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N° 580

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 janvier 2018.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi sur le burn-out visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel,

 

 

 

Par M. François RUFFIN,

 

 

Député.

 

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Voir le numéro :

Assemblée nationale :  516.


 


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SOMMAIRE

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 Pages

AVANT-PROPOS

Introduction - Le déni

Témoignage. David Lecreq, directeur d’un magasin Lidl : « Ne vous lancez pas là-dedans, c’est "hors tableau" »

1. Sécurité sociale : des chiffres dérisoires

Témoignage. Flore C., Directrice des ressources humaines : « Le sujet est tabou dans les entreprises »

2.

2. Victimes : le parcours du combattant

3. Coût : une lourde facture pour la société

Témoignage. Des téléconseillers du centre dappels Coriolis : « C’était partir ou devenir givrée. »

4. Directions : le déni malgré les drames

5. Pouvoirs publics : la grande défaillance

6. Blocage : une comptabilité aveugle

7. Priorité : la sanction est une prévention

Témoignage. Alexandre Langlois, Police nationale : « La DRH nous dit : "On va juste essayer de limiter la casse" ».

8. Au-delà : un arsenal de mesures

Témoignage. Yannick Sansonnetti, Lidl de Rousset. Anatomie dun crime managérial

Conclusion – La silicose du siècle

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. DISCUSSION Générale

II. EXAMEN des articles

Article 1er (art. L. 461-2 du code de la sécurité sociale) Inscription des pathologies psychiques relevant de lépuisement professionnel au tableau des maladies professionnelles

Après l’article 1er

Article 2 Conditions dentrée en vigueur

Après l’article 2

Article 3 Gage

Titre

annexe  1 : auditions du rapporteur

annexe n° 2 : CONTRIBUTIONS écrites reçues par le rapporteur

annexe n° 3 : AUTRES AUDITIONS PRéparatoires

annexe n° 4 : Liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

BIBLIOGRAPHIE


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 « En apercevant le dédale de difficultés où il fallait s’engager, en voyant combien il fallait d’argent pour y voyager, le pauvre soldat reçut un coup mortel dans cette puissance particulière à l’homme que l’on nomme la volonté. Il lui parut impossible de vivre en plaidant, il fut pour lui mille fois plus simple de rester pauvre, mendiant, de s’engager comme cavalier si quelque régiment voulait de lui. Ses souffrances physiques et morales lui avaient déjà vicié le corps dans quelques‑uns des organes les plus importants. Il touchait à l’une de ces maladies pour lesquelles la médecine n’a pas de nom, dont le siège est en quelque sorte mobile comme l’appareil nerveux qui paraît le plus attaqué parmi tous ceux de notre machine, affection qu’il faudrait nommer le spleen du malheur. Quelque grave que fût déjà ce mal invisible, mais réel, il était encore guérissable par une heureuse conclusion. Pour ébranler tout à fait cette vigoureuse organisation, il suffirait d’un obstacle nouveau, de quelque fait imprévu qui en romprait les ressorts affaiblis et produirait ces hésitations, ces actes incompris, incomplets, que les physiologistes observent chez les êtres ruinés par les chagrins. »

Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert

 

« On est sur une machine à fabriquer des chômeurs de longue durée ».
 

Alain Garrigou, professeur des universités en ergonomie

cité dans Cash investigation, France 2, 26/09/2017.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la mémoire de Yannick Sansonnetti

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remerciements

Tout est œuvre collective. Ce rapport n’aurait pu être mené à bien dans les brefs délais impartis sans l’appui de mon collègue Adrien Quatennens et de son assistant Samy Olivier, sans mes attachés parlementaires Johanna Silva, Mathilde Julié-Viot, Vincent Bernardet, Sylvain Laporte, Brigitte Venet et sans le collaborateur du groupe France insoumise Nicolas Framont.

Qu’ils en soient ici remerciés.

 


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   AVANT-PROPOS

Introduction - Le déni

« C’est un problème de santé majeur », diagnostique le psychiatre Patrick Légeron, auteur d’un rapport sur le burn out pour l’Académie nationale de Médecine. L’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, pointe le stress comme premier risque pour la santé des travailleurs dans le monde. Et nous avons ce paradoxe extraordinaire : le tableau n’est fait que de maladies somatiques. Il exclut les troubles psychiques, n’en reconnaît pas un seul. Alors que ces affections mentales apparaissent comme un risque majeur pour les salariés. C’est un décalage inacceptable. »

Et de trancher : « Je pense qu’une reconnaissance est absolument nécessaire, et l’Académie est très intéressée par cette démarche ».

Les troubles psychiques liés au travail forment, aujourd’hui, le continent invisible des maladies professionnelles : seules quelques centaines de cas sont reconnus chaque année. Contre des centaines de milliers de burn out qui se produisent dans le même temps.

Ce gouffre suscite une incompréhension pour les victimes : « Je n’ai toujours pas compris cette difficulté, cette impossibilité, à me faire reconnaître en maladie professionnelle. Pour que ce soit Lidl qui paie. Mais tous les médecins m’ont dit : « Ne vous lancez pas là-dedans, c’est ‘hors tableau’, ça va être très très compliqué ». Et mon avocate pareil. Donc, aujourd’hui, se faire reconnaître, c’est mission quasi-impossible. »

Cette non-reconnaissance empêche une digne réparation, financière, des victimes, avec une rente versée par l’entreprise, la prise en charge à 100 % de ses frais médicaux.

Mais elle obère aussi la guérison psychologique : la faute demeure du côté du patient. C’est lui qui est malade, qui n’a pas su s’adapter. Et non le management qui s’est révélé délétère, la hiérarchie fautive, l’organisation malade : « Les collègues policiers me disent : « ça nous permettra de nous reconstruire », estime Alexandre Langlois, du syndicat Vigi-Police. « Me dire que je ne suis pas fou, que cest un contexte professionnel qui me rend comme ça ».

Des centaines de milliers de travailleurs, souvent parmi les plus motivés, les plus attachés à leur travail, sont brisés, évacués de la vie active, temporairement ou définitivement. A l’échelle du pays, la perte est énorme. Les effets du stress coûteraient 2 à 3 % du PIB (même si l’enjeu comptable n’est pas la motivation du rapporteur).

Côté employeur, c’est le silence.

« C’est tellement tabou dans les entreprises, aujourd’hui, juge Flore C., Directrice des Ressources Humaines passée par la grande distribution, un centre d’appel, l’industrie. C’est le sujet interdit. Nous, en tant que RH, on n’a même pas le droit de prononcer le mot ‘stress’. Quand, chaque année, avec les syndicats, on fait le point sur les risques psycho-sociaux, on ne doit pas prononcer ce genre de mots. C’est pour ça que, quand je vois le tabou autour de ça, le manque d’engagement réel des directions, je me dis : à part mettre en place des sanctions financières lourdes, je ne vois pas ce qui pourrait motiver les boîtes ».

Dans un rapport rendu au Premier ministre, en 2010, « Bien-être et efficacité au travail », alors DRH chez Danone, Muriel Pénicaud émettait comme première proposition : « 1. L’implication de la direction générale et de son conseil d’administration est indispensable. »

Mais quid s’il ne s’implique pas ?

Quid si, au contraire, la direction s’oppose à la moindre mesure ?

La gratuité équivaut, en l’état, à une impunité.

Des directions d’entreprise peuvent maintenir pression, surcharge de travail, évaluations vexantes, elles peuvent produire des « inaptes » à la pelle, elles n’en paient pas le prix, ni pécuniaire ni moral. Elles ne sont pas sanctionnées. Leurs victimes ne sont même pas reconnues comme telles. C’est un permis de détruire, de détruire mentalement, et parfois de tuer.

Le « broyeur silencieux », comme le nomme la CGC, peut continuer de tourner. Même un suicide, même une série de suicides, ne remet pas en cause le management.

Le déni se poursuit.

Dans le centre d’appels Coriolis, crises de larmes, dépressions, arrêts maladie, démissions se suivent et se ressemblent sans que rien n’entrave la fuite en avant du turn-over : « Le stress au travail, il faut faire comme si ça n’existait pas. On nie l’évidence ». À la Caisse d’Épargne, une directrice d’agence peut se jeter sous un train, un responsable mettre fin à ses jours, un contrôleur de gestion surchargé mourir d’une crise cardiaque en plénière des résultats, quel conseil reçoit, après cela, un analyste risques au bord du craquage et qui s’en va supplier son supérieur ? « Il n’y a pas de mal à se faire aider par des antidépresseurs, des anxiolytiques, du Lexomil, etc. », le management s’apparentant ici à une pharmacie.

Chez Lidl, malgré l’AVC du directeur, le burn out de deux cadres, et surtout, surtout, la pendaison de Yannick Sansonnetti, le 30 mai 2015, dans la chambre froide de l’entrepôt, que constatent l’encadrement, les syndicats ? « Même sa mort n’a servi à rien, tout a continué comme avant. »

Voilà pourquoi notre rapport comporte de longs témoignages : non pour susciter de la compassion, mais pour mesurer l’ampleur de ce déni.

Mais aussi d’un autre déni.

Pas que dans les sociétés, mais aussi dans la société.

« Même un suicide ne remet pas en cause le management », avons-nous écrit plus haut. Mais même un suicide ne déclenche pas une intervention, volontariste, musclée, des pouvoirs publics.

Dans tous les récits rapportés, dans les hôpitaux, chez Coriolis, etc., le plus choquant, c’est une absence. On s’interroge : mais où sont les services de l’État, l’Inspection du travail, la médecine du travail, et même la police, la Justice, qui devraient s’interposer, faire cesser cette maltraitance ?

Ainsi d’un parquet qui classe sans suite, sans la moindre instruction, sans prévenir l’avocat, le suicide d’un agent de la Caisse d’Épargne, avec pourtant une lettre posthume accusatoire. Le président du tribunal de grande instance s’en excuse platement, comme d’une formalité : « On est désolés. On n’a pas traité. »

Et la pendaison de Yannick Sansonnetti pouvait être cent fois évitée : un an avant la tragédie, les syndicats (CGC et CGT) se sont efforcés d’alerter, le responsable de l’entrepôt lui-même a sonné l’alarme, mais en vain. Nul acteur extérieur n’est intervenu. Le « rouleau-compresseur » des audits et contre-audits a avancé, implacable. Le drame est survenu, presque prévu. Et aujourd’hui encore, des employés sont poussés à bout, tout un service administratif à l’arrêt. Sans, à nouveau, que l’Etat ne s’en inquiète. Sans qu’un tiers ne s’interpose entre la direction et les salariés.

Là encore, côté État, aucune remise en cause.

Notre rapport est habité par cette double conviction :

1 - La sanction est la meilleure des préventions.

Avec les chauffards de la route, depuis les années 70, les gouvernements n’ont pas procédé qu’avec de la « sensibilisation ». Qu’il en aille de même, simplement, avec les chauffards du management.

Il faut aux entreprises une incitation très concrète, très directe, au changement, à désormais prêter attention aux risques encourus par les salariés, à prendre les mesures qui éviteront les pénalités, à ne plus considérer les dégâts engendrés comme négligeables. Que le pollueur devienne le payeur. Qu’elles versent une rente à leurs victimes. Qu’elles dédommagent la Sécurité sociale. Qu’elles inscrivent ces pertes dans leur bilan comptable.

Et là, nous en sommes convaincus, l’aggiornamento managérial tardera moins.

Il ne s’agit pas de généraliser. Bien sûr qu’il existe des salariés heureux, des entreprises qui veillent à leur bien-être, et elles constituent sans doute, nous l’espérons, la majorité du genre. Mais quel fou proclamerait : « La plupart des hommes ne sont pas des tueurs. Nous n’avons donc pas besoin de police » ?

2 - La reconnaissance, c’est un voyant qu’on allume.

Comment lutter collectivement, efficacement, contre un mal qui n’est pas nommé dans la bible des maladies, dans le plus officiel des documents ? Comment œuvrer, ensemble, avec les managers, les DRH, les directions, avec les médecins du travail, les médecins tout court, les inspecteurs du travail, les parquets des tribunaux, comment faire reculer un fléau qui n’est pas reconnu ?

*

Nombre de rapports, souvent remarquables, et qui ont ouvert la voie, sont déjà parus sur le sujet, de la Haute autorité de Santé, de l’Académie de Médecine, des députés Yves Censi et Gérard Sebaoun, de l’Institut National de Recherche et de Sécurité, de Lachmann-Larose-Pénicaud, etc., le nôtre ne fait que s’ajouter à cette vaste documentation.

Mais les mots ne suffisent plus.

Le temps des actes est venu.

Pour filer la comparaison entamée plus haut : nous avons à secouer les mentalités, et les textes de lois, comme on l’a fait avec les accidents de la route. Ou, dans un autre registre, avec les agressions sexuelles. Pour que des délits soient pris au sérieux, dans les entreprises comme ailleurs. Pour que cesse le déni.

La reconnaissance des troubles psychiques liés au travail comme maladies professionnelles paraît un premier pas, une base minimale, pourvue d’une force symbolique. Mais elle devra bien sûr être suivie de bien d’autres mesures, de tout un arsenal, plus ambitieux.

Une certitude nous anime : nous pouvons.

Nous pouvons vaincre ce mal.

Il n’a rien d’une fatalité.

Notre pays, notre économie, ne s’en porteront que mieux.

*

 

Deux précisions, enfin :

Notre proposition de loi ne vise pas à la « reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle ». Le burn out n’apparaît pas, en l’état, pour les autorités médicales, comme une maladie. En revanche, pour elles, le burn out provoque des maladies. Aussi s’agit-il bien de faire entrer « les troubles psychiques liés au travail » dans le tableau des maladies professionnelles : notamment la dépression lourde, l’anxiété généralisée, le stress post-traumatique.

Ce rapport se concentre sur le monde salarié et ne rend pas compte des burn outs chez les indépendants, artisans, commerçants, agriculteurs, petits patrons. C’est néanmoins un enjeu de santé publique, tant ces professions sont en première ligne quant au stress, confrontées qu’elles sont aux servitudes de la sous-traitance, aux exigences de la clientèle, aux craintes de l’endettement. C’est l’une des limites de notre travail, mais celui-ci ne constitue qu’une première étape.


Témoignage. David Lecreq, directeur d’un magasin Lidl : « Ne vous lancez pas là-dedans, c’est "hors tableau" »

Mardi 5 décembre 2017, David Lecreq, ancien directeur d’un magasin Lidl à Longueau (Somme) était entendu à l’Assemblée nationale :

« J’ai travaillé dix-huit ans chez Lidl. Après six mois seulement, je suis passé chef de magasin, et durant seize années, ça s’est bien passé. Et puis, ils ont voulu abandonner le hard-discount, attaquer les supermarchés. On devait monter en gamme, améliorer la présentation, que notre magasin soit au carré, mais sans aucun personnel en plus. Entre midi et 14h, on était deux dans le magasin pour gérer le pain, la caisse, les commandes, la mise en rayon. C’est un moment d’affluence, les gens viennent acheter deux trois bricoles. Moi je devais courir à droite et à gauche, et même le reste de la journée. Je ramenais du travail chez moi parce que, pendant les heures, je n’arrivais plus à faire la facturation du magasin, les plannings, je faisais ça le soir.

Avec le responsable de réseau, au début, ça se passait très bien. Et puis, on a changé de directeur régional, est-ce qu’il avait l’ordre de dégager les anciens ? Je ne sais pas. Moi, quand j’ai lâché en 2015, on est six à partir, dont trois en burn out, et trois qui n’ont pas voulu aller plus loin, qui ont demandé une rupture conventionnelle. Dont mon frère, d’ailleurs, qui a fait un malaise en magasin, un AVC. J’ai une collègue pareil, gros souci. J’ai une cheffe caissière, elle ne s’en sortait plus en magasin, elle était harcelée par le chef de magasin, par la responsable de réseau, c’était invivable pour elle. Je lui ai dit : « Surtout, ne pars pas comme ça, sans rien », mais elle a craqué, elle est partie avec 6000 €.

Ils vous écrasent, vous détruisent le cerveau. Moi, avant d’abandonner, durant trois ou quatre mois, je ne dormais plus la nuit, j’avais la boule au ventre pour aller au travail. Ma responsable de réseau ne me parlait plus, elle me faisait des listes de tâches, des pages entières, je ne pouvais même pas réussir. Enfin, ils m’ont convoqué pour un « mauvais résultat inventaire », ils m’ont sanctionné, une journée de mise à pied. Je ne respectais pas, d’après eux, le plan anti-démarque, c’est-à-dire plein de procédures à faire, contrôler que les filles jetaient bien tout à la poubelle, jusqu’aux poireaux, jusqu’à la carotte, que je pèse tout, vraiment que je vérifie tout. Avec mon manque de personnel ! Donc, j’ai pris une journée de mise à pied. Là, je ne pouvais plus. Je ne pouvais plus.

Mon médecin m’a mis un mois en arrêt, avec un traitement, mais tous les mois j’allais la voir parce que ça n’allait pas. Après, j’ai rendu visite à la médecine du travail, pour constater mes arrêts, pour savoir si c’était réel. La médecine du travail m’a dit d’aller voir un psychiatre, qui a confirmé mon mal-être. Après, j’ai été suivi par une psychologue de la médecine du travail. Quand je me voyais devant les psychiatres, je me disais : « Mais c’est pas possible ! C’est pas possible ! Comment je suis tombé aussi bas ? Qu’est-ce qu’il m’est arrivé là ? » Et la médecine du travail me disait : « Vous savez il faut vraiment un bon dossier pour prouver votre inaptitude, on peut pas vous mettre inapte », donc elle m’a envoyé dans une unité du CHU d’Amiens, consacrée à la souffrance du travail. Eux ont confirmé les dires de la psychiatre et de la psychologue, et avec ça, on m’a mis inapte définitif au poste de travail. Le 6 janvier 2016.

Quand j’ai arrêté, j’ai porté plainte aux prud’hommes, on était deux, avec Sabine. On a gagné en première instance, 13 mois de salaire, et là, ils font appel. Mais même ça, 26000 €, c’est quoi pour eux ? Ça ne leur coûte presque rien, alors ils peuvent continuer. Alors que moi, là, je suis broyé. Ça va un peu mieux, mais ce sont des cachets, toujours, j’arrive au bout de mon chômage... Et vous trouvez ça normal que ce soient la collectivité, la Sécurité sociale, les Assedic, qui paient les dégâts de Lidl ? Dans le reportage de Cash Investigation, il y a une phrase très juste : “C’est une machine à fabriquer des chômeurs de longue durée”, alors je n’ai toujours pas compris cette difficulté, cette impossibilité, à me faire reconnaître en maladie professionnelle. Pour que ce soit Lidl qui paie. Mais tous les médecins m’ont dit : “Ne vous lancez pas là-dedans, c’est ‘hors tableau’, ça va être très très compliqué.” Et mon avocate pareil. Donc, aujourd’hui, se faire reconnaître, c’est mission quasi-impossible. »


1.   Sécurité sociale : des chiffres dérisoires

La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) vient de publier, en janvier 2018, une brochure sur « les affections psychiques liées au travail », et elle s’en félicite : « Le nombre de cas reconnus a été multiplié par 7 en 5 ans ».

Soit.

Mais pour parvenir à combien ? À 596.

Plus, « 10 000 affections psychiques reconnues au titre des accidents du travail ».

« Des chiffres dérisoires », estime Patrick Légeron, psychiatre, et auteur d’un rapport sur le burn out pour l’Académie nationale de médecine. « Ça augmente peut-être à toute vitesse, mais ça reste ridicule. La dépression, aujourd’hui, c’est trois millions de personnes en France, alors, je ne vais pas dire que toutes sont causées par le travail, il y a la famille, la perte d’un proche, et parfois il n’y a rien du tout, mais quand est cité le chiffre de 400 000, l’Académie pense que, oui, on est dans cet ordre de grandeur.

C’est, de toute façon, un problème de santé majeur. L’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, pointe le stress comme premier risque pour la santé des travailleurs dans le monde. Et nous avons ce paradoxe extraordinaire : le tableau n’est fait que de maladies somatiques, il exclut les troubles psychiques, n’en reconnaît pas un seul, alors que ces affections mentales apparaissent comme un risque majeur pour les salariés. C’est un décalage inacceptable.

Sur, je dirais, cet objet médical mal identifié, à savoir le burn out, la science dispose d’outils.

Les maladies provoquées sont aujourd’hui bien identifiées par les médecins : les dépressions, l’anxiété généralisée, le stress post-traumatique, et j’ajouterais les troubles de l’adaptation avec anxiété. Lorsque je reçois un patient en burn out, je n’ai aucune difficulté, et l’Académie le remarque d’ailleurs, un psychiatre n’a aucune difficulté à inscrire sa pathologie dans une case. De même, pour la dépression avec un net penchant d’épuisement professionnel, les trois étapes décrites par Masclach sont connues : l’épuisement, la dépersonnalisation, le sentiment de non-accomplissement de soi.

Aussi, je pense qu’une reconnaissance est absolument nécessaire, et l’Académie est très intéressée par cette démarche de reconnaissance.

Comment évaluer l’ampleur du phénomène, et du déni statistique ?

En Belgique, les troubles psychiques apparaissent dans les tableaux officiels : selon l’Institut national d’assurance maladie invalidité, 83 155 cas ont été reconnus en 2014. Rapporté à la population, multiplié par six, on parvient à 500 000 cas.

Côté INSERM, Mme Niedhammer, directrice de recherche, juge, à titre personnel, la proposition de reconnaissance « particulièrement pertinente et intéressante » : « On sait que la surcharge de travail, l’exigence émotionnelle, les problèmes de relations sociales, le harcèlement, augmentent de 30 % à 80 % les risques de pathologies mentales. D’autres critères que vous avez mentionnés, dans votre projet de tableau, paraissent plus flous, n’ont pas fait l’objet de publications scientifiques. J’évalue à 1,2 millions le nombre de salariés dépressifs. La fraction attribuable au travail varie entre 10 % et 20 %, soit entre 120 000 et 240 000 salariés atteints. Et c’est sans doute une sous-estimation, car il existe d’autres affections. Dire ‘quelques centaines de milliers de cas’ me paraît assez juste. »

Madame Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la CNAM, signale, bien sûr, « la hausse, depuis 2012, du nombre de troubles psychiques reconnus comme maladie professionnelle. » Mais, lorsqu’on avance que ça n’est là qu’une goutte d’eau dans l’océan, que ça se chiffre vraisemblablement en centaines de milliers, elle confirme presque :

« Marine Jeantet : C’est ce qu’on observe quand on croise l’absentéisme avec la consommation d’anxiolytiques...

Le rapporteur : Est-ce qu’on pourrait accéder à ces données ?

Marine Jeantet : Nous ne les avons pas encore rendues publiques, et il faudra voir si nous le faisons.

Le rapporteur : Et de même, pourrait-on connaître le nombre de personnes déclarées inaptes ?

Marine Jeantet : Nous ne l’avons pas.

Le rapporteur : Parce que ça pourrait servir également d’indicateur...

Marine Jeantet : Nous aimerions l’avoir également, pour avancer sur le retour à l’emploi de ces personnes. »

Qu’on en reste, donc, à ces « quelques centaines de milliers de cas ».

Qu’on le compare au 10 000 + 596 qui sont reconnues.

La proportion est alors d’un sur vingt, un sur trente, un sur quarante...

Mentionnons enfin cette donnée, pour mémoire : d’après une enquête du CHU de Caen, « le travail est le facteur principal du geste suicidaire pour 40 % des salariés ». Au CHU d’Angers, « un lien entre la tentative de suicide et le travail a été déclaré chez 32 % des patients, principalement des employés et des professions intermédiaires ».


Témoignage. Flore C., Directrice des ressources humaines :
« Le sujet est tabou dans les entreprises »

Mardi 5 décembre 2017, Flore C., directrice des ressources humaines passée par la grande distribution, un centre d’appels, l’industrie, était entendue à l’Assemblée nationale :

« Cet épuisement professionnel, j’ai pu le voir chez des employés, des ouvriers, des agents de maîtrise, des cadres. Je l’ai rencontré dans tous mes postes. Mais c’est tellement tabou dans les entreprises, aujourd’hui. C’est le sujet interdit. Nous, en tant que RH, on n’a même pas le droit de prononcer le mot ‘stress’. Quand, chaque année, avec les syndicats, on fait le point sur les risques psycho-sociaux, on ne doit pas prononcer ce genre de mots. J’ai mis en place une formation à ces risques, pour accompagner les managers, aider au retour à l’emploi, la partie ‘RPS’, on m’a demandé de lui trouver un autre nom. On me disait que, sinon, ça pouvait tout d’un coup devenir réel ! Comme si ça ne l’était pas ! Clairement, les directions font tout pour que ces choses ne soient pas reconnues.

À mon tour, j’ai connu l’épuisement professionnel. Parce que j’étais en constant conflit de valeurs. Moi je suis arrivée en Ressources Humaines, entre ce qu’on m’avait appris à l’école et la réalité, j’ai bien compris qu’il y avait un fossé, et qu’on était là pour, on va dire, défendre quasiment toujours les intérêts du patron. On utilisait un langage qui était très policé, et on ne pouvait pas traiter, justement, de la souffrance au travail. Quand vous êtes quelqu’un qui aime bien les gens, c’est compliqué.

J’ai vu des DRH qui avaient une éthique, des valeurs humaines, qui essaient de mettre en place des choses. Ils vont le faire comme ils peuvent, et parfois même ne pas en parler à leur direction, pour que les salariés souffrent moins, même s’ils ne peuvent pas changer les choses en grand. Et puis, il y a des DRH qui font carrière, qui en oublient leur humanité. Parce que comment gérer un plateau téléphonique, remplir des objectifs d’optimisation financière, et en même temps respecter l’humain ? Donc, le premier niveau d’encadrement en souffre, ils ont du mal à porter des messages en contradiction avec leur vécu. Et le niveau d’encadrement du dessus, donc le comité de direction, là où je me trouvais, une partie s’en fout, et l’autre le vit très mal, mais se tait. Parce que vous ne pouvez rien dire, en fait. Et là, j’ai vu des gens sous cachetons mais qui ne le disent pas, et d’ailleurs il ne vaut mieux pas le dire parce que s’il y a une suspicion vous finissez à la médecine du travail. Moi, avant de quitter mon boulot, je me levais, j’avais mal au dos, j’avais mal à la tête, enfin j’étais crevée, je faisais des cauchemars, je ne vous dis pas le nombre de dimanche où, à partir de 15 h, je me disais « mon dieu il va falloir y retourner demain, il va falloir mentir », et le nombre d’encadrants, d’ouvriers ou d’employés qui m’ont raconté ça, c’est phénoménal.

Enfin, voilà, il y a vraiment pas mal de choses et c’est pour ça que, quand je vois le tabou autour de ça, le manque d’engagement réel des directions, je me dis : à part mettre en place des sanctions financières lourdes, je ne vois pas ce qui pourrait motiver les boîtes. Parce que, pour l’instant, ça tient, elles se font le pognon qu’il faut, elles ne sont pas pénalisées. Et souvent, je me suis demandé « mais pourquoi les risques psycho-sociaux ne sont pas reconnus en maladie professionnelle ? Pourquoi les RPS sont hors tableau ? Pourquoi les entreprises n’ont pas à payer la rente ? ».


2.  

2.   Victimes : le parcours du combattant

« Votre sujet a une importance énorme pour les salariés que je défends, estime Me Ducrocq, avocat en droit du travail au barreau de Lille. Pourquoi ? Parce que je suis dans une impasse totale, dont je ne suis pas très fier. J’ai des gens à défendre, je n’arrive pas à les défendre. Pour parler clair, les personnes que je reçois, ce sont des légumes. Alors, lâchement, qu’est-ce qu’on fait ? On les écoute, et puis on n’a qu’une seule solution : essayer de trouver un biais pour les libérer du travail. C’est-à-dire qu’on va les sortir de l’entreprise. Ils se mettent en arrêt, le plus longtemps possible, je les envoie chez le psy, chez le médecin du travail, qu’on manipule, il va les déclarer en inaptitude, et puis la personne reçoit sa lettre de licenciement. Elle a perdu son boulot, elle est à l’ARE [Allocation d’Aide au Retour à l’Emploi], elle est détruite, donc il n’est même pas question qu’elle retourne sur le marché de l’emploi. Souvent elle va finir au RSA, et les carottes sont cuites pour elle. Je suis dans une impasse, et mes collègues sont dans la même impasse. Votre proposition de loi aurait le mérite d’instaurer une présomption d’imputabilité, dès lors qu’on a une maladie psychique liée au travail, à charge pour l’employeur de montrer le contraire. Ça changerait tout ».

A nos interlocuteurs, avocats en droit du travail, psychologues du travail, même médecins du travail, et les syndicalistes évidemment, la reconnaissance des troubles psychiques en maladies professionnelles, théoriquement possible, apparaît aujourd’hui, en pratique, comme un « parcours du combattant ». Comment, à des hommes et des femmes brisés, comment leur proposer, en conscience, de s’engager dans une procédure longue et incertaine, dans un labyrinthe juridique ? C’est risquer de les perdre encore davantage.

Un dédale que décrit Maître Agnès Cittadini, avocate au barreau de Paris : « lorsqu’un salarié en burn out vient nous voir, en principe, oui, on pourrait engager une démarche pour une reconnaissance en maladie professionnelle, mais là, l’enfer commence. Il y a d’abord un entretien avec la CPAM pour qu’elle estime le taux prévisible. Puis, si ce taux est inférieur à 25 %, c’est devant le tribunal du contentieux de l’incapacité qu’on peut faire un recours. Les audiences ont une portée médicale et sont surchargées. Si la décision du TIC n’est pas satisfaisante, c’est devant la Cour nationale de l’incapacité, la CNITAT, qu’un nouveau recours peut être porté. Ensuite, une fois ce premier obstacle franchi, on arrive enfin devant les C2RMP, Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles. Ils sont constitués de trois médecins différents, qui n’auditionnent quasiment jamais les personnes et rendent des avis de cinq lignes. Il faut s’en contenter. Pour les maladies hors tableau, toute les preuves incombent au demandeur, qui, néanmoins, n’est pas entendu, et ne peut pas faire entendre de témoin. Les C2RMP ont une façon assez inique de travailler. Si leur décision est négative, on peut se rendre devant le TASS, Tribunal des Affaires de la Sécurité sociale, qui désigne un deuxième C2RMP dans une région mitoyenne pour délivrer un second avis. Bref, ça dure cinq années. La plupart des gens jettent l’éponge avant de parvenir au bout. D’autant que, bien souvent, durant toute cette période, en parallèle, le tribunal des prud’hommes est saisi, mais il sursoit à statuer jusqu’à ce que le C2RMP ait donné son estimation... »

D’où une nette préférence pour un biais détourné : « On va essayer de voir s’il n’est pas possible de faire reconnaître en accident professionnel. Il nous faut alors chercher un événement sur le lieu de travail, une réunion en forme de tribunal, une évaluation humiliante, des propos dégradants d’un manager, avec derrière une crise d’angoisse, des pleurs, une attaque de panique, des collègues comme témoins. On va déclarer ça comme un ‘accident’, comme un déclencheur. C’est un peu un détournement, mais il y a là une tolérance, presque une complaisance des juges, qui nous permet de passer des dossiers par ce canal ».

Tous les défenseurs des salariés entendus adoptent cette « combine » : « Faire reconnaître en maladie professionnelle, c’est presque un miracle, énonce Jérôme Vivenza, de la CGT. Alors, même nous, dans notre pratique syndicale, on va conseiller au salarié d’essayer de faire passer ça en accident du travail, mais en fait c’est un pis aller. Parce qu’en maladie professionnelle, c’est la croix et la bannière ».

On aboutit alors à ce paradoxe : les troubles psychiques s’installent dans la durée, la tension monte cran à cran, jusqu’au burn out final. Et pourtant, dans les statistiques de la CNAM, côté maladies mentales, les « accidents » pèsent vingt fois plus que les « maladies professionnelles ». Une entrée dans le tableau des troubles psychiques faciliterait, à coup sûr, ce « parcours du combattant », découragerait un peu moins les victimes d’espérer une justice, que des torts leur soient reconnus.


Témoignage. David Vincendon, analyste à la Caisse d’Epargne : « T’as pas intérêt de faire un RPS, sinon je te vire d’ici ! »

Lundi 15 janvier 2018, David Vincendon, analyste de crédit et de risques à la Caisse d’Épargne à la Caisse d’Épargne Côte d’Azur :

Je suis entré à la Caisse d’Épargne Côte d’Azur en 2005, mais avant de raconter mon histoire, je voudrais rappeler des événements.
Avant moi, il y a eu un premier suicide, il y a quatre ans, une directrice d’agence, la quarantaine, mère de famille, deux enfants en bas âge, qui s’est jetée sous un train. Elle avait laissé un courrier, très clair, sur les mauvaises façons managériales de la Caisse d’Épargne. Mais cette affaire n’est pas sortie dans la presse, son entourage a préféré une transaction, un chèque quoi.

Le deuxième suicide, c’est une responsable de centre d’appels, elle avait tout juste la cinquantaine. Les managers nous disaient : « Ne cherchez pas à comprendre ». (Je ne me souviens plus bien des dates, excusez-moi, avec les médicaments que je prends, j’ai la mémoire moins vive.)

Et enfin, l’an dernier, c’était en plénière des résultats. La direction avait loué un château dans le Var pour fêter ça, parce que les chiffres sont bons. Et donc, il y avait ce collègue, contrôleur de gestion, 46 ans, dont tout le monde savait qu’il subissait une surcharge de travail. Il a fait une crise cardiaque pendant la fête. Un hélicoptère du Samu est aussitôt venu pour tenter de le ranimer, mais ça n’a pas marché. Il est décédé. Là, je me suis dit, après cet événement tragique, il va y avoir une remise en cause, vu le mal-être que ressentaient pas mal de salariés, il va y avoir une crise de conscience. Eh bien, au contraire : ils ne l’ont pas remplacé, ils n’ont mis personne sur son poste, et du coup, grâce à cette mort, ils ont fait un ‘ETP -1’. C’est là qu’on comprend que, l’aspect humain, ils s’en fichent, ils sont prêts à tout pour la rentabilité.

C’est un autre élément : depuis trois ans, nous sommes passés de 1800 salariés à 1600 environ. Et d’après le syndicat FO, ils prévoient encore – 90 ETP dans l’année à venir. Tout ça, alors que notre Produit net bancaire est en progression constante, que le « coût du risque » diminue, que les résultats nets se consolident chaque année. J’insiste là-dessus : tous les feux sont au vert. Donc, ils demandent toujours plus de rentabilité à toujours moins de personnel. Voilà pour le contexte.

J’en viens à ma carrière, maintenant. Après des postes d’assistant technico‑commercial à Toulon, puis au Puget-sur-Argens, au vu de mes excellents résultats, on m’a offert un poste de cadre à Nice. J’étais « analyste de crédit et suivi des risques » à la BDR, la « Banque des Décideurs en Région ». C’était une centaine de personnes qui, à l’écart de la Banque de Détail, se chargeaient des gros dossiers, les entreprises, les collectivités territoriales, les professionnels de l’immobilier, les grosses associations... Entre 100 000 € et plusieurs millions, ça passait par moi. À moi tout seul, j’étudiais trois cents dossiers par an. Et c’était assez enthousiasmant. Lors de chaque plénière, les dirigeants me présentaient aux collègues, « David Vincendon, le pilier de la BDR », j’avais droit aux remerciements de ma directrice devant tout le monde. Quand c’est comme ça, vous êtes fier de ce que vous accomplissez.

Mais la charge de travail devenait lourde, trop lourde. Notre PNB BDR a triplé en huit ans, mais ils n’ont recruté que des commerciaux. Le back-office, ils le dégraissent au contraire. Je réclamais un agent avec moi, tout ce que j’obtenais, c’est un alternant, mais il fallait que je le forme, c’est du boulot aussi, à former, un alternant, chaque année un différent. J’arrivais au bureau à 7 h 30, après une heure de transport depuis Fréjus, je ne déjeunais jamais le midi avec les collègues, toujours une salade sur les genoux. Et je repartais le soir à 18 h 30. Sur les congés, normalement, l’été, il y a une obligation de prendre trois semaines l’été. Mais c’était impossible pour moi, sinon, quand je revenais, les dossiers s’étaient accumulés, et personne ne les avait traités à ma place. Je subissais une pression, avec des relances par mail, par téléphone, les commerciaux qui m’appelaient : « Ca fait quinze jours trois semaines que j’ai envoyé le dossier ! » C’était horrible, horrible.

Ma santé se dégradait. Pendant un an, j’ai suivi un traitement pour un ulcère, des reflux gastriques dus à ce stress. Mais comme j’étais toujours très respectueux de la hiérarchie, comme j’éprouvais comme une culpabilité du travail mal fait, ils en jouaient.

Il y a trois ans, on m’a opéré pour deux hernies inguinales, avec une anesthésie générale. Le lendemain, la directrice m’a appelé pour me demander s’il était possible que je traite un dossier et des urgences à distance. Et je l’ai fait ! J’ai trouvé qu’il y avait de l’irrespect, mais je l’ai fait. Juste après, quand je suis revenu, un matin, j’ai craqué, j’ai pleuré, j’avais trop de dossiers. Ma directrice m’a convoqué dans son bureau : « Il n’y a pas de mal à se faire aider par des antidépresseurs, des anxiolytiques, du Lexomil, etc. » En gros, c’était la formidable solution managériale que me suggérait ma hiérarchie pour continuer.

Mais je n’en pouvais plus. Et je ne voulais plus.

Autour de moi, la dégradation s’accélérait. C’était un tabou, il y avait de la répression, mais on sentait bien qu’ils éliminaient des ETP, ça générait du stress.

Je voulais évoluer vers l’audit, mon projet professionnel était validé depuis longtemps, au moins trois ou quatre ans, le directeur audit m’attendait dans son équipe. A la place, ils ont fait un ETP -1 à la BDR, ils ont supprimé mon poste et m’ont transféré à la direction des risques. Là, je me suis senti trahi une première fois. En plus, mon salaire n’augmentait pas. Ils ne tenaient aucun compte de mes envies, ils ne me donnaient même pas de nouvelle.
Ensuite, ils m’ont nommé « chargé d’affaire immobilière », à Nice, avec l’un des plus gros portefeuille immobilier de la BDR, plein de dossiers. C’était une promotion. Quinze jours plus tard, sans un coup de fil de la DRH ni rien, je reçois un avenant à mon contrat de travail, et dedans il y a une clause qui me dérange : il fallait que j’obtienne une certification dans les six mois. Comment j’allais faire, avec toute ma charge de travail ? Et où se passe l’évaluation ? Combien de temps ça prend ? Et surtout, surtout, j’ai lu : « En l’absence de certification, rupture du contrat de travail. » Sans qu’on ne me prévienne, sans qu’on me l’explique avant.

Là, toute l’émotion qui s’était amoncelée, tous mes efforts à 300 % sur toutes ces années, tout est retombé : « Et si je me casse une jambe ? je me demandais, si je ne passe pas cet examen ? Ils peuvent me licencier ». Si je signais ça, j’étais à leur merci.

Parce que je vous ai dit le contexte, qu’ils voulaient absolument dégraisser, donc ça vous met dans une position de stress, de peur. Je me suis senti trahi, coincé. Donc j’ai fait un mail à la Direction Ressources Humaines. Et à partir de là, la crise a démarré, je n’ai plus obtenu de nouvelle, quinze jours de silence. Le directeur du centre d’affaires m’a convoqué : « Mais David, tu es suicidaire ! Ils sont en furie contre toi ! Tu n’aurais jamais dû faire ce mail ! » Alors que je n’avais rien demandé de ma vie, mais là, je ne pouvais pas signer ça, ça me mettait dans une insécurité, je n’avais plus confiance en eux.

Je pleurais, tous les matins, à 7 h, avant de partir, ma compagne me réconfortait. J’avais une boule au ventre. J’appelais ma mère dix fois par jour. Et de voir tous ces gens qui, hier, m’estimaient, qui aujourd’hui me tournaient le dos...

Je demandais quelque chose d’assez logique, de simple : ne pas perdre mon emploi, après une dizaine d’années de bons et loyaux services. Mais cette requête toute bête, eux ne la toléraient pas.

Le pire, c’est que le directeur du centre d’affaires a annoncé, en brief, devant tous les collègues, mon problème particulier. Il a carrément lancé : « T’as pas intérêt de faire un RPS, sinon je te vire d’ici ! » J’étais tellement anéanti, écoeuré, je n’ai même pas trouvé les ressources pour répliquer. Je devenais la bête noire. Et là, tous les collègues se détachent de vous, justement pour ne pas montrer à la direction qu’ils sont avec vous. Clairement, tout le monde a peur. Chacun se protège, chacun fuit.

Je faisais des crises de pleurs au bureau, j’avais des angoisses, je devais trembler.

Quinze jours après mon mail, donc, la juriste qui travaille à la DRH m’a convoqué, elle était réputée pour faire signer des ruptures conventionnelles. Elle m’a incendié, elle m’a traité de fou. « Ce sont des avenants types, on ne change ça pour personne. C’est comme ça et pas autrement ». J’ai éclaté en sanglots. Au bout d’une heure, elle a décidé de retirer cette clause « rupture de contrat », mais pour moi c’était terminé. Je ne les supportais plus. J’étais en panique. Dans la foulée, quelques jours plus tard, j’ai fait un malaise, j’avais des palpitations, mais je n’ai pas trouvé l’infirmerie. Elle était en travaux. Je me suis rendu à la pharmacie, puis chez mon médecin, chez un spécialiste. À partir de là, c’était fini, je n’avais plus le courage de rien.

Grâce à ma mère, qui a contacté les syndicats, avec FO, on a rencontré le DRH-Côte d’Azur. Il a reconnu toutes les responsabilités de l’entreprise. Que j’étais un excellent élément. Qu’il n’y avait aucune ombre dans mon parcours. Le 27 novembre, ils m’ont dit qu’ils allaient me rappeler rapidement. Mais depuis, je n’ai reçu aucun nouvelle.

Je ne veux plus mettre un pied là-dedans, je me suis donné corps et âme, et pour quoi ? Ils m’ont détruit. Tout ce qu’ils m’ont donné, ils l’ont repris. Moi qui étais dynamique, je suis anéanti. Aussi, je réclame une rupture conventionnelle, mais même ça, ils refusent, ils jouent l’épuisement.

J’ai de la haine contre eux, maintenant. Quand je pense à tous ces gens, à la Caisse d’Epargne, qui pleurent, qui ne vont pas bien, qui subissent le stress, l’angoisse... C’est comme s’ils menaient une guerre d’usure, avec le niveau de résistance individuelle qui se joue. Psychologiquement, certains tiennent plus longtemps que d’autres.

Depuis six mois, je suis sous anxiolytiques, antidépresseurs, avec une grosse tristesse qui ne me quitte pas. J’ai des idées suicidaires, mais heureusement, ma maman est là tout le temps.

Je suis super-inquiet. Comment je vais retrouver une confiance, une confiance dans ce système bancaire, une confiance dans ces gens du patronat qui vous utilisent et puis c’est tout ?

 


3.   Coût : une lourde facture pour la société

« Je viens témoigner devant vous, déclarait Aude Selly, directrice des ressources humaines (chez un équipementier sportif, 4 milliards de profits en 2017), parce que je ne comprends pas. Je ne comprends pas que ce soit la société civile qui paie. Dans mon cas, quand je suis tombée, avec une tentative de suicide, je suis quand même restée 18 mois en arrêt maladie, et c’est la société civile qui paye. Or, très clairement, ce sont les conditions de travail qui m’ont poussé à faire un burn out. Dans cette entreprise, j’en ai vu d’autres, partir en larmes, en dépression, en arrêt-maladie, et donc sur nos cotisations ».

Les sommes évoquées ici se chiffrent en milliards. A raison de 200 000, 300 000, 400 000, 500 000 salariés, souffrant chaque année de troubles psychiques liés au travail, s’arrêtant durant plusieurs mois, indemnisés pendant ce temps, on aboutit à des montants qui ne sont plus symboliques. Sans compter, en sus, les consultations de médecins, les achats de médicaments, les éventuelles hospitalisations.

Qui doit payer ? Tel est l’enjeu.

Car la branche Assurance maladie est financée par les cotisations de tout un chacun. Tandis que la branche « Accidents du Travail - Maladies Professionnelles », elle, est financée à 97 % par les employeurs.

Est-il normal, dès lors, que les Assedic, ou la Sécurité sociale, supportent le coût des défaillances managériales ? La ministre de la santé elle-même, Agnès Buzyn, s’en inquiète : « Concernant les arrêts de travail, le montant des indemnités journalières, de courte et de longue durée, ne cesse d’augmenter, de l’ordre de 5 % l’année dernière. Jusqu’à quand l’assurance-maladie palliera-t-elle les défaillances du management au travail ? » (Journal du Dimanche, 22 octobre 2017).

Jusqu’ici, des entreprises peuvent engendrer des maladies mentales en série : elles n’en paient pas le prix. Et jusqu’alors, la Sécurité sociale se montre plus que timide, comme l’admet Marine Jeantet :

« Il faudrait des sanctions. Parce que là, les arrêts de travail, c’est un gros sujet de dépenses pour l’assurance maladie, et on a pour mission de réduire ces dépenses-là. Mais pour l’instant, on a des outils pour vis-à-vis des médecins prescripteurs de beaucoup d’arrêts, vis-à-vis des assurés qui abusent. On va avoir des outils vis-à-vis des entreprises, mais pour l’instant, on commence par l’étape de sensibilisation. »

C’est une aberration, ici, de l’assurance maladie, une politique qui confine au scandale : les troubles psychiques liés au travail sont, dans notre pays, massif, et tout aussi massivement non-reconnus. Les responsables, les directions d’entreprises, ne sont pas sanctionnées, seulement « sensibilisées ». Contre les médecins qui reçoivent cette souffrance, en revanche, contre les salariés qui la subissent, là, la CNAM dispose d’ores et déjà d’ « outils » pour traquer les abus.

C’est la justice à l’envers.

Il faut espérer que cette ligne de la Caisse d’Assurance Maladie va rapidement évoluer. Pas seulement par goût du bâton. Mais surtout par prévention : que le pollueur (ici des cerveaux) soit aussi le payeur, c’est le meilleur moyen d’en finir avec le sentiment d’impunité.

 


Témoignage. Des téléconseillers du centre d’appels Coriolis :
« C’était partir ou devenir givrée. »

Le vendredi 29 décembre 2017, à Amiens, le rapporteur entendait des salariés ou anciens salariés du centre d’appels Coriolis, notamment sous-traitant d’Orange et EDF.

Alexis : Je suis rentré en contrat pro, à vingt ans. Notre cheffe d’équipe tenait des propos déplacés : « Vous branlez quoi ? », « Sortez vous les doigts ! », « Réagissez vite ! ».

Elle est partie en maternité, celui qui l’a remplacée, c’était pire qu’elle. Les chefs d’équipe, c’est tous les mêmes. C’est pression pression pression. On les voit, dès qu’ils reçoivent un appel de plus haut, de la direction, ils ne sont pas à l’aise, ils ne sont pas bien, et après ça retombe sur nous. Ils viennent derrière ton dos, ils tapent sur la table d’un seul coup, « Vous n’êtes pas assez rapides ! ». Eux-mêmes gèrent mal la pression.

Tout le monde était déprimé.

Chams : Moi, quand je suis arrivé, on m’a dit : « Vous, vous êtes là, c’est pour redonner le sourire aux autres, à vos collègues ». Je me suis dit, c’est bizarre comme accueil...

Loïc : Oui, ils m’ont dit la même chose, je me suis demandé : « Mais ils sont dans quel état, les autres ? ».

Rodolphe : A mon arrivée, il y avait une RH, un dragon, on l’appelait « le dragon », elle faisait régner la peur. Purement ça. Elle convoquait les gens, elle faisait pleurer les filles. Et moi, j’avais pris leur défense parce que, venant d’un autre milieu, pion dans l’Education nationale, je ne trouvais pas ça normal. J’y suis allé, et comme j’avais quelques notions de droit, je lui ai tenu tête. Elle avait tellement pas l’habitude, ça l’a traumatisée.

Toutes les semaines, des gens pleurent, menacent de se suicider. Angélique, qui était CGT pourtant, avec des formations syndicales, elle s’est retrouvée dans les toilettes à menacer de se suicider. C’était au tout début du contrat EDF. Elle est partie, elle a démissionné. Après ça, elle a traversé une période très dure, de dépression, sans revenu en plus, et puis elle s’est mise assistante maternelle. J’ai remarqué ça : beaucoup sont dégoûtés, ils ne veulent plus d’employeur carrément.

Burn out, c’est presque un mot tabou, le stress au travail, il faut faire comme si ça n’existait pas. On nie l’évidence. Moi-même, j’ai subi une dépression. Y a trois sources de pression : une directe, la hiérarchie. Le client, aussi, parce qu’on les a toute la journée au bout du fil, on a quand même le goût du travail bien fait, bien répondre aux gens, leur rendre service, mettre notre stress de côté, même s’ils nous engueulent. Et en plus de ça, dans nos vies, on a des très faibles revenus, 1100 €, 1200 €, on est obligés de se démerder, de faire des démarches, de courir, de se demander comment on va payer les factures, tenter de les faire étaler, téléphoner à l’assureur pour faire baisser la redevance, c’est aussi une part du burn out.

De toute façon, mes problèmes de santé, ils viennent quand même de là, du travail. Tous les médecins le confirment. Parce qu’on a beau se dire ‘je fais face’, ‘je suis un bonhomme’, mais il y a toujours un moment, dans la bataille, on éponge, on intériorise. J’ai des problèmes de migraines, répétitives, qui sont devenues des migraines constantes en fait. Je suis soigné pour ça. Je prends aussi des médicaments pour le cœur, faire baisser la pression cardiaque. De là, j’ai des soucis de digestion. Plein de trucs comme ça, qui font que ça réduit mon espérance de vie. Ma neurologue l’a écrit : ‘lié au travail’, elle a demandé un poste aménagé.

Chams : Une fois, je me retourne, il y avait une collègue au sol, allongée, avec des employés autour, les pompiers sont arrivés. Le commentaire de notre chef : « Ah, encore une qui fait un faux malaise… ». Ils sont insensibles.

Rodolphe : C’était pendant l’été dernier, la clim est en panne. Avec les ordinateurs, ça montait bien au-delà de trente degrés sur le plateau. Les pompiers venaient tous les jours pour des malaises, parfois plusieurs fois par jour.

Dès le matin, j’allume mon ordi, il faisait déjà 30° et quelques. Je me sentais écrasé sous la chaleur. Je me suis levé pour jeter mon chewing-gum, et j’étais à terre.

Florian : Le même jour, il y a eu une dizaine de malaises. Et deux crises d’épilepsie. La solution, ça a été de donner des bouteilles d’eau. Mais quand tu allais la chercher, parce que t’étais déshydraté, il fallait te mettre en pause, ils décomptaient ça de ton temps de travail !

Ma cheffe était plutôt calme, mais dès qu’elle se prenait un retour des supérieurs, ça devenait violent : « Mais qu’est-ce que vous branlez... »

Ma pote Brenda a fait un arrêt-dépression. Elle est encore en recherche d’emploi, en tout sauf en centre d’appels... Il y a un turn-over énorme chez Coriolis. J’ai vu trop de gens pleurer, ça m’a déçu.

Rodolphe : Les pleurs, j’ai envie de dire, les pleurs c’est plus rien. A côté de moi, une collègue a fait un AVC, il y a eu des ruptures d’anévrisme, parce qu’on parle du psychologique mais il y a du physique aussi. On n’en est plus à des gens qui pleurent, mais à des gens qui partent en ambulance, deux ou trois fois par semaine.

Jamais la médecine du travail n’intervient, jamais c’est traité en accident du travail, ou en maladie professionnelle. Mais même pour les oreilles. Mon collègue Loïc, son casque a libéré un son puissant, depuis il a des problèmes d’acouphène. Mais même ça, ils arrivent à dire : « Ah bah non, c’est le salarié, chez lui il écoute de la musique trop fort ». Comme en médecine on est de moins en moins surveillés, avant c’était tous les ans, oreilles, yeux...

Chams : Ma cheffe d’équipe, elle était insensible, dure avec nous, mais même elle, elle faisait des arrêts maladie, des dépressions, on l’a vue tourner mal. Ma collègue, elle travaillait dans le social avant, donc quand elle entendait un Monsieur qui disait « j’ai un cancer », elle pouvait pas juste répondre : « On va vous mensualiser nananinanana », et notre cheffe se mettait sur son dos. Isabelle pleurait souvent. Elle n’était pas prête à ça. Elle restait quand même, elle s’accrochait, à cause de ses enfants, mais elle est partie aussi. Sur les trente qui sont rentrés, au bout de trois quatre mois, plus de la moitié avait quitté.

Rodolphe : Mais comme Pôle emploi paie les deux premiers mois, soi-disant en formation, à la limite, le turn-over, ça les arrange.

Loïc : Ce qui se sent tout de suite, c’est la pression. Toutes les heures, tu reçois un rapport de ton chef, détaillé, avec le nombre d’appels pris, le nombre de placements effectués, et dessus tu as une ligne par nom, de toute l’équipe. Certains sont en vert donc c’est bien, d’autres en rouge ça va pas. Et ils t’envoient le même tableau toutes les heures, tu vois les chiffres évoluer, avec des commentaires : « Loïc, tu n’as que deux FE ? Deux factures électroniques ? Que se passe‑t‑il ??? », avec des points d’interrogation. Des bilans comme ça, permanents, et des fois ils ajoutent les résultats de l’équipe d’à côté.

C’est infantilisant.

Pendant la Coupe du Monde, on était dans l’équipe France, l’équipe Brésil, l’équipe Moncul. Et c’était ‘Ah, l’équipe argentine, elle est en retard sur le Brésil, il va falloir remonter au score.’

Ce qui leur plait pas, c’est quand on leur tient tête. A une réunion, j’ai demandé comment ça se fait qu’il y ait autant d’absents ? Et des malaises ? On m’a répondu « Tu fais ton travail et tu te tais ».

Ils ont signé la charte de la parentalité, avec dedans « On va vous accompagner si l’enfant est malade ». Il y avait dans mon équipe une mère célibataire, et un jour, pas de bol, son gosse est malade. La mamie le garde, l’emmène chez le médecin. Mais pour le lendemain, la mamie ne pouvait pas. Ma collègue va voir la cheffe d’équipe, macache. « Tu te débrouilles. C’est pas mon problème ». Malgré la charte plaquée sur la porte. Elle va se rasseoir, elle chiale.

Plus tard, elle est partie. Elle n’en pouvait plus. Elle m’a dit : « C’était partir ou devenir givrée ». Elle sentait la dépression, qu’elle devenait agressive à la maison.

Un autre, un parent à lui s’était fait opérer, ça s’était mal passé. Il demande s’il ne pourrait pas prendre une journée en fin de semaine, sachant que son compteur temps était plein, il était créditeur à fond, « bon, écoute, est-ce que je ne pourrais pas avoir mon vendredi, j’ai une cinquantaine d’heures d’avance ? -Non vendredi t’es programmé, t’es là. » Il revient, livide, blanc comme un linge, détruit quoi.

Rodolphe : On a beaucoup de troubles de l’humeur. On avait répertorié ça. Les clopes. Les médocs. Moi, les antidépresseurs, j’ai évité. Mais n’empêche que, avant d’aller bosser, je dois prendre des pilules pour le coeur. J’ai une collègue, elle est sous Tramadol, c’est un anti-douleur, mais t’es bien, tu planes...

On a une DRH qui s’est fait virer du jour au lendemain, elle a fait ses valises. C’était pas une copine, elle virait des salariés. Mais on était en train de négocier un document de prévention des risques, et dès qu’on touche à ça, ils n’aiment pas... Les risques psycho-sociaux, ils ne sont pas abordés comme ça, en France ça n’existe pas, et on commençait à causer de stress. Stratégiquement, il ne faut pas traiter de ça.

Je ne suis pas dans leurs petits papiers. Mais est-ce qu’ils l’ont dégagée à cause de ça ? Parce qu’on approchait de cette zone rouge ?

Ouest-France (12 juillet 2017) publiait cet article sur le centre d’appels Coriolis à Laval :

« C’était de l’acharnement. On était tout le temps sur notre dos. Même quand je ne bossais pas, ma chef m’envoyait des textos, assure Isabelle. Je suis tombée en dépression de longs mois. Beaucoup de gens ne se sentent pas bien chez Coriolis. »

Les sanctions ? Erika utilise une métaphore... sucrée. « Les responsables d’équipe distribuent des demandes de sanctions comme des bonbons ». Elle assure avoir été obligée de prendre un appel alors qu’elle était en larmes. « La cliente a entendu que je pleurais. Elle m’a demandé si j’allais bien. Vous vous rendez compte ! ».

Selon Erika, « Coriolis a tellement peur de perdre EDF qui est leur client principal qu’ils nous mettent une pression incroyable ». « Murielle a aussi travaillé de nombreux mois dans le centre d’appel. Elle aussi est partie avant la fin ». « Je ne me voyais pas rester un jour de plus chez Coriolis. J’ai perdu confiance en moi. Je me sentais rabaissée. Ce fut une très mauvaise expérience ».


4.   Directions : le déni malgré les drames

« Il nous faut une reconnaissance, enjoint Valérie Rault, déléguée Sud à la Caisse d’Epargne Bretagne-Pays de Loire. Sans reconnaissance, on ne peut pas faire de prévention puisque ça n’existe pas. Je vois les salariés qui tombent comme des mouches, mais comme ça n’apparaît pas dans les nomenclatures, pour la direction, ça n’existe pas. »

Ce déni est poussé à l’extrême :

« On a eu un suicide en fin d’année. Quand on voit son courrier, on se dit que, quand même, il y a un fait générateur au travail. En 2016, on en a eu trois, mais toujours au domicile. Si on compare aux statistiques nationales, compte tenu de notre effectif, on devrait être à un suicide tous les deux ans. C’est quatre fois plus. On a donc des indicateurs formels, des arrêts maladie par exemple, des alertes de la médecine du travail. Au vu de tout ça, nous avons voté une expertise pour risques graves et imminents sur les Risques Psycho-Sociaux. Eh bien, la direction refuse, elle nous a envoyés deux fois au tribunal, on a gagné les deux premières fois, on va encore en cassation. Ils n’acceptent pas l’existence de RPS. Ils utilisent tout. Pour le dernier suicide, de même, on a demandé le support d’un cabinet d’expertise, qui a été rejeté par la direction... »

C’est le plus stupéfiant dans les témoignages recueillis : quoi qu’il advienne, y compris le pire, un certain management trace sa route, implacable, avançant tel un bulldozer, sans regret ni remords. Même un suicide, même une série de suicides, n’entraîne aucune crise.

On l’a vu à la Caisse d’Epargne Côte d’Azur  ([1]) : qu’une directrice d’agence, mère de famille, avec deux enfants, se jette sous un train, en accusant dans un courrier son entreprise ; qu’une responsable de centre d’appels se pende à son tour ; qu’en pleine fête des bénéfices un contrôleur de gestion, la quarantaine, surinvesti dans son métier, décède d’une crise cardiaque, voilà qui ne suscite « aucune remise en cause, aucune crise de conscience ». Tout continue comme avant.

De même dans l’entrepôt de Lidl à Rousset. Pour écraser Yannick Sansonnetti et ses collègues, la direction aura usé, durant des mois, de tous les outils du management moderne : audit et contre-audit, évaluations qui tournent à l’humiliation. Qu’on le retrouve pendu dans la chambre froide a-t-il ramené les dirigeants à de meilleurs sentiments ? Le jour de l’enterrement, en guise de condoléances, le gérant prévenait les salariés : « Si vous ne reprenez pas le travail demain, moi, j’ai le pouvoir de faire fermer l’entrepôt ». Prendra-t-on désormais plus de soin des cadres supérieurs, partis en maladie ? Nullement :

Patrice Tonarelli : Je retourne au boulot. Je ne m’attendais pas à des fanfares, à des acclamations, mais quand même. Là, je me rends compte que l’on ne m’attendait plus. Quelqu’un d’autre avait pris ma place, avec son nom sur ma porte. D’emblée, le nouveau directeur m’annonce : « Ecoute, tu sais, tu as un poste à responsabilités, tu as été absent pendant quatre mois, on ne va pas forcément te faire revenir ici, peut-être qu’on va t’envoyer sur un autre site à travers la France … » C’était le petit plan pour se débarrasser de moi. Je rentre, je prends ça dans la gueule.

Christophe Boschetti : J’ai reçu le même accueil, une semaine après. Plus de bureau, plus d’affaires, le nom de mon remplaçant sur le téléphone... J’ai fait deux ans de placard, avec des vexations, on surveillait mes horaires, etc.

Patrice T. : J’ai déjà pensé à partir, mais en même temps je me dis que c’est à eux de proposer.

Christophe B. : Leur manœuvre, c’est de nous pousser pousser pousser à la faute, de mettre la pression etc., avec les risques que ça peut engendrer.

C’est un détail, mais je voudrais m’arrêter dessus. Sur la difficulté, pour les travailleurs en burn out, d’obtenir, simplement, une rupture conventionnelle digne. Qu’un salarié termine à bout, usé, écœuré, la hiérarchie doit se sentir un peu responsable, songe-t-on, et aménager une sortie la plus juste possible. Mais là, dans bien cas, au contraire, sans honte : à la place d’une transaction honorable, des entreprises poussent l’employé à la démission. Le salarié doit alors lutter pour être licencié ! En passant par la case « inapte » à la médecine du travail, arrangeante...

Mais tous n’ont pas cette chance : « J’ai dû démissionner, ils ont refusé une rupture conventionnelle après des mois d’arrêt de travail... Infirmière, j’étais dans un tel état que je ne pouvais plus m’occuper des patients et de moi-même correctement. »

Comment expliquer ce comportement, fréquent ? Le motif économique vaut, bien sûr : avec une démission, la société s’épargne un licenciement, et les préavis, les indemnités, qui vont avec. S’y mêle une évidente impunité : en matière de RPS, les dirigeants ne risquent rien, pourquoi se priver ? Mais s’hasardant sur le terrain psychologique, le rapporteur avancerait une hypothèse : « sans honte », avons-nous écrit. Et si c’était justement l’inverse ? Si c’était, précisément, parce qu’il y a de la honte, beaucoup de honte, une immense honte, et qu’il convient donc de la refouler, de la refouler pleinement, de la refouler méticuleusement, d’organiser collectivement le refoulement, pour n’être pas submergé ? Si l’on commence à être humain, où s’arrêtera-t-on ?

Un suicide, l’acte le plus extrême, le plus terrible, ne provoque aucun aggiornamento dans le management. Alors, que dire de manifestations plus discrètes ?

Chez Coriolis, à Amiens, ce sont des bataillons de jeunes qui entrent dans la vie active par les pleurs, les dépressions, les anxiolytiques, les démissions. Dans l’indifférence de la direction : « Burn out, c’est presque un mot tabou, le stress au travail, il faut faire comme si ça n’existait pas. On nie l’évidence. On a une DRH qui s’est fait virer du jour au lendemain, elle a fait ses valises. C’était pas une copine, elle virait des salariés. Mais on était en train de négocier un document de prévention des risques, et dès qu’on touche à ça, ils n’aiment pas... Les risques psycho-sociaux, ils ne sont pas abordés comme ça, en France ça n’existe pas, et on commençait à causer de stress. Stratégiquement, il ne faut pas traiter de ça.

Je ne suis pas dans leurs petits papiers. Mais est-ce qu’ils l’ont dégagée à cause de ça ? Parce qu’on approchait de cette zone rouge ? »

 


5.   Pouvoirs publics : la grande défaillance

Que la hiérarchie s’accommode, voire prospère sur ce mal être, soit. Mais que font les pouvoirs publics ? D’après un syndicaliste de Coriolis, « jamais la médecine du travail n’intervient, jamais c’est traité en accident du travail, ou en maladie professionnelle ». Mieux, cette entreprise est encouragée, subventionnée : « C’est Pôle Emploi qui paie les deux premiers mois, soi-disant en formation. Donc, à la limite, Coriolis, le turn-over, ça les arrange ».

Au Lidl de Rousset, le drame pouvait être cent fois évité.

Mai 2014. Un an avant le suicide, des cégétistes se rendent à l’Inspection du travail : « On lui indique tous les signaux, l’AVC de l’ancien directeur, le malaise. Dans la foulée, on manipule la secrétaire du CHSCT, aussi, pour qu’il y ait une enquête, une enquête sur notre entreprise, sur la méthode managériale... En juin, ils votent l’enquête. Et au mois de septembre, Vautrin, le directeur régional, il les achète, il leur donne 4 heures de délégation en plus, il annonce la fermeture de l’entrepôt, et eux se dégonflent, ils votent contre l’enquête. Le jour où Yannick est mort, certains, je leur ai dit : « Vous avez du sang sur les mains, et ça on en parlera au tribunal ».

Mars 2015. Le responsable d’entrepôt, Patrice Tonarelli entame à son tour une démarche préventive : « On se disait toujours ‘Comment ça va se finir ?’ J’avais peur que ça se termine par un drame. Je suis allé voir la médecine du travail, et je lui ai dit : « Les choses vont vraiment très mal, docteur. Vraiment, il faut faire quelque chose parce que j’ai peur qu’il arrive un malheur ! ». Elle m’a conseillé, pour moi, de me mettre en arrêt.

Je tentais d’alerter pour l’équipe, pas seulement pour ma personne. Mais ça n’a servi à rien, la médecine du travail ne s’est pas rendue sur place, n’est pas intervenue. Aussitôt après le drame, elle m’a appelé : ‘M. Tonarelli, comment vous allez ? ».

Avril 2015. Patrice Tonarelli se met en arrêt-maladie, Christophe Boschetti également, ne reste plus que Patrick Martin : « Aussitôt, le 28 avril, j’ai appelé l’inspection du travail : « J’ai deux cadres qui vont mal, qui sont en burn out et un gars, le directeur, qui me harcèle ». L’inspecteur m’a répondu : « Le harcèlement, ce n’est pas palpable, je ne peux pas débouler comme ça comme un shérif ».

Yannick Sansonnetti se pend donc le 29 mai 2015.

Mais même après ça, je dirais : la police a-t-elle mis en garde à vue le directeur régional ? Le parquet a-t-il demandé qu’un dirigeant de Lidl lui soit déféré ? Des poursuites sont-elles entamées ?

Rien de tout cela.

Le directeur en question ne fut pas licencié par son entreprise, seulement déplacé. Et c’est un véritable souci pour la sécurité publique que ce genre de dirigeant se promène en liberté, puisse encore manager, guère inquiété.

À leur encontre, des mesures d’urgence devraient être prises, pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, catastrophiques.

La non-reconnaissance, dans les tableaux, est un signe, un signe envoyé à la société, un signe envoyé aux entreprises, un signe envoyé aux pouvoirs publics : pour l’instant, les troubles psychiques liés au travail, ça ne compte pas.

Et même lors d’une tragédie.

« Monsieur Boitard a dû se suicider en 2013, témoigne l’avocat de sa famille Maître Ducrocq. J’ai relancé une fois de plus le parquet, qui m’a répondu : « Monsieur, votre affaire est classée sans suite car elle est prescrite ». J’ai répondu : « On peut pas prescrire si on a des éléments, et là, le type il avait dit pourquoi il mourait… ».

C’est le président du tribunal de grande instance qui m’a rappelé en me disant : "On est vraiment désolés, on n’a pas traité". On traite la drogue et tout ce qu’on veut à Lille, mais ça, une mort dans une banque, même signé, on a pas traité, ils ont laissé l’affaire se prescrire, et donc la veuve n’aura même pas justice rendue. Elle n’a jamais été entendue ».

L’impunité est validée par la Justice elle-même, qui ne prend pas ces dossiers au sérieux.

Témoignage. Isabelle Basset, hôpital d’Amiens :
« On pleure, ils nous répondent « Budget » ! »

Le samedi 30 décembre 2017, Isabelle Basset était entendue à son domicile, à Amiens.

« Ce mois-ci, ma mère, âgée de 90 ans, est tombée chez elle. Les pompiers l’ont conduite à l’hôpital d’Amiens, au service gériatrie. Dès son arrivée, les soignantes l’ont prévenue : « Nous ne sommes que trois pour trente patients. Nous n’aurons pas le temps de nous occuper de vous ».

Cette promesse fut tenue.

Pour sa toilette, on l’a bousculée chaque matin. Pour son urine, pour aller plus vite, l’infirmière lui a posé une sonde, et elle en souffrait. Le bassin pour ses besoins, là, ils l’ont oublié sous ses fesses. Son plateau-repas lui était déposé sur sa table, mais sans aide, elle n’arrivait pas à l’atteindre, son assiette restait devant elle, intacte.

« J’ai mal partout ! Elle reprochait. Je ne peux pas bouger ! Et puis la nuit que j’ai passée ! Ils ont attaché ma voisine, elles s’est plainte toute la nuit. J’ai sonné et je leur ai dit qu’elle souffrait et que ça n’était pas normal de l’attacher comme ça. Ils m’ont répondu toujours la même chose : manque de personnel ! Est-ce que tu peux aller me chercher de l’eau ? On m’a dit que j’avais assez bu comme ça mais j’ai soif ».

Quand j’arrivais, parfois, dans son fauteuil, Maman pleurait.

Mais elle n’était pas seule.

Les soignantes, elles aussi, pleuraient.

Au départ, elles affichaient de l’indifférence, que je sentais pleine d’amertume. Et puis, au fur et à mesure, je les voyais désolées. Elles le disaient. Elles étaient navrées, leurs soins elles les délivraient mal. Ça relevait, je dirais, de la maltraitance, mais pas de la maltraitance perverse, de la maltraitance institutionnelle. Parce que ces jeunes femmes sont maltraitées par leur institution.

Je vais dire comment.

Comme Noël approchait, je leur demande si elles vont avoir des congés. Elles rient. « Ah non ! Nos congés ont été refusés, on va poser une RTT par-ci par-là mais c’est tout ! C’est trop tendu, là ! ».

Je croise une aide-soignante qui porte une minerve. « J’ai des migraines cervicales, ça m’attaque », elle m’explique. « Vous n’allez pas voir le médecin pour qu’il vous arrête ? Ça doit être impossible de faire votre travail comme ça ! » « Ah non, ça c’est pas possible. Je pense à mes collègues ».

L’infirmière nous l’a raconté : « Ça fait 37 ans que je travaille et je n’ai jamais vu ça. Vous savez, avant, on travaillait quarante heures, on n’avait pas toutes ces machines. C’était dur. Mais on ne pleurait pas comme ça. Parce qu’on adorait notre travail. On se donnait à fond. Et les chefs, ils nous félicitaient : « Aujourd’hui, ça a été dur, mais les filles vous avez assuré, c’est bien, merci ! ». Maintenant, tout ce qu’on nous dit c’est : « Vous n’avez pas fait ci, ça c’est mal fait, vous ne savez pas vous organiser !’ ».

Un soir, on perçoit une discussion animée, dans le couloir, entre les trois soignantes et la cadre du service. Il est question de congés, de rythme, de malaise. La cadre partie, ma sœur et moi nous approchons de l’équipe : « Cet après-midi, nous avons eu une réunion de service. On a dit toutes nos difficultés, on a dit qu’on n’en pouvait plus, qu’on faisait mal notre travail, que les patients étaient mal soignés. Ils nous répondent « plan de retour à l’équilibre » ! On pleure, ils nous parlent budget ! Ils ne mettent jamais les pieds ici ! Et on nous annonce qu’on ne pourra pas poser nos RTT ! ».

La plus jeune ajoute : « ils m’ont dit d’aller voir un psychologue du travail ». Je lui réponds : « Ça n’est pas vous qui devez aller voir ce psy. Dites-leur d’envoyer l’hôpital chez le psy ! ».

 


6.   Blocage : une comptabilité aveugle

Cette souffrance, ça ne compte pas.

Au sens propre : ça ne figure pas dans les bilans comptables.

La Poste est ainsi « réputée » pour son malaise social.

En 2010, les médecins prévention de La Poste signalent que « des suicides ou des tentatives de suicide, dont on peut penser qu’ils sont exclusivement liés à des situations de vie professionnelle, surviennent dans toutes les régions, dans tous les métiers et aux différents niveaux de l’entreprise », que « le taux d’absentéisme pour maladie atteint des seuils sans précédent », que « les accidents du travail et les maladies professionnelles sont en très forte augmentation », que « les agents et leurs encadrants traversent des réorganisations rapides et successives, sont confrontés à des injonctions contradictoires sans avoir de perspectives d’amélioration », que « les agents de distribution sont confrontés à des situations d’épuisement physique et psychique », que « La Poste crée des « inaptes « physiques et psychologiques. », et ils invitent à « engager des actions concrètes pour enrayer ce qui pourrait vite devenir un processus morbide, connu aujourd’hui par d’autres entreprise ».

Rien de sérieux ne sera « engagé ».

Le « processus morbide » se poursuivra donc.

Après bien des alertes et des rapports, en octobre 2016, huit cabinets d’expertise auprès des CHSCT adressent une lettre ouverte auprès du PDG :

« Nous avons conscience que cette démarche d’alerte rendue publique est inhabituelle. Cependant, nous l’assumons, parce que nous mesurons à quel point la situation est préoccupante du fait de la rapide dégradation de l’état de santé des agents... les agents de La Poste subissent des réorganisations permanentes qui réduisent chaque fois les effectifs, et soumettent les agents qui restent à des cadences accélérées... le rythme des réorganisations reste effréné... Pour les agents de La Poste, c’est la double peine, ou plutôt le double risque psychosocial, puisqu’ils voient se dégrader en même temps leurs conditions de travail et la qualité de service délivrée aux usagers... Les conséquences en termes de santé au travail sont d’ores et déjà dramatiques : le groupe La Poste continue de rencontrer des cas de suicides au travail ; les situations de détresse individuelle ou de conflits ouverts entre agents sont désormais fréquentes ; les indicateurs de santé et de climat social témoignent d’une dégradation qui, déjà dénoncée dans le rapport Kaspar en 2012, n’a depuis cessé de s’aggraver ».

Le hasard veut que, peu après, en décembre 2016, la Cour des Comptes rende un rapport sur La Poste, intitulé « Une transformation à accélérer ». Au long de ces 246 pages, pas une fois ne sont mentionnés « les risques psycho-sociaux », « les affections mentales » ou « les troubles psychiques ». À rechercher « santé », on tombe sur « bonne santé économique », « produits de santé », « cyber-santé », « complémentaire santé », « marché de la santé », mais rien la santé des salariés.

Le mot d’ordre, en revanche, est clair : « La Poste devra dans les années à venir chercher sans relâche à réduire les coûts de ses réseaux ». Et qu’importe le coût pour le bien-être des agents.

Le directeur du journal Les Echos, Dominique Seux, y consacrait, dans la foulée, une chronique louangeuse sur France Inter (14/12/16) : « La Cour des Comptes salue l’évolution de La Poste, fait des compliments – et je vous assure que c’est rare de sa part. Je suppose que le patron de l’entreprise, Philippe Wahl, a bu du petit lait en lisant le rapport ».

Là encore, pas une ligne sur le mal-être dans l’entreprise, sur les suicides.

Pourquoi ce silence ?

Il est logique : ces maladies, aujourd’hui, ne comptent pas dans les bilans des entreprises. Elles n’apparaissent pas comme un coût, dans une colonne, un chiffre avec des zéros derrière.

Dès lors, pour un dirigeant d’entreprise, ou pour un éditorialiste économique, ces drames peuvent susciter, à l’occasion, une pensée compatissante, mais ils ne constituent pas un souci financier permanent.

Pourquoi, dès lors, les directions arrêteraient-elles ce « broyeur silencieux » ?

Lutter contre « les troubles psychiques liés au travail », les prévenir vraiment, c’est en faire un coût pour les firmes, qui se compte, qui devienne un souci financier.

 


7.   Priorité : la sanction est une prévention

Comment est-on passé, sur les routes de France, de 18 034 morts en 1972 à 3 477 aujourd’hui–même si cela demeure 3 477 de trop ? Est-ce seulement en câlinant les automobilistes, en les « sensibilisant » ? Non, la sanction, la peur du gendarme, les radars, les alcootests, les amendes, tout un arsenal a joué un rôle pour rendre le conducteur ordinaire plus raisonnable. Et pour les chauffards, on a recours aux suspensions de permis, aux peines de prison. Appartient désormais à la mentalité commune que tuer sur la route est un crime, et qu’il se paie.

Eh bien, face aux chauffards du management, il nous faut également développer un arsenal répressif. À commencer, a minima, par des sanctions financières, qui soient des incitations.

Comme le mentionne le docteur Patrick Légeron, de l’Académie de médecine, cette démarche a déjà marché, Outre-Atlantique, quant aux accidents de travail :

« Je pense que parmi les préventions, il y a la reconnaissance ».

Un économiste de la santé, Philippe Askenazy, a publié, il y a quelques années des choses extrêmement intéressantes aux États-Unis. Les assurances ont voulu réduire leurs dépenses, notamment pour les troubles musculo-squelettiques, et ils ont décidé de faire payer plein pot les entreprises, selon le principe de pollueurs égal payeurs.

A partir du moment où on a dit aux entreprises, ‘vous allez payer les dégâts que vous faites’, comme par hasard, les entreprises se sont mobilisées et le nombre de TMS a chuté. Donc, la reconnaissance est sans doute une direction, mais j’espère que ce n’est pas le seul moyen d’avancer sur la prévention. »

Afin de stimuler le législateur, nous lui offrirons un résumé des Désordres du travail (Seuil, 2004), de Philippe Askénazy :

« Au début des années 90, les États–Unis atteignent des sommets en termes d’accidents du travail et de maladies professionnelles – notamment de troubles musculo-squelettiques – à la fois dans l’industrie manufacturière et dans les services. (...) En quelques années, le risque d’accidents et de maladies s’est réduit de plus d’un tiers dans le secteur privé ! On doit bien sûr s’interroger sur ce « miracle ».

Les employeurs américains sont tenus de souscrire une assurance accidents et maladies du travail pour leurs salariés. (...) La montée des accidents et maladies du travail a poussé au début des années 1990 les assureurs à augmenter substantiellement les primes payées par les employeurs. Ainsi, le poids des assurances est passé de 1,4 % du coût total du travail à 2,4 % de 1985 à 1994, répercutant notamment l’explosion des troubles musculo-squelettiques. Cette hausse d’un point concerne autant le manufacturier que le tertiaire ; elle a entraîné une baisse de 2 % du profit des entreprises privées. Dans des entreprises subissant une pression importante pour réduire les coûts et offrir un rendement le plus élevé possible, la hausse de ces primes a été un véritable électrochoc, d’autant qu’elles n’incluent pas les autres pertes pour l’entreprise qui peuvent tripler la facture : perte de production du salarié touché, recherche d’un remplaçant, démotivation de ses collègues, augmentation des départs volontaires, etc. Le ratio coût/avantage des procédures ergonomiques a été profondément modifié en faveur d’une politique de prévention en entreprise. Les questions de santé et de sécurité négligées jusqu’alors sont devenues significatives. Sous l’impulsion de sa direction générale, General Motors s’est ainsi lancé début 1995 dans un vaste programme Safety 21 en particulier tourné vers le maintien en emploi des accidentés. GM annonce un résultat spectaculaire avec une baisse entre 1995 et 2001 de 85% de la fréquence des accidents avec arrêt dans ses usines nord-américaines, apparemment sans externalisation massive des activités dangereuses. On voit ainsi le retour de ‘bureaux des méthodes’ comme à l’apogée du fordisme, qui fixent des normes mondiales strictes de rythme de travail ou de port d’équipement individuel de sécurité. Les démarches de qualité et d’amélioration continue, auparavant cantonnées aux services et aux produits, sont étendues aux conditions de travail et de sécurité.

Des groupes étrangers présents aux États-Unis s’inscrivent dans ce mouvement. Ainsi, le Français Colas (construction de routes, de voies ferrées, etc.) s’est engagé dans une politique « éthique » mondiale de prévention en 1994 ; l’indice synthétique ‘maison’ d’accidents du travail a été divisé par 12 en une décennie en Amérique du Nord (et par 3 dans les branches françaises).

L’effondrement des accidents et maladies du travail a finalement permis de ramener le coût moyen des assurances à 1,6 % du coût du travail en 2001. Pour des géants tels que General Motors les économies se chiffrent en centaines de millions de dollars, même si dans leurs discours les dirigeants de GM clament qu’il ne s’agit pas de la principale motivation de leur nouvelle ‘responsabilité’. L’effort ne se cantonne pas aux grandes sociétés industrielles ; les entreprises de moins de 100 salariés ont également bénéficié d’une baisse du poids des primes dans le coût du travail de 3 % à 2 %, et les services améliorent eux aussi leurs indicateurs. (...) Au total, ce serait plus de 1% de PIB par an qu’éviterait de laisser s’évaporer l’économie américaine, soit l’équivalent du coût de la guerre en Irak ».

Et l’auteur de conclure avec force :

« L’exemple américain prouve que le discours selon lequel on ne peut rien faire face à des contraintes économiques subies par les entreprises est faux. Au contraire, il est possible d’améliorer substantiellement le sort des salariés. C’est même l’inverse qui serait économiquement aberrant. C’est la « désorganisation » des organisations qui serait bien à la base de leur dangerosité.

C’est « la contrainte financière » qui a « fait passer de nombreuses entreprises américaines d’un équilibre nocif (faible investissement sur la sécurité et la santé/fort coût des accidents et maladies) à un équilibre vertueux (sensibilisation/coût maîtrisé) ».

Sans surprise, aujourd’hui, le MEDEF se déclare « pas favorable à cette proposition de loi visant à créer un tableau de maladie professionnelle » pour les troubles psychiques liés au travail. L’organisation patronale préfère « diffuser les recommandations en région (guide, bonnes pratiques…), pour aider les entreprises à s’approprier ces sujets et favoriser le dialogue social ».

Comme le mentionnait déjà, il y a plus de dix ans, Philippe Askénazy à propos du MEDEF : « Les principes d’individualisation et de responsabilisation sont éminemment sympathiques... quand ils s’adressent aux autres. La cohérence libérale semble s’arrêter où commence l’intérêt des entreprises les plus dangereuses ».


Témoignage. Alexandre Langlois, Police nationale :
« La DRH nous dit : "On va juste essayer de limiter la casse" ».

Le mardi 16 janvier, Guillaume Ryckewaert, commissaire de police et membre du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure et Alexandre Langlois, secrétaire général de Vigi (ex-CGT-Police), étaient entendus à l’Assemblée nationale.

Guillaume Ryckewaert : il y aurait du mérite à ce que le burn out soit reconnu, on ne va pas nier la réalité. Maintenant, ça ne va pas résoudre les difficultés, qui sont plus profondes, un mode de management que je crois obsolète. C’est plus ça que l’on tient à mettre en avant. Même si, je le redis, avec la problématique du suicide que nous avons actuellement, évidemment, la proposition de loi m’intéresse au plus haut point. Mais je pense qu’elle doit pas aussi occulter des aspects liés à la vie personnelle des fonctionnaires, tout n’est pas noir et tout n’est pas blanc

Alexandre Langlois : Je vais être très clair : pour nous, la plupart des burn outs sont liés au travail.

Il y a le management, déjà. Pour montrer l’aberration, je vais donner un exemple, qui date de la semaine dernière. On a une commissaire qui harcelait une collègue. C’est une habitude chez cette cadre, elle surmène ses équipes, ça fait trois fois qu’on la change de service. L’administration ne fait rien. Du coup, la policière tombe en dépression, avec arrêt maladie, et au final cette commissaire la sanctionne pour manque de disponibilité ! C’est passé devant les tribunaux vendredi. Le procureur montre du bon sens : « Mais comment ça arrive sur mon bureau un truc pareil ? C’est de la discrimination pure et simple, vis-à-vis d’une personne en dépression, à cause d’un problème de management ».

On avait rencontré la DRH de la Police Nationale, et on lui dit ça, qu’il y a un problème de management. Elle est d’accord : « Oui, chez les commissaires, on a des gens qui ont des grands diplômes, qui ont une tête bien faite, qui savent parfaitement les procédures, qui ont fait de hautes études, qui sont très intelligents mais qui ne savent pas manager des gens. » Du coup, on lui a demandé : « Mais qu’est ce qu’on fait ? » Et elle a répondu : « On peut rien faire. On va juste essayer de limiter la casse ».

Donc une loi là-dessus, sur la reconnaissance, ça serait pas mal, pour faire bouger les mentalités, pour les contraindre à évoluer.

L’autre cause des burn out, chez nous, ce sont les rythmes, les horaires.

Je vous donne un cas précis : j’ai un collègue qui a fait 400 heures supplémentaires le mois dernier. C’est facile de faire le calcul, ça fait 8h de pause maximum et pas de week end, voilà. Heureusement, lui n’a pas de famille. Il était au service de protection des personnalités, où un collègue s’est suicidé d’ailleurs, il n’y a pas longtemps, à la protection de la ministre du Travail. Pour les services, la consigne c’était ‘on ne parle pas de cette affaire, on considère le communiqué officiel qui fait foi’. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a déclaré : « on est désolés pour la famille etc. » Mais dans ce service-là, ils étaient capables de faire 400 heures supplémentaires. Est-ce que le collègue précédent faisait les mêmes horaires ? On ne sait pas. On a essayé de se renseigner, mais c’est interdit d’en parler. Les consignes de la hiérarchie, c’est : « On n’en parle pas, pas de scandale, pas de vague ».

Un autre collègue, il avait divorcé pour des raisons personnelles, mais il avait la garde de son fils, un weekend sur deux et un mercredi sur deux. Un service l’intéressait, pour évoluer, alors il demande : « Je veux bien changer, mais le plus important c’est ma vie familiale. Donc je suis prêt à faire trois mois en cycle 4-2, avec seulement un week-end de libre sur six, mais après vous me confirmez que j’aurais bien mon ancien cycle ? » Parce que c’était possible dans ce service. L’administration lui répond : « Ecoutez, pas de problème, on vous prend, vous faites trois mois et on vous remet au cycle que vous aviez ». Mais la hiérarchie n’a jamais tenu parole. Il ne voyait plus son fils, et à Noël, il y a deux ans, son fils l’appelle et lui dit : « Ecoute, Papa, je ne te vois jamais, je ne veux plus te voir, même à Noël, c’est fini ». Le collègue, du coup, sur moment de déprime, descend dans sa voiture, boit un peu d’alcool, remonte à son service, et il est poursuivi parce qu’il a bu. Mais il n’y a pas de remise en cause derrière, on le déclare « alcoolique », mais personne n’est allé chercher pourquoi.

Même le ministre de l’Intérieur nous a donné raison. Nos cycles de travail, le 4-2, ça ne nous laisse qu’un weekend de repos sur six. Sur Paris, un sur douze, même, réellement. Gérard Collomb l’a admis : il valait mieux un système de 2-3-2, deux jours travaillés, trois jours de congés, et encore deux travaillés. On aurait un mercredi sur deux, donc ça se serait l’idéal. Il nous a dit : « Oui oui, mais ça c’est trop consommateur en effectifs ».

Donc, une reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle, oui, pour nous, ça serait un pas pour que ça change. Ça serait un avertissement, pour limiter les abus.

J’en ai parlé à des gens de chez nous, et ils m’ont dit, cette reconnaissance, « ça nous permettra de nous reconstruire. » Si on légifère dessus, ça rassurera beaucoup de collègues qui se posent des questions, qui ne savent pas où aller, qui sont dans le flou. Un policier, dans la judiciaire, me confiait : « Moi, j’ai fait un burn out, parce que je faisais mon travail, ça me demandait trop de temps. Déjà, mettre un mot dessus, savoir ce que c’est, ça ça m’aide à me reconstruire déjà personnellement. Me dire que je ne suis pas fou, que ce que j’ai subi c’est un contexte professionnel qui me rend comme ça ». Et il a commencé à se reconstruire.

Donc pour les personnels, la reconnaissance, ça démontrera que c’est pas nous le problème, que c’est l’institution qui nous pousse au burn out.

À cette audition, le rapporteur souhaiterait apporter une pièce complémentaire. C’est un article du Pays briard, en date du 20 décembre 2017, intitulé : « Rozay-en-Brie. Le père du policier suicidé met en cause la hiérarchie policière ». Entre les lignes, il y apparaît que l’Etat-employeur gère le suicide de ses salariés comme toute entreprise : en imposant la loi du silence. En ne procédant à aucune remise en cause :

« Le policier national assurait la protection de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. L’homme ne travaillait pas le jour du drame mais il s’est suicidé avec son arme de service. Pour la famille du défunt, les explications seraient d’ordre professionnel.

« Mon fils disait à quel point son administration était inhumaine, en particulier les directeurs plus soucieux d’assurer leur carrière sur le dos des policiers de terrain », explique Jean-Louis T. d’une voix émue.[...] Surtout, il n’avait pas obtenu un poste qu’on lui avait promis : « J’ai remarqué un changement de comportement depuis ce jour-là. Lui, si souriant, affichait sa tristesse ».

Jean-Louis T. a été auditionné à deux reprises dans le cadre de l’enquête menée par la compagnie de gendarmerie de Coulommiers : « Les questions étaient axées sur les raisons personnelles, pas sur les difficultés que mon fils pouvait rencontrer au travail ». Et de demander que « l’administration reconnaisse ses responsabilités ». En outre, le père du défunt affirme avoir fait l’objet « d’une pression psychologique et de chantage du procureur ».

Le parquet de Meaux rejette ces accusations. « L’enquête menée n’est pas à charge, indique la procureure Dominique Laurens. Nous avons entamé une procédure de recherche des causes de la mort pour savoir s’il s’agit d’un suicide ou si l’homme a été tué par un tiers. Nous faisons tout pour qu’elle se termine le plus vite possible ».

Jean-Louis T. a été reçu près de trente minutes par le chef d’escadron Sébastien Jouglar. Cette entrevue spontanée a permis au patron des gendarmes de Coulommiers d’expliquer la procédure. « Il regrettait de ne pas avoir eu accès aux lettres de son fils, mais il s’agissait de pièces à conviction. Depuis, le père a reçu une lettre qui lui était destinée, mais pas celle adressée aux supérieurs de son fils », fait savoir le militaire.


8.   Au-delà : un arsenal de mesures

L’entrée des troubles psychiques dans le tableau des maladies professionnelle, leur reconnaissance, apparaît au rapporteur comme un impératif de justice, comme une exigence d’efficacité.

C’est un préalable.

Une base minimale.

Mais nous ne prétendons aucunement que cette condition, nécessaire, suffise, à elle seule pour diminuer fortement les affections mentales liées au travail. C’est tout un « arsenal », on l’a dit, qui est à développer.

Aussi, souhaitons-nous livrer, ici, quelques propositions rencontrées au fil de nos auditions, de nos lectures, ou dans les rapports rendus par nos prédécesseurs.

Taxer les arrêts-maladie

Marine Jeantet, pour l’Assurance-Maladie, nous a fait part d’une expérience qui pourrait être prometteuse : « Nous disposons des données sur les arrêts de travail, à travers les indemnités journalières. Et dans la même maison, à la CNAM, nous avons accès aux consommations médicamenteuses. Donc nous pouvons croiser, dans toutes les entreprises, l’absentéisme et l’usage d’anxiolytiques. Ça en fait tout de même, bien souvent, un indicateur de malaise. Nous pouvons rencontrer les dirigeants et leur dire : "Chez vous, il y a une proportion de salariés qui consomment plus d’anxiolytiques que chez vos concurrents". À la fin de l’entretien, ils demandent plus d’éléments car, tout d’un coup, ils se rendent compte que c’est pas forcément la faute du médecin prescripteur. Et je n’exclus pas, je l’ai même écrit dans le projet de contrat d’objectifs et de gestion que je suis en train de signer avec l’État, je n’exclus pas à terme une sanction pour les entreprises récalcitrantes. Parce que ça reste un sujet très sensible, nous ne sommes pas toujours accueillis à bras ouverts, et pour l’instant, je n’ai pas un soutien franc et massif du patronat...

Il faut voir comment ça se passe, peut-être que, vous savez, l’effet radar suffit. Rien que dire : « on va mettre des radars partout », les gens baissent leur vitesse.

Avec timidité évidemment, avec un sens de la litote, mais la directrice des risques professionnels à la CNAM ouvre ici une perspective intéressante : taxer les arrêts-maladie liés à des troubles psychiques. Et cette proposition paraît pleinement complémentaire de la nôtre : en effet, la reconnaissance ne vient en soutien, nous en sommes bien conscients, que des cas les plus graves, qui en garderont des séquelles à vie. Les arrêts, même de longue durée, de trois, six, ou neuf mois ne sont pas concernés. D’où notre intérêt pour cette hypothèse, émise par la CNAM.

Name and shame

Dans son livre Les Désordres du travail, Philippe Askénazy relève que l’Inspection du travail américaine, l’Occupational Safety and Health Administration, publie « régulièrement la liste noire des établissements - avec le détail de leurs raisons sociales - qui ont reçu un avertissement parce qu’ils présentaient une fréquence trop élevée d’accidents et de maladies du travail. Les inspections du travail sont disponibles sur le site de l’OSHA, en quelques clics on peut obtenir le rapport détaillé des inspecteurs. À titre d’exemple, le site de l’OSHA fournit le résultat de l’inspection menée début 2003 à l’hôtel Mirage de Las Vegas. L’inspection de routine non notifiée à l’avance relève 38 violations de la législation, dont 14 considérées comme graves ! Au total, en juin 2003, les amendes initiales et renouvelées atteignent plus de 45 000 dollars. Tout citoyen peut obtenir le détail de ces violations.

Ces informations offrent bien sûr des arguments aux syndicats présents dans l’entreprise. Elles peuvent rebuter des candidats au recrutement. Plus ‘grave’, des consommateurs ou bien des donneurs d’ordre qui recherchent des sous‑traitants de qualité risquent de se détourner. Encore plus sérieux, ces documents sont lus par les assureurs de l’entreprise. On touche là à la principale motivation de la réaction des entreprises américaines ».

Le psychiatre Patrick Légeron, membre de l’Académie de médecine, prolonge cette initiative : « Il y a des labels, pour les entreprises propres pour la planète, il pourrait y avoir des labels d’entreprises propres. Le ministère de la Santé avait une idée assez intéressante, ce qu’on appelle en anglais le name and shame. Ça avait évidemment beaucoup remué les entreprises, et le président actuel, alors à l’Économie, avait stoppé ça, mais il faut y réfléchir ».

Libérer les médecins

Le précédent rapporteur sur le burn out, le député Gérard Sebaoun, lui-même médecin, notait que « souvent, les intervenants médicaux hors de l’entreprise ne sont pas en mesure de prendre en compte le lien entre la pathologie diagnostiquée et la souffrance au travail. C’est donc une dimension essentielle qui leur échappe ».

Et l’absence de reconnaissance officielle n’aide guère, sans doute, à l’information et à la formation du corps médical.

Mais les victimes de burn out nous ont fait part d’un autre souci : « Mon docteur, ça lui était interdit d’indiquer « dépression pour cause professionnelle ». Il n’a pas le droit, il peut se faire sanctionner ».

Et en effet, le rapport Sebaoun atteste que « des médecins ont été poursuivis devant les instances disciplinaires de l’ordre des médecins à l’initiative d’employeurs mis en cause ».

Le 6 mai 2015, le Syndicat de la médecine générale, l’Union syndicale de la psychiatrie, le Collectif des médecins du travail Ugict-CGT, publiaient un communiqué commun, intitulé : « Le Conseil de l’Ordre des Médecins est-il partial ? » Et eux estimaient « le nombre de plaintes d’employeurs contre des médecins, toutes spécialités confondues, à environ 200 par an, dont la moitié concerne des médecins du travail ». On comprend l’idée.

Le médecin observe un patient, et sa pathologie. Comment pourrait-il en connaître la cause ?

Aussi rejoignons-nous la proposition de Gérard Sebaoun : « Permettre au médecin du travail d’attester des pathologies constatées chez les salariés, et notamment des cas de souffrance au travail, et du lien avéré avec leur activité professionnelle après une enquête clinique approfondie ».

Mais encore faut-il qu’on permette, qu’on laisse le temps, au médecin du travail de mener ces « enquêtes cliniques approfondies »...

Une brigade dintervention

À l’entrepôt Lidl de Rousset, le délégué CGT Christophe Polichetti a alerté l’Inspection du Travail des Risques Psycho-Sociaux. Elle ne s’est pas déplacée. De même, Patrice Tonarelli, cadre supérieur, responsable entrepôt, est allé frapper à la porte de la Médecine du Travail. Pour lui, individuellement, on lui a prescrit un arrêt. Mais alors qu’il recherchait un soutien, pas seulement personnel, mais pour l’ensemble de ses collègues, aucune démarche ne fut lancée. Une poignée de jours plus tard, Yannick Sansonnetti se suicidait.

Aussi, nous émettons un souhait simple : que soit mise sur pied une brigade d’intervention dans les entreprises, lorsqu’à des salariés, à des syndicalistes, le danger paraît imminent. Associant, peut-être, Inspection du Travail et Médecine du Travail. Plus largement, ces deux corps devraient revenir à une mission d’enquête, dans les firmes où les indicateurs de malaise sont patents.

On en est loin.

Leur absence sur le terrain est patente, autant que leur impuissance.

Leur manque de moyens, la pénurie de personnel, sont organisés d’en haut depuis des années.

 


Témoignage. Yannick Sansonnetti, Lidl de Rousset. – Anatomie d’un crime managérial

Le jeudi 11 janvier 2018, le rapporteur se rendait à Aix-en-Provence pour une journée d’échanges autour du suicide de Yannick Sansonnetti, intervenu le vendredi 29 mai 2015 à l’entrepôt Lidl de Rousset.

Furent rencontrés :

– Patrice Tonarelli, responsable de l’entrepôt ;

– Vanessa Tonarelli, son épouse ;

– Christophe Boschetti, responsable expédition ;

– Patrick Martin, responsable préparation ;

– Christophe Polichetti, chauffeur routier, délégué CGT ;

– Dalila Kaci, employée administrative ;

– Nicolas Sansonnetti, frère de la victime ;

  – Christiane Sansonnetti, mère de la victime.

A l’intention de la représentation nationale, nous souhaitons porter un récit détaillé des événements à l’entrepôt Lidl de Rousset. Cette histoire apparaît en effet un cas idéal‑type, qui mérite pour les pouvoirs publics une étude approfondie : certes, se révèle un management mortifère. Mais se découvre surtout, et c’est sur ce point que nous insistons auprès du législateur, se découvre surtout l’absence de tiers pour s’interposer entre la direction et les salariés. Ni la médecine du travail, ni l’inspection, malgré les alertes. Ni, enfin, la police ou la magistrature : car à un moment, c’est bien d’un meurtre qu’il s’agit. Et de vies brisées.

Même le suicide ne semble pas arrêter le rouleau-compresseur.

Nous assistons alors, dans un quasi-huis clos, à une tragédie annoncée, inexorable.


Jusqu’à l’automne 2013 : le bonheur

Christophe B. : Je suis arrivé en 1998, je suis passé cadre en 2005, et jusqu’en 2013, tout allait bien ici. On était heureux. On traversait cette porte avec le sourire, tous ensemble, main dans la main avec les ouvriers. Avec, de temps en temps, ces petites batailles, mais c’est le chat et la souris, on connaît bien, toujours bon enfant. On a toujours discuté ensemble, que ce soit, avec la direction, avec les syndicats, il n’y avait jamais de gros soucis.

Nicolas S., frère de Yannick : Quand Yannick a signé chez Lidl, on aurait cru qu’il entrait à l’Elysée. C’était le summum. Jusqu’alors, il travaillait pour un sous-traitant, Lidl l’a débauché, et il était content, pour lui c’était une reconnaissance. On n’a pas fait de longues études, je peux vous dire que dans sa jeunesse il a galéré, il a passé trois fois son bac, il a fini par l’avoir. Alors, pour lui, Lidl, c’était une réussite, c’était un groupe qui marchait à l’époque, et il s’est dit « putain une entreprise comme ça qui me veut moi ! ». Il y était bien. On parlait tout le temps de ça.

Christophe P. : Notre directeur, Monsieur Delarose, c’était un homme. C’est lui qui a monté tous les Lidl dans le sud, dans les années 90. Aujourd’hui, ma vie professionnelle, je la dois à lui. À mon travail certes, mais à lui. Comme nous tous.

Christophe B. : Mais justement, il était trop humain. Pour leur projet Pôle position, pour monter en gamme, il fallait le dégager. Et donc, le Siège a fait venir un gérant, John Paul Scally, qui lui a mis la pression. Il lui a demandé de nous virer, de virer tous les cadres. Il a refusé.

Après ça, ils l’ont humilié. Comme il y avait des soucis d’inventaire, devant tous les salariés, sur les quais, ils lui ont fait dépiauter les palettes, nous avec, pour contrôler s’il y avait des manques, facture à l’appui. Rabaisser le DR à faire ça, on s’est dit « putain, faut aider le chef. » On était comme ça, soudés.

Patrick M. : Ils l’ont suspendu, finalement, au mois de septembre 2013. On lui a donné ses congés, ses RTT, on devait liquider son affaire, mais entretemps, il a fait un AVC.

Christophe P. : Maintenant, quand vous allez voir votre directeur régional... parce que moi c’est toujours mon directeur régional, ce n’est pas celui que j’ai là... Quand vous voyez cet homme, de cinquante-six ans, aujourd’hui allongé sur un lit, le corps coupé en deux, avec une bouche tordue, la main qui tombe, une lèvre pendante… Avec mon collègue, on est sortis de là, avec l’envie de pleurer. Et de la haine.

Le rapporteur : Donc c’est une maladie professionnelle, au fond ? C’est la première victime ?

Patrick M. : En tout cas, c’est le déclencheur de la nouvelle politique. Il n’était plus là pour protéger ses bonhommes.

Janvier 2014 - Changement de direction

Le rapporteur : Et donc, en janvier 2014 arrive un nouveau directeur régional ?

Patrick M. : M. Vautrin Arnaud. On bascule avec un mec de 30 ans qui vient d’être franchement nommé, qui a ordre de mission, qui est très ambitieux. 10 000 € par mois, une superbe bagnole, il marche sur l’eau forcément…

Vanessa T., épouse de Patrice : Un jour, mon mari m’a appelé en me disant : « Je ne sais pas quoi faire, ils veulent faire de moi un tueur et je ne suis pas un tueur ». C’est la phrase qu’il a prononcée.

Patrice avait une liste des personnes à dégager : « Untel n’est pas habillé correctement, il ne représente pas assez le style Lidl »... Alors, à ce moment, il a le choix entre sacrifier des gens, pour sauver sa carrière. Il fait un autre choix, que je respecte énormément. Je lui ai dit : « J’aurais préféré qu’on perde la maison plutôt que d’être mariée à un homme pareil, qui monte des dossiers pour abattre des gens. J’ai eu la chance d’épouser un homme qui n’est pas capable de ça ».

Et alors, il me parle de la statue dans le bureau de Vautrin, je n’arrive pas à l’appeler « Monsieur », ce type-là. Il me reparle de la statue qui tire...

Le rapporteur : C’est quoi cette statue ?

Vanessa T. : C’est une statue avec un tireur, à la carabine, qui vise...

Patrice T. : Moi, sur mon bureau, j’ai la photo de mes enfants, j’ai les dessins de mes enfants. Mais lui non, il n’avait que cet objet : un tireur.

Christophe B. : Et surtout, qui il visait ? Au mur, il y avait un organigramme avec nos photos et sur le meuble en dessous, donc, ce tireur qui nous visait.

Patrice T. : Concrètement, on me demande des têtes qui sont responsables de la mauvaise tenue de l’entrepôt. On me demande la tête de Christophe, on me demande la tête de Patrick, on me demande la tête de Yannick. 

Moi je dis clairement à Vautrin que s’il y en a un qui doit partir, c’est moi. Car je suis le responsable du service. Je veux assumer mes responsabilités.

Christophe B. : À nous aussi, on nous demandait de sortir nos agents de maîtrise, il fallait virer tout notre staff. Je ne travaille pas pour virer des gens, je n’ai pas signé pour ça. Comme on refuse, nous devenons les cibles. Ça ne va jamais.

Moi, par exemple, en expédition, j’avais droit à « zéro reliquat », c’est à dire qu’il devait rester zéro palette sur les quais. Il me restait une palette, je me faisais déchirer. Soi-disant parce que notre logiciel n’avait qu’une case, zéro reliquat. J’ai vu beaucoup d’entrepôts en France, j’ai jamais vu un entrepôt avec zéro reliquat, jamais. Vous avez beau faire tout ce qu’il faut, vous lui donnez les matrices qu’il faut, vous faites les contrôles qu’il faut, c’est jamais bon.

Patrice T. : Avec des remarques vexantes. Scally qui me balance, à propos d’un tableau informatique : « Ma nièce de trois ans fait mieux », j’avais quand même dix dans le poste...

Christophe B. : Et donc tout vous mine, tous les soirs vous rentrez chez vous, vous ne dormez pas, vous êtes laminés, vous vous affalez sur le canapé, vous êtes une merde quoi.

C’est là que je parle moi de déshumanisation, c’est à dire qu’on fait tout pour vous dégrader. Et vous avez beau essayer de relever votre niveau, au bout d’un moment vous n’y arrivez plus et là vous vous dites « le problème c’est moi ».

Mai 2014 - septembre 2014 : Première alerte

Christophe P. : L’ambiance est plus que pourrie, délétère. Alors, avec mon pote Henri, de la CGT, on s’est rendus à l’inspection du travail : « Voilà, il se passe ça, ça, il y a des détails, il y a des signaux ». On manipule la secrétaire du CHSCT, aussi, pour qu’il y ait une enquête, une enquête sur notre entreprise, sur la méthode managériale...

Quand l’autre, là, le Vautrin, il a appris ça, il m’a interpellé dans son bureau : « M. Polichetti, vous vous rendez compte, une enquête ça vaut 50 000 euros ? ». Je l’ai regardé, je lui ai dit : « Bah, vous vendez votre Audi Q7, ça paiera la moitié ». Il me menace aussi : « Vu la vétusté de l’entrepôt, vous allez mettre tous vos collègues au chômage, il faudra leur expliquer ».

Mais après, avec Henri, on a réussi à manger le cerveau aux autres élus, à leur dire : « Faut y aller, faut voter cette enquête » En juin, ils votent l’enquête. Et au mois de septembre, l’autre, il les achète, il leur donne 4 heures de délégation en plus, il annonce la fermeture de l’entrepôt, et eux se dégonflent, ils votent contre l’enquête.

Le jour où Yannick est mort, certains, je leur ai dit : « Vous avez du sang sur les mains, et ça on en parlera au tribunal. - Non, il ne faut pas dire ça. - Si. Vous avez du sang sur les mains, vous êtes complices. ».

Janvier 2015 : L’audit

Patrice T. : Jusqu’au sacré audit. En douze ans de cadre, en 20 années de Lidl, je n’ai jamais vu un audit pareil. Ja-mais. A tout regarder. Tous les services. Tous les classeurs. Des photos à gogo. Ils ne laissaient rien passer. Mais des choses hallucinantes. Rien que dans cette pièce, je vous trouverai cent fautes. Donc c’était fait exprès.

Dans Cash investigation, il y a cet enregistrement, on hurle sur un directeur, en lui disant « de toute façon on va te faire audit sur audit, et on va te tuer ! », mais c’est exactement ce qu’il s’est passé à l’époque. C’était des audits, des audits, des audits et si l’audit n’était pas vert, et il ne l’était jamais, forcément !, c’était la porte ! Le moyen ultime, c’était les audits !

Christophe B. : Il faut savoir, surtout, qu’on était dans un entrepôt très vieux, qui dataient de 1960. Lidl l’exploite depuis 1993, mais il était voué à fermer, on devait déménager, un projet repoussé année après année, des permis de construire déboutés, etc. Mais donc, le Siège n’investissait pas, pas de travaux, pas de nouveaux appareils, puisqu’on devait partir.

Patrice T. : Pour donner un ordre d’idée, quand il pleuvait dehors, il pleuvait aussi dedans. On a passé des journées, des dimanches, avec Yannick, avec Christophe, à pomper l’eau. Mais un audit dans un endroit pareil, forcément, c’est le bingo, c’était un enfer à nettoyer.

À signaler, tout de même, que les auditeurs ont perdu un classeur de Yannick. Le classeur sécurité. C’était sa bible, c’est là où il rangeait toutes ses prestations. Je l’ai vu le lendemain, il était en furie. « Comment je vais faire ? Comment je vais faire ? Je sais pas. » Mais le plus drôle c’est que, dans leur rapport, ils lui ont mis la faute sur le dos : « classeur manquant ».

Mi-mars : Le rapport d’audit

Patrice T. : Le rapport tombe, un pavé, 300 pages, rien ne va : la couleur des classeurs, véridique, les joints dans les dallages, des microfissures, la clôture déformée, le manque d’un tampon, l’absence d’interphone, la rouille sur le portail, etc. Et on a tous rendez-vous dans le bureau de M. Vautrin, tous les cadres plus Yannick, qui s’occupait de la maintenance. Et dans cette réunion, en résumé, il nous dit catégoriquement qu’il va nous virer.

Nous sommes chargés de tout résoudre, et dans quels délais ? Pour 47 mesures, c’est noté fin mars, pour 60 autres, fin avril. On a un mois max, et on doit lui remettre un contre-audit, avec évidemment tout écrit avec des photos. Il voulait qu’on prenne, page par page, la photo avant et la photo après. 200 pages comme ça. On avait tous notre part, mais la plus grosse tartine était pour Yannick.

Christophe P. : En plus de notre travail, alors que nous étions déjà surmenés. Le rapport de Cateis l’a fait apparaître : dans l’organigramme, en théorie, trois postes étaient prévus pour la maintenance, Yannick les occupait seul.

Le rapporteur : J’ai lu le rapport Cateis, pour le CHSCT. Il indique au printemps 2015 une activité effarante. En mars, Yannick Sansonnetti avait sept prestataires à traiter. En avril, il fait appel, c’est marqué, à 45 interventions extérieures !

Patrick M. : Sans oublier les chats, des chats vivaient dans l’entrepôt, c’était très important pour le Siège, mais on ne parvenait pas à les éliminer. Denis avait déjà fait appel à une boîte extérieure, spécialisée là-dedans, et ils avaient jeté l’éponge, ça proliférait trop. Alors comment nous, qui ne sommes pas spécialisés dans la capture des chats, comment on allait régler ce souci ? C’était l’épée de Damoclès, les chats. S’ils retrouvaient un chat dans l’entrepôt, en gros, on était virés.

C’est infernal !

Vous aviez des cadres dans cet entrepôt qui passaient le balai...

Patrice T.: On se disait toujours : ‘Comment ça va se terminer ?’

Le rapporteur : C’est-à-dire ?

Patrice T. : J’avais peur que ça se termine par un drame. Je suis allé voir la médecine du travail, et je lui ai dit : « Les choses vont vraiment très mal, docteur. Vraiment, il faut faire quelque chose parce que j’ai peur qu’il arrive un malheur ! » Je le voyais déjà, moi, vu comment on se sentait, comment on était à cran, la pression qu’on subissait…

Elle m’a conseillé, pour moi, de me mettre en arrêt. J’ai pris trois rendez-vous avec la psychologue, parce que je me sentais vraiment très très mal ! Dans mon for intérieur quoi ! Elle m’encourage à m’arrêter. Mais c’était un échec pour moi ! Merde ! J’abandonnais les autres ! Je ne mérite pas !

Surtout, je tentais d’alerter pour l’équipe, pas seulement pour ma personne. Mais ça n’a servi à rien, je crois que la médecine du travail n’est pas intervenue. Elle ne s’est pas rendue sur place, est-ce qu’elle a envoyé une lettre ? Je crains que non.

Aussitôt après le drame, elle m’a appelé : « M. Tonarelli, comment vous allez ? ».

21 avril 2015 - arrêt de Patrice T.

Patrice est silencieux. Des larmes coulent sur ses joues. Sa femme prend le relais du récit.

Vanessa T. : C’étaient des trucs de fou. Mon mari ne vivait que pour ça, le point rouge, le point vert, je n’entendais parler que ce ça.... Il y avait l’échéance, dans une semaine... On n’arrivait plus à s’appeler, il était en réunion tout le temps. On communiquait par sms...

Un jour, il m’appelle, et il s’énerve, comme si je ne comprenais pas la période qu’il vivait, que c’était dur, il me lâche : « Qu’est-ce que tu attends ? Qu’est‑ce que tu crois ? Que je me mette une balle dans la tête ? »

Voilà, un jour, mon mari m’a dit ça, et c’était une chance. A ce moment‑là, je lui ai dit quitter tout de suite l’entreprise : « On a des enfants, on a une famille, tu vas directement chez un médecin et tu t’arrêtes ». Donc, il s’est arrêté le 21 avril exactement. 

Ensuite, je m’en rappellerai toute ma vie, un matin le téléphone a sonné et c’était Patrick à 7h pour lui annoncer le décès de Yannick. C’est un moment dont je me souviendrai, comme les personnes à qui l’on demande où elles étaient le 11 septembre. 

Ça a complètement tout bouleversé. La première des choses que mon mari m’a dite, c’est : « Je n’aurais pas dû m’arrêter. Peut-être que si j’étais resté, il ne l’aurait pas fait ».

Après on a discuté ensemble, il m’a dit qu’il n’aurait pas fait comme Yannick. Mais comme quoi, il y avait pensé, plutôt dans son bureau avec des médicaments. Car à un moment la famille ne compte plus, plus rien ne compte, vous avez l’impression que vous n’êtes plus personne...

Patrice T. : On ne se sent plus utile.

Vanessa T. : Il y a ce moment de désespérance. À un moment, vous pensez que les autres seraient mieux sans vous...

Patrice T. : C’est rendre service car on ne sert à rien.

Lundi 27 avril 2015 deuxième burn out - Christophe B.

Christophe B. : A la période du contre-audit, j’étais déjà pas mal amoché mais je m’accrochais.

Je travaille le lundi, je travaille le mardi, je travaille le mercredi, je travaille le jeudi, je travaille le vendredi, je travaille le samedi. Pas de jour de repos. Le dimanche, j’ai un téléphone d’astreinte. A 15h30, je dis à mon fils : « Viens, on sort un peu », il y avait des médiévales à Saint Maximin. A peine dehors, le téléphone sonne, un problème de froid, je retourne à l’entrepôt. 

Le lundi, je vais travailler à 9h et je me fais évacuer par les pompiers.

Le rapporteur : Vous tombez ?

Christophe B. : Mes jambes ne tenaient plus. Je suis arrêté pour burn out, directement emmené à la cellule psychologique ou psychiatrique. C’est eux qui m’arrêtent, tout de suite pour burn out. 

Je vais donc chez moi. Et de chez moi, comme j’ai du mal à lâcher car on sent qu’on laisse tomber les collègues, j’appelais souvent Patrice, qui est toujours sur place... 

Mai 2015 - Troisième alerte

Patrick M. : Dans les symptômes, c’est vite fait. J’arrivais à la maison, j’enlevais même pas ma veste, j’allais au placard, je buvais un verre de whisky, je le buvais pratiquement cul sec. Après, ça allait mieux, c’était ma drogue. J’étais dans un état qui ne pouvait pas durer. D’autant que Patrice et Christophe en arrêt, je me suis retrouvé seul.

Aussitôt, le 28 avril, j’ai appelé l’inspection du travail : « J’ai deux cadres qui vont mal, qui sont en burn out et un gars, le directeur, qui me harcèle ». L’inspecteur m’a répondu : « Le harcèlement, ce n’est pas palpable, je ne peux pas débouler comme ça comme un shérif ».

Entre temps, il y a eu l’épisode Yannick, et je vous garantis qu’ensuite, l’inspecteur du travail, il a fait profil bas, parce que les sonnettes d’alarme ont été tirées. J’ai aussi contacté la médecine du travail, mais elle ne m’a pas épaulé.

Et pour Vautrin, le directeur régional, tout était « normal »...

Le vendredi du drame, j’ai bu un café avec Yannick. Je le sentais préoccupé, mais je n’ai pas forcément fait attention. Le soir, quand je suis parti, son bureau était encore ouvert.

29 mai 2015 - Suicide de Yannick Sansonnetti

Nicolas S. : Il a fait ça le vendredi soir, d’après le médecin légiste. Le mercredi soir, je l’avais appelé, parce que ça n’allait pas, et j’ai passé deux heures au téléphone avec lui. Il n’a rien lâché, c’était tout lui, il serrait les dents. Quand j’ai raccroché, il m’a dit : « je t’assure ça va », mais je savais que ça n’allait pas. Il avait le projet d’acheter une maison, il était stressé comme un malade car il avait peur de se faire virer, de ne pas avoir le crédit, de ne pas réussir à le payer. Avec sa compagne, ils venaient d’avoir un gamin, ils en désiraient peut-être un deuxième, mais son avenir professionnel lui paraissait incertain, l’horizon était bouché. Voilà. C’était compliqué. C’était toujours : « On va me couper la tête, on va me vider ». On s’occupait tous les deux d’un club de tennis à Coudoux, et chaque semaine, on parlait de Lidl, c’était toujours Lidl. Y avait que ça. Il était face à un mur.

Le vendredi soir, donc, ma belle-soeur me joint : « Je suis inquiète, je n’ai pas de nouvelle. Il n’est pas allé chercher notre fils. » Ça n’était jamais arrivé. Son fils, c’était la prunelle de ses yeux, toute la famille était aux anges !

On appelle partout, je passe chez elle, et je regarde son iPad, l’historique. Je m’en rappellerai toute ma vie : la dernière page consultée, c’était « les méthodes pour se pendre ». Apparemment, il avait cherché ça le lundi, le mardi, c’était tous les jours. J’ai pris ma bagnole, j’ai filé à Lidl comme un fou. J’ai été reçu par une personne qui m’a dit : « Écoutez, on a du travail, on a une cadence à tenir, on n’a pas que ça à faire ». Je l’ai prévenu, j’ai crié, j’étais énervé : « S’il arrive quoi que ce soit à mon frère, je vous tiens pour responsable ». Je me suis rendu à un deuxième entrepôt, et quand je suis revenu, il y avait les pompiers, ou la police. Le vigile vient vers moi, en pleurs, et on n’a pas eu besoin de se parler. On s’est compris.

Il s’est pendu dans la chambre froide, avec des cadenas. Monsieur Vautrin est arrivé, sur le parking je l’ai insulté, mais je me suis trompé, c’était Johnny, je ne connaissais pas les têtes.

Mercredi 3 juin - Enterrement de Yannick Sansonnetti.

Christophe P. : Le mercredi de l’enterrement, ça m’a marqué : il y avait les bus pour aller au cimetière, on est tous habillés pour la cérémonie, on va pour monter dans le car. Là, le fameux Scally nous interpelle : « Si vous ne reprenez pas le travail demain, moi, j’ai le pouvoir de faire fermer l’entrepôt ». Avant les funérailles de Yannick. Il y a eu un élan. Je croyais qu’il allait se faire lyncher. Même ma femme, la première, elle est partie, ma femme qui parle pas mal, elle a déraillé. Toutes étaient saisies d’effroi.

Patrick M. : Un autre détail. Quand on a eu ce gros audit, un lundi, on voit débouler Scally et Fuchs, le grand gérant France. A six heures du matin. Pour ça, ils s’étaient levés tôt. Quand Yannick est décédé, il n’y avait personne...

Nicolas S. : Dans les jours qui ont suivi, on a balancé dans la boîte aux lettres de ma belle-sœur un courrier de Lidl, comme quoi ils étaient de tout cœur avec nous dans cette épreuve difficile etc., avec un chèque de 10 000 euros pour « faire face aux frais »… Nous n’avons eu aucun contact avec Lidl, il ne nous a même pas été remis en main propre. « On vous file 10 000 euros, faites pas chier… ». C’est pas cher la vie. À part ça, nous n’avons eu aucun contact avec Lidl.

M. Maroldt, dirigeant de Lidl France, des relations sociales, à la télé, devant six ou sept millions de personnes, se permet de dire « je gère le dossier de M. Sansonnetti », ce monsieur je ne sais pas qui c’est. On ne l’a jamais vu. On n’a jamais reçu une lettre de sa part. Je ne savais même pas qu’il existait.

Mais l’histoire, si vous me permettez, ne s’arrête pas là. Il faudrait raconter l’après, aussi. L’inspection du travail, à un moment donné, j’étais quasiment tous les jours dans son bureau, je l’ai harcelée. Le rapport, il a été remis deux ans après ! Deux années ! C’est anormalement long. Et pourquoi il l’a rendu, finalement, ce rapport ? Parce que l’émission Cash investigation allait passer à la télé. C’était une semaine avant.

Christophe P. : C’est ça, je ne veux pas être négatif, mais c’est ça. Vous me pardonnerez : la mort de Yannick, ça n’a servi à rien. Ils s’en fichaient. Ça a fait plus bouger quand Elise Lucet est venue. Ça les a gênés, plus, bien plus, que le décès de votre frère.

Christophe B. : Et l'écœurement que Vautrin soit simplement « déplacé », même pas viré. Tous les jours, ils virent du personnel, chez Lidl, sous tous les prétextes. Là, il y a mort d’homme, les responsabilités du DR sont lourdes, mais il juste « déplacé ». Sa carrière continue.

Août 2015 - le retour des cadres

Patrice T. : Après le drame, Vautrin est parti, Scally est parti, en août, je me suis dit « Je veux bien réessayer ». J’ai prévenu, bien sûr, et un vendredi je retourne au boulot. Je ne m’attendais pas à des fanfares, à des acclamations, à des « Merci, tu nous as manqué », mais quand même. Là, je me rends compte que l’on ne m’attendait plus. Quelqu’un d’autre avait pris ma place, avec son nom sur ma porte. Je m’attendais à un peu de respect, qu’on prenne de mes nouvelles, « Comment tu vas ? » Mais d’emblée, le nouveau directeur m’annonce : «Écoute, tu sais, tu as un poste à responsabilités, tu as été absent pendant quatre mois, on ne va pas forcément te faire revenir ici, peut-être qu’on va t’envoyer sur un autre site à travers la France … ». C’était le petit plan pour se débarrasser de moi. Je rentre, je prends ça dans la gueule. Je me dis : « Quel crime j’ai commis, mis à part d’être malade, et dans quelles circonstances ? » Là, il m’est venu un regain de force : « Si tu veux qu’on la joue comme ça, pas de problème. Je vais voir la médecine du travail, les inspecteurs du travail, je les informe de votre accueil ».

Vanessa T. : C’était vraiment décevant. On avait placé beaucoup d’espoir. On se disait que son geste, Yannick l’avait fait aussi pour les autres, pour ceux qui restaient. Que la direction allait prendre la mesure du malaise, en faire un endroit humain.

Christophe B. : J’ai reçu le même accueil, une semaine après Patrice. Plus de bureau, plus d’affaires, le nom de mon remplaçant sur le téléphone... J’ai fait deux ans de placard, avec des vexations, on surveillait mes horaires, etc.

Le rapporteur : Vous en êtes où, maintenant ?

Christophe B. : Je me suis accroché, alors ils m’ont confié un autre service. Mais là, en octobre, j’ai explosé en vol. C’était la semaine de Cash Investigation, le directeur était sur mon dos, et plein de choses me sont remontées à la figure. À un moment, un collègue me tend un carton, pour attacher les transpalettes. Je l’ouvre, c’était rempli de cadenas, et Yannick s’est pendu avec des cadenas. J’ai failli tomber en arrière. Je me suis senti K.-O. Je suis en arrêt depuis.

Le rapporteur : Et vous ?

Patrice T. : J’ai tenu bon. J’ai géré le déménagement. J’ai récupéré mon poste. Je ne compte pas mes heures, ni mon travail, je fais avec les moyens du bord. Je subis toujours des remontrances, parce que j’ai témoigné, mais je ne me laisse plus faire. Quand les gérants descendent, après la réunion, on fait sortir tout le monde de la salle, et là, c’est mon moment. Ils me rabaissent : « Est-ce que tu es sûr que tu es toujours compétent pour le poste ? »

Christophe P., CGT : Je me rappelle le jour où Patrice est revenu, j’étais dans ma semi-remorque, il est arrivé, je suis descendu on a discuté. Je lui ai dit : « Tu es mort. Tu as trahi la cause. Tu es un cadre, tu as parlé. Tu as eu le courage. Tu as parlé à l’inspection du travail, tu as parlé aux gendarmes, tu as parlé à la Carsat, respect. Respect à toi ». Je vais être grossier excusez-moi, mais, comme on dit entre hommes : « Tu as posé tes couilles sur la table, alors que, y en a beaucoup qui se seraient fourvoyés, qui auraient accepté le deal pourri des psychopathes et des sadiques, pour garder leur 4000 € par mois et leur Audi. Toi, tu n’as pas voulu, mais je lui ai dit : « Tu es mort. » Même, la direction nous a forcé la main, même nous, la CGT, pour leur rentrer dedans, à toi et à Christophe.

Patrice T. : On était dans un étau, entre le haut qui nous pressait et eux en bas, on était au milieu...

Christophe P. : Certains ont accepté, mon collègue et moi non. Parce que nous on savait. Un jour, on les a tous rattrapés et on leur a dit : ‘Les gars, si y a un procès Yannick, si aujourd’hui on parle de Lidl, c’est grâce à trois personnes :

Tonarelli, Martin, Boschetti. Parce que pour les médias, pour la justice, nous, oh, encore des prolos... mais là, il y a des cadres qui parlent.’ Quand tu regardes les émissions de télé, les cadres ont toujours des voix déformées, dans l’ombre, que du off. Les cadres, ou ils se barrent, ou ils vont voire des psys. Ils mangent du Xanax pour tenir. Eux non. Ils parlent.

Décembre 2015 - le rapport Catéis

Christophe P. : On se disait ‘J’espère que l’entreprise, y aura une prise de conscience. Ils vont dire stop, on arrête tout, on va disséquer le truc.’ Mais quand Catéis rend son rapport au CHSCT, là, on comprend. Le déni. Le déni complet. C’est du lourd, leur truc, quand même. Ils ont rencontré tout le monde, analysé les tâches, les organigrammes, les contrats de travail, etc. Et derrière, Lidl ne reconnaît pas. Ils remettent tout en cause : « Non, les audits c’est pas comme vous le dites, ce n’était pas dans cette perspective d’harceler les gens, de leur faire su mal, mais de mettre en avant les faiblesses de l’entreprise pour pouvoir être plus performants ». Alors, à un moment donné, je leur ai dit : « Vous mettez en cause la parole de deux-cents salariés, toutes hiérarchies confondues ? ».

Yannick est mort, mais ça n’avait servi à rien. Ça n’avait servi à rien ! Ils ont commencé à bouger quand Elise Lucet est arrivée. Pour l’image de marque de l’entreprise. Là, oui, y a eu des réunions de crise. Et ils ont recommencé comme au début, on se tutoie, on s’appelle par le prénom, comment tu vas ? « Je vais te foutre à la porte, mais ça va mon pote ? » Voilà, cette espèce d’hypocrisie, de faire la famille et tout. Là où ils où ils ont tilté, putain, c’est avec Elise Lucet. Là, oui, ils ont pensé : « On s’est fait bananer. On s’est fait avoir ». Voilà le truc, la télé. Mais nous, ils s’en foutent royalement ! La preuve ! La preuve elle est là ! Deux ans après ! Regarde Patrice ! Regarde Christophe ! Regarde Dalila !

12 octobre 2017 - Burn out de Dalila Kaci

Dalila K. : Je suis rentrée chez Lidl en 1995, comme employée administrative. Je m’occupais des affiches, à envoyer dans tous les magasins, et vraiment j’adorais mon métier. Je m’y consacrais, sans compter mes heures. J’oubliais de rentrer chez moi ! Même la direction me l’avait reproché, gentiment...

Le rapporteur : Et ça s’est cassé ?

Dalila K. : A partir de 2014, on nous a imposé des changements, de ‘la polyvalence’, mais ça nous désorganisait. On nous a mis dans un local trop petit, aussi, sans fenêtre. Mais à trois, avec Audrey, avec Sabrina, on formait une équipe, on se serrait les coudes.

Ensuite, on a déménagé dans le nouvel entrepôt. On arrive avec un engouement mais là, sur le nouveau site, la badgeuse… Moi, souvent, je venaisavec une demi-heure d’avance, mais là, impossible de se badger, on devait attendre notre heure, immobile. Et trois minutes en retard, on vous convoque... Il fallait que je justifie mes trois minutes ! Avec toute une procédure ! Alors que depuis vingt ans, je vous jure, Lidl c’est ma vie.

La nouvelle cheffe me faisait des remontrances. Pour elle, j’étais le maillon faible du service. Quand elle mettait le nez dans mon travail, c’était toujours suspicieux : « Est-ce que ça, tu l’as bien envoyé ? » Toute une pression, dure à décrire, mais de plus en plus forte, qui m’a énormément fait du mal. Mon travail, déjà, il est stressant, un stress positif, tous les jours les affiches doivent partir à l’heure. Mais elle m’attribuait des tâches en plus, notamment, ce printemps, je devais mettre en place une procédure sur le « non-food ». Je courais, je courais. Et là, elle me reproche : « Oui, mais vous perdez du temps, hier par exemple, je vous ai entendue dire à votre collègue « Ah ben, tu es bien coiffée, tu as une jolie tresse ». Alors là, j’enlève mes lunettes, je dis : « Madame, je suis dans votre bureau pourquoi en fait ? Je ne comprends pas là. Je suis bienveillante avec les collègues de travail. J’ai toujours un petit mot gentil, on se fait la bise, on se dit « bonjour, tu as des nouvelles chaussures », mais ça a toujours été ». Elle m’adresse encore des reproches, infinis. Je sentais l’anxiété qui montait, des tremblements. « J’ai travaillé durant des années, et aujourd’hui, vous partez en guerre contre moi ». Mais je suis sortie, je ne voulais pas fondre en larmes. Et donc ce mercredi, à la fin de mon poste, je me suis sentie vraiment vidée. Je suis allée chez mon médecin qui m’a arrêtée. J’étais en surmenage, très très anxieuse.

Je reviens après les vacances, le 11 septembre. Notre cheffe s’immisçait dans mes taches, elle empêchait les collègues de me donner un coup de main, alors qu’on avait toujours eu cet esprit d’équipe. On s’entraidait, mais ça devenait interdit. Elle était sur notre dos, si c’était pas sur moi, c’était sur Sabrina, sur Audrey. Nous trois, ça faisait un triangle, on se disait toujours : « Il faut tenir, il faut tenir, il faut tenir ».

Les semaines 38-39-40, on avait une réimplantation de toutes les affiches, et je me suis retrouvée toute seule pour faire l’assemblage, j’ai travaillé, j’ai fait, j’ai travaillé à pas d’heure, personne ne m’a soutenue, des machines sont tombées en panne, et malgré ça, j’ai atteint l’objectif. Je suis rentrée chez moi vidée, épuisée, en pleurs, mais j’ai atteint l’objectif.

Jusqu’au jour où j’ai craqué, le jeudi d’après, j’ai craqué le fameux 12 octobre. Le jeudi, pour moi, c’est une journée rouge. Et donc, notre cheffe nous déclare : « Il va y avoir une réunion à 11h15 les filles... -Mais, Stéphanie, je demande, elle va durer combien de temps cette réunion ? Parce que moi j’ai 27 magasins à préparer, qui doivent partir, les camions n’attendront pas. -Bah je sais pas, 20mn, une demi-heure, 1h, on verra... -S’il n’y a rien d’urgent, j’ai suggéré, on peut la reporter à 14h? » Et là elle me dit : « Non ». Alors je regarde mes
copines, j’étais en panique : « Moi JE NE PEUX PAS ! ». Là, elle se lève, et elle lance : « De toute façon, avec toi il y a toujours des problèmes, tu fais toujours des remarques ». Je ressens une humiliation, mais alors gratuite, devant les collègues, comme quoi le problème c’est moi.

Et là je me suis arrêtée. J’ai commencé à…, disons, à… à… à suffoquer, à… à perdre pied, voilà je me suis recroquevillée de… de… dans… dans… mes mains dans ma… ma… mes…, mes mains, ma tête, je sais plus, j’étais vraiment… j’étais vraiment mal, je n’arrivais plus à respirer.

Audrey s’est levée : « Dali, tu es trop blanche. Prends un verre d’eau ». Sabrina m’a dit : « Écoute, sors, va prendre l’air », et j’ai répondu : « Mais je peux pas, mes jambes elles tremblent, si je ne me tiens pas, je vais tomber ». J’ai pensé « Je vais voir le directeur. » Donc, je me suis traînée tant bien que mal pour sortir. Je suis montée à l’étage. Ça a été un parcours, j’ai oublié de prendre, j’aurais dû prendre l’ascenseur, j’ai oublié, donc je suis montée. Mais il était absent, alors je me suis sentie abandonnée de tout le monde. Je me suis dit : « C’est pas possible, il ne me reste qu’une chose à faire, j’ai dit, c’est bon, j’ai dit, là ça fait trop de pression... » Moi j’y ai cru, à l’inauguration, j’y ai cru, à Lidl, à l’enseigne, qu’on est une famille, c’est pas vrai on n’est pas une famille. Le management, sincèrement, c’est que de la souffrance. La cheffe, elle voulait se débarrasser de nous... J’ai pensé : « Je trouve les escaliers, je monte sur le toit, je me jette, tant pis », ou « Je me jette sous un camion », mais ils m’ont arrêtée, ils m’ont empêchée.

Le rapporteur : Vous en êtes où maintenant alors ?

Dalila K. : Je le vis comme un échec. Je me dis ‘comment on peut faire du mal à des employés ?’ Du coup, mes copines ont arrêté aussi. C’était obligé, si y en a une qui craque, les autres craquent.

Le rapporteur : Donc tout le service est arrêté ? Toutes les trois ?

Dalila K. : Oui. Pourtant, on n’est pas des gens qui se plaignent

Qu’est-ce que je vais faire demain ? Lidl, c’était salutaire comme travail. J’ai une histoire avec Lidl. Je faisais passer mon travail avant ma vie affective. Je me suis jetée corps et âme dans mon travail. C’est pour ça que je n’en reviens pas. J’espérais partir à la retraite de Lidl…

Depuis 95, le seul pot de retraite qu’on ait fait, c’était pour un chauffeur. Sinon, les gens, ils partent comme ça, à chaque fois ils craquent.

Patrice T. : Cette histoire, ça illustre que le rouleau compresseur est encore bien présent. Et puis, comme je fais partie du comité de direction, j’entends les choses. Cet épisode-là, ils s’en fichent.

Le rapporteur : Ils disent quoi ?

Patrice T : Ils se satisfont de l’absence. Parce que, finalement, on est des personnes qui dérangent. Elles ont plus d’ancienneté, donc de la résistance aux changements. C’est plus facile d’opérer avec une nouvelle intérimaire, qui sort du chômage...

Le rapporteur : Elle rentre d’emblée dans le nouveau système de valeurs, plutôt que dans un système de valeurs à transformer.

Patrice T. : Exactement.

Dalila K. : Elles sont prêtes à tout accepter.

Christophe B. : C’est plus malléable.

Patrice T. : Notre absence leur retire une épine du pied. C’est terrible. J’espère tenir le coup. Si finalement demain je ne viens pas, c’est que du bonus pour eux.

Conclusion - « Rien ne bouge »

Nicolas S. : La veille de l’enterrement de Yannick, je me suis rendu à l’entrepôt. C’était pour faire comprendre aux salariés de LIDL qu’ils n’étaient pas seuls, qu’on lâchait rien, que ça ne resterait pas impuni.

Pour nous, c’est fini. Moi, j’ai ma vie qui est massacrée. Ma mère, sa vie est massacrée. Le petit tant bien que mal, il a deux ans, de son père il aura pas beaucoup de souvenirs... Notre vie elle est foutue.

Par contre, aujourd’hui, il y a des centaines de familles à Rousset qui souffrent, et je n’ai pas envie qu’ils revivent la même chose.

Moi, aujourd’hui, je regarde les infos, je vois des suicides, j’en peux plus. J’en peux plus. C’est maladif. Je me lève, je pense à mon frère. Je me couche, je pense à mon frère. H 24. J’ai arrêté de vivre il y a trois ans. J’ai qu’une envie, c’est revivre. Je suis jeune, je peux refaire ma vie, je n’y arrive pas. Alors, imposer ces choses-là à d’autres familles, c’est pas possible. Et aujourd’hui, on est tous conscients que rien ne bouge. A Lidl, ça continue. Dans plein d’entreprises...

Le rapporteur : Si vous pouviez quitter Lidl, aujourd’hui, vous partiriez ?

Patrice T. : Oui.

Vanessa T. : Mais regardez la double peine. En dix ans, mon mari ne s’est pas arrêté une journée. Une conduite d’eau avait pété, un dimanche après-midi, ils étaient là-bas avec les bottes. Ils ont tout donné à Lidl, dix ans de leur vie, ou plus. Ils ont subi du harcèlement, et ce sont eux qui doivent partir. Y a un sentiment d’injustice.

Mais pire, ils doivent quémander. C’est pas les gérants qui viennent les voir : « Bon, on ne souhaite plus travailler avec vous, on va négocier une rupture ». Pourquoi pas ? Non, on préfère presser les gens, avec des conséquences terribles. Et une fois qu’ils sont à terre, en rupture psychologique, ce serait en plus à eux d’aller quémander leur départ. « Bon, si vous le souhaitez, on va négocier une rupture ». Non, c’est à eux d’aller quémander leur départ. Et alors, Lidl a les cartes en main. Dans la négo, le gars ou la femme part avec un handicap. D’autant plus avec la loi travail, qui plafonne les indemnités prud’homales…

Christophe B. : Moi, c’est la même chose que Patrice : demain si on se met autour d’une table, d’accord je m’en vais. Mais la démarche je ne veux pas la faire moi. Je ne veux pas partir une main devant, une main derrière.

Patrice T. : C’est à eux de proposer.

Christophe B. : Leur manœuvre, c’est de nous pousser pousser pousser à la faute, de mettre la pression etc., avec les risques que ça peut engendrer. Ce serait plus simple de se mettre autour d’une table : ‘Bon, allez, on ne veut plus de vous, ça ne fait plus l’affaire. Qu’est-ce qu’on fait ?’ Ça, ils ne le font pas. Il faut que ce soit nous, toujours pareil, que l’on soit lessivés, pour monter à genoux : « S’il vous plaît, je veux partir ». Et là, on te donne un carambar... C’est ça leur truc. Ils font tout pour te laminer laminer laminer… À la fin, tu sors perdant, complètement.

Là, je suis en dépression, je n’arrive plus à me concentrer… Mon corps me dit non, je reste enfermé toute la journée chez moi, à remâcher, que je ne sers à rien, à rien, avachi dans le canapé. Je suis incapable de me poser, de réfléchir, de prendre une décision, je n’y arrive plus. J’étais chez mon psy avant d’arriver, ça peut être très très long, et voilà.

Moi, cette boîte, elle m’a tout donné, elle est en train de tout me reprendre. Je trouve ça comme une grosse injustice, on ne devient pas mauvais du jour au lendemain. C’est ce que l’on a voulu nous faire croire en 2015. Je vais de pire en pire. Plus ça avance, dans ma maladie, plus j’ai l’impression de dégringoler. Je n’ai plus confiance, surtout. Je me méfie.

Le rapporteur : De quoi ?

Christophe B. : De l’humain. J’ai vu le pire de l’humain dans cette histoire. Jusqu’où on pouvait aller. Pour un travail. Et encore, ça continue. J’ai très peu de respect maintenant, excusez-moi même, et j’ai énormément de mal de vivre en société. Je me méfie de tout le monde. Et je deviens un ermite. Il faut revoir tout le système, c’est totalement injuste : qu’est qu’on a fait ? Qu’est-ce qu’on a mal fait ? Rien.

Conclusion – La silicose du siècle

Dans le dernier roman de Sorj Chalandon, Le Jour d’avant, un père, agriculteur, tente de dissuader son fils Joseph d’entrer à la mine. Il lui promet la silicose, le charbon dans les poumons, « à moitié sourd, à moitié mort ». Il le tance : « Et tu sais quoi, Jojo ? Personne ne la reconnaîtra, ta maladie. A la visite médicale, devine ce que les médecins conseillent aux mineurs qui toussent ? D’arrêter de fumer. Ils trafiquent leur bilan de santé. Si tu es silicosé à 20 %, ils inscrivent 10 % sur ta fiche. Et tu sais pourquoi ? Pour que tu puisses redescendre, voilà pourquoi. Bon pour le service, le mourant !

Et si le gars meurt, il faut prouver que c’était la silicose. Il faut le déterrer. Il faut l’autopsier. Il faut l’emmerder une dernière fois pour que ses poumons dégueulent la vérité. Tout ça pour que les Houillères acceptent de payer trois francs de pension à sa veuve ».

On en est là, nous semble-t-il, aujourd’hui, pour « les troubles psychiques liés au travail ».

Dans le même déni.

Avec le même parcours du combattant.

Avec la même absence de justice, qui penche encore et toujours du côté des Houillères d’aujourd’hui.

Et peut-être pour la même raison : parce que la matière grise des cerveaux d’aujourd’hui est aussi essentielle à l’économie que l’anthracite noir des mines d’hier.

*

« Qu’est-ce qui en est à l’origine réelle ? Quelles en sont les causes ? Quelle est la part entre les questions professionnelles et les questions d’ordre personnel ? Comment faire la part entre les deux ? » Lors du passage en Commission, le jeudi 24 janvier 2018, les parlementaires de la majorité ont voté contre « la reconnaissance des troubles psychiques liés au travail comme maladie professionnelle ». « C’est un sujet important », a ainsi approuvé un député En Marche, mais estimant que « cela nécessite une approche multifactorielle et individualisée des cas ». Ou encore réclamant une « meilleure définition médicale ». Et enfin, optant plutôt pour la « prévention » ou « la sensibilisation ».

Esprit MEDEF, es-tu là ?

Dans son ouvrage La Science asservie, la chercheuse Annie Thébaud-Mony décrit cette « stratégie du doute ».

Si, par exemple, dans les usines d’amiante, les ouvrières souffrent d’asbestose, « les victimes en Grande-Bretagne ou en France n’apparaissent qu’exceptionnellement. La tuberculose est invoquée par les médecins, qui l’associent à une mauvaise hygiène des familles ouvrières ».

Quant au plomb : « Une association des industries au plomb est alors constituée pour lutter contre la propagande anti-plomb. Ils se sont acquis les services de Robert Kehoe, devenu directeur du laboratoire Kettering… qui devient la principale source d’information sur le plomb aux États-Unis et à l’étranger. Kehoe apparaît comme le fondateur d’un paradigme que Jérôme Nriagu a appelé « la règle de l’incertitude en cascade » : il s’agit pour les industriels de repousser sans cesse les contradicteurs, avec une demande de preuve, jamais apportée à leurs yeux ».

Cette tactique a prévalu, côté patronat, pour tous les scandales sanitaires du 20ème siècle : « le tabac, l’amiante, le plomb, la radioactivité, les pesticides, les pluies acides… Tous les cas cités s’inscrivent dans la grande stratégie organisée par les dirigeants des plus grandes firmes multinationales dominant chacune de ces industries ».

L’inscription, ou non, d’une pathologie dans le tableau des maladies professionnelles est toujours le fruit d’un rapport de force. D’une lutte, d’une lutte interne à la science, une lutte de classes qui agite employeurs et employés bien sûr, mais aussi gouvernement, médecins, épidémiologistes, en une bataille de chiffres et d’arguments.

Aussi, pour peser dans la lutte en cours, pour dissiper le brouillard des émetteurs de doute, pour contrer les zélateurs du « il est urgent d’attendre », qu’on assène à nouveau cet argument d’autorité, le diagnostic du psychiatre Patrick Légeron :

« Sur cet objet médical mal identifié, à savoir le burn out, la science dispose d’outils.

Les maladies provoquées sont aujourd’hui bien identifiées par les médecins : les dépressions, l’anxiété généralisée, le stress post-traumatique, et j’ajouterais les troubles de l’adaptation avec anxiété. Lorsque je reçois un patient en burn out, je n’ai aucune difficulté, et l’Académie le remarque d’ailleurs, un psychiatre n’a aucune difficulté à inscrire sa pathologie dans une case. De même, pour la dépression avec un net penchant d’épuisement professionnel, les trois étapes décrites par Masclach sont connues : l’épuisement, la dépersonnalisation, le sentiment de non-accomplissement de soi.

Aussi, je pense qu’une reconnaissance est absolument nécessaire, et l’Académie est très intéressée par cette démarche de reconnaissance ».

À moins qu’on ait déjà franchi un palier dans le cynisme. Que les institutions aient, au fond, validé un niveau de « risque acceptable », une nouvelle philosophie de la prévention qui, décrit Annie Thébaud-Mony, tient pour « légitime le fait qu’un travailleur sur mille soit sacrifié pour les besoins de l’économie ». Avec quelques centaines de milliers de salariés frappés chaque année, il est vraisemblable que nous avons déjà atteint ce seuil critique...

Mais mon étonnement, et un peu ma déception, lors de cet examen en Commission, ne résida pas dans ces « multifactoriel », « meilleure définition » et autres « quelles en sont les causes ? ». Soit, le fruit de la reconnaissance n’est pas mûr, admettons. Qu’avaient-ils à proposer, alors, à la place, ces députés ? Devant cette hécatombe, sur ce sujet important, quelle décisions préconisaient-ils, à instaurer d’urgence ? Je m’attendais à une mesure, au moins une, aussi ténue soit-elle. C’était encore pécher par optimisme. Il n’y eut rien. Rien. Le néant. Simplement, une mission d’information, qui doit rendre ses conclusions sur les conditions de travail, etc.

Le meilleur moyen d’enterrer un problème, comme le théorisait Clémenceau.

*

Le ministère du travail affirme volontiers que la prévention est une « priorité ». Et notre proposition de loi lui offrira sans doute, dans l’hémicycle, l’opportunité de renouveler ces déclarations d’intention. Mais de la parole aux actes, on peut d’ores et déjà mesurer le fossé :

Pour rappel et pour comparaison, la France compte 3 400 000 entreprises.

Seules 160 000, environ, embauchent plus de dix salariés.

Le pays dénombre 25 millions de salariés, un chiffre jamais atteint.

Or, depuis 2010, 595 postes d’inspecteurs du travail ont disparu. Il en reste 2 000, à travers toute la France. En 2017, 28 postes seulement étaient ouverts au concours ! Alors que la région Grand Est, à elle seule, en verra partir autant à la retraite...

D’après l’Ordre des Médecins, la Médecine du Travail a perdu 1 000 postes en dix ans, passant de 6 000 à 5 000. Et l’écrémage devrait se poursuivre dans les années à venir, par le seul effet de la démographie.

Devant le rapporteur, Valérie Langevin, pour l’Institut National de Recherche sur la Santé et la Sécurité au Travail, s’est montrée fort préoccupée. L’INRS subit une « cure de minceur », et pourrait se voir couper jusqu’à 20 % de son budget et 10 % de ses effectifs.

Et l’Assurance Maladie n’est pas épargnée : elle pourrait perdre, en cinq ans, 20 % de ses préventeurs. « On a des moyens limités, reconnaît Marine Jeantet. Nous avons 1 500 préventeurs sur le territoire, j’en aurai moins à partir des cinq prochaines années, - 2,5 % par an d’après le cadrage. J’essaie de défendre un moindre effort sur nous, puisque le ministère en fait une priorité, mais il y a un moment où si je m’occupe de tous les risques, je ne peux pas être partout ».

Ces suppressions de postes ne relèvent pas, selon nous, de la seule contrainte budgétaire. C’est plutôt un prétexte qui masque une idéologie : il convient de « libérer les énergies » des entreprises, de croire dans l’auto‑régulation en leur sein, de limiter sinon d’empêcher l’immixtion de l’État et de ses agents dans les sociétés. Cette ligne de conduite n’est pas née avec la présente présidence, mais elle est aujourd’hui affichée sans faux-semblant, le « laisser-faire » comme politique.

Preuve en est, notamment, la mise à mort des Comités d’hygiène et de sécurité.

La disparition de ces CHSCT n’est pas sans conséquence quant au burn out. C’est l’acteur, le maigre contre-pouvoir qui, à l’intérieur de l’entreprise, pouvait garder un oeil ouvert sur la santé des salariés, éventuellement le signal d’alarme. C’est sur cet organe que le député Gérard Sebaoun, précédent rapporteur sur le burn out, misait d’ailleurs fortement.

Autant avouer que nous plaçons peu d’espoir quant à la reconnaissance des troubles psychiques liés au travail, quant à une réelle volonté de prévention, par ce gouvernement. Par cette majorité qui, en Commission, a rejeté le moindre amendement, a repoussé jusqu’au souhait émis par un élu Républicain que, au moins, « on évalue le coût pour la Nation de ces troubles psychiques ».

Fort peu d’espoir, donc.

Mais nous ne demandons qu’à être agréablement surpris.

*

Ces silicosés de l’esprit, ces « quelques centaines de milliers de burn out », c’est-à-dire de vies, sinon brisées, du moins endommagées, ce gigantesque gâchis, pour ces femmes, pour ces hommes, mais aussi pour le pays, nous pouvons l’endiguer.

A condition d’oser.

De s’en donner les moyens.

D’en passer par la sanction comme prévention, et pas seulement par les doux câlins de la « sensibilisation ».

Comme l’énonce l’économiste de la santé Philippe Askénazy : « l’exemple américain prouve que le discours selon lequel on ne peut rien faire face à des contraintes économiques subies par les entreprises est faux. Au contraire, il est possible d’améliorer substantiellement le sort des salariés. C’est même l’inverse qui serait économiquement aberrant. C’est la « désorganisation » des organisations qui serait bien à la base de leur dangerosité.

C’est « la contrainte financière » qui a « fait passer de nombreuses entreprises américaines d’un équilibre nocif (faible investissement sur la sécurité et la santé/fort coût des accidents et maladies) à un équilibre vertueux (sensibilisation/coût maîtrisé) ».

La reconnaissance dans le tableau des maladies professionnelles, c’est un point de départ et non d’arrivée. C’est un message adressé aux directions, aux managers, qu’il leur faut changer, soigner leur organisation, sous peine de ruiner leurs marges.

Voire sous d’autres peines.

Car c’est aussi un signal adressé aux pouvoirs publics, aux agents de l’État, aux Inspecteurs du travail, à la médecine du travail, aux médecins tout court, et également aux policiers, aux magistrats, que le temps de l’impunité s’achève, que ces choses dans les cerveaux et dans l’entreprise ne sont pas que « subjectives », « floues », « abstraites », qu’elles sont à prendre au sérieux. Qu’un tiers doit s’interposer lorsque le face à face entre employeurs et employés devient mortifère. Que, par exemple, tout suicide possiblement lié au travail fasse l’objet d’une enquête, d’une recherche de responsables.

Qu’on garde à l’esprit, pour finir, cette anecdote :

Vanessa Tonarelli, épouse de Patrice : Un jour, mon mari m’a appelé en me disant : « Je ne sais pas quoi faire, ils veulent faire de moi un tueur et je ne suis pas un tueur ». C’est la phrase qu’il a prononcée.

Patrice avait une liste des personnes à dégager. Et alors, il me parle de la statue dans le bureau de Vautrin, je n’arrive pas à l’appeler « Monsieur », ce type-là. Il me reparle de la statue qui tire, avec une carabine...

Patrice Tonarelli : Moi, sur mon bureau, j’ai la photo de mes enfants, j’ai les dessins de mes enfants. Mais lui non, il n’avait que cet objet : un tireur.

Christophe Boschetti : Et surtout, qui il visait ? Au mur, il y avait un organigramme avec nos photos et sur le meuble en dessous, donc, ce tireur qui nous visait.

Patrice Tonarelli : Concrètement, on me demande des têtes qui sont responsables de la mauvaise tenue de l’entrepôt. On me demande la tête de Christophe, on me demande la tête de Patrick, on me demande la tête de Yannick.

Après un suicide, une série de burn outs, ce directeur régional ne fut pas licencié. Seulement déplacé. Eh bien, que ce genre de manager puissent manager en toute liberté, c’est une menace pour la société. Une société qui, contre eux, doit se protéger, avec garde à vue et détention provisoire si nécessaires.

Pour l’instant, eux bénéficient de l’impunité.

Ils sèment le désespoir en toute tranquillité.

Et il ne s’agit plus, dès lors, d’un dysfonctionnement, de « défaillances managériales » comme les pointait Madame la ministre de la santé. Mais d’un fonctionnement, sinon ordinaire, du moins socialement toléré. Et que la représentation nationale s'apprête, jeudi prochain, à politiquement accepter... ou, rêvons, auquel elle mettra un coup d'arrêt.

 

Amiens, 26 janvier 2018.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   DISCUSSION Générale

La commission des affaires sociales procède à l’examen de la proposition de loi de M. François Ruffin et plusieurs de ses collègues sur le burn out visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel (n° 516) (M. François Ruffin, rapporteur) lors de sa séance du mercredi 24 janvier 2018.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre ordre du jour appelle l’examen de deux propositions de loi inscrites par le groupe France insoumise dans son ordre du jour réservé du 1er février.

Je souhaite la bienvenue à François Ruffin, rapporteur de la proposition de loi sur le burn out.

M. François Ruffin, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission.

Notre proposition a pour point de départ l’histoire d’un coéquipier de football qui est venu me trouver dans les locaux de Fakir. Lui, si jovial sur le terrain, était complètement déprimé. Il m'a dit voir des psychiatres en série et consommer des anxiolytiques, ajoutant qu’il n’aurait jamais pensé pouvoir tomber aussi bas. Son état, me dit-il, serait dû au management dans son entreprise. Directeur d’un magasin Lidl en périphérie d’Amiens, il était brisé par des mois de remarques vexatoires, d’humiliations et de laminage, malgré deux décennies d’ancienneté.

À la fin de notre rencontre, il déclara : « Je n’ai toujours pas compris cette difficulté, cette impossibilité à me faire reconnaître en maladie professionnelle, pour que ce soit Lidl qui paye. Tous les médecins, de même que mon avocate m’ont dit : ʺNe vous lancez pas là-dedans, c’est hors tableau, ça va être très compliquéʺ. Donc, aujourd’hui, se faire reconnaître, c’est quasiment mission impossible ».

Voilà le point de départ sensible d’une histoire qui peut aussi se lire dans les chiffres. Paru la semaine dernière, le rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a été quelque peu médiatisé, parce qu’une forte montée des troubles psychiques y apparaissait. On y lit en effet qu'« Une affection psychique peut également être reconnue au titre d’une maladie professionnelle et le nombre de cas reconnus a été multiplié par sept en cinq ans ».

Pour autant, on arrive pour toute la France à un total de 596 cas reconnus, que le psychiatre Patrick Légeron, membre de l’Académie de médecine et auteur d’un rapport sur le burn out juge dérisoires et même « ridicules ». Selon lui, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le stress est aujourd’hui le premier risque pour la santé des travailleurs dans le monde. Les analyses de l’OMS, du Bureau international du travail (BIT) et de toute une série de psychiatres font apparaître un fossé dans la compréhension du phénomène. Patrick Légeron qualifie de « paradoxe extraordinaire » le fait que les troubles psychiques soient aujourd’hui subis massivement par les salariés, tandis que seuls les troubles somatiques – les maladies corporelles et non les maladies mentales –, figurent dans le tableau des maladies professionnelles, ajoutant : « Je pense qu’une reconnaissance est absolument nécessaire. L’Académie est très intéressée par cette démarche de reconnaissance. »

L'estimation du nombre de burn out ou de troubles psychiques liés au travail sur laquelle s’accordent l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Mme Jeantet, directrice de la CNAM et à peu près tout le monde, avoisine quelques centaines de milliers de cas. Si je prends une fourchette de 200 000 à 500 000 personnes, on voit le décalage immense avec les 596 cas reconnus : un cas sur mille seulement sera reconnu comme maladie professionnelle !

Pourquoi cette sous-estimation ? Je répondrai par une citation du Colonel Chabert, roman de Balzac centré sur le personnage d’un militaire qui, de retour des combats napoléoniens, se trouve face à toutes les administrations qui doivent établir ses droits pour qu’il puisse recevoir une rente : « En apercevant le dédale de difficultés où il fallait s’engager, en voyant combien il fallait d’argent pour y voyager, le pauvre soldat reçut un coup mortel dans cette puissance particulière à l’homme et que l’on nomme la volonté. »

Eh oui, voilà des gens qui ont été brisés dans leur entreprise et à qui on demande, pour qu’ils puissent bénéficier d’une reconnaissance de maladie professionnelle, d’effectuer un véritable parcours du combattant au milieu d'un labyrinthe de sigles. Maître Agnès Cittadini, avocate au barreau de Paris, cite la CNITAAT (cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail), le CRRMP (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles), le TASS (tribunal des affaires de sécurité sociale) : autant de canaux qu'il faut emprunter pour espérer enfin faire reconnaître, au bout de plusieurs années, sa maladie professionnelle. C'est pourquoi elle déconseille fortement aux salariés de se lancer dans une telle entreprise. Les syndicats m’ont dit la même chose, ainsi que maître Ducrocq, avocat des salariés dans le dossier des Caisses d’Épargne : « Je suis dans une impasse totale, dont je ne suis pas très fier : j’ai des gens à défendre et je n’arrive pas à les défendre ». Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Cela amène finalement tous ces défenseurs des salariés à tricher avec la législation, parfois avec une forme de complicité des juges : les troubles sont rangés dans la catégorie des accidents du travail. On cherche le moment où une crise de larmes ou une dispute ont lieu dans l’entreprise, pour en faire le point de départ de troubles psychiques, alors que ces troubles, qui constituent une véritable maladie, montent graduellement. Mais ils sont transformés en accidents du travail, parce que la reconnaissance en est ainsi plus facile. Tous assument ce détournement et cet arrangement avec la loi.

Aussi, quand le rapport de la CNAM fait état de 10 000 troubles psychiques reconnus comme accidents du travail contre 596 seulement reconnus comme maladie professionnelle, on voit que l’itinéraire bis prend le pas sur ce qui devrait être la voie normale.

Cela représente une très lourde facture pour la société. En effet, tant que la maladie professionnelle n’est pas reconnue, ce sont les assurés et les cotisants qui paient, et non l’employeur. En revanche, si les troubles sont reconnus comme accidents du travail ou comme maladies professionnelles, c’est l'employeur qui paye, à hauteur de 98 %. Écoutons Aude Selly, directrice des ressources humaines chez un équipementier sportif qui a réalisé quatre milliards d’euros de bénéfices en 2017 : « Je viens témoigner devant vous parce que je ne comprends pas. Je ne comprends pas que ce soit la société civile qui paye. Dans mon cas, quand je suis tombée, avec une tentative de suicide, je suis quand même restée dix-huit mois en arrêt maladie et c’est la société civile qui paye. Or, très clairement, ce sont les conditions de travail qui m’ont poussée à faire un burn out. »

Il est aussi difficile de chiffrer le nombre de cas de troubles psychiques dus au travail que le coût qu'ils induisent pour la société, qui pourrait s’élever à plusieurs milliards. Or, qui doit payer ? La ministre de la santé, Mme Buzyn, s’est exprimée sur cet enjeu, dans le Journal du dimanche du 22 octobre 2017 : « Concernant les arrêts de travail, le montant des indemnités journalières, de courte et de longue durée, ne cesse d’augmenter, de l’ordre de 5 % l’année dernière. Jusqu’à quand l’assurance-maladie palliera-t-elle les défaillances du management au travail ? ».

Nous touchons là à ce qui est pour moi une aberration. Mme Jeantet, directrice des risques professionnels à la CNAMTS, m’a déclaré disposer de tout un arsenal pour contrôler les médecins prescripteurs d’arrêts de travail ou les assurés qui sont en arrêt de travail, afin de détecter les cas frauduleux ; en revanche, elle n’exerce pas de contrôle sur les entreprises pour examiner les causes de ces dépressions en série et voir si elles ne sont pas liées au fonctionnement de l’entreprise. Comme il n’y a aucune prise en compte du phénomène dans le bilan comptable des entreprises, le déni persiste, ce que presque toutes les personnes que nous avons auditionnées ont confirmé, même si je dois signaler que le MEDEF n’a pas répondu à notre invitation.

Flore Crépin, qui a travaillé comme directrice des ressources humaines dans la grande distribution, mais aussi en usine ou pour un centre d’appel m’a ainsi déclaré : « C’est tellement tabou dans les entreprises, c’est le sujet interdit. Nous, en tant que RH, on n’a même pas le droit de prononcer le mot « stress ». Quand, chaque année, avec les syndicats, on fait le point sur les risques psychosociaux, on ne doit pas prononcer ce genre de mots. C’est pourquoi, quand je vois le tabou autour de la question et le manque d’engagement réel des directions, je me dis qu’à part la mise en place de sanctions financières lourdes, je ne vois pas ce qui pourrait motiver les boîtes. »

D’autres témoignages me viennent d’une agence de Caisse d’Épargne qui a connu quatre suicides en deux ans, alors que, statistiquement, le risque est estimé à un. Non seulement ce n’est pas pris en compte, mais la Caisse d’Épargne refuse d'autoriser une expertise, par un cabinet, pour comprendre pourquoi, quand bien même plusieurs victimes ont laissé une lettre dans laquelle elles revendiquaient le lien entre leur suicide et leur travail. Il y a donc bien un déni des directions, y compris dans les cas les plus dramatiques. C’est sans doute ce qui m’a paru le plus stupéfiant dans les témoignages recueillis : quand bien même le pire advient, le management peut continuer à avancer, tel un bulldozer.

Dans le dossier de la Caisse d’Épargne de la Côte-d’Azur, une jeune mère de famille s’est tuée en se jetant sous un train, laissant derrière elle une lettre. Puis, un responsable d’un centre d’appels interne à la Caisse d’Épargne, s’est lui aussi suicidé. Un contrôleur de gestion très investi dans son travail est mort d’un accident vasculaire cérébral (AVC), malgré l’arrivée d’un hélicoptère de secours, au beau milieu de la séance plénière où les résultats de l'agence étaient annoncés. Malgré tout cela, il n’y a aucune remise en cause, aucune prise de conscience, aucune étude sur ce qui se passe à l’intérieur de cette entreprise !

Cela vaut pour les cas les plus dramatiques. Mais on imagine aussi la situation dans le centre d’appels Coriolis à Amiens. Sans qu’il y ait heureusement de suicide, les dépressions, les crises de larmes et les démissions y sont la norme. Un salarié nous a déclaré : « Burn out, c’est un mot tabou. Le stress au travail, il faut faire comme si ça n’existait pas. On nie l’évidence. »

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi se fonde sur l’idée que la sanction vaut prévention : il faut que les entreprises aient un intérêt à se pencher de manière forte sur les risques psychosociaux. Permettez-moi une comparaison : dans les années 1970, il y avait 18 000 morts sur les routes de France. Hélas, il y en a encore 3 477 aujourd'hui et c'est autant de trop, mais le nombre a tout de même été divisé par six et on n'est certes pas parvenu à ce résultat en faisant tout pour complaire aux chauffards, mais en adoptant tout un arsenal répressif : gendarmes, alcootests… Eh bien, nous ne parviendrons à faire baisser le total des centaines de milliers de cas de troubles psychiques liés au travail dans les entreprises qu’avec un arsenal répressif, même si ce n’est pas la seule voie à emprunter.

Dans son livre Les désordres du travail, l’économiste de la santé, Philippe Askenazy montre que le recours à la sanction a fonctionné aux États-Unis. Les accidents du travail et les maladies professionnelles s’y multipliant, l’intérêt s’est porté sur cette question et les assurances se sont mises à réévaluer la prime de risque des entreprises. Ainsi, la part des assurances dans le coût total du travail, qui était d'1,4 % en 1985, est passée à 2,4 % en 1994.

Cela a entraîné une baisse de 2 % du taux de profit des entreprises. General Motors et les entreprises du même type ont ainsi été mises face à leurs responsabilités. Des mesures fortes ont été prises, qui ont fait finalement redescendre à 1,6 % le niveau de la prise de risque. L’incitation à prendre ces mesures n’a pu naître que de l’intérêt bien compris des entreprises.

Philippe Askenazy conclut avec force : « L’exemple américain prouve que le discours selon lequel on ne peut rien faire face à des contraintes économiques subies par les entreprises est faux. Au contraire, il est possible d’améliorer substantiellement le sort des salariés. C’est même l’inverse qui serait économiquement aberrant. C’est la désorganisation des organisations qui serait bien à la base de leur dangerosité. C’est la contrainte financière qui a fait passer de nombreuses entreprises américaines d’un équilibre nocif – faible investissement sur la sécurité et sur la santé et fort coût des accidents et des maladies – à un équilibre vertueux : sensibilisation et coûts maîtrisés ».

Il nous explique donc que cela s’est fait que par la contrainte financière. Bien évidemment, si on transfère les coûts des maladies psychiques liées au travail vers la branche accidents du travail et maladies professionnelles, financée à 98 % par les employeurs, cela constituera une forte mesure incitative.

Enfin, je pense que cette reconnaissance peut avoir une valeur symbolique et constituer un signal d’alarme pour l’ensemble de la société, notamment pour les pouvoirs publics. Prenons l'exemple de l’entrepôt Lidl de Rousset : la tragédie qui s’y est déroulée était annoncée. Après que le directeur a dû partir après un accident vasculaire cérébral consécutif aux pressions qu'il subissait, que deux cadres, y compris le numéro deux de l’entreprise, se sont ensuite trouvés en burn out, le 29 mai 2015, M. Yannick Sansonnetti s'est pendu dans la chambre froide de l’entrepôt.

Il y avait eu pourtant beaucoup de signaux avant-coureurs. Les syndicats étaient allés frapper à la porte de l’inspection du travail. Le numéro deux de l’entreprise s’y était rendu lui-même, non pour son seul cas personnel, mais en alertant sur la situation d’ensemble dans l’entreprise et en demandant que les inspecteurs se rendent sur place. Rien n’a été fait pour éviter ce qui était pourtant cent fois évitable et cela s'est terminé par cette pendaison !

Si tout ceci avait été jugé important, le directeur régional aurait été licencié, décision qui relève de l’entreprise. Qu’il puisse aujourd’hui continuer à manager en toute liberté représente un danger pour la société et pour les entreprises où il exercera.

Or, l’action du ministère de la justice n’est pas à la hauteur des enjeux. Pour réduire le nombre des morts sur la route on a décidé de criminaliser les comportements dangereux. Mais quand un employé d'une agence de Caisse d’épargne du Nord se suicide en laissant une lettre qui accuse son employeur, on aboutit encore aujourd’hui à un classement sans suite et le président du tribunal de grande instance se dit désolé de n’avoir « pas traité » l’affaire auprès de l’avocat. Tout cela n’est pas normal !

Dans l’ensemble, la société est insuffisamment mise en alerte sur ce thème. La reconnaissance des troubles psychiques et son inscription dans la « bible » des maladies professionnelles enverraient un signal fort à l’adresse de toute la société.

Je termine par une précision technique. Il ne s’agit pas pour moi de faire reconnaître le burn out comme maladie professionnelle, tout simplement parce qu'il n’est pas reconnu comme une maladie. En revanche, on sait que le burn out engendre des troubles psychiques. Le docteur Patrick Légeron a mentionné ce que pourrait être un tableau indicatif des symptômes – tableau dont la rédaction incomberait au pouvoir réglementaire : la dépression, le stress post-traumatique, l’anxiété généralisée, les troubles de l’adaptation. Ce sont les maladies connues et faciles à ranger dans une catégorie donnée.

Je suis bien conscient des limites de cette proposition. Elle n’est pas une fin en soi, mais plutôt un premier pas : il est nécessaire de mettre en place tout un arsenal. La reconnaissance des troubles psychiques comme maladie professionnelle doit être accompagnée de deux mesures.

La première mesure m’a été suggérée par Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la CNAMTS, qui a conduit une étude croisant consommation d’anxiolytiques dans les entreprises et absentéisme. Dès lors que la responsabilité des entreprises serait établie, l’idée serait de les taxer sur cette base. Elle me semble intéressante, car la reconnaissance comme maladie professionnelle ne s’intéresse qu’au sommet de l’iceberg, c’est-à-dire aux cas les plus graves. Mais, à des niveaux moins élevés, on observe déjà des absences de quinze jours, voire de plusieurs mois.

La deuxième mesure s’inscrit dans la lignée des propositions de la Haute Autorité de santé et de l’Académie nationale de médecine, ou encore du rapport parlementaire Censi-Sebaoun. Ce dernier proposait par exemple de libérer les médecins du travail de leurs obligations vis-à-vis de l’Ordre des médecins, pour leur permettre d’enquêter et d’énoncer que des troubles psychiques sont effectivement d’origine professionnelle. Or, aujourd’hui ils peuvent être sanctionnés pour cela par l’Ordre des médecins.

L’économiste de la santé Philippe Askénazy affirme que nous pouvons dès aujourd’hui mettre un coup d’arrêt à ces 400 000 cas de troubles psychiques liés chaque année au travail. Eh bien, mes chers collègues, vous pouvez, dès aujourd’hui, faire ce premier pas !

M. Guillaume Chiche. Au nom du groupe La République en marche, je vous remercie, Monsieur le rapporteur, de mettre sur la table le sujet de société majeur qu'est l’épuisement professionnel, et d’appeler sur lui l’attention de la représentation nationale.

Vous avez parlé de signal d’alarme et d'une proposition à portée symbolique. En effet, il me semble bon de donner ainsi un coup de projecteur sur le syndrome du burn out, véritable enjeu de société.

Vous l’avez dit, il n’y a pas de dénombrement précis des cas de burn out, mais des estimations qui sont très – trop – importantes et qui montrent la nécessité que les pouvoirs publics se saisissent du sujet.

Vous l’avez mentionné, les maladies professionnelles sont aujourd’hui reconnues par le Conseil d’orientation des conditions de travail, au sein duquel les partenaires sociaux, représentants des salariés et des employeurs décident, d’un commun accord, d’inscrire au nombre des maladies professionnelles tel ou tel syndrome, telle ou telle pathologie. Ce n'est pas le cas du burn out.

La communauté médicale met aussi en lumière un syndrome qui peut conduire à un basculement vers une dépression ou vers d’autres pathologies. Certes, il est difficile de reconnaître le burn out comme une maladie professionnelle, tant est nécessaire une approche multifactorielle et individualisée de chaque cas. Il est néanmoins possible de le faire reconnaître comme une maladie professionnelle hors tableau. L'enjeu est de permettre à chaque personne concernée de se présenter devant le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour faire reconnaître son burn out comme maladie professionnelle. Vous l’avez dit, cela a été fait pour près de 600 cas en 2016, soit six à sept fois plus que dans les années précédentes.

Au-delà de la réparation, nous devons poursuivre un objectif de prévention. C'est ce que nous avons fait à travers les ordonnances relatives au renforcement du dialogue social. La fusion des instances représentatives du personnel devrait en effet permettre de disposer d’une vision d’ensemble ses conditions et de l’environnement de travail, pour en faciliter l’amélioration. Or, à l'évidence, aller vers de nouvelles conditions de travail participe de la prévention du syndrome du burn out.

M. Stéphane Viry. En se penchant sur le burn out, notre commission examine aujourd’hui un vrai sujet qui, pour le groupe Les Républicains, implique une réponse militante, mais une réponse rationnelle et non pas forcément émotionnelle.

Qu’en est-il de la présomption d’imputabilité des maladies psychiques à l’activité professionnelle ? Monsieur Ruffin, nous partageons l'idée qu'il convient de responsabiliser les employeurs vis-à-vis des conséquences d’attitudes de management qui pourraient être inadaptées et préjudiciables à leurs salariés. Nous pouvons admettre qu’un employeur assume les conséquences d’une gestion compliquée ou d’une décision relative à l’organisation de son entreprise qui serait préjudiciable à ses salariés. Dans ce cas de figure, ce ne serait pas à la branche maladie mais à la branche accidents du travail et maladies professionnelles de prendre en charge les conséquences de ce management professionnel « déroutant ».

Pour le reste, inscrire les maladies psychiques provoquées au sein d’un tableau nous paraît toujours compliqué. Qu’en est-il en effet de la question de l’imputabilité au travail ? Où sont les origines et les causes réelles ? Quelle part attribuer aux questions professionnelles et aux questions personnelles ? Il est hélas difficile d’objectiver le lien entre maladie psychique et travail.

Avant de prévoir un tableau – réponse sans doute aisée, mais peut-être un peu simpliste –, il nous paraît nécessaire de définir ce qu’est le burn out dans des termes médicaux précis. Tant que la définition de l’épuisement professionnel ne sera pas posée, tant que les conditions dans lesquelles une maladie peut être imputable à l’activité professionnelle ne seront pas établies, il nous paraît délicat d'adopter un tableau.

Enfin, nous serions d’avis de renforcer les moyens des CRRMP et, peut-être, afin de faciliter le processus de reconnaissance, d’expérimenter la possibilité de réduire de 25 % à 10 % le taux d'incapacité permanente partielle autorisant cette reconnaissance.

M. Régis Juanico. J'interviens au nom du groupe Nouvelle Gauche.

Selon une étude de 2014 du cabinet Technologia, trois millions d’actifs, soit 12 % de la population active, sont en risque élevé de burn out. Le syndrome d’épuisement professionnel, ensemble des troubles psychiques que subissent les travailleurs confrontés à un environnement professionnel délétère, touche tous les secteurs d’activité, privé comme public. Il touche les personnels de santé, les ouvriers, les cadres, les agriculteurs, les médecins, les enseignants, les dirigeants de PME, les artisans et les employés.

Les facteurs de risque du burn out sont connus et identifiés dans de nombreux rapports scientifiques : certains modes de management et d’organisation du travail, la mise en concurrence des salariés, la surcharge de travail, le manque de reconnaissance professionnelle, la pression, l’isolement… La commission des affaires sociales de notre assemblée a toujours été à la pointe du combat en faveur d’une meilleure reconnaissance du burn out.

En 2011, elle avait constitué une mission d’information sur les risques psychosociaux, aux travaux desquels j’ai participé aux côtés de Francis Vercamer et de Bernard Perrut, sous la présidence de Marisol Touraine. Il y eut ensuite, en 2014, l’appel des 10 000 : trente députés se joignirent à des syndicalistes et à des spécialistes tels Jean-Claude Delgènes, pour une meilleure reconnaissance du burn out. La première étape législative fut franchie grâce à l’adoption de la loi d’août 2015 sur le dialogue social et l’emploi. Nous avons alors inscrit pour la première fois dans la loi que les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme des maladies d’origine professionnelle.

En février 2016, notre groupe a déposé une proposition de loi, signée par 80 députés, dont Benoît Hamon, pour une meilleure reconnaissance du burn out. Enfin, en février 2017, notre ancien collègue Gérard Sebaoun fut l’auteur d’un rapport extrêmement précis sur le syndrome d’épuisement professionnel.

Le groupe Nouvelle Gauche est favorable à toutes les initiatives parlementaires visant à faciliter la reconnaissance du syndrome d’épuisement professionnel en tant que maladie professionnelle. Il remercie le groupe France insoumise d’avoir inscrit à l’ordre du jour de nos débats cette proposition de loi dont nous partageons les objectifs.

Pour autant, nous divergeons sur les modalités pour parvenir à une meilleure reconnaissance du burn out. La proposition de loi prévoit l’inscription dans la loi d’un nouveau tableau de maladies professionnelles. Cela semble très difficile à faire aboutir. Outre que ces dispositions relèvent du pouvoir réglementaire, l’évolution des tableaux dépend d’une discussion entre l’administration et une commission spécialisée dans les pathologies professionnelles. Elle nécessite un accord entre partenaires sociaux. Or, nous savons que le patronat n’y est pas favorable.

Pour avancer concrètement et plus rapidement, nous proposons pour notre part de modifier la procédure de reconnaissance complémentaire, hors tableau, en expérimentant l’abaissement du seuil de 25 % d’incapacité permanente, pour assurer la possible reconnaissance du burn out au taux de 10 %. J’expliquerai lors de la discussion des amendements pourquoi nous avons retenu ce taux.

Mme Patricia Gallerneau. Le groupe MODEM et apparentés est conscient des troubles psychiques affectant particulièrement les salariés.

Cependant, reconnaître le burn out tel que cela est envisagé par la présente proposition de loi ne semble pas opportun. Tout d’abord, les ministres de la santé et du travail ayant annoncé qu'une réflexion globale sur les conditions de vie au travail conduirait à des avancées concrètes, nous considérons qu’il convient d’attendre les résultats de cette concertation avant de légiférer.

Ensuite, le burn out n’est pas réellement défini par cette proposition de loi et il semble difficile d’en envisager sur cette base une interprétation uniforme par le corps médical. L’intensité de la souffrance psychique n’est pas envisagée ici alors qu’elle est sujette à de nombreuses controverses. La loi doit normalement traiter chaque situation en fonction de critères objectifs, et de manière égalitaire. La rédaction de cette proposition de loi ne semble pas permettre d’atteindre cet objectif.

Enfin, les conséquences, encore inconnues, pour le budget de la Sécurité sociale pourraient être très importantes. En effet, aucune étude ne sait actuellement déterminer de manière fiable le nombre de burn outs en France du fait du large spectre de cette pathologie. Entre 30 000 et 100 000 personnes, voire 400 000 selon M. Ruffin, souffriraient de cet épuisement professionnel. S’il faut les aider au mieux et trouver des solutions afin d’améliorer leur quotidien, nos finances publiques ne peuvent prendre en charge le burn out sans définir précisément au préalable qui en est victime ou non.

M. Francis Vercamer. Au nom du groupe UDI, Agir et indépendants, je remercie le rapporteur qui, par sa force de conviction et avec la retenue qu’on lui connaît, a essayé de faire passer un message sur le burn out, sujet de société important.

Notre groupe est évidemment très sensible à ces enjeux de santé au travail. Nous plaidons pour une politique ambitieuse et volontariste afin d’améliorer la prise en charge des maladies professionnelles, même après la fin de la vie professionnelle. C’était d’ailleurs le sens de l’amendement porté par notre groupe lors de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances portant réforme du code du travail. Il a permis d'inscrire dans la loi l’obligation d’un examen médical, réalisé par le service de santé au travail de l’entreprise, pour tous les salariés bénéficiant du dispositif de suivi individuel renforcé ou qui en ont bénéficié durant leur carrière. Cette disposition permettra une meilleure coordination entre le médecin du travail et le médecin traitant, ainsi qu’une meilleure prise en charge des éventuelles maladies d’origine professionnelle.

Nous sommes plus réservés concernant cette proposition de loi, qui vise à reconnaître le burn out comme maladie professionnelle. Les derniers rapports sur ce sujet, qu’il s’agisse de celui de l’Académie nationale de médecine en 2016 ou celui de notre ancien collège Gérard Sebaoun en 2017, s’accordent sur le sujet : les contours de ce syndrome sont mal définis. Il revêt un très large spectre de causes qui, certes, interrogent les conditions de travail, mais aussi la sensibilité psychologique du salarié et l’interaction entre vie professionnelle et vie personnelle. Les caractéristiques personnelles ont une grande influence. Il est donc difficile de légiférer en la matière.

Dans le tableau inséré en préambule de la proposition de loi, qui dresse la liste des travaux susceptibles de provoquer ces maladies, nombreuses sont les causes sujettes à interprétation. Comment par exemple interpréter médicalement « les mauvais rapports sociaux » ou « le manque d’autonomie dans le travail » ?

Pour notre groupe, le véritable enjeu se situe dans la prévention. Il faut davantage sensibiliser les chefs d’entreprise – particulièrement ceux des TPE-PME – afin qu’ils prennent mieux en charge la protection de la santé psychologique de leurs salariés.

M. Pierre Dharréville. Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je remercie François Ruffin et le groupe de La France insoumise pour cette initiative. Le burn out est un phénomène grandissant, longtemps passé sous silence. De nombreux exemples ont mis en lumière cette maladie professionnelle contemporaine. Dans certaines grandes entreprises où les situations révoltantes, les burn outs et les suicides sur les lieux de travail se multipliaient, la situation a été dénoncée. On ne peut laisser penser qu'elle serait due à des fragilités individuelles ! Quand bien même ce serait le cas, l’entreprise devrait le prendre en compte.

Les conditions actuelles de travail sont incontestablement à l’origine de ces maladies : nouvelles méthodes de management – dont souffrent particulièrement les syndicalistes –, accroissement de la pression, de l’exigence de rentabilité et de productivité des actionnaires, mise en concurrence des travailleuses et des travailleurs. Le chômage de masse et la peur de perdre son emploi font parfois le reste…

Certes, il n’y a pas lieu d’idéaliser le passé. Mais, à la pénibilité physique, qui n’a pas disparu, s’est ajoutée une charge mentale croissante : toutes professions confondues, 3,2 millions de citoyennes et de citoyens – 12 % de la population active – sont exposés à ces risques d’épuisement et d’effondrement. Il y a urgence à le reconnaître, à en finir avec le report du financement sur la branche maladie et avec le parcours du combattant, bref avec les échappatoires. Il faut légiférer ! Le respect de l’humain et la santé au travail sont des enjeux majeurs.

Nous sommes favorables à cette proposition de loi.

M. Adrien Quatennens. Régulièrement, le Gouvernement annonce sa volonté de simplifier et de faciliter la vie des Français. Mais il est troublant de constater que les principaux bénéficiaires de ces mesures de simplification et de facilitation sont souvent les mêmes : les détenteurs du pouvoir économique. La France Insoumise entend porter un autre combat de simplification et de facilitation : celui de plusieurs dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs, confrontés à l’épuisement professionnel. Car ce qu’on appelle de manière plutôt floue le burn out est bien une réalité, celle des victimes des maladies psychiques qui en résultent.

Mes chers collègues, le monde du travail n’est pas toujours le monde rêvé dépeint dans les comptines avec lesquelles la majorité nous berçait au moment de l’examen des ordonnances. Oui, quelle que soit la place du salarié dans la hiérarchie et dans l’organisation du travail, cette dernière peut causer de graves traumatismes. Oui, les méthodes de management sont directement mises en cause. Oui, il est temps de protéger les victimes et de lutter contre ce qui peut rendre l’activité professionnelle si douloureuse. Il est également temps de rendre possible la reconnaissance des maladies psychiques qui en résultent. À l’heure actuelle, les victimes doivent affronter un véritable parcours du combattant. Nous voulons faciliter cette démarche en insérant un nouveau tableau de maladies professionnelles dans le code du travail.

Cette mesure répond à un impératif social, mais également à un impératif budgétaire. En effet, actuellement, l’assurance maladie supporte le coût induit par ces maladies non reconnues. La collectivité paie donc à la place des entreprises responsables ! Cet état de fait n’est tolérable ni pour les défenseurs de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail, ni pour les tenants de la rigueur budgétaire.

Cette proposition de loi peut donc obtenir un large soutien : je n’imagine pas que quiconque soit tenté de faire de l’obstruction dans un tel débat. Si la majorité n’a déposé aucun amendement, c’est probablement parce qu’elle se retrouve entièrement dans nos propositions. Je m’en félicite !

M. le rapporteur. Beaucoup d’interventions « tapent à côté », si je puis me permettre. Vous dites que le burn out ne peut, en l’état, être reconnu comme maladie professionnelle : je suis parfaitement d’accord ! Nous ne souhaitons pas cette reconnaissance, mais celle des troubles psychiques liés au travail. Ces troubles psychiques sont très clairement définis dans la proposition de loi. En l’espèce, les psychiatres s’accordent notamment sur trois maladies : la dépression – définie comme clinique ou lourde –, l’anxiété généralisée et le stress post-traumatique.

Cela doit être clair avant notre passage dans l’hémicycle : nous ne souhaitons pas la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle. Le burn out n’est d’ailleurs pas reconnu comme une maladie, il ne peut donc être reconnu comme maladie professionnelle. Ainsi, nous n’avons pas besoin de définir précisément le burn out, puisque ce n’est pas à lui qu’on s’attaque, mais aux troubles psychiques liés au travail, pour la plupart issus du burn out et clairement caractérisés.

Vous avez raison, le burn out est multifactoriel. Mais la reconnaissance de nouvelles maladies professionnelles a toujours fait l’objet d’un bras de fer entre employeurs et employés. Les tableaux listant ces maladies sont l’histoire de luttes, mais aussi de choix du législateur : à un moment donné, nous pouvons décider de mettre la pression sur les employeurs – ce fut le cas pour le plomb, l’amiante ou la silicose. Pour ces maladies également, dans un premier temps, le patronat a longtemps argué que les causes étaient multifactorielles – liées à à la consommation de tabac ou d’alcool – et n’avaient rien à voir avec le fait que les mineurs allaient à la mine !

La silicose du XXIe siècle ne se situe plus dans les poumons, mais dans les cerveaux. Nos décisions doivent être à la hauteur de cette épidémie. Dans le Cash Investigation consacré à Lidl, un professeur en ergonomie explique que l’on fabrique des chômeurs de longue durée. Un rapport de tous les médecins du travail de la Poste indique clairement que l’on crée des inaptes physiques et psychologiques. Il s’agit tout de même de 400 000 personnes par an ! On peut toujours déclarer qu’on va faire de la prévention. Mais les chefs d’entreprise doivent avoir un intérêt à développer la prévention ! Dans le cas de la Poste, rien n’apparaît dans les bilans comptables. Ainsi, malgré tous les messages d’alerte envoyés, la situation perdure, avec les félicitations de la Cour des comptes…

On m’alerte également sur le coût de cette proposition de loi pour nos finances publiques. Mais nos finances publiques paient actuellement les conséquences de cette inertie. Mon objectif est bien que demain, grâce à vous, elles ne les paient plus !

Vous êtes tous très sensibles au sujet, mais estimez que la reconnaissance de nouvelles maladies professionnelles n’est pas la solution. Mais alors, quelle solution proposez-vous ? Ne venez pas me dire qu’on va faire de la sensibilisation auprès des employeurs : ce n’est pas à la hauteur des enjeux !

Qu’est-ce que la présomption d’imputabilité ? Compte tenu d’une liste limitative de travaux susceptibles de provoquer ces maladies, si les conditions sont remplies, le travailleur qui estime que sa dépression lourde est provoquée par le travail sera d’emblée reconnu en maladie professionnelle. L’employeur pourra contester cette décision, mais la présomption d’imputabilité inverse la charge de la preuve. Actuellement, les salariés concernés – déjà démolis – subissent un véritable parcours du combattant sans certitude d’être entendus… La présomption d’imputabilité n’implique donc pas un traitement automatique puisque l’employeur peut contester cette décision.

Vous estimez que la reconnaissance n’est pas la solution. Mais on ne peut pas se contenter d’attendre les conclusions des différents ministères ! Vous savez prendre des décisions dans l’urgence quand il s’agit par exemple de supprimer les CHSCT ! Compte tenu de l’épidémie en la matière, j’espère que vous saurez défendre ces propositions fortes, à la hauteur des enjeux.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Si la reconnaissance des pathologies psychiques consécutives au syndrome d’épuisement professionnel est importante, la prévention doit constituer un axe prioritaire de prise en compte de ces pathologies. La ministre de la santé, Mme Agnès Buzyn, a fait de la prévention une de ses priorités, au cœur de la stratégie nationale de santé.

Selon les professionnels de santé, des actions préventives permettent bien souvent d’éviter d’en arriver au burn out. En facilitant l’accès à des médecins et des psychologues sur le lieu de travail, en développant des pratiques comme la sophrologie, on peut réduire de manière significative l’apparition des symptômes d’épuisement professionnel. Les employeurs doivent également renforcer le repérage et l’accompagnement des personnes en situation de burn out. Il serait intéressant que notre commission travaille sur cette question de la prévention au travail, dans le cadre de la stratégie de prévention en santé du Gouvernement.

Monsieur le rapporteur, vous mettez en avant que la sanction des entreprises est une prévention. Ne pensez-vous pas que le burn out, au même titre que d’autres troubles psychiques, pourrait être évité grâce à une politique active de prévention ?

M. Gilles Lurton. Cette proposition de loi cherche à répondre à un phénomène en croissance dans notre pays : le burn out ou épuisement professionnel, non reconnu dans le droit français, européen ou international. Ce n’est pas la première fois que nous en discutons au sein de cette commission. Notre collègue M. Sebaoun avait rendu un rapport très complet sur le sujet sous le précédent quinquennat.

Vous présentez la reconnaissance du burn out comme une mesure de justice pour ceux qui en seraient victimes. À ce titre, vous proposez de le reconnaître comme maladie professionnelle. Vous voyez dans cette reconnaissance un moyen d’obtenir réparation d’un préjudice subi, tout en renversant la charge de la preuve.

Comment faites-vous la différence entre le burn out et le harcèlement – qui, lui, peut faire l’objet d’une indemnisation du fait du préjudice subi. Le burn out est souvent lié au stress au travail et à l’accumulation de toute une série de problèmes. Même en supposant qu’il ne soit lié qu’à un stress professionnel, l’employeur ou l’entourage professionnel ne doit pas toujours forcément en être tenu pour responsable. En effet, ce stress peut être lié à toute une série d’autres facteurs personnels, indépendants de l’employeur et de l’entourage professionnel. Comment faire la distinction ?

Mme Élisabeth Toutut-Picard. Votre proposition de loi met en avant une réalité sociale – l’épuisement au travail – qui concernerait, selon les études, 30 000 à 100 000 personnes. Une réalité sociale prise en compte par les pouvoirs publics dans les plans successifs de santé au travail, mais dont la définition médicale ne fait pas consensus. Les médecins estiment qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle maladie psychiatrique, mais d’un syndrome recouvrant diverses situations vécues par les travailleurs, parfois à l’origine de pathologies psychiques, telles que la dépression.

Vous proposez de créer un nouveau tableau de maladies professionnelles qui permettrait de reconnaître les pathologies psychiques liées à l’épuisement au travail. Mais les tableaux actuels de maladies professionnelles sont établis par consensus entre partenaires sociaux : quelle serait leur place dans le système que vous proposez ? Pensez-vous vraiment que c’est au législateur et au Gouvernement de dire ce qui est une maladie ou ne l’est pas et quelles pathologies doivent être reconnues comme maladies professionnelles ?

Par ailleurs, il est possible de reconnaître le caractère professionnel d’une maladie non mentionnée dans un tableau, lorsqu’elle est directement imputable à l’activité professionnelle habituelle de la victime. C’est dans ce cadre que le burn out peut actuellement être reconnu comme maladie professionnelle. Depuis la loi relative au dialogue social et à l’emploi du 17 août 2015, les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle.

Sur cette base, le nombre de travailleurs reconnus en maladie professionnelle a d’ailleurs significativement augmenté : l’Assurance maladie évoque six cents cas par an. Une nouvelle loi et un dispositif spécifique sont-ils vraiment utiles et opportuns, alors que la mission sur la santé au travail menée par notre collègue Charlotte Lecocq, avec M. Henri Forest de la CFDT et M. Bruno Dupuis, personnalité qualifiée, remettra ses conclusions dans les prochains mois ?

M. le rapporteur. J’insiste à nouveau : nous ne demandons pas la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle ! Nous souhaitons simplement que les troubles psychiques, conséquences du burn out, soient reconnus comme liés au travail, donc comme maladie professionnelle. La dépression, l’anxiété généralisée et le stress post-traumatique sont bien répertoriés dans la nomenclature médicale. Certains suggèrent même d’y ajouter les troubles de l’adaptation.

Monsieur Lurton, le harcèlement peut être une cause de burn out ou de trouble psychique. C’est pourquoi le harcèlement est inscrit dans la liste limitative des causes susceptibles de provoquer ces maladies. Je rappellerai que ce tableau est inséré à titre indicatif dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. Le Gouvernement et le Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) sont chargés de réviser et de compléter les tableaux existants, d’après les dispositions prévues à l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale. En tant que législateurs, il est normal que nous fixions des orientations au Gouvernement, afin que certaines maladies soient inscrites dans le tableau des maladies professionnelles.

Bien sûr, je suis favorable à la prévention, mais quels moyens lui donne-t-on ? Quel intérêt va avoir un chef d’entreprise à faire de la prévention ? Je prendrai l’exemple du centre d’appels Coriolis à Amiens : je suis désespéré que des centaines de jeunes de ma ville entrent dans la vie active par cette porte, par des crises de larmes régulières sur les plateaux téléphoniques, par des dépressions et des démissions… Ils ne s’accrochent pas à leur poste car ils n’y sont que depuis quelques mois. Le turnover y est généralisé ! Une directrice des ressources humaines, qui a voulu poser la question des risques psychosociaux dans l’entreprise, a rapidement fait ses valises, même si on ne connaît pas précisément les causes de son départ…

En 2010, en collaboration avec MM. Henri Lachmann et Christian Larose, Mme Pénicaud, actuelle ministre du travail, avait rendu un rapport de dix propositions sur le bien-être et l’efficacité au travail. La première proposition est très claire : pour améliorer la santé psychologique au travail, « l’implication de la direction générale et du conseil d’administration est indispensable. L’évaluation de la performance doit intégrer le facteur humain et donc la santé des salariés ». Mais que se passe-t-il en l’absence de volonté de la direction générale ? Que se passe-t-il si la prévention de risques psychosociaux n’est pas intégrée car elle ne représente pas un coût pour l’entreprise ? Les sanctions que je souhaite établir agiront comme une épée de Damoclès, incitant toutes les entreprises de ce pays à prendre des mesures actives de prévention pour éviter d’être sanctionnées.

Quant aux moyens de la prévention, dans le cadre de la réduction des déficits, les effectifs des « préventeurs », c'est-à-dire des personnes précisément chargées de mener ces actions de prévention, vont diminuer de 20 % en cinq ans ! De même, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) pourrait voir son budget diminuer de 20 % et ses effectifs réduits de 10 %. La médecine du travail a perdu 1 000 postes en dix ans, tout comme l’inspection du travail.

Quels seront donc les moyens de vos ambitions ? Avec de telles baisses – actuelles et à venir –, comment comptez-vous faire de la prévention ?

M. Sébastien Chenu. Nous nous accordons tous sur le fait que l’épuisement, le burn out ou le surmenage ne peuvent être pris à la légère et que cette problématique doit être traitée avec sérieux, d’autant plus que des députés en risque de surmenage ont récemment pu bénéficier d’une cellule « care » – un dispositif de soins. Ce sujet interroge l’ensemble de la société.

La porte d’entrée ne peut pas être idéologique : elle doit évidemment être pragmatique. Je suis d’accord avec vous, Monsieur le rapporteur, la pression du politique permet la reconnaissance d’un certain nombre de pathologies comme maladies professionnelles. Nous sommes élus de la même grande région : le cas de l’amiante est symptomatique. Nous avons un devoir et une responsabilité en la matière.

Cependant, notre stratégie doit plutôt reposer sur trois étages. D’abord, notre capacité à donner beaucoup de moyens à la prévention : nous y sommes tous favorables, vous aussi d’ailleurs. Le deuxième étage, c’est l’incitation des entreprises. Le troisième, c'est la sanction. Nous devons graduer les politiques publiques – prévention, incitation puis sanction – et non appliquer directement des sanctions. Quel intérêt un chef d’entreprise a-t-il à prendre des dispositifs de prévention ? Il doit d’abord y être incité, puis seulement ensuite, sanctionné s’il ne fait pas le nécessaire.

Pour conclure, nous regarderons avec bienveillance votre proposition, tant elle nous semble opportune dans la société dans laquelle nous vivons.

M. Brahim Hammouche. Votre rapport est un rapport d’hétéro-attribution : il attribue à la réalité psychique des souffrances au travail des causes externes, liées à une organisation de travail pathogène. Malheureusement, très vite, votre rapport se confronte aux limites du sujet à traiter : finalement, qu’est-ce que le burn out ? Une forme de stress ? Une souffrance au travail ? Un syndrome témoignant d’un épuisement psychique et physique ? Un mal-être au travail ? Une détresse à faire face aux injonctions paradoxales de nos organisations de travail ? Il s’agit probablement un peu de tout cela…

Mais le professionnel est surtout enfermé dans une double contrainte, entre des valeurs personnelles et professionnelles et les moyens de répondre à cette exigence. Cette exigence doit également tenir compte de la personnalité du sujet : une personnalité anxieuse n’aura pas les mêmes réactions qu’une personnalité plus extravertie.

Ce rapport ne peut pas s’appuyer – c’est sa faiblesse – sur des données épidémiologiques globales, car elles sont très insuffisantes en France. Nous devons poursuivre cette nosographie : seul un travail de méta-analyse en psychologie du travail nous fournirait une meilleure connaissance, donc une meilleure reconnaissance du caractère professionnel du syndrome de burn out, en nous permettant de comprendre les liens directs de causalité entre le travail et les troubles constatés.

À la page 13 de votre projet de rapport, vous évoquez les troubles psycho-anxiolitiques : je connais les troubles psychiques, les anxiolytiques, mais je ne connais pas les troubles psycho-anxiolytiques…

La prévention de ces souffrances psychiques et somatiques est également un corollaire indispensable, que votre proposition ne règle pas. Il est essentiel d’informer et de déconstruire les processus pathogènes d’épuisement professionnel. Cette connaissance nous permettra de prendre les mesures adéquates – notamment de prévention – et de ne pas confondre le sommet de l’iceberg avec l’iceberg lui-même.

M. Bernard Perrut. Le burn out est bien présent, nous en sommes conscients. Pourtant, il est difficile de le définir : épuisement physique, psychique, toutes les formes de souffrances, à la suite d’une surcharge de travail, d’un investissement professionnel intense, ou pour des raisons multiples – difficultés personnelles, familiales, liées aux conditions de logement, de transport. Le burn out existe d’ailleurs aussi pour les aidants familiaux – sujet que nous évoquions hier.

Il est difficile de l’apprécier et de le qualifier, d’où notre difficulté à évoquer le sujet avec vous, Monsieur le rapporteur. Nous mesurons combien la conciliation de la vie professionnelle avec la vie personnelle soulève des questions et des enjeux. Nous le constatons chaque jour dans nos permanences, au contact d’agriculteurs qui croulent sous leur charge de travail et s’inquiètent, de personnels hospitaliers qui vivent à un rythme particulier ou de policiers, éprouvés par les difficultés qu’ils rencontrent.

Il est difficile d’établir un lien de causalité entre la pathologie et le travail de la personne concernée. Les origines sont multifactorielles, d’où la difficulté de dresser un tableau. Ce tableau ne sera valablement complété que lorsque la définition de l’épuisement professionnel et les conditions dans lesquelles il peut être imputable à l’activité professionnelle seront claires. Il faut, avant tout, continuer le travail de prévention. Le rapport de MM. Censi et Sebaoun sur le syndrome d'épuisement professionnel évoque des pistes : renforcer le réseau des consultations multidisciplinaires consacrées à la souffrance au travail, améliorer la démarche publique de prévention, sensibiliser les dirigeants des entreprises et des services publics à la prise en charge de l’épuisement professionnel. Nous sommes convaincus que c’est grâce à la qualité de vie au travail que nous pourrons lutter contre le burn out. Cette mission doit nous être commune.

M. le rapporteur. Qu’est-ce qu’un burn out ? La question est récurrente dans vos interventions. Il faut savoir le définir et l’apprécier, dites-vous. Je le répète, en faisant confiance à votre bonne foi : c’est en dehors du champ de cette proposition de loi puisque nous ne demandons pas la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle. Nous intégrons le fait que les médecins n’utilisent pas ce terme qu’ils considèrent comme un mot-valise regroupant à peu près tout, et nous demandons la reconnaissance des troubles psychiques liés au travail comme maladie professionnelle. Vos remarques étant répétitives, je répète moi aussi que ces troubles sont la dépression lourde, l’anxiété généralisée, le stress post-traumatique et, peut-être, les troubles de l’adaptation. Ils doivent être reconnus comme maladies professionnelles, quand ils sont liés à des travaux susceptibles de les provoquer, définis dans une liste qui peut donner lieu à des révisions.

Monsieur Chenu, vous plaidez pour l’incitation et la sanction. Peut-être dois-je adoucir mon langage – ce qui n’est pas tout à fait dans ma manière d’être… Au fond, l’incitation et la sanction, c’est un peu la même chose : il faut que l’incitation soit financière pour qu’elle soit vraiment intégrée dans le fonctionnement des entreprises. Il faut que ces dégâts humains apparaissent dans la comptabilité des entreprises pour que les dirigeants soient incités à aller dans le sens de la prévention.

Je veux bien que l’on poursuive le travail de nosographie, mais je pense que ce n’est pas à la mesure de l'urgence de la situation : nous parlons de centaines de milliers de cas par an. Pendant combien de temps le travail de nosographie a-t-il été poursuivi concernant la silicose ? Je demande que des mesures fortes soient adoptées pour endiguer le fléau du burn out, qu’on lui donne ou non le statut de maladie professionnelle.

Le psychiatre Patrick Légeron a rédigé un rapport sur le burn out pour l'Académie nationale de médecine. Il met l’accent sur un énorme décalage : le stress est identifié comme le premier risque pour les travailleurs alors que les troubles psychiques sont absents du tableau des maladies professionnelles. Lors de son audition il a indiqué : « Sur cet objet médical non identifié, à savoir le burn out, la science dispose d'outils. Les maladies provoquées sont aujourd'hui bien identifiées par les médecins : les dépressions, l'anxiété généralisée, le stress post-traumatique et j'ajouterai les troubles de l'adaptation avec anxiété. Lorsque je reçois un patient en burn out, je n'ai aucune difficulté – et l'Académie le remarque d'ailleurs pour tous les psychiatres – à inscrire sa pathologie dans une case. De même, pour la dépression avec un net penchant d'épuisement professionnel, les trois étapes décrites par Christina Maslach sont connues : l'épuisement, la dépersonnalisation et le sentiment de non-accomplissement de soi. Aussi, je pense qu'une reconnaissance est absolument nécessaire et l’Académie est très intéressée par cette démarche de reconnaissance. »

Si la science ne s'avance pas sur le burn out, elle fournit des données sur les troubles psychiques qu’il engendre.

Mme Carole Grandjean. Si je salue le travail effectué sur cet enjeu de société majeur que représente le burn out, je trouve que ce texte soulève des questions. Premièrement, la notion de classification préétablie est trop restrictive. Comme le montrent de nombreuses études, le burn out a des causes multifactorielles dont certaines sont liées à la vie personnelle. C’est ainsi que la difficulté à concilier vie personnelle et vie professionnelle entre souvent en jeu dans le burn out des femmes.

Deuxième limite à cette normalisation : la notion de responsabilité ne me paraît pas facile à appréhender dans le cadre d'une maladie professionnelle. Je pense qu'il faut plutôt s'orienter vers la recherche des responsabilités qui peuvent être engagées après une enquête sur les conditions de travail et les enjeux du milieu professionnel, effectuée dans le cadre d’une démarche contentieuse. La reconnaissance de la responsabilité de l’employeur passe alors par l’octroi de dommages et intérêts.

Mme Josiane Corneloup. Cette proposition de loi vise à faire entrer dans le tableau des maladies professionnelles, les pathologies psychiques consécutives un syndrome d'épuisement professionnel. De ce fait, elle tend à faciliter la prise en charge de ces maladies par la branche accidents du travail, accidents de trajet et maladies professionnelles (AT-MP), assise à plus de 90 % sur la participation des employeurs.

Loin de moi l'idée de nier l’existence les troubles psychiques liés au travail. On ne peut contester que le burn out soit une réalité pour un certain nombre de salariés, mais ouvrir la présomption d'imputabilité de la pathologie à l'activité professionnelle me paraît assez simpliste dans la mesure où les troubles psychiques sont la plupart du temps multifactoriels, liés aussi à des fragilités individuelles. Comment faire la part des choses, savoir ce qui relève du travail et de la personne elle-même ? On sait bien que deux personnes qui vivront la même chose ne développeront pas les mêmes symptômes.

La prévention me paraît indispensable. Dans tous les cas, il vaut mieux prévenir que guérir. Ces troubles psychiques peuvent entraîner des incapacités longues. D’où l'intérêt de réfléchir à des indicateurs, à les mettre en place et à les suivre.

Mme Caroline Janvier. Je voulais revenir sur la distinction entre le burn out et les pathologies dont vous parlez. Alors que les travaux conduits depuis les années 1970 n'ont toujours pas réussi à vraiment identifier et circonscrire cette pathologie, il me paraît assez surprenant d’aller chercher des pathologies dont le lien avec l'environnement professionnel est encore moins démontrable que dans le cas d'un burn out.

La dépression, l'anxiété et le trouble de stress post-traumatique sont en général liés à une atteinte à l'intégrité physique ou psychologique du patient, qui peut être due à une mort violente, un viol, une guerre ou un attentat. On voit quand même assez mal le lien avec le milieu professionnel. L’imputabilité systématique au cadre professionnel et l’inversion de la charge de la preuve me paraissent excessives et procéder d’un raccourci un peu rapide pour régler le problème.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Le burn out est un objet médical non identifié, nous en sommes tous d'accord. Comme l’ont dit plusieurs intervenants, ses causes sont multifactorielles, il n’est pas imputable uniquement à la vie professionnelle. En venant vous écouter ce matin, je pensais que je ressortirais de la réunion en ayant une vision plus claire du phénomène. En fait, plus j'écoute et moins je comprends. Vous-même, plus vous parlez et plus vous semblez hésiter sur la définition. Vous auriez peut-être dû retirer le mot burn out du titre de votre proposition de loi et l'intituler « Proposition de loi visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les maladies psychiques résultant de l’épuisement professionnel ». Le débat n'aurait peut-être pas été le même.

M. le rapporteur. Pour en revenir aux causes multifactorielles, je peux vous citer des données. Sur la base d’entretiens, une étude menée au Centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers montre que 34 % des tentatives de suicide ont un lien avec le travail. Menée au CHU de Caen, une autre étude fait état d’un taux d’environ 40 %. Tout est multifactoriel. La silicose était multifactorielle et tous les individus ne réagissaient pas la même manière à la descente dans la mine. Prenons la lombalgie, reconnue comme maladie professionnelle pour un salarié qui effectue certains travaux pénibles : un salarié peut aussi avoir des lombalgies parce qu’il joue au tennis…

L’imputabilité ne joue que dans le cas où certaines conditions sont remplies, elle n’est pas automatique. On se réfère au tableau des maladies professionnelles dont l’élaboration est du ressort du Gouvernement après avis du Conseil d’orientation des conditions de travail. Une enquête peut être effectuée en cas de contestation par l'employeur. Il serait d’ailleurs souhaitable que tous les suicides et toutes les tentatives de suicide fassent systématiquement l’objet d’une enquête quand ils ont un lien possible avec le travail. À l’issue de l'enquête, la cause professionnelle ne sera pas reconnue si le lien n’est pas démontré.

J'entends vos arguments sur les limites de ma proposition mais je viens pour tirer un signal d'alarme. Que proposez-vous ? Le groupe Nouvelle Gauche propose la baisse du taux d'IPP, une mesure concrète même si je la trouve insuffisante. J’attends les propositions de nos autres collègues, qui ne doivent pas se limiter à des actions de sensibilisation : il ne suffira pas d’aller faire des câlins au directeur du centre d'appels Coriolis…

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons à l'examen des articles de la proposition de loi.


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II.   EXAMEN des articles

Article 1er
(art. L. 461-2 du code de la sécurité sociale)
Inscription des pathologies psychiques relevant de lépuisement professionnel au tableau des maladies professionnelles

Partant du constat du caractère insatisfaisant, pour les victimes  d’épuisement professionnel, de la possibilité de faire reconnaître le syndrome dont ils souffrent comme maladie professionnelle par la voie dite « complémentaire », cet article a pour objet de prévoir l’inscription, dans un des tableaux des maladies dont l’origine professionnelle est présumée, des pathologies psychiques relevant de l’épuisement professionnel.

Il incombera au Gouvernement, comme pour les autres maladies professionnelles inscrites dans un tableau, de définir les conditions dans lesquelles ces pathologies psychiques sont présumées avoir une origine professionnelle et de fixer la liste des facteurs permettant de présumer ce caractère professionnel.

A.   Le burn out et la souffrance au travail : un phénomène de masse

Nul ne peut plus, aujourd’hui, le nier : l’épuisement professionnel, fréquemment désigné sous le terme de « burn out », mais aussi plus largement la souffrance au travail, existent massivement en France, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, et touchent un nombre sans cesse croissant d’actifs.

Les concepts d’épuisement professionnel ou de burn out sont déjà anciens. En France, l’épuisement professionnel a été décrit pour la première fois dès 1959 par le psychiatre Claude Veil ([2]), et le concept de burn out est issu de travaux de recherche menés par le psychiatre et psychothérapeute américain Herbert Freudenberger dans les années 1970  ([3]). Le syndrome de burn out est aujourd’hui défini par l’Académie nationale de médecine comme un « état dépuisement psychologique (émotionnel), mais aussi cognitif (avec une perte de motivations et des difficultés de concentration) et physique (« coup de pompe »), qui se présente sous forme de symptômes traduisant une réaction de détresse à une situation de stress en milieu professionnel » ([4]). Précisons, comme l’ont souligné nombre des personnes entendues par le rapporteur et en particulier le Docteur Patrick Légeron, co-auteur pour l’Académie nationale du rapport qui a donné cette définition du burn out, que si le burn out lui-même n’est pas une pathologie au sens médical du terme, il est bel et bien un syndrome, c’est-à-dire un ensemble de symptômes qui sont la traduction d’une souffrance au travail et qui engendrent des pathologies médicales au sens strict telles que la dépression, l’anxiété généralisée et l’état de stress posttraumatique, ainsi que des troubles de l’adaptation avec anxiété (TAA) ou avec humeur dépressive (TAHD).

Les causes de l’épuisement professionnel et, au-delà, du mal-être au travail sont, aussi, hélas, trop bien connues : organisation du travail défaillante ; modes de management agressifs ; exigences de résultats inatteignables, sous la pression d’actionnaires en demande de toujours plus de profits ; politiques publiques de réduction des moyens des services publics ; horaires de travail de plus en plus étendus, au mépris des règles minimales de santé au travail sur les durées de repos ; injonctions contradictoires (faire toujours mieux avec moins de moyens…) ; porosité accrue entre la sphère professionnelle et la sphère privée, sous l’influence, notamment, des outils numériques ; précarité de l’emploi ; changements d’organisations ou restructurations répétés et injustifiés ; et parfois, dans le pire des cas, violences et harcèlement. Un rapport du Sénat de 2010 sur le mal-être au travail ([5]), un autre de 2017 de l’Assemblée nationale sur le syndrome d’épuisement professionnel ([6]), ont parfaitement décrit ces multiples causes.

Même si les données épidémiologiques disponibles demeurent insuffisantes, il ressort du rapport précité de l’Académie nationale de médecine de 2016, s’appuyant sur des travaux de l’Institut de veille sanitaire et sur une extrapolation  faite à partir de données disponibles pour la Belgique, que le nombre dactifs actuellement en situation de souffrance aiguë au travail pouvant être qualifié de burn out est compris dans une fourchette de 200 000 à 500 000 personnes. Les auditions menées par votre rapporteur ont confirmé ces données et ce que chacun désormais sait à propos de la réalité des conditions de travail en France : loin dêtre un phénomène de mode, le burn out est un phénomène de masse.

Sur les conséquences du burn out sur la vie des personnes affectées et leur entourage, les auditions menées par le rapporteur ont montré qu’elles étaient toujours graves, et parfois même dramatiques : la perte d’estime de soi, les addictions, la dépression, et parfois, au bout du bout, quand le désespoir est trop fort, le suicide. Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de l’Observatoire national du suicide ont souligné que si les études portant sur le lien entre les suicides ou tentatives de suicides et l’activité professionnelle étaient encore insuffisantes, une enquête menée auprès de salariés hospitalisés pour un geste suicidaire effectuée au Centre hospitalier universitaire de Caen avait mis en évidence que pour 40 % des personnes concernées, le travail avait été le facteur principal du geste suicidaire. Comme le relève le dernier rapport de cet Observatoire, cette étude a révélé que le geste suicidaire est, dans une proportion très significative, « le résultat dune longue histoire de souffrance au travail » ([7]).

Pourtant, malgré la gravité de ses conséquences, malgré l’ampleur du phénomène, malgré le lien de causalité évident entre le travail et l’apparition du syndrome, aucune pathologie psychique – et donc pas celles pouvant découler dun burn outnest aujourdhui reconnue, en tant que telle, comme une maladie professionnelle en France, et les conditions dans lesquelles les travailleurs concernés peuvent obtenir la reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie relèvent du parcours du combattant.

B.   Un système de reconnaissance des maladies professionnelles inadapté a la prise en compte des pathologies psychiques engendrées par le burn out

Pour le salarié atteint d’une maladie d’origine professionnelle, les conséquences de l’absence de reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie sont loin d’être anodines : il ne peut alors bénéficier ni de la prise en charge à 100 % de ses frais médicaux, ni de la réparation des préjudices et de la rente d’invalidité auxquelles il peut légitimement prétendre.

Pour la sécurité sociale, la non reconnaissance du caractère professionnel de la maladie aboutit à la faire prendre en charge financièrement par la branche assurance-maladie, donc en partie par les cotisations acquittées par les salariés, alors qu’elle devrait être prise en charge par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), qui est quant à elle financée à 98 % par les cotisations des employeurs.

Le système français de reconnaissance des maladies professionnelles fait cohabiter deux mécanismes distincts de reconnaissance, figurant respectivement aux deuxième et quatrième alinéas de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Le premier mécanisme, prévu au deuxième alinéa de cet article L. 461-1, est celui des « tableaux » de maladies professionnelles, qui conduit à présumer l’origine professionnelle de maladies énumérées dans l’un des 112 tableaux annexés au code de la sécurité sociale, pour les travailleurs exposés à certains risques  ([8]) : par exemple, le cancer des bronches est présumé être une maladie professionnelle pour les personnes qui ont été exposées à l’inhalation de poussières d’amiante pendant 10 ans au moins ; l’arthrose du coude est présumée être une maladie professionnelle pour les personnes exposées habituellement à des vibrations, par exemple du fait de l’utilisation de marteaux piqueurs ([9]).

Le second mécanisme est celui, dit « complémentaire », de la reconnaissance au cas par cas du caractère professionnel dune maladie : prévu au quatrième alinéa de l’article L. 461-1, il permet d’obtenir la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie non désignée dans un tableau de maladies professionnelles « lorsquil est établi quelle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et quelle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente dun taux (…) au moins égal à un pourcentage déterminé » par décret et fixé, actuellement, à 25 %  ([10]). La reconnaissance du caractère professionnel de la maladie nécessite alors la constitution par le travailleur concerné d’un dossier de demande de reconnaissance, puis une décision de la caisse primaire d’assurance maladie rendue après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). 

Actuellement, aucune maladie psychique ne figure dans lun des tableaux existants de maladies professionnelles, et la reconnaissance du caractère professionnel dune maladie psychique par la voie complémentaire se heurte au double obstacle de la preuve du lien de causalité essentiel et direct entre le travail et la maladie et du taux minimal dincapacité permanente partielle (IPP) de 25 %. Ce second obstacle est d’ailleurs fréquemment rédhibitoire, car le taux d’IPP reconnu pour les troubles psychiques tels que ceux pouvant être relevés dans un syndrome de burn out dépasse rarement 20 % ([11]). Ceci est dû au fait que le barème indicatif d’invalidité prévu par le code de la sécurité sociale recommande que soit accordé, pour les « états dépressifs dintensité variable  (…) avec une asthénie persistante », un taux d’IPP de 10 à 20 %, sauf pour les cas de « grande dépression mélancolique » ou  d’« anxiété pantophobique » pour lesquels le taux indicatif est alors compris entre 50 et 100 %  ([12]).

Certes, ces dernières années, des aménagements du régime complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles ont permis, mais dans une mesure très limitée, de faciliter la reconnaissance du caractère professionnel des maladies psychiques.

Tout d’abord, suivant une recommandation d’un groupe de travail sur les pathologies psychiques d’origine professionnelle créé par le Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), le guide des CRRMP a été modifié pour préconiser une interprétation plus souple des dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale en matière de pathologies psychiques. D’une part, ce guide recommande désormais de « fixer un taux dincapacité “prévisible” afin dassurer le maintien des indemnités journalières jusquà la consolidation effective de la maladie sans différer la reconnaissance de la maladie professionnelle ». D’autre part, il y est également demandé que « la gravité de la pathologie soit, autant que possible, évaluée au moment de la demande de reconnaissance », afin de tenir compte des délais d’instruction des dossiers et du fait qu’« une issue favorable peut être espérée après que le patient a été soustrait aux facteurs pathogènes qui avaient déclenché ses troubles » ([13]).

 Ensuite, à l’initiative de notre ancien collègue Benoît Hamon, la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a modifié l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pour préciser, dans un sixième alinéa, que « Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies dorigine professionnelle » et que « Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire ». Pour l’application de ces nouvelles dispositions, un décret du 7 juin 2016 ([14]) a modifié la composition du CRRMP afin qu’un psychiatre puisse en faire partie, ou à tout le moins être consulté pour avis, lorsque la demande concerne une maladie psychique ([15]).

Mais, malgré ces évolutions positives qui ne peuvent qu’être saluées, force est de constater que l’on reste, en termes de reconnaissance du nombre de maladies psychiques comme maladies professionnelles, très loin du compte, en tout cas très loin de la réalité de l’importance de ces maladies dont on sait pourtant pertinemment qu’elles sont causées par les conditions de travail. Si le nombre de pathologies psychiques reconnues comme maladies professionnelles par les CRRMP a été multiplié par 6 entre 2010 et 2016, évolution qui s’explique par les évolutions législatives et réglementaires qui viennent d’être décrites, il n’a néanmoins été en 2016 que de 596 cas.

évolution du nombre de dossiers de reconnaissance de maladies psychiques comme maladies professionnelles de 2010 à 2016

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Nombre de demandes

108

86

82

223

315

422

596

Nombre davis favorables

172

185

205

479

657

822

1 138

Taux davis favorables

62,8 %

46,5 %

40,0 %

46,6 %

47,9 %

51,3 %

52,4 %

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), rapport de gestion 2016

Une très récente étude de la branche AT-MP de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) vient, en outre, de montrer que le nombre de pathologies psychiques reconnues comme accidents du travail, avait lui aussi connu une forte augmentation ces dernières années. En 2016, ce sont 10 000 cas de pathologies psychiques qui ont été reconnus comme accidents du travail, soit 1,6 % des 626 000 accidents reconnus, alors qu’en 2011 les maladies psychiques représentaient seulement 1 % des accidents reconnus ([16]).

Mais, même en additionnant les cas de pathologies psychiques reconnus comme accidents du travail et ceux reconnus en maladie professionnelle, on arrive à 10 600 cas seulement. On voit que l’on est très loin des 100 000 à 400 000 cas de burn out relevés par l’Académie nationale de médecine dans son rapport de 2016 ! Comme l’ont souligné plusieurs des personnes entendues par le rapporteur, la reconnaissance des pathologies psychiques dues au travail est totalement dérisoire au regard du caractère massif du phénomène.

La conclusion qui s’impose, au vu de ces données, est que la voie de la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle par le mécanisme de reconnaissance au cas par cas, ou même comme accident du travail, n’est plus adaptée à l’importance et à la gravité du phénomène. Il est donc nécessaire de permettre sa reconnaissance à sa juste proportion en l’inscrivant au tableau des maladies professionnelles.

C.   L’inscription des pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel au tableau des maladies professionnelles : une évolution nécessaire pour remédier aux lacunes de la reconnaissance de ces pathologies et améliorer la prévention de la souffrance au travail

La demande d’une évolution du dispositif de reconnaissance du burn out, et plus largement des pathologies psychiques, comme maladie professionnelle est ancienne et répétée (1). Certes, la reconnaissance des pathologies psychiques engendrées par le burn out comme maladies professionnelles n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre ce fléau, et d’autres leviers doivent être actionnés pour lutter contre la souffrance au travail et prévenir ses conséquences sur la santé psychique des travailleurs (2). Mais, face à la gravité et à l’importance du phénomène, l’inscription des pathologies psychiques résultant du burn out au tableau des maladies professionnelles est une évolution nécessaire, à la fois pour rendre justice aux dizaines ou centaines de milliers personnes broyées par leur travail et pour améliorer la prévention de la souffrance au travail (3). Enfin, une fois décidé par le législateur qu’un tableau de maladie professionnelle doit être élaboré pour les pathologies psychiques résultant du burn out, reste à rédiger ce tableau, tâche qui incombe au Gouvernement dans le respect du dialogue social. Si cette mission est évidemment difficile, elle est parfaitement possible (4).

1.   Une demande ancienne et répétée

La question des modalités de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles se pose depuis de nombreuses années.

Dès 2010, le rapport du Sénat sur le mal-être au travail soulevait la question de la façon suivante : « Faut-il (…) compléter les tableaux des maladies professionnelles, afin de faciliter, par exemple, lindemnisation dun salarié tombé en dépression à cause dune situation de harcèlement ou celle dun salarié victime dune crise cardiaque à la suite dun stress chronique ? ». Ce rapport n’avait certes pas proposé d’inscrire le burn out dans le tableau des maladies professionnelles, mais avait préconisé de « faciliter la reconnaissance des maladies psychologiques comme maladies professionnelles (…) en abaissant le taux dincapacité exigé pour prétendre à la procédure de reconnaissance complémentaire » ([17]).

En 2014, une pétition demandant l’inscription du burn out au tableau des maladies professionnelles, initiée par le cabinet de ressources humaines Technologia, avait été signée par plusieurs syndicats et plus de 10 000 personnes, dont de très nombreux médecins du travail, psychiatres et spécialistes des relations de travail ([18]).

Dans la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, le législateur avait demandé au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 1er juin 2016, « un rapport sur lintégration des affections psychiques dans le tableau des maladies professionnelles ou labaissement du seuil dincapacité permanente partielle pour ces mêmes affections » ([19]). Mais ce rapport n’a, à ce jour, toujours pas été remis.

La mission d’information de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avait, quant à elle, formulé deux propositions cumulatives. Dans un premier temps, elle proposait d’« expérimenter, pour une durée limitée, labaissement à 10 % ou la suppression du taux minimal dincapacité professionnelle permanente nécessaire à la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles ». Mais, comme l’a souligné notre ancien collègue Gérard Sebaoun, rapporteur de cette mission d’information, lors de son audition dans le cadre de la préparation de la discussion de la proposition de loi, la mission a aussi recommandé, dans un second temps, « Une fois définis lépuisement professionnel et les conditions dans lesquelles il peut être imputable à lactivité professionnelle, [de] proposer lélaboration du tableau de maladie professionnelle correspondant » ([20]).

Enfin, les auditions menées par le rapporteur ont démontré, s’il en était encore besoin, que l’aspiration à l’inscription des pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles est forte, chez celles et ceux qui ont directement souffert d’un burn out dans leur chair et dans leur esprit, parmi les représentants des associations qui viennent en aide aux victimes de burn out, ainsi que parmi les représentants syndicaux – la Confédération générale du travail (ainsi que le syndicat VIGI Police qui lui est affilié), la Confédération française de l’encadrement-CGC et SUD-Solidaires s’y étant déclarés favorables.

2.   La prévention du burn out et de la souffrance au travail ne se réduit pas à la reconnaissance des maladies psychiques comme maladies professionnelles

Toutes les personnes entendues par le rapporteur l’ont souligné : l’inscription des pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles ne saurait suffire, à elle seule, à régler la question de la souffrance au travail. Ce qu’il faut impérativement, c’est prévenir cette souffrance, faire en sorte que le travail ne détruise pas les travailleurs, et la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles ne saurait être qu’un remède à un mal qu’il faut avant tout empêcher d’advenir. Pour votre rapporteur et les auteurs de la proposition de loi, l’inscription des pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre la souffrance au travail, mais une des pièces d’un puzzle complexe.

Ces dernières années, une certaine prise de conscience de la nécessité de prévenir les risques psychosociaux (RPS) comme l’on prévient les autres risques professionnels a permis que des initiatives soient prises pour promouvoir le bien-être et prévenir la souffrance au travail. Comme l’ont souligné lors de leurs auditions les représentants de la Direction générale du travail (DGT) et de la Direction de la sécurité sociale (DSS), ainsi que le secrétaire général du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), le troisième plan de santé au travail (dit « PST 3 ») applicable pour la période 2016-2020 fait de la prévention des RPS un axe fort de la promotion de la santé au travail, dont la prévention du burn out est une composante spécifiquement identifiée dans l’action n° 1.20 ([21]). Un guide d’aide à la prévention du syndrome d’épuisement professionnel, élaboré par la DGT en association avec l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et approuvé par les partenaires sociaux au sein du COCT, a été publié en mai 2015 afin de fournir aux employeurs et aux salariés des points d’appui dans la définition et la mise en œuvre d’une stratégie de prévention ([22]).

Ces initiatives doivent être saluées, même si leur diffusion et leur application concrète dans les entreprises et les services publics doivent être largement renforcées. Comme le souligne le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) dans la contribution écrite qu’il a adressée au rapporteur, « il reste du chemin à parcourir pour diffuser les recommandations en région (guide, bonnes pratiques…), pour aider les entreprises à sapproprier ces sujets et favoriser le dialogue social (relais des médecins du travail, préventeurs…) et, plus globalement, pour soutenir la dynamique de prévention, déducation et de promotion du travail et de la santé auprès de lensemble des acteurs ». Effectivement, les auditions que votre rapporteur a effectuées confirment qu’il reste, entre l’élaboration de plans et d’outils nationaux de prévention du burn out et leur déclinaison concrète dans les entreprises et les services, une marche importante à franchir !

La mission d’information sur le syndrome d’épuisement professionnel qui a remis son rapport en février 2017 a également formulé de nombreuses propositions pour améliorer la prévention, qui sont pertinentes et doivent évidemment, et au plus vite, être mises en œuvre : renforcer le rôle des médecins du travail et celui des instances représentatives du personnel ; améliorer la formation des managers ; doter d’un statut de salarié protégé les infirmiers chargés de la surveillance de l’état de santé des salariés…

En outre, d’autres pistes de prévention doivent aussi être explorées. Lors de son audition par le rapporteur, la directrice des risques professionnels de la CNAM a indiqué que des réflexions et travaux étaient en cours pour identifier les entreprises dans lesquelles les congés maladie de longue durée en raison d’une affection psychique et la consommation d’anxiolytiques sont anormalement élevés, afin d’y mener des actions de prévention. De la même façon que les entreprises qui ont un taux anormalement élevé d’accidents du travail se voient imposer une sur-cotisation, une pénalisation financière des entreprises dans lesquelles les conditions et l’organisation du travail engendrent de trop nombreux arrêts maladie pour dépression permettrait aussi d’améliorer la prévention de la souffrance au travail.

3.   L’inscription des pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles : une mesure de justice pour les victimes de burn out et un facteur de prévention

L’inscription des maladies psychiques résultant de l’épuisement professionnel au tableau des maladies professionnelles n’est donc pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre la souffrance au travail. Pour autant, elle n’en est pas moins totalement nécessaire : d’abord, comme une mesure de justice pour les victimes de burn out ; ensuite, comme un facteur de prévention des RPS au travail.

En premier lieu, la reconnaissance du burn out comme une maladie professionnelle sera une mesure de justice pour les victimes de burn out. Certes, la reconnaissance de leur pathologie en accident du travail ou en maladie professionnelle est aujourd’hui théoriquement possible, mais les chiffres mentionnés précédemment montrent combien cette voie est inefficace pour assurer équitablement la réparation des préjudices subis par les victimes de burn out. En outre, toutes les victimes de burn out qui sont parvenues à obtenir cette reconnaissance témoignent du parcours du combattant qu’elles ont dû affronter pour obtenir ce résultat, alors que dans leurs récits le lien entre les conditions de travail qu’elles ont eu à subir et l’apparition de leur pathologie était pourtant, sauf à vouloir nier l’évidence, indiscutable.

Une autre piste évoquée pour remédier à cette difficulté, ou en tout cas la réduire, serait d’abaisser le taux d’incapacité nécessaire pour obtenir la reconnaissance en maladie professionnelle par la voie complémentaire. Mais cette évolution ne réglerait pas la difficulté de la preuve du lien de causalité « essentiel et direct » entre le travail et les troubles constatés. Or, comme l’ont souligné plusieurs personnes entendues par le rapporteur, les victimes de burn out sont le plus souvent dans un état d’effondrement physique et psychique tel qu’il ne leur est pas possible d’affronter l’épreuve que constitue l’obligation de rassembler des preuves de ce lien de causalité.

La seule mesure envisageable pour rétablir réellement la justice au bénéfice des victimes de burn out est donc d’instaurer un tableau de maladie professionnelle, qui leur permettra de bénéficier d’une présomption d’imputabilité lorsqu’elles auront été exposées à une organisation ou des conditions de travail pathogènes. Comme cela existe, par exemple, dans le domaine des discriminations à l’embauche ([23]), le salarié bénéficiera ainsi d’une inversion de la charge de la preuve venant, à la fois, prendre acte de la probabilité élevée que la maladie psychique est bien imputable à l’activité professionnelle. L’employeur pourra toujours contester l’avis du CRRMP estimant que le trouble psychique d’un salarié est lié à son activité professionnelle, mais ce sera à lui d’entamer des démarches et d’apporter la preuve contraire.

En second lieu, linscription des pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles sera un facteur de prévention des RPS au travail. En effet, les taux des cotisations dues par les employeurs pour le financement de la branche ATMP sont fixés en fonction du taux d’accidents et de maladies professionnelles constatés dans le secteur d’activité concerné, avec une individualisation croissante de ce taux en fonction de la taille des entreprises ([24]). Un fort taux d’accidents du travail ou de maladies du travail engendre donc, pour les entreprises, une augmentation de leurs cotisations sociales au titre du financement de la branche AT-MP.

L’effet dissuasif de la pénalisation financière de la sinistralité est connu et reconnu : pour limiter le montant des cotisations dues, les entreprises sont incitées à mettre en œuvre des mesures de prévention efficaces. Il en ira pour les RPS comme il en a été, précédemment, pour d’autres pathologies du travail : la présomption d’imputabilité des pathologies psychiques au travail incitera les entreprises à mieux s’acquitter de leur obligation légale de garantir la protection de la santé de leurs salariés.

4.   L’élaboration d’un tableau : une mission difficile, mais possible

La détermination des modalités de reconnaissance des maladies professionnelles relève de la compétence du législateur. Mais lorsque celui-ci a opté, pour un type de pathologies, pour une reconnaissance par la voie d’un tableau, c’est ensuite au Gouvernement qu’il revient d’élaborer ce tableau, après concertation avec les partenaires sociaux au sein du COCT.

Dans un but illustratif, les auteurs de la proposition de loi ont fait figurer dans son exposé des motifs un exemple de ce que pourrait être un tableau de reconnaissance des pathologies psychiques engendrées par l’épuisement professionnel. Sur le modèle des autres tableaux annexés au code de la sécurité sociale, le tableau suggéré par l’exposé des motifs comportait trois colonnes : la première, indiquant les pathologies reconnues comme maladies professionnelles (dépression, anxiété généralisée, état de stress posttraumatique) ; la deuxième, fixant le délai de prise en charge, en proposant une durée de six mois ; la troisième, énumérant une liste de facteurs constitutifs d’une « organisation pathogène du travail », en s’inspirant des travaux réalisés en 2011 par le collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail présidé par M. Michel Gollac ([25]). Comme l’ont souligné certaines des personnes auditionnées, ce tableau devrait en outre mentionner une durée minimale d’exposition, comme le font d’autres tableaux existants, durée qui pourrait être fixée à six mois.

Le tableau proposé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi est certainement perfectible, mais le fait qu’il soit perfectible ne saurait suffire à disqualifier la démarche et à démontrer que l’élaboration d’un tel tableau serait impossible.

L’un des arguments fréquemment avancé à l’encontre de l’inscription des pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles est, en effet, que la rédaction d’un tableau serait impossible pour ces pathologies, d’une part parce que ces maladies seraient par essence multifactorielles et qu’il serait impossible de faire la part de ce qui est dû à l’activité professionnelle et de ce qui relève de la vie personnelle, d’autre part parce qu’il serait impossible de définir de façon objective les facteurs d’organisation et de conditions de travail qui seraient considérées comme pathogènes. Mais ces arguments, avancés notamment par le MEDEF dans la contribution écrite qu’il a adressée à votre rapporteur, ne convainquent pas.

D’une part, parmi les tableaux de maladies professionnelles existants, certains prévoient déjà la reconnaissance de maladies pouvant avoir plusieurs causes. Par exemple, le tableau n° 98 présume l’imputabilité des affections chroniques du rachis lombaire pour les personnes effectuant de façon habituelle des travaux de manutention manuelle de charges lourdes, mais ces affections peuvent aussi trouver leur cause dans la pratique de sports traumatisants pour le dos ou dans un problème postural, ce qui n’empêche pas de présumer leur origine professionnelle. De la même façon, ce n’est pas parce que le salarié soumis pendant des années à des conditions de travail et à une pression hiérarchique objectivement insupportables aurait, par ailleurs, vécu un divorce ou un deuil qu’il serait impossible de présumer l’origine professionnelle des pathologies psychiques résultant de son burn out. L’argument de l’origine multifactorielle des pathologies psychiques est donc un argument opportuniste, qui permet aux employeurs de se dédouaner à bon compte de leur responsabilité dans les conséquences psychiques des organisations de travail pathogènes qu’ils tolèrent ou mettent en place.

D’autre part, il est tout à fait possible de définir des facteurs objectifs de mauvaises conditions de travail. Des facteurs ont été reconnus comme parfaitement pertinents par une majorité des personnes entendues par le rapporteur : ainsi, du fait d’être soumis à une surcharge de travail, de subir un déséquilibre entre les objectifs et les moyens donnés, d’être confronté à une insécurité dans la situation de travail, de souffrir d’un conflit de valeurs, ou encore de subir des violences ou un harcèlement. Tous ces éléments peuvent parfaitement être objectivés par des témoignages, des courriers, des organigrammes, des expertises réalisées à la demande des instances représentatives du personnel ou encore des enquêtes de l’inspection du travail. Du reste, on peut ajouter que si certains de ces critères nécessitent une appréciation au cas par cas, tel est déjà le cas pour les critères existants dans certains tableaux : pour reprendre l’exemple du tableau n° 98, déjà cité, sur les affections chroniques du rachis lombaire pour les personnes effectuant de façon habituelle des travaux de manutention manuelle de charges lourdes, le tableau ne définit pas ce qu’est une charge « lourde », et il y a donc à chaque fois une appréciation concrète à avoir sur le point de savoir si le salarié a été ou non exposé au port de « charges lourdes ».

Mesure de justice pour les victimes du burn out, facteur de prévention des RPS, lélaboration dun tableau des maladies psychiques causées par le burn out est donc, tout à la fois, nécessaire et techniquement possible.

*

La commission examine, en discussion commune, l'amendement AS9 du rapporteur et AS3 de M. Régis Juanico.

M. le rapporteur. L'amendement AS9 a été rédigé en réaction à l’amendement AS3 du groupe Nouvelle gauche, dont je souhaite le retrait au profit du mien, qui propose de remplacer la formulation « relevant de l’épuisement professionnel » par « pouvant être reconnues comme maladies d’origine professionnelle. » Les pathologies psychiques causées par le travail ne se réduisent en effet pas à l’épuisement professionnel.

M. Régis Juanico. Notre amendement vise à inscrire dans le code de la sécurité sociale les pathologies psychiques pouvant être reconnues d'origine professionnelle.

Quand nous abordons des sujets de société clairement identifiés, j’ai l'impression que certains veulent noyer le poisson pour éviter le débat. Le législateur finit par avoir beaucoup de retard sur la société. Dans quelques mois, des centres de prise en charge de patients atteints de burn out vont ouvrir dans certaines villes, notamment à Villeurbanne. Les patients seront pris en charge à la journée avec l'accord de l’Agence régionale de santé (ARS), alors que les pathologies psychiques sont très peu reconnues dans notre système qui est devenu complètement obsolète.

Seul le Danemark a inscrit le stress post-traumatique dans son tableau de maladies professionnelles. En France, les partenaires sociaux doivent se mettent d'accord et il y a un blocage pour une meilleure la reconnaissance des maladies professionnelles. La reconnaissance ne peut s’opérer que par la voie complémentaire sur laquelle porte notre amendement. La procédure complémentaire permet à des salariés de déposer des dossiers devant les CRRMP mais nous considérons que ces derniers appliquent des critères trop restrictifs. La plupart des dossiers sont rejetés ou pas même examinés.

Les CRRMP demandent au salarié d’avoir un taux d’IPP de 25 %, ce qui est énorme : au niveau physique, ce taux correspond à l’amputation d’un bras, par exemple, et les maladies psychiques ne peuvent pas entrer dans ce cadre. Les comités acceptent 600 dossiers par an et quelque 10 000 cas de burn out sont reconnus comme accidents du travail, alors que 20 000 cas sont reconnus en Belgique. Si le système fonctionnait bien, nous aurions environ 40 000 reconnaissances par an.

Notre proposition principale est d'abaisser le taux d’IPP de 25 % à 10 % pour que la majorité des dossiers soient examinés : les cas de dépression et d’épuisement professionnel donnent lieu à des taux d’IPP qui se situent entre 12 % et 15 %. Ainsi, ces troubles psychiques pourraient être enfin reconnus comme des maladies d'origine professionnelle. Malheureusement, ce qui est une triste habitude, notre amendement a été déclaré irrecevable et nous ne pourrons pas en débattre.

M. le rapporteur. J'accepte votre proposition d'étendre la définition aux troubles psychiques, simplement mon amendement ajoute les mots « Il définit les conditions dans lesquelles ces pathologies sont présumées être d’origine professionnelle ». C’est pourquoi j’ai demandé le retrait du vôtre.

M. Régis Juanico. Au bénéfice de ces explications, nous retirons notre amendement.

L'amendement AS3 est retiré.

M. Guillaume Chiche. Je voulais revenir sur les actions d'ores et déjà engagées et qui ont vocation à s'intensifier en faveur de la reconnaissance des maladies professionnelles dans le cadre des CRRMP, donc hors tableau.

Depuis 2012, il a été demandé aux caisses d'assurance maladie d'interpréter de manière souple le taux d’IPP nécessaire pour bénéficier de l'expertise des CRRMP. Il s’agit de permettre la fixation du taux d’incapacité prévisible à la date de la demande de reconnaissance, sans exiger que l'état de la victime soit stabilisé. Ce taux n'a donc qu'une valeur indicative puisqu'il est distingué du taux réel qui est notifié lors de la consolidation de l'état de santé de la victime. En pratique, ce taux réel peut être inférieur à 25 %.

En 2014, il a aussi été créé et diffusé un référentiel permettant de faciliter le travail des agents des caisses primaires d'assurance maladie lors de leurs enquêtes, afin de formuler des recommandations aux CRRMP.

Nous appellerons au retrait sinon au rejet de cet amendement, dans la mesure où un travail est en cours pour permettre aux CRRMP d'embrasser la problématique des troubles psychiques dans la reconnaissance des maladies professionnelles.

M. Adrien Quatennens. À la fin de la précédente législature, effectivement, des députés socialistes avaient déposé une proposition de loi qui visait à abaisser ce taux d’IPP. Après les auditions, nous avons fait un autre choix afin de couvrir davantage de cas, d’être plus exhaustifs. Comme l'a dit mon collègue François Ruffin, le législateur n’est pas compétent pour classer le burn out dans les maladies. En revanche, nous savons que certaines pathologies peuvent résulter directement du monde du travail. Il faut reconnaître ce lien entre le travail et ces pathologies identifiées par la médecine. C'est pourquoi nous vous proposons d’intervenir sur le tableau des maladies professionnelles, ce qui permettra de résoudre plus de cas que si nous nous contentions d'abaisser les taux d’IPP pris en compte par les CRRMP.

M. Olivier Véran. Cela ne me dérange pas d’admettre qu’il existe un vrai problème de pathologies professionnelles. Il y a quelques années, d’aucuns parlaient de pathologies de civilisation pour évoquer cette flambée de troubles liés au rapport au travail, à la pression sociale et culturelle, aux organisations sociales contemporaines. Ce qui me gêne, c'est plutôt le régime d'indemnisation et la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle.

Savez-vous d’où vient le mot burn out ? Il a été employé pour la première fois en 1970 par un médecin nommé Herbert Freudenberger qui dirigeait à New York une clinique pour jeunes toxicomanes. Sa clinique était un établissement associatif qui fonctionnait essentiellement grâce à des bénévoles. Herbert Freudenberger a employé le mot burn out pour décrire l’état de ces bénévoles. Ces personnes s’engageaient librement parce qu'elles croyaient en la cause qu’elles allaient servir. Au bout d'un an, leur altruisme aboutissait à une forme de lassitude face à des gens qui avaient du mal à sortir de la toxicomanie. C'est une sorte de paradoxe : le burn out a été décrit pour la première fois chez des bénévoles et, plus de quarante ans plus tard, on nous demande de le classer dans les maladies professionnelles ouvrant droit à des indemnités.

Je pense qu'il faut un cadre beaucoup plus large de conceptualisation et de reconnaissance de l'ensemble des troubles psychiques qui peuvent être liés à une activité, que cette dernière soit rémunérée et liée à un employeur ou qu'elle relève d'un engagement personnel privé. C’est pourquoi je suis opposé à votre amendement.

M. Ugo Bernalicis. J’ai du mal à comprendre l'argument de mon collègue Véran. Le monde du travail n'a effectivement pas le monopole du burn out, j’en suis bien convaincu. Des militants politiques, par exemple, peuvent aller un peu trop loin dans leur engagement à certains moments et se trouver dans cette situation. Il n’empêche que vous pouvez arriver au même résultat dans le monde du travail, c'est-à-dire dans un cadre subi et contraint. Avec notre proposition de loi, nous nous intéressons au milieu professionnel.

En quoi le fait que des bénévoles puissent être victimes d’un burn out devrait-il nous empêcher de légiférer pour les salariés ? C'est absurde. Des bénévoles peuvent aussi se casser une jambe. Sous ce prétexte, faudrait-il cesser de considérer que c’est un accident du travail quand cela arrive à un salarié ? Le raisonnement est absurde, je vous le dis sincèrement.

J’approuve les arguments qui ont été brillamment développés par mes collègues Ruffin et Quatennens. J'invite cette commission à faire preuve d'audace et de courage politique. Il s'agit aussi de faire avancer le progrès social dans ce pays. Vous vous définissez tous comme des progressistes, faites-en la démonstration.

M. Régis Juanico. Notre collègue Guillaume Chiche explique que les CRRMP conservent une forte latitude d’appréciation quand elles examinent des dossiers de burn out. Même si des modifications ont été apportées, le fonctionnement de ces CRRMP n'est pas satisfaisant. La preuve : ils n’acceptent que 600 dossiers par an. Avec un taux d’IPP fixé à 25 %, de nombreuses victimes ne sont pas prises en charge au titre de leur préjudice.

Un CRRMP d’Île-de-France indique qu’il rejette la moitié des dossiers de reconnaissance pour affection psychiatrique qui lui sont soumis, car le taux d'IPP est inférieur au seuil réglementaire. Dans l’un de ses rapports, la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale dresse, quant à elle, le constat d'une forte disparité de traitement entre les caisses dans leur pratique de reconnaissance et de fixation de ce taux d'IPP.

Pour ces raisons, nous proposons d’abaisser le taux d’IPP de 25 à 10 %. Cette voie opérationnelle pourrait être expérimentée rapidement. Certains collègues ne souhaitent pas que nous avancions en la matière sur le plan législatif. Pour ma part, j'estime que nous devons expérimenter. Je crois aussi que, dans la majorité parlementaire, beaucoup de collègues sont sensibles à cette question.

La commission rejette l'amendement AS9.

Puis elle rejette l’article 1er.

Après l’article 1er

La commission examine l'amendement AS1 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Mon amendement reprend l’une des recommandations du rapport d’information n° 4487 de février 2017 sur l’épuisement professionnel ou burn out, rédigé à l’initiative des députés Yves Censi et Gérard Sebaoun.

Il est ainsi proposé que la commission chargée d’apprécier la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles évalue également le coût des pathologies psychiques liées au travail qui est actuellement supporté par l’assurance maladie.

M. le rapporteur. Je suis tout à fait favorable à cet amendement. Je ne me situe pas dans une logique comptable, je raisonne en termes de santé publique. Cependant, si l’évaluation de la prise en charge de ces troubles psychiques liés au travail par l’assurance maladie – le coût s’exprimera en milliards d’euros – peut stimuler le législateur, donc le Gouvernement, j’y suis très favorable. Ce coût est payé par la société alors qu’il devrait l’être bien souvent par les sociétés.

M. Guillaume Chiche. Nous sommes défavorables à cet amendement qui me donne l’occasion de répondre au rapporteur sur l'action engagée en la matière par la majorité parlementaire et le Gouvernement.

Muriel Pénicaud et Agnès Buzyn, la ministre du travail et la ministre de la santé, ont confié à notre collègue Charlotte Lecocq une mission sur la santé au travail. La mission, qui rendra ses conclusions avant l'été, prendra le temps d'éprouver l'ensemble des problématiques qui nous sont posées aujourd'hui.

Je peux vous assurer de la détermination de notre majorité à se saisir de ces dossiers concernant les troubles psychiques et la reconnaissance des maladies professionnelles. À la faveur des ordonnances relatives au renforcement du dialogue social, nous avons mis l'accent, tout au long des débats, sur la constitution du comité social et économique (CSE). Ce comité vise à permettre au salarié et à ses représentants d'avoir une vision d'ensemble de l'environnement de travail et de pouvoir appréhender tous les facteurs qui peuvent déboucher sur le syndrome de burn out ou sur des troubles psychiques. C’est une avancée.

La mission confiée par l'exécutif à notre collègue Charlotte Lecocq montre que nous prenons ce sujet à bras-le-corps et que nous le traitons sérieusement. Rappelons aussi que le troisième plan santé au travail (PST3), qui va couvrir la période 2016-2020, a été adopté après avoir été négocié avec les partenaires sociaux, les acteurs de la prévention et ceux de l'assurance maladie. L’article 20 de ce plan traite de la prévention des risques psychosociaux et il formule des préconisations concernant les mécanismes de reconnaissance des troubles psychiques et la formulation de nouveaux supports pour mieux les appréhender.

Pour répondre très directement à M. Ruffin et à ses collègues de La France insoumise, nous sommes mobilisés par ce sujet très important. Nous nous inscrivons dans la continuité des nombreux travaux menés sous les législatures précédentes. Nous avons déjà agi à l’occasion du débat sur le dialogue social et nous continuons à agir, notamment à travers la mission ministérielle.

M. Stéphane Viry. Cet amendement a du sens. Il s’inscrit dans la continuité des travaux parlementaires précédents. Je pense en particulier au rapport d’information d’Yves Censi et de Gérard Sebaoun, adopté à l’unanimité. Nos collègues soulignaient la nécessité d’établir les coûts pour l’assurance maladie des pathologies psychiques liées au travail, ce qui me semble judicieux à l’heure où l’on discute d’un principe de prise en charge analogue à celui du pollueur-payeur.

M. le rapporteur. Le groupe Les Républicains et La France insoumise s’accordent pour voter un amendement qui porte sur une proposition minimale, et le groupe La République en Marche s’apprête à le rejeter pour la simple raison qu’une mission vient d’être lancée. Son porte-parole dit la majorité déterminée à prendre en compte ces pathologies : je me demande ce que ce serait si elle ne l’était pas !

La commission rejette l’amendement.

Article 2
Conditions dentrée en vigueur

L’article 2 prévoit que les dispositions de la loi entreront en vigueur le 1er janvier 2019.

Cette date d’entrée en vigueur laissera au Gouvernement un délai suffisant pour parvenir, après concertation avec les partenaires sociaux au sein du COCT, à l’élaboration d’un tableau des pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel.

*

La commission examine l’amendement AS4 de M. Régis Juanico

M. Régis Juanico. Je le retire : il n’avait de sens qu’en regard d’un autre amendement, qui a été déclaré irrecevable, qui visait à abaisser le seuil minimum d’incapacité permanente partielle (IPP) de 25 % à 10 % dans le cadre de la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles.

L’amendement est retiré.

La commission rejette l’article 2.

Après l’article 2

La commission est saisie de l’amendement AS5 de M. Régis Juanico.

M. Boris Vallaud. Cet amendement vise à intégrer la prévention des risques psychosociaux dans le champ « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qualité de vie au travail » de la négociation annuelle obligatoire dans l’entreprise.

Comme ceux qui suivent, il reprend des recommandations du rapport de Gérard Sebaoun et Yves Censi, que la commission des affaires sociales avait adopté à l’unanimité. Lors de l’examen de ce texte dans cette même salle il y a onze mois, l’actuel président du groupe majoritaire, Richard Ferrand, avait « salué la pertinence et la qualité du rapport » et en avait adopté toutes les recommandations. Je ne doute pas que la majorité saura faire sienne cette appréciation et votera les dispositions que nous proposons.

Il faut ouvrir des espaces de discussion sur la qualité de vie au travail et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Plus généralement, la recherche de la qualité de vie au travail doit intégrer l’ambition de construire un collectif de travail au sein de l’entreprise. L’objectif doit être de créer un nouvel espace d’expression et d’échange sur la qualité de vie au travail et les valeurs du métier, qui ne soit pas destiné uniquement à augmenter ou rationaliser la production mais à conduire une réflexion sur le sens et les conditions d’exercice de l’activité professionnelle.

La loi du 17 août 2015 a inséré dans le champ de la négociation collective obligatoire, défini par l’article L. 2242-17 du code du travail, « l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés ». Il reviendrait aux partenaires sociaux de faire vivre ces dispositions en jouant le jeu d’une réelle prise en compte de la qualité de vie au travail comme un facteur de performance et de compétitivité de l’entreprise.

M. le rapporteur. Avis favorable. Cet amendement et ceux qui suivent sont issus du rapport Censi-Sebaoun. Certains des membres de notre commission siégeaient déjà au sein de la commission des affaires sociales sous la précédente législature et ont pris part au vote unanime dont ce rapport a fait l’objet, ne l’oublions pas…

M. Guillaume Chiche. Monsieur le rapporteur, je tiens à réaffirmer la détermination de la majorité. Nous en avons fait la démonstration depuis le début de la législature. Je crois même que notre capacité à légiférer rapidement et de manière efficace a fait grincer des dents nos collègues de La France insoumise.

Le groupe La République en Marche est défavorable à cet amendement. Nous sommes au travail ; la mission confiée à Charlotte Lecocq analysera notamment la manière dont les organisations syndicales et les institutions représentatives du personnel fusionnées se saisissent de la question des risques psycho-sociaux. Elle rendra ses conclusions aux alentours du 30 avril prochain.

M. Stéphane Viry. Cet amendement et les deux suivants vont dans la bonne direction. Ils sont cohérents avec la logique des référentiels du ministère du travail sur cette question. Le groupe Les Républicains votera en leur faveur.

M. Boris Vallaud. L’urgence est à géométrie variable au sein de la majorité… Le burn out n’a rien d’un sujet neuf. Des rapports ont été commandés, nous attendons que les ministères concernés les rendent publics et portent leurs conclusions à la connaissance de l’Assemblée nationale.

Vous insistez sur la détermination de la majorité mais vous me permettrez d’en douter : les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) n’existent plus ; le compte personnel de prévention de la pénibilité est devenu compte professionnel de prévention ; l’INRS, organisme public chargé de la sécurité au travail, a vu ses moyens diminuer drastiquement.

Des membres de notre commission ont, il y a onze mois, adopté les conclusions du rapport Censi-Sebaoun, je comprends mal leur absence de constance.

M. Adrien Quatennens. Je vois bien le rôle que M. Chiche se donne ce matin : rappeler sans cesse que la majorité est au travail, qu’elle se préoccupe de ces questions et qu’elle agit pour faire avancer les choses. Ce matin nous vous soumettons une proposition de loi raisonnable issue d’un long travail d’audition, qui dépasse les clivages partisans au point qu’elle pourrait avoir été rédigée par votre groupe et que fait la majorité ? Elle reste dans une logique de posture. Comme bien souvent, vous vous préoccupez davantage de ceux qui sont à l’origine d’une proposition que du sens qu’elle revêt. C’est votre comportement qui est sectaire, il faut le dire. La preuve en est que des députés LREM sont allés jusqu’à voter contre des amendements issus de leur propre groupe pour la seule raison qu’ils étaient défendus par des membres d’autres groupes…

Cette méthode atteint ses limites, Monsieur Chiche. Répéter « nous agissons » ne suffit pas ; si vous êtes vraiment déterminés à avancer, prouvez-le et adoptez notre proposition de loi, d’autant que, comme le souligne François Ruffin, elle est assez minimaliste, du point de vue même des experts avec lesquels nous avons travaillé.

M. Laurent Pietraszewski. Ce n’est pas parce que nous sommes en désaccord avec les amendements que nous remettons en cause le fait que le groupe à l’origine de la proposition de loi ait mené une réflexion approfondie et organisé une longue série d’auditions.

Guillaume Chiche, en affirmant que des travaux étaient en cours, ne s’est pas payé de mots, il a présenté des éléments concrets. La mission sur la santé au travail doit rendre ses conclusions à la fin du premier trimestre : nous ne repoussons pas le débat aux calendes grecques. Simplement, nous considérons qu’il faut se donner un minimum de temps pour construire. L’intensité des débats qui ont lieu depuis le début de notre réunion montre bien que les choses ne sont pas aussi simples. Certains de nos collègues, appartenant au corps médical, ont sans doute une vision technique ; d’autres, venus du milieu de l’entreprise, ont une autre approche. Il faudra un certain temps pour que ces manières de voir s’ajustent les unes aux autres.

Enfin, Monsieur Vallaud, vous ne pouvez pas dire que les CHSCT ont disparu. Toutes leurs prérogatives se retrouvent dans les comités sociaux et économiques. Le code du travail indique clairement que la santé au travail fait partie de leurs missions.

La commission rejette l’amendement

Elle examine ensuite l’amendement AS7 de M. Régis Juanico.

M. Boris Vallaud. L’indépendance du médecin du travail dans l’exercice de son activité est un élément essentiel de la déontologie de cette profession, qui a été consacré par le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale et repris par l’article L. 46238 du code du travail : « dans les conditions d’indépendance professionnelle définies et garanties par la loi, le médecin du travail assure les missions qui lui sont dévolues par le présent code ».

Depuis 2002, le médecin du travail évolue au sein du service de santé au travail interentreprises, dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire qu’il est chargé d’animer et de coordonner.

Toutefois, les professionnels de santé de l’équipe pluridisciplinaire, collaborateur médecin et infirmier qui participent sous l’autorité du médecin du travail au suivi des travailleurs, ne bénéficient pas de la même protection que ce dernier. Rien dans la dernière réforme législative des services de santé au travail de 2011 ou dans les décrets d’application n’est venu garantir l’indépendance professionnelle des infirmiers de la médecine du travail : ils restent recrutés par les entreprises et mis à disposition des médecins du travail.

L’article L. 46241 du code du travail prévoit désormais que « tout travailleur bénéficie, au titre de la surveillance de l’état de santé des travailleurs prévue à l’article L. 46222, d’un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail et, sous l’autorité de celui-ci, par le collaborateur médecin mentionné à l’article L. 46231, l’interne en médecine du travail et l’infirmier. »

Les articles R. 4624-10 et suivants du même code confient dorénavant aux membres de cette équipe disciplinaire la visite d’information et de prévention, le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs et la constitution du dossier médical.

Ces professionnels de santé seront ainsi amenés à signaler des cas de souffrance au travail comme des cas d’épuisement professionnel, sans que leur statut les protège, compromettant l’exercice impartial des missions confiées par le législateur.

Aussi un statut de salarié protégé garantissant l’indépendance de l’exercice au sein de l’entreprise pour les personnels concourant aux services de santé au travail nous semble nécessaire.

M. le rapporteur. Avis favorable.

M. Véran a insisté sur le fait que le burn out touchait également des bénévoles mais je considère que ce n’est pas une raison pour ne pas traiter les troubles psychiques liés à l’activité rémunérée. Et je dois souligner ici l’une des limites de ma proposition de loi : elle ne traite pas le cas des artisans, des commerçants et des agriculteurs qui subissent un fort stress lié à leur travail du fait d’un mécanisme d’auto-exploitation.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS6 de M. Régis Juanico.

M. Boris Vallaud. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que l’amendement AS7. Tous portent sur des sujets qui ont fait l’objet d’un accord unanime des membres de la commission des affaires sociales de la précédente législature. Les arguments mettant en avant la complexité et la nécessité d’attendre de nouveaux rapports ne tiennent qu’à moitié.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Mme Jeanine Dubié. Je suis assez surprise que ces amendements ne recueillent pas un avis favorable de la part de la majorité. La loi « Travail » du 8 août 2016 a intégré dans le champ de la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail un septième alinéa portant sur le droit à la déconnexion. Pourquoi ne pas accepter d’ajouter un huitième alinéa consacré aux mesures de prévention des risques psychosociaux ? La position de principe qu’adopte la majorité me gêne.

M. Guillaume Chiche. De manière unanime dans cette commission, nous reconnaissons l’importance des pathologies psychiques liées au travail, notamment le syndrome de burn out. Nous ne nous réfugions pas derrière une posture dogmatique. Dans nos travaux précédents, nous avons montré que nous étions prêts à adopter des amendements de l’opposition.

Notre détermination se manifeste concrètement. Je vous renvoie à la loi sur le dialogue social. À cet égard, comme mon collègue Laurent Pietraszewski, je ne considère pas que la fusion des institutions représentatives du personnel ait conduit à un affaiblissement de la représentation salariale dans les structures entrepreneuriales, elle a au contraire contribué à une prise en compte plus globale de l’environnement de travail.

Par ailleurs, la mission confiée à notre collègue Charlotte Lecocq doit rendre ses conclusions le 30 avril prochain. Elles aboutiront à des préconisations qui permettront de mieux appréhender les troubles psychiques et les maladies professionnelles. Nous considérons que cette proposition de loi n’est pas forcément le bon véhicule pour ce faire.

M. Pierre Dharréville. Que nous regrettions les conséquences de la disparation du CHSCT n’est un mystère pour personne.

Ces amendements renvoient à une revendication très forte des salariés de voir assurer l’indépendance des médecins du travail et des professionnels de santé qui interviennent dans les milieux professionnels. C’est une garantie supplémentaire pour que la lutte pour la santé au travail trouve sa pleine efficacité en toute transparence. Il est urgent d’avancer en ce domaine. Je voterai donc cet amendement.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Nous accordons attention et bienveillance aux démarches des uns et des autres et il n’est pas question pour nous de nous y opposer systématiquement. Il s’agit donc avant tout d’une question de timing : toutes les propositions intéressantes seront accueillies dans le cadre des travaux de la mission ministérielle.

M. Boris Vallaud. Les amendements AS6 et AS7 n’ont rien à voir avec le burn out, à tel point qu'on pourrait les qualifier de cavaliers. Ils concernent la santé au travail : ils visent à garantir aux collaborateurs du médecin du travail la même indépendance que celle que la loi lui confère déjà. Les adopter ne conduirait en rien, chers collègues de la majorité, à trahir ou à fronder. Ce serait simplement une manière pour vous de manifester de la considération pour cet enjeu et de prendre date dans le calendrier que vous vous êtes vous-mêmes fixé. Cela ne demande pas beaucoup d’audace.

M. Francis Vercamer. Les dispositions du code du travail relatives à l’indépendance du médecin du travail sont en partie issues d’amendements que nous avions déposés et le groupe UDI, Agir et indépendants votera cet amendement des deux mains.

Mme Albane Gaillot. Une preuve que la réflexion doit être encore approfondie, c’est que personne n’a évoqué le bore-out ou le brown-out. Il y a encore un énorme travail à faire sur le bien-être et le mal-être au travail.

La commission rejette l’amendement.

Article 3
Gage

L’article 3 est l’article de gage, qui vise à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.

*

La commission rejette l’article.

Titre

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Il me semble qu'il y a peu de sens à examiner des amendements portant sur le titre d'une proposition de loi dont tous les articles ont été rejetés. Je les appelle néanmoins.

La commission est saisie des amendements AS10 du rapporteur et AS2 de M. Régis Juanico.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec l’amendement présenté à l’article 1er visant à préciser l’objet de la proposition de loi. Au-delà du seul épuisement professionnel, celle-ci concerne en effet toutes les pathologies psychiques causées par le travail. Nous proposons donc de substituer aux mots : « résultant de l’épuisement professionnel », les mots : « causées par le travail ».

M. Régis Juanico. Cet amendement vise en effet à reformuler le titre de la proposition de loi.

En conclusion de nos débats en commission, je tiens à indiquer que la question du syndrome de l’épuisement professionnel et du burn out est ancienne. Les crises suicidaires à France Télécom et à Renault ont abouti à une prise de conscience à la fin des années 2000. Nous sommes un certain nombre ici à avoir travaillé depuis de longues années sur ce sujet. Les rapports parlementaires ne manquent pas et le dernier en date, cosigné par Gérard Sebaoun et Yves Censi, est de très bonne qualité. Les travaux scientifiques sont nombreux. Le rapporteur a fait référence à celui de Patrick Légeron pour l’Académie de médecine mais il y en a bien d’autres – je pense notamment aux publications de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

Nous savons définir le burn out et identifier les facteurs de risque. Le problème aujourd’hui réside dans la procédure de reconnaissance en tant que maladie professionnelle. Citons des chiffres éloquents : en Belgique, 20 000 cas de burn out ont été reconnus comme maladie professionnelle contre 600 seulement en France.

Nous souhaitons que les futurs travaux parlementaires puissent aboutir à des avancées concrètes, prenant appui sur tout ce qui a été fait depuis près de huit ans grâce au travail commun de la majorité et de l’opposition. Il faudrait notamment expérimenter l’abaissement du taux d’incapacité permanente partielle de 25 % à 10 % de façon que davantage de dossiers puissent être pris en compte par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles.

Ce matin, les mots « complexité », « multifactoriel » ont souvent été prononcés. Ce sont ces mots mêmes qu’utilisait une organisation patronale opposée, pour des raisons idéologiques, à la reconnaissance de la pénibilité au travail. Résultat : le compte de prévention et de pénibilité est fortement dégradé aujourd’hui, notamment pour ce qui est du risque chimique. Il me semble bon de le rappeler en conclusion.

La commission rejette les amendements AS10 et AS2.

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

M. le rapporteur. Je le répète, les directeurs des ressources humaines nous disent que ce problème n’est pas pris au sérieux pour l’instant dans les entreprises.

Je suis frappé que vous refusiez de reconnaître les troubles psychiques comme maladies professionnelles, que vous refusiez d’établir le coût des pathologies psychiques, que vous refusiez d’intégrer la prévention des risques psychosociaux dans le dialogue social à l’intérieur de l’entreprise, que vous refusiez de garantir l’indépendance des médecins du travail et des infirmiers en santé au travail. Tous les groupes, à l’exception de la majorité, étaient favorables à ces dispositions. Vous nous expliquez que ce n’est pas par dogmatisme, c’est à se demander ce qui peut bien être dogmatique.

Vous nous dites ensuite que vous êtes déterminés et qu’une commission va traiter cette question. Mais je remarque qu’il y a des sujets sur lesquels vous légiférez très rapidement, comme la rupture conventionnelle collective, la suppression des CHSCT, ou encore la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, tandis que sur d’autres, ceux qui visent à prendre des mesures en faveur des salariés, vous nous renvoyez à une commission ad hoc ultérieure. Aujourd’hui, vous laissez passer l’occasion d’adopter des mesures qui auraient été un marqueur, de montrer que vous souhaitiez aller dans cette direction.

Malgré nos désaccords de fond, je vous remercie pour votre écoute et la discussion de ce matin.

 

 


—  1  —

annexe n° 1 :
auditions du rapporteur

(par ordre chronologique)

Nous tenons à remercier les personnes auditionnées :

            Table ronde des organisations syndicales :

Confédération générale du travail (CGT) – M. Jérôme Vivenza, membre de la direction confédérale, et M. Tony Fraquelli, conseiller confédéral, membre du collectif « santé au travail »

 Fédération nationale SUD (Union syndicale solidaires) – M. Jean Vignes, secrétaire général, infirmier de secteur psychiatrique, et M. Éric Tricot, infirmier anesthésiste

            Table ronde dassociations :

Association daide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnels – M. Michel Lallier, président, et Mme Pascale Abdessamad, secrétaire

Association Stop Burn out – Mme Margareth Barcouda, présidente fondatrice, et M. Luc Girodin, responsable de la délégation Paris Île-de-France

Association France prévention Mme Sylvie Brière, présidente

            Commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la Caisse nationale dassurance maladie des travailleurs salariés (CAT­CNAMTS) – Mme Marine Jeantet, directrice de la direction des risques professionnels (DRP), et Dr Philippe Petit, responsable adjoint au département « service aux assurés/DRP »

            Fédération des intervenants en risques psychosociaux (FIRPS) M. François Cochet, président, et M. David Mahé, secrétaire général

            Académie nationale de médecine  Dr Patrick Légeron, psychiatre

            Audition commune :

 Mme Blandine Praud, conseillère Pôle emploi, assesseuse au Tribunal du contentieux de lincapacité

 Mme Hélène Bonneville, psychologue du travail des organisations et du personnel

            Audition commune :

 Mme Aude Selly, ancienne responsable en ressources humaines

M. Stéphane Ducrocq, avocat spécialiste en droit social

Mme Valérie Rault, secrétaire du comité dhygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la Caisse dépargne de Bretagne

            Audition commune :

M. Guillaume Ryckewaert, commissaire de la police nationale

M. Alexandre Langlois, secrétaire national de VIGI police

            Observatoire national du suicide M. Jean-Marc Aubert, directeur de la recherche, des études, de lévaluation et des statistiques (DREES), et Mme Valérie Ulrich, cheffe de la mission recherche

            Conseil dorientation sur les conditions de travail (COCT) M. Frédéric Laloue, secrétaire général

            Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) Mme Isabelle Niedhammer, directrice de recherche

            Ministère du travail Direction générale du travail (DGT) M. Frédéric Teze, adjoint au sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail

            Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de la sécurité sociale (DSS) – M. Benjamin Voisin, sous-directeur à la sous-direction de laccès aux soins, prestations familiales, accidents du travail, et Mme Clotilde OryDurand, cheffe du bureau « accident du travail, et maladies professionnelles » à la sous-direction de laccès aux soins, prestations familiales, accidents du travail


   annexe n° 2 :
CONTRIBUTIONS écrites reçues par le rapporteur

            Organisations syndicales de salariés :

 Confédération française de lencadrement (CFE-CGC)

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

            Organisations patronales :

 Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

            Associations :

 Association France burn out (AFBO)

 

 


   annexe n° 3 :
AUTRES AUDITIONS PRéparatoires

Auditions à Paris, le 5 décembre 2017 :

 

Auditions à Amiens, le 29 décembre 2017, sur la situation à Coriolis :

 

Auditions à Amiens, les 8 et 9 janvier 2017 :

 

Auditions à Sausset-les-Pins, le 11 janvier 2018, concernant Lidl :

 

Par téléphone, le 15 janvier 2018, concernant la Caisse d’Épargne

 

Entretiens téléphoniques

 

 

Nos remerciements vont également :

-          à Etienne, Amélie, Manoel, Mylène, Patricia, Lucille, Mathilde, Arthur, Nathalie, Justine, Carine, Marie-Aude, Romain, Laure, Sonia, Sabine, Nicolas, Cécile, Pauline, Catherine et Simon pour les retranscriptions d’entretien

-          et à Marie, Christophe, Sophie, Lynda, Ludovic et Isabelle pour les appels téléphoniques


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   annexe n° 4 :
Liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d'article

Premier

Code de la sécurité sociale

L. 461-2

 


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   BIBLIOGRAPHIE

 

Ouvrages

-          Christophe Dejours, « Travail : usure mentale », Bayard, 2015

-          Christophe Dejours et Florence Bègue, « Suicide et travail : que faire ? », PUF, 2009

-          Pascal Chabot, « Global burn out », PUF, 2013

-          Yonnel Dervin, « "Ils mont détruit!", Le rouleau compresseur de France Télécom », Michel Lafon, 2009

-          Jean-Baptiste Drouet, « Les maltraitances invisibles », Le Cherche Midi, 2008

-          Marie Pezé, « Le burn out pour les nuls », First, 2017

-          Philippe Askénazy, Les Désordres du travail, Seuil, 2004

-          Annie-Thébaud Mony, La Science asservie, La Découverte, 2014

Rapports

-          Rapport de l’académie nationale de médecine, Jean-Pierre Olié et Patrick Légeron, « Le burn out », 16 février 2016

-          Rapport de l’assurance maladie – Risques professionnels, « Santé travail : enjeux et actions », janvier 2018

-          Rapport d’étude Eurogip, « Quelle reconnaissance des pathologies psychiques au travail ? », février 2013

-          Rapport de la direction générale du travail, « Conditions de travail – bilan 2015 », 2016

-          Rapport (n° 4487, XIVe législature) de M. Gérard Sebaoun au nom de la mission d’information de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale relative au syndrome d’épuisement professionnel

-          Rapport de l’IGAS, « Rapport du groupe de travail – « Aptitude et médecine du travail » », mai 2015

-          Henri Lachmann, Christian Larose, Muriel Pénicaud, «  Bien-être et efficacité au travail », Rapport remis au Premier ministre, Paris, La Documentation Française, février 2010

Documents - Lidl

-          « Analyse de situation et diagnostic des risques psychosociaux à la suite dun suicide sur le lieu de travail », Rapport d’expertise CHSCT, CATEIS, mars 2016

-          Lettre de l’inspection du travail sur Yannick Sansonnetti adressée à Nicolas Sansonnetti, 1er septembre 2017

Documents - Caisse dÉpargne

-          Communiqué de presse Sud Solidaires BPCE – 11/2017

-          Lettre de l’inspection du travail au président du directoire de la Caisse d’Épargne – Bretagne Pays de Loire, 16 octobre 2014

-          Expression syndicale des élus SUD-Solidaires de la Caisse d’Épargne – Bretagne Pays de la Loire – 22 juin 2017

-          Minutes du greffe du tribunal de grande instance de Nantes, 2 mars 2017

-          Minutes du greffe du tribunal de grande instance de Nantes, 29 juin 2017

-          Résolution – recours à un expert, CHSCT CEBPL, 8 décembre 2016

Document audiovisuel

-          Cash investigation, « Travail, ton univers impitoyable », Premières lignes, 26/09/2017

 


([1]) Voir témoignage p. 20. 

([2]) Claude Veil, « Les états d’épuisement », Le concours médical, 1959.

([3]) Pour un historique de la notion de burn out, voir :

– le rapport (n° 4487, XIVe législature) de M. Gérard Sebaoun au nom de la mission d’information de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale relative au syndrome d’épuisement professionnel (ou burn out) : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i4487.pdf ;

 le rapport « Le burn out » de lAcadémie nationale de médecine, 23 février 2016, Bulletin de lAcadémie nationale de médecine, 2016, 200, n° 2 : http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2017/03/P.349-366.pdf.

([4]) Académie nationale de médecine, Rapport « Le burn out », 23 février 2016, Bulletin de lAcadémie nationale de médecine, 2016, 200, n° 2, pp. 349-365

([5]) Rapport (n° 642, session extraordinaire de 2009-2010) de M. Gérard Dériot au nom de la mission dinformation de la commission des affaires sociales du Sénat sur le mal-être au travail, juillet 2010.

 http://www.senat.fr/rap/r09-642-1/r09-642-11.pdf

([6]) Rapport (n° 4487, XIVe législature) précité.

([7]) Observatoire national du suicide, 2ème rapport annuel, février 2016, p. 238.

http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ons2016_mel_220216.pdf

([8]) Le livre VII du code rural et de la pêche maritime comprend, en outre, 58 tableaux relatifs aux maladies spécifiques aux métiers de lagriculture et de la pêche en mer.

([9]) Annexe II du code de la sécurité sociale, tableaux des maladies professionnelles prévus à larticle R. 4613 : tableaux n° 30 bis et 69.

([10]) Article R. 461-8 du code de la sécurité sociale.

([11]) Voir le rapport (n° 4487, XIVe législature) précité, p. 82.

([12]) Annexe II du code de la sécurité sociale, barème indicatif dinvalidité (maladies professionnelles), rubrique 4.4.2.

([13]) Rapport du groupe de travail de la commission des pathologies professionnelles du Conseil dorientation sur les conditions de travail, ministère du travail, de la solidarité et de la formation professionnelle, décembre 2012.

([14]) Décret n° 2016-756 du 7 juin 2016 relatif à lamélioration de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles et du fonctionnement des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

([15]) Article D. 461-27 du code de la sécurité sociale.

([16]) Caisse nationale d’assurance maladie, branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), « Les maladies psychiques liées au travail : éclairage sur la prise en charge actuelle par l’Assurance maladie – risques professionnels », janvier 2018.

 http://www.risquesprofessionnels.ameli.fr/fileadmin/user_upload/document_PDF_a_telecharger/brochures/Enjeux%20et%20actions%202018_affections%20psychiques%20travail.pdf

([17]) Rapport (n° 642, session extraordinaire de 2009-2010) de M. Gérard Dériot, au nom de la mission dinformation de la commission des affaires sociales du Sénat sur le mal-être au travail, juillet 2010, pp. 88 et 89.

([18]) http://www.appel-burnout.fr/

([19]) Article 33 de la loi.

([20]) Rapport (n° 4487, XIVe législature) précité, propositions n° 21 et 22, pp. 82-83.

([21]) Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, « Plan santé au travail – 2016-2020 », pp. 21-23.

http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/pst3.pdf 

([22]) Ministère du travail, « Guide d’aide à la prévention – Le syndrome d’épuisement professionnel ou burnout : Mieux comprendre pour mieux agir », mai 2015.

http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Exe_Burnout_21-05-2015_version_internet.pdf 

([23]) Voir l’article L. 1134-1 du code du travail.

([24]) En application de l’article L. 242-5 et des articles R. 242-1 et suivants du code de la sécurité sociale, les entreprises ayant un effectif inférieur à 20 salariés se voient appliquer un taux collectif : chaque établissement est classé, en fonction de son activité, selon une nomenclature des risques, établie par la Sécurité sociale. Les établissements ayant un effectif de 150 salariés ou plus se voient appliquer un taux individuel, qui dépend directement de la sinistralité et des résultats propres à chaque établissement. Les établissements de taille intermédiaire, dont l’effectif est compris entre 20 et 150 salariés, se voient appliquer un taux mixte, prenant en compte le taux collectif et le taux de sinistres individuel.

([25]) Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser », avril 2011.

 http://www.college-risquespsychosociaux-travail.fr/site/Rapport-College-SRPST.pdf