devenu compte professionnel de prévention (C2P), le dispositif permet toujours aux salariés d’acquérir des droits en matière de formation professionnelle, d’aménagement du temps de travail ou de départ anticipé à la retraite, en cas d’exposition à un ou à plusieurs des six facteurs de risques entrant dans le champ du compte – contre dix auparavant. Les quatre autres facteurs, difficilement mesurables, ne feront plus l’objet d’une obligation de déclaration par l’employeur mais feront désormais l’objet d’un traitement spécifique au sein du dispositif de départ en retraite anticipée pour incapacité. Ceci étant, comme la ministre l’a précisé lors de son audition, une évolution des modalités de prise en compte de l’exposition aux risques chimiques est actuellement à l’étude et pourrait faire l’objet d’évolutions ultérieurement.

Le rapporteur se félicite des évolutions proposées, qui transformeront un droit à réparation en cas d’exposition aux facteurs de risques professionnels, jusque-là partiellement inapplicable, en droit réel pour les salariés. Il tient également à souligner que le transfert de la gestion du C2P à la branche accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP) permet d’ancrer résolument le dispositif dans une logique de prévention, qui constitue un préalable indispensable à la réduction de l’exposition des travailleurs aux risques professionnels.

 


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   Travaux de la commission

I.   Audition de la ministre

La commission des affaires sociales procède à laudition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 237) et à la discussion générale sur ce texte dans sa séance du 7 novembre 2017.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Chers collègues, notre ordre du jour appelle l’audition de la ministre du travail et la discussion générale sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Avant de céder la parole à Mme la ministre, à qui je souhaite la bienvenue dans notre commission, je rappelle les règles régissant l’organisation de cette audition et de la discussion générale : après l’intervention de la ministre, je donnerai la parole à notre rapporteur puis, pour deux minutes chacun, aux orateurs des groupes ; après la réponse de la ministre à ces premières interventions, nous entendrons les autres questions selon nos règles habituelles.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. C’est un honneur et un plaisir de vous retrouver, mesdames et messieurs les députés, sur un sujet essentiel qui nous a occupés de nombreuses heures pendant l’été, afin de vous rendre compte du mandat que vous avez confié au Gouvernement par la loi d’habilitation afin qu’il agisse par ordonnances.

Nous traversons une semaine particulière puisque nous débutons l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances et, en même temps, nous entamons la deuxième phase de transformation profonde de notre modèle social concernant la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance chômage. Avec mes collègues de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, je lancerai vendredi la concertation avec les partenaires sociaux et avec les régions sur ces sujets.

Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est la réforme du code du travail et la loi sur le renforcement du dialogue social. Cette audition est très différente de ma première audition, tenue il y a quatre mois : il ne s’agit plus d’exposer une intention de méthode ni de grandes orientations, mais de vous présenter les éléments d’information les plus précis pour que vous puissiez déterminer si nous avons bien respecté le mandat que vous nous avez confié par la loi d’habilitation.

Ces orientations ont été annoncées dans le programme du Président de la République et affinées tout au long du processus qui s’est déroulé cet été. En matière de démocratie sociale, tout d’abord, la concertation s’est poursuivie pendant tout le mois de juillet et a repris pendant la deuxième quinzaine du mois d’août. En tout, près d’une centaine de réunions ont eu lieu, dont plus de soixante-dix au ministère du travail, soit près de 300 heures de réunion de travail avec les partenaires sociaux. Cette méthode patiente et approfondie a permis, sur les points sensibles, de trouver une voie concrète et négociée, meilleure que celle que nous aurions empruntée sans concertation, tout en maintenant l’ambition initiale. Je n’hésite pas à dire que la concertation a rendu la loi meilleure.

En matière de démocratie politique, ensuite, nous avons, parallèlement aux discussions avec les partenaires sociaux, débattu du projet de loi d’habilitation à prendre des ordonnances à l’Assemblée et au Sénat – débat qui s’est achevé par une commission mixte paritaire conclusive. C’est grâce à ces quelque quatre-vingts heures de débats et à l’ampleur de votre vote – l’Assemblée nationale ayant adopté le texte par 421 voix pour – que nous avons pu travailler efficacement par la suite.

Le mandat que vous nous avez confié consiste d’abord à prendre les mesures nécessaires pour, dans un monde qui connaît des mutations rapides et profondes, protéger les salariés, dynamiser le marché du travail, renforcer le dialogue social et libérer l’énergie et la capacité d’initiative des entreprises par la négociation et par la sécurisation juridique, tant pour les entreprises que pour les salariés. Les ordonnances que nous avons prises en application de la loi d’habilitation sont fondées sur la confiance accordée à l’intelligence collective des entreprises, des salariés et de leurs représentants, au premier rang desquels les organisations syndicales.

Concrètement, nous avons donc pris cinq ordonnances publiées au Journal Officiel du 23 septembre. Elles constituent un projet de transformation du code du travail d’une ampleur inégalée, car elles modifient non seulement des aspects juridiques mais, plus profondément encore, l’esprit du code du travail et des relations sociales, en renforçant la décentralisation du dialogue social. Nous pensons en effet qu’il est possible, dans chaque branche, d’approcher de beaucoup plus près la réalité de la vie des entreprises et des salariés, et de faire converger la performance économique, sans laquelle il n’existe pas de progrès social durable, avec le progrès social, sans lequel il n’existe pas de performance économique durable, par une adaptation proche des besoins des entreprises et des aspirations des salariés.

Le code du travail fixe les principes et établit le cadre qui s’impose à tous. À l’intérieur de ce cadre, c’est désormais la négociation qui fixera les règles de fonctionnement dans l’entreprise et dans la branche, dans le respect intégral de la loi.

Les ordonnances reposent sur quatre axes clés. Tout d’abord, pour la première fois, une réforme du code du travail donne la priorité aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME). Ce fut un angle constant du débat et l’une de nos priorités dans la rédaction des ordonnances, car 55 % des emplois se trouvent dans les PME, qui recèlent la plus grande dynamique en termes d’emploi. Il est donc essentiel que le code du travail permette de dynamiser les TPE et les PME créatrices d’emplois.

Deuxième axe : faire confiance aux entreprises et aux salariés en leur donnant la capacité d’anticiper et de s’adapter de façon plus simple, rapide et sécurisée. Le troisième axe consiste à apporter de nouveaux droits et de nouvelles protections aux salariés. Le dernier axe, enfin, vise à instaurer de nouvelles garanties pour les délégués syndicaux et les élus du personnel qui s’engagent dans le dialogue social, car on ne saurait vouloir renforcer le dialogue social sans renforcer ses acteurs et s’assurer qu’ils puissent exercer leur mandat tout en poursuivant leur développement professionnel.

Je commencerai par revenir sur les principales mesures que nous avons retenues concernant le premier axe, à savoir la priorité accordée aux TPE-PME.

Premier point : une négociation simple et accessible pour les entreprises de moins de cinquante salariés grâce à la possibilité de négocier directement avec un élu du personnel sur tous les sujets en l’absence de délégué syndical. Le délégué syndical reste la priorité mais, malgré des décennies d’efforts, les petites entreprises ne comptent que 4 % de délégués syndicaux, ce qui prive les salariés d’une représentation pour pouvoir dialoguer. Ce droit à la négociation des PME sera universel : il portera sur tous les sujets ouverts à la négociation. Avec notre réforme, toutes les entreprises du pays qui emploient des salariés, quel que soit leur nombre, auront donc un accès direct et simple à la négociation, qui est le cœur de notre projet ; nous faisons en effet le pari du dialogue social de terrain.

Deuxième point : nous voulons aller plus loin pour les TPE en leur donnant la possibilité de négocier directement avec leurs salariés sur tous les sujets. Ainsi, les entreprises de moins de vingt salariés qui n’ont pas d’élu du personnel pourront bénéficier d’une certaine souplesse à condition qu’elles discutent avec les salariés. Nous avons mis au point un système de consultation des salariés dans ces entreprises qui permet d’éviter une procédure lourde de convocations et d’accusés de réception, inadaptée à la réalité des petites entreprises, tout en garantissant une autonomie de jugement et une liberté de parole aux salariés, puisqu’il faudra que les deux tiers d’entre eux soient d’accord, et que leurs délibérations se tiendront hors de la présence du chef d’entreprise. Tous les sujets pourront être abordés : rémunération, temps de travail, organisation du travail. Ce dialogue informel existe dans de nombreuses entreprises de manière très positive ; il sera désormais sécurisé là où il existait, et encadré là où il n’était pas pratiqué.

Le troisième point concerne principalement – mais pas exclusivement – les TPE et les PME : l’accès à un code du travail numérique clair, accessible et compréhensible, répondant aux questions concrètes que se posent les chefs d’entreprise. Il va nous falloir du temps pour le créer, car ce n’est pas une mince affaire, mais l’exercice du droit suppose un accès simple au droit ; cela fait partie de notre démocratie. Avec la possibilité qu’a chacun d’accéder désormais au numérique, il est indispensable qu’un salarié ou qu’un chef d’entreprise de petite taille puisse obtenir une réponse concrète et directe sans être obligé de recourir à un expert – qu’il n’a pas les moyens de payer – pour se faire expliquer les milliers de pages du code du travail.

Quatrième point : un barème de dommages et intérêts impératif – ou, plus exactement, un plancher et un plafond – qui donne sécurité et visibilité sur les contentieux potentiels. Je ne connais aucun chef d’entreprise, en particulier de TPE-PME, qui embauche des salariés avec l’intention de les licencier ; ce mauvais procès n’a pas de sens. En revanche, l’incertitude sur le coût d’une rupture potentielle dissuadait l’embauche ; nous en avions des milliers de témoignages. En sillonnant la France depuis la publication des ordonnances, le 23 septembre, j’ai rencontré 3 000 chefs d’entreprise et, avec mon cabinet, 5 000 directeurs des ressources humaines, et je vous assure de l’effet psychologique réel produit dans les PME. Nous avons éteint une peur, et la confiance donne envie aux chefs d’entreprise d’embaucher alors même que les carnets de commande se remplissent et que la croissance repart avec robustesse. Autrement dit, cette mesure est très bien comprise.

Le cinquième point a toujours trait aux TPE-PME : les règles de licenciement sont réformées pour que les vices de forme ne l’emportent plus sur le fond. Il ne sera plus possible que des erreurs de forme interdisent l’examen du fond par le juge ; c’est là encore un point essentiel pour les petites entreprises qui ne disposent ni de directeurs des ressources humaines ni d’avocats.

Sixième point : un formulaire-type rappelant les droits et devoirs de chaque partie pour éviter les erreurs de procédure lors d’un licenciement. C’est un facteur de sécurisation pour les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, mais aussi pour les salariés.

Septième point : la suppression de contraintes administratives inapplicables en matière de déclaration administrative sur la pénibilité. Il ne s’agit évidemment pas de baisser la garde sur les sujets de pénibilité, mais nous avons trouvé une formule pratique et opérationnelle permettant d’exercer ce droit dans les petites entreprises.

Le huitième point concerne la clarification des règles du contentieux en cas d’inaptitude. Le conseil des prud’hommes s’appuiera sur l’avis d’un expert médical pour juger les affaires de façon documentée. Jusqu’à présent, de nombreux conseillers prud’homaux refusaient de se pencher sur ce point en considérant qu’ils ne disposaient pas de l’expertise nécessaire.

Neuvième point : une nouvelle obligation sera faite aux accords de branche de prévoir des dispositions spécifiques qui tiennent compte de la réalité des TPE-PME. C’est un point très important : comme je l’ai indiqué en juillet, le droit du travail s’est historiquement construit dans le cadre d’un dialogue entre l’État, les représentants patronaux des grandes entreprises et les représentants syndicaux des grandes entreprises. Un certain nombre de dispositions ne sont donc pas applicables – un problème auquel vise aussi à remédier le point suivant. Mieux vaut prévenir que guérir et éviter d’avoir à recommencer ce travail dans quelques années. Nous obligeons donc les branches, à chaque fois qu’elles mettent en place des dispositions spécifiques, à intégrer la manière dont elles s’appliqueront dans les TPE-PME. Que cela prenne la forme d’accords-types ou de mesures ad hoc, les branches seront, quoi qu’il arrive, obligées de se poser la question et, par conséquent, d’écouter des représentants patronaux et syndicaux afin de déterminer si la mesure en question est applicable dans les TPE-PME.

Par cohérence, le dixième point a trait à la prise en charge des salaires et frais de déplacement des salariés des TPE-PME qui participent à des négociations de branche, pour permettre l’application du point précédent.

Voilà pour le premier axe qui portait principalement sur les TPE-PME. Encore une fois, une partie des mesures qui les concernent s’applique aussi à toutes les autres entreprises, mais nous avons voulu mettre l’accent sur celles qui sont susceptibles d’embaucher le plus.

Le deuxième axe consiste à faire confiance aux entreprises et aux salariés en leur donnant la capacité d’anticiper et de s’adapter de façon plus simple, rapide et efficace.

Je poursuis donc ma liste des points : le onzième d’entre eux a trait à la possibilité d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché par des accords majoritaires simplifiés sur le temps de travail, la rémunération et la mobilité. C’est une mesure très puissante qui donnera à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, la possibilité de s’adapter plus vite au marché. Elle s’appliquera à la condition d’obtenir un accord majoritaire. En clair, toutes les entreprises dans lesquelles se tient un dialogue social de qualité débouchant sur un accord majoritaire pourront être plus performantes puisqu’elles s’adapteront en trouvant des contreparties économiques et sociales qui satisfont les deux parties. Les entreprises qui refusent le dialogue social n’auront pas la même agilité. Autrement dit, il s’agit d’une véritable incitation au dialogue social de terrain. 

Douzième point : de nouveaux champs de négociation sont ouverts à l’entreprise. S’agissant des primes décidées dans les branches, par exemple, c’est l’accord de branche qui, en l’absence d’accord majoritaire, s’applique en guise de supplétif, pour servir de filet de sécurité. Dans de nombreuses entreprises, les salariés et les employeurs souhaitent négocier leurs propres primes pour mieux les adapter à leur situation – en fonction de l’âge ou des aspirations des salariés, notamment. C’est désormais possible.

Treizième point : un dialogue social simplifié et opérationnel, par la fusion des trois instances d’information et de consultation en une seule, le comité social et économique (CSE), pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés. Nous en avons débattu longuement : ces trois instances sont regroupées par la loi en maintenant naturellement la personnalité morale du CSE, sa capacité d’ester en justice, sa capacité de recourir à l’expertise, ainsi que l’ensemble des compétences du délégué du personnel, du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Toutes les entreprises pourront se doter d’une commission CHSCT, obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés et dans les secteurs sensibles. C’est donc une simplification majeure pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés, qui ira de pair avec le renforcement du dialogue, puisque tous les sujets économiques et sociaux pourront être mis en discussion avec des représentants syndicaux mieux formés et capables de négocier.

Quatorzième point : la possibilité accrue de promouvoir le dialogue social et la co-construction de la stratégie avec les salariés et leurs représentants, par la mise en place par accord majoritaire d’un conseil d’entreprise. La différence entre le conseil d’entreprise et le CSE tient au fait que le premier intègre l’ensemble des fonctions de représentant du personnel – information, consultation mais aussi négociation, par l’intermédiaire des délégués syndicaux. Un conseil d’entreprise ne peut être créé – à titre facultatif – que par un accord entre les deux parties, à savoir l’entreprise et les organisations syndicales. Il sera intéressant de suivre l’évolution des CSE ; ce ne sera pas d’emblée le dispositif majoritaire, mais il contribuera à instaurer la vision d’un dialogue social exigeant, parfois frontal mais co-constructif, puisqu’il existera des possibilités de co-décision, notamment – au minimum – en matière d’égalité entre les hommes et les femmes et de formation professionnelle.

Le quinzième point concerne l’instauration de la rupture conventionnelle collective. C’est, là encore, une grande innovation de cette loi. Nous proposons en quelque sorte de transposer ce qui a fonctionné au bénéfice des deux parties au niveau individuel – à savoir la rupture conventionnelle, d’ailleurs créée par une négociation interprofessionnelle en 2008 – au niveau collectif. La négociation dans l’entreprise, pour toutes les tailles d’entreprise, pourra définir un cadre commun de départ strictement volontaire – il n’est évidemment pas question qu’il s’applique à d’autres types de départs – qui devra, comme la rupture conventionnelle individuelle, être homologué par l’administration, pour éviter tout accord des deux parties qui poserait problème à l’assurance chômage, par exemple.

Seizième point, toujours dans un esprit de co-construction : la régulation des expertises, par l’instauration d’une participation financière forfaitaire de 20 % du coût des expertises par le CSE sur les expertises ponctuelles. Elle ne concerne donc pas les expertises régulières et, parmi les expertises ponctuelles, sont également exclues les expertises relatives à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et aux risques graves, dont la prise en charge continuera de relever à 100 % de l’employeur, comme c’est déjà le cas. Le but de cette mesure est de réguler le marché de l’expertise sans porter atteinte à la capacité du CSE d’y recourir. Aujourd’hui, l’un commande et l’autre paie, d’où l’inflation du marché. Ce n’est pas sain ; il n’existe aucun domaine dans lequel le payeur et le commanditaire sont différents par nature. Le montant demeure modeste, afin de ne pas obérer la capacité du CSE à recourir aux expertises, mais la co-décision sur le recours à l’expertise aux fins d’un co-financement paraît logique. Une participation de 20 % s’apparente davantage à un ticket-modérateur qui permet de responsabiliser toutes les parties et d’être plus exigeant sur le coût des experts.

Le dix-septième point concerne l’établissement, par accord de branche, de règles encadrant les CDD en fonction des spécificités de chaque secteur d’activité. C’est un point important qui répond à une demande qui nous a été faite concernant la gestion et la qualité de l’emploi. Le recours au CDD varie profondément d’un secteur d’activité à un autre, ce qui s’explique parfois par la différence qui existe entre les métiers. Par accord de branche, pour maintenir la cohérence au sein d’une branche, il sera donc possible d’établir des règles spécifiques concernant la durée, le nombre de renouvellements et le délai de carence en fonction de la spécificité du secteur d’activité visé.

Dix-huitième point : la possibilité d’accéder à des contrats de chantier grâce à la négociation d’un accord de branche fixant les règles permettant d’y recourir. Il ne s’agit pas de permettre aux entreprises de fixer seules les règles, mais aux branches aussi, dans des secteurs où c’est opportun – le bâtiment, la construction navale ou encore certains grands projets informatiques. Il faudra pour cela un accord de branche qui garantira une sécurité juridique importante aux entreprises qui souhaitent embaucher en CDI de chantier au lieu de multiplier des CDD comme c’est le cas aujourd’hui, ainsi qu’aux salariés. Dans ces conditions de sécurisation, j’ai confiance en la négociation de branche, avec sa nouvelle compétence en matière de gestion et de qualité de l’emploi, pour trouver des compromis gagnant-gagnant entre salariés et entreprises, comme c’est le cas dans le périmètre actuel, plus restreint.

Le dix-neuvième point concerne la fixation au niveau national d’un périmètre d’appréciation du motif économique, comme dans la grande majorité des pays européens. Il s’agit d’une remise au standard européen, car la règle précédente était pénalisante pour les investissements internationaux sans garantir davantage de liberté au juge. Le juge continuera de contrôler les fraudes – la loi le prévoit explicitement – et pourra évaluer lui-même les motifs et les raisons de l’appréciation en question.

Vingtième point : nous avons supprimé des obligations absurdes et des sources de contentieux, en particulier l’obligation de présenter la totalité des offres d’emploi d’un groupe dans tous les pays où il est présent, y compris les offres d’emploi inférieures au SMIC, car il est assez humiliant pour un salarié français qu’il lui soit proposé des salaires inférieurs au SMIC, même dans un pays lointain, voire européen. Ce sera plus de simplicité mais pas moins de protection, car l’employeur sera désormais tenu de proposer des offres de reclassement, étant entendu qu’il pourra les proposer à tout moment dans le périmètre national, par opposition à la photographie qui est actuellement réalisée à un instant t. Les salariés bénéficieront donc de droits réels plus larges.

Le vingt-et-unième point a trait à l’harmonisation des délais à un an en cas de contestation de la rupture du contrat de travail. C’est une mesure de simplification : aujourd’hui, le délai relatif au licenciement économique est de douze mois et celui du licenciement personnel de vingt-quatre mois ; l’un et l’autre seront désormais de douze mois.

Le troisième grand axe vise à établir de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les salariés.

Le vingt-deuxième point, donc, porte sur la mise en place d’une co-décision à la française dans les entreprises qui mettent en place un conseil d’entreprise par accord majoritaire. Le conseil d’entreprise se situe au plus haut niveau du dialogue social, puisqu’il est également possible d’y négocier. Il faudra suivre avec beaucoup d’intérêt cette évolution des relations sociales dans un certain nombre d’entreprises moins avancées en matière de dialogue social.

Le vingt-troisième point est d’importance : les accords d’entreprise devront être majoritaires à partir du 1er mai 2018. Nous avançons donc beaucoup le calendrier, en contrepartie de la mise en place des libertés nouvelles qui donneront du grain à moudre dans les branches et les entreprises.

Vingt-quatrième point : nous créons un droit au télétravail sécurisé et souple qui permet une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle. Nos débats sur ce sujet, passionnants, avaient été particulièrement éclairants car ce sont des débats de société. Le télétravail concerne déjà 17 % des salariés et 61 % y aspirent, notamment en milieu rural, parmi les jeunes générations et pour trouver un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, ou s’il existe des contraintes de vie. En outre, la multiplication d’espaces de travail partagés permet d’éviter la solitude sans pour autant se rendre sur un lieu de travail lointain. Nous avons donc pris le parti de l’audace en établissant un droit opposable, auquel le salarié peut demander à bénéficier ; il appartiendra à l’employeur de se justifier s’il ne peut y donner suite.

Vingt-cinquième point : les indemnités légales de licenciement sont augmentées de 25 %. Le décret d’application a été pris quelques jours seulement après la publication des ordonnances et la mesure est déjà en application. Il s’agit d’un acquis du débat parlementaire. Je rappelle qu’auparavant, un salarié gagnant 2 000 euros percevait 4 000 euros d’indemnités après dix ans d’ancienneté ; il en percevra désormais 5 000.

Vingt-sixième point : garantir davantage de prévisibilité, d’équité et de protection en cas de litige avec l’employeur grâce à la mise en place d’un plancher et d’un plafond de dommages et intérêts, et d’un formulaire-type. Cette mesure est rassurante tant pour l’entreprise que pour le salarié, car les dommages et intérêts accordés aux salariés se caractérisaient par des disparités trop grandes, peu d’équité et une faible visibilité. Nous avons donc instauré un plancher qui apportera un plus aux salariés. En quelques semaines seulement, une évolution en faveur de la conciliation se dessine et je pense qu’elle se confirmera, dans l’intérêt des deux parties, qui ont bien des possibilités à perdre avec une procédure de deux ans.

Vingt-septième point : un abondement du compte personnel de formation de cent heures sera financé par l’employeur en cas de refus par le salarié d’un accord
majoritaire signé par les organisations syndicales portant sur le temps de travail ou la rémunération. Les mesures de ce type sont anciennes puisqu’elles datent de 2000, et il en a été pris plusieurs au fil des accords. Jusqu’à présent, cependant, un salarié qui refusait l’application d’un accord signé par les organisations syndicales avait le droit au chômage et rien qu’au chômage. Désormais, il touchera le chômage et bénéficiera en outre d’un droit supplémentaire à la formation qui sera concret et individuel, afin de rebondir sur un autre emploi. De surcroît, en guise de mesure de simplification, nous fusionnons les accords de réduction du temps de travail, de maintien dans l’emploi, de mobilité interne et de préservation de l’emploi. En clair, tous les motifs restent valables mais, au lieu de quatre mesures similaires, il n’y aura plus qu’un seul motif qu’il sera beaucoup plus clair d’invoquer, pour les salariés comme pour les entreprises.

Vingt-huitième point : de nouvelles compétences sont accordées aux branches professionnelles, notamment en matière de gestion et de qualité de l’emploi, afin d’assurer une plus grande équité entre les salariés d’un même secteur. Les branches garantiront par exemple les mêmes droits et garanties pour tous les salariés handicapés de la branche, qui devront être supérieurs à ceux que prévoit la loi. C’est un grand progrès car la négociation sur ce point est encore insuffisante, ce qui explique en partie pourquoi les entreprises n’emploient que 3,2 % de salariés handicapés, alors que notre objectif est d’atteindre 6 %. Il est temps de convenir que nous sommes tous responsables de cette situation ; c’est pourquoi il est judicieux d’encourager les négociations de branche.

Le vingt-neuvième point concerne des procédures de reclassement plus transparentes et plus équitables, grâce à l’accès à l’ensemble des emplois disponibles dans l’entreprise. Tous les salariés auront ainsi accès à toutes les offres d’emploi disponibles de l’entreprise en toute transparence, par affichage ou via l’intranet de l’entreprise.

Trentième point : le code du travail numérique. Comme je l’ai dit, il permettra une meilleure compréhension du droit pour les entreprises, mais aussi pour les salariés car, pour mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise et défendre ses droits, il faut d’abord comprendre le droit. Une mesure spécifique sera prise, sous une forme à définir, pour les salariés handicapés afin qu’ils puissent aussi accéder à cette information quel que soit leur handicap.

Le quatrième grand axe des ordonnances prises en application de la loi d’habilitation concerne les nouvelles garanties pour les syndicats et les élus du personnel qui s’engagent dans le dialogue social. Tous les points suivants ne relèvent pas forcément de la loi mais je tiens à les citer tout de même, car ils contribuent à l’équilibre général du système.

J’ai confié une mission à Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues, qui m’a rendu ses conclusions le 4 août. J’en ai retenu dix points. M. Simonpoli et Gilles Gateau, directeur général des ressources humaines d’Air France, travaillent désormais avec les partenaires sociaux sur la mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures.

Le trente-et-unième point concerne des moyens garantis et des formations renforcées pour exercer un mandat. Cette garantie de moyens sera définie par décret et nous renforcerons également l’accès aux formations pour mieux exercer un mandat. II y aura donc davantage de formation par mandataire.

Le trente-deuxième point est très important car il explique pour partie la difficulté qu’ont les organisations syndicales à renouveler leurs élus. Il porte sur l’accès à la formation professionnelle et au bilan de compétences acquises pour concilier un engagement syndical avec l’évolution professionnelle. Actuellement, les vocations syndicales sont insuffisantes, par crainte que les élus ne s’enferment dans leur mandat. Or, on acquiert des compétences économiques, sociales, managériales lors de l’exercice d’un mandat. Il faut mieux les reconnaître et permettre de concilier engagement et carrière professionnelle, par la formation dans le métier de base et par le bilan de compétences.

Les salariés s’engageant dans un mandat perdent trop souvent tout droit à la formation dans leur métier d’origine. Au bout de plusieurs années, leur reclassement dans l’entreprise et leur capacité à être promus s’en trouvent extrêmement obérés. On ne peut pas souhaiter le dialogue social et maintenir dans un tel état d’incertitude ceux qui doivent en être les partenaires. Il faut permettre la conciliation entre l’engagement et la carrière professionnelle. Nous encouragerons donc les accords de branche en la matière – il y a d’ailleurs explicitement une compétence nouvelle sur ce plan.

Le trente-troisième point vise à une plus grande facilité pour nommer un délégué syndical. Lorsque l’ensemble des élus obtenant 10 % des voix renoncent par écrit à leur droit d’être nommés délégués syndicaux, une organisation ayant obtenu 10 % pourra nommer délégué syndical un salarié ne figurant pas sur la liste. Dans certaines entreprises, les salariés élus ne veulent pas être délégués syndicaux, ce qui conduit à une carence de partenaires. Cela ne figure pas dans les ordonnances, mais nous avancerons dans les tout prochains mois.

Trente-quatrièmement, nous créons un observatoire de la négociation. Nous voulons plus de dialogue social et les délégués syndicaux sont les mieux formés pour négocier. Il faut regarder la progression de la négociation, quelle que soit la taille des entreprises. L’observatoire suivra aussi la discrimination syndicale, qui continue à exister et est inacceptable. Un rapport du Conseil économique, social et environnemental a bien mis en lumière ses ressorts.

Trente-cinquième point, nous renforçons les possibilités d’évolution vers l’inspection du travail : nous allons regarder comment faciliter l’accès par le troisième concours afin d’intégrer davantage d’anciens mandataires syndicaux ou patronaux. L’expérience de l’entreprise vient enrichir les compétences de l’inspection du travail.

Enfin, il s’agit de mobiliser un réseau de grandes écoles et d’universités volontaires pour former chaque année des militants syndicaux. Les premières expériences sont extrêmement concluantes, notamment sur les sujets économiques. Chaque organisation forme à la négociation, selon sa propre coloration, mais il est positif que les grandes écoles et les universités s’impliquent dans la compréhension des mécanismes profonds de gestion de l’entreprise.

Nous souhaitons aussi travailler avec elles sur l’intégration systématique des questions relatives au dialogue social et aux partenaires sociaux dans toutes les formations en ressources humaines (RH) et en management. Cela peut surprendre, mais le droit du travail n’est abordé dans de grands masters RH que juridiquement, sous l’angle de la défensive, et jamais comme un levier de dialogue social. C’est ahurissant et évidemment contraire à tout ce que nous prônons.

En conclusion, il s’agit d’un projet de transformation sociale d’une ampleur inégalée, qui rénove en profondeur le code du travail par le dialogue social.

Ce projet lui donne plus de grain à moudre que jamais et offre aux entreprises la sécurité et les souplesses attendues depuis longtemps, sans remettre en cause la fonction du code du travail, qui est de protéger les salariés et de leur garantir de mêmes droits, ceux-ci renforcés et modernisés pour correspondre à leurs attentes.

Conformément aux engagements du Président de la République, nous évaluerons de façon transparente et efficace, avec les partenaires sociaux, les effets de ces dispositions sur le renforcement du dialogue social. Cette évaluation alimentera vos travaux de suivi de l’application de la loi.

Des salariés qui pèseront davantage sur l’évolution de l’entreprise, des entreprises plus sécurisées et plus agiles, du progrès social et économique pour la France et les Français, dans la droite ligne de notre héritage social, en conciliant fidélité au meilleur du passé et adaptation aux enjeux d’aujourd’hui et de demain : c’est ce mandat que nous avons reçu du Parlement et dont il vous appartient désormais, dans le cadre de l’examen du projet de loi de ratification qui nous réunit ce jour, de vérifier qu’il est respecté par les ordonnances.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur. Madame la ministre, vous avez rappelé les quatre grands piliers de ces ordonnances : mettre la confiance au cœur des relations sociales dans l’entreprise ; donner la priorité aux TPE-PME ; créer de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les salariés ; instaurer de nouvelles garanties pour les représentants du personnel.

En vous adressant aux TPE-PME, vous avez envoyé un message fort à ces entreprises qui constituent le maillage économique de notre société et disposent d’un potentiel d’emploi important. En reconnaissant leur spécificité, vous leur permettez de créer les conditions d’un dialogue social original, de proximité, dans un cadre respectueux des droits de chacun. Vous libérez ainsi les énergies, vous permettez aux entreprises de s’ajuster et de gagner en agilité dans un contexte économique en mouvement. Cela nous a été confirmé par l’ensemble des représentants des organisations patronales, lors de nos auditions mais aussi des déplacements que j’ai réalisés en France pour expliquer et partager les dispositions de ces ordonnances.

Je voudrais vous interroger sur les nouveaux espaces de négociation ouverts dans l’entreprise, en particulier dans les TPE-PME : quelle est votre vision des domaines où des accords collectifs pourront être conclus ?

S’agissant des garanties nouvelles pour les salariés qui s’engagent dans la représentation du personnel, les ordonnances prévoient la création d’observatoires départementaux. Leur mission mérite d’être précisée, notamment en ce qui concerne la lutte contre la discrimination syndicale. Vous avez rappelé que l’on ne peut pas l’accepter et qu’il est donc nécessaire de la combattre. Nous savons que vous avez confié une mission conjointe à Jean-Dominique Simonpoli et à Gilles Gateau : pouvez-vous nous dire plus précisément ce que vous en attendez ? Sans préjuger des conclusions, quelles mesures envisagez-vous de prendre par décret pour passer d’une pratique à une véritable culture du dialogue social pour servir les ambitions de ces ordonnances.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux porte-parole des groupes.

Mme Valérie Petit. L’enjeu de ce projet de loi de ratification n’est pas de rejouer les débats amples et intenses de juillet dernier, mais de répondre à deux questions : d’une part, voulons-nous que ces ordonnances entrent dans le domaine de la loi et, d’autre part, comment nous assurer que les conditions d’application et d’évaluation permettent d’atteindre les objectifs, à savoir le renforcement du dialogue social, la lutte contre le chômage de masse et l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises ?

Le groupe La République en Marche répond « oui » à la première question, pour trois raisons importantes.

La première, que vous avez soulignée, est que ce projet de loi résulte d’un processus de concertation dont l’intensité offre une garantie démocratique suffisante. Elle s’ajoute au fait que ces ordonnances figuraient clairement dans le programme du candidat Emmanuel Macron.

Deuxième raison, ce projet de loi de ratification tient la promesse d’un renforcement du dialogue social dans les entreprises. C’était un pari de justice, qui consiste à faire des entreprises un bien commun, et un pari de modernité, visant à ouvrir aux entreprises et aux salariés de nouveaux droits, de nouvelles protections et de nouvelles libertés, en phase avec les évolutions du travail.

Nous pensons que ce projet de loi donne les moyens de gagner ce pari en instituant un lieu pour dialoguer – avec la création d’une instance unique, le comité social et économique (CSE), pour toutes les entreprises de plus de 11 salariés –, en donnant de la matière à la négociation collective, grâce à une nouvelle articulation entre les accords de branches et les accords d’entreprise, et en donnant plus à ceux qui font le pari du dialogue social – plus de formation pour les élus du personnel et les représentants syndicaux, mais aussi plus de moyens pour les grandes entreprises qui feront, par exemple, le choix du conseil d’entreprise et joueront le jeu du dialogue social.

Troisième raison, ce projet de loi constitue l’acte I du travail de rénovation de notre modèle social. Nous devons franchir cette étape clé puis continuer à avancer avec la réforme de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de l’assurance chômage. C’est cet ensemble qui permettra de produire l’effet attendu.

Nous devons nous montrer à la fois attentifs et exigeants sur la mobilisation des acteurs : que comptez-vous faire pour nous assurer que les partenaires sociaux, les employeurs et les salariés vont se mobiliser effectivement ? Par ailleurs, allez-vous inscrire dans la loi des moyens permettant, y compris sur le plan budgétaire, une évaluation de ces ordonnances ?

M. Stéphane Viry. Préalablement à la deuxième étape qui a été annoncée – elle concerne la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance chômage, sujets sur lesquels le groupe Les Républicains sera proactif, avec une vigilance et une exigence accrues, et sur lesquels nous souhaiterions être associés en amont, dans le cadre de la concertation que vous organisez –, nous sommes appelés à ratifier ces ordonnances.

Si elles sont aujourd’hui possibles, c’est parce que la droite républicaine a labouré le terrain depuis dix ans en matière de travail et d’emploi. Je tiens notamment à rappeler la proposition de loi relative à la simplification et au développement du travail, de la formation et de l’emploi, déposée en 2014 par notre collègue Gérard Cherpion, ainsi qu’une autre proposition visant à lever les freins mis depuis 2012 pour les entreprises. Notre conception est simple et constante : ce sont les entreprises qui créent de l’emploi et de la valeur. Ces ordonnances vont aider, et c’est pourquoi nous avons voté leur autorisation, mais ce n’est pas suffisant. Nous devons faire évoluer l’environnement économique, fiscal et normatif : il faudrait aussi traiter des questions qui ne sont pas abordées dans ces ordonnances, en particulier la durée du travail et les seuils sociaux des entreprises, voire la non-fiscalisation des heures supplémentaires.

Vous allez présenter une ordonnance permettant de corriger des erreurs dans les cinq autres, alors que leur ratification aurait permis de le faire. Peut-être aurait-on pu prendre davantage de temps. Quand connaîtrons-nous le contenu de cette ordonnance et quand sera-t-elle publiée ?

J’en viens à un point de vigilance sur l’article 15 de la troisième ordonnance, relative à la rupture du contrat de travail. En ce qui concerne le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, le périmètre est national, ce qui est judicieux, sauf en cas de fraude de l’entreprise. Nous considérons que le juge doit avoir un pouvoir d’appréciation en cas de licenciement économique frauduleux dans les filiales de grands groupes.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le groupe Mouvement Démocrate et apparentés se félicite des avancées, dans ces ordonnances, qui contribueront au renforcement du dialogue social, et nous saluons à nouveau les concertations menées avec les partenaires sociaux. Néanmoins, plusieurs dispositions semblent inquiéter ces derniers. Leurs craintes concernent notamment l’absence de recours à un mandatement syndical dans les TPE, l’organisation des référendums et les garanties de confidentialité, mais aussi « l’effet d’aubaine » que pourraient représenter les ruptures conventionnelles collectives pour écarter les seniors de l’entreprise. Quelles seront les précautions prises pour surveiller et contrôler des initiatives qui pourraient avoir pour conséquence de fragiliser l’emploi des seniors ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir adapter notre code du travail aux réalités économiques actuelles. Il est en effet indispensable de mieux prendre en compte les grandes mutations technologiques, organisationnelles ou sociétales. Le temps où l’on faisait toute sa carrière au sein d’une même entreprise est désormais révolu. Les parcours de vie sont devenus multiples et nos jeunes aspirent à une meilleure conciliation entre vie privée et carrière professionnelle. Nous devons prendre en compte et encourager ces mutations : dans un monde ouvert et globalisé, il est fondamental de redonner des marges de manœuvre à nos entreprises tout en sécurisant davantage les parcours des salariés.

Le groupe Les Constructifs a été au rendez-vous en juillet dernier, lors du vote sur le projet de loi d’habilitation, dans un esprit de dialogue et d’ouverture. Même si nous avions émis des doutes sur la méthode et regretté que le Parlement ne soit pas davantage associé à la rédaction des ordonnances, la majorité des députés de notre groupe avait voté en faveur de cette loi, considérant que les réformes envisagées allaient dans le bon sens en ce qu’elles devaient contribuer à assouplir notre marché du travail, qui fait partie des plus rigides en Europe. Nous comprenons la nécessité d’agir vite pour redonner de l’air au marché du travail, particulièrement à nos petites et moyennes entreprises, qui sont le poumon de notre économie mais étouffent sous le poids des obligations. Nous saluons la pertinence de la méthode de concertation choisie par le Gouvernement et l’association étroite des partenaires sociaux aux négociations, gage d’une réforme réussie et symbole de la vitalité du dialogue social dans notre pays.

Néanmoins, nous regrettons que le Gouvernement n’aille pas plus loin dans la transformation du code du travail et n’ait pas voulu déplacer les seuils sociaux. Nous aurions également souhaité l’instauration d’un contrat de travail unique, à titre expérimental, et une véritable inversion de la hiérarchie des normes qui aurait consacré la prépondérance de l’entreprise en matière de dialogue social.

Les mesures présentées dans cette loi de ratification contribueront à la simplification du dialogue social en élargissant les champs de négociation ouverts aux entreprises. Dans le même temps, le renforcement du poids de la branche permettra de prendre davantage en compte les spécificités des petites entreprises. Cette mesure était très attendue et nous nous en félicitons. Par ailleurs, nous nous réjouissons de la fusion des instances représentatives du personnel et de la création d’une instance unique, le comité social et économique. De même, l’instauration d’un barème obligatoire pour l’indemnisation en cas de licenciement survenu sans cause réelle et sérieuse constitue une mesure d’équité pour les salariés, qui permettra aussi de sécuriser les employeurs. L’enjeu fondamental est de favoriser l’embauche. Il n’est pas acceptable que les employeurs se refusent à embaucher par peur de ne pas pouvoir moduler leur force de travail en cas de baisse d’activité.

Notre groupe aborde favorablement l’examen de ce texte et examinera avec bienveillance les dispositions permettant d’améliorer le dialogue social et la compétitivité des entreprises. Je voudrais vous demander à mon tour si vous comptez instaurer une procédure d’évaluation.

M. Boris Vallaud. Un petit regret, pour commencer : nous vous avions écrit, le 1er août dernier, pour demander que les groupes parlementaires soient entendus. Vous aviez donné votre accord de principe en séance, mais cela ne s’est pas traduit dans les actes.

Vous ne vous étonnerez pas que le groupe Nouvelle Gauche exprime à nouveau ses désaccords, ses inquiétudes, ses déceptions : nos désaccords demeurent, nos inquiétudes se réalisent et notre déception se confirme. Cette réforme passe à côté de l’essentiel : ce n’est pas une révolution copernicienne, mais tout au plus un élément supplémentaire d’une politique économique libérale qui accroîtra encore les inégalités. Après trente années où nous avons eu à arbitrer entre inflation et chômage, vous nous demandez désormais d’arbitrer entre chômage et mini-jobs. Vous y voyez un progrès, alors que c’est pour nous un renoncement tragique et coupable.

Si vous me permettez cet emprunt, ce projet est un peu feignant. Il n’affronte pas les grands sujets dans un pays qui compte déjà un certain nombre de mini-jobs : nous avons un tiers des contrats à durée déterminée de moins d’un mois de toute l’Europe. Vous n’affrontez pas les questions de la qualité de l’emploi, de la pauvreté au travail et des inégalités. Vous en prenez acte et même vous les encouragez avec les CDI de chantier, la facilitation des licenciements et les ruptures conventionnelles collectives.

Vous manquez aussi le rendez-vous du dialogue social. Vous nous aviez demandé de vous faire confiance sur ce plan-là mais, de l’avis unanime des organisations syndicales, vous avez en réalité fait droit à la conception la plus rétrograde en la matière. On croirait entendre M. Gattaz proclamant faire du dialogue social lorsqu’il parle à l’un de ses employés. Il n’y a rien sur la codécision, en dépit des amendements que nous avions déposés.

Vous avez également évité d’affronter le sujet majeur de la révolution numérique, qui n’a donné à voir qu’une part d’elle-même jusqu’à présent. La semaine où vous présentiez ces ordonnances, il y avait des manifestations de livreurs de Deliveroo, mais votre projet ne consacre pas une ligne à ces questions.

Nous avons donc eu raison de ne pas vous faire confiance, madame la ministre. Vous prenez acte d’un pays durablement coupé en deux et vous n’avez pas écouté votre opposition – ou en tout cas son aile gauche.

M. Adrien Quatennens. Au nom de La France insoumise, je souligne que vous avez usé et abusé de l’argument selon lequel faciliter le licenciement permettrait d’embaucher en CDI, plutôt qu’en CDD. Selon ce raisonnement, en diminuant les protections de ceux qui ont un emploi, on aiderait ceux qui en cherchent un. Les ordonnances prises par le Gouvernement donnent ainsi de nombreux moyens pour réduire la protection des travailleurs : vous étendez les critères de licenciement économique, vous introduisez un droit à l’erreur pour les employeurs voulant licencier et vous fixez même à l’avance le coût du préjudice subi par les victimes d’un licenciement abusif. Les décisions de ce Gouvernement vont surtout favoriser les employeurs contrevenant au droit du travail.

Une étude commandée par votre ministère et réalisée par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) montre pourtant que la réglementation du CDI est loin d’être la première cause invoquée par les employeurs, qui déclarent de toute façon préférer embaucher en CDD. Dans cette étude, publiée le 26 octobre dernier, la majorité des employeurs met en avant la réponse à un besoin limité dans le temps ou la possibilité de tester un salarié avant son embauche définitive. La réglementation liée aux licenciements n’est que peu invoquée ; quand elle l’est, c’est par des chefs d’entreprise de moins de 10 salariés. Le raisonnement sous-tendant ces ordonnances semble donc invalidé par cette étude que vous avez vous-même commandée. Seules quelques entreprises, de moins de 10 salariés, ont des raisons objectives de préférer le CDD au CDI. Néanmoins ces ordonnances facilitent le licenciement dans toutes les entreprises, y compris les très grandes.

Certaines mesures sont même entièrement consacrées à ces dernières. Par exemple, il est évident que la réduction du périmètre d’appréciation des difficultés économiques à l’échelle nationale ne sera d’aucune utilité pour l’entreprise de moins de 10 salariés, mais permettra à des groupes internationaux de justifier des licenciements ici quand ils sont bénéficiaires au niveau mondial.

Cette étude n’est pas le seul élément empirique tendant à prouver que ces ordonnances ne correspondent, en réalité, à aucun besoin majeur des entreprises françaises. Alors que la fusion des instances du personnel a été permise dès 2015, moins de vingt accords ont été signés. Enfin, la supposée complexité du code du travail, en général, est invalidée par une étude de l’INSEE du mois de juin dernier : ce n’est qu’une des dernières raisons invoquées par les chefs d’entreprise pour limiter les embauches, loin derrière les incertitudes économiques. Où sont donc les réponses aux vrais besoins des entreprises et où sont les preuves de l’utilité et des effets vertueux de ces ordonnances ?

M. Pierre Dharréville. Il y aurait eu beaucoup à faire pour écrire un code du travail du XXIe siècle, notamment en prenant en compte la réalité des PME, qui ne peuvent pas toujours bénéficier de cabinets de conseil très efficaces en matière d’optimisation fiscale… Nous avons été sévères sur vos intentions, au groupe Gauche démocrate et républicaine, et nous le sommes au moins autant sur les ordonnances qui en résultent. Vous n’avez pas déçu nos craintes et, parfois, vous les avez même dépassées – je pense à la rupture conventionnelle collective.

Sur la méthode, d’abord, la représentation nationale a été largement tenue à l’écart par le mode de travail que vous avez choisi, ce qui est regrettable sur un sujet aussi important. Sur le texte lui-même, a-t-on jamais été aussi loin dans le libéralisme économique ? Je souscris à ce qui a été dit par Stéphane Viry : vous marchez allégrement dans les pas de la droite. C’est un projet brutal de dynamitage du code du travail, c’est l’instauration de la flexi-précarité. Avec la souplesse dont vous vous vantez, les salariés seront la matière flexible : vous réduisez la qualité de l’emploi sans résoudre le chômage et vous instaurez un droit à géométrie variable, rendu facultatif. Le progrès social ne sera donc pas au rendez-vous, mais est-ce l’objectif ? Il y aura plutôt une régression.

Vous n’avez pas convaincu l’opinion publique et vous n’avez pas réussi à faire bouger les lignes depuis le mois de juillet. On peut se demander où est le dialogue social : on comprend la joie de l’Association des DRH… Ce n’est qu’une minuscule porte d’entrée dans le sujet, mais les organisations syndicales parlent de marque de défiance et de contournement. Elles soulignent que la majorité des entreprises sortent du champ du dialogue social et font des critiques extrêmement sévères sur votre projet d’ordonnances. Nous continuerons à le combattre, en espérant que la gravité du résultat pourra faire réfléchir.

Mme la ministre. Je vais répondre aux questions posées, mais pas nécessairement à tous les commentaires.

La nouveauté sur laquelle le rapporteur m’a interrogée concerne les sujets réservés à la négociation de branche, ce que l’on appelle dans le jargon d’usage « le bloc 1 » : les classifications, les salaires minima, la prévoyance, la mutualisation des fonds de la formation professionnelle, etc. Treize sujets sont réservés à la négociation de branche. Dans les autres domaines, les branches peuvent négocier, mais on peut aussi le faire directement dans l’entreprise, par accord majoritaire. Si on ne négocie pas, c’est le niveau de la branche qui prévaut. On renforce ainsi le rôle du dialogue social dans la branche et, en même temps, il y aura plus de liberté pour les acteurs de terrain.

Ce qui nous divise dans cette salle, c’est la confiance. Soit on pense que les chefs d’entreprise veulent que leurs entreprises croissent et emploient et que les organisations syndicales, les élus du personnel, veulent qu’il y ait du progrès social, et alors pourquoi ne pas leur faire confiance pour trouver, dans le cadre d’un accord majoritaire, des voies adaptées à la réalité du terrain ? Soit on pense que les entreprises et les organisations syndicales ne sont pas capables de dialoguer et alors on administre la France. La ligne de partage des eaux est là. Il y aura beaucoup plus de champ pour la négociation.

Les observatoires départementaux sont importants : il faut suivre de près le processus. Le renforcement du dialogue social est un changement juridique mais aussi culturel. Un décret est en cours d’examen au Conseil d’État sur la composition et l’organisation de ces observatoires. L’enjeu est d’en faire un appui au dialogue social et d’alimenter les travaux de l’observatoire national, qui sera également essentiel.

Le renforcement du rôle des branches fait partie d’un ensemble cohérent qui fera porter l’attention sur la capacité des organisations syndicales et des élus à jouer pleinement leur rôle. C’est une des conditions du succès de l’ensemble du dispositif.

L’évaluation est, en effet, essentielle. On ne doit pas se contenter d’en faire une dans deux ou trois ans : il faut procéder par étapes. Certaines mesures d’application seront rapides et immédiates mais d’autres, comme la transformation du dialogue social, prendront nécessairement un peu plus de temps. J’ai nommé trois experts, dont les travaux pourront s’appuyer sur France Stratégie, la DARES et la direction générale du travail : Marcel Grignard et Jean-François Pilliard, qui sont bien connus, l’un dans le monde syndical et l’autre dans le monde patronal, et ont tous les deux cessé leur activité, ainsi que Sandrine Cazes, experte reconnue de l’OCDE sur ces sujets – elle apportera un regard à la fois national et international. Leurs travaux ont déjà commencé : le cadre de référence est en cours de définition avec France Stratégie, qui pourra organiser des travaux de chercheurs, et avec les administrations concernées. Il s’agit d’un changement social, qu’il faudra observer non pas seulement quantitativement mais aussi qualitativement. J’ai demandé qu’une première température soit prise dans six mois, sur la mise en place, puis à différentes étapes. Nous devrions avoir un bilan beaucoup plus complet dans deux ans.

La mobilisation des acteurs est un point essentiel. Vous savez que j’aime le concret et la transformation du réel, au-delà de la discussion sur les principes – ils doivent irriguer la réalité. Je constate un véritable élan sur le terrain, dont plusieurs d’entre vous m’ont aussi fait part. Cet élan a besoin d’être concrétisé, il faudra du temps, mais beaucoup de discussions ont déjà commencé dans les entreprises. Petit à petit, des chefs d’entreprise et des organisations syndicales de terrain réalisent quel champ du possible s’ouvre. Je crois que tout le monde ne s’en est pas encore rendu compte, même si l’on a compris que les cadres avaient évolué. Néanmoins, je suis assez confiante : sur le terrain, à mesure que les acteurs se rendent compte de cette possibilité, ils s’en saisissent de plus en plus. Ce sera évidemment à suivre dans la durée. D’où l’importance d’une évaluation un peu continue.

La sixième ordonnance sera un texte de cohérence légistique. Le code du travail comporte beaucoup de renvois internes et à d’autres codes. Le travail sur tous ces renvois et sur toutes les précisions à apporter ne pouvait pas être fait au mois d’août, en même temps que la rédaction des ordonnances. La majeure partie de la sixième ordonnance sera ainsi consacrée à des renvois techniques et à des toilettages nécessaires pour assurer une mise en cohérence. Sur quelques points, des éléments ont pu être mal rédigés, conduisant donc à un défaut de compréhension – jusqu’à présent, deux cas ont été repérés. Cette ordonnance sera soumise au Conseil d’État dans quelque temps, en tout cas en temps utile pour qu’elle soit connue avant la commission mixte paritaire (CMP) et la ratification finale.

En ce qui concerne le périmètre national, nous avions en effet mentionné « sauf fraude », mais le Conseil d’État nous a demandé de l’enlever, considérant que le juge en tiendra compte, par définition. Ce serait bien de l’écrire, mais je comprends la logique du Conseil d’État, pour qui les dispositions superfétatoires doivent être évitées. Il y a néanmoins un consensus sur le sujet : s’il existe une fraude, typiquement avec une remontée artificielle des bénéfices à la maison mère, en dépouillant une filiale, le juge peut déjà l’apprécier et il pourra encore le faire demain. Nous avons eu le même réflexe que vous, mais il n’y a pas de changement.

Madame la députée de Vaucouleurs, effectivement, le sujet des plans de départs volontaires – désormais appelés ruptures conventionnelles collectives – est important. Comme il s’agit d’accords majoritaires et de départs volontaires, les risques sont réduits. Subsiste surtout celui qu’une entreprise et ses organisations syndicales se mettent d’accord pour un plan de départs de « seniors » dont l’effet se déporterait immédiatement sur l’assurance chômage. Si une rupture conventionnelle collective avait pour seule visée de « faire de la préretraite » sur le dos de l’assurance chômage, si j’ose dire, cela contreviendrait à l’esprit du dispositif. Nous avons donc prévu une homologation par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), auxquelles – j’en ai déjà prévenu les partenaires sociaux – j’ai donné des consignes expresses de vigilance. Pour le reste, effectivement, il y a beaucoup de réorganisations, à l’occasion desquelles de nombreux salariés, qui ont d’autres projets, notamment en milieu de carrière, veulent pouvoir partir dans de bonnes conditions. S’il y a des demandes et que c’est bien encadré par l’accord majoritaire, il n’y a pas de raison de ne pas le faire.

Madame la députée Agnès Firmin Le Bodo, j’ai répondu sur l’évaluation. Quant aux seuils, évoqués également par M. Viry, je me suis déjà expliquée au mois de juillet, je n’y reviens donc pas.

Monsieur le député Boris Vallaud, certains de vos propos m’étonnent toujours un peu. Il me semble que vous avez regretté que certaines dispositions n’aient pas été complètement mises en œuvre sous le précédent gouvernement, mais je n’épiloguerai pas. Il est en tout cas inexact de prétendre que rien n’est prévu en fait de codécision puisque, précisément, nous l’encourageons dans le cadre du conseil d’entreprise. Pour la première fois, le principe de la codécision est introduit dans le droit du travail français, pour s’appliquer sur la base du volontariat, lorsque les entreprises et les syndicats en sont d’accord. C’est une évolution culturelle intéressante. J’ai déjà rencontré un certain nombre de chefs d’entreprise qui considèrent que la logique de l’entreprise doit intégrer toutes les parties prenantes et qui sont favorables à un partage de la valeur plus poussé ; ce sont un peu les mêmes qui sont favorables au management participatif. Ils ont maintenant un cadre juridique pour expérimenter la codécision s’ils le souhaitent ; ce n’était pas le cas auparavant.

Monsieur le député Quatennens, il n’y a de droit à l’erreur que sur la forme, non sur le fond. Il s’agit simplement d’éviter à de nombreuses TPE-PME qui n’ont pas de conseil juridique d’être condamnées pour des erreurs de forme, comme cela arrive parfois car le juge ne peut, en droit, distinguer entre fond et forme. Désormais, la forme ne pourra pas l’emporter sur le fond. Cela ne change strictement rien à la défense des salariés parce que c’est le fond du motif qui compte ; en revanche, cela évitera effectivement que des condamnations pour des erreurs de forme ne dissuadent d’embaucher. L’expérience du terrain le montre : chaque fois qu’un artisan est condamné pour une erreur de forme, ce sont trente autres artisans qui renoncent à embaucher.

Monsieur le député Dharréville, avec plus de quatre-vingts heures de débats, on ne peut pas prétendre que la représentation nationale était exclue – et je ne compte même pas la durée de la discussion du projet de loi de ratification. Par ailleurs, si 421 députés ont voté en faveur de la loi d’habilitation, c’est qu’il avait, selon eux, un certain sens. La démocratie politique a été respectée.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Après les questions des orateurs des groupes, nous passons aux questions des autres députés.

Mme Catherine Fabre. Madame la ministre, ces ordonnances signent l’avènement d’une nouvelle ère où le dialogue social aura toute sa place dans la régulation des relations de travail. Pour qu’elle tienne toutes ses promesses, il faut maintenant que les partenaires sociaux s’en emparent. Cela suppose une sensibilisation des salariés à l’enjeu d’un investissement dans le dialogue social. Aujourd’hui, trop peu de salariés postulent à ces fonctions essentielles de représentants élus ou syndicaux. Les nouvelles garanties prévues par les ordonnances sont importantes à cet égard, qu’il s’agisse du renforcement de l’accès à la formation, de la valorisation des compétences acquises ou de l’évolution de carrière. Maintenant, il revient à l’ensemble des élus et des acteurs concernés de promouvoir cet esprit de construction gagnant-gagnant. Des plans de sensibilisation et un effort de pédagogie devront accompagner le changement culturel que marquent ces ordonnances. Nous en prendrons notre part, mais quelles voies privilégier, madame la ministre, pour encourager les salariés à se syndiquer et à s’engager dans ce rôle de représentants du personnel ?

M. Gilles Lurton. Madame la ministre, au mois de juillet dernier, alors que nous examinions le projet de loi d’habilitation autorisant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances, vous nous aviez donné une liste détaillée de ce qui devait relever de l’accord de branche et de ce que vous souhaitiez voir relever de l’accord d’entreprise.

Au mois d’août, les négociations ont eu lieu avec les syndicats et le patronat tout à fait normalement, selon une procédure conforme à ce que vous nous aviez annoncé, mais, à la fin du mois de septembre, nous avons assisté à des blocages routiers.

Immédiatement, vous entreprenez le même type de négociations avec la profession, et après deux semaines de conflit, vous signez un accord, le mercredi 4 octobre avec celle-ci, syndicats et patronat réunis. Garantis jusqu’à présent par la convention collective des transports routiers, les frais de route, les primes d’ancienneté, le treizième mois et tout ce qui est lié à la durée du travail des transporteurs auraient pu être négociés entreprise par entreprise, comme le prévoyait la loi d’habilitation du mois de juillet mais, finalement, vous avez fait le choix de céder et de laisser la profession négocier un accord de branche.

Cette brèche en a-t-elle entraîné d’autres, pour d’autres professions ?

Mme Charlotte Lecocq. Saluons à nouveau, madame la ministre, la méthode de concertation que vous avez suivie. Il en résulte des textes véritablement enrichis, qui prennent en compte les craintes mais aussi les aspirations de chaque acteur. Force est notamment de constater que la possibilité de laisser plus de place à l’accord d’entreprise par rapport aux accords de branche a été relativement réduite si l’on considère ce qui était initialement envisagé. Cela répond aux attentes des partenaires sociaux eux-mêmes, mais le recours à l’accord d’entreprise reste-t-il suffisamment aisé ? Il offre effectivement la souplesse nécessaire à une adaptation aux réalités du terrain, ainsi qu’aux variations de l’activité et de la charge de travail qui en découle.

Par ailleurs, quelles mesures permettront d’accompagner les entreprises dans la mise en œuvre de ce nouveau modèle de dialogue social ? Je songe en particulier à la question de la compétence en matière de négociations, pas forcément bien maîtrisée, notamment dans les TPE-PME ; l’objectif est tout de même de parvenir à des accords gagnant-gagnant.

Mme la ministre. La question de Mme Fabre rejoint en partie celle de Mme Lecocq. La sensibilisation, la formation et la montée en compétence des acteurs sont essentielles.

Comme toujours en matière de conduite du changement, il faut que les acteurs aient les moyens de s’approprier celui-ci. J’ai déjà parlé de la mission Simonpoli-Gateau, mais le rôle des branches dans la valorisation des compétences est également très important. Dès que la loi de ratification et, surtout, l’ensemble des ordonnances seront publiés, nous devrons renforcer la sensibilisation des entreprises mais aussi des salariés et des organisations syndicales : les carrières des élus seront mieux reconnues et une formation sera proposée.

J’ai moi-même rencontré beaucoup de directeurs des ressources humaines, en quelque sorte pour les responsabiliser, ils ont tous reconnu que c’était effectivement, aujourd’hui, un point faible du dispositif et qu’il fallait y remédier ; on ne peut pas demander un renforcement du dialogue social sans garantir et valoriser les perspectives de carrière de ceux qui s’impliquent. De même, les organisations syndicales rencontrent aujourd’hui des difficultés pour recruter au sein des jeunes générations et les inciter à s’impliquer. Nombreux sont les salariés qui exerceraient volontiers un mandat mais ne veulent pas prendre, pour la vie, une voie sans retour. Jusqu’à présent, dans les faits, c’est ce qui se passe – même si, en droit, ce n’est pas le cas.

Tous les concours et tous les efforts de sensibilisation seront les bienvenus, notamment sur le terrain. Des communications nationales, c’est bien, mais le plus efficace, c’est quand même le travail de terrain. La discussion doit avoir lieu dans les entreprises, dans les organisations syndicales. C’est évidemment là une invitation lancée à toutes les bonnes volontés.

Dans le domaine des transports, monsieur Lurton, beaucoup de négociations ont lieu au niveau de la branche entre patronat et syndicats, qui s’accordent pour ne rien changer. Nous ne pouvions pas créer, par voie législative, une situation différente selon les branches et nous avons considéré qu’il n’était pas souhaitable de modifier les ordonnances. Pour de nombreuses raisons, que je ne détaillerai pas ici, l’habitude était prise, dans ce secteur, d’appeler primes des tas de choses qui étaient en fait plutôt des compléments de salaire – quand l’attribution d’une prime est automatique et générale, c’est plutôt un complément de salaire qui cache son nom qu’une prime. Ma collègue Élisabeth Borne, ministre chargée des transports, et moi avons donc incité organisations patronales et syndicales à intégrer ces compléments de salaire dans les minima de salaires ; c’était plus cohérent, plus logique. Elles se sont engagées à renégocier leur convention collective pour le faire. Ainsi, la situation est parfaitement conforme à ce que les ordonnances prévoient. Nous n’avons pas d’autres demandes d’accords de branche, car tout le monde a bien compris qu’il s’agissait là d’une spécificité de la branche des transports, qui ne justifiait pas une exception ; il s’agissait simplement d’appeler par leur nom des compléments de salaire.

Compte tenu du renforcement du rôle des branches, les accords d’entreprise permettront-ils bien de faciliter les variations d’activité ? Oui. Pour répondre à la demande des partenaires sociaux, notamment des organisations syndicales, nous avons décidé que relèveraient de l’accord de branche nombre de sujets qui en relevaient déjà ou qui relevaient de la loi. Ils concernent l’encadrement du travail, mais non l’encadrement de l’activité de l’entreprise. Tout le monde comprend très bien que les minima sociaux, les classifications, les règles de la mutualisation en matière de prévoyance ou de formation professionnelle ne peuvent pas varier d’une entreprise à l’autre ; des minima ou des classifications définis entreprise par entreprise n’auraient d’ailleurs pas de sens. Ces questions sont de la compétence de la branche. Nous avons ainsi donné une nouvelle compétence aux branches, en matière de gestion et qualité de l’emploi, et nous avons renforcé son rôle en matière de carrières syndicales et d’intégration de travailleurs handicapés. En revanche, ce qui est lié à l’activité directe des entreprises, laquelle requiert une forte adaptabilité et beaucoup de réactivité, ne peut être décidé au niveau de la branche. Il faut pouvoir saisir un marché très rapidement, organiser le temps de travail, se mettre d’accord avec les organisations syndicales et les élus du personnel sur l’organisation, il faut former les salariés, voire en recruter. Ce n’est pas au niveau de la branche que l’on peut faire preuve de cette agilité, puisqu’un accord requiert un ou deux ans de négociations et qu’il s’applique ensuite uniformément partout.

Il est plus approprié de traiter au niveau de la branche certains sujets qui touchent aux droits et à la protection des salariés, au rôle des uns et des autres ou à des intérêts communs, comme la mutualisation de la formation et de la prévoyance. Au niveau de l’entreprise, le dialogue social doit permettre de s’adapter très rapidement et de faire preuve de cette agilité qui permet de créer de l’emploi – si on ne peut pas saisir des marchés, faute de pouvoir s’adapter rapidement, on ne peut pas saisir les chances de créer des emplois.

J’ai oublié de répondre à une question de M. Quatennens. La récente étude de la DARES conforte tout à fait notre réforme, monsieur le député : 50 % des établissements, notamment ceux qui comptent moins de dix salariés, invoquent le poids de la réglementation comme un frein à l’embauche, et plus de six établissements sur dix utilisent les CDD comme un moyen de tester les compétences du salarié et, surtout, de limiter les risques en cas de ralentissement de l’activité.

Avant les ordonnances, le recours parfois très important aux CDD et à l’intérim, donc à la flexibilité externe du travail, résultait souvent du sentiment qu’une adaptabilité interne était impossible. Maintenant que par le dialogue social, on peut avoir cette adaptabilité interne, nous en attendons des effets sur l’emploi, non seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs. Le recours aux CDD et l’intérim doit vraiment être lié à un surcroît d’activité ou à des circonstances temporaires, et non servir d’espèce d’assurance de flexibilité parfois excessive, mais nous y reviendrons dans quelques mois, quand nous parlerons de l’assurance chômage.

Mme Michèle Peyron. Le Gouvernement a fait le choix de limiter à deux le nombre de renouvellements possibles d’un mandat. Cette mesure de cohérence s’inscrit dans la continuité du renouvellement des représentants engagé par notre majorité depuis le mois de juin. Cela permettra un renouvellement plus fréquent des délégués syndicaux dont certains mènent de véritables carrières syndicales aussi longues que leur carrière professionnelle et qui ne sont plus nécessairement les meilleurs représentants de leurs collègues salariés. Cela permet aussi un engagement plus fort de plus de salariés qui pourront, eux aussi, briguer un mandat syndical. Néanmoins, ces futurs délégués syndicaux doivent préalablement être – bien – formés à cet exercice.

L’ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales prévoit un stage de formation économique d’une durée de cinq jours pour tout membre élu pour la première fois au comité social et économique dans les entreprises comptant au moins cinquante salariés. Cette même ordonnance prévoit également une formation obligatoire spécifique pour les membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail. Elle est de cinq jours pour les entreprises de plus de 300 salariés et de trois jours pour les entreprises de moins de 300 salariés, imputés sur le congé de formation économique, sociale et syndicale. La formation des délégués syndicaux est primordiale pour le bon fonctionnement du CSE et l’exercice optimal du mandat syndical, mandat non seulement de représentation mais aussi de conseil et d’accompagnement des salariés, parfois sur des sujets pointus et spécifiques qui nécessitent un savoir expert.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous confirmer que la formation des élus sera bien facilitée, notamment dans les TPE-PME ? Le cas échéant, par quel moyen ?

M. Francis Vercamer. Nous saluons, madame la ministre, des avancées dans un certain nombre de domaines, susceptibles de créer chez les employeurs un climat de confiance propre à favoriser l’activité et l’emploi, notamment la place plus importante des accords d’entreprise par rapport aux accords de branche, le barème des indemnités prud’homales, la protection des erreurs de forme en matière de licenciement par exemple. La méthode employée a permis un véritable cycle de concertation qui a évité des blocages. Néanmoins, on peut regretter que la fusion des instances de représentation du personnel ne s’accompagne pas d’une simplification suffisante des modalités de mise en œuvre du dialogue social, notamment dans les PME.

Quant aux indemnités prud’homales, la violation d’une liberté fondamentale permet au juge de ne pas appliquer le plafonnement prévu. Ne pensez-vous pas que cette disposition est de nature à multiplier les contentieux et, finalement, à faire du plafond légal un plancher ?

Par ailleurs, notre groupe demandait une réflexion sur les seuils d’effectifs et les mesures permettant de relever ceux-ci, et la fusion des IRP répond partiellement à cette préoccupation. Néanmoins, le seuil au-delà duquel un comité social et économique doit être créé reste fixé à onze salariés. Cela risque d’être un frein à l’embauche. Lors de la discussion du projet de loi d’habilitation, vous m’aviez répondu qu’il fallait y réfléchir, notamment pour les entreprises comptant de onze à vingt salariés. Où en êtes-vous ? Envisageriez-vous de déposer un amendement qui relève le seuil et le porte à vingt salariés ?

Mme Martine Wonner. Nous saluons tous, madame la ministre, la mise en place d’un comité social et économique qui se substitue aux délégués du personnel, au comité d’entreprise et au comité d’hygiène et de sécurité dans toutes les entreprises d’au moins onze salariés. Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, une commission santé, sécurité et conditions de travail renforcera ce comité.

Ma question porte sur la gestion de la prévention des risques professionnels, notamment psychosociaux, qui, dans un souci de compétitivité, doit devenir une priorité dans le système de management de nos entreprises. Les entreprises qui ont intégré et mis en place un système de management des risques professionnels ont un chiffre d’affaires supérieur et permettent des économies à l’assurance maladie, les accidents du travail et maladies professionnelles y étant moins fréquents.

Aujourd’hui, le code du travail impose aux chefs d’entreprise une évaluation des risques professionnels, dont les risques psychosociaux, mais beaucoup d’entre eux ne disposent pas des ressources humaines et techniques nécessaires pour respecter cette obligation. Qu’avez-vous donc décidé, madame la ministre, pour vous assurer que cette instance unique disposera bien du temps et des moyens pour participer  activement aux démarches de prévention et pour procéder à la mise en place de mesures correctives ? Comment allez-vous soutenir les entreprises, notamment celles comptant moins de 300 salariés, dans la mise en place de ces mesures de prévention ? Allons-nous enfin considérer les risques psychosociaux comme une priorité, à la mesure des enjeux qui en découlent ? Vous en conviendrez, ce sujet mérite vraiment toute notre attention. Comme nous l’avons démontré par les mesures décidées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la prévention doit vraiment devenir une priorité pour les entreprises, mais aussi, plus généralement, pour la politique de santé.

Mme la ministre. Finalement, madame la députée Peyron, nous avons décidé de limiter la durée des mandats à douze ans au total. Ainsi, il sera possible de faire six mandats de deux ans. Nous avons en outre prévu qu’il serait possible, à la suite d’un accord majoritaire, d’aller au-delà. Dans certaines PME, il est effectivement difficile de trouver des candidats. Le pire serait d’en manquer à l’issue des douze ans, mais l’idée est effectivement que les élus du personnel puissent reprendre une carrière professionnelle hors mandat, ce qui est aujourd’hui très difficile. Il s’agit aussi de traiter l’une des probables raisons de la désaffection de nombreux salariés pour les syndicats. Au bout d’un moment, quelqu’un qui n’exerce plus son métier n’est plus considéré par les autres comme autant représentatif ; même s’il les écoute attentivement, il ne fait plus tout à fait partie de la même communauté. Il est de l’intérêt de tous que les mandats ne soient pas des mandats à vie – ce n’est pas à l’Assemblée nationale que je dirai le contraire. Il faut donc donner aux délégués les moyens de poursuivre leur carrière.

La formation est effectivement un sujet très important. En ce qui concerne la formation des élus, nous avions une espèce d’usine à gaz, qui ne fonctionnait pas bien. En gros, les entreprises devaient s’adresser à une organisation paritaire pour demander le remboursement du maintien de la rémunération. Le système était très lourd, très compliqué et ne pouvait réellement s’appliquer. Nous avons un peu simplifié : la formation est prise en charge et l’employeur maintient le salaire. Cependant, comment parvenir à plus de dynamisme dans les petites PME ? C’est l’un des objets de la mission Simonpoli-Gateau.

Je compte beaucoup, aussi, sur les observatoires départementaux – quand je parle d’appui au dialogue social, cela consiste aussi à veiller à ce que l’ensemble des acteurs puisse avoir accès à la formation. La loi garantit le droit à cette formation ; encore faut-il que l’organisation de celle-ci permette le plein exercice de ce droit par tous.

Oui, monsieur le député Vercamer, nous avons prévu que le plafonnement des dommages et intérêts aux prud’hommes ne s’appliquerait pas dans le cas des atteintes à des libertés fondamentales, du harcèlement ou de la discrimination. L’actualité de ces dernières semaines le montre : avec le harcèlement, il s’agit non pas simplement de perte d’emploi mais aussi d’atteintes à l’intégrité de la personne. Cela peut avoir des conséquences lourdes et durables. Il nous a paru nécessaire de distinguer ces situations.

Peut-être certains avocats conseilleront-ils à tout le monde de s’engager sur ce terrain, mais le juge se fonde sur des faits. Je ne suis donc pas certaine que la tentation se fasse sentir bien longtemps. Et, comme nous l’avons bien vu dans le cas des ruptures conventionnelles, chaque fois que le droit est clair pour les deux parties, cela pousse à la conciliation. Attendre deux ans un jugement aux prud’hommes, comme c’est parfois le cas, peut être extrêmement pénalisant pour le salarié, qui a perdu son emploi et ne peut se projeter, et pour la petite entreprise, qui ne sait plus si elle peut embaucher ou non. De ce point de vue, les barèmes sont une bonne chose. Dans les cas de discrimination ou de harcèlement, il faut raisonner autrement et le juge se prononce selon les faits.

La question évoquée par Mme Martine Wonner me tient vraiment à cœur. En 2010, Henri Lachmann, président de Schneider Electric, Christian Larose, de la CGT, et moi-même avons rendu un rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail. Nous avons procédé à de nombreuses auditions et montré qu’il y avait un lien entre, d’une part, le bien-être et la prévention des risques sociaux et, d’autre part, l’efficacité au travail. Il ne faut pas opposer les deux, bien au contraire. Hélas, nombreuses sont les entreprises où cette réalité n’est pas parfaitement assimilée, car il n’est pas si simple d’évoquer le sujet. La prévention des risques psychosociaux tient pour partie aux comportements mais aussi, dans une mesure très importante, à l’organisation de l’entreprise, à des éléments structurels, de la gouvernance au management et au signalement des risques. La démarche préventive est essentielle, même si ce n’est pas  notre objet principal cet après-midi. Je suis également très attentive à la médecine du travail, qui s’oriente désormais beaucoup plus vers la prévention. C’est une bonne chose, mais beaucoup de postes sont vacants, faute non de financement mais de candidats. Ma collègue Agnès Buzyn et moi-même allons nous pencher sur le sujet, car ce sont souvent des tiers neutres qui aident. Lorsque la prévention est satisfaisante dans une entreprise, c’est parce qu’une organisation syndicale, le médecin du travail, le management ou les salariés eux-mêmes signalent des risques. Une prise en charge assez rapide évite alors que la situation ne devienne grave. Quoi qu’il en soit, je mets l’accent sur la prévention ; cela vaut aussi pour la politique de santé. Les risques physiques régressent, mais la prévalence des risques psychosociaux augmente, non sans rapport avec l’évolution des métiers et de l’organisation du travail. Nous allons travailler sur le sujet, car je crois comme vous, madame la députée, que c’est la prévention qui importe le plus en cette matière.

Quant aux élections dans les entreprises comptant entre onze et vingt salariés, nous avons voulu privilégier le pragmatisme. Aujourd’hui, seule une entreprise sur cinq de cette catégorie a un élu. Les autres étaient jusqu’à présent tenues d’organiser des élections même en l’absence de candidat – et le mandatement ne fonctionne pas, il n’a jamais fonctionné. Nous avons renversé cette logique très formelle et un peu incompréhensible, tant pour les salariés d’ailleurs que pour les entreprises de petite taille : c’est seulement si un candidat potentiel se déclare que l’employeur doit organiser des élections, le candidat étant bien sûr protégé contre le licenciement. Le droit est donc préservé.

Pourquoi y a-t-il si peu de délégués syndicaux dans les petites entreprises – 4 % seulement dans les entreprises de moins de cinquante salariés ? D’abord parce qu’il est très difficile pour les organisations syndicales d’aborder les salariés dans 1,3 million d’entreprises. Concrètement, il n’y a pas de contact direct. Nous allons faciliter les choses en prévoyant de rendre accessible dans toutes les entreprises l’adresse non seulement de l’inspection du travail – souvent son adresse électronique – mais aussi des organisations syndicales du département.

Par ailleurs, la culture de la négociation porte en elle-même une vertu : on croit à la négociation. Nous avons permis aux entreprises de moins de cinquante salariés de pouvoir négocier, même si elles n’ont pas de délégué syndical. Sans cette mesure – c’était un comble – les salariés des petites entreprises auraient eu un moindre pouvoir de représentation et de négociation que dans les grandes. La progression de la taille des entreprises et de la culture de la négociation nous amèneront à constater, dans quelques années, une augmentation du recours aux organisations syndicales.

Mais, encore une fois, cela ne se décide pas par décret ou par la loi : cela se fait grâce au changement permis par la loi. C’est cette dynamique que nous avons voulu encourager.

M. Gérard Cherpion.  La loi de ratification est-elle conforme à la loi d’habilitation, avez-vous demandé dans votre propos liminaire ? Je crois qu’on peut répondre oui si l’on s’en réfère  aux propos des représentants des groupes, puisqu’on retrouve le même éventail de nuances que lors de l’examen de la loi d’habilitation.

Un point nous interroge tout de même, celui de la sixième ordonnance, qui est un peu la voiture-balai de cet ensemble de textes – elle porte essentiellement sur la rectification d’un certain nombre d’erreurs. Cela pose néanmoins – et je rejoins en cela M. Dharréville – le problème du rôle du Parlement. Une bonne partie de cette loi d’habilitation aurait pu en effet correspondre à des amendements. Cela aurait permis également une plus grande concertation avec les parlementaires.

Sur le fond, vous avez rappelé que, dans le cadre du périmètre national, le Conseil d’État avait choisi de ne pas mentionner que le juge pouvait intervenir en cas de fraude. C’est effectivement subliminal, si je puis dire. Mais notre groupe aimerait que ce soit inscrit dans la loi ; nous avons déposé un amendement en ce sens. Certes, on pourrait considérer que cela rend la loi bavarde, mais j’ai connu des lois beaucoup plus bavardes que celles-ci. J’espère donc que vous nous entendrez sur ce point.

Sur la troisième ordonnance et la sécurisation des relations du travail, il y a le cas du refus d’application de l’accord par un salarié : le délai pour prendre cette décision était de douze mois, il est passé à six ; le rapporteur propose maintenant deux mois. Allez-vous donner un feu vert à cette possibilité ? À mon sens, si on veut avoir des réactions rapides, il faut le faire dans un délai raisonnable.

M. Sylvain Maillard. Le Gouvernement a souhaité faciliter le recours à certaines formes particulières de travail, comme l’instauration d’un droit au télétravail. C’est un droit sociétal visant à permettre d’équilibrer la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié, sous réserve de l’acceptation de sa demande par l’employeur.

Cependant, l’ordonnance a modifié le code du travail pour y supprimer l’obligation qui était faite à l’employeur de prendre en charge les coûts générés par le télétravail. Il est vrai que cette obligation entraînait un surcoût pour l’employeur, et qu’elle pouvait décourager certaines entreprises d’y recourir.

Il existe effectivement un risque que l’URSSAF remette en cause le calcul de l’entreprise et assujettisse à cotisation une partie des indemnités. C’est pourquoi les partenaires sociaux ont demandé que ces frais puissent être pris en charge par une indemnité forfaitaire. Par exemple, dix euros d’indemnité de frais par jour de télétravail.

Pour passer d’une évaluation au réel à une prise en charge forfaitaire, il suffit d’un arrêté ministériel. Prévoyez-vous d’en prendre un en la matière ? Envisagez-vous de passer à une indemnité forfaitaire ?

M. Bernard Perrut. Bien évidemment, nous souhaitons que les entreprises se saisissent des évolutions voulues par ces ordonnances, dans l’intérêt du pays, du développement économique, de l’emploi et des salariés.

Mais le dialogue social ainsi renforcé ne pourra toutefois porter ses fruits, que s’il est fondé sur la confiance, confiance au sein de l’entreprise – vous l’avez dit vous-même, madame la ministre. Il y a l’esprit, il y a la règle ; il faudra d’ailleurs pouvoir évaluer régulièrement l’application de ces ordonnances. Quelles propositions pouvez-vous faire pour  y associer la représentation nationale ?

Pour que cela réussisse, il faut aussi que le Gouvernement prenne les mesures budgétaires qui envoient le maximum de signaux positifs aux entreprises, notamment en matière de coût du travail, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Sur ce point également nous avons besoin d’être rassurés.

Nous soutenons ici, depuis longtemps, un certain nombre de dispositions, telles que les nouvelles règles de négociation avec les délégués dans les PME, le référendum d’entreprise pour valider l’accord, la simplification du compte pénibilité, qui est essentielle, le barème prud’homal ou encore la fusion des institutions représentatives du personnel. Mais, à la lumière d’une situation vécue dans une entreprise de ma circonscription, je reviens, comme l’ont fait mes collègues, vers le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, qui doit être étendu hors des frontières nationales. Au stade de la loi d’habilitation, il semblait clair que l’équilibre du dispositif reposait sur la capacité du juge à lutter contre la création artificielle de difficultés économiques, et que les ordonnances devaient définir les capacités concrètes du juge à identifier les éventuelles pratiques d’optimisation sociale. L’ordonnance ne traite aucunement de ce sujet. Je souhaiterais que le Gouvernement prenne totalement ses responsabilités en ce domaine.

Mme la ministre. Monsieur Cherpion, sur « l’ordonnance voiture-balai », je le répète, il n’y a de contenu nouveau, par définition. Sur l’ensemble des 150 pages, nous avons relevé deux erreurs de rédaction. Tout le reste sera très aride, puisqu’il s’agira de renvois de codification à différents textes,  le code du travail n’étant pas le seul concerné. En tout état de cause, cette ordonnance sera disponible d’ici à quelques semaines et nous vous informerons dès que nous serons prêts. Encore une fois, elle ne comportera pas d’éléments qui pourraient susciter des débats nouveaux, avec les partenaires sociaux, ou d’autres. Bien sûr, nous comptons publier cette ordonnance avant la fin du processus de la loi de ratification, afin que la représentation nationale en ait pris connaissance. Pour l’instant, je n’ai que ma parole…

Sur le juge, messieurs Cherpion et Perrut, nous étions nous-mêmes favorables à une  plus grande précision, notamment en cas de fraude. Certes,  elle est redondante. Mais si  un amendement en ce sens est déposé, je l’accepterai volontiers, représentant le Gouvernement et non le Conseil d’État. Cela  montrera clairement que nous sommes et nous serons rigoureux sur ce point. Les juges le seront. Quelle que soit la nature de ce qu’ils peuvent considérer comme de la fraude ou de l’abus, ils sont souverains.

Je considère qu’il est toujours bon de donner une indication qui livre le sens du texte, ce qui évite toute ambiguïté. Ce sera aussi un élément de confort pour l’ensemble des acteurs. J’accepterai donc volontiers un amendement sur ce sujet, sous réserve, comme toujours, de la rédaction.

S’agissant du délai laissé à l’employeur pour licencier un salarié qui aurait refusé un accord de compétitivité, il est en effet nécessaire d’en fixer un, qui ne doit pas non plus être trop long, tant pour le salarié que pour l’employeur qui n’a pas intérêt à réorganiser son entreprise pendant le délai des six mois. Un délai assez court nous paraît donc logique à cet égard.

En ce qui concerne le droit au télétravail, monsieur Maillard, ce qui est très nouveau – à ma connaissance, nous sommes le premier pays européen à le faire – c’est qu’on ne  se borne pas à encadrer une pratique : on crée un droit au télétravail. Dans le cadre de celui-ci, nous incitons au dialogue social dans l’entreprise, étant cohérents avec nous-mêmes jusqu’au bout. Nous demandons donc des accords d’entreprise pour en définir les modalités.

Or cela dépend de la nature de l’activité de l’entreprise. S’il s’agit d’une activité numérique, tout le monde a déjà son ordinateur et son abonnement. Nous préférons donc laisser au dialogue social la définition des contreparties qui peuvent intéresser les salariés. Dès lors que le télétravail devient un droit, c’est à  l’employeur qu’il reviendra d’expliquer qu’il n’est pas d’accord parce que, par exemple, cela désorganise son activité. Le télétravail devient ainsi une des formes d’organisation. Évidemment, la plupart du temps ce ne sera pas à temps plein ; cela peut aussi avoir lieu dans des espaces de travail partagé. Nombre de directeurs des ressources humaines (DRH) nous ont dit qu’ils regardaient jusqu’à présent le mouvement de loin mais qu’ils allaient maintenant se pencher sur le sujet, au vu de la demande et donc de la nécessité de négocier.

Je ne suis pas inquiète sur le fait qu’il y aura des contreparties. Mais, encore une fois, il faut être pragmatique. Les attentes des salariés ne seront pas toutes les mêmes : parfois, il s’agira d’aménagements horaires, parfois de demandes de moyens matériels… Je vous rappelle que nous avons même prévu qu’un accident du travail était possible à domicile, ce qui est très nouveau.

En ce qui concerne l’évaluation régulière, monsieur Perrut, il faut effectivement en prévoir une. C’est pour cela que nous avons confié une mission à M. Grignard, M. Pilliard et Mme Cazes. Elle se prolongera dans le temps. Il reste à définir à quel rythme nous pourrons vous rendre compte de cette évaluation. J’imagine que vous aurez vos propres travaux. En tout cas, nous mettrons à votre disposition ceux de la mission à différentes étapes, pour pouvoir nourrir vos propres réflexions.

Mme Carole Grandjean. Ma question porte sur la généralisation des accords majoritaires. Déjà proposées dans la loi El Khomri, ces accords seront avancés au 1er mai 2018 au lieu de septembre. Cette avancée majeure et les avantages découlant de ces négociations portant sur la rémunération, la durée de travail, la mobilité professionnelle et le télétravail marquent un vrai changement dans la culture d’entreprise, que nous pouvons saluer. Pour autant, il est juridiquement indispensable d’appuyer les entreprises, afin de sécuriser ces pratiques. Un véritable travail de pédagogie et d’accompagnement doit être mené auprès des salariés afin de les informer de leurs droits et capacité à négocier. Des mesures, telles que le silence valant acceptation sur les modifications des accords après le délai d’un mois, doit impérativement faire l’objet d’information auprès de tous les salariés d’une entreprise qui pourraient être concernés.

Il est par ailleurs important que ces accords majoritaires d’entreprise soient toujours conclus de manière cohérente et pertinente, avec une volonté constante de préserver et développer l’emploi, tout en répondant aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise en application de l’article L. 2254-2 du code du travail.

Quels seront donc les moyens mis à disposition afin d’assurer l’accompagnement non seulement des dirigeants, juristes et DRH, mais aussi des salariés à ces nouvelles pratiques ? Quels sont les délais d’agencement et de mise en application de ces pratiques d’ici à mai 2018 ?

M. Joël Aviragnet. Madame la ministre, vous nous avez beaucoup parlé de confiance : faire confiance à l’intelligence collective, faire confiance aux entreprises, faire confiance aux salariés. En effet, le référendum d’entreprise modifie totalement la relation sociale dans l’entreprise et aurait même tendance à mettre sur le même plan employeurs et salariés, et ce malgré le lien de subordination qui, quoi qu’on en dise, subordonne toujours l’employé à l’employeur.

Dans cet esprit, pourriez-vous nous dire si un cadre légal formel est prévu dans les ordonnances pour renforcer la participation des salariés et pour associer davantage les salariés à la gouvernance de l’entreprise ? Je parle d’un cadre légal qui ne soit pas seulement le bon vouloir de l’employeur.

M. Jean-Hugues Ratenon. Madame la ministre, dimanche dernier, plusieurs personnalités ont lancé une pétition pour demander au Président de la République un plan durgence contre les violences faites aux femmes. En trois jours, elle a recueilli 88 000 signatures et démontre quaprès la libération de la parole, il faut faire place aux actes. La quatrième mesure réclamée vous concerne particulièrement, car elle porte sur le travail, réclamant la « négociation obligatoire en entreprise sur ce sujet et la protection de lemploi des femmes victimes ».

Or il nous semble qu’avec vos ordonnances, c’est tout l’inverse qui se met en place. D’abord, la possibilité donnée aux entreprises de décider de leur agenda social et le caractère supplétif des négociations sur l’égalité professionnelle, qui pourront donc avoir lieu en entreprise et non au niveau de la branche, laissent penser que cette question essentielle pourra être négligée car elle est laissée à la discrétion de l’entreprise. C’est un risque que soulève le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, qui a rendu un avis sur les ordonnances en septembre dernier : « Il y a donc un risque clair dexclusion, délibérée ou non, de la négociation sur le thème de légalité professionnelle ».

Cet avis pointe aussi le risque pour les femmes que présente la suppression du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui assurait jusqu’ici la prévention et l’expertise sur l’égalité professionnelle et le harcèlement. Pensez-vous que le nouveau comité social et économique, qui comportera des élus non spécialisés, moins nombreux et avec moins de moyens, pourra faire mieux que le CHSCT en termes de protection des victimes ?

Lorsque le lien de subordination se renforce et que les contre-pouvoirs dans l’entreprise sont affaiblis, toutes les personnes victimes de discriminations dans le reste de la société sont fragilisées. Les femmes seront les premières victimes de ces ordonnances.

Madame la ministre, au regard de ce désir renouvelé d’égalité et d’éradication du harcèlement des femmes, comptez-vous suspendre l’entrée en vigueur de ces ordonnances et repenser leur contenu de fond en comble ?

Mme la ministre. Madame Grandjean, oui l’information des salariés, des organisations syndicales et du management constitue un point très important. Le champ nouveau de négociations et de discussions demande une montée en puissance de l’ensemble des parties prenantes.

C’est pour cela que nous avons choisi la date du 1er mai 2018 pour l’accord majoritaire. Nous l’avons beaucoup avancée par rapport au 1er décembre 2019, prévue dans le cadre de la loi d’août 2016. Car, si l’on donne plus de grain à moudre, il faut aller plus vite vers l’accord majoritaire. En même temps, il faut faire monter en puissance tous les acteurs. Cela étant, tout le monde connaissant à présent la date, les comportements s’orientent déjà vers la recherche de la majorité. Le plus important reste la montée en compétence de toutes les parties. D’où mes propos sur la formation syndicale, mais aussi l’incitation à la formation du management, des DRH… Il y a un énorme travail de sensibilisation et de formation à effectuer, le plus important étant celui des élus et des délégués syndicaux. C’est la raison pour laquelle, nous nous engageons avec les organisations syndicales à commencer au plus vite ce travail pédagogique.

Nous avons également raccourci le délai pour la fusion des branches. Il est désormais avancé d’un an, au 1er septembre 2018, pour les mêmes raisons : si l’on donne plus de grain à moudre aux différentes branches, elles ne pourront pas toutes s’en saisir si elles continuent d’être 650. Il ne se passerait rien alors dans ces branches.

Il y a une montée en exigence générale. Dans les réunions de terrain, nous constatons d’ailleurs que, petit à petit, les entreprises, les organisations syndicales et les DRH réalisent à quel point ce changement demande à chacun de monter en compétence pour établir le dialogue social et se saisir des différentes opportunités. Je sens une envie de toutes les parties de le faire.

Monsieur Aviragnet, on développe beaucoup de moyens pour que les salariés aient plus leur mot à dire dans l’entreprise. Dans le cas du conseil d’entreprise, on va jusqu’à la codécision. Dans le cas des entreprises de petite taille, on trouve un moyen qui permet à des élus du personnel de négocier, et donc, aux salariés, de s’exprimer. On développe notamment l’usage complémentaire du référendum, en particulier dans les entreprises de moins de vingt salariés qui n’ont pas d’élus et qui peuvent ainsi, si les deux tiers des salariés en sont d’accord, négocier des accords avec leur employeur. À tous les étages, on renforce donc cette capacité à participer. Après, il y a d’autres sujets sur la gouvernance et sur la participation entendue comme participation à la valeur ajoutée. Comme vous le savez, nous avons ouvert un chantier en ce domaine, avec mon collègue Bruno Le Maire, pour le printemps prochain.

Monsieur Ratenon, nous avons exactement le même objectif, même si notre analyse des ordonnances est différente. Je suis moi-même engagée sur les sujets d’égalité entre les femmes et les hommes depuis des années. J’ai créé un mouvement dans ce domaine. Je pense que tout ce qui se passe depuis quelques semaines, cette libération de la parole, qui a lieu en France mais aussi dans de nombreux autres pays, est extrêmement salutaire. Car la loi ne suffit pas. Les comportements aussi doivent évoluer : une prise de conscience de la société est nécessaire. Et les choses bougent depuis quelques semaines, beaucoup plus que jamais auparavant. On parle d’un déni de ces violences faites aux femmes, je pense que, pour la grande majorité, il s’agit plus d’inconscience que d’un déni volontaire. Au-delà des harceleurs au sens strict, il y a beaucoup de personnes dans les entreprises – et ailleurs – qui ne sont pas conscientes que des propos et tout un climat de sexisme ordinaire créent un terreau sur lequel certains vont déraper et créer un lien de harcèlement, qui est d’une violence terrible.

En la matière, nous avons en France une loi qui condamne très clairement toutes les formes de discrimination et de harcèlement, y compris sexuel. Nous sommes pourtant confrontés à la situation que chacun connaît. Je ferai un parallèle que vous avez-vous-même évoqué : depuis 1983 une loi condamne, à travail égal, les différences de salaire entre les hommes et les femmes. Or il existe toujours 9 % de différence, à travail égal, entre les hommes et les femmes, et plus de 20 % si on prend en compte le déroulement de carrière.

Cela montre que la loi est nécessaire, mais qu’elle ne suffit pas. Il faut aussi une prise de conscience et une mobilisation de tous les acteurs. Cela ne peut être l’affaire des seules femmes, des seuls syndicats ou des seuls inspecteurs du travail. Ces derniers ont reçu, l’année dernière, 2 500 signalements pour des motifs de harcèlement. Aujourd’hui, les enquêtes auxquelles nous avons procédé avec le Défenseur des droits, montrent que 70 % des femmes victimes de harcèlement ne dénoncent pas et que, dans celles qui le font, 40 % estiment qu’à la fin, ce sont elles qui sont pénalisées, puisque ce sont elles qui sont mutées ou qui perdent leur emploi plutôt que le harceleur.

Cette situation dramatique est inacceptable. Elle recouvre des sujets de formation du management et de l’encadrement, mais aussi de prise en compte plus forte par les partenaires sociaux du problème. Contrairement à ce que certains prétendent, la négociation obligatoire est toujours prévue. Nous avons maintenu le caractère obligatoire de la négociation au niveau de l’entreprise et de la branche. Le droit doit être très clair en la matière.

Quand il arrive au judiciaire, ce sujet est complexe, car la preuve est souvent difficile à faire. Il est donc d’autant plus important de faire beaucoup plus de signalements et de prévention. De même, il faut soutenir et protéger les femmes qui font un recours dans les entreprises. C’est l’affaire à la fois de l’encadrement et des organisations syndicales, des médecins du travail, bref de toutes les parties concernées.

Il faut en finir avec le déni collectif et l’idée que cela ne serait pas grave. Si, c’est grave. Même le sexisme ordinaire crée un terreau qui n’est pas sain et qui autorise des choses illicites et beaucoup plus graves. Ce sujet très important concerne toutes les générations, car on voit aussi des jeunes femmes qui se trouvent confrontées au même problème. Toutes les générations, tous les lieux de travail, qu’il s’agisse du privé ou du public, sont concernés. L’effort doit être collectif. Nous lutterons avec toute la représentation nationale contre cette pratique inadmissible au regard des droits humains et qui mine la confiance dans l’égalité entre femmes et hommes au sein de l’entreprise.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Comme nous le craignions lors de l’examen de la loi d’habilitation, vous revenez sur un acquis social fondamental du précédent quinquennat – je veux parler du compte pénibilité.

Par l’ordonnance n°1389, vous ôtez quatre des dix facteurs de risques du dispositif de prévention : manutentions des charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, exposition à des agents chimiques dangereux. D’autre part, le financement de ce compte professionnel de prévention incombera désormais à la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale : vous cédez ainsi aux demandes des organisations patronales qui entendent depuis le début que les droits prévus soient soumis à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

Avec ce texte vous changez radicalement la philosophie du compte pénibilité en passant d’un système de prévention à un système de réparation. Vous consacrez donc la notion d’invalidité au lieu de prendre en compte la pénibilité.

Ma question est donc simple : sachant que plus de huit millions de salariés, soit près de 40 % d’entre eux, sont exposés à au moins un facteur de pénibilité, et que 12 % d’entre eux sont exposés à au moins un agent cancérogène, combien de salariés seront exclus du dispositif du fait de la réduction du nombre de critères ?

Enfin, lors de l’examen en séance des habilitations vous déclariez que vous traiteriez cette question dans le cadre de la réforme des retraites que vous envisagez pour 2018. Où en êtes-vous de vos réflexions ?

Mme Caroline Janvier. Madame la ministre, je souhaite saluer ici, alors que la commission des affaires sociales s’apprête à examiner le projet de loi de ratification des ordonnances, les mesures en faveur des travailleurs handicapés. En effet, on en parle peu, mais les ordonnances comportent à la fois des avancées et une sécurité.

Des avancées car le télétravail constitue une opportunité inédite pour nombre de travailleurs handicapés, dont les trajets quotidiens peuvent être fastidieux voire impossibles. Ils bénéficient alors d’un droit souple et sécurisé qui leur permettra de travailler pour la plus grande partie du temps de chez eux, et de fait, de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Ce recours au télétravail devra néanmoins s’accompagner d’actes de prévention spécifiques face à de nouveaux risques physiques ou psychosociaux amenés par cette nouvelle pratique. Le code du travail numérique participera, quant à lui, à rendre plus accessibles et compréhensibles les règles de droit pour les travailleurs handicapés, et une réflexion devra néanmoins être menée, par exemple sur l’accès au numérique pour les malvoyants.

Les ordonnances assurent aussi une sécurité, au niveau des branches, qui pourront faire primer leur accord relatif au handicap, une échelle pertinente pour continuer les efforts entrepris en termes d’accessibilité et de représentativité au sein des entreprises.

Je n’oublie pas enfin, que le combat contre l’exclusion et les discriminations reste largement à mener, madame la ministre, comme en témoigne le taux de chômage des personnes handicapés, deux fois supérieurs à la moyenne nationale, à 19 %, et une récente enquête de l’association des accidentés de la vie, qui montre que 67 % des personnes n’ont pas repris leur travail dans la même entreprise à la suite de leur arrêt de travail.

Je sais pouvoir compter sur votre soutien, madame la ministre, pour l’inclusion des personnes handicapées dans nos entreprises, et je vous en remercie.

M. Brahim Hammouche. Ces ordonnances ambitionnent de rénover notre dialogue social et font, cela a été redit, le pari de la confiance et de l’intelligence collective, c’est-à-dire de toutes les forces vives des entreprises, salariés, employeurs et leurs représentants. C’est un objectif que je soutiens pleinement. Ainsi, nous devons doter et encourager toutes les pratiques pragmatiques et réformistes du dialogue social, c’est-à-dire la promotion du débat contradictoire et la recherche de compromis éclairés entre les différentes parties.

Cependant, nous avons en France une défiance à l’égard du syndicalisme et, dans une certaine mesure, l’absence de mandatement dans les accords d’entreprise de moins de vingt salariés va stigmatiser encore les organisations syndicales, du moins c’est ainsi qu’elles le perçoivent. Il est fait le procès en légitimité des organisations syndicales qui ne sont pas assez présentes au sein des PME. Mais on oublie de rappeler que près de 98 % des salariés sont couverts par une convention collective signée par des organisations syndicales, patronales et salariales, dans le cadre notamment d’accords de branche, preuve de leur utilité.

Certains employeurs jugent que la syndicalisation des salariés est un obstacle au développement économique de l’entreprise ou encore qu’elle est source de conflits dans les relations sociales. Je ne partage absolument pas ce point de vue. Je crois que les syndicats ont prouvé leur utilité, leur nécessité et leur vitalité, lorsqu’il s’est agi de défendre les libertés, les protections et les solidarités, au-delà même du salariat.

La discrimination syndicale arrive au sixième rang des motifs de réclamations auprès du Défenseur des droits. Pourtant, selon le conseil économique, social et environnemental (CESE), une des causes de cette discrimination trouve son origine dans l’absence de prise en compte effective des nécessités de dialogue social dans l’organisation de l’entreprise ou du service public. Ainsi ne doit-on pas chercher à étendre leur audience au sein de toutes les entreprises ? Madame la ministre, la formation et la valorisation des compétences des élus syndicaux sont des axes forts de votre projet. Mais qu’en est-il, pratico-pratique, du chèque syndical évoqué dans la loi d’habilitation ? Comment pouvons-nous envisager d’étendre le taux de syndicalisation de nos salariés, et de nos patrons également, d’ailleurs ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Madame la ministre, vous avez dit que les entreprises pourraient désormais adapter le temps de travail. Très concrètement, il existe, par exemple dans le secteur agricole, des entreprises dont l’activité est ultra-saisonnière – certaines réalisent en quatre jours 12,5 % de leur chiffre d’affaires annuel. Ces quatre jours permettent de payer des salariés toute l’année – renforcés quand c’est nécessaire par des travailleurs agricoles saisonniers. Or, pendant ces quatre jours, le responsable des expéditions termine immanquablement son travail à minuit, pour revenir à sept heures le lendemain matin. S’il respecte les règles du repos quotidien, même en prenant en considération les dérogations possibles, il rate la journée – et les quatre jours qui permettent à l’entreprise de vivre toute l’année seront ratés.

Confirmez-vous, madame la ministre, qu’un accord majoritaire au sein de l’entreprise permettra de déroger au repos quotidien, et même au repos dérogatoire, tels qu’ils sont prévus par le code du travail ? Le chef d’entreprise serait ainsi à l’abri de recours en cas d’accident du travail, et plus simplement sortirait de l’illégalité – puisqu’il est aujourd’hui interdit de passer sous les neuf heures de repos quotidien.

Mme la ministre. Madame Vainqueur-Christophe, s’agissant de la pénibilité, le dispositif adopté par le Gouvernement précédent était juste, mais inapplicable. Tout le monde reconnaît qu’il est juste que des conditions de travail pénibles permettent de partir à la retraite à taux plein deux ans plus tôt. Mais une partie seulement des dix risques identifiés était facilement mesurables ; pour le reste, le dispositif était simplement inapplicable, en particulier dans les TPE et PME. La sous-déclaration était massive, et on l’aurait constaté au mois d’octobre – malgré les pénalités prévues. Demander à un artisan ou à un agriculteur de mesurer chaque jour le nombre d’heures pendant lesquelles son salarié a porté des charges lourdes, c’est ubuesque.

Nous avons préféré un droit réel à un droit formel. Pour les six premiers risques, nous n’avons rien changé. Pour les trois restants qui relèvent de l’ergonomie, le dispositif précédent était inapplicable, je l’ai dit, mais de plus exigeait que le salarié ait accumulé des points pendant environ dix-sept ans pour pouvoir faire valoir ses droits : il concernait donc plutôt les salariés de demain. Désormais, un examen médical permettra de mettre en évidence les conséquences de ces conditions de travail pénibles – c’est parfaitement mesurable, dans le cas par exemple des troubles musculo-squelettiques. Et la personne pourra partir immédiatement à la retraite à taux plein. C’est donc un droit qui s’applique dès maintenant.

Ce n’est donc pas moins, mais plus de salariés qui seront concernés : d’après nos estimations, 10 000 personnes pourront profiter dès 2018 d’une retraite à taux plein, ce qui n’aurait pas été possible auparavant, soit parce qu’il n’y a pas eu de déclaration, soit parce que le système à points ne leur aurait permis de partir que longtemps après.

Reste le risque chimique. Sur ce point, vous avez raison : nous n’avons pas eu le temps, au cours de l’été, de trouver une solution, et le travail n’est pas terminé. La particularité du risque chimique est que ses conséquences ne seront constatées que des années plus tard. C’est pourquoi j’ai confié – l’annonce officielle en sera faite demain – une mission sur ce sujet au professeur Paul Frimat, spécialiste de la santé au travail, qui me fera des propositions d’ici à la fin de l’année.

Nous incitons aussi fortement à la prévention. Le financement des trois risques que je mentionnais sera assuré par la branche Accidents du travail et maladies professionnelles  (AT–MP) : en l’absence de prévention, les entreprises verront leurs cotisations augmenter dans quelques années. C’est une incitation. Par ailleurs, la prévention doit être discutée par les branches.

Notre dispositif est ainsi, je crois, complet – risque chimique mis à part : il est effectif immédiatement, et tous pourront y avoir droit.

Madame Janvier, nous devons acquérir le réflexe d’inclure le travail handicapé dans chacune de nos réflexions ; les mesures spécifiques se révèlent en général assez peu protectrices, et surtout très peu inclusives. Or la grande majorité des travailleurs handicapés souhaitent travailler, et le peuvent, sous réserve d’adaptation ; et ils apportent beaucoup aux entreprises – ils constituent un véritable atout.

Le télétravail ouvre en effet de nouvelles pistes. Il doit être encadré, et c’est un sujet que les négociations d’entreprise aborderont certainement. Nous avons renforcé, je le disais, le rôle des branches. En effet, qui dit branche dit secteur d’activité, et donc spécificité des métiers. De même, le code du travail numérique sera un outil intéressant.

Sophie Cluzel et moi-même souhaitons briser le plafond de verre qui s’est mis en place – nous ne dépassons pas le chiffre de 3,2 % de travailleurs handicapés. Nous faisons moins bien que d’autres pays ; il n’y a donc pas de fatalité. Les dispositifs instaurés il y a une vingtaine d’années ont été efficaces, mais jusqu’à un certain point seulement. Il faut trouver de nouveaux moyens pour permettre aux travailleurs handicapés de travailler. Il n’est pas acceptable que leur taux de chômage soit le double du taux général.

Nous avons prévu que les réformes de l’apprentissage et de la formation professionnelle incluront cette question. L’accès plus faible à la formation est un aspect crucial du problème, au-delà de l’adaptation des postes : le taux d’accès à l’apprentissage des personnes handicapées est extrêmement faible. Les travailleurs handicapés sont moins qualifiés, or c’est bien aujourd’hui le travail qualifié qui donne accès à l’emploi. Une sorte de double peine s’est instaurée : Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel en sont très conscients et travaillent à l’inclusion des enfants handicapés tout au long du processus scolaire ; je pense notamment au maintien des emplois destinés à l’accompagnement de ces enfants.

Mais nous y reviendrons, car c’est un sujet insuffisamment présent aujourd’hui.

Monsieur Hammouche, c’est vrai, une partie du patronat se méfie du syndicalisme. Mais en quarante ans, j’ai vu cette défiance diminuer. Le paysage syndical se modifie aussi ; toutes les organisations syndicales signent la plupart des accords, même si certaines signent plus que d’autres. La défiance est des deux côtés ; bâtir la confiance, la renforcer, c’est tout l’objet de ces ordonnances.

C’est la première fois que la loi reconnaît aussi clairement la discrimination syndicale : j’ai repris à mon compte le rapport du CESE et j’ai assigné à l’observatoire national pour l’évolution des carrières syndicales l’objectif de lutter contre la discrimination. Nous mènerons ainsi avec le Défenseur des droits un travail sérieux, commun, continu. La discrimination contribue évidemment à la méfiance.

La confiance ne se décrète pas ; mais le cadre dessiné par les ordonnances, en donnant plus de grain à moudre aux négociateurs, accroîtra la valeur ajoutée du dialogue social. Pour arriver à des accords majoritaires, il faut des partenaires ! Nous créons ainsi une dynamique, et encourageons la majorité, qui souhaite un dialogue. Nos valeurs républicaines nous commandent d’organiser un dialogue structuré, construit. Les syndicats doivent se rapprocher des salariés, mais toutes les mesures dont nous avons parlé y contribueront.

Nous n’avons finalement pas retenu le chèque syndical, car il n’y avait pas de demande, tant du côté du patronat que des syndicats. Certaines entreprises l’expérimentent. Mais il nous a paru préférable d’accorder la priorité aux carrières, à la formation, à la reconnaissance et à la lutte contre les discriminations.

Encore une fois, il y a désormais énormément de choses qui peuvent être discutées : c’est une très forte incitation au dialogue social.

Monsieur Taugourdeau, sur le point que vous évoquez, nous n’avons pas modifié le droit. Les ordonnances permettent de modifier à la fois l’organisation du travail et le temps de travail. Il existe dans certains domaines des dispositions spécifiques – je pense par exemple au transport maritime, où il est impossible aux marins de revenir au port toutes les nuits… Dans le cas que vous évoquez, des dérogations sont possibles. La souplesse sera désormais beaucoup plus grande. Mais il faut conserver des dérogations, car il faut rester prudent, afin d’éviter par exemple des accidents du travail dus à la fatigue.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, madame la ministre.

II.   Auditions des partenaires sociaux

1.   Audition des organisations représentatives des employeurs (MEDEF, CPME et U2P)

La commission des affaires sociales procède à laudition des organisations représentatives des employeurs sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 237) dans sa séance du mardi 31 octobre 2017.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’audition des organisations représentatives des employeurs sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017‑1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social.

M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). La préparation de la loi de ratification nous offre l’occasion d’exprimer l’appréciation globale que nous portons sur les ordonnances qui vont vous être soumises.

Notre appréciation tant du processus de discussion avec le Gouvernement que du contenu de ces textes est globalement positive, même s’il y aura naturellement des nuances dans les positions des uns et des autres. Ces ordonnances répondent à une nécessité : l’adaptation des entreprises à une réalité toujours plus mouvante, notamment sous l’effet du numérique, et à une compétition toujours accélérée.

Les ordonnances, en pleine cohérence avec la loi d’habilitation, offrent aux entreprises des outils et une souplesse d’organisation nouveaux, grâce à un dialogue social dans la continuité de ce qui existait, mais renouvelé. Les règles évolueront par la négociation ; le partage des diagnostics et de la stratégie sera facilité par un dialogue tant économique que social.

La façon dont le Gouvernement a mené la concertation a été à notre sens productive, respectueuse et méthodique, avec des rendez-vous préparés et des bilans tous les quinze jours sous l’égide de la ministre. Naturellement, le contenu détaillé des textes n’était pas connu à l’avance ; ils ont été construits, nous pouvons en témoigner, dans le temps de la concertation. Mais sur le périmètre des sujets abordés, comme sur les repères communs aux partenaires sociaux, qui se connaissent bien, nous n’avons jamais été pris à revers. Cela a été salué par tous les acteurs, y compris les représentants des salariés.

Une attention toute particulière a été portée aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME), qui, jusqu’ici, étaient les oubliées des réformes du droit du travail.

Ces ordonnances accordent, je le disais, une grande importance au dialogue social, ouvrant un nouvel espace de confiance entre les partenaires sociaux, notamment au niveau de la branche professionnelle. Sur ce sujet, une approche consensuelle permet de préserver le rôle de régulation de la branche, qui débattra d’un socle de droits, tout en laissant assez de souplesse pour que chaque entreprise puisse s’adapter. Dans de nombreuses branches, entre la PME et la grande entreprise, mais aussi entre des métiers parfois très différents, la définition d’une norme unique n’aurait pas eu de sens.

Un nouvel espace de négociation s’ouvre également dans des entreprises qui en étaient jusqu’ici démunies : je pense bien sûr aux TPE de moins de vingt et de moins de cinquante salariés. Le MEDEF aurait souhaité l’ouverture des mêmes possibilités au-delà de cinquante salariés : c’est notre principal regret. Lorsque le délégué syndical existe, c’est lui qui négocie ; mais, dans une immense majorité d’entreprises, il n’est pas présent : il faut donc créer le contexte du dialogue social et de la négociation. Ce sera une façon de faire appel à la responsabilité des acteurs. Dans un deuxième temps, les salariés pourront se tourner vers les syndicats et leurs compétences. Mais le passé a montré qu’en la matière, la contrainte ne fonctionnait pas, et que le dialogue social ne se développait pas assez dans les petites entreprises.

Enfin, le MEDEF appelait de ses vœux depuis longtemps la fusion des instances représentatives du personnel (IRP). Une négociation avait porté sur ce thème en 2014 ; malheureusement, elle n’a pas abouti. Le comité social et économique (CSE) permettra aux représentants salariés de disposer d’une vision globale des enjeux de l’entreprise : il y a souvent un continuum entre les sujets qui relevaient auparavant des différentes instances, de l’avenir de l’entreprise aux conditions de travail.

La réforme proposée par le Gouvernement nous paraît donc pleinement cohérente. Tout, j’y insiste, passera par la négociation : aucune règle ne s’imposera de façon uniforme ; c’est bien par le dialogue social que chaque entreprise pourra s’adapter à ses contraintes particulières.

Les nouvelles mesures relatives à la sécurisation des relations de travail nous paraissent également essentielles. Je pense d’abord au plafonnement des indemnités et aux dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse au licenciement. Les anciennes règles étaient source d’une insécurité à la fois juridique et économique. Bien sûr, l’appréciation du juge continuera de s’exprimer dans le cadre fixé, puisque les ordonnances posent des planchers et des plafonds. Quant à la définition des difficultés économiques à l’échelle nationale, il s’agissait d’une attente très forte des investisseurs avant de reprendre le risque d’investir en France. Dans ces deux cas, la France rejoint le standard européen et international, ce qui est propre à donner confiance et permettra l’investissement et l’embauche, notre objectif à tous.

Le bilan que nous tirons de ces ordonnances est donc globalement positif. Il faut accepter que les compromis dessinés par le Gouvernement après la concertation reprennent différents points de vue. Le MEDEF serait peut-être allé plus loin, mais nous sommes très favorables à la ratification de ces ordonnances par le Parlement.

M. Jean-Michel Pottier, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Je peux moi aussi témoigner de la qualité de la concertation menée par le Gouvernement : nous avons eu le sentiment de faire avancer les choses pas à pas. Malgré certaines préventions, les ordonnances n’étaient pas écrites dès le départ. Ainsi, le projet initial du Gouvernement était de renvoyer tous les accords au niveau de l’entreprise ; le texte final accorde au contraire une place tout à fait nouvelle à la branche professionnelle. Il faut signaler cette capacité à s’écouter, et à s’entendre.

Ces mesures sont à nos yeux historiques : c’est la première fois que le code du travail prend à ce point en compte les spécificités des petites entreprises.

Nous accordons beaucoup d’importance au renforcement de la branche et à son articulation avec l’accord d’entreprise. Le rôle de régulation de la branche est réaffirmé : c’est une sécurité pour les chefs d’entreprise comme pour leurs salariés. Le dialogue social qui se noue dans certains secteurs le montre déjà. Tout accord de branche devra comporter des mesures spécifiques aux TPE et PME : sans ces mesures, pas d’extension possible. C’est une incitation cruciale, qui pèsera naturellement dans le dialogue social au sein des branches. Enfin, un financement spécifique devrait permettre d’accroître la participation des représentants salariés et employeurs des petites entreprises aux négociations de branche.

Nous appelons de nos vœux depuis longtemps un dialogue social direct dans les TPE et PME. Les ordonnances l’instaurent, aux deux niveaux des entreprises de moins de cinquante et de moins de vingt salariés – dans ces dernières, le personnel pourra être directement consulté en l’absence de représentant élu. Le robinet du dialogue social est ainsi ouvert en grand, alors que jusque-là seul un petit filet d’eau coulait. Ce dialogue existe déjà en réalité, car le chef d’entreprise et ses salariés travaillent ensemble, et savent bien qu’il faut convenir d’une organisation, mais il sera ainsi sécurisé, et des accords d’entreprise en bonne et due forme remplaceront des accords tacites.

La mission du représentant du personnel change de nature, ce qui entraînera aussi à notre sens un profond changement du dialogue social. D’élu, assigné à un rôle de représentation et de revendication, il devient négociateur. La vision des salariés comme du chef d’entreprise changera considérablement, et les comportements devraient en être profondément modifiés : les petites entreprises auront intérêt à disposer d’un représentant du personnel, avec qui elles pourront négocier, et la pression des salariés sera également forte pour ce représentant.

Enfin, ces nouvelles règles constituent pour les organisations syndicales, qui ne l’avouaient pas dans un premier temps, un formidable appel d’air, si elles sont capables d’offrir des services qui correspondent à la réalité des besoins des TPE-PME, surtout lorsque celles-ci sont en difficulté. Les syndicats pourront alors jouer un rôle accru.

Parmi les mesures phares, il faut signaler la barémisation des dommages et intérêts en cas de rupture du contrat de travail sans cause réelle ou sérieuse, c’est-à-dire de licenciement dit abusif. C’est un signal important pour les TPE-PME : ces jugements prud’homaux, pour des raisons d’ailleurs souvent plus de forme que de fond, tenaient de la loterie pour les salariés – le Premier ministre nous a fait part d’une étude montrant que les montants pouvaient varier de un à quatre suivant le tribunal, pour une même cause – mais aussi de la roulette russe pour les employeurs. De telles condamnations provoquaient parfois la mort lente de l’entreprise. Tout cela est fini.

Le Gouvernement nous a promis un traitement fiscal et social unifié des ruptures ; il faudra aller jusqu’au bout de cette démarche. Jusqu’ici, la procédure est pousse-au-crime : plus on va loin, moins la charge sociale et fiscale est lourde.

Nous nous attendons à un assèchement des contentieux : toutes les parties en présence connaissent les montants en jeu ; dès lors, elles préfèreront plus souvent une conciliation rapide à un procès long, fastidieux et paralysant pour l’entreprise. Il est essentiel à nos yeux de faciliter les médiations, afin que l’entreprise sorte plus vide du contentieux et reparte vers de nouveaux projets.

Ces mesures constituent à notre sens un tournant historique dont nous nous félicitons.

M. Alain Griset, président de lUnion des entreprises de proximité (U2P). Je voudrais redire que la méthode du Gouvernement – faite notamment de multiples rencontres avec le Premier ministre, la ministre et son cabinet, qui nous ont permis d’exposer longuement nos prises de position – nous a entièrement satisfaits.

Nous considérons que les dispositions qui vous sont soumises vont, pour cette fois, dans le bon sens pour les entreprises que nous représentons, qui comptent toutes moins de vingt salariés. C’est la première fois qu’elles sont aussi largement prises en considération dans le code du travail.

Nous étions très fortement attachés à la priorité donnée à l’accord de branche par rapport aux accords d’entreprise – plus complexes pour nos entreprises, dont la grande majorité emploie moins de dix salariés. L’accord de branche apporte une plus grande sécurité à l’employeur comme aux salariés. Nous avons néanmoins demandé la possibilité de déroger à l’accord de branche ; les ordonnances la prévoient, et de façon très simple. Les chefs d’entreprise pourront ainsi trouver avec leurs salariés, au quotidien, la meilleure façon de s’adapter.

Tout accord de branche devra comporter des mesures spécifiques adaptées aux TPE : cette mesure est, à nos yeux, cruciale, même si la presse en parle peu. La dématérialisation du code du travail est également importante pour les TPE.

En ce qui concerne la barémisation des indemnités prud’homales, il était essentiel à nos yeux que la forme cesse de primer sur le fond ; la mise à disposition de tous d’un document CERFA permettra d’éviter les erreurs de procédures, très pénalisantes pour les chefs d’entreprise, et à l’origine de grandes difficultés pour nos entreprises.

Nous avons également apprécié que les ordonnances mettent le droit en conformité avec la réalité des entreprises : les délégués du personnel n’étaient présents que dans 15 % à 20 % des entreprises ; la suppression de l’obligation de disposer d’un délégué du personnel dans les entreprises de moins de vingt salariés nous satisfait. Nous aurions néanmoins préféré que le comité social et économique puisse être utilisé dans les entreprises de plus de vingt salariés.

Nous apprécions également la réforme du compte pénibilité, que nous avions beaucoup combattue dans sa version initiale, et l’allégement des obligations.

Nous souhaiterions que la représentation nationale prenne position sur deux sujets. Un accord interprofessionnel de 2008 prévoyait la prise en charge du licenciement pour inaptitude non professionnelle, mais il n’a pas été appliqué ; nous avions demandé au Gouvernement d’imposer aux partenaires sociaux le respect de cet engagement. Nous aimerions être accompagnés dans cette démarche : un tel licenciement représente des frais très lourds, voire dangereux pour la survie de l’entreprise.

Nous regrettons par ailleurs l’augmentation de l’indemnité de licenciement pour motif économique. Elle est toutefois limitée pour les entreprises de moins de dix salariés.

Notre avis global est donc extrêmement positif. Le dialogue social dans nos entreprises se fait de façon naturelle, quotidienne. Les professions artisanales et libérales peuvent avoir recours à des commissions paritaires – CPRIA (commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat) et CPRIPL (commissions paritaires régionales interprofessionnelles des professions libérales) – qui permettent d’externaliser le dialogue social et de discuter sereinement avec les organisations syndicales. Nous disposons aujourd’hui de tous les outils nécessaires.

Ces ordonnances ne permettront pas d’embauches massives, mais le jour où l’activité sera là, l’embauche sera facilitée. Très vite, nos collègues envisageront le recrutement de façon plus positive, moins contraignante.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur. Vous êtes globalement satisfaits de l’évolution des relations au travail, en particulier, pour les TPE, de l’articulation entre le dialogue social au niveau de l’entreprise et au niveau des branches professionnelles – où il est vrai que l’on retrouve plutôt les interlocuteurs et partenaires sociaux des grandes entreprises, mais qui devront se pencher aussi sur ce qui concerne les plus petites entreprises. C’est d’autant plus important que ces dernières représentent une part non négligeable de l’emploi possible dans notre pays.

J’ai bien entendu également les attentes et les regrets des uns et des autres. La priorité, vous le comprenez, a été donnée aux plus petites entreprises ; le dialogue social est souvent plus solide dans les entreprises de plus de 300 salariés, qui faisaient l’objet de quelques regrets du MEDEF.

Dans la perspective d’un dialogue social plus fluide au sein de toutes les entreprises, comment voyez-vous la fusion des IRP ?

M. Michel Guilbaud. Elle est essentielle – non pas que les instances aient mal fonctionné jusqu’à présent, mais parce que les différentes questions traitées se recoupent souvent. Séparer l’organisation du travail, le projet économique de l’entreprise, l’évolution des métiers… n’avait plus de sens. L’existence de différentes instances n’était pas efficiente – nombreuses réunions examinant les mêmes questions, expertises commandées en double, voire en triple… Les ordonnances redonnent ainsi de la cohérence au dialogue social.

Dès la prochaine élection et, au plus tard, à la fin de l’année 2019, le nouveau comité sera en place : toutes les entreprises sont en train de se pencher sur cette question. Il faut rappeler que le CSE regroupe et rationalise les compétences des différentes instances qui existaient jusque-là, mais qu’il n’en perd aucune.

C’est donc à notre sens une grande simplification qui donne du sens. Ce sont souvent les mesures les plus simples qui envoient les signaux les plus forts. Cela va vraiment dans le sens d’un renforcement de la confiance.

M. Jean-Michel Pottier. La fusion des institutions représentatives du personnel est une mesure de rationalisation qui était attendue, notamment par les entreprises de taille moyenne, particulièrement concernées. Elle est un gage d’efficacité car les représentants du personnel qui siégeront au conseil social et économique partageront tous une vision des sujets à 360° degrés ; ils ne seront plus enfermés, comme ils l’étaient auparavant, dans des approches compartimentées. C’est un élément déterminant pour le bon déroulement des négociations et la bonne exécution des décisions. Par ailleurs, l’existence d’un organe unique, le CSE, dont les missions sont identiques quelle que soit la taille de l’entreprise, clarifie la situation. Il s’agit, là aussi, un facteur d’efficacité.

M. Alain Griset. Ma réponse sera plus brève : pour notre part, nous ne sommes pas concernés par cet aspect de la réforme… (Sourires.)

Mme Catherine Fabre. Les ordonnances reconnaissent la valeur fondamentale du dialogue social pour réguler les relations de travail. Je me réjouis de ce changement de paradigme, car la culture de la confrontation qui prévaut dans notre pays a trop longtemps favorisé un statu quo néfaste. Mais, pour que ce succès s’inscrive dans le long terme, il faut désormais impulser une véritable culture du syndicalisme réformiste car, avec un taux de syndicalisation de seulement 9 % dans le secteur privé, la France se situe loin derrière ses voisins européens. En tant que représentants des organisations patronales, il vous incombe, me semble-t-il, d’adresser un message fort en faveur du dialogue social non seulement aux chefs d’entreprise, mais aussi aux salariés. C’est à vous qu’il revient d’encourager ces derniers à s’investir dans le syndicalisme et la négociation sociale, afin de garantir le succès de cette réforme.

Dans quelle mesure vous sentez-vous dépositaires de cette mission de sensibilisation des salariés, des managers et des dirigeants des TPE et des PME, dans lesquelles la culture de la négociation est moins forte que dans les grandes entreprises ? Et quelles actions comptez-vous mener pour encourager ce changement culturel ?

M. Bernard Perrut. Le groupe Les Républicains retrouve dans ces ordonnances les propositions qu’il défend depuis longtemps, après avoir entendu vos organisations et partagé un certain nombre de vos préoccupations.

Le Gouvernement a annoncé, il y a quelques jours, qu’une sixième ordonnance serait présentée pour apporter un certain nombre de corrections aux cinq premières. En avez-vous connaissance et comment avez-vous été associés à son élaboration ? Comporte-t-elle uniquement des corrections – ce dont je ne peux douter – ou inclut-elle des innovations ?

Par ailleurs, grâce à une mesure que nous avons souvent défendue et qui a été adoptée par l’Assemblée et le Sénat dans le cadre du projet de loi d’habilitation, le motif économique du licenciement n’est plus apprécié au niveau international mais au niveau des entreprises d’un groupe appartenant au même secteur d’activités à l’intérieur du territoire national. Toutefois, nous déplorons que l’ordonnance ne précise plus qu’en cas de fraude, le périmètre d’appréciation doit être étendu au-delà des frontières nationales. En effet, pour notre groupe, l’équilibre du dispositif devrait reposer in fine sur la capacité du juge à lutter contre la création artificielle de difficultés économiques. Je souhaiterais connaître votre avis sur ce point.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Lorsqu’on flexibilise le marché du travail, comme cela est permis par les ordonnances, on facilite à la fois les embauches et les fins de contrat. Le contexte économique rend plausible une orientation plutôt favorable aux embauches. Mais disposez-vous d’éléments qui étaieraient cette hypothèse ? Connaissez-vous des entreprises qui, dès à présent, prévoient d’entamer un dialogue social pour tirer profit des nouvelles dispositions contenues dans les ordonnances ? Enfin, quelle lecture font-elles des bénéfices attendus ?

M. Michel Guilbaud. Madame Fabre, nous ne pouvons qu’approuver le changement de paradigme que vous avez évoqué, puisque nous appelions de nos vœux une réforme qui permette à chaque entreprise de s’adapter plus rapidement à sa réalité opérationnelle, tout en précisant que la confiance devait être le maître mot. En effet, on a trop souvent parlé de rapports de force ou de domination. La subordination existe dans le cadre du contrat de travail, mais elle ne doit pas primer dans le dialogue social. Du reste, lorsqu’on se rend dans des pays voisins, comme la ministre l’a fait la semaine dernière, on constate que la culture peut être différente à cet égard. Bien entendu, on ne change pas de culture en un claquement de doigts, mais le contexte juridique nous y invite plus ou moins.

Nous mesurons bien, du reste, la responsabilité qui nous incombe s’agissant de l’ensemble des ordonnances : il va nous falloir faire du prosélytisme. Sur le terrain, le chef d’entreprise est surtout préoccupé par la réalité économique quotidienne ; il ne s’intéresse pas forcément aux débats que nous avons ici, voire au sein du MEDEF. Nous devons donc expliquer ces ordonnances, qui sont des textes complexes, et les possibilités qu’elles leur offrent. Au demeurant, ces possibilités peuvent varier selon le secteur d’activités concerné. La place de l’entreprise par rapport à la branche, par exemple, dépendra de la convention collective. Nous devrons donc nous adapter au terrain. Mais le MEDEF dispose d’un réseau territorial et de fédérations, et ses équipes transmettront le message. Il s’agit de déployer les réformes, pour ainsi dire, de faire œuvre de pédagogie et d’encourager un dialogue social renouvelé. J’ajoute que les branches professionnelles ont désormais, dans le prolongement de la loi El Khomry, des agendas sociaux de discussion qui doivent également prendre en compte ce contexte nouveau. Leur rôle vis-à-vis des entreprises va évoluer et de nouvelles possibilités leur sont offertes.

Quant à la sixième ordonnance, nous en connaissons le principe depuis le départ. En revanche, nous ignorons encore son contenu. Mais, depuis 2013, le Parlement vote, chaque année, une loi qui touche au droit du travail, et il est nécessaire que tout cela demeure cohérent. Nous attendons donc un texte essentiellement technique – je ne crois pas que l’intention soit d’y insérer un nouveau volet de réformes. De ce fait, il doit intervenir a posteriori, car il portera également sur les ordonnances que vous allez ratifier. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas encore commencé à en discuter, mais je pense qu’elle pourrait procéder à des ajustements techniques – encore une fois, il ne s’agit pas de modifier la philosophie des ordonnances – concernant, par exemple, la branche professionnelle, car certaines mesures de la loi El Khomry ont été conçues dans la précipitation.

Enfin, en ce qui concerne les embauches, nous estimons que la perception des ordonnances est globalement positive, de sorte que les entreprises s’inscrivent dans un nouveau contexte favorable à la confiance. De plus, la réforme apporte des assouplissements et une sécurisation juridique qui vaudra aussi pour l’acte d’embauche. Je pense notamment au plafonnement des indemnités prud’homales. Il est toujours très difficile d’expliquer que l’embauche est bloquée par des risques liés à un éventuel licenciement, mais on sait que l’entreprise a besoin d’être sécurisée économiquement et juridiquement. Les ordonnances vont donc déverrouiller la décision individuelle du chef d’entreprise d’investir ou d’embaucher. Les bénéfices en seront démontrés, mais il faut désormais agir sur le terrain et expliquer la portée du texte à chaque entreprise, notamment aux plus petites d’entre elles.

M. Jean-Michel Pottier. J’ai abordé la question du syndicalisme réformiste dans mon intervention liminaire. À cet égard, l’enjeu est maintenant de proposer une offre de services qui réponde aux attentes des salariés des TPME dans le cadre du dialogue social qui va s’y développer. De fait, ces salariés ont souvent le sentiment que le discours syndical, qui caricature les patrons en voyous, ne concerne que les grandes entreprises. Ils ne s’y reconnaissent pas, car ce discours ne correspond ni à leurs relations de travail ni à la vision qu’ils ont de leur employeur, et il est très dommageable pour le dialogue social. Il est donc très important, si nous voulons avancer, qu’un effort soit fait dans ce domaine. Mais je suis persuadé qu’une fois que le soufflé sera retombé, les organisations syndicales se saisiront du sujet. J’en connais qui sont déjà à l’œuvre pour élaborer une réponse adaptée.

J’ai bien conscience de la responsabilité qui nous incombe dans la sensibilisation au déploiement de cette réforme. Et, croyez-moi, ce n’est pas un vain mot : nous y travaillons avec les branches professionnelles, dans les territoires. Cet enjeu est pour nous essentiel, car nous souhaiterions que l’on ne s’arrête pas là. On a évoqué tout à l’heure le seuil de 50 salariés. Si nous sommes capables de démontrer que la réforme produit des effets, y compris pour le développement du dialogue social et de la présence syndicale, nous pourrons peut-être aller un peu plus loin la prochaine fois. Nous sommes donc très attachés au déploiement de la réforme, parce qu’il conditionne celles qui sont à venir.

Sur la sixième ordonnance, je ne ferai pas de commentaires. Nous espérons qu’il s’agit uniquement de corriger des coquilles ; elles existent : nous en avons relevé un certain nombre. En tout état de cause, nous n’avons pas connaissance d’autres intentions. Je m’en tiendrai donc là.

Quant aux entreprises qui argueraient frauduleusement de difficultés économiques pour justifier des licenciements, c’est une question un peu éloignée du dialogue social. Si nous voulons avoir des relations de confiance, mieux vaut éviter de s’invectiver. J’ai participé au voyage de Mme Pénicaud au Danemark notamment, où nous avons rencontré les représentants du patronat et des deux principaux syndicats. Tout d’abord, il était bien difficile de les identifier en s’en tenant à leurs discours, car ceux-ci sont très complémentaires. Ensuite, lorsqu’on les a interrogés sur le point de savoir qui arbitrait leurs discussions en cas de désaccord, ils étaient incapables de nous répondre : dès lors qu’ils décident de discuter, ils ne conçoivent pas que leur dialogue puisse aboutir à un désaccord. Si nous parvenions à établir ce type de relations sociales en France, ce serait merveilleux ! La réforme est un premier pas dans cette direction ; c’est en tout cas le vœu que je forme.

Enfin, en ce qui concerne les embauches, nous pourrons rapidement mesurer un premier effet des ordonnances. Les PME avaient le réflexe d’embaucher plutôt en contrat à durée indéterminée, parce que ce type de contrat – le seul auquel il est possible de mettre fin à tout moment – est plus sécurisant pour elles et parce qu’elles s’inscrivent dans une démarche de long terme lorsqu’elles créent des emplois. Or, la création de CDI avait un peu reculé ces derniers temps, en raison de la crise économique et de l’absence de visibilité. Dès lors que les entreprises retrouvent de la visibilité, que la réglementation se stabilise et continue d’aller dans le même sens, le retour au CDI, amorcé depuis deux ans, va s’amplifier. Toutefois, la réforme a besoin d’un temps d’infusion pour produire ses effets sur l’emploi. Ceux-ci ne pourront donc être réellement mesurés qu’à moyen terme. Ne nous faisons surtout pas d’illusions.

M. Alain Griset. L’embauche est prioritaire ; c’est ce que nous recherchons tous. Certes, elle dépend de l’activité, mais les mesures qui ont été prises vont sans aucun doute la faciliter dans nos secteurs, car la confiance sera là. Depuis environ six mois, on constate d’ailleurs, dans le secteur du bâtiment, qui représente 40 % des entreprises de l’artisanat, une certaine reprise de l’activité, évaluée à 2 % par trimestre, reprise qui s’est traduite par de très nombreuses embauches. Je suis persuadé que les ordonnances amplifieront ce mouvement ; je suis très optimiste sur ce point.

Monsieur Perrut, nous ne connaissons pas le contenu de la sixième ordonnance, et aucune discussion n’est prévue pour l’instant à ce sujet.

Il est vrai que, dans nos entreprises en particulier, le taux de syndicalisation est très faible. Mais nous avons d’ores et déjà commencé, et nous allons poursuivre dans cette voie, à établir un dialogue à trois niveaux bien distincts. Premier niveau : le dialogue quotidien, informel, dans l’entreprise. Deuxième niveau : le dialogue de branche. Celui-ci est extrêmement positif : beaucoup d’accords sont conclus dans notre secteur d’activité, et toutes les organisations syndicales de salariés en signent très régulièrement. Du reste, les conflits sont très rares. Troisième niveau : les CPRIA et les CPRIRL qui, créées il y a quelques mois, sont un lieu d’échanges et de dialogue interprofessionnel que nous souhaitons développer davantage encore dans les prochains mois.

Par ailleurs, nous avons commencé à organiser, et nous allons les amplifier, des réunions territoriales, dans les départements, les régions, les agglomérations et les territoires ruraux, pour faire connaître les nouveaux dispositifs aux plus de 2,3 millions d’entreprises que nous représentons. C’est très difficile et le service après-vote est donc extrêmement important. Il contribuera à ce que nos collègues s’approprient ces dispositifs, retrouvent ainsi la confiance et embauchent.

Mme Fadila Khattabi. Vous n’avez pas abordé la mesure relative au télétravail, qui est l’une des mesures phares des ordonnances. Or, elle pourrait non seulement améliorer le quotidien de nombreux salariés, mais aussi répondre à certaines problématiques de recrutement. Je souhaiterais donc savoir comment vous envisagez de l’appliquer dans vos entreprises, si tel n’est pas déjà le cas.

M. Aurélien Taché. Je souhaiterais que vous reveniez sur le rôle que vous estimez devoir jouer pour favoriser le dialogue social au sein de branches qui ne fonctionnent pas toutes extrêmement bien. Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la place des salariés dans le nouveau dialogue social, en particulier sur les conseils d’entreprise qui pourraient voir le jour dans le cadre d’accords majoritaires ? Dans quelle mesure cette nouvelle institution permettra-t-elle d’aller plus loin en matière de codécision ?

M. Marc Delatte. Ma question est peut-être un peu hors sujet, mais je souhaiterais connaître votre sentiment quant à la volonté exprimée par le Président de la République de revisiter l’intéressement et la participation.

M. Michel Guilbaud. Madame Khattabi, le télétravail a fait l’objet de discussions entre partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, avant la rédaction des ordonnances. Patronat et syndicats avaient inscrit ce sujet à leur agenda social pour répondre à une attente des entreprises et des salariés. Les textes en vigueur sont assez anciens et, malgré les nombreuses contraintes qu’ils imposent, une grande insécurité juridique demeure en la matière. Nous n’avons pas signé d’accord interprofessionnel, mais, en juin dernier, les partenaires sociaux ont publié et remis au Gouvernement un rapport conjoint qui recommande d’adopter une approche pragmatique plutôt qu’une nouvelle loi.

Les ordonnances, qui s’inspirent de ce travail commun, permettent de faire évoluer le contexte et d’assurer une certaine sécurité de part et d’autre. Elles introduisent aussi une souplesse indispensable, car la promotion du télétravail ne passera pas que par le droit : il faut aussi compter avec les obstacles culturels et la nécessité d’adapter les règles à un univers différent.

Les ordonnances renvoient évidemment à l’entreprise : une charte ou un accord élaboré grâce au dialogue social doit permettre d’adapter le télétravail à la réalité. Évidemment, le télétravail ne peut pas se concevoir de la même façon dans les services, dans l’industrie ou dans le commerce. Les nouvelles technologies offrent néanmoins des possibilités nouvelles dans de nombreux secteurs.

Monsieur Taché, les questions de gouvernance sont assez délicates. En 2014, nous avons défendu l’idée d’une instance unique, que nous proposions de nommer « conseil d’entreprise ». Elle aurait regroupé les compétences du comité d’entreprise, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du délégué du personnel, tout en ayant une place dans les négociations, mais cette dernière compétence empiétait sur les prérogatives du délégué syndical. Nous aurions souhaité que ce schéma conciliant toutes les fonctions de représentation devienne le droit commun, mais les ordonnances en sont restées au comité social et économique. Un accord peut toutefois permettre d’avancer vers une étape nouvelle pour laquelle le Gouvernement a prévu un avis conforme – certains ont parlé de codécision.

Finalement, nous nous rallions au texte retenu, et nous attendons de voir jusqu’où le dialogue mènera dans chaque entreprise. Dans les autres pays, les choses se déroulent dans des contextes totalement différents – la portée des accords n’est, par exemple, pas la même. Il sera donc préférable de faire le bilan du conseil d’entreprise tel qu’il est proposé pour savoir si l’on peut aller plus loin. Le Gouvernement a renvoyé aux partenaires sociaux la responsabilité de trouver le bon mode de relations. Certains syndicats ne sont d’ailleurs pas très à l’aise avec la « codécision » qui met sur le même plan des acteurs qui n’ont pas les mêmes responsabilités : conduite de l’entreprise d’un côté, représentation des salariés de l’autre.

La question plus générale de l’association des salariés à la performance de l’entreprise a été posée, en dehors de toute négociation d’une loi à caractère social, dans le cadre du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), lancé la semaine dernière par le ministre de l’économie. M. Bruno Le Maire et M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État chargé de l’économie et des finances, ont retenu six thèmes de travail dont l’un s’intitule « Partage de la valeur et engagement sociétal des entreprises ». L’association des salariés à la décision fait évidemment partie des sujets sur la table, mais tout ce que font les ordonnances va dans cette direction et, grâce aux nouveaux modes de consultation des salariés, l’information de ces derniers aura un nouveau sens.

Monsieur Delatte, nous pensons qu’il faut aller plus loin vers l’intéressement et de la participation en passant par des incitations. Nous sommes très favorables à l’intéressement comme complément de la participation – qui est obligatoire depuis longtemps dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Plus souple, il permet de discuter avec les représentants des salariés de critères de performance au-delà de la formule imposée par la loi. Il a cependant subi un véritable coup d’arrêt en 2012 avec l’augmentation considérable du forfait social jusqu’à 20 %.

Des textes récents ont toutefois permis de réduire le montant de ce forfait lorsqu’une PME négocie son premier accord d’intéressement. On peut sans doute aller plus loin. Nous sommes disposés à avancer et nous commençons à y travailler dans le cadre de la concertation lancée par Bercy. Nous pouvons peut-être imaginer des simplifications ou des modalités innovantes d’intéressement. Nous sommes évidemment prêts à répondre aux attentes du Président de la République à ce sujet.

M. Jean-Michel Pottier. Alors que la grande majorité des salariés aspirent à profiter du télétravail quand c’est possible, les partenaires sociaux ont évité le piège de la signature d’un accord interprofessionnel qui aurait encore alourdi les procédures existantes. Les ordonnances facilitent et sécurisent le télétravail : c’est une très bonne chose.

Comment faire de l’intéressement et de la participation dans les petites entreprises ? Dans l’entreprise individuelle, qui est la forme de PME la plus répandue, la rémunération du chef d’entreprise est le résultat. Faut-il que ce dernier partage sa rémunération ? Seriez-vous prêts à partager la vôtre ? Que se passe-t-il en cas de pertes ? Ces chefs d’entreprise acceptent aussi que leur rémunération soit nulle. Si les gains sont partagés, comment les pertes se traduiront-elles ? Quelle serait la méthode utilisée ? N’en sera-t-on pas réduit à faire du saupoudrage ? Et puis, peut-on réduire les rémunérations parfois peu élevées de chefs d’entreprise de PME ? Nous réfléchissons néanmoins, et nous participons évidemment aux groupes de travail mis en place à Bercy en vue de la loi annoncée.

M. Alain Griset. Nos réponses montrent que des différences considérables existent entre les entreprises selon leur taille.

La moitié des entreprises que nous représentons pour notre part n’emploient aucun salarié, et 80 % des autres moins de dix salariés. Le projet de loi TPE-PME que préparent M. Bruno Le Maire et M. Benjamin Griveaux doit selon nous permettre de revoir leur fiscalité et leur mode de fonctionnement. Aujourd’hui, par exemple, la moitié de nos entreprises sont en nom propre : elles sont soumises à l’IRPP et paient des impôts et cotisations sur leurs bénéfices, autrement dit, elles paient des cotisations sur un revenu qu’elles ne perçoivent pas. Comme le disait M. Guilbaud, c’est dans le cadre de ces évolutions qu’il faut reposer la question de la participation et de l’intéressement.

Pour un maçon ou un charpentier, vous comprenez que le télétravail n’a guère de sens… S’il n’est ainsi pas applicable partout, nous souhaitons néanmoins accompagner les collègues dont les activités professionnelles le permettent, car nous considérons que nos salariés doivent pouvoir bénéficier de cette évolution positive.

M. Dominique Da Silva. Disposez-vous d’une estimation du nombre de nouvelles missions que permettra l’extension des contrats de chantiers ? Quand les branches professionnelles transmettront-elles des informations à ce sujet ?

M. Michel Guilbaud. Il est très difficile de donner une estimation chiffrée. Nous considérons évidemment qu’il s’agit d’une mesure très positive qui permettra de créer des emplois qui n’auraient pas existé sinon.

Le contrat de mission est un CDI. Il inscrit le salarié dans un emploi qui peut être durable en même temps que l’entreprise prend un risque en créant une activité. Jusqu’à aujourd’hui, il était difficile d’y recourir en dehors du contrat de chantier dans la construction, même lorsque les partenaires sociaux le souhaitaient. Les sous-traitants de STX à Saint‑Nazaire ont voulu signer des contrats de chantier mais n’y sont pas parvenus, en dépit de la position favorable et consensuelle des syndicats, car ce n’était pas l’usage dans le secteur de la métallurgie.

Si la confiance est là, nous sommes persuadés que cette mesure peut avoir un effet dans certaines branches. Elle permet de créer des emplois supplémentaires si l’on parie sur l’avenir. Je rappelle que le contrat de mission ne s’interrompt pas nécessairement à la fin du chantier, celle-ci constituant seulement un motif de rupture : les salariés peuvent poursuivre leur CDI. L’effet est donc doublement positif : des emplois sont créés, et ils peuvent s’inscrire dans la durée. Certes, il n’y a pas de garantie, mais on n’en a jamais vraiment avec le CDI – cela nous ramène à l’insécurité juridique liée aux motifs de rupture.

Nous incitons fortement les branches professionnelles à engager des discussions car cette extension peut entraîner une dynamique de créations d’emplois qui se consolideront par la suite.

M. Jean-Michel Pottier. Nous n’avons pas obtenu la transcription directe dans le code du travail de la notion de contrat de chantier. Cela aurait facilité les choses et permis de gagner du temps, mais, dans une négociation, on ne peut pas l’emporter sur tout. Cela reste un regret. Peut-être cette mesure passera-t-elle la prochaine fois !

M. Alain Griset. Ce dispositif, qui existe depuis très longtemps dans nos secteurs d’activité – évidemment, il concerne en premier lieu le bâtiment – n’a jamais posé de problèmes particuliers, bien au contraire. Nous sommes donc extrêmement favorables à son extension. Nous avions également été sollicités dans l’affaire des chantiers STX, dont parlait M. Guilbaud : nous avions donné un accord de principe pour une dérogation, et nous souhaitions même que la loi soit modifiée.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, messieurs, pour vos réponses particulièrement précises et complètes.


2.   Audition des organisations représentatives des salariés (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC)

La commission des affaires sociales procède à laudition des organisations représentatives des salariés sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 237) dans sa séance du 6 novembre 2017.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’audition des organisations représentatives des salariés sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017‑1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. La CFDT est satisfaite de la façon dont la première ordonnance organise les rapports entre la loi, la branche et l’entreprise. Nous apprécions que la qualité de l’emploi, en particulier la régulation des contrats atypiques, revienne à la branche : l’exemple du secteur routier a montré la possibilité d’adapter les règles dans ce secteur où les primes représentent une part très importante des salaires réels et où les entreprises de moins de dix salariés sont nombreuses. Or, ce sont bien ces salariés qui risquent d’être fortement pénalisés par d’autres dispositions des ordonnances.

La troisième ordonnance fait le pari qu’une flexibilisation à outrance créera des emplois : cela ne nous convainc pas. Elle comporte néanmoins des éléments de sécurisation – je pense notamment aux ruptures individuelles de contrats de travail. L’augmentation des indemnités légales n’est pas négligeable. En revanche, les dispositions relatives aux prud’hommes, mais aussi aux ruptures conventionnelles collectives, nous inquiètent.

Ce qui nous fâche c’est tout ce qui, dans les première et deuxième ordonnances, concerne le dialogue social. Au lieu de faire confiance aux acteurs pour arriver à des compromis satisfaisants pour tous, les ordonnances adoptent une vision très libérale – au sens économique du terme – selon laquelle le dialogue social est un mal, certes parfois nécessaire, mais un mal. Dès lors, il convient de le circonscrire autant que possible, voire d’en diminuer les moyens.

Nous sommes particulièrement choqués que l’on puisse se passer entièrement, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, de l’intermédiation des syndicats. Depuis des décennies, la CFDT répète qu’un dialogue social ne peut pas se nouer directement entre l’employeur et ses salariés ; les syndicats apportent des compétences qui permettent d’établir un dialogue équilibré, libéré du lien de subordination à l’employeur. Ils ont, de surcroît, accès à des expertises.

Dans les entreprises de moins de vingt salariés, c’est encore pire – les décrets l’ont confirmé : l’employeur pourra décider de tout, unilatéralement, certes après un référendum et l’approbation de deux tiers des salariés – mais ces consultations seront organisées sans la moindre confidentialité. Et quel sens aurait au demeurant la confidentialité dans une entreprise de deux ou trois salariés ?

La fusion des instances représentatives du personnel (IRP) est une autre marque de défiance vis-à-vis du dialogue social. Il était possible de considérer que l’employeur et les salariés pouvaient en négocier la forme : ils peuvent négocier le calendrier, l’organisation des consultations, le contenu de la base de données économiques et sociales, mais ils ne peuvent pas décider de la forme des IRP !

Le nombre de salariés titulaires d’un mandat va diminuer considérablement. Certes, le décret prévoit davantage d’heures, la possibilité de mutualisation et d’annualisation – à l’intérieur d’une même organisation syndicale –, ce qui rétablit un peu l’équilibre. Mais chaque mandaté aura plus de travail.

Il vous revient maintenant de ratifier les ordonnances. Nous suggérons trois changements essentiels à nos yeux.

D’abord, nous souhaiterions que vous reveniez sur la possibilité pour l’employeur, dans les petites entreprises, de décider seul, après un pseudo-référendum, de déroger au code du travail.

Nous souhaitons également que le mandatement soit considéré comme une priorité dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Je souligne d’ailleurs que ces nouvelles dispositions créent des effets de seuil brutaux à vingt et cinquante salariés : quel chef d’entreprise voudra dépasser dix-neuf ou quarante-neuf salariés ? Il serait sain que toutes les entreprises soient soumises au même régime. Dans celles où aucune organisation syndicale n’est implantée, on pourrait remettre en place le mandatement.

On nous oppose que celui-ci n’a jamais fonctionné. Mais jusqu’à maintenant, il n’y avait guère de grain à moudre ! Aujourd’hui, les possibilités de dérogation au code du travail ou à l’accord de branche, donc les sujets de négociation au sein de l’entreprise, sont au contraire nombreuses – ce que la CFDT a approuvé, à condition que le dialogue social soit renforcé. Faisons plutôt le pari du mandatement ! Puisque, désormais, on peut négocier, que toutes les entreprises aient le même régime de représentation du personnel, qu’elles puissent toutes élire leur représentant, négocier grâce à lui ou grâce au mandatement syndical !

Enfin, la rupture conventionnelle collective est, à notre sens, l’une des dispositions les plus dangereuses contenues dans ces ordonnances. On nous dit que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) vont veiller au grain. Mais je ne vois pas, dans les faits, comment elles feront. Le risque est fort que les seniors perdent massivement leurs emplois ; les directeurs des ressources humaines (DRH) cachent à peine que cette mesure leur permettra une gestion plus « souple » des salariés ; ceux qui ont plus de cinquante ans seront la première cible. La délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) reçoit déjà beaucoup d’appels à ce sujet.

M. Fabrice Angei, secrétaire confédéral de la CGT. Mesdames et messieurs les députés, vous êtes appelés à ratifier ces ordonnances. Mais sont-elles conformes à la loi d’habilitation ? C’est la question que vous devez vous poser. Vont-elles dans le sens de l’efficacité économique ? Simplifient-elles le droit du travail ? Favorisent-elles vraiment le dialogue social ?

En 2017, d’après les chiffres de l’INSEE, 303 500 emplois ont été créés en une année et le PIB a crû de 0,5 % ; la croissance en 2017 devrait atteindre 1,8 %. C’est bien la preuve que la précarisation instaurée par les ordonnances – qui ne sont pour l’essentiel pas encore entrées en vigueur – n’est pas nécessaire pour créer des emplois : c’est l’activité économique qui remplit les carnets de commande et permet les embauches.

A contrario, en Allemagne, le nombre de chômeurs a augmenté pendant les quatre années qui ont suivi les réformes Hartz. Les chiffres sont meilleurs aujourd’hui, mais la baisse du chômage est en réalité due à d’autres facteurs, notamment la compétitivité des PME ; en revanche, la précarité des salariés est énorme, ainsi que le nombre de travailleurs pauvres – au point que le Fonds monétaire international (FMI) tire la sonnette d’alarme. Un copier-coller mènera à une situation identique, ce qui n’est pas souhaitable.

Les mesures qui facilitent les licenciements en font augmenter le nombre – et c’est tout. Le Gouvernement a mis en ligne un simulateur « simple et gratuit » des indemnités dues en cas de licenciement abusif – une initiative plébiscitée par le MEDEF, beaucoup moins par la CGT. Ce qui est recherché, c’est bien de contourner le juge. La barémisation porte atteinte au droit à la réparation du préjudice. Mais elle ne s’applique pas aux licenciements qui violent les libertés fondamentales, ou en cas de harcèlement : il y a donc, selon les juristes, un risque que ce type de contentieux croisse de façon importante.

L’accord d’entreprise l’emportera sur le contrat de travail, la seule contrepartie proposée au salarié étant celle des 100 heures inscrites sur le compte personnel de formation (CPF). Cette solution nous paraît inadaptée, puisque le salarié n’est pas inapte, mais refuse seulement de voir ses droits et ses garanties réduits. On donne aux entreprises le droit d’imposer des conditions nouvelles de façon agressive, un véritable permis de licencier à 3 000 euros – 100 heures à 30 euros chacune.

Mme Descacq disait que les branches étaient confortées. Ce n’est pas du tout notre lecture, puisque de larges dérogations sont prévues. L’exemple des routiers est en effet parlant : il a fallu quelques heures aux syndicats et au patronat pour arriver à un accord ; mais il a fallu une journée entière au Gouvernement pour le valider, car en revenant sur la primauté de l’accord d’entreprise, il déroge bien, en réalité, aux ordonnances. C’est bien la preuve que celles-ci vont amplifier le dumping social – que le patronat du secteur routier, comme les salariés, voulaient éviter.

Nous regrettons que l’appréciation des difficultés économiques d’un groupe se fasse désormais au niveau national, alors que la représentation nationale a voté une loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, et que la France essaie de promouvoir l’idée de responsabilité sociale, économique et environnementale des entreprises au niveau international. Il faudrait au contraire lutter contre le dumping social à l’échelle planétaire.

Je ne développe pas la question du contournement des syndicats, qu’a très bien exposée ma collègue de la CFDT. Il sera donc possible d’imposer un accord sans que les salariés soient accompagnés par un syndicat, sans qu’ils puissent avoir recours à des experts.

Quant au nombre de mandats, je prends l’exemple d’Orange. Le nombre d’heures de délégation demeure identique, d’après le décret. Mais, en 2014, selon les normes légales, cette entreprise aurait compté 2 808 élus, soit un pour 35 salariés ; des accords permettaient de porter ce nombre à 3 184 élus. Avec la loi, ils ne seront plus que 555, soit un pour 180 ! Et je ne parle pas de la perte des délégués du personnel dans les petits établissements. Cette loi va donc pousser à une professionnalisation et à un éloignement du collectif de travail, ce qui est regrettable pour les entreprises elles-mêmes.

Au moment où la parole sur les violences faites aux femmes se libère, la régression que constitue la disparition des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est particulièrement regrettable. Les ordonnances renforcent le lien de subordination, qui se traduit trop souvent par une domination dont les femmes sont les premières victimes.

M. Michel Beaugas, secrétaire confédéral de la CGT-FO. Si nous avons plébiscité la méthode du Gouvernement au cours de l’été, nos réserves sont grandes sur le contenu final des ordonnances.

S’agissant de la première ordonnance, nous avons pu être, sinon écoutés, du moins entendus sur la sauvegarde de la branche, que nous estimons préservée par les ordonnances.

En revanche, nous étions défavorables à la fusion des IRP, notamment à la disparition d’un CHSCT autonome. Celui-ci permettait de se pencher sur les conditions de travail, sur les problèmes de harcèlement, mais aussi sur la prévention. Le comité social et économique (CSE) risque d’être rapidement accaparé par les problèmes économiques et financiers, et finalement de privilégier ces seuls aspects.

Je ne reprends pas non plus ce qui a été dit de l’absence de représentation syndicale dans les entreprises de moins de vingt salariés et de la possibilité de décision unilatérale de l’employeur : l’ensemble des organisations syndicales y voient un réel danger, d’autant que près de 80 % des entreprises comptent moins de vingt salariés. Avec ces dispositions, une grande majorité d’entre elles sortent du champ du dialogue social que les ordonnances prétendent pourtant renforcer.

S’agissant du nombre de mandats, mon calcul n’est pas exactement identique, mais ce nombre va à coup sûr diminuer – d’au moins 25 % à 30 % en moyenne. Il y a un effort, c’est vrai, sur le nombre d’heures, mais beaucoup d’élus vont disparaître, et ceux qui resteront devront être bons en tout : ils devront savoir lire un bilan comptable, être spécialistes des conditions de travail… Il y a donc une professionnalisation rampante ; or, pour bien remplir cette mission, il faut être proche du terrain, des salariés eux-mêmes.

Favoriser le licenciement n’a jamais créé d’emploi : cela a été montré et démontré dans le monde entier. Cette idée est simplement celle du patronat…

La « rupture conventionnelle collective » représente en effet un grand danger. Les DRH pourront « gérer la pyramide des âges ». Les salariés concernés ne seront pas véritablement accompagnés – sauf si cela est expressément inscrit dans l’accord, et bien sûr il faudra faire confiance à nos collègues sur le terrain. Mais le risque de favoriser le chômage de longue durée est réel : il faut aujourd’hui avoir 62, voire 67 ans pour faire valoir ses droits à la retraite.

La supériorité de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail est également une menace. En cas de refus par le salarié de la modification de son contrat de travail, il n’y aura pas de licenciement économique, mais seulement 100 heures inscrites au CPF. L’accompagnement n’est pas du tout le même, et là encore, il y a un risque de chômage de longue durée pour ces salariés.

En conformité avec les recommandations du Bureau international du travail (BIT), nous souhaitions la libre désignation d’un délégué syndical partout, y compris dans les entreprises de moins de vingt salariés. Le Gouvernement nous l’a promis : nous attendons les prochaines lois relatives à l’assurance chômage, à la formation professionnelle et à l’apprentissage.

Ces ordonnances offrent une plus grande flexibilité aux entreprises. Mais je ne vois aucun renforcement de la sécurité des salariés : elles ne leur apportent que plus de précarité.

M. Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge du secteur dialogue social, Confédération française de lencadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Nous avons eu plusieurs occasions de nous exprimer sur ces ordonnances, je pense que vous connaissez notre position sur la plupart des éléments. La CFE-CGC n’est pas, par principe, opposée à une modification du code du travail et de la gestion des entreprises. C’est dans cet état d’esprit que nous avions abordé la discussion de ces ordonnances, avec une vision optimiste des éléments que nous pourrions tirer des débats. Elle n’a pas duré. Nous avions grand espoir de construire l’entreprise du XXIe siècle, avec un dialogue social digne de ce nom et une nouvelle gouvernance permettant de remettre au cœur du débat le salarié, qui crée la richesse de l’entreprise, et le faire participer à la stratégie et l’économie de l’entreprise. Nous sommes déçus.

Notre déception vient notamment de la non-réalisation des objectifs qui avaient été fixés. Le premier était de créer de l’emploi. Force est de constater qu’en facilitant le licenciement économique, en prenant en compte le niveau national pour le périmètre du licenciement économique dans les entreprises multinationales, en prévoyant un système de rupture conventionnelle collective, nous allons à l’inverse de l’objectif de créer des emplois.

Pour l’autre objectif, renforcer le dialogue social, nous avons la même déception et nous faisons le même constat. Les ordonnances réduiront le nombre de délégués dans une entreprise en fusionnant toutes les instances. Alors que la loi Rebsamen permettait de le faire par la négociation, on l’impose par la loi. Toutes les mesures sont prises pour diminuer les moyens en expertise, en faisant cofinancer les expertises au niveau de cette instance. Tout a été prévu dans les entreprises de moins de vingt et de moins de cinquante salariés pour mener un dialogue social sans organisations syndicales. Tout ceci n’est pas de nature à valoriser le dialogue social, et nous sommes loin de l’objectif.

D’autres éléments nous dérangent. Pour nous, tel qu’il est, ce projet n’est pas mûr. Par exemple, le collège unique a été supprimé à partir de vingt salariés, tandis que le décret prévoit que jusqu’à vingt-cinq salariés, il n’y a qu’un élu. Entre vingt et un et vingt-cinq salariés, il n’y a qu’un élu mais deux collèges. Comment fait-on ?

Nous avons également de grandes craintes à propos de décrets qui ne sont pas encore sortis, car ils contiendront des éléments importants pour nous. On ne sait même pas si un décret traitera de la subrogation des salaires pendant les congés de formation économique. La subrogation est remise en place, mais nous ne savons pas comment.

Nous avons contesté les éléments périphériques de rémunération, car il existe un risque fort de dumping social. Le projet de loi n’est pas encore ratifié que déjà deux branches importantes ont trouvé moyen d’y déroger : les transports et les dockers. Cela veut dire que sur le terrain, les chambres patronales aussi ont constaté qu’il y avait un risque important de dumping, et ces deux branches ont déjà corrigé le problème, ce qui confirme notre point de vue.

Le risque juridique a déjà été évoqué par mes collègues.

Pour le référendum dans les TPE, un risque juridique important existe en ce qui concerne la confidentialité du scrutin. Nous l’avions signalé lors d’une concertation, mais cela n’a malheureusement pas été repris. Le projet prévoit que l’employeur peut organiser le référendum par tout moyen. Si l’on s’en tient au texte, il est possible d’organiser un référendum à main levée, rien ne l’interdit. Même si l’employeur n’est pas dans la salle, voter à main levée devant ses collègues pose un problème, certains ont parfois un peu de mal à tenir leur langue…

Le Conseil constitutionnel a émis des réserves sur les accords de maintien dans l’emploi et de préservation et de développement de l’emploi, en raison notamment du délai pour licencier le salarié. Cette mise en garde n’a pas été prise en compte par les ordonnances, il y a donc un vrai risque.

Par ailleurs, la Charte sociale européenne prévoit : « En vue dassurer lexercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties sengagent à reconnaître : (…) b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. » Or, selon nous, la barémisation au niveau des prud’hommes pose un problème au regard de cette disposition.

Un mot enfin de l’aspect moral. À l’évidence, la barémisation prud’homale va servir les employeurs qui licencient de manière abusive plus que ceux qui travaillent de manière sérieuse. Le périmètre d’appréciation des licenciements économiques est d’actualité avec les révélations sur les « Paradise papers », qui montrent qu’il est possible d’assécher une filière française avec des moyens fiscaux. Pour nous, ces ordonnances encouragent les entreprises qui utilisent le vice tandis que les entreprises vertueuses n’auront rien à y gagner.

Nous nous associons donc aux demandes de nos collègues : il faut reprendre différents points, notamment les parties consacrées aux instances représentatives du personnel et à l’organisation du dialogue social quand il n’y a pas d’organisation syndicale.

M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral, Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Cette réforme du code du travail ne fait pas l’objet d’une négociation interprofessionnelle. Pour autant, nous avons été largement consultés sur les ordonnances, et nous saluons cette méthode qui a permis de vraiment faire valoir nos oppositions, nos craintes, mais aussi nos propositions. Nous avons été entendus sur certaines d’entre elles, ce qui montre bien que cette concertation était loyale. Nous n’avons pas été entendus sur tout, malheureusement, mais nous considérons que la méthode a été bonne.

Notre état d’esprit était de faire en sorte que les effets escomptés par le Gouvernement – faire converger performance sociale et performance économique – soient atteints. Les ordonnances ne suffisent pas à trouver cet équilibre et nous restons très attentifs : nous attendons beaucoup des négociations sur l’assurance-chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage, dont nous espérons que les négociations à venir permettront un équilibre avec les ordonnances sur le code du travail.

Sur le fond des ordonnances, la CFTC n’est pas opposée au principe de négocier plus largement dans l’entreprise. Nous considérons que c’est bien au plus proche du terrain que l’on est le plus à même de négocier, en tenant compte des réalités vécues dans l’entreprise. Cette négociation doit s’articuler avec la branche, qui a un rôle de régulation extrêmement important. La branche a pour rôle de préserver le bien commun par la régulation, il ne s’agit pas de laisser les entreprises se faire concurrence par le moins-disant social. D’où l’importance de trouver un juste équilibre entre l’entreprise et la branche.

En cela, les ordonnances clarifient cette situation, avec les fameux trois blocs. Le premier bloc est vraiment le socle dur de la branche, il détermine les treize domaines qui lui sont réservés, soit sept de plus que ce qui était prévu par la loi travail de 2016. Nous considérons donc que la branche se trouve renforcée dans ses capacités de régulation.

Le deuxième bloc comprend une liste de thèmes que la branche peut décider de laisser à la libre négociation des entreprises, ou de verrouiller en exerçant son rôle de régulateur. C’est une bonne chose, mais nous avons un regret : il était pour nous extrêmement important que l’ensemble des primes fasse partie de ce bloc, que les branches aient la possibilité d’évaluer si les primes sont de nature à créer des distorsions de concurrence ou non, donc de décider éventuellement de verrouiller ce point. Nous n’avons été que partiellement entendus, puisque seules les primes pour travaux dangereux ou insalubres ont été retenues. Ce n’est pas suffisant, et certaines branches ont décidé de verrouiller les autres primes en considérant qu’elles font partie intégrante des salaires minima hiérarchiques, qui appartiennent aux domaines réservés à la branche, auxquels les entreprises ne peuvent pas déroger. Nous espérons que les autres branches auront aussi la faculté de considérer les primes au niveau des salaires minima hiérarchiques pour, le cas échéant, lutter contre la dérégulation.

En cas d’absence d’accord au niveau de l’entreprise, c’est bien l’accord de branche qui s’applique. C’est-à-dire que la branche, au-delà des différents domaines qui lui sont réservés ou qu’elle décide de réserver, a un rôle extrêmement important à jouer vis-à-vis de toutes les entreprises qui ne décident pas d’accord. Ce n’est pas parce que les ordonnances permettront aux entreprises de négocier sur tous les sujets qui ne sont pas réservés qu’elles le feront systématiquement. Il faut donc rappeler le rôle extrêmement important des branches dans tous les domaines, puisque quand les entreprises n’auront pas n’auront pas signé d’accord, ce qui sera décidé par la branche s’appliquera.

Nous accueillons aussi avec énormément de satisfaction l’obligation d’intégrer des dispositions spécifiques aux TPE dans les accords de branche. La prise en compte des TPE dans les négociations au niveau interprofessionnel fait énormément défaut. Quand on négocie dans beaucoup de branches où il y a des grosses entreprises, les dispositions ne sont pas toujours applicables dans les TPE. Il est très réjouissant que cette obligation soit inscrite dans la loi, nous tenons à le saluer.

S’agissant de l’unification du régime des accords sur l’emploi, nous regrettons la suppression des clauses obligatoires qui existaient dans les deux autres types d’accord. Les contreparties pour les salariés sont vraiment déséquilibrées, d’autant que ces accords peuvent être passés quelle que soit la taille des entreprises. Cela sera donc possible là où il n’y a pas d’organisations syndicales, sans négocier les contreparties. C’est extrêmement dangereux, nous appelons votre attention sur ce point.

En revanche, nous sommes très satisfaits de l’abondement, par l’employeur, de cent heures sur le CPF, c’était une de nos demandes. Mais ce n’est pas suffisant, nous espérions un accompagnement spécifique au moins équivalent à celui que prévoient les accords de préservation et de développement de l’emploi. L’accompagnement est très important dans ces situations.

Nous partageons ce qui a été dit précédemment de la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Nous ne sommes pas du tout favorables à la possibilité de négocier sans organisation syndicale. On ne peut pas dire qu’il faut des organisations syndicales et des acteurs sociaux formés et compétents, et ensuite prétendre que dans les petites entreprises, on peut négocier sans organisation syndicale. Les salariés, pour le coup, ne bénéficieraient pas de l’expertise des organisations syndicales, de la formation, etc. C’est un non-sens.

Nous étions favorables au mandatement syndical. Il est maintenu, mais il n’est plus obligatoire : il ne sera plus systématique. À défaut d’avoir des organisations syndicales dans l’entreprise, pouvoir négocier avec des salariés qui sont mandatés par des organisations syndicales, sans pour autant être délégué syndical ou élu, permettait au moins d’assurer cet équilibre et de bénéficier de l’expertise de l’organisation syndicale dans la négociation.

Cette proposition n’a pas été retenue, nous le regrettons et nous appelons votre attention sur ce point. Cela étant, nous sommes très pragmatiques quant à l’absence d’organisation syndicale dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Avec les nouvelles possibilités de négocier en entreprise, le mandatement syndical était une vraie réponse.

Nous ne cautionnons pas non plus la possibilité, ouverte aux entreprises de onze à vingt salariés dépourvues d’élus, de soumettre à la ratification du personnel un texte conçu et rédigé par le seul employeur. D’ailleurs, si les ordonnances font référence à des « accords » proposés par l’employeur, il y a un vrai problème sur la notion d’accord, qui suppose qu’il y ait deux parties… En l’occurrence, un texte est proposé par l’employeur, mais on ne peut pas parler d’accord et nous ne comprenons pas pourquoi ce mot est employé dans les ordonnances. Cette mesure est vraiment contraire à l’objectif affiché de renforcer le dialogue social.

Nous ne sommes pas opposés par principe au regroupement des instances, mais nous aurions voulu, comme le prévoyait la loi Rebsamen qui n’a pas eu le temps de produire ses effets, que les entreprises soient libres d’en décider. D’un côté, on fait confiance au dialogue social ; sur ce sujet, on verrouille.

Pour le recours à l’expertise, nous avons des regrets, car les modalités sont insuffisantes. L’augmentation de la subvention du CE ne concerne que les entreprises de plus de 2 000 salariés, ce n’est pas suffisant.

La composition du comité des heures de délégation a été diversement accueillie en fonction de la taille des entreprises. Pour celles de moins de 200 salariés, il y a plutôt moins d’élus et moins de moyens, pour celles de plus de 200, c’est plutôt positif.

Nous saluons l’augmentation du coût des indemnités de licenciement légal, en revanche la barémisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse pose un vrai problème. Nous avons été entendus sur la notion de violation d’une liberté fondamentale, qui permet au juge d’apprécier les choses.

Enfin, nous saluons l’installation du comité d’évaluation des ordonnances travail, ce qui n’avait pas été fait pour les lois précédentes – loi Rebsamen, loi travail de 2016. Il est extrêmement important d’évaluer à l’avenir les différentes lois en matière de réforme du travail.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur. J’ai réécouté avec intérêt les représentants des organisations syndicales, qui avaient déjà répondu à notre invitation à de précédentes auditions.

J’ai retrouvé un grand nombre de leurs questionnements, voire parfois de leurs oppositions. Je remercie ceux qui ont souligné que ces ordonnances étaient source de satisfaction. Je me permets ce petit point parce que j’ai entendu ici beaucoup d’inquiétude de la part de certaines organisations syndicales, plus que lorsque je les ai reçues individuellement. Peut-être ont-elles souhaité marquer les choses plus clairement cet après-midi.

Je voulais poser une question un peu générique, qui vous permette de prendre position, si vous le souhaitez, sur la notion de dialogue social. Vous avez souligné que dans certains cas, vous ne trouviez pas ce que vous souhaitiez dans la façon dont le Gouvernement avait rédigé ces ordonnances. J’ai eu l’occasion de partager avec vous, lors de ces auditions, l’intérêt qu’il y aurait maintenant à entrer dans les entreprises de moins de vingt salariés, où vous êtes peu ou pas représentés, pour accompagner tous ces accords.

Ma lecture est évidemment un peu différente de la vôtre, mais j’avais envie de vous interroger sur cette possibilité ouverte au sein des entreprises de moins de vingt salariés, où vous n’êtes pas encore.

M. Pierre Dharréville. Ce texte était censé développer et favoriser le dialogue social. Compte tenu de ce qui a déjà été dit, pouvez-vous mesurer les premiers effets de cet état d’esprit dans le pays et dans les entreprises ?

Selon vous, y a-t-il des champs dans lesquels le texte des ordonnances a outrepassé la loi d’habilitation ? Des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas ou qui n’étaient pas inscrites dans le texte initial ?

Certains d’entre vous ont parlé de la Convention de l’OIT. Selon vous, des points précis contreviennent-ils à cette convention, et peut-être à d’autres textes importants ?

Considérez-vous que ce texte ouvre des marges supplémentaires aux grandes entreprises nationales et multinationales ? On nous a beaucoup vanté ses mérites pour les petites entreprises.

Certains d’entre vous ont évoqué l’égalité professionnelle. Avez-vous des éléments précis sur les dispositions qui ont un impact sur l’égalité professionnelle dans les ordonnances telles qu’elles ont été publiées ?

Enfin, comment jugez-vous l’intégration dans les ordonnances de la santé au travail, qui a beaucoup fait discuter sous la législature précédente ?

Mme Valérie Petit. Ma question s’adresse à l’ensemble des représentants des organisations syndicales. La bonne nouvelle est que nous sommes tous d’accord : il était urgent de renforcer le dialogue social dans toutes les entreprises, et c’est ce à quoi s’appliquent les ordonnances.

Plus de dialogue social, c’est plus de démocratie sociale, plus de performances économiques, surtout une nouvelle approche des relations au travail, qui fait le pari de la confiance en lieu et place de la défiance ; du dialogue en lieu et place du conflit. Mais pour gagner ce pari, nous avons besoin, comme l’a dit le rapporteur, de grain à moudre et de partenaires sociaux présents et engagés dans l’ensemble des entreprises.

J’ai entendu que plusieurs d’entre vous regrettent que dans les entreprises de moins de vingt salariés, le dialogue social puisse se faire directement entre l’employeur et les salariés. Mais il est important de rappeler que cette négociation se fera uniquement quand il n’existera pas de représentants mandatés, sinon ils seront les négociateurs obligatoires. Je crois que la porte est largement ouverte pour que les organisations syndicales jouent leur rôle, y compris dans les TPE.

Comment envisagez-vous de soutenir le mandatement, pour faire en sorte que les organisations syndicales soient plus présentes dans les PME ? On répète toujours ce chiffre de 4 %, qui est extrêmement bas, ma question porte sur ces efforts et ces initiatives.

M. Stéphane Viry. Ma première question porte sur la rupture conventionnelle collective. C’est une des nouveautés dont on n’avait pas entendu parler dans un premier temps. On en voit bien l’objectif : faciliter des plans de départs volontaires – souvent utilisés en amont d’un plan de sauvegarde de l’emploi – qui pourront ainsi être définis dans un accord collectif.

On sait que les ruptures conventionnelles individuelles simples ont connu un grand succès. Quel est votre avis sur le fait qu’on utilise désormais les plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) comme outil d’accompagnement des suppressions d’emplois, et non dans leur vocation première, la gestion des compétences ?

Ma deuxième question rejoint celle qui vient de vous être posée par ma collègue. Pour les entreprises de moins de vingt salariés, je m’interroge également sur votre capacité à intervenir pour accompagner et protéger les salariés sans être directement dans l’entreprise.

Monsieur Beaugas, vous avez laissé entendre que vous auriez reçu la promesse que le mandatement dans les entreprises de moins de vingt salariés reviendrait par la suite. Peut-être cela a-t-il été dit lors de la concertation. Pouvez-vous me dire si j’ai mal compris ?

Enfin, j’ai entendu parler de recours, je crois que c’est votre organisation, monsieur Angei, qui a indiqué vouloir en déposer contre le référendum d’entreprise et la barémisation des indemnités prud’homales. Qu’en est-il de Force ouvrière, monsieur Beaugas ?

Mme Michèle de Vaucouleurs. Merci à tous, j’ai beaucoup appris de vos commentaires. Vous êtes entrés dans des points de détail que je n’avais pas appréhendés s’agissant de la ratification de ces ordonnances, et je serai vigilante à la manière dont nous aborderons ce texte en commission et dans l’hémicycle.

J’aimerais avoir plus d’information sur vos craintes quant aux négociations collectives pour les seniors. Comment pouvez-vous mesurer que les ordonnances risquent d’avoir des effets négatifs ? Ne pensez-vous pas que cette possibilité prendra tout son sens avec la réforme à venir de l’indemnisation des demandeurs d’emploi et de la formation professionnelle, qui pourront rééquilibrer les choses ?

Pourriez-vous revenir sur le problème juridique que vous avez évoqué ? Je n’ai pas perçu, dans la lecture que vous avez faite, de contradiction majeure entre la charte sociale européenne et les ordonnances.

Enfin, concernant l’absence de représentation syndicale dans les toutes petites structures, mon expérience personnelle m’a appris que les salariés peuvent prendre toute leur part dans la négociation, en adultes. J’ai vécu personnellement une situation dans laquelle les négociations se sont très bien déroulées, sans qu’il soit besoin de recourir à des délégués syndicaux.

M. Alain Ramadier. Comme notre collègue Dharréville, je m’interroge au sujet des risques juridiques, que vous avez évoqués à plusieurs reprises : pouvez-vous être plus précis ?

Le fait que le CHSCT fusionne avec les autres instances représentatives du personnel pour former le CSE laisse craindre une perte d’expertise et de moyens pour contrôler demain la sécurité et la santé des salariés au travail. Qu’attendez-vous de la représentation nationale pour consolider cet impératif de sécurité et de santé, essentiel au développement des entreprises et à l’objectif consistant à donner plus de souplesse à ces dernières, comme le prévoient les ordonnances ?

Mme Albane Gaillot. Monsieur Angei, vous avez dit que les ordonnances portaient atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes, et que l’accélération de la hiérarchisation est un frein à l’égalité. Or, il me semble que ce n’est pas tant la hiérarchisation, mais bien l’absence de volonté et d’accord entre les parties, qui constitue un frein. En ce sens, je vois dans les ordonnances, qui placent l’égalité entre les femmes et les hommes au niveau de la branche, à la fois un progrès et une garantie ; de même, les accords d’entreprise, qui sont de nature à permettre des avancées au plus près des problématiques propres à chaque entreprise, me paraissent constituer une réelle avancée pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Pouvez-vous nous préciser votre point de vue sur ce point ?

M. Dominique Da Silva. Madame, messieurs, vous semblez être d’accord sur le fait que le dialogue social ne peut se faire qu’au moyen d’une intermédiation syndicale. Pour notre part, nous estimons que la plupart des salariés sont en mesure, à condition d’avoir été informés de manière satisfaisante, de s’opposer à leurs employeurs – ce que l’avenir nous confirmera sans doute. Jusqu’à présent, force est de constater que les organisations syndicales ne sont pas très représentatives des salariés. En effet, seulement 20 % des salariés du secteur public et moins de 9 % des salariés du secteur privé adhèrent à un syndicat, et ce pourcentage est encore inférieur dans les PME. Pour ce qui est de la représentativité, ne pensez-vous pas avoir failli collectivement à représenter la masse des salariés – qui se trouvent, de ce fait, très mal représentés ? De ce point de vue, les ordonnances me paraissent constituer un moyen de leur donner plus de pouvoir, plus de poids dans les négociations au sein des entreprises.

Si l’Allemagne a choisi d’avoir des travailleurs pauvres, comme on le dit parfois, pour sa part, notre pays a choisi d’avoir des pauvres sans travail. Laquelle de ces deux solutions vous paraît la meilleure ? En tout état de cause, on peut penser que la relance économique en Allemagne va lui permettre de redistribuer des richesses – ce que la France ne pourra pas faire de son côté, faute d’avoir créé ces richesses.

Mme Véronique Descacq. Ainsi, nous sommes accusés d’une « faillite collective » dans la représentativité au sein des entreprises de moins de vingt salariés… Cela ne me paraît pas correspondre à la réalité de la majeure partie des entreprises, même si on peut toujours trouver des contre-exemples. Si nous considérons que la négociation sans intermédiation n’est pas une véritable négociation, mais relève de la simple relation sociale entre un employeur et ses salariés, c’est d’abord en raison de l’existence du lien de subordination, qui fait qu’un salarié n’est pas en mesure, quelle que soit la proximité entre lui et son patron, de s’opposer aux décisions prises au sujet de la rémunération de ses heures supplémentaires ou de la modification de ses horaires de travail, par exemple ; l’autre aspect est celui de la capacité à représenter collectivement ses collègues.

Je ne nie pas que les organisations syndicales portent une part de responsabilité dans la faible représentativité syndicale au sein des petites entreprises – peut-être ne nous sommes‑nous pas suffisamment intéressés à leurs salariés. Cela dit, il ne faut pas nier la culture du dialogue social, comme semble le faire le Gouvernement avec les ordonnances. Il aurait pu faire le choix d’inciter les organisations syndicales à être davantage présentes dans les petites entreprises, et de dire aux employeurs qu’une organisation syndicale, ce n’est pas le diable, mais rien d’autre qu’un salarié – et un salarié qui ne sort pas de nulle part, mais travaille au sein même de la société concernée – intervenant afin de permettre à l’entreprise de s’organiser collectivement, ce qui est l’une des conditions de l’émancipation des salariés. En 1968, les sections syndicales ont en effet été créées à partir de l’idée que les salariés possèdent suffisamment d’intelligence et de maturité pour définir entre eux, dans le cadre d’une délibération collective, ce qui leur paraît être la meilleure voie, qu’ils défendent ensuite en ouvrant une négociation avec l’employeur. De ce point de vue, c’est exactement le message inverse que les ordonnances ont envoyé aux deux parties !

Elles ont déjà des conséquences perceptibles, précisément dans ce domaine. Des employeurs qui avaient entamé, sous l’empire des précédentes lois, des discussions avec un salarié mandaté – on m’a cité les cas de pharmacies et d’opticiens – ont, après la publication des ordonnances, appelé les fédérations services ou santé sociaux de la CFDT – deux importantes fédérations, regroupant un grand nombre de petites entreprises – en leur disant : « Vous êtes bien gentils, mais la loi nous permet désormais de nous passer de vous ! ». Selon le Gouvernement – c’est un argument que nous avons entendu dans les concertations organisées au ministère du travail –, les patrons vont bientôt s’apercevoir qu’il est préférable pour eux de négocier avec une organisation syndicale plutôt que directement avec les salariés : on se demande bien pourquoi maintenant, alors qu’ils pensent le contraire depuis cinquante ans !

Le problème de représentativité syndicale en France est peut-être dû au fait que les syndicats ne sont pas assez présents dans les petites entreprises, mais cette situation a elle‑même une explication : les employeurs y font la chasse aux organisations syndicales. En 2015, lors des négociations ayant précédé la loi sur la modernisation du dialogue social, il fallait entendre certains représentants d’organisations patronales de petites et surtout de moyennes entreprises, qui n’hésitaient pas à dire : « On ne veut plus de rouges dans nos entreprises ! » – c’est un fait, il se trouve encore des employeurs pour parler comme ça ! À la fin de l’année 2016, à l’occasion des élections professionnelles, nous avons lancé, avec le concours d’un institut de sondages, une grande enquête auprès des salariés des TPE. Il en est ressorti que ces salariés estiment les organisations syndicales utiles car elles les défendent et leur ont permis d’avoir des droits ; pour autant, ils n’en veulent pas dans leur entreprise, craignant la discrimination syndicale – en d’autres termes, ils craignent que leur employeur les voie parler avec un syndicaliste et leur en tienne rigueur ! Je sais que vous avez du mal à entendre cela, mais c’est une réalité, et c’est l’une des raisons qui explique que les syndicats ont du mal à s’implanter au sein des petites entreprises. Force est de constater que le message des organisations patronales a plutôt eu tendance à se radicaliser au cours des dernières années, rejetant la culture du dialogue social et affirmant qu’il est préférable de discuter directement avec les salariés.

Quand on dit que les salariés sont suffisamment matures pour délibérer au sein des sections syndicales qu’ils ont créées et engager ensuite des négociations avec les employeurs, on ne peut manquer de parler des accords de préservation et de développement de l’emploi, et de l’énorme intérêt qu’ils présentent par rapport aux ruptures conventionnelles collectives. La CFDT a beaucoup défendu l’idée selon laquelle ces accords pouvaient l’emporter sur le contrat individuel de travail, considérant que les salariés s’organisent et discutent collectivement, préparent les revendications, puis négocient les accords de préservation et de développement de l’emploi qui, une fois conclus, présentent un intérêt collectif majeur : on accepte un certain nombre d’efforts – des mobilités, des reconversions, etc. – mais, ce faisant, on préserve le capital de connaissances de l’entreprise et la richesse que constituent les salariés.

Bon nombre d’employeurs se montrent très intéressés par la rupture conventionnelle collective, qui leur permet, simplement en signant un chèque du bon montant, de négocier des départs sans aucune contrainte – sans consultation du comité d’entreprise, sans expertise et sans aucun des dispositifs précédant les plans de sauvegarde de l’emploi. Or, cette pratique nous paraît tout à fait incompatible avec les accords de préservation et de développement de l’emploi : on ne peut pas à la fois faire comme si on voulait garder les salariés dans l’entreprise, leur demander des efforts en termes de formation ou de polyvalence, qui permettent à l’entreprise d’être plus compétitive –, et en même temps leur dire que s’ils préfèrent partir avec un chèque, ce n’est pas plus mal. Ce dispositif de la rupture conventionnelle collective est un peu passé sous le radar médiatique, mais je peux vous assurer qu’il intéresse au plus haut point les employeurs, et que la Direction générale du travail (DGT) reçoit tous les jours des appels d’employeurs souhaitant conclure au plus vite des accords de ce type.

M. Fabrice Angei. Je suis d’accord avec l’essentiel de ce que vient de dire Véronique Descacq. Nos unions locales sont contactées de plus en plus souvent par des salariés de petites entreprises qui estiment que leurs droits ont été bafoués ou qu’ils ont fait l’objet d’un licenciement abusif. Beaucoup se plaignent, notamment dans la branche du textile, de la remise en cause d’accords sur le temps de travail, sur la prise en compte des heures d’habillage, etc. On a également vu des entreprises refuser de provoquer des élections professionnelles pour aller vers l’instance unique, alors qu’elles auraient dû le faire, compte tenu du calendrier défini par les ordonnances.

Pour ce qui est des ruptures conventionnelles collectives, nous avons deux inquiétudes. Premièrement, nous craignons un dispositif permettant, en ce qui concerne les seniors, de faire de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) sans avoir à en respecter les conditions, c’est-à-dire sans négociation, sans montée en qualification, en se débarrassant d’employés d’un certain âge pour les remplacer par des jeunes plus qualifiés et payés moins cher. Deuxièmement, nous pensons que ces ruptures conventionnelles collectives vont être largement mises en œuvre comme des plans sociaux déguisés – c’est déjà le cas.

La répression syndicale est un phénomène bien réel et attesté par les chiffres – des études quantitatives et d’opinion ont été réalisées – en termes de parcours de carrière et de salaire, notamment pour les personnels élus et mandatés. Les syndicats ont peut-être des efforts à faire pour se déployer au sein des petites entreprises, mais force est de constater que la discrimination syndicale est le principal frein en la matière. Sur ce point, l’une des seules avancées des ordonnances a consisté en la création d’un Observatoire des discriminations, même s’il reste encore du chemin à parcourir pour passer de l’observation à la sanction.

Je considère que la négociation est favorisée par la loyauté du dialogue social : il est bon de pouvoir discuter, via les syndicats, de propositions émanant à la fois des employeurs et des salariés, plutôt que de voir s’imposer des décisions résultant de la volonté unilatérale des employeurs. Or, compte tenu du lien de subordination, la loyauté du dialogue social suppose bien évidemment l’intervention de représentants syndicaux. Au passage, je ferai observer que le taux de participation aux élections professionnelles est élevé – souvent bien plus que lors des élections à caractère politique…

Pour ce qui est de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la première des inégalités est celle des salaires : vous le savez, les femmes touchent en moyenne 18 % en moins. Nous sommes lundi après-midi, eh bien on peut considérer que, depuis vendredi dernier à onze heures quarante-quatre, les femmes travaillent bénévolement !

Les ordonnances permettent aux entreprises l’ayant décidé, par accord, de ne négocier sur l’égalité professionnelle que tous les quatre ans, et non plus tous les ans, ce qui marque un recul, puisque les écarts vont ainsi s’accroître. Par ailleurs, alors que la loi Roudy de 1983 avait introduit des indicateurs afin de mesurer l’égalité professionnelle, les entreprises ne seront désormais plus tenues d’observer ces indicateurs, et pourront décider des données ayant vocation à être prises en compte. Enfin, la possibilité de sanctionner les entreprises où sont constatés des écarts salariaux est supprimée : certes, elle existe au niveau de la branche, mais avec une effectivité bien moindre.

J’en viens au comité social et économique. Il n’aura pas, en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, toutes les attributions du CHSCT qu’il a vocation à remplacer, et l’obligation de créer une division consacrée à ces aspects sera réservée, sauf cas particuliers, aux entreprises de plus de 300 salariés. Cette évolution est très regrettable, car les CHSCT intervenaient aussi sur la question du harcèlement et des violences.

Je laisse Anaïs Ferrer, responsable du service juridique de la CGT, répondre aux questions juridiques qui ont été soulevées.

Mme Anaïs Ferrer, conseillère juridique de la CGT. Vous le savez, nous avons introduit des recours contre les ordonnances, et le fait que nous ayons été reçus en audience jeudi par le Conseil d’État montre que ces recours sont sérieux. Sans entrer dans le détail, certaines dispositions des ordonnances nous semblent manifestement contraires au droit international. Pour ce qui est de la barémisation, une décision a déjà été rendue par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) au sujet d’une loi finlandaise ayant imposé des plafonds : en l’espèce, il a été jugé que cette disposition était contraire au principe de réparation intégrale – ou du moins adéquate – du préjudice, alors même que les plafonds retenus en Finlande étaient beaucoup plus élevés que ceux prévus en France par les ordonnances : un mois maximum de salaire quand on a moins d’un an d’ancienneté – autant dire pratiquement rien pour un salarié à temps partiel au SMIC. Nous sommes donc très confiants quant aux chances de voir nos recours aboutir.

Le référendum d’entreprise pose des questions de droit électoral, car voter au sein d’une entreprise, ce n’est pas comme voter en tant que citoyen de la République. En entreprise, il existe un lien de subordination à l’organisateur, qui est par ailleurs une personne privée, et non une personne publique. Cette personne privée – l’employeur – est de parti pris, puisqu’elle a un intérêt dans le résultat du référendum.

Nous nous sommes également intéressés à l’inversion de la hiérarchie des normes, thématique au sujet de laquelle plusieurs décisions ont été rendues par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CODESC) de l’ONU, mais aussi par l’Organisation internationale du travail (OIT), qui considère que, lorsque l’inversion de la hiérarchie des normes va trop loin, elle peut réduire le rôle de la branche jusqu’à le rendre inutile, ce qui pose problème en matière de régulation des normes sociales.

Pour savoir si les ordonnances ont outrepassé la loi d’habilitation, deux points méritent d’être évoqués. S’agissant du périmètre des licenciements économiques, alors qu’il était initialement prévu de faire en sorte d’éviter les fraudes pouvant aboutir à ce que les dirigeants d’une entreprise la coulent intentionnellement, les ordonnances ne contiennent aucune disposition sur ce point. En outre, alors que les accords de préservation de l’emploi devaient en principe avoir pour but de préserver la compétitivité de l’entreprise, les ordonnances prévoient que tous types d’accord pourront prévaloir sur le contrat de travail, sans aucune limitation.

M. Michel Beaugas. À propos du dialogue social dans les petites entreprises, il est faux de dire que les organisations syndicales ne s’intéressent pas aux petites entreprises et à leurs salariés. En réalité, nous nous en occupons indirectement, c’est pourquoi nous sommes très attachés aux accords de branche : ainsi, 95 % des salariés français sont couverts par une convention collective nationale négociée par des employeurs et par des organisations syndicales de salariés.

Durant la phase de concertation, nous avions préconisé une mesure toute simple : nous réclamions que soient affichées au sein des entreprises, sur le panneau de la direction où figurent déjà le nom du médecin du travail et celui de l’inspecteur du travail, les coordonnées des organisations syndicales représentatives de salariés. Quoi qu’on en dise, certaines entreprises ont tendance à faire la chasse aux salariés syndiqués, et à donner du syndicalisme une image propre à effrayer ceux qui seraient tentés de s’y intéresser : en faisant figurer sur un panneau officiel les coordonnées des organisations syndicales, on montrerait clairement que les activités syndicales sont autorisées. Certes, les salariés sont intelligents et autonomes, mais quand ils sont informés par les organisations syndicales sur le code du travail et les accords d’entreprise qu’ils sont susceptibles de conclure, cela leur donne encore plus d’assurance.

Pour répondre à une question qui m’a été posée à ce sujet, ce que nous souhaitons, c’est que le délégué syndical soit librement désigné dans les entreprises de plus de cinquante salariés, sans passer par des élections, afin de lui permettre de négocier les accords d’entreprise en toute connaissance de cause. Si nous ne soutenons pas formellement le mandatement, c’est justement parce que nous sommes favorables à la désignation libre du délégué syndical, qui nous semble être placé à un niveau supérieur à celui du salarié mandaté. Lorsque j’étais responsable d’unions départementales, à l’époque des lois Aubry sur le temps de travail, il n’était pas rare qu’un salarié mandaté finisse par être élu délégué syndical : le mandatement peut donc conduire à la délégation.

Une autre question a porté sur l’égalité professionnelle et la santé au travail. Nous nous sommes un peu inquiets sur ce point et nous souhaiterions, d’une part, qu’il existe une commission « santé, sécurité et conditions de travail » du comité social et économique au sein de chaque entreprise, d’autre part, que des moyens supplémentaires d’investigation permettent de contrôler les conditions de travail et leurs conséquences sur la santé des salariés, ainsi que l’égalité professionnelle.

Pour ce qui est des plans de départ volontaire et des plans de sauvegarde de l’emploi, nous avons soutenu durant la concertation l’idée d’une GPEC un peu plus vivante. J’insiste sur le fait que la GPEC n’est pas un plan de départ volontaire ni un PSE, mais bien une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ce qui signifie que l’entreprise ou la branche doivent tout mettre en œuvre pour éviter les licenciements par des actions de formation – ou, à défaut, pour que les salariés licenciés bénéficient d’une formation leur permettant de retrouver plus facilement un emploi. On a trop longtemps confondu GPEC et PSE, ce qui explique que la GPEC ait si mal fonctionné. Je regrette que nous n’ayons pas été entendus sur ce point et j’espère que les choses vont désormais changer.

Force ouvrière est en train de préparer des recours sur certains points des ordonnances, mais nous prenons le temps de tout lire : nous avons déjà déposé plusieurs recours par le passé et nous savons bien que tantôt on gagne, tantôt on perd, mais aussi qu’il vaut toujours mieux préparer les choses à fond.

Pour ce qui est des premiers effets des ordonnances, je pense qu’il est un peu tôt pour les connaître, mais nous voyons un motif de satisfaction dans le fait que le Gouvernement ait promis une évaluation des lois sur le travail. Cette évaluation fait souvent défaut dans notre pays et, à ce sujet, je regrette que la future réforme de la formation professionnelle n’ait pas été précédée d’une évaluation des effets de la loi de 2014 avant qu’on n’entame la phase de négociations – si négociations il y a. J’espère que les concertations et les négociations à venir se traduiront par une sécurisation des salariés et, si je ne peux en être certain, je sais au moins que notre syndicat fera de son mieux pour que ce soit le cas.

M. Gilles Lecuelle. La Charte sociale européenne dispose en son article 24 que « (…) les parties sengagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » – autrement dit, à la réparation intégrale du préjudice qu’ils ont subi. Le barème faisant disparaître le droit à réparation intégrale, le dispositif est attaquable sur ce fondement.

En 2008 déjà, la CFEC-CGC défendait la notion d’adhésion et non pas de représentativité par la voie de l’élection ; c’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle nous n’avons pas signé la motion commune sur la représentativité. Mais la différence entre le syndicalisme patronal et le syndicalisme salarial est que, du côté salarial, on n’a que des devoirs puisque, que l’on soit salarié militant dans une organisation syndicale ou pas, quand un accord s’applique dans l’entreprise, dans la branche ou au niveau national, tout le monde a les mêmes droits. Les patrons des TPE, eux, adhèrent à une organisation patronale parce qu’elle leur apporte des services, notamment en leur permettant de dupliquer sur le terrain un accord de branche. Aussi les patrons des petites entreprises adhérent plus facilement à une organisation syndicale qu’un salarié qui n’y trouvera aucun intérêt mais prendra des claques.

Je ne suis par ailleurs pas persuadé que toutes les petites entreprises aient envie de faire du dialogue social. Bien des petits patrons m’expliquent que le dialogue social au niveau de la branche leur convient car cela permet d’assurer une cohérence nationale pour un même métier mais qu’ils n’ont pas envie que leur concurrent, situé à 5 kilomètres, négocie un accord qui perturbera la vie de sa propre entreprise en le contraignant à négocier lui aussi – et quand ce ne sera pas favorables aux salariés, il ne sera pas très facile à un petit patron d’expliquer qu’il va peut-être geler les salaires parce que son voisin et concurrent l’a fait.

La branche doit remplir son rôle de services aux TPE-PME. Quelques éléments à ce sujet figurent dans les ordonnances ; c’est un bon début, mais cela ne suffira peut-être pas. Je pense cependant que les choses vont bouger parce que la représentativité patronale est pour partie fondée sur le nombre d’adhérents. Pendant trop longtemps, les branches ont été gérées par des représentants des grandes entreprises qui ne se préoccupaient que de leurs intérêts propres. Un changement majeur est à l’œuvre ces derniers temps – ayant été quatorze ans représentant de la branche Industries chimiques, je peux vous en parler – et certaines clauses des derniers accords conclus sont au service des TPE et PME. Pourquoi cela ? Parce que les organisations patronales veulent recruter des adhérents parmi les TPE, espérant ainsi gagner des adhérents qui conforteront leur représentativité.

Il fallait donc renforcer la branche, comme nous le demandions, ou du moins ne pas l’attaquer comme cela a été le cas, puisqu’elle a perdu des prérogatives. L’ordre public conventionnel défini dans la loi El Khomri était plus favorable que ne le sont les ordonnances, puisqu’on pouvait fixer au niveau de la branche, parmi tous les sujets d’actualité, ceux qui devaient être impérativement examinés. C’était pour nous un moyen de faire du dialogue social dans les petites structures.

Nous ne croyons pas au mandatement. L’expérience des 35 heures nous a montré que tous ceux que nous avons mandatés sont restés adhérents chez nous une année et que, une fois l’accord signé et applicable, on ne les a jamais revus.

La difficulté pour la CFE-CGC, syndicat catégoriel, tient à ce que, dans les petites entreprises, le personnel d’encadrement est souvent le patron lui-même – et quand il y a deux cadres, le second est tout aussi souvent le fils ou le gendre. Autant dire qu’il n’est pas toujours facile pour nous de nous implanter dans les TPE. Nous avions évoqué, lors des discussions sur les ordonnances, une méthode que M. Simonpoli a reprise dans ses propositions. Elle consiste à soutenir la branche au niveau des TPE, par la création de binômes réunissant un représentant des salariés et un représentant des patrons. Une telle organisation fonctionne dans les deux sens : le binôme se rend dans la TPE et lui apporte une aide à la négociation et à la formation, et sa connaissance du sujet ; en contrepartie, aller sur le terrain permet des remontées intéressantes pour la branche. Nous souhaitons que cette proposition aboutisse, car c’est aussi une manière intelligente et encadrée de faire du dialogue social.

Pour ce qui est des retours d’expérience à ce jour, nos militants, nos sections syndicales et nos fédérations s’inquiètent fortement de l’entrée en vigueur de l’instance unique, de la diminution du nombre de représentants et aussi de la limitation du mandat à trois ans, mandat de titulaire et mandat de suppléant confondus. Jusqu’à présent, les suppléants pouvaient participer aux instances ; c’était un moyen pour nous de former nos militants sur le tas et de préparer une forme de GPEC syndicale. Avec un mandat limité à trois ans, un suppléant ne pourra plus être titulaire ; de plus, si le titulaire a toujours été présent, le suppléant pourra finir son mandat sans avoir jamais participé à une réunion. Cela pose de graves questions de fonctionnement et de formation.

Cette limitation posera aussi de lourds problèmes aux entreprises. L’un des principaux rôles de nos élus consiste à aller rencontrer les salariés dans les ateliers. Qu’il y ait moins de monde pour le faire entraîne le risque de ne pas être conscient de signaux faibles ; il en résultera qu’un jour un atelier se mettra en grève parce que personne n’aura su capter dès l’origine un signal faible que l’on savait autrefois traiter à la base. Pour cette raison, s’exprime la crainte d’une dégradation sourde du climat social dans les entreprises, préjudiciable à tous.

Enfin, le volet « santé » est sans doute le point le plus grave. Le CHSCT pouvait faire de la prévention et prendre des mesures véritablement importantes, par une réflexion partagée entre la direction et les représentants des salariés. Sa suppression risque d’avoir pour conséquence une détérioration de la santé au travail. C’est une de nos grandes craintes. Outre que la commission prévue n’a pas le pouvoir d’un CHSCT, elle a été réduite comme peau de chagrin. Qui plus est, les ordonnances prévoient que ses membres font partie du CSE. Or, le CSE peut se trouver uniquement composé de salariés qui travaillent dans des bureaux
– acheteurs, comptables… – et qui n’ont rien de l’expertise de terrain nécessaire dans les industries mécaniques ou chimiques par exemple. Au moins faudrait-il élargir cette commission et permettre qu’y siègent aussi des salariés non membres du CSE.

M. Pierre Jardon. Je commencerai par les choses qui fâchent. Tout comme pour les élus de la République, la représentativité des syndicats est appréciée, depuis 2008, au regard des résultats des élections professionnelles. Cela n’a jamais été au regard des adhérents – de même que vous, députés, n’êtes pas représentatifs au regard du nombre d’adhérents des partis politiques. Il serait bon de comparer des choses comparables, au lieu, comme trop souvent, d’entendre regretter ou critiquer, le fait qu’il n’y a pas suffisamment de syndiqués pour démontrer que l’on est représentatif.

Mon collègue l’a dit, et il est important de le rappeler : en France, tout ce qui est négocié par les organisations syndicales bénéficie à tous, adhérents et non adhérents. Notre conception du syndicalisme n’est pas d’être syndicalistes pour « vendre de la carte » mais parce que nous avons envie de représenter les salariés. Si l’objectif visé est de transformer les syndicats en entreprises commerciales invitées à vendre le plus de cartes qu’il est possible, ce n’est pas notre vision des choses.

Ce qui nous aide à nous implanter dans les entreprises c’est de pouvoir désigner des délégués syndicaux et d’avoir des élus. Cela n’est pas le cas dans les TPE, si bien qu’il est particulièrement difficile de s’y implanter. Mais la CFTC représente tous les salariés, y compris ceux des TPE. C’est en quoi le mot « syndicalisme » prend tout son sens : celui d’un service rendu à tous les salariés, pas uniquement à nos adhérents.

Ce qui nous aidera éventuellement à entrer par l’adhésion dans les entreprises comptant moins de vingt salariés, sera que désormais on pourra négocier sur un très grand nombre de sujets dans les entreprises. Les salariés et les entreprises doivent prendre conscience de la plus-value qu’apporte dans ce cadre le fait de pouvoir discuter avec une organisation syndicale, ne serait-ce que par le mandatement, auquel nous croyons.

Il faut distinguer dialogue et dialogue social. Bien entendu, employeurs et salariés discutent tous les jours dans les TPE, puisqu’ils travaillent ensemble. Mais le dialogue social, c’est autre chose : c’est un dialogue structuré pour permettre de négocier. La complexité de la législation et de la réglementation du travail demande que l’on puisse se poser pour discuter, et aussi que l’on dispose de certaines compétences. Je ne dis pas que les gens, dans les entreprises, sont incompétents, mais il faut être pragmatique : le code du travail n’est pas un ouvrage que l’on s’approprie facilement – et cela est vrai aussi pour les chefs des petites entreprises. Je travaille dans le milieu agricole, et je sais que le métier des agriculteurs n’est ni d’être directeur des ressources humaines, ni d’être juriste, ni d’être comptable. C’est dire l’importance d’un dialogue social construit et équilibré, mené par des gens formés à cela.

La CFTC conçoit le dialogue social comme fondé sur la confiance et sur le dialogue qui, pour être sain, doit être loyal ; cela suppose une formation à la négociation, et une discussion construite. Le dialogue social ne peut être construit sur la défiance et le conflit. Dire, comme cela vient de l’être, qu’il n’y a pas besoin d’organisations syndicales pour négocier, est inexact. On a besoin d’elles pour négocier, et ce n’est pas parce que des organisations syndicales entrent dans l’entreprise que défiance et conflit y entrent avec elles. C’est tout l’inverse : il s’agit de construire des choses ensemble, grâce à l’expertise de l’organisation syndicale, ne serait-ce que par le mandatement – car quand nous mandaterons des gens, nous les accompagnerons et nous serons une force de proposition pour co-construire les accords avec l’employeur. Il y trouvera son compte parce que les compétences utilisées sécuriseront l’accord, que nous aurons travaillé ensemble sur le plan juridique.

Nous regrettons la suppression du contrat de génération. Parce qu’il n’a pas fonctionné, on renvoie la question de l’emploi des seniors à la GPEC. Nous formerons nos militants à en traiter dans ce cadre, mais nous appelons votre attention sur le fait que l’emploi des seniors doit rester une priorité des pouvoirs publics. Or, la suppression des contrats de génération fait qu’aujourd’hui il n’y a plus de dispositions spécifiques à ce sujet.

Les ruptures conventionnelles collectives n’ont rien à voir avec la GPEC mais elles sécuriseront les plans de départs volontaires qui, jusqu’à présent, étaient pratiqués au petit bonheur la chance. Nous serons très vigilants à la manière dont ce dispositif sera utilisé car notre grand regret est que les dispositions relatives aux licenciements économiques n’aient pas été reprises, ne serait-ce qu’en partie – consultation des représentants du personnel, contrats de sécurisation professionnelle, indemnité conventionnelle de licenciement… Nous déplorons que le dispositif ne soit pas mieux encadré.

Pour la santé au travail, nous avions demandé que l’instance dédiée à la sécurité et à la santé au travail soit obligatoire. Nous regrettons fortement qu’elle ne le soit que dans des cas très restreints. Le CSE devra certes consacrer au moins quatre réunions annuelles à ces sujets ; on ne peut donc pas dire que la question de la santé au travail est totalement négligée, mais nous considérons que c’est insuffisant. Il aurait fallu aller plus loin, et nous serons très vigilants à la façon dont ces questions seront abordées sur le terrain.

Cela vaut d’ailleurs pour l’entièreté des ordonnances : tout dépendra de la manière dont les acteurs se les approprieront. S’ils les appliquent de manière constructive, de belles choses seront possibles et l’on pourra répondre aux objectifs affichés. Si, au contraire, la souplesse apportée est utilisée de façon un peu plus malsaine, les ordonnances auront bien sûr des effets pervers. Nous devrons donc exercer une grande vigilance.

Enfin, pour ce qui est du périmètre d’appréciation des difficultés économiques au niveau national, j’appelle votre attention sur le fait que les termes « sauf fraude » qui figuraient dans les projets d’ordonnance initiaux ont été supprimés. Certes, cela ne change rien sur le plan juridique, mais il est important d’afficher que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut en cette matière. Cette mention soulignait que l’on ne saurait susciter des difficultés économiques artificielles et il serait bon, pour cette raison, de la réintroduire, peut-être dans la sixième ordonnance.

Mme Véronique Descacq. La question de savoir si nous avions déjà eu des remontées des effets des ordonnances nous ayant été posée, il me semble juste de faire état des indications positives comme des indictions négatives, et il nous a été dit que des négociations de ruptures conventionnelles se sont traduites par une indemnisation de licenciement augmentée. Même si un licenciement est toujours un moment difficile dans la vie d’un salarié, l’honnêteté intellectuelle commande de mentionner ces épisodes qui ont eu des conséquences sonnantes et trébuchantes significatives.

Sur un plan général, comme vient de le dire mon collègue de la CFTC, tout dépendra, pour la fusion des instances et même pour l’ensemble des règles relatives au dialogue social, de la manière dont les acteurs les appréhenderont. Dans les entreprises – souvent les grandes entreprises, mais pas uniquement celles-là – où la confiance est installée et le dialogue social déjà structuré, il est vrai que la rationalisation et peut-être même la fusion des instances peuvent amener des acteurs qui se connaissent bien à profiter de cette simplification pour aller vers plus d’efficacité, en passant d’un dialogue social très formel aux règles très encadrantes à un dialogue social plus opérationnel, plus effectif, y compris sur les questions de santé, de sécurité au travail et de conditions de travail. Cela est possible quand la confiance existe, quand les informations sont partagées et quand les attributions sont correctement mises en pratique, puisque le CHSCT ne disparaît pas mais que ses attributions sont regroupées dans le CES. D’ailleurs, dans certaines entreprises, les questions de prévention et de conditions de travail sont déjà étroitement liées aux conditions économiques de la production.

Là où les choses se passaient de la sorte, les ordonnances seront peut-être une chance supplémentaire d’approfondir la qualité du dialogue social. Mais l’inverse est aussi possible dans de nombreux secteurs d’activité. Quand la culture d’entreprise préexistante était celle de la défiance, quand le dirigeant se rendait en traînant les pieds aux réunions avec les instances représentatives du personnel, il ne verra dans les nouvelles règles que l’allégement de ce qu’il considère comme des contraintes, le renforcement de son pouvoir unilatéral et avec lui la possibilité de faire passer à la trappe certaines obligations de négociation. C’est le grand reproche que l’on peut faire aux ordonnances : au lieu d’inciter ceux qui sont les moins convaincus de l’utilité du dialogue social à l’approfondir, elles donnent des outils à ceux qui en sont déjà convaincus mais elles donnent aussi des outils à ceux qui veulent s’en dispenser.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mesdames, messieurs, je vous remercie. Votre éclairage nous a été précieux et nous ne manquerons pas de faire état de vos interrogations à Mme la ministre.

 

 

 


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III.   Examen des articles

La commission des affaires sociales procède à lexamen des articles sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 20171340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 237) dans ses séances des 8 et 9 novembre 2017.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons achevé la discussion générale sur le projet de loi de ratification des cinq ordonnances relatives au renforcement du dialogue social.

Avant d’aborder maintenant l’examen du texte et des amendements, je souhaite vous donner quelques indications sur son déroulement. Après avoir échangé longuement avec notre rapporteur, je vous propose, pour la clarté des débats, notamment pour éviter que nous abordions à divers endroits du texte des sujets de même nature, mais aussi pour ne pas vous imposer un vote en bloc des ordonnances, d’organiser notre discussion par ordonnance.

Le rapporteur présentera cinq amendements, vous permettant de voter à chaque fois, dans un article distinct, sur la ratification de chaque ordonnance.

Par ailleurs, il serait un peu curieux de vous proposer de voter le principe de la ratification de chaque ordonnance puis de vous demander, dans une sorte de droit au remords, si vous souhaitez modifier ladite ordonnance.

Pour chaque ordonnance, nous examinerons donc d’abord l’ensemble des amendements portant article additionnel visant à la modifier. Puis, vous vous prononcerez sur la proposition du rapporteur de nouvel article prévoyant sa ratification, en ayant ainsi connaissance des éventuelles modifications de cette ratification.

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Pour des raisons de lisibilité, les développements suivants font dabord état du contenu des articles adoptés par la commission relatifs à chaque ordonnance, et sont suivis pour chacune des débats intervenus en commission.

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Article 1er
Ratification de lordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective

 

L’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective comporte trois titres.

● Le titre premier, sur la place de la négociation collective, a avant tout instauré une nouvelle architecture conventionnelle pour accorder plus de place à l’accord d’entreprise, tout en renforçant la branche dans son rôle de définition des conditions de travail des salariés et les garanties qui leur sont applicables (article 1er).

Il a également prévu des dispositions pour que les petites et moyennes entreprises de moins de 50 salariés soient mieux couvertes par les accords de branche (article 2).

Son article 3 a procédé à l’harmonisation et à la simplification du contenu de certains accords spécifiques ayant un impact sur la rémunération et la durée du travail, ainsi qu’à l’unification du régime du licenciement applicable aux salariés refusant de se voir appliquer les stipulations de tels accords.

L’article 4 a revu les conditions de contestation d’un accord collectif, en matière de régime de la preuve, de délais de contestation et de pouvoir du juge de moduler dans le temps les effets de ses décisions.

Enfin, l’article 5 a procédé à une refonte de la périodicité et du contenu des consultations et négociations obligatoires, de branche et d’entreprise, afin d’offrir plus de souplesse et de mieux adapter les consultations et négociations menées aux spécificités du secteur d’activité ou de l’entreprise.

● Le titre II, qui vise à favoriser les conditions de mise en œuvre de la négociation collective, s’est attaché à réviser les conditions de négociation des accords d’entreprise, afin de faciliter la négociation collective dans toutes les entreprises, en particulier au sein des plus petites d’entre elles.

Il a modifié à cette fin les conditions de négociation d’un accord d’entreprise ou d’établissement dans les entreprises de moins de cinquante salariés, afin de supprimer notamment l’obligation de recours au mandatement (article 8), et crée un observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social pour encourager la négociation collective dans les entreprises de moins de cinquante salariés (article 9).

Il est ensuite revenu sur les conditions de mise en place des accords majoritaires, en avançant l’entrée en vigueur de ces accords instaurés par la loi du 8 août 2016 (article 11), d’une part, et en étendant à l’employeur la possibilité de recourir au référendum pour valider un projet d’accord (article 10).

L’article 12 a enfin défini les conditions d’une accélération de la procédure de restructuration des branches professionnelles.

L’article 13 a créé une nouvelle obligation d’information à la charge de l’employeur.

● Le titre III est entièrement consacré aux conditions d’entrée en vigueur des dispositions prises dans le cadre des titres I et II. Ces conditions sont développées au fil des commentaires d’articles auxquelles elles se rattachent.


I.   une nouvelle architecture conventionnelle

A.   le rôle de la branche : une refonte dans un but de renforcement

L’article 1er de la présente ordonnance s’inscrit dans le cadre de l’habilitation ouverte par le a) du 1° de l’article 1er de la loi n° 2017-1 340 du 15 septembre 2017, qui a prévu de renforcer la place attribuée à la négociation collective, et en particulier à la négociation d’entreprise, en « définissant, dans le respect des dispositions dordre public, les domaines limitativement énumérés dans lesquels la convention ou laccord dentreprise, ou le cas échéant détablissement, ne peut comporter des stipulations différentes de celles des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels, ainsi que les domaines limitativement énumérés et conditions dans lesquels les conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels peuvent stipuler expressément sopposer à toute adaptation par convention ou accord dentreprise, ou le cas échéant détablissement, et en reconnaissant dans les autres domaines la primauté de la négociation dentreprise, ou le cas échéant détablissement ».

Une nouvelle architecture conventionnelle a ainsi été mise en place par l’article 1er, architecture qui appelle deux remarques principales.

En premier lieu, loin de constituer une « inversion de la hiérarchie des normes », – comme cela a pu être dit de manière totalement erronée –, la refonte opérée conduit à revoir l’ordre conventionnel, et en particulier la place respective des accords de branche et des accords d’entreprise, à l’aune d’une simple interrogation : quel est le niveau le plus adapté, en fonction de la thématique ou du domaine soumis à négociation ? À quel niveau la fixation de la norme est-elle la plus pertinente ? En effet, il n’a jamais été question de remettre en cause la hiérarchie des normes : aujourd’hui comme demain, les accords collectifs doivent respecter la Constitution, et l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires, ce que l’on appelle communément l’ordre public social.

Cette réflexion a conduit à la répartition définie aux articles L. 2253-1 à L. 2253-3, qui définit en réalité trois blocs distincts :

– le premier, qui concerne treize domaines, relève de la primauté absolue de la branche ;

– le deuxième, qui concerne quatre domaines, correspond au champ dans lequel la branche garde une possibilité de verrou ;

– et enfin, le troisième, qui regroupe tout le reste des sujets de négociation, pour lequel est reconnue la primauté de l’accord d’entreprise, autrement dit, du niveau de proximité.

La seconde remarque concerne le principe de faveur, – principe fondamental du droit du travail, et qui le reste d’ailleurs – d’après lequel les accords collectifs de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que les lois et règlements en vigueur. Ce principe n’est nullement remis en cause : l’article L. 2251-1 qui le définit demeure inchangé.

Au sein même de l’ordre conventionnel, sauf disposition législative contraire, un accord de niveau inférieur peut déroger à un accord de niveau supérieur sous réserve d’être plus favorable aux salariés : ainsi, la possibilité pour un accord d’entreprise de comporter des stipulations plus favorables aux salariés qu’un accord de niveau supérieur, qui figurait auparavant à l’article L. 2253-1, est reprise pour chacun des deux premiers blocs, où l’entreprise pourra toujours déroger aux stipulations des conventions de branche sous réserve d’apporter des garanties équivalentes.

Seul le troisième bloc permet aux accords d’entreprise de déroger aux stipulations des accords de branche de manière moins favorable : toutefois, y compris dans ce troisième bloc, qui correspond à la primauté de l’accord d’entreprise, ce dernier ne peut évidemment ni s’abstraire de l’ordre public social, ni contrevenir aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.

1.   Une clarification de la définition des accords de branche et des accords d’entreprise

Aussi étrange que cela puisse paraître, le code du travail n’a jamais défini précisément ce que recouvrent les notions de convention ou d’accord de branche ou d’entreprise.

Les articles L. 2232-1 et L. 2232-5 se contentaient en effet de définir le champ d’application respectif des accords interprofessionnels d’une part, des conventions de branches et des accords professionnels d’autre part, tandis que l’article L. 2232-11 relatif aux accords d’entreprise ou d’établissement précise que le champ de ce niveau de négociation s’entend dans l’entreprise et dans le groupe.

Si le niveau interprofessionnel est épargné par ces imprécisions, tel n’est pas le cas en revanche des niveaux de la branche et de l’entreprise. Ainsi, les et de l’article premier de la présente ordonnance sont venus lever les ambiguïtés sur la définition de ces termes pour préciser, en complétant respectivement les articles L. 2232-5 et L. 2232-11, que :

– sauf disposition contraire, les termes « convention de branche » désignent la convention collective et les accords de branche, les accords professionnels et les accords interbranches ;

– et sauf disposition contraire, les termes « convention d’entreprise » désignent toute convention ou accord conclu soit au niveau de l’entreprise, soit au niveau de l’établissement.

Aux termes de l’article L. 2232-33, « lensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de lentreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions, sous réserve des adaptations prévues » à la section 5, relative aux conventions ou accords de groupe.

Le rapporteur s’interroge toutefois sur la cohérence qu’il y aurait à compléter l’article L. 2232-11 sur la définition des conventions d’entreprise, pour préciser qu’elle correspond également aux accords conclus au niveau du groupe.

2.   La clarification du rôle des branches professionnelles et la nouvelle architecture conventionnelle

L’ordonnance a fait le choix de faire le départ strict entre :

– d’une part, les missions relevant de la branche, en procédant à la réécriture partielle de l’article L. 2232-5-1 (2° de l’article 1er) ;

– et d’autre part, l’articulation des niveaux conventionnels, en procédant à la réécriture des articles L. 2253-1 à L. 2253-3 (4° de l’article 1er).

a.   Une définition désormais claire des missions incombant aux branches professionnelles

Le de l’article 1er a tout d’abord clarifié les missions des branches professionnelles, qui figurent à l’article L. 2232-5-1.

En effet, jusqu’alors, cet article mêlait l’énumération des missions de la branche et l’articulation des différents niveaux de négociation, en particulier les domaines relevant du monopole de la branche, ceux pour lesquels la branche elle-même est libre de poser un verrou et, le cas échéant, les domaines dans lesquels la loi prévoyait la primauté de l’accord d’entreprise.

L’article L. 2232-5-1 dans sa nouvelle rédaction définit les deux missions des branches professionnelles :

– la définition des conditions d’emploi et de travail des salariés et les garanties qui leur sont applicables dans les domaines de leur ressort ;

– et la régulation de la concurrence entre les entreprises relevant de leur champ d’application.

Ces deux missions correspondent sur le fond aux missions qui relevaient d’ores et déjà des branches.

b.   La nouvelle architecture conventionnelle

Le de l’article 1er définit ensuite les rapports entre accords d’entreprise ou d’établissement et accords couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, en distinguant trois blocs.

L’article L. 2253-1 dans sa nouvelle rédaction définit un bloc de compétences de treize domaines relatifs aux conditions de travail et d’emploi des salariés et aux garanties qui leur sont applicables, pour lequel l’accord de branche prime. Le principe de faveur s’applique dans ce domaine, puisque les entreprises peuvent déroger aux stipulations des accords de branche conclus dans ces domaines, sous réserve d’assurer des garanties au moins équivalentes. Dans l’hypothèse où des accords d’entreprise déjà conclus assurent de moindres garanties, ce sont bien les stipulations des accords de branche qui s’appliquent.

L’article L. 2253-2 dans sa nouvelle rédaction correspond aux quatre domaines que la branche peut ou non choisir de verrouiller. Dans le cas où la branche choisit de verrouiller, les entreprises ne peuvent déroger aux stipulations des accords de branche que si elles assurent des garanties au moins équivalentes. En revanche, les accords d’entreprise déjà conclus peuvent continuer de s’appliquer, y compris si les garanties apportées sont moins importantes que celles prévues par la branche.

Enfin, l’article L. 2253-3 dans sa nouvelle rédaction reconnaît dans toutes les autres matières la primauté des accords d’entreprise, qu’ils aient été conclus avant ou après les accords de branche ayant le même objet. Ce n’est qu’en l’absence d’accord d’entreprise que l’accord de branche trouve à s’appliquer.

L’articulation des normes conventionnelles antérieure à l’ordonnance
(ancien article L. 2253-3)

La loi reconnaissait un monopole strict de la branche dans 6 domaines, dans lesquels les entreprises ne pouvaient a priori pas du tout intervenir :

– salaires minima ;

– classifications ;

– garanties collectives complémentaires prévoyance et santé ;

– mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;

– prévention de la pénibilité ;

– égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Dans les autres matières – à l’exception de celles dans lesquelles la loi prévoit la primauté de l’accord d’entreprise –, l’accord d’entreprise pouvait déjà déroger en tout ou partie à l’accord de branche – in pejus ou in melius – sauf « verrou » de la branche.

La loi a progressivement reconnu la primauté de l’accord d’entreprise dans les domaines relatifs à la durée du travail, aux repos et aux congés sauf pour les dispositions spécifiques suivantes, où l’accord de branche continuait de primer :

– heures d’équivalence ;

– fixation d’une période de référence supérieure à un an et dans la limite de trois ans pour la modulation du temps de travail ;

– fixation du seuil horaire sur une période de référence au-delà duquel un salarié est considéré comme un travailleur de nuit ;

– fixation des conditions de passage entre-temps partiel et temps complet ;

– fixation de la durée minimale de travail à temps partiel et des conditions et garanties applicables aux salariés effectuant une durée inférieure à cette durée minimale ;

– fixation du taux de majoration des heures supplémentaires, avec un plancher de 10 % ;

– possibilité de mise en place de compléments dheures par avenant au contrat de travail.


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comparatif du droit applicable avant et après ordonnance sur les différents champs de la négociation

Thématiques

Droit applicable avant ordonnance

Droit applicable en vertu de l’ordonnance

Salaires minima

Monopole légal de la branche

(impossibilité pour l’entreprise de déroger)

Primauté de la branche/Possibilité de déroger par accord d’entreprise à condition d’assurer des garanties au moins équivalentes.

Classifications

Garanties collectives complémentaires prévoyance et santé

Mutualisation des fonds de la formation professionnelle

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Mesures relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires pour :

- l’institution d’un régime d’équivalence d’horaires (L. 3121-14) ;

- la fixation de la période de référence (au-delà d’un an et jusqu’à trois ans) pour l’aménagement du temps de travail (1° de l’article L. 3121-44) ;

‑ la fixation d’un seuil horaire pour la qualification de travailleur de nuit sur une période de référence (article L. 3122-16) ;

‑ la fixation de la durée minimale de travail à temps partiel (article L. 3123-19), le taux de majoration des heures complémentaires d’au moins 10 % (article L. 3123-21) et le régime des compléments d’heures par avenant (article L. 3123-22).

Mutualisation des fonds de financement du paritarisme

Niveau interprofessionnel

Mesures relatives aux CDD et aux contrats de travail temporaire (durée maximale du CDD, délai de transmission du contrat au salarié, succession de CDD sur le même poste, durée maximale du contrat de mission, conditions de renouvellement du contrat de mission et succession de contrats de mission sur le même poste)

Domaine de la loi : non négociable

Mesures relatives au CDI de chantier

 

Durée et conditions de renouvellement de la période d’essai

Monopole légal de la branche

Modalités de poursuite des contrats de travail en cas de transfert d’entreprise

 

Cas de mise à disposition dun salarié temporaire auprès dune entreprise utilisatrice

Monopole légal de la branche

 

Dans le cadre du portage salarial : rémunération minimale du salarié porté et montant de l’indemnité d’apport d’affaire

Prévention de la pénibilité/des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels

Primauté facultative de la branche/possibilité de déroger par accord dentreprise sous réserve dassurer des garanties au moins équivalentes

Insertion professionnelle et maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés

Primauté de l’accord de branche

Seuil d’effectifs de désignation des délégués syndicaux, nombre de ces délégués et valorisation de leur parcours syndical

 

Primes pour travaux dangereux ou insalubres

 

Toutes dispositions relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés autres que celles visées ci-dessus

Primauté de l’accord d’entreprise

Primauté de l’accord d’entreprise

Autres domaines

Faculté de verrouillage par la branche avec application du principe de faveur (possibilité pour lentreprise de déroger seulement de manière plus favorable)


1

Quelles sont concrètement les principales évolutions de l’architecture conventionnelle dessinées par la présente ordonnance ?

● L’article L. 2253-1 dans sa nouvelle rédaction énumère les treize domaines qui relèvent légalement de la primauté de l’accord de branche et pour lesquels un accord d’entreprise ne peut déroger aux dispositions fixées au niveau de la branche que s’il « assure des garanties au moins équivalentes ». Parmi ces treize domaines :

– neuf relevaient déjà du monopole légal de la branche, sans possibilité pour l’entreprise de déroger, ni plus, ni moins favorablement. Pour cinq d’entre eux, ce monopole résultait de l’article L. 2253-3 dans sa rédaction antérieure aux ordonnances : les salaires minima, les classifications, la mutualisation des fonds de financement de la formation professionnelle, les garanties complémentaires santé et prévoyance, et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Dans les quatre autres domaines, c’est le code du travail qui prévoit ce monopole légal de la branche : il s’agit des dispositions particulières du code qui concernent la durée du travail (heures d’équivalence, temps partiel, modulation, etc.), les durées et conditions de renouvellement de la période d’essai, les cas de mise à disposition d’un salarié temporaire, et l’encadrement du salarié en situation de portage ;

– deux domaines renvoient à des dispositions nouvelles, pour lesquelles aucun encadrement n’existait jusqu’alors : il s’agit des dispositions relatives au CDI de chantier, et des modalités de poursuite du contrat de travail en cas de transfert d’entreprise, qui font par ailleurs l’objet d’aménagements dans le cadre des présentes ordonnances ;

– un domaine relevait jusqu’alors strictement de l’ordre public : les mesures relatives aux CDD et aux contrats de travail temporaire, qui passent donc d’un encadrement légal à un encadrement conventionnel au niveau de la branche ;

– le dernier domaine, qui concerne la mutualisation des fonds de financement du paritarisme, relevait, dans le code du travail, du niveau national et interprofessionnel.

Il convient en outre de noter que s’agissant des dispositions relatives à la durée du travail et en particulier en matière de temps partiel, l’ordonnance exclut du bloc de la primauté de l’accord de branche, la fixation des conditions de passage entre temps partiel et temps complet, ainsi que les garanties offertes aux salariés dont la durée minimale de travail est inférieure au socle de vingt-quatre heures, notamment le regroupement des horaires de travail sur des journées ou des demi-journées complètes. Sur ces deux sujets, le Gouvernement a fait le choix de modifier les dispositions afférentes dans le code du travail, en l’occurrence L. 3123-18 et au second alinéa de l’article L. 3123-19 dans le cadre de l’ordonnance à venir qui doit tirer les conséquences formelles des modifications mises en œuvre par la présente ordonnance : sur ces deux sujets, la primauté a vocation à être conférée à l’accord d’entreprise. En matière de temps partiel, la priorité de passage sur un emploi présentant des caractéristiques différentes prévue à l’article L. 3123-3 relève également de l’accord de branche : elle n’a pas été reprise ici.

On peut citer d’autres dispositions du code du travail pour lesquelles la loi prévoit un monopole de l’accord de branche étendu : la mise en application d’un régime de participation dans les entreprises agricoles (article L. 3323-7), les dérogations pouvant être apportées aux règles relatives à l’organisation et au choix du service de santé au travail (article L. 4325-2) ou encore l’affectation des fonds collectés au titre du congé individuel de formation dans le secteur du tourisme (article L. 6322-41-1). Dans la mesure où ces dispositions relèvent du domaine réservé de la branche, il est possible que le choix de ne pas les faire figurer à l’article L. 2253-1 tient au fait que cet article prévoit, le cas échéant, la possibilité pour l’entreprise de négocier sur ces questions à conditions d’assurer des garanties au moins équivalentes, ce qui n’a peut-être pas été souhaité. Le rapporteur n’a pas eu de confirmation de cette interprétation.

Enfin, le rapporteur souligne qu’aux termes de l’article L. 2253-1 dans sa nouvelle rédaction, la branche « peut » définir les garanties applicables dans toutes ces matières, mais rien ne l’y oblige : en effet, une entière latitude est laissée aux partenaires sociaux de la branche, qui peuvent ou non s’emparer de ces sujets. Ceux-ci correspondent toutefois à des domaines historiques de la branche : il y a donc fort à parier qu’ils continueront de « garder la main » sur ces questions.

● L’article L. 2253-2 dans sa nouvelle rédaction définit le champ que la branche peut s’arroger comme son domaine réservé : sur ces questions, l’entreprise ne pourra intervenir que pour « assurer des garanties au moins équivalentes », à moins que la branche décide de ne pas poser de verrou.

Il s’agit de l’insertion professionnelle et du maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, du seuil d’effectifs pour la désignation des délégués syndicaux, leur nombre et la valorisation de leur parcours syndical, des primes pour travaux dangereux ou insalubres, et enfin de la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels. Sur ce dernier point, le texte de l’ordonnance opère donc un basculement, puisque la prévention de la pénibilité relevait jusqu’alors du monopole légal de la branche, sans possibilité d’aucune sorte pour l’entreprise de déroger, in pejus ou in melius. Désormais, si la branche verrouille le dispositif, l’entreprise ne peut déroger que si elle assure des garanties au moins équivalentes. En l’absence de verrou, en revanche, la primauté ira à l’accord d’entreprise.

On peut s’attarder sur la signification et la portée de la notion d’équivalence des garanties. Le rapport au Président de la République afférent à cette ordonnance précise que  « dans [l]es domaines verrouillés par la loi ou par la convention de branche, les accords dentreprise ne peuvent prévoir que des garanties au moins équivalentes à celles de la convention de branche, cette équivalence devant être appréciée domaine par domaine ». Il n’y a donc pas lieu d’apprécier cette équivalence des garanties globalement, par bloc, mais bien thème par thème. Les interprétations à ce sujet ont été très variables au fil des auditions menées par le rapporteur : c’est pourquoi il a jugé préférable que ce point soit précisé directement dans la loi.

En outre, cette expression qui se substitue à la notion antérieure de « plus ou moins favorable » ne fait pas disparaître le principe de faveur, comme d’aucuns pourraient le craindre. Simplement, la notion d’équivalence des garanties a été jugée plus objective que le principe de faveur : elle permet de substituer à l’évaluation du « mieux » l’évaluation du « au moins égal à », notion plus quantitative que qualitative, qui laisse entendre qu’il est possible de compenser une mesure moins favorable par l’octroi d’un autre avantage ou d’une autre garantie.

Sur les deux thèmes que sont l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes – où est affirmée la primauté légale de la branche – et la prévention de la pénibilité – où c’est une primauté facultative de la branche qui s’applique désormais –, il faut également souligner que ces deux sujets ont été « remontés » dans le monopole de la branche par l’article 24 de la loi du 8 août 2016 : cela conduisait stricto sensu à ne plus permettre aux entreprises d’adopter des clauses dérogatoires en la matière, que ce soit in pejus ou in melius. Dès lors que ces deux sujets correspondent bien à un thème de négociation des entreprises, la nouvelle architecture conventionnelle mise en place dans le cadre de la présente ordonnance paraît plus cohérente : pour négocier leurs propres accords, les entreprises auront donc vocation à s’inscrire dans le cadre et les obligations définies au niveau de la branche, puisqu’elles ne pourront négocier que pour apporter des garanties au moins équivalentes.

● Sur l’ensemble des autres questions, la primauté sera désormais à l’accord d’entreprise.

B.   les conditions d’entrée en vigueur de la nouvelle architecture conventionnelle

1.   Les domaines relevant de la primauté de l’accord de branche

S’agissant des treize domaines qui relèvent obligatoirement de la primauté de l’accord de branche, cette primauté s’applique à tous les accords d’entreprise, que ceux-ci aient été conclus antérieurement ou postérieurement aux conventions ou accords de branche en la matière. Dans l’hypothèse où les garanties apportées par l’entreprise seraient moins importantes, celle-ci sont ipso facto rendues caduques : d’après les informations transmises au rapporteur, cette caducité n’a pas à être constatées officiellement. En effet, les clauses des accords d’entreprise qui ne prévoient pas de garanties au moins équivalentes à celle de l’accord de branche sont de fait neutralisées, et l’employeur devra appliquer l’accord. Il convient toutefois de souligner qu’en pratique, il peut ne pas être aussi simple de juger de cette équivalence des garanties.

Pour les accords d’entreprise conclus antérieurement, le texte prévoit donc que l’accord d’entreprise ne peut déroger aux clauses fixées par la branche que sous réserve d’assurer des garanties au moins équivalentes : cela suppose que l’analyse du niveau de garantie soit menée a posteriori, au moment où la convention de branche est conclue.

Pour les accords d’entreprise conclus postérieurement, il reviendra aux négociateurs de l’entreprise de tenir compte du niveau de garantie fixé par la branche pour proposer des garanties égales ou supérieures.

2.   Les domaines relevant du « verrou » facultatif de la branche

S’agissant des quatre domaines pour lesquels s’applique le principe selon lequel la branche est libre de « prendre ou de laisser la main », l’article 16 de la présente ordonnance pose les conditions suivantes d’entrée en vigueur du nouveau cadre conventionnel.

Aux termes du I de cet article, dès lors qu’un accord de branche, professionnel ou interbranches régi par le droit antérieur a posé un « verrou » empêchant un accord d’entreprise d’y déroger (conformément au deuxième alinéa de l’article L. 2253-3 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance), ce « verrou » continue de s’appliquer sous réserve qu’un avenant vienne le confirmer avant le 1er janvier 2019. Un tel avenant a également vocation à s’appliquer aux accords étendus.

Pour ces mêmes domaines, le II de cet article prévoit que les clauses des accords de branche, professionnels ou interbranches conclus avant la loi du 4 mai 2004, pour lesquelles il existe un verrou « implicite », sont soumises au même régime : soit les branches souhaitent maintenir un verrou en la matière, et dans ce cas, elles sont tenues de le confirmer par un avenant avant le 1er janvier 2019. Le cas échéant, le verrou implicite cesse d’exister et de s’appliquer à cette date.

L’article 45 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social est logiquement abrogé (par le III de l’article 16 de la présente ordonnance) : il s’agit d’une disposition qui prévoit que « la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux conventions et accords conclus avant lentrée en vigueur de la présente loi demeure opposable aux accords de niveaux inférieurs ». Cette disposition, qui incarne le « verrou » implicite de la branche, a permis jusqu’alors aux accords de branche conclus avant 2004 d’empêcher toute adaptation par les entreprises de leur secteur.

3.   Les domaines relevant de la primauté de l’accord d’entreprise

Le IV de l’article 16 de la présente ordonnance consacre la primauté de l’accord d’entreprise en prévoyant que dans toutes les autres matières que celles dans lesquelles il est prévu une primauté – obligatoire ou facultative – de la branche, les clauses des accords de branche, quelle que soit la date de leur conclusion, cessent de s’imposer aux entreprises à compter du 1er janvier 2018.

II.   les conditions d’extension des accords de branche aux petites entreprises

L’article 2 de la présente ordonnance correspond à la mise en œuvre du b) du 1° de l’article 1er de la loi d’habilitation, qui invitait le Gouvernement à légiférer pour définir « les critères, les conditions et, le cas échéant, les contreparties aux salariés selon lesquels laccord de branche peut prévoir que certaines de ses stipulations, dans des domaines limitativement énumérés, sont adaptées ou ne sont pas appliquées dans les petites entreprises couvertes par laccord de branche, notamment celles dépourvues de représentants du personnel, pour tenir compte de leurs contraintes particulières ».

1.   Les accords types : une innovation de la loi du 8 août 2016

L’article 63 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels consacre le rôle majeur des branches eu égard aux petites entreprises relevant de leur secteur, en prévoyant, dans un nouvel article L. 2232-10-1, qu’« un accord de branche étendu peut contenir, le cas échéant sous forme daccord type indiquant les différents choix laissés à lemployeur, des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de cinquante salariés ».

Autrement dit, un accord de branche étendu peut :

– soit prévoir des stipulations spécifiques aux entreprises de moins de cinquante salariés, qui ont vocation à être d’application directe dans ces entreprises ;

– soit adopter un accord type, adaptable par l’entreprise en fonction de sa taille et de son activité, l’employeur pouvant faire appliquer cet accord à travers un document unilatéral indiquant les choix qu’il a retenus, après information des délégués du personnel ou, le cas échéant, des salariés.

Le champ imparti à de tels accords « clés en main » est large puisqu’ils peuvent couvrir l’ensemble des mesures qui peuvent être négociées sur le fondement du code du travail.

2.   Un pas supplémentaire qui mérite aujourd’hui d’être franchi

L’article 2 de la présente ordonnance permet en premier lieu à des accords de branche non étendus, en vertu de l’article L. 2232-10-1 ainsi modifié, de contenir des stipulations spécifiques ou des accords types applicables aux entreprises de moins de cinquante salariés.

En second lieu, et en contrepartie, elle introduit une nouvelle condition d’extension des accords de branche, en prévoyant, dans un nouvel article L. 2262‑23-1 que pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l’accord professionnel doivent, sauf justifications, comporter les stipulations spécifiques prévues à l’article L. 2232-10-1.

Il s’agit de renforcer encore le rôle de la branche vis-à-vis des petites entreprises de son secteur, qui ne sont pas armées pour négocier, en disposant que le fait de prévoir des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de cinquante salariés – par des dispositions expresses ou par des accords types – devient désormais une condition de l’extension d’un accord de branche.

Rappelons que la procédure d’extension d’un accord de branche a pour effet de rendre obligatoire son application à tous les employeurs qui entrent dans son champ d’application professionnel et territorial dont les organisations patronales sont représentatives à la date de signature du texte.

À défaut de stipulations spécifiques, l’accord de branche ne pourrait faire l’objet d’une extension par arrêté ministériel, à moins que ne soit justifiée l’absence de telles stipulations.

Concrètement, un accord de branche qui s’appliquerait à toutes les entreprises qu’elle couvre, quel que soit leur effectif, doit le stipuler expressément et l’expliquer. La branche peut par exemple mettre en avant le thème de l’accord pour justifier qu’il s’applique à toutes les entreprises sans considération du seuil d’effectifs : ce serait par exemple le cas d’un accord de branche désignant l’organisme collecteur paritaire agréé (OPCA) qui a vocation à couvrir toutes les entreprises d’une branche, puisqu’il ne peut y avoir qu’un OPCA par branche.

III.   la refonte des accords d’entreprise primant sur le contrat de travail

Le c) du 1° de l’article 1er de la loi d’habilitation permet au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnance pour harmoniser et simplifier « les conditions de recours et le contenu des accords mentionnés aux articles L. 1222-8, L. 224219, L. 2 254-2, L. 3121-43 et L. 5125-1 du code du travail et le régime juridique de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications de son contrat résultant dun accord collectif, en prévoyant notamment que le licenciement du salarié repose sur un motif spécifique auquel ne sappliquent pas les dispositions de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du même code, ainsi que les droits à la formation renforcés dont il bénéficie ».

Le rapport n° 19 sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ([8]) a plus amplement décrit les spécificités de chacun de ces types d’accords : nous n’y reviendrons donc pas.

L’habilitation fait l’objet de l’article 3 de la présente ordonnance, qui opère une refonte globale des accords d’aménagement de la durée du travail (modulation ou réduction), des accords de maintien de l’emploi, des accords de mobilité interne et des accords de préservation et de développement de l’emploi en une seule catégorie juridique : celle des accords de préservation et de développement de l’emploi, qui peuvent être conclus pour chacun de ces motifs.

Cette refonte a conduit à substituer aux articles relatifs aux accords de préservation et de développement de l’emploi – qui avaient été mis en place par la loi du 8 août 2016 – une catégorie d’accords d’entreprise couvrant un champ plus large, puisqu’il s’agit d’accords destinés à « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de lentreprise » ou qui sont conclus « en vue de préserver ou de développer lemploi », comme le prévoit le I de l’article L. 2 254-2 dans sa nouvelle rédaction.

Cet accord d’entreprise peut :

– aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;

– aménager la rémunération au sens de l’article L. 3221-3 ([9]) dans le respect du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des salaires minimas conventionnels fixés au niveau des branches professionnelles ;

– déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Ces rubriques couvrent l’ensemble des objets des accords applicables antérieurement, qu’il s’agisse :

– des accords de réduction du temps de travail mentionnés aux articles L. 1222-7 et L. 1222-8 ;

– des accords d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine, mentionnés à l’article L. 3121-44 ;

– des accords de maintien de l’emploi, dont l’article L. 5125-1 prévoyait qu’ils pouvaient aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition, ainsi que la rémunération ;

– des accords de mobilité interne qui figuraient aux articles L. 2242-17 à L. 2242-19 ;

– et des accords de préservation et de développement de l’emploi, jusqu’alors codifiés à l’article L. 2 254-2 et qui pouvaient également avoir un impact sur la rémunération et la durée du travail.

Le II de l’article L. 2 254-2 dans sa nouvelle rédaction prévoit que l’accord d’entreprise définit dans son préambule ses objectifs et peut préciser :

– les modalités d’information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, ainsi que, le cas échéant, l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord ;

– les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés pendant toute sa durée les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l’accord, ainsi que les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance ;

– et enfin, les modalités de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés.

Le II prévoit également qu’en cas de mise en place d’un dispositif de modulation de la durée du travail dans le cadre de cet accord d’entreprise, les dispositions des articles L. 3121-41, L. 3121-42, L. 3121-44 et L. 3121-47 s’appliquent : il s’agit respectivement des dispositions d’ordre public, relatives au contenu de l’accord, et des dispositions supplétives applicables aux accords d’aménagement du temps de travail.

Est ainsi exclue l’application des articles suivants :

– l’article L. 3121-43 qui prévoit que la mise en place d’un dispositif d’aménagement du temps de travail par accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié. En toute logique, cet article n’a pas à s’appliquer dans ce cas puisqu’il est précisément prévu que l’accord collectif de l’article L. 2 254-2 constitue une telle modification qui peut être refusée par le salarié ;

– les articles L. 3121-45 et L. 3121-46, qui concernant la mise en place de dispositif d’aménagement du temps de travail en dehors du cadre d’un accord collectif.

Le III de l’article L. 2 254-2 prévoit que les stipulations de l’accord collectif se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord.

Le IV prévoit que le salarié dispose d’un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’employeur a communiqué dans l’entreprise sur l’existence et le contenu de l’accord pour faire connaître son refus par écrit. Le rapporteur estime qu’il conviendrait de préciser les modalités de cette communication ou information par l’employeur afin de pouvoir identifier précisément le point de départ de ce délai.

Les V et VI détaillent le régime applicable en cas de licenciement du salarié ayant refusé l’application de l’accord.

Le licenciement du salarié qui refuse l’application de l’accord repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse.

Le texte prévoit que la procédure applicable s’agissant de l’entretien préalable, de la notification du licenciement et du conseiller du salarié chargé de l’assister lors de l’entretien préalable obéit aux règles prévues en matière de licenciement pour motif personnel (articles L. 1232-2 à L. 1232-14), ainsi qu’aux dispositions de droit commun applicables au licenciement s’agissant du préavis, de l’indemnité de licenciement et des documents remis par l’employeur à l’issue de la rupture du contrat de travail (articles L. 1234-1 à L. 1234-11, L. 1234-14 et L. 1234-18 à L. 1234-20).

En termes d’accompagnement, le VI prévoit que :

– le salarié licencié peut s’inscrire et être accompagné comme demandeur d’emploi à l’issue du licenciement et être indemnisé dans les conditions prévues par les accords mentionnés à l’article L. 5422-20, autrement dit les accords relatifs à l’assurance chômage ;

– l’employeur abonde le compte personnel de formation (CPF) du salarié licencié dans les limites et conditions définies par décret. Cet abondement n’entre pas en compte dans les modes de calcul des heures créditées chaque année sur le compte et du plafond mentionné à l’article L. 6323-11 ([10]). En conséquence, l’article L. 6323-15 relatif aux abondements supplémentaires du compte qui n’entrent pas en compte dans les modes de calcul des heures créditées sur le CPF est modifié pour inclure cet abondement spécifique de l’employeur.

D’après les informations transmises au rapporteur, le décret relatif à l’abondement du CPF dans le cadre de la rupture du contrat fixerait cet abondement à 100 heures : concrètement, les entreprises concernées devraient adresser à leur organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) une déclaration relative au bénéficiaire de cet abondement dans les 15 jours ouvrables suivant la notification du licenciement. Un somme de 30 euros par heure abondée serait destinée à financer cet abondement spécifique, en plus de l’abondement obligatoire de droit commun : versée à l’OPCA, cette somme aurait ensuite vocation à être reversée au Fonds de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) avant le 30 avril de l’année suivant la clôture de l’exercice.

régime antérieurement applicable aux différents types d’accords
dits spécifiques

 

Modification du contrat de travail

Conséquences du refus du salarié

Accords de réduction du temps de travail

Oui

Licenciement qui ne repose pas sur un motif économique. Soumis aux dispositions relatives au licenciement pour motif personnel

Accords d’aménagement de la durée du travail

Non

 

Accords de mobilité interne

Oui

Licenciement individuel pour motif économique + mesures d’accompagnement prévues par l’accord

Accords de maintien de l’emploi

Oui

Licenciement individuel pour motif économique reposant sur une cause réelle et sérieuse

Congé de reclassement ou CSP pour le salarié

Accords de préservation et de développement de l’emploi

Oui

Licenciement pour motif spécifique constitutif d’une cause réelle et sérieuse.

Procédure du licenciement individuel pour motif économique.

Parcours d’accompagnement personnalisé pour le salarié

Les III, IV et V de l’article 3 ont procédé aux coordinations rendues nécessaires par les modifications opérées dans le cadre de la refonte des accords dits « spécifiques ».

Le III a abrogé les dispositions particulières applicables aux accords de réduction du temps de travail (section 3 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie), les articles L. 2254-3 à L. 2254-6 relatifs aux accords de préservation et de développement de l’emploi, ainsi que les mesures législatives qui encadraient jusqu’alors les accords de maintien de l’emploi (chapitre 5 du titre II du livre premier de la 5ème partie), étant entendu que les dispositions relatives à la mobilité interne sont supprimées dans le cadre de l’article 7 de la présent ordonnance, qui opère une refonte de la négociation obligatoire d’entreprise.

Le IV a supprimé la mention des accords de préservation et de développement qui pouvait jusqu’alors être intégrée à la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Le VI a supprimé la mention de l’article L. 1222-7, relatif aux accords de réduction du temps de travail, à l’article L. 5544-1 du code des transports.

IV.   revoir le cadre et les délais de contestation d’un accord collectif

L’article 4 de la présente ordonnance aménage les dispositions prévues aux d), e) et f) du 1° de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017, par lesquelles le Gouvernement est invité à légiférer pour « précis [er] les conditions dans lesquelles il appartient à celui qui conteste la validité dun accord de démontrer quil nest pas conforme aux conditions légales qui le régissent », « aménag [er] les délais de contestation dun accord collectif » et « permett [re] au juge de moduler, dans le cadre dun litige relatif à un accord collectif, les effets dans le temps de ses décisions en vertu du principe de sécurité juridique, notamment en tenant compte des conséquences économiques ou financières de ces décisions sur les entreprises et de lintérêt des salariés ».

Il a ainsi introduit trois nouveaux articles en complément de la section 3 relative aux actions en justice en matière d’application des conventions et accords collectifs du chapitre II du titre 6 du livre II de la deuxième partie du code du travail.

1.   Le régime antérieur aux ordonnances

Au-delà du possible contentieux portant sur le sens, la portée ou l’application d’un accord collectif, la contestation de la validité d’une convention, d’un accord collectif ou de stipulations conventionnelles peut a priori intervenir selon deux modalités :

– soit directement pour demander leur annulation ;

– soit à l’occasion d’un litige portant sur leur application.

En toute rigueur, sont recevable à agir pour invoquer le caractère illicite d’une convention, d’un accord ou de stipulations conventionnelles les organisations syndicales ou patronales parties à l’accord ou qui ont participé à la négociation de cet accord sans le signer, mais aussi tout salarié qui se voit appliquer cet accord.

Dans le droit antérieur, sauf cas particulier – comme les accords de méthode de négociation, les accords portant plan de sauvegarde de l’emploi, les accords de maintien de l’emploi, entre autres –, le contentieux de la nullité d’une convention ou d’un accord collectif, était soumis au droit commun de la prescription de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil, le point de départ de ce délai étant fixé au jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent d’exercer ce droit.

En revanche, le contentieux relatif à l’exécution d’une convention ou d’un accord collectif n’est soumis à aucun délai de prescription.

2.   Un encadrement du droit au recours en contestation de la légalité d’un accord collectif

● Le nouvel article L. 2262-13 dispose qu’« il appartient à celui qui conteste la légalité dune convention ou dun accord collectif de démontrer quil nest pas conforme aux dispositions légales qui le régissent ». Loin de d’instaurer une présomption de légalité des dispositions conventionnelles, ce principe ne fait que rejoindre le principe de droit commun de la charge de la preuve en matière civile, selon laquelle celle-ci incombe au demandeur ([11]).

● Le nouvel article L. 2262-14 propose de limiter à deux mois le délai de recours pour toute action en nullité d’un accord. Ce délai s’entend :

– à compter de la notification de l’accord d’entreprise pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;

– à compter de la publication de l’accord dans tous les autres cas.

Rappelons que l’article 16 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a mis en place une base de données nationale destinée à rendre publics les conventions et accords de branche, de groupe, interentreprises, d’entreprise et d’établissement, dont le contenu a donc vocation à être publié en ligne (article L. 2231-5-1) : cette nouvelle procédure de publication des conventions et accords collectifs s’applique aux accords conclus à compter du 1er septembre 2017.

Le rapporteur souligne que la base de données nationale dont le déploiement était prévu au 1er septembre 2017 ne devrait être effective que courant novembre 2017.

Ce délai de deux mois ne s’applique pas dans les cas où la loi prévoit des délais de recours spécifiques, en l’occurrence :

– un délai de trois mois à compter du dépôt de l’accord dans le cas d’un accord de méthode ;

– un délai de deux mois pour les accords conclus dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), le délai débutant, pour l’employeur, à compter de la notification de la décision de validation ou d’homologation administrative, et pour les salariés, à compter de la date à laquelle cette décision administrative est portée à leur connaissance ;

– un délai de deux mois pour toute contestation d’un accord collectif portant ruptures conventionnelles collectives, dans le cadre de la contestation de la validation administrative de celui-ci, ces délais étant identiques à ceux applicables dans le cadre d’un PSE. Il s’agit ici de dispositions nouvelles mises en place à l’article 10 de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

Il convient de préciser que ces nouveaux délais ne font bien entendu pas obstacle à l’introduction, à tout moment, de recours en contestation de l’application d’un accord collectif, autrement dit aux contentieux relatifs à l’exécution des conventions ou accords collectifs. Un salarié qui souhaite contester l’application d’un accord collectif à son contrat de travail ou qui demande, à l’occasion d’un litige individuel, l’exécution d’une convention ou d’un accord, reste libre de le faire à tout moment, sans qu’aucun délai ne puisse venir restreindre sa capacité à agir.

Il s’agit là de la mise en œuvre d’une préconisation qui avait été formulée dans le cadre du rapport dit « Combrexelle » ([12]) , et qui prévoyait en effet d’introduire « un délai de deux mois opposable à laction directe visant à contester devant le tribunal de grande instance la validité de laccord » (proposition n° 21).

● Enfin, le nouvel article L. 2262-15 permet d’aménager le pouvoir du juge de moduler dans le temps les effets de ses décisions.

En effet, un accord en vigueur produit des situations spécifiques et parfois des avantages tels qu’un retour en arrière se révélerait préjudiciable aux parties : ainsi, en cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif, il est prévu que le juge peut décider d’en moduler les effets.

S’il apparaît que l’effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produit et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, le juge peut décider que :

– l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir

– ou moduler les effets de sa décision dans le temps.

Ce pouvoir de modulation ou de report des effets des décisions judiciaires se fait « sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement ».

L’idée centrale qui préside à cette disposition consiste à inscrire expressément dans l’ordre légal une possibilité qui existe en tout état de cause pour le juge, qui a toujours le pouvoir d’aménager les effets de ses décisions ou de prévoir un report de leurs effets. Il s’agit en réalité de consacrer cette liberté du juge, afin que celle-ci soit sans doute plus largement actionnée, lorsqu’est par exemple mise en péril l’exécution de contrats de travail en raison de l’annulation d’une convention collective, comme ce fut le cas pour les conventions de forfait jours conclues sur le fondement de conventions collectives successivement annulées par le juge à partir de 2011.

Le cas des conventions de forfait jours : un exemple de l’absence de modulation dans le temps des effets des décisions judiciaires

La Cour de cassation a, dans une série de décisions rendues entre 2011 et 2015, prononcé l’annulation des textes de plusieurs accords collectifs relatifs au forfait en jours sur l’année, qui ne respectaient pas les exigences légales de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Le juge a ainsi annulé successivement les clauses des conventions collectives afférentes de la métallurgie, de l’industrie chimique, des commerces de gros, du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, des bureaux d’études techniques, des cabinets d’experts-comptables, du notariat, des cafés, hôtels et restaurants. L’annulation des conventions collectives rendait ainsi ipso facto nulle la convention de forfait jours individuelles signée entre l’employeur et le salarié.

En outre, la jurisprudence de la chambre sociale depuis 2011 prévoyait désormais que le salarié lésé était présumé ne pas avoir été soumis au forfait-jours et qu’il pouvait donc réclamer le paiement des heures supplémentaires qu’il avait effectuées au-delà de 35 heures, et cela sur les cinq dernières années.

La loi du 8 août 2016 a permis de sécuriser les conventions de forfait déjà conclues sur le fondement d’accords collectifs qui ont vocation à être révisés par ailleurs.

3.   L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions

L’article 15 de la présente ordonnance fixe les conditions d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la contestation d’un accord collectif, en prévoyant que le délai de recours de deux mois en contestation de la validité d’un accord collectif s’applique aux conventions et accords conclus postérieurement à la publication de la présente ordonnance, autrement dit aux conventions et accords conclus à compter du 23 septembre 2017, soit le lendemain de la publication de l’ordonnance au Journal officiel.

S’agissant des conventions ou accord conclus avant le 23 septembre 2017 :

– soit aucune instance n’a été introduite avant cette date, et dans ce cas, le délai de deux mois s’entend à compter du 23 septembre 2017 : autrement dit, ce délai court jusqu’au 23 novembre 2017 ;

– soit un recours a été formé avant le 23 septembre 2017, et dans ce cas, l’action est poursuivie conformément au droit antérieur, jusqu’au terme de la procédure, y compris en appel et en cassation.

Autrement dit, pour l’ensemble des conventions et accords collectifs en vigueur avant le 23 septembre 2017, le délai de recours en contestation de la validité de ces conventions ou accords court jusqu’au 23 novembre 2017.

V.   la fixation par voie conventionnelle de la périodicité et du contenu des négociations obligatoires

Les articles 5 à 7 de la présente ordonnance ont trait à la négociation obligatoire dans les branches et les entreprises. Ils ont mené jusqu’à son aboutissement la démarchée initiée dans le cadre de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi et poursuivie par la loi du 8 août 2016, qui ont permis d’assouplir les règles applicables à la négociation, en introduisant un pouvoir de négociation des branches et des entreprises sur le calendrier et le contenu des négociations qui s’imposent à elles.

Ces articles sont pris en application du g) du 1° de l’article 1er de l’ordonnance du 17 septembre dernier, qui a habilité le Gouvernement à légiférer pour permettre « à laccord collectif de déterminer la périodicité et le contenu des consultations et des négociations obligatoires, ainsi que dadapter le contenu et les modalités de fonctionnement de la base de données économiques et sociales prévue à larticle L. 2323-8 du code du travail, sans préjudice des dispositions prévues à larticle L. 2242-9 du même code ».

Concrètement, la présente ordonnance ([13]) a procédé à une réécriture complète des articles du code du travail relatifs aux négociations de branche et d’entreprise pour leur appliquer le modèle inspiré du rapport remis par M. Jean-Denis Combrexelle le 9 septembre 2015 ([14]) afin de renforcer le dialogue social à tous les niveaux, et qui consiste à organiser les règles autour du triptyque « Ordre public – Négociation collective – Dispositions supplétives ». Cette architecture avait été retenue par la loi du 8 août 2016 pour l’ensemble des dispositions du droit du travail relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés. Elle est également désormais appliquée à la négociation de branche et d’entreprise.

Aucune modification de fond n’est intervenue s’agissant du contenu de la négociation ; en revanche, la périodicité et le contenu des négociations ont basculé dans l’ordre supplétif, et n’ont en conséquence désormais vocation à s’appliquer qu’en l’absence d’accord collectif fixant le calendrier et le contenu des négociations.

Par rapport au droit antérieur, la présente ordonnance a donc considérablement élargi le champ de la négociation collective : alors que les accords de branche et d’entreprise n’avaient jusqu’alors que la possibilité d’adapter, dans certaines limites, la périodicité des négociations, le droit prévoit désormais qu’ils peuvent également adapter leur contenu, le calendrier et les lieux des réunions, la nature et le contenu des informations communiquées dans le cadre de chacune de ces négociations, et les modalités de suivi des engagements souscrits par les parties.

A.   Une démarche d’assouplissement initiée en 2015 et poursuivie depuis lors

● S’agissant de la négociation d’entreprise, c’est la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi qui a introduit les premiers assouplissements s’agissant de la périodicité et du contenu des négociations obligatoires : elle avait en effet permis, à l’article L. 2242-20, à un accord d’entreprise de modifier la périodicité de chacune des négociations obligatoires, pour tout ou partie des thèmes :

– dans la limite de trois ans pour les deux négociations annuelles sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée d’une part, sur la qualité de vie au travail d’autre part ;

– et dans la limite de cinq ans pour la négociation triennale sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.

Plusieurs conditions avaient été prévues pour encadrer cet assouplissement : en effet, en premier lieu, les accords d’entreprise revoyant la périodicité des négociations doivent être des accords majoritaires ; ensuite, la négociation sur les salaires peut être engagée sans délai à la demande d’une organisation signataire de l’accord ; enfin, la modification de la périodicité de la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes conduisait à considérer que l’entreprise était couverte par un accord ou un plan d’action en la matière pendant toute la période considérée.

Une adaptation du nombre des négociations ou un regroupement différents des thématiques de négociation pouvait également être envisagé par les entreprises, à condition de ne supprimer aucun des thèmes soumis à l’obligation de négociation.

● La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a, à la faveur de la généralisation des accords majoritaires, supprimé la référence spécifique aux accords majoritaires pour les accords d’entreprise qui revoient la périodicité des négociations. Elle a également précisé que la possibilité de modifier la périodicité de la négociation sur l’égalité professionnelle n’était ouverte qu’aux entreprises déjà couvertes par un accord collectif ou un plan d’action en la matière.

Elle a surtout introduit des dispositions communes aux négociations de branche et d’entreprise en matière de définition des thèmes, de périodicité et de méthode de négociation, en complétant l’article L. 2222-3, pour permettre aux parties prenantes de fixer un véritable calendrier des négociations.

La définition d’un agenda des négociations va de pair avec la possibilité de moduler, « pour tout ou partie des thèmes », la périodicité des négociations obligatoires prévues respectivement au chapitre Ier du titre IV du livre II de la deuxième partie du code du travail, pour les branches, et au chapitre II du titre IV du livre II de la deuxième partie du même code pour les entreprises.

L’article L. 2222-3 dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 a néanmoins fixé les limites à cette marge de manœuvre laissée aux acteurs du dialogue social : ainsi, la périodicité des négociations annuelles peut être relevée jusqu’à trois ans, celle des négociations triennales jusqu’à cinq ans, et celle des négociations quinquennales jusqu’à sept ans.

Les limites déjà fixées pour les accords d’entreprise sont reprécisées à cet article : celle relative à la négociation sur les salaires, qui peut être engagée pendant la durée de l’accord sur simple demande d’une organisation signataire ; et celle relative à l’obligation pour l’entreprise d’être couverte par un accord ou un plan d’action en matière d’égalité professionnelle avant de pouvoir modifier la périodicité de la négociation afférente.

B.   la fixation par voie conventionnelle du calendrier et du contenu des négociations : un point d’aboutissement

L’article 5 de la présente ordonnance a procédé à une réécriture complète de l’article L. 2222-3, commun à la négociation de branche et à la négociation d’entreprise.

Le titre de la section 2 a préalablement été modifié pour substituer à la « périodicité » de la négociation la détermination « du calendrier » de la négociation.

Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 2222-3 dispose que la convention ou l’accord collectif de travail définit, dans les conditions prévues au titre IV du livre II de la deuxième partie – consacré aux domaines et à la périodicité de la négociation obligatoire, de branche et d’entreprise – :

– le calendrier des négociations ;

– ainsi que les modalités de prise en compte, dans la branche ou l’entreprise, des demandes relatives aux thèmes de négociation émanant d’une ou des organisations syndicales de salariés représentatives.

Si le second point correspond à l’objet historique de cet article, le premier correspond à l’objectif poursuivi depuis la loi du 17 août 2015 et qui a trouvé, à travers les ordonnances, son point d’aboutissement.

1.   La négociation de branche

L’article 6 de la présente ordonnance a engagé une refonte du chapitre premier du titre 4 déjà cité, qui traite de la négociation de branche et professionnelle, pour la réorganiser autour du triptyque : ordre public – champ de la négociation collective – dispositions supplétives.

● Dans le champ de la branche, l’article 7 de l’ordonnance pose, à l’article L. 2241-1 du code du travail, dans l’ordre public le principe d’une négociation obligatoire tous les quatre ans :

– sur les salaires ;

– sur les mesures tendant à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur les mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées ;

– sur les conditions de travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, et sur la prise en compte des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels énumérés à l’article L. 4161-1 ;

– sur les mesures tendant à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;

– ainsi que sur les priorités, objectifs et moyens de la formation professionnelle des salariés ;

Parallèlement, le principe fixé est celui dune négociation tous les cinq ans :

– sur l’examen de la nécessité de réviser les classifications ;

– et sur la mise en place d’un plan d’épargne salariale ou d’épargne retraite en l’absence d’accord conclu dans ce domaine.

Le tableau suivant retrace les évolutions tracées par l’ordonnance par rapport au droit antérieur et par rapport aux dispositions légales qui deviennent supplétives.

Évolution de la pÉriodicitÉ des nÉgociations de branche

Thématique de négociation

Périodicité prévue par les dispositions légales

Modification de la périodicité avant ordonnance

Modification de la périodicité après ordonnance

Salaires

Annuelle

Triennale

Quadriennale

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Triennale

Quinquennale

Quadriennale

Conditions de travail, GPEC et pénibilité

Triennale

Quinquennale

Quadriennale

Travailleurs handicapés

Triennale

Quinquennale

Quadriennale

Formation professionnelle

Triennale

Quinquennale

Quadriennale

Classifications

Quinquennale

Septennale

Quinquennale

Épargne salariale

Quinquennale

Septennale

Quinquennale

L’article 6 de la présente ordonnance reprend également le principe d’une négociation obligatoire sur le temps partiel dès lors qu’au moins un tiers de l’effectif d’une branche occupe un emploi à temps partiel : l’actuel article L. 2241‑13 est repris sans modification et devient l’article L. 2241-2.

Le rapporteur note que cet article, également repris tel quel dans les dispositions supplétives, à l’article L. 2241-19, a vocation à être supprimé à cet endroit : il est plus logique que les dispositions applicables en la matière soient d’ordre public.

Est également reprise dans le cadre des mesures d’ordre public la procédure de réunion d’une commission mixte en cas d’absence d’engagement d’une négociation loyale et sérieuse, désormais codifiée à l’article L. 2241‑3.

La liberté laissée au dialogue social pour la fixation du cadre des négociations fait donc désormais l’objet d’une section spécifique consacrée au « champ de la négociation collective ».

Ainsi, l’article L. 2241-4 prévoit qu’à la demande d’une ou plusieurs organisations syndicales de salariés ou d’organisations professionnelles d’employeurs, une négociation peut être engagée au niveau de la branche pour préciser le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociation dans la branche ou le secteur professionnel considéré.

L’accord conclu dans le cadre de cette négociation, qui porte sur une durée maximale de quatre ans, précise :

– les thèmes des négociations, dans les conditions prévues à l’article L. 2241-1, à savoir dans la limite d’une périodicité maximale de quatre ans ou de cinq ans en fonction des thèmes concernés ;

– la périodicité et le contenu de chacun des thèmes ;

– le calendrier et les lieux des réunions ;

– les informations que les organisations professionnelles d’employeurs remettent aux négociateurs sur les thèmes soumis à négociation, ainsi que la date de remise de ces informations ;

– et enfin, les modalités de suivi des engagements souscrits par les parties.

Enfin, l’article L. 2241-6 prévoit qu’un accord conclu dans l’un de ces domaines peut fixer la périodicité de sa propre renégociation, toujours dans la limite des périodicités maximales de quatre ans et cinq ans prévues à l’article L. 2241-1.

Le rapporteur soulève deux remarques concernant la fixation de la périodicité des négociations.

En premier lieu, l’accord de méthode est conclu pour une durée maximale de quatre ans, alors que l’échéance maximale de la négociation pour certains thèmes est de cinq ans : concrètement, un accord de méthode doit donc être renégocié avec le terme de la périodicité pour certaines négociations. Il y aurait lieu d’aligner ces deux durées maximales, afin de simplifier le dispositif.

En second lieu, un accord spécifique sur un thème peut fixer la périodicité de sa propre renégociation, qui peut être différente de celle fixée par l’accord de méthode. D’après les informations transmises au rapporteur, les partenaires sociaux ont intérêt à fixer la même périodicité pour assurer une bonne lisibilité de leur dispositif conventionnel : mais dans ce cas, on ne voit plus bien l’intérêt qu’il peut y avoir à prévoir cette possibilité de fixation de sa propre renégociation sur un sujet spécifique. Le rapporteur souhaite donc faire part de ses doutes sur cette articulation. A tout le moins, conviendrait-il de prévoir que la périodicité fixée par un accord spécifique aurait vocation à s’appliquer en priorité, sous réserve bien sûr du respect des dispositions d’ordre public.

● En l’absence d’accord – autrement dit à titre supplétif –, ce sont les dispositions légales antérieures qui s’appliquent. Celles-ci demeurent inchangées : seul leur statut change, puisque désormais elles n’ont plus vocation à s’appliquer qu’en l’absence d’accord « ou en cas de non-respect de ses stipulations », comme le prévoit l’article L. 2241-7 dans sa nouvelle rédaction.

Les articles L. 2241-8 à L. 2241-19 reprennent les dispositions légales antérieures, qui prévoient donc :

– une négociation annuelle sur les salaires ;

– une négociation triennale sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), sur les travailleurs handicapés, et sur la formation professionnelle et l’apprentissage ;

– une négociation quinquennale sur les classifications et sur l’épargne salariale ;

– et enfin, une négociation sur l’emploi à temps partiel dans les branches dès lors qu’un tiers au moins de l’effectif de la branche occupe un emploi à temps partiel.

S’agissant de la négociation sur les conditions de travail et la GPEC, l’ordonnance procède à une modification de fond : elle supprime le volet facultatif de négociation sur le contrat de génération, et substitue à la négociation sur « la prise en compte de la pénibilité au travail » celle des « effets de lexposition aux facteurs de risques professionnels énumérés à larticle L. 4161-1 », qui fait l’objet d’une réécriture complète dans le cadre de l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

Au total, les modifications apportées par l’ordonnance n’ouvrent que peu de marge de manœuvre quant à la périodicité des négociations, en dehors de la négociation sur les salaires, pour laquelle la marge de négociation est réelle, puisque celle-ci doit avoir lieu au moins tous les quatre ans, et qu’à défaut d’accord, elle devient annuelle. Sur toutes les autres négociations, la marge est en pratique inexistante : les négociations dont le rythme est au moins quadriennal sont, à défaut d’accord, triennales ; les négociations quinquennales sont à défaut d’accord quinquennales. Autrement dit, la marge de négociation porte davantage sur les autres points de la négociation, à savoir le contenu des informations transmises dans le cadre de cette négociation, le rythme des réunions, etc.

2.   La négociation d’entreprise

Au sein de l’entreprise, le texte ouvre la possibilité de déterminer par voie d’accord, pour une durée maximale de quatre ans, les thèmes des négociations, la périodicité et le contenu de chaque thème, le calendrier et le lieu des réunions, les informations transmises par l’employeur et les délais de transmission de celles-ci, ainsi que les modalités de suivi des engagements des parties.

● L’ordonnance fixe en premier lieu les dispositions d’ordre public, à savoir celui d’une négociation obligatoire tous les quatre ans :

– sur la rémunération, notamment sur les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ;

– sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui porte notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et sur la qualité de vie au travail.

Ces dispositions figurent à l’article L. 2242-1 dans sa nouvelle rédaction.

La négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, obligatoire dans les entreprises d’au moins trois cents salariés ou dans les entreprises et groupes d’entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement d’au moins 150 salariés en France, est elle aussi menée obligatoirement au moins tous les quatre ans. C’est l’objet de l’article L. 2242-2 dans sa nouvelle rédaction.

Évolution de la pÉriodicitÉ des nÉgociations d’entreprise

Thématique de négociation

Périodicité prévue par les dispositions légales/supplétives

Modification de la périodicité avant ordonnance

Modification de la périodicité après ordonnance

Rémunération, temps de travail et partage de la valeur ajoutée

Annuelle

Triennale

Quadriennale

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qualité de vie au travail

Annuelle

Triennale

Quadriennale

Gestion des emplois et des parcours professionnels

Triennale

Quinquennale

Quadriennale

Les dispositions d’ordre public prévues aux articles L. 2242-3 à L. 2242-9 reprennent les anciens articles L. 2242-3, L. 2242-4, L. 2242-5-1, L. 2242-7, les anciens alinéas 5 et 6 de l’article L. 2242-8 et les anciens articles L. 2242-9 et L. 2242-9-1, en procédant aux coordinations et aux ajustements rendus nécessaires par les assouplissements apportés dans le cadre de la présente ordonnance, mais sans modification de fond.

Il s’agit des règles qui encadrent :

– la procédure applicable à l’élaboration d’un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, en l’absence d’accord dans ce domaine, et l’obligation d’inclure un volet relatif aux mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération dans la négociation sur les salaires, en l’absence d’accord collectif portant sur cette question spécifique (article L. 2242-3 dans sa nouvelle rédaction) ;

– l’interdiction pour l’employeur d’arrêter des décisions unilatérales tant que les négociations sont en cours (article L. 2242-4 dans sa nouvelle rédaction) ;

– l’établissement d’un procès-verbal de désaccord en cas de non‑aboutissement de la procédure de négociation (article L. 2242-5 dans sa nouvelle rédaction) ;

– les conditions de dépôt des accords collectifs d’entreprise sur les salaires effectifs, en particulier par le dépôt d’un procès-verbal d’un engagement loyal et sérieux des négociations (article L. 2242-6 dans sa nouvelle rédaction) ;

– la pénalité applicable aux entreprises ne satisfaisant pas l’obligation de négociation sur les salaires effectifs (article L. 2242-7 dans sa nouvelle rédaction) ;

– la pénalité applicable aux entreprises non couvertes par un accord ou un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L. 2242-8 dans sa nouvelle rédaction) ;

– et enfin, la demande d’appréciation par l’administration de la conformité d’un accord ou d’un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L. 2242-9 dans sa nouvelle rédaction).

● Dans le champ de la négociation collective, le texte de l’ordonnance va donc plus loin que la latitude d’ores et déjà laissée à l’accord d’entreprise pour adapter le rythme et le contenu des négociations obligatoires.

En effet, l’article L. 2242-10 dans sa nouvelle rédaction prévoit qu’une négociation peut être engagée à l’initiative de l’employeur ou à la demande d’une organisation syndicale de salariés représentative, pour préciser « le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociation dans le groupe, lentreprise ou létablissement ».

À l’image des dispositions prévues pour la négociation de branche, l’article L. 2242-11 dans sa nouvelle rédaction prévoit que l’accord conclu à l’issue de cette négociation, d’une durée maximale de quatre ans, précise :

– les thèmes des négociations, dans le respect de la périodicité maximale prévue par l’article L. 2242-1 ;

– la périodicité et le contenu de chacun des thèmes ;

– le calendrier et les lieux des réunions ;

– les informations que l’employeur remet aux négociateurs sur les thèmes prévus par la négociation et la date de remise de ces informations ;

– les modalités de suivi des engagements souscrits par les parties.

S’agissant des négociations annuelles, l’ordonnance a donc porté la périodicité maximale de ces négociations de trois à quatre ans. S’agissant de la négociation triennale sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, alors que le droit antérieur permettait de porter sa périodicité à cinq ans au maximum, celle-ci serait désormais plafonnée à quatre ans.

De la même manière que pour la négociation de branche, l’article L. 2242‑12 dans sa nouvelle rédaction prévoit qu’un accord dans l’un des domaines prévus à l’article L. 2242-1 peut fixer la périodicité de sa propre renégociation, dans la limite de quatre ans, sans préjudice d’une périodicité différente qui aurait pu être fixée par un accord global de méthode sur la négociation d’entreprise.

Enfin, il convient de signaler que disparaît, à la faveur de cette refonte, la possibilité pour une organisation signataire d’un accord global de méthode modifiant la périodicité des négociations de demander l’engagement immédiat de la négociation sur les salaires.

Au total, la négociation de la périodicité de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels n’ouvre pas de réelle marge de manœuvre : elle ne fait d’ailleurs rigoureusement pas l’objet d’un renvoi à la négociation collective, puisque l’article L. 2242-10 ne renvoie pas à cette négociation, qui fait pourtant l’objet de dispositions supplétives : ce hiatus a vraisemblablement vocation à être corrigé dans le cadre de l’ordonnance destinée à assurer la cohérence légistique des modifications apportées ici.

● En l’absence d’accord, ce sont les dispositions supplétives qui s’appliquent, qui font l’objet des articles L. 2242-13 à L. 2242-21 et prévoient :

– une négociation annuelle sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ;

– une négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail ;

– une négociation triennale, dans les entreprises de plus de 300 salariés, sur la gestion des emplois et des parcours professionnels. Le rapporteur note à cet égard qu’il conviendrait de reprendre la formulation stricte des entreprises concernées par cette négociation, à savoir les entreprises et les groupes d’entreprises au sens de l’article L. 2331-1 d’au moins trois cents salariés ainsi que les entreprises et groupes d’entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise d’au moins cent cinquante salariés en France.

Le texte de l’ordonnance reprend, sans modification de fond, les dispositions légales de droit commun applicables en matière de négociation d’entreprise, qu’il s’agisse des conditions dans lesquelles un engagement obligatoire de la négociation peut être demandé – avec la possibilité pour une organisation syndicale de demander l’ouverture d’une négociation annuelle à défaut d’initiative de l’employeur depuis plus de douze mois, et de la négociation triennale à défaut d’initiative de l’employeur depuis plus de trente-six mois – ou encore des éléments devant obligatoirement être précisés lors de la première réunion de négociation, en l’occurrence le lieu et le calendrier de la ou des réunions, ainsi que les informations remises par l’employeur sur les thèmes soumis à la négociation et la date de remise de celles-ci. Ces dispositions figurent aux articles L. 2242-13 et L. 2242-14 dans leur nouvelle rédaction.

Le contenu des négociations annuelles et triennale obligatoires applicables en l’absence d’accord collectif est reprise aux articles L. 2242-15 à L. 2242-21, dans le cadre de trois sous-sections respectivement consacrées à la négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée, à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, et à la gestion des emplois et des parcours professionnels.

Les deux seules modifications de fond qui interviennent dans le cadre des dispositions supplétives correspondent à l’introduction, dans le cadre de la négociation triennale sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, de la possibilité de négocier sur deux points spécifiques :

– la mise en place de congés de mobilité, qui font l’objet d’une refonte dans le cadre des présentes ordonnances ;

– la formation et l’insertion durable des jeunes dans l’emploi, l’emploi des salariés âgés et la transmission des savoirs et des compétences, les perspectives de développement de l’alternance, ainsi que les modalités d’accueil des alternants et l’amélioration des conditions de travail des salariés âgés. Ce dernier point se présente comme une contrepartie à la suppression du contrat de génération.

VI.   les Modalités de négociation, de conclusion d’un accord collectif et de recours à la consultation des salariés

A.   Les Modalités de négociation des accords simplifiées dans les entreprises dépourvues de délégué syndical

Conformément au a) du 2° de l’article 1er de la loi n° 2017-1 340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, qui autorisait le Gouvernement à faciliter, « dans les cas prévus aux articles
L. 2232-21 à L. 2232-29 du code du travail, notamment dans les entreprises dépourvues de délégué syndical dont leffectif est inférieur à un certain seuil, les modalités de négociation, de révision et de conclusion dun accord », l’article 8 de l’ordonnance n° 2017-1385 propose de revoir intégralement les règles de négociation applicables dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical :

en permettant à l’employeur dans les entreprises de moins de 11 salariés ou de moins de 20 salariés dépourvues de membre de la délégation du personnel au comité social et économique (CSE), de proposer un projet d’accord soumis à la consultation des salariés ;

 en autorisant la négociation d’un accord, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, soit par un ou plusieurs salariés mandatés, soit par un ou plusieurs membres de la délégation du personnel du CSE, mandatés ou non.

1.   Le droit applicable avant la publication de l’ordonnance n° 2017-1385

Dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance
n° 2017‑1385, les articles L. 2232-21, L. 2232-22 et L. 2232-24 du code du travail prévoyaient plusieurs dispositions visant à permettre aux entreprises dépourvues de délégué syndical de négocier, conclure ou réviser des accords d’entreprise ou d’établissement (cf. tableau ci-après).

 

Caractéristiques de lentreprise

Personnes habilitées à négocier

Type de mesures pouvant être négociées

Conditions de validité de laccord

Entreprises dépourvues de délégué syndical (DS) ou de délégué du personnel (DP) désigné comme tel

(ex art. L. 2232-21)

Les représentants élus du personnel ou, à défaut, les DP expressément mandatés à cet effet par une organisation syndicale représentative

Toutes les mesures relevant de la négociation d’entreprise

Approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés dans le cadre d’une consultation ad hoc des salariés sur l’accord

Entreprises dépourvues de DS ou de DP désigné comme tel, et de représentant élu du personnel mandaté

(ex art. L. 2232-22)

Les représentants élus du personnel ou, à défaut les DP n’ayant pas été expressément mandatés

Accords d’entreprise ou d’établissement dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif

Signature par des élus titulaires représentant plus de 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles

Entreprises dépourvues de DS et dans lesquelles aucun élu ne souhaite négocier

Ou entreprises de moins de 11 salariés

(ex art. L. 2232-24)

Un ou plusieurs salariés expressément mandatés

Toutes les mesures relevant de la négociation d’entreprise

Approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés dans le cadre d’une consultation ad hoc des salariés sur l’accord

L’article L. 2232-21 permettait ainsi aux représentants élus ou aux délégués du personnel expressément mandatés à cet effet par une organisation syndicale représentative au niveau de la branche ou, à défaut, au niveau national ou interprofessionnel, de négocier l’ensemble des mesures pouvant être négociées par accord d’entreprise ou d’établissement.

À défaut de délégué syndical et de représentant élu du personnel mandaté, l’article L. 2232-22 autorisait les représentants élus du personnel titulaires à négocier des accords d’entreprise ou d’établissement, mais ces accords ne pouvaient porter que sur des mesures dont la mise en œuvre était subordonnée par la loi à un accord collectif.

Enfin, selon l’ancienne rédaction de l’article L. 2232-24, si aucun représentant élu du personnel n’avait manifesté son souhait de négocier, ou dans les entreprises de moins de onze salariés, les accords d’entreprise ou d’établissement pouvaient être négociés par un ou plusieurs salariés expressément mandatés à cet effet par une organisation syndicale représentative. Dans ce cas, les accords négociés par les salariés mandatés pouvaient porter sur l’ensemble des mesures pouvant être négociées par accord d’entreprise.

Ces modalités de négociation dérogatoires – puisqu’elles ne sont applicables qu’en l’absence de délégué syndical – sont devenues quasiment la norme, dans les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises, puisque seulement 4 % des entreprises de moins de cinquante salariés disposent d’un délégué syndical.

Or, le recours obligatoire au mandatement, qui a longtemps été la voie privilégiée par le législateur pour négocier dans ces entreprises, ne fonctionne pas, ou mal. D’où la volonté du Gouvernement de « trouver une solution pragmatique et efficace » ([15]) pour développer la négociation collective y compris au sein des petites entreprises.

2.   Les nouvelles modalités de négociation définies par l’ordonnance n° 2017-1385

L’article 8 de l’ordonnance propose une nouvelle rédaction intégrale de la sous-section 3 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre II de la deuxième partie du code du travail relative aux modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de conseil d’entreprise.

Elle modifie, ce faisant, l’ensemble des modalités de négociation des accords d’entreprise ou d’établissement dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de conseil d’entreprise – ce dernier exerçant alors la compétence de négociation –, en proposant d’adapter ces modalités principalement en fonction du nombre de salariés de l’entreprise.

a.   Dans les entreprises dont l’effectif habituel est inférieur à onze salariés : projet d’accord de l’employeur et consultation des salariés

Dans les entreprises dont l’effectif habituel est inférieur à onze salariés, l’article L. 2232-21 du code du travail permet désormais à l’employeur de proposer un « projet daccord » aux salariés. Ce projet peut porter sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective d’entreprise prévus par le code du travail.

Ce projet d’accord est soumis à la consultation des salariés, dans des conditions qui seront précisées par décret en Conseil d’État. Toutefois, la consultation du personnel ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai minimum de quinze jours à compter de la communication, à chaque salarié, du projet d’accord.

Pour être considéré comme un accord valide, le projet de l’employeur doit être ratifié à la majorité des deux tiers du personnel (article L. 2232-22).

L’objectif visé par cette disposition est de permettre l’instauration, au sein des très petites entreprises, d’un véritable dialogue social entre l’employeur et les salariés.

Bien que cela ne soit pas précisé à l’article L. 2232-21, il va en effet de soi que les salariés pourront formuler des observations à l’employeur suite à la communication du projet d’accord. Le cas échéant, si ce dernier compte modifier son projet pour tenir compte des remarques formulées par les salariés, il peut tout à fait le modifier et communiquer aux salariés un projet d’accord amendé. Le délai de quinze jours entre la communication du projet et l’organisation de la consultation court alors à compter de la communication du dernier projet d’accord.

b.   Dans les entreprises dont l’effectif habituel est compris entre onze et cinquante salariés 

Dans les entreprises dont l’effectif habituel est compris entre onze et cinquante salariés, deux cas de figure sont possibles.

Dans ce cas précis, en application de l’article L. 2232-23, les dispositions des articles L. 2232-21 et L. 2232-22 s’appliquent, c’est-à-dire que l’employeur peut soumettre un projet d’accord aux salariés, soumis à la consultation des salariés. Ce projet est considéré comme un accord valide s’il est ratifié par les deux tiers d’entre eux. Comme dans les entreprises de moins de onze salariés, ces accords peuvent porter sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective d’entreprise ou d’établissement.

Pour toutes les autres entreprises dépourvues de délégué syndical dont l’effectif habituel est compris entre onze et cinquante salariés, les accords d’entreprise ou d’établissement peuvent être négociés, conclus ou révisés, selon l’article L. 2232-23-1 :

 soit par un ou plusieurs salariés expressément mandatés à cet effet par une organisation syndicale représentative (1°). Il est rappelé qu’une même organisation ne peut mandater qu’un seul salarié ;

 soit par un ou plusieurs membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) (2°).

Ces accords peuvent également porter sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective d’entreprise ou d’établissement.

Pour être valide, l’accord ainsi négocié doit être signé par des membres du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles. Si l’accord a été négocié par un ou plusieurs salariés mandatés qui ne sont pas membres de la délégation du personnel du CSE, l’accord doit alors être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.

c.   Dans les entreprises dont l’effectif est habituellement supérieur à cinquante salariés : le recours au mandatement reste prioritaire en l’absence de délégué syndical

Les modalités de négociation dans les entreprises d’au moins cinquante salariés dépourvues de délégué syndical ne connaissent pas d’évolution majeure par rapport au droit applicable avant la publication des ordonnances. Toutefois, par coordination avec la création du comité social et économique (CSE) prévue par l’ordonnance n° 2017-1386, les références aux membres élus du personnel sont remplacées par des références à la délégation du personnel au CSE.

● Dans les entreprises dont l’effectif est supérieur à cinquante salariés, selon l’article L. 2232-24, les membres de la délégation du personnel du CSE expressément mandatés par une organisation syndicale représentative sont appelés en priorité à négocier les accords d’entreprise ou d’établissement. Les accords négociés par les élus mandatés doivent être approuvés par les salariés à la majorité des suffrages exprimés pour être valides.

● À défaut de membre de la délégation du personnel du CSE mandaté, les membres de la délégation du personnel du CSE non mandatés peuvent négocier, conclure ou réviser des accords, mais seulement si ces accords portent sur des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif (article L. 2232-25).

Dans ce cas, la validité de l’accord collectif ainsi négocié est subordonnée à sa signature par des membres de la délégation du personnel du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles.

Pour l’application des articles L. 2232-24 et L. 2232-25, l’employeur fait connaître son intention de négocier aux membres de la délégation du personnel du CSE « par tout moyen permettant de lui conférer une date certaine »
(art. L. 2232-25-1). Les élus qui souhaitent négocier sont tenus de le faire savoir dans un délai d’un mois et d’indiquer, le cas échéant, s’ils sont mandatés par une organisation syndicale. La négociation s’engage à l’issue de ce délai, avec les représentants élus du personnel ayant indiqué être mandatés ou, à défaut, avec des élus non mandatés.

● Si aucun membre de la délégation du personnel du CSE n’a manifesté son intention de négocier, les accords peuvent être négociés, conclus et révisés par un ou plusieurs salariés mandatés (article L. 2232-26). Ces accords peuvent alors porter sur l’ensemble des mesures pouvant être négociés par accord d’entreprise ou d’établissement.

Pour être valide, un tel accord doit être approuvé par les salariés, à la majorité des suffrages exprimés.

3.   Tableau récapitulatif

 

Art.

Scénario

Modalités de négociation/Personnes habilitées à négocier

Type de mesures pouvant être négociées

Conditions de validité

Entreprises dont leffectif habituel est inférieur à 11 salariés

L. 2232-21

L. 2232-22

Possibilité, pour l’employeur, de soumettre un « projet d’accord » aux salariés

Toutes les mesures relevant de la négociation d’entreprise

Ratification à la majorité des 2/3 du personnel

Entreprises dont leffectif habituel est compris entre 11 et 50 salariés

L. 2232-23

Si l’effectif est compris entre 11 et 20 et qu’il n’y a pas de membre élu de la délégation du personnel au CSE

Possibilité, pour l’employeur, de soumettre un « projet d’accord » aux salariés

Toutes les mesures relevant de la négociation d’entreprise

 

Ratification à la majorité des 2/3 du personnel

L. 2232-23-1

Dans les autres cas

Soit un ou plusieurs salariés expressément mandatés

 

Si accord conclu avec des membres de la délégation du personnel du CSE (mandatés ou non) représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles

 

Sinon, approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés

Soit un ou plusieurs membres de la délégation du personnel du CSE

Entreprises dont leffectif habituel est supérieur à 50 salariés

L. 2232-24

Cas général

Membres de la délégation du personnel du CSE s’ils sont expressément mandatés

Toutes les mesures relevant de la négociation d’entreprise

Approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés

L. 2232-25

À défaut

Membres de la délégation du personnel du CSE non mandatés

Mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif

Signature par des membres de la délégation du personnel du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés

L. 2232-26

À défaut

Un ou plusieurs salariés expressément mandatés

Toutes les mesures relevant de la négociation d’entreprise

Approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés

4.   Conditions de négociation des accords

a.   Moyens à la disposition des négociateurs

L’article L. 2232-27 précise que lorsque des salariés mandatés sont appelés à négocier des accords en vertu des articles L. 2232-23-1 et L. 2232-26, ils disposent « du temps nécessaire à lexercice de leurs fonctions », ce temps ne pouvant excéder dix heures par mois, sauf circonstances exceptionnelles. Ces heures de délégation sont considérées de plein droit comme temps de travail, et payées à l’échéance normale.

En outre, le temps passé aux négociations par les membres de la délégation du personnel du comité social et économique, dans les cas prévus aux articles L. 2232-23-1, L. 2232-24 et L. 2232-25 n’est pas imputable sur les heures de délégation de ces salariés.

b.   Droits et obligations des négociateurs

L’article L. 2232-28 précise en premier lieu que les salariés susceptibles d’être assimilés à l’employeur ou apparentés à l’employeur dans les conditions prévues à l’article L. 2314-19 du code du travail ([16]) ne peuvent être désignés comme salariés mandatés, afin de respecter le principe d’indépendance des négociateurs à l’égard de l’employeur.

Ce principe est d’ailleurs rappelé à l’article L. 2232-29, qui précise que toute négociation entre l’employeur et les membres de la délégation du CSE, mandatés ou non, ou les salariés mandatés doit se dérouler dans le respect des principes suivants :

 indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur (1°) ;

 élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs (2°) ;

 concertation avec les salariés (3°) ;

 faculté de prendre l’attache des organisations syndicales représentatives de la branche (4°).

Il est précisé au même article qu’un accord entre l’employeur et les négociateurs détermine les modalités selon lesquelles ces derniers se voient remettre par l’employeur les informations nécessaires à la négociation.

c.   Modalités de dépôt des accords

L’article L. 2232-29-1 subordonne l’entrée en application des accords d’entreprise ou d’établissement conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical de moins de cinquante salariés à leur dépôt auprès de l’autorité administrative compétente, dans des conditions prévues par voie réglementaire.

En pratique, cette obligation de dépôt vaut déjà pour l’ensemble des accords collectifs d’entreprise ou d’établissement, conformément à l’article L. 2231-6 du code du travail, qui dispose que « les conventions et accords font lobjet dun dépôt dans des conditions déterminées par voie réglementaire ». En l’espèce, les règles applicables aux accords d’entreprise sont fixées par l’article D. 2231-4 du code du travail, qui dispose que « les conventions et accords dentreprise ou détablissement sont déposés auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de lemploi ».

B.   Création d’un observatoire pour encourager le dialogue social et la négociation collective dans les entreprises de moins de cinquante salariés

Afin de soutenir les petites entreprises dans leur effort de développement du dialogue social et de la négociation collective, l’article 9 de l’ordonnance n° 2017-1385 crée un Observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social, au sein d’un nouveau chapitre IV bis du titre III du livre II de la deuxième partie du code du travail.

Cet observatoire est installé dans chaque département, « par décision de lautorité administrative compétente » (article L. 2234-4).

La composition de l’observatoire est dite tripartite, puisqu’il réunit, selon l’article L. 2234-5 :

 des membres salariés ayant leur activité dans la région, désignés par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau du département ;

 des membres employeurs ayant leur activité dans la région, désignés par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national interprofessionnel et multiprofessionnel ;

 de représentants de l’autorité administrative dans le département.

Selon les informations transmises au rapporteur, des expériences de terrain ayant inspiré l’observatoire ont démontré que ce caractère tripartite – et non paritaire – était déterminant dans le succès de sa mission.

Chaque organisation syndicale ou d’employeurs répondant au critère de représentativité dans le département dispose d’un siège au sein de l’Observatoire. Ce dernier est présidé successivement par une organisation syndicale de salariés et une organisation professionnelle d’employeurs « remplissant la condition dactivité réelle ».

L’observatoire est chargé de favoriser la négociation collective parmi les entreprises de moins de cinquante salariés du département. À cette fin, l’article L. 2234-6 précise que l’observatoire :

 est tenu d’établir un bilan annuel du dialogue social dans le département : il semble aller de soi que ce bilan ne portera que sur les entreprises relevant du ressort de l’observatoire, c’est-à-dire les entreprises de moins de cinquante salariés ;

 peut être saisi par les organisations syndicales de salariés les organisations professionnelles d’employeurs de « toutes difficultés rencontrées dans le cadre dune négociation » ;

 apporte son concours et son expertise juridique « aux entreprises de son ressort », dans le domaine du droit social.

Les modalités de mise en place de l’observatoire seront précisées par décret en Conseil d’État.

Il convient de préciser que l’observatoire a un champ d’application différent de celui des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), instituées par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi et mises en place depuis le 1er juillet 2017. L’objectif de l’observatoire étant en effet de favoriser les négociations au plus près du terrain, ses membres sont tenus d’exercer une activité professionnelle dans la région. De plus, ces derniers interviennent auprès des entreprises du département, niveau pour lequel les organisations sont en mesure d’apporter des solutions concrètes aux difficultés rencontrées par les entreprises de leur ressort.

Compte tenu de l’ensemble des avancées proposées par l’ordonnance pour encourager le dialogue social à tous les niveaux de négociation, le rapporteur tient à saluer la création de ces observatoires, qui pourront être d’une aide précieuse pour accompagner les négociations dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

C.   Accord majoritaire et recours à la consultation des salariés

Compte tenu de la place croissante des accords d’entreprise, la loi du 8 août 2016 ([17]) a souhaité conférer une pleine légitimité aux normes conventionnelles issues de la négociation d’entreprise en introduisant deux nouveautés : la validation à la majorité des accords d’entreprise, dont la mise en place doit être réalisée progressivement et, à défaut, la possibilité de valider des accords minoritaires par référendum d’entreprise.

Les articles 10 et 11 de l’ordonnance n° 2017-1385 proposent d’aménager les règles applicables à ces deux dispositifs, en accélérant d’une part le calendrier de mise en place des accords majoritaires, et en étendant d’autre part les possibilités de recours au référendum d’entreprise.

1.   L’accélération du calendrier de mise en place des accords majoritaires

En application de l’article L. 2232-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi 8 août 2016, les accords d’entreprise ou d’établissement doivent désormais être signés par l’employeur et par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel (DUP) ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants.

Cette condition représente une avancée majeure par rapport à l’ancien dispositif, en vertu duquel, pour être valide, un accord d’entreprise devait à la fois être signé par l’employeur et par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, et ne pas être frappé d’opposition majoritaire – c’est-à-dire qu’une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles ne devaient pas avoir manifesté leur opposition à l’accord.

L’accord majoritaire donne ainsi une légitimité incontestable aux accords négociés au sein de l’entreprise. Cependant, la loi du 8 août 2016 avait décalé l’entrée en vigueur des accords majoritaires au 1er septembre 2019, afin de permettre aux différentes parties prenantes de s’approprier le dispositif.

Néanmoins, pour adapter les modalités de validation des accords d’entreprise à la montée en puissance de la négociation d’entreprise proposée par le Gouvernement, le c) du 2° de l’article 1er de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 proposait de « modifier les modalités dappréciation du caractère majoritaire des accords », notamment en aménageant, le cas échéant, « le calendrier et les modalités de généralisation de ce caractère majoritaire ».

L’article 11 de l’ordonnance n° 2017-1385 propose donc d’avancer de plus d’une année la date d’entrée en vigueur des accords majoritaires, au 1er mai 2018, en modifiant à cette fin l’article 21 de la loi du 8 août 2016.

Il convient de relever toutefois que, conformément à l’article 17 de la présente ordonnance, les règles de validation des accords définies à l’article L. 2232-12 du code du travail s’appliquent déjà aux accords collectifs portant sur la durée du travail, les repos et les congés et aux accords mentionnés à l’article L. 2 254-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’article 3 de cette même ordonnance. Ces règles de validation des accords s’appliqueront également aux accords relatifs à la rupture conventionnelle collective dès que les dispositions relatives à ces accords seront entrées en vigueur, comme le prévoit le III de l’article 40 de l’ordonnance n° 2017-1387 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

2.   La possibilité de recourir à la consultation des salariés à défaut d’accord majoritaire étendue à l’employeur

a.   L’extension du recours au référendum à l’employeur

Si la condition de majorité de 50 % n’est pas remplie, mais que l’accord a été signé à la fois par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages aux dernières élections professionnelles, l’article L. 2232-12 du code du travail permet à une ou plusieurs de ces organisations de solliciter l’organisation d’une consultation des salariés. Cette dernière peut être demandée dans un délai d’un mois à compter de la signature du projet d’accord. Si, au terme de la consultation, le projet est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, il est alors considéré comme un accord valide.

Le référendum offre ainsi une « deuxième chance » à un accord qui n’aurait pas remporté l’adhésion majoritaire des organisations syndicales.

Pour encourager la conclusion d’accords au sein de l’entreprise, le b) de l’article 1er de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 autorisait le Gouvernement à prendre toute mesure visant à faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord, « à linitiative dun syndicat représentatif dans lentreprise, de lemployeur ou sur leur proposition conjointe ».

L’article 10 de l’ordonnance n° 2017-1385 propose en conséquence d’étendre à l’employeur la possibilité de recourir à la consultation des salariés, alors que la loi du 8 août 2016 n’offrait cette faculté qu’aux organisations syndicales.

Le 1° du I de l’article 10 modifie en effet l’article L. 2232-12 afin de permettre à l’employeur de demander l’organisation de cette consultation. Néanmoins, deux garde-fous sont prévus :

 l’initiative de l’employeur ne pourra ainsi intervenir que dans un second temps, si les organisations syndicales n’ont pas souhaité demander l’organisation de la consultation, ou si elles ne l’ont pas fait dans le délai imparti d’un mois ;

 en outre, la consultation ne pourra être organisée si l’ensemble des organisations signataires de l’accord s’y opposent.

b.   Les modalités de négociation du protocole organisant les modalités de la consultation des salariés

En cas d’organisation de la consultation des salariés, les modalités de cette dernière seront définies par un protocole spécifique conclu entre l’employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections professionnelles, quel que soit le nombre de votants.

Ces modalités de négociation du protocole spécifique sont nouvelles : l’ancienne rédaction de l’article L. 2232-12 excluait en effet les organisations syndicales non signataires de la négociation du protocole et la réservait aux seules organisations signataires du projet d’accord. Or, dans une décision du 20 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, considérant qu’« en prévoyant que seules les organisations syndicales qui ont signé un accord dentreprise ou détablissement et ont souhaité le soumettre à la consultation des salariés sont appelées à conclure le protocole fixant les modalités dorganisation de cette consultation, les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui ne repose ni sur une différence de situation ni sur un motif dintérêt général » ([18]). En étendant à l’ensemble des organisations représentant plus de 30 % des organisations syndicales représentatives, et non plus aux seules organisations signataires du projet d’accord, la nouvelle rédaction retenue par l’ordonnance n° 2017-1385 permet de contourner cet écueil.

Les autres règles applicables à la consultation des salariés sont inchangées. Il convient seulement de relever que le recours au référendum n’est pas absolu : plusieurs dispositions issues des ordonnances permettent en effet la validation d’un accord d’entreprise ou d’établissement par voie majoritaire, mais interdisent le recours au référendum en cas d’échec de la négociation : c’est le cas, par exemple, de l’accord fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts dans le cadre de la création du comité social et économique (art. L. 2313-2).

VII.   Accélération de la procédure de restructuration des branches professionnelles

Alors qu’elles représentent un niveau incontournable de négociation collective et de dialogue social, les branches professionnelles sont encore très nombreuses dans le paysage conventionnel, et sont dotées de moyens d’action très hétérogènes.

Afin d’accélérer le mouvement de restructuration de ces branches d’ores et déjà engagé par la loi du 8 août 2016, le d) du 2° de l’article 1er de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 habilitait donc le Gouvernement à modifier la section 8 du chapitre Ier du titre VI du livre II de la deuxième partie du code du travail relative à la restructuration des branches professionnelles et l’article 25 de la loi du 8 août 2016 afin :

 d’une part, de préciser les moyens de restructuration à la disposition du ministre chargé du travail ;

 d’autre part, de réduire de trois ans à deux ans le délai dans lequel la restructuration des branches devra être effectuée.

Les branches professionnelles jouent un rôle clé en matière de négociation collective. C’est en effet à leur niveau que sont définies un ensemble de garanties minimales pour les salariés, notamment en matière de salaire minimum ou de prévoyance. Elles régulent également la concurrence entre les entreprises relevant de leur secteur d’activité.

Pour être à la hauteur de ces objectifs, les branches professionnelles doivent être en mesure d’élaborer des normes conventionnelles de qualité, facilement applicables par les entreprises de leur ressort. Pourtant, le paysage conventionnel actuel se caractérise encore par un grand nombre de branches, dont certaines ne disposent que de moyens limités et ont, de ce fait, une activité conventionnelle très réduite, voire inexistante.

Pour remédier à ce constat, larticle 25 de la loi du 8 août 2016 a défini une feuille de route de restructuration des branches professionnelles, qui se fixait pour objectif de réduire de 700 à 200 environ le nombre de branches professionnelles, dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de ladite loi.

Au regard de l’ambition du Gouvernement de développer le dialogue social et la négociation collective à tous les niveaux, y compris au niveau des branches professionnelles, ce mouvement de restructuration doit impérativement être poursuivi. Mais compte tenu des enjeux attachés à la restructuration, ce mouvement doit également être accéléré, car seules des branches renforcées, bénéficiant de moyens d’action suffisants, seront en mesure de remplir leurs missions.

Le 1° de l’article 12 de l’ordonnance n° 2017-1385 propose donc, dans un premier temps, de préciser l’un des outils à la disposition du ministre chargé du travail (cf. encadré ci-après) pour procéder à la restructuration, en indiquant que le ministre peut engager une procédure de fusion du champ d’application des conventions collectives d’une branche avec celui d’une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues dès lors que la branche « compte moins de 5 000 salariés ». La rédaction antérieure, moins précise, autorisait cette fusion lorsque la branche était « caractérisée par la faiblesse des effectifs salariés ».

 

Les outils de la restructuration des branches professionnelles mis à la disposition du ministre chargé du travail

(Définis par la section 8 du chapitre Ier du titre VI du livre II de la deuxième partie du code du travail et précisés par le décret n° 2016-1540 du 15 novembre 2016)

● Procédure de fusion : le ministre chargé du travail peut, « eu égard à lintérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles », engager une procédure de fusion du champ d’application des conventions collectives d’une branche avec celui d’une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues :

− lorsque la branche est caractérisée par la faiblesse des effectifs salariés ;

− lorsqu’elle n’a pas négocié au cours des trois dernières années sur plusieurs thèmes relevant de la négociation obligatoire (salaires, classifications…) ;

− lorsque la branche a un champ d’application uniquement régional ou local ;

− lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative d’employeurs ;

− lorsque la branche n’a pas mis en place ou réuni la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation mentionnée à l’article L. 2232-9 (ce critère entre en vigueur au 1er janvier 2019).

● Procédure délargissement : le ministre peut également élargir le champ d’application géographique ou professionnel d’une convention collective, afin d’intégrer un secteur territorial ou professionnel non couvert par une convention collective

● Procédure dextension : le ministre peut refuser l’extension d’une convention collective, eu égard à l’intérêt général de restructuration des branches professionnelles.

● Refus darrêter la liste des partenaires sociaux : le ministre peut enfin décider de ne pas arrêter la liste des organisations professionnelles d’employeurs et des organisations syndicales de salariés représentatives des branches présentant une ou plusieurs des caractéristiques ci-dessus mentionnées (faiblesse de l’activité conventionnelle ou des effectifs…).

Les 2° et 3° de l’article 12 modifient ensuite l’article 25 de la loi du 8 août 2016, afin de réduire de trois ans à deux ans, à compter de la publication de cette même loi, la durée pendant laquelle la restructuration des branches professionnelles devra être effectuée. La nouvelle échéance de la restructuration est donc le mois d’août 2018.

VIII.   une nouvelle obligation d’information incombant à l’employeur

L’article 13 de la présente ordonnance pose une nouvelle obligation d’information à l’employeur : celui-ci doit en effet informer ses salariés sur l’existence du site de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), reprenant les adresses des organisations syndicales de salariés  représentatives dans la branche dont relève l’entreprise.

Cette disposition permet aux salariés de connaître précisément les coordonnées des organisations syndicales pouvant les accompagner dans les négociations, laissant à la Direccte la responsabilité d’actualiser ces données chaque année.

IX.   article 14 : suppression de la commission de refondation du code du travail

L’article 14 de l’ordonnance n° 2017-1385 relative au renforcement de la négociation collective tire les conséquences de la nouvelle architecture conventionnelle mise en place en supprimant les dispositions figurant dans la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 qui n’ont dès lors plus lieu d’être.

Il s’agit de l’abrogation :

– de l’article 1er de cette loi, relatif à la commission de refondation du code du travail, qui devait attribuer une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et son champ d’action, dans le respect du domaine de la loi fixé par l’article 34 de la Constitution, en vertu duquel seule la loi peut fixer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. Dès lors que les présentes ordonnances procèdent à cette refondation dans les domaines dans lesquels il est pertinent de donner sa place à la négociation collective pour fixer les règles applicables, les travaux de cette commission n’ont plus lieu d’être ;

– des VI et VII de l’article 24 de cette même loi, qui soumettaient les branches à l’obligation de négocier, dans un délai de deux ans, sur l’ordre public conventionnel applicable dans leur secteur et en particulier sur les domaines dans lesquels la branche doit pouvoir disposer d’un monopole ou d’une primauté par rapport aux accords d’entreprise. L’absence d’engagement des négociations devenait ainsi un critère pris en compte par le ministre chargé du travail pour procéder à la fusion ou à la restructuration des branches. Enfin, ces dispositions prévoyaient la remise par les branches, avant le 31 décembre 2018, d’un rapport dressant le bilan de la négociation menée en leur sein sur l’ordre public conventionnel. L’ensemble de ces dispositions n’ont plus vocation à être maintenues dès lors que l’architecture globale de l’ordre public conventionnel est revue dans le cadre de la présente ordonnance.

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Article 2 [nouveau]
Modification de plusieurs dispositions issues de lordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective

Cet article résulte de l’adoption par la commission des affaires sociales de quatre amendements visant à modifier les dispositions du code du travail introduites par l’ordonnance n° 2017-1385 précitée.

Il s’agit en premier lieu d’un amendement du rapporteur (AS 225) venu préciser la définition de la convention d’entreprise, afin de s’assurer que les accords de groupe sont expressément couverts par cette catégorie.

La commission a ensuite adopté un amendement du rapporteur (AS 226) pour fixer à deux mois le délai imparti à l’employeur pour engager la procédure de licenciement du salarié après notification par ce dernier de son refus de se voir appliquer les stipulations d’un accord de compétitivité.

S’agissant de la périodicité des négociations collectives, de branche et d’entreprise, deux amendements du rapporteur ont été adoptés pour d’une part, clarifier le contenu des accords de méthode, afin de bien distinguer ce qui relève du contenu des négociations et ce qui relève de leur périodicité (AS 228), et d’autre part, pour aligner la durée maximale d’un accord de méthode sur la périodicité maximale des thèmes de négociation (AS 227).

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Compte rendu des débats sur les articles 1 et 2

Mme la présidente, Brigitte Bourguignon. Nous allons commencer par les amendements portant sur les titres des ordonnances et sur l’ordonnance n° 2017-1385.

Je vous rappelle que l’examen de l’article unique est réservé jusqu’à la fin des amendements portant article additionnel concernant cette ordonnance.

La commission est saisie des deux amendements identiques AS27 de M. Jean-Hugues Ratenon et AS71 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cette ordonnance établit la règle de primauté de l’accord d’entreprise et réorganise la négociation des accords. La nouvelle architecture du code du travail en trois parties nous convient. Nous ne pensons pas que les accords d’entreprise induiront nécessairement une dégradation de la situation des salariés, nous faisons confiance aux partenaires sociaux. Donner plus de place à la négociation collective est un projet ancien, qui prospère de loi en loi, mais nous regrettons que vous n’attendiez pas les résultats de l’expérimentation prévue dans la loi El Khomri avant de procéder à la généralisation de cette nouvelle architecture.

Le conflit dans le secteur des transports routiers a montré qu’une période d’expérimentation pouvait être profitable. Les partenaires sociaux ont signé un protocole d’accord intégrant dans les salaires minimas hiérarchiques relevant de la primauté des accords de branche une série d’éléments de rémunération, et ce pour éviter que des entreprises dérogent à ces primes, comme le permet désormais l’ordonnance que nous examinons. C’est pourquoi nous vous proposons de laisser l’expérimentation votée par notre assemblée aller à son terme avant de légiférer de nouveau.

M. Adrien Quatennens. L’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 opère une inversion de la hiérarchie des normes. Il modifie la définition des accords collectifs de branche dans le code du travail en empêchant les partenaires sociaux de choisir des sujets autres que ceux définis par la loi, sur lesquels ces accords priment sur les accords d’entreprise.

Désormais, pour tous les sujets qui ne sont pas mentionnés explicitement dans le code du travail, l’accord d’entreprise primera sur l’accord de branche, même lorsqu’il est moins favorable aux salariés. Cela concerne des sujets comme les primes salariales, le niveau de prise en charge des arrêts maladie en plus des minima légaux, les congés exceptionnels pour événement familial, pour enfants malades ou maternité en plus des minima légaux.

Désormais, le code du travail autorise les entreprises d’un même secteur à s’engager dans une course au moins disant social, au dumping au sein d’une branche. Dans de nombreux secteurs, les salariés risquent de voir leurs salaires baisser, via notamment la suppression ou la baisse des primes. Nous considérons que la concurrence généralisée ouverte entre les salariés par cette inversion de la hiérarchie des normes est néfaste aux salariés comme à l’économie française. Nous proposons donc de rétablir la hiérarchie des normes entre les accords de branche et les accords d’entreprise telle qu’elle était définie par le code du travail avant la publication de l’ordonnance du 22 septembre.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur de la commission des affaires sociales. Avis défavorable. Nous avons avec M. Quatennens une opposition de fond sur les relations du travail : nous, nous plaçons la confiance au cœur du dialogue social. Nous ne partons pas du principe qu’il existerait un rapport de force dans l’entreprise, car nous pensons, au contraire, qu’il est possible de co-construire. Le niveau de proximité le plus adapté pour fixer de nombreuses règles est celui de l’entreprise : c’est le principe de subsidiarité. Mais l’ordonnance renforce aussi le rôle de la branche, et ce même grandement puisque treize domaines s’y trouvent maintenant.

Mme la ministre a répondu hier à certaines inquiétudes exprimées à l’instant par M. Vallaud. Sans prétendre qu’il existerait un parfait consensus entre nous, lui et moi souhaitons que les partenaires sociaux occupent les territoires de dialogue ouverts par ces ordonnances.

La commission rejette ces amendements.

La commission examine ensuite lamendement AS225 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il n’y a pas de doute quant au fait que les conventions d’entreprise couvrent aussi les accords de groupe, car l’article L. 2232-33 du code du travail, qui n’a pas été modifié par les ordonnances, prévoit bien que « lensemble des négociations prévues par le présent code au niveau des entreprises peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions ». Néanmoins, dès lors que l’ordonnance se propose de donner une définition claire de la convention de branche et de la convention d’entreprise, il me semble utile que cette dernière précise bien qu’elle couvre aussi les accords de groupe.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. C’est une précision bienvenue. Les partenaires sociaux peuvent tout à fait décider que, sur certains sujets, le groupe soit le bon niveau pour négocier les normes internes.

La commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS41 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 1er de l’ordonnance relative à la négociation collective prévoit de généraliser l’inversion de la hiérarchie des normes. La primauté de l’accord d’entreprise devient la règle et l’accord de branche conserve par exception treize domaines.

Ces dispositions ne renforcent aucunement le rôle de la branche, comme cela a pu être dit, et, lorsque la branche se voit élargir des champs de compétences, cest au détriment de la loi dordre public. Pourtant, un amendement de notre groupe adopté au moment de la loi dhabilitation imposait que la nouvelle articulation des normes se fasse « dans le respect des dispositions dordre public ».

L’article remet donc en cause l’ensemble de l’édifice conventionnel construit depuis de nombreuses années, avec pour premier objectif d’abaisser le coût du travail. C’est le recul de la loi commune pour tous au profit du tout négociable, avec un droit du travail différent d’une entreprise à l’autre, ouvrant la voie au dumping social.

Pour ces raisons, nous demandons l’abrogation de ces dispositions et le rétablissement d’une véritable hiérarchie des normes, en vertu de laquelle une norme de niveau inférieur ne peut déroger à une norme supérieure.

M. le rapporteur. Cet amendement repose sur l’idée, fausse à mon sens, que l’ordonnance procède à l’inversion de la hiérarchie des normes. Lors des auditions, les juristes et enseignants – pour laisser à chacun son appréciation en ne parlant pas d’experts, même si la compétence est là – ont souligné qu’il n’y avait pas de telle inversion. J’ai repris quelques-uns de leurs arguments juridiques. Les accords collectifs continuent d’être soumis aux dispositions légales, et le principe de faveur reste clairement applicable. L’article L. 2251-1 qui l’énonce n’est pas modifié. C’est d’ailleurs pourquoi il ne nous a nullement semblé problématique, au stade de l’habilitation, d’adopter votre amendement qui rappelait que la nouvelle architecture conventionnelle devait se faire dans le respect des règles d’ordre public.

Il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes mais l’instauration d’une nouvelle architecture conventionnelle. Autrement dit, on ne modifie pas la loi mais l’ordre de priorité des normes conventionnelles, c’est-à-dire la manière dont s’appliquent les accords collectifs, en prévoyant que, par défaut, c’est l’accord d’entreprise qui prime, sauf pour des questions pour lesquelles il est plus pertinent et plus logique que ce soient les branches qui se saisissent.

Vous avez le droit de dire que vous êtes contre cette primauté de l’accord d’entreprise, et nous avons là un désaccord, mais, juridiquement, il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes.

La commission rejette cet amendement.

Puis elle est saisie de lamendement AS180 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’article 1er de l’ordonnance opère bien une inversion de la hiérarchie des normes, monsieur le rapporteur. Vous modifiez la définition des accords collectifs de branche dans le code du travail en ne donnant compétence aux branches que sur les sujets définis par la loi sur lesquels ils priment sur les accords d’entreprise. Désormais, pour tous les sujets qui ne sont pas mentionnés explicitement dans le code du travail, les accords d’entreprise primeront sur les accords de branche, même lorsqu’ils sont moins favorables aux salariés. Cela concerne des sujets comme les primes, le niveau de prise en charge des arrêts maladie en plus des minima légaux, les congés exceptionnels pour événement familial, pour enfants malades ou maternité en plus des minima légaux.

Le code du travail autorise ainsi les entreprises d’un même secteur à s’engager dans une course au moins disant social sur l’ensemble de ces sujets. Dans de nombreux secteurs, les salariés risquent une baisse de salaire, via notamment la suppression ou la baisse des primes. Nous considérons que la concurrence généralisée ouverte entre les salariés par l’inversion de la hiérarchie des normes est néfaste aux salariés et à l’économie française. Nous proposons donc de rétablir la hiérarchie des normes entre accords de branche et accords d’entreprise telle qu’elle était définie par le code du travail avant la publication de l’ordonnance du 22 septembre.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Votre amendement opère un retour au droit antérieur sur l’architecture conventionnelle.

Je l’ai déjà dit et je le répète : il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes. Les accords collectifs continuent à être soumis aux dispositions légales d’ordre public. Et il n’y a pas de remise en cause du principe de faveur, qui reste inchangé, à l’article L. 2251-1. Votre inquiétude n’est pas justifiée. Ce qui est modifié, c’est l’architecture conventionnelle : le rapport entre les différents niveaux de négociation, où en effet, et nous l’assumons pleinement, la primauté est donnée, autant que faire se peut, au niveau de l’entreprise, c’est-à-dire le niveau de proximité. Nous sommes convaincus qu’une norme négociée au plus près du terrain a plus de chances d’être adaptée aux situations spécifiques des entreprises et de leurs salariés, et que son degré d’acceptabilité est aussi plus élevé.

Les exemples que vous donnez sont inexacts. La prise en charge des arrêts maladie au-delà des minima légaux relève de la primauté de l’accord de branche : c’était déjà le cas avant et ce sera toujours le cas. Il s’agit des garanties complémentaires collectives mentionnées à l’article L. 912-1, qui concernent la couverture santé et prévoyance des salariés. Ne nous faisons pas peur avec ce qui n’existe pas.

S’agissant des congés pour événements familiaux, il n’y a pas non plus de changement par rapport au droit issu de la loi du 8 août 2016. Cette loi a effectivement donné la primauté à l’accord d’entreprise sur la fixation de l’ensemble des congés, mais dans le respect d’un plancher légal. C’est le fameux socle, que nous considérons indispensable. L’ordonnance ne modifie rien sur ce point.

M. Pierre Dharréville. Merci, monsieur le rapporteur, de reconnaître l’existence de désaccords entre nous.

La subtilité de votre raisonnement méchappe sans doute car je ne saisis pas la différence entre une modification de lordre de priorité des normes conventionnelles, ce que nous appelons une inversion de la hiérarchie des normes, et une modification de larchitecture conventionnelle, car, au final, lordre des normes est bel et bien modifié. Il y a en outre écrêtement puisque vous renoncez à dégager des lignes communes, ce qui était lobjet de la loi. Si larticle L. 2251-1 nest pas modifié, larticle L. 2253-1, qui prévoit la possibilité de déroger aux accords de branche sil existe des garanties au moins équivalentes, lest quant à lui.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS28 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Adrien Quatennens. Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que l’ordonnance n’inverse pas la hiérarchie des normes, mais l’article 1er de l’ordonnance procède bien à une telle inversion car il affaiblit les protections des salariés par la loi pour les remplacer par d’hypothétiques accords collectifs. Par exemple, il supprime tout cadre légal à la durée et au renouvellement des contrats à durée déterminée et d’intérim, au recours aux contrats de chantier et à la durée et au renouvellement des périodes d’essai. Ce sont les branches qui fixeront toutes ces dispositions. Sachant qu’il existe quelque 700 branches dans notre pays, cela donnera potentiellement 700 règles différentes.

Confier à la négociation des dispositions aussi importantes nous paraît en totale contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre social français, fondés sur la protection universelle de la loi. Depuis 1982, la part des contrats précaires dans l’emploi a triplé. Aujourd’hui, 86 % des embauches se font en contrat à durée déterminée (CDD). Permettre aux branches d’augmenter le nombre de renouvellements maximums des contrats précaires ne fera qu’aggraver cette situation. La précarité de l’emploi empêche les salariés qui la subissent de se réaliser dans leur vie personnelle : trouver un logement, fonder une famille devient plus difficile lorsque la sécurité des revenus n’est pas assurée. Elle est également un problème pour la consommation populaire, principal moteur de l’activité française. Nous pensons donc qu’augmenter les possibilités pour les employeurs de recourir à des contrats précaires est contraire à l’intérêt général, c’est pourquoi nous proposons de supprimer ces dispositions de l’article L. 2253‑1.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Votre amendement vise à supprimer la possibilité pour les branches de négocier en matière de CDD, d’intérim, de contrats de chantier, de renouvellement de périodes d’essai, plusieurs éléments que l’ordonnance a confiés à la négociation de branche. Nous avons voulu donner du champ à la démocratie sociale. Nos auditions nous ont rappelé que les représentants des organisations syndicales et patronales au niveau des branches sont des gens de bon niveau, informés, ayant la formation technique et socio-économique adéquate, et qui connaissent le contexte dans lequel évoluent les entreprises de leurs branches. Cela a donc du sens de concéder du terrain à la démocratie sociale dans la branche.

Il s’agit de dispositions, en tout cas pour les CDD et l’intérim, qui avaient auparavant un statut légal, qui étaient, autrement dit, d’ordre public, et que l’ordonnance a choisi d’ouvrir à la négociation de branche. Mais cela ne concerne évidemment pas toutes les mesures en matière de CDD et d’intérim puisque, je le rappelle, les motifs de recours à ce type de contrats restent d’ordre public. C’est le fameux socle que nous recherchons et qu’au fond vos propositions mettent également en valeur. L’ordonnance a simplement choisi de permettre aux branches de fixer à leur niveau, pour leurs secteurs d’activité, la durée et les conditions de renouvellement de ces contrats, ainsi que le délai de carence entre deux contrats successifs sur un même poste. Il est donc faux de dire que l’ensemble des règles relatives aux CDD et à l’intérim basculent dans le champ de la négociation.

En revanche, il a été jugé utile que certains éléments puissent effectivement relever de la marge de manœuvre des partenaires sociaux au niveau de la branche, et qu’ils puissent donc être négociés.

Un mot en réponse à M. Dharréville, qui m’a interpellé sur l’amendement précédent. La hiérarchie des normes est la hiérarchie entre la Constitution, la loi et les accords. Nous ne l’avons pas remise en cause. L’architecture conventionnelle dont je parle ne concerne que les accords collectifs et non le rapport entre la loi et l’accord.

M. Francis Vercamer. Ce n’est pas la hiérarchie des normes qui a été changée mais le principe de faveur, par lequel on peut déroger à un dispositif supérieur par un accord de niveau inférieur. Nous y sommes favorables car cela permettra aux entreprises de s’adapter localement. Il faut que le Gouvernement assume sa réforme.

M. Quatennens a parlé de 700 règles différentes. Une négociation a été engagée pour réduire le nombre de branches : je souhaite savoir où l’on est, car plus il y a de branches et plus il y a de dispositions différentes, et cela complique en effet beaucoup le droit du travail.

Mme la ministre. Je partage pleinement l’analyse du rapporteur. La question est de savoir si nous faisons confiance au dialogue social. Pour ma part, je lui fais entièrement confiance. Les organisations syndicales, nécessaires, sont en mesure de discuter avec leurs employeurs. Certains sujets sont plus pertinents au niveau de la branche, d’autres doivent être traités en proximité. Le dialogue, c’est la meilleure protection pour les salariés et les meilleures conditions de réussite pour les entreprises. Les ordonnances ne renforcent pas le pouvoir unilatéral de l’employeur. Le Gouvernement et le Parlement définissent un cadre pour que les acteurs s’en saisissent, car ce n’est pas nous qui allons régler tous les sujets du quotidien des entreprises.

M. Adrien Quatennens. Quand Bruno Le Maire a défendu dans l’hémicycle la trajectoire budgétaire de votre Gouvernement, nous avons compris qu’elle reposait sur la croyance. Il a dit en effet : « Nous croyons quen libérant le capital nous stimulerons les investissements qui créeront demain des emplois. » « Nous croyons… » ?! Eh bien, je ne pense pas, alors que notre pays compte neuf millions de pauvres, que le débat budgétaire puisse reposer sur la croyance.

De même, je ne pense pas, s’agissant des relations de travail, que nous puissions tout miser sur la confiance. Il faut des garanties. Or les mesures que vous prenez sont sans contrepartie pour l’emploi, comme dans le budget. Je ne prétends pas que le dialogue social ne fonctionnera nulle part, mais le législateur doit prévoir le cas des contrevenants. Si les dispositions budgétaires que vous prenez étaient fléchées vers l’investissement productif et l’économie réelle, nous pourrions en reparler, même si cela n’ôte rien au fait qu’il existe une disproportion importante dans le budget. Mais nous refusons les paris hasardeux.

M. Pierre Dharréville. M. Vercamer a raison en ce qui concerne la mise en cause du principe de faveur. Le mouvement d’inversion, amorcé auparavant, est amplifié par votre réforme et ses multiples inversions dans l’ordre des normes.

Discuter au sein des branches, cela s’est toujours fait et c’est parfois ces discussions qui ont fait évoluer la loi, mais dans le cadre d’une position en quelque sorte arbitrale, d’une intervention du pouvoir législatif. Vous proposez aujourd’hui un nouvel affaiblissement de ce pouvoir.

Il faudrait selon vous, madame la ministre, faire confiance à une sorte de loi naturelle, car c’est bien à cela que revient la suppression des normes législatives. C’est la négation de l’existence de rapports de force dans la société et dans les entreprises. Or, que vous le vouliez ou non, c’est au gré de ces rapports de force, que vont s’écrire les normes.

Quand nous avons auditionné les organisations syndicales de salariés, l’un des intervenants a indiqué que les entreprises vertueuses n’auront rien gagné par ces ordonnances. Je pense que cela devrait nous faire réfléchir.

Mme Monique Iborra. Une organisation syndicale majeure qui s’opposait à la loi El Khomri avec le même discours que celui de nos collègues, approuve aujourd’hui les propositions du Gouvernement, avec quelques réserves. Vous qui faites confiance aux organisations syndicales, vous devriez reconnaître avec celle-ci, qui accepte d’abandonner une certaine définition de la hiérarchie des normes, qu’un progrès a été accompli.

Il ne s’agit pas d’un ordre naturel. Les salariés ont le droit de négocier, de dire ce qu’ils veulent dans leur exercice professionnel. Il faut vivre avec son temps. La législation ne se construit pas sur des principes idéologiques intangibles mais sur la réalité de tous les jours, y compris dans les entreprises.

La commission rejette cet amendement.

Elle est saisie ensuite de lamendement AS29 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’extension des accords collectifs de branche permet que l’ensemble des salariés d’un secteur soient couverts et protégés par un accord de branche même si leur employeur n’est pas adhérent à une organisation patronale signataire de l’accord. L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective propose de conditionner l’extension des accords à la création de dispositions spécifiques pour les petites entreprises. Ce faisant, elle permet que des dispositions moins favorables aux salariés des petites entreprises soient intégrées à l’intérieur même des accords de branche. Ces ordonnances créent de fait des salariés de seconde zone : ceux des petites entreprises qui auront moins de droits que les autres. Nous nous opposons à cette logique et proposons donc de supprimer les articles du code du travail qui autorisent cette situation indigne.

M. le rapporteur. Je crois qu’il y a un malentendu quant à l’objectif et à la portée des dispositions que vous souhaitez voir supprimer. En effet, il ne s’agit pas, ici, de faire des salariés des TPE des salariés de seconde zone, au contraire. Je crois avoir bien souligné, hier, que le texte visait à favoriser les TPE et les PME. Or, favoriser ces entreprises, c’est favoriser, non pas les employeurs, mais l’entité, qui comprend les salariés et l’employeur. Peut-être est-ce cette conception de l’entreprise qui nous distingue.

Jusqu’à présent, il n’était pas possible de conclure des accords d’entreprise dans les TPE et PME car elles n’avaient pas la possibilité d’engager un dialogue social. Certes, celui-ci existait déjà, mais nous proposons de l’organiser, de le formaliser et de lui donner une certaine consistance. Actuellement, les accords de branche prennent insuffisamment en compte les spécificités de ces entreprises, qui ont pourtant particulièrement besoin d’être couvertes par les garanties et les normes définies au niveau de la branche, en raison de leurs difficultés à édicter leurs propres règles. De fait, on l’a évoqué dans le cadre des travaux préparatoires, les représentants de salariés issus des TPE sont peu nombreux au niveau des branches, voire absents. Les ordonnances vont leur donner la possibilité d’y être présents, pourvu que les organisations syndicales cherchent à fédérer dans ce nouveau territoire.

L’article 2 de l’ordonnance a ainsi pour principal objet d’obliger les branches à mieux réfléchir à la manière dont les règles qu’elles édictent ont ou non un sens, soulèvent ou non des difficultés pour les TPE. En tout cas, je le redis, cette disposition, loin d’être anti-salariés des TPE, doit leur permettre d’être pris en compte dans leur spécificité. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine les amendements identiques AS31 de M. Jean-Hugues Ratenon et AS42 de M. Pierre Dharréville.

M. Adrien Quatennens. Les accords de préservation ou de développement de l’emploi (APDE), introduits dans le code du travail par la loi du 8 août 2016, permettent d’ores et déjà à des entreprises de déroger aux dispositions légales qui régissent l’organisation du temps de travail des salariés, sans même devoir le justifier par l’existence de difficultés économiques. Or, l’ordonnance va plus loin, puisqu’elle permet que, par ces accords, soit diminuée la rémunération mensuelle des salariés. Concrètement, en effet, l’article L. 2254-2 du code du travail tel que modifié par l’ordonnance permettrait à des entreprises de baisser les salaires sans qu’aucune raison réelle et objective ne soit invoquée pour justifier cette baisse. Les salariés seront sans doute heureux d’apprendre qu’une fois que ces ordonnances s’appliqueront, leur salaire pourra diminuer selon le bon vouloir de celui qui fixe le cadre et les conditions de la discussion, c’est-à-dire l’employeur. À ce propos, nous ne prétendons pas que le dialogue social n’existe pas, mais pour votre part, vous en faites la promotion en niant le rapport de force et le lien de subordination qui caractérise les rapports sociaux.

Cette logique dangereuse va accélérer la course aux bas salaires et au dumping social, dumping que nous voulons combattre au niveau européen et que vous réintroduisez au niveau national et au sein même des branches. Sous le couvert de la lutte contre le chômage de masse, vous organisez la précarité généralisée. Ce faisant, vous allez mettre en difficulté les entreprises françaises, dont la croissance repose principalement sur la demande intérieure, sur la consommation des ménages, donc sur les salaires. Nous nous opposons à cette logique ; c’est pourquoi nous voulons supprimer cette disposition.

M. Pierre Dharréville. Le nouvel article L. 2254-2 du code du travail tel qu’issu de l’ordonnance relative à la négociation collective prévoit d’harmoniser le régime des accords d’entreprise primant sur le contrat de travail, à savoir les accords de réduction du temps de travail, de mobilité interne, de maintien dans l’emploi et de préservation ou de développement de l’emploi. Les stipulations de ces accords se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles des contrats de travail. Ce faisant, cette disposition instaure la primauté de l’accord collectif sur le contrat de travail et crée les conditions d’un possible chantage à l’emploi. En effet, le salarié qui refuserait ces stipulations serait licencié pour un motif spécifique, qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement et le prive du bénéfice des règles plus protectrices du licenciement économique.

Le présent amendement vise donc à abroger ces dispositions ainsi que les accords de préservation ou de développement de l’emploi instaurés par la loi El Khomri.

M. le rapporteur. L’article 3 de l’ordonnance a créé un régime unique pour les accords de compétitivité, là où coexistaient auparavant des régimes très différents quant à leur contenu, à la procédure de conclusion et aux conséquences du refus du salarié de se voir appliquer l’accord. Il me semble qu’il s’agit là d’une clarification nécessaire et bienvenue. Les accords de maintien de l’emploi étaient, de toute façon, très peu utilisés, en raison des contraintes qui avaient été fixées lors de leur création. Le fait que des dispositifs créés par la loi soient peu ou pas utilisés est bien la démonstration qu’il faut laisser intervenir les acteurs directement concernés. Il est donc assez souhaitable qu’ils soient fusionnés avec les accords de préservation ou de développement de l’emploi. D’autres types d’accords collectifs ont un impact sur la rémunération et la durée du travail des salariés, tels que les accords de réduction et d’aménagement de la durée du travail et les accords de mobilité interne. Le choix a donc été fait de proposer un cadre harmonisé répondant pleinement au souci de lisibilité, qui est l’un des maîtres mots de ces ordonnances. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle est ensuite saisie de lamendement AS10 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. L’article 3 de l’ordonnance n° 2017-1385 fusionne les accords de préservation ou de développement de l’emploi, de maintien dans l’emploi, de réduction du temps de travail et de mobilité interne, au profit d’un nouveau type d’accord destiné à « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de lentreprise ou en vue de préserver, ou de développer lemploi ». Il s’agit d’une harmonisation bienvenue des différents accords pouvant primer sur le contrat de travail.

Lorsque l’accord est de nature défensive ou offensive, il convient de préciser qu’il doit être à durée déterminée. En revanche, s’il s’agit d’un accord s’inscrivant dans la continuité des accords de réduction ou de modulation du temps de travail et qu’il a donc vocation à s’appliquer de manière pérenne, il pourra être conclu pour une durée indéterminée. Si l’on comprend la visée minimaliste du dispositif d’harmonisation, il est toutefois important que cet accord précise les modalités de son application dans le temps en dehors de son préambule et de ses objectifs.

M. le rapporteur. Votre amendement comporte deux modifications du nouveau régime unique des accords de compétitivité. Tout d’abord, il vise à rendre obligatoires les items relatifs à son contenu, qui sont facultatifs aux termes du texte issu de l’ordonnance. Ensuite, il impose, s’il s’agit d’un APDE, que l’accord précise la durée de son application.

Sur le premier point, mon avis est défavorable, car ce régime unique recouvre des types d’accords très différents, qui vont des accords de préservation et de développement de l’emploi à des accords de modulation de la durée du travail, dans lesquels, par exemple, il n’a jamais été obligatoire de prévoir des mesures de conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés ou des efforts proportionnés des mandataires sociaux, mesures qui n’auraient pas de sens dans de tels accords. C’est pourquoi le choix a été fait de prévoir un contenu facultatif. En revanche, dans le cadre d’un APDE, les organisations syndicales auront évidemment tout intérêt à demander que l’accord prévoie des efforts proportionnés des mandataires sociaux ou des mesures de conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle, mais autant faire confiance au dialogue social.

Sur le second point, il serait logique qu’un APDE ait une durée limitée et que celle-ci soit précisée dans l’accord. Mais cela relève, là aussi, de la responsabilité des partenaires sociaux. Je vous propose donc de les laisser faire car, à chaque fois que nous reprenons la main, nous limitons la démocratie sociale dont nous souhaitons le développement.

M. Stéphane Viry. Je maintiens l’amendement. Il me paraît très important de définir une durée dans la loi, car le dispositif, très ouvert, léger et flexible, permet des baisses de rémunération, des mobilités et des changements du rythme de travail, qui sont des modalités substantielles du contrat de travail. Or, en l’état actuel du texte, rien n’oblige l’employeur à faire cesser l’application de l’accord. Même si nous faisons, par principe, confiance à l’entreprise, il convient de prévoir une limitation dans le temps, en contrepartie de la liberté que nous lui offrons.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS147 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. Il existe actuellement quatre régimes d’accord différents, qui obéissent à quatre procédures différentes correspondant à autant de motifs de licenciement différents et de modalités d’accompagnement différentes des salariés. L’article proposé tend à harmoniser et à simplifier ces régimes. Si le salarié refuse l’accord, il commet une faute et peut être sanctionné par un licenciement. Il dispose d’un délai d’un mois pour refuser l’accord. Ce délai nouveau ne nous semble pas opportun, car il ne dépend pas de la nature de l’accord. Nous proposons donc sa suppression.

M. le rapporteur. Autant je considère qu’il est nécessaire d’encadrer les délais relatifs à la rupture du contrat à l’issue de la conclusion d’un accord de compétitivité – c’est d’ailleurs pourquoi j’ai moi-même déposé un amendement visant à encadrer le délai dans lequel l’employeur pourra engager une procédure de licenciement à l’encontre du salarié qui a refusé l’application de l’accord –, autant je ne peux vous suivre lorsque vous proposez de supprimer le délai imparti au salarié pour refuser l’application de l’accord. Cela ne me semble pas avoir de sens. Un accord est conclu dans l’entreprise : il a un impact sur la rémunération, la durée du travail, la mobilité des salariés, qui peuvent le refuser. Le fait qu’il soit nécessaire d’obtenir l’acceptation du salarié pour poursuivre la relation de travail revient à considérer, à juste titre, que l’accord collectif en question constitue une modification substantielle de son contrat et qu’elle doit donc être acceptée par le salarié. Considérer que le salarié n’a pas à se prononcer ou qu’il n’est pas soumis à un délai reviendrait à estimer que l’accord n’emporte pas de conséquences sur son contrat de travail, ce qui est faux. Sur le fond, me semble-t-il, nous nous rejoignons. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS148 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. L’ordonnance est très floue lorsqu’elle prévoit que le salarié a un mois pour faire connaître son refus par écrit à compter de la date à laquelle l’employeur « a communiqué dans lentreprise sur lexistence et le contenu de cet accord ». On comprend en effet, à la lecture de cette disposition, que l’information sur l’existence et le contenu de l’accord peut être faite collectivement et par tout moyen. L’absence de délai de communication risque d’être un nid à contentieux. En cohérence avec l’amendement précédent et parce que cette rédaction est source de conflits, nous proposons donc la suppression de la communication par l’entreprise.

M. le rapporteur. Vous proposez de supprimer le point de départ du délai d’un mois imparti au salarié pour faire connaître son refus. Le texte de l’ordonnance prévoit que ce délai court « à compter de la date à laquelle lemployeur a communiqué dans lentreprise sur lexistence et le contenu de laccord. » Je vous accorde que ce délai est trop flou. En effet, on ne sait pas très bien à quoi renvoie l’idée de « communiquer sur », l’expression ne me paraissant pas, du reste, très correcte d’un point de vue syntaxique. Toutefois, je suis très opposé à l’idée de supprimer tout renvoi au point de départ du délai, qu’il me semble au contraire important de préciser. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.

Mme la ministre. Je crois en effet que nous pouvons préciser la rédaction du texte sur ce point sans en modifier le fond. Je vous propose de le faire dans le cadre de la sixième ordonnance, qui vise à corriger un certain nombre d’erreurs de forme, et donc de retirer l’amendement.

M. Boris Vallaud. Nous notons avec satisfaction que vous partagez notre inquiétude quant au flou de la rédaction. Si un autre amendement est déposé, nous retirerons le nôtre. À défaut, nous le maintiendrons.

M. le rapporteur. Si l’amendement est maintenu, j’émets un avis défavorable ; Mme la ministre a indiqué la manière dont elle entendait traiter le problème.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS226 du rapporteur et AS11 de M. Stéphane Viry.

M. le rapporteur. La rédaction issue de l’ordonnance ne donne aucune précision quant au délai imparti à l’employeur pour engager une procédure de licenciement du salarié qui a refusé l’application d’un accord de compétitivité. Il lui serait donc théoriquement possible de procéder à ce licenciement au bout de deux ans, ce qui ne me semble pas souhaitable et ne correspond pas à l’objectif du texte. Au demeurant, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les accords de préservation et de développement de l’emploi dans leur rédaction issue de la loi du 8 août 2016, le Conseil constitutionnel a rendu, le 20 octobre dernier, une décision qui impose au législateur de fixer un délai raisonnable après le refus du salarié, au-delà duquel il n’est plus possible de procéder au licenciement. Cet amendement tend donc à fixer à deux mois, à compter de la notification du refus du salarié de se voir appliquer l’accord de compétitivité, le délai imparti à l’employeur pour engager la procédure de licenciement.

M. Stéphane Viry. L’amendement de M. le rapporteur va dans le même sens que notre amendement AS11, qui vise, quant à lui, à fixer la durée de ce délai à six mois. Certes, il faut faire confiance au dialogue social, mais un délai de deux mois me paraît tout de même un peu court pour laisser aux parties le temps de discuter et, le cas échéant, de trouver une solution. Il est vrai néanmoins qu’un délai bref permet une clarification rapide. Je suis, je l’avoue, partagé. Je vous laisse donc le bénéfice du doute, monsieur le rapporteur, et je me rallie à votre amendement.

Lamendement AS11 est retiré.

Mme la ministre. Je suis favorable à l’amendement du rapporteur, qui prend en compte la décision du Conseil constitutionnel du 20 octobre 2017, dans laquelle celui-ci a admis la conformité à la Constitution des dispositions antérieures aux ordonnances relatives aux accords de préservation et de développement de l’emploi, à la seule réserve qu’un licenciement ne saurait intervenir au-delà d’un délai raisonnable après l’expression du refus du salarié des modifications de son contrat de travail résultant de l’accord, sans méconnaître le droit à l’emploi. L’amendement AS226 a pour objet d’établir un tel délai, fixé à deux mois à compter de la notification du refus du salarié. Ce délai fixe une borne pertinente au-delà de laquelle le licenciement du salarié ne pourra plus être engagé, et il laisse le temps à l’employeur de disposer de l’ensemble des décisions de refus notifiées par les salariés dont le contrat est modifié, ce qui lui permettra d’apprécier le volume global de refus et d’engager, le cas échéant, des procédures de licenciement s’il estime que c’est approprié.

La commission adopte lamendement AS226.

Elle est ensuite saisie de lamendement AS149 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. L’employeur peut engager une procédure de licenciement à l’encontre du salarié qui refuse de se voir appliquer l’accord. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir quel sera le motif de ce licenciement : personnel, économique ou sui generis. Dans le texte, les règles relatives à l’entretien préalable, à la notification du licenciement ou à la présence d’un conseiller chargé d’assister le salarié lors de l’entretien préalable sont identiques à celles applicables au licenciement pour motif personnel. En matière d’accompagnement, le salarié conserve son droit à l’indemnité de licenciement et à l’indemnisation chômage ; en outre, l’employeur doit abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié licencié. Nous saluons cette dernière mesure, même si nous souhaiterions connaître, madame la ministre, le contenu du projet de décret qui doit fixer le nombre d’heures dont sera abondé le CPF.

Par cet amendement, nous souhaitons rappeler notre attachement au motif sui generis du licenciement, qui emporte les mêmes conséquences qu’un licenciement pour motif économique, et au parcours d’accompagnement personnalisé du salarié. En effet, il n’est aucunement fait référence à un parcours spécifique du type de celui qui est prévu dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et vous appliquez des mesures relevant du licenciement pour motif personnel à des points aussi importants que l’entretien préalable. C’est pourquoi nous proposons de rétablir le motif sui generis, ainsi que l’accompagnement spécifique.

M. le rapporteur. Outre qu’il représente un certain coût, votre amendement tend à étendre à tout accord de compétitivité le dispositif du parcours d’accompagnement personnalisé, créé dans le cadre des APDE par la loi du 8 août 2016. Ce dispositif spécifique, financé en partie par l’employeur et pour le reste par Pôle emploi, qui mêle périodes d’immersion et périodes de formation, était approprié dans le cadre des APDE, mais il n’a pas de raison d’être dans le cadre d’un type d’accord qui peut recouvrir des réalités très différentes, en l’occurrence des accords de modulation de la durée du travail ou de réduction du temps de travail. Avis défavorable, donc.

Mme la ministre. L’accord majoritaire est légitime pour définir les normes collectives. Que se passe-t-il pour le salarié qui décide néanmoins de refuser l’application de cet accord ? Trois éléments ne changent pas : les garanties de procédure, notamment l’entretien préalable, pour lequel il peut être assisté s’il le souhaite, l’indemnisation et l’accompagnement personnalisé par Pôle emploi. Nous y ajoutons l’abondement du CPF à hauteur de 100 heures, afin de contribuer au reclassement rapide du salarié. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je ne voudrais pas que lon croie, après votre réponse, madame la ministre, que ce dispositif marque un progrès, puisque laccompagnement spécifique de type CSP disparaît. Cest donc un recul pour les salariés.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS150 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. La possibilité de conclure de tels accords doit s’accompagner d’un droit à l’expertise, quelle que soit la taille de l’entreprise. Or, ce droit jusqu’alors inscrit dans la loi pour les accords de préservation et de développement de l’emploi et financé par l’employeur, n’est plus garanti. Cet amendement propose donc de le rétablir.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à offrir aux institutions représentatives du personnel la possibilité de réaliser une expertise et de mandater à cette fin un expert-comptable, dans le cadre de la négociation d’un accord de compétitivité. Outre qu’il renvoie au comité d’entreprise – lequel, je le rappelle, a vocation à être absorbé dans le comité social et économique (CSE), que nous aborderons au moment du débat sur la deuxième ordonnance –, votre amendement est satisfait, puisque l’article L. 2315-92, dans sa rédaction issue de cette ordonnance, dispose bien que le CSE peut décider de recourir à un expert-comptable de son choix « pour préparer les négociations prévues [notamment à] larticle L. 2254-2 », autrement dit sur un accord de compétitivité. Je vous suggère donc de retirer cet amendement.

M. Boris Vallaud. Je le maintiens.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS43 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 4 de l’ordonnance relative à la négociation collective crée une présomption de légalité, de sorte qu’il appartiendra à celui qui conteste la validité d’un accord de prouver le contraire. L’action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord devrait désormais être engagée, à peine de nullité, avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de sa notification aux syndicats non signataires ou, pour les salariés, de sa publication. Combinées à l’inversion de la hiérarchie des normes, ces dispositions sont très dangereuses. Un accord d’entreprise potentiellement illégal ou moins-disant socialement disposerait en effet de la même force juridique qu’une loi. C’est pourquoi nous demandons l’abrogation d cette disposition.

M. le rapporteur. Cette mesure a principalement pour objet de sécuriser les accords collectifs, dans l’intérêt de tous, me semble-t-il, y compris des organisations syndicales et des salariés. Tout d’abord, le texte ne prévoit pas de présomption de légalité des accords collectifs, et pour cause : une telle présomption serait juridiquement intenable. C’est une option qui n’a pas été retenue par le Gouvernement, qui a préféré simplement rappeler que la charge de la preuve repose sur le demandeur ; cette règle fondamentale du droit civil n’est pas nouvelle en droit du travail.

La fixation dun délai de deux mois pour toute action en nullité dun accord collectif – au lieu du délai antérieur de cinq ans, qui constitue le délai de prescription de droit commun en matière civile tel quil est prévu à larticle 2224 du code civil – ne concerne bien, je le rappelle, que laction en nullité. Elle ne vise pas à empêcher ou à restreindre dans le temps la contestation de la légalité dun accord, qui peut être soulevée à tout moment par un salarié à loccasion dun litige individuel, sil estime que la clause dun accord qui lui est appliqué nest pas légale.

Il ne s’agit donc pas de créer une sorte d’immunité des accords collectifs mais simplement de les sécuriser en limitant les délais de recours en nullité une fois que les parties ont eu connaissance de l’accord publié. Si celui-ci pose un problème, le délai de deux mois me paraît largement suffisant. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement AS151 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet article instaure une présomption simple de légalité des accords collectifs, en précisant qu’il appartient à celui qui conteste la légalité d’un accord d’apporter la preuve que celui-ci n’est pas conforme à la loi. Cette présomption simple ne nous paraît pas une bonne chose, dès lors que la base de données nationale rendant publics les conventions et accords de branche, de groupe, interentreprises, d’entreprise et d’établissement prévue par la loi de 2016 n’existe toujours pas.

M. le rapporteur. Une fois de plus, le texte ne prévoit pas de présomption de légalité des accords collectifs, qui serait, je le répète, juridiquement intenable. C’est une option qui n’a pas été retenue pour le Gouvernement, qui a préféré rappeler que la charge de la preuve repose sur le demandeur. Il s’agit d’une règle fondamentale du droit civil, qui n’est donc pas nouvelle en droit du travail. Défavorable.

M. Boris Vallaud. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer quand la base de données nationale verra le jour ?

Mme la ministre. La semaine prochaine, monsieur Vallaud. Je me suis engagée ; ce sera donc fait.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS152 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. L’accord collectif n’est pas une zone de non-droit et le droit au recours contentieux doit rester ouvert à toute personne ou organisation intéressée. Or, le délai de deux mois qui encadre dans le temps les conditions de recours contre les accords collectifs nous semble trop court. Cette disposition reprend une préconisation du rapport Combrexelle, qui propose de s’inspirer, en la matière, des règles applicables au contentieux des actes réglementaires. Toutefois, un acte réglementaire peut toujours être contesté par voie d’exception. Or, le texte est muet sur ce point. Peut-être est-ce implicite. Dans ce cas, un ajout serait utile pour dissiper cette ambiguïté. Pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre ?

Par ailleurs, il est toujours possible de demander l’abrogation d’un texte réglementaire devenu illégal. Or, en l’espèce, rien n’est prévu. C’est pourtant nécessaire car un accord n’a pas un auteur unique, et la demande d’abrogation ne fait pas naître de décision implicite de rejet.

M. le rapporteur. Je vais remplir mon office de rapporteur, et Mme la ministre complétera ma réponse, si elle le souhaite. Je dois dire, chère collègue, que votre question ressemble fortement à celle qui a été posée par Pierre Dharréville, de sorte que vous connaissez certainement déjà les éléments de réponse que je vais vous apporter. Peut-être est-ce la raison qui vous a conduit à solliciter Mme la ministre.

La fixation d’un délai de deux mois pour toute action en nullité d’un accord collectif – au lieu du délai antérieur, qui était de cinq ans et qui constitue le délai de prescription de droit commun en matière civile – ne concerne bien, je le rappelle, que l’action en nullité. Elle ne vise pas à empêcher ou restreindre dans le temps la contestation de la légalité d’un accord, qui peut être soulevée à tout moment par un salarié à l’occasion d’un litige individuel, s’il estime qu’une clause d’un accord qui lui est appliquée n’est pas légale.

Il ne s’agit donc pas de créer une sorte d’immunité des accords collectifs, mais simplement de les sécuriser en limitant les délais de recours en nullité. C’est pourquoi le délai de deux mois me paraît suffisant.

Mme la ministre. Je vais confirmer ce que le rapporteur a parfaitement expliqué à deux reprises. Les organisations non signataires peuvent contester l’accord, sur la procédure ou sur le fond, pendant deux mois. Mais cela n’obère en rien la possibilité pour les salariés d’introduire une action en exception d’illégalité sans restriction de durée en ce qui concerne l’application de l’accord à leur propre cas.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS181 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Adrien Quatennens. L’ordonnance fixe un délai de deux mois pendant lequel une partie prenante peut contester la légalité d’un accord collectif. Vous rendez-vous compte de la difficulté d’intenter un recours contre des accords de ce type, qui font des dizaines de pages et qui multiplient les renvois à d’autres accords, à d’autres codes, à d’autres usages… Avec une telle disposition, on peut se demander si, comme vous l’affirmez à longueur de temps, vous voulez vraiment renforcer la démocratie sociale et le dialogue social, ou si vous voulez plutôt réserver l’accès à la justice à ceux qui ont les moyens de payer les conseils de spécialistes.

Ce délai, manifestement beaucoup trop court, va annihiler toute possibilité de contester un accord et pénaliser en priorité les salariés les moins organisés, mais aussi les petits employeurs, qui ne disposent pas toujours d’une expertise juridique. Parce que ce délai va à l’encontre du principe d’accès universel à la justice, nous proposons de substituer deux ans à deux mois.

M. le rapporteur. La nullité est une chose, la légalité en est une autre. Je crois avoir déjà été assez explicite et, de crainte d’être redondant, j’exprime simplement un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques AS153 de M. Boris Vallaud et AS182 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective permet au juge qui prononce l’illégalité d’un accord collectif d’interdire tout effet rétroactif de sa décision. Ainsi, si un accord collectif qui aurait spolié les salariés d’une entreprise d’une partie de leur salaire pendant plusieurs années était jugé illégal, les salaires ne seraient jamais remboursés pour autant. Cet article a donc pour unique objet de protéger les délinquants des conséquences de leurs actes, au détriment de leurs victimes, et nous proposons sa suppression.

M. le rapporteur. Cet article ne vise pas du tout à protéger les délinquants : ce n’est ni mon objectif, ni celui de la représentation nationale, ni celui du Gouvernement.

Au-delà, je ne comprends pas que vous proposiez de remettre en cause le pouvoir du juge qui est pourtant un gage de cette sécurisation juridique que vous appelez de vos vœux.

En effet, même sans que cela soit énoncé clairement dans la loi, le juge a toujours le pouvoir de moduler dans le temps les effets de ses décisions ou d’en reporter les effets, pour éviter de déstabiliser la norme ; c’est une de ses prérogatives. Certes, le juge judiciaire le fait rarement et ce pouvoir est plus usité en matière administrative. Ainsi dans son arrêt de 2004 Association AC ! et autres sur la question des « recalculés », le Conseil d’État avait permis au juge administratif de moduler dans le temps l’effet de sa décision d’annulation de certaines modalités de calcul d’aides en matière d’assurance chômage, dont la rétroactivité aurait eu un effet désastreux sur des milliers de bénéficiaires des allocations chômage.

Ce pouvoir de modulation n’a pas toujours pour effet, en stabilisant la norme juridique, de « favoriser les employeurs », comme vous semblez le penser : en fait, il fiabilise les choses et les sécurise pour toutes les parties concernées.

Ici, l’idée est non pas de favoriser les contrevenants, mais de ne pas créer de vide juridique ou de ne pas conduire à l’annulation en cascade de centaines de conventions individuelles de forfait, comme cela avait été le cas lorsque le juge a annulé les clauses des conventions de branche organisant le recours aux forfaits jours des cadres.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle en vient à lamendement AS44 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 5 de l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective crée une obligation de négocier un accord de méthode au niveau des branches et des entreprises afin de définir le calendrier des négociations, y compris pour les négociations obligatoires.

Ce faisant, les négociations obligatoires deviennent optionnelles, la seule limite étant qu’elles doivent avoir lieu au moins tous les quatre ans, ce qui marque un recul, en particulier pour l’égalité professionnelle : les organisations syndicales de salariés nous l’ont dit.

Le présent amendement vise donc à exclure les négociations obligatoires de l’accord de méthode.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Cet amendement viderait totalement de son sens la démarche adoptée dans le cadre de l’ordonnance, qui a pour but de donner plus de souplesse aux entreprises comme aux branches pour adapter au mieux le calendrier et la périodicité des négociations obligatoires aux spécificités de leur secteur ou de l’entreprise.

Rechercher la proximité et faire en sorte que ce principe de subsidiarité se traduise dans les dispositions proposées et dans les ordonnances relatives au code du travail, voilà les objectifs qui m’animent dans ce débat.

Il ne sagit pas, comme vous le prétendez, de rendre ces négociations facultatives : en effet, lobligation de négocier de manière quadriennale ou quinquennale sur lensemble de ces thèmes reste clairement édictée et dordre public. Simplement, il est plus efficace que ces négociations aient vraiment un sens : il nest pas très utile de négocier simplement parce que cest obligatoire. Il faut un socle, un cap et des règles qui simposent à tous, mais il faut aussi avoir du grain à moudre et des choses à construire ensemble. Tel est le sens de cette partie de lordonnance : mieux vaut négocier moins souvent mais de manière plus qualitative.

Au cours des auditions, vous avez souligné l’importance de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), de la qualité de vie au travail, de l’égalité professionnelle. Ces thèmes peuvent faire l’objet de négociations régulières, mais à des moments choisis par les collaborateurs, les employeurs et tous ceux qui vivent ensemble dans l’entreprise.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques AS45 de M. Pierre Dharréville et AS183 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Pierre Dharréville. L’article 6 de l’ordonnance relative à la négociation collective prévoit de refondre les règles relatives aux négociations obligatoires de branche.

Le calendrier, la périodicité, et le contenu des négociations pourraient être adaptés au niveau de chaque branche. La durée d’un tel accord ne pourrait excéder quatre ans, y compris pour les négociations obligatoires. Ce faisant, la négociation sur l’égalité professionnelle ne serait plus triennale.

Le présent amendement rétablit les règles telles quelles sappliquaient avant la publication des ordonnances. Je veux insister sur cette question de légalité professionnelle, puisque le retard pris sur le sujet est important et que nous ne le rattrapons pas, au contraire. Il est donc nécessaire dagir beaucoup plus fortement, mais aussi que le législateur simplique. Cest un sujet sérieux. Vous savez que, compte tenu des écarts de rémunération, depuis vendredi dernier, à onze heures quarante-quatre, on peut considérer que les femmes travaillent bénévolement…

M. Adrien Quatennens. Votre ordonnance relative au renforcement de la négociation collective réduit les obligations de régularité et même le champ des négociations sur les accords collectifs. Par cet amendement, nous proposons de revenir à la situation antérieure.

J’appelle votre attention sur le fait qu’avec cette disposition, les négociations sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pourraient n’avoir lieu que tous les quatre ans. Quand on sait que persistent de « légères » inégalités salariales entre les hommes et les femmes – de 20 % à 25 % – et que l’écart ne se réduit quasiment plus depuis plusieurs années, on imagine qu’en n’imposant de négocier à ce propos qu’une fois tous les quatre ans, votre révision du code du travail ne va rien arranger. L’avis du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes du 8 septembre dernier pointait d’ailleurs ce danger des ordonnances. Nous nous rangeons derrière son avis et proposons de rétablir la régularité des négociations.

M. le rapporteur. C’est un sujet important et intéressant. S’agissant de la négociation de branche, l’ordonnance prévoit en effet une négociation obligatoire.

Un cadre et un rythme sont donc donnés : tous les quatre ans sur les salaires et les écarts de rémunération, l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés et la formation professionnelle des salariés ; tous les cinq ans, sur les classifications et l’épargne salariale.

Il est ensuite renvoyé à la négociation pour fixer le calendrier, la périodicité et le contenu de ces négociations, dans la limite de la périodicité maximale prévue dans les dispositions dordre public. À défaut daccord ou si celui-ci nest pas respecté, la négociation sur les salaires redevient annuelle, celles sur légalité professionnelle, les conditions de travail et la GPEC, sur les travailleurs handicapés et sur la formation professionnelle redeviennent triennales, et les négociations sur les classifications et sur lépargne salariale redeviennent quinquennales.

Sur le sujet spécifique de l’égalité professionnelle, en effet, dans l’ordre public, l’obligation de négociation au niveau de la branche passe d’un rythme triennal à un rythme quadriennal, mais il s’agit de la périodicité maximale. À défaut d’accord, le rythme redevient triennal…

Encore une fois, laissons aux partenaires sociaux la liberté de décider ce qu’ils veulent faire, en fonction de leur contexte et de leur réalité. Vous avez souligné que les réalités peuvent être très différentes d’une entreprise à l’autre, certaines ayant beaucoup de progrès à faire en matière d’égalité professionnelle, d’autres étant heureusement plutôt en avance. Si j’étais en fonction dans une entreprise qui était en retard, je serais très attentif à négocier plus fréquemment que dans une entreprise en avance.

Mme la ministre. Il s’agit d’un sujet essentiel sur lequel nous progressons très lentement en France. Une loi de 1973 oblige à une stricte égalité : à travail égal, salaire égal pour les femmes et les hommes. Le principe même d’égalité des salaires à travail égal est plus ancien, mais, explicitement, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes remonte à quarante-cinq ans ! Et nous n’y sommes toujours pas.

Il y a une double inégalité. L’une, de 20 % à 25 %, porte sur les salaires en général, mais est essentiellement liée à la différence de chances de carrière. L’autre, de 9 %, est très résistante : pour le même travail, pour la même carrière, les femmes sont moins payées que les hommes dans cette proportion.

Avec ma collègue Marlène Schiappa, nous sommes très engagées sur ce sujet. Nous avons l’intention de travailler avec les partenaires sociaux, car, au-delà de la loi, nous avons besoin de la mobilisation de tous. La loi ne changeant pas, l’entreprise est strictement tenue de s’y conformer.

Comment intervient dans le processus la question de la durée de la négociation ? D’abord, par défaut, la périodicité est d’un an, s’agissant de la négociation d’entreprise. On ne parle de vision pluriannuelle que s’il y a d’abord eu accord avec les partenaires sociaux. Forte de mes quarante années d’expérience, je peux vous dire que toutes les entreprises qui ont réussi à faire des progrès s’appuyaient à la fois sur la volonté de l’encadrement, sur la mobilisation des organisations syndicales et sur l’acceptation que ce sujet soit une priorité.

Ce n’est pas la périodicité de la négociation qui importe : pour opérer un rattrapage, il est impératif de laisser une part prédominante de l’augmentation annuelle aux femmes. Or, cela n’est possible que dans une démarche pluriannuelle : à défaut, aucun des hommes de l’entreprise ne serait augmenté pendant un an, et on imagine mal une négociation dans ce sens…

Pour réussir cette égalité professionnelle, qui est une condition d’équité, mais aussi d’autonomie et de respect, le fait de laisser les entreprises et les organisations syndicales définir le calendrier et le contenu peut permettre que l’on aille au-delà de ces rendez-vous annuels qui ne débouchent souvent sur rien de concret.

Puisque rien ne bouge alors que la loi prévoit des sanctions, c’est bien la question de l’engagement des acteurs qui est posée. C’est un sujet important que nous suivrons de près, en particulier avec le comité d’égalité professionnelle et avec ma collègue Marlène Schiappa.

M. Pierre Dharréville. J’ai le sentiment que nous touchons aux limites de la rhétorique de votre projet. Nous sommes là pour agir, vous comme nous, et je ne mets en doute la bonne volonté de personne, sauf qu’il faudra regarder les résultats. Laisser, comme vous le faites, la décision aux partenaires sociaux en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, c’est desserrer l’étreinte, donc s’exposer à un grave recul, notamment sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Maintenir, comme nous le proposons, l’obligation triennale n’exclut pas des plans pluriannuels, des discussions plus larges ou plus précises dans l’entreprise, etc.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite lamendement AS228 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un amendement de clarification qui porte sur le contenu obligatoire des accords de méthode, en distinguant bien en premier lieu la périodicité et en second lieu le contenu des thèmes soumis à négociation.

La commission adopte lamendement.

Elle en vient ensuite à lamendement AS227 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’ordonnance prévoit qu’un accord de méthode a une durée maximale de quatre ans : autrement dit, il doit être revu tous les quatre ans, soit avant l’échéance de la périodicité maximale, qui est de cinq ans pour certains thèmes de négociation.

Il semble plus cohérent d’aligner durée maximale d’un accord de méthode et périodicité maximale des thèmes de négociation.

La commission adopte lamendement.

Elle examine ensuite lamendement AS46 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit toujours du calendrier, de la périodicité, et du contenu des négociations. Le présent amendement rétablit les règles telles qu’elles s’appliquaient avant la publication des ordonnances.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je rappelle qu’un tel accord de méthode sur le calendrier et la périodicité des négociations d’entreprise existe depuis la loi Rebsamen de 2015, qui a permis à un accord d’entreprise de fixer la périodicité des négociations obligatoires en son sein, dans la limite de trois ans pour les deux négociations annuelles, portant sur les salaires et sur l’égalité professionnelle, et de cinq ans pour la négociation triennale portant sur la GPEC.

Cette périodicité d’ailleurs ne disparaît pas : elle devient simplement supplétive. L’ordre public prévoit de toute façon que l’ensemble de ces négociations doivent être menées au moins tous les 4 ans.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS184 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective modifie en profondeur les obligations de régularité de négociation afférentes aux accords collectifs. Si vous voulez renforcer la négociation collective, pourquoi en réduire la fréquence et le champ ?

Nous avons pris à l’instant l’exemple de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour pointer la dangerosité de votre mesure. Peut-être n’êtes-vous pas sensible au fait que, depuis le 3 novembre à 11 heures 44 et jusqu’à la fin de l’année, les femmes travaillent gratuitement, à compétence et qualification égales. Votre libéralisme, votre foi en le marché font une lourde différence selon qu’on est femme ou homme !

Imaginez, chers collègues, que les hommes soient aussi atteints par la moindre fréquence de la négociation. Les cadeaux faits aux actionnaires ne ruisselleraient plus une fois par an, mais une fois tous les quatre ans…

Il convient de revenir à la situation antérieure en matière de régularité des négociations. C’est ce que nous proposons par cet amendement.

M. le rapporteur. Ne préjugeons pas ici de la bonne volonté de quiconque, y compris en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ayant eu à traiter la question dans des négociations d’entreprise, j’ai une petite expérience de la manière de mener tout cela, de façon sereine et construite dans le temps.

Votre amendement propose de revenir au droit antérieur en matière de négociation obligatoire en entreprise. Je note d’ailleurs avec satisfaction que vous maintenez ce droit tel qu’issu de la loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, qui a d’ores et déjà permis de conclure des accords de méthode sur la périodicité des négociations, en prévoyant qu’il est possible de porter d’un à trois ans les deux négociations annuelles sur les salaires, l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, et de trois à cinq ans la négociation triennale sur la GPEC.

Autrement dit, ouvrir la possibilité que la négociation sur l’égalité professionnelle devienne triennale, n’est pas une disposition nouvelle de l’ordonnance, mais une disposition qui est en en vigueur depuis 2015…

Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement AS47 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 8 de l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective organise les modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.

Ainsi, dans les entreprises de moins de onze salariés, l’employeur peut proposer un projet d’accord pouvant porter sur n’importe quel thème et qu’il valide par référendum auprès de ses salariés. Cette faculté serait étendue aux entreprises de moins de vingt salariés en l’absence de membre élu à la nouvelle instance fusionnée.

Dans les entreprises entre onze et cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, deux modalités de négociation sont retenues : avec des salariés mandatés ou avec un élu du personnel.

Vous généralisez de la sorte les négociations sans syndicats dans les entreprises de moins de vingt salariés et prévoyez la possibilité de s’en passer dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

On est au cœur de l’objectif de votre projet en matière de dialogue social. Le projet de décret pris en application de ces dispositions prévoit en outre que le référendum destiné à valider le projet d’accord pourra être organisé de manière unilatérale par l’employeur. Il indique que le résultat de la consultation est porté à la connaissance de l’employeur « après que les salariés ont été mis en capacité de se réunir et de se prononcer en labsence de celui-ci ». Autrement dit, rien n’oblige la direction à organiser un vote à bulletin secret.

Loin de renforcer le dialogue social en entreprise, ces dispositions encouragent le contournement des organisations syndicales – c’est ainsi qu’elles l’ont elles-mêmes qualifié –, et le chantage à l’emploi, au détriment des droits des salariés garantis collectivement.

Le présent amendement vise donc à abroger ces dispositions, puisque les syndicats eux-mêmes disent que le dialogue social n’en sortira pas renforcé.

M. le rapporteur. C’est un amendement intéressant, car il illustre a contrario une orientation importante que nous voulons donner à notre texte : permettre le dialogue social partout, y compris dans les TPE.

Vous le savez, 96 % des entreprises de moins de cinquante salariés sont dépourvues d’un délégué syndical. Or le monopole de la négociation est attribué au délégué syndical. Soit nous excluons ces entreprises du champ de la négociation, soit, compte tenu de l’importance de ces entreprises, de leur proximité avec le tissu économique, compte tenu du fait qu’elles constituent un vivier d’emploi, nous leur donnons la possibilité de construire elles aussi la négociation, de devenir agiles, de s’y adapter, plutôt que de reprendre les dispositions de la branche lorsqu’elles s’imposent chez elles.

Votre amendement vise à supprimer les dispositions relatives à la négociation des accords dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, et à rétablir les règles antérieures, c’est-à-dire notamment le mandatement.

Ce dernier, évoqué à plusieurs reprises dans nos auditions, n’a pas réussi à tenir toutes ses promesses, ayant été soutenu – du bout des lèvres, mais soutenu tout de même – par les organisations, qui pensaient ainsi accroître leur présence dans les entreprises. La réalité de la présence des organisations syndicales dans les entreprises de moins de cinquante salariés témoigne du résultat…

Lors des auditions, un de leurs représentants expliquait que, dans le contexte de la loi sur les 35 heures, le mandatement n’avait amené vers son syndicat que des ralliements de courte durée, d’un an.

Pour ma part, je suis convaincu que, dans les très petites entreprises, le dialogue direct entre les salariés et l’employeur peut fonctionner. Sans faire fi du lien de subordination, faisons le postulat que ces hommes et ces femmes qui travaillent ensemble peuvent se parler. Ils se parlent déjà d’ailleurs mais il doit être possible de formaliser leurs échanges et de trouver des terrains de négociation. Et puis, de toute façon, il y a des règles, des sécurités, le code du travail…

Je vous propose donc de donner sa chance, et toute sa chance, au dispositif prévu par l’ordonnance.

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, vous opposez dialogue social et dialogue syndical. On aurait pu aussi faire le pari de renforcer la présence syndicale et les syndicats dans les TPE. Car nous croyons à la nécessité d’un dialogue social dans les TPE. L’Allemagne est parfaitement capable de le faire. C’est un modèle auquel on se réfère souvent. Dès le seuil de deux salariés atteint, il y a des élections syndicales.

Pourquoi le mandatement ne fonctionne-t-il pas ? Parce que vous avez fait droit à la conception la plus rétrograde, la plus défensive et la plus peureuse du dialogue social, en refusant que les syndicats entrent dans les TPE, ce que craignaient les représentants des organisations patronales des petites entreprises, qui l’ont dit sans fard lors de leur audition.

Ce choix est d’autant plus regrettable qu’il nourrit chez les organisations syndicales le sentiment que vous n’avez pas tenu votre promesse de renforcer le dialogue social. C’est un rendez-vous manqué, un échec.

Faisons confiance, dites-vous. La semaine dernière, je recevais dans ma permanence une dame qui voulait passer à mi-temps : eh bien son employeur lui a demandé si elle pourrait accomplir autant de tâches qu’auparavant… Elle craint donc qu’il refuse son temps partiel ou qu’il l’oblige à partir : voilà la réalité du rapport de forces !

Le modèle social du XXIe siècle, qui permet d’envisager des transitions professionnelles et d’affronter les grands défis de l’avenir, repose sur une confiance qui ne se proclame pas, qui n’est pas un pari, mais qui se construit. C’est une culture à construire. Notre désaccord tient au fait que vous mettiez dos à dos le dialogue social et le dialogue syndical.

M. Pierre Dharréville. Avec ces dispositions, vous prônez le dialogue social sans les syndicats. D’ailleurs ne faudrait-il pas commencer par distinguer dialogue social et dialogue tout court ?

Dans le contexte que nous connaissons, je crois au besoin d’organisations syndicales, dans leur diversité, y compris dans les petites entreprises, où les relations interpersonnelles ne sont pas de même nature que dans les grandes structures.

La loi est utile, mais elle l’est davantage quand il y a un problème que quand il n’y en a pas et que « tout roule ». Nous écrivons aussi la loi pour poser des limites, quand il y a des litiges et des problèmes.

Vous avez invoqué, monsieur le rapporteur, le fait que chef d’entreprise et salariés puissent se parler. Certes, mais négocier une norme qui était, jusqu’ici, inscrite dans la loi c’est autre chose !

Mme la ministre. Je voudrais revenir un instant sur ce point. Part-on d’une vision idéologique ou du réel pour le transformer ? Nous sommes d’accord sur l’objectif : nous souhaitons tous un dialogue social qui soit structuré, donc la présence d’organisations syndicales. Ce qui nous sépare, ce sont le point de départ, le point d’arrivée et les moyens de parvenir à ce dernier. Les organisations syndicales elles-mêmes en font le constat : leur taux de pénétration dans les entreprises de moins de cinquante salariés est de 4 %, malgré des décennies d’efforts. On ne peut quand même pas désigner des organisations syndicales par la loi ou par décret. Nous sommes dans un pays démocratique : si les salariés ne désignent pas de délégué syndical ou que personne n’est candidat, on ne va pas les obliger à le faire. Cela ne veut pas dire que nous nous satisfassions de la situation.

Nous considérons que, pour progresser, il faut d’abord que les salariés de tous les types d’entreprises aient le même droit à dire leur mot. Pour cela, il faut des formes de représentation qui leur permettent de s’exprimer davantage qu’aujourd’hui. Nous continuons à considérer que le délégué syndical est la meilleure forme de représentation des salariés. Et si le taux de syndicalisation passe de 4 à 10 ou à 20 %, nous nous en réjouirons tous. Mais comme cela ne se décrète pas, nous pensons qu’il est préférable, s’il n’y a pas de délégué syndical, que les salariés désignent un élu du personnel et qu’ils puissent recourir, dans des conditions encadrées, au référendum pour pouvoir conclure des accords à la majorité des deux tiers. On peut rêver d’un monde parfait mais le plus important est de transformer le réel.

Nous avons aussi prévu des dispositions pour renforcer cette culture du dialogue social et de la négociation qui, j’en suis sûre, porteront leurs fruits progressivement.

C’est le cas de la création d’observatoires départementaux tripartites – regroupant l’État et les partenaires sociaux – qui auront connaissance de tous les accords. Je rappelle que contre tout accord qui serait illégal, tous les recours seront possibles, comme d’habitude : nous ne sommes pas dans une zone de non-droit. Simplement, les organisations syndicales qui chercheraient à atteindre les salariés des 1,3 million de petites entreprises, pourront, dans le cadre de cette dynamique de négociation, contacter les élus et leur proposer d’adhérer à leurs structures. Cela se fera ainsi dans le respect du libre-arbitre des parties.

Dautre part, nous avons prévu, à la demande des partenaires sociaux, que soient affichés dans les entreprises, outre ladresse de linspection du travail comme cest le cas actuellement, les contacts des organisations syndicales du département. Cela facilitera laccès des salariés et de leurs élus à ces organisations.

Enfin, j’ai confié à Jean-Dominique Simonpoli et à Gilles Gateau une mission relative au renforcement des élus. Ceux-ci ont notamment eu l’idée de créer des binômes regroupant direction des ressources humaines et syndicalistes, qui puissent aller aider les deux parties à développer cette culture de la négociation dans les petites entreprises.

Le changement passe par les acteurs et par les outils qu’on leur donne. Mais on ne peut pas décréter, à la place des salariés, qu’il n’y a pour eux qu’une forme possible de représentation, en dehors de laquelle ils ne pourront négocier. Si nous avons limité la mesure aux entreprises de moins de cinquante salariés, c’est que la présence syndicale y est extrêmement faible. Certains auraient souhaité aller au-delà car cette présence syndicale n’est pas non plus très importante dans les entreprises de cinquante à cent salariés – de mémoire, elle est de 27 %. Mais nous avons considéré que plus une entreprise était grande, plus la notion de corps intermédiaire était facile à intégrer alors qu’il était difficile, dans une entreprise d’une dizaine ou d’une vingtaine de salariés, d’imposer une seule forme de représentation si, encore une fois, elle n’était pas choisie par les salariés eux-mêmes. Nous essayons de réunir toutes les conditions pour favoriser la représentation syndicale. La solution que nous proposons est pragmatique et équilibrée : elle répond à l’objectif recherché par tous tout en tenant compte du réel et non pas simplement de principes idéologiques.

M. Boris Vallaud. Je ne sais pas qui, entre vous et nous, est le plus idéologue, madame la ministre. Vous êtes dans une sorte de dictature du réel. Pour notre part, nous ne nous contentons pas de prendre acte du réel : nous considérons qu’il y a d’autres chemins possibles – que vous refusez puisque vous êtes dans le positivisme, estimant détenir la science et ne pas vous tromper. Dans d’autres pays, les taux de syndicalisation sont élevés sans qu’il y ait obligation d’adhérer à des organisations syndicales : il y a des mécanismes incitatifs susceptibles d’entraîner une vraie révolution copernicienne. Je n’ai jamais considéré le pragmatisme comme la part maudite de la politique mais quand il devient idéologique, il est une forme de renoncement.

La commission rejette lamendement AS47.

Elle est saisie de lamendement AS111 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Les deux premiers paragraphes de cet amendement traitent des modalités de ratification des accords dans les entreprises de moins de onze et de moins de cinquante salariés. La procédure de consultation des salariés, qui existe déjà dans le code du travail, était prévue pour ratifier les seuls accords conclus par des syndicats ne représentant pas 50 % des salariés. Cette consultation des salariés a été reconnue comme conforme à la Constitution dans une décision du 7 septembre 2017 parce quil sagissait de valider un accord conclu. En dautres termes, le Conseil constitutionnel na pas autorisé le référendum pour valider un accord proposé de façon unilatérale par lemployeur. Doù notre amendement.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à supprimer deux paragraphes introduits par l’ordonnance relative aux modalités de négociation des accords dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégués syndicaux.

Vous souhaitez supprimer ces dispositions parce qu’elles seraient, selon vous, contraires à la loi d’habilitation du 15 septembre dernier, qui autorisait le Gouvernement à faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord.

Je ne partage pas votre interprétation car les articles qui ont été modifiés répondent à une autre disposition de la loi d’habilitation, au a) du 2° de l’article 1er, qui permettait au Gouvernement de faciliter « dans les cas prévus aux articles L. 2232-21 à L. 2232-29 du code du travail, notamment dans les entreprises dépourvues de délégué syndical dont leffectif est inférieur à un certain seuil, les modalités de négociation, de révision et de conclusion dun accord ». Le Gouvernement avait donc bien la possibilité de rénover les règles de négociation et de conclusion des accords dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical.

M. Boris Vallaud. Nous nous interrogions aussi quant à votre interprétation de la décision récente du Conseil constitutionnel et quant à la constitutionnalité des modalités de référendum que vous proposiez. Si je comprends bien, vous estimez avoir déjà répondu.

La commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite lamendement AS114 de M. Boris Vallaud.

Puis elle étudie lamendement AS143 du même auteur.

M. Boris Vallaud. Nous proposons d’introduire la validation par la commission paritaire de branche des accords unilatéraux conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Cet amendement permettrait à la branche professionnelle de voir son rôle d’organisation renforcé et permettrait aussi de lutter efficacement contre le risque de concurrence déloyale qu’introduit votre texte.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement AS137 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. En permettant à l’employeur de proposer unilatéralement et sans restriction aux salariés un accord qui serait validé par référendum, vous affirmez deux choses : pas de syndicat dans les entreprises de moins de onze salariés – vous privez donc un tiers des salariés de représentation syndicale ; pas de regard des organisations syndicales sur ce qui se passe dans les TPE. En effet, avec ces négociations sauvages et autonomes, vous ne permettez plus à la branche professionnelle d’avoir une vue d’ensemble de son tissu conventionnel, vous affaiblissez la branche que vous prétendez renforcer et mettez encore une fois les syndicats loin de l’entreprise, ce qui ne nous paraît pas acceptable. C’est pourquoi nous vous proposons de revenir à la rédaction antérieure de cet article.

M. le rapporteur. Votre amendement vise à revenir à la situation antérieure, s’agissant des modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et d’élu mandaté. Il permet ainsi aux élus non mandatés de négocier. Ce faisant, cet amendement supprime l’article permettant aux salariés de ratifier, à la majorité des deux tiers, le projet d’accord de l’employeur.

Sur le fond, je suis pour le maintien des dispositions prévues par l’ordonnance, donc défavorable à votre amendement qui supprime les modalités de validation des projets d’accord de l’employeur dans les entreprises de moins de onze salariés. Sur la forme, votre amendement fait mention des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise, qui ont été fusionnés au sein du comité social et économique : j’y suis donc doublement défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle étudie lamendement AS138 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Après avoir discuté de la place de la négociation dans les entreprises de moins de onze salariés, nous en venons aux entreprises de onze à dix-neuf salariés. Une fois encore, vous incitez les employeurs à contourner les syndicats, en ouvrant la possibilité à l’employeur de proposer unilatéralement un accord ratifié par deux tiers des salariés. Après avoir affaibli la voix des salariés dans les très petites entreprises, voilà que vous faites de même dans les petites entreprises. Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer cette possibilité référendaire.

M. le rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons déjà exprimées : nous souhaitons encourager le dialogue social à tous les niveaux, y compris au sein des TPE. Comme l’a bien expliqué Mme la ministre tout à l’heure, l’idée n’est pas de contourner les syndicats. Simplement, nous constatons leur absence dans ces TPE. Cela fait plusieurs années que des lois sont adoptées pour favoriser leur présence. Je ne mets pas en cause la bonne volonté des organisations syndicales mais la réalité est ce qu’elle est. Nous ne sommes pas dogmatiques : nous faisons simplement un constat.

Dès lors, comment faire pour créer les conditions du dialogue social dans ces entreprises ? Nous donnons la possibilité aux salariés de s’adresser au délégué syndical s’il y en a un, à l’élu du personnel s’il y en a un, et, s’il n’y a ni l’un ni l’autre, de s’adresser directement aux collaborateurs présents. Nous ne sommes pas dans une logique inverse : nous proposons que les salariés commencent par s’adresser aux personnes présentes. J’entendrais votre propos si nous avions organisé notre réflexion dans l’autre sens. Or, pas du tout. Nous commençons par inviter les partenaires sociaux à négocier. Mais s’ils ne sont pas là, il faut quand même que l’entreprise puisse s’adapter.

M. Boris Vallaud. Nous n’avons pas été convaincus par les quelques mesures censées renforcer la présence syndicale dans les petites entreprises. L’encre des accords instituant les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) était à peine sèche que vous avez décidé de supprimer ces commissions, de même que le mandatement syndical. Nous regrettons que vous n’ayez pas procédé à une évaluation loyale et sincère de certains dispositifs, pour leur donner leur chance et faire le pari de la confiance. Il y avait d’autres chemins possibles.

M. Dominique Da Silva. Il aura finalement fallu attendre les ordonnances pour que l’on découvre d’autres moyens de défendre les salariés des TPE. Pourquoi les syndicats n’ont-ils rien fait depuis des décennies ? Ils ont surtout montré qu’ils savaient défendre les insiders et les salariés déjà les mieux protégés. Si le dialogue social est du seul ressort de la loi et des organisations syndicales, force est de constater que la situation de l’emploi en France n’est pas à la hauteur de son rang. Au sein du G20, nous sommes quinzièmes, derrière l’Italie et l’Espagne, et à la traîne avec 3,5 % de chômage de plus que la moyenne des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui est à 6 %. Il est temps de faire autrement !

M. Boris Vallaud. Nous proposions effectivement de faire autrement. Il y avait d’autres chemins. Vous connaissez la formule de Jean Jaurès : « Les privilégiés nosant plus dire "cela est juste", disent "cela est inévitable". »

M. Gérard Cherpion. Au cours de ces dernières années, les textes en application n’ont favorisé ni le dialogue social ni l’évolution dans les entreprises. Tirons-en les conséquences. À un moment donné, il faut donner sa chance au dialogue social de proximité dans l’entreprise. Si les textes ne sont pas bons, le législateur pourra toujours revenir en arrière. En attendant, il y a dans les PME des salariés qui ne sont pas syndiqués mais qui n’en ont pas moins des convictions. Ils ont envie que leur entreprise fonctionne et se développe. Donnons-leur cette opportunité au travers du texte qui nous est proposé plutôt que d’essayer de mettre de nouvelles barrières.

M. Pierre Dharréville. J’ai entendu les propos de notre collègue Da Silva, qu’il avait d’ailleurs déjà tenus hier. J’ose espérer qu’ils ne constituent pas l’inspiration de ce projet de loi. Je ne souhaite pas que notre commission fasse un procès aux organisations syndicales. Ces dernières s’attachent à défendre les salariés avec les conceptions qui sont les leurs. On peut sans doute parfois discuter ces conceptions et il y a des débats entre ces organisations. Cependant, il me semble vraiment nécessaire de développer le syndicalisme dans notre pays. S’y opposer serait une grave erreur.

M. Aurélien Taché. Nous souhaiterions évidemment que les délégués syndicaux soient plus présents dans les petites entreprises. Contrairement à M. Vallaud, nous constatons plutôt un échec du mandatement et des différentes voies qui ont été essayées. Quand on discute avec les organisations syndicales, elles reconnaissent elles-mêmes que le mandatement n’aurait pas permis de développer le syndicalisme dans les entreprises. Elles constatent aussi qu’elles sont les premières responsables de leur absence dans ces TPE-PME. Vos interventions, monsieur Vallaud, donnent le sentiment que le législateur aurait la baguette magique pour que les syndicats arrivent dans les petites entreprises. Au contraire, ce sont d’abord les organisations syndicales qui sont responsables de la situation. Elles en ont conscience.

Pour notre part, nous faisons le pari de développer le dialogue social dans les PME et qu’avec les accords d’entreprise qui vont s’y développer demain, les syndicats considéreront comme une priorité d’aller défendre les salariés dans ces entreprises. Nous n’opposons pas deux formes de dialogue social et nous ne considérons pas que le dialogue avec les syndicats ne serait pas une bonne chose dans ces entreprises. Simplement, nous constatons que, pour le moment, il n’y existe pas et qu’il faut en tirer les conséquences.

Mme Catherine Fabre. Nous sommes conscients du fait que la présence des syndicats dans les TPE est quasi nulle. Dès lors, comment développer ce dialogue social que nous appelons tous de nos vœux ? Vous l’avez souligné, madame la ministre, il va falloir accompagner les salariés dans ce domaine. J’attends donc avec intérêt les conclusions du rapport qui vous sera rendu. Le binôme représentant de l’employeur - représentant du salarié, qui viendra conseiller les TPE, est une très bonne idée.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Il y a quand même des propos qui me choquent. J’entends dire qu’on n’est pas satisfait de ce qui se passe dans les TPE. Mais d’abord, y êtes-vous déjà allés ? (Mouvements divers.) Vous insultez les patrons ! On n’est pas obligé d’être syndiqué pour dialoguer avec son employeur. Dans les petites entreprises, les salariés ont tous les contacts qu’il faut. Vous avez des patrons qui engagent tous leurs biens pour faire grandir leur entreprise : croyez-vous qu’ils n’aient pas envie de dialoguer avec leurs salariés ? Ils savent pertinemment que plus un salarié se sent bien dans une entreprise, plus il est productif et plus l’entreprise est compétitive. Tout le monde y gagne : le salarié et l’employeur. Il faut arrêter de traiter les employeurs comme des exploiteurs de salariés ! Il y a quelque chose qui en dérange certains dont je ne partage pas les idées : c’est que pour la première fois, on a une ministre qui défend le travail au lieu de défendre de travailler – comme ses prédécesseurs, notamment sous la législature précédente.

La commission rejette lamendement AS138.

Elle examine ensuite lamendement AS32 de M. Jean Hugues Ratenon.

Mme Caroline Fiat. L’article 8 de l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective introduit une grande inégalité entre les salariés, selon la taille de leur entreprise, en matière de négociations des accords collectifs. Nous nous y opposons.

Cet article propose en effet que, dans les entreprises de moins de vingt salariés, l’employeur puisse faire passer un accord d’entreprise sans négociation avec les représentants des salariés par la voie d’une consultation validée par les deux tiers des salariés. Le texte ne prévoit pas que la consultation se déroule à bulletin secret. Imaginez un peu l’ambiance que vous allez créer dans les entreprises de moins de vingt personnes, où tout le monde se connaît, si un vote se déroule sans bulletins secrets ! L’employeur pourra par ailleurs renouveler sa consultation autant de fois que nécessaire à l’adoption de l’accord. Il s’agit donc d’une possibilité illimitée pour l’employeur de faire adopter des accords régressifs du point de vue des droits des salariés. Notre amendement supprime donc cette disposition.

L’organisation collective des salariés dans leurs syndicats est le moyen pour eux de rééquilibrer un rapport de force asymétrique avec leur employeur. C’est pourquoi des accords faisant progresser les droits des salariés, que nous appelons de nos vœux, ne peuvent exister que si les salariés ont la possibilité de s’appuyer sur des organisations syndicales dans la négociation. Par ailleurs, nous attirons l’attention sur le risque d’inconstitutionnalité de cet article. En effet, l’article 8 du Préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc constitutionnel, déclare le droit pour les travailleurs de participer, par l’intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective de leurs conditions de travail ainsi qu’à la gestion de l’entreprise.

Considérant les difficultés pour les salariés des petites entreprises à s’organiser syndicalement, nous proposons par cet amendement de créer un dispositif territorial de représentation syndicale. Les comités départementaux de représentation des salariés des petites et moyennes entreprises seront composés de représentants des salariés élus par l’ensemble des salariés des entreprises dont l’effectif est inférieur à cinquante salariés dans un même département. Les élus dans ces comités seront issus de listes établies par les organisations syndicales. Leur mission sera de désigner des délégués pour aider les salariés des PME qui ne disposent pas de représentation syndicale à renégocier leurs accords d’entreprises. Ainsi, plutôt que détruire l’organisation collective des salariés au prétexte de la faible présence des syndicats dans les petites entreprises, comme le fait le Gouvernement, nous proposons une solution qui renforce le pouvoir des salariés.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Je constate chez nos collègues de la France insoumise une volonté de créer des dispositifs alternatifs. On retrouve d’ailleurs dans cet amendement une partie des éléments qui sont institués par le Gouvernement dans ses ordonnances, notamment les observatoires départementaux.

Cela dit, votre amendement supprime la possibilité pour les salariés de ratifier un projet d’accord de l’employeur, dans les entreprises de moins de onze salariés, ou de moins de vingt salariés quand elles sont dépourvues de représentant du personnel. Vous créez aussi un dispositif de représentation syndicale territoriale, intitulé « comités départementaux de représentation des salariés des PME », composés de représentants d’organisations syndicales chargés de désigner des délégués pour aider les salariés des PME ne disposant pas de représentation syndicale à négocier.

Cet amendement revient en fait à rétablir une forme de mandatement syndical. Or, dans les faits, ce mandatement ne fonctionne pas.

Le choix retenu par le Gouvernement et par notre majorité est de permettre aux acteurs de l’entreprise de négocier au plus près du terrain. Nous faisons le pari que les salariés d’une TPE sont plus en mesure de négocier sur les sujets qui les concernent qu’un délégué syndical extérieur à l’entreprise.

J’ajoute que les nouveaux observatoires départementaux d’appui au dialogue social auront précisément pour rôle d’assister les petites entreprises qui souhaiteront engager une négociation avec l’employeur. Leur action, combinée avec celle des CPRI – qui, au passage, n’ont pas été supprimées –, garantira que la négociation et la consultation des salariés se déroulent dans de bonnes conditions.

La commission rejette lamendement AS32.

Elle en vient à lamendement AS136 de M. Boris Vallaud. 

M. Joël Aviragnet. Vous rendez possible la négociation d’accords sans les syndicats dans les entreprises de moins de cinquante salariés et vous allez même beaucoup plus loin en permettant à l’employeur de valider un accord unilatéral par référendum. Une telle possibilité est, quoi qu’on en dise, un contournement des syndicats pour plus de 7 millions de salariés. Vous renvoyez la négociation à la relation sociale entre employeur et salariés, oubliant le lien de subordination que le premier exerce sur les seconds. Le problème est bien là : la relation entre employeur et salariés n’est pas égalitaire. Comme l’a rappelé Véronique Descacq lors de notre audition des partenaires sociaux lundi dernier, « ces ordonnances ne font pas le choix de la culture du dialogue social qui est au fondement de la relation dans lentreprise, dans notre pays. Par exemple, qui ira défendre, par la voie référendaire, les intérêts des femmes dans une entreprise qui en compte très peu ? » Toutes les organisations syndicales de salariés nous ont fait part de leur volonté de voir le mandatement renforcé. Vous préférez le supprimer et laisser les salariés se débrouiller quand ils travaillent dans une petite entreprise. Nous proposons de rétablir la place légitime des syndicats dans les TPE en supprimant le référendum que vous instituez et en restaurant le mandatement qui est selon nous une réponse adaptée dans les petites entreprises.

M. le rapporteur. Cet amendement vise encore une fois à supprimer la possibilité pour l’employeur de soumettre un projet d’accord à la consultation des salariés, dans les entreprises de moins de onze salariés. Vous proposez de remplacer cette faculté par le recours au mandatement, en permettant aux seuls membres du comité social et économique ou aux représentants de proximité de négocier, conclure et réviser des accords dans ces entreprises. C’est assez original car nous n’avons pas entendu cette proposition dans la bouche des partenaires sociaux.

Je me suis déjà exprimé sur le mandatement.

Il n’y aurait aucun sens à permettre aux seuls représentants du personnel ou représentants de proximité mandatés de négocier les accords puisque, dans les entreprises de moins de onze salariés, il n’y a aucune obligation de disposer de représentants du personnel. Le comité social et économique n’est obligatoire qu’à partir de onze salariés.

Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite lamendement AS112 du même auteur.

Puis elle examine lamendement AS113 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Le I de l’article L. 2232‑23‑1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’article 8 de l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective, permet encore de contourner la représentation syndicale dans les entreprises de onze à cinquante salariés. C’est donc au choix de l’employeur, et sans préférence pour l’une ou l’autre de ces modalités, que la négociation peut avoir lieu avec des salariés mandatés ou élus. Le texte ne prévoit aucune obligation d’avertir les organisations syndicales de cette volonté de négociation, en violation du principe de participation et de négociation loyale.

Nous proposons donc de rétablir la priorité de négocier donnée aux syndicats et aux salariés mandatés. À défaut de salarié mandaté, un ou des membres de la délégation du personnel du comité social et économique pourra le faire. Aussi, nous rétablissons l’obligation, pour l’employeur, d’informer les syndicats d’engager des négociations.

M. le rapporteur. J’émets un avis défavorable à cet amendement qui découle de l’amendement AS111 que nous avons rejeté.

Il est proposé cette fois de rétablir l’obligation de recourir en priorité à un salarié mandaté pour négocier un accord dans une entreprise de moins de cinquante salariés, et d’autoriser seulement les membres du CSE à négocier un accord, à défaut de salarié mandaté.

Le mandatement ne pouvant pas fonctionner partout, il faut s’adapter à la réalité des entreprises. Celles qui y ont régulièrement recours pourront continuer de le faire, car les ordonnances ne s’y opposent absolument pas. Nous donnons la possibilité – notamment aux entreprises qui n’ont pas cette habitude – de procéder autrement. C’est en cela que nous faisons avancer le dialogue social.

Les entreprises pourront également décider de confier aux membres du comité social et économique la responsabilité de négocier les accords, car les représentants du personnel peuvent, dans certaines situations, mieux connaître les enjeux de l’entreprise et avoir un plus grand intérêt à négocier. Nous avons évoqué ce dernier point à plusieurs reprises.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS185 de Mme Caroline Fiat.

M. Adrien Quatennens. L’article 8 de cette ordonnance autorise le recours à un référendum comme voie de ratification d’un accord, même s’il n’est pas signé par des organisations syndicales majoritaires. Il n’introduit aucune condition de participation minimale ni de majorité qualifiée pour que le référendum soit valide.

Concrètement, dans une entreprise de 1 000 salariés, en cas de projet d’accord non signé par les organisations syndicales représentant 70 % des suffrages, l’employeur pourra faire voter les salariés. Si seulement 200 salariés votent, les autres s’abstenant, et que 101 salariés s’expriment en faveur de l’accord, celui-ci devient un accord d’entreprise pouvant modifier les contrats de travail de l’ensemble des salariés. Je sais que l’abstention n’inquiète pas grand monde mais elle pose tout de même le problème de la légitimité, que ce soit au niveau des institutions ou d’un accord d’entreprise.

J’appelle aussi votre attention sur la capacité des entreprises à organiser ce type de consultation : une entreprise n’est pas une République. Qui, parmi les employeurs, maîtrise les modalités d’organisation d’un référendum ? Il s’agit d’une machinerie lourde à mettre en place. Acheter ou louer du matériel va coûter de l’argent aux entreprises pour, en définitive, imposer bien souvent un accord moins disant socialement.

Cette disposition va, comme l’ensemble des ordonnances, dans le sens d’un affaiblissement de l’organisation collective des salariés. Nous pensons que le rapport de force est par nature déséquilibré dans l’entreprise, ce qui implique une organisation collective des salariés. C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, que les accords collectifs d’entreprise ou d’établissement ne soient effectifs que s’ils sont signés par des délégués mandatés par les organisations syndicales majoritaires.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à conditionner la validité des accords conclus par des salariés mandatés, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, à leur signature par des élus du personnel mandatés par des organisations syndicales, alors que le texte actuel prévoit que ces accords soient ratifiés par les salariés, à la majorité des suffrages exprimés.

L’amendement tend aussi à supprimer deux autres possibilités : que les élus non mandatés puissent négocier des accords, à défaut d’élus mandatés ; que des salariés mandatés puissent négocier des accords, à défaut d’élus – mandatés ou non.

Même s’il est très riche sur le plan technique, votre amendement s’inscrit dans la même veine que le débat précédent. Mon point de vue n’a pas évolué : je considère qu’il vaut mieux donner aux élus du personnel, même non mandatés, ou à des salariés mandatés, la possibilité de négocier des accords d’entreprise plutôt que de limiter cette possibilité aux seuls élus mandatés. J’ai une vision plus large que la vôtre de la capacité à conclure des accords.

Il ne me semble pas de bonne pratique de permettre aux salariés de ratifier ou non l’accord négocié préalablement par les élus mandatés. Après tout, les salariés sont les principaux concernés par les dispositions de l’accord, donc les plus à même d’en apprécier le contenu. J’ai bien compris votre volonté de réintroduire un champ d’intermédiation. Vous avez dû bien comprendre que, pour ma part, je souhaite que le plus grand nombre puisse bénéficier du principe de subsidiarité.

Avis défavorable.

M. Gérard Cherpion. La réponse à cet amendement se trouve dans l’amendement lui-même. Prenez l’exemple d’une entreprise de 1 000 salariés. En cas de projet d’accord non signé par les organisations syndicales qui représentent 70 % des suffrages, les salariés vont voter. Je n’imagine pas que seulement 200 salariés vont voter, dans la mesure où il y a un engagement des personnes syndiquées. Ce serait faire offense aux salariés syndiqués. Votre démonstration montre que cet amendement n’a pas de sens.

M. Adrien Quatennens. Je voudrais apporter une précision à mon précédent commentaire et répondre à l’intervention de M. Cherpion. Comme nous l’avons dit lors du débat sur le projet de loi d’habilitation, un référendum dans une entreprise n’est pas un gage de démocratie. Pour reprendre l’expérience connue du référendum organisé chez Smart, les salariés ont voté sous la menace de licenciements ou d’une délocalisation. Le référendum est une expression a priori démocratique mais, s’il a lieu sous la contrainte, il n’est pas le gage d’un bon dialogue social dans l’entreprise.

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement AS139 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. Vous facilitez le recours à la consultation des salariés et vous offrez, comme l’indique notre rapporteur dans son rapport, une deuxième chance à un accord qui n’aurait pas remporté l’adhésion majoritaire des organisations syndicales. Vous proposez donc d’étendre à l’employeur la possibilité de recourir à la consultation des salariés, alors que la loi de 2016 n’ouvrait cette possibilité qu’aux organisations syndicales.

Vous vous prévalez de quelques garde-fous, en rappelant notamment que cette possibilité ne serait qu’une deuxième chance. Encore heureux ! En ouvrant à l’employeur la possibilité de demander cette consultation, on passe de la logique de la dernière chance à celle de la deuxième chance. Vous démontrez ainsi votre volonté de contourner les syndicats. Nous sommes résolument contre ce contournement et nous proposons la suppression de cet article.

M. le rapporteur. Je suis défavorable aux arguments que vous avancez pour diverses raisons.

S’agissant de la possibilité donnée à l’employeur d’être à l’initiative du référendum, des garde-fous sont prévus : la demande de l’employeur ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai d’un mois ; les organisations syndicales peuvent s’y opposer si elles estiment que l’organisation d’un référendum n’est pas une bonne idée.

Lors des auditions préalables à l’examen de ce texte, nous avions organisé une table ronde réunissant des directeurs des ressources humaines (DRH) d’entreprises de différentes tailles et de secteurs variés. Compte tenu de ces échanges et aussi des prises de positions de diverses associations, je ne pense pas que les DRH aient l’intention d’utiliser le référendum comme un outil pour s’opposer au dialogue social. L’employeur ne pourra d’ailleurs y recourir qu’à des conditions très restrictives.

Vous faites allusion à une expression que j’avais employée lors de l’un de nos précédents débats. Pour moi, le référendum est une façon de donner une deuxième chance au dialogue social – celui-ci n’étant pas compris comme une opposition de forces antagonistes. Pour avoir occupé des fonctions dans les ressources humaines pendant quelques années, je ne crois pas qu’un employeur ou un DRH puisse prétendre créer une dynamique positive dans une entreprise en avançant à coup de référendums en guise de relations sociales.

J’en viens à la possibilité donnée aux organisations syndicales non-signataires de l’accord minoritaire de signer le protocole. Cette mesure va dans le bon sens puisqu’elle permet à toutes les organisations syndicales de s’exprimer sur les conditions d’organisation du référendum. De plus, je vous rappelle que le Conseil constitutionnel vient de censurer, en réponse à une QPC, la solution qui avait été retenue par la majorité précédente, consistant à réserver la négociation de ce protocole aux seules organisations syndicales signataires du projet d’accord. Je fais référence à la décision no 2017-664 QPC du 20 octobre 2017. La rédaction retenue par l’ordonnance permet de répondre à cette difficulté soulignée par le Conseil constitutionnel.

Enfin, sur la question de l’entrée en vigueur des accords majoritaires, je crois que la date du 1er mai 2018, retenue par l’ordonnance, est une position d’équilibre. Elle permet aux différents acteurs de s’adapter aux nouvelles règles de majorité, dont l’application a été avancée de plus d’un an par rapport à la date initialement fixée au 1er septembre 2019.

Si certaines organisations syndicales ont manifesté des inquiétudes sur ce point lors de nos auditions, des représentants d’organisations patronales ont aussi plaidé qu’ils allaient être soumis à un rythme rapide auquel ils n’étaient pas forcément préparés. Laisser passer un quadrimestre – jusqu’au 1er mai l’année 2018 – est raisonnable et cohérent. Le but est de rendre les choses possibles. Rien ne sert d’écrire des tas de mesures dans le code du travail si elles sont inopérantes.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement AS48 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Le référendum à l’initiative de l’employeur constitue un instrument de contournement des organisations syndicales.

À titre d’exemple, je vous conseille de voir Les Virtuoses, un film réalisé par Mark Herman, qui raconte l’organisation d’un référendum dans une entreprise en Angleterre et qui décrit les dégâts énormes que cette procédure provoque localement, sur fond de chantage à l’emploi. Ce risque n’existe pas seulement dans des scénarios de films. La réalité nous offre des cas concrets où les salariés sont sommés de choisir entre perdre une jambe ou un bras. Le choix binaire proposé est inacceptable.

Dans votre présentation, vous sous-estimez la soif de profit et les dégâts qu’elle produit dans notre société et dans les entreprises, comme nous le confirment les Paradise Papers publiés ces derniers jours. Qui peut nier l’existence de cette soif de profit et son influence directe sur les relations sociales dans l’entreprise ?

Il est injuste d’opposer les salariés entre eux, en isolant les insiders des autres. Les salariés qui occupent un emploi stable ne sont pas responsables de la précarité dans le reste du pays. Ce n’est pas en abaissant la qualité de l’emploi que l’on résoudra le problème de la précarité et du chômage.

Les organisations syndicales sont très attachées à défendre tous les salariés. La logique des ordonnance risque de les en empêcher parce que, pour partie, ils agissaient par procuration, notamment vis-à-vis des salariés des TPE et des PME, en intervenant directement sur la fabrication de la loi et dans les branches. Les salariés vont subir des difficultés supplémentaires.

Madame la ministre, vous nous avez reproché de ne pas être pragmatiques. Je pense que nous ne nous attachons pas aux mêmes réalités. Pour ma part, j’ai les deux pieds dans la réalité. À plusieurs reprises, il a été fait référence à de l’idéologie : je crois qu’on ne fait pas de politique sans idées !

M. le rapporteur. L’objet de nos débats, cher collègue, est précisément de confronter nos idées. Faisons-le ; c’est très bien ainsi.

J’émets un avis défavorable à votre amendement, pour deux raisons.

Première raison : le recours au référendum est vraiment une seconde chance donnée à la négociation collective, comme je le disais précédemment en réponse à Mme Bareigts. Quand on s’entretient avec ceux qui en seront les acteurs, qu’il s’agisse des employeurs ou des organisations représentatives des salariés, on se rend compte qu’ils n’envisagent pas cet outil comme un instrument de passage en force. Une telle méthode ne fonctionnerait d’ailleurs pas dans la durée.

Vous avez évoqué les rares cas de référendums aux conséquences difficiles. Où veut-on aller ? Les salariés sont extrêmement attentifs à la question qu’on leur pose. Je n’ai pas besoin de faire de pari : je connais l’exigence des salariés et des organisations syndicales lorsqu’on leur pose une question.

Deuxième raison : la possibilité donnée à l’employeur de solliciter l’organisation d’un référendum est très encadrée. Il ne s’agit pas d’y recourir, de façon unilatérale, à chaque blocage de la relation sociale dans l’entreprise. Surtout pas ! Il s’agit d’une seconde chance très encadrée ; les syndicats peuvent s’opposer et même prendre la main. Il n’y a aucun contournement des syndicats.

Mme la ministre. De quoi parlons-nous ? De renforcer le dialogue social et de compléter les dispositions qui permettent à la démocratie sociale de s’exprimer dans l’entreprise. Le référendum en question n’est pas hors sol. Qu’il soit à l’initiative de l’un ou l’autre des partenaires sociaux, il doit succéder à un accord ou une proposition d’accord entre l’employeur et les organisations représentant au moins 30 % des voix. C’est dire qu’il se situe dans une dynamique de dialogue social.

Sous la législation précédente, nous avons eu plusieurs cas dont certains ont été validés et d’autres non. Quels sont les cas de recours les plus fréquents ? Quand des organisations syndicales sont prêtes à signer un accord mais veulent vérifier que les salariés qui les mandatent sont bien d’accord sur le point en question. La plupart du temps, il s’agit d’une initiative conjointe des partenaires sociaux. De toute façon, chacun a le moyen de bloquer l’autre.

En fait, il n’y a pas de référendum possible sans un minimum d’accord. Le Conseil constitutionnel a renforcé ce point par rapport à la loi d’août 2016, en censurant le fait que le protocole d’organisation d’un référendum avait été négocié avec les seuls syndicats signataires de l’accord. Le protocole doit être négocié avec tous les syndicats représentatifs. Ce n’est en rien un contournement du dialogue social structuré avec les organisations syndicales.

Cet outil est à la disposition des organisations syndicales et de l’employeur, qui peuvent s’en saisir conjointement, quand une grande majorité de salariés adhère à la proposition. Le contournement que vous redoutez ne correspond pas du tout à l’esprit des discussions que nous avons eues avec les partenaires sociaux. Le Conseil constitutionnel a lui-même renforcé l’exigence d’adhésion des salariés.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS140 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Par cet amendement, nous nous opposons à la possibilité ouverte à l’employeur de demander l’organisation de la consultation. Sous la précédente législature, nous avions déjà constaté que le délai de huit jours était problématique. Durant ce laps de temps, l’organisation qui a obtenu plus de 30 % des votes essaie d’en convaincre une autre pour atteindre le seuil de 50 %, ce qui crée du chaos et des perturbations dans l’entreprise autour de cette possible consultation.

M. le rapporteur. Nous avons déjà assez longuement échangé sur le référendum. Vous voulez supprimer la possibilité pour l’employeur d’y recourir : je suis défavorable à cette proposition.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, lamendement AS141 de M. Boris Vallaud et lamendement AS17 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Joël Aviragnet. L’amendement porte sur la question du calendrier. Vous réduisez de trois à deux ans le délai durant lequel la restructuration des branches devra intervenir. Vous ouvrez ainsi une période transitoire entre la publication des ordonnances et le 1er mai 2018, pendant laquelle certains employeurs pourraient être tentés de faire passer des accords minoritaires sur un champ de négociations élargies. Nous proposons de revenir sur cette réduction.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Nos amendements ne devraient pas faire l’objet d’une discussion commune parce que le mien propose un aménagement de date et non pas la suppression d’une mesure.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Les avis seront sûrement différents mais il s’agit bien d’une discussion commune.

M. Jean-Charles Taugourdeau. La primauté des accords d’entreprise, telle que souhaitée par le Gouvernement, s’applique à compter du 1er janvier 2018. Cet amendement vise à harmoniser les délais afin que les accords majoritaires soient effectifs à la même date, ou en même temps, selon la formule consacrée.

M. le rapporteur. S’agissant de l’amendement AS141, il ne vous aura pas échappé que le contexte dans lequel les accords majoritaires ont été mis en place, l’an dernier, a changé : les ordonnances accordent désormais beaucoup plus de place aux accords d’entreprise. Il est donc important que la date des accords majoritaires soit avancée pour qu’ils aient une pleine légitimité. Lors de nos auditions, il nous a semblé que les intervenants le souhaitaient. Je ne suis donc pas favorable à votre option consistant à maintenir leur entrée en vigueur au 1er septembre 2019. Avis défavorable.

S’agissant de votre amendement, monsieur Taugourdeau, je comprends d’autant plus votre interrogation que j’ai eu la même réflexion. Au cours de mes échanges avec le Gouvernement, il m’est apparu que le fait d’avancer la date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2018 pourrait perturber le cycle des négociations obligatoires.

J’ai aussi fait appel à ma mémoire – assez récente – de professionnel des ressources humaines. Je me suis souvenu qu’il y avait un cycle de négociations obligatoires au premier trimestre et qu’il était important de laisser les choses se consolider avant de passer à l’étape des accords majoritaires. Du coup, le 1er mai me semble une bonne date et je me suis rendu aux arguments de Mme la ministre.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Compte tenu des explications de M. le rapporteur, et ne souhaitant pas que les deux amendements en discussion commune soient confondus, je retire le mien.

Lamendement AS17 est retiré.

La commission rejette lamendement AS141.

Elle examine lamendement AS142 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il est nécessaire de faire le bilan avant de généraliser l’accord majoritaire au 1er mai 2018. La loi de 2016 prévoyait la remise d’un rapport d’évaluation au Parlement avant le 31 décembre 2018. Nous nous interrogeons quant au devenir de ce rapport dû au Parlement. Pour prendre en compte l’accélération du calendrier, nous proposons d’avancer la date de remise de ce rapport au 1er mars 2018.

M. le rapporteur. J’ai déjà perçu à plusieurs reprises l’intérêt de notre collègue Boris Vallaud pour la production d’un rapport ou d’une étude préalable, lorsque cela était prévu, avant d’avancer plus rapidement sur les accords majoritaires. Je comprends bien l’intention de l’amendement tel qu’il est déposé. Il est cohérent avec les textes adoptés sous la majorité précédente.

Cela étant, cher collègue, demander un rapport d’évaluation sur les accords majoritaires pour le 1er mars 2018 me paraît franchement inutile. Nous aurions peu de matière : les accords majoritaires conclus n’ont pratiquement porté que sur la durée du travail, les congés et les repos. Cela n’est pas suffisant pour l’évaluation que vous souhaitez. Et j’imagine que vous ne faites pas cette demande seulement pour voir produit un énième rapport.

Le contexte a changé, nous en sommes tous d’accord. Le Gouvernement et la majorité présidentielle veulent en tenir compte. Le diagnostic que nous avons fait de l’état de la société et de la nécessité de refonder le dialogue social se traduit par ces ordonnances. Il nous paraît important d’avancer vite sur les accords majoritaires afin d’être en cohérence avec les autres éléments contenus dans ces ordonnances. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Tout en maintenant l’amendement, je prends acte de votre position qui dénote une tendance au pari et à la croyance plus qu’à l’évaluation et à l’analyse.

La commission rejette lamendement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en avons fini avec les amendements portant articles additionnels visant à modifier l’ordonnance no 2017-1385 et nous en revenons à l’article unique précédemment réservé.

Article unique

La commission est saisie des amendements identiques AS4 de M. Boris Vallaud et AS37 de M. Pierre Dharréville.

M. Boris Vallaud. Avant de présenter mon amendement, j’aimerais comprendre le bien-fondé de cette présentation. Nous allons examiner les amendements de suppression avant d’avoir traité les ordonnances 2 et 3.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’ai expliqué la procédure que nous suivons au début de cette réunion. Pour l’instant, nous examinons les amendements de suppression de l’article – au début de celui-ci, comme il est d’usage –, puisque nous sommes passés à l’article unique.

M. Boris Vallaud. J’ai compris tous les mots mais pas le sens global…

J’en viens néanmoins à l’amendement AS4.

La Commission européenne s’est intéressée aux évolutions du travail et aux conséquences de la révolution numérique. Elle a considéré qu’il était nécessaire de prendre le temps d’établir un diagnostic de fond et qu’il était urgent de réduire les inégalités sur le marché du travail. En certaines circonstances, nous avons raison de regarder ce que préconise la Commission… Avec vos ordonnances, vous faites exactement l’inverse en travaillant dans l’urgence. Ce faisant, vous passez à côté d’enjeux essentiels et vous renoncez à réduire cette fracture sur le marché du travail et les inégalités qui s’y creusent. Sommes-nous les seuls à le dire ? Vraisemblablement non.

Avant-hier, notre commission a auditionné les syndicats de salariés. Que vous ont-ils dit ? Que ces ordonnances présentaient des dangers pour les salariés : danger du fait de la baisse des moyens dédiés aux instances représentatives du personnel ; danger du fait de la précarisation accrue des salariés qui ne sera en rien un levier pour créer des emplois nouveaux ; danger du fait du contournement des cadres collectifs, avec la possibilité de discuter plutôt que de négocier directement avec les employées dans les entreprises de moins de vingt salariés dépourvues d’élus du personnel, ce qui fera sortir 80 % des entreprises de notre pays de ce que nous considérons comme le dialogue social ; danger du fait de la création d’une possibilité de référendum à main levée et non nécessairement à bulletin secret ; danger du fait de la fusion des instances représentatives du personnel – comités d’entreprise, délégués du personnel et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – qui va entraîner une baisse du nombre d’élus du personnel ; danger du fait de la rupture conventionnelle collective qui permet des plans de départs volontaires en dehors de plans sociaux et qui expose particulièrement les salariés les plus âgés.

Nous ne sommes pas les seuls à vous demander de voter cet amendement visant à remplacer le mot « ratifiées » par le mot « abrogées ». Si nous n’étions pas une majorité à voter cet amendement alors vous seriez une majorité à trahir la promesse de justice que devrait porter chacune des lois de la République.

M. Pierre Dharréville. Le projet de loi de ratification des ordonnances visant à réformer le code du travail confirme les craintes que nous avons exprimées au moment de l’examen du projet de loi d’habilitation.

Sur la forme, l’habilitation donnée à l’exécutif a permis, par son étendue et son imprécision, de laisser de grandes marges de manœuvre au Gouvernement pour réformer, dans le sens qu’il le souhaitait, le droit du travail. Alors que le projet de loi d’habilitation comprenait dix articles, nous sommes amenés aujourd’hui à ratifier cinq ordonnances qui regroupent plus de 150 articles concernant des pans entiers de notre législation sociale. Je continue à penser que la méthode affaiblit singulièrement le Parlement. Compte tenu de nos échanges d’hier, j’espère qu’elle ne va pas se généraliser dans les temps à venir.

Sur le fond, les cinq ordonnances soumises à ratification s’inscrivent dans les réformes de ces trente dernières années visant à flexibiliser le marché du travail et à abaisser le coût du travail, suivant ainsi les recommandations de la Commission européenne. Hélas, il n’y a là rien de nouveau. Dans cette logique, le salarié est considéré comme une variable d’ajustement aux contraintes économiques extérieures.

Sans même prendre le temps de faire le bilan de la loi travail de 2016, déjà très controversée, les ordonnances entendent changer complètement la philosophie du code du travail en en faisant une sorte de trame facultative. Elles prévoient de renverser la hiérarchie des normes en enterrant définitivement le principe de faveur sur lequel l’ensemble de notre droit du travail s’est construit. La primauté de l’accord d’entreprise devient finalement la règle de droit commun, mettant en cause le contrat de travail lui-même.

L’autre logique de ce texte, c’est la volonté d’affaiblir les syndicats, à rebours de l’objectif affiché de renforcer le dialogue social. Le diagnostic établi par les organisations syndicales conduit à cette conclusion. C’est ce que traduisent la mise en œuvre d’une instance fusionnée, supprimant au passage le CHSCT, et la faculté de se passer de syndicats pour négocier dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Ces textes sont également la consécration de la logique de flexi-précarité. La troisième ordonnance se fixe ainsi l’objectif de « sécuriser les relations de travail pour lemployeur comme pour les salariés ». En réalité, cette sécurisation est à sens unique puisqu’il est prévu de réintroduire le vieux projet de plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal et abusif, et de faciliter le recours aux CDD et au CDI de chantier, ce qui revient à inventer un CDI précaire.

Enfin, ces textes marquent l’affaiblissement de la prévention de la santé au travail : suppression du CHSCT, suppression du compte pénibilité notamment en ce qui concerne les risques chimiques, et affaiblissement du fait syndical dans l’entreprise.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article unique ratifiant les ordonnances portant réforme du code du travail.

M. le rapporteur. Il s’agit là d’un positionnement politique global. En extrayant quelques mesures dont vous ne souhaitez pas l’application, vous cherchez à présenter tout le texte sous un angle négatif. Je ne me lancerai pas dans un inventaire à la Prévert des mesures que j’estime pour ma part positives, non seulement parce que la journée n’y suffirait pas (Sourires), mais aussi parce que ces ordonnances indiquent clairement que notre objectif est de renforcer les relations de confiance au sein de l’entreprise, de donner la priorité aux TPE et aux PME, enfin d’apporter de nouveaux droits aux salariés et de nouvelles prérogatives aux représentants du personnel.

J’en profite d’ailleurs, à ce stade, pour remercier Mme la présidente pour l’organisation de ce débat : il me paraît en effet bienvenu de pouvoir discuter des éventuelles modifications à apporter à chaque ordonnance, avant de passer au vote sur la ratification.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à lamendement AS234 du rapporteur.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Le présent amendement réécrit l’article unique et, s’il est adopté, fera tomber les amendements suivants s’y rapportant. Afin que le débat ait lieu, et avant de mettre aux voix l’amendement du rapporteur, je vais donner la parole à chacun des auteurs des amendements concernant l’ordonnance n° 2017-1385.

Pour ce qui est des amendements sur les autres ordonnances – et par là je réponds à la question de M. Vallaud –, je donnerai la parole, s’ils le souhaitent, à tous les auteurs d’amendements tombés au moment où nous examinerons les quatre autres amendements du rapporteur autorisant la ratification de chaque ordonnance.

M. le rapporteur. Comme vous l’avez indiqué, madame la présidente, l’amendement AS234 propose une rédaction globale de l’article 1er afin que chaque ordonnance puisse être ratifiée au sein d’un article distinct, ce qui facilitera nos débats en séance publique. J’ai donc déposé quatre autres amendements visant à ratifier respectivement les ordonnances nos 2017-1386, 2017-1387, 2017-1388 et 2017-1389, que nous examinerons après avoir discuté de ces éventuelles modifications apportées à chaque ordonnance.

Pour ce qui est de l’ordonnance n° 2017-1385, je rappelle qu’elle contient des avancées très importantes en matière de négociation collective. Elle revoit, en premier lieu, l’architecture conventionnelle dans un sens qui permet de favoriser le principe de subsidiarité, celui de la proximité, autrement dit le niveau de l’entreprise, tout en renforçant le rôle de garant et de régulateur de la branche. Elle permet également de proposer un cadre unifié aux accords de compétitivité là où coexistait auparavant une multiplicité de régimes différents, ce qui était source de complexité.

Le titre II de cette ordonnance encourage ensuite la négociation collective dans les entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles, en assouplissant les conditions de négociation d’un accord dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical. J’insisterai, chers collègues, sur certaines dispositions à propos desquelles nous n’avons pas eu beaucoup l’occasion d’échanger lors de l’examen des amendements et qui pourtant sont fondamentales ; je pense à la création des observatoires d’analyse et d’appui du dialogue social dans chaque département, qui permettront d’accompagner le développement de la négociation collective dans les entreprises de moins de cinquante salariés, à l’accélération de la réduction du nombre des branches professionnelles qui permettra de disposer de branches renforcées, plus efficaces dans leur action.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Comme convenu, je ne mets pas cet amendement au voix immédiatement, puisque chacun des autres amendements va être présenté. Auparavant, M. Cherpion souhaite s’exprimer.

M. Gérard Cherpion. Le moment est venu de prendre position. Le groupe Les Républicains apprécie le nouvel équilibre proposé par ces ordonnances, qui entérine le renforcement du rôle régulateur de la branche tout en facilitant la négociation de proximité au niveau de l’entreprise, ce que nous souhaitions depuis un certain temps. De même, nous sommes satisfaits de la facilitation du dialogue social dans les TPE-PME, d’une manière ouverte, simple, en l’absence de délégué syndical.

Nous avons cependant des réserves quant aux modalités de fusion des accords primant sur le contrat de travail au sein d’un dispositif unique : subsistent en effet un certain nombre d’incertitudes. Nous sommes favorables à une harmonisation, mais dans un cadre qui soit parfaitement clair – nous y reviendrons probablement en séance.

Enfin, je me réjouis que l’employeur puisse organiser un référendum pour valider un accord minoritaire, comme nous l’avions demandé. En ce qui concerne la date d’entrée en vigueur des accords majoritaires, nous constatons les efforts faits pour l’avancer à mai 2018 – peut-être aurait-il fallu retarder l’entrée en vigueur de la primauté de l’accord d’entreprise pour garantir leur légitimité.

Ces réserves étant exprimées, le groupe Les Républicains votera la ratification de cette ordonnance.

M. Jean-Hugues Ratenon. Le Conseil constitutionnel constate dans sa décision du 28 avril 2005 l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Il semble que le titre de l’ordonnance n° 2017-1385, qui décrit l’exact inverse de tout ce qu’elle contient, est contraire à cet objectif, et c’est pourquoi, par l’amendement AS25, nous en proposons la modification. Nous estimons en effet que, sous couvert de renforcer la négociation collective, cette ordonnance est en réalité le meilleur moyen d’en affaiblir les acteurs : elle fait tomber un grand nombre de dispositions relevant des lois de la République dans le champ de la branche professionnelle et, en cela, fait peser une forte incertitude sur les travailleurs puisque leurs conditions de travail ou de rémunération, qu’ils croyaient acquises, peuvent être remises en cause.

En matière de CDD, par exemple, alors que les lois de la République les protégeaient contre la prolongation de la précarité, cette ordonnance met fin à cette garantie. C’est ainsi que les contrats précaires comme le CDD pourront être étendus dans leur durée et leur fréquence de renouvellement. Si l’on comprend bien l’avantage que cela représente pour certains employeurs, les salariés n’ont rien à y gagner.

L’ordonnance en question fait en outre tomber d’autres dispositions relevant de la branche dans le champ de l’entreprise : les primes telles que le treizième mois ou les primes de prévoyance seraient désormais négociées au sein de l’entreprise. Si l’on estime que, conformément à sa définition juridique, la négociation collective implique un certain degré de liberté pour les deux parties, force est de constater que la négociation d’entreprise réduit considérablement la liberté des salariés et leur égalité face à l’employeur. Ils pourront en effet être soumis par l’employeur à du chantage, à des pressions ou à des promesses de récompenses, et ne pourront plus compter sur le droit public ou conventionnel. Dorénavant, ils se retrouvent seuls face à la bonne volonté de leurs employeurs au moment d’accorder certains avantages salariaux.

En niant la réalité des rapports de force que tous les rapports humains sous-tendent, cette ordonnance, qui réduit la liberté d’une des deux parties et détruit les conditions de légalité, contribue nécessairement à l’affaiblissement de la négociation collective. Aussi, par souci sémantique et afin de clarifier les intentions du Gouvernement et de sa majorité, je vous invite à renommer l’ordonnance, qui serait désormais relative à « laffaiblissement de la négociation collective ».

Mme Caroline Fiat. Nous estimons que le titre de l’ordonnance « relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans lentreprise et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales » est particulièrement mensonger. Nous en demandons la modification, conformément à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi. C’est aussi une façon de critiquer la tendance que vous avez de retourner le sens des mots pour travestir vos vieilles recettes libérales en attribut d’un nouveau monde. Nous vous proposons donc de la nommer : « Ordonnance rétablissant une organisation archaïque dun monologue patronal dans lentreprise et favorisant lentrave et la dévalorisation de lactivité syndicale. » (Sourires.)

Il n’y a rien de nouveau dans ce qu’instaure cette ordonnance : on revient au contraire en arrière d’au moins quarante ans, avant l’entrée en vigueur des CHSCT qui, dotés d’une autonomie juridique et financière, pouvaient veiller à la santé des salariés. Ensuite, le dialogue social n’est en aucun cas promu puisque, en fusionnant les trois instances représentatives du personnel en une seule, face à l’employeur, l’ordonnance affaiblit les représentants des salariés. Enfin, en empêchant la spécialisation et en asphyxiant financièrement cette instance unique, le travail des représentants s’en trouvera d’autant plus compliqué que leur mandat sera plus limité. On ne voit donc pas bien en quoi les responsabilités syndicales seront renforcées. C’est pourquoi, l’amendement AS187 vise à renommer cette ordonnance conformément à sa nature objective.

M. Adrien Quatennens. L’examen de ces ordonnances nous aura au moins appris que le macronisme avait un langage propre. Ainsi, ce que le Gouvernement nomme ici « visibilité » ne constitue ni plus ni moins que la barémisation des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif sans cause réelle et sérieuse. Nous l’avons déjà dit, les employeurs ne sont pas tous des fraudeurs ; la grande majorité, d’ailleurs, ne l’est pas. Pourtant, cette mesure ne sert les intérêts que de ceux qui, sciemment, contreviennent au droit du travail. En outre, fixer par avance le prix d’un préjudice est profondément inique. Le licenciement abusif est un drame pour ceux qui en sont les victimes, il bouleverse leur quotidien, met en difficulté sociale et financière des familles entières.

Par cette unique mesure, vous contrevenez au bon sens en matière juridique : vous privez le juge de son pouvoir d’appréciation et vous permettez aux fraudeurs de budgéter, si j’ose dire, le fait d’enfreindre la loi. Quand le Gouvernement parle de « sécurisation de la relation de travail », il évoque surtout des dispositions allant dans le sens de l’employeur qui aura toute facilité pour licencier. Il oublie que l’autre partie, représentée par le salarié, est, elle, exposée à plus de risques encore et notamment à celui de perdre son emploi à cause de la réduction du périmètre d’appréciation du licenciement économique, ou à cause de l’extension de ces critères.

Malgré les cours d’apprentissage de cette nouvelle langue gouvernementale, qui lui est imposée depuis des mois, la majorité des Français semble toujours ne pas en maîtriser les codes. Sans doute est-ce trop complexe pour nous aussi, tout comme l’était a priori le code du travail ; mais nous préférons encore nommer les choses pour ce qu’elles sont, et le Conseil constitutionnel sera certainement de notre avis puisqu’il impose le principe de clarté de la loi.

L’amendement AS189 vise par conséquent à renommer cette ordonnance comme celle « relative à la précarisation des relations de travail ».

M. Joël Aviragnet. La promulgation des ordonnances réformant le code du travail constitue une réelle occasion manquée : rien quant à l’impact du numérique sur le fonctionnement des entreprises, rien sur la régulation des plateformes de services ou sur les applications numériques. Ces ordonnances sont surtout inquiétantes pour les millions de salariés qui en subiront les effets. Les mesures de flexibilité qu’elles contiennent répondent à de vieilles revendications patronales obéissant au principe selon lequel, pour embaucher plus, il faut pouvoir licencier plus ; elles risquent surtout de précariser de nombreux salariés. La relation déséquilibrée entre employeurs et salariés est accentuée. J’en veux pour seule preuve la possibilité ouverte aux employeurs, dans les entreprises de moins de vingt salariés, de décider seuls.

Surtout, vos ordonnances organisent une flexibilité totale et unilatérale avec le recours étendu aux contrats de chantier, plus précaires que le CDD puisque le terme n’est pas connu et ne donne pas lieu au versement d’une indemnité de précarité, mais aussi avec les nouveaux périmètres pour les licenciements économiques. On met fin à la solidarité entre société-mère et société-fille au motif qu’il faudrait préférer les investissements étrangers aux droits sociaux. On instaure ensuite une barémisation des dommages et intérêts en cas de licenciement illégal. On supprime enfin la motivation de la lettre de licenciement.

Ces ordonnances ne sont pas à la hauteur des défis auxquels le monde du travail est confronté. Vous avez cédé aux vieilles formules patronales qui vont, j’y insiste, creuser les inégalités entre gagnants et perdants de la mondialisation et qui, surtout, vont accroître le risque de discrimination entre petites et grandes entreprises. C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement AS7, de remplacer le mot « ratifiées » par « abrogées ».

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous estimons que le titre de l’ordonnance suivante est mensonger et nous souhaitons le corriger pour faire preuve de plus de transparence vis-à-vis des Français. Le point fort de cette ordonnance est de revenir sur le dispositif nommé « compte pénibilité », qui avait la vertu d’épargner les salariés exposés à un certain nombre de facteurs de pénibilité et de souffrance au travail, de leur éviter l’extension de la durée de cotisation pour partir à la retraite, mise en place en 2010. Désormais il faudra déjà être malade pour pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée, ce qui est tout le contraire de l’idée de prévention mentionnée par le titre de l’ordonnance.

Ensuite, plutôt que de prendre en compte les risques professionnels, cette ordonnance retire de la liste les expositions aux produits chimiques, aux postures pénibles, aux charges lourdes et aux vibrations.

Enfin, en renommant « compte professionnel de prévention » le compte pénibilité, le titre de l’ordonnance rappelle la volonté qu’avait le candidat Macron de ne pas parler de pénibilité puisque cela induirait, selon lui, que le travail est une souffrance. C’est pourtant le cas pour beaucoup de monde ; les maladies professionnelles et les accidents du travail concernent des milliers de Français. Pourquoi taire cette réalité ? Par honnêteté, par respect vis-à-vis des travailleurs qui souffrent dans leur chair et dans leur psychisme d’un travail pénible, nous vous proposons de renommer cette ordonnance qui met fin à la prise en compte de l’exposition aux produits chimiques, aux postures pénibles, aux charges lourdes, aux vibrations et qui consacre la volonté présidentielle de nier l’existence de la pénibilité au travail. C’est l’objet de l’amendement AS193.

Mme Éricka Bareigts. L’amendement AS2 vise à rendre caduque l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective. Cette ordonnance entend offrir une place centrale à la négociation d’entreprise, laquelle pourrait déroger aux dispositions de la branche, sauf dans certains domaines.

Le travail de rééquilibrage des rôles entre la branche et l’entreprise n’est pas nouveau puisque trois lois, en dix ans, ont abordé le sujet. Lors de l’examen de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, nous avions demandé aux branches de définir les cas dans lesquels les accords d’entreprise ne pouvaient pas être moins favorables que les accords de branche. Or remettre en cause le rôle régulateur de la branche serait catastrophique, d’abord pour les salariés mais aussi pour les TPE-PME qui s’appuient en permanence sur les accords de branche.

Vous nous demandez aujourd’hui d’accorder plus de place à la négociation collective, mais vos ordonnances, en particulier la deuxième, sont la marque d’une défiance à l’égard des organisations syndicales, notamment dans les entreprises de moins de 50 salariés. De plus, les incertitudes quant aux moyens alloués pour faire vivre le dialogue social sont particulièrement importantes puisque, en la matière, vous renvoyez à des décrets. Finalement, vous nous proposez beaucoup d’« agilité » mais peu de sécurité, pour les salariés comme pour les acteurs du dialogue social.

Mme Caroline Fiat. L’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective tend à réduire les capacités de négociation des salariés. En faisant baisser de niveau des questions aussi essentielles que la durée et la fréquence de renouvellement des CDD ou la négociation des primes – qui sont des parts du salaire –, elle place ses salariés dans une configuration moins favorable à l’obtention de conditions de travail acceptables. En supprimant un certain nombre de garanties, elle les pousse à renégocier des avancées acquises au cours du siècle dernier et dont la remise en cause n’est justifiée par aucun impératif relatif à l’intérêt général. De plus, l’ordonnance réduit la marge de négociation des salariés car elle les place dans une situation fragile. Si le niveau de la convention collective permettait aux salariés, organisés par corps de métiers, de montrer un front uni à leurs employeurs, c’est désormais isolés dans chaque entreprise qu’ils vont devoir négocier des éléments aussi essentiels que l’organisation du temps de travail, les primes et l’égalité professionnelle.

Il en résulte une rupture de l’égalité entre salariés du privé, puisque les branches où les travailleurs sont les mieux organisés, comme celles des dockers ou des routiers, ont pu d’ores et déjà obtenir le verrouillage de leurs primes au niveau de leurs branches respectives. Les travailleurs les plus précaires et les plus atomisés, comme les employées du commerce ou les ouvriers du bâtiment, vont pâtir d’un moins-disant social créé par des conditions de négociation moins favorables. Si les branches permettaient le dialogue social, l’ordre public et la démocratie, le niveau de l’entreprise, quant à lui, risque de n’être que le lieu d’un monologue patronal.

C’est pourquoi l’amendement AS26 vise à supprimer l’alinéa relatif à la ratification de cette ordonnance.

M. Pierre Dharréville. J’ai le sentiment, monsieur le rapporteur, que votre amendement, dont je comprends la signification et qui peut même présenter quelque intérêt dans la perspective de l’examen du texte en séance, est un raccourci qui nuit à la qualité de nos précieux échanges. Notre amendement AS172 vise donc, lui aussi, à annuler de fait la ratification de l’ordonnance n° 2017-1385, « relative au renforcement de la négociation collective », pour reprendre vos termes, puisque, selon vous, il s’agit de poursuivre et même d’amplifier l’inversion de la hiérarchie des normes dans le droit du travail, cela dans la continuité de la loi El Khomri, d’élargir le champ de la négociation collective en généralisant la primauté de l’accord d’entreprise, contribuant ainsi à l’affaiblissement des protections légales et des protections conventionnelles.

Le code du travail est modifié dans un sens qui nous semble particulièrement régressif : primauté de l’accord collectif sur le contrat de travail, instauration du référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur, élargissement des possibilités de négociation en l’absence de délégué syndical… Loin de simplifier le code du travail – c’était l’un de vos arguments – ou de renforcer les droits des salariés, le texte entérine des reculs sociaux sans précédent et, en guise de simplification, nous aurions une myriade de situations des plus diverses qui vont donner lieu à du dumping social.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en avons terminé avec les amendements visant à modifier la première ordonnance. Avant de mettre aux voix l’amendement AS234 proposant une rédaction globale de l’article, je donne la parole à son auteur.

M. le rapporteur. Notre collègue Dharréville m’a adressé un clin d’œil – auquel je vais répondre rapidement.

Madame la présidente, vous avez donné la possibilité à tous ceux qui le souhaitaient de défendre leurs amendements sur la première ordonnance, leur permettant ainsi de faire valoir leurs idées au sein de la commission, même si plusieurs de ces amendements ne portaient d’ailleurs pas sur l’ordonnance n° 2017-1385. Cette dernière, je le répète, redéfinit l’architecture conventionnelle dans un sens qui permet de favoriser le principe de subsidiarité, celui de proximité ; elle donne également un cadre unifié aux accords de compétitivité, alors qu’il en existait une multitude auparavant et caractérisés par leur complexité. Enfin, le titre II de l’ordonnance, vous l’avez compris, encourage la négociation collective dans les entreprises et plus particulièrement dans les TPE.

M. Pierre Dharréville. Je tiens à réparer une inélégance, madame la présidente, donc à vous remercier de nous avoir permis de présenter nos amendements.

La commission adopte lamendement AS234.

*

Par conséquent, les amendements AS25 de M. Jean-Hugues Ratenon, AS187 de Mme Caroline Fiat, AS189 et AS193 de M. Adrien Quatennens, AS7 de M. Boris Vallaud, ainsi que les amendements identiques AS2 de M. Boris Vallaud, AS26 de M. Jean-Hugues Ratenon et AS172 de M. Pierre Dharréville et tous les autres amendements à larticle unique tombent.

Larticle 1er est ainsi rédigé.

*

*     *

Article 3 [nouveau]
Ratification de lordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales

L’ordonnance n° 2017-1386 poursuit trois objectifs.

● Le premier objectif vise à mettre en place une nouvelle organisation du dialogue social dans l’entreprise.

Cet objectif se décline, en premier lieu, par la création du comité social et économique (CSE), issu de la fusion de trois instances de représentation du personnel délégués du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail , qui permettra la mise en place d’un dialogue social à la fois plus stratégique, plus concret, et moins formel (titre I de l’article 1er, articles 3 et 4).

Cet objectif se décline également par la possibilité de transformer le comité social et économique en conseil d’entreprise, doté de la compétence de négociation. Véritable innovation dans la structuration de nos instances de représentation du personnel, le conseil d’entreprise constitue la première étape de ce qui pourrait représenter un modèle de « codécision à la française » (titre II de l’article 1er).

● Le deuxième objectif poursuivi par l’ordonnance est de favoriser les conditions d’implantation syndicale et d’exercice de responsabilités syndicales ou de représentation des salariés.

L’article 2 propose ainsi de sécuriser le cadre juridique applicable aux salariés protégés, en tirant toutes les conséquences de la création du comité social et économique.

L’article 5 vise ensuite à mieux valoriser les parcours syndicaux :

d’une part, en étendant à l’ensemble des titulaires d’un mandat syndical, dans les entreprises d’au moins deux mille salariés, la possibilité de bénéficier d’un recensement des compétences acquises au cours du mandat au terme de celui-ci ;

d’autre part, en renforçant l’obligation de formation d’adaptation de l’employeur pour les salariés mis à disposition des organisations syndicales de salariés.

L’article 6 prévoit ensuite le maintien, à la charge de l’employeur, de la rémunération et des contributions et cotisations afférentes à la rémunération des salariés en congé de formation économique, sociale et syndicale.

● Le troisième objectif, décliné à l’article 7 de l’ordonnance, vise à préciser et à actualiser les conditions dans lesquelles le droit d’expression collective des salariés est renforcé pour tenir compte des technologies numériques de l’entreprise.

● Les articles 8 à 13 définissent quant à eux les modalités d’entrée en vigueur ou les dispositions spécifiques applicables aux articles 1er à 7 de l’ordonnance.

 

   Première partie : le comité social et économique et le conseil d’entreprise

La création du comité social et économique (CSE), qui fusionne trois instances représentatives du personnel – délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail constitue la clé de voûte des mesures visant à mettre en place une nouvelle organisation du dialogue social dans l’entreprise. Jusqu’à la publication de l’ordonnance
n° 2017-1386, les trois instances de représentation du personnel disposaient en effet chacune de compétences propres, dont la redondance et l’enchevêtrement pouvaient nuire à l’efficacité et à la lisibilité de leurs actions respectives.

Les délégués du personnel, présents dans les entreprises d’au moins onze salariés, avaient pour mission de présenter à l’employeur toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du code du travail ou encore aux conventions et accords applicables dans l’entreprise. Ils jouaient également un rôle d’alerte, en cas d’atteinte aux droits des salariés, ou à leur santé physique et mentale, notamment en matière de harcèlement sexuel ou moral.

Le comité d’entreprise (CE) mis en place, pour sa part, dans toute entreprise d’au moins cinquante salariés, jouait un rôle clé en matière d’expression collective des salariés. Il disposait en effet de moyens importants et était obligatoirement consulté sur les sujets relatifs à l’organisation, à la gestion, à la marche générale et à la situation économique et financière de l’entreprise.

Enfin, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), également présent dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, avait pour vocation d’associer le personnel aux actions de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail.

Le tableau ci-après résume les principales caractéristiques de chaque instance.

Modalités de fonctionnement et attributions des instances représentatives du personnel antérieures à la création du comité social et économique

 

Délégués du personnel (DP)

Comité dentreprise (CE)

Comité dhygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

Mise en place obligatoire

Entreprises d’au moins 11 salariés

Entreprises d’au moins 50 salariés

Entreprises d’au moins 50 salariés ou, en deçà, sur décision de l’inspecteur du travail

Membres assistant aux réunions

− Membres élus

− Membres élus

− Éventuellement, délégués syndicaux (voix consultative)

− Délégation du personnel désignée par un collège de membres du CE et des DP

− Personnalités qualifiées (médecin du travail…)

− Éventuellement, DS

− Inspection du travail et services de prévention (facultatif)

Droit à la formation

Non

Oui

Oui

Personnalité civile

Non

Oui

Oui

Périodicité des réunions avec lemployeur

Au moins une fois par mois

Moins de 300 salariés : au moins une fois tous les 2 mois

− Au moins une fois par trimestre (plus en cas de besoin)

− À la suite de tout accident aux conséquences graves

− En cas d’événement grave portant atteinte à la santé publique ou à l’environnement

− Sur demande motivée de 2 membres

Plus de 300 salariés : au moins une fois par mois

Possibilité de recourir à lexpertise

Non

Oui. Le CE peut se faire assister par :

− un expert-comptable

− des experts compétents en cas d’opération de concentration, de recherche d’un repreneur, de l’introduction de nouvelles technologies…

− de tout expert rémunéré par ses soins pour la préparation de ses travaux

Pas de droit général à l’expertise sauf :

− risque grave constaté dans l’établissement ;

− projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail

− projet de restructuration et de compression des effectifs

Ressources

Pas de ressources spécifiques

2 types de ressources :

− subvention de fonctionnement (au moins égale à 0,2 % de la masse salariale brute) ;

− subvention aux activités sociales et culturelles (non systématique)

Pas de ressources propres, mais obligation de l’employeur de mettre à disposition les moyens nécessaires à la préparation et à l’organisation des réunions, ainsi qu’aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections.

Attributions

− Réclamations individuelles/collectives

− Droit d’alerte sur les atteintes aux personnes (harcèlement, discriminations…)

− Saisine de l’inspecteur du travail

− Attributions du CE ou du CHSCT en cas de carence

− Attributions économiques : possibilité de formuler ou examiner toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi, de vie dans l’entreprise et de formation professionnelle des salariés, et droit d’alerte économique

− Attributions d’ordre social (monopole)

− Actions de prévention

− Analyse des risques professionnels, des conditions de travail et d’exposition aux facteurs de pénibilité

− Mission d’enquête et d’inspection

− Pouvoir de proposition en matière de prévention

Information consultation

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, les DP ne sont consultés le plus souvent qu’à défaut de CE.

Les DP sont néanmoins obligatoirement consultés dans 3 cas :

− reclassement d’un salarié déclaré inapte ;

− organisation des congés payés ;

− repos compensateur.

Consultation annuelle obligatoire :

− orientations stratégiques de l’entreprise ;

− situation économique et financière de l’entreprise ;

− politique sociale, conditions de travail et emploi

Consultation ponctuelle sur les nouvelles technologies, la compression des effectifs, les procédures collectives…

Moyens dinformation : base de données économiques et sociales (BDES)

Le CHSCT est obligatoirement consulté sur :

− l’aménagement des postes de travail ;

− la modification des cadences ;

− le prêt de main-d’œuvre ;

Il est également destinataire de documents soumis pour avis, notamment le règlement intérieur.

Relations avec les autres IRP

Peut formuler des observations ou suggestions ou saisir le CHSCT sur tout sujet relevant de sa compétence

Peut demander l’expertise du CHSCT sur tout sujet relevant de sa compétence.

Bénéficie du concours du CHSCT dans les matières relevant de sa

compétence.

Peut être saisi à titre consultatif par les DP (observations ou suggestions) ou le CE sur les sujets de sa compétence

Comme l’a rappelé le rapport de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi d’habilitation, « si elle avait initialement pour objectif de garantir aux salariés une meilleure prise en compte de leurs intérêts individuels et collectifs, en pratique, la multiplicité des instances de représentation du personnel soulève de nombreuses difficultés ».

Ces difficultés s’illustraient notamment par un cloisonnement trop important des compétences respectives de chaque instance, empêchant les représentants du personnel de disposer d’une vision exhaustive des enjeux de l’entreprise, et par un alourdissement de la charge de gestion incombant à l’employeur compte tenu de la multiplicité des représentants et des réunions des différentes instances.

Les aménagements apportés à la délégation unique du personnel (DUP) par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi ont permis de répondre en partie aux difficultés liées à l’éclatement des compétences entre les différentes instances, sans parvenir pour autant à les régler totalement, dans la mesure où, au sein de la DUP, chaque instance conservait ses attributions propres – ce qui ne réglait en rien la problématique du cloisonnement des compétences.

Pour donner un nouveau souffle au dialogue social au sein de l’entreprise, le 1° de l’article 2 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 proposait de modifier à la fois les contours et le contenu des structures de représentation du personnel dans l’entreprise, et autorisait à cette fin le Gouvernement :

à définir les conditions de mise en place, les seuils d’effectifs à prendre en compte, la composition, les attributions et le fonctionnement de l’instance fusionnée, « y compris les délais dinformation-consultation, la formation de ses membres, ses moyens et les modalités de contrôle de ses comptes et de choix de ses prestataires et fournisseurs » ;

à fixer « à trois, sauf exceptions, le nombre maximal de mandats électifs successifs des membres de linstance », ainsi qu’à fixer « les conditions et modalités de recours aux expertises, notamment la sollicitation obligatoire de devis auprès de plusieurs prestataires » ;

à prendre toutes mesures visant à définir « les conditions dans lesquelles une commission spécifique traitant des questions dhygiène, de sécurité et des conditions de travail peut être créée au sein de cette instance ».

En fusionnant au sein du comité social et économique les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, la réforme proposée par l’ordonnance n° 2017-1386 vise à rénover en profondeur le dialogue social, en permettant aux représentants du personnel d’intervenir de manière plus stratégique et plus concrète pour porter les revendications des salariés auprès de l’employeur, de bénéficier d’une meilleure vision des enjeux de l’entreprise, tout en continuant à exercer les attributions qui étaient jusque-là éclatées entre trois instances de représentation.

En vertu de l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1386, toutes les règles relatives à la mise en place, à la composition, aux attributions et aux modalités de fonctionnement du comité social et économique sont désormais définies au titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail, qui vient remplacer :

d’une part, les anciens titres I et II du livre III de la deuxième partie du même code, consacrés respectivement aux délégués du personnel et au comité d’entreprise ;

d’autre part, l’ancien titre Ier du livre VI de la quatrième partie du même code, consacré au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ce titre est en effet abrogé par le II de l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1386.

Sauf indication contraire, toutes les références d’articles mentionnées ci-après font donc référence aux nouveaux articles du titre Ier de la deuxième partie du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1386.

Les règles relatives à la mise en place, à la composition, aux attributions et aux modalités de fonctionnement du conseil d’entreprise figurent quant à elles au titre II du livre II de la deuxième partie du code du travail.

I.   Modalités de mise en place et de suppression du comité social et économique

A.   Champ d’application

Selon l’article L. 2311-1, l’ensemble des dispositions relatives au comité social et économique (CSE) sont applicables :

aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés (1°) ;

aux établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) (2°) ;

aux établissements publics à caractère administratif (EPA), lorsqu’ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé (3°) ([19]).

B.   Conditions de mise en place du CSE au niveau de l’entreprise, de l’unité économique et sociale ou au niveau interentreprises

Les seuils d’effectifs à partir desquels la mise en place d’un CSE est obligatoire sont définis au chapitre Ier du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail.

Les conditions de mise en place et de suppression du CSE sont définies au chapitre III du même titre.

1.   Seuils d’effectifs

L’article L. 2311-2 dispose qu’un comité social et économique est mis en place « dans les entreprises dau moins onze salariés ».

Comme nous le verrons plus tard, les attributions et modalités de fonctionnement du comité peuvent néanmoins varier en fonction de l’effectif de l’entreprise, avec davantage d’attributions dans les entreprises d’au moins 50 salariés que dans celles dont l’effectif est compris entre 11 et 50 salariés.

L’obligation de mise en place d’un CSE n’est obligatoire « que si leffectif dau moins onze salariés est atteint pendant douze mois consécutifs ». Cette rédaction diffère de celle qui avait été retenue pour l’élection des délégués du personnel ou la constitution d’un comité d’entreprise : dans ces cas, le seuil d’effectif devait être atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes (articles L. 2312-2 et L. 2322-2, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance).

Les seuils d’effectifs sont calculés dans les conditions prévues aux articles L. 1111-2 et L. 1251-54 du code du travail.

2.   Mise en place du CSE

Le CSE est mis en place au niveau de l’entreprise, de l’unité économique et sociale (UES) ou au niveau interentreprises.

Dans les entreprises ou les UES où existent au moins deux établissements distincts, sont mis en place un CSE central et des CSE d’établissement.

Des représentants de proximité peuvent en outre être institués par accord d’entreprise.

a.   Au niveau de l’entreprise

Comme le rappelle l’article L. 2313-1, le comité social et économique est en général mis en place au niveau de l’entreprise (CSE). Cependant, dans les entreprises où existent au moins deux établissements distincts, le CSE peut laisser place à un comité central et à des comités d’établissement ([20]), sur le modèle de ce qui existait déjà pour le comité d’entreprise.

Les modalités de mise en place des établissements distincts évoluent néanmoins. Avant la publication de l’ordonnance n° 2017-1386, le nombre d’établissements distincts relevait d’un accord d’entreprise ou, à défaut, d’une décision de l’employeur – si aucun syndicat n’avait répondu à l’invitation de négocier – ou du Direccte ([21])  – si les négociations avaient échoué.

Désormais, selon l’article L. 2313-2, le nombre et le périmètre de ces établissements distincts devront être fixés, par priorité, par la voie d’un accord d’entreprise majoritaire, dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 du code du travail – ce qui exclut la possibilité de recourir au référendum d’entreprise.

À défaut d’accord d’entreprise et en l’absence de délégué syndical, le nombre et le périmètre des établissements distincts peut être fixé par accord entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité (article L. 2313-3). À défaut d’un tel accord, la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts incombe à l’employeur lui-même, en vertu de son autonomie de gestion (article L. 2313-4).

En cas de litige sur la décision de l’employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par l’autorité administrative du siège de l’entreprise, dans des conditions fixées par décret. Cette décision peut faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux (article L. 2313-5).

Selon l’article L. 2313-6, la perte de la qualité d’établissement distinct entraîne la cessation des fonctions des membres de la délégation du personnel du comité d’établissement qui s’y rattache, sauf si un accord d’entreprise ou, à défaut, un accord avec le comité d’établissement en dispose autrement, afin de permettre aux représentants élus du comité d’établissement d’achever leur mandat.

Pour répondre aux inquiétudes relatives à la disparition des délégués du personnel, traditionnellement considérés comme les représentants des salariés les plus proches du terrain, l’article L. 2313-7 permet à l’accord d’entreprise fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts de mettre en place des « représentants de proximité ».

L’institution de ces représentants de proximité s’inspire des anciens délégués du personnel, et vise à éviter que la fusion des instances de représentation du personnel ne se traduise, dans certains cas, par une centralisation trop importante des représentants des salariés. Le représentant de proximité pourra par exemple jouer un rôle en matière de présentation des réclamations individuelles ou collectives dans les différents sites géographiques de l’entreprise, lorsque le périmètre retenu pour la mise en place d’un comité social et économique d’établissement se situe à un niveau plus centralisé.

L’ordonnance est délibérément peu diserte sur le rôle et les compétences desdits représentants. En effet, le souhait du Gouvernement est de laisser une importante marge de manœuvre à la négociation d’entreprise pour définir leurs missions et attributions, en fonction des caractéristiques propres à chaque entreprise, voire à chaque établissement. L’accord prévoyant la mise en place des représentants de proximité devra tout de même définir a minima :

le nombre de représentants de proximité (1°) ;

leurs attributions, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (2°) ;

les modalités de leur désignation, pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité social et économique (3°), étant précisé que les représentants ne sont pas forcément membres du comité – ils peuvent être simplement « désignés par lui » ;

leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d’heures de délégation dont ils bénéficient pour l’exercice de leurs attributions.

Compte tenu des marges de manœuvre laissées à la négociation entre les partenaires sociaux, les représentants de proximité ne bénéficieront pas forcément des mêmes prérogatives que les membres du CSE s’ils ont été désignés par ce dernier, ni de prérogatives supplémentaires, notamment en termes d’heures de délégation, s’ils sont membres du comité.

Toutefois, il convient de souligner que tous les représentants de proximité bénéficient d’une protection contre le licenciement au même titre que les autres représentants du personnel, dans les conditions définies au titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, dans sa rédaction issue de l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1386 ([22]).

b.   Au niveau de l’unité économique et sociale

L’article L. 2313-8 prévoit ensuite la mise en place d’un comité social et économique commun lorsqu’une unité économique et sociale (UES) regroupant au moins onze salariés est reconnue par accord collectif ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes.

Ayant vocation à faire échec à la division artificielle des entreprises opérée pour éluder les effets de seuil en matière de représentation du personnel, l’UES est caractérisée :

lorsque les pouvoirs de direction sont concentrés à l’intérieur du périmètre considéré, et lorsque les activités déployées par les différentes entités sont similaires ou complémentaires ;

lorsqu’il existe une « communauté de travailleurs » résultat de leur statut social et des conditions de travail similaires.

La notion d’UES n’était prévue, dans la rédaction du code du travail antérieure aux ordonnances, que pour le comité d’entreprise, mais la jurisprudence l’avait étendue aux délégués du personnel, aux délégués syndicaux et à la délégation unique du personnel (DUP).

Lorsqu’une UES comporte au moins deux établissements distincts, des CSE d’établissement et un CSE central d’entreprise sont constitués. Selon l’article L. 2313-8, le nombre et le périmètre des établissements distincts entrant dans le champ de l’UES sont définis par un accord d’entreprise ou, à défaut, par un accord entre l’employeur et le CSE conclu dans les mêmes conditions que celles prévues respectivement aux L. 2313-2 et L. 2313-3. À défaut, dans les mêmes conditions que celles définies aux articles L. 2313-4 et L. 2313-5, ils sont fixés par l’employeur lui-même ou, en cas de litige à l’encontre de cette décision, par l’autorité administrative compétente.

c.   Au niveau interentreprises

L’article L. 2313-9 permet la constitution d’un comité social et économique interentreprises « lorsque la nature et limportance de problèmes communs aux entreprises dun même site ou dune même zone le justifient ».

La mise en place d’un tel comité doit toutefois être prévue par un accord collectif interentreprises, conclu entre les employeurs des entreprises du site ou de la zone et les organisations syndicales représentatives au niveau interprofessionnel ou au niveau départemental. Ledit accord définit :

le nombre de membres de la délégation du personnel composant le comité (1°) ;

les modalités de leur élection ou de leur désignation (2°) ;

les attributions du comité (3°) ;

ses modalités de fonctionnement (4°).

L’accord peut également prévoir la possibilité, pour un membre de la délégation du personnel de chaque CSE des entreprises d’au moins onze salariés du site ou de la zone considéré, de participer aux réunions mensuelles du comité interentreprises.

C.   Suppression du CSE

Selon l’article L. 2313-10, si l’effectif de l’entreprise est resté inférieur au seuil de onze salariés pendant au moins douze mois consécutifs, l’instance n’est pas renouvelée à l’expiration du mandat des membres de la délégation du personnel du comité.

II.   Composition du comité social et économique, élections et mandat des membres du comité

Les dispositions relatives à la composition, aux élections et au mandat des membres du comité social et économique sont définies au chapitre IV du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail.

A.   Composition du CSE

Aux termes de l’article L. 2314-1, le comité social et économique est composé de l’employeur et d’une délégation du personnel comportant un nombre de membres déterminé par décret en Conseil d’État. La délégation du personnel comporte un nombre égal de titulaires et de suppléants.

Ce nombre varie en fonction de l’effectif de l’entreprise. Il peut, en outre, être augmenté par accord entre l’employeur et les organisations syndicales intéressées, c’est-à-dire toutes les  organisations ayant désigné un délégué syndical au sein de l’entreprise.

La principale nouveauté prévue par cet article, par rapport à la situation qui prévalait jusque-là dans les comités d’entreprise et CHSCT, est liée au rôle des suppléants, qui ne pourront plus assister aux réunions du CSE qu’en l’absence du titulaire.

Peuvent également assister aux séances du CSE, avec voix consultative :

 le représentant syndical au comité éventuellement désigné par chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement, sous réserve que ce représentant soit membre du personnel de l’entreprise et qu’il remplisse les conditions d’éligibilité au CSE fixées à l’article L. 2314-19 (article L. 2314-2) ;

 le médecin du travail ou toute personne de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail compétente à qui le médecin a donné délégation et le responsable interne du service de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, l’agent chargé de la sécurité et des conditions de travail.

En outre, selon l’article L. 2314-3, l’agent de contrôle de l’inspection du travail et les agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale sont « invités » aux réunions du CSE :

soit à l’initiative de l’employeur ou à la demande de la majorité des membres de la délégation du personnel du CSE, lorsque les réunions du comité portent sur ses attributions en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail, ou lorsque le comité est réuni à la suite d’un accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves, ainsi qu’en cas d’évènement grave lié à l’activité de l’entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement ;

soit lorsque ces réunions sont consécutives à un accident de travail ayant entraîné un arrêt de travail d’au moins huit jours ou à une maladie professionnelle ou à caractère professionnel.

B.   Élections des membres du CSE

Les dispositions relatives aux modalités d’organisation des élections des membres du CSE sont définies aux articles L. 2314-4 à L. 2314-32, et réparties en six sous-sections. Elles s’inspirent très largement des dispositions qui étaient déjà applicables aux élections des délégués du personnel ou des membres du comité d’entreprise, sauf exceptions développées dans ce commentaire d’article.

1.   Organisation des élections

En vertu de l’article L. 2314-4, en cas de franchissement du seuil de onze salariés pendant douze mois consécutifs, l’employeur est tenu d’informer le personnel, tous les quatre ans, de l’organisation des élections. L’élection doit se tenir au plus tard le quatre-vingt-dixième jour après la diffusion par l’employeur d’un document précisant la date envisagée pour le premier tour.

Les modalités selon lesquelles les organisations syndicales sont informées de l’organisation des élections et invitées à négocier le protocole d’accord préélectoral et à établir les listes de leurs candidats aux fonctions de membre de la délégation du personnel, telles que définies à l’article L. 2314-5, sont les mêmes que celles définies aux articles L. 2314-13 et L. 2324-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386, à l’exception de la dérogation prévue au cinquième alinéa de l’article L. 2314-5. Cet alinéa prévoit en effet une dérogation pour les entreprises dont l’effectif est compris entre onze et vingt salariés, en prévoyant que dans ces entreprises, l’employeur n’a l’obligation d’inviter les organisations syndicales à négocier que si au moins un salarié s’est porté candidat aux élections, dans un délai de trente jours à compter de l’information transmise par le personnel à l’employeur.

S’agissant du protocole d’accord préélectoral, dont les conditions de validité sont inchangées par rapport aux dispositions antérieurement en vigueur (article L. 2314-6), il peut désormais modifier le nombre de sièges ou le volume des heures individuelles de délégation, dès lors que le volume global de ces heures, au sein de chaque collège, est au moins égal à celui résultant des dispositions légales au regard de l’effectif de l’entreprise.

Les modalités d’organisation des élections en l’absence de CSE prévues à l’article L. 2314-8 évoluent également. En effet, en l’absence de comité, l’employeur engage la procédure de négociation du protocole d’accord préélectoral à la demande d’un salarié ou d’une organisation syndicale « dans le mois suivant la réception de cette demande ». Toutefois, si l’employeur a engagé le processus électoral et qu’un procès-verbal de carence a été établi, une nouvelle demande d’organisation des élections ne pourra désormais intervenir qu’à l’expiration d’un délai de six mois après l’établissement de ce procès-verbal. Cette disposition a vocation à éviter les risques d’une nouvelle carence, en cas d’engagement du processus électoral dans un délai très court après l’établissement d’un procès-verbal de carence.

Les articles L. 2314-9 et L. 2314-10, respectivement relatifs aux modalités d’établissement du procès-verbal de carence et à l’organisation des élections partielles, reprennent les dispositions antérieurement applicables aux délégués du personnel et au comité d’entreprise et n’appellent pas de remarque particulière.

2.   Collèges électoraux

Les dispositions relatives aux collèges électoraux, définies aux articles L. 2314-11 à L. 2314-17, reprennent les dispositions antérieurement applicables aux délégués du personnel et du comité d’entreprise à l’exception de l’article L. 2314-14, qui permet à l’employeur, lorsqu’aucune organisation syndicale représentative dans l’entreprise n’a pris part à la négociation, de répartir le personnel et les sièges dans les collèges électoraux.

En synthèse, les membres de la délégation du personnel du CSE sont élus sur des listes établies par les organisations syndicales pour chaque catégorie de personnel constituées :

d’une part, par le collège des ouvriers et employés ;

d’autre part, par le collège des ingénieurs, chefs de service, techniciens, agents de maîtrise et assimilés.

Le nombre et la composition des collèges électoraux peuvent être modifiés par accord d’entreprise, à condition que ce dernier soit signé par toutes les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. La répartition du personnel et des sièges au sein de ces collèges fait également l’objet d’un accord, selon les conditions applicables au protocole d’accord préélectoral.

3.   Électorat et éligibilité

Les conditions d’électorat et d’éligibilité des membres du CSE, et notamment les conditions d’âge, d’ancienneté ou de présence dans l’entreprise ainsi que d’indépendance à l’égard de l’employeur sont définies aux articles L. 2314-18 à L. 2314-25.

Elles reprennent sans les modifier les conditions d’électorat et d’éligibilité anciennement définies aux articles L. 2314-15 à L. 2314-20, s’agissant des délégués du personnel, et aux articles L. 2324-14 à L. 2324-18, s’agissant du comité d’entreprise, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance.

4.   Mode de scrutin et résultat des élections

Les dispositions relatives au mode de scrutin et au résultat des élections définies aux articles L.2314-26 à L. 2314-29 reprennent également les dispositions antérieurement définies aux articles L. 2314-21 à L. 2314-24, s’agissant des délégués du personnel, et aux articles L. 2324-19 à L. 2324-22, s’agissant du comité d’entreprise.

Elles prévoient notamment :

 que l’élection a lieu au scrutin secret sous enveloppe ou, si un accord d’entreprise ou, à défaut, si l’employeur le décide, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État ;

 que l’élection a lieu pendant le temps de travail, sauf si un accord en dispose autrement ;

 que les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales font l’objet d’un accord préélectoral ;

 que le scrutin est de liste à deux tours, avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

5.   Représentation équilibrée des femmes et des hommes

L’article L. 2314-30 dispose que pour chaque collège électoral, les listes comportant plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats de chaque sexe. La proportion de femmes et d’hommes composant chaque collège est communiquée par l’employeur aux salariés, par tout moyen, dès qu’un accord ou une décision de l’autorité compétente sur la répartition du personnel est intervenu (article L. 2314-31).

Il est précisé toutefois que lorsque l’application de ces règles conduirait à exclure totalement la représentation de l’un ou de l’autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut, ne serait pas représenté. Ce dernier ne peut être en première position sur la liste.

6.   Contestations

L’article L. 2314-32, qui reprend les anciennes formulations des articles L. 2314-25 et L. 2324-23 du code du travail, précise notamment que les contestations relatives à l’électorat, à la composition des listes de candidats, à la régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux relèvent de la compétence judiciaire.

S’agissant des règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes et d’alternance, le non-respect des règles fixées par l’article L. 2314-30 entraîne l’annulation par le juge de l’élection d’un nombre d’élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats, au regard de la part de femmes et d’hommes que celle-ci devrait représenter.

C.   Durée et fin du mandat des membres du CSE

Ces modalités sont définies aux articles L. 2314-33 à L. 2314-37.

Les membres de la délégation du personnel du CSE sont élus pour une durée de quatre ans (article L. 2314-33), sauf si un accord de branche, de groupe ou d’entreprise fixe une durée inférieure, comprise entre deux et quatre ans (article L. 2314-34).

Conformément à la loi d’habilitation du 15 septembre 2017, qui proposait de fixer « à trois, sauf exceptions, le nombre maximal de mandats électifs successifs des membres de linstance », le nombre de mandats successifs des membres du CSE est limité à trois, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État :

 pour les entreprises d’au moins cinquante salariés ;

 et sauf si l’accord préélectoral prévu à l’article L. 2314-6 en dispose autrement.

Les fonctions des membres de l’instance prennent fin en cas de décès, de démission, de rupture du contrat de travail ou de perte des conditions requises pour être éligible (article L. 2314-33), ou en cas de révocation opérée sur proposition de l’organisation syndicale qui l’a présenté aux élections, avec l’accord de la majorité du collège électoral auquel l’élu appartient (article L. 2314‑36).

Lorsqu’un délégué titulaire cesse ses fonctions pour l’une de ces raisons ou est momentanément absent, il est remplacé par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle de ce titulaire. Le suppléant devient alors titulaire jusqu’au retour de celui qui le remplace, ou jusqu’au renouvellement de l’institution (article L. 2314-37).

En revanche, les membres conservent leur mandat en cas de changement de catégorie professionnelle (article L. 2314-33) ou lorsque l’entreprise conserve son autonomie juridique à la suite d’une modification de sa situation juridique telle que mentionnée à l’article L. 1224-1 : succession, vente, fusion, transformation du fonds ou mise en société de l’entreprise (article L. 2314-35).

III.   Attributions du comité social et économique

Le comité social et économique reprend, peu ou prou, en les adaptant lorsque cela est nécessaire et notamment en fonction de l’effectif de l’entreprise, les attributions anciennement dévolues aux délégués du personnel, au comité d’entreprise et au CHSCT.

De manière très schématique, le comité dispose ainsi d’attributions dans trois domaines :

 en matière de présentation des revendications individuelles et collectives des salariés (quel que soit l’effectif) ;

 en matière économique et en matière sociale et culturelle (dans les entreprises d’au moins cinquante salariés) ;

 et en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (dès onze salariés, mais ces attributions sont renforcées dans les entreprises d’au moins cinquante salariés).

A.   Dispositions générales

Les sections 1 et 2 du chapitre II relatif aux attributions du CSE détaillent les attributions communes à tous les comités sociaux et économiques, c’est-à-dire dès lors que leur effectif est au moins égal à onze salariés. Les attributions prévues à la section 3, bien plus nombreuses, ne concernent en revanche que les entreprises dont l’effectif est au moins égal à cinquante salariés.

1.   Champ d’application

L’article L. 2312-6 précise que toutes les attributions du comité social et économique sont applicables aux salariés de l’entreprise. Dans certaines matières, les attributions peuvent également concerner d’autres catégories de travailleurs, comme le résume le tableau suivant.

 

Catégories de salariés

Attributions du CSE dont ils bénéficient

Salariés

Toutes les attributions du CSE prévues par le chapitre II

Toute personne placée sous l’autorité de l’employeur, y compris les salariés temporaires et les stagiaires

Toutes les attributions du CSE en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail.

Salariés d’entreprises extérieures qui ne sont pas placés sous la subordination directe de l’entreprise utilisatrice

Attributions du CSE relatives aux réclamations individuelles et collectives intéressant les conditions d’exécution du travail qui relèvent du chef d’établissement utilisateur.

Salariés temporaires

Réclamations en matière :

de rémunération (article L. 1251-18) ;

de conditions de travail (article L. 1251-21 à L. 1251-23) ;

d’accès aux moyens de transport collectifs et aux installations collectives (article L. 1251-24).

Il est également précisé, à l’article L. 2312-4, que les attributions du CSE prévues par le chapitre II « ne font pas obstacle aux dispositions plus favorables relatives aux attributions du comité social et économique résultant daccords collectifs de travail ou dusages ». 

2.   Attributions générales du CSE dans les entreprises d’au moins onze salariés

Aux termes de l’article L. 2315-5, les membres de la délégation du personnel au comité social et économique disposent de trois types de missions.

En premier lieu, ils ont une mission de présentation à l’employeur des réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du code du travail et des autres dispositions légales concernant notamment la protection sociale, ainsi que des conventions et accords applicables dans l’entreprise. La délégation du personnel exerce donc un rôle de veille législative et conventionnelle et dispose, à ce titre, d’un droit de saisine de l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions légales dont elle est chargée d’assurer le contrôle.

En second lieu, la délégation du personnel a pour mission de contribuer « à promouvoir la santé, la sécurité et les conditions de travail dans lentreprise ». Selon le Gouvernement, cette référence générale à la promotion de la santé peut notamment recouvrir la mission de prévention des risques professionnels du comité. La délégation du personnel peut également réaliser des enquêtes en matière d’accidents du travail, de maladies professionnelles ou à caractère professionnel.

Enfin, dans une entreprise en société anonyme, il est précisé que les membres de la délégation du personnel peuvent également être reçus par le conseil d’administration, sur leur demande, pour présenter des réclamations auxquelles il ne peut être donné suite qu’après délibération du conseil d’administration. Ils sont reçus en présence du directeur ou de son représentant après que ces derniers ont pris connaissance des réclamations présentées.

Il est néanmoins précisé à l’article L. 2312-7 que, nonobstant ces attributions du CSE, les travailleurs « conservent le droit de présenter eux-mêmes leurs observations à lemployeur ou à ses représentants ».

B.   Attributions spécifiques dans les entreprises d’au moins cinquante salariés

La majorité des attributions du CSE ne sont applicables qu’aux entreprises dont l’effectif est au moins égal à cinquante salariés. C’est en effet à compter de ce niveau d’effectif que la plupart des attributions anciennement dévolues au comité d’entreprise et au CHSCT seront applicables aux nouveaux comités sociaux et économiques, ce qui est cohérent étant donné que les comités d’entreprise et CHSCT ne devaient être mis en place, sauf exceptions, qu’à compter du franchissement du seuil de cinquante salariés.

Ces attributions sont développées à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail, qui comporte sept sous-sections (cf. encadré).

Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, le CSE :

dispose d’attributions générales (sous-sections 1 et 2), qui visent notamment à permettre la prise en compte permanente des intérêts des salariés dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. Les missions du CSE dans le champ de la santé, de la sécurité et des conditions de travail sont également précisées dans le cadre de ces attributions générales ;

est informé ou consulté de manière régulière (sous-section 3) ou ponctuelle (sous-section 4), et dispose à cette fin d’une base de données économiques et sociales mise à disposition par l’employeur ;

dispose de droits d’alerte, notamment en cas d’atteinte aux droits des personnes ou en cas de danger grave et imminent (sous-section 5) ;

dispose d’un droit de participation aux conseils d’administration ou de surveillance des sociétés (sous-section 6) ;

dispose d’attributions en matière d’activités sociales et culturelles (sous-section 7).

1.   Attributions générales dans les entreprises d’au moins cinquante salariés

Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, le CSE dispose de trois types de missions générales : 

une mission de prise en compte des intérêts des salariés dans les décisions relatives à la vie dans l’entreprise (gestion et évolution économique et financière, organisation du travail, formation professionnelle, techniques de production) ;

une mission consultative dans le cadre de laquelle le comité peut émettre des avis et des vœux ;

une mission d’analyse des risques ou d’amélioration des conditions de travail dans le champ de la santé, de la sécurité et des conditions de travail.

Schématiquement, les deux premières missions s’inspirent des anciennes attributions du comité d’entreprise, tandis que la dernière mission s’inspire des attributions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

i.   Prise en compte des intérêts des salariés dans les décisions relatives à la vie dans l’entreprise

L’article L. 2312-8 dispose que le CSE a pour mission « dassurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à lévolution économique et financière de lentreprise, à lorganisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ».

À cette fin, l’article L. 2312-8 précise que le comité est informé et consulté de manière ponctuelle sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, et notamment sur :

 les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs (1°) ;

la modification de son organisation économique ou juridique (2°) ;

les conditions d’emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle (3°) ;

l’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (4°) ;

les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l’aménagement des postes de travail (5°).

Le comité peut également formuler, à son initiative, ou examiner, à la demande de l’employeur, « toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, demploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans lentreprise » ainsi que les conditions dans lesquelles ils peuvent bénéficier de garanties collectives complémentaires dans les conditions prévues à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale.

Il est néanmoins précisé, à l’article L. 2312-11, que le comité exerce ces missions « sans préjudice des dispositions relatives aux délégués syndicaux et à lexpression collective des salariés ».

ii.   Attributions consultatives

Le CSE dispose d’importantes attributions consultatives : selon l’article L. 2312-14, il est en effet consulté avant toute décision de l’employeur, à l’exception de la décision de lancement par l’employeur d’une offre publique d’acquisition.

Le CSE n’est en revanche pas consulté sur les projets d’accord collectif, leur révision ou leur dénonciation, la compétence de négociation relevant de la compétence exclusive des délégués syndicaux. Pour les mêmes raisons, le comité n’est pas consulté si un accord a été conclu dans l’un des domaines prévus par la section relative aux attributions du CSE dans les entreprises d’au moins cinquante salariés.

Dans le cadre de ses attributions consultatives, le comité peut émettre « des avis et des vœux » (article L. 2312-15). Il dispose à cette fin d’un « délai dexamen suffisant ». Les délais dans lesquels les avis du comité sont rendus peuvent être précisés par un accord d’entreprise majoritaire ou, à défaut de délégué syndical, par un accord conclu entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, qu’il s’agisse des délais applicables aux consultations récurrentes du comité (article L. 2312-19) ou de ceux applicables aux consultations ponctuelles
(article L. 2312–55).

Le comité dispose également d’informations communiquées :

 soit par l’employeur, qui est tenu de transmettre ou de mettre à la disposition du comité des informations précises et écrites ;

 soit par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte.

Le cas échéant, l’employeur doit répondre de manière motivée aux observations du comité.

S’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, le comité peut saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés – dans un délai de huit jours – pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. La saisine du juge ne peut avoir pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Néanmoins, le juge peut décider la prolongation du délai d’examen par le comité « en cas de difficultés particulières daccès aux informations nécessaires à la formulation de lavis motivé du comité ».

L’employeur doit rendre compte de la suite motivée qu’il donne aux avis et vœux du comité.

L’article L. 2312-16 fixe le cadre général dans lequel les avis du CSE doivent être rendus au titre de ses attributions consultatives. Ces avis sont ainsi fixés, sauf dispositions législatives spéciales :

 par un accord d’entreprise majoritaire, dans les conditions prévues aux articles L. 2312-19 (consultations récurrentes) ou L. 2312-55 (consultations ponctuelles) ;

 à défaut, en l’absence de délégué syndical, par un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité ;

 à défaut d’accord, par un décret en Conseil d’État.

Les délais ainsi fixés doivent, comme on l’a vu, être « suffisants » afin de permettre au comité « dexercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de limportance des questions qui lui sont soumises ».

À l’expiration de ces délais ou, éventuellement, du délai prolongé par le juge en application de l’article L. 2312-15, le comité est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.

iii.   Missions générales en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail

Outre la mission de promotion de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise, prévue à l’article L. 2312-5 et qui concerne tous les comités sociaux et économiques, quel que soit l’effectif, en vertu de l’article L. 2312-9, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, le CSE est chargé de surcroît :

 de procéder à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs, notamment les femmes enceintes, ainsi qu’à l’analyse des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ([23]) (1°) ;

 de contribuer « notamment » à faciliter l’accès des femmes à tous les emplois, à la résolution des problèmes liés à la maternité, et de contribuer à l’adaptation et à l’aménagement des postes de travail afin de faciliter l’accès et la maintien des personnes handicapées à tous les emplois au cours de leur vie professionnelle (2°) ;

 de susciter toute initiative qu’il estime utile et de proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel ou des agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1. Tout refus par l’employeur d’une initiative ou d’une action proposée par le CSE doit être motivé (3°).

En complément des enquêtes sur les accidents du travail ou maladies professionnelles ou à caractère professionnel qu’il peut réaliser, le CSE peut également procéder, à intervalles réguliers, à des inspections en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail. Il peut également demander à entendre le chef d’une entreprise voisine dont l’activité expose les travailleurs de son ressort à des nuisances particulières, et il est informé des suites réservées à ses observations. Pour accomplir ces missions, le comité peut faire appel à titre consultatif et occasionnel « au concours de toute personne de lentreprise qui lui paraîtrait qualifiée ».

2.   Modalités d’information et de consultation du CSE

Pour mémoire, les dispositions de ce paragraphe ne s’appliquent qu’aux entreprises dont l’effectif est d’au moins cinquante salariés.

Pour chaque type de consultation – récurrente ou ponctuelle –, la nouvelle rédaction proposée par l’ordonnance n° 2017-1386 définit ce qui relève de l’ordre public, de la négociation collective ou, à défaut, des dispositions supplétives, reprenant le triptyque institué par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

a.   Consultations et informations récurrentes

i.   Ordre public

L’article L. 2312-17 dispose que le CSE est obligatoirement consulté sur trois thèmes :

 les orientations stratégiques de l’entreprise (1°) ;

 la situation économique et financière de l’entreprise (2°)

 la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (3°).

Ces thèmes reprennent mot pour mot les anciens thèmes de consultation obligatoire du comité d’entreprise. Cependant, la périodicité de ces consultations, qui était en général d’un an dans le cadre du comité d’entreprise, relève désormais, par priorité, de la négociation collective ([24]).

Les informations nécessaires aux informations consultations récurrentes du CSE sont mises à disposition par l’employeur au sein d’une base de données économiques et sociales (BDES), qui doit comporter, entre autres indicateurs, des indicateurs relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment sur les écarts de rémunération (article L. 2312-18). Cette mise à disposition par l’employeur, qui doit être actualisée, « vaut communication des rapports et informations au comité », dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État.

ii.   Champ de la négociation collective

● L’ensemble des modalités des consultations récurrentes du CSE peuvent désormais être fixées par un accord d’entreprise majoritaire, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 ([25]) ou, en l’absence de délégué syndical, par un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité. Ledit accord peut définir :

 le contenu des consultations, leur périodicité qui ne peut être supérieure à trois ans , les modalités des consultations récurrentes du CSE, ainsi que la liste et le contenu des informations nécessaires à ces consultations (1°) ;

 le nombre de réunions annuelles du comité, sans que ce nombre puisse être inférieur à six (2°). À noter que sur ces six réunions minimum, quatre d’entre elles au moins doivent porter, en tout ou partie, sur les attributions du comité en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, comme en dispose l’article L. 2315-27 ;

 les niveaux auxquels les consultations sont conduites et, le cas échéant, leur articulation ;

 les délais dans lesquels les avis du comité sont rendus, dans les conditions prévues à l’article L. 2312-15 qui prévoit, comme on l’a vu, que le délai d’examen du comité doit être « suffisant ».

L’accord peut également prévoir la possibilité pour le CSE d’émettre un avis unique portant sur tout ou partie des thèmes de consultations obligatoires mentionnés à l’article L. 2312-17 (orientations stratégiques de l’entreprise ; situation économique et financière ; politique sociale, conditions de travail et emploi).

À défaut d’accord d’entreprise ou d’accord entre l’employeur et le CSE, les modalités d’organisation, d’architecture, de fonctionnement et le contenu de la BDES peuvent être fixés par accord de branche.

Selon certains juristes, permettre d’adapter par voie d’accord le contenu de la BDES « devrait créer les conditions du succès de cette bonne idée qui était perçue comme une contrainte ». La mise en place de la BDES, prévue lors de la négociation de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, s’était en effet avérée « compliquée à mettre en œuvre dans les entreprises de taille moyenne ». Or, « une fois le contenu et les modalités des consultations et informations fixés, employeur et CSE pourront se concentrer davantage sur le fond des sujets que sur la forme préalablement déterminée par un accord dont la légitimité ne saurait être contestée » ([26]).

● Le cas échéant, un accord de groupe peut prévoir que la consultation sur les orientations stratégiques est effectuée au niveau du comité de groupe. Cet accord prévoit alors les modalités de transmission de l’avis du comité de groupe à chaque CSE du groupe – ces derniers continuant d’être consultés sur les conséquences de ces orientations stratégiques – ainsi qu’à l’organe chargé de l’administration de l’entreprise dominante de ce groupe.

● Le contenu de la base de données économiques et sociales (BDES) prévue à l’article L. 2312-15 peut également être défini soit par un accord d’entreprise majoritaire soit, en l’absence de délégué syndical, par un accord entre l’employeur et le comité social et économique adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel.

Cette faculté de définir l’architecture de la base de données par la voie de la négociation d’entreprise est nouvelle : auparavant, l’article L. 2323-8 ne prévoyait que la possibilité d’enrichir la base de données par un accord de branche, d’entreprise ou de groupe.

Le cas échéant, l’accord détermine :

 d’une part, l’organisation, l’architecture et le contenu de la BDES ;

 d’autre part, les modalités de fonctionnement de la base, notamment les droits d’accès et le niveau auquel elle est mise en place dans les entreprises comportant des établissements distincts, son support, ses modalités de consultation et d’utilisation.

Les modalités fixées par l’accord doivent permettre au CSE et, le cas échéant, aux délégués syndicaux, « dexercer utilement leurs compétences ».

Si elle est définie par l’accord, la BDES doit comporter au moins les thèmes suivants : l’investissement social, l’investissement matériel et immatériel, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise, les fonds propres, l’endettement, l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants, les activités sociales et culturelles, la rémunération des financeurs, les flux financiers à destination de l’entreprise.

Ces thèmes reprennent seulement une partie des thèmes prévus par l’ancienne base de données définie à l’article L. 2323-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386. Les thèmes de la sous-traitance et des transferts financiers et commerciaux entre les entités du groupe, qui ne figurent pas dans la liste des thèmes obligatoires si la BDES est définie par accord, pourront néanmoins être prévus par l’accord si la situation de l’entreprise le justifie.

L’accord peut également intégrer dans la BDES les informations nécessaires :

 à la négociation obligatoire sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, ainsi qu’à celle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

 le cas échéant, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, à la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels ;

aux consultations ponctuelles mentionnées à l’article L. 2312-8 portant sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise ;

aux consultations ponctuelles mentionnées à la sous-section 4.

iii.   Dispositions supplétives

À défaut d’accord prévu à l’article L. 2312-19, les dispositions applicables aux trois consultations obligatoires récurrentes du CSE sont déclinées aux articles L. 2312-24 à L. 2312-35. Dans ce cas, la périodicité de chaque consultation obligatoire est annuelle. Les dispositions relatives à la BDES sont prévues à l’article L. 2312-36.

 

Dispositions supplétives

Thème de la consultation obligatoire

Niveau auquel la consultation peut être conduite

L. 2312-24

Orientations stratégiques de l’entreprise

Entreprise, sauf si l’employeur ou un accord de groupe en décident autrement

L. 2312-25

Situation économique et financière de l’entreprise

L. 2312-26 à L. 2312-35

Politique sociale de l’entreprise, conditions de travail et emploi

Entreprise ou au niveau central et au niveau des établissements lorsque des mesures d’adaptation spécifiques sont prévues au niveau de l’entreprise

Les dispositions prévues à l’article L. 2312-24 reprennent pour l’essentiel les dispositions de l’article L. 2323-10, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Elles précisent que dans le cadre de cette consultation, le CSE est consulté non seulement sur les orientations stratégiques de l’entreprise, telles que définies par l’organe en charge de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, mais également sur les effets de ces orientations sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages. La consultation porte également sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et sur les orientations de la formation professionnelle.

Les orientations stratégiques font l’objet d’un avis du CSE, qui peut également proposer des orientations alternatives. L’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise est destinataire de l’avis et doit y répondre de manière argumentée. Le comité peut lui-même répondre à ces observations.

Les dispositions de l’article L. 2312-25 reprennent également, pour l’essentiel, les dispositions de l’article L. 2323-13, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

La consultation porte sur la situation économique et financière de l’entreprise, sur la politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise, sur l’utilisation du crédit d’impôt pour les dépenses de recherche et sur l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ([27]).

L’employeur doit notamment mettre à la disposition du comité des informations sur l’activité et la situation économique et financière de l’entreprise, les documents obligatoirement transmis à l’assemblée générale des actionnaires ou à l’assemblée des associés – dans le cas d’une société commerciale –, les documents comptables ainsi que les informations relatives à la politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise.

Cette consultation porte notamment sur les thèmes suivants : l’évolution de l’emploi, les qualifications, le programme pluriannuel de formation, les actions de formation envisagées par l’employeur, l’apprentissage, les conditions d’accueil en stage, les actions de prévention entreprises dans le champ de la santé et de la sécurité, les conditions de travail, les congés et l’aménagement du temps de travail, la durée du travail, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que les modalités du droit d’expression des salariés dans les entreprises non couvertes par un accord sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail.

Le comité peut décider de se prononcer par un avis unique sur l’ensemble de ces thèmes, ou par des avis séparés au cours des consultations propres à chaque thème.

L’employeur est tenu de mettre à la disposition du comité un ensemble d’informations relatives à ces thèmes, détaillées au II de l’article L. 2312-26.

S’agissant de la consultation sur la politique sociale, l’employeur doit également présenter au CSE :

 un rapport annuel écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise et des actions menées au cours de l’année écoulée dans ces domaines, en traitant spécifiquement les questions du travail de nuit et de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ;

 un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, qui fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir et comprenant les mesures de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, accompagnées, pour chaque mesure, de leurs conditions d’exécution et d’une estimation de leur coût.

Ces deux obligations incombant à l’employeur reprennent deux obligations définies auparavant dans le titre du code du travail consacré au CHSCT (article L. 4612-16).

Le comité peut, dans son avis, proposer un ordre de priorité ainsi que l’adoption de mesures supplémentaires.

Enfin, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi porte également sur le bilan social de l’entreprise, dans les conditions prévues aux articles L. 2312-28 à L. 2312-35.

Ce bilan a vocation à récapituler « les principales données chiffrées permettant dapprécier la situation de lentreprise au niveau social, denregistrer les réalisations effectuées et de mesurer les changements intervenus au cours de lannée écoulée et des deux années précédentes ».

Il comporte des informations regroupées en huit thèmes, portant respectivement sur l’emploi, les rémunérations et charges accessoires, les conditions de santé et de sécurité, les autres conditions de travail, la formation, les relations professionnelles, le nombre de salariés détachés et le nombre de travailleurs détachés accueillis, ainsi que les conditions de vie des salariés et de leurs familles, dans la mesure où ces conditions dépendent de l’entreprise.

L’article L. 2312-36 définit le contenu de la BDES à défaut d’accord. Il précise en outre que la base de données est accessible « en permanence » aux membres de la délégation du personnel du CSE et, le cas échéant, aux membres de la délégation du personnel du CSE central, ainsi qu’aux délégués syndicaux. Ces derniers sont toutefois tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations de la base de données revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur.

Les informations contenues dans la base de données reprennent l’ensemble des informations définies jusqu’alors à l’article L. 2323-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386. Elles sont rappelées dans l’encadré ci-après.

Il convient de noter que les informations portent sur les deux années précédentes et sur l’année en cours, et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes. Leur contenu est précisé par un décret en Conseil d’État, et peut varier selon que l’entreprise compte plus ou moins de trois cents salariés.

Contenu de la base de données économiques et sociales

tel que défini par larticle L. 2312-36

1° Investissements : investissement social (emploi, évolution et répartition des contrats précaires, des stages et des emplois à temps partiel, formation professionnelle et conditions de travail), investissement matériel et immatériel et, pour les entreprises mentionnées au sixième alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce, les informations en matière environnementale présentées en application du cinquième alinéa du même article ;

2° Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise : diagnostic et analyse de la situation comparée des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles de l’entreprise en matière d’embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de rémunération effective et d’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, analyse des écarts de salaires et de déroulement de carrière en fonction de l’âge, de la qualification et de l’ancienneté, évolution des taux de promotion respectifs des femmes et des hommes par métiers dans l’entreprise, part des femmes et des hommes dans le conseil d’administration ;

3° Fonds propres et endettement ;

4° Ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants ;

5° Activités sociales et culturelles ;

6° Rémunération des financeurs ;

7° Flux financiers à destination de l’entreprise, notamment aides publiques et crédits d’impôts ;

8° Sous-traitance ;

9° Le cas échéant, transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe.

b.   Consultations et informations ponctuelles

i.   Ordre public

L’article L. 2312-37 dispose qu’en complément des consultations ponctuelles prévues à l’article L. 2312-8 qui portent, comme il a été dit, sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, le CSE est également consulté sur six thèmes : mise en œuvre des moyens de contrôle de l’activité des salariés ; restructuration et compression des effectifs ; opération de concentration ; licenciement collectif pour motif économique ; offre publique d’acquisition ; procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire.

Les modalités obligatoires de ces consultations ponctuelles sont développées aux articles L. 2312-38 à L. 2312-54.

Cette consultation vise à informer le CSE, avant que ces dispositifs ne soient mis en place, sur les méthodes ou techniques d’aide au recrutement des candidats à un emploi, sur les traitements automatisés de gestion du personnel ainsi que sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés (article L. 2312-38).

Cette consultation prévue à l’article L. 2312-39 permet de saisir le CSE, en temps utile, de tout projet de restructuration et de compression des effectifs, à l’exception des accords collectifs portant gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou rupture conventionnelle collective.

Le deuxième alinéa indique que le CSE doit se prononcer par un avis sur l’opération projetée et sur ses modalités d’application, dans les conditions prévues à l’article L. 1233-30, lorsqu’elle est soumise à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi. Cet alinéa paraît redondant avec les dispositions de l’article L. 2312-40 et devrait vraisemblablement être supprimé.

L’article L. 2312-40 dispose que lorsque l’employeur envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique, le CSE est consulté dans les conditions prévues par le titre III du livre II de la première partie du code du travail. Il s’agit plus précisément du chapitre III de ce titre, relatif au licenciement pour motif économique.

La consultation relative aux opérations de concentration, précisée à l’article L. 2312-41, vise à réunir le CSE lorsque l’entreprise est partie à une opération de concentration répondant aux critères fixés par l’article L. 430-1 du code de commerce. La réunion du CSE a lieu au plus tard dans un délai de trois jours à compter de la publication du communiqué relatif à la notification du projet de concentration.

Le CSE ou, le cas échéant, la commission économique du CSE peut, au cours de cette réunion, proposer le recours à « un expert ». Le cas échéant, le comité ou la commission tient une deuxième réunion afin d’entendre les résultats de ses travaux. La nature de l’expertise n’est pas clairement déterminée, dans la mesure où l’article L. 2312-41 fait référence aux articles relatifs au recours à un expert-comptable.

Les articles L. 2312-42 à L. 2312-52 fixent les modalités de consultation du CSE dans le cadre d’une offre publique d’acquisition. Ils reprennent strictement les dispositions auparavant inscrites aux articles L. 2323-35 à L. 2323-45 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

En synthèse, ces dispositions prévoient que le CSE de l’entreprise sur laquelle porte une offre publique d’acquisition (OPA) et le CSE de l’entreprise portant l’offre sont réunis immédiatement lors du dépôt d’une OPA. Le CSE de l’entreprise faisant l’objet de l’offre doit indiquer s’il souhaite procéder à l’audition de l’auteur de l’offre et, le cas échéant, cette réunion se tient dans un délai d’une semaine à compter du dépôt du projet d’OPA.

Le CSE peut également désigner un expert-comptable, chargé notamment d’établir, dans un délai de trois semaines à compter du dépôt du projet d’OPA, un rapport évaluant la politique industrielle et financière et les plans stratégiques que l’auteur de l’offre envisage d’appliquer à la société objet de l’offre, ainsi que les répercussions de leur mise en œuvre sur l’ensemble des intérêts, l’emploi, les sites d’activité et la localisation des centres de décision de cette société.

Les articles L. 2312-53 et L. 2312-54 prévoient en outre que le CSE est informé et consulté lors d’une procédure :

de redressement judiciaire, notamment avant le dépôt d’une demande d’ouverture de cette procédure ;

de sauvegarde ;

de liquidation judiciaire.

En outre, le CSE peut désigner une ou plusieurs personnes ayant vocation à être entendues, dans le cadre de ces procédures, par la juridiction compétente.

ii.   Champ de la négociation collective

L’article L. 2312-55 précise que le contenu des consultations et informations ponctuelles du CSE, les modalités de ces consultations – notamment le nombre de réunions – ainsi que les délais dans lesquels les avis du comité sont rendus peuvent être définis par un accord d’entreprise majoritaire ou, en l’absence de délégué syndical, par un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité.

En outre, un accord de groupe peut prévoir que les consultations ponctuelles du comité sont effectuées au niveau du comité de groupe. Le cas échéant, l’avis du comité de groupe est transmis à chaque CSE des entreprises du groupe, ainsi qu’à l’organe chargé de l’administration de l’entreprise dominante de ce groupe.

iii.   Dispositions supplétives

L’article L. 2312-57 précise qu’à défaut d’accord, l’employeur est tenu de communiquer au CSE, après chaque élection des membres du comité, une documentation économique et financière précisant notamment :

la forme juridique de l’entreprise et son organisation ;

les perspectives économiques de l’entreprise ;

le cas échéant, la position de l’entreprise au sein du groupe ;

la répartition du capital entre les actionnaires détenant plus de 10 % du capital, compte tenu des informations dont dispose l’employeur ;

la position de l’entreprise dans la branche d’activité à laquelle elle appartient.

Par ailleurs, l’article L. 2312-58 précise qu’à défaut d’accord, lorsque le projet de restructuration et de compression des effectifs soumis au CSE est de nature à affecter le volume d’activité ou d’emploi d’une entreprise sous-traitante, l’entreprise donneuse d’ordre en informe immédiatement l’entreprise sous-traitante. Le CSE de cette dernière en est immédiatement informé et reçoit toute explication utile sur l’évolution probable de l’activité et de l’emploi.

3.   Droits d’alerte du CSE

Les dispositions relatives aux droits d’alerte (articles L. 2312-59 à L. 2312-71) permettent aux membres de la délégation du personnel du comité de saisir l’employeur en cas d’atteinte aux droits des personnes, en cas de danger grave et imminent, en cas d’utilisation non conforme du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), en cas de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise (droit d’alerte économique), ou en cas d’accroissement important du nombre de salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou du nombre de salariés temporaires (droit d’alerte sociale).

Il convient de relever que ces différents droits d’alerte ne présentent pas, dans leur contenu et leurs modalités d’application, de changement majeur par rapport aux droits d’alerte définis auparavant dans le code du travail, dans les titres relatifs aux délégués du personnel, au comité d’entreprise ou au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Seul le champ d’application est modifié : alors que certains de ces droits pouvaient être mobilisés par les délégués du personnel (droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes) ou par les membres du CHSCT (droit d’alerte en cas de danger grave et imminent), les droits d’alerte ainsi définis par la sous-section 5 ne peuvent être utilisés que par les membres de la délégation du personnel des comités sociaux et économiques dans les entreprises d’au moins cinquante salariés.

a.   Alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes

Défini à l’article L. 2312-59, ce droit d’alerte permet à un membre du CSE de saisir immédiatement l’employeur s’il constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché.

Ce droit permet également d’alerter l’employeur en cas d’atteinte relative à des faits de harcèlement ou de discrimination.

L’employeur est tenu d’engager sans délai une enquête avec le membre du CSE l’ayant averti, et de prendre les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. À défaut de solution trouvée, ou en cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, le membre du CSE peut saisir le bureau de jugement du conseil de prud’hommes statuant en la forme des référés, sous réserve que le salarié intéressé ne s’y oppose pas.

b.   Alerte en cas de danger grave et imminent

Cette disposition, définie à l’article L. 2312-60, permet à un membre de la délégation du personnel au CSE d’exercer les droits d’alerte en situation de danger grave et imminent ainsi qu’en matière de santé publique et d’environnement dans les conditions prévues :

aux articles L. 4132-1 à L. 4132-5, s’agissant du droit d’alerte en situation de danger grave et imminent ;

et aux articles L. 4133-1 à L. 4133-4, s’agissant du droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement.

c.   Alerte en cas d’utilisation non conforme du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Ce droit permet au CSE, dans le cadre de la consultation récurrente sur la situation économique et financière de l’entreprise mentionnée au 2° de l’article L. 2312-17, de faire inscrire une demande d’explications à l’ordre du jour de la prochaine réunion du comité, lorsqu’il constate que tout ou partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi n’a pas été utilisé conformément aux dispositions de l’article 244 quater C du code général des impôts.

Comme il a été dit, l’article 8 du PLFSS pour 2018 a prévu la suppression du CICE. Si cette suppression était adoptée définitivement, ce droit d’alerte n’aurait plus d’objet.

d.   Droit d’alerte économique

Les dispositions relatives au droit d’alerte économique, prévues aux articles L. 2312-63 à L. 2312-67, reprennent les dispositions des articles
L. 2325-50 à L. 2325-54, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Elles permettent notamment aux membres du CSE de demander à l’employeur des explications complémentaires lorsque le comité « a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de lentreprise ».

e.   Droit d’alerte sociale

Les articles L. 2312-70 et L. 2312-71 relatifs au droit d’alerte social reprennent également les dispositions des articles L. 2323-58 et L. 2323-59, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Ce droit d’alerte permet d’inscrire de plein droit à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CSE, si la majorité des membres du comité le demande, l’examen de la situation ayant conduit à un accroissement important du nombre de salariés titulaires d’un CDD ou de salariés temporaires depuis la dernière réunion du CSE ayant abordé ce sujet.

Il permet également au CSE de saisir l’agent de contrôle de l’inspection du travail lorsque le comité a connaissance de faits susceptibles de caractériser un recours abusif aux CDD, aux contrats conclus avec une entreprise de portage salarial et au travail temporaire, ou en cas d’accroissement important du nombre de salariés titulaires de CDD et de contrats de mission.

f.   Dispositions diverses

Au sein de la sous-section relative aux droits d’alerte figurent deux articles disposant :

d’une part, qu’à défaut de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise prévue à l’article L. 2312-25, les aides publiques en faveur des activités de recherche et de développement technologique sont suspendues ;

d’autre part, que l’employeur est tenu de mettre à la disposition du CSE, chaque trimestre, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, des informations sur l’évolution générale des commandes et l’exécution des programmes de production ; les éventuels retard de paiement et de cotisations sociales par l’entreprise ; l’évolution des effectifs et de la qualification des salariés par sexe.

4.   Participation aux conseils d’administration ou de surveillance des sociétés

Les articles L. 2312-72 à L. 2312-77 définissent les conditions dans lesquels les membres de la délégation du personnel du CSE peuvent assister aux séances du conseil d’administration ou de surveillance. Ces dispositions reprennent, sans la modifier pour des motifs autres que de coordination, la rédaction des articles L. 2323-62 à L. 2323-67, dans leur version antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Deux membres de la délégation du personnel au CSE, l’un appartenant à la catégorie des cadres techniciens et agents de maîtrise et l’autre à la catégorie des employés et ouvriers, sont autorisés à assister avec voix consultative à toutes les séances du conseil d’administration ou du conseil de surveillance. Ce nombre est porté à quatre membres dans les sociétés où sont constitués trois collèges électoraux.

Les membres du CSE assistant aux réunions du conseil d’administration ou de surveillance ont accès aux mêmes documents que ceux adressés ou remis aux membres de ces conseils. Ils peuvent soumettre les vœux du CSE lors des réunions. Le cas échéant, le conseil d’administration et le conseil de surveillance donnent un avis motivé sur ces vœux.

5.   Attributions en matière d’activités sociales et culturelles

a.   Attributions générales

À l’instar du comité d’entreprise, le comité social et économique dispose d’attributions en matière d’activités sociales et culturelles. En application de l’article L. 2312-78, le CSE a en effet vocation à assurer, contrôler ou participer à la gestion « de toutes les activités sociales et culturelles établies dans lentreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, quel quen soit le mode de financement ». Le CSE assure également ou contrôle la gestion des activités physiques ou sportives, et peut participer à leur financement.

b.   Modalités de financement

Les modalités de financement des activités sociales et culturelles par le CSE présentent trois nouveautés par rapport aux modalités de financement des activités sociales et culturelles du comité d’entreprise :

d’une part, le montant de la contribution versée par l’employeur pour le financement des activités sociales et culturelles pourra désormais être fixé par accord d’entreprise ;

en second lieu, les modalités de calcul de la masse salariale brute évoluent et tiennent désormais compte de l’intéressement et de la participation ;

enfin, en cas de reliquat budgétaire, le CSE pourra décider de transférer tout ou partie de l’excédent annuel du budget dévolu aux activités sociales et culturelles au budget de fonctionnement.

● L’article L. 2312-81 renvoie à un accord d’entreprise le soin de fixer le montant de la contribution versée chaque année par l’employeur pour le financement des institutions sociales du CSE. Ce renvoi à la négociation d’entreprise est une nouveauté.

Toutefois, à défaut d’accord, l’article L. 2312-81 ne propose pas de changement par rapport au droit antérieur : l’employeur restera tenu de verser une contribution dont le montant ne pourra en aucun cas être inférieur au total le plus élevé des sommes affectées aux dépenses sociales de l’entreprise atteint au cours des trois dernières années précédant la prise en charge des activités sociales et culturelles par le comité, à l’exclusion des dépenses temporaires lorsque les besoins correspondants ont disparu.

● Dans les entreprises comportant plusieurs CSE, l’article L. 2312-82 précise que la détermination du montant global de la contribution patronale versée pour financer les activités sociales et culturelles est effectuée au niveau de l’entreprise. La répartition de la contribution entre les comités d’établissement est également fixée par accord d’entreprise – au prorata des effectifs des établissements, de leur masse salariale ou de ces deux critères combinés – ou, à défaut d’accord, au prorata de la masse salariale de chaque établissement.

● Les modalités de calcul de la masse salariale brute sont nouvelles : la masse salariale brute est ainsi constituée, selon l’article L. 2312-83, de l’ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale, à l’exception des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée. Mais désormais, « les sommes effectivement distribuées aux salariés lors de lannée de référence en application dun accord dintéressement ou de participation sont incluses dans la masse salariale brute », ce qui n’était pas le cas pour le calcul du budget de fonctionnement du comité d’entreprise.

● Enfin, l’article L. 2312-84 permet aux membres de la délégation du personnel du CSE de décider, par une délibération, de transférer tout ou partie du montant de l’éventuel excédent annuel du budget destiné aux activités sociales et culturelles soit au budget de fonctionnement – ce qui est une nouveauté , soit à des associations, dans des conditions et limites fixées par décret en Conseil d’État. Notons que l’inverse est également possible : en application de l’article
L. 2315-61, le CSE peut également décider de transférer tout ou partie du montant de l’excédent annuel du budget de fonctionnement au financement des activités sociales et culturelles.

IV.   Fonctionnement du comité social et économique

Les dispositions relatives au fonctionnement du comité social et économique sont définies au chapitre V du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail (articles L. 2315-1 à L. 2315-96). Elles sont classées en trois catégories.

● Il s’agit en premier lieu des dispositions communes à l’ensemble des entreprises disposant d’un comité social et économique, qui fixent notamment les règles applicables :

aux heures de délégation ;

aux déplacements et à l’affichage dans l’entreprise ;

à la formation des membres du CSE ;

● Il s’agit ensuite des dispositions applicables aux entreprises d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés, qui précisent, pour ces entreprises, les dispositions applicables au local et aux réunions de la délégation du personnel du CSE.

● Il s’agit enfin des dispositions applicables aux entreprises d’au moins cinquante salariés. Ces dispositions représentent sans conteste la catégorie la plus volumineuse, puisqu’elle fixe les modalités applicables, dans ces entreprises :

au règlement intérieur ;

au local ;

aux réunions du CSE (périodicité, ordre du jour) ;

aux votes et délibérations des membres du CSE ;

aux commissions pouvant être mis en place au sein du comité : commissions santé, sécurité et condition de travail ; commission économique ; commission de la formation ; commission d’information et d’aide au logement ; commission de l’égalité professionnelle ; commission des marchés ;

à la subvention de fonctionnement du comité ;

à la formation économique de ses membres ;

à l’établissement et au contrôle des comptes du comité ;

aux modalités de recours à l’expertise (dans le cadre des consultations récurrentes et des consultations ponctuelles).

La plupart des attributions du CSE dans les entreprises d’au moins cinquante salariés reprennent, en les adaptant, les dispositions anciennement applicables au comité d’entreprise. La principale innovation vient de la place plus importante accordée à la négociation d’entreprise pour déterminer les règles de fonctionnement applicables au comité.


A.  

A.   modalités de fonctionnement communes à l’ensemble des entreprises disposant d’un comité social et économique

1.   Dispositions générales

Les articles L. 2315-1 à L. 2315-6 définissent les modalités générales de fonctionnement applicables à toutes les entreprises disposant d’un comité social et économique, quel que soit leur effectif.

En préambule, l’article L. 2315-1 précise que « les conditions de fonctionnement du comité social et économique doivent permettre une prise en compte effective des intérêts des salariés exerçant leur activité hors de lentreprise ou dans des unités dispersées » : cette formulation reprend ici les dispositions de l’article L. 2325-3, applicables au comité d’entreprise, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386. En outre, les dispositions plus favorables relatives au fonctionnement ou aux pouvoirs du CSE, qu’elles résultent d’accords collectifs ou d’usages, peuvent continuer à s’appliquer (article L. 2315-2).

Les autres dispositions visent à rappeler :

que les membres de la délégation du personnel au CSE sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication, et à une obligation de discrétion (article L. 2315-3) ;

que le recours à la visioconférence peut être utilisé pour les réunions du CSE dans des conditions déterminées par accord ou, à défaut, dans la limite de trois réunions par année civile (article L. 2315-4) ;

que le CSE est consulté préalablement à la mise en place d’un support de substitution, lorsqu’il tient de la loi un droit d’accès aux registres obligatoires par une disposition légale (article L. 2315-5) ;

et que, dans les établissements comportant une ou plusieurs installations soumises à autorisation, les documents établis à l’intention des autorités publiques chargées de la protection de l’environnement sont portés à la connaissance du CSE par l’employeur (article L. 2315-6).

2.   Heures de délégation

Les heures de délégation sont les heures laissées à la libre disposition des membres élus du comité social et économique ou aux représentants syndicaux pour accomplir leurs missions de représentation des salariés. En vertu de l’article L. 2315-7, l’employeur est en effet tenu de « laisser le temps nécessaire à lexercice de leurs fonctions » à chacun des membres titulaires constituant la délégation du personnel du CSE, et aux représentants syndicaux du CSE ou du CSE central.

Le nombre d’heures de délégation est fixé par décret en conseil d’État, en fonction des effectifs de l’entreprise et du nombre de membres de la délégation. Il ne peut être inférieur à dix heures par mois dans les entreprises de moins de cinquante salariés, et à seize heures dans les autres entreprises. Le tableau ci-dessous récapitule pour mémoire le nombre d’heures de délégation accordées aux anciens représentants du personnel.

Nombre d’heures de délégation minimum ou maximum des délégués du personnel, des membres du comité d’entreprise ou du CHSCT

 

 

Effectif de lentreprise ou de létablissement

Nombre dheures de délégation

Délégués du personnel

Moins de 50 salariés

Maximum 10 heures par mois

Au moins 50 salariés

Maximum 15 heures par mois

Comité dentreprise

Maximum 20 heures par mois

CHSCT

Jusqu’à 99 salariés

Minimum 2 heures par mois

De 100 à 299 salariés

Minimum 5 heures par mois

De 300 à 499 salariés

Minimum 10 heures par mois

De 500 à 1499 salariés

Minimum 15 heures par mois

Au moins 1500 salariés

Minimum 20 heures par mois

Source : Articles L. 2315-1, L. 2325-6 et L. 4614-3 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Les modalités d’utilisation des heures de délégation sur une durée supérieure au mois seront définies par voie réglementaire (article L. 2135-8), de même que les conditions selon lesquelles les membres titulaires de la délégation du personnel au CSE peuvent, chaque mois, répartir entre eux et avec les membres suppléants le crédit d’heures de délégation dont ils disposent (article L. 2135-9).

L’article L. 2315-10 précise que le temps passé par les membres du CSE en délégation « est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à léchéance normale ». L’article L. 2315-13 décline ce principe pour les salariés des entreprises de travail temporaire.

De même, selon l’article L. 2315-11, est considéré comme temps de travail effectif et non déduit des heures de délégation prévues pour les membres titulaires de la délégation du personnel au CSE le temps passé par ces derniers :

aux réunions avec l’employeur ;

aux réunions internes du comité et de ses commissions (dans la limite d’une durée globale fixée par accord d’entreprise ou, à défaut, par décret en Conseil d’État) ;

aux enquêtes menées après un accident du travail ou des incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave.

Le principe selon lequel le temps passé aux réunions du CSE avec l’employeur est rémunéré comme temps de travail vaut également pour les représentants syndicaux au CSE (article L. 2315-12) ; pour ces derniers, le temps passé en réunion n’est pas déduit des heures de délégation sauf s’ils exercent dans une entreprise de moins de cinq cents salariés.

3.   Déplacement, circulation, affichage

Les articles L. 2315-14 et L. 2315-15 permettent aux membres de la délégation du personnel au CSE et aux représentants syndicaux au comité :

de se déplacer en dehors de l’entreprise durant les heures de délégation ;

de circuler librement dans l’entreprise, que ce soit pendant les heures de délégation ou en dehors de leurs heures habituelles de travail, et d’y prendre tous contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, « sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à laccomplissement du travail des salariés » ;

de faire afficher les renseignements qu’ils sont tenus de porter à la connaissance du personnel, sur des emplacements obligatoirement prévus et destinés aux communications syndicales, ainsi qu’aux portes d’entrée des lieux de travail.

4.   Formation des membres du CSE

Les articles L. 2315-16 à L. 2315-18 se bornent à fixer les principes applicables aux formations des membres du CSE, qui seront ensuite déclinés aux articles L. 2315-40 (s’agissant de la formation en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail) et L. 2315-63 (s’agissant de la formation économique).

Il convient ainsi de relever :

que le temps consacré aux formations est pris sur le temps de travail, rémunéré comme tel et non déduit des heures de délégation (article L. 2315-16) ;

que les formations sont dispensées soit par un organisme figurant sur une liste arrêté par l’autorité administrative, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État, soit par des centres rattachés aux organisations syndicales ou des instituts spécialisés (article L. 2315-17) ;

que les formations sont renouvelées lorsque les représentants du personnel ont exercé leur mandat pour une durée de quatre ans au minimum, que ces quatre ans aient été consécutifs ou non (article L. 2315-17) ;

enfin, que les membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail ou, à défaut, les membres du CSE bénéficient systématiquement d’une formation, financée par l’employeur, nécessaire à l’exercice de leurs missions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État (article L. 2315-18).

B.   Dispositions applicables aux entreprises d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés

Les entreprises de moins de cinquante salariés dotées d’un CSE bénéficient de quelques règles de fonctionnement qui leur sont propres. Il s’agit notamment de la mise à disposition, par l’employeur, d’un local nécessaire à l’exercice de leur mission par les membres de la délégation du personnel au CSE. Ce local leur permet également de se réunir (article L. 2315-20).

Les articles L. 2315-21 et L. 2315-22 fixent quant à eux les règles applicables aux réunions du CSE dans les entreprises de moins de cinquante salariés. La périodicité des réunions des membres du CSE avec l’employeur ou son représentant est ainsi fixée à une réunion minimum par mois, davantage sur leur demande.

Si l’employeur se fait assister par des collaborateurs à cette réunion, leur nombre cumulé ne peut être supérieur à celui des représentants du personnel titulaires, afin d’éviter tout déséquilibre au profit de l’employeur.

Les membres de la délégation du personnel au CSE peuvent également être reçus par l’employeur, sur leur demande, « soit individuellement, soit par catégorie, soit par atelier, service ou spécialité professionnelle », selon les questions qu’ils ont à traiter.

Les membres de la délégation du personnel au CSE sont tenus de remettre à l’employeur, au moins deux jours ouvrables avant la date de la réunion, une note écrite exposant l’objet des demandes présentées. L’employeur y répond par écrit, au plus tard dans les six jours ouvrables suivant la réunion. Ces demandes et réponses sont retranscrites ou annexées sur un registre spécial, tenu à la disposition des salariés de l’entreprise désirant en prendre connaissance, ainsi qu’à la disposition de l’inspecteur du travail.

C.   Dispositions applicables aux entreprises d’au moins cinquante salariés

1.   Dispositions générales, règlement intérieur et mise à disposition d’un local

En guise d’introduction, l’article L. 2315-23 précise qu’à l’instar du comité d’entreprise, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés disposant d’un comité social et économique, ce dernier est doté de la personnalité civile et gère son patrimoine.

Le CSE est présidé par l’employeur ou son représentant , et peut être assisté de trois collaborateurs au maximum, ayant voix consultative. Le comité doit désigner, parmi ses membres titulaires, un secrétaire et un trésorier. Cette composition présente deux évolutions par rapport à la composition de l’ancien comité d’entreprise : le nombre de collaborateurs est renforcé, compte tenu de l’élargissement des missions du CSE, et passe de deux à trois, et la présence du trésorier est une nouveauté.

Les modalités de fonctionnement du CSE entrant dans le cadre des missions qui lui sont confiées sont déterminées par ce dernier dans un règlement intérieur, de même que les modalités de fonctionnement de ses rapports avec les salariés de l’entreprise (article L. 2315-24).

Le CSE dispose d’un local aménagé et du matériel nécessaire à l’exercice de ses fonctions (article L. 2315-25). Dans ce local, mis à disposition par l’employeur, le comité peut organiser des réunions d’information « portant notamment sur des problèmes dactualité ». Ces réunions sont internes au personnel, mais le comité peut y inviter des personnalités extérieures, syndicales ou autres. Elles ont lieu en dehors du temps de travail des participants, mais les membres de la délégation du personnel du comité peuvent se réunir sur leur temps de délégation (article L. 2315-26).

2.   Réunions du CSE

a.   Périodicité des réunions

Les articles L. 2315-27 et L. 2315-28 définissent respectivement les dispositions d’ordre public et les dispositions supplétives applicables aux réunions du CSE dans les entreprises d’au moins cinquante salariés. Le champ de la négociation collective se rapportant aux réunions du CSE se trouve pour sa part dans une autre section du code, à l’article L. 2312-19. Pour faciliter la compréhension, les dispositions se rapportant à la négociation collective seront rappelées dans la suite du présent commentaire.

● S’agissant des dispositions d’ordre public, l’article L. 2315-27 précise qu’au moins quatre réunions du CSE par an doivent porter « en tout ou partie » sur les attributions du comité en matière de santé, sécurité et conditions de travail. La fréquence des réunions portant sur ce thème peut être augmentée « en cas de besoin, notamment dans les branches dactivité présentant des risques particuliers ».

Le comité doit en outre se réunir :

à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves ;

en cas d’évènement grave lié à l’activité de l’entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement ;

à la demande motivée de deux de ses membres, sur les sujets relevant de la santé, de la sécurité et des conditions de travail.

L’article L. 2315-27 précise par ailleurs qu’en cas de défaillance de l’employeur, et sur demande d’au moins la moitié des membres du CSE, celui-ci peut être convoqué par l’inspecteur du travail et siéger sous sa présidence.

Le calendrier retenu pour les réunions consacrées aux sujets relevant de la santé, de la sécurité ou des conditions de travail doit être communiqué chaque année par l’employeur à l’inspecteur du travail, au médecin du travail et à l’agent des services de prévention des organismes de sécurité sociale, puis confirmé par écrit au moins quinze jours avant la tenue de la réunion.

● Les dispositions relevant du champ de la négociation collective sont mentionnées, comme il a été dit, à l’article L. 2312-19, qui permet à un accord d’entreprise majoritaire ou, en l’absence de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, de définir notamment le nombre de réunions annuelles du comité, « qui ne peut être inférieur à six ». L’on peut s’interroger sur la fixation à ce niveau du nombre de réunions minimales, alors que cette donnée devrait, en toute logique, relever plutôt des dispositions d’ordre public.

● À défaut d’accord, selon l’article L. 2315-28, le nombre de réunions est fixé :

à une réunion par mois au moins dans les entreprises d’au moins trois cents salariés ;

à une réunion tous les deux mois au moins dans les entreprises de moins de trois cents salariés.

Dans tous les cas, le comité se réunit sur convocation de l’employeur ou de son représentant.

Si la majorité des membres du comité le demande, la fréquence des réunions peut être portée à deux réunions tous les mois (dans les entreprises d’au moins trois cents salariés) ou tous les deux mois (dans les entreprises de moins de trois cents salariés).

Nombre de réunions du comité social et économique selon l’effectif de l’entreprise

Entreprises de moins de 50 salariés

L. 2315-22

Au moins une réunion par mois et sur demande en cas d’urgence.

Entreprises dau moins 50 salariés

Ordre public

L. 2315-27

●Au moins 4 réunions par an portent en tout ou partie sur les attributions du comité en matière de santé, sécurité et conditions de travail.

Le nombre de réunion peut être plus fréquent « en cas de besoin, notamment dans les branches dactivité présentant des risques particuliers ».

● Réunion du CSE à la suite de tout accident ou évènement grave ayant porté ou pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement

● Réunion du CSE à la demande motivée de 2 de ses membres sur les sujets relevant de la santé, de la sécurité et des conditions de travail.

Champ de la négociation collective

L. 2312-19

Un accord d’entreprise peut définir le nombre de réunions annuelles du CSE, qui ne peut être inférieur à 6 par an.

Dispositions supplétives

L. 2315-28

● Au moins une fois par mois dans les entreprises d’au moins 300 salariés, sur convocation de l’employeur ou de son représentant

● Au moins une fois tous les deux mois pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 300 salariés. Une seconde réunion peut être organisée à la demande de la majorité des membres du CSE.

 

b.   Ordre du jour

L’ordre du jour de chaque réunion est établi par le président et le secrétaire. Il contient nécessairement :

les consultations rendues obligatoires par une disposition législative ou réglementaire, ou par un accord collectif de travail (article L. 2315-29);

les questions jointes à la demande de convocation, lorsque le comité se réunit à la demande de la majorité de ses membres (article L. 2315-31).

L’ordre du jour est communiqué par le président aux membres du comité, à l’inspecteur du travail ainsi qu’à l’agent des services de prévention des organismes de sécurité sociale, au moins trois jours avant la réunion. Ce délai de trois jours correspond au délai qui était prévu pour la communication de l’ordre du jour des réunions du comité d’entreprise. L’ordre du jour des réunions du CHSCT devait quant à lui être transmis au moins huit jours avant la tenue de la réunion.

3.   Votes, délibérations et procès-verbal

Les articles L. 2315-32 et L. 2315-33 précisent que les résolutions du CSE sont prises à la majorité des membres présents. Le CSE peut décider de transmettre certaines de ces délibérations à l’autorité administrative compétente.

Lorsqu’il consulte les membres élus du comité en tant que délégation du personnel, le président du CSE ne participe pas au vote.

En outre, l’article L. 2315-34 prévoit que les délibérations du comité sont consignées dans un procès-verbal établi par le secrétaire du comité, dans un délai et selon des modalités définis par un accord conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2312-16 ou, à défaut, par un décret. Après avoir été adopté, ce procès-verbal peut être affiché ou diffusé dans les locaux de l’entreprise par le secrétaire du comité, selon des modalités précisées par le règlement intérieur du comité (article L. 2315-35).

4.   Commissions

Pour répondre aux inquiétudes liées à la disparition du CHSCT, la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 prévoyait explicitement la possibilité de mettre en place des commissions consacrées aux questions de santé, de sécurité et conditions de travail. La possibilité – voire l’obligation – de créer de telles commissions figure bien dans l’ordonnance, de même que la possibilité de créer d’autres commissions, sur le modèle des commissions qui pouvaient auparavant être créées au sein du comité d’entreprise.

a.   Commissions santé, sécurité et conditions de travail

Les dispositions relatives à la mise en place et au fonctionnement des commissions santé, sécurité et conditions de travail relèvent à la fois de dispositions d’ordre public, de la négociation collective ou de dispositions supplétives, comme le montre le tableau ci-après.

Commissions santé, sécurité et conditions de travail

Ordre public

        Entreprises ou établissements dans lesquels la création d’une commission santé, sécurité et conditions de travail est obligatoire

        Attributions de la commission

        Composition de la commission

        Formation des membres de la commission

Champ de la négociation

Modalités de mise en place et de fonctionnement de la commission

Dispositions supplétives

À défaut d’accord, modalités de mise en place et de fonctionnement de la commission

i.   Ordre public

Selon l’article L. 2315-36, la création d’une commission santé, sécurité et conditions de travail est obligatoire :

dans les entreprises d’au moins trois cents salariés ;

dans les établissements distincts d’au moins trois cents salariés ;

 dans les établissements mentionnés aux articles L. 4521-1 « et suivants », c’est-à-dire les établissements comprenant au moins une installation nucléaire de base ou une installation susceptible de donner lieu à des servitudes d’utilité publique.

En outre, dans les entreprises et établissements distincts de moins de trois cents salariés, l’inspecteur du travail peut imposer la création d’une telle commission « lorsque cette mesure est nécessaire, notamment en raison de la nature des activités, de lagencement ou de léquipement des locaux ».

La commission se voit confier « par délégation du comité social et économique, tout ou partie des attributions relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail », à l’exception de deux catégories d’attributions : le recours à un expert et les attributions consultatives du comité (article L. 2315-38). Cette délégation est effectuée par un accord (article L. 2315-39), bien qu’aucune précision ne soit apportée sur la nature de cet accord.

Selon les informations transmises au rapporteur, il s’agit bien de l’accord d’entreprise défini à l’article L. 2313-2 et mentionné à l’article L. 2315-41 ou, en l’absence de délégué syndical, de l’accord conclu entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité (article L. 2315-42). À défaut, la délégation des attributions doit être prévue dans le règlement intérieur du comité social et économique (article L. 2315-44).

Selon l’article L. 2315-39, la commission est présidée par l’employeur ou par son représentant. L’employeur peut être assisté de collaborateurs appartenant à l’entreprise et choisis en dehors du comité, à condition que conjointement, ils ne soient pas en nombre supérieur à celui des représentants du personnel titulaires. Ces collaborateurs sont soumis au secret professionnel et à l’obligation de discrétion prévus à l’article L. 2315-3, à l’instar de l’ensemble des membres du comité social et économique.

La commission comprend au minimum trois membres représentants du personnel, dont au moins un représentant du second collège prévu à l’article L. 2314-11 – c’est-à-dire le collège comprenant les ingénieurs, chefs de service, techniciens, agents de maîtrise et assimilés ou, le cas échéant, du troisième collège mentionné à cet article – c’est-à-dire les ingénieurs, chefs de services et cadres administratifs, commerciaux ou techniques assimilés. Ces membres sont désignés par le comité, parmi ses membres, par l’adoption d’une résolution, pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité.

Le médecin du travail, le responsable interne du service de sécurité et des conditions de travail ainsi que l’inspecteur du travail sont informés de la tenue des réunions de la commission et y assistent avec voix consultative, comme le précise l’article L. 2314-3.

Comme l’a rappelé l’article L. 2315-18 dans la section consacrée aux modalités générales de fonctionnement du CSE, les membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail bénéficient d’une formation, financée par l’employeur, nécessaire à l’exercice de leurs missions. Selon l’article L. 2315-40, cette formation est organisée sur une durée minimale :

cinq jours dans les entreprises d’au moins trois cents salariés ;

trois jours dans les entreprises de moins de trois cents salariés.

5.   Champ de la négociation

Selon l’article L. 2315-41, les modalités de mise en place de la ou des commissions santé, sécurité et conditions de travail peuvent être définies par un accord d’entreprise. En l’espèce, l’accord d’entreprise auquel renvoie l’article L. 2315-41 est l’accord défini à l’article L. 2313-2, qui vise à déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts.

Le Gouvernement souhaite en effet que la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts – périmètres au sein desquels des comités d’établissement seront constitués –, ainsi que la fixation des modalités de mise en place de la ou des commissions santé, sécurité et conditions de travail, puissent s’opérer dans le cadre du même accord.

L’accord instituant le nombre et le périmètre des établissements distincts devra ainsi logiquement prévoir la mise en place, obligatoire, d’au moins une commission santé, sécurité et conditions de travail au sein de chaque établissement d’au moins trois cents salariés, ainsi que pour chacun des établissements comportant une installation nucléaire de base ou classée Seveso. En l’absence de délégué syndical, les modalités de mise en place de la ou des commissions santé, sécurité et conditions de travail peuvent être fixées par un accord entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité (article L. 2315-42).

Dans les entreprises ou établissements dans lesquels la mise en place d’une commission santé, sécurité et conditions de travail est obligatoire (soit parce qu’ils comptent au moins trois cents salariés, soit parce qu’ils font partie des entreprises à risque spécifique, soit parce que l’inspecteur du travail l’a imposé), ledit accord doit donc définir :

 le nombre de membres de chaque commission santé, sécurité et conditions de travail (1°) ;

les missions qui lui sont déléguées et leurs modalités d’exercice (2°) ;

leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d’heures de délégation dont bénéficient les membres de la commission pour l’exercice de leurs missions (3°) ;

 les modalités de la formation de ces membres, sous réserve des dispositions d’ordre public mentionnées aux articles L. 2315-16 à L. 2315-18 et L. 2315-40 (4°) ;

 les moyens qui sont alloués, le cas échéant, aux membres de la commission (5°) ;

 et, le cas échéant, les conditions et modalités selon lesquelles une formation spécifique correspondant aux risques ou aux facteurs de risques particuliers, en rapport avec l’activité de l’entreprise, peut être dispensée aux membres de la commission (6°).

Dans les autres entreprises, l’accord d’entreprise ou l’accord entre l’employeur et le comité social et économique, conclus dans les mêmes conditions que celles prévues aux articles L. 2315-41 et L. 2315-42, peut fixer à la fois le nombre et le périmètre de mise en place de la ou des commissions santé, sécurité et conditions de travail, et définir les modalités prévues aux 1° à 6°.

i.   Dispositions supplétives

À défaut d’accord, si la création d’une commission santé, sécurité et conditions de travail est rendue obligatoire par les articles L. 2315-36 ou
L. 2315-37, c’est au règlement intérieur du CSE qu’il revient de fixer les modalités de mise en place et de fonctionnement de cette commission santé, sécurité et conditions de travail.

De même, à défaut d’accord et en l’absence de disposition législative rendant la création d’une commission obligatoire, l’employeur peut décider par voie unilatérale de fixer le nombre de commissions santé, sécurité et conditions de travail. Le cas échéant, les modalités de mise en place et de fonctionnement sont également définies au sein du règlement intérieur du comité social et économique.

b.   Autres commissions

L’ordonnance n° 2017-1386 ne prévoit pas de dispositions d’ordre public relatives à la création de commissions autres que la commission santé, sécurité et conditions de travail. Elle permet toutefois la création d’autres commissions, soit par la voie de la négociation collective, soit, pour certaines entreprises, sous la forme de dispositions supplétives.

i.   Champ de la négociation

Un accord d’entreprise majoritaire conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 ([28]) peut ainsi prévoir la création de commissions supplémentaires au sein du CSE, « pour lexamen de problèmes particuliers ».

Le cas échéant, l’employeur peut « adjoindre à ces commissions avec voix consultative des experts et des techniciens appartenant à lentreprise et choisis en dehors du comité ». Ces derniers sont soumis aux dispositions relatives au secret professionnel et à l’obligation de discrétion.

Les rapports des commissions sont soumis à la délibération du comité.

ii.   Dispositions supplétives

À défaut d’accord, les articles L. 2315-46 à L. 2315-57 prévoient la création de six commissions, dont la mise en place est subordonnée au nombre de salariés de l’entreprise ou de l’établissement concerné, comme le résume le tableau ci-après.

Conditions de mise en place des commissions

Articles du code du travail

Nom de la commission

Nombre de salariés de lentreprise ou de létablissement à compter duquel la mise en place de la commission est obligatoire

L. 2315-36 à L. 2315-44

Commission santé, sécurité et conditions de travail

300 salariés

L. 2315-46 à L. 2315-48

Commission économique

1000 salariés

L. 2315-49

Commission de la formation

300 salariés

L. 2315-50 à L. 2315-55

Commission d’information et d’aide au logement

300 salariés

L. 2315-56

Commission de l’égalité professionnelle

300 salariés

L. 2315-57 à L. 2315-60

Commission des marchés

Seuils fixés par décret

Les modalités de fonctionnement de ces commissions reprennent, avec peu ou pas de modifications, les dispositions applicables aux commissions qui pouvaient être mises en place au sein du comité d’entreprise. Ce commentaire d’article se limitera donc à résumer les principales caractéristiques de chaque commission, en précisant le cas échéant les modifications apportées par l’ordonnance n° 2017-1386.

Il convient également de rappeler que, conformément à l’article L. 2315‑11, le temps passé par les membres des commissions aux réunions de leur commission d’appartenance est rémunéré comme temps de travail, et n’est pas déduit des heures de délégation prévues pour les membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique.

Les modalités de fonctionnement de cette commission reprennent les dispositions des articles L. 2325-23 à L. 2325-25 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

La commission économique a pour mission notamment d’étudier les documents économiques et financiers recueillis par le CSE et toute question que le comité lui soumet. Il est précisé qu’elle est présidée par l’employeur ou son représentant – une disposition qui relevait jusque-là du niveau règlementaire.

Les modalités de fonctionnement de cette commission reprennent sans modification les dispositions de l’article L. 2325-26 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Cette commission a notamment pour mission de préparer les délibérations du comité, dans les domaines relevant de sa compétence, en vue de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise et de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Les modalités de fonctionnement de cette commission reprennent, en les modifiant à la marge, les dispositions des articles L. 2325-27 à L. 2325-33 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de lordonnance n° 2017-1386.

La commission d’information et d’aide au logement a notamment pour objectif de faciliter le logement et l’accession des salariés à la propriété et à la location des locaux d’habitation. Elle peut, par exemple, aider les salariés souhaitant acquérir ou louer un logement au titre de la participation des employeurs à l’effort de construction.

À l’instar de la rédaction retenue pour la commission économique, la nouvelle rédaction ne précise plus, comme le faisait l’article L. 2325-30, que les membres de la commission disposent du temps nécessaire pour tenir leur réunion, dans la limite de quarante heures par an, et que ce temps est rémunéré comme temps de travail.

Les modalités de constitution et de composition de la commission, ainsi que certaines de ses modalités de fonctionnement sont fixées par voie réglementaire.

Cette commission a notamment pour mission de préparer les délibérations du comité en vue de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, pour les sujets qui relèvent de sa compétence. Elle reprend les dispositions de l’article L. 2325-34, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Cette commission reprend, sans les modifier, les dispositions des articles L. 2325-34-1 à L. 2325-34-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386.

Elle a pour mission de proposer au comité, pour certains marchés dont le montant est supérieur à un seuil fixé par décret, les critères retenus pour le choix des fournisseurs et des prestataires du comité, et la procédure des achats de fourniture, de services et de travaux. Elle choisit également les fournisseurs et les prestataires du comité. 

6.   Subvention de fonctionnement

L’article L. 2315-61 définit les modalités de versement, par l’employeur, de la subvention de fonctionnement au comité social et économique. À l’instar de l’ancien comité d’entreprise, le CSE bénéficie en effet d’un budget de fonctionnement lui permettant de remplir ses missions.

Le montant annuel de cette subvention s’élève :

à 0,20 % de la masse salariale brute dans les entreprises de cinquante à deux mille salariés (soit un taux équivalent à celui qui était jusque-là prévu pour le comité d’entreprise) ;

à 0,22 % de la masse salariale brute pour les entreprises de plus de deux mille salariés.

Ce montant « sajoute à la subvention destinée aux activités sociales et culturelles, sauf si lemployeur fait déjà bénéficier le comité dune somme ou de moyens en personnel équivalents à 0,22 % de la masse salariale brute ». Le montant de cette subvention est déterminé par accord (article L. 2312-81) ou dans les conditions prévues à l’article L. 2312-82.

Il est précisé que la masse salariale brute s’entend comme « lensemble des gains et rémunérations soumis à cotisation de sécurité sociale en application des dispositions de larticle L. 242-1 du code de la sécurité sociale ou de larticle L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, à lexception des sommes versées à loccasion de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée ». Les sommes effectivement versées lors de l’année de référence en application d’un accord d’intéressement ou de participation sont incluses dans la masse salariale brute, ce qui représente une nouveauté dans le mode de calcul de la masse salariale brute.

Le CSE peut décider, par une délibération, d’utiliser une partie de sa subvention de fonctionnement pour financer la formation des délégués syndicaux de l’entreprise. La commission des affaires sociales a adopté un amendement de M. Boris Vallaud, membre du groupe Nouvelle Gauche, visant à permettre au CSE de financer également la formation des représentants de proximité, sur délibération du comité.

Il peut également décider, par une délibération, de transférer tout ou partie du montant de l’excédent annuel de la subvention de fonctionnement au financement des activités sociales et culturelles.

La subvention de fonctionnement doit également permettre au comité de financer, à hauteur de 20 %, les frais d’expertise engagés en vue de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise ou en vue de certaines consultations ponctuelles relatives à des opérations de concentration, au droit d’alerte économique ou à une offre publique d’acquisition. 

Le montant de la subvention et ses modalités d’utilisation doivent être inscrites dans les comptes annuels du CSE ou, à défaut, dans le livre retraçant les montants et l’origine des dépenses et des recettes du comité, d’une part, et dans le rapport établi par le comité présentant des informations qualitatives sur ses activités et sa gestion financière.

7.   Formation économique

L’article L. 2315-63 dispose que, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, les membres titulaires du CSE élus pour la première fois bénéficient d’un stage de formation économique d’une durée maximale de cinq jours, dont le financement est pris en charge par le comité social et économique.

La durée de ce congé est imputée sur la durée du congé de formation économique, sociale et syndicale mentionné aux articles L. 2145-5 à L. 2145-13 du code du travail.

Comme le précise l’article L. 2145-11, ce congé est de droit. Le refus du congé par l’employeur ne peut être justifié que si l’absence du salarié est susceptible d’avoir des conséquences préjudiciables à la production et à la bonne marche de l’entreprise, et doit impérativement être motivé.

Rappelons que, conformément à l’article L. 2315-17 qui définit les principes généraux applicables en matière de formation des membres du CSE, la formation économique peut être renouvelée lorsque les représentants ont exercé leur mandat pendant quatre ans, consécutifs ou non.

8.   Établissement et contrôle des comptes du CSE

Les dispositions des articles L. 2315-64 à L. 2315-77 relatives à l’établissement et au contrôle des comptes du CSE reprennent les dispositions des articles L. 2325-45 à L. 2325-58 applicables à l’établissement et au contrôle des comptes du comité d’entreprise, dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386, sans les modifier pour des motifs autres que de coordination.

En synthèse, ces dispositions prévoient :

 que le comité social et économique est soumis aux obligations comptables définies à l’article L. 123-12 du code du commerce ou, à défaut, qu’il a l’obligation de retracer chronologiquement les montants et l’origine des dépenses qu’il réalise et des recettes qu’il perçoit ;

que les comptes annuels du comité sont arrêtés par des membres élus du comité, et qu’ils doivent être arrêtés par les membres élus du comité réunis en séance plénière ;

 que le comité doit établir un rapport présentant des informations qualitatives sur ses activités et sa gestion financière, de nature à éclairer l’analyse des comptes par les membres élus du comité et les salariés de l’entreprise ;

qu’il est tenu de nommer, dans certains cas, au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, distincts de ceux de l’entreprise.

9.   Recours à l’expertise

Le comité social et économique, à l’instar du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, peut avoir recours à un expert afin de l’assister dans certaines de ses missions. Les éventuelles commissions composant le comité peuvent également proposer à ce dernier de recourir à une expertise (article L. 2315-78).

a.   Dispositions générales

Ces modalités de financement sont une nouveauté par rapport à la situation qui prévalait jusque-là pour le comité d’entreprise : l’article L. 2315-80 introduit en effet un principe de cofinancement de certaines expertises du CSE.

● L’employeur continuera de financer intégralement :

 l’expertise relative à la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise (article L. 2315-88) ;

 l’expertise-comptable sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (article L. 2315-89) ;

 l’expertise-comptable en cas de licenciements collectifs pour motifs économique (3° de l’article L. 2315-92) ;

l’expertise relative à un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel (1° de l’article L. 2315-96).

● En revanche, les expertises relatives à la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise ainsi que les expertises sollicitées en vue d’une consultation ponctuelle, à l’exception de celles mentionnées ci-dessus, devront être financées à hauteur de 20 % par le comité social et économique, et à hauteur de 80 % par l’employeur.

Le CSE peut en outre faire appel à toute expertise rémunérée par ses soins, pour la préparation de ses travaux.

L’expert est désigné par le CSE (article L. 2315-81-1), qui établit un cahier des charges relatif aux missions de l’expert. Ce dernier est tenu de notifier à l’employeur le coût prévisionnel de l’expertise, son étendue et sa durée, dans un délai fixé par décret en Conseil d’État.

L’employeur doit quant à lui fournir à l’expert toutes les informations nécessaires à l’exercice de sa mission (article L. 2315-83). Notons que les experts sollicités dans le cadre des consultations récurrentes ou ponctuelles du CSE ont libre accès dans l’entreprise pour les besoins de leur mission (article L. 2315-82). L’expert est, en toute logique, soumis aux obligations de secret et de discrétion, dans les mêmes conditions que les membres de la délégation du personnel du CSE (article L. 2315-84).

Le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport est déterminé, pour chaque catégorie d’expertise, par un décret en Conseil d’État, de même que les modalités et conditions de réalisation de l’expertise, lorsque celle-ci porte sur plusieurs champs (article L. 2315-85).

Selon l’article L. 2315-86, l’employeur peut saisir le juge judiciaire, dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, pour contester :

la nécessité de l’expertise, en contestant la délibération du CSE décidant de recourir à l’expertise ;

le choix de l’expert, par la contestation de la désignation de l’expert par le CSE ;

le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise, en contestant  la notification à l’employeur du cahier des charges et les informations transmises par l’expert dans les conditions prévues à l’article L. 2315-85-1 ;

le coût de l’expertise, en contestant la notification du coût final de l’expertise.

Le juge doit alors statuer, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine. Celle-ci suspend l’exécution de la décision du comité ainsi que les délais dans lesquels il est consulté, jusqu’à la notification du jugement.

b.   Expertise dans le cadre des consultations récurrentes

Dans le cadre des consultations récurrentes du CSE, ce dernier peut décider de recourir :

à un expert, en vue de l’examen des orientations stratégiques de l’entreprise prévu au 1° de l’article L. 2312-17 (article L. 2315-87)

à un expert en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise prévue au 2° de l’article L. 2312-17 (article L. 2315-88). Soulignons que la nature de cet expert n’est pas clairement définie, puisque l’article L. 2315-89, qui définit les missions de cet expert, évoque un « expert-comptable » et non un simple expert ;

à un expert-comptable, dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (article L. 2315-91).

Selon l’article L. 2315-79, le nombre d’expertises prévues dans le cadre de ces consultations récurrentes peut être fixé :

soit par un accord d’entreprise ;

soit, à défaut, par un accord conclu entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité. 

À défaut d’accord, la délégation du personnel au CSE pourra décider de recourir à l’expertise à l’occasion de chaque consultation récurrente.

c.   Expertises en vue d’une consultation ponctuelle

Dans le cadre des consultations ponctuelles du comité social et économique mentionnées à l’article L. 2312-37, le CSE peut décider de recourir, selon les cas, soit à un expert-comptable, soit à un expert technique ou à un expert habilité. Le tableau ci-après présente les différents cas de figure.

Modalités de recours à l’expertise dans le cadre des consultations ponctuelles du comité social et économique

Nature de lexpertise

Article

Thème de la consultation ponctuelle concernée

Expertise-comptable

I de l’article L. 2315-92

1° Opérations de concentration

2° Droit d’alerte économique

3° Licenciement collectif pour motif économique

4° Offre publique d’acquisition

II de l’article L. 2315-92

Préparation par les organisations syndicales des négociations prévues aux articles L. 2254-2 (négociation visant à répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi) et L. 1233-24-1 (négociation sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et les modalités de consultation du CSE et de mise en œuvre des licenciements collectifs)

Expert technique

L. 2315-94

Introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail

(dans les entreprises d’au moins 300 salariés)

L. 2315-95

Préparation de la négociation sur l’égalité professionnelle

(dans les entreprises d’au moins 300 salariés)

Expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État

L. 2315-96

1° Lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement.

2° En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.

Notons qu’en l’état actuel de la rédaction, en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, deux types d’experts peuvent être compétents : soit un expert technique (article L. 2315-94), soit un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État (article L. 2315-96).

● Lorsque le CSE décide de recourir à un expert-comptable dans les cas prévus à l’article L. 2315-92, cet expert-comptable a accès aux informations nécessaires à l’exercice de sa mission, et a notamment accès aux mêmes informations que le commissaire aux comptes de l’entreprise (article L. 2315-93).

Par ailleurs, lorsqu’il est saisi dans le cadre d’une opération de concentration ou d’une opération de recherche de repreneurs, l’expert a accès aux documents de toutes les sociétés intéressées par l’opération. 


V.   Comité social et économique central et comité social et économique d’établissement

Comme cela été dit, dans les entreprises où existent au moins deux établissements distincts, le CSE peut laisser place à un comité social et économique central et à des comités sociaux et économiques d’établissement, qui disposent d’attributions propres et, s’agissant du CSE central, de règles de composition et de fonctionnement spécifiques.

A.   comité social et économique central

1.   Attributions du CSE central

Aux termes de l’article L. 2316-1, le CSE central exerce les attributions qui concernent « la marche générale de lentreprise » et « qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs détablissement ».

Il est le seul comité consulté sur :

les projets décidés au niveau de l’entreprise qui ne comportent pas de mesures d’adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements – mais dans ce cas, son avis ainsi que les documents relatifs au projet sont transmis, par tout moyen, aux CSE d’établissement (1°) ;

les projets et consultations récurrentes décidés au niveau de l’entreprise lorsque leurs éventuelles mesures de mise en œuvre, qui feront ultérieurement l’objet d’une consultation spécifique au niveau approprié, ne sont pas encore définies (2°) ;

 les mesures d’adaptation communes à plusieurs établissements des projets d’introduction de nouvelles technologies ou d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité, ou les conditions de travail (3°).

Le CSE central est également consulté sur tous les projets importants concernant l’entreprise en matière économique et financière, notamment en cas d’offre publique d’acquisition, et en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (article L. 2316-2). Si le recours à un expert est envisagé dans le cadre de ces projets, sa désignation est effectuée par le CSE central lui-même (article L. 2316-3).

2.   Composition, élection et mandat des membres du CSE central

Selon l’article L. 2316-4, le CSE central est composé de l’employeur ou de son représentant, et  d’un nombre égal de délégués titulaires et de suppléants, déterminé par décret en Conseil d’État.

Lorsque les réunions du CSE central portent sur la santé, la sécurité et les conditions de travail, le médecin du travail, l’agent de contrôle de l’inspection du travail, l’agent des services de prévention des organismes de sécurité sociale ainsi que, le cas échéant, l’agent de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics et le responsable du service de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, l’agent chargé de la sécurité et des conditions de travail peuvent y assister à titre consultatif.

Les membres du CSE central sont élus, pour chaque établissement, par le CSE d’établissement. Si l’un ou plusieurs établissements de l’entreprise constituent trois collèges électoraux, ou que plusieurs établissement distincts représentant au moins cinq cents salariés ou vingt-cinq membres appartenant au troisième collège électoral défini à l’article L. 2314-11, un délégué titulaire et un suppléant au moins relèvent de la catégorie des ingénieurs, chefs de service et cadres administratifs, commerciaux ou techniques assimilés (articles L. 2316-5 et L. 2316-6).

Chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise désigne un représentant au CSE central, choisi soit parmi les représentants de cette organisation au sein des CSE d’établissements, soit au sein des membres élus de ces comités. Ce représentant assiste aux réunions du CSE central avec voix consultative.

Dans chaque entreprise, la répartition des sièges entre les différents établissements et les différents collèges fait l’objet d’un accord entre l’employeur et les organisations syndicales intéressées, dans les conditions prévues aux articles L. 2316-8 et L. 2316-9.

L’élection des délégués au CSE central a lieu tous les quatre ans, après l’élection générale des membres des CSE d’établissement. Par dérogation, cette durée peut être diminuée et comprise entre deux et quatre ans (articles L. 2316-10 et L. 2316-11). En cas de modification de la situation juridique de l’employeur, le CSE central de l’entreprise absorbée demeure en fonctions si l’entreprise conserve son autonomie juridique (article L. 2316-12).

Il convient de souligner que le nombre de mandats successifs des membres du CSE central n’apparaît pas clairement limité à trois mandats, comme c’est pourtant le cas pour le comité social et économique. Par cohérence, la commission des affaires sociales a donc étendu cette limitation aux délégués du CSE central et aux délégués des comités d’établissement.

3.   Fonctionnement du CSE central

Les modalités de fonctionnement du CSE central sont définies aux articles L. 2316-13 à L. 2316-19.

a.   Dispositions générales

L’article L. 2316-13 dispose que le CSE central est doté de la personnalité civile, et qu’il est présidé par l’employeur ou son représentant, éventuellement assisté de deux collaborateurs ayant voix consultative. Le comité désigne un secrétaire et un secrétaire adjoint en charge des attributions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail.

Les modalités de fonctionnement du CSE central et ses rapports avec les salariés de l’entreprise pour l’exercice des missions qui lui sont confiées sont déterminées dans un règlement intérieur. Les résolutions du CSE central ainsi que ses décisions sur les modalités de fonctionnement et l’organisation de ses travaux sont prises à la majorité des membres présents (article L. 2316-14).

L’article L. 2316-18 dispose qu’une commission santé, sécurité et conditions de travail centrale est mise en place dans les entreprises d’au moins trois cents salariés disposant d’un CSE central, dans les mêmes conditions que pour le CSE.

En outre, l’article L. 2316-19 précise que les dispositions relatives à la transparence des comptes du CSE sont applicables, dans les mêmes conditions, au CSE central.

Le budget de fonctionnement du CSE central est quant à lui prévu à l’article L. 2315-62, qui dispose que le budget de fonctionnement du CSE central est déterminé par accord entre le comité central et les comités d’établissement ou, à défaut, par décret en Conseil d’État.

b.   Réunions du CSE central

En vertu de l’article L. 2316-15, le CSE central se réunit au moins une fois tous les six mois au siège de l’entreprise, sur convocation de l’employeur. Il peut tenir des réunions exceptionnelles à la demande de la majorité de ses membres.

Le recours à la visioconférence est autorisé pour les réunions du CSE central, dans les mêmes conditions que pour les réunions du CSE, c’est-à-dire qu’il doit être prévu par accord. À défaut, le recours à la visioconférence est autorisé pour trois réunions maximum par année civile (article L. 2316-16).

L’ordre du jour du CSE central est arrêté par le président et le secrétaire, qui sont tenus d’y inscrire de plein droit les consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou conventionnelle. Cet ordre du jour est communiqué aux membres du CSE central dans un délai de huit jours au moins avant la séance, contre trois jours pour l’ordre du jour des réunions du CSE (article L. 2316-17).

B.   Comité social et économique d’établissement

Le CSE d’établissement a les mêmes règles de composition et de fonctionnement que celles applicables au comité social et économique (article L. 2316-24 à L. 2316-26). Seules ses attributions présentent quelques différences.

Ainsi, le CSE d’établissement a les mêmes attributions que le CSE, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement. Le CSE d’établissement est par ailleurs consulté sur les mesures d’adaptation des décisions arrêtées au niveau de l’entreprise, lorsque celles-ci sont spécifiques à l’établissement et relèvent de la compétence du chef de l’établissement (article L. 2316-20).

Lorsqu’il est compétent, le CSE peut faire appel à un expert, dans les mêmes conditions que le CSE (article L. 2316-21).

Lorsque le CSE central et le CSE d’établissement sont consultés sur un même sujet, l’ordre et les délais dans lesquels le comité central et les comités d’établissement rendent et transmettent leur avis sont fixés par accord. À défaut, l’avis de chaque comité d’établissement est rendu puis transmis au comité central, et l’avis de ce dernier est rendu dans des délais fixés par décret en Conseil d’État (article L. 2316-22).

Enfin, selon l’article L. 2316-23, les comités d’établissement sont tenus d’assurer et de contrôler la gestion de toutes les activités sociales et culturelles. Ils ont toutefois la possibilité de confier au comité central la gestion d’activités communes. Dans ce cas, les compétences respectives du comité central et des comités d’établissement peuvent être fixées par un accord d’entreprise majoritaire conclu entre l’employeur et une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans l’entreprise.

En cas de transfert de la gestion d’activités sociales et culturelles au comité central, ce transfert fait l’objet d’une convention entre les comités d’établissement et le comité central, selon des clauses-types déterminées par décret.


VI.   Dispositions pénales

L’article L. 2317-1 fixe les sanctions applicables en cas d’entrave à la constitution d’un CSE, d’un CSE central ou d’un CSE d’établissement ou en cas d’entrave à la libre désignation de leurs membres. Ainsi, « le fait dapporter une entrave soit à la constitution dun comité social et économique, dun comité social et économique détablissement ou dun comité social et économique central, soit à la libre désignation de leurs membres, notamment par la méconnaissance des articles L. 2314-1 à L. 2314-9 ([29]), est puni dun emprisonnement dun an et dune amende de 7 500 € ».

Le fait d’apporter une entrave au fonctionnement régulier de ces comités est également puni d’une amende de 7 500 €.

Enfin, selon l’article L. 2317-2, à défaut d’accord d’entreprise fixant les modalités d’application des consultations récurrentes du CSE (article L. 2312-19), le fait, dans une entreprise ou un établissement d’au moins trois cents salariés, de ne pas établir et soumettre annuellement au CSE le bilan social d’entreprise ou d’établissement prévu à l’article L. 2312-28 (et non L. 2312-14, comme l’indique l’article L. 2317-2) est puni d’une amende de 7 500 €.


VII.   Modalités d’entrée en vigueur des dispositions relatives au comité social et économique et dispositions de coordination

A.   Délais d’entrée en vigueur

Les modalités d’entrée en vigueur des dispositions relatives au comité social et économique sont développées au II de l’article 9 de l’ordonnance n° 2017-1386.

Le principe général est que la mise en place du CSE doit intervenir au terme du mandat des délégués du personnel, membres élus du comité d’entreprise, du CHSCT ou, le cas échéant, de la délégation unique du personnel (DUP) ou de l’instance regroupée du CHSCT, et au plus tard le 31 décembre 2019. Ce principe peut toutefois être modulé en fonction de plusieurs paramètres.

● En premier lieu, si un protocole d’accord préélectoral a été conclu avant la date de publication des ordonnances en vue de la constitution ou du renouvellement des instances représentatives du personnel, l’élection de ces instances est effectuée conformément aux dispositions en vigueur avant la publication des ordonnances, c’est-à-dire qu’il est procédé aux élections des délégués du personnel et, le cas échéant, des membres du comité d’entreprise, du CHSCT, de l’instance regroupée ou de la DUP.

Le CSE est alors mis en place à compter du 1er janvier 2020 ou à une date antérieure fixée soit par accord collectif, soit par une décision de l’employeur prise après consultation des instances de représentation du personnel.

● En dehors de ce cas, il existe deux options en fonction de la date de fin de mandat des actuels représentants du personnel :

si les mandats des représentants du personnel arrivent à échéance entre la date de publication de l’ordonnance et le 31 décembre 2017, les mandats sont prorogés jusqu’à cette date. Ils peuvent éventuellement être prorogés d’un an maximum, soit par accord collectif, soit par décision de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, le cas échéant, de la délégation unique du personnel ou de l’instance regroupée ;

si les mandats arrivent à échéance entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018, leur durée peut être réduite ou prorogée d’un an maximum, dans les mêmes conditions (par accord collectif ou par décision de l’employeur prise après consultation des représentants du personnel).

 ● Enfin, un accord collectif ou une décision de l’employeur prise après consultation des représentants du personnel peut réduire ou proroger la durée du mandat des délégués du personnel, des membres élus du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel, de l’instance regroupée et du CHSCT, pour un établissement ou pour l’ensemble de l’entreprise, afin que l’échéance de leur mandat coïncide avec la date de la mise en place du comité social et économique ou, éventuellement, celle de la mise en place du CSE central et du CSE d’établissement.

B.   Dispositions spécifiques

1.   Modification de la situation juridique de l’employeur

Le IV de l’article 9 précise les dispositions applicables en cas de modification de la situation juridique de l’employeur, survenant notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds ou mise en société de l’entreprise (article L. 1224-1 du code du travail) :

 si l’entreprise devient un établissement distinct, en l’absence d’un accord collectif en disposant autrement, il est procédé à des élections, au sein de cet établissement, pour la mise en place du CSE d’établissement ;

 si la modification porte sur un ou plusieurs établissements qui conservent leur caractère d’établissement, des élections sont organisées au sein de chaque établissement concerné pour la mise en place du CSE d’établissement.

Dans les deux cas, l’organisation des élections se déroule « sauf si le renouvellement du [CSE] central dans lentreprise absorbante doit intervenir dans un délai de moins de douze mois suivant la modification de la situation juridique ».

2.   Transfert des biens, droits et obligations, créances et dettes

Le VI de l’article 9 précise que l’ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes des comités d’entreprise, des comités d’établissement, des comités centraux d’entreprises, des délégations uniques du personnel, des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et des instances prévues à l’article L. 2391-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1386, sont transférés de plein droit et en pleine propriété aux comités sociaux et économiques créés par la même ordonnance.

Le transfert s’effectue « à titre gratuit » lors de la mise en place des comités sociaux et économiques, dans les conditions définies par une convention, conclue avant le 31 décembre 2019, entre les CSE et les membres des anciennes instances de représentation du personnel. Cette convention doit déterminer :

 les conditions de mise à disposition des biens de toute nature, notamment les immeubles et les applications informatiques ;

 le cas échéant, les conditions de transfert des droits et obligations, créances et dettes relatifs aux activités transférées.

Il est également précisé que les transferts de biens meubles ou immeubles effectués dans les conditions prévues au VI de l’article 9 ne donnent lieu ni à un versement de salaires ou honoraires au profit de l’État, ni à perception de droits ou de taxes.

C.   Dispositions de coordination

La fusion des instances représentatives du personnel et la création du comité social et économique proposée par l’ordonnance n° 2017-1386 nécessitent le remplacement de l’ensemble des occurrences du code du travail relatives aux délégués du personnel, au comité d’entreprise ou au CHSCT par des références au comité économique et social. Ces substitutions sont effectuées par les articles 3 et 4 de l’ordonnance précitée, qui modifient plus de deux cents articles du code du travail à cette seule fin de coordination.


VIII.   Le conseil d’entreprise

Le titre II du livre III de la deuxième partie du code du travail, qui a fait l’objet d’une nouvelle rédaction intégrale par l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1386, prévoit les conditions dans lesquelles le comité social et économique peut exercer des compétences en matière de négociation et devenir ainsi le « conseil d’entreprise ».

Un accord d’entreprise majoritaire pourra en effet fusionner en une seule instance les compétences du comité social et économique et la compétence de négociation, de conclusion et de révision des accords d’entreprise, habituellement dévolue aux délégués syndicaux.

Le conseil d’entreprise permettra de mettre en place une véritable « codécision à la française », en choisissant de gérer en commun, entre les élus et l’employeur, des thèmes déterminants pour les salariés tels que la formation professionnelle, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou encore l’insertion des salariés handicapés dans l’entreprise.

1.   Modalités de mise en place et attributions

Le 2° de l’article 2 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 autorisait le Gouvernement à définir « les conditions dans lesquelles [le comité social et économique] exerce, si une convention ou un accord le prévoit, les compétences en matière de négociation des conventions et accords de groupe, dentreprise ou détablissement, en disposant des moyens nécessaires à lexercice de ces prérogatives » et à déterminer, dans ce cas, « les conditions dans lesquelles les représentants du personnel peuvent être mieux associés aux décisions de lemployeur dans certaines matières ».

En application de l’article L. 2321-2, le conseil d’entreprise peut ainsi être institué :

soit par un accord d’entreprise majoritaire, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 ([30]) ;

soit par un accord de branche étendu, pour les entreprises dépourvues de délégué syndical.

Dans le cas d’un accord de branche étendu prévoyant l’institution d’un conseil d’entreprise – par exemple en prévoyant une « clause-type » –, c’est bien à l’employeur qu’il appartiendra de se saisir ou non de cette faculté.

L’accord, qui est à durée indéterminée, doit préciser les modalités selon lesquelles les négociations se déroulent au niveau des établissements. Il doit également fixer la liste des thèmes soumis à l’avis conforme du conseil d’entreprise, seule la formation professionnelle constituant un thème obligatoire (article L. 2321-3).

Le conseil d’entreprise peut également être mis en place dans les entreprises appartenant à une unité économique et sociale (article L. 2321-10).

Une fois institué, le conseil d’entreprise exerce l’ensemble des attributions dévolues au comité social et économique, et il est seul compétent pour négocier, conclure et réviser les conventions et accords d’entreprise ou d’établissement, à l’exception des accords soumis à des règles spécifiques de validité, notamment :

 les accords relatifs aux plans de sauvegarde de l’emploi (article L. 1233‑24-1) ;

le protocole d’accord préélectoral (article L. 2314-6) ;

l’accord relatif au nombre et à la composition des collèges électoraux (article L. 2314-12) ;

 l’accord précisant que l’élection a lieu en dehors du temps de travail (article L. 2314-27).

Relevons que la commission des affaires sociales a adopté un amendement présenté par M. Aurélien Taché, membre du groupe La République en marche, qui supprime ces dérogations, afin que le conseil d’entreprise exerce intégralement la compétence de négociation des accords d’entreprise.

2.   Modalités de composition et de fonctionnement

Les modalités de fonctionnement du conseil d’entreprise sont les mêmes que celles applicables au comité social et économique (article L. 2321-1), à quelques exceptions près. En effet, l’accord prévoyant l’institution du conseil d’entreprise peut :

 définir le nombre d’heures de délégation dont bénéficient les élus du conseil d’entreprise participant aux négociations. Ce nombre ne peut, « sauf circonstances exceptionnelles », être inférieur à un nombre d’heures défini par décret en Conseil d’État, en fonction de l’effectif de l’entreprise (article L. 2321-4). Il est rappelé que le temps passé à la négociation est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale (article L. 2321-5) ;

 comporter des stipulations relatives à d’indemnisation des frais de déplacement (article L. 2321-6) ;

 fixer la composition de la délégation qui négocie les conventions et accords d’entreprise ou d’établissement (article L. 2321-7).

 fixer la périodicité de tout ou partie des thèmes de négociation du conseil d’entreprise (article L. 2321-8).

3.   Modalités de validité des accords négociés et conclus par le conseil d’entreprise

L’article L. 2321-9 précise que pour être valide, une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement conclu par le conseil d’entreprise doit être signé par la majorité des membres titulaires élus du conseil, ou par un ou plusieurs membres titulaires ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.

Ce score de 50 % est apprécié au regard des suffrages recueillis lors du premier tour des élections pour les élus au premier tour de scrutin, et de ceux recueillis lors du second tour pour les élus au second tour de scrutin.

Dans le cas d’un conseil d’entreprise mis en place au niveau d’une unité économique et sociale (UES), l’accord défini à l’article L. 2321-2 visant à mettre en place le conseil d’entreprise est conclu soit au niveau d’une ou de plusieurs entreprises composant l’UES, soit au niveau de l’UES. Dans ce dernier cas, les règles de validité de l’accord sont appréciées en tenant compte des suffrages valablement exprimés dans l’ensemble des entreprises (article L. 2321-10).


IX.   Les salariés protégés

Compte tenu de leur mandat représentatif ou syndical dans l’entreprise, certains salariés bénéficient d’une protection spécifique contre le licenciement ou la rupture d’un contrat de travail à durée déterminée, y compris lors d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues au livre IV de la deuxième partie du code du travail.

A.   Les coordinations nécessaires

Afin de tirer les conséquences de la fusion des instances représentatives du personnel (délégués du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1386 effectue les coordinations rendues nécessaires par la création du comité social et économique et du conseil d’entreprise en matière de protection des salariés contre le licenciement.

Chacune des occurrences relatives aux délégués du personnel, aux membres élus du comité d’entreprise, d’une part, et d’autre part aux représentants syndicaux au comité d’entreprise est ainsi remplacée, respectivement, par des références aux membres élus à la délégation du personnel au comité social et économique, d’une part, et aux représentants syndicaux au comité social et économique d’autre part.

En pratique, la protection contre le licenciement oblige l’employeur à recueillir l’autorisation de l’inspecteur du travail préalablement au licenciement ou à la rupture du contrat de travail à durée déterminée (CDD). Dans ce second cas, l’autorisation de l’inspecteur du travail est requise :

 soit lorsque la rupture du contrat intervient avant l’échéance du terme en raison d’une faute grave ou de l’inaptitude constatée par le médecin du travail ;

 soit à l’arrivée du terme, lorsque l’employeur n’envisage pas de renouveler un contrat comportant une clause de renouvellement.

Cette protection contre le licenciement s’applique durant la totalité du mandat des représentants du personnel ou syndicaux, mais également à l’expiration de ce mandat pour un membre élu de la délégation du personnel au CSE ou un représentant syndical non reconduits dans leurs fonctions lors du renouvellement du comité (article L. 2411-5 du même code). La protection s’applique pendant les six premiers mois suivant l’expiration de leur mandat ou la disparition de l’institution, à condition qu’ils aient été désignés depuis deux ans.

B.   Deux nouvelles catégories de salariés protégés

Par cohérence avec les dispositions relatives au comité social et économique, deux nouvelles catégories de salariés protégés sont créées.

1.   Les représentants et anciens représentants de proximité

Pour mémoire, l’article L. 2313-7 nouveau du code du travail subordonne la création des représentants de proximité à un accord d’entreprise.

À l’instar des règles applicables aux autres salariés protégés, le licenciement ou la rupture du CDD de ces représentants de proximité ne peut donc intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. Ladite autorisation est également requise durant les six mois suivant l’expiration du mandat de représentant de proximité ou la disparition de l’institution (article L. 2411-5).

Les candidats aux fonctions de représentants de proximité sont également protégés, dans les mêmes conditions que les autres représentants du personnel, pendant une période de six mois à compter du dépôt de leur candidature, ou lorsque le salarié a fourni la preuve que l’employeur a eu connaissance de l’imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l’entretien préalable au licenciement (article L. 2411-9).

Le fait de rompre le contrat de travail d’un salarié représentant de proximité, candidat à cette fonction ou ancien représentant de proximité en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d’autorisation administrative est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros (article L. 2433-1), c’est-à-dire une durée et un montant équivalents aux dispositions applicables aux autres salariés protégés.

2.   Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique interentreprises

En vertu des articles L. 2411-10 et L. 2411-10-1, les membres et anciens membres de la délégation du personnel du comité social et économique interentreprises, ainsi que les candidats à cette fonction bénéficient de la protection contre le licenciement dans les mêmes conditions que celles applicables aux représentants, anciens représentants ou candidats aux fonctions de représentants de proximité (articles L. 2411-10, L. 2411-10-1 et L. 2431-1).


   Deuxième partie : Renforcer le dialogue social en valorisant l’engagement syndical et représentatif

Ce deuxième volet de l’ordonnance n° 2017-1386 vise à apporter de nouvelles garanties pour les représentants syndicaux et les élus du personnel qui s’engagent, au quotidien, dans le dialogue social.

Le Gouvernement s’est notamment inspiré des propositions de M. Jean-Dominique Simonpoli sur « La reconnaissance et la valorisation des compétences des représentants du personnel et des mandataires syndicaux » et du rapport du Comité social, économique et environnemental sur la prévention des discriminations syndicales ([31]), pour proposer quatre mesures visant à favoriser l’implantation syndicale et des représentants du personnel dans les entreprises et au niveau des branches professionnelles.

A.   La généralisation de l’entretien de fin de mandat dans les entreprises d’au moins deux mille salariés

Afin de procéder au recensement des compétences acquises au cours d’un mandat de représentation ou syndical, et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise, l’article L. 2141-5 du code du travail dispose qu’à la fin de leur mandat, les représentants du personnel ou syndicaux dont le nombre d’heures de délégation dépasse 30 % de leur durée contractuelle de travail, ou de l’horaire collectif appliquée dans leur établissement, bénéficient d’un entretien professionnel.

Cet entretien vise à effectuer un bilan afin de mieux accompagner le salarié dans la reprise de son activité à temps complet, et dans la poursuite de son évolution professionnelle.

Afin d’encourager la reconnaissance des compétences acquises grâce à la pratique syndicale ou à un mandat de représentation, le I de l’article 5 de l’ordonnance n° 2017-1386 généralise à tous les représentants du personnel ou syndicaux exerçant dans les entreprises d’au moins deux mille salariés, quel que soit le nombre d’heures de délégation dont ils disposent, l’entretien de fin de mandat.

Ce dispositif pourrait concerner environ cinq cents entreprises dont l’effectif est d’au moins deux mille salariés.

B.   Mise à disposition d’un salarié auprès d’une organisation syndicale ou d’une association d’employeurs

Le II de l’article 5 vise ensuite à mieux encadrer les conditions de mise à disposition d’un salarié auprès d’une organisation syndicale ou d’une association d’employeurs.

Cette mise à disposition est prévue par l’article L. 2135-7 du code du travail, et ses modalités sont précisées soit par une convention collective ou un accord de branche étendus, soit par un accord d’entreprise (article L. 2135-8 du même code). La loi subordonne toutefois la mise à disposition à plusieurs conditions, c’est-à-dire :

l’accord exprès du salarié ;

le maintien des obligations de l’employeur à son égard pendant toute la durée de la mise à disposition ;

le retour du salarié dans l’entreprise à l’expiration de la période de mise à disposition, avec récupération de son précédent emploi ou d’un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente.

Parmi les obligations que l’employeur conserve à l’égard du salarié pendant la durée de la mise à disposition figure l’obligation de formation d’adaptation prévue à l’article L. 6321-1 du code du travail, qui oblige l’employeur à assurer l’adaptation de ses salariés à l’évolution de leurs emplois. Dans ce cadre, l’employeur est notamment tenu de veiller au maintien de la capacité des salariés « à occuper un emploi, au regard notamment de lévolution des emplois, des technologies et des organisations ». Il peut notamment proposer des actions de formation participant au développement des compétences.

Afin de faciliter la mise en place de ces actions de formation, le II de l’article 5 impose désormais à la convention ou à l’accord de branche ou d’entreprise fixant les modalités de la mise à disposition de prévoir des aménagements de nature à permettre à l’employeur de mieux respecter ces obligations de formation d’adaptation.

C.   Prise en charge de la rémunération des salariés de petites entreprises participant aux négociations de branche

L’article L. 2232-8 du code du travail prévoit que, lorsqu’un salarié participe aux négociations d’une convention de branche ou d’un accord professionnel, ladite convention ou le dit accord sont tenus de comporter des dispositions relatives « aux modalités dexercice du droit de sabsenter, à la compensation des pertes de salaires ou au maintien de ceux-ci, ainsi quà lindemnisation des frais de déplacement ».

Afin d’éviter que la participation des salariés aux négociations conventionnelles de branche ne pèse démesurément sur la trésorerie des petites entreprises, le III de l’article 5 prévoit que pour certaines d’entre elles, dont l’effectif est inférieur à un seuil défini par décret en Conseil d’État, la rémunération ainsi que les cotisations et contributions sociales afférentes à la rémunération des salariés d’entreprise participant aux négociations des conventions de branche et accords professionnels « sont prises en charge par le fonds paritaire » de financement des partenaires sociaux mentionné à l’article L. 2135-9 du code du travail.

D.   Maintien de la rémunération par l’employeur pendant le congé de formation économique, sociale et syndicale

L’article 6 de l’ordonnance n° 2017-1386 vise à encourager les salariés à exercer leur droit à la formation économique, sociale et syndicale, prévu et encadré par les articles L. 2145-1 à L. 2145-13 du code du travail.

Ainsi, tout salarié qui souhaite participer à des stages ou des sessions de formation économique et sociale ou de formation syndicale a droit, sur sa demande, à un ou plusieurs congés, dont la durée totale ne peut excéder dix-huit jours dans l’année. Les stages ou sessions de formation peuvent être organisés soit par des centres rattachés aux organisations syndicales mentionnées au 3° de l’article L. 2135-12 ([32]), soit par des instituts spécialisés.

En 2014, selon les données de la Direction générale du travail, 4 058 stages ayant accueilli 50 806 stagiaires ont été organisés par les organisations syndicales, et 282 stages ayant accueilli 3 347 stagiaires ont été organisés par les instituts du travail. Au total, près de 55 000 stagiaires ont ainsi bénéficié du congé de formation économique, sociale et syndicale (CFESS) en 2014.

Dans sa rédaction antérieure à la publication des ordonnances, l’article L. 2145-6 prévoyait que le salarié en CFESS pouvait bénéficier du maintien « total ou partiel » de sa rémunération, à condition qu’une organisation syndicale satisfaisant aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constituée depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre celui de l’entreprise ou de l’établissement où exerce le salarié en fasse la demande expresse.

Le I de l’article 6 de l’ordonnance n° 2017-1386 supprime cette condition afin que tout salarié en CFESS bénéficie du maintien total de sa rémunération, sans qu’une organisation syndicale ait à en faire la demande.

Il est précisé que l’employeur continue de verser les contributions et cotisations sociales afférentes à la rémunération maintenue. Cependant, le montant de ces contributions et cotisations sociales ainsi que du salaire sont « déduits de la contribution définie au 1° de larticle L. 2135-10 », qui correspond à la contribution des employeurs au fonds paritaire de financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs.

Relevons que la rédaction actuelle comporte une « coquille » qui brouille la compréhension : le maintien du salaire est bien à la charge de l’employeur et non, comme l’indique le texte, à la charge du salarié – ce qui n’aurait aucun sens.

Il est précisé que le maintien intégral de la rémunération par l’employeur ne s’applique qu’aux congés effectués après la publication de l’ordonnance.


   Troisième partie : Droit d’expression directe et collective des salariés

● L’article L. 2281-1 du code du travail reconnaît un droit à l’expression directe et collective pour l’ensemble des salariés. Il permet aux salariés de s’exprimer à la fois sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.

Le I de l’article 7 de l’ordonnance n° 2017-1386 précise désormais que « laccès de chacun au droit dexpression collective peut être assuré par le recours aux outils numériques ». Toutefois, l’utilisation par les salariés de ce nouvel outil d’expression ne doit pas méconnaître les droits et obligations de ces derniers dans l’entreprise.

● Dans la rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance
n° 2017-1386, en vertu de l’article L. 2281-5 du code du travail, les modalités d’exercice du droit d’expression devaient être définies par un accord conclu entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives, dans les conditions prévues par les articles L. 2232-16 à L. 2232-18 du même code relatifs aux modalités de négociation en présence d’un délégué syndical dans l’entreprise.

Le II de l’article 7 de l’ordonnance précitée modifie l’article L. 2281-5 du code du travail afin de renvoyer désormais à la négociation annuelle obligatoire portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, prévue au 2° de l’article L. 2242-1 du même code, la définition des modalités d’exercice du droit d’expression.

Si aucun accord n’a été conclu dans le cadre de cette négociation, ou à défaut d’accord de méthode mentionné à l’article L. 2242-11, l’article L. 2281-10 issu du V de l’article 7 précise que l’accord négocié dans le cadre des dispositions supplétives prévues à l’article L. 2242-17 doit comporter des stipulations sur :

le niveau, le mode d’organisation, la fréquence et la durée des réunions permettant l’expression des salariés (1°) ;

 les outils numériques disponibles dans l’entreprise, permettant l’expression des salariés (2°) ;

 les mesures destinées à assurer, d’une part, la liberté d’expression de chacun et, d’autre part, la transmission à l’employeur des demandes et propositions des salariés ainsi que celle des avis émis par les salariés dans les cas où ils sont consultés par l’employeur, sans préjudice des dispositions relatives aux IRP (3°) ;

 les mesures destinées à permettre aux salariés intéressés, aux organisations syndicales représentatives, au comité social et économique de prendre connaissance des demandes, avis et propositions émanant des groupes ainsi que des suites qui leur sont réservées (4°) ;

 les conditions spécifiques d’exercice du droit à l’expression dont bénéficie le personnel d’encadrement ayant des responsabilités hiérarchiques, outre leur participation dans les groupes auxquels ils sont rattachés du fait de ces responsabilités (5°).

Le III abroge donc l’article L. 2281-6 du même code, qui prévoyait à titre supplétif la tenue d’une négociation annuelle sur le droit d’expression des salariés, à défaut d’accord d’entreprise portant sur ce sujet, puisque cette négociation figure désormais au titre des dispositions supplétives de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

● L’article L. 2281-11, dans sa rédaction issue du VI de l’article 7, dispose enfin qu’en l’absence de délégué syndical ou d’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, l’employeur est tenu de consulter le comité social et économique sur les modalités d’exercice du droit d’expression des salariés.

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Article 4 [nouveau]
Modification de plusieurs dispositions issues de lordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales

Cet article résulte de l’adoption par la commission des affaires sociales de trois amendements visant à modifier les dispositions du code du travail introduites par l’ordonnance n° 2017-1386 précitée.

Deux des amendements adoptés précisent les modalités de fonctionnement du comité social et économique :

 l’amendement AS 233 du rapporteur modifie ainsi l’article L. 2314-33 du code du travail afin d’étendre aux membres des comités centraux et d’établissement le nombre maximal de trois mandats successifs prévu pour les membres du comité social et économique ;

 l’amendement AS 117, présenté par M. Boris Vallaud, membre du groupe Nouvelle gauche, complète l’article L. 2315-61 du même code afin de permettre au comité social et économique de décider de financer, par une délibération, non seulement la formation des délégués syndicaux mais également celle des représentants de proximité.

Le troisième amendement (AS 168), adopté sur proposition de M. Aurélien Taché, membre du groupe La République en marche, modifie l’article L. 2321-1 du même code afin de permettre au conseil d’entreprise de négocier l’ensemble des accords d’entreprise prévus par le code du travail. La rédaction initiale de cet article excluait en effet de la compétence de négociation du conseil d’entreprise la négociation de certains accords, notamment les accords négociés dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, ou le protocole d’accord préélectoral.

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Compte rendu des débats sur les articles 3 et 4

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux amendements portant sur l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.

Je vous rappelle que l’amendement AS238 du rapporteur, autorisant la ratification de cette deuxième ordonnance, est réservé jusqu’à la fin des amendements visant à la modifier.

La Commission est saisie des amendements identiques AS49 de M. Pierre Dharréville, et AS133 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. L’article 1er de l’ordonnance relative à l’organisation du dialogue social fusionne au sein d’une instance unique, le comité social et économique (CSE) les délégués du personnel, le comité d’entreprise, et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Alors que le Gouvernement prône le renforcement du dialogue social, les premiers décrets pris en application de ces dispositions démontrent l’affaiblissement de la représentation du personnel dans les entreprises, puisque les élus seront moins nombreux et disposeront de moins d’heures de délégation.

Notre amendement AS49 propose en conséquence la suppression des dispositions issues de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 et le rétablissement des dispositions antérieures.

M. Boris Vallaud. Par notre amendement AS133, nous souhaitons également revenir à l’organisation antérieure du dialogue social dans l’entreprise.

En 2015, une réforme structurelle, dite « loi Rebsamen », a procédé, après un dialogue social intense entre les partenaires sociaux, à des modifications importantes que le Parlement n’a pas encore pris le temps d’évaluer.

Vous proposez la fusion des institutions au sein d’une même instance : le comité social et économique. Mis en place dans les entreprises d’au moins onze salariés, il dispose d’attributions différentes en fonction de la taille de l’entreprise – de onze à quarante-neuf salariés et au-delà de quarante-neuf salariés.

Les syndicats de salariés ont rappelé qu’ils n’étaient pas demandeurs de cette fusion qui va au-delà de celle prévue par accord majoritaire dans la loi de 2015. De plus l’intégration des délégués du personnel au sein du CSE risque d’éloigner les représentants du terrain et de freiner encore plus les vocations syndicales.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur. Avis défavorable. Ces deux amendements, les premiers d’une assez longue série, visent à s’opposer à la création du CSE et à maintenir les instances de représentation antérieures.

Les attributions respectives de ces différentes instances n’ont pas disparu, elles ont été simplement transférées à la nouvelle instance. De nombreux articles définissant les attributions et les modalités de fonctionnement du CSE se contentent de reprendre mot pour mot les anciennes attributions soit des délégués du personnel, soit du comité d’entreprise, soit du CHSCT.

Le fait de réunir ces compétences dans une instance unique, entre les mains des mêmes représentants, permettra de gagner en efficacité. Cette fusion sera bénéfique pour les salariés dont les revendications centralisées seront à la fois plus audibles, mieux comprises et mieux intégrées par l’employeur. Elle sera également bénéfique pour les représentants du personnel qui disposeront d’une vision exhaustive des enjeux de l’entreprise.

Pour avoir personnellement animé une bonne centaine de fois des réunions de ce type d’institution, je maintiens qu’avec la réforme, les employeurs y trouveront leur compte, mais que ce sera aussi le cas des représentants du personnel. Ils pourront avoir des échanges de fond sur les sujets transverses, mais également aller dans le détail lorsque cela sera nécessaire, notamment en matière d’hygiène et de sécurité.

Le fait que les attributions du CSE diffèrent selon la taille de l’entreprise ne constitue pas en soi une innovation : le comité d’entreprise et le CHSCT n’ont par exemple été mis en place que dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Je vous informe que le décret relatif aux moyens du CSE, qui a déjà été soumis aux partenaires sociaux, est en cours d’examen par le Conseil d’État.

Il définit le nombre minimal de représentants au CSE. Ce nombre sera inférieur au nombre minimal cumulé de représentants dans les trois instances fusionnées – pour des raisons évidentes, puisque nous constations des doublons. En revanche, nous avons maintenu la totalité du nombre d’heures de délégation : autrement dit, il y aura davantage d’heures par représentant. Nous avons par ailleurs prévu la possibilité de mutualiser et d’annualiser ces heures, sachant qu’aujourd’hui 25 % du temps prévu n’est pas utilisé. Au total, même si le nombre d’heures reste formellement identique, les représentants pourront consacrer davantage d’heures aux travaux du CSE. Je rappelle aussi qu’il s’agit d’un plancher ; de nombreuses entreprises prévoient des dispositions plus favorables. Nombre d’entre elles nous ont déjà fait savoir qu’elles iraient au-delà du minimum légal.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle examine lamendement AS144 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement vise à mettre en place un comité social économique dans les entreprises d’au moins cinq salariés. Les très petites entreprises sont les grandes perdantes de votre réforme : vous privez les salariés qui y travaillent de toute forme de représentation syndicale. De plus, vous avez supprimé les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) qui constituaient les prémices d’une représentation dans les TPE.

M. le rapporteur. Monsieur Vallaud, je vous assure que les CPRI ne sont pas supprimées. Vous l’avez déjà dit, et vous le répétez, mais je vous assure que ce n’est pas le cas.

Je ne suis pas favorable à votre amendement. Vous faites preuve de créativité en imposant la création d’un CSE dans les entreprises de cinq salariés, mais le seuil de onze salariés est aujourd’hui bien intégré par les entreprises ; le modifier risquerait de bouleverser considérablement leurs pratiques de dialogue social informel. Cela imposerait aussi aux chefs d’entreprise des très petites structures des contraintes de gestion relativement disproportionnées par rapport aux effectifs concernés, en particulier au regard de l’obligation d’organisation d’élections professionnelles, alors même que nous efforçons de reconstruire un dialogue simple et direct.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement AS134 du même auteur.

M. Boris Vallaud. Le calcul du seuil d’effectif de salariés pour la mise en place des instances représentatives du personnel au sein d’une entreprise est modifié par vos ordonnances. Ce seuil d’au moins onze salariés doit être atteint sur douze mois consécutifs alors qu’antérieurement ce délai était de douze mois, consécutifs ou non, sur les trente-six derniers mois. De plus, le CSE disparaît automatiquement dès que le seuil d’effectif des cinquante salariés n’est pas atteint pendant douze mois : ce qui n’était auparavant qu’une simple possibilité offerte à l’employeur au bout de vingt-quatre mois consécutifs ou non devient une suppression impérative.

Nous proposons de revenir sur cette rédaction en lui préférant les dispositions législatives antérieures. Comme nous le verrons, le CSE, bien qu’il garde la même dénomination partout, n’a pas les mêmes attributions selon le nombre de salariés. Vous rendez difficile l’accès à la représentation, ce qui est contradictoire avec le titre même de cette ordonnance « favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales ». Après avoir répondu à la problématique de l’absence de représentation dans les TPE en supprimant purement et simplement la présence syndicale, ces dispositions sont un très mauvais signal envoyé aux représentants syndicaux.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Cet amendement éminemment technique, sous couvert de modifier les modalités de prise en compte de l’effectif de onze salariés pour la mise en place du comité social et économique, rétablirait de fait les délégués du personnel que nous souhaitons fusionner.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement AS131 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement un peu long traite d’un sujet majeur : les atteintes aux droits des personnes. Alors que, jour après jour, l’actualité nous rapporte de terribles échos de faits de harcèlement moral ou sexuel, vous n’ouvrez le droit d’alerte au CSE en cas de danger grave et imminent qu’aux seules entreprises de plus de cinquante salariés. Considérez-vous qu’il n’est pas nécessaire de permettre un droit d’alerte en cas d’atteinte au droit des personnes dans les entreprises de moins de cinquante salariés ? De tels agissements seraient-ils inexistants dans ces entreprises ? Il est important que nous levions cette ambiguïté et que le CSE ait le même droit d’alerte dans toutes les entreprises, qu’elles aient plus ou moins de cinquante salariés.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Le droit d’alerte, qui s’applique dans des cas très divers, est essentiellement utilisé dans les entreprises composées de grosses structures, avec des services nombreux et éclatés.

Votre amendement va beaucoup plus loin que le droit antérieur en permettant à tous les membres des comités sociaux et économiques des entreprises de moins de cinquante salariés d’exercer l’ensemble des droits d’alerte jusqu’alors réservés aux entreprises d’au moins cinquante salariés : le droit d’alerte en cas d’atteinte grave aux droits des personnes, le droit d’alerte en cas de danger grave et imminent, le droit d’alerte en cas d’utilisation non conforme du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), le droit d’alerte économique et le droit d’alerte sociale.

Tout cela me paraît excéder assez clairement le champ des compétences de la délégation du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés puisque ces élus n’ont pas d’attributions en matière économique et sociale.

M. Boris Vallaud. Il me semble que nous passons un peu vite sur un sujet grave. Vous noyez dans votre réponse tous les droits d’alerte ; mais vous ne pouvez pas soutenir qu’il n’y a pas lieu d’exercer un droit d’alerte en matière de harcèlement moral ou sexuel dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Si vous trouvez l’amendement trop technique, ou que son champ vous paraît trop large, vous pouvez le sous-amender, mais, dans le contexte actuel, vous ne devriez pas balayer le sujet ainsi. Sur un tel problème, nous devrions pouvoir trouver un consensus et ne pas fonctionner exclusivement sur la confiance.

La commission rejette lamendement.

Elle examine un amendement AS33 de Mme Caroline Fiat.

M. Adrien Quatennens. Cet amendement vise à rétablir le CHSCT dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés. Vous proposez de le remplacer par un comité social et économique qui serait également chargé des missions des délégués du personnel et du comité d’entreprise. Pourtant les missions du CHSCT sont bien différentes de celles des hautes instances qui représentent le personnel : il dispose d’une autonomie juridique afin de pouvoir enquêter sur les conditions de travail des salariés, il se fait force de proposition et ses conclusions engagent l’employeur. Conquête importante du mouvement ouvrier, le CHSCT a permis aux salariés d’accéder à une souveraineté sur la prévention des risques qu’ils encourent au travail, qu’ils soient physiques ou psychosociaux.

À une époque où les nouvelles méthodes de management engendrent de nouveaux risques, comme le syndrome d’épuisement professionnel, le fameux burn-out, il nous semble essentiel de maintenir cette instance dans ses pleines prérogatives et de garantir son autonomie par rapport aux questions de gestion financière auxquelles le CSE l’associerait. La santé et la sécurité doivent être totalement détachées des considérations économiques et budgétaires. Nous connaissons tous le résultat de la course au moins-disant en matière de conditions de travail : faut-il vous rappeler les 1 115 victimes du Rana Plaza en 2013, les 1 099 victimes de la catastrophe de Courrières, en 1906, ou les 2 000 victimes d’accidents du travail que compte la France chaque année. Enfin, dans un contexte, on vient de le rappeler, où les situations de harcèlement sexuel sont trop nombreuses, il nous semble plus que jamais vital de disposer d’une instance autonome et protectrice.

M. le rapporteur. Avis défavorable. La question n’est pas tant de désigner l’instance que de savoir si l’on s’occupe de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail aujourd’hui et demain dans les entreprises. La réponse est oui, oui et oui… Je vous l’ai déjà dit : les ordonnances ont repris mot pour mot les dispositions du code du travail relatives au CHSCT pour les réintroduire parmi les compétences du CSE. Disons-le clairement : les missions sont maintenues, même si elles ne sont plus remplies par les mêmes instances.

S’agissant précisément des instances elles-mêmes, vous avez compris que nous souhaitons une fusion, mais, dans l’ensemble des entreprises, l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail seront partout au menu des discussions du CSE – une commission spécifique est toutefois mise en place dans certains cas, en particulier dans les établissements d’au moins trois cents salariés.

Depuis 1906, monsieur Quatennens, la réalité a tout de même évolué. Cela ne nous empêche pas d’être protecteurs et attentifs à la santé des salariés au travail, bien au contraire. Nous devons nous adapter, tout en conservant les prérogatives du CHSCT que nous transférons au CSE.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement AS129 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Le Gouvernement a décidé de faire disparaître le droit d’alerte des délégués du personnel avec ces délégués eux-mêmes. Le droit d’alerte n’existera donc plus que dans les entreprises de plus de cinquante salariés.

Il est important de lever l’ambiguïté pour que ce droit majeur et protecteur ne soit pas contesté aux représentants du personnel des entreprises de moins de cinquante salariés.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous voyez bien, monsieur Vallaud, que la question du droit d’alerte n’est pas balayée. Il est bon que nous y revenions, mais votre amendement va plus loin que le droit antérieur : il rétablirait la possibilité pour les élus des entreprises de onze à cinquante salariés d’exercer un droit d’alerte en cas d’atteinte aux personnes, mais il leur permettrait également de l’exercer en cas de danger grave et imminent, alors que les délégués du personnel ne disposaient pas de ce droit.

Le sujet n’est pas aussi simple que l’on pourrait le croire : l’existence d’un droit d’alerte ne garantit pas que l’on protège mieux les salariés au travail. Ce qui compte, c’est la réalité de l’exercice du droit en question, et le respect de leurs obligations par les employeurs comme par les salariés.

Je suis assez dubitatif sur la possibilité d’étendre les droits d’alerte aux entreprises de moins de cinquante salariés. La pratique a montré qu’ils étaient très peu, voire jamais, utilisés dans les très petites entreprises. Dans une entreprise de deux ou trois personnes, tout le monde travaille ensemble, et les dangers ou les comportements déviants se voient immédiatement : il n’y a pas besoin de les signaler à l’employeur car lui aussi est présent sur le terrain.

Par ailleurs, l’existence de ce droit peut aussi être mal comprise par les employeurs des petites entreprises qui n’ont pas les moyens de diligenter des enquêtes. Lorsqu’une entreprise dispose de services de ressources humaines, de managers, ou d’un médecin du travail à demeure, il est possible de déclencher des enquêtes qui permettent de faire vivre la réalité du droit d’alerte. Mais introduire le droit d’alerte dans les petites structures revient à mettre en place un dispositif qui n’a ni sens ni utilité. C’est typique de la mesure inefficace qui procure à ses initiateurs une certaine satisfaction : si l’on nous demande si nous sommes favorables à la protection des salariés au travail, nous serons tous d’accord. Mais la question n’est pas là : ce qui compte, c’est de savoir si nous mettons à leur disposition un outil dont ils peuvent vraiment se servir. Tout cela me fait penser à la cinquième ordonnance : tout le monde était d’accord sur l’idée du compte personnel de prévention de pénibilité (C3P) mais, dans les faits, l’outil n’était pas opérationnel et il a fallu trouver une solution.

Il faut que le salarié bénéficie d’une protection réelle. Il y a un décalage entre la gravité des faits qui pourront être signalés par le droit d’alerte et les moyens donnés aux employeurs pour y répondre dans les très petites entreprises.

Je rappelle également qu’un autre outil permet aux élus des entreprises de moins de cinquante salariés de dénoncer le harcèlement : la saisine de l’inspection du travail. Dans une petite entreprise, cela me paraît un instrument beaucoup plus pertinent que le droit d’alerte pour répondre aux problèmes d’atteintes aux droits des personnes. Lorsque l’inspecteur ou le contrôleur du travail se déplace pour rencontrer l’employeur, les conséquences sont fortes et immédiates.

M. Boris Vallaud. Vos propos démontrent en creux que les syndicats sont bien utiles dans les TPE, car ils disposent d’une expertise, d’une assise et d’une indépendance précieuses.

Vous décidez de supprimer le droit d’alerte au motif qu’il ne serait pas suffisamment effectif, mais son maintien n’aurait rien enlevé aux protections que vous évoquez. Ça ne marche pas, alors on supprime ! Ce choix ne me semble pas constituer une réponse à la hauteur des enjeux. Demandez à la déontologue de l’Assemblée nationale quelles difficultés elle rencontre pour traiter des questions de harcèlement en l’absence d’un droit d’alerte !

Mme Martine Wonner. Je suis extrêmement sensible aux questions que pose M. Boris Vallaud aussi bien qu’aux arguments du rapporteur.

Depuis hier, se tient à Strasbourg le congrès-salon Préventica consacré à la santé et à la sécurité au travail, qui rassemble des professionnels de santé, des employeurs et des salariés. Ils s’interrogent évidemment sur la fusion des instances représentatives du personnel et sur le droit d’alerte. L’une de mes attachées parlementaires, qui exerce par ailleurs le métier de préventeur en risques psychosociaux, assiste à ce congrès. Elle m’a rapporté que les échanges étaient très paisibles et les participants confiants dans l’avenir : ils restent attentifs aux évolutions en cours et souhaitent pouvoir utiliser la nouvelle instance au mieux, sans manifester aucune inquiétude à ce sujet.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement AS207 de Mme Caroline Fiat.

M. Jean-Hugues Ratenon. Le comité social et économique ne sera à même de contribuer à la valorisation des responsabilités syndicales et à une nouvelle organisation du dialogue social que si ses moyens sont renforcés par rapport à ceux des anciennes instances dont il est issu.

C’est la raison pour laquelle notre amendement AS207 élargit l’obligation de consultation du comité social et économique à des décisions qui en sont dispensées par l’ordonnance, comme une offre publique d’acquisition ou des projets d’accords collectifs. Nous ne comprenons pas pourquoi de tels projets, qui concernent directement les salariés, ne seraient pas soumis à une consultation préalable du comité social ou économique, sauf s’il s’agit de créer un effet de surprise, qui n’a pas grand-chose à voir avec la philosophie du dialogue social.

J’ose espérer que vous n’entendez pas autoriser l’usage de ces méthodes. Certains employeurs auraient peu de scrupules à profiter de la surprise pour imposer leurs vues. Je suis certain que vous serez favorable à une mesure qui permet de se prémunir d’une telle dérive.

Notre amendement donne également au comité social économique un droit de veto suspensif sur toutes les décisions sur lesquelles il est consulté, car nous voulons vraiment renforcer la démocratie sociale. Je ne doute donc pas que vous voterez cet amendement,

M. le rapporteur. Je ne voudrais pas vous décevoir, monsieur Ratenon, mais mon avis est défavorable.

Le comité social et économique est déjà obligatoirement consulté sur les décisions ayant un impact sur les conditions de travail ou le maintien dans l’emploi des salariés, dans le cadre des consultations récurrentes ou ponctuelles du comité. Les prérogatives des instances fusionnées sont donc maintenues. Cependant votre amendement va beaucoup plus loin : en imposant un droit de veto suspensif du comité social et économique sur toutes les décisions ayant une incidence sur les conditions de travail ou le maintien dans l’emploi des salariés, il va à l’encontre du pouvoir de gestion de l’employeur, et de la liberté d’entreprendre. Ce n’est pas ma conception du dialogue social.

La commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement AS206 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Nous avions cité le grand Jaurès dans l’hémicycle lors de l’examen du projet de loi d’habilitation : « La grande Révolution a rendu les Français rois dans la cité et les a laissés serfs dans lentreprise. »

La démocratie en entreprise est l’étape supplémentaire pour un État de droit moderne, et la condition de l’établissement de négociations collectives qui tendent vers l’équité entre les deux parties. Le dialogue social ne peut exister que si les parties peuvent s’exprimer. Il ne peut avoir lieu si les salariés n’ont pas de possibilité d’exprimer leur défiance par référendum dans des conditions décidées par leur représentant.

Le référendum n’a pas à être à la seule disposition du chef d’entreprise ; il est indispensable que les salariés puissent en prendre l’initiative. Cela permettrait d’instaurer un dialogue qui n’irait pas dans un seul sens.

M. le rapporteur. Je ne vous surprendrai pas en me déclarant défavorable à cet amendement très politique qui ne correspond ni à ma pensée ni à celle de la majorité présidentielle, et pas davantage, à mon sens, à celle du plus grand nombre.

Je suis très fermement opposé à votre proposition qui consiste à donner aux représentants du personnel dans l’entreprise la possibilité de voter en faveur ou en défaveur des dirigeants de l’entreprise, voire de leur employeur. Cela me semble en effet incompatible avec la liberté de gestion dont dispose ce dernier dans son entreprise, même si cette liberté doit bien sûr s’exercer dans le respect des dispositions légales.

D’autres outils permettent déjà aux représentants des salariés de s’exprimer sur la stratégie de l’entreprise ou les projets de l’employeur. Je pense, par exemple, à la consultation obligatoire du CSE avant toute décision de ce dernier, ou à la participation des salariés aux conseils d’administration et de surveillance. J’ai bien compris que vous vouliez aller plus loin, mais ces outils permettent de prendre en compte les revendications des salariés et de leurs représentants tout en respectant le pouvoir de gestion et la liberté d’entreprendre de l’employeur.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement AS188 de Mme Caroline Fiat.

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous nous opposons à ce qu’un accord d’entreprise puisse déterminer la fréquence des négociations ainsi que les informations nécessaires aux consultations à mettre à disposition des représentants du personnel.

En outre, les députés du groupe La France insoumise s’opposent fermement à ce que des accords d’entreprise puissent être conclus en l’absence de délégué syndical. Les représentants du personnel ne sont pas les meilleurs négociateurs pour les salariés car, contrairement aux délégués syndicaux, ils sont liés à une seule entreprise et n’ont donc pas de rattachement national et international susceptible de les aider à entretenir un rapport de force nécessaire à un véritable dialogue social.

De plus, la possibilité de négocier sans délégués syndicaux présente un risque d’inconstitutionnalité au regard de l’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par lintermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi quà la gestion des entreprises. » La possibilité de négocier sans délégués syndicaux nous paraît de nature à déroger à cette disposition qui appartient au bloc constitutionnel.

M. le rapporteur. Votre amendement vise à réduire la marge de négociation des délégués syndicaux ou des représentants du personnel dans l’entreprise. J’y suis défavorable sur le principe, puisque la philosophie du texte est d’encourager le dialogue social pour négocier au plus près du terrain les modalités applicables dans l’entreprise. Il n’est donc pas anormal de permettre aux délégués syndicaux de l’entreprise ou aux représentants du personnel de s’accorder sur le contenu ou la périodicité des consultations récurrentes du CSE ou sur le contenu de la base de données économiques et sociales. Je crois qu’il est indispensable de laisser les acteurs qui connaissent la réalité de l’entreprise adapter ces modalités aux enjeux qui les concernent.

Par ailleurs, il n’est pas question de contourner les organisations syndicales : la négociation entre l’employeur et les représentants du personnel ne peut intervenir qu’à défaut de délégué syndical dans l’entreprise. Si le délégué syndical est présent, il joue bien sûr tout son rôle.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS23 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Thibault Bazin. Cet amendement vise à rappeler que les compétences du comité d’entreprise sont limitatives et à donner une base légale positive à ce principe. Certains comités ont parfois une conception extensive de leurs prérogatives, notamment en finançant des actions politiques ou revendicatives totalement étrangères à leur mission.

M. le rapporteur. Cet amendement est satisfait par le droit : c’est comme si vous me demandiez si le CSE doit respecter la loi. La réponse est oui… Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle se saisit ensuite de lamendement AS22 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Thibault Bazin. Cet amendement prévoit l’obligation pour le CSE de recourir à la certification d’un commissaire aux comptes, comme c’est le cas pour les organisations syndicales. Il est spécifié que le commissaire aux comptes exercera l’ensemble des prérogatives attachées à sa mission, notamment le droit d’alerte s’il constate un risque pour la « continuité de lexploitation », autrement dit une situation de quasi-faillite.

M. le rapporteur. Je suppose que vous vouliez me tester et vérifier que j’avais bien lu toutes les ordonnances… Cette obligation, qui vous est chère, de recourir à un commissaire aux comptes, et qui pesait déjà sur le comité d’entreprise n’a en rien disparu. Votre amendement est satisfait par les articles L. 2315-73 et L. 2315-74 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1386.

M. Thibault Bazin. Ma lecture était moins attentive que la vôtre… Je retire mon amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement AS154 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Le projet d’ordonnance ne permet plus au suppléant d’assister aux réunions en présence du titulaire. Cela va à l’encontre de la qualité du dialogue social, notamment parce que le jour où le suppléant devra remplacer le titulaire, il ne connaîtra pas le dossier en cours. Par cet amendement, nous proposons de rétablir cette possibilité.

M. le rapporteur. Votre amendement se heurte à une autre logique : est-il possible de conduire de bonnes réunions à quarante personnes, dont la moitié serait des suppléants ? Nos échanges ici sont très policés mais je sais, pour en avoir animé quelques-unes, que, même si le président a la police des débats, les séances en IRP ne sont pas aussi simples que ce que nous vivons à l’Assemblée nationale où de surcroît il n’est pas question de négociation.

Le choix qui a été fait de ne plus autoriser la présence du suppléant aux réunions du comité répond une nouvelle fois à l’objectif d’efficacité poursuivi par la fusion des instances de représentation du personnel. Dans les grandes entreprises, par exemple, la présence des titulaires et des suppléants aux réunions du comité d’entreprise pouvait conduire dans certains cas à se retrouver très nombreux autour de la table ; or on n’a pas le même échange à vingt représentants qu’à quarante. Je souhaite donc maintenir la rédaction de l’ordonnance, qui rappelle que la vocation première du suppléant est de siéger en l’absence du titulaire.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS120 rectifié de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Les organisations syndicales sont invitées par l’employeur à négocier le protocole d’accord préélectoral pour l’organisation des élections des membres du CSE, mais, pour les petites entreprises, c’est-à-dire les entreprises entre onze et vingt salariés, vous conditionnez cette invitation au fait qu’au moins un salarié se soit porté candidat aux élections dans un délai de trente jours. Le rapporteur a d’ailleurs eu l’honnêteté de le dire dans son rapport, mais c’est une nouveauté discrète sur laquelle nous n’avons pas beaucoup échangé. Par cette disposition, vous rendez en réalité plus difficile l’implantation syndicale dans les petites entreprises. Je mettrai d’ailleurs en parallèle cette discussion et celle que nous avons déjà eue à l’article 8 de la première ordonnance.

L’entrée des organisations syndicales dans les PME se faisait traditionnellement à l’occasion de la négociation des protocoles préélectoraux. Avec ce nouveau texte, les organisations syndicales n’auront plus à être averties de l’organisation d’élections, sauf dans le cas improbable où un salarié se serait porté candidat avant toute négociation d’un protocole, avec les risques que cela comporte. C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet alinéa.

M. le rapporteur. L’article L. 2314-5 prévoit que, dans les entreprises de onze à vingt salariés, l’employeur n’est tenu d’inviter les organisations syndicales à négocier le protocole d’accord préélectoral que si au moins un salarié s’est porté candidat aux élections dans un délai de trente jours à compter de l’information des élections par l’employeur – et cette information est encore plus facile dans une petite entreprise. Inviter des délégués syndicaux à négocier un protocole d’accord électoral alors qu’il n’y a pas de candidat est un peu kafkaïen. Il ne s’agit pas d’éviter qu’il y ait des candidats, mais ce n’est pas la négociation par des délégués syndicaux d’un protocole d’élection qui va générer des candidats lorsqu’il n’y en a pas… Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

La commission est saisie de lamendement AS115 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement traite de la possibilité pour les salariés mis à disposition de voter pour l’élection du comité social et économique. Le texte proposé prévoit une condition de présence dans l’entreprise utilisatrice de douze mois continus pour y être électeur. Cette condition paraît excessive. C’est pourquoi nous proposons de réduire ce délai en prévoyant une condition de présence continue ou discontinue pendant les douze derniers mois.

M. le rapporteur. L’article L. 2314-23 prévoit que les salariés mis à disposition doivent justifier de douze mois de présence continue dans l’entreprise pour pouvoir voter à l’élection des membres du CSE. Cette condition d’éligibilité que vous jugez excessive et manipulable n’a pas changé par rapport à celle qui prévalait pour les délégués du personnel et le comité d’entreprise. Je vous renvoie aux articles L. 2314-18-1 et L. 2324-17-1 dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance, qui prévoyaient déjà une condition de douze mois de présence en continu dans l’entreprise. Cette condition est également requise pour les autres salariés de l’entreprise : il n’y a donc pas de raison de prévoir une dérogation. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Il n’est pas interdit de ne pas rester attaché à l’ordre ancien… Ce n’est d’ailleurs pas non plus votre appétence naturelle !

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS18 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Thibault Bazin. Cet amendement prévoit la possibilité d’une candidature libre pour un salarié au premier tour d’élections professionnelles ; mais après en avoir discuté entre-temps avec des experts, qui m’ont indiqué que cela pourrait être utilisé à mauvais escient et donner lieu à des candidatures masquées plutôt que sans étiquette, je le retire.

Cet amendement est retiré.

La commission examine lamendement AS233 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un amendement de clarification. La loi d’habilitation permettait au Gouvernement de limiter à trois mandats consécutifs le nombre de mandats maximal des membres du CSE, pour encourager le renouvellement des élus du personnel. L’ordonnance a prévu cette limite, qui s’applique à tous les CSE des entreprises de plus de cinquante salariés, mais elle ne l’a pas écrit clairement pour les membres du comité social et économique central et les membres du comité social et économique d’établissement. Par coordination, cet amendement vise donc à le préciser.

La commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS191 de Mme Caroline Fiat.

M. Adrien Quatennens. Le regroupement des trois instances représentatives du personnel en une seule donne à la nouvelle instance de larges prérogatives, notamment celles des anciens CHSCT. Or cette instance disposait d’une autonomie financière qui lui permettait de mener les expertises qui s’imposaient. En faisant contribuer le nouveau CSE à hauteur de 20 % du recours à nombre d’expertises, cette ordonnance le place dès sa création en situation d’asphyxie financière et risque de le contraindre à renoncer à certaines expertises pour des raisons budgétaires. Cet amendement vise à donner davantage de moyens au CSE pour accomplir les nombreuses tâches qui lui sont dévolues, en doublant le pourcentage de la masse salariale brute qui doit lui être versé par l’employeur pour subvenir à ses besoins en fonctionnement.

M. le rapporteur. Je partage sans doute avec M. Quatennens le souhait que ces entités disposent des moyens nécessaires pour fonctionner, mais il va un peu loin en proposant de doubler le budget de fonctionnement, ce qui asphyxierait, pour le coup, les employeurs. Le montant de la subvention de fonctionnement a déjà été augmenté par l’ordonnance de 0,02 % dans les grandes entreprises. En outre, pour toutes les entreprises qui mettent en place un conseil d’entreprise, le budget intègre l’intéressement et la participation, qui représentent en moyenne un mois de salaire en France. Ce sont des évolutions très significatives. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

La commission est saisie de lamendement AS117 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Le CSE peut délibérer pour consacrer une partie de son budget de fonctionnement à la formation des délégués syndicaux. Je rappelle qu’auparavant cette possibilité était aussi ouverte aux délégués du personnel. Nous proposons de transférer cette possibilité aux représentants de proximité du CSE. Cela renforcerait ces élus et permettrait de former des représentants qui sont là pour compenser les effets d’éloignement du terrain inhérents à une instance unique de représentation concentrant toutes les missions.

M. le rapporteur. Avis favorable. C’est une bonne idée de permettre au CSE de financer s’il le souhaite la formation des représentants de proximité.

Mme la ministre. Je partage l’avis du rapporteur.

M. Boris Vallaud. Qu’est-ce qui m’arrive ? (Sourires.) Merci !

La commission adopte cet amendement.

La commission examine ensuite lamendement AS116 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. La volonté d’assouplissement dans le cadre du nouveau comité s’exprime aussi sur la question du transfert d’éventuels reliquats, en fin d’exercice, de la subvention reçue au titre des activités sociales et culturelles ou de la subvention de fonctionnement : ceux-ci peuvent être transférés, par délibération du comité, du budget fonctionnement vers le budget ASC. Cette porosité des deux budgets est dangereuse car elle peut être source de dérives ; lors des auditions que nous avons menées, plusieurs syndicats nous l’ont signalé.

Mais je voudrais ici revenir sur un point précis. Le texte que vous proposez est ambigu et fait écho à des contentieux à répétition, la Cour de cassation ayant décidé qu’il y avait lieu de se référer au compte 641 et non à la déclaration annuelle des données sociales. Votre formulation pourrait signifier qu’on ne prend en compte que les rémunérations plafonnées, ce qui entraînerait une baisse drastique de la subvention. C’est pourquoi nous vous proposons cet amendement de clarification, qui précise que, « pour lapplication des dispositions du présent article, la masse salariale brute est constituée par lensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations considérés comme rémunérations par les dispositions de larticle L. 2421 du code de la sécurité sociale », pour signifier que l’on ne prend en considération que les rémunérations plafonnées. Je reconnais une erreur de rédaction puisque nous parlons de « cotisations », mais je ne doute pas, monsieur le rapporteur, que vous pouvez la corriger.

M. le rapporteur. Avis défavorable, mais nous visons en fait le même objectif : la rédaction de l’ordonnance vise justement à sécuriser les modalités de calcul de la masse salariale, alors que la base de calcul antérieure était le compte 641, auquel la jurisprudence avait ajouté ou dont elle avait retiré certains frais, ce qui prêtait à confusion, en renvoyant aux cotisations sociales mentionnées à l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale. La définition de l’ordonnance a le mérite d’être claire, puisque l’article énumère de manière limitative les cotisations sociales concernées. Dans la plupart des cas, le niveau de la subvention de fonctionnement devra augmenter pour les raisons que j’ai invoquées tout à l’heure.

M. Boris Vallaud. Je ne suis pas entièrement convaincu par la réponse, mais un peu déconcerté tout de même… Je retire donc l’amendement pour le retravailler d’ici à la séance.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement AS118 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. L’article L. 231579 du code du travail, tel qu’il résulte de l’ordonnance, prévoit qu’un accord peut déterminer le nombre d’expertises dans le cadre des consultations sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sur la situation économique et financière, et sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. Nous demandons la suppression de cet article qui suppose que les partenaires sociaux prévoient l’avenir et puissent savoir à l’avance le nombre d’expertises nécessaires.

M. le rapporteur. Avis défavorable, mais le sujet mérite explication. Vous souhaitez supprimer la possibilité de définir par accord le nombre d’expertises, sur une ou plusieurs années, pouvant porter sur les consultations récurrentes. Il s’agit bien d’un accord : accord d’entreprise ou, à défaut, entre l’employeur et le CSE. S’il n’y a pas d’accord, le nombre d’expertises continuera d’être fixé au cas par cas, en fonction des besoins. Comme cette disposition ne s’applique qu’aux consultations récurrentes du comité, assez facilement prévisibles, je ne vois pas ce qu’il y a d’anormal à permettre à un accord de recourir chaque année à un expert-comptable dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière, par exemple. Cela peut permettre aux financeurs, soit l’employeur seul, soit l’employeur et le CSE, de mieux planifier les coûts engendrés par ces expertises récurrentes.

M. Pierre Dharréville. Considérez-vous qu’il y a parfois trop de recours à des expertises ? Les ordonnances entendent-elles en limiter le nombre ? Si oui, pourquoi ?

M. le rapporteur. Je ne lis pas cela dans les ordonnances. Certaines expertises ont du sens. Il est bon que les représentants des salariés et les instances dans lesquelles ils siègent puissent s’accorder sur ce qu’est une expertise prioritaire. Le coût est très largement partagé, puisqu’il est supporté à hauteur de 80 % par l’employeur et de 20 % par l’instance. Je pense que c’est une mesure responsabilisante. En outre, l’ordonnance tendant à professionnaliser les membres de ces instances, ceux-ci seront conduits à donner des éclairages au CSE sans passer par des expertises externes.

M. Boris Vallaud. Pierre Dharréville a bien exprimé les doutes qui sont les nôtres et votre réponse en témoigne également. Je retire l’amendement, mais les doutes demeurent…

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement AS119 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement revient sur l’obligation pour l’expert de communiquer le coût prévisionnel de l’expertise. Or le Conseil constitutionnel a décidé le 13 octobre 2017 que l’obligation de fixer le coût prévisionnel est inutile : « En vertu de larticle L. 4614131 du code du travail, lemployeur peut contester le coût final de lexpertise décidée par le CHSCT devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été informé de ce coût. Dès lors, à la supposer établie, limpossibilité pour lemployeur de contester le coût prévisionnel de cette expertise ne constitue pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ». Nous proposons donc de supprimer cette mention qui crée une obligation inutile.

M. le rapporteur. Je n’ai pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel. Le Conseil s’est seulement penché sur la possibilité de contester le coût prévisionnel pour l’employeur, et il a d’ailleurs estimé que « limpossibilité pour lemployeur de contester le coût prévisionnel de lexpertise ne constituait pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ». Mais il ne s’est absolument pas prononcé sur l’utilité de ce coût prévisionnel, contrairement à ce que dit votre exposé sommaire. Or il me semble tout à fait normal, pour des raisons de trésorerie notamment, que l’employeur, lorsqu’il finance une expertise, puisse disposer d’une estimation de son coût. C’est même de saine gestion : nous ne faisons pas autrement dans nos propres maisons.

M. Boris Vallaud. J’ai parlé d’une obligation. Je pensais qu’on pouvait la réduire à une faculté.

M. le rapporteur. C’est bien une obligation.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS121 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Pour l’expertise, dans le cas de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, vous prévoyez que l’expert-comptable ait accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l’entreprise. Or aucune mention de même nature ne figure pour les autres expertises. Ces textes nous paraissent trop restrictifs par rapport aux documents nécessaires et à la pratique antérieure. Lors des auditions que nous avons menées, les organisations syndicales et les experts sociaux ont été unanimes : le droit à l’expertise est mis à mal dans ce texte. Nous proposons donc que l’expert ait accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l’entreprise, qu’il s’agisse de l’expertise dans le cadre des consultations récurrentes ou d’une consultation ponctuelle.

M. le rapporteur. Votre amendement propose de compléter l’article L. 2315-83 pour permettre à l’expert d’avoir accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes et à tous les documents dont il a besoin.

À mon sens, l’accès de l’expert « à tous les documents dont il a besoin » est déjà satisfait par la rédaction du même article L. 2315-83, qui dispose que « lemployeur fournit à lexpert les informations nécessaires à lexercice de sa mission ».

Qui plus est, l’accès aux documents est renforcé si nécessaire pour certains types d’expertise : ainsi, l’article L. 2315-93 précise que, lorsqu’il est saisi dans le cadre d’une opération de concentration, l’expert a accès aux documents de toutes les sociétés intéressées par l’opération.

Quant à l’accès de l’expert aux mêmes documents que le commissaire aux comptes, il peut se justifier pour certains types d’expertise, mais pas pour toutes. Or l’ordonnance prévoit déjà cet accès pour deux types d’expertise : l’expertise dans le cadre de la consultation récurrente sur la situation économique et financière, et toute expertise comptable ponctuelle.

Je préfère l’option retenue par l’ordonnance qui autorise l’accès de l’expert aux documents dont il a besoin lorsque ces documents ont un rapport avec sa mission, plutôt que d’ouvrir un accès généralisé à tous les documents de l’entreprise.

M. Boris Vallaud. Qui apprécie le bien-fondé de la demande de documents par l’expert ? Si c’est à la seule main de l’employeur, c’est une limite.

M. le rapporteur. Je vous réponds d’autant plus volontiers que c’est un sujet qui me passionne également. L’expert viendra en CSE présenter son rapport. Si l’expert commence sa présentation en disant : « Je nai pas eu accès aux documents dont javais besoin. », l’employeur est plutôt mal parti… Je parle d’expérience : ce n’est pas une question de confiance, c’est la vérité vraie de ce qu’on vit dans un comité d’entreprise. L’ordonnance contient tous les éléments nécessaires pour que les experts soient alimentés. Votre attente est légitime, mais elle est satisfaite.

La commission rejette cet amendement.

La commission examine ensuite lamendement AS126 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. L’article L. 231585 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de l’ordonnance, prévoit qu’un décret en Conseil d’État détermine pour chaque catégorie d’expertise le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport. Pourquoi les délais ne pourraient-ils être négociés ? Nous proposons de réintroduire cette possibilité.

M. le rapporteur. Dans la rédaction antérieure aux ordonnances, le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport pouvait être défini par accord entre l’employeur et le comité ou, à défaut, par décret. L’article L. 2315-85 prévoit désormais de fixer par décret en Conseil d’État pour chaque catégorie d’expertise le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport. Cette disposition vise seulement à sécuriser l’expertise : les délais impartis à l’expert pour rendre son rapport doivent nécessairement s’intégrer dans les délais de consultation du CSE, et il existe en la matière des dispositions très contraignantes. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement AS127 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Il s’agit ici du délai de remise du rapport par l’expert. L’article L. 231585 prévoit qu’un décret en Conseil d’État détermine pour chaque catégorie d’expertise le délai maximal. Pourquoi ne pas prévoir la possibilité de déterminer les délais par voie de négociation ? Nous proposons de rétablir cette possibilité en précisant que le décret ne fixe pas le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport, mais seulement les conditions dans lesquelles le délai est fixé. Vous dites faire confiance au dialogue social et à la négociation, mais vous la limitez en fonction du sujet : elle est totale quand il s’agit de contourner les syndicats dans les TPE, mais sélective sitôt qu’il s’agit de la qualité du dialogue social…

M. le rapporteur. Je sens que vous me taquinez… En cas de recours à l’expertise, on est sur des éléments contraints, figés par la loi. On ne saurait déroger aux procédures et délais prévus. La plupart du temps, les expertises entrent dans des dispositifs eux-mêmes très normés.

La commission rejette cet amendement.

La commission examine lamendement AS128 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. L’article L. 2315-86 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance, prévoit que la saisine du juge suspend l’exécution de la décision du comité social et économique jusqu’à la notification du jugement.

Cette disposition générale s’applique à toutes les expertises, y compris celles visées à l’article L. 2315-96, qui concernent le recours à un expert habilité, notamment lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l’établissement.

Il est tout de même paradoxal de prévoir un recours suspensif pour l’expertise « risque grave » qui suppose un danger imminent.

M. le rapporteur. J’ai bien compris que vous ne vouliez pas tester ma mémoire, monsieur Aviragnet, mais je voudrais tout de même partager avec vous la manière dont j’ai vécu ce type de difficultés dans une entreprise, comme d’autres peut-être, du côté des employeurs, des salariés ou des représentants syndicaux. L’employeur a une obligation de sécurité à l’égard des salariés : les ordonnances laissent tout cela en l’état et c’est tant mieux. C’est un élément de base. Ne jouons pas à nous faire peur : rien n’a changé.

Lorsque j’étais sollicité en tant que représentant de l’employeur dans le cas d’un risque grave, je ne commençais pas par répondre que j’allais diligenter une expertise : je me déplaçais moi-même immédiatement – ou j’envoyais quelqu’un du métier si besoin était. Car c’est ainsi que cela doit fonctionner, un employeur ne peut pas faire autrement : c’est sa responsabilité de protéger ses salariés. C’est dans l’esprit de tous, que l’on soit dans une grande ou une petite entreprise. C’est un élément de droit commun indiscutable et rien n’a que changé en la matière avec les ordonnances.

Imaginons maintenant que l’on ait affaire à un employeur peu sérieux, en tout cas inconscient et en marge de la loi : comment le contraindre ? Le délai dans lequel le juge doit statuer, en la forme des référés, est déjà très court, puisqu’il est de dix jours en premier et dernier ressort à compter de la saisine. En cas de risque grave, identifié et actuel, on peut parier qu’il statuera dans un délai encore plus restreint si le danger est imminent.

Souvent, l’expertise arrive un peu plus tard, en effet, car elle permet surtout de corriger, par exemple lorsque l’on a constaté que le poste de travail ne convient pas. Mais quand une protection manque sur une scie, on n’attend pas une expertise ni un spécialiste éminent de l’hygiène et de la sécurité : on réagit immédiatement, c’est juste du comportement de bon sens.

Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.

M. Boris Vallaud. On peut être d’accord avec vous sur ce que devrait être la réaction d’un bon responsable dans une entreprise, mais je ne vois pas la contradiction entre votre expérience et la proposition que nous formulons : l’un n’empêche pas l’autre, on peut réagir et autoriser néanmoins l’expertise.

La commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement AS123 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Dans le cadre de l’expertise sur la situation économique et financière, l’ordonnance fait d’abord référence au recours à un « expert » puis évoque une mission et des documents « dexpert-comptable ». Nous vous proposons d’harmoniser les articles relatifs à l’expertise en retenant la notion d’« expert », utilisée à l’article L. 2315-88. Ainsi, le champ ne sera pas restreint aux seuls éléments comptables, mais permettra des expertises juridiques ou techniques en fonction des sujets.

M. le rapporteur. Nous avons déjà évoqué tout à l’heure le rôle des experts-comptables. Votre amendement vise à une harmonisation des rédactions dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques.

Le fait de confier à un expert-comptable l’expertise réalisée dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise n’a rien de nouveau : c’était déjà le cas dans la rédaction antérieure du code du travail. Nous sommes donc à droit constant et il n’y a pas de difficulté de lecture.

Il semble logique de recourir à un expert-comptable : l’expertise doit avant tout permettre d’éclairer les membres du CSE, comme auparavant ceux du CE, sur les comptes et la situation de l’entreprise. Il y a bel et bien une valeur ajoutée compte tenu de la technicité comptable, qui n’est pas nécessairement accessible à tous : l’expert vulgarise et permet une lecture indépendante des comptes.

Pour ce qui est de l’harmonisation rédactionnelle, ce sera l’objet de l’ordonnance de cohérence légistique évoquée lors de l’audition de la ministre ; mais, dans le cas présent, il s’agit bien d’un expert-comptable. Je suis donc défavorable à votre amendement.

M. Joël Aviragnet. Je suis tout à fait d’accord pour une harmonisation.

La commission rejette lamendement.

La commission en vient à lamendement AS124 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Dans la continuité du précédent, cet amendement tend, de la même manière, à retenir le terme général d’expert.

M. le rapporteur. Même réponse : il s’agit toujours d’un expert-comptable et nous sommes à droit constant. Je vous invite à retirer cet amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement AS122 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Nous sommes toujours dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière : il n’est pas précisé que l’expert a accès à tous les documents nécessaires à l’exercice de sa mission. L’articulation entre les différentes dispositions que vous nous proposez ne nous semble pas satisfaisante. Il s’agit certes d’éléments relativement techniques, mais un dialogue social de qualité ne peut se tenir que si les acteurs disposent d’expertises fiables et indépendantes, permettant d’éviter au maximum l’insécurité juridique. Nous proposons de préciser et de mieux coordonner ce droit essentiel.

M. le rapporteur. Nous aspirons également à un dialogue social de qualité, mais votre amendement me paraît satisfait par l’article L. 2315-83, aux termes duquel « lemployeur fournit à lexpert les informations nécessaires à lexercice de sa mission ». Cette rédaction, large, permet d’avoir recours à tout ce qui est nécessaire. C’est pourquoi je suis défavorable à votre amendement, que vous pourriez peut-être retirer.

M. Joël Aviragnet. Je le maintiens.

La commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement AS125 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Il s’agit cette fois de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, notamment les conditions de travail : l’ordonnance continue à faire référence à un « expert-comptable » ; cette rédaction mérite d’être améliorée.

M. le rapporteur. Je ne voudrais pas lancer un débat sur ce que sont les experts – ceux de la cour d’appel ou d’autres… Il s’agit bien ici d’un expert-comptable. On pourrait se demander s’il a une véritable valeur ajoutée en la matière, mais l’ordonnance n’a fait que reprendre une disposition du code du travail. Vous allez peut-être nous dire que rien n’empêche de faire encore mieux, mais je vous propose de rester à droit constant. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je reprends votre remarque à mon compte, monsieur le rapporteur : nous venons d’apporter bien des modifications au code du travail. Si nous pouvions y introduire quelques améliorations, ce ne serait pas un mal… L’expertise dont les entreprises et les salariés ont besoin ne se limite pas à des questions de comptabilité : le champ peut être beaucoup plus large. Votre intention n’est probablement pas de le réduire et il serait bénéfique d’éclaircir un peu la question.

M. le rapporteur. Je suis en partie d’accord : certains sujets exigent d’autres niveaux d’expertise. En cas de projet important, ayant un impact sur les conditions de santé et de sécurité ou sur les conditions de travail des salariés, c’est bien à un expert, et pas nécessairement à un expert-comptable, que le CSE peut faire appel. Je crois que cela répond à votre question.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement AS168 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché. Cet amendement, déposé par le groupe La République en marche, vise à renforcer les compétences du conseil d’entreprise. Pour les entreprises d’une certaine taille ayant conclu un accord en la matière, les ordonnances permettent d’aller au-delà de l’instance unique de représentation qu’est le comité social et économique (CSE), en le fusionnant avec les délégués syndicaux. Le conseil d’entreprise ainsi créé disposera à la fois d’une capacité de représenter les salariés et de négocier. Alors qu’il doit devenir une véritable instance de codécision au sein de l’entreprise, les ordonnances ne lui reconnaissent qu’un nombre limité de compétences. Nous souhaitons, par cet amendement, que le champ de compétence ne soit plus limitatif : cette instance doit pouvoir connaître de tous les sujets concernant la vie de l’entreprise. Nous espérons qu’un maximum d’entreprises se saisiront de la possibilité qui leur sera offerte.

M. le rapporteur. Votre amendement vise à permettre au conseil d’entreprise de négocier l’ensemble des accords d’entreprise prévus par le code du travail, alors que l’ordonnance prévoit certaines exceptions, telles que l’accord relatif au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et le protocole d’accord préélectoral. Vous proposez donc de supprimer ces exceptions : je partage pleinement cette intention et j’espère que nous serons nombreux à la soutenir. Il me semble important d’encourager les organisations syndicales et les représentants du personnel à se regrouper au sein de cette nouvelle entité qu’est le conseil d’entreprise, en leur mettant tous les cartes en main pour négocier les accords d’entreprise. C’est l’esprit du texte et celui de la loi d’habilitation. Avis très favorable.

M. Pierre Dharréville. Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, il sera donc possible d’aller au-delà de la fusion entre les délégués du personnel, le comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le comité d’entreprise, en intégrant au nouveau comité social et économique, par accord majoritaire, les délégués syndicaux, l’instance s’appelant alors « conseil d’entreprise ». Cependant, il est prévu que dans certains cas, sur le contenu d’un PSE ou la négociation d’un accord préélectoral, les modalités de droit commun s’appliquent, à savoir une négociation avec les délégués syndicaux.

Or vous allez un peu plus loin en prévoyant que dans tous les cas, y compris le PSE et le droit électoral, le conseil d’entreprise sera compétent pour négocier et conclure un accord, au détriment de la négociation de droit commun qui fait appel aux délégués syndicaux. Cet amendement élargit donc la remise en cause du monopole syndical en matière de négociation : les grandes entreprises auront tout intérêt à fusionner les instances, y compris les délégués syndicaux, pour réduire le nombre d’élus, au risque de créer des négociateurs « maison », éloignés du terrain : ce n’est plus avec une ou plusieurs organisations syndicales que l’employeur négociera, d’égal à égal, mais avec de simples membres de la nouvelle instance. On remet ainsi en cause les quelques garanties qui permettent une véritable négociation sur des sujets aussi graves qu’un PSE.

Quant à la codécision dont parlait notre collègue Aurélien Taché, j’imagine qu’elle s’applique dans le respect de la liberté de gestion, soulignée tout à l’heure par le rapporteur ; mais cela mériterait un débat un peu plus approfondi.

Pour faire passer la pilule, l’amendement AS169, qui viendra ensuite en discussion, prévoit une contrepartie, une sorte de carotte pour ceux qui iraient dans cette direction, mais nous ne partageons pas l’état d’esprit de ces amendements.

M. Boris Vallaud. Je fais mien le point de vue qu’a bien exprimé Pierre Dharréville.

Mme la ministre. Le conseil d’entreprise, qui fait partie des innovations importantes de ces ordonnances, ne pourra être créé que par un accord majoritaire, si les entreprises et les organisations syndicales le souhaitent. On pourra ainsi donner au CSE la compétence de négocier des accords, ce qui est une première en France : dans certains domaines, que les acteurs détermineront eux-mêmes, il y aura la possibilité d’une codécision. Le conseil d’entreprise sera une forme d’instance plus aboutie et plus ambitieuse pour le dialogue social. Afin de bien marquer la différence, l’ordonnance a prévu qu’au moins deux domaines seraient concernés : l’égalité hommes-femmes et la formation professionnelle. Votre amendement propose de ne pas limiter les compétences du conseil d’entreprise ; j’y suis favorable car cela me paraît positif, plus logique et plus cohérent en matière de dialogue social. Afin de donner de la visibilité aux entreprises qui souhaitent négocier vite sur le sujet, je vous propose même de l’intégrer à l’ordonnance de cohérence légistique, ce qui permettra une application plus rapide.

M. Gérard Cherpion. C’était une demande que nous avions faite à l’époque, mais que vous n’aviez pas acceptée. Elle revient et nous la soutenons.

M. Pierre Dharréville. Cette disposition a-t-elle été examinée dans la grande concertation dont vous nous avez vanté les mérites cet été ? Vous l’introduisez par amendement, alors que les ordonnances ont été publiées et ont fait l’objet de discussions… Je ne suis pas certain qu’une telle mesure soit de nature à apaiser le dialogue social que vous appelez de vos vœux. Vous aviez annoncé, me semble-t-il, que vous n’iriez pas jusque-là et les organisations syndicales en avaient pris acte, d’un air plutôt rassuré. Elles estimaient que ce serait aller vraiment beaucoup trop loin.

Mme la ministre. C’est plutôt le contraire. Nous n’avons pas probablement pas été assez précis dans la concertation : les organisations syndicales avaient plutôt compris qu’il n’y aurait pas de restriction. Elles ont donc été assez déçues, en particulier celles qui veulent s’engager dans cette démarche.

La commission adopte lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement AS169 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché. Je retire mon amendement, même si les moyens du conseil d’entreprise continuent à faire l’objet d’une préoccupation de notre part. Nous aurons l’occasion de faire d’autres propositions.

Lamendement est retiré.

La commission en vient à lamendement AS50 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), créés par les lois Auroux il y a trente-cinq ans, continuent de nous sembler indispensables pour la prévention des risques de santé au travail. Je viens de prendre connaissance d’une enquête assez approfondie sur les risques industriels qui confirme l’utilité de ces comités sur le terrain et demande même l’extension de leurs prérogatives. Il arrive que des CHSCT de différentes entreprises travaillent ensemble sur des sujets communs, pour essayer de faire avancer la cause de la santé au travail. Les dispositions que vous proposez vont mettre un coup d’arrêt aux démarches de ce type. Afin de garantir la santé des salariés, notre amendement vise à rétablir les CHSCT, qui sont supprimés par l’ordonnance relative à l’organisation du dialogue social dans l’entreprise. C’est une grande avancée sociale dont il faut, au contraire, pousser les feux encore un peu plus loin.

M. le rapporteur. La ministre a quasiment répondu sur le même sujet tout à l’heure, lors des questions au Gouvernement. Pour ma part, je ne suis évidemment pas hostile aux CHSCT : je suis favorable à ce qu’on travaille dans les entreprises sur l’ensemble des problématiques d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. C’est ce que prévoient les ordonnances. La question est de savoir dans quelles conditions le faire. Deux lectures s’affrontent : la vôtre, que vous venez de présenter, et celle que je partage avec le Gouvernement et un certain nombre de collègues.

Pour nous, c’est une chance de créer une instance où tout pourra être mis sur la table, y compris la santé des salariés – dont a rappelé tout à l’heure qu’il s’agit d’une responsabilité importante pour l’employeur. Au lieu de réfléchir classiquement à un changement d’horaires au sein du comité d’entreprise, puis d’avoir à traiter le sujet un trimestre plus tard dans le cadre du CHSCT, parce que cela conduit à faire travailler des salariés la nuit, on pourra le faire en même temps grâce au regroupement des instances.

Ce n’est pas seulement plus efficace, mais aussi plus pertinent pour les salariés : celui qui devient un travailleur de nuit en raison d’un changement d’horaires aura tout de suite droit à une visite chez le médecin du travail, ce qui peut conduire à une autre approche de sa situation ; de leur côté, les délégués du personnel pourront faire valoir que tel un salarié a des difficultés pour faire garder son enfant la nuit… Au lieu de découper en trois les questions qui se posent, on pourra les traiter globalement. Sur le fond, je pense que c’est ce que nous souhaitons tous et je voudrais vous rassurer : les prérogatives du CHSCT, qui sont importantes pour protéger la santé des salariés au travail, ne seront pas abandonnées avec le regroupement des instances.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement AS195 de Mme Caroline Fiat.

M. Adrien Quatennens. La loi Sapin 2 définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation, une menace ou un préjudice graves pour lintérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

Malgré cette disposition, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont été condamnés à de la prison avec sursis et à de fortes amendes alors qu’ils avaient permis de révéler l’énorme scandale des « LuxLeaks », qui ont précédé les révélations de cette semaine. Quelles sont les garanties pour les salariés qui ont permis de faire éclater le scandale récent des « Paradise Papers » en livrant certaines informations aux journalistes d’investigation ? En rédigeant cet amendement, nous avons également pensé à Céline Boussié, qui a dénoncé la violence systématique au sein d’un établissement médical : licenciée, elle a plongé dans la plus grande précarité, le droit du travail n’offrant aucune protection aux lanceurs d’alerte.

Nous proposons de renforcer leur statut en nous inscrivant dans la jurisprudence de la Cour de cassation : est atteint de nullité le licenciement d’un salarié au motif que celui-ci a relaté des faits de nature à caractériser des infractions pénales.

M. le rapporteur. Votre amendement assimile les lanceurs d’alerte aux salariés protégés. Je n’y suis pas favorable car le droit en vigueur les protège déjà, même s’ils sont différents des salariés mentionnés à l’article L. 2411-1 du code du travail, protégés au titre du mandat dont ils sont investis. Ce sont deux catégories différentes.

Les lanceurs d’alerte sont protégés contre le licenciement et toute mesure discriminatoire résultant de l’alerte lancée, en application de l’article L. 1132-3-3 du code du travail : « Aucune personne ne peut être écartée dune procédure de recrutement ou de laccès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire lobjet dune mesure discriminatoire, directe ou indirecte […], pour avoir relaté ou témoigné, de bonnes fois, de faits constitutifs dun délit ou dun crime dont il aurait eu connaissance dans lexercice de ses fonctions ». Le droit en vigueur apporte déjà une réponse à votre demande : même si leur cas n’est pas traité dans le même alinéa du code du travail, le salarié protégé comme le lanceur d’alerte ont droit à une protection, ce qui est au fond votre objectif.

J’ajoute, car j’ai l’ambition de vous convaincre, qu’en cas de nullité du licenciement d’un lanceur d’alerte, le barème prud’homal ne s’applique pas : l’indemnité due au salarié doit donc être au moins égale à six mois de salaire.

Si vous ne retirez pas votre amendement, je serai amené à donner un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS72 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Nous abordons un sujet majeur : les administrateurs salariés dans les grandes entreprises. Leur présence dans les conseils d’administration est un atout en matière sociale, mais aussi stratégique.

Sans revenir sur la loi du 14 juin 2013, ni sur celle relative au dialogue social de 2015, je rappelle que le seuil à partir duquel des administrateurs représentant les salariés doivent intégrer le conseil d’administration a été ramené de 5 000 à 1 000 salariés en France et de 10 000 à 5 000 dans le monde.

Deux ans après l’adoption de la loi relative au dialogue social, nous devons aller plus loin dans l’extension de la présence des administrateurs salariés, afin d’accroître la diversité des profils au sein des conseils d’administration, d’instaurer non plus « un modèle qui consacre la suprématie de lactionnaire dans la gestion de lentreprise mais bien un modèle au sein duquel la gouvernance dentreprise favorise linvestissement à long terme », comme le soulignait Jean-Louis Beffa, ancien PDG de Saint-Gobain, dans une tribune en 2015, et de diversifier les compétences et les expériences des administrateurs, facteur déterminant pour la performance des entreprises.

Nous proposons d’abaisser à 500 le seuil à partir duquel la présence d’administrateurs salariés est requise, tant pour les sociétés et les filiales dont le siège social est fixé sur le territoire national que pour celles où il est à l’étranger. Il nous paraît judicieux de développer davantage une forme de représentation et de participation des salariés qui favorise le dialogue social et donc la performance des entreprises.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Considérez-vous que vous avez défendu en même temps l’amendement suivant ?

M. Joël Aviragnet. Non, car il vient en complément de celui que nous examinons.

M. le rapporteur. Nous en avons débattu à l’occasion du projet de loi d’habilitation, qui a autorisé le Gouvernement à réviser les mesures relatives à la présence d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises. D’après mes échanges avec le Gouvernement, aucune mesure législative véritablement pertinente n’a été identifiée sur ce sujet – mais je laisserai la ministre compléter si elle le souhaite.

Par ailleurs, j’ai eu des retours assez contrastés sur la question des administrateurs salariés lors des auditions. Ces derniers sont soumis à un devoir de réserve, au même titre que les autres membres du conseil d’administration ou de surveillance, ce qui peut leur donner le sentiment d’être un peu coupés de leurs mandants : ils peuvent se faire l’expression de leurs questions, mais ils ne peuvent partager avec eux les réponses, ce qui est susceptible d’entraîner des frustrations. Par ailleurs, l’assemblée générale a aussi beaucoup de poids dans les décisions en France : or on n’y débat plus avec les administrateurs salariés, mais entre actionnaires.

En fait, même si ce n’est pas le terme que vous avez employé, vous me demandez si les administrateurs salariés ne seraient pas un bon outil pour développer la co-construction que nous appelons de nos vœux. Je suis un peu plus réservé depuis les auditions et je n’ai pas de réponse toute faite, mais je ne pense pas que ce soit nécessairement vers les administrateurs salariés qu’il faille se tourner. Il faut garder en tête l’objectif, qui est de mieux associer les salariés à la co-construction du bien commun qu’est l’entreprise, mais je ne crois pas que la modification du seuil soit la bonne solution. Par conséquent, avis défavorable.

Mme la ministre. La loi du 14 juin 2013 a créé le cadre juridique qui vise à permettre la représentation des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance des grandes sociétés – ce qui était extrêmement rare auparavant. Il convient de souligner que les salariés qui deviennent membres du conseil d’administration ont les mêmes pouvoirs, les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres administrateurs, à la différence des représentants du CE qui peuvent également siéger au sein des conseils d’administration.

Le nombre d’administrateurs représentant les salariés est de deux au moins dans les sociétés dont le nombre d’administrateurs est supérieur à douze, et d’un au moins dans les sociétés dont le nombre d’administrateurs est inférieur ou égal à douze. Afin de renforcer la présence des salariés dans les organes délibérants, la loi du 17 août 2015 a permis d’abaisser les seuils de mise en place des administrateurs salariés dans les sociétés employant au moins 1 000 salariés permanents – le seuil était auparavant de 5 000 salariés – dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins 5 000 permanents dans la société et ses filiales dans le cas inverse.

Où en est-on ? En ce qui concerne les entreprises de moins de 5 000 salariés, les nouvelles dispositions sont en train de se mettre en place. Pour les entreprises employant entre 1 000 et 5 000 salariés, les conditions prévues dans la loi du 17 août 2015 font que la mise en œuvre ne pourra intervenir qu’en 2018.

Compte tenu des avis contrastés des organisations syndicales et patronales et du fait que les dispositions de la loi de 2015 ne seront mises en œuvre qu’à la mi-2018, il ne nous a pas paru opportun d’envisager d’aller plus loin dans la mise en application de dispositions dont on ne peut pas encore mesurer toutes les conséquences, et sur lesquelles les organisations syndicales ne portent pas un jugement unanime.

Tout cela doit encore mûrir mais, pour ma part, j’estime que c’est lorsque l’entreprise et les organisations syndicales décideront d’aller jusqu’au conseil d’entreprise que les choses iront le plus vite : nous aurons alors affaire à une entreprise acceptant volontairement une part de codécision plus importante.

La loi de 2015 est en train de se mettre en œuvre, un peu lentement peut-être mais sûrement, par étapes, ce qui est sans doute le meilleur gage de réussite. Nous devons veiller à ne pas déstabiliser ce processus en cherchant à précipiter les choses : contentons-nous d’observer sa progression et ses effets.

Ayant moi-même vécu l’introduction des administrateurs salariés dans les grands groupes, je peux témoigner que cela a été fait avec ordre et méthode, ce qui permet aujourd’hui de considérer que les choses se sont bien passées, et que cette nouvelle présence apporte une valeur ajoutée. J’espère qu’il en sera de même dans les entreprises de taille plus modeste, et pour cela je n’estime pas opportun de procéder à une extension des dispositions évoquées en abaissant dès maintenant leur seuil d’application.

M. Joël Aviragnet. J’entends vos réserves, madame la ministre, mais elles sont fondées sur des arguments que nous avons déjà entendus il y a une dizaine d’années – et que nous entendrons malheureusement sans doute encore dans dix ans. Si tout le monde s’accorde à considérer que la présence des administrateurs est positive et que nous ne devons pas perdre de vue cet objectif, à un moment donné, il va bien falloir passer à l’acte !

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement AS73 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Cet amendement vient compléter le précédent en proposant qu’il y ait au moins deux administrateurs salariés dans les entreprises de 500 à 1 000 salariés, et que dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, ce nombre soit au moins égal au tiers sans pouvoir être inférieur à deux.

M. le rapporteur. Dans la mesure où cet amendement ne diffère du précédent que par les seuils retenus, j’émets à nouveau un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement AS218 de Mme Caroline Fiat.

M. Adrien Quatennens. Contrairement à ce que vous voulez nous faire croire, madame la ministre, en nous dressant un tableau angélique du marché du travail, la discrimination à lembauche est une réalité en France, et contraire aux principes fondamentaux de notre République. En mars 2017, lassociation ISM Corum a procédé à une opération de testing à la demande du ministère du travail. Pour cela, 1 500 paires de CV, soit 3 000 candidatures, ont été envoyées en réponse aux offres demploi de 43 grandes entreprises françaises de plus de 1 000 salariés, représentant neuf secteurs dactivité et réparties sur la France entière. Sur chaque paire de CV, seuls les noms et prénoms différaient : ils étaient à consonance « hexagonale » sur lun des CV et à consonance maghrébine sur lautre.

Sur 843 réponses positives reçues à ces 3 000 candidatures à des postes d’employés et de managers, 36 % favorisaient le candidat dit « hexagonal » et 16 % le candidat dit « maghrébin », ce qui fait apparaître un écart de 20 points, alors même que la formation, l’expérience, l’âge, le diplôme et l’adresse étaient équivalents – et la nationalité française, elle figurait explicitement sur chaque CV, en particulier sur ceux aux patronymes à consonance maghrébine.

Comme le souligne l’Observatoire des inégalités, la discrimination n’est pas seulement ethnique, mais aussi sociale, comme l’ont déjà montré de nombreuses études précédentes. C’est pourquoi nous souhaitons augmenter la fréquence de formation aux discriminations à l’embauche, afin de déconstruire les préjugés et les méconnaissances autour de cette question, et surtout afin d’étendre cette formation à l’ensemble des entreprises. Nous ne comprenons pas pourquoi les structures de moins de 300 salariés, qui constituent l’écrasante majorité des entreprises françaises, ne devraient pas prendre cette question au sérieux et tenter d’y répondre le plus justement possible.

M. le rapporteur. Je connais bien le sujet dont il est ici question et je comprends l’intention de votre amendement, que je trouve très intéressant.

La qualité du recrutement peut être très variable d’une entreprise à une autre et, en tout état de cause, personne ne peut s’improviser recruteur : c’est un vrai métier. Pour autant, je ne suis pas persuadé qu’il soit opportun de contraindre les entreprises, à partir d’un certain seuil, à suivre des formations à caractère récurrent.

Des progrès notables en la matière ont déjà été effectués avec la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017, qui oblige les employeurs chargés de missions de recrutement à suivre, au moins une fois tous les cinq ans, une formation à la non-discrimination à l’embauche. La plupart des grandes entreprises sont d’ores et déjà très sensibles à la problématique de la discrimination et s’attachent à ne pas être prises en défaut par ce genre de testing en faisant en sorte que le recrutement de leurs salariés soit conforme à la réalité de notre société. Laissons la loi du 27 janvier 2017 produire ses effets et amener à de nouveaux progrès en la matière.

Par ailleurs, la périodicité de deux ans que vous proposez ne constitue en rien un gage d’efficacité : ce qui compte, je le sais par expérience, c’est avant tout que le recrutement soit effectué par une personne rompue à cet exercice et disposant d’un accompagnement régulier – même après avoir suivi une formation de six mois, on peut être amené à agir de façon critiquable, faute d’avoir un regard suffisamment ouvert.

Je crois beaucoup à une pratique qui commence à se répandre, et qu’encourage Marlène Schiappa, qui consiste à désigner nommément les entreprises persistant dans un comportement qui ne saurait être qualifié de citoyen. En revanche, je ne suis pas convaincu de la nécessité de revenir sur le dispositif récemment entré en application ; votre amendement mériterait d’être retravaillé en dehors du cadre des ordonnances. En attendant, laissons à la loi « Égalité et citoyenneté » une chance de produire ses effets.

Mme la ministre. La discrimination à l’embauche est une réalité, nous en avons des preuves. Qu’elle soit de genre, d’origine ou relative au lieu d’habitation – ces deux critères étant souvent cumulatifs –, elle est évidemment condamnée par la loi. La question que nous devons nous poser est celle des moyens à mettre en œuvre pour combattre cette pratique : faut-il rajouter de la loi, ou existe-t-il d’autres moyens plus efficaces ?

Pour ce qui est de la formation, qui fait l’objet de cet amendement, la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a prévu une obligation de formation tous les cinq ans pour les salariés chargés d’une mission de recrutement au sein d’une entreprise d’au moins 300 salariés ; cette obligation vaut également pour toutes les entreprises spécialisées dans le recrutement, quel que soit leur effectif.

La vraie question n’est pas tant celle de la fréquence des formations que celle des comportements des entreprises, mais aussi des candidats à l’embauche. Si les entreprises pratiquant sciemment la discrimination doivent être condamnées, il existe une autre forme de discrimination, inconsciente cette fois : liée aux codes sociaux, elle pénalise certains candidats qui en ont une connaissance imparfaite, ce qui les empêche de franchir le cap des entretiens de recrutement, alors même qu’ils possèdent les qualifications requises. Dans ce dernier cas, les dispositions législatives, qui viennent d’être modifiées afin de renforcer la prise de conscience des recruteurs et d’améliorer leurs pratiques, ne régleront pas tous les problèmes. Il convient également de mener une action d’un autre type, plus large, et dans laquelle j’ai l’intention de m’investir. Pour ce faire, j’ai déjà reçu plusieurs associations, qui effectuent un travail d’accompagnement très efficace dans un domaine qu’elles connaissent très bien – ce qui est également mon cas, car je dispose d’une certaine expérience en la matière.

Nous devons donc, d’une part, appliquer rapidement la loi de janvier 2017 – ce qui reste à faire – et, d’autre part, mener des plans d’action à caractère plus large. Comme on a pu le voir en matière de harcèlement sexuel au cours de ces dernières semaines, la prise de conscience sur ces sujets est fondamentale : pas seulement celle des recruteurs, mais aussi celle de l’encadrement, qui va valider tel ou tel poste, et même celle des candidats, qui doivent être en mesure de connaître et de décoder les critères de recrutement. L’action collective à mener en la matière concerne les organisations patronales et syndicales, les services de l’État, Pôle emploi, les missions locales, etc. Bref, la mobilisation doit être générale sur ce sujet, et vous pouvez compter sur moi pour soutenir les actions qui seront menées.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement AS217 de Mme Caroline Fiat.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales supprime les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui avaient, entre autres vertus, la possibilité de prévenir les violences faites aux femmes et les cas de harcèlement ou de discrimination.

Leur disparition tombe particulièrement mal, en une période où la parole se libère sur le sexisme ordinaire, dont le lieu privilégié est le travail. Une femme sur cinq a déjà été confrontée à une situation de harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Ce sont les femmes qui subissent les décisions les plus contraignantes, comme le temps partiel imposé, et les inégalités de salaires sont toujours immenses – en moyenne de l’ordre de 27 %.

Selon le Défenseur des droits, 39 % des personnes homosexuelles déclarent souffrir de commentaires et d’attitudes négatives au travail.

Dans Orientation sexuelle et écart de salaire sur le marché du travail français : une identification indirecte, un article publié par l’INSEE en 2013, les économistes Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi constatent que les hommes homosexuels gagneraient en moyenne 6,3 % de moins que les hommes hétérosexuels dans le secteur privé, et 5,6 % de moins dans le secteur public. D’après la même étude, ces écarts de salaires s’accroissent lorsque l’employeur perçoit l’homosexualité du salarié avec certitude.

Enfin, selon le dernier rapport de SOS Homophobie, 17 % de cas supplémentaires de discriminations liés à la transsexualité ou à l’homosexualité lui ont été signalés d’une année à l’autre. Cette situation n’est pas suffisamment prise en compte au sein des entreprises. Le rapport nous révèle ainsi que « lorsque la victime a le courage de dénoncer une agression, lappui des supérieurs est loin dêtre toujours assuré, comme le raconte Flavien qui a reçu un accueil mitigé de ses supérieurs, qui ne veulent "pas faire de vagues" : sa supérieure directe lui demande de prendre les choses avec plus de légèreté après quil a entendu des propos homophobes sous la forme de "blagues" au cours dune réunion de cadres de son entreprise. Malgré les textes légaux, les LGBTphobies ne sont pas encore suffisamment reconnues et combattues dans le contexte professionnel ».

Maintenant que la parole s’est libérée, le législateur doit prendre le relais et faire en sorte que le droit protège les femmes, les homosexuels et toute personne victime de discriminations basées sur l’âge, l’apparence ou l’origine sociale.

M. le rapporteur. Cet amendement propose la création de comités de prévention du sexisme, de l’homophobie et des discriminations dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Or il existe déjà un véritable arsenal de dispositions destinées à lutter contre les fléaux dont il est ici question.

Premièrement, le salarié s’estimant victime d’une discrimination professionnelle peut saisir directement, c’est-à-dire sans aucun intermédiaire, le conseil des prud’hommes –  et dans la procédure qui va s’engager, c’est sur l’employeur que va peser l’essentiel de la charge de la preuve : comme on le voit, il s’agit d’un dispositif très favorable au salarié.

Deuxièmement, l’inspection du travail a elle aussi vocation à défendre les salariés victimes de discriminations. J’ai déjà eu l’occasion de côtoyer des inspecteurs et des contrôleurs du travail, mais aussi d’accompagner des salariés dans le cadre de rendez-vous avec des fonctionnaires de l’inspection du travail ; je sais à quel point ils sont attentifs aux plaintes pour discriminations. Par ailleurs, leur position extérieure au monde de l’entreprise est la garantie d’un regard neutre porté sur l’affaire qui leur est soumise, mais aussi d’un certain recul.

Troisièmement, pour les entreprises de plus de 50 salariés, le droit d’alerte permet aux représentants du personnel, en cas d’atteinte aux droits des personnes, de saisir l’employeur s’ils constatent une atteinte résultant de faits de harcèlement sexuel ou moral, ainsi que toute mesure discriminatoire dans l’entreprise.

Quatrièmement, le comité social et économique peut également « susciter toute initiative quil estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes », conformément à l’article L. 2312‑9 du code du travail.

Cinquièmement enfin, chacun peut saisir, directement et individuellement, le Défenseur des droits, dont les services, que je connais, sont extrêmement sérieux.

Comme vous le voyez, il existe déjà un grand nombre d’interlocuteurs susceptibles d’intervenir pour accompagner une personne s’estimant victime de discrimination. Ils sont tous compétents, investis et capables de déclencher des actions visant à protéger le salarié. S’il n’existait que des dispositifs inopérants, je pourrais penser que votre proposition est utile, mas ce n’est pas le cas : tout salarié estimant faire l’objet d’une discrimination a à sa disposition un arsenal de dispositifs extrêmement efficaces. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement, quand bien même le sujet me paraît excellent.

La commission rejette lamendement.

Elle examine les amendements AS20 et AS19 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Thibault Bazin. Ces deux amendements, que je défends ensemble dans un souci d’efficacité, ont trait à la problématique des seuils, qui peuvent limiter la croissance et le recrutement : on compte vingt-quatre fois plus d’entreprises de quarante-neuf salariés que d’entreprises de cinquante salariés. Il est vrai que cette question ne figure pas dans le champ d’habilitation de l’ordonnance.

L’amendement AS20 a pour objet de doubler la valeur numérique de tous les seuils sociaux dans les articles du code de travail et du code de la sécurité sociale qui en comportent.

Quant à l’amendement AS19, il vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement, au 1er janvier 2018, un rapport répertoriant l’ensemble des seuils sociaux et menant une réflexion sur les externalités négatives engendrées par les seuils, afin d’envisager la suppression de ceux-ci. Compte tenu du fait que nous sommes en pleine période budgétaire, je précise que nous serions disposés à reporter de quelques mois du délai de remise du rapport, afin de laisser au Gouvernement le temps d’y travailler.

M. le rapporteur. Sans doute ces amendements ont-ils été rédigés avec le concours de M. Lurton, qui évoque régulièrement la problématique des seuils.

La remise en cause les seuils ne me paraît pas constituer pas la meilleure approche pour fluidifier le marché du travail. Ce n’est en tout cas pas celle qui a été retenue dans les ordonnances, même si celles-ci visent à simplifier les choses et à donner plus de souplesse aux dispositifs, notamment afin de faciliter le dialogue social.

La définition arbitraire de nouveaux seuils risque, à mon avis, de créer de nouvelles rigidités, ou du moins de déplacer celles qui existaient précédemment. Au demeurant, les seuils sont souvent protecteurs des salariés ; pour ma part, je suis très attaché à la présence de représentants du personnel dans les entreprises dès 11 salariés, ainsi qu’au maintien dans toutes les entreprises d’au moins 50 salariés de compétences élargies pour les représentants du personnel – j’ai d’ailleurs dépensé beaucoup de temps et d’énergie cet après-midi à expliquer à plusieurs d’entre vous, inquiets à la perspective de voir certaines prérogatives disparaître, que ce ne serait pas le cas.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, je peux comprendre votre argumentation sur le fond et votre avis défavorable à l’amendement AS20 – d’autant qu’il porte sur un sujet situé en dehors du champ d’habilitation de l’ordonnance ; mais pourquoi repousser l’amendement AS19, qui propose de mener une réflexion sur le sujet ?

M. le rapporteur. Les deux amendements proposés portent sur la question des seuils, le rapport demandé par l’amendement AS19 ayant pour but d’engager un débat sur leur bien-fondé. En d’autres circonstances, je ne serais pas fermé à ce débat, mais force est de constater que les seuils ont aussi un rôle protecteur. En l’occurrence, nous sommes en présence d’ordonnances visant à simplifier les choses, et je ne pense pas que nous ayons à entrer dans un débat sur les seuils à l’occasion de l’examen du projet de loi visant à ratifier ces ordonnances, qui ont pour objet de créer les conditions d’un dialogue social rénové, simplifié et fluide, afin de donner de l’agilité à nos entreprises dans un contexte qui évolue, de favoriser l’initiative et l’emploi, et d’encourager ceux qui œuvrent pour l’intérêt général en acceptant la responsabilité consistant à représenter les salariés.

M. Sylvain Maillard. Nous avons déjà largement débattu de cette question des seuils dont nous ne méconnaissons pas l’importance. J’entends la réponse de M. le rapporteur, qui correspond à la position adoptée par le groupe La République en marche au terme d’une discussion en interne : on peut effectivement penser qu’en augmentant les seuils, on ne fait que déplacer les problèmes qu’ils peuvent créer. Cela dit, je me souviens également des propos de Mme la ministre, qui a indirectement ouvert la discussion sur ce point en disant que nous devions chercher par quels moyens nous pourrions favoriser la création d’emplois. Sur ce point, comment ne pas s’interroger sur le fait qu’il y a vingt-quatre fois plus d’entreprises de quarante-neuf salariés que d’entreprises de cinquante salariés ? Je ne sais pas si un rapport est nécessaire, mais il ne paraîtrait pas superflu d’engager au moins une réflexion, ne serait-ce que pour vérifier qu’il n’y a pas là un gisement d’emplois.

M. Gérard Cherpion. Il existe une multitude de seuils : ceux à dix, vingt ou cinquante salariés, mais aussi d’autres moins connus, par exemple celui de vingt-cinq salariés, à partir duquel la présence d’une cantine dans l’établissement devient obligatoire… Sans doute conviendrait-il de faire un peu de nettoyage parmi les différents seuils afin de permettre aux entreprises de gagner en visibilité, et surtout pour éviter que certaines d’entre elles n’aient tendance à éviter d’embaucher du personnel, de craindre de franchir l’un de ces seuils.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Maintenez-vous vos amendements, monsieur Bazin ?

M. Thibault Bazin. Serait-il possible de connaître lavis de Mme la ministre ?

Mme la ministre. Comme l’a expliqué M. le rapporteur, on peut toujours avoir l’impression d’avoir fait un progrès au moment où on déplace un seuil, mais en réalité on ne fait que déplacer le problème. Et supprimer tous les seuils reviendrait à imposer aux plus petites entreprises toutes les obligations des grandes, ce qui, tout le monde en conviendra, ne manquerait pas d’avoir un effet catastrophique en termes d’emploi.

En dehors des seuils à caractère fiscal et social, les ordonnances abordent surtout la question des seuils sous l’angle de la représentation et des modes de dialogue social dans les entreprises, différenciés en fonction du nombre de salariés – moins de cinquante, moins de vingt, moins de onze. Si l’idée selon laquelle les formes du dialogue social doivent conserver une certaine souplesse a été prise en compte, la fusion des trois IRP en une instance unique pour toutes les entreprises d’au moins onze salariés a déjà considérablement simplifié les choses ; il est permis de penser que, de ce point de vue, les ordonnances vont avoir un effet de lissage non négligeable, et sans doute inciter les petites et moyennes entreprises à progresser vers la taille supérieure, en les accompagnant dans cette démarche.

Laissons à ces évolutions très attendues le temps de produire leurs effets ; en l’état actuel, je ne vois pas l’urgence qu’il y aurait à établir un nouveau rapport sur la question des seuils.

La commission rejette successivement les amendements AS20 et AS19.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en avons fini avec les amendements portant articles additionnels visant à modifier l’ordonnance n° 2017-1386, et nous en revenons à l’amendement AS238 précédemment réservé.

La commission examine lamendement AS238 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à ratifier lordonnance n° 2017-1386, relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans lentreprise et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales.

Je ne reviendrai pas sur les échanges, au demeurant très intéressants, que nous avons eus au sujet de cette ordonnance, et m’attarderai plutôt sur trois autres dispositions de  cette deuxième ordonnance, dont nous avons peu parlé ici mais qui sont pourtant tout aussi importantes, puisqu’elles visent à favoriser et à valoriser l’exercice des responsabilités syndicales et de représentation : le renforcement de l’entretien de fin de mandat pour les titulaires de mandats syndicaux ; le renforcement de l’obligation de formation de l’employeur pour les salariés mis à disposition des organisations syndicales de salariés ; le maintien enfin, à la charge de l’employeur, de la rémunération intégrale des salariés bénéficiant d’un congé de formation économique, sociale et syndicale – nous avons peu parlé de ces dispositions, alors que ce congé concerne près de 50 000 salariés chaque année, auxquels il apporte beaucoup.

Il me paraissait important de souligner ces dispositions de l’ordonnance qui apportent des réponses concrètes aux défis posés par l’exercice d’un mandat syndical ou de représentation.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement de ratification de l’ordonnance n° 2017-1386.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je rappelle que les amendements identiques AS3 de M. Vallaud, AS173 de M. Dharréville et AS186 de Mme Fiat, tombés avec la rédaction globale de l’article 1er, visaient à modifier cette ordonnance. Si leurs auteurs souhaitent prendre la parole sur l’amendement du rapporteur, ils peuvent le faire.

M. Gérard Cherpion. La fusion des IRP était souhaitée et défendue depuis longtemps par notre groupe, qui se félicite de la création du comité social et économique. Nous serons attentifs à la manière dont les entreprises se saisiront ou pas du dispositif du conseil d’entreprise ; si nous souhaitions initialement l’intégration de la compétence de négociation dans l’instance fusionnée, nous considérons qu’un pas dans la bonne direction a été fait avec l’adoption d’un amendement visant à permettre une possibilité de négociation.

Par ailleurs, la valorisation des parcours syndicaux est une condition nécessaire au développement de la culture de dialogue social que portent les ordonnances. Notre groupe est donc favorable à la ratification de cette ordonnance.

M. Pierre Dharréville. Pour ma part, je suis défavorable à la ratification de cette ordonnance, ce qui ne surprendra personne, et je me contenterai de poser deux questions.

Premièrement, madame la ministre, j’ai toujours autant de mal à saisir ce qui vous a conduite à la conclusion que les CHSCT devaient fusionner au sein d’une instance unique : vous êtes-vous référée à des études, à des expertises, des avis particuliers ? Le cas échéant pouvez-vous nous indiquer lesquels ? Le bilan dressé par nombre d’organisations sur les IRP est éloquent : leur utilité et la qualité du travail qu’elles effectuent sont reconnues. Du coup, je reste un peu sur ma faim.

Deuxièmement, je me demande pourquoi le contenu de l’amendement adopté par notre commission, qui étend encore la possibilité de fusionner les instances, n’était initialement pas inscrit dans les ordonnances ; mais peut-être aurons-nous l’occasion d’en reparler.

La commission adopte lamendement.

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*     *

 

Article 5 [nouveau]
Ratification de lordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail

La présente ordonnance s’articule autour de cinq objectifs.

Le premier vise à sécuriser et rendre plus prévisibles la relation de travail et les effets de la rupture du contrat de travail, pour les salariés comme pour les employeurs. Il fait l’objet du titre Ier, dont les dispositions sont destinées :

– à favoriser l’accès par voie numérique aux normes légales et conventionnelles du droit du travail ;

– à fixer un barème applicable dans le cadre de l’indemnisation pour licenciement irrégulier ou sans cause réelle et sérieuse ;

– à faciliter la procédure et assouplir l’obligation de motivation du licenciement ;

– à réduire les délais de recours en cas de rupture du contrat de travail ;

– à alléger les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude et à aménager la procédure applicable en cas de contestation des avis d’inaptitude rendus par le médecin du travail ;

– à favoriser les dispositifs de gestion des emplois et des parcours professionnels ;

– et enfin, à améliorer et sécuriser les congés de mobilité et à créer des accords portant ruptures conventionnelles collectives.

Le deuxième objectif consiste à sécuriser le cadre propre au licenciement économique, en définissant le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, en assouplissant les obligations de reclassement interne, en revoyant la définition des critères d’ordre des licenciements, et en tirant les conséquences de la mise en place d’un comité social et économique (CSE) sur la procédure du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Le troisième objectif est de revoir les conditions du recours à certaines formes particulières de travail, en favorisant le recours au télétravail, en permettant à la négociation de branche de fixer les conditions de recours aux contrats à durée déterminée (CDD), aux contrats de travail temporaire et aux contrats à durée indéterminée (CDI) de chantier ou d’opération, en assouplissant les conditions de recours au travail de nuit par voie d’accord collectif, en favorisant le recours au prêt de main d’œuvre à but non lucratif, et enfin, en sécurisant la poursuite des contrats de travail entre deux entreprises prestataires dans le cadre d’un accord de branche étendu.

Le quatrième objectif vise à renforcer la juridiction prud’homale, en rendant la procédure plus efficace, d’une part, et en sécurisant d’autre part la prochaine désignation des conseillers prud’hommes, qui devrait intervenir au début de l’année 2018.

Enfin, le cinquième et dernier objectif est d’assouplir les conditions de versement de l’indemnité légale de licenciement tout en revalorisant son montant.


   titre premier : renforcer la prévisibilité et sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et leurs salariés

I.   garantir un meilleur accès au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles par la voie numérique

L’article 1er de la présente ordonnance pose le principe de la mise en place, au plus tard au 1er janvier 2020, d’un « code du travail numérique », garanti par le service public de la diffusion du droit par l’internet.

Il est pris en application du a) du 1° de l’article 3 de la loi d’habilitation du 15 septembre dernier qui a autorisé le Gouvernement à légiférer pour « charger lautorité administrative compétente de faciliter laccès par voie numérique de toute personne, y compris en situation de handicap, au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles qui lui sont applicables et en définissant les conditions dans lesquelles les personnes peuvent se prévaloir des informations obtenues dans ce cadre ».

Outre l’accès aux normes du droit du travail, ce dispositif est destiné à apporter des réponses aux demandes formulées par des salariés ou des employeurs sur leur situation juridique. L’objectif est de renseigner l’employeur et le salarié sur les dispositions applicables à leur situation particulière. Les modalités d’accès à ce dispositif, qui doit être gratuit,  permettront donc également aux organisations professionnelles d’employeurs et aux organisations syndicales de salariés d’utiliser ce service pour obtenir des informations sur la situation applicable à un salarié ou à un employeur.

L’accès à ce dispositif doit être gratuit.

D’après les informations transmises au rapporteur, le dispositif envisagé sera un outil ad hoc, distinct du site « Legifrance.fr », afin de rendre accessibles clairement les dispositions applicables à chacun, autrement dit, à afin de permettre l’individualisation des réponses apportées par le biais de cet outil.

Le II prévoit que dans le cadre d’un litige, un employeur ou un salarié qui se prévaudrait des informations obtenues par ce biais, serait présumé de bonne foi. Il s’agit d’instaurer une forme de « rescrit » permettant au justiciable de se prévaloir des dispositions juridiques applicables dans le cadre d’un contentieux.

Le rapporteur estime indispensable de penser l’articulation entre cet outil numérique d’accès au droit et la base de données nationale des accords collectifs, prévue par l’article 16 de la loi du 8 août 2016 et dont le déploiement était initialement envisagé le 1er septembre dernier.

II.   L’encadrement du montant de la réparation financière accordée par le juge prud’homal en cas de licenciement abusif

La loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social a autorisé le Gouvernement à prendre, dans un délai de six mois à compter de sa promulgation, toute mesure de nature législative visant à « modifier les dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement », en fixant « un référentiel obligatoire établi notamment en fonction de lancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Ce référentiel obligatoire est institué par le chapitre II de l’ordonnance n° 2017-1387 (articles 2 et 3), relatif à la réparation du licenciement irrégulier ou sans cause réelle et sérieuse.

1.   Un barème qui s’impose au juge pour fixer le montant des indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse

a.   Les planchers et plafonds applicables

Le barème obligatoire est instauré à l’article L. 1235-3. Il est applicable dans le cas d’un licenciement survenant sans cause réelle et sérieuse, si le salarié ou l’employeur ont refusé la proposition du juge de réintégrer le salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Auparavant, le juge était tenu d’octroyer au salarié une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne pouvait être inférieure aux salaires des six derniers mois ([33]). Désormais, le montant de l’indemnité octroyée par le juge doit être compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article (cf. tableau ci-après), qui tiennent compte du nombre d’années d’ancienneté du salarié dans l’entreprise. Elle est exprimée en mois de salaire brut.

● S’agissant de l’indemnité minimale versée par le juge, elle est fixée à :

– zéro mois pour les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté – sans changement par rapport à la situation antérieure ;

– un mois pour les salariés ayant une année d’ancienneté dans l’entreprise – ce qui représente une nouveauté par rapport au droit antérieure, qui ne prévoyait aucune indemnité minimale en deçà de deux ans d’ancienneté ;

– trois mois pour les salariés ayant une ancienneté égale ou supérieure à deux ans dans l’entreprise – contre six mois dans le droit antérieur.

● S’agissant de l’indemnité maximale fixée par le barème obligatoire, elle s’échelonne de un mois (pour une ancienneté inférieure à un an) à vingt mois (pour une ancienneté égale ou supérieure à trente ans).

Elle s’élève notamment à :

– deux mois pour un an d’ancienneté ;

– trois mois et demi pour deux ans d’ancienneté ;

– dix mois pour dix ans d’ancienneté ;

– quinze mois et demi pour vingt ans d’ancienneté.

Indemnités minimaleS et maximales versées à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, en fonction de son ancienneté dans l’entreprise

Ancienneté du salarié dans lentreprise
(en années complètes)

Indemnité minimale
(en mois de salaire brut)

Indemnité maximale
(en mois de salaire brut)

0

Sans objet

1

1

1

2

2

3

3,5

3

3

4

4

3

5

5

3

6

6

3

7

7

3

8

8

3

8

9

3

9

10

3

10

11

3

10,5

12

3

11

13

3

11,5

14

3

12

15

3

13

16

3

13,5

17

3

14

18

3

14,5

19

3

15

20

3

15,5

21

3

16

22

3

16,5

23

3

17

24

3

17,5

25

3

18

26

3

18,5

27

3

19

28

3

19,5

29

3

20

30 et au-delà

3

20

Source : Art. L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387.

b.   Des planchers dérogatoires dans les entreprises de moins de onze salariés

Par dérogation aux planchers applicables pour un salarié ayant une ancienneté inférieure ou égale à dix années, l’article L. 1235-3 prévoit, dans les entreprises de moins de onze salariés, des planchers d’indemnisation moins élevés, présentés dans le tableau ci-dessous.

Pour rappel, dans le droit applicable avant la publication de l’ordonnance n° 2017-1387, l’indemnité minimale de six mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne s’appliquait pas aux salariés des entreprises de moins de onze salariés.

 


Ancienneté du salarié dans lentreprise
(en années complètes)


Indemnité minimale
(en mois de salaire brut)

0

Sans objet

1

0,5

2

0,5

3

1

4

1

5

1,5

6

1,5

7

2

8

2

9

2,5

10

2,5

Source : Art. L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387.

Les plafonds applicables aux salariés des entreprises de moins de onze salariés sont cependant les mêmes que dans les entreprises d’au moins onze salariés.

2.   Modalités de cumul des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les autres indemnités versées en cas de rupture du contrat de travail

Dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387, l’article L. 1235-3 de l’ordonnance indique que, pour fixer le montant de l’indemnité, le juge « peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à loccasion de la rupture ».

Un amendement de M. Aurélien Taché (membre du groupe La République en marche) adopté par la commission des affaires sociales a toutefois exclu lindemnité légale de licenciement prévue à larticle L. 1234-9 du champ des indemnités pouvant être prises en compte par le juge pour fixer le montant de lindemnité accordée au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est toutefois précisé que l’indemnité versée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est cumulable, le cas échéant, avec plusieurs autres catégories d’indemnités pouvant être accordées par le juge, à savoir :

– l’indemnité accordée au salarié compris dans un licenciement pour motif économique, en cas de non-respect par l’employeur des procédures de consultation des instances de représentation du personnel ou de consultation de l’autorité administrative (article L. 1235-12) ;

– l’indemnité accordée au salarié en cas de non-respect par l’employeur de la priorité de réembauche (article L. 1235-13) ;

 lindemnité accordée au salarié en cas de procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où les instances de représentation du personnel nont pas été mises en place, alors que lentreprise est assujettie à cette obligation, et quaucun procès-verbal de carence na été établi (article L. 123515).

Toutefois, l’éventuel cumul des indemnités doit impérativement respecter les montants maximaux prévus par le barème obligatoire.

3.   Champ d’application du barème obligatoire

a.   Les licenciements et cas de rupture du contrat de travail soumis au barème

L’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 précise que les seuls licenciements concernés par le barème obligatoire sont les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L. 1235-3-2 nouveau du code du travail, s’y ajoutent également les cas de rupture du contrat de travail prononcées par le juge aux torts de l’employeur suite à une demande de résiliation judicaire, ou faisant suite à une demande du salarié dans le cadre de la procédure de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié suite à une prise d’acte ou à une démission motivée du salarié (article L. 1451-1 du même code).

Toutefois, la commission des affaires sociales a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que lorsqu’une rupture du contrat de travail fait suite à une demande de résiliation judiciaire ou à une prise d’acte consécutive à un manquement grave de l’employeur, les indemnités allouées par le juge ne sont pas soumises au barème si ce manquement est entaché d’une des nullités mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 1235-3-1.

b.   Les licenciements exclus de l’application du barème

Conformément à la loi d’habilitation, qui excluait de l’application du barème « les licenciements entachés par une faute de lemployeur dune exceptionnelle gravité, notamment par des actes de harcèlement ou de discrimination », l’article L. 1235-3-1 précise les cas de nullités dans lesquels le barème obligatoire défini à l’article L. 1235-3 n’est pas applicable. Il s’agit :

– de licenciements entachés de nullité en raison de la violation d’une liberté fondamentale ou de faits de harcèlement moral ou sexuel, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 du code du travail ;

– de licenciements discriminatoires dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 du même code ;

– de licenciements consécutifs à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 du même code, et en cas de dénonciation de crimes et délits ;

– de licenciements consécutifs à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie du même code ;

– de licenciements intervenus alors que le salarié bénéficie d’une protection spécifique en raison de la grossesse, de la maternité ou de la paternité (article L. 1225-71 du code du travail) ou suite à la survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (article L. 1226-18 du même code).

Dans ces différents cas de nullité du licenciement, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que la réintégration n’est pas possible, l’indemnité octroyée par le juge au salarié, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ce qui correspondant à l’indemnité plancher qui prévalait avant la publication de l’ordonnance n° 2017-1387. Elle est en outre due sans préjudice de l’indemnité légale, conventionnelle ou contractuelle.

De plus, lorsque le licenciement est intervenu alors que le salarié bénéficie d’une protection spécifique en raison de la grossesse, de la maternité ou de la maternité, cette indemnité est versée sans préjudice du paiement du salaire lorsqu’il est dû  qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Cette indemnité de six mois de salaire minimum peut également être octroyée par le juge :

– en cas d’inobservation par l’employeur des dispositions relatives à la grossesse, au congé de maternité ou de paternité (articles L. 1225-1 à L. 1225-28), au congé parental d’éducation ou au passage à temps partiel, au congé pour enfant malade ou au congé de présence parentale (articles L. 1225-35 à L. 1225-69) ;

– lorsqu’un licenciement consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié ou des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte, et en cas de refus de réintégration par l’une ou l’autre des parties (article L. 1226-15 du même code).

Par coordination, le 1° de l’article 3 de l’ordonnance n° 2017-1387 modifie les articles L. 1134-4 et L. 1144-3 du code du travail, respectivement relatifs aux sanctions applicables en cas de licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes, afin de rappeler que les indemnités octroyées par le juge dans ces cas particuliers sont soumises au plancher de six mois de salaire, et non aux limites définies par le barème obligatoire.

Le 2° du même article modifie également l’article L. 1225-71 du même code, afin d’exclure de l’application du barème obligatoire les indemnités versées en cas de licenciement intervenus alors que le salarié bénéficie d’une protection spécifique en raison de la grossesse, de la maternité ou de la paternité.

Enfin, le 3° du même article modifie l’article L. 1226-15 du même code pour préciser que l’indemnité octroyée par le juge au salarié lors d’un licenciement consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle doit être fixée conformément au plancher de six mois de salaire prévu par l’article L. 1235-3-1. Dans ce cas, l’indemnité octroyée par le juge se cumule avec l’indemnité compensatrice et l’indemnité spéciale de licenciement prévues à l’article L. 1226-14 du même code.

4.   Dispositions spécifiques au licenciement de salariés de moins de deux ans d’ancienneté ou au licenciement opéré dans une entreprise employant moins de onze salariés

L’article L. 1235-4 du code du travail dispose que lorsque le juge constate la nullité d’un licenciement reposant sur une discrimination (articles L. 1132-4 et L. 1134-4), une action en justice engagée sur le fondement des dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L. 1144-3), des faits de harcèlement moral (articles L. 1152-3 et L. 1152-4), une cause qui n’est pas réelle ou sérieuse (article L. 1235-3) ou l’irrégularité d’une procédure de licenciement économique (article L. 1235-11), le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

L’article L. 1235-5 du code du travail, modifié par le 5° de l’article 2, précise que les dispositions relatives au remboursement des indemnités de chômage par l’employeur ne sont pas applicables au licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, lorsque ces licenciements méconnaissent les articles L. 1235-3, relatif à la cause réelle et sérieuse de licenciement, et L. 1235-11, relatif à l’irrégularité du licenciement irrégulier. Cette disposition figurait déjà dans l’ancienne version de l’article L. 1235-5.

En revanche, les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l’article L. 1235-2 et aux indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse prévues à l’article L. 1235-3 sont désormais pleinement applicables au licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise ou d’un salarié exerçant une activité dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

De même, selon le 8° de l’article 2 de l’ordonnance, qui supprime le troisième alinéa de l’article L. 1235-14, en cas de non-respect de la procédure de consultation des représentants du personnel et d’information de l’autorité administrative, les dispositions relatives à la sanction prévue à l’article L. 2312-12 du code du travail sont également applicables au licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise et au licenciement opéré par un employeur employant habituellement moins de onze salariés.

5.   Mesures de coordination

Afin de tirer toutes les conséquences de la mise en place du référentiel obligatoire, la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 autorisait le Gouvernement à supprimer « les dispositions relatives au référentiel indicatif mentionné à larticle L. 1235-1 du code du travail », ainsi qu’à modifier « les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par le même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail ».

a.   Suppression du barème indicatif

Le 1° de l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 supprime en conséquence le référentiel indicatif défini aux cinquième, sixième et septième alinéas de l’article L. 1235-1.

Pour mémoire, ce référentiel, instauré par la loi du 6 août 2015 ([34]), fixait le montant de lindemnité susceptible dêtre allouée par le juge prudhomal « en fonction notamment de lancienneté, de lâge et de la situation du demandeur par rapport à lemploi », en cas déchec de la conciliation. Compte tenu de son caractère indicatif, le juge nétait pas tenu dappliquer les montants dindemnisation y figurant, sauf si les parties en faisaient conjointement la demande.

b.   Modification de plusieurs planchers et plafonds

L’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 modifie ensuite plusieurs planchers et plafonds de dommages et intérêts fixés par le code du travail pour sanctionner les irrégularités liées à la rupture du contrat de travail :

● L’article L. 1235-11 prévoit les sanctions applicables lorsqu’un projet de licenciement concernant au moins dix salariés dans une période de trente jours est intervenu en l’absence de validation ou d’homologation de l’autorité administrative, ou en cas de refus de cette dernière. Lorsqu’il constate la nullité de cette procédure de licenciement, le juge peut :

– soit ordonner la poursuite du contrat de travail ;

– soit ordonner la réintégration du salarié à sa demande, sauf si cette réintégration est devenue possible.

À défaut, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur. Cette indemnité, qui ne pouvait auparavant être inférieure aux salaires des douze derniers mois, doit désormais être au moins égale aux salaires des six derniers mois (6° de l’article 2).

● Selon l’article L. 1235-13, le juge peut également accorder au salarié une indemnité pour non-respect de la priorité de réembauche prévue en cas de licenciement pour motif économique. Le montant minimal de cette indemnité est diminué de deux à un mois de salaire (3° de l’article 2).

6.   Modalités d’entrée en vigueur

En application du I de l’article 40 de l’ordonnance n° 2017-1387, les dispositions des articles 2 et 3 relatifs au barème obligatoire sont applicables aux licenciements prononcés après la publication de cette ordonnance.

III.   La sécurisation de la procédure et de la motivation du licenciement

L’article 4 de la présente ordonnance règle la question de la motivation du licenciement, souvent vécue comme un sujet d’angoisse par l’employeur comme par le salarié. Il répond aussi à la problématique de la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée en cas de non-respect de certaines obligations formelles.

Il aménage l’habilitation prévue au d) du 1° de l’article 3 de la loi n° 2017‑1340, qui permet au Gouvernement d’adapter « les règles de procédure et de motivation applicables aux décisions de licenciement ainsi que les conséquences à tirer du manquement éventuel à celles-ci, en amont ou lors du recours contentieux et [de] détermin[er] les conditions dans lesquelles le juge apprécie, en cas de pluralité de motifs, la réalité de la cause réelle et sérieuse du licenciement ainsi que celles dans lesquelles une irrégularité de procédure dans la conclusion du contrat à durée déterminée entraîne la requalification de celui-ci en contrat à durée indéterminée »

L’article 4 prévoit concrètement quatre choses :

– premièrement, il prévoit la mise en place d’un modèle de lettre de licenciement, afin de se prémunir contre l’aspect hasardeux que revêt l’obligation de licenciement dans l’esprit de nombreux employeurs ;

– deuxièmement, il ouvre une possibilité de précision de la motivation du licenciement en aval de l’envoi de la lettre et l’assimilation de l’insuffisance de motivation à un vice de forme, qui n’emporte pas mécaniquement l’irrégularité du licenciement ;

– troisièmement, il traite la question de la nullité du licenciement en présence d’une pluralité des motifs ;

– et enfin, il prévoit que la non-transmission dans les délais d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat de mission n’est plus un motif de requalification en CDI.

A.   un modèle « cerfa » comme support à la notification du licenciement

Les I et II de l’article 4 complètent les articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 du code du travail relatifs à la lettre de notification du licenciement, pour chaque cas de figure, qu’il s’agisse du licenciement pour motif personnel ou pour motif économique et que ce dernier soit individuel ou collectif.

Il sagit de renvoyer à un décret en Conseil dÉtat le soin de fixer les modèles que lemployeur peut utiliser pour procéder à la notification du licenciement. Ces modèles rappellent en outre les droits et obligations de chaque partie. Daprès les informations transmises au rapporteur, les modèles de lettre de licenciement devraient en particulier rappeler les droits et obligations consécutifs à la notification du licenciement, notamment lexécution ou la dispense du préavis, les modalités dutilisation des heures de recherche demploi, les documents à remettre par lemployeur, le respect le cas échéant dune clause de non-concurrence, la priorité de réembauche, le droit au congé de reclassement ou au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) selon le cas, ou encore la nouvelle possibilité de demander à lemployeur de préciser le ou les motifs du licenciement.

Le X de l’article 40 de la présente ordonnance prévoit que ces dispositions entrent en vigueur à la date de publication des décrets d’application, et au plus tard le 1er janvier 2018.

B.   La motivation du licenciement

1.   Le droit applicable avant ordonnance

Le tableau suivant résume le cadrage de la procédure de licenciement en fonction du type de licenciement envisagé.

 

 

Licenciement pour motif personnel

Licenciement économique individuel ou collectif de moins de dix salariés sur 30 jours

Licenciement économique collectif (plus de 10 salariés sur 30 jours)

Convocation à entretien préalable

 

 

L. 1232-2 / L. 1233-11 : Convocation par LR ou remise en main propre contre décharge.

Objet de la convocation.

Délai minimum de 5 jours ouvrables entre la présentation de la LR ou de la remise en main propre et la tenue de l’entretien préalable.

L. 1233-38 : En présence de DP ou d’un CE, non-application de la procédure d’entretien préalable

Déroulement de l’entretien préalable

L. 1232-3 / L. 1233-12 : énoncé des motifs de la décision envisagée et recueil des explications du salarié

Assistance du salarié

L. 1232-4 / L. 1233-13 : assistance possible du salarié par une personne de son choix appartenant à l’entreprise. En l’absence d’IRP, assistance par un membre du personnel de l’entreprise ou par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par la Direccte.

La lettre de convocation doit mentionner cette possibilité d’assistance et préciser l’adresse des services où est disponible cette liste.

Notification du licenciement

L. 1232-6 : LRAR

Énoncé du ou des motifs de licenciement

Délai minimum de 2 jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable pour l’envoi de la lettre de licenciement.

L. 1233-15 : LRAR

Délai minimal de 7 jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable pour l’envoi de la lettre de licenciement

Délai minimal de 15 jours ouvrables en cas de licenciement d’un membre du personnel encadrant

L. 1233-16 : Énoncé des motifs économiques du licenciement et priorité de réembauche du salarié

L. 1233-39 :

- Entreprises de moins de 50 salariés : LRAR

Délai minimal de 30 jours à compter de la notification du projet de licenciement à la Direccte (possibilité de fixer des délais plus longs par accord) ;

- Entreprises de plus de 50 salariés : LRAR après notification par la Direccte de la décision de validation ou d’homologation du PSE ou après expiration des délais impartis à la Direccte pour rendre sa décision

L. 1233-42 : Énoncé des motifs économiques du licenciement et priorité de réembauche du salarié

 

Ces quelques éléments procéduraux ont donné lieu à une jurisprudence foisonnante que le rapporteur a eu l’occasion de rappeler dans le cadre de son rapport sur le projet de loi d’habilitation ([35]) .

Rappelons toutefois que, s’agissant du formalisme de la lettre de notification :

– la jurisprudence estime que l’envoi en recommandé ne constitue pas une formalité substantielle et son inobservation ne rend pas le licenciement irrégulier ([36]) ; le juge a ainsi reconnu la validité d’un envoi par lettre simple ([37]) , mais également celle d’une lettre remise en main propre ([38])  ou encore notifiée par un huissier ([39]) ;

– en revanche, le délai de 2 jours ouvrables entre la date de l’entretien préalable et l’envoi de la lettre de licenciement est impératif.

S’agissant de la motivation elle-même, le ou les motifs énoncés dans la lettre de notification du licenciement fixent les limites du litige : autrement dit, la qualification donnée par l’employeur au licenciement s’impose à lui et il ne peut ni modifier ni compléter les motifs indiqués ([40]) . Le juge doit ainsi examiner l’ensemble des motifs énoncés dans la lettre et seulement ceux-ci. Cela n’interdit pas à l’employeur d’invoquer toutes les circonstances de fait permettant de les justifier.

La lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis, c’est-à-dire matériellement vérifiables, l’absence de motif précis équivalant à une absence de motif, autrement dit, à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L. 1235-2, en cas de  non-respect de la procédure de licenciement, et si ce dernier est toutefois jugé reposer sur une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Concrètement, lorsque le salarié conteste le caractère réel et sérieux de son licenciement, le juge considère que sa demande tend à faire réparer le préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse aussi bien que celui résultant de l’irrégularité de la procédure : en effet, la Cour de cassation a ainsi pu juger que la demande d’une indemnité pour licenciement abusif englobe nécessairement l’indemnité réparant l’irrégularité de la procédure ([41]) .

En outre, cette dernière indemnité, égale au plus à un mois de salaire, ne peut être cumulée avec l’indemnité pour licenciement abusif : autrement dit, elle n’est due que si le licenciement est par ailleurs jugé comme ayant une cause réelle et sérieuse ([42]).

Enfin, la sanction des irrégularités de procédure ne s’applique pas aux salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés (article L. 1235-5).

2.   Le droit issu de l’ordonnance

Le III de l’article 4 de la présente ordonnance a engagé une réécriture complète de l’article L. 1235-2 du code du travail, pour revoir la procédure de notification du licenciement. Les nouvelles dispositions ont vocation à entrer en vigueur à la date de publication des décrets d’application et au plus tard au 1er janvier 2018 (X de l’article 40 de la présente ordonnance).

Le III de l’article 4 prévoit en particulier que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement – qu’il s’agisse d’un motif personnel ou d’un motif économique  individuel ou collectif – peuvent, après la notification, « être précisés par lemployeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil dÉtat ».

Il convient de noter que la nouvelle rédaction de l’article L. 1235-2 prévoit bien que l’employeur peut être amené à préciser le ou les motifs déjà soulevés dans la lettre, mais non les compléter, autrement dit, ajouter un nouveau motif de licenciement : il s’agit là d’un point important, de nature à rassurer certains des acteurs du dialogue social qui voient dans cette disposition un contournement de l’obligation de motivation du licenciement.

La lettre ainsi précisée le cas échéant par l’employeur « fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement ».

Trois cas de figure sont précisés par la nouvelle rédaction.

a.   L’insuffisance de motivation désormais assimilée à une irrégularité strictement formelle

En premier lieu, si le salarié n’a pas formé auprès de l’employeur une demande de précision quant au motif de son licenciement, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

Cette modification revient à assimiler l’insuffisance de motivation à un vice de procédure, tel que sanctionné par une indemnité au plus égale à un mois de salaire, alors que dans le droit antérieur aux ordonnances, le défaut de motivation rendait ipso facto le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Autrement dit, l’irrégularité que constitue l’insuffisance de motivation devient une irrégularité formelle, alors que la jurisprudence antérieure l’assimilait à une irrégularité de fond, constitutive d’une absence de cause réelle et sérieuse.

b.   Le principe d’une indemnisation unique en cas d’absence de cause réelle et sérieuse couplée à une insuffisance de motivation

La nouvelle rédaction de l’article L. 1235-2 précise en outre qu’en l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l’indemnité allouée conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 : il s’agissait de préciser, à l’instar de la jurisprudence en la matière, que l’indemnité dont bénéficie le salarié en cas d’absence de cause réelle et sérieuse couvre l’éventuel préjudice résultant du vice de motivation.

c.   Le cas des autres irrégularités de procédure

En outre, si le licenciement est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse, une autre irrégularité de forme donne lieu, comme dans le droit antérieur, à une indemnité de réparation de l’irrégularité de la procédure au plus égale à un mois de salaire : cette rédaction permet de confirmer le non-cumul des indemnités, l’une relative à l’irrégularité du licenciement, l’autre au licenciement abusif. En revanche, contrairement au droit antérieur, ces irrégularités de procédure ne conduisent plus le juge à imposer à l’employeur d’accomplir la procédure prévue : en effet, matériellement, cette disposition n’avait guère de sens dès lors que la rupture de contrat est déjà soldée au moment où intervient la décision du juge.

Les irrégularités de forme auxquelles renvoie la nouvelle rédaction sont les suivantes :

– en matière de licenciement pour motif personnel,  la convocation à un entretien préalable et les délais et conditions qui l’encadrent (lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, mention de l’objet de la convocation et délai minimum de cinq jours ouvrables entre la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre et la tenue de l’entretien) prévus à l’article L. 1232-2 ; les conditions de déroulement de l’entretien préalable mentionnées à l’article L. 1232-3 (indication des motifs envisagés et recueil des explications du salarié) ; les conditions et modalités d’assistance du salarié au cours de son entretien préalable prévues à l’article L. 1232-4 ;

– en matière de licenciement pour motif économique – qu’il s’agisse d’un licenciement individuel ou d’un licenciement collectif de moins de dix salariés dans une même période de trente jours –, les mêmes conditions applicables à la convocation à l’entretien préalable, aux conditions de son déroulement et à l’assistance du salarié ;

– le non-respect de la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement.

C.   le cas spécifique de la nullité du licenciement pour contrariété à une liberté fondamendtale

1.   La jurisprudence récente

En principe, en matière de licenciement, la nullité ne peut être prononcée sans texte : ainsi, le code du travail prévoit-il la nullité d’un licenciement discriminatoire ou faisant suite à une action en justice du salarié fondée sur l’interdiction des discriminations (articles L. 1132-1 à L. 1132-4 et L. 1134-4), le licenciement économique prononcé en l’absence de validation ou d’homologation d’un PSE par l’administration (articles L. 1233-39, L. 1235-10 et L. 1235-11), ou encore un licenciement prononcé en méconnaissance du droit de grève (articles L. 1132-2 et L. 1132-4).

En pratique, deux situations identiques peuvent donc donner lieu à des solutions différentes, car hors des hypothèses légales, le licenciement irrégulier ne peut être sanctionné par la nullité : est nul un licenciement notifié à la suite d’une action en justice du salarié fondé sur le non-respect de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L. 1144-3) alors qu’est sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié intervenu à la suite de l’action en justice introduite sur le fondement de la violation du principe « à travail égal, salaire égal » (Cass. soc., 20 février 2008).

C’est pour répondre à cette difficulté d’un traitement différencié de situations identiques qu’une jurisprudence désormais constante a accordé au juge le pouvoir de prononcer la nullité d’un licenciement en cas de violation d’une liberté fondamentale, même en l’absence de dispositions légales ([43]) . S’agissant des libertés fondamentales pour lesquelles le juge a ainsi prononcé la nullité du licenciement, figure assez logiquement la liberté d’expression ([44])  ou encore le témoignage d’un lanceur d’alerte ([45]) , et enfin plus récemment, le droit d’agir en justice protégé par l’article L. 1121-1 du code du travail et par l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

En effet, dans deux arrêts successifs du 3 février 2016, puis du 8 février 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un licenciement manifestement intervenu en raison de l’action en justice intentée par le salarié qui demandait la résiliation judiciaire de son contrat : alors même que la lettre de licenciement soulevait d’autres motifs, la Cour de cassation a jugé que la seule mention de ce grief dans la lettre de rupture suffisait à emporter la nullité du licenciement, peu important que la décision de rompre le contrat ne soit pas exclusivement motivée par l’action en justice du salarié.

2.   Le droit issu de l’ordonnance

Le IV de l’article 4 de la présente ordonnance a inséré un nouvel article L. 1235-2-1 dans le code du travail pour traiter cette question particulièrement épineuse des cas de nullité d’un licenciement.

Cet article dispose qu’en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions prévues par l’article L. 1235-3-1, modifiées par l’article 2 de la même ordonnance qui prévoit qu’en cas de nullité du licenciement, et en l’absence de réintégration du salarié, ce dernier bénéficie d’une indemnité au moins égale aux six derniers mois de salaire.

En vertu du nouvel article L. 1235-2-1, le juge devra désormais, en présence d’une pluralité de motifs de licenciement et si l’un des griefs reprochés au salarié justifie à lui seul la nullité de la rupture, examiner l’ensemble des griefs énoncés afin d’apprécier le préjudice subi par le salarié licencié. Cela ne change rien au fait que le licenciement sera bien toujours un licenciement nul, mais le juge ne pourra plus se limiter, comme c’était le cas auparavant, à prendre en compte le seul motif de nullité – dit « motif contaminant » – pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement nul. Si les autres motifs invoqués sont fondés, il pourra en tenir compte pour fixer le montant de l’indemnité, dans le respect du plancher de six mois prévu en cas de nullité du licenciement à l’article L. 1235‑3‑1.

Les nouvelles dispositions de l’article L. 1235-2-1 sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de la présente ordonnance, autrement dit depuis le 23 septembre dernier (I de l’article 40 de l’ordonnance).

D.   la requalification en cdi en cas de non transmission dans les délais d’un cdd ou d’un contrat de mission

1.   Le droit antérieur aux ordonnances

● S’agissant d’un contrat à durée déterminée (CDD), l’article L. 1245-1 prévoit sa requalification en contrat à durée indéterminée (CDI) dans plusieurs cas :

– en cas de conclusion d’un CDD en dehors des cas autorisés ou pour pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (articles L. 1242-1 à L. 1242-4) ;

– en cas de conclusion d’un CDD pour remplacer un salarié gréviste ou effectuer des travaux dangereux (article L. 1242-6) ;

– en l’absence d’écrit ou d’une mention essentielle dans le contrat (article L. 1242-12) ;

– en cas de violation des règles sur le terme, la durée et le renouvellement du contrat (articles L. 1242-7, L. 1242-8 et L. 1243-13) ;

– en cas de non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs sur le même poste (articles L. 1244-3 et L. 1244-4) ;

– et enfin, en cas de poursuite de la relation contractuelle à l’échéance du terme (article L. 1243-11).

La demande de requalification est portée directement devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue au fond dans le délai d’un mois. Dans le cas d’une requalification, le juge octroie au salarié une indemnité de requalification au moins égale à un mois de salaire.

Or, alors même que le délai de transmission du contrat au salarié – de deux jours ouvrables à compter de l’embauche – prévu à l’article L. 1243-13 ne figure pas aux termes de la loi au rang des cas de requalification du contrat en CDI , la jurisprudence assimile le défaut de transmission du contrat écrit ou de l’avenant de renouvellement ou encore leur transmission tardive à un défaut d’écrit, entraînant donc la requalification du contrat en CDI ([46]) .

● En matière de travail temporaire, c’est l’article L. 1251-40 qui fixe les cas de requalification du contrat de mission en CDI auprès de l’entreprise utilisatrice. Il s’agit des cas suivants :

– en cas de conclusion d’un contrat de mission en dehors des cas autorisés ou pour pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (articles L. 1251-5 à L. 1251-7) ;

– en cas de conclusion d’un contrat de mission pour remplacer un salarié gréviste ou effectuer des travaux dangereux (article L. 1251-10) ;

– et enfin, en cas de violation des règles sur le terme, la durée et le renouvellement du contrat de mission (articles L. 1251-11, L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35).

La demande de requalification est portée directement devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue au fond dans le délai d’un mois. Dans le cas d’une requalification, le juge octroie au salarié, à la charge de l’entreprise utilisatrice, une indemnité de requalification au moins égale à un mois de salaire.

2.   Le droit applicable après ordonnances

Les V et VI de l’article 4 de la présente ordonnance ont pour intention de préciser la portée de la loi qui énumère les différents éléments donnant lieu à la requalification d’un CDD ou d’un contrat de mission de travail temporaire en CDI.

Ainsi, la loi na pas explicitement inclus le délai de transmission du contrat écrit au salarié dans les cas de figure entraînant la requalification du contrat. Le texte propose donc de compléter les articles L. 1245-1 et L. 1251-40 relatifs respectivement aux conditions de requalification dun CDD et dun contrat de mission en CDI, pour préciser que « la méconnaissance de lobligation de transmission dans le délai fixé pour chacun de ces types de contrat » – à larticle L. 1242-13 pour le CDD et à larticle L. 1251-17 pour le contrat de mission – « ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée ».

Le texte propose néanmoins de conserver le principe d’une indemnité d’au moins un mois de salaire versé dans ce cas au salarié, sans que désormais ce cas de figure n’entraîne la requalification automatique du contrat en CDI.

Conformément au I de l’article 40 de la présente ordonnance, ces dispositions sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à sa publication, autrement dit à compter du 23 septembre 2017.

IV.   le raccourcissement des délais de recours en cas de rupture du contrat de travail

Les articles 5 et 6 aménagent l’habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour réduire les délais de recours en cas de rupture du contrat de travail, conformément au d) du 1° de l’article 3 de la loi d’habilitation n° 2017-1340 du 15 septembre 2017.

A.   le droit antérieur aux ordonnances

Un salarié licencié peut évidemment contester, devant le conseil de prud’hommes, la régularité et le motif de son licenciement, que celui-ci ait été prononcé pour un motif économique ou pour un motif personnel.

La contestation de la régularité ou de la validité d’un licenciement se prescrit en principe par deux ans : il s’agit là de la règle de droit commun figurant à l’article L. 1471-1 du code du travail, qui, dans sa rédaction antérieure aux ordonnances, prévoit que « toute action portant sur lexécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui lexerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant dexercer son droit ».

Rappelons que ce délai avait été ramené de cinq ans à deux ans dans le cadre de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi qui a été mise en œuvre à la suite de l’accord national interprofessionnel intervenu le 11 janvier 2013.

Ce délai ne s’applique ni aux actions en réparation d’un dommage corporel occasionné dans le cadre de l’exécution du contrat de travail – qui se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage (article 2224 du code civil), ni aux actions en paiement ou en répétition du salaire, dont le délai de prescription est fixé à trois ans par l’article L. 3245-1 et pour des sommes dues ou indûment perçues au maximum pendant trois. Ce délai de deux ans n’est pas non plus applicable aux actions relatives à une discrimination (article
L. 1132–1) ou à des faits de harcèlement moral (article L. 1152-1) ou sexuel (article L. 1153-1), qui se prescrivent par cinq ans, délai de droit commun prévu à l’article 2224 du code civil.

Ce délai de droit commun ne fait en outre pas obstacle aux délais de prescription plus courts prévus par le code du travail.

En effet, l’action individuelle du salarié portant sur la régularité ou la validité de son licenciement pour motif économique se prescrit par douze mois à compter de sa notification, si et dans la mesure où ce délai figure bien dans la lettre de licenciement (article L. 1235-7).

Par ailleurs, la contestation d’une rupture de contrat de travail résultant de l’adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ou de son motif se prescrit par douze mois à partir de cette adhésion si et dans la mesure où ce délai figure bien dans la proposition de CSP (article L. 1233-67) ;

S’agissant de licenciements intervenus dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) :

– l’article L. 1235-7 prévoit que le délai de contestation de la régularité ou de la validité du licenciement intervenu sur ce fondement est de douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise. La jurisprudence a toutefois eu l’occasion de préciser l’application de ces dispositions, en estimant que ce délai n’est applicable qu’aux seules contestations de nature à entraîner la nullité de la procédure collective en raison de l’absence ou de l’insuffisance du PSE, et non à la contestation de la cause réelle et sérieuse de licenciement ([47]) ;

– l’article L. 1235-7-1 prévoit en outre que le délai de recours devant le juge administratif pour contester la décision d’homologation ou de validation du PSE par la Direccte est de deux mois à compter de la notification de la décision ;

Il convient enfin de rappeler que le délai de recours à l’encontre d’une rupture conventionnelle ayant fait l’objet d’une homologation ou d’un refus d’homologation par l’administration est également fixé à douze mois à compter de la notification de la décision administrative (article L. 1237-14), tandis que le solde de tout compte établi par l’employeur au moment de la rupture du contrat de travail peut être dénoncé par le salarié dans un délai de six mois suivant sa signature (article L. 1234-20).

B.   le droit applicable à l’issue des ordonnances

Les articles 5 et 6 de la présente ordonnance ramènent à un an le délai de droit commun en matière de rupture du contrat de travail.

Ainsi, l’article 5 procède à la réécriture de l’article L. 1235-7 jusque-là relatif au délai de douze mois applicable en matière de licenciement économique intervenu dans le cadre d’un PSE : ce délai reste fixé à douze mois, et le texte de l’ordonnance a d’une part procédé à une harmonisation, en substituant au comité d’entreprise le comité social et économique par ailleurs mis en place par les ordonnances, et en substituant d’autre part à la contestation de la régularité ou de la validité du licenciement la notion plus globale de contestation « portant sur le licenciement économique ».

En réalité, la nouvelle version de l’article L. 1235-7 permet d’englober toutes les contestations portant sur le licenciement pour motif économique et plus seulement les contestations en nullité des grands licenciements collectifs. En effet, la Cour de cassation avait jugé que le périmètre de cet article dans son ancienne rédaction était restreint aux licenciements économiques collectifs, excluant les recours en cas de licenciement pour motif économique individuel ([48]) .

L’article 6 ramène de deux ans à un an le délai de prescription de droit commun en matière de rupture du contrat de travail. Le 1° de l’article supprime la mention de la rupture du contrat au premier alinéa de l’article L. 1471-1, ce qui conduit à maintenir le délai de deux ans en cas d’action portant sur l’exécution du contrat de travail. Le 2° insère un nouvel alinéa à l’article L. 1471-1 pour introduire ce délai de prescription d’un an en matière de rupture du contrat de travail, et le 3° procède à une coordination.

Le II de l’article 40 de la présente ordonnance explicite les conditions d’entrée en vigueur de ces nouveaux délais de prescription :

– le nouveau délai d’un an s’applique aux prescriptions en cours, « sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure » : cela signifie concrètement que pour les contrats rompus depuis moins de deux ans, un nouveau délai d’un an s’applique à compter du 23 septembre 2017, dans la limite de deux ans au total ;

Les conditions d’entrée en vigueur du délai d’un an pour les prescriptions en cours

Pour un contrat rompu quinze mois avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le nouveau délai d’un an s’applique dans la limite de neuf mois.

Pour un contrat rompu neuf mois avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le nouveau délai d’un an s’applique. Au total, le délai de prescription pour ce contrat aura été de 21 mois – au lieu des 24 mois dans le droit antérieur.

Pour un contrat rompu trois mois avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le nouveau délai d’un an s’applique également en totalité : le délai complet aura été de 15 mois – au lieu de 24 mois dans le droit antérieur.

– lorsqu’une instance a été introduite avant la publication de l’ordonnance, soit avant le 23 septembre 2017, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne y compris en appel et en cassation. Il est en effet logique, pour des raisons de sécurité juridique, de ne pas modifier les règles de recevabilité des recours pour des instances déjà introduites.

V.   Clarifier et sécuriser la procédure de reclassement pour inaptitude

L’habilitation votée par le Parlement le 2 août dernier autorisait le Gouvernement, au e) du 1° de l’article 3, à légiférer en matière de reclassement pour inaptitude pour répondre à deux objectifs :

– celui de clarifier les obligations de l’employeur en la matière ;

– et celui de sécuriser les modalités de contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail.

A.   un Rappel de la réforme initiée par la loi du 8 août 2016

La loi du 8 août 2016 a initié une réforme importante des missions et des modalités de suivi des salariés par la médecine du travail et a, dans ce cadre, aménagé les règles relatives à la contestation par le salarié ou l’employeur de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail : ainsi, l’article L. 4624-7, dans sa rédaction antérieure à la publication des ordonnances, prévoit que si le salarié ou l’employeur souhaite contester les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, il peut saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel. L’affaire est directement portée devant la formation de référé, et le requérant doit saisir celle-ci dans les quinze jours de la notification de l’avis ou des mesures contestées, de même qu’il doit en informer le médecin du travail.

Le médecin-expert peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical en santé au travail du salarié.

La formation de référé ou, le cas échéant, le conseil de prud’hommes saisi au fond peut en outre charger le médecin inspecteur du travail d’une consultation relative à la contestation. Enfin, la formation de référé peut décider de ne pas mettre les frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive.

Cette procédure de contestation s’est appliquée aux avis médicaux d’inaptitude rendus par le médecin du travail à compter du 1er janvier 2017 et jusqu’à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Pour les avis rendus avant cette date, cette nouvelle procédure s’applique également dès lors que la contestation intervient à compter du 1er janvier 2017, à l’exception du délai de contestation qui reste fixé à deux mois, comme c’était le cas auparavant. S’agissant des avis rendus et des contestations formées avant cette date, l’ancienne procédure, qui était prévue par l’article R. 4624-35, continue de s’appliquer : elle prévoyait que le recours, qui devait énoncer les motifs de la contestation, était adressé dans un délai de deux mois à l’inspecteur du travail. La décision de ce dernier pouvait également être contestée dans un délai de deux mois devant le ministre chargé du travail.

La loi du 8 août 2016 n’a en revanche pas modifié en profondeur la procédure relative à l’obligation de reclassement par l’employeur : si elle a largement rapproché les régimes applicables respectivement à l’inaptitude d’origine professionnelle et à celle d’origine non professionnelle, elle n’a pas revu le périmètre du reclassement, qui pose pourtant des difficultés importantes aux employeurs. Sans revenir dans le détail sur des analyses déjà menées dans le cadre du rapport n° 19 sur le projet de loi d’habilitation, l’obligation théorique de l’employeur de proposer un reclassement à l’international n’a guère de sens en pratique, et génère un contentieux important.

La jurisprudence sur le périmètre du reclassement pour inaptitude

En cas d’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail, l’employeur doit proposer au salarié un « autre emploi approprié à ses capacités », compte tenu des « conclusions écrites du médecin du travail » et des « indications quil formule sur les capacités du salarié à exercer lune des tâches existantes dans lentreprise » ainsi que sur sa capacité « à bénéficier dune formation le préparant à occuper un poste adapté » (articles L. 1226-2 et L. 1226-10).

Aux termes des mêmes articles, cet emploi doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutation, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. La jurisprudence a eu l’occasion de préciser cet élément : ainsi, l’emploi proposé doit être compatible avec la qualification et le niveau de formation du salarié ; il doit être recherché parmi les emplois disponibles, y compris ceux pourvus par voie de CDD. La proposition de poste faite au salarié doit être la plus précise possible : elle doit ainsi mentionner la qualification correspondante, la rémunération et les horaires de travail.

Selon une jurisprudence constante, la recherche des possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait doit s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. La recherche doit ainsi être faite dans l’ensemble des établissements de l’entreprise ou dans le groupe auquel celle-ci appartient ([49]) , « parmi les entreprises dont les activités, lorganisation ou le lieu dexploitation permettent deffectuer la mutation de tout ou partie du personnel » ([50]). Sont également visées, les entreprises avec lesquelles l’employeur entretient des relations de partenariat offrant des possibilités de permutation du personnel.

Le juge a récemment considéré que l’employeur peut prendre en compte la position exprimée par le salarié pour déterminer le périmètre de ses recherches de reclassement ([51]). A contrario, le refus du salarié d’accepter un poste n’implique pas, à lui seul, le respect de son obligation par l’employeur ([52]) et ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement ([53]). L’employeur doit en effet en tirer les conséquences en lui faisant de nouvelles propositions de reclassement ou, en cas d’impossibilité, en procédant à son licenciement ([54]).

L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque le salarié s’est vu proposer un emploi conforme à ces critères.

Autrement dit, les conditions relatives aux offres de reclassement faites par l’employeur peuvent se révéler très contraignantes pour l’employeur, et leur mise en œuvre se révéler très incertaine, puisque le juge considère que ces principes s’appliquent même dans le cas où le salarié refuse sans motif légitime un poste de reclassement approprié à ses capacités et comparable à l’emploi précédemment évoqué : si un tel refus est abusif, il ne peut néanmoins pas justifier un licenciement pour faute ([55]).

B.   les modifications apportées par l’ordonnance

Les articles 7 et 8 de l’ordonnance ont ainsi proposé deux modifications majeures : il s’agissait d’une part de revoir le périmètre du reclassement pour inaptitude et de réorganiser d’autre part la procédure de contestation de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail.

1.   Le périmètre du reclassement pour inaptitude

L’article 7 de la présente ordonnance modifie le périmètre de reclassement du salarié déclaré inapte, que cette inaptitude soit d’origine professionnelle ou non professionnelle : pour l’heure, ce périmètre n’est pas défini en tant que tel, puisque les seules limitations apportées aux articles L. 1226-2 et L. 1226-10 concernant le champ du reclassement sont liées au type de poste proposé et aux capacités du salarié concerné.

Le périmètre du reclassement a été, on l’a vu, précisé par voie jurisprudentielle : ainsi, le juge estime-t-il que lorsque l’entreprise appartient à un groupe, la recherche des possibilités de reclassement doit s’effectuer parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ([56]) .

Le périmètre du reclassement pour inaptitude est désormais précisé grâce aux ordonnances, qui complète en effet le premier alinéa des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 respectivement applicables à l’inaptitude d’origine non professionnelle ou professionnelle : le périmètre correspond ainsi au périmètre de l’entreprise ou, si l’entreprise appartient à un groupe, aux entreprises du groupe situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Le rapporteur note que cette phrase mériterait d’être modifiée pour bien préciser qu’il s’agit des conditions qui « permettent d’assurer » la permutation de tout ou partie du personnel.

Il s’agit donc de reprendre dans la loi les précisions apportées par la jurisprudence, tout en limitant le périmètre du reclassement au territoire national, en présence d’un groupe.

Il convient néanmoins de noter que le texte procède également à une définition du groupe, la définition retenue étant en outre différente selon l’origine de l’inaptitude :

– ainsi, en matière d’inaptitude d’origine non professionnelle, le texte prévoit de retenir la définition du groupe prévue au I de l’article L. 2331-1, qui concerne le comité de groupe et qui entend le groupe comme étant « formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises quelle contrôle dans les conditions définies à larticle L. 233-1, aux I et II de larticle L. 233-3 et à larticle L. 233-16 du code de commerce » ;

– a contrario, s’agissant de l’inaptitude d’origine professionnelle, la définition du groupe retenue est différente : lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français, la définition du groupe correspond à celle prévue au I de l’article L. 2331-1. En revanche, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé hors de France, le groupe est considéré comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

D’après les informations transmises au rapporteur, cette différence de périmètre n’a en réalité pas lieu d’être et a vocation à être corrigée dans le cadre de l’ordonnance ultérieure qui doit intervenir pour assurer la cohérence légistique des modifications apportées  par les ordonnances du 22 septembre 2017.

Les nouvelles règles encadrant le périmètre du reclassement pour inaptitude sont, à défaut de dispositions réglementaires nécessaires pour aménager leur application, entrées en vigueur au lendemain de la publication de la présente ordonnance.

2.   La procédure de contestation des avis d’inaptitude

La procédure de contestation des avis d’inaptitude rendus par le médecin du travail concerne les seuls « éléments de nature médicale » ; en revanche, elle couvre non seulement les avis d’inaptitude, mais aussi les propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale. Sur ce point, la nouvelle rédaction de l’article L. 4624-7 n’apporte pas de modification.

Il convient de rappeler que cette procédure de contestation porte sur l’application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, qui concernent respectivement :

– la visite médicale d’aptitude dans le cadre du suivi médical renforcé des salariés affectés à un poste présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ;

– les mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail proposées par le médecin du travail, liées à des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mental des travailleurs ;

– ainsi que l’avis d’inaptitude lui-même, rendu par le médecin du travail, et obligatoirement éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications sur le reclassement du salarié.

Alors qu’avant le 1er janvier 2017, la contestation de l’avis d’inaptitude du médecin du travail relevait de l’inspection du travail, le texte de l’ordonnance ne modifie pas la compétence nouvelle confiée au conseil de prud’hommes siégeant en la forme des référés par la loi du 8 août 2016.

Les nouvelles dispositions prévoient en revanche explicitement que le médecin du travail, informé de la contestation, n’est pas partie au litige, là où la rédaction antérieure prévoyait que le demandeur devait informer le médecin du travail de sa saisine.

● La procédure en vigueur depuis le 1er janvier 2017 et jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance est la suivante : le conseil de prud’hommes procède à la désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel, qui peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical en santé au travail du salarié ; par ailleurs, la formation de référé ou, le cas échéant, le conseil de prud’hommes saisi au fond peut charger le médecin inspecteur du travail d’une consultation relative à la contestation. La mise en œuvre de cette nouvelle procédure se révèle en réalité non seulement trop coûteuse pour les parties – puisqu’un rapport d’expertise d’un médecin expert coûte en moyenne 600 euros –, mais surtout peu efficiente en raison de la pénurie de médecins experts, de difficultés liées à leur désignation et de la longueur de la procédure. Par ailleurs, les médecins experts ne sont pas souvent pas spécialisés en médecine du travail.

● C’est en particulier pour répondre à ces difficultés que la nouvelle rédaction de l’article L. 4624-7 tel qu’issu de l’ordonnance prévoit que le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin-inspecteur du travail territorialement compétent – en lieu et place du médecin expert – pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Celui-ci peut, le cas échéant, s’adjoindre le concours de tiers.

À la demande de l’employeur, les éléments médicaux contestés peuvent être notifiés au médecin que l’employeur mandate à cet effet. Le salarié est informé de cette notification.

Enfin, la décision du conseil de prud’hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.

L’instruction passe donc d’un médecin-expert au médecin-inspecteur du travail, alors que ce dernier n’était éventuellement désigné que pour une consultation relative à la contestation, à titre de support à l’instruction. Néanmoins, dans les deux cas, la désignation du médecin reste facultative. Le médecin inspecteur du travail, s’il est désigné, peut librement s’adjoindre le concours de tiers.

Les médecins inspecteurs du travail, au nombre de 31 en 2017, disposent d’une spécialisation en médecine du travail, et sont donc les mieux placés pour donner un avis sur l’adéquation entre l’état de santé du salarié et son poste de travail. Cette spécialité en médecine du travail leur confère une légitimité renforcée pour échanger avec le salarié, l’employeur et le médecin du travail et pour obtenir les informations nécessaires sur le poste et l’environnement de travail du salarié. En outre, la procédure confiée au médecin inspecteur du travail sera nécessairement moins longue et moins onéreuse que l’expertise réalisée par le médecin expert.

Afin de faire respecter le principe du contradictoire, les éléments médicaux ayant fondé l’avis du médecin du travail pourront, à la demande de l’employeur, être notifiés au médecin que l’employeur pourrait désormais mandater à cet effet : le rapporteur souligne qu’il ne s’agit pas d’un médecin désigné pour diligenter une contre-expertise, mais bien d’un simple « référent »,  qui sera chargé d’assurer le respect du secret médical, en communiquant à l’employeur un avis sans divulguer d’éléments médicaux à l’employeur.

S’agissant des honoraires et frais d’expertise, le texte antérieur prévoyait que la formation de référé pouvait décider de ne pas mettre les frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’était pas dilatoire ou abusive. Le texte issu des ordonnances dispose désormais que cette décision de ne pas mettre les dépens à la charge de la partie perdante concerne également les honoraires – et plus seulement les frais d’expertise – : il est d’ailleurs désormais fait référence, plus largement semble-t-il, aux honoraires et aux frais liés à la mesure d’instruction. En outre, il n’est désormais plus fait mention d’une action en justice dilatoire ou abusive : le conseil des prud’hommes est simplement tenu de motiver sa décision et peut d’ailleurs décider de ne pas mettre à la charge de la partie perdante soit la totalité, soit une partie seulement des frais concernés. Enfin, les tarifs afférents sont fixés par arrêté ministériel. Le rapporteur s’interroge sur l’inclusion dans ces honoraires et frais liés à l’instruction des frais liés au médecin mandaté par l’employeur.

L’article L. 4624-7 dans sa nouvelle rédaction a, en vertu du X de l’article 40 de la présente ordonnance, vocation à s’appliquer à la date de publication du décret en Conseil d’État qui doit fixer les conditions et les modalités de son application, et au plus tard, au 1er janvier 2018.

VI.   la suppression du contrat de génération

Conformément à l’objectif fixé par le f) du 1° de l’article 3 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017, l’article 9 de la présente ordonnance vise à favoriser et sécuriser les dispositifs de gestion des emplois et des parcours professionnels. En réalité, il s’agit plus simplement de supprimer le contrat de génération.

Mis en place par la loi n° 2013-185 du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération, ce dispositif s’inscrit bien dans une politique de gestion de la pyramide des âges pour l’entreprise et plus largement dans une politique de gestion des emplois et des parcours professionnels des salariés.

Rappelons brièvement que ce dispositif a été mis en place en vue de favoriser le maintien en emploi des seniors, l’insertion durable de jeunes dans l’emploi et la transmission de compétences dans l’entreprise. Il comprend deux volets : la négociation d’accords collectifs (ou l’élaboration de plans d’actions) dans les entreprises de plus de 50 salariés et une aide financière de 4 000 euros par an et par contrat conclu, versée pendant trois ans, pour les entreprises de moins de 300 salariés qui recrutent un jeune en CDI et maintiennent parallèlement en emploi ou recrutent un salarié expérimenté.

Son bilan est décevant : en effet, au 31 juillet 2017, 79 000 demandes d’aide seulement ont été formulées auprès de Pôle emploi depuis la création du dispositif en 2013 et un peu de moins de 64 000 ont été acceptées. Les entreprises ne se sont jamais réellement approprié cet outil, dont la mise en œuvre a sans doute paru trop complexe, entre l’obligation de négociation qui s’impose à ce titre pour les entreprises dépassant 50 salariés, et l’aide financière qui est réservée aux entreprises de moins de 300 salariés.

L’échec de ce dispositif plaide pour sa suppression.

C’est l’objet du II de l’article 9, qui a donc supprimé la section 4 du chapitre 1er du titre II du livre premier de la cinquième partie du code, entièrement consacrée au contrat de génération, et qui portait les articles L. 5121-6 à
L. 5121-21. Cette section complétait le chapitre relatif aux aides à l’adaptation des salariés aux évolutions de l’emploi et des compétences et à la gestion des âges.

En conséquence, le I supprime le deuxième alinéa de l’article L. 5121-3, qui permettait jusqu’alors aux entreprises s’engageant dans la mise en œuvre du contrat de génération de bénéficier du dispositif d’appui à la conception d’un plan de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, assorti d’une aide financière de l’État.

Enfin, le III prévoit que les aides afférentes au contrat de génération et dont la demande a été formulée par l’entreprise avant la publication de la présente ordonnance, autrement dit avant le 23 septembre 2017, sont versées dans leur intégralité, c’est-à-dire jusqu’au terme des trois ans correspondant à leur durée légale de versement.

Le rapporteur souligne que la suppression du contrat de génération et l’extinction progressive des aides financières afférentes ont logiquement conduit, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, à réduire le niveau de crédits prévus à ce titre en 2018 : en effet, le dispositif n’est pas crédité en autorisations d’engagement, et 67,7 millions d’euros sont prévus en crédits de paiement pour prévoir le versement des aides au titre des demandes enregistrées avant le 23 septembre dernier.

On notera également que l’articulation entre la négociation sur le contrat de génération d’une part et la négociation obligatoire au niveau de la branche et de l’entreprise d’autre part est également supprimée dans le cadre de la réécriture opérée par l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective ([57])  :

– L’article 6 sur la négociation de branche supprime en effet la possibilité jusqu’alors ouverte aux branches de négocier sur le contrat de génération dans le cadre de la négociation triennale sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ;

– L’article 7 sur la négociation d’entreprise supprime cette même possibilité jusqu’alors ouverte aux entreprises de plus de 300 salariés dans le cadre de la négociation triennale obligatoire sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.

On peut toutefois s’étonner que l’objectif de promotion et de sécurisation de la politique de GPEC ne se traduise au final que par la suppression d’un dispositif. En effet, dans le cadre du débat sur le projet de loi d’habilitation, ce volet devait théoriquement couvrir d’autres ambitions : il s’agissait notamment d’enrichir la négociation sur la GPEC de plusieurs items, et en particulier de « tenir compte de limpact de la transition numérique, afin dintégrer les bouleversements induits sur les organisations de travail par cette évolution dans une réflexion plus large sur les emplois et les compétences », comme le précisait l’étude d’impact. Il s’agissait également de mieux intégrer les enjeux intergénérationnels à la négociation d’entreprise, par la prise en compte de mesures d’âge dans ce cadre. Enfin, une meilleure mobilisation du congé de mobilité par les grandes entreprises devait être favorisée.

Si ce dernier point est bien mis en œuvre dans le cadre de l’article 10 de la présente ordonnance, aucun des autres points n’a été intégré dans le travail de réécriture des négociations sur la gestion des emplois et des compétences.

 

VII.   une meilleure mobilisation du congé de mobilité et la création des accords de ruptures conventionneles collectives

Le chapitre VII de la présente ordonnance, qui couvre les articles 10 à 14, procède à deux modifications majeures :

– Il propose une refonte du dispositif du congé de mobilité, qui permet aujourd’hui aux entreprises ou groupes de plus de 1 000 salariés, en amont d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), de proposer aux salariés menacés de licenciement économique une rupture de contrat inscrite dans un dispositif global d’accompagnement et de formation destiné à favoriser le retour à un emploi stable. Ce congé serait désormais ouvert pour un seuil d’effectifs dépassant 300 salariés ;

– Il ouvre en outre aux entreprises la possibilité de conclure, toujours en amont d’un PSE, un accord portant rupture conventionnelle collective et aménage les conditions applicables à la conclusion et à la mise en œuvre d’un tel accord.

Ces deux mesures s’inscrivent dans le cadre plus général de la négociation collective sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), qui s’impose aux entreprises ou groupes d’entreprises d’au moins 300 salariés, ainsi qu’aux entreprises et groupes de dimension communautaire comportant au moins une entreprise ou établissement d’au moins 150 salariés en France, bien que toute entreprise en deçà de ces seuils puisse engager une négociation sur ces questions.

Ces dispositions sont destinées à aménager le droit applicable conformément à l’habilitation votée par le Parlement définitivement le 2 août dernier, qui visait en particulier à favoriser et sécuriser les dispositifs de gestion des emplois et des parcours professionnels et à favoriser et sécuriser les plans de départs volontaires, en particulier en matière d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que d’accompagnement du salarié (f) et g) du 1° de l’article 3 de la loi d’habilitation).

L’article 10 complète le chapitre 7 du titre 3 du livre 2 de la première partie du code du travail, relatif aux autres cas de rupture du CDI, et qui couvre déjà la rupture conventionnelle individuelle, par une nouvelle section relative à la « rupture dun commun accord dans le cadre dun accord collectif », qui porte d’une part sur le congé de mobilité, et d’autre part sur l’accord portant rupture conventionnelle collective.

A.   favoriser une meilleure appropriation du congé de mobilité

Jusqu’alors limité aux entreprises ou établissements de plus de 1 000 salariés et aux entreprises ou groupes d’entreprises au sens retenu pour le comité de groupe ou le comité d’entreprise européen et employant au moins 1 000 salariés au total, le congé de mobilité constituait l’outil alternatif  au congé de reclassement : il s’inscrivait obligatoirement dans le cadre d’un accord de GPEC qui devait déterminer l’ensemble des conditions et modalités applicables à un tel congé – durée, modalités d’adhésion du salarié, organisation des périodes de travail au sein ou en dehors de l’entreprise, niveau de rémunération versé pendant le congé pour sa durée au-delà du préavis, niveau des indemnités de rupture garanties au salarié, etc..

S’il a été mis en place dans une logique d’anticipation des restructurations, le congé de mobilité est toutefois dans les faits devenu principalement un outil de substitution au congé de reclassement dans le cadre de restructurations, et cela sans doute pour partie parce que les dispositions qui l’encadrent étaient insérées dans le chapitre du code du travail consacré au licenciement économique.

La présente ordonnance, dans son article 14, a abrogé la sous-section 4 de la section 6 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail, jusqu’alors consacrée au congé de mobilité, pour réinsérer les dispositions afférentes dans une nouvelle sous-section 1 au sein de la section 4 du chapitre 7 du même titre, consacrée, on l’a dit, à la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif.

Le nouveau dispositif reprend globalement les dispositions antérieures, tout en apportant des modifications parfois importantes :

– le seuil d’effectifs des entreprises dans lesquelles il est possible de mettre en œuvre un congé de mobilité dans le cadre d’un accord de GPEC est ramené de 1 000 salariés à 300 salariés (nouvel article L. 1237-18). Ce seuil coïncide désormais avec le seuil d’effectifs des entreprises soumises à l’obligation de négocier sur la GPEC, à savoir les entreprises ou groupes d’entreprises d’au moins 300 salariés, ainsi que les entreprises et groupes de dimension communautaire comportant au moins une entreprise ou établissement d’au moins 150 salariés en France ;

– la nouvelle rédaction supprime la distinction entre la rémunération versée pendant la durée du préavis et celle versée pendant la durée du congé de mobilité qui excède le préavis, en renvoyant simplement à l’accord collectif le soin de déterminer les conditions de rémunération de ce congé (5° du nouvel article L. 1237-18-2) ;

– la suppression de l’obligation de verser des indemnités au moins égales aux indemnités conventionnelles dues en cas de licenciement, seule subsistant l’obligation de respecter le plancher des indemnités légales (7° du nouvel article L. 1237-18-2) ;

– la durée pendant laquelle la rémunération versée au salarié au titre de ce congé est exonérée de cotisations sociales passe de neuf à douze mois (nouvel article L. 1237-18-3) ;

– deux nouvelles dispositions sont introduites, l’une pour aménager le régime applicable aux salariés protégés qui bénéficient du congé de mobilité  (nouvel article L. 1237-18-4), l’autre pour prévoir l’information de la Direccte sur les ruptures de contrat prononcées par une entreprise dans le cadre d’un accord de mise en place du congé de mobilité (nouvel article L. 1237-18-5).

Il convient d’ailleurs de noter que dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, l’Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement ([58]), qui procède à l’alignement du régime fiscal et social des indemnités versées dans le cadre de la rupture à la suite de l’acceptation du congé de mobilité, comme d’ailleurs dans le cadre d’un accord portant rupture conventionnelle collective, sur le régime applicable aux indemnités versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, qui sont, rappelons-le, exonérées d’impôt sur le revenu. À vrai dire, s’agissant du congé de mobilité, ce régime fiscal et social était déjà applicable par assimilation de l’indemnité versée dans ce cadre à des indemnités  versées dans le cadre d’un licenciement économique, la disposition prise en PLF ne venant que le confirmer explicitement.

Enfin, le IV de l’article 40 de la présente ordonnance prévoit que les congés de mobilité conclus en application d’un accord de GPEC et acceptés par le salarié avant le 23 septembre dernier continuent à produire leurs effets jusqu’à leur terme dans les conditions applicables antérieurement à cette date. Les nouvelles dispositions s’appliquent donc aux congés de mobilité conclus dans le cadre d’accords de GPEC et acceptés par le salarié à compter du 23 septembre 2017.

B.   la mise en place des accords portant rupture conventionnelle collective

La sous-section 2 aménage les conditions et modalités d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective, qui font l’objet des nouveaux articles L. 1237-19 à L. 1237-19-14. Il s’agit de favoriser et sécuriser les plans de départs volontaires comme le prévoyait la loi d’habilitation, notamment en matière d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel et d’accompagnement du salarié.

Le rapporteur a eu l’occasion de décrire les principaux inconvénients du plan de départs volontaires au sein du rapport consacré au projet de loi d’habilitation ([59]). Il convient de rappeler brièvement que l’absence de cadre juridique des plans de départs volontaires a conduit à leur rendre applicables par défaut l’ensemble des contraintes et de la procédure applicable au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), dont il constitue généralement un volet, y compris les obligations de reclassement externe pesant sur l’employeur. Si la jurisprudence a pu considérer qu’un plan de départs volontaires qui exclut tout licenciement en aval n’oblige pas l’employeur à remplir les obligations de reclassement interne, celles-ci s’imposent néanmoins à l’employeur pour les salariés dont le licenciement est envisagé, dans l’hypothèse où l’objectif de suppression d’emplois n’est pas atteint au moyen des ruptures amiables. En outre, la procédure de licenciement collectif s’applique en cas de suppression d’emplois par la voie de départs volontaires, y compris si un tel plan de départs est négocié dans le cadre d’un accord de GPEC.

Les nouvelles dispositions introduites dans le cadre de la présente ordonnance permettent de répondre à cette problématique des plans de départs volontaires, en leur offrant un cadre juridique sui generis, qui s’inscrit dans la politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, plutôt que dans les contraintes propres aux entreprises confrontées à des difficultés économiques, en amont du PSE.

Toutefois, la création du régime de la rupture conventionnelle collective, distincte du PSE, ne fait pas obstacle au maintien du régime jurisprudentiel actuel applicable aux plans de départs volontaires mixtes – autrement dit, aux PSE comportant une phase préalable de volontariat – comme aux plans de départs volontaires autonomes – excluant tout licenciement .

1.   Le contexte d’un accord portant rupture conventionnelle collective

Le nouvel article L. 1237-19 prévoit qu’un accord collectif peut déterminer le contenu d’une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois. Il s’agit donc bien de se placer hors du cadre des difficultés économiques et partant, hors du cadre de la procédure applicable au licenciement pour motif économique, pour inscrire le dispositif dans un cadre de GPEC avec l’objectif de supprimer des emplois. La négociation d’un accord portant rupture conventionnelle collective est menée dans un objectif de « suppression demplois » : il s’agit bien d’une alternative au plan de sauvegarde de l’emploi, qui ne requiert donc pas, comme cette dernière, la justification du motif économique.

L’administration est informée « sans délai » de l’ouverture d’une négociation en vue d’un tel accord. Si l’information de l’administration semble en effet un prérequis indispensable, le rapporteur s’interroge sur la portée de cette absence de délai prévue par le texte. En effet, pour raisons de sécurité juridique et afin d’éviter des contentieux inutiles, il paraît indispensable de préciser dans quels délais – vingt-quatre heures, quarante-huit heures – l’administration est tenue informée de l’ouverture des négociations.

2.   Le contenu de l’accord

L’article L. 1237-19-1 définit le contenu obligatoire de l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective.

Cet accord doit déterminer en premier lieu les modalités et conditions d’information du comité social et économique (CSE). Il ne s’agit donc pas d’une consultation du CSE, qui n’est en conséquence pas logiquement appelé à émettre un avis sur le projet, mais est simplement tenue informé des conditions de cette négociation, selon des modalités fixées par l’accord lui-même.

L’accord détermine le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées, et la durée de mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective. Le rapporteur estime qu’il conviendrait de préciser ce dernier point, qui doit en réalité porter sur la durée pendant laquelle des ruptures de contrat peuvent être engagées sur le fondement de l’accord.

S’agissant des salariés concernés, l’accord collectif est également tenu de déterminer les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier, les critères de départage entre les potentiels candidats au départ, ainsi que les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ des salariés, parmi lesquelles figurent obligatoirement les conditions de transmission de l’accord écrit du salarié au dispositif prévu par l’accord collectif. Ces critères peuvent être divers : ils peuvent par exemple concerner l’appartenance à une catégorie de postes dits « sensibles », mais en tout état de cause, ils ne peuvent pas aller à l’encontre des dispositions de l’article L. 1132-1 relatif au principe de non-discrimination. La Direccte aura bien vocation à contrôler cet aspect dans le cadre de son contrôle sur la validation d’un accord portant rupture conventionnelle collective.

L’accord a bien vocation à fixer la procédure qui doit être mise en place par l’employeur vis-à-vis des candidats au départ, par exemple par la tenue d’entretiens individuels préalables avec les salariés, l’instauration d’un délai de réflexion au salarié pour confirmer sa candidature.

Au-delà du processus de « sélection des candidats » à la rupture conventionnelle collective, l’accord doit également:

– fixer les modalités de calcul des indemnités de rupture dont bénéficie le salarié, celles-ci ne pouvant être inférieures aux indemnités légales de licenciement;

– proposer des mesures destinées à faciliter le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience (VAE) ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes pour les salariés. Ces éléments correspondent aux outils de reclassement externe qui s’imposent dans le cadre d’un plan social qui figurent à l’article L. 1233-62.

Enfin, l’accord collectif doit déterminer les modalités de suivi de sa mise en œuvre effective.

S’agissant des indemnités de rupture versées au salarié dans le cadre d’un accord de rupture conventionnelle collective, rappelons que le projet de loi de finances prévoit bien de les faire bénéficier du régime fiscal et social favorable applicable aux indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), en vertu de l’article 80 duodecies du code général des impôts.

S’agissant du contenu de l’accord, le rapporteur estime que deux éléments mériteraient d’être précisés et enrichis :

– en premier lieu, les délais impartis pour la rupture individuelle du contrat d’un commun accord mériteraient d’être mieux encadrés, notamment par la fixation d’un délai raisonnable à l’employeur pour accepter la candidature du salarié ;

– en second lieu, l’accompagnement du salarié dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective gagnerait à être renforcé, en ouvrant par exemple la possibilité à de tels accords collectifs de faire bénéficier les salariés du congé de mobilité, quelle que soit la taille de l’entreprise concernée.

3.   Les conditions de la rupture du contrat

L’article L. 1237-9-2 définit les conditions de la rupture du contrat qui peut intervenir dans le cadre d’un tel accord.

L’acceptation par l’employeur de la candidature du salarié dans le cadre de la rupture conventionnelle collective emporte rupture du contrat de travail d’un commun accord des parties : autrement dit, c’est la candidature du salarié qui vaut pour ce dernier accord pour la rupture conventionnelle.

L’incertitude relative quant au point de départ de la rupture plaide pour une inclusion obligatoire dans l’accord collectif de la fixation des conditions de la rupture conventionnelle individuelle et notamment de délais de rétractation des parties : en particulier, il est important que l’employeur soit tenu de respecter un délai raisonnable pour engager la rupture du contrat avec le salarié qui a fait acte de candidature. Cette exigence d’un délai raisonnable a été rappelée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017 ([60]) .

La question pouvait se poser de savoir si une telle rupture de contrat pouvait s’appliquer à des salariés protégés : la solution retenue coïncide avec celle qui a prévalu s’agissant de la rupture conventionnelle individuelle à l’article L. 1237-15, à savoir que l’autorisation de l’inspecteur du travail est nécessaire pour engager une rupture conventionnelle avec un salarié protégé dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective, la rupture du contrat ne pouvant intervenir que le lendemain du jour où cette autorisation a été donnée. S’agissant des médecins du travail, la rupture du contrat est soumise à l’autorisation de l’inspecteur du travail après avis du médecin inspecteur du travail.

4.   Le pouvoir de contrôle et de validation de l’administration et ses conséquences

Alors que l’administration est, on l’a dit, informée en amont de l’ouverture d’une négociation sur une rupture conventionnelle collective, la Direccte est également destinataire de l’accord collectif conclu dans ce cadre, qui lui est soumis pour validation, comme le prévoit le nouvel article L. 1237-19-3. Le contrôle de l’administration sur l’accord est néanmoins encadré puisque celui-ci se limite à un contrôle strictement formel, et non à un contrôle de fond. Il se résume :

– à la vérification de la conformité de l’accord à l’article L. 1237-19, autrement dit à un accord qui exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs précis de suppression d’emplois. La rédaction choisie ne permet en tout cas pas à l’administration  de vérifier que le nombre de candidats « retenus » correspond bien à l’objectif chiffré poursuivi par l’accord collectif, puisque l’accord ne comporte pas de cadre particulier s’imposant à l’employeur – délais, formalisation des choix des salariés et de leur nombre – pour accepter les candidatures des salariés.

– à s’assurer de la présence dans l’accord des mesures prévues à l’article L. 1237-9-1, autrement dit, son contenu obligatoire. L’administration est donc tenue de vérifier que les différents items obligatoires figurent bien dans l’accord, sans considération de leur contenu ;

– et enfin, au contrôle de la régularité de la procédure d’information du comité social et économique.

D’après les informations transmises au rapporteur, le contrôle de l’administration portera sur le fond, puisque la validation d’un accord portant rupture conventionnelle collective repose sur le primat de la négociation collective au sein de l’entreprise. En particulier, l’administration veillera à certains points, comme :

– le respect des règles de majorité de droit commun de l’accord ;

– le respect de la procédure d’information des représentants du personnel prévue par l’accord ;

– et la présence d’un contenu obligatoire de l’accord.

L’administration veillera également au respect du principe de non‑discrimination entre les candidats au départ ainsi qu’aux mesures de reclassement externes prévues par l’accord. S’il n’y a pas d’interdiction de principe de choisir des candidatures de salariés seniors sur le fondement d’un projet professionnel, l’administration veillera au fait que cet outil ne soit pas instrumentalisé au service d’un objectif de rajeunissement de la pyramide des âges de l’entreprise au détriment de l’assurance chômage.

Aux termes du nouvel article L. 1237-19-4, la décision de validation ou de non-validation de la Direccte est notifiée dans les 15 jours à l’employeur, ainsi qu’au comité social et économique et aux organisations syndicales représentatives signataires de l’accord. Cette décision est motivée.

Le silence de l’administration à l’expiration du délai de 15 jours qui lui est imparti vaut décision de validation. Cette décision tacite de validation oblige l’employeur, dans ce cas, à transmettre une copie de la demande de validation, accompagnée de son accusé de réception par l’administration, aux mêmes interlocuteurs, – CES et organisations syndicales signataires.

La décision de validation de l’administration ou, le cas échéant, la demande de validation et son accusé de réception, ainsi que les voies et délais de recours sont portés à la connaissance des salariés par voie d’affichage sur leurs lieux de travail ou par tout autre moyen permettant de conférer date certaine à cette information.

L’article L. 1237-19-8 précise les différentes voies de recours qui s’offrent après validation et mise en œuvre de l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective. Deux voies de recours sont ainsi ouvertes :

– la première, qui porte sur l’accord lui-même, l’article L. 1237-19-8 disposant que toute contestation relative à l’accord collectif, au contenu de l’accord ou à la régularité de la procédure, doit prendre la forme d’une contestation de la décision de validation par l’administration ; autrement dit, aucune contestation ne peut faire l’objet d’un litige distinct de celui de la décision de validation.

Ces recours sont formés, instruits et jugés selon les modalités définies à l’article L. 1235-7-1, qui traitent des recours contre les décisions d’homologation ou de validation par l’administration des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) : les litiges afférents relèvent, en premier ressort, de la compétence du tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. Le recours doit être présenté soit par l’employeur dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l’administration, soit par les organisations syndicales et les salariés dans un même délai de deux mois à compter de la date à laquelle la décision de l’administration a été portée à leur connaissance.

Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois ; si, à l’issue de ce délai, il ne s’est pas prononcé ou en cas d’appel, le litige est porté devant la cour administrative d’appel, qui statue dans un délai de trois mois. Si, à l’issue de ce délai, la cour ne s’est pas prononcée ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d’État.

– la seconde, qui concerne toute autre contestation portant sur la rupture du contrat, doit être formée, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de douze mois à compter de la date de la rupture du contrat.

L’article L. 1237-19-5 précise la compétence territoriale de l’autorité administrative au titre de la validation de tels accords : il s’agit de la Direccte du lieu où l’entreprise ou l’établissement concerné par l’accord est établi – et non par le projet de plan de départ volontaire comme le prévoit par erreur le texte. Ce point doit être corrigé dans le cadre de l’ordonnance de cohérence légistique. En cas d’accord portant sur des établissements relevant de la compétence d’autorités différentes, le ministre chargé de l’emploi désigne l’autorité compétente.

Enfin, il convient de souligner l’importance de l’article L. 1237-19-6, qui dispose qu’en cas de refus de validation par l’administration, l’employeur souhaitant reprendre son projet présente une nouvelle demande après y avoir apporté les modifications nécessaires et informé le comité social et économique. Afin de dissiper tout malentendu sur la rédaction de cet article, qui pourrait laisser supposer que l’employeur peut, en seconde analyse, soumettre un projet amendé unilatéralement à l’administration pour validation, le rapporteur estime qu’une réécriture de cet article serait la bienvenue, afin de confirmer que tout nouveau projet soumis à l’administration doit repasser par la phase de négociation préalable applicable aux accords portant rupture conventionnelle collective.

5.   Les obligations de revitalisation des bassins d’emploi

Les articles L. 1237-19-9 à L. 1237-19-14 reprennent, sans autre modification que d’adaptation aux accords portant rupture conventionnelle collective, les obligations qui pèsent d’ores et déjà sur les entreprises de plus de 1 000 salariés lorsqu’elles procèdent à un licenciement économique et qui sont détaillées aux articles L. 1233-84 à L. 1233-90-1.

L’obligation de revitalisation des bassins d’emploi

L’obligation pour les entreprises qui procèdent à une fermeture totale ou partielle d’activités de contribuer à l’effort de revitalisation des sites est apparue avec la loi
n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002.

La loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a précisé le champ et les modalités d’application de l’obligation de revitalisation, codifiée à l’article L. 1233-84 du code du travail.

Ainsi, lorsqu’elles procèdent à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquels elles sont implantées, les entreprises d’au moins 1 000 salariés – et, plus généralement, les entreprises soumises à l’obligation de proposer un congé de reclassement aux salariés licenciés – sont tenues, sauf lorsqu’elles font l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, de contribuer financièrement à la création d’activités et au développement des emplois et d’atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d’emploi.

En vertu de l’article D. 1233-38 du même code, c’est au représentant de l’État dans le département qu’il appartient de déterminer, dans un délai d’un mois à compter de la date de validation ou d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi, si le licenciement envisagé affectera l’équilibre du bassin d’emploi. Pour ce faire, il prend notamment en compte le nombre et les caractéristiques des emplois supprimés, le taux de chômage dans le bassin d’emploi, ses caractéristiques socio-économiques et l’impact potentiel du licenciement sur les autres entreprises. Le licenciement d’un même nombre de salariés ne sera donc pas considéré de la même manière suivant le bassin d’emploi dans lequel il intervient. Si le représentant de l’État considère que le licenciement affecte le bassin d’emploi, l’entreprise peut conclure une convention avec l’État ou procéder à la réactivation du bassin d’emploi par un accord collectif.

Prévue à l’article L. 1233-85 du même code, la convention de revitalisation doit être conclue dans un délai de six mois à compter de la notification du projet de licenciement pour motif économique d’au moins dix salariés à l’autorité administrative. Elle détermine la nature ainsi que les modalités de financement et de mise en œuvre des actions destinées à contribuer à la création d’activités et au développement des emplois et à atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises du bassin d’emploi. Il peut s’agir par exemple, en cas de fermeture du site, d’actions en faveur de la reprise par d’autres entreprises, d’actions de formation, etc.

Les mesures envisagées dans la convention doivent tenir compte des actions de même nature éventuellement prévues dans le cadre d’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ou dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) établi par l’entreprise, ainsi des éventuelles démarches volontaires engagées par l’entreprise en faveur de l’emploi

Le montant de la contribution de l’entreprise au financement de ces actions ne peut être inférieur à deux fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. Le préfet peut toutefois fixer un montant inférieur lorsque l’entreprise est dans l’incapacité d’en assurer la charge financière. En l’absence de convention, les entreprises concernées doivent verser au Trésor public une contribution égale à quatre fois le SMIC mensuel par emploi supprimé (article L. 1233-86 du même code).

Enfin, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a consacré le principe de la conclusion d’une convention-cadre nationale de revitalisation, qui doit être conclue entre le ministre chargé de l’emploi et l’entreprise, lorsque les suppressions d’emplois concernent au moins trois départements : il s’agissait de la consécration législative d’une pratique qui était déjà mise en œuvre sur le fondement d’une circulaire du 12 juillet 2012. Cette convention-cadre précise la contribution financière de l’entreprise, qui doit être déterminée en tenant compte du nombre total des emplois supprimés. Elle donne lieu, dans les quatre mois suivant sa signature, à une ou plusieurs conventions locales conclues entre le représentant de l’État et l’entreprise, qui doivent s’inscrire en cohérence avec le contenu de la convention-cadre nationale.

Conformément au X de l’article 40, les dispositions relatives aux accords portant rupture conventionnelle collective s’appliquent dès l’entrée en vigueur du décret – prévu au III de l’article 10 – qui doit être pris pour fixer leurs modalités d’application.

Le III de l’article 40 précise que les nouvelles règles de validité des accords prévues à l’article L. 2232-12, autrement dit les accords majoritaires, sont applicables aux accords de rupture conventionnelle collective dès l’entrée en vigueur de ces derniers. Dans l’attente de la mise en place du comité social et économique, les attributions de cette instance prévues dans le cadre des accords de rupture conventionnelle collective sont exercées par le comité d’entreprise ou, le cas échéant, les délégués du personnel.

*

*     *

Les articles 11 à 14 de la présente ordonnance tirent les conséquences de la mise en place de ces nouvelles mesures, en modifiant successivement :

– l’article L. 1233-3, pour exclure de l’obligation de définition du motif économique les ruptures de contrat engagées sur le fondement d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective (article 11) ;

– l’article L. 1237-16, pour exclure de l’application des dispositions relatives à la rupture conventionnelle « individuelle » les nouvelles règles s’appliquant à la rupture conventionnelle collective (article 12). Le rapporteur note qu’une erreur de référence doit être corrigée à cet article ;

– l’article L. 5421-1, relatif aux bénéficiaires de l’indemnisation chômage, pour inclure explicitement les ruptures d’un commun d’accord prévues aux articles L. 1237-17 à L. 1237-19-14 et issues, dans le cadre d’un accord de GPEC, soit d’un congé de mobilité, soit d’une rupture conventionnelle collective (article 13).

Enfin, l’article 14 abroge les dispositions actuelles qui encadrent le congé de mobilité, qui font l’objet d’une refonte dans le cadre de l’article 10.

   titre II : dispositions relatives au licenciement pour motif économique

Le titre 2 s’attache au licenciement collectif pour motif économique et en particulier à quatre difficultés particulières le concernant :

– la première a trait à la définition du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, débat qui n’est pas nouveau, mais à l’occasion duquel il convient de rappeler que la France est très isolée sur ce point, puisqu’il s’agit quasiment du seul pays dans lequel la situation financière et économiques des filiales d’un groupe établies à l’étranger sont prises en compte pour juger de la santé économique d’une entreprise établie sur le territoire national ;

– la deuxième concerne les obligations de reclassement externe applicables en présence d’un PSE, qui sont à la fois inutilement lourdes et peuvent s’avérer contreproductives ;

– la troisième est relative à la définition du périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements ;

– et la dernière à la question spécifique de la reprise des entités économiques autonomes.

Ces quatre problématiques ont été traitées par la présente ordonnance, conformément à l’habilitation votée dans le cadre de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017. En revanche, il convient à ce stade de noter que deux dispositions spécifiques n’ont finalement fait l’objet d’aucun aménagement dans le cadre des ordonnances. Il s’agit :

– en premier lieu de la clause dite « anti-fraude », corollaire de la question du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, qui avait pour objet de prendre « toute disposition de nature à prévenir ou à tirer les conséquences de la création artificielle, notamment en termes de présentation comptable, de difficultés économiques à lintérieur dun groupe à la seule fin de procéder à des suppressions demplois » (b) du 2° de l’article 3 de la loi d’habilitation) ;

– et en second lieu de l’adaptation des modalités de licenciements collectifs à la taille de l’entreprise et au nombre de ces licenciements (e) du 2° du même article 3).

Enfin, le V de l’article 40 de la présente ordonnance précise que l’ensemble des modifications opérées par le titre 2 sont applicables aux procédures de licenciement économique engagées après la publication de cette même ordonnance, c’est-à-dire à compter du 23 septembre 2017.

I.   la définition du périmètre d’appréciation de la cause économique

L’article 15 de la présente ordonnance est pris en application du a) du 2° de l’article 3 de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, qui habilitait le Gouvernement à prendre les dispositions destinées à définir « la règle selon laquelle la cause économique dun licenciement, dans une entreprise appartenant à un groupe, est appréciée au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées sur le territoire national et relevant du même secteur dactivité, ainsi que les éventuels aménagements à cette règle ».

Il convient d’emblée de noter que le Gouvernement a en revanche renoncé à prendre les dispositions figurant pourtant dans l’habilitation « de nature à prévenir ou à tirer les conséquences de la création artificielle, notamment en termes de présentation comptable, de difficultés économiques à lintérieur dun groupe à la seule fin de procéder à des suppressions demplois ».

Le rapporteur a eu l’occasion de rappeler le contexte législatif dans lequel s’est inscrite la question de la définition du périmètre du licenciement économique, ainsi que la jurisprudence, abondante, sur ce sujet et sur son corollaire, celui de la définition du secteur d’activité commun aux entreprises du groupe auquel appartient l’entreprise qui procède aux licenciements ([61]) .

L’article 15 de l’ordonnance a ainsi modifié la rédaction de l’article L. 1233-3 relatif à la définition du motif économique, en insérant trois nouveaux alinéas, qui procèdent respectivement :

– à la définition du périmètre d’appréciation du motif économique ;

– à la définition du groupe lorsque l’entreprise concernée par les licenciements relève d’un groupe ;

– et enfin, à la définition du secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement.

● Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ont donc vocation à être appréciées au niveau de l’entreprise si celle-ci n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

En entérinant la prise en compte d’un seul périmètre national des difficultés économiques, le texte souhaite contrecarrer une jurisprudence qui a conduit par le passé à priver des entreprises manifestement confrontées à des difficultés économiques de toute possibilité de réorganisation.

● Le texte retient ensuite une définition du groupe qui diffère selon que le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français ou est situé hors de France.

Ainsi, dans le cas dun siège social français, le groupe est défini conformément au I de larticle L. 2331-1, qui correspond aux critères retenus pour la mise en place dun comité de groupe,  à savoir une entreprise dominante dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises quelle contrôle au sens des dispositions du code de commerce. Il sagit là de la définition du groupe déjà retenue par la jurisprudence, bien que le juge ait précisément jusqualors pris en compte les entreprises du groupe qui nétaient pas situées sur le territoire national ([62]).

La définition du contrôle d’une filiale par une société mère au sens du code de commerce

La notion de contrôle d’une filiale par une société mère, prévue par le code de commerce, et qui est retenue par l’article L. 2331-1 du code du travail, est la suivante :

● L’article L. 233-1 du code de commerce définit la filiale comme une société dont plus de la moitié du capital est détenue par une autre société.

● Les I et II de l’article L. 233-3 définissent le contrôle d’une société comme :

– la détention directe ou indirecte d’une fraction du capital conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

– ou le fait de disposer seul de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ;

– ou encore le fait de déterminer de facto, par les droits de vote, des décisions dans les assemblées générales de cette société ;

– ou encore le fait d’être associé ou actionnaire de cette société et de disposer du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.

Enfin, une société est présumée exercer ce contrôle si elle dispose directement ou indirectement dune fraction des droits de vote supérieurs à 40 % et quaucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.

● L’article L. 233-16 définit le contrôle exclusif par une société comme :

– la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote dans une autre entreprise ;

– la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise, avec parallèlement, la détention directe ou indirecte d’une fraction supérieure à 40 % des droits de vote, alors qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détenait, directement ou indirectement, une fraction supérieure à la sienne ;

– le droit d’exercer une influence dominante sur une entreprise en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires, lorsque le droit applicable le permet.

● Le contrôle conjoint est défini comme le partage d’une entreprise exploitée en commun par un nombre limité d’associés ou d’actionnaires, de sorte que les décisions résultent de leur accord.

Si le siège social est situé hors de France, le groupe est considéré comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

● Enfin, le texte de l’ordonnance procède à la définition du secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement comme étant caractérisé « notamment par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ». En effet, cette notion n’a jamais fait l’objet d’une définition jurisprudentielle stable. Le juge s’appuie pour la définir sur un faisceau d’indices relatifs à la nature des produits, à la clientèle à laquelle ils s’adressent et au mode de distribution mis en œuvre par l’entreprise. Tout au plus a-t-elle été définie par la négative. Le juge considère en effet que la spécialisation d’une entreprise au sein du groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un service d’activité plus étendu : autrement dit, l’employeur ne peut pas identifier le secteur d’activité à une clientèle, un marché particulier ou encore une spécialité technique (Cass. soc., 8 juillet 2008). En outre, l’implantation d’une entreprise dans un pays différent de ceux où sont situées les autres sociétés du groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un même secteur d’activité au sein duquel doivent être appréciées les difficultés économiques : le secteur d’activité ne peut ainsi être réduit aux entreprises situées sur le territoire national (Cass. soc., 23 juin 2009).

En posant cette définition du secteur d’activité, le texte souhaite stabiliser cette notion afin de donner une plus grande visibilité aux entreprises, tout en la restreignant par rapport aux éléments dégagés par la jurisprudence, puisque le secteur d’activité pris en compte sera désormais bien limité aux entreprises du même secteur situées sur le territoire national, et que le secteur d’activité peut effectivement se caractériser par un marché particulier.

II.   les obligations de reclassement en matière de licenciement pour motif économique

L’article 16 de la présente ordonnance répond à l’habilitation donnée au Gouvernement dans le cadre de la loi du 15 septembre 2017, et qui prévoit au c) du 2° de son article 3 de « préciser les conditions dans lesquelles lemployeur satisfait à son obligation de reclassement ».

Sans revenir dans le détail sur les modifications qui ont été apportées à l’obligation de reclassement interne pesant sur l’employeur dans le cadre d’un licenciement économique collectif par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 relative à la croissance, à l’activité et à l’égalité des chances économiques, et qui ont été analysées dans le cadre du rapport sur le projet de loi d’habilitation déjà cité, il convient de rappeler rapidement que cette loi a d’une part limité cette obligation de reclassement au territoire national et d’autre part réaménagé les conditions dans lesquelles une offre de reclassement à l’étranger pouvait être proposée au salarié : celle-ci était en effet déclenchée à la demande du salarié, qui devait préciser « les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation » (article L. 1233-4-1).

L’objectif de l’habilitation demandée par le Gouvernement était en particulier de revoir les conditions de l’obligation d’une offre de reclassement personnalisée à chaque salarié, ainsi que la procédure de proposition de reclassement à l’étranger, tout en adaptant le dispositif à l’impact du numérique.

La a) du 1° de l’article 16 de la présente ordonnance a en premier lieu précisé le périmètre de l’obligation de reclassement interne, en prévoyant que celui-ci devait être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie « et dont lorganisation, les activités ou le lieu dexploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ». Le rapporteur signale que la notion retenue par la jurisprudence est celle des conditions qui « permettent dassurer la permutation », expression qu’il conviendrait de substituer à celle retenue par le texte de l’ordonnance, qui paraît impropre.

Le b) du 1° de l’article 16 procède à la définition du groupe pris en compte dans le cadre de l’obligation de reclassement interne : celle-ci est logiquement alignée sur la définition du groupe retenue dans le cadre du motif économique du licenciement.

Le c) a assoupli l’obligation de personnalisation des offres de reclassement proposées aux salariés.

Rappelons qu’antérieurement, le juge considérait que l’employeur devait faire des propositions personnelles au salarié et procéder à un examen individuel des possibilités de reclassement : il ne pouvait pas se limiter à diffuser la liste des postes disponibles sur l’intranet de l’entreprise ([63]). Une offre de reclassement ne pouvait en outre pas être proposée en termes identiques à des salariés exerçant des fonctions et jouissant d’anciennetés différentes ([64]).

La nouvelle rédaction issue de l’ordonnance prévoit que « lemployeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à lensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret ». En d’autres termes, la possibilité de procéder par voie d’une bourse des offres de reclassement, le cas échéant par voie numérique, est donc désormais ouverte.

Enfin, le 2° de l’article 16 a abrogé l’article L. 1233-4-1 relatif à la procédure de reclassement à l’étranger sur demande du salarié.

En effet, cette procédure issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2016 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques en contrepartie de la fixation d’un périmètre national aux obligations de reclassement interne pesant sur l’employeur, représentait une charge lourde pour ce dernier en termes d’information individuelle des salariés, pour des propositions d’offres souvent éloignées des attentes de reclassement interne des salariés.

L’article 17 de la présente ordonnance a procédé aux coordinations nécessaires, en tirant les conséquences de l’abrogation de l’article L. 1233-4-1.

III.   les critères d’ordre des licenciements

Le d) du 2° de l’article 3 de la loi d’habilitation autorisait le Gouvernement à légiférer pour définir « les conditions dans lesquelles sont appliqués les critères dordre des licenciements dans le cadre des catégories professionnelles en cas de licenciement collectif pour motif économique ».

Nous ne reviendrons pas en détail sur la problématique de la définition des « catégories professionnelles » qui sert de support à l’application de l’ordre des licenciements, et qui a fait l’objet de plus amples analyses dans le cadre du rapport sur le projet de loi d’habilitation.

Il convient de noter que les modifications apportées par l’article 18 de la présente ordonnance à l’article L. 1233-5 relatif aux critères d’ordre des licenciements ne concernent pas la définition des catégories professionnelles. En effet :

– le 1° a procédé à une coordination, pour substituer à la consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel la consultation du comité social et économique qui les remplace désormais ;

– les 2° et 3° ont élargi la possibilité de fixer par accord collectif le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements à l’ensemble des entreprises, y compris à celles qui ne sont pas soumises à l’obligation de mettre en place un PSE, en cas de licenciement économique collectif, comme c’était le cas auparavant. Rappelons que l’obligation de mise en place d’un PSE concerne les entreprises d’au moins cinquante salariés qui envisagent de licencier, sur une même période de trente jours, dix salariés ou plus.

À défaut d’accord, le périmètre de l’ordre des licenciements ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emploi. Ce périmètre applicable en l’absence d’accord ne s’appliquait auparavant logiquement que dans le cadre d’un PSE sous forme de document unilatéral de l’employeur.

Autrement dit, s’il était déjà permis de fixer par voie d’accord les modalités de prise en compte des critères d’ordre des licenciements, désormais, il est aussi possible par voie conventionnelle de fixer le périmètre d’application de ces critères, y compris en dehors du cadre d’un PSE. Désormais donc, hors PSE, en l’absence d’accord spécifique conclu sur le sujet du périmètre des critères d’ordre, l’employeur qui procède à des licenciements pour motif économique aura la possibilité de choisir le périmètre de l’entreprise dans son ensemble ou de réduire ce périmètre à la zone d’emploi. En revanche, s’il conclut un accord sur ce sujet, le périmètre d’application des critères d’ordre pourra être inférieur à l’entreprise et à la zone d’emploi. Cela peut s’avérer utile par exemple en présence de deux établissements situés dans une même zone d’emploi avec un seul établissement impacté par le projet de réorganisation : si l’accord le prévoit, les critères d’ordre pourront n’être appliqués qu’au sein de l’établissement en question.

IV.   faciliter les reprises d’entités économiques autonomes

Conformément à l’habilitation votée définitivement le 3 août dernier, l’article 19 de la présente ordonnance a permis de « faciliter les reprises dentités économiques autonomes », en modifiant l’article L. 1233-61.

Rappelons que cet article a été amplement modifié par la loi du 8 août 2016, qui a prévu d’introduire une dérogation au principe, prévu à l’article L. 1224-1, du maintien des contrats de travail en cas de transfert d’entités économiques : ainsi, depuis la promulgation de cette loi, pour les licenciements  intervenus dans des entreprises de plus de 1 000 salariés et dans le cadre desquels le PSE prévoit le transfert d’une ou plusieurs entités économiques, le principe du maintien des contrats de travail ne s’applique que pour les emplois n’ayant pas déjà été supprimés, à la suite des licenciements, à la date d’effet du transfert : il s’agissait de permettre sous certaines conditions de procéder à des réductions d’effectifs pour motif économique avant un transfert d’entités, et sans que le repreneur ait à en assumer la charge.

La loi du 8 août 2016 prévoyait également que dans le cadre d’un tel projet de transfert, l’accord collectif déterminant le contenu du PSE pouvait aménager les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise, en fixant en particulier le délai de consultation du comité d’entreprise sur l’offre de reprise dans un tel contexte. Rappelons également que l’Assemblée nationale avait souhaité préciser que seules pourront déroger au principe du maintien des contrats de travail en cas de transfert d’entités économiques, les entreprises qui font l’objet d’une offre de reprise qu’elles envisagent d’accepter, notamment au regard de la capacité de l’auteur de l’offre à garantir la pérennité de l’activité et de l’emploi.

La jurisprudence interne comme communautaire a toujours, par souci d’éviter les comportements d’optimisation du coût du transfert pour le cessionnaire, eu une approche très restrictive des conditions applicables au transfert des contrats de travail, jugeant dépourvus d’effets les licenciements prononcés avant le transfert de l’entreprise. Cette interprétation est facteur de découragement pour des repreneurs potentiels, qui n’ont pas les moyens de conserver la totalité des emplois et peuvent donc être amenés à renoncer totalement au projet de reprise pour cette raison.

Parce que l’application automatique du transfert de l’ensemble du personnel peut obérer certains projets de reprise, la présente ordonnance a souhaité assouplir encore la possibilité de déroger à la règle du transfert des contrats de travail en cas de reprise, en :

– supprimant la limitation de cette dérogation aux entreprises d’au moins 1 000 salariés, c’est-à-dire en en faisant une possibilité dérogatoire d’ordre général, applicable dans toutes les entreprises ;

– supprimant l’obligation de consultation du comité d’entreprise sur l’offre de reprise dans le délai spécifique fixé par accord dès lors qu’une offre de reprise est faite à laquelle l’employeur souhaite donner suite.

Le rapporteur souligne que cette faculté a été ouverte depuis un an aux entreprises de plus de 1 000 salariés sans que cela n’occasionne de détournement.

V.   Conséquences de la mise en place d’un CSE sur les dispositions relatives au licenciement économique

L’article 20 de l’ordonnance n° 2017-1387 vise à tirer les conséquences de la mise en place d’un comité social et économique (CSE), proposée par l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1386, sur les dispositions relatives au licenciement économique.

En fusionnant les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au sein d’une instance unique, l’ordonnance n° 2017-1386 a en effet regroupé au sein du comité social et économique l’ensemble des attributions des anciennes instances, en les adaptant lorsque cela s’avérait nécessaire, notamment en matière d’information et de consultation du CSE et de recours à l’expertise. L’article 20 propose d’adapter ces dispositions au cas particulier des licenciements pour motif économique.

Il est notamment précisé, à l’article L. 1233-8, que dans le cadre d’une consultation sur un projet de licenciement collectif pour motif économique, le CSE doit rendre son avis dans un délai qui ne peut pas être supérieur à un mois à compter de la date de la première réunion au cours de laquelle il est consulté. À défaut d’avis, le comité est réputé avoir été consulté.

1.   Dispositions de coordination

En premier lieu, l’article 20 procède à une série de mesures de coordination visant à remplacer toutes les occurrences des mots « délégués du personnel », « comité d’entreprise » ou « comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail » par une référence au comité social et économique.

Ces dispositions de coordination sont prévues aux articles L. 1233-8, L. 1233-22, L. 1233-24-2, L. 1233-26, L. 1233-27, L. 1233-30, L. 1233-37, L. 1233-50 et L. 1233-51.

Les articles L. 1233-36 et L. 1233-37 sont également modifiés afin de substituer à la référence au comité d’entreprise central ou aux comités d’établissement la référence au CSE central ou aux CSE d’établissement.

2.   Conséquences des licenciements économiques en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail

Diverses dispositions visent ensuite à préciser dans quelle mesure le comité social et économique est informé des conséquences des licenciements économiques en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail.

Il convient de rappeler qu’avant la publication des ordonnances, plusieurs instances de représentation du personnel pouvaient être consultées dans le cadre d’un projet de licenciement collectif : si le comité d’entreprise était le destinataire principal des informations relatives à ce projet, le CHSCT pouvait également être consulté en cas de conséquences du projet de licenciement collectif sur l’hygiène, la sécurité ou les conditions de travail.

La fusion des instances via la création du comité social et économique permet de mutualiser au sein d’une seule instance la compétence de consultation en cas de projet de licenciement collectif, mais une mention particulière est apportée pour souligner la compétence du CSE pour évaluer les éventuels effets de ce projet sur la santé, la sécurité ou les conditions de travail des salariés.

Les articles L. 1233-10 et L. 1233-31 sont ainsi complétés par un alinéa visant à préciser que lorsque l’employeur adresse aux représentants du personnel tous renseignements utiles sur un projet de licenciement collectif, il indique, le cas échéant, les conséquences des licenciements ou réorganisations envisagés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail.

L’accord collectif mentionné à l’article L. 1233-24-2 portant sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi peut également porter sur les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail.

En outre, la nouvelle rédaction de l’article L. 1233-30 oblige l’employeur, lorsqu’il consulte le comité social et économique sur le projet de licenciement collectif, à aborder au cours de cette réunion les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail.

3.   Modalités de recours à l’expertise

Les principales nouveautés apportées par l’article 20 sont celles relatives au recours à l’expertise en cas de projet de licenciement collectif. L’article L. 1233-34 qui permettait au comité d’entreprise, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1387, de se faire assister d’un expert-comptable en cas de projet de licenciement collectif, est significativement modifié.

La nouvelle rédaction de cet article permet ainsi au CSE de recourir à l’assistance d’un expert – qui ne doit pas forcément être un expert-comptable – afin de diligenter une expertise pouvant porter sur les domaines économique et comptable, ainsi que sur les effets potentiels du projet sur les conditions de travail. Cette expertise peut être proposée par les commissions composant le CSE. Par coordination, toutes les références à un expert-comptable sont remplacées par la référence à un expert.

Cette nouvelle rédaction permet également au CSE de mandater un expert afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour mener la négociation mentionnée à l’article L. 1233-24-1, qui vise à déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi.

Le rapport de l’expert doit être remis au CSE et, le cas échéant, aux organisations syndicales, au plus tard quinze jours avant l’expiration du délai mentionné au II de l’article L. 1233-30 : ce délai, variable en fonction du nombre de licenciements, est de deux mois lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent, trois mois lorsque le nombre de licenciements est compris entre cent et deux cent cinquante, et quatre mois lorsque le nombre de licenciement est au moins égal à deux cent cinquante.

Un nouvel article L. 1233-35-1 précise les modalités de contestation de l’expertise : ainsi, toute contestation doit être adressée, avant transmission de la demande de validation ou d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi, à l’autorité administrative, qui est tenue de se prononcer dans un délai de cinq jours.


   titre III : la modification des règles de recours à certaines formes particulières de travail

Le titre 3 s’attache aux règles de recours à certaines formes particulières de travail.

En premier lieu, le chapitre 1er révise en profondeur le cadre juridique applicable au télétravail, en organisant celui-ci au niveau de l’entreprise et non plus au niveau du contrat de travail (chapitre 1er).

Le texte de l’ordonnance étend le pouvoir de négociation des branches en matière de recours aux contrats à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire (chapitre 2), ainsi qu’aux contrats à durée indéterminée (CDI) de chantier ou d’opération (chapitre 3).

Il entend également clarifier certaines dispositions spécifiques s’agissant des conditions de recours au travail de nuit par voie d’accord collectif (chapitre 4), du recours au prêt de main d’œuvre à but non lucratif (chapitre 5) ou encore de la sécurisation de la poursuite des contrats de travail entre deux entreprises prestataires en présence d’un accord de branche (chapitre 6).

I.   favoriser le recours au télétravail 

Alors que de plus en plus de Français aspirent au télétravail afin notamment de mieux concilier vie privée, vie familiale et vie professionnelle, seuls 7 % d’entre eux bénéficient aujourd’hui de cette modalité d’adaptation du travail dans leur contrat de travail ([65]).

Selon un rapport conjoint remis par les partenaires sociaux au Gouvernement le 7 juin 2017, le cadre juridique du télétravail, défini notamment par la loi du 22 mars 2012 ([66]), est en effet devenu inadapté à la réalité du travail. En résulte un essor du télétravail informel, source de risques pour les salariés comme pour les employeurs. En pratique, le taux de recours occasionnel ou régulier au télétravail, comprenant notamment le télétravail dit « informel » (c’est-à-dire non prévu par le contrat de travail ou par un avenant à celui-ci) concernerait de 16 à 20 % des salariés ([67]), soit deux à trois fois plus que le taux de recours officiel au télétravail.

Afin de mieux encadrer l’essor du télétravail et de répondre aux aspirations des salariés, le 3° de l’article 3 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 a donc habilité le Gouvernement à favoriser le recours au télétravail et au travail à distance « en vue dassurer une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale et daméliorer laccès, le maintien et le retour à lemploi des personnes handicapées ». Le nouveau cadre juridique du télétravail est défini à l’article 21 de l’ordonnance n° 2017-1387.

1.   Une définition plus souple du télétravail

Selon le premier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail, le télétravail désigne « toute forme dorganisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de lemployeur est effectué par un salarié hors de ces locaux ».

Alors que cette définition précisait, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1387, que le recours au télétravail devait être « régulier » pour être qualifié comme tel, la nouvelle rédaction prévue au a) du 1° de l’article 21 ne conserve que l’obligation pour le salarié d’être « volontaire ». Le télétravail pourra donc n’être qu’occasionnel, afin de mieux s’adapter aux besoins de souplesse des salariés.

2.   L’organisation du télétravail doit être précisée par accord ou charte d’entreprise

Avant la publication de l’ordonnance n° 2017-1387, le recours au télétravail devait être explicitement prévu par le contrat de travail ou par un avenant à celui-ci. Cette obligation est supprimée par le a) du 1°, et le b) du 1° de l’article 21 précise que le télétravail est désormais mis en place « dans le cadre dun accord collectif ou, à défaut, dans le cadre dune charte élaborée par lemployeur après avis du comité social [et] économique, sil existe ».

La négociation d’un accord d’entreprise sur le télétravail ou, à défaut, d’une charte permettra ainsi d’organiser à plus grande échelle le recours au télétravail dans les entreprises et devrait encourager ces dernières à conduire une véritable réflexion sur cette modalité particulière de travail, notamment pour améliorer la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et vie familiale de leurs salariés. Selon les informations transmises au rapporteur, la charte élaborée par l’employeur n’a pas de valeur normative, mais plutôt une valeur informative quant aux conditions de mise en œuvre du télétravail dans l’entreprise. Le salarié qui souhaite recourir au télétravail doit alors accepter les modalités prévues par la charte.

À défaut d’accord ou de charte, le salarié et l’employeur peuvent convenir de recourir « de manière occasionnelle » au télétravail. Cependant, afin que l’absence d’accord ou de charte ne pénalise pas le salarié souhaitant recourir au télétravail, la commission des affaires sociales a adopté, sur proposition du rapporteur, un amendement supprimant les mots « de manière occasionnelle ». L’accord formalisé entre l’employeur et le salarié pourra ainsi porter sur la mise en place du télétravail à titre régulier ou occasionnel.

 L’accord ainsi conclu entre le salarié et l’employeur doit être formalisé « par tout moyen ». Selon les informations transmises au rapporteur, la formule « par tout moyen » s’entend avant tout d’un moyen écrit. En effet, pour pouvoir être opposable à la fois à l’employeur et au salarié, ces derniers doivent impérativement pouvoir apporter la preuve qu’un tel accord a été conclu, ce que ne permet pas un simple accord par voie orale, au cours d’une conversation téléphonique par exemple. La rédaction actuelle laisse toutefois une latitude importante aux entreprises : dans leur rapport conjoint sur le développement du travail et du travail à distance ([68]), les partenaires sociaux ont par exemple fait état de pratiques d’entreprises formalisant le recours au télétravail occasionnel par courrier électronique ou, dans une grande entreprise, par une application spécifique, couplée aux alertes pollutions d’Airparif.

Selon le e) du 1° de l’article 21, l’accord collectif ou la charte définissant les conditions de recours au télétravail doit préciser :

 les conditions de passage en télétravail et les conditions de réversibilité ;

 les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;

 les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;

 la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

Le contrôle du temps de travail et la régulation de la charge de travail constituent deux avancées importantes pour les droits des salariés exerçant en télétravail. Reste à savoir comment, en pratique, cette charge de travail pourra être mesurée.

3.   Des droits renforcés pour les télétravailleurs

● Afin de mieux encadrer le cadre juridique applicable aux télétravailleurs, le 1° de l’article 21 propose trois modifications renforçant les droits des salariés.

En premier lieu, le d) du 1° précise à l’article L. 1222-9 que le télétravailleur a « les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de lentreprise », notamment en ce qui concerne « laccès aux informations syndicales, la participation aux élections professionnelles et laccès à la formation ». Le télétravail n’a en effet pas vocation à éloigner le salarié de l’environnement collectif de travail : il est donc important de maintenir l’ensemble de ses droits dans l’entreprise.

En second lieu, le d) du 1° précise que « lemployeur qui refuse daccorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode dorganisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, doit motiver sa réponse ». En créant une obligation de motivation du refus de l’employeur, cette disposition renverse la logique antérieure à la publication des ordonnances et esquisse les prémices d’un « droit au télétravail », lorsque les conditions de ce dernier sont réunies.

Enfin, le e) du 1° complète ensuite l’article L. 1222-9 afin de préciser qu’il existe une présomption d’accident du travail si un accident est survenu « sur le lieu où est exercé le télétravail » et « pendant lexercice de lactivité professionnelle du télétravail ». Cette meilleure prise en compte des accidents survenus dans le cadre du télétravail permettra ainsi de sécuriser à la fois les salariés et les employeurs.

● En vertu du 2° de l’article 21, qui modifie l’article L. 1222-10 du code du travail, l’employeur est désormais exonéré de l’obligation de prendre en charge l’ensemble des coûts découlant directement de l’exercice du télétravail. Ces coûts recouvraient notamment le coût de l’achat et de la maintenance des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils dont le télétravailleur peut avoir besoin. Cette mesure s’inscrit dans la perspective d’assouplissement et de simplification du recours au télétravail recherchée par l’ordonnance. 

Néanmoins, selon les informations transmises au rapporteur, si l’obligation de prendre en charge l’intégralité des coûts découlant directement de l’exercice du télétravail n’est plus expressément inscrite au titre des obligations de l’employeur en matière de télétravail, celui-ci reste soumis à une obligation générale de prise en charge des frais professionnels, dans les conditions définies par la jurisprudence de la Cour de cassation ([69]). Les employeurs auront donc désormais la possibilité de choisir les modalités de remboursement des frais afférents au télétravail qui leur conviennent pour autant que la mise en œuvre du télétravail en occasionne réellement pour le salarié.

L’employeur n’est plus non plus tenu de fixer avec le salarié les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter, ces plages horaires étant définies par l’accord collectif ou la charte.

L’employeur reste toutefois soumis aux autres obligations fixées par l’article L. 1222-10, notamment :

 l’obligation d’informer le salarié des éventuelles restrictions à l’usage d’équipements ou d’outils informatiques, et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;

 l’obligation de donner priorité au salarié qui souhaite occuper ou reprendre un poste sans télétravail correspondant à ses qualifications et compétences professionnelles ;

 l’obligation d’organiser chaque année un entretien portant notamment sur les conditions du salarié et sa charge de travail.

4.   Modalités d’entrée en vigueur

Le VII de l’article 40 de l’ordonnance n° 2017-1387 précise que, sauf refus du salarié, les stipulations ou dispositions de l’accord ou de la charte se substituent aux stipulations contraires ou incompatibles des contrats de travail conclus avant la publication des ordonnances.

Le salarié dispose d’un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’accord ou la charte a été communiqué dans l’entreprise pour faire connaître sa décision à l’employeur.

II.   Un pouvoir de négociation des branches sur les conditions de recours aux cdd et aux contrat d’intérim

Conformément au b) du 3° de l’article 3 de la loi d’habilitation n° 2017‑1340 du 15 septembre 2017 qui ouvre au Gouvernement la possibilité de prendre les mesures destinées à permettre « dadapter par convention ou accord collectif de branche, dans les limites dun cadre fixé par la loi, les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié », les articles 22 à 25 – s’agissant des CDD – et 26 à 29 – s’agissant des contrats de travail temporaire – de la présente ordonnance procèdent aux modifications de fond destinées à aménager cette possibilité.

L’ensemble de ces nouvelles dispositions sont applicables aux contrats de travail conclus postérieurement à la publication de la présente ordonnance, c’est-à-dire depuis le 23 septembre dernier : cette date reste en réalité théorique, dans la mesure où les changements qu’impliquent ces nouvelles règles requièrent, dans la pratique, la conclusion d’accords de branche étendus.

A.   la négociation des conditions de recours aux cdd

Les articles 22 à 25 de la présente ordonnance ont modifié le titre 4 du livre 2 de la première partie du code du travail, relatif au contrat de travail à durée déterminée pour permettre la négociation par voie d’accord de branche de certaines conditions de recours aux CDD.

Notons toutefois que la majeure partie des dispositions qui encadrent le CDD restent inchangées. Seules sont modifiées les règles suivantes :

– celles relatives à la fixation du terme et à la durée du contrat (section 2 du chapitre 2) ;

– celles relatives au renouvellement du contrat (section 3 du chapitre 3) ;

– et enfin, celles qui portent sur les conditions applicables à des contrats successifs sur le même poste (section 2 du chapitre 4).

Concrètement, l’ordonnance permet, sur ces sujets, à une convention ou un accord de branche étendu de fixer, sous certaines conditions et limites, les règles applicables en la matière.

On remarquera que le texte est en retrait par rapport au champ ouvert par l’habilitation, puisque les motifs de recours à ce type de contrats n’ont pas été modifiés : les conditions légales qui encadrent le recours au CDD ou à l’intérim continuent donc de s’appliquer, sans que les branches puissent donc à l’avenir négocier sur ce point.

1.   La durée totale d’un CDD

L’article L. 1242-8 dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 22 de l’ordonnance permet à une convention ou un accord de branche étendu de fixer la durée totale du CDD, sans que cette durée ne puisse avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Il s’agit là d’une règle qui figure déjà à l’article L. 1242-1, et qui est une condition de base du recours au CDD.

La fixation par accord de branche de la durée totale du CDD ne s’applique pas au CDD à objet défini, prévu au 6° de l’article L. 1242-2, qui concerne les ingénieurs et cadres, et qui obéit à des règles particulières.

Les nouvelles règles relatives à la fixation par accord de branche d’une durée totale au CDD ne s’applique pas non plus aux CDD conclus pour favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi, dont la durée totale est fixée par la réglementation spécifique à chacun de ces contrats aidés, ou lorsque l’employeur s’engage à assurer un complément de formation professionnelle au salarié, auquel cas la durée maximale du contrat est fixée à vingt-quatre mois (article D. 1242-6).

Ces exceptions ne sont pas nouvelles : elles figuraient déjà dans le corpus de règles encadrant le recours au CDD antérieur aux ordonnances.

Le nouvel article L. 1242-8-1 pose à titre supplétif, en l’absence de convention ou d’accord de branche étendu, les règles applicables en matière de durée totale du CDD, qui correspondent aux règles légales qui figuraient jusqu’alors à l’article L. 1242-8, à savoir :

– une durée totale ne pouvant excéder dix-huit mois, compte tenu du ou des renouvellements possibles du contrat, pour les CDD de droit commun ;

– une durée maximale de neuf mois dans l’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté en CDI ou pour la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité ;

– une durée maximale totale de vingt-quatre mois, pour un contrat exécuté à l’étranger quel que soit son motif, pour un départ définitif d’un salarié précédant la suppression de son poste, et enfin, pour une commande exceptionnelle à l’exportation, la durée initiale du contrat ne pouvant dans ce cas être inférieure à six mois.

Ces durées qui étaient auparavant d’ordre public sont donc devenues des dispositions supplétives, applicables uniquement en l’absence d’accord de branche étendu.

2.   Les conditions de renouvellement du contrat

L’article L. 1243-13 dans sa nouvelle rédaction prévoit d’autoriser une convention ou un accord de branche étendu à fixer le nombre maximal de renouvellements possibles d’un CDD, tout en précisant que ce nombre ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu.

L’article L. 1243-13-1 reprend, à titre supplétif, les règles qui étaient auparavant d’ordre public prévues à l’article L. 1243-13, selon lesquelles le CDD est renouvelable deux fois pour une durée déterminée.

Au total, la durée du ou des deux renouvellements, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale prévue par accord ou, en l’absence d’accord, par les dispositions supplétives relatives à la durée totale des contrats à durée déterminée.

De la même manière que pour des conditions de renouvellement fixées par accord, en l’absence d’un tel accord, celles-ci sont stipulées dans le contrat ou font l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu du contrat.

Enfin, les dispositions encadrant le renouvellement du CDD – que ce soit par accord, ou par la loi à titre supplétif – ne s’appliquent pas aux CDD au titre de la politique de l’emploi ainsi qu’à ceux qui ont pour objet d’assurer un complément de formation professionnelle.

3.   Les conditions de contrats successifs sur le même poste : le délai de carence

L’article L. 1244-3 pose les conditions applicables à la succession de contrats sur un même poste : en effet, il n’est pas possible de recourir à un CDD ou à un contrat de travail temporaire à l’expiration d’un CDD et pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, avant l’expiration d’un délai de carence qui est calculé en fonction de la durée du contrat en incluant, le cas échéant, son ou ses deux renouvellements.

Il s’agit d’un principe de base applicable en matière de contrats à durée déterminée et destiné à se prémunir contre les comportements qui conduiraient à multiplier les CDD successifs sur un poste relevant de l’activité normale et permanente de l’entreprise.

L’article 24 de la présente ordonnance a modifié l’article L. 1244-3 pour :

– d’une part, préciser que les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement concerné ;

– d’autre part, pour prévoir qu’une convention ou un accord de branche étendu peut fixer les modalités de calcul du délai de carence, dans le respect de la règle édictée à l’article L. 1242-1 selon laquelle un CDD ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir directement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;

Les modifications apportées à cet article conduisent donc à supprimer les modalités légales actuelles de calcul, qui sont renvoyées dans un nouvel article L. 1244-3-1, au titre des dispositions supplétives, applicables en l’absence d’accord collectif.

Ces modalités de calcul du délai de carence sont les suivantes :

– le tiers de la durée du contrat venu à expiration si la durée totale de ce contrat (en tenant compte des renouvellements), est supérieure ou égale à quatorze jours ;

– la moitié de la durée du contrat venu à expiration si la durée totale de ce contrat (en tenant compte des renouvellements), est inférieure à quatorze jours.

La même précision est enfin apportée concernant la prise en compte des jours d’ouverture pour la computation du délai.

Enfin, sagissant de ce délai de carence, la loi énumérait traditionnellement les cas dans lesquels ce délai nétait pas applicable. Comme pour les modalités de calcul du délai de carence, les 3° et 4° de larticle 24 de lordonnance prévoient désormais la possibilité de fixer ces conditions par voie de convention ou daccord de branche étendu (nouvelle rédaction de larticle L. 1244-4) et dappliquer les règles légales uniquement de manière supplétive, en labsence daccord. Cest lobjet du nouvel article L. 1244-4-1, qui reprend en revanche sans modification lénumération préexistante des cas de non-application de ce délai, à savoir : les CDD de remplacement – dun salarié ou dun chef dentreprise –, les CDD liés à des travaux urgents, les CDD liés à des emplois saisonniers, les CDD dusage, ceux mis en œuvre dans le cadre de la politique de lemploi ou pour assurer un complément de formation professionnelle au salarié, en cas de rupture anticipée du contrat à linitiative du salarié, et enfin, en cas de refus de renouvellement de son contrat par le salarié, pour la durée du contrat non renouvelé.

L’article 25 de la présente ordonnance procède aux coordinations rendues nécessaires par les modifications opérées dans le cadre des articles 22 à 24 de la même ordonnance.

B.   la négociation des conditions de recours aux contrats de travail temporaire

S’agissant des contrats de travail temporaire régis par les articles
L. 1251–1 à L. 1251–63 du code du travail, les articles 26 à 29 ont procédé aux mêmes modifications que celles opérées pour les contrats à durée déterminée.

Ainsi, l’article L. 1251-12 dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 26 de l’ordonnance ouvre-t-il la possibilité de fixer la durée totale du contrat de mission par voie de convention ou d’accord de branche étendu couvrant l’entreprise utilisatrice.

Les durées légales, auparavant d’ordre public, deviennent désormais supplétives (nouvel article L. 1251-12-1).

L’article L. 1251-35 dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 27 de l’ordonnance rend désormais possible la fixation du nombre maximal de renouvellements possibles pour un contrat de mission par voie d’accord de branche étendu : ces conditions sont stipulées dans le contrat ou font l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu.

En conséquence, le nouvel article L. 1251-35-1 prévoit désormais que la règle du renouvellement maximal du contrat de mission de deux fois s’applique à titre supplétif, autrement dit, en l’absence d’accord collectif.

Enfin, s’agissant des règles relatives à la succession de contrats qui font l’objet de l’article 28 de la présente ordonnance, les modalités de calcul du délai de carence entre deux contrats de mission sur un même poste peuvent être fixées par une convention ou un accord de branche étendu, aux termes de l’article L. 1251-36 dans sa nouvelle rédaction. Les règles de calcul légales ne s’appliquent en conséquence qu’à titre supplétif, à défaut d’accord : elles sont reprises au nouvel article L. 1251-36-1. Il en va de même pour la détermination des cas dans lesquels ce délai de carence n’est pas applicable : ceux-ci peuvent être fixés par voie d’accord de branche (article L. 1251-37 dans sa nouvelle rédaction) ; en l’absence d’accord, les cas de non-application de ce délai sont prévus au nouvel article L. 1251-37-1 : il s’agit des cas auparavant déterminés déjà par la loi, qui ne font l’objet d’aucune modification de fond.

Larticle 29 de lordonnance procède aux coordinations rendues nécessaires par les modifications opérées aux articles 26 à 28 dans le reste du code.

III.   un cadre juridique stabilisé pour les cdi de chantier ou d’opération

Conformément au c) du 3° de l’article 3 de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017, qui a habilité  le Gouvernement à légiférer pour favoriser et sécuriser, « par accord de branche, dans les limites dun cadre fixé par la loi, le recours aux contrats à durée indéterminée conclus pour la durée dun chantier ou dune opération », les articles 30 et 31 de la présente ordonnance donnent un cadre juridique stable au CDI de chantier ou d’opération.

En effet, le droit applicable avant ordonnance restait très partiel sur les modalités propres au contrat de chantier, qui n’était encadré que par l’article L. 1236-8 du code du travail, aux termes duquel : « le licenciement qui, à la fin dun chantier, revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et lexercice régulier de la profession, nest pas soumis aux dispositions du chapitre III relatives au licenciement pour motif économique, sauf dérogations déterminées par convention ou accord collectif de travail. Ce licenciement est soumis aux dispositions du chapitre II relatives au licenciement pour motif personnel ».

En l’absence d’un cadre légal strict, c’est essentiellement la jurisprudence qui a précisé le cadre applicable à ce type de contrat et aux conditions de sa rupture. Le rapporteur renvoie sur cette question aux analyses qu’il a menées dans le cadre de son rapport sur le projet de loi d’habilitation déjà cité.

A.   la mise en place d’un statut juridique du cdi de chantier ou d’opération

L’article 30 de la présente ordonnance a inséré une nouvelle section 3 : « Contrat de chantier ou d’opération » au chapitre 3 du titre 2 du livre 2 de la première partie du code du travail : il a donc complété le chapitre dédié à la formation et à l’exécution de certains types de contrats de travail spécifiques, qui porte par ailleurs sur le contrat de mission à l’exportation.

Deux nouveaux articles ont été créés au sein de cette nouvelle section.

L’article L. 1223-8 ouvre la possibilité à une convention ou un accord de branche étendu de fixer les conditions dans lesquelles il est possible de recourir à un contrat conclu pour la durée d’un chantier ou d’une opération. À défaut d’un tel accord, ce contrat peut être conclu dans les secteurs où son usage est habituel et conforme à l’exercice régulier de la profession qui y recourt au 1er janvier 2017. Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée.

Dans la mesure où l’objectif était de permettre aux entreprises qui avaient déjà recours au contrat de chantier avant la publication des ordonnances de pouvoir poursuivre le recours à ce type de contrat, sans être forcément couvertes par un accord de branche étendu le prévoyant, le choix a été fait de retenir la date du 1er janvier 2017 pour apprécier l’usage de ces contrats de chantier. Le rapporteur estime toutefois qu’un renvoi à un texte réglementaire pour énumérer les secteurs où son usage est considéré comme habituel et conforme à l’exercice régulier de la profession aurait pu se justifier.

L’article L. 1223-9 définit le contenu obligatoire de la convention ou de l’accord collectif de branche qui organise le recours au CDI de chantier.

Cet accord doit ainsi déterminer :

– la taille des entreprises concernées ;

– les activités concernées ;

– les mesures d’information du salarié sur la nature de son contrat ;

– les contreparties en termes de rémunération et d’indemnité de licenciement accordées aux salariés ;

– les garanties en termes de formation pour les salariés concernés ;

– les modalités adaptées de rupture de ce contrat dans l’hypothèse où le chantier ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser ou se termine de manière anticipée.

B.   les modalités de rupture du cdi de chantier ou d’opération

L’article 31 de la présente ordonnance a modifié l’article L. 1236-8 pour prévoir que la rupture du contrat de chantier ou d’opération qui intervient à la fin du chantier ou une fois l’opération réalisée repose sur une cause réelle et sérieuse.

Cette rupture est soumise :

– aux règles applicables au licenciement pour motif personnel s’agissant de l’entretien préalable et de la notification du licenciement (articles L. 1232-2 à L. 1232-6) ;

– au cadre de droit commun s’agissant des conséquences du licenciement, qu’il s’agisse du préavis, de l’indemnité de licenciement ainsi que des documents obligatoirement remis par l’employeur (chapitre IV) ;

– aux règles de droit commun de contestation du licenciement et de sanction des irrégularités de licenciement (section 1 du chapitre V) ;

– et enfin, aux dispositions pénales applicables en cas de licenciement (chapitre VIII).

La rédaction antérieure de l’article L. 1236-8 prévoyait déjà que le licenciement intervenant à la fin d’un chantier n’obéit pas à la procédure et au cadre légal du licenciement économique, mais bien au licenciement pour motif personnel. Il n’y a donc là rien de nouveau.

En revanche, le texte de l’ordonnance a posé le principe selon lequel est fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement intervenant à la fin d’un chantier ou d’une opération.

Jusqu’alors, il appartenait au juge de se prononcer sur le fondement d’un tel licenciement : la Cour de cassation a ainsi jugé que lorsque le contrat de travail a été conclu pour la durée d’un chantier, l’achèvement de celui-ci constitue bien la cause légitime du licenciement, même si la durée estimée de ce chantier a été dépassée ([70]). L’inscription dans la loi de la fin du chantier ou de l’opération comme cause réelle et sérieuse de licenciement n’apparaît donc ni comme une innovation, ni comme un écart par rapport à la jurisprudence sur cette question.

Conformément au VIII de l’article 40 de la présente ordonnance, l’ensemble des dispositions nouvelles encadrant le recours au CDI de chantier ou d’opération sont applicables aux contrats de travail conclus à compter du 23 septembre 2017, au lendemain de la publication des ordonnances. En réalité, il faudra attendre la conclusion d’accords de branche étendus pour ce que nouveau cadre juridique trouve véritablement à s’appliquer.

IV.   une autojustification du recours au travail de nuit par accord collectif

Le d) du 3° de l’article 3 de la loi d’habilitation a permis au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures destinées à sécuriser « le recours au travail de nuit, lorsque celui-ci relève dune organisation collective du travail, en permettant une adaptation limitée de la période de travail de nuit de nature à garantir un travail effectif jusquau commencement et dès la fin de cette période, ainsi quen renforçant le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit ».

Le rapporteur avait, lors de l’habilitation, fait part de ses doutes quant à la fragilité juridique d’un dispositif qui conduirait à permettre d’adapter à la marge la période de travail de nuit tout en prévoyant que le travail soit effectif sur toute la période concernée : le Gouvernement a vraisemblablement rejoint ces analyses puisqu’il n’a pas proposé de modification législative à ce titre.

S’agissant du renforcement de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit, l’objectif était de faire bénéficier les accords collectifs autorisant le recours au travail de nuit d’une présomption de légalité. C’est en effet ce qu’a prévu l’article 32 de l’ordonnance qui a complété l’article L. 3122-15 relatif aux accords collectifs conclus en matière de travail de nuit pour préciser que la convention ou l’accord collectif en question est présumé négocié et conclu conformément aux dispositions de l’article L. 3122-1. Or, cet article dispose que « le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité dassurer la continuité de lactivité économique ou des services dutilité sociale ».

S’agissant des accords collectifs qui autorisent le recours au travail de nuit, l’objectif est en réalité de contourner la jurisprudence qui, dans le cadre du contrôle contentieux sur un accord collectif, contrôle « les justifications du recours au travail de nuit » obligatoirement contenues dans l’accord au regard des dispositions de l’article L. 3122-1. Or, la Cour de cassation interprète de manière stricte cet article et a ainsi jugé, s’agissant d’établissements commerciaux, que la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique n’était pas établie ([71]) .

L’instauration d’une présomption de légalité d’un accord collectif conduit en réalité à prévoir qu’il appartient à celui qui conteste un accord de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent.

V.   la facilitation du prêt de main-d’œuvre à des petites ou des jeunes entreprises

L’article 33 de la présente ordonnance a modifié le cadre applicable au prêt de main d’œuvre à but non lucratif en complétant le chapitre premier du titre 4 du livre 2 de la 8ème partie du code du travail, relatif au prêt illicite de main d’œuvre.

Cet article est pris dans le cadre du e) du 3° de l’article 3 de la loi d’habilitation n° 2017-1340, qui vise à favoriser et sécuriser, « par une adaptation des dispositions en matière de droit du travail et de droit fiscal, le prêt de main-dœuvre à but non lucratif entre, dune part, un groupe ou une entreprise et, dautre part, une jeune entreprise ou une petite ou moyenne entreprise ».

Sans revenir en détail sur les enjeux du prêt de main d’œuvre qui ont fait l’objet de plus amples développements dans le cadre du rapport n° 19 rendu dans le cadre du projet de loi d’habilitation, il convient de rappeler que le cadre restrictif antérieurement applicable créait des freins au développement de la pratique des prêts de main d’œuvre entre grands groupes et start-up, en raison de la charge financière pesant sur l’entreprise utilisatrice, aux termes de l’article L. 8241-1 : en effet, le prêt de main d’œuvre à but non lucratif suppose que « lentreprise prêteuse ne facture à lentreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à lintéressé au titre de la mise à disposition ».

Afin de favoriser le prêt de main d’œuvre entre des grands groupes et des start-up, l’article 33 de l’ordonnance a introduit un nouvel article L. 8241-3, qui prévoit qu’un groupe ou une entreprise peut mettre à disposition ses salariés de manière temporaire – dans la limite de deux ans –auprès d’une jeune, d’une petite ou d’une moyenne entreprise, afin de permettre à cette dernière d’améliorer la qualification de sa main d’œuvre, de favoriser les transitions professionnelles ou de constituer un partenariat d’affaires ou d’intérêt commun. C’est l’objet du premier alinéa du I de ce nouvel article L. 8241-3.

Le dispositif proposé définit les critères applicables respectivement aux entreprises prêteuses et aux entreprises utilisatrices.

Les entreprises utilisatrices sont :

– des jeunes entreprises, entendues comme celles ayant moins de huit ans d’existence au moment de la mise à disposition ;

– les petites ou moyennes entreprises, entendues comme les entreprises jusqu’à 250 salariés.

Les entreprises prêteuses correspondent aux groupes ou entreprises d’au moins 5 000 salariés. Le rapporteur souligne qu’il conviendrait de préciser qu’il s’agit des entreprises d’au moins 5 000 salariés ou des entreprises appartenant à un groupe de plus de 5 000 salariés, le groupe ne pouvant être l’entité juridique prêteuse, qui ne peut être qu’une entreprise.

Le dispositif prévoit également que la mise à disposition d’un salarié ne peut intervenir au sein d’un même groupe dans sa définition retenue à l’article L. 2331-1 du code du travail – qui renvoie à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce, plus amplement commentés supra.

La convention de mise à disposition, qui doit obligatoirement être signée dans le cadre d’une opération de prêt de main d’œuvre aux termes de l’article
L. 8241-2, doit dans ce cas préciser la finalité du prêt au regard des critères fixés, à savoir la qualification de la main d’œuvre de l’entreprise utilisatrice, l’objectif de favoriser les transitions professionnelles ou de constituer un partenariat d’affaires ou d’intérêt commun.

Il aurait pu être justifié de préciser que la convention de mise à disposition conclue dans ce cadre doit par ailleurs reprendre le modèle de droit commun, et qu’elle requiert bien l’accord du salarié.

Le II du nouvel article L. 8241-3 pose le principe selon lequel les opérations de prêt de main d’œuvre réalisées dans ce cadre n’ont pas de but lucratif, même lorsque le montant facturé par l’entreprise prêteuse est inférieur aux salaires versés au salarié, aux charges sociales afférentes et aux frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de sa mise à disposition temporaire.

Le III renvoie à un décret en Conseil d’État pour déterminer les conditions d’application de ce nouveau cadre de prêt de main d’œuvre.

D’après les informations transmises au rapporteur, s’agissant du cadre fiscal applicable au prêt de main d’œuvre, un décret est en cours de publication : aucun élément précis n’a toutefois été transmis sur les évolutions concrètes envisagées.

Enfin, en vertu du X de l’article 40 de la présente ordonnance, ces dispositions ont vocation à entrer en vigueur à la date de publication du décret d’application, et au plus tard, au 1er janvier 2018.

VI.   la sécurisation des transferts conventionnels

L’article 34 de la présente ordonnance vise à aménager le 8° de l’article 3 de la loi n° 2017-1340 qui a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance, afin « de sécuriser et de compléter larticle L. 1224-3-2 du code du travail, notamment en ce qui concerne son application dans le temps ».

L’article L. 1224-3-2 du code du travail a été créé par l’article 95 de la loi du 8 août 2016 et concerne les « transferts conventionnels », autrement dit les conventions collectives couvrant certains secteurs – en particulier, celui de la propreté – qui contiennent des stipulations obligeant l’entreprise qui remporte un nouveau contrat avec un client à reprendre l’ensemble des salariés de l’entreprise évincée, dès lors qu’ils travaillaient sur le site du client.

Or, par deux arrêts successifs du 15 janvier 2014 et du 16 septembre 2015, la Cour de cassation a considéré que le transfert conventionnel ne constitue pas une raison objective et pertinente justifiant une différence de rémunération entre salariés. Par conséquent, au nom du principe « à travail égal, salaire égal », si le nouvel employeur ne peut pas justifier cette différence de rémunération, il se trouve dans l’obligation d’étendre les avantages dont bénéficient les salariés du site transféré à l’ensemble de ses propres salariés qui travaillent sur d’autres sites pour d’autres clients.

Cette jurisprudence, qui menaçait la construction des transferts conventionnels, a été mise en échec par la loi du 8 août 2016, qui a introduit un nouvel article L. 1224-3-2 dans le chapitre 4 du titre 2 du livre 2 de la première partie du code du travail, relatif au transfert du contrat de travail : ce nouvel article a prévu que si les contrats de travail sont, en application d’un accord de branche étendu, poursuivis entre deux entreprises prestataires se succédant sur un même site, les salariés employés sur d’autres sites de l’entreprises nouvellement prestataire ne sont pas fondés à invoquer les différences de rémunération résultant d’avantages obtenus avant cette poursuite par les salariés dont les contrats de travail ont été transférés.

L’article 34 de la présente ordonnance a retenu une nouvelle rédaction de l’article L. 1224-3-2 qui dispose désormais que « lorsquun accord de branche étendu prévoit et organise la poursuite des contrats de travail en cas de succession dentreprises dans lexécution dun marché, les salariés du nouveau prestataire ne peuvent invoquer utilement les différences de rémunération résultant davantages obtenus avant le changement de prestataire, par les salariés dont les contrats de travail ont été poursuivis ».

La nouvelle rédaction substitue à la notion de « succession de deux prestataires sur le même site » la notion plus juridique d’« exécution dun marché ».

Cette mesure a pour but d’éviter, par effet de cascade et de mobilités successives, un alignement continu vers le haut des rémunérations entre plusieurs sites et pour différents employeurs, frein évident à la mobilité du salarié, quand bien même cette mobilité serait souhaitée par le salarié lui-même.

Le IX de l’article 40 de la présente ordonnance prévoit enfin que ces nouvelles dispositions sont applicables aux contrats de travail à compter de la publication de la présente ordonnance, c’est-à-dire au 23 septembre 2017, quelle que soit la date à laquelle ces contrats ont été poursuivis entre les entreprises concernées. Dans la mesure où la nouvelle rédaction est facteur de sécurisation du transfert conventionnel, il n’est pas illogique qu’une telle application à des transferts déjà intervenus ait été retenue.


   Titre IV : Renforcer la juridiction prud’homale

I.   Le renforcement de la conciliation prud’homale

Le 4° de l’article 3 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 autorisait le Gouvernement à prendre toute mesure visant à « encourager le recours à la conciliation devant la juridiction prudhomale, en modifiant les règles de procédure applicables durant la phase de conciliation ».

Cette disposition se traduit, à l’article 35 de l’ordonnance, par plusieurs dispositions.

En premier lieu, le I modifie l’article L. 1454-1-3 du code du travail, afin de préciser que les modalités selon lesquelles une partie peut être représentée devant le bureau de conciliation et d’orientation (BCO) seront désormais précisées par décret en Conseil d’État.

En second lieu, le 1° du II supprime la possibilité, en cas de partage – c’est-à-dire si le conseiller prud’homme salarié et le conseiller prud’homme employeur ne parviennent pas à se mettre d’accord –, de renvoyer une affaire directement devant le BCO (article L. 1454-2). En conséquence, l’affaire pourra être renvoyée soit devant le bureau de jugement, soit devant la formation de référé. Il s’agit ici de gagner en efficacité, et d’éviter la redondance des procédures, en ayant recours directement au juge départiteur en cas de partage. Il y a en effet fort à parier qu’en cas de partage devant le BCO, le bureau de jugement, également composé d’un conseiller salarié et d’un conseiller employeur, sera également en difficulté pour trancher le litige.

Le 2° du II précise en outre, au même article, qu’en cas de partage devant le BCO, qui est composé d’un conseiller prud’homme salarié et d’un conseiller employeur (article R. 1454-7 du code du travail), ce dernier doit renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement présidé par le juge du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est institué le siège du conseil de prud’hommes. Cette disposition s’explique, une fois de plus, par un souci d’efficacité et de célérité de la procédure.

Enfin, par coordination avec les modifications apportées au II, le III modifie l’article L. 1454-4 afin de supprimer la référence au BCO lors de l’audience de départage.

II.   Modalités de désignation des conseillers prud’hommes

1.   Prorogation du mandat des conseillers prud’hommes sortants

La loi n° 2014-1528 du 18 décembre 2014 relative à la désignation des conseillers prud’hommes a fait évoluer les modalités de désignation des juges prud’homaux, en remplaçant l’élection des conseillers prud’hommes par une désignation fondée sur la mesure de l’audience des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs.

La loi a prolongé le mandat des conseillers prud’hommes jusqu’au 31 décembre 2017, qui marque le renouvellement général des conseils de prud’hommes. Le premier renouvellement des conseillers prud’hommes selon ces nouvelles règles, au terme duquel les conseillers désignés succèderont aux conseillers élus, aura lieu en janvier 2018. Le renouvellement attendu est de 25 à 30 % ([72]).

De manière transitoire, les anciens conseillers pourront continuer à tenir les audiences et à signer les décisions jusqu’à l’installation publique du conseil de prud’hommes, qui devrait intervenir au cours de la première quinzaine de janvier 2018. Toutefois, selon le Gouvernement, les cours d’appel ont exprimé leur inquiétude quant à la brièveté de cette période de transition ([73]).

Le 5° de l’article 3 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 a donc autorisé le Gouvernement à prendre les mesures de nature législative permettant de prolonger jusqu’au 31 mars 2018 le mandat des conseillers prud’hommes sortants, pour leur permettre de rendre les décisions relatives aux affaires débattues devant eux et pour lesquelles ils ont délibéré antérieurement durant leur mandat.

L’article 36 de l’ordonnance n° 2017-1387 complète donc le I de l’article 2 de la loi du 18 décembre 2014 relative à la désignation des conseillers prud’hommes afin de préciser que « nonobstant lexpiration de leur mandat, et jusquau 31 mars 2018, les conseillers prudhommes sortants demeurent compétents pour rendre les décisions relatives aux affaires débattues devant eux et pour lesquelles ils ont délibéré antérieurement durant leur mandat, à lexclusion de toutes autres attributions liées au mandat dun conseiller en exercice ».

2.   Suppression de l’interdiction de cumul des mandats de conseillers prud’hommes et d’assesseur du tribunal des affaires de sécurité sociale ou du tribunal du contentieux de l’incapacité

Le 6° de l’article 3 de la loi d’habilitation autorisait ensuite le Gouvernement à supprimer l’interdiction de cumuler le mandat de conseiller prud’homme avec, d’une part, celui d’assesseur du tribunal des affaires de sécurité sociale et, d’autre part, celui d’assesseur du tribunal du contentieux de l’incapacité.

L’article 37 de l’ordonnance n° 2017-1387 modifie donc l’article L. 441-1 du code de la sécurité sociale, afin de préciser que la fonction d’assesseur n’est pas incompatible avec celle de conseiller prud’homme.

D’après le Gouvernement, l’incompatibilité existante constitue en effet « un risque sérieux de démission des assesseurs qui souhaitent se voir désigner conseiller prudhomme à lautomne prochain ». L’incompatibilité existante sera levée lorsque les juridictions sociales seront intégrées aux tribunaux de grande instance, en application des dispositions de l’article L. 218-4 du code de l’organisation judiciaire applicable à compter du 1er janvier 2019 ([74]).

III.   Durée du mandat des membres de la Commission nationale de discipline

L’article 38 de l’ordonnance n° 2017-1387  modifie l’article L. 1442-13-2 du code du travail afin de renvoyer à un décret en Conseil d’État le soin de fixer la durée du mandat des membres de la Commission nationale de discipline des conseillers prud’hommes, alors que cette durée a été fixée à 3 ans par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 relative à la croissance, à l’activité et à l’égalité des chances économiques.

Selon les informations transmises au rapporteur, cette mesure vise à aligner la durée du mandat des membres de la Commission nationale de discipline sur la durée du mandat des membres du Conseil supérieur de la prud’homie (CSP), certains représentants étant membres des deux instances. Le mandat des membres du CSP a en effet été relevé à quatre ans en 2017.


   Titre V. L’extension du bénéfice et la revalorisation de l’indemnité de licenciement

Conformément au 9° de l’article 3 de la loi d’habilitation du 17 septembre 2017, qui a habilité le Gouvernement à légiférer pour : « diminuer ou supprimer la condition dancienneté minimale prévue à larticle L. 1234-9 » du code du travail, l’article 39 de la présente ordonnance a ramené cette condition d’un an d’ancienneté ininterrompue à huit mois d’ancienneté ininterrompus.

Rappelons qu’aux termes de l’article L. 1234-9, peut bénéficier de l’indemnité de licenciement le salarié en contrat à durée indéterminée (CDI), qui fait l’objet d’un licenciement, sauf en cas de faute grave ou lourde.

Le second alinéa de cet article fixe les modalités de calcul de l’indemnité minimale de licenciement, qui est fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail, ce taux et ces modalités étant déterminés par voie réglementaire.

Le décret n° 2017-1398 du 25 septembre 2017 portant revalorisation de l’indemnité légale de licenciement a procédé à cette revalorisation et réajusté les modalités de calcul du salaire de référence lorsque la durée de service du salarié dans l’entreprise est inférieure à douze mois, pour tenir compte de la diminution de l’ancienneté requise pour en bénéficier.

Le tableau suivant retrace les modifications apportées à ces modalités de calcul.

modalités de calcul de l’indemnité légale de licenciement
avant et après décret

 

Modalités de calcul antérieures au décret du 25 septembre 2017

Modalités de calcul applicables à compter du 26 septembre 2017

Calcul des mois et années de service accomplis

Indemnité calculée par année de service et des mois de service accomplis au-delà des années pleines

Indemnité calculée par année de service et des mois de service accomplis au-delà des années pleines

En cas d’année incomplète, indemnité calculée proportionnellement au nombre de mois complets

Plancher de l’indemnité

1/5ème de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans

2/15èmes de mois de salaire par année d’ancienneté au-delà de 10 ans

¼ de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans

1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté au-delà de 10 ans

Salaire de référence (formule la plus avantageuse au salarié entre 1° et 2°

1°Le 12ème de la rémunération des 12 derniers mois

2°Le 1/3 de la rémunération des 3 derniers mois

1° La moyenne mensuelle des 12 derniers mois ou, lorsque la durée de service est inférieure à 12 mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement

2° Le 1/3 de la rémunération des 3 derniers mois

Outre l’assouplissement de la condition d’ancienneté requise pour bénéficier de l’indemnité légale de licenciement, le décret précité a donc également procédé à sa revalorisation, puisque le plancher de l’indemnité passe d’un cinquième à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à dix ans d’ancienneté et de deux quinzièmes à un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté au-delà de dix ans d’ancienneté.

Ces nouvelles modalités de calcul de l’indemnité de licenciement sont applicables aux indemnités dues dans le cadre de licenciements et mises à la retraite prononcés et aux ruptures conventionnelles conclues postérieurement à la publication du décret, autrement dit à compter du 26 septembre 2017.

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Article 6 [nouveau]
Modification de plusieurs dispositions issues de lordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail

Cet article résulte de l’adoption par la commission des affaires sociales de neuf amendements visant à modifier les dispositions du code du travail introduites par l’ordonnance n° 2017-1387 précitée.

En premier lieu, deux amendements modifient les dispositions du code du travail relatives au barème prud’homal, introduit par l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 :

 l’amendement AS 164, présenté par M. Aurélien Taché, membre du groupe La République en marche, modifie l’article L. 1235-3 du code du travail afin de préciser que le juge ne peut pas tenir compte de l’indemnité légale de licenciement pour déterminer le montant de l’indemnité accordée au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

 l’amendement AS 240, présenté par le rapporteur, complète l’article L. 1235-3-2 du même code en vue de préciser que les prises d’acte de la rupture de contrat de travail ou de résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement nul ne sont pas soumises au barème impératif. Il s’agit de permettre aux salariés recourant à de telles procédures, fréquemment utilisées par les victimes de discriminations ou de harcèlement, d’être traités de la même façon que les autres salariés victimes de manquements graves de la part de l’employeur.

S’agissant du licenciement pour motif économique, la commission a adopté un amendement de M. Stéphane Viry et des commissaires du groupe Les Républicains (AS 13) pour se prémunir contre la création artificielle de difficultés économiques au sein d’un groupe, notamment par des jeux de présentation comptable.

Concernant le nouveau dispositif des accords portant rupture conventionnelle collective, le rapporteur a souhaité offrir des garanties maximales à cet outils quil juge très prometteur : la commission a ainsi adopté, à son initiative, quatre amendements à ce dispositif :

– le premier pour préciser la durée d’application de l’accord, qui doit correspondre à la durée pendant laquelle il est possible d’engager des ruptures de contrat sur le fondement de l’accord (AS 229) ;

– le deuxième, pour prévoir que l’accord collectif précise obligatoirement les conditions de la rupture conventionnelle individuelle et les délais de rétractation des parties (AS 230) ;

– le troisième (AS 231) pour proposer une nouvelle rédaction des modalités de saisine de l’administration pour un second examen, qui doit obligatoirement passer par une renégociation préalable avec les organisations syndicales de l’entreprise ;

– et enfin, le dernier (AS 241) pour ouvrir le congé de mobilité aux salariés candidats au départ dans le cadre d’un accord portant rupture conventionnelle collective, quel que soit l’effectif de l’entreprise.

La commission a également adopté un amendement du rapporteur (AS 239 rect.) visant à assouplir les modalités de recours au télétravail, lorsque celles-ci n’ont été prévues ni par un accord collectif, ni par une charte de l’employeur. L’article L. 1222-9 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387, prévoyait en effet dans ce cas que le salarié et l’employeur peuvent formalisant un accord organisant le recours au télétravail occasionnel. L’amendement a étendu cette faculté à tous les types de télétravail, qu’il soit régulier ou occasionnel.

Enfin, la commission a adopté un amendement du rapporteur (AS 232) pour préciser que les modalités de prêt de main d’œuvre mises en place dans le cadre de l’ordonnance correspondent bien à un dispositif dérogatoire au prêt de main d’œuvre de droit commun, tout en restant considéré comme un prêt de main d’œuvre à but non lucratif.

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Compte rendu des débats sur les articles 5 et 6

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux amendements portant sur l’ordonnance n° 2017-1387.

Je vous rappelle que l’examen de l’amendement AS237 du rapporteur, autorisant la ratification de cette troisième ordonnance, est réservé jusqu’à la fin des amendements visant à la modifier.

La commission est saisie de lamendement AS76 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. L’accès au droit est un enjeu fondamental, notamment pour les petites entreprises qui n’ont ni DRH ni service juridique. C’est un marqueur d’inégalités entre la grande et la petite entreprise. La question est d’autant plus cruciale que vous avez décidé de renforcer les normes décentralisées, et tout particulièrement la négociation d’entreprise.

Vous proposez, dans un premier temps, la mise en place avant 2020 d’une version numérique du code du travail et, dans un second temps, la création d’un rescrit social. Instaurer un rescrit social n’est pas chose facile. La loi d’août 2016, en son article 61, prévoit déjà que tout employeur de moins de 300 salariés a le droit d’obtenir une information précise et délivrée dans un délai raisonnable. À propos, où en est la mise en œuvre du service public territorial de l’accès aux droits, prévu à ce même article 61 ?

Ce chapitre, au mieux, répète des dispositions législatives déjà adoptées qui n’attendent que d’être appliquées, ou, au pire, constitue un affichage politique sur un sujet qui mériterait une attention de bien plus grande. Il paraît essentiel de réaliser au préalable un diagnostic de l’existant.

Nous proposons la suppression de cet article et l’installation d’un groupe de travail spécifique qui traiterait la question de l’accès au droit en matière sociale.

M. le rapporteur. Vous proposez de supprimer la création, à l’horizon de 2020, d’un code du travail numérique, arguant qu’un tel service est déjà prévu par la loi du 8 août 2016. Ce qui n’est pas faux : un service régional d’accès au droit du travail doit effectivement être déployé, selon le même principe que celui qui sous-tend l’article 1er de cette ordonnance.

Mais loin de se faire concurrence, ces deux dispositifs sont plutôt complémentaires. Celui que vous évoquez repose sur une logique territoriale et un pilotage de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), alors que le code du travail numérique représente son volet national. Dans la mesure où ils se complètent utilement sans se faire concurrence, je ne vois pas l’intérêt d’en supprimer un pour privilégier l’autre. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS12 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. La création de code numérique ne peut que faciliter la recherche d’information de chacune des parties ; c’est donc une bonne chose. Toutefois, nous nous interrogeons sur l’articulation entre les deux textes que vient d’évoquer le rapporteur en les jugeant complémentaires.

Comment le code numérique va-t-il s’articuler avec le dispositif d’appui aux entreprises de moins de 300 salariés, adopté en août 2016 ? Comment va-t-il s’articuler avec la base de données nationale qui doit assurer la publicité des accords d’entreprise depuis septembre 2017 ? Le code numérique tiendra-t-il lieu de rescrit ? Celui qui viendra chercher des informations sur le code numérique aura-t-il un droit de réponse ? Il s’agit, vous l’aurez compris, d’un amendement d’appel.

M. le rapporteur. Votre amendement est satisfait car la notion de dispositions conventionnelles regroupe les accords collectifs conclus à tous les niveaux, celui de la branche, de l’entreprise ou de l’établissement. Vous avez aussi des interrogations plus précises concernant le fonctionnement de cette base de données. Nous pourrons élargir le débat avec Mme la ministre en séance ; à ce stade, je n’ai pas compris s’il s’agissait d’un outil « 2.0 ». Il me semble qu’il s’agit de base de données qui regroupe toutes les informations en les rendant faciles à consulter. Je demande le retrait de votre amendement pour ne pas avoir à émettre un avis défavorable.

M. Stéphane Viry. Je le retire, en gardant la liberté d’y revenir lors des débats dans l’hémicycle.

Lamendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, lamendement AS51 de M. Pierre Dharréville et lamendement AS192 de M. Adrien Quatennens.

M. Pierre Dharréville. L’article 2 de l’ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail instaure le plafonnement des indemnités prud’homales à la charge de l’employeur lorsqu’il licencie sans cause réelle et sérieuse. Loin de sécuriser les salariés, il s’agit de reconnaître un permis de licencier abusivement, l’employeur connaissant à l’avance le prix de sa faute.

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de ces mesures et le rétablissement des dispositions antérieures.

Mme Caroline Fiat. Mes arguments rejoignant ceux de mon collègue Dharréville, je considère que mon amendement est défendu.

M. le rapporteur. Nous avons débattu de ce sujet à diverses reprises, notamment lors de la préparation du projet de loi d’habilitation.

Il y a un vrai sujet lié aux indemnités de dommages et intérêts accordés par le juge prud’homal en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec des pratiques très différentes d’un conseil de prud’hommes à l’autre. Le montant des dommages et intérêts peut varier du simple au triple, voire au quadruple, pour un même niveau d’ancienneté. Cela pose avant tout un problème d’équité pour les salariés. Pour les entreprises, et en particulier pour les très petites entreprises, cette situation est également source d’insécurité.

La définition d’un référentiel obligatoire, proposée par l’ordonnance, va permettre d’homogénéiser les pratiques actuelles et d’assurer une meilleure équité entre les salariés, tout en laissant une latitude souhaitable au juge.

L’ordonnance prévoit que certains types de licenciement nuls, notamment ceux qui font suite à des faits discriminatoires ou de harcèlement, ne sont pas couverts par le barème.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements visant à supprimer ce référentiel obligatoire que j’appelle de mes vœux.

La commission rejette successivement les amendements AS51 et AS192.

Puis elle en vient à lamendement AS75 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. Cet amendement concerne aussi le barème obligatoire aux prud’hommes dont nous avons beaucoup débattu lors de nos derniers travaux. Pour nous, ce référentiel impératif s’apparente à un droit au licenciement abusif, le barème ayant pour effet de faire converger la jurisprudence. Nous devrions plutôt nous interroger sur l’éventuelle augmentation des indemnités légales de licenciement, comme le préconisent les centrales syndicales que nous avons entendues.

M. le rapporteur. Mon argumentaire n’a pas changé depuis tout à l’heure. Mme Bareigts évoque l’augmentation des indemnités légales de licenciement que les organisations syndicales, notamment la CFDT, considèrent comme une avancée. Les indemnités légales de licenciement augmentent bel et bien de 25 % ; c’est une réalité. Quant au barème, il vise à donner un cadre tout en laissant une marge d’appréciation significative au juge. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS79 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. Madame la ministre, cet amendement, qui porte sur les barèmes obligatoires, nous éclairera vraiment sur vos intentions. Si votre objectif est bien de donner une plus grande visibilité aux employeurs, et non d’aboutir à une justice incapable de réparer correctement les abus commis à l’encontre d’un salarié, vous n’aurez aucun mal à émettre un avis favorable à cet amendement.

Nous vous proposons d’adopter un barème précisément établi en fonction des montants octroyés par le juge dans des situations de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ces données sont issues d’une note établie en 2015 par les services de la chancellerie, à partir de l’étude de 400 arrêts rendus en 2014. On s’aperçoit que, dans près de deux tiers des arrêts, les juges ont fixé des indemnités correspondant à une valeur comprise entre six mois et dix-huit mois de salaire, autrement dit deux ou trois fois le seuil légal.

Notre amendement propose de retenir les moyennes constatées. Je vous rappelle, mes chers collègues, qu’il s’agit de licenciements abusifs et que la réparation de ces préjudices ne saurait se concevoir au rabais.

M. le rapporteur. Votre amendement vise à relever à la fois les planchers et les plafonds, dans la ligne de ce que défendait précédemment notre collègue Boris Vallaud en appelant à améliorer les choses, alors que je lui indiquais que nous travaillons à droit constant.

Votre barème relève à six mois de salaire minimum l’indemnité accordée à un salarié ayant moins de deux ans d’ancienneté, allant même jusqu’à accorder six mois de salaire minimum à un salarié n’ayant aucune année d’ancienneté. Autrement dit, vous allez beaucoup plus loin que le droit antérieur qui ne prévoyait pas de plancher pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise.

Vous relevez également très significativement les montants plancher des indemnités accordées aux salariés, allant jusqu’à quinze mois de salaire minimum à partir de vingt ans d’ancienneté. Ce montant se situe très au-delà des six mois obligatoires prévus auparavant par le code du travail. Comme vous avez été un peu taquine, je le serai aussi en vous faisant observer que votre majorité n’a pas modifié ces seuils au cours des cinq ans durant lesquels elle était au pouvoir. Je peux comprendre que ce n’était pas la préoccupation de la mandature précédente…

Enfin, vous doublez tous les plafonds, ce qui a le mérite d’être clair : on multiplie tout par deux jusqu’à quarante mois de salaire brut pour un salarié ayant trente ans d’ancienneté ou plus. Cela me paraît assez éloigné de l’objectif d’homogénéisation des pratiques des conseils de prud’hommes, quoi qu’en dise votre exposé sommaire. Avis défavorable.

Mme Éricka Bareigts. Monsieur le rapporteur, ces données ne résultent pas d’un travail personnel : elles sont tirées d’une note établie en 2015 par les services de la chancellerie, à partir de l’analyse de 400 arrêts rendus en 2014. C’est au regard de la pratique jurisprudentielle que nous proposons ces barèmes.

M. Pierre Dharréville. Tout en restant très opposé à l’établissement d’un barème, je trouve cet amendement avec sa nouvelle grille plutôt sympathique… À la lumière des explications d’Éricka Bareigts, nous comprenons que votre barème aura inévitablement une incidence sur la jurisprudence. Il permettra sans doute d’homogénéiser les pratiques, mais peut-être aussi d’abaisser le niveau des dommages et intérêts versés. Il serait de bonne politique de s’inspirer de la jurisprudence, du travail sérieux effectué par la justice. Si l’on doit légiférer en ce sens, il faudrait peut-être établir un barème plus proche du réel.

M. Boris Vallaud. Je tenais à insister sur un fait : nous n’avons pas décidé, de façon unilatérale, que ces barèmes étaient les bons ; ils résultent de l’analyse précise de 400 arrêts rendus en 2014, et vous pourriez demander à la chancellerie de communiquer cette étude. Nous ne remettons pas en cause vos objectifs : sécuriser les relations, rendre les décisions plus prévisibles et homogènes. Notre proposition pourrait même contribuer à prévenir des contentieux futurs, en permettant de mieux assurer une réparation intégrale du préjudice, ce qui ne serait pas le cas avec des barèmes très éloignés de la jurisprudence antérieure.

M. Gérard Cherpion. Je suis un peu étonné. Au cours de la dernière législature, les membres de la majorité n’ont jamais songé à relever les barèmes des prud’hommes dans les conditions légales. Et maintenant, ils viennent maintenant nous expliquer qu’il faut augmenter ces barèmes dans des conditions spéciales… Qui plus est, le décalage était important entre les pratiques françaises et celles d’autres pays européens. Faisons preuve d’un peu d’humilité et reconnaissons que ce qui nous est proposé est plutôt juste.

Mme Caroline Fiat. Au vu des explications données par nos collègues du groupe Nouvelle Gauche, et étant donné que tout le monde a droit à une seconde chance dans la vie, nous voterons pour leur amendement.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS83 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. Vous prévoyez des indemnités particulièrement réduites pour les salariés des TPE. Au-delà du fait que vous considérez qu’un salarié d’une TPE doit être moins bien traité qu’un salarié d’une grande entreprise ou d’une entreprise de taille intermédiaire (ETI), vous faites fi de la censure de Conseil constitutionnel intervenue récemment. Les sages considèrent, en effet, que la distinction en fonction de la taille de l’entreprise est contraire à la Constitution.

Parce que nous sommes contre les montants appliqués, à savoir deux mois et demi de salaire pour dix ans d’ancienneté, et parce que nous considérons que le risque constitutionnel n’est pas levé, nous proposons la suppression de cet alinéa et de ce barème.

M. le rapporteur. Vous vous inquiétez, ma chère collègue, de la recevabilité de ces dispositions.

Le barème dérogatoire que vous souhaitez supprimer, applicable aux entreprises de moins de onze salariés, ne comporte que des planchers dérogatoires ; les plafonds d’indemnités applicables dans ces entreprises sont les mêmes que pour les entreprises d’au moins onze salariés.

Jusqu’à la publication des ordonnances, aucun plancher n’était applicable lorsque le salarié licencié avait moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise ou lorsque le licenciement était intervenu dans une entreprise de moins de onze salariés. La réparation était déterminée par le juge en fonction du préjudice subi.

Cette absence de plancher, et donc cette différence de traitement selon la taille de l’entreprise, avait été validée par le Conseil constitutionnel. Le 13 octobre 2016, celui-ci avait jugé en l’espèce que, « dans la mesure où les dispositions contestées ne restreignaient pas le droit à réparation des salariés, le législateur pouvait limiter le champ dapplication de cette indemnité minimale en retenant le critère des effectifs de lentreprise. »

Comme je suis d’accord avec le principe selon lequel il vaut mieux éviter de faire peser une charge trop lourde sur les petites entreprises, qui sont économiquement les plus fragiles, je suis défavorable à votre amendement.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS80 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. La saisine du juge prud’homal est par nature protéiforme. Si elle tend le plus souvent, pour le salarié, à voir condamner une rupture du contrat de travail à durée indéterminée, son objectif ne se limite pas à la seule réparation du licenciement dépourvu de motif. Sont ainsi en jeu, à titre accessoire, le versement de salaires impayés ou d’heures supplémentaires, le paiement d’indemnités légales ou conventionnelles de licenciement, les congés payés afférents, le préavis.

C’est donc la totalisation des condamnations se rapportant à l’ensemble de ces demandes qui constitue ce qui peut être qualifié de « coût juridictionnel de la rupture », notion parfois confondue avec l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, stricto sensu.

Votre alinéa propose de laisser la possibilité au juge de tenir compte des autres indemnités versées. En fait, vous proposez d’ouvrir la possibilité d’établir un barème non plus pour les seules indemnités liées au licenciement abusif mais bien pour l’ensemble des indemnités, en permettant au juge d’élargir le périmètre d’appréciation de celles qui pourraient être versées dans le cadre des montants maximums prévus par le barème obligatoire.

Vous le reconnaissez vous-même, Monsieur le rapporteur, car en page 7 de votre projet de rapport, vous écrivez : « Toutefois, léventuel cumul des indemnités doit impérativement respecter le montant maximum prévu par le barème obligatoire. »

M. Sylvain Maillard. Rappelons que nous avons augmenté l’indemnité légale de 25 %, ce qui permet de rattraper un retard que nous avions enregistré par rapport à nos voisins européens.

Nous voulons aussi sécuriser les employeurs, leur permettre de sortir de leur frilosité : ils renoncent parfois à embaucher par peur d’avoir à gérer un licenciement compliqué. Plusieurs d’entre nous ont connu ces situations qui peuvent arriver à tout le monde. Qu’il y ait erreur ou faute – appelons cela comme on veut –, il faut que le salarié en soit dédommagé. En même temps, il ne faut pas que l’entreprise soit mise en péril et que l’employeur soit dissuadé d’embaucher par la suite.

Voilà notre objectif. Nous avons trouvé un équilibre par rapport à la situation antérieure. M. le rapporteur l’a parfaitement expliqué ; nous resterons sur cette position.

M. le rapporteur. Je voudrais vous remercier, cher collègue Boris Vallaud, d’avoir lu mon projet de rapport avec intérêt, au moins jusqu’à la page 7 (Sourires.) Comme vous avez eu la gentillesse de le citer, vous ne serez pas surpris qu’un de vos collègues, qui a dû le lire aussi, ait déposé un amendement qui devrait répondre en partie à vos inquiétudes : je veux parler de l’amendement AS164 d’Aurélien Taché.

La référence à l’article L. 1235-3, selon laquelle le juge peut tenir compte des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, vise à rappeler que le montant de l’indemnité peut être pris en compte par le juge dans l’appréciation de la situation financière du salarié et donc pour déterminer le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’amendement d’Aurélien Taché répond au moins en partie à votre inquiétude, en précisant que le juge ne peut, en aucun cas, tenir compte de l’indemnité légale de licenciement pour fixer le montant de l’indemnité accordée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. À mon sens, il s’agit d’ailleurs plus d’une précision que d’autre chose, mais autant qu’elle soit apportée.

Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement AS164 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché. Mon amendement vise en effet à préciser que le juge ne peut, en aucun cas, tenir compte de l’indemnité légale pour déterminer le montant de l’indemnité accordée au salarié en cas de licenciement abusif. Les deux indemnités sont bien distinctes.

M. le rapporteur. Cet amendement, je viens de le dire, va dans le bon sens : l’indemnité légale de licenciement, revalorisée par décret cet été, je le rappelle, doit être versée au salarié dans tous les cas, quelle que soit la cause du licenciement. Il ne serait pas juste que le montant de cette indemnité puisse être pris en compte pour permettre au juge de moduler l’indemnité versée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Avis favorable.

M. Pierre Dharréville. La précision me semble utile. Je voterai avec grand plaisir pour cet amendement.

M. Boris Vallaud. Je voterai aussi pour cet amendement, même s’il ne répond pas à toutes les questions soulevées dans celui que j’avais moi-même proposé : le versement de salaires impayés, le versement d’heures supplémentaires, les congés payés afférents, le préavis. Il aurait été juste de tout prendre en considération.

La commission adopte lamendement.

Puis elle examine lamendement AS81 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Le dernier alinéa de l’article L. 12353 du code du travail, tel qu’il résulte de l’ordonnance, propose de plafonner la somme des indemnités liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’autres indemnités qui n’ont absolument rien à voir et qui sont liées au licenciement économique : les indemnités versées en cas de non-respect par l’employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative ; celles versées en cas de non-respect de la priorité de réembauche ; celles versées en cas de licenciement économique dans une entreprise qui n’aurait pas de comité d’entreprise ou de délégué du personnel alors qu’elle y est légalement tenue.

Par cet alinéa, vous faites la démonstration que votre barème obligatoire va bien au-delà de la simple prévisibilité pour les entreprises. Il vise à réduire autant que possible les indemnités auxquelles le salarié licencié irrégulièrement aurait droit. Nous demandons la suppression de cet alinéa que l’augmentation de 25 % de l’indemnité légale ne saurait compenser.

M. le rapporteur. Une partie de ma réponse est liée à l’amendement que nous venons d’adopter.

L’intérêt du barème obligatoire est d’améliorer la prévisibilité pour les entreprises et pour les salariés. Le juge peut tenir compte des autres indemnités – mais non pas des indemnités légales – pour fixer le montant de l’indemnité allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Comme pour tous les autres éléments objectifs qui interviennent dans l’appréciation du juge, la prise en compte d’autres indemnités ne peut conduire à déroger ni aux planchers, ni aux plafonds fixés par le barème ; sinon ce dernier n’aurait plus d’objet et ne répondrait plus à l’objectif de prévisibilité qui lui a été assigné. Avis défavorable.

Mme Catherine Fabre. À mon sens, le barème ne va pas conduire à donner un minimum d’indemnités au salarié licencié irrégulièrement, mais il va faciliter la conciliation et éviter un passage aux prud’hommes. Connaissant le plafond auquel il a droit, le salarié aura beaucoup plus de facilité à négocier directement. S’il obtient un montant égal ou supérieur au plafond, il renoncera au procès.

Cette négociation directe permettra à des salariés licenciés irrégulièrement d’obtenir les indemnités dues, alors qu’ils n’auraient pas forcément assigné leurs employeurs aux prud’hommes, ce qui réclame du temps et de l’énergie. Avec le nouveau dispositif, il leur sera plus facile de faire valoir leurs droits. Contrairement à certains collègues, je soutiens que davantage de salariés obtiendront réparation des dommages subis.

M. Pierre Dharréville. Cette logique me semble discutable. Je ne sais pas s’il est juste de vouloir dissuader les gens d’user de leur droit d’aller devant le juge pour obtenir réparation ; à supposer que nous entrions dans cette logique, nous devrions adopter un barème un peu plus dissuasif.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS74 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Les licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une exceptionnelle gravité, notamment par des actes de harcèlement ou de discrimination, sont exclus du barème obligatoire.

Toutefois, vous avez supprimé les dispositions qui rappellent que cette indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire lorsque celui-ci est dû pendant la période couverte par la nullité, le cas échéant de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle, ce qui ne nous paraît pas tout à fait acceptable.

M. le rapporteur. J’étais un peu perplexe à la lecture de votre amendement : ainsi rédigé, il réduit le champ des licenciements nuls qui sont exclus de l’application du barème obligatoire… Je ne crois pas que ce soit l’objectif poursuivi par son auteur.

Autrement dit, si la commission adoptait cet amendement, les licenciements déclarés nuls par le juge en raison de la dénonciation de crimes et délits, du non-respect des règles applicables au licenciement des salariés protégés, ou les licenciements survenant à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, seraient désormais soumis au barème obligatoire. Les salariés concernés perdraient le bénéfice de l’indemnité minimale de six mois de salaire.

Je ne pense pas, mon cher collègue, que ce soit l’intention de votre amendement mais, en l’état, je ne peux qu’y donner un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement AS78 de M. Boris Vallaud.

Mme Éricka Bareigts. Nous en arrivons à un autre sujet majeur.

Pour les licenciements nuls, et notamment ceux intervenus en violation des dispositions relatives au harcèlement sexuel, la loi ne prévoyait rien avant 2016. La Cour de cassation avait toutefois pallié ce manque en décidant, dans une jurisprudence constante, que le préjudice découlant d’un licenciement déclaré nul lorsque le salarié ne réintégrait pas l’entreprise devait être indemnisé par une somme qui ne pouvait être inférieure aux salaires des six derniers mois, et ce quels que soient le nombre de salariés dans l’entreprise et leur ancienneté. La Cour de cassation avait donc institué une protection plus importante pour les salariés victimes d’un licenciement discriminatoire, et en toute logique, puisque ce sont les licenciements considérés comme les plus graves et les plus attentatoires à l’ordre public.

L’article 123 de la loi travail d’août 2016 a codifié cette jurisprudence, dans la continuité des travaux de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale.

Le présent amendement vise à porter à douze mois l’indemnité minimale pour plusieurs raisons. Pour commencer, il reprend des dispositions qui avaient déjà été adoptées par le Parlement en 2014 dans le cadre de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ; ensuite, le minimum actuel de six mois ne contraint pas les employeurs à mettre en place la prévention du harcèlement sexuel, alors qu’il s’agit d’une obligation légale ; enfin, comme l’a souligné l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, ce minimum de six mois ne répare pas le cataclysme que les violences sexuelles au travail ont provoqué dans la vie des victimes, c’est-à-dire les atteintes à la santé, la dislocation de la vie de famille, ou encore la perte de chance de retrouver un emploi équivalent.

M. le rapporteur. Lorsque l’on est face à ce type de préjudice, la question n’est pas de savoir si six, huit ou douze mois de salaire sauront le réparer. C’est d’ailleurs ce que je crois comprendre de votre dernière phrase, mais elle me paraît un peu déconnectée du reste de votre argumentaire.

Vous souhaitez relever à douze mois l’indemnité minimale de six mois accordée aux salariés dont le licenciement a été annulé, notamment en raison de la violation d’une liberté fondamentale, de faits discriminatoires ou de harcèlement.

Il est évident que nos décisions ne doivent pas conduire à moins bien protéger les victimes de harcèlement et de discriminations, et je crois que tel est votre objectif. C’est pour cette raison qu’aucune indemnité plafond n’a été instaurée pour ces cas de nullité et que le plancher d’indemnisation, fixé à six mois de salaire, a été fait à droit constant.

Cela dit, je ne veux pas éluder ce problème en répondant que cela a été fait à droit constant, car vous et moi savons très bien que sur le fond ce n’est pas qu’une question de nombre de mois de salaire, même si cela constitue une forme de réparation.

Je ne suis pas convaincu de la nécessité de relever à douze mois ce plancher. Partons du postulat que le droit précédent était insuffisant et qu’on relève le plancher. Pour toutes les situations, il est important de laisser une marge d’appréciation au juge. Si celui-ci estime que la cause du licenciement le justifie, il pourra bien sûr accorder une indemnité supérieure à six mois, voire supérieure à douze mois. On sait très bien que le juge a une exigence en fonction de la situation qui lui est soumise.

Par ailleurs, la lutte contre le harcèlement et les discriminations doit se situer également en amont et pas seulement au stade de la réparation devant le juge prud’homal, l’arsenal législatif qui interdit ces pratiques étant déjà assez fourni. Comme l’a dit la ministre tout à l’heure, des efforts peuvent encore être réalisés dans les entreprises pour lutter et dénoncer ces pratiques illégales, mais cela doit se faire en amont et pas seulement à l’issue d’un licenciement illégal. Je crois avoir rappelé tout à l’heure, en réponse à un amendement de M. Ratenon, qu’il existait au moins quatre possibilités de saisine directe d’un salarié qui s’estimerait victime de types de comportement, notamment en matière de harcèlement. Autrement dit, nous disposons déjà d’outils efficaces et exigeants.

Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.

Mme Éricka Bareigts. Monsieur le rapporteur, sur un sujet comme celui-là, nous essayons de trouver la meilleure solution et de contribuer à la réflexion. Il ne s’agissait évidemment pas pour nous de résumer le combat contre ce problème majeur à plus ou moins quelques mois. Nous avons entendu toute l’argumentation de Mme la ministre ce matin sur ce sujet ; je peux vous garantir que nous sommes aussi dans la vie réelle et que nous connaissons quelques cas. Bien sûr, il faut traiter les choses en amont, mais en demandant le relèvement du plancher à douze mois, nous voulons montrer aux entreprises que ce sujet est majeur et qu’une indemnité minimale de six mois est insuffisante. C’est un sujet de société profond qui méritera encore quelques réflexions et propositions.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS70 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Aux côtés des modes de rupture du CDI expressément prévus par la loi que sont le licenciement, la démission et la rupture conventionnelle, la jurisprudence avait admis la possibilité pour le salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail en raison de manquements de l’employeur à ses obligations. Cette possibilité a été codifiée en 2014. La prise d’acte produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire dans certains cas d’un licenciement nul, si bien sûr les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Par cette disposition, vous soumettez à votre barème prud’homal obligatoire la procédure devant le conseil de prud’hommes en cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, et le montant de l’indemnité octroyée est déterminé conformément à ce barème.

Faut-il comprendre que la prise d’acte du contrat de travail ou la résiliation judiciaire de celui-ci, en raison par exemple d’agissements de harcèlement moral qui, selon la jurisprudence, a les effets d’un licenciement nul, resterait soumise à ce barème ou si un licenciement prononcé pour un motif de cette nature qui entraînerait sa nullité ne le serait pas ? Il faut s’accrocher, mais je suis sûr que vous avez vu cela à tête reposée, monsieur le rapporteur…

M. le rapporteur. J’avais pointé du doigt ce sujet déjà évoqué par Mme Bareigts et sur lequel le défenseur des droits m’avait sollicité.

Il peut paraître normal que les cas de prise d’acte faisant suite à des faits de harcèlement ou de discrimination soient soumis au barème, alors que les licenciements jugés abusifs pour les mêmes raisons ne le sont pas. Mon amendement AS240, que nous allons examiner dans quelques instants, exclut de l’application du barème les ruptures consécutives à une résiliation judiciaire ou prise d’acte entachée de faits portant atteinte à une liberté fondamentale, dans les mêmes conditions que pour les licenciements nuls. Je sais que vous voterez avec plaisir cet amendement si vous estimez qu’il va dans le sens que vous souhaitez. Je vous propose donc de retirer votre amendement au bénéfice de mon amendement AS240. À défaut, j’émets un avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je retire l’amendement, en souhaitant que le vôtre soit adopté ! (Sourires.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Quel suspense !

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement AS240 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement a le même objet que le précédent : il vise le cas des prises d’actes qui peuvent être assimilés à des licenciements nuls, auquel cas les indemnités décidées par le juge se retrouvent soumises au barème obligatoire. Or ces modes de rupture du contrat de travail sont fréquemment utilisés par les victimes de discriminations, de harcèlement discriminatoire ou de harcèlement sexuel, puisqu’ils permettent de mettre fin immédiatement à une relation de travail entachée de manquements graves de l’employeur.

Afin que les salariés recourant à de telles procédures soient traités de la même façon que les autres victimes de harcèlement et de discrimination, je propose donc de modifier l’article L. 1235-3-2, afin de préciser que le barème obligatoire n’est pas applicable dans les cas où la rupture produit les effets d’un licenciement nul, c’est-à-dire dans les cas limitativement énumérés à l’article L. 1235-3-1 – violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral ou sexuel, licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice.

La commission adopte lamendement.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite lamendement AS84 de M. Boris Vallaud.

La commission est saisie, en discussion commune de lamendement AS216 de M. Adrien Quatennens, et de lamendement AS77 de M. Boris Vallaud.

M. Jean-Hugues Ratenon. Le licenciement est une souffrance pour ceux qui en sont victimes. Il plonge dans l’incertitude des familles entières qui se demandent si elles pourront payer leur loyer le mois prochain alors que le montant de leur aide personnalisée au logement (APL) va diminuer, et si elles pourront continuer à se soigner alors que la sécurité sociale subit une cure d’austérité. Cette souffrance est encore accentuée quand il s’agit d’un licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse. Le Gouvernement facilite pourtant allègrement ces licenciements par ses ordonnances. Nous avons déjà dénoncé à plusieurs reprises la barémisation des dommages et intérêts. Avec le peu de prérogatives que vous leur laissez, les juges ne peuvent décider de la réintégration du salarié dans l’entreprise quand la nullité du licenciement est établie. Le retour à l’emploi correctement rémunéré est alors la meilleure chose qui puisse arriver. Toutefois, cette réintégration peut être jugée impossible pour plusieurs raisons, par exemple les pressions que subirait le salarié.

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, nous proposons donc que le plancher soit réajusté de six à dix‑huit mois.

Par ailleurs, nous souhaitons que le salarié licencié pour motif économique puisse bénéficier d’une priorité de réembauche durant un délai d’un an et que le plancher, en cas de non-respect de la priorité de réembauche, soit relevé d’un à quatre mois. Il s’agit, à chaque fois, de tenir compte de la difficulté de retrouver un emploi en raison d’un marché du travail atomisé par les politiques de libéralisation, de dérèglement et d’austérité.

Notre amendement AS216 tend à préserver la possibilité d’une libre décision des salariés.

M. Boris Vallaud. Vous divisez par deux le plafond de l’indemnité due au salarié dont le licenciement est nul et pour lequel la réintégration ou la poursuite de son contrat de travail est impossible. Ainsi, le plancher serait de six mois de salaire, contre douze auparavant.

Certes, au-delà de ce minimum légal, la fixation du montant de l’indemnité relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond, mais vous risquez de faire du plancher un plafond et de porter ainsi une atteinte grave au régime de sanction de la nullité. C’est la raison pour laquelle nous proposons, dans l’amendement AS77, de rétablir le plancher de douze mois.

M. le rapporteur. Monsieur Ratenon, votre amendement vise à relever de façon extrêmement significative, puisque vous proposez de passer de six à vingt-quatre mois, l’indemnité accordée en cas de nullité du licenciement collectif – le droit applicable avant l’ordonnance était de douze mois –, et d’un à quatre mois celle accordée en cas de non-respect de la priorité de réembauche – le droit applicable avant l’ordonnance était de deux mois. Vous proposez d’aller beaucoup trop loin, beaucoup plus loin même que le droit antérieur aux ordonnances sans que cela soit justifié par une situation particulière. Vous comprendrez donc que je sois défavorable à cet amendement.

Je répondrai à M. Vallaud qu’il s’agit là d’une question de cohérence puisque les autres cas de nullité sont sanctionnés par une indemnité de six mois. Mais six mois, c’est seulement un plancher ; la liberté d’appréciation du juge est totale. Il aura donc toute liberté, à partir de ce plancher-là, de fixer l’indemnité, par exemple à quinze mois, dix-huit mois ou plus.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient ensuite à lamendement AS85 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Vous avez réduit le plancher de l’indemnité versée en cas de non-respect de la priorité de réembauche de deux mois à un mois. Nous n’y sommes pas favorables. En réduisant les sanctions des obligations auxquelles sont tenus les employeurs, vous en favorisez la non-application.

Les amendements que nous venons de défendre permettent de mettre en lumière la régression discrète contenue çà et là dans votre texte. Nous demandons donc le rétablissement du plancher à deux mois.

M. le rapporteur. Le texte n’avait pas pour objectif d’être discret… C’est d’ailleurs tant mieux, la représentation nationale s’en saisit et en discute.

Je vous parlais à l’instant de cohérence. Ce n’est pas une sanction, mais un plancher en dessous duquel on ne peut pas descendre. Et ce n’est pas parce que l’employeur n’a pas réembauché une personne qu’il aura une amende. Par contre, si la personne qui n’a pas été réembauchée se présente devant le juge, celui-ci apprécie la situation et fixe une indemnité qui ne peut être inférieure au plancher.

La commission rejette lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement AS87 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il s’agit là de la nullité des licenciements discriminatoires ou contraires aux dispositions relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes. Une fois encore, vous prévoyez un plancher d’indemnités au rabais – six mois – résultant d’agissements d’une particulière gravité et qui rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Nous vous proposons donc, conformément à l’amendement dont nous avons discuté précédemment, de porter à douze mois de salaire le plancher d’indemnités versées aux victimes de discrimination et d’agissements graves. Il est vrai que nous ne perdrions pas cette cohérence si nous fixions tous les planchers à douze mois.

M. le rapporteur. Je m’attendais à cette proposition… Mais retenez que c’est parce qu’il s’agissait d’un plan de sauvegarde de l’emploi que les conditions étaient un peu spécifiques.

Là aussi, il ne s’agit pas de priver quelqu’un du bénéfice d’une réparation puisque le juge aura tout loisir d’aller au-delà de ce plancher. J’ai bien compris qu’en fixant un plancher de douze mois, vous voulez être certain que je juge ne pourra pas décider une indemnité inférieure à ce plancher. Pour ma part, je pense que le juge doit avoir une latitude d’appréciation. Cela dit, je suis favorable au principe d’un plancher. J’en veux pour preuve que je défends l’existence d’un plancher cohérent pour tous à six mois en matière de licenciements nuls.

Je rappelle que ces licenciements ne sont pas soumis au barème des dommages et intérêts et que nous venons de préciser les choses grâce à l’amendement AS164 que vous auriez presque pu codéfendre avec Aurélien Taché.

Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle étudie ensuite lamendement AS88 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Nous proposons d’alourdir les sanctions applicables aux employeurs qui ne respectent pas leurs obligations relatives à la protection de la grossesse et de la maternité.

M. le rapporteur. Une fois de plus, nous n’avons pas tout à fait la même lecture : il s’agit pour nous d’une réparation et non d’une amende. Nous sommes bien dans le cas d’une indemnité qui pourra être supérieure au plancher.

Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement AS34 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’article 4 de l’ordonnance n° 20171387 instaure un droit à l’erreur pour les employeurs lorsque les conditions de licenciement n’ont pas respecté les formes légales et en vigueur. Vous voulez sécuriser les employeurs, mais vous plongez dans l’insécurité les salariés qui seront licenciés au mépris des formes élémentaires de la procédure et même du droit commun.

Pour l’employeur comme pour le salarié, le respect des formes de la lettre de licenciement est un atout qui permet d’éviter des litiges ou des erreurs. Vous mettez bel et bien fin ici aux vices de forme dans le domaine du travail sous prétexte qu’un patron qui licencie serait forcément de bonne foi. Et même s’il peut l’être, la question n’est pas là : on navigue encore dans ce discours qui nie les relations de subordination entre employeur et employé, qui sont à la base du droit social dans ce pays. On ne comprend donc pas quel est l’intérêt de cet article qui ne contribue finalement qu’à banaliser l’acte de licenciement.

Quand il s’agit de défendre les chefs d’entreprise, vous savez faire la distinction entre la fraude et l’erreur : Ainsi, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous alourdissez les amendes contre les présumés fraudeurs et contre les agents des caisses de la sécurité sociale qui ne transmettent pas les documents permettant la traque. Ici, vous établissez un droit à l’erreur a priori pour les employeurs… Ils n’en attendaient pas tant de votre part ! Votre logique du deux poids et deux mesures accentue encore le déséquilibre du rapport de force entre employeur et employé. L’absence ou la présence erronée de mention et d’éléments sur un acte de licenciement peuvent affecter considérablement le sens de l’acte. Pour prévenir la banalisation de ce type d’erreur fatale pour une véritable transparence et un rapport d’égalité de l’employé et de l’employeur devant le droit, et contre la banalisation d’un acte de licenciement, nous demandons donc la suppression de ce dispositif.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous proposez en fait de revenir au droit antérieur s’agissant des règles de procédure et de motivation du licenciement ; or l’article 4 de l’ordonnance n° 2017-1387 a introduit plusieurs innovations importantes qui sont, à mon sens, facteur de progrès et de sécurisation.

Premièrement, la mise en place de modèles de lettres de licenciement ne peut être qu’à l’avantage de l’employeur comme du salarié, car cela permet de bien avoir présent à l’esprit ce qui s’impose à chacune des parties.

L’employeur doit aussi justifier pourquoi il envisage de licencier son salarié et le préciser. Il sait aussi qu’il doit respecter des délais, qu’il doit organiser un entretien préalable qui lui permet de se forger une opinion par rapport aux faits qu’il pense avoir à reprocher au salarié. Cette procédure est inchangée. L’existence de ce document permettra à cette procédure de prendre corps là où elle n’était peut-être pas utilisée complètement. Cette procédure sera aussi bien à l’avantage du salarié qu’à celui de l’employeur.

Deuxièmement, la possibilité est donnée à l’employeur de préciser – j’ai bien dit préciser et non compléter : l’employeur ne refait pas le courrier de licenciement, il peut préciser les éléments qu’il a indiqués mais pas en invoquer de nouveaux – son ou ses motifs de licenciement en aval de l’envoi de la lettre de licenciement. Il est également précisé que si l’insuffisance de motivation représente bien une irrégularité de forme, elle n’est pas en soi constitutive d’une absence de cause réelle et sérieuse. Trop souvent, le juge assimile l’insuffisance de motivation à son absence ; or ce n’est pas parce que l’on motive mal qu’il n’y a pas de motif.

Troisièmement, l’ordonnance prend en compte le traitement de la pluralité des motifs de licenciement, et notamment le cas où l’un des motifs présente un risque de nullité du licenciement.

Enfin, un CDD ou un contrat de mission ne peut plus être mécaniquement requalifié en CDI au seul motif que le contrat n’a pas été transmis dans les délais. Là encore, il s’agit plus d’un non-respect formel, et la sanction de requalification automatique en CDI paraît totalement disproportionnée.

Sur tous ces points donc, il me semble que la rédaction proposée par l’ordonnance est de nature à renforcer la sécurité juridique des deux parties et à faire en sorte que la procédure de licenciement soit moins vécue comme une sorte de loterie, en tout cas lorsqu’elle est contestée, ce qui est, avouons-le, assez souvent le cas aujourd’hui. Comme nous l’avons dit tout à l’heure, les études dont nous ont fait part les uns et les autres ont montré que les dommages et intérêts varient d’un à quatre. Le salarié qui aura touché quatre se gardera bien d’aller voir comment se débrouille celui qui aura touché un… Il est donc bon qu’il y ait une cohérence d’ensemble.

M. Sylvain Maillard. Madame Fiat, je vais tenter de vous convaincre, même si je sais que ce sera difficile, car j’ai trouvé vos propos un peu déplacés.

Nous connaissons tous des gens qui ont été licenciés, et vous avez parfaitement décrit la douleur que cela peut représenter. À cela s’ajoute l’attente de la décision prud’homale qui peut prendre un ou deux ans. On discute sur le préjudice, la valeur du préjudice, l’indemnisation. Nous voulons un barème pour donner une plus grande lisibilité à l’employeur et à l’employé afin de faciliter des règlements transactionnels, comme cela existe dans la totalité des pays européens, et ainsi de limiter le recours aux prud’hommes. Il faut que le salarié sache très rapidement ce à quoi il a droit et que l’employeur puisse payer le plus rapidement possible pour que l’employé licencié puisse reconstruire sa vie dans une autre entreprise, dans un autre contexte.

Dans la vie réelle, l’employeur aura tout intérêt à transiger rapidement parce que s’il va aux prud’hommes, la sanction sera soumise à cotisations patronales ; autrement dit, cela lui coûtera plus cher qu’une transaction. L’intérêt de l’employeur est de toute façon de transiger avant. Avec un barème, le salarié pourra plus rapidement avoir la juste rémunération ou la juste transaction, ce qui lui permettra de reconstruire sa vie plus rapidement.

M. Boris Vallaud. Je comprends un certain nombre de ces arguments : les délais sont fortement liés aux moyens que l’on accorde à la justice prud’homale, et ils sont extrêmement variables d’un tribunal à l’autre. Certains tribunaux sont totalement engorgés.

Si l’on constate des écarts considérables d’un tribunal à l’autre et alors que l’ancienneté est la même dans une entreprise, c’est parce que la réparation du préjudice n’est pas seulement fonction de l’ancienneté mais aussi de l’appréciation de la nature individuelle du préjudice. Si vous avez deux ans d’ancienneté, le préjudice ne sera pas le même si vous êtes un jeune célibataire de vingt-cinq ans sans enfant ou si vous êtes une femme et que vous avez des enfants en bas âge. C’est pour cela que le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice. Tout à l’heure, vous avez proposé un barème pragmatique qui permettait cette prévisibilité, mais il était fondé sur des appréciations connues. Nous ne sommes pas d’accord avec le principe du barème, mais nous essayons de colmater la brèche.

Il faut aussi regarder les choses sous ce point de vue. Je ne dis pas que le vôtre est totalement faux, mais je ne crois pas que le nôtre soit totalement inexact non plus.

Mme Caroline Fiat. Monsieur Maillard, vous n’avez pas réussi à me convaincre… Quand vous dites que la conciliation pourrait être plus rapide et que le salarié pourrait toucher plus rapidement son argent, vous êtes dans le monde parfait où l’employeur admet qu’il a fait une erreur. Or lorsqu’on va devant les prud’hommes, c’est le plus souvent que soit l’employeur, soit l’employé refuse d’admettre qu’une erreur a été commise. On se retrouve alors devant une instance paritaire composée d’employés et d’employeurs et ce sont eux qui décident. Et si les délais sont trop longs, il suffit d’ouvrir plus de chambres prud’homales, comme nous l’avons déjà proposé.

La commission rejette lamendement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Hier, la commission s’est arrêtée à l’examen de l’ordonnance 2017-1387, à l’amendement AS89, après l’article unique.

La commission est saisie de l’amendement AS89 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Jusqu’à présent, lorsque l’employeur commettait une irrégularité dans la motivation ou la procédure de licenciement, celui-ci était considéré comme sans cause réelle et sérieuse. Désormais, si la cause réelle et sérieuse peut être ultérieurement établie, l’employeur ne verse qu’une indemnité pour irrégularité qui ne peut dépasser un mois de salaire.

De plus, vous renvoyez au salarié la responsabilité de demander à l’employeur de rectifier les motifs retenus pour son licenciement. C’est un enjeu crucial car ces motifs fixent les termes du litige en cas de contentieux. Le juge ne pourra rendre sa décision que sur ces motifs. Si le salarié n’en fait pas la demande, l’insuffisance de motivation ne suffira plus à elle seule pour que licenciement soit reconnu comme étant sans cause réelle et sérieuse.

Une telle modification n’est pas acceptable. De nombreuses personnalités qualifiées ont dénoncé cet article en invoquant notamment le fait qu’il risquerait d’enfoncer les victimes de harcèlement. En effet, aujourd’hui, un seul acte de discrimination dans une lettre de licenciement permet de déclarer que le licenciement est nul de plein droit. Avec vos dispositions, le juge devra examiner tous les motifs de licenciement. Dès lors, pour une victime licenciée au motif qu’elle est harcelée et incompétente, le juge ne pourra plus annuler d’office le licenciement mais devra examiner tous les reproches d’incompétence formulés.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur. Cet amendement propose de supprimer deux avancées importantes en matière de procédure de licenciement.

L’une d’elles est la possibilité pour l’employeur de préciser, à sa demande ou à celle du salarié, le ou les motifs de licenciement, qui fixent les limites du litige. Il ne s’agit pas d’un droit à l’erreur de l’employeur : en effet, celui-ci ne peut pas ajouter de nouveau motif ou compléter sa motivation, mais seulement préciser un ou des motifs déjà soulevés dans la lettre de licenciement. C’est plutôt de nature à sécuriser la procédure, car il y a souvent une forte incompréhension des parties sur la question de la motivation, exercice qui peut se révéler presque acrobatique pour l’employeur, car le juge assimile l’insuffisance de motivation à une absence de motivation et donc à une absence de cause réelle et sérieuse. Or ce n’est pas parce que l’on a mal justifié son motif que l’on n’a pas de motif.

L’assimilation pure, simple et mécanique de l’insuffisance de motivation à une absence de cause réelle et sérieuse n’est pas une bonne chose : on se trompe de combat.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS52 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 4 de l’ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail allège les obligations de motivation de licenciement à la charge de l’employeur, ce que vous appelez une avancée – je ne reprends pas ce vocabulaire à mon compte.

Ce dernier pourra préciser les motifs de licenciement après la notification du licenciement. L’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne privera plus à elle seule le licenciement de cause réelle et sérieuse, sauf si le salarié en fait la demande. Dans une explication que vous avez donnée hier, j’ai eu le sentiment que vous assimiliez de manière systématique l’insuffisance de motivation à un vice de forme, ce qui me semble discutable.

Cet article instaure donc un véritable droit à l’erreur pour l’employeur sur les motifs de licenciement, au détriment des garanties dont bénéficient les salariés pour se défendre. Il pose en outre une véritable question : comment un salarié pourra-t-il se défendre pendant la procédure de licenciement, alors que l’employeur pourra modifier après coup les motifs justifiant la rupture du contrat de travail ?

M. le rapporteur. Je pense avoir répondu en partie à cet amendement en répondant à notre collègue Boris Vallaud. Vous proposez de revenir au droit antérieur s’agissant des règles de procédure et de motivation du licenciement.

Sur ce point, l’article 4 de la troisième ordonnance a procédé à plusieurs innovations importantes, qui sont à mon sens facteur de progrès et de sécurisation, mais j’ai bien compris que nous n’avions pas forcément la même vision des choses.

La mise en place de modèles de lettre de licenciement ne peut être qu’à l’avantage de l’employeur comme du salarié, car cela permet de bien avoir à l’esprit ce qui s’impose à chacune des parties – nous en avons débattu hier à l’occasion d’un autre amendement.

Autres progrès : la possibilité pour l’employeur de préciser son ou ses motifs de licenciement en aval de l’envoi de la lettre de licenciement, et le principe selon lequel l’insuffisance de motivation n’est pas en soi constitutive d’une absence de cause réelle et sérieuse, mais représente bien une irrégularité de forme. Trop souvent aujourd’hui, le juge assimile l’insuffisance de motivation à son absence. Or ce n’est pas parce que l’on motive mal que le licenciement n’a aucune motivation. Il ne s’agit aucunement pour l’employeur de la possibilité de compléter la lettre de licenciement. Certes, le projet de loi d’habilitation que nous avions examiné mentionnait cette notion, mais l’ordonnance est beaucoup plus claire : il ne s’agit pas de compléter, mais seulement d’apporter des précisions sur le ou les motifs initialement présentés. Votre inquiétude n’est pas justifiée.

Je tiens également à souligner que le traitement de la pluralité des motifs de licenciement, et notamment du cas où l’un des motifs présente un risque de nullité du licenciement, est intéressant.

Autre innovation, le fait de ne plus mécaniquement requalifier en CDI un CDD ou un contrat de mission, juste en cas de non-transmission du contrat dans les délais. Là encore, il s’agit plus d’un non-respect formel, et la sanction de requalification automatique en CDI paraît franchement disproportionnée.

Sur tous ces points, il me semble que la rédaction proposée par l’ordonnance est de nature à renforcer la sécurité juridique et à faire en sorte que la procédure de licenciement soit moins vécue comme une sorte de loterie, ce qui est, avouons-le, assez souvent le cas aujourd’hui. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements AS90 et AS91 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Par ces amendements, nous supprimons le fait que l’irrégularité pour insuffisance de motivation ne prive plus, à elle seule, le licenciement d’une cause réelle et sérieuse mais ouvrira droit à une indemnité équivalente à un mois de salaire.

Nous sommes en désaccord avec l’instauration de ce droit à l’erreur en matière de motivation du licenciement, car elle porte atteinte au salarié qui souhaite faire valoir ses droits.

Ce qui est un progrès pour vous est un recul pour nous.

M. le rapporteur. Avis défavorable sur ces deux amendements, pour les raisons exposées précédemment.

La commission rejette successivement les amendements AS90 et AS91.

Elle est saisie de l’amendement AS53 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Le fait de prévoir systématiquement qu’une insuffisance est un simple vice de forme va créer des problèmes. D’autres mécanismes peuvent être mis en œuvre, car il arrive que ces insuffisances ne relèvent pas de vices de forme.

Cette disposition fait tomber une jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en vertu de laquelle la transmission tardive d’un CDD ou d’un contrat d’intérim pour signature équivalait à « une absence d’écrit qui entraîne la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ».

C’est un changement significatif et problématique. Cet amendement prévoit donc de rétablir le droit antérieur en la matière, à savoir la sanction de requalification en CDI.

M. le rapporteur. En matière de CDD comme d’intérim, de nombreuses règles spécifiques s’appliquent, et c’est bien normal. Le non-respect de ces dispositions entraîne automatiquement la requalification du contrat en question en CDI.

C’est le cas, par exemple, en cas de conclusion d’un CDD en dehors des cas autorisés, ou pour pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. C’est le cas aussi en cas de violation des règles sur le terme, la durée et le renouvellement du contrat : il s’agit là d’éléments fondamentaux, et on comprend bien pourquoi, dans ces cas, il y a une requalification immédiate en CDI.

En revanche, on le comprend mal s’agissant simplement du non-respect par l’employeur du délai de transmission du contrat au salarié : un employeur qui transmet avec plusieurs jours de retard le contrat était auparavant assimilé à l’employeur qui embauchait en CDD en méconnaissance des règles légales d’embauche en CDD.

Ce n’est pas normal. Le non-respect d’un délai correspond à une irrégularité formelle et non à une irrégularité de fond, qui justifie la requalification en CDI.

Nous avons une vision différente de ces irrégularités et des sanctions qui en découlent. J’estime justifié que l’article 4 de l’ordonnance ait prévu que ce délai ne soit plus constitutif – à lui seul – d’une irrégularité justifiant la requalification du contrat, et cela me semble plus que légitime. Évidemment, cela n’obère pas la possibilité de requalifier pour tous les autres motifs que j’ai donnés.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS35 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Le dernier alinéa de l’article L. 1245-1 du code du travail vise à limiter la requalification automatique en CDI d’un contrat de travail qui n’est pas passé conformément aux dispositions en vigueur.

Ainsi, vous supprimez la requalification au seul motif que le contrat de travail n’est pas transmis à temps au salarié. Or il est particulièrement préjudiciable au salarié de ne pas disposer de son contrat de travail dans les deux jours suivant son embauche. Vous allez ajouter beaucoup d’incertitude sur le terme exact du contrat. Le salarié aura-t-il droit à des tickets restaurants ou devra-t-il engager des frais ? S’il accepte de travailler à des horaires décalés, sa rémunération sera-t-elle vraiment revalorisée ? L’employeur peut différer longuement la remise du contrat, ce qui instaure un rapport de force malsain et permet d’ajuster unilatéralement les termes du contrat de travail signifiés oralement.

Cela veut dire qu’en cas de non-respect, le salarié commence à travailler alors qu’il n’a pas encore connaissance du contenu exact de son contrat de travail. Depuis que la presse a dévoilé les projets d’ordonnances, nous vous avons régulièrement entendu parler de visibilité ou de prévisibilité. Or en la matière, la géométrie variable est de mise : vous allez plonger dans l’angoisse des milliers de salariés nouvellement embauchés. Il n’y a aucune raison particulière d’ôter ce cas de manquement aux règles du contrat de travail à la liste des cas pour lesquels le contrat est automatiquement requalifié en CDI.

M. le rapporteur. L’argumentaire technique est le même que celui développé contre l’amendement précédent.

À vous entendre, les ordonnances prévoiraient que l’on peut travailler en CDD sans recevoir son contrat ! Non. Il s’agit simplement de prévoir que la sanction dans le cas où le contrat n’a pas été donné dans les délais prévus ne soit pas systématiquement la requalification en CDI. Votre reproche n’est pas fondé. Les employeurs n’ont pas pour objectif de faire travailler leurs collaborateurs sans contrat. Remettre un contrat est la base, et je fais confiance aux salariés qui travaillent pour les réclamer. La règle n’a pas changé  et nous n’allons pas plonger dans l’inquiétude des milliers de collaborateurs en CDD.

M. Sylvain Maillard. Je suis sensible à ce que vient de dire M. Quatennens. Dans la « vraie vie », il peut arriver que certains collaborateurs soient inquiets parce qu’une conversation n’est pas immédiatement formalisée par des conclusions écrites. En général, cependant, les employeurs transmettent le projet de contrat de travail bien avant. Cela étant, il peut y avoir parfois un petit décalage parce que le signataire du contrat n’est pas sur place au moment du début du contrat, parce qu’il est en déplacement ou que le signataire n’est pas sur le même lieu de travail que celui qui vient d’entrer dans l’entreprise. Il importe donc, en effet, de ne pas rester dans l’inconnu. Mais on ne peut pas non plus sanctionner une situation due à de simples délais matériels.

M. Pierre Dharréville. Notre collègue Maillard vient de mettre le doigt sur le problème que soulève cette disposition : elle fait partie de ces petites insécurités que l’on ajoute aux salariés pour donner plus de sécurité à l’employeur. Quand vous êtes dans l’incertitude concernant le renouvellement de votre contrat, parce qu’on vous a dit dans un couloir ou à la fin d’une réunion qu’il serait renouvelé, mais que rien ne vient, vous êtes forcément inquiet. C’est source d’insécurité supplémentaire pour le salarié, mais aussi pour l’entreprise, dans le cadre des relations de travail quotidiennes.

Adopter cet amendement obligerait à un peu plus de rigueur dans la gestion du personnel et des contrats à durée déterminée.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS92 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Par cet amendement, nous supprimons le fait que l’irrégularité pour non-transmission dans les délais impartis du contrat de mission ne prive plus à elle seule le licenciement d’une cause réelle et sérieuse mais ouvre seulement droit à une indemnité équivalente à un mois de salaire.

Nous sommes en désaccord avec l’instauration de ce droit à l’erreur en matière de motivation du licenciement, car elle porte atteinte au salarié qui souhaite faire valoir ses droits.

M. le rapporteur. Avis défavorable, nous en avons déjà largement débattu. Je rappelle un point de droit : il est toujours prévu dans le code du travail que l’on remette un contrat écrit. Rien n’est changé sur ce point.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de trois amendements, AS36 de M. Adrien Quatennens, et AS219 et AS220 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Adrien Quatennens. Jusqu’en 2008, il n’existait pas de délai de prescription spécifique aux irrégularités relatives aux licenciements, donc c’était le délai de droit commun de trente ans qui s’appliquait.

Cet amendement vise à revenir à un état normal des choses, de façon qu’un licenciement qui a eu lieu dans des conditions illégales ne soit pas prescrit plus vite que d’autres pratiques frauduleuses honteuses. En effet, la délinquance en col blanc reste une délinquance, et il n’y a aucune raison objective d’absoudre les employeurs ayant enfreint la loi, et de les protéger contre la juste application de la loi.

Or le délai d’un an tel qu’il est prévu dans l’article ne permet que rarement de contester un licenciement frauduleux, compte tenu des difficultés graves que rencontre un salarié licencié. Au bout d’un an, le licenciement deviendrait incontestable, même s’il ne repose sur aucun motif réel et sérieux, ou s’il est franchement discriminatoire. Autrement dit, il suffirait d’impressionner ou de maltraiter suffisamment un salarié pour le licencier dans des conditions illégales, et échapper à toute poursuite ou indemnité parce que le salarié serait trop tétanisé, ou n’aurait pas le recul nécessaire pour penser à contester son licenciement. Le délai d’un an est manifestement beaucoup trop court pour constituer un dossier sérieux et fiable de contestation, et a fortiori pour procéder à son étude.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous proposez de revenir à la situation antérieure à 2008. Avant la loi de 2008, la prescription était de cinq ans en matière de salaires et de trente ans – c’est le délai de droit commun en matière civile – pour les actions indemnitaires, autrement dit pour les demandes en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les indemnités de licenciement, les indemnités de préavis, de congés payés sur préavis, ou encore les indemnités pour préjudice subi.

La loi de 2008 a aligné les délais de prescription en matière de droit du travail à cinq ans, puis la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 a ramené de cinq ans à deux ans le délai de prescription en matière de contestation de la régularité ou de la validité d’un licenciement.

Vous proposez de revenir à trente ans, je ne vous suivrai pas sur ce point. Faire peser sur un employeur la menace d’un contentieux pendant trente années ne paraît ni cohérent, ni sérieux. D’autant que d’après les chiffres de la Chancellerie, les contentieux en matière de rupture du contrat n’ont pas chuté de manière extraordinaire après 2008, ce qui aurait été le cas, si la durée de trente ans avait un sens pour les salariés.

Nous avons effectivement une forte divergence d’appréciation sur ce sujet : je reste persuadé qu’un salarié n’a pas d’intérêt à attendre un an et demi ou deux ans – encore moins, quinze ou vingt ans – pour contester son licenciement, s’il estime avoir été licencié abusivement. Si tel est le cas, disposer d’un délai d’un an pour monter un dossier me semble suffisant. En outre, cela me semble contre-productif pour le salarié qui, tant qu’il est en contentieux, peut difficilement passer à autre chose et s’inscrire dans une démarche positive.

Nous l’avions évoqué lors de la discussion du projet de loi d’habilitation. Un an est un délai suffisant pour réfléchir, se faire assister et constituer son dossier, puis le déposer au conseil des prud’hommes. Ce délai est cohérent, tant pour le salarié,  dont l’intérêt est aussi d’aller de l’avant que pour l’employeur à l’encontre duquel une procédure peut être engagée.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement AS93 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Par cet amendement, nous rétablissons le délai de recours à deux ans en cas de rupture du contrat de travail. Les délais n’ont cessé d’être réduits pour sécuriser les employeurs. Le délai d’un an nous semble trop court, parce qu’il nous amènerait à la situation paradoxale dans laquelle le requérant aurait moins de temps pour monter son dossier que les tribunaux n’en auraient pour l’instruire, puisque certaines procédures en région parisienne durent près de deux ans.

Lorsqu’un salarié est victime d’un licenciement, les conséquences psychologiques peuvent être lourdes et son premier réflexe ne sera pas forcément de mettre en question la légalité de son licenciement, mais bien « d’encaisser », si vous me permettez l’expression, le choc qu’il vient de subir.

M. le rapporteur. Cet amendement propose de revenir à un délai de prescription de deux ans en matière de contestation de la rupture du contrat de travail.

L’objectif de l’ordonnance est avant tout de favoriser la lisibilité du droit en procédant à une harmonisation des différents délais de prescription.

En outre, nous avons un désaccord sur le fond s’agissant de cette question du délai de contestation : vous avez tendance à penser que plus le délai est long, plus le droit est protecteur pour le salarié. Or en la matière, je ne pense pas que ce soit le cas, je dirais même le contraire. Un salarié qui s’estime abusivement licencié n’a pas ce sentiment au bout d’un an et demi, il l’a spontanément, au moment où il est licencié. S’il a le sentiment que c’est injuste, il le perçoit assez rapidement. Si à cette échéance d’un an, il est encore englué dans un contentieux, il y a fort à parier que ses chances de réinsertion professionnelle seront proportionnellement décroissantes.

Autant il est important que les salariés puissent voir leur préjudice potentiel réparé, il n’y a pas de débat sur ce point, autant il ne me semble pas loyal de leur faire croire que c’est parce qu’ils disposent d’un délai de deux ans pour contester la rupture de leur contrat qu’ils seront mieux protégés. Le délai n’est pas un élément de protection, surtout lorsque l’on a déjà douze mois. Si l’option était entre quelques jours et quelques mois, j’entendrais votre amendement, mais une durée d’un an est déjà très significative.

M. Boris Vallaud. Je voudrais souligner qu’il faut parfois deux ans d’instruction aux prud’hommes avant de rendre une décision, ce qui renseigne sur la complexité de certains dossiers. Et cette complexité est encore plus grande pour un non-spécialiste du droit du travail. Pourquoi faudrait-il moins de temps aux requérants pour monter leurs dossiers, les consolider pour avoir quelque espérance de gagner, qu’au juge pour décider ?

M. le rapporteur. Vous pouvez tout à fait assigner votre ancien employeur aux prud’hommes sans que la totalité du dossier soit constitué. Vous assignez, en donnant le motif, puis vous complétez. C’est aussi pour cela qu’il y a des audiences de conciliation. Vous n’avez pas qu’un an pour constituer votre dossier, vous pouvez commencer les démarches, et ensuite étayer votre dossier.

M. Pierre Dharréville. L’argument de notre collègue Vallaud fait réfléchir. Monsieur le rapporteur, iriez-vous au tribunal « juste pour voir » ? Non, on va au tribunal en dernier recours car il n’y a pas de plaisir à le faire, et parce que l’on a des motifs sérieux et un dossier solide. L’argument qui vient d’être invoqué est suffisamment sérieux pour que l’on vérifie si l’on ne peut pas le prendre en compte.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS94 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il est défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission est saisie des amendements AS222 de M. Jean-Hugues Ratenon, AS54 de M. Pierre Dharréville et AS212 de M. Jean-Hugues Ratenon, qui peuvent faire l’objet d’une discussion commune.

M. Adrien Quatennens. Les amendements AS222 et AS212 sont défendus.

M. Pierre Dharréville. Je viens de défendre l’amendement AS54.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques AS55 de M. Pierre Dharréville et AS210 de M. Jean-Hugues Ratenon ainsi que l’amendement AS95 de M. Boris Vallaud.

 M. Pierre Dharréville. L’article 7 de l’ordonnance prévoit de limiter le périmètre de reclassement d’un salarié inapte au territoire national lorsque l’entreprise appartient à un groupe. L’amendement AS55 vise à rétablir le droit antérieur.

M. Adrien Quatennens. L’amendement AS210 vise à revenir sur les dispositions dangereuses introduites par l’ordonnance et qui définissent un périmètre de reclassement obligatoire du salarié au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe, groupe défini de façon restreinte. La jurisprudence de la Cour de cassation protégeait bien davantage les salariés et sécurisait leur relation de travail, puisque la définition du groupe incluait les entreprises partenaires en cas de permutation possible, ce qui décuplait les possibilités de reclassement. Cette disposition est contraire à la sécurisation de l’emploi en ce qu’elle réduit les obligations de reclassement des salariés pour les employeurs. Elle doit être supprimée.

M. Boris Vallaud. Vous réduisez le champ de l’obligation de reclassement d’un salarié inapte à la suite d’un accident du travail ou à une maladie professionnelle en introduisant deux critères limitatifs : un critère géographique en restreignant le périmètre d’appréciation des postes disponibles au seul territoire national et un critère de compétitivité en restreignant le champ d’appréciation des postes où le salarié pourrait être réaffecté. Ce faisant, vous affaiblissez l’obligation de reclassement, dont je rappelle qu’elle est consécutive à une maladie professionnelle ou à un accident du travail. Cette remise en cause est dangereuse et inacceptable. L’obligation de reclassement ne doit pas consister à fournir une liste de postes équivalents à celui qui était précédemment occupé mais à proposer un poste équivalent en prenant en compte l’état de santé de la personne considérée. C’est le sens de l’amendement AS95.

M. le rapporteur. Avis défavorable aux trois amendements. L’ordonnance a limité le périmètre de l’obligation de reclassement pour inaptitude du salarié, jusqu’alors défini par la jurisprudence, qui avait une conception très large de cette obligation, puisque le juge considère que le reclassement doit être proposé parmi toutes les entreprises du groupe dont les activités, le lieu d’exploitation ou l’organisation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Concrètement, il est très difficile pour un employeur de satisfaire à l’obligation de reclassement ainsi définie, si bien qu’au contentieux, il est presque assuré d’avoir tort. Le juge a même considéré que le refus d’un poste par le salarié ne permet pas à l’employeur de considérer qu’il a rempli son obligation, même si le poste de reclassement proposé est approprié aux capacités du salarié et comparable à l’emploi qu’il occupait précédemment. Il semble donc raisonnable de considérer que le périmètre de l’obligation de reclassement est limité aux entreprises du groupe situées sur le territoire national. Reclasser un salarié déclaré inapte dans une filiale située à l’étranger n’aurait pas grand sens.

M. Boris Vallaud. Si la jurisprudence a tranché de la sorte, c’est non pas pour ennuyer les employeurs mais pour offrir aux salariés déclarés inaptes à la suite d’un accident du travail ou à une maladie professionnelle le plus de chances possible de trouver un reclassement ; pas n’importe quel reclassement, cependant.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement AS96 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Les évolutions enregistrées étaient nécessaires mais nous souhaitons quelques engagements de Mme la ministre sur trois points sensibles : quel sera le coût du recours aux services du médecin inspecteur du travail ? Un agent de l’État peut-il se faire rémunérer pour des services gratuits auparavant ? Enfin, un dossier venu devant le conseil de prud’hommes sera nécessairement soumis au principe du contradictoire au cours d’une audience publique et, dans ce cadre, des éléments de nature médicale seront communiqués à l’employeur ; quelles dispositions seront prises pour garantir le respect du secret médical ?

M. le rapporteur. Je ne saurais me substituer à la ministre pour vous répondre, mais, pour ce qui est spécifiquement du secret médical devant le conseil des prud’hommes, je rappelle que c’est par la loi du 8 août 2016 qu’il a été procédé au transfert du contentieux des avis d’inaptitude du médecin du travail de l’inspection du travail vers le conseil de prud’hommes ; ce n’est donc pas d’une nouveauté. L’ordonnance réintroduit en quelque sorte le médecin inspecteur du travail qui était déjà amené à donner son avis à l’inspecteur du travail chargé de statuer. C’est par souci de préserver le secret médical que l’ordonnance introduit la possibilité pour l’employeur de se faire assister par un médecin-expert tenu au secret médical, qui transmettra son avis non sur la santé du salarié mais sur sa capacité à effectuer les tâches pour lesquelles il avait été recruté. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS204 de M. Jean-Hugues Ratenon. 

M. Adrien Quatennens. L’amendement vise à supprimer la possibilité de ruptures conventionnelles du contrat de travail. Depuis leur instauration, en 2008, elles constituent trop souvent une façon détournée de procéder à un licenciement pour motif économique, sans verser les indemnités afférentes. Si, en 2015, on a dénombré 360 000 ruptures conventionnelles de contrats à durée indéterminée, c’est que la rupture conventionnelle tend structurellement à remplacer les licenciements, parce qu’en pareil cas les indemnités sont inférieures aux indemnités versées en cas de de licenciement économique. Selon la DARES, l’indemnité moyenne est de 6 000 euros, et 7,4 % des salariés seulement se font assister pour négocier les conditions de la rupture conventionnelle. Le très faible taux d’assistance des salariés pour la négociation a pour conséquence la basse moyenne des indemnités perçues.

L’individualisation de la rupture de contrat permet trop souvent de masquer des licenciements qui sont en réalité collectifs, tout en cassant le cadre collectif et les moyens de défense des salariés. Ceux-ci, abandonnés au rapport de forces avec leur employeur, finissent trop souvent par accepter des indemnités qui, si elles avaient été convenablement négociées, auraient pu être deux sinon trois fois supérieures à ce qu’ils obtiennent. Il est évident qu’un salarié en train de négocier une rupture conventionnelle n’est pas en position de force, d’autant qu’il peut faire l’objet de pressions diverses pour accepter des conditions qui lui sont présentées comme avantageuses alors qu’elles sont en fait plutôt défavorables. Selon les chiffres de la DARES, 40 % des cas de non homologation sont motivés par le fait que les indemnités proposées sont insuffisantes. Le lien de subordination étant indéniable, nous demandons par cet amendement l’abrogation de la rupture conventionnelle.

M. le rapporteur. Nous avons là un désaccord de fond, car je considère pour ma part la rupture conventionnelle comme un bon dispositif. Il a permis de favoriser une conception des relations du travail non conflictuelle et non unilatéralement décidée, en consacrant l’idée qu’une rupture de contrat peut aussi se faire d’un commun accord, sans déchirements ni tension excessive. J’entends bien qu’il y a une part de négociation, et c’est pourquoi le salarié peut se faire assister. Je ne dis pas que le régime juridique adopté ne pose aucun problème mais, contrairement à vous, je ne suis pas choqué par la philosophie qui le sous-tend et sa suppression ne me semble pas devoir être envisagée. Vous avez fait état de situations individuelles ; j’ai aussi eu à en connaître et j’ai tenu à vérifier comment se présente le formulaire Cerfa ad hoc. Il est très bien fait, fournit au salarié une information très complète sur ses droits qui lui permet de comprendre intuitivement quelle est sa marge de négociation, et la perspective du barème évoqué précédemment peut même l’aider dans cette négociation. La rupture conventionnelle est un dispositif intéressant en ce qu’elle permet de sortir la rupture du contrat de travail de la judiciarisation. Donnons-nous les moyens de faire que cela se passe bien et préférons la négociation à la judiciarisation.

Avis défavorable, d’autant que l’amendement supprime, par erreur certainement, l’article L. 5422-1 du code du travail, qui ouvre le bénéfice des allocations chômage à toutes les personnes involontairement privées d’emploi.

Mme Catherine Fabre. La rupture conventionnelle est un dispositif vraiment intéressant, qui n’enlève rien à la protection des salariés. Non seulement on peut refuser une rupture conventionnelle et, s’il s’agit d’un licenciement déguisé, attendre d’être licencié, mais elle doit se dérouler dans un climat d’entente entre le salarié et l’employeur, et s’il s’agit d’un licenciement déguisé, le salarié peut se défendre. De surcroît, comme l’a dit le rapporteur, la rupture conventionnelle fait sortir la rupture du contrat de travail de la judiciarisation, et elle permet au salarié de ne pas démissionner et de percevoir des indemnités de chômage. Ce dispositif doit être maintenu et encouragé.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements AS205 de M. Jean-Hugues Ratenon et AS56 de M. Pierre Dharréville qui peuvent faire l’objet d’une discussion commune.

M. Adrien Quatennens. L’amendement AS205 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’article 10 de l’ordonnance instaure une nouvelle procédure de rupture conventionnelle collective. Jamais annoncée dans le projet de loi d’habilitation, cette procédure limite le droit du licenciement économique et sécurise les seuls employeurs dans leurs décisions de gestion. Lorsque la rupture conventionnelle a été conçue, on avait, pour en justifier la création, avancé qu’elle était nécessaire pour régler le cas où un motif d’ordre personnel poussait employeur et salarié à se séparer. Je comprends donc mal les raisons qui devraient conduire à donner à ce dispositif un caractère collectif, sinon qu’il s’agit en réalité pour l’entreprise de réorganiser le travail, ce qui relève d’autres procédures de droit beaucoup plus protectrices. Toutes les organisations syndicales de salariés ont insisté sur le fait qu’avec ce dispositif le Gouvernement prend le risque d’aggraver encore le problème déjà très sévère de l’emploi des seniors. Par l’amendement AS56, nous demandons l’abrogation de cette procédure.

M. le rapporteur. La loi d’habilitation avait bien prévu les accords de rupture conventionnelle collective, dispositif innovant qui répond au souci de sécuriser les plans de départs volontaires – lesquels n’avaient aucune existence juridique avant que ce cadre ne soit dessiné. Il s’agit effectivement d’exclure certains collaborateurs du droit du licenciement économique, comme ce fut le cas pour les plans de départs volontaires, et de proposer à ceux qui le souhaitent de quitter l’entreprise s’ils ont un projet. Le dispositif est sécurisé, puisqu’un accord d’entreprise est indispensable et qu’il doit être validé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Avis défavorable aux deux amendements.

La commission rejette successivement les amendements AS205 et AS56.

Puis elle examine l’amendement AS241 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement devrait apaiser les inquiétudes exprimées par MM. Boris Vallaud et Pierre Dharréville : il vise en effet à renforcer l’accompagnement du salarié dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective. Le texte de l’ordonnance prévoit déjà que l’accord portant rupture conventionnelle collective contient des mesures
– actions de formation, valorisation de acquis de l’expérience, actions de reconversion de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes – visant à faciliter le reclassement externe des salariés dans des emplois équivalents, mais il est important de privilégier cette dimension. Je propose donc d’ouvrir au salarié dont le contrat de travail est rompu dans ce cadre le bénéfice du congé de mobilité, tout en élargissant ce dispositif aux entreprises de moins de 300 salariés. La rémunération versée dans le cadre du congé de mobilité bénéficiant d’un régime social favorable, il est proposé de compenser la perte de recettes afférente pour les organismes de sécurité sociale. Cet amendement renforce l’accompagnement des collaborateurs concernés par la rupture conventionnelle collective, notre objectif étant de leur permettre de démarrer un nouveau projet professionnel dans une démarche gagnant-gagnant.

M. Boris Vallaud. Outre que vous abaissez le seuil aux entreprises de moins de 300 salariés, il est étrange d’appliquer une mesure d’accompagnement du licenciement économique à la rupture conventionnelle collective. C’est la démonstration qu’il s’agit ni plus ni moins d’une manière de contourner les procédures relatives aux plans de départ volontaires et aux plans sociaux.

M. le rapporteur. Le congé de mobilité est maintenant inclus dans la politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). C’est pourquoi il est réintroduit ici, à l’avantage du salarié.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS98 de M. Boris Vallaud. 

M. Boris Vallaud. La rupture conventionnelle collective, dont le texte prévoit l’entrée en vigueur le 1er janvier 2018 – dont je n’ai vraiment pas le sentiment que l’on en ait parlé et qui est une des surprises de ces ordonnances –, est un bel outil de contournement de la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Il exonère l’employeur de ses obligations de reclassement et prive le salarié de droits essentiels tels que le contrat de sécurisation professionnelle qui lui permettrait de percevoir 75 % de son salaire brut pendant un an et de bénéficier d’un accompagnement renforcé. De plus, vous autorisez l’employeur, contrairement à ce qui est possible dans les plans de départ volontaire, à réembaucher tout de suite. Les organisations syndicales unanimes nous ont alertés sur le fait que ce dispositif menacera fortement l’emploi des seniors : il risque de fragiliser encore plus leur situation et de coûter encore plus cher à l’assurance chômage qui assurera le rôle d’amortisseur social. Nous en proposons donc la suppression. Nous pensons que la rupture conventionnelle collective résulte d’un coup de téléphone des employeurs à la direction générale du travail et nous en demandons la suppression.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Nous nous en sommes déjà expliqués, et l’amendement qui vient d’être adopté renforce l’accompagnement des salariés qui était déjà prévu dans l’ordonnance : la rupture conventionnelle collective est soumise à un accord d’entreprise d’une part, et à la validation de de la DIRECCTE d’autre part.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS229 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement précise le contenu de l’accord portant rupture conventionnelle collective, en prévoyant qu’il doit fixer la durée pendant laquelle des ruptures de contrat peuvent être engagées sur son fondement. Les termes « durée de mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective » semblent trop flous eu égard à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 octobre dernier dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité que nous avons déjà évoquée à propos des accords de compétitivité, et selon laquelle un délai raisonnable doit être fixé pour la rupture du contrat de travail à l’issue de la conclusion de l’accord.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS230 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement prévoit que l’accord portant rupture conventionnelle collective définit bien les modalités de conclusion d’une convention individuelle de rupture et d’exercice du droit de rétractation des parties. Il est en effet essentiel que la procédure de rupture dans ce contexte particulier soit bien encadrée – qu’elle puisse, par exemple, reposer sur un entretien préalable à l’issue duquel serait fixé à chacune des parties un délai de réflexion pour accepter le principe de la rupture conventionnelle.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement AS231 du rapporteur.

M. le rapporteur. La rédaction actuelle laisse penser que l’employeur peut, de manière unilatérale, reprendre l’accord invalidé par l’administration pour le modifier et le soumettre une nouvelle fois à la DIRECCTE, sans repasser par la négociation. Tel n’est pas l’objectif de la rupture conventionnelle collective, qui doit uniquement reposer sur un accord collectif. L’amendement réécrit l’article pour préciser ce point.

M. Pierre Dharréville. Que vous vous sentiez obligé de réécrire l’article et de le préciser de diverses manières montre que l’élaboration des ordonnances s’est faite dans une certaine précipitation. Tous les amendements que vous nos présentez ont-ils fait l’objet d’une concertation avec les organisations syndicales ?

M. le rapporteur. Ils sont dans la ligne de ce qui s’est dit au cours de la concertation.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement AS99 de M. Boris Vallaud.

La commission examine l’amendement AS223 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. L’amendement tend à adapter le droit du travail, trop soudé à l’entité « entreprise », au développement de la sous-traitance et de multiples succursales. À cette fin, nous proposons que les difficultés économiques d’une entreprise justifiant des licenciements soient évaluées à l’échelle du groupe et de l’ensemble de ses sous-traitants. Il est anormal que des groupes en très bonne santé économique d’ensemble puissent légalement licencier les salariés d’un de leurs sous-traitants, envers qui ils ont une responsabilité. Je pense particulièrement, ce disant, aux salariés de Whirlpool Amiens, abandonnés par un groupe qui rémunère pourtant grassement ses actionnaires, et à ceux de GM&S Industry France qui ont été progressivement délaissés par leurs donneurs d’ordre, au profit de sous-traitants installés dans des pays où le prix du travail est bien plus faible et la sécurité des salariés moindre. Leur sort aurait été amélioré par une telle prise en compte des évolutions de l’économie contemporaine.

M. le rapporteur. Je comprends l’intention qui vous anime mais l’amendement n’est ni opérationnel ni juridiquement tenable : parce qu’il n’existe pas de lien juridique de contrôle et de subordination entre un donneur d’ordre et ses sous-traitants, le premier n’est pas responsable des seconds. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS13 de M. Stéphane Viry. 

M. Stéphane Viry. Pour lutter contre la fraude, le contrôle par le juge des difficultés économiques d’un groupe doit pouvoir s’exercer hors de nos frontières. Le projet d’habilitation le prévoyait et nous y tenons. Nous soutenons toutes les dispositions légales qui permettent à notre pays de capter des investissements des grands groupes mais nous ne pouvons accepter que le licenciement dans les filiales françaises soit facilité en raison de difficultés économiques artificiellement créées. Le dispositif doit être équilibré et les ordonnances doivent redéfinir expressément la capacité du juge à identifier les pratiques d’optimisation sociale répréhensibles. J’ai retenu des propos introductifs de Mme la ministre que le Conseil d’État a considéré que cela allait sans le dire et que la précision était superfétatoire. Nous considérons que cela va mieux en le disant. Le Conseil d’État n’est pas le législateur. Nous le sommes ; adoptons cet amendement.

M. le rapporteur. L’amendement rouvre un débat ancien sur le périmètre de licenciement économique, question importante. La clause « anti-fraude » a en effet été présentée comme une sorte de contrepartie à la fixation d’un périmètre national, afin de se prémunir contre la stratégie de certains groupes qui consisterait à mettre en difficulté une entreprise française pour des raisons extrinsèques : c’est ce que l’on vise en parlant de « création artificielle de difficultés économiques ». Je comprends l’intention que traduit l’amendement, mais la portée juridique de la clause n’est pas avérée. De plus, la création artificielle de difficultés économiques pourra toujours être soulevée par le juge au contentieux, et il pourra mettre en évidence un éventuel comportement d’optimisation du groupe. Le projet de loi d’habilitation prévoyait cette disposition dont, vous l’avez rappelé, le Conseil d’État a jugé la portée juridique nulle. Cela dit, si cette précision vous paraît de nature à rassurer sur la portée de la restriction du périmètre au territoire national, j’exprimerai un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement AS203 de M. Jean-Hugues Ratenon.

Mme Caroline Fiat. Le Gouvernement évoque souvent les TPE et les PME et pourtant toutes les mesures prévues par les ordonnances concernent les plus grandes entreprises. Les chefs des petites entreprises disent avoir pour principale préoccupation leur carnet de commandes. Or vous ne prenez aucune mesure pour relancer la demande intérieure. Pierre Gattaz dit vouloir licencier plus facilement et vous lui offrez ces ordonnances. En les combinant avec la pérennisation du CICE, vous lui servez le pot de départ dont il rêvait.

Vous entendez réformer le périmètre d’appréciation des difficultés économiques en cas de licenciement économique. Désormais, seules les activités en France seraient prises en compte. Pourtant, certains grands groupes, par un tour de passe-passe, assiègent déjà leurs filiales françaises pour s’exonérer de l’impôt – nous vous avons pourtant déjà rappelé à de nombreuses reprises le coût de l’évasion fiscale. Vous leur permettez également de procéder à des licenciements massifs en toute légalité.

Vous ne pourrez pas nous refaire le coup du soutien aux TPE et PME et vous ne pourrez raisonnablement nous répondre que le chef d’une petite entreprise est préoccupé par sa capacité à licencier en France quand il trouve des marchés à l’export. Une politique en faveur des TPE et des PME consisterait au contraire à les aider à remplir leur carnet de commandes en relançant la demande intérieure, j’y insiste, ou en soutenant l’innovation par la recherche plutôt que par des crédits d’impôt. À l’inverse, en une mesure, vous allez permettre aux multinationales de multiplier les suppressions d’emplois. Or nous savons, comme vous, que le cours des actions en bourse des grandes entreprises est directement lié à leur masse salariale ; mais peut-être, par cette disposition, entendez-vous simplement faciliter la levée de stock-options pour les dirigeants de multinationales.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je pensais que l’amendement que nous venons d’adopter à une assez large majorité rassurerait notre collègue Fiat sur notre volonté de donner tous les moyens au juge de vérifier qu’il n’y a pas eu création artificielle de difficultés économiques.

Vous proposez, chère collègue, de revenir sur la limitation du périmètre d’appréciation des difficultés économiques au seul territoire national. Vous l’avez souligné : la jurisprudence tient compte du secteur d’activité commun aux entreprises du groupe, qu’elles soient situées en France ou à l’étranger, pour apprécier les difficultés économiques d’une entreprise.

Une telle interprétation extensive n’a pas d’équivalent chez nos voisins européens, et il n’est pas forcément pertinent d’évaluer la santé économique d’une entreprise à l’aune de celle d’une autre filiale du même groupe qui aurait le même type d’activité, mais qui serait par exemple située en Inde. C’est d’ailleurs pourquoi on a pu proposer à des citoyens français d’aller travailler très loin pour des rémunérations inférieures au SMIC français puisque rapportées aux rémunérations du pays en question.

De nombreux facteurs peuvent expliquer qu’une entreprise soit florissante dans un pays et qu’une autre exerçant le même type d’activité ne le soit pas en France, sans que cela conduise à considérer que les difficultés économiques de l’entreprise ne sont pas réelles

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS39 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 15 de l’ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail prévoit de limiter le périmètre d’appréciation des difficultés économiques au territoire national. Il permet par conséquent à une entreprise de procéder à des licenciements économiques alors même que le groupe auquel elle appartient n’a pas de difficultés financières. Loin de contribuer à la préservation de l’emploi sur le territoire national, cette mesure va encourager les destructions d’emplois dans les grands groupes et encourager les délocalisations.

Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que cette disposition n’a pas d’équivalent dans les autres pays. Il faut savoir s’il n’est pas temps de faire progresser le droit, y compris le droit international, face aux pratiques financières de grandes multinationales qui ont les épaules assez larges pour opérer les mutations économiques nécessaires, mais qui procèdent à des licenciements boursiers scandaleux. Nous devons donc nous donner les moyens d’agir contre de telles pratiques.

M. le rapporteur. Avis défavorable. M. Dharréville et moi-même avons une différence d’appréciation assez significative et, je le répète, l’amendement AS13 que nous venons d’adopter devrait le rassurer – mais je n’ai pas le sentiment que ce soit le cas.

Mme Catherine Fabre. La divergence de vue est en effet importante sur la question de savoir comment l’État doit accompagner l’industrie. Doit-on contraindre des entreprises à garder ceux de leurs établissements qui, en France, rencontrent des difficultés ? Je ne pense pas qu’une telle mesure aiderait l’investissement étranger en France et donc l’emploi. Il me semble au contraire qu’on doit plutôt chercher à renforcer notre attractivité en améliorant, par exemple, la qualification de la main-d’œuvre. En tout cas, la contrainte n’a jamais été un bon argument, j’y insiste, pour inciter les entreprises à se développer sur un territoire.

M. Gilles Lurton. Très juste !

M. Boris Vallaud. Les deux points de vue qui viennent d’être exposés ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. La réalité est que des entreprises décident de déplacer certaines de leurs activités à l’étranger. La question est donc de monter en gamme. Il ne faudra pas venir pleurer quand Ford dira que le site industriel de Blanquefort n’est plus compétitif – ce que je ne crois pas par ailleurs car ce dernier peut faire valoir de vraies compétences. De temps en temps, la contrainte peut avoir quelques vertus : après Florange, on a demandé qu’il y ait une recherche systématique de repreneurs quand un site industriel était abandonné. Les dispositions qui, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de cassation, permettaient d’apprécier le périmètre international de l’entreprise, existaient déjà alors que la France était plus attractive que l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

On constate d’ailleurs bien que la France redevient attractive alors que ce dispositif reste en vigueur : le niveau d’implantation d’entreprises est désormais le même que celui d’avant la crise. La différence est que les investissements sont très capitalistiques et peu intensifs en main-d’œuvre.

M. Pierre Dharréville. Le projet de la majorité est cohérent et les dispositions que ses membres entendent ajouter suivent bien la même ligne directrice.

Nous avons tous en mémoire la liste de scandales comme ceux qui ont touché Danone, il y a quelques années, et face auxquels nous nous sommes trouvés juridiquement plutôt démunis. Vouloir poursuivre les tricheurs est une bonne chose, mais ce n’est pas le seul problème. En effet, les pratiques d’optimisation fiscale souvent évoquées en ce moment ne doivent pas faire oublier qu’il existe de telles pratiques en matière sociale – et qui sont parfois légales.

Je connais des entreprises dont on a transféré une partie de la production vers d’autres sites, à l’étranger, Boris Vallaud y a fait allusion, avant qu’on n’explique que le site français n’est plus performant et qu’il ne reste plus qu’à le fermer. On voit bien le processus à l’œuvre, avec le nomadisme des actionnaires… Or c’est bien au problème causé par la finance que nous nous attaquons et quand vous nous répondez qu’on ne le réglera pas par la contrainte, vous obéissez au principe du libéralisme du « laisser faire, laisser passer ». Nous considérons que ce projet politique a atteint ses limites depuis très longtemps, si bien qu’il faut, selon nous, « créer du droit », faute de quoi ce seront les grands propriétaires qui continueront de décider – d’où notre grande inquiétude.

M. Dominique Da Silva. Des exemples montrent que maintenir une activité coûte que coûte n’est pas forcément une solution. Prenez le cas d’Alstom : il est criant que le maintien de certaines filières a mis à mal cette société. L’emploi doit par conséquent rester lié à une réelle activité économique.

M. Gilles Lurton. Les députés du groupe Les Républicains seront bien sûr très défavorables à l’amendement de M. Dharréville puisqu’ils sont à l’origine de la disposition qui prévoit de limiter le périmètre d’appréciation des difficultés économiques au territoire national, disposition adoptée lors de l’examen du projet de loi d’habilitation. Mme Fabre en a parfaitement exposé les raisons.

M. Aurélien Taché. Je ne suis pas certain qu’un juge aux prud’hommes ait la capacité d’apprécier, dans un périmètre tout de même assez théorique, les difficultés d’un groupe et je ne suis pas certain du reste que ce soit vraiment sa mission, cela même si nous avons tous le souci de préserver les emplois considérés.

M. Boris Vallaud. J’aimerais savoir quelles activités il ne fallait pas maintenir chez Alstom... Le Gouvernement ne le dit pas mais, connaissant bien le dossier, je puis vous affirmer qu’il y a 3 000 doublons en France et en Allemagne. Au-delà des quatre années pendant lesquelles le Gouvernement a obtenu des garanties, la question se posera de savoir quels sites on ferme et il faut savoir que du fait du compromis social allemand, nos voisins ferment d’abord les sites à l’étranger. Il ne serait pas inutile d’apprécier globalement la santé économique de ces entreprises au moment où la décision doit être prise. C’est pourquoi il est regrettable que le Gouvernement ne soit pas partie au pacte d’actionnaires, ce qui lui aurait permis d’avoir un droit de regard au-delà de ce délai.

M. Sylvain Maillard. Revenons sur terre. Nous avons la loi la plus « protectrice » en Europe ; or nous avons un chômage très important. Le cœur de notre projet est d’accroître la compétitivité de nos entreprises, d’améliorer la formation de nos salariés, cela pour forcer, d’une certaine manière, la décision des investisseurs à créer de l’emploi en France. Nous ne voulons pas contraindre au maintien des sites qui ne peuvent plus faire face à la compétitivité mondiale mais nous tâchons de faire en sorte qu’on vienne investir en France parce que c’est là qu’on bénéficiera de la meilleure sous-traitance et là qu’on aura les salariés les mieux formés. Notre projet est de libérer pour protéger et c’est pourquoi nous sommes opposés à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle passe à l’amendement AS100 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Notre préoccupation est la même : assurer l’attractivité, la montée en gamme… Or je ne perçois pas de politique industrielle dans vos propositions. Si nous continuons à avoir un déficit budgétaire chronique, nous continuerons de vivre à crédit sur l’étranger.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

De même, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AS101 de M. Boris Vallaud.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS57 de M. Pierre Dharréville, AS201 de M. Jean-Hugues Ratenon et AS103 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. L’article 16 de l’ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail assouplit l’obligation de reclassement des salariés qui, en cas de licenciement économique, pèse sur l’employeur. La diffusion d’une « liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés » lui suffira en effet, désormais, pour remplir son obligation de reclassement. En outre, l’ordonnance prévoit que l’employeur n’a plus à proposer aux salariés des postes de reclassement à l’étranger. Pour ces raisons, nous souhaitons abroger ces dispositions.

J’ajoute que, parmi les dispositions que vous proposez pour stimuler ce que vous appelez l’attractivité du pays, certaines visent à favoriser les licenciements et, dans d’autres cas, à abaisser ce que vous nommez le coût du travail. Elles ne figurent pas dans votre liste mais la course infernale dans laquelle vous nous engagez n’a pas de fin.

M. Adrien Quatennens. Avec cet article, vous introduisez des mesures dangereuses pour les salariés puisque vous redéfinissez le périmètre de leur reclassement au sein de l’entreprise ou du groupe. Cette réforme va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation qui protège bien davantage les salariés et sécurise leurs relations de travail.

Nous estimons en effet que la disposition de l’ordonnance est contraire à la sécurisation de l’emploi, du fait qu’elle diminue les obligations pour les employeurs de reclasser les salariés. Par ailleurs, vous voulez dispenser l’employeur de faire une proposition précise individuelle sous réserve qu’il publie seulement une liste de postes ouverts au reclassement. Ainsi, je le répète, vous exonérerez les employeurs de toute responsabilité en la matière, et vous facilitez les licenciements et rendez plus difficiles les reclassements. Ces méthodes ne permettront en rien de lutter efficacement contre le chômage de masse. Nous nous opposons donc fermement à cette disposition dont nous demandons la suppression.

M. Boris Vallaud. L’amendement AS103 vise à réintroduire l’article L. 1233-4-1 du code du travail, abrogé par les ordonnances. Sans tomber dans la forma mentis de l’administration qui en rendrait l’application trop rigide, il nous apparaît essentiel d’éviter des situations incroyables que nous avons pu constater il y a quelques années. ArcelorMittal a ainsi pu proposer des postes au Luxembourg mais aussi au Kazakhstan avec un salaire de 300 euros par mois.

C’est pour répondre à ces risques que nous proposons de réintroduire cet article.

M. le rapporteur. Ces trois amendements ont un objet similaire : rétablir la procédure de reclassement à l’étranger à la demande du salarié, instaurée dans le cadre de la loi dite Macron, en contrepartie de la suppression de l’obligation de reclassement interne à l’étranger qui, précisément, conduisait à des situations ubuesques, puisque l’employeur était tenu de proposer à des salariés dont le projet de licenciement était envisagé, des postes situés dans des pays éloignés et ne correspondant pas à leurs niveaux de rémunération.

L’ordonnance a procédé à la suppression de la procédure de reclassement interne à l’étranger car, soyons honnêtes, cette procédure, quand bien même elle était cantonnée à la demande initiale du salarié, représentait une charge lourde pour l’employeur en termes d’information individuelle, pour des propositions d’offres souvent éloignées des attentes de reclassement interne. Cela n’empêche d’ailleurs pas en pratique un employeur de rechercher et de faire des propositions d’offres à l’étranger à un salarié qui en ferait la demande. Avis défavorable sur ces trois amendements.

La commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle en vient à l’amendement AS102 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Le présent amendement traite des moyens de communication des offres en cas de reclassement. Le texte précise que cette communication peut se faire par une liste. Cela représente un risque pour le salarié de ne pas bénéficier de l’information nécessaire pour pouvoir se positionner sur ces offres en temps utile. Si la ministre avait été présente, nous lui aurions demandé de nous préciser le contenu du décret prévu à cet article.

M. le rapporteur. La ministre n’est pas là mais nous avons travaillé sur le sujet. La refonte du dispositif de reclassement interne prévoit effectivement qu’il est possible pour l’employeur de satisfaire à son obligation de reclassement soit en adressant de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié, soit en diffusant une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés « dans des conditions définies par décret ».

D’après mes informations, le projet de décret prévoit, quelle que soit l’option retenue, que les offres précisent : l’intitulé du poste, le nom de l’employeur, la localisation du poste et l’échelle de rémunération.

Si l’employeur choisit de diffuser une liste des postes disponibles, il devra préciser pour chaque offre les catégories d’emploi équivalentes ou supérieures concernées par les licenciements correspondants. Rappelons en effet que le salarié doit être reclassé sur un emploi de la même catégorie ou équivalent et, à défaut, sur un emploi de catégorie inférieure si le salarié l’accepte – ce que précise le code du travail.

En outre, la liste devra comprendre l’ensemble des postes disponibles au sein de l’entreprise ou des autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie, ainsi que les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples pour un même poste.

Chaque offre devra indiquer le délai de réponse écrite du salarié, qui ne pourrait être inférieur à un mois à compter de sa publication. L’employeur devra s’assurer que la liste est portée à la connaissance des salariés concernés, y compris en cas d’actualisation de celle-ci.

Ces éléments seront, je l’espère, de nature à vous rassurer.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS198 de M. Jean-Hugues Ratenon.

Mme Caroline Fiat. Nous souhaitons supprimer la possibilité ouverte pour les employeurs de réduire unilatéralement le périmètre de l’entreprise jusqu’à la zone d’emploi en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, c’est-à-dire en cas de licenciement collectif pour motif économique dans une même période de trente jours. L’ordonnance élargit cette possibilité à l’article L. 1233-5 du code du travail – au licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours

M. le rapporteur. Avis défavorable. L’ordonnance a élargi la possibilité de fixer les critères d’ordre des licenciements afin d’harmoniser les situations quel que soit le contexte du licenciement collectif pour motif économique, que ce soit dans le cadre d’un PSE – et dans ce cas, selon que ce PSE est mis en œuvre par voie d’accord ou par voie d’un document unilatéral – ou que ce soit hors PSE, pour les « petits licenciements économiques », à savoir les licenciements de moins de dix salariés sur trente jours.

Le texte prévoit donc désormais que, hors PSE, en l’absence d’accord spécifique sur le périmètre des critères d’ordre des licenciements, l’employeur peut choisir ce périmètre pour le fixer au niveau de l’entreprise ou de le réduire au niveau de la zone d’emploi.

En cas d’accord sur ce sujet, le périmètre ne peut être inférieur à l’entreprise et à la zone d’emploi.

Au total, il s’agit de répondre à la situation de deux établissements implantés dans une même zone d’emploi avec seulement un établissement concerné par le projet de réorganisation : en cas d’accord, les critères d’ordre des licenciements pourraient n’être appliqués qu’au sein de l’établissement en question.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS104 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Les entreprises de plus de 1 000 salariés peuvent procéder à des licenciements avant le transfert d’une entité économique autonome, en cas d’offre de reprise présentée au CE – une exception à l’obligation de transférer les contrats de travail qui visait à faciliter les reprises. L’article élargit cette faculté de licencier préalablement au transfert à toutes les entreprises soumises à l’obligation de négocier un PSE – soit dès cinquante salariés – et non plus uniquement aux entreprises de plus de 1 000 salariés.

Le seuil de cinquante salariés est très bas. En effet, contrairement aux très grandes entreprises, on peut craindre que les financements pour les mesures d’accompagnement des salariés seront limités dans les PME en difficulté.

N’existe-t-il pas également un risque de créer un appel d’air pour certaines entreprises souhaitant revendre au meilleur prix ?

Enfin, cette possibilité de licencier avant le transfert prévu est limitée au regard du droit européen qui considère, notamment, que le transfert ne peut être un motif de licenciement. C’est pourquoi nous proposons de revenir au seuil de 1 000 salariés.

M. le rapporteur. J’émets un avis défavorable. L’article 19 de la troisième ordonnance étend en effet le champ d’un dispositif dérogatoire au principe du maintien des contrats de travail en cas de transfert d’entités économiques : l’enjeu est évidemment de favoriser la reprise d’entreprises confrontées à d’importantes difficultés économiques, et qui engagent un PSE prévoyant notamment le transfert d’une ou plusieurs entités.

Le présent article a procédé à deux modifications majeures : d’une part, il a élargi la possibilité de déroger au principe du transfert des contrats de travail à l’ensemble des entreprises, alors que cette dérogation n’était jusqu’alors autorisée que pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. Il a ensuite supprimé l’obligation de consultation des instances représentatives du personnel sur l’offre de reprise.

Il s’agit de favoriser autant que possible ce type de reprise car je suis pour ma part persuadé qu’il est toujours préférable, dans ce genre de situation, de ne pas obérer des projets de reprise plutôt que de laisser une entreprise se vouer définitivement à l’échec à cause de cette obligation de transfert des contrats de travail, qui peut dissuader d’éventuels repreneurs.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement AS38 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 19 de l’ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail facilite les reprises d’entreprise autonomes – reprises déjà facilitées par la loi El Khomri de 2016. Il est prévu de déroger à la règle du transfert automatique des contrats de travail en cas de reprise de site. Alors que cette faculté n’était reconnue qu’aux entreprises d’au moins 1 000 salariés, il est prévu de l’étendre à toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Concrètement, cela signifie qu’une entreprise pourra licencier économiquement ses salariés avant la reprise du site par une autre entreprise, instaurant un processus de sélection des salariés. Ces dispositions visent à donc exclure des règles protectrices pour les salariés lorsque leur entreprise est reprise par une autre entité.

M. le rapporteur. Avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS105 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Précédemment, le comité d’entreprise n’avait pas de délai pour rendre son avis en cas de petits licenciements économiques. Désormais, ce délai est d’un mois, ce qui peut être contraignant si le CE souhaite faire appel à un expert. Il est important que dans la nouvelle instance fusionnée, la consultation comprenne les conséquences sur la santé et les conditions de travail. En revanche, là où précédemment il était possible de recourir à plusieurs expertises – celle du CE mais aussi celle du CHSCT –, il n’y en aura désormais qu’une, regroupant l’ensemble des domaines. Un des risques est de conduire à des expertises plus coûteuses et par conséquent à d’éventuels conflits avec l’employeur.

Si l’expert n’est pas expert-comptable, il aura un accès moins large à certains documents comptables. C’est pourquoi nous précisons qu’il s’agit d’un expert-comptable.

M. le rapporteur. Je ne suis pas certain de comprendre votre argumentation : vous indiquez que le fait de recourir à une seule expertise au lieu de plusieurs – lorsqu’il y avait un comité d’entreprise et un CHSCT – pourrait conduire à des expertises plus coûteuses ; or il me semble que c’est plutôt l’inverse.

L’expert pourra, dans le cadre d’une seule expertise, mieux apprécier la situation de l’entreprise, autant du point de vue économique, comptable, que du point de vue des conditions de travail. Une seule expertise exhaustive ne devrait pas coûter plus cher pour l’employeur que plusieurs expertises dont les sujets pouvaient s’enchevêtrer.

Quant à préciser que cet expert doit être un expert-comptable afin d’avoir un large accès à certains documents comptables, cela ne me semble pas nécessaire car l’article L. 1233-35 du code du travail précise déjà que cet expert peut demander à l’employeur « toutes les informations qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission ».

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement AS239 modifié du rapporteur.

M. le rapporteur. L’article 21 vise à consacrer un véritable droit au télétravail pour les salariés.

Il inverse en effet la logique antérieure. Auparavant, le recours au télétravail relevait d’une logique individuelle, au cas par cas, puisqu’il devait être prévu dans le contrat de travail du salarié. Désormais, le recours au télétravail devra faire l’objet d’échanges au sein de l’entreprise, soit par voie d’accord, soit par une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique. C’est une véritable avancée pour nos concitoyens, qui pourront s’organiser pour prendre en charge une partie de leur travail à domicile.

En l’absence d’accord ou de charte, l’ordonnance prévoit que le recours au télétravail occasionnel peut être formalisé par un simple accord entre le salarié et l’employeur : il s’agit là encore de ne pas empêcher le salarié de demander le recours au télétravail, même si aucun texte collectif dans l’entreprise ne le prévoit.

Je vous propose pour ma part de compléter et de sécuriser ce dispositif, en prévoyant qu’en l’absence de charte ou d’accord, le recours au télétravail décidé par le salarié et l’employeur peut permettre de recourir à n’importe quelle modalité de télétravail, c’est-à-dire pas seulement du télétravail occasionnel mais aussi du télétravail régulier. Il n’y a pas de raison de pénaliser un salarié souhaitant recourir au télétravail en limitant ce recours au seul travail occasionnel.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS14 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Pour le recours occasionnel au télétravail, on peut désormais formaliser la relation occasionnelle par tout moyen. Cela nous paraît un peu insécurisant, et sans vouloir faire de formalisme excessif, il semble utile d’envisager une trace écrite de cet accord occasionnel, fût-ce par e-mail. Prévoir « par tout moyen » peut être source potentielle de contentieux.

M. le rapporteur. Je l’ai vérifié dans le code du travail, « par tout moyen » est la formule usuelle. Les e-mails sont bien sûr inclus.

Je vous invite donc à retirer cet amendement satisfait. Une expression différente dans les ordonnances pourrait laisser penser que nous sommes moins sécurisés que dans les autres formes. Sur le principe, votre amendement est satisfait car, pour que l’accord puisse être contesté, il doit impérativement être écrit.

M. Stéphane Viry. Je ne partage pas votre avis : ce point mérite précision. Nous maintenons l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS215 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Le nouveau régime de télétravail allège les obligations qui pèsent sur l’employeur. Le présent amendement vise à rétablir l’obligation de l’employeur de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci.

M. le rapporteur. Votre amendement rétablit l’obligation pour l’employeur de prendre en charge tous les coûts découlant du télétravail, telle que l’ancienne rédaction du code du travail le prévoyait.

Je suis défavorable à votre amendement, car je crois que cette obligation qui portait sur le financement du matériel informatique, des logiciels, des abonnements, des communications ou de la maintenance des appareils constitue un réel frein à l’essor du télétravail, que beaucoup de salariés appellent de leurs vœux.

De plus, je crois que cette obligation est devenue un peu désuète aujourd’hui : la quasi-totalité des actifs sont en effet connectés à internet à leur domicile pour leurs besoins personnels. De ce fait, obliger l’employeur à financer l’intégralité de la connexion internet à des salariés en télétravail seulement quelques jours par mois me paraît excessif.

Il ne faut cependant pas s’inquiéter : les entreprises pourront, dans le cadre de l’accord ou de la charte, continuer à prévoir une prise en charge partielle ou intégrale de certains coûts. La mise à disposition de matériel informatique, en particulier, est aujourd’hui très répandue chez les salariés en télétravail, et il n’y a pas de raison que cela change. La plupart du temps, ils bénéficient d’ordinateurs portables, et ce sont ces mêmes ordinateurs qu’ils déplacent de leur domicile à leur lieu de travail. Il n’y a pas de raisons pour que ces facilités changent demain. Au contraire, nous allons pouvoir cadrer ce qui était fait de façon un peu masquée.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS106 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement vise également à rétablir l’obligation pour l’employeur de prendre en charge les coûts du télétravail. C’est une obligation qui a été prévue depuis l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005. Vous avez continûment répété lors de cette discussion que vous étiez attaché au dialogue social, au dialogue entre les partenaires sociaux : ceux-ci étaient parvenus à un accord national interprofessionnel, je vous demande instamment de le respecter.

M. le rapporteur. Vous faites référence à l’ANI de 2005, et comme je le disais à notre collègue Pierre Dharréville, les choses ont pu évoluer entre 2005 et 2017 dans l’équipement, l’utilisation et le rapport à internet.

M. Boris Vallaud. L’argument ne me paraît pas recevable. Demandez à un nouvel accord national interprofessionnel de revenir sur cette question. Ce n’est pas très respectueux des partenaires sociaux.

M. le rapporteur. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je ne suis pas respectueux du dialogue social, mais je comprends la petite pointe de taquinerie de votre propos. Nous proposons justement de rouvrir ce dialogue social, mais dans la proximité, en appliquant le principe de subsidiarité. Je propose donc que ce dialogue social se déroule dans l’entreprise. C’est le cadre le plus adapté, car les entreprises savent bien quelle est la réalité du télétravail qu’elles peuvent mettre en place.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS58 de M. Pierre Dharréville et AS165 de M. Adrien Quatennens.

M. Pierre Dharréville. L’article 22 de l’ordonnance relative à la sécurisation des relations de travail prévoit de confier à la négociation de branche les règles relatives à la durée des contrats à durée déterminée, alors que ce champ relevait auparavant de la loi, autrement dit de l’ordre public.

Le nouvel article L. 1242-8 du code du travail résultant de l’ordonnance n° 2017‑1387 ne mentionne même plus de durée maximale de CDD. Ainsi, les branches ne sont plus contraintes par une durée maximale alors que la loi fixait auparavant un délai de dix-huit mois, renouvellement inclus. Le délai légal de dix-huit mois ne s’applique plus qu’à défaut d’accord de branche étendu, de manière supplétive. Quel est alors l’intérêt pour les branches de négocier si ce n’est dans un sens plus défavorable aux salariés ?

Ces dispositions marquent donc le recul de la loi commune et encouragent une négociation de régression au détriment des protections dont pouvaient bénéficier les salariés, notamment les plus précaires. Pour ces raisons, nous demandons le retrait de ces dispositions.

M. Adrien Quatennens. L’innovation serait le maître mot de vos réformes. Je vous le concède, vous innovez. Après les lois Rebsamen, Macron et El Khomri, vos ordonnances trouvent encore de nouveaux moyens de précariser davantage les salariés.

D’une part, vous voulez permettre aux branches de réviser les modalités de recours et de renouvellement des CDD. Ce serait aux branches de définir la durée maximale d’un contrat précaire, son nombre maximal de renouvellements ainsi que la durée, voire l’absence d’un délai de carence entre deux contrats précaires.

À cela vous ne posez aucun garde-fou. Jusqu’alors fixées par la loi de la République, ces modalités auront désormais 700 définitions différentes, puisqu’il y a à peu près 700 branches dans le pays aujourd’hui. En pratique, vous permettez aux employeurs d’embaucher un salarié pour un CDD d’un mois, et de le renouveler de mois en mois, si le salarié le satisfait, pendant une durée que l’on peut imaginer extrêmement importante. C’est-à-dire qu’à la fin de chaque mois, et pendant plusieurs années, le salarié se demandera si oui ou non, il sera mis au chômage dans les prochains jours.

D’autre part, le CDI de chantier n’a de CDI que le nom. Il s’agit en réalité, et nous l’avons plusieurs fois démontré, d’un simple CDD dont vous aurez supprimé toutes les compensations favorables aux salariés.

Ces mesures ne sont pas dignes de ceux qui se disent attachés à la sécurisation des parcours. Nous en proposons la suppression afin de ne pas plonger plus encore dans la précarité des milliers de salariés.

M. le rapporteur. Chers collègues, vous avez un petit peu caricaturé les choses !

L’ordonnance propose en effet d’élargir le champ de la négociation collective de branche sur certaines questions qui étaient jusqu’alors du ressort de la loi, et en l’occurrence, en matière de recours à certains types spécifiques de contrats de travail : les CDD, les contrats d’intérim, les CDI de chantier ou de projet.

Il ne s’agit pas, pour ces contrats, de laisser les partenaires sociaux libres de fixer toutes les règles : ainsi, en matière de CDD, il ne sera pas possible de négocier les motifs de recours au CDD, qui restent d’ordre public. Le choix a simplement été fait de basculer trois éléments de l’ordre public vers les dispositions supplétives : la durée totale des CDD, les conditions de renouvellement des CDD et le délai de carence entre deux CDD sur un même poste.

Nous avons ici un désaccord de fond, car nous avons pour notre part toute confiance dans les partenaires sociaux de la branche pour négocier des règles adaptées aux secteurs d’activité qu’elle couvre. L’enjeu de cette réforme est bien de dire que ce n’est pas ici, à l’Assemblée, qu’il faut fixer toutes les règles pour les CDD, ou celles qui vont régir la vie au travail. Il doit y avoir une marge de négociation propre à la réalité des entreprises et des branches. La manière dont on approche le CDD, celle dont on peut proposer le CDI de chantier ou de projet sera différente selon les différentes branches. Vous citiez un nombre important de branches, mais vous n’ignorez pas qu’une dynamique de rapprochement de ces branches est en cours, pour améliorer leur cohérence.

Nous avons un désaccord de fond. N’oubliez pas par ailleurs que ces accords de branche doivent avoir été négociés avec les organisations syndicales de salariés représentatives à ce niveau. Or, nous le savons tous, au niveau de la branche, les organisations représentatives de salariés envoient non pas des jeunes peu formés et s’y connaissant peu en négociation mais des représentants de valeur, compétents, et connectés à la réalité de la branche dans laquelle ils évoluent. C’est l’assurance que les dispositions que nous avons concédées à la démocratie sociale, s’agissant notamment des contrats à durée déterminée, seront cohérentes et proches de la réalité de terrain de la branche dans laquelle ces contrats seront appliqués.

Faisons ensemble le pari du dialogue social. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Finalement, en quoi le recours au CDD peut-il varier légitimement selon les branches ? Qu’est-ce qui peut le justifier ?

Vous évoquez les négociations de branche : nous sommes bien dans le cadre de négociations. Nous rendons donc négociables des cadres qui ne l’étaient pas jusqu’ici. Et si nous les rendons négociables, nous savons très bien, dans le climat actuel, que ce ne sera pas pour améliorer les choses du point de vue du recours à ces contrats et de la précarité. C’est ce qui m’inquiète.

La commission rejette successivement les amendements AS58 et AS165.

Elle en vient à l’amendement AS59 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 23 de l’ordonnance prévoit de confier à la négociation de branche les règles relatives au renouvellement des contrats à durée déterminée, alors que ce champ relevait auparavant de la loi et donc de l’ordre public. La règle selon laquelle le CDD est renouvelable deux fois ne s’applique qu’à défaut d’accord de branche, la loi devenant supplétive. Ces dispositions marquent donc un nouveau recul.

M. le rapporteur. L’ordonnance propose en effet d’élargir le champ de la négociation collective de branche sur certaines questions qui étaient jusqu’alors du ressort de la loi, et en l’occurrence en matière de recours à certains types spécifiques de contrats de travail : les CDD, les contrats d’intérim, les CDI de chantier ou de projet.

Il ne s’agit pas, pour ces contrats, de laisser les partenaires sociaux libres de fixer toutes les règles, puisque seuls trois éléments basculent au niveau de la branche : la durée totale des CDD, les conditions de renouvellement des CDD et le délai de carence entre deux CDD sur un même poste.

Il s’agit d’une norme négociée, et non d’un cadre qui serait fixé unilatéralement par les organisations patronales de la branche. Faisons encore une fois le pari du dialogue social.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AS40 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit de la troisième disposition que vous venez d’évoquer, sur le délai de carence, mentionnée à l’article 24 de l’ordonnance. Je reste sur ma faim quant aux arguments concrets qui motivent les différences d’approches entre branches, si ce n’est des sortes de négociations donnant-donnant, de contreparties où l’on forcerait des organisations syndicales à faire des concessions sur le recours au CDD.

M. le rapporteur. Le dialogue social consiste à faire des concessions de part et d’autre. Je comprends que certaines concessions vous inquiètent plus que d’autres, mais sur le fond, si nous laissons de l’espace au dialogue social, nous sommes d’accord pour dire que des concessions mutuelles seront effectuées.

Cet amendement propose de supprimer l’un des sujets relatifs aux CDD sur lesquels l’ordonnance a prévu de laisser les branches libres de négocier : le délai de carence. Il s’agit du délai à respecter à l’issue d’un CDD, sur un poste déterminé, avant de pouvoir de nouveau recourir à un tel contrat. Étant entendu que de toute manière, il s’agit d’une disposition d’ordre public, il est interdit de recourir à un CDD pour pourvoir un emploi permanent dans l’entreprise. Toutes les dispositions d’ordre public en la matière ne sont pas remises en cause.

Ce que l’ordonnance a rendu possible, c’est simplement la faculté pour une branche de fixer les modalités de calcul de ce délai de carence, sachant que la règle légale, devenue supplétive, fixe ce délai au tiers de la durée du contrat pour un contrat de plus de quatorze jours, et à la moitié de la durée du CDD écoulé pour un CDD de moins de quatorze jours.

Cette possibilité va de pair avec celle de la branche de négocier sur la durée totale des CDD et leurs conditions de renouvellement.

Ce triptyque ne me semble pas devoir être remis en cause, et je rappelle qu’au niveau des branches, il s’agit bien d’un accord qui doit fixer ces règles, donc les deux parties auront leur mot à dire.

M. Dominique Da Silva. Monsieur Dharréville, nous avons reçu il y a peu les syndicats des salariés qui nous ont dit que les salariés des TPE étaient parfaitement défendus au sein des branches, là où ils peuvent débattre des modalités au plus près du terrain et des réalités de chaque métier.

Quand cela les arrange, certains syndicats nous expliquent que la branche est une très bonne chose et qu’il faut la défendre, mais dans d’autres cas, on nous explique le contraire. Cette contradiction montre que le législateur n’est pas le mieux placé pour défendre les salariés.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AS60 de M. Pierre Dharréville. 

M. Pierre Dharréville. Je pense, monsieur Da Silva, que le législateur a un rôle à jouer pour protéger les salariés.

L’article 26 de l’ordonnance prévoit de confier à la négociation de branche les règles relatives à la durée des contrats d’intérim, auparavant d’ordre public. Je vous avoue que j’avais espéré, avec l’adoption de l’amendement lors de l’examen de la loi d’habilitation, limiter les atteintes portées aux dispositions d’ordre public. Au fur et à mesure de l’examen du texte, je me rends compte que les choses sont moins évidentes que je ne l’avais pensé au départ.

Les branches ne sont plus contraintes par une durée maximale, alors que la loi fixait auparavant un délai de dix-huit mois, renouvellement inclus. Le délai légal de dix-huit mois ne s’applique plus qu’à défaut d’accord de branche étendu, de manière supplétive.

Ces dispositions marquent donc le recul de la loi commune et encouragent une négociation de régression au détriment des protections dont pouvaient bénéficier les salariés. Il y a une incitation qui nous semble assez inquiétante, et pour ces raisons, les auteurs de cet amendement demandent le retrait de ces dispositions. Nous aurions plutôt tendance à proposer des dispositions qui limitent le recours à la précarité et à l’intérim, dont nous savons qu’il est beaucoup trop développé dans notre pays, certaines entreprises y faisant appel de manière abusive.

M. le rapporteur. Si nous nous rejoignons sur un point, c’est la volonté de lutter contre la précarité. J’imagine donc que le CDI de chantier ou le CDI de projet répond à l’une de vos attentes. Je vous fais ce clin d’œil car je crois beaucoup à cette disposition qui permet de sortir de la précarité formelle et réelle un certain nombre de collaborateurs en CDD qui sont renouvelés.

Quant à cet amendement sur les contrats de mission, les arguments sont les mêmes que pour les contrats à durée déterminée, donc je ne vais pas me répéter. Je fais le même pari du dialogue social pour l’intérim que pour les contrats à durée déterminée, comme pour les CDI de projet, qui vont permettre à un certain nombre de nos concitoyens de sortir de la précarité du CDD.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS163 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. Vous voulez donc rétablir les normes relatives aux contrats de mission, et supprimer la possibilité de les faire dépendre d’un accord de branche. Les dispositions de vos ordonnances renversent la hiérarchie des normes et annulent le principe de faveur. Des accords signés au niveau de la branche vont désormais définir les modalités de recours aux contrats de chantier.

Vous venez de souligner que nous avons un désaccord de fond : je vous le confirme. Les précisions que vous avez voulu apporter ne nous rassurent pas, c’est pourquoi nous voulons supprimer ces dispositions.

M. le rapporteur. Votre amendement tend à supprimer la possibilité de négocier par voie d’accord de branche sur la durée, les conditions de renouvellement et le délai de carence pour les contrats de mission. Nous avons déjà évoqué les contrats à durée déterminée, l’argumentaire est le même pour les contrats d’intérim.

Nous avons un désaccord de fond. Je rappelle que le principe de faveur est maintenu dans le code du travail, c’est l’article L. 2251-1. Il ne peut pas y avoir de débat juridique sur le sujet.

Je fais donc pour les contrats de mission le même pari du dialogue social que pour les contrats à durée déterminée et les CDI de chantier et de projet, qui permettront à un grand nombre de nos concitoyens de sortir de la précarité.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements AS61 et AS62 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Notre collègue Francis Vercamer a estimé hier que le principe de faveur était mis en cause dans le texte : le débat va se poursuivre, car il a subi de sérieuses entailles du fait de ces ordonnances.

L’amendement AS61 porte sur le renouvellement des contrats d’intérim. Les branches ne sont plus contraintes par un nombre maximum de renouvellements. La règle selon laquelle le contrat de mission est renouvelable deux fois ne s’applique qu’à défaut d’accord de branche, la loi devenant supplétive.

L’amendement AS62 porte quant à lui sur les règles relatives au délai de carence en cas de succession de contrat d’intérim sur un même poste. Les branches ne sont plus contraintes par un délai de carence fixé légalement. Le délai de carence prévu par la loi ne s’appliquerait qu’à défaut d’accord de branche le prévoyant, la loi devenant supplétive.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je rappelle qu’il s’agit d’une norme négociée, et non d’un cadre qui serait fixé unilatéralement par les organisations patronales de la branche.

La commission rejette successivement les amendements AS61 et AS62.

Elle est ensuite saisie de deux amendements pouvait faire l’objet d’une discussion commune, l’AS63 de M. Pierre Dharréville et l’AS171 de M. Adrien Quatennens.

M. Pierre Dharréville. L’article 30 de l’ordonnance prévoit d’étendre le recours aux CDI de chantier à d’autres secteurs que le bâtiment, selon des modalités fixées par accord de branche étendu.

Cette disposition vise à contourner les règles relatives à la fin du CDD, déjà assouplies par la présente ordonnance, et à contourner les protections liées au licenciement, au détriment des droits de salariés. Vous m’avez fait un appel du pied précédemment, monsieur le rapporteur, j’ai le sentiment que cette disposition ne va pas régler le problème de la précarité, mais plutôt mettre à la disposition de ceux qui le souhaitent un outil supplémentaire pour la développer.

M. Adrien Quatennens. Selon vous, le contrat de chantier permet de disposer des mêmes droits et des mêmes protections qu’un salarié en CDI, notamment en matière de formation. Pourtant, vu les dispositions des ordonnances, cette affirmation est manifestement fausse, je tenais à vous en alerter. Vous nous dites vouloir sécuriser l’accès à l’emploi, sécuriser la relation de travail, sécuriser les parcours professionnels, mais vous vous éloignez de cette louable intention.

Votre ordonnance ne donne aucune précision sur les missions pouvant donner lieu à un contrat de chantier. Le champ de la négociation est donc illimité, sans aucun garde-fou. Par conséquent, beaucoup d’employeurs risquent de ne plus avoir recours aux CDD, mais préférer le contrat de chantier, qui n’oblige à aucune justification du motif de recours et l’exonère du versement d’une prime de précarité.

Par ailleurs, le contrat de chantier a ceci de particulier qu’on n’en connaît pas l’échéance. L’employeur qui, dans beaucoup de situations, n’aurait pu engager en CDD faute de motif, pourra non seulement priver son salarié des garanties liées à un véritable CDI, mais également celles, pourtant déjà faibles, liées au CDD.

Les salariés qui signeront un CDI de chantier n’auront donc ni les avantages du CDI, ni les faibles compensations du CDD.

Qui voulez-vous sécuriser ?

Pas les salariés, puisque vous proposez déjà d’autre part la mise en place de baux précaires. Perdre son logement après avoir perdu son emploi, c’est l’horizon que vous promettez entre les lignes.

M. le rapporteur. Avis défavorable à ces deux amendements. Je crois beaucoup aux CDI de chantier. Dans les faits, et pourvu qu’il existe un accord de branche et que nous soyons dans les secteurs d’activité qui ont intérêt à utiliser ce type de contrats, permettre à nos concitoyens qui travaillent de ne plus être en contrat à durée déterminée, mais en contrat à durée indéterminée, avec tous les droits implicites et explicites qui y sont rattachés – pouvoir facilement se loger ou avoir accès à l’emprunt, etc. – constitue une avancée réelle pour eux.

En outre, les entreprises ne sont pas toujours sur des durées de dix-huit mois, durée maximale d’un CDD. Si le chantier dure deux ans ou deux ans et demi, le CDD n’est donc pas adapté. Le CDI de chantier l’est beaucoup plus. Nous sommes donc bien dans un rapport gagnant-gagnant que j’appelle de mes vœux.

Enfin, merci à notre collègue M. Quatennens d’avoir reconnu que nos intentions étaient louables, même si nous sommes en profond désaccord sur les moyens.

La commission rejette successivement les amendements AS63 et AS171.

La commission examine l’amendement AS107 de M. Boris Vallaud. 

M. Boris Vallaud. L’article élargit le champ d’application du contrat de chantier. Ce contrat est facteur de plus de précarité qu’un contrat à durée déterminée (CDD) puisque son terme n’est pas connu et qu’il ne donne pas lieu au versement d’une indemnité de précarité. Je rappelle qu’un tiers des CDD européens de moins d’un mois sont conclus en France. Ce n’est pas la création d’un énième contrat précaire qui mettra fin à la spirale de la précarité contractuelle que connaît le marché du travail et que vous n’affrontez pas. Nous demandons donc la suppression de l’article.

M. le rapporteur. Nous avons sur ce point un désaccord de fond et je pense que mes efforts visant à vous convaincre seraient aussi vains qu’ils l’ont été avec M. Dharéville. Il ne s’agit nullement d’une généralisation. En outre, l’accord de branche doit prévoir les contreparties en termes de rémunération et d’indemnité de licenciement accordées aux salariés dans ce cadre, ainsi que des garanties en termes de formation et aussi les modalités de rupture du contrat si celui-ci s’achève de manière anticipée, par exemple en raison de l’annulation d’un chantier. Je comprends que vous vous interrogiez car la mise en œuvre du CDI de chantier n’est pas évidente, mais le cadre prévu pourrait répondre à certaines de vos inquiétudes. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS145 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. L’amendement tend à lancer une expérimentation dans un secteur en pleine mutation : le numérique. Pour ne pas créer d’effet d’aubaine, l’expérimentation serait réservée aux jeunes entreprises innovantes ou universitaires. Elle s’accompagnerait d’une évaluation, indispensable pour disposer d’un bilan chiffré et analytique en vue de son éventuelle généralisation. L’amendement est parfaitement justifié puisque vous avez convenu, monsieur le rapporteur, que la question posée n’a pas de réponse évidente.

M. le rapporteur. Votre proposition est restrictive, alors que le dispositif est déjà utilisé dans de nombreux secteurs, mais dans un cadre juridique peu sécurisé. Ce type de contrat s’est imposé, historiquement, dans le secteur du BTP, mais il est également pratiqué dans ceux de l’aéronautique, de la réparation navale, de la construction mécanique et aussi du cinéma. Il serait dommageable de le limiter au seules jeunes entreprises innovantes. Il est louable de vouloir accompagner leurs projets de recherche et développement, mais cela ne doit pas se faire en limitant le contrat de chantier à ce périmètre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS64 de M. Pierre Dharréville. 

M. Pierre Dharréville. L’article 31 de l’ordonnance prévoit que « la rupture du contrat de chantier ou d’opération qui intervient à la fin du chantier ou une fois l’opération réalisée repose sur une cause réelle et sérieuse ». Alors que la rupture d’un contrat de chantier obéissait auparavant aux règles relatives au licenciement pour motif personnel, cette disposition vise à contourner les protections liées au droit du licenciement, le contrat de chantier devenant inattaquable devant le juge prud’homal. Aussi demandons-nous la suppression de cette disposition.

M. le rapporteur. Vous proposez de supprimer les modifications relatives à la procédure de licenciement applicable au salarié à la fin d’un CDI de chantier. Jusqu’alors, le texte de l’article prévoyait que le licenciement ne constituait pas un licenciement économique mais un licenciement pour motif personnel. L’ordonnance ne modifie pas ce point puisque le texte tel qu’issu de l’article 31 prévoit bien que la rupture de contrat à la fin d’un CDI de chantier est soumis aux règles applicables au licenciement pour motif personnel s’agissant de l’entretien préalable et de la notification du licenciement, aux règles de droit commun pour les conséquences du licenciement – préavis, indemnité de licenciement, documents remis par l’employeur à la rupture du contrat – et aux règles de droit commun applicables en matière de contestation du licenciement.

La différence réelle au regard du droit antérieur est l’ajout en vertu duquel le licenciement à la fin d’un contrat de chantier est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui semble logique. Il est vrai que, jusqu’à présent, il appartenait au juge de se prononcer sur le fondement d’un licenciement intervenu à la fin d’un CDI de chantier ; mais le juge a toujours considéré que l’achèvement d’un chantier constitue bien une cause légitime de licenciement, même si la durée estimée de ce chantier a été dépassée.

Il s’agit bien de la rupture du contrat intervenant à la fin du chantier ou d’une opération, et non en cas d’une difficulté qui mettrait un terme anticipé au chantier ou conduirait à son annulation : ces cas doivent être négociés dans le cadre de l’accord de branche, qui en précise les modalités. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Le sujet est d’importance. J’entends votre argumentation mais ne fait-on pas courir le risque que certains contrats de chantier prennent fin pour des raisons économiques qui n’auraient rien à voir avec ce que vous venez d’évoquer ? La loi ainsi rédigée n’ouvre-t-elle pas des possibilités nouvelles de ce type ?

M. le rapporteur. En l’état actuel de la législation, en cas de difficultés économiques, les dispositions relatives au licenciement pour raisons économiques s’appliquent même si les salariés ont signé des contrats de chantier. Je vous donnerai une réponse plus précise dans quelques instants.

M. Dominique Da Silva. Si une mission se trouve en difficulté économique, il y aura forcément licenciement économique, même si l’on a recruté des CDI de chantier ; cela me semble être le bon sens.

M. le rapporteur. L’article L. 1223-9 du code de travail relatif au contrat de chantier fixe « les modalités adaptées de rupture de ce contrat dans l’hypothèse où le chantier ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser ou se termine de manière anticipée ». Voilà qui répond à vos interrogations : cela doit bien figurer dans l’accord.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques AS65 de M. Pierre Dharréville et AS108 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. L’article 32 de l’ordonnance instaure une présomption de conformité aux dispositions d’ordre public pour tous les accords d’entreprise portant sur la mise en place du travail de nuit. Peu importe donc le motif qui pousse à ces accords, ils bénéficient d’une présomption de légalité quant au respect du caractère exceptionnel du travail de nuit. Par l’amendement AS65, nous proposons de supprimer cette disposition qui sécurise les seuls employeurs tout en empêchant des recours ultérieurs par les salariés sur l’éventuelle non-conformité d’un accord sur le travail de nuit.

M. Boris Vallaud. Les dispositions relatives au travail de nuit sont sans intérêt. Plusieurs rapports récents, notamment un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), ont montré que le travail de nuit a de graves conséquences sur la santé des salariés. Il ne s’agit pas de remettre en cause la nécessité du travail de nuit dans certains métiers, mais faut-il pour autant chercher à le développer ? À quelles difficultés le Gouvernement souhaite-t-il répondre par cette disposition ? En réalité, vous fragilisez un dispositif pour répondre aux difficultés ponctuelles de quelques commerces de proximité après 21 heures et dans les grandes villes.

M. le rapporteur. Avis défavorable. La disposition ne vise pas à limiter le droit au recours contre des accords collectifs mettant en place le travail de nuit. Aux termes de l’article L. 3122-1 du code du travail, « le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ». L’objectif est de confirmer le principe selon lequel il appartient à celui qui conteste la légalité d’un accord collectif de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent. Autrement dit, il sera toujours possible de contester le caractère justifié du recours au travail de nuit, au motif, par exemple, qu’il n’y a pas de nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ; simplement, il incombe au demandeur de fournir les éléments qui, selon lui, ne sont pas conformes à ces conditions.

La commission rejette les amendements identiques.

Puis elle examine l’amendement AS66 de M. Pierre Dharréville. 

M. Pierre Dharréville. L’article 33 de l’ordonnance prévoit de faciliter le prêt de main-d’œuvre des grandes entreprises à de plus petites. Pendant deux ans au plus, les groupes ou les entreprises d’au moins 5 000 salariés pourront mettre à disposition leurs salariés auprès de jeunes entreprises de moins de huit ans d’existence ou des PME employant 250 salariés au plus. Cette opération sera considérée comme dépourvue de but lucratif, y compris lorsque le montant facturé par l’entreprise prêteuse à l’entreprise utilisatrice est inférieur aux salaires versés aux salariés considérés, aux cotisations sociales et aux frais professionnels.

Une telle disposition permettra aux grandes entreprises d’externaliser leur main- d’œuvre dans des petites entreprises qui deviendraient de fait leurs sous-traitants, sans qu’elles assument la totalité de la prise en charge des salaires. Il s’agit donc d’accroître le pouvoir des donneurs d’ordre sur les sous-traitants. Nous proposons par l’amendement la suppression de cette disposition.

M. le rapporteur. Je n’envisage pas les choses dans la même perspective. On avait évoqué, lors du débat sur le projet de loi d’habilitation, un cas précis, que je rappelle. Lorsque les collaborateurs d’un grand assureur mutualiste vont travailler dans une start-up, ce n’est pas une relation de donneur d’ordre à sous-traitant qui s’instaure. Ces collaborateurs, qui contribuent au développement économique global, reviendront dans l’entreprise prêteuse avec un regard différent et des pratiques autres. Contrairement à vous, je juge le prêt de main- d’œuvre très intéressant pour les deux entreprises et pour les collaborateurs concernés. C’est un véritable coup de pouce donné aux petites entreprises qui pourront dans ce cadre bénéficier de l’expérience de grandes entreprises et ainsi améliorer la qualification de leur main- d’œuvre ; ce dispositif bénéfique permet aussi de favoriser les transitions professionnelles. Et, vous l’avez souligné, le prêt de main-d’œuvre est limité à deux ans. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Il faut naturellement réfléchir à l’intérêt que peut présenter la mesure telle que vous la présentez, mais les garde-fous prévus sont manifestement insuffisants. Je vous suggère de réfléchir avant la séance publique aux dispositions qui pourraient être prises pour éviter d’instaurer une sous-traitance déguisée avec les conséquences que cela induirait car, en l’état du texte, elle est possible.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS232 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement propose d’assurer la cohérence juridique d’un dispositif de prêt de main-d’œuvre partiellement dérogatoire aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 8241-1 du code du travail, en prévoyant que l’entreprise prêteuse ne facture pas la totalité des salaires, charges sociales et frais professionnels afférents au salarié prêté.

M. Gérard Cherpion. Le prêt de main-d’œuvre est régi par les dispositions de la loi de 2011 précisant qu’il se fait à but non lucratif. Ainsi, les entreprises dont les commandes connaissent un creux peuvent prêter leur main-d’œuvre pour ne pas devoir licencier. Pouvez-vous expliciter, monsieur le rapporteur, en quoi l’article nouveau est dérogatoire à l’article L. 8241-1 du code du travail, et confirmer que le prêt de main-d’œuvre rendu possible par l’ordonnance sera bien à but non lucratif ? S’il en allait autrement, cela remettrait en cause le système précédent.

M. le rapporteur. L’amendement tend justement à préciser que le salarié est prêté.

M. Dominique Da Silva. L’intérêt du dispositif est de prêter des salariés à des entreprises qui n’auraient pas les moyens de payer au prix fort. Il n’a pas d’autre but.

M. Gérard Cherpion. J’aimerais vous entendre confirmer, monsieur le rapporteur, que le prêt de main-d’œuvre ainsi prévu est sans but lucratif. S’il n’en est pas ainsi, ce n’est plus de prêt de main-d’œuvre qu’il s’agit mais d’un système totalement différent.

M. le rapporteur. En réalité, la prise d’angle n’est pas tout à fait la même. Si la question que vous posez est : « Peut-il y avoir des dérogations ? », la réponse est « oui ». Nous précisons par l’amendement que les charges peuvent ne pas être totalement facturées.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques AS67 de M. Pierre Dharréville et AS178 de M. Jean-Hugues Ratenon. 

M. Pierre Dharréville. L’article 34 de l’ordonnance prévoit, dans la continuité de la loi Travail de 2016, que lors de « la poursuite des contrats de travail en cas de succession d’entreprises dans l’exécution d’un marché, les salariés du nouveau prestataire ne peuvent invoquer utilement les différences de rémunération résultant d’avantages obtenus, avant le changement de prestataire, par les salariés dont les contrats de travail ont été poursuivis ».

Sous prétexte de sécurisation, le Gouvernement veut donc par ce biais abaisser le coût du travail tout en créant des conditions de travail différentes entre des salariés effectuant les mêmes tâches sur un même site. En outre, cette disposition remet en cause le principe d’égalité de traitement et fait obstacle à la jurisprudence de la Cour de cassation qui a toujours estimé que, dans le cadre d’un transfert conventionnel faisant suite à la perte d’un marché de services, les salariés du nouveau prestataire accomplissant le même travail sur le même chantier pouvaient revendiquer l’application du principe d’égalité de traitement. Se pose donc la question de l’inconstitutionnalité de la mesure au regard du principe d’égalité. C’est pourquoi nous demandons, par l’amendement AS67, sa suppression.

M. Adrien Quatennens. Quand ils réussissent à installer un rapport de forces favorable, les salariés obtiennent des avancées, notamment en matière de rémunération. Ce sont bien des conquêtes, puisque rares sont les employeurs qui concèdent à leurs employés une forte augmentation ou de nouvelles primes. En tout cas, cela ne se passe pas ainsi dans la plupart des groupes, où la maîtrise de la masse salariale libère des sommes importantes qui servent bien souvent à rémunérer les actionnaires. Au coût du travail, les libéraux préfèrent le coût du capital. Par ces ordonnances, vous introduisez pourtant une mesure qui a pour unique objet de contraindre les salariés à renégocier ce qu’ils avaient déjà arraché par la lutte. Vous voulez rendre impossible la préservation des avancées obtenues avant que l’entreprise change de propriétaire. Les acquis sociaux à l’échelle de l’entreprise, déjà suffisamment attaqués par les autres articles des ordonnances, doivent être préservés. L’amendement AS178 tend donc à supprimer cette disposition.

M. le rapporteur. La loi du 8 août 2016 a introduit un dispositif de sécurisation des transferts conventionnels. Ces dispositions prévues dans certaines conventions collectives prévoyaient qu’une entreprise emportant un nouveau contrat est tenue de reprendre l’ensemble des salariés de l’entreprise évincée. Le principe du transfert conventionnel est donc protecteur pour les salariés. Plusieurs secteurs sont concernés ; le plus souvent, on cite celui de la propreté.

Mais la jurisprudence a mis le dispositif à mal en jugeant qu’un tel transfert ne constitue pas une raison objective permettant de justifier une différence de rémunération entre salariés. Autrement dit, l’employeur qui reprenait d’anciens salariés sur un site pouvait se trouver dans l’obligation d’étendre tous leurs avantages aux salariés de l’entreprise travaillant sur d’autres sites. La loi du 8 août 2016 a mis un terme à ce risque potentiel, en prévoyant que les salariés employés sur d’autres sites de l’entreprise ayant emporté le nouveau contrat ne pouvaient se prévaloir des avantages consentis aux salariés dont les contrats ont été transférés.

L’ordonnance se limite à élargir ce principe dérogatoire à l’ensemble de l’entreprise et non plus au seul site concerné par l’exécution du marché car, par un effet de cascade, les rémunérations pouvaient être conduites à s’aligner à la hausse entre plusieurs sites et pour plusieurs employeurs. Il s’agit donc bien d’un élément de sécurisation du dispositif des transferts conventionnels. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement AS109 de M. Boris Vallaud. 

M. Boris Vallaud. Nous proposons d’aller plus loin que le prévoit le texte en abaissant à six mois la durée d’ancienneté minimale des salariés en CDI leur permettant de bénéficier d’une indemnité de licenciement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement AS199 de Mme Caroline Fiat.

M. Adrien Quatennens. Pour nombre de jeunes, le stage est le premier contact avec le monde du travail. Pourtant, la législation concernant la rémunération des stagiaires est inique : elle distingue les stages d’une durée inférieure à deux mois des stages d’une durée égale ou supérieure à deux mois et ne prévoit la rémunération du stagiaire que dans le second cas. Le stagiaire intègre alors très vite le rapport inégalitaire qui lui est défavorable et qui se cristallise dans le droit. Or, tout travail mérite salaire. Nous nous alarmons du développement de stages non rémunérés dans l’économie française. Il est tel que certaine entreprises peuvent être considérées comme des « usines à stagiaires ». Les stagiaires sont qualifiés et volontaires ; s’ils étaient un poids, les entreprises ne recourraient pas autant à eux. En témoigne Pascale Pailhé, ancienne directrice des ressources humaines chez Beijaflore, citée comme il suit par le magazine Capital : « Si je cherchais un volontaire pour une tâche ingrate, tout le monde baissait les yeux, sauf les stagiaires ». Corvéables, ultra-flexibles, sans droit aux RTT, sans droit au repos, sans droit à cotiser pour le chômage ni pour la retraite et non rémunérés dans certains cas, les stagiaires seraient-ils les travailleurs dont vous rêvez ? Nous nous y opposons et voulons que tous les stagiaires soient rémunérés, quelle que soit la durée de leur stage. Tel est le sens de l’amendement.

M. le rapporteur. Faire des stages participe d’un parcours professionnel. Bien entendu, personne ne souhaite être stagiaire sa vie durant, mais il n’est pas négatif de l’avoir été. La question de la rémunération des stages est un problème à part entière, qui ne me semble pas relever du débat sur ces ordonnances. Il relève d’ailleurs du code de l’éducation et non du code du travail ; son rapport au texte est donc discutable.

Cela dit, le principe de la gratification des stages, quelle que soit leur durée, appelle l’attention sur le fait que, chaque année, des milliers d’étudiants peinent à trouver une entreprise acceptant de les prendre comme stagiaires. Les demandes de stages sont innombrables ; le problème de fond est de parvenir à ce que les entreprises accueillent des stagiaires plus nombreux et dans de meilleures conditions, pas nécessairement de se demander s’ils doivent être rémunérés au premier jour, sachant que des dispositions réglementent déjà les stages en entreprise d’une durée supérieure à deux mois. Le sujet ne peut être balayé d’un revers de main, mais il doit être débattu dans un autre contexte. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement AS166 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. Par cet amendement, nous vous proposons de restaurer l’autorisation administrative de licenciement économique, afin de redonner aux institutions de la République un droit de regard et de contrôle sur un motif de licenciement dont l’usage n’a cessé de se développer.

Elle a été supprimée en 1986 avec, pour raison principale, la baisse du chômage de masse qu’elle était censée engendrer. À l’époque, le président du Conseil national du patronat français, Yvon Gattaz, avait promis la création rapide de 370 000 emplois. On ignore si, comme son fils trente ans plus tard, il avait fait imprimer des pin’s à cet effet. Mais force est de constater que les effets de la suppression ne se sont pas fait ressentir sur le long terme. On peut donc, avec le recul de l’histoire, rétablir ce contrôle administratif.

Son premier effet serait de diminuer le niveau de contentieux dans le monde du travail, et de désengorger les tribunaux des prud’hommes, puisque la vérification sera désormais faite en amont. C’est un élément de véritable sécurisation juridique pour les employeurs et de sécurisation des parcours pour les salariés.

Ensuite, le rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement aurait pour conséquence positive de limiter les licenciements dans l’ensemble du pays et de mettre fin à toute possibilité pour les grandes entreprises de procéder à des licenciements boursiers. Les petites entreprises, en réelles difficultés économiques, seraient entendues par les autorités compétentes, et les tentatives frauduleuses ou les créations artificielles de difficultés économiques seraient ainsi détectées en amont, avant qu’elles ne fassent l’objet des recours qui perturbent les relations sociales de notre pays.

En vigueur aux Pays-Bas, où le taux de chômage s’élevait à 4,8 % au cours de l’année écoulée, l’autorisation administrative de licenciement est une mesure pragmatique de sauvegarde de l’emploi. Nous espérons que vous l’accepterez.

M. le rapporteur. Vous souhaitez rétablir l’autorisation administrative de licenciement, en reprenant la codification du code du travail de 1986, alors qu’une réforme affectant la numérotation a eu lieu en 2008.

La procédure de licenciement économique a fait l’objet d’une refonte en 2013, dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi, qui a plutôt fait ses preuves. Elle a rendu du pouvoir à l’administration puisque celle-ci est saisie des projets  d’accords  ou des documents unilatéraux de mise en place des PSE. Je vous propose d’en rester à cette vision plus actuelle de la procédure de licenciement économique.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS177 de M. Jean-Hugues Ratenon. 

M. Adrien Quatennens. L’accès à un emploi stable, durable et correctement rémunéré est une des conditions principales à l’épanouissement des travailleurs. Il s’agit, par son travail de pouvoir répondre à ses besoins primaires, de vivre sereinement en sachant que le frigo sera rempli jusqu’à la fin du mois, que le loyer sera réglé, que l’eau et l’électricité ne seront pas coupés, que la voiture ne tombera pas en panne.

Le travail temporaire et à temps partiel ne permet pas cette sérénité. Le recours aux contrats atypiques et précaires fragilise donc les salariés et l’ensemble de la société.

Près de 80 % des embauches se font aujourd’hui en CDD. Vous allez encore augmenter ce taux en créant un nouveau contrat encore plus précaire, sans contreparties : le contrat de chantier, ou contrat de mission.

Pourtant la déréglementation n’a pas d’influence positive sur le taux de chômage. Il suffit pour le comprendre de vérifier que le taux de chômage n’a pas diminué malgré les lois Macron et El Khomri.

Le travail à temps partiel est souvent subi. Près d’une fois sur deux. Il ne s’agit donc pas uniquement du choix de « salariés libres et consentants dans le cadre d’un marché du travail apaisé », dans le cadre d’un dialogue social enthousiasmant…

L’instabilité induite par ces contrats atypiques empêche les salariés de pouvoir se projeter dans l’avenir et provoque une véritable souffrance dont les effets à moyen terme se font sentir sur la santé des personnes, la qualité de l’éducation et la vie des familles.

D’autant que la précarité au travail frappe particulièrement les plus vulnérables, et notamment les femmes isolées. Ainsi, 30 % des femmes sont salariées à temps partiel alors que seulement 7 % des hommes sont dans cette situation.

Notre amendement vise donc à introduire des quotas assez stricts permettant d’encadrer le recours à l’emploi précaire au sein de l’entreprise. Nous voulons le fixer à 5 % pour les entreprises de plus de 5 000 salariés et dont le chiffre d’affaires dépasse 1,5 milliard d’euros. Nous voulons le fixer à 10 % pour celles de moins de 250 salariés dont le chiffre d’affaires n’excède pas 50 millions d’euros.

M. le rapporteur. Cet amendement propose de fixer un quota de recours aux CDD en fonction des seuils d’effectifs et du chiffre d’affaires annuel des entreprises, sans considération pour le type d’activités ou le secteur considéré, ce qui me semble être très dommageable.

Ensuite, la logique même de votre amendement me paraît poser un problème de constitutionalité, en ce qu’elle restreint de manière excessive la liberté d’entreprendre.

S’il y a un problème de recours au CDD dans notre pays, ce n’est pas à mon sens par ce type de solution qu’on le résoudra. En soi, d’ailleurs, le problème réside surtout dans le recours aux CDD de très faible durée.

Enfin, cette problématique sera de toute façon abordée dans le cadre de la réforme du financement de l’assurance chômage.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS213 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens.  Cet amendement porte sur l’extension du travail dominical, qui ne répond à aucun argument macroéconomique. Sans augmenter, la consommation dans les magasins est juste étalée sur sept jours au lieu de six.

Si la continuité du service est une nécessité impérieuse dans certains services publics – je pense aux pompiers, aux gardiens de la paix, aux services hospitaliers – le maintien d’une activité dans le secteur marchand le dimanche ne revêt pas de caractère d’intérêt général.

Le travail dominical est souvent imposé aux travailleurs les plus précaires. Il concerne principalement des femmes, dont le salaire n’est souvent pas plus élevé que le SMIC, et sur lesquelles les pressions financières, sociales ou hiérarchiques pour l’accepter peuvent être importantes.

L’extension du travail dominical est un facteur d’augmentation des inégalités au travail, d’autant que les ordonnances réformant le code du travail facilitent les licenciements dont pourraient être victimes les femmes le refusant.

Au-delà de l’aspect économique, le repos dominical est un acquis social fondamental, fruit de nombreuses luttes. Il permet à toute la société de bénéficier d’un jour de repos commun. Il permet d’assurer le lien social entre ses composantes. Le dimanche est pour de nombreuses familles la seule occasion véritable de se retrouver et de partager des moments de convivialité. Le rythme de vie hebdomadaire est différent selon chaque individu en fonctions des obligations. Il est donc impératif de maintenir une journée commune de repos.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Votre amendement supprime plusieurs dispositions relatives au travail dominical. Si vous me le permettez, il me semble d’abord mal rédigé : il supprime en effet des articles principiels relatifs au repos hebdomadaire, et en l’occurrence le principe d’un repos hebdomadaire de 24 heures, et du repos dominical, entre autres.

J’imagine bien que ce n’est pas ce que vous souhaitez faire, mais cela nuit un peu à la lisibilité de votre amendement. Votre argumentaire l’a cependant rendu plus clair.

Je suppose que vous souhaitez revenir sur les dispositions introduites par la loi dite Macron qui a élargi les possibilités d’ouverture dominicale des commerces. Ces nouvelles possibilités d’ouverture dominicale des commerces dans les zones touristiques, dans les emprises des gares ou dans les zones commerciales ont plutôt un bon bilan, d’autant qu’elles sont soumises à la conclusion d’un accord collectif ou d’un référendum dans les TPE. Il ne me semble pas opportun de rouvrir ce débat sur un dispositif qui fonctionne relativement sereinement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS179 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. L’augmentation continue de la richesse par habitant en France a été suivie en parallèle par l’augmentation de la durée des congés payés : fixés à deux semaines en 1936, ils se sont allongés à trois en 1956, quatre en 1969 et enfin cinq en 1982.

Mais si la richesse nationale n’a cessé de croître depuis 1982, il n’y a pas eu, ces trente dernières années, de progression, en parallèle, de la durée des congés payés, comme cela a été le cas de 1936 à 1982.

Si l’on considère que la durée des congés payés se fonde sur le rapport entre la richesse produite par les salariés et le temps libre auquel ils ont droit, il est légitime  d’augmenter cette durée compte tenu de l’augmentation considérable de la productivité des travailleurs français : en effet, ces derniers produisent bien plus en une journée travaillée aujourd’hui qu’en une journée travaillée en 1985. C’est presque quatre fois plus.

Avons-nous quatre fois plus de besoins ? Finalement, c’est un débat qui peut avoir certains aspects philosophiques : est-il nécessaire de travailler plus longtemps que le temps qui suffit à produire ce dont nous avons besoin ? Dans notre pays, l’augmentation du temps libre a constitué une avancée permanente. Vu la régression globale que font subir ces ordonnances aux salariés français, leur accorder une sixième semaine de congés payés constituerait, à notre avis, une juste compensation.

M. le rapporteur. Vous souhaitez me rendre éminemment populaire ! Je suis sûr que tout un chacun y est personnellement très favorable. Et vous êtes dans votre rôle en faisant de telle proposition.

Augmenter les congés payés pour les porter de deux jours et demi à trois jours par mois travaillé et de 30 à 36 jours par an est une idée très séduisante, mais qui ne tient pas assez compte des réalités économiques, ni de la situation chez nos voisins européens. Le volume des congés payés en France est déjà très significatif, souvent au-delà de la moyenne des pays de l’OCDE. C’est quelque chose qui est déjà distinguant au niveau social. Aller au-delà me semble pas réaliste. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS16 de M. Patrick Mignola. 

Mme Michèle de Vaucouleurs. Les services de santé au travail interentreprises (SSTI) sont actuellement gérés paritairement par un conseil d’administration composé à parts égales d’employeurs et de salariés.

Toutefois, la loi prévoit que le président du conseil d’administration est élu parmi les représentants des employeurs, et que le trésorier est élu parmi les représentants des salariés.

Le présent amendement vise à permettre également la situation inverse, c’est-à-dire un président élu parmi les représentants des salariés, et un trésorier élu parmi les représentants des employeurs. Une telle mesure a pour objectif d’instaurer un dialogue social plus constructif dans la gestion de ces organismes.

M. le rapporteur. Le pilotage des services de santé au travail est d’ores et déjà organisé paritairement, puisque l’article L. 4622-11 prévoit que son président est élu parmi les représentants des organisations patronales, et son trésorier parmi les représentants des organisations syndicales.

Votre amendement propose que cette règle soit encore renforcée, en posant le principe selon lequel la présidence peut être confiée à un représentant des organisations syndicales de salariés, mais que, dans ce cas, le poste de trésorier doit revenir aux organisations d’employeurs, et inversement.

Sur le fond, je ne suis pas opposé au fait d’envisager une telle alternance. Pourquoi pas ? Mais il me semblerait à tout le moins que, pour une institution gérée paritairement, le sujet devrait être abordé préalablement avec les partenaires sociaux. C’est en cela que j’ai un avis défavorable. Accepteriez-vous une demande de retrait ?

Mme Michèle de Vaucouleurs. D’accord pour un retrait. Mais la proposition nous semble intéressante et nous serions heureux de connaître l’avis de la ministre. Peut-être a-t-elle, elle-même, réfléchi à ce type d’évolution.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement AS200 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. Cet amendement revient sur le long processus de fragilisation de la médecine du travail, qui est pourtant, elle aussi, une conquête essentielle des salariés français puisqu’elle responsabilise le patronat face aux risques sanitaires qu’il fait peser sur les travailleurs.

D’abord, l’amendement rétablit la visite médicale d’embauche, transformée par la loi El Khomri en une simple visite d’information et de prévention, qui ne permet pas la prise en compte réelle de l’état de santé du salarié.

Ensuite, il rétablit la capacité de cette visite à s’assurer de l’aptitude médicale du salarié à occuper son poste, ce qui avait été également supprimé par loi El Khomri, au mépris du bon sens le plus élémentaire.

L’amendement rend au seul jugement du médecin du travail le pouvoir de mener la visite médicale, qui ne peut pas être confiée à un autre professionnel de santé. Si on veut une prévention efficace, il nous semble logique qu’un véritable examen médical soit confié à un médecin.

Le médecin du travail sera en outre désormais choisi par les délégués du personnel, pour éviter le choix d’un praticien ayant des affinités ou des liens d’intérêt avec l’employeur, comme cela a pu être parfois observé dans le passé.

Enfin, la périodicité des visites régulières est encadrée. Cet amendement la rend annuelle pour tous les salariés et semestrielle pour les travailleurs de nuit. En 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a produit un rapport d’expertise qui a mis au jour une série de risques avérés et probables auxquels sont exposés les travailleurs de nuit : les troubles du sommeil, les troubles métaboliques, mais aussi les effets sur la santé psychique, sur les performances cognitives, sur l’obésité et la prise de poids. Le diabète de type 2 et les maladies coronariennes font également partie de ces risques.

Aussi, pour une médecine du travail vraiment préventive, le travail de nuit et, d’une façon générale, la santé au travail doivent être pris très au sérieux.

Nous sommes toutes et tous ici soucieux du bien-être et de la santé des travailleurs, soit par humanisme, soit par souci de productivité, puisqu’un salarié en bonne santé est un salarié qui travaille mieux et produit plus. Aussi, je vous invite à voter pour cet amendement qui rétablit la visite médicale.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Votre amendement propose une refonte globale de la médecine du travail, qui vient d’être réformée récemment, et à bon escient, car elle fonctionne mieux, selon les différents représentants que j’ai auditionnés. Elle permet un meilleur suivi des salariés les plus exposés et qui en ont le plus besoin.

Par ailleurs, votre amendement modifie des dispositions réglementaires, ce qui n’est pas du ressort du législateur, si on se réfère à la Constitution.

Sur le fond, vous souhaitez revenir au droit antérieur sur certains aspects, comme la visite médicale d’embauche ou le suivi régulier des salariés de droit commun. En outre, votre amendement comporte certaines originalités plus discutables, comme le fait de faire choisir le médecin du travail par les délégués du personnel.

Je suis défavorable à votre amendement, car je considère que la réforme récente apporte une valeur ajoutée pour les salariés comme pour les entreprises.

Mme Martine Wonner. Je remercie M. Quatennens car il est fondamental de s’intéresser à la santé des salariés, et notamment de ceux qui sont en horaires décalés ou en horaires de nuit. Pour autant, et comme le rapporteur l’a dit, une réforme de la médecine du travail est intervenue très récemment. En outre, compte tenu des difficultés rencontrées pour recruter des médecins du travail – c’est quasiment la profession médicale la plus en difficulté –, le fonctionnement que vous proposez sera impossible à mettre en œuvre. Peut-être faudra‑t-il poursuivre la réflexion sur la délégation de compétences, et imaginer l’intervention de personnels soignants très formés, mais qui ne seraient pas médecins.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS146 de M. Boris Vallaud. 

M. Boris Vallaud. J’avais déjà présenté ce dispositif de taxation des contrats courts pendant l’été, sans succès. Mais j’ai cru comprendre que nos propositions avaient prospéré dans l’esprit de la majorité et de certains membres du Gouvernement. Je retente donc ma chance. Il s’agit d’obliger les employeurs à verser une somme de dix à quinze euros à chaque clôture de contrat de travail. S’appliquant à tous, cela permettrait de rapporter 300 à 450 millions d’euros par an, considérant que 30 millions de contrats prennent fin chaque année.

Cette mesure pourrait éviter une multiplication des CDD, et inciter à un recours plus aisé aux CDI, objectif que vous avez fait vôtre. De plus, la Cour des comptes estimait dans son rapport de 2011 que CDD et intérim coûtaient 7,5 milliards d’euros à l’UNEDIC, tandis que les CDI, qui représentent 87 % des salariés, dégageaient un excédent de 12,5 millions d’euros.

Cette mesure vise à taxer la précarité plutôt que l’emploi, et pourrait s’assimiler à des frais de dossier pour clôture du contrat de travail.

M. le rapporteur. Ce sujet sera plutôt abordé dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage, non sur le terrain des ordonnances. Je vous remercie de votre contribution.

Vous voulez mettre en place un fonds qui rassemblerait les contributions forfaitaires des employeurs lors de toute rupture du contrat de travail, pour financer l’assurance chômage. Je comprends la logique de cet amendement, sans être forcément aligné sur l’esprit de la mesure. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je veux que la commission prenne acte du fait que, pour la deuxième fois consécutive, une proposition de taxation des contrats courts a été refusée, comme elle peut prendre également acte que, pour la deuxième fois consécutive, le renforcement des administrateurs salariés dans les grandes entreprises a été refusé.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS209 de Mme Caroline Fiat. 

M. Adrien Quatennens. Le développement des plateformes de type Uber ou Deliveroo a bouleversé une bonne partie du marché du travail et de l’ordre social. À cette économie que vous dites « collaborative », nous préférons l’expression d’« ubérisation de la société », plus proche de la réalité

Ce nouveau mode d’organisation a des conséquences graves sur le statut social des travailleurs de ces plateformes numériques. Ils ne bénéficient pas du statut de salariés et donc des droits afférents à ce statut : salaire minimum, protection sociale, prise en charge des accidents du travail, par exemple.

Souvent, le statut de travailleur indépendant est imposé, afin d’exonérer le groupe propriétaire de la plateforme de toutes ses obligations en matière de rémunération ou de protection de ses salariés.

Pourtant, d’indépendance il n’en est point. Ces travailleurs sont en véritable situation de dépendance économique à l’égard de ces plateformes ubérisées. Certaines clauses n’imposent-elles pas d’ailleurs de ne pas exercer d’activité auprès d’un concurrent ?

Il s’agit donc de requalifier le statut de ces travailleurs qui sont de véritables salariés et de les sortir de la précarité induite par un statut qui leur est imposé. Je suis sûr que vous soutiendrez cet amendement, qui va dans le sens des intentions que vous répétez régulièrement.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Ce débat va s’ouvrir avec celui de l’assurance professionnelle et de l’assurance chômage.

Sur le fond, vous soulignez, cher collègue, les nouvelles pratiques qui ont vu le jour ces dernières années, notamment dans le cadre de la mise en relation de travailleurs indépendants et de plateformes. Ce n’est pas toujours satisfaisant du point de vue des conditions de travail de ces travailleurs et des exigences qui leur sont imposées par les plateformes.

Néanmoins, je crois que cette question appelle une réflexion plus approfondie que la seule réponse que vous souhaitez lui apporter par cet amendement, celle de la requalification du statut de ces travailleurs en salariés. En effet, le salariat n’est pas forcément le statut le plus adapté pour ces nouveaux types d’activité, et ce n’est qu’en échangeant avec l’ensemble des acteurs concernés que l’on pourra trouver, à mon avis, de nouvelles solutions, qui sont à construire.

Je serai donc défavorable à votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS211 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. Cet amendement vise à instaurer une présomption de salariat pour les travailleurs indépendants, en incluant le principe de subordination économique.

Mes chers collègues, soyons sérieux. Quand vous êtes coursiers à vélo pour une plateforme qui vous impose un uniforme, une manière de faire, qui fixe vos tarifs et qui peut suspendre votre activité en cas de désaccord, comment prétendre que vous êtes encore « indépendant » ?

Avec la présomption de salariat que nous voulons introduire, nous souhaitons permettre aux travailleurs qui le souhaitent d’obtenir la requalification de leur contrat afin qu’ils puissent accéder à toutes les protections dont bénéficient les salariés. Ils seraient notamment assurés d’un SMIC horaire dont ils ne bénéficient pas pour l’instant.

Vous prenez souvent l’exemple de nos voisins allemands ou anglais. Eh bien suivez-les sur cette question, car la justice britannique a imposé à plusieurs plateformes londoniennes de requalifier des dizaines de coursiers en tant que salariés.

Ce serait une façon saine de rétablir une législation que les plateformes sont parvenues à contourner en jouant sur des failles que nous voulons combler. C’est notre rôle de législateur de le faire. Vous prendriez enfin une mesure en faveur des besogneux, de ceux qui n’ont pour ressources que leur force de travail.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Nous ne pouvons traiter ce sujet important au détour d’un amendement. Il est important de se concerter avec l’ensemble des parties prenantes, plutôt que d’adopter ainsi un amendement au milieu du débat sur la ratification des ordonnances.

M. Sylvain Maillard. Le problème ne vient pas du statut mais du prix de la tâche, en l’occurrence de la course.

M. Pierre Dharréville. Pour que les prix soient établis sérieusement, il faut changer le droit. Le sujet est d’importance et je rappellerai que d’autres sujets non moins importants ont été traités par voie d’amendement.

Mme Catherine Fabre. Il existe d’autres secteurs d’activité dont les acteurs sont en état de dépendance économique : la grande distribution, la sous-traitance de certaines grandes industries... La subordination d’indépendants à des clients est beaucoup plus large et ne saurait être réglée par la requalification en contrat de travail. La question est de savoir comment organiser des secteurs d’activité afin de rééquilibrer les rapports de force entre fournisseurs et distributeurs ou entre prestataires de services et intermédiaires. Les domaines concernés sont si nombreux qu’au-delà de la relation de dépendance dans le cadre du travail, il faut bel et bien prendre en considération le prix des prestations.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS196 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Adrien Quatennens. On entend souvent dire du code du travail qu’il serait trop lourd et qu’il faudrait l’alléger en flexibilisant le droit du travail. Son poids est en réalité en bonne part dû au nombre impressionnant de dérogations à la norme salariale, obtenues par des secteurs entiers de l’économie. Pour alléger sainement le code du travail, nous vous proposons de supprimer sa septième partie, celle qui contient un régime dérogatoire aux règles du salariat pour une série de professions : les journalistes, les professions du spectacle, les employés de maison, les concierges, les mannequins ou encore les travailleurs utilisant une plateforme numérique de mise en relation – autant de professions qui ne répondent pas aux standards pour des raisons historiques mais qui, dans la perspective d’un renforcement des droits de tous les travailleurs, doivent réintégrer le droit des salariés. Des professions – on pense aux journalistes – font l’objet de tant de dérogations que la précarité s’y est développée à une vitesse effarante tandis que, toujours dans cette septième partie, subsistent des reliques du XIXe siècle comme la législation relative aux employés de maison.

Pour plus d’équité et dans un souci de simplification du droit – thème qui, je le sais, vous est cher –, nous vous proposons donc, je le répète, de mettre fin à ces dérogations.

M. le rapporteur. Je suis surpris, cher collègue, que vous vous montriez prêt à supprimer l’ensemble des régimes dérogatoires applicables aux journalistes, aux employés de maison ou encore aux professions du spectacle, professions aux contraintes très particulières qui justifient un régime dérogatoire, alors que vous semblez naturellement plus prompt à défendre les droits historiques des travailleurs.

La plupart des dérogations dont bénéficient ces professions sont, j’y insiste, largement justifiées par le caractère atypique de leurs missions : je pense au régime des intermittents du spectacle, aux activités de service à la personne, ou encore aux travailleurs à domicile.

Si des évolutions devaient être apportées au statut de ces travailleurs, la proposition que vous défendez, comme tous les autres amendements déposés visant à requalifier le statut de certains travailleurs – journalistes, employés de maisons, voyageurs, représentants et placiers (VRP) – en statut de salariés, mériterait une réflexion et une concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs concernés, et non un simple amendement – au bien-fondé duquel je vous soupçonne d’ailleurs de ne pas vraiment croire.

Mme Albane Gaillot. Chercher à requalifier le statut de ces professions
– journalistes, intermittents du spectacle, employés de maison… –, c’est en effet mal les connaître. Elles ont un régime de protection sociale spécifique du fait même de leurs caractéristiques. M. Quatennens affirme que les dérogations concernant les journalistes se sont d’autant plus multipliées que la précarité s’est développée parmi eux. Ce n’est pas tant la profession elle-même qui se précarise que l’utilisation croissante par certains employeurs d’un régime dérogatoire qui n’a rien à voir avec le métier de journaliste : certaines sociétés de production n’emploient plus de journalistes mais des auto-entrepreneurs. Je rejoins donc le rapporteur : nous devons engager une vraie réflexion sur l’évolution de ces métiers et ne pas remettre à plat par le biais d’un amendement tous ces régimes dérogatoires que justifie, je le répète, l’histoire de la protection sociale en France.

M. Adrien Quatennens. Les dispositions dérogatoires de la septième partie du code du travail ne sont pas à l’avantage des professions mentionnées, c’est même plutôt l’inverse. Toutefois, au vu du nombre de professions concernées, et dans le doute – notamment en ce qui concerne les intermittents du spectacle –, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement AS30 de M. Patrick Mignola.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Par le biais du présent amendement nous souhaitons qu’un rapport soit remis au Parlement, étudiant la possibilité et l’opportunité de régionaliser la médecine du travail, afin notamment d’adapter les services de santé au travail interentreprises (SSTI) aux évolutions récentes de leurs interlocuteurs – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT)… – et de simplifier la structuration des organismes par économie.

M. le rapporteur. L’amendement demande la remise d’un rapport au Parlement sur la régionalisation de la médecine du travail. La médecine du travail semble déjà engagée dans une profonde réorganisation évoquée précédemment. Le sujet vous tient à cœur, chère collègue, notamment à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 qui a considérablement modifié les conditions de suivi des salariés en substituant à la visite d’embauche une visite d’information et de prévention pour l’ensemble des salariés, en réorientant les moyens vers le suivi renforcé des salariés affectés à des postes présentant des risques particuliers, ainsi que vers un suivi adapté en fonction de l’âge et de l’état de santé.

Cette réforme doit d’abord être menée à son terme avant qu’on n’envisage éventuellement une réorganisation des services de la médecine du travail. Le rapport que vous réclamez part du principe qu’une réorganisation territoriale de la médecine du travail est nécessaire. Si le sujet devait être abordé, il faudrait que ce fût sans cette orientation préalable. Peut-être souhaiterez-vous évoquer le sujet avec la ministre qui disposera de davantage d’informations que moi.

Je vous suggère par conséquent de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement AS202 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Depuis 1970, la productivité des travailleurs français a été multipliée par deux et demi, c’est-à-dire qu’un travailleur produit 2,5 fois plus en 2017 qu’en 1970 en travaillant le même nombre d’heures. C’est pour cette raison que de plus en plus d’intellectuels, d’économistes, de sociologues réfléchissent à l’opportunité d’un passage aux 32 heures hebdomadaires. Nous souhaitons réfléchir avec eux sur notre mode de consommation et de production dans le cadre de la crise écologique. J’en profite pour rappeler que le passage aux 35 heures de travail hebdomadaires a permis des créations d’emplois huit fois moins coûteuses que le CICE dont nous avons débattu encore récemment lors de l’examen du PLFSS pour 2018. Le partage du temps de travail est, historiquement, un moyen d’améliorer les conditions de la vie ; la diminution hebdomadaire ou annuelle du temps de travail – ou dans la vie avec l’âge de la retraite – coïncide d’ailleurs avec l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé, laquelle recule depuis 2006.

En outre, puisque nous souhaitons tous ici, a priori, lutter contre le chômage, je me permets de vous rappeler que la réduction du temps de travail a souvent été accompagnée d’une relance claire et nette de l’emploi. Il s’agit en outre d’une mesure saine pour notre mode de vie. Nous ne vous proposons évidemment pas de l’adopter immédiatement mais bien d’en examiner la possibilité et d’en évaluer le coût par la remise d’un rapport dont les conclusions, j’en suis certain, seront attendues par de nombreux citoyens.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Cet amendement s’inscrit dans la ligne politique de notre collègue Quatennens tout en étant, en même temps, un peu paradoxal : il demande un rapport au Gouvernement mais prévoit que les travaux préparatoires dudit rapport seront menés par des membres du Conseil économique, social et environnemental, par des membres du Parlement, par des représentants des organisations syndicales et des organisations patronales, ainsi que par des membres du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle…

Il s’agit bien sûr, sur le fond, d’un amendement de principe : celui de la réduction de la durée du travail. Je suggère qu’avant d’engager un tel travail, un rapport soit réalisé sur la durée moyenne de travail dans les autres pays européens ou dans les autres pays de l’OCDE. Peut-être que ses conclusions nous conduiraient à ne pas diligenter un rapport sur la mise en œuvre des 32 heures...

La commission rejette l’amendement.

La commission, ayant terminé l’examen des amendements portant article additionnel visant à modifier l’ordonnance n° 2017-1387, en revient à l’amendement AS237 du rapporteur,  précédemment réservé.

M. le rapporteur. Le présent amendement vise à ratifier l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail. Nous avons eu de longs débats au cours desquels chacun a pu s’exprimer.

Je rappelle que cette ordonnance contient des avancées importantes pour améliorer la prévisibilité des relations de travail, que ce soit pour les entreprises ou pour les salariés. Je pense notamment au barème prud’homal, qui sécurise les employeurs tout en permettant de réduire le sentiment d’iniquité que pouvaient ressentir certains salariés compte tenu des fluctuations des montants alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Je rappelle néanmoins que ces dispositions ne s’appliquent pas à tous les licenciements considérés comme nuls, en raison notamment d’une atteinte grave à une liberté fondamentale, et je me réjouis que la commission ait adopté l’amendement visant à étendre ces dérogations aux cas de prise d’acte faisant suite à de telles atteintes aux libertés fondamentales. Je pense également aux règles de motivation du licenciement, qui étaient jusqu’alors source d’une forte insécurité pour les employeurs, mais surtout aux accords portant rupture conventionnelle collective, qui permettent de donner un cadre juridique sécurisé aux plans de départs volontaires, et qui constituent une véritable opportunité pour permettre une meilleure gestion de l’entreprise face à ses aléas, tout en associant les salariés à cette démarche puisqu’il s’agit d’un dispositif qui peut uniquement être mis en place par voie d’accord.

L’ordonnance permet par ailleurs de sécuriser, sur certains points, le cadre applicable au licenciement collectif, que ce soit sur la définition du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, sur l’obligation de reclassement interne ou encore sur le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements.

Elle permet enfin de moderniser les conditions de recours à certaines formes de travail particulières, comme le télétravail qui est devenu un véritable droit pour le salarié, ou comme la possibilité de conclure des accords de branche pour organiser le recours au CDI de chantier.

Parmi les avancées, je mentionnerai la revalorisation de 25 % des indemnités légales de licenciement et l’ouverture du bénéfice de ces indemnités dès huit mois d’ancienneté contre un an auparavant. Ces avancées non négligeables ont d’ailleurs été soulignées par les organisations syndicales lors de leurs auditions.

M. Gérard Cherpion. Cette ordonnance comporte en effet des avancées que nous avons souhaitées. Je pense en particulier aux CDI de chantier, au fait que les difficultés économiques seront appréciées dans un périmètre national – j’avais même inscrit une telle disposition dans une proposition de loi.

Il reste néanmoins quelques interrogations, en particulier sur les ruptures conventionnelles collectives, les amendements votés apportant une certaine insécurité juridique au risque de provoquer des contentieux, mais aussi sur les contrats de travail qui en cas de succession d’entreprise risquent d’être souscrits à la baisse, cela au détriment du salarié, potentielle victime d’une forme de dumping.

Cela étant, les députés du groupe Les Républicains voteront la ratification de l’ordonnance.

La commission adopte l’amendement.

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*     *

Article 7 [nouveau]
Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : modalités du suivi médical et gestion des personnels médicaux

Cet article est issu d’un amendement de notre collègue Aurélien Tâché et des membres du groupe La République en marche (AS 167), qui vise à aménager dans le droit du travail un point qui avait fait l’objet d’une habilitation du Gouvernement à légiférer dans le cadre de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017.

En effet, le 7° de l’article 3 de cette loi invitait le Gouvernement à légiférer pour « préciser les modalités du suivi médical exercé par lOffice français de limmigration et de lintégration et les conditions de recrutement et dexercice de ses personnels médicaux ».

L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est en effet codifié dans le code du travail.

Aux termes du 4° de l’article L. 5223-1 du code du travail, l’OFII est notamment chargé du contrôle médical des étrangers admis à séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois.

Les modifications adoptées dans le cadre de cet article additionnel consistent en premier lieu à substituer à la notion de « contrôle médical » celle de « visite médicale » plus appropriée à la réalité de l’activité de l’Office.

En outre, il permet de prolonger l’activité des médecins de l’Office qui atteignent l’âge de la retraite

L’Office est en outre confronté à des difficultés importantes de gestion de ses personnels médicaux, compte tenu de la forte augmentation du nombre de migrants, de la pénurie médicale en France et des nouvelles missions qui leur ont été confiées par la loi du 7 mars 2016 – en particulier, la mise en place d’un avis médical préalable à la délivrance par le préfet d’un titre de séjour en qualité d’étranger malade.

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La commission examine l’amendement AS167 de M. Aurélien Taché. 

M. Sylvain Maillard. Le présent amendement vise à faciliter l’exercice des missions exercées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en assouplissant les conditions de recrutement et d’exercice des médecins de l’Office, notamment par un report de leur limite d’âge.

M. le rapporteur. Vous proposez d’aménager une disposition qui avait été votée à l’initiative de M. Taché, dans le cadre de la loi d’habilitation. C’est bien une mesure qui s’inscrit dans cette habilitation. Elle a pour objectif de permettre de reporter la limite d’âge des médecins qui exercent leurs missions de suivi médical des migrants.  Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

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Article 8 [nouveau]
Ratification de l’ordonnance n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective

L’ordonnance n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective, prise en application de l’article 4 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017, propose plusieurs modifications du code du travail visant :

 à sécuriser et à compléter les règles relatives à l’extension et à l’élargissement des accords collectifs ;

 à redéfinir le périmètre des secteurs relevant du niveau national et multiprofessionnel ;

 et à adapter les modalités de fonctionnement du fonds paritaire mentionné à l’article L. 2135-9 du code du travail.

I.   Sécurisation des règles d’extension et d’élargissement des accords collectifs

A.   Les aménagements apportés à la procédure d’extension des accords collectifs

La procédure d’extension d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel consiste à rendre obligatoires les stipulations de cette convention ou de cet accord à l’ensemble des salariés et des entreprises compris dans le champ d’application de ces dernières.

L’extension peut être engagée soit à la demande d’une organisation d’employeurs ou de salariés représentative, soit à l’initiative du ministre chargé du travail (article L. 2261-24 du code du travail). Elle est prononcée par arrêté de ce dernier, pris après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC).

1.   Le renforcement des pouvoirs du ministre chargé du travail

Le ministre chargé du travail effectue notamment un contrôle de légalité des accords susceptibles d’être étendus, mais il n’est nullement tenu de procéder à l’extension qui lui est demandée si celle-ci ne lui apparaît pas opportune. Il dispose à cette fin d’une large palette d’outils lui permettant d’apprécier le bien-fondé ou non de l’extension (cf. encadré ci-après).

En matière d’extension, le ministre chargé du travail peut ainsi :

exclure de l’extension les clauses entrant en contradiction avec les dispositions légales, ou les clauses ne répondant pas à la situation de la ou des branches dans le champ d’application considéré (article L. 2261-25 du code du travail) ;

étendre des clauses incomplètes, sous réserve de l’application des dispositions légales (article L. 2261-25 du même code) ;

étendre par arrêté une convention ou un accord qui n’a pas été signé par la totalité des organisations intéressées, qui ne comporte pas l’ensemble des clauses obligatoires mentionnées à l’article L. 2261-22 ou qui ne couvre pas l’ensemble des catégories professionnelles de la branche, mais seulement une ou plusieurs d’entre elles (article L. 2261-27 du même code) ;

refuser l’extension d’une convention dans les branches visées par une restructuration (loi n° 2016-1088 du 8 août 2016).

Les II et III de l’article 1er de l’ordonnance complètent les outils à la disposition du ministre en matière d’extension :

 le 1° du II précise à l’article L. 2261-25 du code du travail que le ministre peut refuser l’extension d’un accord collectif « pour des motifs dintérêt général, notamment pour atteinte excessive à la libre concurrence » ;

Cette disposition confirme ainsi une jurisprudence du Conseil d’État qui avait considéré, dans un arrêt de 2008, que le ministre du travail pouvait refuser l’extension d’un accord pour un motif d’intérêt général tenant, notamment, aux objectifs de la politique économique ou sociale ou à la protection de la situation des tiers ([75]).

 le 2° du II complète le même article afin de permettre au ministre d’étendre des clauses incomplètes d’une convention de branche, sous réserve de l’application des dispositions légales et à condition que les compléments soient prévus par un accord ou une convention d’entreprise, lorsque la loi subordonne la mise en œuvre d’une disposition à la conclusion d’une convention de branche ou d’entreprise ;

 le III crée un article L. 2261-27-1 au sein du code du travail, qui permet au ministre chargé du travail, « de sa propre initiative ou à la demande écrite et motivée dune organisation demployeurs ou dune organisation de salariés représentative dans le champ dapplication dune convention, dun accord ou de leurs avenants », de saisir un groupe d’experts afin d’apprécier les effets économiques et sociaux susceptibles de résulter de l’extension de ces conventions, accords ou avenants. Les conditions d’application de cet article, en particulier les modalités de désignation des experts garantissant leur indépendance, seront précisées par décret.

2.   Le droit d’opposition des organisations patronales est précisé

Conformément au 1° de l’article 4 de la loi d’habilitation, le I de l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1388 précise ensuite « les conditions dans lesquelles les organisations demployeurs peuvent faire valoir leur opposition à une extension ».

Selon l’article L. 2261-19 du code du travail, pour pouvoir être étendus, une convention ou un accord collectif de branche, professionnel ou interprofessionnel, ainsi que leurs avenants et annexes ne doivent pas avoir fait l’objet de l’opposition d’une ou plusieurs organisations représentatives au niveau considéré, dont les entreprises adhérentes emploient plus de 50 % de l’ensemble des salariés des entreprises adhérant aux organisations reconnues représentatives à ce niveau.

Dans la rédaction antérieure aux ordonnances, l’opposition des organisations d’employeurs majoritaires devait être exprimée par écrit, motivée, préciser les points de désaccord et être notifiée aux signataires, dans les conditions prévues à l’article L. 2231-8 du code du travail.

Le I de l’article 1er modifie l’article L. 2261-19 afin de préciser que, le cas échéant, l’opposition écrite et motivée des organisations d’employeurs majoritaires doit être exprimée « dans un délai dun mois à compter de la publication administrative dun avis dextension au Journal officiel de la République française ».

Cette opposition doit être notifiée et déposée dans les conditions prévues aux articles L. 2231-5 et L. 2231-6 du code du travail, applicables à la notification et au dépôt des accords collectifs.

En vertu de l’article 5 de l’ordonnance n° 2017-1388, les nouvelles modalités d’extension ainsi que les nouvelles règles applicables au droit d’opposition des organisations patronales ne s’appliqueront qu’aux conventions et accords conclus à partir du 1er janvier 2018.

B.   L’extension de la procédure d’élargissement

L’article 2 propose de mettre à la disposition du ministre chargé du travail de nouveaux outils pour procéder à l’élargissement d’un accord collectif.

Prévue à l’article L. 2261-17 du code du travail, la procédure d’élargissement d’un accord collectif est une décision prise par le ministre chargé du travail afin de remédier à l’impossibilité persistante de conclure une convention ou un accord dans une branche d’activité ou un secteur territorial déterminé, en raison de l’absence ou de la carence des organisations syndicales de salariés ou des organisations professionnelles d’employeurs.

L’élargissement est effectué à la demande d’une organisation intéressée, ou à l’initiative du ministre du travail. Les membres de la CNNC peuvent s’y opposer, par un avis écrit et motivé.

Dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1388, l’article L. 2261-17 du code du travail prévoyait trois modalités d’élargissement, consistant pour le ministre chargé du travail :

 à rendre obligatoire, dans un secteur territorial considéré, une convention ou un accord de branche déjà étendu à un secteur territorial différent présentant des conditions économiques analogues (1°) ;

 à rendre obligatoire, dans un secteur professionnel considéré, une convention ou un accord professionnel déjà étendu à un autre secteur professionnel présentant des conditions économiques analogues, quant aux emplois exercés (2°) ;

 à rendre obligatoire un accord professionnel étendu dans une ou plusieurs branches d’activité non comprises dans son champ d’application (3°).

Le 2° de l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1388 modifie le 2° de l’article L. 2261-17 afin de préciser que le ministre chargé du travail peut rendre obligatoire, dans un secteur professionnel considéré, « tout ou partie » d’une convention ou d’un accord professionnel déjà étendu à un autre secteur professionnel.

Le critère des conditions économiques analogues reste inchangé pour la procédure visée au 2° de larticle L. 2261-17, mais il est restreint, pour la procédure délargissement prévue au 1° du même article, aux seuls emplois exercés.

II.   Redéfinition des secteurs relevant du niveau national et multiprofessionnel

Depuis la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs s’apprécie désormais à trois niveaux : au niveau national et interprofessionnel ; au niveau national et multiprofessionnel ; au niveau de la branche professionnelle.

Selon l’article L. 2152-2 du code du travail, la représentativité d’une organisation professionnelle d’employeurs au niveau national et interprofessionnel est reconnue si l’organisation répond aux quatre critères suivants :

 respecter les valeurs républicaines, d’indépendance, de transparence financière, d’ancienneté minimale et d’influence, définies aux 1° à 5° de l’article L. 2151-1 du même code (1°) ;

 être représentative, ou recueillir ladhésion dorganisations représentatives dans au moins dix conventions collectives relevant de lagriculture, de léconomie sociale et solidaire, des professions libérales ou du secteur du spectacle vivant et enregistré, et ne relevant pas du champ couvert par les organisations professionnelles demployeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel (2°) ;

 justifier de l’adhésion d’au moins quinze organisations relevant de l’un des champs d’activités mentionnés au 2° (3°) ;

 justifier d’une implantation territoriale couvrant au moins un tiers du territoire national soit au niveau départemental, soit au niveau régional (4°).

Or, le regroupement récent de deux organisations professionnelles d’employeurs, l’Union professionnelle des artisans (UPA) et de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), au sein de l’Union des entreprises de proximité (U2P), a rendu obsolète la mention des professions libérales au sein de la liste mentionnée au 2°. En effet, les professions libérales relèvent désormais du champ interprofessionnel et non plus du champ multiprofessionnel.

L’article 3 de l’ordonnance n° 2017-1388 modifie donc l’article L. 2152-2 du code du travail afin de supprimer le secteur des professions libérales de la liste des secteurs ouverts à une représentativité au niveau national multiprofessionnel.

III.   Adaptation des modalités de fonctionnement et de répartition des crédits du fonds paritaire pour le dialogue social

L’article 4 de l’ordonnance n° 2017-1388 modifie certaines règles de fonctionnement du fonds paritaire mentionné à l’article L. 2135-9 du code du travail. Ce fonds, créé par la loi du 5 mars 2014 précitée, est principalement en charge de la répartition des fonds du paritarisme entre les différentes organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs.

Le fonds a vocation à financer quatre types d’activités. Chacune d’entre elles est financée par une catégorie de recettes spécifiques, comme l’indique le tableau ci-après.

 

Dépense concernée

(article L. 2135-11)

Recette affectée

(article L. 2135-10)

Conception, gestion, animation et évaluation des politiques menées dans le cadre des organismes gérés majoritairement par les organisations syndicales de salariés (OS) et les organisations professionnelles d’employeurs (OP)

Contribution des employeurs (1°)

Conception, mise en œuvre, suivi des politiques publiques relevant de la compétence de l’État, notamment par la négociation, la consultation et la concertation

Subvention de l’État (3°)

Formation économique, sociale et syndicale des salariés appelés à exercer des fonctions syndicales ou des adhérents à une organisation syndicale de salariés amenés à intervenir en faveur des salariés

Contribution des employeurs (1°) et subvention de l’État (3°)

Toute autre mission d’intérêt général à l’appui de laquelle sont prévues d’autres ressources sur le fondement d’une disposition législative ou sur une base conventionnelle

Ressources spécifiques (4°)

1.   Les difficultés soulevées par les critères transitoires de répartition des crédits entre les organisations professionnelles d’employeurs

Les crédits de la mission de conception, gestion, animation et évaluation des politiques publiques mentionnée au 1° de l’article L. 2135-11 du code du travail bénéficient aux organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, à leurs organisations territoriales ainsi qu’aux organisations représentatives au niveau national et multiprofessionnel ou au niveau professionnel. Selon l’article L. 2135-13 du même code, les crédits sont répartis, dans des conditions définies par voie réglementaire, à parité entre deux collèges :

 le collège des organisations syndicales, d’une part, où les fonds sont répartis uniformément entre les différentes organisations syndicales ;

 le collège des organisations professionnelles d’employeurs, d’autre part, où la répartition est opérée en fonction de l’audience ou du nombre de mandats paritaires exercés par les organisations.

Or, si la répartition entre les organisations syndicales ne soulève pas de difficultés, il en va différemment de la répartition entre les organisations patronales, car les résultats de la première mesure de l’audience patronale ne sont connus que depuis le printemps 2017, alors que le fonds est institué depuis le 1er janvier 2015.

Un dispositif transitoire et dérogatoire d’attribution des crédits du fonds paritaire aux organisations professionnelles d’employeurs a donc été mis en place ([76]) et demeure applicable jusqu’au 31 décembre 2017 :

 si la répartition des crédits repose sur le critère de l’audience, la répartition de la dotation entre les organisations est effectuée « proportionnellement au nombre de sièges dont elles disposent au comité paritaire interprofessionnel national pour lemploi et la formation » ;

 si la répartition des crédits repose sur le nombre de mandats paritaires exercés par chaque organisation, les crédits attribués aux organisations patronales sont répartis entre ces dernières « proportionnellement au nombre de sièges dont elles disposent au sein des instances paritaires des organismes paritaires collecteurs agréés » (OPCA).

Comme la rappelé le rapport de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi dhabilitation ([77]), « ce dispositif transitoire a permis dassurer une répartition des crédits dès la création du fonds paritaire. Toutefois, il ne règle pas la question, qui se posera pourtant à chaque nouvelle mesure de laudience – syndicale ou patronale , de la date à laquelle il convient de prendre en compte les nouveaux chiffres de laudience pour établir la représentativité des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles et procéder, en conséquence, à une nouvelle répartition des crédits du fonds paritaire ».

2.   Le dispositif proposé

Conformément à lhabilitation prévue au 4° de larticle 4 de la loi dhabilitation du 15 septembre 2017, le 2° de larticle 4 aménage donc les modalités de répartition des crédits prévues à larticle L. 2135-13 du code du travail.

En premier lieu, le b) du 2° supprime la condition de siéger dans les OPCA pour bénéficier des crédits du fonds paritaire. L’éligibilité des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs sera donc conditionnée à leur seule représentativité.

Pour régler les difficultés soulevées par le critère de l’audience, le c) du 2° sécurise le dispositif en précisant que l’année prise en compte pour le calcul de l’audience est le 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle la représentativité et l’audience des organisations syndicales et patronales sont respectivement déterminées et mesurées.

De même, la date de prise en compte des arrêtés de fusion des champs conventionnels et des arrêtés d’extension de l’accord de fusion de ces champs conventionnels pris en cours d’année est différée au 1er janvier de l’année suivante.

*

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons à l’amendement portant sur l’ordonnance n° 2017-1388. Je vous rappelle que l’examen de l’amendement AS236 du rapporteur, autorisant la ratification de cette quatrième ordonnance est réservé après l’amendement AS68 de M. Dharréville.

La commission examine l’amendement AS68 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’article 1er de l’ordonnance portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective prévoit que le ministre du travail peut exclure de l’extension d’un accord de branche les clauses « de nature à porter une atteinte excessive à la libre concurrence, compte tenu des caractéristiques du marché concerné ».

Outre qu’elle remet en cause le rôle de régulation économique des branches, cette nouvelle disposition donne des pouvoirs exorbitants au ministre du travail, ainsi placé en position d’arbitre de la libre concurrence.

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cette disposition.

M. le rapporteur. Je ne partage pas votre interprétation : le ministre chargé du travail n’est pas arbitre de la libre concurrence. Il a en revanche un pouvoir d’appréciation en matière d’extension des accords de branche. Or si un accord ne respecte manifestement pas le principe de libre concurrence, comme tout autre motif d’intérêt général, il est normal que le ministre puisse s’opposer à son extension.

L’objectif de cette mesure est simplement d’améliorer la prise en compte de l’impact économique de l’extension afin, notamment, de ne pas entraver l’introduction de nouveaux acteurs sur un marché peu concurrentiel. Cela ne vise en aucun cas à remettre en cause le rôle de régulation économique de la branche, qui, je crois, nous tient tous à cœur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en revient à l’amendement AS236, du rapporteur, précédemment réservé.

M. le rapporteur. Par cet amendement, chers collègues, je vous invite à ratifier cette ordonnance prise en application de l’article 4 de la loi de ratification du 15 septembre dernier. Cette ordonnance propose plusieurs mesures plutôt techniques mais nécessaires qui visent en premier lieu à sécuriser et à compléter les règles relatives à l’extension et à l’élargissement des accords collectifs, puis à redéfinir le périmètre des secteurs relevant du niveau national et multiprofessionnel, et les modalités de fonctionnement du fonds paritaire de financement des organisations syndicales et patronales.

La commission adopte l’amendement.

*

*     *

Article 9 [nouveau]
Ratification de l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention

 

L’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention répond à l’objectif, fixé par l’article 5 de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017, de simplifier et de sécuriser juridiquement les règles de prise en compte de la pénibilité au travail, tout en améliorant la prévention des risques professionnels dans l’entreprise.

Les objectifs fixés par la loi d’habilitation se déclinent principalement, dans l’ordonnance n° 2017-1389, par le remplacement du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) par le compte professionnel de prévention (C2P), dont les modalités permettront de préserver les droits des salariés en matière de prévention et de compensation de leur exposition à la pénibilité, tout en simplifiant les démarches des employeurs, notamment au sein des très petites, petites et moyennes entreprises.

Parmi les principales nouveautés de ce dispositif, on peut relever :

la réduction du périmètre de l’ancien C3P pour ne conserver au sein du nouveau C2P que six facteurs de risques professionnels, facilement quantifiables et mesurables ;

la gestion du C2P confiée à la CNAMTS et au réseau des organismes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ;

l’évolution des modalités de financement du C2P, qui relèveront désormais de la branche AT-MP.

En outre, la prise en compte des effets de quatre facteurs de risques professionnels sort du champ du compte professionnel de prévention, et s’inscrira désormais dans le cadre du dispositif de retraite anticipée pour incapacité.

I.   Le compte personnel de prévention de la pénibilité (c3P) s’est heurté à des difficultés de mise en place opérationnelle

1.   La genèse du compte personnel de prévention de la pénibilité

Le compte professionnel de prévention de la pénibilité (C3P) a été créé par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, pour mieux prendre en compte les situations de pénibilité au travail.

Dix facteurs de risques professionnels ont été définis par voie réglementaire (article D. 4161-2 du code du travail), et sont entrés en vigueur en deux temps : soit au 1er janvier 2015, soit au 1er juillet 2016.

Facteurs de risques professionnels définis par l’article D. 4161-2 du code du travail et entrant dans le champ du compte personnel de prévention de la pénibilité (c3p)

Catégorie de facteur de risque

Facteur de risque professionnel

Date dentrée en vigueur

Contraintes physiques marquées

manutentions manuelles de charges

1er juillet 2016

postures pénibles définies comme positions forcées des articulations

1er juillet 2016

vibrations mécaniques

1er juillet 2016

Environnement physique agressif

agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées

1er juillet 2016

activités exercées en milieu hyperbare

1er janvier 2015

températures extrêmes

1er juillet 2016

bruit

1er juillet 2016

Rythmes de travail spécifiques

travail de nuit

1er janvier 2015

travail en équipes successives alternantes

1er janvier 2015

travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini

1er janvier 2015

Source : Rapport d’information de MM. Issindou et Jacquat, députés, sur la mise en application de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (n° 4074).

Concrètement, l’exposition d’un salarié à un ou plusieurs facteurs de pénibilité au-delà de seuils définis par décret ([78]) ouvre droit à l’acquisition de points sur le compte, qui peuvent être utilisés soit :

 pour l’acquisition d’heures sur le compte personnel de formation (CPF) ;

 pour le passage à temps partiel sans diminution de la rémunération ;

 ou pour le financement d’une majoration de durée d’assurance vieillesse et d’un départ en retraite au maximum deux ans avant l’âge légal de départ de droit commun.

L’abondement du C3P repose sur la déclaration par l’employeur de l’exposition de ses salariés. La gestion du compte est assurée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), et est financée par deux cotisations spécifiques gérées par un fonds dédié : une cotisation de base versée par tous les employeurs (0,01 % des rémunérations versées aux salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée, à temps complet ou à temps partiel), et une cotisation additionnelle due par les employeurs de salariés exposés (0,2 % ou 0,4 % en cas de poly-exposition).

2.   Des difficultés de mise en œuvre malgré les adaptations apportées par la loi du 17 août 2015

En raison des difficultés rencontrées par les employeurs, en particulier de très petites et moyennes entreprises, pour apprécier et déclarer l’exposition de leurs salariés à certains facteurs de risques, le dispositif de déclaration a été simplifié par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Cette simplification s’est illustrée notamment :

 par le remplacement de la déclaration sous forme de fiche de prévention des expositions par une déclaration dématérialisée, renseignée par l’employeur et intégrée à la déclaration sociale nominative (DSN) ou à la déclaration annuelle des données sociales (DADS) ;

 par la possibilité pour les branches d’établir des référentiels professionnels de branche, homologués par la direction générale du travail, sur lesquels l’employeur peut s’appuyer pour renseigner sa déclaration. Ces référentiels peuvent être établis à défaut d’accord de branche étendu permettant de définir des situations type d’exposition ;

 par la simplification et la précision de la définition et des seuils de certains facteurs de pénibilité.

Comme la rappelé le rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi dhabilitation, « le bienfondé de la mesure de lexposition à la pénibilité et lacquisition de droits associés ne sont pas en débat ». Toutefois, « les paramètres et les modalités de fonctionnement du C3P sont lobjet de critiques depuis sa création, notamment quant aux obligations pesant sur lemployeur » ([79]).

Pour pallier les difficultés rencontrées dans la mise en place opérationnelle du C3P, le 1° de larticle 5 de la loi dhabilitation n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 a donc autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi pour « modifier, à des fins de simplification, de sécurisation juridique et de prévention, les règles de prise en compte de la pénibilité au travail, en adaptant les facteurs de risques professionnels mentionnés à larticle L. 4161-1 du code du travail, les obligations de déclaration de ceux-ci, les conditions dappréciation de lexposition à certains de ces facteurs, les modes de prévention, les modalités de reconnaissance et de compensation de la pénibilité ainsi que les modalités de financement des dispositifs correspondants ».

II.   Un dispositif à adapter tout en préservant les droits des salariés en matière de prévention et de compensation de l’exposition aux facteurs de risques professionnels

L’article 1er réécrit l’intégralité du titre VI de la quatrième partie du code du travail relatif à la prévention des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

1.   Le périmètre de la prévention des risques professionnels est inchangé

La nouvelle rédaction de l’article L. 4161-1 du code du travail énonce désormais dans la partie législative du code du travail les dix facteurs de risques professionnels entrant dans le périmètre de la prévention des risques professionnels, qui relevaient jusque-là d’une disposition réglementaire. Comme c’était déjà le cas, ces risques sont répartis en trois catégories :

 les contraintes physiques marquées (1°), qui regroupent : les manutentions manuelles de charges (a), les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations (b) et les vibrations mécaniques (c) ;

 un environnement physique agressif (2°), catégorie qui regroupe : les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées (a), les activités exercées en milieu hyperbare (b), les températures extrêmes (c) et le bruit (d) ;

 certains rythmes de travail (3°), c’est-à-dire : le travail de nuit, dans les conditions fixées aux articles L. 3122-2 à L. 3122-5 du code du travail (a), le travail en équipes successives alternantes (b) ou tout travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte (c).

Ces facteurs de risques seront précisés par décret.

2.   L’obligation de négocier au niveau de l’entreprise sur la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques est maintenue et adaptée

La loi du 20 janvier 2014 a créé, à l’article L. 4162-3 du code du travail, une obligation de négocier pour certaines entreprises employant au moins cinquante salariés ([80]). Depuis la mise en place de cette obligation, 1 388 accords ont été enregistrés par les services des Direccte ([81]).

L’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1389 maintient, tout en l’adaptant, cette obligation. Le nouvel article L. 4162-1 du code du travail continue ainsi de prévoir que, dans les entreprises ou les groupes d’au moins 50 salariés, une négociation sur la prévention des effets de l’exposition des facteurs de risques professionnels est engagée en vue de conclure un accord.

● L’obligation de négocier ne concernait, dans l’ancien dispositif, que les entreprises ou les groupes au sein desquels les salariés sont présumés exposés à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels, cette présomption se matérialisant lorsque ces entreprises emploient une proportion minimale, fixée par décret, de salariés déclarés exposés par l’employeur.

Cette condition est maintenue par l’article L. 4162-3 du code du travail, mais une nouvelle catégorie d’entreprises s’y ajoute : il s’agit des entreprises dont la sinistralité au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est supérieure à un seuil défini par décret. Cette obligation nouvelle requiert l’association des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), qui disposent du taux de sinistralité de chaque entreprise. Les ingénieurs de prévention des CARSAT, en lien avec les agents de l’inspection du travail, seront ainsi en mesure d’identifier les entreprises soumises à l’obligation de négocier, et pourront engager un suivi spécifique de ces entreprises.

Selon l’article L. 4162-3 du même code, l’accord d’entreprise ou de groupe comprend une liste de thèmes obligatoires, fixée par décret, et doit être conclu pour une durée maximale de trois ans. Selon les informations transmises au rapporteur, le futur décret devrait reprendre les thèmes obligatoires antérieurement définis à l’article D. 4163-3 du code du travail (cf. encadré).

Liste des thèmes obligatoires de négociation prévus par le dispositif antérieur à la publication de lordonnance n° 2017-1389 (article D. 4163-3 du code du travail)

L’accord d’entreprise ou de groupe et le plan d’action ou l’accord de branche étendu devait traiter :

1° D’au moins l’un des thèmes suivants :

a)      La réduction des polyexpositions aux facteurs mentionnés à l’article D. 4161-2, au-delà des seuils fixés au même article ;

b)     L’adaptation et l’aménagement du poste de travail ;

2° En outre, d’au moins deux des thèmes suivants :

a)      L’amélioration des conditions de travail, notamment au plan organisationnel ;

b)     Le développement des compétences et des qualifications ;

c)      L’aménagement des fins de carrière ;

d)     Le maintien en activité des salariés exposés aux facteurs mentionnés à l’article D. 4161-2.

Il convient de relever qu’en application de l’article L. 2253-2 du code du travail, tel qu’il résulte de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article
L. 4161–1 fait partie des thèmes pouvant être verrouillés par la branche. Il reviendra donc à chaque branche professionnelle de se saisir, ou non, de ce thème. Si elle le fait, un accord d’entreprise portant sur la prévention des risques professionnels ne pourra comporter que des dispositions plus favorables aux salariés : par exemple, en allant au-delà des thèmes obligatoires prévus à l’article L. 4162-3.

● Si aucun accord n’est conclu au terme de la négociation, un procès-verbal de désaccord doit être établi. L’employeur est alors tenu d’élaborer un plan d’action relatif à la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1, arrêté après avoir recueilli l’avis du comité social et économique (article L. 4162-2). À l’instar de l’obligation de négocier, l’obligation de disposer d’un plan d’action n’est pas nouvelle : 519 plans d’action ont ainsi déjà été enregistrés par les Direccte.

● L’accord ou le plan d’action fait l’objet d’un dépôt auprès de l’autorité administrative compétente, qui en informe l’organisme compétent de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Cette procédure de dépôt devrait également impliquer les CARSAT, afin de permettre un meilleur suivi de ces accords ou plans d’action.

● En application de l’article L. 4162-4, l’employeur méconnaissant son obligation de négocier ou d’établir un plan d’action s’expose au paiement d’une pénalité. Le montant de cette dernière sera fixé par décret en Conseil d’État, mais il ne peut excéder 1 % des rémunérations ou gains versés aux travailleurs salariés ou assimilés concernés, au cours des périodes au titre desquelles l’entreprise n’est couverte ni par un accord sur la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, ni par un plan d’action.

La pénalité est prononcée par l’autorité administrative compétente définie par décret en Conseil d’État. Le produit de la pénalité est affecté aux organismes nationaux de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. La pénalité est recouvrée et contrôlée selon les dispositions prévues aux articles L. 137-3 et L. 137-4 du code de la sécurité sociale.

● Comme c’était le cas auparavant ([82]), l’article L. 4162-1 du code du travail précise que les entreprises ou les entreprises appartenant à un groupe dont l’effectif est compris entre 50 et 299 salariés qui sont couvertes par un accord de branche étendu comprenant les thèmes obligatoires mentionnés à l’article L. 4162–3 peuvent être exonérées de leur obligation de négocier prévue à l’article L. 4162–1. L’objectif de cette disposition est d’inciter les branches professionnelles à se saisir du sujet de la prévention des risques pour apporter une aide aux petites entreprises, souvent dépourvues de moyens en interne ou qui ne disposent pas de délégués syndicaux pour négocier un accord.

Selon l’article L. 4162-3, cet accord de branche étendu « peut déterminer lexposition des travailleurs à un ou plusieurs des facteurs de risques professionnels » entrant dans le périmètre du compte professionnel de prévention – c’est-à-dire le travail en milieu hyperbare, l’exposition aux températures extrêmes ou au bruit, et les trois facteurs de risques liés aux rythmes de travail –, « au-delà des seuils mentionnés au I de larticle L. 4163-1 », « en faisant notamment référence aux postes, métiers ou situations de travail occupés et aux mesures de protection collective et individuelle appliquées ». Les conditions dans lesquelles l’employeur peut remplir son obligation de déclaration en s’appuyant sur ces postes, métiers ou situations de travail seront définies par décret.

À défaut d’accord de branche étendu, ces mêmes postes, métiers ou situations de travail peuvent être définis par un référentiel professionnel de branche, à condition que ce dernier soit homologué par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et des affaires sociales. Ce référentiel a vocation à aider les employeurs à déterminer les salariés devant faire l’objet d’une déclaration au titre du nouveau compte professionnel de prévention. Il n’a pas vocation à porter sur les thèmes obligatoires mentionnés à l’article L. 4162-3 et, à ce titre, il ne couvre pas l’ensemble des obligations des entreprises, qui demeurent donc tenues de négocier un accord ou d’arrêter un plan d’action. Il est précisé que l’employeur qui applique le référentiel de branche pour déterminer l’exposition de ses salariés « est présumé de bonne foi ».

III.   La Création du compte professionnel de prévention (C2P) répond à l’objectif de simplification de la prise en compte de la pénibilité au travail

1.   L’obligation de déclaration des employeurs limitée à six facteurs de risques professionnels

Afin de faciliter la prise en compte des facteurs de risques professionnels, le périmètre du C3P est réduit pour ne conserver que les facteurs facilement quantifiables et mesurables au sein du nouveau compte professionnel de prévention (C2P).

Ainsi, selon le I de l’article L. 4163-1, seuls six facteurs de risques professionnels, dont l’évaluation est supposée ne pas poser de difficulté particulière à l’employeur, sont pris en compte dans le cadre de ce nouveau compte. Il s’agit :

 de certains risques liés à un environnement agressif (2° de l’article L. 4161-1) : travail en milieu hyperbare (b), exposition aux températures extrêmes (c) ou au bruit (d) ;

 de l’ensemble des risques liés aux rythmes de travail (3°) : travail de nuit (a), en équipes successives alternantes (b) ou travail répétitif (c).

Les facteurs de risques dont l’évaluation était particulièrement complexe ne relèveront donc plus du champ d’application du compte, mais feront l’objet d’un traitement spécifique (cf. IV du présent commentaire).

Pour chacun des facteurs entrant dans le champ du C2P, l’employeur est tenu de déclarer l’exposition de ses salariés auprès de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (article L. 215-1 du code de la sécurité sociale), auprès de la caisse générale de sécurité sociale ([83]) (article L. 752-4 du même code) ou auprès de la caisse de mutualité sociale (article L. 723-2 du code rural et de la pêche maritime) dont relève l’employeur. Les seuils à compter desquels les employeurs sont tenus de déclarer l’exposition de leurs salariés seront précisés par décret.

Il est rappelé que les informations contenues dans la déclaration sont confidentielles et ne peuvent être communiquées à un autre employeur auprès duquel le travailleur sollicite un emploi.

En outre, les entreprises ayant recours au travail temporaire dans les conditions prévues à l’article L. 1251-1 du code du travail sont tenues de transmettre à l’entreprise de travail temporaire les informations nécessaires à l’établissement, par cette dernière, de la déclaration d’exposition.

Le cas échant, les employeurs peuvent s’appuyer sur les stipulations de l’accord de branche étendu mentionné à l’article L. 4163-2 du même code ou, à défaut, sur le référentiel professionnel de branche homologué, pour déclarer l’exposition de leurs travailleurs à un ou plusieurs facteurs de risques.

L’article L. 4163-2 précise d’ailleurs à cette fin qu’un employeur appliquant les stipulations d’un accord de branche étendu ou d’un référentiel professionnel de branche homologué pour déclarer l’exposition de ses travailleurs ne peut se voir appliquer la pénalité mentionnée au II de l’article L. 4163-16.

Par coordination avec la création du C2P, les paragraphes 1° à 7° ([84]) et 9° à 14° de l’article 2, 1° et 5° de l’article 3 et 1° de l’article 4 remplacent respectivement les occurrences à la pénibilité ou au compte professionnel de prévention de la pénibilité par des références à l’exposition aux effets des facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1 du code du travail ou au compte professionnel de prévention.

2.   Les règles de fonctionnement du compte restent globalement inchangées

a.   Ouverture et abondement du compte

Les articles L. 4163-4 à L. 4163-6 relatifs à l’ouverture et à l’abondement du compte professionnel de prévention reprennent, dans leur rédaction antérieure à la publication des ordonnances, les dispositions des articles L. 4162-1 à L. 4162-3 du code du travail. Les règles d’ouverture et d’abondement du C2P n’évoluent pas par rapport à l’ancien dispositif, à l’exception, bien sûr, du périmètre du compte, puisque seuls les six facteurs de risques professionnels déclarés permettent désormais d’abonder le C2P.

L’acquisition des droits au titre du C2P reste ainsi ouverte aux salariés des employeurs de droit privé ainsi qu’au personnel des personnes publiques employé dans les conditions de droit privé. Les salariés affiliés à un régime spécial de retraite comportant un dispositif spécifique de reconnaissance et de compensation des effets de l’exposition à certains risques professionnels n’acquièrent pas de droit au titre du C2P.

De même, les modalités d’abondement du compte, selon lesquelles les salariés employés durant toute une année et exposés à un seul facteur de risque professionnel acquièrent quatre points par année civile, et ceux exposés à plusieurs facteurs, huit points (article R. 4162-2 du code du travail), ne devraient pas être modifiées.

L’exposition d’un travailleur aux risques professionnels déclarés – soit les six facteurs de risques mentionnés au I de l’article L. 4163-1 du code du travail ouvre droit à l’acquisition de points sur le compte, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.

b.   Règles d’utilisation du compte

Selon l’article L. 4163-7 du même code, qui reprend les dispositions de l’article L. 4162-4 dans sa rédaction antérieure aux ordonnances, les modalités d’utilisation du C2P restent les mêmes que pour le C3P, à l’exception du nombre de facteurs de risques pris en compte pour l’abondement du compte. Les points acquis sur le compte permettent ainsi aux salariés d’acquérir des droits :

 à la formation professionnelle, via la prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation professionnelle continue en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé (1°) ;

 à une réduction du temps de travail, grâce au financement du complément de la rémunération du salarié et des cotisations et contributions sociales légales et conventionnelles (2°) ;

 à un départ à la retraite avant l’âge légal de départ de droit commun, grâce au financement d’une majoration de durée d’assurance vieillesse (3°).

Comme précédemment, la demande d’utilisation des points peut intervenir à tout moment de la carrière du titulaire du compte pour l’utilisation mentionnée aux 1° et 2°, et à partir de 55 ans pour le départ anticipé à la retraite prévu au 3°.

Les modalités d’application de ces règles d’utilisation sont définies aux articles L. 4163-8 à L. 4163-13 du code du travail, qui reprennent sans modification les dispositions définies antérieurement aux articles L. 4162-6 à L. 4163-13 du même code.

3.   Les modalités de gestion du compte évoluent

a.   La gestion du compte est confiée à la branche AT-MP de la CNAMTS

L’un des principaux changements dans les modalités de fonctionnement du compte professionnel de prévention est relatif à l’organisme en charge de la gestion du compte.

En effet, selon l’article L. 4163-14, la gestion du compte sera désormais assurée par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et par le réseau des organismes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) du régime général, alors que cette gestion du C3P relevait auparavant dans son intégralité de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAV) et du réseau des organismes régionaux chargés du service des prestations d’assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale.

L’objectif de cette mesure est d’améliorer la cohérence du dispositif : le compte professionnel de prévention reposant sur l’exposition des travailleurs aux risques professionnels, il est en effet cohérent de confier la gestion du compte à la CNAMTS et au réseau de la branche AT-MP, puisque la prévention des risques entre dans le cadre des missions de cette dernière. Par exemple, le traitement des réclamations et les contrôles de l’exposition nécessitent des compétences en matière de risques professionnels, qui existent déjà au sein de la branche AT-MP. Ces compétences pourront donc être mutualisées.

La CNAMTS et le réseau des organismes de la branche AT-MP auront globalement les mêmes attributions en matière de gestion que celles dévolues à la CNAV et à son réseau pour le C3P, puisqu’en application de l’article L. 4163-15 du code du travail, les organismes gestionnaires continueront d’assumer les missions anciennement prévues à l’article L. 4162-11 du même code :

 l’enregistrement sur le compte des points correspondants aux données déclarées par l’employeur ;

 la communication annuelle, à chaque travailleur, des points acquis au titre de l’année écoulée, dans un relevé précisant chaque contrat de travail ayant donné lieu à déclaration et les facteurs d’exposition ainsi que les modalités de contestation ;

 la mise à disposition du travailleur d’un service d’information sur internet lui permettant de connaître le nombre de points qu’il a acquis et consommés au cours de l’année civile précédente, le nombre total des points inscrits sur son compte ainsi que les utilisations possibles de ces points ;

 le versement des sommes représentatives des points que le travailleur souhaite affecter aux utilisations du compte mentionnées à l’article L. 4163-7, selon les cas, aux financeurs des actions de formation professionnelle, aux employeurs concernés ou au régime de retraite compétent.

Il est précisé en outre que la CNAMTS « peut déléguer par convention » certaines de ses missions de gestion, à savoir :

 les missions de gestion stricto sensu mentionnées à l’article
L. 4163-15 (enregistrement des points, communication annuelle, service d’information internet, versement à l’employeur au titre de l’utilisation du C2P) ;

 le contrôle de l’effectivité et de l’ampleur de l’exposition aux facteurs de risques professionnels et l’exhaustivité des données déclarées (article L. 4163-16 du même code) ;

 la gestion des réclamations des salariés en désaccord avec leur employeur sur l’effectivité ou l’ampleur de leur exposition aux facteurs de risques professionnels faisant l’objet d’une déclaration (article L. 4163-18).

Selon les informations transmises au rapporteur, pour des raisons de continuité de service, la CNAMTS a d’ores et déjà souhaité déléguer à la CNAV la gestion administrative du compte, c’est-à-dire l’abondement des comptes des salariés ainsi que l’instruction des demandes d’utilisation des points inscrits sur le compte.

b.   Les modalités de contrôle et de réclamation

● En application du I de l’article L. 4163-16, les organismes gestionnaires de la branche AT-MP ainsi que, lorsqu’elles sont compétentes, les caisses de mutualité sociale agricole (MSA) peuvent procéder ou faire procéder à des contrôles, sur pièces et sur place, de l’effectivité et de l’ampleur de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ainsi que de l’exhaustivité des données déclarées.

Les contrôles doivent être effectués par des agents assermentés et agréés, dans des conditions définies par arrêté, ou confiés à des organismes de sécurité sociale habilités dans des conditions définies par décret. L’administration du travail et les caisses de MSA peuvent apporter leur concours aux organismes gestionnaires en leur communiquant toute information utile.

Le cas échéant, ces organismes gestionnaires notifient à l’employeur et au salarié les modifications à apporter quant à la détermination du nombre de points inscrits sur le compte du salarié. Le redressement ne peut toutefois intervenir que dans les trois années civiles au titre de laquelle des points ont été ou auraient dû être inscrits sur le compte.

● En cas de déclaration inexacte (II de l’article L. 4163-16), le nombre de points est régularisé. L’employeur peut faire l’objet d’une pénalité prononcée par le directeur de l’organisme gestionnaire, fixée par décret en Conseil d’État dans la limite de 50 % du plafond mensuel fixé à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale, au titre de chaque salarié pour lequel l’inexactitude est constatée.

 Les articles L. 4163-17 à L. 4163-20 reprennent les dispositions des articles L 4162-13 à L. 4162-16 en matière de différends relatifs à la déclaration de lemployeur, quil sagisse de leffectivité de lexposition du salarié aux facteurs de risques professionnels ou de lampleur de son exposition à ces facteurs.

En cas de désaccord sur l’ouverture du compte professionnel de prévention ou au nombre de points enregistrés sur celui-ci, le salarié doit impérativement porter en premier lieu sa contestation devant l’employeur.

En cas de rejet de ce dernier, si le salarié saisit l’organisme gestionnaire, celui-ci doit se prononcer sur la réclamation du salarié.

4.   Le financement du C2P relève désormais des organismes nationaux de la branche AT-MP

L’article L. 4163-21 du code du travail dispose désormais que les dépenses engendrées par le compte professionnel de prévention seront financées par la branche AT-MP du régime général et celle du régime des salariés, chacune pour ce qui la concerne. Le transfert de la gestion du compte à la CNAMTS et au réseau AT-MP permettra en effet d’assurer une meilleure cohérence entre le financeur et le gestionnaire du compte.

Les deux cotisations spécifiques qui finançaient jusqu’alors le C3P seront ainsi supprimées à compter du 1er janvier 2018, de même que le fonds dédié. Selon les informations transmises au rapporteur, le financement sera désormais assuré au moyen d’une majoration du taux de cotisation commune à toutes les entreprises. Cette majoration sera incluse dans l’actuelle majoration M4, qui permet actuellement le financement de la retraite anticipée pour incapacité. En 2018, la hausse correspondante de la majoration spécifique M4 sera compensée par une baisse de la majoration d’équilibre M2. Néanmoins, la bonne situation financière de la branche AT-MP devrait à l’avenir permettre d’accentuer cette diminution de M2, pour arriver à une diminution nette du taux moyen de cotisation AT-MP.

Les modalités de prise en charge des utilisations du C2P par les salariés (formation professionnelle, temps partiel, départ anticipé à la retraite) seront précisées par décret.

IV.   L’extension du dispositif de retraite anticipée pour incapacité à quatre facteurs de risques complexes à mesurer

La prise en compte des facteurs de risques liés aux postures pénibles, aux manutentions manuelles de charges, aux vibrations mécaniques (a, b et c du 1° de l’article L. 4161-1) et aux agents chimiques dangereux (a du 2° du même article) fera désormais l’objet d’un traitement spécifique au sein du dispositif de départ en retraite anticipée pour incapacité issu de la réforme des retraites du 9 novembre 2010.

A.   Le dispositif proposé

Le dispositif de retraite anticipée pour incapacité

L’article 79 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a créé à l’article L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale un dispositif de retraite pour incapacité permanente.

En vertu de ce dispositif, l’âge de départ à la retraite est abaissé à 60 ans pour les salariés justifiant d’une incapacité permanente au moins égale à 20 %, lorsque cette incapacité est reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle.

Les salariés justifiant d’un taux d’incapacité compris entre 10 et 19 % peuvent également prétendre à ce dispositif, à condition néanmoins d’apporter la preuve d’une durée d’exposition au moins égale à 17 ans et d’un lien de causalité entre l’incapacité permanente et l’exposition aux facteurs de risques. L’avis favorable d’une commission pluridisciplinaire chargée de valider ces justifications est également requis.

Pour les quatre critères n’entrant pas dans le champ du C2P, le 4° de l’article 3 assouplit en effet les conditions d’éligibilité au dispositif de départ à la retraite anticipée pour incapacité prévu à l’article L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale. L’objectif est de ne plus soumettre les quatre facteurs concernés à une obligation de déclaration de l’employeur, mais de prendre en compte l’exposition à ces facteurs grâce à des critères médicaux.

Le 4° de l’article 3 précise ainsi qu’en cas de maladie professionnelle consécutive à l’exposition à l’un ou à plusieurs de ces quatre facteurs de risques, le salarié dont le taux d’incapacité est compris à un taux fixé par décret n’aura pas à justifier d’une condition de durée d’exposition de dix-sept ans minimum, ni à établir que l’incapacité permanente dont il est atteint est directement liée à l’exposition à ces facteurs de risques professionnels. De plus, l’avis de la commission pluridisciplinaire ne sera plus requis dans ce cas précis.

Les maladies professionnelles concernées seront précisées par voie réglementaire mais, selon les informations transmises au rapporteur, la grande majorité des maladies professionnelles devraient être concernées, puisque plus de 90 % d’entre elles sont liées à l’un des quatre facteurs pris en compte dans le dispositif de retraite anticipée pour incapacité.

Le rapporteur tient à souligner que ce nouveau dispositif n’exonère en aucun cas les employeurs de prendre des mesures de prévention pour réduire l’exposition des travailleurs à ces facteurs de risques professionnels : d’ailleurs, les quatre facteurs sont bien maintenus dans le champ des accords de prévention des risques professionnels, à l’instar des six facteurs permettant d’abonder le compte professionnel de prévention.

B.   Les modalités de financement

Selon les informations transmises au rapporteur, l’assouplissement des critères du dispositif de retraite anticipée pour incapacité devrait bénéficier à environ 10 000 salariés, contre 3 000 à 3 500 auparavant.

Compte tenu de cette extension du dispositif de départ à la retraite anticipée pour incapacité, le 3° de l’article 3 modifie l’article L. 241-5 du code de la sécurité sociale, afin de préciser que les dépenses supplémentaires engendrées par cette extension sont prises en charge dans le cadre de la cotisation due au titre des accidents du travail et maladies professionnelles.

Le montant de cette cotisation est fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Il pourra désormais « tenir compte des prévisions financières pour les cinq prochaines années » et, le cas échéant, des recommandations du comité de suivi des retraites. Ce montant fait en outre l’objet d’un rapport annexé au projet de LFSS afin d’évaluer le coût réel des dépenses supplémentaires engendrées par les départs en retraite à l’âge prévu à l’article L. 351-1-4. Le 3° de l’article 3 précise que ce rapport annexé devra à l’avenir également évaluer le coût réel des dépenses engendrées par le nouveau compte professionnel de prévention.

Pour l’année 2018, l’article 32 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) a proposé de fixer la contribution au titre du C2P et de la retraite anticipée à 194 millions d’euros pour le régime général et le régime agricole, dont environ 15 millions d’euros sont liés au coût de l’élargissement du dispositif de retraite anticipée pour incapacité.

Les paragraphes 2° à 5° de l’article 4 effectuent les coordinations nécessaires au sein du code rural et de la pêche maritime.

V.   Un droit à la formation professionnelle renforcé pour les salariés victimes d’incapacité permanente

Afin de compléter le dispositif de réparation pour les salariés victimes d’accident du travail et de maladies professionnelles en raison de leur exposition à des facteurs de risques professionnels, les 6° et 7° de l’article 3 de l’ordonnance modifient l’article L. 432-12 du code de la sécurité sociale afin de permettre à des salariés victimes d’une incapacité permanente supérieure ou égale à un taux fixé par décret, « au titre de la reconversion professionnelle », de bénéficier d’un abondement du compte personnel de formation prévu à l’article L. 6111-1.

L’objectif de cette mesure est de renforcer les politiques de maintien en emploi pour les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, et de prévenir une désinsertion professionnelle durable.

Ce nouveau droit constitue une nouvelle prestation de la branche
AT-MP, et sera à ce titre intégralement financé par cette dernière.

Les modalités opérationnelles de ce dispositif seront précisées par décret en Conseil d’État. Les 6° et 7° de l’article 4 de l’ordonnance effectuent la coordination au sein du code rural et de la pêche maritime.

VI.   Modalités d’entrée en vigueur et dispositions Transitoires

1.   Entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la prévention de l’exposition aux risques professionnels

En application des I et II de l’article 5 de l’ordonnance n° 2017-1389, les dispositions relatives de l’article 5 sont entrées en vigueur dès le 1er octobre 2017, sous réserve des adaptations présentées dans le tableau suivant.

 

Date dentrée en vigueur

Disposition de lordonnance

Thème

1er janvier 2018

Section 4 du chapitre III du titre VI du livre Ier de la quatrième partie du code du travail (articles L. 4163-14 à L. 4163-20)

Gestion du C2P, contrôle et réclamations

Section 5 du même chapitre (article L. 4163-21)

Financement du C2P

2° et 3° de l’article 3

Coordinations liées à l’extension du dispositif de départ en retraite anticipée au sein du code de la sécurité sociale et du code rural et de la pêche maritime.

3°, 4° et 5° de l’article 4

1er janvier 2019

Chapitre II du titre VI du livre Ier de la quatrième partie du code du travail (articles L. 4162-1 à L. 4162-4)

Accords en faveur de la prévention des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels

Date fixée par le décret mentionné à larticle L. 432-12 du code de la sécurité sociale (dans sa rédaction issue de lordonnance) ou, au plus tard le 1er janvier 2019

6° et 7° de l’article 3

Dispositif de reconversion professionnelle pour les salariés susceptibles de se retrouver en situation de désinsertion professionnelle suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle.

6° et 7° de l’article 4

2.   Dispositions transitoires

En attente de l’entrée en vigueur de ces dispositions, des modalités transitoires sont prévues au 2° du II et au III de l’article 5 :

 jusqu’au 31 décembre 2017, les sections 3 et 4 du chapitre II du titre VI du livre Ier de la quatrième partie du code continuent à s’appliquer dans leur rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1389 ;

 pour le quatrième trimestre 2017, la cotisation additionnelle mentionnée au 2° de l’article L. 4162-19 (dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1389) est due par les seuls employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés aux six facteurs de risques professionnels définis au I de l’article L. 4163-1 nouveau. Seuls les rémunérations ou gains des salariés exposés en application du II de l’article L. 4162-20 du code du travail sont pris en compte dans le calcul du montant de cette cotisation déterminé en application du II de l’article L. 4162-20 du code du travail (dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1389).

 jusqu’au 31 décembre 2018, le chapitre III du titre VI du livre Ier de la quatrième partie du code du travail continue à s’appliquer dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1389.

3.   Prise en compte des points acquis sur le compte personnel de prévention de la pénibilité

Le IV de l’article 5 précise que pour les expositions aux facteurs de risques professionnels au titre des années 2015, 2016 et pour les trois premiers trimestres de 2017, les articles du code du travail relatifs à la déclaration des expositions (L. 4161-1), au fonctionnement du compte ouverture, abondement, utilisation (articles L. 4162-1 à L. 4162-10), à la gestion du compte (articles L. 4162-12 à L. 4162-16) et à la cotisation perçue au titre du compte (article L. 4162-20) demeurent applicables dans leur rédaction antérieure aux dispositions issues de l’ordonnance n° 2017-1389.

Par ailleurs, selon le V de l’article 5, les points acquis au titre du C3P qui n’auraient pas été utilisés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1389 sont transférés sur le C2P.

S’agissant de l’utilisation des points inscrits sur le C3P avant l’entrée en vigueur de ladite ordonnance, les dispositions réglementaires d’application restent en vigueur jusqu’à la publication des décrets nécessaires à la mise en place du C2P, et au plus tard jusqu’au 1er janvier 2018.

4.   Modalités de transfert

L’article 6 de l’ordonnance n° 2017-1389 précise enfin qu’au 1er janvier 2018, l’ensemble des biens, droits et obligations du fonds chargé du financement des droits liés au C3P sont transférés de plein droit aux organismes nationaux de la branche AT-MP, sauf disposition contraire.

Le solde de ce fonds, tel qu’il résulte de l’exécution des opérations autorisées au titre des années 2015 à 2017, est affecté aux ressources des organismes nationaux de la branche AT-MP.

Ces dispositions seront précisées par décret.

*

La commission examine les amendements portant sur l’ordonnance n° 2017-1389. L’examen de l’amendement AS235 du rapporteur, autorisant la ratification de ladite ordonnance, est réservé jusqu’à la fin des amendements portant sur cette ordonnance.

Aussi la commission commence-t-elle par examiner, en discussion commune, les amendements AS69 de M. Pierre Dharréville, et AS162 de M. Adrien Quatennens.

M. Pierre Dharréville. L’article 1er de l’ordonnance relative au compte professionnel de prévention allège les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques sur la santé au travail.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) est supprimé et remplacé par un compte personnel de prévention. Quatre facteurs de risques – charges lourdes, vibrations mécaniques, postures pénibles, exposition aux produits chimiques – sont ainsi exclus du nouveau dispositif. La mesure de l’exposition à ces risques ne sera donc plus exigée, au détriment du droit à la santé des salariés.

Pour ces quatre risques, seul un départ anticipé à la retraite est prévu, ce qui est absurde quand nous savons que les symptômes apparaissent bien souvent des années après l’exposition. Ainsi, la suppression de l’obligation de suivi de l’exposition aux risques chimiques aboutit à un retour en arrière de plus de quinze ans puisqu’elle implique la suppression de l’obligation de rédiger des fiches pénibilité, un dispositif créé au début des années 2000.

Alors même qu’une récente étude de Santé publique France, de juin 2017, indique que 2,6 millions de salariés, soit 12 % d’entre eux, sont exposés à une nuisance cancérogène, qu’elle soit chimique ou provenant de rayonnements ionisants, ces dispositions sont de nature à porter des atteintes graves à ces salariés et, à l’inverse, de telles dispositions vont simplement faire droit aux demandes du patronat qui n’a cessé de dénoncer ce compte pénibilité depuis sa mise en place.

M. Adrien Quatennens. Cette ordonnance qui supprime le compte personnel de prévention de la pénibilité me semble honteuse et à plusieurs titres. Tout d’abord, pensez-vous vraiment qu’en supprimant le mot « pénibilité » on supprime par là même la pénibilité que subissent les salariés ? Nous savons que ce n’est pas le cas. Dès lors pourquoi cette disparition, si ce n’est pour être encore plus aveugle à la souffrance des gens au travail ?

Vous faites disparaître quatre facteurs de risque du dispositif à points qui permettait aux salariés qui y étaient exposés de prendre leur retraite anticipée et de percevoir des réparations. Il leur faudra désormais justifier d’une maladie professionnelle et donc obtenir la reconnaissance que leur vie a été profondément affectée pour prétendre à un droit auparavant acquis. On ne peut pas raisonnablement regarder droit dans les yeux une personne qui, durant toute sa carrière, a porté des charges lourdes et lui dire que désormais elle n’obtiendra aucun droit supplémentaire car il faudrait pour cela qu’elle soit malade ou qu’elle souffre et qu’elle en obtienne la reconnaissance par un médecin. On ne peut pas davantage regarder droit dans les yeux une personne qui, durant toute sa carrière, a dû se tenir debout ou accroupi, les bras en l’air ou encore à genoux, et lui dire qu’elle n’obtiendra aucun droit supplémentaire car il faudrait pour cela qu’elle soit malade ou qu’elle souffre et qu’elle en obtienne elle aussi la reconnaissance par un médecin. Je pourrais continuer en évoquant les personnes qui doivent encaisser des vibrations ou encore celles qui s’exposent à des agents chimiques dangereux, qui pourront désormais peut-être s’équiper d’un masque à gaz… Le simple fait d’occuper un poste dont on sait qu’il diminue l’espérance de vie ne suffira plus.

Sous prétexte que ces facteurs de risque sont trop difficiles à mesurer, vous souhaitez les supprimer, mais pensez-vous pour autant que ces facteurs de risques vont disparaître pour les salariés ? Bien sûr que non et ces mesures provoquent la colère de bon nombre de syndicats comme l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), qui évoque « une injustice profonde, choquante au plan social et moral ». « La réforme du Gouvernement revient à dire qu’il faut être reconnu malade et non pas simplement avoir été durablement exposé à la pénibilité pour bénéficier d’une retraite anticipée ; c’est une complète régression », s’offusque Dominique Corona, de l’UNSA. De plus, la plupart des cancers professionnels se déclarent après le départ à la retraite, observe François Desriaux, rédacteur en chef du magazine Santé & Travail, cité par Alternatives économiques. Vous osez, en outre, parler de prévention alors qu’en réalité vous méprisez les salariés. Votre dispositif est tout bonnement inhumain et honteux.

M. le rapporteur. Tâchons de retrouver un peu de sérénité car notre collègue Quatennens met en doute notre humanité. Ne soyez pas inquiet : notre souci de l’humanité est tel que nous avons proposé au Gouvernement de rendre opérable ce qui ne fonctionnait pas. Le dispositif antérieur était purement intellectuel, fondé sur quatre critères que l’on ne pouvait pas mesurer concrètement. D’ailleurs, un très grand nombre de branches ne sont pas parvenues à mesurer la pénibilité. L’humanité consiste donc ici à permettre à près de 10 000 bénéficiaires de partir plus tôt à la retraite au titre des quatre critères figurant auparavant dans le compte personnel de prévention et de pénibilité.

Je rappelle que les dix critères de risque professionnel ont été intégralement préservés dans le cadre du nouveau dispositif. La définition de ces critères, qui relevait d’un décret, a même été « relevée » au niveau législatif. Le périmètre de prise en compte des facteurs de risques professionnels ne change donc pas. De plus, les obligations de négocier sur la question de la prévention de ces facteurs de risque pour les entreprises exposées à l’un ou à plusieurs de ces critères sont également intégralement maintenues et préservées. Le nouveau dispositif s’inscrit donc pleinement dans une logique de prévention que vous appelez de vos vœux, j’en suis sûr, mes chers collègues.

En ce qui concerne les quatre critères, ils font désormais l’objet d’une prise en compte spécifique. Je les rappelle : manutention manuelle de charges, posture pénible, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux. Il s’agit de répondre à un principe de réalité : la ministre, que nous avons auditionnée, nous a effectivement confirmé que le dispositif en vigueur était juste mais inapplicable. Faut-il donc défendre des dispositions trop théoriques pour être appliquées ou bien faut-il prendre des décisions concrètes, qui ont du sens, et qui permettent à 10 000 personnes de partir plus tôt à la retraite dès 2018 ? Je préfère le second terme de l’alternative. En outre, souvenez-vous que la ministre, lors de son audition, a montré un intérêt tout particulier au sujet des risques chimiques.

L’option retenue d’intégrer ces quatre critères dans le cadre du dispositif de retraite anticipée pour incapacité est à mon sens la bonne solution et je suis donc opposé à ces amendements, ainsi qu’à tous les amendements suivants visant à supprimer le compte de prévention ou à rétablir le compte de pénibilité qui ne fonctionnait pas.

La commission rejette ces amendements successivement mis aux voix.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements AS158, AS155, AS156 et AS159 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. La pénibilité est caractérisée par le fait d’être ou d’avoir été exposé, au cours de son parcours professionnel, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé. Ces facteurs sont déterminés par décret.

Avec la présente ordonnance vous proposez de supprimer le compte personnel de prévention de la pénibilité pour lui préférer un compte qui nous renvoie aux prémices des réflexions et des négociations sur cette question fondamentale.

Ces amendements, ici en présentation commune, proposent de rétablir le compte personnel de prévention de la pénibilité en supprimant la rédaction nouvelle applicable au 1er janvier 2019.

M. le rapporteur. Avis défavorable pour chacun des quatre amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements AS15 de M. Stéphane Viry, et AS161 de M. Boris Vallaud.

M. Gérard Cherpion. La loi 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a prévu deux cotisations sociales pour financer le compte professionnel de prévention de la pénibilité que réforme la présente ordonnance : une cotisation de base de 0,01 % à la charge de l’ensemble des entreprises et une cotisation additionnelle de 0,2 % ou 0,4 % réservée aux entreprises exposant leurs salariés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité.

L’ordonnance réforme le périmètre du compte à points qui devient désormais compte professionnel de prévention et transfère son financement vers la branche accidents du travail‑maladies professionnelles (AT-MP), laquelle se trouve opportunément excédentaire.

Le groupe Les Républicains considère que le compte de prévention obéit en grande partie à une logique d’aménagement des parcours professionnels : la prise en charge, notamment, des actions de formation professionnelle, des compléments de rémunération et de cotisations en cas de réduction de la durée du travail n’a pas vocation à être financée par la branche AT-MP. De même, le financement d’une majoration de durée d’assurance vieillesse ou d’un départ anticipé, hors constat d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, n’entre pas dans le champ des missions de la branche.

Il semble plus cohérent de lancer une réflexion sur les cotisations actuelles, quitte à ne maintenir que la cotisation additionnelle ou à réduire les deux cotisations, le périmètre du compte étant désormais réduit à six facteurs.

De manière générale, il n’est pas opportun de lester la branche AT-MP d’un dispositif dont on ne connaît toujours pas précisément les projections à long terme, simplement au prétexte qu’elle se trouve actuellement en excédent.

M. Joël Aviragnet. La question du financement du compte pénibilité est ici abordée en chargeant désormais la branche accidents du travail et maladies professionnelles de gérer les dépenses et la gestion du compte professionnel. Ainsi, les entreprises ont obtenu la suppression des deux cotisations.

Je rappelle que le choix du financement par la création d’un fonds alimenté par deux cotisations patronales traduisait la solidarité interprofessionnelle qui doit s’exercer au titre d’un risque qui, même concentré dans certains secteurs et types d’activité, reste inhérent à l’activité économique. Il permettait aussi de responsabiliser les employeurs en les incitant à se mobiliser financièrement : si ceux-ci souhaitaient payer des cotisations moins élevées, ils pouvaient réduire l’exposition de leurs salariés aux facteurs de pénibilité.

Je note que l’amendement des députés du groupe Les Républicains va dans le même sens en supprimant le prélèvement sur la branche AT-MP et je me félicite de voir que, quatre ans après les débats que nous avons eus sur le financement du C3P, nos collègues nous rejoignent sur la nécessité du maintien de deux cotisations patronales.

Le présent amendement vise donc à rétablir le financement du compte personnel de prévention de la pénibilité, issu de la rédaction antérieure à la publication des ordonnances.

M. le rapporteur. Je ne rappellerai pas mes arguments précédents.

Je signale néanmoins à M. Cherpion que le financement du compte de prévention par la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) n’avait pas de légitimité, qu’il ne figurait pas parmi ses missions.

M. Gérard Cherpion. La branche des AT-MP n’est pas davantage légitime.

M. le rapporteur. Je trouve au contraire que le financement par la branche AT-MP a plus de sens : d’un point de vue historique, elle est concernée – les employeurs cotisants ayant tout intérêt à éviter les accidents du travail. La logique consistant à mettre à contribution celui qui doit être attentif à la santé du salarié et à le mettre d’autant plus à contribution qu’il y a d’accidents du travail, me paraît plus cohérente.

Le compte professionnel de prévention s’inscrit par conséquent avant tout dans une logique de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels. Il doit inciter les entreprises à réduire l’exposition de leurs salariés aux facteurs de risque. Or cette logique de prévention, je le répète, correspond pleinement au champ de compétences de la branche AT-MP.

J’ai compris que votre amendement visait à abroger le transfert de la gestion du nouveau compte professionnel de prévention vers la branche AT-MP, sans rétablir pour autant les cotisations antérieures, même si j’imagine bien que votre objectif n’est pas de supprimer tout financement du compte.

Avis défavorable sur les deux amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement AS208 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Les effets néfastes du chômage de longue durée sont avérés : rupture du lien social, 50 % de divorces, risque de dépression, modification de la personnalité, augmentation du risque d’infarctus… Or le nombre de chômeurs de longue durée s’établit à 2,48 millions de personnes en septembre 2017. Les vieilles recettes libérales ne semblent pas à même de mettre fin à ce fléau. Nous ne sommes pas de ceux qui ont une pensée suffisamment « complexe » pour croire que quand on facilite le licenciement on préserve l’emploi.

Aussi, nous vous proposons la mise en œuvre du droit opposable à l’emploi. L’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1948 reconnaît le droit au travail en ces termes : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et à la protection contre le chômage ». Le Conseil constitutionnel, pour sa part, a affirmé dans sa décision du 16 janvier 1986 qu’il appartenait au législateur « de poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi ».

La mise en place d’un droit opposable à l’emploi découle de ces principes et décisions. Nous souhaitons engager une réflexion en la matière et demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport chiffrant le coût de l’instauration de ce droit qui ferait de l’État un employeur en dernier ressort pour les privés d’emploi de longue durée. Le redéploiement des crédits affectés au chômage de longue durée permettrait largement de financer cette mesure.

M. le rapporteur. Notre collègue Quatennens entendait souligner l’immense différence entre sa vision politique et en particulier du monde du travail, et la nôtre.

Je suis pour ma part convaincu que c’est en offrant aux entreprises un contexte économique et juridique favorable que nous rétablirons la confiance entre les employeurs et les pouvoirs publics et que nous leur donnerons ainsi la possibilité d’embaucher et de créer de l’emploi.

L’idée d’un « droit opposable à l’emploi » est séduisante mais ce n’est pas en l’agitant qu’on diminuera le chômage. La fracture sociale est une réalité et ceux de nos concitoyens qui sont exclus de l’emploi veulent contribuer au développement de la nation. Or notre responsabilité politique est de leur permettre de retrouver un emploi – le travail étant la première forme d’émancipation et d’intégration.

Confier à l’État un rôle d’employeur en dernier ressort, c’est une conception très éloignée de notre philosophie, et cela risquerait avant tout de grever considérablement les finances publiques, sans pour autant relancer l’économie.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Après en avoir terminé avec les amendements portant article additionnel visant à modifier l’ordonnance  2017-1389, la commission en revient à l’amendement AS235, du rapporteur, précédemment réservé.

M. le rapporteur. Le présent amendement vise à ratifier l’ordonnance 2017-1389 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine l’amendement AS8 de M. Boris Vallaud.

M. Joël Aviragnet. Le présent amendement vise de fait à supprimer l’ensemble des ordonnances. Nous avons longuement argumenté, et insisté sur les points de fragilité de ces ordonnances. Le groupe Nouvelle Gauche a défendu une centaine d’amendements ; or un seul a été adopté – les choses sont claires.

M. le rapporteur. J’ai lu avec attention cet amendement qui nous propose d’« abroger » et non pas de « ratifier » les ordonnances. La commission ayant adopté tous les amendements de ratification des ordonnances, vous ne serez pas surpris, mes chers collègues, que je donne un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

*

Puis la commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures de renforcement du dialogue social.

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   annexeS

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(par ordre chronologique)

 Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) – M. Jean-Michel Pottier, vice-président des affaires sociales, et Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe

  Union des entreprises de proximité (U2P)M. Alain Griset, président, M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement

  Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, et Mme Marylise Léon, secrétaire nationale

  Confédération française de lencadrement-CGC (CFE-CGC) M. Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge du secteur dialogue social, restructuration des branches et représentativité, Mme Karina Aitoufellah, directrice de cabinet du président, et Mme Barbara Reginato, juriste en droit social

  Force Ouvrière (FO) – M. Didier Porte, secrétaire confédéral

  Confédération générale du travail (CGT) – M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT, et Mme Anaïs Ferrer, conseillère confédérale

  Table ronde professeurs :

– M. Pascal Lokiec, professeur de droit à l’Université Paris X Nanterre

– M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris I-Sorbonne et à Sciences Po

– M. Jean-François Cesaro, professeur de droit à Paris II-Panthéon-Sorbonne

  Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (*) : M. Michel Guilbaud, directeur général, Mme Elisabeth Tomé-Gertheinrichs, directrice générale adjointe en charge des politiques sociales, M. Adrien Teurkia, directeur des relations sociales, et Mme Ophélie Dujarric, directrice des affaires publiques

  Conseil économique, social et environnemental (CESE) – M. Lionel Marie, M. Jean-François Pilliard, rapporteurs de lavis sur les discriminations syndicales, et Mme Sylvie Brunet, présidente de la section travail et emploi

  Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) –M. Michel Charbonnier, conseiller politique, M. Richard Bonne, directeur de cabinet, et M. Bernard Sagez, secrétaire général

  Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME) : M. Martial Brun, directeur général, M. Serge Lesimple, président, et Dr Corinne Letheux, médecin conseil

  Table ronde cabinets de conseil aux IRP :

 Syndex – M. Jérôme Barthe, membre du comité de direction, M. Olivier Gazel, membre du comité de direction, M. Olivier Laviolette, membre du comité de direction

 Groupe Alpha – M. Pierre Ferracci, président, M. Christophe Doyon, directeur associé, et Mme Nadia Ghedifa, directrice associée

  M. Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de lassociation Dialogues, auteur du rapport « La reconnaissance et la valorisation des compétences des représentants du personnel et des mandataires syndicaux »

  Table ronde avocats :

Cabinet Flichy Grangé – M. Joël Grangé, avocat associé

Cabinet Michel Henry – M. Michel Henry, avocat

 Cabinet Legendre Picard Saadat (LPS) – M. Daniel Saadat et Mme Céline Cotza, avocats

Cabinet Altalexis – M. Marc Robert, avocat à la Cour

Mme Helène Masse-Dessen, avocate au Conseil d’État et à la Cour de Cassation

  Caisse nationale dassurance vieillesse (CNAV) M. Renaud Villard, directeur général

  Association française des entreprises privées (AFEP) (*) M. François Soulmagnon, directeur général, Mme Stéphanie Robert, directeur, et Mme Julie Leroy, directrice des affaires sociales


  Table ronde DRH :

 Solvay  M. Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales et de l’innovation sociale Groupe - DRH France

Recaero – Mme Christelle Pobeau, directrice des ressources humaines

  Table ronde déconomistes :

 M. Thomas Breda, professeur associé, spécialisé en économie du travail

 M. Stéphane Carcillo, économiste senior à l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)

 Mme Christine Erhel, professeure au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)

 Mme Sandrine Cazes, économiste senior de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*) Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sengageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de lAssemblée nationale.


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Liste des liens vidéo relatifs à l’examen du projet de loi

 

– Mardi 7 novembre  à 16 heures 15 : audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 237) et discussion générale sur ce texte :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5124174_5a01cd25ac115.commission-des-affaires-sociales--ratification-des-ordonnances-sur-le-dialogue-social--mme-muriell-7-novembre-2017

 

– Mercredi 8 novembre 2017 à 9 heures 30 (examen des articles) :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5131192_5a02be856f162.commission-des-affaires-sociales--ratification-des-ordonnances-sur-le-dialogue-social-suite-8-novembre-2017

 

– Mercredi 8 novembre 2017 à 16 heures 15 (suite de l’examen des articles) :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5137149_5a031d807719b.commission-des-affaires-sociales--ratification-des-ordonnances-sur-le-dialogue-social-suite-8-novembre-2017

 

– Jeudi 9 novembre 2017 à 9 heures 30 (suite et fin de l’examen des articles) :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5144972_5a040fe38ec2a.commission-des-affaires-sociales--ratification-des-ordonnances-sur-le-dialogue-social-suite-9-novembre-2017


([1]) Loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

([2]) Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

([3]) Ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans lentreprise et favorisant lexercice et la valorisation des responsabilités syndicales.

([4]) Jean-Dominique Simonpoli, « La reconnaissance et la valorisation des compétences des représentants du personnel et des mandataires syndicaux », août 2017.

([5])  Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

([6])  Ordonnance n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective.

([7])  Ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de lexposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

([8]) http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r0019.asp

([9]) L’article L. 3221-3 définit la rémunération comme : « le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier ».

([10]) L’article L. 6323-11 dispose que « l’alimentation du compte se fait à hauteur de 24 heures par année de travail à temps complet jusqu’à l’acquisition d’un crédit de 120 heures, puis de 12 heures par année de travail à temps complet, dans la limite d’un plafond total de 150 heures ». Pour les salariés à temps partiel, l’alimentation est calculée au prorata du temps de travail effectif, sous réserve de dispositions plus favorables prévues par accord collectif.

([11]) Code civil, article 1353 : « Celui qui réclame lexécution dune obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit lextinction de son obligation ».

([12]) Rapport de M. Jean-Denis Combrexelle au Premier ministre : « La négociation collective, le travail et l’emploi », 9 septembre 2015 :

http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2015/09/rapport_combrexelle.pdf

([13]) Il convient de noter que la présente ordonnance s’attache au seul volet périodicité des négociations et non au volet périodicité des consultations des instances représentatives du personnel, qui sont aménagées dans le cadre de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.

([14]) Rapport de M. Jean-Denis Combrexelle au Premier Ministre : « La négociation collective, le travail et l’emploi », 9 septembre 2015 :

http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2015/09/rapport_combrexelle.pdf

([15]) Propos de Mme Muriel Pénicaud retranscrits dans le rapport de M. Laurent Pietraszewski fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 19), juillet 2017.

([16]) Sont apparentés à l’employeur les conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré que l’employeur.

([17]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

([18])  Décision n° 2017-664 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail – Force ouvrière, considérant n° 10.

([19]) Sous réserve d’adaptations par décret en Conseil d’État pour les établissements mentionnés aux 2° et 3°.

([20]) Les attributions et modalités de fonctionnement du CSE central et des CSE d’établissement sont définies au chapitre VI du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail (cf. paragraphe V. du présent commentaire d’article).

([21]) Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

([22]) Cf. paragraphe IX. du présent commentaire d’article.  

([23])  Il s’agit notamment des dix facteurs de risques définis à l’article L. 4161-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1389, et qui sont liés à des contraintes physiques marquées (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques) ; à un environnement physique agressif (agents chimiques dangereux, activités exercées en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit) ; à des rythmes de travail spécifiques (travail de nuit, en équipes successives alternantes ou travail répétitif).

([24]) La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 avait déjà permis à un accord d’entreprise de moduler la périodicité de deux des trois consultations récurrentes du comité d’entreprise (la consultation portant sur les orientations stratégiques n’était pas concernée).  

([25]) La référence au premier alinéa de l’article L. 2232-12 exclut donc la possibilité de recourir au référendum d’entreprise pour valider un accord minoritaire.

([26]) « Consultation des IRP adaptée à l’entreprise : les nouveautés décryptées par Pascal Lagoutte, avocat associé chez Capstan », Liaisons sociales quotidien du 30 octobre 2017.

([27])  Il convient de souligner que l’article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 prévoit la transformation de ce dispositif en allègement de cotisations sociales.

([28]) La référence au premier alinéa de l’article L. 2232-12 exclut donc la possibilité de recourir au référendum d’entreprise pour valider un accord minoritaire.  

([29]) Articles relatifs aux règles de composition et à l’organisation des élections du comité social et économique.  

([30]) La référence au premier alinéa de l’article L. 2232-12 exclut donc la possibilité de recourir au référendum d’entreprise pour valider un accord minoritaire.  

([31]) M. Jean-François Pilliard et M. Lionel Marie, « Repérer, prévenir et lutter contre les discriminations syndicales », CESE, juillet 2017.

([32]) C’est-à-dire les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel et celles dont la vocation statutaire revêt un caractère national et interprofessionnel et qui recueillent plus de 3 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles.

([33]) Cette indemnité s’appliquait à tous les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté dans l’entreprise et aux salariés travaillant dans une entreprise dont l’effectif est au moins égal à onze salariés.   

([34]) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

([35]) http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r0019.asp#P1649_514628

([36]) Cass. Soc., 16 décembre 2009, n° 08-42.922

([37]) Cass. Soc., 19 mars 1987, n° 83-44.687

([38]) Cass. Soc., 7 juillet 2010, n° 08-45.139

([39]) Cass. Soc., 20 février 1986, n° 82-43.825

([40]) Cass. Soc., 20 mars 1990, n° 89-40.515

([41]) Cass. Soc., 15 janvier 2014, n° 12-21.654.

([42]) Cass. Soc., 12 mars 2008, n° 06-43.866.

([43]) Voir en ce sens les jurisprudences successives : Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-45.735 ; Cass. soc., 13 mars 2004, n° 01-46.960 ; Cass. soc., 22 février 2006, n° 03-46.339 ; Cass. soc., 3 novembre 2010, n° 09-42.913.

([44]) Cass. soc., 18 février 2014, n° 13-10.876 pour la nullité d’un licenciement ayant pour seule cause une réclamation d’un salarié, non abusive et présentée sans faire usage de termes excessifs ou diffamatoires.

([45]) Cass. soc., 30 juin 2016 : pour la nullité d’un licenciement d’un salarié au motif qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales.

([46]) Cass. soc., 17 juin 2005, n° 03-42-596, et 13 mars 2013, n° 11-28.687

([47]) Cass., soc., 15 juin 2010.

([48]) Cass. soc., 15 juin 2010, n° 09-65.062 et n° 09-65.064

([49]) Cass. soc., 28 mars 2007, n° 06-41.068

([50]) Cass. soc., 30 septembre 2003, n° 01-46.667

([51]) Cass., soc., 23 novembre 2016.

([52]) Cass., soc., 29 novembre 2006.

([53]) Cass., soc., 26 janvier 2011.

([54]) Cass., soc., 18 avril 2000.

([55]) Cass., soc., 25 mai 2011.

([56]) Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.877, et 25 mars 2009, n° 07-41.708

([57]) Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

([58]) Amendement n° I-1359 du Gouvernement à la première partie du projet de loi de finances pour 2018, devenu l’article 2 bis.

([59]) Rapport de M. Laurent Pietraszewski n° 19 sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures relatives au renforcement du dialogue social : http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r0019.asp#P1649_514628

([60]) Décision relative au licenciement en cas de refus d’application d’un accord en vue de la préservation ou du développement de l’emploi.

([61]) Voir à ce sujet le rapport n° 19 de M. Laurent Pietraszewski au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnance les mesures pour le renforcement du dialogue social. http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r0019.asp

([62]) Cass. soc., 16 novembre 2016, n° 14-30.063

([63]) Cass. soc., 26 septembre 2006.

([64]) Cass. soc., 19 janvier 2011.

([65])  Chiffres présentés dans le rapport conjoint des partenaires sociaux sur le télétravail remis à la ministre du travail le 7 juin 2017, conformément à la saisine prévue à l’article 57 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

([66])  Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives.

([67])  Rapport conjoint des partenaires sociaux au ministre du travail, Ibid.

([68]) Ibid.

([69])  Voir notamment Cass. soc. 9 janvier 2001, n° 98-44.833 ou Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-16.036.

([70]) Cass. soc., 15 novembre 2006

([71]) Cass. soc., 2 septembre 2014, Carrefour City ; 24 septembre 2014, Sephora Champs-Elysées.

([72])  Exposé des motifs de l’amendement n° 432 déposé par le Gouvernement sur le projet de loi, modifié par la commission des affaires sociales, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 19).

([73]) Idem.

([74])  Exposé des motifs de l’amendement n° 433 déposé par le Gouvernement sur le projet de loi, modifié par la commission des affaires sociales, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 19).

([75]) CE, 21 novembre 2008, n° 300.135, publié Rec. Lebon.

([76]) Décret n° 2015-87 du 28 janvier 2015 relatif au financement mutualisé des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs.

([77])  Rapport fait par M. Laurent Pietraszewski au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 19).

([78]) Décret n° 2014-1159 du 9 octobre 2014 relatif à l’exposition des travailleurs à certains facteurs de risque professionnel au-delà de certains seuils de pénibilité et à sa traçabilité.

([79])  Rapport de M. Laurent Pietraszewski fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 19).

([80]) Article L. 4162-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1389.

([81]) Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

([82]) Cf. Article L. 4163-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la publication de l’ordonnance n° 2017-1389.

([83]) Dans le cas de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

([84]) Il convient de noter que les paragraphes 1° à 4°, 6° et 7° de l’article 2 effectuent des coordinations incompatibles avec les dispositions des ordonnances n° 2017-1385 et n° 2017-1386, et devraient à ce titre être supprimées.