N° 1237

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 septembre 2018.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1]) CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la croissance et la transformation des entreprises (n° 1088).

M. Roland LESCURE,

Rapporteur général,

 

et

 

M. Jean-Noël BARROT, Mme Coralie DUBOST,
Mme Marie LEBEC, M. Denis SOMMER,

Rapporteurs thématiques

——

 

 

TOME I

 

 Voir le numéro : 1088.


La commission spéciale est composée de :

Mme Olivia Grégoire, présidente ;

Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Bruno Bonnell, Mme Laure de La Raudière, M. Daniel Fasquelle, vice-présidents ;

Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Paul Mattei, Mme Valérie Oppelt, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, secrétaires ;

M. Roland Lescure, rapporteur général ;

M. Jean-Noël Barrot, Mme Coralie Dubost, Mme Marie Lebec, M. Denis Sommer, rapporteurs thématiques ;

M. Patrice Anato, M. Didier Baichère, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bolo, M. Éric Bothorel, M. Ian Boucard, Mme Anne-France Brunet, M. Gilles Carrez, M. Anthony Cellier, M. Philippe Chassaing, M. Paul Christophe, Mme Michèle Crouzet, Mme Célia de Lavergne, M. Vincent Descoeur, M. Pierre Dharréville, M. M'jid El Guerrab, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Nicolas Forissier, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Stanislas Guerini, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Nadia Hai, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. François Jolivet, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, M. Guillaume Kasbarian, Mme Fadila Khattabi, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Lise Magnier, M. Emmanuel Maquet, M. Jean‑Paul Mattei, Mme Graziella Melchior, Mme Patricia Mirallès, M. Jean‑Michel Mis, Mme Cendra Motin, Mme Valérie Oppelt, M. Patrice Perrot, Mme Anne‑Laurence Petel, M. Laurent Pietraszewski, M. Dominique Potier, M. Adrien Quatennens, M. Vincent Rolland, M. François Ruffin, M. Martial Saddier, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Adrien Taquet, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Boris Vallaud, Mme Marie-Christine Verdier‑Jouclas, M. Arnaud Viala, M. Stéphane Viry, M. Sylvain Waserman, M. Éric Woerth, M. Jean-Marc Zulesi.


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION

Chapitre Ier Des entreprises libérées

Section 1 Création facilitée et à moindre coût

Article 1er (articles L. 123-9 et L. 123-32, L. 123-33, L. 123-34, L. 123-35 [nouveaux] et L. 711-3 du code de commerce, articles L. 16-0 BA, L. 169, L. 174 et L. 176 du code des procédures fiscales, art. L. 2146-2, L. 214-8-1, L. 215-10, L. 311-2, L. 311-2-1, L. 311-3, L. 331-5 et L. 511-4 du code rural et de la pêche maritime, articles L. 622-1 et L. 624-1 du code de la sécurité intérieure, articles L. 3811, L. 613-5, L. 613-6 du code de la sécurité sociale, titre Ier de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à linitiative et à lentreprise individuelle, article 19-1 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de lartisanat) Création dun guichet unique électronique pour laccomplissement des formalités liées à la création et à la vie des entreprises

Après l’article 1er

Article 2 Habilitation à créer par ordonnance un registre dématérialisé des entreprises

Article 3 (articles 1er, 2, 3 et 6 de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales, art. 1397 du code civil, articles L. 141-12, L. 143-6, L. 141-18, L. 141-21, L. 144-6 et L. 526-2 du code de commerce, article L. 122-15 du code de laviation civile, articles L. 202-5, L. 212-4 et L. 2125 du code de la construction et de lhabitation, article L. 331-19 du code forestier, article 201 du code général des impôts, articles L. 1425-1 et L. 2411-12-2 du code général des collectivités territoriales, article L. 135-3 du code rural et de la pêche maritime, articles 6 et 7 de la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales, articles 4 et 7 de la loi du 7 mai 1917 ayant pour objet lorganisation du crédit aux sociétés coopératives de consommation, article 10 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du HautRhin et de la Moselle, article 8 de la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, article 3 de la loi du 23 janvier 1929 sur les parts de fondateur émises par les sociétés, article 18 de la loi n° 46942 du 7 mai 1946 instituant lordre des géomètres experts, article 6 de la loi n° 48-975 du 16  juin 1948 relative aux sociétés coopératives de reconstruction et aux associations syndicales de reconstruction, article 2 de la loi n° 57-18 du 9 janvier 1957 tendant à protéger les intérêts des médecins et chirurgiens-dentistes rappelés sous les drapeaux, article 2 de la loi n° 57-1422 du 31 décembre 1957 tendant à protéger les intérêts des docteurs vétérinaires et vétérinaires rappelés ou maintenus provisoirement sous les drapeaux, article 20 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse) Modification du régime dencadrement des journaux dannonces légales

Après l’article 3

Article 4 (article 2 de la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982 relative à la formation professionnelle des artisans, article 118 de la loi n° 83-1179 du 29 décembre 1983 de finances pour 1984 et article 59 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 dorientation du commerce et de lartisanat) Suppression de lobligation de stage préalable à linstallation des artisans

Après l’article 4

Article 5 (article 23-1 [nouveau] de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de lartisanat) Autorisation de la mise en place dune contribution conventionnelle obligatoire pour le financement du FNPCA

Après l’article 5

Article 5 bis (nouveau) (articles 1-1 [nouveau] et 18 de la loi n°83-657 du 20 juillet 1983 relative au développement de certaines activités d’économie sociale) Modernisation du statut de coopératif artisanal

Article 5 ter (nouveau) (articles L. 526-6 A [nouveau], L. 526-6, L. 526-7, L. 526-8, L. 526-8 -1 [nouveau], L. 526-9, L. 526-10, L. 526-11, L. 52612, L. 526-13, L. 52614, L. 526-15, L. 526-17, L. 526-19 et L. 653-3 du code de commerce) Clarification et simplification du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)

Section 2 Simplifier la croissance de nos entreprises

Article 6 (articles L. 130-1 [nouveau], L. 131-4-2, L. 133-5-6, L. 137-15 et L. 834-1du code de la sécurité sociale, article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de lartisanat, article 121-4 du code de commerce, articles L. 411-1 et L. 411-9 du code du tourisme, articles L. 2333-64 et L. 2351-2 du code général des collectivités territoriales, articles L. 1231-7 [nouveau], L. 1311-2, L. 2142-8, L. 3121-38, L. 3262-2, L. 4228-1 [nouveau], L. 4461-1 [nouveau], L. 4621-1 [nouveau], L. 5212-1, L. 5212-4, L. 5212-5-1, L. 5212-14, L. 6243-2, L. 63151 et L. 6323-13 du code du travail, article L. 561-3 du code de lenvironnement, article L. 313-1 et L. 313-2 du code de la construction et de lhabitation) Nouvelles modalités de calcul et rationalisation des niveaux de seuils deffectifs

Après l’article 6

Article 6 bis (nouveau) (articles 44 quindecies, 44 octies A, 239 bis AB, 244 quater E, 1451, 1464 E, 1466 A et 1647 C septies du code général des impôts) Limitation des effets de seuil pour des dispositifs fiscaux spécifiques

Article 7 (article 50 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour linitiative économique) Adaptation de la gouvernance de létablissement public Business France

Article 7 bis (nouveau) (articles L. 122-3, L. 122-12 et L. 122-12-1 du code du service national) Modification du régime des volontaires internationaux en entreprise (VIE)

Article 7 ter (nouveau) (article 119 de la loi n° 2005 1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificatives pour 2005) Clarification du mandat de la Caisse française de développement industriel

Article 8 (article L. 310-3 du code de commerce) Passage de la durée des soldes de six à quatre semaines

Après l’article 8

Article 9 (articles L. 225-7, L. 225-16, L. 225-26, L. 225-40, L. 225-73, L. 225-88, L. 225-100, L. 225-115, L. 225-177, L. 225-204, L. 255-209-2, L. 225-231, L. 225235, L. 226-9, L. 226-10-1, L. 227-9-1, L. 136 228-19, L.232-3, L. 232-19, L. 23223, L. 823-2-1 [nouveau], L. 823-2-2 [nouveau] et L. 82312-1 du code de commerce) Relèvement des seuils de certification légale des comptes

Après l’article 9

Article 9 bis (nouveau) (article 83 septies [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable) Possibilité pour les commissaires aux comptes de s’inscrire au tableau de l’ordre des experts comptables

Article 10 (articles 28, 29, 33 et 34 de lordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de lordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession dexpert-comptable) Accompagnement de la réforme territoriale de lordre des experts-comptables

Article 10 bis (nouveau) (articles 7 ter et 24 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable) Rémunération au succès des experts-comptables

Article 10 ter (nouveau) (article 12 bis [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable) Rapprochement des experts-comptables et des experts-comptables en entreprise

Article 10 quater (nouveau) (article 22 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable) Nouvelles missions des experts-comptables et simplification de la production de leurs mandats

Article 11 (article L. 613-4 du code de la sécurité sociale) Radiation des fichiers, registres et répertoires des entrepreneurs individuels ayant réalisé pendant deux années civiles consécutives un chiffre daffaires nul

Article 12 (article L. 613-10 du code de la sécurité sociale) Suppression de lobligation dun compte bancaire dédié pour les micro-entrepreneurs dégageant un chiffre daffaires annuel inférieur à 5 000 euros

Après l’article 12

Article 12 bis (nouveau) Rapport du Gouvernement au Parlement sur l’entrepreneuriat féminin

Article 13 (articles L. 710-1, L. 711-3, L. 711-7, L. 711-8, L. 711-16, L. 712-6, L. 71315, L. 713-17 du code de commerce) Modernisation du réseau des chambres de commerce et dindustrie

Après l’article 13

Article 13 bis (nouveau) (articles L. 123-16, L. 232-1 et L. 232-25 du code de commerce)  Simplification de certaines obligations comptables des petites et moyennes entreprises

Article 13 ter (nouveau) (articles L. 710-1, L. 711-8, L. 711-15, L. 711-16, L. 712-2 et L. 712-6 du code de commerce) Renforcement du rôle de tête de réseau de CCI France – Inventaire de la situation patrimoniale des CCI

Article 13 quater (nouveau) (articles L. 712-7 et L. 712-9 du code de commerce) Renforcement de la tutelle des CCI

Article 13 quinquies (nouveau) (article L. 712-11 du code de commerce) Droit syndical des agents des CCI

Article 13 sexies (nouveau) (article L. 4251-18 du code général des collectivités territoriales et article L. 711-8 du code de commerce) Obligation de conventionner entre CCI régionales et régions

Article 13 septies (nouveau) (article L. 2224-18-1 du code général des collectivités territoriales) Transmission de l’autorisation d’occupation par un exploitant agricole

Section 3 Faciliter le rebond des entrepreneurs et des entreprises

Article 14 (articles L. 631-11 et L. 641-1 du code de commerce) Fixation de la rémunération du dirigeant en redressement judiciaire

Après l’article 14

Article 15 (articles L. 626-27, L. 631-7, L. 631-20-1, L. 641-1, L. 645-1, L. 645-3, L. 645-9, L. 641-2-1, L. 6442 et L. 644-5 du code de commerce) Rétablissement professionnel et liquidation judiciaire simplifiée

Après l’article 15

Article 16 Habilitation à réformer par ordonnance le droit des sûretés

Article 17 (article L. 1929 quater du code général des impôts, articles 114, 120 et 379 bis du code des douanes) Publicité du privilège du Trésor

Article 18 (article L. 622-24 du code de commerce) Traitement des créances publiques en procédure collective

Article 19 (article L. 642-7 du code de commerce) Interdiction des clauses de solidarité dans les baux commerciaux

Après l’article 19

Article 19 bis (nouveau) (articles L. 3332-10 et L. 3332-16 du code du travail) Assouplissement des dispositions relatives aux fonds commun de placement d’entreprise (FCPE)

Article 19 ter (nouveau)  (article 22-2 de la loi 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat)  Remise d’une attestation d’assurance par les entreprises du bâtiment et des travaux publics

Article 19 quater (nouveau) (articles L. 611-5, L. 620-2, L. 631-2, L. 640-2 et  L. 626-12 du code de commerce et article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime) Définition de la notion d’agriculteur en droit des entreprises en difficulté

Article 19 quinquies (nouveau) (article L. 611-6 du code de commerce) Accès du président du tribunal de commerce à certaines informations financières

Article 19 sexies (nouveau) (article L. 723-4 du code de commerce) Ouverture de la qualité de juge de tribunal de commerce aux chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective

Article 19 septies (nouveau) (article L. 135 ZM [nouveau] du livre des procédures fiscales) Informations délivrées au délégué interministériel aux restructurations d’entreprises

Chapitre II Des entreprises plus innovantes

Section 1 Améliorer et diversifier les financements

Sous-section 1 : Mesures en faveur du financement des entreprises par des acteurs privés

Article 20 (articles L. 224-1 à L. 224-8 du code monétaire et financier) Réforme de l’épargne retraite

Article 21 (articles L. 113-3, L. 131-1, L. 131-1-1 [nouveau], L. 132-21-1, L. 134-1 et L. 134-3 du code des assurances, article 125-0 A du code général des impôts, articles L. 223-2, L. 223-2-1 [nouveau] et L. 223-25-4 du code de la mutualité) Développement du fonds eurocroissance et autres mesures relatives aux produits d’assurance-vie

Après l’article 21

Article 21 bis (nouveau) (article L. 21428 du code monétaire et financier) Assouplissement du régime des fonds communs de placement à risques

Après l’article 21 bis

Article 21 ter (nouveau) (article L. 5486 du code monétaire et financier) Indicateurs de risque des plateformes de financement participatif

Article 22 (articles L. 4112, L. 4121, L. 4334, L. 6217, L. 6218, L. 62181, L. 62182, L. 6219 et L. 62115 du code monétaire et financier) Simplification de l’accès des entreprises aux marchés financiers

Article 22 bis (nouveau) (article L. 3122 du code monétaire et financier) Suppression de lexigence de détention dune quotepart minimale de 5 % du capital social pour consentir un apport en comptecourant dassocié

Article 23 (articles L. 21136, L. 21140, L. 2131, L. 21474, L. 21487, L. 21424, L. 2142433, L. 2142441, L. 214164, L. 214172, L. 2141751, L. 2141902, L. 4113, L. 42011, L. 42173, L. 42116, L. 51184, L. 511841 [nouveau], L. 5239, L. 53216, L. 53228, L. 53248, L. 53250, L. 53252, L. 533222, L. 52223 [nouveau], L. 6113, L. 6122, L. 61334, L. 6211, L. 6219, L. 621134 et L. 621207, L. 621208, L. 621209 [nouveaux], L. 62115 et L. 621211 du code monétaire et financier et L. 333412 du code du travail) Attractivité de la place financière de Paris

Article 24 (article L. 621101 et L. 621102 [nouveau] du code monétaire et financier) Procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’Autorité des marchés financiers

Après l’article 24

Article 24 bis (article L. 621-13-5 du code monétaire et financier) Blocage de sites internet proposant des services d’investissement illicites dans des biens divers ou des offres irrégulières de financement participatif

Article 24 ter (article L. 62119 du code monétaire et financier) Clarification rédactionnelle sur la saisine du médiateur de l’AMF

Article 25 (articles L. 3301, L. 4401, L. 4402 et L. 6122 du code monétaire et financier) Infrastructures des marchés financiers

Après l’article 25

Article 26 (articles L.3411, L. 5001, L. 5411, L. 550-1, L. 550-2, L. 550-3, L. 550-4, L. 550-5 du code monétaire et financier)  Création d’un régime français des offres de jetons

Après l’article 26

Article 26 bis (article L. 214–154 du code monétaire et financier) Investissement des fonds professionnels spécialisés dans les crypto–actifs

Article 27 (articles L. 221321 et L. 221322 du code monétaire et financier) Élargissement des instruments éligibles au plan d’épargne en actions - PME

Après l’article 27

Article 27 bis (nouveau) (article L. 221–32 du code monétaire et financier Retrait avant huit ans sans clôture du PEA ou PEA-PME et plafonnement des frais

Article 27 ter (nouveau) (article L. 221–32–2 du code monétaire et financier) Ouverture du PEA-PME aux obligations convertibles en actions non cotées et aux parts de fonds professionnels de capital–investissement

Article 27 quater (nouveau) (article L. 312–19 du code monétaire et financier) Élargissement des dispositions légales applicables aux comptes inactifs aux produits d’épargne salariale et aux produits de participations affectés à des comptes courants bloqués

Article 27 quinquies (nouveau) (article L. 511–6 du code monétaire et financier) Assouplissement du régime du prêt inter–entreprises

Article 27 sexies (nouveau) (articles L. 511–6, L. 548–1 et L. 548–6 du code monétaire et financier) Extension du financement participatif à une société au titre de sa raison d’être

Article 27 septies (nouveau) (art. L. 5191, L. 5192, L. 51932, L. 51934, L. 5482 et L. 5486 du code monétaire et financier) Adaptation des statuts d’intermédiaire en opérations de banque et de services de paiement et d’intermédiaire en financement participatif

Article 28 (articles L. 22721, L. 22811, L. 22812, L. 22815 et L. 22898 du code monétaire et financier) Encouragement à l’émission d’actions de référence

Après l’article 28

Article 29 (article 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 et article L. 3332-17-1 du code du travail) Réforme de l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale »

Après article 29

Article 29 bis (nouveau) Affacturage inversé collaboratif

Sous-section 2 : Moderniser la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations pour améliorer ses actions en faveur des territoires

Avant l’article 30

Article 30 (article L.518-4 du code monétaire et financier)  Composition de la commission de surveillance

Article 31 (articles L. 5187, L. 5188 et L. 5189 du code monétaire et financier) Prérogatives de la commission de surveillance

Article 32 (article L. 518-11 et L. 518-12 du code monétaire et financier) Prérogatives du directeur général

Articles 33 et 34 (articles L. 51813 et L. 51815 du code monétaire et financier) Application des règles de gestion comptable commerciale à la Caisse des dépôts

Article 35 (article L. 518-15-2 et L. 518-15-3 du code monétaire et financier) Règles prudentielles applicables à la Caisse des dépôts et consignations et supervision par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

Article 36 (article L. 51816 du code monétaire et financier)  Fixation par décret du versement annuel de la Caisse des dépôts à l’État

Article 37 (article L. 518-24-1 [nouveau] du code monétaire et financier)  Encadrement juridique des mandats de gestion de fonds par la Caisse des dépôts et consignations pour le compte de personnes publiques

Article 38 (article L. 1113 et L. 13121 du code des juridictions financières) Coordination avec l’application de la comptabilité commerciale à la Caisse des dépôts et consignations

Article 39 Entrée en vigueur des dispositions du projet de loi relatives à la Caisse des dépôts et consignations

Article 39 bis (article L. 312–1–6 du code monétaire et financier) Accès à la médiation dans les conventions de compte

Section 2 Protéger les inventions et libérer l’expérimentation de nos entreprises

Soussection 1 : Protéger les inventions de nos entreprises

Avant l’article 40

Article 40 (articles L. 515-1, L. 515-2 [nouveau], L. 611-2, L. 612-15 et L. 811-1 du code de la recherche) Modernisation du certificat d’utilité

Après l’article 40

Article 41 (article L. 531-1, articles L. 531-3 à L. 531-13, articles L. 531-14 à L. 531-16 [nouveaux], article L. 533-1, articles L. 545-1, L. 546-1 et L. 547-1 du code de la recherche) Chercheurs entrepreneurs

Après l’article 41

Article 42 Habilitation à créer par ordonnance une procédure d’opposition aux brevets d’invention

Après larticle 42

Article 42 bis (nouveau) (article L. 612-12 du code de la propriété intellectuelle) Examen a priori de l’activité inventive

Soussection 2 : Libérer les expérimentations de nos entreprises

Avant larticle 43

Article 43 (article 1er, articles 1-1, 2-1 et 2-2 [nouveaux] de l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 ; article 37 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte) Expérimentation des véhicules autonomes

Après l’article 43 ter

Article 43 bis (nouveau) (articles L. 315-2 et L. 315-3 du code de lénergie) Expérimentation relative à lautoconsommation collective

Article 43 ter (nouveau) Expérimentation relative aux opérations de recensement

Article 43 quater (nouveau) (article L. 252-1 du code de la construction et de lhabitation) Expérimentation relative au bail à réhabilitation

Article 43 quinquies (nouveau) Expérimentation relative à la recherche et développement sur les micro-organismes

Section 3 Faire évoluer le capital et la gouvernance des entreprises publiques et financer l’innovation de rupture

Soussection 1 : Aéroports de Paris

Avant l’article 44

Article 44 (article L. 6323-2-1 [nouveau] du code des transports) Modification du régime juridique d’Aéroports de Paris

Article 45 (articles L. 6323-2 et L. 6323-4 du code des transports) Cahier des charges d’Aéroports de Paris

Après l’article 45

Article 46 (article L. 6323-6 du code des transports) Nouvelles dispositions de maîtrise des emprises foncières

Article 47 (article L. 6323-4-1 [nouveau] du code des transports) Principe de la caisse double

Article 48 (article L. 6325-2 du code des transports) Contrat de régulation économique pluriannuel

Article 49 (article 191 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) Autorisation et cadre général de la privatisation d’Aéroports de Paris

Article 50 (articles L. 6323-1 et L. 6323-7 [nouveau] du code des transports) Contrôle d’Aéroports de Paris et dispositions d’entrée en vigueur de la réforme

Soussection 2 : La Française des jeux

Article 51 Autorisation du transfert au secteur privé de la majorité du capital de La Française des jeux

Article 51 bis (nouveau) (article 5 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à louverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux dargent et de hasard) Renforcement de la prévention du jeu des mineurs

Soussection 3 : ENGIE

Article 52 (articles L. 111-49 et L. 111-68 du code de l’énergie) Suppression de l’obligation de détention par des personnes publiques d’une part majoritaire du capital d’ENGIE

Article 52 bis (nouveau) (intitulé de la section 4 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier, articles L. 111–48, L. 111–49, L. 111–69, L. 111-70, L. 11171 et L. 12146 et L. 1334 du code de l’énergie) Dénomination d’ENGIE

Article 52 ter (nouveau) (article L. 221-7 du code de lénergie) Extension des certificats déconomies dénergie aux installations classées pour la protection de lenvironnement soumises aux systèmes déchange de quotas démissions de gaz à effet de serre

Article 52 quater (nouveau) (article L. 51548 (nouveau) du code de lenvironnement) Plates-formes industrielles

Article 52 quinquies (nouveau) (articles L. 221-5, L. 221-7 et L. 221-27 du code monétaire et financier) Fléchage du livret A vers le financement de la transition énergétique et la réduction de lempreinte climatique

Soussection 4 : Ressources du fonds pour linnovation de rupture

Article 53 (articles 2 et 4 de l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement) Augmentation du nombre de représentants de l’État au conseil d’administration de l’établissement public Bpifrance

Article 53 bis (nouveau) (article L. 42533 du code général des collectivités territoriales) Simplification de l’organisation de Bpifrance

Article 53 ter (nouveau) (article 7 de l’ordonnance n° 2005722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement) Modification du conseil d’administration de Bpifrance

Soussection 5 : Évolution de la gouvernance de La Poste

Article 54 (article 10 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom) Conseil d’administration de La Poste

Section 4 Protéger nos entreprises stratégiques

Article 55 (article L. 151-3, articles L. 151-3-1 et L. 151-3-2 [nouveaux], article L. 1514 du code monétaire et financier) Renforcement du régime des investissements étrangers en France

Article 55 bis (nouveau) (article L. 151-5 du code monétaire et financier) Publication de statistiques annuelles relatives au contrôle des investissements étrangers

Article 55 ter (nouveau) (article 6 undecies [nouveau] de l’ordonnance  581100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) Délégation parlementaire à la sécurité économique

Article 56 (article 31 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique) Réforme du dispositif de l’action spécifique

Après l’article 56


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   INTRODUCTION

C’est sur une tonalité assez sombre que pourrait débuter ce rapport. Voilà désormais trente ans que le mur de Berlin est tombé, une vingtaine d’années que la Chine a intégré l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; le capitalisme mondial n’a jamais créé autant de richesses – un milliard de personnes ont quitté la pauvreté dans le monde. Pourtant, nous n’avons jamais connu autant d’inégalités de revenus ni autant épuisé les ressources naturelles de la planète. Nous ne sommes qu’une décennie, presque jour pour jour, après une crise financière sans équivalent depuis 1929. Nous nous trouvons donc au cœur des paradoxes d’un système économique qu’il nous faut contribuer à améliorer, à renouveler même.

Le projet de loi PACTE est une première réponse de la France à ce nouveau défi de l’économie mondiale. Un projet qui doit s’inscrire dans un cadre européen sans hésiter à rester pionnier. Un projet qui n’est ni « de gauche », pour les salariés, ni « de droite », pour les entrepreneurs. Il concerne tout le monde et doit permettre la transformation du « logiciel » des acteurs économiques : entreprises, État, salariés, investisseurs et consommateurs doivent prendre leur part à un changement de paradigme.

Ce projet de loi vise six objectifs : en priorité, libérer les entreprises, en levant leurs contraintes à la création ou à la transmission, car la prospérité économique des entreprises est un préalable à la réalisation de tous les autres objectifs ; allonger l’horizon temporel de tous les acteurs – plus on considère que les choses doivent se faire à court terme, et moins on est proche de la vérité – ; aligner les intérêts de tous les acteurs économiques – les salariés doivent bénéficier davantage de la croissance et doivent aussi, en retour, être mieux associés à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise – ; responsabiliser les acteurs – l’objectif n’est pas de les contraindre, mais de leur donner du pouvoir : ne pas ajouter de contraintes, donc, mais inciter, donner l’exemple – ; produire une société de l’émancipation – terme cher au Président de la République et à beaucoup d’entre nous – plutôt qu’une société de la rente ; construire un État stratège plutôt qu’un État actionnaire – un État qui doit, lui aussi, allonger son horizon temporel et changer de logiciel.

La maîtrise du temps est au cœur de la méthode.

Avant de lancer la réforme, le Gouvernement a pris le temps nécessaire à la concertation et à la réflexion : lorsque, le 18 juin 2018, le projet de loi a été adopté en Conseil des ministres, neuf mois s’étaient écoulés depuis le lancement de la première phase de consultation. Depuis octobre 2017, des binômes de parlementaires et de chefs d’entreprise ont défriché le terrain le plus largement possible, pour identifier les obstacles à la croissance de nos entreprises. La restitution publique de leurs travaux en décembre a ouvert la voie à une vaste consultation publique – plus de 60 000 réponses reçues – sur des propositions initiales qui ont été soumises aussi à la concertation avec les « forces vives » : organisations syndicales et professionnelles.

Le projet de loi a enfin été mis au point par le Gouvernement en étroite concertation – on peut parler de co-construction – avec des parlementaires, dont plusieurs sont aujourd’hui membres de la commission spéciale.

Avec le dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, s’est ouvert le temps de l’action, sans retard superflu. Le projet a été soumis à la procédure accélérée dès le 18 juin. Sur des sujets techniquement complexes ou supposant des consultations multiples, le projet comporte onze habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance conformément à l’article 38 de la Constitution ([2]) . Ce nombre a été porté à quatorze en cours de discussion ([3]) . Par ailleurs, pour conforter les réformes des années récentes, l’article 71, à lui seul, prévoit la ratification de pas moins de vingt-trois ordonnances publiées entre juin 2014 et février 2018. Cette ratification ouvre au Parlement un droit de regard sur les dispositions contenues dans ces textes.

La commission spéciale, constituée le 3 juillet, a conduit ses auditions en juillet sur les quatre grandes thématiques du PACTE. De plus, pour un examen approfondi, ses rapporteurs thématiques ont réalisé quelque 140 auditions et tables-rondes ouvertes à tous les collègues, de juillet à la mi-septembre. Deux temps d’échange avec le Gouvernement ont été organisés en commission spéciale le 18 juillet et le 5 septembre, soit respectivement avant et après la préparation des amendements.

Nous souhaitons que les entreprises soient plus libres, plus prospères, mais qu’elles soient aussi plus responsables. M. Denis Sommer, rapporteur pour le chapitre I, et Mme Coralie Dubost, pour les chapitres III et IV, ont ainsi la charge de lever les contraintes et prévoir les nouvelles responsabilités qu’il s’agit de donner aux entreprises. M. Jean-Noël Barrot et Mme Marie Lebec, sur le chapitre II, veillent à améliorer le financement des entreprises, à faciliter les expérimentations innovantes tout en protégeant le patrimoine économique et les intérêts stratégiques de nos entreprises.

Ces chapitres sont ici succinctement présentés.

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Le chapitre Ier du projet de loi, « Des entreprises libérées », constitue la première étape du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE).

Il aborde toutes les phases de la vie des entreprises, de leur création à leur transmission ou à leur rebond, en passant par leur croissance. Il comprend une série de mesures qui, dans un souci de cohérence, ne s’adressent pas à certaines catégories considérées isolément, petites entreprises (PE), petites et moyennes entreprises (PME) ou établissements de taille intermédiaire (ETI) mais au contraire à l’ensemble d’entre elles. Il s’agit en effet de considérer leur dynamique générale afin de redonner de la fluidité au tissu entrepreneurial français.

● Ce chapitre comprend tout d’abord des mesures visant à simplifier la création d’entreprises. À cette fin, l’article 1er substitue aux différents réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) un portail unique numérique, pour réduire le nombre d’interlocuteurs, harmoniser et sécuriser les modalités de transmission des déclarations. La création de ce portail électronique ne signifie pas la fin de l’accueil physique par les organismes actuellement en charge des CFE : au contraire, le débat en commission spéciale a permis de clarifier ce point, déchargés des formalités administratives de transmission, les réseaux consulaires pourront consacrer plus de moyens à leur mission d’assistance et d’accompagnement.

Dans un même souci de simplification, l’article 4 supprime l’obligation de suivre le stage de préparation à l’installation (SPI) des artisans. Les artisans ont naturellement besoin d’être accompagnés au moment de leur installation, mais cet accompagnement doit pouvoir leur être délivré lorsqu’ils en ont besoin, sous un format adapté à leurs besoins réels, et non de façon uniforme et obligatoire. Les chambres des métiers et de l’artisanat (CMA) auront ainsi à relever le défi de modifier leurs offres de service, pour proposer des stages d’un type nouveau.

Certains modèles sont en effet appelés à évoluer, comme celui des chambres de commerce et d’industrie (CCI). Il leur faut retrouver un lien plus étroit, plus filial, même, avec le monde de l’entreprise, en particulier avec les TPE-PME. Signe de la distance qui s’est agrandie entre les chambres et les entreprises au cours des dernières décennies, les élections aux CCI enregistrent un taux de participation très faible, de l’ordre de 13 à 14  %. C’est pourquoi l’article 13 du projet de loi entend accompagner une redéfinition des missions de ces chambres, afin qu’elles puissent développer plus massivement leurs missions dans le champ concurrentiel.

Lors de l’assemblée générale extraordinaire de CCI France, mardi 10 juillet 2018, le ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, a présenté les principales orientations du Gouvernement pour moderniser le réseau des CCI. Il a, à cette occasion, demandé aux CCI un effort important d’économies en annonçant une baisse de 400 millions d’euros sur quatre ans de la taxe affectée. Le cap fixé par le ministre est très clair. Il consiste à dire aux CCI : adaptez-vous, répondez aux besoins réels des entrepreneurs : « Ce qui était autrefois financé par une taxe affectée, vous devrez le financer par des prestations que vous offrirez aux entreprises, et ce sont les entreprises qui financeront ces prestations. » ([4])

Plusieurs amendements adoptés par la commission spéciale permettent par ailleurs de donner suite aux recommandations du rapport d’information de nos collègues Stella Dupont et Valérie Oppelt sur les CCI, en confortant notamment CCI France dans son rôle de tête de réseau, pour mettre en œuvre cette stratégie de modernisation.

● Le projet de loi comporte plusieurs articles qui tendent à une simplification des procédures pour les entreprises, les lourdeurs de notre législation entravant souvent les possibilités de croissance ou d’embauches.

C’est notamment le cas en matière de seuils, dont le franchissement génère des obligations juridiques ou financières supplémentaires – ce que l’on appelle les « effets de seuil ». Ils entraînent ainsi des effets de distorsion sur les entreprises : plusieurs études économiques ont par exemple mis en évidence, en France, une concentration d’entreprises avant le seuil de cinquante salariés absente aux États-Unis ou en Allemagne. Alors que pas moins de 199 seuils ont été identifiés, plus de 58 % d’entre eux se situent à des niveaux inférieurs à cinquante salariés et plus, et près de 83 % à des niveaux inférieurs à deux cent cinquante salariés et plus.

L’article 6 du projet de loi entend remédier à cette situation : il harmonise les modalités de calcul des seuils d’effectifs et rationalise ces niveaux de seuil autour de trois niveaux, onze, cinquante et deux cents cinquante salariés. Il met également en place un nouveau mécanisme d’atténuation des effets de seuil par un lissage sur cinq ans. Ces dispositions ont été largement débattues par la commission spéciale : certains ont trouvé le changement trop brusque, d’autres pas assez radical, preuve somme toute de l’équilibre de cette mesure.

Un amendement de votre rapporteur a permis de conserver le seuil de deux cents salariés, et non pas deux cent cinquante, pour l’obligation, pour l’employeur, de mettre à la disposition des sections syndicales un local commun. Cette exception à la rationalisation du nombre de seuils autour de onze, cinquante et deux cent cinquante, se justifie en effet par la nécessité de maintenir un dialogue social de qualité dans les entreprises en donnant aux syndicats les moyens nécessaires à leur action.

Dans un même souci de simplification, l’article 9 relève les seuils à partir desquels une entreprise est soumise à l’obligation de désigner un commissaire aux comptes, afin de les aligner sur les seuils prévus par la réglementation européenne.

Si l’obligation de certification est une exigence fondamentale pour le bon fonctionnement des marchés et, par conséquent, pour l’activité économique dans son ensemble, il importe également qu’elle demeure proportionnée à la charge contraignante qu’elle fait peser sur les entreprises. Or cette charge est aujourd’hui excessive pour les petites entreprises.

Là aussi, la prise en compte des besoins des entreprises a primé, et le choix de la responsabilité aussi. La profession des commissaires aux comptes va devoir s’adapter aux besoins des entreprises, notamment les plus petites, en proposant des services nouveaux. La commission spéciale a ainsi adopté un amendement du Gouvernement, soutenu par une large majorité, qui crée une mission nouvelle d’audit légal « petites entreprises », comprenant des prestations taillées sur mesure.

● Le chapitre Ier comprend enfin plusieurs dispositions visant à faciliter le rebond et la transmission des entreprises.

Il encourage ainsi les recours au rétablissement professionnel et à la liquidation judiciaire simplifiée, pour permettre aux entrepreneurs de se tourner plus rapidement vers de nouveaux projets.

La commission spéciale a adopté plusieurs articles additionnels afin, notamment, de faciliter la reprise d’une entreprise par ses salariés par l’intermédiaire d’un fonds communs de placement d’entreprise (FCPI), d’autoriser le président du tribunal de commerce à accéder à certaines informations financières pour faciliter le sauvetage d’entreprises en difficulté ou encore d’ouvrir la qualité de juge de tribunal de commerce aux chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective, pour qu’ils fassent bénéficier de leur expérience.

Enfin, un article a été introduit, à l’initiative de votre rapporteur, pour permettre au délégué interministériel aux restructurations d’entreprises d’accéder à certaines informations fiscales. Il s’agit en effet là d’un premier pas qui doit conduire à l’adoption d’un dispositif plus large de partage de l’information entre les différents services de l’État pour mieux détecter les « signaux faibles », et prévenir ainsi les difficultés des entreprises, à l’image de l’expérimentation menée en Bourgogne-Franche-Comté, avec le soutien de la Banque de France.

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Le chapitre II est relatif au financement de l’économie : il constitue la deuxième étape du PACTE.

La première section du chapitre vise essentiellement à accompagner et stimuler le développement des entreprises en mobilisant et libérant toutes les sources de financement en fonds propres qui seraient insuffisamment exploitées du fait de blocages réglementaires.

Les articles de cette section apportent des solutions à un diagnostic sans appel : les entreprises de France ne parviennent pas à grossir, notamment parce qu’elles ne disposent pas des moyens de financement adéquats aux moments clefs de leur cycle de vie. Trois séries de réformes sont proposées : elles portent sur les produits d’épargne, les marchés de capitaux, et le futur grand pôle financier public : la Caisse des dépôts et consignations.

● Ce chapitre comporte tout d’abord la première étape d’une refonte d’ampleur des produits d’épargne supplémentaire. La réforme s’inscrit dans le sillon des évolutions fiscales adoptées par le Parlement l’année dernière. L’enjeu est simple, il s’agit de permettre aux Françaises et aux Français de mieux épargner, en fonction non pas d’incitations fiscales, mais de leurs besoins. Et le besoin le moins bien satisfait qui ressort de toutes les enquêtes est celui de se constituer une épargne pour la retraite. En cause, la rigidité, la complexité et le coût des produits d’épargne retraite. Pour y remédier, l’article 20 institue un plan d’épargne retraite simple, adapté aux changements de vie professionnelle, avec plus de liberté de choix au moment de la retraite, et une concurrence accrue entre les acteurs, qui conduira à une baisse des frais. L’effort d’harmonisation et de coordination des dispositifs existants est tel qu’il nécessite que nous habilitions le Gouvernement à mettre en œuvre une partie de la réforme par ordonnance. Ce nouveau produit a vocation à devenir un instrument populaire de préparation de la retraite, qui permettra au plus grand nombre de profiter des fruits de la prospérité du pays.

Car cette épargne de long terme sera investie par les assureurs et les gestionnaires d’actifs au capital des entreprises et des PME, plutôt que dans les obligations d’État qu’ils privilégient trop souvent. D’après les estimations de l’étude d’impact, ce sont 17 milliards d’euros qui seront alloués aux fonds propres des entreprises, dont 2 milliards aux fonds propres de PME. C’est également l’objectif poursuivi par l’article 21, qui améliore le fonctionnement de l’assurance vie et modernise le régime de l’eurocroissance.

● Ce chapitre comporte également un important volet relatif aux marchés financiers. Le droit financier est largement intégré au niveau européen ; c’est aussi une matière évolutive qui doit s’adapter aux innovations permanentes des acteurs. Elle est aujourd’hui profondément affectée par la perspective du Brexit. Face à ces incertitudes, le projet de loi inscrit résolument la France dans une dynamique volontaire de modernisation, d’indépendance et de conquête financières.

● Le projet de loi profite au maximum des marges de manœuvre ouvertes par le droit de l’Union européenne, supprimant plusieurs « surtranspositions » afin de permettre aux entreprises d’accéder plus facilement aux marchés financiers et de diversifier leurs sources de financement. C’est essentiellement l’objet de l’article 22, qui parachève l’assouplissement du régime du « prospectus » largement entamé par l’Autorité des marchés financiers au niveau réglementaire, qui abaisse le seuil de la procédure de retrait obligatoire pour faciliter la sortie de cote, qui ouvre une utile opération de clarification et de recodification du droit des sociétés cotées et qui trace les contours d’une future réforme par ordonnances de l’offre au public de titres financiers et du démarchage, en harmonie avec le droit de l’Union européenne.

Dans un contexte concurrentiel mondial et européen accru, il vise à attirer de nouvelles entreprises, une main d’œuvre qualifiée et de nouveaux capitaux en France en dotant notre pays d’une place financière plus attractive. C’est l’objectif de l’article 23, inspiré par un mot d’ordre : « choose France ». Il crée les conditions d’un contrat‑type en droit français pour les opérations sur contrats d’échange et de dérivés, et conçoit un régime social compétitif applicable aux « impatriés » : ces derniers pourront être dispensés d’affiliation à un régime d’assurance retraite et leurs employeurs pourront récupérer les « bonus » versés. L’article 23 modernise en outre des dispositions relatives aux organismes de financement, permet la localisation en France de succursales d’entreprises d’investissement étrangères ou encore adapte les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers aux évolutions financières et aux nouvelles règles du droit de l’Union européenne. Les pouvoirs de l’AMF sont aussi renforcés et détaillés dans l’article 24, en matière de communication de données de connexion, dans le cadre des exigences constitutionnelles et européennes.

Ce « volet financier » est aussi renforcé par une modernisation des infrastructures postmarché, avec un assouplissement du statut des chambres de compensation, sous la surveillance de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Cet article sécurise enfin juridiquement la situation des banques françaises en garantissant leur accès aux infrastructures de marché britanniques après le Brexit. Votre rapporteur s’est assuré par un amendement que l’accès à d’autres systèmes pour lesquels les banques françaises n’ont pas d’alternative était inclus dans le texte.

● Le projet de loi, qui modernise le droit financier, innove aussi profondément : la France se dote par l’article 26 d’un régime sui generis des offres de jetons ou tokens. Sans qu’il soit possible de distinguer encore pleinement l’ampleur du potentiel de rupture que peut porter la technologie des chaînes de blocs ou blockchain, la France prend le parti d’attirer sur le territoire national les opérations vertueuses en proposant un cadre juridique à la fois souple pour les émetteurs et sécurisant pour les investisseurs, articulé autour d’un visa optionnel décerné par l’AMF. La commission spéciale a largement enrichi ce dispositif, en adoptant un amendement qui garantit un droit au compte bancaire des émetteurs de jetons et en soumettant parallèlement ces derniers aux obligations légales de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

● Si le financement de l’économie via les marchés est encouragé et facilité, le rôle des banques dans le financement des entreprises est aussi soumis à notre attention. Leur intervention dans l’intermédiation de l’épargne, majoritairement liquide, vers le crédit, est essentielle ; mais les banques peuvent aussi contribuer à orienter l’épargne des ménages vers des produits plus risqués et moins liquides, comme la détention d’actions. Pour cela, le projet de loi propose en son article 27 d’affiner le régime juridique d’un produit d’épargne conçu dans cet objectif par le législateur en 2014, le plan d’épargne en actions pour les petites et moyennes entreprises et pour les entreprises de taille intermédiaire, dit : « PEA PME ». En ouvrant ce produit aux titres souscrits par une offre de financement participatif, le projet de loi tend à stimuler tant ce nouveau mode de financement direct que la détention d’actions. La commission spéciale s’est pleinement emparée de cette accroche législative en opérant par plusieurs amendements une refonte du PEA PME, destinée à lui donner toute sa portée et à conforter sa dynamique positive.

Par des amendements portant articles additionnels adoptés à l’initiative de plusieurs groupes, la commission spéciale a en outre souhaité donner une impulsion à des sources de financements encore accessoires ou naissantes. Elle a ainsi facilité l’intermédiation en financement participatif, davantage ouvert le bénéfice de ce mode de financement aux entreprises dont la « raison d’être » le justifie et assoupli le régime du prêt inter‑entreprises, en l’ouvrant à toutes les sociétés commerciales et en portant sa durée maximale à trois ans.

● Le rôle du droit dans la vie des acteurs économiques est essentiel. Il importe de doter les créateurs d’entreprises innovantes, ou startup, des outils juridiques qui permettront à leurs initiatives de se matérialiser et de prospérer. Le droit comparé peut nous faire prendre conscience du fait que certains principes du droit français peuvent être adaptés à l’économie contemporaine. L’article 28 libéralise ainsi le régime des actions de préférence dans les sociétés non cotées, en permettant aux entreprises d’émettre des actions à droit de vote multiple. Mais si l’innovation juridique peut être essentielle, la stabilité juridique est aussi une exigence des investisseurs : c’est pour cela que la règle, pour les sociétés cotées, demeure celle issue de la loi « Florange » de 2014.

● Dans ce chapitre consacré au financement de l’économie, il nous est aussi proposé à l’article29 d’encourager l’économie sociale et solidaire à travers l’ouverture de l’agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale ou « ESUS » à des thèmes comme le développement durable et l’écologie. À travers cet agrément, les entrepreneurs sociaux peuvent notamment disposer d’un accès privilégié à l’épargne salariale, voire à une exonération fiscale. Mais le projet de loi souhaite également conserver sa force à la dimension solidaire et sociale du dispositif, pour en préserver la cohérence et le sens.

● Le secteur public et parapublic participe lui aussi au financement de l’économie. C’est notamment le rôle de la Caisse des dépôts et consignations. Cette institution bicentenaire est au centre de l’histoire financière de la France. Elle a participé au développement des infrastructures nationales et à l’aménagement du territoire, contribué au développement de la Bourse de Paris ; elle finance aujourd’hui le logement social ainsi que les collectivités territoriales et gère un très large portefeuille de participations dans nos entreprises, au bénéfice de l’intérêt général. Sans remettre en cause le rôle du Parlement, sous la surveillance « spéciale » duquel est placée la Caisse, il nous est proposé de moderniser la gouvernance de l’institution. Sa commission de surveillance (article 30), sa comptabilité (articles 33, 34 et 38) et la supervision prudentielle dont elle fait l’objet (article 35) seront dotées des meilleures garanties d’indépendance, de compétence et de professionnalisme, applicables dans les grandes institutions financières nationales et internationales. Les attributions respectives du directeur général et de la commission de surveillance seront en outre rénovées, dans une perspective plus équilibrée et démocratique (articles 31 et 32). Des amendements de vos rapporteurs ont d’ores et déjà renforcé l’indépendance de la commission de surveillance et le rôle du Parlement en veillant à ce que ses membres au sein de la commission soient dotés de moyens suffisants, et préservé la stabilité financière de la Caisse des dépôts en protégeant sa solvabilité contre un éventuel « État prédateur ».

La section 2 du deuxième chapitre du projet de loi, « Protéger les inventions et l’expérimentation de nos entreprises », constitue une étape fondamentale du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE).

L’État a engagé une stratégie industrielle volontariste visant notamment à poursuivre la structuration des filières, à renforcer l’écosystème d’innovation, à amplifier la compétitivité et l’attractivité économique du territoire.

Pour concourir à cette stratégie et s’adapter à un environnement concurrentiel international toujours plus fort, plusieurs instruments de l’État stratège doivent évoluer et accroître leur efficacité.

Une politique actionnariale dynamique au service du financement de l’innovation

L’État est historiquement présent au capital de très nombreuses entreprises. Son portefeuille, géré à travers l’Agence des participations de l’État (APE), se compose actuellement de titres de quatre-vingt une entreprises, pour un montant total de 100 milliards d’euros. Ces participations sont de proportions variées (de moins de 25 % à 100 %), dans les secteurs des transports, de l’énergie, de l’industrie, des services et de la finance.

Or, l’intervention de l’État en fonds propres à titre majoritaire ou minoritaire au capital de sociétés n’est pas anodine et doit répondre à des objectifs clairs. C’est pourquoi, l’État s’est doté d’une doctrine actionnariale en 2014 visant l’intervention au sein de sociétés jugées stratégiques, guidée par quatre objectifs majeurs :

s’assurer d’un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté, c’est-à-dire les activités nucléaires et les activités liées à la défense nationale ;

s’assurer de l’existence d’opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays ;

accompagner le développement et la consolidation d’entreprises, en particulier dans des secteurs et des filières déterminantes pour la croissance économique nationale et européenne ;

intervenir ponctuellement, dans le respect des règles européennes, dans des opérations de sauvetage d’entreprises dont la défaillance présenterait des conséquences systémiques.

Sur le fondement de cette doctrine et d’une nouvelle dynamique de sa politique actionnariale, l’État a décidé de faire évoluer son portefeuille afin d’abonder à hauteur de 10 milliards d’euros le Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII), créé au début de l’année 2018. Issu des produits de cessions de participation, ce fonds permettra de structurer un financement massif et pérenne en faveur de l’innovation de rupture, non soumis aux à-coups budgétaires. 

Les produits financiers du Fonds pour l’innovation et l’industrie – environ 250 millions d’euros par an – seront, en particulier, fléchés vers les start-up de deep tech, aujourd’hui parent pauvre du soutien à l’innovation (pour 70 millions d’euros par an) et vers des grands défis, qui permettront de créer ou d’orienter les filières vers des secteurs à forts enjeux technologiques et sociétaux (pour 150 millions d’euros par an, dont 100 millions d’euros sur trois ans pour l’intelligence artificielle et 25 millions d’euros par an en nanoélectronique).

Pour répondre à cet objectif ambitieux, le présent projet de loi propose de permettre à l’État de céder tout ou partie de ses participations non stratégiques dans trois entreprises pour lesquelles ses outils de régulation permettront de répondre aux missions de contrôle strict du secteur par l’État – Aéroports de Paris, La Française des jeux et ENGIE.

Aéroports de Paris (ADP) est, aujourd’hui, constitué à près de 50 % de capitaux non publics. L’État, qui souhaite céder ses parts, ne renonce pas pour autant à la régulation (articles 44 à 50). Bien au contraire, ce désengagement s’accompagne de l’adoption d’un cahier des charges bien plus complet et plus strict que le cahier des charges actuel, qui lui permettra de garder la main sur les actifs qui lui reviendront dans soixante-dix ans. Il pourra également, désormais, imposer des obligations de service public, les investissements nécessaires à leur bonne réalisation, et les éventuelles sanctions d’ADP en cas de faute. En outre, il restera maître de l’ensemble des activités régaliennes (douanes, police aux frontières, contrôle aérien, etc.).

La Française des jeux ne saurait être considérée comme une entreprise « stratégique ». Certes, les enjeux de lutte contre le jeu pathologique ou des mineurs, sont essentiels, mais cette lutte est aujourd’hui assurée par l’État régulateur, au travers des services spécialisés des ministères concernés, et non par l’État actionnaire, détenteur de près de 72 % du capital de l’entreprise. La sortie du capital ne saurait modifier le cadre de régulation, sauf dans le sens d’un renforcement préalable, tel que l’habilitation du projet de loi à légiférer par ordonnance le propose à l’article 51, en vue éventuellement de la création d’une autorité de supervision unique. Il en résultera plus de coordination et de cohérence dans l’encadrement des différents segments de jeux (casinos, paris hippiques, jeux de grattage et de tirage, paris sportifs, cercles en ligne), aujourd’hui très cloisonnés. En outre, un tel désengagement de l’État réduira ses dividendes (aujourd’hui d’environ 90 millions d’euros par an), mais aucunement les rentrées fiscales, sans commune mesure, liées aux jeux (environ 3 milliards d’euros chaque année).

ENGIE est certes une entreprise stratégique, dans la mesure où elle intervient dans le secteur de l’énergie et des infrastructures. Toutefois, la suppression, à l’article 52, du seuil de détention par l’État, fixé aujourd’hui à plus d’un tiers du capital affaiblira pas davantage la régulation, dans la mesure où l’État ne souhaite pas sortir rapidement du capital, où il continuera à détenir une action spécifique lui octroyant un droit de véto sur certaines décisions de l’entreprise, et où la régulation du secteur de l’énergie continuera à être assurée par la Commission de régulation de l’énergie, de manière indépendante.

Une politique de valorisation économique et industrielle de l’innovation

La France a un important écosystème de recherche et d’innovation. Pour autant, la valorisation économique et industrielle du résultat de ces recherches reste insuffisante, en comparaison de nos principaux concurrents européens et internationaux.

Parmi les indicateurs clés de valorisation de l’innovation figure notamment le nombre de dépôts de brevets. 16 250 dépôts ont été enregistrés en 2017 par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France contre trois fois plus en Allemagne. Or, un brevet constitue un actif essentiel au développement d’une entreprise.

Les acteurs de la propriété intellectuelle s’accordent pour pointer le manque de sensibilisation des entreprises françaises à l’importance économique de cette démarche, la complexité des procédures et les lacunes dans la force du brevet d’invention délivré en France. 

Aussi, l’État souhaite, par ce projet de loi, simplifier les dépôts de brevets, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME), et rendre ces brevets plus solides face aux risques de contrefaçon ou de contentieux en instaurant à l’article 42 une procédure d’opposition au brevet d’invention. Couplées à une nécessaire poursuite du travail de pédagogie auprès des entreprises, ces mesures doivent donc encourager les dépôts de brevets et leur valorisation économique

Par ailleurs, la collaboration entre la recherche publique et les entreprises doit s’accélérer. Les chercheurs du secteur public doivent notamment pouvoir valoriser plus efficacement leurs travaux dans le secteur privé. Les meilleurs écosystèmes d’innovation dans le monde offrent une large souplesse à leurs chercheurs pour contribuer à la création ou au développement de start-up innovantes. En France, la « loi Allègre » de 1999 a constitué une étape majeure mais dont les résultats s’avèrent insuffisants aujourd’hui. La commission de déontologie de la fonction publique, qui délivre les autorisations, a ainsi enregistré depuis 2000 seulement 231 demandes de création d’entreprises et environ 1 250 demandes de concours scientifique de la part de chercheurs. L’État souhaite donc créer un dispositif plus lisible et simplifié, tout en respectant un cadre déontologique, afin de multiplier le nombre de chercheurs entrepreneurs. Tel est l’objet de l’article41.

Enfin, l’État souhaite encourager les expérimentations des entreprises pour favoriser l’innovation et l’étude du passage à une phase commerciale ou industrielle. L’article 43 du projet de loi propose plus particulièrement d’élargir le dispositif d’expérimentation pour les véhicules autonomes sur le territoire. Les enjeux technologiques et industriels issus des innovations dans ce secteur s’annoncent majeurs pour l’industrie française et les futurs modes de mobilité.

Une politique d’adaptation de la protection des intérêts nationaux

En parallèle d’une stratégie industrielle et d’innovation technologique active, l’État souhaite adapter ses instruments de protection économique à un environnement concurrentiel toujours plus exacerbé pouvant porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.

Sans nuire à l’attractivité économique de la France pour les investisseurs et dans le cadre d’un mouvement européen en faveur d’une plus grande protection économique, le présent projet de loi propose de donner à l’État les moyens d’assurer un contrôle renforcé et de préserver les intérêts nationaux essentiels à travers deux dispositifs :

d’une part, à l’article 55, le contrôle des investissements étrangers en France soumis à autorisation préalable. Dans le cadre du droit européen et de sa jurisprudence très stricte en la matière, les dispositions du projet de loi renforcent les sanctions vis-à-vis de l’investisseur étranger qui n’aurait pas soumis son investissement à autorisation préalable ou qui n’aurait pas respecté les conditions assorties à l’autorisation. Les pouvoirs de police administrative du ministre chargé de l’économie sont également renforcés pour répondre au caractère d’urgence et au besoin de réactivité face à certaines situations. Par ailleurs, l’État s’est engagé à revoir le décret relatif au contrôle des investissements étrangers notamment en faveur d’une plus grande transparence du processus de contrôle vis-à-vis des entreprises cibles d’investissements ;

d’autre part, à l’article 56, le dispositif d’action spécifique ou « golden share », détenue par l’État au capital d’une société stratégique, qui permet de maintenir le contrôle d’actifs sensibles. L’État souhaite renforcer et préciser ce mécanisme, notamment en accroissant les droits attachés à ce type d’actions et en étendant les possibilités de création d’action spécifique aux sociétés stratégiques dans lesquelles l’APE était au capital au 1er janvier 2018 ainsi qu’aux sociétés cotées dont Bpifrance détenait au moins 5 % du capital au 1er janvier 2018.

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Le chapitre III promeut des entreprises plus justes. Il a l’ambition de restituer aux entreprises leur place dans notre société. À ce titre, les entreprises se doivent d’être plus justes ; tout d’abord par la reconnaissance et la consécration de bonnes pratiques déjà existantes, notamment en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), dont une bonne gouvernance n’est pas le moindre élément. En même temps, cette consécration légale doit constituer une incitation pour l’ensemble des structures à adopter et mettre en œuvre ces bonnes pratiques.

Cette double ambition s’inscrit dans une tradition française de capitalisme responsable et maîtrisé où les risques et les excès de la financiarisation ont pu être compensés par un cadre de gouvernance audacieux. La France a ainsi été parmi les premiers pays à reconnaître dans la loi la responsabilité sociale des entreprises, elle a été éclaireuse sur les principes de rapportage (reporting), qui sont aujourd’hui la norme à l’échelle européenne.

C’est une nouvelle étape qu’il est proposé de franchir avec ce projet de loi, en particulier avec son article 61 : l’intégration de la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux au sein du code civil, la reconnaissance d’une raison d’être des sociétés, voire, si les débats nous y conduisent, la reconnaissance d’une société à mission. Cela constituerait alors trois étages d’une seule et même fusée, trois degrés de responsabilité que les entreprises accepteraient de prendre au non d’un capitalisme plus durable et équitable.

Ce chapitre III comporte également des avancées portant sur une meilleure répartition de la valeur créée par les entreprises au bénéfice des salariés ; l’intéressement et la participation, qui permettent d’associer davantage les salariés aux performances de l’entreprise, sont largement encouragés, notamment dans les petites structures, grâce à l’épargne salariale (article 57). Beaucoup d’amendements ont été adoptés afin d’apporter davantage de souplesse pour que l’épargne salariale trouve à se développer plus avant. Il faudra trouver l’équilibre nécessaire à l’établissement d’une distinction claire entre la participation que l’on assimile, dans une vision gaullienne, à un véritable instrument de redistribution des bénéfices et l’intéressement, que je situe plutôt dans une logique de récompense de la performance. Nous avons eu et nous aurons, à n’en pas douter, de beaux débats sur ce point.

L’actionnariat salarié (articles 59 et 60) est généralement considéré comme vertueux pour toutes les parties ; les salariés bénéficient d’offres avantageuses qui s’inscrivent la plupart du temps dans leur stratégie d’épargne salariale. Les entreprises, quant à elles, y voient un outil visant à associer les salariés à la performance de l’entreprise ainsi qu’une façon de protéger leur capital contre les éventuelles attaques extérieures.

C’est encore la France qui est pionnière de cette pratique, elle est le premier pays d’Europe à y recourir ; félicitons-nous donc que des dispositions l’encouragent et la renforcent, à la fois dans les entreprises privées, y compris les sociétés par actions simplifiées (SAS), et dans les entreprises publiques. Plusieurs amendements sont allés dans le même sens, et ont reçu l’aval de la commission spéciale.

Une part non négligeable du travail préparatoire sur ce chapitre a porté sur la modification du code civil. De nombreuses auditions de personnalités reconnues dans le monde du droit, universitaires, magistrats de la Cour de cassation ou de la Chancellerie, ou encore experts du droit des sociétés et du droit des affaires, ont été menées. En effet, modifier le code civil n’est jamais anodin ; plus que jamais, nous devons légiférer avec une audace raisonnée, la main tremblante.

C’est ainsi qu’a été adopté un amendement de « ponctuation signifiante » remplaçant la conjonction « et » par une virgule, mais dont les implications sur le droit des sociétés sont significatives. Il s’agira de préciser que la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité d’une société s’inscrit pleinement dans le principe de gestion de la société dans son intérêt social, et non en dehors, de façon déconnectée.

Enfin, l’article 62 renforce la présence d’administrateurs salariés dans les conseils d’administrations des plus grandes sociétés. Il s’agit d’une avancée notable dans la recherche d’une gouvernance d’entreprise plus juste, plus représentative et moins court-termiste. De nombreux amendements ont été ainsi adoptés afin de contribuer à la modernisation de ce cadre de gouvernance, en particulier en matière d’égalité femmes/hommes, de transparence sur les écarts de rémunération ou de modernisation des outils de transmission et de cession des entreprises.

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Le chapitre IV comprend diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne et des mesures transitoires et finales. Il est composé de trois parties distinctes.

 Les articles 63 à 69 habilitent le gouvernement à transposer par ordonnance sept directives ou projets de directives ayant pour finalité de dynamiser l’économie française. Il s’agit notamment de favoriser la facturation électronique, de promouvoir les restructurations préventives et de donner une seconde chance dans certaines conditions aux entrepreneurs, d’accroître la mobilité des travailleurs entre les États membres de l’Union européenne, de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires, d’adapter les règles relatives aux fonds de pension, de réorganiser l’ordre des créanciers et de protéger les marques. L’article 70 aligne le statut des ports français sur le droit international en leur permettant de réévaluer leurs immobilisations corporelles.

Ces habilitations à procéder par ordonnances ont pour objectif de permettre au gouvernement de transposer un certain nombre de normes européennes dans les meilleurs délais. Dans le cas de la restructuration préventive des entreprises, l’autorisation est donnée alors même que la directive n’a pas été adoptée par les instances européennes, dans un souci de réactivité.

 L’article 71 procède à la ratification de vingt-trois ordonnances prises sur le fondement d’habilitations législatives diverses. La plupart ont pour objectif de promouvoir l’activité économique. Il en est ainsi des ordonnances favorisant la contribution de l’assurance-vie au financement de l’économie, de celle promouvant les bons de caisse ou encore de celle facilitant la reconnaissance des qualifications professionnelles de professions réglementées.

Mais d’autres ont pour objectif de protéger les agents économiques en renforçant la répression des agissements illicites. C’est le cas notamment de celles renforçant le dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ou de celle réformant le dispositif de gel des avoirs.

D’autres encore ont pour objet de renforcer la protection des consommateurs. C’est notamment le cas de la directive relative à la domiciliation des salaires dans le cadre d’un emprunt immobilier, de celle relative à la prise en charge des dommages en cas de défaillance d’une société d’assurance ou encore de celle relative aux voyages à forfait.

 Enfin, les articles 72 et 73 adaptent aux collectivités d’outre-mer les dispositions adoptées par la présente loi et concernant tant le code monétaire et financier que le code de commerce.

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Au-delà de ses dispositions, le projet de loi trouvera son prolongement dans un volet fiscal au sein du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Il sera en outre complété lors de l’élaboration des ordonnances et des textes d’application, sur lesquels vos rapporteurs entendent exercer leur vigilance.

La commission spéciale a consacré quatorze réunions et près de 51 heures de débats à l’examen du projet PACTE. Elle a amendé la plupart des 73 articles pour conforter l’esprit du projet, au service de l’initiative et de la responsabilité des acteurs. Elle a aussi adopté 107 amendements enrichissant le texte de 73 articles additionnels.

Ses principales contributions au texte sont résumées ci-après :

   PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION

Au sein du chapitre Ier :

– à l’article 1er, la commission spéciale a adopté plusieurs amendements permettant de préciser, d’une part, les modalités de contrôle du dossier déposé sur le guichet électronique et, d’autre part, les modalités d’accompagnement dont pourront disposer les déclarants, à travers notamment un accueil physique ainsi qu’un module interactif sur la vie de l’entreprise ;

– elle a adopté un article 5 bis qui modernise le statut de coopératif artisanal ;

– elle a adopté un article 5 ter qui clarifie et simplifie le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ;

– à l’article 6, la commission spéciale a adopté plusieurs amendements pour notamment étendre au code rural et de la pêche plusieurs dispositions de l’article et conserver le seuil de deux cents salariés, et non pas deux cent cinquante, pour l’obligation, pour l’employeur, de mettre à la disposition des sections syndicales un local commun ;

– la commission a entièrement réécrit l’article 7 pour conserver la présence d’un député et d’un sénateur au sein du conseil d’administration de Business France ainsi que la présence d’un représentant des réseaux consulaires ;

– elle a introduit un article 7 bis qui modifie le régime des volontaires internationaux en entreprise (VIE) en faveur d’une plus grande souplesse et simplification ;

– à l’article 9, la commission spéciale a adopté des amendements visant à assouplir, tout d’abord, l’interdiction pour les commissaires aux comptes d’exercer une activité commerciale et, par ailleurs, de mettre en œuvre la principale proposition formulée par le rapport de la mission de Cambourg sur l’avenir du commissariat aux comptes, en créant un audit légal des petites entreprises ou « audit légal PE » ;

– après l’article 10, la commission a introduit plusieurs articles additionnels relatifs à la profession d’expert-comptable : rémunération au succès, rapprochement avec les experts-comptables en entreprise ou encore simplification des procédures de mandats ;

– à l’article 12, la commission a porté de 5 000 à 10 000 euros le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel le micro-entrepreneur est tenu de disposer d’un compte bancaire dédié à son activité professionnelle ;

après l’article 13, la commission a adopté plusieurs articles additionnels visant à mettre en œuvre des recommandations de la mission d’information parlementaire sur les chambres de commerce et d’industrie (CCI) : renforcement de CCI France comme tête de réseau, inventaire de la situation patrimoniale des CCI, inscription dans la loi du droit syndical des agents des CCI ou encore obligation de conventionner entre CCI régionales et régions ;

après l’article 19, la commission spéciale a adopté plusieurs articles additionnels assouplir les dispositions relatives aux fonds commun de placement d’entreprise (FCPE) et faciliter ainsi la reprise d’une entreprise par ses salariés, définir la notion d’agriculteur en droit des entreprises en difficulté, ouvrir la qualité de juge de tribunal de commerce aux chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective ou encore permettre au délégué interministériel aux restructurations d’entreprises d’accéder à certaines informations fiscales pour mieux détecter les « signaux faibles » d’une entreprise en difficulté.

Au sein du chapitre II :

à l’article 20, la commission spéciale a élargi le champ de la réforme de l’épargne retraite aux régimes à points, a introduit des éléments de pilotage de cette épargne vers la finance solidaire et a amélioré les conditions de transfert (coût, transfert collectif) des plans d’épargne retraite ;

à l’article 23, la commission spéciale a précisé la compétence de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et lui a confié la tâche de veiller à la qualité de l’information fournie par les investisseurs du point de vue du risque climatique ;

– elle a aussi avancé l’entrée en vigueur de l’exemption accordée aux « impatriés » et étendu un « passeport européen » aux pays de l’Espace économique européen (EEE) ;

après l’article 24, elle a introduit un article additionnel pour permettre le blocage de sites internet proposant des investissements dans les biens divers ou dans des offres irrégulières de financement participatif ;

– à l’article 25, elle a garanti que les banques françaises puissent accéder après le Brexit à deux systèmes britanniques de paiement et de règlement livraison ;

à l’article 26, elle a conféré un droit au compte bancaire aux émetteurs de jetons qui auront obtenu le visa de l’AMF, tout en les soumettant aux obligations légales de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ;

– par un nouvel article 26 bis, elle a ouvert aux fonds professionnels spécialisés (FPS) la possibilité de détenir un droit de propriété sur des crypto‑actifs et des titres financiers inscrits dans une chaîne de blocs ;

à l’article 27, la commission spéciale a opéré une fusion asymétrique des plafonds légaux existants de versements en numéraire sur un PEA PME et sur un PEA et élargi le champ des sociétés cotées dont les titres peuvent être détenus dans un PEA PME.

Elle a introduit plusieurs articles additionnels après l’article 27 :

un article 27 bis pour ouvrir des possibilités de retrait partiel avant 8 ans sur un PEA ou PEA PME et pour plafonner les frais facturés ;

– un article 27 ter pour autoriser la détention, dans un PEA PME, d’obligations convertibles et remboursables en actions non cotées et de parts de fonds professionnels de capital investissement (FPCI) ;

– la commission spéciale a par ailleurs créé un article 27 quater pour élargir le régime des comptes inactifs ;

– par un nouvel article 27 quinquies, elle a assoupli le régime du prêt inter-entreprises ;

– elle a aussi introduit un article 27 septies pour fluidifier l’articulation entre intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) et intermédiaires en financement participatif (IFP) ;

à l’article 28, la commission spéciale a permis aux sociétés par actions simplifiées qui font appel au financement participatif d’émettre des actions de préférence à droits de vote multiples et autorisé un rachat des actions de préférence à l’initiative conjointe de la société émettrice et du détenteur des actions ;

après l’article 29, elle a adopté un article 29 bis qui ouvre une possibilité « d’affacturage inversé collaboratif » ;

à l’article 31, elle garantit que les commissaires surveillants disposent de moyens suffisants pour l’exercice de leurs missions et prévu un plafonnement par décret de leurs indemnités ;

à l’article 36, elle a précisé que la fixation unilatérale du montant du « dividende » versé à l’État par la Caisse ne saurait mettre cette dernière en difficulté financière ;

– après l’article 42, un article additionnel a été adopté, instaurant, à l’échéance d’un délai de deux ans, un contrôle a priori du critère de l’activité inventive de manière à faire que sorte que soient considérés comme critères de rejet des demandes de brevet l’absence d’activité inventive ou d’application industrielle ;

– à l’article 43, des précisions ont été apportées en matière d’expérimentations de véhicules autonomes. Le principe de l’autorisation a été explicité. La notion de conducteur a été clarifiée, de même que celle de prise de contrôle du véhicule ;

après l’article 43, de nouvelles autorisations d’expérimentations ont été introduites par amendement, concernant la recherche sur les micro-organismes, l’autoconsommation collective, les opérations de recensement et le bail à réhabilitation ;

à l’article 45, la commission a précisé les dispositions du cahier des charges d’Aéroports de Paris, en rappelant le principe de juste rémunération des capitaux investis ; en excluant la participation du commissaire du gouvernement au conseil d’administration d’ADP pour les réunions portant sur la négociation du contrat de régulation économique ; en supprimant l’assujettissement aux obligations de publicité et de mise en concurrence pour les contrats liés à des « services connexes ». Ce contenu a également été complété : le cahier des charges devra ainsi préciser les modalités selon lesquelles ADP exerce ses missions en tenant compte des effets de ses activités sur l’environnement ; selon lesquelles ADP garantit les conditions d’exercice d’une aviation générale, pour assurer notamment la pérennité des petits aéroclubs ; selon lesquelles un comité des parties prenantes est mis en place pour favoriser les échanges. Enfin, il a été décidé de rendre obligatoire la réalisation d’une évaluation du cahier des charges après trente-cinq ans d’exploitation par l’entreprise ADP ;

après l’article 51, un article additionnel a été adopté, qui renforce la prévention du jeu des mineurs en permettant aux buralistes d’exiger des clients qu’ils établissent la preuve de leur majorité ;

– à et après l’article 53, la commission a simplifié l’organisation de Bpifrance et modernisé la composition de son conseil d’administration. Le soutien à la création d’entreprises a aussi été rendu plus explicite ;

– la commission a adopté une nouvelle rédaction globale de l’article 54 relatif à la gouvernance de La Poste. Il s’agit essentiellement d’ouvrir le capital de l’entreprise à une détention non plus majoritairement par l’État, mais intégralement par l’État, la Caisse des dépôts et consignations et l’actionnariat salarié.  L’objectif de cette modification est d’autoriser la Caisse des dépôts et consignations de devenir actionnaire majoritaire de La Poste ;

après l’article 55, la commission a adopté deux articles additionnels organisant la publication de statistiques annuelles en matière de contrôle des investissements étrangers en France et créant une délégation parlementaire compétente sur ces sujets spécifiques.

Au sein du chapitre III :

à l’article 57, le régime de l’intéressement bénéficie de plusieurs assouplissements : intéressement de projet ; plafonnement annuel ; plan d’épargne d’entreprise type négocié par les branches ;

à l’article 59 et après cet article, ce sont plusieurs amendements visant à faciliter le développement de l’actionnariat salarié qui ont été adoptés, notamment en améliorant les conditions de représentation des salariés au sein de la gouvernance de l’entreprise, en renforçant leur formation, en améliorant les conditions financières dans lesquelles les augmentations de capital peuvent leur être réservées et en facilitant le régime des attributions gratuites d’actions ;

à l’article 61, la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité d’une société est reconnectée à sa gestion conformément à l’intérêt social, tandis que la raison d’être est mieux définie ;

après l’article 61, deux nouveaux régimes juridiques ont été créés afin d’encourager le développement d’un capitalisme responsable : les sociétés à mission et les fonds de pérennité économique ;

après l’article 62, les conditions de formation des administrateurs salariés sont renforcées, afin de favoriser une gouvernance d’entreprise plus diversifiée. Il faut également noter, après ce même article, l’ouverture du projet de loi sur l’amélioration de la représentation des femmes dans les fonctions exécutives des sociétés ; la meilleure transparence des écarts de rémunération dans les grandes entreprises et le renforcement du dialogue entre conseil d’administration et comité social et économique sur les orientations stratégiques de la société.

Au sein du chapitre IV :

après l’article 63, la commission spéciale a adopté un amendement visant à supprimer les pratiques jugées malsaines qui consistent à abuser des ordres de service à zéro euro lors de l’exécution de marchés publics de travaux.

– à l’article 68, le gouvernement a été autorisé à transposer par voie d’ordonnances plusieurs modifications de directives et règlements en cours d’adoption par l’Union européenne dans le cadre du « paquet bancaire ». Il s’agit principalement de dispositions issues des conventions « Bâle 3 » et « Bâle 4 » et relatives aux règles prudentielles applicables aux établissements de crédit.

après l’article 69, le gouvernement a été habilité à transposer par ordonnances la directive anti-blanchiment 2018/843 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

après l’article 71, la commission spéciale a adopté deux amendements habilitant le gouvernement, d’une part, à prendre par ordonnances diverses mesures destinées à mettre le droit français en conformité avec la directive visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence ; d’autre part, à légiférer également par voie d’ordonnances en matière de tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, de manière à conformer notre droit aux règles européennes et aux décisions du Conseil d’État.

En conséquence de cette dernière habilitation, la commission spéciale a adopté le principe de la publication par la Commission de régulation de l’énergie d’un rapport annuel sur l’évolution des prix du gaz et de l’électricité. Enfin, deux amendements ont modifié le régime des bons de caisse en permettant aux entreprises n’ayant qu’une année d’existence d’en émettre, cette possibilité n’étant actuellement ouverte qu’aux entreprises de plus de trois ans, et en portant leur durée d’émission de cinq à sept années.


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Chapitre Ier
Des entreprises libérées

Section 1
Création facilitée et à moindre coût

Article 1er
(articles L. 123-9 et L. 123-32, L. 123-33, L. 123-34, L. 123-35 [nouveaux] et L. 711-3 du code de commerce, articles L. 16-0 BA, L. 169, L. 174 et L. 176 du code des procédures fiscales, art. L. 2146-2, L. 214-8-1, L. 215-10, L. 311-2, L. 311-2-1, L. 311-3, L. 331-5 et L. 511-4 du code rural et de la pêche maritime, articles L. 622-1 et L. 624-1 du code de la sécurité intérieure, articles L. 3811, L. 613-5, L. 613-6 du code de la sécurité sociale, titre Ier de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à linitiative et à lentreprise individuelle, article 19-1 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de lartisanat)
Création dun guichet unique électronique pour laccomplissement des formalités liées à la création et à la vie des entreprises

Le présent article a pour objet de substituer aux différents réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) un guichet unique numérique, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2021.

A.   L’État du droit

Pour accomplir toutes les démarches relatives à leur création, les modifications de leur situation ou la cessation de leur activité, les entreprises s’adressent aux centres de formalités des entreprises (CFE).

● Les CFE ont pour missions de recevoir des entreprises les formulaires de déclaration de leur création, accompagnés des pièces justificatives, de leur délivrer un récépissé, d’assurer un contrôle de complétude de leur dossier et, enfin, de transmettre le dossier aux destinataires de formalités ([5]).

Ils peuvent être saisis selon trois modalités : dépôt physique, transmission par voie postale ou saisine par voie électronique, sur différents sites internet ([6]). Cette dernière modalité, si elle a sensiblement augmenté depuis 2012, où elle représentait 25 % du total des créations d’entreprises (hors microentreprises ([7])), demeure encore minoritaire puisqu’elle s’établissait à 39 % du total des créations en 2016.

La mission de CFE est aujourd’hui assurée par sept réseaux distincts, en fonction de l’activité concernée : les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les chambres des métiers et de l’artisanat (CMA), les chambres d’agriculture, la chambre nationale de la batellerie artisanale, les greffes des tribunaux de commerce, les URSSAF et les services des impôts des entreprises.

Au total, ce sont donc 1 400 CFE, issus de ces sept réseaux, qui sont répartis sur l’ensemble du territoire national et traitent chaque année près de trois millions de formalités, dont environ 30 % concernent la création, 55 % la modification et 15 % la radiation d’entreprises. S’il n’est pas possible de disposer d’un nombre total consolidé, l’étude d’impact du projet de loi indique (page 21) que la réalisation de ces formalités liées aux CFE occupe actuellement 960 équivalents temps plein (ETP) au sein des chambres consulaires (CCI, CMA et chambres d’agriculture) et 600 au sein des greffes des tribunaux de commerce.

Nombre dE FORMALITÉs CFE RÉalisÉes en 2016 et nombre d’etp affectÉs

Réseau dappartenance des centres de formalités des entreprises (CFE)

Nombre total de formalités CFE réalisées en 2016

Nombre déquivalents temps plein (ETP)

URSSAF

931 824

Non disponible

Chambres de commerce et dindustrie

826 673

510

Greffes des tribunaux de commerce

602 454

600

Chambres de métiers et de lartisanat

467 924

300

Chambres dagriculture

81 259

150

Service des impôts des entreprises

74 427

Non disponible

Total

2 984 561

 

Source : Inspection générale des finances, étude d’impact du projet de loi, page 22.

● Les CFE transmettent ensuite aux différents organismes compétents les documents quils ont recueillis auprès des déclarants : les services des impôts des entreprises, pour les déclarations d’existence ; les organismes de sécurité sociale, pour l’affiliation ; l’inspection du travail, les greffes des tribunaux de commerce, pour l’inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS) ; les chambres de métiers et de l’artisanat, pour l’inscription au répertoire des métiers de l’artisanat ; ou encore les chambres d’agriculture, pour l’immatriculation au registre de l’agriculture.

Depuis 2008, les CFE remplissent par ailleurs le rôle de guichet unique au sens de la directive « Services » du 12 décembre 2006 ([8]) : ils peuvent ainsi recevoir, pour les transmettre aux autorités compétentes, les demandes concernant les autorisations que les entreprises doivent obtenir pour l’accès et l’exercice de certaines activités. Les déclarants gardent toutefois la faculté de s’adresser directement aux autorités compétentes.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article a pour objet de substituer aux différents réseaux de CFE un guichet électronique unique, collectant l’ensemble des informations et des pièces nécessaires à la confection du dossier de formalités, et constituant l’interface directe entre les organismes destinataires et les entreprises, quels que soient l’activité, le lieu d’implantation et la forme juridique de ces dernières.

● Il introduit à cet effet une nouvelle section, relative aux formalités administratives des entreprises, dans le code de commerce. Le nouvel article L. 123-33 dispose ainsi que « toute entreprise se conforme à lobligation de déclarer sa création, la modification de sa situation ou la cessation de ses activités […] par le dépôt dun seul dossier comportant les déclarations quelle est tenue deffectuer. » (alinéa 8).

Il généralise par ailleurs la dématérialisation comme modalité d’accomplissement de ces formalités : l’alinéa 9 précise que le dossier « est déposé par voie électronique auprès dun organisme unique désigné à cet effet ».

Un décret en Conseil d’État désignera l’organisme unique et précisera les modalités d’application de l’article (alinéa 10).

Les II à VII de l’article 1er procèdent aux coordinations nécessaires dans les différents codes et lois pour substituer aux références aux CFE les nouvelles références à l’organisme unique.

Le VIII précise, enfin, que cet article, qui suppose des préparatifs techniques substantiels, entrera en vigueur le 1er janvier 2021.

● Saluée par les représentants des CCI et CMA entendus par votre rapporteur, la création de ce guichet unique va engendrer de nombreux bénéfices :

elle simplifiera les démarches des entreprises en leur apportant une solution à la difficulté rencontrée pour identifier l’organisme compétent pour le traitement de leurs formalités ;

elle harmonisera les modalités de transmission des différents organismes, aujourd’hui très diverses, et se traduira par une amélioration de la qualité et de la complétude des informations, grâce à la dématérialisation de ces transmissions ;

elle permettra un traitement plus rapide des dossiers, grâce à la quasi-immédiateté du traitement informatisé, et une baisse du coût pour les entreprises de ces formalités, du fait de la disparition des frais postaux.

● Le guichet électronique unique sera mis en œuvre par le service à compétence nationale Guichet Entreprises, rattaché à la direction générale des entreprises du ministère de l’Économie et des finances. Celui-ci met en effet déjà en œuvre le téléservice « guichet-entreprises.fr », mis en place progressivement depuis 2010 afin de permettre aux entreprises d’effectuer certaines démarches par voie électronique, en s’appuyant sur les réseaux de CFE pour le traitement des dossiers.

Le budget alloué à ce service, actuellement de quatre millions d’euros, devrait être doublé pour développer les évolutions nécessaires à l’extension de son champ d’application.

Le périmètre des formalités prises en charge par le guichet unique sera identique à celui des CFE actuels, à savoir toutes les formalités et procédures nécessaires à la création, aux modifications de la situation, la cessation d’activité d’une entreprise ainsi que l’accès et l’exercice d’une activité réglementée. Il assurera par ailleurs une assistance de premier niveau aux utilisateurs : problèmes de connexion, de téléchargement de pièces jointes, etc.

En revanche, ainsi que le précise l’étude d’impact du projet de loi (page 29), lassistance aux déclarants pour laccomplissement de leurs formalités ne sera pas assurée par le guichet électronique mais par les organismes assurant actuellement les missions de CFE : chambres consulaires, greffes, etc.

C’est pourquoi, alors que l’on estime que le personnel aujourd’hui affecté dans les CFE consacre la moitié de son temps à la gestion administrative des dossiers, il faudra effectuer une concertation avec les différents réseaux pour déterminer les modalités de redéploiement des agents affectés à ces tâches afin de permettre un renforcement des missions daccompagnement des entreprises.

C.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté plusieurs amendements permettant de préciser, d’une part, les modalités de contrôle du dossier déposé sur le guichet électronique et, d’autre part, les modalités d’accompagnement dont pourront disposer les déclarants :

– plusieurs amendements identiques, sous-amendés par votre rapporteur, précisent ainsi, dans un souci de sécurité juridique pour le déclarant, que la validité des dossiers déposés sur le guichet unique s’apprécie formalité par formalité, par les organismes destinataires des formalités, car ils ont des procédures de contrôle qui leur sont propres ;

– un amendement de votre rapporteur complète le contenu du décret en Conseil d’État qui sera pris pour l’application de cet article afin que celui-ci prévoie les « modalités d’accompagnement et d’assistance des entreprises par les organismes consulaires et par l’organisme unique ». Il s’agit par-là de s’assurer de la pérennité des démarches d’accompagnement exercées aujourd’hui par les chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers et de l’artisanat, notamment par un accueil physique. Déchargés des formalités déclaratives, les organismes consulaires devront en effet renforcer ces missions, pour compléter le service qui sera proposé par le futur portail électronique ;

– un amendement de notre collègue Valérie Oppelt et de plusieurs députés du groupe La République en Marche précise que le décret d’application devra intégrer les conditions de transmission des informations collectées par l’organisme unique aux organismes destinataires ;

– un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, présidente, et de plusieurs députés du groupe La République en Marche complète également le contenu du décret d’application pour que celui-ci précise que le futur guichet unique pourra comprendre un module, à destination des créateurs d’entreprise, sur la vie de l’entreprise. Il s’agit ainsi, grâce à un module interactif, d’informer le créateur sur les principaux enjeux économiques et juridiques de l’entreprise ;

– un amendement de notre collègue Valérie Oppelt et de plusieurs députés du groupe La République en Marche précise le contenu des informations individuelles sur les entreprises que les chambres de commerce et d’industrie ont interdiction de transmettre.

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La commission examine l’amendement CS1344 de M. Adrien Quatennens.

M. François Ruffin. Je ne sais pas si vous avez vu le film Moi, Daniel Blake de Ken Loach… C’est l’histoire d’un chômeur qui se retrouve en situation de déshumanisation totale : il a les plus grandes difficultés pour avoir face à lui des humains pour régler ses problèmes et ne cesse de passer par des plateformes téléphoniques et des sites internet qu’il maîtrise très mal.

Une de vos ambitions est de permettre à toute personne, quels que soient son âge, sa condition, son niveau d’éducation, de vivre l’aventure de l’entreprise « libérée ». Dans ce contexte, il est nécessaire qu’il y ait des plateformes numériques pour ceux qui les maîtrisent, mais il faut aussi maintenir un accompagnement humain, autrement dit des agents pour aider ceux qui ne les maîtrisent pas à remplir pas à pas les différentes formalités, en particulier au niveau des chambres de commerce et d’industrie (CCI). Notre amendement CS1344 propose que les CCI assurent cette mission d’appui physiquement et non virtuellement.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je partage, comme beaucoup de collègues ici, la nécessité d’un accueil et d’un accompagnement humains, notamment dans les chambres consulaires, mais votre amendement n’évoque que les CCI. Je présenterai tout à l’heure un amendement dont le champ sera plus large. D’où mon avis défavorable, même si nous nous rejoignons sur l’essentiel.

M. François Ruffin. Je vais donc retirer mon amendement, en attendant de voir.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’amendement du rapporteur prévoit en effet ce rôle de conseil, auquel je suis très attaché, pour les CCI, mais également pour les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) et les chambres d’agriculture ; il remplit donc le même objectif, mais de manière plus large.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS1879 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Un Français sur trois envisage de créer ou de reprendre une entreprise. Le créateur d’entreprise est souvent isolé : 40 % des créateurs déclarent n’avoir reçu aucun appui pour monter leur projet, 36 % des entrepreneurs non accompagnés déclarent qu’ils n’ont pas trouvé le bon interlocuteur, et 48 % des entrepreneurs déclarent qu’il manque de l’aide sur la stratégie de développement et de la mise en relation avec les bons contacts pour assurer leur croissance. Au-delà de la facilité de créer une entreprise, la pérennité des structures demeure un défi important : 50 % des entreprises créées disparaissent avant d’atteindre leur sixième année d’existence, mais ce taux tombe à 34 % quand les entreprises sont bien accompagnées. Mon amendement CS1879 propose de fournir des listes de réseaux d’accompagnement et de conseiller les entrepreneurs à les utiliser.

M. Denis Sommer, rapporteur. Votre souci est légitime, mais il se manifeste dans cet amendement de manière trop limitée puisque vous ne parlez que des associations. Dans nos travaux, nous avons évoqué des structures importantes comme France Active, Initiative France, le réseau Entreprendre et bien d’autres ; mais il y a aussi les régions, les agences de développement, ainsi que des partenaires privés. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable, mais c’est une question sur laquelle il faut travailler. Au demeurant, ne suis pas sûr qu’elle relève nécessairement de la loi ; il faut l’examiner avec l’ensemble des partenaires dans les territoires, en particulier dans les régions, car il existe une offre territoriale très diverse. Mais c’est une question essentielle pour la suite.

M. le ministre. Même avis. Je suggère le retrait de l’amendement ; c’est une question importante, mais qui ne relève pas du domaine législatif.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements CS819 et CS820 de M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. L’article 1er vise à simplifier la procédure de création d’entreprise et, à cette fin, envisage de substituer aux organismes qui s’occupent aujourd’hui des entreprises, et notamment des procédures de création d’entreprise, un organisme unique pour effectuer toutes les démarches administratives. Nos amendements CS819 et CS820 visent à maintenir la compétence des chambres consulaires qui, outre l’accompagnement des créateurs d’entreprise, dispensent des conseils et de l’encadrement. Leur substituer un organisme unique créé ex nihilo constituera une perte pour l’accompagnement des créateurs.

L’amendement de repli CS820 se borne à conserver le dispositif existant via les chambres consulaires sur les territoires où le développement économique est le moins facile, c’est-à-dire les territoires ruraux, où la présence des personnels de ces chambres sur le terrain aux côtés des créateurs d’entreprise est indispensable.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je prendrai les choses à l’inverse de vous. Vous êtes attachés à ce que les chambres consulaires restent des centres de formalités des entreprises (CFE) ; ce n’est bien évidemment pas l’esprit du projet de loi puisqu’il prévoit d’instituer un organisme unique. Mais les personnels actuellement affectés aux missions de CFE dans les consulaires seront libérés d’une grande partie de leurs tâches administratives et il sera possible d’en faire de véritables experts en matière d’accompagnement et de conseil aux créateurs d’entreprise, y compris quand il s’agira de déclarer son entreprise dans le portail si le demandeur ne maîtrise pas tout à fait l’outil numérique.

S’agissant de la ruralité, nous discuterons dans les jours à venir des CCI et de la nécessité de redonner de l’autorité à un organisme comme CCI France, qui aura vocation à l’avenir à faire vivre la péréquation dans le réseau CCI, au niveau régional mais également CCI territorial. J’ai dit en introduction que ce projet de loi avait une vraie cohérence : il en fait encore la démonstration sur cette question. Avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le ministre. Même avis. Les amendements de M. Viala partent d’une bonne intention : maintenir des capacités de conseil et d’accompagnement pour les entreprises, en particulier les PME. Mais la création du portail unique permettra justement de libérer du temps pour les chambres consulaires en vue de mieux accompagner les entreprises. L’objectif des amendements est rempli par la création du guichet électronique car nous allons dégager du temps aujourd’hui employé pour des formalités dans les chambres consulaires, afin d’assurer un véritable accompagnement.

M. Daniel Fasquelle. Je suis cosignataire de ces amendements. Le projet de loi remet en cause le réseau d’accompagnement des entreprises. Les CFE ne se limitent pas aux seules formalités : c’est l’occasion d’un face-à-face, et, si vous interrogez ceux qui s’occupent de ces questions comme je l’ai fait dans ma circonscription, vous verrez que ce face-à-face est l’occasion de faire le point sur l’ensemble du projet du créateur d’entreprise et de le conseiller non seulement sur les formalités, mais aussi pour tout le reste. Dès lors que vous supprimez ce contact physique, vous allez forcément affaiblir la capacité de conseil auprès des créateurs d’entreprise, qui n’auront plus l’accompagnement humain dont ils bénéficient aujourd’hui. Cela m’inquiète ; ce que vous mettez en place n’est pas une bonne nouvelle pour les créateurs d’entreprise.

M. le ministre. Ce n’est pas exact : notre objectif est justement de dégager du temps pour du contact physique. Tous ceux qui veulent des renseignements et de l’accompagnement pour leur entreprise continueront à en bénéficier. Je ne peux laisser croire que nous supprimons la possibilité pour un créateur d’entreprise qui aurait besoin de conseil auprès d’une chambre consulaire d’en trouver. Il le trouvera, et ce sera même encore mieux. Simplement, nous considérons que, pour remplir des formalités, il vaut mieux les remplir sur un portail unique. Pour les formalités, portail unique ; pour le conseil, contact physique.

Mme la présidente Olivia Grégoire. J’indique que le rejet des deux amendements CS819 et CS820 rendrait sans objet sept amendements de conséquence figurant par la suite, les amendements CS821, CS822, CS823, CS824, CS825, CS826 et CS827.

La commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CS378 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement a pour but de demander quelques explications au Gouvernement sur ce que sera ce guichet unique. Tel que l’article est rédigé, on ne le sait pas très bien. Nous précisons dans cet amendement que ce sera un service de l’État. Pouvez-vous préciser, monsieur le ministre, qui le fera fonctionner, ainsi que l’articulation entre ce guichet et les cinq réseaux. Les réseaux informatiques seront-ils d’ailleurs compatibles ?

M. Denis Sommer, rapporteur. La question n’est pas tranchée, nous nous donnons du temps. Si tout était déjà réglé, ce guichet unique serait mis en place dès 2020, voire en 2019, mais ce n’est pas le cas. Tout cela exigera un travail d’harmonisation avec l’ensemble des partenaires.

M. le ministre. Nous n’allons pas le faire du jour au lendemain, cela prendra plusieurs années car c’est techniquement très complexe. Par ailleurs, une mission d’inspection a été chargée d’examiner toutes les hypothèses : l’État en est une, il peut y en avoir d’autres. Il ne serait pas bon de s’enfermer dès maintenant dans l’hypothèse État.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Comme je l’ai indiqué hier, je serai très attentif au suivi de l’exécution et de l’évaluation de cette loi. La création du guichet unique fait partie des défis importants et je souhaite que nous suivions ce déploiement de manière très sérieuse. Nous vous mettrons la pression et vous serez capable, du coup, de nous livrer des résultats…

M. Charles de Courson. La réponse est une non-réponse : on ne sait pas. J’appelle l’attention sur deux questions. La première est la compatibilité du système informatique de ce guichet unique avec ceux des cinq réseaux, qui ne sont pas compatibles entre eux. L’autre problème est celui de la portée juridique du dépôt du dossier dans le guichet unique : une fois déposé, il sera ensuite orienté vers l’un des cinq réseaux et il ne faudrait donc pas faire croire que le dépôt dans le guichet unique signifie que l’entreprise est créée. Si la procédure prend du temps par la suite, qu’est-ce que le créateur d’entreprise y aura gagné au bout du compte ?

M. Arnaud Viala. J’abonde dans le sens de M. de Courson. Les amendements que j’ai défendus posaient la question de la substitution à un dispositif existant, qui fonctionne, d’un dispositif dont on ne sait rien. La seule « vertu » du nouveau système, c’est finalement de créer un masque entre le créateur d’entreprise et ses interlocuteurs naturels que doivent être les représentants des acteurs économiques du domaine dans lequel il souhaite exercer son activité. Je ne comprends pas l’intérêt de créer un guichet unique qui se bornera à répartir les dossiers, et donc à introduire de la distance entre le créateur d’entreprise et ceux qui devront s’occuper de lui. La réponse que vous apportez à cet égard – on ne sait pas, on verra en 2020 –, est très inquiétante.

M. Charles de Courson. Je vais retirer mon amendement : nous ne sommes pas davantage éclairés, mais le but était de vous amener à vous expliquer sur cette affaire, encore en gestation.

M. le ministre. Un créateur d’entreprise doit aujourd’hui s’inscrire dans un CFE. En fonction de la nature de l’entreprise, ce n’est pas forcément le même CFE. Dans certains cas de figure, par exemple les artisans qui sont aussi commerçants, il faut même s’inscrire deux fois. L’objectif est de simplifier. Cela demandera beaucoup de travail car ce sont des millions de fichiers à simplifier mais, demain, il vous sera possible de créer à partir de chez vous n’importe quel type d’entreprise sur le portail unique. Si certains veulent garder l’obligation de se renseigner par téléphone ou sur internet pour savoir dans quel CFE se rendre, l’obligation de prendre sa voiture et de se déplacer, dont acte ; pour notre part, nous souhaitons que, d’ici à 2021, tout créateur d’entreprise puisse remplir ces formalités depuis son bureau en deux clics.

Le conseil en sera-t-il réduit ? La remarque de M. Viala est à cet égard tout à fait légitime. Évidemment non : les chambres consulaires garderont leur rôle de conseil et d’accompagnement. Tout créateur d’entreprise pourra se rendre sur place pour avoir les réponses aux questions qu’il se pose.

Ce guichet sera-t-il à 100 % public ? Peut-être que la mission d’inspection que nous avons demandée, et qui prendra plusieurs mois, nous dira qu’il vaut mieux un opérateur privé sous contrôle public. Je ne l’écarte absolument pas ; ce que je cherche, c’est l’efficacité. Toutes les options sont ouvertes. Le public-privé, auquel je vous sais attaché, existe pour les investissements, cela peut exister aussi pour la gestion de ce portail unique. En tout cas, je ne l’exclus pas.

Mme la présidente Olivia Grégoire. M. Taugourdeau a également demandé la parole, étant entendu que M. de Courson s’apprêtait à retirer son amendement.

M. Jean-Charles Taugourdeau. J’ai justement écouté attentivement vos propos sur la durée de nos travaux, madame la présidente. J’ai calculé que si l’on ajoute treize secondes aux deux minutes imparties pour chaque amendement, nos débats s’en trouveront allongés d’une journée supplémentaire. À lui seul, le temps d’intervention du ministre à l’instant – sur un amendement retiré – multiplié par le nombre d’amendements représente vingt jours de travail !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mieux vaudrait-il selon vous se passer de toute explication ?

M. Roland Lescure, rapporteur général. On nous le reprocherait également…

Mme la présidente Olivia Grégoire. En effet, ce ne serait pas la meilleure façon d’aborder le débat.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1880 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. En 2016, huit millions de Français vivaient sans connexion internet. La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance prévoit qu’un référent unique accompagne à titre expérimental les usagers pour simplifier leurs démarches administratives. Cet amendement vise à étendre cet accompagnement par le même référent unique aux personnes qui ne disposent pas d’un accès à internet pour les aider à effectuer leurs démarches en ligne.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je ne suis pas certain que tous les décrets d’application aient déjà été pris concernant cette disposition, qu’il est donc difficile d’inscrire dans le code du commerce. D’autre part, nous venons d’ouvrir le débat sur le rôle des chambres consulaires, qui se poursuivra : elles seront chargées d’accompagner les porteurs de projets et les créateurs d’entreprise. Mieux vaut affirmer et conforter cette mission plutôt que de mettre en doute la nécessité pour elles d’agir au plus près des créateurs. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission passe à l’amendement CS379 de M. Paul Christophe.

M. Charles de Courson. Cet amendement renvoie à l’amendement CS38 qui me semble avoir disparu…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il figure juste après dans la liasse.

M. Charles de Courson. Soit. En cohérence avec mon amendement précédent, celui-ci vise à ce que le dossier soit réputé complet à l’issue d’un délai pouvant par exemple être calé sur celui de l’administration fiscale et être fixé par un décret en Conseil d’État. En l’état, en effet, le texte ne prévoit aucun délai, contrairement à la pratique habituelle. Sans délai, il sera trop facile de prétendre que le dossier est incomplet.

M. Denis Sommer, rapporteur. Les délais de traitement par chaque organisme varient selon la complexité des dossiers. Il ne me semble pas adapté d’imposer un délai identique à tous. En revanche, les choses pourront sans doute évoluer au cours de la préparation du portail unique, y compris en ce qui concerne les délais. À ce stade, il est prématuré de définir un délai, car les organismes concernés obéissent à des règles internes très différentes.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement est l’occasion d’apporter à nouveau des éclaircissements à M. de Courson sur les dispositions que nous proposons. Le guichet unique et centralisé simplifiera grandement les démarches des entreprises puisqu’il sera dématérialisé. En revanche, ce n’est pas lui qui sanctionnera la validité des démarches. C’est pourquoi il ne peut pas être fixé un délai pour ces démarches. Une fois que le créateur d’entreprise est enregistré sur le portail unique, toutes les informations données – elles sont importantes – doivent être vérifiées par les organismes compétents, qu’il s’agisse des URSSAF, des greffes des tribunaux de commerce ou encore de la direction générale des finances publiques, ce qui exclut la fixation d’un délai préalable. Je confirme donc que toutes les vérifications afférentes à la création d’une entreprise continueront ; simplement, l’entrepreneur se sera inscrit sur un portail unique.

M. Charles de Courson. Le problème est le suivant, monsieur le ministre : une fois le dossier déposé, que se passera-t-il s’il n’est pas complet ? Il me semble nécessaire d’exiger, dans le cadre de l’élaboration du guichet unique, la délivrance d’une attestation certifiant que le dossier est complet, avant même son instruction. Dans le cas contraire, la procédure pourrait durer un certain temps… Or il me semble que le principe d’un délai relève de la loi. Si vous pouvez le fixer par la voie réglementaire sans qu’un fondement législatif ne soit nécessaire, alors je retirerai l’amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le délai relatif à la complétude du dossier peut en effet être fixé par voie réglementaire mais entendons-nous bien : je ne prends pas d’engagement sur la validation du dossier.

M. Charles de Courson. Aucune disposition législative n’est donc nécessaire pour fixer ce délai ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Non.

L’amendement est retiré.

La commission examine les amendements identiques CS38 de M. Paul Christophe faisant l’objet d’un sous-amendement CS2322 du rapporteur, CS46 de Mme Véronique Louwagie, CS62 de M. Vincent Descoeur, CS93 de M. Patrick Hetzel, CS549 de M. Éric Pauget, CS552 de M. Ian Boucard, CS748 de M. Daniel Fasquelle, CS1315 de Mme Laure de La Raudière et CS2112 de M. Dominique Potier.

M. Charles de Courson. L’article 1er vise à rendre obligatoire la déclaration par voie électronique de la création d’une entreprise, de la modification de sa situation ou de la cessation de ses activités. L’amendement CS38 vise à préciser que les dossiers déposés ne sont réputés réguliers et complets – et par conséquent juridiquement conformes – que lorsque l’ensemble des organismes destinataires tels que les services fiscaux et les URSSAF, par exemple, en auront contrôlé la régularité et apprécié la validité, conformément à leurs missions. En effet, l’accusé de réception envoyé par le guichet électronique ne doit pas pouvoir être considéré par le déclarant comme une validation légale avant que tous les organismes n’aient été en mesure de contrôler le dossier. C’est pourquoi le décret mentionné à l’alinéa 11 de l’article doit contenir cette précision. En clair, l’attestation de dépôt d’un dossier ne vaut pas autorisation de commencer l’activité.

Mme Véronique Louwagie. L’essentiel est d’assurer la sécurité juridique aux créateurs d’entreprise et aux chefs d’entreprise, afin qu’ils soient protégés par des garanties. Or, s’il existe un guichet unique, il est important qu’un récépissé unique soit délivré. À cet égard, le sous-amendement CS2322 déposé par le rapporteur m’inquiète profondément car il modifie complètement l’esprit de l’amendement. L’intérêt du guichet unique est de simplifier les démarches du chef d’entreprise en ne lui adressant qu’un seul accusé de réception attestant de la déclaration et de la régularité du dossier. Or, le sous-amendement du rapporteur vise à préciser que le dépôt du dossier vaut déclaration auprès du destinataire – autrement dit, il doit y avoir autant de déclarations que de destinataires. J’y vois un risque véritable qui met à mal tout l’intérêt du guichet unique.

Mon amendement CS46 et les amendements identiques présentés par mes collègues apportent une véritable sécurité aux chefs d’entreprise et simplifient leurs démarches.

Mme Valérie Bazin-Malgras. L’amendement CS93 est défendu ainsi que les suivants de notre groupe, identiques.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Comme nos collègues, nous estimons qu’il faut assurer une sécurité juridique aux porteurs de projets, d’où notre amendement CS2112. Il est indispensable que l’ensemble des organismes destinataires regroupés dans ce guichet unique – services fiscaux, URSSAF, caisses sociales, répertoires des métiers et registres du commerce et des sociétés – valident un dossier avant que le porteur de projet n’en soit assuré, et l’accusé de réception doit en tenir compte, faute de quoi l’ambiguïté perdurera et, comme le disait M. de Courson, les délais s’en trouveront allongés plutôt que raccourcis.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le sous-amendement CS2322 vise à préciser les choses. Non, madame Louwagie, l’efficacité du guichet unique ne sera pas remise en cause. Le portail unique constitue un espace dans lequel la déclaration peut être déposée et faire l’objet d’un accusé de réception. Plusieurs destinataires reçoivent les pièces des dossiers les intéressant, qu’ils sont tenus d’instruire et de valider. Ce n’est que lorsque chacun de ces destinataires a validé le dossier que celui-ci est réputé complet. Il ne peut y avoir d’appréciation globale parce que chaque organisme obéit à une législation différente : chacun doit donc fournir un avis individuel sur les dossiers.

C’est le sens du sous-amendement que je vous propose d’adopter et qui répondra pleinement à votre souhait. L’instruction des dossiers ne prendra aucun retard ; il s’agit simplement de reconnaître que ces organismes obéissent à des règles qui leur sont propres.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il s’agit d’un bon amendement qui touche à un problème important, mais je rejoins l’argumentation juridique du rapporteur : les dossiers ne sont réputés réguliers et complets que lorsque tous les destinataires les ont validés. C’est une bonne intuition car elle sécurise le créateur d’entreprise. En revanche, nous ne pouvons pas séparer les décisions de validation juridique de chacun des organismes saisis. Or, en l’état, vos amendements, madame Louwagie, ne permettent pas de reconnaître qu’il appartient à chaque organisme de donner séparément son feu vert à la validation de la création de l’entreprise.

Je suis donc favorable à ces amendements tel que sous-amendés par le rapporteur : vous avez touché juste, mais le sous-amendement du rapporteur est nécessaire pour reconnaître que chacun des organismes qui valide le dossier obéit à des règles juridiques différentes.

Mme Véronique Louwagie. Je ne partage pas du tout ces arguments. J’ai cru comprendre que l’objectif du guichet unique consistait à simplifier les démarches des chefs d’entreprise. Or, vous leur permettez en effet de ne déposer qu’une déclaration unique – ce qu’ils font déjà en majorité par l’intermédiaire des centres de formalités des entreprises, lesquels valident la déclaration auprès de l’ensemble des destinataires avant d’en informer le requérant par un document unique. Votre sous-amendement vise à revenir en arrière puisque plusieurs déclarations devront être déposées auprès de chacun des destinataires pour un même dossier !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Non.

Mme Véronique Louwagie. C’est pourtant ce qui est écrit dans le sous-amendement. Les destinataires – caisses sociales, services des impôts, caisses de retraite, chambres consulaires – étant multiples, il faudra donc présenter plusieurs déclarations. Vous ajoutez une strate au système qui, j’en suis désolée, s’en trouvera plus complexe.

Mme Laure de La Raudière. J’ai moi aussi déposé un amendement CS1315 identique pour soulever la même question que pose Mme Louwagie. À la première lecture du texte, ce dispositif m’a semblé bon puisqu’il consistait enfin à instituer un guichet unique pour les entreprises. Après réflexion, j’ai peur, comme je l’ai dit lors des auditions, que nous n’aboutissions à un système plus complexe. En effet, le chef d’entreprise – surtout lorsqu’elle est petite – se pose de très nombreuses questions lorsqu’il accomplit la démarche de créer son entreprise, pour déterminer dans quelle case il entre et quelle réglementation s’appliquera en fonction des choix qu’il fait. Le dispositif prévu a-t-il fait l’objet d’une expérimentation ? Quel enseignement en a été tiré ? S’il s’agit d’un simple guichet électronique servant au dépôt des dossiers sans service d’assistance pour aider les chefs d’entreprise à répondre aux questions qu’ils se posent concernant les différents organismes et scénarios qu’ils peuvent rencontrer, je crains que le système ne soit complexe, car il arrivera que les choix ne soient pas toujours les bons du premier coup, ce qui obligera à revenir en arrière pour reprendre la déclaration initiale.

M. Daniel Fasquelle. Depuis le début du débat, nous confondons guichet unique et plateforme unique. Le guichet unique existe déjà : ce sont les centres de formalités des entreprises, dont la création a été un grand bond en avant qui a facilité la vie des créateurs d’entreprises, puisqu’ils effectuent toutes les formalités pour leur compte. Avec votre plateforme unique, vous allez déstabiliser ce système car l’interface des centres de formalités des entreprises disparaîtra et, comme l’expliquait Mme Louwagie, les créateurs d’entreprises se trouveront directement face à chacune des administrations – ce que nous avions précisément évité en créant les centres de formalités des entreprises.

Pour vous éclairer, un sondage a été conduit en juin auprès des chefs d’entreprise. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il est judicieux de faciliter la création d’entreprises par une démarche à effectuer sur une plateforme unique, mais 94 % d’entre eux estiment que le guichet électronique doit être doublé d’un accompagnement humain de l’entrepreneur, et 48 % pensent qu’il augmentera le risque d’erreur. Beaucoup sont d’avis que la plateforme unique plaira surtout aux grandes entreprises mais qu’elle compliquera plutôt la vie de ceux qui créent une entreprise seuls.

M. Mohamed Laqhila. Aujourd’hui, un créateur d’entreprise doit commencer par se demander à quel centre de formalités des entreprises s’adresser, car il n’en existe pas qu’un seul. Les artisans s’adresseront plutôt au CFE de la chambre des métiers, mais les professions libérales s’orienteront vers les URSSAF. Le guichet unique permettra de ne plus se poser cette question. Cette portée d’entrée unique facilite d’emblée les choses.

D’autre part, le dépôt d’un dossier auprès d’un CFE s’accompagne d’un accusé de réception attestant de sa complétude, mais il arrive qu’une demande d’informations complémentaires soit adressée quelques jours plus tard, voire une décision de non-inscription, d’où la prolongation de la procédure pendant une ou deux années – on l’a constaté en ce qui concerne le régime social des indépendants : le demandeur pouvait n’être pas du tout connu alors que le dossier avait été validé… Le guichet unique simplifiera les procédures : il n’y aura plus qu’une seule porte d’entrée mais tout le travail accompli en arrière-plan continuera de l’être.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Votre description idyllique de la situation des créateurs d’entreprise, que M. Laqhila a parfaitement rappelée, est très étonnante. Vous forcez le trait en nous expliquant que tout va très bien : le chef d’entreprise est accueilli, il dépose son dossier et l’entreprise est créée.

Mme Véronique Louwagie. Mais non !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Ce n’est pas du tout ainsi que les choses se passent et vous le savez parfaitement, madame Louwagie. M. Fasquelle nous dit qu’il faut en rester là et que tout va très bien : c’est toute la différence entre ceux qui refusent de changer les choses et ceux qui veulent au contraire les changer.

M. Daniel Fasquelle. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Ce sont exactement les propos que vous venez de tenir et que vous me permettrez de contester. J’estime que la procédure actuelle est compliquée et qu’il est inutile d’imposer deux voire trois démarches. Comme l’a très bien rappelé M. Laqhila, de nombreux chefs d’entreprise attendent sans rien savoir de l’état d’avancement du traitement de leur dossier par les URSSAF, par les tribunaux de commerce ou par les autres organismes qui sont saisis. Voilà la réalité !

Le guichet unique change une première chose : il n’y a plus qu’une seule démarche à effectuer. Écoutez, monsieur Fasquelle ; vous pourrez ainsi mieux dialoguer.

M. Daniel Fasquelle. Écoutez-moi aussi !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vous ai écouté : vous venez de me dire que le centre de formalités des entreprises que vous avez créé fonctionne et qu’il ne faut rien changer. J’estime au contraire qu’il faut changer. Je suis pour la dématérialisation ; visiblement, vous êtes contre. Je suis pour un guichet unique ; visiblement, vous êtes pour le maintien de ces centres de formalités.

Les créateurs d’entreprise bénéficieront du suivi par chacun des organismes de l’état d’avancement de leur dossier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ils pourront donc savoir précisément où en est la création de leur entreprise, alors qu’ils sont aujourd’hui dans l’incertitude totale. Selon moi, ces trois améliorations justifient la création du guichet unique.

Mme Véronique Louwagie. Permettez-moi une correction, monsieur le ministre : nous ne prétendons pas que tout va bien. En revanche, nous aurions pu espérer que l’instauration d’un guichet unique s’accompagne d’une simplification des déclarations et d’une amélioration de la protection et de la sécurité des chefs d’entreprise. Or, nous nous retrouvons dans une situation où le chef d’entreprise n’aura peut-être qu’à cliquer qu’une seule fois pour créer son dossier, mais il devra cliquer au moins quinze fois avant d’être assuré en toute sécurité du dépôt de son dossier complet. Je n’y vois aucune simplification ni aucune amélioration de la lisibilité pour les chefs d’entreprise.

M. Arnaud Viala. Nous ne souhaitons pas empêcher la dématérialisation mais nous prônons l’harmonisation des procédures. Pourquoi ne pas doter les CFE existants d’un outil informatique commun leur permettant d’appliquer une procédure unique, de sorte que les créateurs qui déposent un dossier soient tous tenus de suivre la même procédure et se trouvent d’emblée entre les mains de ceux qui vont l’accompagner ? Créer ou modifier une entreprise n’est pas une démarche ex abrupto que l’on entreprend de chez soi à l’improviste en déposant un dossier sur une plateforme unique sans savoir ce qui en découlera ; il faut une réflexion, des contacts, des conseils. Nous voulons ne pas dissocier cette phase importante de maturation du projet, qui suppose que les professionnels compétents sur les territoires puissent accompagner les chefs d’entreprise, de la procédure administrative stricto sensu, qui peut en effet être dématérialisée – même si cela ouvre le débat de l’accès à l’informatique et à internet. Nous ne critiquons pas cette évolution en tant que telle, mais sa forme.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. La vraie différence est celle-ci : aujourd’hui, le créateur d’entreprise ne reçoit de la part du CFE qu’un simple accusé de réception et doit s’assurer auprès de chacun des organismes saisis de la validation de son dossier tandis que demain, il aura un interlocuteur unique et effectuera la démarche à distance. S’il a besoin de conseils, il pourra s’adresser aux chambres de commerce. Je considère que c’est une amélioration.

La commission adopte le sous-amendement CS2322.

Puis elle adopte les amendements ainsi sous-amendés.

Elle passe à l’amendement CS1930 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Philippe Bolo. Cet amendement vise à sécuriser le guichet électronique unique. Les informations accompagnant les demandes de création d’entreprise sont traitées par plusieurs organismes différents. Nous proposons que ces destinataires puissent communiquer entre eux sur les décisions des uns et des autres afin de sécuriser le dépôt des demandes et d’éviter qu’il y soit apporté des réponses contradictoires.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cet amendement ne me semble pas apporter grand-chose au texte… Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission passe à l’amendement CS1143 de Mme Danielle Brulebois.

M. Jean-Claude Leclabart. Il est retiré.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS65 de M. Sébastien Leclerc.

M. Vincent Rolland. Afin d’éviter toute ambiguïté, cet amendement prévoit que le caractère complet d’une déclaration soit matérialisé par un accusé de réception que l’organisme concerné adressera dans un délai restreint au déclarant.

M. Denis Sommer, rapporteur. Comme il vient d’être dit, chaque organisme dispose de ses propres modalités de contrôle selon la nature de ses missions ; il ne saurait donc leur être imposé un délai uniforme. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous reprenons là la discussion que nous avons eue tout à l’heure avec M. de Courson sur l’accusé de réception, qui obéit aux règles déjà fixées dans le code des relations entre le public et l’administration. Je rappelle que l’accusé de réception ne signifie pas la validation du dossier, laquelle appartient aux différents organismes concernés.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1881 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Cet amendement vise à permettre la conduite d’une évaluation non contraignante, au moyen d’un questionnaire numérique par exemple, des connaissances du créateur d’entreprise et des prérequis à l’installation d’une nouvelle activité. En fonction des résultats de l’évaluation, le créateur d’entreprise pourra être orienté vers un accompagnement ou – je ne désespère pas – vers une liste d’associations, de régions et de CCI.

M. Denis Sommer, rapporteur. Ces questions importantes peuvent être posées non pas à un moment précis mais tout au long du parcours du créateur d’entreprise, lequel peut susciter de nouvelles difficultés et mettre en lumière des incompréhensions liées à la vie de l’entreprise. L’évaluation est donc permanente. En outre, qui se chargera de l’évaluation que vous proposez ? Ce n’est pas clair. La redéfinition à laquelle nous procédons des missions des organismes consulaires doit les inciter à mettre en place des procédures qui permettent d’offrir un accompagnement beaucoup plus personnalisé à chaque créateur à partir des informations qui leur auront été transmises via le portail unique.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Comme je l’ai dit hier, l’un des principes clés de ce projet de loi est la responsabilisation des acteurs. Évitons donc d’obliger les acteurs à faire ce qu’ils doivent faire ; mieux vaut qu’ils se prennent en main eux-mêmes et qu’ils persuadent les entrepreneurs qu’ils ont besoin d’eux. C’est cette logique que je prône pour l’ensemble du projet de loi. Plusieurs autres amendements consistent à réintroduire des obligations là où il faut préférer le devoir.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le rapporteur général m’ôte les mots de la bouche. Prenons garde à tout ce qui donne le sentiment que nous ne croyons pas à la responsabilité des individus : c’est l’un des aspects importants du texte. Je crois à la responsabilité des individus. Nous n’allons pas surveiller les compétences des créateurs d’entreprise – et nous aurons le même débat à propos du stage préalable à l’installation des artisans. Laissons à chacun la liberté et la responsabilité – dans un cadre global, bien entendu. En l’occurrence, cet amendement donne le sentiment que la suspicion remplace la responsabilité. Je vous invite donc à le retirer, madame Oppelt, car il ne me semble pas conforme à la philosophie de ce texte.

Mme Valérie Oppelt. Je le retire, au profit d’un autre que nous examinerons bientôt.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS2276 du rapporteur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Nous avons déjà abordé plusieurs fois la question essentielle de l’accompagnement des porteurs de projet et des créateurs d’entreprise. Nous savons tous que le taux de réussite et de pérennité des entreprises accompagnées dans la durée est beaucoup plus élevé que celui des entreprises qui se lancent dans l’aventure de manière isolée. L’amendement vise à confirmer que cette mission d’accompagnement incombe aux chambres consulaires.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est un amendement important, qui répond aux préoccupations exprimées par M. Viala concernant la nécessité de conserver un accompagnement personnel des créateurs d’entreprise. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1931 de M. Michel Fanget.

M. Philippe Bolo. Il s’agit de s’assurer que le dossier déposé par voie électronique présente de façon claire et intelligible les possibilités de créer une entreprise relevant du champ de l’économie sociale et solidaire.

M. Denis Sommer, rapporteur. Comme vous, je suis très attaché à l’économie sociale et solidaire ; ce secteur, particulièrement important et très structurant, représente des dizaines de milliers d’emplois dans nos régions. Toutefois, votre amendement n’a pas sa place à cet endroit du texte. Je vous invite donc à le retirer et à aborder ce sujet lorsque nous examinerons les chapitres consacrés à ces questions.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le texte témoigne de l’importance que nous attachons à l’économie sociale et solidaire, mais le contenu de l’amendement n’est pas de niveau législatif. Je vous propose donc de le retirer.

M. Philippe Bolo. Je retire l’amendement et j’expliquerai à M. Fanget qu’il doit l’améliorer.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1883 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. L’article 1er tend à substituer aux différents réseaux de CFE un guichet unique électronique qui constituera l’interface entre, d’une part, les organismes actuellement destinataires des informations collectées par les CFE et, d’autre part, les entreprises. Par cet amendement, nous proposons que le décret définissant les conditions d’application de cette mesure précise les conditions de transmission aux organismes destinataires des informations collectées par l’organisme unique.

M. Denis Sommer, rapporteur. Favorable. Il s’agit d’une précision intéressante.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CS94 de M. Patrick Hetzel, CS494 de M. Paul Christophe, CS495 de M. Vincent Descoeur, CS498 de Mme Véronique Louwagie, CS536 de M. Jean-François Mbaye, CS555 de M. Ian Boucard, CS970 de M. Daniel Fasquelle et CS2211 de M. Dominique Potier.

M. Arnaud Viala. Par l’amendement CS94, nous proposons que le décret prévu à l’alinéa 11 précise les modalités de validation du dossier, qui doit avoir été visé par les différents organismes destinataires.

M. Vincent Descoeur. Les organismes doivent en effet pouvoir s’assurer de la régularité et de la validité du dossier.

M. Charles de Courson. Il me semble que ces amendements sont de coordination avec l’amendement CS38 que nous avons adopté tout à l’heure.

M. Denis Sommer, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat. Les différents organismes ont des modalités de contrôle qui leur sont propres et il n’est évidemment pas question de les modifier. Le décret ne concernera que la vérification de la complétude du dossier par le guichet unique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur.

M. Arnaud Viala. Monsieur le ministre, puisque vous êtes défavorable à ces amendements, je souhaiterais que vous nous réexpliquiez la façon dont les choses vont se passer une fois que le dossier aura été déposé et que sa complétude aura été déclarée par le guichet unique. Comment le demandeur sera-t-il informé, par un seul acte – puisque c’est ce que vous nous avez dit –, non pas de la complétude de son dossier, mais de sa recevabilité par les différents organismes ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Tout d’abord, vous me permettrez de relever que les amendements ne portent pas sur ce point, mais sur la validation par les organismes. Or, je vous le redis, cela, nous n’y touchons pas : la validation continuera d’être faite, pour les procédures fiscales, par la DGFIP, pour les procédures sociales, par les URSSAF… Lorsque vous vous serez inscrit sur le guichet unique, vous aurez la possibilité de savoir où vous en êtes par rapport à chacune des administrations. Mais cela ne justifie pas que nous prévoyions les modalités de vérification du dossier dans la loi.

M. Arnaud Viala. Pardonnez-moi, mais vous nous avez indiqué que la plus-value du guichet unique résidait dans le fait que le demandeur serait informé d’un seul coup, via une procédure que nous ne connaissons pas, de la recevabilité de sa demande par les différents organismes instructeurs. Pouvez-vous nous préciser la manière dont cela va se passer ?

Mme Véronique Louwagie. Les Français attendent du guichet unique une simplification ; c’est ainsi, du reste, que vous nous présentez le dispositif. Mais force est de constater, après l’adoption du sous-amendement CS2322 du rapporteur tout à l’heure, qu’il n’y aura pas de simplification dès lors que le demandeur recevra, non pas un seul accusé réception du dossier, mais autant de déclarations qu’il y a d’organismes destinataires. Voilà la véritable difficulté !

Par ailleurs, la question des délais n’est pas abordée. Or les Français attendent un raccourcissement des délais de réponse dans le cadre du dépôt de dossiers d’immatriculation. En définitive, nous avons le sentiment que les délais risquent d’être allongés car une strate supplémentaire est créée.

M. Daniel Fasquelle. Je souhaiterais également obtenir des explications. Le guichet unique existe déjà. La complexité, selon le document émanant du ministère, est due à l’existence de plusieurs CFE et de plusieurs portes d’entrée. Sur ce point, je vous rejoins, monsieur le ministre : il y a là une piste d’amélioration – ne caricaturez pas mon propos : je ne dis pas que le système actuel est parfait. Toutefois, il ne faudrait pas remplacer ce système imparfait par un dispositif encore plus complexe. À cet égard, nous nous posons légitimement plusieurs questions. L’accompagnement personnalisé ne sera plus systématique, et c’est dommage. Par ailleurs, la personne qui déposera son dossier sur la plateforme obtiendra-t-elle un accusé réception de ce dépôt ? Enfin, devra-t-elle attendre d’obtenir une réponse de chacun des organismes concernés pour pouvoir poursuivre ses démarches en vue de la création de son entreprise ?

M. Denis Sommer, rapporteur. Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y aura plus de suivi individuel : en fait, il n’y aura plus de dossiers individuels, ce n’est pas la même chose. L’accompagnement des créateurs d’entreprise n’est pas remis en cause : c’est la principale mission des organismes consulaires, et nous avons même voté un amendement qui confirme cette mission. Au reste, si cet accompagnement avait été effectué de manière beaucoup plus suivie au cours des dernières années, sans doute le taux de participation aux élections consulaires, qui est particulièrement faible, serait-il beaucoup plus important.

On pourra avoir accès au portail unique depuis son domicile, depuis la CCI ou la chambre de métiers. Par conséquent, le créateur d’entreprise qui le souhaite pourra se faire accompagner dans ses démarches par la chambre de métiers, par exemple, d’où il est parfaitement possible d’accéder au portail. La nouveauté réside dans le fait que chaque créateur pourra suivre l’évolution de l’instruction de son dossier sur le portail, grâce à son numéro d’identification.

Le guichet unique organise-t-il la fusion de tous les partenaires de l’entreprise : URSSAF, services fiscaux et autres ? Évidemment non : chaque organisme continuera d’instruire le dossier selon ses propres règles. Mais les informations qu’ils doivent communiquer convergeront vers le portail unique, lequel est accessible aux créateurs.

Il s’agit bien d’une démarche nouvelle. Vous avez décidé qu’elle ne l’était pas et vous construirez un discours pour tenter de le démontrer, mais vous ne nous empêcherez pas de penser qu’elle permettra d’améliorer l’accompagnement des porteurs de projet.

M. Daniel Fasquelle. Vous nous présentez votre dispositif comme une révolution extraordinaire mais, dans le document du ministère, il est indiqué que 39 % des entreprises ont été créées en ligne en 2016. C’est donc que la chose est déjà possible…

M. Denis Sommer, rapporteur. L’objectif est d’atteindre 100 %. Ne serait-ce pas un progrès ?

M. Daniel Fasquelle. Non. Il me paraît important de laisser aux créateurs d’entreprise la liberté de choisir de s’adresser à un CFE physique ou de réaliser les démarches en ligne.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je souhaiterais que l’on évite les confusions. D’aucuns s’ingénient à prouver que le système actuel est parfait et n’a pas besoin d’être amélioré.

M. Daniel Fasquelle. Arrêtez avec cela !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur Fasquelle, je vous écoute attentivement et c’est la conclusion que je tire de vos propos. Décrivons la situation actuelle avec honnêteté.

M. Daniel Fasquelle. Est-ce à dire que je suis malhonnête ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Actuellement, la personne qui veut créer son entreprise doit réaliser plusieurs démarches, y compris en se rendant physiquement dans divers lieux éloignés les uns des autres. Il peut – et c’est là que vous introduisez de la confusion – réaliser ces démarches en ligne mais, dans ce cas, il doit s’adresser aux systèmes d’information des différents organismes, car il n’existe pas de guichet unique. Nous, nous simplifions sa démarche, en créant un guichet unique qui lui évitera de devoir se rendre sur différents sites internet et de suivre différentes procédures. Il s’agit donc bien d’une simplification, et nous passerons tout le temps qu’il faudra pour l’expliquer. En tout cas, je crois à cette mesure, qui est une véritable simplification, et je ne laisserai planer aucune ambiguïté à ce sujet.

Chacun est libre de choisir : nous sommes ici pour avoir un débat démocratique. Mais soyons transparents. Ne laissons pas croire aux Français qu’il serait, aujourd’hui, possible d’accomplir une démarche sur un site internet unique ; ce n’est pas le cas. Si on le souhaite, on peut actuellement créer son entreprise en ligne, mais il faut se rendre sur différents sites. Demain, on pourra le faire sur un seul site, sans avoir à accomplir les démarches physiques qui sont encore nécessaires aujourd’hui.

Ensuite, les informations seront transmises aux différents organismes – URSSAF, DGFIP… – et le guichet unique centralisera les remontées d’informations et la validation par ces organismes. Vous n’aurez donc plus à les consulter les uns après les autres. Dans les mêmes délais, il vous informera de la validation de la création de votre entreprise. J’estime donc qu’il s’agit d’une double simplification : d’abord parce que le guichet unique évite la multiplicité des démarches, ensuite parce que vous n’avez pas à vous adresser à chaque organisme pour obtenir leurs validations respectives.

Voilà la description la plus simple possible du dispositif que nous créons. À chacun de se prononcer pour ou contre.

La commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1420 de M. Adrien Taquet.

Mme Valérie Oppelt. Cet amendement du groupe LaREM, déposé à l’initiative notamment d’Olivia Grégoire et de Céline Calvez, vise à renforcer la solidité des sociétés et à diffuser une meilleure culture économique auprès des futurs chefs d’entreprise, grâce à un module interactif – qui ne serait pas obligatoire, j’y insiste – qui permettrait aux créateurs d’entreprise d’éprouver leurs connaissances en matière économique. On pourrait, par exemple, expliquer la différence entre le chiffre d’affaires et le résultat net.

M. Denis Sommer, rapporteur. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Favorable.

M. Charles de Courson. Le texte de l’amendement CS1420 dont nous disposons n’est pas le même que celui que vient de défendre notre collègue.

Mme la présidente Olivia Grégoire. C’est bien le même, monsieur de Courson. Il y a simplement une différence de mise en forme.

M. Charles de Courson. Quoi qu’il en soit, l’amendement est rédigé dans un français approximatif : l’expression « le suivi de démarches devant le renseigner » ne me paraît pas très heureuse…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous ferons des efforts d’ici à la séance…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Certes, le dispositif sera facultatif, mais ne craignez-vous pas qu’un tel questionnaire ne démotive le créateur d’entreprise qui se découvrirait des lacunes dans certains domaines ?

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS194 de Mme Véronique Louwagie et CS504 de M. Martial Saddier.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement CS194 tend à apporter une clarification ou, à tout le moins, une amélioration sémantique en substituant aux mots : « papiers d’affaires » le mot : « documents ». Outre que l’expression n’est pas très jolie, le mot « affaires » n’a pas toujours une connotation vertueuse. Qui plus est, ce terme n’a pas de définition juridique.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS504 est défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur. Dans le milieu de l’entreprise, la notion de papiers d’affaires est reconnue et parfaitement identifiée. Cette modification ne me paraît donc pas utile. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. La sémantique est très importante, madame Louwagie, et je reconnais que « documents » sonne mieux que « papiers d’affaires ». Mais il se trouve que cette notion est issue de la codification des dispositions de la loi du 11 février 1994. Du strict point de vue juridique, il est donc préférable de s’en tenir à cette expression, effectivement assez laide.

La commission rejette ces amendements.

L’amendement CS828 de M. Arnaud Viala est retiré.

La commission examine l’amendement CS1884 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. L’article L. 711-3 du code de commerce interdit aux chambres de commerce et d’industrie territoriales et départementales d’Île-de-France de céder à titre gratuit ou onéreux des relevés individuels d’informations recueillies en leur qualité de centre de formalités des entreprises.

L’alinéa 18 de l’article 1er du présent projet de loi, modifie l’article L. 711-3 afin de le rendre conforme aux dispositions relatives au guichet unique électronique et, à cette fin, supprime les dispositions relatives à la qualité de centre de formalité des entreprises des chambres de commerce et d’industrie territoriales et départementales d’Île-de-France. Toutefois, la nouvelle formulation proposée à l’alinéa 18, qui tend à interdire à ces organismes de « communiquer à titre gratuit ou onéreux des informations individuelles portant sur ces entreprises », pourrait être de nature à empêcher les chambres d’exercer pleinement leur mission de soutien et de promotion des entreprises. Cet amendement vise donc à préciser la source des informations.

M. Denis Sommer, rapporteur. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je rappelle que les amendements CS822, CS823, CS824, CS825, CS355, CS826 et CS827 de M. Arnaud Viala sont devenus sans objet suite au rejet de ses amendements CS819 et CS820.

La commission en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements CS66 de M. Sébastien Leclerc et CS548 de M. Éric Pauget.

M. Vincent Rolland. L’amendement CS66 est défendu.

M. Éric Pauget. L’amendement CS548 vise à avancer d’un an la mise en œuvre du guichet unique. Certes, les modalités techniques sont complexes mais, en faisant preuve d’un peu de détermination auprès des administrations centrales, on devrait pouvoir y parvenir.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous avons besoin du temps nécessaire pour faire les choses correctement. La date retenue du 1er janvier 2021 nous paraît raisonnable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’intention est louable ; j’ai moi-même posé la question. Mais deux missions d’inspection ont été consacrées à ce sujet et les services techniques nous assurent que nous prendrions des risques si nous avancions d’un an la mise en œuvre du guichet unique. Je reconnais que ce serait préférable mais, techniquement, cela nous ferait courir un risque trop important. Je demande le retrait de cet amendement ; sinon, avis défavorable.

M. Charles de Courson. Raccourcir le délai serait intenable. On peut même se demander s’il faut en prévoir un. En effet, monsieur le ministre, que se passerait-il si, au 1er janvier 2021, vous n’étiez pas prêts ? Rien. Aucune sanction n’est prévue. On peut faire de l’affichage, mais il serait préférable que vous supprimiez cette disposition et que vous nous assuriez que vous ferez votre possible pour que le dispositif soit opérationnel à cette date. Car, entre nous, l’administration est spécialiste des bugs informatiques – et ce n’est pas nouveau. Un peu de prudence, donc !

La commission rejette successivement ces deux amendements.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La commission examine l’amendement CS309 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Philippe Bolo. Cet amendement vise à raccourcir les délais de la création d’entreprise en permettant que le dépôt des statuts confère à l’entreprise capacité à agir au même titre que l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, afin que le chef d’entreprise puisse engager des démarches auprès des banques, des assurances ou d’un bailleur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le délai actuel est bref : un jour une fois le dossier complet. En outre, votre amendement priverait les tiers, sans les avoir informés au préalable, de certains droits et garanties, notamment en permettant de limiter la responsabilité des associés. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur.

M. Mohamed Laqhila. Je soutiens cet excellent amendement de M. Mattei. Il convient de préciser que les statuts de l’entreprise seraient déposés par un acte authentique sous le contrôle d’une profession réglementée. Cette mesure permettrait d’accélérer le démarrage d’une activité, conformément à l’objectif du projet de loi. Prenons le cas d’un restaurateur : il pourra, sans devoir attendre d’obtenir son extrait Kbis – qui ne s’obtient pas dans la journée, monsieur le rapporteur –, demander à sa banque un terminal de carte bleue, par exemple.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je comprends parfaitement votre préoccupation, mais attention : actuellement, c’est l’immatriculation au registre qui donne le blanc-seing permettant à un commerçant d’avoir accès à un terminal de carte bleue, pour reprendre votre exemple. Je ne veux pas dévaloriser le rôle des professions réglementées, mais je crois très important de maintenir que la validation définitive se fait par cette immatriculation. On ferait courir un risque excessif en se contentant d’une validation par une profession réglementée. C’est pourquoi nous sommes défavorables à l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1827 de M. Benoît Potterie.

M. Benoit Potterie. Cet amendement vise à simplifier la déclaration imposée aux entreprises au titre de la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE). À l’heure actuelle, en effet, les entreprises sont tenues, chaque année, de faire une déclaration précisant notamment la surface de leurs enseignes et panneaux publicitaires. Ce formalisme est excessif : les entreprises ne changent, en moyenne, leur dispositif de publicité extérieure que tous les sept ans. Je propose donc que cette déclaration ne soit effectuée qu’en cas de modification. Il s’agirait d’une mesure de simplification à la fois pour les entreprises concernées et pour les services administratifs chargés de traiter les dossiers. Cet amendement me paraît cohérent avec notre volonté de réduire les dépenses de l’État tout en simplifiant la vie des entreprises.

M. Denis Sommer, rapporteur. Il s’agit certainement d’une question importante, mais l’amendement n’a aucun lien avec le texte. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un mauvais amendement, mais nous sommes incapables, en l’état actuel des choses, d’évaluer ses conséquences. Il simplifierait, de fait, la vie des entreprises ; en cela, il est bien conforme à la philosophie du texte, mais supposer qu’il n’y aura pas de modification des panneaux publicitaires d’une année sur l’autre est un pari risqué. J’y suis donc défavorable dans la mesure où je ne dispose pas des évaluations techniques qui me permettraient de savoir l’impact qu’une telle mesure aurait aussi bien sur l’État que sur les collectivités locales. Nous sommes « dans le bleu », et je n’aime pas adopter des dispositions sans en connaître les conséquences. Néanmoins, l’intention est bonne ; peut-être peut-on étudier davantage cette disposition au plan technique et y revenir éventuellement lors de la discussion en séance publique.

M. Benoit Potterie. Cet amendement n’aurait aucune incidence financière : il s’agit simplement de faire confiance aux chefs d’entreprise, qui ne déclareraient que les modifications de la surface de leurs panneaux publicitaires. Cela étant, j’accepte de le retirer et d’y retravailler d’ici à la séance publique.

L’amendement est retiré.

*

*     *

Article 2
Habilitation à créer par ordonnance un registre dématérialisé des entreprises

Le présent article a pour objet d’habiliter le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour créer un registre dématérialisé des entreprises.

A.   L’État du droit

Il existe aujourd’hui de nombreux registres et répertoires destinés à recueillir et diffuser des informations relatives aux entreprises.

● Le répertoire SIRENE (système informatique pour le répertoire des entreprises et des établissements) enregistre létat-civil de toutes les entreprises et leurs établissements, quels que soient leur forme juridique et leur secteur d’activité.

Créé en 1973 ([9]), il attribue notamment à chaque entreprise le numéro unique d’identification, le seul à pouvoir être exigé dans les relations de l’entreprise avec l’administration, les organismes de sécurité sociale ou les organismes en charge du registre de la publicité légale. Il s’agit du numéro SIREN (identifiant de neuf chiffres) pour les personnes morales et physiques, et du numéro SIRET (identifiant de quatorze chiffres) pour chacun de leurs établissements.

Au 31 janvier 2018, il répertoriait dix millions dentreprises actives et douze millions d’établissements actifs, ce qui en fait le répertoire au champ le plus important. Il est notamment le seul à répertorier les personnes physiques exerçant une activité libérale non réglementée.

Sa tenue est assurée par l’INSEE et l’inscription y est réalisée gratuitement, et sans formalité complémentaire, par les CFE.

● Les registres du commerce et des sociétés (RCS) regroupent principalement les personnes physiques ayant la qualité de commerçant et les sociétés. Non obligatoire lors de leur création par une loi du 18 mars 1919, l’immatriculation au RCS est désormais la condition de la jouissance, par la société, de la personnalité morale.

Les RCS sont tenus par les services du greffe des juridictions commerciales du premier degré : il existe ainsi 152 registres au total, dont 134 tenus par les tribunaux de commerce, sept par les tribunaux d’instance (en Alsace-Moselle) et onze par des tribunaux mixtes (Outre-mer). Les entreprises doivent être immatriculées au RCS, tenu par le greffe du tribunal, dans le ressort duquel est situé son principal établissement.

L’immatriculation, qui est payante, s’effectue en général dans le cadre du circuit des CFE mais peut aussi s’effectuer directement auprès des greffes des tribunaux compétents. 3,7 millions de personnes, dont 1,6 million de commerçants et 2 millions de sociétés, étaient immatriculées à un RCS au 31 décembre 2015.

● Les répertoires des métiers, dont l’existence remonte à la loi du 27 mars 1934, sont régis par la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat.

Au nombre de 82, ils sont tenus par les chambres de métiers et de lartisanat (CMA) et les entreprises relevant du secteur de l’artisanat, c’est-à-dire les personnes physiques et morales qui n’ont pas plus de dix salariés et qui exercent une activité indépendante à caractère artisanal, doivent obligatoirement y être immatriculées. Au 1er janvier 2015, elles étaient plus de 1,3 million, dont 0,7 million d’entreprises individuelles, et 0,6 million de sociétés.

L’immatriculation, payante, s’effectue dans le cadre du circuit des CFE.

● Les registres agricoles comprennent les registres de l’agriculture et le registre des actifs agricoles. Les premiers, tenus par les chambres d’agriculture, sont au nombre de 89. Ils ont vocation à recenser les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL) agricoles, au nombre de 228. Le second registre, tenu par l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, recense, par ordre alphabétique, tous les chefs d’exploitation agricole.

● D’autres registres, enfin, ont des finalités plus spécifiques, comme le registre de la batellerie artisanale, les registres spéciaux des agents commerciaux ou encore les registres spéciaux des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée.

B.   Le dispositif proposÉ

● Force est de constater que les registres d’entreprise sont trop nombreux et souvent redondants, les informations relatives à une entreprise pouvant figurer, selon son activité et sa forme juridique, dans plusieurs registres.

Cela peut avoir des conséquences négatives :

– imposer des démarches complexes aux entreprises lorsqu’elles doivent être immatriculées dans deux registres ;

– générer des coûts inutiles pour les entreprises lorsqu’elles doivent s’immatriculer à plusieurs registres ;

– rendre difficilement accessible l’information du public, en raison de son éparpillement entre les différents registres.

● Le gouvernement a mandaté une mission interministérielle d’inspection pour établir un état des lieux complet des registres, évaluer la pertinence de l’organisation actuelle et proposer des pistes d’évolution.

Le champ de l’habilitation demandée par le gouvernement, pour une durée de vingt-quatre mois, doit permettre de donner suite aux premières conclusions de cette mission, à savoir :

« créer un registre général dématérialisé » qui se substituera à tout ou partie des répertoires et registres nationaux existants (alinéa 2) ;

« simplifier les obligations déclaratives des personnes immatriculées dans ces registres et les modalités de contrôle des informations déclarées » (alinéa 3) ;

« apporter les modifications, clarifications et mises en cohérence » nécessaires à la mise en œuvre de ces deux mesures (alinéa 4).

Il est par ailleurs précisé dans l’étude d’impact (page 56) que la création de ce registre ne pourra pas avoir pour effet de remettre en cause les attributions des greffiers des tribunaux de commerce, officiers publics et ministériels actuellement chargés de la tenue des RCS.

Les greffiers des tribunaux de commerce

Officiers publics et ministériels dont le statut est défini par l’article L. 741-1 du code de commerce, les greffiers de tribunal de commerce sont nommés par arrêté du Garde des Sceaux et sont chargés de l’exécution de missions de service public.

En qualité d’officiers publics, ils sont délégataires de la puissance publique de l’État et assurent, au nom de ce dernier, l’authenticité des actes ressortant de leur compétence. En qualité d’officiers ministériels, les greffiers prêtent leur ministère aux particuliers pour l’exécution de certains actes ainsi qu’aux juges pour la préparation et l’exécution de leurs décisions.

Les greffiers du tribunal de commerce sont des professionnels libéraux, à l’inverse des greffiers des tribunaux civils et de cours d’appel qui ont le statut de fonctionnaire. Ils exercent leur activité sous le contrôle du ministère public et donc du ministère de la Justice, leur autorité de tutelle.

Véritables « officiers d’état-civil des entreprises », ils contribuent à la sécurité juridique et à la transparence de la vie économique.

L’activité des greffiers des tribunaux de commerce comporte deux volets principaux : un volet judiciaire, exercé au profit du tribunal et des justiciables et un volet de sécurisation juridique dans le cadre de la tenue et de la publicité des registres légaux dont ils ont la charge : registre d’immatriculation des entreprises, registre du commerce et des sociétés (RCS), registre spécial des agents commerciaux (RSAC), etc.

En 2017, les 228 greffiers inscrits, assistés de 2 000 collaborateurs, ont accompli 3 millions de formalités des entreprises au RCS, dont la moitié d’immatriculations, de modifications ou de radiations.

Le II du présent article (alinéa 6) prévoit le dépôt d’un projet de loi de ratification dans les trois mois suivant la publication de l’ordonnance.

C.   LA POSITION DE LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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*     *

La commission examine l’amendement CS1322 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Bolo. Cet amendement, très simple, vise à réduire le coût de la consultation des informations légales.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je partage tout à fait cette volonté, mais elle est déjà présente dans la rédaction actuelle du texte, qui vise à assurer une « réduction des coûts ». Par conséquent, j’émets un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis, pour les mêmes raisons.

L’amendement est retiré.

Puis la commission examine les amendements identiques CS971 de M. Jean-Louis Masson et CS1032 de M. Vincent Rolland.

M. Jean-Louis Masson. Compte tenu des enjeux sensibles que revêt la simplification des procédures en termes de coût, de compétitivité, de rentabilité et d’efficacité, du temps incompressible qui est lié à l’examen du texte par le Parlement et à sa promulgation, de la nécessaire ratification parlementaire des ordonnances à venir, de l’urgence à agir, de l’ensemble des rapports et des études déjà disponibles sur le sujet, mais aussi des délais plus courts que prévoient d’autres articles du projet de loi, notamment l’article 42, il convient de pousser le Gouvernement à faire en sorte que l’administration procède aux réformes nécessaires en moins de vingt-quatre mois. L’amendement CS971 prévoit ainsi un délai réduit à douze mois. Je précise d’ores et déjà que notre amendement de repli CS972 propose une durée de dix-huit mois.

M. Vincent Rolland. Notre collègue Jean-Louis Masson a très bien présenté la situation : j’aurais pu présenter mon amendement CS1032 dans les mêmes termes.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable : nous avons besoin de temps pour construire des solutions dont on mesure bien la complexité – cela a été dit tout à l’heure. Le délai prévu est nécessaire si nous voulons réussir. Le raccourcir conduirait à mettre en difficulté ce projet ; il n’en est pas question.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je voudrais saluer l’intention, car elle est louable. S’il était possible de le faire dans des délais aussi courts, je vous dirais très volontiers oui, mais je pense que ce ne serait pas raisonnable : très honnêtement, la question est trop complexe. Je souhaite que l’on en reste à une durée d’habilitation de vingt-quatre mois, et j’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement CS972 de M. Jean-Louis Masson.

Puis la commission examine les amendements identiques CS39 de M. Paul Christophe, CS47 de Mme Véronique Louwagie, CS63 de M. Vincent Descoeur, CS550 de M. Éric Pauget, CS556 de M. Ian Boucard, CS753 de M. Daniel Fasquelle et CS1204 de M. Jean-Luc Lagleize.

M. Charles de Courson. L’objet de mon amendement CS39 est tout simple : les officiers publics et ministériels ne doivent pas être les seuls à être visés par l’alinéa 2 de l’article 2. Il faudrait que tous les teneurs des registres publics existants soient aussi concernés. C’est pourquoi nous vous proposons d’élargir le champ de la mesure proposée par le Gouvernement.

Mme Véronique Louwagie. Il est important que la conformité d’un certain nombre d’éléments d’information reste vérifiée par les teneurs des registres publics. Ils doivent continuer à exercer ce rôle dans le cadre des activités relevant de leurs compétences. C’est ce que permettra mon amendement CS47.

M. Daniel Fasquelle. J’ai déposé un amendement CS753 identique, mais je voudrais surtout poser une question au ministre. À l’alinéa 2 de l’article 2, il est écrit que le registre général dématérialisé va se substituer à « tout ou partie des répertoires et registres nationaux d’entreprises existants » : qu’est-ce que cela signifie ? Si les registres nationaux disparaissent, les amendements que nous examinons n’ont pas lieu d’être ; s’ils sont maintenus, dans quelle mesure cela sera-t-il le cas ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, en toute bonne foi ?

Mme Laure de La Raudière. Après avoir lu l’exposé des motifs du projet de loi, j’ai une interrogation qui porte non sur le fond, mais sur l’organisation prévue par le Gouvernement. Avec des technologies un peu plus modernes, on pourrait garder les registres existants sous la forme de bases de données, tout en les reliant d’une manière certifiée grâce à la technologie « blockchain ». Je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire, mais l’article 2, tel qu’il est rédigé, va brider l’examen de cette innovation. On pourrait faire la synthèse et l’union des registres existants de façon dématérialisée au moyen d’une technologie unique, ce qui permettrait de répondre aux interrogations de nos collègues. Cela mériterait au moins d’être examiné. Or la rédaction de l’habilitation ne le permettra pas.

M. Denis Sommer, rapporteur. J’émets un avis défavorable à ces amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vais répondre, de bonne foi, comme toujours, aux questions qui viennent de m’être posées et qui sont, en effet, importantes.

Ce registre général a pour cible les deux principaux registres actuels, à savoir le registre national du commerce et des sociétés, et celui des métiers. Des registres moins importants, comme celui des gages et des sûretés, ne figureront pas dans le registre général. L’objectif est de rassembler ce qui constitue l’épine dorsale, toujours dans l’objectif d’une simplification.

Par ailleurs, nous n’entendons absolument pas remettre en cause l’existence des contrôles qui visent à garantir les conditions de sécurité nécessaires à la bonne marche et à la vie des affaires, comme celui qu’exercent les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) sur la réalité des situations. Ce contrôle sera maintenu, à la demande des CMA : nous en avons discuté avec elles.

Pour ces différentes raisons, je suggère que ces amendements soient retirés.

M. Daniel Fasquelle. Je vais reposer ma question : le registre des métiers et celui du commerce et des sociétés vont-ils oui ou non disparaître pour être remplacés par un nouveau registre ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. La réponse est oui.

M. Dominique Potier. Mon groupe voulait déposer un amendement allant plus loin sur le plan de la simplification. Vous allez, en effet, ajouter un registre général à tous les autres registres. Notre proposition était de créer un registre unique, mais notre amendement n’a pas été accepté, pour des raisons techniques – il aurait élargi le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement. J’invite à réfléchir à une certaine radicalité sur cette question, à moins que vous ne pensiez que nous sommes « dans le bleu », comme vous l’avez dit tout à l’heure… C’est une main tendue à l’exécutif en vue de la séance.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je pense avoir répondu précisément à la question, tout aussi précise, que Daniel Fasquelle m’a posée. Le choix fait par le Gouvernement repose aussi sur des contraintes techniques. Le registre général sera commun aux deux registres que j’ai cités, celui du commerce et des sociétés et celui des métiers. Nous pourrons rediscuter de la création d’un registre unique en séance, et nous allons poursuivre les travaux techniques d’ici là, mais cela compliquerait encore les choses. Tout cela a l’air très facile : on dit que l’on va simplifier en créant un registre général, mais cela suppose des millions de données et de situations à traiter. C’est extraordinairement lourd d’un point de vue technique. J’apporterai toutes les précisions nécessaires, notamment sur la différence entre un registre général et un registre unique, et sur ce que le passage de l’un à l’autre représenterait comme défi. Par prudence, je préfère parler de régime général plutôt que de régime unique, en écartant donc les petits régimes. Mais nous aurons l’occasion de prolonger ce débat en séance.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CS543 de M. Jean-François Mbaye.

M. Jean-François Mbaye. Nous proposons de maintenir les attributions des teneurs des registres existants jusqu’à la mise en place complète du registre général dématérialisé des entreprises. Cela permettra de garantir la conformité des informations concernées et la bonne marche de leur transfert.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cet amendement interdirait de remplacer les registres actuels par un registre général, ce qui rendrait sans objet l’habilitation prévue par l’article 2. J’émets donc un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Jean-François Mbaye. L’objectif de l’amendement n’est pas de rendre l’article 2 inapplicable, mais de maintenir une sécurité pendant que le registre général dématérialisé se met en place, en maintenant les attributions des teneurs des registres existants.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 sans modification.

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Article 3
(articles 1er, 2, 3 et 6 de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales, art. 1397 du code civil, articles L. 141-12, L. 143-6, L. 141-18, L. 141-21, L. 144-6 et L. 526-2 du code de commerce, article L. 122-15 du code de laviation civile, articles L. 202-5, L. 212-4 et L. 2125 du code de la construction et de lhabitation, article L. 331-19 du code forestier, article 201 du code général des impôts, articles L. 1425-1 et L. 2411-12-2 du code général des collectivités territoriales, article L. 135-3 du code rural et de la pêche maritime, articles 6 et 7 de la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales, articles 4 et 7 de la loi du 7 mai 1917 ayant pour objet lorganisation du crédit aux sociétés coopératives de consommation, article 10 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du HautRhin et de la Moselle, article 8 de la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, article 3 de la loi du 23 janvier 1929 sur les parts de fondateur émises par les sociétés, article 18 de la loi n° 46942 du 7 mai 1946 instituant lordre des géomètres experts, article 6 de la loi n° 48-975 du 16  juin 1948 relative aux sociétés coopératives de reconstruction et aux associations syndicales de reconstruction, article 2 de la loi n° 57-18 du 9 janvier 1957 tendant à protéger les intérêts des médecins et chirurgiens-dentistes rappelés sous les drapeaux, article 2 de la loi n° 57-1422 du 31 décembre 1957 tendant à protéger les intérêts des docteurs vétérinaires et vétérinaires rappelés ou maintenus provisoirement sous les drapeaux, article 20 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse)
Modification du régime dencadrement des journaux dannonces légales

Cet article modifie le dispositif d’inscription des journaux habilités à publier des annonces judiciaires et légales.

A.   L’État du droit

Les annonces judiciaires et légales poursuivent un objectif d’information et de transparence pour les citoyens sur la vie des entreprises ainsi que, d’une manière plus générale, sur l’activité économique des acteurs territoriaux.

Près de 1,3 million dannonces relatives à la vie des entreprises, aux enquêtes publiques et aux avis administratifs divers sont ainsi publiés chaque année par 580 publications habilitées. Selon les données de l’Association de la presse pour la transparence économique (APTE), le marché des annonces judiciaires et légales est évalué à 240 millions deuros par an et représente 5 730 emplois, dont 2 490 directs et 3 240 indirects.

Pour être habilité à publier des annonces judiciaires et légales, le journal doit remplir un certain nombre de conditions, fixées par la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 modifiée, et ses textes d’application :

– disposer d’un numéro d’inscription délivré par la commission paritaire des publications et agences de presse et paraître depuis au moins six mois ;

– assurer une publication au moins hebdomadaire ;

– assurer une édition locale, c’est-à-dire diffuser un volume suffisant d’informations dédiées au département ;

– justifier d’une diffusion atteignant un seuil minimum, afin de garantir une publicité suffisante aux annonces.

La liste des publications habilitées à publier des annonces judiciaires et légales est dressée chaque année par chaque préfet de département.

Les tarifs des annonces sont des tarifs « à la ligne » fixés chaque année par les ministres chargés de la communication et de léconomie. Héritage du temps où ces tarifs étaient fixés par les préfets de département, les zones tarifaires ne sont pas encore totalement harmonisées au niveau national. Il subsiste ainsi cinq zones, les tarifs par ligne allant de 4,16 à 5,50 euros.

Par ailleurs, en 2016, a été mis en place un portail de la publicité légale des entreprises ([10]) par le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le registre des greffes des tribunaux de commerce et les journaux d’annonces légales. Il permet d’accéder aux fiches de 6,5 millions d’établissements français.

B.   Le dispositif proposÉ

● Le premier objectif poursuivi par cet article est d’ouvrir le processus dhabilitation à publier des annonces judiciaires et légales aux services de presse en ligne afin de prendre en compte l’évolution des usages en matière d’information.

Le paragraphe II du présent article modifie par conséquent l’article 1er de la loi du 4 janvier 1955 précitée pour substituer aux mots « journaux » ou « publications » ceux de « publications de presse ou un service de presse en ligne ».

Les services de presse en ligne

Un service de presse en ligne (SPEL) est défini par l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme juridique de la presse.

Il s’agit d’un « service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public dun contenu original, dintérêt général, renouvelé régulièrement, composé dinformations présentant un lien avec lactualité et ayant fait lobjet dun traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire dune activité industrielle ou commerciale. »

Les conditions à remplir pour être reconnu en tant que SPEL sont fixées par décret et sont vérifiées par la commission paritaire des publications et agences de presse.

Selon l’étude d’impact (page 60), on comptait, en 2017, 1 003 SPEL, dont 256 d’information politique et générale. Par ailleurs, un tiers des 148 éditeurs membres du syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) éditent des SPL d’information locale.

Le III de cet article tire les conséquences du II et précise les conditions que devront remplir les publications pour être autorisées à publier des annonces judiciaires et légales :

– être inscrits à la commission paritaire des publications et agences de presse (alinéa 8) ;

– ne pas avoir pour objet principal la diffusion de messages publicitaires ou d’annonces (alinéa 9) ;

– comporter un volume substantiel d’informations originales dédiées au département et renouvelés sur une base hebdomadaire (alinéa 11) ;

– justifier d’une audience minimum (alinéa 14).

● Le deuxième objectif du présent article est de généraliser la tarification au forfait pour les annonces relatives à la vie des entreprises, afin de réduire les coûts pour ces dernières.

Son paragraphe IV procède pour cela aux modifications nécessaires dans la loi du 4 janvier 1955 précitée pour substituer au « prix de la ligne dannonces » le « tarif des annonces, forfaitaire ou calculé en fonction du nombre de caractères ou de lignes ».

Il ne s’agit donc pas de supprimer purement et simplement la tarification à la ligne mais de mettre en place une tarification au forfait pour les annonces les plus courantes. Cette liste sera fixée par décret mais l’étude d’impact évoque (page 62) les annonces relatives à la création d’entreprises, aux modifications diverses, aux ventes ou cessions ainsi qu’aux cessations d’activité.

Si cette baisse des coûts des annonces bénéficie aux entreprises – l’étude d’impact envisage une baisse de 10 %, soit une réduction de 18,5 millions d’euros sur cinq ans – elle aura des conséquences lourdes pour la presse judiciaire, à qui il est demandé un effort important. C’est pourquoi le gouvernement a fait le choix de lisser lentrée en vigueur de cette mesure sur cinq ans, afin de ne pas bouleverser ce secteur d’activité et lui laisser le temps de s’adapter.

● Le V du présent article (alinéas 24 à 105) procède aux nombreuses coordinations rédactionnelles nécessaires dans les différents codes et lois faisant référence à la loi du 4 janvier 1955.

C.   LA POSITION DE LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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La commission examine l’amendement CS67 de M. Sébastien Leclerc.

M. Vincent Rolland. L’article 3 tend à remettre en cause les dispositions actuellement en vigueur pour la publication des annonces légales, notamment afin d’ouvrir le champ aux sites en ligne. Considérant que la presse régionale repose sur un modèle économique précaire, qui dépend en particulier des recettes tirées des annonces légales ; par souci de garantir la pérennité de cette presse, nous vous proposons de supprimer l’article 3.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le premier objectif de cette disposition est d’ouvrir la publication des annonces judiciaires et légales aux services de presse en ligne. Notre société fonctionne ainsi : je suis sûr que chacun d’entre nous consulte la presse en ligne tous les matins en buvant son café, et même plus tard dans la journée. Pour beaucoup de nos concitoyens, la presse en ligne est devenue un outil de connaissance et de travail. L’autre objectif de l’article 3 est de généraliser la tarification au forfait et de réduire les coûts pour les entreprises. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1379 de M. Emmanuel Maquet.

M. Emmanuel Maquet. Nous vous proposons de supprimer purement et simplement les annonces judiciaires et légales (AJL), qui sont une épine dans le pied des entreprises. Comme l’explique l’exposé sommaire, il s’agit d’une subvention cachée à la presse, bien souvent aux dépens des entreprises. Vous avez dit hier, monsieur le ministre, que la suppression des AJL serait trop dangereuse pour les petits titres de presse. Pourquoi ne pas considérer que leur maintien est trop dangereux pour les petites entreprises ? Les AJL participent, à leur échelle, à l’écrasement de notre tissu productif : ce que vous donnez à la presse, vous le prenez aux entreprises, en particulier les plus fragiles, celles qui démarrent. Or j’attire l’attention sur le fait que ce texte ne comporte aucune baisse de charges. Vouloir remettre notre tissu productif sur les rails de la croissance sans s’intéresser au problème des prélèvements obligatoires, dont les AJL font partie, c’est passer, en partie, à côté du problème. Personne ici ne souhaite la mort de la presse, notamment locale, mais si on veut la subventionner, qu’on le fasse à visage découvert ! Les aides à la presse existent et nous planchons d’ailleurs sur ce sujet dans le cadre du projet de la loi de finances. Je vous propose d’emprunter ce véhicule législatif de manière plus directe et plus transparente.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Tout n’est pas absurde dans l’argumentaire de M. Maquet… Il est vrai que les annonces judiciaires et légales pèsent sur la vie des entreprises. Dans un monde idéal, on pourrait supprimer beaucoup de charges qui pèsent sur elles. Mais nous avons consulté tous les titres de la presse quotidienne régionale (PQR), sans exception, et la conclusion à laquelle nous sommes parvenus est que la suppression totale de ce système, même si, je le répète, votre raisonnement se tient, signifierait la mort de beaucoup de titres – pas forcément les grands titres de la PQR, qui vivent bien, mais plutôt des titres hebdomadaires, comme ceux que l’on peut trouver dans votre département, monsieur Maquet, ou dans le mien, et surtout de nombreux titres de la presse spécialisée agricole. D’ailleurs, je ne vous cacherai pas que c’est un des arguments qui m’ont touché, en tant qu’ancien ministre de l’agriculture. Je ne prétends pas que la solution que nous avons trouvée est parfaite, mais elle constitue un équilibre entre l’allégement des charges sur les entreprises et la menace qui pourrait planer, notamment, sur des titres de la presse rurale. Je donne donc un avis défavorable à l’amendement, même si je comprends le raisonnement qui le sous-tend.

M. Nicolas Forissier. Je ne suis pas d’accord avec mon collègue et ami Emmanuel Maquet : je vais plutôt rejoindre ce qu’a dit le ministre, voire aller plus loin que lui. Je pense que les annonces judiciaires et légales, qui sont installées dans le paysage économique depuis extrêmement longtemps, sont absolument nécessaires, comme vous l’avez dit, pour le modèle économique de la presse, notamment locale, agricole et hebdomadaire. Par ailleurs, ces annonces ne représentent pas un coût exorbitant : je peux en témoigner et d’autres ici le savent également. Il faut arrêter de dire que c’est ce qui va permettre de réduire les charges des entreprises. Enfin, un travail considérable a été réalisé par les professionnels : les six syndicats de la presse habilitée se sont réunis et ont mis en place une plateforme unique, Actulegales.fr, qui permet désormais de centraliser les publications concernées.

Le texte du Gouvernement a fait l’objet d’un travail de concertation avec les professionnels. La question est de savoir si l’on en reste à l’équilibre ainsi trouvé. Sans oublier ce qui se passe du côté de l’Europe : un projet de directive est en préparation, qui peut tout remettre en cause.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je confirme qu’un projet de directive européenne est sur la table, et que je ne suis pas favorable à ce que l’on supprime totalement les annonces légales, pour les raisons que j’ai indiquées. Je peux vous garantir que l’équilibre trouvé dans ce texte a le soutien des titres de presse concernés. Ils ont conscience qu’ils doivent réaliser un effort, car le système pèse, malgré tout, sur les entreprises. Le dispositif que nous avons retenu est parfaitement supportable par les titres concernés.

M. Daniel Fasquelle. Je crois que nous serons tous d’accord pour dire qu’il faut soutenir ces titres, car ils contribuent à la pluralité d’expression qui est indispensable dans notre pays. La question est de savoir comment on fait. Ce qui me surprend dans ce débat, c’est que l’on ne se demande à aucun moment si les annonces judiciaires et légales sont vraiment nécessaires à la bonne information des citoyens et des acteurs économiques. C’est pourtant le vrai sujet. Se pose ensuite une deuxième question, celle de savoir comment on soutient la presse locale : doit-on le faire par ce moyen ou par un autre ? À ce titre, le débat ouvert par M. Maquet est intéressant.

M. Éric Woerth. Il y a un peu un paradoxe : d’un côté, on veut soutenir les titres de presse, ce qui ne me pose aucun problème – nous en connaissons tous –, en les subventionnant d’une certaine façon par le biais d’un coût imposé aux entreprises, et d’un autre côté on veut tuer les commissaires aux comptes. J’y vois une certaine incongruité : d’une part, on tue une profession et, de l’autre, on laisse perdurer quelque chose d’assez superficiel. Il faudrait mettre un peu de cohérence dans le texte.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je ne suis pas certaine que ce soit directement lié à l’amendement, mais je suis sûre que le ministre va vous répondre…

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je peux tout de suite vous assurer que je n’ai aucune intention meurtrière à l’égard des commissaires aux comptes (Sourires). Je rappelle aussi que nous parlons de quelques dizaines ou centaines d’euros d’un côté et, de l’autre, d’un coût moyen pour les PME de plus de 5 000 euros. Ce n’est donc pas exactement la même situation dans les deux cas. Daniel Fasquelle a très bien posé la question, mais je ne suis pas certain que ce soit dans le cadre de ce projet de loi que nous y répondrons. Nous avons trouvé un bon équilibre qui permet de réduire des charges pour les entreprises, et je pense qu’il faut nous y tenir.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement CS1043 de M. Vincent Rolland.

M. Vincent Rolland. C’est un amendement de précision. Puisqu’il est question de sites internet et de médias dématérialisés, il convient de permettre la prise en compte de tout ce qui peut constituer une annonce numérique, au-delà du nombre de caractères ou de lignes, qui est le critère traditionnel de la presse écrite. La présence d’images, de logos et, pourquoi pas, de vidéos pourra ainsi être intégrée dans le calcul du coût de l’annonce.

M. Denis Sommer, rapporteur. À mon sens, les annonces légales sont du texte, et la référence au nombre de caractères me paraît donc suffisante. Je ne sais pas dans quels cas des visuels pourraient être utilisés. Je donne donc, pour le moment, un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Les annonces légales, pour être très précis, sont uniquement constituées d’un texte. Pour cette simple raison, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1936 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Mohamed Laqhila. Sans entrer dans le débat sur l’utilité des journaux d’annonces légales, je crois qu’il est important de ne pas porter atteinte au pluralisme de la presse locale. Par l’amendement CS1936, nous vous proposons d’instaurer une libre tarification, en fonction du support de presse utilisé.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cet amendement pose d’abord un problème de rédaction. Le prix, qui pourrait varier selon les départements, tiendrait notamment compte des « coûts pertinents » : je ne comprends pas bien ce que cela veut dire. Par ailleurs, il me semble que l’existence d’un tarif administré est la nécessaire contrepartie de l’avantage conféré à un titre habilité. J’émets donc un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. En laissant une libre tarification s’appliquer, on risquerait de créer des effets de rente dans certains cas, ce qui poserait un problème économique majeur. Si certains titres bénéficient d’un avantage, il faut que ce soit dans le cadre d’un tarif administré.

L’amendement est retiré.

La commission en vient ensuite à l’amendement CS381 de M. Paul Christophe.

M. Charles de Courson. Nous avons déposé un amendement qui simplifiera vraiment la vie des entreprises. Un grand nombre d’annonces légales doit être publié non seulement dans la presse locale, mais aussi dans le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), que chacun lit, bien sûr, tous les matins (Sourires). À quoi cela sert-il ?

Mme Laure de La Raudière. À rien !

M. Charles de Courson. En effet, et tout le monde partage ce diagnostic. Cela ne sert à rien du côté des entreprises, si ce n’est de leur faire payer une soixantaine de millions d’euros par an. À qui est-ce donc utile ? Aux services financés par cette taxe. On comprend pourquoi le secrétariat général du Gouvernement y est attaché comme ce que vous savez au bas clergé breton (Sourires) : cela finance la direction dite de l’information.

Mme Laure de La Raudière. Et à quoi sert-elle ?

M. Charles de Courson. Je vous propose une vraie simplification au sujet d’une mesure qui ne sert à rien. Je compte sur chacun pour se libérer de la gangue intellectuelle qui existe trop souvent. Trop c’est trop, il faut supprimer tout cela !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Merci, cher collègue. Il est dommage que les notes d’humour ne puissent pas être décomptées du temps de parole, car vous pourriez ainsi vous exprimer plus longtemps.

M. Denis Sommer, rapporteur. On me dit que le BODACC est très largement consulté par les professionnels et les entreprises. Il contribue à garantir la transparence de la vie économique.

Mme Laure de La Raudière. Mais qui vous a dit ça ?

M. Denis Sommer, rapporteur. C’est ce qui est ressorti des auditions préparatoires. L’avis des acteurs concernés n’est pas aussi tranché que le vôtre… Par ailleurs, le BODACC a pour avantage de rassembler de multiples informations en un même endroit. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement.

M. Nicolas Forissier. C’est une question importante au regard de ce qui est en train de se passer sur le plan européen : comme je l’ai indiqué tout à l’heure, un projet de directive envisage qu’il n’y ait plus qu’un seul registre, national, pour les annonces judiciaires et légales – j’espère que la France émettra une réserve sur ce point. Cela pourrait être le BODACC si l’on suit la logique administrative ou, en tout cas, un peu technocratique qui est celle de l’Europe, mais il pourrait également s’agir de la plateforme commune à l’ensemble des professionnels de la presse qui sont habilités à recevoir des annonces légales, et il serait alors intéressant de supprimer leur publication dans le cadre du BODACC. Le Gouvernement a-t-il d’ores et déjà engagé une réflexion sur ce sujet ? Comme il pourrait y avoir un lien avec la proposition qui vient d’être présentée par Charles de Courson, pouvez-vous nous en dire plus sur la position que vous allez adopter à propos du projet de directive ? Nous sommes en train de parler du dispositif existant, mais il est susceptible d’évoluer dans un sens qui poserait de sérieux problèmes, notamment pour la presse locale, si l’on ne trouve pas de solution.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne suis pas un grand lecteur du BODACC, je le confesse bien volontiers (Sourires), mais je confirme ce que le rapporteur vient de dire : c’est un outil très consulté. Il s’agit du registre de référence pour les entrepreneurs et pour ceux qui envisagent de créer leur entreprise. Le BODACC garantit une homogénéité complète dans la diffusion des annonces civiles et commerciales.

En ce qui concerne la directive européenne que M. Forissier a évoquée, nous sommes au début de la négociation et nous avons toute latitude pour prendre position sur ce sujet. Je pense que le BODACC reste la base pour ces annonces.

Je tiens aussi à souligner que le coût est extrêmement réduit : le Premier ministre a annoncé la gratuité des publications au BODACC pour la création d’une entreprise ou la reprise d’un fonds de commerce. Il est bon de garder un tel registre de référence, presque entièrement gratuit.

M. Charles de Courson. Pour une fois qu’un Gouvernement essaie un peu d’avancer, il est dommage de rester figé dans le conservatisme. Il y a un moment où il faut avoir le courage d’agir : ce registre ne sert à rien. Demandez plutôt à notre collègue Mohamed Laqhila, qui est expert-comptable.

Mme Laure de La Raudière. Ou à Véronique Louwagie, car il n’y a pas que des hommes.

M. Charles de Courson. Tous les deux pourront vous le dire. Ce que nous proposons constituerait une véritable simplification. Car à quoi sert le BODACC pour les entreprises ? À rien. C’est un dispositif très ancien, qui date d’une centaine d’années, et on continue à l’utiliser !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Ce bulletin officiel a été créé en 1907, pour être précis.

Mme Véronique Louwagie. La vraie question est de savoir quel est l’intérêt du BODACC. J’entends qu’il est largement consulté : pourrait-on connaître le nombre de personnes qui le consultent ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Ce débat n’est pas anodin. Je vous surprendrai peut-être en vous disant que je suis très favorable au maintien de ce bulletin officiel. Ce qui peut être critiquable, c’est qu’on maintienne les annonces légales dans les journaux car cela peut être considéré comme une subvention à la presse. Cependant, une annonce légale publiée dans un périmètre restreint, au niveau de la commune ou du département, est extrêmement compliquée à consulter. Sans le BODACC, un créateur de menuiserie artistique à Angoulême qui décide de s’installer à Sélestat en Alsace devrait aller consulter les annonces publiées dans le journal du coin. Le BODACC a l’énorme intérêt de présenter au niveau national toutes les créations d’entreprises et reprises d’activité. Si vous voulez créer une entreprise de vêtements pour femmes enceintes, il ne vous sera pas inutile de savoir combien de personnes ont créé ce type d’entreprise, où elles l’ont fait, dans quelles conditions, où en est l’état de la concurrence. Le BODACC est à égard un instrument utile de transparence de la vie économique nationale : si vous le supprimez, vous ne serez plus en mesure de savoir quelles entreprises ont été créées en France, et à quel moment. Enfin, si nous faisons le choix de maintenir les annonces légales à un tarif réduit, ce n’est pas tant à des fins d’information du citoyen que pour maintenir un soutien à des titres de presse qui, sans cela, disparaîtraient.

Pour toutes ces raisons, je souhaite le maintien du BODACC.

M. Nicolas Forissier. Monsieur le ministre, on pourrait aller dans le sens de la responsabilisation qui sous-tend ce texte et considérer que les professionnels se sont déjà responsabilisés en créant Actulegales.fr, site internet regroupant l’ensemble des annonces judiciaires et légales, et qu’au fond, ce site pourrait constituer le registre national. On trouverait ainsi une solution franco-française qui coûterait beaucoup moins cher et qui répondrait à la préoccupation de notre collègue de Courson. D’autre part, les annonces judiciaires et légales sont indirectement des aides à la presse, mais elles répondent aussi à une nécessité de transparence sur la vie des affaires et des entreprises.

M. Charles de Courson. Il n’y a pas que les créations et transformations de sociétés qui soient publiées dans le BODACC. L’article 3 de la loi de 1929 prévoit que pour les sociétés commerciales par actions, l’assemblée générale est convoquée par deux insertions, l’une dans le bulletin des annonces légales et l’autre, dans un journal d’annonces légales. Ce sont des formalités inutiles qui coûtent aux entreprises. Vous pourriez donc, monsieur le ministre, approuver à tout le moins la suppression de certaines obligations de publication si vous ne voulez pas de ma solution radicale.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, à l’article 2 du projet de loi, vous créez un registre général dématérialisé qui aura pour but de centraliser et de diffuser les informations qui concernent les entreprises. Or vous nous expliquez que le BODACC est un outil nécessaire pour diffuser ces mêmes informations. Ce bulletin officiel ne fera-t-il pas double emploi avec ce registre dématérialisé ? Vous dites que le BODACC était nécessaire tant que l’information était éparpillée mais dès lors qu’elle sera regroupée sur un registre national unique, je doute encore plus qu’auparavant de l’utilité de ce bulletin. Ou alors, faites évoluer le registre que vous proposez à l’article 2 pour y intégrer le BODACC, afin de n’avoir demain qu’un seul outil.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il n’y aura pas exactement les mêmes informations dans le registre général et dans le BODACC. Charles de Courson l’a souligné : les convocations aux assemblées générales des conseils d’administration ne figureront pas dans le registre général.

Cependant, les remarques qui sont faites par les uns et les autres sont pertinentes. S’il me paraît indispensable de garder un bulletin d’information national qui finira, je l’espère, par être totalement gratuit et qui garantit une transparence totale sur la vie économique de notre pays, il y a quand même, entre le BODACC et les annonces légales, un recoupement qui peut poser problème. Enfin, si certaines des publications obligatoires au BODACC me paraissent indispensables, s’agissant de la création et de la reprise, d’autres comme la convocation à une assemblée générale de conseil d’administration me paraissent très superfétatoires.

Je propose donc que nous profitions de la négociation de la directive européenne pour faire un travail de tri parmi les obligations légales en vigueur dans le BODACC, mais également pour réfléchir à l’articulation entre BODACC et annonces légales et faire en sorte de n’avoir plus qu’une seule comptabilité des opérations économiques dans le pays au lieu de deux.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Maintenez-vous cet amendement, monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. Oui.

La commission rejette l’amendement CS381.

La commission examine en discussion commune les amendements CS216 de M. Paul Christophe et CS1583 de Mme Frédérique Lardet.

M. Charles de Courson. Il me semble que l’amendement CS216 n’a plus d’objet, dans la mesure où il était lié au précédent. Si ce n’est le cas, je le retire car il n’a plus de sens.

L’amendement CS216 est retiré.

Mme Olga Givernet. L’amendement CS1583 vise à accorder un délai d’un an aux professionnels des annonces judiciaires et légales pour leur permettre de se préparer à la transformation prévue à cet article 3. Il s’agit d’un changement majeur et il convient de ne pas déstabiliser le secteur et de ne pas être trop brutal dans l’application de la loi.

M. Denis Sommer, rapporteur. Les professionnels des annonces légales ne découvrent pas le sujet aujourd’hui : cela fait des mois que les discussions sont engagées avec eux pour mettre en place ce nouveau dispositif et ils ont, durant ces échanges, manifesté une réelle volonté de faire bouger les lignes dans ce domaine. Le délai de douze mois n’est pas justifié car ils ont déjà pu commencer à travailler pour s’adapter à cette mesure. Nous avons aussi le souci de ne pas déséquilibrer le système puisque la nouvelle tarification sera mise en place sur une période de cinq ans. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Les professionnels du secteur ont été consultés et ils seront prêts dans les délais. Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir.

La commission rejette l’amendement CS1583.

Puis elle adopte l’article 3 sans modification.

Après l’article 3

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement CS437 de Mme Pascale Fontenel-Personne.

Elle examine l’amendement CS1019 de M. Vincent Rolland.

M. Vincent Rolland. Nous avons beaucoup parlé de dématérialisation lors de l’examen des trois premiers articles de ce projet de loi. Or certains territoires sont les grands oubliés du déploiement de l’internet mobile et fixe. Cet amendement, déjà déposé lors de l’examen du projet de loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), propose de relancer ou d’accélérer le déploiement des réseaux mobiles très haut débit – 4G, 4G + et 5G – dans les zones où l’ADSL très haut débit est inexistant. Des offres 4G actuellement commercialisées permettent d’ores et déjà de pallier le problème de ces déserts numériques.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le sujet est certes important, mais on ne peut commander au Gouvernement un rapport sur l’impact de chaque article du projet de loi. Prenons le temps d’avoir une vision globale de la mise en œuvre de la loi PACTE. Séparer les actions les unes des autres, c’est rompre avec la cohérence du texte et ce n’est pas une bonne façon de travailler, d’autant que le Parlement a tout loisir d’engager une mission d’évaluation sur un sujet précis. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement CS1019.

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Article 4
(article 2 de la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982 relative à la formation professionnelle des artisans, article 118 de la loi n° 83-1179 du 29 décembre 1983 de finances pour 1984 et article 59 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 dorientation du commerce et de lartisanat)
Suppression de lobligation de stage préalable à linstallation des artisans

Cet article vise à supprimer l’obligation de suivre le stage de préparation à l’installation des artisans.

A.   L’État du droit

Les chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers et de l’artisanat ont l’obligation d’organiser des stages de courte durée d’initiation à la gestion pour les créateurs d’entreprise ([11]).

Pour ce qui concerne les créateurs dentreprise artisanale, le suivi de ce stage est même obligatoire pour pouvoir être immatriculé au répertoire des métiers et débuter son activité, ainsi qu’en dispose l’article 2 de la loi n° 82‑1091 du 23 décembre 1982 relative à la formation professionnelle des artisans. Les chambres des métiers et de l’artisanat ont l’obligation de réaliser le stage dans le mois qui suit la demande.

Les modalités d’organisation, le contenu et la durée du stage de préparation à l’installation sont fixées par le décret n° 83-517 du 24 juin 1983 :

– il y est précisé que ces stages ont pour objet « par des cours et des travaux pratiques, de permettre aux futurs artisans de connaître les conditions de leur installation, les problèmes de financement, les techniques de prévision et de contrôle de leur exploitation, de mesurer les savoirs indispensables à la pérennité de leur entreprise et de les informer sur les possibilités de formation continue adaptées à leur situation. » ;

– leur durée minimale obligatoire est de trente heures et « ils doivent se dérouler sur une période de deux mois au plus. Ils se terminent par un entretien individuel permettant de présenter au futur chef dentreprise, compte tenu de son projet dinstallation, les possibilités complémentaires dinformation, de formation et de conseils dont il peut disposer. »

Selon l’Assemblée permanente des chambres de métiers et d’artisanat (APCMA), sur un peu plus dun million dentreprises artisanales, 138 000 se sont créées en 2017 et parmi celles-ci 83 000 artisans ont suivi un stage de préparation à linstallation, dont le coût est de 194 euros.

Le chef dentreprise peut en effet être dispensé du stage sil remplit certaines conditions ([12]) : en cas de force majeure – dans ce cas il dispose d’un an pour effectuer le stage à compter de son immatriculation, ou s’il a reçu une formation à la gestion d’un niveau équivalent à celui du stage, ou encore s’il a déjà exercé une activité professionnelle requérant un niveau de connaissance équivalent, pendant au moins trois ans.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article supprime l’article 2 de la loi du 23 décembre 1982 précitée, qui prévoit l’obligation pour les futurs artisans de suivre le stage de préparation à l’installation.

Il aligne ainsi le régime des artisans sur celui des autres travailleurs indépendants, pour qui le suivi de ce stage est facultatif.

La suppression de cette obligation doit permettre, dune part, de fluidifier la création lentreprise, puisque le créateur pourra commencer son activité à la date qu’il souhaite et, dautre part, de laisser le choix à chaque créateur dopter pour laccompagnement qui lui convient le mieux, au moment qu’il juge le plus opportun.

D’après l’étude d’impact du projet de loi, le gain financier de cette mesure pour le créateur d’une entreprise artisanale serait, en comptant le coût du stage et le manque à gagner pendant les trente heures de formation, de 242 euros pour un micro-entrepreneur et de 548 euros pour un artisan optant pour un autre statut.

Cela aurait, dans le même temps, pour conséquence d’entraîner une perte de recettes pour les chambres des métiers et d’artisanat, organisatrices de ces stages. En 2016, l’organisation de ces stages leur avait rapporté 21 millions d’euros de recettes, soit 2 % de leurs ressources.

Les chambres des métiers et de lartisanat seront naturellement tenues de continuer à organiser et proposer ces stages, comme le font par ailleurs les chambres de commerce et d’industrie. Leur contenu et leur format devraient en revanche être réformés pour être plus conformes aux attentes des artisans, ainsi qu’en a convenu notamment M. Bernard Stalter, président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA), lors de son audition par votre rapporteur.

C.   LA POSITION DE LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté un amendement de précision de notre collègue Adrien Taquet et de plusieurs députés du groupe La République en Marche, qui permet d’insister sur l’obligation qui incombe aux chambres de commerce et d’artisanat de continuer à proposer des stages d’initiation à la gestion aux professionnels qui le souhaitent.

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La commission aborde les amendements identiques CS5 de M. Vincent Descoeur, CS40 de M. Paul Christophe, CS48 de Mme Véronique Louwagie, CS126 de M. Nicolas Forissier, CS558 de M. Ian Boucard, CS657 de M. Daniel Fasquelle, CS829 de M. Arnaud Viala, CS1172 de Mme Laure de La Raudière, CS1345 de M. François Ruffin, CS2045 de M. Mohamed Laqhila et CS2114 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS5 propose de supprimer l’article 4, lequel vise à rendre facultatif le stage préalable à l’installation (SPI). Cette formation présente l’intérêt de permettre au créateur d’entreprise d’acquérir des notions indispensables pour gérer son activité. Un candidat à la création d’entreprise peut effectivement disposer de compétences techniques sans pour autant maîtriser les notions de gestion.

Un certain nombre d’arguments avancés à l’appui de cet article sont fragiles. L’argument selon lequel le prix de ce stage découragerait la création d’entreprise ne me semble pas recevable : ce stage n’est pas onéreux et est souvent pris en charge par les organismes de formation. S’agissant de l’argument selon lequel le SPI ralentirait la création d’entreprise, les chambres des métiers et de l’artisanat ont d’ores et déjà l’obligation d’organiser le SPI dans le mois qui suit une demande de stage. Je trouve donc dommage de supprimer l’obligation de faire ce stage.

M. Charles de Courson. On souhaite que les créations d’entreprise soient les plus pérennes possible. Or on constate que les entreprises dont les créateurs ont suivi des cours de gestion ont un taux 75 % de survie à trois ans, contre 50 % lorsque leurs créateurs n’ont pas suivi ces cours. Le taux de survie est donc aussi fonction de la qualité des conseils et de la formation qu’on reçoit. Si cet article 4 est voté et qu’on supprime le caractère obligatoire du stage, le taux de mortalité des entreprises sera plus élevé.

On dit que ce stage coûte cher : c’est faux. Beaucoup de régions ont mis en place des dispositifs avec les chambres consulaires, de sorte que les sommes à dépenser sont tout à fait modestes. Qu’a-t-on à gagner en supprimant le caractère obligatoire de ces stages ? Rien, sinon un taux de mortalité des entreprises plus élevé. Il ne faut donc pas voter l’article 4.

M. Dominique Potier. Ce n’est pas une idée neuve de Bercy que de vouloir revenir sur le SPI : les mêmes équipes, en 2016, avaient déjà essayé de le rendre facultatif dans la loi Sapin 2, ce qui ne me paraît pas très clair : autant le supprimer purement et simplement. Personne n’empêche les jeunes qui veulent créer une entreprise de se former.

En 2016, la précédente majorité a pris de nombreuses mesures de modernisation mais elle n’a pas retenu cette mesure de suppression, tout simplement parce qu’elle n’est pas efficiente : il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie, il n’y a pas de dogme de la simplification. Comme le délai d’organisation du stage par les chambres des métiers était souvent trop lâche, on a imposé un délai de trente jours. On a par ailleurs proposé de moderniser le SPI : grâce au numérique, des sessions de formation décentralisées peuvent être proposées. Cela nous semble être la voie la plus utile pour ce stage. Cependant, il faut conserver le caractère obligatoire de ce stage car il est efficace.

Enfin, le maintien de ce stage procède d’un principe de loyauté : le SPI vise à protéger non seulement le jeune entrepreneur, mais aussi ses clients, ses fournisseurs et tous ses autres partenaires.

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais faire état de mon expérience personnelle puisque j’ai animé des stages de cette nature. Je puis vous assurer qu’ils présentent un véritable intérêt au regard des questions qui nous sont posées. Au-delà des échanges collectifs, les apartés durant les pauses et les moments de liberté permettent de répondre à des questions personnelles que les créateurs d’entreprise n’auraient pas l’opportunité de poser autrement. En rendant ces stages facultatifs, vous allez mettre à mal la possibilité pour les créateurs d’entreprise d’obtenir certaines informations en matière de gestion. Enfin, comme l’a souligné Charles de Courson, nous devons tout faire pour assurer la pérennité des entreprises.

M. Nicolas Forissier. Les créateurs d’entreprise étant des acteurs de la vie économique et sociale, il n’est pas inutile qu’ils aient à un moment donné – et pas seulement de façon facultative ou volontaire – la possibilité de se former à des aspects auxquels ils n’ont pas forcément été préparés.

Le coût de ces stages n’est pas le sujet : la plupart du temps, il est largement pris en charge par les organismes de formation et que l’on peut imaginer des améliorations sur ce plan-là.

Enfin, je suis assez sensible à l’idée de responsabiliser les créateurs d’entreprise, mais cet argument est un piège. Toutes les études réalisées montrent que les artisans et les créateurs de micro-entreprises qui suivent ces formations ont pratiquement deux et demi à trois fois plus de chances de voir leur entreprise survivre que les autres. En comparaison, seuls 18 % des ressortissants des chambres de l’industrie et du commerce suivent le stage d’initiation à la gestion. Maintenir le caractère obligatoire du SPI est donc véritablement dans l’intérêt des créateurs d’entreprise.

M. Daniel Fasquelle. Dans votre projet de loi, monsieur le ministre, vous voulez favoriser la liquidation des entreprises. Il est vrai que quand une entreprise est en situation d’échec, il ne sert à rien de vouloir faire durer les choses. Cependant, il faut d’abord et avant tout s’attacher au succès des entreprises. Mieux vaut prévenir que guérir. Avec ces stages préalables à l’installation, on a la capacité d’accompagner les chefs d’entreprise dans leur projet pour leur permettre ensuite de réussir. S’il faut moderniser ce dispositif, faisons-le ; mais le rendre facultatif, c’est en réalité le supprimer. Or c’est un accompagnement indispensable pour tous les créateurs d’entreprise en France.

M. Arnaud Viala. Cette mesure, si elle est mise en application, va provoquer la création d’une offre de formation privée marchande qui rendra les candidats à l’installation inégaux face au besoin de formation. À l’heure actuelle, le SPI a le mérite de représenter un coût et une charge uniformisés.

M. Mohamed Laqhila. Cet article amène à se poser la question du coût, mais surtout de l’utilité du stage préalable à l’installation. Dans une autre vie, je suis moi aussi intervenu dans les chambres de commerce. Il est vrai que quand ce stage est facultatif, le taux de survie des entreprises est plus faible. Il s’agit de protéger non seulement le créateur d’entreprise lui-même, mais aussi toutes les parties prenantes. Je serais même d’avis de généraliser l’obligation de faire ce stage en l’étendant aux commerçants, qui prennent encore plus de risques que les artisans.

Mme Laure de La Raudière. Il est déjà possible, notamment pour les artisans ayant déjà des connaissances en gestion ou ayant déjà monté une entreprise, d’être exonérés de ce stage : 35 % des artisans sont aujourd’hui exonérés. Pour les autres, le stage est utile. Le projet de loi propose de le rendre facultatif. On a mis en place un guichet unique en ligne de création d’entreprise, ce qui est a priori une bonne chose, mais il n’y aura pas de hotline pour aider les entrepreneurs qui se posent des questions au moment de la création de leur entreprise – questions qui sont justement soulevées lors du SPI. Un créateur d’entreprise qui n’a pas accès à ces informations est perdu : or il n’aura pas de hotline et il n’ira pas forcément de lui-même à la chambre des métiers pour suivre ce stage. C’est la raison pour laquelle, outre mon amendement CS1172 de suppression de l’article, j’ai déposé un amendement de repli prévoyant un rendez-vous obligatoire auprès de la chambre des métiers afin que les créateurs d’entreprise soient informés de l’existence de ces stages. Ensuite, ce sera à eux de choisir : ils sont responsables.

M. Guillaume Kasbarian. Personne ne dit que le stage est totalement inutile. Nous sommes nombreux, en tant que députés, à être allés à la rencontre de stagiaires. Je l’ai fait le mois dernier et je sais que d’autres collègues l’ont fait aussi. Les stagiaires ne nous disent pas que le stage est inutile ni qu’il faut y mettre un terme. Ils disent même que s’ils avaient été libres de l’effectuer ou pas, ils l’auraient probablement fait. Cependant, il n’y a pas que le SPI qui soit utile. De nombreuses structures de conseil et de formation proposent aux entrepreneurs des formations sur des thèmes concrets : « comment développer son entreprise », « comment partir en quête de nouveaux clients », « comment faire de la publicité », « comment passer au digital » etc. L’offre de formation privée est extrêmement variée mais là n’est pas le sujet. La question soulevée est celle de la liberté. Je suis donc un peu surpris par les arguments de nos collègues libéraux. Ne peut-on pas accepter qu’un chef d’entreprise ait la liberté de se former ou pas, de choisir avec qui et sur quelles thématiques ? Il ne faut pas nécessairement contraindre les chefs d’entreprise à suivre une formation : ce ne sont pas des enfants. La question qui se pose n’est donc pas celle de l’utilité du stage mais de savoir s’il faut ou pas le rendre facultatif.

Mme Michèle Crouzet. Je souscris totalement aux propos de Guillaume Kasbarian. Par ailleurs, ce n’est pas grâce à un stage d’une semaine que l’on améliorera le taux de survie d’une entreprise au bout de trois ans et de six ans : il faut des stages beaucoup plus longs. L’argument du taux de survie n’est donc pas valable.

M. Denis Sommer, rapporteur. Bien évidemment, nous souhaitons tous assurer le meilleur taux de pérennité pour nos entreprises et voir nos chefs d’entreprise se former, partager, échanger avec leurs collègues et confronter leurs expériences. Tous ceux qui sont engagés dans la vie économique et qui ont accompagné des entreprises savent que les entrepreneurs isolés, même avec une PME de cent salariés, qui restent dans leur boutique et ne construisent pas de réseau autour d’eux se mettent en difficulté. De multiples initiatives sont donc prises par les chambres consulaires, mais aussi par bon nombre d’autres acteurs pour rassembler les chefs d’entreprise et les faire réfléchir ensemble sur de nombreuses thématiques.

Cela étant, le stage en lui-même va-t-il garantir les 75 % de taux de pérennisation dont on nous parle ? Évidemment non. La plupart des statistiques montrent que c’est le niveau, la permanence et la régularité de l’accompagnement qui font la réussite de l’entrepreneur. Que vous consultiez France Initiative, France Active, les chambres consulaires, le réseau Entreprendre ou la Boutique de Gestion, ils vous donneront les mêmes chiffres. En effet, les créateurs qui sont passés chez eux ont bénéficié d’un vrai suivi, avec une visite de leur entreprise ou de leur atelier et une discussion avec les cadres et responsables du personnel. La confrontation permanente éveille le chef d’entreprise et lui permet de se projeter et de prendre les bonnes décisions. En matière économique, ce sont d’abord les réseaux qui font la réussite des acteurs.

Mettre fin à l’obligation de faire ce stage entraînera une baisse de 2 % des recettes des chambres des métiers : cela crée forcément un peu d’émoi. Mais ce qui importe, c’est que les développeurs qui travaillent dans les chambres de métier et dans les chambres de commerce et d’industrie soient au contact des chefs d’entreprise au quotidien, les accompagnent et proposent des formations qui répondent à leurs besoins réels et aux spécificités de leur secteur d’activité et de leur environnement concurrentiel – la proximité avec la frontière suisse ou allemande, etc. Le modèle en vigueur est en train de s’essouffler ; on est quelque part dans une logique de rente, l’obligation de stage garantissant aux chambres des revenus. Il faut en changer. La décision de rendre les stages facultatifs est à cet égard salutaire car elle invite les acteurs à s’interroger sur la réalité de leur métier et sur ce que doit être leur engagement pour demain si nous voulons doper la création d’entreprise et favoriser le meilleur taux de réussite possible.

Notre collègue Laqhila propose de généraliser les stages obligatoires, y compris pour les commerçants qui, en effet, prennent parfois plus de risques que les artisans. Mais la question n’est pas tant celle de la généralisation du stage aux commerçants, ou de son caractère obligatoire ou non, que celle de l’offre : il ne me choquerait pas qu’un opérateur privé, dans le domaine du numérique, puisse proposer un accompagnement et des solutions ad hoc qui permettront aux chefs d’entreprise d’être bons sur leur marché.

M. Arnaud Viala. Rien n’interdit d’intégrer cette possibilité.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cela n’est pas gênant, à condition que tous ceux qui assument une mission de service public, quels qu’ils soient : les chambres consulaires, mais aussi les associations qui ont une délégation de service public, puisqu’elles sont financées par les régions, par les agglomérations, par les métropoles, etc., constituent une offre attrayante, qui donne envie aux chefs d’entreprise d’y recourir afin de mieux réussir. Le modèle actuel a vécu. Il a donné ses résultats, mais nous avons désormais intérêt à passer à une autre étape.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis un ministre de l’économie qui aime les artisans et qui les connaît bien. Car je suis allé à chacune des assemblées générales des chambres des métiers et des artisans. Après avoir été trois ans ministre de l’agriculture, j’ai eu l’occasion de rencontrer des centaines et des centaines d’artisans.

Je rejoins totalement ce que vient de dire le rapporteur. Je l’ai dit devant les représentants des artisans : le modèle doit évoluer. Est-il en effet logique de garder un droit de suite et une limitation à 50 salariés pour bénéficier du label artisan ? Cela me paraît non seulement absurde, mais aussi défavorable aux artisans. Car « artisan » ne veut pas dire « petit ». Des artisans peuvent avoir beaucoup de salariés, sans rien perdre du savoir-faire, du professionnalisme et de la tradition des artisans.

Quant au stage préalable à l’installation, il est pour moi dépassé. Il constitue une barrière à la création de nouveaux artisans. Je crois à la liberté d’entreprendre. En disant cela, je m’adresse en particulier aux membres de cette majorité, parce que je sais que c’est profondément dans son ADN : la liberté d’entreprendre, c’est aussi le risque. Il n’y a jamais de garantie. La suppression de l’obligation de stage n’est pas une idée de Bercy, monsieur Potier : c’est une idée personnelle du ministre de l’économie et des finances, que je défends depuis des années. Oui, il faut que le métier d’artisan, essentiel sur notre territoire, essentiel à la culture et à l’identité française, se renouvelle, et en finir avec les visions passéistes.

Entreprendre, c’est prendre un risque : cela peut marcher, cela peut échouer. Ce qui compte, c’est de pouvoir rebondir, et c’est exactement l’esprit et la philosophie de cette loi. Le vrai défi français, ce n’est pas de protéger systématiquement ; c’est au contraire de libérer. Ce n’est pas de multiplier les garanties, ceinture et bretelles en veux-tu en voilà ; c’est au contraire de laisser à chacun l’audace de créer son entreprise, y compris dans le domaine de l’artisanat.

Mais nous sommes responsables : bon nombre de gens sont venus faire le siège de mon bureau en me demandant de supprimer la qualification des artisans ; ce à quoi, pour le coup, je suis totalement opposé. Ce serait dévaloriser le métier d’artisan : quand on est coiffeur, par exemple, il est important d’avoir son CAP de coiffure. Mais il est aussi essentiel de reconnaître la valeur de ce diplôme : à partir du moment où vous avez votre CAP, pourquoi exiger de surcroît un stage à l’installation ? À quel autre jeune demande-t-on, après l’obtention de toutes les qualifications et diplômes requis, de suivre un stage préalable avant de s’engager dans la vie active ? Non seulement c’est dévalorisant pour les artisans, mais c’est une barrière à l’embauche. Pour entreprendre, il faut une compétence ; elle est maintenue. Il faut une règle juridique ; c’est le registre unique. Il faut un financement ; c’est le rôle de la loi PACTE.

L’obligation de stage garantit une protection universelle et serait une question de justice. Je crois exactement l’inverse : c’est profondément injuste. Il faut savoir que 35 % des artisans sont dispensés du stage préalable à l’installation, prétendument obligatoire. J’aimerais savoir sur quels fondements sont accordées ces dispenses. J’aimerais savoir qui dispose de ces dispenses et qui en juge. Cela ne fait que créer de l’incertitude ; or l’incertitude n’est pas bonne pour la vie économique. Pour moi, il en va exactement de ce stage comme du service militaire obligatoire : dès lors qu’il y a des dispenses, ce n’est plus juste. Et un taux de 35 % de dispenses, voilà qui en dit long sur la justice de ce stage préalable à l’installation.

On m’objecte que ce n’est pas une barrière à l’entrée. Si vous estimez que 194 euros, ce n’est rien, libre à vous… Je vois quant à moi suffisamment de jeunes qui commencent leur vie active pour savoir qu’ils sont effectivement à 194 euros près. Quant à savoir si cela représente autant d’argent économisé par la suite, j’aimerais être certain que les chiffres qu’on avance au sujet de la durabilité des entreprises qui sont passées par le stage préalable à l’installation reposent sur des faits scientifiques, techniques et avérés.

En tout état de cause, c’est toute notre vision de l’économie qui se joue sur cette question. Croit-on à la liberté d’entreprendre ou estime-t-on qu’il faut systématiquement l’encadrer ? Pour ma part, je n’ai aucun doute. Je l’ai dit clairement devant les artisans : il faut rendre facultatif ce stage préalable à l’installation. Que ceux qui ressentent le besoin d’avoir un complément de formation en gestion le fassent, c’est très bien. Cette possibilité sera ouverte ; les chambres de métier et de l’artisanat pourront continuer à le distribuer. Mais maintenir cette obligation de stage, de surcroît fondamentalement injuste, parce qu’il est obligatoire uniquement pour quelques-uns, très franchement, je suis contre.

M. Arnaud Viala. Je pense que nous ne parlons pas de la même chose. Il ne s’agit pas de remettre en question la nécessité pour tout un chacun d’être formé au métier qu’il veut exercer, mais de garantir que chacun est conscient de ce qu’il fait quand il veut créer son entreprise. Or une des principales vertus de ce stage est de permettre aux candidats d’évaluer leur compétence non pas dans l’exercice d’un métier, mais dans la gestion d’une entreprise. C’est indispensable si l’on veut éviter qu’il y ait trop de défaillances par la suite, car il y a tout simplement des gens qui sont faits pour être gestionnaires d’entreprises et d’autres qui y sont peut-être moins aptes, ou qui en ont moins envie ; ils ont besoin d’évaluer cela au préalable. C’est pourquoi je trouve vraiment dommage qu’on passe à côté de ce débat, en faisant comme si le stage préalable à l’installation s’adressait à des entrepreneurs déjà aguerris, et non de futurs entrepreneurs.

M. Daniel Fasquelle. Les témoignages vont tous dans le même sens : tous ceux qui ont suivi ce stage préalable à l’installation nous disent que, s’il n’avait pas été obligatoire, ils ne l’auraient pas suivi. Et après l’avoir suivi, tous reconnaissent pourtant que cela leur a été utile, parce qu’il leur a permis une mise à niveau. Vous parlez des dispenses ? J’ai la liste des motifs valables, comme vous l’avez également. Il est en effet tout à fait logique de dispenser de ce stage préalable à l’installation ceux qui, du fait de leur cursus ou de leur expérience professionnelle, ont déjà un niveau suffisant. Et même à l’université, par le biais de la validation des acquis d’expérience professionnelle, on délivre aussi des diplômes en dispensant parfois les étudiants d’une partie du cursus. C’est un procédé tout à fait classique et qui ne me choque absolument pas.

Permettez-moi une remarque, monsieur le rapporteur, pour conclure. Vous comparez le taux de réussite des créateurs d’entreprise dans le cadre des stages de préparation à l’installation avec ceux qui sont obtenus dans les réseaux. Mais cela n’a absolument rien à voir : ceux qui suivent les SPI y vont justement parce qu’ils n’ont pas la base que d’autres possèdent, et qui préfèrent s’orienter vers des réseaux. On ne peut donc absolument pas comparer les taux de réussite dans les réseaux et dans les SPI.

M. Dominique Potier. Une voie de modernisation aurait peut-être été de revoir le registre des exceptions dont peuvent bénéficier les entrepreneurs. Celui-ci n’est pas fondé sur l’injustice, monsieur le ministre, mais sur le non-doublement des compétences : ceux qui possèdent la compétence voulue n’ont pas à faire le stage, celui qui suit le stage le fait parce qu’il a besoin d’acquérir des compétences.

Je reprends mon dernier argument auquel vous n’avez pas répondu. Il ne s’agit pas seulement de protéger l’entrepreneur, comme si nous étions dans une société où l’individu est considéré comme un atome isolé dans l’univers et où la responsabilité serait strictement personnelle. Or ce n’est pas le cas : cet entrepreneur va avoir des clients, il aura affaire à un territoire, il a une famille, il y a des tiers, par exemple ses fournisseurs. Nous en sommes tous témoins dans la vraie vie : ces défaillances ont des conséquences en chaîne pour les tiers. La responsabilité de l’entrepreneur, ce n’est pas la liberté absolue. Liberté et responsabilité vont de pair.

Nous avions un amendement auquel nous tenions beaucoup, qui visait à créer un fonds d’aide aux jeunes créateurs d’entreprise. Le but était de les accompagner, pendant quelques mois, ou peut-être quelques années, sous la forme d’une prolongation de la garantie jeunes. Il n’a pas été jugé recevable pour des raisons de gage financier inadéquat, mais nous le déposerons à nouveau en séance publique sous la même forme. Nous sommes favorables à l’esprit d’entreprise, mais l’esprit d’entreprise doit être aussi un esprit de responsabilité.

M. Ian Boucard. Nous convenons collectivement que ce stage doit être utile à la pérennité des entreprises. Créer une entreprise n’est pas un acte totalement anodin : on engage sa responsabilité ; on s’engage non seulement vis-à-vis de soi-même, mais aussi vis-à-vis des autres entreprises, vis-à-vis de ses futurs clients.

Il s’agit seulement d’un stage de trente heures sur cinq jours, pour un coût de 192 euros. Le coût n’est donc pas inexistant, mais il est largement pris en charge. Le stage permet à l’entrepreneur, ou plutôt aux futurs entrepreneurs, de bien se rendre compte des obligations auxquelles il va devoir faire face, comme de la responsabilité qui l’engage à tout moment de son action. On ne parle que d’une semaine ; à l’échelle de la pérennité de l’entreprise, ce stage coûtera moins cher que les annonces légales dont on a convenu tout à l’heure qu’elles ne servaient pas forcément l’entreprise, mais qu’on a pourtant maintenues.

Mme Laure de La Raudière. Il ne faudrait pas laisser croire, monsieur le ministre, que les dérogations seraient accordées pour ainsi dire à la tête du client par les chambres de métiers. Je voulais seulement préciser à mes collègues qu’un arrêté définit précisément les conditions de dérogation. Certes, ce n’est pas vous qui l’avez pris ; c’est un arrêté de la direction générale des entreprises (DGE), en date du 25 septembre 2017, et qui fixe bel et bien des conditions précises.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je fais partie de la génération de ceux qui ont fait leur service militaire. Il y avait aussi un certain nombre de conditions pouvant éventuellement justifier une exemption du service militaire – le critère de réforme P 4 notamment. Pour votre information, je n’étais pas dans ce cas (Rires). Mais on savait bien qu’entre les exemptions prévues et la réalité du terrain, un tas de gens échappaient au service militaire parce qu’ils avaient des relations et non en application de tel ou tel critère.

Nous sommes donc au cœur d’un vrai débat de fond sur la philosophie de cette loi. Peut-être vais-je avoir tendance à me répéter un peu, mais n’est-ce pas la mère de toutes les pédagogies ? On souhaite responsabiliser tous les acteurs. Ce stage est-il important ? Eh bien, allez en convaincre les entrepreneurs ou les artisans qui souhaitent se lancer ! Si ce stage est à lui seul une condition indispensable du succès d’une entreprise, nul doute que tout le monde voudra le faire. Malheureusement, la vie de l’entreprise est une affaire bien plus compliquée. Ce stage, mais aussi l’accompagnement, le réseau, les amis, les parents, celui qui vous a formé, etc., tout cela participe à une constellation dont dépendra votre succès ou non. Mais mettre toutes les clés du succès dans ce stage me paraît exagéré. J’y vois aussi la marque d’une certaine vision paternaliste de notre métier : cela revient à inverser la charge de la preuve sur le dos du pauvre artisan, convaincu de n’avoir aucune chance de réussir s’il ne suit pas ce stage…

Il faut que nous changions notre philosophie collective. Ce texte est conçu pour inciter et pour responsabiliser. Il vit aussi de notre débat, dans lequel nous insistons sur l’utilité de ce stage. Mais, s’il vous plaît, donnons aussi un peu plus de place et de temps aux agents de terrain, y compris ceux des chambres de métiers : je suis persuadé qu’ils sont capables d’aller convaincre les artisans que ce qu’ils font est bon pour eux.

M. Nicolas Forissier. Je suis très sensible à l’argument de la responsabilisation évoquée par nos rapporteurs comme par le ministre : il faut responsabiliser les acteurs des chambres de métiers lorsqu’ils accompagnent, il faut responsabiliser les créateurs d’entreprises, d’accord. Mais, à ce moment-là, pourquoi n’imaginez-vous pas – je sais que cela ne plaira pas à Bercy – une petite incitation fiscale, ou un système de déduction, qui permettrait tout à la fois de responsabiliser et de sensibiliser les intéressés ? Je suis sensible à la responsabilisation, mais je trouve qu’il manque une incitation dans votre dispositif.

M. Denis Sommer, rapporteur. Monsieur Fasquelle, je ne confonds pas le SPI et l’accompagnement. Les statistiques dont il a été fait état ne portent pas sur le stage lui-même ; elles portent sur l’accompagnement dans la durée des porteurs de projets. Il n’y a donc pas de confusion sur le sujet.

En tant que vice-président de la région Franche-Comté, chargé des questions économiques, j’ai beaucoup travaillé avec l’ensemble du réseau d’accompagnement des entreprises. Je sais comment il fonctionne et quels sont ses besoins. Je sais aussi que l’accompagnement prodigué par France Active ou par la chambre de métiers peut faire évoluer le projet porté par les créateurs quand ils arrivent. Ce n’est pas le stage lui-même qui le permet, mais l’accompagnement permanent par les développeurs des différentes structures. Voilà ce qu’il faut, à mon avis, absolument privilégier.

Dans une autre vie, j’ai donné des cours d’économie et de gestion d’entreprise. Il m’arrivait de m’adresser à des porteurs d’un projet de création ou de reprise d’entreprises qui fréquentaient un lycée de formation pour adultes. Je puis vous assurer qu’il faut un peu plus de dix heures ou quinze heures pour comprendre un bilan, un compte de résultat, la gestion d’une trésorerie et tout le reste… Qui peut croire qu’au bout de trente heures, on a formé le créateur à tous les outils qui lui sont nécessaires pour exercer son métier ? On sait bien que ce n’est pas possible. Une fois encore, c’est donc sur l’accompagnement dans la durée et sur une offre de formation beaucoup plus personnalisée qu’il faut parier. Pour ma part, je fais confiance aux développeurs qui sont dans les chambres de métiers et dans les CCI, pour qu’ils s’engagent dans ce travail et offrent aux entreprises les bonnes solutions.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je me réjouis que nous ayons cette discussion approfondie, quoi qu’en pensent ceux qui estiment qu’on passerait à côté du débat.

Je crois à la liberté d’entreprendre, mais aussi – rassurez-vous, monsieur Potier – à la responsabilité. Encore faut-il savoir quelle économie nous voulons construire pour notre pays. Je vous confirme que je continue de trouver le système, tel qu’il existe aujourd’hui, aberrant et totalement symptomatique de la dérive administrative française en matière économique.

Au départ, il n’y avait pas de stage préalable à l’installation. En 1982, on a voté une loi instaurant un stage préalable à l’installation obligatoire, dans l’idée de donner des compétences en gestion. Puis on s’est aperçu qu’il y a quand même quelques artisans qui avaient une compétence en gestion ; alors on a publié un arrêté, rappelé par Laure de La Raudière. Si c’est votre vision de l’économie, très bien ! Mais ce n’est pas la mienne, et je suis un peu surpris de l’entendre défendre par certaines personnes que je croyais d’opinion plutôt libérale en matière d’économie.

Ces dérogations créent des incertitudes, d’autant que la liste établie est totalement ubuesque. Je me permets de vous la lire, pour que nous soyons bien d’accord sur son contenu : est dispensée du stage préalable à l’installation toute personne pouvant présenter soit un certificat de scolarité, soit un certificat concourant à l’obtention du diplôme – tout cela n’étant pas d’une précision extrême – soit des certificats figurant en annexe du présent arrêté… Annexe recensant très exactement quinze exceptions ! Encore vous faut-il exciper soit des titres ou des certificats figurant en annexe du présent arrêté, soit du document permettant d’en justifier l’obtention, les titres en question correspondant à des diplômes de niveau de qualification I et II visés par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, délivrés par les établissements d’enseignement supérieur technique privés et consulaires pour des formations de commerce et de gestion, dont la liste est publiée par bulletin officiel spécial édité par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche…

Il n’y a vraiment qu’en France qu’on peut imaginer tout cela ! Nous sommes vraiment le seul pays au monde où, avant de vous installer comme artisan, il vous faut aller consulter un arrêté de la direction générale des entreprises, qui renvoie lui-même à un arrêté du ministère de l’éducation nationale, lequel vous permet de savoir si vous avez le bon diplôme et si vous êtes vraiment dispensé du stage préalable après avoir obtenu votre CAP de coutellerie ou de coiffeur ! Si vous êtes en accord avec cette vision de l’économie, très bien, mais sachez que ce n’est pas la mienne.

Mais ne croyez pas que je vais vous épargner la lecture de la fin de cet arrêté : puisque vous voulez qu’on aille au fond des sujets, allons-y !

Sont également dispensés ceux qui disposent du diplôme d’expertise comptable – cela se comprend mieux – du diplôme supérieur de comptabilité et de gestion, du diplôme de comptabilité et de gestion, sauf ceux qui n’auraient pas accompli la fin de ce diplôme – cela me paraît logique (Sourires). Autres diplômes autorisant une dispense : les licences et les masters comportant des enseignements relatifs à l’administration et la gestion d’entreprise ou à la création-reprise ou à l’entreprenariat – assurez-vous que votre licence ou votre master comporte bien des enseignements relatifs à l’administration et à la gestion d’entreprise, ce n’est pas simple –, le BTS comptabilité et gestion, le DUT gestion administrative et commerciale des organisations, à l’exception des DUT qui ne comportent pas la filière commerciale des organisations… Vérifiez bien que vous êtes dans le bon DUT ou le bon BTS, sinon vous ne pouvez prétendre à l’exception ! Viennent ensuite le titre professionnel gestionnaire de petite ou moyenne structure, à l’exception des structures dépassant le seuil de dix salariés, le titre professionnel comptable gestionnaire, le brevet de maîtrise délivré par une chambre de métiers et de l’artisanat, le certificat de capacité professionnelle de conducteur d’un véhicule de transport public particulier, sous réserve des conditions prévues à l’article R. 3120-7 du code des transports !

C’est ubuesque et totalement kafkaïen, cela crée de l’incertitude. Je remercie Laure de La Raudière de m’avoir rappelé que mon administration…

M. Charles de Courson. Placée sous votre autorité !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. peut produire des arrêtés aussi incompréhensibles que ceux-là… Il est temps d’y mettre fin.

Je vais vous dire quelle serait, à mon sens, la vraie bonne solution, la solution de bon sens : ce serait que, dès que vous passez un CAP et que vous voulez avoir un certificat d’aptitude professionnelle pour devenir artisan, on devrait vous proposer, durant le temps de vos études, un module de gestion destiné à tous ceux qui veulent être non seulement titulaires d’une capacité, mais également gestionnaires. Je vous propose donc qu’on demande au ministère de l’éducation nationale de travailler, dans les CAP, sur l’introduction d’un module de gestion pour tous ceux qui veulent devenir gestionnaires et entrepreneurs, mais qu’on mette fin à ce stage préalable obligatoire ! (Applaudissements.)

Mme Laure de La Raudière. D’accord ! Mais faisons-le d’ici à la séance !

M. Nicolas Forissier. Chiche !

M. Adrien Quatennens. Avec cette longue liste, vous avez fait une belle démonstration de la façon dont on peut noyer le poisson, monsieur le ministre. En réalité, il n’en demeure pas moins que la question de l’utilité de ce stage reste posée. Par ailleurs, même si cette loi PACTE ambitionne de relancer la croissance, en l’occurrence, c’est à la croissance de l’offre de formation et à celle des sociétés qui vont pouvoir les proposer que vous contribuez, mais aucun cas à la croissance des jeunes entreprises… Sur ce point, je souscris aux propos tenus par mes collègues du groupe Les Républicains.

Ce stage permet aussi et surtout, on l’a dit, d’éviter des erreurs. De ce point de vue, il a fait la démonstration de son utilité. Qu’on puisse éventuellement discuter de qui peut en être dispensé, pourquoi pas, mais cela n’enlève rien au reste de l’argumentation de mes collègues.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CS382 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement a pour objet de lever le prétendu frein que constituerait le coût de ce stage, en le rendant gratuit, qu’il soit du reste obligatoire ou non. Vous savez que son prix tourne aujourd’hui autour de 194 euros. Le financement de cette mesure serait assuré par un relèvement du plafond de la taxe qui finance la formation.

M. Denis Sommer, rapporteur. Sous réserve de la délibération en séance publique, la suppression de l’obligation de stage est acquise. Quant à la gratuité, pour ma part, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Je suis attaché à ce que l’offre de formation des chambres de commerce et des chambres de métiers se développe en direction des chefs d’entreprise et se diversifie afin d’être plus adaptée ; mais passer du temps, apprendre, bénéficier de formateurs, tout cela a une valeur. Le prix doit bien entendu rester modique, afin que le stage, comme la formation en général, soit accessible au plus grand nombre ; mais le rendre gratuit reviendrait, en quelque sorte, à dévaloriser l’action même de formation et, partant, les contenus qui y sont liés. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur de Courson, vous le savez bien : quand c’est gratuit, il y a toujours quelqu’un qui paie ; et, en général, c’est le contribuable… Je préfère donc que nous rendions ce stage facultatif, mais aussi que nous instaurions un peu de concurrence entre les chambres de métiers et de l’artisanat. Il faut que ces stages puissent rester une recette pour les CMA qui proposeront des stages, à des prix concurrentiels, je l’espère.

M. Charles de Courson. Puisque le Gouvernement avait invoqué le caractère payant du stage et le fait que la somme modique de 194 euros pouvait constituer un frein à l’accès à la vie active, mon amendement avait seulement pour objet de faire financer par une taxe les 1,2 million d’euros annuels que cela représente, si on se fonde sur les 6 600 stages suivis en 2016 : ce n’est pas un drame… Mais je vois que notre rapporteur est un libéral libertaire, puisqu’il s’est converti : après avoir supprimé l’obligation, il veut maintenant faire payer le juste prix…

M. Denis Sommer, rapporteur. J’ai dit que tout avait une valeur.

M. Charles de Courson. La valeur, cela s’appelle le juste prix : or le prix de revient de ce stage n’est pas de 194 euros. Mais ce n’est qu’une anecdote…

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS908 de Mme Jacqueline Dubois.

Mme Jacqueline Dubois. Cet amendement vise à apporter une autre dimension de formation à l’article 4, en introduisant un principe nouveau dans le code de l’éducation : l’initiation à l’esprit d’initiative et d’entreprise. Il paraît important que les élèves, et particulièrement ceux du second degré, apprennent à développer l’aptitude à passer des idées aux actes, à concevoir des projets et à les mettre en œuvre. Ces dispositions englobent la créativité et le goût de l’innovation et de la prise de risque. Elles permettent également de sensibiliser les élèves à la création d’une entreprise, ainsi qu’aux modalités de gestion. En enrichissant ainsi le socle des compétences et des savoirs indispensables par le développement de l’esprit d’initiative, nous répondrions aux enjeux des mutations économiques actuelles, tout en rapprochant le monde éducatif et le milieu professionnel.

Ces dispositions font partie des huit compétences clés que l’Union européenne recommande de mettre en œuvre au sein de l’enseignement public de ses États membres. Elles sont les dernières de ce socle commun européen à ne pas figurer parmi les compétences incontournables développées dans la stratégie française d’éducation.

M. Denis Sommer, rapporteur. Si je me fondais sur mon rapport, je serais porté à émettre un avis défavorable mais, en réalité, je suis pour l’essentiel d’accord avec le contenu de cet amendement : l’entreprise doit prendre une place plus grande dans l’éducation des jeunes, en particulier au collège et au lycée.

Bon nombre d’initiatives sont d’ores et déjà prises en partenariat avec des écoles, comme des visites ou des stages, qui ne sont d’ailleurs pas toujours faciles à organiser, notamment pour que gamins de certains quartiers qui peinent parfois à trouver une entreprise et qui se retrouvent alors dans la mairie du coin, parce qu’ils n’ont pas trouvé une société disposée à les accueillir. On dit souvent que les Français ont des difficultés avec les entreprises, pas forcément avec la leur, mais avec les autres… On sent donc bien qu’il y a des difficultés, mais il ne faut pas renoncer. Je pense que nous avons besoin de mener une bataille intellectuelle et culturelle autour de la place de l’entreprise dans notre société, pour faire progresser à tous les niveaux l’idée de son utilité. Qu’une part de l’éducation des enfants y soit consacrée, fût-ce de manière ludique, voilà qui me paraît particulièrement intéressant.

Je n’ai donc pas envie d’émettre un avis défavorable, mais plutôt de vous proposer de travailler ensemble sur ce sujet et de réfléchir collectivement aux propositions que nous pourrions faire au ministre de l’éducation nationale pour essayer d’avancer sur cette question, à mes yeux fondamentale pour l’avenir.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne saurais mieux dire que le rapporteur. Si je trouve l’idée très intéressante, je pense qu’elle n’a pas forcément sa place dans la loi, en tout cas dans la loi PACTE.

Mme Jacqueline Dubois. Il me semblait quand même important d’en parler dans le cadre de cette loi, pour sensibiliser toute la société à cette problématique, puisque notre pays me paraît être en retard sur ces sujets. Mais si vous manifestez la volonté que ce sujet soit retravaillé par la suite, je veux bien retirer mon amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Permettez-moi de préciser que, depuis quelques semaines, un groupe de travail se penche sur le sujet – je crois savoir, madame Dubois, que vous en êtes membre. La volonté est donc là de travailler en bonne intelligence, notamment avec d’autres commissions, pour parvenir à trouver ensemble des propositions qui, sans être forcément du domaine normatif, pourraient être convergentes tant avec l’action de Bercy qu’avec celle du ministère de l’éducation nationale. Peut-être pourrons-nous en reparler entre l’examen en commission et la séance publique…

M. Nicolas Forissier. Avec l’ensemble des groupes.

Mme la présidente Olivia Grégoire.… dans la mesure où le rapporteur comme le ministre ont manifesté un intérêt certain sur ce sujet qui me semble dépasser les clivages politiques. On est toujours plus riche en travaillant ensemble.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements CS2028 de Mme Sophie Mette, CS1077 de M. Jean-Marc Zulesi et CS754 de M. Daniel Fasquelle.

M. Mohamed Laqhila. L’amendement CS2028 est défendu.

M. Jean-Marc Zulesi. L’objectif de l’amendement CS1077 est de conserver au stage son caractère facultatif, tout en prévoyant qu’il soit davantage personnalisé en fonction du parcours de chaque futur chef d’entreprise. Par souci d’efficacité, il est nécessaire d’offrir des stages de préparation qui soient individualisés, selon le secteur d’activité, le parcours académique et professionnel de chaque participant et son niveau d’expérience globale.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS754 est un amendement de repli. Vous ne m’avez pas convaincu, monsieur le ministre, sur la pertinence de la suppression de l’obligation du stage préalable à l’installation ; je persiste à penser qu’une mise à niveau est indispensable pour ceux qui ne maîtrisent pas les bases indispensables pour créer et gérer une entreprise.

Si le stage préalable à l’installation ne vous convient pas dans sa forme actuelle, je propose donc de le scinder en deux, en organisant avant l’installation deux jours de sensibilisation, puis deux journées supplémentaires après une période de suivi de six mois.

M. Denis Sommer, rapporteur. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la formation des créateurs d’entreprise et leur accompagnement sont essentiels, et nous avons, en ce sens, confirmé ce que devait être la mission des chambres de métiers et des CCI. Mais dans ce cas, faisons confiance aux acteurs pour mettre en place des solutions adaptées, sinon nous en viendrons à légiférer sur le contenu des stages, et les heures à y réserver sur la fiscalité, voire les langues étrangères ! La loi doit en rester aux grands principes ; c’est aux acteurs de terrain de s’adapter ensuite et d’offrir aux entreprises le meilleur service possible. Avis défavorable à ces trois amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis également défavorable à ces amendements.

Je répète que nous allons proposer au ministère de l’éducation nationale d’intégrer dans les formations CAP un module de gestion, qu’il appartiendra à chaque formation de définir ; je ne vois donc pas pourquoi il faudrait ajouter à ce dispositif un stage préalable obligatoire.

Quant à l’amendement CS2028, en s’adressant aux entrepreneurs qui ont cessé leur activité suite à un dépôt de bilan, il est très loin de notre philosophie politique, car il semble stigmatiser ceux qui ont échoué. Notre logique est au contraire de considérer qu’il peut arriver à chacun d’échouer et que nous devons donner à tout un chacun la possibilité de rebondir dans les meilleures conditions possibles.

Les amendements CS2028 et CS1077 sont retirés.

La commission rejette l’amendement CS754.

Puis, selon l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CS830 de M. Arnaud Viala.

Elle examine ensuite l’amendement CS1939 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. La suppression des stages vise à fluidifier la création d’entreprise, ce que j’entends. Nous proposons donc de les remplacer par des QCM qui pourraient être gérés par les chambres de métiers et les CCI et qui permettraient aux créateurs d’entreprise d’évaluer leurs carences, un peu à l’image des tests de code pour le permis de conduire. Les résultats de ces tests n’auraient rien de discriminant mais serviraient de signaux d’alerte en permettant à un futur chef d’entreprise de se rendre compte qu’il souffre de lacunes trop importantes pour pouvoir mener à bien son projet.

M. Denis Sommer, rapporteur. Votre souci de voir chaque créateur d’entreprise le mieux accompagné possible, selon ses lacunes et ses besoins, est tout à fait louable. Mais c’est le métier même des chambres de métiers. Lorsqu’un créateur s’est enregistré, les chambres sont là pour lui proposer un accompagnement, sous forme d’un QCM ou autre. Je le redis, la loi ne peut pas tout écrire, il faut laisser aux chambres consulaires la liberté de construire leurs actions en fonction du territoire et des acteurs eux-mêmes. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Jean-Paul Mattei. La simplification est une bonne chose mais, à trop simplifier, on risque d’éteindre tous les signaux d’alerte. Or la création d’entreprise est un acte grave, qui engage souvent toute une vie. Pour certains, qui ont le bagage nécessaire, cela ne pose aucun problème ; mais pour d’autres, il faut apprendre à tenir une comptabilité, etc. Ce que je propose est ainsi une manière de faire prendre conscience à ceux qui veulent tenter l’aventure qu’on ne crée pas une entreprise par un simple clic sur un ordinateur. C’est une démarche qui exige de la responsabilité et, en l’absence de garde-fous, les déconvenues risquent d’être nombreuses. Les chambres sont certes là pour accompagner les créateurs d’entreprise, mais instaurer un cadre un tant soit peu contraignant sans pour autant ralentir les procédures serait préférable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS1450 de M. Adrien Taquet, CS1247 de M. Jean-Marc Zulesi et CS1940 de M. Jean-Paul Mattei.

Mme Olga Givernet. L’article 4 supprime l’obligation de suivre un stage de préparation à l’installation, qui devient donc facultatif. Lever l’obligation ne rend pas ce stage inutile, a fortiori dans le cas d’une première installation. Nous considérons donc que les chambres des métiers et les chambres de commerce doivent transmettre toutes les informations concernant ce stage. Tel est l’objet de mon amendement CS1450.

M. Jean-Marc Zulesi. Je retire mon amendement CS1247 au profit de celui de M. Taquet.

L’amendement CS1247 est retiré.

M. Jean-Paul Mattei. Afin de permettre aux entrepreneurs de disposer des qualifications requises, ces derniers pourront commencer leur activité à leur convenance et choisir d’être accompagnés durant les deux années suivant la création de leur entreprise par les chambres de commerce et les chambres de métiers, tenues d’organiser des stages d’initiation et ainsi replacées au cœur du dispositif. Mais il me semble important de prévoir cette formation obligatoire.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable à l’amendement CS1450, défavorable sur l’amendement CS1940.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis favorable à l’amendement CS1450, qui constitue une très bonne proposition. La suppression de l’obligation de stage ne signifie pas la disparition du stage lui-même, et je soutiens tout ce qui permettra à un jeune créateur d’entreprise de suivre une formation complémentaire en gestion.

En revanche, étant réservé sur tout ce qui revêt un caractère obligatoire, je suis défavorable à l’amendement CS1940.

La commission adopte l’amendement CS1450.

En conséquence, l’amendement CS1940 tombe.

La commission examine, en présentation commune, les amendements CS1346 de M. Adrien Quatennens et CS1348 de M. François Ruffin.

M. Adrien Quatennens. Vous considérez, monsieur le ministre, que les stages peuvent être une perte de temps et d’argent ; nous estimons, à l’inverse qu’ils sont utiles et permettent d’éviter quelques erreurs. Nous proposons donc soit qu’ils soient rémunérés et financés par les entrepreneurs expérimentés grâce à un mécanisme de solidarité, soit qu’ils soient gratuits.

M. Denis Sommer, rapporteur. On est passé du coût excessif à la gratuité, et maintenant à la rémunération et au financement par les chefs d’entreprise… Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements CS1350 de M. Adrien Quatennens, CS1353 de M. François Ruffin et CS1751 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. L’amendement CS1350 propose d’intégrer au stage un module renforcé sur le droit des entreprises en difficulté : nous considérons qu’il est particulièrement nécessaire que les chefs d’entreprise soient bien armés pour affronter ces périodes difficiles.

L’amendement CS1353 propose d’intégrer au stage un module spécifique sur le droit bancaire. On sait que l’accès au financement est un vrai problème pour les petites entreprises, et le droit bancaire est souvent complexe.

Quant à l’amendement CS1751, il propose que, dans le cadre du stage de formation, les futurs créateurs d’entreprise soient informés de la possibilité que leur offre l’article L. 526-1 du code de commerce de déclarer comme insaisissable leur résidence principale, dans le cas d’une procédure collective qui conduirait à la liquidation de leur entreprise. C’est un droit assez méconnu ; dans la mesure où notre groupe a défendu, dans le cadre de la loi ELAN, l’interdiction des expulsions sans relogement, nous considérons que cette mesure devrait également s’appliquer aux chefs d’entreprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. Les domaines que vous mentionnez sont en effet extrêmement importants et méritent tous d’être approfondis par les futurs chefs d’entreprise : il y va à la fois de la vie de leur entreprise et de leur patrimoine personnel. On pourrait en ajouter beaucoup d’autres : habitant dans une région frontalière, je peux vous dire, par exemple, qu’un chef d’entreprise qui ne se préoccupe pas de formation, quand la Suisse aspire de nombreuses compétences, ne parviendra jamais à assurer le développement de son entreprise, faute de force de travail. Mais faisons confiance aux acteurs pour trouver les meilleures solutions et dispenser les meilleurs modules en fonction de la réalité de leur territoire. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Vos idées sont intéressantes : le stage préalable à l’installation facultatif peut être l’occasion de faire évoluer la formation des entrepreneurs dans les domaines que vous évoquez. Cela peut également être envisagé, comme je le souhaite, dans le cadre des CAP.

Nous allons ouvrir des discussions avec l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA) et CCI France sur le contenu de ces stages, et c’est dans un cadre réglementaire, et non un cadre législatif, que nous pourrons le redéfinir. Je vous invite donc à retirer vos amendements et à participer aux travaux qui auront lieu en concertation avec les chambres de métiers et les chambres de commerce sur le contenu des stages préalables à l’installation.

M. Adrien Quatennens. Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’intérêt que vous témoignez à nos propositions, mais elles ne sont en rien contradictoires avec le fait de faire confiance aux acteurs. Il s’agit d’armer correctement les futurs chefs d’entreprise en les informant de leurs propres droits pour les doter des capacités de libérer les énergies, pour reprendre votre expression. Je pense notamment à tous ceux qui, dépourvus de ces informations, risquent de renoncer à créer leur entreprise.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS2115 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Nous défendons pour notre part les stages obligatoires qui participent à la construction d’une communauté de valeurs entre les entreprises d’un territoire. Dans cet esprit, nous pensons que ces stages doivent aborder la question de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui n’est pas uniquement réservée aux grands groupes mais concerne jusqu’aux artisans et aux commerçants. La RSE vaut pour tout le monde.

Par ailleurs, j’en profite pour vous présenter l’amendement CS2116, qui est un amendement de repli demandant la remise d’un rapport gouvernemental au Parlement.

Pour répondre à votre proposition, monsieur le ministre, je suis tout prêt à participer à un groupe de travail permettant de moderniser les stages préalables à l’installation et de renforcer leur attractivité.

Enfin, permettez-moi de vous dire en toute amitié qu’on peut faire rire de toutes les lois, y compris des lois les plus fondamentales, comme vous l’avez fait en énumérant l’ensemble des dérogations ; mais je pense que cette liste n’a rien de kafkaïen et qu’elle peut s’expliquer en termes très simples.

M. Denis Sommer, rapporteur. J’accorde comme vous beaucoup d’importance à la question de la RSE. Une entreprise qui réussit est une entreprise capable d’impliquer son personnel et de le sensibiliser aux bonnes pratiques. Mais je répète que la loi n’a pas à définir le contenu des stages, à propos duquel le ministre a fait une proposition tout à fait intéressante qui nous permettra de travailler efficacement sur ces toutes ces questions. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Je renouvelle en effet à M. Potier ma proposition de travailler ensemble à améliorer le stage préalable – que vous souhaitez obligatoire et que je souhaite facultatif.

Par ailleurs, je ne me serais jamais permis, ni ici ni ailleurs, de faire rire d’une loi. J’ai fait rire d’un arrêté pris par une administration placée sous ma responsabilité, c’est très différent.

M. Régis Juanico. Nous avions déposé un amendement, qui nous a été inspiré par l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) malheureusement déclaré irrecevable au titre de l’article 40. Je tiens néanmoins à l’évoquer ici car il proposait de créer à titre expérimental, pendant deux ans, un dispositif d’aide aux jeunes créateurs d’entreprise, réservé aux moins de vingt-six ans, sans ressources, c’est-à-dire à un public qui ne bénéficie pas de certains minima sociaux, à moins de remplir des conditions très exigeantes. Cette expérimentation aurait permis à ces jeunes de disposer d’une allocation de 500 euros par mois et d’être accompagnés par un réseau de soutien à la création d’entreprise, incluant des financements. Si j’en parle, c’est que les expérimentations ont souvent fait la preuve de leur efficacité.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CS1871 de Mme Liliana Tanguy.

Mme Liliana Tanguy. Cet amendement a pour objet d’obliger toutes les chambres consulaires à proposer aux porteurs de projet un stage numérique. L’immatriculation se faisant en ligne via un guichet unique, ce stage numérique pourrait être proposé lors de cette inscription. Ce serait un moyen d’entrer dans l’ère du numérique, grâce à des modalités de formation adaptées aux besoins des futurs chefs d’entreprise.

M. Denis Sommer. Avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment. Je vous renvoie aux propositions qu’a faites le ministre concernant la forme et le contenu des stages.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS831 de M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. C’est en quelque sorte notre amendement voiture-balai… Tous les amendements que nous avons déposés en faveur d’un stage obligatoire ont tous pour but d’éviter que la création d’entreprise ne soit par trop présentée comme un Eldorado. En allégeant trop l’encadrement des jeunes créateurs d’entreprise, nous risquons d’en conduire, malgré eux, un certain nombre à l’échec, ce qui serait dommageable à la fois pour notre économie mais surtout pour eux.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1596 de Mme Frédérique Lardet.

Mme Olga Givernet. Nous sommes bien conscients que l’ensemble des créateurs d’entreprise ne choisiront pas forcément de recourir au dispositif qui leur est proposé, mais il est important qu’ils soient tous informés. C’est l’esprit de cet amendement, qui propose de fournir une notice d’information sur les risques et les obligations liées à la gestion d’une entreprise. Cet amendement n’entraînerait aucun coût, mais permettrait de fournir aux créateurs d’entreprise de précieuses informations, toujours dans la volonté d’assurer une information équitable.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

M. Daniel Fasquelle. Je soutiens cet amendement. Je regrette que plusieurs amendements issus de la majorité et qui tendaient à assurer une bonne information des créateurs d’entreprise sur les possibilités offertes de se tourner vers des partenaires capables de les former, ou sur les informations qui pouvaient lui être diffusées, soient systématiquement écartés.

Un premier amendement, relatif à la plateforme unique, tendait à informer le créateur d’entreprise de toutes les possibilités d’accompagnement, au moment de sa démarche. Je ne comprends pas pourquoi il a été écarté, ni pourquoi celui-ci est également sur le point de l’être. Nous en débattrons en séance, il faut être attentifs à ce que le créateur d’entreprise qui ne voulait pas du stage obligatoire préalable à l’installation soit convenablement informé, et qu’un minimum de connaissances lui soient données sur ceux qui peuvent l’accompagner et le mettre à niveau.

Mme Laure de La Raudière. Je trouve également cet amendement très raisonnable, il permet de donner l’information. Je vais donc retirer mon amendement CS1177, qui vient juste après et qui a aussi pour objectif d’alerter les chefs d’entreprises artisanales des obligations de gestion existantes en attendant que toutes les formations en CAP intègrent le module de gestion, très bonne idée mais dont la mise en place prendra du temps. Si les chefs d’entreprise se rendent compte qu’il leur manque des informations, ils pourront suivre le stage.

M. Jean-Paul Mattei. Je soutiens aussi cet amendement, qui constitue une bonne synthèse. Nous sentons bien qu’il ne sera pas possible d’obtenir la création d’un stage, même après la création de l’entreprise, ce que je regrette. L’information prévue par cet amendement permettra d’avertir le créateur d’entreprise, ce qui va dans le bon sens.

J’ai du mal à comprendre quelles bases légales empêchent d’adopter cet amendement.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Nous sommes tous favorables à ce que la formation des artisans en devenir soit améliorée. Mais il faut tout de même bien réaliser ce qui est proposé dans cet amendement : nous forcerions les chambres de métiers et d’artisanat à produire une notice d’informations, et à appeler ou envoyer un courrier électronique. Ce qui reviendrait à s’immiscer dans leur administration quotidienne et surtout à les obliger à recenser toutes les possibilités existantes de formation à destination des chefs d’entreprises artisanales ou commerciales, pour en informer les artisans. Autrement dit, on leur créerait des obligations légales que je serais bien incapable de satisfaire. Si jamais elles n’informent pas sur une formation qui leur a échappé, quelle pression fait-on peser sur elles !

Nous partageons tous un objectif commun, mais nous avons tendance à prévoir trop de détails dans la loi ; je préfère que l’on travaille sur des programmes de formation dans les CAP et les CMA de manière à bien informer et à recenser les informations qu’il faut transmettre aux créateurs. Cet amendement entre trop dans les détails de ce que doit faire une CMA et leur crée des contraintes impossibles à respecter.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je partage mot pour mot les propos du rapporteur général. Il est toujours simple de créer des obligations supplémentaires lors de nos discussions, mais il faut étudier concrètement ce qu’elles signifient : il faut rédiger la notice, la produire, l’envoyer à chaque personne concernée.

Nous entrons dans un niveau de détail qui me semble sortir du champ de la loi.

Enfin, les chambres des métiers n’y sont pas favorables : nous les avons consultées et elles ne souhaitent pas supporter ces obligations supplémentaires. Nous allons créer une obligation supplémentaire qui ne leur convient pas, parce que c’est une charge supplémentaire, sans que cela ne réponde à l’enjeu.

Je préfère que nous travaillions ensemble à l’amélioration du contenu du stage et à la création d’un module de formation à la gestion dans le cadre de la formation des artisans.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement CS1177 de Mme Laure de La Raudière a été retiré.

La commission est saisie des amendements CS1941 et CS1938 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. J’interviens pour la dernière fois sur cette question des stages, car j’ai compris que la cause était perdue. Mais les réticences exprimées par le rapporteur et le Gouvernement, notamment sur le dernier amendement, me font sourire : la mise en accessibilité d’un commerce, les attestations nécessaires pour l’électricité et le gaz dans un commerce, sont aussi des contraintes. Nous sommes en train de considérer que ce stage, cette formation nécessaire, est totalement accessoire. Je ne suis absolument pas d’accord, et je trouve que la fourniture d’un minimum d’informations sur la gestion d’une entreprise est aussi importante que d’autres contraintes qui existent dans la vie d’un entrepreneur.

En cherchant à simplifier, on porte atteinte à la sécurité et la pérennité des entreprises.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements CS1941 et CS1938.

La commission en vient à l’amendement CS2116 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement porte sur la responsabilité sociale des entreprises, mais sa portée rejoint les débats soulevés par Mme de La Raudière. Il demande au Gouvernement la remise d’un rapport concernant la formation continue et sa montée en qualité sur les questions de gestion et de responsabilité sociale des entreprises, et sur le contenu des stages pour les publics qui n’auraient pas eu accès à la formation de base, y compris les CAP améliorés.

Je ne vais pas m’arc-bouter sur cet amendement, mais nous sommes prêts à une réflexion prospective sur ces questions. Je le retire.

L’amendement est retiré.

L’article 4, modifié, est adopté.

Après l’article 4

La commission est saisie de l’amendement CS58 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Pour assurer une transition douce avec nos derniers échanges, nous restons dans le domaine de la formation. Cet amendement vise à s’assurer que les personnes souhaitant exercer une activité de restauration, qu’elle soit permanente ou occasionnelle, suivent une formation préalable pour des questions de qualité de la prestation offerte mais aussi de sécurité alimentaire. La proposition est donc de lier l’inscription au registre du commerce à une obligation de formation préalable, comme c’est déjà le cas pour les professionnels des métiers de bouche.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable. Nous supprimons le stage de préparation à l’installation (SPI) et nous ne souhaitons pas imposer de nouvelles contraintes. Je vais laisser M. le ministre vous répondre car je crois que le Gouvernement a constitué un groupe de travail interministériel sur cette question.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Si je ne souhaite évidemment pas rétablir le SPI, je pense que la formation des personnes qui veulent travailler dans la restauration est un vrai sujet. La restauration est l’une des activités dans lesquelles se créent le plus d’entreprises. Le groupe de travail associe le ministère de l’intérieur, le ministère de la santé et le ministère de l’économie et des finances. Il s’agit de déterminer l’encadrement de ces activités, ce qui pourra donner lieu, à terme, à des mesures législatives. Je vous invite à retirer cet amendement et à vous associer au groupe de travail.

M. Vincent Descoeur. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS897 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Cet amendement vise à encourager le développement des téléactivités et du télétravail en zone rurale, avec l’objectif de favoriser la délocalisation ou la création d’emplois dans les centres de télétravail créés par des entreprises ou gérés par des collectivités. Notre pays reste en retard dans le développement du télétravail qui pourrait pourtant constituer une réponse, en particulier pour les personnes qui souhaitent résider à la campagne tout en exerçant une activité professionnelle à distance. D’où ma proposition de mettre en œuvre des mesures incitatives en faveur des entreprises qui investiraient dans le développement du télétravail en zone rurale. Il s’agirait notamment, comme le préconise cet amendement, de consentir des exonérations ou une réduction de l’impôt sur les sociétés dans les zones de revitalisation rurale.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cet amendement n’est pas du tout lié au projet de loi que nous que nous examinons mais il traite d’un sujet important. Le télétravail continuera à se développer. En milieu rural mais aussi en milieu urbain, se pose la question de l’aménagement des infrastructures en termes de réseaux et d’espaces de télétravail. Nombre de collectivités réfléchissent et agissent. Elles transforment en espaces de télétravail des lieux dont ce n’était pas forcément la vocation initiale. Elles permettent ainsi à des salariés de ne pas faire du télétravail tout seuls chez eux, ce qui peut être de nature à affaiblir le lien social, mais de se retrouver dans des espaces collectifs respectant évidemment les conditions de sécurité et de confidentialité requises. Il faut continuer à travailler sur ce sujet mais votre amendement n’a pas lieu d’être dans ce texte. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Votre intuition est bonne car le développement du télétravail en zone rurale est extrêmement prometteur. Nous sommes cependant très loin du texte de loi.

M. Vincent Descoeur. Ce n’est pas moi qui l’ai volontairement fléché vers un article additionnel, Monsieur le rapporteur. L’idée était que le télétravail trouve une place dans ce texte sur la croissance des entreprises puisque, de toute évidence, il y a un vrai potentiel qui n’est pas encore exploité. Comme vous l’avez fort justement souligné, Monsieur le rapporteur, des collectivités ont investi dans des infrastructures. À présent, il s’agirait de trouver un moyen d’inciter les entreprises à accompagner ces efforts. Pour ma part, je pense que le télétravail a toute sa place dans ce projet de loi. Je m’autorise même à dire qu’il devrait y prendre une place beaucoup plus importante qu’elle ne l’est à cette heure.

La commission rejette l’amendement.

*

*     *

Article 5
(article 23-1 [nouveau] de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de lartisanat)
Autorisation de la mise en place dune contribution conventionnelle obligatoire pour le financement du FNPCA

Le présent article vise à habiliter les organisations professionnelles du secteur de l’artisanat à mettre en place une contribution conventionnelle obligatoire pour le financement de leur fonds de promotion.

A.   L’État du droit

Crée par le décret n° 97-1040 du 13 novembre 1997, le fonds national de promotion et de communication de lartisanat (FNPCA) est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de l’artisanat. Il a pour objet de contribuer au financement dactions de promotion et de communication à caractère national en faveur de lartisanat.

Depuis sa création, le FNPCA a ainsi mis en œuvre des campagnes nationales qui ont permis d’asseoir la marque collective institutionnelle de l’artisanat dans l’esprit des Français grâce, par exemple, au slogan « L’artisanat, première entreprise de France ». Il a par ailleurs organisé de nombreuses actions de présentations des métiers de l’artisanat auprès des jeunes, grâce à des visites dans des collèges ou autres actions de promotions.

Jusquau 31 décembre 2017, ses ressources provenaient de la collecte dune taxe fiscale affectée (TFA), représentant 10 % du droit fixe pour frais de chambre des métiers, acquittée par chaque entreprise artisanale inscrite au répertoire des métiers, soit environ 11 euros par an et par entreprise. Au total, environ 1,1 million dentreprises en étaient redevables.

Suivant les recommandations de la Cour des comptes qui, dans un référé du 7 mai 2013, avait constaté le caractère peu opérant de la tutelle exercée par l’État sur ce fonds, la loi de finances initiale pour 2018 a supprimé la TFA qui lalimentait, ce qui de facto revient à faire disparaître le fonds.

Cette suppression répondait à la volonté de réduire le poids des prélèvements obligatoires mais, surtout, à celle de laisser aux professionnels de lartisanat linitiative deffectuer cette mission de promotion de leur image, que l’État n’avait ni les moyens d’influencer, ni de contrôler.

B.   Le dispositif proposÉ

Pour permettre aux organisations professionnelles de l’artisanat de poursuivre des actions collectives de communication et de promotion, le gouvernement a souhaité leur donner la possibilité de bénéficier d’une ressource dédiée grâce à la mise en place d’un dispositif ad hoc, reposant sur une contribution conventionnelle obligatoire.

● Le présent article complète à cette fin la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat pour habiliter les organisations professionnelles demployeurs du secteur de lartisanat, à savoir le MEDEF, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) à conclure entre elles un accord pour mettre en œuvre des actions collectives de promotion et de communication (alinéa 2).

Cet accord devra :

– déterminer ces actions de communication et de promotion, à caractère national, en faveur de l’artisanat (alinéa 7) ;

– désigner l’entité de droit privé qui sera chargée de mettre en œuvre ces actions (alinéa 8) ;

– prévoir une contribution destinée à financer les dépenses de ces actions collectives (alinéa 9).

Il ne pourra entrer en vigueur et avoir un caractère obligatoire pour les entreprises concernées qu’à compter de son approbation par arrêté du ministre chargé de lartisanat (alinéa 11).

L’association en charge de ces actions de communication comprendra un conseil d’administration composé de représentants des organisations professionnelles d’employeurs signataires, avec la possibilité d’y faire siéger, avec voix consultative, des représentants de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (alinéa 15).

L’association devra fournir chaque année au ministre chargé de l’artisanat un bilan complet de son activité ainsi que son compte financier (alinéa 18).

● Le dispositif ainsi proposé s’inspire du régime des contributions volontaires obligatoires (CVO) du domaine agricole et de celui des contributions obligatoires admises dans le cadre d’accords collectifs relatifs au développement du dialogue social dans l’artisanat.

Les entreprises qui seront soumises à cette nouvelle contribution conventionnelle obligatoire (CCO), créance de droit privé, seront les mêmes que celles qui étaient assujetties à la taxe affectée. Elles contribueront financièrement à hauteur de l’ancien dispositif.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État estime que « cette mesure, qui poursuit lobjectif de renforcer lattractivité du secteur artisanal et daider les entreprises artisanales à recruter, ne porte pas, au regard de cet objectif, et compte tenu de la modicité du montant de la contribution quil est envisagé de créer, une atteinte disproportionnée à la liberté dentreprendre, ni nemporte de rupture caractérisée de légalité devant la loi. »

C.   la position de la commission spÉciale

Avec l’avis favorable de votre rapporteur, la commission spéciale a adopté trois amendements de précision :

– deux amendements identiques de nos collègues Jean-Marc Zulesi et Adrien Taquet et de plusieurs députés membres du groupe La République en Marche, qui prévoient que les actions de promotion de l’artisanat auront une dimension internationale ;

– un amendement de notre collègue Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de plusieurs députés du groupe La République en Marche, qui prévoit que les actions de promotion porteront également sur les femmes et les hommes de l’artisanat, et pas seulement leurs métiers ;

– un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, présidente, et plusieurs députés du groupe La République en Marche, qui précise que le rapport d’activité de l’association de promotion devra présenter une « mesure de l’efficacité de l’emploi des fonds ».

*

*     *

La commission examine l’amendement CS2118 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. On pensait que cette loi était l’occasion d’avoir une démarche ambitieuse de promotion de l’artisanat qui, de l’avis général, est la première entreprise de France. Nous soutenions évidemment une telle démarche. En fait, la taxe affectée – qui finançait les campagnes de promotion – est remplacée par une contribution volontaire obligatoire (CVO), ce qui ne change rien ou pas grand-chose pour les entreprises. Nous avons assez peu de lisibilité sur la plus-value apportée par cet article. Nous avons même l’impression qu’il n’est utile que pour le ministère des finances, qui n’aura plus à gérer ce fonds. En outre, la collecte de la CVO n’est pas prise en compte dans le cadre du calcul de la pression fiscale, selon les règles de la Commission européenne. Avec cet amendement d’appel, nous voulions manifester notre déception et demander des compléments d’information sur l’objectif de cet article.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable. En fait, nous nous inspirons d’un modèle qui fonctionne particulièrement bien : celui qui existe dans l’agriculture. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’artisanat est absolument essentiel à notre pays. Il est facteur de dynamisme à l’échelle nationale et extrêmement structurant sur le plan local. Il est donc nécessaire d’organiser la promotion de l’artisanat et nous souhaitons confier l’organisation de ces campagnes de promotion aux organisations professionnelles.

Jusqu’à l’année dernière, l’État effectuait un prélèvement qui était reversé à l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA). Celle-ci définissait les promotions sans que l’État n’intervienne sur le contenu de ces activités. À l’avenir, les organisations professionnelles pourront le faire en concertation avec les chambres de métiers et leur structure nationale.

Cet article ne remet pas absolument pas en cause notre volonté de soutenir l’artisanat et la nécessaire promotion de ces métiers. Nous avons pour objectif de développer l’artisanat, qui a d’ailleurs connu une forte progression en 2017, ce dont nous nous réjouissons.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Pour répondre à la question très concrète qui m’est posée, je vais redire à quel point je crois à l’artisanat en France. Je vois les artisans à chacun de mes déplacements depuis dix ans, pas seulement depuis quatorze mois. Je suis persuadé que l’artisanat est un vecteur de développement économique dans les territoires.

Le Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat (FNPCA) a fait un bon travail qui doit être poursuivi. Les campagnes de valorisation et d’explication des métiers d’artisanat ont été plutôt réussies mais les modalités de financement ne nous semblent pas bonnes. À plusieurs reprises, la Cour des comptes a dénoncé les défauts de cette taxe affectée qui est prélevée sur les artisans : un coût de collecte beaucoup trop élevé par rapport au rendement de la taxe ; un problème dans le fonctionnement de l’établissement gestionnaire du fonds.

Nous avons travaillé avec les représentants des artisans. Nous n’avons pas débarqué tout d’un coup en disant : la taxe est supprimée ; circulez, il n’y a rien à voir ! Cela n’a jamais été ma méthode de gouvernement et ma politique. Nous avons vu les représentants des artisans, nous avons rencontré l’Union des entreprises de proximité (U2P). Nous leur avons proposé de créer une CVO. Ceux qui sont passionnés par la viticulture, comme moi, savent que cela marche très bien dans ce secteur. Si la viticulture a aussi bien réussi à se moderniser, c’est grâce à la CVO dans le domaine viticole. Nous avons proposé aux artisans de faire la même chose. Je reconnais bien volontiers ce que l’expression « volontaire obligatoire » peut avoir de jésuite. Mais, un peu de jésuitisme, après tout…

Revenons au raisonnement. La contribution est volontaire dans le sens où ce sont les représentants des artisans qui se mettent volontairement d’accord sur le principe d’établir une contribution. Cette contribution n’est pas imposée par l’État. Cet accord sur le principe, nous l’avons. Il leur reste à s’accorder sur les modalités et le niveau du prélèvement. Une fois que l’accord sera conclu, la contribution pourra être généralisée par un arrêté du ministre de l’économie et des finances. C’est à partir de ce moment-là qu’elle deviendra obligatoire. Elle est bien « volontaire obligatoire » puisque ce sont les artisans qui l’ont voulue.

Nous allons poursuivre les travaux avec ces associations professionnelles. Je suis convaincu qu’elles vont arriver à se mettre d’accord et je voudrais redire à quel point ce système est vertueux. Ce n’est pas une taxe obligatoire dont le montant est fixé par l’État et dont le coût de recouvrement est très élevé. Ce sont les représentants des artisans qui se mettent d’accord entre eux et qui nous demandent de généraliser cette contribution volontaire à l’ensemble des artisans.

Au sein de viticulture, il y a eu beaucoup de débats pour savoir s’il fallait abandonner la CVO pour le financement de la promotion des vins de France et la remplacer par des aides attribuées à chacun des viticulteurs. Ils ont fait le choix de maintenir la CVO et ils s’en portent très bien. Ce modèle est efficace et il permet de remédier aux défauts de la taxe affectée que la Cour des comptes avait dénoncés.

M. Charles de Courson. Voltaire aimait à dire : « c’est jésuitiquement faux ». Monsieur le ministre, je voulais vous interroger sur la vraie nature de cette contribution. Quelle est la vraie nature de Bernadette ? demandait-on autrefois. Vous nous dites que c’est une CVO. C’est un peu bizarre, puisque dans le neuvième alinéa, il est dit que l’accord détermine le montant forfaitaire par entreprise de cette contribution et ses modalités de perception. Ensuite, vous la rendez obligatoire par un arrêté. Êtes-vous sûr que c’est compatible avec la Constitution française ? L’article 34 de la Constitution dit que l’assiette, le taux et les modalités de perception sont définis par la loi. En l’occurrence, le montant forfaitaire de la contribution est fixé par une association. Ensuite, par arrêté, vous direz que vous êtes d’accord. C’est un être étrange.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Étrange mais reconnu par le Conseil d’État qui a validé cette proposition. Le Conseil d’État est expert en étrangeté et, celle-là, il l’a reconnue.

M. Charles de Courson. C’est le Conseil constitutionnel qui décide, pas le Conseil d’État ! Votre réponse, Monsieur le ministre, ne me satisfait pas. Je trouve que c’est un être étrange dont la constitutionnalité m’interroge.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne peux que me répéter. Le Conseil d’État a soulevé un certain nombre de points dont la presse s’est abondamment fait l’écho au cours des derniers jours. S’agissant de cette CVO, il n’a pas soulevé de difficultés. Il a reconnu qu’elle ne posait pas de problème particulier et il l’a écrit noir sur blanc. En ce qui me concerne, je fais confiance aux avis du Conseil d’État. Par principe, le Gouvernement s’appuie sur les avis et décisions du Conseil d’État.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CS1079 de M. Jean-Marc Zulesi et CS1458 de M. Adrien Taquet.

M. Jean-Marc Zulesi. Nous croyons en l’artisanat et, dans cet article 5, nous prévoyons la mise en œuvre d’actions collectives de communication et de promotion de l’artisanat par les associations représentatives du secteur. Cependant, cet article ne prévoit que des actions à l’échelle nationale. Par le biais de ces amendements, nous proposons donc d’étendre les mesures à l’échelle internationale.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable. Cette proposition est utile car, dans certaines conditions, notre artisanat peut rayonner à l’international. Dans les zones frontalières notamment, il y a vraiment des choses très intéressantes à faire, des actions intelligentes à conduire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis très favorable. C’est une excellente idée de promouvoir l’artisanat français à l’étranger. De nombreux secteurs offrent des perspectives positives. Je pense à certains artisans dont les spécialités peuvent être assez pointues : les maroquiniers, les plumassiers, les artisans verriers, les couteliers. Je préfère voir la coutellerie de Thiers s’exporter plutôt que d’assister au débarquement en France de faux couteaux Laguiole fabriqués en Chine. Valorisons nos produits artisanaux qui sont de qualité.

La commission adopte les amendements.

Puis elle passe à l’amendement CS1110 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Si vous le permettez, Madame la présidente, je vais défendre les amendements CS1110, CS2218, CS2219 et CS2221 ensemble puisqu’ils répondent à la même logique.

La loi de finances de 2008 ayant supprimé la taxe fiscale affectée (TFA) qui alimentait le FNPCA, ce fonds disparaît. Ces amendements visent à préciser le nouveau dispositif qui est prévu à l’article 5 du projet de loi. Il s’agit de spécifier que les organisations professionnelles d’employeurs doivent faire la preuve de leur représentativité interprofessionnelle dans le champ de l’artisanat. Même si cela peut sembler aller de soi, la précision mérite d’être apportée. Nous voulons aussi ajouter que l’accord est réputé valide y compris dans le cas où une seule organisation professionnelle d’employeurs intéressée par l’artisanat et reconnue représentative au niveau national et interprofessionnel en serait signataire.

M. Denis Sommer, rapporteur. J’émets un avis défavorable à ces quatre amendements. Si l’accord n’est signé que par une seule organisation, ce n’en est plus un. Il faut qu’il y ait au moins deux parties pour le signer.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. On ne peut pas se marier tout seul. Or c’est un peu ce que nous proposent ces amendements. Une organisation représentative pourrait décider de cette contribution volontaire en l’absence d’accord des autres organisations représentatives. Pour que la contribution soit acceptée par tous les artisans, elle doit être le fruit d’un accord entre toutes leurs organisations représentatives.

M. Daniel Fasquelle. J’ai bien compris qu’il faut être deux pour se marier, et plus qu’une seule personne pour conclure une convention ou un contrat. C’est la raison même de cet amendement : modifier votre texte pour permettre qu’une seule structure puisse porter le projet. Si une seule organisation professionnelle se met sur les rangs parce que toutes les autres restent en retrait, considérant qu’elle est capable de porter le projet, je ne vois pas très bien pourquoi on l’en empêcherait. Ces amendements ne font que couvrir le champ des possibilités. Quant à la précision sur l’artisanat, elle me semble absolument indispensable. Faites un geste en direction de ces amendements qui permettront de préciser le texte sur un point et d’élargir les possibilités sur un autre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Que les choses soient vraiment claires entre nous : dans ce débat, je veux bien faire tous les gestes constructifs, d’où que viennent les amendements. Mais pour créer une contribution volontaire, il faut que toutes les parties soient d’accord. C’est le principe et c’est plus exigeant.

Admettons qu’une organisation, l’U2P par exemple, décide de mettre en œuvre cette contribution volontaire mais que les représentants des petites et moyennes entreprises (PME) – qui représentent environ 30 % des chambres d’artisans – y soit totalement hostiles. Que va‑t-il se passer ? Ils refuseront de contribuer. Il me paraît simple d’étendre un accord de toutes les organisations : ce sera accepté par tous parce que l’on aura trouvé un équilibre entre les différents types d’artisans et de corps de métiers. En revanche, il me semble risqué de partir de l’idée qu’ils ne seront pas capables de s’entendre pour dire que l’accord d’une seule organisation sera suffisant pour créer cette contribution volontaire. Même si je conçois parfaitement le côté pratique de votre amendement, je pense qu’il rendra inapplicable la contribution volontaire car elle se heurtera à la résistance d’artisans.

La commission rejette l’amendement CS1110.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CS2218 de M. Daniel Fasquelle.

Puis elle examine l’amendement CS1078 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. Cet amendement vise à pallier le risque d’absence d’accord entre les organisations professionnelles d’employeurs reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel – la CPME, le MEDEF et l’U2P.

En cas d’échec à trouver un accord dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, les associations représentatives du secteur de l’artisanat doivent être autorisées à conclure un accord entre elles afin de mettre en œuvre ensemble des opérations de communication et de valorisation communes.

Je tiens à signaler que cet amendement a été travaillé avec la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment – CAPEB.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le débat vient d’avoir lieu. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je n’ai pas l’esprit partisan, et je répondrai à M. Zulesi exactement la même chose qu’à M. Fasquelle tout à l’heure, pour les mêmes raisons : avis défavorable.

M. Jean-Marc Zulesi. Je retire mon amendement.

L’amendement CS1078 est retiré.

La commission examine l’amendement CS1492 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Valérie Oppelt. Les femmes représentant aujourd’hui 30 % de l’emploi artisanal, il paraît essentiel que la promotion de l’artisanat passe, de manière égalitaire, par la représentation de femmes et d’hommes.

Par ailleurs, on observe que les professions techniques conservent un recrutement majoritairement masculin. L’un des principaux freins à une ouverture de recrutement demeure les stéréotypes de genre, qui gardent un poids significatif dans l’orientation des élèves. Une communication qui mettrait en avant des modèles féminins dans les secteurs de l’artisanat les plus masculinisés – et vice-versa – permettrait de casser ces stéréotypes qui nuisent à l’attractivité et au renouvellement des métiers de l’artisanat.

Voilà pourquoi cet amendement propose d’insérer après les mots « métiers » les mots « , les femmes et les hommes ».

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable. C’est une précision utile, susceptible d’encourager les initiatives autour de l’entreprenariat au féminin. Dans toutes nos régions – du moins je l’espère – des initiatives de ce genre ont déjà été lancées. Par exemple, et on en a parlé, dans les lycées, dans les collèges, des femmes cheffes d’entreprise viennent présenter leur activité.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Très bonne idée. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CS2219 de M. Daniel Fasquelle.

Elle rejette également, suivant l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement CS2221 de M. Daniel Fasquelle.

Elle examine ensuite l’amendement CS2220 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Même chose, et même argumentation.

M. Denis Sommer, rapporteur. Même avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS383 de M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Il convient que les représentants de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat – APCMA – soient associés étroitement aux décisions de la future association qui gérera la contribution et les actions de promotion en faveur de l’artisanat. Ces représentants doivent donc disposer d’une voix délibérative dans le processus décisionnel.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable. Il semble difficile que l’APCMA ait une voix délibérative, alors qu’elle ne prendra pas entièrement part à la vie de l’association qui sera constituée.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

Lorsque les organisations syndicales représentatives des artisans auront trouvé un accord, elles créeront une association qui aura vocation à gérer et à distribuer cette aide financière, cette contribution volontaire rendue obligatoire par arrêté ministériel. Il s’agira d’une aide publique.

L’APCMA est un établissement public administratif placé sous la tutelle de l’État. Je suis favorable à ce qu’elle ait une voix consultative dans l’organe de gouvernance de l’association – elle pourra donner une orientation, faire des propositions. Mais je suis défavorable à ce qu’elle ait un pouvoir de décision car nous serions alors dans le cadre d’une aide d’État, qui serait sanctionnée par l’Union européenne. On pourrait en effet considérer que l’État, via l’APCMA, distribue des aides aux artisans, et donc à des entreprises privées.

M. Charles de Courson. L’amendement CS383 vise à colmater les brèches, au cas où une partie des organisations professionnelles refuserait de participer. Sinon, que pourriez‑vous faire, Monsieur le ministre ? Vous êtes en effet tenu par l’alinéa 12, selon lequel : « Cette approbation doit être sollicitée conjointement par les organisations professionnelles d’employeurs signataires de l’accord. Pour pouvoir faire l’objet d’un arrêté d’approbation, l’accord, ses avenants ou annexes, répondant aux conditions fixées au II, ne doivent pas avoir fait l’objet, dans un délai d’un mois à compter de la publication par arrêté du ministre chargé de l’artisanat d’un avis au Journal officiel de la République française, de l’opposition écrite et motivée d’une ou de plusieurs organisations professionnelles d’employeurs mentionnées au premier alinéa du I du présent article ».

En pratique, comment lever cette contribution d’environ 11 euros – pour donner un ordre de grandeur – sur des artisans, si l’une de leurs organisations professionnelles exprime son refus ? Sur quelle base ? Le problème a d’ailleurs été soulevé par le Conseil d’État dans son avis, où il est dit que ce n’est pas une CVO, mais un « Canada Dry »…

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous conservons un des principes clé de la loi PACTE, à savoir le principe de responsabilisation. Si les organisations n’arrivent pas à se mettre d’accord, il n’y aura pas de CVO. Sinon, il s’agirait d’une CVO « Canada Dry » – même si ce n’est pas le terme exact.

Il y avait d’autres possibilités. M. Daniel Fasquelle en avait proposé une, à savoir que l’accord d’une des parties pourrait valoir accord général. Je pense que les artisans auraient du mal à l’accepter, mais c’était parfaitement concevable.

Pour notre part, nous partons de ce principe de responsabilisation. Il est nécessaire de communiquer autour du travail des artisans, afin de le valoriser. Cette communication était financée par une taxe affectée, mais ce n’était pas le bon moyen. Aux artisans de se mettre d’accord entre eux pour définir cette contribution. S’ils ne trouvent pas d’accord, je vous le dis crûment, il n’y aura pas de valorisation des métiers de l’artisanat. Et l’accord d’un seul ne vaudra pas accord pour l’ensemble des artisans ; dans un tel cas, il n’y aura pas davantage de contribution.

Ainsi, nous remettons les clés du camion aux artisans, et ce sera à eux de trouver un accord pour promouvoir l’artisanat. Très franchement, s’il faut compter sur l’État pour imposer une taxe affectée parce qu’ils ne sont pas capables de se mettre d’accord pour valoriser leur propre métier, c’est qu’il y a, derrière, un vrai problème !

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1453 de M. Adrien Taquet.

M. Jean-Marc Zulesi. Nous avons largement parlé du mécanisme se substituant à la taxe fiscale affectée aux actions de communication du monde de l’artisanat. Pour suivre au mieux l’efficacité du nouveau mécanisme, le présent amendement précise que le rapport d’activité qui est remis chaque année au ministre chargé de l’artisanat par l’association mettant en œuvre ces actions de communication et de promotion devra comporter une mesure d’efficacité permettant d’apprécier, et le cas échéant de modifier, les orientations stratégiques de cette association.

M. Denis Sommer, rapporteur. C’est une proposition intéressante. Avis favorable

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est une bonne idée. Je suis favorable à tout ce qui permet de mieux mesurer le bon emploi des fonds de communication.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1942, CS1943 et CS1944 de M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. L’ambition de la loi PACTE est de mettre en place un nouveau mode de fonctionnement de l’entreprise – méthodes managériales, méthodes et pratiques des organisations comme le management par la construction de la confiance.

Ces nouveaux modes adaptés à l’instauration d’une confiance entre les salariés et tous les acteurs de l’entreprise permettent d’attacher le salarié à l’entreprise et donc de le fidéliser, d’améliorer l’efficience des salariés dans leurs différents postes, et de prévenir les conflits sociaux. Cela contribue, in fine, à la responsabilisation des acteurs de l’entreprise, et à la facilitation de la croissance des entreprises. À ce titre, les chambres des métiers et de l’artisanat ont un rôle à jouer : recensement, généralisation, et diffusion des bonnes pratiques auprès des entreprises qui souhaiteraient les mettre en œuvre. Tel est l’objet de l’amendement CS1942.

Ensuite, l’amendement CS1943 précise que les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) jouent un rôle, non seulement de facilitation de la croissance des entreprises, mais aussi dans la recherche de financements. Elles pourraient aider les entreprises, qui sont souvent confrontées à des financements multiples et complexes – elles en ignorent parfois même l’existence –, à échelles variables, dont les critères d’éligibilité sont parfois obscurs, et dont le dossier est difficile à monter. Tel est l’objet de cet amendement.

L’amendement CS1944 vise, quant à lui, aussi bien le management des organisations que la recherche de financements.

M. Denis Sommer, rapporteur. Ces trois amendements ne sont pas inintéressants, mais j’émettrai un avis défavorable.

En matière de diffusion des bonnes pratiques, les CMA prennent déjà de telles initiatives. Encore tout récemment, dans ma région, celles-ci ont organisé un grand événement autour du développement numérique dans l’artisanat. Cela correspond tout à fait à ce que vous souhaitez.

En matière d’accompagnement des chefs d’entreprise dans la recherche de financements, elles le font aussi. Très souvent, elles pré-instruisent les dossiers qui seront présentés au niveau de la région. Elles participent même parfois à des comités d’engagement dans des régies d’aide aux entreprises artisanales.

Il est bon de rappeler que les chambres consulaires – pas seulement les CMA – doivent remplir de telles missions au profit des entreprises artisanales. Mais pour l’essentiel, elles le font déjà. Voilà pourquoi je suis défavorable à ces amendements, que je vous suggère de retirer.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis et mêmes explications que le rapporteur.

M. Philippe Bolo. Je retire mes amendements.

Les amendements CS1942, CS1943 et CS1944 sont retirés.

La commission examine l’amendement CS169 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Depuis le début de nos travaux, nous avons souligné, les uns et les autres, que tout ce qui concernait les missions d’appui et d’accompagnement pour les créateurs d’entreprise était très important. Mais nous savons aussi qu’un certain nombre d’entreprises appartiennent à plusieurs réseaux – 65 % des artisans relèvent ainsi à la fois de la CMA et de la chambre de commerce et d’industrie (CCI). Ces réseaux mènent donc en parallèle des actions similaires à destination des entreprises.

Nous vous proposons donc, par cet amendement, de permettre la mutualisation des démarches et services similaires de ces réseaux consulaires, tout en maintenant, bien entendu, deux entités distinctes. Les créateurs d’entreprise pourraient recevoir d’une seule structure les différents conseils ou missions d’appui qui leur sont très chers.

Cet amendement poursuit un objectif de lisibilité et d’efficacité.

M. Denis Sommer, rapporteur. Madame Louwagie, vous posez une excellente question. Je suis même persuadé que l’avenir se construira autour de la mutualisation entre les CMA et les CCI. C’est indispensable, pour les raisons que vous avez indiquées. En mutualisant les charges de structures, on peut dégager davantage de moyens d’intervention. Tout cela va dans le bon sens.

Pour autant, je ne suis pas pour violenter les acteurs. Des expérimentations de mutualisation, qui méritent d’être valorisées, sont déjà en cours. Mais laissons les acteurs construire ces partenariats. Ce serait une erreur de les y contraindre. En agissant de manière autoritaire, nous risquerions de bloquer le processus.

Enfin, votre amendement présente un petit défaut : il limite le partenariat ou la mutualisation à la même circonscription. Ce n’est pas forcément heureux. Par exemple, j’habite dans le nord du département du Doubs, à quinze kilomètres du Territoire de Belfort. Or tous les acteurs travaillent ensemble, alors qu’ils se trouvent dans deux départements différents, et dans des circonscriptions différentes.

Même si sur le fond de la démarche, vous avez raison, je vous demande de retirer cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’idée est excellente, mais sa réalisation pose problème.

D’abord, son application est limitée au même ressort territorial, comme vient de l’indiquer le rapporteur. Ensuite, on rencontrerait des problèmes juridiques, puisque les CCI départementales n’ont pas la personnalité morale, à la différence des CCI régionales. Enfin, il est possible de procéder de manière incitative.

C’est un bon amendement d’appel, dans la mesure où il porte sur un vrai sujet : il est évident que CMA et CCI – et je leur ai déjà fait passer le message – devront mettre en commun des moyens. J’ai rappelé aux CMA qu’elles avaient été épargnées budgétairement – ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent – mais que l’on attendait d’elles qu’elles fassent des économies de structures et de dépenses de fonctionnement en se mutualisant avec les CCI.

Sur le principe, je suis totalement d’accord. Mais je considère que c’est plutôt un amendement d’appel – j’espère que celui-ci sera entendu. Je vous propose donc moi aussi de retirer cet amendement.

M. Nicolas Forissier. Je suis cosignataire de cet amendement. Je sais personnellement ce que c’est que de dépendre à la fois de la CMA et de la CCI, et je considère que la démarche que préconise Mme Louwagie est la bonne.

J’ai entendu que vous étiez favorables au principe, et acquis à l’idée que l’on puisse y réfléchir. Il s’agit d’une mesure incitative, d’un appel lancé aux responsables consulaires, qui viendrait renforcer ce mouvement nécessaire et inéluctable de mutualisation, que, du reste, certaines régions expérimentent déjà dans le cadre de leurs nouvelles compétences économiques.

Monsieur le ministre, je pense que l’on peut aller plus loin à l’occasion de cette loi. Ce serait un signe très fort.

M. Mohamed Laqhila. Je soutiens cet amendement. Il arrive souvent que les entreprises relèvent à la fois d’une CMA et d’une CCI.

Nous avons voté un amendement visant à aider les artisans à exporter. En effet, ceux‑ci ne sont pas suffisamment outillés pour y parvenir. Les aides sont bien plus nombreuses au niveau des chambres de commerce. Il faut aider nos artisans à aller vers l’international.

Je souhaiterais même que l’on aille plus loin – mais je reconnais que parler de fusion peut faire peur. En tout cas, l’idée de mutualisation est aujourd’hui appréciée par l’ensemble des acteurs. Cet amendement va donc dans le bon sens.

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais réagir sur deux points.

Premièrement, rien n’est obligatoire. Il est prévu, dans cet amendement, que les CMA et les CCI « peuvent mutualiser ». C’est un objectif de promotion du dispositif et de mutualisation qui est ici poursuivi.

Deuxièmement, j’ai bien entendu les réserves du rapporteur sur l’application territorialement limitée de mon amendement, et celles du ministre sur la différence de capacité juridique entre les chambres départementales et régionales. Mais on devrait pouvoir reprendre le texte.

Voilà pourquoi, si vous êtes favorables à ce dispositif, je propose de retirer l’amendement de façon à pouvoir le réécrire avant la séance.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis favorable à cette idée, que je trouve très bonne. À nous de voir, ensuite, s’il faut conserver cet amendement dans cette partie du texte, ou le placer à l’article 13 sur les CCI.

M. Charles de Courson. Je voulais dire au ministre qu’il était très conservateur et qu’il fallait au contraire appuyer l’idée de Mme Louwagie ! Mais il vient de changer de position, ce dont je le félicite car c’est un amendement plein de bon sens.

J’ajoute que dans les départements d’outre-mer, il n’y a pas une chambre de métiers, plus une chambre de commerce, plus une chambre d’agriculture : il y a une chambre unique. Je trouve qu’on gagnerait à permettre à ceux qui veulent aller de l’avant d’aller jusqu’à fusionner. Disons que l’amendement de Mme Louwagie constitue une étape.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Si j’ai bien compris, Madame Louwagie, vous retirez votre amendement, dans l’idée de le retravailler d’ici la séance ?

Mme Véronique Louwagie. En effet.

L’amendement CS169 est retiré.

La commission examine alors l’amendement CS1274 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. L’artisanat est la première entreprise de France. Ce sont en général de toutes petites entreprises, avec des gens qui ont énormément de talent et de savoir-faire, d’ailleurs très clairement reconnus par les Français. En revanche, les artisans se modernisent et se numérisent très peu. Or cela les fragilise vis-à-vis de leurs propres clients, avec lesquels ils ont encore des contacts très classiques – au lieu de leur donner, par exemple, la possibilité de communiquer ou de commander en ligne. Cela fragilise aussi leur propre fonctionnement interne. Il y a là de quoi s’inquiéter.

À cause de cela, on a vu certaines professions finir par s’ubériser. D’où l’idée de créer un fonds dédié à l’innovation pour accompagner les entreprises artisanales dans leur développement et dans leur transformation numériques.

Voilà pourquoi je souhaite que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur le sujet.

M. Denis Sommer, rapporteur. Vous demandez, Madame de La Raudière, un rapport au Gouvernement mais pourquoi le Parlement ne se saisirait-il pas d’une telle question ?

Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Que la numérisation représente un défi pour les entreprises artisanales, je le reconnais bien volontiers et Mme Laure de La Raudière a raison de mettre le doigt sur cette difficulté.

Cela dit, plusieurs dispositifs d’aide à l’innovation existent déjà : ceux de Bpifrance, ceux des agences régionales de l’innovation qui accompagnent les artisans ainsi que les prêts croissance destinés aux très petites entreprises (TPE).

Comme le souligne le rapporteur, je pense très honnêtement que le Parlement peut rédiger un rapport portant sur cet enjeu et déterminer si ces dispositifs sont ou non suffisants.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CS8 de M. Vincent Descoeur, CS168 de Mme Véronique Louwagie, CS559 de M. Éric Pauget et CS1230 de M. Pierre Dharréville ainsi que l’amendement CS487 de M. Pierre Cordier.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS8 vise à interdire la possibilité de cumuler l’activité de micro-entrepreneur avec celle de salarié dans un même secteur d’activité. Ce cumul ne peut en effet se traduire que par une distorsion de concurrence de nature à remettre en cause la pérennité même des petites entreprises concernées. En outre, cette double activité pose la question du respect de la durée du travail. Elle pourrait être source d’accidents du travail.

Par ailleurs, l’amendement propose de limiter à deux ans le bénéfice du régime de la micro-entreprise pour revenir à l’esprit originel du dispositif.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je comprends la crainte qu’éprouve M. Descoeur mais je tiens à le rassurer.

L’employeur est protégé de la concurrence déloyale exercée par son salarié. Le droit existant est très clair sur ce point : le salarié a une obligation de fidélité et de loyauté vis-à-vis de son employeur qui peut le dénoncer s’il se livre à des activités concurrentes pour son propre compte. Les salariés n’ont pas le droit d’exercer une activité artisanale de micro‑entrepreneur qui correspond à l’objet du contrat qu’ils ont signé avec leur employeur.

La limitation à deux ans du bénéfice du régime de la micro-entreprise est un souhait exprimé par certains. Le problème, c’est que beaucoup de micro-entrepreneurs ont du mal à vivre les deux premières années de leur activité. Si vous les privez de ce régime au bout de ce laps de temps, je crains que le million d’auto-entrepreneurs que compte notre pays se retrouve dans une situation extrêmement difficile.

Mme Véronique Louwagie. Le régime de la micro-entreprise est certes un sujet délicat mais la concurrence déloyale exercée dans certains domaines d’activité par les salariés à l’égard de leur employeur est un phénomène à prendre en considération, tout comme le travail au noir.

S’agissant de la limitation à deux ans, n’oublions pas que l’esprit initial du dispositif consistait à accorder à l’entrepreneur une période de réflexion pendant laquelle il pouvait mesurer les chances de réussite de son entreprise.

M. Arnaud Viala. L’amendement CS559 est défendu.

M. Pierre Dharréville. Alors que les entreprises doivent respecter une limitation de la durée du travail pour leurs employés, notamment pour des raisons de sécurité, il paraît surprenant voire dangereux qu’un salarié puisse, en toute légalité, effectuer en plus de ses heures de travail dans une entreprise une activité à l’extérieur sans avoir à se conformer aux normes et obligations en matière de santé et de sécurité et sans être soumis à des limites horaires. L’amendement CS1230 propose de modifier le régime de la micro-entreprise pour empêcher certains effets pervers, notamment le dumping.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CS487 est motivé par les mêmes raisons que ceux de mes collègues Vincent Descoeur et Véronique Louwagie.

Certes, la loi protège l’employeur, Monsieur le ministre, mais force est de constater que ce garde-fou n’est pas respecté : l’employé ne se déclare bien souvent pas à l’employeur, ce qui réduit pour ce dernier les possibilités d’agir.

En outre, permettre une double activité peut mettre en difficulté certaines petites entreprises dont l’équilibre financier est fragile car cela les expose à une concurrence déloyale.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le problème que vous soulignez, Mesdames, Messieurs les députés, m’a été signalé par beaucoup d’artisans – de façon parfois un peu exagérée. J’estime que juridiquement nous disposons de toutes les réponses pour faire face à ce genre de situation. Peut-être faut-il seulement durcir l’application des règles existantes.

Quant au régime de la micro-entreprise, je rappelle qu’il a permis à un million de personnes d’accéder à l’entrepreneuriat. Beaucoup de micro-entrepreneurs restent micro‑entrepreneurs : ils sont peu nombreux à créer des PME ou a fortiori des grandes entreprises. Si vous limitez à deux ans le bénéfice de ce régime, vous risquez de voir se développer le travail au noir.

Un équilibre a été trouvé et j’estime qu’il faut le préserver. Il faut être très strict sur l’application du droit existant mais nous n’avons pas besoin de le modifier.

M. Charles de Courson. Depuis que le régime de la micro-entreprise a été créé – sous une majorité de droite –, des amendements du type de ceux que nous examinons ont été déposés de manière répétée. Pourquoi ne tiennent-ils pas la route ?

D’abord, la limitation à deux ans revient à tuer le dispositif : beaucoup d’auto‑entrepreneurs sont des retraités ou ont des activités complémentaires à temps partiel.

Ensuite, interdire à un salarié d’exercer une activité d’auto-entrepreneur dans le même secteur d’activité que l’entreprise où il est employé – peut-être à temps partiel – me paraît inconstitutionnel : vous ne respectez pas le droit au travail.

S’il existe des abus, la solution doit passer par des contrôles accrus.

M. Dominique Potier. Rappelons la genèse du régime de l’auto-entreprise : voulu par M. Hervé Novelli, alors secrétaire d’État, il était sous-tendu par une pensée libérale, analogue à celle qui prévaut aujourd’hui. Il reposait sur ce qui nous apparaît en grande partie comme une fiction : des individus mis sur le côté pourraient créer leur entreprise grâce à une libéralisation du régime. Nous savons à quels résultats cela a abouti : une concurrence déloyale s’est développée avec des effets de dumping patents.

Je tiens à saluer ici le travail approfondi qu’a mené M. Laurent Grandguillaume. Écoutant les différentes parties, il a cherché à construire des solutions pour harmoniser les statuts, ce qui a contribué à améliorer la situation, jusqu’à alors confuse, et à limiter les aberrations. Pour cette raison, notre groupe s’est abstenu de déposer des amendements prônant une limitation du régime à deux ans.

J’aimerais livrer au débat deux pratiques qui me paraissent scandaleuses.

Il s’agit, d’une part, de la sous-traitance organisée dans le cadre de l’auto-entreprise dans le secteur du bâtiment. C’est un détournement complet du droit qui crée une concurrence malsaine et qui détruit des métiers de l’artisanat.

Il s’agit, d’autre part, des cours dispensés par les professeurs en tant qu’auto‑entrepreneurs, ce qui me paraît être un dévoiement des principes de la fonction publique dans notre République – et je vais peut-être me faire beaucoup d’ennemis dans mon électorat en disant cela.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Voilà un débat de fond : je suis en désaccord complet avec vous, Monsieur Potier. Vous faites partie de ces responsables politiques qui font le choix du chômage de masse dans notre pays, disons les choses comme elles sont. Allez donc expliquer aux auto-entrepreneurs qui ont créé leur boîte de jardinage, de conseil, de programmateur informatique, d’accompagnateur qu’ils ne servent à rien et que leur activité n’est que le produit d’une épouvantable pensée libérale qui exploite les gens !

Certes, il faut éviter les excès et les abus mais j’estime que la création du régime de la micro-entreprise était une bonne idée : cela a constitué une réponse concrète et efficace au chômage ; cela a permis à chacun de développer son talent dans le secteur d’activité qui était le sien. Je veux marquer ici une vraie différence de philosophie politique. Le taux de chômage, même s’il baisse depuis un an, atteint encore 9 % et je pense que toutes les solutions doivent être employées pour parvenir au plein emploi dans notre pays et le micro‑entrepreneuriat en fait partie.

M. Charles de Courson. J’aimerais rappeler à nos collègues socialistes que dans le projet de loi « Pinel », et dans votre programme électoral même, vous aviez envisagé de supprimer le régime de la micro-entreprise. À la suite de la mobilisation des auto‑entrepreneurs, vous y avez, avec sagesse, renoncé. Vous vous êtes donc ralliés à ce qui était et ce qui reste une bonne idée et je vous en félicite.

M. Daniel Fasquelle. Je ne suis pas favorable à une limitation à deux ans. L’activité exercée dans le cadre d’une micro-entreprise peut être secondaire et il est nécessaire qu’elle puisse s’inscrire dans la durée.

M. le ministre considère que des solutions existent déjà et je prends note de la volonté du Gouvernement de lutter contre les abus. Il ne me paraîtrait toutefois pas aberrant d’adopter le principe d’une interdiction du cumul d’activités : ce ne serait pas la première fois que nous adopterions ici une disposition qui ne ferait que répéter une autre présente dans un autre texte, dans un but pédagogique. Si toutefois elle n’est pas votée, j’espère que le Gouvernement fera en sorte que les règles soient appliquées.

La commission rejette successivement les amendements identiques et l’amendement CS487.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements CS340 et CS341 de Mme Véronique Riotton.

M. Patrice Perrot. L’amendement CS340 vise à faciliter l’accès à la profession de conducteur de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) en généralisant le principe de la dématérialisation totale des démarches administratives.

L’amendement CS341 prévoit quant à lui d’élargir à d’autres organismes que les chambres des métiers et de l’artisanat la possibilité d’organiser les examens nécessaires pour devenir chauffeur de VTC.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cela renvoie à une discussion que nous avons eue sur le travail du dimanche. Je ne souhaite pas que nous ouvrions des débats qui ne rentrent pas dans la cohérence de la loi PACTE même s’ils sont tout à fait légitimes. On peut bien sûr s’interroger sur les organismes qui doivent faire passer les examens aux chauffeurs de VTC. On peut aussi s’interroger sur les examens en eux‑mêmes : répondent-ils vraiment aux exigences qu’on est en droit d’attendre d’un conducteur automobile ? Je vous invite à regarder les questions qui sont actuellement posées aux candidats, vous serez un peu surpris, vous le verrez. Ce débat, je propose qu’il ait lieu dans le cadre de la loi « Mobilités ». Je vous suggère donc, Monsieur Perrot, de retirer ces deux amendements.

Les amendements sont retirés.

*

*     *

Article 5 bis (nouveau)
(articles 1-1 [nouveau] et 18 de la loi n°83-657 du 20 juillet 1983 relative au développement de certaines activités d’économie sociale)
Modernisation du statut de coopératif artisanal

Issu de deux amendements identiques de nos collègues Denis Masséglia et le groupe La République en Marche, et Philippe Bolo et le groupe Modem, le présent article vise à moderniser le statut coopératif artisanal :

– il prévoit en premier lieu de définir le contrat coopératif afin de sécuriser la relation associé-coopérative, celle-ci s’inscrivant dans un cadre juridique spécifique distinct d’autres régimes, comme la sous-traitance ;

– il réécrit partiellement les dispositions relatives aux conditions de nomination des membres des organes d’administration des sociétés coopératives. Il s’agit de permettre aux conjoints des chefs d’entreprise membres de la société coopérative (entrepreneurs individuels ou représentants légaux de personnes morales) de siéger quel que soit leur statut – collaborateur, associé ou salarié – dans les organes d’administration de la coopérative et, le cas échéant, d’en assurer les fonctions de présidence.

– il apporte enfin des clarifications et précisions rédactionnelles aux dispositions existantes.

*

*     *

La commission est saisie ensuite des amendements identiques CS1461 de M. Adrien Taquet et CS2005 de M. Philippe Bolo.

M. Éric Girardin. L’amendement CS1461 entend moderniser le statut coopératif artisanal de deux manières : il prévoit tout d’abord de sécuriser la relation associé-coopérative en renforçant le caractère indissociable de la qualité d’utilisateur de services et d’associé de la coopérative ; il donne, par ailleurs, plus de place aux conjoints des chefs d’entreprise individuelle qui pourrait siéger dans la coopérative, quel que soit leur statut – collaborateur, associé ou salarié.

M. Philipple Bolo. L’amendement CS2005 est défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur. Il s’agit de très bons amendements : avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable également.

La commission adopte les amendements. L’article 5 bis est ainsi rédigé.

Article 5 ter (nouveau)
(articles L. 526-6 A [nouveau], L. 526-6, L. 526-7, L. 526-8, L. 526-8 -1 [nouveau], L. 526-9, L. 526-10, L. 526-11, L. 52612, L. 526-13, L. 52614, L. 526-15, L. 526-17, L. 526-19 et L. 653-3 du code de commerce)
Clarification et simplification du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)

Issu d’un amendement de notre collègue Denis Masséglia et plusieurs députés du groupe La République en Marche, le présent article a pour objet de clarifier et simplifier le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

Tout d’abord, afin d’assurer une meilleure visibilité au régime choisi lors d’une création ou d’une reprise d’entreprise, il prévoit que toute personne physique exerçant une activité professionnelle en nom propre déclare, lors de la création de l’entreprise, si elle souhaite exercer en tant qu’EIRL ou en tant qu’entrepreneur individuel.

Pour faciliter la création de l’entreprise et à alléger les formalités d’affectation du patrimoine, il prévoit que l’EIRL puisse débuter son activité avec un patrimoine d’une valeur égale à zéro. L’article supprime ainsi l’obligation de déposer un état descriptif en début d’activité et permet au créateur de constituer un patrimoine affecté sur simple déclaration.

Il simplifie par ailleurs les formalités relatives à l’affectation et à l’actualisation du patrimoine affecté et supprime l’obligation de faire intervenir un expert en cas d’affectation d’un bien en nature de plus de 30 000 euros, afin d’alléger le coût des formalités de l’EIRL.

Enfin, pour favoriser le rebond de l’EIRL, le présent article revoit le dispositif des sanctions. Il supprime ainsi des hypothèses de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer dont les conséquences apparaissent disproportionnées lorsque les fautes ont été commises sans intention frauduleuse. La confusion de patrimoine est toutefois maintenue en cas de fraude ou de manquement grave aux règles de tenue de la comptabilité car il n’est pas ici question de favoriser les entrepreneurs malhonnêtes au détriment de leurs créanciers.

*

*     *

La commission  examine, en discussion commune, l’amendement CS1423 de M. Adrien Taquet, l’amendement CS133 de M. Vincent Descoeur et l’amendement CS41 de M. Paul Christophe.

M. Éric Girardin. L’amendement CS1423 permet de mettre en avant le régime de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL). L’entrepreneur pourra choisir d’exercer en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée dès la création de son entreprise.

L’amendement prévoit en outre que l’EIRL pourra commencer son activité avec un patrimoine d’une valeur égale à zéro euro. L’entrepreneur pourra ultérieurement affecter le patrimoine dont il a besoin pour son activité sur simple déclaration, sans avoir à faire appel à un expert comme c’est le cas actuellement pour un bien de plus de 30 000 euros.

Enfin, cet amendement vise à favoriser le rebond de l’entrepreneur en supprimant les hypothèses de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer.

M. Vincent Descoeur. Dans un souci de protection du chef d’entreprise, l’amendement CS133 propose de s’assurer que le choix entre le statut d’entrepreneur individuel et celui d’entrepreneur individuel à responsabilité limité se fasse lors de la création de l’entreprise. Cette disposition suppose un accompagnement des créateurs d’entreprise afin qu’ils puissent faire un choix pleinement motivé.

Mme Laure de La Raudière. Au moment où vous créez votre entreprise en nom propre, vous devez choisir son statut : entreprise individuelle ou entreprise individuelle à responsabilité limitée. Qu’apporte votre amendement par rapport au droit existant ?

M. Paul Christophe. L’amendement CS41 vise à appeler l’attention sur la complexité des dispositifs actuels. La majorité des créations d’entreprise s’effectue aujourd’hui à travers le statut d’entrepreneur individuel. Or, en l’absence de personnalité juridique propre, l’entreprise individuelle se confond souvent avec la personnalité de l’entrepreneur. Afin de remédier aux inconvénients que cela entraîne, le législateur a créé ces dernières années de nouveaux types de structures et de régimes juridiques et fiscaux : entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), EIRL. Loin de simplifier la situation, la pluralité des dispositifs a contribué à accroître la complexité des choix pour les créateurs d’entreprise.

Le présent amendement vise à instaurer un statut unique et évolutif applicable de plein droit à l’entreprise individuelle et reposant sur une distinction entre le patrimoine professionnel de l’entreprise et le patrimoine de l’entrepreneur. Elle permettrait d’assurer une protection systématique et automatique du patrimoine personnel et familial de l’entrepreneur, d’instaurer un impôt sur les bénéfices de l’entreprise individuelle distinct de la fiscalité applicable à l’entrepreneur, et de baser l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales sur les seules sommes prélevées par le dirigeant.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable sur l’amendement CS1423 et défavorable sur les autres.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je voudrais d’abord rendre hommage à Laure de La Raudière qui a été rapporteure de la loi à l’origine de l’EIRL, qui a constitué un progrès dans la protection des entrepreneurs. Le seul inconvénient de ce régime, c’est qu’il suppose de faire un acte positif pour le choisir alors que toutes les personnes souhaitant créer une entreprise ne sont pas forcément bien informées. En faisant de l’EIRL le régime par défaut au moment de la création de l’entreprise, ces trois amendements visent un bon objectif. Comme il ne faut n’en retenir qu’un, je choisirai l’amendement CS1423. Je suggérerai donc à M. Descoeur et à M. Christophe de retirer leurs amendements.

M. Jean-Paul Mattei. Pardonnez-moi de le dire, Madame de La Raudière, mais l’EIRL a été un échec. Si nous adoptons l’un de ces amendements, qui reviennent à révolutionner le droit des sociétés et des personnalités morales, il faudra s’interroger sur le statut fiscal de l’EIRL, notamment en cas d’évolution de la structure. Dans le prochain projet de loi de finances, nous devrons travailler sur le frottement fiscal en cas de plus-values et sur le report d’imposition.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis d’accord avec votre analyse, Monsieur Mattei. Il est important que nous discutions de ces questions dans le cadre du projet de loi de finances. Vos arguments ne font toutefois que renforcer la nécessité de faire de l’EIRL le statut par défaut.

Les amendements CS133 et CS41 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CS1423. L’article 5 ter est ainsi rédigé.

*

*     *

Section 2
Simplifier la croissance de nos entreprises

Article 6
(articles L. 130-1 [nouveau], L. 131-4-2, L. 133-5-6, L. 137-15 et L. 834-1du code de la sécurité sociale, article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de lartisanat, article 121-4 du code de commerce, articles L. 411-1 et L. 411-9 du code du tourisme, articles L. 2333-64 et L. 2351-2 du code général des collectivités territoriales, articles L. 1231-7 [nouveau], L. 1311-2, L. 2142-8, L. 3121-38, L. 3262-2, L. 4228-1 [nouveau], L. 4461-1 [nouveau], L. 4621-1 [nouveau], L. 5212-1, L. 5212-4, L. 5212-5-1, L. 5212-14, L. 6243-2, L. 63151 et L. 6323-13 du code du travail, article L. 561-3 du code de lenvironnement, article L. 313-1 et L. 313-2 du code de la construction et de lhabitation)
Nouvelles modalités de calcul et rationalisation des niveaux de seuils deffectifs

Le présent article a pour objet, d’une part, d’harmoniser les modalités de calcul des seuils d’effectifs et, d’autre part, de rationaliser ces niveaux de seuil. Il met également en place un nouveau mécanisme d’atténuation des effets de seuil.

A.   L’État du droit : un systÈme complexe et illisible

● Afin de proportionner les contraintes administratives ou financières à la taille des entreprises, certaines obligations ou régimes juridiques ne sappliquent quaux entreprises ayant dépassé un certain seuil deffectifs.

Toutefois, ces seuils peuvent constituer un frein à leur croissance et aux embauches dès lors que leur franchissement génère des obligations juridiques ou financières supplémentaires – ce que l’on appelle les « effets de seuil ». Ils entraînent ainsi des effets de distorsion sur les entreprises, confirmées par plusieurs études économiques.

Il a ainsi été mis en évidence de fortes discontinuités autour des seuils de dix, vingt et cinquante salariés, avec un effet important sur la dynamique de croissance des entreprises. En 2008, déjà, le rapport Attali ([13]) avait souligné par exemple que le passage de quarante-neuf à cinquante salariés entraînait l’application de trente-quatre législations et réglementations supplémentaires dont le coût représentait 4 % de la masse salariale.

D’autres études, internationales, ont par ailleurs mis en évidence une concentration dentreprises avant le seuil de cinquante salariés, en France, absente aux États-Unis ou en Allemagne.

RECENSEMENT DES SEUILS APPLICABLES AUX ENTREPRISES

Code/législation

Seuils de moins de 11 salariés

Seuils de 11 salariés

Seuils de 20 salariés

Seuils entre 20 et 50 salariés

Seuils de 50 salariés

Seuils entre 50 et 250 salariés

Seuils de 250 salariés

Seuils de plus de 250 salariés

Totaux

Code du travail

2

14

4

2

25

8

6

27

88

Dont ordonnances du travail

 

7

1

 

14

 

 

12

34

Code de commerce

5

 

7

 

10

3

9

5

39

Code général des impôts et loi de finances

6

4

1

 

4

 

16

1

32

Code de la sécurité sociale

2

3

6

1

4

1

2

 

19

Code monétaire et financier

4

 

 

 

2

 

2

1

9

Code des transports

 

 

 

 

1

1

1

 

3

Code de l’environnement

 

 

2

 

 

 

 

 

2

Code du tourisme

 

 

 

 

2

 

 

 

2

Code général des collectivités territoriales

 

1

 

 

 

 

 

 

1

Législation relative à l’artisanat

1

 

 

 

 

 

 

 

1

Code de la construction et de l’habitat

 

 

1

 

 

 

 

 

1

Législation relative aux lanceurs d’alerte

 

 

 

 

1

 

 

 

1

Code rural et de la pêche

 

 

1

 

 

 

 

 

1

Totaux

20

22

22

3

49

13

36

34

199

Source : étude d’impact du projet de loi, page 82.

Un recensement effectué par le gouvernement a ainsi identifié pas moins de 199 seuils (cf. tableau ci-dessus). Plus de 58 % de ces seuils se situent à des niveaux inférieurs à cinquante salariés et plus, et près de 83 % à des niveaux inférieurs à deux cent cinquante salariés et plus.

● Ces seuils constituent en outre aujourd’hui un environnement juridique complexe et peu lisible pour les chefs d’entreprise, du fait de la diversité des modes de décompte et à la multiplicité des niveaux.

Les modes de calcul de leffectif salarié peuvent varier considérablement selon la législation appliquée. On peut notamment relever des différences dans les domaines suivants :

la période ou la date de référence sur laquelle leffectif est calculé : l’article R. 130-1 du code de la sécurité sociale considère que l’effectif salarié est fondé sur une moyenne établie au cours de l’année civile précédente. En droit du travail, il peut s’agir par exemple d’une période de douze mois consécutifs pour ce qui concerne le comité social et économique ou d’une période de six mois pour l’obligation d’un règlement intérieur ;

le périmètre des effectifs pris en compte : le code de la sécurité sociale prend ainsi en compte les mandataires sociaux affiliés au régime général de la sécurité sociale, ce que ne font pas le code du travail, le code de commerce ou le code général des impôts. À l’inverse, les intérimaires ne sont pas pris en compte au sein de l’entreprise utilisatrice dans le code de la sécurité sociale, alors qu’ils le sont en droit du travail. Les contrats à durée déterminée sont en principe comptabilisés dans l’effectif mais certains articles du code de commerce peuvent prendre en compte les seuls contrats à durée indéterminée ;

le niveau dappréciation de leffectif pris en compte : la plupart des législations fixent les seuils d’effectifs au niveau de l’entreprise mais le code du travail, par exemple, fixe un nombre important de seuils au niveau de l’établissement, comme pour l’obligation de règlement intérieur ou l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés.

Faute de rationalité visible par les agents économiques, la législation ne peut prétendre orienter leurs comportements. Face à cette situation, il est proposé une simplification radicale du régime des seuils.

B.   Le dispositif proposÉ

1.   Un mode de calcul harmonisé

● Le présent article harmonise tout d’abord le mode de calcul des effectifs salariés en étendant à dautres législations le mode de décompte actuellement prévu par larticle R. 130-1 du code de la sécurité sociale, que cela soit en matière de période, de périmètre ou de niveau d’appréciation de l’effectif pris en compte. Cet article peut en effet être considéré comme le plus favorable aux entreprises et donc plus facilement applicable aux autres législations.

Le nouvel article L. 130-1 du code de la sécurité sociale consacre donc ce mode de calcul dans la loi. Il précise ainsi que l’effectif de l’entreprise correspondra « à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de lannée civile précédente » (alinéa 5).

Demeureront toutefois au niveau réglementaire, par décret en Conseil d’État, la détermination des catégories de personnes incluses dans cet effectif ainsi que les modalités de leur décompte (alinéa 8).

● Ce mode de calcul s’appliquera aux seize dispositifs du code de la sécurité sociale qui prévoient un seuil d’effectif mais aussi aux douze cas suivants :

– à l’obligation d’immatriculation des entreprises artisanales (alinéa 25) ;

– au code du tourisme, pour les seuils d’effectifs prévus pour les dispositions en matière de chèques-vacances (alinéas 31 et 33) ;

– aux dispositions du code général des collectivités territoriales en matière de versement de transport (alinéas 36 et 38) ;

– à plusieurs dispositions du code du travail concernant la contrepartie sous forme de repos obligatoire en heures supplémentaires (alinéa 47), la mise en œuvre de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés (alinéa 56), l’exonération de cotisations sociales en matière d’apprentis (alinéa 64) ou encore l’abondement du compte personnel de formation à la suite d’obligations non satisfaites en matière d’entretien professionnel (alinéas 66 et 68) ;

– au code de l’environnement pour le calcul des aides du fonds de prévention des risques naturels (alinéa 70) ;

– au code de la construction et de l’habitat pour la participation de l’employeur à l’effort de la construction (alinéa 75).

Par ailleurs, ce mode de calcul s’appliquera aux seuils du code du travail de niveau réglementaire suivants :

– obligation de transmission dématérialisée à Pôle emploi des attestations et justifications permettant au salarié d’exercer ses droits aux prestations (alinéa 41) ;

– obligation de mise à disposition d’un local de restauration (alinéa 50) ;

– obligation de désigner une personne tierce pour assurer la fonction de conseiller à la prévention hyperbare (alinéa 52) ;

– obligation de tenir un document en matière d’adhésion au service de la santé au travail (alinéa 54).

Au total, ce sont donc seize nouveaux dispositifs qui bénéficieront du mode de calcul des effectifs prévu par le nouvel article L. 130-1 du code de la sécurité sociale.

2.   Un délai de cinq ans pour répondre aux obligations de franchissement d’un seuil

Afin d’atténuer les effets de seuil et de favoriser le développement des entreprises, le présent article introduit une règle nouvelle, au nouvel l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale, qui précise que le franchissement à la hausse dun seuil deffectif nest pris en compte que sil a été atteint ou dépassé pendant cinq années civiles consécutives (alinéa 9).

Il s’agit là de protéger les entreprises dont l’effectif fluctue autour d’un seuil et de fluidifier leur croissance. Seules seront donc assujetties à de nouvelles obligations ou contraintes les entreprises ayant franchi durablement un seuil.

Si, à l’inverse, l’effectif diminue et revient à un niveau inférieur au seuil, celui-ci devra de nouveau être atteint durant cinq années consécutives pour générer l’obligation (alinéa 10).

3.   La rationalisation du nombre de seuils

Le présent article prévoit, enfin, de rationaliser les niveaux de seuils d’effectifs existants, en privilégiant les seuils de onze, cinquante et deux cent cinquante salariés et en essayant de réduire le nombre de seuils deffectifs au niveau de vingt salariés. Cela doit contribuer à simplifier et rendre plus lisible l’environnement juridique des entreprises.

L’article prévoit ainsi :

– de faire passer de « pas de plus de dix » à « moins de onze salariés » le seuil en-dessous duquel l’immatriculation au répertoire des métiers est obligatoire pour les activités artisanales (alinéas 21 à 23) ;

– de faire passer de « plus de cinquante » à « cinquante ou plus » le seuil relatif à l’exonération de cotisations sociales à la charge de l’employeur au titre des assurances sociales et des allocations familiales pour les salariés embauchés dans les zones de revitalisation rurale (alinéa 11).

Il supprime également certains seuils de vingt salariés :

– celui prévu à l’article L. 133-5-6 du code de la sécurité sociale pour le bénéfice du titre emploi service entreprise (TESE), dans la mesure où 93 % des entreprises qui ont recours au service emploient trois salariés au plus et que 99 % d’entre elles emploient moins de dix salariés (alinéas 13 et 14)

– celui prévu à l’article L. 121-4 du code de commerce pour le statut du conjoint collaborateur du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d’une société à responsabilité limitée ou d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée, sachant que ce seuil n’existe pas pour l’entreprise individuelle qui ouvre également droit au statut de conjoint collaborateur (alinéa 27).

Dans le même temps, il est prévu de relever de vingt à cinquante salariés les seuils suivants :

– celui qui met fin à l’application d’un taux réduit pour la participation au fonds national d’aide au logement (FNAL) (alinéa 18([14]) ;

– celui à partir duquel un règlement intérieur au sein de chaque entreprise ou établissement est obligatoire (alinéa 44) ;

– celui à partir duquel s’applique la participation de l’employeur à l’effort de construction (alinéa 73).

Il est également prévu de supprimer le seuil de vingt-cinq salariés pour la dispense d’obligation d’un compte bancaire ou postal dédié au versement des fonds perçus en contrepartie de la cession des titres-restaurant lorsque l’employeur émet ses titres au profit des salariés (alinéa 48).

Il est enfin prévu de relever de deux cents à deux cent cinquante salariés les seuils suivants :

– celui à partir duquel la communication aux actionnaires des rémunérations versées aux dix personnes les mieux rémunérées est obligatoire (alinéa 28) ;

– celui à partir duquel la mise en place d’un local syndical commun est obligatoire (alinéa 45).

Le gouvernement a par ailleurs annoncé que d’autres modifications ou regroupements de seuil pourraient intervenir dans le code général des impôts à l’occasion des prochaines lois de finances.

En revanche, dans un souci de stabilité juridique, les seuils d’effectif issus de la réforme du code du travail résultant de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2015 ne sont pas concernés par cet article.

C.   la position de la commission spÉciale

Tout en approuvant l’économie générale de cet article, la commission spéciale a adopté plusieurs amendements à cet article, avec l’avis favorable de votre rapporteur :

– un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, présidente, et de plusieurs députés du groupe La République en Marche, qui conditionne la remise à zéro du dispositif de gel en cas de passage de l’entreprise concernée sous le seuil identifié au fait que ce passage soit observé sous une année civile complète ;

– deux amendements de notre collègue Philippe Bolo et de plusieurs députés du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés qui étendent au code rural et de la pêche plusieurs dispositions du présent article : suppression du seuil de vingt salariés pour l’adhésion au titre emploi service agricole, par analogie avec la suppression de ce même seuil pour le titre emploi service entreprises, application du mode de décompte des effectifs de la sécurité sociale ou encore délai de cinq ans pour le franchissement d’un seuil à la hausse ;

– un amendement de votre rapporteur qui supprime l’alinéa 45 de l’article afin de conserver le seuil de deux cents salariés, et non pas deux cent cinquante, pour l’obligation, pour l’employeur, de mettre à la disposition des sections syndicales un local commun. Cette exception à la rationalisation du nombre de seuils autour de onze, cinquante et deux cent cinquante, se justifie par la nécessité de maintenir un dialogue social de qualité dans les entreprises ;

– un amendement du Gouvernement qui clarifie certaines dispositions spécifiques relatives à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés : il maintient notamment le principe selon lequel, dans ce cadre, seuls les salariés permanents sont pris en compte dans l’effectif des entreprises de travail temporaire.

La commission a par ailleurs adopté trois amendements de cohérence rédactionnelle du Gouvernement.

*

*     *

La commission est saisie des amendements identiques CS308 de M. Pierre Dharréville et CS1356 de M. François Ruffin.

M. Pierre Dharréville. L’article 6 est symptomatique de ce projet de loi qui vise à supprimer de prétendues barrières à l’activité en réduisant les obligations des employeurs. Traduisant une obsession des organisations patronales, la volonté de supprimer les seuils sociaux est aussi dangereuse qu’inefficace.

Dangereuse, car il s’agit, dans le prolongement des ordonnances Travail, de réduire les obligations sociales des employeurs en fonction de la taille des entreprises. Cela vise en premier lieu les obligations en termes de mise en place des institutions représentatives du personnel. Ainsi faudrait-il que les seuils d’effectifs soient franchis pendant cinq années consécutives pour que les obligations sociales qui leur sont liées s’appliquent. S’ajoutent d’autres dispositions tendant à supprimer certains seuils, dans le but notamment d’exonérer les employeurs du paiement de contributions sociales contribuant à la politique du logement social.

Inefficace ensuite, car l’impact positif d’un lissage des seuils sociaux en termes de développement économique et de création d’emplois n’a jamais été démontré. Ainsi, dans une étude de 2011, l’INSEE a fortement relativisé l’effet de la suppression des seuils sur la taille des entreprises et les créations d’emplois. En outre, une enquête a été réalisée en Italie à la suite de la suppression des seuils sociaux ; elle démontre qu’aucun emploi n’a été créé par cette réforme. À l’inverse, cette mesure aboutira sans nul doute à une réduction des droits sociaux pour les travailleurs des petites entreprises, puisque les obligations sociales pour les employeurs sont plus importantes à mesure que l’entreprise grandit.

M. Denis Sommer, rapporteur. Bien sûr, je ne suis pas d’accord avec M. Dharréville. L’examen des seuils tels qu’ils existent aujourd’hui ainsi que la façon dont ils sont organisés suffit à comprendre la difficulté qui est celle des chefs d’entreprise pour gérer la situation. Il existe plus de cent-quatre-vingt-dix seuils, compliqués par d’autres seuils internes, ce qui est beaucoup trop complexe pour de petites entreprises.

Cette situation est très différente de celle de l’Allemagne où le nombre d’entreprises dont les effectifs de salariés frôlent la cinquantaine est beaucoup moins important. Si le projet de loi se résumait à la question des seuils, ce serait trop court. Mais il traite précisément de nombreux thèmes : nous avons commencé par la simplification et nous aborderons aussi les questions relatives au financement des entreprises afin de faciliter leur croissance et leur développement.

Ce projet global a sa propre cohérence qu’il ne faut surtout pas mettre à mal, car c’est elle qui sera productive. Il faut simplifier, améliorer la lisibilité mais il faut aussi donner du temps aux entreprises pour leur permettre de s’adapter. Car, une fois un seuil franchi, il ne faut pas que les chefs d’entreprise craignent d’être confrontés à une série de difficultés ; s’ils disposent de cinq ans, ils pourront s’organiser et gérer la croissance de leur entreprise de façon efficace. Voilà pourquoi nous avons besoin de rénover ces seuils en les simplifiant afin de redonner du dynamisme à nos TPE et PME.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable aux amendements de suppression de l’article.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y suis également défavorable. Je souhaiterais une fois encore que, sans esprit idéologique, nous puissions poser clairement les choses.

Il existe en France cent-quatre-vingt-dix-neuf seuils répartis sur quarante-neuf niveaux : à force de vouloir diriger au millimètre près la vie des entrepreneurs, on tue la création d’emplois dans notre pays. Ces modes de calcul sont de plus très complexes, car pour chaque seuil peuvent exister trois ou quatre modalités de calcul. On complique ainsi la vie des petits entrepreneurs particulièrement, ceux qui emploient neuf, dix ou onze salariés, qui ne savent jamais quel est le seuil applicable, et ne connaissent pas le mode de calcul retenu.

Nous proposons de retenir un seul mode de calcul, ce qui leur simplifiera grandement les choses. De surcroît, nous les avertirons automatiquement afin qu’ils sachent exactement où en sont leurs niveaux d’effectifs.

Je tiens ensuite à préciser à M. Dharréville que nous ne touchons pas aux seuils de représentativité – seulement aux seuils sociaux et fiscaux. Il s’agit d’allégements de charge pour les entreprises. Certains vont d’ailleurs peut-être le regretter, considérant qu’il faut réduire la place des syndicats dans les entreprises. Pour ma part, je pense exactement le contraire ; nous avons besoin de syndicats responsables et fort, car cela facilite le dialogue social et évite des crises inutiles.

L’impact de cette mesure, tel qu’évalué aujourd’hui, représente plusieurs milliers d’emplois créés. J’estime que pouvoir créer autant d’emplois sans que cela coûte quoi que soit au contribuable est une bonne chose.

M. François Ruffin. Que peut donc changer à la vie des gens l’amendement CS1356, à l’article 6 d’un texte intitulé « Transformation et croissance des entreprises » ?

Lundi dernier, je recevais dans ma permanence un salarié dont la maison avait brûlé. Dans un premier temps, il a séjourné dans un camping ; comme l’hiver arrivait et que les travaux de reconstruction de son domicile étaient loin d’être achevés, il a bénéficié du 1 % logement afin de se reloger de façon temporaire.

Ce que ce texte va changer pour des milliers de salariés, c’est que beaucoup d’entre eux ne pourront plus bénéficier du 1 % logement dans les mêmes conditions ; voilà quelle sera une des conséquences concrètes du relèvement des seuils. Il en ira de même pour les restaurants d’entreprise et les comités d’entreprise.

J’ai lu vos propos dans la presse, Monsieur le ministre ; vous concevez les droits des salariés comme autant d’entraves nuisibles à l’emploi. Nous sommes en permanence confrontés à un dumping et un rabotage des droits sociaux ; une telle logique nous est évidemment insupportable. C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 6 par notre amendement CS1356.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je veux vous rassurer, Monsieur Ruffin : ce que vous dites est faux.

Ne soyez pas inquiet pour le salarié dont vous avez parlé : il n’est pas question de supprimer le 1 % logement. Ne diffusez surtout pas ces nouvelles partout en France : vous sèmeriez inutilement la panique et l’angoisse. Le 1 % logement est intégralement compensé par une recette dynamique qui a été négociée avec tous les acteurs du logement, qui ont donné leur accord. On ne peut pas conduire un débat démocratique sur la base du mensonge ; ce n’est pas possible.

La commission rejette ces amendements.

Elle étudie ensuite, en discussion commune, les amendements CS 973 de M. JeanLouis Masson et CS68 de M. Sébastien Leclerc.

M. Jean-Louis Masson. Je présenterai les deux amendements.

Le texte soumis à notre examen revendique pour philosophie globale de faciliter la vie des entreprises afin de lever les entraves à la création de richesses et de valeur.

Aussi faut-il proposer une méthode de calcul des effectifs qui soit simple, favorable aux entreprises et évite aux dirigeants de faire des choix déterminés par des effets de seuil.

Aussi convient-il de ne pas retenir la moyenne des fluctuations d’effectifs au cours de chaque mois, qui est proposée, pour lui préférer de comptabiliser l’effectif le plus faible sur un trimestre. En même temps, ce choix, meilleur pour l’entreprise, ne léserait pas les salariés.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je demande le retrait de ces amendements, ce que vous proposez n’est pas plus simple que ce que prescrit le code de la sécurité sociale, qui prend en compte la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile. Ce dispositif est très simple et prend parfaitement en compte l’ensemble des fluctuations que connaît une entreprise.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Masson. Je ne prétends pas que le dispositif que proposent ces amendements soit plus simple : il n’est pas plus compliqué et il est plus favorable aux entreprises.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS1358 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. J’appellerai cet amendement « l’amendement McDo » parce qu’il est question d’observer comment est comptabilisé le nombre de salariés employés par une entreprise. Lorsqu’un employeur dispose de plusieurs franchises, le droit considère qu’il s’agit d’une seule et même entreprise. Je m’étais rendu dans le Mc Donald’s de la gare de l’Est lorsqu’il était occupé par les salariés. Le patron, qui possède quatre de ces restaurants en Île-de-France, considérait qu’il s’agissait d’une petite structure, même s’il en existait d’autres, géographiquement proches.

C’est un moyen pour les employeurs d’échapper à certains seuils d’effectifs ainsi qu’aux droits en résultant. Nous le constatons aujourd’hui dans les Mc Donald’s de Marseille. C’est pourquoi nous souhaitons que l’effectif salarié annuel moyen de l’employeur comprenne les salariés de l’ensemble des sociétés au sens de l’article L. 233‑3 contrôlées par l’employeur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable, je n’ai pas trouvé l’article L. 233‑3 auquel vous faites référence.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cette fois, le débat est assis sur des bases plus solides, Monsieur Ruffin.

Le droit du travail définit cette notion d’unité économique et sociale, qui doit précisément permettre de faire échec au recours à des filiales que les groupes utilisent pour échapper à des obligations résultant d’un nombre important de salariés, donc par les effets de seuil. Cette filialisation abusive est interdite et je confirme qu’il faut demeurer ferme dans le contrôle de ces abus.

La commission rejette l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CS2120 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. S’agissant des seuils, la grande question est de savoir si l’on souhaite les faire disparaître ou si l’on veut vraiment apporter un assouplissement lors du franchissement pour les entreprises employant entre quarante-cinq et cinquante-cinq salariés.

Pour notre part, nous avons refusé la fin des seuils, tout en permettant cet assouplissement. Or la position totalement pro-business que vous avez assumée, Monsieur le ministre, consiste à considérer qu’il faut cinq ans pour passer au-dessus du seuil de cinquante salariés, mais que, dès la première année, l’entreprise est considérée comme située en dessous de ce seuil. Cette disposition nous paraît excessive : elle ne tient pas compte d’un assouplissement et vise plutôt la négation de ce seuil qui nous semble précieux.

Notre proposition, qui va dans le sens du compromis, consiste à considérer qu’il faut trois années pour franchir le seuil des moins de 50 salariés et trois années pour le retrouver, ce qui permet d’éviter l’effet de seuil fonctionnant comme un couperet trop tranchant tout en respectant les droits et devoirs de l’entrepreneur et des salariés dans un équilibre qui nous paraît plus pertinent.

Nous le faisons avec modération, Monsieur le ministre, car votre sortie sur les partisans du chômage de masse était excessive et caricaturale.

M. Denis Sommer, rapporteur. Ce sujet a indéniablement fait débat. Mais si nous sommes d’accord sur le diagnostic, nous ne pouvons que reconnaître qu’il y a en la matière un vrai problème. L’idée même de franchir le seuil bride l’initiative de bien des chefs d’entreprise qui n’imaginent même pas comment ils seront capables de le dépasser. Ils en viennent parfois à limiter la croissance de leur entreprise afin de ne pas être confrontés à cette difficulté.

Leur donner du temps pour s’adapter nous a paru être la meilleure solution. Deux, trois ou quatre ans ? Nous avons finalement considéré qu’il fallait marquer le coup et dire aux entreprises qu’elles disposaient de cinq ans pour construire leur croissance, et s’adapter au franchissement du seuil. Il nous a paru nécessaire de manifester cette confiance envers les chefs d’entreprise, et de les assurer que nous créons un environnement susceptible de leur permettre de réussir. Telle est notre démarche.

Il subsistera toujours un débat portant sur la meilleure durée à retenir. Il fallait décider : un délai de cinq ans nous a paru raisonnable au regard de la situation que nous connaissons.

M. Roland Lescure, rapporteur général. En premier lieu, je voudrais dire à M. Potier qu’il n’y a pas les pro-business et les anti-business, mais que nous sommes tous à la recherche de solutions propres à améliorer la performance économique et sociale de l’économie française.

Le délai de cinq ans est important à mes yeux pour deux raisons.

Premièrement, c’est à peu près la durée d’un cycle économique. Il faut permettre aux entreprises qui connaissent des hauts et des bas au sein d’un tel cycle de continuer à faire du business tout en supportant ces variations.

Deuxièmement, et M. Denis Sommer l’a dit : nous donnons du temps aux entreprises pour organiser leur croissance. La plupart d’entre elles croîtront et rencontreront le succès ; la plupart s’adapteront sans doute à ces seuils avant le délai de cinq ans. Ce délai est en fait une voiture-balai destinée à inciter ceux qui ne souhaitent vraiment pas passer le cap à le faire. Mais je prédis que, si on leur accorde cinq ans, la plupart des entreprises en croissance pouvant se le permettre sauteront le pas bien avant.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je souhaite tout d’abord saluer l’esprit de modération de M. Potier. Ici, par définition, il y a des femmes et des hommes de conviction et de tempérament. L’esprit de modération sera utile à chacun d’entre nous pour expliquer ses positions.

De fait, la durée de trois ou cinq ans constitue un vrai débat. À cet égard, je ne saurais mieux m’exprimer que Roland Lescure, nous estimons qu’il faut tenter ces cinq années, soit la durée complète d’un cycle économique. Cela en vaut la peine. Il est vrai que nous parions sur le bon comportement des chefs d’entreprise. Ceux qui connaissent une réelle croissance dynamique et passeront de quarante-cinq à cinquante-cinq, puis de soixante à soixante-dix employés n’éprouveront aucune difficulté à remplir les seuils. En revanche, pour l’entreprise de travaux publics de quarante-cinq salariés qui se trouve chez moi à Donville, qui va construire l’école de Verneuil-sur-Avre, et qui devra embaucher à cet effet six ou sept personnes mais qui, une fois les travaux terminés, trois ou quatre ans après, reviendra à l’effectif initial faute de nouvelles commandes publiques, la disposition que nous prévoyons aura tout son sens. Cela lui aura permis d’embaucher sans craindre de franchir le seuil.

Il est vrai que la mesure est radicale, mais elle sera efficace pour créer des emplois.

Comme vous, j’ai rencontré beaucoup de chefs d’entreprise dont les effectifs se situaient autour de quarante-cinq salariés. Tous nous ont expliqué à quel point ce seuil de cinquante constituait un obstacle.

On aurait pu envisager aussi, et d’autres ici ne manqueront pas de le faire, de porter le seuil à soixante-quinze. Je ne suis pas favorable à cette option, car, dans ce cas, pourquoi se limiter à soixante-quinze ; pourquoi pas quatre-vingt-cinq ou cent ? Je préfère conserver ce seuil de cinquante, sans modifier les obligations relatives à la représentation syndicale, avec l’instance unique récemment créée. En revanche, nous accordons cinq années consécutives pour satisfaire les obligations sociales et fiscales, afin d’inciter l’entreprise à embaucher sans la pénaliser.

Je reconnais une fois encore que ce choix est radical, mais j’estime que la situation de l’emploi actuelle de la France appelle des choix radicaux.

Enfin, je suis en mesure de dire à M. Ruffin que l’article créant le concept d’unité économique et sociale des groupes est l’article L. 2322-4 du code du travail, créé par les lois dites « Auroux ».

Mme Laure de La Raudière. Les entreprises restent en général à quarante-neuf salariés pour deux raisons.

La première est que le passage au seuil de cinquante salariés représente une charge administrative d’environ 1,5 équivalent temps plein (ETP). Il faut donc connaître une forte croissance pour pouvoir franchir ce seuil, et votre mesure sera peut-être efficace pour les start-up, dont l’effectif s’élèvera à soixante-quinze et quatre-vingt salariés au bout de cinq ans. Le coût administratif du franchissement du seuil sera entièrement amorti.

La deuxième raison qui bride les entreprises est qu’elles ne souhaitent pas voir le délégué du personnel avec lequel elles ont eu l’habitude de travailler se transformer en un délégué syndical aux ordres de l’une des organisations représentatives des salariés. Et cela ne procède pas de leur part d’une volonté de limiter le dialogue social.

Il me semble que la vraie réforme propre à régler ce problème consisterait à élever le seuil ; j’ai proposé cent salariés, mais cela pourrait être soixante-quinze. On éliminerait ainsi la difficulté liée au coût administratif. Par ailleurs cette mesure permettrait de préparer beaucoup plus efficacement l’étape suivante.

M. Stanislas Guerini. Je souhaiterais apporter un contre-argument à la proposition de M. Potier qui consiste à se donner trois ans pour revenir en arrière pour toutes les obligations. Actuellement, pour les accords nécessitant un engagement dans le temps, comme les accords d’intéressement ou de répartition de la participation, un délai de trois ans est d’ores et déjà prévu. Ils existeront, y compris si un retour en arrière sur la durée de cinq ans est prévu. Il n’est donc pas nécessaire de créer un critère étendu à toutes les obligations.

M. Nicolas Forissier. À petits pas, nous entrons enfin dans le débat central, et je soutiens pleinement les propos de Laure de La Raudière.

Monsieur le ministre, le vrai sujet est celui du seuil de cinquante employés, qui représente trente-quatre obligations supplémentaires, certaines études en annonçant cinquante ; c’est aussi une augmentation mécanique de la masse salariale d’environ 4 %. C’est un blocage psychologique très fort dans les entreprises. J’ai mentionné hier l’exemple des tableaux présents dans toutes nos collectivités régionales  : les effectifs sont bloqués à quarante-neuf salariés. J’ai même donné l’exemple d’une entreprise comptant 49,99 ETP.

Il est extrêmement important pour l’emploi de faire sauter ce verrou, et ce de façon franche. Les cinq ans que vous proposez constituent un premier pas, et je comprends très bien votre raisonnement, mais il faut aller au-delà : les chefs d’entreprise ont besoin d’une mesure claire, nette, qui lève toute hypothèque. Au sein des cinq ans, vous demeurez dans une zone grise, avec épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Il serait beaucoup plus simple de relever les seuils très franchement, et notamment celui de cinquante salariés. Pour ma part, je propose de le faire passer à soixante-quinze salariés, ce qui me paraît raisonnable et j’ai cosigné d’autres amendements d’Arnaud Viala, le portant à cent. Ce débat est essentiel.

J’étais d’accord avec vous hier, lorsque vous avez refusé que l’on considère ce projet de loi comme dénué de cohérence. La question n’est pas celle de la cohérence, mais celle de la nécessité de prévoir des mesures puissantes. Ce texte est trop « techno ». C’est pourquoi un relèvement du seuil à 75 constituerait une mesure claire et franche, très favorable à la création d’emplois.

M. Arnaud Viala. Je vais défendre une position que le ministre écarte par avance, qui est celle du relèvement des seuils, que pour ma part je situe à cent salariés. Je souscris pleinement aux arguments développés par nos collègues, notamment Laure de La Raudière, et en ajouterai deux.

Premièrement, pour un certain nombre d’entreprises, dans beaucoup de domaines d’activité, cette croissance est structurelle. Elle induit des modifications qui dépassent le délai expérimental de cinq ans, et revêtent un caractère quelque peu irréversible, car souvent, pour passer de quarante-neuf à soixante-dix ou quatre-vingt salariés, seuil de l’équilibre économique, il faut investir, acheter des bâtiments, du matériel, etc. On ne peut donc pas se permettre de tenter l’opération pour cinq ans en pensant faire marche arrière en cas d’échec.

Deuxièmement, il faut prendre en compte une notion de justice au regard de l’encouragement au développement économique que vous prônez. Dans les territoires les moins favorisés sur le plan économique, l’immense majorité des entreprises – pour ne pas dire toutes – comptent un peu moins de cinquante salariés. Ce seuil constitue un frein au développement.

C’est pourquoi nous plaidons pour le relèvement de ce seuil, sans être fixés sur un nombre précis, à condition que celui-ci soit suffisamment significatif.

M. Daniel Fasquelle. En France, on aime tellement les TPE et les PME que l’on préfère qu’elles le restent – c’est bien là le problème. Nous n’avons pas parlé des seuils de dix et onze salariés, qui bloquent les entreprises artisanales et je ne répéterai pas ce qui a été dit du seuil de cinquante salariés, pour les PME. Supprimer le seuil des vingt salariés n’est pas suffisant, puisque vous avez conservé les deux verrous qui bloquent l’évolution des TPE et des PME.

Certes, on ne peut supprimer les seuils dans leur totalité ; la question est de savoir quelles sont les conséquences qui découlent du franchissement des seuils. Or vous ne touchez pas au code du travail.

Cette mesure coûte 500 millions d’euros, une somme très modeste, au point que l’on peut se demander si Bercy n’a pas fait le nécessaire pour vous empêcher d’aller plus loin. Au‑delà de la question du nombre de seuils, nous devrions débattre aujourd’hui de ce qu’implique leur franchissement. Or vous n’avez pas ouvert suffisamment ce débat.

M. Jean-Paul Mattei. Ce texte a le mérite de s’attaquer à un problème qui existe depuis de nombreuses années. La proposition du Gouvernement, sur les cinq ans et les cinquante salariés, est tout à fait raisonnée et produira des effets importants sur l’emploi.

Une entreprise de quarante, cinquante ou soixante-dix salariés garde visage humain : dirigeants et salariés y entretiennent des rapports particuliers. Comme je l’ai dit hier, les entreprises n’évoluent plus comme il y a vingt ans ; le délai de cinq ans appliqué au franchissement du seuil des 50 salariés est nécessaire pour élaborer un projet collectif.

Par ailleurs, nous ne nous sommes pas posé la question du franchissement du seuil des deux cent cinquante salariés pour les entreprises au sens européen du terme. Sans revenir pour autant sur les acquis sociaux, il existe un vide quant aux « avantages » pour ces entreprises.

J’ai déposé un amendement CS1945, visant à accorder aux entreprises un délai supplémentaire de six mois pour se remettre dans les clous. Pour autant, je pense que ce texte qui prévoit un délai de cinq ans pour le franchissement du seuil des 50 salariés est raisonnable et répond aux attentes de nombreux entrepreneurs.

M. François Ruffin. On cite souvent en exemple l’Allemagne, où n’existe qu’un seuil : à partir de cinq salariés, c’est automatique, l’entreprise doit créer un comité d’entreprise.

Cette loi repose sur un présupposé, contre lequel je serai peut-être le seul à m’élever : la nécessité de la croissance. La France a vu son PIB doubler ces vingt dernières années. J’ai cessé de croire que le surcroît d’emplois et de bien-être viendra d’un supplément de croissance. Il y a désormais rupture entre le niveau de bien-être des habitants et le taux de croissance du PIB. Je suis convaincu qu’il faut renoncer à cette croyance, aussi bien pour des raisons écologiques que sociales : le doublement du PIB en vingt ans a été accompagné par la multiplication par sept des 500 premières fortunes ! La question n’est pas de savoir comment on fait grossir le gâteau, mais comment on le répartit.

Toute la politique économique française repose sur ce présupposé. Pour ma part, j’estime qu’il faut vivre désormais sans croissance.

Mme Véronique Louwagie. Ce dont nos entreprises ont le plus besoin, c’est de simplification et de réduction des normes et des réglementations. Les cent quatre-vingt-dix-neuf seuils et quarante-neuf niveaux existants montrent toute la difficulté de la situation.

Deux seuils constituent un frein psychologique et font office de barrière administrative pour les entreprises, ceux de dix et de cinquante salariés.

Je ne reviendrai pas sur le seuil de cinquante salariés et vous avez vous-même indiqué, Monsieur le ministre, que les TPE ne savent jamais très bien où elles en sont dans le calcul de leurs effectifs. Je regrette que ce texte se borne à intervenir sur les effets du seuil de vingt salariés, sans viser spécifiquement les seuils de dix et de cinquante salariés, qui constituent pourtant les freins les plus importants. Si nous voulons de la croissance, des emplois, la réduction du chômage, il faut limiter ces seuils ; de ce point de vue, le projet de loi rate sa cible.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Faut-il arrêter la croissance, Monsieur Ruffin ? Je pense que l’on peut faire « mieux » de croissance, plutôt que « plus du tout » de croissance. Même avec une croissance nulle, des entreprises naîtront, croîtront, décroîtront ou mourront chaque jour. Pour mettre fin à cela, il faudrait changer radicalement de modèle : peut-être est-ce ce que vous voulez ? Pour ma part, je n’en suis pas là.

La question n’est pas de savoir s’il faut arrêter la croissance de toutes les entreprises, instaurer un seuil à cinq salariés et stopper leur évolution à six, mais de créer un environnement suffisamment favorable à l’innovation et réinventer ensemble la croissance de demain.

Les seuils sont souvent perçus comme produisant des contraintes. Ils ont pourtant été mis en place ces cinquante ou dernières années pour apporter des avantages aux salariés et aux employeurs. Il ne s’agit pas de supprimer tous les seuils et les gains qui en découlent, mais d’organiser la montée en puissance d’une entreprise, qui croît en revenus, en innovation, et en protection sociale pour ses salariés. Il faut lui donner le temps de s’ajuster, simplifier le comptage des effectifs et supprimer des seuils, afin qu’elle n’ait pas à franchir cinq seuils et à connaître autant d’obligations différentes en quelques années de croissance.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le franchissement du seuil de 50 salariés et la modification des instances de représentation du personnel qui en découle constituent un frein aux yeux de certains.

N’ajoutons pas à ce genre de fantasmes. Dans la plupart des entreprises, le climat social est de qualité et le dialogue se déroule dans des conditions normales. Certains trouveront des contre-exemples pour bâtir des généralités ; je suis convaincu, pour ma part, que la croissance et la compétitivité des entreprises passent par un dialogue social renforcé.

Les entreprises en croissance sont confrontées à un environnement, français, européen ou mondial, de plus en plus compétitif : elles doivent s’adapter et innover dans leur organisation, leurs process, leurs produits. Cela nécessite une implication très forte des salariés et rend la qualité des rapports entre dirigeants et salariés absolument fondamentale. Regardons les choses sous cet angle et tenons ce discours, plutôt que de dire que faire sauter les verrous résoudra les difficultés.

Récemment, j’ai visité deux entreprises. Le dirigeant de la première a décidé de créer avec les responsables syndicaux le comité d’entreprise, alors que sa boîte comptait à peine trente salariés, parce qu’elle fonctionnait bien et qu’il voulait instaurer le salaire différé. Le dirigeant de la deuxième entreprise ne trouvait pas les compétences nécessaires : il a construit toute la croissance de l’entreprise sur le développement de l’apprentissage. C’est une vraie réussite et le sourire des salariés révèle à lui seul la qualité du climat social.

Cessons donc de considérer que la présence d’organisations syndicales est un handicap pour les entreprises. Au contraire, leur faiblesse conduit forcément au repli, aux postures et aux positions excessives, qui empêchent le nouveau contrat social dont nous avons besoin dans une économie mondialisée.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Ce débat est essentiel et je suis heureux que nous l’ayons ce soir. Il existe une concentration des entreprises autour de quarante-sept, quarante-huit ou quarante-neuf salariés en raison de l’obstacle que constitue le seuil de cinquante salariés. Notre objectif étant de créer plus d’emplois pour les Français, il est important de permettre aux PME de franchir ce seuil et de libérer ainsi leur potentiel de croissance.

La solution qui aboutirait à réduire les droits de représentation des salariés a été écartée. En effet, relever le seuil et réserver la création du comité social et économique aux entreprises de plus de soixante-quinze salariés irait trop loin et serait contraire à l’équilibre que nous recherchons entre la préservation des droits des salariés et le déblocage de l’emploi dans les PME. Je tiens à le dire aux députés Les Républicains : nous avons regardé toutes les options, mais celle-ci n’a pas été retenue. Il me paraît essentiel que les entreprises de plus de cinquante salariés disposent d’une instance de représentation du personnel qui soit solide, en mesure d’étudier les difficultés qui peuvent se poser et de relever les défis.

La solution que vous proposez est un choix politique que j’entends parfaitement. Peut-être serait-elle efficace, mais elle réduirait de façon certaine les droits des salariés. Je ne l’ai donc pas retenue.

Pour reprendre les propos de M. Mattei, notre proposition est responsable, équilibrée et elle doit permettre de débloquer les embauches. Le délai de cinq années correspond à un cycle économique. Cela peut contribuer à rassurer les PME, sans remettre en cause les droits des salariés.

Je serai très transparent sur le coût pour les finances publiques. La proposition consistant à relever le seuil du versement de transport de onze à vingt salariés impliquerait une compensation par l’État de 600 millions d’euros ; mais porter ce seuil à cinquante salariés représenterait un coût supplémentaire de 1,5 milliard d’euros pour les finances publiques. Permettez-moi de vous dire que j’y réfléchis à deux fois ! Nous avons donc fixé un curseur pour le relèvement de certains seuils concernant le versement de transport, la participation des employeurs à l’effort de construction – PEEC –, la contribution au Fonds national d’aide au logement – FNAL.

Je suis convaincu que cette mesure sera efficace et qu’elle débloquera beaucoup de décisions d’embauche. Il est raisonnable de ne pas toucher au seuil de représentativité, car ce serait amoindrir les droits des salariés dans les PME françaises.

M. Nicolas Forissier. Le fait de relever le seuil de cinquante à soixante-quinze salariés ne remet en cause, sinon dans la forme, ni la représentation des salariés, ni le dialogue social. Pour l’avoir pratiqué, je suis convaincu de la nécessité d’un dialogue social construit, efficace et dynamique. Il ne faut pas laisser croire que la représentation des salariés est inexistante dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Je dis simplement, Monsieur le ministre, que cela sera beaucoup plus puissant et efficace si la mesure est franche. Je comprends la logique des cinq ans, mais c’est une logique de zone grise.

Enfin, le seuil de cinquante salariés pose problème surtout en termes de coûts et de charges administratives supplémentaires, et c’est bien là que se situe la différence avec l’Allemagne. Le relever à soixante-quinze salariés, par exemple, serait une mesure puissante et efficace.

La commission rejette l’amendement CS2120.

Elle est saisie de l’amendement CS1945 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Laisser six mois de plus aux entreprises pour se mettre en conformité est, sur le plan pratique, un détail d’importance.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je savais que M. Mattei avait grand cœur, mais à ce point ! Il me semble raisonnable de maintenir le délai de cinq ans. Je demande le retrait de cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.

M. Jean-Paul Mattei. Après cette discussion intense (sourires), je retire cet amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS2228 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement est le miroir du précédent. Le franchissement à la baisse du seuil doit être de trois années consécutives.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1498 de M. Adrien Taquet.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je sors brièvement de ma fonction de présidente pour présenter cet amendement qui vise à préciser la mesure de gel proposée dans le projet de loi. Les chefs d’entreprise saluent unanimement cette mesure qui leur facilitera le quotidien.

Cet amendement apporte une clarification, tout autant qu’une sécurité. Disposer d’une marge plus grande pour le respect de certaines obligations ne saurait constituer une exemption complète et durable pour ceux susceptibles de tirer profit du dispositif.

Aussi est-il proposé que la remise à zéro de la durée du gel ne se fasse qu’après le franchissement à la baisse du seuil pendant une année civile pleine et entière. C’est une façon de dire que l’on ne profite pas d’une remise à zéro du gel pour cinq ans, simplement parce que l’on a perdu un salarié pendant six mois, mais uniquement si la taille de l’entreprise a été véritablement réduite pendant un an. Cet amendement vise à préciser la règle et à rappeler que toute optimisation de cette mesure serait malvenue.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS387 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. L’amendement a été défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS2010 de M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. Si vous me le permettez, Madame la présidente, je défendrai également l’amendement CS2230. En effet, l’amendement original a été scindé par les services de l’Assemblée nationale au motif qu’il proposait plusieurs modifications textuelles.

Ces deux amendements visent à procéder à une modification du code rural et de la pêche maritime, en supprimant le seuil de vingt salariés pour l’adhésion au titre emploi service agricole, par analogie avec la suppression de ce même seuil pour le titre emploi service entreprises.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS2122 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. C’est un autre seuil, moins dramatique sans doute mais très symbolique pour l’artisanat qui avait fait débat lors de l’examen du projet de loi Sapin 2 : il concerne les entreprises artisanales. Nous avions trouvé un compromis entre la position des CCI et celle des chambres de métiers et d’artisanat, en fixant le seuil à dix salariés et en instituant un droit de suite en cas de croissance de l’entreprise, jusqu’à cinquante salariés.

Dans l’attente de la mutation vers l’interconsulaire, que nous appelons de nos vœux, nous proposons que la définition de l’entreprise artisanale, laissée libre par les directives européennes, ne soit plus basée sur la taille de l’entreprise mais sur l’activité et la qualité de la manufacture. Vous aimez lorsque les seuils disparaissent : nous proposons de contribuer au mouvement général de libéralisation avec cette mesure, qui vise à supprimer toute limite en termes d’effectifs pour l’artisanat, dès lors que sa qualité est requise.

M. Denis Sommer, rapporteur. Une telle mesure mériterait une évaluation préalable et une consultation assez large. Il est vrai que l’on a de l’artisanat la vision d’une petite entreprise de proximité, rendant service au quotidien, mais il peut exister des entreprises regroupant des centaines d’artisans. C’est le cas des manufactures Hermès sur mon territoire. Le travail qui y est réalisé est bien artisanal, puisque chaque « artisan », ainsi que l’on appelle les salariés, signe son produit.

Le terme d’artisanat recouvre à la fois un statut juridique, des savoir-faire, un cœur de métier. Le seuil d’effectif pour caractériser l’entreprise artisanale ne correspond pas à la réalité. Cette question passionnante nécessitant une réflexion plus large, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Potier, je vous propose que nous travaillions ensemble sur cet amendement. Puisqu’il a été question d’Hermès, la cristallerie Saint-Louis qui appartient au groupe n’est pas considérée comme entreprise artisanale puisque ses effectifs dépassent le seuil de cinquante. Or chacun de ses employés réalise un travail d’artisan lorsqu’il façonne un verre.

Nous pouvons trouver un accord, j’en suis persuadé. Vous souhaitez supprimer le seuil de dix salariés, celui de cinquante doit être également considéré. Il faut traiter ces questions de seuils, mettre en place le droit de suite et reconnaître à l’artisanat la possibilité d’appartenir à une grande entreprise. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

M. Dominique Potier. Vous vous êtes montrés attentifs à cette demande et je vous en remercie. Je me place dans la perspective d’une fusion des chambres – nous y reviendrons lorsque nous parlerons des CCI. Dans cette attente, et pour adresser un signal à l’artisanat, notamment à l’artisanat d’art qui promeut la France à l’étranger et est attaché aux territoires, j’accepte votre proposition. Mais n’explorons pas la seule piste du seuil des cinquante salariés, que j’avais fait adopter il y a deux ans, lorsque j’étais rapporteur sur la loi Sapin 2. La modernité sera de faire sauter tous les seuils, une idée que vous devriez trouver excitante !

L’amendement est retiré.

Elle examine ensuite les amendements identiques CS176 de M. Vincent Descoeur, CS185 de Mme Véronique Louwagie, CS758 de M. Daniel Fasquelle et CS1293 de M. Mohamed Laqhila.

M. Vincent Descoeur. Cet amendement vise à supprimer la référence au seuil de onze salariés. Il devrait satisfaire ceux qui jugent le nombre de seuils excessif.

Mme Véronique Louwagie. Trois seuils existent actuellement : onze, cinquante et deux cent cinquante salariés. Un grand nombre de nos TPE et PME étant en dessous du seuil de onze, il serait très opportun de le supprimer.

M. Daniel Fasquelle. Nous nous sommes beaucoup focalisés sur le seuil de cinquante, alors que celui de dix et onze est vraiment bloquant. Je profite de la présentation de mon amendement pour reposer une question à M. le ministre, puisque je la lui ai posée deux fois, sans qu’il ne me réponde, ce qui est rare de sa part.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous confirmer le coût de votre dispositif autour de 500 millions d’euros ? Surtout, concrètement, comment le financerez-vous ? Je vous ai posé la question en discussion générale au mois de juillet et hier, sans que vous ne me répondiez.

M. Mohamed Laqhila. L’article 6 va dans le bon sens, en introduisant notamment la règle des cinq ans. La France compte de nombreuses TPE pour lesquelles le seuil de onze pose problème.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y suis également défavorable.

Monsieur Fasquelle, la PEEC, ce sont 280 millions d’euros qui seront compensés par une ressource fiscale affectée dynamique. Nous avons pris auprès des acteurs du logement cet engagement qui sera défini en projet de loi de finances. Quant au FNAL, ce sont 190 millions d’euros qui seront compensés sur le budget. Cela correspond à un total d’un peu moins de 500 millions d’euros.

La commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS1114 de M. Daniel Fasquelle et CS386 de M. Paul Christophe.

M. Daniel Fasquelle. Cet amendement est défendu. Monsieur le ministre, si j’ai bien compris, vous supprimez donc une taxe pour en créer une autre.

M. Paul Christophe. Notre groupe défend une harmonisation globale des seuils d’effectifs, qu’ils soient réglementaires ou législatifs, fiscaux ou non fiscaux. À ce titre, il faudrait ne maintenir que les seuils suivants : vingt, soixante-quinze et deux cent cinquante.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

Monsieur Fasquelle, nous ne créons pas de nouvelles taxes. Vous savez que j’y suis totalement opposé. C’est le produit d’une taxe existante qui sera affecté au FNAL.

S’agissant du relèvement des seuils pour le versement transport, je vais être totalement transparent avec vous. Nous avons évidemment étudié une telle possibilité. Mais beaucoup de pays européens n’ayant pas de versement transport, nos entreprises sont pénalisées. Nous ne le ferons pas pour une raison strictement budgétaire : relever le seuil du versement transport de onze à vingt-et-un salariés représenterait, pour les autorités organisatrices de transport, 600 millions d’euros de perte de recettes, qu’il faudrait compenser. Par ailleurs, les deux tiers des versements transport sont compensés en Île-de-France, ce qui pose des problèmes complexes de transfert et de péréquation.

La commission rejette successivement ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CS98 de M. Patrick Hetzel.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS2284 du rapporteur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cet amendement a trait à la question du règlement intérieur. La simplification des seuils reporte l’obligation pour une entreprise d’avoir un règlement intérieur au seuil de cinquante salariés. Or ce règlement intérieur comporte une série de règles qui, en général, sont élaborées en concertation avec les salariés. Il concerne la sécurité du travail, les règles de vie au sein de l’entreprise voire le système de sanctions, les questions d’égalité homme-femme et celles relatives au harcèlement, par exemple. Ce règlement est de nature à protéger les salariés et les chefs d’entreprise. Les modèles sont très faciles à trouver. Le maintien du règlement intérieur nous semble bon pour l’entreprise.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le rapporteur soulève une bonne question importante car le règlement intérieur est un élément important de la vie de l’entreprise. Nous proposons de relever le seuil à cinquante, ce qui représente une vraie simplification pour l’entrepreneur. Mais nous souhaitons également que le règlement intérieur, qui est protecteur des droits des salariés et adapté au type d’activité, puisse faire l’objet d’une discussion dans le cadre des accords de branche. Aussi, nous vous proposons de maintenir la disposition législative existante, tout en menant un travail sur le développement, par accord de branche, des règlements intérieurs, y compris en dessous du seuil de vingt.

Dès lors que cela passerait par un accord de branche, cela ne me choquerait absolument pas qu’il y ait un règlement intérieur dès 10 salariés. Mais ce ne serait pas une obligation législative. Je vous propose donc, Monsieur le rapporteur, de retirer votre amendement. Le Gouvernement s’engage à travailler sur ce sujet, en proposant aux partenaires sociaux, en collaboration avec la ministre du travail, Mme Muriel Pénicaud, de travailler à un règlement intérieur par accord de branche, y compris dans des entreprises de tailles plus petites.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, voulez-vous dire que les seuils, pour le règlement intérieur, seraient différents selon les branches ? À défaut d’accord collectif, quelle règle s’applique ? Celle du seuil de vingt ou de cinquante ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Celle du seuil de 50.

M. Charles de Courson. Le seuil serait donc celui fixé dans votre texte, que l’on pourrait faire baisser par accord collectif.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Les situations relatives au règlement intérieur diffèrent selon les secteurs économiques. Dans certains, par exemple le secteur chimique ou les secteurs où des produits toxiques sont manipulés, le règlement intérieur peut être plus important que dans d’autres. Nous reconnaissons cette diversité, en fixant un seuil à cinquante pour simplifier la vie aux entrepreneurs, tout en offrant la possibilité de déroger à cette obligation par accord de branche et d’abaisser le seuil, sans limite. Des entreprises de dix salariés, dans des secteurs particulièrement sensibles, pourraient ainsi avoir un règlement intérieur, si elles le décident par accord de branche.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cette démarche me convient tout à fait. S’il est logique de supprimer certains seuils, il ne faut pas oublier que des obligations qui leur sont liées disparaissent. Mais est-ce que, pour autant, certains sujets ne sont pas traités dans les entreprises ? M. le ministre a évoqué le cas de l’industrie chimique, mais cela est également vrai dans le bâtiment avec, par exemple, le charpentier qui monte sur les toits. Il y a de bonnes règles à élaborer dans les entreprises. J’insiste sur le fait qu’elles sont de nature à protéger les salariés comme le chef d’entreprise. Confier aux branches un travail sur le sujet me convient. Je fais confiance aux partenaires sociaux et pense qu’il faut les encourager à produire des documents qui aideront les entreprises. Je retire mon amendement.

L’amendement CS2284 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS834 de M. Arnaud Viala.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. Il repose sur une logique radicalement inverse.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements CS1427 et CS1429 de Mme Cendra Motin.

Mme Cendra Motin. M. le ministre vient de préciser que, même au-dessous du seuil de cinquante, l’entreprise peut avoir un règlement intérieur. Mon amendement vise à offrir aux TPE et PME la possibilité d’adopter un règlement intérieur simplifié, sans formalité de dépôt. Mais, étant donné que M. le ministre souhaite passer par des accords de branche, je vais retirer l’amendement CS1427.

L’amendement CS1429 concerne la mise à disposition du règlement intérieur et vise à le dématérialiser, pour qu’il soit téléchargeable et consultable, de façon légale, sur des postes informatiques. Aujourd’hui, de plus en plus de sociétés de services emploient des personnels qui ne travaillent pas dans l’entreprise où sont affichés les règlements intérieurs. Le règlement intérieur serait ainsi rendu accessible sur l’intranet de l’entreprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. Si la proposition est intéressante, je ne suis pas sûr qu’elle relève de la loi. Qui plus est, nous venons de supprimer l’obligation de règlement intérieur jusqu’à cinquante salariés. Réintroduire une obligation visant à rendre le règlement intérieur consultable sur un portail ne me semble donc pas correspondre à l’esprit de la loi. Avis défavorable ou demande de retrait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur.

Mme Cendra Motin. Il me semblait que c’était une mesure de simplification pour les entreprises. Avant d’en reparler avec vous, je le retire.

Les amendements CS1427 et CS1429 sont retirés.

La commission en vient à l’amendement CS2269 du rapporteur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cet amendement concerne la question du local syndical. Le seuil de deux cents, qui est supprimé, imposait deux obligations : la communication des huit plus hauts salaires de l’entreprise et la mise à disposition d’un local syndical. Désormais, l’obligation est renvoyée à deux cent cinquante. Pour nous, qui sommes très favorables au renforcement du dialogue social dans nos entreprises, ce symbole est contre-productif. C’est pourquoi nous proposons de maintenir l’obligation de mise à disposition d’un local syndical à partir de deux cents salariés.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne vous cache pas que, par esprit de système et souci de clarté, j’aurais aimé fixer des seuils de dix, cinquante et deux cent cinquante salariés. Mais cela n’exclut pas de faire des exceptions justifiées.

Sur le seuil de vingt, j’ai consulté à plusieurs reprises les représentants des associations de personnes en situation de handicap, ainsi que la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Nous avons cherché quinze mille solutions, sans en trouver aucune. Or, en général, quand une solution ne s’impose pas d’elle-même, c’est qu’il n’y en a pas de bonne et que les salariés en situation de handicap auraient été les premiers à en pâtir. C’est pourquoi le seuil de vingt a été supprimé, sauf pour l’obligation d’employer des personnes en situation de handicap. Quand je vois le retard pris par la France sur cette question, c’est une marque de sagesse d’avoir maintenu le seuil.

Après mûre réflexion, c’est à mon avis la même chose pour le seuil de 200. Pour en avoir discuté avec beaucoup de représentants syndicaux, le message que nous enverrions, en relevant le seuil pour le local syndical commun, serait un mauvais signal, contre le développement des organisations syndicales. Or, je crois profondément, contrairement à ce que j’entends parfois, qu’avoir des organisations syndicales fortes et responsables est une bonne chose pour les entreprises et pour le pays. Toucher à ce seuil n’est donc pas une bonne idée. Je soutiens l’amendement du rapporteur, même si j’avais initialement proposé de ne faire aucune exception au seuil de deux cent cinquante. Maintenir le seuil de deux cents pour le local syndical est un signal très fort que nous envoyons à tout le monde syndical français.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1428 de Mme Cendra Motin.

Mme Cendra Motin. Ma proposition est un peu disruptive, puisqu’il s’agit de créer un local syndical numérique, par un accord d’entreprise, dans les entreprises de moins de mille salariés, de façon à favoriser l’accès à l’information syndicale des salariés qui ne travaillent pas sur les lieux mêmes de leur entreprise. Cela permettrait peut-être également à des entreprises de moins de deux cents salariés d’en créer un de manière virtuelle, sans coût particulier.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable. Je ne suis pas sûr que transformer le local syndical en un espace de partage numérique relève du domaine de la loi.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme Cendra Motin. J’ai tenté quelque chose d’un peu disruptif, qui trouvera peut-être un écho dans quelques années… Je retire l’amendement.

L’amendement CS1428 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS2095 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est un amendement rédactionnel, concernant la contrepartie obligatoire en repos compensatoire en cas d’heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel, qui garantit la cohérence de l’article 6.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS2271 du rapporteur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Le local de restauration est normalement fourni aux salariés, quand au moins vingt-cinq d’entre eux en font la demande. Nous proposons de maintenir ce seuil.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’ai une proposition très honnête à faire au rapporteur, dont l’amendement réintroduit de la complexité. En échange de son retrait, nous introduirions, au niveau réglementaire, par décret en Conseil d’État, une clause dite « clause du grand-père », pour les entreprises qui avaient un local de restauration avant l’adoption de la loi et qui ne seraient plus soumises à l’obligation après, afin qu’elles conservent leur local et qu’il n’y ait pas de perdants dans cette réforme.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cette proposition me convient tout à fait. Je n’ai pas de doutes sur l’écrasante majorité des chefs d’entreprise, auxquels le texte ne fera pas remettre en cause le local de restauration. Mais, sans vouloir faire de procès d’intention à quiconque, il n’en demeurait pas moins un vide qui pouvait poser problème. La proposition du ministre me convenant, je retire l’amendement.

L’amendement CS2271 est retiré.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement rédactionnel CS2231 du Gouvernement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS2312 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement vise à préciser les dispositions du projet de loi relatives à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, afin d’aligner, par souci de cohérence, le régime des groupements d’employeurs et des entreprises de portage salarial sur celui des entreprises de travail temporaire. Pour toutes ces catégories, seuls les salariés permanents seront pris en compte dans le décompte de l’effectif.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

La commission examine, en présentation commune, les amendements CS835 et CS836 de M. Arnaud Viala.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS99 de M. Patrick Hetzel.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS2230 de M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. C’est le frère jumeau de l’amendement CS2010, que j’avais défendu tout à l’heure.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS837 de M. Arnaud Viala.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS2232 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il s’agit d’un amendement rédactionnel. Nous proposons précisément d’abroger l’article L. 313-2 du code de la construction et de l’habitation, dont les dispositions sont devenues caduques.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CS747 de M. Didier Baichère.

M. Didier Baichère. Il s’agit d’envoyer un message positif aux organisations syndicales. Sans déroger aux dispositions relatives au seuil de 250 salariés, cet amendement a pour objet d’encourager les entreprises ou établissements d’au moins cinquante salariés à mettre un local à la disposition des sections syndicales, sans les y obliger.

Cependant, compte tenu des dispositions que nous venons de prendre à propos du seuil de 200 salariés, je me propose de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS2121 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement s’inscrit parfaitement dans l’esprit du suivi très précis proposé par le rapporteur général Roland Lescure. Plusieurs seuils conditionnaient l’application de droits des salariés et de devoirs des entreprises. Je ne conteste pas la simplification que vous proposez mais je souhaite que son impact soit mesuré. Des entrepreneurs pourraient jouer sur le fait que certains – auto-entrepreneurs, apprentis, intérimaires – sont « oubliés » dans le calcul des effectifs.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Chers collègues, en quelque sorte, je « ferai mes courses » tout au long de l’examen du projet de loi, et je glisserai toutes les questions pertinentes que vous soulèverez dans un panier de suivi que je proposerai par amendement, qui sera examiné à la fin de la discussion de ce texte. En l’occurrence, puisque nous proposons un changement important de la comptabilisation des effectifs, je m’engage à ce qu’un suivi soit assuré.

M. Denis Sommer, rapporteur. La question que vous abordez, cher collègue Potier, se pose effectivement, mais nous pouvons l’aborder comme vient de le proposer notre rapporteur général. Par conséquent, je suis défavorable à votre amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 6 modifié.

*

*     *

Après l’article 6

La commission examine l’amendement CS57 de M. Nicolas Forissier.

M. Nicolas Forissier. C’est un amendement de compromis. Si le relèvement de cinquante à cent du seuil qui produit le plus d’effets négatifs pour les entreprises n’a pas été retenu, peut‑être un relèvement à soixante-quinze pourra-t-il l’être – hier, dans la presse, vous vous déclariez, Monsieur le ministre, ouvert à tout ce qui pourrait améliorer le texte.

J’en profite pour revenir sur ce qui a été dit tout à l’heure. Monsieur le rapporteur général, si le seuil de cinquante salariés n’est pas source de blocages, il faut m’expliquer pourquoi les entreprises de moins de cinquante salariés sont 2,6 fois plus nombreuses que les entreprises de plus de cinquante salariés ! En Allemagne, le rapport n’est que de 1,8 entreprise de moins de cinquante salariés pour une entreprise de plus de cinquante salariés. Le blocage existe donc bel et bien, et je continue de considérer qu’un tel relèvement du seuil constituerait une mesure vraiment puissante, sans remettre en cause le dialogue social, sauf dans la forme. Mettez-vous à la place d’un chef d’entreprise, d’un patron de PME !

Quant au coût, vos services, Monsieur le ministre, ont-ils raisonné comme des investisseurs ? Se sont-ils demandé, par exemple, quel surplus de recettes fiscales, quelle réduction du nombre de chômeurs un « coût » de 500 millions d’euros entraînerait ?

M. Denis Sommer, rapporteur. À la suite de la discussion que nous avons eue, je vous invite, cher collègue, à retirer votre amendement. Et j’imagine que les services de Bercy ont effectivement évalué avantages et inconvénients, recettes et dépenses, y compris à terme, dans la mesure de ce qu’il est possible de prévoir.

Par ailleurs, je pense que vos arguments ont moins de portée dans la mesure où le chef d’entreprise disposera d’un délai de cinq années en vertu de la règle instaurée à l’article 6.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je comprends votre raisonnement, Monsieur Forissier, mais je vous rassure : le ministère de l’économie et des finances fait effectivement des calculs « en dynamique ». Cela étant, la réalité est que la dépense publique est immédiate tandis que ses effets positifs ne se produisent que quatre ou cinq ans plus tard.

Par ailleurs, l’évaluation globale proposée par le rapporteur général Roland Lescure est évidemment indispensable et elle sera faite. Pour ma part, je crois en l’efficacité et en la puissance de la règle que nous instaurons, selon laquelle un seuil d’effectif est franchi uniquement lorsqu’il a été atteint pendant cinq années civiles consécutives.

Le relèvement que vous proposez pourrait aussi être efficace, je ne le conteste pas, mais je ne suis pas favorable à l’idée de relever à 75 salariés le seuil de création de l’instance de représentation du personnel.

M. Dominique Potier. Vous aviez indiqué que le projet de loi ne comportait pas de mesures fiscales mais, avec l’amendement précédent, nous en avons adopté une dizaine, sans que leur impact ait vraiment été évalué. Ce n’est qu’une remarque en passant, mais nous avions une règle : pas de mesures fiscales.

Mme la présidente Olivia Grégoire. J’en ai parlé lors de la réunion du bureau de notre commission spéciale à 14 heures 30 ce jeudi, et je ne crois pas que les dispositions de l’amendement CS2313 soient spécifiquement fiscales.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Pour que la loi de finances comporte des dispositions fiscales qui « s’accrochent » à un dispositif législatif existant, il faut que celui-ci ait été voté. Les dispositions fiscales qui « s’accrochent » à des dispositions de la loi PACTE, qui n’aura pas été définitivement adoptée au moment de l’examen de la loi de finances initiale, doivent être examinées dans le cadre de nos débats. Quant aux mesures fiscales décorrélées de la loi PACTE, comme celles relatives au « pacte Dutreil », elles peuvent être examinées en loi de finances.

Mme la présidente Olivia Grégoire. C’est effectivement ce que nous avons précisé en réunion du bureau et que j’ai rappelé à l’ouverture de la réunion de la commission à 15 heures ce jeudi.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement CS111 de M. Patrick Hetzel.

Puis elle se saisit de l’amendement CS388 de Mme Laure de La Raudière.

M. Charles de Courson. Il s’agit du problème du monopole syndical de désignation des candidats au premier tour des élections professionnelles. Nombreux sont ceux qui estiment qu’il s’agit là d’une disposition complètement obsolète, voire anticonstitutionnelle. Nous proposons donc, tout simplement, de libéraliser cela et de permettre des candidatures indépendantes. Pour l’heure, ce n’est qu’au deuxième tour que l’on peut se présenter librement ; c’est tout à fait archaïque.

M. Denis Sommer, rapporteur. Il ne faut pas réduire le dialogue social à des aventures individuelles. En contribuant à l’affaiblissement du mouvement syndical, nous nous engagerions sur la voie de difficultés nouvelles et nous favoriserions les noyaux les plus durs, les plus radicaux. Or nous avons besoin d’un mouvement syndical plus large, plus ouvert, développant une culture du compromis. Si nous adoptons l’amendement proposé, nous en paierons le prix dans quelques années. Conservons les règles en vigueur, qui fonctionnent, et concentrons-nous sur le nouveau compromis social qu’il est nécessaire de construire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. Charles de Courson. Monsieur le rapporteur, vous avez un passé de syndicaliste tout à fait respectable, mais vous répétez ce qu’on dit depuis cinquante ans, et le mouvement syndical s’est beaucoup affaibli en France, pour des raisons très différentes. Que craignez‑vous donc avec cette mesure – une « petite » mesure – que nous proposons ? La démocratie ? Dans beaucoup d’entreprises, cela ne changera rien. Alors pourquoi maintenir une règle à cause de laquelle, ne se reconnaissant pas dans le syndicat ou les deux syndicats présents dans leur entreprise, un certain nombre de salariés ne participent plus aux élections professionnelles ? Voudriez-vous qu’une telle règle s’applique en matière d’élections politiques, Monsieur le rapporteur ? Absolument pas, et, sitôt adoptée, elle serait censurée par le Conseil constitutionnel. Et, d’ailleurs, si le Conseil constitutionnel était saisi d’un recours, je ne suis pas sûr que ce monopole ne serait pas jugé contraire aux principes constitutionnels.

Ayons un peu de courage, et arrêtons de faire croire aux syndicats que c’est en maintenant des monopoles qu’on encourage le dialogue social.

M. Laurent Pietraszewski. Le sujet me tient à cœur. Pour ma part, je souscris aux propos de notre rapporteur. Cher collègue de Courson, je trouve bon qu’une telle place soit accordée aux syndicats reconnus représentatifs – les règles visant à déterminer leur représentativité ont d’ailleurs récemment évolué, vous le savez, pour que cette reconnaissance soit plus en phase avec la réalité. Il me paraît donc pertinent d’accorder toute la place aux syndicats lors de ce premier tour des élections professionnelles.

M. Daniel Fasquelle. Je veux soutenir cet amendement. Je ne comprends pas très bien, chers collègues, votre philosophie.

Tout à l’heure, vous avez remis en cause l’obligation de stage de préparation à l’installation, vous êtes favorables à la liberté, vous êtes contre les monopoles, et voici que, prenant tout à coup le contrepied de votre point de vue précédent, vous vous refusez à mettre fin à ce monopole syndical. Pour que les chambres de métiers et de l’artisanat continuent d’attirer ceux qui veulent créer une entreprise, vous voulez ouvrir un marché et faire en sorte que les meilleurs l’emportent. Eh bien, faites la même chose en matière d’élections professionnelles, vous verrez que cela fonctionnera très bien aussi !

M. Denis Sommer, rapporteur. Nous n’allons pas prolonger ce débat, mais les pays d’Europe où se construisent des compromis ne sont pas ceux où le mouvement syndical est marginalisé. Ce sont ceux où il reste solide. Et, cher collègue de Courson, soyez prudent lorsque vous tentez un parallèle avec la vie politique. Le financement des partis politiques est fonction du résultat des élections et repose sur des seuils. Notre République accepte que des organisations jouent un rôle important et les finance. Acceptons-le donc en matière syndicale. Je comprends que le syndicalisme inspire de l’aversion à certains, mais, pour construire des accords et des compromis, il faut être deux. Faisons en sorte de préserver les partenaires sociaux – expression qui n’existe qu’au pluriel.

M. Charles de Courson. Vous ne connaissez pas mon passé, Monsieur le rapporteur : j’ai toujours beaucoup dialogué avec les syndicats. L’affaiblissement du mouvement syndical en France, vous le savez mieux que tout le monde, est le fait d’une ou deux grandes syndicales qui ont plus fait de la politique qu’elles n’ont défendu les intérêts professionnels. C’est cela qui a causé l’effondrement du taux de syndicalisation, et le monopole ne fait qu’aggraver la crise syndicale. Tout le monde ne se reconnaît pas dans tel ou tel syndicat. Respectez donc la liberté d’expression ! Ce n’est pas avec de telles dispositions que l’on rétablira la crédibilité du mouvement syndical, c’est en aidant ceux des syndicats qui, eux, veulent un véritable dialogue social.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Ce sujet est intéressant, mais il nous éloigne un peu du projet de loi qui nous occupe. Il pourrait plutôt être abordé avec Mme la ministre du travail.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1357 de M. Adrien Quatennens.

M. François Ruffin. En Allemagne, dès lors qu’une entreprise compte cinq salariés, il doit y avoir un comité d’entreprise – et c’est là le seul seuil en vigueur dans ce pays. Le groupe La France insoumise propose donc un seuil unique, fixé à onze salariés, à partir duquel les entreprises devraient respecter indifféremment toutes les obligations dont l’application est aujourd’hui conditionnée par le franchissement de divers seuils. Abaisser à ce niveau le seuil relatif à l’obligation d’embauche de personnes en situation de handicap permettrait en particulier de réduire le chômage dont elles sont particulièrement victimes.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS64 de M. Nicolas Forissier.

M. Nicolas Forissier. Au-delà des questions dont nous avons débattu, un travail de fond doit être poursuivi sur le lissage, la simplification et la réorganisation des différents seuils. Par cet amendement, nous demandons donc un rapport – qui pourrait même être remis tous les ans – en vue d’un travail de long terme, avec les organisations professionnelles, pour aller encore plus loin.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je rappelle la proposition d’un rapport sur l’ensemble des dispositions qui auront été adoptées. Cela me paraît de nature à satisfaire la demande de M. Forissier.

La commission rejette l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CS1361 de M. Adrien Quatennens.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je suis défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

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Article 6 bis (nouveau)
(articles 44 quindecies, 44 octies A, 239 bis AB, 244 quater E, 1451, 1464 E, 1466 A et 1647 C septies du code général des impôts)
Limitation des effets de seuil pour des dispositifs fiscaux spécifiques

Issu d’un amendement du Gouvernement, cet article modifie le code général des impôts afin, compte tenu des dispositions relatives aux seuils introduites par l’article 6, de limiter les effets liés aux franchissements de seuils de plusieurs régimes fiscaux applicables à la Corse.

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La commission se saisit de l’amendement CS2313 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Vous venez, Mesdames et Messieurs les députés, d’adopter les dispositions relatives aux seuils, mais il est fort probable que la loi PACTE ne sera pas promulguée avant la loi de finances initiale pour l’année 2019, qui comprend les dispositions fiscales qui y sont relatives. Il s’agit donc de rapatrier dans la loi PACTE ces dispositions et de nous assurer de leur bonne application.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement. L’article 6 bis est ainsi rédigé.

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Article 7
(article 50 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour linitiative économique)
Adaptation de la gouvernance de létablissement public Business France

A.   L’État du droit

● Lagence Business France est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) né, le 1er janvier 2015 ([15]), de la fusion de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et d’Ubifrance.

Placée sous la triple tutelle des ministères chargés des affaires étrangères, de l’économie et des finances, et de l’aménagement du territoire, elle a pour objet de promouvoir l’internationalisation de l’économie française à travers trois missions principales :

aider le développement international et les projets dexportations des entreprises implantées en France : Business France prépare les entreprises et les met en relation avec des partenaires commerciaux sur les marchés cibles afin de favoriser la création de courants d’affaires et de pérenniser les exportations ;

informer et accompagner les investisseurs étrangers en France : elle facilite et accompagne la prise de décision des investisseurs étrangers tout au long de leur projet d’entreprise en mobilisant ses conseillers et son réseau de partenaires en région ;

promouvoir lattractivité et limage économique de la France, de ses entreprises et de ses territoires : Business France assure la veille de l’image et de l’attractivité économique de la France à l’international. L’agence propose et met en œuvre une stratégie de promotion de la France, de ses territoires, entreprises et talents, et anime des réseaux d’influence sur le plan économique et international.

L’agence dispose pour l’exercice de ses missions de vingt-huit partenaires en région, de quatre-vingt-sept bureaux et correspondants dans le monde – qui lui permettent de couvrir cent vingt-quatre pays – et de 1 500 collaborateurs. Elle gère également le dispositif du volontariat international en entreprise (VIE), qui permet aux entreprises françaises de confier des missions professionnelles à l’étranger (commerciales, techniques, ingénierie, marketing, finance, etc.) à de jeunes talents durant une période de six à vingt-quatre mois. Plus de 8 000 VIE sont en poste chaque année.

● Lors de sa présentation de la stratégie du gouvernement en matière de commerce extérieur, le 23 février dernier, le Premier ministre a annoncé une importante réforme du dispositif d’accompagnement à l’export des entreprises françaises afin de le rendre « plus lisible, plus simple et plus efficace ».

Il s’agit ainsi notamment de mettre en place dans chacune des régions des guichets uniques réunissant lagence Business France et les chambres de commerce et dindustrie (CCI) afin d’associer deux expertises complémentaires : connaissance des filières et des marchés, d’une part, connaissance des territoires de l’autre. La création de ces guichets s’accompagnera de la mise en commun de toutes les informations, par l’intermédiaire d’un système d’information partagé et par la création d’une plateforme digitale de solutions.

Cette logique dinterlocuteur unique prévaudra également à létranger : la mission d’accompagnement à l’export y sera confiée à un opérateur unique qui sera, selon les cas, Business France ou un opérateur privé.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article vise à accompagner cette réorganisation de Business France autour des territoires en resserrant son mode de gouvernance.

● Le déploiement des guichets uniques se fera sous lautorité stratégique des régions, qui sont, depuis la loi NOTRe ([16]), responsables de la stratégie d’internationalisation des entreprises de leur territoire. C’est pourquoi le Premier ministre avait annoncé, le 23 février, que le gouvernement veillerait « à ce quelles soient représentées à la hauteur de leur participation à cette politique ».

La gouvernance de Business France est aujourd’hui définie par l’article 50 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique et précisée par l’article 7 du décret n° 2014-1571 du 22 décembre 2014. Son conseil d’administration comprend ainsi vingt-deux membres répartis comme suit :

– un député et un sénateur ;

– six représentants de l’État ;

– deux représentants des régions ;

– deux représentants des organisations professionnelles et deux représentants des réseaux consulaires ;

– deux personnalités qualifiées en matière de développement économique international – dont un représentant d’une entreprise étrangère implantée en France ;

– six représentants du personnel élus.

● Le présent article vise à resserrer le conseil dadministration de lagence afin quelle réponde plus efficacement son nouveau mode de fonctionnement, ainsi que l’a expliqué M. Christophe Lecourtier, son directeur général, à votre rapporteur lors de son audition.

Alors qu’un comité de pilotage de la réforme, présidé par le ministre en charge du commerce extérieur et réunissant l’ensemble des parties prenantes, vient d’être constitué, le gouvernement propose donc de doter Business France d’un conseil d’administration plus restreint, donnant par conséquent une place plus importante aux régions.

L’alinéa 1 supprime donc la présence des deux parlementaires et des représentants des organisations professionnelles et des réseaux consulaires, faisant de fait passer la composition du conseil d’administration de vingt-deux à seize membres.

Un décret devrait, dans un second temps, préciser la composition du conseil, en faisant baisser le nombre de représentants de l’État, donner plus de places aux régions et fixer le nombre total d’administrateurs à quinze.

L’alinéa 2 précise que l’entrée en vigueur de cette disposition se fera au plus tard trois mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi et s’appliquera donc aux mandats en cours.

C.   la position de la commission spÉciale

À l’initiative de votre rapporteur, la commission a adopté un amendement de réécriture globale de cet article ; il conserve la présence d’un député et d’un sénateur au sein du conseil d’administration de Business France ainsi que la présence d’un représentant des réseaux consulaires.

Compte tenu de l’importance que jouent les CCI dans l’internationalisation des entreprises françaises, il apparaissait en effet peu opportun de les écarter de ce dispositif.

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La commission examine les amendements identiques CS593 de M. Vincent Descoeur, CS1928 de M. Patrice Anato et CS2123 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. L’article 7 conduit à exclure du conseil d’administration de l’agence Business France les représentants des organisations professionnelles et des réseaux consulaires. Or cette exclusion rendra le dispositif moins lisible et efficace pour les entreprises. Je propose donc la suppression de l’article 7.

M. Patrice Anato. L’amendement CS1928 est défendu.

M. Dominique Potier. La réforme proposée exclut également les parlementaires du conseil d’administration. Or leur présence me paraît au moins aussi importante que celle du secteur privé et des réseaux consulaires. Nous sommes favorables à cet outil. Sa réforme fait l’objet d’un consensus et c’est tant mieux. Il faut moderniser notre capacité à nous projeter dans le monde, mais il faut le faire avec l’appui du Parlement.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. En coordination avec les régions et les chambres de commerce et d’industrie régionales (CCIR), Business France met en place un guichet unique export et réorganise le dispositif. Dans ce cadre, le débat sur le pilotage et l’administration de Business France est logique. Nous vous proposerons un amendement visant à assurer la représentation de CCI France et des parlementaires. En conséquence, je souhaiterais le retrait de vos amendements. À défaut, mon avis sera défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon avis sera le même que celui du rapporteur thématique. Je remercie les parlementaires d’avoir soulevé ce point. Cela nous a permis de débattre de la présence de parlementaires au conseil d’administration de Business France. C’est en effet une bonne idée de réintroduire des parlementaires et des représentants des réseaux consulaires au sein du conseil d’administration. Nous allons vous faire une proposition, sur la base des vôtres. Je vous suggère donc de retirer vos amendements pour éviter un avis défavorable, puisque nous sommes d’accord sur le fond.

M. Dominique Potier. Je vous remercie de votre écoute et vais retirer l’amendement CS2123.

Les amendements sont retirés.

La commission passe à l’amendement CS2277 du rapporteur thématique.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Notre amendement permettra à la fois aux parlementaires et à des personnes qualifiées en matière de développement économique ou issues des réseaux consulaires de siéger au conseil d’administration de Business France. Députés, sénateurs, représentants de l’État et des régions y siégeront donc. C’est important pour les régions, car le développement des guichets uniques est réalisé en partenariat avec elles et les CCIR.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon avis est favorable. Vous pouvez constater que nous tenons parole en quelques secondes !

La commission adopte l’amendement.

L’article 7 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CS1369 et CS1367 de M. François Ruffin, CS905 de M. Buon Tan, CS42, CS389 et CS304 de M. Paul Christophe, CS444 de Mme Frédérique Tuffnell, CS590 de M. Ian Boucard et CS1292 de M. Mohamed Laqhila tombent.

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Article 7 bis (nouveau)
(articles L. 122-3, L. 122-12 et L. 122-12-1 du code du service national)
Modification du régime des volontaires internationaux en entreprise (VIE)

Le présent article, issu d’un amendement de votre rapporteur général, modifie le régime des volontaires internationaux en entreprise (VIE) en faveur d’une plus grande souplesse et simplification.

À cette fin, il prévoit :

– de réduire la durée que les VIE doivent passer à l’étranger, d’au moins 200 jours par an à au moins 183 jours par an, pour permettre aux TPME, si elles le souhaitent, d’employer leur VIE à partir du territoire français durant une période supplémentaire de 17 jours ;

– de modifier le régime de l’indemnité supplémentaire, actuellement peu lisible.

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La commission en vient à l’amendement CS1908 du rapporteur général.

M. Roland Lescure, rapporteur général. J’associe Marie Lebec, rapporteure thématique du chapitre II, à cet amendement.

Les volontaires internationaux en entreprise (VIE) sont un des quelques succès de notre stratégie à l’exportation. Ils permettent à la fois à de jeunes Français de travailler à l’international et à des entreprises qui veulent s’installer à l’étranger de s’appuyer sur de jeunes Français de talent, de les former et de bénéficier d’une aide de l’État, tout en s’assurant – quand elles sont encore peu implantées à l’étranger – d’une présence personnalisée sur le terrain.

Je viens d’Amérique du Nord et visite régulièrement des consulats. Il n’est pas rare que les représentants de Business France, ceux du consulat et les VIE travaillent au même endroit. C’est une véritable force de frappe – cela a d’ailleurs inspiré les réformes de Business France. Le soutien à l’export ne se fait pas seulement à Chicago, Hong Kong ou Taïpei, mais commence en France. Par parallélisme avec l’évolution de Business France qui implique une présence croissante de ses représentants dans les régions afin d’aider les entreprises à se projeter à l’international, nous souhaitons que les VIE puissent également bénéficier d’une expérience plus importante en France.

Dans le cadre de leur formation en entreprise et pour tenir compte de leur rôle de « pont » entre la France et l’international, nous souhaitons donc qu’ils puissent passer un peu plus de temps en France. C’est le sens de cet amendement.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je suis favorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon avis est également favorable. J’insisterai sur le caractère positif et novateur de cet amendement. Son principe semble paradoxal puisqu’il vise à augmenter la durée de séjour du jeune dans l’entreprise en France. Or c’est très important pour les PME, le dispositif actuel étant trop contraignant.

Les VIE pourront ainsi passer dix-sept jours de plus dans l’entreprise en France pour se préparer à leur séjour à l’étranger. Cela avantagera clairement les petites entreprises, dont la capacité de projection à l’étranger est moindre et qui ont besoin de garder le VIE plus longtemps en France. Dans le droit fil du projet de loi PACTE, c’est une mesure principalement favorable aux PME.

Par ailleurs, la révision du dispositif d’indemnisation permettra de tenir compte de la réalité du coût de la vie à l’étranger. Aujourd’hui, nombre de jeunes, en particulier les moins favorisés, en sont pour leurs frais, les modalités de calcul de l’indemnité n’étant pas toujours adaptées.

Cet amendement constitue donc une transformation utile et profonde du statut des VIE.

La commission adopte l’amendement. L’article 7 bis est ainsi rédigé.

Article 7 ter (nouveau)
(article 119 de la loi n° 2005 1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificatives pour 2005)
Clarification du mandat de la Caisse française de développement industriel

Issu d’un amendement de notre collègue Audrey Dufeu-Schubert et les membres du groupe La République en Marche, cet article vise à clarifier la capacité donnée à la Caisse française de développement industriel (CFDI), gestionnaire des garanties de l’État, de réaliser des opérations de maniement des fonds issus de son activité de recouvrement des créances, assurée au nom et pour le compte de l’État.

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La commission examine l’amendement CS1837 de M. Adrien Taquet.

M. Adrien Taquet. Depuis le 1er janvier 2017, le régime de garantie en faveur des sociétés du secteur de la construction navale a été transformé : d’un schéma dit de garantie indirecte ou « oblique », dans lequel la Caisse française de développement industriel (CFDI) octroyait en son nom propre des garanties sous le contrôle, pour le compte et avec la garantie de l’État, on est passé à un schéma de garantie directe – les opérations sont garanties au nom de l’État. Cet amendement explicite la capacité donnée à la CFDI de réaliser des opérations de maniement des fonds issus de son activité assurée au nom et pour le compte de l’État.

Par ailleurs, il introduit une précision afin de permettre à la CFDI de recourir à des tiers pour procéder à certains recouvrements et d’engager les dépenses afférentes.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je suis favorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon avis est extrêmement favorable car ce dispositif de garantie est précieux pour les chantiers navals français, en particulier pour ceux de l’Atlantique.

M. Charles de Courson. Si je comprends bien, en votant cet amendement, nous allons autoriser la CFDI à encaisser la rémunération des garanties données par l’État. Monsieur le ministre, ces recettes reviendront-elles sur le budget de l’État ou resteront-elles à la CFDI ? Comment la rémunération d’une garantie accordée par l’État peut-elle être versée à un tiers ? Tel que rédigé, c’est ambigu…

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est une excellente question, mais il n’y a aucune ambiguïté. La CFDI va pouvoir percevoir des recettes au nom et pour le compte de l’État, ce qui va simplifier son rôle. En revanche, elle devra évidemment les lui reverser à intervalles réguliers.

M. Charles de Courson. Mais la CFDI n’aura pas les mêmes prérogatives que les comptables publics pour recouvrer ces sommes, puisqu’il me semble qu’elle n’est pas assujettie à la comptabilité publique. Avec un système de comptabilité privée, elle ne disposera pas des mêmes moyens que les comptables de l’État pour recouvrer lesdites sommes.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Vous avez raison, les règles comptables ne sont pas les mêmes, mais c’est une mesure de simplification de la gestion et du fonctionnement de ce régime de garanties. Par ailleurs, il n’y aura pas d’impact budgétaire puisqu’à intervalles réguliers, la CFDI reversera ces recettes à l’État.

La commission adopte l’amendement. L’article 7 ter est ainsi rédigé.

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Article 8
(article L. 310-3 du code de commerce)
Passage de la durée des soldes de six à quatre semaines

Le présent article vise à renvoyer au pouvoir réglementaire, dans des limites définies par la loi, la fixation de la durée des périodes de soldes, aujourd’hui fixée à six mois.

A.   L’État du droit

● Selon l’article L. 310-3 du code de commerce, les soldes sont des ventes réglementées qui, dune part, « sont accompagnées ou précédées de publicité et sont annoncées comme tendant, par une réduction de prix, à lécoulement accéléré de marchandises en stock » et qui, dautre part, ont lieu durant des périodes légales.

Ces périodes légales sont au nombre de deux, selon le même article L. 310-3 et durent six semaines chacune, en hiver puis en été. Alors qu’elles s’étalaient sur quatre semaines, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie avait institué une période complémentaire de soldes, appelée « soldes flottants », d’une durée de deux semaines, à l’initiative des commerçants.

Constatant qu’elles avaient peu d’impact sur les ventes et que la plupart des commerçants les rattachaient aux soldes saisonniers pour les prolonger, la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a supprimé les soldes flottants et prolongé de quatre à six semaines les soldes saisonniers.

Depuis le 1er janvier 2015, les deux périodes légales de soldes sont donc les suivantes :

– les soldes d’hiver, qui débutent le deuxième mercredi du mois de janvier à 8 heures du matin ;

– les soldes d’été, qui débutent le dernier mercredi du mois de juin à 8 heures du matin ([17]).

Ces dates s’appliquent aux ventes à distance, notamment celles réalisées par internet, quel que soit le lieu du siège de l’entreprise. Par dérogation, hormis pour les ventes à distance, des dates différentes sont appliquées dans certaines zones, notamment frontalières ou ultramarines.

Durant les périodes de soldes, seuls les produits présentés à la vente et payés depuis au moins trente jours peuvent être soldés et la revente à perte est autorisée. En dehors des périodes légales de soldes, les commerçants peuvent organiser des opérations commerciales pour déstocker, en annonçant des réductions, sous réserve qu’ils n’utilisent pas le mot « soldes » et qu’ils respectent la législation sur l’interdiction de revente à perte.

Si la plupart de nos voisins européens n’ont pas fixé de périodes réglementées pour les soldes, on y observe cependant une même volonté d’agir collectivement à l’occasion de deux périodes de soldes, en été et en hiver.

● Pour répondre au mécontentement croissant des commerçants sur le calendrier des soldes, le ministre de lÉconomie et des finances, M. Bruno Le Maire, avait lancé, lété dernier, une grande concertation sur le sujet. Celle‑ci a été confiée à M. William Koeberlé, président du Conseil du commerce de France, sous l’égide de la Commission de concertation du commerce (3C).

Cette concertation a permis de souligner que, si trois Français sur quatre font les soldes, « lattrait des consommateurs français pour les soldes saisonniers a progressivement chuté ces dernières années : en cause, la multiplication des promotions en magasins comme sur internet » ([18]).

Comme l’ont notamment indiqué à votre rapporteur les représentants de la Confédération des commerçants de France, on observe en effet plusieurs phénomènes qui nuisent à l’attractivité des soldes et conduisent à un essoufflement de la fréquentation à partir de la troisième semaine :

– la multiplication des ventes privées juste avant les soldes, réalisées par exemple par 60 % des commerçants parisiens en 2017 ;

– l’essor des promotions tout au long de l’année qui, tout faisant perdre leur visibilité aux offres intéressantes, diminue l’intérêt des soldes pour le consommateur ;

– le développement des achats en ligne pendant les soldes, qui augmente à un rythme élevé d’année en année et concurrence les commerçants.

Modifiée à plusieurs reprises depuis 2008, la réglementation des soldes nest donc toujours pas satisfaisante selon les résultats de la concertation menée auprès des commerçants. Les principaux d’insatisfaction concernent la durée, jugée trop longue, et les dates de démarrage, jugées trop tardives.

B.   Le dispositif proposÉ

Plutôt que de modifier à nouveau la durée des périodes légales de soldes, le présent article réécrit les deux premiers alinéas de l’article L. 310-3 du code de commerce afin de prévoir des durées minimales et maximales, respectivement de trois et six semaines (alinéa 3), et de renvoyer à un arrêté du ministre chargé de léconomie le soin de fixer, au sein de ces limites, la durée exacte de ces périodes.

Cet arrêté pourra prévoir, pour ces deux périodes, des dates différentes dans certains départements pour tenir compte « dune forte saisonnalité des ventes ou dopérations commerciales menées dans des régions frontalières. »

Ce dispositif permettra de prendre en compte plus facilement les évolutions rapides des habitudes de consommation et dachat tout en conservant une durée maximale par période de soldes.

Conformément aux annonces faites par le gouvernement à l’occasion du lancement des soldes d’hiver 2018 et afin de tenir compte des résultats de la concertation, le premier arrêté d’application devrait fixer la durée des prochaines campagnes de soldes à quatre semaines.

C.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la commission rejette l’amendement CS1380 de M. Emmanuel Maquet.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS1371 de M. François Ruffin, les amendements identiques CS61 de M. Vincent Descoeur, CS582 de M. Éric Pauget et CS658 de M. Daniel Fasquelle, ainsi que l’amendement CS975 de M. Jean-Louis Masson.

M. Adrien Quatennens. L’amendement CS1371 est défendu.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS61 concerne la durée des soldes. Il s’agit de trancher définitivement cette question, en faisant le choix d’une durée de quatre semaines, correspondant d’ailleurs au consensus qui s’était dégagé de la consultation initiée par M. le ministre.

M. Daniel Fasquelle. En 2005, à l’unanimité de la commission des affaires économiques de l’époque, nous avions mis fin aux soldes flottants à la demande des commerçants. C’était une bonne chose. Le présent projet de loi propose de limiter les soldes à une période de trois à six semaines. Six semaines, c’est beaucoup trop long ! C’est ce que nous disent tous les commerçants. L’amendement CS658 fixe le plafond à quatre semaines.

M. Jean-Louis Masson. Tant du point de vue des commerçants que de celui des consommateurs, il faut redynamiser le commerce et relancer l’intérêt des Français pour les soldes, notamment dans les boutiques physiques. En outre, l’extension de pratiques telles que le « black Friday », avec des remises très importantes sur une seule journée, accélère la désuétude de périodes de solde trop longues. Le présent amendement CS975 les limite à quatre semaines.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Une grande concertation a effectivement été menée par M. le ministre sur ce sujet. Ses conclusions ne sont pas tout à fait celles que vous indiquez. Les soldes doivent en effet se concentrer sur deux moments forts dans l’année. Mais la loi doit garder de la souplesse pour que nous n’ayons pas à la modifier tous les deux ou trois ans, dès que la situation économique ou les demandes des commerçants évoluent.

M. Charles de Courson. Je soutiens ces amendements au nom de notre groupe car la fourchette de trois à six semaines, deux fois par an, est trop large. Six semaines, c’est considérable ; les soldes pourraient durer jusqu’à trois mois par an… Il convient de réduire cette fourchette ou d’adopter les amendements proposant quatre semaines. À défaut, tous les commerçants le disent, on est en soldes permanents !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Sur le fond, nous sommes tous d’accord, mais il s’agit d’un problème de hiérarchie des normes. J’ai effectivement organisé des semaines de consultations, qui m’ont passionné. Les soldes sont un moment important de la vie française. En ce domaine, les intérêts sont très divergents entre les grands magasins, les petits commerçants et le commerce en ligne, mais le consensus est clair sur les quatre semaines. Je m’en remets donc à votre sagesse, tout en vous rappelant que l’arrêté du ministre fixe la durée des soldes, ainsi que leur date de début et de fin. Au regard de la hiérarchie des normes, il me paraît plus cohérent qu’un arrêté continue à fixer les détails et la loi le cadre. Je continuerai – moi ou mon successeur – à fixer par arrêté la date de début et de fin des soldes, et la durée totale des soldes, à quatre semaines.

Je rejoins MM. de Courson et Fasquelle sur les six semaines, beaucoup trop longues. Si vous tenez absolument à graver une durée dans le marbre de la loi, c’est envisageable, mais cela me semble une mauvaise idée juridique. Je me méfie des lois qui prennent la place des règlements ou des arrêtés. La loi fixe un principe général et l’arrêté le précise. On dévalorise les lois à force d’y faire figurer tous les détails de l’organisation de la vie des Français…

M. Daniel Fasquelle. En poussant jusqu’au bout votre raisonnement, monsieur le ministre, il faudrait seulement indiquer dans la loi que les périodes de soldes sont fixées par arrêté ministériel, sans prévoir de fourchette. À partir du moment où la durée figure dans la loi, allons au bout de la démarche ! Les commerçants attendent un signal clair ; dans la vie économique, rien n’est pire que l’incertitude. La fourchette actuelle ne donne absolument pas satisfaction aux commerçants, vous l’avez dit. Unanimement, ils souhaitent ces quatre semaines. Montrons-leur que l’Assemblée nationale est à leur écoute et mettons fin à l’incertitude. Ce sera apprécié des interlocuteurs que vous avez rencontrés pendant des semaines.

M. Vincent Descoeur. J’entends les propos de M. le ministre. Afin que le travail produit au cours de la consultation soit utile, fixons dans la loi un plafond à quatre semaines, l’arrêté définissant les modalités d’application.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur Fasquelle, je n’ai pas le pouvoir de fixer arbitrairement la durée des soldes par arrêté si le législateur n’a pas fixé de cadre. Le renvoi dans la loi à une décision du ministre n’est donc pas suffisant.

En conséquence, vous avez deux options, et je m’en remettrai à votre sagesse. Vous pouvez conserver l’article dans sa rédaction actuelle. Cette option a ma préférence, et celle du rapporteur, car la loi conserve ainsi son rôle d’encadrement, l’arrêté ministériel venant la préciser. Je prends l’engagement solennel devant vous que cet arrêté fixera la durée des soldes à quatre semaines et non plus six, pour les deux périodes concernées.

Vous pouvez à l’inverse insérer ces quatre semaines dans la loi mais, à mon sens, cela constitue un risque de dérive législative et de rabaissement de la loi. Pour autant, vous êtes souverains.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Comme le ministre, je plaide pour la souplesse. Je vous rappelle que la loi a été modifiée en 2008 pour définir une période de quatre semaines de soldes. En 2014, elle a été à nouveau amendée pour instituer six semaines de soldes. Pour l’avenir, nous souhaitons que la loi fixe le cadre, l’arrêté définissant la durée précise. Nous ne serons ainsi pas obligés de modifier régulièrement la loi comme par le passé, dévalorisant par là même le travail législatif. L’environnement commercial peut changer et le cadre fixé par le projet de loi permet aux acteurs et au Gouvernement d’évoluer ultérieurement, même si nous sommes actuellement tous d’accord sur ces quatre semaines.

La commission rejette l’amendement CS1371.

Puis elle rejette les amendements identiques CS61, CS582 et CS658.

Elle rejette également l’amendement CS975.

La commission passe à l’amendement CS1381 de M. Emmanuel Maquet.

M. Daniel Fasquelle. Il est défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. J’y suis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y suis également défavorable car cet amendement crée une rupture d’égalité entre les territoires, en laissant aux préfets de région le soin de fixer les durées et les dates de début et de fin des soldes. Cela pourrait être très pénalisant pour les commerçants, les consommateurs pouvant parfaitement se déplacer dans la région voisine pour profiter des soldes. Je tiens à ce que la disposition soit appliquée de manière uniforme sur le territoire, d’autant plus que les commerçants se sont unanimement prononcés contre un tel mécanisme.

M. Daniel Fasquelle. Député du Pas-de-Calais, je constate que nous recevons une importante clientèle belge et britannique. Nous subissons aussi la concurrence directe de nos voisins européens, dans un marché désormais complètement ouvert. Ces périodes de soldes différenciées par région, tenant compte des dates de soldes de ces voisins, pourraient être intéressantes.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS736 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Mon amendement vise à supprimer le délai de six mois prévu pour l’application de la réforme des soldes. En effet, celui-ci implique que le dispositif ne pourra être appliqué qu’aux prochains soldes de janvier 2020. Si votre dispositif est bon, monsieur le ministre, il faut l’appliquer très rapidement d’autant qu’il ne nécessite de mesures particulières.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Le délai de six mois permettra aux commerçants d’ajuster leurs stocks afin de mieux gérer les soldes. Je suis défavorable à votre amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y suis également défavorable. Madame Louwagie, votre intention est louable car ces quatre semaines sont unanimement souhaitées, mais les commerçants indépendants nous ont alertés sur la nécessité de disposer d’un délai supplémentaire pour reconstituer leurs stocks. Les grandes surfaces et les chaînes de magasins sont favorables à l’accélération de la mise en place de la mesure, mais les petits commerçants indépendants y sont très défavorables. L’inscription de ce délai de six mois est une réponse à la demande expresse des petits commerçants de centre-ville.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 8 sans modification.

Après l’article 8

La commission est saisie de l’amendement CS546 de M. Sébastien Leclerc.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS546 est défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1334 de Mme Claire O’Petit.

Mme Claire O’Petit. L’amendement CS1334, qui reprend la teneur d’une proposition de loi que j’ai déposée au printemps dernier, vise à faciliter la garde d’enfants pour les salariés des commerces de détail non alimentaires situés dans les zones géographiques instituées par la loi Macron, et qui dérogent au droit de repos dominical.

Tout d’abord, il propose de porter à 75 % le crédit d’impôt pour les dépenses ayant pour objet de financer la création et le fonctionnement des crèches privées, engagées par les entreprises situées dans ces zones : il s’agit donc d’une approche incitative.

Ensuite, il propose que l’attribution des tickets CESU, financés notamment par les entreprises ouvertes le dimanche, relève de la loi, afin de s’assurer que les contreparties mises en œuvre par l’employeur soient bien réelles.

Enfin, il propose de créer un label « Qualité familiale » délivré par le ministère du travail et destiné à certifier l’engagement des commerces de détail ouverts le dimanche en faveur de la garde d’enfants de leurs salariés.

M. Roland Lescure, rapporteur général. En tant que président de la commission des affaires économiques, j’ai souhaité qu’il soit procédé à une évaluation en profondeur de la loi dite Macron, trois ans après sa promulgation, à la fois pour que soit respecté l’engagement qui avait été pris de le faire – nous avons fait campagne sur le thème d’une meilleure évaluation des lois – et parce que j’estime que cette loi portant le nom du Président de la République mérite d’être évaluée à sa juste mesure, avec toute l’objectivité que le travail parlementaire peut apporter.

Une mission d’évaluation, présidée par notre collègue Yves Blein et réunissant des représentants de quatre commissions – affaires économiques, finances, lois et affaires sociales –, est en cours. Je suggère que nous attendions qu’elle soit terminée et que nous prenions connaissance de ses conclusions avant d’en tirer éventuellement les conséquences qui s’imposent. En attendant, je suggère le retrait de l’amendement CS1334.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Même avis.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Puisque nous nous sommes engagés dans une dynamique d’évaluation ambitieuse, il me semble effectivement opportun d’attendre les résultats de cette évaluation avant de prendre des décisions sur le sujet qui nous intéresse. Maintenez-vous votre amendement, madame O’Petit ?

Mme Claire O’Petit. J’admets la nécessité d’attendre les résultats de l’évaluation, et je retire donc mon amendement CS1334. Cependant, j’insiste sur le fait que l’évaluation devra notamment porter sur l’ouverture des crèches le samedi. En effet, la plupart des crèches ferment le vendredi à dix-sept heures, alors qu’un très grand nombre de nos concitoyens travaillent le samedi.

L’amendement CS1334 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS739 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Avec votre permission, madame la présidente, la présentation que je vais faire de l’amendement CS739 vaudra également pour l’amendement CS738.

Ces deux amendements visent à harmoniser les conditions juridiques d’ouverture dominicale des commerces de détail alimentaires, quelles que soient les zones dans lesquelles ils se trouvent. Ces zones composent actuellement une véritable mosaïque de situations – zone touristique (ZT), zone touristique internationale (ZTI), zone commerciale (ZC) – qui est source d’un manque de visibilité et de lisibilité dans ce domaine.

L’amendement CS739 a pour objet d’harmoniser les conditions d’ouverture en soirée, entre vingt et une heure et minuit ; quant à l’amendement CS738, il a le même objet pour les commerces alimentaires après treize heures.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il ne serait pas normal de prendre des décisions en matière d’ouverture des commerces le dimanche avant d’avoir laissé la mission d’évaluation terminer ses travaux et rendre ses conclusions – ce qui doit être fait, me semble-t-il, pour la fin novembre – et d’en avoir pris connaissance : cela serait en effet injuste et incorrect vis-à-vis des membres de cette mission et des personnes qu’elle auditionne. Sur un sujet revêtant une telle importance pour la vie quotidienne des Français, nous ne sommes pas à deux mois près. J’émets donc un avis défavorable aux amendements CS739 et CS738.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme Véronique Louwagie. Je retire les amendements CS739 et CS738.

Les amendements CS739 et CS738 sont retirés.

La commission examine l’amendement CS2204 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. L’économiste François Perroux disait qu’en économie, il y a des choses qui ont un prix et d’autres qui n’en ont pas. Comme vous le savez, j’étais hostile à l’extension du travail dominical en dehors des zones touristiques, et en 2015 j’ai eu sur ce point des discussions très vives avec Emmanuel Macron au sein du groupe majoritaire de l’époque. De même, il me semble nécessaire de faire preuve d’un minimum de décence en certaines occasions, à savoir le 14 juillet – la journée commémorant la fondation de la République –, le 11 novembre – rappelant la fin de la Première Guerre mondiale, il y aura cent ans cette année – et le 8 mai – commémorant la victoire sur l’Allemagne nazie en 1945.

Durant ces trois journées, nous célébrons la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour la patrie, pour la République, pour la France, et il me paraît insupportable qu’il puisse y avoir, en ces occasions, des opérations commerciales donnant lieu à des promotions spéciales ou à l’émission de bons de réduction. Si chacun de nous est attaché à la liberté, que doit favoriser le monde nouveau que nous avons appelé de nos vœux, il est cependant nécessaire de continuer à se référer à des repères historiques indéracinables : au moins durant les trois journées que j’ai évoquées, il me semble que nous pourrions nous abstenir de consommer et d’obliger pour cela les salariés des grandes surfaces à y être présents pour les faire fonctionner. Si nous ne sommes pas capables de nous imposer cela, alors il faut également renoncer à ce que ces jours soient fériés.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Nous partageons tous l’attachement à la République que vient d’exprimer notre collègue Dominique Potier, et c’est toujours avec une grande émotion que nous nous retrouvons le 8 mai et le 11 novembre devant les monuments aux morts, afin de nous y recueillir avec nos concitoyens. L’évocation de ces événements historiques et des souvenirs douloureux qui y sont attachés est également l’occasion d’en tirer des enseignements pour le présent.

Cela dit, il me paraît excessif d’interdire toute activité commerciale durant les journées de commémoration, comme le propose cet amendement. La question est d’importance et mérite qu’on y réfléchisse. Dans l’immédiat, j’émets cependant un avis défavorable à l’amendement CS2204.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je partage évidemment la volonté de garder une mémoire vivante des trois dates que sont le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre, et j’attache une extrême importance à la mémoire qui rassemble les Français et permet de construire l’avenir. Pour autant, si votre raisonnement se défend parfaitement, monsieur Potier, je ne pense pas que le respect de la mémoire implique que personne ne travaille durant ces trois journées : à mon sens, une telle mesure serait disproportionnée.

J’émets donc également un avis défavorable à cet amendement.

M. Nicolas Forissier. Les députés du groupe Les Républicains sont sensibles à la proposition de notre collègue Potier, mais je pense exprimer un sentiment largement partagé en disant que la mesure proposée paraît impraticable. Durant les jours fériés, nos compatriotes ont besoin tout autant que les autres jours de recourir aux services des petits commerçants, et ceux-ci ont tout autant besoin de travailler. Par ailleurs, comment pourrait-on interdire aux commerçants des zones touristiques de servir les touristes étrangers, sans soute moins sensibles que nous à la signification des fêtes nationales ? Entrer dans une logique de zones, de quotas, de seuils, serait synonyme d’une extrême complexité. À mon sens, pour renforcer l’importance des journées de commémorations, nous devons plutôt agir dans le cadre de la formation à la citoyenneté et de l’incitation.

M. Charles de Courson. Effectivement, s’il s’agit là d’une idée sympathique, elle ne résiste guère à l’analyse. Faudrait-il donc imposer la fermeture des services publics et des usines qui produisent en continu ? Devrait-on exiger la fermeture des boulangeries et priver les Français de pain les jours de commémoration ? Cela ne me paraît pas raisonnable.

M. Dominique Potier. J’insiste sur le fait que je ne souhaite surtout pas que ma proposition donne lieu à une compétition mémorielle, qui serait indécente : à mes yeux, les personnes hostiles à cet amendement n’ont pas moins que moi le sens de la patrie et du devoir.

Cela dit, j’insiste sur l’importance de préserver des symboles. Il ne me viendrait pas à l’idée de prétendre qu’il faut, durant les journées de commémoration, arrêter de traire les vaches – j’ai été éleveur laitier –, fermer les hôpitaux ou les usines qui, le reste de l’année, produisent en continu : mon amendement ne concerne que ce qui est superficiel et inutile. Peut-être serait-il un peu compliqué à mettre en œuvre, mais il me paraît indispensable. Je ne vois pas comment on peut créer un service national civique tout en continuant de permettre que, durant une journée de commémoration, les grandes surfaces fassent des promotions pour des articles dont on peut tout à fait se passer.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, de l’amendement CS1333 de Mme Claire O’Petit et des amendements identiques CS737 de Mme Véronique Louwagie et CS1373 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Claire O’Petit. Monsieur le ministre, j’ai entendu la déclaration que vous avez faite hier, et je ne maintiendrai donc pas mon amendement en attendant les résultats de l’évaluation en cours. Nous avons été plusieurs collègues à poser la question de l’extension de l’ouverture du dimanche, car nous sommes extrêmement attentifs au commerce de proximité, et souhaitons que des solutions permettent de maintenir en vie le petit commerce. À l’heure actuelle, un très grand nombre de commerçants baissent leur rideau définitivement, n’ayant pas la possibilité de travailler comme ils le souhaiteraient pour sauver leur source de revenus et les emplois de leurs salariés. En dépit de l’urgence, nous patienterons jusqu’à ce que la mission d’évaluation ait achevé ses travaux. Je retire donc mon amendement.

Mme Véronique Louwagie. Actuellement, les commerces de détail alimentaire peuvent ouvrir le dimanche matin toute l’année jusqu’à treize heures. Cependant, en raison de l’évolution des habitudes de consommation et des rythmes de vie, on constate une demande croissante des consommateurs pour faire leurs courses alimentaires le dimanche toute la journée : dans les zones où les commerces alimentaires sont déjà ouverts le dimanche, la fréquentation maximale s’observe entre treize heures et quatorze heures, puis entre dix-sept heures et dix-neuf heures.

Supprimer la limite de treize heures serait un facteur de simplification réglementaire, mais permettrait également de faire face à la concurrence du e-commerce – qui n’est soumis à aucune réglementation en termes d’horaires – et de renforcer l’attractivité commerciale des centres-villes et des centres-bourgs, répondant ainsi à un besoin constaté dans les zones rurales. Enfin, cela rétablirait l’équité concurrentielle avec certaines grandes enseignes, quel que soit leur statut juridique.

Bien évidemment, le dispositif proposé devrait être encadré juridiquement : il ne s’agit pas de généraliser l’ouverture dominicale des magasins alimentaires en France, mais de faire en sorte que la dérogation introduite soit limitée à certains types et formats de magasins. Tel est l’objet de l’amendement CS737, qui sera par ailleurs source de création d’emplois.

Mme Laure de La Raudière. Mme Louwagie a très bien défendu cet amendement, dont l’objectif est de fournir autant d’outils que possible à nos commerces de centre-bourg pour se défendre face à la concurrence de la grande distribution située en périphérie, mais aussi du e-commerce. Dans le cadre d’un projet de loi visant à responsabiliser les acteurs, il appartiendra aux commerces de centre-bourg de choisir comment ils souhaitent s’organiser pour lutter au mieux contre la concurrence sauvage. J’entends bien que des travaux d’évaluation et des discussions sont en cours, mais j’appelle votre attention sur l’urgence qu’il y a à adapter la réglementation actuelle pour permettre aux commerces de détail de décider, de manière responsable, de leur organisation.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Nous avons conscience du fait qu’il est absolument nécessaire de renforcer les centres-villes, qui souffrent et se trouvent souvent en grand péril : c’était d’ailleurs l’objectif du plan gouvernemental de revitalisation des centres-villes lancé au printemps dernier. Bien évidemment, la réflexion sur l’offre commerciale, qui constitue l’un des vecteurs essentiels de cette redynamisation, doit se poursuivre. Au-delà des centres-villes, les grands centres commerciaux situés en périphérie présentent parfois des situations pour le moins étonnantes : il arrive ainsi que, passé une certaine heure, les clients présents en grand nombre dans une galerie marchande ne puissent plus accéder aux commerces alimentaires de détail situés dans cette galerie ! Il est donc évident qu’il y a des choses à faire évoluer, ce qui pourra être entrepris lorsque la mission d’évaluation de la loi Macron aura rendu ses conclusions – j’invite les plus impatients d’entre vous à prendre contact dès maintenant avec notre collègue Yves Blein, président de la mission, afin d’échanger avec lui.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Puisque nous allons examiner un grand nombre d’amendements portant sur le travail le dimanche, je vais exprimer ma position globale sur le sujet à l’occasion de l’examen de cet amendement.

Je suis convaincu que nous ne sommes pas au bout du dispositif sur le travail du dimanche : il reste encore en la matière des incertitudes et des complexités – je pense notamment aux commerces alimentaires de centre-ville qui ferment à treize heures, c’est-à-dire à un moment où de nombreux clients seraient encore susceptibles de se présenter.

M. Buon Tan a également soulevé la question des dimanches du maire. Sur ce point, j’estime que nous devons donner plus de liberté et de pouvoir aux maires, afin qu’ils puissent disposer de la souplesse nécessaire pour développer les commerces de leur centre-ville. Il faut savoir faire preuve de cohérence : on ne peut pas, d’un côté, affirmer qu’il faut revitaliser les commerces de centre-ville et, de l’autre, priver les maires des instruments qui leur permettraient de le faire – étant précisé qu’au bout du compte, ce sont les citoyens qui votent ou ne votent pas pour le maire qui a décidé d’augmenter le nombre de dimanches ouvrés.

Cela dit, je vois deux obstacles à l’adoption de cet amendement et de tous ceux ayant trait à la même question. Premièrement, ce n’est pas l’objet principal de la loi PACTE, dont nous devons préserver la cohérence : celle-ci vise essentiellement à faire grandir les entreprises. Deuxièmement, il s’agit d’un sujet extrêmement sensible, qui engage la vie concrète de nos concitoyens et l’idée qu’on se fait de la vie active, des temps de travail et des temps de repos, et qui mérite par conséquent un débat plus long, basé sur l’évaluation de la loi Macron, ainsi qu’une vraie discussion. En tout état de cause, il me semblerait dommage que sur ce sujet nous prenions à la va-vite des décisions morcelées : nous ne pouvons faire l’économie d’un vrai débat de fond, que je suggère d’avoir en 2019, sur la base d’une évaluation préalable à laquelle auront procédé les parlementaires.

Mme Véronique Louwagie. Tenant compte des avis qui viennent d’être exprimés, je retire mon amendement.

Mme Laure de La Raudière. Je retire également mon amendement, en espérant que l’engagement pris par le Gouvernement en termes de calendrier pourra être tenu.

Les amendements identiques CS737 et CS1373 sont retirés.

La commission examine les amendements identiques CS738 de Mme Véronique Louwagie et CS1378 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Véronique Louwagie. J’ai indiqué tout à l’heure que je retirais l’amendement CS738.

Mme Laure de La Raudière. L’amendement CS1378 est également retiré.

L’amendement CS1378 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS906 de M. Buon Tan.

M. Buon Tan. L’amendement CS906 me semble constituer un juste milieu en offrant la possibilité aux commerces de détail d’ouvrir un dimanche sur deux, ce qui répondrait aux problématiques que l’on retrouve dans les centres-villes de province, mais aussi à Paris. Cela dit, j’ai entendu ce qu’a dit M. le ministre sur la nécessité d’attendre les conclusions de la mission d’évaluation de la loi Macron avant d’entrer dans une phase d’étude et de concertation, et je retire donc mon amendement.

L’amendement CS906 est retiré.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je remercie les parlementaires de leur compréhension, et je précise que l’idée est bien de disposer de l’évaluation fin 2018 – je souhaite que les parlementaires y soient associés, afin de pouvoir bénéficier de retours de terrain extrêmement utiles. Un débat approfondi pourrait ensuite avoir lieu en 2019, éventuellement à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi.

La commission examine les amendements CS2125 et CS2126 de M. Dominique Potier, qui font l’objet d’une présentation commune.

M. Dominique Potier. Quelles que soient nos divergences de vue, je prends acte de la volonté de M. le ministre de ne pas bâcler le débat sur un point particulièrement important. Je ne souhaite cependant pas retirer les deux amendements que je vais maintenant présenter, car ils me paraissent constituer deux pierres à apporter au débat qui va suivre.

L’amendement CS2125 propose que, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’impact des choix d’urbanisme commercial sur les filières agroalimentaires et les territoires ruraux en matière d’emploi, de valeur ajoutée et d’environnement. Lorsque nous avons visité le marché de Rungis avec le président Lescure, nous avons pu constater que le modèle économique de distribution, comprenant des filières de production, de transformation et de distribution, différait de celui de la grande distribution en matière de création d’emploi et de plus-value économique et environnementale. Or, depuis quelques années, on a laissé filer l’urbanisme commercial sans imposer aucune contrainte à la libre-concurrence. Sans doute y a-t-il moyen de revisiter les stratégies mises en œuvre en France en matière d’urbanisme commercial, dans le cadre d’un débat en amont des questions d’ouverture dominicale, et sur la base de comparaisons internationales montrant qu’il y a d’autres choix possibles que celui fait par la France, particulièrement destructeur de valeurs environnementales et économiques – je pense évidemment au débat de la loi Égalim.

Certains de nos collègues du groupe La République en Marche avaient publié une tribune dans la presse appelant à profiter de l’examen de ce projet de loi pour ouvrir le commerce le dimanche, en invoquant pour principal argument la concurrence du commerce électronique. Je propose que, dans le cadre d’une réflexion en profondeur, on s’interroge sur les externalités environnementales, sociales et économiques du commerce électronique, afin que les éléments qui en ressortiront puissent être apportés au débat. Tel est l’objet de l’amendement CS2126. Je ne suis pas sûr que l’argument de la concurrence du commerce électronique doive conduire à ouvrir les commerces tous les jours de la semaine, mais aussi la nuit : comme on le voit, il est nécessaire d’engager une réflexion sereine et approfondie.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je ne suis pas sûr qu’il soit très efficace de multiplier les rapports. Une mission d’évaluation est en cours et il convient d’en attendre les conclusions, qui comprendront des estimations très concrètes en termes d’emploi ou d’évolution du chiffre d’affaires pour les commerces concernés. À mon sens, cette mission d’évaluation doit aussi avoir pour objet de s’intéresser aux questions relatives au numérique, au développement des centres commerciaux et à leur avenir – il est en effet permis de se demander si ces centres sont susceptibles de constituer un modèle répondant aux attentes des consommateurs. Nous aurons tout loisir d’enrichir les travaux de cette mission après la publication de son rapport et le débat collectif que nous devrons ensuite organiser. Dans l’immédiat, il ne me paraît pas opportun de disperser les énergies en rédigeant des rapports sur différents thèmes, c’est pourquoi j’émets un avis défavorable à ces deux amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements CS2125 et CS2126.

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*     *

Article 9
(articles L. 225-7, L. 225-16, L. 225-26, L. 225-40, L. 225-73, L. 225-88, L. 225-100, L. 225-115, L. 225-177, L. 225-204, L. 255-209-2, L. 225-231, L. 225235, L. 226-9, L. 226-10-1, L. 227-9-1, L. 136 228-19, L.232-3, L. 232-19, L. 23223, L. 823-2-1 [nouveau], L. 823-2-2 [nouveau] et L. 82312-1 du code de commerce)
Relèvement des seuils de certification légale des comptes

Le présent article a pour objet de relever le seuil à partir desquels une entreprise est soumise à l’obligation de désigner un commissaire aux comptes, afin de les aligner sur les seuils prévus par la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

A.   L’État du droit

● La certification des comptes des sociétés vise à apporter une garantie sur la fiabilité de linformation financière fournie par celle-ci. Elle est effectuée par un tiers extérieur, un commissaire aux comptes, dont la loi ([19]) précise les conditions d’exercice (inscription sur une liste spéciale, conditions de nomination, de durée et de cessation des fonctions, de rémunération) et dont elle garantit l’indépendance par rapport à l’entité contrôlée.

Laudit légal désigne lobligation faite à certaines entités davoir recours à un ou plusieurs commissaires aux comptes pour que ceux-ci vérifient la régularité, la sincérité et l’image fidèle des comptes. Cette obligation est une exigence fondamentale pour le bon fonctionnement des marchés et, par conséquent, pour lactivité économique dans son ensemble. Mais si cette obligation est justifiée par un bénéfice réel pour l’intérêt général, il importe qu’elle demeure proportionnée à la charge contraignante qu’elle fait peser sur les entreprises.

Comme l’avait relevé le rapport de l’inspection générale des finances sur le sujet, en mars dernier ([20]), « depuis plusieurs décennies, la France a fait le choix de fixer des seuils peu élevés daudit légal, en privilégiant ainsi la sécurisation de la fiabilité des comptes au profit des parties prenantes extérieures à lentreprise ».

De fait, comme le montre le tableau ci-dessous, les seuils existants sont nettement inférieurs aux niveaux fixés par le législateur européen.

Comparaison des seuils français de certification obligatoire des comptes et ceux fixés par la directive europÉenne

Catégories juridiques

Seuils français actuels

Seuils de la directive européenne

SA/SCA

Toutes

Unités légales dépassant 2 des 3 seuils :

 

Bilan : 4 M €

CA HT : 8 M €

Effectif : 50

SARL/SNC/SCS

Unités légales dépassant 2 des 3 seuils :

Bilan : 1,55 M €

CA HT : 3,1 M €

Effectif : 50

SAS

Unités légales dépassant 2 des 3 seuils :

Bilan : 1 M €

CA HT : 2 M €

Effectif : 20

Source : rapport de l’inspection générale des finances, mars 2018.

Aussi, compte tenu de cette réglementation, la part des entreprises françaises faisant lobjet dun audit légal, soit 4,1 %, se situe à un niveau largement supérieur à celui de la plupart de ses partenaires européens, à l’exception de l’Italie.

Nombre de mandats dÉtenus par les commissaires aux comptes

 

Allemagne

Italie

Espagne

Royaume-Uni

France

Seuils de laudit légal

Bilan : 6 M €

CA : 12 M €

Effectif : 50

Bilan : 4,4 M €

CA : 8,8 M €

Effectif : 50

Bilan : 2,85 M €

CA : 5,7 M €

Effectif : 50

Bilan : 6,5 M €

CA : 13 M €

Effectif : 50

Bilan : 1/1,55 M €

CA : 2/3,1 M €

Effectif : 20/50

Nombre dentreprises certifiées obligatoirement

46 255

300 000

37 775

12 450

182 500

En % des entreprises

1,3 %

6,8 %

1,1 %

0,5 %

4,1 %

Nombre de commissaires aux comptes

17 342

153 947

4 177

13 084

13 494

Chiffre daffaires de la profession

7,5 Md €

1,1 M €

567 M €

NR

2,5 Md €

Source : rapport de l’inspection générale des finances.

 

Laudit légal représente une charge importante pour les petites entreprises. Selon l’inspection générale des finances, la durée moyenne de la certification pour les entreprises soumises à l’audit légal mais situées en-dessous des seuils européens de référence est de 64 heures, pour un montant moyen dhonoraires de 5 511 euros. Le montant de ces honoraires est en outre beaucoup plus élevé par rapport à leur chiffre d’affaires, 0,17 %, que pour les entreprises situées au-dessus des seuils européens, 0,02 %. Il convient par ailleurs de souligner que la présence des commissaires aux comptes sajoute, dans 75 % des cas, à celle dun expert-comptable.

● Outre le champ élargi de laudit légal, la réglementation française se distingue de deux manières :

une différence de réglementation selon la nature des sociétés : alors que toutes les sociétés anonymes (SA) sont soumises à l’audit légal, ce n’est pas le cas de toutes les sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) ou sociétés par action simplifiée (SAS, cf. tableau ci-dessus). Si ces distinctions pouvaient être justifiées par les caractères propres de chaque forme, l’absence de cohérence d’ensemble peut donner lieu à des comportements d’évitement et aboutir à ce que certaines entreprises échappent à cette obligation ;

une réglementation concernant les groupes peu satisfaisante : du fait de l’absence, en droit français, de régime juridique du groupe de sociétés, c’est au niveau de chacune des sociétés d’un groupe qu’est appréciée l’obligation de désigner un commissaire aux comptes. Il peut donc y avoir, au sein d’un groupe, autant de commissaires aux comptes qu’il y a de filiales, mais aussi, dans d’autres cas, aucune certification, alors même que le cumul des critères au sein des entités composant le groupe dépasse le seuil, y compris européen.

B.   Le dispositif proposÉ

● Suivant les recommandations de l’inspection générale des finances, le présent article aligne, tout dabord, les seuils de certification légale des SA, SCA ([21]), SAS, SARL, SNC ([22]), SCS ([23]) sur le niveau des seuils européens de référence.

Il modifie notamment pour cela les articles L. 225-218 et L. 226-6 du code de commerce, relatifs respectivement aux SA et aux SCA, qui leur imposaient cette obligation de certification (alinéas 11 à 13 et 17 à 19). Les seuils européens ne sont pas inscrits dans la loi mais seront fixés par décret en Conseil d’État.

Ce faisant, il harmonise les seuils de certification, quelle que soit la nature des sociétés concernées, et répond à un objectif de simplification et d’allégement des charges pour favoriser le développement des petites entreprises.

LA CRÉATION D’UN « AUDIT LÉGAL PME » ?

Le Gouvernement avait confié, au printemps, une mission à un comité d’experts, présidé par M. Patrick de Cambourg, pour réfléchir à l’avenir de la profession de commissaires aux comptes et les mesures d’accompagnement nécessaires après le relèvement des seuils.

L’impact du relèvement des seuils pourrait être en effet lourd de conséquences pour cette profession, dans la mesure où 120 000 mandats, représentant un chiffre d’affaires de 620 millions d’euros, soit 25 % du chiffre d’affaires de la profession, seraient concernés.

Parmi les trente-huit propositions du comité d’experts, figure la création d’une mission pour les petites entreprises, appelée « audit légal PME ». Il s’agirait de délivrer aux entreprises qui le souhaitent, ainsi que l’a expliqué M. de Cambourg à votre rapporteur, une attestation de sincérité et de régularité comptable, la remise d’un rapport prospectif sur les risques auxquels est confrontée l’entreprise (principaux ratios financiers, sécurité des systèmes et des données, etc.) ainsi que la délivrance d’attestations spécifiques à valeur ajoutée (attestation de situation fiscale, attestation de situation et de ratios financiers, etc.).

Entendue également par votre rapporteur, Mme Christine Guéguen, présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), a également plaidé pour la mise en place d’une prestation adaptée aux petites entreprises.

La mise en œuvre de ce type de mission permettrait, grâce à un dispositif allégé et plus personnalisé, aux petites entreprises de continuer à pouvoir bénéficier de l’expertise de la profession.

● Larticle crée par ailleurs un audit de groupe, pour les ensembles échappant à l’exigence de certification légale des comptes.

Il introduit ainsi un nouvel article L. 823-2-1 au sein du code de commerce qui dispose que « les personnes ou entités qui contrôlent une ou plusieurs sociétés […] désignent au moins un commissaire aux comptes lorsque lensemble quelles forment avec les sociétés quelles contrôlent dépasse les seuils fixés par décret en Conseil dÉtat » - qui seront naturellement les seuils européens (alinéa 26).

Cette mesure est d’autant plus indispensable que le rehaussement des seuils au niveau individuel aura pour effet de faire sortir de nombreuses sociétés du champ de l’audit légal.

Il est également précisé l’obligation légale, pour les entités d’intérêt public, constituées en SA ou SCA, de faire certifier leurs comptes (alinéa 28).

● Les alinéas 31 et 32 précisent les modalités d’entrée en vigueur de l’article. Le Gouvernement a fait le choix dune entrée en vigueur rapide, à compter de la publication du décret d’application, au plus tard le 1er janvier 2019. Les mandats en cours à cette date se poursuivront toutefois jusqu’à leur terme.

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté un amendement du Gouvernement, sous-amendé par votre rapporteur général et nos collègues Véronique Louwagie et Daniel Fasquelle, qui complète de manière substantielle le présent article :

– il assouplit, tout d’abord, l’interdiction pour les commissaires aux comptes d’exercer une activité commerciale afin de permettre aux commissaires aux comptes qui exercent en même temps l’activité d’experts-comptables de bénéficier d’une certaine flexibilité ;

– il met en œuvre la principale proposition formulée par le rapport de la mission de Cambourg sur l’avenir du commissariat aux comptes, en créant un audit légal des petites entreprises ou « audit légal PE ». Celui-ci présentera quelques particularités par rapport à la certification classique : durée du mandat limitée à trois exercices au lieu de six, établissement d’un rapport sur les risques destiné aux dirigeants, dispense de certaines diligences supplémentaires qui ne relèvent pas stricto sensu de la certification des comptes, etc. Ces nouvelles modalités n’excluent pas la possibilité pour la société concernée de choisir une certification classique, avec un mandat de six exercices. Le contenu et les modalités de mission nouvelle seront définis dans des normes d’exercice professionnel, homologuées par arrêté du Garde des Sceaux.

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*     *

La commission est saisie des amendements identiques CS197 de Mme Émilie Bonnivard, CS562 de M. Ian Boucard, CS1395 de M. Adrien Quatennens et CS2127 de M. Dominique Potier.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CS197 est défendu.

Mme Véronique Louwagie. Je comprends la motivation qui sous-tend l’article 9 du projet de loi, à savoir une volonté d’harmonisation des seuils de certification légale des comptes, au regard des seuils européens. Cependant, je veux souligner qu’à l’heure actuelle, certains pays reviennent en arrière et s’engagent dans une démarche d’abaissement des seuils d’audit – c’est le cas de l’Italie, mais aussi de la Suède – afin de prendre en compte un certain nombre de points relatifs à la sécurité des comptes et de lutter contre les fraudes.

Le rapport Cambourg fait état de trente-huit propositions. Combien comptez-vous en retenir ?

L’enjeu est important, puisque sur environ 200 000 mandats, 153 000 sont concernés.

Monsieur le ministre, comment entendez-vous accompagner la profession qui est d’accord pour passer d’une logique d’obligation à une logique de volontariat ? On ne peut pas laisser sans accompagnement une profession qui rend un véritable service public, qui participe à la qualité des comptes, élément important que nous défendons les uns et les autres, et à la diminution des fraudes – je rappelle que l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude débutera en séance publique le 17 septembre.

M. Adrien Quatennens. Nous sommes favorables à l’obligation de la certification des comptes pour les petites entreprises, alors que vous souhaitez supprimer cette disposition, en vous appuyant sur certaines études, notamment celle de l’Inspection générale des finances (IGF) de mars 2018 qui considère que cette certification aurait peu d’effets bénéfiques pour les petites entreprises. Or d’autres économistes font un autre diagnostic que le vôtre quant à l’utilité de la certification des comptes pour les petites entreprises. Jean Tirol, prix Nobel d’économie, estime en effet que : « Quand on compare ce qui est comparable, les PME certifiées subissent 40 % de moins de procédures collectives et vont deux fois moins en liquidation que la moyenne des PME. Elles connaissent une croissance supérieure, enregistrent de moindres délais de règlement et affichent une meilleure trésorerie. Phénomène remarquable, l’écart positif de rentabilité pour les PME certifiées est d’autant plus important qu’elles sont petites ! Ces constats devraient conduire à la proposition d’étendre l’obligation de contrôle, et non de la restreindre ».

Concernant les comparaisons avec les pays étrangers, observons que la Suède, qui sert souvent de modèle, et l’Italie, dont la part de petites entreprises est comparable à la nôtre, sont revenues à des seuils inférieurs aux seuils français après le bilan négatif d’un moindre contrôle.

Cela augmente aussi les risques en matière de petits abus de biens sociaux, de fraudes fiscales, de travail au noir, de blanchiment d’argent, etc. et risque d’affaiblir les petites entreprises face aux banques qui ne remplissent pas toujours leur rôle en matière de financement.

Enfin, cela risque de produire un effet de seuil important alors que le Gouvernement utilise cet argument pour supprimer certains effets de seuil. Il est bien plus lourd pour une société d’avoir une comptabilité en règle que de respecter certains seuils sociaux.

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’article 9 vise notamment à fixer des seuils de certification obligatoire des comptes sur la base des niveaux retenus par la directive européenne. Or les seuils français actuels sont beaucoup plus bas que ceux prévus par la réglementation européenne et varient selon la nature juridique des entités et leur appartenance ou non à un groupe. Il nous semble donc que cet article pose des difficultés et que ce choix apparaît à contretemps, notamment compte tenu du retour d’expérience que mon collègue évoquait à l’instant de la Suède, du Danemark et de l’Italie qui ont vu une érosion de leurs bases fiscales et une augmentation de la fraude, au point que ces États envisagent de revenir à des seuils plus faibles.

Il faut ensuite noter que la rétractation du réseau d’audit au niveau des seuils européens laisserait 345 milliards d’euros de chiffre d’affaires sans contrôle, d’après la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, ce qui représente quasiment l’équivalent du budget de l’État. Le coût moyen pour les petites entreprises de la certification des comptes demeure pourtant raisonnable. Ce choix nous paraît donc peu justifié au regard de ce coût modéré.

Nous proposons donc la suppression de cet article, même si nous pensons qu’une réforme ambitieuse des missions des commissaires aux comptes pourrait être envisagée, notamment sous le prisme de la responsabilité sociale des entreprises. De tels moyens pourraient amener le Gouvernement à développer des dispositifs sociaux et fiscaux favorisant les entreprises vertueuses en matière de RSE, qui intégreraient pleinement des dimensions économiques, sociales et environnementales de leurs externalités.

M. Charles de Courson. Un problème n’a pas encore été évoqué, celui de l’incidence de la disposition sur les recettes de l’État. On constate en effet qu’il y a un écart entre les taux de redressement des entreprises ayant un commissaire aux comptes et celles qui n’en ont pas.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Non !

M. Charles de Courson. Si, l’étude de l’Inspection générale des finances est complètement biaisée.

Dire que la suppression des commissaires aux comptes n’aura aucune incidence sur les recettes de l’État n’est pas exact. Ceux qui connaissent un peu le métier de commissaire aux comptes savent que celui-ci a un rôle non seulement de certification des comptes mais aussi de conseil qui permet d’éviter des erreurs ou de les corriger avant que ne soient certifiés les comptes. Je pense donc que le Gouvernement va trop vite dans cette affaire.

Si le texte est voté en l’état, il risque d’y avoir grosso modo un tiers de licenciements, soit 4 000 à 4 500. On peut en effet considérer qu’une partie des entités conservera leur commissaire aux comptes même s’ils n’y sont pas obligés, ce qui représente 2 000 à 2 500 personnes, si l’on s’en tient à la moitié.

J’ajoute que la mesure frappera surtout les petits cabinets de province, et sera sans incidence sur les grands cabinets des grandes villes dont la clientèle est bien au-delà de ces seuils

Je veux bien qu’on modifie les plafonds pour réduire l’écart qui existe entre les seuils français et le seuil européen, mais passer brutalement au seuil européen est une erreur.

Mme Cendra Motin. Les commissaires aux comptes reconnaissent avoir loupé l’étape de leur modernisation et de l’adaptation nécessaire de leurs prestations à des entreprises qui sont effectivement majoritairement des TPE et des PME. Ils se sont bornés à leur proposer une offre basée sur leurs obligations légales. La disposition prévue leur a permis de réfléchir à leur profession, et à ce qu’ils pourraient présenter à l’avenir aux entreprises.

Par ailleurs, n’agitons pas le spectre de l’emploi : plus de 80 % des commissaires aux comptes sont également experts-comptables. Ils auront donc la possibilité de rebondir dans des activités professionnelles et ne seront pas amenés à licencier brutalement des centaines de personnes.

Enfin, je tiens à saluer le travail que les commissaires aux comptes ont accompli ces derniers mois pour accompagner la nécessaire mutation de leur profession.

M. Pierre Dharréville. On ne peut pas dire que cette disposition n’aura pas d’impact sur l’emploi puisque le travail effectué actuellement par un certain nombre d’employés de ces cabinets n’existera plus.

En outre, cette mesure a de quoi inquiéter parce que les commissaires aux comptes, notamment auprès des entreprises de taille modeste, ont un rôle d’accompagnement pour sécuriser, fiabiliser notre économie et garantir sa bonne santé. C’est un rôle utile à la fois pour les entreprises, mais aussi pour l’ensemble de la société, pour la qualité des échanges, leur sincérité. Nous ne comprenons donc pas pourquoi, au prétexte une fois de plus de simplifier certaines règles, on supprime cette fonction qui permet aussi de lutter contre des tentatives de fraudes. La présence de commissaires aux comptes est plutôt un atout en la matière.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Au fond, nous avons toujours le même beau débat : que voulons-nous pour l’économie française. Moi je veux des PME qui créent des emplois. Or vous ne créerez pas d’emplois dans les PME – et nous en resterons à la situation que nous connaissons depuis trente ans – si vous n’allégez pas les charges qui pèsent sur les PME, les contraintes réglementaires et les charges financières. On a parfois reproché à la loi sa complexité – je l’assume dans un environnement économique complexe. Il nous revient de lever un à un ces obstacles à la croissance de nos PME.

Vous êtes tous des élus locaux. Vous voyez bien que nos PME sont trop fragiles, qu’elles ne sont pas assez profitables, qu’elles n’investissent pas assez, qu’elles ne se digitalisent pas, que leurs produits ne sont pas au niveau de la compétition mondiale et que nous perdons du terrain. Les chiffres sont sans appel.

Il y a dix-huit ans, notre pays comptait le même nombre d’entreprises de taille intermédiaire que l’Allemagne. Aujourd’hui, nous en avons près de trois fois moins. Nos PME n’ont pas grandi. Ce n’est pas la faute des entrepreneurs, c’est parce que nous refusons, nous responsables politiques, d’adapter notre modèle économique.

Comme l’a dit Cendra Motin, les commissaires aux comptes avec lesquels j’ai eu de longues discussions, reconnaissent qu’ils n’ont pas procédé à la nécessaire modernisation de leur profession. Qui fait-on payer ? Les entrepreneurs et les PME. Je suis désolé, cela ne peut pas continuer ainsi.

La mesure que nous proposons rend 700 millions d’euros aux PME. Sans remettre en cause la sécurité des comptes de ces PME puisqu’il s’agit non pas, je le précise à M. Quatennens, de supprimer mais d’harmoniser les règles. Nous garderons une certification des comptes mais à un niveau qui sera plus élevé.

Pour ma part, je revendique cette volonté d’alléger, de simplifier la vie de nos entrepreneurs, en particulier des petites et moyennes entreprises, pour qu’elles créent de l’emploi. Telle est la philosophie fondamentale du texte.

Je voudrais faire le point très honnêtement sur la situation actuelle, pour qu’on comprenne bien de quoi nous parlons.

D’abord, elle est extrêmement complexe. Comme toujours en France, avec les meilleures intentions du monde, on a rajouté des règlements, des lois, des arrêtés, des précisions : pour faire le bonheur de tous, on a fait le malheur de chacun. Aujourd’hui, nous avons le système le plus complexe au monde en matière de certification des comptes. Pour toutes les sociétés anonymes, il y a, sans condition de seuil, une obligation de certification des comptes. Pour les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple, il y a l’obligation de certification des comptes lorsque deux des trois seuils suivants sont atteints : une taille de bilan supérieure à 1,55 million d’euros, un chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 3,1 millions d’euros et un effectif de cinquante personnes. Cette obligation de certification des comptes s’applique à toutes les sociétés par actions simplifiées lorsque deux des trois seuils suivants sont atteints : une taille de bilan supérieure à un 1 million d’euros, un chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 2 millions d’euros et un effectif de vingt personnes. Jugez la complexité de notre législation ! Il faut donc prendre un peu de recul et regarder l’absurdité du système auquel nous sommes parvenus par empilement de décisions successives animées des meilleures intentions du monde. Trente ans plus tard, le résultat est sans appel : du chômage, des entreprises qui ne grandissent pas et une complexité invraisemblable.

La directive européenne précise que sont soumises à obligation de certification des comptes toutes les entreprises qui ont un bilan supérieur à 4 millions d’euros, un chiffre d’affaires supérieur à 8 millions d’euros et un effectif de cinquante personnes.

Très souvent, dans le débat public, on entend dire que Bruxelles réglemente sur tout, la taille des poireaux, le calibre des navets, les chasses d’eau… Parfois c’est vrai, et parfois c’est totalement faux. En l’espèce, c’est totalement faux. La complexité est du côté de la France, et la simplicité du côté de l’Europe. Je souhaite donc que nous fassions nôtre cette simplicité et que nous renoncions à cette complexité administrative française qui, je n’hésite pas à le dire, tue nos PME et l’esprit d’entreprise.

Par ailleurs, il est possible de déroger à ces seuils vers le haut. Vous avez cité l’exemple de la Suède : le débat est effectivement en cours dans ce pays, mais pour l’instant aucune décision n’a été prise sur le fait de rabaisser ou de changer les seuils.

Certains États ont décidé d’aller plus loin que cette directive européenne qui a le mérite de la simplicité et de la lisibilité. Il en est ainsi de l’Allemagne, l’Autriche, des Pays-Bas, du Royaume-Uni – je n’ose pas dire que ce sont les pays qui ont aujourd’hui le plus faible taux de chômage en Europe, mais il se trouve que c’est le cas. Ils ont utilisé l’option dérogatoire de la directive pour remonter le seuil de chiffre d’affaires en le passant de 8 à 12 millions d’euros. Ayons ces chiffres en tête. Nos principaux compétiteurs en Europe, ceux qui rivalisent le plus avec nous en termes de commerce extérieur, de vente de leurs produits et de dynamisme économique, peuvent avoir un chiffre d’affaires d’obligation de certification des comptes de 12 millions d’euros, contre 1,55 million d’euros pour nous. On peut toujours faire la course avec des boulets aux pieds mais c’est plus compliqué de la gagner. Interrogeons-nous : pourquoi notre niveau de croissance est-il systématiquement en dessous de celui de nos partenaires européens ? Allons au fond des choses dans le cadre de l’examen de ce texte, regardons les chiffres et la réalité en face. On peut toujours faire de grands discours à la radio ou à la télévision, mais à un moment donné il faut analyser les faits crûment et faire des choix politiques. Chaque choix est respectable, mais il faut expliquer aux Français pourquoi nous en sommes là.

Ces seuils ont un coût moyen de 5 511 euros pour toutes les entreprises sous les seuils européens soumis à une obligation de certification des comptes. Pour certaines, il sera de 10 000 ou 12 000 euros.

On peut toujours se plaindre de la faiblesse de la croissance française, on peut toujours dire que nos PME ne sont pas assez compétitives, on peut toujours ressasser les mêmes discours : il faut s’en tenir aux chiffres et c’est l’intérêt du débat parlementaire de les rappeler. Moi je ne veux plus que les PME payent en moyenne 5 511 euros parce qu’elles sont soumises à des seuils de certification sept à huit fois plus stricts que ceux de leurs concurrents européens. Elles ne peuvent pas rivaliser dans de telles conditions.

On m’explique que la qualité des comptes des entreprises varie beaucoup en fonction de la certification. Or ce n’est pas ce que montre l’analyse des redressements fiscaux opérée par la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Certes, on peut contester la validité des examens de l’IGF, comme l’a fait Charles de Courson. Mais je n’ai pas d’autres éléments à ma disposition. La DGFiP a établi de manière très précise que le nombre de redressements fiscaux opérés pour des motifs d’inexactitude comptable ne varie pas significativement en fonction du franchissement du seuil. Juste au-dessous des seuils, il n’y a pas de différence majeure dans la qualité des comptes des entreprises. Certains avancent parfois l’argument – pas dans cette salle – que je voudrais tout de suite écarter d’un revers de main, selon lequel nous serions un pays latin pas respectueux des règles et que nous aurions vocation, voire tendance à tricher. Je suis désolé, ce n’est pas ce que disent les responsables de l’administration fiscale.

Avoir des comptes certifiés permettrait, me dit-on, d’accéder plus facilement à du crédit bancaire. J’ai étudié les cotations FIBEN de la Banque de France pour vérifier s’il y avait une différence importante suivant que l’on est certifié ou non par un commissaire aux comptes. Résultat : il n’y a pas de différence majeure.

Tous ces éléments que sont la complexité, le coût, la différence de compétitivité par rapport à nos partenaires, nous ont amenés à faire ces propositions de réforme des seuils d’audit légal pour nous ajuster sur les seuils européens.

Les commissaires aux comptes ont objecté que tout cela était beaucoup trop brutal pour eux. J’aurais pu écarter leurs remarques d’un revers de main et leur dire : il y a un rapport de l’IGF, circulez, il n’y a rien à voir. Mais ce n’est pas ma méthode. J’ai rencontré à plusieurs reprises les commissaires aux comptes – et je recevrai d’ailleurs à nouveau leur représentant à l’heure du déjeuner. Comme ils trouvaient le rapport de l’IGF trop technocratique, je leur ai proposé d’en rédiger un eux-mêmes. Il a été utile car nous avons fait, à partir de ces conclusions, un certain nombre de propositions. À cet égard, je conteste formellement le chiffre de 4 500 suppressions d’emplois. Cela aurait peut-être été le cas sans mesure d’ajustement. Mais le texte prévoit précisément toute une série de dispositions qui répondent aux attentes et aux craintes des commissaires aux comptes sur la base du rapport qui a été remis par Patrick de Cambourg il y a quelques semaines.

Nous allons ainsi créer une mission d’audit simplifié pour les petites entreprises. Les commissaires aux comptes, notamment dans les territoires ruraux, craignent en effet de disparaître, le mandat de six ans étant trop lourd. Nous avons accepté de définir un nouveau mandat dont la durée sera deux fois moindre – trois ans –, avec des missions allégées, et donc un coût allégé. Cela répond à une demande très forte des commissaires aux comptes. Cette mission, qui sera facultative, pourra rassurer beaucoup de petits entrepreneurs. Elle sera moins inaccessible que la mission actuelle, nettement trop lourde pour une PME. Nous allons retenir cette très bonne idée des commissaires aux comptes.

Par ailleurs, les commissaires aux comptes se sont beaucoup interrogés sur les groupes. Nous avons accédé à leur demande en créant une mission d’audit sur les petits groupes, c’est-à-dire les groupes dont le chiffre d’affaires global dépasse 8 millions d’euros mais qui comprennent différentes entités. C’est la deuxième proposition.

En troisième lieu, nous allons offrir une passerelle pour que les titulaires du certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes puissent également s’inscrire à l’ordre des experts-comptables et qu’il y ait ainsi davantage de fluidité entre les deux professions qui, très souvent, se regroupent.

Au-delà de ces premières mesures, nous allons présenter quatre séries de propositions complémentaires.

Premièrement, il s’agit de reconnaître le statut d’expert-comptable en entreprise. Comme il existe des avocats d’entreprise, il y aura des experts-comptables en entreprise. C’est un changement très important pour la profession qui, ainsi, ne reposera plus uniquement sur les cabinets, mais qui pourra également se développer dans l’entreprise. Cela augmentera le nombre d’experts-comptables. La mesure leur offrira également une sécurité puisqu’ils seront membres de l’entreprise.

Deuxièmement, nous allons ouvrir la possibilité de facturer des honoraires qui seront liés au succès des missions réalisées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Si une fusion acquisition a bien fonctionné, si les commissaires aux comptes ont joué un rôle dans la certification de cette mission – puisque nous élargirons aussi le périmètre des missions des commissaires aux comptes – ils pourront dorénavant bénéficier d’honoraires liés au succès de l’opération.

Troisièmement, nous reconnaîtrons la possibilité pour les experts-comptables de gérer les créances et les paiements des dettes pour le compte de leurs clients.

Enfin, nous donnerons un mandat d’intervention auprès de l’administration fiscale pour les commissaires aux comptes.

Telles sont les mesures complémentaires dont nous avons discuté avec la profession et que j’évoquerai avec le président de l’ordre d’ici à quelques instants. J’ai été un peu long sur le sujet, mais l’enjeu est considérable. Je crois profondément qu’il existe une voie permettant à la fois d’alléger la charge qui pèse de manière indue sur nos PME et qui les empêche d’être compétitives par rapport à leurs grands voisins européens, et de moderniser profondément la profession de commissaire aux comptes en leur ouvrant de nouvelles perspectives, de nouvelles possibilités de certification et une vraie diversification de leur métier.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos explications précises sur ce sujet important.

Mme Laure de La Raudière. Quand on est membre d’un groupe parlementaire, on n’est pas toujours d’accord avec l’expression de certains collègues. Pour ma part, je souhaite soutenir la position du Gouvernement s’agissant des commissaires aux comptes. J’ai eu une PME, et je peux dire que le coût était supérieur à ce que vous avez annoncé, monsieur le ministre, puisqu’il était de 7 000 euros. Or j’aurais préféré consacrer cette somme à d’autres prestations de conseil que celles qui m’avaient finalement déjà été fournies peu ou prou par l’expert-comptable. Par exemple, j’aurais pu choisir de moderniser les processus à partir d’outils numériques, j’aurais pu souhaiter bénéficier de conseils en innovation, j’aurais pu améliorer le système informatique, etc.

J’engage le Gouvernement à poursuivre dans cette voie, à revenir sur certaines dispositions de surtransposition des directives européennes, et à en rester à l’esprit européen en ce qui concerne les nouvelles transpositions des directives. Je l’invite à surtout faire de même à l’article 66 qui vise à habiliter le Gouvernement à prendre une ordonnance pour promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.

M. Dominique Potier. Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces explications complètes et précises.

Les commissaires aux comptes ont été créés il y a un siècle environ. À l’époque, cette décision avait fait l’objet de controverses. Pour l’école libérale en effet, c’était une atteinte à la liberté des entreprises. Or ce fut au contraire un facteur de prospérité, parce que cela a créé un contexte de loyauté dans les échanges.

Le groupe Nouvelle gauche soutient votre proposition d’un produit allégé pour les petites entreprises, qui correspondrait à un rapport qualité-prix plus adapté. Toutefois, comme Charles de Courson, nos collègues de La France insoumise et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous restons dubitatifs sur le risque d’érosion fiscale. La controverse subsiste, au regard de ce que nous observons dans d’autres pays du nord de l’Europe.

Enfin, si une mission et un dialogue se poursuivent, je souhaiterais que l’on intègre la question de la RSE dans des modalités très simples, pas dans une usine à gaz, afin qu’à côté de la réalité économique, celle de l’impact social et environnemental vienne enrichir, à coût équivalent ou coût inférieur, la prestation de ce regard extérieur sur les entreprises.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le ministre, vous souhaitez alléger les charges et améliorer la compétitivité des entreprises, et nous vous rejoignons les uns et les autres sur ce point. Toutefois, le Gouvernement est contradictoire puisque d’un côté, il propose de diminuer les charges des entreprises en supprimant l’obligation de recourir à un commissaire aux comptes pour certaines entreprises, tandis que de l’autre, il met en place le prélèvement à la source qui coûtera chaque année 400 millions d’euros aux entreprises, à ajouter à l’investissement initial de 600 millions d’euros.

Vous souhaitez renoncer à la complexité et vous évoquez les différents seuils. Je vous rejoins aussi sur ce point, parce que ce n’est pas forcément lisible. Je pense que la profession regrette bien évidemment votre décision, mais elle l’a prise en compte et a participé à la réflexion pour assumer une transition. Cette profession a œuvré pour l’intérêt général, et s’est énormément adaptée ces dix dernières années, contrairement à ce qu’a dit Mme Motin.

Il est important qu’un certain nombre de propositions du rapport Cambourg soient retenues. Effectivement, la mission d’audit simplifié est défendue par la profession. Par ailleurs, je suis heureuse que vous ayez entendu la proposition sur les filiales, car c’est dans les filiales qu’on rencontre toutes les difficultés qui peuvent exister. Mais au final, le compte n’y est pas puisque vous retenez deux propositions sur les trente-huit du rapport Cambourg. Les propositions que vous évoquez comme l’expert-comptable en entreprise, les honoraires liés au succès, la possibilité de gérer les créances et les dettes pour les clients, concernent les experts-comptables. Il y a donc bien deux métiers différents.

M. Adrien Quatennens. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté de vos explications qui met en perspective nos désaccords politiques.

Vous considérez que la clé de la réussite et du succès de notre économie tient dans la diminution des règles et la baisse des prélèvements avec une toile de fond que vous ne remettez pas en cause, celle de la compétition, de la concurrence libre et non faussée. Nous pensons le contraire, et je précise que nous ne confondons pas les grosses entreprises et les PME. On sait que les secondes subissent souvent l’écosystème imposé par les premières. Je vous rappelle que c’est La France insoumise qui a proposé, pendant la campagne présidentielle, la baisse de l’impôt sur les sociétés pour les PME. Vous vous focalisez sur des problèmes microéconomiques sans voir que l’enjeu se situe au niveau macroéconomique. Ce sont les carnets de commandes qui seront porteurs de la relance de l’activité.

Monsieur le ministre, il n’est pas sérieux de penser qu’une entreprise pourrait renoncer à grandir si elle en a les facultés économiques, si les carnets de commandes se remplissent, parce qu’elle devrait offrir les conditions de déjeuner dans un local à ses salariés. Je ne pense pas qu’une entreprise dont les carnets de commandes sont pleins renoncerait à grossir parce qu’il lui faudrait établir un règlement intérieur. Je ne pense pas qu’une entreprise dont les carnets de commandes sont pleins renoncerait à grandir parce qu’il faudrait offrir un local syndical. Pour nous, le problème se situe à un autre niveau. Vous ne tirez pas non plus certaines conclusions, évoquées notamment par Nicolas Hulot à l’occasion de la démission. Nous sommes face à une grande bifurcation. Je suis intimement convaincu que la trajectoire que vous poursuivez n’est pas compatible avec le défi écologique. Or celui-ci défi nous permettrait de relancer l’activité sur d’autres bases.

Vous ne cessez de nous dire que l’entreprise doit être compétitive. Mais la non-harmonisation fiscale et sociale au niveau européen fait que la compétition est toujours gagnée, et vous le savez, par le moins-disant social. Il y a quelques semaines, l’Autriche a voté la semaine de travail à soixante heures. Dans ces conditions, comment voulez-vous que nous soyons compétitifs ? En réalité, tout est organisé de telle manière que l’harmonisation sociale se fait systématiquement par le bas. La France est un grand pays, nous avons des capacités, y compris économiques, des savoir-faire, et nous pourrions faire autre chose que cette politique rabougrie.

L’investissement public est aussi sans doute la clé. Le fonds monétaire international (FMI) nous explique que, par l’effet du multiplicateur, l’investissement public peut parfois provoquer un choc positif.

Bref, je souhaiterais que nous puissions élargir la focale et je ne crois pas que ce soient simplement ces petites règles qui freinent l’activité de notre pays.

M. Jean-Paul Mattei. J’ai eu l’occasion, au cours de ma carrière, de côtoyer les commissaires aux comptes et de voir ce qu’ils apportent aux entreprises. C’est un rôle particulier, à mon avis très positif, même pour une entreprise moyenne. Vous avez, monsieur le ministre, mis en lumière certains problèmes et répondu aux critiques qui peuvent s’élever dans différents domaines. Il n’empêche que l’on passe à côté du rôle d’un professionnel responsable et original, nommé par les dirigeants mais ayant une totale indépendance, notamment dans le cadre de procédures d’alerte et dans divers autres processus qui peuvent aider à la pérennité d’une entreprise ou protéger ses partenaires. Leur mission est particulièrement utile. En vingt, vingt-cinq ans d’expérience professionnelle, j’ai pu voir l’évolution de cette profession, les contrôles mis en place, la qualité de la prestation des commissaires aux comptes. Ils jouent un rôle de tiers important. Je trouve dommage que l’on balaie ce rôle dans les PME. Il est un peu caricatural de le limiter à un montant d’honoraires.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je me félicite de la qualité du débat que nous avons.

Je commencerai par remercier Laure de La Raudière pour l’exemple qu’elle a apporté. C’est l’illustration la plus frappante des choix que nous avons à faire. Je préfère en effet que les PME investissent 5 000, 6 000 ou 7 000 euros dans leur digitalisation plutôt que dans une obligation à laquelle les autres entreprises européennes de même taille ne sont pas soumises.

Je rappelle ensuite à Mme Louwagie que nos propositions en faveur des experts-comptables bénéficieront aux commissaires aux comptes puisque 90 % de ces derniers sont également experts-comptables et que nous allons développer des passerelles entre les deux professions. C’est un des éléments importants de la réforme que nous portons.

Nous avons, monsieur Potier, entendu les demandes sur les questions de RSE puisque non seulement les commissaires aux comptes pourront réaliser des audits en la matière, ce qu’ils font déjà, mais nous allons aussi permettre le développement d’attestations ciblées qui seront utiles à la fois aux commissaires aux comptes et aux entreprises. Je souhaite que ces attestations ciblées de conformité en matière d’engagement sur la RSE soient développées sur d’autres sujets, en particulier le cyber-risque et la lutte contre la corruption. Cela ouvrira pour les commissaires aux comptes des perspectives de développement importantes.

Enfin, vous avez, monsieur Quatennens, parfaitement posé le débat sur nos désaccords politiques mais aussi, je tiens à le dire, sur de vrais points d’accord. S’agissant de nos désaccords, j’estime que la diminution d’un certain nombre de règles trop contraignantes par rapport à nos partenaires européens ainsi que l’allégement des charges et prélèvements permettront à nos entreprises d’être plus compétitives, et donc d’augmenter leurs carnets de commandes. Si le carnet de commandes n’est pas suffisamment fourni aujourd’hui, c’est parce que nos produits n’intègrent pas assez d’innovations, ne sont pas au niveau technologique où ils devraient être ni n’ont le niveau de qualité requis.

En revanche, je vous rejoins sur plusieurs points. Sur le local syndical, je rappelle que j’ai pris la décision de revenir sur le seuil de 250 et de maintenir le seuil de 200. C’est un geste politique très fort de la majorité en direction des organisations syndicales ; nous avons entendu les critiques sur le sujet. Je vous rejoins également sur l’idée de la grande bifurcation écologique, c’est un défi considérable et je suis convaincu que la France a tout intérêt à investir massivement dans la transition écologie et les énergies renouvelables, en y mettant l’innovation et les technologies nécessaires pour être à la pointe de cette transformation.

Je vous rejoins également sur l’harmonisation fiscale et sociale européenne et je tiens à vous dire que je livre ce combat tous les jours. Je ne prendrai qu’un exemple, celui de la taxation des GAFA. Je suis obligé de me rendre ce soir à Vienne afin de continuer à me battre pour obtenir une juste taxation des géants du numérique. L’Europe est là aussi face à une grande bifurcation. Soit elle continue de se soumettre à la Chine et aux États-Unis, soit elle affirme ses valeurs et son indépendance. Les citoyens, en politique, vous jugent sur vos décisions. Je le dirai avec autant de gravité à mes homologues ministres européens : dans six mois, les peuples européens vont nous juger et ils verront si nous acceptons de garder quatorze points de fiscalité de moins pour Google, Amazon et Facebook que pour nos PME françaises, italiennes, allemandes ou espagnoles. Ils verront et ils jugeront. Ils verront si nous sommes capables de nous attaquer à un des grands problèmes économiques européens qui est le caractère monopolistique de ces grandes entreprises ayant des niveaux de capitalisation supérieurs à ceux de 90 % de la richesse nationale des États de la planète. Ils verront si nous allons vers du dumping social et fiscal ou vers de l’harmonisation. Je me bats pour l’harmonisation. Nous avons trouvé un accord avec les Allemands sur l’harmonisation de la base fiscale de l’impôt sur les sociétés. Si nous allons vers le moins-disant fiscal, vers 10 ou 8 % d’impôt sur les sociétés, nous en crèverons tous car il n’y aura plus de services publics, plus de financement du bien public, plus de financement de l’innovation. Être plus compétitif ne veut pas dire renoncer au financement du bien commun.

La commission rejette ces amendements.

La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, reprend à onze heures cinquante.

La commission est saisie de l’amendement CS390 de Mme Lise Magnier.

M. Charles de Courson. Actuellement, la loi oblige les associations qui bénéficient de subventions publiques, à partir de 153 000 euros, d’avoir un commissaire aux comptes. Or les entreprises n’ont pas la même règle. L’objet de l’amendement est donc d’appliquer cette règle à tous. Pourquoi cette discrimination entre associations et entreprises ?

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Imposer au secteur associatif un contrôle des commissaires aux comptes, avec les coûts que cela représente, est prohibitif pour le secteur.

M. Charles de Courson. C’est l’inverse, monsieur le ministre. Les entreprises qui bénéficient d’aides publiques égales ou supérieures à 153 000 euros ne sont pas soumises à un commissaire aux comptes, contrairement aux associations. Pourquoi ne pas étendre cette obligation à toutes les entreprises ?

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Les subventions publiques ne sont pas octroyées aux entreprises n’importe comment et à n’importe quelles conditions. Les entreprises sont obligées de fournir leurs comptes à l’organisme public octroyant la subvention. Le dossier de l’entreprise est visé par la Banque de France et les services fiscaux, et c’est seulement si l’entreprise est réputée à jour de toutes ses obligations que l’aide publique est accordée. J’ai participé à des comités d’engagement, dans une autre vie, et je peux vous assurer que les comptes des entreprises sont passés au peigne fin avant que la collectivité puisse octroyer une quelconque aide. Le besoin de certification ne paraît donc pas justifié car toutes les garanties sont prises par les administrations.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’appuie l’argumentation du rapporteur, en ajoutant que l’immense majorité de ces entreprises ont déjà un commissaire aux comptes.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS508 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Cet amendement résulte du souci de cohérence entre réduction et augmentation de capital.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la commission rejette cet amendement.

Puis elle examine l’amendement CS505 de M. Martial Saddier.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement propose de maintenir l’uniformisation des seuils de déclenchement de la nomination d’un commissaire aux comptes, en prévoyant deux seuils distincts : le seuil européen minimum à partir duquel l’audit est obligatoire – 4 millions d’euros de bilan, 8 millions de chiffre d’affaires et cinquante salariés – et un seuil intermédiaire pour lequel serait nommé un commissaire aux comptes pour une mission d’audit légal « petite entreprise », moins onéreux et directement créateur de valeur pour l’entreprise. C’est une proposition du rapport Cambourg, dont nous avons parlé ce matin, et qui répond à une logique de volontariat.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. J’en demande le retrait car l’amendement CS2036 du Gouvernement reprend cette proposition.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1145 de M. Arnaud Viala.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Nous ne sommes pas favorables à l’idée de doubler les amendes en cas de non-dépôt des comptes. Il y aura sans doute des propositions à faire, dans la suite de nos débats, sur le dépôt et la publication des comptes. Le dépôt est obligatoire. La publication peut poser nombre de difficultés à nos entreprises dans leurs relations en tant que donneurs d’ordres et avec leurs clients et fournisseurs, notamment dans les entreprises établies en zone frontalière, les entreprises établies en Allemagne ou en Suisse, par exemple, n’ayant pas forcément les mêmes obligations en la matière.

M. Charles de Courson. Il y a de véritables scandales. Que des sociétés holdings de grands groupes ne déposent jamais leurs comptes, pour les dissimuler, et se contentent de payer une amende ridicule, n’encourage guère la transparence. Notre collègue soulève un vrai problème.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’amendement vise à doubler une amende qui portera principalement sur des PME. On peut toujours prendre les grandes holdings financières comme bouc-émissaires mais, dans la réalité concrète, ce sont des centaines de PME qui seront touchées. Le doublement de l’amende introduit à mon avis une complète disproportion dans l’échelle des peines. Il s’agit déjà d’une contravention de cinquième classe réprimée par l’amende maximale prévue pour cette catégorie de contravention.

M. Nicolas Forissier. Il est possible de demander la confidentialité : une entreprise peut déposer ses comptes sans qu’ils soient publiés. La liberté existe. Certaines sociétés, y compris de très grands groupes, contournent complètement cette obligation. La très grande majorité des chefs d’entreprise ne le font pas, certes, mais un certain nombre en profitent. Il faut avoir cette réflexion.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous l’aurons. Comme l’a indiqué le rapporteur thématique, le sujet est abordé un peu plus loin dans le texte.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS360 de M. Martial Saddier.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement vise à renforcer la responsabilité des sociétés-mères de groupes de sociétés, ainsi que de leurs dirigeants et bénéficiaires effectifs, vis-à-vis des faits dommageables commis dans les filiales, ou en termes de continuité d’exploitation desdites filiales, de façon à assurer les salariés et fournisseurs de la pérennité de leurs relations. C’est dans les filiales que se produisent les turpitudes.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cet amendement est contraire à l’esprit du texte car il traduit une défiance vis-à-vis des entreprises alors que le grand sujet de ce projet est la confiance entre l’État et les entreprises, et entre les entreprises et les citoyens. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Le droit pénal exclut la responsabilité du fait d’autrui. Or l’amendement fait porter à la société-mère la responsabilité du comportement des filiales. Par ailleurs, nous allons développer les audits « petit groupe » qui visent justement à répondre au problème posé.

La commission rejette cet amendement.

Ensuite de quoi, elle examine l’amendement CS507 de M. Martial Saddier.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement propose d’abaisser le seuil d’intervention des commissaires aux comptes dans les associations dès l’octroi de fonds publics de plus de 75 000 euros. C’est le premier point. La seconde disposition s’attache à rassurer les donateurs pour les associations qui perçoivent plus de 75 000 euros de dons ouvrant droit à avantage fiscal ; il doit y avoir un contrôle.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je ferai une remarque générale sur ce type d’amendements concernant le monde associatif. Cette loi PACTE est pour les entreprises et je suis pour que nous nous concentrions sur les entreprises, à charge, peut-être, pour le Gouvernement de conduire un travail à part entière sur les associations. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’ai déjà marqué les plus grandes réserves à l’extension de l’intervention des commissaires aux comptes dans les associations car cela les pénaliserait beaucoup. Je suis ouvert à ce que nous ayons ce débat dans les mois à venir mais, comme l’a très bien dit le rapporteur général, PACTE porte sur les entreprises.

M. Daniel Fasquelle. Il existe deux types d’associations : les associations philanthropiques, qu’il n’est certes pas question d’évoquer dans le cadre de la loi PACTE, mais aussi quantité d’associations qui sont des acteurs économiques et concurrencent directement les sociétés civiles et commerciales et les entrepreneurs individuels. Il faut appliquer à ces associations-là les mêmes règles qu’aux autres acteurs économiques, sinon on crée les conditions d’une concurrence déloyale. Les associations qui sont des acteurs économiques ont leur place dans un texte qui concerne l’activité économique et les entreprises.

M. Roland Lescure, rapporteur général. C’est un monde qui recouvre des réalités différentes mais la quasi-totalité des associations ont tout de même une vocation non lucrative. C’est un sujet très important qui doit être évalué dans son ensemble et pas seulement par le biais du sujet des commissaires aux comptes.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS205 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement, peut-être mal placé car il prend en compte que l’audit « petite entreprise » est créé par un amendement ultérieur, vise à permettre la levée du secret entre les commissaires aux comptes chargés d’un audit légal et ceux chargés d’un audit légal « petite entreprise ». Cela coule de source.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cette mesure pourrait être utile marginalement lorsque les filiales de petits groupes désignent volontairement un commissaire aux comptes ou lorsque ces filiales, dans le cadre des nouvelles obligations, dépassent les seuils de certification. Mais cela n’aurait un sens que si nous imposions l’audit de certaines filiales dans le cadre de l’audit « petit groupe », ce qui n’est pas ce que nous avons prévu pour le moment. L’amendement ne me semble donc pas adapté à sa finalité. Je vous invite à le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS1872 de M. Daniel Fasquelle ainsi que les amendements identiques CS207 de Mme Véronique Louwagie et CS363 de M. Martial Saddier.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS1872 reprend la recommandation figurant en page 22 du rapport Cambourg dans le but d’adapter le dispositif de contrôle de qualité, qui pourrait être recentré sur une vérification de la pertinence de la démarche suivie par le professionnel, et de faire une large place à une délégation à la compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) plus à même et légitime à confronter les obligations des contrôlés à la réalité concrète de l’exercice de la profession.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement CS207, s’inscrivant dans le rapport Cambourg, vise à établir sans délai une norme d’exercice professionnel allégée, proportionnée, modulable et autonome concernant le commissariat aux comptes des PME, en dehors de la mission d’audit légal « petite entreprise ». Il vise également à adapter le dispositif de contrôle de qualité existant dans la profession.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je demande le retrait de ces amendements au profit de l’amendement du Gouvernement CS2036.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. La question importante est : qui est responsable in fine de la régulation de l’activité des commissaires aux comptes ? Ce qui est prévu dans les amendements qui suivent, c’est que le principe de responsabilité finale implique que le Haut Conseil du commissariat aux comptes ait sur cette activité un droit de regard, ce qui n’exclut pas le rôle de la CNCC. Les deux ont trouvé un accord par le biais d’une convention d’ores et déjà effective et rappelée dans l’amendement suivant. Cela répond, je crois, à votre souhait.

Ces amendements sont retirés.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS2036 du Gouvernement, l’amendement CS209 de Mme Véronique Louwagie et l’amendement CS1878 de M. Daniel Fasquelle.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement porte principalement sur l’accompagnement de la profession de commissaire aux comptes et sur l’élargissement des possibilités d’activité qui lui sont offertes.

En premier lieu, il vise à assouplir l’interdiction faite aux commissaires aux comptes d’exercer une activité commerciale afin de permettre à ceux d’entre eux qui exercent en même temps une activité d’experts-comptables de bénéficier d’une flexibilité quasi-totale. Cela me semble être un élément positif pour le développement de leur activité.

Le deuxième point suscitera sans doute un débat : nous allons créer un audit légal des petites entreprises. C’est un instrument extrêmement porteur comportant des obligations allégées pour les commissaires aux comptes, certaines diligences étant supprimées par rapport au système ordinaire. Surtout, la durée du mandat est ramenée à trois exercices au lieu de six, ce qui constitue un assouplissement considérable et qui permet en outre à un entrepreneur de changer de commissaire aux comptes s’il n’en est pas satisfait, ou de mettre fin à son mandat au bout de trois ans s’il estime disposer de comptes assez solides ou d’un accès bancaire aisé.

Enfin, ces nouvelles modalités n’excluent pas la possibilité pour une société de choisir une certification classique si, à l’inverse, elle estime avoir besoin d’une certification plus solide et de longue durée.

En revanche, s’agissant des amendements déposés en discussion commune, je serai tout à fait transparent : je ne souhaite pas que cette mission d’audit légal des petites entreprises soit obligatoire. En la rendant obligatoire, en effet, nous rétablirions le système de seuils et de contraintes imposées aux PME, auquel je ne suis pas favorable. Je préfère qu’elle reste facultative.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement CS2036 que vient de présenter M. le ministre va en effet dans le sens souhaité par la profession. L’amendement CS209 que je défends concerne un point supplémentaire que nous n’avons pas encore abordé : la possibilité pour les commissaires aux comptes d’exercer dans le cadre de sociétés pluri-professionnelles d’exercice – dans le respect des règles d’indépendance qui s’appliquent à eux, naturellement – de la même manière qu’ils exercent déjà dans des sociétés mixtes de commissaires aux comptes et d’experts-comptables. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ?

Enfin, pouvez-vous préciser, monsieur le ministre, combien de propositions du rapport Cambourg le Gouvernement entend-il retenir dans le présent projet de loi ? Cette information est importante.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS1878 vise à adapter la règle de l’interdiction d’activité commerciale faite aux commissaires aux comptes suite à l’ouverture récente de la possibilité d’exercer des activités commerciales accessoires légalement encadrées pour d’autres professions, dans l’esprit de la loi Macron – j’utilise un mot magique dont j’espère qu’il permettra l’adoption de cet amendement.

J’ai également déposé un amendement CS1870 qui prévoit l’ajout d’un alinéa consistant à lever le secret entre les commissaires aux comptes de petits groupes ne procédant pas à une consolidation.

M. Jean-Paul Mattei. Permettez-moi de demander quelques éclaircissements à M. le ministre. Si j’ai bien compris, le premier volet de son amendement vise à autoriser les commissaires aux comptes à exercer des activités commerciales accessoires ou principales selon leur activité. Pouvez-vous préciser la nature de ces activités ? Pourront-ils par exemple gérer une société commerciale ou autre ?

L’audit légal des petites entreprises, ensuite : je comprends qu’il s’agit d’une option donnée aux entreprises qui ne seront plus tenues de recourir à un commissaire aux comptes, moyennant un allégement de leurs missions et une réduction à trois ans de la durée de leur mandat.

Enfin, qu’en sera-t-il des mandats en cours ? Une fois les seuils supprimés, qu’adviendra-t-il d’un commissaire aux comptes nommé pour six ans il y a deux ans seulement ? Le mandat tombera-t-il ou courra-t-il jusqu’à son terme ?

M. Charles de Courson. Pourriez-vous expliquer, monsieur le ministre, ce que recouvre la notion de « normes professionnelles d’exercice homologuées » ? J’approuve l’idée de l’audit légal des petites entreprises avec un allégement des règles, même si j’aurais préféré qu’il ait un caractère obligatoire. Où en êtes-vous dans la définition de ces diligences par rapport aux diligences qui s’appliquent actuellement aux commissaires aux comptes ?

Mme Cendra Motin. Je remercie le Gouvernement d’avoir conservé parmi les éléments retenus du rapport Cambourg le cœur de la mission des commissaires aux comptes, à savoir la certification.

Je m’interroge simplement sur le rôle du rapport de prévention des risques et de son possible allégement, qui permettrait de gagner en attractivité commerciale. C’est un rapport dont la confection représente en effet une charge très lourde pour les commissaires aux comptes, dont la facturation diminuerait s’ils y consacraient moins de temps.

Enfin, le rapport Cambourg évoque la possibilité de délivrer des attestations de nature fiscale. Quelle est votre position sur cette proposition qui n’est pas reprise ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous retiendrons une dizaine de propositions issues de la mission Cambourg, voire un peu davantage. Autrement dit, nous avons largement repris les suggestions des commissaires aux comptes et de M. de Cambourg.

S’agissant de la mission allégée, qui est le point clé, je maintiens qu’elle doit rester facultative. La rendre obligatoire reviendrait à ne pas faire grand-chose : nous nous contenterions d’alléger certaines obligations tout en maintenant la charge qui pèse sur les PME.

Le sort des mandats en cours est un point capital, monsieur Mattei : ces mandats iront jusqu’à leur terme. Nous avons abordé cette question avec les commissaires aux comptes. Les mandats de six ans ne tomberont pas du jour au lendemain au 1er janvier 2019 ni à la date de promulgation de la loi ; c’est une garantie de transition pour les commissaires aux comptes.

En ce qui concerne l’audit allégé, monsieur de Courson, l’ensemble des rapports joints au rapport de gestion ne feront pas l’objet d’un audit – c’est une première modalité d’allégement. D’autre part, les normes comptables seront examinées de manière beaucoup plus synthétique que ce qui est prévu : l’examen portera sur les soldes intermédiaires et les grands risques principaux. En clair, l’audit allégé entrera moins dans le détail que l’audit conduit sous mandat classique.

En ce qui concerne l’autorisation qui pourrait être faite aux commissaires aux comptes de participer à des sociétés pluri-professionnelles d’exercice, madame Louwagie, j’y suis favorable – c’est une avancée que je ne leur ai d’ailleurs pas encore annoncée – dans le cadre de la rénovation de leur fonction. Des amendements seront présentés en ce sens ; j’y suis ouvert.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable à l’amendement CS2036.

Mme Véronique Louwagie. L’adoption de cet amendement aurait-elle pour effet de faire tomber les autres amendements en discussion commune ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Oui.

M. Daniel Fasquelle. Y compris l’amendement CS1878 ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cela présenterait une difficulté, car l’amendement CS2036 ne comprend pas la possibilité – à laquelle je suis favorable – d’exercer une activité dans le cadre d’une société pluri-professionnelle d’exercice. J’ignore quelle solution technique apporter à ce problème, mais c’est un point capital.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je crois comprendre qu’il s’agit d’un problème rédactionnel que nous devrons résoudre en vue de la séance : l’adoption de l’amendement CS2036 supprimerait la partie du texte à laquelle s’accroche l’amendement de M. Fasquelle.

M. Charles de Courson. La levée du secret professionnel est déjà prévue au sein des groupes.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Ce n’est pas le même sujet.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il faut revoir la rédaction de l’amendement CS1870 afin qu’elle soit compatible avec le texte une fois l’amendement CS2036 adopté.

Mme Véronique Louwagie. N’est-il pas possible de sous-amender l’amendement du Gouvernement afin de régler la question des sociétés pluri-professionnelles d’exercice ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. J’y suis favorable, même si la rédaction risque d’être lourde.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Si cette solution est possible sur le plan technique, j’y suis très favorable. Il s’agit en effet – chacun doit en avoir conscience – d’une véritable ouverture pour les commissaires aux comptes. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas exercer une activité dans le cadre de sociétés pluri-professionnelles d’exercice, qui serait pourtant valorisante. Un tel sous-amendement le leur permettrait. Cette disposition trouverait parfaitement sa place dans l’amendement CS2036 qui vise précisément à ouvrir de nouvelles perspectives aux commissaires aux comptes.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je propose de déposer un sous-amendement CS2351 reprenant la proposition de M. Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Je vous remercie. Il serait en effet opportun d’envoyer des signaux positifs à la profession des commissaires aux comptes, que ce texte malmène quelque peu.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Soit. Le sous-amendement de M. le rapporteur général, cosigné par M. Fasquelle et par Mme Louwagie, vise à ajouter après le mot « comptes » à l’alinéa 2 de l’amendement CS2036 le membre de phrase suivant : « ,ainsi que des activités commerciales accessoires exercées par la société pluri-professionnelle d’exercice dans les conditions prévues par l’article 31-5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales ».

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Très bien.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

La commission adopte successivement le sous-amendement CS2351 puis l’amendement CS2036 sous-amendé.

En conséquence, les amendements CS209 et CS1878 tombent.

La commission passe à l’amendement CS1870 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Je l’ai déjà défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cet amendement est satisfait : le secret professionnel n’est pas obligatoire entre commissaires aux comptes d’un même groupe.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. En effet, la possibilité de lever le secret professionnel entre commissaires aux comptes relevant d’un même groupe existe déjà. L’objectif de l’amendement est donc atteint.

Mme Véronique Louwagie. Sans doute faudrait-il vérifier, monsieur le ministre ; aujourd’hui, le secret n’est levé que dans le cas de groupes qui consolident, ce qui est différent. Il vous est proposé par cet amendement d’étendre la possibilité de la levée du secret à tous les groupes, même en l’absence de consolidation. Ce sujet prendra d’autant plus de sens avec la création d’une nouvelle mission relative aux filiales.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Sur le principe, je suis tout à fait favorable à cette proposition. Je vous propose que nous vérifiions si l’amendement du Gouvernement couvre ce cas de figure : si c’est le cas, votre amendement n’aura pas de raison d’être mais, dans le cas contraire, nous l’approuverons.

M. Daniel Fasquelle. Qu’attendons-nous donc ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vous propose de revenir sur ce point en séance publique ; à ce stade, je ne suis pas en mesure de vous dire si l’amendement du Gouvernement répond à votre objectif, auquel je suis favorable. Encore une fois, si c’est le cas, votre amendement peut être retiré, et sinon, je prends l’engagement de l’accepter.

M. Daniel Fasquelle. Dans ce cas, je retire l’amendement pour le redéposer en séance.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS361 de M. Martial Saddier et les amendements identiques CS208 de Mme Véronique Louwagie et CS1875 de M. Daniel Fasquelle.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement CS361 de M. Saddier poursuit trois objectifs : d’une part, rappeler que le commissaire aux comptes peut être nommé dans une entité pour une mission de contrôle légal ou pour une mission d’audit légal de petite entreprise sur la base du volontariat, préciser ensuite qu’il peut également exercer des missions complémentaires – cela soulève la question abordée par Mme Motin des attestations : il serait intéressant de connaître le point de vue du ministre en la matière – et enfin permettra aux commissaires aux comptes d’intervenir dans des entités dans lesquelles il n’y a pas de commissaires aux comptes pour certaines prestations particulières comme des audits d’acquisition, car il est parfois nécessaire de certifier des éléments de valorisation.

Mon amendement CS208 va dans le même sens, quoique sous une autre forme. Il vise à préciser que les commissaires aux comptes peuvent effectuer un certain nombre de prestations complémentaires à leurs missions, par exemple l’audit ou l’examen limité d’informations comptables ou financières, des contrôles de ratios de solvabilité, des contrôles et fiabilisations d’informations extra-financières, des diagnostics de conformité – ce qui prendrait tout son sens en matière de RSE – ou encore certaines attestations en lien sur la comptabilité et des diligences à accomplir dans le cadre d’acquisitions, de transmissions, de rapprochements ou de cessions d’entités, mais aussi des attestations sur l’adéquation de la conception et du fonctionnement des dispositifs de protection des systèmes d’information avec les recommandations et dispositions législatives, afin de protéger les entreprises.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS1875 vise à rappeler dans un même article les différentes catégories de missions qu’un commissaire aux comptes inscrit peut être amené à effectuer ainsi que le fait qu’il est soumis à un code de déontologie qui régit son indépendance.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Ces amendements n’ont guère de portée normative puisqu’ils consistent à rappeler ce que sont les missions des commissaires aux comptes. J’en propose le retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je propose aussi le retrait de ces amendements, même si je ne vois aucune objection à leur contenu. En effet, ils n’ont en rien leur place dans la loi puisqu’ils rappellent la teneur des missions des commissaires aux comptes, déjà précisée ailleurs.

M. Daniel Fasquelle. Je maintiens mon amendement. La profession des commissaires aux comptes est importante et, comme toute profession réglementée, elle a droit à une reconnaissance dans la loi, qui doit en préciser clairement les missions.

Mme Véronique Louwagie. J’entends les arguments du rapporteur et du ministre sur la portée normative de l’amendement concernant certains points mais je maintiens la question particulière des attestations : il est proposé que les commissaires aux comptes puissent signer des attestations en-dehors de la mission légale de certification. C’est un problème concret qui n’a pas encore reçu de réponse. Je maintiens donc mon amendement : ce sujet mérite d’être examiné alors même que nous procédons à une véritable révision de la profession des commissaires aux comptes.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. La question des attestations, également posée par M. Potier, est distincte. Nous sommes favorables à ce que les commissaires aux comptes puissent fournir des attestations sur un certain nombre de sujets comme la RSE et la cybersécurité. Je dois rencontrer le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes dans quelques instants : j’aborderai la question avec lui et nous préparerons un amendement, qui pourra tout à fait être défendu par un groupe parlementaire et non pas nécessairement par le Gouvernement. Je renvoie donc ce débat à la séance publique, car il manque en effet un amendement sur la question des attestations, mais il ne pourra être défendu qu’après ma discussion avec le président de la Compagnie.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’amendement CS206 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement vise à confirmer que les entités qui ne sont pas soumises par obligation au contrôle légal d’un commissaire aux comptes peuvent s’y soumettre volontairement. Il me semble utile de le préciser de manière explicite.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cet amendement n’a pas de portée normative ; je vous propose de le retirer.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1861 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Cet amendement vise à mettre en œuvre les principales propositions formulées dans le rapport Cambourg sur l’avenir des commissaires aux comptes.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Défavorable également ; il s’agit là d’un véritable choix politique. Cet amendement se traduirait par un nouvel alourdissement des charges qui pèsent sur les petits groupes. Le système facultatif est préférable.

M. Daniel Fasquelle. Je réitère donc la question de Mme Louwagie : que retiendrez-vous finalement de la mission Cambourg ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous retenons l’audit simplifié, quoique sur une base facultative et non obligatoire. Nous retenons la mission concernant les petits groupes, là aussi sur une base facultative. Nous retenons le principe de l’attestation que vient de mentionner Mme Louwagie et que nous accepterons sous forme d’amendement. Nous retenons les sociétés pluri-professionnelles d’exercice : c’est un changement majeur, puisque l’autorisation est aujourd’hui cantonnée à certaines professions. Tout cela représente de réelles évolutions pour les commissaires aux comptes.

S’agissant de l’audit de petits groupes, je rappelle qu’il sera obligatoire pour la tête de groupe dès lors qu’elle dépassera les nouveaux seuils de certification, soit 4 millions d’euros de bilan et 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais facultatif pour les filiales qui, par définition, sont en-deçà du seuil.

Nous avons donc retenu de nombreuses propositions de la mission Cambourg, y compris certaines que nous avons annoncé retenir ce matin seulement – la question des sociétés pluri-professionnelles d’exercice, par exemple, n’avait pas encore été mentionnée, et nous avons donné notre accord.

Mme Véronique Louwagie. Je vous remercie pour ces précisions importantes, monsieur le ministre. Vous indiquez qu’au-delà d’un certain seuil, la tête de groupe fera l’objet d’un audit. Les filiales dont le chiffre d’affaires dépasse 4 millions d’euros feront-elles elles aussi l’objet d’un audit ? C’est la question cruciale.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vous répondrai très précisément sur ce choix politique que j’assume et que nous avons fait au terme de longues discussions, y compris au niveau interministériel. Je veux la simplicité et je la revendique, car la complexité détruit de l’emploi. Il existait auparavant des dizaines de seuils selon la nature des sociétés ; il n’en existe plus qu’un seul, celui du bilan de 4 millions d’euros, de 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et de 50 salariés. Nous retenons donc le seuil européen. Si des filiales d’un groupe dépassent ce seuil, la tête de groupe sera soumise à l’obligation de certification des comptes.

En ce qui concerne les filiales elles-mêmes, les commissaires aux comptes souhaitaient que soit recréé un nouveau seuil pour celles qui appartiennent à des groupes dont la tête est soumise à l’obligation de certification des comptes. Autrement dit, on rétablirait une mission obligatoire de certification des comptes des filiales ayant un chiffre d’affaires supérieur à 4 millions d’euros. J’y suis défavorable – et j’aurai de nouveau ce débat dans quelques instants avec la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. J’y suis défavorable parce que l’on rétablirait subrepticement un nouveau seuil. En l’état, les filiales dont la tête de groupe dépasse le seuil peuvent être soumises à la certification à titre volontaire et sur la base d’un mandat simplifié ; lorsque le seuil n’est pas dépassé, elles ne sont pas soumises à l’obligation de certification.

L’idée de recréer subrepticement un nouveau seuil – par souci sans doute légitime de sécurité mais avec un impact considérable sur la croissance et la création d’emplois –correspond à une logique administrative et à mon sens très technocratique. Je ne suis pas favorable à ce que l’on recrée un nouveau seuil pour les petits groupes dès lors que la tête de groupe est soumise au nouveau seuil légal.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS506 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Il est défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1863 de M. Adrien Taquet.

Mme Patricia Mirallès. Cet amendement anti-abus vise à contrôler les chiffres d’affaires de la société-mère comme de ses filiales afin de vérifier si les nouveaux seuils sont dépassés et de procéder au contrôle des filiales constituant une part significative de l’activité, à fixer par décret.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Défavorable également, sur ce sujet dont nous venons de débattre.

M. Charles de Courson. J’y suis également défavorable : que signifie la notion de part « significative » ? Nous entrerions dans le brouillard.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1864 de M. Daniel Fasquelle et CS204 de Mme Véronique Louwagie.

M. Daniel Fasquelle. Si l’amendement CS1864 est adopté, le contenu et les modalités de la mission nouvelle des commissaires aux comptes désignés sur une base volontaire ou dans les petits groupes seront définis dans les normes d’exercice professionnel homologuées par arrêté du garde des Sceaux, comme prévu à l’article L.823-12-1 du code de commerce.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je propose le retrait de cet amendement déjà intégré à l’amendement CS2036 que nous avons adopté il y a quelques instants.

M. Daniel Fasquelle. Je constate que le Gouvernement répond à mes demandes avant même que je ne les formule : c’est de mieux en mieux ! Cet amendement étant déjà satisfait par l’amendement CS2036, je le retire naturellement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. L’intelligence est une faculté partagée…

L’amendement CS1864 est retiré.

Mme Véronique Louwagie. Compte tenu de la position exprimée par le ministre, je doute que le rapporteur et le Gouvernement soient favorables à l’amendement CS204. En effet, celui-ci tend à rendre obligatoire la nomination d’un commissaire aux comptes dans le cadre d’une mission d’audit légal « petites entreprises » ou, sur option, dans les filiales dès lors que leur chiffre d’affaires dépasse 4 millions d’euros.

J’ai bien compris, monsieur le ministre, que vous ne souhaitiez pas créer un nouveau seuil, mais si, dans les groupes de sociétés, seule la société mère fait l’objet d’un audit, celui-ci ne présente guère d’intérêt, car on ne peut pas ignorer les filiales. Le texte aura donc, me semble-t-il, un véritable impact sur la sécurité des comptes, leur transparence et leur fiabilité. Vous auriez pu, je crois, faire preuve d’ouverture dans ce domaine précis. J’ajoute qu’actuellement, 100 000 filiales sont concernées par le commissariat aux comptes et que mon amendement ne s’appliquerait qu’à 10 000 entités. Il s’agit d’une mesure de bon sens ; il y va, j’y insiste, de la sécurité.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cet amendement tend à créer une obligation. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon raisonnement reste le même : nous voulons privilégier la simplicité et la lisibilité.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement de précision CS509 de M. Vincent Descoeur.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS196 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Il me semble que cet amendement, qui tend à créer la mission d’audit légal « petites entreprises », est couvert par l’amendement CS2036 – il aurait dû tomber, du reste. Aussi, je le retire.

L’amendement est retiré.

L’amendement CS699 de M. Fabien Di Filippo est retiré.

La commission examine l’amendement CS1869 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Cet amendement, qui tend à aménager une période transitoire, est très important. Il est en effet fondamental d’adopter une disposition transitoire pour offrir, à chaque professionnel exerçant actuellement un mandat dans une entité en deçà des seuils européens, la possibilité de mettre en place et de promouvoir, au bénéfice des entreprises concernées, une démarche d’audit adaptée à la nouvelle norme d’exercice professionnel, accompagnée d’une valeur ajoutée renforcée et susceptible de mieux répondre pendant trois exercices aux attentes des entrepreneurs. Cette mesure fait, du reste, partie des propositions formulées dans son rapport par M. de Cambourg.

Puisque vous ne voulez pas reculer sur le seuil d’intervention des commissaires aux comptes, laissons-leur au moins le temps de s’adapter. Des emplois et des sommes considérables sont en jeu. La profession sera profondément déstabilisée. Une période transitoire me paraît donc absolument indispensable. Je crois que nous pouvons tous souscrire à cette proposition.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Défavorable. La discussion avec les commissaires aux comptes est engagée depuis plusieurs mois, et le choix a été fait d’une entrée en vigueur rapide. Je rappelle, par ailleurs, que les contrats en cours seront maintenus, de sorte que les missions des commissaires aux comptes ne s’éteindront pas.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. En effet, cet amendement n’est pas anecdotique. Toutefois, il restreindrait de manière considérable la liberté de choix des entreprises, et cela pose deux problèmes majeurs.

Prenons l’exemple d’une entreprise dont le chiffre d’affaires est de 2 millions ; elle sera désormais sous les seuils légaux d’obligation de certification des comptes. L’amendement imposerait, dans l’hypothèse où elle serait, par exemple, à la cinquième année de sa certification de comptes, qu’il soit mis fin au contrat et que celui-ci soit remplacé par un mandat de mission d’audit légal « petites entreprises ». Premier problème : ce mandat serait obligatoire, alors que nous, nous souhaitons qu’il soit facultatif. On peut, à la rigueur, être en désaccord sur ce point – c’est parfaitement légitime. Pour ma part, je souhaite qu’on laisse la liberté aux entreprises ; c’est le choix que le Gouvernement a arrêté après un débat très approfondi avec les commissaires aux comptes.

Deuxième problème : dès lors que cette mesure mettrait fin d’autorité à des mandats en cours, nous nous exposerions à un risque constitutionnel majeur.

Pour ces deux raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable.

Mme Véronique Louwagie. J’entends vos arguments, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur. Mais le texte aura un impact brutal sur la profession, et je regrette que nous n’aménagions pas une période de transition, de préparation, qui lui permette de se réorganiser. S’agissant des soldes, lorsque j’ai proposé, ce matin, que le dispositif soit mis en œuvre plus rapidement, il m’a été répondu qu’il fallait laisser aux commerçants le temps – douze mois – de s’organiser. De même, nous avons pris en compte l’impact que pourraient avoir sur la presse les mesures concernant les annonces légales. Pourquoi ne prévoirions-nous pas un dispositif pour aider la profession des commissaires aux comptes à organiser la transition ? Celle-ci sera brutale, croyez-moi, notamment pour les petits cabinets indépendants, en particulier dans les territoires ruraux.

M. Roland Lescure, rapporteur général. De fait, la profession bénéficiera d’une période transitoire car les contrats, dont la durée moyenne est actuellement de trois ans, vont s’éteindre progressivement dans les années qui viennent. Elle pourra ainsi s’adapter et « vendre », de manière responsable, le nouveau service aux petites entreprises dans le cadre de relations commerciales qui existent déjà. Il me semble que, dans la majeure partie des cas, ces relations sont bonnes : les entreprises font confiance à leur commissaire aux comptes et elles envisageront donc un nouveau service utile de manière favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Premièrement, je souscris à ce que vient de dire le rapporteur général. En effet, la durée des mandats est de six ans et celle des contrats en cours est en moyenne de trois ans ; il n’y aura donc pas de brutalité.

Deuxièmement, la promulgation de la loi n’interviendra pas avant le milieu de l’année 2019 – au plus tôt au premier trimestre 2019 – de sorte que, pour la grande majorité, ces dispositions s’appliqueront à compter du 1er janvier 2020. Douze à dix-huit mois de transition, cela me paraît raisonnable.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, vous sous-estimez le choc que ces mesures vont représenter pour un certain nombre de cabinets, dont ces mandats représentent parfois jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires. Peu d’entreprises pourraient résister à un pareil choc dans des délais aussi brefs.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS302 et CS301 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS302 est dans la droite ligne de la discussion que nous venons d’avoir puisqu’il vise à reporter de deux ans la date d’entrée en vigueur de la mesure. La modification des seuils de certification légale des comptes est actée, mais il conviendrait de permettre à la profession de disposer de temps pour s’organiser, car cette mesure aura des conséquences financières et sociales pour bon nombre de cabinets, en particulier en province, qui ne trouveront peut-être pas facilement un complément d’activité. J’ai entendu, monsieur le ministre, vos propositions en faveur de la modernisation de la profession, et il serait cohérent de laisser à celle-ci un temps d’adaptation.

Quant à l’amendement CS301, il prévoit, si vous n’acceptez pas un report de deux ans, de limiter celui-ci à un an.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Défavorable.

La commission rejette successivement ces deux amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS391 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Dans son avis, le Conseil d’État indique : « Enfin, ces dispositions », c’est-à-dire le relèvement des seuils de certification légale des comptes, « ne sauraient faire obstacle à la possibilité d’une indemnisation par l’État du préjudice grave et spécial pouvant résulter, pour certains professionnels, de la mesure présentée sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait des lois. »

Je propose donc, par cet amendement, que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport évaluant l’impact budgétaire d’une éventuelle indemnisation. Il existe, en effet, un risque que certains professionnels déposent des recours et réclament une indemnisation du préjudice grave et spécial qu’ils subiraient du fait des lois. Comment évaluez-vous ce risque juridique, monsieur le ministre ?

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. L’étude d’impact, que j’ai lue très attentivement, comporte beaucoup d’informations sur la situation des commissaires aux comptes et les conséquences de ces dispositions sur la profession. D’où les mesures que nous avons évoquées précédemment.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. La logique de ce texte est de réinventer la profession de commissaire aux comptes et d’offrir à ses membres d’autres perspectives. Prévoir une indemnisation, ce serait baisser les bras et partir du principe que cette transformation échouera. Je refuse d’entrer dans cette logique, car je crois à cette réforme.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, vous ne répondez pas à la question : quel risque juridique court-on en cas de recours individuels visant à obtenir de l’État une indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait des lois ? La jurisprudence est constante, sur ce sujet, et se fonde sur le principe constitutionnel du droit de propriété.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Pour obtenir une indemnisation, il faut subir un préjudice anormal et spécial. Peut-être quelques commissaires aux comptes soumettront-ils leur cas au tribunal administratif, mais il leur faudra établir qu’ils subissent un tel préjudice. Or, je ne suis pas certain qu’ils soient des milliers à se trouver dans cette situation. Je ne vois donc pas la nécessité de réaliser une évaluation budgétaire de ce risque, qui me paraît tout à fait mesuré.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La commission examine l’amendement CS1935 de M. Philippe Latombe.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cet amendement ne respecte pas le cadre défini par les articles 30 et suivants de la directive comptable 2013/34 de l’Union européenne, laquelle ne permet pas aux entreprises de ne pas publier leurs états financiers. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission examine les amendements CS418 de Mme Patricia Mirallès et CS1508 de M. Adrien Taquet.

Mme Patricia Mirallès. Ces amendements ont vocation à modifier la composition du collège du Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C), afin d’y intégrer deux membres supplémentaires ayant exercé la profession de commissaire aux comptes, faisant ainsi de ce collège une instance plus représentative.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y suis plutôt défavorable. Ce collège compte déjà treize membres, dont certains sont déjà commissaires aux comptes. Il me semble donc qu’il est déjà suffisamment pourvu.

Mme Patricia Mirallès. J’entends cet argument, mais je souligne que ce sont quatorze personnes qui siègent dans ce collège, dont seulement deux représentants de la profession de commissaire aux comptes. C’est pourquoi cette dernière veut y être mieux représentée.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS210 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Les amendements que je vais défendre proposent de protéger un certain nombre d’opérations des sociétés, grâce à un contrôle légal. Dans l’amendement CS210, je vous propose que « les sociétés qui souhaitent faire admettre leurs titres à la négociation d’un marché de croissance des petites et moyennes entreprises nomment un commissaire aux comptes chargé d’une mission de contrôle légal ».

En pareille situation, les comptes doivent en effet présenter des garanties de fiabilité. Afin de garantir cette dernière, il serait opportun que ces sociétés doivent faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Cela me semble aller à l’encontre des objectifs du projet de loi. Nous nous efforçons d’ouvrir aux petites et moyennes entreprises l’accès au marché de l’approvisionnement en fonds propres ; en elle-même, la présence sur ce marché donne des garanties, puisqu’il est suivi par des analystes financiers. Or nous ajouterions ainsi une contrainte supplémentaire, ce qui empêchera l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) à ce type de capital.

À défaut de retrait, je me verrai dans l’obligation d’émettre un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Pour les mêmes raisons, je partage le même avis. Nous imposerions encore des obligations nouvelles aux entreprises.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je comprends votre souci d’ouvrir de nouveaux marchés aux commissaires aux comptes. Mais une PME qui cherche à se refinancer doit déjà fournir aux investisseurs une comptabilité extrêmement fine. Ces gens avisés vérifient ensuite ces comptes et sont capables de produire des analyses financières leur permettant de faire les choix les plus intelligents.

Mme Véronique Louwagie. Le dispositif du PEA-PME ne fonctionne pas aujourd’hui, parce que les organismes financiers craignent de proposer les titres de ces PME dans des PEA-PME, faute de garantie sur la fiabilité de leurs comptes. Cet instrument serait pourtant particulièrement bien adapté pour diriger des fonds des particuliers vers le monde des entreprises. La garantie supplémentaire que je propose pourrait rendre les organismes financiers beaucoup plus favorables à proposer ces titres.

M. Roland Lescure, rapporteur général. En effet, le PEA-PME est un excellent instrument, hélas insuffisamment utilisé. En examinant le chapitre II, nous aurons à nous prononcer sur des amendements favorisant l’accès à ce produit.

Mais je répète que, si vous ajoutez de nouvelles contraintes aux entreprises qui souhaitent se refinancer sur les marchés d’equity, elles n’iront plus. Cela fera naître un problème de financement. Restons attentifs au premier objectif de ce projet de loi, à savoir un meilleur financement des entreprises françaises en capital-actions.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements CS211 et CS212 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Ces deux amendements ont trait aux plateformes de financement participatif, qui consistent à permettre à des personnes morales ou à des particuliers de consentir des prêts à des personnes physiques ou morales ou d’entrer au capital d’une société non cotée.

Il s’agit d’assurer la protection des prêteurs et des investisseurs par un contrôle de ces structures.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Pour les mêmes raisons que tout à l’heure, je me verrai dans l’obligation, à défaut de retrait, d’émettre un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette successivement les deux amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CS362 de M. Martial Saddier.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement de notre collègue Saddier porte sur les comptes des collectivités territoriales. Nous vous proposons de modifier la période d’expérimentation de deux ans, pendant laquelle des dispositifs destinés à assurer la fidélité des comptes sont mis en œuvre, tout en faisant nommer un commissaire aux comptes par ces collectivités à l’issue de l’expérimentation. J’ouvre ainsi le débat sur la question du contrôle des comptes des collectivités territoriales.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cela me semble prématuré. Une expérimentation est en cours, attendons son terme. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Charles de Courson. Je n’y suis pas non plus favorable. Soit on a un système de comptabilité publique, où les comptables publics vérifient ces comptes, soit on confie cette tâche au secteur privé – mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, même si d’aucuns envisagent de supprimer le contrôle public de la comptabilité.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1431 et CS1432 de Mme Cendra Motin.

Mme Cendra Motin. Il s’agit d’inciter fortement, par la loi, tous les professionnels du chiffre, tant experts comptables que commissaires aux comptes, à recourir à la signature électronique des documents. Pour les commissaires aux comptes, notamment, ce serait l’occasion d’entrer pleinement dans l’ère numérique et de moderniser encore un peu plus les pratiques de la profession.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Les commissaires aux comptes font déjà largement usage de la signature électronique. Cette modification du code de commerce n’est pas nécessaire. Le code civil s’applique en effet à ces cas. Je vous suggère donc de retirer l’amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Moi aussi, car si je partage l’ambition affichée, la loi doit-elle pour autant aller jusqu’à ce niveau de détail ?

Mme Cendra Motin. Je voulais surtout délivrer un message de modernité et rappeler à ces professions qu’elles ont la possibilité de dématérialiser encore plus leurs procédures.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS2128 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Il s’agit d’une demande de rapport, qui porterait sur la manière de prévoir des modalités de contrôle orientées dans le sens de la prévention, non seulement au stade, périlleux, de la création de l’entreprise, mais aussi à celui de son développement. Tous les passionnés d’économie qui refusent de s’accommoder du chômage de masse connaissent les écueils importants auxquels se heurtent les PME quand elles passent de 50 à 100 salariés.

En vérité, il aurait même fallu commencer par définir la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE), notion vers laquelle le rapport demandé tend à orienter la réflexion. Mais j’anticipe les demandes de retrait du ministre et du rapporteur (Sourires) et j’accepte par avance de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

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Article 9 bis (nouveau)
(article 83 septies [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable)
Possibilité pour les commissaires aux comptes de s’inscrire au tableau
de l’ordre des experts comptables

Issu d’un amendement de notre collègue Cendra Mottin et les membres du groupe La République en Marche, cet article vise à permettre aux titulaires du certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes ainsi qu’aux personnes ayant réussi l’examen d’aptitude au jour de la publication de la loi de pouvoir s’inscrire au tableau de l’ordre des experts comptables.

Préconisé par le rapport de Cambourg relatif à l’avenir de la profession de commissaires aux comptes, l’institution d’une passerelle automatique pour les titulaires du certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes pour l’inscription au tableau de l’ordre des experts comptables est une mesure d’accompagnement de la réforme des seuils obligatoires de recours aux services des commissaires aux comptes.

Cette mesure permettra une plus grande mobilité entre les professionnels du chiffre que sont les commissaires aux comptes et les experts comptables, et accroîtra l’attractivité de ces deux professions.

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La commission examine l’amendement CS1520 de M. Adrien Taquet.

Mme Cendra Motin. Nous proposons de permettre, pour une période de cinq ans, aux commissaires aux comptes ayant des compétences indéniables en matière d’analyse de chiffres et ne souhaitant pas poursuivre leur carrière dans cette profession de demander leur inscription au tableau de l’ordre des experts-comptables.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est une mesure très importante, préconisée par le rapport Cambourg que j’avais demandé sur la transformation du métier de commissaire aux comptes. Le conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables s’est prononcé à l’unanimité en faveur de cette mesure.

J’y suis donc évidemment favorable, sous réserve d’ajustements rédactionnels car la réforme de 2005, entrée en vigueur en 2007, a introduit une nouvelle terminologie dont il convient de tenir compte.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je propose que le texte soit amendé en conséquence au cours de la séance publique.

M. Charles de Courson. A-t-on une idée du nombre de commissaires aux comptes qui profiteraient d’un tel dispositif temporaire, puisqu’il paraît être limité à cinq ans ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Plusieurs milliers.

La commission adopte l’amendement. L’article 9 bis est ainsi rédigé.

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Article 10
(articles 28, 29, 33 et 34 de lordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de lordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession dexpert-comptable)
Accompagnement de la réforme territoriale
de lordre des experts-comptables

Le présent article vise à accompagner la réforme territoriale de l’ordre des experts-comptables.

A.   L’État du droit

Créé par l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, lordre des experts-comptables est un ordre professionnel, placé sous la tutelle du ministère de l’Économie et des finances, dont le rôle est d’assurer la représentation, la promotion, la défense et le développement de la profession d’expert-comptable, tant en France qu’à l’étranger.

Il est dirigé par un conseil supérieur, composé de soixante-neuf membres, qui a pour missions de vérifier le respect, par les professionnels, de leurs obligations, d’assurer le fonctionnement régulier des divers organismes de l’ordre ainsi que d’organiser la formation et le perfectionnement professionnel des membres de l’ordre.

Au niveau régional, les experts-comptables sont représentés par 23 conseils régionaux, dont les membres sont élus, d’après l’article 28 de l’ordonnance du 19 septembre 1945, au scrutin secret de liste ou au scrutin plurinominal sans liste, selon le nombre de membres de l’ordre inscrits dans la circonscription régionale. Le nombre d’élus dépend de la population d’experts-comptables de la région.

Les missions des conseils régionaux sont précisées à l’article 31 de l’ordonnance : surveiller l’exercice de la profession dans leur circonscription, statuer sur les demandes d’inscription au tableau, fixer et recouvrir le montant des cotisations qui doivent être versées par les membres de l’ordre ainsi que les contributions dues par les associations de gestion et de comptabilité, saisir la chambre régionale de discipline ou encore lutter contre l’exercice illégal de la profession.

B.   Le dispositif proposÉ

À la suite du redécoupage de la carte des régions administratives au 1er janvier 2016 ([24]), les membres du conseil supérieur de lordre des expertscomptables ont accepté, par une résolution adoptée le 5 juillet 2017, le principe dune réforme de la carte des conseils régionaux afin de l’aligner sur celle des régions administratives.

● Le I de l’article précise les conditions dans lesquelles va s’opérer cette refonte de la carte des conseils régionaux.

L’alinéa 1 prévoit tout d’abord que les nouveaux conseils régionaux de l’ordre seront constitués dans les limites territoriales des régions prévues à l’article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales.

Leur nombre passera ainsi de vingt-trois à seize et le nombre délus sera réduit en conséquence. Concrètement, selon l’étude d’impact du projet de loi, douze conseils régionaux seront fusionnés pour former cinq nouveaux conseils ([25]), ce qui permettra d’effectuer des économies de gestion.

Cette nouvelle organisation territoriale de l’ordre des experts-comptables implique des transferts de patrimoine, portant notamment sur des immeubles.

L’alinéa 2 de l’article vise à permettre que ces opérations de transfert soient effectuées à titre gratuit pour éviter aux nouveaux conseils régionaux d’acquérir au prix du marché le patrimoine des conseils régionaux qui disparaissent. Les biens, droits et obligations des anciens conseils régionaux seront ainsi transférés sans opération de cession puis d’acquisition aux nouveaux.

Cette disposition visant à assurer la neutralité économique de ces opérations de transfert complète celle, adoptée dans la loi de finances initiale pour 2018, visant à assurer la neutralité fiscale de ces opérations ([26]). À droit constant, ces opérations auraient en effet pu conduire au paiement de droits parfois élevés, alors même que la vocation et l’objet des patrimoines ainsi transférés ne changent, pas avait ainsi rappelé notre collègue rapporteur général du budget, M. Joël Giraud.

● Le II de cet article supprime la rédaction actuelle de l’essentiel des règles relatives à la composition, aux modalités de l’élection et au fonctionnement des instances de l’ordre, aujourd’hui précisées par l’ordonnance du 19 septembre 1945, pour les renvoyer à un futur décret.

C.   la position de la commission spÉciale

Cet article a été adopté sans modification par la commission spéciale.

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La commission adopte l’article 10 sans modification.

Article 10 bis (nouveau)
(articles 7 ter et 24 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable)
Rémunération au succès des experts-comptables

Introduit par l’adoption d’un amendement de notre collègue Patricia Mirallès, sous-amendé par le Gouvernement, le présent article vise à autoriser, dans le respect des obligations déontologiques inhérentes à la profession d’expertise comptable, les rémunérations au succès. Ainsi, et au même titre que les avocats notamment, les experts comptables pourraient, sous réserve bien sûr d’en être convenus avec leurs clients au préalable, moduler leurs honoraires en fonction des résultats de leurs travaux. Seraient en revanche exclues les missions de tenue de comptabilité, de révision comptable ou participant à l’établissement de l’assiette fiscale ou sociale du client.

Afin d’éviter tout risque, cet article prévoit expressément que ces honoraires complémentaires ne conduisent ni à compromettre l’indépendance des experts-comptables, ni à les placer en situation de conflits d’intérêts.

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La commission examine l’amendement CS1237 de Mme Patricia Mirallès, faisant l’objet du sous-amendement CS2349 du Gouvernement.

Mme Patricia Mirallès. Il s’agit d’ouvrir la possibilité aux experts-comptables, hors mission de tenue de comptabilité, de révision comptable ou de révision participant à l’établissement de l’assiette fiscale ou sociale du client, de convenir par écrit, avec leurs clients, d’un honoraire de résultat.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement important ouvre la possibilité aux professionnels de l’expertise comptable de percevoir des honoraires liés au succès de l’entreprise, par exemple d’être associés aux résultats d’une mission d’audit ou de fusion-acquisition. Avis très favorable, sous réserve de l’adoption d’un sous-amendement obéissant à un motif légistique.

M. Charles de Courson. Cet amendement paraît sympathique, mais je ne comprends pas bien pourquoi on exclut du champ de cette éventuelle rémunération au résultat les missions concernant la détermination de l’assiette fiscale ou sociale de l’entreprise concernée. C’est un peu bizarre.

Préférez-vous que ces missions soient externalisées au profit d’entreprises de conseil recevant, si elles parviennent à réduire le montant de l’impôt payé, entre 20 % et 30 % des sommes économisées ? Il ne s’agit pas de fraude : d’anciens inspecteurs des impôts se sont même spécialisés dans des missions de conseil sur la taxe professionnelle ou les taxes qui l’ont remplacée…

M. Roland Lescure, rapporteur général. Disons que c’est de l’optimisation fiscale un peu poussée…

M. Jean-Paul Mattei. J’aurais peine à soutenir cet amendement. Si ce mode de rémunération se conçoit pour un avocat travaillant à obtenir une décision qui n’est pas acquise, cela me choque un peu s’agissant d’un expert-comptable, normalement rémunéré à un taux horaire négocié.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Voilà pourquoi il ne faut pas trop élargir le champ de cette rémunération au résultat. Si l’expert-comptable aide une entreprise cliente à faire de l’optimisation fiscale, il vaut mieux qu’il en soit indépendant et ne lui soit pas lié. Évitons de créer un risque de conflit d’intérêts pour l’expert-comptable au sein de l’entreprise où il officie.

M. Charles de Courson. Le texte de l’amendement n’évoque que l’assiette. Faut-il en déduire que l’expert-comptable pourrait s’intéresser, par contre, au taux d’imposition ? L’amendement me semble, de surcroît, mal rédigé : en matière de TVA, par exemple, il importe de savoir si l’on applique le taux de 5,5 % ou celui de 10 %. Ne faudrait-il pas supprimer cette exclusion ?

Mme Véronique Louwagie. Je ne fais pas la même lecture de cet amendement que vous. Je comprends que ces honoraires complémentaires peuvent s’appliquer à toutes les missions, sauf à celles qui participent à la détermination du résultat, lesquelles sont les missions d’établissement des comptes annuels. Cette mission spécifique est en effet régie par un contrat entre l’expert-comptable et le client, contrat qui prévoit une rémunération sur une base forfaitaire ou sur une base horaire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cette lecture est la bonne, et les propos de Mme Louwagie sont lumineux : d’un côté, l’activité traditionnelle des experts-comptables, déjà déterminée, ne saurait bénéficier d’une sur-rémunération – ce qui répond, je crois, à la crainte de M. Mattei. En revanche, ils peuvent participer à des missions – il s’agit d’ailleurs d’une demande des experts-comptables.

Admettons qu’une entreprise veuille fusionner avec une autre et qu’une transaction prépare une fusion-acquisition. Si on s’appuie sur le travail d’un expert-comptable, il ne s’agit pas alors pour lui d’établir des comptes. Dans ce contexte, il pourrait désormais être associé au résultat de cette mission particulière et en percevoir un revenu.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement, ainsi sous-amendé.

Article 10 ter (nouveau)
(article 12 bis [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable)
Rapprochement des experts-comptables et des experts-comptables
en entreprise

Issu d’un amendement du Gouvernement, le présent article reprend également une préconisation du rapport de Cambourg : il vise à permettre le rapprochement, par une adhésion volontaire, entre les experts comptables et les diplômés d’expertise comptable français ou étrangers exerçant en France comme salariés d’entreprise non-inscrits à l’ordre des experts comptables.

Les diplômés qui le souhaiteraient, signeraient une convention avec l’ordre leur conférant le droit d’utiliser le titre « d’expert-comptable en entreprise » en contrepartie d’un engagement déontologique. Ils n’auraient pas le droit de développer une clientèle personnelle.

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Elle examine ensuite l’amendement CS2032 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il s’agit de rapprocher, par adhésion volontaire, les experts-comptables et les diplômés d’expertise comptable français ou étrangers exerçant en France comme salariés d’entreprises non inscrites à l’ordre des experts-comptables. Les diplômés qui le souhaiteraient pourraient signer une convention avec l’ordre leur conférant le droit d’utiliser le titre d’ « expert-comptable en entreprise », titre reconnu sur le plan international, en contrepartie d’un engagement déontologique.

Cela vise ainsi à la fois à aligner les règles et faire rayonner la profession d’expert-comptable. Cet amendement trouve son origine dans une demande formulée par le rapport de Cambourg.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Charles de Courson. N’existe-t-il pas déjà d’équivalence entre ces diplômes d’expertise comptable français et ceux des autres États membres de l’Union européenne ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vérifierai ce point en vue de la séance publique.

La commission adopte l’amendement. L’article 10 ter est ainsi rédigé.

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Article 10 quater (nouveau)
(article 22 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable)
Nouvelles missions des experts-comptables et simplification de la production de leurs mandats

Deux modifications sont apportées par cet article à l’exercice des missions des professionnels de l’expertise comptable.

● Issu d’un amendement de notre collègue Cendra Motin et du groupe La République en Marche, le premier volet (1°) de cet article a pour objet d’autoriser ces professionnels à réaliser deux nouveaux types de missions au profit de leurs clients : le paiement de leurs dettes et la gestion de leurs créances.

Les clients des professionnels de l’expertise comptable pourraient ainsi donner procuration sur leur compte bancaire professionnel afin que les professionnels de l’expertise comptable puissent, pour leur compte, accomplir le paiement de leurs dettes, autres que fiscales et sociales.

● Issue d’un amendement du Gouvernement, la deuxième partie (2°) du présent article vise à donner aux professionnels de l’expertise comptable le pouvoir d’agir pour le compte de leurs clients sans avoir à produire un document, permettant ainsi de répondre au besoin de simplification de la vie des entreprises.

Ces mandats seraient exprès entre le client et le professionnel de l’expertise comptable mais seraient implicites avec l’administration dans le domaine fiscal. La production du mandat sera cependant maintenue auprès de l’administration fiscale dès lors que le professionnel de l’expertise comptable réalise auprès d’elle des opérations en lien avec le compte fiscal Particulier du contribuable.

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Elle examine ensuite l’amendement CS1528 de M. Adrien Taquet et l’amendement CS1447 de Mme Cendra Motin.

Mme Cendra Motin. L’amendement CS1528 vise à donner aux experts-comptables la possibilité de s’acquitter du paiement des dettes et des créances de leurs clients, qu’elles soient sociales ou fiscales, et d’avoir, pour ce faire, un accès spécifique à l’espace professionnel de ces derniers. Cet amendement trouve son origine dans une demande formulée par la profession des experts-comptables. Il répond à une problématique de terrain. Ce serait une véritable avancée pour les experts-comptables et cela leur permettrait d’améliorer leurs relations avec leurs clients.

L’amendement CS1447 vise, quant à lui, à étendre le champ des attestations que les experts-comptables peuvent fournir à leurs clients. Ces attestations pourront porter sur des matières diverses : situation financière, prévisions, fiscalité, protection sociale, sécurité juridique, responsabilité sociale et environnementale et informations non financières. Ce faisant, les experts-comptables participeront à la création du climat de confiance que nous souhaitons inspirer entre les entreprises et les administrations.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable au premier, défavorable au second : d’une part, je ne suis pas sûr que cet amendement soit pleinement normatif ; d’autre part, nous commençons de répondre à l’ambition que vous affichez, notamment par l’amendement CS1237 que nous venons d’adopter et par l’amendement CS1528 lui-même.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur.

Mme Cendra Motin. Puisque les choses avancent, je vais retirer le second amendement.

M. Charles de Courson. Comment s’articule l’amendement CS1528 avec l’activité des organismes spécialisés dans le recouvrement de créances, comme les offices d’huissiers de justice ?

Mme Cendra Motin. Ce n’est pas du tout ce dont il s’agit.

M. Charles de Courson. Mais si ! L’amendement évoque aussi bien la gestion de la dette des entreprises que la gestion de leurs créances. Cela ne pose-t-il pas un problème de concurrence ?

Mme Cendra Motin. Monsieur de Courson, je crains qu’il n’y ait un malentendu. L’amendement n’a pas pour objet de permettre aux experts-comptables de faire concurrence aux organismes spécialisés dans le recouvrement de créances, agissant généralement au stade du contentieux, mais d’accompagner les chefs d’entreprise dans le paiement au long cours de leurs créances. En se substituant aux chefs d’entreprise pour réaliser certains paiements, les experts-comptables éviteraient ainsi la gestion ultérieure de contentieux.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis au regret de vous signaler une erreur dont je vous prie de m’excuser. Conformément à ce que j’avais dit dans ma présentation initiale des articles concernant les experts-comptables, je suis favorable aux deux amendements que nous venons d’examiner, y compris, donc, à l’amendement CS1447 qui vise à étendre le champ des attestations que les experts-comptables peuvent fournir à leurs clients, les nouvelles attestations pouvant porter sur des matières financières, environnementales et numériques.

L’amendement CS1447 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS1528.

La commission examine l’amendement CS2033 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement a pour objet de reconnaître la relation de confiance qui existe entre l’expert-comptable et son client en donnant aux professionnels de l’expertise comptable le pouvoir d’agir pour le compte de leurs clients sans avoir besoin de produire systématiquement un document. Il s’agit d’une mesure de simplification demandée par les experts-comptables.

Suivant l’avis favorable des rapporteurs, la commission adopte l’amendement.

Issu de ces deux amendements, l’article 10 quater est ainsi rédigé.

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Article 11
(article L. 613-4 du code de la sécurité sociale)
Radiation des fichiers, registres et répertoires des entrepreneurs individuels ayant réalisé pendant deux années civiles consécutives
un chiffre daffaires nul

A.   L’État du droit

● L’article L. 613-4 du code de la sécurité sociale dispose que tout travailleur indépendant affilié à la sécurité sociale peut, en l’absence de chiffre d’affaires, de recettes ou de déclaration de chiffre d’affaires ou de revenus au terme de deux années civiles consécutives, faire l’objet d’une radiation par l’organisme social dont il relève, sauf opposition de sa part.

Cette radiation nentraîne pas celle des immatriculations ou déclarations requises par dautres législations, l’article L. 613-4 imposant une simple information des autres administrations et institutions intéressées par l’organisme de sécurité sociale procédant à la radiation. Il s’agit notamment des services fiscaux et les teneurs du registre du commerce et des sociétés (RCS), du répertoire des métiers et du répertoire des entreprises et des établissements (répertoire SIRENE).

Selon l’étude d’impact du projet de loi (page 149), 66 000 entrepreneurs ont ainsi été radiés socialement en 2016 mais restent actifs au sein du répertoire SIRENE.

● Les travailleurs indépendants radiés d’office par leur organisme de sécurité sociale doivent prendre linitiative dune déclaration de cessation dactivité auprès dun centre de formalité des entreprises (CFE) pour mettre fin à leur activité dans les fichiers, registres ou répertoires tenus par les administrations autres que leur organisme de sécurité sociale. À défaut, ils demeurent inscrits dans ces différents fichiers bien qu’ayant cessé toute activité.

Cette situation n’est pas satisfaisante à double titre :

– elle suscite beaucoup dincompréhension de la part des entrepreneurs, qui sestiment délivrés de leurs obligations professionnelles après avoir été radiés de leur régime de sécurité sociale ;

– elle entraîne un surcroît de travail pour les différents organismes et services, notamment fiscaux, qui procèdent à des relances inutiles et doivent faire face à un nombre non négligeable de réclamations.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article prévoit que, désormais, la radiation par lorganisme social emporte de plein droit, si le travailleur indépendant est entrepreneur individuel, la radiation des fichiers, registres ou répertoires tenus par les autres organismes destinataires des informations relatives à la cessation d’activité en application de l’article L. 123-33 du code de commerce, introduit par l’article 1er du projet de loi (alinéa 3).

Cette disposition ne s’appliquera pas aux sociétés, une société étant une personne juridique distincte de celle du dirigeant. Sa dissolution implique donc une décision des associés ou des actionnaires, une phase de liquidation ainsi qu’une publicité pour garantir les droits des créanciers. Pour les travailleurs indépendants autres que les entrepreneurs individuels, le système d’information actuel est donc conservé (alinéa 4).

Par ailleurs, l’information des ordres professionnels, seuls habilités à radier leurs membres, est naturellement conservée (alinéa 5).

Le II prévoit, enfin, que le dispositif entrera en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1er juillet 2019.

C.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a simplement adopté un amendement de cohérence rédactionnelle de votre rapporteur.

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La commission examine l’amendement CS313 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Cet amendement vise à supprimer l’article 11, qui me semble moins satisfaisant que la réglementation en vigueur, notamment en matière de recours. Il aurait en effet pour conséquence d’aggraver la situation actuelle.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. Je rappelle qu’il s’agit là d’une mesure de simplification. La situation actuelle n’est pas satisfaisante : elle suscite des incompréhensions, les entrepreneurs s’estimant délivrés de leurs obligations professionnelles après avoir été radiés de leur régime de Sécurité sociale, et elle entraîne un surcroît de travail pour les différents organismes, qui procèdent à des relances inutiles.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet article apporte beaucoup à l’entrepreneur, qui ne comprend pas toujours qu’il peut être radié par son organisme de sécurité sociale sans l’être des autres registres et fichiers administratifs. La procédure prévue à l’article 11 permet d’assurer la radiation de tous les registres et fichiers – il s’agit donc d’une mesure de simplification – et elle apporte davantage de garanties à l’entrepreneur, lequel – je veux rassurer M. Mattei sur ce point – pourra s’opposer à sa radiation sans avoir à invoquer un motif quelconque devant l’administration.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS2280 des rapporteurs.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle. En effet, la nouvelle rédaction issue de l’article 11 ne vise que le cas d’un chiffre d’affaires non déclaré et ne prévoit plus expressément celui du chiffre d’affaires nul. Or, même un chiffre d’affaires nul doit être déclaré, aux termes de l’article L. 613-8 du code de la sécurité sociale.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs, elle rejette l’amendement CS71 de M. Sébastien Leclerc.

Puis elle est saisie de l’amendement CS2129 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Nous sommes favorables à l’article 11 : cette mesure de simplification est bienvenue. Toutefois, lorsqu’on défend l’intérêt général, il faut être soucieux des personnes. C’est pourquoi il serait légitime et juste que l’entrepreneur dispose d’un délai de trois mois pour s’opposer à sa radiation, sachant, que, s’il ne se manifeste pas, celle-ci sera définitive.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je souhaite le retrait de l’amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Sur le principe, je ne suis pas opposé à ce que l’on précise le délai durant lequel l’entrepreneur pourra s’opposer à sa radiation, mais il me semble qu’une telle mesure relève davantage du domaine réglementaire que du domaine législatif.

M. Dominique Potier. Pour le bénéfice de la vie administrative de notre pays, je propose que nous adoptions cet amendement. Nous ferions ainsi l’économie d’un décret élaboré par un fonctionnaire de Bercy.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS1948 et CS314 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Il s’agit de simplifier la procédure de dissolution-liquidation de société. En nous inspirant de l’article 1844-5 du code civil, qui dispose qu’en cas de détention de toutes les parts d’une société par une seule personne, la dissolution est prononcée sans liquidation avec une transmission universelle du patrimoine, nous proposons que, dans les cas où aucune opération de liquidation n’est requise, la dissolution de la société et sa liquidation puissent se faire par un seul acte, au lieu de deux actuellement. Cette mesure permettrait de réduire les coûts de l’opération.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Défavorable. Une telle mesure ne me semble pas forcément opportune car, en cas de dissolution, il faut laisser du temps aux liquidateurs pour recenser les actifs avant de procéder à la liquidation. Il s’agit de deux étapes distinctes. Je vous propose donc de retirer l’amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Dans la mesure où ces amendements sont très généreux vis-à-vis des entrepreneurs, ils pourraient être conformes à la philosophie du projet de loi. Mais, en ne distinguant plus la dissolution de la liquidation, ils ne laisseraient pas aux créanciers le temps de se manifester. Il me paraît donc plus raisonnable, pour prendre en compte les droits des tiers, de maintenir un délai entre la dissolution, qui fait l’objet d’une publicité de nature à informer les créanciers, et la liquidation. C’est pourquoi je suggère à M. Mattei de retirer ces amendements.

M. Jean-Paul Mattei. On peut tout à fait retravailler les amendements en précisant que, comme à l’article 1844-5 du code civil, les créanciers ont un mois pour s’opposer à l’opération. Franchement, dans les cas visés par mes amendements, maintenir deux actes distincts ne présente pas d’intérêt. Il s’agit véritablement d’une mesure de simplification et d’économie pour l’entrepreneur.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’entends parfaitement vos arguments. Encore une fois, l’objet de vos amendements est cohérent avec la philosophie du texte. Je vous propose donc que, d’ici à la discussion en séance publique, nous les retravaillions ensemble afin de vérifier que nous pouvons aboutir à une seule opération sans menacer les intérêts des créanciers.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte l’article 11 modifié.

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Article 12
(article L. 613-10 du code de la sécurité sociale)
Suppression de lobligation dun compte bancaire dédié pour les micro-entrepreneurs dégageant un chiffre daffaires annuel inférieur à 5 000 euros

A.   L’État du droit

● L’article L. 613-10 du code de la sécurité sociale impose aux travailleurs indépendants relevant du régime micro-social d’ouvrir, au plus tard douze mois après la déclaration de la création de leur entreprise, un compte bancaire pour l’exercice de l’ensemble des transactions financières liées à leur activité professionnelle.

Cette disposition, introduite par un amendement parlementaire au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, avait pour objet de lutter plus efficacement contre la fraude et de faciliter le contrôle des recettes des micro-entrepreneurs.

● Cette obligation de compte bancaire dédié peut constituer une charge administrative et financière excessive lorsque lactivité de lentreprise demeure modeste. D’après les données de l’ACOSS, citées par l’étude d’impact (page 161), 70 % des micro-entrepreneurs avaient réalisé un chiffre d’affaires annuel inférieur à 5 000 euros en 2015, soit 968 100 micro-entrepreneurs. Parmi ceux-ci, 708 327 avaient même réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 1 000 euros.

Si le montant des frais bancaires facturés à un professionnel est très variable, il est estimé à environ 240 euros par an, ce qui représente une dépense significative pour les entrepreneurs réalisant un chiffre d’affaires de quelques milliers d’euros.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article propose de supprimer lobligation de disposer dun compte bancaire dédié à lactivité professionnelle pour les micro-entrepreneurs réalisant un chiffre daffaires inférieur à 5 000 euros.

Ce seuil de 5 000 euros correspond à celui retenu par la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, qui exonère ces mêmes contribuables de cotisation foncière des entreprises (CFE).

Afin que ce seuil ne constitue pas un frein au développement des activités, il est prévu que l’obligation de disposer d’un compte bancaire ne soit applicable que lorsque la microentreprise dépasse ce seuil pendant deux années civiles consécutives.

C.   la position de la commission spÉciale

À l’initiative de notre collègue Frédérique Lardet et du groupe La République en Marche, la commission spéciale a adopté, avec l’avis favorable du rapporteur, un amendement qui augmente de 5 000 à 10 000 euros le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel le micro-entrepreneur est tenu de disposer d’un compte bancaire dédié à son activité professionnelle.

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La commission examine les amendements identiques CS6 de M. Vincent Descoeur, CS166 de Mme Véronique Louwagie, CS392 de M. Charles de Courson, CS564 de M. Ian Boucard, CS1193 de M. Daniel Fasquelle, CS1231 de M. Pierre Dharréville, CS1419 de M. Adrien Quatennens et CS2130 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS6 tend à supprimer l’article 12, car je ne vois pas l’intérêt de dispenser certains micro-entrepreneurs de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié à leur activité professionnelle. Il semble normal de pouvoir identifier et contrôler une activité professionnelle, quel que soit le montant du chiffre d’affaires.

Mme Véronique Louwagie. Il serait intéressant de se reporter au compte rendu des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui impose aux auto-entrepreneurs d’ouvrir un compte bancaire dédié à leur activité, car les arguments qui avaient été avancés à l’époque étaient convaincants. Une telle obligation permet notamment de clarifier le dispositif et de faciliter les contrôles. Je ne comprends donc pas pourquoi l’on revient sur cette mesure.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, depuis vingt ou trente ans, on s’efforce de distinguer clairement le patrimoine particulier de celui de l’entreprise. En supprimant l’obligation pour certains micro-entrepreneurs d’ouvrir un compte bancaire séparé, on rétablit la confusion. Les problèmes sont déjà suffisamment nombreux lorsqu’il existe deux comptes séparés – confer quelques affaires récentes… Franchement, supprimer cette obligation est une très mauvaise idée. De plus, quel avantage présente cette suppression ? Comment les banques appliqueront-elles les règles anti-blanchiment ? C’est une mauvaise idée et, en matière de coût, le bénéfice serait « épsilonesque ».

M. Ian Boucard. On a convenu hier que le statut de micro-entrepreneur ne devait pas être compliqué, mais je ne suis pas certain qu’il faille continuer à l’alléger. Si l’on supprime l’obligation d’ouvrir un compte dédié en deçà d’un chiffre d’affaires de 5 000 euros, on risque d’inciter certains micro-entrepreneurs à ne pas déclarer une partie de l’argent qu’ils gagnent et de favoriser ainsi le travail illégal, alors que le statut d’autoentrepreneur a été précisément créé pour lutter celui-ci. Il convient de bien distinguer le compte personnel du compte professionnel, de manière à faciliter le travail des services fiscaux.

M. Daniel Fasquelle. L’article 12 contredit les efforts consentis depuis vingt ans pour séparer le patrimoine professionnel du patrimoine personnel, et ce afin de protéger la personne elle-même. C’est pour cette raison que l’on a créé l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL). Si les deux types de fonds se mélangent sur un compte commun, le micro-entrepreneur n’aura peut-être pas le réflexe, par exemple, de mettre de l’argent de côté pour payer les cotisations dont il devra s’acquitter par la suite. J’ajoute que le maintien de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié permettrait d’éviter une forme de concurrence déloyale vis-à-vis de ceux qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 5 000 euros et resteront soumis à cette obligation. Enfin, cela garantit la transparence en facilitant le contrôle de l’administration.

Certes, on peut estimer que le coût que représente un compte bancaire est trop important au regard d’un chiffre d’affaires inférieur à 5 000 euros. Mais c’est prendre le problème par le mauvais bout : il faut maintenir la distinction des comptes et imposer aux banques de mettre à disposition de ces entrepreneurs un second compte qui ne présente pas les coûts parfois exorbitants des comptes dits « professionnels ».

M. Pierre Dharréville. Cet article est fidèle à la philosophie du texte : il s’agit bien, ici encore, de déréguler. Mais, pour rester dans la logique de la majorité, on perçoit mal quel est le véritable gain apporté par une telle mesure. Par ailleurs, celle-ci risque de créer une confusion dont le micro-entrepreneur lui-même peut pâtir. Il faut de la clarté. On ne comprend pas pourquoi vous êtes attachés à cette mesure.

M. Adrien Quatennens. L’article 12 tend à supprimer l’obligation pour les micro-entrepreneurs réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 5 000 euros annuels d’avoir un compte bancaire dédié́ à leur activité́ professionnelle. Ce compte bancaire dédié́ ne deviendrait obligatoire que lorsque le micro-entrepreneur dépasse ce seuil pendant deux années consécutives. L’objectif affiché est de réduire les charges de l’entrepreneur, comme vous les appelez. De fait, un compte professionnel coûte en moyenne 240 euros par an. Mais le problème est davantage lié à ce coût trop élevé qu’à l’obligation d’avoir un compte séparé.

Cette modification de la loi concernerait beaucoup de monde car, en 2015, 70 % des micro-entrepreneurs ont réalisé́ un chiffre d’affaires annuel inférieur à 5 000 euros. Pour plus de 700 000 d’entre eux, il était même inférieur à 1 000 euros. Ces chiffres démontrent que l’auto-entrepreneuriat est souvent, pour beaucoup de gens, une forme d’arnaque et d’auto‑esclavage.

Enfin, un compte séparé permet d’éviter la confusion entre le patrimoine privé et le patrimoine professionnel et de faciliter les contrôles, comme le soulignent certaines contributions à la consultation organisée par le Gouvernement. C’est pourquoi nous souhaitons supprimer cet article.

M. Dominique Potier. Je sais, pour avoir pu consulter, en tant que président, les archives d’un groupement de développement agricole, que, dans les années 1960, on apprenait aux exploitants de fermes familiales à séparer les comptes. Quelle régression, tout de même ! Par ailleurs, lors de l’examen de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », nous avions débattu pendant plus de deux heures d’une proposition identique, émanant là aussi de Bercy, et nous l’avons rejetée à l’unanimité. Enfin, je rejoins M. Fasquelle et nos amis de La France insoumise : il faut négocier avec les banques. Vous l’avez fait avec succès pour les ménages les plus endettés, monsieur le ministre, et nous vous en félicitons. Nous comptons sur vous pour obtenir d’elles, d’ici à la discussion en séance publique, le second compte à un euro !

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. Il s’agit d’une mesure de simplification pour les entrepreneurs qui réalisent un chiffre d’affaires très faible. À ceux qui parlent d’« auto-esclavage », je rappelle que nombre de ces entrepreneurs ont une double activité et qu’ils vivent souvent fort bien, au sens où ils se réalisent dans un métier complémentaire. Il faut relativiser la portée de cette mesure. Les sommes en jeu ne sont pas considérables : il s’agit, en moyenne, de quelques centaines d’euros mensuels dont la traçabilité est relativement aisée à établir.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’ai écouté attentivement les suggestions de M. Potier. Je le laisserais volontiers négocier avec les banques. Il pourra ainsi constater combien c’est plaisant et facile…

La question du compte bancaire dédié pour les micro-entrepreneurs met en jeu des principes de philosophie politique et économique importants. Tout d’abord, l’idée générale selon laquelle il convient de séparer les comptes personnels des comptes professionnels est importante, car cette distinction protège les entrepreneurs eux-mêmes ; j’y suis donc attaché. Ensuite, le seuil de 5 000 euros annuels est-il le plus pertinent ? Peut-être pas, car cela correspond à un chiffre d’affaires extrêmement modeste. Autant je serai défavorable aux amendements qui viseront à supprimer ce seuil, et donc l’obligation pour les micro‑entrepreneurs d’avoir un compte dédié, autant je pense que relever ce seuil, comme cela va être proposé, dans des limites raisonnables pour simplifier la vie de ces derniers me paraît la meilleure option.

Mme Laure de La Raudière. Je voudrais apporter mon soutien à l’article 12, contre les amendements qui tendent à le supprimer. J’irai, en effet, dans le même sens que le rapporteur et le ministre : lorsque l’on réalise moins de 5 000 euros de chiffre d’affaires dans le cadre d’une auto-entreprise, il s’agit clairement d’une activité complémentaire ou non pérenne – cela signifie qu’il va falloir trouver une autre profession et un autre salaire. Il est positif de permettre la création très rapide d’une entreprise sans avoir à attendre l’ouverture d’un compte bancaire professionnel, avec les vérifications et le coût que cela représente.

Les personnes concernées sont souvent des étudiants ou des retraités qui exercent une activité complémentaire, et qui déclarent leurs factures en ligne afin de payer les charges sociales. Ce qui a été dit sur les impôts et la fraude fiscale n’est donc pas vrai, je suis désolée de le souligner. La déclaration a lieu pour les charges sociales, sinon on n’adopterait pas le statut d’auto-entrepreneur : on travaillerait au noir. Quand on s’est déclaré, on n’est pas là pour frauder, bien au contraire. C’est pourquoi je soutiens l’idée d’un seuil en deçà duquel on ne serait pas obligé d’avoir un compte bancaire séparé.

M. Damien Adam. Certains disent qu’il est très bien d’avoir un compte professionnel séparé et dédié, notamment pour des questions de capital, mais nous parlons en l’occurrence de micro-entrepreneurs qui réalisent moins de 5 000 euros de chiffre d’affaires, par exemple des gens qui vendent des bijoux sur des marchés ou sur internet, et qui gagnent quelques dizaines d’euros par mois. Il ne s’agit pas de grandes entreprises ayant du capital et des immobilisations : cela n’a rien à voir. Cela ne me choque donc pas du tout que l’on supprime l’obligation d’avoir un compte dédié à partir du moment où c’est un revenu complémentaire qui est concerné. Comme Adrien Quatennens l’a souligné, un compte bancaire professionnel a un coût de 240 euros par an, alors que les micro-entreprises réalisent en moyenne 1 000 euros de chiffre d’affaires : cela leur coûte un quart de ce qu’elles gagnent, ce qui est colossal. Il faut supprimer cette obligation afin qu’un maximum de chiffre d’affaires puisse finir dans les poches des micro-entrepreneurs sous forme de pouvoir d’achat. Je suis donc favorable au maintien de l’article 12.

M. Vincent Descoeur. Ce ne sont pas obligatoirement des comptes professionnels : on peut avoir deux comptes distincts sans acquitter la somme de 240 euros qui a été citée. Replaçons les choses dans leur contexte. J’entends les arguments du ministre, mais l’ambition du texte est de doper la croissance, et je ne vois pas très bien en quoi le fait de dispenser les micro-entrepreneurs d’avoir un deuxième compte va révolutionner la situation.

M. Pierre Dharréville. J’ai plutôt apprécié le défi lancé par Dominique Potier au ministre et j’aimerais avoir quelques précisions. Si l’on veut vraiment simplifier la vie des gens, malgré toutes les réserves que l’on peut avoir sur l’utilisation du statut dont nous parlons – il mériterait sans doute quelques limites –, je crois qu’il serait préférable d’ouvrir un droit à avoir un compte séparé. C’est plutôt dans cette direction qu’il faudrait aller.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Si vous voulez inciter les banques à réduire leurs tarifs, il faut adopter cet article du projet de loi : elles voudront conseiller aux micro-entrepreneurs d’avoir deux comptes séparés et elles seront bien obligées de baisser leurs tarifs sur le deuxième. C’est ça, la responsabilisation des acteurs. On peut créer un droit au compte et imposer des devoirs aux banques, mais il est également possible d’inciter les acteurs à adopter certains comportements. C’est ce que nous ferons en l’occurrence.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS2014 de M. Philippe Bolo, CS447 de M. Éric Girardin, CS1890 et CS1891 de Mme Valérie Oppelt.

M. Jean-Paul Mattei. Je vais retirer l’amendement CS2014 qui tend à supprimer pour tous les micro-entrepreneurs, quel que soit le montant de leur chiffre d’affaires, l’obligation de détenir un compte bancaire dédié à leur activité professionnelle. Comme l’a indiqué le ministre, je crois qu’il faudrait peut-être réfléchir au seuil de 5 000 euros : il se pourrait qu’il soit un peu bas par rapport à la notion d’auto-entrepreneur, qui est notamment définie en référence à un chiffre d’affaires.

M. Éric Girardin. Je retire l’amendement CS447 au profit de l’amendement CS1535 de M. Taquet qui viendra ensuite en discussion.

Mme Valérie Oppelt. L’amendement CS1890 vise à maintenir, pour les micro-entrepreneurs, les conditions actuelles de création d’un compte dédié à l’activité professionnelle, tout en proposant des services bancaires plus adaptés à leur situation et en limitant les coûts liés au fonctionnement d’un compte séparé. Par ailleurs, l’amendement CS1891 prévoit l’ouverture de négociations avec les banques.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que tout à l’heure.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même position.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS1535 de M. Adrien Taquet.

M. Adrien Taquet. Il faut peut-être commencer par rappeler ce que nous cherchons à faire : supprimer l’obligation de disposer d’un compte séparé. L’amendement que nous avons déposé vise à porter le seuil à 10 000 euros de chiffres d’affaires pour les micro‑entreprises, conformément à l’objectif du projet de loi, qui est de simplifier la gestion.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. J’émets un avis favorable car nous resterons dans des limites qui me paraissent tout à fait raisonnables.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis favorable : cette option, dont nous avons déjà parlé, me paraît la bonne. Le seuil me paraît plus raisonnable, en effet.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1182 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. C’est un amendement de bon sens que je vous propose. Quand on crée son entreprise, on sait qu’il y a un seuil de 5 000 euros au-delà duquel on doit détenir un compte séparé, mais on peut l’oublier au bout de cinq ou six ans d’activité. Il serait bon que l’administration adresse un rappel par voie électronique ou par SMS.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cela part d’une bonne intention, mais je ne suis pas certain qu’une telle proposition relève de la loi. Je suggère donc de retirer l’amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’intention est bonne, mais je pense, une fois encore, que cela ne relève pas de la loi. On pourrait agir sur le plan réglementaire : les micro-entrepreneurs seraient avertis via le site internet des unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de leur obligation d’avoir un compte bancaire séparé lorsque leur chiffre d’affaires est supérieur à 10 000 euros, compte tenu de l’amendement qui vient d’être adopté. Je propose donc à Mme Laure de La Raudière de retirer le sien.

Mme Laure de La Raudière. Je trouve que ce serait une très bonne solution. Pensons-y vraiment…

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1421 de M. François Ruffin.

M. Adrien Quatennens. Nous souhaitons apporter une solution au problème évoqué par l’article 12 du projet de loi, dont l’objectif affiché est de réduire les charges des entrepreneurs, un compte professionnel dédié coûtant en moyenne 240 euros par an. Je précise que la question des frais bancaires concerne l’ensemble des Français, notamment les plus pauvres d’entre eux, qui doivent payer des fortunes à cause des incidents de paiement. Nous proposons d’obliger les banques à proposer à leurs clients qui sont des travailleurs indépendants des comptes dédiés à un prix raisonnable. Nous souhaitons qu’il y ait une étude du coût de gestion induit par la création d’un compte dédié, à côté du compte personnel, afin d’estimer le montant des tarifs et des services de base associés.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je n’ai aucun doute sur le fait que les banques vont proposer d’ouvrir des comptes. Il n’est donc pas nécessaire d’inscrire cette obligation dans la loi, comme votre amendement le propose. Ainsi que le rapporteur général l’a souligné tout à l’heure, le texte que nous allons adopter va conduire la concurrence à jouer et les prix seront nécessairement revus à la baisse. Par conséquent, avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le combat pour la baisse des frais bancaires et des frais d’incidents bancaires – ce sont deux questions différentes – constitue un combat permanent. J’ai commencé à le livrer en ce qui concerne les incidents bancaires : nous avons trouvé un accord sur une « offre spécifique », qui sera d’ailleurs placée sous votre surveillance. Pour 350 000 clients, qui sont les plus démunis, les frais d’incidents bancaires seront plafonnés à 200 euros par an. Nous allons poursuivre les discussions sur les frais bancaires, de manière plus générale, et il serait tout à fait possible d’aborder la question des micro-entrepreneurs dans le cadre des échanges réguliers que nous avons : cela peut faire partie du débat. Je privilégie la discussion avec les représentants des banques à une obligation législative immédiate qui ne me paraît pas être la bonne méthode.

Mme Laure de La Raudière. Nous sommes passés très vite sur la question du relèvement du seuil de 5 000 à 10 000 euros. Il me semble qu’il existe aussi un seuil de déclaration de 5 000 euros pour les particuliers qui achètent ou vendent sur internet, souvent sous le statut d’auto-entrepreneur. Au lieu de multiplier les seuils, essayons de simplifier la situation en instaurant une convergence.

M. Pierre Dharréville. Je regrette que le ministre n’ait pas suffisamment confiance en lui : il peut réussir dans ce qu’il nous a dit entreprendre à l’égard des banques et une obligation aurait pu être maintenue dans ce cadre. Si la discussion s’engage, il me semble que le rapport de forces n’est pas en faveur des banques, car elles ont commis des actes qui leur sont très largement reprochés.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

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*     *

Après l’article 12

La commission est saisie de l’amendement CS1835 de M. François Ruffin.

M. Adrien Quatennens. Nous avons repris un amendement déposé dans le cadre du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (EGALIM) par Charles de Courson et son groupe en vue de casser l’oligopole des centrales d’achats. Lorsque l’on évoque les obstacles que rencontrent les PME, en particulier ce qui les empêche de se développer et ce qui les conduit à la faillite, vous répondez que le problème vient des droits des travailleurs et des règles à respecter. Nous pensons au contraire qu’il résulte de l’écosystème imposé par les grandes entreprises du CAC 40, qui dominent les autres et, souvent, ne paient pas leurs factures. Comme le soulignait l’exposé des motifs de l’amendement déposé par notre collègue de Courson, la grande distribution est par ailleurs trop concentrée dans le domaine de l’alimentation : quatre centrales réalisent environ 90 % des achats aux fournisseurs.

Cette situation de concentration est totalement contraire au droit de la concurrence, qui ne peut être à géométrie variable, c’est-à-dire intransigeant avec les plus faibles, les producteurs, et conciliant avec les plus forts, la grande distribution. Pourtant, aucune mesure effective n’a été mise en œuvre par les autorités compétentes. Le rééquilibrage des relations entre les producteurs, les industriels et les distributeurs ne peut pas seulement reposer sur un observatoire des prix. C’est pourquoi nous proposons que l’Autorité de la concurrence fixe un seuil maximal de parts de marché au-delà duquel la concentration est interdite.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il est agréable de vous entendre reprendre des arguments qui ont été très brillamment développés, comme c’est souvent le cas, par notre collègue Charles de Courson. Néanmoins, c’est dans le projet de loi EGALIM que ces dispositions trouvent leur place – vous l’avez vous-même souligné. Ce texte n’a d’ailleurs pas encore été adopté définitivement par le Parlement. Nous n’avons pas vocation à prendre cette mesure dans le cadre qui est aujourd’hui le nôtre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous ne faisons preuve d’aucune faiblesse à l’égard de la grande distribution : j’ai récemment assigné en justice l’enseigne Leclerc, et nous sommes également intervenus lorsque d’autres enseignes revendaient du Nutella à perte. Comme je l’ai indiqué au début de nos travaux, je considère que faire respecter l’ordre public économique est un des rôles fondamentaux de l’État, et c’est ce que je fais. Dans le texte que mon collègue Stéphane Travert a défendu il y a quelques semaines, nous avons introduit des mesures permettant de renforcer le contrôle de la concentration au niveau des centrales d’achats, sur la base de propositions de Dominique Potier. J’estime que le travail a déjà été fait dans ce domaine : le renforcement du cadre a eu lieu, et nous prenons des décisions au niveau administratif pour assurer l’ordre public économique.

M. Daniel Fasquelle. Non, le travail n’a pas été fait, monsieur le ministre. J’ai vu l’amendement que M. Travert nous a présenté dans le cadre du projet de loi EGALIM : il est très insuffisant. Il demande en effet à l’Autorité de la concurrence d’appliquer les textes existants, qui ont été très souvent modifiés depuis trente ans sans que cela empêche la montée en puissance des centrales d’achats. Le rapport de force est très déséquilibré entre ces groupements qui sont aujourd’hui nationaux, et seront bientôt européens, et les PME que sont les producteurs. Comme ces derniers ne sont pas seulement agricoles, nous pourrions très bien en débattre dans le cadre de ce texte. Il faudra revenir encore et encore sur ce sujet jusqu’à ce que l’on trouve la solution : ne dites pas que le problème est réglé. Ce n’est pas vrai, et vous pourrez le constater dans les mois qui viennent.

M. Charles de Courson. Je voudrais d’abord féliciter notre collègue Quatennens de s’inspirer d’idées libérales relatives à la décartellisation, en reprenant un amendement que j’ai déposé il y a quelque temps. Cela vingt ans que je me bats sur ces questions… Le Gouvernement m’a demandé de retirer l’amendement en question pour introduire, à la place, quelques améliorations dans notre politique de la concurrence, mais cela ne résout pas le problème de fond. Je me tue à dire depuis des années que toutes les tentatives de contractualisation sont condamnées à l’échec tant que l’on n’aura pas décartellisé la grande distribution. Je m’adresse à l’ancien ministre de l’agriculture qui sommeille toujours un peu en vous.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il ne se contente pas de sommeiller ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Vous vous souvenez donc de la grande idée de la loi « Le Maire », adoptée lorsque vous étiez ministre de l’agriculture : il s’agissait de contractualiser. Cela n’a pas été une réussite, car on ne peut pas y arriver lorsque les situations sont à ce point disproportionnées. Les quelques filières agricoles où l’on a réussi sont celles où les producteurs se sont totalement cartellisés – et même eux ont du mal. On pourrait prendre le cas du sucre, par exemple…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Même si la loi « Le Maire » était vraiment passionnante, je ne pense pas que ce soit l’objet du débat, cher collègue. Le ministre souhaite-t-il répondre ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est un vrai débat, mais il y en a beaucoup dans ce texte et je vous propose donc d’y revenir lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi EGALIM. Je voudrais néanmoins confirmer que l’idée de la contractualisation était au cœur de la loi agricole que j’ai défendue. Je pense que l’on doit, en effet, mieux contrôler les centrales d’achats : ce sera l’objet de la discussion qui aura lieu la semaine prochaine dans le cadre du texte EGALIM. Je suis également convaincu qu’il faut permettre aux producteurs agricoles de se regrouper d’une manière beaucoup plus massive : je reconnais bien volontiers que si nous y sommes parvenus dans certaines filières, comme le sucre, la betterave et la viticulture, nous n’avons pas pu réaliser le regroupement en quatre grandes régions de production que je proposais dans d’autres secteurs, celui du secteur du lait étant malheureusement le plus emblématique. J’espère que nous y arriverons un jour, car c’est la condition d’une négociation équitable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1765 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Nous souhaitons lutter contre une pratique trompeuse, qui consiste à ajouter dans les pièces contractuelles un ensemble de prestations qui n’étaient pas mentionnées dans le devis. Ce genre de pratiques est particulièrement répandu dans la relation qui unit les « majors » du bâtiment et les PME sous-traitantes, avec des conséquences qui peuvent être dramatiques pour ces dernières. Lors d’une audition, nous avons recueilli le témoignage de M. Christophe Villemain, président-directeur général d’une PME spécialisée dans la restauration des monuments anciens : à l’occasion d’un contrat conclu avec une « major » du bâtiment, il nous a dit avoir signé un ensemble de pièces l’obligeant à la réalisation de prestations qui n’apparaissaient pas dans le devis initial. Il a fallu sept heures pour signer l’ensemble des pièces : « Ce sont des mètres cubes de documents », a déclaré M. Villemain. « On signe des pièces sans les lire. On signe notre arrêt de mort. On ne peut pas bloquer une semaine pour lire l’ensemble des pièces contractuelles, surtout quand il y a des pièges à l’intérieur. »

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Vous posez une vraie question, mais je note que les études réalisées sur les relations entre les fournisseurs et les clients, en particulier dans l’industrie, montrent une amélioration très importante : il y a de bonnes règles, qui sont appliquées, et les médiateurs jouent un rôle utile. Il reste néanmoins un certain nombre de secteurs où les pratiques sont vraiment très discutables et tendent à se généraliser, à cause de réseaux d’acheteurs qui se conduisent parfois un peu comme des mercenaires : ils passent deux ans chez un client et deux ans chez un autre, en se vendant en fonction des résultats obtenus et de la manière dont ils parviennent à pressurer les prix chez les fournisseurs. C’est un vrai problème. Je suis prêt à travailler sur un état des lieux et des préconisations avec ceux de nos collègues qui ont travaillé sur ce sujet, comme Jean-Paul Mattei. Je pense qu’il y a encore des marges de manœuvre importantes. Néanmoins, on est quand même très loin du texte dont nous débattons. J’émets un avis défavorable à l’amendement, mais avec une vraie ouverture sur la question.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même raisonnement et même avis que le rapporteur.

M. Adrien Quatennens. Vous ne pouvez pas dire que l’on n’est pas au cœur du sujet : c’est une mesure de simplification. Nous avons recueilli la parole d’entrepreneurs, de dirigeants de PME qui expriment des difficultés.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1770 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Nous souhaitons remédier au déséquilibre entre les « majors » et les entreprises sous-traitantes sur la question plus particulière de l’arbitrage. Il arrive aujourd’hui que les « majors » fassent figurer dans les contrats une liste d’arbitres auxquels les parties pourront recourir en cas de litige. Les entreprises sous-traitantes pourraient certes s’opposer à une décision unilatérale en renégociant cette clause du contrat, mais c’est l’éternelle histoire du petit contre le gros : l’entreprise sous-traitante se soumet aux conditions de la « major » pour ne pas perdre le contrat.

Nous demandons que les sous-traitants puissent également faire figurer des noms d’arbitres dans les contrats : le donneur d’ordres et le sous-traitant pourraient proposer chacun quatre noms d’arbitres. En cas de contentieux, ils devraient alors trouver un accord sur l’un d’entre eux. Cette disposition permettrait de rééquilibrer les relations entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants, mais aussi d’éviter les conflits d’intérêts. On imagine aisément, en effet, qu’un arbitre nommé unilatéralement par un donneur d’ordres soit réticent à mordre la main qui le nourrit.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Même avis défavorable que précédemment.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même position.

M. Jean-Paul Mattei. On ne peut pas se contenter de traiter par voie d’amendement le sujet de la sous-traitance : c’est une question globale, qui va au-delà du secteur du bâtiment et mérite une réflexion d’ensemble. Si nous essayons d’avancer par amendements, le travail ne sera pas complet et nous n’aurons pas suffisamment de recul sur un sujet qui est majeur pour notre économie, surtout si l’on veut faire évoluer nos entreprises en faisant passer certaines d’entre elles du statut de TPE à celui d’ETI.

M. Daniel Fasquelle. Je partage tout à fait ce que vient de dire Jean-Paul Mattei. Il y a une vraie lacune dans ce projet de loi : je l’ai dit lors de la discussion générale. La raquette a quelques trous, comme l’économie numérique et la transmission d’entreprises, mais je suis surtout très surpris que vous soyez passés complètement à côté de la sous-traitance. Pourquoi avez-vous écarté ce sujet ? Est-ce pour le traiter plus tard ? Sinon, et même si cela me semble un peu compliqué, que peut-on encore faire d’ici à la séance ? C’est une vraie question et il y a tout un travail à réaliser sur le plan de la simplification.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1116 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Cet amendement a pour objet de supprimer une formalité pour les entreprises constituées sous forme sociétaire qui comptent moins de vingt-et-un salariés et sont directement et exclusivement détenues par des personnes physiques : ce n’est pas dans ces petites sociétés que la question du blanchiment d’argent se pose.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs, la commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1834 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Grâce à l’amendement que nous vous proposons, le non-respect des règles du code du travail, notamment en matière de temps de travail, pourra être sanctionné par une amende en cas de récidive ou lorsque le manquement est délibéré et particulièrement important. Lors d’auditions de chefs d’entreprise du secteur du bâtiment, il nous a été rapporté que des patrons employant des travailleurs détachés imposent des dépassements très importants du temps de travail hebdomadaire, pour un salaire inchangé. Cela met en danger des travailleurs vulnérables, tout en constituant une concurrence déloyale à l’égard d’autres entreprises qui respectent les règles du code du travail.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Là encore, l’amendement n’a pas de rapport direct avec le projet de loi. J’émets donc un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CS1824 et CS1828 de M. Adrien Quatennens.

Elle examine ensuite l’amendement CS1513 de Mme Anne Genetet.

Mme Anne Genetet. Cet amendement concerne ceux que l’on appelle les « travailleurs nomades digitaux », et qui sont de jeunes talents formés en France et désireux de poursuivre leur activité sur un mode un peu « aventurier » en partant à l’étranger pour acquérir une expérience qui sera ensuite très utile dans notre pays. Il serait souhaitable que ces jeunes puissent s’enregistrer en France en tant qu’auto-entrepreneurs sur la présentation d’un justificatif de domicile à l’étranger, ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle. Ces personnes cotisent pourtant chez nous, y paient leurs impôts et y facturent en euros ou en devises étrangères. Nous avons tout intérêt à conserver ces travailleurs dans notre giron. Je voudrais également souligner que certaines entreprises françaises peu scrupuleuses, voire véreuses, se permettent d’employer ce genre de jeunes en les payant au noir dans des arrière-salles de cafés douteux à l’étranger : nous devons lutter contre ce phénomène.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Nous avons évoqué ce sujet lors de l’examen du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) : je crains qu’être enregistré dans le registre consulaire des Français établis hors de France ne constitue pas une garantie suffisante. Par conséquent, avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’idée n’est pas mauvaise, mais elle ne relève pas de la loi. Je vous propose de retirer l’amendement en m’engageant, de mon côté, à vérifier si des mesures non législatives doivent être prises pour faciliter les démarches de ces entrepreneurs.

L’amendement est retiré.

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Article 12 bis (nouveau)
Rapport du Gouvernement au Parlement sur l’entrepreneuriat féminin

Introduit suite à l’adoption unanime de deux amendements identiques de notre collègue Fadila Khattabi et du groupe La République en Marche ainsi que M’jid El Guerrab, le présent article demande au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 1er janvier 2020, un rapport « sur l’entreprenariat féminin en France et la possibilité de mettre en œuvre des actions au niveau national visant à accompagner les femmes créatrices d’entreprises ».

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La commission est saisie des amendements identiques CS1541 de M. Adrien Taquet et CS1815 de M. M’jid El Guerrab.

Mme Fadila Khattabi. Bel amendement que l’amendement CS1541 qui propose la remise d’un rapport sur l’entrepreneuriat féminin en France !

Il devra cerner les nombreuses contraintes auxquelles sont confrontées les femmes ayant créé ou voulant créer leur entreprise mais aussi et surtout définir les actions à mettre en œuvre pour les accompagner au mieux.

Elles représentent un atout pour notre économie. Aujourd’hui, 30 % des entreprises créées sont dirigées par des femmes, mais 44 % d’entre elles estiment que les échecs à la création d’entreprise s’expliquent par un manque de financement, le montant du capital investi étant inférieur à ce qu’il est pour les entreprises créées par des hommes.

Cet amendement s’inscrit parfaitement dans l’action de la ministre chargée de l’égalité hommes-femmes qui a signé le 6 octobre dernier un accord-cadre visant à créer un réseau dédié aux femmes créatrices d’entreprise.

M. M’jid El Guerrab. L’entrepreneuriat féminin en France peine à progresser. Si dans notre pays les femmes qui travaillent sont nombreuses, avec 48 % de la population active totale, elles sont minoritaires quand il s’agit de créer leur propre entreprise puisqu’elles ne sont à l’origine que de 30 % des entreprises créées.

L’entrepreneuriat féminin est pourtant un puissant levier de croissance et de compétitivité. D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la croissance en France pourrait, grâce à la parité dans le travail et l’entrepreneuriat, progresser de 9,4 % en vingt ans. En outre 69 % des femmes pensent que la création d’une entreprise est plus épanouissante que le salariat.

Cet amendement propose qu’un rapport dresse un état des lieux de l’entrepreneuriat féminin en France et formule des propositions pour encourager son développement.

M. Roland Lescure, rapporteur général. S’agissant des demandes de rapport, j’ai tendance à renvoyer à un amendement-balai qui évaluera l’ensemble de la loi, mais pour ce sujet particulier, ma position est différente. Nous touchons là à l’une des grandes causes du quinquennat. Les données sont insuffisantes et il faut travailler pour mieux analyser ce phénomène nouveau que nous devons encourager.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis très favorable à ces amendements.

L’entrepreneuriat féminin continue de se heurter à des obstacles scandaleux. Les femmes entrepreneurs témoignent toutes de la même chose : regards désobligeants, banques qui expliquent qu’on ne peut leur faire confiance, partenaires qui refusent de les suivre dès lors qu’il ne s’agit pas d’une micro-entreprise. Il s’agit d’obstacles de nature culturelle qu’il faut absolument faire tomber.

Je souhaite que le rapport établisse un constat qui soit le plus clair possible et surtout qu’il aboutisse à des propositions fortes.

La commission adopte les amendements à l’unanimité.

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Article 13
(articles L. 710-1, L. 711-3, L. 711-7, L. 711-8, L. 711-16, L. 712-6, L. 71315,
L. 713-17 du code de commerce)
Modernisation du réseau des chambres de commerce et dindustrie

Le présent article modifie le livre VII du code de commerce afin d’accompagner la transformation de l’offre de service des chambres de commerce et d’industrie (CCI) voulue par le Gouvernement.

A.   L’État du droit

1.   Un champ d’intervention très vaste

Les missions confiées aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) sont précisées, sans pour autant y être présentées de façon limitative, par l’article L. 710-1 du code de commerce.

Missions des chambres de commerce et d’industrie
(extraits de l’article L. 710-1 du code de commerce)

« Dans le cadre des schémas sectoriels qui lui sont applicables, chaque chambre de commerce et dindustrie peut ainsi assurer :

« 1° Les missions dintérêt général qui lui sont confiées par les lois et les règlements ;

« 2° Les missions dappui, daccompagnement, de mise en relation et de conseil auprès des créateurs et repreneurs dentreprises et des entreprises, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en matière de droit de la concurrence ;

« 3° Une mission dappui et de conseil pour le développement international des entreprises et lexportation de leur production, en partenariat avec lagence mentionnée à larticle 50 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 ;

« 4° Une mission en faveur de la formation professionnelle initiale ou continue grâce, notamment, aux établissements publics et privés denseignement quelle crée, gère ou finance ;

« 5° Une mission de création et de gestion déquipements, en particulier portuaires et aéroportuaires ;

« 6° Les missions de nature marchande qui lui ont été confiées par une personne publique ou qui savèrent nécessaires pour laccomplissement de ses autres missions ;

« 7° Toute mission dexpertise, de consultation ou toute étude demandée par les pouvoirs publics sur une question relevant de lindustrie, du commerce, des services, du développement économique, de la formation professionnelle ou de laménagement du territoire, sans préjudice des travaux dont elle pourrait prendre linitiative. »

Il y est notamment affirmé leur qualité de « corps intermédiaire de lÉtat » et leur fonction de représentation des intérêts de l’industrie, du commerce et des services auprès des pouvoirs publics ou des autorités étrangères.

Il y est également précisé qu’elles contribuent « au développement économique, à lattractivité et à laménagement des territoires ainsi quau soutien des entreprises et de leurs associations » en remplissant « toute mission de service public et toute mission dintérêt général nécessaires à laccomplissement de ces missions ».

Mêlant à la fois missions dintérêt général et activités concurrentielles, les missions des CCI peuvent être regroupées en quatre grands axes, selon la nomenclature analytique qu’elles ont adoptée :

1° Lappui aux entreprises comprend neuf programmes. Cette mission est véritablement le cœur de métier des CCI. Elle comprend, d’une part, des activités de formalités (CFE, enregistrement des contrats d’apprentissage) et, d’autre part, de nombreuses aides aux entreprises, de la création au développement commercial ;

2° La formation et lemploi, avec sept programmes, comprend à la fois la formation professionnelle, l’apprentissage et la formation initiale. Le réseau assure la formation de 500 000 jeunes et adultes par an, compte 100 000 étudiants répartis dans 120 écoles supérieures et 80 000 apprentis dans 141 centres de formation d’apprentis (CFA) ;

3° Lappui aux territoires et la gestion des équipements comprend dix programmes. Il s’agit là, d’une part, d’activités d’information, de conseil et d’accompagnement des collectivités territoriales dans leurs démarches de développement économique et, d’autre part, de la gestion d’équipements. Les CCI gèrent ainsi 47 aéroports, 39 ports de commerce, 25 ports de plaisance mais aussi plusieurs centres d’affaires et parcs d’exposition ;

4° La représentation des entreprises auprès des pouvoirs publics, enfin, correspond à la mission historique des chambres.

Dans leur rapport d’information présenté en juillet dernier, nos collègues Stella Dupont et Valérie Oppelt, députées, avaient jugé le champ d’intervention des CCI « trop vaste et trop hétérogène » ([27]).

2.   Une ressource fiscale drastiquement diminuée depuis cinq ans

Pour l’exercice de leurs missions, l’article L. 710-1 du code de commerce prévoit que les chambres de commerce et d’industrie bénéficient des impositions qui leur sont affectées par la loi. En complément de ces ressources fiscales, ce même article prévoit que les CCI peuvent assurer le financement de leur activité par :

– la vente ou la rémunération d’activités ou de services ;

– les dividendes et autres produits des participations qu’elles détiennent dans leurs filiales ;

– les subventions, dons ou legs qui leur sont consentis ;

– toute autre ressource légale entrant dans leur spécialité.

Les ressources fiscales des CCI, par le biais de la taxe pour frais de chambre (TFC), ont été considérablement baissées à partir de 2013 par le législateur, afin d’associer les CCI à l’effort de baisse de la sphère publique.

La TFC a ainsi été réduite de 638 millions, soit une baisse 45 % en cinq ans. Le total de cette ressource devrait s’établir ainsi à 775 millions d’euros pour 2018, contre 1,3 milliard d’euros en 2013.

À cette baisse continue de la TFC se sont en outre ajoutés deux prélèvements exceptionnels, en 2014 et 2015, d’un montant total de 670 millions d’euros, dont un prélèvement sur fonds propres de 500 millions d’euros.

La TFC ne représente désormais plus la première ressource du réseau des CCI, sa part s’établissant à 31 % du total de ses ressources. Elle finance essentiellement la mission d’appui aux entreprises (66,4 %) et, de façon plus marginale, la mission formation et emploi (24,9 %). Cest le chiffre daffaires, obtenu principalement dans ses activités de formation et de gestion déquipements qui apporte au réseau lessentiel de ses ressources : 1,1 milliard d’euros en 2017, soit 38 % du total.

Ces ressources sont complétées par diverses subventions publiques, le produit de la taxe d’apprentissage ainsi que les produits d’exploitation et les produits financiers pour porter le total du réseau à 2,8 milliards d’euros en 2017, contre 3,9 milliards d’euros en 2013.

3.   Une transformation du réseau à accomplir

La baisse continue de la ressource publique depuis cinq ans, dans un contexte de contrainte budgétaire extrêmement forte, a eu « pour effet immédiat de réduire drastiquement le niveau des fonds propres des CCI » ont relevé nos collègues Stella Dupont et Valérie Oppelt dans leur rapport d’information précité. Aussi, le plan pluriannuel d’investissement 2012-2017 du réseau a dû être revu à la baisse et près de 350 millions d’euros d’investissements ont été abandonnés.

Le problème est que la baisse de la ressource fiscale na pas été compensée par les CCI par une hausse de leur chiffre daffaires, bien au contraire : celui-ci a également baissé durant cette même période. Du fait notamment des règles de mise en concurrence et des réformes portuaires et aéroportuaires, l’implication des CCI dans la gestion de ces équipements a par exemple fortement chuté et ne leur a pas permis de développer leurs activités concurrentielles.

Alors que leurs activités de nature marchande sont de plus en plus diverses et devraient être appelées à se développer, les CCI font en effet face à une contestation à exercer ce type d’activités, notamment de la part d’opérateurs privés, alors même qu’elles respectent les règles de concurrence qui leur sont applicables tant par le code de commerce que par la réglementation européenne.

Comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi (p. 171), « le principe de spécialité qui sapplique aux établissements publics leur interdit dexercer des activités extérieures à leur mission, sauf si celles-ci constituent le complément normal de leur mission principale, et si elles sont à la fois dintérêt général et directement utiles à laccomplissement de leurs missions ».

Lors de l’assemblée générale extraordinaire de CCI France, mardi 10 juillet 2018, le ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, a présenté les principales orientations du gouvernement pour moderniser le réseau des CCI. Il a, à cette occasion, demandé aux CCI un effort important déconomies en annonçant une baisse de 400 millions deuros sur quatre ans de la TFC.

C’est pourquoi il est indispensable que les CCI puissent adapter leurs missions et leurs prestations afin de pouvoir se développer plus massivement dans le champ concurrentiel. Lors de son audition par la commission spéciale, le 18 juillet dernier, le ministre a très clairement fixé le cap. Il consiste à dire aux CCI : « Ce qui était autrefois financé par une taxe affectée, vous devrez le financer par des prestations que vous offrirez aux entreprises, et ce sont les entreprises qui financeront ces prestations. » ([28])

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article a pour objet, selon l’étude d’impact du projet de loi, de « permettre aux CCI de sécuriser les conditions dans lesquelles elles pourront développer leurs missions et dassurer leur pleine capacité à exercer à la fois des services dintérêt général, et des activités concurrentielles dans les mêmes conditions que pour les autres établissements publics habilités à le faire ».

Il répond au vœu exprimé par le réseau lors de l’assemblée générale de CCI France, le 6 mars 2018, où une délibération adressait au gouvernement le souhait de « pouvoir exercer des missions de service public et des services dintérêt économique général de façon sécurisée » et de pouvoir « développer parallèlement des prestations à valeur ajoutée dans un cadre juridique sécurisé. »

● Pour cela, il modifie tout d’abord l’article L. 710-1 du code de commerce, relatif aux missions des CCI afin de préciser leur champ de compétences.

L’alinéa 3 modifie la définition des missions d’intérêt général accomplies par les CCI pour en restreindre le champ aux seules missions « directement utiles à laccomplissement » de leurs missions, et non plus simplement « nécessaires », comme dans la rédaction actuelle.

Dans le même temps, les alinéas 5 et 8 autorisent explicitement les CCI à exercer des activités de nature concurrentielle afin de leur permettre de se développer dans ce secteur : le mot « marchande » est ainsi remplacé par le mot « concurrentielle ».

Lalinéa 4 encourage les CCI à développer plus avant, selon la volonté du Gouvernement, leurs offres de service dans le domaine numérique. Cela permettra notamment de poursuivre le déploiement de leur plate-forme nationale de services « CCI Store », qui proposera à terme aux entreprises deux cents e-services en ligne.

● Pour accompagner cette transformation, et leur permettre de lutter à armes égales dans le secteur concurrentiel, l’alinéa 7 autorise l’ensemble du réseau des CCI à recruter des personnels de droit privé.

Le personnel administratif des CCI, du fait du statut d’établissement public de ces dernières, est en effet aujourd’hui majoritairement composé d’agents de droit public sous statut : 20 054 équivalents temps plein (ETP) au 31 décembre 2016. Mais les CCI territoriales, du fait de leur activité de concessionnaires de services publics industriels et commerciaux, emploient également des personnels de droit privé, soit 3 500 ETP.

Il est donc proposé de leur ouvrir plus largement cette possibilité, pour l’exercice de l’ensemble de leurs missions.

● Enfin, cet article rend obligatoire le recours au vote électronique pour les opérations de renouvellement général des membres des CCI (alinéas 19 et 20).

Cette dématérialisation permettra de sécuriser les opérations électorales – le vote par correspondance faisant l’objet de fraudes régulières – de limiter le contentieux et de diminuer le coût des élections.

C.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté un amendement de notre collègue Jean-Marc Zulesi et du groupe La République en Marche, qui donne la possibilité aux CCI métropolitaines d’agir en tant qu’agences de développement économique des métropoles, alors que cette compétence est aujourd’hui réservée aux seules CCI régionales.

*

*     *

La commission examine les amendements identiques CS1422 de M. Adrien Quatennens et CS2131 de M. Dominique Potier.

M. Adrien Quatennens. Par cet amendement CS1422, nous proposons de supprimer l’article 13, qui ouvre la possibilité aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) de recruter des personnels de droit privé et qui prévoit que les missions de nature marchande, c’est-à-dire payantes, devront être non plus « nécessaires » mais « directement utiles » à leurs missions d’intérêt général. Le Conseil d’État a souligné que « ces modifications sont apportées à des dispositions dont la rédaction et l’articulation demeurent insatisfaisantes en termes d’intelligibilité de la loi ». Bref, on ne voit pas très bien ce que cela signifie et ce que cela va changer, mais on comprend la logique qui anime le Gouvernement.

Dans le prolongement des baisses de ressources publiques qui ont frappé les CCI ces dernières années, le Gouvernement, par votre voix, monsieur le ministre, a annoncé une nouvelle réduction de leur budget d’ici à 2022 qui s’élèvera à 400 millions d’euros. Rappelons que leurs ressources fiscales ont baissé de plus de 40 % depuis 2013 et qu’elles ont subi en 2014 et 2015 deux prélèvements exceptionnels. Votre logique consiste à les inciter à se financer elles-mêmes en vendant des produits sur des marchés concurrentiels.

Ce n’est pas la vision que nous défendons. S’il est nécessaire de revoir profondément la gouvernance et les missions des CCI, nous considérons qu’il faut préserver leurs missions de service public. Il importe plus que jamais d’accompagner les chefs d’entreprise et de donner du pouvoir aux salariés.

M. Dominique Potier. Nous considérons que le Gouvernement a choisi une méthode digne de Gribouille. Peut-être y a-t-il des économies à faire car il règne un certain désordre dans les missions de conseil et d’accompagnement pour les entreprises mais les choix opérés aujourd’hui sont de mauvaises économies.

La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (« NOTRe ») a créé une configuration territoriale et institutionnelle marquée par une émergence des métropoles, des regroupements de communes sous des formes diverses et une affirmation des régions en tant que chefs de file en matière économique. Partout se fait sentir un appétit des collectivités d’accompagner l’essor économique. Certaines chambres continuent de former des doublons, scindées qu’elles sont entre chambres des métiers et chambres de l’industrie. Sans doute aurait-il fallu mettre au pied du mur l’ensemble des parties prenantes en organisant une conférence des solutions entre les métropoles, les régions et les CCI pour établir un nouveau modèle qui permette à la puissance publique d’être plus efficiente sur le terrain, au service des entreprises.

Au lieu de cela, vous vous contentez d’un coup de rabot en enlevant 400 millions d’euros aux CCI qui assurent leurs missions de conseil selon des principes d’équité et d’universalité. C’est une mauvaise manière de procéder.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Rappelons quel est l’objectif de l’article 13.

La diminution des ressources des CCI est un mouvement qui a été engagé depuis des années et qui porte sur plusieurs centaines de millions d’euros. Il se poursuivra dans les années qui viennent, dans les conditions que l’on sait. Il s’inscrit dans une logique de réduction de la dépense publique, qui relève de notre responsabilité collective.

Il faut considérer cela non comme une catastrophe mais comme une opportunité pour créer une dynamique nouvelle. À côté de leurs missions traditionnelles de service public, les CCI remplissent des missions d’accompagnement et de conseil destinées à un secteur commercial ou industriel particulier ou à une collectivité spécifique qui appellent rémunération. Que leur financement s’appuie sur ces ressources-là me paraît plutôt sain. Cela contribuera à rapprocher davantage les CCI des entreprises et des territoires.

Je suis donc défavorable à ces amendements de suppression.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je tiens à redire que je crois aux CCI. Le meilleur service à leur rendre – je l’ai dit aux présidents de chambre que je suis allé voir au début de l’été –, c’est d’accompagner une transformation en profondeur.

La méthode de Gribouille dont parle M. Potier, c’est celle du gouvernement précédent : il a réduit leurs crédits de 1,4 milliard d’euros à 925 millions d’euros sans avoir le courage d’aller les voir pour leur dire en face ce qui les attendait. On m’a reproché tout à l’heure de ne pas faire preuve de suffisamment d’audace mais moi, je suis allé voir les CCI – en tant qu’élu local, en tant que ministre de l’agriculture hier, en tant que ministre de tutelle aujourd’hui – pour leur expliquer que si elles ne se réinventaient pas, elles allaient disparaître. Nous le savons tous ici, pour peu que nous fassions preuve d’un minimum d’honnêteté. Que se passera-t-il si rien ne change ? Face à l’émergence des régions et des métropoles, on ne leur trouvera plus d’utilité et année par année, on les fera disparaître en utilisant la technique de l’« étrangleur ottoman », selon une formule chère à François Mitterrand (Sourires), pour les conduire insensiblement à une mort certaine.

Je préfère employer une autre méthode. Les CCI reposent sur un héritage qui remonte à François Ier. Nous y sommes tous très attachés : elles font partie de la vie des territoires. Mieux vaut mettre tout sur la table en leur expliquant que nous allons les réorganiser en profondeur : nous réduirons le montant de la taxe qui leur est affectée mais nous leur permettrons de se projeter dans l’avenir.

Cela suppose de toucher à trois composantes.

Il s’agit, en premier lieu, des missions. Les CCI devront en abandonner certaines sinon, je le reconnais bien volontiers, elles n’y arriveront pas. Nous aurons un débat pour déterminer quelles seront ces missions.

Il s’agit, en deuxième lieu, de l’organisation. Pour qu’une organisation soit efficace, mieux vaut qu’il y ait une tête de pont, en l’occurrence CCI France. Elle devra avoir une autorité sur les CCI locales, ce qui se traduira par des éléments très concrets comme la nomination des directeurs généraux ou la péréquation des ressources. Ce sont, vous le voyez bien, des changements structurels : d’une logique de baronnies – expression que j’ai employée devant les CCI elles-mêmes –, nous passons à une logique de structuration globale du réseau.

Il s’agit, en troisième lieu, des statuts. Les modifier, c’est donner plus de liberté aux CCI dans leur organisation.

Avec l’article 13, nous proposons donc une réorganisation en profondeur des CCI qui touchent tout à la fois à leurs missions, à leur organisation et à leurs statuts. Je pense très sincèrement que c’est la condition de leur maintien sur notre territoire.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, je vous ai bien écouté : j’espère que tout cela n’est pas un prétexte pour demander aux CCI de faire des économies que l’État ne veut pas faire – nous savons que la même question se pose pour les communes et les intercommunalités qui subissent des baisses de dotations – mais je veux bien croire en votre bonne foi.

Revoyons les missions des CCI mais veillons à maintenir un accompagnement de qualité gratuit pour les créateurs d’entreprise, les petites entreprises et les porteurs de projets dans notre pays. Si vous voulez rendre tout payant, les conseils prodigués par les chambres consulaires ne seront plus accessibles qu’à quelques-uns au lieu de l’être à tous, comme c’est le cas aujourd’hui. Je tiens à ce service public – c’est mon côté gaulliste, sans doute.

Pour ce qui concerne l’organisation, faisons attention à maintenir leur ancrage dans les territoires : si vous regroupez tous les moyens des CCI au niveau national et dans quelques antennes régionales, leur présence sur le terrain, qui fait leur qualité aujourd’hui, sera perdue.

M. Nicolas Forissier. Monsieur le ministre, je suis sensible à ce que vous dites sur la nécessité de moderniser ces réseaux et de les responsabiliser. J’ai été moi-même membre de CCI pendant longtemps et je vous rejoins.

J’ai deux questions.

Comment intégrez-vous dans votre projet de réorganisation les nouvelles compétences dévolues aux conseils régionaux, en association avec les communautés de communes ou les communautés d’agglomération ? Nous voyons bien que des partenariats se nouent, de manière d’ailleurs différente selon les régions. Quelle place leur accorderez-vous ? C’est une question particulièrement importante pour le soutien à l’international des petites et moyennes entreprises, aspect peu évoqué.

Par ailleurs, jusqu’où êtes-vous prêt à aller en matière de mutualisation des missions entre chambres de commerce et de l’industrie et chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) ? Nos débats hier soir ont montré qu’il s’agissait d’un enjeu qu’il fallait garder en ligne de mire.

Enfin, je rejoins Daniel Fasquelle : cette réorganisation ne doit pas passer, comme toujours dans notre pays, par une recentralisation au détriment du terrain. Il faut garder cela à l’esprit, sinon nous irons à la catastrophe.

M. Vincent Descoeur. Monsieur le ministre, vous évoquez la réorganisation du réseau des CCI selon une logique de hiérarchisation. Il faut s’assurer de conserver un maillage territorial pour que les entreprises en milieu rural puissent continuer à bénéficier d’un accompagnement de qualité.

Les CCI territoriales ont conduit des actions exemplaires en termes de formation. Je citerai l’exemple de la CCI du Cantal qui a développé une formation dédiée à la fibre optique qui recrute bien au-delà des limites de la région. Si la CCI régionale avait eu la main sur cette formation, elle aurait sans doute été localisée à proximité de Clermont-Ferrand, voire de la métropole régionale qu’est Lyon. J’entends votre souci de rationalisation et j’ai évoqué cette préoccupation devant les présidents de chambres consulaires. À cet égard, la question de notre collègue Nicolas Forissier est fort juste : dans certains départements, ne pourrait-on pas imaginer des mutualisations entre CCI et CMA et non pas simplement une hiérarchisation au sein du réseau des CCI ?

Mme Valérie Oppelt. J’aimerais apporter mon témoignage, car j’ai la chance d’avoir mené avec Stella Dupont une mission d’information sur les CCI durant trois mois. Jusqu’à ces derniers temps, les CCI subissaient les coups de rabot, mais désormais elles sont actrices de leur transformation. Des groupes de travail, auxquels je participe, ont été mis en place autour des statuts, des ressources humaines, des missions et de la gouvernance. Ils sont très diversifiés et regroupent chefs d’entreprise, présidents de CCI territoriales et régionales ainsi que des syndicalistes. Les CCI sont animées d’une véritable volonté de se moderniser pour se concentrer sur l’accompagnement des entreprises.

M. Charles de Courson. En matière de CCI, les gouvernements, depuis sept ans, ne se sont pas honorés par leur constance. Sous l’ancienne majorité socialiste – je ne sais pas s’il y a encore des collègues socialistes dans la salle, M. Potier ne me semblant l’être qu’à moitié (Sourires) –, le Gouvernement les a ponctionnées de façon aberrante, menant une politique à la petite semaine.

Le nouveau gouvernement, monsieur le ministre, a eu des positions changeantes. Dans un premier temps, il a procédé à une diminution de leurs ressources dans la perspective de les stabiliser. À présent, il entend les réduire de 400 millions d’ici à trois ans. À taux inchangé, les CCI auraient subi une perte de 1,4 milliard d’euros. Connaissez-vous beaucoup de structures publiques dont on a réduit les ressources de l’ordre de 70 % ?

Si j’ai déposé quelques amendements, c’est que j’estime que le Gouvernement n’a pas donné d’outils de restructuration des chambres.

Nous avons parlé des outils juridiques lorsque nous avons évoqué les chambres de métiers. Pourquoi ne pas ouvrir la possibilité de fusions quand les CCI le souhaitent ?

Par ailleurs, il importe de passer à un régime de convention collective. On sait à quel coût se sont élevés les milliers de suppressions de postes du fait du statut – la rémunération des cadres supérieurs des chambres de commerce est très élevée, ce n’est un secret pour personne.

Enfin, reste une question : faut-il maintenir leur statut d’établissement public à caractère administratif (EPA) alors que la politique gouvernementale les pousse de plus en plus à se transformer en établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ?

Si nous répondions à toutes ces questions, nous pourrions véritablement accompagner la restructuration des chambres.

M. Dominique Potier. Je tiens à rassurer Charles de Courson, je ne me contente pas d’être à moitié : je suis pleinement – mais je ne dirai pas quoi ici… (Sourires.)

Ma remarque sur la méthode de Gribouille pourrait s’étendre, monsieur le ministre, à tous vos prédécesseurs à Bercy. À dessein, ils n’ont pas fixé de cap et ont procédé à une politique de coups de rabot.

S’il s’agit de moderniser l’appareil public, de supprimer des privilèges, de scinder les baronnies pour mettre en avant l’intérêt général, nous sommes prêts à vous suivre dans cette réorganisation. Je ne suis toutefois pas rassuré car il n’y a ni instruments ni calendrier. Je crains que des entrepreneurs fragilisés restent au bord de la route et que certains territoires soient abandonnés parce qu’ils ne bénéficieront plus d’accompagnements pour leurs entreprises. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement de suppression de l’article 13.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis heureux de constater que nous partageons les mêmes ambitions collectivement : celles d’avoir des chambres de commerce qui se renouvellent et qui soient présentes dans les territoires ruraux, ceux qui ont le plus de besoins, comme j’ai eu l’occasion de le dire à M. Descoeur lors de mon audition devant votre commission.

Je tiens à rendre un vibrant hommage à l’attitude responsable des présidents de CCI. Je ne connais aucune autre structure publique à qui il a été demandé des efforts aussi importants et qui aient joué le jeu de manière aussi constructive. Quand je suis allé à la rencontre des présidents de CCI au mois de juillet, je leur ai expliqué notre ambition, je leur ai proposé que nous avancions ensemble et j’ai été très impressionné par le caractère positif de leurs réactions. Vous avez donné les chiffres : 1,4 milliard d’euros pour atteindre au bout de sept à huit ans 400 millions au titre de la taxe affectée, soit un milliard d’euros de crédits en moins pour ces établissements publics.

Cela tient beaucoup au remarquable travail qui a été mené par Valérie Oppelt et Stella Dupont. Cela prouve que lorsque le Gouvernement travaille main dans la main avec les parlementaires, cela facilite les choses pour transformer le pays. Et j’aimerais redire ici que la transformation de notre pays dans laquelle nous sommes engagés avec le Président de la République et la majorité passe par un engagement collectif.

Monsieur Forissier, vous avez raison de dire que la priorité doit aller aux CCI dans les territoires les plus en difficulté, ceux où il y a moins de créations d’emploi, ceux qui sont confrontés à la désertification. La rapidité des évolutions démographiques des territoires a quelque chose de fascinant : certains départements voient leur population croître de 7 % chaque année quand d’autres en perdent, comme les Ardennes, département que j’aime beaucoup. Il s’agit non pas d’aller, à la hache, trancher dans le budget des CCI mais de leur permettre de se réinventer.

À cet égard, il faut tout mettre sur la table et discuter des missions comme de l’organisation territoriale. Je ne crois pas, je le dis tout de suite, qu’il y ait une seule organisation possible pour tous les territoires. Je ne pense pas qu’il faille imposer la fusion des CCI régionales à toutes les CCI territoriales. Dans certains cas, cela ne pourra pas se faire : il s’agira de laisser une forme de liberté. Il faut déterminer très précisément ce qu’implique de redonner du pouvoir à CCI France.

Autre sujet à mettre sur la table, monsieur de Courson : le statut des agents. Nous sommes en train d’en discuter avec les organisations syndicales. Nous devons voir avec elles ce qui est de nature à les rassurer.

La commission rejette les amendements.

La commission examine l’amendement CS225 de M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Je propose une légère modification de la rédaction de l’article 13, en cohérence avec les définitions du droit européen de la concurrence. Cet amendement précise que les missions d’intérêt général réalisées par les CCI peuvent être d’ordre économique ou non économique.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. On peut toujours préciser ce que sont les missions d’intérêt général, mais ce n’est pas normatif. Je ne vois pas bien l’intérêt de cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. Je vois bien quel est l’objectif de cet amendement car une telle précision avait été envisagée. Le Conseil d’État nous a confirmé qu’elle n’aurait pas de portée normative et qu’elle n’était donc pas nécessaire.

M. Charles de Courson. Si vous confirmez cette interprétation donnée par le Conseil d’État, notre amendement est satisfait et nous pouvons le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1545 de M. Adrien Taquet.

M. Jean-Marc Zulesi. Les métropoles étant compétentes en matière de développement économique de leur territoire, il est donc pertinent de leur permettre de s’appuyer sur les CCI métropolitaines pour exercer cette mission. C’est tout l’objet du présent amendement qui vise à permettre aux CCI métropolitaines d’agir en tant qu’agences de développement économique desdites métropoles.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable. Cet amendement illustre bien la façon dont les CCI doivent s’organiser et, peut-être, mieux coopérer avec leur environnement. Au cours des mois et des années à venir, CCI France devra assumer un leadership de plus en plus affirmé sur l’ensemble du réseau des CCI. L’organisation des CCI ne pourra pas être déconnectée de celle des collectivités en matière de développement économique, compte tenu des compétences exercées par les régions et les métropoles. Il me paraît donc sain que les CCI soient dans une logique de coopération avec les métropoles.

En Franche-Comté, nous avions mis en place un partenariat entre la CCI régionale et l’agence régionale de développement après avoir constaté que nombre d’initiatives et de missions des deux structures étaient redondantes, ce qui entraînait une dispersion des forces. Nous avons réorganisé complètement le système à travers une convention. Les deux structures ont alors pu conduire des actions complémentaires, dans une logique de gouvernance croisée permettant de partager les objectifs et de les faire vivre. Ce genre de modèle a vocation à se développer, d’une manière ou d’une autre, dans les régions, ce qui donnera aux CCI des moyens financiers supplémentaires pour assumer les missions qui leur auront été confiées.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur. Cette précision est intéressante. Le fait que les métropoles puissent s’appuyer sur le réseau consulaire, notamment pour leur action en matière de développement économique, peut être rappelé.

M. Charles de Courson. Nous sommes tout à fait favorables à cet amendement, tout en soulevant une question que j’ai déjà posée lors de la discussion générale sur l’article : ne faudrait-il pas transformer les CCI, qui sont des établissements publics administratifs (EPA) nationaux, en établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) locaux ?

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Locaux ou régionaux ?

M. Charles de Courson. En l’espèce, local signifie régional. En adoptant cet amendement, ne va-t-on pas dans le sens d’un EPIC local plutôt que d’un EPA national ?

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je ne le pense pas.

M. Charles de Courson. Si, cela n’a plus rien à voir avec un EPA ! Je pense que le ministre est ouvert à la discussion.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le ministre est ouvert à toutes les discussions… Je pense néanmoins qu’il faut bien comprendre comment les CCI vivent leur mission et que la transformation n’est possible que dans le respect des traditions des établissements. Si l’on brutalise, on se trompe et on échoue. Les CCI se voient, à juste titre, comme des établissements publics placés sous la tutelle de l’État, ayant un caractère administratif et des motifs d’intérêt général. C’est vraiment comme ça qu’elles se vivent.

L’une de leurs craintes – que je comprends – est de devenir des établissements de développement régionaux ou locaux. Pour en avoir discuté souvent avec elles, je sais qu’elles redoutent encore plus de finir par être fondues dans les régions. Il faut avoir cela à l’esprit. Je vais continuer les discussions avec elles, mais je pense qu’elles tiennent à garder un caractère d’établissement public administratif, ce que je peux comprendre.

Votre remarque n’est pas du tout infondée mais, compte tenu des traditions et de la culture des CCI, elle peut donner l’impression que tout cela pourrait mener à une fusion des CCI dans les régions, une hypothèse que j’ai écartée. Au départ, j’ai dit clairement aux CCI qu’il y avait deux grandes options. La première consistait à les rattacher définitivement aux régions par fusion, à régionaliser totalement. Les régions ayant une couleur politique, les CCI ont immédiatement rejeté cette option-là de manière très ferme. L’autre est celle sur laquelle nous sommes en train de travailler : les CCI restent sous la tutelle de l’État et elles gardent leur caractère d’établissement public administratif, mais on réorganise leur présence sur le territoire.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CS1080 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. Cet amendement propose de permettre aux CCI métropolitaines de pouvoir interagir et contracter directement avec Business France afin de mener des opérations de prospection à l’international et aussi d’attirer des investisseurs étrangers sur les territoires métropolitains qui n’ont pas toujours les mêmes attentes en termes de développement à l’international.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Rappelons que nous avons identifié Business France comme le partenaire privilégié des CCI régionales dans l’accompagnement des entreprises à l’export. L’idée est de concentrer les forces de Business France auprès des CCI régionales. Je ne pense pas que cet amendement soit nécessaire et, surtout, il risque de créer un peu de confusion autour du nouveau modèle d’affaire de Business France. Je suggère qu’il soit retiré.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS394 et CS393 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Ces amendements concernent un sujet que j’avais abordé lors de la discussion générale, en présence du ministre.

À partir du moment où l’on continue à réduire très fortement l’imposition additionnelle à la taxe professionnelle (IATP), il y a des licenciements, disons des dégagements d’effectifs très importants. Or le statut dont dépend la majeure partie du personnel n’est pas adapté. Puisque l’on veut que le financement repose davantage sur des prestations de service, la logique serait que le personnel des CCI soit sous convention collective, comme proposé par mon amendement CS394. Certains personnels – notamment ceux des secteurs portuaire et aéroportuaire – ont déjà des conventions collectives. Signalons au passage que ce changement permettrait de réduire le coût des réductions d’effectifs, de faire des plans sociaux comme on le fait dans les entreprises.

L’amendement CS393 tend à arriver au même objectif mais de manière plus progressive : seules les nouvelles recrues seraient sous convention collective, les personnels sous statut étant mis en extinction.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Soyons clairs : il est proposé que les recrutements se fassent de plus en plus sous contrat de droit privé.

À mon avis, la priorité doit être de réorganiser les CCI et de redéfinir leurs missions, pour des raisons financières mais aussi parce que le paysage des acteurs économiques s’est considérablement modifié. La loi « NOTRe » contribue à accélérer ce mouvement. Si nous voulons réussir cette mutation, je pense que nous n’avons pas intérêt à engager un Big Bang au niveau du statut des personnels. Il tétaniserait, il immobiliserait les agents et mettrait la réforme dans une situation difficile.

Je ne suis donc pas favorable à ces amendements, même si je suis convaincu qu’à terme le statut de droit privé sera dominant parmi les personnels des CCI.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis favorable à la position de Charles de Courson, mais je ne suis pas d’accord sur la méthode. Il me paraît prématuré de décider dès maintenant, par la loi, de ce que sera le type de statut des personnels des CCI, même si je suis favorable, sur le long terme, à cette possibilité de recrutement sous contrat de droit privé. Voyons quels garde-fous veulent obtenir les organisations syndicales. Laissons aux consultations et négociations que nous avons engagées le temps d’aller à leur terme avant de prendre une décision.

M. Charles de Courson. Même notre rapporteur, qui n’oublie pas son passé de syndicaliste – ce n’est pas un reproche, chacun a son passé –, est ouvert à ce changement de statut. À terme, il faudra y passer, a-t-il dit. Le ministre est encore plus ouvert puisqu’il dit qu’il faut aller dans cette direction. Je veux bien retirer ces amendements que j’ai présentés pour « pousser un peu le bouchon ». Lors d’une précédente réforme, il y a cinq ou dix ans, j’avais reçu tous les syndicats. Certains, notamment la CFDT, étaient ouverts. Même la CGT l’était, à ma grande surprise ! J’avais fait valoir qu’ils pourraient négocier des affaires au lieu de dépendre d’un statut complètement gelé. Souvenez-vous de la fameuse commission paritaire nationale…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Désolée de vous interrompre, monsieur de Courson, mais vous avez dépassé le temps imparti. Retirez-vous ces amendements ?

M. Charles de Courson. Je les retire.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS365 de M. Jean-François Cesarini.

M. Damien Adam. Dans cet article 13, il est permis aux CCI de recruter des personnels sous contrat de droit privé. Il est cependant précisé que les CCI territoriales auront la possibilité de le faire par délégation par rapport aux CCI régionales. Or il semble qu’une certaine autonomie des CCI territoriales doive être garantie, notamment dans le domaine des ressources humaines. C’est pourquoi cet amendement vise à permettre aux CCI territoriales de recruter des personnels de droit privé, sans en référer à la CCI régionale. D’où la suppression des mots « par délégation ».

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il n’est pas question de vassalisation mais, dans une logique de mutualisation, les CCI régionales soutiennent et encadrent les activités des CCI territoriales. Elles définissent la stratégie régionale et vérifient les budgets alloués aux CCI territoriales. Comme les CCI territoriales gèrent leur personnel par délégation des CCI régionales, elles devront donc bénéficier d’une délégation pour recruter des personnels de droit privé. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS366 de M. Jean-François Cesarini.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. J’approuve totalement le recentrage des CCI, car il leur permettra de continuer à exister. Sans vouloir opposer les CCI, il faut cependant souligner la différence qui existe entre celles des métropoles et celles des zones rurales. Au départ, les CCI ont été créées dans les territoires ruraux et les villes moyennes. Elles y jouent plus qu’ailleurs leur rôle historique car, dans nos territoires, nous n’avons pas les autres réseaux d’accompagnement des entreprises. Il faut rechercher la plus grande proximité possible afin d’éviter des zones blanches de l’accompagnement entrepreneurial C’est pourquoi CCI France doit s’engager à agir comme une véritable agence de cohésion des territoires, une régulatrice et surtout une garante de cette péréquation territoriale. Cet amendement vise à préciser, à l’alinéa 16 de l’article, ce rôle dans l’énoncé des missions CCI France.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il faut faire confiance aux CCI régionales, à CCI France et aux acteurs dans les territoires pour organiser au mieux le réseau consulaire en fonction des réalités. Faisons-leur confiance et ne cherchons pas à imposer des règles a priori. De plus, les réalités régionales et territoriales sont d’une telle diversité que nous aurions grand tort d’essayer d’imposer un modèle. En revanche, nous serons tous d’accord sur la nécessité d’avoir une répartition équilibrée, à l’image du tissu industriel et commercial sur le territoire. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vous propose de retirer votre amendement, qui est satisfait. L’article 13 permet de redéfinir le rôle de CCI France qu’à juste titre vous appelez de vos vœux.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. La région, c’est grand ; le département, c’est toujours mieux. La confiance n’exclut pas le contrôle. Il faut vraiment être vigilant parce qu’il y a des endroits où, malgré un encadrement, les choses ne se passent déjà pas comme elles le devraient. Cela étant, au vu des arguments du rapporteur et du ministre, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS43 de M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Les juges des tribunaux de commerce sont élus par les délégués consulaires, eux-mêmes élus tous les cinq ans par les entreprises ressortissantes des CCI. Depuis 2016, le réseau des CCI a amorcé une réflexion sur les évolutions souhaitables, afin d’améliorer le taux de participation, de simplifier le travail des services administratifs et de réduire les coûts supportés lors de ce double scrutin.

Afin de simplifier le dispositif et d’accompagner ces travaux, cet amendement propose de modifier le mode de désignation des juges des tribunaux de commerce. Ils seraient alors désignés par un collège composé des membres des CCI et des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA). Les conditions de ces désignations, leur fréquence et leur calendrier seraient fixés par décret en Conseil d’État.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cette proposition intéressante fait écho à nombreuses discussions avec les acteurs des CCI, dont certains pensent que le fait d’organiser ces deux élections conduit à une faiblesse de la participation. Elle suppose cependant l’ouverture d’un véritable chantier dont on ne peut, à ce stade, évaluer les moyens nécessaires et toutes les conséquences. Je vous propose de retirer cet amendement contre un engagement à travailler sur le sujet et à faire des propositions dans les mois à venir.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Cette idée très intéressante n’est pas encore totalement aboutie. Je suggère que nous y retravaillions ensemble afin de redéposer l’amendement dans le cadre de la séance publique.

M. Paul Christophe. Nous souhaitons être associés à ce travail et nous retirons cet amendement dans l’attente de notre prochain rendez-vous.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS443 de Mme Frédérique Tuffnell.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Comme dans le cas précédent, je souhaite le retrait de cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même suggestion de retrait, puisque nous nous sommes engagés à travailler sur ce sujet-là dans la perspective de la séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 13 modifié.

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*     *

Après l’article 13

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS186 de Mme Véronique Louwagie et CS759 de M. Daniel Fasquelle.

M. Nicolas Forissier. Cet amendement porte sur un sujet extrêmement important pour les entreprises et qui a tout à fait sa place dans ce projet de loi : les délais de paiement interentreprises, notamment ceux qui lient les grandes entreprises aux petites entreprises ou aux entreprises de taille intermédiaire (ETI).

En juillet, Véronique Louwagie vous avait demandé quelles étaient vos intentions en la matière, monsieur le ministre. C’est aussi le but de mon intervention. Selon l’Observatoire des délais de paiement, il manquait 15 milliards d’euros dans la trésorerie des PME en 2015, en raison des retards de paiement. Sur ce sujet majeur, quelles sont les intentions du Gouvernement ? Il serait bon pour nos entreprises de réaffirmer que le délai de paiement est fixé à trente jours, comme le propose cet amendement, et cela ne coûterait pas un centime à l’État.

M. Daniel Fasquelle. Mon collègue a très bien défendu cet amendement, si bien que je n’ai pas grand-chose à ajouter. C’est un sujet majeur. En 2015, 15 milliards d’euros manquaient à la trésorerie des TPE-PME. Si la loi PACTE veut vraiment s’occuper du sort des TPE-TPE et permettre leur développement, il faut que l’on continue le bon travail engagé dans la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008. Ce texte a permis de rétablir la trésorerie des petites entreprises mais il faut aller plus loin.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je vous confirme que c’est bel et bien notre objectif : la loi PACTE doit faciliter la vie des TPE-PME. Je laisserais le ministre s’exprimer mais nous ferons quelques propositions fortes sur lesquelles, en tant que présidente, j’ai porté un regard particulier.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que ce sujet, les délais de paiement, est extrêmement complexe et qu’il a de multiples incidences sur le financement des PME-TPE, sur leur trésorerie et sur les modalités de contrôle.

La LME a permis d’accomplir un progrès important qui est visible dans le dernier rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement. Peut-on faire mieux ? Certainement. Faut-il le faire maintenant dans le cadre de la loi PACTE ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il vaut mieux attendre 2019 pour ouvrir ce débat de manière approfondie, en mesurer toutes les conséquences, et tirer toutes les leçons de la LME avant d’aller plus loin.

Certaines choses seront faites immédiatement, non pas entre les grandes entreprises et les PME-TPE mais du côté de l’État. S’il y a bien un mauvais payeur, c’est l’État. Dans la loi PACTE, nous allons augmenter de 5 % à 20 % le montant des acomptes versés par l’État pour les marchés publics, au moment de la commande. Pour la trésorerie des PME et TPE, c’est un soulagement absolument considérable.

Pour le reste, je vous renvoie à l’année 2019 et à l’ouverture d’une vraie discussion sur les délais de paiement. Actuellement, le sujet n’est pas mûr pour que nous revoyions les dispositions. Je laisserais volontiers passer quelques mois avant de le remettre sur la table.

M. Nicolas Forissier. Monsieur le ministre, vous engagez-vous à associer tous les commissaires intéressés, quel que soit leur groupe, à la réflexion que vous allez lancer en 2019 ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Oui, bien sûr. Nous pouvons d’ailleurs engager la réflexion dès la fin de l’année 2018, cela ne me pose pas de problème. Pour l’avoir déjà amorcée, je sais que le sujet est extrêmement complexe et que les positions des différentes parties concernant l’amélioration de la LME sont parfois très contradictoires. Je pense qu’il nous faut donc prendre un peu plus de temps. Mais je suis tout à fait prêt à associer les commissaires de tous les groupes.

M. Nicolas Forissier. Compte tenu de cet engagement, je retire l’amendement.

M. Daniel Fasquelle. Je vais faire de même, prenant acte de l’engagement de M. le ministre.

Mme la présidente Olivia Grégoire. J’entends que vous prenez acte que nous parlons les délais de paiement dans la loi PACTE et que nous en reparlerons dès la fin d’année et l’an prochain.

Les amendements sont retirés.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS338 et CS339 de Mme Véronique Riotton.

M. Patrice Perrot. Dans le cadre de la LME et de ses effets sur les délais de paiement, ces amendements cherchent à répondre à une problématique rencontrée par nos entreprises exportatrices qui sont souvent confrontées à une concurrence assez rude. L’amendement CS338 propose de leur permettre de négocier ces délais, tandis que l’amendement CS339 se borne à les encadrer.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. Quand on rallonge les délais de paiement, il y a forcément quelqu’un qui paie à la sortie – et ce sont souvent les fournisseurs. Or je pense que ce n’est pas le moment de rallonger des délais de paiement. Cela dit, j’ai proposé que les parlementaires travaillent sur la relation entre clients et fournisseurs, lorsque nous avons abordé le sujet avec M. Quatennens.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Comme le rapporteur, je propose que nous ouvrions une discussion approfondie avec les commissaires des groupes sur ce sujet. Je ne vous cache pas que supprimer totalement des délais de paiement plafonds présente un risque très important, en particulier pour la société exportatrice au bénéfice de la société de négoce. Je suis assez réservé sur le principe de cet amendement, mais cela peut faire partie des discussions que nous aurons dans quelques semaines.

M. Patrice Perrot. Je retire les amendements et j’espère participer à la discussion.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS757 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. En cohérence avec l’esprit du projet de loi, dans un souci de simplification des démarches liées à la création d’une entreprise individuelle et de protection du chef d’entreprise, le présent amendement propose de consacrer le choix entre le statut de l’entreprise individuelle et le statut de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, comme premier arbitrage pour tout créateur d’entreprise souhaitant exercer son activité en nom propre.

Pour être pleinement efficace, cette disposition devra s’accompagner d’une révision du formulaire CERFA de déclaration de création d’entreprise ainsi que d’une évolution dans l’accompagnement des créateurs pour que leurs interlocuteurs évoquent systématiquement l’alternative possible et que le choix pour l’un ou l’autre statut soit dès lors pleinement motivé.

Je ne sais pas pourquoi cet amendement se trouve à cet endroit-là puisque nous avons déjà discuté du sujet. J’imagine que c’est la réponse que vous allez me faire mais je l’attends malgré tout avec impatience.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. Cet amendement est satisfait par l’amendement CS1423 que nous avons adopté hier.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je confirme les propos du rapporteur.

M. Daniel Fasquelle. Cet amendement étant satisfait, je le retire.

L’amendement est retiré.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS1952 et CS1953 de M. Philippe Bolo.

M. Jean-Paul Mattei. L’amendement CS1952 propose d’élargir la palette de services rendus par les chambres de commerce et d’industrie en matière de diffusion des bonnes pratiques et dans un objectif de transmission des retours d’expériences.

Le suivant confère aux CCI une mission d’aide à la recherche de financements, dont les subventions ; à l’instar de ce qui se pratique lors de la définition de l’objet social d’une société, il s’agit de préciser leurs missions et leur champ d’action.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Ce sujet a précédemment été évoqué, et les CCI ont déjà la capacité de faire ce que proposent ces amendements ; ces mesures ne sont par ailleurs pas normatives, l’avis est donc défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable puisque les missions des CCI sont déjà déterminées de façon très générale en tenant compte des particularités territoriales par l’article L. 710-1 du code de commerce.

M. Jean-Paul Mattei. Puisque la loi en vigueur les satisfait, je retire ces amendements.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS1951 de M. Philippe Bolo.

M. Jean-Paul Mattei. Il est proposé de mutualiser les actions conduites à l’intention des petites entreprises, particulièrement entre les chambres de commerce et les chambres des métiers. Il ne s’agit pas de fusionner ces organismes, mais de leur permettre de mener des actions communes dans les territoires.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Nous avons débattu de cette question hier, c’est une piste intéressante qui mérite d’être suivie. Toutefois, je propose que l’amendement soit retiré afin que nous puissions le reprendre ensemble et le redéposer à l’occasion de l’examen du projet de loi en séance publique.

M. Jean-Paul Mattei. Je souscris à cette proposition.

L’amendement est retiré.

La commission étudie l’amendement CS2068 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. En cohérence avec l’introduction du contrat d’objectifs et de performances (COP) et de la convention d’objectifs et de moyen (COM) dans l’article L. 712-2 du code de commerce, cet amendement assure l’articulation de la stratégie régionale des CCIR avec la COM.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cette disposition est satisfaite par l’amendement CS2070 que nous venons d’adopter ; je vous demande donc de bien vouloir le retirer.

L’amendement est retiré.

Elle examine ensuite l’amendement CS2069 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Les travaux menés dans le cadre du rapport d’information sur les CCI ont permis d’identifier deux limites dont souffre la tête de réseau CCI France.

La première, liée à sa gouvernance, est un manque de pouvoir, que nos amendements visent à pallier. La seconde provient du mode d’élection qui empêche de renforcer la légitimité de la tête de réseau vis-à-vis des établissements qui le composent.

Le présent amendement, sorte de porte d’entrée ouvrant sur une revue plus large du système électif des CCI, tend à supprimer l’interdiction du cumul entre les fonctions de président de CCI territoriale, locale, départementale ou régionale avec celle de président de CCI France. Cohérente avec le pouvoir d’affectation de la TFC désormais confiée à CCI France, cette mesure permettra de renforcer la cohérence du réseau.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Je ne pense pas que le moment soit opportun pour l’adoption d’une telle mesure. Nous sommes dans une phase de réorganisation et CCI France va avoir un rôle particulièrement important, cet amendement causerait plus de difficultés qu’il n’en résoudrait ; avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme Valérie Oppelt. Je retire l’amendement afin de le réécrire, mais nous demeurons persuadés que des mesures restent à prendre, car nous sommes encore dans un régime de baronnies.

L’amendement est retiré.

Elle en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements CS563 de M. Éric Pauget, CS195 de Mme Véronique Louwagie, CS303 de M. Vincent Descoeur, CS565 de M. Ian Boucard et CS840 de M. Arnaud Viala.

M. Ian Boucard. Je défendrai ensemble l’amendement CS563 de notre collègue Pauget et mon amendement CS565.

Depuis la promulgation de l’article L. 581-19 du code de l’environnement, seules les activités en relation avec la fabrication ou la vente de produits du terroir par des entreprises locales, les activités culturelles et les monuments historiques, classés ou inscrits, ouverts à la visite sont autorisées à se signaler sur des préenseignes dérogatoires.

Il est proposé de faire bénéficier de cette mesure les activités des restaurants, des auberges, des hôtels et des campings, car les intéressés ont souffert de la disparition de la clientèle de passage, en grande partie due à une disposition de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 ». Il est important de maintenir ces activités dans nos zones rurales, c’est pourquoi nous proposons une nouvelle rédaction pour cet article ; la « loi ÉLAN » a étendu cette mesure aux activités de restaurant, je propose a minima de l’étendre aux hôtels.

M. Nicolas Forissier. Je présenterai ensemble les amendements CS195 de Mme Louwagie et CS840 de M. Viala.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi « Grenelle 2 », beaucoup de petites entreprises dans bien des endroits, dans des centres-villes ou en zone rurale, ont connu une baisse importante de leur chiffre d’affaires ainsi qu’une perte de chalandise.

Nous proposons donc une mesure simple de soutien aux petites entreprises, susceptible d’être régulée par la réglementation en vigueur, mais nous ferions œuvre utile en étendant les dérogations à la restauration ainsi qu’aux petits hôtels de campagne et aux services d’hébergement.

M. Vincent Descoeur. Dans le même esprit, mon amendement propose de réintroduire la signalisation des restaurants, des commerces alimentaires ainsi que des distributeurs de carburant. Cette disposition conforterait l’activité et le chiffre d’affaires de ces commerces, souvent fragiles, installés en zone rurale, en améliorant leur visibilité. La démonstration a été faite que la limitation des enseignes a eu un effet négatif sur ces établissements, car ils ont été privés d’une clientèle saisonnière et de passage, ce qui a nui à leur activité.

Cette proposition présente un réel intérêt pour l’aménagement du territoire puisque ce surcroît d’activité conditionne l’ouverture de ces commerces tout au long de l’année, ce qui rend un service utile aux populations.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. M. Boucard a bien voulu nous rappeler que des débats très intéressants ont été tenus dans le cadre de l’examen du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN), qui n’est d’ailleurs pas terminé et reprendra dans les jours prochains.

Il ne me semble pas que le travail qui nous occupe aujourd’hui puisse constituer l’occasion d’ouvrir à nouveau ce débat ; je demande donc le retrait de ces amendements, à défaut mon avis sera défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Vincent Descoeur. Le débat portant sur le projet de loi « ELAN » s’est borné à évoquer la question des restaurants, et des incertitudes demeurent puisqu’une commission mixte paritaire doit se réunir.

L’objet de ces amendements n’est pas anodin : ils soulèvent une vraie question. Une erreur a été commise, qui a eu des conséquences sur le chiffre d’affaires de certaines entreprises ; il est de notre devoir d’y apporter une correction. Ces commerçants méritent autant d’égards que les micro-entrepreneurs dont nous nous sommes inquiétés en début d’après-midi.

M. Daniel Fasquelle. Comme beaucoup d’entre nous, je suis l’élu d’un territoire rural et très touristique. Je propose que nous adoptions ces amendements : si la loi « ÉLAN », une fois adoptée définitivement, règle la question, nous pourrons toujours revenir dessus. Si tel n’est pas le cas, nous aurons au moins la garantie qu’une réponse concrète aura été apportée pour des petites entreprises – que vous dites vouloir soutenir – qui souffrent de cette disposition qui leur est particulièrement nuisible.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. La mesure que vous proposez a été adoptée pour les restaurants.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous nous écartons beaucoup du texte soumis aujourd’hui à notre examen ; encore une fois, je partage l’avis du rapporteur.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle se saisit ensuite des amendements identiques CS130 de M. Nicolas Forissier, CS602 de M. Éric Pauget et CS1124 de M. Daniel Fasquelle.

M. Nicolas Forissier. Il s’agit de clarifier la réglementation pour les maires conduits à délivrer des autorisations d’occupation d’une dépendance du domaine public aux commerçants lorsque leur activité économique se réalise dans les halles et marchés.

Cet amendement prévoit à cette fin une exclusion supplémentaire au régime déterminé par l’ordonnance 2017-562 du 19 avril 2017, de façon à autoriser un accord amiable pour l’installation des commerces sur les halles et marchés sans soumission à la concurrence.

M. Daniel Fasquelle. La simplification constitue la ligne directrice et la colonne vertébrale de ce projet de loi. Or actuellement l’autorisation d’occupation d’une dépendance du domaine public pour les halles et marchés par des commerçants nécessite une procédure de mise en concurrence et de publicité.

L’article L. 2122-1-3 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit cinq cas de dérogation, auxquels nous proposons simplement d’ajouter un sixième cas afin de simplifier le régime d’autorisation d’occupation d’une dépendance du domaine public aux commerçants, lorsque leur activité économique se réalise dans les halles et marchés. Une procédure amiable viendrait ainsi remplacer la procédure actuellement en vigueur, qui est lourde pour ce type de commerces comme pour les municipalités.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cette mesure n’est pas nécessaire, puisque l’article L. 2122-1-3 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit déjà ces modalités lorsque le titulaire souhaite occuper le domaine public en vue d’une exploitation économique, ce qui est le cas pour les halles et marchés.

Pour cette raison, je demande le retrait de ces amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je demande également le retrait des amendements qui concernent les halles et marchés ; je rappelle que le texte que nous examinons concerne les PME et non le commerce. Cette question nous éloigne de beaucoup de notre texte.

M. Nicolas Forissier. J’ai, monsieur le ministre, déposé d’autres amendements portant sur ces sujets. Les commerçants présents sur nos marchés, qui animent nos villes et centres-villes, sont eux aussi des entrepreneurs. Nous avons traité des entrepreneurs individuels pendant presque deux heures, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas tenter d’améliorer aussi la situation de ces petites entreprises.

Cela est particulièrement vrai dans les petites villes et les zones rurales, mais je n’oublie pas pour autant les grandes villes qui comptent beaucoup de marchés. Ces mesures sont de bon sens. Peut-être, monsieur le rapporteur, la mesure existe-t-elle déjà, ce qui constituerait une autre lecture des textes, mais le sujet est capital.

M. Daniel Fasquelle. Il ne faudrait pas, sous prétexte de divergences d’appréciation portant sur le champ de la loi, que lorsqu’une proposition émane de l’opposition, elle soit hors sujet pour devenir pertinente lorsqu’elle provient de la majorité.

Je ne souhaite pas faire ce procès à M. le ministre, mais je finis par nourrir des doutes à mesure que nous progressons dans nos débats. Comment peut-on affirmer que les périodes de soldes, dont nous avons discuté aujourd’hui, entrent dans le champ d’application du projet de loi que nous examinons, et que la question de l’occupation par les commerçants des halles et des marchés y échappe ? Les soldes concernent bien les commerçants ; or la réponse du ministre est que la situation des commerçants ne concerne pas ce texte : ils entrent dans le champ du projet de loi lorsqu’il s’agit des soldes pour en sortir lorsqu’il s’agit de nos amendements portant sur les halles et marchés.

J’avoue éprouver de plus en plus de difficultés pour cerner les contours du texte que nous examinons. S’agissant de l’objet qui fait le fond de ces amendements, j’entends l’explication du rapporteur lorsqu’il affirme qu’il est déjà satisfait par les textes existants, et je suis disposé à retirer mon amendement. Je vais relire attentivement ce texte afin, de déposer à nouveau mon amendement en vue de l’examen du projet de loi dans l’hémicycle si cela me paraît nécessaire.

Mme la présidente Olivia Grégoire. En tant que présidente, je puis vous indiquer que, si nous nous avions examiné ces amendements avec la subjectivité que vous nous prêtez – en les traitant différemment, par exemple, selon qu’ils proviennent de la majorité ou de l’opposition –, nous ne serions pas en train d’en discuter, car ils auraient pu être reconnus irrecevables. Or j’ai souhaité qu’ils soient joints au débat ; ils le sont, et vous avez entendu les réactions du ministre et du rapporteur.

Il faut cependant reconnaître, en l’occurrence, que ces questions sont assez éloignées du champ du projet de loi.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. À la remarque de M. Fasquelle, je répondrai que, s’il devait y avoir le moindre soupçon de favoritisme de la part du ministre, plusieurs des amendements que vous avez présentés et soutenus n’auraient peut-être pas été adoptés comme cela a été le cas. D’autres encore le seront peut-être, qui sait ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous ne sommes qu’au chapitre Ier de notre texte, il en reste trois autres et à peu près 1 800 amendements ; je ne doute pas que nous saurons trouver des terrains d’entente.

L’amendement CS1124 est retiré.

La commission rejette les amendements CS130 et CS602.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS129 de M. Nicolas Forissier et CS1118 de M. Daniel Fasquelle.

M. Nicolas Forissier. Mon amendement CS129 porte sur le régime de la transmission des entreprises commerciales sur les marchés. Chers collègues de la majorité, c’est un sujet important pour nos territoires, et nous ne sommes pas obligés de nous en remettre au point de vue exprimé par l’administration de Bercy.

Actuellement, « sous réserve d’exercer son activité dans une halle ou un marché depuis une durée fixée par délibération du conseil municipal dans la limite de trois ans, le titulaire d’une autorisation d’occupation peut présenter au maire une personne comme successeur ». Peu claire, la formule « fixée […] dans la limite de trois ans » peut susciter des conflits. Nous proposons donc de substituer aux mots « fixée par délibération du conseil municipal dans la limite de trois ans » les mots « supérieure ou égale à trois ans ». Ce sera d’ailleurs plus conforme à l’esprit de la loi, qui visait à conférer ce droit de présentation de successeur au cédant qui avait suffisamment d’expérience. Il s’agit d’accompagner, en même temps que de soutenir les entreprises qui animent les centres de nos villes et bourgs et nos marchés.

M. Daniel Fasquelle. Je pressens ce qui me sera répondu : les halles et les marchés n’entrent pas dans le champ de ce projet de loi. Je ne comprends cependant pas pourquoi nous n’en profitons pas pour régler des questions comme celle-ci, qui, si elles ne sont pas majeures à l’échelle du pays, ne se posent pas avec moins d’acuité dans nos territoires – pour avoir été maire pendant dix ans, je peux en témoigner. Après un long débat, à l’époque où M. Brottes présidait la commission des affaires économiques de notre assemblée – il était lui-même l’auteur de l’amendement alors discuté –, nous avions prévu un dispositif permettant au titulaire d’une autorisation d’occupation de présenter un successeur. Nous considérons qu’il faut qu’il ait une ancienneté d’au moins trois ans pour avoir ce droit. L’objet de cet amendement CS1118 est de préciser cette condition.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable aux deux amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Effectivement, monsieur Fasquelle, nous sommes loin, avec ces problèmes de placier, du défi de la croissance de nos entreprises. Je ne conteste absolument pas que la question des marchés soit très sensible. Le marchand de fruits et légumes à l’entrée du marché d’Évreux, marché dont j’ai eu l’occasion de m’occuper, vient de Seine-Maritime et non de l’Eure. Pourquoi donc n’est-ce pas un marchand de fruits et légumes de l’Eure qui se trouve à cette place ? Et le marchand suivant vient des Yvelines… Ce sont là des débats qui ne sont pas négligeables, mais ce n’est pas le propos de ce projet de loi que de les trancher.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, vérité à Paris n’est pas forcément vérité dans l’Eure ou dans le Pas-de-Calais. Pour ma part, je suis l’élu d’un territoire très touristique. L’essentiel des emplois y dépend de l’activité touristique, des commerces, des restaurants, donc aussi de la vie sur les marchés. Ils sont aussi un débouché pour les producteurs agricoles, notamment de petits producteurs – ayant été ministre de l’agriculture, vous le savez très bien. Et puis certaines entreprises naissent sur les marchés, grandissent, deviennent des TPE et parfois des PME. Nous sommes donc au cœur du champ du projet de loi, il serait dommage d’ignorer cette activité majeure.

M. Nicolas Forissier. Tout d’abord, monsieur le ministre, il ne s’agit pas de débattre de la question de savoir si les commerçants occupant telles places sur tel marché viennent de tel ou tel département. Ces amendements en discussion commune traitent bien de problèmes d’entrepreneur, ce qui est l’objet même du projet de loi. La transmission des entreprises, ce n’est pas quand même pas anodin, et ce sont des amendements de bon sens.

Et puis la majorité pourrait faire un geste pour l’opposition ; nous co-construirions ainsi la loi. Jusqu’à présent, nous avons été particulièrement constructifs. Cela ne coûte pas cher, quand même, de régler ce genre de problème – et de faire plaisir à l’opposition.

La commission rejette successivement les amendements CS129 et CS1118.

Elle en vient à l’amendement CS1120 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Concernant la transmission d’entreprise, cet amendement entre forcément dans le champ du projet de loi. Il vise à préciser qu’en cas de décès, d’incapacité ou de retraite d’un commerçant titulaire d’une autorisation d’occupation dans une halle ou un marché son conjoint conserve, à titre exclusif, l’ancienneté du titulaire initial pour faire valoir son droit de présentation d’un successeur au maire en cas de cession du fonds de commerce.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Il n’y a pas de raison de favoriser le seul conjoint. Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis défavorable à cet amendement, car il limite les possibilités de transmission de l’ancienneté.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CS131 de M. Nicolas Forissier, CS603 de M. Éric Pauget et CS1122 de M. Daniel Fasquelle.

M. Nicolas Forissier. Voici une mesure d’entrepreneur au profit d’entrepreneurs. Nous pouvons donc espérer un avis favorable !

Il s’agit, en gros, de permettre au commerçant non-sédentaire exerçant son activité dans une halle ou sur un marché et cédant son fond d’assurer la même prestation de tutorat au bénéfice du repreneur qu’un commerçant cédant un magasin physique.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je demande le retrait de ces amendements identiques, satisfaits par l’article L. 129-1 du code de commerce, qui prévoit déjà ces modalités de tutorat pour le cédant d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ou de services.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. L’article cité par le rapporteur général s’applique effectivement à tout le monde, y compris aux non-sédentaires.

M. Nicolas Forissier. Compte tenu des assurances données par le rapporteur général et par le ministre, je retire l’amendement CS131.

M. Daniel Fasquelle. On tient enfin compte de nos amendements sur les halles et les marchés ! À la faveur des précisions apportées par le rapporteur et le ministre, je retire l’amendement CS1122.

M. Ian Boucard. Je retire l’amendement CS603.

Les amendements sont retirés.

La commission se saisit de l’amendement CS1382 de M. Emmanuel Maquet.

M. Roland Lescure, rapporteur général. C’est une question fiscale. Reparlons-en donc lors de l’examen du projet de loi de finances. Je demande le retrait de cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement sera donc redéposé en loi de finances.

L’amendement est retiré.

La commission examine en discussion commune les amendements CS560 de M. Ian Boucard et CS107 de M. Patrick Hetzel.

M. Ian Boucard. Les délais de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) par les services fiscaux peuvent être longs et, de ce fait, fragiliser la trésorerie des entreprises. En effet, après le dépôt de la déclaration par télétransmission, ils sont d’au moins quinze jours et sont souvent supérieurs à un mois.

Le présent amendement a pour objet de fixer un délai maximal de quinze jours. Beaucoup de gouvernements s’y sont essayés, mais, convaincu de la capacité de persuasion de M. le ministre, je suis sûr qu’il arrivera à contraindre l’administration fiscale à l’efficacité, ce qui améliorera la trésorerie des entreprises – l’un des objectifs de ce projet de loi.

M. Nicolas Forissier. Mon collègue Boucard a très bien expliqué le problème. Je sais, y compris d’expérience, que l’administration a fait beaucoup de progrès pour rembourser les crédits de TVA. Fixer clairement un délai de quinze jours, comme nous le proposons également par l’amendement CS107, n’en serait pas moins un petit progrès supplémentaire, d’autant que les délais ne sont pas les mêmes partout.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cette question relève d’une loi de finances. Je vous invite donc, chers collègues, à retirer ces amendements. Rendez-vous au moment de l’examen du projet de loi de finances initiale pour l’année prochaine.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je profite de l’occasion pour vous prévenir, mesdames et messieurs les députés, que je devrai dans quelques instants vous quitter pour me rendre au conseil des ministres des finances qui se tiendra à Vienne, où je défendrai la taxation des géants du numérique. Mme la secrétaire d’État Delphine Gény-Stephann prendra brillamment ma relève.

Ces amendements procèdent d’une préoccupation légitime des entreprises. Merci, monsieur Forissier, d’avoir toutefois rappelé que l’administration fiscale avait déjà fourni des efforts considérables. Je rappelle que 90 % des demandes de remboursement de crédit de TVA ont été traitées dans un délai de trente jours – et ce sont tout de même 1 427 951 demandes !

Il ne me paraît pas raisonnable de fixer un délai de quinze jours. Certes, on peut toujours faire mieux, mais, compte tenu des possibilités d’une administration, cela me paraît excessivement court, d’autant que nous tenons également à la sécurisation du budget et à la lutte contre la fraude, qui requièrent que des vérifications soient faites.

L’objectif visé par les amendements me paraît très ambitieux, peut-être trop. J’invite donc à leur retrait, même s’ils appellent notre attention sur un vrai sujet.

M. Nicolas Forissier. Pourrions-nous imaginer, dans le cadre de la discussion budgétaire, un amendement retenant ce délai, plausible, donc, de trente jours ? Il s’agirait d’inciter l’administration fiscale à traiter en trente jours les 10 % de demandes qui ne le sont pas encore dans ce délai. Notre débat se conclurait ainsi par une solution très pragmatique.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je dois voir cela avec l’administration fiscale concernée, dont je vous rappelle qu’elle est sous l’autorité de mon collègue Gérald Darmanin. Je ne peux pas prendre d’engagement à la légère sur un sujet aussi important, mais je vous donnerai une réponse en séance publique.

M. Nicolas Forissier. Nous allons retirer ces amendements, et nous pourrons donc revoir cela au moment de la discussion de la loi de finances initiale, après que vous en aurez parlé avec Gérald Darmanin.

Les amendements sont retirés.

La commission examine les amendements CS343 et CS 342 de Mme Véronique Riotton.

M. Patrice Perrot. Le bail cessible est un bail dérogatoire, pour partie, au statut du fermage qui doit être passé en la forme authentique. Les baux verbaux sont très nombreux – l’écrit n’est pas une condition de validité du bail à ferme. Dans ce contexte, la transmission d’une exploitation hors cadre familial est complexe car l’accès au foncier n’est pas garanti. Cette situation peut conduire au démantèlement des exploitations sans successeur et à l’obligation pour les jeunes qui s’installent hors cadre familial de reconstruire une exploitation agricole. Pour permettre et faciliter la transmission de l’exploitation dans sa globalité, il faut rendre le bail à ferme cessible avec agrément du bailleur hors du cadre familial.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Ce débat relève plutôt du projet de loi ÉGALIM, dont l’examen n’est pas terminé. Je vous invite donc à retirer l’amendement.

M. Dominique Potier. J’ai déposé plusieurs amendements sur le foncier dans le cadre de l’examen du projet de loi ÉGALIM. Il me fut répondu que ce n’était pas le moment, car un projet de loi sur le foncier serait bientôt examiné… Cela ne relève donc pas de la loi ÉGALIM.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je crains que ce ne soit pourtant le cas, cher collègue.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1877 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Je propose de renforcer l’encadrement des réductions ou interruptions de crédit bancaire aux entreprises prévu à l’article L. 313-12 du code monétaire et financier en allongeant la durée minimale du préavis requis en la matière. Les banques ont la faculté, à l’heure actuelle, de retirer les autorisations de découvert accordées à leurs sociétés clientes, si, dans un délai de soixante jours, ces dernières n’ont pas retrouvé un solde créditeur. Or ce délai est trop court. Recouvrer une créance peut, on le sait, prendre largement plus de deux mois, j’en ai reçu de nombreux témoignages dans le territoire de ma circonscription. En faisant passer ce délai de soixante à quatre-vingt-dix jours, je veux inciter les opérateurs à prendre clairement leurs responsabilités.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Vous posez un diagnostic juste, chère collègue : ce délai de soixante jours peut paraître court au regard des difficultés que les entreprises sont susceptibles de rencontrer dans le recouvrement de créances. Cependant, l’allongement proposé peut aussi poser des difficultés. Je vous invite à retirer cet amendement, mais nous pouvons revoir la question en séance.

L’amendement est retiré.

La commission se saisit de l’amendement CS101 de M. Patrick Hetzel.

M. Nicolas Forissier. Cet amendement, proposé par M. Hetzel et cosigné par de nombreux membres du groupe Les Républicains, vise à donner aux associations de défense des commerçants la possibilité de se constituer partie civile dans les cas d’infraction à l’urbanisme commercial et de contentieux dus à la concurrence déloyale ou illégale des grands distributeurs. C’est un amendement de bon sens, qui procède d’un esprit de justice.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. La question relève plutôt du projet de loi ÉLAN, dont l’examen n’est pas terminé. Je vous invite à le retirer.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS594 de M. Éric Pauget.

M. Ian Boucard. L’accumulation excessive des textes et des obligations législatives et réglementaires constitue indéniablement un frein au développement des entreprises du secteur du tourisme et crée une véritable insécurité juridique. Nous proposons donc une simplification des règles afférentes au régime de péremption des licences.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS596 de M. Éric Pauget.

M. Ian Boucard. Dans le même esprit, nous proposons la suppression d’un article du code de la santé concernant « les débits de boissons détruits par les événements de guerre » devenu obsolète. J’en profite pour prier les rapporteurs et le Gouvernement de bien vouloir préciser davantage ce qui les conduit à être défavorables à ces amendements.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. L’examen de ce projet de loi n’est pas le lieu pour cette suppression d’un article du code de la santé. Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Les travaux de remise à plat de la réglementation des débits de boissons s’engagent en ce moment, sous l’égide des ministères concernés et dans le cadre d’une concertation avec les opérateurs économiques. Il ne nous semble donc pas pertinent de légiférer aujourd’hui.

M. Ian Boucard. Après ces explications de Mme la secrétaire d’État, plus convaincantes que celles de M. le rapporteur, je retire cet amendement.

L’amendement est retiré.

La commission se saisit de l’amendement CS733 de M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Si vous le permettez, je présenterai l’amendement CS733 et les amendements suivants.

L’amendement CS733 porte sur les conditions d’information d’un assuré concerné par une décision défavorable. L’amendement CS734 concerne, lui, les conditions du dialogue dans le cadre d’une procédure contradictoire, tandis que l’amendement CS728 vise à créer les conditions d’une confiance entre les URSSAF et les cotisants dans le cadre d’un contrôle. Enfin, par l’amendement CS730, je propose plusieurs dispositions de nature à améliorer les conditions de fonctionnement de la commission de la commission des recours amiables dans son rôle social et humain.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il s’agit en fait de traiter des relations entre l’administration et les usagers, ce qui relève de la loi pour un État au service d’une société de confiance et n’a guère sa place dans le cadre du présent débat. Je suis donc défavorable à ces amendements.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. Je rappelle qu’il est possible de saisir le médiateur créé par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite « ESSOC ».

Mme Laure de La Raudière. Nous avons ce débat depuis très longtemps. Chaque fois, il nous est répondu que ce n’est pas le moment, mais des travaux de fond ont déjà été faits par de nombreux parlementaires sur les relations des cotisants, notamment les entreprises, avec les URSSAF. Il y a là un vrai sujet, que l’administration ne traite pas.

Les URSSAF doivent donner des explications en cas de redressement sur les cotisations, et elles n’en donnent pas. Cela ne permet pas d’éviter que les problèmes se renouvellent à la déclaration suivante et cela empêche de former un recours. Au moins deux fois depuis que je suis députée, des collègues de droite et de gauche ont travaillé sur cette question et, chaque fois, ce n’était « pas le moment ». Ce n’était pas le moment au moment de l’examen du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance. Ce n’est toujours pas le moment aujourd’hui, alors que les PME sont concernées. J’aimerais que le Gouvernement prenne un engagement. Je comprends que cela puisse ne pas être réglé ainsi précisément maintenant mais il faudrait que soit pris l’engagement de régler une fois pour toutes ce problème. Je lance un peu une bouteille à la mer, mais cela ne peut pas durer. Parlementaires et PME ont l’impression que les URSSAF sont toutes-puissantes !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Chère collègue, vous connaissez ma position sur ces sujets. Je pense pouvoir dire que nous aurons cette discussion. En tout cas, les ministres concernés sont attentifs au problème que vous évoquez précisément. Il ne s’agit pas que des URSSAF, d’autres administrations sont aussi concernées, mais ne soyez pas inquiète – je pense que nous l’occasion d’en parler en séance. Nous sommes plusieurs que leur passé de cotisants rend sensibles à la question.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je ne nie pas le caractère un peu irritant du problème, mais nous pourrons y revenir en séance.

M. Paul Christophe. Je vais donc retirer ces amendements, qui visaient à faire le tour de la question.

L’amendement CS733 est retiré.

Les amendements CS734, CS728 et CS730 de M. Paul Christophe sont également retirés.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS732 de M. Paul Christophe et CS100 de M. Patrick Hetzel.

M. Vincent Descoeur. Dans le droit fil des préoccupations qui viennent d’être exprimées, l’amendement CS100 dispose que « le cotisant a la possibilité d’un débat oral et contradictoire avec l’agent chargé du contrôle du recouvrement sous peine d’irrégularité de la procédure de contrôle ». Nous nous inspirons là de la jurisprudence du Conseil d’État à propos des contrôles fiscaux.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Compte tenu de l’échange que nous venons d’avoir et de l’engagement pris par Mme la secrétaire d’État, je vous propose, cher collègue, de retirer cet amendement.

Les amendements sont retirés.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS108 de M. Patrick Hetzel et CS213 de Mme Véronique Louwagie.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS108 a pour finalité de limiter la durée des contrôles effectués par l’URSSAF dans les petites entreprises dont le chiffre d’affaires est peu important. Il s’inspire directement de l’article L. 52 du livre des procédures fiscales.

M. Nicolas Forissier. Il s’agit, avec l’amendement CS213, de prendre en compte la spécificité des très petites entreprises. Une durée cumulée de contrôles égale à neuf mois est trop importante et risque de mettre en péril l’existence même des TPE. Il est donc proposé de limiter cette durée à six mois sur une période de trois ans pour ces TPE, tout en conservant la durée de neuf mois pour les PME.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Cette question a déjà été évoquée lors du débat sur la loi « ESSOC », et l’amendement proposé n’a pas été adopté. De plus, comme nous aurons un débat en séance publique sur l’URSSAF, je vous propose d’aborder ce sujet à ce moment-là et de retirer votre amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. L’objectif du débat que nous aurons en séance n’est pas de revenir sur les questions qui ont déjà été tranchées, mais plutôt d’en évoquer de nouvelles. Laissons à la loi que vous avez déjà votée le temps d’entrer en vigueur et d’avoir effet avant de revenir sur ce sujet.

M. Nicolas Forissier. On peut ne pas être satisfait de la manière dont les choses ont été tranchées et vouloir revenir sur un sujet parce qu’on pense que la loi ne va pas assez loin. La question de la durée des contrôles est très prégnante pour les TPE. Ces contrôles représentent un poids et souvent un choc pour les patrons de ces entreprises. Limiter cette durée pour l’adapter à ce type d’entreprises n’est pas un sujet clos.

M. Roland Lescure, rapporteur général. C’est bien de la loi « ESSOC », entrée en vigueur le 10 août dernier, que nous parlons. Les débats ont eu lieu et ont été tranchés. Je peux comprendre que vous ne soyez pas d’accord avec leurs résultats mais maintenant que la loi a été promulguée, laissons-lui le temps de s’appliquer. On pourra l’évaluer dans un à trois ans mais ne rouvrons pas un débat qui est clos.

Les amendements sont retirés.

La commission en vient à l’amendement CS591 de M. Éric Pauget.

M. Daniel Fasquelle. Dans le domaine du tourisme, un nombre excessif d’obligations législatives et réglementaires freinent le développement des entreprises. Or, le tourisme représente 6 % du PIB en France. C’est un secteur d’activité économique auquel on n’est jamais suffisamment attentif. Pour éviter cette inflation législative, il est proposé qu’aucune nouvelle norme ne soit adoptée sans que les organisations professionnelles représentatives soient d’abord consultées pour en apprécier l’opportunité, l’intérêt et les modalités.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. Les organisations professionnelles sont déjà consultées sur les sujets qui les intéressent.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Cela va complexifier et alourdir le processus d’élaboration des lois. Avis défavorable.

M. Daniel Fasquelle. Mme la secrétaire d’État nous dit que cet amendement va complexifier le processus d’élaboration des normes, et M. le rapporteur nous dit que les organisations professionnelles sont déjà consultées. Ces deux arguments sont parfaitement contradictoires. Vous me direz qu’il va de soi que les organisations professionnelles soient consultées, ce à quoi je vous répondrai que cela va mieux en le disant. Je maintiens donc cet amendement.

La commission rejette l’amendement CS591.

Elle en vient à l’amendement CS592 de M. Éric Pauget.

M. Daniel Fasquelle. Nous proposons que pour toute nouvelle norme réglementaire créée dans le domaine du tourisme, au moins deux normes antérieures équivalentes soient abrogées ou simplifiées. Êtes-vous vraiment prêts à simplifier l’environnement réglementaire de nos entreprises ? Commencez par le tourisme et n’hésitez pas à élargir cette bonne volonté à l’ensemble des secteurs d’activité économique.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Ce principe figure d’ores et déjà dans la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise des flux des textes réglementaires et de leur impact. Je vous demande donc de retirer votre amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce principe est très fermement appliqué par le Gouvernement. Il est général et s’applique à tous les secteurs et non seulement au tourisme. Il me semble préférable d’en rester à une instruction claire et ferme.

M. Daniel Fasquelle. Vous me citez une circulaire, mais, en inscrivant dans la loi la règle selon laquelle, dès qu’on adopte une nouvelle règle, on doit en supprimer deux, nous donnerons la possibilité aux parlementaires de s’assurer dans le cadre du suivi de la loi que cette règle est concrètement appliquée.

Mme Laure de La Raudière. Je ne doute pas de l’engagement du Gouvernement en faveur de la simplification normative, qu’elle soit réglementaire ou législative. D’ailleurs, il y a plusieurs lois de simplification et des mesures de simplification dans tous les textes. Cependant, nous n’avons aucun tableau de bord pour mesurer l’évolution du flux normatif. Nous sommes obligés de vous croire sur parole car le secrétariat général du Gouvernement (SGG) refuse de nous donner ce tableau de bord. Une plus grande transparence permettrait au Gouvernement de témoigner, chiffres à l’appui, de ce que vous affirmez, madame la secrétaire d’État. Dans une entreprise, un patron ne peut annoncer de résultats sans afficher un tableau de bord. L’amendement de M. Fasquelle permettrait d’avoir la visibilité que nous souhaitons. L’amendement CS385, que nous examinerons un peu plus tard, est différent mais va dans le même sens.

M. Charles de Courson. Ce type d’amendement, de même que la disposition figurant dans la circulaire du Premier ministre, relève de l’affichage sans contenu. Lorsqu’on dit qu’une norme doit en remplacer deux qu’on supprime, de quelles normes s’agit-il ? Toutes les normes ne se valent pas : certaines sont très importantes, d’autres pas. Le véritable enjeu est de réduire le nombre de normes et non pas de prendre des mesures d’affichage. D’ailleurs, madame la secrétaire d’État, combien de normes ont-elles été prises et combien ont-elles été abrogées depuis la publication de la circulaire du Premier ministre ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je n’ai pas cette information ici.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je voudrais revenir sur les notions de responsabilisation et de confiance. Inscrire dans la loi une disposition qui n’a pas à y être alors qu’un engagement a déjà été pris par le Gouvernement dans la circulaire de juillet 2017 est superfétatoire. Si votre demande d’information me semble pertinente, tant les enjeux sont importants, elle ne relève pas du domaine de la loi.

M. Nicolas Forissier. Je suis d’accord avec le rapporteur général. Cependant, si tous les gouvernements ont pris ce type d’engagements, nous n’avons jamais eu les moyens de contrôler que ces derniers étaient respectés. Le débat que lance Mme de La Raudière est le même que celui que nous avons eu dans le cadre de la révision constitutionnelle : il s’agit de savoir quels moyens supplémentaires seront donnés au Parlement. À cet égard, je suis un peu inquiet.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je ne suis pas sûre que le projet de loi ÉGALIM ou la révision constitutionnelle soient l’objet de la discussion : nous examinons en ce moment le projet de loi PACTE.

M. Ian Boucard. J’entends le rapporteur général parler de responsabilité et de confiance mais si l’on en croit un proverbe franc-comtois, la confiance n’exclut pas le contrôle. Puisque nous partageons tous le même objectif, il nous faut un tableau de bord pour pouvoir vérifier qu’il est tenu. Cet amendement permet de fixer dans la loi, en tout cas dans le domaine du tourisme, qu’il faut qu’au moins deux normes antérieures équivalentes soient abrogées pour qu’une nouvelle norme soit adoptée.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement CS113 de M. Patrick Hetzel.

M. Nicolas Forissier. Cet amendement a pour objectif de supprimer l’article 3 de l’ordonnance du 17 décembre 2015 qui modifie la loi du 31 décembre 1949 réglementant la profession de courtiers en vins dits courtiers de campagne. Cette ordonnance va aboutir à la disparition pure et simple de la profession de courtier en vins et spiritueux qui aide notamment les producteurs indépendants. Cette profession est très présente dans certains grands vignobles comme le Bordelais, le Cognaçais et la Champagne. Ces entrepreneurs ont de grosses inquiétudes puisque l’ordonnance réduit considérablement les garanties de qualification et de déontologie professionnelles exigibles. Ces courtiers en vins jouent un rôle très important, notamment dans le cadre de la mondialisation. La France reste un très grand pays exportateur mais la concurrence est considérable et les structures de production sont très différentes. Cet amendement vise donc à rétablir le texte de 1949.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis défavorable. Ce problème est réglé par décret.

M. Nicolas Forissier. Il serait bon que nous en ayons le texte.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce décret sera pris en application de l’article 64 de la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 ». La concertation est en cours avec les représentants de la profession.

M. Nicolas Forissier. Rassuré, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission aborde l’amendement CS1190 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le rapporteur général, en tant que président de la commission des affaires économiques, vous nous avez invités, notamment avec Valérie Oppelt, à faire un déplacement à Nantes pour préparer la loi PACTE. J’ai retenu de nos échanges avec les entreprises à la CCI de Nantes la question des délais de paiement de l’État et des collectivités. Les entreprises souhaitant une amélioration de ces délais, elles ont proposé qu’on impose le versement automatique des intérêts moratoires dus en cas de retard de paiement des sommes dues par l’État ou les collectivités. En effet, un fournisseur n’ose réclamer ces sommes, privilégiant la continuité de la relation. J’ai fait le point avec une commune et la seule entité fournisseur à avoir demandé un versement des intérêts moratoires fut l’agence de l’eau, soit une autre collectivité publique. C’est à la suite de ma visite sur le terrain que j’ai rédigé cet amendement.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Il me semble que ce versement automatique est déjà possible. Je vous propose de retirer cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de commande publique répond au souci, pertinent, de cet amendement.

Mme Laure de La Raudière. Vous avez raison : le versement des intérêts moratoires en cas de retard de paiement des sommes dues par l’État ou les collectivités est de droit. Cependant, l’amendement prévoit que ce versement soit automatique. Il instaure une obligation de faire et vise ainsi à réellement amoindrir les délais de paiement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. C’est bien ce que le décret prévoit : il précise que le créancier a droit au versement de ces intérêts sans même avoir à le demander.

Mme Laure de La Raudière. Cette disposition n’est pas appliquée par le Trésor public.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous sommes plusieurs à être très sensibles au sujet, mais le Trésor public en est un autre dont nous parlerons ce soir. Si votre question est très importante, madame de La Raudière, la réponse de Mme la secrétaire d’État me semble assez précise. Nous pourrions avoir cette discussion parallèlement à cette commission car je ne suis pas sûre que nous disposions d’informations complémentaires permettant de vous répondre plus précisément. Maintenez-vous l’amendement ?

Mme Laure de La Raudière. Je le retire, mais il faut instaurer un système de sanctions pour les trésoriers si la loi n’est pas appliquée.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je note que vous retirez l’amendement dans l’attente d’informations précises.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1833 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à limiter les exceptions à l’application du principe d’allotissement et à renforcer ce dernier pour permettre aux PME de se positionner sur les lots correspondant à leur spécialité.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Vous affichez l’intention de favoriser l’allotissement pour que les PME puissent avoir accès aux marchés mais dans votre proposition, vous dites exactement le contraire. Votre exposé sommaire dispose que si l’allotissement est de nature à rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations, les acheteurs peuvent demander à l’autorité publique de déroger à cette obligation. De fait, la façon dont vous formulez les choses réduit les possibilités qu’ont les PME de répondre à ce type de marchés. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1192 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. J’aimerais évoquer la question du poids, dans la commande publique, des achats effectués auprès des PME innovantes. Si la réglementation européenne nous empêche d’adopter un small business act, il me semble important d’envoyer un signal fort, puisqu’il est désormais possible de déroger au code des marchés publics pour faire des achats innovants. Je propose donc que soient publiés, par grandes directions de ministère, les chiffres de la commande publique et la part de la commande publique consacrée à ces achats innovants. Ce sera une façon d’apporter de la transparence et peut-être d’inciter les acteurs publics à effectuer davantage d’achats de ce type auprès des TPE et PME.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. L’Observatoire économique de la commande publique met à disposition de tous, sur le site des ministères de l’économie et des finances, les données chiffrées relatives aux marchés publics. La publication de ces chiffres au Journal officiel paraît donc redondante et inutile.

Mme Laure de La Raudière. Ces chiffres sont-ils présentés par direction ?

M. Nicolas Forissier. Et en identifiant les entreprises innovantes ?

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Nous allons vérifier.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Une analyse économique est faite des composantes de la commande publique, et une attention particulière est portée aux achats innovants. De plus, dans le cadre du suivi des consultations de la loi PACTE et du tour de France des start-up de Mounir Mahjoubi, nous avons décidé de modifier le code des marchés pour procéder à une expérimentation allant dans le sens que vous souhaitez. Cette dérogation sera une incitation forte à effectuer des achats innovants puisque les acteurs pourront, dans ce cadre, s’exonérer de formalisme quand ces achats seront effectués auprès de PME.

Mme Laure de La Raudière. Je salue cette démarche et retire mon amendement, que je redéposerai toutefois en séance car je voudrais savoir si ces informations sont fournies par direction de ministère. Les démarches entreprises par le Gouvernement en faveur des achats innovants sont très bénéfiques mais je souhaiterais qu’on puisse avoir des outils de contrôle et de mesure du résultat des actions entreprises.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS385 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. L’ambition que nous avons de réduire le poids de la charge normative auprès des entreprises nécessite la mise en place, par ministère, d’un tableau de bord de pilotage de l’évolution de la charge administrative. Il ne s’agit pas de mesurer la totalité de la charge administrative existante mais les résultats de la simplification administrative et donc la baisse de la charge administrative des entreprises. Ce qui m’intéresse n’est pas le stock mais le flux. Cela a toujours été refusé par le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), ce que je regrette profondément car ce serait un outil de transparence sur l’enjeu majeur de la simplification pour les entreprises

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Ce sujet a été discuté dans le cadre de la loi « ESSOC » et la proposition n’a pas été retenue. Ce qui n’a pas été retenu lors du débat sur un projet de loi récent ne peut être systématiquement débattu à nouveau dans le projet de loi suivant. Les parlementaires ont le droit de faire des propositions, mais la loi « ESSOC » vient à peine d’entrer en vigueur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle procède à l’examen des amendements CS566 de M. Ian Boucard et CS237 de Mme Véronique Louwagie.

M. Ian Boucard. Le statut national d’étudiant-entrepreneur (SNEE) permet aux étudiants et aux jeunes diplômés d’élaborer un projet entrepreneurial. Cependant, le baccalauréat ou une équivalence de niveau est indispensable pour s’inscrire au diplôme d’étudiant-entrepreneur. Cette condition est un frein pour une partie des jeunes voulant s’inscrire dans une démarche entrepreneuriale.

C’est pourquoi l’amendement CS566 vise à permettre aux étudiants et aux jeunes diplômés de bénéficier du SNEE sans avoir en leur possession le diplôme du baccalauréat. Compte tenu de la volonté du Gouvernement de favoriser l’entrepreneuriat, je propose d’élargir ce statut à tous les étudiants. Il est aujourd’hui, par dérogation, ouvert aux alternants mais moyennant des contraintes qui peuvent être dissuasives. Si je propose cet élargissement, c’est qu’il s’agit d’un dispositif efficace : depuis 2014, date de sa création, plus de 6 000 jeunes ont ainsi été accompagnés. Le nombre de jeunes concernés est en progression constante : de 600 la première année, il est passé à 3 000 en 2017. En 2016-2017, plus de 500 sociétés ont été créées par des étudiants entrepreneurs.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Les diplômés de l’enseignement technique et professionnel sont pleinement dans la cible du statut national d’étudiant-entrepreneur. Je vous demande donc de retirer votre amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement souhaite maintenir le lien entre le statut d’étudiant-entrepreneur et le fait d’avoir le baccalauréat. Il existe des dispositifs d’accompagnement des non-bacheliers vers l’entrepreneuriat, comme le diplôme d’université de création d’activité. Il ne nous semble pas nécessaire de fusionner tous ces dispositifs.

M. Ian Boucard. J’entends la position du rapporteur et de Mme la secrétaire d’État quant aux dérogations existantes. L’idée est d’étendre ce statut à tous les étudiants, quelle que soit leur filière. On constate en effet que l’économie est de plus en plus innovante. Dans tous les domaines, des PME et des TPE sont créées et des auto-entrepreneurs font un travail formidable. Dès lors, pourquoi n’ouvrir ce statut qu’aux filières techniques ? Dans n’importe quelle filière, un étudiant, qu’il soit bachelier ou pas, peut avoir envie d’être entrepreneur et de bénéficier de ce dispositif. Je voulais m’associer à votre grande ambition entrepreneuriale mais je vois que vous n’êtes pas prêts à faire un pas dans ma direction.

M. Nicolas Forissier. Dans la ligne de ce que vient de dire Ian Boucard, je voudrais soutenir l’amendement CS237 qui suit. Cet amendement demande au Gouvernement de produire un rapport sur la possibilité d’élargir l’accès au SNEE des étudiants détenteurs d’un brevet d’études professionnelles (BEP) ou d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Beaucoup de jeunes, en effet, s’arrêtent au BEP ou au CAP mais aimeraient bien pouvoir bénéficier de ce dispositif. Il s’agit d’un amendement d’appel.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable également.

La commission rejette successivement les deux amendements.

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Article 13 bis (nouveau)
(articles L. 123-16, L. 232-1 et L. 232-25 du code de commerce)
Simplification de certaines obligations comptables
des petites et moyennes entreprises

Issu d’un amendement de notre collègue Adrien Taquet et du groupe la République en Marche, le présent article vise à mieux tirer parti des possibilités offertes par la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises.

Il relève ainsi différents seuils pour simplifier certaines obligations comptables des petites et moyennes entreprises.

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La commission examine l’amendement CS1562 de M. Adrien Taquet.

M. Denis Masséglia. Les modifications proposées permettraient de lever différentes options de la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013, relatives aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprise.

Les entreprises de taille moyenne pourraient adopter une présentation simplifiée de leur compte de résultat. Cette présentation simplifiée suivra les dispositions de la directive comptable mais devra être transposée en droit français par un règlement de l’Autorité des normes comptables (ANC).

Ces moyennes entreprises pourraient ne rentre public qu’une présentation simplifiée de leur bilan et de leur annexe, sous réserve de mentionner certains éléments relatifs à l’avis des commissaires aux comptes.

Le seuil des petites entreprises serait remonté pour deux facultés : celle de se dispenser de la réalisation d’un rapport de gestion, et celle de rendre confidentielle la publication de leur compte de résultat.

Suivant l’avis favorable des rapporteurs, la commission adopte l’amendement. L’article 13 bis est ainsi rédigé.

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Article 13 ter (nouveau)
(articles L. 710-1, L. 711-8, L. 711-15, L. 711-16, L. 712-2 et L. 712-6 du code de commerce)
Renforcement du rôle de tête de réseau de CCI France – Inventaire de la situation patrimoniale des CCI

Issu de deux amendements de nos collègues Valérie Oppelt et Stella Dupont, cet article vise à donner suite à deux recommandations du rapport d’information sur les chambres de commerce et d’industrie ([29]) dont elles étaient les rapporteures.

● La première tend à conforter le rôle de tête de réseau de CCI France.

Il s’agit par-là de renforcer la cohérence et l’efficacité du réseau des chambres de commerce et d’industrie, d’améliorer son fonctionnement et d’assurer le déploiement efficace des politiques publiques.

Pour cela, l’article prévoit notamment que CCI France détermine les règles nationales relatives aux directeurs généraux du réseau, élargit le champ d’intervention de ses audits, lui confie l’affectation de la taxe pour frais de chambre ou encore renforce ses moyens pour s’assurer de la bonne mise en œuvre de la stratégie nationale.

● La deuxième modification donne compétence à CCI France pour établir un inventaire et une définition de la stratégie immobilière des CCI, avec le concours de la direction immobilière de l’État.

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La commission examine l’amendement CS2070 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Nous revenons aux CCI avec divers amendements que j’ai déposés avec Stella Dupont.

Le présent amendement vise à accroître le rôle de la tête de réseau, CCI France, afin de renforcer la cohérence et l’efficacité du réseau des chambres de commerce et d’industrie, d’améliorer son fonctionnement et d’assurer le déploiement efficace des politiques publiques. Cette proposition est conforme aux recommandations des récents rapports sur le réseau des CCI. Je précise que la demande émane des CCI mais aussi des CCI territoriales.

En voici les points majeurs.

Il est précisé que la représentation du réseau et des intérêts nationaux de ses ressortissants relève de la seule compétence de CCI France qui pourra toutefois la déléguer si nécessaire.

CCI France détermine des règles nationales relatives aux directeurs généraux. Afin de s’assurer que ceux-ci possèdent notamment les compétences requises pour exercer leurs fonctions, CCI France émet un avis sur leur recrutement et, par parallélisme des formes, émet un avis sur les décisions de rupture de la relation de travail des directeurs généraux des établissements publics de réseau.

Le champ d’intervention des audits réalisés par CCI France porte sur le fonctionnement mais aussi sur la situation financière des chambres du réseau.

L’affectation de la taxe pour frais de chambre (TFC) est confiée à CCI France. Cette mesure a été demandée par de nombreuses CCI, personnes auditionnées et rapports. Il s’agit de rationaliser le fonctionnement en réseau des CCI et d’assurer une péréquation sur l’ensemble du territoire. Elle renforce les moyens de CCI France pour s’assurer que la stratégie nationale et les priorités définies, notamment au travers du contrat d’objectifs et de performance, sont déployées sur tout le réseau.

Enfin, la présentation des comptes combinés, prévue à l’article L.712-6 du code de commerce, est indispensable pour les CCI régionales et CCI France.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement est très important puisqu’il est l’illustration d’une méthode ainsi que d’une ambition.

La méthode consiste à confier aux parlementaires la discussion avec les CCI ; et je remercie Valérie Oppelt de l’avoir fait avec autant de talent. Cette méthode de concertation est à mes yeux la seule valable, y compris pour ce qui regarde le statut des personnels.

De son côté, l’ambition est de réorganiser en profondeur le réseau des CCI, et de placer CCI France à la tête du réseau qu’elle a la charge de piloter ; c’est une transformation majeure de cette organisation. Concrètement, nous passons d’un régime de « baronnies » – pourquoi ne pas le dire puisque nous l’avons tous vécu ? – à une logique d’organisation territoriale structurée. CCI France aura notamment la responsabilité de réaliser des audits, elle pourra formuler des recommandations qui seront opposables aux CCI concernées, elle aura en outre la responsabilité majeure de l’affectation de la taxe pour frais de chambres (TFC) ainsi que sa répartition entre les CCI de région. L’établissement se voit ainsi doté d’un pouvoir considérable, mais c’est là la condition sine qua non du succès de cette transformation des chambres de commerce et d’industrie.

Je remercie à nouveau Valérie Oppelt pour son travail et précise que les syndicats de présidents de CCI ont été étroitement associés à cette décision qui ne tombe donc pas de nulle part et marque une vraie évolution dans la vie et l’organisation des chambres de commerce et de l’industrie.

Mme Valérie Oppelt. Je suis ravie de ce travail mené en équipe sur ces sujets fondamentaux.

M. Charles de Courson. C’est avec justesse, monsieur le ministre, que vous dites que cet amendement est une révolution. Jusqu’à présent CCI France était l’expression des CCI, qu’elles soient territoriales ou régionales. Désormais, ce sera l’inverse : CCI France sera l’organe dirigeant et disposera de l’argent puisque c’est elle qui le répartira.

En tout état de cause, c’est un système jacobin de centralisation, ne procédant pas de la logique décentralisatrice qui n’a cessé d’inspirer la famille politique à laquelle j’ai toujours appartenu. Ce que nous faisons là n’est pas une mince affaire ; mais nous n’avons pas encore tranché, et je vois bien que le ministre et le rapporteur sont d’accord pour faire évoluer à terme le statut vers une convention collective.

La commission adopte l’amendement.

La commission se saisit de l’amendement CS2084 de Mme Stella Dupont.

Mme Valérie Oppelt. Au cours des auditions et travaux menés dans le cadre du rapport d’information sur les CCI, il a été mis en évidence que leur situation patrimoniale ne faisait aujourd’hui l’objet ni d’une évaluation ni d’un inventaire établi de façon agrégée.

Afin d’évaluer et d’optimiser au mieux ces ressources immobilières, il apparaît nécessaire de donner les compétences à la tête de réseau d’établir un inventaire et une définition de la stratégie immobilière des chambres de commerce et d’industrie, avec le concours de la direction de l’immobilier de l’État.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable également. Je rappelle, et j’ai eu l’occasion de le dire aux présidents de CCI, que l’inventaire des biens immobiliers des CCI a été réclamé à plusieurs reprises par le Conseil d’État, par des missions d’information, par des corps de contrôle ainsi que par la Cour des comptes, sans que cela ait jamais été fait. Nous faisons donc comme pour le plafonnement des frais pour incidents bancaires : on joue le jeu de la coopération, mais si cela ne fonctionne pas, on passe par la loi.

La commission adopte l’amendement.

L’article 13 ter, issu de ces deux amendements, est ainsi rédigé.

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Article 13 quater (nouveau)
(articles L. 712-7 et L. 712-9 du code de commerce)
Renforcement de la tutelle des CCI

Issu d’un amendement du Gouvernement, le présent article vise à accroître le rôle des autorités de tutelle des CCI, préfets de région, ministres et Gouvernement, notamment pour faire face aux situations de crise, qu’elles soient financières ou de gouvernance. Il améliore donc, en le sécurisant, le fonctionnement du réseau, afin d’assurer un déploiement plus efficace des politiques publiques.

À cette fin, cet article donne la possibilité à l’autorité de tutelle, pour répondre à des situations de paralysie en raison de crise de gouvernance, de suspendre ou de dissoudre le bureau d’une CCI, ou, lorsque la crise est d’origine financière, de transformer une CCI territoriale en CCI locale, afin de mutualiser ses moyens et son patrimoine avec celui de la CCI de région.

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La commission aborde l’amendement CS2206 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Cet amendement a pour objet de faire plaisir à Charles de Courson (Sourires) puisqu’il vise à renforcer la tutelle de l’État sur le réseau des CCI. Le gaulliste va donc parler au centriste pour dire que cette tutelle est insuffisante aujourd’hui. Plusieurs rapports, dont certains du Parlement, montrent que cette situation conduit à ce que les résultats obtenus par les CCI dans certains territoires sont parfois totalement décevants.

Il s’agit donc à la fois de renforcer le rôle de CCI France dans les domaines que j’ai indiqués et de renforcer la tutelle de l’État sur le réseau des CCI pour mettre fin à des blocages institutionnels persistants, comme des regroupements de CCI demandés depuis dix ans et qui n’ont toujours pas eu lieu pour des raisons tenant plus à des intérêts particuliers qu’à la protection de l’intérêt général.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Nicolas Forissier. Le libéral que je suis va répondre, monsieur le ministre, au gaulliste que vous êtes, peut-être avec l’assentiment du centriste… Je suis quelque peu inquiet lorsque j’entends que la tutelle de l’État va être renforcée sur des organismes qui fédèrent des entreprises.

Je conçois que quelques outils supplémentaires sont nécessaires lorsqu’un ménage, qui doit être de bon sens, n’est pas fait. Mais pouvez-vous garantir que le rôle de l’État ne sera pas accru à l’excès, alors même que vous avez affirmé à plusieurs reprises qu’il fallait donner de l’oxygène aux entreprises, y compris à leurs représentants que sont les CCI ?

M. Charles de Courson. Je ne saisis pas bien l’objet de cette mesure, je ne retrouve pas dans le texte de l’article ce qu’annonce l’exposé de motifs : en quoi cet amendement renforce-t-il les pouvoirs de l’État ? Celui-ci dispose déjà d’à peu près tous les pouvoirs : il fixe le montant de l’IATP et peut aussi bloquer tous les budgets – ce qui relève du rôle des préfets, mais il semble qu’au sein des préfectures les services chargés du contrôle des CCI ne soient pas très actifs.

Il me semble donc qu’il ne s’agit pas d’un problème de pouvoir, mais d’exercice de celui-ci. Je saisis mal l’utilité de la mesure proposée : participer au bureau et à l’assemblée générale, c’est certes très bien, mais en quoi votre amendement renforce-t-il les pouvoirs de l’État ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Pour prendre un exemple très concret, je dirai que l’État aura le pouvoir, lorsqu’une grave difficulté financière ou un blocage institutionnel sera constaté à l’échelon territorial, d’imposer une mutualisation ou une fusion, alors qu’il ne le peut pas aujourd’hui. Pour ne pas stigmatiser des CCI territoriales existantes, je ne donnerai pas d’exemples concrets.

Je vous donne lecture du dispositif de l’amendement : « Une chambre de commerce et d’industrie territoriale dont l’assemblée générale a été dissoute peut être transformée, par décret, en chambre de commerce et d’industrie locale sans que cette transformation ait été préalablement prévue dans le schéma directeur de la chambre de commerce et d’industrie de région… »

C’est limpide : une nouvelle délibération n’est plus nécessaire, pas plus qu’un schéma directeur ; par décret, l’État peut transformer une CCI territoriale en CCI locale s’il estime que c’est plus efficace.

M. Charles de Courson. C’est donc le seul pouvoir supplémentaire apporté par cet amendement…

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est un pouvoir important, car l’un des principaux problèmes rencontrés aujourd’hui est que des regroupements qui auraient dû être faits ne l’ont pas été.

C’est d’ailleurs à juste titre M. Forissier défend le principe de la mutualisation ; y compris avec les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA), car je suis prêt à examiner une mesure incitative. Cependant, je me suis engagé auprès des CMA à ce qu’il n’y ait pas de fusion des CCI et des CMA, car les artisans y sont viscéralement opposés et je souhaite que leur identité soit respectée.

En revanche, nous avons là la possibilité d’imposer des regroupements, je vous livre très franchement mon sentiment : je pense qu’il s’agit d’un pouvoir de dissuasion, dont j’espère que nous n’aurons pas à user. Si vous le souhaitez, nous pourrons consulter la carte des CCI, examiner les cas où des regroupements ont été effectués et ceux où cela n’a pas eu lieu.

Je considère que certaines régions sont pénalisées, elles sont venues nous le dire : elles ont pratiqué tous les regroupements de CCI nécessaires afin d’être plus performantes en réduisant les coûts de fonctionnement, alors que le voisin n’a pas fait le nécessaire. Aujourd’hui l’État ne peut rien faire ; demain, avec cet amendement, je pourrai forcer la réorganisation du réseau des CCI.

La commission adopte l’amendement. L’article 13 quarter est ainsi rédigé.

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Article 13 quinquies (nouveau)
(article L. 712-11 du code de commerce)
Droit syndical des agents des CCI

Introduit par l’adoption d’un amendement de nos collègues Valérie Oppelt et Stella Dupont, le présent article vise à inscrire dans la loi le principe de l’existence des droits syndicaux pour l’ensemble des agents publics et privés employés par les établissements du réseau des chambres de commerce et d’industrie  et à renvoyer à la commission paritaire nationale issue de la loi du 10 décembre 1952, le soin de fixe les modalités d’application de ces dispositions.

Dans la mesure où leur mise en place nécessite un délai de mise en œuvre, confiée à la commission paritaire nationale, ces dispositions entreront en vigueur neuf mois à compter de la publication de la présente loi.

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Elle est ensuite saisie de l’amendement CS2096 de Mme Stella Dupont.

Mme Valérie Oppelt. Le droit syndical des agents publics soumis au statut du personnel administratif des CCI était, depuis 1984, réglementé par une circulaire ministérielle du 6 décembre de cette année, prise en application d’une décision de la commission paritaire nationale (CPN) créée par la loi du 10 décembre 1952, ce qui date quelque peu.

L’amendement vise à poser par voie législative le principe de l’existence des droits syndicaux à l’ensemble des agents publics et privés employés par les établissements du réseau des chambres de commerce et d’industrie et à renvoyer à la CPN issue de la loi du 10 décembre 1952 le soin de fixer les modalités d’application de ces dispositions.

Dans la mesure où leur mise en place nécessite un délai de mise en œuvre, confiée à la commission paritaire nationale, elles entrent en vigueur dans un délai de neuf mois à compter de la publication de la présente loi.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il nous est parfois reproché de ne pas être assez attentifs aux corps intermédiaires, c’est pourquoi je veux souligner l’importance de cet amendement.

Nous répondons à une demande récurrente de tous les personnels des CCI d’avoir un droit syndical. Aujourd’hui la base de ce droit est incertaine, car il repose sur une circulaire ministérielle du 6 décembre 1984, qui a été annulée par le Conseil d’État en 1996. Ainsi, lorsque les personnels des CCI recourent à leur droit syndical, c’est sur le fondement d’une base légale contestable.

Cet amendement définit la base légale des droits syndicaux des agents employés dans les CCI ; il s’agit donc d’une avancée sociale importante pour les intéressés que je tiens à souligner en donnant un avis très favorable.

M. Charles de Courson. Là encore, monsieur le ministre, il est vrai que nous sommes dans un vrai bazar : il n’y a plus de base légale, plus rien. Pis encore, les représentants de l’État ne vont pas à la CNP !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Si ! Je suis même personnellement présent à chaque réunion !

M. Charles de Courson. C’est donc récent…

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis parfaitement assidu, je veux bien y consacrer du temps, mais je n’accepte pas que l’on me reproche de ne pas le faire !

M. Charles de Courson. Pendant des années, l’État n’était même plus représenté.

Ce que je déplore, c’est que, là encore, nous amendons par petits morceaux, alors que le problème de fond est celui du statut. Et, puisque le ministre et le rapporteur sont d’accord pour aller dans le sens du droit privé, pourquoi ne pas en tirer toutes les conséquences plutôt que de créer ainsi des droits syndicaux au détour d’un amendement ?

La commission adopte l’amendement. L’article 13 quinquies est ainsi rédigé.

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Article 13 sexies (nouveau)
(article L. 4251-18 du code général des collectivités territoriales
et article L. 711-8 du code de commerce)
Obligation de conventionner entre CCI régionales et régions

Conformément à la « loi NOTRe » du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ([30]), les régions ont élaboré, adopté et mis en œuvre divers documents stratégiques parmi lesquels le Schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII). Ce schéma constitue le cadre de référence pour l’action de la région en matière d’aides aux entreprises, de soutien à l’internationalisation et d’aides à l’investissement immobilier à l’innovation des entreprises, ainsi que les orientations relatives à l’attractivité du territoire régional.

Aussi, dans le but de renforcer la complémentarité entre les CCI et les régions, cet article vise à insérer dans le code général des collectivités territoriales l’obligation de conventionner entre CCI régionales et régions. Ces conventions permettront d’assurer la comptabilité des stratégies régionales des CCI régionales avec les orientations du SRDEII, et de rendre ainsi opposables ces dernières aux CCI.

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La commission étudie l’amendement CS2110 Mme Stella Dupont.

Mme Valérie Oppelt. Conformément à la loi « NOTRe », les régions ont élaboré, adopté et mis en œuvre divers documents stratégiques parmi lesquels le schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII).

Les régions qui disposent de la compétence en matière de développement économique s’appuient sur des réseaux de proximité, au sein desquelles les CCI, qui doivent rendre leurs stratégies régionales « compatibles » avec les SRDEII.

Cet amendement a pour objet de renforcer la complémentarité entre CCI et régions, et cette convention pourra être signée entre les deux partenaires.

M. Denis Sommer, rapporteur thématique. Avis très favorable !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission adopte cet amendement. L’article 13 sexies est ainsi rédigé.

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Article 13 septies (nouveau)
(article L. 2224-18-1 du code général des collectivités territoriales)
Transmission de l’autorisation d’occupation par un exploitant agricole

Issu de l’adoption de trois amendements identiques de nos collègues Vincent Descoeur, Paul Christophe et Ian Boucard, après avis favorable du Gouvernement et du rapporteur, le présent article a pour objet de prévoir pour les exploitants agricoles titulaires d’une autorisation d’occupation exclusive au sein d’une halle ou d’un marché, ou d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, la possibilité de transmettre leur autorisation dans des conditions similaires aux commerçants, sans remettre en cause le caractère civil de leur activité.

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Puis elle examine les amendements identiques CS45 de M. Vincent Descoeur, CS215 de M. Paul Christophe et CS557 de M. Ian Boucard.

M. Vincent Descoeur. Les exploitants agricoles, sans être commerçants, peuvent vendre leur production agricole sur les marchés ou sur le domaine public. Ils continuent alors à exercer une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.

Il s’agit de permettre aux exploitants agricoles titulaires d’une autorisation d’occupation exclusive au sein d’une halle ou d’un marché ou d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public de transmettre leur autorisation dans des conditions similaires à celles qui s’appliquent aux commerçants.

M. Ian Boucard. Les halles et marchés font partie intégrante de notre économie, particulièrement à l’heure du retour à la ruralité et aux produits sains. Il s’agit d’offrir les mêmes conditions qu’aux commerçants aux agriculteurs qui proposent sur nos marchés des produits qui contribuent à leur attractivité. Certains marchés de certains territoires connaissent une inquiétante baisse d’activité.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Chers collègues, nous nous préoccupons tous des exploitants agricoles, nous les aimons tous, et nous leur avons consacré un certain nombre de semaines avec l’examen du projet de loi « ÉGALIM », qui reprendra la semaine prochaine dans l’hémicycle. Je vous invite donc, chers collègues, à retirer ces amendements, qui n’entrent pas dans le champ du texte que nous examinons. Cela n’implique évidemment pas d’oublier les exploitants agricoles. Si vous souhaitez soulever ce sujet la semaine prochaine, n’hésitez surtout pas. À défaut de retrait, je serai défavorable à ces amendements identiques.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Sur le principe, je suis favorable à l’alignement que vous proposez en matière de transmission des autorisations d’occupation de places sur le domaine public. Cependant, comme le dit le rapporteur général, un autre véhicule législatif serait plus approprié.

M. Jean-Paul Mattei. J’approuve le rapporteur général et le ministre : les règles dont il est question, régissant une question aussi importante que l’occupation du domaine publique, ne peuvent être réglées par voie d’amendement dans le cadre de l’examen du texte qui nous occupe actuellement, dont l’objet est différent.

M. Ian Boucard. Cher collègue Mattei, je ne suis pas d’accord. Ce projet de loi vise la croissance et la transformation des entreprises et les membres du groupe Les Républicains l’abordent de manière constructive. Depuis hier, nous avons voté en faveur de la majorité des articles mis aux voix, car nous partageons cette ambition, exprimée, notamment, par le ministre.

Cependant, nous avons peut-être une ambition un peu plus forte que celle de 0,3 point de croissance supplémentaire à l’horizon 2025… C’est la raison d’un certain nombre de propositions qui nous semblent de nature à améliorer le texte. Et, en l’occurrence, si nous sommes tous d’accord, pourquoi renvoyer le problème à une autre loi ? Vous avez décidé que nous allions parler des autoentrepreneurs, vendre la Française des Jeux et Aéroports de Paris, mais pas parler des marchés. La co-construction de la loi avec l’ensemble des parlementaires, c’est pourtant aussi reconnaître qu’un sujet, comme celui des marchés, peut avoir été oublié et que les dispositions nécessaires, qui ne coûtent rien, peuvent être rajoutées au texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Forcément, évoquant la capacité des agriculteurs à reprendre une place sur les marchés, vous me prenez par les sentiments. On peut aussi estimer – même si c’est un peu « tiré par les cheveux » – que cela se rapproche de la question des registres évoquée à un autre article. J’émets donc un avis favorable, qui pourra permettre d’adopter un amendement de l’opposition.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Soucieux d’alléger le travail de nos collègues la semaine prochaine, j’émets finalement un avis favorable.

La commission adopte les amendements. L’article 13 septies est ainsi rédigé.

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Section 3
Faciliter le rebond des entrepreneurs et des entreprises

Article 14
(articles L. 631-11 et L. 641-1 du code de commerce)
Fixation de la rémunération du dirigeant en redressement judiciaire

A.   L’État du droit

● Prévue par l’article L. 631-1 du code de commerce, la procédure de redressement judiciaire est une procédure collective qui est mise en œuvre par une entreprise en cessation de paiements dont le redressement est jugé possible. Elle permet la poursuite de l’activité de l’entreprise, l’apurement de ses dettes et le maintien de l’emploi.

Elle est ouverte, à la demande des créanciers ou des débiteurs, devant le tribunal de commerce si le débiteur est un commerçant ou un artisan, ou devant le tribunal de grande instance dans les autres cas.

Elle débute par une période d’observation de six mois maximum, renouvelable sans pouvoir dépasser dix-huit mois. Pendant cette phase, un bilan économique et social est réalisé et l’entreprise poursuit son activité. Elle est alors gérée soit par son dirigeant, avec l’assistance d’un administrateur judiciaire, soit par l’administrateur judiciaire seul.

À l’issue de la période d’observation, si l’entreprise est jugée viable, il peut être adopté un plan de redressement. Le plan de redressement est destiné à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.

En 2017, selon les statistiques d’Infogreffe, 12 827 jugements d’ouverture de redressement judiciaire avaient été prononcés, sur un nombre total de 46 939 procédures collectives ouvertes.

● Si le dirigeant dune entreprise en redressement judiciaire demeure en fonction, son rôle est amoindri par la loi et peut l’être encore davantage sur décision du tribunal.

Il continue ainsi d’exercer, selon l’article L. 622-3 du code de commerce, les actes de disposition et d’administration, c’est-à-dire les actes de gestion quotidiens, ainsi que les droits et actions ne relevant pas de la mission confiée à l’administrateur par la loi ou par le tribunal.

Dans le cas où le tribunal nomme un administrateur judiciaire, ce dernier se voit confier automatiquement des missions exclusives telles que la faculté d’exiger la poursuite des contrats en cours, la responsabilité de l’élaboration du bilan économique et social et celle de la préparation du plan de redressement ([31]). Par ailleurs, l’article L. 631-12 indique que, « outre les pouvoirs qui leur sont conférés par le présent titre, la mission du ou des administrateurs est fixée par le tribunal. Ce dernier les charge ensemble ou séparément dassister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains dentre eux, ou dassurer seuls, entièrement ou en partie, ladministration de lentreprise. » Ces missions peuvent être modifiées à tout moment par le tribunal.

L’article L. 631-11 du code de commerce prévoit que le juge-commissaire doit systématiquement fixer « la rémunération afférente aux fonctions exercées par le débiteur sil est une personne physique ou les dirigeants de la personne morale ». Le second alinéa du même article précise qu’en l’absence de rémunération, le débiteur ou les dirigeants de la personne morale « peuvent obtenir sur lactif, pour eux et leur famille, des subsides fixés par le juge-commissaire ».

Enfin, pour les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, le juge-commissaire doit tenir « compte des revenus éventuellement perçus au titre des patrimoines non visés par la procédure ».

● La procédure de fixation systématique de la rémunération du dirigeant est aujourdhui obsolète.

Instituée par la loi du 13 juillet 1967, elle trouvait sa justification dans le fait que le dirigeant jouait un rôle marginal dans la procédure de redressement judiciaire et que celle-ci ne pouvait alors en principe dépasser trois mois.

Or le rôle du dirigeant dans la procédure a sensiblement évolué depuis, et dun dessaisissement total on est passé à une modulation de cette limitation de son rôle. Il continue ainsi en principe d’exercer les actes de disposition et d’administration dans une perspective de moyen terme – le plan de redressement pouvant s’étaler sur plusieurs années – orientée vers le redressement de l’entreprise.

Par ailleurs, le niveau de rémunération du dirigeant, pour les entreprises de grande taille, représente souvent un poste de dépense marginal qui ne saurait être à l’origine des difficultés financières rencontrées.

Aussi, cette mesure apparaît aujourd’hui surtout vexatoire, voire humiliante, pour le dirigeant qui participe au redressement de son entreprise.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article modifie l’article L. 631-11 du code de commerce pour prévoir que la rémunération du dirigeant est maintenue en létat, sauf décision contraire du juge-commissaire saisi sur demande de l’administrateur judiciaire ou du ministère public (alinéa 2).

Le gouvernement a fait le choix d’une appréciation in concreto, au cas par cas, plutôt que de préciser dans la loi certains critères. Comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi (page 182), « puisque les intérêts de ladministrateur sont par nature alignés sur les intérêts de la société faisant lobjet du redressement, lappréciation de lopportunité de la saisine du juge-commissaire devrait conduire ladministrateur à ne formuler de demande que lorsque la rémunération apparaît problématique pour le redressement de lentreprise. Cette appréciation, qui tire parti de lalignement des intérêts, permet de tenir compte du fait que chaque situation de redressement est différente selon la taille ou le secteur de la société et selon les fonctions du dirigeant. Le ministère public serait également autorisé à solliciter la modification de la rémunération, ce qui pourrait permettre de pallier déventuelles carences de ladministrateur. »

Le II de l’article procède par ailleurs à une coordination à l’article L. 641-11 du code de commerce, relatif à la liquidation judiciaire.

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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*     *

La commission examine l’amendement CS1429 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer l’article 14.

La révision systématique du salaire du patron n’implique pas qu’il soit baissé automatiquement s’il ne met pas en péril le redressement de l’entreprise ; en revanche, il est bon de se poser la question. Dans les grandes entreprises, que le salaire du dirigeant soit marginal par rapport aux montants en jeu ne justifie pas le fait de ne pas le revoir à la baisse. Comment accepter des licenciements de salariés si les dirigeants touchent des rémunérations colossales de centaines de milliers, voire de millions d’euros ?

Dans les petites d’entreprises, la rémunération du dirigeant peut représenter un montant important par rapport aux sommes en jeu. Il est donc nécessaire de se poser la question de sa baisse, sans que celle-ci soit automatique.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je suis en total désaccord avec cet amendement qui conduit à considérer que le chef d’entreprise est a priori coupable des difficultés que l’entreprise peut rencontrer et qu’à partir de là, il doit être immédiatement sanctionné. Le chef d’entreprise n’est pas forcément responsable des problèmes de l’entreprise – accidents de marchés, difficultés avec une entreprise cliente, forte pression sur les prix de la part des clients, investissements correspondant à un marché qui se trouve annulé pour toutes sortes de raisons, crise internationale, etc. Considérer a priori que le salaire du chef d’entreprise n’est pas justifié ne me paraît ni juste, ni acceptable.

Ajoutons que les salaires des dirigeants de PME sont très souvent tout à fait raisonnables et nettement en dessous des salaires des cadres dirigeants de grands groupes.

Il faut donc observer la réalité de l’entreprise. Si le salaire n’est pas de nature à compromettre le redressement de l’entreprise, il doit bien évidemment être maintenu. Et si ce n’est pas le cas au vu de la situation réelle de l’entreprise, le juge sera sollicité.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. L’article 14 est important si l’on veut éviter que les chefs d’entreprise qui se trouvent dans une situation de redressement judiciaire ne se sentent stigmatisés par une remise en cause systématique de leur rémunération. Cette remise en cause est contraire à la culture du droit à l’échec et du rebond que nous prônons dans ce chapitre du projet de loi. Je suis donc défavorable à cet amendement de suppression.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS438 de Mme Pascale Fontenel-Personne.

Mme Valérie Oppelt. Cet article permet aux dirigeants d’une société en redressement judiciaire d’avoir la garantie que la rémunération afférente à leurs fonctions sera maintenue. Il permet ce maintien sauf décision contraire du juge-commissaire saisi sur demande de l’administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire ou du ministère public. Il vise donc à ne plus rendre obligatoire la fixation de la rémunération par le juge-commissaire.

Néanmoins, afin de limiter les abus que pourrait entraîner le maintien automatique de la rémunération, une exception doit être prévue en cas de délit d’abus de biens sociaux.

M. Denis Sommer, rapporteur. L’abus de bien social doit être sanctionné, mais c’est au juge-commissaire d’en décider. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme Valérie Oppelt. Je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite en discussion commune les amendements CS448 de M. Éric Girardin et CS1383 de M. Emmanuel Maquet.

M. Éric Girardin. L’article 14 laisse à l’administrateur, et non plus au juge‑commissaire, la liberté d’enclencher ou non la procédure de fixation de la rémunération des dirigeants en procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Dans ce cadre, nous souhaitons préciser que la rémunération doit être en cohérence avec le chiffre d’affaires et la rentabilité de l’entreprise. C’est l’objet de l’amendement CS448.

M. Ian Boucard. L’amendement CS1383 vise à préciser davantage les conditions dans lesquelles le juge pourra fixer la rémunération du dirigeant d’entreprise en redressement judiciaire. Sa décision devra être motivée par le fait que sa rémunération actuelle contrevient au bon redressement de l’entreprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable sur ces deux amendements.

S’agissant de l’amendement CS448, la référence au chiffre d’affaires n’est pas suffisante. De fait, le chiffre d’affaires n’est pas révélateur des résultats de l’entreprise : elle peut avoir un gros chiffre d’affaires et une rentabilité très faible. Le texte lui-même précise que le juge apprécie en fonction de la situation de l’entreprise et de la compatibilité du salaire avec la réalité des résultats de l’entreprise.

Même argumentation pour l’amendement CS1383.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Il me semble que les deux amendements contraignent de façon excessive la décision du juge-commissaire, qui doit pouvoir évaluer la situation de l’entreprise et l’adéquation de la rémunération à partir de multiples critères.

M. Éric Girardin. Je retire mon amendement.

M. Ian Boucard. Pour ma part, je le maintiens.

L’amendement CS448 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS1383.

Puis elle examine l’amendement CS1954 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. C’est un amendement de précision. Le texte que vous proposez fait état d’un « maintien de rémunération ». Or il se trouve que lorsque les entreprises sont en difficulté, le dirigeant ne perçoit pas de rémunération pendant des mois. Nous permettrions ainsi au juge de fixer alors la rémunération qui serait nécessaire, notamment en cas de mise en place d’un plan de continuation. Dans la pratique, cela arrive souvent.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable et demande de retrait : la loi le permet déjà. Il est inutile de le préciser.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte alors l’article 14 sans modification.

Après l’article 14

La commission est saisie de l’amendement CS1674 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Je tiens d’abord à expliquer dans quel esprit ont été déposés les prochains amendements. Ceux-ci s’inspirent, entre autres, d’une proposition de loi rédigée par les salariés de l’entreprise GM & S qui se sont mobilisés pendant plusieurs mois. L’idée est qu’il faut impliquer les entreprises sous-traitantes dans les décisions de leurs donneurs d’ordres, et que les donneurs d’ordres doivent assumer les conséquences de leurs décisions auprès de ces sous-traitants. Cela est bon pour l’emploi et inscrit les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants sur le long terme. Il n’arrive pas si souvent que des salariés rédigent une telle proposition de loi ; il nous a semblé important de le prendre en considération.

Le premier amendement, CS1674, instaure une obligation de réaliser une étude d’impact dans le cadre du plan de vigilance prévu par l’ordonnance n° 2017‑1162 du 12 juillet 2017 lorsqu’intervient « un changement d’orientation technique, normatif ou économique ayant un impact sur l’activité d’un sous-traitant ». Cette étude d’impact doit intervenir en amont.

M. Denis Sommer, rapporteur. Cela suppose que les donneurs d’ordres n’aient pas beaucoup de sous-traitants ! Je ne vois pas comment les entreprises pourront fonctionner si chaque changement de produit ou une modification de commande se traduit par une étude d’impact pour chacun des sous-traitants concernés. Le périmètre est beaucoup trop large. Cela entraînerait des frais et des contraintes inutiles ; et d’un point de vue opérationnel, c’est irréalisable. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Outre qu’une obligation aussi large pèserait forcément sur les acteurs économiques, elle imposerait la publicité d’éléments stratégiques contrevenant au secret des affaires. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1681 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Comme je le disais, cet amendement est issu d’une proposition des salariés de l’entreprise GM & S. Il réduit le délai maximum légal de paiement d’une facture à dix jours ouvrés.

Les retards de paiement peuvent avoir de graves conséquences pour les entreprises sous-traitantes. En touchant à ses finances, un délai trop important dans le paiement soumet l’entreprise sous-traitante à une trop forte dépendance envers le donneur d’ordres. Le délai de dix jours laisse une marge de manœuvre pour le donneur d’ordres, tout en évitant au sous‑traitant d’être en manque de financements.

M. Denis Sommer, rapporteur. Il faut prendre en compte la loi de modernisation de l’économie, dite « loi LME », promulguée en 2008. Depuis, des progrès tout à fait considérables ont été réalisés dans l’ensemble des filières de France. Par ailleurs, la crise financière et économique de 2008-2009 a amené certains donneurs d’ordres à prendre conscience du problème, et à améliorer les pratiques.

Je crois qu’il faut attendre encore. La dynamique qui est engagée est tout à fait intéressante, avec des progrès significatifs. Il faut évaluer cette loi. Pour le moment, la modification des délais de paiement n’est pas à l’ordre du jour. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement. Je rappelle que l’on a décidé de travailler sur le sujet des délais de paiement au cours des prochains mois.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Madame Obono, je tiens à vous préciser, puisque nous n’avions pas eu le plaisir de vous voir dans les heures précédentes, que nous avons déjà parlé des délais de paiement. M. le ministre Bruno Le Maire et Mme la secrétaire d’État Delphine Gény-Stephann ont pris des engagements, et un groupe de travail transpartisan nous permettra d’avancer ensemble sur le sujet.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, la crise de 2008 date d’une dizaine d’années, et il nous semble qu’on peut améliorer encore les procédures. Nous participerons bien entendu aux travaux et nous y serons très attentifs. Nous représenterons évidemment ces amendements en séance : nous pensons qu’il faut mettre en avant les enjeux socio‑économiques que les délais de paiement représentent pour les salariés comme pour les entreprises.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1673 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Les donneurs d’ordres doivent assumer une responsabilité environnementale au regard des dégâts environnementaux que leurs choix stratégiques génèrent. Cet article permettrait de réintroduire la question environnementale dans les stratégies des donneurs d’ordres, et de limiter les stratégies d’externalisation des impacts négatifs pour l’environnement aux seuls sous-traitants.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je suis bien évidemment d’accord avec le principe pollueur-payeur. Malgré tout, les questions environnementales sont appréciées à l’échelle des filières et dans le cadre des relations entre les groupes et les sous-traitants, même s’il y a encore des marges de progression en la matière. Il faudra s’y attacher à l’avenir ; mais pour le moment, j’émettrai un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable, bien que la question de la prise en charge des dommages causés à l’environnement soit cruciale.

Le champ de cet amendement est vaste, peu précis, et ce sujet de la responsabilité environnementale des entreprises nécessiterait vraisemblablement des débats au niveau européen. En effet, imposer de telles dispositions aux entreprises dont le siège social est en France n’irait pas sans créer des difficultés.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine alors l’amendement CS1677 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement prévoit l’implication conjointe et solidaire de la société donneuse d’ordres au côté de la société sous-traitante dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

La pratique actuelle permet aux donneurs d’ordres de s’exonérer de toute responsabilité à l’égard des salariés de leurs sous-traitants et en cessant ou en limitant leurs commandes, de provoquer l’ouverture de procédures collectives – procédures de sauvegarde ou de liquidation judiciaire.

À revers de cette logique de déresponsabilisation vis-à-vis des conséquences sociales des orientations prises par des entreprises donneuses d’ordres, il est proposé de leur faire assumer, conjointement avec l’entreprise sous-traitante placée en situation de dépendance économique caractérisée, les conséquences sociales de ces orientations lorsqu’elles conduisent à l’ouverture d’un plan de sauvegarde de l’emploi au sein de l’entreprise sous‑traitante.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Défavorable également.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1679 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Les entreprises de plus de 1 000 salariés qui procèdent à des licenciements collectifs affectant l’équilibre d’un bassin d’emploi, sont d’ores et déjà tenues de contribuer à la création d’activités et au développement des emplois et d’atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d’emploi. Nous proposons que les donneurs d’ordres dont un sous-traitant a procédé à des licenciements collectifs soient soumis à cette même obligation.

La stratégie de sous-traitance vise à externaliser les risques : industriels, commerciaux, de santé, de sécurité, salariaux et sociaux en transférant les responsabilités des donneurs d’ordres sur les sous-traitants, voire sur les salariés. Face à cette logique néfaste d’un point de vue social, environnemental et économique, il est nécessaire de responsabiliser les donneurs d’ordres qui occupent une position de force vis-à-vis de leurs sous-traitants.

Cet amendement contribuerait à responsabiliser l’entreprise donneuse d’ordres vis‑à‑vis des conséquences de ses orientations stratégiques sur l’emploi et les territoires.

M. Denis Sommer, rapporteur. Pardonnez-moi, Madame, mais une telle disposition est totalement inapplicable ! Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1662 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement propose d’intégrer les entreprises sous‑traitantes dans les comités de groupe.

L’organisation de la sous-traitance conduit à séparer la production en entités faussement indépendantes. Il apparaît donc nécessaire que les intérêts des sous-traitants et de leurs salariés soient pris en compte dans la gestion de l’entreprise donneuse d’ordres. Pour ce faire, les entreprises sous-traitantes, ainsi que leurs représentants du personnel, doivent être intégrées dans le comité de groupe des donneurs d’ordres.

Cela permettrait aux entreprises sous-traitantes ou prestataires, ainsi qu’à leurs institutions représentatives du personnel, comme à celles du donneur d’ordres, de recevoir une information complète, identique et simultanée sur les implications et les conséquences socio‑économiques de leurs choix, notamment ceux relatifs à la réalité et à la projection d’activité, d’évolution des effectifs, au besoin en qualifications et compétences, et aux évolutions technologiques.

Une meilleure information des entreprises sous-traitantes sur l’ensemble de ces éléments leur permettrait de mieux anticiper les évolutions de la production, et de limiter leur dépendance.

M. Denis Sommer, rapporteur. Les entreprises sous-traitantes n’ont pas qu’un seul client, mais plusieurs. Dans le secteur de l’automobile, par exemple, la même entreprise a comme clients PSA, Renault, BMW, etc. Cela voudrait dire qu’elle serait dans le comité de groupe de chacun de leurs clients. Cela ne peut pas fonctionner !

En revanche, et je suis d’accord avec vous, si c’est à cela que vous pensez, les stratégies de développement des filières doivent être envisagées collectivement, et associer à la fois les grands donneurs d’ordres et les entreprises sous-traitantes, qu’elles soient de rang 1, 2 ou 3, comme le font d’ailleurs très bien les Allemands, qui savent « chasser groupés » pour réussir. Des évolutions seraient donc souhaitables dans ce domaine.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Les relations avec les fournisseurs et les sous-traitants sont un élément important de la vie de l’entreprise. Elles doivent être pleinement prises en compte dans la politique de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise – et c’est de plus en plus le cas. En revanche, il ne me semble pas opportun de créer des mécanismes automatiques et aussi sophistiqués de participation aux instances internes des donneurs d’ordres. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1664 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1670 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement propose de modifier la fréquence des réunions de comité de groupe, organise les conditions de participation des membres du comité et prévoit un nouveau cas de réunion à l’initiative d’un représentant d’une entreprise sous‑traitante lorsqu’une décision du donneur d’ordres est susceptible de mettre en difficulté son activité.

Ainsi, la périodicité des réunions du comité de groupe doit être modifiée afin d’en faire un réel instrument d’anticipation. Une forme d’alerte à l’initiative des membres issus des sous-traitants est instaurée et l’information et la consultation de celui-ci dans les domaines spécifiques de la sous-traitance est rendue obligatoire.

Cet amendement nous semble participer à une meilleure coordination et à une meilleure anticipation pour les salariés et les entreprises sous-traitantes.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement CS1661 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement tend à compléter la définition de la sous‑traitance contenue dans l’article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. Il s’agit de combiner un critère relatif à la taille de l’entreprise donneuse d’ordres, à l’existence d’une relation commerciale établie avec le sous-traitant, et à la proportion du chiffre d’affaires de l’entreprise sous-traitante réalisé pour le donneur d’ordres.

Ce faisant, nous proposons d’instaurer une présomption de sous-traitance permettant une application plus large de la réglementation protectrice des entreprises sous-traitantes que plusieurs de nos amendements entendent, par ailleurs, considérablement renforcer.

Cette définition complémentaire permettrait enfin de renforcer, à travers des amendements complémentaires, les obligations spécifiques des donneurs d’ordres lorsqu’il s’agit d’entreprises d’une certaine taille.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Défavorable également. La définition de la sous-traitance nécessite des opérations contractuelles clairement définies, et non pas une relation commerciale d’ensemble.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1842 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Nous nous sommes inspirés d’une proposition du rapport d’information présenté en 2013 par les députés Cécile Untermaier et Marcel Bonnot, sur le rôle de la justice en matière commerciale : mettre à la charge des experts-comptables un devoir d’alerte similaire à celui qui pèse sur les commissaires aux comptes. Les experts‑comptables sont les conseils de proximité́ des dirigeants des petites et moyennes entreprises, et sont souvent les premiers à constater les difficultés de celles-ci.

Ce devoir d’alerte et d’information du tribunal de commerce permettrait de régler des problèmes en amont. En effet, tous les professionnels que nous avons rencontrés nous ont indiqué que plus les difficultés de l’entreprise sont connues en amont, plus on a de chances de trouver des solutions pour la sauver.

M. Denis Sommer, rapporteur. On ne peut pas créer une telle obligation de dénonciation dans la mesure où l’expert-comptable est lié par contrat à l’entreprise. Ce serait contraire au contrat. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1888 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Le greffe du tribunal de commerce reçoit chaque année le dépôt des comptes des sociétés, et centralise ainsi des informations sur la santé financière des entreprises.

Cet amendement, qui est tiré des ateliers de terrain, vise à ajouter à l’article L. 611-2 du code de commerce une obligation d’information du greffe du tribunal de commerce à l’égard des entreprises qui auraient déposé leurs comptes et qui connaîtraient une perte de plus de la moitié du capital social.

L’information consiste à les avertir de l’existence de procédures, préventives et confidentielles, de règlement amiable des difficultés, avec la désignation d’un mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce, et de procédures de conciliation dont le but est de rétablir la situation de l’entreprise avant qu’elle ne soit en cessation de paiement.

M. Denis Sommer, rapporteur. Des mesures de communication sur les différents cadres existants de prévention aux difficultés sont déjà menées par les greffes des tribunaux de commerce, ainsi que par les chambres de commerce. Je demande le retrait de cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je propose également le retrait, parce que ces informations peuvent être disponibles sur divers supports. Je pense que les tribunaux de commerce sont déjà bien impliqués aujourd’hui dans ce type d’actions.

Mme Valérie Oppelt. Je retire l’amendement. Mais il me semblait intéressant de créer une alerte supplémentaire pour les entreprises.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1886 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Je défendrai l’amendement CS1887 en même temps que le CS1886.

Le greffe du tribunal de commerce reçoit chaque année le dépôt des comptes des sociétés et centralise ainsi des informations sur la santé financière des entreprises. Or il est apparu, lors des différents ateliers organisés sur le territoire, que trop souvent, les débiteurs ne sont pas au courant de l’existence de ces mandataires ad hoc et de la possibilité, grâce à leur désignation, de mettre en place une procédure, préventive et confidentielle, de règlement amiable des difficultés, dont le but est de rétablir la situation de l’entreprise avant qu’elle ne soit en cessation des paiements.

Cet amendement propose donc d’afficher systématiquement la liste des mandataires ad hoc dans les greffes des tribunaux de commerce, afin de favoriser l’information des débiteurs. Tel est l’objet de l’amendement CS1886.

Même chose pour le CS1887, qui concerne les conciliateurs.

M. Denis Sommer, rapporteur. Les mandataires ad hoc, tout comme les conciliateurs ne constituent pas une profession réglementée, organisée selon une liste. Ils peuvent être désignés, comme toute personne répondant aux exigences de qualification, de compétence et d’indépendance requises. Avis défavorable et demande de retrait.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. La volonté de favoriser une bonne information des entreprises sur les dispositifs et l’accompagnement dont elles peuvent disposer est importante. Nous y contribuons au niveau des services de l’État. Toutefois, en pratique, on ne peut pas établir de liste des mandataires ad hoc ni des conciliateurs puisqu’ils peuvent être désignés au sein de groupes plus larges. Il ne s’agit pas d’une profession réglementée.

Mme Valérie Oppelt. Je retire mes deux amendements.

Les amendements CS1886 et CS1888 sont retirés.

La commission examine alors en discussion commune les amendements CS1746 de M. François Ruffin et CS399 de M. Charles de Courson.

Mme Danièle Obono. Le crédit-bail est une solution de financement prévoyant la mise à disposition d’un bien par un « crédit-bailleur » à un « crédit-preneur », pour une période déterminée en contrepartie d’une redevance périodique.

Dans le contexte actuel, l’accès au crédit est très restreint pour les PME ; le recours au crédit-bail est donc courant dans les petites entreprises. Or, en cas de procédure collective, ce mode de financement n’est pas considéré comme un crédit mais comme un contrat en cours qu’il faut payer chaque mois. Il ne peut donc pas bénéficier de l’effet de gel qu’entraîne l’ouverture d’une procédure collective.

Voilà pourquoi, par cet amendement, nous proposons d’intégrer le crédit-bail aux crédits bénéficiant de l’effet de gel lié à l’ouverture d’une procédure collective.

M. Denis Sommer, rapporteur. Voter une telle disposition serait une erreur car il n’y aurait plus de crédit-bail : les crédit-bailleurs cesseraient de prendre le risque de financer l’outil de production ou l’immobilier des entreprises. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas tous les jours que je défends pratiquement le même amendement que celui de Mme Obono ! Comme quoi tout peut arriver…

Le crédit-bail est un mode de financement très développé, notamment chez les très petites entreprises (TPE), mais il est impossible ré-étaler la créance, autrement dit le loyer, dans le cas d’une procédure collective. Que se passe-t-il ? Le détenteur du contrat, la banque, récupère le bien, et l’entreprise meurt, tout simplement. Cet amendement permet au tribunal de commerce de trouver une solution d’étalement.

Votre argument, Monsieur le rapporteur, ne tient pas du tout, puisqu’il s’agit d’équipements assez spécifiques, difficiles à relouer. Vous vous faites le « porte-flingue » des banques de crédit-bail qui voudraient faire croire qu’il s’agit d’une révolution, alors que c’est le moyen de relancer les PME et les TPE.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je maintiens mon avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le crédit-bail est un mode de financement très prisé des TPE et PME, mais nos analyses montrent que cette disposition, en changeant fondamentalement l’origine du risque appliqué au crédit-bail, provoquerait une augmentation de l’encours et aggraverait les difficultés de financement des entreprises. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Madame la secrétaire d’État, lorsqu’une entreprise en dépôt de bilan loue un immeuble, le tribunal de commerce peut étaler la créance ; il peut aussi abaisser le taux d’un prêt, parfois même annuler une partie de la créance. Pourquoi ce qui est possible pour un prêt ne le serait pas pour le crédit-bail ? Le crédit-bail n’est rien d’autre qu’un prêt, avec le moyen pour le crédit-bailleur de récupérer le bien en cas de non-paiement.

C’est un peu comme si vous annonciez que les banquiers ne prêteront plus si telle ou telle disposition était votée. Vous abondez dans le sens des banques. Nous ne sommes pas là pour favoriser les organismes bancaires de crédit-bail – principalement des filiales de banques –, mais pour aider les entreprises en difficulté à se redresser. Il serait souhaitable de disposer d’une telle variable d’ajustement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. En toute franchise, Monsieur de Courson, j’avais la même idée que vous : j’ai imaginé déposer le même amendement et creusé le sujet pendant des mois. Mais j’ai renoncé à cette idée car ce qu’a expliqué Mme la secrétaire d’État m’a été démontré. Mais j’aurai grand plaisir à en reparler avec vous.

M. Laurent Saint-Martin. Le principe du crédit-bail, c’est que la banque est dès le départ propriétaire de l’actif. Cela change tout. En proposant de faire d’un crédit-bail un crédit normal où, à la fin, on peut effectivement envisager de récupérer l’actif, vous tuez le principe même du crédit-bail.

Comme l’a expliqué Mme la secrétaire d’État, si les banques accordent des crédits‑bail, c’est justement parce qu’elles sont propriétaires du bien, et que l’opération, en matière de risques, est plus sûre pour elles. Sans le mécanisme du crédit-bail, un grand nombre de TPE et de PME ne pourraient pas se financer. Le dispositif que vous proposez revient à supprimer le principe du crédit-bail, et du coup leur interdire l’accès au crédit.

La commission rejette successivement les amendements CS1746 et CS399.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1848 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement, inspiré là encore des travaux de nos collègues Untermaier et Bonnot en 2013, vise à mêler magistrats professionnels et juges consulaires dans les tribunaux de commerce, en première instance comme en appel. Cela permettrait de confronter les points de vue du juriste et du commerçant, lors de l’audience et du délibéré, et d’allier l’expertise économique à la sécurité́ juridique.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Défavorable également.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1839 de M. Adrien Quatennens.

Mme Danièle Obono. Avec cet amendement, nous reprenons une proposition du rapport des députés Untermaier et Bonnot visant à rendre obligatoire pour les juges des tribunaux de commerce l’établissement d’une déclaration d’intérêts.

Cela limiterait les situations de conflit d’intérêts, à l’image de celle révélée par l’émission Cash Investigation : le vice-président du tribunal de commerce de Laval, lequel aurait dû exiger la publication des comptes de Lactalis, est aussi un cadre dirigeant du groupe.

La déclaration d’intérêts ferait état des intérêts financiers – créances, dettes, liens d’affaire ou de commerce – détenus par les juges consulaires, énumérerait les fonctions qu’ils exercent dans le cadre d’une activité́ économique et financière, ainsi que tout mandat qu’ils détiennent au sein d’une société́ civile ou d’une personne morale menant une activité́ à caractère commercial. A fortiori, cette obligation s’appliquerait aux présidents des tribunaux de commerce.

La déclaration serait adressée au président du tribunal de commerce ou au premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le tribunal, mais également au parquet près du tribunal de commerce et de la cour d’appel. Elle pourrait être établie à l’occasion de la prise des fonctions et du renouvellement du mandat du juge du tribunal de commerce. Les parties à une procédure devant le tribunal de commerce pourraient demander à en prendre connaissance.

Alors que des situations de conflits d’intérêts font la une de l’actualité, cet amendement nous paraît répondre à des préoccupations importantes d’ordre démocratique, juridique et commercial.

M. Denis Sommer, rapporteur. Votre amendement est déjà satisfait par une disposition du code de commerce. Retrait.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Il s’agit en l’occurrence de l’article L. 122-21 du code de commerce. Même avis.

Mme Danièle Obono. Je le maintiens.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1742 de M. Adrien Quatennens.

Mme Danièle Obono. Les experts-comptables, conseils de proximité́ des dirigeants des PME, sont souvent les premiers à constater les difficultés d’une entreprise. Cet amendement vise à améliorer leur formation afin qu’ils puissent l’accompagner au mieux dans les procédures à engager.

M. Denis Sommer, rapporteur. Les experts-comptables ont vocation à accompagner les entreprises avant même qu’elles ne rencontrent de difficultés. Mieux vaudrait les encourager à s’approprier les politiques publiques pour anticiper les difficultés et construire des solutions intelligentes pour permettre à l’entreprise de se sortir de la situation. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1730 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à préciser dans la loi que les commissaires au redressement productif, institués par M. Arnaud Montebourg en 2012, remplissent une mission de service public d’accompagnement des chefs d’entreprise, notamment auprès de ceux qui rencontrent des difficultés.

Lors des auditions que nous avons organisées, il a été beaucoup fait état de la solitude des chefs d’entreprise, notamment dans les périodes difficiles. Il nous paraît nécessaire qu’ils soient moins seuls au moment de prendre des décisions qui engagent la vie de l’entreprise. Cela passe par un renforcement du rôle des salariés et des instances représentatives, ainsi que de l’État.

Les commissaires au redressement productif peuvent être des interlocuteurs précieux pour conseiller les chefs d’entreprise et mobiliser au mieux les services de l’État, dans l’intérêt général.

M. Denis Sommer, rapporteur. Comme vous, je salue le travail extraordinaire réalisé par les commissaires au redressement productif. Ce sont des agrégateurs, capables, une fois les difficultés identifiées, de rassembler tous les partenaires pour construire des solutions. Toutefois, votre proposition ne relève pas du domaine législatif, mais de celui de l’organisation de l’administration et la politique conduite par l’État en fonction des réalités économiques du tissu industriel. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la députée, je vous remercie de reconnaître le rôle de ces commissaires, désormais nommés « commissaires aux restructurations et à la prévention », et dont le rôle a été renforcé il y a peu. Nous comptons bien leur donner des moyens d’action et faire en sorte qu’ils accompagnent les entreprises et anticipent leurs difficultés dans tous les territoires.

Cependant, les modalités d’organisation et la nature de leur mission ne relèvent pas du domaine de la loi. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

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Article 15
(articles L. 626-27, L. 631-7, L. 631-20-1, L. 641-1, L. 645-1, L. 645-3, L. 645-9, L. 641-2-1, L. 6442 et L. 644-5 du code de commerce)
Rétablissement professionnel et liquidation judiciaire simplifiée

Le présent article vise à encourager le recours à deux procédures à même de faciliter le rebond des entreprises : le rétablissement professionnel et la liquidation judiciaire simplifiée.

A.   Le rÉtablissement professionnel

1.   L’état du droit : une procédure encore méconnue

● Créée par l’ordonnance du 12 mars 2014 ([32]), la procédure de rétablissement professionnel est une procédure inspirée du rétablissement personnel des procédures de surendettement des particuliers, qui a pour objet d’offrir au débiteur une possibilité de rebondir rapidement en le faisant bénéficier dun effacement des dettes, sans recourir à une liquidation judiciaire.

Inscrite aux articles L. 645-1 à L. 645-12 du code de commerce, elle est destinée aux entrepreneurs individuels, personnes physiques, qui n’ont pas eu de salarié au cours des six derniers mois et dont l’actif est inférieur à 5 000 euros.

Concrètement, en même temps qu’il demande l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, le débiteur peut solliciter l’ouverture de la procédure de rétablissement professionnel auprès du tribunal.

Si le tribunal accède à sa demande, un juge commis et un mandataire judiciaire sont désignés pour effectuer une enquête sur la situation patrimoniale du débiteur, notamment sur le montant de son passif et la valeur de ses actifs.

Le mandataire judiciaire doit informer les créanciers connus de l’ouverture de la procédure et les inviter à lui communiquer, dans un délai de deux mois suivant cet avis, le montant de leur créance ainsi que toute autre information utile.

La procédure est ouverte pendant une période de quatre mois, sans prorogation possible.

Si les conditions sont remplies, c’est-à-dire si la bonne foi du débiteur avérée et qu’il y a absence d’éléments susceptibles de donner lieu aux sanctions professionnelles de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer ou encore d’exercer le commerce, le tribunal prononce la clôture du rétablissement professionnel.

Le jugement de clôture n’entraîne pas la radiation du registre professionnel. Le débiteur, non dessaisi, peut donc poursuivre ou reprendre son activité.

Si le débiteur ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de cette procédure, le tribunal rejette sa demande et statue sur sa demande d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

● Force est de constater que le rétablissement professionnel na pas rencontré le succès espéré. Depuis la création de cette procédure en 2014, seules 517 ouvertures de rétablissement professionnel ont ainsi été prononcées, l’année 2017 étant marquée par une baisse significative, 127 ouvertures, par rapport à 2016, 165 ouvertures.

Il semblerait que cette procédure demeure largement méconnue des débiteurs concernés, qui doivent la demander pour en bénéficier, mais aussi des mandataires de justice, avocats, greffiers et juges.

2.   Le dispositif proposé : encourager le recours au rétablissement professionnel

Afin d’augmenter le recours à la procédure de rétablissement professionnel et favoriser ainsi le rebond des entrepreneurs de bonne foi, le présent article entend systématiser lexamen par le tribunal, saisi dune demande de liquidation judiciaire, des conditions du rétablissement professionnel afin de lui permettre douvrir cette procédure avec l’accord du débiteur, sans pour autant la rendre obligatoire.

L’examen des critères du rétablissement professionnel sera ainsi un préalable obligatoire pour le tribunal saisi :

– d’une demande de résolution du plan de sauvegarde (alinéa 3) ;

– d’une demande de redressement judiciaire (alinéa 5) ;

– d’une ouverture de liquidation judiciaire (alinéa 9).

Ainsi que le précise l’étude d’impact du projet de loi, cette réforme devrait permettre, en imposant aux juridictions et aux patriciens l’examen des conditions d’éligibilité du rétablissement professionnel de les familiariser avec cette procédure, tout en en respectant la philosophie, qui doit rester une procédure volontaire.

B.   La liquidation judiciaire simplifiÉe

1.   L’état du droit : une procédure, deux régimes

● La liquidation judiciaire, « ouverte à tout débiteur en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible », selon l’article L. 640-1 du code de commerce, a pour objet de mettre fin à lactivité de lentreprise par une cession globale ou séparée de ses biens aux fins de payer ses créanciers.

La liquidation judiciaire n’est pas enfermée dans un délai légal précis. La durée de celle-ci dépend du nombre de salariés, du patrimoine à vendre et d’éventuelles procédures contentieuses. Elle peut donc durer plusieurs années pour une société de taille moyenne.

Aussi, pour accélérer les opérations de liquidation des petites entreprises, payer plus rapidement les créanciers et permettre aux chefs d’entreprise de rebondir plus vite, la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises a créé une liquidation judiciaire simplifiée.

Modifiée depuis par deux ordonnances de 2008 et 2014 ([33]), elle comporte désormais deux variantes :

– une procédure obligatoire, prévue par l’article L. 641-2 du code de commerce. Elle est ouverte pour une période initiale de six mois, éventuellement prolongée de trois mois. Elle concerne les micro-débiteurs, c’est-à-dire ceux qui ne détiennent pas de bien immobilier, n’ont pas plus d’un salarié et un chiffre daffaires hors taxes inférieur ou égal à 300 000 euros ;

une procédure facultative, prévue par l’article L. 641-2-1 du code de commerce. Elle est ouverte pour une durée initiale de douze mois, avec une possible prorogation de trois mois. Elle porte sur les débiteurs qui ne détiennent pas de bien immobilier, n’ont pas plus de cinq salariés et un chiffre daffaires HT inférieur ou égal à 750 000 euros.

La liquidation judiciaire simplifiée présente l’avantage de limiter la vérification aux seules créances susceptibles de venir en rang utile dans les répartitions et aux créances résultant d’un contrat de travail et de vendre les actifs sans recours à une autorisation préalable du juge-commissaire.

À tout moment, le tribunal peut toutefois décider de ne plus faire application des règles dérogatoires et adopter le régime général de la liquidation judiciaire, par décision spécialement motivée.

● En 2017, sur 43 700 procédures de liquidation judiciaire ouverte, 23 402 l’ont été selon le régime simplifié, soit 53,6 % de l’ensemble des liquidations. La grande majorité des liquidations judiciaires simplifiées, soit 86 %, concerne des procédures obligatoires. Parmi les procédures facultatives, l’étude d’impact constate (page 187) qu’environ 65 % d’entre elles concernent des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros, mais dont le nombre de salariés est compris entre deux et cinq.

Par ailleurs, il a été constaté que de nombreuses liquidations judiciaires simplifiées passaient dans le régime de droit commun de la liquidation, faute d’avoir pu respecter les délais, jugés trop court, notamment celui de six mois.

2.   Le dispositif proposé : une procédure intégralement obligatoire

Le présent article étend le champ dapplication de la liquidation judiciaire simplifiée obligatoire aux seuils prévus pour la liquidation judiciaire facultative. Il s’agit par-là de permettre à un plus grand nombre d’entreprises de bénéficier de cette procédure et de favoriser le retour à l’emploi.

Pour cela, il supprime la procédure facultative (alinéa 13) mais, pour prendre en compte la taille de l’entreprise, module la durée de la liquidation selon le nombre de ses salariés ou son chiffre d’affaires (alinéa 16). La durée de douze mois sera ainsi conservée au-delà du seuil actuel de 300 000 euros. Ce seuil sera fixé par décret.

La liquidation judiciaire simplifiée sera donc désormais intégralement obligatoire, seule sa durée pouvant varier.

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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La commission est saisie de l’amendement CS316 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Le droit au rétablissement professionnel – autrement dit au rebond – s’adresse essentiellement aux petits entrepreneurs individuels. Je trouve un peu dommage qu’il n’ait pas été étendu aux personnes morales – EURL, SARL – avec un ou deux associés. Je rappelle qu’il existe des actions en comblement de passif, et même si cela a été amélioré dans la loi Sapin, le risque demeure pour l’entrepreneur de se retrouver face à ses créanciers à titre individuel. Il s’agit d’un amendement d’appel, la disposition étant techniquement difficile à rédiger.

M. Denis Sommer, rapporteur. En présentant l’amendement, vous avez apporté la réponse… Votre proposition mérite sans doute d’être débattue, mais en l’état, j’y suis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. La possibilité de créer plusieurs personnes morales avec des associés différents pourrait être utilisée à des fins frauduleuses. Il me semble que l’article 16, qui porte sur la liquidation judiciaire simplifiée et l’élargissement de ses critères, permet d’apporter des réponses à certains des cas que vous avez à l’esprit. Je vous suggère de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article.

Après l’article 15

La commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 15.

Elle examine l’amendement CS396 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Les sûretés sont des mécanismes destinés à permettre à un créancier de se prémunir contre le risque de non-paiement ou d’inexécution de ses obligations par le débiteur. Or l’article 1175 du code civil ne permet pas la conclusion par voie électronique d’actes sous seing privé relatifs à des sûretés réelles ou personnelles pour les personnes n’agissant pas pour les besoins de leur profession.

À l’heure de la dématérialisation des relations entre les banques et leurs clients, et pour simplifier la vie des entreprises, il convient de mettre fin à cette exception.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je suis favorable au principe d’une telle disposition, mais il serait préférable d’étendre sur ce point l’habilitation du Gouvernement à reformer le droit des sûretés. Cela apporterait davantage de souplesse, car il s’agit d’un acte grave ; c’est d’ailleurs ce qui a justifié ce choix lors de la transposition de la directive sur le commerce électronique. Il convient de prévoir des garde-fous pour protéger les constituants personnes physiques profanes, et instruire cette demande avec les administrations concernées. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement n’est pas opposé à l’assouplissement du droit sur ce point, mais les modalités proposées nous semblent peu sûres : nous rejoignons la proposition du rapporteur qui est de travailler sur l’habilitation prévue à l’article 16. Le Gouvernement proposera un amendement en ce sens.

M. Charles de Courson. Si je comprends bien, vous souhaiteriez que mon amendement porte sur l’article 16 ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je propose de modifier, par amendement du Gouvernement, la rédaction de l’habilitation figurant à l’article 16. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1743 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à rendre obligatoire la désignation d’un administrateur judiciaire dans les procédures collectives où sont engagées les entreprises de moins de 20 salariés et dont le chiffre d’affaires hors taxes est inférieur à 3 millions d’euros.

Ces entreprises ne peuvent bénéficier de l’expertise d’un administrateur judiciaire. Pourtant, ce sont précisément ces entreprises qui en tireraient le plus profit puisqu’elles ne disposent pas nécessairement des compétences adéquates.

M. Denis Sommer, rapporteur. Une telle désignation représentant un coût pour les petites entreprises, elle ne doit pas être automatique. Les textes prévoient la faculté de désigner un administrateur judiciaire en deçà des seuils fixés. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS439 de Mme Pascale Fontenel-Personne.

Mme Valérie Oppelt. L’article L. 622‑6 du code de commerce prévoit qu’un inventaire du patrimoine du débiteur est dressé dès l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.

Il est proposé, à des fins d’économie, que le débiteur réalise lui-même cet inventaire, lequel doit être daté de moins de trois mois avant la date d’ouverture de la procédure et certifié par un commissaire aux comptes ou attesté par un expert-comptable. Par ailleurs, cet amendement vise à fixer un délai minimum de quinze jours pour achever les opérations d’inventaire, ce qui permettra au débiteur de disposer de suffisamment de temps pour présenter un inventaire construit dans de bonnes conditions.

M. Denis Sommer, rapporteur. Il convient de maintenir la disposition qui permet au tribunal de désigner un officier public et ministériel ou de laisser le débiteur dresser l’inventaire. De même, le délai pour ce faire doit être laissé à la main du tribunal afin de s’adapter aux spécificités de chaque entreprise. Il est compliqué, sur un tel sujet, de définir une règle qui vaudrait pour tous. Je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS398 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Chers collègues, c’est un vieil amendement que je dépose depuis quinze ou vingt ans…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Cela donne envie de le voter… (Sourires.)

M. Charles de Courson. Il répond au problème suivant : dans le cadre d’un dépôt de bilan, une fois que les créanciers privilégiés se sont servis, il ne reste plus rien dans l’immense majorité des cas – le taux est de 5 % pour les créanciers non privilégiés, autrement dit zéro –, ce qui tue toute possibilité de relancer l’entreprise.

Cet amendement vise donc à donner la faculté au président du tribunal de commerce de changer l’ordre des créances, sur demande du créancier. Le ministère des finances s’est toujours opposé à une telle disposition, estimant qu’elle lui ferait perdre de l’argent. Je dis que c’est une fausse analyse : si l’entreprise repart, il en tirera de nouvelles recettes.

M. Denis Sommer, rapporteur. Vous avez raison, Monsieur de Courson : le débat est très ancien, et il devrait se poursuivre… Avis défavorable.

Mme la présidente Olivia Grégoire. On en a encore pour quinze ans… (Sourires.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Et je confirme que l’avis du Gouvernement est toujours défavorable !

M. Charles de Courson. Depuis vingt ans, on me répond invariablement que cela entraînera une perte de recettes pour l’État et les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). C’est faux, car dans les faits, vous détruisez toute possibilité de relancer l’entreprise. La disposition que je propose n’est pas systématique. Il s’agit d’une faculté laissée au président du tribunal de commerce, sur demande du créancier. Cela apporterait des recettes supplémentaires à l’État. Voilà la différence entre une vision économique et une vision purement comptable des choses – or la France a souvent été « plantée » par ses comptables !

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1753 de Mme Olivia Grégoire.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je sors brièvement de ma fonction de présidente pour défendre cet amendement qui me semble très important.

Les informations sur les échecs d’un entrepreneur, ou sur ses démarches lui ayant permis de redresser son entreprise sont inscrites dans l’extrait Kbis. Cela a l’avantage de renseigner les acteurs mais dégrade nécessairement l’actif réputationnel de l’entreprise et fait peser un doute souvent illégitime sur sa pérennité.

Nous proposons d’harmoniser la durée d’inscription des informations concernant les procédures de sauvegarde et redressement et de la porter à deux ans – contre respectivement trois et cinq ans aujourd’hui –, avec pour objectif de permettre aux entrepreneurs concernés de rebondir.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis très favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Nous rejoignons votre analyse et pensons que cette mesure correspond à la logique du projet de loi PACTE, mais nous proposons de la prendre par voie réglementaire. Nous vous demandons donc de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Dans la mesure où il s’agit d’une mesure d’ordre réglementaire, je vais retirer mon amendement. Mais au nom des entrepreneurs en rebond, je vous remercie d’accepter d’harmoniser et de réduire le délai d’inscription des informations au Kbis : voilà une mesure pratique alors que nous évoquons souvent des sujets théoriques.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS400 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. En procédure de sauvegarde, le code de commerce prévoit que les co-obligés et cautions personnes physiques ne peuvent se prévaloir du plan, ce qui signifie que la caution n’est pas appelée. Il doit en être de même en procédure de redressement, tant que le plan est respecté.

Cet amendement permet de valoriser le dirigeant d’entreprise qui a prévu des garanties et qui se démène pour essayer de redresser l’entreprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. La cohérence du traitement de la caution personne physique en procédure de sauvegarde et en procédure de redressement sera prise en compte dans l’habilitation prévue à l’article 16.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Afin de traiter plus finement la rédaction de ces dispositions, nous proposons de modifier l’habilitation prévue à l’article 16. Je vous demande donc de retirer votre amendement.

M. Charles de Courson. Si je comprends bien, vous êtes d’accord sur l’idée, que vous mettrez en œuvre dans le cadre de l’ordonnance – si toutefois le champ de l’habilitation prévue à l’article 16 est étendu par un amendement gouvernemental.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce point est couvert par l’habilitation, Monsieur le député.

M. Jean-Paul Mattei. Il faudra être très précis à l’article 16 pour répondre à cette demande particulièrement pertinente.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Vous savez l’importance que j’attache à cette question.

M. Jean-Paul Mattei. Je regrette par ailleurs que l’amendement de M. de Courson sur l’ordre des créanciers ait été rejeté. Il faudrait se moderniser !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il nous reste la séance, et je ne doute pas que M. de Courson saura trouver d’autres arguments pour revitaliser ce vieil amendement !

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1384 de M. Emmanuel Maquet.

M. Ian Boucard. Cet amendement vise à améliorer l’information des clients et des fournisseurs d’une entreprise en redressement judiciaire.

En effet, malgré les publications prévues par le code de commerce dans la presse juridique et dans diverses bases de données publiques, il apparaît que beaucoup de clients et fournisseurs, notamment des particuliers, versent des acomptes en méconnaissance de cause, sommes qu’ils risquent de perdre en cas de liquidation judiciaire. Il s’agit donc que les contrats d’une entreprise mise en redressement judiciaire avertissent systématiquement de la situation.

M. Denis Sommer, rapporteur. L’objectif de ce texte est de rendre la procédure de redressement judiciaire moins stigmatisante. Les règles applicables assurent une publicité suffisante de ce statut – publication du jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales et dans deux journaux d’annonces légales – et garantissent le cocontractant du respect des engagements par le débiteur durant la période d’observation. L’administrateur judiciaire doit s’assurer que la période est financée et qu’aucun nouveau passif n’est créé. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. L’objectif de la procédure de redressement judiciaire est de rétablir la confiance entre l’entreprise concernée et ses partenaires. Je vous suggère de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’examen CS1573 de M. Adrien Taquet.

M. Damien Adam. Le premier point que nous avons identifié pour faciliter le rebond des entrepreneurs est d’accélérer la procédure de liquidation judiciaire. Aussi cet amendement vise-t-il à accélérer les retours d’informations publiques issues de diverses administrations et des greffes de tribunal de commerce à destination des administrateurs et mandataires judiciaires, dans le but de mettre en place des procédures collectives plus rapides et plus efficaces.

À ce jour, le retour de ces institutions est souvent trop tardif ou onéreux, ce qui allonge inopportunément la clôture des procédures. Une dématérialisation plus générale des procédures permettrait d’accélérer ces moments difficiles pour les entrepreneurs.

Il s’agit notamment de la liste des véhicules immatriculés au nom de l’entreprise, la communication des impositions, le fichier national des comptes bancaires – FICOBA – permettant d’identifier l’ensemble des comptes bancaires ouverts au nom des personnes physiques et morales ou encore l’accès exhaustif aux fichiers du greffe pour l’entreprise concernée.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances. Je souscris totalement à l’objectif de l’amendement mais je propose de lancer un travail au sein des administrations concernées pour prendre ces mesures qui sont de niveau réglementaire. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1155 de M. Guillaume Kasbarian.

M. Guillaume Kasbarian. Plusieurs entrepreneurs et le président du tribunal de commerce de Chartres m’ont saisi de ce sujet, que je tenterai de présenter de façon simple et concrète. Prenons l’exemple d’un boulanger en SARL qui fait faillite : ses dettes sont considérées comme professionnelles et inscrites au passif de la société soumise à la procédure collective, à l’exception des dettes liées au régime social des indépendants (RSI), que le boulanger doit continuer de rembourser, parce que la loi considère qu’il s’agit de dettes personnelles. C’est donc une quadruple peine pour notre boulanger, qui se retrouve en faillite, n’a pas droit au chômage, doit s’acquitter de sa dette RSI, et ne peut pas bénéficier du traitement de surendettement des particuliers.

Cet amendement vise à s’attaquer à cette injustice en reconnaissant le caractère professionnel des dettes liées au RSI. Cela permettra aux entrepreneurs de tourner la page et de rebondir après un échec.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement considère que cet amendement remettrait sans raison en cause la distinction, essentielle, entre dettes professionnelles et dettes personnelles. Nous y sommes défavorables et demandons son retrait.

M. Guillaume Kasbarian. Je vais le retirer, mais je souhaiterais que nous nous attaquions au sujet d’ici la séance. Il s’agit d’un problème très concret pour beaucoup d’entrepreneurs, qui se retrouvent en situation d’échec et ont ensuite du mal à rebondir car ils sont poursuivis par une dette qui est la seule à être considérée comme personnelle, alors qu’elle pourrait être considérée comme professionnelle.

M. Charles de Courson. Notre collègue a raison de soulever ce problème : si les entrepreneurs en question avaient créé une petite société anonyme (SA), leur dette n’aurait pas été recouvrée. Selon le type de société que l’on choisit, on n’est donc pas traité de la même façon.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je ne nie pas les situations problématiques qui peuvent résulter de cette configuration. Nous sommes d’accord pour approfondir le sujet avec M. Kasbarian, tout en estimant que ce n’est probablement pas au sein des procédures collectives qu’il faudra trouver la solution.

M. Guillaume Kasbarian. Je prends note de la volonté de Mme la secrétaire d’État de travailler sur le sujet, afin d’essayer de proposer un dispositif qui tienne la route pour la séance.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1454 de M. Damien Adam.

M. Damien Adam. Les entrepreneurs sont nombreux à espérer l’instauration d’un véritable droit à l’échec, condition nécessaire pour avoir une seconde chance. Le projet de loi comporte plusieurs mesures qui vont dans le bon sens. Je vous en propose une autre.

Les entrepreneurs ayant connu un échec sont encore durement pénalisés dans la suite de leurs activités. La multiplication des sites du type « société.com » entraîne une trace durable de ces difficultés, d’autant qu’il suffit de taper le nom de l’entrepreneur sur un moteur de recherche pour être orienté vers lesdits sites. Je vous propose donc de donner la possibilité à un entrepreneur d’exiger la suppression de l’information le concernant sur site internet passé un certain délai, afin de pouvoir commencer une nouvelle activité sereinement.

Cet amendement vise donc à étendre aux personnes morales le droit à l’effacement de ses données à caractère personnel prévu par l’article 40 de la loi « Informatique et libertés », actuellement applicable aux personnes physiques.

M. Denis Sommer, rapporteur. Dans le cadre européen, le droit à l’effacement n’est ouvert qu’aux personnes physiques, et non aux personnes morales. Il n’est donc pas possible d’en faire bénéficier ces dernières. Je suis donc défavorable à votre amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Mon avis est identique.

L’amendement est retiré.

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Article 16
Habilitation à réformer par ordonnance le droit des sûretés

Cet article a pour objet d’habiliter le gouvernement à réformer par ordonnance le droit des sûretés, dans un double objectif de clarification et d’amélioration de sa lisibilité et de renforcement de son efficacité.

A.   L’État du droit

● Une sûreté est une garantie accordée à un créancier afin de lui permettre dobtenir paiement de sa créance en cas de défaillance du débiteur, par affectation d’un bien – sûretés réelles – ou par la garantie apportée par un tiers – sûretés personnelles. Une sûreté est donc indissociable de la créance : elle disparaît lorsque la créance s’éteint et ne peut être transmise qu’avec la créance.

Le droit français des sûretés est régi par des règles générales, qui figurent aux articles 2284 à 2488-12 du code civil, ainsi que par des règles propres à certaines sûretés, qui figurent notamment dans le code monétaire et financier, le code de commerce, le code de la consommation ou encore dans des lois spéciales, comme la loi du 12 septembre 1940, sur le warrant industriel.

Une grande réforme du droit des sûretés a été opérée par lordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.

Elle a tout d’abord grandement amélioré laccessibilité et la lisibilité du droit des sûretés par la création, notamment, d’un nouveau livre du code civil entièrement dédié aux sûretés réelles et personnelles et la consécration légale de garanties couramment pratiquées dans les milieux d’affaires, mais jusqu’alors absentes de la loi civile, telles la garantie autonome, la lettre d’intention, la réserve de propriété et le droit de rétention.

Elle s’est également efforcée de concilier lefficience économique attendue par le créancier et la protection due au débiteur par la modernisation du gage et l’assouplissement du régime du nantissement de créance. Elle a ensuite introduit de nouveaux modes de réalisation communs à toutes les sûretés conventionnelles et créé de nouvelles variétés de sûretés immobilières de nature à diminuer le coût des garanties et à mobiliser les actifs immobiliers.

● La réforme de 2006 nétait toutefois pas pleinement complète puisqu’elle n’avait pas touché le cautionnement ni les privilèges. Le cautionnement, par exemple, dispose aujourd’hui d’un régime juridique peu lisible, car dispersé dans différents codes, et n’offre pas la sécurité qu’il devrait procurer, alors qu’il s’agit d’une sûreté couramment utilisée en pratique. Les privilèges, pour leur part, sont très nombreux et sont régis par des textes dont certains n’ont pas été modifiés depuis 1804.

Par ailleurs, comme tout texte nouveau, lordonnance de 2006 a donné lieu à certaines difficultés dinterprétation de la part des milieux économiques concernés. La réflexion doctrinale et jurisprudentielle a atteint à présent une maturité qui devrait permettre de clarifier des points encore incertains : par exemple, en affirmant le caractère exclusif du droit qui découle d’un nantissement de créance, en reconnaissant la possibilité – jusqu’alors débattue – d’établir un gage sur des meubles immobilisés par destination, ou en dotant le nantissement de monnaie scripturale du régime qui lui fait actuellement défaut. De même est-il temps de tirer les conséquences de la modernisation du droit commun du gage opérée en 2006 en supprimant des régimes spéciaux rendus inutiles, comme le warrant hôtelier, le warrant industriel ou encore le gage commercial.

Dans le même temps, notre droit des sûretés ignore certaines sûretés connues à létranger comme la cession de créance à titre de garantie, aujourd’hui réservée aux établissements bancaires et assimilés – cession dite « Dailly », régie par le code monétaire et financier.

Enfin, ainsi que le souligne l’étude d’impact du projet de loi (page 219), « le droit national se caractérise par une grande complexité pour lexercice des sûretés en présence dun débiteur en difficulté, spécialement lorsque celui-ci se retrouve en procédure collective », et il convient donc de le clarifier.

● Afin de remédier aux difficultés identifiées, le gouvernement a confié, en mai 2015, une mission au professeur Michel Grimaldi, inspirateur de la réforme de 2006, pour réunir un groupe de travail chargé d’identifier les améliorations susceptibles d’être apportées au livre quatrième du code civil, notamment dans les champs non couverts par l’ordonnance de 2006.

Ce groupe de travail ([34]), réuni sous l’égide de l’association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, a formulé diverses propositions de modifications législatives, publiées en septembre 2017 ([35]).

Par ailleurs, les praticiens de la place ont également entamé des réflexions en ce sens puisque la commission droit des sûretés de Paris Europlace, présidée par Me Etienne Gentil, après avoir remis des propositions de réforme du droit des sûretés au ministère de la Justice et au ministère de l’Économie en septembre 2015, dont certaines ont été reprises par la commission Capitant, se réunit de nouveau depuis novembre 2017 en vue de compléter et d’adapter ces propositions.

B.   Le champ de l’habilitation

Le présent article habilite le gouvernement à réformer le droit des sûretés par ordonnance afin de prendre en compte lensemble des propositions formulées ces derniers mois, tant par les universitaires que par les praticiens, afin de compléter et d’ajuster la réforme de 2006.

Il s’agit à la fois de simplifier et de clarifier ce droit, de renforcer l’efficacité de certaines sûretés et de moderniser certains dispositifs afin de rendre le droit français plus attractif au niveau international.

Comme le prévoit le I, cette ordonnance comprendra notamment :

– une réforme du droit du cautionnement (alinéa 2) ;

– une modernisation des privilèges (alinéa 3) ;

– l’abrogation des sûretés mobilières spéciales tombées en désuétude (alinéa 5) ;

– une précision des règles du code civil relatives au nantissement de créance (alinéa 8) ;

– une simplification et une modernisation des règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés, en particulier dans les différentes procédures collectives (alinéa 13).

Ainsi que l’a relevé le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, cette habilitation définit ses finalités avec une précision suffisante et ne conduit à remettre en cause aucune règle constitutionnelle.

Le projet d’ordonnance doit être pris dans les vingt-quatre mois à compter de la promulgation la présente loi. Ce délai, relativement long, trouve sa justification dans la nécessité de consulter toutes les parties prenantes pour satisfaire l’objectif d’une réforme équilibrée.

Quant au projet de loi de ratification, le II du présent article en prévoit le dépôt dans un délai de quatre mois à compter de la publication de l’ordonnance.

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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La commission examine en discussion commune les amendements CS976 et CS977 de M. Jean-Louis Masson.

M. Ian Boucard. Compte tenu des enjeux sensibles que revêt la simplification des procédures en termes de coût, de compétitivité, de rentabilité et d’efficacité, du temps incompressible lié à l’examen par les assemblées et la promulgation du texte, de la nécessaire ratification parlementaire des ordonnances à venir et de l’urgence à agir, de l’ensemble des rapports et études déjà disponibles sur le sujet et des délais plus courts prévus dans d’autres articles du texte, notamment à l’article 42, notre amendement CS976 presse le Gouvernement de faire en sorte que ses administrations procèdent aux réformes nécessaires dans un délai de douze mois, au lieu des vingt-quatre mois initialement prévus. L’amendement de repli CS977 constitue une réponse de Normand aux éventuelles critiques du rapporteur et du Gouvernement en proposant un délai de dix-huit mois.

M. Denis Sommer, rapporteur. Ce sujet complexe doit encore faire l’objet de nombreuses concertations et d’arbitrages, qui explique ce délai de vingt-quatre mois.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le délai de vingt-quatre mois est absolument nécessaire. Il ne s’agit pas d’un confort, mais de la reconnaissance du caractère extrêmement technique et vaste de ce droit, aux confluents de différents droits, et de la nécessité de consultations larges et diverses sur ces différents instruments. Nous sommes donc défavorables à vos amendements.

M. Ian Boucard. Je vais les retirer. Ils mettent surtout en lumière le fait que la publication de certaines lois et de leurs décrets d’application prend parfois beaucoup de temps. Je reconnais que l’article 16 comprend des dispositions très pointues – et d’ailleurs intéressantes – mais ne peut-on convenir ensemble qu’il serait bon pour nos entreprises qu’elles soient mises en œuvre avant 2022 ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je me suis posé la même question, monsieur Boucard. La secrétaire d’État l’a rappelé, la transposition de la directive relative aux procédures d’insolvabilité et le droit des sûretés sont des sujets complexes. Ces vingt-quatre mois sont donc absolument nécessaires. Nous serons attentifs à tous les dossiers sur lesquels nous pourrions aller plus vite. Mais, compte tenu de l’importance de ces modifications, vitesse ne doit pas rimer avec précipitation.

Les amendements CS976 et CS977 sont retirés.

La commission en vient à l’amendement CS397 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’article 16 prévoit la suppression des privilèges immobiliers spéciaux. Or, parmi ces privilèges – vous vous souvenez probablement tous de vos cours de droit civil –, le privilège de prêteur de deniers (PPD) est une sûreté qu’un prêteur peut réclamer lorsqu’il accorde un crédit dont le montant est affecté à l’acquisition d’un bien immobilier. Actuellement, le PPD est souvent préféré à l’hypothèque conventionnelle car c’est une garantie moins coûteuse pour l’emprunteur pour une raison toute simple, d’ordre fiscal : elle n’est pas soumise à la taxe de publicité foncière. Ainsi, pour un prêt de 100 000 euros, le différentiel est de l’ordre de 800 euros.

Nous ne connaissons pas le régime fiscal de la nouvelle hypothèque légale voulue par le Gouvernement : ne sera-t-elle pas plus coûteuse que le privilège des prêteurs de deniers ? Si tel est le cas, je souhaite maintenir ce dernier, pour d’évidentes raisons de coût.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Monsieur de Courson, je n’ai pas fait de stage de préparation à l’installation en droit… Vous vous souvenez de vos cours, mais je ne suis pas sûr que les collègues dans la salle aient tous fait du droit pénal ou civil. L’objectif de cet article est essentiellement de simplification. Le sujet du coût ne doit bien sûr pas être évacué, mais le projet de loi mentionne une concertation avec tous les acteurs qui permettra de le traiter. Votre amendement me paraît donc satisfait, en tout cas par l’esprit du texte.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vous confirme que ce sujet est pris en compte. Il va faire l’objet d’analyses et de concertations avec toutes les administrations concernées. Si la suppression est confirmée, nous serons attentifs à ce qu’elle ne se traduise pas par un surcoût.

M. Charles de Courson. Madame la secrétaire d’État, si vous me promettez que la nouvelle hypothèque ne sera pas soumise à la taxe de publicité foncière, je retire mon amendement… Dans le cas contraire, je le maintiens jusqu’à la séance pour que vous puissiez approfondir le sujet et vous engager à ne pas la soumettre à la taxe de publicité foncière. Cette mesure apparente de simplification risque sinon d’être coûteuse pour les entreprises.

M. Jean-Paul Mattei. Je connais bien le sujet du privilège de prêteur de deniers. L’article 16 est bienvenu car il va simplifier l’ensemble du droit des sûretés et les cautionnements. C’est un chantier colossal… Nous ne pouvons que soutenir cette réforme, qui va dans le bon sens. Mais il nous faudra être très vigilants sur le contenu de l’habilitation et les textes qui en seront issus.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Certes.

M. Jean-Paul Mattei. Au-delà de son intérêt fiscal, le privilège de prêteur de deniers a d’autres avantages par rapport à une hypothèque conventionnelle, liés au rang d’inscription et à la date de prise d’effet.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à ce sujet. Nous souhaitons que la concertation avec les acteurs concernés nous permette de vérifier qu’aucune situation ne sera plus coûteuse après la réforme. Mais je ne peux vous indiquer pour le moment quelles seront les modalités.

M. Charles de Courson. Je vais retirer mon amendement pour le redéposer, afin que vous puissiez nous le confirmer en séance publique,

M. Roland Lescure, rapporteur général. Quant à moi, Monsieur de Courson, je m’engage à mettre cet important sujet sur la « liste de courses » du suivi de la loi. Je l’insérerai dans l’amendement que je vous présenterai.

L’amendement est retiré.

L’article 16 est adopté sans modification.

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Article 17
(article L. 1929 quater du code général des impôts, articles 114, 120 et 379 bis du code des douanes)
Publicité du privilège du Trésor

A.   L’État du droit

● Le privilège du Trésor est une sûreté réelle, prévue par les articles 1929 quater du code général des impôts et 379 bis du code des douanes, qui a pour objet de garantir au Trésor public le recouvrement de ses créances.

Pour les recouvrer, le comptable public procède à lenvoi dun bordereau de publicité au greffe du tribunal de commerce ou de grande instance lorsque les sommes dues par le redevable sont supérieures ou égales à 15 000 euros et qu’un délai de neuf mois est passé depuis l’émission du titre exécutoire et que la date à laquelle le redevable a encouru une majoration pour défaut de paiement est passée.

L’article L. 1929 quater du code général des impôts concerne les commerçants et personnes morales de droit privé et s’applique notamment à l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les bénéfices des sociétés, la taxe sur les salaires ou encore à la cotisation foncière des entreprises et aux taxes sur le chiffre d’affaires.

À défaut de cette publicité, le Trésor public perd son privilège en cas de procédure collective – sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire – et est alors traité comme un créancier ordinaire, ce qui hypothèque ses chances d’être payé.

● Depuis 2009, cette publicité est effectuée selon un calendrier glissant, au terme d’un délai de neuf mois. Cela a pour conséquence d’être difficile à appréhender pour les entreprises, mais aussi pour les tiers. Cela est également complexe à mettre en œuvre pour les administrations qui en ont la charge.

Cette publicité est par ailleurs mal perçue par les entreprises qui, comme le relève l’étude d’impact (en page 223), « la jugent stigmatisante et entraîne une aggravation de leurs difficultés économiques car certains partenaires se détournent delle en raison de cette publicité alors même que le montant de leur dette est dun montant peu élevé ».

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article a pour objet de simplifier et de réduire le périmètre de la publicité obligatoire du privilège du Trésor.

● Afin de rendre les règles de publicité plus simples et plus lisibles, l’article prévoit tout d’abord qu’elle interviendra, non plus dans un délai de neuf mois glissants, mais au dernier jour de chaque semestre civil (alinéas 6 et 15, modifiant respectivement le code général des impôts et le code des douanes).

Concrètement, elle sera faite au plus tard le 31 juillet pour la période de référence comprise entre le 1er janvier et le 30 juin de l’année en cours et au plus tard le 31 janvier de l’année suivante pour la période de référence comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre de l’année en cours. Le comptable public procédera à la publicité si le montant total des créances exigibles au dernier jour de chaque semestre civil demeure, malgré le versement de sommes intervenues entre-temps par l’entreprise, supérieur au seuil de publicité obligatoire fixé par décret.

Cette mesure permettra, d’une part, une meilleure prévisibilité pour les entreprises en se calant sur un rythme biannuel, d’autre part, la possibilité pour l’administration d’automatiser la gestion de ces procédures.

● L’article introduit, par ailleurs, une exception supplémentaire, en plus de celle où le débiteur respecte un plan d’apurement échelonné de sa dette, à la publicité obligatoire, dans le cas où le débiteur a déposé une contestation d’un avis de mise en recouvrement assortie d’une demande expresse de sursis de paiement à laquelle il a été fait droit (alinéas 10 et 19).

Cette mesure va dans le sens d’une des propositions du médiateur des ministères économiques et financiers dans son rapport d’activité 2017. Cela permettra de supprimer l’atteinte alléguée à l’image de l’entreprise lorsque la dette est contestée et d’un montant peu élevé.

● Enfin, même si cela ne figure pas dans le projet de loi car ce seuil est fixé par décret, le gouvernement a indiqué qu’il entendait relever le seuil de la publicité obligatoire de 15 000 à 200 000 euros.

Il s’agit là, selon l’étude d’impact, de « limiter les effets de la publicité pour les petites et moyennes entreprises et de la circonscrire aux cas présentant un réel enjeu financier ».

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État estime que ces mesures sont « adéquates au regard des objectifs quelles poursuivent, qui tiennent à lamélioration de la prévisibilité et de laccessibilité de linformation sur la solvabilité des redevables ainsi quà la sécurisation de la situation de ceux-ci. »

L’alinéa 20 (paragraphe III) précise que cet article s’appliquera aux créances exigibles à compter d’une date fixée par décret et au plus tard au 1er janvier 2020.

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté un amendement de cohérence rédactionnelle de votre rapporteur.

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La commission commence par examiner l’amendement CS1460 de M. Adrien Quatennens.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons inscrire dans l’article le seuil à partir duquel la publicité de la liste des entreprises n’ayant pas payé leurs impôts doit être réalisée. L’étude d’impact explique que le Gouvernement compte le relever par voie réglementaire, de 15 000 à 200 000 euros. À l’heure où ce dernier prétend lutter contre la fraude fiscale et pratiquer le « name and shame », il est paradoxal de réduire la portée de cette liste qui représente un instrument de dissuasion contre une fraude nuisible à la société. Enfin, on peut imaginer que certaines entreprises fassent en sorte d’être légèrement en dessous des 200 000 euros pour que leur nom ne soit pas publié. Pour ces différentes raisons, nous proposons de fixer le seuil à 15 000 euros dans la loi.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je ne vous cache pas que je suis très étonnée par votre amendement…

M. Denis Sommer, rapporteur. Vous êtes étonnée, Madame la présidente ? En remontant le seuil à 200 000 euros, il ne s’agit pas pour les services fiscaux de renoncer à la dette fiscale ! C’est la question de la publicité qui est posée. Que produit cette publicité pour un chef d’entreprise qui rencontre des difficultés à un moment donné ? Donner à voir sa dette à ses partenaires à ses clients, à ses fournisseurs le met en grave difficulté. En conséquence, plutôt que de résoudre ses problèmes, cette publicité est parfaitement contre-productive et ajoute à ses difficultés : cette disposition n’a rien à voir avec la lutte contre la fraude fiscale ; il s’agit simplement de protéger des entreprises qui ne méritent pas de se retrouver au banc parce qu’elles ont eu des difficultés – nous en connaissons tous. Mon avis sera donc défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suis totalement d’accord avec le rapporteur.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1457 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Dans la continuité de notre amendement précédent, nous souhaitons supprimer l’alinéa 10 de l’article 17, autrement dit la nouvelle exception à la publication des noms des entreprises qui ne paient pas leurs impôts. En effet, l’article 17 ajoute une exception à la publication en cas de dépôt par le redevable d’une réclamation d’assiette régulière, assortie d’une demande de sursis de paiement – c’est-à-dire quand l’impôt est contesté par l’entreprise.

Le consentement à l’impôt, rappelons-le, est la base du pacte républicain. Les grandes entreprises trouveront toujours un moyen de le contester. La publicité doit être la plus rapide possible, quitte à préciser qu’une contestation est en cours et à indiquer si l’entreprise a eu gain de cause par la suite.

Comme pour notre précédent amendement, il ne s’agit nullement de rendre la situation des petites entreprises et des petits entrepreneurs encore plus difficile, Madame la présidente, mais de participer à l’effort national de dissuasion contre la fraude fiscale, tout en rappelant l’importance de l’impôt payé par les sociétés. Nous souhaitons enclencher un cercle vertueux, et non pénaliser.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable. Je rappelle que la non-publicité implique deux conditions : l’assiette présentée dans la contestation doit être reconnue comme valide et la contestation doit être assortie d’une demande de sursis de paiement. Il est logique que la décision de publicité ne soit prise qu’après invalidation de la contestation.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Quel objectif recherchons-nous avec cette disposition ? Tout simplement le respect de la présomption d’innocence. Nous souhaitons éviter qu’une société de bonne foi qui conteste un impôt ne fasse l’objet d’un privilège qui accélérerait ses difficultés. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

La commission passe à l’amendement CS2282 du rapporteur.

M. Denis Sommer, rapporteur. L’article 17 prévoit de supprimer la publicité du privilège des créances contestées, cette publicité pouvant être stigmatisante pour les entreprises, voire inique lorsque la contestation aboutit. Dans sa rédaction initiale, l’article supprime aux articles 114 et 120 du code des douanes, relatifs à la dispense de garantie de la TVA à l’importation, la référence aux créances contestées étant devenue redondante. Or, les URSSAF étant hors champ du projet de loi PACTE, elles continueront à publier le privilège pour les créances contestées. Il en résultera mécaniquement un durcissement des conditions d’octroi de la dispense de garantie TVA à l’importation.

Dès lors, il importe de maintenir le sort particulier fait aux publications de privilège se rapportant aux créances contestées, qui ne traduisent pas nécessairement des difficultés financières. C’est donc un amendement de cohérence rédactionnelle.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. J’y suis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1555 de M. Philippe Latombe.

M. Jean-Paul Mattei. Afin de faciliter le rebond des entreprises en difficultés, il est proposé que l’inscription du privilège de la sécurité sociale soit prescrite par période de quatre ans sauf renouvellement, comme cela s’applique pour le privilège du Trésor. J’espère que cet amendement sera adopté, contrairement à ces prédécesseurs…

M. Denis Sommer, rapporteur. Si cette volonté d’harmonisation est louable, son impact financier et ses effets de bord sur les autres créanciers ne sont pas évalués. Je vous demanderai de bien vouloir le retirer.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Les finalités de cet amendement sont louables, mais outre ce qu’a mentionné le rapporteur, il est nécessaire d’améliorer la lisibilité des dispositions relatives aux privilèges du Trésor et à ceux de la sécurité sociale. Cela requiert une analyse d’ensemble. Je suggère de retirer cet amendement.

M. Jean-Paul Mattei. Je n’en suis pas l’auteur principal et ne vais donc pas le retirer. En outre, je ne saisis pas quel impact financier de ce calage sur la prescription applicable aux privilèges du Trésor… L’argument financier ne tient pas.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 17 ainsi modifié.

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Article 18
(article L. 622-24 du code de commerce)
Traitement des créances publiques en procédure collective

A.   L’État du droit

● Lors de l’ouverture d’une procédure collective – sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire – le créancier est tenu de procéder à une déclaration de créance afin de pouvoir prétendre au règlement des sommes qui lui sont dues. Cette déclaration peut être réalisée sur la base d’un titre exécutoire ou, en son absence, sur la base d’une évaluation.

La déclaration de créance doit être communiquée au mandataire ou au liquidateur judiciaire dans les deux mois suivant la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective.

Le mandataire judiciaire dresse alors l’état des créances et établit ses propositions d’admission ou de rejet. Les contestations éventuelles sont tranchées par le juge-commissaire.

L’article L. 622-24 du code de commerce prévoit un dispositif particulier pour les créanciers publics et sociaux : ils peuvent déclarer leurs créances à titre provisionnel lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet d’un titre exécutoire au moment de leur déclaration au mandataire judiciaire. Dans ce cas, leur établissement définitif doit être adressé au mandataire dans le délai, prévu à l’article L. 624-1 du même code, que le tribunal a fixé à ce dernier pour qu’il établisse la liste des créances et ses propositions d’admission ou de rejet. Ce délai, variable selon les tribunaux, est de trois à douze mois.

● La difficulté est que certains impôts ont un fait générateur et une exigibilité différents de sorte que, si le fait générateur est antérieur à l’ouverture de la procédure collective et que son exigibilité est postérieure, l’émission du titre exécutoire ne peut intervenir dans le délai de droit commun prévu par l’article L. 624-1 du code de commerce.

L’étude d’impact cite en exemple (page 231) la taxe sur la valeur ajoutée sur les prestations de services et la cotisation foncière des entreprises, dont les faits générateurs sont au 1er janvier de l’année N alors que leur exigibilité intervient au 30 octobre de l’année N.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article modifie l’article L. 622-24 du code de commerce afin de préciser les délais nécessaires au créancier public ou social pour émettre son titre exécutoire, sans pour autant entraver l’action du mandataire judiciaire et rallonger les délais de la procédure collective.

Il prévoit pour cela deux dérogations au délai de droit commun de l’article L. 624-1 du même code :

– la première s’applique aux créances établies définitivement à l’issue d’une procédure de contrôle ou de rectification de l’impôt. Dans ce cas l’établissement définitif de la créance devra être réalisé avant le dépôt du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire (alinéa 3).

– la seconde s’applique aux créances résultant de la procédure de détermination de l’assiette de calcul de l’impôt, dans le cadre d’une imposition primitive. Dans ce cas, le créancier public disposerait dun délai de douze mois à compter de la publication du jugement de la procédure collective pour émettre son titre exécutoire (alinéa 6).

Compte tenu de leur brièveté ([36]), ce délai de douze mois ne serait en revanche pas applicable aux procédures de liquidation judiciaire et de liquidation judiciaire simplifiée, pour lesquelles le délai continuerait à être fixé par le tribunal.

Comme le souligne l’étude d’impact (en page 232), cette mesure visant à instaurer une date butoir pour émettre un titre exécutoire « sécurise juridiquement la procédure collective et favorise la répartition des actifs par le mandataire ». Pour les entreprises, elle garantit que la procédure ne sera pas allongée au-delà des délais de procédure actuels.

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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La commission adopte l’article 18 sans modification.

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Article 19
(article L. 642-7 du code de commerce)
Interdiction des clauses de solidarité dans les baux commerciaux

A.   L’État du droit

Lors d’un redressement ou une liquidation judiciaire, la cession de l’entreprise en difficulté, par l’intermédiaire d’un plan de cession, a pour but, selon l’article L. 642-1 du code de commerce « dassurer le maintien dactivités susceptibles dexploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et dapurer le passif. »

Dans ce cas, comme dans un plan de redressement, l’entreprise poursuit son activité mais avec un repreneur. La reprise prévue par le plan de cession peut être totale ou partielle, c’est-à-dire ne porter que sur un ensemble d’éléments d’exploitation qui forment une ou plusieurs branches complètes et autonomes d’activité.

La cession de lentreprise saccompagne des contrats nécessaires au maintien de son activité. L’article L. 642-7 du code de commerce autorise ainsi le tribunal à céder ces contrats, le cas échéant sans l’accord du cocontractant. Ces contrats sont ensuite exécutés dans les conditions en vigueur au jour de l’ouverture de la procédure.

Or comme le relève l’étude d’impact, certaines clauses de ces contrats peuvent parfois être de nature à faire obstacle à la cession.

C’est notamment le cas en matière de baux commerciaux où sont régulièrement inscrites des clauses de solidarité, ou clauses dites de « garantie inversée », imposant au cessionnaire du bail commercial des dispositions solidaires avec le cédant.

Exemple de « garantie inversée » dans un bail commercial

L’étude d’impact du projet de loi (page 235) cite le cas suivant :

« Dans une affaire soumise à la 12e Chambre du tribunal de commerce de Paris le 22 février 2017, le débiteur, preneur dun bail commercial dans lequel il exploitait un bar, devait plus de 600 000 euros darriérés de loyers. Compte tenu de linscription dans le contrat de bail commercial dune clause de « garantie inversée », il a été impossible de trouver un repreneur qui accepte de régler ces arriérés de loyers.

« Lentreprise sest retrouvée en liquidation judiciaire, sans reprise du bail, avec la perte de six emplois. »

Alors qu’en droit des procédures collectives, il est prévu tant en matière de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire que « toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite » ([37]), il n’existe pas de disposition équivalente pour ce qui concerne les baux commerciaux.

Aussi, les juges de fond donnent plein effet à ces clauses stipulées dans les contrats de baux commerciaux, y compris en présence d’un plan de cession. Dans les faits, les bailleurs ont donc tout intérêt à inscrire ce type de clause dans leurs contrats de bail, ce qui nuit considérablement à la reprise de l’entreprise en difficulté en cas de cession.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article a pour objet de faciliter la reprise d’entreprise en difficulté dont l’activité pourrait être poursuivie.

Il complète pour cela l’article L. 642-7 du code de commerce afin d’y inscrire que « toute clause imposant au cessionnaire dun bail des dispositions solidaires avec le cédant est réputée non écrite » (alinéa 2).

Cette disposition ne trouvera à s’appliquer qu’en cas de cession judiciaire organisée en plan de cession, c’est-à-dire lorsque la poursuite d’activité et le maintien de l’emploi constituent, à côté du paiement des créanciers, les objectifs et les critères légaux de la cession conformément à l’article L. 642-5 du code de commerce.

S’il ne s’appliquera pas aux procédures en cours au jour de la publication de loi, cet article s’appliquera en revanche aux contrats de bail en cours d’exécution (alinéa 3).

Dans son avis, le Conseil d’État a estimé que cette disposition ne portait pas une « atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de liberté contractuelle ni au droit de propriété protégé par la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen » car il poursuivait un « objectif dintérêt général de poursuite de lactivité de lentreprise » ainsi que « le maintien de lemploi dans lentreprise et de lactivité dans les centres-villes menacés de dévitalisation, notamment en milieu rural. »

C.   LA POSITION DE la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

*

*     *

La commission adopte l’article 19 sans modification.

Après l’article 19

La commission examine les amendements identiques CS857 de M. Pierre Cordier et CS2135 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. Lors de la déclaration d’un sinistre, l’assureur peut nommer un expert. L’amendement CS857 tend à interdire la nomination systématique de l’expert par l’assureur, ceci afin de garantir son impartialité. Il vise aussi à informer l’assuré qu’il a la possibilité de faire réaliser une contre-expertise.

M. Dominique Potier. Beaucoup d’entrepreneurs ont été confrontés à des problèmes liés à la nomination de l’expert. Il serait vraiment de bon aloi que ce type de clauses disparaisse et que chacun soit informé de son droit à faire réaliser une contre-expertise dans les conditions financières favorables prévues par la loi. Notre amendement CS2135 vise donc à mettre fin à une anomalie française : on se demandera plus tard pourquoi on ne l’a pas voté plus tôt.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ces amendements constituent des cavaliers, sans rapport avec les dispositions du projet de loi. Ajoutons qu’ils sont contraires au principe de liberté contractuelle. J’y suis donc défavorable.

La commission rejette les amendements CS857 et CS2135.

Elle en vient aux amendements identiques CS856 de M. Pierre Cordier et CS2134 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. Notre collègue Pierre Cordier, spécialiste de l’assurance, s’intéresse également aux garanties commerciales. Afin que le consommateur soit mieux informé, l’amendement CS856 propose que le vendeur expose par écrit à l’acheteur l’origine de la panne, la nature de l’intervention et les pièces ou fournitures remplacées. Par ailleurs, toute période d’immobilisation d’au moins sept jours viendra s’ajouter à la durée de la garantie.

M. Dominique Potier. Notre combat est le même : l’amendement CS2134 vise à ce que les consommateurs disposent d’informations relatives à la garantie des biens qu’ils achètent et à l’origine des pannes, ainsi qu’à leur récurrence. C’est du commerce loyal.

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement partage votre objectif, louable, de renforcer l’information des consommateurs sur la garantie commerciale. Toutefois, ce sujet est régi par le droit européen, en cours de révision. Il nous semble donc prématuré de légiférer. Comme le rapporteur, mon avis sera défavorable.

M. Ian Boucard. Madame la secrétaire d’État, si la révision du droit européen n’allait pas dans le sens des amendements présentés par MM. Descoeur et Potier, le Gouvernement irait-il alors plus loin ? Il s’agit tout de même de confiance – notamment s’agissant des compagnies d’assurances –, d’information du consommateur, bref, d’économie loyale.

Nous savons tous que certains de nos concitoyens sont défiants face au monde de l’assurance – parfois à juste titre, notamment dans le cas des expertises. J’invite Gouvernement à s’emparer du sujet : je ne vous jette pas la pierre, car cela fait vingt ans qu’on aurait dû le faire. Mais le projet de loi PACTE est une bonne occasion.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Dans ce champ législatif, le droit européen est souvent d’harmonisation maximale. Cela ne nous donnera pas vraiment la possibilité d’apporter des ajustements. En revanche, votre objectif est également celui que nous poursuivons dans le cadre des discussions européennes.

M. Dominique Potier. Madame la secrétaire d’État, heureusement, le droit français peut aller plus loin que les directives européennes, qui représentent un minimum en matière de protection et de loyauté, Voter cet amendement vous donnerait une force extraordinaire dans les négociations à venir.

M. Roland Lescure, rapporteur général. J’appelle cela une surtransposition, monsieur Potier…

M. Dominique Potier. Ce n’est pas de la surtransposition, c’est de l’anticipation !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Même si cela commence différemment, cela finit un peu pareil…

La commission rejette les amendements CS856 et CS2134.

La commission examine les amendements identiques CS855 de M. Pierre Cordier et CS2133 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS855 de M. Cordier vise à s’assurer qu’une véritable concurrence s’instaure sur le marché de l’assurance emprunteur, ce qui est louable. Pour ce faire, il propose que la date d’échéance soit communiquée chaque année aux emprunteurs. Il prévoit également qu’un décret précise ce que doit contenir une demande de substitution effectuée par l’emprunteur, afin que celui-ci ne soit pas pénalisé par le délai de dix jours qui s’impose.

M. Dominique Potier. Je ne peux pas mieux m’exprimer que M. Descoeur !

Un amendement à venir vise à fusionner la Banque postale et CNP Assurances. Et si nous faisions de ce grand groupe public un groupe exemplaire en matière d’éthique commerciale en mettant en œuvre, au-delà même de votre position tout à l’heure, ces principes ?

M. Denis Sommer, rapporteur. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Un groupe de travail dédié à l’assurance emprunteur, rassemblant représentants des établissements bancaires et des associations de consommateurs, a été mis en place par le comité consultatif du secteur financier. Ce groupe a bien identifié le sujet de la date d’échéance et se penche sur la question. Je souhaite donc que nous le laissions conduire ses travaux à leur terme.

Je précise que depuis 2016, le code de la consommation oblige le prêteur à préciser, dans l’offre de prêt, la liste des documents à fournir en cas de demande de substitution. Je demande donc le retrait de ces amendements.

M. Vincent Descoeur. Je ne me sens pas habilité à retirer l’amendement de M. Cordier. Mais, je vais lui transmettre cette bonne nouvelle qui va le consoler en partie de trois échecs successifs ! (Sourires.)

M. Dominique Potier. Je maintiens mon amendement CS2133. Je vous renvoie aux recommandations frappées au coin du bon sens de l’UFC-Que choisir, excellente vigie.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS10 de M. Vincent Descoeur, CS440 de Mme Pascale Fontenel-Personne et CS569 de M. Ian Boucard.

M. Vincent Descoeur. Cet amendement vise à faciliter la reprise d’entreprise par des cadres. Il propose d’exonérer les titres cédés à ces derniers de l’impôt sur les plus-values, ce qui permettrait au cédant de faire un crédit vendeur au repreneur et d’accéder ainsi plus facilement au financement de la reprise.

Mme Valérie Oppelt. Afin de permettre la reprise d’une entreprise par des cadres repreneurs, l’amendement CS440 propose d’exonérer les titres cédés à ces derniers de l’impôt sur les plus-values. Cela permettrait au cédant, par le biais d’un crédit vendeur au repreneur, d’accéder plus facilement au financement de la reprise.

M. Ian Boucard. M. Descoeur et Mme Oppelt ont parfaitement exposé le problème : il est important de permettre aux salariés d’une entreprise de mieux accéder à la succession dans cette entreprise. Comme on le voit, il y a pour une fois une unanimité entre une partie du groupe La République en Marche et du groupe Les Républicains. J’espère que M. le rapporteur et Mme la secrétaire d’État feront preuve de mansuétude afin que l’on puisse avancer pleinement sur cette question.

M. Denis Sommer, rapporteur. Je note que ces amendements ne concernent que les cadres, comme si seuls les cadres étaient susceptibles de reprendre une entreprise. Je ne pense pas que ce soit tout à fait le cas. J’en veux pour preuve que des ouvriers professionnels ou des techniciens ont repris des entreprises. Ajoutons que votre proposition n’a fait l’objet d’aucune évaluation alors qu’elle est génératrice de dépenses supplémentaires pour l’État. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable également.

Nous avons annoncé des mesures en faveur de la reprise d’entreprises par leurs salariés qui s’inscriront dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019.

Sur le fond, il nous semble que le fait d’agir sur un avantage fiscal offert au cédant n’est pas la meilleure façon de procéder. Cette mesure risque de désavantager des solutions de reprise qui seraient plus favorables pour la pérennité de l’entreprise.

Par ailleurs, la défaillance que nous observons en termes de reprise par les salariés tient plutôt à la difficulté de trouver les capitaux nécessaires. C’est dans ce sens que nous vous faisons des propositions dans le cadre du projet de loi de finances.

Avis défavorable.

M. Vincent Descoeur. Monsieur le rapporteur, le terme de « cadres » que j’ai utilisé n’est pas exclusif puisque l’amendement évoque la reprise de l’entreprise par des salariés. Vous voilà donc rassuré !

Je maintiens mon amendement.

Mme Valérie Oppelt. Je retire l’amendement CS440.

L’amendement CS440 est retiré.

La commission rejette les amendements identiques CS10 et CS569.

Elle en vient à l’amendement CS601 de M. Éric Pauget.

M. Ian Boucard. Il est défendu.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable également.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement CS157 de Mme Véronique Louwagie.

M. Ian Boucard. L’amendement vise à supprimer l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, introduite dans la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite « loi Florange ».

Ces dispositions s’avèrent en effet source de complexité pour les chefs d’entreprise. En outre, la publicité préalable à une cession entraîne une perte de confiance des partenaires économiques de l’entreprise, qu’il s’agisse des clients ou des investisseurs, et nuit in fine au processus de cession.

Pour que le projet de loi facilite efficacement le rebond des entrepreneurs et des entreprises, il est nécessaire de supprimer ces obligations et de permettre ainsi la transmission d’une entreprise dans les meilleures conditions.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable également.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS132 de M. Nicolas Forissier et CS607 de M. Éric Pauget.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS132 vise à laisser au repreneur un délai de mise en conformité de six mois afin de lui laisser la possibilité matérielle de régulariser sa nouvelle situation : il arrive que le repreneur puisse découvrir que certaines réglementations ou législations n’ont pas été scrupuleusement suivies, ce qui peut l’exposer en cas de contrôle et fait peser sur lui un réel risque.

L’amendement précise que les règles susceptibles d’engendrer un danger immédiat pour les salariés et les clients sont bien évidemment exclues du champ de cette mesure.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable, car je ne mesure pas véritablement l’impact d’une telle mesure. Cela dit, vous posez une vraie question. L’impact financier d’une remise aux normes est parfois tel qu’il peut empêcher une reprise.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable également.

Il nous semble difficile d’introduire ce délai d’adaptation pour certaines réglementations. Par exemple, celles relatives à l’environnement ne doivent pas être considérées comme secondaires. Nous privilégions donc les mesures de seuils d’effectifs qui profitent à l’ensemble des entreprises et qui sont de nature générique.

M. Vincent Descoeur. Il n’en demeure pas moins que le fait de refuser ce délai ne favorise pas le principe même de reprise d’entreprises, puisque vous-même convenez que cela fait partie des risques. Je ne vois donc pas en quoi laisser un délai de six mois pendant lequel on peut se mettre en conformité contrarie qui que ce soit.

M. Ian Boucard. Je suis d’accord avec ce que vient de dire M. Descoeur.

Il y a quelque temps, on a créé le droit à l’oubli, à l’effacement et votre majorité a créé le droit à l’erreur. Cette fois-ci, nous proposons un droit à la mise en conformité qui ne semble pas excessif. Si je dois céder cet amendement CS607 à mon collègue Stanislas Guerini pour qu’il puisse être adopté par la majorité, je le ferai avec grand plaisir !

M. Denis Sommer, rapporteur. Vous présentez le concept même de mise en conformité de manière tellement large que cela peut poser de vraies difficultés en termes de santé pour les salariés en cas d’activité très polluante, en termes d’environnement si l’activité le dégrade fortement, etc. Mais entrer dans le détail risquerait de nous entraîner dans un inventaire à la Prévert totalement rédhibitoire. Il faut certainement mener une réflexion sur le sujet ; mais cela ne peut se faire à par le biais d’un simple amendement.

M. Stanislas Guerini. Effectivement, s’agissant du doit à l’erreur, on a élargi la possibilité pour les entreprises de faire des rescrits, autrement dit des demandes d’interprétation du droit, ce qui leur laisse la possibilité de sécuriser leur situation juridique. Je pense donc que l’amendement CS607 est satisfait grâce à la loi pour un État au service d’une société de confiance que nous avons votée.

La commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS173 de Mme Véronique Louwagie, CS492 de M. Pierre Cordier, CS140 de M. Vincent Descoeur, CS395 de Mme Laure de La Raudière, CS156 de Mme Véronique Louwagie et CS470 de Mme Virginie Duby-Muller.

M. Ian Boucard. Le droit d’information préalable des salariés en cas de vente d’une entreprise s’est avéré être un dispositif parfois pénalisant. Outre que les dirigeants de PME et TPE savent identifier, parmi leur effectif, le ou les salariés susceptibles de vouloir et de pouvoir reprendre l’entreprise sans y être obligés par une loi, ce dispositif complique les négociations envisagées. C’est pourquoi il convient de supprimer ces dispositions.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS140 est dans le même esprit que l’amendement CS173 que vient de défendre M. Boucard. L’expérience prouve que le droit à l’information, même s’il procède d’une intention louable, peut donner lieu à des périodes d’instabilité importantes pour l’entreprise.

M. Paul Christophe. L’amendement CS395 est défendu.

M. Ian Boucard. L’amendement CS156 est un amendement de repli. L’amendement CS470, également de repli, vise à abroger les dispositions du code de commerce issues des articles 19 et 20 de la loi dite « loi Hamon », relatives à l’information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. La loi Hamon, encore récente, mérite d’être évaluée ; le principe même d’informer les salariés me paraît tout à fait juste. Nous tirerons ensuite les enseignements de cette évaluation, quitte à procéder aux ajustements nécessaires : je n’ai pas un rapport religieux à cette loi. Je suis persuadé que l’information des salariés peut poser quelques problèmes dans certains cas. Cela dit, s’il n’y a pas d’information, la reprise ne se fait pas.

J’émets donc un avis défavorable, dans l’attente d’une évaluation de cette loi.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis également défavorable. Le dispositif d’information préalable obligatoire des salariés a été ajusté une première fois par la loi du 6 août 2015. Les difficultés qui avaient été identifiées initialement ont été largement résolues. Supprimer ce droit d’information enverrait un signal très contradictoire à l’esprit du projet de loi PACTE, qui est de promouvoir la place des salariés dans l’entreprise.

La commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle étudie l’amendement CS1635 de M. François Ruffin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à créer, en cas de cession, un droit de préemption pour les salariés qui souhaiteraient reprendre leur entreprise. La reprise se ferait alors sous forme de coopérative. Ce droit concerne aussi bien les entreprises en difficulté que celles dont le propriétaire envisage la vente. Qui mieux, en effet, que les anciens salariés peut assurer le futur d’une entreprise ? Ils auraient comme priorité la sauvegarde de l’emploi et, à la différence d’entrepreneurs voraces qui n’envisageraient que de délocaliser, ils seraient dans une gestion à long terme, selon des principes d’économie sociale et solidaire, en tenant compte de l’intérêt général.

La forte proportion des chefs d’entreprise proches de l’âge de la retraite, et donc le nombre considérable d’entreprises qui vont être concernées par des projets de cession, est une occasion pour développer cette reprise d’entreprise par des salariés et de renforcer la démocratie au sein de l’entreprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. Ne le prenez pas mal, chère collègue, mais j’ai eu le sentiment que vous nous racontiez une jolie histoire ; mais je crains qu’elle ne finisse très mal si on l’applique de cette manière. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suis défavorable également à cet amendement qui porterait atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle.

Mme Danièle Obono. Parfois, les jolies histoires se terminent bien, Monsieur le rapporteur… Ce que j’ai dit n’est pas seulement une fable ou de l’impressionnisme ; c’est aussi la réalité de beaucoup de salariés qui tentent justement de reprendre des entreprises et qui sont dans un processus de mise en œuvre des idéaux et de la réalité de leur projet qui permettent de maintenir des emplois. Il me semble donc que cet amendement va plutôt dans le sens de ce que souhaite la majorité, c’est-à-dire de faire en sorte que les salariés soient davantage partie prenante et qu’ils deviennent propriétaires collectivement de leur outil de travail et de leur projet professionnel.

C’est une belle fable que vous pourriez rendre réelle en étant favorable à l’amendement. Nous reviendrons sur cette disposition lors de l’examen du texte en séance publique.

M. Denis Sommer, rapporteur. L’amendement présenté tout à l’heure par M. Stanislas Guerini, et qui a été adopté avec enthousiasme, propose précisément un cadre juridique et financier très incitatif qui permet d’encourager les salariés à reprendre leur entreprise. Encore faut-il prévoir des mesures concrètes, qui correspondent à la réalité, pour qu’on y croie…

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CS9 de M. Vincent Descoeur, CS441 de Mme Pascale Fontenel-Personne et CS2136 de M. Dominique Potier.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS9 vise à éviter qu’un trop grand nombre d’entreprises se déclarent en liquidation judiciaire avant la date de clôture de leur premier exercice, se dédouanant ainsi de leurs obligations et laissant derrière elles une dette sociale à la collectivité nationale.

Mme Valérie Oppelt. L’amendement CS441 est défendu.

M. Dominique Potier. Je souhaite par mon amendement CS2136 aborder un dossier qui me tient vraiment à cœur.

J’ai été averti par le tribunal de commerce de Nancy ; après avoir mené ma petite enquête et alerté les parties prenantes, j’ai découvert que dans le domaine du bûcheronnage dans la forêt, des entreprises du bâtiment et des travaux publics organisaient sciemment leur faillite après avoir fait des offres low cost qui venaient concurrencer des pratiques loyales. Outre que ces faillites avaient un effet sur l’économie locale et loyale, elles laissaient une ardoise éhontée à l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS).

Je me suis rapproché de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et de tous les services spécialisés, et le Premier ministre Bernard Cazeneuve avait organisé une table ronde sur le sujet. Cet amendement est le résultat d’un réel travail de fond. Il propose donc de faciliter l’accès de l’AGS aux informations financières sur l’entreprise détenues par la Banque de France et aux informations du fichier national des interdits de gérer afin de faciliter la détection des fraudeurs « systémiques », ce qui est un point capital.

Dernier argument : la dette laissée à l’assurance chômage est d’autant plus importante que, durant les derniers mois, ces fraudeurs ont pour pratique d’augmenter le nombre de leurs collaborateurs et leurs salaires. Il faut résolument combattre cette fraude organisée qui désespère le peuple, à juste raison.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Bien évidemment, on ne peut être que favorable à votre objectif, et le plaidoyer que vous venez de faire nous en convainc. Cela dit, ce n’est pas le bon outil pour la bonne solution : le fichier bancaire des entreprises de la Banque de France ne contient pas nécessairement les données ou les informations qui permettraient de répondre à votre souci tout à fait louable. De surcroît, cela aboutirait d’une certaine manière à une forme de dévoiement de ce fichier qui vise avant tout le refinancement des crédits accordés aux entreprises.

Pour ce qui est du fichier national des interdits de gérer dont l’accès est aujourd’hui restreint à un faible nombre d’administrations du fait du caractère sensible des informations qu’il centralise, il n’apparaît pas non plus opportun d’en autoriser l’accès à cette fin aux associations pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, étant rappelé que le ministère public figure dans cette liste et qu’il est à même d’exercer cette mission.

Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je partage les propos du rapporteur général.

J’ajoute que la Délégation nationale de lutte contre la fraude traque au jour le jour les sociétés fantômes et coordonne l’action des acteurs sur le terrain. Il nous semble important de faire des progrès sur ce sujet de façon très opérationnelle avec les outils dont nous disposons.

M. Dominique Potier. L’instrument que nous proposons n’est peut-être pas le plus judicieux, mais il convient de rechercher et de trouver le bon outil.

J’aimerais que vous nous indiquiez quelle est la part de la fraude organisée dans le poids des AGS. Puisque vous êtes, à juste titre, à la recherche de la mauvaise dépense pour les entreprises afin d’alléger leurs charges, vous avez là une des cibles les plus pertinentes. Si l’on parvenait à déterminer que 50 ou 70 % de la réserve des AGS serait destinée à cela, un investissement public dans le contrôle et la prévention de ce genre de pratique redonnerait confiance aux entreprises et représenterait une belle économie pour notre pays.

Si vous avez des arguments et des instruments à nous proposer, nous pourrions en faire une réussite commune. Cela dit, je maintiens cet amendement d’appel.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je vous remercie pour l’état d’esprit dont vous faites montre, Monsieur Potier.

La commission rejette les amendements identiques.

Puis elle étudie l’amendement CS1748 de Mme Olivia Grégoire.

Mme la présidente Olivia Grégoire. J’interviens pour la seconde fois sur ce chapitre pour évoquer un sujet majeur.

Cet amendement concerne les indicateurs de la Banque de France, qui pèsent sur les entrepreneurs ayant eu le malheur de connaître l’échec dans leur parcours.

En 2013, certains d’entre vous qui étaient déjà présents ici avaient participé au débat en permettant la déstigmatisaton de l’échec de nos entrepreneurs avec la suppression de l’indicateur 040 fichant les dirigeants ayant connu un dépôt de bilan au cours des trois dernières années. A-t-on depuis le sentiment que notre société donne plus facilement une deuxième chance aux entrepreneurs qui la sollicitent ? Pas toujours. A-t-on le sentiment que la suppression du 040 a fermé les vannes des financements accordés par les établissements de crédit ? Certainement pas. Car évidemment cette donnée seule n’est pas suffisamment pertinente. Restent des marqueurs, vécus comme infamants par de trop nombreux entrepreneurs qui tirent le renouvellement de notre économie. Faisons confiance, entendons la compréhension, l’inquiétude engendrée par ces données, ces marquages.

Aussi je propose avec force et conviction d’aller aujourd’hui plus loin que ce qui a été fait ces dernières années et de supprimer purement et simplement l’indicateur 050 de la Banque de France.

M. Denis Sommer, rapporteur. On me dit que cette mesure relève du domaine réglementaire, comme vous le savez.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je le sais depuis toujours.

M. Denis Sommer, rapporteur. Pas moi…

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. L’indicateur 050 de la Banque de France est effectivement ressenti très fortement comme un sceau d’infamie par certains entrepreneurs et est apparu comme un sujet de préoccupation important dans le cadre de nos consultations. Nous avons donc pris la décision de le supprimer, par décret. Mais je vous remercie, Madame la présidente, d’avoir proposé et soutenu cette excellente mesure.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je vous remercie également, au nom des entrepreneurs en rebond. Je retire cet amendement qui a vocation à être transformé en action réglementaire.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS7 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Il serait souhaitable que les métiers du bâtiment soient exclus du champ de la micro-entreprise. Je rappelle que nous avons déjà débattu de ce sujet.

M. Denis Sommer, rapporteur. Effectivement le débat a déjà eu lieu hier. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis la commission est saisie de l’amendement CS727 de Mme Annie Genevard.

M. Ian Boucard. À l’heure actuelle, plus de 60 % des centres-villes de plus de 25 000 habitants présentent plus de 10 % de magasins vides. Cette dévitalisation se développe malheureusement de la même façon un peu partout en France ; la vacance commerciale dans les centres-villes est un phénomène qui inquiète de plus en plus les habitants et les élus locaux.

Afin d’y remédier, le présent amendement vise à intégrer au sein de chaque commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) un représentant de la chambre de commerce et d’industrie territoriale, un représentant de la chambre de métiers et de l’artisanat, ainsi que des représentants des associations communales.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce type de dispositions ayant pour objet l’aménagement commercial et le code de commerce interfère avec les discussions qui ont lieu simultanément dans le cadre de l’examen du projet de loi ELAN. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement CS735 de M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Cet amendement d’appel, inspiré de nombreuses études de cas, vise à créer un nouveau mode de règlement des litiges entre l’entreprise et le salarié.

Certains instruments existent déjà, à commencer par la conciliation devant le conseil de prud’hommes. Malheureusement, cette procédure ne produit pas les résultats escomptés. La transaction, autre instrument permettant de conclure un différend, n’est pas suffisamment adaptée aux besoins des entreprises. Quant à l’arbitrage, la médiation et la convention de rupture participative, ils constituent des dispositifs encore largement méconnus des entreprises et des salariés.

Le nouveau mode de règlement des litiges que je propose, appelé « accord de sécurisation de la rupture du contrat de travail », vise à clore une contestation née ou à prévenir une contestation à naître. L’accord devra être écrit, comporter certaines mentions obligatoires, et être formalisé par acte d’avocat. Par souci de souplesse, il est prévu que cet accord puisse être formalisé au cours de l’instance judiciaire ou en dehors.

M. Denis Sommer, rapporteur. Nous avons bien entendu qu’il s’agissait là d’un amendement d’appel et c’est bien volontiers que nous poursuivrons la discussion sur ce sujet. Mais pour l’heure, j’émets un avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Paul Christophe. J’aurais aimé recevoir des avis un peu plus consistants, mais je retire mon amendement en espérant que nous pourrons le retravailler d’ici à la séance publique.

L’amendement CS735 est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1756 de M. François Ruffin et CS1625 de M. Adrien Quatennens.

Mme Danièle Obono. Je défendrai conjointement les amendements CS1756 et CS1625.

Le premier vise à créer un fonds de solidarité inter-entreprises pour mutualiser la contribution sociale entre toutes les entreprises, mettre à contribution les grandes entreprises et les groupes pour soulager les PME et assurer la solidarité financière entre donneurs d’ordres et sous-traitants. À la différence du second, qui est un amendement de repli, le fonds aura aussi pour mission d’assister financièrement les dirigeants d’entreprises en faillite se retrouvant sans ressources.

Pour préparer ce projet de loi, nous avons rencontré un certain nombre d’acteurs économiques, notamment de patrons de TPE et de PME dont l’entreprise avait fait faillite. Certains nous ont raconté leur solitude au cours de ces procédures et le manque de ressources financières une fois l’entreprise liquidée.

En l’absence de mécanismes de solidarité organisés par le patronat, nous proposons qu’une des missions de ce fonds de solidarité entre entreprises soit de garantir un revenu minimum à ces ex-chefs d’entreprise dans le besoin. Dans un souci d’équilibre, le barème de ces cotisations sera progressif : les très petites entreprises ne paieront presque rien tandis que les grandes entreprises seront les plus gros contributeurs.

Je ne doute pas que cette commission partage la préoccupation exprimée par ces amendements d’instaurer une certaine solidarité entre les entreprises.

M. Denis Sommer, rapporteur. La rédaction de ces amendements me paraît un peu floue : elle ne dit notamment rien de la façon dont ils seraient financés. Pour ma part, je considère que le premier dispositif de solidarité entre les entreprises et les salariés, c’est la sécurité sociale, Pôle emploi, et les fonds d’indemnisation des chômeurs, et que la vraie question à se poser consiste à savoir si les entreprises françaises peuvent financer indéfiniment l’essentiel de notre protection sociale, sur un modèle proche de celui instauré en 1945, qui a montré toute son efficacité mais qui commence peut-être à montrer ses limites dans le contexte actuel de mondialisation.

Même si je n’ai pas de réponse définitive à la question que je soulève, je ne suis pas sûr que le modèle que vous proposez soit porteur d’avenir. J’émets donc un avis défavorable aux amendements CS1756 et CS1625.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Si je comprends l’esprit de ces amendements, j’estime que le caractère très imprécis de leur rédaction les prive de toute portée pratique, ce qui me conduit à émettre un avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Il est indiqué, au deuxième alinéa de chacun de nos amendements, que leurs modalités d’application seront précisées par décret en Conseil d’État ; mais s’il en est besoin nécessaire, nous pourrions donner en séance toutes les précisions utiles sur ce point.

Si la sécurité sociale constitue le premier dispositif de solidarité entre les entreprises et les salariés, je rappellerai que ce dispositif est financé par les cotisations des salariés ; nous sommes attachés à la pérennité du système actuel, mais ce que nous proposons constitue un dispositif différent et complémentaire, sous la forme d’un fonds pour les entreprises en difficulté, ce qui répondrait aux problèmes de financement, rappelés à de multiples reprises, auxquels se heurtent les très petites entreprises.

La commission rejette successivement les amendements CS1756 et CS1625.

Elle est saisie de l’amendement CS193 de Mme Véronique Louwagie.

M. Ian Boucard. Une méthode incitative visant à susciter des déclarations spontanées obtient parfois de meilleurs résultats qu’une méthode répressive découlant d’une application stricte de la législation en vigueur. C’est le cas du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), rattaché à la direction générale des finances publiques (DGFIP), qui permet aux contribuables ayant dissimulé à l’administration fiscale un compte à l’étranger de régulariser leur situation, sous réserve d’acquitter l’ensemble des impositions éludées et non prescrites ainsi que les pénalités et amendes correspondantes. Cette cellule temporaire, composée de plus de 200 agents, a été dissoute fin 2017.

Reste que cette approche pragmatique a connu un grand succès : plus de 50 000 demandes ont été déposées pour plus de 32 milliards d’euros d’avoirs et 7,8 milliards d’euros recouvrés. Nous proposons de prendre pour modèle cette cellule créée au profit des personnes physiques et de l’adapter au profit des entreprises, en particulier les petites entreprises, qui peuvent avoir du mal à appliquer des textes fiscaux trop souvent complexes et, lorsqu’elles s’en rendent compte, ont peur de régulariser en raison des conséquences fiscales excessivement lourdes.

Notre amendement CS193 a donc pour objet de créer une nouvelle cellule en l’orientant sur la régularisation des déclarations des entreprises.

M. Denis Sommer, rapporteur. La disposition proposée ne relève pas du domaine de la loi. Par ailleurs, Stanislas Guerini a évoqué tout à l’heure le droit à l’erreur, qui protège les chefs d’entreprise de la situation que vous décrivez. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Dans le prolongement de la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC), le Gouvernement a entamé, le 22 août dernier, une consultation publique portant sur une nouvelle relation de confiance avec les entreprises. Je vous engage à inscrire vos propositions dans le cadre de cette consultation. Pour ce qui est de l’amendement CS193, j’émets un avis défavorable.

M. Ian Boucard. Au vu des explications de Mme la secrétaire d’État, je vais retirer mon amendement ; il appartiendra à Mme Louwagie de le représenter ou non en séance.

L’amendement CS193 est retiré.

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Article 19 bis (nouveau)
(articles L. 3332-10 et L. 3332-16 du code du travail)
Assouplissement des dispositions relatives aux fonds commun de placement d’entreprise (FCPE)

Introduit grâce à l’adoption de l’amendement de notre collègue Stanislas Guerini et du groupe La République en Marche, cet article vise à assouplir les dispositions relatives aux fonds communs de placement d’entreprise (FCPE), qui permettent d’organiser la reprise d’une entreprise par ses salariés, afin de permettre à davantage de salariés de s’en saisir.

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La commission examine ensuite l’amendement CS1580 de M. Adrien Taquet.

M. Stanislas Guerini. Je suis très heureux de défendre ce très bel amendement au nom du groupe La République en Marche, qui concerne la reprise des entreprises par les salariés.

Comme vous le savez, chaque année plusieurs dizaines de milliers d’entreprises ferment faute de repreneur. Pourtant, il existe déjà un très bel outil de reprise, le fonds commun de placement entreprise (FCPE), qui permet à des salariés d’apporter des fonds qui sont mobilisés pour la reprise de l’entreprise. Or cet outil est actuellement sous-utilisé en raison de certaines contraintes, comme la durée de détention des titres, le nombre minimum de salariés et le plafonnement des montants que les salariés peuvent apporter.

Cet amendement vise donc à simplifier le dispositif du FCPE de reprise en baissant le nombre de salariés minimum, en ramenant de cinq à trois ans la durée obligatoire de détention des titres et surtout en portant à une fois la rémunération annuelle le plafond que les salariés peuvent affecter au FCPE de reprise.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable. Cet excellent amendement, très complet, ouvre de grandes perspectives dans une période où beaucoup d’entreprises vont être à reprendre. Je suis certain que cette mesure sera très largement valorisée par les salariés qui sauront l’employer utilement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis très favorable également sur ce mécanisme qui doit être simplifié, rendu plus accessible et adapté pour les salariés, afin de faciliter les projets de reprise. Le Gouvernement présentera sans doute un sous-amendement en séance publique pour préciser l’article du code du travail auquel il est fait référence, et qu’il convient de modifier.

M. Ian Boucard. C’est effectivement un très bel amendement que j’aurai grand plaisir à voter.

Madame la secrétaire d’État, il y a deux minutes à peine, vous nous avez dit, s’agissant de la reprise des entreprises, que le Gouvernement prendrait des mesures dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 et qu’il convenait donc d’attendre puisque ce n’était pas l’objet du projet de loi PACTE. Or, avec l’excellent amendement de mon collègue, je constate que c’est finalement l’objet du présent projet de loi. J’en déduis que la réponse que vous m’avez donnée tout à l’heure n’était pas la bonne… Mais cela n’entachera pas ma joie de voter cet excellent amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Merci de cette remarque, Monsieur Boucard…

M. Roland Lescure, rapporteur général. La différence entre ces deux amendements tient à leur impact financier. Comme le vôtre a un impact financier sur les ressources financières de l’État, il doit être discuté dans le cadre du projet de loi de finances tandis que celui du présent amendement sera essentiellement économique, ce que nous souhaitons tous.

La commission adopte l’amendement. L’article 19 bis est ainsi rédigé.

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Article 19 ter (nouveau)
(article 22-2 de la loi 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat)
Remise d’une attestation d’assurance par les entreprises du bâtiment
et des travaux publics

Issu de deux amendements identiques de nos collègues Pierre Cordier, Ian Boucard et plusieurs membres du groupe Les Républicains, le présent article a pour objet de permettre aux entreprises du bâtiment et des travaux publics de déroger à certaines dispositions relatives à l’information de leurs clients concernant l’assurance qu’ils ont souscrite : une simple remise d’attestation d’assurance sera désormais jugée suffisante, à la place des trois obligations actuellement prévues.

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La commission examine les amendements identiques CS488 de M. Pierre Cordier et CS567 de M. Ian Boucard.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS488 prévoit une dérogation au profit des entreprises du BTP, au motif que pour remplir totalement l’objectif d’information des clients et de contrôle des obligations des entreprises la remise d’une attestation d’assurance doit être privilégiée.

M. Ian Boucard. Mon amendement CS567 a lui aussi a pour but de simplifier les modalités d’information des clients par les professionnels du bâtiment en ce qui concerne leur assurance. Trois dispositions régissent actuellement ces modalités : la loi Hamon du 17 mars 2014, la loi Pinel du 18 juin 2014 et la loi Macron du 6 août 2015. Or ces trois textes présentent parfois des caractéristiques redondantes.

La loi Pinel exige ainsi du professionnel qu’il mentionne sur les factures et devis son assurance professionnelle quand elle est obligatoire à l’exercice de leur activité, le nom de l’assureur et la territorialité de la garantie. Cependant, ces informations figurent nécessairement sur l’attestation d’assurance décennale imposée plus récemment par la loi Macron.

C’est pourquoi l’amendement CS567 vise à permettre une dérogation à l’application de l’article 22-2 de la loi 96-603 du 5 juillet 1996 au profit des entreprises du bâtiment, afin de privilégier la remise d’une attestation d’assurance – d’autant plus que celle-ci est de nature à sécuriser davantage le client que les obligations de la loi Pinel.

J’ajoute que, grâce à cet amendement, nous respecterons le principe selon lequel nous supprimons une norme à chaque fois que nous en créons une.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Vous reprenez l’efficace technique qu’a utilisée M. Fasquelle tout à l’heure…

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. J’émets un avis favorable à cette excellente mesure de simplification pour les professionnels du bâtiment.

M. Vincent Descoeur. Encore sous le coup de l’effet de surprise (Sourires), nous remercions M. le rapporteur thématique et Mme la secrétaire d’État d’avoir émis un avis favorable.

La commission adopte les amendements identiques CS488 et CS567. L’article 19 ter est ainsi rédigé.

Article 19 quater (nouveau)
(articles L. 611-5, L. 620-2, L. 631-2, L. 640-2 et  L. 626-12 du code de commerce et article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime)
Définition de la notion d’agriculteur en droit des entreprises en difficulté

Issu d’un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, présidente, et du groupe La République en Marche, le présent article vise à résoudre des difficultés créées dans le milieu agricole par un récent arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation, en date du 29 novembre 2017.

Cet arrêt retient en effet que les personnes morales exerçant une activité agricole ne peuvent se voir accorder un plan d’une durée de quinze ans, à la différence des personnes physiques. Il n’existe pourtant pas de justification objective à distinguer un agriculteur exploitant sous forme individuelle d’un agriculteur exploitant par l’intermédiaire d’une société.

Si le terme d’agriculteur ne reçoit pas de définition juridique uniforme, les activités agricoles sont, quant à elles, strictement définies à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, qu’elles soient agricoles par nature (production animale et végétale) ou par prolongement de l’acte de production (transformation, valorisation de la production), outre certaines activités équestres.

Le présent article a donc pour objet de préciser la notion d’ « agriculteur », en droit des entreprises en difficulté, en lui substituant les termes de « toute personne exerçant des activités agricoles au sens de l’article L. 311-1 » chaque fois que cette précision est nécessaire. Il harmonise ainsi la situation de tous les agriculteurs, qu’ils exercent des activités agricoles prévues à l’article L. 311-1 du même code, sous forme individuelle ou sociétale.

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La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS1571 de M. Adrien Taquet et les amendements identiques CS44 de M. Vincent Descoeur et CS217 de M. Paul Christophe.

M. Patrice Perrot. Lorsque la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises est venue fixer une durée de dix ans pour les plans relatifs à l’ensemble des procédures collectives, une dérogation a été prévue pour les agriculteurs, qui pouvaient ainsi bénéficier d’une durée de quinze ans.

Il existe une spécificité agricole indiscutable, tenant notamment aux cycles d’exploitation particuliers, à l’amortissement du matériel et des bâtiments agricoles, ce à quoi il faut ajouter les aléas climatiques. Par ailleurs, l’activité agricole s’inscrit dans un temps long.

L’amendement proposé vise à résoudre les difficultés créées dans le milieu agricole par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 novembre 2017. Cet arrêt retient que les personnes morales exerçant une activité agricole ne peuvent se voir accorder un plan d’une durée de quinze ans, à la différence des personnes physiques.

L’amendement CS1571 a pour objet de préciser juridiquement la notion d’agriculteur. Il harmonise ainsi la situation de tous les agriculteurs, qu’ils exercent sous forme individuelle ou sociétale.

M. Vincent Descoeur. Comme l’a expliqué M. Perrot, il convient de rétablir la possibilité pour l’ensemble des agriculteurs, exerçant sous forme individuelle ou sociétale, de bénéficier d’un plan étendu à quinze ans.

Mon amendement CS44 précise que ces dispositions devront s’appliquer de façon rétroactive, afin de permettre aux procédures ouvertes à compter du 29 novembre 2017 de bénéficier de la prorogation prévue.

M. Paul Christophe. La forme sociétaire représente aujourd’hui plus de la moitié de l’exercice de l’activité agricole en France. Cette forme s’étant fortement développée au cours des dernières décennies, lui appliquer un traitement différencié apparaît incohérent et inadapté à la réalité économique et juridique agricole. C’est pourquoi mon amendement CS217 vise à rétablir la prorogation possible d’un plan de continuation, sur une durée pouvant s’étendre à quinze ans, et pour toute forme d’exercice de l’activité agricole, qu’elle soit individuelle ou sociétaire.

M. Denis Sommer, rapporteur. J’émets un avis favorable à l’amendement CS1571 et je suggère le retrait des amendements identiques CS44 et CS217, qui seront satisfaits par l’adoption du premier.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Vincent Descoeur. Puisque notre amendement CS44 va être satisfait, nous ne pouvons que le retirer. Quelle frustration d’être arrivée trop tard !

M. Paul Christophe. Je retire également l’amendement CS217.

Les amendements CS44 et CS217 sont retirés.

M. Dominique Potier. Je m’étonne un peu que l’on fasse deux poids, deux mesures, en adoptant ici, sans vraiment en débattre, un amendement à l’argumentaire très léger et n’ayant fait l’objet d’aucune étude d’impact : tout à l’heure, vous vous êtes montrés plus rigoureux en renvoyant à la loi ÉGALIM une disposition portant sur le foncier. Je n’ai pas d’avis sur le fond au sujet du présent amendement, mais quand on sait les incidences que le droit des sociétés peut avoir sur le marché du foncier et sur les rapports commerciaux dans l’agriculture, l’adoption de cette disposition située un peu en dehors du cadre du projet de loi me paraît être une décision un peu légère. Ne devrions-nous pas faire preuve d’une plus grande prudence ?

M. Roland Lescure, rapporteur. Je comprends la préoccupation que vous exprimez. Cela dit, puisque nous sommes en train de revoir tout le dispositif de rebond des entreprises, il aurait été dommage, à l’occasion de cette réforme, d’exclure les entreprises agricoles du dispositif : de ce point de vue, l’amendement CS1571 me semble compléter utilement le texte.

La commission adopte l’amendement CS1571. L’article 19 quater est ainsi rédigé.

Article 19 quinquies (nouveau)
(article L. 611-6 du code de commerce)
Accès du président du tribunal de commerce à certaines informations financières

Issu d’un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, présidente, et du groupe La République en Marche, le présent article a pour objet de préciser la liste des informations pouvant être sollicitées par le président du tribunal de commerce sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

Il s’agit là de lui permettre d’accéder à la connaissance de la cotation retenue par les assureurs-crédit des encours garantis, informations déterminantes pour le sauvetage d’entreprises en difficulté.

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La commission est saisie de l’amendement CS1584 de M. Adrien Taquet.

Mme Michèle Crouzet. Une entreprise dont la notation a été dégradée par un assureur-crédit aura par la suite les plus grandes difficultés à accéder à des sources de financement et verra très rapidement ses possibilités de mobilisation de créances commerciales profondément affectées. La connaissance de la cotation retenue par les assureurs-crédit et des encours garantis est une information déterminante pour le sauvetage des entreprises en difficulté.

L’article 58 de la loi n° 2013672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a imposé aux entreprises d’assurance-crédit de transmettre chaque trimestre à la Banque de France des informations statistiques sur le montant des encours de crédit client garantis. Les informations statistiques et notations des entreprises sont dûment recensées, mais elles restent difficiles à connaître par les principaux intéressés.

Il importe donc de faciliter la prise de connaissance de ces éléments d’information et de permettre au président du tribunal d’en obtenir communication sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Cet amendement vient préciser la liste, non limitative, des informations pouvant être sollicitées par le président du tribunal, telle qu’elle figure au cinquième alinéa de l’article L.611-6 du code de commerce.

M. Denis Sommer, rapporteur. Avis favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Effectivement, la connaissance de la cotation retenue par les assureurs-crédit et des encours garantis est souvent cruciale pour le sauvetage des entreprises en difficulté. Nous sommes donc très favorables à cet amendement.

La commission adopte l’amendement. L’article 19 quinquies est ainsi rédigé.

Article 19 sexies (nouveau)
(article L. 723-4 du code de commerce)
Ouverture de la qualité de juge de tribunal de commerce aux chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective

Issu d’un amendement de notre collègue Olivia Grégoire, présidente, et du groupe La République en Marche, le présent article vise à ouvrir la qualité de juge de tribunal de commerce aux chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective.

Leur propre expérience leur permet en effet d’estimer les difficultés par une entreprise, et de recommander des correctifs adaptés. L’article prévoit toutefois des gardes-fous : exclusion de ceux qui font l’objet d’une procédure collective en cours et ceux qui ont fait l’objet de sanctions, prévues au titre V du livre VI du code de commerce.

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La commission examine l’amendement CS1894 de M. Adrien Taquet.

Mme Fadila Khattabi. Cet amendement de bon sens, cosigné par notre présidente, vise à ouvrir la qualité de juge de tribunal de commerce aux chefs d’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective. Les entrepreneurs ayant fait l’expérience de l’échec se révèlent très souvent plus à même de comprendre les difficultés des autres chefs d’entreprise. Par ailleurs, la démarche proposée s’inscrit dans l’état d’esprit de la loi PACTE en faveur du rebond, mais également dans celui du droit à l’erreur. Cela étant, nous avons prévu des garde‑fous en excluant du dispositif les entrepreneurs ayant fait l’objet d’une procédure collective en cours ou de sanctions prévues au titre V du livre VI du code de commerce.

M. Denis Sommer, rapporteur. Nous avons eu, au cours des auditions que nous avons effectuées, de nombreux débats sur la nécessité d’accompagner les chefs d’entreprise faisant l’objet d’une procédure et se trouvant de ce fait en situation de détresse – sans doute mon collègue Boucard se souvient-t-il, comme moi, du cas de ce chef d’entreprise de notre région qui, confronté à de grandes difficultés, a mis fin à ses jours.

La présence au sein des tribunaux de chefs d’entreprise ayant connu des expériences difficiles nous paraît de nature à mieux prendre en compte à la fois les difficultés de l’entreprise et celles du dirigeant lui-même. Je suis donc très favorable à cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous venez de nous rappeler un cas criant, et le dispositif ici proposé constitue une parfaite illustration du principe du droit à l’oubli. Je suis donc très favorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement à l’unanimité. L’article 19 sexies est ainsi rédigé.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir adopté à l’unanimité cet amendement dont le sens et la portée pratique sont évidents – on ne pourra lui reprocher d’être « hors sol » – et qui a reçu l’assentiment de nombre de juges de tribunaux de commerce, dont celui des Hauts-de-France, qui nous a guidés dans notre réflexion, tant il est vrai que l’expérience de l’échec, voire de la chute ou du drame, peut être précieuse.

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Article 19 septies (nouveau)
(article L. 135 ZM [nouveau] du livre des procédures fiscales)
Informations délivrées au délégué interministériel aux restructurations d’entreprises

Issu d’un amendement de votre rapporteur, le présent article vise à améliorer le traitement des difficultés des entreprises par une coordination plus efficace des services en contact avec elles, permettant une réaction plus rapide et mieux informée des services de l’État chargés de leur accompagnement.

À cette fin, il crée une dérogation à la règle du secret fiscal de manière à permettre que soit remise au délégué interministériel aux restructurations d’entreprises et au secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), ainsi qu’aux agents qui leur sont directement rattachés, l’information fiscale nécessaire à l’accomplissement de leur mission.

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La commission examine l’amendement CS2323 de M. Denis Sommer, rapporteur.

M. Denis Sommer, rapporteur. Quand une entreprise est confrontée à des difficultés économiques, il est crucial d’intervenir le plus en amont possible, dès l’apparition des premiers signaux. Afin d’agir efficacement, nos administrations doivent être en mesure de communiquer facilement entre elles, à la fois pour poser le bon diagnostic et pour mobiliser les différents acteurs présents sur le territoire local afin de construire des solutions de nature à répondre aux besoins de l’entreprise et de lui éviter de continuer à s’enfoncer dans les difficultés.

Afin de permettre cette nécessaire anticipation, nous proposons d’instituer une dérogation à la règle du secret fiscal, de manière à permettre que soit remise au délégué interministériel aux restructurations d’entreprises et au secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), ainsi qu’aux agents qui leur sont directement rattachés, l’information fiscale nécessaire à l’accomplissement de leur mission.

Je précise que nous ferons prochainement d’autres propositions concrètes allant dans le même sens, en liaison avec notre présidente.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le partage d’informations au sein des services de l’État est de nature à améliorer le traitement des difficultés des entreprises et à permettre de mieux les anticiper, afin d’assurer une plus grande efficacité et réactivité du service public. Je suis donc favorable à cet amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. L’amendement CS2323 n’est effectivement que le premier d’une série qui témoignera de l’attention portée par cette commission à la prévention des défaillances des entreprises.

La commission adopte l’amendement. L’article 19 septies est ainsi rédigé.

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Chapitre II
Des entreprises plus innovantes

Section 1
Améliorer et diversifier les financements

Sous-section 1 :
Mesures en faveur du financement des entreprises par des acteurs privés

Article 20
(articles L. 224-1 à L. 224-8 du code monétaire et financier)
Réforme de l’épargne retraite

A.   L’État du droit

L’épargne retraite désigne les sommes que les actifs choisissent de placer tout au long de leur vie professionnelle afin d’améliorer le niveau de revenus issus de leurs pensions de retraite, versées par les régimes de retraite de base et les régimes complémentaires.

Il convient en effet de distinguer le système de retraite de base, par répartition, qui fera l’objet d’une importante restructuration en 2019 sous l’impulsion du Haut-commissariat à la réforme des retraites ; le système de retraite qualifié de complémentaire, également obligatoire et par répartition mais uniquement à destination des salariés du secteur privé (régimes AGIRC et ARRCO). Enfin, la réforme concernée par le présent article porte sur des sommes épargnées par des actifs et par leurs entreprises, pour l’essentiel sur une base volontaire, afin d’améliorer les revenus issus des régimes obligatoires. On parle alors de retraite supplémentaire.

Techniquement, tout support d’épargne, de court, moyen ou long terme, peut permettre de constituer une réserve de revenus une fois venu l’âge de la retraite. C’est ainsi que de nombreux Français recourent à l’assurance-vie pour préparer leur retraite. Toutefois, de la même façon qu’accumuler de l’épargne sur un livret A, très liquide et peu rémunérateur, est économiquement peu optimal pour des sommes placées pendant une longue période, l’assurance-vie n’est pas toujours le véhicule le plus pertinent pour maximiser le revenu issu de placements de long terme comme l’épargne retraite.

Aussi, au fil des années, plusieurs produits d’épargne spécifiquement orientés vers la préparation de la retraite ont vu le jour, à destination des particuliers ou des entreprises. La spécificité historique de ces contrats est, dans une logique assurantielle, de transformer le capital accumulé et bloqué pendant la vie active en une rente viagère, versé par l’assureur jusqu’au décès en échange de l’acquisition du capital. Si le montant de la rente dépend du capital accumulé, elle ne correspond donc pas à une « décumulation » progressive du capital acquis jusqu’à son épuisement. Aussi, la rente est due même lorsque le niveau de capital accumulé est dépassé – une perte pour l’assureur qui est compensée par les contrats où, au contraire, le décès du titulaire intervient prématurément. Au moment de la transformation du capital en rente, celui-ci devient la propriété de l’assureur.

Le paysage des produits d’épargne retraite s’est particulièrement complexifié au fil des années, et la faible lisibilité des offres proposées aux particuliers comme aux entreprises s’est doublée de performances économiques peu attractives, ce qui pourrait expliquer que l’assurance-vie soit progressivement devenue une solution de second rang de plus en plus plébiscitée.

Une tentative d’harmonisation européenne : le produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle (PEPP)

À l’initiative de la Commission européenne, une proposition de règlement de juin 2017 vise la création d’un produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle (PEPP – Pan European Personal Pension product), dans la continuité des efforts européens pour unifier le marché unique des capitaux.

Il s’agit, en priorité, de développer le marché de la retraite supplémentaire dans l’Union européenne, afin de compenser le « pension gap » entre retraités et entre générations de retraités, dans un contexte de transition démographique et de dégradation progressive des systèmes de retraite de base. La mise à disposition d’un produit financier lisible et attractif financièrement constitue donc la priorité de cette réforme, dans laquelle le présent article s’inscrit donc entièrement.

Précisément, le PEPP ne se substituerait pas aux régimes de retraite supplémentaire nationaux, mais aurait pour principal utilité d’assurer l’harmonisation et la standardisation des différents produits, afin d’assurer leur portabilité inter-pays. L’Autorité européenne de surveillance des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) sera chargée de distribuer une forme de « label PEPP » aux produits proposés dans les États membres afin de garantir leur transférabilité vers un autre produit labellisé, ainsi que de pouvoir continuer à alimenter leur plan labellisé PEPP même s’ils quittent le pays dans lequel ils l’ont ouvert.

L’étude d’impact annexée au présent projet de loi effectue une synthèse utile et complète des produits existants et de leurs spécificités (pages 242 et suivantes). Chaque type de contrat obéit à des règles de fonctionnement, de fiscalité, de disponibilité de l’épargne différentes. La plupart des produits n’autorise qu’une sortie en rente viagère, tandis que certains produits créés plus récemment permettent également une sortie, limitée ou complète, en capital. La transférabilité de l’épargne constituée sur un type de produits vers un autre est très limitée, ce qui tend à créer des clientèles captives et donc des rentes économiques inefficaces.

Les produits individuels sont composés des plans d’épargne retraite populaire (PERP), ouverts à tous, et de plans réservés à certaines catégories d’actifs : aux travailleurs non salariés comme les professions libérales, les artisans et les agriculteurs (contrats dits « Madelin » ou « Madelin agricole »), des plans proposés aux fonctionnaires (Préfon) ou de plans mutualistes fonctionnant avec un régime à points (Corem et Préfon).

Les produits collectifs sont proposés dans le cadre de l’entreprise, principalement aux salariés. Le plan d’épargne retraite collectif (PERCO), produit générique et facultatif, existe en parallèle d’autres types de produits, appelés contrats « article 83 » (du code général des impôts) ou contrats « articles 39 », qui présentent plusieurs spécificités : ils peuvent ne s’adresser qu’à certaines catégories objectives de salariés (comme les cadres), être d’affiliation obligatoire, être à cotisations définies (fixées au début du contrat et immuables) ou à prestations définies (la rente est connue dès la souscription au contrat).

Du point de vue juridique, les différents produits d’épargne retraite dépendent de dispositions différentes, issues de codes différents et peu harmonisées. En outre, ces produits ne sont pas proposés par les mêmes acteurs économiques.

L’ensemble des produits d’épargne retraite, à part le PERCO, sont des contrats d’assurance de groupe en cas de vie dont les prestations sont liées à la cessation d’activité professionnelle. Ils sont proposés par des assureurs : soit des entreprises d’assurance (articles L. 132-23 ou L. 141-1 du code des assurances pour le PERP), soit des mutuelles, fédérations ou unions de mutuelles (article L. 223-22 du code de la mutualité) ou encore des institutions de prévoyance (article L. 932-23 du code de la sécurité sociale). Même au sein de cette famille de produits, chaque catégorie présente un fonctionnement différent, qui n’est pas toujours justifié.

Par exemple, tandis que le régime du PERP oblige les assureurs à isoler les actifs correspondants dans un canton comptable séparé des autres éléments de leur bilan, ce qui permet de les protéger du risque de défaillance (le cantonnement est qualifié de « juridique », car rendu obligatoire par la loi, à l’article L. 144-2 du code des assurances), une telle disposition n’est pas prévue pour les contrats de type « article 83 » ou « Madelin ». L’avantage d’une comptabilité auxiliaire d’affectation est également de protéger les rendements des épargnants : les bénéfices engrangés au sein du canton comptable sont nécessairement redistribués au sein de ce canton – sans cantonnement, les rendements réalisés par les placements des épargnants retraite (peu mobiles par construction) peuvent être affectés à d’autres placements rendus ainsi plus attractifs pour une clientèle mobile.

En revanche, le PERCO (article L. 3334-1 du code du travail) n’est pas un contrat d’assurance mais un plan d’épargne, décliné sur le modèle du plan d’épargne d’entreprise (voir ci-après le commentaire de l’article 57). Le PERCO est exclusivement proposé par des entreprises gestionnaires d’actifs et ne comporte pas de garantie de son capital. Cependant, la question du cantonnement des actifs ne se pose pas, car les porteurs de PERCO sont propriétaires des parts et actions dans lesquelles est investie leur épargne (ils en restent propriétaires en cas de défaillance du gestionnaire d’actifs). Sa souplesse en fait l’instrument servant de modèle pour la création d’un régime de droit commun par le présent article.

Le PERCO, un dispositif souple dont s’inspire le projet de loi

Le PERCO est un produit collectif souscrit par les salariés de l’entreprise, dans une logique d’épargne salariale qui le distingue des produits assurantiels. C’est une variante du plan d’épargne d’entreprise (PEE), car les sommes qui y sont placées ne sont théoriquement disponibles qu’au moment du départ en retraite. Peuvent y être versées les sommes issues de la participation, de l’intéressement, d’un compte épargne temps, ainsi que les versements volontaires et les abondements de l’employeur.

En dehors d’un régime fiscal plutôt favorbale, le PERCO se caractérise par une grande souplesse d’utilisation pour un produit d’épargne retraite. Par exemple, si l’accord collectif de l’entreprise le prévoit, les sommes épargnées sur un PERCO peuvent être récupérées sous forme de capital et non de rente viagère. En outre, il existe plusieurs possibilités de débloquer l’épargne avant la date de la retraite, par exemple en vue de l’achat de la résidence principale ou à l’expiration des droits à percevoir l’allocation chômage.

La présentation du dispositif de l’article 20 témoigne de nombreuses similitudes entre PERCO et le nouveau socle juridique harmonisé des produits d’épargne retraite

B.   Le dispositif proposÉ

1.   La création d’un régime de droit commun pour les plans d’épargne retraite

Les alinéas 2 à 42 (paragraphe I) créent un nouveau chapitre IV au sein du titre II du livre II du code monétaire et financier (nouveaux articles L. 224-1 et suivants) afin de définir un socle juridique harmonisé pour les plans d’épargne retraite. Ce nouveau produit d’épargne retraite « de droit commun » comporte peu de nouveautés par rapport au droit existant, mais cumule les avantages de plusieurs dispositifs existants et les généralise : sortie complète en capital possible ; déblocage anticipé pour l’acquisition de la résidence principale ; cantonnement juridique des actifs placés pour les produits assurantiels ; gestion pilotée par défaut ; transférabilité des droits sur d’autres catégories de produits.

L’alinéa 8 définit le plan d’épargne retraite (PER). Son architecture générale est la suivante : à destination des personnes physiques seulement, il s’agit d’un produit d’épargne bloquée qui accueille des sommes rendues disponibles, en principe, à l’âge de date de départ à la retraite. La sortie des sommes acquises peut s’effectuer librement sous forme de versement de capital ou de rente viagère, ce qui n’est possible que pour les PERCO aujourd’hui, et dans une moindre mesure pour les PERP. L’option d’une rente est obligatoirement proposée dans le plan (alinéa 10) et, comme dans le droit existant, une sortie en rente peut donner lieu à une option de réversion à un tiers en cas de décès du titulaire du plan ([38]).

L’alinéa 9 définit les modalités d’exécution du PER. Si le plan est souscrit auprès d’un gestionnaire d’actifs, il donne lieu à l’ouverture d’un compte-titres. S’il est souscrit auprès d’une entreprise d’assurance, d’une mutuelle ou d’une institution de prévoyance, il prend la forme d’un contrat d’assurance de groupe, dont l’exécution est liée à la cessation d’activité professionnelle. En pratique, dans un compte-titres, les versements sont directement affectés à l’acquisition de titres financiers : l’épargnant en est donc le porteur ; au contraire, dans un contrat d’assurance, les versements sont affectés à l’acquisition de droits, exprimés par exemple en unités de compte, mais l’assureur détient les titres financiers.

À la différence du droit existant, tout plan d’épargne (individuel, collectif, catégoriel) pourra donc être indifféremment proposé par un assureur ou par un gestionnaire d’actifs.

Les alinéas 13 à 16 précisent l’origine des fonds qui peuvent abonder un PER :

– les versements volontaires du titulaire ;

– les versements obligatoires, en provenance du titulaire salarié ou de son employeur, lorsque le PER est un produit d’entreprise auquel l’affiliation est obligatoire (l’équivalent des contrats dits « article 83 ») ;

– les sommes issues de la participation ou de l’intéressement du titulaire (comme cela est aujourd’hui possible uniquement dans les PERCO – voir le commentaire de l’article 57 du présent projet de loi) ainsi que les autres versements des employeurs au titre de l’épargne salariale (« abondements employeurs ») ;

– les versements issus de droits acquis dans le compte épargne temps du titulaire ou, à défaut, de la monétisation des jours de repos non utilisés, pour les PER d’entreprise également.

Les alinéas 17 et 18 précisent l’allocation des fonds qui sont récoltés sur un PER.

Lorsque le PER est proposé par un gestionnaire d’actifs, l’épargne récoltée est affectée à l’acquisition de titres financiers « offrant une protection suffisante de l’épargne investie », ce qui est garanti par le renvoi à une liste de titres financiers autorisés fixée par voie réglementaire. L’acquisition des titres financiers tient compte des modalités de gestion financière retenues pour le plan, notamment l’exposition au risque choisie par le titulaire.

Lorsque le PER est un produit assurantiel, qui se distingue du précédent par la garantie du capital à échéance qu’il autorise, les fonds récoltés permettent l’acquisition de droits exprimés en euros (fonds euros), en parts de provision de diversification (fonds eurocroissance : voir ci-après le commentaire de l’article 21) ou en unités de compte (actifs financiers), trois catégories d’actifs éligibles à l’épargne retraite présentés par échelle d’exposition au risque. Dans ce dernier cas, les unités de compte se constituent des mêmes types de titres financiers que ceux autorisés pour le PER proposé par un gestionnaire d’actifs.

L’alinéa 19 fixe la modalité d’investissement des fonds récoltés sur les PER : par défaut, les fonds seront « gérés de façon pilotée », locution qui signifie que le niveau d’exposition aux risques financiers du capital acquis sur le PER diminue à mesure que l’échéance du bénéfice de ce capital se rapproche (l’âge de la retraite). Cette gestion pilotée, actuellement présente sur le PERCO ([39]), signifie concrètement que les actifs peu risqués (titres obligataires) sont progressivement substitués aux actifs risqués (actions) privilégiés en début d’accumulation de l’épargne. Cette évolution de l’allocation du capital disponible en fonction du cycle de vie du titulaire est précisée par décret.

Le titulaire peut renoncer, expressément, à ce profil d’investissement « piloté ». Le même alinéa précise que le titulaire dispose d’ailleurs d’une proposition d’allocation alternative – sans qu’il soit précisé si elle doit exposer plus ou moins au risque, afin de laisser davantage de liberté contractuelle aux parties.

Les alinéas 22 à 28 précisent les conditions dans lesquelles les fonds récoltés sur le PER peuvent être mis à disposition du titulaire avant son arrivée à la retraite, par retrait ou par rachat des droits acquis. Ces cas sont limitatifs – s’ils ne varient pas par rapport à ce qui est aujourd’hui possible pour un PERCO, ils sont plus nombreux que ce qui est autorisé pour un PERP ou un contrat « article 83 ». Il s’agit :

– du décès du conjoint ou du partenaire de PACS du titulaire ;

– de l’invalidité du titulaire, de ses enfants, de son conjoint ou du partenaire de PACS. L’invalidité est constatée dans les mêmes conditions que celles qui permettent d’acquérir une pension d’invalidité ;

– du surendettement du titulaire ;

– de l’expiration des droits à l’assurance chômage du titulaire ou, pour les mandataires sociaux non retraités, le fait de rester plus de deux ans après la fin de son mandat social sans nouveau mandat ou sans contrat de travail ;

– de la décision de liquidation judiciaire d’une société dans laquelle le titulaire exerçait une activité non salariée ;

– de la décision du président du tribunal de commerce d’autoriser la liquidation du PER, dans le contexte d’une procédure de conciliation ;

– de l’acquisition de la résidence principale du titulaire.

Pour cette dernière situation, ne peuvent être débloquées les sommes versées obligatoirement par l’employeur ou le titulaire salarié sur un PER catégoriel (comme certains contrats « article 83 » aujourd’hui), qui ont vocation à ouvrir le droit à une rente viagère uniquement.

L’alinéa 29 précise que le décès du titulaire avant son départ à la retraite entraîne la clôture du plan. En pratique, dans le cas d’un compte-titres (PER conclu avec un gestionnaire d’actifs), le contenu du plan sera inclus à l’actif successoral. Dans le cas d’un contrat d’assurance, le décès signifie la réalisation du risque généralement couvert par une contre-assurance en cas de décès, générant le règlement d’une prestation aux bénéficiaires désignés, comme dans tout contrat d’assurance-vie.

L’alinéa 10, qui propose une option de réversion, s’applique, quant à lui, lorsque le décès du titulaire intervient après sa date de départ à la retraite. Lorsqu’un épargnant a choisi une sortie en rente viagère, si celui-ci décède après avoir commencé à liquider son PER sous la forme d’une rente, les sommes versées sont effectivement perdues pour ses héritiers (elles sont acquises à l’assureur), sauf si celui-ci a désigné un bénéficiaire en cas de réversion.

Les alinéas 30 à 32 précisent que le titulaire arrivé à la retraite a le choix de bénéficier du produit de son PER sous forme de capital, récupérable en une fois ou de façon fractionnée, ou sous forme de rente viagère.

Toutefois, les sommes versées par l’employeur ou le titulaire salarié lorsque le PER est un produit collectif d’affiliation obligatoire, ouvrent uniquement droit à une rente viagère.

En outre, si, au moment de l’ouverture du PER, le titulaire a opté « expressément et irrévocablement » pour la rente viagère (en partie ou en totalité), ce choix demeure définitif. Selon les services du ministère de l’économie, cette disposition s’est justifiée au moment de la concertation effectuée avant l’écriture du projet de loi. Certains assureurs pourraient souhaiter proposer uniquement des produits avec sortie en rente obligatoire, afin notamment d’assurer une meilleure mutualisation des risques de longévité. À cet égard, l’alinéa 32 peut être combiné avec l’alinéa 10, qui impose à tous les PER de proposer une sortie en rente, mais n’impose pas réciproquement de proposer une sortie en capital. En outre, un contrat avec sortie obligatoire en rente peut être préféré par les clients, grâce à des rendements plus attractifs obtenus avec un horizon de gestion sensiblement plus long.

Les alinéas 33 à 36 portent sur les conditions de portabilité des droits acquis en contrepartie des fonds versés sur un PER. Le principe est celle d’une transférabilité complète entre les différents plans d’épargne retraite, modulo les conditions d’utilisation des droits acquis (notamment le choix d’une rente) et les droits acquis au titre des versements obligatoires dans le cadre de PER catégoriels. Dans ce dernier cas, la portabilité des droits n’est possible que lorsque le titulaire n’est plus tenu d’adhérer au plan, c’est-à-dire qu’il quitte l’entreprise ou lorsqu’il quitte, le cas échéant, la catégorie objective de salariés à laquelle est réservée le plan.

Les frais applicables à de tels transferts sont plafonnés (à 3 % des droits acquis) lorsqu’ils interviennent dans les cinq années qui suivent le premier versement dans le PER. Au-delà, aucun frais de transfert ne peut s’appliquer. L’exonération de frais a également cours pour les transferts effectués après le départ à la retraite du titulaire.

L’alinéa 36 prévoit une disposition, aujourd’hui applicable aux PERP, pour les produits de type assurantiel et en cas de transfert vers un autre produit. Il s’agit de pouvoir imputer aux droits transférés l’éventuelle moins-value subie par l’assureur sur son fonds en euros, au moment où le bénéficiaire choisit de changer de plan – alors même que le contrat d’assurance permet une garantie en capital.

Cette situation rare en pratique (une moins-value de fonds en euros, alors qu’il s’agit d’un type de fonds peu exposé aux fluctuations de marché) suppose un marché financier particulièrement dégradé et qui peut s’accompagner d’une demande en hausse de transferts de plans. Sans cette mesure de prudence, l’assureur serait exposé à un fort risque financier si les demandes de transferts se généralisaient ; en outre, cette disposition permet d’éviter que les transferts se fassent au détriment des droits des autres assurés qui choisissent de rester dans le plan (si le fonds en euros est en situation de moins-value et que le sortant n’assume pas sa part de moins-value, c’est nécessairement une perte pour la communauté des assurés restants).

L’alinéa 39 fixe les conditions d’information des titulaires de plans d’épargne retraite. L’information est régulière, porte notamment sur la valeur des droits en cours de constitution et sur les modalités de transfert vers d’autres plans d’épargne retraite. Ces conditions d’information sont précisées par voie réglementaire.

L’alinéa 42 précise enfin, à ce propos, que l’application des dispositions présentées ci-dessus fait l’objet d’un décret en Conseil d’État.

2.   Réduction du forfait social pour les sommes investies au bénéfice du financement des PME et des ETI

Dans les configurations où le PER est notamment abondé par l’employeur du titulaire (via l’intéressement, la participation ou d’autres mécanismes d’épargne salariale), l’alinéa 44 (paragraphe II) prévoit que le forfait social applicable à ces versements employeurs ([40]) est réduit de 20 % à 16 % lorsque les fonds épargnés contribuent à hauteur d’au moins 10 % au financement des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire. Cette disposition existait dans la loi, pour les PERCO uniquement et avec une condition de détention de titres réduite (7 %).

Les dispositions présentées dans le a. et le b. entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2020 (alinéa 45, paragraphe III).

3.   Habilitation à légiférer par ordonnance pour harmoniser le cadre juridique applicable aux produits d’épargne retraite existants

En complément des grands principes de la réforme figurant aux I et II du présent article, l’alinéa 46 (paragraphe IV de l’article 20) autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans les douze mois qui suivront la promulgation de la présente loi, les mesures techniques d’harmonisation des régimes existants.

Il s’agit d’abord d’harmoniser le fonctionnement juridique de l’ensemble des produits d’épargne retraite existants (alinéa 47), y compris, au moins en partie, pour les contrats en cours d’exécution (alinéa 60). Sont visés les contrats d’assurance proposés par les sociétés d’assurance, les mutuelles, unions et fédérations de mutuelles, les institutions de prévoyance, ainsi que les PERCO proposés par les gestionnaires d’actifs.

En ce qui concerne les produits d’épargne retraite collectifs (alinéas 48 à 53), deux catégories de produits seront définies par l’ordonnance à partir du socle de droit commun commenté ci-dessus : un produit collectif généraliste et volontaire (alinéa 52) ; un produit collectif catégoriel et obligatoire (alinéa 53). L’harmonisation portera en outre sur les règles de gouvernance et de fonctionnement de ces produits d’épargne : association des salariés à la prise de décision sur les placements ; obligations d’information et de conseil ; droits des salariés en cas de changement de statut de l’entreprise.

En ce qui concerne le produit d’épargne retraite individuel, qui sera unique pour tous les actifs et travailleurs non salariés qui souhaitent y souscrire (alinéa 54), l’harmonisation prévue par l’ordonnance portera également sur les règles d’information, de conseil et de gouvernance (notamment lorsque les produits souscrits doivent être gérés par une association). L’ordonnance devrait également, même si cela n’est pas explicite, permettre d’intégrer dans ce nouveau produit individuel unique les contrats de retraite supplémentaires existants avec des systèmes de points (Préfon, Corem).

Un deuxième volet de l’ordonnance portera sur la définition d’un régime unique des contrats d’assurance de groupe liés à la cessation d’activité professionnelle (alinéa 55). Seuls les produits proposés par des assureurs sont donc concernés, ce qui se justifie parce que, à la différence des gestionnaires d’actifs, les contrats d’épargne retraite qu’ils proposent sont des contrats d’assurance qui peuvent être assortis de garanties en capital. En effet, comme le rappelle l’étude d’impact, la mise en place d’une garantie du capital placé doit s’accompagner de règles prudentielles spécifiques, auxquelles sont soumises les assureurs, comme la mobilisation de fonds propres. Seront ainsi fixés :

– le cantonnement juridique des actifs concernés, dans une comptabilité auxiliaire d’affectation (alinéa 56) ;

– la nature des garanties complémentaires pouvant figurer dans ces contrats (alinéa 57) ;

– les conditions de fixation des tarifs pratiqués (alinéa 58).

Enfin, les alinéas 59 à 61 prévoient que l’ordonnance procédera aux adaptations légistiques nécessaires pour harmoniser le droit existant avec le contenu de l’ordonnance, et proposera des conditions d’application de la réforme proposée aux contrats en cours. Le projet de loi de ratification de l’ordonnance devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa publication.

Les dispositions du présent projet et de l’ordonnance seront complétées par un volet fiscal et social à venir en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. À l’issue, la réforme mettra ainsi en place un ensemble unifié de règles rendues lisibles pour l’épargnant, et garantissant une transférabilité totale entre les produits d’épargne retraite.

C.   LA POSITION DE la COMMISSION spÉciale

Outre plusieurs amendements de nature rédactionnelle et de coordination juridique proposés par votre rapporteur, la commission a adopté les amendements de fond suivants :

‑ Un amendement de M. Dominique Potier et des membres du groupe Socialistes et apparentés, qui précise que les sommes du PER peuvent être investies par l’intermédiaire de plateformes de financement participatif ;

‑ Un amendement de M. Charles de Courson, sous-amendé par votre rapporteur, qui explicite que le socle juridique unique des futurs PER comprend bien la possibilité d’acquérir des droits en points – en unités de rente, plus spécifiquement –, comme cela est aujourd’hui le cas dans certains régimes comme le Corem ;

‑ Deux amendements de M. Adrien Taquet et des membres du groupe La République en marche : le premier indiquant que parmi les profils d’investissement proposés à l’épargnant, figure un profil d’investissement dit « solidaire » ; le second consacrant la possibilité pour l’épargnant de s’engager irrévocablement à acquérir une rente viagère non seulement lors de l’ouverture du plan, mais également à n’importe quel moment jusqu’à la liquidation de ce plan ;

‑ Un amendement de votre rapporteur, qui précise que la voie réglementaire précisera dans quelle mesure les rétrocessions de commissions perçues par l’assureur ou le gestionnaire d’actifs en contrepartie de leurs choix d’investissements dans certains fonds plutôt que d’autres seront encadrés, voire, le cas échéant, reversé sur les plans d’épargne retraite des titulaires ;

‑ Un amendement de votre rapporteur prévoyant que la situation de déblocage anticipé du capital détenu sur un PER pour l’acquisition de sa résidence principale ne concernera que la primo-acquisition (l’achat de sa première résidence principale) ;

‑ Un amendement de M. Éric Girardin et plusieurs de ses collègues ainsi que de M. Adrien Taquet et des membres du groupe La République en Marche, indiquant que le plafond des frais de transfert d’un PER à l’autre, lorsque le PER a moins de cinq ans, est abaissé de 3 % à 1 % des droits acquis ;

‑ Un amendement de M. Adrien Taquet et des membres du groupe La République en Marche permettant le transfert collectif des PER ouverts dans une même entreprise d’un assureur vers un autre, en contrepartie de délais de préavis suffisants ;

‑ Deux amendements significatifs du Gouvernement, qui élargissent le champ d’habilitation à procéder au reste de la réforme de l’épargne retraite par ordonnance, notamment en ajoutant un nouveau volet fiscal et en corrigeant des oublis dans la version initiale – notamment l’intégration des régimes en points dans la procédure d’harmonisation.

Votre rapporteur a apporté un appui à l’ensemble de ces amendements, qui convergent tous vers l’intention de faire aboutir la meilleure réforme de l’épargne retraite possible, dans les intérêts des épargnants et des acteurs économiques concernés.

*

*     *

La commission examine l’amendement CS1728 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement a pour objectif de poursuivre la logique impulsée par le Gouvernement, en étendant le dispositif de fongibilité de l’épargne retraite aux régimes de retraite complémentaire institués au profit des fonctionnaires et agents de l’État.

Effectivement, dans le texte du Gouvernement, seuls les salariés du privé sont concernés. Or il existe des fonds, tels que la Caisse nationale de prévoyance des fonctionnaires (Préfon), le complément de retraite mutualiste (Corem) et le complément de retraite des hospitaliers (CRH), pour les agents des trois fonctions publiques. L’objectif est donc d’assurer les mêmes possibilités pour l’épargne retraite aux fonctionnaires et aux personnes du secteur privé et de faciliter les changements professionnels entre les deux statuts.

Au cours de la discussion générale, le ministre s’était d’ailleurs déclaré ouvert à cette possibilité.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Demande de retrait. D’abord, votre amendement aborde le sujet de la retraite complémentaire, qui n’est pas dans le champ de ce texte. Ensuite, s’agissant des régimes de retraite à points, vous obtiendrez satisfaction sur un autre amendement de vos amendements, sur lequel j’ai déposé un sous-amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. M. Charles de Courson avait légitimement attiré notre attention sur l’extension du dispositif de réforme de l’épargne-retraite aux régimes à points des fonctionnaires. Je lui propose de retirer ses amendements au profit de deux autres amendements que nous vous présenterons ultérieurement et qui satisfont sa demande.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS2291 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CS2103 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement vise à élargir les dispositions prévues à l’alinéa 8 afin que chacun ait le choix de se prémunir contre les risques liés au grand âge.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. Le traitement de la question de la dépendance devra fait l’objet d’une autre réflexion et d’un autre texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. Je tiens à l’un des points fondamentaux de cette réforme de l’épargne-retraite, à savoir la liberté qui est laissée à l’épargnant. Quant à la question de la dépendance, elle sera en effet traitée dans un autre cadre.

M. Charles de Courson. Il s’agissait seulement d’ouvrir la possibilité d’acquérir une rente viagère différée au plus tard à l’âge d’espérance de vie moyenne. Mais le Gouvernement devrait reprendre cette idée dans le texte relatif à la question de la dépendance ? Il me semble que nous attendons ce texte depuis quatre ans déjà…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Cela fait vingt-cinq ans qu’on attend le financement de la dépendance…

M. Charles de Courson. Mais on nous a fait beaucoup de promesses et nous en sommes toujours à attendre Godot ! Quand le dépôt du texte est-il envisagé ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne sais pas qui est Vladimir ou Estragon dans la répartition des rôles… Des décisions seront prises sur le traitement de la dépendance, je ne saurais vous en donner la date exacte. Mais c’est dans ce cadre que nous pourrons aborder le problème que vous soulevez. Je vous suggère donc de retirer l’amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. La commission des finances, où vous siégez comme moi, Monsieur de Courson, devrait également s’emparer du sujet du financement de la dépendance, en y associant tous les groupes. Il me semblera intéressant d’en reparler aussi dans ce cadre.

L’amendement est retiré.

La commission adopte ensuite les amendements rédactionnels CS2292 et CS2293 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CS1215 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. La transférabilité totale pour l’épargnant nécessite que soit mise en œuvre la transférabilité du produit individuel universel prévu par la loi PACTE, en provenance de et en direction des régimes spécifiques Préfon, Corem, Fonpel, Carel et du régime des complémentaires retraites des hospitaliers (CRH). À défaut, la transférabilité et la libre concurrence au bénéfice de l’épargnant ne seront que partielles.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est une très bonne proposition, mais je vous propose de vous rallier à celle que M. de Courson nous présentera dans un autre endroit du texte, et que je compte sous-amender.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’amendement de Charles de Courson traite en partie du problème que vous soulevez, qui est un vrai problème. Par ailleurs, des mesures seront prises par voie d’ordonnance au sujet de l’intégration des régimes en points dans la réforme de l’épargne-retraite. Il s’agit de sujets extrêmement techniques. Une consultation aura lieu avec les représentants de ces régimes. Je vous remercie donc de nous avoir alertés sur ce sujet. Au vu de cette consultation en cours et du soutien à l’amendement de M. Charles de Courson, je vous propose de retirer cet amendement.

M. Daniel Fasquelle. Je l’accepte, puisque nous sommes dans un esprit constructif.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS1515 de Mme Anne Genetet.

Mme Anne Genetet. Cet amendement vise à permettre le transfert de fonds provenant de fonds provenant de compte d’épargne-retraite placée à l’étranger vers des comptes d’épargne-retraite en France. La question de l’attractivité de la France, notamment en Europe, est souvent évoquée. Il serait bon que la France soit aussi attractive pour ses propres ressortissants, lorsqu’ils souhaitent rentrer en France.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Le titulaire d’un plan d’épargne-retraite (PER) peut effectuer des versements volontaires. S’il solde un PER étranger, il pourra récupérer son capital et le placer dans son PER français. Rien ne l’en empêche.

En revanche, si vous proposiez de garantir que le PER étranger pourra être transféré verse un PER français sans friction fiscale, cela dépasse le champ d’application de la loi française. D’où ma demande de retrait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. La loi française ne peut pas agir sur les produits étrangers. Entre un produit étranger et un produit français, nous ne pouvons garantir la portabilité totale que nous garantissons dans le cadre des produits français.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite les amendements identiques CS1131 de M. Charles de Courson et CS1703 de Mme Sarah El Haïry.

M. Charles de Courson. Actuellement, le financement des entreprises solidaires est exclu du champ de l’épargne-retraite, laquelle est en effet limitée à des titres financiers définis de manière limitative. Or beaucoup d’entreprises sociales et solidaires ne relèvent pas de cet article et ne sont pas négociables par nature sur les marchés réglementés. Il s’agit de leur ouvrir désormais cette possibilité.

Mme Sarah El Haïry. C’est également l’objet de mon amendement CS1703. Tout le monde des entreprises sociales et solidaires est concerné : coopératives, fondations, mutuelles… Les associations ne sont donc pas les seules en cause.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Supprimer le qualificatif « financier » après le mot « titre » ouvre trop largement le champ de cet article. Ne pourrait-on finir par mettre son titre de noblesse dans un PER ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Les titres participatifs et associatifs émis par l’économie sociale et solidaire (ESS) sont bel et bien eux aussi des titres financiers. Le champ est donc déjà couvert. Vos amendements sont donc déjà satisfaits.

M. Charles de Courson. Les titres de noblesse ne s’achètent pas en France, contrairement à ce qui se pratique au Royaume-Uni… Plus sérieusement, ce que dit le rapporteur n’est pas inexact, mais ce n’est pas non plus complet. Car il y a des titres de l’ESS qui ne relèvent pas des titres financiers. Voilà le problème.

Si vous trouvez notre amendement trop large, je peux le retirer pour mieux en resserrer le champ, de sorte qu’il ne concerne que les titres de l’ESS actuellement exclus du champ des titres financiers.

Mme Sarah El Haïry. Je me réjouis à l’idée de retravailler mon amendement avec notre collègue Charles de Courson pour arriver à un nouvel amendement.

Les amendements sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement CS2137 de M. Dominique Potier.

M. Boris Vallaud. L’urgence absolue de notre temps, c’est le changement climatique. Il ne faut pas que la démission de M. Nicolas Hulot soit vaine. C’est pourquoi le présent amendement propose donc de flécher l’épargne retraite sur des titres finançant des projets relevant de la finance verte.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il y aura des propositions en ce sens, qui seront un peu plus équilibrées. Votre proposition consisterait, en effet, à flécher l’intégralité de l’épargne-retraite vers les titres de sociétés favorisant la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Ce serait peut-être excessif.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y vois un amendement d’appel. Nous sommes tous favorables à la finance verte ; nous l’avons beaucoup développée depuis douze mois. Mais réserver les actifs des PER uniquement à ce qui favorise la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, voilà qui me semble restreindre de manière excessive le champ des PER, en contradiction avec l’objectif que nous nous sommes fixé, à savoir étendre les encours de ces plans.

M. Boris Vallaud. Il n’y a jamais rien d’excessif quand il s’agit de lutte environnementale. Ce qui est excessif, c’est de ne pas en faire une priorité absolue. La double mention de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique ouvre en réalité le champ à beaucoup de choses.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine ensuite l’amendement CS2138 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement se veut incitatif, et non coercitif. Il vise à inciter les entreprises d’assurance, les mutuelles ou unions, les institutions de prévoyance et les sociétés de gestion d’actifs à proposer un fléchage d’une partie des fonds qu’elles collectent vers les projets financés sur les plateformes de financement participatif.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Par cet amendement, vous voulez vous assurer que les titres intermédiés par les plateformes ne seront pas exclus de la liste des investissements éligibles. Je ne vois pas d’inconvénient particulier à l’adoption de cette proposition, au contraire. Je m’en remets donc à la sagesse de la commission.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. S’il s’agit d’un fléchage, et non de coercition, et qu’il s’agit de titres intermédiés en investissement participatif, cela me paraît à moi aussi une bonne idée. Je m’en remets donc à mon tour à la sagesse de la commission.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je remercie le rapporteur et le ministre de l’avis qu’ils ont formulé. Je fais confiance aux membres de la commission pour l’interpréter comme un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine ensuite l’amendement CS2104 de M. Charles de Courson, faisant l’objet d’un sous-amendement CS2325 du rapporteur.

M. Charles de Courson. La rédaction actuelle de l’alinéa 18 exclut les produits d’épargne-retraite individuels existants, notamment les produits en points, tels que les plans d’épargne retraite populaires (PERP), les contrats Madelin en points, Préfon, CRH, Corem, etc. Mon amendement vise à les réintroduire dans l’article 20. J’ai reçu des observations sur la rédaction qui fait état des produits dits en points. Je suis d’accord pour que le sous-amendement proposé améliore cette rédaction.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les régimes en points doivent faire partie de cette réforme. Comme M. Fasquelle, vous aviez évoqué ce sujet lors de l’audition de M. Guillaume Prache ; en adoptant cet amendement, nous ouvrons cette possibilité. La loi d’habilitation à prendre des ordonnances prévoira également de permettre cette prise en compte.

Quant à mon sous-amendement, il n’est de portée que rédactionnelle, puisqu’il consiste à appeler « unités de rente » ces points de la retraite.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il est très bon d’introduire les régimes en points dans la réforme. Je rappelle seulement que, juridiquement, on ne parle pas de « points », mais d’« unités de rente ». D’où un avis favorable à la version sous-amendée de l’amendement.

M. Daniel Fasquelle. Le groupe Les Républicains avait soulevé cette question lors de la discussion générale. Je voudrais apporter mon soutien à cet amendement, au profit duquel j’ai retiré le mien. Je suis ravi de cette évolution du texte.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement CS2104 sous-amendé.

La commission se saisit de l’amendement CS2140 de M. Dominique Potier.

M. Boris Vallaud. L’alinéa 19 de l’article comporte une faiblesse que trop d’institutions financières ne manqueraient pas d’exploiter. En effet, si le texte prévoit que l’allocation de l’épargne réduise progressivement les risques financiers à l’approche de la retraite de l’épargnant, il permet aussi à ce dernier de faire un autre choix. Le même alinéa prévoit qu’il faut lui proposer au moins une autre allocation d’actifs avec un profil d’investissement différent.

Le risque est que l’épargnant se voie proposer un profil d’investissement conservateur garantissant progressivement son capital et offrant des rendements raisonnables, puis, sur cette base, un profil différent, plus agressif, qui, vu la durée de l’investissement, donne un rendement in fine très attractif mais soumet aussi davantage le capital aux risques du marché. Une démarche commerciale pourrait fortement inciter l’épargnant à choisir une telle allocation de l’épargne.

L’épargne retraite, si elle devait être développée, ne doit pas être conçue en prévision d’un changement de paradigme de notre système de retraites ; elle doit prévenir des situations où des épargnants, à l’âge de la retraite, auraient perdu une partie de leur capital.

Par cet amendement, nous proposons donc qu’on ne puisse déroger à la règle d’une allocation de l’épargne réduisant progressivement les risques financiers.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cher collègue, vous voulez réduire la capacité de l’épargnant à ne pas s’en tenir à l’option par défaut – la gestion pilotée – et, par exemple, à préférer une gestion solidaire. Il nous paraît excessif de supprimer cette liberté de choix. Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement. Nous avons prévu une gestion dite « pilotée », visant, les premières années de l’investissement, des performances plus élevées, moyennant des risques plus élevés, puis une sécurisation progressive à l’approche de la retraite. Il me semble que c’est la gestion la plus efficace, et c’est également celle qui est préconisée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; mais l’épargnant garde malgré tout la faculté de choisir une autre option de gestion s’il le souhaite.

M. Boris Vallaud. Nous avons bien compris, Monsieur le ministre, ce qu’était la gestion pilotée, mais nous craignons qu’une autre option choisie ne conduise à une perte en capital au moment où l’épargnant prend sa retraite.

La commission rejette l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement rédactionnel CS2294 du rapporteur.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CS2139 de M. Dominique Potier.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1843 de M. Adrien Taquet et CS2086 de Mme Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. L’amendement CS1843 vise à promouvoir le développement des financements solidaires en permettant aux titulaires d’un plan d’épargne retraite d’entreprise de se voir systématiquement proposer une allocation d’actifs investie en partie dans des fonds solidaires.

L’harmonisation entre les produits d’épargne retraite souhaitée par le Gouvernement doit se faire « par le haut ». Dans le cadre des plans d’épargne pour la retraite collectifs (PERCO), le règlement du plan devait déjà prévoir qu’une partie des sommes recueillies puisse être affectée à l’acquisition de parts de fonds solidaires. Cet amendement a pour objet de garantir le maintien de cette obligation et de la généraliser à l’ensemble des plans d’épargne retraite entreprise.

L’amendement CS2086 vise à aller plus loin, en prévoyant la possibilité de proposer au titulaire d’allouer une partie de ses versements vers des fonds d’investissement destinés à soutenir l’économie sociale et solidaire et à financer la transition écologique. Il va dans le sens d’une recommandation faite, dans le rapport qu’ils ont remis, par Mme Sylvie Lemmet et M. Pierre Ducret. Je rappelle par ailleurs que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie a évalué à 15 milliards d’euros le montant des investissements supplémentaires que nous devrions réaliser pour atteindre les objectifs de la transition écologique.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Très sensible à l’argumentation de Mme Peyrol, je préfère pourtant l’amendement CS1843, d’une mise en œuvre plus facile, avec un profil solidaire qui n’exclut pas la possibilité d’investissements dans des entreprises impliquées dans la transition écologique. J’invite donc au retrait de l’amendement CS2086 qui impose davantage d’obligations aux prestataires de produits d’épargne.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’engagement de Bénédicte Peyrol en faveur de la finance verte nous est précieux, mais l’amendement CS1843 me paraît plus équilibré que l’amendement CS2086. Par ailleurs, les exigences qu’elle a exprimées seront respectées, en vertu d’autres dispositions du texte, par les contrats d’assurance-vie.

Mme Bénédicte Peyrol. Je retire mon amendement CS2086, avec regret…

L’amendement CS2086 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS1843.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS1705 de Mme Sarah El Haïry et les amendements identiques CS1135 de M. Charles de Courson et CS1704 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Par l’amendement CS1705, nous visons simplement à intégrer une option solidaire dans la gestion pilotée des PERCO, à ouvrir une option solidaire dans le cadre de l’épargne retraite assurantielle et enfin à généraliser, à l’horizon 2024, un profil de gestion solidaire dans toute l’épargne retraite. Cet amendement étant ambitieux, j’ai prévu un amendement de repli.

M. Charles de Courson. L’amendement CS1135 a pour objectif d’intégrer une option solidaire dans la gestion pilotée des PERCO ainsi que d’ouvrir une option solidaire à l’épargne retraite assurantielle. En 2003 puis en 2010, les pouvoirs publics ont imposé aux entreprises l’obligation de proposer au moins un fonds solidaire dans l’offre de placement de l’épargne salariale, et nous avons assisté à la montée en puissance des investissements solidaires, leur encours étant passé de 100 à 506 millions d’euros.

Puisque le projet du Gouvernement vise à harmoniser les produits d’épargne retraite, il est nécessaire que les produits d’épargne retraite assurantielle proposent également au moins une unité de compte solidaire. L’amendement a pour objet d’introduire dans la gestion libre une unité de compte solidaire dans les produits d’épargne retraite assurantielle.

Mme Sarah El Haïry. L’amendement CS1704, identique, est un amendement de repli par rapport à l’amendement CS1705 en ce qu’il ne prévoit pas la généralisation, à l’horizon 2024, du profil de gestion solidaire.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Ces amendements me paraissent satisfaits par l’amendement CS1843 que nous venons d’adopter. J’invite donc à leur retrait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Charles de Courson. Il me semble que ces amendements, Monsieur le rapporteur, ne sont que partiellement satisfaits par l’amendement CS1843 de M. Taquet.

Les amendements CS1705 et CS1704 sont retirés.

La commission rejette l’amendement CS1135.

L’amendement CS452 de M. Éric Girardin est retiré.

La commission se saisit de l’amendement CS2051 de Mme Valéria FaureMuntian.

Mme Valéria Faure-Muntian. Le projet de loi organise la portabilité, pour les particuliers, des contrats d’épargne retraite. Dans le même esprit, je propose d’organiser une portabilité des contrats pour les entreprises : la gestion des contrats pourrait être transférée d’une entreprise d’assurance à une autre.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je demande le retrait de cet amendement, au profit d’un autre que nous étudierons dans un instant.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme Valéria Faure-Muntian. J’espère que l’amendement en question sera aussi bon que celui que je viens de défendre, Monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS1912 du rapporteur.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cet amendement vise à limiter les frais, notamment les frais cachés, qui s’appliquent aux contrats d’épargne retraite par le biais des rétrocessions de commission. Je vous propose donc d’insérer l’alinéa suivant : « Les règles d’affectation aux plans d’épargne retraite des rétrocessions de commissions perçues au titre de leur gestion financière sont fixées par voie réglementaire ». L’idée est que les rétrocessions soient versées au plan, autrement dit au profit des épargnants, plutôt qu’à la société de gestion ou à la société d’assurance, comme c’est souvent le cas.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement rédactionnel CS2295 du rapporteur.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement rédactionnel CS2296 du rapporteur.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1844 de Mme Nadia Hai, CS2326 du rapporteur et CS1845 de Mme Nadia Hai.

Mme Nadia Hai. Par l’amendement CS1844, je propose tout simplement de supprimer l’alinéa 28 de l’article. Les produits d’épargne retraite ont pour objet non de financer l’achat d’une résidence principale, mais d’anticiper la baisse des revenus qui survient au moment de la retraite.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’amendement CS2326 va dans le même sens, en restreignant à la primo-accession la possibilité de débloquer son épargne retraite pour un achat immobilier.

Mme Nadia Hai. Il s’agit d’éviter un effet d’aubaine. Les plans d’épargne retraite populaires (PERP), contrats dits « Madelin » et contrats dits « article 83 » offrent la possibilité d’une déduction fiscale qui récompense l’effort d’épargne. L’amendement de repli CS1845 imposerait au titulaire de rembourser le montant de la déduction fiscale s’il choisit la sortie en capital pour acheter sa résidence principale.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’idée, chers collègues, est de conserver suffisamment de flexibilité. Il ne faudrait pas que la crainte de ne pouvoir utiliser le capital pour l’achat d’une résidence principale décourage les jeunes d’épargner en vue de la retraite. L’amendement CS1844, qui supprime tout simplement cette possibilité de sortie, me paraît excessif. C’est pourquoi j’ai proposé l’amendement CS2326, au profit duquel j’invite Mme Hai à retirer ses amendements CS1844 et CS1845.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis très attaché à cette disposition du projet de loi – je me suis même battu contre mes propres services, pour tout dire… La retraite, c’est aussi disposer de son logement principal. L’une des façons d’améliorer la retraite des Français, c’est de leur permettre d’acquérir plus facilement une résidence principale. Des produits d’épargne retraite le permettent – le PERCO –, d’autres non. Pour remédier à cette injustice, nous proposons un alignement « par le haut » des règles. Pour que les produits soient attractifs, un jeune âgé de vingt-cinq ans à qui un dispositif d’épargne retraite est proposé à son embauche par une entreprise doit savoir qu’il pourra débloquer son épargne pour l’achat d’une résidence principale, car c’est aussi un élément qui participe à la préparation à la retraite. Je suis très attaché à une disposition synonyme de liberté, de sécurité pour les futurs retraités et d’attractivité pour les produits d’épargne retraite.

Mais cela ne doit pas devenir un effet d’aubaine. On ne doit pas pouvoir acheter un logement en débloquant son produit d’épargne retraite si c’est pour le revendre et en acheter un autre en procédant au même déblocage. L’amendement du rapporteur permet de prévenir ce risque en encadrant l’exercice de cette possibilité de déblocage et en le réservant à la primo-accession. J’y suis donc favorable et je demande le retrait des autres amendements.

Mme Nadia Hai. Je retire l’amendement CS1844. En revanche, je maintiens l’amendement CS1845 car il me semble nécessaire de lutter contre les effets d’aubaine.

L’amendement CS1844 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS2326.

Puis elle rejette l’amendement CS1845.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CS2297 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CS1838 de M. Adrien Taquet.

Mme Nadia Hai. Cet amendement apporte une importante précision rédactionnelle : il consacre la possibilité pour le titulaire du plan de s’engager irrévocablement à acquérir une rente viagère non seulement lors de l’ouverture du plan, comme le texte le prévoit actuellement, mais également à n’importe quel moment à compter de l’ouverture du plan et jusqu’à la liquidation.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est une très bonne idée. Je suis très favorable à cet amendement, qui va dans le sens d’une plus grande liberté de l’épargnant – comme quoi on peut œuvrer à la fois pour la liberté et pour la rente.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Tout ce qui va dans le sens de la liberté de choix de l’épargnant est une bonne chose. Je suis donc favorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CS1216 de M. Daniel Fasquelle.

M. Jean-Noël Barrot. Je demande le retrait de cet amendement, satisfait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission se saisit de l’amendement rédactionnel CS2298 du rapporteur.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

L’amendement est adopté.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS56 de M. Vincent Descoeur et CS662 de M. Daniel Fasquelle.

M. Vincent Descoeur. Mon amendement CS56 propose de limiter les transferts individuels de l’épargne accumulée dans un régime collectif aux cas de départ de l’entreprise.

M. Daniel Fasquelle. Afin de respecter la cohérence de la politique de ressources humaines des entreprises et le caractère paritaire du suivi des PERCO, je propose par l’amendement CS662 de rendre possible le transfert individuel des avoirs d’un PERCO vers un plan purement individuel à partir de la date de départ de l’entreprise… ce qui est conforme à l’esprit défendu par le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis clairement et nettement défavorable. Ces amendements réduiraient la transférabilité des produits, qui est l’objectif majeur de cette réforme.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je salue l’habileté de l’argumentaire de M. Fasquelle, mais ces amendements limiteraient la portabilité des produits d’épargne retraite, élément tout à fait structurant de cette réforme. J’y suis donc défavorable.

La commission rejette successivement les amendements CS56 et CS662.

Puis elle en vient aux amendements identiques CS781 de M. Éric Girardin et CS1850 de M. Adrien Taquet.

M. Éric Girardin. Ces amendements visent à faciliter le transfert des droits individuels relatifs au plan d’épargne retraite d’entreprises à un autre plan, pour suivre l’évolution de la carrière. Je propose, afin de préserver la valorisation de l’épargne constituée, de ramener de 3 % à 1 % des droits acquis le montant maximal des frais de transmission.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est une très bonne idée. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

M. Charles de Courson. Mais pourquoi le Gouvernement avait-il proposé un plafond de 3 % ? Cela correspond-il à des pratiques constatées ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je reviens à l’objectif de la réforme : la portabilité totale des produits. Mais portabilité totale ne signifie pas va-et-vient permanents. Aujourd’hui, les droits ne sont pas transférables, ou alors ils le sont moyennant des frais dont le montant peut s’élever à 5 % des droits acquis. Après discussion avec les différents gestionnaires d’actifs concernés, nous avons prévu que les frais seraient nuls au-delà de cinq ans et qu’ils ne pourraient auparavant excéder 3 %. Nous en avons discuté avec la majorité, qui a estimé que ce plafond était trop élevé et que la seule existence des frais, même limités à 1 %, était trop élevée ; je suis prêt à me rallier à cette idée.

La commission adopte les amendements identiques.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CS2074 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement prévoit que le transfert vers un plan d’épargne retraite individuel ne peut avoir lieu qu’après le départ de l’entreprise.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Défavorable, pour les raisons déjà évoquées.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. Votre amendement limite la portabilité des droits.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1840 de M. Adrien Taquet.

M. Adrien Taquet. La réforme de l’épargne retraite a notamment pour objectif de stimuler la concurrence sur le segment de la retraite supplémentaire. Dans ce contexte, le présent amendement impose des obligations de transparence quant aux conditions de changement de prestataire financier, lorsque les plans d’épargne retraite sont mis en place, au bénéfice, parfois, de plusieurs milliers d’épargnants et salariés, par des associations ou des entreprises. Il est également proposé que le transfert ne puisse intervenir dans un délai de plus de dix-huit mois suivant la demande.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est l’amendement dont j’avais dit qu’il satisferait la demande de Mme Faure-Muntian. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CS1847 de Mme Nadia Hai.

Mme Nadia Hai. Nous proposons de laisser la possibilité à l’entreprise qui serait confrontée à un problème de liquidité un délai de dix-huit mois avant le transfert du contrat du plan d’épargne retraite collectif.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Quoique j’en comprenne l’intention, je suis défavorable à cet amendement, qui contrevient à notre souci d’assurer une portabilité gage d’attractivité du produit et facteur d’une concurrence favorable à la baisse des frais.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’enfer est pavé de bonnes intentions : si je comprends votre intention, Madame la députée, ce délai de dix-huit mois complique le transfert, réduit la portabilité et contrevient donc au principe même de cette transformation. L’article 20 vise globalement un objectif majeur, accroître le montant des encours de l’épargne retraite, qui plafonne à 200 milliards d’euros depuis des années, ce pour des raisons simples : ce n’est pas portable, c’est compliqué, les règles sont trop lourdes et l’épargnant – pieds et poings liés – n’a pas de liberté de choix à la sortie. Il faut vraiment s’attaquer à ces différents aspects si nous voulons développer l’épargne retraite. Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme Nadia Hai. J’entends votre argument, Monsieur le ministre, mais nous ne nous opposons absolument pas aux transferts. Nous proposons simplement d’offrir la possibilité au chef d’entreprise d’appliquer un délai dans le cas où les transferts seraient très importants.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’hypothèse est tout de même assez peu vraisemblable : nous ne verrons pas tout d’un coup des dizaines de salariés transférer leur épargne retraite. Par ailleurs, il ne s’agit pas de favoriser l’entreprise au détriment du salarié.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS790 de M. Éric Girardin.

M. Éric Girardin. Si nous voulons favoriser l’épargne longue via l’épargne retraite, souvent sur des supports soumis à la volatilité des marchés, il faut que l’épargnant dispose d’une information régulière, claire et accessible. En effet, l’un des freins à l’investissement sur de tels supports est souvent leur faible lisibilité.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous avons vraiment réfléchi à la question. Chaque fois, il nous a été dit qu’une telle information était déjà prescrite par le droit en vigueur. Je vous invite donc, cher collègue, à retirer cet amendement, ainsi que le suivant. Nous pourrons revérifier ensemble si vous le souhaitez, mais nous ne voudrions pas alourdir inutilement le texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Spécialiste du sujet, vous le savez, Monsieur le député, l’amendement est satisfait, notamment par la directive européenne concernée, qui édicte déjà de strictes obligations d’information. Je vous invite donc à retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

L’amendement CS791 de M. Éric Girardin est également retiré.

La commission en vient à l’amendement CS2105 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’alinéa 39 parle uniquement de la constitution et des modalités du transfert des droits et de leur valeur, mais il s’agit aussi de renseigner les épargnants sur le mode et les résultats de revalorisation de ces droits.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Qu’entendez-vous, cher collègue, par « mode de revalorisation » ? Ce n’est pas clair, et je vous propose de retirer cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Charles de Courson. La revalorisation des droits, c’est simple : je me souviens d’un vieux contrat, qui était revalorisé – formidable ! – de 4,5 % par an. Il faut simplement qu’une telle information soit communiquée à l’épargnant.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’information des épargnants sur l’allocation d’actifs, au moment de la souscription et dans chaque relevé annuel, est déjà prévue par le code des assurances. Objectivement, nous disposons déjà d’un dispositif d’information très solide.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS1385 de M. Emmanuel Maquet.

M. Daniel Fasquelle. Le présent amendement vise à garantir la mise en place d’une information systématique au moment de l’ouverture des droits. Au cours de ce rendez‑vous, le titulaire bénéficiera d’une approche globale de son patrimoine permettant d’élaborer une stratégie qui correspondra à ses besoins à court, moyen et long terme.

L’idée est simple : on ne peut pas bien conseiller quelqu’un qui souhaite préparer sa retraite quand on n’a pas de vision globale de son patrimoine. Or, malheureusement, des conseillers, de nos jours, se concentrent uniquement sur des produits qu’on leur a demandé de vendre et qui ne correspondent pas forcément aux besoins réels du client.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’intention est intéressante puisqu’il s’agit, en gros, au moment du choix de la sortie en capital ou en rente, de faire un point de situation. Reste que la rédaction de l’amendement – « Au moment de la cessation de l’activité professionnelle, le titulaire est informé de sa situation… » – laisse supposer qu’il s’agit du seul moment où le titulaire est informé. Ensuite, l’alinéa 50 de l’article 20 prévoit d’instituer « les règles de mise en place de ces produits au sein de l’entreprise, ainsi que les obligations d’information et de conseil applicables dans ce cadre ». Une ordonnance traitera donc cette question. Je suggère à M. Maquet, premier signataire de l’amendement, comme je l’ai proposé à M. Girardin, de poursuivre la réflexion en nous assurant que le dispositif proposé n’est pas déjà satisfait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je veux rassurer M. Fasquelle qui soulève ici un point très important. Toutes les obligations qui sont faites aux prestataires seront fixées par ordonnance en tenant compte à la fois de l’état du droit national et européen applicable et de la directive sur la distribution d’assurances qui entrera en vigueur le 1er octobre 2018 et qui prévoira des obligations particulièrement fortes en la matière, tenant compte de la situation patrimoniale de la personne qui liquide son compte d’épargne retraite. Les obligations en question seront donc définies par ordonnance ; je crois, Monsieur Fasquelle, que vous serez amplement satisfait.

M. Daniel Fasquelle. L’exposé sommaire de l’amendement rappelle la situation du Royaume-Uni où 90 % des bénéficiaires choisissent la sortie en capital, ce qui est un dévoiement de la nature même de l’épargne retraite, censée compenser la perte de revenus au moment de la cessation de l’activité professionnelle. Une explication paraît par conséquent nécessaire pour protéger l’épargnant lui-même. Certes, nous nous rejoignons sur l’objectif à poursuivre et vous m’assurez que la question sera réglée plus tard par je ne sais quel moyen législatif, mais j’aurais préféré que nous traitions le sujet maintenant, à l’occasion de l’examen du projet de loi PACTE. Je maintiens donc mon amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est votre droit le plus strict de maintenir votre amendement, mais je rappelle que toute une partie de l’article autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances, en particulier en ce qui concerne le conseil aux épargnants au moment où ils liquident leur plan d’épargne retraite. Vos craintes sont parfaitement justifiées, mais vous allez habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances afin de définir toutes les règles en question. Vous serez donc, j’y insiste, satisfait.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS323 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. La réforme de l’épargne retraite introduit un taux de forfait social réduit de 16 % – au lieu de 20 % – sur les versements employeurs dans les produits collectifs assurantiels afin de les rendre attractifs. Cet abaissement se traduira par une perte de ressources pour la sécurité sociale et notamment pour la branche Vieillesse.

Nous regrettons que la réforme de l’épargne retraite se fasse au détriment du financement solidaire de notre système de retraites par répartition. C’est pourquoi nous proposons de maintenir le taux de forfait social à 20 %.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis défavorable à cet amendement. Je rappelle que l’introduction de ce taux réduit de forfait social employeur de 16 % concerne uniquement les fonds investis par défaut dans une allocation de gestion pilotée et qui incluent au moins 10 % de titres susceptibles d’être employés dans un plan d’épargne en actions (PEA) destiné au financement de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME). Il s’agit donc de bien flécher l’épargne retraite qui sera, je l’espère, plus abondante vers les TPE et les PME, en donnant un avantage fiscal aux placements qui seront faits dans ce sens. Voilà qui ne remplit pas forcément votre objectif, certes, mais qui satisfait notre volonté en matière de financement de l’économie. (Sourires.)

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS2075 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. J’ai toujours combattu le forfait social : le Gouvernement va dans la bonne direction puisqu’il le supprime pour les entreprises de moins de 50 salariés et pour l’intéressement dans les entreprises employant de 50 à 250 salariés. Je propose de le supprimer totalement. On va m’objecter qu’il s’agit d’un peu de provocation…

Mme la présidente Olivia Grégoire. D’un peu de fantaisie…

M. Charles de Courson. Non, non : de provocation. Je rappelle en effet que c’est la droite qui a inventé cette disposition et la gauche qui l’a fait exploser… Et on essaie à présent, péniblement, de réduire la portée de cette absurdité !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis défavorable à cet amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS1386 de M. Emmanuel Maquet et CS2109 de M. Charles de Courson.

M. Daniel Fasquelle. Entre la sortie en rente et la sortie en capital, l’écart n’est pas assez grand, avec le danger que nombre de nos concitoyens choisissent la sortie en capital – ils peuvent en effet avoir un achat en vue au moment de prendre leur retraite – alors qu’ils auront besoin de la rente pour se garantir, tout au long de leur retraite, un revenu convenable. Aussi l’amendement CS1386 vise-t-il à creuser l’écart entre la sortie en capital et la sortie en rente pour inciter nos concitoyens à privilégier cette dernière.

M. Charles de Courson. L’idée est d’instaurer un abattement fiscal progressif en fonction de la durée de l’épargne. Il est vrai qu’il est quelque peu choquant que le taux de 10 % soit indépendant de la durée. L’objet de l’amendement CS2109 est d’inciter à une épargne longue en portant, en fonction de sa durée, de 10 % à 20 % le taux maximum d’abattement – avec un plafond de 7 504 euros – le Gouvernement devant fixer les modalités de cette mesure.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les dispositions fiscales envisagées par ces deux amendements seront traitées par ordonnance. La meilleure manière de rendre les produits de rente attractifs est d’encourager les sociétés d’assurance à en faire la promotion et à les diffuser auprès de leur clientèle.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Laissez-moi rappeler l’équilibre du dispositif : tous les versements volontaires sont déductibles de l’assiette de l’impôt sur le revenu – c’est une incitation fiscale forte. Les sorties en capital sont soumises à l’impôt sur le revenu, alors que les sorties en rente bénéficient d’une fiscalité plus favorable. L’incitation à sortir en rente existe donc déjà. Faut-il aller plus loin en prévoyant un abattement pouvant aller jusqu’à 20 % ou 30 % sur la rente viagère ? Je suis prêt à examiner la question ; il faut néanmoins savoir qu’une telle mesure aurait un coût budgétaire significatif et présenterait un risque de rupture d’égalité par rapport aux autres dispositifs de retraite. En attendant l’aboutissement d’une telle étude, mon avis est défavorable.

M. Charles de Courson. Le ministre faisant montre d’ouverture, je suis prêt à retirer mon amendement, mais il ne s’est pas prononcé sur l’idée d’une progressivité de l’abattement, quitte à ce que le taux de départ ne soit plus de 10 % mais qu’il soit plus faible afin de réduire le coût de la mesure. Cette idée vous séduit-elle, Monsieur le ministre, ou pas ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y insiste : nous allons étudier la question.

M. Charles de Courson. Bon, je retire mon amendement.

M. Daniel Fasquelle. Je veux bien, moi aussi, retirer mon amendement puisque le ministre fait preuve d’ouverture, mais il faut bien comprendre que le danger est bien réel que nos concitoyens choisissent massivement la sortie en capital, au risque de se mettre ensuite en difficulté. Vous évoquez le coût de la mesure que nous proposons, mais si c’est la société qui doit venir au secours de ceux qui auront gaspillé leur épargne retraite en capital plutôt que de la conserver en rente, ladite société n’y aura pas beaucoup gagné ni ceux qui se seront ainsi mis en difficulté… Que vous souhaitiez laisser davantage de liberté en permettant la sortie en capital, pourquoi pas, mais il faut clairement indiquer que nous privilégions la sortie en rente. L’épargne retraite a en effet vocation à combler la perte de niveau de vie consécutive à la cessation de l’activité professionnelle.

M. Roland Lescure, rapporteur général. C’est pour moi une pierre angulaire du texte : la responsabilisation des acteurs. Il ne faut pas prendre les Français pour des imbéciles ; et, surtout, il faut s’adapter au monde moderne. Des Français vont prendre leur retraite dans les années qui viennent, à cinquante-cinq ou soixante ans, en pleine forme, et qui auront envie d’avoir une troisième ou une quatrième vie. Notre responsabilité est de favoriser cette évolution. En outre, nous introduisons de la concurrence entre des acteurs qui doivent y être soumis davantage.

Vous avez trouvé une pierre angulaire, un équilibre, Monsieur le ministre, qu’il va falloir préserver.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je n’entends pas, à une heure si tardive, prolonger la discussion mais comme il est question, comme l’a très bien rappelé le rapporteur général, de pierre angulaire, j’insisterai sur notre choix : celui de la liberté et de la responsabilité.

J’ajoute un élément d’information pour M. Fasquelle : le montant moyen d’un plan d’épargne retraite au moment de la liquidation est de moins de 10 000 euros, à savoir des rentes de l’ordre de 30 à 40 euros par mois. Ne laissons donc pas croire qu’il s’agirait d’escamoter toute discussion sur la dépendance – ce n’est évidemment pas le cas. La liberté de sortie, au regard des sommes en jeu, me paraît justifiée.

Les amendements sont retirés.

Puis la commission examine l’amendement CS2236 du rapporteur.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il s’agit ici d’un amendement de transition : le texte fixe un taux de forfait social réduit à 16 % pour les plans d’épargne retraite dont l’encours est investi par défaut en gestion pilotée, avec au moins 10 % de titres éligibles au PEA-PME, au lieu de 7 %. Le passage de 7 % à 10 % nécessite de prévoir des dispositions transitoires afin que les entreprises qui avaient négocié ou renégocié le règlement d’un PERCO avec un seuil d’investissement à 7 % en titres de PEA-PME continuent à bénéficier du forfait social réduit jusqu’à la prochaine renégociation de ce plan. Nous proposons de maintenir un taux de forfait social réduit à 16 % pendant une période de trois ans après l’entrée en vigueur du présent article pour les PERCO remplissant les conditions d’investissement exigées précédemment.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis favorable à cette disposition.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS2037 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le présent amendement étend l’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures techniques relatives aux associations souscriptrices aux contrats en points et aux transferts collectifs.

Suivant l’avis favorable du rapporteur la commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS53 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Le présent amendement vise à favoriser, en fin de phase d’épargne, les choix de sortie et prévoit à cette fin, à l’alinéa 50, un devoir de conseil tout au long de la vie du produit, à savoir non seulement pendant la phase d’épargne mais aussi pendant la phase de restitution de cette épargne.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’alinéa 39 prévoit déjà une information régulière ; l’amendement me paraît satisfait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous en avons déjà parlé longuement et, en effet, l’amendement est satisfait.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS2106 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’amendement CS2106 concerne la gouvernance de l’épargne retraite. Actuellement, tous les produits individuels d’épargne retraite, en France, doivent être souscrits et gouvernés par des associations indépendantes ; s’agissant de produits d’épargne relativement complexes, leur souscription et leur supervision par des associations indépendantes d’épargnants permettent de mieux protéger les intérêts des épargnants pour la retraite vis-à-vis de leur prestataire, en réduisant notamment le problème de l’asymétrie d’information et de compréhension.

Ce modèle protecteur doit donc absolument être préservé et même amélioré en l’homogénéisant sur le modèle des groupements d’épargne retraite populaire (GERP) – les associations indépendantes qui souscrivent et supervisent les plans d’épargne retraite populaire (PERP) qui sont les plus protecteurs pour l’épargnant. Il n’y a donc pas lieu, par ailleurs, d’introduire une séparation entre l’association qui souscrit et celle qui supervise.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis favorable à cet amendement.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS54 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Mon amendement ayant été satisfait, je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS55 de M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Le présent amendement étant également satisfait, je suis aux anges et le retire.

L’amendement est retiré.

La commission en vient ensuite à l’amendement CS2108 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement est très important. Le cantonnement juridique des engagements dans le bilan des assureurs est indispensable. Il convient donc de s’assurer que les bénéfices techniques et financiers seront équitablement affectés aux titulaires de plans d’épargne retraite. Pour cela, il faut opérer un cantonnement par plan, comme c’est déjà le cas pour les PERP. Chaque canton ne devrait ainsi inclure, au minimum, que des plans ayant les mêmes tarifications techniques et les mêmes règles de rémunérations.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Vous allez un peu trop loin, Monsieur de Courson. L’équilibre trouvé par le ministre est le bon : le cantonnement s’effectue pour les contrats de même type. Certains, notamment les sociétés d’assurance, souhaitaient un cantonnement plus large afin de donner plus de flexibilité aux gestionnaires ; d’autres, vous en faites partie, préconisent un cantonnement plus restreint au point de rendre la vie impossible aux assureurs. C’est pourquoi, j’y insiste, il faut en rester à l’équilibre du texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je rejoins ce qu’ont dit à la fois M. Charles de Courson et le rapporteur. Le cantonnement est un élément clef en ce qu’il permet d’offrir à l’épargnant un vrai privilège par rapport aux autres créanciers en cas de défaillance de l’assureur puisque le montant de l’épargne retraite est cantonné – d’où le terme – sur une partie du bilan de l’assureur. En revanche, les équilibres que nous avons trouvés me paraissent plus simples que ceux que vous proposez. C’est pourquoi je vous suggère de retirer votre amendement.

M. Charles de Courson. Il faut éviter ce qui s’est déjà passé dans plusieurs cas, c’est-à-dire qu’on imputait…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Le maintenez-vous ou le retirez-vous ? Vous connaissez ma prédilection pour les discours, mais il est une heure et quart et je me soucie de la santé des députés.

M. Charles de Courson. Il ne reste que quatre amendements à examiner.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous n’allons pas passer une demi-heure sur chacun d’eux…

M. Charles de Courson. Je le retire en attendant de décider éventuellement de le redéposer dans la perspective de la séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS2038 du Gouvernement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le présent amendement élargit l’habilitation du Gouvernement à définir le régime fiscal et social des produits d’épargne retraite. Je vous en ai rappelé les grands équilibres tout à l’heure avec une incitation au versement volontaire fiscal, une distinction entre la sortie en rente et la sortie en capital pour inciter à la sortie en rente, ce qui répond aux préoccupations exprimées par les uns et par les autres. La sortie en capital, je le répète, est soumise à l’impôt sur le revenu alors que les sorties en rente bénéficient d’un avantage fiscal.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement.

M. Dominique Potier. Le bureau de la commission a décidé d’écarter les dispositions fiscales manifestement dépourvues de lien avec l’objet du texte. Sommes-nous ici encore dans le cadre de cette règle ? Par ailleurs, la Cour des comptes relève que l’étude d’impact est particulièrement légère, lacunaire, sur l’aspect que vient d’aborder le ministre. Pouvez-vous nous rassurer sur ces deux points afin que nous votions en connaissance de cause ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Pour ce qui est de votre premier point, qui relève de ma compétence, les amendements écartés relevaient clairement de dispositions fiscales et ont donc vocation à figurer dans le projet de loi de finances – avec la garantie que celui-ci comprendra un « paquet PACTE », et je parle sous le contrôle du rapporteur général de la commission des finances ; d’autres amendements ont été déclarés irrecevables car manifestement sans lien avec le texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je confirme ce que vient de déclarer la présidente, sur le principe. Et pour ce qui est des éléments chiffrés complémentaires, nous vous les apporterons en séance s’il en est besoin.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 20 modifié.

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Article 21
(articles L. 113-3, L. 131-1, L. 131-1-1 [nouveau], L. 132-21-1, L. 134-1 et L. 134-3 du code des assurances, article 125-0 A du code général des impôts, articles L. 223-2, L. 223-2-1 [nouveau]
et L. 223-25-4 du code de la mutualité)
Développement du fonds eurocroissance
et autres mesures relatives aux produits d’assurance-vie

A.   L’État du droit

1.   L’assurance-vie

L’assurance-vie est le produit d’épargne non réglementée le plus plébiscité par les Français. Les contrats proposés par des entreprises d’assurance, des organismes mutualistes ou des institutions de prévoyance permettent, en effet, une large palette d’options d’investissement, plus ou moins risquées, plus ou moins rémunératrices, avec un horizon de placement de moyen terme. En effet, le régime fiscal favorable des plus-values des sommes placées en assurance-vie ainsi que de leur transmission est applicable dès que le contrat atteint les huit ans d’ancienneté sans retrait.

Comme l’a souligné le commentaire de l’article 20 du présent projet de loi, la souplesse et la lisibilité de l’assurance-vie expliquent que cet instrument soit utilisé à d’autres fins que celles pour lesquelles il a été conçu, plus ou moins discutables : préparer l’âge de la retraite, par exemple, mais également contourner certaines règles fiscales sur les plus-values de cessions de titres ou en matière de succession. Cet état de fait heurte en particulier le principe d’égalité devant les charges publiques. Comme le rappelle en effet (en page 269) l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, « une minorité de contribuables français parmi les plus fortunés utilisent les marges de manœuvre offertes à l’étranger dans le paiement de la prime de leur contrat d’assurance pour y placer leurs propres titres de sociétés et bénéficier du régime fiscal français de l’assurance-vie ».

En outre, les placements des Français en assurance-vie, essentiellement dirigés vers des fonds en euros, sont peu rémunérateurs et peu tournés vers l’économie productive. Pourtant, les fonds de l’assurance-vie, dotés d’une réelle profondeur (l’encours est de l’ordre de 1 700 milliards d’euros, d’après l’étude d’impact, page 267, soit près de 40 % de l’épargne financière des ménages), seraient de nature à financer davantage les entreprises, notamment les actions de sociétés cotées ou non cotées, de PME et d’ETI.

Rappelons que les fonds en euros (ou « fonds euros », parfois « actif général ») sont une modalité de placement de l’assurance-vie qui permet, sauf exceptions, la garantie du capital placé par les titulaires des contrats d’assurance et assurent la liquidité du bilan des assureurs. Il s’agit essentiellement de placements obligataires. Les fonds en euros représentent plus des quatre cinquièmes de l’encours de l’assurance-vie aujourd’hui. On les distingue de l’unité de compte (ou « UC »), support de placement qui correspond à des investissements dans des titres financiers plus risqués, essentiellement des actions ou des parts de fonds d’investissement, exprimées en valeur de marché et sans garantie du capital investi.

Une troisième modalité a été créée à mi-chemin de ces deux supports d’investissement : l’eurocroissance.

2.   L’eurocroissance

L’ordonnance n° 2014-696 du 26 juin 2014 favorisant la contribution de l’assurance vie au financement de l’économie a créé, au sein des contrats d’assurance vie, des fonds qui cumulent la possibilité d’une garantie du capital et l’investissement dans des actifs risqués.

Le cumul de ces deux conditions a priori incompatibles tient au fait que la garantie du capital n’est disponible qu’à l’échéance du contrat, soit une durée de huit ans, et non à tout moment comme pour les fonds en euros.

Malgré la simplicité du principe qui régit les contrats d’eurocroissance (une garantie acquise à échéance du contrat uniquement en échange d’un meilleur rendement), leur mise en œuvre s’est révélée particulièrement technique et donc peu intelligible juridiquement autant que financièrement. De surcroît, leurs performances n’ont, paradoxalement, été guère meilleures que celles des contrats classiques d’assurance-vie investis en fonds euros. Dans ce contexte, l’eurocroissance est aujourd’hui un support d’investissement très peu utilisé par les souscripteurs : moins de 1 % des encours de l’assurance-vie.

Le fonctionnement d’un contrat d’eurocroissance est actuellement celui d’une double poche d’actifs : une poche composée de provisions mathématiques, qui permet d’exprimer la garantie du capital (comme dans un contrat d’assurance-vie 100 % fonds euros), et une poche composée de provisions techniques dites de diversification, qui sont une forme d’actif général (tous les souscripteurs de contrats d’eurocroissance en détiennent des parts), mais qui investit dans des actifs risqués, comme les contrats d’assurance-vie « 100 % UC ». L’assureur, qui peut piloter ses provisions techniques de diversification sans contrainte d’une garantie en capital à tout moment pour tous ses assurés, peut, en effet, investir dans des actifs moins liquides et plus risqués.

Au fur et à mesure que le contrat s’approche des huit ans qui ouvrent droit à la garantie du capital placé, la part de provisions mathématiques s’accroît au détriment de la part des provisions techniques de diversification (PTD). Ce fonctionnement a pour principal effet d’empêcher de maîtriser clairement le rendement des PTD, car il varie pour chaque souscripteur en fonction de la date de départ de son contrat.

B.   Le dispositif proposÉ

Le I de cet article (alinéa 1) modifie le code des assurances pour réformer le régime des contrats d’assurance-vie.

● Les premières dispositions portent sur plusieurs précisions et assouplissements applicables à l’ensemble des contrats d’assurance-vie (alinéas 2 à 12).

L’alinéa 2 prévoit que les primes d’un contrat d’assurance sont systématiquement payées en numéraire. Cette modification concerne tous les contrats d’assurance de dommages et les contrats d’assurance de personnes. Toutefois, par rapport aux pratiques en vigueur, seuls les contrats d’assurance-vie sont affectés par cette pratique, notamment ceux qui proposaient des paiements en titres à des fins d’optimisation fiscale. Selon l’étude d’impact annexée au présent projet de loi (page 272), certains assureurs implantés à l’étranger, notamment au Luxembourg, ont créé des fonds qui investissent les sommes versées dans les contrats d’assurance-vie dans des titres de sociétés détenus par les titulaires du même contrat d’assurance-vie, ce qui permet de contourner plusieurs règles fiscales portant sur les plus-values de cession ou les successions.

En second lieu, l’article 137 de la loi dite « Macron » du 6 août 2015 avait créé la possibilité, pour le souscripteur ou le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, d’opter irrévocablement pour le règlement de son contrat en titres ou parts non négociables sur un marché réglementé – les titres ou parts négociables étant déjà couvertes par cette faculté. Les parts de fonds communs de placement à risque (FCPR) ou les titres de petites et moyennes entreprises non cotées ont donc été ouvertes au règlement des contrats d’assurance-vie.

Au sein de ce régime, l’alinéa 5 ajoute une précision dans le cas où le souscripteur du contrat d’assurance-vie est distinct du bénéficiaire de ce contrat. Dans l’hypothèse où le cocontractant opte pour le rachat en titres de ses engagements, cette option s’applique aussi, sauf mention expresse contraire, au bénéficiaire du contrat.

Les alinéas 7 à 10 précisent le régime de ce rachat sous forme de titres ou de parts non négociables. Le droit existant précise, en guise de clause anti-abus, que le paiement en titres ou en parts ne peut notamment avoir lieu qu’à la condition que le contractant, son conjoint, leurs ascendants, leurs descendants ou ses frères et sœurs n’aient pas détenu, directement ou indirectement, au cours des cinq années précédant le paiement, des titres ou des parts de la même entité que ceux remis par l’assureur. Les dispositions du présent article précisent que ce régime s’appliquerait :

– de façon plus restrictive, au partenaire lié par un PACS, en plus du conjoint, et aux titres détenus ensemble ou séparément avec les tiers mentionnés ci-dessus ;

– de façon plus souple, l’interdiction de détention n’est applicable qu’au-delà d’un seuil plancher de détention de 10 % des titres remis par l’assureur, seuil applicable pour chaque société concernée et non globalement. Plus précisément, l’assureur ne peut exercer le paiement en titres si l’assuré et ses proches détiennent, collectivement et en dehors du contrat d’assurance-vie concerné, plus de 10 % des titres de la même entité.

L’alinéa 12 crée un nouvel article L. 131-1-1 du code des assurances pour autoriser les gestionnaires de contrats d’assurance-vie à proposer à leurs clients d’investir des unités de comptes dans des parts de fonds ouverts à des investisseurs professionnels, comme les fonds professionnels de capital investissement (FCPI), réputés plus risqués – les fonds concernés seront fixés par décret en Conseil d’État, comme pour les fonds d’ores et déjà éligibles à l’assurance-vie. Afin de compenser cette exposition accrue au risque, l’alinéa dispose que des conditions, fixées par le même décret, devront encadrer la capacité des souscripteurs de contrats d’assurance-vie à recourir à cette option : situation financière, connaissances et expérience en matière financière, notamment. Ce même décret fixera les fonds concernés.

 Les dispositions suivantes portent sur la réforme du régime des fonds d’eurocroissance. Il s’agit de créer, à côté du régime d’eurocroissance actuel, un régime dans lequel les droits des assurés seraient intégralement exprimés en parts de provisions de diversification, et non avec une partie (correspondant à la garantie du capital) de provisions mathématiques, afin de gagner en simplicité et en lisibilité sur les rendements. En effet, puisque l’intégralité des engagements de l’assuré sera exprimée en parts d’un seul fonds, il sera possible de connaître les rendements associés sans difficulté.

Les alinéas 14 et 15 tirent les conséquences des modifications apportées par les alinéas 17 à 22 sur la détermination de la valeur de rachat ou de transfert des engagements d’un contrat d’assurance-vie recourant à des fonds d’eurocroissance.

L’alinéa 14 correspond au droit existant pour les situations de rachat ou de transfert du contrat d’eurocroissance avant son échéance, lorsque le contrat comprend une part exprimée en euros (la garantie) et une part exprimée en provisions de diversification, qui doit alors être convertie. L’alinéa 15 concerne le nouveau régime d’eurocroissance, dans lequel l’ensemble des engagements de l’assuré est exprimé en parts de provisions de diversification. Cette disposition précise que si le contrat est rompu avant son échéance (ouvrant droit à une garantie exprimée en euros), les sommes rendues à l’assuré sont égales à la valeur liquidative des parts de provisions de diversification qu’il détient. L’alinéa 16 précise qu’un décret en Conseil d’État fixera des modalités d’application réglementaires.

Les alinéas 17 à 22 modifient l’article L. 134-1 du code des assurances, qui encadre le régime des fonds d’eurocroissance. Le régime actuel est maintenu (alinéa 20) et un nouveau régime, où l’ensemble des engagements du contrat d’eurocroissance est exprimé en parts de provisions de diversification, est prévu à l’alinéa 21. La nouveauté de ce régime, qui devrait être plus attractif pour les souscripteurs, est de permettre d’exposer davantage les contrats au risque, donc d’améliorer les rendements, tout en maintenant le principe d’une garantie du capital, exprimée en euros, à l’échéance du contrat. En outre, puisque le contrat ne comporte plus deux compartiments aux rendements différents et dont le volume varie au fil du temps (la part « garantie » en fonds euros augmentant avec les années), le rendement du contrat sera plus lisible.

L’alinéa 22 permet aux cocontractants, qui doivent être mutuellement d’accord, de faire migrer les contrats d’eurocroissance classiques vers les nouveaux contrats d’eurocroissance. Cela permettra de résorber le stock des contrats actuels qui n’ont pas su dégager de performances suffisantes pour demeurer attractifs à côté des contrats d’assurance-vie en fonds euros ou en unités de comptes.

L’alinéa 24 précise que le cantonnement juridique des contrats d’eurocroissance, soit l’affectation des engagements souscrits dans une comptabilité auxiliaire d’affectation, séparée du reste du bilan de l’assureur, ne s’applique pas aux différents types de contrats d’eurocroissance (les classiques et les nouveaux), qui peuvent donc faire l’objet d’un même cantonnement. Il existera donc une seule « poche » d’actifs prenant la forme de provisions de diversification (régime actuel et nouveau régime) dans le bilan de chaque assureur.

Les alinéas 27 à 30 portent sur les obligations à la charge des assureurs, afin d’assurer un niveau de liquidité suffisant pour garantir le capital à l’échéance des contrats d’eurocroissance. Les alinéas 27 et 28 maintiennent le droit existant pour les contrats classiques, qui oblige les assureurs à avoir un niveau de représentation d’actifs suffisant pour faire face à leurs engagements de cantonnement, quitte à devoir importer des actifs depuis leurs réserves ou leurs provisions (hors engagements réglementés). L’alinéa 30 prévoit une modalité différente pour les nouveaux contrats : afin de garantir le capital à échéance, pour des contrats qui sont par nature peu liquides (car entièrement investis dans des parts de provisions de diversification), les assureurs devront constituer une provision pour garantie à terme, liquide, en gardant en réserve une partie des gains accumulés au fil des années. Le pilotage de cette poche, également appelée provision collective de diversification différée, permet de garantir le capital de tous les contrats en fonction de leur horizon d’échéance.

Le II du présent article (alinéa 31) modifie l’article 125-0 A du code général des impôts. Il s’agit d’assurer que l’affectation des primes issues de contrats de capitalisation (ou de bons de capitalisation), qui est le terme fiscal qui permet de désigner un contrat d’assurance-vie, dans des contrats d’eurocroissance, n’a pas le sens fiscal d’un dénouement de contrat – qui implique l’imposition sur le revenu des sommes concernées.

Le III du présent article (alinéas 36 à 47) réplique dans le code de la mutualité le régime actuel de la remise de titres ou de parts au bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie au lieu d’un versement en numéraire. Il s’agit d’assurer le parallélisme juridique entre les contrats souscrits auprès d’entreprises d’assurance ou auprès d’organismes mutualistes, comme les instituts de prévoyance.

Les alinéas 38 à 44 reprennent donc les dispositions de l’article L. 134-3 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la présente loi, au sein de l’article L. 223-2 du code de la mutualité, avec les nécessaires ajustements terminologiques qui marquent la différence entre les deux codes.

De la même façon, l’alinéa 46 reprend le contenu de l’alinéa 12 pour l’inclure au sein du code de la mutualité.

L’alinéa 47 effectue une coordination juridique entre le code de la mutualité et le nouveau régime de l’eurocroissance.

Le IV est une mesure d’application du présent article, dont le contenu devra cependant être précisé par amendement afin de disposer d’une portée normative.

C.   La position de la commission spÉciale

La réforme de l’eurocroissance et de l’assurance-vie, d’une ampleur moindre que celle proposée pour l’épargne retraite, a cependant pour avantage de permettre au législateur d’améliorer l’encadrement de ces produits. Ainsi, deux amendements de fond ont été adoptés avec l’avis favorable de votre rapporteur et du Gouvernement :

- Un amendement de M. Adrien Taquet et des membres du groupe La République en Marche a permis d’inclure dans tout contrat d’assurance-vie proposant l’investissement dans des unités de compte, la proposition d’investir dans des fonds finançant les entreprises solidaires d’utilité sociale ou dans des fonds de finance verte ;

- Un autre amendement de M. Adrien Taquet et des membres du groupe La République en Marche a précisé le régime d’une information trimestrielle, en surplus de l’information annuelle d’ores et déjà prévue par la loi, sur la valeur de rachat ou de liquidation du contrat d’assurance-vie détenu par l’épargnant. Un sous-amendement de votre rapporteur a précisé le régime de communication d’une telle information, qui peut prendre une forme dématérialisée ;

Plusieurs amendements rédactionnels et de coordination juridique de votre rapporteur ont également été adoptés.

*

*     *

La commission est saisie de l’amendement CS1490 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Par cet article, le Gouvernement espère attirer 3 milliards d’euros en plus vers des investissements en actions. Rappelons que l’investissement en actions déjà détenues par quelqu’un d’autre – on parle de marché secondaire – ne contribue pas au financement des entreprises. Cet article dirige l’épargne des Français vers des produits financiers plus risqués qui immobiliseront leur épargne et ne contribuent pas nécessairement au financement de l’économie réelle. Il s’agit d’un cadeau supplémentaire aux assurances ; on change la loi pour les aider à s’adapter à des taux obligataires faibles et rediriger l’épargne vers des actions. Or les obligations sont des dettes d’entreprise et d’État qui financent l’économie et sont moins risquées. Selon nous, l’épargne des Français doit avant tout contribuer au financement de l’économie réelle et à des secteurs d’intérêt général comme le logement social.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. L’orientation de l’assurance-vie vers des placements productifs est un objectif louable. Par ailleurs, cet article propose des clauses anti-abus pour lutter contre l’évasion fiscale, ce qui est également très important.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Je rappelle la logique de ce travail sur l’assurance-vie. Nous avons une divergence de fond avec M. Quatennens. La sécurité est une préoccupation louable, mais elle est aujourd’hui le premier critère de choix des épargnants, ce qui fait que nous avons un volume d’encours d’assurance-vie très important, de l’ordre de 1 600 milliards d’euros. Nous estimons que développer le financement en actions est bon pour les entreprises et pour le développement économique – et nous partons en l’occurrence de très bas puisque l’assurance-vie placée en actions représente des montants très faibles. Nous assumons de vouloir développer le financement en actions de l’assurance-vie.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CS2299 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CS1377 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Depuis des années, la commission des finances essaye d’imposer une contrepartie au régime extrêmement favorable de l’assurance-vie en euros, en l’occurrence d’imposer qu’une part aille vers les PME. Nous avions ainsi voté un amendement, contre la volonté du Gouvernement de l’époque, pour porter cette part à 2 %. La Fédération française de l’assurance (FFA) était alors venue nous dire qu’il n’y avait pas besoin de loi, qu’ils le feraient sans texte. Nous avons donc retiré notre amendement. Actuellement, la part est aux alentours de 1,7 % mais c’est très variable selon les assureurs ; Axa, par exemple, est bien au-delà, autour de 4 %.

Le présent amendement vise à reprendre ce point, en prévoyant qu’une partie, au demeurant modique, de l’assurance-vie aille vers les PME. L’idée est d’augmenter la part de 0,2 point, soit quelque 2 milliards, par an, pendant cinq ans.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. Tout d’abord, fixer des niveaux arbitraires a un côté économie administrée qui peut se montrer vertueux sur le principe, mais a nécessairement aussi des effets collatéraux. Si une société d’assurance ne veut offrir que du fonds euros, que de la garantie absolue à ses épargnants, rien ne l’empêche de le faire ; il est important que le fonds euros soit préservé, et cet amendement la mettrait potentiellement en difficulté.

Ce qui nous paraît le plus efficace, c’est d’allonger la « duration », terme technique, des passifs des sociétés d’assurance et sociétés de gestion d’actifs ; c’est ce que nous faisons notamment avec l’épargne retraite. En stimulant l’épargne retraite, qui est bloquée jusqu’à la retraite, nous donnons la capacité aux sociétés d’investir largement vers les fonds propres des entreprises. Dans le cadre de l’assurance-vie, la réforme de l’euro-croissance doit aussi inciter les gens à bloquer leur épargne pendant quelques années, ce qui devrait conduire les sociétés d’assurance à investir au capital des PME, sans fixer un taux.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’ajoute à cette excellente argumentation que la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, dite « Solvabilité 2 », pose, en son article 33, le principe de la liberté d’investissement. Sauf à déroger à ce principe, nous ne pouvons imposer un tel fléchage.

M. Charles de Courson. Les contrats d’assurance-vie, avec un régime fiscal très favorable, ont pendant des années représenté une rente, même si c’est moins vrai aujourd’hui. Je trouve les contreparties insuffisantes en termes d’intérêt général. Tout avantage fiscal doit avoir, en droit constitutionnel français, des contreparties. Nous proposons une contrepartie modeste.

Je retire l’amendement et le redéposerai pour la séance. Sur le fond, ni l’un ni l’autre ne vous êtes vraiment prononcé : est-ce une bonne idée ou non ?

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Non.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Ce n’est pas praticable.

M. Charles de Courson. Je présenterai une autre rédaction.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS2300 du rapporteur.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS2087 de Mme Bénédicte Peyrol, CS1856 de M. Adrien Taquet et CS1141 de M. Charles de Courson.

Mme Bénédicte Peyrol. Je défendrai les amendements CS2087 et CS1856, en expliquant la légère différence entre les deux.

Ils ont pour objet de renforcer l’offre en produits solidaires et responsables et dans les fonds verts dans les contrats d’assurance-vie multisupports en rendant obligatoire pour tout contrat d’assurance-vie la présentation, dans sa gamme de produits financiers, de fonds solidaires ou de fonds verts, c’est-à-dire répondant aux exigences fixées à l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Ces amendements visent à répondre aux engagements du Président de la République pendant la campagne électorale, notamment afin d’encourager la finance solidaire, ainsi qu’à votre discours au Climate Finance Day l’année dernière, monsieur le ministre, où vous avez dit que la finance serait verte ou ne serait pas.

L’amendement CS2087 dispose que doit être présenté aux souscripteurs au moins un fonds solidaire investi dans les limites prévues dans le code monétaire et financier et un fonds labellisé par l’État pour satisfaire les critères d’investissement socialement solidaire et vert, tandis que, dans l’amendement CS1856, c’est l’un ou l’autre.

M. Charles de Courson. Dans son programme relatif à l’économie sociale et solidaire, le candidat Emmanuel Macron écrivait la chose suivante : « Généraliser d’ici la fin du quinquennat l’obligation de proposer des fonds solidaires au sein des contrats d’épargne salariale à l’assurance-vie en obligeant les assureurs à proposer au sein des contrats multisupports au moins une unité de compte solidaire. » Eh bien, tel est l’objet de cet amendement. Il ne s’agit pas d’une obligation mais de l’obligation de proposer. À l’heure actuelle, sur les 1 700 milliards d’euros de l’assurance-vie, la déclinaison solidaire est d’à peine 10 milliards.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je remercie Bénédicte Peyrol et ses collègues pour leur travail sur ce sujet. C’est la rencontre de la promesse présidentielle et des annonces du ministre au Climate Finance Day. Je donne un avis favorable à l’amendement CS1856, techniquement plus faisable aujourd’hui pour des raisons de profondeur du marché. Quand davantage de fonds verts et solidaires se développeront, il sera peut-être temps de rendre l’obligation cumulative. À ce stade, le « ou » me paraît plus raisonnable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Sur le principe, je suis très favorable à cette approche des trois amendements et je confirme à Bénédicte Peyrol que la finance sera verte ou ne sera pas. Je pense que les assureurs, les banquiers, les grandes institutions financières qui proposeront des fonds pour financer des centrales à charbon auront du mal à survivre et qu’à l’inverse, quand ils financeront des projets liés aux énergies renouvelables ou à la lutte contre le réchauffement climatique, ils auront plus de clients.

Le choix est ici entre « et » et « ou ». Je préfère le « ou », qui offre plus de liberté que le « et ». Je suis donc favorable à l’amendement CS1856 et demande le retrait des deux autres.

Un dernier point important : vous n’avez pas précisé que l’amendement devrait cibler uniquement les nouveaux contrats d’assurance-vie. Je propose donc de le sous-amender en séance pour préciser ce point, sinon il faudrait revoir tous les contrats d’assurance-vie des Français et cela me paraît compliqué.

Mme Bénédicte Peyrol. Je vais retirer cet amendement, me fiant à la sagesse du ministre et du rapporteur, mais j’insiste sur la nécessité de changer d’échelle dans le financement de la transition écologique.

M. Charles de Courson. Je suis également prêt à retirer le mien mais je ferai une observation à la suite de l’intervention du ministre. Pourquoi ne pas le prévoir y compris pour les contrats existants ? Les contrats évoluent dans le temps ; dès lors que l’on prévoit une possibilité et non une obligation, pourquoi serait-ce uniquement pour les nouveaux contrats ? Le sous-amendement du Gouvernement ne pourrait-il inclure les contrats existants ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Si c’est une faculté et non une obligation, cela ne me pose aucun problème. Vous avez compris que la philosophie de ce texte est d’éviter les obligations. Je rappelle qu’il existe cinquante-cinq millions de contrats d’assurance-vie en France. Que l’on offre une telle possibilité pour les assurés, oui ; qu’on l’impose, non.

Les amendements CS2087 et CS1141 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CS1856.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS2303 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1859 de M. Adrien Taquet, qui fait l’objet du sous-amendement CS2352 du rapporteur.

M. Jean-Claude Leclabart. Je défendrai en même temps l’amendement CS1859 et l’amendement CS453 qui viendra en discussion tout à l’heure.

L’amendement CS1859 a pour objet d’améliorer l’information de l’épargnant sur son contrat d’assurance-vie. Il prévoit ainsi que les entreprises d’assurance sont tenues de communiquer à l’assuré de manière au moins trimestrielle la valeur de rachat ou de transfert de son contrat ainsi que l’évolution de ses engagements en unité de compte ou dans le support euro-croissance. Cette obligation s’appliquerait aux contrats comportant des engagements en unités de compte ou dans le support euro-croissance, mais non aux contrats en fonds euros dont le rendement résulte de l’attribution de la participation aux bénéfices déterminée annuellement. Elle s’appliquerait de la même façon aux contrats d’assurance de groupe souscrits par une association.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Sous réserve d’un sous-amendement rédactionnel, je suis favorable à cet amendement, qui favorise une information plus fréquente des souscripteurs d’assurance-vie.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable au sous-amendement et très favorable à l’amendement CS1859 car, dès lors qu’il existe un risque plus important sur les contrats investis en euro-croissance, il est bon d’avoir une information plus régulière. Cela peut contribuer au développement de ces contrats. Par conséquent, je demande le retrait de l’amendement CS453.

M. Charles de Courson. Je suis tout à fait favorable à l’idée. Simplement, si j’ai bien lu, l’amendement ne s’applique qu’aux contrats en unités de compte et non aux contrats en euros. On peut, chers collègues, connaître une crise obligataire. Pourquoi les contrats en euros sont-ils exclus ?

M. Roland Lescure, rapporteur général. Comme vous le savez, il n’y a pas de valeur de marché du fonds euros. L’information pertinente, pour ses souscripteurs, c’est, une fois par an, le taux communiqué par l’assurance. On ne peut pas envisager que ce taux soit communiqué sur une base trimestrielle car il fait l’objet d’un calcul comptable complexe, qui nécessite de clôturer. C’est une bonne idée mais je ne suis pas sûr que l’information puisse être communiquée de manière trimestrielle. Je suggère d’y réfléchir.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis ouvert à l’idée avec les réserves exprimées à très juste titre par le rapporteur général.

La commission adopte successivement le sous-amendement CS2352 et l’amendement CS1859 ainsi sous-amendé.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CS2301 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1223 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Je défendrai ensemble les amendements CS1223 et CS1224.

Le projet de loi interdit le versement d’une prime en titres en imposant le numéraire. Cela va à l’encontre des intérêts des épargnants, qui peuvent souhaiter remettre des titres et en assurer la gestion à travers un contrat d’assurance-vie, comme cela se fait dans certains pays comme le Luxembourg.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cet amendement introduit une obligation de transition des anciens contrats d’euro-croissance vers la nouvelle formule. Le choix retenu par le Gouvernement, qui nous paraît équilibré, est de rendre cette transition facultative et à la demande des épargnants. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Daniel Fasquelle. Je ne comprends pas l’argument du rapporteur : au contraire, l’amendement vise à ne pas nous enfermer dans le versement d’une prime en numéraire et de permettre le versement d’une prime en titres. Il offre donc plus de liberté et de souplesse. Je le maintiens.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS2302 et CS2304 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CS1224 de M. Daniel Fasquelle.

Elle est saisie de l’amendement CS223 de Mme Véronique Louwagie.

M. Jean-Louis Masson. Le présent amendement a pour objet de redéfinir le quota maximum des catégories d’actifs considérés en représentation des engagements réglementés des entreprises d’assurance, afin de permettre d’accompagner un rehaussement du niveau des actifs représentés par des valeurs mobilières et titres assimilés pour encourager l’investissement en titres de PME et d’ETI.

Il fait par ailleurs écho à la volonté du Gouvernement de revenir sur les cas de surtransposition du droit européen dans les services financiers afin de renforcer l’attractivité de la place de Paris.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est le même débat que celui que nous avons eu plus tôt avec M. de Courson. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS1225 de M. Daniel Fasquelle et CS1076 de Mme Véronique Louwagie.

M. Daniel Fasquelle. Il s’agit des mêmes arguments que pour les amendements CS1223 et CS1224.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Puis elle se saisit, en discussion commune, des amendements CS1721, CS1722, CS1723 et CS1725 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Amélie de Montchalin est cosignataire de l’ensemble de ces amendements, qu’il faut comprendre comme des amendements d’appel sur le sujet, très important, de la transférabilité de l’assurance-vie. C’est en effet un sujet important pour beaucoup de Français, puisqu’un journal économique connu se faisait l’écho, sans jeu de mot, du fait que sept Français sur dix sont favorables à ces problématiques de transférabilité dans la mesure où il existe de nombreux blocages.

Quand on veut par exemple aller vers de nouveaux acteurs comme les entreprises de la technologie financière, ou fintech, pour orienter l’épargne vers les entreprises, on fait face à des blocages. Je rappelle également qu’il existe en France une concentration exceptionnelle de l’encours de 1 700 milliards d’euros, dont 80 % sont déposés auprès de dix sociétés et dont une part importante est investie en euros.

Il se pose d’importantes questions de frais de transfert – encore une spécificité française – ainsi que des problèmes de transparence dans la nature et le montant des rétrocommissions et des problèmes de portabilité. Ces quatre amendements soulignent le fait que la transférabilité de l’assurance-vie doit être améliorée dans ce pays.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je salue cette initiative du rapporteur général de la commission des finances, qui répond à une réalité : les frais associés à l’assurance-vie sont très élevés en France. Les études conduites notamment par les associations d’épargnants démontrent, c’est sans appel, que la performance nette des frais des contrats d’assurance-vie en France est inférieure à ce que l’on peut trouver ailleurs.

Cette série d’amendements propose, si une personne change d’assureur, qu’elle puisse conserver l’antériorité fiscale, c’est-à-dire emporter avec elle les avantages fiscaux accumulés chez le précédent assureur. Nous ne sommes pas vraiment favorables à cette solution car elle accentue l’avantage fiscal de l’assurance-vie, déjà très largement encouragée par notre fiscalité.

Je pense en revanche que certaines idées évoquées par M. Giraud pourraient être creusées d’ici à la séance, notamment le plafonnement des frais de transfert, la transparence des rétrocommissions, qui sont des frais cachés obérant largement la performance servie aux épargnants, et peut-être même la transférabilité non pas seulement entre contrats d’assurance-vie, mais aussi entre ces contrats et les nouveaux produits d’épargne-retraite dont nous avons discuté hier.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je remercie Joël Giraud et Amélie de Montchalin d’avoir pointé le problème des frais de transfert, de la transparence sur ces frais et de la compatibilité entre les différents contrats. Je suis très favorable à ce que nous ouvrions une réflexion sur cette transparence et cette compatibilité ; cela ne me pose aucun problème et je pense même que c’est nécessaire.

En revanche, je ne suis pas favorable à une transférabilité des contrats d’assurance-vie comme celle que nous avons prévue pour l’épargne retraite. Dans l’épargne retraite, la transférabilité totale est la contrepartie du blocage de l’épargne : c’est parce que l’épargne est bloquée, par définition, pour la durée de la vie, sauf achat de la résidence principale, que la transférabilité et la portabilité des produits sont totales. C’est ce que nous faisons avec cette réforme qui est absolument structurelle pour l’épargne-retraite. Le cas de l’assurance-vie est très différent, car il est possible de sortir à tout moment pour près de 90 % des contrats. Si le souscripteur sort de manière anticipée, il perd certes l’avantage fiscal, mais il a la possibilité de sortir à tout moment. Cela implique l’absence de transférabilité totale, qui accroîtrait de manière exponentielle la liquidité des contrats. La conséquence économique en serait, au-delà du fait que l’avantage fiscal ne serait plus justifié eu égard à l’intérêt général si cette transférabilité totale existait, que les assureurs investiraient encore moins leurs actifs en actions. Or tout l’objectif de cette réforme est de développer l’investissement en actions des assureurs, à peine 10 % de l’assurance-vie étant aujourd’hui investie en actions.

Je rappelle également que je travaille au niveau de la Commission européenne pour obtenir une révision des règles prudentielles de « Solvabilité 2 », afin que le ratio des actions dans le bilan des assureurs soit moins contraignant : aujourd’hui la moindre action appelle quasiment 34 % de couverture au bilan pour sécuriser l’investissement en actions. Cela me paraît tout à fait excessif et je me bats pour faire modifier ces règles.

C’est pourquoi je demande le retrait de ces amendements, tout en m’engageant à travailler à la réduction des frais liés aux contrats d’assurance-vie.

M. Joël Giraud. Ce sont des amendements d’appel, dont le but est que ces sujets soient traités. C’est d’autant plus important que, paradoxalement, le prélèvement forfaitaire unique (PFU) a aggravé la situation puisque, pour les contrats supérieurs à 150 000 euros, la fiscalité est alourdie. Je retire volontiers les amendements au profit d’une nouvelle rédaction qui sera présentée en séance sur les bases explicitées à l’instant.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CS2305 et CS2307 du rapporteur.

L’amendement CS453 de M. Éric Girardin est retiré.

La commission adopte l’article 21 modifié.

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Après l’article 21

La commission examine l’amendement CS2148 de M. Dominique Potier.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’intention est bonne, mais je rappelle l’existence de deux labels attribués à des fonds d’investissement qui respectent les critères de finance durable et responsable : le label « Transition énergétique et écologique pour le climat » et le label « Investissement socialement responsable », l’un et l’autre ayant été mis au point dans le cadre du Climate Finance Day auquel Mme Peyrol a fait référence.

J’ajoute que l’Union européenne conduit actuellement des travaux visant à définir – rapidement, je l’espère – une règle commune des actifs « verts ». Je propose donc le retrait de l’amendement car il est déjà répondu aux préoccupations qui l’inspirent.

M. Dominique Potier. Soit, je retire l’amendement pour le retravailler en vue de la séance.

L’amendement est retiré.

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Article 21 bis (nouveau)
(article L. 21428 du code monétaire et financier)
Assouplissement du régime des fonds communs de placement à risques

Cet article additionnel a été adopté à l’initiative de M. Adrien Taquet et des membres du groupe La République en Marche, avec avis favorable de votre rapporteur et du Gouvernement.

Il assouplit le cadre juridique des fonds communs de placement à risque (FCPR), qui comptent parmi les instruments qui permettent d’investir dans des sociétés non cotées (capital investissement, ou private equity). Plus précisément, un FCPR doit être constitué, pour 50 % au moins, de titres associatifs, de titres participatifs ou de titres de capital de sociétés non cotées.

Afin d’améliorer la liquidité potentielle de ces fonds, donc leur attractivité, cet amendement précise que, dans ce quota de 50 %, sont éligibles les titres de créance (donc de la dette) émis par des sociétés non cotés, au plus à hauteur de 20 % du total du fonds. L’amendement ajoute que les FCPR qui contiennent au moins 5 % d’actifs liquides peuvent le mentionner dans leur documentation, afin d’être plus attractifs pour les contrats d’assurance-vie.

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La commission se penche sur l’amendement CS1857 de M. Adrien Taquet.

Mme Nadia Hai. Cet amendement devrait plaire à M. le ministre, étant donné le faible taux de détention de contrats d’assurance-vie en unités de compte, car il répond à la demande des épargnants qui souhaitent investir leur épargne en direction d’un support orienté vers le capital-investissement mais dans les conditions habituelles de liquidités de l’assurance-vie.

Pour diversifier les sources de financement de l’économie, il paraît utile de promouvoir des véhicules de capital-investissement en assurance-vie sous la forme d’unités de compte. Même si le code des assurances autorise les fonds communs de placement à risque (FCPR) parmi les supports éligibles en tant qu’unités de compte, seuls quelques projets ont vu le jour car ils se heurtent à plusieurs contraintes comme la limitation de l’éligibilité des FCPR à 10 % de l’encours total du contrat d’assurance-vie ou encore la question de la liquidité du contrat investi en support non liquide.

Pour remédier à ces difficultés, le présent amendement vise à autoriser les FCPR à prévoir une poche de liquidité suffisante d’au moins 5 % pour faire face aux demandes de rachat par les porteurs – une possibilité déjà prévue dans le cadre législatif en vigueur mais qui sera rendue plus explicite et pourra être mentionnées dans les actes et documents.

En outre, afin de diversifier les sources de financement, l’amendement vise à ouvrir la possibilité pour un FCPR d’investir dans des titres de créances émis par des entreprises non cotées dans la limité de 20 % déjà prévue pour les titres cotés.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je salue le travail accompli par Mme Hai ainsi que par Mme Verdier-Jouclas, Mme de Montchalin et d’autres, suite au grand rendez-vous de l’investissement productif, et je salue aussi le travail conduit en parallèle par le président de la commission des finances. La rédaction de cette proposition a fait l’objet d’une concertation avec les services du ministre ; avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vous confirme, madame Hai, que je suis très favorable à cet amendement car il permet à l’épargnant d’investir de manière très libre dans des placements qui présentent un risque plus élevé mais aussi une possibilité de rendement plus important. Il permettra aussi de financer l’économie réelle.

La commission adopte l’amendement. L’article 21 bis est ainsi rédigé.

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Après l’article 21 bis

Puis elle examine l’amendement CS1624 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Par cet amendement, nous proposons de réserver l’avantage fiscal de l’assurance-vie aux fonds investis en France. Le Gouvernement estime le coût de ces dispositifs à 1,5 milliard d’euros pour la seule année 2018 ; pour que ce coût se justifie, il est nécessaire que ces fonds conséquents servent l’investissement dans l’économie réelle en France. L’épargne des Français doit leur être utile et servir l’intérêt général. L’investissement dans des produits financiers non productifs et inutiles pour l’activité du pays ne doit pas de surcroît représenter un coût pour la collectivité.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Pour l’essentiel, l’assurance-vie consiste en des fonds euros, qui sont fabriqués par les sociétés d’assurance et qui, de ce fait, ne sont pas directement concernés par votre amendement. Les unités de compte représentent une part plus petite. Il faut à mon sens laisser jouer la concurrence et permettre à celles et ceux qui souhaitent investir en Europe de bénéficier de l’avantage fiscal. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Je rappelle en outre le principe de liberté de circulation des capitaux au niveau européen, auquel je suis attaché parce qu’il nous permet aussi de bénéficier de l’épargne de nos voisins allemands, italiens ou espagnols qui investissent en France.

D’autre part, je tiens à rassurer M. Quatennens : le développement de l’investissement en actions dans les produits d’assurance-vie permettra avant tout le financement de l’économie et des entreprises françaises.

M. Adrien Quatennens. J’entends vos arguments et votre attachement à la liberté de circulation des capitaux, mais le problème tient précisément au fait que cette liberté est totale et que vous n’imposez aucun fléchage vers l’économie réelle, vers des produits qui financent concrètement l’activité des PME françaises. Il se vérifie d’ailleurs que le capital libéré n’est pas toujours alloué correctement : la rémunération des actionnaires explose, mais pas l’investissement productif. C’est tout le problème : le capitalisme hyperfinanciarisé ne se comporte pas vertueusement en finançant l’activité réelle mais finance de plus en plus la bulle spéculative qui ne sert pas l’économie réelle. Or, nous avons plus que jamais besoin d’investissements productifs. C’est pourquoi nous déplorons que la liberté de circulation des capitaux ne soit pas assise sur des exigences d’investissement dans des produits utiles.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Comme toujours, il convient de confronter les théories à la réalité. Or, la réalité est celle-ci : ces fonds, notamment ceux qui sont investis dans les PME, se caractérisent par un biais traditionnel en faveur de l’économie locale en France. Les gestionnaires de portefeuille qui gèrent des fonds destinés aux PME investissent généralement dans des entreprises françaises qu’ils connaissent bien. Faut-il pour autant l’inscrire dans la loi ? Non, car les PME françaises font des affaires à l’international et, inversement, je ne saurais guère distinguer entre des PME installées de part et d’autre de la frontière alsacienne qui font l’essentiel de leurs investissements de l’autre côté. L’Europe doit protéger et investir, mais elle doit aussi exister. Sur ce point, monsieur Quatennens, sans doute serons-nous d’accord sur le fait que nous sommes en désaccord (Sourires) ; en attendant, je confirme notre avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Dans le prolongement des propos du rapporteur général, je rappelle à M. Quatennens qu’il existe déjà des dispositifs qui visent à orienter les financements et l’épargne vers les PME, en particulier l’impôt sur le revenu-PME (IR-PME) et le plan d’épargne en actions PME (PEA-PME), deux dispositifs dont nous avons justement relevé le plafond à ces fins.

La commission rejette l’amendement.

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Article 21 ter (nouveau)
(article L. 5486 du code monétaire et financier)
Indicateurs de risque des plateformes de financement participatif

Cet article additionnel est issu de cinq amendements identiques, déposés par le groupe Les Républicains et par le groupe socialiste.

Il part du constat que le succès des plateformes de financement participatif auprès des Français s’appuie sur des taux de rendements potentiels particulièrement importants, mais qui occultent parfois un taux élevé de défaillance des entreprises financées.

Afin d’améliorer la qualité et la fiabilité de l’information diffusée par ces intermédiaires, et dans la lignée des recommandations récentes de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), les amendements adoptés définissent un nouveau paramètre pour construire les indicateurs de risque : ces derniers devront porter sur l’ensemble des projets en cours et mais aussi sur les projets financés depuis plus de douze mois.

Votre rapporteur a émis un avis favorable pour l’adoption de cet article additionnel, avec la réserve qu’une rédaction plus optimale pourrait probablement être trouvée afin de parvenir à résoudre le problème réel que ces amendements décelaient initialement.

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La commission examine les amendements identiques CS854 de M. Pierre Cordier, CS1066 de Mme Véronique Louwagie, CS1180 de M. Daniel Fasquelle, CS1717 de M. Vincent Rolland et CS2141 de M. Dominique Potier.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS1180 tend à assurer la bonne information et la protection du consommateur en créant un indicateur supplémentaire ne tenant compte que des projets financés depuis plus de douze mois afin de rendre compte objectivement de la probabilité de défaut de ces investissements.

M. Vincent Rolland. L’amendement CS1717, identique, vise le même objectif : mieux évaluer le risque que prend l’investisseur avec ce type de produits.

M. Dominique Potier. L’amendement CS2141 est défendu dans le même esprit. En février 2018, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a recommandé l’adoption de ces principes.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Il s’agit d’un instrument utile de sécurisation de l’information.

M. Daniel Fasquelle. Je peine à cacher mon émotion : deux amendements et demi adoptés en cinq jours ! (Sourires.)

M. Roland Lescure, rapporteur général. Gardez espoir !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Oui, tous les espoirs sont permis : il reste au moins une journée et demie de débat !

Les amendements sont adoptés. L’article 21 ter est ainsi rédigé.

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Article 22
(articles L. 4112, L. 4121, L. 4334, L. 6217, L. 6218, L. 62181, L. 62182, L. 6219 et L. 62115 du code monétaire et financier)
Simplification de l’accès des entreprises aux marchés financiers

  1. l’État du droit

A.   Les marchÉs de capitaux et la Bourse de Paris

Tout au long de leur cycle de vie, les entreprises doivent se procurer des ressources pour financer leurs besoins. Depuis les années 1980, les pouvoirs publics ont ainsi souhaité favoriser la baisse du coût du capital et l’allocation optimale de l’épargne aux différents secteurs de l’économie par le développement des marchés de capitaux et, en France, de la Bourse de Paris.

Un marché est un lieu, éventuellement abstrait, où s’effectuent les transactions et où se rencontrent les acheteurs et les vendeurs. Si les marchés de capitaux sont de plus en plus décloisonnés et interconnectés sur un marché international des capitaux, on peut toujours distinguer les marchés selon plusieurs critères.

• Du point de vue des instruments financiers négociables : les marchés de financement permettent aux agents économiques à besoin de financement, notamment les entreprises, de se procurer les ressources financières dont elles ont besoin pour leur création, leur fonctionnement ou leur développement. Ils permettent la collecte de l’épargne ; des titres financiers y sont négociés. D’après l’article L. 211-1 du code monétaire et financier, ce sont les titres en capital (actions) ou les titres de créance (obligations). Ce sont des marchés au comptant (les opérations y sont d’exécution immédiate). Ils se distinguent donc des marchés de produits dérivés, où s’échangent des contrats financiers qui permettent de se prémunir contre les risques financiers sans pour autant détenir les actifs financiers qui les sous-tendent (contrats à terme, contrats d’échange – ou swaps – et contrats d’option), qui sont des marchés à terme.

Au sein des marchés de financement, du point de vue de la maturité des titres, on distingue ordinairement le marché monétaire pour les actifs à court terme, qui comprend une composante interbancaire (échanges entre banques commerciales de leurs avoirs en compte à la banque centrale), et le marché financier pour les titres financiers de moyen et long terme (actions et obligations).

Les marchés comportent aussi un marché primaire, qui désigne l’émission des titres et permet aux émetteurs de se financer, et un marché secondaire, qui renvoie à la négociation des titres déjà émis et assure ainsi leur liquidité. Le marché gris fait référence au marché éventuel des titres non encore admis aux négociations mais destinés à l’être.

• D’un point de vue juridique, peuvent être distingués marchés réglementés et marchés non réglementés. C’est la summa divisio du droit des marchés financiers.

Les marchés réglementés sont contrôlés, directement ou indirectement, par l’autorité publique. Ils sont régis, en ce qui concerne la France, par le chapitre préliminaire et le chapitre Ier du titre II du livre IV du code monétaire et financier. Ils sont notamment reconnus par arrêté ministériel sur proposition de lAutorité des marchés financiers (AMF), sont gérés par une entreprise de marché qui a la forme d’une société commerciale (en France, Euronext Paris ([41])), qui établit des règles de marché « transparentes et non discrétionnaires ». Selon une métaphore de l’ancien président d’Euronext Paris, M. Jean‑François Théodore, l’entreprise de marché est une société commerciale qui assure la gestion d’un marché réglementé, à la manière d’un gérant de supermarché assurant la distribution dans le public de produits de grande consommation ([42]).

Les marchés non réglementés ne sont pas reconnus par l’État : ce sont les marchés de gré à gré, où seule la loi des parties prévaut, et les marchés organisés, qui sont cependant dotés d’une entreprise organisant et réglementant les transactions. Les directives européennes « MiFID 1 » et « MiFID 2 » ([43])  distinguent, parmi les marchés organisés, les systèmes multilatéraux de négociation (SMN) et les systèmes organisés de négociation (SON). Cette distinction est reprise en droit interne et structure les dispositions particulières propres aux marchés organisés dans le code monétaire et financier (chapitres IV et V du titre II du livre IV). Les règles des SMN sont cependant largement communes avec celles des marchés réglementés. Un SON se distingue d’un SMN par le fait que l’exécution des ordres sur le système s’effectue sur une base individuelle et discrétionnaire par l’opérateur, sans pour autant que celui-ci puisse nuire aux intérêts du client ([44]).

• On peut également citer le marché des changes, où s’échangent les devises et qui est un marché complètement internationalisé (le « Foreign Exchange Market », dit Forex), et le marché « MTS France » où sont négociés les titres de créance négociables émis par l’État français.

• Mais la « Bourse de Paris » fait essentiellement référence aux marchés de financement réglementés, et notamment au marché secondaire des actions, « Euronext Paris ». Il comporte trois compartiments fondés sur la valeur de la capitalisation des sociétés concernées ([45]). L’indice de référence de la Bourse de Paris, le « CAC 40 » est déterminé à partir des cours de quarante actions cotées sur le compartiment A d’Euronext Paris, qui est le compartiment réservé aux sociétés dont la capitalisation est supérieure à 1 milliard d’euros. Il convient toutefois de signaler que la société Euronext Paris gère également deux autres marchés réglementés, qui sont des marchés à terme (Le « MATIF » et le « MONEP ») et deux marchés organisés, « Euronext Growth » et « Euronext Access », qui sont destinés aux PME et ETI et qui prévoient des obligations moins strictes à leur endroit.

B.   L’introduction en bourse

• On parle souvent d’ « IPO », Initial public offering, pour désigner l’introduction en bourse. Juridiquement, elle est qualifiée « dadmission aux négociations sur un marché ». C’est la première des opérations de marché. Pour les marchés non réglementés, les règles d’admission relèvent uniquement des gestionnaires de marché ([46]) Mais pour les marchés réglementés, c’est une condition préalable légale pour que des négociations y soient conclues. Sagissant des marchés de financement, l’admission entraîne l’application du statut juridique de « société cotée » qui entraîne des obligations et qui prend fin lorsque les titres sont radiés. Cette démarche de l’émetteur s’impose tant pour la cotation des titres de capital que pour celle des titres de créances. Dans les faits, c’est une décision structurante qui nécessite une préparation de plusieurs mois de la part des dirigeants. Si l’AMF intervient dans la procédure et participe à l’instruction du dossier (notamment par le visa du prospectus, voir ci‑dessous), la décision d’admission relève de la seule compétence de l’entreprise de marché, en l’occurrence Euronext Paris ([47]), qui peut rejeter la demande pour tout motif approprié.

Elle n’est pas réellement définie par les textes, mais le code monétaire et financier fixe un cadre législatif (articles L. 421‑14 à L. 421‑16) et réglementaire, complété par le règlement général de l’AMF ([48]) et par les règles de marché d’Euronext. La question de savoir si ces règles constituent des normes publiques ou des normes privées est controversée, mais elles doivent être approuvées en tout état de cause par l’AMF. Ce cadre de droit interne s’insère dans le cadre juridique européen établi par la directive 2001/34/CE concernant l’admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l’information à publier sur ces valeurs.

 L’admission à la négociation a des avantages. Elle confère une importante notoriété à la société. Elle permet d’accéder au financement par les marchés et, après l’admission à la négociation, de lever de nouveaux fonds propres par des augmentations de capital. Elle est aussi favorable :

– aux actionnaires, qui peuvent bénéficier de la valorisation de la société et pourront plus facilement vendre leur titre sur un marché liquide ;

– aux investisseurs, qui pourront diversifier leur portefeuille avec un produit d’investissement supplémentaire ;

– et aux salariés et dirigeants, stimulés par des stocks options et des primes d’intéressement en actions ([49]).

 On constate cependant, dans la période récente, une désaffection générale pour la cotation. L’étude d’impact relève (page 276) que les introductions en bourse sont moins nombreuses depuis dix ans : « alors quelles représentaient environ 300 opérations par an entre 2005 et 2007, seulement 172 introductions en bourses ont eu lieu en 2016 sur les différents marchés dEuronext Paris. »

Toute introduction en bourse a en effet un coût et suscite par ellemême des contraintes nouvelles. L’actionnariat de la société est recomposé chaque jour au gré des transactions boursières. L’admission aux négociations d’instruments financiers sur un marché réglementé fait l’objet de règles légales qui doivent être respectées, au premier rang desquelles l’interdiction d’effectuer une négociation en raison d’une information privilégiée (sous peine de commettre un délit ou un manquement d’initié) et une obligation dinformation permanente du marché ([50]) sur tout événement susceptible d’avoir un impact significatif sur son cours de bourse. Les fluctuations de cours inhérentes à la cotation peuvent en outre se révéler déstabilisantes. Ainsi Facebook a subi une perte record de plus 118 milliards de dollars le 26 juillet 2018, en une seule séance à New York, avec la chute de 19 % de son cours après la publication de ses résultats du deuxième trimestre de l’année ([51]).

Sagissant du coût de l’introduction en bourse, l’étude d’impact précise que « selon un consensus de Place, il est admis que les coûts dune introduction en bourse sont compris entre 5 à 7 % du montant levé […] pour une levée de fonds de 50 millions d’euros, ils seront aux alentours de 2,5 millions d’euros ».

• L’admission à la négociation de titres financiers sur un marché réglementé est distinguée, à l’article L. 412‑1 du code monétaire et financier, de loffre de titres financiers au public. Ces deux opérations sont juridiquement distinctes mais, sauf exception, l’admission implique une offre de titres financiers au public (tandis qu’une offre peut aussi être réalisée indépendamment de l’admission et concerner des titres déjà admis aux négociations). Les offres de vente sont régies principalement par les règles d’Euronext Paris mais s’y ajoutent les obligations d’information comme, en premier lieu, le prospectus.

C.   L’obligation d’Établir un prospectus

1.   Le prospectus

 Le « prospectus » est le document dinformation écrit officiel que doivent, en application de l’article L. 412‑1 du code monétaire et financier, établir et diffuser les personnes ou les entités qui procèdent à une offre au public de titres financiers ou à une admission de titres financiers aux négociations sur un marché réglementé. Cest donc une obligation commune à ces deux opérations.

Le prospectus doit donc être établi lors d’une introduction en bourse mais, plus largement, lors dune offre au public de titres financiers. Or l’offre au public de titres financiers, définie à l’article L. 411-1 du code monétaire et financier, est constituée par « un placement de titres financiers par des intermédiaires financiers » ou « une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de loffre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider dacheter ou de souscrire ces titres financiers ». Cela peut donc inclure les marchés non réglementés, la publicité ou le démarchage.

 Sagissant du contenu du prospectus, aux termes du I du même article, il porte « sur le contenu et les modalités de lopération qui en fait lobjet, ainsi que sur lorganisation, la situation financière et lévolution de lactivité de lémetteur et des garants éventuels des titres financiers qui font lobjet de lopération, dans des conditions prévues par le règlement général de lAutorité des marchés financiers. » Il doit être publié préalablement à lopération et « tenu à la disposition de toute personne intéressée ».

C’est le règlement général de lAutorité des marchés financiers, dans ses articles R. 212‑1 et suivants, qui détaille précisément le régime juridique du prospectus.

Ainsi, le projet de prospectus établi par l’émetteur doit faire l’objet d’un visa de lAMF ([52]). Ce visa est un préalable à la diffusion du prospectus dans le public ([53]). L’AMF a tout pouvoir pour demander des modifications du projet ; le visa sera délivré si elle estime que le projet est conforme à la réglementation. Si elle a des motifs raisonnables de soupçonner que l’offre au public ou l’admission aux négociations sur un marché réglementé ne respecte pas l’obligation d’établir un prospectus, elle peut suspendre ou interdire lopération ([54]). La diffusion peut notamment prendre la forme d’une mise en ligne sur le site de l’émetteur ([55]). Le prospectus, doit généralement comporter un résumé qui présente les éléments essentiels sur les titres financiers offerts ([56]). Les données présentées dans le prospectus doivent être « conformes à la réalité et ne pas en altérer la portée. » ([57]). Il peut être rédigé en anglais dans un souci de compétitivité et ne doit être traduit en français que dans certains cas ([58]).

• Un point important du cadre juridique applicable en ce domaine concerne les cas dans lesquels doit être établi ou non le prospectus. En effet, le coût détablissement dun prospectus nest pas négligeable pour un émetteur. Toutefois, certaines dérogations sont prévues par le droit, notamment parce que le volume de certaines opérations ne paraît pas justifier une obligation d’information aussi contraignante pour les émetteurs. La fixation des seuils résulte donc de l’appréciation des autorités compétentes, qui doivent concilier limpératif dinformation et de protection des investisseurs avec le souci de ne pas imposer de contraintes excessives aux émetteurs. Il convient donc de rechercher un équilibre entre ces deux exigences qui peuvent apparaître contradictoires mais qui sont toutes deux nécessaires au bon fonctionnement et à l’attractivité du marché.

2.   Les dérogations à l’obligation d’établir un prospectus liées au montant de l’offre

En droit, le champ de lobligation de prospectus, et notamment les dérogations qu’elle supporte, résulte essentiellement de la combinaison des articles L. 411‑1, L. 411‑2, L 411‑3 et L. 412‑1 du code monétaire et financier et 211‑2 du règlement général de l’AMF.

En effet :

– l’article L. 411‑1 définit la notion juridique d’offre au public de titres financiers ;

– l’article L. 412‑1 impose l’obligation de prospectus aux offres aux publics de titres financiers ;

– l’article L. 411‑2 énumère les offres qui ne constituent pas une offre au sens de l’article L. 411‑1 et qui, en conséquence, échappent à l’obligation fixée à l’article L. 412‑1.

Le 1 du I de l’article L. 411‑2 dispose ainsi qu’une offre « Dont le montant total est inférieur à un montant fixé par le règlement général de lAutorité des marchés financiers ou à un montant et une quotité du capital de lémetteur fixés par le règlement général » ne constitue pas une offre soumise à l’obligation de prospectus.

La loi prévoit donc à cet article deux cas où les offres sont exonérées de prospectus :

– lorsqu’elle est inférieure à un certain montant ;

– lorsqu’elle est, de manière cumulative, inférieure à un certain montant et donne lieu à l’émission d’une quotité de titres inférieure à une certaine quotité du capital de l’émetteur.

La détermination précise des montants et de la quotité est renvoyée au règlement général de lAMF, en l’occurrence l’article 211‑2. Les montants sont calculés sur une période de douze mois.

Ces dispositions législatives et réglementaires de droit interne relatives aux exemptions de prospectus, notamment en ce qui concerne le montant des seuils de déclenchement de ces exemptions, doivent cependant sinsérer dans le cadre juridique fixé par des normes de droit dérivé de lUnion européenne. Celles‑ci ont été largement modifiées par le règlement (UE) 2017/1129 du 14 juin 2017 dit « Prospectus 3 ». Aux termes de son premier considérant, ce règlement « constitue une étape essentielle sur la voie de lachèvement de lunion des marchés de capitaux ».

Avant l’entrée en vigueur de ce règlement, l’article 211‑2 du règlement général de l’AMF prévoyait qu’échappaient à l’obligation de prospectus :

– les offres dont le montant total dans l’Union était inférieur à 100 000 euros ;

– les offres dont le montant total dans l’Union était compris entre 100 000 et 5 millions d’euros et qui donnaient lieu à l’émission d’une quotité de titres inférieure à 50 % du capital de l’émetteur. Entre 100 000 et 5 millions d’euros, seules les offres dites « majoritaires » étaient donc exonérées de prospectus.

Cependant, comme le rappelle l’étude d’impact (page 284), le règlement « Prospectus 3 » du 14 juin 2017 précité a étendu la marge de manœuvre dont disposent les États membres dans la fixation des seuils de prospectus relatifs au montant de l’offre au public de titres financiers. Il leur permet d’exonérer les entreprises émettrices de titres de l’obligation d’établir un prospectus en dessous d’un seuil d’offres de titres d’un montant fixé par eux entre 1 et 8 millions d’euros, dès le 21 juillet 2018. Il prévoit donc une nouvelle limite maximale possible de 8 millions deuros.

En conséquence, le règlement général de lAMF a été modifié et l’article 211‑2 prévoit désormais que les offres dont le montant est inférieur à 8 millions d’euros sont exemptées de prospectus. Cette modification a été homologuée par un arrêté du 11 juillet 2018 du ministre de l’économie et des finances. Via le règlement général de l’AMF, la France a donc dores et déjà, en létat actuel du droit, choisi de fixer le seuil dexemption de prospectus au niveau maximal permis par le droit dérivé de lUnion européenne. Ce choix doit inciter les entreprises à recourir à l’émission de titres financiers. Cette modification du règlement général s’articule avec le dispositif proposé par le Gouvernement dans l’article 22 et est évoquée dans l’étude d’impact.

D’autres exceptions à l’obligation de prospectus sont aussi prévues à l’article L. 411‑2 du code monétaire et financier : par exemple lorsque la valeur de chacun des titres est inférieure à un certain montant, également précisé par le règlement général de l’AMF (3 du I), ou lorsque les offres s’adressant à des investisseurs qualifiés, réputés disposer des compétences et moyens nécessaires pour apprécier les risques liés aux opérations sur des instruments financiers (2 du II). L’article L. 411‑3 du même code prévoit aussi des dérogations liées aux caractéristiques des titres offerts.

3.   Le cas du financement participatif

Le financement participatif, lorsqu’il repose sur une offre de titres financiers, doit respecter le régime juridique portant sur l’offre au public de titres financiers évoqué supra, et donc l’obligation d’établir un prospectus le cas échéant. Mais une nouvelle exception notable à l’obligation d’établir un prospectus a été insérée dans le code monétaire et financier par l’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif.

Ainsi, le I bis de l’article L. 411‑2, introduit par l’ordonnance du 30 mai 2014 précitée, a pour effet dexonérer de prospectus les offres de titres non cotés sur un marché réglementé ou un SMN proposées par lintermédiaire dun prestataire de services d’investissement (PSI) ou d’un conseiller en investissement participatif (CIP), au moyen d’un site internet qui remplit des caractéristiques prévues par le règlement général et dont le montant est inférieur à un montant fixé par décret. Le décret n° 2016‑1453 du 28 octobre 2016 a fixé ce seuil à 2,5 millions deuros ([59])..L’AMF veille malgré tout à la régularité de ces offres dispensées de prospectus ([60]).

Il convient de préciser qu’à la suite d’une communication du 3 mai 2016 ([61]), la Commission européenne a publié le 8 mars 2018 une proposition de règlement tendant, dans le cadre de l’union des marchés de capitaux, à encadrer juridiquement le financement participatif au niveau européen ([62]). La Commission propose notamment de créer un « Passeport européen pour le financement participatif, ne se substituant pas à la législation nationale, pour les plateformes locales » ([63]). Ce « passeport » ou « label » devrait permettre de réduire les difficultés administratives rencontrées par les plateformes qui souhaitent étendre leur activité dans différents États membres, dès lors qu’elles respectent certaines règles et, notamment, à condition que les levées de fonds ne dépassent pas 1 million d’euros.

Le financement participatif

Le financement participatif est un nouveau mode de financement utilisé principalement par les petites entreprises ou les startups. Il permet de récolter, en dehors des circuits bancaires et financiers classiques, généralement via des plateformes spécialisées sur Internet, de petits montants auprès d’un large public en vue de financer un projet créatif ou entrepreneurial. Il peut revêtir différentes formes, notamment la souscription de titres de capital (crowdfunding ou crowdequity) ou de titres de créance (crowdlending([64]).

Les entreprises sollicitent ainsi des milliers de personnes pour obtenir des capitaux propres nécessaires à la phase d’amorçage ou au développement des projets ; elles peuvent aussi s’endetter pour financer des investissements ou leur besoin en fonds de roulement. Les fonds versés par chacun des investisseurs sont souvent faibles – quelques dizaines ou centaines d’euros – mais, dès lors que des milliers ou des dizaines de milliers de personnes participent à l’opération, l’entreprise peut trouver les ressources qui lui permettront de tester et de développer son concept, son produit ou son service.

 

Le statut juridique des plateformes de financement participatif

Plusieurs statuts prévus par la loi sont susceptibles de s’appliquer aux plateformes de financement participatif.

Le statut de prestataire de services dinvestissement (PSI), notion originale du droit français, est issu de la loi n° 96‑597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières et permet de fournir des services d’investissement. Il est réservé à des catégories précises d’entreprises. C’est une profession réglementée et réservée. Un agrément financier, octroyé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), est nécessaire, en contrepartie de prérogatives (accès aux infrastructures de marché et passeport européen notamment).

Le statut de conseiller en investissement participatif (CIP) a été créé par l’ordonnance du 30 mai 2014 précitée. Il est inspiré du statut de conseiller en investissement financier (CIF) et permet de fournir spécifiquement un service de conseil en investissement participatif. Les conditions d’accès à ce statut sont plus souples que celles exigées pour les PSI. Il n’a ainsi pas à être agréé par l’ACPR. Il s’agit d’un statut taillé « sur mesure » pour le financement participatif, plus adapté à cette activité que le statut plus général mais aussi plus contraignant de PSI.

Enfin, le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) permet de bénéficier d’une dérogation légale au monopole bancaire et est ainsi particulièrement adapté au financement participatif sous forme de prêts ou de dons.

4.   Le document d’information synthétique

S’agissant des offres de titres financiers réalisées par l’intermédiaire d’un site internet de financement participatif dispensées de prospectus (car inférieures à 2,5 millions d’euros), les articles 217‑1 et 217‑2 du règlement général de l’AMF prévoient que l’émetteur, par l’intermédiaire de ce site internet, doit cependant fournir certaines informations relatives notamment à son activité, à son projet, aux risques induits ou encore aux droits attachés aux titres ([65]).

Le règlement général a en outre été modifié (articles 212‑43 à 212‑47) pour prévoir un niveau analogue d’information pour les offres de titres financiers « classiques » dispensées de prospectus dans le cadre du droit commun. Les émetteurs devront ainsi fournir un « document dinformation synthétique ». Le contenu est une translation de celui du document prévu pour le financement participatif. Cette modification a été homologuée par l’arrêté du ministre de l’économie et des finances du 11 juillet 2018 précité. Cette extension est évoquée par le Gouvernement dans son étude d’impact et constitue une contrepartie de la fixation au niveau maximal permis par le droit de l’Union européenne de 8 millions d’euros du montant des offres dispensées de prospectus.

D.   Les offres d’acquisition et le retrait obligatoire

1.   Les offres publiques d’acquisition

Les offres publiques d’acquisition sont régies par divers niveaux de normes. La directive 2004/25/CE concernant les offres publiques d’acquisition visait à créer un cadre européen commun en la matière. Toutefois, dès lors que ses articles 9 et 11 sont facultatifs, elle n’a pas conduit à une harmonisation complète des systèmes juridiques nationaux. Les offres publiques d’acquisition sont, en droit interne, également régies par la loi (code monétaire et financier) et par le règlement général de l’AMF.

Elles peuvent être qualifiées d’offres publiques d’achat (OPA) lorsque l’acquisition des titres est proposée contre une somme en espèces et d’offres publiques d’échange (OPE) lorsque l’acquisition des titres est proposée contre d’autres titres cotés. Elle peut aussi être mixte (combinaison des deux) ou alternative (le choix du mode de paiement est laissé à l’actionnaire). Elles peuvent être amicales (lancées avec l’accord de la société ciblée) ou hostiles. Elles peuvent porter sur les titres de capital ou les titres de créance. La technique boursière des OPA vient des États‑Unis. Mais elle s’est aussi imposée en France et, selon Pierre Bérégovoy, ministre des finances en 1989, les OPA « sont nécessaires à la mobilité du capital et sont inhérentes à lexistence dun marché boursier. Si lon ne veut pas doffres publiques dachat, il faut fermer la Bourse. » ([66]). En tout état de cause, la réglementation concerne essentiellement les marchés réglementés.

L’AMF contrôle toutes les offres visant des titres sur le marché réglementé Euronext Paris ([67]). Elle vérifie le respect des principes généraux qui régissent le droit applicable en la matière : légalité des actionnaires (égalité de traitement) et la transparence des marchés (exigence d’une information publique suffisante). Ces principes sont mentionnés à l’article L. 433‑1 du code monétaire et financier et sont complétés et mis en œuvre par le règlement général de l’AMF (articles 231‑3 et suivants). À l’issue de l’instruction (environ dix jours), l’AMF prononce une déclaration de conformité.

Les offres publiques d’acquisition peuvent notamment servir deux principaux objectifs :

– une prise de contrôle d’une société cotée ;

– l’élimination des actionnaires minoritaires.

Elles peuvent être volontaires ou obligatoires. En effet, en application du I de l’article L. 433-3 du code monétaire et financier, s’agissant d’un marché réglementé, une offre d’acquisition doit obligatoirement être déposée par la personne qui :

– franchit un seuil de détention de 30 % des droits de vote ou du capital ;

– détient déjà entre 30 % et la moitié du capital, et augmente sa participation de plus de 1 % en moins d’un an.

Sur les marchés organisés, en application du II du même article, si le gestionnaire de marché en fait la demande, un régime d’offre obligatoire s’applique au franchissement d’un seuil de 50 % du capital ou des droits de vote. Le règlement général de l’AMF le prévoit pour les systèmes multilatéraux de négociation.

La législation impose ainsi à celui qui dépasse ces seuils l’obligation de lancer une offre proposant à tous les détenteurs de titres de cette société d’acquérir la totalité de leurs participations.

Ce caractère obligatoire de certaines offres publiques dacquisition résulte de limportance en droit français du principe dégalité des actionnaires. Le City Code on Takeovers and Mergers britannique impose une obligation similaire. Aux États‑Unis, en revanche, une telle obligation serait probablement inconstitutionnelle car contraire à la liberté contractuelle ([68]). Comme les offres publiques de retrait, les offres publiques d’acquisition obligatoires visent à protéger les actionnaires minoritaires.

2.   Les offres publiques de retrait

Les offres publiques de retrait (OPR) sont des offres d’acquisition particulières, qui constituent une « voie de sortie » pour les actionnaires minoritaires qu’elles ont pour vocation de protéger.

Deux considérations générales sous‑tendent la nécessité de protéger les actionnaires minoritaires, selon une distinction opérée en doctrine ([69]) : des raisons quantitatives (lorsqu’ils détiennent une participation capitalistique très faible qui ne leur permet pas de participer à la direction de la société) et des raisons qualitatives, lorsque la société connaît des modifications structurelles qui affectent son fonctionnement.

Ces considérations ont guidé la législation. Les OPR qui peuvent être mises en œuvre dans trois cas précis énumérés au I de l’article L. 433‑4 du code monétaire et financier.

● En premier lieu, de manière facultative (1° du I de cet article), l’offre publique de retrait peut être lancée lorsque les actionnaires majoritaires détiennent « de concert », une fraction déterminée des droits de vote. L’action de concert a pour effet essentiel de créer une solidarité entre toutes les personnes qui participent audit concert. Elle a pour objet d’éviter un contournement de la réglementation. Ainsi, aux termes du I de l’article L. 233‑10 du code de commerce, « sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue dacquérir, de céder ou dexercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune visàvis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société. ». Elle peut être demandée par les actionnaires majoritaires ou les minoritaires. Dans les deux cas, la « fraction déterminée des droits de vote », évoquée sans plus de précision par le législateur, a été fixée par le règlement général de l’AMF à 95 % des droits de vote ([70]).

● En second lieu, de manière obligatoire (2° du I du même article), en cas de transformation d’une société dont les actions sont cotées sur un marché réglementé en commandite par actions. La société en commandite par actions permet une dissociation complète de la gestion de la société et de la détention du capital dans l’entreprise. C’est une société par actions, mais sont distinguées deux catégories d’associés : les commanditaires, actionnaires, dont la responsabilité est limitée aux apports, et les commandités, qui répondent solidairement et indéfiniment des dettes sociales ([71]). Les commandités ont un droit de veto pour leur désignation et pour toute modification des statuts. « Lorsque la même personne est à la fois gérante et commanditée, ce qui est possible, on nest pas loin du despotisme, du fait de labsence de tout contrepouvoir social. » ([72]).

Les titres de la société étant en tout état de cause moins sujets à la spéculation, les perspectives de plus-values deviennent moindres par rapport à une SA, ce qui justifie le droit de sortie des commanditaires.

● En troisième lieu, de manière obligatoire également, en cas de modifications statutaires, économiques ou financières importantes (3° du I). Elles peuvent avoir trait, par exemple, à la forme de la société, à la répartition des dividendes ou encore à la réorientation de l’activité sociale.

Une offre publique nentraîne cependant, par ellemême, aucun effet contraignant pour les actionnaires. Mais elle peut être suivie d’un retrait obligatoire.

3.   Le retrait obligatoire

C’est l’initiateur, lors du dépôt de son projet d’offre, qui fait savoir à l’AMF si un retrait obligatoire pourra ou sera mis en œuvre à l’issue de l’offre publique de retrait ([73]).

Malgré une terminologie proche de l’OPR, le « retrait obligatoire » ou squeeze out, n’a pas pour objet de protéger les actionnaires minoritaires mais de renforcer les actionnaires majoritaires. C’est une procédure exceptionnelle qui permet à un actionnaire ou à un groupe d’actionnaires totalisant un certain pourcentage ultra majoritaire des droits de vote d’une société cotée dexproprier les minoritaires restants. Les majoritaires peuvent être guidés par la volonté de contrôler entièrement la société et ainsi, notamment, d’exclure toute opposition interne et de faire sortir la société de la cote. Cette sortie est logique dès lors qu’une fois la procédure achevée il n’y a plus de « flottant » susceptible d’animer le marché.

Le retrait obligatoire a été introduit dans le droit positif par la loi n° 93‑1444 du 31 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la Banque de France, à l’assurance, au crédit et aux marchés financiers.

Ce dispositif a pu être qualifié d’« expropriation pour cause dutilité privée » des actionnaires minoritaires, au profit des majoritaires ([74]). Un auteur a, au contraire, considéré que « lobjectif de débarrasser la cote des sociétés dont les actionnaires ultra minoritaires, pesant moins de 5 % du capital et des droits de vote – qui parfois ignorent eux-mêmes quils sont associés en raison de linvestissement réalisé par un lointain aïeul dont ils ont hérité ! – peut répondre à des considérations proches de la salubrité publique. On peut ajouter que cette opération de rationalisation de lactionnariat sert également lintérêt social, lequel possède une dimension collective puisquau-delà de celui de la personne morale, il traduit – et sublime – les intérêts conjugués de ses associés, passés, actuels et futurs ([75]). »

Il est applicable sur le marché réglementé Euronext Paris, mais aussi sur le marché organisé (voir supra sur cette notion) Euronext Growth, en application du V de l’article L. 433‑4 du code monétaire et financier et de l’article 231‑1 du règlement général de l’AMF.

En tout état de cause, la Cour d’appel de Paris a considéré que le retrait obligatoire satisfait à des fins d’intérêt général du bon fonctionnement du marché boursier ([76]). La Cour de cassation a jugé cette procédure compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) ([77]). En outre, la directive 2004/25/CE précitée a consacré cette procédure malgré son caractère profondément dérogatoire et imposé son existence dans le droit interne de chaque État membre. C’est donc devenu une exigence communautaire. Elle semble par ailleurs répondre à un besoin du marché ([78]).

● Avant lentrée en vigueur de la directive, sous l’empire de la loi de 1994 précitée et de la loi de modernisation financière no 96-597 du 2 juillet 1996, le retrait obligatoire ne pouvait être lancé qu’à l’issue d’une offre publique de retrait.

Le II de l’article L. 433‑4 régit ce cas de retrait obligatoire accessoire à une OPR. Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnisation des minoritaires est évalué selon la méthode dite « multicritères » : « lévaluation des titres, effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession dactifs tient compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de lexistence de filiales et des perspectives dactivité. » Si le prix proposé lors de l’offre ou de la demande de retrait est supérieur au résultat obtenu, l’indemnisation est égale à ce prix, qui constitue donc un « plancher ».

● Avec la directive de 2004, le retrait obligatoire est devenu une procédure autonome. Depuis la loi du 31 mars 2006, il peut ainsi être mis en œuvre à lissue de toute offre publique, notamment après une OPA ayant connu des suites positives, pour les titres restants. Cette hypothèse est prévue par le III de l’article L. 433‑4. La directive prévoit une garantie : le retrait ne peut être mis en œuvre que dans un délai de trois mois à compter de la fin de période d’acceptation de l’offre ([79]), repris par le règlement général de l’AMF ([80]).

Si le délai est dépassé, les actionnaires majoritaires peuvent toujours lancer une offre publique de retrait, démunie cependant de caractère obligatoire pour les minoritaires.

En application de la directive, l’indemnisation doit consister en un « juste prix » ([81]) : la loi prévoit qu’elle est égale au prix proposé lors de la dernière offre (présumé « juste ») ou au résultat de l’évaluation « multicritères », qui semble être privilégiée par le règlement général de l’AMF ([82]) malgré le fait que la loi les mette sur le même plan. Selon un auteur ([83]), « la spécificité de lindemnisation en cas de retrait obligatoire na pas été retenue en ce quelle aurait permis de prendre en compte les avantages supplémentaires dont bénéficient les actionnaires majoritaires ainsi que le préjudice subi par les actionnaires minoritaires du fait de leur exclusion de la société. […] Cette analyse nie la spécificité du processus dindemnisation au profit dune simple approche de prix de marché », bien qu’elle ait été validée par la jurisprudence.

Parce que le retrait obligatoire porte atteinte à la liberté contractuelle et au droit de propriété, il est toutefois entouré de garanties. Ainsi, le recours à une expertise indépendante est une faculté qui a pour objet de prévenir des conflits d’intérêts au sein des organes dirigeants de la société concernée par une offre ou en cas de risque de rupture de l’égalité des actionnaires. Le règlement général de lAMF en fait une obligation en cas de retrait obligatoire ([84]). L’expert doit établir un rapport sur les conditions financières de l’offre, rapport qui prend la forme d’une « attestation d’équité ». ([85]). Il doit émettre une opinion motivée sur le prix proposé. Il peut cependant arriver que les actionnaires minoritaires contestent l’indépendance de l’expert désigné.

Dans les deux hypothèses de retrait obligatoire, en l’état actuel du droit, le retrait obligatoire ne peut être mis en œuvre à l’encontre des actionnaires minoritaires que s’ils ne détiennent pas plus de 5 % des droits de vote.

La directive de 2004 a laissé sur ce point une marge de manœuvre aux États membres : elle confère ce droit de mettre en œuvre un retrait obligatoire à l’offrant qui, à la suite d’une offre publique, a obtenu au moins 90 % des titres de capital ou des droits de vote de la société visée, sans que ce seuil puisse dépasser 95 % ([86]). Lors des débats parlementaires sur le projet de loi relatif aux offres publiques d’acquisition, qui avait notamment pour objet de transposer la directive, le rapporteur du Sénat ([87]) avait privilégié un seuil de 90 % du capital. Le droit français prévoyait déjà un seuil à 95 % pour le retrait obligatoire qui faisait suite à une OPR.

Le rapporteur souhaitait ainsi conférer une « prime à loffrant qui initierait lopération les mains vides », c’est-à-dire dans le cas du retrait obligatoire qui ferait suite à une OPA. Cela permettait également de se rapprocher du droit belge ou britannique. À la suite de l’avis du gouvernement et pour privilégier la continuité des pratiques de marché régies par le seuil de 95 % prévu dans la loi de 1993 évoquée supra, le législateur avait in fine choisi un seuil à 95 %, toujours en vigueur.

  1. Le dispositif proposÉ

A.   le relÈvement du seuil pour le PROSPECTUS

Les 1° et 2° du I de larticle 22 s’articulent avec le relèvement du seuil de prospectus à 8 millions d’euros, rendu possible par le règlement « Prospectus 3 », et avec l’extension, en contrepartie, à toutes les offres de titres au public des obligations simplifiées d’information applicables au financement participatif. Ces modifications ont été opérées par la voie du règlement général de l’AMF et homologuées par arrêté du 11 juillet 2018 du ministre de l’économie (voir supra). Le I de l’article 22 est donc le corollaire législatif de ces évolutions réglementaires.

L’étude d’impact précise (page 281) que cette réforme s’inscrit dans un objectif de compétitivité du droit financier français, notamment vis-à-vis des autres États membres de l’Union européenne. Certains États membres privilégient un seuil plus bas, donc moins « compétitif », de 1 ou 5 millions d’euros. Mais de nombreux États membres ont utilisé la marge de manœuvre ouverte par le règlement « Prospectus 3 » pour prévoir un seuil à 8 millions d’euros (Danemark, Espagne et Finlande, notamment.)

Le 1° revient donc à tirer les conséquences législatives de l’exonération réglementaire générale de prospectus pour les offres inférieures à 8 millions d’euros.

En effet, l’article L. 411‑2 du code monétaire et financier prévoyait que, jusqu’à un certain montant, seules les offres qui donnaient lieu à l’émission d’une certaine quotité de titres étaient exemptées de prospectus. Le règlement général avait fixé ce seuil aux offres majoritaires (seules les offres qui donnaient lieu à l’émission d’une quotité de titres inférieure à 50 % du capital étaient exonérées) entre 100 000 et 5 millions d’euros. Ces dispositions ont déjà été supprimées du règlement général (voir supra). En l’état actuel du droit, ces dispositions législatives ne sont donc plus déclinées au niveau du règlement général et le gouvernement propose de les supprimer dans la loi. En effet, selon le gouvernement, cette condition de seuil majoritaire est historique et visait à éviter une dilution trop importante des actionnaires minoritaires. Il soutient que cette condition apparaît datée, les offres d’une quotité de titres supérieures à plus de 50 % du capital étant presque inexistantes dans les faits. La portée concrète de cette modification serait donc limitée.

Le 2° du I de larticle 22 (alinéas 3 à 5) consiste simplement à inscrire dans la loi, en contrepartie du relèvement du seuil de prospectus, l’obligation pour les offres de titres au public « classiques » ou relatives au financement participatif, de prévoir un « document synthétique destiné à linformation du public » dès lors qu’elles sont exonérées de prospectus. Cette obligation est déjà prévue dans le règlement général de l’AMF pour ces deux types d’offres. Elle deviendrait cependant une exigence législative. Le règlement général détaille en outre le régime et le contenu de ce document (voir supra).

B.   l’Abaissement du seuil de RETRAIT OBLIGATOIRE

Le 3° du I de l’article 22 inscrit dans le code monétaire et financier (article L. 433‑4) labaissement du seuil de retrait obligatoire qui fait suite à toute offre publique (et donc à une OPA) à 90 %. Il est donc favorable aux actionnaires majoritaires.

Lalinéa 7 permet ainsi le transfert de propriété des titres des actionnaires minoritaires qui représentent moins de 10 % du capital et des droits de vote. Deux précisions sont donc en outre apportées : d’une part, le seuil est inférieur à 10 % (et non pas inférieur ou égal), d’autre part ces 10 % concerneront, de manière cumulative, capital et droits de vote. En outre, précision rédactionnelle, la nouvelle rédaction assimilerait complètement retrait à la suite d’une OPR et retrait à la suite de toute offre publique (fusion des II et III existants).

Le délai pour déclencher le retrait obligatoire de trois mois (limite maximale permise par la directive de 2004) après l’expiration de l’offre est maintenu.

Selon le gouvernement, cet abaissement doit faciliter la sortie de cote en permettant aux majoritaires de mettre en œuvre le retrait obligatoire plus aisément. Il précise que, selon l’AMF, sur trente-huit offres publiques d’initiateurs détenant moins de 95 % de la société cible et qui avaient annoncé leur intention de déclencher un retrait obligatoire, douze n’avaient pas atteint le seuil de 95 % à la clôture de l’offre mais certaines avaient atteint 90 %. Le seuil de 95 % « rend plus difficile la sortie de cote et la possibilité de sortir de la cote est un facteur également important lors du choix de lintroduction en bourse. Il apparaît de plus nécessaire de rassurer les émetteurs sur les conditions de sortie. » Dans l’étude d’impact (page 285), le gouvernement invoque par ailleurs la nécessité de contrer les « fonds activistes qui acquièrent plus de 5 % du capital de sociétés cibles afin de faire obstacle au retrait obligatoire […] cette stratégie leur permet ensuite dexiger une prime de sortie plus élevée que celle du prix de loffre ».

Enfin, le gouvernement évoque la procédure de radiation volontaire prévue par les règles de marché d’Euronext ([88]), qui permet aux actionnaires qui détiennent au moins 90 % des droits de vote sur un marché réglementé d’obtenir la sortie de cote, à condition de satisfaire une condition d’illiquidité des titres. ([89]) Les arbitrages opérés en faveur de cette procédure, du fait du seuil plus bas que pour le retrait obligatoire, n’aboutissent pas à un équilibre optimal dès lors que les actionnaires minoritaires, s’ils ne sont pas expropriés, ne détiennent plus que des titres illiquides, ces titres n’étant par définition plus cotés.

L’abaissement du seuil de retrait obligatoire pourrait donc permettre d’accroître la fluidité des entrées et sorties du marché et donc des opérations de restructuration de l’économie, de laisser moins de prise aux fonds activistes et d’inciter les entreprises, et notamment les PME en croissance, à s’introduire en bourse sur la place financière parisienne. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, seulement cinq États membres, dont la France, ont conservé un seuil à 95 %.

Lalinéa 8 maintient la méthode dévaluation du montant de lindemnisation des actionnaires minoritaires en vigueur : l’indemnisation est égale au prix proposé lors de la dernière offre ou « le cas échéant » à la méthode « multicritères ». Le règlement général de l’AMF semble toutefois privilégier clairement, en l’état actuel de la rédaction, la méthode « multicritères » (voir supra) qui a vocation, en théorie, à permettre une indemnisation proche du prix du marché. Certaines critiques sont parfois formulées sur le prix proposé. En effet, les opérations de retrait obligatoire sont plus nombreuses en bas de cycle et se raréfient lorsque les cours sont élevés ([90]).

Lalinéa 9 propose qu’en cas d’offre publique d’échange (OPE) ou d’offre mixte (voir supra), l’indemnisation des minoritaires soit possible sous forme de titres à condition que le choix avec un règlement en numéraire leur soit laissé.

Lalinéa 10 prévoit la consignation de l’indemnisation des actionnaires minoritaires non identifiés.

Les alinéas 11 et 12 sont des dispositions d’harmonisation qui reprennent le droit existant en l’adaptant au nouveau seuil de 90 % :

 l’alinéa 11 prévoit les modalités d’application du retrait obligatoire à 90 % aux titres donnant ou pouvant donner accès au capital (comme les obligations remboursables ou convertibles en actions, échangeables contre des actions ou avec bons de souscription d’actions) ([91]).

 l’alinéa 12 permet l’application de l’abaissement du seuil de retrait obligatoire aux marchés non réglementés (notamment, en l’occurrence, au marché organisé Euronext Growth).

Lalinéa 13 précise que les règles de pratique professionnelle qui s’imposent aux émetteurs lorsqu’ils procèdent à une offre de titres financiers exemptée de prospectus sont, comme pour les offres de titres et les offres de financement participatif, déterminées par le règlement général de l’AMF.

Lalinéa 15 étend la nécessité d’un visa préalable de l’AMF à l’obligation d’information du public lorsque des titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, lorsqu’il entre dans le champ des dispositions du règlement général relatives aux offres publiques d’acquisition obligatoires, sur un système multilatéral de négociation.

Lalinéa 16 s’inspire du régime du prospectus pour prévoir qu’un fait nouveau, une erreur ou une inexactitude concernant les informations contenues dans le nouveau document synthétique d’information et susceptible d’avoir une influence significative sur l’évaluation des instruments financiers doit être mentionné dans une note complémentaire. Toutefois, contrairement au régime du prospectus, le visa de l’AMF n’est pas requis pour cette note.

Lalinéa 18 étend les pouvoirs de suspension dune opération par lAMF ([92]), au-delà des offres de titres financiers soumises à prospectus, à toutes les offres mentionnées à l’article L. 412‑1 : cela inclut aussi l’admission aux négociations de titres sur un SMNO soumis aux règles sur les OPA obligatoires et cela inclura les offres soumises au document synthétique.

Lalinéa 19 étend aux offres de titres financiers exemptées de prospectus, mais qui seront soumises au document synthétique d’information, la possibilité de faire l’objet de communications à caractère promotionnel.

Les alinéas 20 à 28 apportent trois modifications au champ des offres et opérations dont la régularité est surveillée par lAMF :

– il inclut les offres de titres financiers exemptées de prospectus (mais qui seront soumises au document synthétique) ;

– il inclut les offres publiques de jetons qui seront mentionnées dans le code monétaire et financier si l’article 26 du présent projet de loi est adopté ;

– s’agissant des opérations effectuées sur des contrats commerciaux, il restreint le champ de la veille à celles effectuées sur des contrats relatifs aux seules matières premières (et plus aux « marchandises »).

Les alinéas 29 à 33 incluent dans le champ des personnes qui peuvent faire l’objet d’une sanction par la commission des sanctions de l’AMF celles qui ont diffusé ou tenté de diffuser une fausse information ou qui ont commis des manquements susceptibles de nuire aux investisseurs ou au fonctionnement du marché ([93]) dans le cadre d’une offre de titres financiers exemptée de prospectus (et soumise au document synthétique).

C.   L’AmÉlioration par ordonnances de l’ACCESSIBILITÉ DU DROIT DES SOCIÉTÉS

Le II de l’article 22 propose d’habiliter le gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à prendre des ordonnances pour transférer des dispositions des livres II et IV du code de commerce dans le code monétaire et financier. En effet, l’étude d’impact souligne qu’actuellement, le droit des sociétés cotées est réparti entre le code de commerce, le code monétaire et financier et le règlement général de l’AMF « sans quune ligne de partage claire entre ces différents corpus permette à lutilisateur danticiper celui dont relève la disposition. » C’est notamment le cas s’agissant du statut de l’intermédiaire inscrit, des offres publiques ou des franchissements de seuil.

Ce transfert permettra ensuite au gouvernement de regrouper les dispositions du code de commerce propres aux sociétés cotées au sein dune division spécifique de ce code ([94]). Cette habilitation serait guidée par l’objectif de renforcer la clarté et l’accessibilité du droit des sociétés. En effet, selon l’étude d’impact précise que les dispositions relatives aux seules « sociétés cotées » sont imbriquées dans les dispositions de droit commun, notamment s’agissant des sociétés anonymes. Or, le droit des sociétés cotées ne concernait, en 2016, que 658 sociétés sur plus de 3 millions de sociétés françaises. En outre, ce droit est instable du fait des fréquentes évolutions du droit dérivé de l’Union européenne en la matière, dont il résulte largement (directive « OPA » de 2004, règlement « MAR » de 2014 sur les abus de marché par exemple).

Cette opération de recodification ne serait pas mise en œuvre entièrement à droit constant dès lors que l’habilitation devra permettre au gouvernement de clarifier le champ des diverses règles applicables aux sociétés cotées en les distinguant plus clairement selon les catégories de titres financiers cotés (actions ou obligations) et selon les plateformes de négociation (marché réglementé ou organisé) sur lesquels ces titres sont cotés. Une telle clarification nécessitera des évolutions au-delà de la pure forme. Toutefois, selon l’étude d’impact, l’habilitation ne devrait pas « induire de changement majeur dans le droit des sociétés cotées ».

Une telle réorganisation de la présentation du droit des sociétés cotées est en tout état de cause bienvenue : la lisibilité du droit ne peut que profiter aux agents économiques, lobjectif de clarté et daccessibilité de la loi étant par ailleurs un objectif de valeur constitutionnelle ([95]).

D.   L’adaptation par ordonnances des rÉgimes DE L’OFFRE DE TITRES financiers et du dÉmarchage au droit de l’union europÉenne

Le Gouvernement propose également de l’habiliter à prendre des ordonnances pour :

● Moderniser et adapter au droit de l’Union européenne le régime des offres au public de titres financiers. Selon l’étude d’impact, l’entrée en vigueur intégrale du règlement « Prospectus 3 » à compter du 21 juillet 2019 (voir supra) nécessitera des mesures de « transposition négative, cest-à-dire le retrait de dispositions nationales allant devenir contraires au droit européen ». Le règlement imposera aussi « dintégrer dans les offres au public de titres financiers des offres qui ne sont aujourdhui pas considérées comme telles ». Cinq cas ont d’ores et déjà été identifiés par le gouvernement selon l’étude d’impact (ils sont présentés en page 292) et devront ainsi être qualifiés d’offres au public de titres financiers exemptées de prospectus.

Rappelons que les règlements sont deffet direct ([96]), c’est-à-dire obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans les États membres, ce qui justifie en l’espèce l’anticipation de l’entrée en vigueur du règlement « Prospectus 3 ». L’habilitation permettra en outre « de prendre toutes les mesures de coordination et de simplification nécessaires ».

● Réformer le régime du démarchage, prévu aux articles L. 341‑1 à L. 341‑17 du code monétaire et financier, notamment pour assurer sa cohérence avec le nouveau régime des offres de titres exemptées de prospectus et avec la directive « MiFID 2 » ([97]) et le règlement « MiFIR » ([98]).

Le démarchage en matière bancaire et financière, sans être un service d’investissement, est un service financier réglementé. La loi de sécurité financière du 1er août 2003 a instauré un régime homogène du démarchage. Aux termes de l’article L. 341‑1 du code monétaire et financier, « Constitue un acte de démarchage bancaire ou financier toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée […] » en vue d’obtenir un accord de sa part sur diverses prestations énumérées par la loi, et « le fait de se rendre physiquement au domicile des personnes, sur leur lieu de travail ou dans les lieux non destinés à la commercialisation de produits, instruments et services financiers, en vue des mêmes fins. » Seules certaines personnes ou entités peuvent se livrer au démarchage bancaire ou financier, expressément mentionnées à l’article L. 341‑3.

Le gouvernement souhaiterait donc, par ordonnance :

– procéder à une harmonisation du régime de droit interne du démarchage avec le cadre européen. Il s’agirait notamment de modifier la liste des personnes habilitées au démarchage (inclure les succursales d’entreprises d’investissement de pays tiers ou encore, selon l’étude d’impact, « les situations dans lesquelles les clients sont euxmêmes à linitiative dun service ») ;

– autoriser le démarchage pour certains instruments financiers non cotés, notamment dans le contexte d’offres donnant lieu à un document d’information du public : cela pourrait inclure les offres de financement participatif, les admissions par placement privé sur un SMN comme Euronext Growth, et les offres dispensées de prospectus mais devant faire l’objet d’un document synthétique d’information (voir supra). Le gouvernement fait valoir en effet que, dans toutes ces hypothèses, les garanties relatives à l’information des investisseurs potentiels seraient suffisantes pour autoriser le démarchage.

  1. la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur est convaincu de la nécessité de faciliter le financement par les marchés des entreprises et notamment des PME. Le relèvement à 8 millions d’euros du seuil d’établissement du prospectus, engagée dans le règlement général de l’AMF et l’abaissement du seuil de retrait obligatoire à 90 % lui paraissent de nature à davantage ouvrir l’accès aux marchés financiers. Les spécialistes entendus en auditions ont en outre confirmé l’intérêt, du point de vue de la clarté et de l’accessibilité de la loi, d’une recodification par ordonnances du droit des sociétés cotées.

Outre de nombreux amendements rédactionnels de votre rapporteur, la commission spéciale a adopté deux amendements proposés par Mme Faure‑Muntian et d’autres membres du groupe La République en Marche, visant à harmoniser la rédaction du projet de loi avec le règlement général de l’AMF et le droit dérivé de l’Union européenne. Ils précisent que le retrait obligatoire peut être engagé vis-à-vis d’actionnaires minoritaires qui détiennent jusqu’à 10 % du capital, plutôt que moins de 10 %.

*

*     *

La commission est saisie de lamendement de suppression CS1493 de M. François Ruffin.

M. Adrien Quatennens. Nous proposons de supprimer cet article qui vise à amplifier l’accès des entreprises aux marchés financiers. Le Gouvernement souhaite qu’il y ait plus d’introductions en bourse, lesquelles sont passées de 300 par an entre 2005 et 2007 à 170 en 2016. Il estime que trois causes expliquent cette baisse : les coûts élevés d’introduction et de maintien en bourse, les contraintes réglementaires pesant sur les sociétés cotées et le fait que ces introductions ne soient plus un témoignage incontestable de la réussite d’une entreprise.

Nous pouvons commencer par questionner la pertinence de cet objectif : les petites et moyennes entreprises doivent-elles se financer sur les marchés financiers ? Le Gouvernement entend réduire les contraintes réglementaires, mais cette extension du domaine des marchés financiers nous semble dangereuse. Plutôt que de pousser les PME à aller sur les marchés financiers, il faut faire en sorte que les banques jouent leur rôle de financeurs de l’économie réelle.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’objet de cet article n’est évidemment pas de pousser les PME à entrer en bourse, mais de corriger l’inégalité qui veut que les grandes entreprises absorbent plus facilement les coûts fixes liés à l’entrée en bourse. Il s’agit donc, pour faciliter la vie des PME, de relever le seuil à partir duquel un prospectus doit être déposé.

Cela dit, cet article satisfait une partie de votre requête, puisqu’il vise aussi à faciliter la sortie de la cote. Effectivement, certaines entreprises, parce qu’elles traversent un certain nombre de transformations, ne souhaitent pas être soumises aux obligations associées à la cotation et veulent sortir de la bourse. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Cet article vise à faciliter l’accès à la bourse des PME, sans pour autant les pousser à aller se financer sur les marchés financiers. Il s’agit de rendre cet accès plus facile, moins coûteux et moins risqué, et de s’aligner sur les pratiques les plus répandues en matière de seuil de retrait obligatoire. Une partie de l’article est consacrée à la simplification et à la lisibilité de notre droit boursier. Ce sont des mesures importantes et très utiles, qu’il convient de ne pas supprimer. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CS1496 de M. Adrien Quatennens. 

M. Adrien Quatennens. Nous proposons de supprimer l’alinéa 2 de cet article, qui vise à réduire les obligations d’information en cas d’entrée d’une entreprise sur les marchés financiers.

Nous sommes opposés à l’objectif de cet alinéa qui est de faciliter l’accès aux marchés financiers pour les PME. Leurs problèmes de financement ne trouveront pas leur solution sur les marchés financiers. Cela les assujettira à une logique de rendements à court terme avec des retours sur investissement importants, contraire au développement à long terme.

L’alinéa 2 supprime le critère de prise de participation majoritaire lorsqu’un investisseur acquiert plus de la moitié des parts de l’entreprise. Ce critère nous paraît important, car une prise de participation engage l’avenir de l’entreprise. Il est donc nécessaire que le nouvel actionnaire majoritaire dispose d’une vision complète et précise de celle-ci. Dans le cas contraire, l’avenir de l’entreprise est en péril.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il s’agit de faciliter l’accès des entreprises, qui le souhaitent, à la cotation. Cela concerne évidemment les PME, mais aussi les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui cherchent à accéder à de nouveaux financements pour atteindre une taille mondiale. Il nous paraît donc pertinent de préserver cette option. Quant à l’argument de la prise de contrôle au-delà de 50 %, ce type d’émission est, dans la pratique, très restreint. Cette mesure apportera plus de souplesse et de lisibilité, sans avoir de conséquences sur ce type d’opérations. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. J’ajoute que la distinction entre le cas d’une offre représentant plus de 50 % du capital et celui d’une offre en deçà n’est plus possible depuis l’adoption du règlement « prospectus » de l’Union européenne. La suppression qu’opère l’alinéa 2 est nécessaire pour nous conformer au droit européen.

M. Adrien Quatennens. Dans le cas où un nouvel actionnaire majoritaire aurait surestimé le retour sur investissement par manque d’informations, on peut imaginer qu’il cherche à récupérer ce manque à gagner en exigeant des licenciements ou en revendant ses parts, ce qui serait préjudiciable à la santé économique de l’entreprise. C’est bien pour cette raison que nous souhaitons supprimer cet alinéa.

M. Bruno Bonnell. Je rappelle que notre objectif est de donner les moyens de consolider ou d’augmenter les fonds propres des entreprises, qu’il s’agisse de PME ou d’ETI. L’accès aux marchés n’est pas évident et je voudrais rassurer mon collègue Adrien Quatennens : l’échange des actions n’a pas d’impact sur la structure et le quotidien de l’entreprise. Que des gens fassent des gains, ou subissent des pertes, cela se passe à un autre niveau. On peut considérer cela d’un point de vue moral, ou fiscal, mais il n’y a pas de conséquences sur la structure de l’entreprise.

M. Adrien Quatennens. Il est vrai que la déconnexion entre la spéculation financière et l’économie réelle est de plus en plus importante, Monsieur Bonnell, mais on ne peut pas nier qu’il existe un lien direct. On sait très bien que les décisions prises sur les marchés financiers, quelles qu’elles soient, ont des répercussions en bout de course sur l’économie réelle. Cela s’est même aggravé ces dernières années avec une forme de déshumanisation : les ordres ne sont plus donnés par des personnes dans les salles de marché, mais par des algorithmes, et les échanges d’actions se font à la microseconde. La déconnexion s’accentue, mais le lien avec l’économie réelle demeure et le risque pour les entreprises existe.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1236 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Comme vous le savez, l’une des raisons de la chute du nombre d’entrées en bourse, notamment des PME, est le coût, qui est décroissant en fonction du montant de l’émission. Pour les PME, il est de l’ordre de 7 % : lever un million d’euros en bourse coûte 70 000 euros !

Il est arrivé que des branches professionnelles fassent des appels mutualisés : les entreprises se mettaient à cinq, dix, quinze ou vingt pour obtenir un coût inférieur. L’objet de cet amendement est de permettre aux PME de mutualiser leurs coûts d’émission.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Le règlement 2017/1129 du 14 juin 2017, dit règlement « prospectus », ne nous permet pas de modifier la définition de l’offre publique. Par ailleurs, des émissions de ce type ont déjà été autorisées par l’AMF, notamment pour des hôpitaux, des collectivités territoriales et des sociétés non cotées, procédant à des offres au public. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Charles de Courson. Vous dites que l’amendement est inutile parce que la mutualisation est déjà possible dans la pratique, mais je ne comprends pas votre premier argument, Monsieur le rapporteur.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Le règlement « prospectus » est d’application stricte et limitative ; il ne nous permet pas de modifier la définition de ce que constitue une offre publique de type financier. Or votre amendement procède à cette modification, en visant à compléter l’article L. 411-2 du code monétaire et financier par la mention d’ « offre d’émission collective émanant de plusieurs PME, visant à mutualiser les coûts d’émissions de titre financier ». L’intention est noble, mais l’amendement n’est pas acceptable du point de vue légistique.

M. Charles de Courson.  Cela signifie-t-il que le droit européen l’interdit ?

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Le droit européen ne nous permet pas de modifier la définition de ce que constitue une offre publique de type financier.

M. Laurent Saint-Martin. Effectivement, le règlement « prospectus » définit de manière stricte ce qu’est l’introduction en bourse – l’IPO – pour l’Union européenne.  Ce que dit Charles de Courson est extrêmement intéressant, car les coûts financiers de l’introduction en bourse ont un impact sur l’attractivité de la place de Paris, et doivent de ce fait être considérés.

Toutefois, cet amendement ne fait pas la distinction entre les différents coûts : certains sont liés à l’infrastructure de la place de marché – Euronext en France – et d’autres, très élevés, à l’intermédiation bancaire. Le sujet ne relève ni du domaine législatif ni du domaine réglementaire, mais il faut y réfléchir, afin de rendre lIPO plus attractive sur la place de Paris, et sur les places européennes en général.

M. Charles de Courson. Monsieur le rapporteur, vous dites que ce n’est pas possible au regard du droit européen, avant d’ajouter qu’il existe des émissions collectives de collectivités locales ou d’hôpitaux. Si les hôpitaux et les collectivités locales peuvent mutualiser leurs coûts, pourquoi les entreprises ne le peuvent-elles pas ?

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Vous ne m’avez pas très bien écouté, Monsieur de Courson ! Ce qui n’est pas possible, c’est de modifier en droit la définition de l’offre au public de titres financier. Mais l’offre d’émission collective est déjà possible, puisque l’AMF a déjà autorisé ce type d’opération. Ce n’est pas en modifiant la définition que vous encouragerez ces pratiques. Votre amendement est néanmoins satisfait.

M. Charles de Courson. Je n’avais pas compris le premier argument. Si l’amendement est inutile, je le retire !

Lamendement est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CS456 et CS909 du rapporteur.

Puis elle est saisie de lamendement CS2043 de Mme Valéria Faure-Muntian.

Mme Valéria Faure-Muntian.  Si vous le permettez, je présenterai en même temps l’amendement CS1927. Ces amendements visent à mettre l’article 22 en cohérence avec les textes européens, notamment la directive « OPA », concernant les offres publiques d’acquisition. Le texte contient une disposition, dite squeeze-out, qui peut être activée dès lors que l’actionnaire minoritaire détient « moins de » 10 % du capital, alors que la directive « OPA » fait mention d’un actionnaire majoritaire, détenant « au moins » 90 % du capital. Cet amendement corrige la discordance en intégrant sous le seuil de retrait obligatoire les actionnaires minoritaires propriétaires d’exactement 10 % du capital.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Pendant que nous étions en vacances, Mme Faure-Muntian comparait la rédaction du projet de loi à celle de la directive « OPA »… c’est grâce à son œil de lynx que nous allons réparer cette erreur. Avis favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Avis favorable à cette précision très utile.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CS911 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de lamendement CS1927 de Mme Valéria Faure-Muntian.

Mme Valéria Faure-Muntian.  Il a été défendu.

Suivant lavis favorable du rapporteur, la commission adopte lamendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS917, CS910 et CS921 du rapporteur.

La commission examine lamendement CS2050 de Mme Valéria Faure-Muntian.

Mme Valéria Faure-Muntian. La notion de « sociétés cotées » n’a pas de définition juridique.  Je propose que nous nous appuyions sur les textes européens et le règlement intérieur de l’AMF pour substituer à cette expression celle de « sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation ».

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous avions effectivement relevé le flou entourant cette notion lors des auditions. Sagesse.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Il est difficile de donner une définition à l’expression « sociétés cotées », qui est d’usage courant mais qui recouvre une grande variété de situations. Nous souhaitons y procéder dans le cadre de l’habilitation donnée au Gouvernement, dont l’objet est de clarifier les dispositions applicables aux sociétés cotées. Par conséquent, nous ne sommes pas favorables à la substitution proposée et suggérons le retrait de cet amendement.

Mme Valéria Faure-Muntian. Je fais confiance au Gouvernement pour donner une définition et retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CS918, CS923 et CS922 du rapporteur.

Puis elle adopte larticle 22 modifié.

*

*     *

Article 22 bis (nouveau)
(article L. 3122 du code monétaire et financier)
Suppression de lexigence de détention dune quotepart minimale de 5 % du capital social pour consentir un apport en comptecourant dassocié

Lavance en comptecourant dassocié permet à une société de bénéficier, de la part de ses associés ou actionnaires, d’apports en compte‑courant ; ces sommes sont mises à la disposition de la société mais ne sont pas assimilables à un apport au sens juridique. En réalité, il s’agit plutôt d’un crédit.

Il peut être constitué par le versement effectif d’une somme d’argent ou la renonciation temporaire de l’associé à percevoir une somme à laquelle il a droit, comme un dividende ou un salaire.

Ce mécanisme présente de nombreux intérêts : il n’affecte pas l’équilibre du contrôle de la société comme peut le faire un apport en capital et il permet à l’entreprise de consolider sa trésorerie et aux associés de percevoir une rémunération même en l’absence de dividendes versés.

Cest donc selon votre rapporteur un outil utile pour favoriser la croissance des entreprises, ce qui est l’objet de ce projet de loi. Toutefois, en l’état actuel du droit, il nest possible que si lassocié ou lactionnaire en question possède au moins 5% du capital social.

Les auditions, par votre rapporteur, d’universitaires compétents en matière de droit des sociétés, ont permis d’établir labsence de motif évident au soutien de cette condition légale.

La commission spéciale a ainsi adopté, à l’initiative de M. Mattéi et d’autres députés du groupe MoDem, un amendement portant article additionnel après l’article 22, pour supprimer ce seuil minimal de détention de 5 % du capital social exigé, dans le code monétaire et financier, pour un apport en compte‑courant d’associé.

*

*     *

La commission examine lamendement CS1969 de M. Jean-Paul Mattei, portant article additionnel après larticle 22.

M. Jean-Paul Mattei. Les apports en compte courant sont assez prisés dans les PME et les PMI car ils permettent aux associés de donner un coup de main à l’entreprise. Toutefois, le code monétaire et financier précise qu’ils doivent détenir au moins 5 % du capital social de la société. L’amendement vise à supprimer cette condition qui constitue un frein, notamment pour les sociétés qui démarrent. Celles-ci optent pour un système d’avances et de prêts, dont les taux de rémunération sont réglementés. Cette mesure vise à faciliter l’investissement des particuliers dans les entreprises et peut concerner également les personnes morales.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur.  Les auditions ont montré que la trésorerie constituait un point particulièrement difficile en matière de financement pour les entreprises, notamment les plus petites. L’avance en compte courant d’associé permet de résoudre les problèmes passagers de trésorerie des sociétés. Nous avons interrogé des experts du droit pour savoir si la suppression de l’obligation de détenir au minimum 5 % du capital pouvait avoir des effets de bord ou des effets non souhaitables. Nous n’en avons relevé aucun, et c’est la raison pour laquelle je donne un avis favorable à cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Cette proposition va dans le sens de l’objectif de diversification des sources de financement des entreprises poursuivi par le Gouvernement. Avis favorable.

M. Charles de Courson. Cela signifie qu’il faut tout de même détenir au moins une action.

M. Laurent Saint-Martin. L’amendement est très pertinent, mais au-delà de la condition de détention, il convient de s’interroger sur le blocage des apports en compte courant. Peut-être pourrions-nous mener cette réflexion d’ici à l’examen du texte en séance et mieux redéfinir le blocage. Les comptes courants d’associés sont très liquides, ce qui peut interdire de les considérer comme des fonds propres pour créer de la dette.

M. Charles de Courson. Je pense qu’il ne faut pas retenir l’idée de notre collègue Saint-Martin, car lorsque les banques prêtent, elles conditionnent le blocage. Il faut donc conserver de la souplesse et ne pas définir dans la loi le blocage, sa durée, etc. Cela doit être laissé à la liberté contractuelle entre les banques et les entreprises.

M. Jean-Paul Mattei. Je rejoins les propos de M. de Courson. Pour que les apports soient considérés comme des quasi-fonds propres, il faut, en pratique, des conventions de blocage. C’est dans le cadre de la délibération, qui constate l’avance en compte courant et éventuellement les conditions de rémunération de cette avance, que l’on prévoit généralement les blocages. Légiférer sur ce point irait à l’encontre de la liberté contractuelle, d’autant que ces conventions sont déjà bien encadrées par la réglementation.

M. Bruno Bonnell. Le financement temporaire de trésorerie est un risque réel pour les entreprises, car la liquidité d’un compte courant est absolue et s’il est appelé par un tiers – une banque ou un débiteur – cela peut poser un problème de structure de financement de l’entreprise. Autant la spéculation n’est pas le sujet d’aujourd’hui – nous pourrons en reparler –, autant il faut creuser cette question d’ici à la séance, ainsi que nous y a invités Laurent Saint-Martin. Si la barrière des 5 % n’a pas de sens, il convient néanmoins de prendre des précautions sur cette notion de financement temporaire de société, tout comme cela a été fait sur les seuils.

M. Laurent Saint-Martin. L’idée n’est pas d’ôter toute liberté dans la contractualisation du blocage et de rendre celui-ci obligatoire et systématique, mais de mieux le redéfinir. Il s’agit de mettre fin à l’hypocrisie générale : entre la date précise à laquelle on s’est engagé à bloquer les comptes courants et l’année suivante, ceux-ci demeurent totalement liquides, ce qui peut mettre en difficulté la trésorerie de l’entreprise. Je rejoins Bruno Bonnell : il faut que le blocage soit vraiment effectif.

M. Jean-Paul Mattei. Il est vrai que le risque lié à la reprise intempestive du compte courant existe, mais la jurisprudence est assez riche sur ces retraits qui peuvent entraîner la responsabilité de celui qui y procède. Je pense pour ma part qu’il faut conserver la liberté contractuelle. Je ne suis pas certain que la loi puisse rentrer autant dans les détails, au risque d’accroître les difficultés. Si on légifère sur l’obligation de blocage, la loi sera plus contraignante que la réglementation actuelle.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Si cet amendement n’a pas une grande dimension politique, il soulève de vraies questions techniques. Je suggère donc que vous travailliez avec le rapporteur pour que, d’ici à la séance, nous puissions progresser dans le sens qui a été indiqué. En attendant, je propose à la commission d’adopter cet amendement qui me semble plus que raisonnable, et même souhaitable.

La commission adopte lamendement. L’article 22 bis est ainsi rédigé.

Article 23
(articles L. 21136, L. 21140, L. 2131, L. 21474, L. 21487, L. 21424, L. 2142433, L. 2142441, L. 214164, L. 214172, L. 2141751, L. 2141902, L. 4113, L. 42011, L. 42173, L. 42116, L. 51184, L. 511841 [nouveau], L. 5239, L. 53216, L. 53228, L. 53248, L. 53250, L. 53252, L. 533222, L. 52223 [nouveau], L. 6113, L. 6122, L. 61334, L. 6211, L. 6219, L. 621134 et L. 621207, L. 621208, L. 621209 [nouveaux], L. 62115 et L. 621211 du code monétaire et financier et L. 333412 du code du travail)
Attractivité de la place financière de Paris

I.   l’État du droit

A.   Les points qui pourraient Être modifiÉs pour favoriser l’Établissement d’un contrat‑type en droit français pour les produits dÉrivÉs

1.   L’anatocisme

« Lanatocisme » consiste dans la capitalisation des intérêts échus d’une dette d’argent, de manière que les intérêts capitalisés produisent à leur tour des intérêts ([99]). Ce mécanisme peut accroître rapidement le montant de la dette et obérer la situation du débiteur sans que ce dernier en ait conscience. Aussi, il est encadré par le droit.

L’article 1343‑2 du code civil (ancien article 1154) dispose que « les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat la prévu ou si une décision de justice le précise. » Cet article pose donc deux conditions :

– l’anatocisme ne peut résulter que d’un contrat (anatocisme conventionnel) ou d’une décision de justice (anatocisme judiciaire) ;

– pour être capitalisés, les intérêts échus doivent être « dus au moins pour une année entière ». Cette limitation temporelle a pour objectif d’éviter un élargissement trop rapide de l’assiette des intérêts.

La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que l’ancien article 1154 était une disposition d’ordre public ([100]) (c’est-à-dire impérative et à laquelle on ne peut déroger par voie contractuelle).

2.   Le champ des opérations éligibles à la résiliation‑compensation

● Les articles L. 211-36 et L. 211-36-1 du code monétaire et financier délimitent le champ d’application de la résiliation‑compensation pour les obligations financières.

Ainsi, les conventions éligibles sont résiliables par anticipation et les dettes et créances afférentes sont compensables. La compensation constitue la principale spécificité du régime commun aux opérations sur instruments financiers. Les stipulations contractuelles de résiliation anticipée et de compensation des opérations en cours constituent un mode de paiement simplifié et une technique de garantie.

Les parties peuvent prévoir l’établissement d’un solde unique, que ces obligations financières soient régies par une même convention (closeout netting) ou par différentes conventions (global netting). Les modalités de résiliation, d’évaluation et de compensation des opérations et obligations financières sont opposables aux tiers.

L’efficacité de ce mécanisme de résiliation-compensation est renforcée par une rétroactivité légale de leffet extinctif de la compensation en cas de saisie. En effet, si la convention fait de l’exercice d’une procédure civile d’exécution ou de l’exercice d’un droit d’opposition un cas de résiliation anticipée avec compensation, toute opération de résiliation, d’évaluation ou de compensation est réputée être intervenue avant cette procédure. En cas de défaillance, la résiliation‑compensation peut ainsi s’opérer nonobstant l’effet attributif de la créance au créancier saisissant.

Comme le précise l’étude d’impact (page 298), cette technique de résiliation‑compensation « a été conçue pour réduire le risque systémique dans les contrats de dérivé de gré à gré. Elle permet à des parties qui ont conclu plusieurs contrats de dérivés, de ramener, via une conventioncadre, le risque de contrepartie entre elles dun montant brut dengagements réciproques à un solde net. En cas de défaillance dune des contreparties, lensemble des contrats entre elles est résilié : le préjudice que représente pour chaque partie la résiliation de chaque contrat est évalué aux conditions de marchés, puis les indemnités de résiliation sont compensées dans un solde unique. »

● Trois types dobligations financières sont visés en létat actuel du droit :

– les obligations financières résultant d’opérations sur instruments financiers (lorsque l’une au moins des parties à l’opération est une entité publique ou réglementée) ;

– les obligations financières résultant de tout contrat donnant lieu à un règlement en espèces ou à une livraison d’instruments financiers (lorsque toutes les parties appartiennent à la catégorie des entités publiques ou réglementées) ;

– et les obligations financières résultant de tout contrat conclu dans le cadre d’un système de règlements interbancaires ou de règlement et de livraison d’instruments financiers.

B.   le rÉgime des organismes de placement collectif

1.   Les différents organismes de placement collectif

La gestion dactifs peut être individuelle ou collective. Dans ce second cas, les investisseurs sont regroupés au sein de véhicules d’investissement spécifiques gérés par des professionnels.

Selon la définition de l’Autorité des marchés financiers (AMF), les organismes de placement collectif (OPC), couramment appelé fonds d’investissement, sont des portefeuilles de valeurs mobilières (actions, obligations, etc.). Ils sont gérés par des professionnels (sociétés de gestion) et détenus collectivement sous forme de parts par des investisseurs particuliers ou institutionnels. Les OPC offrent ainsi la possibilité d’accéder à un portefeuille diversifié de valeurs mobilières. L’article L. 214‑1 du code monétaire et financier distingue les OPC en valeurs mobilières (OPCVM), qui bénéficient du passeport européen, et les fonds d’investissement alternatifs (FIA), dont le régime est plus complexe, commercialisés en France.

Le tableau ci‑dessous récapitule les OPC proposés aux investisseurs particuliers :

Organismes de placement collectif proposés aux particuliers

OPCVM

FIA

Il s’agit des OPC en valeurs mobilières commercialisés en Europe auprès du grand public.

– FCP, Sicav

– Fonds de capital investissement (FCPR, FCPI et FIP)

– OPCI (organismes de placement collectif immobilier) et SCPI (sociétés civiles de placement dans l’immobilier)

– Société d’épargne forestière (SEF)

– Société d’investissement à capital fixe (SICAF)

– Fonds de fonds alternatifs

– Fonds d’épargne salariale (FCPE, SICAVAS)

Source : AMF

Les OPC peuvent adopter deux formes juridiques :

– les fonds communs de placement (FCP) ([101]), qui sont des copropriétés de valeurs mobilières qui émettent des parts, bien qu’étant dépourvus de la personnalité morale ; une société de gestion gère le FCP et agit au nom des porteurs dans leur intérêt exclusif ;

– et les sociétés dinvestissement à capital variable (SICAV) ([102])  sont des sociétés anonymes qui émettent des actions pour répondre aux demandes de souscription ; l’investisseur a donc la qualité d’actionnaire et peut s’exprimer sur la gestion de la société.

Contrairement à la gestion individuelle, la gestion collective n’est plus un service d’investissement mais est cependant étroitement réglementée.

2.   La scission d’un OPC

Comme le relève l’étude d’impact, le régime juridique des OPC ([103]) permet notamment, à la société de gestion de l’organisme, lorsque la cession de certains actifs ne serait pas conforme à lintérêt des porteurs de parts ou des actionnaires, de les isoler dans un fonds cantonné dit « side pocket ». Ce dernier prend la forme juridique d’un fonds professionnel spécialisé (FPS) ou, si l’organisme objet de la scission est une SICAV, d’une société d’investissement professionnelle spécialisée. Selon l’AMF, ces structures ont été créées « afin de mettre à disposition des investisseurs professionnels un véhicule de droit français régulé, disposant dune très grande flexibilité sur la nature des actifs éligibles, sur les ratios dinvestissement comme sur la gestion du passif. » Ses statuts ou son règlement, selon le cas, doivent prévoir que son activité correspond à la gestion extinctive de tout actif qui lui est transféré lors de la scission ([104]).

Les autres actifs (les actifs « sains ») sont alors détenus par un « OPC réplique », de manière à ce qu’ils puissent être gérés et recevoir une valeur liquidative.

C.   La rÉmunération des preneurs de risque

Selon la commission européenne ([105]), les « preneurs de risque » sont les « catégories de personnel dont les activités professionnelles ont une incidence significative sur le profil de risque dun établissement ». Ils peuvent recevoir une rémunération fixe et une rémunération variable ([106]), les « bonus ».

En effet, selon l’étude d’impact (page 299), « lactivité financière est une activité cyclique où la performance individuelle est sanctionnée positivement (fortes primes ou bonus) lorsque le résultat augmente, mais aussi négativement (rupture du contrat de travail) lorsque le résultat diminue ».

Ces salariés sont :

– « tout salarié dont la rémunération dépasse 500 000 euros annuels ou faisant partie des 0,3 % des salariés les mieux payés du groupe, ou dont le bonus dépasse 75 000 euros et 75 % de la part de rémunération fixe ;

– tout salarié amené à avoir un impact sur le profil de risque du groupe. »

En application de l’article L. 511‑76 du code monétaire et financier, l’employeur (établissement de crédit ou société de financement) établit une distinction fondée sur des critères clairs entre rémunération fixe et rémunération variable. La rémunération variable « reflète des performances durables et conformes à la politique des risques. Elle reflète également les performances allant au-delà des stipulations du contrat de travail ou des prévisions de la fiche de poste. »

L’article L. 1331‑2 du code du travail interdit à l’employeur d’infliger aux salariés, en matière disciplinaire, des amendes ou autres sanctions pécuniaires. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite. Ainsi, en létat actuel du droit, ces bonus ne sont pas « récupérables », une fois versés, car une telle récupération tomberait dans le champ de cette règle impérative de droit social. En effet, « la récupération consiste pour la banque ou le gestionnaire dactifs, à réclamer tout ou partie dun bonus déjà versé à un salarié ».

En outre, ces bonus sont, en l’état actuel du droit, inclus dans le calcul de l’indemnité de licenciement d’un salarié preneur de risques.

II.   Le dispositif proposÉ

A.   Le rapprochement du droit français avec les droits anglo‑saxons applicables aux produits dÉrivÉs

 Les alinéas 1 à 3 tendent à permettre lanatocisme pour une durée infraannuelle en matière de contrats de produits dérivés. Ils introduisent ainsi dans le code monétaire et financier, à l’article L. 211‑40, la possibilité pour une convention ou une convention‑cadre, qui régit les modalités de résiliation, d’évaluation et de compensation des opérations financières sur les contrats de dérivés, de déroger à la règle fixée à l’article L. 1342‑2 du code civil selon laquelle seuls les intérêts ayant plus d’un an d’ancienneté peuvent être productifs d’intérêts.

Selon l’étude d’impact (page 313), cette exception au régime de l’anatocisme participerait de la volonté de rendre le droit français compétitif, dans le contexte du « Brexit », pour l’établissement, par l’association internationale des swaps et dérivés (ISDA), d’un nouveau contrat‑type pour les produits de dérivés.

En effet cette restriction française n’existe pas en droit anglo‑saxon. L’étude d’impact précise aussi (page 305) que cette modification du droit ne concerne pas « les contrats courants, relevant par exemple du crédit à la consommation ».

 Lalinéa 4 étend le champ des obligations financières éligibles à la résiliationcompensation, fixé à l’article L. 211‑36 du code monétaire et financier, pour y inclure les opérations sur quotas de CO2, les opérations de change au comptant et les opérations de vente, d’achat ou de livraison de métaux précieux (or, argent, platine, palladium, etc.) Cette proposition s’insère également dans la volonté de soutenir l’établissement d’un contrat‑type en droit français par l’ISDA en rapprochant notre droit des droits anglais, américain et japonais en donnant les moyens à la Place juridique de Paris de « se positionner au sein de lUE comme une place centrale du traitement du contentieux technique du droit financier »

Ces deux modifications du droit français sont recommandées par le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP).

B.   L’EXTENSION DE LA NÉGOCIABILITÉ DES TITRES DE CRÉANCE Négociables

 Lalinéa 5 étend, au-delà des marchés réglementés et de gré à gré, la négociabilité des titres de créance négociables aux systèmes multilatéraux de négociation (SMN) et aux systèmes organisés de négociation (SON). Ce sont des marchés organisés ([107]). Selon l’étude d’impact (page 313), plusieurs SMN et SON ont approché l’ACPR et l’AMF pour obtenir un agrément dans le but de créer un marché secondaire de ces titres et « le développement de ces plateformes est un vecteur fort dattractivité pour la Place de Paris » ; s’agissant des titres courts, « la création de marchés secondaires profonds serait un atout certain ».

L’étude d’impact ajoute en outre que cet élargissement s’inscrirait dans le cadre de la directive européenne « MIF » de 2014 qui vise les plateformes de négociation, notion issue du droit de l’Union européenne qui inclut les marchés réglementés, mais aussi les SMN et SON ([108]).

L’exposé des motifs du présent article 23 précise que « ce marché représente une valeur notionnelle denviron 300 milliards deuros. »

C.   LA MODERNISATION DU RÉGIME juridique DES organismes de placement collectif

1.   La scission des OPCVM

Les alinéas 6 et 7 visent à rendre le régime juridique des OPCVM conforme au droit européen dérivé. Selon l’étude d’impact, la situation d’un OPC qui est scindé pour isoler des titres dont la cession n’est pas conforme à l’intérêt des porteurs de parts ou des actionnaires aboutit, lorsqu’il s’agit d’un OPCVM (donc, pas d’un FIA), à la méconnaissance de la directive européenne dite « OPCVM » ([109]). En effet, cette directive interdit la transformation d’un OPCVM conforme à ses dispositions en un organisme non conforme. En conséquence, ces alinéas inversent le fonctionnement du mécanisme de scission et modifient donc les dispositions concernées dans le code monétaire et financier pour prévoir que ce sont les titres « sains » qui sont logés dans un nouveau fonds.

2.   Les organismes de financement

a.   Le recouvrement des créances transférées aux organismes de financement

 Les alinéas 9 à 15 sont relatifs aux organismes de financement. Ils réécrivent les trois premiers alinéas de l’article L. 214-172 du code monétaire et financier afin de clarifier le régime de recouvrement des créances transférées à ces organismes, en cohérence avec une décision de la Cour de cassation du 17 décembre 2017.

En premier lieu, l’alinéa 10 reprend le droit existant : le recouvrement de créances transférées à un organisme de financement peut continuer à être assuré par le cédant ou l’entité qui en était chargée avant le transfert.

En deuxième lieu, il est précisé (alinéa 11) que c’est en tant que représentant légal de l’organisme que la société de gestion peut cependant assurer elle‑même le recouvrement d’une créance transférée à l’organisme.

En troisième lieu, lalinéa 13 énonce que la société de gestion peut confier par convention à une entité désignée à cet effet, non seulement la gestion mais aussi le recouvrement de tout élément d’actif autre que des créances transférées à l’organisme.

L’alinéa 15 détaille le régime juridique applicable à cette hypothèse. Ainsi, l’entité peut représenter directement l’organisme dans toutes les actions en justice liées à la gestion et au recouvrement de l’actif sans qu’il soit besoin d’obtenir un mandat spécial à cet effet ou qu’elle mentionne la société de gestion dans les actes.

Toutefois, en sa qualité de représentant légal de l’organisme, la société conserve la faculté d’agir au nom et pour le compte de ce dernier.

Lalinéa 14 précise enfin que les créances qui constituent des instruments financiers sont gérées et recouvrées selon les règles applicables aux instruments financiers. La notion d’instrument financier est une notion qui n’a pas véritablement de définition conceptuelle ; elle a une utilité fonctionnelle dans le sens où elle entraîne l’application du droit des marchés financiers. Ainsi, les instruments financiers se distinguent des contrats financiers (qui sont des instruments à terme). Ils incluent les titres financiers (titres de capital et titres de créance) et les parts ou actions d’organismes de placement collectif, mais excluent les bons de caisse et les effets de commerce.

Le régime des instruments financiers l’emporte donc sur celui des organismes de financement.

b.   L’ajustement du régime des organismes de titrisation

L’alinéa 16 est plus précisément relatif aux seuls organismes de titrisation. Ils ont pour objet de s’exposer à des risques, par l’acquisition de créances ou la passation de contrats constituant des instruments financiers à terme et, pour assurer la couverture et le financement de ces risques, d’émettre des obligations ou des parts ou actions représentatives de ces créances. Ils peuvent contribuer à diminuer le coût de financement des entreprises.

L’article L. 214‑175‑1 dispose que la perte ou l’engagement maximal net pris par un organisme de titrisation ne peuvent excéder la valeur de son actif, et le cas échéant du montant non appelé des souscriptions. Le projet de loi tend à inclure les sous‑participations en trésorerie dans l’évaluation de la perte ou de l’engagement maximal net.

c.   La spécialisation de la comptabilité des sociétés de financement spécialisées

Les alinéas 17 et 18 proposent quant à eux d’exempter les sociétés de financement spécialisées d’une partie des obligations comptables applicables aux commerçants : leurs comptes annuels seraient établis selon un règlement de l’Autorité des normes comptables.

Enfin, l’alinéa 19 inclut les organismes de financement (organismes de titrisation et organismes de financement spécialisés) parmi les OPCVM et les FIA dont les titres financiers ne sont pas soumis au régime des offres de titres financiers au public (notamment l’obligation, le cas échéant, d’établir un prospectus).

D.   L’ADAPTATION DES PRÉROGATIVES DE L’AMF au droit dérivÉ de l’uNION europÉenne

● Les alinéas 20 et 21 précisent, en modifiant la rédaction du IV de l’article L. 420‑11 du code monétaire et financier, que c’est le Président de lAMF ou le représentant quil désigne qui peut réviser les limites de position fixées pour chaque instrument dérivé sur matières premières négocié sur des plates-formes de négociation (la rédaction en vigueur confie cette prérogative à « lAutorité des marchés financiers » sans plus de précision sur celui qui l’exerce).

Selon l’étude d’impact (page 310), les dispositions actuelles « imposent une décision formelle du Collège de lAutorité des marchés financiers, ce qui peut rendre moins opérante et praticable une décision qui doit être prise en urgence. »

Ce pouvoir de révision des limites de position sur les instruments dérivés sur matières premières résulte d’une transposition de la directive « MIF 2 ». Il a pour objet de garantir le fonctionnement ordonné des marchés concernés, notamment face à une augmentation importante des positions ouvertes ou en cas de survenance de circonstances exceptionnelles.

La rédaction est ainsi harmonisée avec l’article L. 421‑16 sur le pouvoir d’interruption des négociations du Président de l’AMF.

 Les alinéas 22 et 23 autorisent l’AMF à accorder, à une entreprise de marché, lorsqu’elle est contrôlée par une autre entreprise de marché, une dérogation à l’exigence fixée par la loi, à la suite du droit de l’Union européenne, d’établir un comité des nominations pour désigner ses dirigeants. Un tel comité doit en effet en principe être institué lorsque l’entreprise de marché ([110]), qui gère un marché réglementé, est significative en raison de sa taille ou de ses activités.

L’étude d’impact (page 309) précise que l’état actuel du droit ne prend « pas en compte les cas de groupes de sociétés, de telle sorte que la présence de plusieurs entreprises de marché au sein dun même groupe nécessite la création de multiples comités des nominations, ce qui représente une charge significative ». Ainsi, le régime actuel « fait peser une obligation disproportionnée et est contraire aux objectifs de la directive MIF 2 » (page 300).

● Lalinéa 24 étend le pouvoir du président de lAMF, en cas dévénement exceptionnel qui perturbe le fonctionnement régulier d’un marché réglementé, de suspendre les négociations, aux autres plateformes de négociation, c’est-à-dire les SMN et les SON (voir supra). En effet, selon l’étude d’impact (page 311), « cet article, dans sa rédaction actuelle, ne prend pas en compte lévolution du paysage des plateformes de négociation » que sont les SMN et les SON. « Afin de rendre effectifs les pouvoirs durgence prévus à cet article, il est nécessaire de les étendre à ces deux catégories de plateformes de négociation ».

● Les alinéas 49 et 50 ont pour objet dinscrire dans la loi la compétence de lAMF pour lapplication des dispositions du règlement « MIFIR » ([111]) relatif aux marchés d’instruments financiers. Du fait de sa nature juridique, il est d’applicabilité directe en droit national. Il s’agit donc de garantir sa bonne application en mentionnant expressément la compétence de l’AMF pour la mise en œuvre de ses dispositions, par l’insertion d’un nouvel article L. 621‑20‑7 au sein des dispositions relatives aux pouvoirs de l’AMF au sein du code monétaire et financier.

● Les alinéas 51 à 55 visent à permettre à lAMF davoir accès à des informations couvertes par le secret auprès des autorités compétentes en matière de surveillance des marchés agricoles.

L’AMF a déjà signé une convention déchange dinformations économiques, le 4 janvier 2018 ([112]), avec l’établissement public FranceAgriMer, qui est investi de missions d’expertise économique, d’appui aux opérateurs, de concertation et d’arbitrage, au bénéfice des filières françaises de l’agriculture et de la pêche. L’objectif de cette convention est de renforcer leur coopération afin de permettre à l’AMF de « mieux assurer ses nouvelles missions relatives aux marchés de dérivés de matières premières agricoles et de permettre à FranceAgriMer dassurer sa mission de connaissance et dorganisation de ces marchés. » ([113]) En effet, les prix des contrats dérivés admis à négociation sur Euronext sont couramment utilisés comme référence sur des contrats au comptant de matières premières agricoles. En conséquence, une manipulation sur le marché à terme est susceptible d’avoir un impact direct ou indirect sur les échanges commerciaux de marchandises sous-jacentes et inversement. Durant la crise financière de 2008, l’absence de régulation de certains marchés de céréales avait en effet permis une « envolée » des cours sur le marché à terme des matières premières agricoles ([114]).

Mais, selon l’étude d’impact (page 310), « il est apparu que la formulation retenue dans le droit français ne permettait pas à FranceAgriMer de communiquer des informations couvertes par le secret professionnel à lAMF (alors que linverse est possible) ».

En conséquence, ces alinéas modifient l’article L. 621-21-1 du code monétaire et financier pour prévoir que les instances compétentes pour la surveillance, la gestion et la régulation des marchés agricoles physiques, désignées dans les conditions prévues par le droit de l’Union européenne, peuvent « communiquer à lAMF des informations couvertes par le secret professionnel ».

Selon l’étude d’impact (page 309), « cette inscription dans la loi […] vise à donner davantage de sécurité juridique aux décisions prises par cette autorité et aux acteurs à qui elles sont destinées. »

E.   l’assouplissement des contraintes applicables aux employeurs de preneurs de risques en matiÈre de rÉcupÉration de bonus et de licenciement

Les alinéas 25 à 28 concernent la rémunération des salariés « preneurs de risques » dans les établissements de crédit et les sociétés de financement.

 Le gouvernement souhaite rendre « récupérables » les bonus versés aux preneurs de risque. Il soutient dans l’étude d’impact (page 299) que cette récupération est prévue par le droit européen dérivé ([115]).

Afin de permettre la récupération de bonus versés aux preneurs de risque ou go back, les alinéas 25 et 26 proposent de préciser expressément à l’article L. 511‑84 du code monétaire et financier que la règle fixée à l’article L. 1331‑2 du code du travail, qui interdit d’infliger aux salariés, en matière disciplinaire, des amendes ou autres sanctions pécuniaires (toute disposition ou stipulation contraire étant réputée non écrite) n’est pas applicable à la part de rémunération variable des salariés qui en bénéficient.

Selon l’étude d’impact, cette dérogation est nécessaire pour « rendre effectivement récupérables les bonus des preneurs de risques ».

La rédaction proposée détaille en outre les motifs qui justifient : « lorsque la personne a méconnu les règles édictées par létablissement en matière de prise de risque, notamment en raison de sa responsabilité dans des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour létablissement ou en cas de manquement aux obligations dhonorabilité et de compétence ».

 Le gouvernement propose dans un second temps d’exclure les bonus récupérables du calcul de l’indemnité de licenciement, notamment celle accordée par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, il considère dans l’exposé des motifs de l’article 23 que « les primes et bonus récupérables, qui varient fortement chaque année, ne font pas partie du salaire dû chaque mois par lemployeur pour les preneurs de risques au sens de la réglementation européenne » et que l’état actuel du droit national a pour conséquence « daugmenter le coût des ruptures de contrat pour les hauts salaires ».

Les alinéas 27 et 28 insèrent en conséquence un nouvel article L. 511‑84‑1 dans le code monétaire et financier pour prévoir que, pour l’application des dispositions du code du travail relatives au licenciement, « la détermination de lindemnité à la charge de lemployeur ne prend pas en compte, pour les preneurs de risques […] la partie de la part variable de la rémunération dont le versement peut être réduit ou donner lieu à restitution ».

Les alinéas 42 à 45 rendent ces deux modifications du régime des bonus des preneurs de risques également applicables aux sociétés de gestion de portefeuille. Les sociétés de gestion de portefeuille sont des prestataires de services d’investissement qui exercent une activité de gestion collective.

F.   LA RÉnoVATION DU RÉGIME JURIDIQUE DES SUCCURSALES D’ENTREPRISES D’INVESTISSEMENT DE PAYS TIERS

Le projet de loi propose de permettre à ces succursales, c’est‑à‑dire « une entreprise qui, si son administration centrale ou son siège social était situé dans un État membre de lUnion européenne ou partie à laccord sur lEspace économique européen, serait une entreprise dinvestissement » ([116]) de fournir des services d’investissement en France. Ce sont donc les succursales de pays tiers à l’Union européenne qui sont visées.

Les alinéas 29 à 33 tendent à permettre aux entreprises de pays tiers qui établissent une succursale en France de proposer des services dinvestissement à des « clients professionnels et contreparties éligibles ». En l’état actuel du droit, elles ne peuvent proposer ces services qu’à des clients non professionnels ou qui ont demandé à être traités comme des professionnels, c’est-à-dire une clientèle « retail ». Cette évolution, selon l’étude d’impact (page 307), profite de la marge de manœuvre laissée aux États membres pour la transposition de la directive « MIF 2 » et du règlement « MIFIR ».

Lalinéa 35 énumère les articles du code monétaire et financier applicables aux entreprises d’investissement et qui seraient directement applicables aux succursales d’entreprises de pays tiers agréées : ils concernent par exemple les marchés, les obligations comptables ou déclaratives, la prévention des conflits d’intérêts, le recours à la « négociation algorithmique », l’obligation de « meilleur résultat possible » pour leurs clients, la conception et la distribution d’instruments financiers ou encore les compétences exigées des dirigeants.

Lalinéa 36 étend à ces succursales des exigences prudentielles et relatives à la gestion : cela implique par exemple la mise en œuvre des pouvoirs d’injonction de l’ACPR, l’obligation de mettre en place des « dispositifs, stratégies et procédures faisant lobjet dun contrôle interne régulier », notamment en matière de risque de crédit et de contrepartie, de risques liés aux opérations de titrisation, ou encore de risques de marché, de liquidité, de taux d’intérêt, qui peuvent être contrôlés par l’ACPR, ou encore de notifier à cette dernière les transactions intragroupes importantes.

L’alinéa 38, aux termes de l’étude d’impact (page 308) « recense lensemble des dispositions indispensables à lorganisation et la viabilité de lactivité de ces succursales : capacité de conclure des obligations financières et de bénéficier du régime dérogatoire aux procédures collectives prévu par la directive collatéral, dispositions comptables, participation aux chambres de compensation, dispositions relatives à la lutte antiblanchiment et au financement du terrorisme et dispositions pénales applicables à la fourniture de services dinvestissement ».

Les alinéas 37 et 39 tendent à rendre applicables aux succursales d’entreprises d’investissement de pays tiers des dispositions dans les conditions prévues pour les succursales de pays tiers d’établissements de crédits. Elles concernent notamment des ratios de couverture et de division des risques et des normes relatives à la solvabilité et à la liquidité, la capacité d’obtenir la qualité de participant d’un système de règlements interbancaires ou d’un système de règlement et de livraison d’instruments financiers, ou d’adhérent à une chambre de compensation ([117]) ou encore les comptes sociaux et les documents comptables.

Les alinéas 40 et 41 permettent à lACPR de prononcer la radiation dune succursale dentreprise dinvestissement de pays tiers à titre de sanction disciplinaire ou, lorsqu’elle a fait l’objet d’une mesure de liquidation dans son pays d’origine, à titre administratif. Cette radiation entraîne la liquidation du bilan et du hors‑bilan de la succursale. Sur ce point, l’étude d’impact (page 308) précise que « lextension à larticle L. 53250 des dispositions applicables aux succursales dentreprise dinvestissement de pays tiers justifie lintroduction dun pouvoir de sanction et de radiation ».

Lalinéa 46 étend le pouvoir réglementaire spécialisé du ministre de léconomie, assorti d’un avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières, à la définition de la réglementation applicable aux succursales d’entreprises d’investissement de pays tiers.

Lalinéa 47 intègre expressément ces succursales dans le champ de la compétence générale de lACPR ([118]) en matière, notamment de stabilité du système financier. En effet, selon l’étude d’impact (page 308), alors que les succursales de pays tiers d’entreprises d’établissement de crédit sont assimilées à ces mêmes établissements et sont donc de jure incluses dans le champ de la supervision par l’ACPR, « les succursales de pays tiers dentreprises dinvestissement doivent être expressément mentionnées pour permettre leur supervision par lACPR. Cela résulte des dispositions de la directive MIF 2 qui institue de manière spécifique le statut de succursale de pays tiers dinvestissement. »

Lalinéa 48 soumet ces succursales aux dispositions relatives aux mesures de prévention et de gestion des crises bancaires. Selon l’étude d’impact, elles sont déjà soumises à la directive « BRRD » ([119]) , Bank Recovery and Resolution, relative au redressement et à la résolution des banques.

G.   L’INSTAURATION D’UNE DISPENSE TEMPORAIRE D’AFFILIATION AU RÉGIME OBLIGATOIRE DE RETRAITE pour les « impatriÉs »

Les alinéas 55 à 65 tendent à prévoir cette dispense. Selon l’étude d’impact (page 302), « le coût des cotisations vieillesse représente un différentiel de compétitivité important par rapport à d’autres places financières européennes qui opèrent un plafonnement des cotisations sociales à partir d’un certain niveau de salaire ».

Le régime de cette dispense serait fixé à l’article L. 767-2 du code de la sécurité sociale. Les « salariés appelés de létranger à occuper un emploi en France », qui remplissent certaines conditions, ou « impatriés », pourraient ainsi « demander, sur démarche conjointe avec leur employeur, à ne pas être affiliés auprès des régimes obligatoires de sécurité sociale français en matière dassurance vieillesse de base et complémentaire ». Selon le Gouvernement, la demande doit être formulée de manière conjointe par l’employeur et le salarié « afin déviter quun employeur nimpose ce choix à son salarié et que celui-ci ne souvre pas de droit ».

Selon l’étude d’impact (page 305) « le régime envisagé cible les salariés quelle que soit leur nationalité » qui satisfont aux conditions d’affiliation à la sécurité sociale française ([120]) et aux conditions dont est assorti le dispositif proposé.

La possibilité dobtenir cette exemption est en effet soumise à plusieurs conditions :

– le salarié doit justifier d’une contribution minimale versée par ailleurs au titre de leur assurance vieillesse (alinéa 59) ;

– il ne doit pas avoir été affilié au cours des cinq années précédentes à un régime français obligatoire d’assurance vieillesse sauf pour des « activités accessoires de caractère saisonnier ou des études » (alinéa 60) ; cette condition vise à limiter les risques de « fausse expatriation », selon l’expression retenue dans l’étude d’impact ;

– l’exemption, accordée par le directeur de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) compétente (alinéa 61) ne peut être accordée qu’une seule fois pour le même salarié, pour trois ans, et n’est renouvelable qu’une fois (alinéa 62). En effet, selon l’étude d’impact, la limitation dans le temps du dispositif contribue à en « justifier le caractère dérogatoire ».

Lalinéa 63 précise que la période couverte par cette exemption n’ouvre droit à aucune prestation d’un régime français d’assurance vieillesse, ceci afin d’éviter la constitution de « droit gratuit à retraite » pendant la période de dispense.

Lalinéa 64 dispose que si les inspecteurs des URSSAF constatent que l’une de ces conditions est méconnue, l’exemption est annulée et l’employeur doit verser « une somme égale à une fois et demie le montant des contributions et cotisations qui auraient été dues si le salarié navait pas bénéficié de lexemption ».

Selon l’étude d’impact, ce dispositif est constitutionnel car les « impatriés hors UE peuvent être considérés comme étant dans une situation spécifique au regard des régimes de retraite, dès lors quils ne sont pas soumis aux règlements européens en matière de sécurité sociale, quils ne travaillent en France que pour une période limitée et ne bénéficieront pas du régime à lissue de cette période ». Or, « lattractivité du territoire français » constitue selon le gouvernement un motif d’intérêt général de nature à justifier une différence de traitement au regard du droit français de la sécurité sociale.

Enfin, lalinéa 65 renvoie à un décret l’application de ces dispositions législatives et notamment, la « contribution minimale » versée au titre de l’assurance vieillesse. Selon les indications complémentaires du gouvernement demandées par votre rapporteur, le montant de cette contribution sera fixé « de manière à ce que cette contribution ne soit pas symbolique », ceci afin d’éviter les contournements du dispositif par des systèmes étrangers qui seraient notoirement insuffisants en termes de droits acquis. Elle ne saurait non plus être « exactement équivalente » à ce que le salarié devrait acquitter dans le système français : cela viderait la mesure de son effet.

H.   LES DISPOSITIONS D’HARMONISATION DU CODE DU TRAVAIL ET DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER en matière de fonds communs de placement d’entreprises

Plusieurs alinéas tendent enfin à harmoniser plusieurs articles du code du travail et du code monétaire et financier.

En premier lieu, les alinéas 66 et 67 répercutent, à l’article L. 3334-12 du code du travail, la possibilité prévue à l’article L. 214-164 du code monétaire et financier, pour les PERCO, de prévoir l’acquisition de parts de FCP d’entreprise qui détiennent jusqu’à 10 % de titres non cotés sur un marché réglementé ou jusqu’à 10 % de titres de l’entreprise qui a mis en place le plan (ou de sociétés qui ont des liens financiers et économiques avec elle), et non plus 5 %.

En deuxième lieu, l’alinéa 8 consiste en sens inverse à mettre en cohérence le code monétaire et financier avec l’article L. 3332‑17 du code du travail. Ainsi, il répercute à l’article L. 214‑164 le droit d’un FCP d’entreprise d’acquérir des parts d’organismes de placement collectif immobilier (OPCI) en précisant que la limitation exposée ci-dessus ne concerne pas les parts et actions d’OPCI.

Enfin, l’alinéa 68 procède à la même transcription à l’article L. 3334‑12 du code du travail.

III.   La position de la commission spÉciale

Aujourd’hui, dans un contexte de libre circulation des capitaux et de concurrence accrue, la compétition mondiale est vive entre les places financières nationales pour attirer les activités financières. Celles‑ci sont en effet des activités à haute valeur ajoutée, source de croissance économique, qui créent des emplois qualifiés et qui contribuent à financer l’économie et à assurer l’indépendance financière de la Nation. Les États sont donc naturellement portés à prêter une attention particulière à leur localisation.

Une place financière peut se définir comme un lieu où des investisseurs, des émetteurs, des intermédiaires financiers ou encore des spécialistes (juristes, fiscalistes, informaticiens, analystes financiers, etc.) se rencontrent et se rendent mutuellement des services. Elle se renforce par des effets dagglomération et des externalités positives. Ces effets résultent de plusieurs facteurs : concentration géographique d’une main-d’œuvre qualifiée, environnement législatif et réglementaire flexible et attractif, maîtrise des nouvelles technologies, offre et demande d’une taille suffisante, infrastructures de marchés solides et intégrées ou encore autorité de régulation crédible.

Certains avantages concurrentiels d’une place financière sont « donnés » à court terme car liés à l’histoire ou la situation géopolitique ; mais les pouvoirs publics, par une action volontariste, peuvent aussi favoriser le développement dun système de services financiers complet et attractif afin denclencher un cercle vertueux. Cette préoccupation est extrêmement actuelle dès lors qu’avec le Brexit et les potentielles délocalisations en provenance de la City londonienne vers le continent, la hiérarchie des places financières européennes (Paris, Francfort, Luxembourg…) n’est pas figée.

Votre rapporteur est donc favorable à cet article qui contient de nombreuses mesures destinées à accroître lattractivité internationale de la Place financière de Paris et à stimuler son développement.

Notamment, lintroduction dune dérogation à linterdiction de lanatocisme ou capitalisation des intérêts. En cas de Brexit « dur », c’est-à-dire sans accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, il deviendrait impératif de publier un nouveau contrat type pour les marchés de produits dérivés dans un droit de l’UE. Or, l’ISDA a, à ce jour, émis deux contrats types : un en droit irlandais (quasi identique au droit anglais, droit anglo‑saxon) et un en droit français.

Selon les spécialistes auditionnées par votre rapporteur, le contrat type de droit anglais existe depuis vingt‑cinq ans et est très connu des opérateurs : le contrat de droit français doit donc différer le moins possible du contrat de droit anglais. Or, cette restriction relative à l’anatocisme n’existe pas en droit anglais et la capitalisation des intérêts correspond en outre à un usage ancien et établi sur les marchés. Votre rapporteur précise que cette exception ne remet pas en cause la règle s’agissant des crédits, qui sont sa raison d’être. Le même raisonnement est applicable pour lélargissement des opérations éligibles à la résiliationcompensation.

L’ouverture des SMN et des SON à la négociation des titres de créance négociables à court terme (NEU CP – Negotiable EUropean Commercial Paper) et à moyen terme (NEU MTN – Negotiable EUropean Medium Term Note) permettra, selon votre rapporteur, de contribuer à diversifier les sources de financement des sociétés émettrices et d’élargir les supports de placement disponibles pour les investisseurs.

Votre rapporteur soutient aussi la modernisation du régime juridique des organismes de placement collectif (OPCVM et organismes de financement).

Cet article comporte également d’utiles mesures relatives aux pouvoirs de l’AMF. La commission spéciale a adopté plusieurs amendements pour compléter encore les pouvoirs de lAMF.

En premier lieu, elle a adopté un amendement de votre rapporteur qui affirme la compétence de l’Autorité des marchés financiers sur les agences de notation et sur les certificateurs des labels des instruments de titrisation. Cette clarification juridique vise à assurer l’effectivité du droit de l’Union européenne et à favoriser le développement de ces activités en France.

En second lieu, elle a adopté un amendement de Mme Bénédicte Peyrol et de plusieurs membres du groupe La République en Marche, sous amendé par votre rapporteur, pour qu’il soit prévu dans le code monétaire et financier que lAMF veille à la qualité de linformation fournie par les investisseurs sur leur stratégie « bas carbone » et sur celle de gestion des risques liés aux effets du changement climatique. En effet, votre rapporteur est conscient de l’importance des impacts macroéconomiques des changements climatiques mais a souhaité préciser, en concertation avec l’AMF, que la définition de méthodologies précises relevait plutôt du niveau européen.

La commission spéciale a aussi adopté deux amendements proposés par le Gouvernement :

– l’un vise à prévoir que lexemption accordée aux « impatriés » entre en vigueur de manière rétroactive le 11 juillet 2018, date de l’annonce par le Premier ministre de la mesure et que les cotisations versées entre cette date et l’entrée en vigueur de la loi sont annulées ;

– le second étend le « passeport européen » de commercialisation des fonds français aux pays de l’Espace économique européen (EEE).

La commission a par ailleurs adopté plusieurs amendements rédactionnels proposés par votre rapporteur.

*

*     *

La commission est saisie de l’amendement de suppression CS1501 de M. François Ruffin.

M. Adrien Quatennens.  Nous proposons de supprimer cet article qui vise à attirer les financiers de la City à Paris. Cette danse du ventre ne date pas d’hier. Une des premières mesures du Gouvernement a été de supprimer l’extension de la taxe sur les transactions financières – TTF – aux transactions infra-quotidiennes, alors même que ces opérations sont purement spéculatives. Ensuite, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, le Gouvernement a décidé de faire un nouveau cadeau à la finance en supprimant la taxe sur la dernière tranche des salaires pour les banquiers et les assureurs, pour un montant estimé par le Canard enchaîné à 300 millions d’euros.

Cet article contient de nouveaux cadeaux. Au-delà de la modification de certaines règles sur les produits dérivés,  il dispense temporairement d’affiliation au régime obligatoire de retraite les salariés qui seraient relocalisés en France et exclut les bonus récupérables du calcul de l’indemnité́ de licenciement. Seul point positif, il vise à renforcer les pouvoirs de l’AMF permettant de suspendre les marchés en cas d’événement exceptionnel.

Cet article vise clairement à faire la cour à la finance ; opposés à cette logique, nous en demandons la suppression.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’article 23 comporte des mesures qui visent à accroître l’attractivité de de la place de Paris. Il ne s’agit pas, évidemment, de livrer le territoire national aux mains de traders assoiffés de profit, mais de profiter de cette opportunité pour consolider ce secteur qui représente en France 870 000 emplois et 4,5 % de la valeur ajoutée.

Je ferai deux remarques sur la présentation de M. Quatennens. Bien évidemment, le régime des « impatriés » ne concerne pas que les professionnels de la finance, mais tous les salariés. Par ailleurs, les établissements financiers pourront mieux contenir les risques pris par les traders qu’ils emploient puisqu’ils seront autorisés à récupérer les bonus, dès lors que la performance de moyen terme n’aura pas atteint les objectifs fixés. Cette disposition est donc souhaitable. Avis défavorable.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Monsieur Quatennens, cela n’a rien à voir avec la danse du ventre : c’est une compétition globale. Il est vrai que les grandes métropoles sont aujourd’hui en concurrence, et nous devons faire tout notre possible pour développer l’activité économique de manière équilibrée. Ce n’est pas la danse du ventre, ce n’est pas davantage un tango : c’est un article équilibré, qui, s’il produit ses effets, attirera des salariés en France –  qui paieront des cotisations sociales et des impôts – mais créera aussi de l’activité économique. On peut être d’accord pour ne pas être d’accord… il me semble cependant que le Brexit ne doit pas être qu’une crise européenne, mais aussi une opportunité pour la place de Paris.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Soyez convaincus que le Gouvernement soutient son effort pour promouvoir l’attractivité de la place de Paris. Ce secteur mérite qu’on l’aide à rester au premier plan des places financières européennes, à créer des emplois et de l’activité, de la richesse sur notre territoire. Notre objectif est de disposer d’un écosystème de financement absolument unique en Europe, qui soit favorable au maintien de tous les types d’entreprises et de leurs centres de décision en France.

Nous sommes en passe de l’atteindre, puisque nous avons reçu ces dernières semaines, de la part d’acteurs variés, beaucoup de signaux positifs sur le choix de Paris comme localisation. Nous souhaitons que la crédibilité de notre action s’inscrive dans la durée avec ces nouvelles mesures.

M. Adrien Quatennens. Cet article et vos arguments révèlent encore bien des points de désaccord. Par ce dispositif, vous faites bien la danse du ventre aux marchés financiers. J’entends l’argument selon lequel la finance crée des emplois, notamment de traders. Mais puisqu’il vous est possible d’évaluer le nombre d’emplois créés par la finance, vous devriez pouvoir déterminer le nombre d’emplois détruits par les exigences et les appétits sans bornes de la finance !

Vous le savez, les marchés financiers exigent régulièrement des taux de rendement à deux chiffres, qu’aucune entreprise ne peut décemment produire, au risque de mettre en péril son propre équilibre. En vingt ans – la temporalité souvent utilisée par Bruno Lemaire pour ses explications –, les dividendes ont explosé, dépassant les 200 %. La finance détruit les emplois, mais vous lui déroulez le tapis rouge. Nous préférerions que vous réserviez cet honneur à l’industrie. Pas n’importe laquelle, bien sûr : nous avons parlé de planification écologique, plus adaptée aux enjeux du XXIe siècle. C’est, rappelons-le, l’objectif fixé par le projet de loi PACTE.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CS2258 du rapporteur.

Puis elle en vient à l’amendement CS2242 du rapporteur.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. À la suite de la crise financière de 2008, le Parlement européen a pris des règlements pour encadrer le fonctionnement des marchés financiers, notamment en matière d’agences de notation de crédit et d’encadrement de la titrisation, dont nous savons qu’elle était à l’origine d’une partie de la crise.

Cet amendement vise à assurer que l’Autorité des marchés financiers (AMF) demeure l’autorité nationale compétente dans la mise en œuvre de ces deux règlements. Il permet de garantir la continuité de l’information sur les agences de notation, entre l’AMF et l’Autorité européenne des marchés financiers, et de désigner l’AMF comme autorité compétente pour la certification des labels des instruments de titrisation.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suis favorable à cette initiative, qui permettra de renforcer l’attractivité de la place de Paris et d’attirer de nouveaux acteurs, dont les organismes labellisateurs de titrisation, ainsi que de sécuriser les moyens d’action du régulateur dans des secteurs importants pour l’activité financière.

La commission adopte l’amendement CS2242.

Elle examine ensuite l’amendement CS2088 de Mme Bénédicte Peyrol.

M. Laurent Saint-Martin. Cet amendement vise à moderniser les missions de l’AMF, en lien avec la volonté politique de faire de Paris la capitale de la finance verte. Cet amendement précise les fonctions de veille et de pilotage de l’AMF, en matière d’évaluation de la stratégie bas-carbone des investisseurs et des risques liés aux effets du changement climatique. Afin de mieux prendre en compte les normes ISO et le rapport de la TCFD (Task Force on Climate-related Disclosure), elle pourrait, selon son souhait, définir elle-même des critères quantitatifs et qualitatifs.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je salue cette initiative visant à verdir les missions de l’AMF. Je vous propose, cependant, par le sous-amendement CS2373, de restreindre la proposition à sa première partie, en confiant à l’AMF le soin de veiller à la qualité de l’information fournie par les investisseurs sur leur stratégie bas-carbone et de la gestion des risques liés aux effets du changement climatique, le domaine de l’évaluation et des méthodologies se situant hors de ses compétences actuelles. Avis favorable, à condition que vous acceptiez mon sous-amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Nous pensons également que l’AMF a vocation à jouer un rôle accru dans les questions de finance verte. Mais, dans sa rédaction actuelle, l’amendement nous pose des difficultés, relativement au champ de compétences de l’AMF et à sa capacité à établir des référentiels et des méthodologies, qui nous semblent relever plutôt des compétences de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Avis de sagesse, sous réserve de l’adoption du sous-amendement du rapporteur.

M. Charles de Courson. C’est un amendement intellectuellement intéressant. Mais il se heurte au problème du contrôle des informations. Comment l’AMF peut-elle veiller à la qualité de l’information fournie par les investisseurs sur leur stratégie et porter une appréciation ? Cela me paraît extrêmement difficile. De la même façon, s’agissant de la gestion des risques, est-ce que l’AMF dispose de la technicité nécessaire pour porter une appréciation sur la pertinence d’une stratégie bas-carbone ? Je ne vois pas très bien comment elle peut s’en sortir. D’ailleurs, avons-nous l’avis de l’AMF sur cette question ? Est-elle capable techniquement d’apprécier une stratégie et d’évaluer une gestion des risques ?

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Monsieur de Courson, vous avez raison de soulever ces problèmes éventuels que nous avons portés à la connaissance du président de l’AMF. Il nous a répondu que, sous réserve de la suppression des missions d’évaluation et de construction des méthodologies, la première partie de l’amendement était dans leurs cordes.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Si l’on veut verdir, rendre plus écologique, l’ensemble de nos activités, cela se traduira par plusieurs changements, y compris dans les instances qui suivent les institutions financières. Il faut que toutes les institutions de régulation, de suivi et de contrôle puissent intégrer les enjeux de la stratégie bas-carbone, pour que tout le monde aille dans le même sens, celui de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

M. Laurent Saint-Martin. Monsieur de Courson, l’AMF réalise déjà des évaluations qualitatives des investisseurs. Ce ne serait donc pas nouveau d’analyser leur stratégie bas-carbone. Ce qui serait nouveau, ce serait de lui proposer de choisir elle-même les critères quantitatifs et qualitatifs les plus pertinents. J’entends bien ce que propose le rapporteur et suis d’accord pour voter son sous-amendement. En revanche, s’agissant de l’agence, madame la secrétaire d’État, il faut faire preuve de vigilance, dans la mesure où nous parlons de finance verte et du comportement d’investisseurs, soit un champ très spécialisé qui ne concerne pas du tout l’ADEME. Quant à faire remonter cette question au-delà du niveau national à celui de l’Autorité européenne des marchés financier, c’est un débat que nous devrons avoir.

La commission adopte le sous-amendement CS2373.

Elle adopte ensuite l’amendement CS088 sous-amendé.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS2259 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CS2388 du Gouvernement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Cet amendement d’ordre technique permettra d’appliquer, de manière rétroactive, la dispense d’affiliation à l’assurance vieillesse, annoncée par le Premier ministre le 11 juillet dernier, pour des personnes qui viennent de se réinstaller à Paris.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cet amendement vient répondre à une forte attente de la place de Paris. Une telle mesure est de nature à rassurer et à faciliter la prise de décision des employeurs qui souhaiteraient faire venir en France, dès aujourd’hui, des personnels actuellement au Royaume-Uni. Avis favorable.

M. Charles de Courson. Cette affaire me laisse perplexe ! Nous avons déjà eu un grand débat, lors de la création du régime des impatriés, lequel permet à des Français expatriés de retour de bénéficier de certaines dispositions fiscales, pour savoir si ce régime était contraire ou pas au principe d’égalité entre les citoyens au regard de l’impôt. Et voilà qu’on continue ! Certes, ces impatriés ne sont pas sans couverture vieillesse, s’ils ont une couverture dans le pays d’où ils viennent. Mais s’il n’y a pratiquement aucune couverture dans ces pays, cela veut dire qu’on crée une catégorie de Français qui s’auto-assurent, en quelque sorte, pour une durée de trois ans, renouvelable une fois, c’est-à-dire pendant six ans. Que va-t-il se passer s’ils repartent à l’étranger tous les six ans, avant de revenir ? Votre mesure va trop loin.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je tiens à préciser qu’il est demandé aux impatriés de justifier d’une contribution minimale, versée au titre de leur assurance vieillesse, en parallèle de laquelle ils cotisent pour toutes les autres formes d’assurances. L’amendement du Gouvernement ne vise qu’à avancer la date à partir de laquelle les impatriés peuvent bénéficier de ce régime, en amont de la promulgation de la loi, au 11 juillet 2018. Il ne change en rien l’esprit de l’article, mais modifie seulement la date de son entrée en vigueur.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Les dispositions proposées dans le projet de loi permettent aux impatriés d’être dispensés de souscrire à l’assurance vieillesse en France, à condition qu’ils aient souscrit, par une contribution minimale, à une autre assurance vieillesse. L’idée n’est donc pas de leur faire un cadeau fiscal, mais de leur permettre de ne pas s’assurer deux fois pour leur retraite.

La commission adopte l’amendement CS2388.

Puis elle examine l’amendement CS1696 de Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet. Avec l’article 23, nous voulons encourager les mobilités professionnelles. Nous nous souvenons tous de l’appel du Président Macron pour faire venir les talents et favoriser l’impatriation de chercheurs ou d’entrepreneurs. S’agissant de la finance, il n’y a pas que les entreprises qui sont acteurs, mais également d’autres organismes : des associations, des corporations ou des mutuelles, qui offrent des produits financiers, notamment des assurances-vie ou des fonds d’investissement. Je souhaite que tous ces organismes puissent bénéficier de toutes les facilités accordées dans ce domaine, comme l’exemption d’affiliation.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Givernet et ajouterai à sa liste le cas des universitaires qui veulent revenir en France. Cela dit, cet amendement nous semble satisfait, dans la mesure où les dispositions relatives à l’impatriation concernent tous les employeurs et, partant, tous les employés, quels que soient leur secteur et leurs caractéristiques. Je suggère de retirer l’amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suggère également à Mme Givernet de retirer son amendement. Notre objectif est de limiter cette possibilité aux entreprises et aux cadres les plus mobiles. La rédaction doit être précise, afin d’éviter une extension déraisonnable de l’exception.

Mme Olga Givernet. Si j’ai bien entendu le rapporteur, je n’ai pas tellement compris, Madame la secrétaire d’État, de quelle extension déraisonnable voulez-vous parler ? Je retire mon amendement.

L’amendement CS1696 est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CS2263 et CS2264 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CS2387 du Gouvernement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Cet amendement vise à élargir aux pays de l’Espace économique européen, au Liechtenstein, à l’Islande et à la Norvège le passeport européen prévu par la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs (directive AIFM).

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cette mesure est de nature à favoriser le rayonnement de la place de Paris et à stimuler à terme l’activité et l’emploi. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement CS2387.

Puis elle adopte l’article 23 modifié.

Article 24
(article L. 621101 et L. 621102 [nouveau] du code monétaire et financier)
Procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’Autorité des marchés financiers

A.   l’État du droit

En l’état actuel du droit, en application de l’article L. 621‑10 ([121]) du code monétaire et financier, les agents de l’Autorité des marchés financiers (AMF) habilités à conduire les enquêtes qu’elle ordonne peuvent se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électroniques, les fournisseurs d’accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service.

Le Conseil constitutionnel a cependant considéré, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont il était saisi, que « le législateur n’a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions » ([122]) .

En conséquence, est considérée comme inconstitutionnelle la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 621‑10 du code monétaire et financier. Toutefois, le Conseil a reporté les effets de cette abrogation au 31 décembre 2018.

B.   le dispositif proposÉ

● Le dispositif proposé tend à introduire un nouvel article L. 621‑10‑2 dans le code monétaire et financier qui doit s’appliquer après l’abrogation des dispositions actuellement en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018.

Il propose ainsi une procédure qui permet aux enquêteurs de l’AMF, dans le cadre d’une enquête en matière d’abus de marché (opérations d’initié, manipulations de cours ou diffusion de fausse information) d’obtenir communication de données techniques de téléphonie et de communication, à l’exclusion de celles relatives au contenu des communications (alinéa 2).

Cette communication doit faire l’objet d’une autorisation préalable par une autorité administrative indépendante unipersonnelle, le « contrôleur des données de connexion » (alinéa 3), saisi par le secrétaire général adjoint de l’AMF (alinéa 7). Il est nommé par décret parmi les membres du Conseil d’État ou les magistrats de la Cour de cassation (alinéa 4), est relativement inamovible (alinéa 5) et indépendant, puisqu’il est soustrait à toute hiérarchie administrative (alinéa 6).

Plusieurs garanties sont en outre prévues dès lors que l’utilisation des données est strictement cantonnée à l’enquête (alinéa 9), que les données sont détruites dans des délais précisément encadrés (alinéas 10 et 11) et qu’elles sont transmises au procureur de la République en cas de procédure judiciaire (alinéa 12).

Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a ainsi estimé que ce dispositif instaure « un régime présentant des garanties suffisantes, conformes aux exigences constitutionnelles ainsi qu’à celles relevant du droit de l’Union européenne en matière de respect du droit à la vie privée ».

● Toutefois, ainsi que le note la rapporteure à l’Assemblée nationale Mme Émilie Carriou sur le projet de loi relatif à la lutte contre la Fraude, dans son rapport fait au nom de la commission des finances, « compte tenu du décalage de calendrier du projet de loi PACTE, il est peu probable que ce texte puisse répondre à temps à la décision d’inconstitutionnalité, pourtant reportée de près de dixhuit mois. Or, il apparaît indispensable de respecter la décision du Conseil constitutionnel, afin de sécuriser juridiquement la situation. »

En conséquence, la commission des finances a adopté un amendement de son rapporteur général, M. Joël Giraud, pour introduire un nouvel article 4 nonies au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, qui reprend in extenso le dispositif de l’article 24 du projet de loi « PACTE ».

Il pourrait donc probablement entrer en vigueur par ce véhicule législatif avant une adoption définitive du présent projet de loi.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur considère que la procédure prévue par cet article pour la communication de données de connexion en matière d’enquête sur des abus de marché constitue un équilibre satisfaisant entre l’objectif de lutte contre ces abus et le respect de la vie privée, garanti par l’instauration d’une autorité administrative unipersonnelle indépendante. Toutefois, cet article ayant été introduit par amendement additionnel dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, devrait entrer en vigueur avant l’adoption définitive du présent projet de loi.

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La commission examine l’amendement CS1503 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Le Gouvernement, dans cet article, propose que ce soit une autorité administrative qui délivre l’autorisation permettant à l’AMF de se faire communiquer les « fadets » par les opérateurs téléphoniques. Nous proposons que cette opération reste le fait d’un juge. L’AMF a fréquemment recours à cet outil. En 2016, elle a procédé à 2 251 demandes auprès des opérateurs téléphoniques. Ces demandes ont concerné trente enquêtes sur un total de quarante-deux enquêtes en cours, soit 71,4 %. Au prétexte que les réponses doivent être rapides, le Gouvernement souhaite confier l’autorisation à une administration et non à la justice. Nous ne voyons pas d’autres raisons que le manque de moyens de la justice pour expliquer ces délais de réponse plus longs. C’est pourquoi, plutôt que de transférer ce droit à une autorité administrative, nous proposons d’allouer plus de moyens à la justice et de confier la responsabilité à un juge.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je tiens à préciser, en tant que commissaire aux finances, que, même si vous le jugez sans doute insuffisant, nous faisons déjà un effort important cette année pour le budget de la justice.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La commission des finances, dans sa grande générosité, a déjà adopté des dispositions similaires à l’article 24, dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, afin que cette disposition entre en vigueur au plus tard le 31 décembre 2018 et que les enquêtes puissent être menées à bien. Concernant votre suggestion, Monsieur Quatennens, largement discutée en commission des finances, d’une part, le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a considéré que le dispositif satisfaisait à toutes les exigences constitutionnelles et européennes en matière de protection de la vie privée ; d’autre part, il faut rappeler que le contrôleur désigné pour vérifier que le transfert d’information ne porte pas atteinte à la vie privée sera nommé parmi les membres du Conseil d’État ou les magistrats de la Cour de cassation et travaillera en toute indépendance, garantissant ainsi que les exigences en matière de protection de la vie privée seront préservées. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le rapporteur a très bien expliqué les motivations de cet article et justifié la solution qui a été retenue, après un examen attentif du Conseil d’État. Avis défavorable.

Mme Laure de La Raudière. Le sujet des « fadets », qui permet de tracer les communications entre les individus, est extrêmement sensible. Même sans le contenu des communications, on peut savoir beaucoup de choses sur les comportements des intéressés. Il est admis que les métadonnées permettent en fait d’en dire autant que le contenu d’une écoute.

J’aurais voulu savoir si confier cette demande d’autorisation à l’Autorité des marchés financiers représente une exception ou s’il y a d’autres cas, dans notre législation, où une autorité administrative dispose d’une telle autorisation et pour quelles raisons. L’article 24 impose une exception très importante à notre principe de respect de la vie privée et des libertés individuelles.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Madame de La Raudière, vous avez peut-être raison, il faudra le vérifier. Cela dit, les possibilités de transmission des « fadets » à l’AMF sont réservées aux manquements les plus graves, comme les abus de marché ; leur conservation est limitée dans le temps ; l’AMF a interdiction de les utiliser à d’autres fins ; enfin, le transfert des « fadets » est contrôlé par le contrôleur des données de connexion, une entité administrative indépendante, constituée par un membre du Conseil d’État ou un magistrat de la Cour de cassation. C’est sans doute cet ensemble de garanties qui a conduit le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, à ne pas relever de problème d’atteinte au respect de la vie privée.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Nous avons voulu que le dispositif, qui a été conçu de façon ad hoc, soit très encadré. Madame de La Raudière, je n’ai pas connaissance d’autres cas de ce type. Mais nous pourrons vous répondre plus précisément bientôt, si vous êtes intéressée par ce sujet.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 24 sans modification.

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Après l’article 24

Elle en vient à l’amendement CS2149 de M. Dominique Potier.

M. Boris Vallaud. Le 24 janvier 2017, l’Agence France Trésor a lancé sa première obligation souveraine verte, l’obligation assimilable du Trésor (OAT) verte, avec un taux de 1,75 % et une maturité au 25 juin 2039, pour un montant de 7 milliards d’euros. En devenant le premier État au monde à émettre un emprunt vert pour une taille de référence, la France a ainsi confirmé son engagement dans la mise en œuvre des accords de Paris sur le climat de décembre 2015.

Afin de poursuivre cette dynamique, au moment où elle est contestée, et d’asseoir la position de la France en matière de finance verte, cet amendement propose qu’un décret définisse une fraction minimale d’obligations souveraines vertes dans le total des émissions annuelles. Cette mesure permet tout à la fois que l’émission de janvier 2017 ne demeure pas unique et que l’État soit incité à développer des actions éligibles à de tels produits.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’intention étant très noble, nous aurions envie de voter l’amendement des deux mains. Cela dit, il existe des obstacles de faisabilité technique, ainsi que d’évaluation du dispositif, qui nous poussent à vous demander de retirer votre amendement. L’Agence France Trésor doit disposer d’une forme de flexibilité dans son calendrier et la composition de ses émissions, que viendrait limiter très largement votre proposition, à laquelle elle est d’ailleurs fortement opposée.

Qui plus est, si la première émission, en 2017, de 7 milliards d’euros à vingt-deux ans, a été un franc succès, les obligations vertes ont pour contrepartie des investissements verdissants de l’État et des mesures vertes, qui sont encore en cours d’évaluation. En effet, l’État doit rassurer les investisseurs et vérifier que ces dispositifs répondent aux objectifs. L’évaluation étant en cours, il faudra attendre de voir si le dispositif est bien opérationnel.

M. Boris Vallaud. Vous avez pu voir quelle a été notre prudence, en renvoyant la définition de la fraction à un décret auquel nous n’avons pas fixé de délai. Il pourra ainsi être pris au terme de l’évaluation à laquelle vous faites référence. Je me souviens que M. Nicolas Hulot se désolait de constater que, dans le grand plan d’investissement, il n’y avait que du recyclage budgétaire et que le plan sur la rénovation thermique ne disposait pas des crédits nécessaires à sa réussite. Nous enverrions collectivement un bon signal, en votant cet amendement. Le Gouvernement veillerait ensuite à sa bonne mise en œuvre, en assurant la souplesse nécessaire à l’Agence France Trésor et en offrant les délais appropriés à l’évaluation avant de prendre le décret. Sur de tels sujets, il n’est pas possible d’être en permanence dans l’esquive et la réponse technique.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Nous pouvons adhérer à l’objectif politique d’augmenter la fraction du programme d’émissions de l’État consacrées à des obligations vertes. En revanche, la traduction juridique proposée nous semble contraignante et dangereuse, en créant un risque d’incompatibilité entre les dépenses vertes éligibles, qui doivent être la contrepartie de ces obligations. Il y a également un risque de tension entre l’offre et la demande, puisqu’il s’agit de garantir que ces obligations ne soient pas plus coûteuses pour l’État et qu’elles répondent bien à un marché animé.

Il faut avoir des objectifs ambitieux, mais les inscrire de cette façon dans la loi et dans des textes réglementaires représente une contrainte qui pourrait mettre en péril le programme de financement de l’État.

M. Boris Vallaud. Madame la secrétaire d’État, on ne peut pas systématiquement proclamer la convergence des objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique et se défausser à chaque fois qu’une mesure incitative, voire coercitive, est proposée. Vous nous dites que vous n’êtes pas sûre que ces obligations vertes iront vers des investissements verts : c’est précisément l’objet de l’amendement. Passons des mots à l’action.

M. Jean-Paul Mattei. Je trouve un peu dommage que l’on ne soutienne pas cet amendement, qui prévoit de fixer par décret la fraction minimale. Par ailleurs, il va tout à fait dans le sens de ce qu’il faut faire. Ce serait un signal positif de soutenir cet amendement qui n’est pas si contraignant.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je vous ai donné des arguments techniques, mais je peux aussi avancer un argument politique. L’orientation des actions de l’État en direction de la transition écologique ne doit pas se faire qu’à crédit : elle doit aussi se faire en utilisant efficacement le budget de l’État, sans avoir nécessairement à accroître les émissions de dette.

M. Adrien Quatennens. J’apporte mon soutien à cet amendement, dans lequel il n’est question que d’une « fraction minimale ». Ce n’est pas la mer à boire. Les enjeux climatiques sont les principaux défis auxquels nous devrons faire face au cours du XXIe siècle. Or, actuellement, dans votre projet de loi, il n’y a absolument rien en matière d’écologie. C’est un amendement de bon sens qui ne va pas très loin. N’hésitez pas, alors qu’une occasion vous est donnée.

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, je propose de définir une part verte parmi les obligations de l’État, et non pas de les augmenter de façon inconsidérée. Vous dites qu’on ne peut pas financer la transition écologique à crédit. Mais notre modèle productif actuel nous fait vivre à crédit depuis des années et des années, sur le dos de l’environnement. Il est temps d’en changer. Envoyons un signal, même modeste !

M. Charles de Courson. Parler d’une « fraction minimale, définie par décret » revient à donner une instruction au Gouvernement, puisque les émissions d’OAT sont considérées comme des opérations de trésorerie de sa seule compétence. L’amendement ne pose-t-il pas un problème constitutionnel, au regard de l’article 34 de la Constitution ? Ou alors serait-ce le Gouvernement qui se donnerait une directive à lui-même ? C’est un peu bizarre.

Par ailleurs, qu’est-ce qu’une OAT verte par rapport à une OAT non verte ? On la peint en vert, peut-être… Mais quelle est la différence technique ? Il y a une fongibilité totale des ressources pour financer le déficit budgétaire et refinancer une partie de la dette. Pourrait‑on m’apporter des précisions sur ces deux points ?

M. Roland Lescure, rapporteur général. S’agissant de votre première question, Monsieur de Courson, on me dit que la formulation de l’amendement ne relève pas de l’injonction. Il ne tomberait donc pas sous le coup de l’article 34. Je souhaite que l’endettement de l’État soit géré au mieux en fonction d’un certain nombre d’objectifs politiques, notamment celui d’émettre plus d’obligations vertes au fur et à mesure que le marché se développe et que l’on développe des investissements, mais aussi en fonction des conditions de marché. Vous savez bien, monsieur Vallaud, qu’il y a un cycle d’investissement et un cycle de marché, mais aussi une demande pour ce type de produits qui varie sur le marché.

S’engoncer dans un rythme annuel qui n’est pas nécessairement celui du marché risque de nous faire aller à l’encontre de ce que nous souhaitons tous : un endettement au moindre coût, le plus efficace possible et qui permette aussi de répondre à des objectifs politiques. Votre amendement repose sur une fausse bonne idée, dans la mesure où il risque de contraindre la politique d’émission et de nous conduire à être parfois contre-productifs, puisque nous nous retrouverions à devoir émettre des obligations vertes, alors que le marché n’y est pas prêt, à les faire payer plus cher et, d’une certaine manière, à montrer qu’elles ne fonctionnent pas.

Je souhaite que les émissions soient faites en toute transparence, selon des objectifs que le Gouvernement peut se donner régulièrement en fonction des conditions de marché, mais pas que l’on risque d’obérer un système encore en développement. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je maintiens cet amendement qui est juste et qu’il serait courageux de voter.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. On a reproché au Gouvernement de ne pas prendre suffisamment d’engagements et de ne pas prévoir suffisamment d’actions sur ce sujet. C’est faux. Nous sommes à l’avant-garde mondiale pour ce qui concerne ces outils de financement. Nous avons émis et réémis des obligations. Nous nous sommes engagés, lors du Climate Finance Day, à assurer la liquidité des souches que nous avons placées. Aujourd’hui, l’encours s’élève à 15 milliards d’euros. Nous sommes en train de faire émerger un marché, ce qui représente un véritable travail.

Nous mettre un carcan serait contre-productif, alors que nous sommes en train de montrer que nous sommes extrêmement volontaires et en pointe sur ce sujet. Nous devons continuer à être efficaces et à entraîner dans ce sillage des obligations vertes d’autres pays qui ont exprimé leur intérêt, sans être pour autant à un niveau tel que le marché se structure et la demande croisse.

Par ailleurs, nous voulons faire en sorte que le contenu des investissements verts à valoriser par le biais de telles émissions soit en proportion dans notre budget, pour lequel le Parlement sera à la manœuvre avec le Gouvernement.

M. Adrien Quatennens. Madame la secrétaire d’État, quand nombre d’acteurs de la vie politique, dont nous faisons partie, répètent que dans « capitalisme vert », le problème n’est pas la couleur, quand beaucoup vous alertent sur le mirage de la finance verte, quand, le week-end dernier, plus de cent trente marches se sont tenues dans les villes françaises pour demander à changer le système et non pas le climat, quand Nicolas Hulot démissionne, posant un diagnostic clair sur l’incompatibilité entre la rupture écologique que nous devrons faire et le libéralisme économique que vous poursuivez, qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Qu’est-ce qui manque de clarté, pour vouloir à ce point poursuivre la logique mortifère de la finance verte ? La finance ne peut pas être la solution dans son ensemble, pour la raison qu’elle est essentiellement le problème.

Mon collègue ne fait que vous demander un engagement minimaliste par rapport à ce qu’il conviendrait de faire. Je pense que voter cet amendement constituerait un bon signal.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Monsieur Quatennens, la marche pour le climat, vous n’en avez pas le monopole. Je sais qu’un nombre certain des députés présents dans cette salle y ont participé. Ils ont tous entendu les slogans qui allaient tous dans le même sens : celui de travailler ensemble pour affronter l’urgence de ce vrai défi. Dans les chapitres II et III du projet de loi, que vous avez lus en détail, il y a plusieurs mesures qui visent à verdir la finance, mais aussi à rendre les entreprises plus responsables vis-à-vis des enjeux environnementaux. Nous aurons de nombreuses occasions d’en discuter dans les heures qui viennent. Mais, pour l’heure, disons-nous vraiment les choses ! Avec une telle rédaction, le Gouvernement pourrait décider par décret de mettre 0,0001 % de ses émissions dans de la finance verte. C’est une fausse bonne idée.

La commission rejette l’amendement.

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Article 24 bis
(article L. 621-13-5 du code monétaire et financier)
Blocage de sites internet proposant des services d’investissement illicites dans des biens divers ou des offres irrégulières de financement participatif

L’article 74 de la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin2 » ([123]) , a conféré au président de l’AMF un pouvoir d'injonction à l'égard des opérateurs de services d'investissement en ligne exerçant irrégulièrement leur activité. Si l'injonction demeure inexécutée ou si l’offre reste accessible, il peut saisir le président du tribunal de grande instance de Paris, pour demander l'arrêt du service.

La commission spéciale a adopté un amendement du Gouvernement qui étend cette procédure de blocage aux sites proposant des investissements dans les biens divers ou des offres irrégulières de financement participatif.

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La commission examine l’amendement CS2317 du Gouvernement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Cet amendement vise à capitaliser sur une mesure très efficace permettant à l’AMF de bloquer des sites internet proposant aux épargnants des offres frauduleuses. Cette mesure a largement fait ses preuves depuis sa mise en place, pour contrer certaines arnaques, sur le Forex et les options binaires. Il est en effet utile d’étendre cette faculté aux offres en biens divers et à celles de financement participatif illégales. Les offres en biens divers recouvrent dans certains cas les offres de crypto-actifs, promettant des rendements extravagants. Sur ce segment spécifique, où les investisseurs sont confrontés à des fraudes, qui décrédibilisent les acteurs sérieux et menacent certains épargnants non avertis, le renforcement des pouvoirs du superviseur apparaît indispensable.

Cette mesure est d’autant plus importante que nous souhaitons par ailleurs encourager le développement des activités présentant des garanties de sérieux et d’honorabilité, notamment dans le domaine des crypto-actifs, comme nous le verrons à l’article 26.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je tiens à saluer cet amendement anti-arnaques. Nous connaissons tous, pour l’avoir croisée au cours de nos navigations internet, cette arnaque avec la voix off d’un homme nous expliquant comment il était devenu millionnaire en moins de quinze jours. Ce type de site est désormais interdit. La même interdiction pourra désormais s’appliquer aux sites qui encouragent ce type de pratique pour les diamants et les crypto-actifs. Avis très favorable.

La commission adopte l’amendement. L’article 24 bis est ainsi rédigé.

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Article 24 ter
(article L. 62119 du code monétaire et financier)
Clarification rédactionnelle sur la saisine du médiateur de l’AMF

La commission spéciale a adopté un article additionnel de clarification rédactionnelle proposé par Mme Osson, relatif à la saisine du médiateur de l’AMF.

Le médiateur de l’AMF peut en effet être saisi par voie de réclamation pour exercer une mission de médiation dans le cadre des compétences de l’AMF.

L’amendement adopté vise à clarifier toute ambiguïté quant à la référence à l’article 2238 du code civil dans le code monétaire et financier. Il doit être clair qu’en application de cet article du code civil, la saisine du médiateur suspend la prescription de l’action civile et administrative, ce qui signifie qu’elle recommence à courir pour la durée restante, qui ne peut être inférieure à six mois, après que le médiateur a déclaré la médiation terminée.

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La commission examine ensuite l’amendement CS934 de Mme Catherine Osson.

Mme Catherine Osson. C’est un amendement de clarification rédactionnelle, qui vise à remplacer une virgule par un point, afin de remettre l’article L. 621-19 du code monétaire et financier en accord avec l’article 2238 du code civil relatif à la prescription.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je félicite Mme Osson pour l’élégance de son amendement. Avis favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vous félicite également, Madame Osson. Au-delà de son élégance, votre amendement est extrêmement utile pour corriger une erreur rédactionnelle qui méritait de l’être.

La commission adopte l’amendement. L’article 24 ter est ainsi rédigé.

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Article 25
(articles L. 3301, L. 4401, L. 4402 et L. 6122 du code monétaire et financier)
Infrastructures des marchés financiers

A.   l’État du droit

On regroupe, sous la catégorie des infrastructures de marché et post‑marché, des lieux de négociation indispensables au fonctionnement du système financier, qui sont supervisés, en France, par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

1.   Les chambres de compensation

● La chambre de compensation se situe en aval des négociations et en amont du règlement‑livraison. Elle a deux fonctions essentielles :

En premier lieu, elle a pour fonction de s’interposer entre ses adhérents compensateurs, qui sont les intermédiaires financiers qui règlent et livrent les transactions négociées. C’est la « novation ». Elle assume donc le risque de contrepartie en cas de défaillance. En cas de faillite d’un adhérent compensateur, la chambre prend à sa charge l’ensemble des obligations de celui-ci. Ainsi, la chambre de compensation rend le marché liquide et anonyme, et réduit au minimum le risque de contrepartie.

Pour garantir la crédibilité et la solidité financière de la chambre, elle prélève des marges auprès de ses adhérents pour couvrir le risque de perte. Ces derniers constituent également un fonds de garantie. Enfin, la chambre dispose de fonds propres.

Elle a également une fonction de simplification du règlement livraison, en calculant une position nette globale des transactions négociées sur le marché qu’elle compense, par adhérent compensateur et par titre financier ; cela permet de réduire considérablement les flux. C’est le « netting » : « en moyenne, 3 % des opérations seulement sont transmises au règlementlivraison. » ([124])

En France, c’est la chambre LCH.Clearnet SA qui assure la compensation multilatérale sur les marchés d’Euronext. Le recours à une chambre de compensation est essentiellement obligatoire pour les marchés de produits dérivés. Mais, en France, les règles de marché des marchés réglementés et d’Euronext Growth le prévoient ([125]). Cette activité est en outre régie par le droit dérivé de l’Union européenne, notamment le règlement « EMIR », European Market and Infrastructure Regulation ([126]). Elles sont qualifiées de « contreparties centrales » à l’article L. 440‑1 du code monétaire et financier.

● En application de cet article, les chambres de compensation doivent être agréées en tant qu’établissement de crédit, « par la Banque centrale européenne, sur proposition de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution après consultation de l'Autorité des marchés financiers et de la Banque de France. » Ce régime est propre au droit français. En effet, le règlement « EMIR » se contente d’exiger que les chambres de compensation soient des personnes morales, ce qui laisse les États membres libre de choisir les exigences supplémentaires qu’il convient de leur appliquer.

Cette exigence française est liée à une recherche de solidité financière et visait principalement à donner aux chambres accès aux facilités de crédit intra‑journalier. Toutefois, l’étude d’impact (page 337) note que « les chambres de compensation de l’UE disposent aujourd’hui d’un accès relatif à certains de ces outils sans que le statut d’établissement de crédit ne soit nécessaire. »

In fine, au sein de l’Union européenne, « seules l’Allemagne et la France imposent le statut d’établissement de crédit aux chambres de compensation ».

Les participants possibles à une chambre de compensation sont limitativement énumérés à l’article L. 440‑2. Ce sont notamment des établissements de crédit, des entreprises d’investissement, des organismes financiers internationaux et des banques centrales.

2.   Les systèmes de paiement, les dépositaires centraux et les systèmes de règlement‑livraison

● Le dépositaire central, en France Euroclear France, a également une double fonction.

Selon l’AMF :

– « il fait le lien entre les sociétés émettrices de titres financiers qui y déposent leurs titres, que ceux-ci soient admis ou négociés sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation ou non, et les intermédiaires financiers qui conservent ces titres pour le compte des investisseurs ou leur propre compte ; c’est la fonction de dépositaire central stricto sensu.

– il permet aux intermédiaires financiers de réaliser les opérations de livraison des titres financiers contre paiement à la suite des négociations ou des cessions réalisées sur ces titres. C’est la fonction de gestionnaire de système de règlement-livraison. »

Ce faisant, il vérifie en permanence que le nombre d’instruments financiers enregistrés aux comptes de ses adhérents correspond au montant total de chaque émission, ce qui évite tant la création artificielle que la disparition de titres.

● Selon l’étude d’impact (page 326), « les systèmes de paiement assurent le règlement interbancaire des paiements de détail de la clientèle des banques (CORE(FR) pour la France) ou des paiements de montant élevé entre institutions financières, traitant notamment des flux liés à la politique monétaire et aux règlements interbancaires (TARGET 2 dans la zone Euro) ». TARGET 2 est ainsi un système de paiement en euros, géré par l’Eurosystème, élaboré en liaison avec les dépositaires centraux.

Les systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison sont définis à l’article L. 330-1 du code monétaire et financier, qui fixe aussi les conditions d’accès à la qualité de participant à ces systèmes. Comme pour les chambres de compensation, peuvent y adhérer notamment des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, des organismes financiers internationaux et les banques centrales, ainsi que des adhérents à une chambre de compensation.

B.   le dispositif proposÉ

1.   La transposition de la directive « Finalité »

La directive « Finalité » ([127]) vise à supprimer le risque systémique inhérent aux systèmes, c’est-à-dire le risque que la défaillance d’une contrepartie n’entraîne la défaillance d’autres participants, voire du système lui‑même. En effet, elle garantit l’exécution des paiements entrés dans un système avant une faillite et fait obstacle à l’annulation rétroactive, par le juge de la faillite, de ces paiements. Elle permet ainsi aux paiements entrés dans le système de déroger au droit commun des faillites.

Continuous Linked Settlement (CLS) est un système de paiement multidevises soumis au droit anglais, notifié par la Banque d’Angleterre au titre de la directive « Finalité » ; il bénéficie ainsi des effets juridiques de la directive. Il effectue 51 % des règlements des opérations de change selon l’étude d’impact (page 337).

Cependant, dans la perspective du « Brexit », CLS deviendra un système de paiement d’un pays tiers. En conséquence, « les dispositions de la directive ne s’appliqueront plus au CLS en cas de faillite ou d’insolvabilité d’un participant français, ce qui peut conduire le système à refuser les participants français ». Les actuels participants européens, et notamment français, à ce système pourraient donc ne plus pouvoir y adhérer, du fait de l’insécurité juridique induite, CLS n’étant dans ce cas plus considéré comme un système au sens du droit français.

La sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne étant prévue le 29 mars 2019, CLS a demandé la transposition dans les pays concernés du Considérant 7 de la directive, qui permet aux États membres d’étendre la définition de système à des systèmes de pays tiers dans leur droit national. En effet, comme le remarque l’étude d’impact (page 328), « ce considérant autorise les États membres à appliquer les dispositions de la directive à leurs propres participants qui participent directement à un système de pays tiers et aux garanties constituées dans le cadre de cette participation. Dans ce cas, les règles de fonctionnement d’un système de paystiers continuent à s’appliquer aux transactions d’un participant de cet État membre même en cas d’insolvabilité de celuici. »

La Banque de France a attiré l’attention de votre rapporteur sur l’importance de cette transposition pour les banques françaises membres de CLS, « auquel il n’existe pas de système alternatif. »

En conséquence, les alinéas 1 à 7 et 10 procèdent à la transposition du Considérant 7 de la directive dans le code monétaire et financier. Ils tendent à y insérer des dispositions qui prévoient explicitement qu’un système « destiné à régler des opérations de change en mode paiement contre paiement et en monnaie de banque centrale », auquel participe un participant français, ce qui s’appliquerait au système CLS, constitue un système au sens du code dès lors qu’il est homologué par le ministre chargé de l’économie.

2.   L’assouplissement du statut des chambres de compensation

● Selon la Banque de France, la nécessité d’être agréée en tant qu’établissement de crédit « est perçue comme un frein à l’accueil d’un nouvel entrant sur le marché de la compensation en France ». L’étude d’impact (page 337) affirme que ce statut « pourrait nuire à l’attractivité de la Place de Paris ».

Ainsi, l’alinéa 13 remplace cette contrainte par un simple agrément par l’ACPR, après consultation de l’AMF et de la Banque de France.

Les alinéas 14 et 15 conservent cependant, « lorsque la nature, le volume ou la complexité de leurs activités le justifie » la possibilité pour l’ACPR d’exiger que des chambres de compensation demeurent soumises à l’agrément par la Banque centrale européenne en tant qu’établissement de crédit.

● Par ailleurs, les alinéas 20 et 21 affirment la compétence de l’ACPR sur les chambres de compensation, s’agissant de sa mission générale de veille à la stabilité du système financier. En effet, comme le relève l’étude d’impact (page 334), la compétence de l’ACPR sur les chambres de compensation découle en l’état actuel de leur agrément en tant qu’établissement de crédit. Il était donc nécessaire de les mentionner explicitement à l’article L. 612‑2 du code monétaire et financier pour que l’ACPR puisse continuer à être compétente pour toutes les chambres de compensation.

3.   L’élargissement des participants aux infrastructures de marché

Le projet de loi propose d’élargir le cercle des participants à un système de règlements interbancaires ou de règlement‑livraison d’instruments financiers (alinéas 8, 9 et 11) et à une chambre de compensation (alinéas 17 à 19) en soumettant cependant les nouveaux adhérents à plusieurs conditions :

– qu’ils soient supervisés par l’AMF, l’ACPR ou des autorités homologues de pays européens ;

– que leur adhésion n’aggrave pas le risque systémique ;

– qu’au moins trois participants au système ou à la chambre de compensation concernés entrent dans les catégories d’établissement de crédit, d’entreprise d’investissement, d’organismes publics ou d’entreprises contrôlées opérant sous garantie de l’État.

Ces conditions seront précisées par décret.

Cependant, le dispositif prévoit que la qualité d’adhérentcompensateur n’entraîne pas, par ellemême, la qualité de participant à un autre système, même géré par la chambre. Selon la Banque de France, l’absence d’automaticité entre l’adhésion à une chambre de compensation et l’adhésion à un autre système, notamment de dépositaire central, a pour objectif de ne pas fragiliser la position compétitive des teneurs de comptes conservateurs français, qui ne pourront ainsi pas être automatiquement contournés pour l’accès au dépositaire central de titres.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur accueille favorablement les dispositions contenues dans cet article qui permettront de développer l’activité de compensation en France et de faciliter la participation aux infrastructures de marché.

La commission spéciale a adopté un amendement défendu par votre rapporteur, pour étendre, au-delà du système « CLS », la directive « finalité » au système de paiements interbancaires britannique pour la livre sterling « CHAPS » et au système de règlement livraison des titres de créance et actions cotés au Royaume-Uni « CREST », pour lesquels les banques françaises n’ont pas non plus d’alternative après le Brexit.

Un sous-amendement du Gouvernement a été adopté pour préciser que les dispositions du code monétaire et financier relatives aux systèmes de règlements interbancaires ou de règlement et de livraison d'instruments financiers sont applicables à tous ces systèmes.

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La commission examine l’amendement CS2243 du rapporteur, qui fait l’objet d’un sous-amendement CS2386 du Gouvernement.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous abordons avec l’article 25 les charmes délicieux des infrastructures post-marché, que j’ai découvertes à l’occasion de l’examen de ce projet de loi.

Pour transférer leurs fonds ou ceux de leur clientèle les banques utilisent entre elles ce qu’on appelle des systèmes de paiement. Avec le Brexit, certains de ces systèmes basés à Londres vont cesser de reconnaître les institutions financières des autres pays européens comme des institutions appartenant à des pays amis, ce qui pourrait les conduire à refuser que ces institutions financières participent au système de paiement.

Anticipant cette difficulté, le texte propose des dispositions permettant aux sociétés françaises de continuer à participer à l’un de ces systèmes de paiement basés au Royaume‑Uni, le Continuous Linked Settlement System (CLS).

Cet amendement étend ces dispositions à deux autres systèmes de paiement : le système CHAPS (Clearing House Automated Payment System), qui est le système de paiement interbancaire britannique pour la livre Sterling et les échanges de devises, et le système CREST qui est le système de règlement-livraison des titres de créances et des actions cotées émises au Royaume-Uni. Il s’agit de permettre aux sociétés financières qui participent à ces systèmes de paiement de continuer à le faire après le Brexit.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. L’élargissement proposé par l’amendement permettra aux acteurs français de bénéficier des systèmes établis dans des pays tiers. C’est un gage de stabilité financière, qui permet de réduire le risque systémique. Nous sommes donc favorable à cet amendement, si toutefois en sont explicitement exclues, ainsi que le propose le sous-amendement CS2386, les chambres de compensation, afin d’éviter toute interaction avec les discussions en cours sur le Brexit.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement CS2243 sous-amendé.

Elle en vient ensuite à l’amendement CS227 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement propose de supprimer les alinéas 12 à 15 puisqu’ils opèrent, selon nous, une dérégulation de la compensation en rendant optionnelle l’obligation d’obtenir le statut d’établissement de crédit. Cette libéralisation ne nous apparaît pas justifiée, les chambres de compensation étant des acteurs essentiels du système et la surveillance de leurs activités étant indispensable pour éviter des catastrophes financières similaires à celles que nous avons récemment connues.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les chambres de compensation sont des institutions qui, dans un marché qui ne fonctionne pas de gré à gré comme la Bourse ou Euronext, c’est-à-dire où les vendeurs et les acheteurs se rencontrent, s’assurent que les obligations de paiement sont bien réalisées et qui, le cas échéant, compensent les acheteurs ayant fait défaut, de manière à amortir le choc et à éviter qu’il ne se propage à l’ensemble du système.

Le projet de loi propose d’adapter le régime français des chambres de compensation à la situation dans laquelle elles pourraient se trouver après le Brexit, en les dispensant notamment de l’obligation d’être considérées comme des établissements de crédit.

Nous nous sommes comme vous, Monsieur Dharréville, interrogés sur le risque qu’une chambre de compensation n’ayant plus le statut d’établissement de crédit soit amenée à prendre des risques inconsidérés. Or il semble que le risque soit limité par le fait que la chambre de compensation sera supervisée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et, indirectement, par la Banque centrale européenne. Par ailleurs, les facilités offertes par l’Eurosystème, à savoir la possibilité de se refinancer auprès de la Banque centrale, sont désormais accessibles aux chambres de compensation. Les chambres de compensation françaises ou celles qui souhaiteraient s’installer en France auront donc accès à ce type de moyens de financement en cas de difficultés. C’est d’ailleurs les raisons pour lesquelles la chambre de compensation française LCH.Clearnet a indiqué qu’elle souhaitait conserver son agrément d’établissement de crédit, ce que le projet de loi ne l’empêche pas de faire. La loi fait simplement en sorte que les nouvelles chambres de compensation ne soient pas obligées d’avoir cet agrément. Avis défavorable.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. L’objectif de l’article 25 est de faire en sorte que les chambres de compensation qui s’établissent en France ne supportent pas de charges administratives et de contraintes réglementaires supérieures à celles qu’elles auraient à subir dans un autre pays de l’Union européenne.

Nous nous rapprochons donc du droit applicable dans les autres États membres et nous « dé-surtransposons », tout en maintenant néanmoins ces structures sous une supervision étroite en tant que chambres de compensation, conformément à la réglementation. Lorsque la nature, le volume ou la complexité de leurs opérations le justifieront, l’ACPR sera toujours en mesure d’imposer le statut d’établissement de crédit à une chambre de compensation, ce qui signifie qu’il existe des cordes de rappel.

M. Charles de Courson. Madame la ministre, pourriez-vous nous préciser quels étaient les pays, au sein de l’Union européenne ou dans la zone Euro, dans lesquels le statut d’établissement de crédit était obligatoire ?

Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Il s’agissait d’une exception française.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 25 modifié.

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Après l’article 25

La commission est saisie de l’amendement CS106 de M. Patrick Hetzel.

M. Arnaud Viala. Le champ de l’habilitation pour l’ordonnance n° 2014‑329 ne comprenait que les noms de domaine de premier niveau, correspondant au territoire national. Il excluait donc les autres noms de domaine ou ceux apparus depuis, comme les noms de domaine en « .paris » ou « .bzh ». Or c’est l’absence de dispositions législatives concernant les noms de domaine qui a rendu inconstitutionnelles les dispositions législatives antérieures, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de 2010. Afin de maintenir le cadre législatif pour les noms de domaine nouveaux et pour éviter cette inconstitutionnalité, il est nécessaire de modifier le titre Ier de cette ordonnance, de façon à la rendre applicable à l’ensemble des noms de domaine de l’internet.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous nous éloignons ici de l’objectif de la loi PACTE, même s’il s’agit d’un sujet qui mérite d’être abordé. Par ailleurs, la modification que vous proposez, c’est-à-dire la modification de l’ordonnance de 2014, ne serait pas opérante sans que soient modifiées, et de manière plus précise, les dispositions législatives issues de l’ordonnance, et notamment les articles du code des postes et des communications électroniques. Avis défavorable.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable également. Nous sommes extrêmement loin des sujets de notre loi.

La commission rejette l’amendement.

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Article 26
(articles L.3411, L. 5001, L. 5411, L. 550-1, L. 550-2, L. 550-3, L. 550-4, L. 550-5 du code monétaire et financier)
Création d’un régime français des offres de jetons

I.   l’État du droit

Une offre de jetons ou Initial Coin Offering ([128]) (ICO) est une méthode de levée de fonds fondée sur l’émission d’actifs numériques, appelés jetons ou tokens, échangeables contre des monnaies virtuelles ou « cryptomonnaies ».

Ces levées de fonds en cryptomonnaies fonctionnent par la technologie des « chaînes de blocs » ou blockchain.

A.   La technologie des chaÎnes de blocs

La chaîne de blocs est une technologie qui permet de stocker des données numériques pour un coût minime, de manière transparente, décentralisée et sécurisée. Elle peut être assimilée à un registre qui contient la liste de tous les échanges effectués entre les utilisateurs, mis à jour en temps réel et infalsifiable. Certaines chaînes de blocs sont publiques et d’autres privées.

Sommairement, elle fonctionne ainsi ([129]) : les transactions sont regroupées par blocs. Elles sont validées via un système cryptographique par les « mineurs », personnes qui apportent leur puissance de calcul informatique. Les blocs de transactions, horodatés, sont ensuite ajoutés et inscrits dans le registre, formant ainsi une chaîne de blocs inaltérable : la blockchain([130]). Cette chaîne de blocs contient l’historique complet des transactions réalisées. Elle est partagée sans intermédiaire entre utilisateurs du réseau. Le processus global peut prendre quelques secondes à quelques minutes.

Elle a des avantages, en particulier en permettant des échanges décentralisés et sécurisés, sans qu’il soit besoin d’un tiers de confiance. Elle pourrait ainsi trouver une application en matière de compensation et de règlement‑livraison, comme l’a souligné l’Autorité européenne des marchés financiers ([131]), qui mettait en avant la forte sécurité des transactions.

La chaîne de blocs peut être utilisée pour assurer la traçabilité des transactions en cryptomonnaies. Elle est en effet apparue en 2008 avec la monnaie virtuelle bitcoin. Mais elle peut aussi constituer le support de nombreuses autres applications. À titre d’exemple, pour lutter contre les faux diplômes, l’entreprise californienne Bitproof propose d’associer à un diplôme une clé unique dont le numéro serait crypté dans une chaîne de blocs.

En revanche, cette technologie a le défaut de pouvoir être utilisée pour des activités illégales. En effet, elle suppose par définition l’absence d’un système de contrôle centralisé des transactions. Elle peut donc permettre de contourner les normes nationales, européennes ou internationales relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Juridiquement, cette technologie a été reconnue et appréhendée en droit français par les ordonnances n° 2016-520 du 28 avril 2016 et, surtout, n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 ([132]). La chaîne de blocs est ainsi définie comme un « dispositif denregistrement électronique partagé [DEEP] pour la représentation et la transmission de titres financiers ». La définition juridique de la blockchain reprend donc ses deux caractéristiques essentielles que sont sa fonction de registre et son caractère décentralisé.

L’ordonnance de 2016 avait ouvert la possibilité d’inscrire des minibons ([133]) sur la blockchain. L’ordonnance de 2017 a ensuite élargi de manière importante la portée juridique de la reconnaissance des chaînes de blocs en ouvrant la possibilité dy inscrire des titres financiers (titres de capital et titres de créance), donc bien au-delà des seuls minibons. L’article L. 2113 du code monétaire et financier dispose ainsi que « l’inscription dans un dispositif denregistrement électronique partagé tient lieu dinscription en compte. » Les modalités pratiques d’une telle inscription devront être définies par un décret d’application.

B.   Les monnaies virtuelles

Selon la Banque de France, les monnaies virtuelles sont des « unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique permettant à une communauté dutilisateurs déchanger entre eux des biens et des services sans avoir à recourir à la monnaie légale ».

Selon des travaux conduits par le Sénat, « il existerait aujourdhui environ 1 500 cryptomonnaies, pour une capitalisation totale denviron 500 milliards de dollars. La plus connue dentre elles, le bitcoin, représente approximativement un tiers du marché. Environ 300 000 transactions en bitcoin sont enregistrées chaque jour, contre 50 000 en 2013. Son cours a été multiplié par vingt au cours de lannée 2017. » ([134])

Dans l’hypothèse de l’élaboration d’une réglementation précise en matière de monnaies virtuelles, de nombreux enjeux devront être pris en compte par les pouvoirs publics : l’effectivité des règles relatives au blanchiment ou au financement du terrorisme, la fiscalité applicable, les risques de fraude ou d’arnaque qui pèsent sur les épargnants et investisseurs ou encore la volatilité parfois extrême de ces actifs. Ainsi, le cours du bitcoin a pu être qualifié de « bulle », dès lors que l’offre de bitcoins est exogène et que la hausse de la demande a donc entraîné une hausse considérable du prix de cette monnaie virtuelle. Cette analyse est potentiellement valable pour toute monnaie virtuelle, dont l’offre n’est pas ajustée par une Banque centrale selon les besoins de l’économie ([135]).

C.   Les offres de jetons : une absence de rÉgime juridique

1.   Les offres de jetons

Les offres de jetons sont donc des levées de fonds, le plus souvent en monnaies virtuelles (il est courant cependant que des émetteurs acceptent des monnaies ayant cours légal dans un État).

Selon le site Blockchain France, les offres de jetons peuvent servir à financer le lancement d’applications qui fonctionnent sur un protocole blockchain ou à financer directement un nouveau protocole (22 % des projets). L’entité à l’origine de l’émission propose au public des actifs numériques appelés « tokens » (jetons) en échange de monnaies virtuelles, le plus fréquemment des bitcoins ou des ethereums. En octobre 2017, sur les quatre dernières années, 81 % des ICO avaient été des succès et 19 % n’avaient pas permis d’obtenir les fonds désirés ([136]).

L’opération se déroule généralement en trois étapes :

– l’annonce de l’ICO sur internet, via la publication d’un executive summary ;

– la publication de l’offre, à travers un plan ou white paper, décrivant notamment la nature du projet, les fonds nécessaires, le type de jetons et les droits associés. Ce white paper peut être considéré comme l’équivalent du prospectus ou document d’information synthétique prévus pour les levées de fonds « classiques » sur les marchés financiers ([137]) ;

– et la vente de jetons, en contrepartie d’un virement par l’investisseur de la monnaie demandée. Elle peut être précédée d’une phase de « vente privée » (vente restreinte) et de « prévente » (première vente à un prix avantageux).

Il existe un véritable marché des ICO, en forte croissance. En 2017, les émissions de jetons contre des monnaies virtuelles, des euros ou des dollars ont représenté près de 5 milliards d’euros dans le monde. Au premier semestre de l’année 2018, ce chiffre s’élevait déjà à 10 milliards de dollars. En France, le marché pourrait représenter plus de 100 millions de dollars ([138]). Les start-up françaises ont ainsi lancé cinquante et une levées de fonds en cryptomonnaies depuis 2016. Seize d’entre elles sont achevées et ont permis de récolter 290 millions d’euros, sans prendre en compte toutefois les réductions accordées aux premiers investisseurs ([139]).

La levée de fonds par cette voie permet donc de financer le développement d’un projet dès ses premiers stades auprès d’un public averti. Ce mode de financement est par nature international, rapide et sans intermédiaire financier. Ces caractères constituent à la fois lintérêt des ICO mais sont aussi à la source de risques importants : arnaques, disparitions des fonds récoltés ou de la personne à l’origine de l’opération, abus de marché ou encore financement du terrorisme.

L’ensemble des risques économiques, juridiques et fiscaux qui pèsent sur les ICO conduisent les autorités publiques à s’interroger sur le régime qui doit être appliqué en la matière. Ceux‑ci doivent trouver un équilibre entre la nécessité de mieux garantir la sécurité juridique de ces opérations sans entraver excessivement leur développement spontané, source potentielle de création de richesses. Ainsi, la Chine, davantage attentive aux risques financiers, a choisi de purement et simplement interdire les levées de fonds en cryptomonnaies. Les États‑Unis ont quant à eux choisi de traiter juridiquement les jetons comme des actions. Ni l’Union européenne, ni la France n’ont encore déterminé une orientation.

2.   L’absence de réglementation française

Afin de progresser dans la définition d’un régime juridique français des offres de jetons, l’AMF a lancé le 26 octobre 2017 une consultation publique sur les ICO. Elle s’est achevée le 22 décembre 2017. L’AMF a reçu quatre-vingt-deux réponses de diverses parties prenantes (professionnels de la finance, cabinets d’avocats, universitaires, etc.)

Il en ressort que les trois questions principales en la matière sont :

– la grande diversité des documents d’information distribués ;

– la qualification juridique qui pourrait être appliquée aux jetons ;

– la nature de la régulation qui serait optimale à ce stade.

a.   Les documents d’information

Ils ne font l’objet d’aucun cadre législatif ou réglementaire. Certains mentionnent les devises ou monnaies virtuelles acceptées, les règles prévues en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ou encore les niveaux minimaux et maximaux qui sont prévus par les émetteurs pour les levées de fonds.

Les réponses reçues par l’AMF font état de l’importance des informations sur le projet lié à l’ICO et son évolution, les droits conférés par le token, la juridiction compétente en cas de litige et le traitement comptable des fonds collectés. Ils estiment nécessaire que le white paper identifie la personne morale responsable de loffre, ses dirigeants et leurs compétences, et utile qu’il soit standardisé.

Mais, surtout, « la quasi-totalité des répondants qui sexpriment sur cette question estiment quil est nécessaire que les whitepapers soient visés par une institution ». La moitié estime que lAMF serait la mieux placée pour ce faire.

b.   La qualification juridique des jetons

Ils peuvent être de différentes natures et conférer des droits ou des prérogatives disparates. Ils peuvent être classés en deux grandes catégories :

– les jetons dits dusage (utility tokens), qui octroient un droit d’usage à leur détenteur en leur permettant d’utiliser la technologie ou les services proposés ;

– les jetons offrant des droits politiques ou des droits financiers, tels que des droits de vote, de participation à la gouvernance, ou de perception de dividendes. Ces jetons pourraient sous certaines conditions être qualifiés d’instruments financiers. Ils concernent une « petite minorité » d’ICO.

Selon l’AMF, la plupart des jetons échappent à la qualification de titres financiers. Certains jetons, toutefois, au terme d’une analyse in concreto, et même s’ils ne remplissent pas toutes les caractéristiques d’une action, pourraient être considérés comme des titres de capital. Un statut juridique éventuellement adapté pour les émetteurs de tels jetons serait celui d’intermédiaire en bien divers. La notion de « bien divers », qui regroupe divers types de biens ayant une dimension patrimoniale, est prévue à l’article L. 550-1 du code monétaire et financier. L’application de ce régime a pour principale conséquence d’entraîner une régulation par l’AMF, notamment un contrôle préalable.

c.   La nature de la régulation optimale

Trois options de régulation ont été envisagées :

– promouvoir un guide de bonnes pratiques à droit constant ;

– étendre aux ICO le champ des dispositions relatives aux offres de titres au public, notamment celles relatives au prospectus ;

– proposer une législation nouvelle adaptée aux ICO, de caractère obligatoire ou facultative.

L’option d’un régime législatif propre aux ICO, nouveau et spécifique, de nature facultative, a été retenue par l’AMF. Ce régime consisterait donc notamment en un visa optionnel, par lAMF, des ICO s’adressant au public français, les offres n’ayant pas obtenu le visa n’étant pas pour autant illicites. Selon l’AMF, « un tel cadre permettrait de protéger les investisseurs en attirant sur le territoire les projets innovants de qualité tout en décourageant les offres frauduleuses qui semblent nombreuses à léchelle internationale. »

La consultation a aussi fait émerger l’idée d’une forme de séquestre des fonds levés, par exemple sous la forme d’un portefeuille électronique verrouillé par plusieurs signatures : un multisig wallet. L’importance d’un dispositif de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme a aussi été relevée.

Enfin, le collège de l’AMF a également considéré que l’exigence de protection des investisseurs pouvait utilement s’étendre au marché secondaire des jetons : les plateformes d’échange de monnaies virtuelles et de jetons (parfois contre des monnaies « classiques »), les exchanges.

II.   Le dispositif proposÉ

Le Gouvernement propose d’instaurer un régime juridique fondé sur les recommandations formulées par l’AMF à la suite des consultations menées sur la régulation des ICO, c’est-à-dire un visa optionnel par l’AMF des offres en France.

Le caractère optionnel du visa, qu’il serait loisible aux émetteurs de solliciter ou non, doit, selon le Gouvernement, permettre d’attirer les offres « vertueuses » tout en dissuadant l’émission des offres frauduleuses, mais sans aller jusqu’à risquer d’entraver le développement des ICO en France de manière excessive par l’instauration d’une procédure de visa obligatoire.

Comme le souligne l’étude d’impact (page 346), dès lors que « la loi détermine les principes fondamentaux […] du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales » ([140]), et que les ICO constituent une activité commerciale et financière, il appartient à la loi de fixer les règles en la matière, éventuellement complétées et mise en application par le règlement général de l’AMF ([141]).

Le gouvernement propose en conséquence la création d’un régime juridique ex nihilo pour réguler les ICO. Il propose d’introduire, dans le livre V du code monétaire et financier, relatif aux prestataires d’investissement, un chapitre consacré aux émetteurs de jetons (alinéas 10 à 37).

Les alinéas 1 à 9 constituent des coordinations légistiques liées à l’introduction du nouveau chapitre. Le titre V inclura ainsi les émetteurs de jetons et sera intitulé « Intermédiaires en biens divers et émetteurs de jetons » (alinéa 3). Sans appliquer aux ICO le régime des intermédiaires en bien divers, le gouvernement prend acte de la proximité juridique de cette notion avec le régime qu’il propose de créer en les regroupant dans le même titre.

Les alinéas 13 et 14 fixent le champ des nouvelles dispositions.

Ainsi l’alinéa 13 prévoit qu’y sera soumis « tout émetteur qui procède à une offre au public de jetons et qui sollicite un visa de lAutorité des marchés financiers » dans les conditions prévues aux nouveaux articles L. 552‑4 à L. 552‑7.

Lalinéa 14 rappelle expressément que le nouveau chapitre ne s’appliquera qu’aux offres de jetons qui ne tomberaient pas dans le champ d’autres dispositions, notamment celles du livre II qui fixe le régime des instruments financiers, celles du chapitre IV du titre IV sur les intermédiaires en financement participatif ou celles des intermédiaires en biens divers. Les nouvelles dispositions ne pourront donc être invoquées pour contourner la législation existante.

Lalinéa 15 définit la notion juridique de « jeton » : « constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen dun dispositif denregistrement électronique partagé permettant didentifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien. »

Lalinéa 16 définit loffre au public de jetons : elle « consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons ». Lalinéa 17 en exclut les offres ouvertes à un nombre limité de personnes (phase de vente privée). Ce nombre sera fixé par le règlement général de l’AMF. Le visa interviendra donc après la phase de vente privée, en fonction du seuil retenu par le règlement général de l’AMF, mais avant la « prévente ».

Lalinéa 18 prévoit que le visa peut être sollicité préalablement à toute offre au public de jetons. Le visa apposé par lAMF serait donc optionnel. Dans l’étude d’impact, le Gouvernement rappelle que les ICO sont « structurellement transnationales et une supervision contraignante strictement nationale apparaîtrait complexe à mettre en œuvre et peu efficace. » Dans la pratique, l’AMF « délivrerait donc un visa aux acteurs qui le souhaitent et dressera une liste blanche des offres visées sur son site internet. »

Lalinéa 19 prévoit lobligation détablir un document dinformation (c’est le white paper), « destiné à donner toute information utile au public sur loffre proposée et sur lémetteur. » Il a été choisi par le Gouvernement de ne pas préciser dans la loi les garanties que le document d’information devra prévoir pour les investisseurs. Lalinéa 20 se borne ainsi à prévoir qu’il doit présenter un « contenu exact, clair et non trompeur » et permettre « de comprendre les risques afférents à loffre. ». Le détail du contenu de ce document est ainsi renvoyé au règlement général de l’AMF, avec les modalités de la demande de visa et de l’instruction (alinéa 21).

Toutefois, deux obligations légales sont prévues à la charge des émetteurs :

– en premier lieu, l’exigence de la constitution d’une personne morale de droit français (établie ou immatriculée en France, alinéa 23) ;

– en second lieu, la mise en place de « tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de loffre », c’est-à-dire d’un mécanisme de séquestre des fonds récoltés (alinéa 24), afin d’éviter leur disparition par surprise. L’étude d’impact précise que ce mécanisme peut reposer éventuellement sur la technologie blockchain.

Lalinéa 25 prévoit que, dans la procédure d’octroi du visa, l’AMF prend en compte le white paper, les projets de communications à caractère promotionnel destinés au public après la délivrance du visa et les pièces justificatives des garanties apportées. La procédure sera enserrée dans un délai fixé par le règlement général.

Lalinéa 26 détaille les pouvoirs de police administrative de lAMF en la matière. Si, après l’apposition du visa, l’AMF constate que l’offre méconnaît le white paper ou les garanties apportées dans le cadre de l’instruction de la demande, elle pourra :

– ordonner qu’il soit mis fin à toute nouvelle souscription ou émission, ainsi qu’à toute communication à caractère promotionnel concernant l’offre ;

– retirer son visa (dans les conditions précisées par son règlement général).

Lalinéa 27 renvoie au règlement général de l’AMF les modalités de l’information des souscripteurs de jetons sur les résultats de l’offre et l’organisation éventuelle d’un marché secondaire des jetons. La rédaction législative proposée ne prévoit donc pas, à ce stade, de régime d’encadrement des plateformes d’échange de jetons (exchanges).

Les alinéas 28 à 32 constituent des coordinations de nature légistique.

Les alinéas 33 à 35 prévoient les conséquences des dispositions ci‑dessus dans les articles du code monétaire et financier relatifs à l’AMF.

Les alinéas 36 et 37 modifient l’article L. 621‑15 pour inclure les offres de jetons pour lesquelles l’émetteur a sollicité un visa dans la liste des cas où la diffusion de fausses informations ou la commission de manquements aux règles de protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés ou aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux ou le financement du terrorisme peut faire l’objet d’une sanction prononcée par la commission des sanctions de lAMF.

III.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur est favorable au parti pris par le Gouvernement, qui repose sur un visa optionnel décerné par lAMF. Ce choix, conforté par les spécialistes auditionnés, ne contraindra pas excessivement les émetteurs et peut donc impulser une dynamique positive et attirer en France les offres qui présentent toutes les garanties propres à rassurer les investisseurs : la demande et l’octroi du visa permettra ainsi d’assurer une visibilité positive à l’opération, tel un « label ».

La commission spéciale a adopté un amendement de Mme Faure‑Muntian, de M. Botorel, de Mme Hennion et de M. Person, qui vise à mieux garantir aux émetteurs de jetons laccès à un compte bancaire. Cette disposition pourra accroître la portée du régime innovant proposé par le Gouvernement, pour inciter des émetteurs qui voudraient choisir la France à ne pas y renoncer pour un pays étranger où l’accès au compte est plus aisé. Elle a aussi adopté un sous‑amendement du Gouvernement qui complète ces dispositions en soumettant les émetteurs de jetons aux obligations légales en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Votre rapporteur estime cependant que ce nouveau dispositif légal ne sera pleinement opérant qu’avec l’instauration d’un système équivalent de visa des plateformes d’échanges de crypto-actifs ou exchanges, qui constituent un véritable marché secondaire qu’il convient également de réguler.

*

*     *

La commission est saisie de lamendement de suppression CS663 de M. Daniel Fasquelle.

M. Arnaud Viala. L’article 26 a pour objet la création d’un régime français des offres de jetons, forme de levée de fonds via un dispositif d’enregistrement partagé et l’émission de jetons numériques. Il s’agit donc de créer des nouveaux produits financiers basés sur les cryptomonnaies et destinés à financer les entreprises par les marchés financiers.

Dans l’attente des règles européennes et internationales relatives aux cryptomonnaies, le texte propose de permettre à l’AMF de délivrer un visa aux acteurs qui souhaiterait émettre des jetons destinés notamment au marché français pour le financement d’un projet ou d’une activité, sous réserve qu’ils respectent certaines règles de nature à éviter des abus manifestes.

Alors que la Russie ou la Chine ont interdit l’utilisation de ce type de produits, que la SEC (Securities and Exchange Commission) a mis en place aux États-Unis une régulation particulièrement contraignante qui a fait fortement diminuer la volatilité des coins échangés sur le marché américain, la France sera le seul pays européen à reconnaître de tels produits, sans toutefois les inscrire dans un cadre normatif suffisamment fort.

Le risque systémique inhérent à ce type de produits est important. De même, il faut s’interroger sur les investisseurs qui y placeront leur fonds, alors que la part de risque sera manifestement plus importante qu’avec un titre traditionnel, d’autant que l’engouement dangereux pour les cryptomonnaies touche toutes les catégories de population.

À cela s’ajoute en outre la question de savoir qui assurera le bon échange des jetons entre les détenteurs, quelle place de marché et quelle autorité de régulation veilleront au bon déroulement des opérations. Enfin, on peut s’interroger sur l’utilisation de ces produits à des fins de blanchiment d’argent.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous proposons de supprimer cet article et de faire le nécessaire au niveau européen dans le cadre des travaux menés par la Commission européenne et le Parlement européen.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. Si nous avons choisi de légiférer sur les cryptomonnaies, c’est qu’il s’agit d’un mode de financement en pleine expansion – une vingtaine d’opérations ont été recensées l’année dernière, pour un montant moyen de 25 millions d’euros, soit 500 millions d’euros au total, ce qui est significatif.

Comme vous l’avez signalé, les risques d’arnaques et de blanchiment sont, dans ce domaine, très importants. En ne faisons rien, nous laisserions donc ces crypto-actifs se développer dans une sorte de Far West, exposant les épargnants aux pires arnaques.

La vertu du dispositif proposé est double : elle permet à la fois de créer un cadre qui incite aux bonnes pratiques et de rassurer les investisseurs qui pourraient être intéressés par ce type de financement mais sont retenus par les risques qu’ils comportent.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Je souhaite replacer cet article dans la démarche globale qui a été lancée par le Gouvernement en matière de crypto-actifs. Il s’agit d’un sujet extrêmement complexe, et nous avons voulu nous entourer de l’expertise nécessaire pour parvenir à une approche équilibrée de cette question.

Nous devons traiter efficacement les risques que représente le développement du phénomène des crypto-actifs, tout en préservant la chance qu’ils représentent pour l’économie de notre pays. M. Bruno Le Maire a donc confié à M. Jean-Pierre Landau une mission préalable, laquelle a conclu au besoin d’une action publique ciblée, permettant en particulier de renforcer la lutte contre le blanchiment et la protection des investisseurs, tout en garantissant les opportunités offertes, notamment en matière de financement de l’innovation.

L’article 26, qui porte sur les émissions de jetons ou Initial Coin Offering (ICO) constitue la première brique de cet édifice. Il s’agit de mettre en place une série de bonnes pratiques et de faire en sorte que ces bonnes pratiques se construisent et s’inventent à partir de notre territoire. D’où une démarche pragmatique de visa optionnel, qui a d’ores et déjà été largement saluée par l’ensemble des acteurs concernés et permet d’envoyer un signal positif quant à l’adaptation de l’action publique face à un phénomène aussi évolutif.

Au-delà de cet article 26, nous avons lancé les travaux, avec l’Autorité des normes comptables, afin de définir, d’ici à la fin de l’année, un cadre comptable et fiscal clair pour les émetteurs et les investisseurs. Enfin, dans la perspective de la transposition de la quatrième directive européenne révisée en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, nous engageons avec les régulateurs et les acteurs concernés des réflexions sur la régulation des intermédiaires présents sur ce marché.

Dans cette perspective, nous accueillons avec bienveillance les contributions qui d’ores et déjà commencent à nourrir ces travaux, notamment la mission d’information menée par Mme Laure de La Raudière et M. Jean-Michel Mis sur la blockchain ou celle de MM. Éric Woerth et Pierre Person sur les monnaies virtuelles. C’est donc un sujet sur lequel nous serons amenés à travailler ensemble, et je suis donc défavorable à cet amendement de suppression.

Mme Laure de La Raudière. Je ne soutiendrai pas cet amendement de suppression, car je salue la démarche du Gouvernement vis-à-vis de la technologie blockchain.

L’article 26 est essentiel pour donner un cadre souple à la transformation de l’économie qui débute grâce à cette nouvelle technologie dont le potentiel disruptif est sans doute au moins aussi important que celui d’internet depuis vingt-cinq ans.

Les crypto-actifs et leurs échanges font partie de cette économie et font l’objet d’une compétition européenne et mondiale : deux cents opérations d’ICO ont été conduites en Suisse, contre vingt en France, alors que nous disposons de tout le potentiel nécessaire. Or, je n’ai pas envie que la France voit ses talents dans le domaine de la blockchain partir en Suisse parce que l’Autorité fédérale de surveillance des marchés Financiers (FINMA), équivalent de notre AMF, a su y bâtir un cadre souple permettant aux entreprises de lever des fonds.

C’est pourquoi non seulement je soutiens l’article 26 mais j’espère en outre que le Gouvernement ira beaucoup plus loin pour soutenir cette économie, sans attendre, car il y a vraiment urgence.

Mme Valéria Faure-Muntian. Je souhaite saluer le travail d’équipe qui a été accompli sur cet article 26 par le Gouvernement et le Parlement. Plusieurs rapports en cours doivent en effet nous permettre de travailler sur la chaîne complète d’offres pour rendre la place de Paris attractive, et je rejoins Mme de La Raudière sur ses encouragements.

En ce qui concerne les ICO, nous avons été très attentifs à ce qu’il n’y ait pas de mélange des genres. Tout ce qui se rapporte aux titres financiers a été réglementé par l’AMF ; quant au visa, il concerne ce qui s’apparente à du crowdfunding, c’est-à-dire à une nouvelle capacité de levée de fonds pour les entreprises.

M. Charles de Courson. Dans l’exposé des motifs de l’article 26, il est précisé que le Gouvernement agit comme il le fait « dans l’attente des règles européennes et internationales » : pourriez-vous nous donner des précisions sur ce calendrier et nous dire si, avant la mise en place de ces règles européennes ou internationales, d’autres pays que la France ont ainsi adopté leur propre législation ?

M. Arnaud Viala. Cet amendement de suppression ne signifie pas que nous sommes opposés au principe des cryptomonnaies et que nous n’avons pas conscience de leur importance dans le monde économique actuel ; il signifie simplement que nous nous interrogeons sur la pertinence pour la France d’aller plus vite que les autres pays, à commencer par les pays européens, et que nous nous interrogeons aussi sur la façon dont les contrôles et la régulation vont être exécutés. Compte tenu de l’environnement juridique instable, nous ne sommes pas les seuls à exprimer des réticences – je pense notamment à la Fédération bancaire française.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Monsieur de Courson, que, pour une fois, la France soit en avance en matière d’innovation, ça ne me dérange pas, à condition que cela se fasse dans de bonnes conditions. Nous parlons ici d’un marché en pleine expansion, qui fait rêver car il incarne peut-être l’avenir des transactions mondiales mais fait également peur car on s’interroge sur le type de transactions que peuvent cacher les échanges de cryptomonnaie.

Avec ce projet de loi, nous choisissons d’aller de l’avant plutôt que de réagir comme on le fait traditionnellement à coup de régulation et d’interdictions. En agissant comme cela, nous aurions certes un très beau marché, bien encadré, mais il serait désert, car les gens choisiraient d’aller ailleurs.

L’autre solution serait d’opter pour le laisser-faire, ce qui, personnellement, ne me convient pas, car ce marché peut en effet être un espace de blanchiment. Entre ces deux positions, dans l’esprit de ce projet de loi, nous avons choisi de miser sur la responsabilisation des acteurs, en leur proposant un visa, optionnel, dont on souhaite qu’il s’impose progressivement comme un vrai label de qualité mondiale pour les cryptomonnaies. Je soutiens donc fortement cet article qui constitue à mes yeux une « innovation innovante ».

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. L’approche qui est proposée a beaucoup d’avantages, puisqu’elle permet de créer un cadre de confiance, tout en ne contraignant pas les acteurs, ce qui la rend incitative pour les activités innovantes souhaitant se localiser en France.

Cette approche est considérée avec attention par les autres pays, et pourrait fort bien faire des émules. Nous avons demandé à ce que le G20 se penche sur le sujet, et un certain nombre d’instances internationales ont commencé à y travailler, pour faire des propositions, notamment en matière de bonnes pratiques.

Monsieur de Courson, une directive anti-blanchiment a été adoptée. Elle contient également des dispositions liées aux plateformes de change de crypto-actifs. Nous travaillons actuellement à sa transposition.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CS1249 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Mon amendement vise à élargir le champ d’application de l’article 26 aux plateformes d’échange de jetons. Nous demandons ainsi que l’AMF agisse sur ce marché secondaire comme elle le fait pour les opérations d’émission de jetons et qu’elle puisse évaluer les bonnes pratiques des plateformes d’échange. Une part de la volatilité de l’échange de jetons de crypto-actifs ou de bitcoins tient en effet aux comportements douteux de certaines plateformes, moins sûres que d’autres. Il est donc important que les gens puissent identifier les plateformes d’échange dont l’AMF garantit qu’elles sont fiables.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je pense en effet que, pour être parfaitement opérante, la loi doit comporter un volet concernant la régulation du marché secondaire, c’est-à-dire des plateformes où s’échangent les jetons qui ont été émis par les entreprises. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’ont travaillé les membres de la mission d’information à laquelle vous participez, ainsi que la mission d’information de l’OPECST, dont Mme Valéria Faure-Muntian était la rapporteure, ou celle menée par MM. Pierre Person et Éric Woerth, dans le cadre de la commission des finances.

Les discussions se poursuivent, car il faut ajuster ce qui, dans cette régulation, relève de l’AMF ou de l’ACPR, et donc de la Banque de France. Les points de vue ne sont pas encore parfaitement convergents, mais ils devraient l’être d’ici à la discussion en séance publique. C’est la raison pour laquelle je vous invite, dans l’attente, à retirer votre amendement.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. La sécurisation de l’activité des intermédiaires est un sujet crucial. Nous avons identifié des solutions techniques qui sont en train d’être finalisées, dans la mesure où, les plateformes et les intermédiaires exerçant des métiers spécifiques, nous considérons qu’ils ne peuvent être régulés de la même façon que les ICO. Nous travaillons donc à un dispositif spécifique, que nous évoquerons en séance. Je vous propose donc également de retirer votre amendement.

Mme Laure de La Raudière. Si j’ai l’engagement du Gouvernement d’être associée à ces travaux, je retire cet amendement.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Cela va sans dire.

Lamendement CS1249 est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS1229 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’article 26 rend le visa de l’AMF facultatif, ce que j’ai du mal à comprendre. Vous arguez du fait que tous les émetteurs le demanderont pour rassurer les épargnants. Dans ce cas, autant le rendre obligatoire, comme le propose notre amendement.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Si nous avons choisi de rendre ce visa facultatif, c’est par souci de conserver à la France toute son attractivité et pour ne pas décourager ceux qui le voudraient de venir faire leurs émissions dans notre pays.

Nous obéissons également à un principe de faisabilité, car on ne peut empêcher une structure qui émettrait depuis l’étranger de voir ses jetons achetés par des Français, ce qui serait illégal si le visa était obligatoire puisque ce dernier ne peut être donné qu’à des personnes morales de droit français.

L’amendement CS1249 propose par ailleurs de réserver le visa aux offres destinées aux professionnels et aux investisseurs avertis, ce qui diminue la portée de ce que nous voulons faire, à savoir établir une liste blanche des émissions pour rassurer les investisseurs, et notamment les investisseurs particuliers qui sont ceux qui ont le plus besoin de cette information. Avis défavorable.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Nous ne sommes pas favorable à l’idée d’un visa obligatoire. Les offres de jetons qui se développent en ligne sont extrêmement variées et proviennent d’acteurs très divers, et nous ne pouvons pas laisser penser aux gens que nous allons filtrer la totalité d’entre elles, car il est impossible, dans la pratique, de le garantir. L’idée d’un visa facultatif nous semble donc de nature à garantir un meilleur niveau de confiance et de transparence.

 Quant à la communauté d’investisseurs à qui s’adressent ces offres de jetons, là encore, compte tenu de la diversité des opérations, il nous semble difficile de catégoriser les investisseurs comme vous le faites. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. La spéculation n’est pas ma tasse de thé. Je pense qu’elle enrichit les uns au détriment des autres mais ne crée pas de richesses. Vos arguments me paraissent donc faibles au regard des scandales qui ne manqueront pas de se produire. Comment le Gouvernement justifiera-t-il alors sa position, après nos débats et comment expliquera-t-il qu’il n’a pas sécurisé les marchés ?

Vous envisagez de déposer un amendement en séance pour étendre le contrôle de l’AMF aux plateformes d’échange : pourquoi ne pas y intégrer ma proposition ?

Je vous trouve trop libertaires ; je suis, pour ma part libéral mais pas libertaire.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Si on régule trop, on aura un beau marché sur lequel il n’y aura personne ; si on ne fait rien, ce sera la loi de la jungle. Pour éviter les scandales, il faut donc bâtir un cadre mais en le laissant optionnel et en faisant en sorte de responsabiliser les acteurs pour qu’il s’impose progressivement à tous, à charge pour nous de le renforcer au fur et à mesure que l’information progresse. Ne perdons pas de vue que nous avançons dans une science inexacte mais que nous devons encourager les progrès, et non les freiner.

La commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CS924 du rapporteur.

Puis elle en est saisie, en présentation commune, des amendements CS2285 et CS2286 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Ils sont défendus, mais je maintiens que le visa facultatif est une erreur.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Lamendement CS2287 est retiré.

La commission examine ensuite lamendement CS1926 de Mme Valéria FaureMuntian.

Mme Valéria Faure-Muntian. Il s’agit d’un amendement qui vise à supprimer la possibilité pour l’AMF d’interdire toute émission future de jetons à la suite du retrait de son visa. En effet, si l’on crée un cadre souple grâce au visa optionnel pour l’émetteur de jetons, il est difficilement concevable que l’AMF puisse, dans ce cadre souple, interdire toute émission future dans le cas où l’émetteur ne respecterait plus les règles fixées au départ et qu’elle choisirait de lui retirer son visa.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. En effet, la rédaction proposée par le Gouvernement est sans doute maladroite, et il conviendrait de la revoir. Cela étant, il faut que le fait de ne plus remplir les conditions exigées pour le visa puisse être sanctionné, tant que l’offre est en cours.

Je vous propose donc de retirer votre amendement et de le retravailler en vue de la séance.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Je propose également le retrait de cet amendement, dans la mesure où nous sommes disposés à améliorer la rédaction du texte en vue de la séance.

Lamendement CS1926 est retiré.

La commission examine lamendement CS1914 de Mme Valéria Faure Muntian, qui fait lobjet dun sous-amendement CS2385 du Gouvernement.

Mme Christine Hennion. L’article 26 vise à créer un cadre de confiance pour attirer en France les entrepreneurs de la blockchain. Or il se trouve que beaucoup de banques sont frileuses et que ces entrepreneurs éprouvent des difficultés à ouvrir et à maintenir ouvert un compte bancaire auprès d’un établissement de crédit en France, dans le cadre de leur activité.

Cet amendement, que nous avons élaboré avec le cabinet de la ministre, entend lever ces difficultés, en prévoyant d’encadrer l’accès aux comptes pour les émetteurs de jetons qui auront obtenu le visa de l’AMF. Cela devrait favoriser la création d’un véritable écosystème français de la blockchain.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est une proposition très bienvenue, qui a fait l’objet de beaucoup de discussions entre parlementaires et avec le cabinet de Mme la ministre. Avis favorable.

Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Pour que ce droit au compte fonctionne, il faut que les émetteurs soient assujettis aux obligations imposées par la lutte anti‑blanchiment. C’est l’objet de notre sous-amendement, qui prend acte du fait que l’accès aux services bancaires est justifié pour les acteurs qui mettent en place des diligences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il complète les garanties qui seront vérifiées par l’AMF lorsque les émetteurs sollicitent son visa par des obligations dans ces deux domaines.

Mme Laure de La Raudière. Quand Mme Hennion dit que les banques sont un peu frileuses, elle est en dessous de la vérité : à l’heure actuelle, aucun des acteurs du secteur de la blockchain ne parvient à ouvrir un compte en banque en France – ne serait-ce qu’un compte de dépôt ! Ils en sont donc réduits à le faire en Suisse, non pas que les banques helvétiques soient moins exigeantes en matière de contrôle du Know your customer (KYC) et de lutte contre le terrorisme – elles ont fait des progrès considérables en ce domaine – mais parce qu’il se trouve dans ce pays une banque publique, la Banque Cantonale Neuchâteloise (BCN), qui n’est pas tenue par les mêmes engagements internationaux que les grandes banques françaises vis-à-vis des États-Unis : les banques françaises, elles, craignent d’être touchées par des mesures de rétorsion appliquées dans le cadre du principe d’extraterritorialité de la législation américaine, ce qui les conduit à refuser l’ouverture de comptes.

Je considère donc que, si l’amendement CS1914 va dans le bon sens, il n’est pas suffisamment normatif, puisqu’il ne précise pas le délai dans lequel les banques doivent mettre en place les mesures prévues, et que le non-respect de cette obligation n’est assorti d’aucune sanction. Pour ma part, je souhaite qu’il soit prévu que, par subsidiarité, la Caisse des dépôts et consignations puisse ouvrir un compte de dépôt aux acteurs qui se seraient vu opposer un refus de la part des banques – ce sera l’objet de mes amendements CS1200 et CS1202.

Enfin, je regrette que l’amendement de Mme Faure-Muntian ne concerne que les émissions de jetons alors qu’aujourd’hui, certaines start-up qui ne recourent même pas à l’utilisation de crypto-actifs se trouvent dans l’incapacité d’ouvrir un compte en France – c’est notamment le cas de la société BCDiploma, dont l’activité consiste à dématérialiser et certifier les échanges de diplômes. Il est urgent de trouver une solution à ce problème, et pas seulement au profit des entreprises qui lèvent des fonds via une ICO.

La commission adopte le sous-amendement CS2385.

Puis elle adopte lamendement CS1914 sous-amendé.

Enfin, elle adopte larticle 26 modifié.

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*     *

Après l’article 26

Elle examine les amendements CS1200 et CS1202 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Ces amendements sont défendus.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les dispositions relatives au statut des plateformes d’échange de crypto-monnaies, ainsi que celles relatives aux obligations des banques, devraient résoudre un certain nombre de problèmes. Vos amendements s’en trouveront satisfaits, c’est pourquoi je suggère leur retrait.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Je suggère également le retrait de ces amendements.

Mme Laure de La Raudière. Je ne suis pas opposée à retirer ces amendements, sous réserve d’être associée aux discussions qui auront lieu sur les différentes questions que j’ai soulevées.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Je vous confirme que vous serez associée aux discussions qui seront menées avant la séance publique.

Les amendements CS1200 et CS1202 sont retirés.

La commission est saisie de lamendement CS2048 de Mme Dominique David.

Mme Dominique David. L’amendement CS2048 vise à promouvoir l’investissement de proximité en autorisant, à titre expérimental, la création de SICAV régionales qui permettent aux épargnants, dans un territoire donné, d’investir une partie de leur épargne dans un support sécurisé qui viendra apporter aux PME et ETI de ce même territoire des financements en fonds propres et en dettes de dernier rang dont elles ont besoin pour se développer et contribuer au développement régional.

Ces SICAV régionales fonctionnent selon le régime classique de la SICAV tel que défini dans le code monétaire et financier. L’amendement comporte cependant une disposition spécifique en termes d’utilisation du capital, à savoir qu’au moins la moitié du capital doit être investie dans des PME régionales, soit par le biais de part de PEA-PME en signifiant que les activités des établissements visés sont situées sur le territoire de la région où a été émise la SICAV, soit sous la forme de parts de sociétés de fonds ou d’organismes, dès lors que 75 % au moins de l’actif de ces structures est investi en titres de PME régionales. Une réflexion sur cette expérimentation est actuellement engagée dans cinq régions, à savoir Rhône-Alpes, Auvergne, Bretagne, Provence-Alpes-Côte d’Azur et ma région, la Nouvelle-Aquitaine.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Si cet amendement faisant la promotion des véhicules d’investissement de proximité est de bon sens, à ce stade, compte tenu du fait qu’il n’a pas de conséquences normatives, je vous suggère de le retirer.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Si nous comprenons l’intention de cet amendement consistant à mettre en valeur et à mieux utiliser les véhicules d’investissement locaux, nous ne souhaitons pas qu’il soit créé une nouvelle catégorie législative dans un paysage déjà complexe. Nous privilégions le travail sur les fonds existants, éventuellement pour les adapter par voie réglementaire, mais aussi pour les faire mieux connaître et favoriser ainsi leur utilisation. Je suggère que les parlementaires intéressés puissent contribuer aux travaux du Gouvernement, auxquels la BPI est également associée, afin de pouvoir disposer d’une feuille de route.

Mme la présidente Olivia Grégoire. En tant que parlementaire, j’aurai moi-même grand plaisir à contribuer aux travaux sur l’épargne de proximité, un sujet que j’estime essentiel.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger sur ce sujet important qui vous est cher, Madame David – car je sais que vous suivez de près les expérimentations qui sont menées sur le terrain. Comme cela a été dit, nous devons mieux faire connaître ce qui existe déjà, en quoi nous pouvons voir l’exemple d’une région et de ses acteurs qui se mobilisent pour aider le tissu local des PME à prospérer. Tout ce qui peut contribuer à faire connaître l’existant est le bienvenu, mais force est de reconnaître que nous avons du mal à définir sur le plan normatif des moyens de le faire, d’une part parce que les régions sont autonomes dans leur action économique, d’autre part parce que rien n’empêcherait un acteur d’une région donnée d’aller faire la même chose ailleurs – il faut éviter de rigidifier les interventions locales.

Lamendement CS2048 est retiré.

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Article 26 bis
(article L. 214–154 du code monétaire et financier)
Investissement des fonds professionnels spécialisés dans les crypto–actifs

La commission spéciale a également adopté à cet article un amendement de notre collègue Adrien Taquet et du groupe La République en Marche qui permet aux fonds professionnels spécialisés (FPS) de détenir un droit de propriété, sur des actifs, fondé sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé (définition légale d’une chaîne de blocs), c’est-à-dire d’investir dans des « crypto-actifs ».

Ces fonds sont soumis à un régime juridique souple et sont destinés aux professionnels qualifiés. Votre rapporteur considère donc opportun de les utiliser comme véhicule pour développer l’investissement en crypto‑actifs. Concrètement, les FPS pourront détenir les crypto‑actifs et les réinvestir dans des activités liées à la technologie des chaînes de blocs ou les convertir en monnaie dite « fiat » (monnaie qui a cours légale dans un État et dont l’offre est contrôlée par une banque centrale).

Cet amendement a été sous‑amendé à l’initiative du Gouvernement, pour préciser que les FPS peuvent aussi investir dans des titres financiers inscrits dans une chaîne de blocs.

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La commission est saisie de lamendement CS1862 de M. Adrien Taquet, qui fait lobjet du sous-amendement CS2383 du Gouvernement.

Mme Valéria Faure-Muntian. L’amendement CS1862 vise à clarifier le droit français afin de permettre aux fonds professionnels spécialisés d’investir dans les crypto‑actifs. Ce dispositif est nécessaire pour offrir un cadre réglementaire adapté à l’industrie de la gestion d’actifs, qui puisse accompagner le développement du marché des crypto-actifs en encadrant l’investissement des fonds professionnels au moyen de mesures à la fois exigeantes et souples.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis favorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. L’éligibilité des crypto-actifs au sein des fonds professionnels nous semble une bonne chose, c’est pourquoi nous sommes favorables à l’amendement CS1862, que nous proposons cependant de modifier au moyen du sous-amendement CS2383, qui vise à préciser que l’inscription dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé constitue un mode d’inscription, pour des titres financiers comme pour des crypto-actifs.

La commission adopte le sous-amendement CS2383.

Puis elle adopte lamendement CS1862 sous-amendé. L’article 26 bis est ainsi rédigé.

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Article 27
(articles L. 221321 et L. 221322 du code monétaire et financier)
Élargissement des instruments éligibles au plan d’épargne en actions - PME

A.   l’État du droit

1.   La création du PEA‑PME

Les « plans dépargne en actions destinés au financement des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire » ont été créés par l’article 70 de la loi de finances pour 2014 ([142]). Ce sont des instruments dépargne et de placement qui complètent les plans d’épargne en actions (PEA) créés par la loi du 16 juillet 1992 ([143]). Comme le PEA, son objectif est la constitution d’un portefeuille de valeurs mobilières (PEA « bancaire ») ou la souscription de contrats de capitalisation libellés en unités de compte (PEA « assurance »). C’est une incitation fiscale pour les épargnants à contribuer au financement des entreprises par la détention de titres à moyen terme.

Prenant acte du fait que les PEA « occupent une place très modeste au sein des différentes destinations de lépargne des ménages » ([144]) et qu’ils sont « pour lessentiel investis dans des grandes entreprises cotées », le Gouvernement avait ainsi souhaité favoriser davantage le financement des entreprises les plus dépendantes du crédit bancaire, c’est-à-dire les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Il a donc été inséré dans le chapitre 1er du titre II du livre II du code monétaire et financier une section 6 bis (articles L. 221‑32‑1 à L. 221‑32‑3). Cette nouvelle catégorie de PEA, dite « PEAPME », reprend plusieurs caractéristiques du PEA « classique ».

 Un PEAPME peut être ouvert auprès d’un établissement de crédit, de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque de France, de La Banque Postale, d’une entreprise d’investissement ou d’une entreprise d’assurance relevant du code des assurances. L’ouverture du PEAPME fait l’objet d’un contrat écrit entre le souscripteur et l’un de ces organismes gestionnaires.

 Ensuite, chaque personne ne peut détenir quun seul PEAPME et un tel plan ne peut avoir qu’un seul titulaire. Cependant, il est possible pour une personne de cumuler un PEA et un PEAPME ou de n’ouvrir que l’un des deux.

● Comme le PEA, il donne lieu à ouverture d’un compte de titres et dun compte en espèces associés. Lorganisme gestionnaire du plan conserve et gère les valeurs inscrites en compte de titres. Il porte au crédit du compte en espèces les versements effectués par le titulaire, le montant des produits en espèces que procurent les valeurs inscrites au compte de titres associé, les remboursements ainsi que le montant des ventes de ces valeurs. Il porte au débit du compte le montant des souscriptions ou acquisitions des valeurs inscrites au compte de titres associé et le montant des retraits en espèces. Le retrait consiste à soustraire du PEA des sommes ou des valeurs du compte titres ou espèces sans réinvestissement. Les mouvements entre le compte titres et le compte espèces ne sont pas considérés comme des retraits. Les frais de gestion (en principe mais pas nécessairement) ou de transaction sont portés au débit du compte en espèces ([145]). Le compte en espèces n’est pas rémunéré et ne peut pas présenter un solde débiteur. Lorsque le plan est ouvert auprès dune entreprise dassurance, il donne lieu à un contrat de capitalisation en unités de compte. Dans ce cas, l’organisme gestionnaire enregistre dans le cadre du plan les versements en numéraire et les rachats du souscripteur.

 Enfin, seuls les versements en numéraire sont possibles.

2.   La fiscalité du PEA‑PME

En outre, son régime fiscal est identique à celui du PEA : en application des 5° bis et 5° ter de l’article 157 du code général des impôts, les contribuables bénéficient :

– dune exonération totale au titre de limpôt sur le revenu des produits (dividendes notamment) et plus-values réalisés dans le cadre du plan à condition de ne pas effectuer de retrait ou de rachat pendant au moins cinq ans à compter de l’ouverture ;

– dune exonération totale de la sortie en rente viagère à condition de ne pas effectuer de retrait ou de rachat pendant au moins huit ans à compter de l’ouverture.

 En cas de retrait ou de rachat partiel avant lexpiration de la cinquième année du plan : le gain net est imposable à l’impôt sur le revenu, sauf si ces sommes sont réinvesties dans une entreprise exploitée directement par le titulaire du plan ou un de ses proches, dans le capital initial d’une société, dans l’achat d’une entreprise ou dans une entreprise individuelle créée depuis moins de trois mois ([146]). Si ce retrait ou ce rachat intervient avant l’expiration de la deuxième année de détention, le taux forfaitaire imposable est de 22,5 %. S’il intervient entre la deuxième et la cinquième année, il est de 19 % ([147]). Cette modulation du taux en fonction de la durée de détention a pour objet d’inciter à la détention de titres à moyen terme. Dans les deux cas, le plan est clôturé.

 En cas de retrait ou de rachat partiel entre cinq et huit années de détention, le contribuable est exonéré d’impôt sur le revenu au titre du gain qu’il réalise, mais perd le bénéfice de l’exonération pour les produits et les gains que procurent les sommes demeurant sur le plan et réalisés à compter de la date de cet événement.

 En cas de retraits ou de rachats partiels intervenant après huit années de détention, le contribuable conserve le bénéfice de l’exonération totale pour les produits et gains qui seraient réalisés à la suite de cet événement au titre des sommes restant sur le plan, mais ne peut plus effectuer de nouveaux versements.

 Lorsque les titres détenus sur un PEA sont cédés après la clôture de ce dernier, le gain réalisé est imposé selon le régime d’imposition de droit commun des plus-values mobilières (prélèvement forfaitaire unique au taux global de 30 %).

Le tableau ci-dessous récapitule les règles applicables en matière d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ([148]).

PRÉLÈVEMENTS FISCAUX ET SOCIAUX SUR LES REVENUS DE PEA-PME

Pas de retrait, rachat ou clôture quelle que soit la durée du plan

Clôture d’un PEA ouvert depuis moins de cinq ans

Clôture d’un PEA ouvert depuis plus de cinq ans et moins de huit ans

Retrait ou rachat partiel sur un PEA ouvert depuis plus de huit ans

Clôture d’un PEA ouvert depuis plus de huit ans

Exonération d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux

Imposition à l’impôt sur le revenu au taux de :

– 22,5 % si le plan est liquidé avant deux années de détention ;

– 19 % si le plan est liquidé entre deux et cinq années de détention

 

Imposition aux prélèvements sociaux

Exonération à l’impôt sur le revenu et imposition aux prélèvements sociaux

Exonération à l’impôt sur le revenu et imposition aux prélèvements sociaux

Exonération à l’impôt sur le revenu et imposition aux prélèvements sociaux

Les prélèvements sociaux sont opérés au taux global de 17,2 %.

D’après le tome II du fascicule Voies et moyens joint au projet de loi de finances pour 2016, le coût fiscal de l’exonération des dividendes était de 200 millions deuros en 2014 et celui de l’exonération ou de l’imposition à un taux réduit des plus-values de cessions de valeurs mobilières de 30 millions deuros en 2014. Cette estimation ne prenait toutefois par définition pas en compte l’élargissement du champ des titres et sociétés éligibles opéré en 2015.

3.   Les sociétés émettrices et les titres éligibles

Le PEAPME diffère du PEA de droit commun sur deux points principaux :

– en premier lieu, le montant des versements est limité à 75 000 euros (150 000 euros pour un PEA) ;

– en second lieu, les titres et sociétés éligibles.

Le champ de PEA‑PME est fixé à l’article L. 221‑32‑2 du code monétaire et financier.

● Sagissant des titres, sont éligibles :

– les obligations convertibles ou remboursables en actions négociables sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation (marché organisé) ([149]). Le PEA‑PME a été ouvert à ces titres de dette qui donnent accès au capital par l’article 27 de la loi de finances rectificative pour 2015 ([150]).

● Sagissant des sociétés émettrices, sont éligibles :

– celles qui, cotées ou non cotées, d’une part, emploient moins de 5 000 personnes et qui, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros ;

– celles, cotées et dont la capitalisation boursière est inférieure à un milliard d’euros (sur un marché réglementé, c’est-à-dire en l’occurrence les compartiments B et C d’Euronext Paris, ou un système multilatéral de négociation - SMN, c’est-à-dire Euronext Growth), dont le capital n’est pas détenu à plus de 25 % par une seule personne morale, qui emploient moins de 5 000 personnes et qui ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros.

Le deuxième cas a été introduit par l’article 14 de la loi de finances rectificative pour 2015 précitée. Il sagit bien dune extension du champ des sociétés émettrices éligibles : dans le premier cas, commun aux sociétés cotées et non cotées, les seuils d’employés, de chiffre d’affaires et de bilan sont appréciés en prenant en compte les entreprises « partenaires » ou « liées » ([151]), en application de l’article D. 221-113-5 du code monétaire et financier qui renvoie à l’article 6 de l’annexe I au règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission du 6 août 2008. Ces notions sont plus larges que celle de « filiale ». Or, dans le second cas, propre aux sociétés cotées, les seuils sont appréciés sur la base des seules filiales. Les sociétés cotées émettrices éligibles peuvent donc être de plus grande taille que les non cotées.

 Enfin, les sommes versées sur un PEA‑PME peuvent aussi être consacrées à linvestissement « intermédié » des PME et ETI.

En effet, aux termes du 3 de l’article L. 221‑32‑2 précité, elles peuvent être employées dans la souscription :

‑ d’actions de société d’investissement à capital variable (SICAV) dont l’actif est constitué pour plus de 75 % de titres d’entreprises éligibles en direct au PEA‑PME et parmi lesquels au moins les deux tiers sont des titres de capital ;

– de parts de fonds communs de placement (FCP) dont l’actif respecte les mêmes ratios que ceux mentionnés ci‑dessus ;

– de parts ou actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) français ou européens, ou établis dans un État membre ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ;

– de parts de fonds communs de placement à risques (FCPR) ;

– de parts ou actions de fonds d’investissement relevant de la directive 2011/61/UE du 8 juin 2011, dits « FIA » qui ont reçu l’autorisation d’utiliser la dénomination « ELTIF » conformément au règlement (UE) n° 2015/760 du 29 avril 2015, sous réserve que leurs actifs soient investis en permanence pour plus de 50 % en titres éligibles en direct au PEA‑PME et qu’ils ne détiennent pas d’actifs immobiliers autres que ceux mentionnés par le règlement précité ([152]).

Les sommes versées peuvent aussi être employées dans un contrat dassurancevie en unités de compte régi par le code des assurances et investi dans une ou plusieurs catégories de titres mentionnés ci‑dessus.

4.   Le semi‑échec du PEA‑PME

Lors de la création en 2014 du PEA‑PME, le Gouvernement estimait qu’à brève échéance, l’épargne collectée sur ces plans, et donc affectée au financement en fonds propres des PME et ETI, pouvait représenter de 1,2 à 4,8 milliards d’euros.

Or, comme le relève le Gouvernement dans l’exposé des motifs du projet de loi, les encours des PEAPME ne s’élevaient qu’à 1,1 milliard deuros au troisième trimestre 2017, d’après la Banque de France. Pour comparaison, les encours du PEA classique sont de 92 milliards d’euros, pour une épargne financière des Français d’environ 4 800 milliards d’euros (en 2015, selon l’INSEE). Selon le Gouvernement, le PEA‑PME est réservé à « une frange marginale de la population », c’est-à-dire 65 000 porteurs, contre plus de 4 millions pour le PEA. Comme le relève en outre le Gouvernement, « lunivers dinvestissement du PEAPME est luimême réduit » : seules 348 PME et ETI sont cotées sur Euronext et Euronext Growth, tandis que le marché des titres non cotés est peu accessible.

B.   Le dispositif proposÉ

Le dispositif du présent article 27 procède à l’élargissement du PEA‑PME aux titres du financement participatif. Il complète ainsi la liste des titres éligibles fixée au 1 de l’article L. 221‑32‑2 du code monétaire et financier. Sans modifier le champ des sociétés éligibles (PME et ETI), il s’agit donc d’élargir le champ des titres éligibles parmi ceux émis par ces PME et ETI.

Comme le relève l’étude d’impact, en ce qui concerne les titres de dette émis par les PME, « la France ne dispose pas denveloppe fiscale dédiée aux instruments commercialisés par les plateformes de financement participatif ».

Lalinéa 2 ouvre ainsi le PEAPME aux titres participatifs et obligations à taux fixe, « lorsquils font ou ont fait lobjet dune offre proposée par lintermédiaire dun prestataire de services dinvestissement ou dun conseiller en investissement participatifs, au moyen dun site internet remplissant les caractéristiques fixées par le règlement général de lAMF. ».

 Les prestataires de services d’investissement (PSI) et conseillers en investissement participatif (CIP) sont deux statuts juridiques qui peuvent être adoptés par les plateformes de financement participatif. Le statut de CIP est plus souple et plus adapté au seul financement participatif ([153]), mais le CIP est néanmoins soumis à une obligation d’information et de mise en garde sur les risques encourus à l’égard de ses clients potentiels ou existants ([154]).

Les PSI ([155]), comme les CIP ([156]) peuvent mener leurs activités au moyen d’un site internet, qui doit respecter le cadre fixé par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

 Les obligations à taux fixe sont des obligations qui, en tant que telles, confèrent à leur porteur le droit au remboursement du capital et au versement d’intérêts et « dont léchéancier de flux est parfaitement connu à lémission car le taux du coupon a été fixé à ce moment-là et ne changera pas au cours du temps([157]) ». Ce sont les obligations « classiques », par opposition aux obligations à taux variable, qui sont indexées sur un taux observable du marché (LIBOR ou EURIBOR) dans le but d’annuler le risque de taux, ou aux obligations indexées sur l’inflation.

 Les titres participatifs ([158]) sont également des titres de créance qui sont subordonnés, de dernier rang (remboursables en cas de liquidation de la société ou à son initiative ou à l’expiration d’un délai d’au moins sept ans). « Leurs caractéristiques les situent à mi-chemin entre la dette et le capital et, plus concrètement, entre les obligations et les actions. » ([159]) Ainsi, ils ne donnent pas accès au capital mais, pour les rendre attrayants, le législateur les a revêtus de certaines caractéristiques des actions. Leur rémunération peut ainsi être composée d’une part fixe et d’une part variable, indexée sur la performance de l’entreprise. Les représentants des détenteurs de ces titres peuvent assister aux assemblées d’actionnaires ou de porteur de parts et y intervenir. Ces titres sont ainsi des « quasi capitaux propres ».

Ils peuvent être émis par une liste de personnes morales limitativement énumérées :

 en premier lieu, les sociétés par actions du secteur public : ils avaient été créés dans le cadre des nationalisations de 1982, par la loi dite « Delors » ([160]) pour renforcer les capitaux propres de sociétés nationalisées sans octroyer de droit de votes aux souscripteurs et donc sans contester le contrôle de ces sociétés par l’État.

– en second lieu, à divers organismes de l’économie sociale auxquels la loi a ensuite étendu le bénéfice de ces titres : banques mutualistes ou coopératives, établissements publics de l’État à caractère économique et commercial, coopératives agricoles et leurs unions, sociétés d’assurance, mutuelles ou encore sociétés coopératives à responsabilité limitée.

● Lalinéa 3 ouvre le PEAPME aux « minibons ». Les minibons sont une catégorie particulière de bons de caisse.

Les « bons de caisse sont des titres nominatifs et non négociables comportant engagement par un commerçant de payer à échéance déterminée, délivrés en contrepartie dun prêt » ([161]). Leur nature juridique exacte demeure ambiguë : malgré leurs caractéristiques proches des titres financiers, ils ne peuvent recevoir cette qualification. Ils permettent aux entreprises de se procurer des ressources à court et moyen termes et de procéder à des aménagements de trésorerie ; les banques y recourent pour rémunérer une épargne stable ou comme garantie d’un crédit consenti. Leur intérêt a cependant été surtout stimulé par leur utilisation dans le cadre du financement participatif, notamment par les entreprises qui n’avaient accès ni au crédit bancaire, ni au financement obligataire.

Les minibons ([162]) sont justement spécialement adaptés au financement participatif. Ils ont été créés par la « loi Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse. Ils peuvent faire l’objet d’une offre par un PSI ou un CIP au moyen d’un site internet agréé par l’AMF (les bons de caisse « classiques » ne peuvent être souscrits qu’auprès d’un établissement de crédit ou de commerçants). Ils ne peuvent être émis que par des sociétés par actions ou des sociétés à responsabilité limitée. Ils ne peuvent être émis qu’à taux fixe et, par le même émetteur, pour un montant maximal de 2,5 millions d’euros sur une période de douze mois ([163]). En outre, ils peuvent être inscrits dans une chaîne de blocs ([164]).

Louverture du PEAPME serait donc limitée aux titres participatifs et obligations à taux fixes proposées par ces deux types de plateformes de financement participatif au moyen dun site internet ainsi quaux minibons. En l’état, cet élargissement n’est pas associé à un relèvement du « plafond » de 75 000 euros du PEA‑PME. Il serait donc opéré « à enveloppe fiscale constante. »

Le Gouvernement avait envisagé d’élargir le PEA‑PME à tous les titres de créance émis par les entreprises dont les titres de capital sont eux‑mêmes éligibles au PEA‑PME (voir supra pour le champ des sociétés éligibles) mais, selon l’étude d’impact (page 352), « cette option présente néanmoins la difficulté de couvrir des produits de taux dentreprises de taille intermédiaire, qui ne présentent pas de risque justifiant une incitation fiscale. »

Selon lexposé des motifs du projet de loi, cette évolution législative pourrait à la fois soutenir la progression encourageante des encours du PEAPME et stimuler le développement du financement participatif en tant qualternative au financement bancaire.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur est favorable au développement du PEA PME et à l’élargissement des titres éligibles à des titres de dette proposés via le financement participatif, mais soutient également une action volontaire des pouvoirs publics pour inciter (ou à tout le moins ne pas « désinciter ») les épargnants à la détention d’actions.

La commission spéciale a ainsi adopté deux amendements de M. Adrien Taquet et du groupe La République en Marche.

Le premier institue une fusion asymétrique des plafonds légaux de versements en numéraire sur un PEA PME et sur un PEA. Ainsi, le plafond des versements sur un PEA PME pourra s’élever à 225 000 euros, sans cependant que la somme des versements sur le PEA et le PEA PME d’un même titulaire puisse dépasser ce même montant.

Le second élargit le champ des sociétés cotées dont les titres peuvent être détenus dans un PEA PME, en y incluant celles dont la valorisation boursière a été inférieure au seuil actuel de 1 milliard d’euros à la clôture de deux au moins des quatre exercices comptables précédant celui pris en compte pour apprécier l’éligibilité des titres. Il permet aussi d’inclure les sociétés dont jusqu’à 50 % du capital est possédé par une autre personne morale.

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*     *

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS1623 de M. Adrien Taquet et l’amendement CS141 de M. Vincent Descoeur.

Mme Nadia Hai. Le PEA est aujourd’hui limité à 150 000 euros et le PEA-PME à 75 000 euros. Afin de permettre à l’investisseur d’orienter davantage ses placements vers le financement des PME en croissance, nous souhaitons permettre une augmentation du plafond du PEA-PME, sans toutefois autoriser une augmentation du cumul des plafonds fiscaux de ces deux produits. L’amendement CS1623 prévoit donc la fongibilité asymétrique du PEA et du PEA-PME au profit du second, avec un total de 225 000 euros.

Afin que la disposition ne soit pas détournée de son objet principal, il est prévu que l’inverse ne soit pas possible.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’amendement CS1623 reprend une belle suggestion issue des travaux du Grand rendez-vous de l’investissement productif, et il me paraît tout à fait pertinent de mutualiser les enveloppes respectives du PEA et du PEA-PME. Je suis donc favorable à cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je remercie tous les parlementaires qui ont contribué à la réflexion sur le PEA et le PEA-PME, notamment dans le cadre du Grand rendez-vous de l’investissement productif qui s’est tenu en janvier dernier, et je salue tout particulièrement la mobilisation sur ce sujet de Mme Amélie de Montchalin et du rapporteur.

Pour ce qui est de la fongibilité asymétrique, j’y vois une excellente idée et un assouplissement bienvenu pour favoriser l’utilisation du PEA-PME et faciliter ainsi le financement de nos entreprises.

M. Vincent Descoeur. L’amendement CS141 vise à doubler le versement autorisé sur un PEA-PME-ETI, aujourd’hui plafonné à 75 000 euros, afin de dynamiser les sources de financement des PME.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. À l’heure actuelle, seulement 3% des PEA-PME présentent un encours inférieur de moins de 5% à leur plafond, et l’encours moyen de ce produit est de 6 000 euros, alors que le plafond est de 75 000 euros – et même de 225 000 euros en cas de fusion avec le PEA. Je suis défavorable à toute proposition consistant à relever de manière asymétrique le plafond du PEA ou du PEA-PME.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le même avis me conduit à privilégier le dispositif de l’amendement CS1623.

La commission adopte l’amendement CS1623.

En conséquence, l’amendement CS141 tombe.

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements CS1349 et CS1351 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il nous est proposé de redynamiser le PEA-PME en ouvrant la possibilité d’y intégrer des titres participatifs, des obligations à taux fixe et des minibons, ce qui semble intéressant. Cela dit, si j’ai bien lu l’article 27, rien n’est prévu pour limiter la part de ces obligations et dettes.

Je propose donc, avec l’amendement CS1349, la mise en place d’un plafond de 15 % pour ces produits – porté à 20% dans le cadre de l’amendement de repli CS1351 –, afin d’éviter de détourner le PEA-PME au profits d’obligations à taux fixe.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il conviendra d’examiner comment les épargnants réagissent à la nouvelle possibilité qui leur est offerte par l’article 27. Dans l’immédiat, je ne suis pas convaincu qu’il faille imposer un plafond fixé de manière arbitraire à 15% ou 20%, c’est pourquoi je suis défavorable à ces amendements.

Au demeurant, si vous envisagiez de présenter la même proposition dans un autre cadre, par exemple celui de la loi de finances, sans doute vaudrait-il mieux fixer la proportion maximale d’obligations et dettes par rapport au plafond du PEA-PME, et non par rapport aux encours – à défaut, ce plafond serait beaucoup trop contraignant.

M. Charles de Courson. Pourriez-vous être favorable à ces amendements si je revoyais leur rédaction ?

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Comme je vous l’ai dit, j’estime qu’il convient de laisser passer un peu de temps afin d’observer l’usage qu’en font les épargnants et de déterminer si d’éventuels abus doivent être corrigés ; dans l’immédiat, il me paraît prématuré de poser une nouvelle règle contraignante.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suis défavorable à ces amendements car je ne pense pas qu’il soit opportun de complexifier un dispositif peu utilisé et auquel nous souhaitons donner plus d’attrait et de visibilité : ce dispositif doit conserver une certaine souplesse. Il convient par ailleurs de préciser que les nouveaux titres éligibles seront destinés au financement de petits projets, via les plateformes de financement participatif.

M. Charles de Courson. Tel que l’article 27 est rédigé, la souplesse du dispositif est totale : rien n’empêche un épargnant de constituer un PEA-PME intégralement composé d’obligations à taux fixe, ce qui pose tout de même un problème !

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La volonté politique qui est ici exprimée consiste à stimuler le financement participatif en permettant que les produits d’épargne correspondants puissent entrer dans la composition du PEA-PME.

M. Charles de Courson. Je ne comprends pas que la proportion d’obligations et de dettes ne soit pas limitée, et je maintiens donc mes amendements.

La commission rejette successivement les amendements CS1349 et CS1351.

Elle examine l’amendement CS1867 de M. Adrien Taquet. 

Mme Nadia Hai. L’amendement CS1867 prévoit l’élargissement des critères d’éligibilité du PEA-PME aux sociétés cotées. Les critères actuels sont restrictifs, et nous pensons qu’ils peuvent être assouplis afin de permettre l’éligibilité des PME, notamment des start-up qui connaissent une forte croissance. Il est proposé de fixer une durée de conservation de cinq ans maximum, et d’assouplir le critère de non-détention du capital par une personne morale, fixé à 25%. En effet, ce critère exclut à lui seul plus de la moitié des entreprises cotées sur Euronext, Euronext Growth et Euronext Access et dont la capitalisation est inférieure à 5 milliards d’euros.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement, qui prévoit deux élargissements raisonnables de l’éligibilité des entreprises au PEA-PME.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suis également favorable à cette flexibilisation de bon aloi.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 27 modifié.

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*     *

Après l’article 27

La commission est saisie de l’amendement CS475 de M. Éric Woerth.

M. Thibault Bazin. Cet amendement est défendu.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La disposition proposée étant de nature fiscale, elle a vocation à être examinée dans le cadre du projet de loi de finances.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Thibault Bazin. Est-ce à dire que le Gouvernement sera favorable à cet amendement si nous le présentons dans le cadre du projet de loi de finances ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Une réflexion est en cours sur ce point, et la position du Gouvernement n’est pas encore arrêtée.

M. Thibault Bazin. En maintenant cet amendement, je sème en vue de la récolte d’automne…

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS473 de M. Éric Woerth.

M. Thibault Bazin. Cet amendement est défendu.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS474 de M. Éric Woerth. 

M. Thibault Bazin. Défendu.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Défavorable.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1901 de Mme Amélie de Montchalin.

Mme Amélie de Montchalin. Dans le prolongement des travaux que nous avons menés dans le cadre du Grand rendez-vous de l’investissement productif, nous vous proposons ici de rendre éligibles au PEA les fonds communs de placement à risques (FCPR) et les fonds professionnels de capital investissement (FPCI). La détention de titres de FCPR dans l’enveloppe du PEA – elle est déjà autorisée dans le PEA-PME – permettrait de drainer des fonds propres supplémentaires pour les PME. Pour ce qui est des FPCI, il nous paraîtrait étonnant que l’assurance-vie leur soit ouverte et que d’autres produits grand public – notamment le PEA et le PEA-PME – ne le soient pas, alors que ces FPCI vont presque exclusivement aux fonds propres des PME et ETI que nous cherchons à soutenir.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cet amendement vise à faciliter la capacité des épargnants à être exposés au capital-investissement et au capital-risque. Cependant, il se trouve que les FPCI et les FCPR permettent déjà une exonération totale des plus-values réalisées à terme, et il ne nous paraît pas nécessaire de les détenir au travers d’une autre enveloppe fiscale. Je suggère donc le retrait de cet amendement.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. L’articulation des dispositions du PEA et des FCPR présente une certaine complexité résultant du fait que des dispositions fiscales avantageuses sont attachées aux FCPR. Il ne nous paraît donc pas évident d’associer ces deux produits.

Pour ce qui est des FPCI, il s’agit en principe de véhicules réservés aux professionnels et, lorsqu’ils sont ouverts aux non-professionnels, leur accès est restreint par un ticket d’entrée de 100 000 euros. Si la présente proposition est intéressante, elle aurait plutôt vocation à concerner le PEA-PME. Il me semble que vous allez présenter prochainement un amendement en ce sens, auquel je serai favorable ; pour ce qui est de l’amendement CS1901, je vous invite plutôt à le retirer.

Mme Amélie de Montchalin. En ce qui concerne le FCPR, l’objectif serait ici d’utiliser un outil que les Français connaissent, à savoir le PEA, pour drainer de l’épargne des ménages vers l’investissement productif. J’aimerais connaître l’avis de M. le rapporteur sur ce point.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La détention de FCPR est déjà possible dans le PEA-PME et, du fait de la fusion asymétrique des plafonds, on peut désormais investir encore plus dans ces FCPR. À mon sens, il vaut mieux encourager les épargnants à ouvrir un PEA‑PME, afin de favoriser l’essor de ce produit.

Mme Amélie de Montchalin. Je prends bonne note de ce que vient de dire M. le rapporteur. Effectivement, la fongibilité asymétrique va permettre de rendre le FCPR beaucoup plus facilement accessible. Pour ce qui est des FPCI, comme l’a indiqué Mme la ministre, je vais présenter prochainement un autre amendement visant à les rendre éligibles au PEA-PME. Par conséquent, je retire l’amendement CS1901.

L’amendement CS1901 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1194 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Dans le cadre de la procédure applicable à la gestion et à la conservation des titres non côtés, prévue par le Bulletin officiel des finances publiques-impôts (BOFIP), trois lettres recommandées avec demande d’accusé de réception doivent être envoyées : la lettre d’engagement, la lettre d’information et la lettre d’attestation.

Cet amendement vise à autoriser l’utilisation de procédés électroniques pour remplacer la lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, tout en assurant la conservation de la preuve : il s’agit en fait d’appliquer la technologie blockchain à ces échanges en permettant la dématérialisation des procédures.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. J’invite Mme de La Raudière à retirer cette proposition, car les amendements à suivre relatifs à la dématérialisation du PEA-PME devraient la satisfaire.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je remercie Mme de La Raudière pour cette proposition très pertinente relative à l’utilisation des nouveaux moyens de communication et de sécurisation des échanges avec les détenteurs de PEA. Cependant, il nous semble qu’il s’agit là d’une disposition de niveau réglementaire, et nous avons d’ores et déjà prévu de modifier le BOFIP afin de permettre la dématérialisation des procédures. Compte tenu de cet engagement, je vous invite à retirer votre amendement.

Mme Laure de La Raudière. Je vous remercie pour votre réponse, Madame la ministre, et surtout pour votre engagement de modifier le règlement. Je vous saurais gré de me faire parvenir les modifications une fois qu’elles auront été réalisées, afin que je puisse effectuer le suivi et le contrôle de l’action du Gouvernement sur ce point.

M. Fabien Di Filippo. Je me félicite également de constater que l’engagement est pris de procéder à la modification réglementaire qui s’impose.

L’amendement CS1194 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement CS1900 de Mme Amélie de Montchalin.

Mme Amélie de Montchalin. Dans la même logique, nous souhaiterions réfléchir à la possibilité de transmettre, au moment du décès, un PEA ou un PEA-PME à ses héritiers sous forme de titres et non sous forme d’argent liquide. En effet, pour ceux qui ont eu le malheur de décéder en janvier 2009, leurs héritiers ont reçu une épargne, l’épargne de toute une vie, qui ne valait plus grand chose : si, en revanche, ils avaient pu leur transmettre cette épargne sous forme d’actions, elle aurait été susceptible de regagner de la valeur après le choc cyclique. C’est donc beaucoup plus intéressant et permet de conforter ces placements de long terme. Nous proposons donc que le débouclage des successions puisse se faire en titres et non en argent liquide.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il s’agit d’une suggestion bienvenue, qui s’inscrit également dans la suite des travaux engagés dans la foulée du grand « rendez-vous de l’investissement productif » du 22 janvier. Dans ce cas toutefois, le droit permet déjà une remise en titres. Rien n’impose la liquidation d’un PEA en cas de décès de son détenteur, les titres pouvant être intégrés à la succession avec les autres biens et éventuellement transmis sur le compte-titres des ayants droit. Je vous propose donc de retirer cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Mme Amélie de Montchalin. Si l’état du droit le permet, c’est une excellente chose, mais cela va mieux en le disant, et j’espère que le compte rendu de cette commission permettra aux notaires, à tous les professionnels, ainsi qu’à tous les ménages qui le souhaiteraient d’user de cette possibilité. Cela rassurera ceux que la volatilité des actions inquiète. Je retire donc mon amendement.

M. Jean-Paul Mattei. Les textes prévoient sans doute cette possibilité mais, dans la pratique, les banques font parfois des difficultés. Il est donc bien de le préciser, comme le propose cet amendement.

Mme Laure de La Raudière. Le fait que la transmission en titres soit possible parce qu’elle n’est pas interdite par les textes n’est pas forcément suffisant pour que, de fait, les héritiers puissent faire valoir leurs droits sans difficulté.

L’amendement CS1900 est retiré.

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements identiques CS145 de M. Vincent Descoeur, CS153 de Mme Véronique Louwagie, CS1166 de M. Charles de Courson et CS1494 de Mme Laure de La Raudière, ainsi que des amendements CS1607 de M. Adrien Taquet, CS1904 de Mme Amélie de Montchalin et CS373 de M. Jean-François Cesarini.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CS145 vise à désintermédier le PEA-PME afin d’augmenter la diffusion de ce produit auprès des investisseurs. Il maintient en revanche l’obligation d’un compte en espèces dédié pour les versements effectués sur le plan et prévoit des modalités déclaratives déterminées par décret.

Mme Véronique Louwagie. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le PEA-PME n’a pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés et que ses résultats sont décevants. La mission d’information conduite sous la précédente législature par nos collègues Olivier Carré et Christophe Caresche avait fait des propositions pour lever les freins à son développement et assurer sa promotion. Parmi ces propositions figurait la désintermédiation du PEA-PME. C’est cette proposition que reprend notre amendement.

M. Charles de Courson. Le PEA-PME marche très mal : on est à peine à 1 milliard d’euros d’encours, alors que l’objectif était de 1 à 2 milliards par an.

Christophe Caresche et Olivier Carré s’étaient donc penchés, en septembre 2015, sur les freins à son développement, parmi lesquels ils avaient notamment identifié le monopole des banques dans la diffusion du PEA-PME. D’où leur proposition de désintermédier sa distribution. Ça « ne mange pas de pain » ; c’est une mesure de bon sens qui devrait satisfaire le libéralisme de notre ministre.

Mme Amélie de Montchalin. Dans le même esprit que les précédents, l’amendement CS1607 a pour objectif de favoriser la diffusion du PEA-PME auprès des investisseurs. Il maintient l’obligation d’un compte en espèces dédié pour les versements effectués sur le plan, mais il permet qu’il soit ouvert non seulement par des banques, mais par d’autres acteurs. C’est essentiel si l’on veut que ce produit soit distribué le plus largement possible.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Les Français doivent être incités à investir leur épargne dans les supports permettant le financement des fonds propres des PME et TPE. C’est le cas du PEA-PME dont la diffusion doit monter en puissance. Pour cela, il faut en finir avec le monopole de sa commercialisation par les banques et les entreprises d’investissement et l’ouvrir aux conseillers en investissements financiers et en investissements participatifs. Ces derniers en effet rencontrent les clients, les accompagnent, en effectuant notamment des bilans personnalisés. Aujourd’hui pourtant, ils ne peuvent, sur le terrain, proposer ce type d’investissement. L’amendement CS1904 propose de le leur permettre.

M. Jean-François Cesarini. Pour que l’élargissement du PEA-PME produise pleinement ses effets, des mesures de simplification doivent être prises, concernant notamment la dématérialisation de la tenue du PEA-PME, les modalités d’échange de documents et de consultation des comptes. Les plateformes de financement participatif devront également fournir des informations sur ces PEA-PME dématérialisés aux services fiscaux. C’est l’objet de l’amendement CS373.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Le PEA-PME a eu beaucoup de mal à prendre son envol, et son encours plafonne à un milliard d’euros, alors qu’il était prévu que, dès la première année, en 2014, le milliard soit atteint, puis qu’il soit dépassé dans les années suivantes. Si cela n’a pas été le cas, c’est en partie parce que les banques facturent des frais importants pour chaque transfert de titres, ce qui décourage la détention de titres de sociétés via le PEA-PME, notamment lorsqu’il s’agit de sociétés non cotées.

Parmi les propositions du rapport Carré-Caresche figurait donc notamment la dématérialisation de la gestion du PEA-PME. En d’autres termes, plutôt que d’avoir un compte-espèces sur lequel est mis l’argent et un compte-titres affecté à l’achat et à la vente d’actions, il n’y aurait plus qu’un compte-espèces, l’achat et la vente de titres devenant une procédure déclarative.

L’ensemble des amendements proposés vont peu ou prou dans ce sens. Je m’en remettrai donc à la sagesse de notre commission pour ce qui concerne l’amendement CS1607, le plus complet puisqu’il précise les modalités de déclaration des titres souscrits et de leur transmission aux services fiscaux. L’adoption de cet amendement satisferait les autres, dont je demande en conséquence le retrait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Les intentions sont bonnes, mais j’ai peur que leur réalisation soit dangereuse.

Je rappelle que le PEA-PME offre un avantage fiscal absolument majeur, puisqu’il propose une exonération totale des plus-values de cession et des revenus financiers distribués après cinq années de détention, ce qui permet d’être exonéré du prélèvement forfaitaire unique à 30 %. Cinq ans, ce n’est pas très long, ce qui rend ce produit d’autant plus attractif. Mais cela suppose, en contrepartie, un contrôle étroit des sommes placées. Dans ces conditions, l’idée de ne conserver qu’un compte-espèces est sans doute séduisante sur le papier, mais comment garantir que les espèces serviront à l’achat de titres et comment contrôler la plus-value sans compte-titres ? Sans faire de procès à quiconque, ce serait, selon moi, prendre un trop grand risque compte tenu de l’exonération fiscale qui est accordée.

En revanche, je rejoins l’ensemble d’entre vous, notamment M. de Courson, sur le fait que le PEA-PME est assorti de formalités excessives. D’où ma demande de retrait, sachant que d’autres amendements vont vous être proposés qui allègent ces formalités – je pense, entre autres à un amendement de Mme de La Raudière, qui propose la suppression de la lettre avec accusé de réception qui accompagne les transferts de titres, ce qui est une contrainte parfaitement disproportionnée. Je conviens bien volontiers que les frais de gestion sont excessifs, mais nous allons examiner un amendement qui propose leur plafonnement.

Je demande donc le retrait de ces amendements, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Charles de Courson. En quoi nos propositions sont-elles dangereuses ? Les intermédiaires financiers non bancaires sont eux aussi contrôlés, et je ne vois donc pas en quoi les banques offriraient une meilleure garantie contre le danger, d’où la faiblesse de votre argument.

Ces amendements, qui procèdent de différentes sensibilités politiques, sont des amendements de bon sens. Ils vont d’ailleurs dans le sens de ce que vous admettiez également, à savoir la nécessité de baisser les coûts de gestion. Or quel meilleur moyen de faire baisser les coûts de gestion que la concurrence ?

Quand les banques verront que les intermédiaires financiers leur dament le pion sur le PEA-PME, peut-être finiront-elles par se réveiller ! Vous parlez de plafonner les frais de gestion : soit. Sans doute est-ce une bonne mesure pour les gens dont les avoirs sont modestes, mais quel portée cela aura-t-il pour les détenteurs de portefeuilles plus importants et plus diversifiés, compte tenu du manque de lisibilité qui caractérise le coût des services bancaires ?

Mme Amélie de Montchalin. L’amendement CS1607 propose une solution maximaliste consistant à désintermédier totalement le PEA-PME, tout en conservant un compte dédié. En revanche, l’amendement CS1904 s’inscrit dans une logique d’intermédiation, puisqu’il ouvre le PEA-PME aux seuls conseillers en investissements financiers (CIF) et conseillers en investissements participatifs (CIP), qui sont extrêmement contrôlés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et par l’Autorité des marchés financiers (AMF), lesquelles leur imposent énormément d’obligations découlant des règlements européens et portant aussi bien sur la nature de leur conseil que sur les informations qu’ils doivent collecter. Nous pensons en effet que les gens dont le métier est concrètement de conseiller les particuliers sur la bonne utilisation de leur épargne doivent pouvoir proposer des PEA-PME avec, comme le préconise l’amendement CS1607, obligation d’un compte dédié.

Vous faites part de votre crainte, monsieur le ministre, de ne plus contrôler un dispositif qui donne lieu à des exonérations très avantageuses, mais les conseillers en investissements financiers et les conseillers en investissements participatifs sont très contrôlés, et leur vocation première est précisément de conseiller les Français qui ne souhaitent pas passer par un banquier ou un assureur sur la gestion de leur épargne.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Tout en étant sensible aux arguments relatifs aux difficultés techniques que présentent une gestion déclarative du PEA-PME et son ouverture à d’autres prestataires, je pense que nous ne devons pas abandonner cette piste qui permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement entend bien développer le PEA-PME, mais en s’assurant que l’avantage fiscal qu’il représente ne donne pas lieu à des abus.

Nous avons donc deux options. Soit il est possible de passer par un conseiller financier, c’est-à-dire un intermédiaire financier non bancaire, qui va pouvoir proposer des comptes-titres mais, par définition, pas de comptes-espèces, lesquels sont réservés aux banques. Cela signifie que le montant d’espèces déposées sur le compte ne pourra pas être contrôlé, sachant que le PEA-PME est plafonné à 75 000 euros. Il s’agit donc de faire une confiance absolue aux intermédiaires financiers, ce qui me paraît une option excessivement risquée, même si elle est techniquement envisageable, eu égard aux avantages fiscaux qui sont en jeu.

Dans le second cas de figure – celui où l’on passe par les banques –, le problème est inverse : il existe un compte-espèces mais pas de compte-titres, et donc aucun moyen pour l’État, dans un régime purement déclaratif, de contrôler les plus-values, a fortiori pour des entreprises qui, dans leur grande majorité, ne sont pas cotées.

Dans une logique de libéralisation absolue fondée sur la confiance entre les acteurs, tout ceci peut se défendre. J’estime pour ma part qu’au regard des avantages fiscaux concédés, l’État doit garder la possibilité d’un contrôle strict des mouvements d’actifs. D’où ma demande de retrait.

M. Charles de Courson. Si nous fusionnions les amendements CS1166 et CS1904, c’est-à-dire la limitation de l’ouverture du PEA-PME aux conseillers financiers et le maintien d’un compte en espèces, le problème serait réglé et tous vos arguments tomberaient. Seriez-vous prêt à accepter en séance un amendement dans ce sens ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Du moment qu’on maintient le compte-titres et le compte-espèces, qui permettent de contrôler et le montant des espèces qui circulent et les plus-values qui sont réalisées, cela me convient.

M. Charles de Courson. Je vais donc retirer mon amendement et suis prêt à cosigner un amendement avec Mme de Montchalin, si cela lui convient, et bien que cela contrevienne à l’article 16 du règlement intérieur de son groupe… (Sourires.)

Mme Amélie de Montchalin. L’idée serait en effet de proposer un amendement qui, d’une part, maintienne le compte-titres et le compte-espèces et, d’autre part, autorise les conseillers en investissements financiers et les conseillers en investissements participatifs à distribuer le PEA-PME. Cela permettrait aux Français, lorsqu’ils vont voir un conseiller financier, d’avoir accès à toute la panoplie de produits d’épargne qu’ils trouvent dans une banque, sachant que les banques n’ont pas dans notre pays le monopole du conseil en épargne.

Je retire donc nos amendements, afin de rédiger une nouvelle proposition, à laquelle j’associerai avec beaucoup d’enthousiasme mon collègue Charles de Courson, avec lequel je constate que nous pouvons parfois être en parfait accord.

Mme Véronique Louwagie. Dans cette perspective, je retire également mon amendement.

Les amendements CS153, CS1166, CS1494, CS1607 et CS1904 sont retirés.

La commission rejette successivement les amendements CS145 et CS373.

La commission examine l’amendement CS375 de M. Jean-François Cesarini.

M. Jean-François Cesarini. Nous proposons de simplifier le processus administratif du PEA-PME tout en le soumettant aux contraintes de sécurité liées à la dématérialisation des échanges.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je vous propose de retirer votre amendement. Si je partage votre avis, les dispositions de la directive sur les services de paiement, dite « DSP 2 », que nous avons transposées et qui s’appliquent aujourd’hui uniquement aux comptes de paiement devraient, à terme, être  étendues aux autres comptes. Elles permettent aux nouveaux entrants, et notamment aux agrégateurs, de délivrer un conseil aux épargnants. Cependant, cette extension ne pourra être opérée qu’après discussion au plan européen. C’est d’ailleurs la réponse que m’avait faite à l’époque la rapporteure Nadia Hai.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

Puis elle étudie les amendements identiques CS513 de M. Vincent Descoeur, CS771 de M. Daniel Fasquelle, CS1024 de M. Vincent Rolland, CS1151 de M. Charles de Courson et CS1852 de Mme Nadia Hai.

M. Jean-Louis Masson. Lorsqu’une société ne remplit plus les conditions rendant ses titres éligibles au PEA-PME, ces titres doivent être sortis du plan alors qu’ils seraient éligibles au PEA classique. Nous proposons de permettre le transfert automatique des titres devenus inéligibles au PEA-PME-ETI vers un PEA classique sans pénalité pour l’investisseur.

M. Vincent Rolland. Tout à l’heure, le rapporteur faisait état des difficultés à attirer des investisseurs au PEA-PME La souplesse que nous proposons d’introduire permettrait peut-être de renforcer l’attractivité du dispositif.

M. Charles de Courson. Actuellement, lorsque les actions d’un PEA-PME ne remplissent plus les conditions pour y être logées, elles doivent en être retirées. Or, mieux vaudrait qu’elles y restent. En ce sens, nos amendements protègent les PME.

Mme Nadia Hai. Je retire l’amendement CS1852 au profit de l’amendement CS1906 de Mme de Montchalin, ayant le même objet mais assorti d’un délai, et qui viendra en discussion tout à l’heure.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il n’y a pas de raison pour que les titres d’un PEA-PME sortent de celui-ci, même quand ils dépassent les seuils d’éligibilité à l’entrée. Autrement dit, si une entreprise grossit, il n’y a pas de raison qu’elle perde le bénéfice du PEA-PME. Vos amendements étant satisfaits par le droit actuel, je vous demanderai de les retirer.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je confirme ce que vient de dire le rapporteur. Lorsqu’un titre d’une entreprise ne répond plus aux critères d’éligibilité du PEA-PME, il reste dans ce PEA-PME car ce sont les critères d’entrée qui font foi. Je vous propose donc de retirer ces amendements.

M. Charles de Courson. Ces titres continuent-ils alors à bénéficier du même régime fiscal ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Oui.

M. Charles de Courson. Dans ce cas, je retire mon amendement.

Les amendements sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement CS1905 de Mme Amélie de Montchalin.

Mme Amélie de Montchalin. Cet amendement concerne la capacité donnée aux business angels d’entrer dans le capital des PME. Actuellement, lorsqu’un cercle de dix, vingt ou trente investisseurs souhaite le faire alors qu’ils ne disposent que de faibles montants, chacun doit passer un contrat d’entrée au capital de la PME concernée. Ces tracasseries administratives sont longues et coûteuses, alors qu’ils pourraient passer par une société en participation (SEP), qui deviendrait l’interlocuteur unique de l’entrepreneur.

Nous proposons donc que les parts de ces SEP puissent être éligibles au PEA-PME. Il nous paraît en effet important que, dans les territoires, les investisseurs puissent se mettre au service des PME.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les réseaux de business angels sont effectivement très présents dans les territoires. Ils nous ont exprimé une souffrance liée à la disparition de l’ISF-PME, qui permettait une réduction de l’ISF au titre des investissements réalisés dans ces entreprises – même si, naturellement, ils ont bien accueilli la suppression de cet impôt.

Ils ont donc émis l’idée d’une solution consistant à loger des parts de SEP dans les PEA-PME. Toutefois, la personnalité juridique des SEP est assez évanescente, ce qui rend difficile d’identifier précisément la propriété des titres de ces sociétés ; ce sujet fait d’ailleurs l’objet de discussion entre les intéressés et la direction générale du Trésor.

C’est pourquoi je suggère le retrait de cet amendement, dans l’attente d’un mûrissement de la réflexion avant l’examen du projet de loi en séance publique.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je propose à mon tour à Amélie de Montchalin d’examiner à nouveau ce sujet à l’occasion de la séance publique, car nous ne sommes pas en mesure, à ce stade, de conférer une sécurité juridique à cette proposition.

M. Jean-Paul Mattei. Sur le plan juridique, je rappelle qu’une SEP relève du régime de l’indivision, ce qui ne manquerait pas de créer des difficultés, notamment en ce qui concerne le droit de vote et les actions de concert. Il convient donc de demeurer prudent.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1168 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Afin de rendre plus attractif l’investissement par les particuliers dans un plan d’épargne en action destiné à financer les petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire, nous proposons d’en simplifier le fonctionnement et d’en limiter les contraintes.

Il faudrait, premièrement, autoriser les retraits ou rachats avant l’expiration de la cinquième année de fonctionnement du PEA PME-ETI sans que cela entraîne, comme actuellement, la clôture du plan et la perte du bénéfice de l’exonération fiscale.

En second lieu, il conviendrait d’autoriser le versement complémentaire dans la limite du plafond, même après des retraits partiels au-delà des cinq premières années de détention du plan.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Ces propositions sont intéressantes, mais vont un peu trop loin. Je rappelle que la contrepartie de l’avantage fiscal considérable accordé au PEA et au PEA-PME est le blocage des sommes.

S’agissant des retraits, un amendement adopté aujourd’hui même les facilite dans certains cas après la huitième année, et ce sans forcer la clôture du compte. En revanche, autoriser des versements complémentaires avant l’échéance de la cinquième année serait sans doute trop audacieux. Il serait donc plus raisonnable de réfléchir, d’ici le passage du texte en séance publique, à la possibilité de versements complémentaires après la huitième année, ce qui préserverait l’équilibre du PEA-PME.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suggère à M. de Courson de retirer son amendement afin que nous puissions le perfectionner, car l’intuition qui le sous-tend – en particulier l’idée que l’on puisse recharger le compte après huit ans, même si l’on a effectué des retraits avant – est excellente. C’est pourquoi je vous propose de travailler à un dispositif amélioré qui aura le soutien du Gouvernement.

M. Charles de courson. Eu égard à l’ouverture dont le Gouvernement fait montre, je suis tout à fait prêt à retirer cet amendement pour le peaufiner. Il faudra toutefois identifier avec votre cabinet quels sont les verrous en présence.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1906 de Mme Amélie de Montchalin.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Cet amendement a été satisfait par un amendement précédemment adopté ; c’est pourquoi je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission étudie l’amendement CS1726 de M. Joël Giraud.

Mme Amélie de Montchalin. Avec le rapporteur général Joël Giraud, nous avons cherché une solution permettant de plafonner plus largement les montants des commissions liées aux interventions, à l’intérieur d’un encadrement général des frais de tenue des comptes bancaires. Il me semble, monsieur le ministre, que vous avez déjà obtenu de grands progrès pour les publics les plus fragiles ; nous proposons d’aller un peu plus loin en adoptant un principe suivant lequel les frais connaitraient une croissance contenue d’une année sur l’autre. Cela permettrait de contrer l’« inventivité » des banques en la matière, qu’a soulignée M. de Courson tout à l’heure, et qui aboutit à des coûts beaucoup trop élevés pour nos concitoyens.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous venons d’adopter un amendement qui plafonne les frais de gestion des PEA-PME à un niveau qui me paraît suffisant à ce stade. Je vous demanderai donc de retirer cet amendement, qui couvre l’ensemble des activités bancaires et dépasse le champ du projet de loi.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est avec raison qu’Amélie de Montchalin soulève la question des frais de tenue de compte.

Nous avons choisi, s’agissant des frais pour incidents bancaires, la voie de la concertation avec les banques, conduisant à leur engagement formel de limiter ces frais à 200 euros par an et à 20 euros par mois pour les publics fragiles relevant de l’offre spécifique. Le respect de cet engagement sera vérifié et contrôlé, notamment par vous. Si l’engagement devait ne pas être tenu, nous aurions recours à la loi.

Je propose la même démarche pour les frais de tenue de compte : si nous n’obtenions pas gain de cause, nous ferions alors appel à la loi, mais seulement dans un second temps.

En tout état de cause, cet amendement d’appel est très utile, mais j’en demande le retrait, tout en vous remerciant de nous avoir alertés sur un sujet qui intéresse tous les Français.

Mme Amélie de Montchalin. Je vais retirer l’amendement, mais je m’interroge sur le dispositif de suivi de l’évolution de ces frais. J’imagine que le ministère des finances s’y attachera et que le rapporteur général aura à cœur de s’intéresser de près aux données ainsi collectées.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je le confirme.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques CS863 de M. Pierre Cordier, CS1173 de M. Philippe Chassaing et CS1233 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Cordier. Nous proposons qu’à l’instar des obligations qui portent sur les entreprises d’assurance en matière de contrats d’assurance vie non réclamés, les établissements bancaires soient tenus de publier annuellement leurs statistiques en matière de distribution de l’offre spécifique. Cette mesure devrait par ailleurs inciter les banques à distribuer cette offre, ce qui va de pair avec l’objectif de lutter contre les frais d’incidents.

M. Pierre Dharréville. Le ministre de l’économie et des finances affichant l’objectif d’instaurer un plafonnement global des frais d’incidents des consommateurs les plus vulnérables, destinataires de l’offre spécifique, notre amendement a pour objet de favoriser sa distribution pour rendre pleinement effectif cet engagement.

En effet, dans son rapport annuel datant de 2017, l’Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB) estimait que seuls 10 % des consommateurs éligibles à cette offre en bénéficiaient.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. M. le ministre venant d’indiquer qu’un accord avait été obtenu des banques, il convient, avant de légiférer, d’observer s’il porte ses fruits. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous sommes assez loin de la question du financement de l’économie, qui fait l’objet de ce projet de loi…

Je redis toutefois à quel point je partage la préoccupation dont procèdent ces amendements. L’engagement pris par les banques de plafonner à 20 euros par mois et à 200 euros des frais d’incidents bancaires pour tous les titulaires de l’offre spécifique est formel. Je rappelle qu’actuellement ces frais bancaires peuvent atteindre 500 euros, ce qui est inacceptable s’agissant des publics les plus fragiles.

Le respect de cet engagement, je le rappelle, sera vérifié par l’Observatoire de l’inclusion bancaire, placé sous l’autorité du gouverneur de la Banque de France. Il devra être rempli au cours du premier semestre, et étendu dès 2019 à 30 % de bénéficiaires supplémentaires de l’offre spécifique, soit 350 000 personnes.

Par ailleurs, sur la base l’article 56 de la loi bancaire du 26 juillet 2013, nous avons la possibilité de pratiquer le name and shame à l’encontre des banques qui ne respecteraient pas ces engagements, ce dont j’ai averti en toute transparence les intéressés ainsi que le gouverneur de la Banque de France.

En dernier ressort, si nous constations que nous sommes loin des objectifs, je serais prêt à recourir à la loi, mais je demeure persuadé qu’il convient de ne le faire que dans un deuxième temps.

M. Pierre Dharréville. Si les banques ont donné leur accord comme vous l’indiquez, monsieur le ministre, pourquoi ne pas donner à cet accord force de loi immédiatement ? Cette garantie serait ainsi établie de manière ferme.

Par ailleurs, notre amendement comporte une disposition obligeant les banques à publier leurs statistiques portant sur la distribution de l’offre spécifique, ce qui ne me paraît pas dépourvu d’intérêt.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. La distribution de l’offre spécifique par les banques sera transparente, car publique.

À votre première question, je répondrai que nous pensons pouvoir faire mieux, et qu’il n’y a donc pas lieu de nous limiter par un texte de loi, par définition plus compliqué à réviser – au cas où nous parviendrions, par exemple, à abaisser le plafond à 150 euros ou à relever de 50 % au lieu de 30 % le nombre de bénéficiaires de l’offre spécifique. Afin de préserver cette souplesse, je préfère ne pas recourir à la loi.

M. Pierre Cordier. Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu sur la publication annuelle des statistiques relatives à la distribution de l’offre spécifique.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’Observatoire de l’inclusion bancaire rendra toutes les données publiques d’ici la fin du premier semestre 2019.

L’amendement CS1173 est retiré.

La commission rejette les amendements CS863 et CS1233.

Elle examine ensuite l’amendement CS15 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Jean-Louis Masson. L’accès au crédit est un sujet crucial pour les PME. C’est souvent lorsque des difficultés apparaissent que les banques cessent de prêter.

Nous proposons que les établissements concernés soient tenus d’accorder des crédits aux personnes morales qu’elles ont accompagnées, et qui se trouvent en situation de fragilité financière, d’un montant de 50 % des frais bancaires supportés par les intéressés depuis qu’elles recourent à l’un de ces établissements pour se financer.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable ; cette disposition aurait pour effet de décourager définitivement les banques de prêter aux entreprises les plus fragiles.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine ensuite l’amendement CS14 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’accord de place qui a été signé le 16 juillet 2018 avec le Médiateur du crédit aux entreprises prévoit que les banques s’acquittent de l’obligation que l’amendement propose d’instaurer : il y a déjà un engagement, dont il faudra vérifier la mise en œuvre. Dans ces conditions, je demande le retrait de l’amendement, à défaut de quoi je donnerai un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite les amendements identiques CS811 de M. Thibault Bazin, CS1160 de M. Philippe Chassaing et CS2142 de M. Dominique Potier.

M. Thibault Bazin. L’amendement CS811 a pour objet d’uniformiser la dénomination des libellés des brochures tarifaires des établissements bancaires, que nous avons évoquées tout à l’heure. Les banques utilisent, en effet, des intitulés différents pour définir les mêmes prestations. Ces dispositions permettront aussi d’atteindre l’objectif, fixé le ministre, qui est de plafonner l’ensemble des frais d’incidents bancaires pour les consommateurs bénéficiant de l’« offre spécifique ».

M. Boris Vallaud. L’amendement CS2142 vise également à uniformiser la dénomination des libellés des brochures tarifaires des établissements bancaires, qui utilisent des intitulés différents pour les mêmes prestations. Il en résulte deux conséquences : d’une part, il est très difficile de comparer les offres du marché et, d’autre part, la concurrence entre les banques n’est pas suffisamment effective, en dépit du dispositif de mobilité bancaire qui a été créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. En vue de favoriser la concurrence, nous vous proposons de réécrire l’article L. 314-7 du code monétaire et financier, afin que les banques utilisent exclusivement la dénomination issue de la nomenclature fixée par décret au sein de leurs brochures tarifaires et lorsqu’elles s’adressent à leurs clients.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Voilà qui nous emmène un peu loin, une fois encore, du projet de loi. Des engagements de place ont par ailleurs été obtenus grâce à l’action du ministre : il faudrait attendre leur mise en œuvre. J’émets donc un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis défavorable. L’uniformisation de tous ces services bancaires – via leurs noms et les brochures correspondantes – est assez éloignée de la question du financement des entreprises. Cela reviendrait, en outre, à mettre une limite extrême à la liberté d’entreprendre.

M. Boris Vallaud. Il y a bien d’autres sujets que le financement des entreprises dans ce projet de loi… Ces amendements pourraient donc y trouver leur place. Je voudrais également souligner que les engagements n’engagent que ceux qui y croient, comme c’est le cas pour le code de gouvernement d’entreprise adopté par l’Association française des entreprises privées (AFEP) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : il peut être préférable d’inscrire dans la loi les règles dont on souhaite l’application.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS812 de M. Thibault Bazin et CS1169 de M. Philippe Chassaing.

M. Thibault Bazin. Je vous propose de soumettre à une amende de 300 000 euros tout établissement bancaire qui ne respecterait pas les obligations d’informations qui s’imposent à lui. Ce serait une mesure efficace pour lutter les dénominations trompeuses.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. J’émets un avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment. J’ajoute qu’une amende de 300 000 euros me paraît disproportionnée par rapport aux manquements concernés et à d’autres infractions similaires.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’aurais plutôt attendu cet amendement de la part de M. Ruffin ou d’un membre d’un autre groupe parlementaire que celui de M. Bazin… Un montant de 300 000 euros pour une infraction de cette nature me semble excessif – je rappelle que le maximum est 3 000 euros à l’heure actuelle ! Cela ne respecte pas le principe de proportionnalité des sanctions, et j’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis la commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CS1227 de M. Charles de Courson et CS1499 de Mme Laure de La Raudière, ainsi que l’amendement CS421 de Mme Patricia Mirallès.

M. Charles de Courson. L’amendement CS1227 permettra de supprimer la condition de lien économique pour l’octroi des prêts interentreprises, tout en maintenant les autres critères. Je propose en outre que le Médiateur du crédit aux entreprises établisse une charte des bonnes pratiques.

Mme Laure de La Raudière. Je voudrais simplement ajouter que la condition d’un lien économique est un frein considérable au développement du crédit interentreprises. Quand on a besoin d’un crédit, on ne va pas toujours voir son fournisseur, car on risque de devenir dépendant de lui à long terme, comme on le voit chez les boulangers à l’égard des minotiers
– mais c’est également vrai dans d’autres filières économiques. Ce n’est pas très sain pour la concurrence entre les fournisseurs. C’est pourquoi il serait intéressant d’ouvrir davantage les possibilités de crédit.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Si l’on supprime cette condition, toute entreprise pourra devenir une banque, en quelque sorte. Quand on a besoin de trésorerie, il peut être utile d’aller la chercher au-delà de ses fournisseurs ou de ses clients, vous avez raison sur ce point, mais je pense qu’il faudrait restreindre davantage cette possibilité que ces amendements ne le proposent. J’y suis donc défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je comprends parfaitement les arguments exposés par Laure de La Raudière, mais ces amendements reviendraient à transformer un dispositif qui se place dans le cadre du développement des filières en un système dans lequel toute entreprise pourrait se transformer en banque, comme le rapporteur l’a très bien dit. Même si je vois bien la simplification que cela permettrait, je vous invite à retirer ces amendements pour les limiter davantage : on s’éloigne quand même beaucoup du champ initialement prévu par la loi de 2015.

M. Charles de Courson. Si je comprends bien, vous n’êtes pas insensible à nos amendements, mais vous trouvez qu’ils vont trop loin. Vous voudriez que l’on ne supprime pas totalement le critère du lien économique, n’est-ce pas ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. On pourrait raisonner dans le cadre des filières, au sens large du terme.

M. Charles de Courson. C’est déjà très fréquent en leur sein : certaines entreprises financent même les investissements de leurs sous-traitants. Si l’on se plaçait dans le cadre des filières, seriez-vous ouvert à une évolution du dispositif ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je pense que cela conviendrait, oui.

Les amendements sont retirés.

Puis la commission examine l’amendement CS102 de M. Patrick Hetzel.

M. Thibault Bazin. Chacun sait les difficultés des PME à accéder à des crédits – c’est pourquoi nous travaillons depuis des heures sur la question de leur financement. Par l’amendement CS102, nous proposons que les banques et les établissements de crédit puissent afficher leurs efforts dans ce domaine en publiant des statistiques annuelles sur leur action à l’égard des TPE et des PME.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La transparence est toujours une bonne chose. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même position. Cet amendement a un aspect très positif : il existe tellement de fantasmes et de critiques sur l’accès des PME aux crédits bancaires qu’avoir plus d’information ne serait pas forcément une mauvaise chose. Si je ne donne pas un avis favorable, c’est que cela représenterait une exigence supplémentaire qui ne serait pas simple à remplir. Je vous suggère plutôt de retirer l’amendement afin de préciser davantage sa rédaction : faut-il raisonner par banques ou par établissements de crédits, et doit-on le faire de manière agrégée ? Les banques peuvent avoir des types d’activités très différents : certaines prêtent aux particuliers, et d’autres aux PME. La Banque postale risquerait, par exemple, d’avoir un reporting peu positif, alors qu’elle fait très bien son travail à l’égard des particuliers. La mesure que vous proposez pourrait, en réalité, avoir des effets négatifs.

M. Thibault Bazin. Je vais retirer l’amendement et me tenir à l’écoute de vos services pour mieux le préciser.

L’amendement est retiré.

Elle examine ensuite l’amendement CS109 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Louis Masson. Nous avons déposé cet amendement afin de sécuriser juridiquement la situation des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) grâce à un rééquilibrage du rapport de force entre les actionnaires majoritaires et minoritaires. Nous inscrirons ainsi dans la loi le mécanisme jurisprudentiel de « l’abus de majorité », tout en le renforçant. Vous savez qu’il prévoit un dédommagement de l’entreprise dans le cas où les associés majoritaires ont pris une décision contraire à son intérêt. À défaut d’une juste compensation, ces acteurs seront désormais tenus de proposer aux actionnaires minoritaires le rachat de leurs parts sociales. Cette disposition contribuera à créer les conditions d’un partenariat fertile entre les grands groupes et les PME ou les ETI, ce qui est indispensable à leur développement.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je vois deux inconvénients à cet amendement. D’une part, il élargirait considérablement le délit d’abus de majorité, qui est sanctionné lorsque le comportement des actionnaires majoritaires porte atteinte aux actionnaires minoritaires : serait désormais visée toute atteinte aux « intérêts propres » de la société. D’autre part, la sanction consisterait à obliger les actionnaires majoritaires à racheter les parts des actionnaires minoritaires, alors que la sanction actuelle est normalement le versement de dommages et intérêts ou la nullité de la décision abusive. Sur ces deux plans, l’extension que vous proposez me paraît aller trop loin, et je donne donc un avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même position.

M. Jean-Paul Mattei. Ce serait, en effet, une vraie révolution du droit des sociétés.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS865 de M. Pierre Cordier, CS1234 de M. Pierre Dharréville et CS2143 de M. Dominique Potier.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CS865 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement CS1234 a pour objet d’élargir la liste des cas dans desquels l’emprunteur ne doit aucune indemnité au prêteur lorsqu’un crédit est remboursé par anticipation à la suite de la vente d’un bien immobilier. Une étude de l’UFC-Que Choisir réalisée en 2017 a montré que les consommateurs peinent fréquemment à faire valoir leur droit à l’exonération des frais correspondants, qui peuvent représenter jusqu’à 3 % du capital restant dû. Nous proposons de clarifier le régime en vigueur en ajoutant les causes suivantes : l’invalidité de l’emprunteur, de ses enfants, de son conjoint ou de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, la situation de surendettement de l’emprunteur ou de son conjoint, l’expiration des droits à l’assurance chômage et enfin la cessation d’une activité non salariée à la suite d’un jugement de liquidation judiciaire. Tous ces cas devraient logiquement entrer dans le champ d’application du dispositif, car ils peuvent contraindre des consommateurs à vendre leur bien immobilier, soit pour limiter les risques de mal-endettement voire de surendettement, soit pour occuper un logement plus adapté à leur propre situation d’invalidité ou à celle d’un membre de leur ménage.

M. Boris Vallaud. Je considère que l’amendement CS2143 a été défendu, de manière très claire, par Pierre Dharréville.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable : même si l’intention est louable, nous sommes très loin du sujet. Des évolutions législatives pourraient être nécessaires, mais pas dans le cadre de ce texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. Je rappelle aussi que la procédure de traitement du surendettement tel que définie dans le code de la consommation permet de traiter cette difficulté, tout au moins en partie.

La commission rejette ces amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CS866 de M. Pierre Cordier, CS1187 de M. Daniel Fasquelle et CS2144 de M. Dominique Potier.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Même avis que précédemment : l’intention est louable, mais ce projet de loi n’est pas le bon cadre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Une fois de plus, on nous explique que ce ne serait pas le bon texte, car les amendements ne correspondraient pas à son objet ou à sa philosophie. Comme le projet de loi a des objets très divers, un tel argument me paraît insuffisant.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je l’ai dit au début de nos travaux : les dispositions de ce texte ont un objectif commun, qui est de faire en sorte que les entreprises soient à la fois plus libres, plus prospères et plus responsables. Derrière ce chapeau assez large, on trouve, c’est vrai, un certain nombre de mesures, mais nous avons d’emblée souhaité que l’on sorte du champ du projet de loi plusieurs sujets sans doute importants mais qui n’entrent pas dans le cadre, à notre sens – vous vous souvenez que nous avons notamment eu un débat sur la question des associations. C’est ce fil directeur que je suis lorsque nous examinons les amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Au-delà de l’argument rappelé par le rapporteur général, je voudrais préciser, afin de rassurer M. Dharréville, qu’il existe déjà tout un dispositif, assez lourd, de sanctions en cas de non-respect de l’obligation de rembourser le payeur à la suite d’opérations non autorisées : même si l’on peut toujours envisager de renforcer le dispositif, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Banque de France ont des moyens d’action.

M. Daniel Fasquelle. Nous avons déjà eu ce débat sur les contours du projet de loi. Je ne suis pas d’accord avec le rapporteur général lorsqu’il veut exclure les associations intervenant dans le champ économique – ce sont, dès lors, des entreprises qui concurrencent directement les sociétés civiles et commerciales – mais je suis d’accord avec lui, en revanche, pour écarter les associations à but uniquement philanthropique : l’association des joueurs de boules du quartier du Champ de Mars n’entre pas dans le champ d’application de ce projet de loi… Je crois aussi que l’on peut faire une distinction entre ce qui relève du droit économique, ou du droit des entreprises, et ce qui touche à la protection des consommateurs. À ce titre, j’entends l’argument du ministre – ce sujet relève d’abord du droit de la consommation – et je veux bien m’y ranger en retirant notre amendement. Le Gouvernement peut-il néanmoins s’engager à ce que cette question, très importante, de la relation entre les consommateurs et les établissements bancaires soit traitée dans le cadre d’un autre véhicule législatif ? On ne peut pas se contenter de laisser ce sujet en suspens.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis ouvert sur ce point.

L’amendement CS1187 est retiré.

La commission rejette les autres amendements.

Puis elle examine l’amendement CS685 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS685 est défendu.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. J’avoue une certaine incompréhension quant à l’objectif visé : cet amendement tend à créer un nouveau livret d’épargne qui ne bénéficierait pas d’avantages fiscaux ou sociaux alors qu’il serait calqué sur le livret de développement durable et solidaire (LDDS). Si vous envisagez, en réalité, de donner à ce livret les mêmes avantages fiscaux qu’au LDDS, j’émettrai un avis défavorable car il n’est pas question de créer un nouveau livret défiscalisé. Par ailleurs, si l’on n’accorde pas d’avantages fiscaux et sociaux à ce livret, alors je ne vois pas vraiment pour quelles raisons on lui donnerait une existence juridique.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur. J’ajoute que la philosophie du Gouvernement est de créer un prélèvement forfaitaire unique pour assurer une fiscalité homogène entre les différents produits d’épargne, tout en gardant un livret auto-réglementé avec le livret A et le livret de développement durable et solidaire. Cet amendement n’est donc pas conforme à la politique que nous avons mise en œuvre depuis maintenant plus d’un an. Avis défavorable.

M. Daniel Fasquelle. Vous avez bien compris que l’objectif est de collecter des fonds pour aider au financement des petites entreprises et de l’innovation. Créer un nouvel outil qui serait précisément ciblé sur les petites entreprises et l’innovation représente malgré tout un certain intérêt.

Cela étant, je reconnais que cet amendement n’est pas forcément bien rédigé. Je le retire donc, et je le redéposerai pour la séance.

L’amendement CS685 est retiré.

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Article 27 bis (nouveau)
(article L. 221–32 du code monétaire et financier
Retrait avant huit ans sans clôture du PEA ou PEA-PME et plafonnement des frais

Par l’adoption de deux amendements de M. Adrien Taquet et du groupe la République en Marche, la commission spéciale a entendu assouplir certains points communs au régime du PEA et à celui du PEA-PME.

Elle a ainsi créé un article additionnel qui comprend deux modifications à l’article L. 221‑32 du code monétaire et financier.

● En premier lieu, cet article introduit dans le droit une dérogation à la règle commune aux PEA et PEA-PME, selon laquelle tout retrait avant l’expiration d’un délai de huit ans à compter de l’ouverture du plan entraîne la clôture de celuici.

De tels retraits sans clôture seront possibles en cas de licenciement, de mise à la retraite anticipée ou d’invalidité du titulaire du plan ou de son conjoint. Ces dispositions sont inspirées de celles applicables aux contrats d’assurance‑vie.

● En second lieu, cet article additionnel plafonne les frais facturés au titulaire du plan par la personne auprès de laquelle il est ouvert à raison de son ouverture, de sa tenue, des transactions opérées ou d’un éventuel transfert du plan. Cet amendement a été sous‑amendé sur proposition du Gouvernement pour exclure un plafonnement légal du délai dans lequel un transfert est, le cas échéant, réalisé.

La détermination précise des montants maximaux des frais est renvoyée à un décret.

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La commission est saisie de l’amendement CS1586 de M. Adrien Taquet.

Mme Amélie de Montchalin. Cet amendement fait suite aux travaux engagés depuis le 22 janvier dernier sur l’investissement productif avec l’ensemble des intermédiaires financiers.

Actuellement, un retrait sur un plan d’épargne en actions (PEA) ou un PEA-PME avant les huit ans du plan entraîne sa fermeture automatique. Nous souhaiterions, comme cela est le cas pour l’assurance-vie, que les retraits soient possibles en cas de licenciement, de retraite anticipée ou d’invalidité du titulaire du plan ou de son conjoint ; cela rendrait le PEA et le PEA-PME plus attrayants pour les ménages, qui préfèrent l’assurance-vie à ces placements, pourtant beaucoup plus utiles à nos PME et nos ETI.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cet amendement rend en effet le PEA-PME plus attractif, sans déséquilibrer le dispositif. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous souhaitons développer le PEA-PME, qui est un produit extrêmement précieux pour le financement des PME mais sur lequel pèsent aujourd’hui des contraintes. Cet amendement assouplit le dispositif. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle aborde ensuite, en discussion commune, l’amendement CS1873 de M. Adrien Taquet, qui fait l’objet du sous-amendement CS2384 du Gouvernement, les amendements identiques CS369 de M. Jean-François Cesarini et CS1802 de M. M’Jid El Guerrab, ainsi que les amendements identiques CS370 de M. Jean-François Cesarini et CS1803 de M. M’Jid El Guerrab.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. La loi du 6 août 2015 relative à la croissance, à l’activité et à l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », a simplifié la mobilité bancaire en obligeant les banques à proposer un mandat de mobilité et à ne plus le facturer. Dans la continuité de cette simplification et de cette diminution de la tarification bancaire, nous proposons donc, par l’amendement CS1873, que, pour ce qui concerne notamment le PEA-PME, les frais de garde – qui peuvent aller jusqu’à 300 euros par ligne –, les frais de transfert et les délais de transfert – qui peuvent être très longs – soient désormais encadrés et plafonnés par décret. Ceci permettra d’éviter une captation de l’avantage fiscal lié au PEA-PME par les intermédiaires financiers.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Plafonner les frais bancaires est une très bonne idée, à laquelle nous sommes très favorables.

Nous vous proposons donc un sous-amendement qui limite la portée de cet amendement au plafonnement des frais. Non seulement c’est la question qui préoccupe le plus les épargnants éventuellement intéressés par le PEA-PME, mais, de surcroît, nous manquons de visibilité sur la question des délais de transfert, notamment pour ce qui relève de l’entreprise.

M. Jean-François Cesarini. Je voudrais signaler en préambule que je n’ai pas obtenu de réponse sur la dématérialisation que proposait mon précédent amendement.

En ce qui concerne l’amendement CS369, il s’appuie sur le constat que les frais bancaires et les commissions perçues par les établissements lors de l’inscription ou de la vente des titres non cotés sont tels qu’ils constituent un véritable frein à l’investissement, en particulier dans les titres éligibles au PEA‑PME. Cet amendement a pour objectif de plafonner ces frais et de développer le financement de l’économie à travers le PEA-PME.

Le coût facturé par les établissements bancaires – de 50 à 300 euros par ligne de titres – est totalement rédhibitoire alors que les investissements sont possibles à partir de 100 euros minimum. Ils captent complètement l’avantage fiscal lié au PEA-PME.

La limitation des frais permettra d’ouvrir le PEA-PME au plus grand nombre. De même que l’arrêté du 11 juin 2018 plafonne les frais facturés par les intermédiaires financiers sur les souscriptions de titres éligibles au dispositif IR-PME, il est indispensable que les frais facturés par les établissements auprès desquels sont ouverts des PEA-PME soit proportionnés au montant souscrit, afin que les avantages fiscaux liés à la détention d’un plan en actions destiné au financement des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire ne soient pas annulés par cette surfacturation de frais.

M. M’jid El Guerrab. Le PEA-PME doit amener les Français à participer davantage au financement des petites et moyennes entreprises. L’amendement CS1802 vise à plafonner les frais bancaires perçus par les établissements lors de l’inscription et de la vente de titres non cotés afin que ces frais ne soient plus un frein à l’investissement et que les titulaires d’un PEA-PME aient une meilleure visibilité des frais occasionnés par cet instrument.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je suis favorable à l’amendement CS1873 sous-amendé. Je demande donc à MM. El Guerrab et Cesarini de retirer leurs amendements.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Nous acceptons de ne voter que le plafonnement des frais bancaires mais aimerions que la question des délais soit prise en compte lors de notre discussion en séance publique. Ces délais peuvent avoir un effet dissuasif et je suis sûre qu’il est possible d’obliger les banques à les raccourcir.

M. Charles de Courson. Les banques faisant preuve d’une inventivité extraordinaire en matière de frais bancaires de toute nature, le Gouvernement se sent-il capable techniquement de plafonner ces frais ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. À l’instar du rapporteur, j’émets un avis favorable à l’amendement CS1873 tel que sous-amendé par le Gouvernement et suggère le retrait des autres amendements.

Je suis convaincu qu’il est possible de parvenir au plafonnement des frais bancaires. C’est indispensable pour relancer le PEA-PME : certains mouvements de titres peuvent coûter jusqu’à 300 euros, ce qui est totalement dissuasif. Ce plafonnement correspond à un engagement fort du Gouvernement et je veillerai personnellement à ce que nous ayons gain de cause en la matière.

J’en profite pour vous citer les mesures de simplification complémentaires auxquelles nous travaillons concernant la gestion du PEA-PME. Outre le plafonnement des frais qui est pour moi la priorité absolue, nous allons supprimer l’exigence d’écrire en toutes lettres le nombre de titres souscrits, pour faciliter la dématérialisation des procédures, ce qui répond à une demande qui m’a été faite tout à l’heure. Nous allons également supprimer l’ordre de mouvement, qui complique les transferts de titres d’un PEA d’une banque à une autre. Nous allons enfin mettre un terme à l’exigence d’un courrier recommandé avec accusé de réception pour les transferts de titres non cotés. Ces mesures seront prises par voie réglementaire.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je salue les engagements qui viennent d’être pris par M. le ministre. Si ces mesures sont combinées avec le plafonnement des frais et l’évolution relative à la dématérialisation, que nous devrions voter en séance publique, on peut espérer que le PEA-PME deviendra beaucoup plus attractif.

Les amendements CS369, CS1802, CS370 et CS1803 sont retirés.

La commission adopte successivement le sous-amendement CS2384 puis l’amendement CS1873 ainsi sous-amendé.

Après l’adoption de ces amendements, l’article 27 bis est ainsi rédigé.

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Article 27 ter (nouveau)
(article L. 221–32–2 du code monétaire et financier)
Ouverture du PEA-PME aux obligations convertibles en actions non cotées et aux parts de fonds professionnels de capital–investissement

En adoptant deux amendements de Mme Aurélie de Montchalin, de M. Joël Giraud et d’autres membres du groupe La République en Marche, la commission spéciale, dans la perspective tracée par le projet de loi, a souhaité approfondir l’ouverture du PEA-PME à de nouveaux titres financiers.

● Le PEA-PME est déjà ouvert aux obligations convertibles ou remboursables en actions négociables sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation. La commission a unifié le traitement de ces titres en autorisant la détention dans le PEA-PME d’obligations convertibles ou remboursables en actions non cotées.

● En second lieu, la commission spéciale a ouvert le PEA-PME aux parts de fonds professionnels de capitalinvestissement (FPCI).

Ces fonds sont régis par les articles L. 214‑159 à L. 214‑162 du code monétaire et financier. Ils ont pour vocation principale de collecter de l'épargne pour l'investir dans des sociétés non cotées et dans des sociétés cotées de faible capitalisation boursière, et ainsi concourir au financement en fonds propres des entreprises.

La souscription de parts est strictement encadrée : ils sont réservés notamment aux investisseurs professionnels, c’est-à-dire, au titre de l’article L. 533‑16 du même code, « un client qui possède l'expérience, les connaissances et la compétence nécessaires pour prendre ses propres décisions d'investissement et évaluer correctement les risques encourus. », à ceux dont la souscription initiale est d’au moins 100 000 euros (article 423-49 du règlement général de l’AMF) ou à des investisseurs qui remplissent d’autres conditions précises.

Ils peuvent permettre de bénéficier d’un régime fiscal favorable, selon la composition de leur actif.

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La commission en vient à l’amendement CS1903 de Mme Amélie de Montchalin.

Mme Amélie de Montchalin. Depuis le 1er janvier 2016, le PEA-PME est ouvert aux obligations convertibles ou remboursables en actions dès lors que ces produits financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé.

Par parallélisme des formes et par cohérence avec l’outil même qu’est le PEA-PME, nous proposons de rendre éligibles au PEA-PME les obligations convertibles ou remboursables en actions qui ne seraient pas cotées. Je comprends que des doutes soient exprimés quant aux effets de levier et aux potentielles utilisations du dispositif à des fins exclusivement fiscales. Cependant, notre objectif est de financer la croissance et l’innovation d’entreprises qui pourraient connaître un développement important et qui prennent des risques. Les obligations convertibles et remboursables en actions sont d’extrêmement bons outils, trop peu développés pour les PME et ETI. Pouvoir les loger dans un PEA-PME les rendrait très attractives. Compte tenu de votre engagement, monsieur le ministre, pour financer la robotisation, la numérisation et la croissance de l’innovation de rupture dans nos PME et ETI, je pense que c’est là une bonne idée.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les obligations convertibles en actions sont des titres de quasi-fonds propres, utilisés pour le financement des entreprises innovantes. Le PEA-PME a été ouvert en loi de finances rectificative pour 2015 à ces titres lorsqu’ils sont cotés. Vous proposez d’ouvrir le PEA-PME à ces titres, même quand ils ne sont pas cotés : j’y suis favorable. L’administration a exprimé la crainte que cela donne lieu à des abus. Il faudra alors légiférer mais il me paraît sain d’ouvrir le PEA-PME à ce type d’instruments.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis assez réservé vis-à-vis de cet amendement, qui s’écarte de la logique du PEA‑PME. Ce PEA ouvre droit à un avantage fiscal important, je le rappelle : une exonération du prélèvement forfaitaire unique pour les titres cédés au bout de cinq ans. L’avantage fiscal est justifié par le fait que les titres vont financer l’économie réelle et les PME. Dans le cas des obligations convertibles, le prix d’exercice de l’option peut être inférieur ou supérieur au prix de l’action, avec la marge d’incertitude que cela implique. Cet amendement attache un avantage fiscal à un dispositif qui ne renforce pas directement les fonds propres de l’entreprise et qui est lié à la valorisation de l’option. Cela peut se défendre mais, dans une stricte logique fiscale, j’estime qu’un tel avantage est injustifié.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, puisque vous ne remettez pas en cause l’éligibilité des obligations convertibles en actions cotées dans le PEA-PME, il faut aller jusqu’au bout de votre logique. Si ces obligations convertibles sont éligibles, il me paraît incohérent d’écarter les obligations convertibles en actions non cotées. C’est pourquoi je soutiendrai cet amendement, à une réserve près : il faudrait plafonner cette mesure afin d’éviter le dévoiement du PEA-PME.

Mme Amélie de Montchalin. Il y a deux options possibles. Si l’on considère que les obligations convertibles et remboursables en actions ne devraient pas être dans le PEA-PME, il faut les extraire du dispositif et trouver une solution pour qu’elles soient quand même accessibles aux particuliers. En effet, pour la numérisation, la robotisation et les investissements de rupture, ces obligations sont d’excellents outils : l’investisseur prend un risque dans l’entreprise et si le projet est un succès, l’investisseur peut entrer au capital de l’entreprise. Cela correspond parfaitement à la logique de rupture, de croissance et d’innovation que nous défendons dans ce projet de loi. L’autre option consiste, par parallélisme des formes et conformément à la vocation du PEA-PME, à permettre aux obligations non cotées de bénéficier du dispositif.

M. Laurent Saint-Martin. Je voudrais abonder dans le sens de Charles de Courson. Ce serait une erreur que de revenir sur la possibilité d’inclure les obligations cotées dans le PEA-PME. Il faut que l’ensemble des obligations, cotées et non cotées, puissent bénéficier du dispositif. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, monsieur le ministre quand vous dites que les obligations convertibles ne sont pas des fonds propres dans le cas des jeunes entreprises : c’est pour elles l’outil de fonds propres par excellence. Ces entreprises ont souvent un capital social très faible et beaucoup d’obligations convertibles. C’est souvent à cela qu’on reconnaît les start-up innovantes.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Une obligation convertible cotée est facile à valoriser, puisqu’elle a un prix directement observable par l’administration qui contrôle les abus. Une obligation convertible non cotée, en revanche, n’a pas de prix. Il est donc en théorie plus facile d’abuser du dispositif en utilisant ce type d’obligations, mais cela ne doit pas nous empêcher d’adopter l’amendement. Si abus il y a, peut-être faudra-t-il alourdir les sanctions applicables.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je m’en remets à la sagesse de la commission. Toutes les mesures qui seront adoptées dans ce projet de loi doivent se justifier dans leur principe. Le rapporteur vient de rappeler que dans le cadre d’une société cotée, l’écart entre le prix d’achat et le prix d’option est mesurable, documenté, informé, et généralement assez limité. L’exonération fiscale porte donc sur des montants restreints. Dans le cas des obligations hors marché, l’exonération peut porter sur un montant extraordinairement élevé. Il faudra donc a minima assurer un suivi très précis de cette mesure pour garantir qu’il n’y ait pas d’excès ou d’effet d’aubaine.

La commission adopte l’amendement.

La commission étudie l’amendement CS1902 de Mme Amélie de Montchalin.

Mme Amélie de Montchalin. Nous proposons de rendre les fonds professionnels de capital-investissement (FPCI) éligibles au PEA-PME. Le projet de loi PACTE prévoit la possibilité d’ouvrir aux particuliers, dans l’assurance-vie, l’accès aux FPCI. Nous jugeons utile que les particuliers qui auraient un PEA‑PME puissent avoir le même droit d’investissement que les investisseurs institutionnels ayant habituellement accès à ces produits. Il règne en effet une grande injustice face à l’investissement : les ménages qui ont beaucoup de patrimoine ont accès à des produits à fort rendement, tandis que ceux qui ont peu de patrimoine, parce qu’ils ne sont pas considérés comme des professionnels, ont accès à des produits d’épargne à faible rendement. Thomas Piketty dit souvent que l’argent des riches prospère mais pas celui des pauvres, ce qui entretient les inégalités. Nous proposons d’ouvrir l’accès des particuliers, aux côtés d’investisseurs institutionnels, à des produits extrêmement performants, diversifiés et utiles au financement de nos PME et ETI.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il est vrai que, depuis le 22 janvier dernier, nous luttons contre le phénomène que vous dénoncez.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’article 21 du projet de loi ouvre effectivement l’assurance vie aux FPCI, mais en réservant cette possibilité aux seuls investisseurs dits « avertis », c’est-à-dire ceux qui peuvent démontrer leur capacité à comprendre les mécanismes financiers et qui investissent au moins 100 000 euros.

Dans le cadre du PEA-PME, le plafond actuel étant limité à 75 000 euros, la disposition proposée ne serait pas très opérante, car le montant à souscrire pour être considéré comme un investisseur « averti » afin de pouvoir investir dans un FCPI serait supérieur à ce plafond. En outre, nous avons adopté un amendement qui mutualise le plafond du PEA-PME et celui du PEA, soit un plafond global de 225 000 euros. On peut toutefois se demander si le PEA-PME, qui reste un instrument s’adressant à l’épargne populaire, constitue le bon véhicule pour ces fonds professionnels destinés aux investisseurs « avertis ».

Pour ces raisons, je vous demanderai de bien vouloir retirer cet amendement afin que nous puissions l’étudier plus avant en vue de l’examen du texte en séance publique.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je partage l’avis du rapporteur. La maxime « petits épargnants, petits rendements » est certes juste, mais, de ce fait, le risque encouru est également moindre.

J’ajoute, pour la bonne information des commissaires, que cette proposition revient à détourner quelque peu le PEA-PME de son objectif initial, qui est de permettre à de petits épargnants de s’intéresser au financement de l’économie, et en particulier des PME.

C’est pourquoi je m’en remets à la sagesse de la commission.

Mme Amélie de Montchalin. Je comprends vos réserves, mais il me semble que, pour certains particuliers qui chercheraient à accéder à des fonds diversifiés de professionnels qualifiés, investir directement 100 000 euros aux côtés d’investisseurs professionnels plutôt que quatre fois 25 000 euros leur assurerait un très bon rendement. Il est probable que peu de Français choisiront cette stratégie, mais il me semble qu’il s’agit à leur égard d’une mesure de justice.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je serais curieux de savoir combien de Français sont susceptibles d’engager une somme de 100 000 euros dans un placement financier… Cette mesure peut donc être adoptée au nom de l’efficacité, mais je ne la défendrai pas au nom de la justice !

La commission adopte l’amendement.

Après l’adoption de ces amendements, l’article 27 ter est ainsi rédigé.

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Article 27 quater (nouveau)
(article L. 312–19 du code monétaire et financier)
Élargissement des dispositions légales applicables aux comptes inactifs aux produits d’épargne salariale et aux produits de participations affectés à des comptes courants bloqués

Aux termes de l’article L. 312‑19 du code monétaire et financier, un compte courant est considéré comme inactif après 12 mois consécutifs sans mouvement et sans nouvelles de son titulaire.

La loi du 13 juin 2014, dite « loi Eckert », impose aux banques et assurances, depuis le 1er janvier 2016, de recenser les comptes bancaires inactifs et les contrats d’assurance vie en déshérence afin d’en rappeler systématiquement l’existence à leur titulaire.

La commission spéciale, à l’initiative de M. Charles de Courson et d’autres membres du groupe UDI, Agir et Indépendants, a adopté un amendement visant à inclure expressément dans ce dispositif les produits de l’épargne salariale issus de plans d’épargne interentreprises et de plans d’épargne pour la retraite collectifs, ainsi que les produits de la participation affectés à un compte bloqué.

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La commission étudie, en discussion commune les amendements CS1754, CS1747, CS1762, CS1769 et CS1773 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Vous vous souvenez, mes chers collègues, que nous avons adopté la loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence, dite « loi Eckert ». S’agissant des assurances vie en déshérence, on ne retrouvait pas les bénéficiaires parce que les assureurs ne cherchaient pas bien… La loi a donc étendu l’obligation d’identification à un certain nombre de comptes inactifs ; l’objet de ces cinq amendements est d’étendre ces dispositions à d’autres produits d’épargne dont certains sont perdus.

Mon amendement CS1754 consiste à étendre les dispositions de cette loi aux comptes plans d’épargne retraite collectif (PERCO) et aux plans d’épargne retraite collectifs interentreprises (PERCOI).

L’amendement CS1747 concerne les comptes courants bloqués, le CS1762 les comptes inactifs.

Enfin, les amendements CS1769 et CS1773 visent à impose l’obligation de recherche afin d’assurer aux propriétaires de fonds délaissés ou dont ils ne connaissent pas l’existence, ainsi qu’à leurs ayants droit, le juste retour de ces fonds.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Ces amendements s’éloignent quelque peu du cœur du projet de loi, puisqu’ils concernent les relations entre les sociétés financières et les épargnants. Toutefois, les deux premiers s’en rapprochent puisqu’ils permettent de s’assurer que les comptes d’épargne-retraite salariale soient bien couverts par la loi Eckert.

Mon avis sur l’amendement CS1747 sera favorable ; en revanche, je demanderai le retrait des autres amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur. C’est une vraie question, mais on est quand même loin des outils de financement des PME. Néanmoins, l’amendement CS1747 peut être utile. J’y suis donc favorable, et je suggère le retrait des autres amendements en sa faveur.

M. Charles de Courson. Je les retire tous, sauf le CS1747, en soulignant que ceux qui passent d’entreprises en entreprises tous les deux ou trois ans ont des bouts d’épargne salariale un peu partout : il arrive qu’on en oublie, alors que les montants peuvent être importants. Imposer une obligation aux acteurs concernés serait conforme au bon sens.

Les amendements CS1754, CS1762, CS1769 et CS1773 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CS1747.

L’article 27 quater est ainsi rédigé.

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Article 27 quinquies (nouveau)
(article L. 511–6 du code monétaire et financier)
Assouplissement du régime du prêt inter–entreprises

Le prêt inter-entreprises permet de diversifier les sources de financement des entreprises mais constitue une dérogation au monopole bancaire. Il est donc encadré par la loi. La commission spéciale a souhaité en assouplir le régime sur deux points.

● Seules les sociétés par actions et les SARL, dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes, peuvent en effet consentir des prêts d'une durée de moins de deux ans, portant intérêts, à des TPE, PME ou ETI avec lesquelles elles ont des liens économiques, par exemple comme clients ou fournisseurs.

En premier lieu, la commission spéciale a donc adopté un amendement portant article additionnel proposé par M. Philippe Bolo et d’autres membres du groupe MoDem, qui étend la possibilité de pratiquer un tel prêt à toutes les sociétés commerciales. Cet amendement a donc pour effet d’inclure les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple dans le champ du dispositif du prêt inter‑entreprises.

Celles‑ci sont des sociétés à risque illimité : leurs membres encourent une responsabilité indéfinie, non limitée aux apports. Les sociétés en nom collectifs sont peu réglementées, nécessairement composées de commerçants et l’intuitu personnae, ainsi que le risque, y est maximal. La société en commandite simple semble quant à elle tombée en quasi‑désuétude[165].

Au‑delà des divers formes de société qu’elles peuvent revêtir, les sociétés commerciales ont en commun le régime de leurs actes (actes de commerce, ils relèvent du tribunal de commerce) et les obligations comptables applicables aux commerçants.

● À l’initiative de Mme Patricia Mirallès, la commission spéciale a ensuite adopté un amendement qui étend la durée maximale d’un prêt interentreprises de deux à trois ans.

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La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS1971 et CS2015 de M. Philippe Bolo, ainsi que l’amendement CS420 de Mme Patricia Mirallès.

M. Philippe Bolo. Nous souhaitons réduire le monopole du crédit bancaire : la possibilité de consentir des prêts interentreprises est actuellement limitée aux sociétés anonymes (SA) et aux sociétés à responsabilité limitée (SARL), et il faut en outre que des liens économiques justifient les prêts, que les comptes soient certifiés par des commissaires aux comptes et qu’une telle activité ne soit qu’accessoire par rapport à l’objet social des entreprises concernées.

L’amendement CS1971 vise à simplifier et à étendre les prêts interentreprises en ne les limitant plus aux SA et aux SARL – ce serait possible pour toute société commerciale – et en réduisant l’exigence d’un lien économique. Une seconde option, que je vous propose par l’amendement CS2015, se bornerait à permettre les prêts interentreprises pour toute société commerciale.

Mme Patricia Mirallès. Nos TPE et PME rencontrent des difficultés de financement de plus en plus grandes. C’est pourquoi l’amendement CS420 vise à étendre aux sociétés anonymes la possibilité de consentir des prêts interentreprises.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. En ce qui concerne l’amendement CS1971, il me semble que l’on irait trop loin en supprimant la condition d’un lien économique entre le prêteur et l’emprunteur.

En revanche, je crois opportun d’élargir le prêt interentreprises aux sociétés commerciales en général, comme le propose l’amendement CS2015, auquel je donne donc un avis favorable.

Je demande le retrait de l’amendement CS420 qui est très proche, en présentant mes excuses à Patricia Mirallès : après vérification, ce que vous demandez est déjà possible. Je bats ma coulpe, car je vous avais encouragée à aller dans ce sens.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

Les amendements CS1971 et CS420 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CS2015.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS1970 de M. Jean-Paul Mattei et CS422 de Mme Patricia Mirallès.

M. Jean-Paul Mattei. L’amendement CS1970 s’inscrit dans la continuité des précédents : je vous propose de ne plus limiter les prêts interentreprises à une durée de deux ans et de supprimer l’obligation de certification par un commissaire aux comptes.

Mme Patricia Mirallès. L’amendement CS422 tend à développer les prêts interentreprises en augmentant d’un an leur durée maximale, afin que l’on puisse aller au-delà des fournisseurs.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il me semble que l’on irait trop loin si l’on supprimait complètement la condition de durée. Je vous propose de retirer l’amendement CS1970 en faveur du CS422, qui étend de deux à trois ans la durée autorisée du prêt, et auquel je donne un avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je suis du même avis que le rapporteur. J’ajoute que l’obligation d’avoir des comptes certifiés permet aussi de sécuriser le prêteur. Je vous invite à vous reporter sur l’amendement qui étend la durée des prêts de deux à trois ans : cela me paraît raisonnable.

M. Jean-Paul Mattei. Les sociétés n’ayant pas de commissaires aux comptes – nous avons déjà eu l’occasion d’aborder la question des seuils – sont obligées d’en solliciter un pour avoir recours à ce type d’opérations, lesquelles deviennent donc très lourdes et complexes. C’est un élément de sécurité, mais cela ralentit un peu les opérations. Quant à la question de la durée, aujourd’hui limitée à deux ans, je voudrais préciser que cela conduit à une obligation de reformuler les prêts : je ne suis pas certain que cette limitation dans le temps corresponde vraiment à la vie des entreprises.

La commission rejette l’amendement CS1970.

Elle adopte ensuite l’amendement CS422.

Après l’adoption de ces amendements, l’article 27 quinquies est ainsi rédigé.

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Article 27 sexies (nouveau)
(articles L. 511–6, L. 548–1 et L. 548–6 du code monétaire et financier)
Extension du financement participatif à une société au titre de sa raison d’être

Le 7 de l’article L. 511‑6 du code monétaire et financier dispose que l’interdiction relative aux opérations de crédit ne s’applique pas aux personnes physiques non professionnelles qui consentent des prêts dans le cadre du financement participatif de projets déterminés.

La loi encadre les statuts des plateformes qui proposent ces projets, ainsi que les taux applicables. Une personne ne peut consentir qu’un seul prêt par projet. Un décret fixe la durée maximale de ces prêts et leurs principales caractéristiques.

La commission spéciale a adopté un amendement portant article additionnel, proposé par M. Philippe Bolo et d’autres membres du groupe MoDem, qui vise à permettre des prêts de financement participatif au bénéfice d’une entreprise, à raison non seulement d’un projet déterminé mais également de sa « raison d’être »[166], définie ici comme « l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social » au sens entendu par l’article 1835 du code civil, tel qu’il résulte des autres dispositions du présent projet de loi.

L’amendement prévoit en outre qu’un seul prêt simultané pourra être accordé par une personne au titre d’une raison d’être de société.

Cet amendement vise donc à permettre aux sociétés qui ne recherchent pas la seule réalisation de profits de bénéficier du financement participatif.

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La commission est saisie de l’amendement CS1987 de M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. Cet amendement permettra d’élargir le champ du financement participatif, actuellement limité à des projets, en l’étendant aux entreprises. Par ailleurs, ce serait une disposition cohérente avec le développement des raisons d’être que nous examinerons à l’article 61 – les entreprises, si elles le souhaitent, pourront insérer dans leurs statuts des objectifs sociétaux et environnementaux complémentaires de leur activité économique.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Ce que j’apprécie dans cet amendement, c’est qu’il fera vraiment progresser la logique du financement participatif : aujourd’hui limité à des projets spécifiques, il pourra désormais bénéficier à des entreprises, notamment leurs nouvelles formes que ce projet de loi vise à soutenir. Par conséquent, avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est en effet un amendement intéressant, même si j’ai quelques petites réserves sur la forme. Je m’en remets à la sagesse de votre commission.

La commission adopte l’amendement.

L’article 27 sexies est ainsi rédigé.

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Article 27 septies (nouveau)
(art. L. 5191, L. 5192, L. 51932, L. 51934, L. 5482 et L. 5486 du code monétaire et financier)
Adaptation des statuts d’intermédiaire en opérations de banque et de services de paiement et d’intermédiaire en financement participatif

La commission spéciale, à l’initiative de votre rapporteur, a voulu fluidifier les relations entre deux intermédiaires en matière financière, au bénéfice des emprunteurs.

L’activité d’intermédiation en opérations de banque et services de paiement (IOBSP) vise à mettre en relation un client avec un établissement de crédit ou un établissement de paiement pour des crédits à la consommation, des crédits immobiliers, des services de paiement, etc. Ce statut est applicable à toute personne qui exerce cette activité à titre habituel et contre rémunération ou un autre avantage économique. Il s’agit essentiellement de courtiers et de mandataires qui exercent cette activité en vertu d’un ou plusieurs mandats de clients ou d’établissements.

Le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) peut être utilisé par les plateformes de financement participatif qui proposent de participer au financement d’un projet sous la forme d’un prêt avec ou sans intérêt ou de dons, en mettant en relation les porteurs de projet et les personnes finançant ce projet.

La commission spéciale a ainsi adopté un amendement créant un article additionnel qui permet aux intermédiaires en opérations de banque et de services de paiement d’orienter les emprunteurs vers des intermédiaires en financement participatif, et réciproquement, ainsi que de cumuler les deux statuts.

L’amendement ainsi adopté limite le dispositif au recours à deux intermédiaires au maximum et prend en outre en compte les risques de conflits d’intérêt.

Cette souplesse pourrait permettre, selon votre rapporteur, de réduire les coûts et de diversifier les sources de financement des entreprises.

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La commission est saisie de l’amendement CS2244 du rapporteur.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je vous propose de lever un des verrous qui empêchent le développement du financement participatif, en ajustant les statuts des intermédiaires en opérations de banque et services de paiement (IOBSP), notamment en ce qui concerne leurs relations avec les intermédiaires en financement participatif (IFP), c’est-à-dire les plateformes : les IOBSP pourront orienter des emprunteurs vers les IFP, alors que ce n’est pas possible pour le moment. Cette plus grande souplesse permettra de réduire les coûts et d’assurer une diversification grâce au financement participatif. J’ajoute que la rédaction retenue dans cet amendement prend en compte les risques de conflits d’intérêts qui peuvent être liés à l’élargissement des fonctions des IOBSP.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est une très bonne idée : j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

L’article 27 septies est ainsi rédigé.

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Article 28
(articles L. 22721, L. 22811, L. 22812, L. 22815 et L. 22898 du code monétaire et financier)
Encouragement à l’émission d’actions de référence

I.   l’État du droit

A.   Les droits gÉnÉraux des actionnaires

Les actions ordinaires sont des titres de capital émis par les sociétés par action (sociétés anonymes, société en commandite par actions et sociétés par actions simplifiées) qui imposent une obligation à leur détenteur (réaliser un apport, sauf en cas d’action gratuite) et qui lui confèrent des droits.

1.   Les droits politiques

Ces prérogatives « politiques » trouvent leur source dans l’article 1844 du code civil, qui prévoit le droit de tout associé de participer aux décisions collectives. Il s’agit :

– d’un droit permanent à l’information (obligation de la société de fournir les comptes des trois derniers exercices ou les procès‑verbaux des assemblées, par exemple), qui permet aux actionnaires de participer à la vie de la société et qui est considérablement accru dans les sociétés cotées ([167]) ;

– d’un droit de vote, régi par deux principes : la liberté de vote et l’égalité : « L’idéal républicain (Liberté – Égalité – Fraternité) anime le droit des sociétés » ([168]). Ainsi l’article L. 225‑122 du code de commerce dispose que « […] le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance est proportionnel à la quotité de capital qu'elles représentent et chaque action donne droit à une voix au moins. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

Des aménagements du droit de vote sont cependant autorisés.

Ainsi, pour prévenir l’écrasement des petits porteurs et les prises de contrôle rampantes, notamment, le nombre de voix dont peut disposer un même actionnaire peut être limité par les statuts en application de l’article L. 225‑125 du même code.

En outre, dans les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions, les actionnaires fidèles peuvent être récompensés par un droit de vote double, sur le fondement de l’article L 225-123. Plusieurs conditions doivent être réunies : cette faculté est réservée aux « actions entièrement libérées pour lesquelles il sera justifié d'une inscription nominative, depuis deux ans au moins, au nom du même actionnaire. » Toutefois, depuis la loi « Florange » du 29 mars 2014 ([169]), l’exception est devenue le droit commun dans les sociétés cotées sur un marché réglementé : dans ces sociétés, l’octroi d’un droit de vote double est « de droit, sauf clause contraire des statuts » pour les actions qui satisfont ces mêmes conditions.

2.   Les droits financiers

Aux termes de l’article 1832 du code civil, si une société est créée, c’est « en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. » Ces droits financiers se traduisent donc par :

– un droit aux dividendes, c’est-à-dire une quote‑part des bénéfices réalisés et disponibles, distribués chaque année à la décision de l’assemblée statuant à la majorité simple, cette décision pouvant être encadrée par les statuts (dividende majoré pour les actionnaires fidèles par exemple) ;

– un droit aux réserves (la masse des bénéfices non distribués : c’est la « graisse de la société » ([170]), la protégeant contre les évolutions de la conjoncture, en partie contrainte par l’exigence de constituer une réserve légale ou par les statuts) ;

– un droit au boni de liquidation (le dernier dividende calculé au moment de la liquidation de la société, après remboursement de tous les créanciers).

3.   Les droits patrimoniaux

Ce sont :

– le droit de céder ses actions, avec éventuellement une plus‑value ;

– celui de nantir ses actions, c’est-à-dire les utiliser comme instrument de garantie ;

– le droit de mettre ses actions en location : c’est notamment utile pour faciliter la transmission de petites entreprises, la location pouvant être assimilée à une « période d’essai » avant la reprise de la société ;

– la possibilité de prêter des actions : cette technique peut satisfaire une recherche de rentabilité supplémentaire ou combler un besoin complémentaire de financement ;

– la mise en pension des actions : les actions sont cédées en pleine propriété mais les parties s’engagent à effectuer la transaction inverse à une date convenue, dans le cadre d’une recherche de financement ou de constitution d’une garantie.

Le droit des sociétés est régi par un principe général d’égalité des actionnaires. Ancien en jurisprudence et en doctrine ([171]), il guide le régime des actions et est notamment expressément mentionné dans le code monétaire et financier en matière de réduction du capital social ([172]). Toutefois, il « ne peut pas être analysé comme ayant un caractère absolu » ([173]) et ne fait notamment plus obstacle à la création d’actions dites « de préférence ».

B.   Les actions de prÉfÉrence

Elles se définissent par rapport aux actions ordinaires qui constituent le droit commun. Comme elles, ce sont des titres de capital. Elles ont été introduites en droit français par l’ordonnance du 24 juin 2004, en s’inspirant des législations étrangères, notamment des pays de droit anglo‑saxon.

L’article L. 228‑11 du code de commerce autorise la création d’actions de préférence « avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent ». Il apparaît que la formule de l’article L. 228‑11 « est très large et autorise à pratiquer toutes sortes de préférences. » ([174]).

1.   La souplesse des actions de préférence

Les « préférences » ne doivent pas être comprises selon le sens courant : elles peuvent être favorables ou défavorables aux détenteurs des actions : « en fait l’action de préférence est une action à droits particuliers. » ([175]).

● Certaines préférences sont de nature financière : dividende majoré, préciputaire (prioritaire par rapport à celui lié aux actions ordinaires) ou encore cumulatif (reporté l’année suivante s’il n’est pas satisfait). Il est possible de prévoir un dividende progressif ou dégressif, selon la santé de la société, ou conditionnel par rapport à un certain niveau de résultat ou éventuellement à éclipse (une année sur deux). Il peut aussi être plafonné. Les préférences peuvent en outre concerner le boni de liquidation (par exemple octroyer une priorité ou un pourcentage supérieur à la quote‑part au capital social qu’ils représentent) ou encore le droit au produit de la vente d’un actif social.

A contrario, la participation aux dividendes, aux réserves ou au boni de liquidation peut aussi être réduite.

● Certaines préférences sont de nature extra financière. Elles peuvent ainsi conférer un droit à une information renforcée ou un droit de veto sur certaines décisions ou opérations.

Mais les actions de préférence peuvent également être « négatives » et, par exemple, dépourvues totalement ou partiellement de droit de vote, dans la limite prévue par la loi. Cependant, aux termes de l’article L. 228‑11 du code de commerce, dans les sociétés non cotées, « les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social » (et pas plus du quart dans les sociétés cotées sur un marché réglementé). Le droit de vote peut aussi être temporaire ou limité à certaines décisions ou à certains événements financiers.

Les actions de préférence ont ainsi pu être qualifiées d’ « îlot de liberté susceptible de répondre aux intérêts respectifs tant des investisseurs que des émetteurs » ([176]). Elles ont un véritable intérêt économique, très contemporain. Notamment, elles permettent à un créateur d’entreprise d’obtenir des fonds propres auprès d’investisseurs sans pour autant encourir une dilution financière ou politique excessive du capital social. Les actions de préférence peuvent également être proposées dans le cadre d’un financement participatif ([177]).

● Certaines règles impératives du droit des sociétés encadrent tout de même la liberté importante laissée aux émetteurs.

Notamment, par la combinaison des articles L. 228‑11 et L. 225‑122 à L. 225‑125, les actions à droits de vote multiples sont interdites dans les sociétés anonymes. En effet, ces dispositions croisées conduisent à considérer que la liberté de créer des actions de préférence n’exonère pas les émetteurs du respect du principe de proportionnalité des droits de vote des actions à la quotité du capital qu’elles représentent, à la seule exception des droits de vote double. Cette interdiction n’est donc pas prévue expressément mais est reconnue en droit positif par la doctrine dominante. Ces règles sont en outre applicables par renvoi dans les sociétés en commandite par actions ([178]). En revanche, un tel renvoi n’existe pas en ce qui concerne les sociétés par actions simplifiées ([179]). Ainsi, s’agissant des SAS, la doctrine déduit généralement de cette absence de renvoi au principe de proportionnalité des droits de vote sauf actions à droit de vote double que la liberté est le principe, et qu’il est donc possible de créer de telles actions à droit de vote multiple dans les SAS. Une incertitude juridique semble toutefois demeurer en doctrine sur l’interprétation de la volonté du législateur sur ce point, dès lors qu’il ne paraît pas évident à tous les auteurs que l’absence de renvoi exposée ci‑dessus a précisément pour objet d’établir une différence de traitement sur les actions de préférences entre les SAS et les autres sociétés par actions, comme le relève l’étude d’impact (page 360) ([180]).

On peut également évoquer la prohibition des clauses léonines par le code civil, qui est applicable : ainsi la privation de tout bénéfice ou l’imputation de toutes les pertes sur un seul actionnaire est impossible. Les clauses qui garantissent le versement d’un intérêt même en l’absence de bénéfice sont aussi interdites. « D'une manière plus générale, on peut penser que court un risque d'invalidation par la jurisprudence tout mécanisme d'action de préférence qui serait contraire à l'intérêt social. » ([181]).

2.   Le régime des actions de préférence

Les actions de préférence peuvent être émises par toute société par actions. Leur création suppose néanmoins l’intervention d’une assemblée générale extraordinaire.

● Certaines actions de préférence sont privées de droit préférentiel de souscription (DPS). Le principe de ce droit est posé à l’article L. 225‑132 du code de commerce : « les actionnaires ont, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de préférence à la souscription des actions de numéraire émises pour réaliser une augmentation de capital ». Cette procédure a une fonction égalitaire : elle fait ainsi obstacle, par exemple, à ce qu’un seul actionnaire puisse, en vertu des statuts, souscrire à une augmentation de capital et bouleverser l’équilibre initial sans que les autres actionnaires puissent intervenir. Elle permet aussi, plus largement, de protéger les anciens actionnaires, dès lors que leur participation au capital, et donc leur pouvoir de contrôle, seront dilués en cas d’apparition de nouveaux souscripteurs, et dès lors que ces derniers acquièrent un droit sur des réserves qu’ils n’ont pas contribué à constituer. Comme le relève l’étude d’impact (page 357), l’augmentation de capital est plus formelle et longue dès lors que chaque actionnaire doit pouvoir être en mesure d’exercer ou non son DPS. En tout état de cause, c’est « un droit d'ordre public. C'est également un droit irréductible. Cela signifie qu'en tant que droit individuel de l'actionnaire, il lui permet de conserver dans la société les mêmes droits attachés à la même proportion de capital par lui détenu, avant et après l'augmentation de capital, à condition naturellement qu'il y souscrive. » ([182]). Malgré ce caractère « irréductible », ce droit peut néanmoins être supprimé dans quelques cas : notamment, en application de l’article L. 225‑135, par l’Assemblée générale des actionnaires, dans l’intérêt de la société, lorsque, par exemple, étant en difficulté, elle souhaite réserver une augmentation de capital à un tiers qui lui apporte son concours.

Une autre exception à ce droit concerne donc le cas des actions de préférence « négatives » : en application du dernier alinéa de l’article L. 228‑11, lorsqu’une société procède à une augmentation de capital alors qu’elle a émis des actions de préférence, « les actions de préférence sans droit de vote à l'émission auxquelles est attaché un droit limité de participation aux dividendes, aux réserves ou au partage du patrimoine en cas de liquidation sont privées de droit préférentiel de souscription pour toute augmentation de capital en numéraire, sous réserve de stipulations contraires des statuts. » En ce sens, les actions de préférence réduisent les prérogatives financières de leurs détenteurs. Cette restriction a été introduite par la loi du 4 août 2008 ([183]). Elle a été précisée par l’ordonnance du 6 novembre 2008 ([184]), qui a ajouté les mots « à l’émission » pour indiquer que les actions de préférence émises à l'origine sans droit de vote ne disposent pas de droit préférentiel de souscription même si elles récupèrent un droit de vote après leur émission.

Ainsi, en l’état actuel du droit, d’après la direction des affaires civiles et du Sceau, « d'une part, les actions de préférence émises sans droit de vote sont dépourvues de DPS même si elles recouvrent un droit de vote au cours de leur existence, d'autre part, les actions de préférence émises avec un droit de vote conservent un DPS même si elles sont privées du droit de vote au cours de leur existence, sauf application de l'article L 225-135 qui permet la suppression du DPS pour des augmentations de capital déterminées » ([185]).

● La procédure des avantages particuliers peut trouver à s’appliquer en cas d’émission d’actions de préférence : lorsque les actions de préférence sont créées au profit d’un ou de plusieurs actionnaires nommément désignés, et seulement dans ce cas, cette procédure est applicable ([186]). En revanche, elle ne s’applique pas aux privilèges attachés à des actions de préférence sans considération de la personne. L’avantage particulier se définit en effet comme une faveur attribuée à une personne déterminée, intuitu personae ([187]). Dès lors qu’un tel avantage implique une rupture d’égalité, cette procédure a pour objet de protéger les autres actionnaires. Elle implique :

– l’intervention d’un commissaire aux apports chargé d’apprécier la valeur de l’avantage particulier ;

– le vote d’une assemblée générale sur l’octroi de l’avantage particulier, aux conditions de quorum et de majorité prévues pour les assemblées extraordinaires, les bénéficiaires ne participant pas au vote.

● En ce qui concerne le rachat des actions de préférence, les règles applicables sont celles du droit commun. Toutefois, le rachat est seulement possible à l’initiative exclusive de la société ([188]).

3.   L’émission d’actions de préférences en cas d’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital

● Avec les actions (ordinaires et de préférence) et les titres en voie d’extinction (titres supprimés dans le droit positif), les valeurs mobilières donnant accès au capital (VMAC) constituent la troisième catégorie des titres de capital et unifient ([189]) les divers titres qui confèrent un accès différé au capital. Ces dernières sont régies par les articles L. 228‑91 et suivants du code monétaire et financier. Elles peuvent être émises par les sociétés par actions et peuvent être composées ou autonomes.

La VMAC composée est constituée d’un titre primaire (de créance ou de capital) auquel est amarré un titre secondaire qui permet d’accéder à terme au capital social ; par exemple :

– une obligation à bon de souscription d’action ;

– une action ordinaire à bon de souscription d’action de préférence ;

– une obligation convertible ou remboursable en action, ou encore échangeable contre des actions, etc.

La VMAC autonome donne accès par elle‑même, mais à terme, au capital social, comme par exemple le bon de souscription d’action (BSA).

Dans les deux cas, seul le détenteur décide d’accéder ou non au capital dans les conditions préétablies.

● Un point essentiel du régime des VMAC est que leurs porteurs font l’objet d’une protection particulière prévue par la loi, « car les droits qui leur sont reconnus lors de l'émission pourraient être altérés ou vidés de leur substance si la société émettrice réalisait certaines nouvelles opérations financières » ([190]). Ils sont ainsi groupés de plein droit en une masse qui jouit de la personnalité civile pour la défense de leurs intérêts communs.

Surtout, sur le fondement de l’article L. 228‑98 du code de commerce, à dater de l’émission de VMAC :

– la société ne peut plus modifier sa forme ou son objet social, sauf autorisation par le contrat d’émission ou consentement de la masse des détenteurs des titres ;

– l’émission d’actions de préférence qui modifient les règles de répartition du bénéfice ou d’amortissement du capital est impossible, sauf autorisation prévue dans le contrat d’émission ou autorisation par la masse des porteurs de VMAC et sous réserve de prévoir des mesures pour maintenir leurs droits. Comme le mentionne l’étude d’impact (page 361), cette interdiction ne s’applique donc pas aux actions de préférence comportant d’autres droits.

II.   Le dispositif proposÉ

● Les alinéas 1 à 3 modifient l’article L. 228‑11 du code monétaire et financier qui autorise la création d’actions de préférence, pour exclure le renvoi, s’agissant des seules sociétés non cotées, au principe de la proportionnalité des droits de vote des actions à la quotité du capital qu’elles représentent, et à la seule exception des droits de vote double. Ainsi, dans toutes les sociétés par actions non cotées, le principe de liberté s’appliquerait sur ce point pour les actions de préférence et il serait possible d’émettre des actions de préférence à droits de vote multiples. Cette faculté serait donc ouverte aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite par actions et ne serait plus réservée aux sociétés par actions simplifiées. Les sociétés cotées sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation ([191]) seraient explicitement exclues de la réforme pour ne pas « créer une instabilité juridique », dès lors que cette loi a introduit le principe du droit de vote double dans ces sociétés. Il convient de noter que la loi « Florange » ne concerne sur ce point que les sociétés cotées sur un marché réglementé cependant : l’étude d’impact (page 364) relève toutefois que celles cotées sur un système multilatéral de négociation pourront toujours continuer à émettre des actions de préférence à droit de vote double.

En tout état de cause, cette suppression de la différence de traitement entre SA, SCA et SAS et du renvoi à la règle de proportionnalité des droits de vote et à l’exception des droits de vote double permettra de dissiper l’incertitude juridique persistante sur le champ exact des actions de préférence à droit de vote multiples (voir supra) en plus de les généraliser à toutes les sociétés par actions.

Selon l’étude d’impact (page 362), les fondateurs de start‑ups « sont souvent réticents à ouvrir leur capital de peur de subir un abus de majorité en devenant minoritaire au sein de la société qu’ils ont créé ». Le gouvernement considère ainsi que, dotées de droits de votes multiples, les actions de préférence constitueraient « le moyen de lever un frein à la croissance de ces entreprises » ; il soutient également qu’elles seraient utiles dans des montages de Leverage Buy Out (rachat de l’entreprise par ses salariés, ou effet de levier) concernant notamment les PME, ou pourraient faciliter la transmission d’une entreprise en permettant par exemple aux fondateurs de conserver « des droits politiques renforcés avant de transmettre ultérieurement le contrôle politique de la société à leurs successeurs. » Il affirme enfin qu’elles pourraient constituer un « outil innovant » pour associer les salariés aux résultats voire à la gestion de l’entreprise.

● L’alinéa 4 a pour objet d’élargir la suppression du droit préférentiel de souscription prévue au dernier alinéa de l’article L. 228‑11 à toutes les actions de préférence sans droit de vote et à droits financiers limités, qu’elles soient sans droit de vote dès l’émission ou qu’elles en aient été privées ultérieurement. Selon l’étude d’impact (page 360), les limitations prévues par le droit existant « se sont révélées excessives en pratique » et cette modification doit « faciliter les augmentations de capital » et constitue une « désurtransposition », dès lors que le droit européen dérivé n’y fait pas obstacle ; la surtransposition « nuisant à la compétitivité et à l’attractivité du droit français ». En outre, comme le relève l’étude d’impact, cette suppression conserve une portée supplétive, dès lors qu’une clause contraire des statuts peut toujours maintenir le DPS.

● L’alinéa 5 vise à corriger une ambiguïté dans le champ de la procédure des avantages particuliers qui, selon l’étude d’impact (page 361), manque de clarté. En effet, l’article L. 228‑15 rend applicable cette procédure aux cas où sont émises des actions de préférence « au profit d’un ou plusieurs actionnaires nommément désignés ». Selon l’étude d’impact, la lettre de ces dispositions pourrait induire un doute quant au cas des personnes qui ne sont pas encore actionnaires (comme un investisseur qui entre au capital). Dès lors, la nouvelle rédaction viserait les actions de préférence émises au profit d’« une ou plusieurs personnes, nommément désignées », formulation plus large.

● L’alinéa 6 supprime simplement le troisième alinéa de l’article L. 228‑98. Comme le souligne l’étude d’impact (page 361), cet alinéa est redondant avec le deuxième alinéa de l’article. En effet, le troisième alinéa prévoit que la création d’actions de préférence est possible sous les réserves exposées au second alinéa, ce qui découle déjà implicitement de la rédaction de ce second alinéa qui n’est relatif qu’à un cas particulier d’interdiction des actions de préférence et ne constitue pas une règle générale : en effet, en droit, toute restriction s’interprète strictement.

Il s’agit donc d’une mesure de simplification visant à renforcer la lisibilité de la loi.

Enfin, l’alinéa 7 prévoit que cet article ne serait applicable qu’aux actions de préférence émises à compter de l’entrée en vigueur de la loi.

Selon l’étude d’impact (page 365), « les mesures proposées concernent potentiellement 376 000 entreprises ».

III.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a souhaité approfondir l’assouplissement du régime des actions de préférence porté par cet article.

● En premier lieu, elle adopté les amendements identiques de Mme Patricia Mirallès, d’une part, et du groupe La République en Marche, d’autre part, qui permet aux sociétés par actions simplifiées (SAS) qui font appel au financement participatif d’émettre des actions de préférence à droits de vote multiples. Il n’y a en effet pas de raison manifeste de considérer que le financement participatif et l’émission d’actions de préférence doivent être exclusifs l’un de l’autre pour les SAS.

● Elle a également adopté un amendement relatif au rachat des actions de préférence.

En l’état actuel du droit, le rachat d’actions de préférence n’est possible qu’à l’initiative exclusive de la société émettrice. Ce point empêche les investisseurs, notamment en capital‑risque, de négocier, au moment de leur entrée au capital, les conditions de leur sortie à leur initiative.

Si le rachat de droits sociaux peut entraîner un risque pour la société ou ses créanciers, en réduisant les fonds propres, il constitue cependant une technique moderne de gestion du capital.

À l’initiative de votre rapporteur, la commission spéciale a ainsi introduit la possibilité d’un rachat des actions de préférence à l’initiative conjointe de la société émettrice et du détenteur.

Dès lors qu’il n’autorise pas le rachat à l’initiative exclusive du détenteur des actions de préférence, cet amendement constitue une innovation mesurée. C’est un signal positif pour les investisseurs qui renforcera en outre l’attractivité de notre droit, notamment par rapport aux législations anglo‑américaines.

*

*     *

La commission examine les amendements identiques CS1241 de Mme Patricia Mirallès et CS1627 de M. Adrien Taquet.

Mme Patricia Mirallès. L’amendement CS1241 a vocation à mettre en cohérence la structure juridique d’une entreprise et son mode de financement. Ainsi, les sociétés par actions simplifiées (SAS) qui ont de plus en plus souvent recours au financement participatif pourront désormais préserver le contrôle de leur fondateur en émettant des actions de préférence à droit de vote multiple.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cette proposition va tout à fait dans l’esprit du projet de loi. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est une très bonne idée parce que cela met fin à une différence de traitement entre les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées. Avis favorable.

La commission adopte les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS514 de M. Vincent Descoeur et CS1509 de M. François Ruffin.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CS514 est défendu.

M. François Ruffin. Notre amendement CS1509 propose que l’acquisition d’actions à droit de vote double ou multiple s’accompagne d’une impossibilité de les céder pendant une période de deux ans. L’objectif est de stabiliser l’actionnariat, de le rendre moins volatile de manière à inscrire les projets d’entreprise et les lier au capital dans la durée.

Pour l’instant, les droits de vote double sont liés à la durée de détention des actions. Il nous apparaît qu’au-delà de ce critère légitime, qui témoigne d’un engagement dans la durée et d’une connaissance de l’entreprise, le critère déterminant est la durée pendant laquelle l’actionnaire, qu’il soit nouveau ou ancien, s’engage aux côtés de l’entreprise. Un actionnaire ne pouvant céder ses actions pendant deux ans sera préoccupé par l’avenir à moyen terme de l’entreprise, ce qui légitime un pouvoir plus important sur les choix stratégiques de l’entreprise par rapport aux actionnaires de court terme qui agissent dans une logique spéculative.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’amendement CS1509 propose d’aller plus loin que la loi, dite « Florange », qui a été conçue comme un dispositif incitatif à la détention de long terme, puisqu’au bout d’une détention de deux ans, les actions étaient converties en actions à droit de vote double. Ce faisant, il introduit une forme de rigidité en interdisant la cession de ces actions. Avis défavorable.

Avis défavorable à l’amendement CS514, pour les mêmes raisons. Il est souhaitable de conserver le régime introduit par la loi Florange pour les sociétés cotées, alors que les aménagements apportés par le projet de loi en matière d’actions de préférence concernent spécifiquement les sociétés non cotées, ces actions de préférence leur permettant de renforcer leurs fonds propres.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements CS514 et CS1509.

La commission est saisie de l’amendement CS515 de M. Vincent Descoeur.

M. Jean-Louis Masson. L’intérêt principal des actions de préférence est de faire converger les intérêts des entreprises et ceux des investisseurs. Dans les sociétés non cotées et, en particulier, dans les sociétés familiales et les start-up, l’action de préférence est utilisée de manière courante car elle permet à l’investisseur en capital-risque de garantir un meilleur retour sur investissement. Toutefois, le plafond actuel d’émission des actions de préférence sans droit de vote des sociétés non cotées limite leur utilisation et nuit à l’attractivité de la France et des entreprises françaises. L’amendement CS515 vise donc à porter ce plafond de 50 % à 75 % du capital social.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. On comprend l’intention des auteurs de cet amendement, mais porter à 75 % le niveau des actions sans droit de vote au capital déséquilibrerait la structure de l’actionnariat. Si cette solution s’impose pour des raisons qui ont trait à l’histoire ou à la stratégie de l’entreprise, il existe un moyen en droit français : la société en commandite par actions, qui permet d’exercer un contrôle avec une part minimale du capital.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur. On risquerait de se retrouver, dans ce type de société, avec une assemblée générale dans laquelle seule une fraction minimale de l’actionnariat pourrait exprimer un avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine alors, en discussion commune, les amendements CS518 de M. Vincent Descoeur et CS2309 du rapporteur.

M. Jean-Louis Masson. Il est défendu.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Comme on l’a relevé pendant les auditions, l’utilisation des actions à droit de vote multiple par les sociétés non cotées est limitée par l’incapacité des porteurs de ces parts à les faire racheter par la société qui les a émises.

Votre amendement CS518, Monsieur Masson, permet ce rachat à l’initiative du porteur des parts. Cela pourrait poser toutefois un certain nombre de problèmes : par exemple si l’entreprise connaît des difficultés et que le porteur de ces parts exige le rachat de ses parts, celle-ci devra faire face à ce rachat inattendu et verra ses difficultés s’aggraver.

Voilà pourquoi nous proposons par notre amendement CS2309 une rédaction alternative, un peu plus douce, qui permet le rachat des parts, sous réserve d’un accord entre la société qui a émis les parts et le porteur de parts.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même raisonnement que celui du rapporteur. Je demande le retrait de l’amendement CS518 au profit de l’amendement CS2309, un peu mieux encadré puisqu’il fait référence à la société émettrice, et pas à l’émetteur des titres.

M. Jean-Louis Masson. Je retire mon amendement CS518 au profit de l’amendement CS2309.

L’amendement CS518 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS2309.

Elle examine alors l’amendement CS530 de M. Vincent Descoeur.

M. Jean-Louis Masson. Il est défendu.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable, principalement pour des raisons rédactionnelles.

L’article L. 128-15 de code de commerce, cité dans l’amendement, a pour objet de prévoir l’application de la procédure des avantages particuliers en cas de création d’actions de préférence ; c’est l’article L. 228-11 qui fonde le régime des actions de préférence. Cet amendement n’aurait pas pour résultat de simplifier la lecture du code : son objectif n’est donc pas atteint. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis défavorable. Nous estimons qu’étendre aux sociétés cotées ces actions de préférence pourrait perturber la gouvernance des sociétés, remettre en cause l’équilibre des droits de vote double issus de la loi Florange, et par ailleurs susciter la réticence des investisseurs internationaux que nous souhaitons attirer.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS920 du rapporteur.

 

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS319 et CS1974 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Ces amendements ont trait à la location de parts sociales. Pour donner en location des titres, il faut que ce soit mentionné dans les statuts ; mes amendements permettent de se dispenser de cette mention. Mais j’envisage de les retravailler d’ici à la séance, notamment pour que les locations d’actions et de parts sociales ne profitent pas seulement aux personnes physiques, ce qui est le cas aujourd’hui, mais aussi aux personnes morales, pour permettre la transmission.

Mais au-delà, je pense qu’il faudrait engager une vraie réflexion sur tout ce qui concerne les titres, les participations – sans oublier le volet fiscal. Peut-être le Gouvernement pourrait-il légiférer par voie d’ordonnance sur ces sujets ? Je pense qu’on est là au centre de l’intéressement, de la participation et de la transmission d’entreprise.

J’observe que la location d’actions est assez peu utilisée, mais que c’est un merveilleux outil pour reprendre des entreprises, en permettant, par effet de levier, aux locataires de se constituer un capital permettant d’amorcer la reprise et de participer aux assemblées générales – c’est sa vertu pédagogique.

Ces beaux outils sont insuffisamment finalisés ; j’appelle à une réflexion globale sur l’organisation de ces titres, et sur la participation. Mais cela supposera probablement de légiférer par ordonnance, car c’est un sujet très compliqué.

M. Charles de Courson. Il faudrait que notre collègue Mattei nous donne un cours de droit des affaires… Pour ma part, je découvre la location d’actions avec clause de rachat. L’idée serait de s’en servir pour faciliter la transmission. Or la location d’actions n’est pour l’instant possible que si les statuts le prévoient. Ces amendements visent à faire disparaître cette mention, ce qui fait que tout un chacun pourra y avoir recours. Pourquoi pas ?

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est une piste très intéressante à explorer. Peut-être pourriez-vous retirer vos amendements en attendant la séance, en fonction de ce que répondra M. le ministre ? Peut-être pourrions-nous par la suite envisager des évolutions législatives plus importantes.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’irai un peu plus loin que le rapporteur. Je ne pense pas que l’on puisse arriver à un accord dans le cadre de la discussion publique : comme l’a très bien dit M. Mattei, cela touche à la fois le droit des successions et la fiscalité. Je proposerais plutôt de confier à M. Mattei une mission sur le sujet. Comme il l’a très bien dit, les enjeux sont importants et complexes. On a même réussi à faire découvrir quelque chose à Charles de Courson : c’est dire si le sujet est pointu ! (Sourires).

M. Jean-Paul Mattei. C’étaient des amendements d’appel…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Appel qui semble avoir été entendu !

M. Jean-Paul Mattei. J’accepte bien évidemment cette mission.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. C’est l’appel du 12 septembre !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Dans ces conditions, Monsieur Mattei, retirez-vous vos amendements ?

M. Jean-Paul Mattei. Oui.

Les amendements CS319 et CS1974 sont retirés.

La commission adopte alors l’article 28 modifié.

*

*     *

Après l’article 28

La commission est saisie de l’amendement CS2183 de M. Dominique Potier.

M. Boris Vallaud. Cet amendement reprend les propositions que nous avions formulées au début de l’année 2018 en première lecture de la proposition de loi « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » déposée par le groupe Socialistes et apparentés. C’est une mesure complémentaire de la construction d’une « codétermination à la française ».

Dans la même logique, consistant à privilégier les parties constituantes qui ont un investissement et un intérêt pérenne dans l’entreprise, nous proposons d’introduire des droits de vote triple au profit des actionnaires détenant leurs actions depuis au moins cinq ans.

L’article 62 du présent projet de loi va dans le sens d’un renforcement de cet actionnariat salarié ce que nous saluons, bien que l’ambition soit moindre que la proposition portée par notre proposition de loi. Il nous apparaît donc naturel, afin de renforcer le dispositif proposé par le Gouvernement en introduisant ces droits de vote triple.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La loi Florange avait un intérêt évident, qui est celui d’inciter à des détentions de long terme ; mon collègue rapporteur général me disait à l’instant que, dans sa vie précédente, il y portait un intérêt certain.

Cela dit, elle a aussi un coût, car elle peut décourager certains investisseurs d’acheter des actions françaises. Une étude récente menée par les universitaires français montre que la loi Florange n’a pas conduit à attirer des investisseurs de long terme sur les entreprises directement concernées. Mieux vaut pour l’instant en rester aux droits de vote double, et attendre une évaluation un peu plus précise de la loi avant de passer au vote triple.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Il y a deux cas de figure un peu différents : dans les sociétés non cotées, l’émission d’actions de préférence est prévue par l’article 28 du projet de loi, sans contrainte des droits de vote. Cela signifie qu’il est possible d’émettre des actions à vote double, voire triple selon les conditions qui sont choisies librement par la société. De ce point de vue, votre amendement est satisfait.

Mais pour les sociétés cotées, et j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il me paraît vraiment inopportun, dans la mesure où il complexifierait beaucoup leur gestion et leur gouvernance, y compris sur les marchés internationaux et vis-à-vis des investisseurs étrangers.

M. Stanislas Guerini. L’amendement CS2183 me semble passer à côté des enjeux, qui ne sont pas que des enjeux de court terme et de long terme en matière de pratiques d’investissement. Je vais vous donner un exemple : il y a des fonds activistes, comme Vatel Capital, avec 12 milliards d’euros d’actifs sous gestion et une durée moyenne de détention des actifs de cinq ans. Votez cet amendement, et une partie des fonds activistes dans le monde applaudiront des deux mains…

Les vrais enjeux sont des enjeux de pratiques d’investissement. Un mouvement se dessine aujourd’hui dans la finance mondiale : on tend à passer d’une analyse fondamentale, où l’on s’attache aux fondamentaux des entreprises, à des pratiques d’investissement en indiciel – autrement dit, on achète des indices. BlackRock est un acteur avec 90 % de pratiques d’investissement indiciel, et une durée de détention des actions ad vitam : tant que L’Oréal sera dans le CAC40, BlackRock sera détenteur des actions de L’Oréal.

Encore une fois, cet amendement passe à côté des vrais enjeux de l’économie et du mouvement du capitalisme mondial.

M. Boris Vallaud. Ces éléments d’analyse ne sont pas tout à fait justes. Il se trouve, précisément, que nous préférons des actionnaires de long terme à des actionnaires de court terme, et des stratégies industrielles aux stratégies de distribution de dividendes. Notre amendement garde toute sa pertinence, mais vous pouvez le sous-amender pour l’encadrer, plutôt que le rejeter et laisser faire la finance mondiale.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Personne ici n’est contre la vertu et nous partageons tous l’objectif d’allonger l’horizon de placement des grands investisseurs, car c’est un des vrais défis du capitalisme moderne.

Je ne suis pas sûr que l’amendement CS2183 aille dans le bon sens. Certains investisseurs de long terme peuvent regarder ce type de mesures avec inquiétude, et penser que des investisseurs nationaux, ou des investisseurs passifs comme le disait mon collègue Guerini, pourraient en tirer un pouvoir excessif. Si nous nous sommes tous d’accord pour allonger l’horizon des investisseurs, je ne suis pas sûr que cet amendement soit la meilleure manière d’y parvenir. Je rejoins donc mon collègue rapporteur, Jean-Noël Barrot.

J’ajoute que cette loi Florange qui date de 2014 n’a toujours pas été évaluée. On peut donc déjà envisager de lancer une évaluation sérieuse, notamment sur la base des études scientifiques qui ont été récemment mentionnées. Un débat parlementaire pourrait ainsi s’organiser autour de l’évaluation de cette loi.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Pour ma part, j’ai finalement renoncé à proposer des dispositions sur la loi Florange, sur les offres publiques d’achat (OPA) hostiles notamment, dans la mesure où nous ne disposons toujours pas d’évaluation. Il serait peut-être intéressant, Monsieur Vallaud, d’en reparler.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1594 de M. Adrien Quatennens.

M. François Ruffin. Je vais défendre un amendement « hyper-modérantiste ». On sait que Nicolas Sarkozy dont vous avez été le ministre, Monsieur Le Maire, plaidait pour une répartition des profits en trois tiers – grosso modo un tiers pour l’investissement, un tiers pour les dividendes et un tiers pour les salariés. L’objectif de l’amendement CS1594 est simple : empêcher que 100 % des profits ne soient distribués en dividendes aux actionnaires. L’objectif est que la Bourse remplisse le rôle qui lui était dévolu à l’origine, à savoir financer des entreprises, et non pas se comporter en parasite vorace des entreprises.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Merci pour cet amendement modérantiste…

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. En toute modération, je répondrai sur deux points.

Premièrement, à côté de la Bourse et des grands patrons assoiffés de sang, il y a aussi toutes les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles le dividende est tout simplement la rémunération du patron. Certaines années, le résultat net peut être inférieur à celui des autres années ; ce n’est pas pour autant que l’on doit empêcher le petit patron d’être rémunéré en dividendes.

Deuxièmement, au-delà des dividendes, le grand capital dispose d’autres moyens de se rémunérer, notamment les rachats d’actions. Donc, dès lors que vous déposez des amendements qui touchent les dividendes pour atteindre le même objectif que celui que vous fixez, vous devez tenir compte des autres manières de procéder à des distributions, c’est‑à‑dire tenir compte des rachats d’actions.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. L’intention de l’amendement est louable, mais son application risque d’aller à l’encontre du but poursuivi en dissuadant certaines entreprises de constituer des réserves, puisqu’une société qui n’a pas les réserves suffisantes ne peut pas verser de dividendes – on n’a pas le droit de verser des dividendes sur la base d’un endettement. Paradoxalement, cela pourrait inciter certaines sociétés à ne plus constituer de réserves, et donc à distribuer systématiquement tout le bénéfice de l’année pour éviter de se retrouver dans le cas de figure que vous envisagez. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Mon cher collègue Ruffin, une entreprise qui a un trou conjoncturel et qui fait des pertes ne peut pas verser de dividendes. En revanche, si elle a de grosses réserves, il est logique qu’elle le fasse. De fait, beaucoup d’entreprises essaient de réguler leurs dividendes pour éviter des à-coups : si l’année est très bonne, en on distribue beaucoup ; ensuite on en distribue très peu. Or votre amendement les en empêcherait.

M. François Ruffin. J’interviens dans ce débat avec beaucoup de modestie. Je ne suis pas un spécialiste de ce domaine, je ne suis qu’un observateur moyen. J’admets donc qu’on me dise que ce n’est pas la bonne solution et qu’il faut trouver autre chose. Mais que proposez-vous ?

Lorsque je parle de limiter la voracité du capital, vous trouvez immédiatement des arguments qui réduisent à néant toute possibilité d’agir. Or c’est une nécessité parce qu’un certain nombre d’entreprises consacrent, de manière constante, plus de la moitié de leurs profits, non pas en investissements, mais en reversement de dividendes. La France détient le record en Europe des reversements de dividendes aux actionnaires !

Monsieur le rapporteur, c’est très volontiers que je prendrais en compte les rachats d’actions, d’autant qu’ils constituent pour moi une aberration : c’est l’utilisation du capital à seule fin de détruire du capital ! Il y a quelque chose que je ne comprends pas…

Quoi qu’il en soit, je veux bien croire que tous les amendements que je défends ne sont pas parfaits techniquement. Mais ce que je voudrais entendre, c’est que vous nous disiez ce que vous entendez faire à la place.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1606 de M. François Ruffin.

M. Francois Ruffin. Cet amendement tend à interdire à une entreprise qui a procédé à des licenciements économiques lors de l’exercice écoulé de verser des dividendes. Cela paraît du pur bon sens : si on licencie les personnes au motif qu’on a des difficultés, on ne peut pas en même temps continuer à rémunérer normalement le capital. Or l’entreprise Sanofi, pour ne citer qu’elle, a supprimé en France 4 263 postes en dix ans, alors que, sur cette période, les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 231 % ! À mes yeux, c’est une aberration.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. On peut tous dénoncer certains des cas comme celui que vous venez de citer. Mais il faut aussi réaliser que votre amendement s’appliquerait à toutes les entreprises de France, et que pour l’immense majorité d’entre elles, celles qui seraient amenées à faire des licenciements économiques seraient dans une telle situation qu’elles n’auraient pas les moyens, ni même sans doute le droit, étant donné le faible niveau de réserves, de verser un dividende. Si elles devaient le faire, ce serait pour maintenir une forme de rémunération du chef d’entreprise, ou pour maintenir la stabilité des modes de financement afin de préserver leur survie et les autres emplois qui sont en jeu.

Certains cas crèvent le cœur. Mais peut-être ne faut-il pas légiférer en ayant uniquement ces cas en tête. Les entreprises doivent pouvoir, en édictant des codes de conduite et par de bonnes pratiques, éviter ce genre de comportement.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Il ne faut pas oublier que malheureusement, souvent, dans de telles périodes, les entreprises ne vont pas très bien. Ce que vous proposez peut avoir l’air frappé du bon sens, mais en réalité, si on l’applique, les quelques actionnaires qui soutiennent encore la société la quitteront, et on rajoutera l’insulte à l’injure en affaiblissant encore davantage une entreprise en difficulté.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, mais que le conseil d’administration, face à une entreprise qui souffre, doit se poser de bonnes questions, et toutes les questions. La question du dividende en est une, mais il y en a d’autres : la question de la rémunération, celle de la restructuration, celle de l’accompagnement. En légiférant dans une direction unique, vous compliquez encore des défis auxquels sont confrontées de nombreuses entreprises, alors qu’il faut leur laisser un peu de marge de manœuvre pour pouvoir résister.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis que le rapporteur.

M. François Ruffin. J’accepte qu’on me dise que je ne propose pas la bonne solution et que je ne prends pas en compte tous les cas de figure. Après tout, je n’ai pas tout Bercy derrière moi pour me rédiger des amendements adaptés à chaque circonstance.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Moi non plus…

M. François Ruffin. Mais maintenant, Monsieur le ministre, Monsieur le rapporteur, vous devez répondre à propos de l’exemple que je vous ai cité, celui de Sanofi qui supprime 4 000 postes et qui, dans le même temps, augmente de 231 % les dividendes versés aux actionnaires. Face à cela, il faut pouvoir prendre des mesures !

Ensuite, vous me parlez de la rémunération du chef d’entreprise. Mais je souhaite, pour ma part, que celle-ci ne soit pas liée seulement au capital. S’il effectue un travail dans l’entreprise, il doit être rémunéré comme un travailleur de cette entreprise.

Enfin, je vois bien quelle fonction idéologique on donne à la PME. Souvenez‑vous de l’ordre clérical sous l’Ancien régime, où le gentil curé de campagne venait cacher les désordres commis par les évêques et les archevêques. On se retrouve avec la même chose sur le terrain économique aujourd’hui : le gentil petit entrepreneur vient cacher les turpitudes des dirigeants des multinationales.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1451 de M. Adrien Quatennens.

M. François Ruffin. L’article L. 23-10-7 du code de commerce continue à renvoyer aux comités d’entreprise la décision de permettre la reprise d’une entreprise par ses salariés. Le comité d’entreprise ayant été supprimé, il faudrait modifier l’article en conséquence.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. C’est une bonne idée sur le fond, mais elle mérite qu’on y travaille davantage : le comité social et économique, qui remplace le comité d’entreprise, n’exerce pas exactement les mêmes missions ; on ne peut donc pas simplement remplacer dans le texte « comité d’entreprise » par « comité social et économique ». Peut-être pourriez-vous retirer votre amendement ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vous propose moi aussi de retirer cet amendement. Je rappelle que le comité social et économique, dans son fonctionnement et dans son champ d’application, ne reprend pas à l’identique les attributions de l’ancien comité d’entreprise. De fait, le comité social et économique remplace et le comité d’entreprise et les délégués du personnel. Il intervient donc à partir du seuil de 11 salariés, là où le comité d’entreprise intervenait à partir du seuil de 50 salariés. Je vous propose de vérifier, mais je pense qu’il faut maintenir les deux mentions.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Monsieur Ruffin, peut-on envisager une « réécriture technique » de votre amendement avec l’aide du cabinet du ministre ? On ne va pas vous laisser tout seul…

M. François Ruffin. Je vous remercie, mais je peux m’appuyer sur nos collaborateurs, les petites mains invisibles de cette assemblée, qui effectuent pour nous un gros travail.

Mme la présidence Olivia Grégoire. Ils méritent nos remerciements, notamment ceux qui sont à nos côtés à cette heure tardive !

M. François Ruffin. On est bien d’accord, Monsieur le ministre, Monsieur le rapporteur, qu’aujourd’hui, les salariés n’ont plus la possibilité de reprendre leur entreprise, puisque le comité d’entreprise n’existe plus et qu’on ne peut pas, dans le texte, le remplacer par le comité social et économique ? Cela étant, je dois être limité, car je n’ai pas compris ce que vous souhaitiez faire.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Pas du tout, je vous rassure… Il vous a été répondu que cet amendement était intéressant, mais qu’il nécessitait une réécriture technique. Je pense que le ministre et le rapporteur ont proposé que l’on se revoie avant la séance pour lui trouver une formulation plus technique qui permettra de le faire passer.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Vous posez un problème de coordination entre les ordonnances et la loi existante, notamment la loi dite, « Hamon ». Nous allons vérifier et vous convaincre, si c’est le cas, que cette coordination a bien été réalisée au moment de la publication des ordonnances. À l’inverse, si votre lecture de ces textes, ordonnances et loi Hamon, nous conduit à penser qu’une coordination est nécessaire, nous vous en informerons, et nous vous laisserons la proposer.

M. Jean-Paul Mattei. Vous pensez au délit d’entrave, qui concerne les comités d’entreprise ? Certes, on ne peut pas céder une entreprise sans prévenir, mais cela concerne les entreprises de plus de 50 salariés. Et puis, la loi Hamon, c’est autre chose. Reste qu’il est effectivement nécessaire d’apporter une clarification.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je vais rassurer M. Ruffin : je ne suis pas sûr d’avoir compris moi-même, même avec l’armée de Bercy derrière moi. (Sourires)

Je vois bien le problème d’ajustement qui peut se poser entre le comité social et économique et le comité d’entreprise. De fait, les délais, les seuils d’effectifs et les obligations ne sont pas les mêmes. Nous allons travailler sur cet ajustement, et je vous propose qu’on en reparle en séance publique.

M. François Ruffin. Je suis d’accord pour retirer cet amendement. Mais il nous faut des réponses avant la séance publique.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je crois que M. le ministre est disposé à vous les fournir bien avant la séance publique.

Si j’ai bien compris, vous retirez l’amendement pour qu’il soit retravaillé et représenté en séance ?

M. François Ruffin. Oui.

L’amendement CS1451 est retiré.

La commission examine l’amendement CS1250 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. La vente à perte d’un produit est sanctionnée par le code de commerce à l’article L. 442-2. Il s’agit ici de créer une interdiction de vente à perte dans le domaine de la vente de services, mais pour les seuls cas où un élément constitutif du service offert est soumis à un tarif réglementé – en effet, dans les autres cas, il est plus compliqué de déterminer la vente à perte d’un service.

Aujourd’hui, dans le domaine des services d’accès à internet, des offres sont vendues clairement en dessous du tarif réglementé de la boucle locale – tarif réglementé par L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), au-delà de 9 euros. Or on voit proliférer des offres pérennes en dessous de ce tarif. Cela constitue une vente à perte, qui provoque forcément un affaiblissement de la rentabilité de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur ce marché.

Par mon amendement CS1250, je cherche à toucher les services des télécoms, mais aussi, plus généralement, tous les prestataires qui seraient soumis à l’obligation de « fournir un service avec un élément constitutif du service offert soumis à tarif réglementé ». On peut imaginer des fournisseurs d’électricité, de billets de train – avec la prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Il me semble utile d’aborder ce sujet dans la loi PACTE.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Sans vouloir abuser de cet argument, nous ne sommes pas tout à fait dans le cœur de la loi PACTE : votre amendement traite plutôt de la protection contre les pratiques abusives ou la fraude. Par ailleurs, je vous rappelle que l’article L. 420-5 du code de commerce dispose que : « Sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits. »

Vos inquiétudes sont donc partiellement satisfaites, ou du moins atténuées par cet autre article du code de commerce. Je vous invite à retirer votre amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Nous avons déjà eu tout à l’heure un débat sur les droits du consommateur, et nous sommes cette fois sur un autre aspect. J’ai dit que j’étais tout à fait ouvert, en réponse à la question de M. Fasquelle, à l’idée de discuter l’année prochaine des questions de consommation. Le problème des tarifs inférieurs aux tarifs réglementés et qui ne respectent pas un minimum acceptable est réel, mais il doit être traité dans le cadre d’un texte sur la consommation.

Par ailleurs, Madame de La Raudière, vous savez mieux que personne que tous les opérateurs, notamment les opérateurs historiques, proposent des offres tarifaires qui s’équilibrent l’une avec l’autre : ils peuvent être très attractifs sur un volet de l’offre, par exemple la téléphonie mobile, moins attractifs sur un autre, par exemple l’accès à la presse en ligne, ceci compensant cela. Face à ces offres assez complexes, il devient compliqué de déterminer ce qu’est un prix inférieur à un tarif réglementé.

Pour ma part, je suis prêt à débattre de ce sujet : un opérateur, que je ne citerai pas, avait offert la presse à zéro euro, en profitant de dispositions de TVA que nous avons dû modifier en raison d’un effet d’aubaine considérable, tout en compensant cette suppression de tarif sur les médias, notamment les médias en ligne, par un tarif de téléphonie mobile plus élevé. Dans un tel cas, comment peut-on contrôler et sanctionner ? Je suis prêt à en discuter, mais plutôt dans le cadre d’un texte sur la consommation que dans le cadre du projet de loi PACTE.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, j’ai un point de désaccord avec vous. Nous sommes bien dans le cadre du droit de la concurrence, autrement dit du code de commerce et non du code de la consommation. Du reste, l’article qui a été cité vient bien du code de commerce.

Certes, le sujet de la revente à perte touche les consommateurs – et toute l’activité des entreprises vise à satisfaire les consommateurs –, mais il concerne aussi les entreprises : par le biais de la revente à perte, celles qui sont en position de force sur le marché cherchent à exclure d’autres acteurs ou à empêcher les nouveaux entrants d’y accéder. Nous sommes donc bien dans le cadre du droit de la concurrence et du droit des entreprises.

Pour ce qui est des tarifs réglementés, je suis d’accord, l’amendement est peut-être un peu compliqué. Je souscrirais volontiers à une disposition plus générale interdisant la revente à perte dans les activités de services. Vous avez évoqué l’activité touristique du Touquet : dans le secteur du tourisme, des offres « packagées » sont achetées et revendues par des supermarchés. On ne s’y intéresse pas suffisamment car, contrairement à ce qu’indique le rapporteur, la revente à perte des activités de services n’est actuellement pas réglementée.

Mme Laure de La Raudière. J’entends la réponse du rapporteur, mais je confirme les propos de M. Fasquelle : l’article L. 420-5 du code de commerce ne s’applique pas aux cas prévus par mon amendement, qui visait très précisément des services dans lesquels est intégré un élément constitutif bien défini : ce peut être la boucle locale cuivre, dont le tarif est fixé par l’ARCEP à un peu plus de 9 euros. Quand vous vendez à 5 euros un service incluant cet élément constitutif, n’est-ce pas de la revente à perte ? L’amendement encadre ces cas précis. Je comprends que cela complique la discussion, mais cela concerne le projet de loi PACTE : M. Daniel Fasquelle a raison, cela ne relève pas du code de la consommation, mais bel et bien du champ des entreprises.

À ce stade, je vous propose de retirer mon amendement, ainsi que mon amendement de repli CS1251 qui en limitait le champ aux opérateurs de télécommunications, mais j’aimerais que l’on avance sur ce sujet d’ici à la séance, car nous sommes en train d’affaiblir tout un secteur industriel.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Madame de La Raudière, Monsieur Fasquelle, l’article que j’ai cité s’applique bien aux services. En tout cas, c’est ce qu’indique le site du ministère de l’économie et des finances…

M. Daniel Fasquelle. Ne partons pas dans un débat technique, mais l’article L. 442-2 du code de commerce interdit la revente à perte « d’un produit en l’état ». Cela ne s’applique donc pas aux services, je suis formel ! Si vous évoquez un autre article, il ne s’agit pas de revente à perte…

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je comprends les arguments de Mme Laure de La Raudière, mais cela risque de compliquer le déploiement de la fibre et d’avoir des conséquences sur les tarifs de certains opérateurs. Nous devons analyser l’ensemble de ces effets. Je vous propose de retirer votre amendement. Nous allons vérifier si l’article L. 442-2 ne s’applique pas aux services et rédiger au besoin un nouvel amendement.

Mme Laure de La Raudière. Je veux rassurer M. le ministre : mon amendement CS1250 favorise plutôt le déploiement de la fibre. Mais je le retire, de même que le CS1251, en souhaitant que nous travaillions conjointement sur ce sujet pour la séance.

Les amendements CS1250 et CS1251 sont retirés.

La commission en vient à l’amendement CS1598 de M. Adrien Quatennens.

M. François Ruffin. Un de nos précédents amendements visait à interdire le versement de dividendes lorsque l’entreprise a procédé à des licenciements économiques. Celui-ci vise à interdire les licenciements économiques lorsque l’entreprise a versé des dividendes aux actionnaires. Prenons le cas de Danone : l’entreprise avait réalisé un chiffre d’affaires record, son bénéfice était stable, mais elle a procédé à 9 000 licenciements, faisant bondir l’action de 4,2 % – ce qui a permis l’enrichissement de l’actuelle ministre du travail. C’est un système d’une totale immoralité lorsqu’une entreprise se porte bien, qu’il n’y a donc pas de nécessité de sauvegarde de l’entreprise, que son chiffre d’affaires est stable, surtout lorsque cela fait bondir son cours en bourse et qu’on en tire des profits privés.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Même avis que sur l’amendement précédent concernant ce sujet.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis également. En outre, j’ai un désaccord de fond : lorsque le licenciement n’est pas lié à la personne du salarié, c’est bien la situation économique de l’entreprise qui est prise en compte. Or il ne peut pas y avoir de rupture du contrat de travail pour motif économique s’il n’y a pas une cause économique sérieuse. C’est là qu’est la vraie protection du salarié.

M. Pierre Dharréville. Ce débat important a sans doute déjà eu lieu, mais il mérite d’être poursuivi. Monsieur le ministre, vous évoquez la cause réelle et sérieuse d’un licenciement, mais nous ne sommes pas d’accord : certains licenciements sont purement boursiers. Lorsqu’une entreprise verse des dividendes, on peut douter de sa mauvaise santé économique… Peut-elle dans ce cas procéder à des licenciements ?

Monsieur le rapporteur, vous évoquez les mêmes arguments que pour le précédent amendement, mais nous ne sommes pas tout à fait dans le même registre. Il faut intervenir, car on ne peut plus laisser faire ! Pour beaucoup de nos concitoyens, il est insupportable de voir des entreprises verser des dividendes et licencier des salariés immédiatement après.

Je reprendrai un de vos arguments concernant le précédent amendement : de fait, les actionnaires – qui sont les propriétaires – ont le pouvoir et l’exercent en commun. Si on les laisse percevoir des dividendes alors que l’entreprise licencie, on les dédouane quelque part de leurs responsabilités ! Certes, cela touche au droit de propriété, mais cela mérite de poursuivre le débat…

M. Boris Vallaud. Pour aller dans le sens de M. Pierre Dharréville, c’est le cœur de notre projet de codétermination à la française, qui est d’ailleurs le modèle majoritaire en Europe : c’est ce qui explique sans doute qu’en Allemagne, par exemple, il y ait moins de distributions de dividendes : les salariés étant partie prenante à parité dans les conseils d’administration, ils ont voix au chapitre en la matière… Être propriétaire d’une action, ce n’est pas être propriétaire de l’entreprise : c’est être titulaire d’un titre qui vous donne certains droits, mais les actionnaires ne sont pas, tant s’en faut, les seules personnes exposées au risque dans l’entreprise. Nous avons donc là un motif assez objectif d’appréciation du caractère réel et sérieux de la cause économique du licenciement. Et vous nous opposiez à nouveau l’argument des petites entreprises dont les patrons se paient en dividendes, il ne tiendrait qu’à vous de sous-amender l’amendement pour le limiter aux entreprises de plus de 2 000 salariés, par exemple.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Cela a l’air simple : quand tout va bien, on ne licencie pas, on recrute et on verse des dividendes, puis, quand tout va mal, on ne verse plus de dividendes et on licencie… La réalité des entreprises est malheureusement plus complexe. Dans certains secteurs, comme celui des infrastructures par exemple, le versement des dividendes fait partie des raisons qui poussent certains investisseurs à soutenir ces entreprises dans la durée – y compris sur le très long terme. J’en ai connu certains.

Si la loi, dans une logique d’uniformisation, décidait un tel encadrement, sans doute régleriez-vous un certain nombre de comportements non vertueux que vous dénoncez à juste titre. Mais vous créeriez surtout de réels problèmes dans de vraies entreprises qui fonctionnent bien et font de leur mieux pour aligner tous les intérêts !

Je vous rappelle que le chapitre III du projet de loi comporte de nombreuses dispositions visant à allonger l’horizon des investisseurs, des chefs d’entreprise et des actionnaires. Vous avez raison, les différents acteurs doivent converger en direction d’intérêts communs, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. La France peut passer dans le wagon de tête : je ne souhaite pas qu’on la fasse passer dans le wagon de queue en pensant que nous pouvons tout régler ici, entre nous, au motif que nous savons bien mieux que les chefs d’entreprise, les salariés et même les investisseurs ce qui se passe dans les entreprises. Votre nouvelle règle aura peut-être quelques vertus, mais créera surtout beaucoup de problèmes.

M. Pierre Dharréville. C’est un débat intéressant. Nous n’avons sans doute pas le même regard sur ce qui se passe dans les entreprises. J’ai le mien…

M. Roland Lescure, rapporteur général. Il est respectable !

M. Pierre Dharréville. Je connais un certain nombre d’entreprises, tout comme vous. Nous pensons que la financiarisation de l’économie et le financement par le marché des activités et du développement des entreprises, et parfois quasi exclusivement par les marchés, comportent certains effets pervers, extrêmement visibles. Il faut agir et essayer de légiférer.

Vous évoquez le fait que certains investisseurs viennent et restent dans une entreprise car ils touchent des dividendes. C’est sans doute vrai, mais est-ce pour autant acceptable ?

La commission rejette l’amendement.

Article 29
(article 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 et article L. 3332-17-1 du code du travail)
Réforme de l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale »

I.   l’État du droit

L’état du droit en matière d’économie sociale et solidaire résulte essentiellement dans la loi du n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, dite « loi ESS ». Cette loi a posé, pour la première fois, une définition juridique du champ de l’économie sociale et solidaire. Elle a institué de nouvelles formes d’entrepreneuriat social et a aménagé le droit applicable aux acteurs historiques de l’économie sociale. Selon l’étude d’impact (page 368), « Parmi les États membres de l’OCDE, la France est probablement l’un de ceux à avoir le plus approfondi le travail de définition légale autour du concept d’ESS ».

A.   Le champ de l’Économie sociale et solidaire

Il est défini par l’article 1er de la loi « ESS ». L'économie sociale et solidaire est « un mode d'entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l'activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé », ces personnes devant remplir plusieurs conditions cumulatives :

– un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;

– une gouvernance démocratique, qui ne repose pas seulement sur l’apport en capital des associés ;

– une gestion encadrée des bénéfices et des réserves : les bénéfices doivent être majoritairement consacrés à l'objectif de maintien ou de développement de l'activité de l'entreprise, et des réserves obligatoires doivent être constituées, impartageables et non distribuables.

Ce champ peut ainsi recouvrir diverses personnes morales de droit privé qui réalisent des activités de production, de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services : des acteurs historiques comme des coopératives, des mutuelles, des sociétés d’assurance mutuelles, des fondations ou des associations régies par la loi du 1er juillet 1901, mais également des sociétés commerciales. En effet, comme l’avait exposé le rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, ce texte « s’insère dans le droit économique » ([192]). Il visait donc à prendre en compte les nouveaux acteurs que sont les entrepreneurs sociaux. Ceux‑ci relèvent des statuts classiques d’entreprise prévus au code de commerce, mais leur objet n’est pas seulement la réalisation d’un profit. Ainsi, la loi prévoit que ces entrepreneurs sociaux doivent respecter des règles supplémentaires en matière de réserves et de gestion du capital et qu’ils doivent rechercher une « utilité sociale » pour pouvoir se réclamer de l’économie sociale et solidaire.

Cette « utilité sociale » est précisée à l’article 2 de la loi. Elle peut être constituée, de manière alternative :

– d’une part, par le soutien à des personnes en situation de fragilité économique, sociale, personnelle ou médicale (salariés, usagers, clients, membres ou bénéficiaires de l’entreprise) ;

– ou, d’autre part, par la lutte contre les exclusions, les inégalités sanitaires, sociales, économiques ou culturelles, à l’éducation à la citoyenneté ou au renforcement de la cohésion territoriale.

En outre, le concours au développement durable, à la transition énergétique ou à la solidarité internationale participent également de « l’utilité sociale », mais ne peuvent suffire à la caractériser juridiquement si au moins l’une des deux conditions exposées ci-dessus n’est pas satisfaite.

Selon l’étude d’impact (page 369), cette présentation des exigences constitutives de la notion d’utilité sociale est « présentée de manière assez obscure et peu cohérente, donnant par ailleurs lieu à des interprétations souvent trop restrictives des services instructeurs, habitués aux critères traditionnels (sociaux) ».

Pour autant, dans cet état du droit, l’ESS « regroupe au total 221 136 établissements en France, dont plus de 180 000 associations ».

B.   L’agrÉment « ESUS »

L’agrément « entreprises solidaires d’utilité sociale » (ESUS) est prévu à l’article 11 du présent projet de loi qui en fixe le régime à l’article L. 3332-17-1 du code du travail. Il s’agit d’une rénovation de l’ancien agrément « entreprise solidaire ». Le nouvel agrément ESUS vise à promouvoir le développement du secteur de l'économie sociale et solidaire. Son champ est par définition plus restreint que celui de l’ESS puisqu’il concerne les seuls entrepreneurs sociaux : il implique ainsi des exigences supplémentaires. Mais son octroi emporte des effets économiques, juridiques et fiscaux importants.

1.   L’intérêt d’obtenir l’agrément ESUS

En effet, cet agrément permet d’accéder à des sources spécifiques de financement.

En premier lieu, les entreprises ont l’obligation de proposer à leurs salariés la possibilité de souscrire dans le cadre d’un plan d’épargne d’entreprise ([193]), et d’un plan d’épargne pour la retraite ([194]), à un fonds d’épargne salariale solidaire. Ces fonds doivent investir au moins 5 %, et jusqu’à 10 %, de leur portefeuille, dans des entreprises bénéficiant de l’agrément ESUS ([195]). Le règlement des plans doit prévoir cette faculté au bénéfice du salarié adhérent, mais la décision d’affecter ou non une partie des avoirs (participation, intéressement) dans le fonds solidaire proposé n’appartient qu’à ce dernier.

• En second lieu, en application de l’article 199 terdecies‑0 AA du code général des impôts, les contribuables domiciliés fiscalement en France peuvent bénéficier d'une réduction de leur impôt sur le revenu égale à 18 % des versements effectués au titre de souscriptions en numéraire au capital des entreprises agréées ESUS exerçant des activités immobilières ou financières (dispositif « Madelin »). Selon l’étude d’impact, ces activités ne concernent cependant que 2,1 % des agréments octroyés (page 374).

Ces fonds sont utiles pour les entrepreneurs solidaires et contribuent à leur procurer des fonds propres nécessaires à leur développement.

2.   L’obtention de l’agrément ESUS

L’article L. 3332‑17 du code du travail distingue trois catégories d’entreprises qui peuvent obtenir l’agrément ESUS : celles qui doivent satisfaire certaines conditions qui conduisent à l’examen de leurs statuts et de leur compte de résultat, celles qui bénéficient de l’agrément de plein droit et celles qui sont assimilées à des entreprises agréées.

a.   Les conditions pour obtenir l’agrément

Trois conditions sont prévues par la loi.

• En premier lieu, la recherche d’une utilité sociale, au sens de l’article 1er de la loi « ESS » (voir supra). Cette condition est nécessairement satisfaite pour une société commerciale, puisque cette dernière ne peut être incluse dans l’économie sociale et solidaire que si elle respecte cette obligation fixée à l’article 1er précité.

• En second lieu, la charge induite par cet objectif d’utilité sociale doit avoir « un impact significatif sur le compte de résultat ou la rentabilité financière de l'entreprise » ([196]).

• En troisième lieu, la politique de rémunération doit être strictement encadrée. Ainsi :

– la moyenne des sommes versées aux cinq salariées ou dirigeants les mieux rémunérés ne doit pas excéder un plafond égal à sept fois la rémunération d’un salarié à temps complet au SMIC ou au salaire minimum de branche si celui-ci est supérieur ;

– les sommes versées à la personne la mieux rémunérée de l’entreprise ne doivent pas excéder un plafond égal à dix fois la rémunération d’un salarié à temps complet au SMIC ou au salaire minimum de branche si celui-ci est supérieur.

Ces trois premières conditions (utilité sociale, impact financier de cette utilité et encadrement des rémunérations) doivent figurer dans les statuts de l’entreprise.

• Enfin, les titres de capital de l’entreprise, s’ils existent, ne doivent pas être cotés sur un marché réglementé.

b.   Les entreprises qui en bénéficient de plein droit

Certaines entreprises de l’économie sociale et solidaire au sens de l’article 1er de la loi « ESS » bénéficient de plein droit de l’agrément ESUS, à condition toutefois de satisfaire également aux conditions fixées à cet article et à celle relative à l’absence d’admission des titres de capital sur un marché réglementé (voir supra).

Ce sont les entreprises d'insertion, les entreprises de travail temporaire d'insertion, les associations intermédiaires, les ateliers et chantiers d'insertion, les organismes d'insertion sociale relevant de l’article L. 121-2 du code de l'action sociale et des familles, les services de l'aide sociale à l'enfance, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les régies de quartier, les entreprises adaptées, les centres de distribution de travail à domicile, les établissements et services d'aide par le travail ainsi que les organismes agréés mentionnés aux articles L. 365-2 et L. 365-4 du code de la construction et de l’habitation.

c.   Les entreprises assimilées

Enfin, certaines entreprises de financement et de crédit sont assimilées par la loi aux entreprises agréées ESUS :

– d’une part, les organismes de financement dont l'actif est composé pour au moins 35 % de titres émis par des entreprises de l'économie sociale et solidaire dont au moins 5/7es de titres émis par des entreprises ESUS ;

– d’autre part, les établissements de crédit dont au moins 80 % de l'ensemble des prêts et des investissements sont effectués en faveur des entreprises agréées.

d.   La demande et la délivrance de l’agrément ESUS

L’agrément ESUS est délivré par le préfet du département où l’entreprise a son siège social ([197]). Concrètement, les demandes d’agrément doivent être effectuées par le représentant légal de l’entreprise demandeuse, auprès de la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) du département.

L’agrément est délivré pour une durée de cinq ans (ou deux ans, pour les entreprises créées depuis moins de trois ans à la date de la demande d'agrément).

Le contenu du dossier de demande d’agrément est fixé par un arrêté du 5 juin 2015.

Selon l’étude d’impact (page 368), 954 agréments ESUS ont été délivrés au cours de l’année 2016 et du premier trimestre 2017.

II.   Le dispositif proposÉ

A.   La rÉÉcriture des conditions de « l’utilitÉ sociale »

Dans l’objectif de « clarifier la portée donnée à ces écritures législatives » (étude d’impact, page 369), le I du présent article 29 modifie l’article 2 de la loi « ESS », qui définit la notion juridique « d’utilité sociale », essentielle dans la qualification d’une entreprise comme appartenant au secteur de l’ESS et comme susceptible d’obtenir l’agrément ESUS. Notamment, ce ne sont plus trois conditions alternatives que peut satisfaire l’objet social pour que l’entreprise soit considérée comme poursuivant une utilité sociale, mais quatre (alinéa 2).

• L’alinéa 3 précise la première condition relative au soutien à des personnes en situation de fragilité économique ou du fait de leur situation personnelle. Cette situation personnelle s’entendra particulièrement des « besoins en matière d’accompagnement social, médicosocial ou sanitaire » ou de la « contribution à la lutte contre l’exclusion de ces personnes. »

• L’alinéa 4 tend à donner valeur de condition autonome à « la préservation et au développement du lien social ou au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale ». Cet objectif était regroupé avec « la lutte contre les exclusions et inégalités sociales, économiques et culturelles », qui se retrouve largement dans la nouvelle rédaction de la première condition, et avec « l’éducation à la citoyenneté, notamment par l’éducation populaire », laquelle devient une troisième condition également autonome (alinéa 6), en précisant que cette éducation à la citoyenneté pourrait aussi passer par la « mise en œuvre de modes de participation impliquant, sur les territoires concernés, les bénéficiaires de ces activités ».

• Enfin, l’alinéa 8 reprend l’ancienne troisième condition relative au développement durable, à la transition énergétique, à la promotion culturelle et à la solidarité internationale.

Toutefois, comme dans l’état actuel du droit, cette condition n’est pas autonome et ne peut fonder l’utilité sociale d’une entreprise que pour autant que son activité est liée à au moins l’une des trois conditions ci‑dessus (alinéas 9 à 11) : un soutien à des personnes en situation de fragilité, le maintien ou le renforcement d’une cohésion territoriale ou une contribution à l’éducation à la citoyenneté.

• In fine, cette réécriture de la notion d’utilité sociale s’opère très largement à droit presque constant. L’utilité sociale demeure articulée autour de ces trois idées, l’innovation du projet de loi sur ce point consistant essentiellement à mieux distinguer, dans la présentation du droit applicable, l’éducation à la citoyenneté et le maintien de la cohésion territoriale. En tout état de cause, une entreprise ne peut être considérée comme d’utilité sociale du seul fait que son activité est relative au développement durable, à la transition énergétique, à la promotion culturelle ou à la solidarité internationale.

Ainsi, il apparaît que la réforme proposée tend à opérer une clarification de la notion d’utilité sociale, sans remettre en cause son champ d’application et sa sélectivité.

B.   L’ajustement des conditions propres À l’obtention de l’agrÉment ESUS

Le gouvernement évoque dans l’étude d’impact (page 369) « l’inutile complexité de certaines conditions d’accès à l’agrément ESUS ».

Le II (alinéas 12 à 18) modifie ainsi l’article L. 3332‑17‑1 du code du travail, qui prévoit les conditions de cet agrément.

• En premier lieu, les alinéas 14 et 15 suppriment l’exigence que les activités d’utilité sociale de l’entreprise aient un impact significatif sur sa « rentabilité financière ». Selon le gouvernement, l’utilisation de cette notion pour apprécier l’impact de l’activité sur le modèle économique du demandeur de l’agrément aboutit à « un mode de justification complexe et mal utilisé » car elle implique « un investissement technique de la part des porteurs de projet […] le plus souvent disproportionné à l’objectif recherché ». Il indique que « dans les faits, un nombre infime d’entreprises ont opté pour ce mode de justification. » (étude d’impact, page 373).

Ainsi subsisterait seulement, s’agissant de cette condition des incidences financières des activités de l’entreprise, celle d’un impact significatif sur « son compte de résultat ».

• En second lieu, les alinéas 16 et 17 tendent à prévoir que seul l’objectif principal de rechercher une utilité sociale doive figurer dans les statuts de l’entreprise. Ainsi, l’encadrement des rémunérations et l’incidence financière de l’activité d’utilité sociale, tout en demeurant des conditions exigées par la loi pour obtenir l’agrément ESUS, n’auraient plus à figurer nécessairement dans les statuts pour que cet agrément puisse être obtenu. Il s’agirait donc d’une évolution essentiellement formelle.

• En troisième lieu, l’alinéa 18 propose d’étendre aux entreprises qui peuvent bénéficier de plein droit de l’agrément ESUS la condition d’encadrement des rémunérations. Selon l’étude d’impact (page 370), le fait que cette dernière condition n’est pas applicable, en l’état actuel du droit, aux entreprises bénéficiaires de plein droit de l’agrément « touche à certaines disparités inexplicables dans les conditions d’accès à l’agrément ESUS ».

Le gouvernement ajoute qu’une harmonisation sur ce point a « toujours été largement demandée dès la préparation et le vote de la loi relative à l’ESS de 2014 par les principales catégories d’entités dispensées de cette obligation » et « qu’elle devrait rendre le dispositif plus lisible, à la fois pour les demandeurs et les services instructeurs. » À la page 374 de l’étude d’impact, il soutient qu’en pratique, elles le respectent de manière « systématique ».

• Enfin, l’alinéa 19 de l’article prévoit, dans un souci de sécurité juridique, que les entreprises qui bénéficient, sur le fondement du droit existant, de l’agrément ESUS, continueront d’en bénéficier en tout état de cause jusqu’à son terme, après l’entrée en vigueur de la loi.

L’étude d’impact (page 371) précise que cet article s’inscrit dans une évolution plus large et que « les adaptations législatives ponctuelles proposées constituent le point de passage nécessaire d’un ensemble de mesures de simplification, fluidification et harmonisation du dispositif ESUS. » Il considère que l’entrée en vigueur de cet article pourrait « augmenter le nombre d’entreprises agréées », de manière « difficile à estimer mais qui pourrait être substantielle ».

III.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale n’a pas entendu remettre en cause l’équilibre proposé par le Gouvernement dans le projet de loi s’agissant de la sélectivité de l’agrément « ESUS » et l’articulation entre les différentes conditions qu’une entreprise doit satisfaire pour l’obtenir.

Elle a néanmoins adopté un amendement de Mme Khattabi et d’autres membres du groupe La République en Marche qui ajoute au dispositif proposé que les entreprises qui ont reçu l’agrément « ESUS » participent à la réduction des inégalités sociales et culturelles, « notamment entre les femmes et les hommes ». Cet amendement a été sous amendé par votre rapporteur, afin d’en préciser et simplifier la rédaction.

Cet objectif se trouve ainsi explicitement mentionné dans la loi, sans modifier toutefois les trois conditions alternatives que doit satisfaire une entreprise pour être agréée (voir supra).

*

*     *

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement CS1516 de M. Adrien Quatennens.

La commission en vient aux amendements CS1449 et CS1456 de M. Cédric Roussel.

M. Jean-Marc Zulesi. Ils sont défendus.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Vous proposez d’étendre le champ de l’article à l’économie du sport et aux associations sportives… Je suggère le retrait de ces amendements. À défaut, avis défavorable.

Ces amendements sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement CS1510 de Mme MariePierre Rixain.

Mme Valérie Oppelt. Il semble important de consacrer la lutte contre les inégalités dans les conditions d’agrément des entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS), afin de pérenniser le statut de projets œuvrant à une meilleure inclusion et cohésion sociales. Alors que l’égalité entre les femmes et les hommes a été instituée grande cause du quinquennat, il est essentiel de donner des signaux favorables à toute entreprise ayant pour objet la lutte contre les inégalités de genre, en l’énonçant clairement dans les conditions d’agrément.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’intention est tout à fait louable, mais nous vous proposons d’adopter l’amendement CS1858 qui suit, que nous avons souhaité sous‑amender.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon avis est le même que celui du rapporteur. L’amendement CS1858 répond à votre objectif : il défend le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

L’amendement est retiré.

La commission passe à l’examen de l’amendement CS1858 de Mme Fadila Khattabi, qui fait l’objet du sous-amendement CS2391 du rapporteur.

Mme Fadila Khattabi. L’amendement CS1858 propose d’intégrer plusieurs belles notions dans les objectifs des entreprises solidaires d’utilité sociale. Nous souhaitons tout d’abord réintégrer la notion de lutte contre les inégalités sociales et culturelles. En outre, nous proposons d’intégrer les notions d’éducation inclusive et de promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes – j’insiste sur cette dernière notion. Lors des débats sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avons notamment voté des mesures en faveur de l’égalité salariale : il me paraît important que cette thématique apparaisse noir sur blanc dans ce beau projet de loi PACTE.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je salue cet amendement tout en proposant, par mon sous-amendement CS2391 de le recentrer sur l’égalité entre hommes et femmes, ce qui donnerait la rédaction suivante : « Elles participent ainsi à la réduction des inégalités sociales et culturelles, notamment entre les femmes et les hommes ».

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. J’y suis favorable. Il est important de parler d’égalité entre les femmes et les hommes, plutôt qu’entre les hommes et les femmes…

Mme la présidente Olivia Grégoire. L’ordre est effectivement important.

Mme Fadila Khattabi. Je ne peux qu’accepter avec plaisir ce sous-amendement !

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement ainsi sous-amendé.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS804 de Mme Anne-France Brunet, les amendements identiques CS1228 de M. Charles de Courson et CS1707 de Mme Sarah El Haïry, ainsi que l’amendement CS1633 de M. Adrien Taquet.

Mme Anne-France Brunet. L’amendement CS804 a pour objectif d’ouvrir de manière explicite l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS) aux activités de transition écologique ou de solidarité internationale. Ces activités étaient déjà inscrites dans la précédente rédaction, mais elles n’étaient pas prises en compte par les préfectures, car rattachées à la lutte contre la pauvreté, les inégalités ou à la cohésion territoriale. Notre rédaction propose d’autonomiser les activités de développement durable, de transition écologique ou de solidarité internationale.

M. Charles de Courson. La rédaction du Gouvernement présente les mêmes inconvénients que la précédente : elle rattache le développement durable, la transition écologique ou la solidarité internationale, à la lutte contre la pauvreté, les inégalités ou à la cohésion territoriale. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, elle n’atteindra pas son objectif.

L’amendement CS1228 vise à autonomiser les activités de développement durable, de transition énergétique, de solidarité internationale ou de promotion culturelle. La sélectivité souhaitée par le Gouvernement sera atteinte car les entreprises devront toujours répondre aux dix conditions d’obtention de l’agrément, en particulier de celles qui figurent à l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, pour obtenir l’agrément.

M. Mohamed Laqhila. Les objectifs de l’excellent amendement CS1707 déposé notamment par notre collègue Sarah El Haïry sont largement partagés sur tous nos bancs ; notre collègue de Courson l’a brillamment exposé. Nous souhaitons préciser la notion de développement durable et le texte proposé par le Gouvernement.

M. Stanislas Guerini. J’en profite pour regretter que la France Insoumise ait souhaité supprimer l’article 29. J’espère qu’elle ne conservera pas cette position en séance… C’est un bon article qui vise à élargir l’agrément ESUS aux entreprises œuvrant notamment dans le champ de la transition énergétique. L’agrément est important en ce qu’il permet à ces entreprises de bénéficier des fonds de la finance solidaire ou de la réduction d’impôt au titre des souscriptions en numéraire au capital de petites et moyennes entreprises non cotées (IR‑PME).

Notre amendement CS1633 vise à garantir que l’intention du Gouvernement – permettre aux préfets d’interpréter plus souplement le caractère cumulatif des critères qu’actuellement – sera suivie d’effets dans la pratique.

Notre rédaction est un compromis, mais nous sommes prêts à échanger avec le ministre pour clarifier l’intention du législateur – une acception plus souple des critères de délivrance de l’agrément ESUS –, qui sera ensuite adressée aux préfets. Le rapporteur nous indiquera s’il souhaite le maintien ou le retrait de notre amendement, afin que nous le redéposions en séance publique et puissions en débattre dans l’hémicycle.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’article 29 du projet élargit l’agrément ESUS à de nouveaux secteurs, notamment la transition écologique et la solidarité internationale, ou la promotion culturelle, à condition que les activités des entreprises concernées visent la lutte contre les inégalités. Au cours des auditions, le lien très fort entre les secteurs d’activité et l’obligation de lutte contre les inégalités a parfois inquiété : ne contraindrait-il pas trop fortement la capacité des entreprises à obtenir l’agrément ? C’est ce qui explique que plusieurs amendements aient été déposés, qui tendent à éliminer ce lien entre les nouveaux secteurs et la mission de lutte contre les inégalités.

Celles et ceux qui ont participé aux auditions avec les acteurs du secteur proposent une rédaction de compromis. C’est le cas de l’amendement CS1633 qui maintient le lien, mais en laissant aux préfets et aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) une large capacité d’appréciation de ces conditions afin d’encourager la diffusion du label ESUS – rappelons qu’il permet d’alimenter les fonds solidaires, mentionnées aussi aux articles 20 et 21, et rend les entreprises éligibles à l’IR-PME. Mon avis sera donc favorable à l’amendement CS1633. En conséquence, je demanderai le retrait des autres amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Au-delà du développement des PME, l’un des objectifs principaux du projet de loi PACTE est de développer l’économie sociale et solidaire. Nous sommes donc particulièrement favorables au développement des entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS).

Je suis tout à fait prêt à reconnaître que la délivrance de l’agrément ESUS pose actuellement problème car les critères sont trop restrictifs. C’est une bonne idée de les élargir et de les assouplir. En revanche, l’agrément ne saurait devenir automatique dans les cas de figure que vous évoquez – le développement durable ou la transition énergétique par exemple.

En effet, l’objectif premier du dispositif ESUS est de soutenir des publics ou des territoires en difficulté. Certes, les activités liées au développement durable ou à la transition énergétique peuvent concourir à cet objectif, mais cela ne doit pas devenir automatique. Sinon, demain, de grandes entreprises obtiendront l’agrément au seul motif qu’elles travaillent dans le secteur du développement durable. Prenons garde aux risques de dérive.

Je vous propose en conséquence d’adopter l’amendement CS1633 car sa rédaction est plus prudente : elle ne prévoit pas d’automaticité et conserve l’objectif social et solidaire en ligne de mire.

M. Stanislas Guerini. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse rassurante. Je vais malgré tout retirer l’amendement CS1633 pour que nous puissions à nouveau en discuter dans l’hémicycle.

Vous citez l’exemple d’une grande entreprise – prenons la filiale d’EDF, EDF Énergies Nouvelles. Je ne pense pas qu’elle pourra obtenir l’agrément, car la loi comporte déjà des critères, notamment d’écart de rémunérations. Cela étant, il est important de rappeler notre volonté et de donner une direction aux préfets car, sur le terrain, il semble que ces derniers aient « la rayure un peu facile » quand il s’agit de délivrer l’agrément ESUS : peu d’entreprises l’obtiennent. Quel risque prend-on à le délivrer ? Celui de l’accès à l’épargne solidaire, et à l’IR-PME. Le risque n’est donc pas énorme, d’autant plus que nous souhaitons que l’épargne solidaire trouve des débouchés. La discussion dans l’hémicycle permettra de bien clarifier l’intention du législateur et de retenir une acception un peu plus souple.

Mme Anne-France Brunet. Monsieur le ministre, j’ai entendu votre réticence. M. Guerini l’a rappelé, les critères ESUS ne permettent pas de dépasser certaines rémunérations : les grandes entreprises comme EDF ne pourront donc pas solliciter l’agrément.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je ne souhaite pas prolonger inutilement le débat, mais je veux bien me faire comprendre : je ne suis pas hostile à inclure les activités de développement durable dans l’agrément ESUS, mais je tiens à conserver la sélectivité et l’objectif social de l’agrément.

Durant le débat sur le projet de loi PACTE, la question de la filialisation va régulièrement se reposer : on va nous expliquer que beaucoup d’entreprises vont créer des filiales pour échapper à certains dispositifs fiscaux ou en bénéficier. Rien n’interdit à une grande entreprise de développer des filiales dans lesquelles les écarts de rémunération rentreraient dans les critères de l’agrément. De ce point de vue, l’automaticité est dangereuse. Il faut préserver la sélectivité, tout en assouplissant les critères, par respect pour cet acteur majeur de l’économie. L’amendement CS1633 répond à cette critique. Nous pouvons sans difficulté le retravailler avec Stanislas Guerini, cela nous permettra de reprendre le débat en séance. Mais l’agrément ESUS est d’abord destiné à aider des publics et des territoires défavorisés.

M. Charles de Courson. Quel est le problème, Monsieur le ministre ? C’est que le texte existant n’est pas suffisamment juridique : il est « nougateux » (Sourires). Ces critères mettent les préfectures dans une situation délicate. L’amendement CS1633 les conserve et produira donc les mêmes effets…

Mme la présidente Olivia Grégoire. C’est la présidente qui va finir nougateuse… Je suis désolée, mais il nous faut atterrir.

M. Stanislas Guerini. Je confirme que je retire l’amendement CS1633 afin de le retravailler et de reprendre le débat en séance.

Mme Anne-France Brunet. Je retire l’amendement CS804.

M. Charles de Courson. Je veux bien retirer mon amendement CS1228. Nous le redéposerons. Mais nous ne sortons pas d’un débat… nougateux, je persiste !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Disons filandreux…

M. Charles de Courson. Les critères ne sont pas clairs.

Les amendements sont retirés.

La commission passe à l’amendement CS1082 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. L’éducation au numérique participe aujourd’hui largement à l’inclusion sociale, mais aussi à l’anticipation des difficultés dues à l’évolution des métiers. L’enjeu est considérable. Il serait donc pertinent de l’intégrer dans les critères permettant de considérer qu’une entreprise poursuit une utilité sociale au sens de la loi relative à l’économie sociale et solidaire.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement car le 3° de l’article 2 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire précise qu’une telle entreprise doit contribuer à l’éducation à la citoyenneté, notamment par l’éducation populaire et par la mise en œuvre de modes de participation impliquant les bénéficiaires de ces activités. Votre demande est donc satisfaite.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Mon avis sera le même que celui du rapporteur. L’objectif d’éducation numérique figure bien dans la définition d’utilité sociale au sens de l’article 2 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à la discussion commune des amendements CS2042 de Mme Sandrine Mörch et CS2150 de M. Dominique Potier.

Mme Sandrine Mörch. Notre amendement CS2042 fait l’objet d’un accord de principe du Haut-Commissariat à l’économie sociale et solidaire (ESS), du ministère de l’économie et des finances et du mouvement des entrepreneurs sociaux. Chacun s’accorde à dire que le sigle « agrément ESUS », qui désigne les acteurs de l’ESS, n’est pas adapté car peu attractif et insuffisamment clair. C’est pourquoi notre amendement propose une formulation plus claire et plus attrayante – encore susceptible de faire l’objet d’ajustements techniques : l’agrément deviendrait « entreprise sociale, solidaire et écologique ».

Sur le fond, cette requalification permettrait d’identifier plus facilement les acteurs de l’ESS dont nous avons tant besoin. Il s’agit d’accompagner, de valoriser et de promouvoir ces acteurs du changement, grâce à un nom qui parlera à tous et permettra d’orienter les choix des partenaires et des consommateurs.

Un sigle bien choisi peut tout changer, comme l’ont prouvé les labels « Commerce équitable » ou « Bio » : il peut déclencher un véritable mouvement citoyen et une forte augmentation des ventes.

M. Dominique Potier. Notre amendement CS2150 fait partie des sept propositions que notre groupe, désormais rebaptisé Socialistes et apparentés, avait inscrites dans une proposition de loi déposée en janvier.

L’appellation ESUS est malheureuse car elle ne parle pas à nos concitoyens, même si elle est issue de la loi, dite « Hamon », saluée à l’époque par le monde de l’économie sociale et solidaire comme une bonne loi. La communication est importante : le terme « social et écologique » est préférable. C’est par ailleurs notre ADN politique. Je ne pense pas que cela posera problème, d’autant que le secteur l’attend. C’est notre devoir d’y donner suite.

Nous ne sommes pas hostiles à l’élargissement, mais serons attentifs à ce que le ministre soit lui-même vigilant afin d’éviter les dérives. Je connais bien le secteur de la bio : on peut être bio et économiquement cynique ou travailler dans les énergies renouvelables sans aucune éthique commerciale. L’appartenance à un secteur ne suffit pas.

Il faut donc élargir, mais également approfondir les critères : l’idée de laisser au libre arbitre des préfets nous fait un peu peur. Nous préparerons pour la séance des propositions qui viseront à l’encadrer, et qui, à ce stade, convergent avec celles de la majorité, ce dont je me réjouis.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les deux amendements sont issus des remarques formulées au cours des auditions. Mais tout le secteur n’est pas favorable à un changement de nom, notamment du fait d’une absence d’accord sur la nouvelle appellation. L’amendement CS2042 oublie la solidarité internationale ou la promotion culturelle et l’amendement CS2150 fait disparaître la notion de solidarité, alors qu’elle est au cœur du dispositif. Mon avis sera donc défavorable sur les deux amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je propose que nous débattions de ce sujet en séance publique. En effet, ce débat n’est pas neutre et je suis soucieux qu’on ne réoriente pas les entreprises sociales et solidaires vers un seul objectif, en l’occurrence l’objectif écologique. Je suis sensible à la question écologique, mais dans ce cas, pourquoi ne pas ajouter l’objectif culturel ? La culture participe aussi à la lutte contre les inégalités et au rétablissement du lien social et de la solidarité.

L’ajout de l’écologie est un important choix politique, M. Potier l’a reconnu. On comprend ce qu’inclut une économie sociale et solidaire : l’écologie, mais aussi la culture, les nouvelles technologies, etc. La liste est vaste. En rajoutant l’adjectif « écologique » ; on réoriente toute l’économie sociale et solidaire vers un secteur très précis. Ce n’est pas un choix politique neutre, alors que l’ESS est un secteur d’activité important pour des millions de nos compatriotes et qu’elle touche au lien social de la Nation française.

Je ne crois pas que l’on puisse trancher cette affaire en commission spéciale. Je souhaiterais donc que ces amendements soient retirés, afin que le débat ait lieu dans l’hémicycle. Je suis ouvert à une nouvelle appellation. Vous avez raison, on pourrait peut-être trouver mieux, mais l’ajout d’« écologique » n’est pas neutre politiquement… Et je ne suis pas certain que ce soit le bon choix car il restreint considérablement le champ de ce secteur économique.

M. Daniel Fasquelle. Je rejoins tout à fait le ministre. Outre le fait qu’il ne faut pas mélanger les sujets, une loi a été adoptée il n’y a pas si longtemps, qui visait à structurer et organiser le secteur de l’économie sociale et solidaire. Ne commençons pas à brouiller les premiers repères dont nous disposons, au risque de perdre tout le travail réalisé ces dix dernières années. Même si la préoccupation environnementale est en soi importante, je ne pense pas que ce projet de loi fournisse le bon véhicule pour introduire cette disposition dans notre législation.

M. Dominique Potier. Même si nous sommes ouverts à la discussion, nous allons « cranter » notre position et maintenir cet amendement. Les questions de la justice et de la vie sont profondément liées. Je ne vois pas comment une entreprise pourra, désormais, prétendre agir dans le domaine social ou agir en faveur de la solidarité sans s’inscrire dans un récit de transition écologique. Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale.

Les écarts de revenus sont à cet égard un des points fondamentaux : je ne voudrais pas que nous orientions l’épargne vers des gens qui creusent les écarts de salaires ou qui jouent la spéculation de préférence au temps long. Mais nous sommes très heureux de savoir que nous pourrons reprendre la discussion à un niveau supérieur, en séance publique.

Mme Sandrine Mörch. Je retire mon amendement pour le retravailler et le proposer à nouveau.

L’amendement CS2042 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS2150.

La commission examine l’amendement CS1587 de M. Philippe Latombe.

Mme Sarah El Haïry. Je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS805 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Le principe d’égalité a motivé la proposition du Gouvernement, lorsqu’il propose la même échelle de rémunération pour les entreprises sociales et solidaires qui sont agréées de droit et pour celles qui ne le sont pas.

Or les missions des entreprises sociales et solidaires exigent parfois le recours à des emplois dont les échelles de salaires dépassent les plafonds imposés dans l’agrément des entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS). C’est par exemple le cas pour certaines professions médicales, comme les chirurgiens.

Ces entreprises agréées de droit, qui exercent des activités d’intérêt général ou d’utilité publique, doivent pouvoir embaucher les spécialistes dont elles ont besoin et avoir accès à un financement adapté à leur modèle économique non lucratif. Voilà ce qui motive l’amendement proposé.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je demande le retrait de cet amendement. Il apparaît important de conserver un certain nombre de garde-fous, ou de conditions nécessaires, à l’obtention de l’ESUS, parmi lesquels l’écart restreint de rémunération.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS1976 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. La suppression de l’alinéa 18 a vocation à simplifier l’encadrement des salaires imposé par l’agrément ESUS. Car, si on souhaite que les entreprises sociales et solidaires puissent engager des personnes disposant de qualifications spécifiques, telles que des médecins ou des chirurgiens, il faut leur donner les moyens de le faire. Cela permettra de préserver leur attractivité.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Demande de retrait, de même que pour l’amendement précédent. Il convient de ne pas trop élargir trop le champ de l’agrément ESUS.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS806 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS2217 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement ne faisait qu’un avec l’amendement CS2150, dont il a été dissocié à la demande des services. Outre le changement de nom au profit du label « entreprise sociale et écologique », examiné tout à l’heure, il s’agit d’élargir le champ du label aux organismes et établissements de crédits ayant des relations étroites avec les entreprises agréées afin de créer un écosystème favorable où chaque structure accompagne le développement de l’autre.

Enfin, l’amendement propose de fixer un taux réduit d’impôt sur les sociétés à 15 % pour les entreprises agréées, afin de faciliter leur croissance.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous avons déjà discuté de l’appellation. Pour ce qui est du taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS), il faudra redéposer cette proposition à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le taux d’IS réduit obéit à une logique très différente de ce que vous proposez : le niveau du taux d’IS dépend non de la nature de l’entreprise, mais de sa taille, qui n’a pas grand-chose à voir avec la qualité de l’entreprise elle-même. Sur le fond, je ne suis vraiment pas favorable à cet amendement. Par ailleurs, du strict point de vue législatif, cela relève effectivement du vote de la loi fiscale.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le rapporteur m’a renvoyée à l’examen du projet de loi de finances, mais sans me donner d’avis sur le fond…

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il est défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1685 de M. Hubert Julien-Laferrière.

M. Hubert Julien-Laferrière. Cet amendement vise à rendre éligibles au dispositif d’épargne salariale solidaire les entreprises solidaires de développement présentes à l’étranger, dans les pays qui bénéficient de l’aide au développement française. Cela suppose de créer un label « entreprises solidaires de développement » qui devra être agréé par une autorité compétente, par exemple par l’ambassade de France. Ces entreprises devront répondre à des critères exigeants d’impact social, définis dans l’exposé des motifs.

J’ai bien conscience de la petite révolution que cela représente. Que l’épargne salariale puisse aller à l’étranger répond cependant à l’ambition forte affichée pour ce quinquennat en matière d’aide publique au développement, qui passera tant par des aides publiques que par la mobilisation de ressources privées.

Cette petite révolution serait encadrée, grâce à une labellisation par une autorité française et des critères exigeants en termes d’impact social et environnemental.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je vous livrerai deux réflexions.

Premièrement, cette proposition recouvre en partie les objectifs prévus par ESUS, qui incluent la solidarité internationale, quand bien même certaines des structures visées ne seraient pas éligibles à ESUS – encore faudrait-il préciser lesquelles. Deuxièmement, il serait plus opportun de mener dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale la discussion sur les incidences sociales et fiscales de cette proposition. Demande de retrait.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission adopte ensuite l’article 29 modifié.

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Après article 29

La commission examine l’amendement CS1708 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement vise tout simplement à donner la possibilité au monde associatif, et en particulier aux réseaux associatifs, de développer des opérations de mutualisation de trésorerie entre leurs membres. La possibilité ouverte par cet amendement fera que la trésorerie des uns pourra profiter aux autres. Elle est naturellement bien encadrée afin de prévenir tout risque.

Cette faculté existe déjà pour les entreprises, lorsqu’elles entretiennent des liens, directs ou indirects, entre elles ; les mêmes règles s’appliqueraient au monde associatif, en réservant toutefois cette possibilité aux entités agissant au sein d’un même réseau associatif, ce que ne permet pas aujourd’hui le code monétaire et financier.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cette idée de bon sens mériterait d’être explorée, le cas échéant dans un texte ayant plus directement pour objet le monde associatif. Le projet que nous examinons concerne en effet les entreprises.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis. L’idée est bonne, mais si nous ouvrons la loi PACTE au champ associatif, ce ne sera plus la loi PACTE…

Mme Sarah El Haïry. Je prends acte de l’engouement suscité par cette proposition. Je travaillerai de nouveau à cet amendement pour pouvoir le déposer de nouveau, au bon moment, à l’occasion de l’examen d’un autre texte.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement CS2152 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement rejoint l’amendement CS1685 présenté à l’article 29 par M. Hubert Julien-Laferrière : il vise à élargir le champ des entreprises éligibles à un financement par des fonds communs d’épargne d’entreprise solidaire à une nouvelle catégorie, les « entreprises solidaires de développement », localisées dans les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement, répondant à des critères exigeants d’impact social et de lucrativité limitée, et agréées suivant une procédure spécifique.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1709 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement concerne également le monde associatif. Compte tenu de la réponse précédente du ministre, je ne m’étendrai pas. Il s’agissait de donner au monde associatif l’opportunité de dégager un excédent maîtrisé, qui lui permettrait de consolider un capital, rendant plus faciles de traverser les périodes plus compliquées. Rappelons que le monde associatif peut être aussi un monde employeur qui peut créer et générer de la richesse.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Sachant que nous avons 73 articles à examiner, je suggère que les auteurs des amendements relatifs au monde associatif, qui se trouvent hors du champ du projet de loi, ne défendent pas forcément leurs propositions, faute de quoi nous risquons d’entendre aussi toujours la même réponse du ministre – et ce sera un plaisir de siéger tout dimanche…

L’amendement est retiré.

Elle examine ensuite l’amendement CS1710 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement porte également sur le monde associatif. Il doit permettre d’autoriser les prêts gratuits entre associations. L’idée a été présentée au Premier ministre par les acteurs du monde associatif.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Demande de retrait. Cette proposition présente un intérêt certain, mais trouvera mieux sa place dans un autre véhicule législatif.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

L’amendement est retiré.

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Article 29 bis (nouveau)
Affacturage inversé collaboratif

La commission spéciale a souhaité introduire en droit positif une nouvelle procédure relative à l’affacturage, qui pourrait être mise en œuvre par les pouvoirs adjudicateurs publics ou parapublics.

● L’affacturage est une technique de financement à court terme des entreprises. C’est une opération de crédit soumise au monopole bancaire. Une convention est conclue entre l’affactureur (un établissement de crédit spécialisé) et le fournisseur (l’entreprise cliente), par laquelle ce dernier transfère au premier la propriété des créances qu’il détient à sa clientèle.

L’affactureur paie les factures de manière anticipée, en assure le recouvrement et assume le risque de non‑paiement. Il se rémunère en prélevant une commission. Il assure aussi pour le fournisseur des services annexes de nature administrative.

Cette pratique n’a pas de régime légal propre. D’un point de vue juridique, elle repose le plus souvent sur la subrogation personnelle prévue à l’article 1346 du code civil. L’affactureur est subrogé dans les droits du fournisseur : il acquiert la propriété de la créance et de ses accessoires.

● L’amendement adopté par la commission spéciale, à l’initiative de M. Patrick Mignola et d’autres membres du groupe MoDem, prévoit un cadre juridique pour un « affacturage collaboratif inversé ».

Cet affacturage est « inversé » dès lors que ce ne serait plus le fournisseur qui devrait fait appel à un affactureur, mais le pouvoir adjudicateur qui demandera à un prestataire externe de payer de manière anticipée les factures émises par les fournisseurs.

Le dispositif prévoit que les modalités de ce mécanisme seront prévues dans une convention tripartite conclue entre le pouvoir adjudicateur, l’affactureur et le fournisseur.

Il est qualifié de « collaboratif » dès lors qu’il ne revêt aucune forme contraignante et suppose la démarche volontaire du pouvoir adjudicateur et des fournisseurs.

Cet article pourrait ainsi contribuer à faciliter la gestion de la trésorerie des entreprises qui ont des relations économiques avec la sphère publique.

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La commission examine ensuite l’amendement CS1979 de Mme Sarah El Haïry.

M. Patrick Mignola. Je vous remercie, Madame la présidente, de m’accueillir momentanément dans votre commission. L’amendement CS1979 vise à définir ce qu’est l’affacturage inversé. Au cours des dernières années, nous avons fait de grands progrès en matière de délais de paiement inter-entreprises, mais il en reste beaucoup à faire pour que toutes s’acclimatent aux nouvelles dispositions relatives aux délais de paiement : il ne faut surtout pas changer le cadre législatif.

En revanche, il est possible de nous doter d’un nouvel outil. Il est déjà un peu utilisé, mais insuffisamment : il est déjà mis en œuvre notamment dans le domaine hospitalier. Il s’agit de laisser le donneur d’ordres ou débiteur payer plus tôt une facture certaine, via un prestataire externe, plutôt que de laisser le créancier recourir au dispositif, dit « Dailly », pour se faire régler plus tôt sa facture.

Il va de soi que ce dispositif doit être organisé sur un mode collaboratif, sur la base d’une proposition du donneur d’ordre public en direction de la TPE ou de la PME qui pourrait être intéressée par ce paiement réalisé d’avance par un prestataire externe. Ce dispositif ne serait pas obligatoire, mais l’idée est d’en faire la promotion auprès des acheteurs publics. L’acheteur public donnant l’exemple, le dispositif pourrait ensuite bénéficier d’une promotion indirecte auprès des acheteurs privés.

Tel est l’objet de cet amendement. Il s’inscrit à la fois dans l’esprit des annonces faites par le ministre relativement aux avances forfaitaires de 20 % réalisées dans le cadre des marchés publics ou relativement aux ordres de service à zéro euro.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’adoption de cet amendement très important aura des effets très positifs sur la trésorerie des entreprises, notamment des PME, qui travaillent pour le compte de l’État. Effectivement, elle ira de pair avec la suppression des ordres de service à zéro euro, qui sera proposée plus loin dans un amendement, comme avec le versement aux entreprises d’avances forfaitaires pouvant aller jusqu’à 20 %, mesure qui sera mise en œuvre par voie réglementaire. Avis très favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Avis favorable. Cet amendement va permettre d’améliorer la situation de trésorerie d’un grand nombre de PME et de TPE.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Cet amendement très important porte sur un sujet qui me tient aussi à cœur, comme vous le savez.

La commission adopte l’amendement.

Sous-section 2 :
Moderniser la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations
pour améliorer ses actions en faveur des territoires

Avant l’article 30

La commission examine lamendement CS2155 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement d’une grande limpidité vise à insérer l’alinéa suivant : « La Caisse des dépôts et consignations concourt à la mise en œuvre des investissements réalisés par les collectivités territoriales en facilitant leur accès à lemprunt ». Cela va mieux en le disant.

Je profite de cette intervention pour regretter que l’un de nos amendements soit tombé pour des raisons légistiques, car il visait à rendre à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sa vocation de « banque de la démocratie » telle qu’évoquée par le Président de la République et à laquelle le MODEM, notamment, est très attaché. Nous souhaitions apporter notre concours à cet objectif mais hélas, l’amendement ne peut être défendu pour des questions de forme.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je précise, monsieur Potier, que cet amendement est tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution, mais sans doute aurons-nous le plaisir d’y revenir en séance.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je propose le retrait de l’amendement CS2155 car le code monétaire et financier dispose déjà que la Caisse « remplit des missions dintérêt général en appui des politiques publiques conduites par lÉtat et les collectivités territoriales ». Le libellé n’est pas exactement le même que celui que vous proposez mais l’idée est identique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

M. Arnaud Viala. J’étais favorable à cet amendement, même si mon vote n’a malheureusement pas changé son sort. J’en profite pour interroger M. le ministre sur le sujet connexe et préoccupant de l’état d’avancement de l’Agence de cohésion des territoires, très liée à la question du financement des collectivités territoriales. Ce projet prend du temps ; qu’en est-il ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Cette question est quelque peu éloignée du projet PACTE ; l’Agence est en cours de préfiguration, mais je ne peux pas vous donner ici de délais plus précis de mise en œuvre.

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Article 30
(article L.518-4 du code monétaire et financier)
Composition de la commission de surveillance

A.   l’État du droit

1.   La Caisse des dépôts et consignations : « Foi publique »

La Caisse des dépôts et consignations a été créée par l’article 110 de la première loi de finances, votée le 28 avril 1816 par la Chambre des députés, à l’initiative du ministre des finances Louis‑Emmanuel Corvetto. Elle résulte de la volonté du roi Louis XVIII de restaurer la confiance des citoyens dans le crédit de lÉtat après les déboires financiers de la Révolution et de l’Empire, et notamment la banqueroute des Deux-Tiers de 1797 sous le Directoire.

Dépositaire de confiance de fonds privés protégés par la loi, elle n’est toutefois, dès l’origine, pas réductible à un moyen de financer la dette de l’État. Elle constitue également un outil de gestion de l’épargne nationale.

L’établissement public Caisse des dépôts est au sommet d’un groupe qui, à la jonction des sphères publique et privée, exerce à la fois des missions d’intérêt général et des activités concurrentielles, notamment à travers ses filiales. En appui des politiques publiques de l’État et des collectivités territoriales et au service du développement économique du pays, des missions diverses lui sont ainsi aujourd’hui confiées :

– la Caisse des dépôts gère lépargne réglementée et garantie par l’État en provenance des fonds déposés notamment sur les livrets A et transforme cette épargne liquide en prêts à très long terme pour financer le logement social et linvestissement des collectivités territoriales ;

– elle gère des fonds protégés par la loi dans le cadre d’un monopole légal, pour les dépôts de professions juridiques et les consignations (sommes reçues sur le fondement d’un texte, d’une décision administrative ou juridictionnelle et conservées puis restituées à un bénéficiaire ou à l’État) ou dans le cadre de mandats publics pour des clients institutionnels comme la Sécurité sociale (gestionnaire de fonds de retraite et de solidarité) ;

– elle contribue au développement économique local et national, en participant notamment aux politiques de la ville, de l’emploi ou du développement durable ;

– elle joue un rôle dinvestisseur institutionnel de long terme dans de grandes entreprises nationales ;

– elle détient plusieurs filiales qui ont une activité concurrentielle (comme Icade, Transdev, Bpifrance ou CNP Assurances). Elle contribue notamment, via sa filiale Bpifrance, au financement des PME et ETI, tout au long de leur cycle de vie, en leur accordant des prêts et en investissant en fonds propres.

Elle a ainsi deux bilans : celui du Fonds dépargne (gestion de l’épargne réglementée) et celui de la Section générale (la Caisse des dépôts proprement dite, notamment ses actifs financiers, actions et obligations). Juridiquement distincts, ils sont toutefois gérés de façon unique par les agents de la Caisse d’un point de vue opérationnel. Son personnel est composé de fonctionnaires de la fonction publique d’État, d’agents contractuels de droit public et, sous certaines conditions spécifiques, d’agents de droit privé.

Elle a en outre participé très largement au relèvement économique et industriel de la France pendant les « trente glorieuses » et, dans les années 1980, au développement des marchés de capitaux et de la place financière de Paris. Ses activités financières concurrentielles, qui se sont intensifiées à partir des années 1990, ont été confiées à des filiales spécialisées.

Elle est fondée sur un modèle économique original : elle n’est pas subventionnée par l’État et finance ellemême lensemble de ses activités. Son résultat provient de son activité d’investisseur, de ses filiales et de ses participations. Elle constitue un investisseur institutionnel de premier plan en France et en Europe. Selon l’expression d’Alain Ménéménis, membre du Conseil d’État et, à ce titre, commissaire surveillant, la Caisse des dépôts et consignations est « un animal financier très particulier ». Ainsi, les institutions allemande et italienne qui se rapprocheraient de la Caisse des dépôts française n’ont pas ce rôle d’investisseur institutionnel de première importance.

En 2017, elle a géré 307 milliards d’euros de dépôts, consenti 194 milliards d’euros de prêts, détenu 151 milliards d’euros d’actifs financiers et 26 milliards d’euros de participations dans ses filiales. Le résultat net courant du Fonds d’épargne s’est élevé à 1,4 milliard d’euros et le résultat net consolidé de la Section générale à 1,9 milliard d’euros (en hausse par rapport à 2016).

Dès sa création, elle fut entourée de garanties destinées à prévenir toute initiative arbitraire du pouvoir exécutif. Ainsi, l’article 115 du titre X de la loi précitée disposait qu’« il ne pourra, dans aucun cas, ni sous aucun prétexte, être porté atteinte à sa dotation, car cet établissement est placé, de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de lautorité législative » ([198]). Établissement public et donc personne morale de droit public, elle n’est toutefois pas soumise à la tutelle d’un ministère mais constitue selon le Conseil d’État un « établissement spécial, vivant sa propre vie et distinct de lÉtat » ([199]). Le Conseil constitutionnel l’a quant à lui qualifiée « dorganisme soumis par son statut au contrôle du Parlement » ([200]).

2.   La commission de surveillance

Cette conception particulière de l’organisation de la Caisse des dépôts et consignations se traduit par l’existence d’un organe spécifique qui associe le Parlement à la gouvernance de cette institution : la commission de surveillance.

Aux termes de l’article L. 518-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de l’article 151 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, la commission de surveillance est ainsi composée :

– de trois membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale, dont un au moins appartient à un groupe ayant déclaré ne pas soutenir le Gouvernement ;

– de deux membres de la commission des finances du Sénat ;

– d’un membre du Conseil d’État et de deux membres de la Cour des comptes. Ils sont élus par leurs pairs, ce qui renforce l’indépendance que leur confère par ailleurs leur statut ;

– du gouverneur de la Banque de France et du directeur général – ou de la directrice générale – du Trésor ;

– de deux personnalités qualifiées nommées par le Président de l’Assemblée nationale et d’une nommée par le Président du Sénat.

En l’état actuel du droit, elle comprend donc treize membres. Dès 1816, sa présidence a été confiée à un parlementaire. En outre, les parlementaires et les personnalités qualifiées nommées par le président de chaque assemblée constituent ensemble une majorité absolue au sein de la commission (huit personnes au total), ce qui garantit l’indépendance statutaire de la commission de surveillance vis-à-vis du pouvoir exécutif.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article 30 tend à faire évoluer la composition de la commission de surveillance afin de moderniser la gouvernance de la Caisse. Il modifie à cet effet l’article L. 518-4 du code monétaire et financier.

Les 1° à 4° (alinéas 2 à 10) conserveraient inchangé à cinq le nombre total de parlementaires au sein de la commission de surveillance, mais prévoient que l’un des députés et l’un des sénateurs membres des commissions des finances de chaque assemblée soient remplacés par un député et un sénateur appartenant aux commissions chargées des affaires économiques de chaque assemblée.

Le 5° (alinéas 11 à 14) introduit des modifications plus substantielles :

– en premier lieu, les membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes ainsi que le représentant de la Banque de France seraient remplacés par quatre personnalités qualifiées nommées par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie (alinéa 12). Le gouvernement invoque dans l’étude d’impact (page 384) le souhait « de renforcer létanchéité de la commission de surveillance vis-à-vis dinstitutions qui demeurent par ailleurs en charge du contrôle de la Caisse des dépôts et consignations ».

– en outre, l’alinéa 13 prévoit que deux représentants du personnel de la Caisse des dépôts et consignations et de ses filiales siègent au sein de la commission de surveillance ;

– enfin, l’alinéa 14 fixe un objectif général de parité femmes/hommes entre commissaires surveillants : la proportion des commissaires de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % du total des membres, à peine de nullité de la mesure de nomination ayant pour effet de méconnaître cette règle. L’alinéa précise cependant qu’une délibération à laquelle un commissaire surveillant irrégulièrement nommé aurait pris part n’est pas elle-même nulle.

Ces deux dernières modifications sont animées, selon l’étude d’impact, par une volonté « daligner la gouvernance de linstitution sur les meilleurs standards de gouvernance ».

Plus largement, le Gouvernement souhaite par cet article « enrichir les débats qui se tiennent dans cette instance, accroître la qualité et la légitimité des décisions prises et renforcer lexemplarité de la Caisse des dépôts ».

Le nombre de commissaires surveillants serait en conséquence porté de treize à quinze. Le Conseil d’État considère dans son avis que si ces dispositions auraient pour effet d’accroître le poids du pouvoir exécutif dans la désignation des commissaires surveillants, « elles ne remettent toutefois pas en cause la spécificité de la gouvernance de cet établissement public » dès lors que les parlementaires, dont le président, et les personnalités qualifiées désignées par les présidents des assemblées représentent toujours la majorité.

C.   la position de la commission spÉciale

Après avoir débattu de nombreux amendements proposant de modifier la composition de la commission de surveillance telle que prévue par le projet de loi, la commission spéciale a adopté l’article 30 sans modification.

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La commission examine lamendement CS664 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. L’article 30 vise à modifier la composition de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Statutairement soumise au contrôle du Parlement, la CDC est dotée d’une commission de surveillance composée de treize membres nommés pour trois ans, dont la composition est définie par l’article L. 518-4 du code monétaire et financier. Le projet de loi prévoit de modifier substantiellement la composition de la commission de surveillance en portant le nombre de ses sièges de treize à quinze et en supprimant les sièges attribués à la Cour des Comptes, à la Banque de France et au Conseil d’État pour les ouvrir à quatre personnalités qualifiées nommées par le ministre de l’économie.

La CDC est sous le contrôle statutaire du Parlement depuis près de deux siècles. Y remplacer la présence des grands corps de l’État par celle de personnalités nommées par le ministre de l’économie ne fera qu’accentuer encore le poids du Gouvernement dans le contrôle de cette structure et la déséquilibrer en mettant en cause son contrôle par le Parlement, qui existe depuis toujours. Rien n’impose de faire subir de tels changements à cet opérateur mondialement reconnu pour sa stabilité, qui soutient la France dans ses relations avec ses créanciers, d’autant plus que la Caisse est aussi reconnue comme un investisseur à suivre du fait de ses investissements peu risqués et rentables pour les petits portefeuilles.

En clair, nous ne comprenons pas ce qui motive cette modification de la commission de surveillance de la Caisse ni pourquoi le Gouvernement entend accroître son emprise sur la Caisse et, du même coup, atténuer voire rompre le lien qui a toujours existé entre cet établissement et le Parlement.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable : il nous semble important de moderniser le fonctionnement de la commission de surveillance. La question que pose M. Fasquelle porte à la fois sur la sortie de la commission de surveillance des membres de la Cour des comptes et du Conseil d’État et sur leur remplacement par des personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement. Le premier point ne nous semble pas être un drame, car les auditions conduites auprès de la Cour des comptes, du Conseil d’État et des parlementaires membres de la commission de surveillance ont fait apparaître que l’essentiel est que ces personnes soient nommées dans le cadre d’un processus garantissant leur indépendance et surtout, qu’elles apportent une forme d’expertise à la commission. Or, cette expertise certes indispensable peut être trouvée ailleurs, notamment en dotant les membres de la commission de collaborateurs possédant les compétences requises.

D’autre part, le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, n’a pas jugé qu’il y avait un inconvénient majeur à ce que ses membres et ceux de la Cour des comptes sortent de la commission de surveillance. Pour toutes ces raisons et même si le débat est nécessaire, cet article ne doit pas être supprimé, quoiqu’il puisse sans doute être enrichi.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Puisque de nombreux amendements seront déposés sur ce sujet, permettez-moi de replacer le débat dans une perspective longue. La Caisse des dépôts et consignations est placée sous la surveillance du Parlement, et nous ne changeons rien à cet état de fait – je tiens à le réaffirmer. Dans sa nouvelle composition, l’organe de surveillance de la CDC passera de treize à quinze membres avec l’ajout de deux représentants des salariés. Le Parlement français, quant à lui – c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat – conservera la majorité puisque cinq parlementaires siègeront à la commission, ainsi que trois personnalités qualifiées choisies par les parlementaires pour leurs compétences financières. Cinq plus trois faisant huit, la majorité de l’organe de contrôle de la Caisse reste entre les mains des parlementaires et sa présidence incombe elle aussi à un parlementaire. Je m’inscris donc en faux contre ceux qui prétendent que nous remettrions en cause le contrôle de la Caisse par le Parlement français. La réalité de la majorité et de la présidence de l’organe de surveillance est la suivante : cet organe reste aux mains du Parlement français, et j’y suis autant attaché que vous comme ancien parlementaire. C’est une tradition ancienne à laquelle vous êtes attachés et, je le répète, à laquelle je suis moi aussi attaché.

Ensuite, les pouvoirs de cette commission de surveillance – et donc vos pouvoirs – seront considérablement renforcés. En effet, la commission devient un véritable organe d’administration et non plus seulement de surveillance. C’est là que réside le véritable changement : une commission de contrôle n’est plus un simple organe de surveillance, mais aussi un organe d’administration qui participe à l’adoption du budget et à l’approbation des comptes de la Caisse, à l’adoption de sa stratégie, à la fixation de ses besoins en fonds propres, à l’approbation du programme d’émission de dette et à l’approbation du dispositif de contrôle interne.

Troisième élément : la mise en place de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). La Caisse sera désormais supervisée par une autorité indépendante, l’ACPR, ce qui justifie de supprimer la présence d’un représentant de la Banque de France à la commission de surveillance. La réforme est donc parfaitement cohérente : si nous supprimons la représentation de la Banque de France, c’est tout simplement parce que la Caisse est désormais soumise au contrôle de l’ACPR.

La commission de surveillance gagne en pouvoir puisqu’elle devient un organe d’administration. Je rappelle que le bilan agrégé de la CDC, qui est aujourd’hui de l’ordre de 400 milliards d’euros, atteindra 1 000 milliards d’euros avec le rapprochement entre CNP Assurances et la Banque postale. Elle deviendra ainsi l’un des premiers outils financiers publics du monde – conformément à l’attente de nombreux parlementaires présents sur ces bancs. Il n’est donc pas déraisonnable de souhaiter que les quatre autres personnalités siégeant à la commission de contrôle disposent de compétences techniques et financières pour gérer un organe public de cette importance.

C’est la raison de la seule proposition que nous faisons, étant entendu que je n’ai rien contre les conseillers d’État ni contre les commissaires aux comptes, certains étant parfaitement compétents pour contrôler la Caisse et d’autres non. Il se trouve en effet au Conseil d’État et à la Cour des comptes des compétences pour exercer le contrôle sur un organe dont le bilan s’élève à 1 000 milliards d’euros, mais ce n’est pas nécessairement là que se trouvent les meilleures compétences à ces fins. Je m’inscris donc en faux contre ceux – c’est une véritable divergence – qui prétendent que les meilleures compétences se trouveront forcément dans ces deux institutions ; je n’en suis pas certain. Il peut aussi s’en trouver ailleurs. Je souhaite donc simplement que nous ouvrions la possibilité pour le Gouvernement de choisir des personnalités qualifiées qui possèdent les meilleures compétences techniques et financières possible et qui pourront être choisies à la Cour des comptes ou au Conseil d’État mais aussi ailleurs, le cas échéant. Étant donné l’enjeu que représente le bilan de ce nouvel organe financier, la position du Gouvernement me semble raisonnable et ne remet aucunement en cause le principe du contrôle de la Caisse des dépôts par le Parlement.

M. Daniel Fasquelle. Vous ne m’avez pas convaincu, monsieur le ministre, même si je conviens avec vous – et sur ce seul point – qu’un toilettage de la composition de l’organe de surveillance pouvait être envisagé. Vous avez évoqué la question de la présence de la Banque de France alors qu’elle est chargée de contrôler la Caisse ; c’est logique. Pour le reste, la réalité est la suivante : vous diluez la présence du Parlement au sein de la commission de surveillance et renforcez l’emprise de votre ministère sur la Caisse des dépôts et consignations – un vieux rêve de Bercy. Sans vous mettre en cause personnellement, je m’inquiète de la tendance de cette majorité à constamment donner plus de pouvoir à la technostructure tout en affaiblissant les contre-pouvoirs. Au fond, c’est le fait que les représentants du Conseil d’État et de la Cour des comptes ne soient pas désignés par vous mais de manière indépendante qui vous gêne – je n’ai d’ailleurs pas trouvé M. le rapporteur très à l’aise sur ce sujet. Je maintiens donc l’amendement au nom du groupe Les Républicains, et je regrette cette évolution. Une démocratie a besoin de contre-pouvoirs et de personnalités nommées de façon indépendante. Il faut cesser de renforcer sans cesse le poids de la technostructure, ce que vous faites malheureusement avec cette réforme.

M. Pierre Dharréville. Vous avez fait part, monsieur le rapporteur, de votre volonté de moderniser l’institution, mais deux points du texte seulement concourent à cette modernisation – l’introduction d’une représentation des salariés et l’instauration d’une proportion minimale de 40 % de membres de chaque sexe. Le reste est discutable et le débat est largement ouvert. Certes, monsieur le ministre, cinq plus trois font huit, mais nous savons bien que les modifications que vous proposez affaiblissent le poids du Parlement au sein du conseil de surveillance. L’affaiblissement du Parlement est suffisant pour ne pas en rajouter, dans une institution aussi importante que celle-ci.

D’autre part, la présence d’un membre du Conseil d’État ne vise pas seulement à apporter des compétences, mais aussi la représentation d’une institution dont le rôle est de s’assurer de la soumission effective de l’administration au droit.

Nous avons donc déposé plusieurs amendements visant à modifier les dispositions qui nous semblent mauvaises plutôt qu’un amendement de suppression de l’article, mais nous sommes plutôt opposés à la philosophie générale du texte.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Nous entamons une discussion importante qui se poursuivra – j’ai moi-même déposé un amendement qui fera sans doute l’objet d’un débat intéressant. La Caisse des dépôts et consignations, qui a plus de deux siècles d’existence, est une institution quasi unique en France. J’ai eu l’honneur et le plaisir de travailler pendant huit ans pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, créée en 1965 sous l’inspiration – son nom ne doit rien au hasard en effet – de l’institution française, même si leurs destins se sont éloignés depuis.

Par ce projet de loi, monsieur le ministre, vous nous proposez de changer à la fois la nature, l’ampleur et l’impact de cette institution en la rapprochant d’une autre institution très chère aux Français, elle aussi vieille de plus de deux siècles – La Poste – et de ses services financiers, ainsi que d’une compagnie d’assurance. Ce n’est pas un toilettage, monsieur Fasquelle : c’est une vraie transformation en profondeur de l’intervention financière de l’État. Il ne faut donc pas non plus se contenter d’en toiletter la gouvernance, il faut aller au-delà.

D’autre part, ce que vous appelez la « dilution » de la représentation du Parlement consiste tout simplement à nous conformer enfin à une pratique moderne de gouvernance en permettant celle des salariés de l’institution. Pour ma part, je parlerais, plutôt que de dilution, renforcement et d’enrichissement d’un véritable conseil de surveillance qui représentera toute la diversité des opinions. Nous aurons l’occasion d’y revenir au fil de cet article et du chapitre III, et j’espère que vous serez tous présents car ce débat est au cœur de l’équilibre global du projet de loi PACTE.

Cela étant dit, je vous rejoins sur un point essentiel : cette institution financière d’une taille unique au monde est placée sous la protection du Parlement, et nous devons nous employer ensemble à confirmer cette protection et à veiller à ce qu’elle soit dotée d’un conseil de surveillance stratégique composé des personnes les plus compétentes pour la surveiller et l’administrer. Le Parlement a plus que son mot à dire, y compris sur ces nominations. Je défendrai avec le rapporteur un amendement qui n’est sans doute pas tout à fait abouti, car nos propositions sont assez récentes, mais elles visent à nous assurer ensemble que les processus de nomination des personnalités qualifiées, quel que soit leur nombre, garantissent qu’elles seront les meilleures.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Sur cet enjeu dont le rapporteur général a rappelé l’importance, je tiens à ce qu’aucune ambiguïté ne persiste entre nous. J’estime, au risque de vous surprendre, que le pouvoir du Parlement sur la Caisse des dépôts et consignations est renforcé. Jusqu’à présent, l’organe de surveillance n’exerçait qu’un rôle de surveillance, précisément, et non d’administration. Le Parlement conserve la majorité – huit membres sur quinze – et la présidence d’un organe dont les pouvoirs sont considérablement étendus. Je le dis et le répète publiquement : nous renforçons donc le pouvoir de contrôle du Parlement sur la CDC, dont le bilan est par ailleurs presque doublé. Je rappelle en outre la véritable modernisation – M. Dharréville l’a reconnue – que constitue la représentation des salariés et l’introduction d’un critère de parité.

Le seul point de divergence qui nous oppose me semble minime puisqu’il concerne quatre personnalités qualifiées désignées par l’État et pour lesquelles il s’agit simplement d’ouvrir le vivier des profils pouvant être nommés. Vous tenez absolument à la présence de membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes ; je prétends que l’on peut élargir ce champ. Je veux rassurer M. Fasquelle : il ne s’agit pas de renforcer le « pouvoir de Bercy », lequel suscite de nombreux fantasmes, mais de renforcer l’efficacité du contrôle en donnant à la Caisse les meilleurs profils possibles. Voilà notre seule intention : puiser dans un vivier de compétences plus large que celui qui existe actuellement – ni plus ni moins. Je le répète avec force : nous renforçons le pouvoir de contrôle du Parlement sur la Caisse des dépôts et consignations.

D’autres amendements – notamment celui du rapporteur général – porteront sur la manière dont sont proposées les candidatures des personnalités qualifiées, et je suis tout à fait prêt à débattre et à examiner d’éventuelles garanties supplémentaires ; il est normal que vous soyez exigeants concernant les critères de choix de ces quatre personnalités et je suis tout à fait ouvert à leur renforcement.

M. Daniel Fasquelle. Je maintiens l’amendement car je n’ai pas été convaincu par ces arguments. Il y a selon moi une dilution et un affaiblissement de la présence et du poids du Parlement au sein de la CDC, et un renforcement de l’emprise du ministre de l’économie et de Bercy sur la Caisse. Cela crève les yeux ; ne nions pas l’évidence !

La commission rejette lamendement CS664.

Puis elle examine lamendement CS1616 de M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez. Le ministre l’a rappelé : depuis 1816, la Caisse des dépôts et consignations est placée de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie du Parlement, qui se manifestent par la composition de la commission de surveillance qui comprend cinq parlementaires et trois personnalités qualifiées désignées par le Parlement sur un total de treize membres.

En proposant que l’exécutif nomme quatre personnalités qualifiées, le Gouvernement fait ce qu’aucun gouvernement précédent n’a osé faire, à savoir transférer de fait à l’exécutif le contrôle de la CDC. Avec une expérience hélas très longue que me vaut mon appartenance à la commission des finances, je dois dire qu’il s’agit d’une demande réitérée depuis vingt-cinq ans par la direction du Trésor. Les 15 mars et 2 avril, la commission de surveillance a délibéré par deux fois pour s’opposer à l’unanimité des cinq parlementaires, qui sont de toutes sensibilités politiques, à la désignation à la commission de surveillance de ces quatre personnalités qualifiées qui s’ajouteraient au représentant du Trésor. La présidente de la commission, Sophie Errante, s’y est donc elle aussi opposée.

C’est pourquoi je propose un amendement dans la droite ligne de ces deux délibérations unanimes – à l’exception du représentant du Trésor, cela va de soi – et des propositions que nous avons adressées à la commission de surveillance. Il vise à maintenir le nombre de treize membres en intégrant naturellement deux représentants du personnel – je passe sur la question de la parité – lesquels prennent respectivement la place du représentant de la Banque de France, qui est juge et partie puisqu’il préside l’ACPR dont le rôle est croissant, et celle du membre de la Cour des comptes.

La réforme que vous proposez est d’une gravité exceptionnelle. Il y va en effet de la protection de l’épargne des Français. Depuis des décennies – vous le savez, monsieur le ministre, car vous avez siégé à la commission des finances pendant dix ans – la CDC a été sollicitée par l’exécutif pour intervenir sur les marchés financiers, pour modifier l’actionnariat d’entreprises publiques ou privées et le Parlement a toujours su résister, sans toujours avoir gain de cause, certes, mais en exerçant systématiquement son rôle de contre-pouvoir, et ce pour une seule raison : protéger l’épargne des Français en préservant un niveau de solvabilité et de fonds propres suffisant à la CDC. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, comme le montre l’histoire des deux derniers siècles, la Caisse a surmonté toutes les crises financières. En 2008, alors que vous siégiez à la commission des finances, nous nous sommes réjouis que la CDC puisse faire face à la banqueroute de Dexia et la recapitaliser. Je pourrai multiplier les exemples dans lesquels le Parlement a exercé son rôle de manière constructive face à des visées qui avaient certes leur légitimité, mais qui ne correspondaient pas au rôle de garant de l’épargne des Français que joue le Parlement.

Je conclurai en rappelant un exemple plus récent qui date de 2015 : le ministre de l’époque était confronté au problème majeur de la recapitalisation de l’Agence française de développement (AFD). Il s’est alors tourné vers la CDC pour lui imposer une recapitalisation de plusieurs milliards d’euros de l’AFD. Qu’ont dit Henri Emmanuelli, qui présidait la commission de surveillance, et les parlementaires unanimes de la commission des finances, dont vous étiez, monsieur le ministre ? Ils ont dit que ce n’était pas possible. Notre devoir consiste à protéger l’épargne des Français, et l’on ne saurait faire prendre des risques à la Caisse des dépôts.

C’est à cause de cette longue histoire que j’estime aujourd’hui que la nomination par l’État de quatre personnalités qualifiées déséquilibre complètement le système. Nous aurons l’occasion de revenir sur le rôle du membre du Conseil d’État et de celui de la Cour des comptes, et je vous expliquerai alors ceci : la Caisse des dépôts conduit des politiques publiques.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Veuillez conclure, monsieur Carrez.

M. Gilles Carrez. La Caisse n’est pas un organisme financier comprenant des personnalités qualifiées issues de fonds d’investissement. Elle relève du service public ; c’est un investisseur de long terme, et c’est cet ADN historique que nous devons préserver, monsieur le ministre !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je suis consciente de l’importance que revêt ce sujet pour nous tous, et M. le ministre en a témoigné. Je dois néanmoins assurer la bonne tenue des débats et devrai donc décider quand nous devrons mettre fin à la discussion sur ce point, étant intimement persuadée que nous y consacrerons plusieurs heures en séance.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je tiens, comme Gilles Carrez, à protéger l’épargne des Français, mais nous divergeons sur le fait que je ne crois pas une seconde, bien au contraire, que l’épargne des Français sera moins bien protégée parce que nous aurons remplacé des membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes par des personnalités qualifiées. J’irai même plus loin : je suis surpris que le Conseil d’État puisse envoyer un membre à la commission de contrôle de la Caisse des dépôts et consignations alors même qu’il peut être amené à arbitrer d’éventuels litiges dans lesquels la Caisse aurait partie. Cela pose à mes yeux un vrai problème de principe et c’est un point sur lequel nous sommes en désaccord. Selon moi, l’épargne des Français sera mieux protégée par des personnalités qualifiées choisies pour leurs compétences et pour leur indépendance totale par rapport aux actions que la Caisse des dépôts et consignations pourrait engager en tant qu’institution publique.

Vous parlez ensuite de personnalités issues de fonds d’investissement. Mais je suis prêt à soumettre la nomination de ces personnalités à un certain nombre de conditions, et elles ne seront donc pas nécessairement issues de fonds d’investissement.

Il faut savoir enfin ce que l’on veut : d’un côté, vous dénoncez la mainmise de Bercy sur la Caisse, de l’autre, celle des fonds d’investissement. Tout ça n’est pas très cohérent, et vous agitez des menaces qui n’ont pas, à mon sens, de raisons de se réaliser.

Vous me permettrez pour finir de rappeler, s’agissant de Dexia, que la Caisse des dépôts et consignations était l’unique actionnaire de Dexia et que ce n’est pas la Caisse qui est venue au secours de Dexia, mais l’État.

M. Gilles Carrez. C’est la Caisse et l’État, monsieur le ministre.

M. Jacques Savatier. J’ai été désigné il y a quinze mois pour représenter l’Assemblée nationale à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Je me suis consacré à ce travail avec beaucoup d’application et c’est une manière de vous en rendre compte que de prendre la parole aujourd’hui.

Je voterai l’amendement présenté par Gilles Carrez, aux côtés duquel je vous représente, mes chers collègues, dans cette institution. Je le voterai, d’abord, parce qu’il s’agit d’une question sur laquelle nous avons beaucoup travaillé depuis maintenant six mois – et je dois d’ailleurs rendre hommage à la disponibilité de vos services, monsieur le ministre, avec qui nous sommes parvenus à des solutions de consensus sur un nombre de sujets importants ; à une exception près naturellement, la composition de la commission de surveillance, sur laquelle nous nous trouvons en désaccord.

La proposition de Gilles Carrez a fait l’objet, à deux reprises, d’un vote unanime – moins la voix du représentant du Trésor – de la commission de surveillance. En la soutenant, je m’inscris dans la continuité de cette décision que nous avons prise sur proposition de la présidente.

La seconde raison qui m’incite à soutenir cet amendement est que, depuis quinze mois, en tant que président de l’un des comités, j’ai pu mesurer l’intérêt qu’il y avait à disposer des compétences en matière de politique publique dont nous font bénéficier les commissaires issus du Conseil d’État et de la Cour des comptes. Je m’inscris en faux contre les propos de Dominique Potier et tiens à dire qu’en aucun cas ces commissaires ne représentent leur institution et qu’ils se déportent systématiquement lorsque des sujets en lien avec la Caisse des dépôts sont évoqués dans leurs instances d’origine.

J’ai donc bénéficié de cette expertise publique comme j’ai également bénéficié de l’expertise des représentants du Trésor, et c’est précisément la complémentarité de ces différents points de vue qui nous permet, à nous parlementaires, de forger notre opinion et d’exercer la mission de surveillance pour laquelle nous avons été mandatés. Il me semble donc important de conserver l’équilibre de la composition de la commission de surveillance, fruit de deux siècles d’histoire et qui lui a permis de survivre à des épisodes difficiles, dont certains très récents.

Mon troisième argument est plus politique. Je rappelle en effet que nous nous apprêtions, avec la réforme constitutionnelle, à renforcer les moyens mis à disposition du Parlement, et en particulier de l’Assemblée nationale, pour conduire les politiques publiques et contrôler leur mise en œuvre. Il s’agissait notamment d’adopter certaines dispositions confortant l’aide que le Conseil d’État et la Cour des comptes étaient susceptibles d’apporter aux parlementaires.

Tout cela n’empêche pas que nous soyons favorables à l’idée de faire évoluer la gouvernance de la Caisse des dépôts dans certaines limites. C’est dans cet esprit que nous avons décidé de renforcer la parité au sein de la commission de surveillance et d’y inclure des représentants du personnel, tout comme nous acceptons, compte tenu du nouveau rôle de l’ACPR, que la Banque de France ne siège plus et qu’il n’y ait plus qu’un seul représentant de la Cour des comptes. Cela explique que je n’ai pas approuvé la suppression de cet article, conscient que je suis de la nécessité de mettre la commission de surveillance en adéquation avec la réforme de nos politiques publiques.

Le ministre a annoncé certaines évolutions, qui feront l’objet de débats ultérieurs, sur l’élargissement des compétences données à la Caisse des dépôts. Ce sont des sujets importants, sur lesquels je serai amené à me déporter pour des raisons liées à mes responsabilités professionnelles antérieures. Cela ne change rien aux positions que je prendrai en ce qui concerne l’instance de gouvernance : c’est lors de ces débats qu’il nous faudra réfléchir à son évolution et à son ouverture à des personnalités qualifiées, à charge pour nous de réfléchir aux compétences dont nous avons besoin et à la manière de les définir, tout ceci dans le respect de l’équilibre actuel, qui associe des représentants du Parlement et des personnes dotées des compétences indispensables en expertise publique.

M. Charles de Courson. Pourquoi, mes chers collègues, a-t-on mis en 1816 la Caisse des dépôts sous la protection du Parlement ? Tout simplement parce que Napoléon Ier avait pillé les caisses publiques et prélevé l’épargne des Français.

Les choses ont-elles fondamentalement changé ? Non ! (Sourires.) Tous les gouvernements ont cette tentation – le vôtre, qui passera, ni plus ni moins que les autres – et nos collègues qui nous représentent à la commission de surveillance en ont souvent témoigné. D’où la nécessité de poser des limites au pouvoir du moment.

Or, que signifie la proposition du Gouvernement ? Ni plus ni moins que de permettre à l’exécutif de prendre le contrôle de la Caisse des dépôts : il disposerait en effet à la commission de surveillance de cinq représentants – le directeur général du Trésor, plus les quatre qu’il désigne –, et pourrait également compter, le cas échéant, sur le sénateur et les deux députés de la majorité, pour peu que ceux-ci ne résistent pas aux injonctions du Gouvernement qu’ils soutiennent. Faites le calcul : avec huit représentants sur quinze, ce dernier disposerait de la majorité absolue !

Il n’est donc pas concevable que siègent à la commission de surveillance quatre personnalités qualifiées nommées sans aucun contrôle du Parlement. La proposition défendue par nos deux représentants et par la présidente de la commission maintient au contraire l’équilibre, sachant que les représentants du Conseil d’État et de la Cour des comptes ne sont pas désignés par le vice-président et le premier président de ces deux institutions, mais élus par leurs pairs. Je rappelle par ailleurs qu’en vertu de la Constitution l’une des missions de la Cour des comptes est d’assister le Parlement. Quant au Conseil d’État, il est, constitutionnellement, tout à la fois conseil du Gouvernement et juge.

Compte tenu du mariage qu’envisage le Gouvernement entre CNP Assurances et La Poste, il me paraît plus que jamais nécessaire de garantir l’équilibre actuel de la commission de surveillance, et j’invite l’ensemble de nos collègues à soutenir l’amendement de Gilles Carrez.

M. François Jolivet. Je tiens avant tout à apporter mon soutien aux propos de nos représentants à la commission de surveillance qui, bien qu’issus de formations politiques distinctes, défendent la même position.

L’allusion à Napoléon a fait sourire le ministre, mais elle était parfaitement justifiée, et cela explique sans doute que, lors des débats législatifs sur la création du livret A destiné à recevoir l’épargne populaire, le Parlement ait exigé que le livret soit placé sous son contrôle. On peut en penser ce que l’on veut, mais vous comprendrez sans mal qu’en tant que rapporteur spécial des crédits du logement et de l’hébergement, je souscrive à cette idée.

Par ailleurs, vous avez souligné, monsieur le ministre, que les magistrats de la Cour des comptes ou du Conseil d’État siégeant à la commission de surveillance pouvaient être amenés à être juges et parties. Ce qui est certain, c’est que les fonctionnaires du Trésor sont soumis à votre autorité et qu’ils peuvent également avoir à connaître d’affaires impliquant la Caisse des dépôts, au titre de leurs responsabilités professionnelles, y compris dans leurs missions de contrôle. Cela signifie qu’il n’y pas de bon moyen pour désigner ces représentants. On ne peut que miser sur leur sens de l’éthique pour exercer leur droit de retrait lorsqu’un dossier les concerne de trop près, ce qui ne sera jamais le cas des fonctionnaires d’État.

De tout temps et dans tous les États du monde, le pouvoir administratif de l’État central a toujours voulu prendre la main sur l’épargne. Je sais bien que nous ne sommes plus en 1803 ou en 1816, mais imaginer néanmoins que le risque n’existe pas serait une erreur.

M. Gilles Carrez. Je n’ai déposé qu’un seul amendement, que j’ai défendu, il est vrai, avec fermeté. C’est qu’après avoir eu, pendant plusieurs mois, des discussions très fructueuses avec vos services, que je tiens à remercier ici, nous sommes parvenus à faire évoluer le texte de façon très constructive par rapport à la version initiale de fin 2017, toujours dans le souci de l’intérêt général. J’approuverai l’ensemble des autres dispositions proposées et les changements majeurs qu’elles induisent, mais nous restons en désaccord sur cette question de la composition de la commission de surveillance.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, qu’il y aurait à l’article 54 un amendement permettant à la Caisse des dépôts de devenir l’actionnaire majoritaire de La Poste. Dès lors, il apparaît comme une évidence qu’il faudra modifier la gouvernance de la Caisse des dépôts : peut-on en effet imaginer un seul instant que puissent siéger à la commission de surveillance deux représentants du personnel de la Caisse des dépôts, qui emploie 6 000 personnes, mais aucun de La Poste, qui compte 250 000 salariés ? N’oublions pas l’intérêt général !

Par ailleurs, dois-je vous rappeler que les membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes dont vous critiquez la présence au sein de la commission sont élus par leurs pairs, indépendants, et que ce sont des gens qui ont toujours été au service du public et ont souvent travaillé dans des entreprises publiques ? Croyez‑moi, ils nous apportent énormément, beaucoup plus que telle ou telle personnalité qualifiée parce qu’elle aura travaillé dans une entreprise privée, dans un organisme financier. Car la Caisse des dépôts est là pour mener des politiques publiques, elle s’inscrit dans une logique d’investissement à long terme et elle est la garante de la protection de l’épargne des Français et de sa bonne utilisation.

M. Pierre Dharréville. Cette commission de surveillance a été pensée pour incarner précisément l’autorité du Parlement sur la Caisse des dépôts. Vous avez évoqué tout à l’heure, monsieur le ministre, les fantasmes autour du pouvoir de Bercy : je ne sais pas si cela relève du fantasme, mais nous nous heurtons régulièrement, en tant que parlementaires, à des obstacles lorsque nous travaillons sur le budget et les dépenses de l’État. Quant aux sièges dont nous disposons au sein de la commission de surveillance de la CDC, ils nous confèrent, eux, un rôle dans la gestion des finances publiques.

À vous entendre, le fait de renforcer les pouvoirs de la commission de contrôle va mécaniquement renforcer le pouvoir du Parlement. C’est en réalité tout l’inverse : à partir du moment où les pouvoirs de la commission sont renforcés, il est d’autant plus essentiel de maintenir le niveau de représentation du Parlement en son sein. Or, de fait, la proposition que vous nous faites diminue en proportion le nombre de représentants du Parlement siégeant à la commission de surveillance et leur adjoint des représentants nommés à la discrétion du ministre de l’économie.

Je partage les propos de notre collègue Gilles Carrez sur le rôle de la CDC dans les politiques publiques et sur l’importance que revêt en conséquence la composition de la commission de surveillance.

M. Martial Saddier. La Caisse des dépôts est devenue au fil des siècles un acteur important de nos territoires, en particulier dans les zones de montagne où elle est aujourd’hui l’un des acteurs principaux du développement du tourisme et des stations de ski.

Je voudrais donc évoquer ici ce dont personne ne semble tenir compte, à savoir les incidences des changements que vous proposez sur le rôle d’acteur économique qu’assume la Caisse dans ces territoires. Je n’irai pas jusqu’à dire que Paris fait fi des territoires mais, en voulant diminuer le poids de la représentation nationale – et donc des territoires – dans la gouvernance de la Caisse, vous confortez ceux qui, hors de Paris, se demandent si l’on n’est pas tout simplement en train de casser ce que d’autres ont mis cinquante ans à bâtir.

M. Laurent Saint-Martin. J’entends avec beaucoup d’attention et beaucoup d’humilité ce qu’a dit Gilles Carrez, dont l’expérience dans cette institution qu’est la Caisse des dépôts n’est plus à prouver. Je me demande néanmoins si le problème tient tant à l’opposition entre membres du Conseil d’État ou de la Cour des comptes, d’une part, et personnalités qualifiées, de l’autre, qu’au statut précis de ces personnalités qualifiées. J’admets tout à fait l’argument selon lequel la Caisse des dépôts n’est pas une institution publique comme les autres, qu’elle a vocation à protéger l’épargne des Français et à rester un établissement public au service de l’intérêt général. Cependant, je considère que la Caisse des dépôts du XXIe siècle doit savoir accueillir des profils différents, autres que ceux de nos hauts fonctionnaires, certes éminemment qualifiés. Elle doit s’ouvrir à des personnes ayant une expérience du privé – comme du secteur public d’ailleurs – capables d’enrichir sa vision de l’intérêt général. Ce n’est en effet pas parce qu’elle vient du privé qu’une personne ne peut défendre l’intérêt général.

Il me semble donc que ce à quoi nous devons réfléchir ensemble d’ici à la séance, c’est à définir qui nous voulons comme personnalités qualifiées et quels sont les moyens de garantir qu’elles agiront bien au service de l’intérêt général, en protégeant les intérêts que vous avez très justement défendus. L’évolution proposée est donc positive à mes yeux, si toutefois le Parlement se montre solidaire pour trouver la manière de garantir qu’elle servira l’intérêt collectif.

M. Daniel Fasquelle. On confond la question de la compétence et la celle de l’indépendance. Ce qui est en jeu ici, c’est l’indépendance de la Caisse des dépôts et consignations par rapport au pouvoir politique. Cette indépendance a pu être préservée grâce à plusieurs facteurs : le fait, d’abord, qu’elle ait été placée sous la protection du Parlement et que les parlementaires soient majoritaires au sein de la commission de surveillance, mais également le fait qu’un certain nombre de représentants de cette commission soient désignés par la Cour des comptes et le Conseil d’État, après avoir été élus par leurs pairs.

Cette indépendance, il faut la préserver de façon jalouse. Or, en tant qu’universitaire, j’ai siégé dans plusieurs conseils d’administration d’université, où l’on sait parfaitement que les personnalités qualifiées choisies par le président pour y siéger sont là pour voter dans son sens. Quiconque a une petite expérience de la vie publique sait parfaitement qu’une personnalité qualifiée est étroitement dépendante de celui qui l’a choisie.  Ce que vous êtes en train de remettre en cause, c’est donc l’indépendance de la Caisse des dépôts, et c’est très grave. C’est la raison pour laquelle je soutiendrai l’amendement de Gilles Carrez, comme un amendement de repli par rapport à celui que j’ai défendu.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je défendrai tout à l’heure un amendement qui, même s’il n’est pas tout à fait abouti, vise à trouver un processus de nomination permettant de nous assurer que les personnalités qualifiées désignées sont les bonnes personnes.

La réalité d’une institution financière moderne, c’est qu’il lui faut un conseil d’administration, un conseil de surveillance diversifié. Mon objectif est donc que, dans les heures et les jours qui viennent, nous puissions travailler ensemble pour nous assurer que le Parlement et le Gouvernement parviendront à s’entendre sur une commission de surveillance adaptée à une institution financière que nous sommes en train de révolutionner, tout ceci, et j’y insiste, en préservant les pouvoirs du contrôle du Parlement.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je tiens avant tout à saluer le travail que Jacques Savatier, Gilles Carrez, et Sophie Errante font pour représenter notre assemblée à la commission de surveillance. Cela étant, monsieur Carrez, si le Parlement n’est pas toujours parvenu à infléchir les décisions de la Caisse des dépôts, c’est moins lié au nombre de parlementaires siégeant à la commission de contrôle qu’au fait que cette dernière n’avait pas suffisamment de pouvoir vis‑à‑vis du directeur général.

Nos débats laissent penser qu’à l’issue de la réforme il y aura un perdant, le Parlement, et un gagnant, l’État. En réalité, le vrai perdant de cette réforme sera le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, qui va subir un contrôle accru de la part de la commission de surveillance, ce qui est une très bonne chose.

Quoi qu’il en soit, il faut revoir la composition de cette commission de surveillance et sans doute l’étoffer en y ajoutant des profils. Ceux de la Cour des comptes, et du Conseil d’État ne sont pas mauvais en soi, mais ils ne sont pas nécessairement prioritaires. Nous restons cependant très attachés à ce que le processus de nomination des personnalités qualifiées soit le plus efficace possible, et la proposition du rapporteur général ira dans ce sens. Il faudra enfin s’assurer que la commission de surveillance conserve une forme d’expertise mais sans nécessairement que des conseillers d’État et des conseillers maîtres à la Cour des comptes en soit membres. La commission pourra en effet disposer de cette expertise au travers de son secrétariat général ou de collaborateurs mis à disposition de ses membres.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. La seule bonne question à se poser, c’est la manière dont nous pouvons aboutir à une commission de surveillance efficace. Je ne vais pas refaire l’histoire mais, à vous entendre, on a l’impression que la surveillance de la Caisse des dépôts et consignations a toujours été infaillible. Je suis prêt à en débattre, notamment concernant Dexia, et je ne suis pas certain qu’il en ressortira que l’organisme de surveillance de la Caisse des dépôts, sous le contrôle des parlementaires, a toujours été suffisamment vigilant et qu’il a su déclencher les bonnes alertes au bon moment. Faisons donc attention à ne pas donner le sentiment que le monde d’avant était parfait, tandis que le monde de demain que nous préparons serait un monde technocratique, absolument inacceptable.

Je rappelle par ailleurs que, j’ai beau adorer Napoléon, nous ne sommes plus en 1816 : Napoléon ne vient pas d’embarquer pour Sainte-Hélène, Las Cases a depuis longtemps fini d’écrire son Mémorial, et nous n’envisageons ni d’envahir la Russie ni d’entamer une campagne d’Égypte - ce qu’on peut regretter au nom de la passion qui doit inspirer la vie publique... (Sourires.)

Je veux bien en revanche rejoindre Gilles Carrez sur un point – et je le remercie ici ainsi que Sophie Errante pour les réflexions qu’ils ont conduites – à savoir la nécessité de réformer la commission de surveillance. C’est ce que nous faisons en y introduisant la parité, en l’ouvrant aux représentants des salariés ainsi qu’en supprimant le siège de l’un de ses membres, suite au nouveau rôle rempli par l’ACPR.

Pour ce qui est de La Poste, je rappelle qu’elle ne fusionne pas avec la Caisse des dépôts et que ses salariés continueront donc d’être représentés au conseil d’administration.

M. Gilles Carrez. On en reparlera ! Je prends date.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Quant au contrôle du Parlement, un simple calcul mathématique suffit à démontrer que le Parlement garde la majorité de contrôle sur la commission de surveillance, sachant en outre que sa présidente, qui est une parlementaire, a voix prépondérante. Il me semble que, dans n’importe quel conseil d’administration, les représentants du Parlement se satisferaient de cet équilibre, qui n’est en aucun cas remis en cause en faveur de Bercy. Les parlementaires restent majoritaires, j’y suis attaché.

Monsieur Dharréville, vous dénoncez des nominations à la discrétion du ministre de l’économie et des finances, comme si j’allais, tout seul dans mon bureau, noter quatre noms sur un papier pour désigner les quatre hauts représentants de l’État à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Mais cela ne se passera pas comme ça. Je ne le souhaite pas, car ce ne serait ni républicain, ni démocratique, ni efficace.

Je propose donc que l’on travaille sur la manière dont ces quatre personnalités seront choisies, et je suis d’accord pour réfléchir à une procédure de nomination qui pourrait passer par un comité chargé de soumettre des noms au ministre. Je ne suis pas en effet le mieux placé pour choisir quelles devront être les compétences requises pour exercer le meilleur contrôle possible sur la Caisse des dépôts, et je suis donc tout à fait ouvert à ce qu’on me suggère des noms.

Mais sans doute le Parlement pourrait-il en faire de même pour la désignation des personnalités qu’il envoie à la commission de surveillance. Je lance cette idée car, je constate qu’y siège déjà une personnalité venue d’un fonds d’investissement personnalité, associée-gérante de DDL Conseil, et ancienne managing director de Goldman Sachs, nommée par le président de l’Assemblée nationale.

M. Daniel Fasquelle. Par un président de votre majorité !

M. Dominique Potier. Je vous remercie pour vos explications, monsieur le ministre, mais elles peinent à me convaincre au regard du travail technique effectué par Gilles Carrez et de sa réflexion de philosophie politique. Je trouve assez stupéfiant que nous nous interrogions sur l’expertise économique dont devrait disposer une institution qui recèle autant d’intelligences et emploie des cadres d’un si haut niveau. La principale question posée à la Caisse des dépôts et consignations est celle de l’éthique, que l’on pourrait traduire plus concrètement par la question du temps long, de l’aménagement du territoire et de l’économie durable, qui sont les questions fondamentales du XXIe siècle.

Dans cette optique, je préfère à l’expertise désignée par le ministre de l’économie au nom de compétences qui sont celles de la finance et de l’économie le choix rigoureux et exigeant d’une expertise qui s’appuie sur la prise en compte du temps long, des interdépendances, de l’intérêt général et du bien commun. À cet égard, il me semble que les plus qualifiés, ce sont ceux qui ont été choisi par le peuple. Ne nous éloignons pas de cette vérité : les personnes les mieux qualifiées pour gérer l’instrument financier de la puissance publique, ce sont les élus du peuple.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Le choix du peuple, la voix du peuple, c’est très bien et je vous laisse l’usage de ces grands mots, mais, une fois encore, je n’y peux rien si ce n’est ni l’État ni le ministère de l’économie et des finances qui ont nommé une associée-gérante de Goldman Sachs, laquelle possède d’ailleurs certainement toutes les compétences requises, comme membre de la commission de surveillance, mais l’Assemblée nationale.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas l’Assemblée nationale, c’est M. de Rugy !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Vous faites à l’État le procès d’intention de raisonner forcément sur le court terme, dans une logique de spéculation dictée par les fonds d’investissement, mais ce n’est absolument pas ma philosophie politique, ni économique.

La commission rejette lamendement CS1616.

Suspendue à onze heures trente, la réunion reprend à onze heures cinquante-cinq.

La commission examine les amendements CS239 et CS240 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Avec ces amendements, nous revenons au précédent débat, durant lequel j’ai senti qu’émergeaient quelques doutes quant à l’opportunité de suivre la direction proposée par le Gouvernement. Quand on se rend compte qu’une piste est mauvaise, il vaut mieux l’abandonner. C’est pourquoi je vous propose ces amendements, sans doute moins élaborés que celui de notre collègue Gilles Carrez, mais qui utilisent intelligemment le ciseau pour enlever les mauvaises dispositions.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS1366 et CS1368 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. On pourrait dire de notre amendement CS1366 qu’il s’agit d’un amendement de repli par rapport à celui de notre collègue Carrez, qui, hélas, a été rejeté de justesse. Si nous voulons éviter qu’un jour des gens aux ordres – les personnalités qualifiées, le directeur général du Trésor – fassent prendre des décisions complètement contraires à l’intérêt général, il faut modifier le processus de nomination prévu pour la commission de surveillance de la CDC. Je propose que l’on maintienne un conseiller d’État et un conseiller maître à la Cour des comptes – je rappelle qu’ils sont élus. On garde seulement deux personnalités qualifiées, l’une nommée par le ministre de l’économie et l’autre par le ministre en charge du logement. J’ai toujours trouvé incroyable qu’il n’y ait pas de représentant du ministre en charge de logement, un de domaine très important pour la CDC.

Quant à l’amendement CS1368, je le retire.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je demande le retrait des deux amendements et de tous ceux qui visent à modifier la composition de la commission de surveillance de la CDC. Nous n’avons pas encore tranché cette question des nominations. Le rapporteur général vous fera une proposition et nous aurons à nouveau ce débat en séance.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je précise que les quatre personnalités qualifiées sont nommées par décret du Premier ministre. Elles n’appartiennent pas forcément à un ministère ou à un autre, pas plus au ministère des finances qu’au ministère du logement. Elles peuvent avoir une expérience professionnelle différente.

M. Charles de Courson. L’alinéa 12 fait référence à quatre membres nommés par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie. Tout le monde sait ce que ça veut dire : c’est le ministre de l’économie qui est en charge de cela.

Lamendement CS1368 est retiré.

La commission rejette lamendement CS1366.

Puis elle examine les amendements CS241, CS242 et CS243 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Je ne doute pas que, lorsqu’il existe un possible conflit de fonctions ou d’intérêts, les membres concernés se déportent. Plusieurs d’entre nous ont néanmoins réaffirmé l’utilité de la présence d’un conseiller d’État à la commission de surveillance de la CDC. Nous proposons de maintenir cette disposition.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine les amendements CS238, CS244, CS246 et CS247 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Nous restons dans le même registre avec ces amendements qui visent à intervenir sur la composition de la commission de surveillance.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à lamendement CS575 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Cet amendement ressemble à ceux de mes collègues Dharréville et de Courson. Il va de pair avec mon amendement CS595 que je défends par la même occasion. L’idée est de remplacer l’un des représentants du ministère de l’économie et des finances par un représentant du ministère du logement, étant donné que la CDC est un acteur majeur du logement en France. Elle est notamment active dans le financement du logement social et dans la transition énergétique du patrimoine immobilier public et privé.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. La CDC est un acteur du logement mais elle a aussi d’autres métiers. En suivant votre logique, il faudrait ouvrir la commission de surveillance à des représentants d’autres ministères dont je n’ai pas la liste en tête.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Puis elle étudie lamendement CS2401 du rapporteur général.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je suis prêt à reconnaître que cet amendement, qui se situe dans la droite ligne des discussions que nous avons eues avant la pause, n’est sans doute pas totalement abouti. Il vise à nous assurer que les personnalités qualifiées retenues seront les meilleurs possibles : elles devront avoir à cœur l’intérêt de cette institution qui défend l’intérêt général et donc celui de la France.

Nous proposons d’appliquer à ces personnalités qualifiées la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution. Quand on nomme le responsable d’une entreprise publique, les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat doivent se prononcer, après audition, par un vote à bulletin secret. Selon cet article, « le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque laddition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. » Ce processus fonctionne bien mais je ne suis pas encore convaincu que nous pouvons l’appliquer, en l’état, à la CDC. Essayons ou travaillons à un autre dispositif d’ici à la séance.

Au passage, je voudrais souligner un point qui ne relève peut-être pas du domaine législatif, mais qui me semble fondamental. Au terme du rapprochement prévu avec La Poste, la taille de la CDC passera de 400 milliards à 1 000 milliards d’euros. Cette institution financière aura besoin d’une vraie commission de surveillance et d’administrateurs qui aient les moyens de faire leur travail de manière indépendante. Les parlementaires, dont le travail de surveillance va se renforcer, doivent bénéficier de moyens indépendants. La CDC pourrait leur fournir ces moyens financiers mais le recrutement devrait être le leur, de manière à ce qu’ils puissent participer vraiment à la discussion stratégique autour de l’avenir de l’institution.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je veux redire à la commission spéciale que je suis tout à fait ouvert à la discussion en ce qui concerne la détermination des modalités de désignation de ces quatre personnalités qualifiées. Je le redis aussi pour Ian Boucard : ces personnalités ne doivent pas nécessairement être des membres du ministère de l’économie et des finances ou de quelque ministère que ce soit. L’horizon peut être beaucoup plus large.

Je suis ouvert à la mise en place d’un comité de sélection qui proposerait au ministre des finances une liste de personnalités remplissant les conditions de compétences et d’indépendance. Ceci restreindrait la liberté de choix et garantirait la compétence et l’indépendance de ces personnalités.

Je suis aussi favorable à ce qu’il y ait une information des commissions des finances. Je n’ai aucune réticence de principe à ce qu’il y ait un vote formel de la commission des finances ou d’une autre commission de l’Assemblée nationale, quelle qu’elle soit, et je trouve la proposition du rapporteur général très bienvenue.

Celle-ci va cependant se heurter à un problème car le cinquième alinéa de l’article 13 la Constitution dispose : « Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République sexerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. » Aux termes de ce cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, il faut donc qu’une loi organique ait déterminé que la composition de la commission de surveillance de la CDC devra faire l’objet d’un avis conforme de la commission compétente de l’Assemblée. Or ce n’est pas le cas. Il faudrait donc passer par une loi organique, ce qui me semble compliqué dans les délais impartis.

Je vous propose de retirer votre amendement pour que nous puissions travailler ensemble car nous ne sommes pas loin d’un compromis. Je tiens vraiment à ce que le Gouvernement et les membres de la commission spéciale – je pense en particulier à ceux qui ont la meilleure connaissance du sujet, Gilles Carrez en premier lieu – puissent trouver un compromis. Je vous propose aussi de travailler sur les moyens dont doivent disposer les parlementaires de la commission spéciale pour exercer leur mission de surveillance. Prenons le temps nécessaire car il est important que nos propositions soient solides sur le plan juridique.

M. Gilles Carrez. S’agissant des nominations, le point clé me paraît être celui de l’indépendance. Il faut trouver une procédure qui garantisse cette indépendance. Passer par une loi organique est très lourd mais le fait qu’une association du Parlement puisse, le cas échéant, s’opposer à telle ou telle désignation, donnerait une indépendance à celui qui aurait été désigné.

S’agissant des compétences, nous devons surtout nous souvenir que la CDC est un acteur très important des politiques publiques. Cette dimension doit être prise en compte, à côté des compétences financière ou comptable.

Nous devons aussi nous poser la question des personnalités qualifiées nommées par le Parlement lui-même. Auparavant, les propositions de nomination se faisaient formellement par le président de la commission des finances, après un accord entre la majorité et l’opposition sur les profils. Ces propositions étaient ensuite transmises au président de l’Assemblée. Nous devons aussi avoir une garantie en matière de compétences, à l’image de ce qui est proposé pour les personnalités qualifiées nommées par l’État.

Pour terminer, je voudrais remercier le rapporteur général qui a mis en évidence un point d’une extrême importance. La commission de surveillance doit avoir des moyens propres. Elle les a toujours eus jusqu’en juillet 2017. Depuis cette date, les parlementaires n’ont plus le droit d’avoir un collaborateur à la commission de surveillance – financé sur le budget de cette dernière – et ils doivent faire appel aux services de la direction générale. Quiconque a siégé dans un conseil d’administration ou de surveillance sait que ce n’est pas concevable. Je plaide pour que la commission de surveillance soit dotée des moyens d’expertise dont elle aura besoin.

Hier, nous avions une réunion de la commission de surveillance durant laquelle le directeur général a évoqué différents enjeux du rapprochement avec La Poste. J’ai demandé à la présidente que la commission de surveillance puisse aussi, de son côté, faire appel à un cabinet de conseil différent de ceux qui ont été sollicités par le directeur général. Quoi qu’il en soit, je veux appeler l’attention des collègues sur le vrai problème qui se pose depuis juillet 2017.

M. Charles de Courson. Pour être encore plus précis que Gilles Carrez, j’indique que la suppression des moyens dont étaient dotés nos collègues membres de la commission de surveillance s’est accompagnée du licenciement des personnes qui étaient à leur disposition. Elles ont été licenciées pour déloyauté, pour faute, au motif qu’elles devaient être loyales au directeur général et non pas aux membres de la commission de surveillance. On marche sur la tête ! Ce que dit le rapporteur général est extrêmement important.

M. Pierre Dharréville. Nonobstant le problème constitutionnel soulevé par le ministre et sans aucun esprit de provocation, je propose que nous réfléchissions à une inversion des proportions indiquées par le rapporteur général, parce que je ne sais pas si on a connu beaucoup de cas où les conditions de nomination n’ont pas été réunies dans le cadre que vous avez indiqué.

M. Jean-Paul Mattei. Sur ce sujet, je ne peux que souscrire à la méthode. Nos débats ont été très intéressants et j’espère que nous aurons un texte clair sur lequel nous pourrons nous positionner lors de l’examen du texte dans l’hémicycle. Compte tenu des enjeux, le sujet mérite beaucoup de recul et de réflexions.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Le projet de loi PACTE a beaucoup de vertus, mais il n’est pas organique. Je vais retirer cet amendement et je nous engage tous à réfléchir – comme suggéré par M. Carrez – sur nos propres processus de nomination. Nous devons nous assurer que tous les membres de la commission de surveillance soient les meilleurs possibles. Nos propres nominations ne relèvent pas de la loi, je pense que nous pourrons en discuter, notamment dans le cadre de la réforme de notre règlement intérieur. Je me fais fort d’alerter le nouveau président de l’Assemblée sur ce sujet important.

M. Jacques Savatier. Le travail que j’ai fait me tient à cœur et, comme je n’ai pas souvent l’occasion d’en rendre compte devant mes collègues, j’aimerais leur faire passer un message.

D’ici à la séance publique, nous devons cheminer vers une proposition équilibrée, en fonction des objectifs que nous nous sommes fixés. Mais il ne faudrait pas que des hésitations et des oppositions – qui ne se sont pratiquement jamais manifestées au Parlement lorsque la gouvernance de cette institution a été modifiée de façon très parcimonieuse – créent une anxiété qui n’a pas lieu d’être. Rappelons que quelque 40 millions de Français ont un livret A, que 85 % du logement social est financé par le fonds d’épargne, et qu’un tiers des retraites des Français est géré par des entités de la CDC, ce qui va bientôt être le cas aussi de la formation professionnelle, sans parler des filiales qui gèrent des services publics pour le compte de collectivités territoriales.

Nous devons d’autant plus rechercher cet équilibre que nos collègues du Sénat sont en phase avec les propositions de Gilles Carrez.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Nous allons retravailler cet aspect et je suis persuadé que nous allons parvenir à un compromis.

J’aimerais souligner l’importance des deux points soulevés par Gilles Carrez. Tout d’abord, il faut que la procédure garantisse l’indépendance et la compétence des personnalités, que celles-ci soient nommées par l’État ou par les assemblées. Ensuite, pour que tout cela fonctionne de manière efficace, il est indispensable que des moyens propres soient donnés à la commission de surveillance. Pour une opération aussi importante que celle qui va toucher la CDC et La Poste, les membres de n’importe quel conseil de surveillance disposeraient des moyens d’expertise et de conseil nécessaires. Il n’est pas normal que la commission de surveillance n’en dispose pas, car cela ne permet pas à ses membres de faire leur travail dans de bonnes conditions.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Sur la question des moyens, nous faisons une proposition dont nous discuterons après l’article 30.

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS1051 de M. Vincent Rolland.

M. Vincent Rolland. Dans les processus de désignation à construire, peut-être faudrait-il aussi tenir compte de la connaissance des territoires que pourraient avoir les membres ? Comme l’a rappelé Martial Saddier, la CDC a été et reste un acteur majeur de l’aménagement en montagne : par le biais de l’une de ses filiales, la Compagnie des Alpes, elle détient des sociétés de remontées mécaniques.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. Sur le fond, on pourrait ajouter tout un tas d’autres connaissances souhaitées pour les membres potentiels. En outre, à l’alinéa 12, les compétences requises des membres nommés par le décret ne sont pas cumulatives. Or la rédaction de cet amendement laisse penser qu’elles le deviendraient.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CS245 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Une fois n’est pas coutume, je vais soutenir l’une des propositions du Gouvernement, et même proposer d’aller plus loin.

Dans le respect de la volonté affichée de renforcer la diversité de la commission de surveillance de la CDC, la représentation des membres du personnel de la CDC est à saluer. Néanmoins, le mode d’élection de ces représentants n’est pas encore satisfaisant et la représentativité des personnels est insuffisante. Cet amendement vise, d’une part, à proposer une élection plus transparente de ces représentants et, d’autre part, à en doubler le nombre.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Pierre Dharréville. Je suis en attente d’arguments plus développés… Il faut maintenir le contrôle du Parlement mais il faut aussi diversifier la composition de la commission de surveillance, y compris en intégrant les personnels de l’institution.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Sur le processus de nomination prévu à cet article 30, nous avons convenu de retravailler pour parvenir à un compromis d’ici à la séance publique. Si vous voulez un « argument massue », je vous indique qu’avec l’ajout de deux membres du personnel, les parlementaires ne seraient plus majoritaires à la commission de surveillance, ce qui n’est pas souhaitable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS248 et CS249 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Ce sont des amendements de repli par rapport au précédent.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Nous avons examiné de très près l’amendement CS249, qui nous a semblé intéressant. Les deux représentants du personnel doivent-ils être élus par le comité mixte d’information ou par l’ensemble des salariés comme vous le proposez ? En fait, votre proposition pose des problèmes techniques, notamment pour que soit garantie la parité de ce binôme d’élus – un homme et une femme. Il ne nous paraît pas opportun de soutenir cet amendement mais nous y avons beaucoup réfléchi.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à lamendement CS250 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Nous proposons d’intégrer un membre du Conseil économique, social et environnemental à la commission de surveillance.

Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CS251 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Cette fois-ci, il s’agit proposer l’ajout d’un membre de l’Association des maires de France, désigné par cette assemblée, le lien de la CDC avec les territoires ayant été souvent rappelé.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Toutes ces propositions consistant à ajouter un membre conduiraient à faire perdre au Parlement sa majorité au sein de la commission de surveillance, ce qui n’est pas souhaitable. Nous devons discuter de l’article dans son ensemble en vue de la séance.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CS595 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Comme nous avons convenu de retravailler le sujet, je vais retirer cet amendement.

Lamendement est retiré.

La commission adopte larticle 30 sans modification.

Article 31
(articles L. 5187, L. 5188 et L. 5189 du code monétaire et financier)
Prérogatives de la commission de surveillance

A.   l’État du droit

« La commission de surveillance symbolise la représentation quexige et exprime la foi publique ([201]) ».

L’article L. 518-7 du code monétaire et financier énumère ses missions. Elle « est chargée de surveiller la Caisse des dépôts et consignations ».

À ce titre, elle gère le Fonds d’épargne de la Caisse, elle élabore un modèle prudentiel, elle est saisie d’un programme d’émissions de titres de créance et elle fixe l’encours annuel maximal de ces titres. En pratique, le modèle prudentiel est développé par les agents de l’institution. Il prend en compte les règles européennes relatives aux établissements bancaires dites « CRR » et « CRD IV » ([202]), avec plus de prudence.

En outre, elle est saisie pour avis des orientations stratégiques de l’établissement public et de ses filiales, de la mise en œuvre de ses missions d’intérêt général, de la définition de la stratégie d’investissement, de la situation financière et de la situation de trésorerie de l’établissement public, de la politique du groupe en matière de contrôle interne, des comptes sociaux consolidés et de leurs annexes, des réponses aux contrôleurs externes et de l’examen des plus importants engagements hors bilan.

Les membres de la commission de surveillance vérifient, toutes les fois qu’ils le jugent utile et au moins une fois par mois, l’état des caisses et la bonne tenue des écritures.

L’article L. 518-8 du même code prévoit que la commission dispose en son sein de comités spécialisés consultatifs, notamment le comité d’examen des comptes et des risques, le comité d’épargne et le comité des investissements.

L’article L. 518-9 permet à la commission d’adresser au directeur général des observations dépourvues d’effet contraignant, d’obtenir les documents et renseignements qu’elle juge utile pour sa mission de surveillance et de rendre public ses avis.

Depuis 2003, ses relations avec la direction générale sont précisées dans son règlement intérieur.

Les pouvoirs de la commission de surveillance, qui découlent de sa mission générale de surveillance de la Caisse, apparaissent en effet principalement dordre consultatif.

Selon l’étude d’impact (page 379), elle joue un « rôle de surveillance de la solvabilité de létablissement public et de ses filiales et bénéficie, à ce titre, de pouvoirs de police comparables à ceux dune autorité de supervision. »

B.   Le dispositif proposÉ

Larticle 31 du projet de loi tend à accroître les prérogatives de la commission de surveillance pour en faire un véritable organe délibérant, c’est‑à‑dire dont l’examen des questions qui lui sont soumises aboutit à l’exercice d’un pouvoir de décision.

Le I modifie en ce sens l’article L. 518-7 du code monétaire et financier.

Le 1° (alinéas 2 et 3) vise à confier à la commission une mission de contrôle permanent de la gestion de la Caisse par le directeur général et la possibilité de lui déléguer une partie de ses pouvoirs, qui doit rendre compte de leur exercice.

Le 2° confère un véritable caractère délibératif à l’examen par la commission des sujets énumérés supra sur lesquels elle est, en l’état actuel du droit, seulement saisie pour avis.

Les 3° et 4° y incluent le plan de moyen terme et les opérations individuelles et les programmes d’investissement ou de désinvestissement dans le cadre fixé par le règlement intérieur.

Le 5° (alinéas 7 à 10) octroie à la commission des prérogatives nouvelles :

– l’adoption, sur proposition du directeur général, du budget de létablissement public et de ses modifications successives, conformément à une recommandation de la Cour des comptes formulée dans un référé du 23 décembre 2016 ;

– l’approbation des comptes sociaux et consolidés et de leurs annexes arrêtés par le directeur général et l’examen des annexes qu’il élabore ;

– la délibération sur la stratégie et le niveau d’appétence au risque, l’approbation de limites globales d’exposition au risque et la surveillance du respect de ces limites ;

– fixer le besoin de la Caisse en fonds propres et le niveau de liquidité adapté au niveau de risque prévu au regard du modèle prudentiel qu’elle a déterminé ;

– l’approbation du programme d’émission de titres de créance et leur encours maximal annuel ;

– l’approbation de l’organisation générale et des orientations du dispositif de contrôle interne du groupe proposé par le directeur général.

En outre, la commission de surveillance aura pour mission de délibérer sur la politique de la Caisse en matière d’égalité professionnelle et salariale (alinéa 9).

Lalinéa 10 lui confère enfin un pouvoir général dexamen de toute question inscrite à son ordre du jour par son président ou par la commission elle‑même à la majorité simple. Elle devra se réunir à la demande d’un tiers au moins de ses membres.

Les 6° et 7° (alinéas 11 à 13) précisent le contenu du règlement intérieur qui devra prévoir les modalités de consultation écrite ou à distance des membres par le président en cas de consultation urgente et le régime des indemnités des commissaires.

Le paragraphe II tend à modifier l’article L. 518-8 du code monétaire et financier. Il réaffirme que la liste et les attributions des comités spécialisés de la commission sont fixées dans le règlement intérieur et renforce les pouvoirs du comité des investissements en prévoyant qu’il peut se voir déléguer l’approbation des opérations d’investissement et de désinvestissement.

Ces renvois au règlement intérieur sur le régime indemnitaire des commissaires et les règles relatives aux comités spécialisés peuvent apparaître comme des garanties pour lautonomie de la commission. En ce qui concerne le régime indemnitaire des membres, ces dispositions confèrent un fondement légal à l’attribution par la commission d’une rémunération à certaines catégories de ses membres, selon une recommandation de la Cour des comptes.

Le III opère une nouvelle rédaction de l’article L. 518-9 du même code qui ne semble pas revêtue dune réelle portée juridique nouvelle dès lors qu’elle réaffirme seulement le droit de la commission de surveillance d’obtenir les documents qu’elle estime nécessaires, en précisant qu’elle peut opérer des vérifications et contrôles, son droit d’adresser des observations au directeur général et celui de rendre public ses avis.

Le IV tend simplement à préciser que les commissions des finances et des affaires économiques des deux assemblées doivent être destinataires du rapport annuel de la commission de surveillance sur la direction morale et la gestion et la situation matérielle de l’établissement, prévu à l’article L. 518-10. En outre, il supprime les dispositions relatives au contenu de ce rapport.

C.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a souhaité garantir les moyens de la commission de surveillance en même temps que l’exemplarité de ses membres.

● À l’initiative de votre rapporteur, elle a adopté un amendement à l’article 31 visant à garantir que la commission de surveillance « dispose de moyens suffisants pour assurer le bon fonctionnement de ses missions et du mandat de ses membres. » Cette disposition sera précisée par le règlement intérieur de la commission.

● Elle a ensuite adopté un amendement de M. Dimitri Houbron et d’autres membres du groupe La République en Marche, pour prévoir un plafonnement des indemnités des commissaires surveillants, défini par décret. Vos rapporteurs ont précisé par un sous‑amendement que ce décret sera pris après avis simple de la commission de surveillance, comme il est habituel en matière de dispositions réglementaires relatives à la Caisse des dépôts et consignations.

● Enfin, la commission spéciale a adopté un amendement proposé par M. Peu et les membres du groupe Gauche démocrate et Républicaine, qui tendait à maintenir dans la loi le détail du contenu du rapport annuel de la commission de surveillance et sa transmission au « Parlement », plutôt qu’aux commissions permanentes chargées des finances et des affaires économiques des deux chambres.

Après avoir adopté deux amendements rédactionnels de votre rapporteur, la commission a adopté l’article 31 ainsi modifié.

*

*     *

La commission examine, en discussion commune, lamendement CS252 de M. Stéphane Peu et lamendement CS2407 du rapporteur.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je signale que l’amendement CS2407 vient d’être déposé par le rapporteur thématique et le rapporteur général, à la lumière de la discussion que nous venons d’avoir sur les moyens concernant les parlementaires membres de la commission de surveillance de la CDC.

M. Pierre Dharréville. Sous couvert d’un renforcement des prérogatives de surveillance et de contrôle de la commission de surveillance, la rédaction proposée diminue, en réalité, la portée de cette mission. C’est ainsi qu’elle lui enlève la responsabilité de définir le modèle prudentiel. Il s’agit, au premier alinéa de l’article 518-7 du code monétaire et financier, de remplacer la phrase « La commission de surveillance est chargée de surveiller la Caisse des dépôts et consignations » par la phrase « La commission de surveillance assure le contrôle permanent de la gestion de la Caisse des dépôts et consignations par le directeur général. »

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable à cet amendement.

Quant au nôtre, il répond à certains des points soulevés par nos collègues membres de la commission de surveillance. Ils pensent qu’ils ne disposent pas toujours de l’expertise nécessaire pour exercer leur mission et que cette situation pourrait encore s’aggraver avec le départ des membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes.

L’amendement vise donc à renforcer cette expertise à l’heure où, d’une part, les pouvoirs de la commission de surveillance sont accrus et, d’autre part, la CDC va être engagée dans une opération d’ampleur avec La Poste. Cet amendement propose d’inscrire dans le marbre de la loi que la commission de surveillance dispose des moyens suffisants pour assurer le bon exercice de ses missions en toute indépendance.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je suis évidemment défavorable à l’amendement CS252 puisque nous voulons, au contraire, renforcer le rôle de la commission de surveillance. Tout l’objet de cet article est de renforcer de manière très concrète le rôle de la commission de surveillance en tant qu’autorité de supervision.

En revanche, je suis favorable à l’amendement CS2407 qui fait suite à nos discussions. Il est important que la commission dispose de moyens suffisants pour assurer le bon exercice de ses missions.

M. Gilles Carrez. Cet article comporte une disposition qui a fait l’objet de travaux approfondis avec la direction générale du Trésor. Il y avait vraiment un problème de fond. La commission de surveillance – cela a été formalisé en particulier dans le cadre de la loi de modernisation économique (LME) de 2008 – a une compétence en matière de niveau des fonds propres, de solvabilité et de liquidité, dans le cadre d’un modèle prudentiel. Cette dernière notion a été introduite par décret à la suite de la loi LME.

Comme vient de le dire le ministre, la commission a également une compétence en termes de surveillance de l’élaboration de ce modèle prudentiel, des niveaux nécessaires de fonds propres et de liquidités qui garantissent la solidité de la CDC et donc la protection de l’épargne des Français.

Dans un premier temps, nous voulions conserver ces deux compétences : élaboration du modèle prudentiel, surveillance dudit modèle. Finalement, nous nous sommes rendus aux arguments de la direction du Trésor et nous avons considéré que l’on pouvait confier la surveillance à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Il se pose alors une question essentielle, notamment avec l’intégration de La Poste.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Monsieur Carrez, je vous demande de conclure.

M. Gilles Carrez. Madame la présidente, vous allez voir à quel point ce sujet est important.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous avons soixante-treize sujets importants, monsieur Carrez !

M. Gilles Carrez. J’essaie d’expliquer, parce que ce sont des sujets compliqués et essentiels.

Mme la présidente Olivia Grégoire. La règle, c’est une minute de temps de parole.

M. Gilles Carrez. On ne peut pas travailler dans ces conditions !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Mais si, monsieur Carrez. Nous débattons de ce sujet depuis une heure et demie.

M. Gilles Carrez. L’ACPR est un organisme national. Je crains que l’ensemble formé par la Banque postale, 50 % de Bpifrance et CNP Assurances ne devienne un établissement systémique qui basculerait sous la supervision de Francfort. Ce serait vraiment très préoccupant. L’ACPR a une culture surtout bancaire et parfois une vision à court terme, comparé à cet investisseur de long terme et contracyclique qu’est la CDC. Monsieur le ministre, êtes-vous certain que l’ensemble ne risque pas de passer sous la supervision européenne de Francfort, dès lors que nous avons accepté que la surveillance soit dévolue à l’ACPR ? Ces sujets sont absolument décisifs.

Mme Laure de La Raudière. J’ai la même crainte !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je vous donne toutes les assurances que le système de supervision tel qu’il existe, qui est écrit noir sur blanc dans les textes européens comme les textes français, sera maintenu. Il faudrait une modification tout à fait claire des textes européens pour que l’intégralité de la CDC passe sous une supervision européenne. Or il n’y a pas le début du commencement de la moindre réflexion sur ce sujet. Ne créons pas des craintes inutiles. Le système de supervision est le suivant : la Banque centrale européenne (BCE) et le Mécanisme de surveillance unique (MSU) pour la Banque postale ; l’ACPR pour la CDC. Je vous le confirme.

La commission rejette lamendement CS252.

Elle adopte lamendement CS2407.

Elle en vient à lamendement CS1631 de M. Philippe Latombe.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Je souhaite le retrait de cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

Lamendement est retiré.

La commission adopte lamendement rédactionnel CS919 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS1301 de M. Dimitri Houbron et CS1640 de M. Adrien Taquet, qui font lobjet du sous-amendement CS2372 des rapporteurs.

M. Damien Adam. Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, prévoit que les rémunérations des membres de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations soient fixées dans son règlement intérieur, donc qu’elles soient définies par ses propres membres. Le présent amendement introduit un plafonnement de ces rémunérations qui serait défini par décret. Cette disposition, qui répond à l’une des recommandations figurant dans l’avis du Conseil d’État, constituerait un garde-fou contre d’éventuels excès. Il est important de fixer des limites à l’heure où nous travaillons à la maîtrise de la dépense publique.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis favorable, sous réserve de l’adoption de notre sous-amendement qui vise à préciser que le décret fixant le plafonnement est « pris après avis de la commission de surveillance ».

M. Gilles Carrez. Je tiens à préciser que cette disposition ne s’appliquerait pas aux parlementaires membres de la commission de surveillance, car ils ne perçoivent plus d’indemnités à ce titre depuis 2017, conformément à la loi de 2013 qui interdit à tout parlementaire de recevoir une indemnité au titre des fonctions qu’il exerce en tant que conseil dans les entreprises nationales ou dans les établissements publics nationaux.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Très bonne remarque.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable aux amendements sous-amendés. Je confirme ce que vient de dire Gilles Carrez. Il est important de redire, pour la bonne information de l’opinion publique, que les parlementaires ne touchent plus d’indemnités au titre de leurs fonctions de membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte les amendements identiques ainsi sous-amendés.

Elle examine ensuite lamendement CS253 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Je n’ai pas été convaincu par la démonstration selon laquelle les nouvelles dispositions renforçaient les pouvoirs du conseil de surveillance. Cet amendement touche à un problème de même nature. La rédaction proposée par les alinéas 14 à 18 de l’article 31 restreint les attributions actuellement prévues par l’article L. 518-8 du code monétaire et financier. Il n’est plus fait mention du comité des fonds d’épargne et du comité des investissements dont devrait disposer la commission de surveillance. Nous proposons donc la suppression de ces alinéas.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. La désignation des comités relève plutôt du règlement intérieur. Avis défavorable.

Les parlementaires consacrent un temps fou aux travaux de la commission de surveillance et j’aimerais saluer, en notre nom à tous, leur engagement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CS912 du rapporteur.

Elle en vient à lamendement CS254 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. La rédaction des alinéas 21 à 23 restreint le champ de diffusion du rapport annuel de la commission de surveillance sur la direction morale et sur la situation matérielle de la CDC aux seules commissions des finances et des affaires économiques des deux assemblées. Cette limitation est inopportune et remet en cause le principe de transparence.

En outre, l’alinéa 23 supprime la publication annuelle des procès-verbaux de la commission de surveillance, ce qui pose un autre problème grave de transparence et de démocratie.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’esprit du projet de loi est de renforcer le contrôle du Parlement sur la commission de surveillance et sur la Caisse des dépôts : avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable également : cet amendement accroît la transparence, ce qui est une bonne chose.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle 31 modifié.

Article 32
(article L. 518-11 et L. 518-12 du code monétaire et financier)
Prérogatives du directeur général

A.   l’État du droit

Autrefois investi d’un mandat irrévocable, « hors de toute influence ministérielle, il n’a rien à craindre et à espérer, il est l’homme de la loi » selon les débats parlementaires de 1816. Le directeur général est aujourd’hui nommé pour cinq ans aux termes de l’article L. 518-11 du code monétaire et financier. Le décret n° 59-587 du 29 avril 1959 précise qu’il est nommé par décret en Conseil des ministres.

L’article 1er de la loi organique n° 2010‑837 du 23 juillet 2010 dispose que ce pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Cet alinéa soumet cette nomination à un avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée, la nomination étant impossible lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

La loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 précise que c’est la commission compétente en matière d’activité financière qui doit être consultée : ce sont les commissions des finances des deux assemblées.

Il prête serment devant la commission de surveillance qui peut proposer de mettre fin à ses fonctions (article L. 518‑11 précité). Il est donc autonome visàvis de lexécutif.

Il dirige et administre la Caisse (article L. 518‑11), est responsable des fonds et valeurs et présente chaque année un projet de budget à la commission de surveillance soumis ensuite à l’approbation du ministre de l’économie (article L. 518-12).

Dans un référé du 23 décembre 2016, la Cour des comptes considère que ces dispositions législatives ont pour effet de conférer au directeur général « une pleine autonomie de gestion, sans équivalent au regard des entreprises publiques ou privées et des établissements publics. » La Cour relève notamment que l’interprétation qui en est faite par la Caisse aboutit à vider de portée juridique concrète lavis de la commission de surveillance sur le budget et lapprobation de ce dernier par le ministre. C’est ainsi qu’en 2013, le budget présenté à la commission consistait en une simple synthèse et n’a pas été approuvé par le ministre qui s’est abstenu de répondre, ce qui n’a pas fait obstacle à son exécution.

Selon létude dimpact, en pratique, la commission de surveillance n’est pas en mesure d’exercer une réelle influence sur la politique du directeur général : « il concentre ainsi la plupart des pouvoirs effectifs au sein de létablissement » et a pu prendre par le passé « en toute indépendance des décisions qui se sont révélées hasardeuses » (page 382).

Le directeur général actuel est M. Éric Lombard, nommé par décret du 8 décembre 2017 par le Président de la République Emmanuel Macron après les avis des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat du 28 novembre 2017.

B.   Le dispositif proposÉ

Le I de l’article 32 du projet de loi tend à prévoir que le directeur général « dirige » mais « nadministre » plus la Caisse des dépôts et consignations (). Cette modification est conçue par le Gouvernement comme le corollaire de l’accroissement des prérogatives de la commission de surveillance.

Le 2° lui confère cependant la prérogative de désigner des directeurs délégués à qui il peut déléguer une partie de ses pouvoirs pour qu’ils l’assistent dans ses fonctions de direction. L’étude d’impact précise que cette innovation accroît l’autonomie du directeur général dans sa gestion et se combinera avec l’abrogation à venir des articles R. 518‑2 à R. 518‑4 du code monétaire et financier qui prévoient la nomination des principaux directeurs de la Caisse par décret.

Le II modifie l’article L. 518‑2 et charge le directeur général de mettre en œuvre les orientations approuvées par la commission de surveillance, notamment en matière de contrôle interne et de gestion des risques. Il prévoit en outre qu’il soit entendu dans chaque assemblée par les deux commissions permanentes réunies chargées des finances et des affaires économiques, sur la politique d’intervention de la Caisse et qu’il puisse l’être dans ces mêmes conditions à sa demande ou à celle du président de la commission de surveillance.

Au total, articulées avec celles de larticle 31 du projet de loi, ces dispositions tendent donc à réorganiser la direction de la Caisse des dépôts et consignations au profit de la commission de surveillance.

La composition de la commission évoluerait avec l’accroissement du poids de l’exécutif dans la désignation des membres, sans cependant remettre en cause le poids prépondérant des parlementaires et personnalités liées au Parlement.

La commission de surveillance verrait ses prérogatives renforcées visà-vis du directeur général : elle délibérerait et prendrait de véritables décisions sur de nombreuses questions relatives à des grandes orientations et à la direction de la Caisse. En matière budgétaire, la réforme pourrait aboutir à un véritable partage de la décision. Elle contrôlerait en outre la gestion du directeur général qui devrait mettre en œuvre les orientations de la commission.

Ce dernier verrait donc quant à lui ses prérogatives globales de direction encadrées plus fortement, même s’il disposerait d’une plus grande autonomie dans sa gestion avec un nouveau pouvoir de nomination de directeurs délégués.

En contrepartie de ce renforcement de ses prérogatives dans la direction de la Caisse, la commission perdrait la responsabilité et la mise en œuvre de la supervision prudentielle qui sera directement assurée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (article 35 du projet de loi). Elle s’éloignerait de la conception historique d’une mission de « surveillance », au sens de supervision, pour se rapprocher d’un « conseil de surveillance », au sens que revêt cette notion en droit des sociétés ; elle serait ainsi plus impliquée dans des fonctions de direction.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur est favorable à la refonte des prérogatives du directeur général et à un encadrement plus strict de ses fonctions par la commission de surveillance et, par ce biais, par le Parlement.

Après avoir adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteur, la commission spéciale a adopté l’ensemble de cet article.

*

*     *

La commission examine les amendements CS255 et CS256 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Aux termes de l’article L. 518-11 du code monétaire et financier, « La Caisse des dépôts et consignations est dirigée et administrée par un directeur général ». L’alinéa 2 du présent article propose de supprimer le mot « administrée ». Autrement dit, la CDC serait désormais dirigée, comme n’importe quelle entreprise.

Il importe que cet établissement, qui est une administration centrale du point de vue du cadre d’emploi des fonctionnaires qui lui sont affectés, continue d’être « administrée ». Il n’est pas envisageable qu’une telle suppression banalise sa gestion et remette en cause à terme le statut des fonctionnaires et des agents qui y travaillent.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Monsieur Dharréville, administrer peut s’appliquer aussi aux entreprises. Ouvrons le Larousse. Le verbe « administrer » est défini de la manière suivante : « Gérer les affaires publiques ou privées ». Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable également. À ce même article 32, je tiens à le souligner, le Gouvernement renonce à la nomination des sept directeurs délégués pour la confier au directeur général. Vous avez là une preuve tangible du fait que le pouvoir exécutif ne veut pas contrôler la CDC.

M. Pierre Dharréville. L’article 32 soulève aussi des questions sur le statut des fonctionnaires de la CDC et j’aimerais avoir des réponses plus précises à ce sujet d’ici à la séance. Cela dit, je comprends que vous ne puissiez pas me donner raison à chaque fois… (Sourires.)

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CS916 des rapporteurs.

Puis elle adopte larticle 32 modifié.

Articles 33 et 34
(articles L. 51813 et L. 51815 du code monétaire et financier)
Application des règles de gestion comptable commerciale
à la Caisse des dépôts

A.   l’État du droit

Le régime comptable de la Caisse des dépôts est dérogatoire au droit commun depuis sa création : elle dispose d’un caissier général, institué en 1816.

Aux termes de l’article L. 518-13 du code monétaire et financier, le caissier général est responsable du maniement des fonds. Il est chargé de la recette, du paiement des dépenses et de la garde et de la conservation des valeurs.

Comme le directeur général, le caissier général prête serment « de défendre lautonomie de létablissement et de garantir linviolabilité des fonds qui lui sont remis en garde ».

Il est ainsi responsable du paiement des retraites de fonctionnaires, des transactions des notaires, de prestations sociales ou familiales ou de l’exécution d’opérations d’investissement de la Caisse ou de l’État au capital de grandes entreprises. Il supervise 300 millions dopérations chaque année, soit près de 3 000 milliards deuros de flux financiers. Selon l’actuel caissier général, M. André-Laurent Michelson, les caissiers généraux successifs sont « les garants de lexécution des opérations financières de la Caisse des Dépôts ». ([203])

Toutefois, comme le note la Cour des comptes ([204]), il nest pas investi de la plénitude des missions des comptables publics. Il n’est ainsi pas chargé du contrôle de la régularité des ordres de recette et de dépense, de la disponibilité des crédits, de la justification du service fait ou des pièces justificatives de la dépense. S’il tient une comptabilité pour justifier de ses dépenses et recettes, intégrée chaque jour à la comptabilité générale de l’établissement (article R. 518-17 du code monétaire et financier), cette dernière est tenue par la direction des finances. Le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique qui régit les obligations et les responsabilités des comptables publics ne lui est d’ailleurs pas applicable.

Il nexerce donc pas non plus la fonction de contrôleur financier (c’est-à-dire notamment le contrôle de la soutenabilité budgétaire, le suivi de l’exécution et des risques budgétaires et le contrôle des dépenses importantes), celle‑ci n’existant pas au sein de la Caisse des dépôts.

En outre, il est chargé de fonctions de directeur au sein de l’établissement (direction de l’exécution des opérations financières) et est donc placé sous lautorité de lordonnateur.

En ce qui concerne sa responsabilité, l’article L. 518-13 du code monétaire et financier prévoit qu’il doit justifier d’un cautionnement et est « responsable des erreurs et déficits autres que ceux provenant de la force majeure »). Sagissant du contrôle juridictionnel, la combinaison des articles L. 518-15 du même code et L. 131‑3 du code des juridictions financières renvoie, « compte tenu du statut spécial de cet établissement », à un décret en Conseil d’État.

La Cour considère que la responsabilité du caissier général devant elle, qui s’exerce, d’un point de vue juridictionnel, au travers du « compte de gestion » de ce dernier, est in fine très limitée. En pratique, ses responsabilités limitées à l’exécution des dépenses et des recettes ne permettent pas de mettre en évidence de charges possibles. Le caissier général a donc les apparences mais pas la réalité d’un véritable contrepoids financier aux organes de gouvernance de la Caisse.

Au regard de ce régime dérogatoire qu’elle considérait peu satisfaisant du point de vue de la gouvernance budgétaire, la Cour des comptes avait proposé en 2005 un choix entre deux options : faire du caissier un comptable public de plein exercice ou supprimer le compte de gestion et son jugement par la Cour.

En 2016, la Cour estimait cependant que « la Caisse se définit aujourdhui avant tout comme une institution financière dont lactivité est encadrée par des règles de nature prudentielle. L’option consistant à doter le caissier des fonctions classiques d’un comptable public serait incompatible avec cette situation. ». La Cour des comptes considère en effet que lapplication des normes de la comptabilité publique relatives à la tenue de la comptabilité et au contrôle des recettes et des dépenses serait inadaptée à un établissement financier.

Elle recommande désormais en conséquence la suppression du compte de gestion en observant que cette évolution serait sans conséquence sur la qualité des comptes de l’établissement et sur le contrôle opéré par la Cour.

B.   le dispositif proposÉ

Entre le régime de la comptabilité publique classique et celui de la comptabilité privée de droit commun, l’article 33 du présent projet de loi choisit pleinement le second.

Il s’inscrit dans la recommandation de la Cour et va même au-delà : le I vise en effet à supprimer purement et simplement le caissier général et à placer la Caisse des dépôts et consignations sous le régime comptable de droit commun applicable en matière commerciale. Le II en tire les conséquences en supprimant le contrôle particulier de la Cour des comptes sur le caissier général ; il abroge ainsi l’article L. 518-15 du code monétaire et financier.

Selon létude dimpact (page 385), la Cour des comptes restera compétente pour le contrôle de la Caisse des dépôts et consignations, selon les modalités de droit commun applicables aux personnes morales de droit public. En effet, en sus de sa mission de contrôle juridictionnel de la régularité des comptes des comptables publics, la Cour des comptes assure un contrôle général de nature administrative sur la gestion des ordonnateurs des organismes publics et parapublics, dont beaucoup ne sont pas dotés de comptables publics.

Larticle 34 tend, quant à lui, à préciser que la certification des comptes de la Caisse des dépôts et consignations par deux commissaires aux comptes, prévue à l’article L. 518-15-1, est réalisée dans le cadre des règles de droit commun prévues au code de commerce pour les entreprises (alinéa 4). Lalinéa 3 prévoit que cette certification doit être présentée aux commissions des affaires économiques des deux assemblées (et pas seulement à leurs seules commissions des finances, comme c’est le cas dans le droit en vigueur). Enfin, les commissaires aux comptes seront convoqués à toutes les réunions de la commission de surveillance au cours desquelles sont examinés les comptes annuels ou intermédiaires de la Caisse (alinéas 5 et 6). Ces dispositions concourent donc au rapprochement des règles qui régissent les comptes de la Caisse du régime comptable privé de droit commun.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur accueille favorablement la réforme du régime comptable de la Caisse des dépôts. Après avoir discuté d’un amendement visant à maintenir le droit existant, la commission spéciale a adopté les articles 33 et 34 sans modification.

*

*     *

La commission est saisie de lamendement CS257 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. L’article 33 prévoit de supprimer les fonctions de caissier général, prévues par la loi depuis 1816. Cet amendement entend les maintenir telles qu’elles sont définies à l’article L. 518-13 du code monétaire et financier : nous estimons qu’il faut un agent comptable public dans un établissement public.

Par ailleurs, nous entendons revenir sur la soumission de la CDC aux règles applicables en matière commerciale pour la gestion comptable. La rédaction des alinéas 3 à 6 menace le principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable exécutant, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) n’assurant pas ce rôle.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Avis défavorable. Le caissier général de la CDC ne dispose pas des attributions d’un comptable public. En proposant de le supprimer, nous nous conformons aux recommandations de la Cour des comptes.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Cette obsession napoléonienne vous honore, monsieur Dharréville (Sourires), mais il se trouve que l’institution napoléonienne qu’est la Cour des comptes a estimé que les fonctions de caissier général étaient purement formelles. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 33 sans modification.

M. Gilles Carrez. Nous abordons la supervision exercée par l’ACPR. Vous avez remplacé la formulation de l’article L. 518-15-2 du code monétaire et financier selon laquelle l’ACPR « prend en considération pour rendre son avis le modèle prudentiel mentionné à larticle L. 518-7 » par la formulation suivante : « Il prend en compte les spécificités du modèle économique de létablissement ». Ce point est majeur. En matière de supervision, il ne faut surtout pas que la CDC soit considérée comme une banque ou un établissement financier banal. Je le répéterai inlassablement, madame la présidente.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Monsieur Carrez, je vous invite à développer vos arguments à l’article 35 qui porte sur les relations entre la CDC et l’ACPR. Vous avez un train d’avance, ce qui ne m’étonne nullement.

La commission adopte larticle 34 sans modification.

Article 35
(article L. 518-15-2 et L. 518-15-3 du code monétaire et financier)
Règles prudentielles applicables à la Caisse des dépôts et consignations
et supervision par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

A.   l’État du droit

La supervision prudentielle est l’ensemble des dispositifs mis en œuvre par les autorités de supervision de la sphère bancaire et financière en vue de maintenir la stabilité de cette dernière ([205]).

En effet, si l’instabilité est inhérente à l’activité d’intermédiation financière, en cas d’excès les crises bancaires et financières peuvent être systémiques et affecter l’économie réelle.

La protection des dépôts bancaires et de lépargne du public et la prévention du risque systémique de panique contagieuse liée à la densité des relations interbancaires constituent ainsi les principales justifications d’une supervision publique des activités financières et bancaires.

La supervision prudentielle a pour principaux outils les ratios de solvabilité, les modèles internes de gestion des risques et la transmission d’information vers le régulateur et le marché (dispositifs « microprudentiels »), ainsi que l’existence d’un prêteur en dernier ressort (dispositif « macroprudentiel »). En France, une approche globale de ces moyens et du secteur financier (banque et assurance) a été privilégiée par l’instauration de lAutorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), autorité administrative adossée à la Banque de France.

La Caisse des dépôts et consignations, bien qu’établissement public, exerce des activités bancaires et financières. Il est donc logique quelle fasse lobjet dune supervision prudentielle.

En ce qui concerne les règles applicables, l’article L. 518-15-2 du code monétaire et financier confie à un décret en Conseil d’État ([206]) le soin de préciser les conditions d’application, à la Caisse des dépôts, et sous réserve des adaptations nécessaires, de certaines règles prudentielles de droit commun applicables aux sociétés de financement et aux établissements de crédit.

Ces règles ont notamment pour objet de garantir la liquidité et la solvabilité de ces derniers à l’égard des déposants et des tiers à travers le respect de normes de gestion (article L. 511-41), l’instauration d’une gouvernance solide (article L. 511-55) ou l’adoption de procédures de contrôle interne qui permettent de détecter les risques liés aux activités financières (article L. 511-57). L’étude d’impact rappelle en outre (page 384) que la réglementation européenne en la matière n’est pas applicable à la Caisse des dépôts.

Les règles prudentielles de droit commun ne sont donc pas entièrement applicables de plein droit à la Caisse des dépôts et consignations.

Selon la Caisse des dépôts ([207]), le législateur a décidé que « la Caisse des dépôts dispose de son propre modèle prudentiel, eu égard aux risques spécifiques quelle porte ». En effet, son comportement financier est différent des autres acteurs de marché. D’une part, elle accepte de financer des projets plus risqués dès lors qu’ils impliquent un retour sur investissement à plus long terme, sans procéder à des arbitrages qui pourraient se révéler préjudiciables à l’économie nationale. D’autre part, elle suit un modèle prudentiel qui peut cependant être considéré comme plus « conservateur » que les établissements financiers classiques, puisqu’elle n’a pas d’actionnaires susceptibles de renforcer ses fonds propres en cas de besoin ou de choix risqué. « Ce modèle prudentiel couvre les principaux risques : risque de perte de valeurs des portefeuilles dactions, risque de liquidité, risque de taux dintérêt, risque de crédit sur les titres des portefeuilles et sur les prêts accordés, risque immobilier, risque de change, risque opérationnel et risque lié aux filiales et aux participations. Il vise à assurer un très haut niveau de sécurité financière […] ([208]) ». Le modèle prudentiel applicable aux fonds d’épargne est cependant moins prudent que celui de la section générale, car ces fonds sont garantis par l’État. En tout état de cause, la Caisse ne poursuit pas la seule performance financière et est attentive à l’utilité socio‑économique de ses actions d’intérêt général.

En ce qui concerne la supervision qui découle, en l’état actuel du droit, de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, la supervision prudentielle de la Caisse des dépôts et consignations est également en partie dérogatoire puisqu’elle relève à la fois de l’ACPR et de la commission de surveillance.

L’article L. 518-7 du code monétaire et financier dispose que la commission de surveillance élabore un modèle prudentiel. Elle rend un avis sur le décret en Conseil d’État évoqué supra qui fixe les règles applicables à la Caisse en matière de contrôle externe (article L. 518‑15‑2). Le contrôle du respect de ces règles dans les activités bancaires et financières de la Caisse est confié par la commission de surveillance à l’ACPR (article L. 518‑15‑3). Selon le directeur général, la commission détermine le champ des contrôles et leurs limites. Dans ce cadre, lACPR élabore des rapports éventuellement assortis de propositions et de recommandations, notamment sur la restauration ou le renforcement de la situation financière de la Caisse, sur lesquels délibère ensuite la commission de surveillance, qui peut alors adresser au directeur général des mises en garde, recommandations ou injonctions, qu’elle peut choisir de rendre publiques.

En matière prudentielle, outre le fait qu’elle rend un avis sur les règles applicables, il apparaît donc que cest la commission de surveillance qui détient, en ce qui concerne la Caisse des dépôts, la maîtrise de la supervision et le « dernier mot » sur la formulation, éventuellement publique, de recommandations et dinjonctions. Selon l’étude d’impact, « L’ACPR, nexerce quune simple mission dassistance auprès de la Commission de surveillance, qui dispose ensuite du pouvoir de mettre en œuvre ou non ses recommandations ». Il ressort toutefois des auditions conduites par votre rapporteur que, dans la pratique, la Commission de surveillance suit très largement les propositions de l’ACPR.

B.   le dispositif proposÉ

Le présent article a pour objet de soumettre plus largement la Caisse des dépôts et consignations aux règles qui régissent les établissements financiers et de crédit, tout en préservant sa spécificité, et de confier à l’ACPR la pleine responsabilité du contrôle prudentiel de l’institution.

Le 1° du I (alinéa 2) entend donc élargir le champ des règles de droit commun applicables à la Caisse des dépôts en prévoyant que c’est l’ensemble de la section 8 du chapitre Ier du titre Ier du livre V du code monétaire et financier, intitulée « Gouvernance des établissements de crédit et des sociétés de financement », à la seule exception de l’article L. 511‑58, qui devient applicable à la Caisse. Cet article est relatif à l’interdiction du cumul des fonctions de direction et de l’organe de surveillance et à la possibilité pour l’ACPR de l’autoriser, ce qui n’a pas lieu d’être en ce qui concerne la gouvernance particulière de la Caisse.

Le gouvernement affirme dans l’étude d’impact que cette extension du droit commun à la Caisse sinscrit toutefois dans un cadre juridique national. Elle n’emporte pas par elle‑même l’application de la réglementation prudentielle établie par le droit de l’Union européenne.

En outre, lalinéa 4 maintient :

– la possibilité de prévoir par décret les adaptations nécessaires, non plus au regard du « modèle prudentiel » mais, plus largement, du « modèle économique » de la Caisse des dépôts ;

– l’avis préalable (simple) de la commission de surveillance sur ce décret.

Le II du présent article confie à l’ACPR le contrôle du respect par la Caisse des règles prudentielles dans l’exercice de ses activités financières et bancaires (alinéa 7).

L’article 31 maintient expressément une compétence de la commission de surveillance pour la détermination d’un modèle prudentiel : ce dernier servirait de base à la commission pour fixer le niveau d’appétence au risque et le besoin en fonds propres de l’institution.

Mais l’ACPR sera lunique autorité de supervision et pourra notamment décider du champ des contrôles. Ses normes de références résulteraient des réglementations prudentielles européennes et internationales.

Le présent article précise les pouvoirs de police de l’ACPR en la matière : elle peut adresser à la Caisse des recommandations ou injonctions (alinéa 9) et des mises en demeure et des sanctions (alinéa 10). Lalinéa 11 prévoit que la commission de surveillance doit être informée préalablement du prononcé de telles mesures et que son avis soit recueilli le cas échéant.

La Caisse doit assurer la protection mais aussi la rémunération des dépôts. Si elle s’écarte du modèle déterminé par la commission de surveillance, sans méconnaître pour autant la réglementation européenne « CRD IV », l’ACPR pourra notamment lui demander d’abaisser le niveau de risque ou de renégocier la contribution à l’État. Si le niveau de risque dépasse celui autorisé par « CRD IV », l’APCR devrait formuler des injonctions à l’encontre de la Caisse. Les sanctions éventuellement prononcées seraient celles prévues à l’article L. 612‑39 du code monétaire et financier et, en sus ou en place de ces dernières, compte tenu de la gravité des manquements, une sanction pécuniaire versée au budget de l’État.

Selon le gouvernement, l’application des modèles prudentiels actuels et la supervision de la Caisse par la commission de surveillance peuvent parfois aboutir à un excès de « prudence ». La réforme proposée semble donc avoir pour double objectif, à la fois d’éviter un emploi parfois excessivement restrictif des fonds et, à l’inverse, de prévenir des choix d’investissement trop risqués qui pourraient être inspirés par le caractère d’intérêt collectif des missions de la Caisse. L’objectif est donc de rapprocher la Caisse du « droit commun de la supervision prudentielle », sa supervision se rapprochant ainsi « des règles de lart ».

Les alinéas 12 à 14 modifient les modalités de la contribution versée par la Caisse à la Banque de France en compensation de la mission de contrôle exercée par l’ACPR. Ils prévoient ainsi que le défraiement n’est plus fixé conventionnellement par l’ACPR et la Caisse mais par le ministre chargé de l’économie, par arrêté pris après avis simple de la commission de surveillance.

Le gouvernement soutient dans l’étude d’impact (page 385) que l’ensemble de cette réforme du cadre prudentiel applicable à la Caisse « vise à renforcer la protection des fonds gérés et à procurer des garanties accrues quant à la solidité du modèle économique de létablissement ». Il invoque en outre le renforcement de « lexemplarité » de la Caisse des dépôts et consignations. Il précise que le présent article 35 du projet de loi sarticule avec son article 31 qui renforce le rôle de la commission de surveillance dans l’administration de la Caisse des dépôts et consignations. En effet, il considère que la commission ne peut « à la fois se prononcer sur la stratégie et la gestion de létablissement tout en assurant sa supervision prudentielle ».

C.   la position de la commission spÉciale

Après avoir débattu de deux amendements tendant à maintenir la supervision prudentielle entre les mains de la commission de surveillance, la commission spéciale a adopté l’article 35 sans modification.

*

*     *

La commission est saisie de lamendement CS668 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. L’article 35, en écho aux articles 33 et 34, a pour objet de modifier régime prudentiel de la Caisse des dépôts et consignations en l’alignant sur celui des banques. La CDC deviendrait ainsi une banque d’investissement classique alors qu’elle est un établissement public.

Cette modification se situe dans le prolongement des débats sur la possible privatisation de la CDC. Associée aux différentes mesures contenues dans ce texte, elle ferait de la France un marché financier quasi dérégulé, sans indicateur institutionnel référent, ce qui l’affaiblirait dans ses relations avec ses créanciers.

Alors que de nombreux pays souhaiteraient pouvoir créer un équivalent de la CDC afin de les aider à garantir leurs emprunts et à financer les infrastructures locales, il serait incompréhensible d’en faire un établissement bancaire classique voire hybride alors qu’il est aujourd’hui doté d’un statut particulier qui rassure les investisseurs.

Il convient donc de supprimer l’article 35 afin de garantir le régime particulier et l’indépendance de la CDC, dont la préservation sert de fil directeur à tous nos amendements.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Autant s’agissant des nominations au sein de la commission de surveillance, nous avons encore des marges de progression, autant s’agissant de la supervision, nous collons de très près aux suggestions des membres de la commission de surveillance. Il importe de conserver l’article 35.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Monsieur Fasquelle, je tiens à vous redire que c’est une garantie pour la Caisse des dépôts et consignations que de bénéficier d’une supervision et d’un contrôle prudentiel exercé par l’ACPR. À partir du moment où nous renforçons la commission de surveillance, qui jouera également un rôle d’administration, nous avons besoin, pour assurer la protection des fonds gérés par la Caisse, d’un contrôle prudentiel totalement indépendant, opéré par l’ACPR. Cela ne peut que conforter la crédibilité de l’établissement.

Je confirme à Gilles Carrez que la CDC est explicitement exclue du champ d’application du cadre réglementaire prudentiel européen. Elle ne sera donc pas soumise à la supervision de la Banque centrale européenne (BCE).

M. Daniel Fasquelle. Je ne suis pas convaincu. J’estime que l’article 35 induit une évolution extrêmement dangereuse.

J’ai un peu d’expérience dans cette maison et ce n’est pas la première fois que j’entends un ministre assurer que le droit européen ne s’appliquera pas, que la France a reçu des garanties de Bruxelles, et qu’à la fin cela ne se vérifie pas. La Commission n’est pas seule à décider, il faut compter aussi avec la Cour de Justice de l’Union européenne. Je maintiens donc mon amendement. Il faut lutter contre cette remise en cause progressive de l’originalité du régime de la Caisse des dépôts, qui est un gage d’indépendance. Si nous lui ôtons ses spécificités, elle entrerait dans le droit commun et ce serait la fin d’une institution que beaucoup de pays nous envient.

M. Gilles Carrez. J’ai une question connexe. L’ACPR a un pouvoir de sanction et comme vient de le dire M. le ministre, la commission de surveillance aura désormais un pouvoir délibératif. Qu’en sera-t-il des parlementaires qui en sont membres ? Leur responsabilité pourra-t-elle être mise en cause par cette autorité indépendante ? Seront-ils susceptibles d’être sanctionnés pour des raisons de mauvaise gestion ? Avez-vous réfléchi à cette configuration particulière, monsieur le ministre ?

M. Charles de Courson. Je partage l’avis de M. le ministre pour ce qui est de la rédaction initiale du projet de loi, mais le vote de l’amendement CS2314 déposé par le Gouvernement ouvre un questionnement. Avez-vous saisi les autorités européennes pour leur demander ce qu’il en est ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je vous confirme que le droit européen, avec la directive bancaire, exclut la Caisse des dépôts et consignations du champ d’application du contrôle de la Banque centrale européenne.

M. Gilles Carrez. Aujourd’hui oui, mais demain, qu’en sera-t-il ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. On peut toujours dire : « aujourd’hui, la Commission européenne ne va pas attaquer la France ou l’Italie ou nationaliser toutes les entreprises privées françaises, mais qu’en sera-t-il demain ? ».

Pour qu’il y ait un revirement, il faudrait une proposition législative qui recueille une majorité au Parlement européen, ce qui suppose un accord de la Commission et des États. Par ailleurs, aucun État européen ne souhaite une telle évolution ou n’y a intérêt. Tous ceux qui disposent d’un système équivalent à la Caisse des dépôts et consignations, comme l’Italie avec sa Cassa depositi e prestiti, n’ont aucune envie que la BCE vienne observer ce qui se passe au sein de leurs organismes publics de développement financier.

Certes, les scénarios les plus invraisemblables peuvent toujours se produire – je suis prêt à le reconnaître – mais pour que celui que vous évoquez devienne réalité il faudrait qu’il y ait une volonté des États, et il n’y en a aucune, pour obtenir un changement législatif lourd, et il n’y a aucune intention d’aller en ce sens ni de véhicule disponible pour cela.

Quant à la sanction de l’ACPR, elle portera sur l’institution et non sur les membres de la commission de surveillance.

M. Jacques Savatier. Le pouvoir de sanction porte aussi sur les dirigeants !

M. Daniel Fasquelle. Je ne mets pas en doute votre bonne foi, monsieur le ministre, mais cette directive européenne, pourriez-vous nous en préciser le contenu d’ici à la séance ? Vous avez affirmé qu’elle excluait explicitement la Caisse des dépôts et consignations. Est-elle visée précisément ou est-ce une interprétation de votre part ? Si cette exclusion est précisée dans une annexe de la directive, la modifier supposerait effectivement une décision collective mais elle serait prise à la majorité qualifiée et non à l’unanimité, à mon avis, ce qui implique que la France et l’Italie pourraient mises en minorité. Si l’exclusion n’est pas explicite, la Cour de justice pourra interpréter demain la directive d’une autre manière et décider qu’au regard des modifications législatives introduites par le projet de loi, la CDC devra être soumise au droit européen. Je pense que vous jouez quand même un peu avec le feu, monsieur le ministre.

M. Gilles Carrez. Il me semble que le pouvoir de sanction de l’ACPR porte non seulement sur les dirigeants, mais aussi sur les membres des conseils d’administration et de surveillance. C’est un point à examiner de près.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Le ministre des finances ne joue pas avec le feu, monsieur Fasquelle. Mes responsabilités ne me permettent pas de le faire.

Je vais vous citer le texte de la directive 2013-36 du 26 juin 2013, qui porte sur les modalités de surveillance des établissements financiers par la Banque centrale européenne. Son article 2 précise la liste des établissements auxquels la directive ne s’applique pas : en Belgique, à l’Institut de réescompte et de garantie ; au Danemark, au Eksport Kredit Fonden ; en Allemagne, à la Kreditanstalt für Wiederaufbau ; en Estonie, aux; en Irlande, aux credit unions ; en Grèce, au Tamio Parakatathikon kai Danion ; en Espagne, à l’Instituto de Crédito Oficial ; en France, à la Caisse des dépôts et consignations ; en Italie, à la Cassa depositi e prestiti ; en Lettonie, aux krājaizdevu sabiedrības, entreprises qui sont reconnues par le Krājaizdevu sabiedrību likums en tant que coopératives fournissant des services financiers uniquement à leurs membres ; en Lituanie, aux kredito unijos ; en Hongrie, à la MFB Magyar Fejlesztési Bank Zártkörűen Működő Részvénytársaság ; aux Pays-Bas, à la Nederlandse Investeringsbank voor Ontwikkelingslanden NV ; en Autriche, à la Österreichische Kontrollbank AG ; en Pologne, aux Spółdzielcze Kasy Oszczędnościowo-Kredytowe ; au Portugal, aux caixas económicas ; en Slovénie, à la SID-Slovenska izvozna in razvojna banka ; en Finlande, à la Teollisen yhteistyön rahasto Oy/Fonden för industriellt samarbete AB ; en Suède, à la Svenska Skeppshypotekskassan ; au Royaume-Uni, à la National Savings Bank.

Ne répétez pas trop souvent que je joue avec le feu, sinon je vous inflige cette énumération encore dix fois. (Rires.)

M. Roland Lescure, rapporteur général. J’en profite pour faire de la publicité : le 6 octobre, le député des Français d’Amérique du Nord organise un colloque sur le plurilinguisme qui se tiendra à l’Assemblée nationale. Monsieur le ministre, vous venez de gagner une invitation…

M. Daniel Fasquelle. M. le ministre a beaucoup d’humour et ce n’est pas la première fois qu’il se livre à semblables lectures. Cela ne m’impressionne pas du tout. Nous savons très bien que les directives européennes sont régulièrement toilettées, nous en avons de très nombreux exemples. Le jour où la directive que vous avez citée sera remise à plat, la Commission regardera pour chaque pays si le statut des institutions visées n’a pas évolué. Elle pourrait très bien décider demain d’exclure la Caisse des dépôts, compte tenu des modifications que la présente loi apporte à son fonctionnement. Cette directive ne constitue pas une garantie ad vitam aeternam.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CS258 de M. Stéphane Peu.

M. Pierre Dharréville. Pour ne pas laisser planer d’ambiguïté, je tiens à préciser à M. le ministre que j’ai davantage la passion de Robespierre et de Saint-Just que de Napoléon.

Mais venons-en à l’amendement.

L’article 35 du projet de loi vise à banaliser la supervision du modèle interne prudentiel de la Caisse, qui serait désormais assuré par l’ACPR. Cette soumission de la CDC à l’ACPR pourrait même donner lieu à des sanctions pécuniaires en cas de non-respect par la Caisse de ses obligations.

Cette disposition est particulièrement insatisfaisante en ce qu’elle méconnaît les missions particulières de la CDC, qui n’est pas une banque commerciale et n’a donc pas à être soumise à une telle tutelle. Il semble en effet difficile de comprendre comment les critères de supervision des risques de l’ACPR, qui sont déterminés à partir des conditions concurrentielles de marché, permettront à la CDC de mettre en œuvre les principes du service public et de continuer à réaliser ses missions de financement du logement social ou de l’aménagement du territoire.

Par ailleurs, ce contrôle vient considérablement réduire la portée des attributions de la commission de surveillance en la matière.

Enfin, nous nous interrogeons sur les sanctions pécuniaires que l’ACPR est susceptible d’infliger à la CDC. Celles-ci revenant in fine au budget de l’État, l’on peut sérieusement se demander si l’objet de cet article n’est pas de permettre à ce dernier d’opérer des ponctions supplémentaires sur les ressources de la Caisse.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je donnerai un avis défavorable et la confirmation que je n’ai pas une très grande estime pour Robespierre.

La commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 35 sans modification.

Article 36
(article L. 51816 du code monétaire et financier)
Fixation par décret du versement annuel de la Caisse des dépôts à l’État

A.   l’État du droit

Une partie du résultat alimente les fonds propres du groupe indispensables à sa stabilité financière et à l’exercice de ses activités. Ceux‑ci sont moins élevés pour le fonds d’épargne (garanti par l’État) que pour la section générale. Ils contribuent à la sécurité du système. Une autre partie participe au financement des investissements d’intérêt général, à moyen voire long terme, qu’elle assure dans des secteurs et territoires où elle constate des défaillances de marché. Elle s’acquitte en outre d’une contribution annuelle au budget de l’État.

Celle‑ci a trois composantes :

– un prélèvement sur le résultat du Fonds dépargne, qui rémunère la garantie accordée par l’État et dont le montant est fixé par décret après avis de la commission de surveillance (article R. 221‑11 du code monétaire et financier). Il correspond au solde après dotation aux fonds propres ;

– une contribution représentative de limpôt sur les sociétés établie, en pratique, selon les mêmes modalités que cet impôt ;

– une fraction du résultat net de la contribution évoquée supra, déterminée « après avis de la commission de surveillance de létablissement saisie par le directeur général, dans le cadre des lois et règlements fixant le statut de létablissement » (article L. 518‑16 du code monétaire et financier).

Selon l’étude d’impact (page 380), ce dernier versement correspond, dans son principe, à un « quasidividende » et « ses modalités demeurent imprécises et procèdent, en pratique, dun simple échange de lettres entre le ministre de léconomie et le directeur général ». Il s’agit donc d’une pratique coutumière. L’étude d’impact rappelle que pour l’année 2018, elle s’est établie à 50 % du résultat net consolidé du groupe Caisse des dépôts dans la limite de 75 % du résultat net social de l’établissement. Selon le directeur général, ce montant est issu d’un accord qui résulte du dialogue au fil du temps entre les directeurs généraux, l’État et la commission de surveillance.

Pour 2017, le versement au titre du résultat du groupe s’est élevé à 575 millions deuros ([209]) (pour une contribution totale de 1,9 milliard d’euros, en hausse de 19 % par rapport à 2016).

B.   le dispositif proposÉ

Si toute négociation ne serait pas nécessairement exclue, le présent article propose de confier au pouvoir exécutif la détermination de ce versement au titre du résultat en prévoyant que la fraction versée est « fixée par décret », après avis de la commission de surveillance qui demeure donc associée à la procédure. Le Conseil d’État observe dans son avis sur le projet de loi que cette modalité correspond au droit commun des établissements publics.

Daprès létude dimpact (page 385), le gouvernement souhaite, par cet article, clarifier les relations financières entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations, renforcer leur transparence et conférer un caractère plus prévisible à la contribution de la Caisse aux recettes de l’État.

C.   la position de la commission spÉciale

Vos rapporteurs sont favorables à la fixation du « dividende » par décret, plus claire et transparente que la procédure non écrite actuellement mise en œuvre.

À leur initiative, la commission spéciale a cependant sécurisé ce dispositif en prévoyant que ce versement, « ne saurait, par son montant, être de nature à mettre en cause la solvabilité de la Caisse des dépôts et consignations ou le respect par celleci des règles prudentielles qui lui sont applicables ».

Ainsi la loi protègera explicitement la situation financière de la Caisse des dépôts contre un éventuel « État prédateur » qui adviendrait dans le futur.

*

*     *

La commission examine lamendement CS259 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. L’article 36 prévoit que le versement de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) au budget de l’État sera désormais fixé par décret, autrement dit qu’il relèvera d’une décision unilatérale de l’exécutif. La commission de surveillance ne pourra rendre qu’un avis consultatif. Pour la première fois depuis la création de la Caisse, le pouvoir réglementaire s’arrogerait donc le droit de déterminer ce montant au mépris du statut de la CDC dont le législateur garantit l’autonomie.

Il n’est pas souhaitable, selon nous, que l’exécutif décide seul de ce versement. Cela met à mal le rôle du Parlement qui ne pourrait plus garantir l’autonomie de la Caisse dès lors que la ponction annuelle sur ses résultats dépendrait entièrement du pouvoir réglementaire.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Pourquoi l’État est-il en droit d’opérer un prélèvement sur la Caisse des dépôts ? Tout simplement parce qu’il lui a confié, dès son origine, certains monopoles, notamment la gestion des fonds déposés par les notaires. La contribution de la CDC au budget de l’État se compose de trois éléments : la contribution représentative de l’impôt sur les sociétés (CRIS), le prélèvement sur les résultats des fonds d’épargne et le prélèvement qui fait l’objet du présent article.

Il nous semble que le mécanisme prévu à l’article 36 permettra à la commission de surveillance de participer davantage aux débats qui entourent ce versement. Son montant était jusqu’à présent fixé à la suite d’une discussion entre le ministre de l’économie et des finances et le directeur général de la CDC, lequel avait la faculté de saisir pour avis la commission de surveillance. Il en aura désormais l’obligation.

J’ajoute que les mécanismes du versement sont calqués sur ceux du prélèvement sur les fonds d’épargne. Le changement ne sera donc pas si grand.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je ne vous cache pas, monsieur Peu, que je suis surpris par votre amendement. Vous entendez supprimer un article qui va vers plus de transparence et plus de contrôle, ce qui est contradictoire avec les autres amendements déposés par votre groupe. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS2405 du rapporteur et CS1370 de M. Charles de Courson.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Il convient de garantir que la fixation par l’État du montant du versement ne se fasse pas au détriment de la solvabilité de la CDC ou la mette en difficulté d’un point de vue prudentiel. Nous souhaitons donc introduire un garde-fou à l’article 36.

M. Charles de Courson. L’amendement du rapporteur constitue un amendement de repli par rapport à mon amendement CS1370.

Si vous souhaitez renforcer la commission de surveillance, il faut lui donner des pouvoirs supplémentaires. Or l’un des premiers pouvoirs d’un organe équivalent à un conseil d’administration consiste à fixer le montant des dividendes. Il importe de la doter des instruments de son indépendance. On ne peut pas prélever sur la Caisse des dépôts plus qu’elle ne peut donner, au risque de mettre en danger sa solvabilité.

La solution la plus simple consisterait à remplacer « déterminée après avis de » par les mots « fixée par » la commission de surveillance.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. L’amendement que je viens de défendre satisfait votre demande, d’autant que, parmi les nouvelles attributions de la commission de surveillance, figure la fixation des besoins en fonds propres.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable à l’amendement du rapporteur et défavorable à celui de M. de Courson. Dans tous les établissements publics, ce montant est fixé par décret. Il s’agit donc d’une règle habituelle. Dans les sociétés anonymes, le montant des dividendes est voté par l’assemblée générale des actionnaires, mais elle n’a pas d’existence pour la CDC.

Même s’il est certain que l’État ne prendrait pas de décisions de nature à remettre en cause la solvabilité de la Caisse, je ne vois aucune difficulté à ce que vous mettiez en place ce garde-fou.

M. Stéphane Peu. Il y a deux façons d’amender cet article : soit proposer de le supprimer comme je l’ai fait ; soit le rédiger de la manière qu’a proposée M. de Courson. Cela revient au même : il s’agit de redonner à la commission de surveillance le pouvoir de décider souverainement en matière de versement annuel à l’État. Je soutiens donc l’amendement de M. de Courson.

La commission adopte lamendement CS2405.

En conséquence, les amendements CS1370 et CS260 tombent.

La commission adopte ensuite larticle 36 modifié.

Article 37
(article L. 518-24-1 [nouveau] du code monétaire et financier)
Encadrement juridique des mandats de gestion de fonds par la Caisse
des dépôts et consignations pour le compte de personnes publiques

A.   l’État du droit

En tant que « tiers de confiance », la Caisse des dépôts est chargée « d’administrer les dépôts et consignations, d’assurer les services relatifs aux caisses ou aux fonds dont la gestion lui a été confiée et d’exercer les autres attributions de même nature qui lui sont légalement déléguées » (article L. 518-2 du code monétaire et financier. ».

Elle gère ainsi des fonds pour le compte de personnes publiques (État, collectivités territoriales et établissements publics) dans le cadre de conventions conclues avec celles‑ci, notamment des fonds de retraite, d’indemnisation ou de solidarité.

Selon l’étude d’impact (page 386), les flux financiers (recettes et décaissements) liés à ces activités de mandataire s’élèvent à « plusieurs dizaines de milliards d’euros par an ».

En ce qui concerne les modalités de ces conventions, en l’état actuel du droit, la loi prévoit seulement (article 40 de la loi n° 2014‑1545 du 20 décembre 2014), sagissant des personnes publiques de niveau national, qu’elles peuvent confier à des organismes publics ou privés l’encaissement de recettes et le paiement de dépenses dans le cadre d’un mandat. Sagissant des personnes publiques locales, le même article 40 avait introduit des dispositions codifiées aux articles L. 1611-7 et L. 1611-7-1 du code général des collectivités territoriales qui permettent aux collectivités de confier à des organismes dotés dun comptable public l’attribution et le paiement de dépenses relatives notamment aux bourses d’action sanitaire et sociale, aux aides en matière d’emploi, d’apprentissage ou de formation professionnelle ou à l’hébergement pour l’aide sociale à l’enfance. Pour tous les mandats confiés par ces personnes publiques, est prévue une reddition au moins annuelle des comptes.

Ces dispositions ont un caractère général. L’objet du projet de loi est d’encadrer plus précisément les mandats confiés à la Caisse des dépôts.

B.   Le dispositif proposÉ

Le présent article propose en conséquence d’introduire dans le code monétaire et financier un nouvel article L. 518-24-1 relatif aux « mandats de gestion » confiés à la Caisse des dépôts.

En premier lieu, sagissant des personnes publiques de niveau national, cet article prévoit que la Caisse, dans le cadre de ses missions mentionnées à l’article L. 518-2 précité, peut se voir confier par convention écrite, mandat par l’État, ses établissements publics, les groupements d’intérêts publics et les autorités publiques indépendantes, dencaisser des recettes ou de payer des dépenses et dagir en justice au nom et pour le compte du mandant.

Il est précisé que, s’agissant de ces personnes publiques de niveau national, ces conventions sont soumises à lautorisation préalable des ministres chargés de l’économie et du budget. L’exigence d’une reddition au moins annuelle des comptes est maintenue.

En second lieu, sagissant des personnes publiques de niveau local, comme le note le Conseil d’État, le nouvel article L. 518-2 entend déroger aux dispositions du code général des collectivités citées supra. En effet, celles-ci réservent la qualité de mandataire aux organismes qui disposent d’un comptable public ; or, le caissier général de la Caisse des dépôts sera supprimé avec l’entrée en vigueur de la loi. Le deuxième alinéa du nouvel article L. 518-2 maintiendra donc, par exception, après cette entrée en vigueur, le cadre juridique applicable aux mandats confiés par les collectivités et leurs établissements publics à la Caisse des dépôts.

Le dernier alinéa de l’article assure la régularisation des mandats en cours au moment de leur renouvellement et au plus tard le 31 décembre 2022.

C.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification.

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Suivant lavis défavorable du rapporteur, la commission rejette lamendement CS261 de M. Stéphane Peu.

Elle adopte ensuite larticle 37 sans modification.

Article 38
(article L. 1113 et L. 13121 du code des juridictions financières)
Coordination avec l’application de la comptabilité commerciale à la Caisse des dépôts et consignations

A.   L’État du droit et le dispositif proposÉ

Le I de l’article 33 du projet de loi propose de supprimer le régime de comptabilité sui generis de la Caisse des dépôts et de la placer sous le régime comptable de droit privé général. Le contrôle qu’effectuait la Cour des comptes sur le « compte de gestion » doit donc être supprimé. En effet, dès lors que la Caisse des dépôts et consignations se verra appliquer un régime comptable de droit privé, il n’y a plus lieu de prévoir que la Cour des comptes exercera un contrôle spécifique sur le caissier général. C’est ainsi que le II de l’article 33 tend à abroger l’article L. 518‑15 du code monétaire et financier qui prévoit que : « Le contrôle sur la Caisse des dépôts et consignations par la Cour des comptes est effectué dans le cadre de l’article L. 131-3 du code des juridictions financières. »

En conséquence, l’article 38 du projet de loi, par coordination avec cette disposition de l’article 33, propose d’abroger l’article L. 131-3 du code des juridictions financières qui prévoit que « Les conditions dans lesquelles le contrôle de la Cour des comptes s’exerce sur les opérations de la Caisse des dépôts et consignations sont fixées par un décret en Conseil d’État, compte tenu du statut spécial de cet établissement. »

B.   la position de la commission spÉciale

La commission spéciale a adopté cet article sans modification, en cohérence avec l’adoption des articles 33 et 34.

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La commission adopte larticle 38 sans modification.

Article 39
Entrée en vigueur des dispositions du projet de loi relatives à la Caisse des dépôts et consignations

A.   le dispositif proposÉ

Les dispositions du projet de loi entrent par principe en vigueur au lendemain de leur publication au Journal officiel.

Toutefois, il est prévu dans l’article 39 qu’entreront en vigueur en 2020 les articles « 33 et 38 ». L’exposé des motifs évoque cependant une entrée en vigueur des articles « 32 à 38 ».

Concernant la composition de la commission de surveillance, certaines modifications doivent entrer en vigueur de manière progressive : l’introduction des personnalités qualifiées nommées par décret et qui remplaceront les membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de la Banque de France, ayant vocation à s’articuler avec la transmission de la responsabilité de la supervision prudentielle à lACPR, entrera en vigueur comme cette dernière le 1er janvier 2020.

Les autres membres (parlementaires et personnalités désignées par les présidents des assemblées) seront renouvelés dans la nouvelle configuration à l’issue du terme normal des mandats actuels.

B.   la position de la commission spÉciale

Votre rapporteur a considéré opportun de clarifier les dates d’entrée en vigueur des différents articles relatifs à la Caisse des dépôts.

Ainsi, pour ne pas créer de rupture du cadre légal applicable en cours dexercice budgétaire et comptable, il apparaît que la supervision prudentielle par l’ACPR, la suppression de la caisse générale, la fin du contrôle juridictionnel de la Cour des comptes, la soumission de l’établissement aux règles de la comptabilité privée et les nouvelles règles entourant le versement annuel ne devraient pas entrer en vigueur à la publication du projet de loi.

La commission spéciale a donc adopté un amendement prévoyant que les articles 33 à 36 et 38 entrent en vigueur le 1er janvier 2020.

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La commission est saisie de lamendement CS2406 du rapporteur.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Cet amendement a pour effet de garantir que les dispositions relatives au renouvellement du cadre comptable et prudentiel entrent en vigueur au 1er janvier 2020 et non au lendemain de la promulgation de la loi, afin de préserver la continuité et la sécurité juridiques.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis, suivant lavis défavorable du rapporteur, elle rejette lamendement CS262 de M. Stéphane Peu.

Elle adopte ensuite larticle 39 modifié.

Article 39 bis
(article L. 312–1–6 du code monétaire et financier)
Accès à la médiation dans les conventions de compte

À l’initiative de M. Daniel Labaronne et d’autres membres du groupe La République en Marche, la commission a adopté un amendement portant article additionnel pour préciser les dispositions du code monétaire et financier applicables à la médiation bancaire lorsqu’un établissement conclue une convention de compte avec un client, personne physique, agissant pour des besoins professionnels.

La rédaction de l’article L. 312-1-6 est donc amendée dans un sens dénué de toute ambiguïté, pour que la convention de compte prévoie nécessairement des modalités d’accès à la médiation.

Les dispositions réglementaires d’application devront cependant répercuter cette obligation législative pour que cette dernière soit pleinement effective.

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La commission examine lamendement CS2157 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. La loi de 2014 relative à la consommation qu’avait défendue Benoît Hamon avait voulu mettre fin à la guerre des statuts dans le secteur de l’économie sociale et solidaire et avait privilégié l’agrément ESUS. Mais il y a encore des failles dans ce dispositif. Nous proposons que le financement participatif tienne compte non pas du statut des entreprises au sens large mais plutôt de leur qualité. Nous prévoyons donc d’élargir aux associations et mutuelles l’accès au financement participatif afin que tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire puissent bénéficier de ce mode de financement.

Cela va dans le sens de la libération des énergies et devrait vous convenir, monsieur le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Les titres participatifs sont déjà ouverts aux sociétés coopératives, qu’elles exercent sous forme de société anonyme ou de société anonyme à responsabilité limitée, ainsi qu’aux coopératives agricoles et aux mutuelles. Votre souhait est donc dans une grande mesure satisfait, monsieur Potier.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. J’aimerais que mon souhait soit pleinement satisfait. Je maintiens donc mon amendement.

La commission rejette lamendement.

Suivant lavis favorable du rapporteur, elle adopte ensuite lamendement CS2019 de M. Daniel Labaronne.

Puis elle en vient à lamendement CS1663 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Bolo. Mon collègue Philippe Latombe souhaiterait permettre aux entreprises de comprendre les motivations de refus par un établissement bancaire d’un financement à moyen terme, afin de les aider à améliorer leurs stratégies de recherche de financement.

M. Jean-Noël Barrot, rapporteur. Demande de retrait. Un accord de place, qui régit l’existence et le fonctionnement de la médiation du crédit, a été renouvelé le 16 juillet 2018. Il faudra veiller à ce qu’il soit bien respecté et, seulement si ce n’est pas le cas, légiférer.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je confirme les propos du rapporteur. Il est préférable de passer par cet accord conventionnel, qui a fait ses preuves, plutôt que par la voie législative. Je suggère donc également le retrait.

M. Philippe Bolo. Je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen de la section 1 du chapitre II relative au financement des entreprises. Je remercie très chaleureusement le rapporteur Jean-Noël Barrot pour la qualité de ses travaux, sa bonne humeur et sa précision. (Applaudissements.)

Section 2
Protéger les inventions et libérer l’expérimentation de nos entreprises

Sous‑section 1 :
Protéger les inventions de nos entreprises

Avant l’article 40

La commission examine larticle CS1763 de M. Damien Adam.

M. Damien Adam. L’intitulé actuel de la section 2 ne reflète pas les ambitions portées dans la sous-section 2, à savoir encourager les expérimentations en matière de véhicules autonomes. En effet, il s’agit davantage de libérer les expérimentations, dans un cadre juridique sécurisé, que de les protéger. Elles ont vocation à nourrir nos connaissances sur le véhicule autonome, afin de préciser les enjeux de cette innovation et, à terme, de généraliser son utilisation. Nous proposons donc de rédiger ainsi l’intitulé de la section 2 : « Protéger les inventions et libérer l’expérimentation de nos entreprises ».

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission adopte lamendement.

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Article 40
(articles L. 515-1, L. 515-2 [nouveau], L. 611-2, L. 612-15 et L. 811-1 du code de la recherche)
Modernisation du certificat d’utilité

A.   L’État du droit

a)     Le certificat d’utilité : état du droit

Le certificat d’utilité est, comme le brevet, un titre de propriété intellectuelle délivré par lInstitut national de la propriété industrielle (INPI) en contrepartie de la divulgation de linvention. Comme le brevet, le certificat d’utilité donne au déposant un monopole d’exploitation sur cette invention. Les dispositions applicables aux brevets, s’agissant notamment des critères de brevetabilité (nouveauté, activité inventive, application industrielle), le sont également aux certificats d’utilité. Enfin, comme dans le cadre d’un dépôt de brevet, le dépôt d’un certificat d’utilité en France permet de disposer d’un droit de priorité dune durée dun an à compter du dépôt pour déposer une demande de brevet à létranger pour la même invention.

Toutefois, quatre éléments distinguent les certificats d’utilité des brevets :

– la procédure détablissement est plus simple et ne requiert pas de rapport de recherche. Tandis qu’un rapport de recherche et une opinion écrite sur la brevetabilité sont émis par l’INPI pour toutes les demandes de brevet, les certificats d’utilité sont délivrés automatiquement, après un examen de forme. La délivrance intervient donc généralement quelques mois seulement après la publication ;

– le certificat d’utilité est valable six ans, alors que le brevet est délivré pour une période de vingt ans (moyennant, pour les deux titres, paiement des annuités) ;

– si la demande de brevet peut être transformée en certificat d’utilité, la demande de certificat dutilité ne peut pas aboutir à la délivrance de brevet ;

– le coût du certificat dutilité est plus faible. La redevance annuelle que doit payer le déposant pour maintenir le certificat d’utilité en vigueur s’échelonne de 36 € la deuxième année à 72 € la sixième année. Dans le cas d’un brevet, le montant à verser est de 38 € de la deuxième à la cinquième année puis augmente progressivement jusqu’à atteindre la somme de 790 € pour la vingtième annuité.

Par conséquent, le certificat dutilité peut être intéressant pour protéger des inventions à durée de vie courte et dont la protection na pas à être étendue à létranger. Son usage est particulièrement pertinent en amont du dépôt de brevet, afin de prévenir rapidement les menaces de contrefaçon, notamment quand l’invention doit faire l’objet d’une première présentation publique et fait ainsi courir un risque d’« auto-divulgation ».

Ce mécanisme n’est pas propre à la France. Il existe également en Allemagne, au Brésil, en Chine, en Espagne, en Italie, au Japon, aux Pays-Bas ou encore en Russie. La durée de protection varie selon les pays, allant généralement de sept à dix ans.

b)     Difficultés relevées

Toutefois, le dispositif des certificats d’utilité n’apparaît pas pleinement satisfaisant. Ce titre est, en effet, très peu utilisé en France. Environ 500 demandes sont faites chaque année, contre plus de 16 000 pour les brevets. Au contraire, son équivalent allemand est très prisé : les entreprises le considèrent comme une alternative ou un complément utile à la demande de brevet, grâce à son système d’enregistrement rapide et peu coûteux. Plus de 15 000 demandes ont été faites en 2013, soit 24 % de l’ensemble des dépôts, contre 3 % en France. En Chine, les certificats d’utilité représentent 37 % des demandes de dépôt.

En France, en l’état, son efficacité, comme alternative au dépôt de brevet dont le formalisme freine parfois les inventeurs, est donc faible.

B.   le dispositif proposÉ

En conséquence, le présent article porte plusieurs modifications ayant pour objet de renforcer l’attractivité du certificat d’utilité.

a)     Augmentation de la durée de validité des certificats dutilité

Les alinéas 1 à 3 portent de six à dix ans la durée de protection d’une invention ayant fait l’objet d’un dépôt de certificat d’utilité (pour les dépôts postérieurs à l’adoption de la loi). Ce faisant, il l’uniformise avec les équivalents étrangers, notamment allemands et chinois.

b)     Possibilité de transformer un certificat dutilité en demande de brevet

Les alinéas 6 et 7 ouvrent la possibilité de transformer une demande de certificat d’utilité en demande de brevet, dans un délai et selon une procédure fixée par décret. Ce décret devra prévoir l’établissement du rapport de recherche, en cas de conversion de la demande.

c)     Mesures de coordination juridique

En outre, les alinéas 8 et 9 désignent l’INPI pour l’apposition de la formule exécutoire prévue à l’article 71 du règlement européen (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires. Cette disposition vient combler un vide juridique, l’INPI réalisant déjà cette apposition depuis l’entrée en vigueur du règlement européen en 2002.

Les alinéas 4, 5 et 10 à 15 comportent différentes mesures de coordination. L’alinéa 15 précise que les modifications entrent en vigueur à la date de publication du décret prévu à l’alinéa 7 ou, au plus tard, à l’expiration du douzième mois suivant la publication de la loi.

L’étude d’impact (page 397) estime que ces mesures devraient conduire le nombre de demandes de certificats d’utilité à doubler, pour passer de 500 à 1 000 demandes annuelles.

La création d’une demande provisoire de brevet, qui figurait dans le projet de loi initial, a été retirée après l’avis du Conseil d’État : en effet, cette création relève du domaine réglementaire et sera opérée par décret, semble-t-il au plus tard en début d’année 2019. Ce décret est en cours de rédaction par les services de l’INPI, en lien avec leur tutelle, la direction générale des entreprises.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté l’article 40 sans modifications autres que rédactionnelles.

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La commission en vient à lamendement CS774 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Il est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable sur cet amendement qui vise à la suppression de l’article 40. Le dispositif allonge la durée du certificat d’utilité, qui est un mécanisme attractif pour les TPME.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable. L’article 40 est important pour beaucoup d’entreprises. La durée actuelle du certificat d’utilité est trop courte. C’est pourquoi nous la faisons passer de six à dix ans.

M. Daniel Fasquelle. Vous commettez une erreur. Le certificat d’utilité est un sous-brevet. Nous risquons de voir se multiplier ces titres de propriété industrielle de médiocre qualité, ce qui pourrait léser et leurrer les déposants ainsi que ceux à qui on pourra les opposer. Je maintiens mon amendement, en attendant le débat dans l’hémicycle.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lexamen de lamendement CS263 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Les certificats d’utilité sont particulièrement adaptés aux inventions à cycle de vie court. Il y a donc un paradoxe à en allonger la durée. Le droit de la propriété intellectuelle a été pensé pour assurer un équilibre entre deux intérêts divergents : la garantie offerte aux inventeurs de jouir des fruits de leur invention et l’intérêt général du public. Passé un certain délai, l’invention tombe dans le domaine public. Je vois surtout dans cet article l’effet du lobbying d’une partie du secteur privé, au détriment de l’intérêt général. C’est pourquoi nous considérons qu’il faut maintenir l’équilibre actuel et conserver la durée de six ans.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Actuellement, les certificats d’utilité sont privilégiés pour les innovations à cycle de vie court. Mais porter leur durée à dix ans permettra de toucher un public d’entreprises plus important. Par ailleurs, cela nous permet une harmonisation avec la plupart des pays européens.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Cette durée de dix ans pour les certificats d’utilité est en effet celle que l’on constate dans la plupart des pays européens, notamment en Allemagne. Notre durée de six ans est donc pénalisante. C’est pourquoi je suis très attaché à un allongement de la durée de protection des certificats, qui sont plus employés et plus souples que les brevets.

M. Daniel Fasquelle. La comparaison avec l’Allemagne n’est pas pertinente, puisque la voie normale d’obtention du brevet y est beaucoup plus difficile qu’en France. Vous comparez des choses qui ne sont absolument pas comparables. Vous faites une erreur et allez créer une concurrence entre les certificats d’utilité et les brevets, alors qu’il existe actuellement une hiérarchie. Les certificats ont une durée de vie courte, des exigences moindres et assurent une protection moindre également, dans la mesure où les recherches n’ont pas été menées de façon aussi approfondie que pour le brevet. Vous allez déséquilibrer l’organisation française de protection des inventions.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je conteste formellement que ce soit une erreur. Au contraire, c’est une vraie avancée pour notre pays, qui s’inscrit dans un panorama global. En effet, nous allons, ultérieurement dans la loi, réformer l’adoption du brevet, en instaurant un contrôle d’inventivité sur le modèle allemand. M. Fasquelle a eu raison de rappeler que les procédures différaient entre nos deux pays. Mais, étant donné que nous allons les aligner pour le brevet, il est bon de faire de même pour le certificat d’utilité.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CS1083 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. Ce projet de loi vise à rendre le certificat d’utilité plus attractif, notamment en allongeant sa durée de protection. À cette fin, il paraît également pertinent d’accélérer la délivrance de ce titre, le plus souvent utilisé pour des inventions au cycle de vie court pour lesquelles les déposants ont intérêt à bénéficier rapidement d’une protection. C’est pourquoi cet amendement vise à assouplir les conditions de délivrance, en présumant l’existence d’une activité inventive, dans le cas d’une demande de certificat.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Alors que nous essayons d’accroître la protection fournie par le certificat d’utilité, afin de le rendre plus attractif pour les entreprises, une telle présomption l’affaiblirait. La procédure est suffisamment simple aujourd’hui : la simplifier encore n’accroîtrait pas le nombre de déposants.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Cet amendement ne permettrait pas d’accélérer la délivrance du certificat, mais conduirait à l’affaiblir. Je vous suggère de retirer votre amendement.

M. Jean-Marc Zulesi. Je le retire.

Lamendement est retiré.

La commission en vient à lamendement CS1990 de M. Sylvain Waserman.

M. Philippe Bolo. Nous devons inciter les PME et les chercheurs à protéger leurs innovations. En effet, les PME françaises déposent deux fois moins de brevets que leurs homologues allemandes. L’amendement vise à créer une demande provisoire de brevet, via une procédure dématérialisée et simple. Cela dit, nous sommes conscients que le Conseil d’État a considéré, dans son avis sur le projet de loi, qu’il n’y avait pas lieu de passer par la voie législative. Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous satisfaire notre demande par voie réglementaire ?

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous suggère de retirer l’amendement. La procédure de demande provisoire de brevet existe déjà. Le déposant peut, dans un premier temps, faire une simple description de son invention, puis, dans un second temps, déposer les éléments de revendication. Par ailleurs, cela relève en effet du domaine réglementaire.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est une excellente proposition, puisqu’elle permet de déposer un brevet de manière anticipée, sans risquer de se faire voler son invention par un concurrent, et que cela coûte moins cher. C’est absolument stratégique pour l’innovation en France. Cependant, selon l’avis du Conseil d’État, une telle mesure relève du décret et non pas d’un dispositif législatif. Je vous suggère donc de retirer cet amendement d’appel important, en échange de l’engagement du Gouvernement à mettre en œuvre la disposition dans un délai de six mois. J’ai déjà demandé à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) de travailler à la rédaction du décret.

M. Philippe Bolo. Je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission adopte lamendement de précision CS653 de la rapporteure.

Puis elle adopte larticle 40 modifié.

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Après l’article 40

La commission examine ensuite lamendement CS773 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. À l’heure où, dans le monde entier, la blockchain est adoptée par les États et les acteurs privés comme mode de preuve de l’existence et de la datation des éléments qui s’y trouvent enregistrés, la France, pionnière dans sa législation sous la dénomination de « dispositif électronique denregistrement partagé », doit, pour des motifs de sécurité juridique, en favoriser la réception par les acteurs économiques comme par les juridictions. Afin d’éviter de fastidieuses, inutiles, longues et coûteuses expertises judiciaires, lesquelles nuiraient à la rentabilité économique de ces registres numériques d’un genre nouveau, nous proposons l’adoption du présent article, ce qui constituerait un signal fort pour la communauté de ses utilisateurs et un facilitateur pour nos juridictions. Je ne comprends pas que ce sujet très important n’ait pas été traité dès l’abord dans le cadre du projet de loi. Nous avons cet après-midi l’occasion de réparer une telle lacune.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable, dans la mesure où cela relève moins de la loi que de l’usage. Il ne me paraît pas utile de détailler les moyens électroniques concernés.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. M. Fasquelle a raison de souligner l’importance de l’utilisation de la blockchain dans l’établissement de la preuve de l’inventivité d’un brevet ou de toute autre forme d’invention. Mais nous traitons bien cette question dans le projet de loi PACTE, puisque nous avons adopté hier des mesures permettant d’encadrer les levées de fonds par jetons, les ICO (Initial coin offering), et que nous serons l’un des premiers pays en Europe à avoir un cadre juridique protégeant ces levées de fonds qui utilisent la blockchain. Même si le terme n’apparaissait pas, c’est bien dans un tel cadre que nous nous inscrivions.

Par ailleurs, le code civil prévoit explicitement que la preuve de l’origine, de la date et de la nature des contributions intellectuelles peut être apportée par tout moyen, sans n’en mentionner aucun à dessein. La rédaction actuelle du code civil présentant l’avantage d’une plus grande souplesse et couvrant, par définition, la blockchain ou toute autre forme de preuve qui pourrait être mise à disposition, je vous suggère de retirer votre amendement.

M. Daniel Fasquelle. C’est la preuve des faits qui se rapporte par tout moyen dans le code civil. S’agissant du reste, nous avons un système de preuves écrites relativement structuré et élaboré, qui s’est toujours adapté aux nouvelles techniques et aux nouvelles pratiques économiques. Je ne peux donc pas me satisfaire de votre réponse, monsieur le ministre. Vous avez dit que nous avions traité hier du sujet des monnaies électroniques. Soit ! Mais il n’englobe pas toute la question de la blockchain.

Quant à dire, madame la rapporteure, que cela relève de la coutume et des usages et n’a pas à être encadré par le droit, avouez que c’est très court comme réponse...

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CS1085 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. Cet amendement vise à permettre au déposant, sous conditions de revenus ou de ressources, de bénéficier d’un conseil en propriété industrielle commis d’office, à un tarif accessible. Cette disposition viendrait en complément des nombreux dispositifs d’accompagnement et de sensibilisation à la propriété industrielle qui existent déjà, sans toutefois répondre à l’obstacle du coût des prestations de conseil en propriété industrielle pour les petits déposants.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Retrait ou avis défavorable. Comme vous l’avez rappelé, il existe déjà plusieurs dispositifs d’aide et d’accompagnement. Qui plus est, un tel mécanisme serait complexe à mettre en œuvre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je vous suggère également de retirer l’amendement. Si le problème soulevé est important, l’INPI a déjà mis en place une gamme efficace d’accompagnements, qui comprend une prise en charge financière des prestations de conseil en propriété industrielle.

M. Jean-Marc Zulesi. Je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS776 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. L’objet de la présente proposition d’amendement est de clarifier, à droit constant, la question de la brevetabilité dans le domaine du numérique, pour renforcer l’écosystème numérique français, qui tire la croissance et porte la transition numérique de l’économie.

Il est avéré que les entrepreneurs français déposent moins de brevets que leurs concurrents étrangers, notamment allemands, américains, japonais, coréens et chinois. Cette situation est amplifiée dans le domaine du numérique, en raison d’une mauvaise compréhension des limites de la brevetabilité dans ce domaine, qui n’exclut pas les programmes d’ordinateur en tant que tels, c’est-à-dire des lignes de code, mais les procédés mis en œuvre par un ordinateur, pour reprendre la formulation consacrée par la doctrine et la jurisprudence.

Pour rendre le droit plus lisible et encourager les acteurs de l’innovation numérique à ne pas seulement subir les brevets détenus par leurs compétiteurs étrangers, mais à recourir de manière plus avisée aux brevets, cette clarification de l’article L. 611‑10 du code de la propriété intellectuelle constitue une mesure de bon sens, autour de laquelle je suis certain que nous allons tous nous retrouver.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je crains, monsieur Fasquelle, que vous trouviez encore ma réponse un peu courte... La question de la brevetabilité des programmes d’ordinateur fait l’objet d’une harmonisation au niveau européen. Il ne paraît donc pas souhaitable que la France se lance dans une réglementation de son côté.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Daniel Fasquelle. Lorsqu’il s’agit du glyphosate, la France dit qu’elle ira plus rapidement que l’Europe, qui a proposé un délai de cinq ans, quand le Gouvernement s’est engagé à en respecter un de trois ans. La position de la majorité est à géométrie variable, en fonction des sujets : parfois, il faut attendre l’Europe, parfois, la devancer. Cela n’est pas sérieux. Favoriser le développement de l’économie numérique étant une priorité, autant être précurseurs. Mes amendements vont dans ce sens. Je ne comprends pas l’attitude fermée du Gouvernement sur ce sujet très technique. Accepter ces amendements, qui ne sont peut-être pas parfaits et que l’on pourrait retravailler, serait un beau geste à l’égard de l’opposition, mais permettrait surtout de conforter notre économie.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Le projet de loi ÉGALIM étant examiné en ce moment en séance, que ceux qui veulent parler de glyphosate n’hésitent pas à y aller !... Monsieur Fasquelle, vous l’avez dit, le sujet qui nous occupe est technique, important et en pleine évolution. Tout comme lors de l’examen des articles relatifs à la régulation des ICO, je plaide en faveur de la prudence. Parfois, être en avance, c’est bien, parfois, cela risque de nous priver de l’accès à un marché en pleine évolution.

M. Daniel Fasquelle. Je ne voulais pas entamer un débat sur le glyphosate, mais simplement faire une comparaison. En ce qui concerne la question de la brevetabilité dans le domaine du numérique, la France a du retard par rapport à beaucoup d’autres pays, qui ont su protéger leurs inventions, contrairement à nous. Au sein de la compétition internationale, les inventeurs français souffrent d’un handicap que je vous proposais de corriger.

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CS1084 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. Cet amendement vise à permettre le dépôt conjoint d’une demande de certificat d’utilité et d’une demande de brevet sur une même invention, à l’instar de ce qui existe en Allemagne.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Demande de retrait. Le projet de loi va permettre de convertir le certificat d’utilité en brevet, tandis qu’il existe déjà la possibilité de convertir le brevet en certificat d’utilité. Par ailleurs, votre mesure conduirait à faire augmenter les redevances pour les déposants.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Jean-Marc Zulesi. Je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS775 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Cet amendement vise à mettre fin à une insécurité juridique, liée à l’interprétation par les tribunaux de l’article L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Nous avons déjà eu, longuement, ce débat avec l’INPI et les conseils en propriété intellectuelle. Cette suppression conduirait à cumuler, pour une même invention, un brevet européen et un brevet français, ce qui ne va pas dans le sens de la simplification. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Daniel Fasquelle. La réponse de la rapporteure ayant, cette fois, été un peu charpentée, je l’entends et retire mon amendement.

Lamendement est retiré.

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Article 41
(article L. 531-1, articles L. 531-3 à L. 531-13, articles L. 531-14 à L. 531-16 [nouveaux], article L. 533-1, articles L. 545-1, L. 546-1 et L. 547-1 du code de la recherche)
Chercheurs entrepreneurs

A.   l’État du droit

a)     La collaboration des chercheurs avec les entreprises : état du droit

Le droit actuel encadre la participation des personnels de la recherche à la création d’entreprise, aux conseils d’administration et de surveillance d’une entreprise existante, ainsi que leur concours scientifique à une entreprise existante.

Ces dispositions, qui figurent au titre III du livre V du code de la recherche, résultent de la loi dite « Allègre » n° 99-587 du 12 juillet 1999, ayant instauré un cadre juridique afin de stimuler la collaboration des personnels de la recherche avec les entreprises, tout en garantissant la déontologie des fonctionnaires et la protection des droits et des intérêts des employeurs publics. Il s’agissait également d’encadrer cette participation des fonctionnaires à une activité privée, de manière à éviter qu’elle ne s’opère dans l’illégalité.

Les articles L. 531-1 à L. 531-16 du code de la recherche sont ainsi dérogatoires à la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : les missions de diffusion et de valorisation des résultats de la recherche publique étant considérées comme des missions majeures du service public d’enseignement supérieur, les personnels du service public de la recherche sont les seuls agents publics encouragés à développer des liens avec le secteur privé. Le périmètre des bénéficiaires est, en contrepartie, restreint aux personnels spécifiques dont les missions de recherche sont prévues à l’article L. 411-1 du code de la recherche qui recouvrent notamment le développement des connaissances, leur transfert, ainsi que leur application dans les entreprises.

Trois cas sont prévus :

– la création d’entreprise par des personnels de la recherche (articles L. 531-1 à L. 531-7 du code de la recherche) ;

– le concours scientifique à une entreprise qui valorise les travaux de recherche des personnels de la recherche (articles L. 531-8 à L. 531-11 du code de la recherche) ;

– la participation à la gouvernance d’une société anonyme (articles L. 531‑12 à L. 531-14 du code de la recherche).

 Création dentreprise

Le droit actuel encadre la participation des personnels de la recherche à la création d’entreprise.

Ainsi, ces personnels peuvent être autorisés, à titre exceptionnel, à participer en qualité d’associé ou de dirigeant, à la création d’une entreprise dont l’objet est d’assurer la valorisation des travaux de recherche qu’ils ont réalisés dans l’exercice de leurs fonctions, en exécution d’un contrat passé avec une personne publique ou une entreprise publique.

L’autorisation est accordée par l’autorité dont relève le fonctionnaire, après avis de la commission de déontologie de la fonction publique. Elle est valable pour une durée de deux ans, renouvelable deux fois. Elle peut être refusée si elle est préjudiciable au fonctionnement normal du service public, risque de compromettre l’indépendance ou la neutralité du service public, ou si la prise d’intérêts dans l’entreprise est de nature à porter atteinte aux intérêts matériels ou moraux du service public de la recherche.

Lorsque cette autorisation est accordée, le fonctionnaire est détaché dans l’entreprise ou mis à disposition de celle-ci. En tout état de cause, il cesse toute activité au titre du service public dont il relève. Au terme de l’autorisation, le fonctionnaire peut être radié des cadres ou réintégré à son corps d’origine.

 Concours scientifique à des entreprises existantes et participation à leur capital

Le droit actuel encadre également l’apport, par les personnels de la recherche, d’un concours scientifique à une entreprise existante ainsi que leur participation au capital d’une entreprise existante.

Ces fonctionnaires peuvent être autorisés, pendant une période de temps limitée, à apporter leur concours scientifique à une entreprise qui assure la valorisation des travaux de recherche qu’ils ont réalisés, en exécution d’un contrat conclu avec une personne publique ou une entreprise publique. Ce concours doit être compatible avec le plein exercice, par le fonctionnaire, de son emploi public et ne pas excéder une quotité de 20 % de son temps de travail, l’agent restant rémunéré à temps plein. L’autorisation est accordée pour cinq ans, renouvelables.

Ces fonctionnaires peuvent également être autorisés à détenir une participation dans le capital social d’une entreprise, lors de la création de celle-ci ou ultérieurement, dans la limite de 49 % du capital, donnant droit à 49 % des droits de vote au maximum. L’autorisation est accordée par l’autorité dont relève le fonctionnaire, après avis de la commission de déontologie de la fonction publique. Le fonctionnaire ne peut participer ni à l’élaboration ni à la passation des contrats et conventions conclus entre l’entreprise et le service public de la recherche. Il ne peut pas exercer, au sein de cette entreprise, de fonction de direction, ni être placé dans une situation hiérarchique. L’autorité dont il relève est tenue informée des revenus qu’il perçoit à l’occasion de sa participation au capital de l’entreprise. La commission de déontologie de la fonction publique est tenue informée pendant la durée de l’autorisation et jusqu’à trois ans après son expiration des contrats et conventions conclus entre l’entreprise et le service public de la recherche.

À l’issue de la période de l’autorisation, si celle-ci n’est pas renouvelée, le chercheur doit céder ses droits sociaux dans un délai d’un an, au terme duquel il ne peut plus conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans l’entreprise.

 Participation au conseil dadministration et au conseil de surveillance dune société anonyme

Le droit encadre enfin la participation des personnels de la recherche au conseil d’administration et au conseil de surveillance d’une société anonyme. Les fonctionnaires peuvent être autorisés, à titre personnel, à être membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance d’une société anonyme afin de favoriser la diffusion des résultats de la recherche publique. Leur participation dans le capital social de l’entreprise ne peut excéder 20 % de celui-ci ni donner droit à plus de 20 % des droits de vote. L’autorisation est accordée par l’autorité dont relève le fonctionnaire, après avis de la commission de déontologie de la fonction publique. Cette autorisation ne peut être demandée si le fonctionnaire a déjà été autorisé à apporter son concours à cette même entreprise. Le fonctionnaire ne peut participer ni à l’élaboration ni à la passation des contrats et conventions conclus entre l’entreprise et le service public de la recherche. La commission de déontologie de la fonction publique est tenue informée pendant la durée de l’autorisation et jusqu’à trois ans après son expiration des contrats et conventions conclus entre l’entreprise et le service public de la recherche. L’autorité dont relève le fonctionnaire est tenue informée des revenus qu’il perçoit à raison de cette participation.

À l’issue de la période de l’autorisation, si celle-ci n’est pas renouvelée, le chercheur doit céder ses droits sociaux dans un délai de trois mois.

b)     Difficultés relevées

Il apparaît aujourd’hui que ces dispositifs sont peu utilisés, et essentiellement limités à quelques employeurs publics (CNRS, INSERM, INRA, UPMC, etc.). Depuis 2000, la commission de déontologie de la fonction publique a donné un avis favorable et sous réserve à 231 demandes de création d’entreprise, 51 demandes de participations à la gouvernance d’une société anonyme, et 1 250 demandes de concours scientifique, soit une moyenne de 98 dossiers et 89 avis favorables par an et moins de 0,01 % des personnes travaillant dans la recherche publique chaque année. Ce bilan est faible, au regard du potentiel de valorisation de la recherche publique. Seuls 0,8 % des chercheurs recrutés par les entreprises sont des agents de la recherche publique. Le rapport de MM. Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin, intitulé « La création d’entreprise par les chercheurs et l’intéressement des inventeurs – Proposition de modernisation de la loi Allègre et de simplification de l’intéressement », remis en février 2017 à la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, regrette une utilisation des dispositifs en deçà de leur potentiel.

Plusieurs raisons expliquent cette situation, relevées par l’étude d’impact :

– l’interdiction de maintenir un lien avec le service public de la recherche en cas de création d’entreprise : elle apparaît comme un obstacle important pour les fonctionnaires qui restent attachés à leur administration et hésitent à franchir le pas en raison des incertitudes autour de leur rémunération à venir et de leur capacité entrepreneuriale (l’article L.531-4 disposant que l’agent doit être détaché ou mis à disposition à temps complet dans l’entreprise) ;

– l’interdiction de maintenir tout lien avec l’entreprise à l’issue du concours scientifique et de passer du dispositif du concours scientifique à celui de la création d’entreprise ; la rédaction actuellement en vigueur des articles du code de la recherche permet à un fonctionnaire détaché ou mis à disposition pour création d’entreprise de quitter ce dispositif pour apporter son concours scientifique à cette entreprise, mais il ne permet pas le mouvement inverse ;

– l’impossibilité de conserver le capital à l’issue de l’autorisation de concours scientifique ou de participation aux organes de gouvernance : les dispositions actuellement en vigueur prévoient qu’à la sortie du dispositif avec réintégration dans son administration d’origine, le fonctionnaire doit mettre fin à toute collaboration dans un délai d’un an dans un cas, de trois mois dans l’autre, et ne peut plus conserver directement ou indirectement un intérêt quelconque dans l’entreprise. Ceci dissuade les chercheurs de consacrer leurs efforts dans cette activité privée aux résultats incertains et met parfois en difficulté ceux qui ont pris le risque et ne parviennent pas à revendre leurs parts, faute de repreneurs ;

– la limitation du concours scientifique au sein d’une entreprise à une quotité de temps de travail inférieure à 20 %.

B.   le dispositif proposÉ

Les dispositions du projet de loi poursuivent plusieurs objectifs pour répondre à un même enjeu : mieux satisfaire les besoins des chercheurs. Il s’agit de réformer le système actuel pour permettre aux chercheurs de développer et de valoriser leurs inventions dans un cadre privé. Ceci est d’autant plus nécessaire que l’appétence des jeunes générations de chercheurs pour le monde de l’entreprise est plus grande, et que ceux-ci, souvent formés partiellement à l’étranger, ont pu comparer différents modèles à l’œuvre.

Peuvent ainsi être cités :

– la simplification des autorisations : elles seront désormais confiées à l’établissement employeur du chercheur, et non à la commission de déontologie. Il s’agit de prendre en considération le fait que les employeurs ont désormais une bonne maîtrise de ces situations et des réponses à apporter aux dossiers – et ce d’autant plus qu’une consultation de la commission, facultative, restera toujours possible – mais également de rendre la procédure plus rapide ;

– la possibilité de cumuler son activité de recherche publique avec son activité au sein de l’entreprise ;

– l’autorisation à conserver une part du capital de l’entreprise, dans la limite de 49 %, après réintégration dans l’organisme public de recherche ;

– une souplesse accrue pour passer d’un dispositif à l’autre ;

– la possibilité de conserver son avancement au grade ou au titre d’une promotion ou d’une nomination : ces garanties de carrière rendront la participation à une entreprise plus attractive.

Il en est attendu un développement de la création d’entreprises à partir des travaux de la recherche, bien plus intense qu’aujourd’hui.

Le périmètre des bénéficiaires n’est pas modifié.

Concernant la création d’entreprise :

les alinéas 1 à 3 permettent à un fonctionnaire de participer à la création d’une entreprise dont l’objet est d’assurer la valorisation des travaux de recherche, en exécution d’un contrat conclu non seulement avec une personne publique ou une entreprise publique, mais également avec une personne morale mandatée par celles-ci, ce dernier ajout permettant de faire référence aux filiales de valorisation des établissements et organismes de recherche, par exemple les sociétés d’accélération du transfert de technologie ;

 les alinéas 5 à 8 suppriment lobligation pour le fonctionnaire autorisé à participer à la création d’une entreprise de quitter le service public. Il prévoit, comme aujourd’hui, que l’intéressé pourra être mis à disposition ou détaché dans l’entreprise créée, mais en poursuivant ses activités dans le secteur public pour une quotité définie par l’autorisation. Pour éviter le risque de conflit d’intérêts, lalinéa 10 prévoit que le chercheur ne pourra participer à lélaboration ou à la conclusion daucun contrat entre lentreprise et ce service public, et devra déclarer les intérêts financiers qu’il détient dans l’entreprise. Cette mesure est destinée à concilier la création d’entreprises et le maintien d’un lien avec la recherche publique ;

– pour rendre la participation à une entreprise plus attractive, lalinéa 11 prévoit que le fonctionnaire détaché ou mis à disposition pourra bénéficier dun avancement de grade, soit après avoir réussi un concours ou un examen professionnel, soit au titre d’une promotion ou d’une nomination dans un autre corps, sans qu’il ne soit mis fin à sa mise à disposition ou à son détachement. Par ailleurs, le bénéfice d’une nomination dans un autre corps est également rendu possible mais limité aux situations dans lesquelles le corps d’accueil n’entraîne pas de stage obligatoire ;

Certes, ces mesures créent davantage de situations dans lesquelles les chercheurs partagent leur temps entre l’entreprise privée et leurs fonctions publiques, augmentant ainsi le risque de conflit d’intérêts, mais des garanties sont prises par la possibilité maintenue de demander l’avis de la commission de déontologie.

Concernant plus spécifiquement le concours scientifique :

– les alinéas 13 à 15 permettent à un fonctionnaire d’apporter son concours scientifique à une entreprise dont l’objet est d’assurer la valorisation des travaux de recherche, en exécution d’un contrat conclu non seulement avec une personne publique ou une entreprise publique, mais également avec une personne morale mandatée par celles-ci ;

 les alinéas 16 et 17 confèrent à la convention conclue entre l’entreprise ou la personne publique et le fonctionnaire le soin de déterminer la quotité de temps de travail que lintéresser peut consacrer à son activité dans lentreprise, dans la limite d’une quotité fixée par voie réglementaire. L’étude d’impact (page 406) indique que le plafond actuel de 20 % pourrait être porté à 50 %. Ces alinéas prévoient que, lorsque la collaboration avec l’entreprise n’est pas compatible avec l’exercice d’un temps plein dans les fonctions publiques exercées par l’intéressé, celui-ci est mis à disposition de l’entreprise (le droit actuel prévoyant simplement que la quotité fixée par la convention doit être compatible avec le plein exercice par le fonctionnaire de son emploi public) ;

 les alinéas 18 et 19 suppriment le plafond de détention de capital et de droit de vote, aujourd’hui de 49 %, pour les fonctionnaires autorisés à détenir une part dans le capital social de l’entreprise, lors de la création de celle-ci ou ultérieurement ;

 l’alinéa 20 permet aux fonctionnaires dexercer toute fonction, à lexception des fonctions de dirigeant. Ceci représente une moindre contrainte par rapport au droit actuel, qui leur interdit également d’être placés dans une situation hiérarchique.

Concernant la participation aux organes de direction :

 lalinéa 23 modifie l’intitulé de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre V du code de la recherche, pour se référer aux organes de direction et aux sociétés commerciales, plutôt qu’aux conseils d’administration et de surveillance et aux sociétés anonymes ;

 les alinéas 24 et 25 procèdent à cette même modification à l’article L. 531-12 du code de la recherche ;

 lalinéa 26 supprime linterdiction, pour le fonctionnaire autorisé à apporter son concours scientifique à une entreprise, de demander à participer aux organes de direction de cette même entreprise.

S’agissant des dispositions communes à plusieurs mécanismes :

– les alinéas 4, 12 et 22 puis les alinéas 29 à 37 simplifient les procédures dautorisations de création d’entreprise, de concours scientifique, de participation au capital d’une entreprise et de participation au conseil d’administration ou au conseil de surveillance d’une société. La décision d’autorisation de l’administration n’est plus subordonnée à l’avis préalable de la commission de déontologie. Les alinéas 32 à 35 ne modifient pas les critères de refus de l’autorisation. En vue de traiter les situations les plus problématiques, lalinéa 37 prévoit que létablissement à lorigine de lautorisation pourra demander lavis de la commission de déontologie s’il ne s’estime pas en mesure d’apprécier si le fonctionnaire se trouve en situation de conflits d’intérêts. Ces dispositions conduisent à ce que le suivi de l’autorisation soit assuré désormais par l’établissement dont relève le fonctionnaire plutôt que par la commission de déontologie. Elles visent à davantage responsabiliser l’établissement à l’origine de l’autorisation tout en s’assurant que les situations les plus complexes puissent être expertisées dans de bonnes conditions par la commission de déontologie ;

 lalinéa 38 prévoit que la mise à disposition dans le cadre d’une participation à la création d’entreprise ou d’un concours scientifique à une entreprise existante donne lieu à remboursement, par lentreprise, dans des conditions prévues par voie réglementaire ;

– s’agissant de la détention de capital, lalinéa 39 permet au chercheur sortant des dispositifs prévus pour la création d’entreprise ou le concours scientifique à une entreprise existante de conserver une participation au capital dans la limite de 49 %, sous réserve dinformer son employeur public du montant du capital conservé et de ses modifications. Toutefois, cette option n’est pas possible en cas de retrait unilatéral de l’autorisation par l’autorité dont dépend le fonctionnaire. En outre, lalinéa 40 prévoit que si lautorité dont relève le fonctionnaire estime ne pas pouvoir apprécier si celui-ci se trouve en situation de conflits d’intérêts, elle saisit la commission de déontologie ;

 lalinéa 41 permet au fonctionnaire, à l’issue de l’expiration d’une première autorisation, de bénéficier dune autorisation pour lun des deux autres dispositifs. Le projet de loi prévoit ainsi la possibilité pour le fonctionnaire, à l’issue du concours scientifique de reprendre l’entreprise valorisant ses travaux ou bien encore de participer au conseil d’administration ou au conseil de surveillance d’une société de capitaux. Il est autorisé à accéder à ces deux dispositifs par l’autorité administrative dont il relève ;

 lalinéa 42 précise les conditions dans lesquelles lautorisation peut être abrogée ou son renouvellement refusé, notamment si les conditions qui avaient permis sa délivrance ne sont plus réunies ou si le fonctionnaire méconnaît les dispositions législatives en vigueur ;

 l’alinéa 43 renvoie à un décret en Conseil dÉtat le soin de définir les conditions dans lesquelles les dispositions précédemment évoquées sont applicables aux agents de la fonction publique non fonctionnaires ;

 les alinéas 44 à 47 apportent des modifications à la gestion des brevets détenus en copropriété entre plusieurs personnes publiques investies d’une mission de recherche. Il prévoit, dans ces situations, la désignation d’un mandataire unique. Il s’agit de permettre aux entreprises et aux chercheurs d’avoir un interlocuteur unique, dans les meilleurs délais, pour ne pas freiner le transfert de compétences (par des délais de prises de décision, ou une gestion de la propriété intellectuelle entre deux organismes distincts peu compatible avec les contraintes et besoins de la valorisation de la recherche) ;

 enfin, les alinéas 21, puis 47 à 51 opèrent les mesures de coordination juridique nécessaires.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission spéciale a adopté deux modifications substantielles à l’article 41.

● Un amendement, déposé par votre rapporteure et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, permet d’abord d’étendre les dispositions relatives à la participation des fonctionnaires de la recherche aux organes de direction d’une société commerciale aux chefs d’établissements publics de recherche ou d’enseignement supérieur et de recherche.

En effet, si ces chefs d’établissement ne peuvent être qualifiés de « personnels de la recherche » au sens du livre IV du code de la recherche et s’ils n’entrent pas dans le champ des dispositions précisées par l’article 41, ils concourent toutefois à la définition de la politique de la recherche publique et leur présence, au sein d’organes de directions de sociétés commerciales, pourrait tout autant concourir à la diffusion de ses résultats. Cette extension est toutefois assortie de toutes les garanties, prévues également en ce qui concerne les personnels de la recherche, tenant à la limitation de la prise de participation, aux modalités de rémunération et à l’existence d’une autorisation du ou des ministres compétents, qui pourra s’en remettre à la commission de déontologie. En outre, le nom des fonctionnaires concernés, ainsi que des sociétés dans lesquelles ils sont présents aux organes de direction, seront rendus publics.

● Un second amendement, déposé par M. Berta, et sous-amendé par votre rapporteure, permet de faire en sorte qu’au moins l’un des neuf membres du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur soit un « chercheur entrepreneur », c’est-à-dire un chercheur ayant été autorisé à créer son entreprise en application des articles L. 531-1 et suivants du code de la recherche. Il s’agit de renforcer la prise en considération de la mission de transfert et de valorisation, telle que prévue dans la loi, dans l’évaluation des personnels de recherche, aujourd’hui essentiellement indexée sur les publications.

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Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Avant toute chose, je tenais à vous remercier, Madame la présidente, ainsi que l’ensemble de la commission spéciale, d’avoir bien voulu réserver l’examen des dispositions de l’article 41, afin que je puisse venir soutenir cet article devant vous, cet après-midi.

Cet article est un élément fondamental de ce projet de loi. En effet, le lien entre la recherche l’innovation et la croissance n’est plus à démontrer. La qualité de notre recherche est une source de croissance encore souvent méconnue et trop peu exploitée par nos entreprises.

Le sens de mon engagement ministériel, c’est de donner à la recherche les moyens de jouer tout son rôle, lorsqu’elle doit alimenter les cycles d’enseignement supérieur et de formation, mais aussi la culture scientifique, technologique et industrielle, ou encore jouer tout son rôle économique et social au profit de la transformation de notre pays. Cet article a précisément pour objet le lien entre chercheurs et monde socio-économique.

S’agissant de l’entrée dans la carrière scientifique, nous avons déjà œuvré en ce sens, en inscrivant le doctorat au répertoire national des certifications professionnelles, ou en renforçant le dispositif CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche). L’article 41 de la loi PACTE, en rénovant le statut du chercheur-entrepreneur, dans le prolongement des conclusions du rapport Beylat-Tambourin de 2017, va aussi nous permettre d’avancer dans cette direction.

De quoi parlons-nous exactement ? En 1999, la loi Allègre visait à faciliter la valorisation des résultats de la recherche publique par les chercheurs eux-mêmes dans la sphère privée, afin de soutenir l’activité économique et la croissance potentielle de notre pays. Ce dispositif, toujours en vigueur, prévoit trois modalités de valorisation dans un cadre juridique permettant de garantir la déontologie des chercheurs entrepreneurs : le concours scientifique, la création d’entreprise et la participation à la gouvernance d’une société anonyme.

Cette loi a constitué une première étape essentielle.

Néanmoins, un peu moins de vingt ans après son entrée en vigueur, force est de constater que l’utilisation des dispositifs reste très en deçà du potentiel de valorisation de la recherche publique et qu’elle reste limitée à quelques employeurs publics.

Depuis 2000, la commission de déontologie, instituée par cette même loi, a donné un avis favorable et sous réserve à 231 demandes de création d’entreprise, 51 demandes de participations à la gouvernance d’une société anonyme et environ 1 250 concours scientifiques. Or, le potentiel et la dynamique de création d’entreprise et de valorisation des résultats de la recherche publique sont très significativement supérieurs à ces chiffres. Il est temps de sortir du mythe d’une recherche détachée du monde des réalités économiques, pour remettre la science et la recherche au cœur du développement de notre société.

On le voit très concrètement : ce rôle est de plus en plus prégnant dans les laboratoires, dans certaines sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) ou encore au travers du concours i-Lab, qui est le premier dispositif de soutien à l’innovation de rupture.

L’objectif de l’article 41, c’est donc d’adapter la loi Allègre à la réalité des contraintes aujourd’hui rencontrées par les chercheurs entrepreneurs – que nous avons longuement rencontrés et consultés – mais aussi à la réalité des aspirations qui sont aujourd’hui les leurs. De plus en plus de chercheurs souhaitent tenter une aventure entrepreneuriale, et c’est une dynamique que ce gouvernement souhaite appuyer. C’est garantir plus de souplesse et de fluidité dans le transfert de valeur, de la recherche publique à ses applications privées dans un cadre déontologique réaffirmé.

Cet article simplifie les trois procédures permettant aux chercheurs de s’engager dans une démarche entrepreneuriale. L’autorisation nécessaire de l’autorité hiérarchique des chercheurs ne sera plus soumise à l’avis de la commission de déontologie, conformément à la réalité de la pratique : la commission de déontologie elle-même nous indique qu’elle rend systématiquement des avis favorables. Elle restera néanmoins compétente pour traiter des cas les plus complexes, lorsque l’établissement d’origine estimera avoir encore besoin des compétences du chercheur. C’est donc l’établissement d’origine du chercheur entrepreneur qui sera chargé du suivi de l’autorisation. C’est un gage de plus grande responsabilité pour ces établissements.

L’article 41 ouvre également la possibilité de mettre à disposition à temps incomplet un chercheur au profit d’une entreprise pour valoriser les résultats de la recherche publique. Cette souplesse apportée au dispositif permettra, là encore, de concourir à l’objectif de simplification poursuivi par le Gouvernement, tout en renforçant le lien entre recherche et valorisation de la recherche.

Concernant plus spécifiquement le concours scientifique, nous proposons ainsi de permettre aux chercheurs de pouvoir y consacrer jusqu’à la moitié de leur temps, contre 20 % en l’état actuel du droit applicable. Là encore, c’est plus de souplesse et une incitation forte pour les chercheurs. Toujours dans le registre de l’incitation, cet article permettra aux enseignants chercheurs et chercheurs entrepreneurs de reprendre l’entreprise qui valorise leurs travaux, sous le contrôle de leur autorité administrative.

Parce que la mobilité des chercheurs ne doit pas être un frein à l’évolution de leur carrière, parce que la pluralité des parcours professionnels doit être encouragée, l’article 41 prévoit également d’ouvrir l’avancement du chercheur entrepreneur dans son administration d’origine.

Enfin, s’agissant de la détention de capital, nous sommes sensibles à la situation des entreprises nouvellement créées par des chercheurs. Le droit en vigueur a généré des situations parfois difficiles. Passé une année en dehors de l’entreprise, un chercheur entrepreneur se devait de céder la totalité de ses parts. Pour les sociétés dont les parts ne sont pas liquides, cette rétrocession revenait purement et simplement à spolier les chercheurs. Nous permettrons ainsi, grâce à ce dispositif, de conserver jusqu’à 49 % des parts, sous réserve, là encore, du contrôle exercé par l’établissement.

Je ne manquerai pas de revenir plus en détail sur ces dispositions en répondant à vos amendements.

La commission examine lamendement CS1525 de M. François Ruffin. 

M. Adrien Quatennens.  L’article 41 crée des liens entre la recherche et l’entreprise, mais ces liens, tels que vous voulez les développer, nous semblent dangereux. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’article.

L’étanchéité entre les deux milieux n’était pas absolue « pour les missions de diffusion et de valorisation des résultats de la recherche publique », car ces missions sont considérées comme des « missions majeures du service public de la recherche ». Mais des précautions avaient été mises en place pour éviter les conflits d’intérêts et la dégradation de la qualité de la recherche, précautions que l’actuel projet de loi vient totalement démolir.

Il n’y aura plus d’avis automatique rendu par le conseil de déontologie en cas de participation dans une entreprise, la mise à disposition pourra être faite à temps partiel ; l’avancement du chercheur est préservé, même en cas de mise à disposition, les chercheurs pourront consacrer 50 % de leur temps dans l’entreprise en cas de concours scientifique, reprendre une entreprise à laquelle ils auraient apporté leur concours scientifique, et rester propriétaire de parts après leur réintégration à l’université.

Nous identifions deux risques majeurs. D’une part, celui d’une dévaluation de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée et, d’autre part, une perte des produits que le résultat de la recherche pourrait apporter à l’État, par une ré-industrialisation massive.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Si on considère la philosophie des articles 40, 41 et 42, on s’aperçoit qu’ils visent à favoriser le développement de l’innovation et de la recherche. Les articles 40 et 42 s’attachent aux aspects de protection, tandis que l’article 41 incite davantage les chercheurs à travailler avec les entreprises privées.

Les dispositifs prévus par la loi Allègre sont encore trop peu utilisés : 231 demandes de création d’entreprise, 51 demandes de participations à la gouvernance d’une société anonyme et environ 1 250 concours scientifiques… Les chercheurs et les organismes de recherche appellent de leurs vœux un renforcement.

En ce qui concerne l’avis de la commission de déontologie, nous voudrions responsabiliser les acteurs, en l’occurrence les organismes mettant les chercheurs à disposition. Néanmoins, la commission de déontologie pourra toujours être consultée.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Pour répondre, Monsieur Quatennens, à votre inquiétude sur la place de la commission de déontologie, je souligne qu’elle insiste elle-même sur la maturité des dossiers qu’elle doit examiner. Elle estime elle-même que, sur l’immense majorité des dossiers, les établissements ont été capables d’identifier les problèmes, s’il y en avait.

Nous voulons que la recherche soit en mesure de produire tous ses effets. Nous avons besoin de maintenir et de soutenir une recherche fondamentale de qualité, pour qu’elle irrigue aussi bien notre formation, que l’innovation ou encore la culture scientifique de notre société. Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Votre explication est claire. Vous assumez le fait de vouloir accroître le transfert de valeur produite par la recherche publique vers le secteur privé. À nos yeux, la recherche publique, financée par l’État, doit avant tout lui profiter à lui.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Les retours financiers sur le monde public sont évidemment prévus. La société, qui finance la recherche publique, peut aussi bénéficier des innovations qui en sont issues.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CS1991 de M. Jean-Paul Mattei. 

M. Philippe Bolo. Cet amendement vise à permettre aux chercheurs et scientifiques d’être associés ou dirigeants d’une entreprise créée pour développer leurs inventions, et de réserver une partie du bénéfice à l’université à laquelle ils sont rattachés. C’est un moyen de trouver un financement innovant de la recherche française.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à votre amendement, qui a pour objet de rendre systématiquement possible, pour un fonctionnaire, de participer à la création d’une entreprise. Or il convient de se réserver le droit de prévenir les conflits d’intérêts ou d’assurer le bon fonctionnement du service public de la recherche, de sorte que l’établissement de recherche concerné conserve tout de même une marge d’appréciation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Demande de retrait. La collaboration entre personnel de recherche et entreprises est une possibilité, mais elle doit rester compatible avec leurs missions de service public, ce qui ne serait pas le cas si l’autorisation était de droit.

M. Philippe Bolo. Puisqu’il s’agit d’un amendement porté par notre collègue Jean-Paul Mattei, je lui ferai part de vos observations, à la lumière desquelles il pourra éventuellement le déposer à nouveau en séance publique. Pour l’heure, je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement CS1993 de M. Philippe Berta. 

M. Philippe Bolo. L’amendement vise la double rémunération du chercheur entrepreneur. Elle le place en effet dans une situation duale. Ses intérêts financiers peuvent diverger, voire être contradictoires, selon qu’est considérée sa rémunération en tant que créateur d’entreprise ou en tant que fonctionnaire. L’impact de cette contradiction sur la prise de décision est dommageable pour la pérennité de l’entreprise.

Le présent amendement a donc pour objectif que lorsque le fonctionnaire inventeur devient associé ou dirigeant d’une entreprise dont l’objet est d’assurer, en exécution d’un contrat conclu avec son établissement public d’origine, la valorisation de ses travaux de recherche, il soit mis fin automatiquement au droit de complément de rémunération

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Cela va à l’encontre des objectifs poursuivis. Il faut rapprocher les entreprises et le monde de la recherche. Ce complément de rémunération constitue un mécanisme incitatif pour les chercheurs.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Demande de retrait. L’amendement fait référence au mode de rémunération visé à l’article L.611‑7 du code de la propriété intellectuelle. Or cet article fait référence au droit des salariés inventeurs, et non au droit des agents publics inventeurs. Cet amendement ne peut donc concerner les publics visés par le présent article.

M. Philippe Bolo. Je vais maintenir l’amendement, n’ayant pas la possibilité d’en parler avec notre collègue Philippe Berta.

La commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CS614, CS615, CS617 et CS618 de la rapporteure.

Puis elle examine lamendement CS1992 de M. Jean-Paul Mattei. 

M. Philippe Bolo. Il s’agit de permettre aux chercheurs d’être associés ou dirigeants d’une entreprise créée pour développer leurs inventions, et de reverser 5 % du bénéfice à l’université à laquelle ils sont rattachés durant les cinq premières années.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Nous nous fixons pour objectif d’inciter les chercheurs à développer leurs inventions en entreprise. Diviser leur rémunération ne va pas en ce sens. En outre, l’organisme dont ils dépendent n’est pas forcément une université ; le libellé manque donc de précision.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Même avis. La mise à disposition du chercheur en concours scientifique donne déjà lieu à remboursement par l’entreprise. L’agent mis à disposition dans ces conditions, n’étant pas forcément actionnaire de l’entreprise, ne saurait préempter de l’utilisation des bénéfices de cette dernière.

M. Philippe Bolo. Puisqu’il s’agit d’un amendement porté par notre collègue Jean-Paul Mattei, je lui ferai part de vos observations, à la lumière desquelles il pourra éventuellement le déposer à nouveau en séance publique. Pour l’heure, je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement CS1994 de M. Philippe Berta. 

M. Philippe Bolo. Il s’agit d’un amendement de cohérence.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle examine lamendement CS719 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement a pour objet d’étendre aux dirigeants des établissements publics participant à la recherche publique la possibilité de participer aux organes de direction d’une entreprise. En effet, les fonctionnaires sous leur autorité hiérarchique le peuvent, mais eux ne le peuvent pas aujourd’hui, car ils ne sont pas, au sens strict, qualifiés de « personnels de la recherche ». Nous voulons donc rectifier cette incohérence.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CS620 de la rapporteure.

La commission examine ensuite lamendement CS953 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement a pour objet de préciser que seule la durée maximale de mise à disposition relève du pouvoir réglementaire.

La commission adopte lamendement.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CS616, CS622 et CS623 de la rapporteure.

Puis elle examine lamendement CS401 de M. Charles de Courson. 

M. Charles de Courson. Actuellement, seule la personne publique peut exploiter un brevet lorsqu’une invention est susceptible d’être valorisée. L’amendement ouvrirait un droit de propriété aux chercheurs publics, dont la part pourrait varier entre 2 % et 5 %, selon la nature de l’opération. À l’heure actuelle, un chercheur peut seulement espérer voir son nom sur le brevet…

Mme Marie Lebec, rapporteure. Demande de retrait. Votre amendement ne me semble pas nécessaire. L’article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle définit très précisément les cas de copropriété d’un titre. Il y a trois cas.

Si les inventions ont été faites par le salarié dans l’exécution d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, elles appartiennent à l’employeur. Lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par l’utilisation de moyens spécifiques à l’entreprise, l’employeur a le droit de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet. Mais, en ce cas, le salarié doit en obtenir un juste prix.  Toutes les autres inventions appartiennent au salarié.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. J’apporterai deux éléments.

D’abord, le code de la propriété intellectuelle dispose que les inventions faites par le salarié, dans l’exécution de ses missions, appartiennent à l’employeur. Cela concerne notamment les agents publics. Il ne serait pas équitable de donner un droit à l’agent public exerçant une mission de recherche sans donner ce même droit aux autres agents ni aux salariés.

Ensuite, une prime de brevet et une prime d’intéressement sont déjà prévues par le code de la propriété intellectuelle. Elles permettent d’ores et déjà de rémunérer les chercheurs inventeurs de brevets.

Demande de retrait.

M. Charles de Courson. Est-ce que cela vous choquerait d’ouvrir à ces chercheurs la possibilité d’une copropriété ? Les primes ponctuelles dont vous parlez sont modestes et encadrées. En ne proposant pas davantage, nous courons le risque de voir de grands inventeurs quitter le secteur public, voire partir à l’étranger.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. La prime de brevet consiste certes en un versement unique, mais la prime d’intéressement, liée aux bénéfices des licences issues des brevets, est versée de manière récurrente. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) verse déjà plusieurs millions de prime d’intéressement à ses chercheurs.

M. Charles de Courson. Mais je reste persuadé qu’il est plus motivant d’être copropriétaire de son invention. Combien de chercheurs bénéficient d’ailleurs d’une prime d’intéressement ? Il paraît que son utilisation est très rare.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Ce sont, je crois, plusieurs centaines de chercheurs qui en bénéficient. Je vous communiquerai le chiffre exact.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement CS1996 de M. Philippe Berta. 

M. Philippe Bolo. Le recours au mandataire unique, tel qu’existant actuellement, s’avère insuffisant pour une simplification réelle, une meilleure lisibilité et une réduction des délais.

En conséquence, afin que le renforcement de ce dispositif atteigne son objectif, il est indispensable de garantir au mandataire une entière responsabilité pour qu’il puisse opérer seul tous les actes nécessaires à la valorisation et au transfert de l’innovation, avec une réelle délégation des copropriétaires.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Certes, il est nécessaire que le mandataire unique puisse accomplir un grand nombre de missions, mais l’ensemble de ces missions seront précisées par décret car elles relèvent du pouvoir réglementaire. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Il s’agit en effet que les mandataires uniques soient en pleine possession des capacités de négocier. Néanmoins, je demande un retrait. La source de « plein mandat » est en effet source d’interprétations divergentes. Ces missions sont d’ordre réglementaire, comme le précise l’article L.533-1 du code de la recherche. Le décret du 16 décembre 2014 et une circulaire de juillet 2016 permettent déjà au mandataire unique de disposer de pouvoirs étendus pour valoriser les titres de propriété intellectuelle des mandants.

Nous souhaitons accélérer le transfert de technologie et accélérer ce dispositif de mandataire unique. C’est pourquoi, après consultation des différentes parties prenantes, nous modifierons le décret, notamment pour réduire le délai de désignation dudit mandataire.

M. Philippe Bolo. Puisqu’il s’agit d’un amendement porté par notre collègue Philippe Berta, je lui ferai part de vos observations, à la lumière desquelles il pourra éventuellement le déposer à nouveau en séance publique. Pour l’heure, je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement CS702 de la rapporteure. 

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement a pour objet de préciser que le mandataire unique doit être désigné de manière suffisamment rapide après la déclaration de l’invention auprès de l’employeur ou des employeurs publics, pour permettre une valorisation efficace de cette invention.

Il semble en effet qu’une difficulté importante relevée aujourd’hui par les chercheurs inventeurs résulte de la lenteur avec laquelle ce mandataire unique est désigné.

De manière plus large, il est essentiel d’ouvrir un débat sur le mandataire unique, ses modalités de désignation, ses prérogatives, dans la continuité des recommandations du rapport sur l’innovation porté notamment par M. Jacques Lewiner.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Demande de retrait. Dans le décret que nous allons modifier, nous voulons fixer un délai d’un mois. Cette précision relève en effet du domaine du décret, non de la loi.

Lamendement est retiré.

La commission adopte ensuite lamendement rédactionnel CS655 de la rapporteure.

Puis elle examine lamendement CS1995 de M. Philippe Berta, faisant lobjet du sous-amendement CS2363 de la rapporteure.

M. Philippe Bolo. Des activités telles que le dépôt de brevets ou la participation à la création d’une entreprise demeurent insuffisamment prises en compte dans l’évaluation et l’avancement des chercheurs. L’évaluation des personnels de recherche reste en effet, dans la pratique, essentiellement indexée sur les publications, notamment sur les publications de rang A.

Cet amendement vise donc à renforcer la prise en considération de la mission de transfert et de valorisation, telle que prévue dans la loi, dans l’évaluation des personnels de recherche, en assurant la participation de deux chercheurs entrepreneurs au collège du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis favorable à l’adoption de cet amendement, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, qui vise à préciser la notion de chercheur entrepreneur.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Même avis.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte lamendement sous-amendé.

Elle adopte ensuite larticle 41 modifié.

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*     *

Après l’article 41

La commission examine lamendement CS384 de Mme Laure de La Raudière. 

Mme Laure de La Raudière. Depuis la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, les fonctionnaires sont autorisés à créer ou à reprendre une entreprise. Cependant, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a apporté plusieurs modifications à ce régime. L’autorisation n’est désormais donnée que si le fonctionnaire exerce ses activités à temps partiel, à mi-temps au minimum. Elle est accordée après avis de la commission de déontologie et n’est valable que pour une durée de deux ans, renouvelable un an.

Imaginons un professeur de collège qui a eu l’idée de cofonder une start-up sur des pédagogies innovantes. Il ne pourra pas continuer d’exercer à plein temps et à développer parallèlement son expertise au sein de la start-up. Je trouve dommage de se priver de l’expertise de nos fonctionnaires dans le secteur privé et innovant. Je propose donc que l’autorisation soit donnée pour trois ans renouvelables.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Le fait de limiter l’autorisation à deux ans, plus un an, permet au fonctionnaire de voir si l’entreprise est prometteuse et, le cas échéant,  de se mettre en disponibilité. La continuité du service public est ainsi assurée. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. La rédaction mène à un cumul des autorisations sans limitation de durée. Avis défavorable.

Mme Laure de La Raudière. C’est bien ce que je défends, Madame la ministre ! L’obligation de service dans la fonction publique ne signifie pas que les fonctionnaires ne peuvent pas se consacrer à une autre activité en sus des 35 heures hebdomadaires, et ce pendant six, neuf ou douze ans. Je ne vois pas pourquoi cette situation leur serait interdite. Ils sont libres, par la suite, de basculer complètement dans l’activité en entreprise, en demandant une disponibilité ou en quittant la fonction publique. Je défends ce changement politique majeur, pour leur donner plus de liberté.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CS1691 de M. François Ruffin. 

M. Adrien Quatennens. La France insoumise soutient la recherche, mais le crédit impôt recherche – CIR – nous paraît moins un outil à son service qu’un dispositif d’attractivité fiscale – c’est d’ailleurs la façon dont il est vanté au dehors de nos frontières. De plus, le CIR étant plafonné au niveau d’une filiale, mais pas au niveau du groupe, il est souvent utilisé dans les montages d’évasion fiscale : les groupes utilisent, puis cèdent leurs brevets à l’une de leur filiale établie dans un paradis fiscal, et déduisent les redevances de leur bénéfice imposable en France. Inefficace, utilisé de manière abusive selon un rapport de la Cour des comptes de 2013, le CIR constitue une double peine pour les finances publiques. Nous proposons de mettre fin à ce dispositif, qui coûte chaque année plus de 5,5 milliards d’euros à l’État – son coût a été estimé à 5,8 milliards pour 2018.

Pour soutenir les PME dans leurs efforts en recherche et développement, nous préconisons de créer un fonds qui serait financé par les crédits récupérés de la suppression du CIR. Cela permettrait à l’État de financer les projets de recherche des entreprises qui en ont réellement besoin – l’accès au crédit de ce fonds serait réservé aux entreprises de moins de  250 salariés.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Ces dispositions du code des impôts sont indispensables au dispositif de soutien à la recherche, certes perfectible. Les supprimer n’est pas la bonne option.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Cet amendement n’a pas vocation à être traité dans le projet de loi PACTE, il pourrait relever du projet de loi de finances. Ce que vous venez de dire sur le CIR est pour le moins caricatural. D’abord, le dispositif ne bénéficie pas de façon disproportionnée aux grandes entreprises, puisque celles-ci perçoivent environ un tiers du CIR, moins que leur part dans les dépenses nationales de recherche et développement (R&D). Si ce dispositif peut probablement être amélioré, son efficacité est néanmoins attestée par plusieurs études indépendantes : 1 euro de crédit impôt recherche entraîne en moyenne 1 euro supplémentaire de dépenses de R&D dans les entreprises. Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Vous ne pouvez nier, Madame la ministre, les mésusages de ce crédit. Si vous partagez avec nous le souhait d’aider les PME françaises dans leur effort de recherche, il devrait vous paraître plus adapté de flécher directement vers elles ces 5,5 milliards d’euros, plutôt que de maintenir un dispositif présenté à l’étranger avant tout comme fiscalement avantageux !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Ayant la chance de siéger à la commission des finances, avec votre collègue Eric Coquerel, je crois pouvoir vous dire que nous aurons le plaisir d’aborder ce sujet passionnant lors de l’examen du PLF pour 2019 et que Mme Amélie de Montchalin, notamment, fera des propositions fortes concernant le CIR et son ciblage. Je reste à votre disposition pour faire le lien entre les éléments contenus dans le projet de loi PACTE et les dispositions du PLF.

La commission rejette lamendement.

La commission est saisie de lamendement CS1197 de Mme Laure de La Raudière. 

Mme Laure de La Raudière. Vous me ferez certainement la même réponse, mais je souhaite pointer le côté assez aléatoire de l’attribution du CIR aux PME.

Les PME ne sont expertes ni en administration fiscale, ni en élaboration de dossiers. Il y a dans ma circonscription une PME qui, pour le même type de projets de recherche, sur des molécules chimiques différentes, a vu 80 % de ses projets validés en 2012 au titre du CIR, et 20 % seulement en 2017, ce qui a mis à mal son projet d’extension de bâtiments et de recrutements sur notre territoire. Une autre PME a vu un premier expert refuser tous ses projets, tandis qu’un second validait la totalité d’entre eux. Il est nécessaire de trouver une articulation afin que les PME ne subissent pas ces aléas en matière d’expertise. C’est l’objet du rapport que je demande au Gouvernement.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Ce point sur le contentieux est intéressant, mais je pense que tout ce qui relève du CIR a davantage sa place dans le PLF.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Les entreprises confrontées à des difficultés de ce genre représentent environ 5 % des sociétés contrôlées. Il existe un guide du crédit impôt recherche explicitant les critères d’éligibilité. Enfin, il est possible de solliciter un avis du comité consultatif et de bénéficier d’une procédure contradictoire. Un certain nombre de garanties sont donc déjà apportées. Il pourrait être utile que le comité consultatif du CIR produise un bilan annuel sur les litiges, afin de déterminer les points à améliorer. De telles dispositions relèvent du code général des impôts. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, le temps, pour l’administration, d’effectuer ce travail.

Mme Laure de La Raudière. Nous débattons de ces difficultés avec les gouvernements depuis à peu près sept ans – ce n’est pas un reproche que je peux adresser à ce gouvernement ou à l’administration actuelle. Il me semble cependant, Madame la ministre, que vous sous-estimez ce que vivent les PME qui se voient refuser l’attribution ou font l’objet d’un contrôle. Cet amendement est un amendement d’appel ; nous devons avancer sur cette question, tant la situation est parfois impossible.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS1279 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Cet amendement prévoit qu’en cas de contrôle, les agents sont tenus d’engager lors de leur intervention un débat oral et contradictoire avec l’entreprise, à peine de nullité de la procédure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous invite à présenter cet amendement dans le cadre du PLF. Sur le fond, le contribuable peut saisir l’avis du comité consultatif du CIR, qui met en place une procédure contradictoire.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Même avis.

Mme Laure de La Raudière. Je retire mon amendement et le déposerai lors de l’examen du PLF. 

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS1527 de M. François Ruffin. 

M. Adrien Quatennens. Dans un souci de bonne gestion des finances publiques et d’une valorisation attentive de la recherche fondamentale, nous proposons que la recherche appliquée puisse être développée par les universités elles-mêmes. L’investissement principal est aujourd’hui porté par l’État, tandis que les bénéfices sont principalement récoltés par des sociétés privées, qui développent les résultats de la recherche fondamentale.

Nous souhaitons faire ruisseler vers l’État les bénéfices de la recherche, afin d’éviter le syndrome bien connu de « privatisation des bénéfices » et de « socialisation des pertes », dans un souci d’intérêt général dont nous ne doutons pas qu’il demeure votre trajectoire.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est déjà satisfait, dans la mesure où les universités peuvent faire de la recherche appliquée et qu’il existe des structures de valorisation qui commercialisent les résultats de cette recherche. Retrait.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Madame la ministre, au nom de l’ensemble des parlementaires de la commission spéciale, je vous remercie d’être venue pour l’examen de ces articles. Je remercie la rapporteure Marie Lebec de nous avoir rejoints pour ce chapitre spécifique.

*

*     *

Article 42
Habilitation à créer par ordonnance une procédure d’opposition aux brevets d’invention

A.   l’État du droit

a)     L’opposition aux brevets : état du droit

Les brevets sont aujourd’hui délivrés sur trois critères : la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle. Toutefois, en raison du caractère subjectif de la notion « dactivité inventive », lINPI ne statue pas sur ce point au moment de la demande de brevet, laissant cette responsabilité au juge en cas d’action en nullité engagée par un tiers. Elle contrôle l’existence d’une activité inventive, mais ne peut s’opposer à une demande de brevet qui en serait départie sur ce seul motif : elle peut alors seulement en informer le déposant.

En outre, le droit actuel ne prévoit pas de procédure dopposition aux brevets autre que judiciaire : la nullité d’un brevet d’invention délivré par l’INPI ne peut être prononcée que dans le cadre d’une procédure judiciaire.

b)     Difficultés relevées

Il résulte une insécurité juridique de cette absence de rejet par l’INPI des demandes de brevet présentant un défaut d’activité inventive. Ceci conduit un certain nombre d’observateurs à considérer que le brevet français est de faible qualité, l’activité inventive n’étant pas prouvée ab initio. Cette insécurité s’étend aux détenteurs de brevets, contraints d’attendre une éventuelle action en justice pour que la validité de leur brevet soit effectivement reconnue.

En outre, la nécessité de recourir à la voie judiciaire pour faire valoir ses éventuels droits de propriété industrielle peut constituer un frein pour les acteurs économiques les plus faibles, en particulier les PME, les start-ups ou les inventeurs indépendants. Certaines entreprises préfèrent ainsi adapter leur produit plutôt que d’engager une action en justice afin d’obtenir la nullité d’un brevet concurrent, en raison tant d’une barrière psychologique et juridique (les procédures sont complexes et méconnues) que d’une barrière économique (les procédures sont longues et coûteuses). Ainsi, en France, moins de quarante procédures d’action en nullité pour les brevets d’invention sont engagées chaque année, contre environ deux cents en Allemagne.

Au contraire, de nombreux États prévoient la possibilité de recours administratif : l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Suisse, l’Autriche, la Suède, la Norvège, la Finlande, le Japon, les États-Unis etc.

B.   le dispositif proposÉ

Le présent article vise à remédier à ces difficultés en habilitant le Gouvernement à créer une procédure administrative dopposition aux brevets. Il en résultera une plus grande force juridique de ces brevets :

– si personne ne les conteste, c’est que leur qualité apparaît manifestement aux éventuels opposants ;

– s’ils font l’objet d’une procédure d’opposition et en sortent vainqueur, la solidité du brevet aura été démontrée également.

En outre, cette procédure ouvrira une voie de recours plus simple et moins coûteuse aux PME souhaitant contester un brevet déposé par un concurrent, éventuellement une grande entreprise.

Les alinéas 1 à 3 habilitent le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de neuf mois, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour créer un droit d’opposition aux brevets d’invention délivrés par l’INPI, afin de permettre aux tiers de demander, par voie administrative, la révocation ou la modification du brevet. Cette habilitation permet également au Gouvernement de prévoir les règles de recours contre les décisions naissant de l’exercice de ce droit. La possibilité de créer une étude préalable et systématique du caractère inventif de chaque demande de brevet a, en revanche, été écartée, car elle aurait été trop complexe et aurait requis un grand nombre de personnels supplémentaire.

Lalinéa 4 prévoit que cette ordonnance sera applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna pour celles de ses dispositions qui relèvent de la compétence de l’État, et procédera aux adaptations nécessaires de ses articles pour les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Lalinéa 5 prévoit qu’un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance.

Ce droit d’opposition permettra ainsi à toute personne de demander à l’INPI, dans un certain délai, la révocation d’un brevet délivré. La procédure d’opposition conduira alors lINPI à procéder à un contrôle approfondi de linvention, notamment de son caractère inventif. À l’issue de la procédure, l’INPI pourra révoquer le brevet, ou le maintenir, éventuellement sous une forme modifiée. Il en résultera, à terme, un renforcement de la présomption de validité de l’ensemble des brevets français et une plus grande sécurité juridique pour leurs détenteurs. L’introduction dans le code de la propriété intellectuelle d’une procédure d’opposition aux brevets délivrés permettra également un alignement du droit français avec la pratique d’une majorité d’offices étrangers.

De plus, l’introduction d’une procédure administrative permettra également aux PME de s’opposer de manière plus simple et moins coûteuse aux éventuels « brevets d’intimidation » déposés par de grandes entreprises. L’étude d’impact indique (page 413) que « la procédure dopposition envisagée constituera un dispositif administratif simple, rapide et peu coûteux, permettant déviter un recours en justice dans le cadre des litiges simples. Ces caractéristiques répondent à des attentes très fortes de la part des praticiens de la propriété industrielle et des entreprises, notamment les PME ».

Selon l’étude d’impact, « le taux dopposition devrait se situer entre une estimation basse à 120 (1 % des brevets délivrés) et une hypothèse haute de 420 (4 % des brevets). On peut raisonnablement viser un pourcentage dopposition proche de celui observé en Allemagne (2,5 %), soit un total de procédures de lordre de 250 oppositions par an traitées par lINPI » (page 415).

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission n’a adopté à l’article 42 qu’une modification, proposée par M. Latombe et plusieurs membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement. Son objet est de préciser que, si le Gouvernement est habilité à prévoir les règles de recours applicables aux décisions naissant de l’exercice de la procédure administrative d’opposition, ceci devra être opéré de manière à garantir la lutte contre les recours abusifs.

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*     *

La commission examine lamendement CS672 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Le Gouvernement propose de créer un droit d’opposition aux brevets d’invention, alors qu’il existe déjà un droit d’opposition judiciaire. Les conditions dans lesquelles ce droit est créé me semblent dangereuses, dans la mesure où elles vont faire apparaître une instabilité et une insécurité autour des brevets français. L’amendement vise donc à supprimer l’article.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Si le brevet français n’est pas attractif, c’est notamment parce que, au moment de la délivrance d’un titre, l’INPI donne seulement un avis sur son degré d’inventivité, ce qui n’offre aucune garantie de sécurité. Aussi, plutôt que d’entrer directement dans une bataille juridique avec une entreprise, instaurer un droit d’opposition au niveau de l’INPI permettrait-il de favoriser la conciliation avec la personne qui attaque le brevet déposé.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable. Le droit d’opposition, qui permet à un tiers de déposer un recours administratif auprès de l’INPI, postérieurement à la délivrance d’un brevet d’invention, a le mérite d’être simple, rapide et peu coûteux. Il permet d’éviter un recours en justice, dans le cadre des litiges simples. Cela nous paraît une bonne formule.

M. Daniel Fasquelle. Je m’interroge vraiment sur ce que vous êtes en train de mettre en place. Vous allez multiplier les certificats d’utilité, dont nous connaissons la fragilité, et déstabiliser les brevets, dans la mesure où il ne sera même pas nécessaire de motiver l’intérêt général ou particulier que vous défendez dans votre recours au droit d’opposition. Cela me semble d’autant plus dangereux que, malheureusement, des entreprises utilisent parfois les procédures qui leur sont offertes pour déstabiliser d’autres entreprises. Ouvrir à ce point le droit d’opposition ne me semble pas raisonnable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Quasiment tous les pays européens ont mis en place cette procédure. Si nous avons du retard, en matière de dépôt de brevets, c’est parce que nos dispositifs sont trop complexes, trop coûteux, trop lourds et pas assez sécurisants pour les entreprises. Qui plus est, notre dispositif répond à une demande très forte des PME. Je ne partage pas les arguments de M. Fasquelle et estime que cette procédure de droit d’opposition est intéressante et utile.

La commission rejette lamendement.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CS624 de la rapporteure.

Elle examine ensuite lamendement CS673 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. C’est la même argumentation. J’insiste sur le fait qu’il n’y aura pas à préciser l’intérêt à agir, ce qui fait courir un vrai risque d’abus.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Concernant l’intérêt à agir, dans le cas du dépôt d’un brevet, il s’agit d’occupation du domaine public. Tout le monde ayant un intérêt à agir, votre motif ne tient pas.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis que précédemment.

M. Daniel Fasquelle. Nous reviendrons sur la question de l’intérêt à agir. Je n’ai pas compris le lien avec l’occupation du domaine public. Normalement, celui qui a recours au droit d’opposition doit motiver la raison de son recours. Or, si n’importe qui peut exercer demain, sans avoir à justifier son intérêt à agir, un droit d’opposition pour contester n’importe quel brevet, c’est la voie ouverte au grand n’importe quoi.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je ne partage pas cette appréciation. Je pense que l’intérêt général est précisément que toute personne puisse contester le maintien de brevets, qui ne sont pas valables ou qui sont dénués de fondements juridiques, pour favoriser l’inventivité et les vrais brevets. L’intérêt général, c’est celui d’avoir des brevets de qualité. Par ailleurs, c’est la règle européenne, puisqu’aucun intérêt à agir n’est requis dans le cadre des procédures d’opposition à l’Office européen des brevets ou dans tous les autres pays européens.

La commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CS1672 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Bolo. L’amendement vise à encadrer l’ordonnance, afin de se prémunir contre toute prolifération de recours abusifs.

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission adopte lamendement.

Elle adopte ensuite larticle 42 modifié.

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Après l’article 42

La commission examine lamendement CS1011 de M. Sylvain Waserman.

M. Philippe Bolo. Il s’agit d’un amendement d’appel. En matière de délais de prescription des actions en nullité contre les brevets, la jurisprudence retient actuellement les dispositions du code de procédure civile et crée ainsi une insécurité juridique. Nous proposons, par cet amendement, que soient appliquées les dispositions du code de la propriété intellectuelle.

Mme Marie Lebec, rapporteure. C’est un amendement dont nous avons longuement discuté avec M. Waserman. La question fait l’objet de débats. En tout état de cause, il me paraît excessif de viser l’ensemble des titres de propriété intellectuelle. La question des brevets a été traitée dans l’ordonnance relative au brevet européen ; celle des marques le sera dans le cadre de la transposition de la directive relative aux marques. Demande de retrait.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Demande de retrait également. Le Gouvernement est en discussion avec les acteurs économiques concernés afin d’identifier toutes les évolutions législatives à apporter dans ce domaine. Nous ferons des propositions dans les deux mois à venir.

Lamendement est retiré.

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Article 42 bis (nouveau)
(article L. 612-12 du code de la propriété intellectuelle)
Examen a priori de l’activité inventive

La commission a adopté des amendements identiques portant article additionnel, présentés par votre rapporteure thématique, par M. Sylvain Wasermann et par le groupe La République en Marche.

Cet article additionnel modifie l’article L. 612-12 du code de la propriété intellectuelle de manière à faire en sorte que soient considérés comme critères de rejet des demandes de brevet l’absence d’activité inventive ou d’application industrielle, telles que définies à l’article L. 611-10 du même code.

En effet, l’article L. 611‑10 du code de la propriété intellectuelle prévoit que sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle. Cependant, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) ne peut pas, juridiquement, s’opposer à une demande de brevet pour manque d’activité inventive ou impossibilité d’application industrielle. L’article L. 612-12 n’en fait pas des motifs de rejet d’une demande de brevet, contrairement au critère de la nouveauté. Ces deux critères sont aujourd’hui contrôlés a posteriori seulement, par le juge, en cas de contentieux. Cette situation affaiblit considérablement la valeur et la qualité des brevets français. En outre, cela génère également de nombreux contentieux : dans la pratique, les ayant-droits, en particulier les plus importants, dépensent beaucoup de temps et de ressources à surveiller des brevets « proches » et à engager des recours contre des brevets similaires qui ne comportent aucune activité inventive. Pour les petits déposants, ce travail est souvent impossible, car trop coûteux.

Il semble donc pertinent de permettre un contrôle a priori de ces deux critères par l’INPI : ce contrôle permettra de renforcer la qualité et la force du brevet, mais également de réduire les procédures contentieuses, notamment pour défaut d’activité inventive.

Une telle évolution est possible à effectifs constants : en effet, l’INPI contrôle déjà l’existence de l’activité inventive et de l’application industrielle, mais ne peut simplement pas fonder un refus de brevet sur leur absence (il ne peut qu’en informer le déposant, et lui suggérer d’apporter des modifications à sa demande de titre). Il ne s’agit donc pas d’ajouter un contrôle supplémentaire, mais simplement de donner une base légale à une possibilité de refus d’octroi de titre sur ce fondement. Il est prévu une entrée en vigueur différée de deux ans à compter de la promulgation de la loi afin de permettre à l’INPI de se préparer à cette évolution.

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La commission est saisie des amendements identiques CS1832 de la rapporteure, CS1012 de M. Sylvain Waserman et CS1656 de M. Adrien Taquet.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Par l’amendement CS1832, nous proposons d’améliorer l’attractivité du brevet français en permettant à l’INPI d’exercer, lors du dépôt des brevets, un contrôle a priori et systématique du critère de l’activité inventive. Cette disposition entrerait en vigueur deux ans après la promulgation de la loi.

M. Philippe Bolo. L’amendement CS1012 a le même objet.

M. Jean-Marc Zulesi. Tout a été dit ! L’amendement CS1656 est défendu.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il s’agit d’un changement majeur. Je rappelle en effet que, lorsque l’INPI a été créé, en 1965, aucun contrôle préalable de l’inventivité du brevet n’avait été prévu, ce qui affecte la qualité des brevets français. Il s’agit ici d’imposer, pour la première fois depuis 1965, un contrôle a priori de l’inventivité des brevets, afin d’améliorer leur qualité. Ce faisant, nous nous alignons sur les meilleures pratiques européennes. Ce sont donc des amendements dont je veux souligner l’importance. Avis favorable.

M. Daniel Fasquelle. Ces amendements vont dans la bonne direction ; je les soutiendrai.

La commission adopte ces amendements. L’article 42 bis est ainsi rédigé.

Sous‑section 2 :
Libérer les expérimentations de nos entreprises

Avant l’article 43

La commission examine lamendement CS1825 de M. Damien Adam.

M. Damien Adam. En cohérence avec notre amendement déposé avant l’article 40, cet amendement tend à modifier le titre de la sous-section 2, en substituant au mot : « Protéger », le mot : « Libérer », qui me paraît davantage conforme aux objectifs de cette sous-section.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

La commission adopte lamendement.

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Article 43
(article 1er, articles 1-1, 2-1 et 2-2 [nouveaux] de l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 ; article 37 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte)
Expérimentation des véhicules autonomes

A.   l’État du droit

a)     L’expérimentation des véhicules autonomes : état du droit

Le cadre français des expérimentations de véhicules autonomes est très précisément bordé.

La conduite est régie en France par les Conventions de Vienne sur la circulation routière et sur la signalisation routière de 1968, ratifiées par la France en 1971, puis transposées dans le code de la route ([210]). La convention de Vienne sur la circulation routière a longtemps rendu impossible la circulation de véhicules autonomes sur les routes. En effet, elle stipule que « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule et éviter toute activité autre que la conduite ».

Une avancée significative a été accomplie avec l’entrée en vigueur, le 23 mars 2016, d’un amendement à la convention de Vienne, régularisant les systèmes daide à la conduite lorsque ceux-ci sont liés à la sécurité, et non au confort, tels que le limiteur de vitesse ou l’alerte au conducteur en cas de changement de trajectoire. Deux conditions sont posées à cette régularisation : les systèmes de conduite automatisée sont autorisés sur les routes s’ils sont conformes aux règlements des Nations Unies et s’ils peuvent être aisément désactivés par le conducteur. Ceci a rendu possible l’expérimentation de véhicules autonomes en France.

L’article 37 de la loi n° 2015-992 du 7 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de permettre la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite, à des fins expérimentales, dans des conditions assurant la sécurité de tous les usagers. Lordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 relative à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques, prise en application de cette loi, subordonne la circulation à des fins expérimentales d’un véhicule à délégation partielle ou totale de conduite sur une voie ouverte à la circulation publique à la délivrance d’une autorisation destinée à assurer la sécurité du déroulement de l’expérimentation. Cette autorisation est accordée par le ministre chargé des transports après avis du ministre de l’intérieur, s’il y a lieu, après avis du gestionnaire de la voirie, de l’autorité compétente en matière de la police de la circulation et de l’autorité organisatrice des transports concernés. En pratique, les dossiers sont traités par la délégation à la sécurité routière et la direction générale de l’énergie et du climat.

Le décret en Conseil dÉtat prévu par l’ordonnance n° 2016-1057 (décret n° 2018-211 du 28 mars 2018) prévoit que les véhicules concernés par l’autorisation définie dans l’ordonnance peuvent circuler sur des voies ouvertes à la circulation publique sous couvert d’un titre provisoire de circulation spécifique. Il pose également les principes généraux contribuant à la sécurité des expérimentations, comme l’enregistrement des données permettant de connaître l’état de la fonction de délégation, une obligation de marche à blanc pour les véhicules destinés au transport de public ainsi que les conditions relatives au conducteur et aux personnes transportées.

b)     Les difficultés relevées

Le cadre actuel est jugé complexe par les constructeurs, la procédure d’autorisation a priori, au cas par cas, étant longue et complexe au plan administratif.

De plus, les expérimentations ne peuvent avoir lieu qu’en présence d’un conducteur à lintérieur du véhicule, ce qui ne permet pas de tester l’ensemble des caractéristiques d’un véhicule qui se veut « autonome ».

En outre, l’article 37 de la loi de transition énergétique limite la circulation expérimentale de véhicules à délégation partielle de conduite aux voies réservées aux transports collectifs et aux seuls véhicules affectés aux transports publics de personnes. Cette notion d’ « affectation », définie par le code des transports, est lourde à mettre en œuvre pour une expérimentation : il faut que les véhicules prototypes soient explicitement prévus dans les conventions ou contrats entre l’autorité organisatrice des transports et l’opérateur de mobilité.

Enfin, ce cadre doit être révisé pour tenir compte de l’avis du Conseil d’État du 19 décembre 2017, qui recommande que les éventuelles dérogations au code de la route soient accompagnées, au niveau législatif, de dispositions spécifiques en matière de responsabilité pénale.

B.   le dispositif proposÉ

Le paragraphe I de l’article 43 modifie lordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 de manière à ouvrir la possibilité de mener des expérimentations en labsence de conducteur à lintérieur du véhicule. Les véhicules de transport de marchandises sont inclus dans l’ensemble des véhicules concernés par les expérimentations. Ces expérimentations sont, en effet, indispensables pour démontrer la sécurité des véhicules et logiciels de conduite, et un développement industriel sûr nécessite d’y avoir recours de manière importante en amont : l’approche doit se fonder sur des expériences répétées, et ne peut être uniquement statistique. En outre, l’évaluation de la sécurité repose sur les seules expérimentations, compte tenu de l’impossibilité de faire des comparaisons, notamment avec d’autres modes de transport utilisant des systèmes de délégation de conduite. Ces expérimentations sont également nécessaires pour préparer les futures normes d’homologation et évaluer les effets socio-économiques du développement industriel des véhicules autonomes.

L’article précise également le régime de responsabilité civile et pénale applicable à ces expérimentations.

Il s’agit de permettre à la France de s’affirmer en chef de file de cette technologie, amenée à se développer dans les prochaines années. Il s’agit également de permettre la construction d’un socle de connaissances et d’outils partagés entre acteurs publics et privés, afin de démontrer la sécurité de ces véhicules et de faire évoluer la mobilité autonome.

Les alinéas 1 à 4 modifient l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 de manière à autoriser l’expérimentation de véhicules sans conducteur présent à bord. De manière à respecter la Convention de Vienne qui prévoit que seuls les véhicules à délégation de conduite pouvant être « neutralisés ou désactivés par le conducteur » peuvent circuler sur les routes, lalinéa 4 précise qu’en cas d’absence de conducteur dans le véhicule, le demandeur de l’autorisation devra prouver qu’un conducteur situé à l’extérieur du véhicule pourra, à tout moment, prendre le contrôle du véhicule. L’article 12 du décret du 28 mars 2018 relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur voies publiques pourrait être révisé pour tenir compte, notamment, de cette nouvelle notion de conducteur.

Les alinéas 5 et 6 complètent cette ordonnance pour préciser que les expérimentations de véhicules autonomes sur les voies de circulation réservées aux transports collectifs ne peuvent concerner que des expérimentations destinées à effectuer ou à mettre en place un service de transport public de personnes. Ces alinéas 5 et 6 remplacent donc l’exigence d’affectation par une exigence d’objectif, de destination, moins contraignante d’un point de vue réglementaire. Par coordination, le paragraphe II du présent article (alinéa 11) supprime, dans la loi de transition énergétique pour une croissance verte, la mention selon laquelle « la circulation des véhicules à délégation partielle ou totale de conduite ne peut être autorisée sur les voies réservées aux transports collectifs, sauf sil sagit de véhicules affectés à un transport public de personnes ».

Les alinéas 7 et 8 visent à exempter de responsabilité pénale les conducteurs de véhicules pendant les périodes où le système de délégation de conduite est activé, conformément aux conditions d’utilisation.

Lalinéa 9 rétablit cette responsabilité pénale dès lors que le système de délégation de conduite demande au conducteur de reprendre le contrôle du véhicule, ou lorsque le conducteur ignore délibérément que les conditions requises pour la délégation de conduite ne sont pas réunies. Les éléments recueillis par votre rapporteure suggèrent que la délégation de conduite pourrait être considérée comme fonctionnant de manière indue lorsque le véhicule sort de son domaine d’utilisation prévu, et que le système – encore expérimental – ne sait pas gérer cette situation imprévue. Il peut ainsi s’agir d’une circulation sur une route à double sens alors que le système n’est prévu que pour des routes à chaussées séparées, ou la survenue d’un événement météorologique fort (brouillard dense...) non encore pris en charge par les logiciels de conduite.

L’alinéa 10 précise que le titulaire de lautorisation – et non le conducteur du véhicule – reste pécuniairement responsable des amendes liées au non-respect de règles constituant une contravention, dès lors que le système de délégation de conduite fonctionne dans les conditions prévues. Il est pénalement responsable des accidents entraînant un dommage corporel, sil est établi une faute au sens de l’article L. 121-3 du code pénal ([211]) dans la mise en œuvre du système de délégation de conduite.

Il a été considéré que le régime usuel de responsabilité civile s’appliquait de plein droit lors des expérimentations de véhicules autonomes, aussi aucune mesure spécifique n’est prévue dans le texte sur ce sujet.

Enfin, il semble qu’une nouvelle modification législative sera nécessaire dès lors que le cadre strict posé par la Convention de Vienne de 1968, en cours de révision, aura également évolué et élargi le champ des expérimentations possibles.

C.   la position de la commission spÉciale

Plusieurs modifications significatives ont été apportées à l’article 43.

Le groupe La République en Marche a déposé plusieurs amendements, ayant reçu l’avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure, permettant :

– de signifier explicitement que les expérimentations de véhicules autonomes sont autorisées ;

– de préciser que, lorsque le conducteur doit reprendre en main le véhicule, cette reprise en main a pour objectif premier de mettre en sécurité le véhicule, ses occupants et les usagers de la route (cette dernière mention ayant été ajoutée par un sous-amendement de votre rapporteure) ;

– d’ouvrir la possibilité d’expérimenter, sur les voies réservées aux transports collectifs, des véhicules ne s’inscrivant pas dans cette catégorie, sous réserve de l’avis conforme de l’autorité de police de la circulation ;

– de préciser par décret les modalités d’information du public en cas d’expérimentation, ainsi que d’évaluation de ces expérimentations ;

– d’obliger le véhicule à informer en temps réel le conducteur de l’état de fonctionnement du système de délégation de conduite.

La commission a également adopté un amendement de la rapporteure, ayant reçu l’avis favorable du Gouvernement, précisant la définition du « conducteur situé à l’extérieur du véhicule ». S’il s’agit bien d’un conducteur, pour satisfaire aux exigences de la Convention de Vienne sur la sécurité routière, ce conducteur est chargé de la supervision du véhicule et de son environnement de conduite pendant l’expérimentation, et non de la conduite du véhicule à proprement parler, quand bien même il doit être en mesure d’en reprendre le contrôle en cas de nécessité.

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La commission examine lamendement CS1667 de M. Adrien Taquet.

M. Damien Adam. Par cet amendement, nous proposons de mettre en avant l’autorisation de la circulation de véhicules autonomes à des fins expérimentales.

La rédaction que nous proposons correspond en effet davantage aux ambitions de la France en matière de véhicules autonomes et aux annonces politiques les concernant : il s’agit de faire de notre pays un territoire d’expérimentation. Lors de la présentation, en mai 2018, des orientations stratégiques pour l’action publique en matière de développement des véhicules autonomes, il a été annoncé que l’objectif stratégique était de permettre la circulation, d’ici à 2020, de véhicules autonomes de niveau 3 – autonomie conditionnelle – et, d’ici à 2022, de véhicules autonomes de niveau 4 – autonomie élevée. Il est donc nécessaire de préparer cette autorisation de circulation dès maintenant en s’assurant de la sécurité de ces véhicules grâce à des expérimentations.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CS704 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement a pour objet de préciser la notion de « conducteur situé à lextérieur du véhicule », en précisant que celui-ci est chargé de superviser l’expérimentation.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il s’agit en effet de préciser, et c’est important, que la personne chargée de la supervision de l’expérimentation ne conduit pas, à proprement parler, le véhicule. Avis favorable.

M. Charles de Courson. La grande question que soulève le véhicule autonome est celle de la responsabilité en cas d’accident. Qui est responsable ? Est-ce la personne qui se trouve dans la voiture ? Elle ne fait rien. Est-ce le concepteur du système ? Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous allons y venir dans quelques instants, monsieur de Courson. Mais M. le ministre va vous répondre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Si le système automatique est désactivé, la personne se trouvant dans le véhicule sera considérée comme responsable. S’il est activé et que cette personne a été prévenue en temps utile, elle ne le sera pas.

M. Charles de Courson. Qui sera responsable, dans ce cas ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. L’opérateur du système ou, pour être très précis, le titulaire de l’autorisation de circulation du véhicule autonome. Dès lors qu’il aura choisi le système qui a été activé, il décharge de sa responsabilité la personne qui surveille l’expérimentation.

La commission adopte lamendement.

La commission en vient à lexamen de lamendement CS1676 de M. Adrien Taquet, qui fait lobjet dun sous-amendement CS2366 de la rapporteure.

M. Jean-Marc Zulesi. L’amendement vise à préciser que la reprise de contrôle à l’extérieur du véhicule est destinée à gérer les incidents et les situations dans lesquelles une immobilisation ou un déplacement en urgence du véhicule s’imposent.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable, sous réserve de l’adoption de l’amendement CS2366, qui tend à ajouter la précision suivante : le conducteur situé à l’extérieur du véhicule doit être en mesure de prendre le contrôle de celui-ci afin de mettre en sécurité, non seulement le véhicule et ses occupants, mais aussi les usagers de la route

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable à l’amendement ainsi sous-amendé.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte lamendement sous-amendé.

Elle examine ensuite lamendement CS749 de M. Didier Baichère.

M. Didier Baichère. Il s’agit de simplifier et d’encourager les expérimentations de véhicules autonomes en prévoyant qu’une expérimentation autorisée dans un territoire donné bénéficiera d’une procédure accélérée pour la délivrance de son autorisation si son opérateur veut la reproduire de manière similaire dans un autre territoire.

Mme Marie Lebec, rapporteure. C’est un point dont nous avons longuement débattu, M. Baichère et moi. En fait, on considère que, si l’expérimentation a déjà été menée, les services délivreront rapidement l’autorisation. Au demeurant, il est assez rare qu’une expérimentation ayant déjà eu lieu soit renouvelée de manière identique sur un autre territoire. Demande de retrait, donc.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Demande de retrait également.

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS1683 de M. Adrien Taquet.

M. Damien Adam. L’article 43 tend à réserver la possibilité d’utiliser les voies affectées aux transports collectifs aux seules expérimentations concernant un service de transport public de personnes. Afin de limiter cette restriction et de permettre d’adapter les expérimentations aux spécificités de chaque territoire, nous proposons de laisser à l’autorité de police – c’est-à-dire, dans la majorité des cas, au gestionnaire de la voirie – la possibilité d’autoriser une expérimentation sur les voies réservées aux transports collectifs pour tout service. Le gestionnaire de la voirie semble en effet l’acteur le mieux à même de juger de la pertinence d’une telle autorisation, sans risquer de compromettre la bonne circulation sur ces voies. Il serait, en outre, possible d’autoriser des services comme le transport privé de personnes ou le transport de marchandises à emprunter les voies réservées aux transports collectifs.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CS1713 de M. Adrien Taquet.

M. Jean-Marc Zulesi. Il s’agit de s’assurer que le système de délégation de conduite informe en temps réel le conducteur de son état de fonctionnement. En effet, cette précision ne figure pas à l’alinéa 8. Or, cette information est essentielle, en particulier pour définir la responsabilité du conducteur dans le cadre d’une expérimentation.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS709 de la rapporteure et CS1388 de M. Emmanuel Maquet.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’amendement CS709 tend à préciser que, lorsque le système de délégation de conduite demande au conducteur de reprendre la main, la responsabilité de celui-ci n’est engagée qu’après le temps nécessaire à la reprise en main du véhicule, et non de manière immédiate, comme le texte actuel le laisse entendre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS1388 a le même objet. Nous convergeons enfin, Mme la rapporteure et moi, et je ne peux que m’en féliciter. Bien entendu, je ne doute pas que le Gouvernement préférera son amendement au mien, mais je suis tout à fait prêt à retirer celui-ci et à me rallier au sien, l’essentiel étant le résultat.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je salue le sens de l’intérêt général de M. Fasquelle. Je suis également favorable à son amendement. Je propose donc que l’on adopte un amendement conjoint qui emportera l’adhésion de tous, me semble-t-il.

M. Roland Lescure, rapporteur général. D’un point de vue légistique, c’est délicat, monsieur le ministre. Je suggère donc, soit que l’on dépose un nouvel amendement en séance publique, soit que l’on adopte celui de Mme la rapporteure en mentionnant qu’il fait l’unanimité.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’amendement CS1388 va en effet dans le même sens que le mien. Tous deux tendent à préciser que la responsabilité du conducteur ne s’applique qu’une fois que celui-ci a repris en main le contrôle du véhicule, à la différence près que le mien ajoute qu’il convient de prévoir le délai dans lequel le conducteur reprend la main.

M. Daniel Fasquelle. Je vous propose que nous retirions les deux amendements et que Mme Lebec redépose le sien, cosigné par moi, si elle l’accepte, en séance publique.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Vous lisez dans nos pensées, monsieur Fasquelle. (Sourires.)

Ces amendements sont retirés.

La commission examine lamendement CS1618 de M. Damien Pichereau.

M. Damien Pichereau. Il me semble important de préciser que toute expérimentation d’un véhicule à délégation partielle ou totale de conduite doit utiliser un système d’enregistrement audiovisuel. En effet, l’article 11 du décret du 28 mars 2018 précise que les véhicules sont équipés d’un tel dispositif permettant de déterminer à tout instant si le véhicule a circulé en mode de délégation partielle ou totale de conduite, les données enregistrées étant automatiquement et régulièrement effacées.

Notre amendement permettrait de sauvegarder les enregistrements et de compléter le bilan prévu à l’article 14 du même décret puisqu’il serait possible de visionner, par exemple, des extraits de l’expérimentation. Au reste, une large majorité des expérimentations sont déjà dotées d’un système d’enregistrement. Il s’agit donc de généraliser cette méthode.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Ainsi que vous l’avez vous-même indiqué, le décret du 28 mars 2018 impose déjà aux expérimentateurs d’enregistrer certaines données liées à l’expérimentation. Par ailleurs, il ne faudrait pas que le dispositif d’enregistrement soit trop contraignant car cela freinerait le développement des expérimentations. Demande de retrait, donc.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis que la rapporteure.

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement rédactionnel CS621 de la rapporteure.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CS1693 de M. Adrien Taquet.

M. Damien Pichereau. Cet amendement vise à assurer une parfaite information des usagers de la voirie sur l’autorisation de l’expérimentation par les pouvoirs publics. Cette mesure est de nature à renforcer la confiance des Français et la transparence des expérimentations.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Favorable.

M. Charles de Courson. Si mon information est exacte, l’assurabilité des véhicules autonomes fait actuellement l’objet de grands débats, notamment au niveau communautaire. Pourrions-nous être éclairés sur ce point ? Peut-être cet amendement pourrait-il comporter un paragraphe précisant ce qu’il en est de l’assurabilité des véhicules autonomes : qui est responsable de quoi ?

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’article 43 a pour unique objet de fixer le cadre de l’expérimentation. La question que vous évoquez, dont nous avons discuté avec les assureurs, concerne davantage l’usage et se posera lors du déploiement commercial des véhicules. Elle sera donc abordée dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM).

M. Charles de Courson. En l’état actuel des choses, les entreprises qui vont expérimenter le véhicule autonome peuvent-elles s’assurer ou sont-elles leur propre assureur ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il incombe aux titulaires de l’expérimentation de s’assurer. Or il s’agit d’entreprises réputées : transporteurs – Transdev –, constructeurs automobiles – PSA –, équipementiers – Valeo… Elles trouvent donc actuellement à s’assurer. En revanche, après l’expérimentation, ce sera en effet une véritable question.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle 43 modifié.

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Après l’article 43 ter

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS73 et CS74 de M. Sébastien Leclerc.

M. Daniel Fasquelle. Défendus.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Défavorable.

La commission rejette successivement les deux amendements.

Elle en vient à l’examen des amendements CS1788 et CS1789 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Les établissements dispensant, à titre onéreux, l’enseignement de la conduite des véhicules terrestres à moteur et de la sécurité routière doivent, pour être autorisés à exercer leurs fonctions, disposer d’un agrément préfectoral.

L’amendement CS1788 vise à préciser que cet agrément a une portée nationale. Ce point fait en effet l’objet, en raison de l’imprécision de la loi, d’interprétations divergentes de la part des tribunaux. Ainsi, dans sa décision du 31 mai 2016, le tribunal de grande instance de Paris a interdit à une plateforme de permis de conduire en ligne d’exercer l’enseignement de la conduite de véhicules à moteur hors de la ville de Paris, au motif que « l’agrément préfectoral pour les auto-écoles est valable dans un cadre départemental uniquement, et non au niveau national ». Cependant, dans un arrêt du 29 juillet 2016, la Cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement. Afin de supprimer toute ambiguïté, il est proposé de confirmer la portée nationale de l’agrément préfectoral délivré aux établissements dispensant, à titre onéreux, l’enseignement de la conduite des véhicules terrestres à moteur et de la sécurité routière.

Par ailleurs, un label « Qualité des formations au sein des écoles de conduite » a été instauré par l’arrêté du 26 février 2018. Parmi les six critères retenus figurent l’identification précise des objectifs de la formation et son adaptation au public formé ainsi que l’adaptation des dispositifs d’accueil, de suivi pédagogique et d’évaluation aux publics de stagiaires. Toutefois, un autre de ces critères est la nécessité de proposer des cours en présentiel, de sorte que ce label n’est pas accessible aux plateformes de permis de conduire en ligne, qui délivrent pourtant une formation de qualité, particulièrement adaptée aux contraintes actuelles. Or, seuls les titulaires de ce label pourront prétendre aux financements de l’État ou des Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et proposer des formations post-permis de conduire.

L’un des objectifs de la loi Macron de 2015 était de permettre à des plateformes en ligne de former à la conduite. Aussi l’amendement CS1789 vise-t-il à pérenniser cet objectif en garantissant l’équité entre les auto-écoles traditionnelles et les plateformes de permis de conduire en ligne. De fait, l’« uberisation » du permis de conduire permettrait de faire baisser substantiellement son coût.

Mme Marie Lebec, rapporteure. En ce qui concerne l’amendement CS1788, il est vrai que, pour certaines juridictions, l’agrément préfectoral est de portée nationale alors que, pour d’autres, celle-ci est strictement départementale. S’agissant de l’amendement CS1789, il conviendrait de modifier l’arrêté du 26 février 2018, qui définit les critères du label. Je vous propose de retirer ces amendements et d’attendre les conclusions de la mission d’évaluation de la loi Macron, qui est en cours.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je partage votre analyse, monsieur El Guerrab : le permis de conduire est trop cher, trop difficile à obtenir et les délais sont trop longs. C’est pourquoi nous avons confié une mission à Françoise Dumas, députée du Gard, et à Stanislas Guerini, député de Paris, pour qu’ils nous fassent des propositions sur le sujet. Je vous suggère donc de retirer vos amendements et de soumettre vos propositions à ceux de vos collègues qui sont chargés de cette mission.

M. M’jid El Guerrab. Je vais retirer mes amendements et je me mettrai à la disposition de la mission. Le sujet est important. Les frais nécessaires à l’obtention du permis de conduire sont actuellement très élevés pour les jeunes.

Ces amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1897 de M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. Certains dysfonctionnements de l’articulation entre les administrations et les entreprises nuisent au développement de celles-ci. Je m’explique. Le dispositif « Alim’confiance » permet à nos restaurateurs d’obtenir, grâce à de bonnes pratiques sanitaires, un label qui les met en valeur et leur permet de développer leur activité. L’accès à ce label repose sur un contrôle sanitaire réalisé par les services vétérinaires de l’administration. Toutefois, ceux-ci ne sont pas assez nombreux, si bien que le développement du label est freiné et que les possibilités, pour les restaurateurs, d’accroître leur activité en profitant de cette opération marketing, sont considérablement limitées. Or, des laboratoires privés peuvent effectuer les mêmes analyses et sont, du reste, mandatés par l’administration pour réaliser d’autres contrôles sanitaires.

Nous proposons donc de confier, à titre expérimental, pour une période de trois ans, les contrôles Alim’confiance aux laboratoires privés. Une telle mesure permettrait aux services vétérinaires de l’administration d’être libérés de cette tâche, et donc effectuer d’autres missions pour lesquels ils ne sont pas assez nombreux, aux restaurateurs de développer ce label, et aux laboratoires d’accroître leur activité et l’innovation.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je comprends votre objectif et je suis plutôt favorable à votre amendement. Néanmoins, je vous propose de le retirer afin que nous y retravaillions avec le Gouvernement en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le point est très sensible, puisqu’il s’agit des contrôles sanitaires effectués dans les restaurants. Je suis prêt, comme l’a indiqué Mme Lebec, à travailler sur ce sujet avec la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), mais je doute que nous soyons prêts pour la séance publique.

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Article 43 bis (nouveau)
(articles L. 315-2 et L. 315-3 du code de lénergie)
Expérimentation relative à lautoconsommation collective

La commission a adopté, avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, un amendement portant article additionnel, relatif à la mise en œuvre d’une expérimentation permettant le déploiement de l’autoconsommation collective.

Cet article additionnel modifie ainsi la définition du périmètre de l’autoconsommation collective afin de permettre à des installations d’échelle locale, mais de plus grande dimension qu’aujourd’hui, d’y être éligibles.

En effet, dans le droit actuel, une opération d’autoconsommation collective est définie comme une fourniture d’électricité effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension (dit « poste de transformation HTA/BT »). Cette « maille » avait été initialement retenue en corrélation avec l’élaboration d’un tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) spécifique prévu par l’article L. 315-3 du code de l’énergie pour les installations en autoconsommation. En effet, un tel critère permettait de s’assurer de la proximité géographique des consommateurs et producteurs et de justifier une réduction de TURPE pour les volumes autoconsommés – l’électricité ne circulant pas sur les réseaux de tensions amont, des pertes et des investissements supplémentaires sur ces réseaux sont évités. Toutefois, l’obligation d’être situé « en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension » n’est pas adaptée à des opérations d’urbanisme importantes qui se raccordent à plusieurs postes HTA/BT.

L’article additionnel supprime cette obligation qu’il remplace, à l’article L. 315-2 du code de l’énergie, par une obligation d’être sur le réseau de basse tension et de respecter « un critère de proximité géographique défini par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie. » En lien avec l’élargissement de l’autoconsommation collective, il propose également de supprimer le seuil de 100 kW figurant à l’article L. 315-3 du code de l’énergie, en-deçà duquel la Commission de régulation de l’énergie (CRE) doit établir un tarif d’utilisation du réseau public d’électricité spécifique pour les auto-consommateurs. Il s’agit de dé-corréler la question du TURPE de celle de la maille de l’autoconsommation collective. Cette mesure permettra de supprimer l’existence d’un seuil qui ne se justifie pas au regard de critères physiques du réseau et ainsi d’éviter le découpage artificiel d’installations de production en autoconsommation collective pour bénéficier du TURPE spécifique. Il appartiendra ainsi à la CRE de définir les caractéristiques des installations pour lesquelles un TURPE spécifique se justifie, aussi bien pour l’autoconsommation individuelle que collective.

Afin de laisser le temps nécessaire au déploiement d’opérations d’autoconsommation collective ainsi permises, la durée d’expérimentation est fixée à cinq ans. Sur la base de l’évaluation réalisée par le ministère en charge de l’énergie et la Commission de régulation de l’énergie, il pourra être décidé de pérenniser ou d’abandonner ces nouvelles dispositions.

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La commission est saisie de lamendement CS792 de Mme Célia de Lavergne.

Mme Célia de Lavergne. Dans le cadre de la libération des expérimentations, il est indispensable, compte tenu de l’enjeu majeur que constitue la transition énergétique, de tester des dispositifs qui permettent un meilleur pilotage des besoins énergétiques à l’échelle nationale et la promotion de systèmes d’approvisionnement décentralisé plus performants.

En France, l’autoconsommation se développe, puisqu’on dénombrait, fin 2017, 20 000 autoconsommateurs et qu’on estime à 350 000 le nombre potentiel d’installations photovoltaïques individuelles. L’autoconsommation peut également se faire de manière collective, en utilisant plusieurs installations reliées entre elles.

Cet amendement résulte de la conjonction de deux opportunités offertes, l’une, par le plan Place au soleil du ministère de la transition écologique et solidaire, qui vise à développer et à tester des opérations d’autoconsommation collective, l’autre par un projet inédit d’autoconsommation en milieu rural, à Saint-Julien-en-Quint, dans la Drôme, soutenu par l’association ACOPREV. Il tend donc à modifier la définition du périmètre de l’autoconsommation collective afin de permettre à des installations locales, mais plus étendues qu’actuellement, d’être qualifiées de consommation collective, et ce pour une durée de cinq ans.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis d’autant plus favorable qu’une telle mesure nous permettrait d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en matière d’énergies renouvelables.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement. L’article 43 bis est ainsi rédigé.

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Article 43 ter (nouveau)
Expérimentation relative aux opérations de recensement

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par le groupe La République en Marche, et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement.

Cet article additionnel vise à permettre aux communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’expérimenter le recours à une entreprise prestataire, dans le cadre d’un marché public pour la réalisation des opérations de recensement de la population.

En effet, aujourd’hui, l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité impose que les enquêtes de recensement soient effectuées uniquement par des agents recenseurs, agents de la commune, de l’établissement public de coopération intercommunale affectés à cette tâche ou recrutés par eux à cette fin. Localement, certaines communes ou certains établissements publics de coopération intercommunale peuvent rencontrer des difficultés dans le recrutement et la fidélisation d’agents recenseurs.

Cette expérimentation portera sur les campagnes de recensement de la population des années 2020 et 2021. Elle concernera de douze à vingt-quatre communes ou établissements publics de coopération intercommunale qui seront choisis sur la base du volontariat et en accord avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). La liste en sera arrêtée dans le décret annuel visé au VI de l’article 156 de la loi du 27 février 2002 précitée.

Ce recours à une prestation externe ne modifie pas les responsabilités respectives de l’INSEE et des communes et établissements publics de coopération intercommunale. L’INSEE organisera et contrôlera les opérations ; les communes et établissements publics de coopération intercommunale resteront chargés de la préparation et de la réalisation des enquêtes de recensement. En particulier, l’activité de l’entreprise prestataire devra être conforme aux exigences de protocole définies par l’INSEE. Le décret n°2003-485 du 5 juin 2003 relatif au recensement de la population sera modifié en tant que de besoin pour encadrer les conditions de ces prestations.

Parmi les entreprises prestataires susceptibles de participer à cette expérimentation, La Poste pourrait mettre à disposition des communes et EPCI, ses facteurs qui ont la qualité d’agents assermentés et exercent des missions de service public.

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La commission examine lamendement CS1724 de M. Adrien Taquet.

Mme Christine Hennion. Cet amendement vise à permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale d’expérimenter le recours à une entreprise prestataire, dans le cadre d’un marché public, pour la réalisation des opérations de recensement de la population. À ce jour, ces enquêtes sont effectuées par des agents de ces collectivités ou recrutés par elles à cette fin. Or, celles-ci éprouvent de plus en plus de difficultés pour y parvenir. Cette expérimentation porterait sur les campagnes de recensement de la population des années 2020 et 2021 et concernerait un nombre limité de communes volontaires.

Le recours à une prestation externe ne modifierait pas les responsabilités de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). J’ajoute que, parmi les entreprises prestataires susceptibles de participer à cette expérimentation figure La Poste, qui est à l’origine de la proposition.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Favorable. C’est une proposition intéressante. L’expérimentation mérite d’être réalisée.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis très favorable. La Poste est en effet à l’origine de cette démarche, et les postiers sont très intéressés par cette diversification de leurs activités. Bien entendu, nous sommes dans le cadre d’un service d’intérêt général.

La commission adopte lamendement. L’article 43 ter est ainsi rédigé.

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Article 43 quater (nouveau)
(article L. 252-1 du code de la construction et de lhabitation)
Expérimentation relative au bail à réhabilitation

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par le groupe La République en Marche, et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement.

Cet article additionnel vise à permettre un recours plus large au mécanisme du bail à réhabilitation, afin notamment de faciliter la mobilisation de logements vacants nécessitant de petits travaux que le propriétaire ne souhaite pas réaliser lui-même. Il s’agit d’un dispositif qui permet aux propriétaires de logements ou d’immeubles en mauvais état de les faire réhabiliter sans en assurer la gestion, par un organisme qui les mettra ensuite en location à des personnes modestes. En pratique, c’est un contrat par lequel le preneur (une association agréée, un organisme HLM, une société d’économie mixte, une collectivité locale) s’engage à réaliser dans un délai déterminé des travaux d’amélioration sur le logement du propriétaire et à le conserver en bon état en vue de le louer à usage d’habitation pendant la durée du bail.

Le droit actuel impose que le bail soit conclu pour une durée de douze ans. L’article additionnel permet, à titre expérimental, d’abaisser la durée minimale du bail à six ans, pour la région Provence Alpes Côte d’Azur, lorsque les logements sont vacants depuis plus d’un an.

L’abaissement de la durée minimale du bail à réhabilitation pourrait ouvrir des possibilités pour des opérations plus légères et plus courtes. L’expérimentation vise à mesurer l’impact et les éventuels effets collatéraux qu’aurait le développement de ce dispositif sur l’offre de logement dans les territoires considérés.

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La commission examine lamendement CS1741 de M. Adrien Taquet.

M. François Jolivet. Il s’agit, à titre expérimental, pour une durée de trois ans et sur le territoire de la région Provence-Alpes-Côte d’azur, d’abaisser la durée du bail à réhabilitation de douze ans à six ans.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis : l’expérimentation est intéressante.

La commission adopte l’amendement. L’article 43 quater est ainsi rédigé.

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Article 43 quinquies (nouveau)
Expérimentation relative à la recherche et développement
sur les micro-organismes

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par la rapporteure et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement.

Cet article additionnel vise, à titre expérimental, à déroger pour une durée de trois ans au dispositif d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées et au partage des avantages découlant de leur utilisation, prévu par les articles L. 412‑3 à L. 412‑20 du code de l’environnement, pour les activités de recherche et de développement sur les micro-organismes prélevés sur le territoire métropolitain.

Les micro-organismes sont notamment utilisés comme organismes producteurs d’ingrédients d’intérêt nutritionnel ou technologique : levures, enzymes alimentaires, acides aminés, vitamines, nutriments. Les entreprises du secteur des ingrédients alimentaires de spécialité mènent déjà de nombreuses recherches pour améliorer les performances de ces micro-organismes. Certains projets d’innovation sont par ailleurs portés le gouvernement, à l’image de la solution industrielle « Alimentation intelligente », qui prévoit de développer le marché de l’alimentation fonctionnelle grâce au développement d’ingrédients extraits de plantes, de champignons, de micro-algues, de ferments ou encore d’insectes.

La loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016 avait instauré un nouveau dispositif de déclaration et d’autorisation des activités de recherche et de développement sur les micro-organismes, en visant prioritairement l’enjeu associé aux ressources des territoires d’outre-mer, caractérisés par la forte richesse de leur biodiversité et concernés par un risque d’appropriation de ces ressources aux dépens des populations locales. Ce risque est, a priori, significativement plus faible pour la France métropolitaine, où les procédures sont considérées comme lourdes, peu justifiées, et de nature à freiner la recherche, dans un domaine où elle est pourtant nécessaire.

Cette dérogation expérimentale permettra d’éviter des démarches administratives – déclaration ou autorisation pour l’accès aux ressources – pour toutes les entreprises disposant de centres de recherche et développement en France métropolitaine, notamment dans le secteur des ingrédients alimentaires de spécialité. Dans ce secteur fortement compétitif et au sein duquel la France occupe des positions importantes – les aliments qui nécessitent l’utilisation de ferments représentent un tiers du chiffre d’affaires à l’export du secteur alimentaire français – cette dérogation a été identifiée dans le cadre de France expérimentation comme étant pertinente pour favoriser l’innovation.

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La commission examine lamendement CS1829 de Mme la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise, à titre expérimental, à permettre aux PME ayant un centre de recherche en France métropolitaine de déroger aux dispositions de la loi sur la biodiversité, qui impose des obligations lourdes de déclaration ou de demande d’autorisation, pour développer leurs activités de recherche et de développement sur les micro-organismes. Ces micro-organismes peuvent avoir un intérêt alimentaire, à l’image des micro-algues, exploitées industriellement pour leur composition nutritionnelle.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

M. Dominique Potier. Une étude d’impact a-t-elle été réalisée sur un sujet aussi important et sensible ? Si ce n’était pas le cas, nous réserverions notre vote.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Ce projet a été retenu dans le cadre de l’appel à projets lancé par France expérimentation concernant les dérogations de nature législative et, à ce titre, inséré dans la sous-section 2 « Protéger les expérimentations de nos entreprises » du projet de loi. Il s’agit d’assouplir sur le territoire métropolitain les conditions entourant le développement des activités de R&D sur les micro-organismes et de mesurer l’impact d’une telle mesure. Est-ce clair ?

M. Dominique Potier. J’aimerais vous faire plaisir, madame la rapporteure, mais il me faudrait expliquer à mes collègues que j’ai voté en faveur d’une expérimentation ayant pour objet d’explorer les conséquences d’une dérogation à des restrictions apportées par prudence, il y a quelques mois, dans une loi ayant fait l’objet d’une étude d’impact… Ce sont des sujets qui méritent d’être éclairés ; il faut en mesurer les conséquences de façon plus explicite. Je vous rejoindrai peut-être en séance, mais je veux, pour le moment, faire preuve de prudence.

M. Charles de Courson. Connaît-on la position du « jeune » ministre en charge de l’environnement ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Par définition, dans la mesure où il s’agit d’une expérimentation, il ne peut y avoir d’étude d’impact avant. Par ailleurs, il semble exister une confusion sur l’objet de cette expérimentation. Il s’agit de levures, produit assez courant et qui fait déjà l’objet de beaucoup de facilités dans les autres pays européens, et non d’organismes très rares.

La commission adopte lamendement. L’article 43 quinquies est ainsi rédigé.

Section 3
Faire évoluer le capital et la gouvernance des entreprises publiques
et financer l’innovation de rupture

Sous‑section 1 :
Aéroports de Paris

Les articles 44 à 50 du présent projet ont pour objet d’organiser les conditions de transfert au secteur privé de la société Aéroports de Paris.

A.   l’État du droit

Aéroports de Paris (ADP) est une société anonyme créée par transformation de l’établissement public industriel et commercial (EPIC) Aéroports de Paris, par la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports.

ADP est titulaire, sans limitation de durée, d’un droit d’exploitation exclusif des aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget, ainsi que de dix aérodromes en Île de France. Elle dispose de filiales, ainsi que de participations, qui en font lun des principaux groupes aéroportuaires au monde. Elle doit y fournir des services aéroportuaires adaptés aux besoins des transporteurs aériens, des autres exploitants d’aéronefs, des passagers et du public. Elle coordonne, sur chaque aérodrome qu’elle exploite, l’action des différents intervenants.

La société ADP s’est vue attribuer, par la loi du 20 avril 2005, la pleine propriété des biens appartenant à lEPIC auquel elle succédait, ainsi que des biens du domaine public de l’État qui avaient été remis en dotation à l’EPIC ou que celui-ci était autorisé à occuper, à l’exception des biens nécessaires à l’exercice, par l’État ou ses établissements publics, de leurs missions de service public concourant à l’activité aéroportuaire. Ceci constitue une exception dans le cadre juridique français, qui prévoit, par principe, que l’État conserve la propriété des infrastructures dont il délègue l’exploitation à un tiers.

Au titre de l’article L. 6323-1 du code des transports, la majorité de son capital doit être détenue par l’État. Celui-ci détient effectivement, aujourd’hui, 50,63 % du capital et 58,5 % des droits de vote. Le reste du capital est détenu par Vinci (8 %), Schipol (8 %), Predica (5,1 %), les salariés (1,9 %) ou d’autres actionnaires (26,4 %). Le montant de la participation de l’État dans le groupe ADP s’élève à 8,8 milliards d’euros. Le rendement de l’action ADP, de 1,9 % en 2017, est inférieur à la moyenne du portefeuille de l’État.

ADP est soumise à un cahier des charges, dont les dispositions sont fixées par le décret n° 2005-828 du 20 juillet 2005 et l’article L. 6323-4, qui détaille notamment ses obligations de service public.

En application de l’article L. 6325-1 du code des transports, un contrat de régulation est également conclu entre l’État et la société ADP, pour une durée de cinq ans, qui fixe le plafond du taux moyen dévolution des redevances aéroportuaires tenant compte, notamment, des prévisions de coûts, de recettes, d’investissements ainsi que d’objectifs de qualité des services publics rendus par l’exploitant d’aérodromes.

En 2017, plus de 102 millions de voyageurs sont passés par les aéroports de la société, et les deux principaux aéroports parisiens emploient, à eux seuls, près de 9 000 personnes. Depuis 2005, Aéroports de Paris a connu une augmentation moyenne de ses revenus de 3,8 % par an et une augmentation moyenne du trafic de ses plateformes parisiennes de 2,1 % par an.

B.   les principaux ÉlÉments du Dispositif proposÉ

● Le présent projet de loi supprime l’obligation pour l’État de détenir la majorité du capital de la société ADP, et autorise ainsi sa privatisation.

Il limite à 70 ans la durée dexploitation – aujourd’hui illimitée – par ADP des aéroports parisiens, période à l’issue de laquelle les actifs, aujourd’hui en pleine propriété d’ADP devront être retournés à l’État pour préserver la continuité du service public, moyennant indemnisation de la société, dont les modalités sont fixées par le texte. L’État sera, à cette date, libre de confier la gestion en concession à un nouvel exploitant. Pendant cette période de 70 ans, les actifs seront incessibles, sauf autorisation de l’État.

Il conserve à lÉtat des leviers de contrôle, notamment au travers du contenu du cahier des charges ou des possibilités de rupture du contrat pour faute de la société. Il comporte ainsi des dispositions :

– en matière de contenu et de gestion du cahier des charges ;

– en matière d’obligations de service public ;

– en matière de fixation des redevances aéroportuaires ;

– en matière de fin du contrat pour faute d’ADP.

Cette réforme entrera en vigueur simultanément au transfert de lentreprise au secteur privé, à l’exception des dispositions autorisant la privatisation et concernant les modalités de celle-ci. De plus, il est prévu d’adopter et de publier, préalablement à la date de privatisation, le décret approuvant le nouveau cahier des charges de la société (qui entrera cependant en vigueur au jour de la privatisation).

La cession de participations publiques ouvrira l’entrée de nouveaux actionnaires, qui lui permettront :

– d’atteindre de plus hauts niveaux d’innovation, de services publics, de qualité de services, pour viser les meilleurs standards mondiaux ;

– de poursuivre sa stratégie de consolidation de croissance à l’international et de conforter le groupe comme leader mondial de l’aéroportuaire.

Cette opération sera profitable pour l’État, dans la mesure où le rendement des actifs ADP est aujourdhui faible – de 1,9 %, contre 4,3 % en moyenne pour le reste du portefeuille. La cession sera donc une opération patrimoniale majeure.

● La possibilité de passer par un régime de concession classique a été écartée pour plusieurs raisons :

– cela aurait imposé à l’État de racheter l’ensemble des actifs, dont la propriété a été transférée à ADP, à leur valeur économique, plus élevée que leur valeur comptable et aurait donc exposé l’État financièrement ;

– cela aurait conduit à une hausse des redevances aéroportuaires, avec des impacts significatifs sur les compagnies aériennes ;

– cela aurait imposé une mise en concurrence, puis la conclusion d’un contrat avec l’opérateur retenu, qui n’aurait pas permis à l’État de garder un contrôle aussi important que celui qu’il aura dans le cadre de la privatisation d’ADP ;

– cela aurait nécessité davantage de temps et n’aurait pas permis de modification effective avant 2022.

Une nationalisation n’aurait pas été compatible avec la Constitution, en l’absence de motif d’intérêt général manifeste, et aurait, en outre, entraîné une exposition financière trop grande de l’État.

Toutefois, si la privatisation semble désormais acquise, plusieurs scénarios de réalisation de cette privatisation sont encore possibles :

– une cession en bloc de la part de l’État à un seul opérateur. Ceci requerrait de recourir à une procédure d’offre publique d’achat (OPA), comme c’est obligatoire pour les prises de participation supérieure à 30 %, et impliquerait que le candidat retenu ait une surface financière solide (il aurait à engager plus de 20 milliards d’euros) ;

– une cession segmentée en plusieurs parts de moins de 30 % (ou ne conduisant pas à porter la participation d’un autre actionnaire déjà présent à plus de 30 %), à plusieurs opérateurs. En ce cas, il pourra s’agir d’une cession par appel d’offres, ou de gré à gré par le biais d’accords industriels ;

– une cession d’une partie seulement des parts de l’État, celui-ci conservant l’autre partie dans son portefeuille.

La Commission des participations et des transferts veillera non seulement à la pertinence du montant de l’indemnité choisi, mais également à la régularité de l’ensemble de la procédure retenue par le Gouvernement. Elle sera, en amont, associée au cahier des charges de la privatisation, auquel elle devra donner un avis conforme.

En tout état de cause, les transactions ne débuteraient pas avant l’automne 2019, après que l’audit des comptes d’ADP aura pu être fait (en février 2019), ainsi que le processus d’enchères ou la réalisation des démarches d’OPA, soumises à l’autorité de la concurrence.

Avant l’article 44

La commission est saisie dun amendement CS2158 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le projet de loi PACTE prépare une cession massive de capital de l’État dans plusieurs entreprises stratégiques, afin de financer le fonds pour l’innovation de rupture. Ce fonds, financé selon nos informations à hauteur de 250 à 300 millions d’euros par la valorisation du capital généré par ces cessions, pourrait être financé tout aussi bien par un fléchage des dividendes perçus par l’État au titre du capital qu’il détient au sein de ces entreprises. De ce fait, il n’y a pas de justification économique à un tel mécanisme, qui entraîne la perte de contrôle des sociétés considérées.

Par cet amendement, nous souhaitons appeler votre attention sur certaines infrastructures, notamment de transport ou d’énergie, qui revêtent un caractère stratégique pour la nation. Il convient que l’État y dispose d’une participation majoritaire ou, a minima, d’une participation permettant une minorité de blocage. Les exemples sont nombreux, mais je voulais appeler l’attention de la rapporteure et du ministre, avec lequel j’ai évoqué déjà à plusieurs reprises ce sujet, sur la question de l’hydroélectricité, un enjeu majeur pour notre pays et pour la réussite de la transition énergétique. Une maîtrise publique est nécessaire pour assurer à la fois le contrôle de cet équilibre du système électrique mais aussi la sûreté des installations, la sécurité des populations et la garantie sur les usages de l’eau.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’État est-il meilleur gestionnaire et régulateur lorsqu’il est au capital des entreprises ou lorsqu’il met en œuvre des mesures permettant d’assurer le contrôle et la régulation ? C’est la question à laquelle répondent les articles 40 à 53. Vous constaterez que nous prenons toutes les mesures nécessaires pour que l’État reste présent au sein de ces entreprises, qu’il puisse agir comme un régulateur, sans pour autant être au capital de la société. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je propose que nous débattions des choix stratégiques de l’État après la pause. Ne lançons pas le débat sur nos choix en matière de cessions d’actifs maintenant !

M. Dominique Potier. BorisVallaud participera à ce débat au nom du groupe socialistes et apparenté, mais puisque vous avez appelé l’amendement portant article additionnel avant l’article 44, j’irai au bout de la démonstration.

Plutôt que de présenter simplement des amendements de suppression, nous voulions mener une réflexion politique de fond. Madame la rapporteure, vous posez le principe que l’État peut être gestionnaire en étant moins présent dans le capital. Nous posons deux questions pour ouvrir le débat. Elles appellent des clivages qui dépassent largement les identités politiques ; pour notre part, nous abordons le sujet des privatisations sans a priori idéologique et culturel – nous y avons parfois procédé lorsque nous étions au pouvoir.

À quoi cela sert-il de céder des actifs qui rapportent plus en dividendes lorsqu’ils sont propriété de l’État que le placement du produit de leur vente ? Autrement dit, lorsque vous avez 100 et que cela produit 10, quel est l’intérêt de vendre 100 pour avoir un rapport de 5 ? Je ne connais personne qui puisse justifier un tel calcul.

Quelle est la nature des éléments cédés ? Nous aimerions disposer d’une liste de ce qui est cessible et de ce qui est incessible. Dans le monde contemporain, et compte tenu des défis du siècle à venir, un aérodrome, un barrage hydroélectrique, un acteur majeur de l’énergie ne sont pas des actifs innocents. La puissance publique doit aider à trouver des solutions à l’échelle du monde.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je comprends, monsieur Potier, que vous souhaitiez exprimer votre vision de ce que doit être le rôle de l’État. Mais si cet amendement venait à être adopté, le débat n’aurait pas lieu. Je propose que nous procédions au vote ; nous aurons un débat de fond sur les amendements suivants.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je reviendrai sur la justification de nos choix politiques, différents des vôtres, mais je veux auparavant répondre aux deux questions que vous venez de poser.

Le rendement moyen d’Aéroports de Paris – ADP – sur les cinq dernières années est de 2,2 %. Le rendement du fonds pour l’innovation de rupture – fixé par arrêté du 7 août 2018 – est de 2,5 %. Il est donc bien supérieur aux dividendes d’ADP. Par ailleurs, ADP a besoin d’investissements : une partie de ces dividendes pourrait servir aux investissements d’ADP, par exemple pour réaliser un quatrième terminal.

Enfin, ce fonds, au-delà du rendement garanti, indispensable pour financer les innovations de rupture, servira, pour 10 milliards d’euros, au désendettement de l’État. On me dira que cela ne représente que 0,5 % de l’intégralité de la dette de l’État, mais tout ce qui va dans le sens du désendettement va dans le bon sens.

La commission rejette lamendement.

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Article 44
(article L. 6323-2-1 [nouveau] du code des transports)
Modification du régime juridique d’Aéroports de Paris

A.   l’État du droit

L’article L. 6323-2 du code des transports dispose que la société ADP est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer les aérodromes de Paris - Charles-de-Gaulle, Paris - Orly, Paris - Le Bourget, ainsi que les aérodromes civils situés dans la région Île-de-France dont la liste est fixée par décret. Le droit actuel ne fixe pas de limitation dans le temps au droit d’exploitation, par ADP, de ces aéroports.

Par ailleurs, le cadre juridique actuel établit la pleine propriété par ADP de ses actifs, en application de l’article 2 de la loi du 20 avril 2005 : « à lexception de ceux qui sont nécessaires à lexercice, par lÉtat ou ses établissements publics, de leurs missions de service public concourant à lactivité aéroportuaire et dont la liste est déterminée par décret en Conseil dÉtat, les biens du domaine public de létablissement public Aéroports de Paris, et ceux du domaine public de lÉtat qui lui ont été remis en dotation ou quil est autorisé à occuper sont déclassés à la date de sa transformation en société. Ils sont attribués à cette même date en pleine propriété à la société Aéroports de Paris ».

Ce régime constitue une exception dans le cadre juridique français, au sein duquel les actifs dont l’État confie l’exploitation à des concessionnaires ou des délégataires demeurent systématiquement la propriété de l’État.

B.   le dispositif proposÉ

L’article 44 modifie le régime juridique d’ADP, pour permettre d’ouvrir davantage son capital aux acteurs privés :

– il limite la durée d’exploitation à 70 ans, de manière à ne pas conférer de droit illimité à un acteur intégralement privé ;

– il prévoit le retour des biens à lÉtat à lissue de la période d’exploitation, pour la même raison.

Il s’agit ainsi d’assurer des contreparties au transfert de l’entreprise au secteur privé.

Les alinéas 1 et 2 instaurent un article additionnel après l’article L. 6323‑2 du code des transports, de manière à limiter à 70 ans la durée d’exploitation des aéroports parisiens par la société ADP.

Cette durée doit permettre de concilier les contraintes liées à la stabilité de l’entreprise, de son organisation et de son modèle économique, à sa cotation sur le marché réglementé et à l’équilibre des finances publiques.

Elle est relativement « classique » dans le cadre des concessions d’infrastructures (le viaduc de Millau a été concédé pour 78 ans, Eurotunnel pour 99 ans, etc.).

Lalinéa 3 prévoit la remise à l’État de la pleine propriété des biens transférés à ADP en application de l’article 2 de la loi du 20 avril 2005, ainsi que ceux que la société aura acquis ou réalisés depuis 2005, à l’expiration du délai de 70 ans. Ces biens comprennent notamment les titres de capital.

Les alinéas 4 à 10 prévoient l’indemnisation de la société au titre du transfert de la propriété des biens d’ADP. Il s’agit, en réalité, d’indemniser les actionnaires pour la perte de lentreprise à lissue du délai de 70 ans.

Cette indemnisation est composée de deux éléments, qui doivent en garantir la justesse et le caractère préalable, deux critères requis par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle renvoie le Préambule de la Constitution :

– un premier versement (alinéas 5 à 7), dès la privatisation de la société, correspondant à la valeur actualisée dexploitation des actifs pour la période courant au-delà de 70 ans, déduction faite dune estimation de la valeur nette comptable des actifs (inscrite au bilan à la date de fin d’exploitation). Il s’agit de garantir le caractère préalable de l’indemnisation. Cette méthode de l’actualisation des flux de trésorerie est une méthode classique d’évaluation financière, selon laquelle la valeur de l’actif économique est égale au montant des flux de trésorerie disponibles futurs générés par l’entreprise, actualisés en fonction de son risque. Elle doit permettre d’évaluer le préjudice subi par la société, correspondant à la perte des flux de trésorerie générés par l’exploitation des actifs, de 70 ans à l’infini (c’est-à-dire par rapport au maintien d’un droit d’exploitation illimité), et est ainsi considérée comme de nature à garantir également le caractère « juste » de l’indemnité ;

– un second versement, au moment du transfert des actifs à lÉtat, correspondant à la valeur nette comptable de ces actifs figurant à son bilan à cette date (alinéa 9). Il s’agit de garantir une indemnisation au plus proche de la réalité du préjudice subi et d’inciter la société à investir dans ses actifs jusqu’à la fin de la période de 70 ans. Il s’agit également d’éviter que l’entreprise n’enregistre une perte comptable au moment du transfert des actifs. Cette valeur nette comptable sera définie par le règlement de l’autorité des normes comptables n° 2014-03 dans sa version au 1er janvier 2017.

Lalinéa 8 précise que le premier élément de l’indemnisation sera déterminé par arrêté du ministre en charge de l’économie, après avis conforme de la commission des participations et des transferts sur ce projet d’arrêté, lui-même formulé après avis dune commission ad hoc, composée de trois membres désignés conjointement par le premier président de la Cour des comptes, le président de l’Autorité des marchés financiers et le président du Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, en raison de leurs compétences financières. La Commission des participations et des transferts estime cet exercice complexe, mais possible. De même, le Conseil d’État estime que l’incertitude est inévitable mais maîtrisée. Les données de base étant relativement prévisibles, le risque de l’erreur manifeste d’appréciation est faible.

Cette indemnisation, pour sa première part tout du moins, devrait être relativement faible, en raison d’un taux élevé d’actualisation. 59 euros dans 70 ans seraient valorisés à 1 euro aujourd’hui, aussi le montant à verser représente en réalité 1/59ème de la valeur future des flux de trésorerie. Le cabinet de M. le ministre Bruno Le  Maire estime que cela devrait représenter entre 5 et 10 % de la valeur actuelle de l’entreprise. D’autres estimations indiquent qu’elle pourrait représenter environ 1,5 milliard d’euros, dont 50 % reviendraient à l’État, détenteur de 50 % du capital, et 50 % iraient aux autres actionnaires.

Dans la mesure où le versement de cette indemnité doit intervenir lors de la privatisation, donc de la vente des actifs de l’État, il n’y aura pas de difficultés de trésorerie pour les pouvoirs publics.

Lalinéa 10 précise que le montant du second versement sera arrêté par le ministre chargé de l’économie et versé par l’État au plus tard à la date du transfert de propriété des actifs à l’État.

Les alinéas 11 à 17 fixent les conditions dans lesquelles lÉtat peut mettre un terme à lexploitation des aéroports et aérodromes confiés à ADP. Ceci peut être fait par arrêté conjoint des ministres chargés de l’aviation civile, de l’économie et du budget (alinéa 11) si l’une de ces cinq conditions se produit :

– ADP interrompt de manière durable ou répétée l’exploitation d’un aéroport (alinéa 12) ;

– ADP atteint, à deux reprises sur quatre exercices successifs, le plafond annuel de pénalités prévu (alinéa 13) ;

– ADP commet un manquement d’une particulière gravité à ses obligations légales et règlementaires (alinéa 14) ;

– ADP est susceptible de ne plus pouvoir assurer la bonne exécution du service public (alinéa 15) ;

– une modification dans le contrôle d’ADP intervient en méconnaissance du cahier des charges (alinéa 16).

En ce cas, l’alinéa 17 prévoit qu’ADP perçoit pour seule indemnité un montant forfaitaire et définitif égal à la valeur nette comptable des actifs concernés par la mesure de fin anticipée.

Enfin, lalinéa 18 prévoit les conditions dans lesquelles ADP doit remettre les biens à lissue de la période dexploitation. Ces biens doivent être en bon état d’entretien. Les modalités de remise sont précisées par le cahier des charges, ainsi que les modalités selon lesquelles l’État peut décider de ne pas reprendre tout ou partie des biens qui ne seraient pas utiles ou nécessaires au fonctionnement du service public à cette date. Les biens doivent être remis libres de toute sûreté, autre qu’une sûreté existant à la date de promulgation de la loi.

C.   la position de la commission spÉciale

Deux amendements significatifs ont été adoptés à l’article 44. Le premier, porté par votre rapporteure et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, permet de fixer l’indemnité versée à Aéroports de Paris (ADP) par décret, plutôt que par arrêté, pour simplifier d’éventuels recours et leur garantir une résolution rapide – la compétence relevant alors, en premier et dernier ressort, du Conseil d’État.

Le second, présenté par notre collègue Éric Woerth et sous-amendé par votre rapporteure, impose la publicité de l’avis rendu par la commission ad hoc sur le projet de décret fixant l’indemnité versée à ADP, au moment du transfert de la majorité du capital d’ADP, c’est-à-dire également au moment du versement de la première partie de cette indemnité.

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*     *

Mme la présidente Olivia Grégoire. L’article 44 « ouvre le bal » des cessions d’actifs envisagées par le Gouvernement. D’ADP à Engie, en passant par la Française des Jeux, nous balayerons des sujets divers mais qui, sur le fond, renvoient tous à une même réflexion, profonde, sur la place que doit occuper l’État dans notre économie.

Je sais d’avance que nous entendrons des avis contradictoires, parfois opposés. En tant que présidente, je souhaite avant tout maintenir la tranquillité, la neutralité des débats et favoriser l’écoute. Aussi, je laisserai la discussion d’ordre général se dérouler dès l’article 44. Comme je m’y suis efforcée jusqu’ici, je laisserai le temps qu’il faut pour ne frustrer personne et que chacun s’exprime. Ensuite, lorsque nous entrerons dans le détail des amendements, je vous demanderai de ne pas rouvrir les débats d’ordre philosophique, mais de vous concentrer sur les mesures techniques. Nous maintiendrons ainsi un rythme de croisière soutenable, qui ne nous gardera pas ici jusqu’à dimanche soir – ce matin, nous avons examiné une centaine d’amendements.

L’article 44 engage la modification du régime juridique d’ADP pour permettre et sécuriser la cession d’actifs.

La commission est saisie de trois amendements de suppression, CS576 de M. Ian Boucard, CS674 de M. Daniel Fasquelle et CS2159 de M. Dominique Potier. 

M. Ian Boucard. Ces articles qui préparent la privatisation d’ADP sont le résultat de choix politiques pas forcément partagés de tous. Il s’agit d’une stratégie à court terme, qui vise à financer le nouveau fonds de l’innovation – pour le coup, une bonne initiative –, sans trop vous éloigner de l’objectif des 3 % de déficit. Le désendettement devrait représenter entre 8 et 10 milliards d’euros, sur une dette publique de 2 320 milliards d’euros. Certes, c’est mieux que rien, mais cela ne remplacera pas les réformes structurelles que nous appelons de nos vœux pour désendetter durablement la France.

Pire, sur le long terme, cette privatisation privera l’État de recettes récurrentes et en augmentation. L’État ne touchera plus les dividendes importants sur lesquels il peut compter aujourd’hui – en 2015, les dividendes versés aux actionnaires ont atteint 129 millions d’euros –, et ce, alors que le trafic aérien et les bénéfices d’ADP sont en progression constante.

Par ailleurs, cette privatisation pourrait avoir un effet néfaste sur le coût du transport aérien pour nos citoyens, ainsi que pour les personnes voulant entrer sur le sol français pour le travail ou le tourisme. S’agissant de la souveraineté nationale, la principale porte d’entrée sur le territoire me semble devoir rester sous le contrôle direct de l’État. Quid de notre compagnie nationale si un acteur étranger venait acheter ADP et augmentait la redevance aéroportuaire ?

Enfin, je ne peux éviter de faire le parallèle avec la privatisation des autoroutes, qui a conduit à une augmentation des prix et à une perte de recettes pour l’État. C’était une erreur, il convient de le constater. Ne continuons pas à brader ce que certains appelleront les bijoux de famille !

M. Daniel Fasquelle. Avec ce texte, vous proposez de protéger les intérêts stratégiques du pays. Et pour ce faire, vous souhaitez vendre un actif stratégique : les aéroports de Paris. Puisque M. le ministre aime les comparaisons internationales, et qu’il s’y est beaucoup livré s’agissant des brevets, je rappellerai qu’il y a plus de 3 000 aéroports aux États-Unis, et que tous sont publics. Il n’est pas raisonnable de vouloir se défaire ainsi de ses actifs stratégiques.

L’enjeu est aussi financier. En vendant cet actif, vous vous priverez de dividendes. Selon une étude de l’association internationale du transport aérien – IATA –, les aéroports privatisés sont en moyenne plus chers que les aéroports publics. Dans une résolution adoptée en juin, l’association a recommandé aux États de ne pas faire passer la perspective d’un gain à court terme avant les intérêts de l’économie et du consommateur. Si l’association des compagnies aériennes demande aux pays du monde entier de ne pas privatiser les aéroports, c’est qu’il doit y avoir une bonne raison ! Par ailleurs, nous avons été échaudés par le dossier des autoroutes, dont Ian Boucard vient de parler.

Par ailleurs, ADP n’est pas une entreprise comme les autres, puisqu’elle est propriétaire d’un foncier très important, ce qui renforce son caractère stratégique. Des questions sur la valorisation de ce foncier, notamment à l’issue de la concession, se posent et les inquiétudes sont nombreuses. Quel est le montant à mettre sur la table pour passer d’une concession illimitée à une concession limitée ? Quel est le coût du rachat du foncier par l’État ?

Nous ne sommes pas favorables à la cession d’ADP, vous l’aurez compris. Comme l’a dit Ian Boucard, vous avez besoin d’abonder un fonds pour l’innovation : comme vous ne pouvez pas recourir à l’emprunt et que vous êtes incapables de faire des économies dans le budget de l’État, vous vendez des actifs stratégiques. Renoncez à cette approche et trouvez des économies pour doter ce fonds tout à fait utile et nécessaire à notre pays !

M. Boris Vallaud. Quelques observations préalables : il semble que vous distinguiez l’État stratège de l’État actionnaire. Or ce que révèle ce projet, c’est qu’il n’y a pas de stratégie de l’État actionnaire, sinon celle du désengagement. Deuxième remarque, les privatisations n’ont jamais tenu lieu de politique industrielle. Troisième remarque, qui vaut pour nous tous, même si les responsabilités personnelles n’entrent évidemment pas en ligne de compte, soyons instruits du passé : lorsque je regarde ce qu’il est advenu de la privatisation de la Compagnie générale d’électricité, je suis inquiet. Il s’agissait d’un fleuron industriel français, un conglomérat, à l’égal de Schneider ou de General Electric. Aujourd’hui, il est démantelé et vendu à l’encan, essentiellement à des entreprises étrangères, parce que l’État n’a pas tenu son rôle. De la même manière, tirons les leçons de la privatisation des autoroutes, dont on sait que, sur le long terme, elle a coûté cher aux contribuables français.

Or vous proposez précisément de vendre un monopole rémunérateur. Vous expliquez que la rémunération du fonds pour l’innovation de rupture aura un rendement supérieur au rendement d’ADP de l’année dernière. Mais nous, nous faisons référence au rendement d’ADP dans dix ans ! En cinq ans, entre 2008 et 2013, le cours de l’action ADP a augmenté de 161 %. Selon les projections, il s’agit de passer à 120 millions de passagers d’ici à 2030 et de constituer le premier aéroport européen. Cela signifie que le cours de l’action – donc les dividendes versés à l’État – augmentera dans les années à venir. Pourquoi vous priver de ces recettes ? Avec cette vente, vous défendez mal les intérêts de l’État, et c’est regrettable.

Vous expliquez qu’une partie du produit de la vente de ces actifs ira au remboursement de la dette. Il existe bien d’autres moyens de rembourser la dette, mais lorsque l’on emprunte à des taux bas, voire à des taux négatifs, ce n’est pas de bonne politique économique que de vendre les bijoux de famille. Vous auriez pu, comme nous l’avons fait pour la banque publique d’investissement, doter ce fonds des participations de l’État actuelles. La réalité, c’est que vous débudgétisez – vous ne voulez pas inscrire de crédits budgétaires pour l’innovation.

Par ailleurs, ADP est une infrastructure stratégique. Il n’y a pas de grands aéroports mondiaux où l’État n’ait pas une place. Avec cette privatisation, nous perdons le lien avec la stratégie de l’entreprise. Il sera impossible pour l’État de choisir – on reviendra sur les questions de double caisse – entre les investissements dans les boutiques, le développement à l’international et l’investissement dans les nécessaires infrastructures nationales. Cela se fera au détriment d’Air France, dont c’est le hub. Il a été dit, fort justement, que les aéroports sous gestion privée sont plus chers que les aéroports sous gestion publique.

Voilà les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cette proposition qui n’a de sens ni sur le plan politique, ni sur le plan économique, ni au regard de la stratégie d’aménagement du territoire francilien.

M. Stéphane Peu. Nous défendrons de nombreux amendements, tant nous sommes opposés à la vision de ce projet de loi, s’agissant des privatisations d’une manière générale et d’ADP en particulier.

Beaucoup d’arguments, que je partage, ont été donnés, j’en ajouterai peut-être deux. Oui, il s’agit d’une vision court-termiste, sans lien avec une quelconque stratégie, d’un Gouvernement qui est là pour quelques années, agit pour son propre compte et ne pense pas à l’avenir du pays.

L’enjeu est hautement stratégique. ADP, ce n’est pas une activité économique obsolète qui n’aurait plus lieu d’être soutenue ou encadrée ! Au contraire, c’est une activité économique en pleine croissance, qui continuera de se développer. Vous avez tous en tête les chiffres de ce que sera demain le trafic aérien, en France et dans le monde.

Par ailleurs, nous touchons à une frontière de notre pays, avec tout ce que cela implique en matière de sécurité, et nous touchons au hub d’Air France, notre compagnie nationale. Aucun pays attentif à sa compagnie nationale ne peut la voir renvoyée au statut d’une compagnie lambda et fragilisée par la hausse potentielle des redevances. Qui peut imaginer qu’un grand pays comme la France se retrouve demain sans compagnie nationale, soumis à des compagnies étrangères ou à des compagnies low-cost ?

Enfin, l’ancien ministre de la transition écologique, en démissionnant, a dit beaucoup sur la difficulté à concilier les enjeux économiques et les enjeux climatiques.
Qui peut nier que l’activité d’un aéroport et la croissance du trafic aérien, l’une des principales sources de pollution, sont liées aux enjeux de la transition énergétique ?

Ce secteur est stratégique parce que les aéroports de Paris sont une frontière, parce qu’ils représentent le hub de notre compagnie nationale, parce qu’ils sont fondamentalement liés à la réflexion sur la transition énergétique. On pourra toujours parler de garde-fous, il n’y en aura pas d’autres que ceux qui encadrent les compagnies privées – les autoroutes sont des exemples parmi bien d’autres – et aucun ne permettra de garantir que ces trois enjeux stratégiques seront protégés.

M. Éric Woerth. Je n’ai pas de religion sur la privatisation d’ADP. De manière générale, je pense que l’État est trop investi dans les entreprises, que c’est de l’argent qui n’est pas utile, et que la privatisation ne nuit pas au contrôle qu’il peut exercer sur un certain nombre d’activités. Je pense que l’on peut faire autrement et je suis plutôt favorable à l’idée qu’il faut désengager en partie l’État, tout en augmentant ses capacités juridiques de contrôle.

Cela étant, l’opération est un peu particulière parce qu’elle porte sur une grande infrastructure, avec tous les dangers que cela peut comporter. Monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous nous expliquer, techniquement, comment vous allez procéder ? En quoi cette mesure agit-elle sur la dette ? Les 10 milliards que vous espérez obtenir seront-ils placés en OAT ; autrement dit, l’État empruntera-t-il sur la base de ces 10 milliards ? Le produit sera-t-il garanti – vous parlez de 250 millions d’euros ? Quel sera le niveau de l’indemnisation à déduire des ressources espérées par l’État ? La question de la double caisse est non négligeable, avec d’un côté le chiffre d’affaires sur la redevance, l’utilisation aéroportuaire et de l’autre, le chiffre d’affaires sur le commercial. Ce chiffre d’affaires impactera-t-il la redevance ? Au fond, l’État n’a-t-il pas intérêt à ce que les compagnies paient moins et retrouvent plus d’oxygène sur le plan financier ?

Enfin, comment comptez-vous prémunir le pays d’actionnaires indésirables – chinois par exemple ? J’accorde peut-être beaucoup trop d’importance à ce point, mais la question se pose lorsque l’on voit les réseaux qui sont créés un peu partout dans les ports et les aéroports. Personne ne doute que l’État conservera son pouvoir régalien et gardera la main sur la police aux frontières, notamment, mais comment comptez-vous nous prémunir d’une acquisition, sans doute très rentable, de la part d’un actionnaire potentiellement indésirable ?

M. Charles de Courson. Je tente toujours de m’intéresser aux problèmes de fond, quitte à adopter des positions que d’aucuns qualifieront d’originales. Je crois que le Gouvernement fait une erreur en expliquant qu’il privatise ces sociétés pour stimuler l’innovation, c’est-à-dire en consacrant les revenus de la vente – 300 millions environ – au financement du fonds pour l’innovation. C’est un très mauvais argument, parce que le produit des dividendes des trois sociétés concernées représente à peu près cette somme.

Le Gouvernement convaincra davantage en expliquant pourquoi il faut privatiser ADP. J’étais le rapporteur du texte qui régit actuellement ADP. Nous nous sommes heurtés à un problème très simple, celui des besoins financiers d’ADP pour son développement en France et à l’international – la grande stratégie consistant à créer un réseau de plateformes. Mais comme l’État étant, chacun le sait, impécunieux, il n’avait pas les moyens et les fonds propres d’ADP, à l’époque établissement public, étaient très faibles. Votre humble serviteur a donc déposé un amendement permettant de transférer la propriété des sols, ce qui a permis un apport en nature de l’État au capital. Même si pas un sou de dividende n’a été distribué depuis, le problème continue de se poser. L’État est à 50 %, et si l’on augmente le capital, il faut que l’État souscrive pour moitié.

Ensuite, l’internationalisation est en route – avec les aéroports africains depuis longtemps ainsi qu’avec la Turquie et d’autres négociations sont en cours.

Il y a par ailleurs le précédent des autoroutes. Je m’étais opposé fermement, avec François Bayrou, à leur privatisation. J’observe que certains qui avaient voté pour le regrettent aujourd’hui. En la matière, les investissements étaient faits, il n’y avait pas d’extension. C’était une machine à cash pour financer notamment la rénovation des routes nationales.

Enfin, l’État conservera tous les moyens de contrôle, et notamment la fixation des péages.

Reste le problème de la double caisse, ou plutôt de la triple caisse, Aéroports de Paris gagnant assez bien sa vie non seulement sur les commerces mais aussi sur l’immobilier, qu’elle concède en faisant des baux emphytéotiques. Faut-il faut utiliser les excédents de ces deux secteurs pour diminuer le montant des péages, ce que demande Air France qui représente environ 50 % du trafic avec KLM ? Je ne le crois pas. Il convient, au contraire, que cette rente soit utilisée pour développer l’entreprise.

Dernier point, ce n’est pas un monopole naturel. Ceux qui pensent avoir un monopole se trompent. Les compagnies peuvent en effet se délocaliser très facilement sur d’autres plateformes. Celles-ci, qu’elles soient publiques ou privées, sont en concurrence.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis favorable, sur le principe, à l’article 44. Mais le Gouvernement n’argumente pas bien pourquoi il veut privatiser Aéroports de Paris.

Mme Marie Lebec, rapporteure. En privatisant Aéroports de Paris, la Française des jeux et ENGIE, le Gouvernement se donne les moyens de sortir d’entreprises qui sont certes stratégiques mais dont la détention de capital ne l’est pas forcément, pour alimenter le Fonds pour l’innovation de rupture qui permettra de soutenir les entreprises de demain. Cela nous permet aussi d’entrer dans la concurrence internationale sur d’autres domaines. Une partie de ce fonds est déjà fléchée en direction de l’intelligence artificielle, secteur d’avenir sur lequel la France doit rattraper son retard, et des nanotechnologies.

Je considère qu’ADP est un actif stratégique et j’espère vous démontrer, lors de l’examen des articles 44 à 50, que nous mettons en œuvre l’ensemble des dispositions nécessaires pour assurer une bonne régulation et le maintien du contrôle de l’État sans pour autant qu’il soit au capital de l’entreprise.

Vos amendements de suppression paraissent contradictoires avec vos propos, puisque l’article 44 prévoit les premières barrières que fixe l’État pour s’assurer du contrôle d’Aéroports de Paris. Cet article précise ainsi qu’ADP est privatisé pour soixante-dix ans et non plus pour une durée illimitée.

Il détermine également les conditions dans lesquelles l’État pourra interrompre le contrat une fois qu’ADP aura été privatisé si la mission n’est pas remplie.

L’ensemble des articles relatifs à ADP nous donnent un regard sur ce qui sera fait plus tard. Ainsi, l’article 49 rappelle aux acquéreurs quelles sont les différentes obligations de service public qu’ils devront accomplir.

Comme vous le voyez, un certain nombre de dispositions permettent de garantir le contrôle de l’État sur la société qui sera privatisée sans qu’il soit nécessairement au capital.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je vous propose de prendre tout le temps nécessaire pour expliquer les choix du Gouvernement. Je vous remercie une fois encore pour la qualité et la précision des questions qui ont été posées.

Monsieur Peu, le Gouvernement pense autant que vous à l’intérêt général. Un Gouvernement qui ne pense qu’à lui n’a jamais existé sous la Ve République. Je souhaite donc que le débat reste au niveau où il a été jusqu’à présent.

Oui, céder un certain nombre d’actifs est un choix stratégique du Gouvernement.

Y a-t-il une stratégie de l’État actionnaire ? Oui. Il y a même, dans tout ce projet de loi, une vraie redéfinition de la place de l’État dans une économie contemporaine, et de celle de l’entreprise. L’entreprise n’a pas uniquement vocation à faire des profits ; elle doit aussi participer à l’intérêt collectif, à l’intérêt social, à l’intérêt environnemental et il faut le reconnaître dans le code civil.

Nous défendons un État actionnaire qui se concentre sur un certain nombre de sujets prioritaires, mais qui accepte de céder des actifs lorsque leur gestion et les investissements peuvent être faits aussi bien, ou mieux, par un acteur privé dans un environnement où nous devons, comme l’a fort bien rappelé Charles de Courson, faire face à une compétition mondiale croissante. Donc, oui l’État restera actionnaire dans les domaines où nous estimons que l’intérêt général est en jeu. Toutes les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays resteront dans le giron de l’État actionnaire. Je pense à la défense, à l’énergie nucléaire avec des entreprises comme Orano, EDF, Thales ou Naval Group. C’est un premier pilier de l’État actionnaire en 2018.

Ensuite, nous voulons évidemment un l’État actionnaire dans les grandes entreprises de service public. Contrairement à ce qu’ont dit certains qui voulaient jouer sur les peurs des Français, il n’a jamais été question de privatiser les groupes qui doivent rester des groupes de service public. Je pense aux grands ports maritimes, à la SNCF, à la RATP et à La Poste – même s’il faudra permettre à celle-ci, alors que le volume du courrier diminue de 6 à 7 % chaque année ce qui engendre une baisse de 550 millions d’euros de recettes, de se développer dans un autre secteur, la banque assurances, avec CNP Assurances. Croire à des grands services publics, ce n’est pas les laisser immobiles face à la concurrence de plus en plus féroce : c’est au contraire leur permettre de se développer pour faire face à la concurrence. Je suis convaincu qu’un service public moderne peut réussir mieux que la concurrence, y compris privée.

Enfin un État actionnaire, c’est un état qui peut intervenir dans certaines entreprises lorsque c’est justifié. Je rappelle que j’ai nationalisé temporairement STX parce que c’était nécessaire pour mener à bien l’opération avec Fincantieri. Cela ne m’a posé aucun problème parce que j’estimais que l’intérêt général de la France était en jeu. C’est la même chose avec Dexia : l’État intervient parce que nous n’allons pas laisser un établissement financier de la taille de Dexia en faillite.

Je le répète, oui il y a une stratégie de l’État actionnaire et nous l’assumons. Monsieur Vallaud, vous devriez vous reconnaître dans cette stratégie, puisque quand vous étiez directeur de cabinet du ministre du redressement productif, vous avez cédé 8 % du capital d’ADP à Vinci.

M. Boris Vallaud. Mais cela reste une entreprise publique !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est bien vous qui avez ouvert le capital d’ADP à une grande entreprise privée, d’ailleurs solide dans le domaine aéroportuaire.

Cette stratégie de l’État actionnaire s’articule avec une vraie stratégie industrielle. On peut ne pas être d’accord avec nos choix, mais nous savons où nous voulons aller. Notre stratégie industrielle repose sur trois choix stratégiques.

Le premier, c’est la formation et la qualification car le premier défi industriel français est éducatif. Nous devons former, qualifier, donner des possibilités d’apprentissage à tous les jeunes qui voudraient s’orienter vers l’industrie. Nous devons mener la bataille culturelle pour l’industrie parce qu’il y a aujourd’hui une méconnaissance ou une dévalorisation des métiers industriels qui pénalise l’industrie. C’est une bataille que nous menons avec Muriel Pénicaud et Jean-Michel Blanquer.

Le deuxième choix consiste à restructurer notre industrie dans des filières plus cohérentes. Nous avons commencé à le faire et nous allons le poursuivre.

Le troisième choix, qui est un axe fondamental, c’est l’investissement dans l’innovation. C’est ce qui m’a amené à me battre pour préserver le crédit d’impôt recherche et le sanctuariser, comme l’a annoncé le Premier ministre. C’est ce qui m’amène aujourd’hui à vous présenter le Fonds pour l’innovation de rupture car notre industrie a besoin de ces innovations de rupture pour rester au niveau mondial. C’est ce qui nous amène également à proposer au Premier ministre et au Président de la République une mesure de suramortissement limitée dans le temps pour les PME quand elles se digitalisent ou se robotisent, parce que nous avons pris dans ce domaine un retard qui pénalise terriblement notre secteur industriel. Je rappelle qu’il y a un peu plus de cent robots pour 10 000 salariés en France, contre 184 en Italie et plus de 300 en Allemagne. Il est donc urgent de rattraper ce retard. On peut être en désaccord avec cette stratégie de l’État actionnaire et notre stratégie industrielle, mais on ne peut pas contester que nous savons où nous voulons aller.

Le Fonds pour l’innovation de rupture est essentiel à nos yeux parce que personne ne veut financer ces domaines. Partout ailleurs dans le monde, notamment en Chine et aux États-Unis, le financement public et privé de l’innovation de rupture est massif. Cela a permis par exemple aux États-Unis d’avoir pris une avance, qui est préoccupante pour notre propre secteur spatial, en matière de lanceurs renouvelables, et à la Chine de faire de même en matière d’intelligence artificielle. Nous avons besoin que la puissance publique investisse dans les nouvelles technologies de rupture et prenne ainsi le relais d’investissements privés insuffisants. C’est le sens de ce Fonds pour l’innovation de rupture. Les premiers chantiers qui sont lancés concernent l’intelligence artificielle, mais on peut parfaitement envisager qu’il puisse aussi servir à la recherche, par exemple sur le stockage de l’énergie renouvelable. Personne ne sait si nous maîtriserons cette technologie de rupture dans cinq, dix, ou quinze ou ans, mais nul n’ignore que le premier continent qui y parviendra aura pris en matière de compétitivité industrielle et de compétitivité économique tout court une avance absolument considérable.

Ce fonds a donc été constitué au sein de l’établissement public Bpifrance, structure contrôlée par l’État. Il est, à ce jour, constitué de numéraires issus des cessions effectuées au second semestre de l’année 2017 – ENGIE et Renault –, et à titre temporaire de titres EDF et Thales.

Je réponds immédiatement à la question très précise que vous m’avez posée, monsieur Woerth, sur la contribution des 10 milliards d’euros au désendettement de l’État. Vous le savez mieux que personne, la dette au sens maastrichtien du terme est une dette nette des actifs investis dans des actifs liquides – on retire les actifs liquides de la dette brute. Les liquidités du fonds viendront donc en déduction de la dette au sens maastrichtien du terme. De manière très concrète, elles vont réduire d’autant les besoins de financement de l’État, donc les émissions de dette de l’État. Certes, 0,5 point en moins, c’est modeste, mais c’est nécessaire alors que notre dette atteint pratiquement 100 % de la richesse nationale. S’agissant de l’évolution de cette dette, je rappelle qu’elle était de 64 % en 2007 et qu’après la crise de 2008 elle avait atteint 97 %. Elle va s’infléchir de quelque 5 points sur la durée du quinquennat.

On me dit qu’on pourrait prendre les dividendes d’ADP ou d’autres entreprises publiques pour financer le Fonds. Je reconnais que la question peut se poser, mais j’affirme que le choix que nous avons fait est sans doute le plus protecteur des intérêts de l’État et des Français parce que nous garantissons la stabilité du rendement à 2,5 %, soit 250 millions d’euros chaque année, autrement dit 2,5 milliards d’euros sur dix ans pour le financement de l’innovation de rupture. Je rappelle que le rendement de ces entreprises publiques n’est pas stable, par définition. On cite les 182 millions d’euros de dividendes d’ADP l’année dernière : c’est parce que la conjoncture est favorable. N’oublions pas qu’ils étaient de 25 millions d’euros en 2005. Bien sûr, on peut dire qu’Aéroports de Paris va se développer, que c’est une infrastructure dynamique, qu’elle est bien gérée, ce que je reconnais bien volontiers, mais personne ne peut garantir aux Français que dans cinq ou dix ans, le montant de ses dividendes sera encore de 182 millions d’euros puisqu’il y a dix ans il était de 50 millions d’euros. Or, en matière de financement des innovations de rupture, nous avons besoin de stabilité. Je revendique le choix que nous faisons car c’est celui qui donnera de la lisibilité sur notre politique d’innovation.

D’autres questions parfaitement légitimes ont été posées sur le choix précis qui est fait pour ADP en tant que tel. L’objectif de l’opération est de déléguer sa gestion et ses investissements à un opérateur privé, en estimant que celui-ci pourra faire aussi bien qu’un opérateur public dont ce n’est pas à mon sens la compétence première. En revanche, nous maintiendrons évidemment la régulation des tarifs et le rôle souverain de l’État en matière de contrôle aux frontières, ainsi que le contrôle des personnes. Je rappelle que cette régulation sera renforcée par rapport à ce qui existe aujourd’hui. Le cahier des charges prévu, qui sera signé entre la puissance publique et le futur concessionnaire, prévoit qu’en cas de désaccord sur les tarifs, ceux-ci seront fixés unilatéralement par l’État. Un commissaire du Gouvernement sera chargé de cette régulation et nous conserverons le contrôle sur la nomination des dirigeants opérationnels. C’est l’État qui devra donner son accord en cas de changement du contrôle de la direction d’Aéroports de Paris. Nous contrôlerons tous les contrats qui dépassent la durée de la concession. C’est nous qui donnerons l’autorisation sur toutes les grandes constructions de commerce, parkings et autres ; c’est nous qui garderons le contrôle sur toutes les installations aéroportuaires ; c’est nous qui garderons la possibilité de résilier la concession en cas de faute ou de non-respect du cahier des charges ; c’est nous enfin qui garderons le contrôle sur le niveau d’endettement de la société.

Nous avons tiré toutes les conséquences des approximations ou des erreurs de l’État lorsqu’a été cédée la concession des autoroutes. C’est pour cela que j’ai exigé, depuis des mois, avec le Président de la République et le Premier ministre, un cahier des charges aussi strict qui renforce la régulation de l’État sur ADP par rapport à la situation existante. C’est un point absolument clé sur lequel je veux rassurer les Français. Nous garantissons les intérêts de nos concitoyens, nous renforçons la sécurité dans le contrôle des frontières et des personnes, et l’État conserve à tout moment le contrôle de la régulation d’Aéroports de Paris dans le schéma qui vous est proposé.

Chacun doit avoir à l’esprit qu’il y a une différence majeure entre ADP et les concessions autoroutières. La régulation tarifaire des autoroutes est définie une fois pour toutes lors de la conclusion du contrat. C’est cela qui a permis aux sociétés autoroutières de tirer un immense bénéfice de la privatisation des autoroutes. La régulation tarifaire des aéroports repose, quant à elle, sur un contrat négocié tous les cinq ans avec fixation annuelle de tarifs qui fait qu’il ne peut pas y avoir de sur-rémunération au-delà du coût moyen pondéré du capital.

Le système pour les concessions autoroutières, sur une période qui peut aller de vingt à quarante ans, garantit aux concessions d’autoroutes une évolution tarifaire minimale par rapport à l’inflation, si bien que la rentabilité des sociétés concessionnaires d’autoroutes n’est pas plafonnée. Or depuis 2005, on a connu une forte baisse des taux d’intérêt, accentuée par la crise financière. Les sociétés concessionnaires qui s’étaient fortement endettées pour la concession et pour les investissements ont donc vu leur coût du capital décroître et la rentabilité associée à l’opération exploser. C’est une réalité liée à la situation financière qui n’avait pas été anticipée et qui est due au fait que la régulation tarifaire des autoroutes est définie une fois pour toutes, sans possibilité de correction au regard du niveau des taux d’intérêt ou de l’inflation. Le taux de rendement interne des sociétés concessionnaires autoroutières avait été évalué aux alentours de 6,5 % en 2005, alors qu’il a été en réalité de 9 %. C’est vrai, elles ont fait une belle opération ! Et, sauf à renationaliser l’ensemble des autoroutes, nous ne pouvons rien faire – mais on entre là dans une perspective totalement différente…

Les investissements réalisés sur le périmètre aéronautique ne peuvent avoir à aucun moment un rendement supérieur au coût moyen pondéré du capital, puisque tous les cinq ans, à l’occasion de la conclusion du contrat de régulation économique, l’ensemble des données économiques sont étudiées, examinées par les compagnies aériennes et validées par l’État. Cela me permet de répondre à la critique concernant Air France. La compagnie participe aussi à la définition des tarifs, elle participe au débat. Elle ne sera donc ni plus ni moins pénalisée avant qu’après l’opération : elle continuera exactement comme avant à participer à la définition des tarifs, tous les cinq ans

J’ai parlé du renforcement du rôle et des prérogatives de puissance publique de l’État : c’est essentiel à mes yeux pour le succès de cette opération. Je veux redire aux Français que nous protégeons leurs intérêts. Je rappelle également qu’Air France ne verra pas ses intérêts lésés puisqu’elle continuera, exactement comme avant, à participer aux décisions sur la définition des tarifs tous les cinq ans, dans le cadre du contrat de régulation économique (CRE).

Enfin, M. Woerth m’a demandé si l’État sortirait totalement du capital et s’il peut y avoir un actionnaire indésirable. Je ne me permettrai pas de citer quels sont les actionnaires indésirables, mais je pense que chacun a les mêmes présents à l’esprit. L’État restera-t-il ou non au capital d’ADP ? La question n’est pas tranchée. Nous vous demandons aujourd’hui de voter la possibilité pour l’État de céder en toute ou partie ses actifs pour qu’ADP soit géré et ses investissements décidés par un opérateur privé. Mais rien n’est encore arrêté sur les modalités de cette opération. J’écouterai attentivement vos propos en la matière. J’espère que le débat portera sur ce point, notamment en séance publique.

Au-delà de la régulation, de la fixation des tarifs, des missions d’intérêt général de contrôle des frontières et des personnes, la présence de l’État peut garantir aussi une meilleure surveillance de l’activité du concessionnaire. Reste à savoir à quelle hauteur. Il faudra en discuter. Ce qui est certain, c’est qu’il y a des arbitrages à faire entre la valorisation patrimoniale d’ADP, qui peut amener à céder le maximum d’actifs, et la nécessité de conserver éventuellement un contrôle de l’État encore plus important. En tout état de cause, les dispositions qui seront fixées sur les modalités de cession nous permettront d’éviter des actionnaires indésirables dans Aéroports de Paris. C’est un engagement du Gouvernement.

S’agissant de la Française des jeux, là aussi je suis très attaché à ce que nous conservions la possibilité d’exercer un contrôle fort sur le risque d’addiction. La mise en place d’une autorité spécifiquement chargée de cette action aura précisément vocation à renforcer encore plus la lutte contre cette addiction qui pourrait être une menace à la fois pour les mineurs et pour l’ordre public en matière de fraude et de blanchiment d’argent.

Dans cette stratégie globale, il y a d’un côté les cessions d’actifs que nous vous proposons pour Aéroports de Paris, la Française des jeux et Engie dans le cadre de régulations que je viens de rappeler, et de l’autre la mise en place d’un pôle financier public qui est l’un des plus importants au monde. C’est donc bien une stratégie qui conserve à l’État un rôle dans notre économie et dans son financement mais qui redéfinit de manière globale avec une vision nouvelle la place respective de l’État et de l’entreprise dans la société française.

Tous ces éléments sont de nature à rassurer les Français. Le Gouvernement a un cap stratégique en matière d’État actionnaire, de politique industrielle et de financement de l’économie. Chacun de ces trois points doit être défini par le projet de loi que nous avons l’honneur d’examiner.

M. Éric Woerth. Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces précisions, même si certaines d’entre elles n’en sont pas vraiment.

Évidemment, le réseau de contraintes sera important. D’abord, la concession d’Aéroports de Paris est fixée pour une durée limitée de soixante-dix ans au terme desquels l’État redevient propriétaire. Cela aura un coût, avec une baisse de rentabilité pour l’actionnaire, donc une baisse du prix d’achat des actions.

Vous n’avez pas évoqué l’indemnisation, qui a elle aussi un coût. Vous allez en effet indemniser les actionnaires d’aujourd’hui pour la dépossession sur les soixante-dix ans.

Vous faites état de 250 millions d’euros de revenus qui serviront à financer le Fonds pour l’innovation de rupture. Il y a déjà eu deux programmes d’investissements d’avenir qui ont été prolongés au-delà du mandat de Nicolas Sarkozy et il y a aujourd’hui également un Grand plan d’investissement. Pourquoi ne pas avoir fondu ces 250 millions d’euros dans ce plan et les nanotechnologies ? Pourquoi cette complexité supplémentaire ?

Sur la dette, les 10 milliards ne seront pas utilisés. Je vois bien le raisonnement maastrichtien, mais le besoin de financement de l’État reste identique. J’imagine que l’État restera au capital d’ADP. Si vous ouvrez cette possibilité, c’est bien que le Gouvernement l’a en tête. En tout cas, je pense que ce serait souhaitable.

Enfin, il faut associer le Parlement au processus de valorisation. C’est pourquoi j’ai déposé des amendements en ce sens – on verra quel sort leur sera réservé.

Sur la Française des jeux, il faut profiter de sa privatisation pour qu’il y ait un régulateur unique. Nous avons créé l’autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, qui a fait ses preuves dans le cadre des moyens qui sont les siens. Il faut avoir une vision globale de la régulation des jeux, qu’il s’agisse des jeux en dur ou des jeux en ligne. Il conviendra aussi probablement de revoir la fiscalité des jeux, qui a un peu vieilli. Cela devait être fait lorsque les jeux en ligne sont devenus licites. Il importera également de s’interroger sur l’ouverture ou non d’un certain nombre de jeux, au-delà du monopole actuel de la Française des jeux. Toutes ces questions doivent être posées lors de la privatisation, parce que c’est bien à ce moment-là que nous devons définir les règles des jeux d’argent en France.

M. Laurent Saint-Martin. Le ministre a fort bien précisé que l’ambition du Gouvernement était bien de remettre l’État à sa juste place et qu’il ne s’agissait en aucun cas de faire moins d’État pour moins d’État.

Je voudrais illustrer la différence entre l’État actionnaire et l’État régulateur en prenant l’exemple de l’aéroport d’Orly que je connais bien pour en être riverain. Un arrêté du 6 octobre 1994 a fixé à 250 000 le nombre maximal de créneaux aériens par an. Que l’État soit actionnaire majoritaire, minoritaire ou plus du tout actionnaire, cet arrêté ministériel n’a nullement vocation à être remis en question, comme l’ont confirmé la ministre des transports et le président d’ADP.

C’est un bon cas d’école pour expliquer que régulation n’est pas actionnariat. Que l’État reste régulateur, plutôt qu’actionnaire, sert d’ailleurs Air France. Car, si vous développez l’aéroport d’Orly, ce sont plutôt les compagnies low cost qui iront s’installer sur cet aéroport, que la compagnie nationale, laquelle risque de perdre des parts de marché. Quant à savoir si cela va dans l’intérêt des particuliers de préserver les parts de marché d’Air France, c’est un autre débat.

Notre collègue Éric Woerth a raison de mentionner le véhicule que constitue le Fonds pour l’innovation de rupture, fort de 250 millions d’euros. Comme membre du comité de surveillance du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et comme ancien salarié d’un des opérateurs qui financent l’innovation, à savoir BPI France, j’observe tout de même une différence entre ces deux types de financement : les procédures en place au SGPI sont peut-être un peu plus lourdes, si on les compare à l’agilité avec laquelle BPI France peut investir en direct, certes pour des montants souvent moins importants. Voilà ce qui justifierait, à mes yeux, de ne pas forcément passer par le SGPI pour utiliser ces 250 millions d’euros.

M. Daniel Fasquelle. Sans conteste, ce fonds sera utile. Mais avouez que 250 millions d’euros ne représentent cependant que très peu, surtout si on prétend faire entrer l’économie française dans le nouveau monde, dans le nouveau siècle et dans la nouvelle économie. Ce fonds est donc nécessaire, mais sa dotation reste très insuffisante.

Vous soutenez, monsieur le ministre, qu’on sait toujours où on veut aller du point de vue stratégique. Ce n’est pourtant pas toujours le cas. Parmi les secteurs stratégiques, vous évoquiez ainsi, tout à l’heure, les grands ports maritimes. Pourquoi ceux‑ci et pas les aéroports ? Je peine à comprendre.

Vous avez parlé de STX : prenons l’exemple d’Alstom. Cette entreprise produit les turbines de nos centrales nucléaires. Pourtant, l’ancien ministre de l’économie, aujourd’hui Président de la République, a largement contribué à la vente d’Alstom Énergie : cela a affaibli Alstom Transport – Les Républicains l’avaient dénoncé à l’époque. Ainsi, le TGV nous échappe maintenant, Alstom étant tombé sous la coupe de Siemens, même si vous soutiendrez le contraire. Loin d’un mariage entre égaux, nous avons vu la disparition d’un fleuron de l’industrie française.

Enfin, l’État doit investir aussi dans les infrastructures essentielles, qui peuvent d’ailleurs être ensuite une source de revenus pour lui. Des erreurs communes à toutes les tendances politiques ont été commises à cet égard. Si l’État avait ainsi développé un réseau de téléphonie mobile, pour le louer ensuite, non seulement tous les Français auraient eu accès à ce type de téléphonie – ce qui n’est pas le cas, aujourd’hui, dans certains endroits de ma circonscription – mais l’État aurait largement amorti ce réseau, qui lui rapporterait de l’argent.

Oui, il faut porter un nouveau regard sur le rôle de l’État. Mais les propositions du Gouvernement, à cet égard, relèvent vraiment de l’ancien monde plutôt que du nouveau. Nous formulerons, quant à nous, dans les mois qui viennent, des propositions sur le rôle que l’État doit avoir dans l’économie française.

M. Boris Vallaud. Si on vous écoute, monsieur le ministre, on se rend compte que la « juste place » de l’État dans les entreprises, c’est pour vous dehors, et non dedans.

Dans le cas d’Alstom, il aurait sans doute été utile que l’État rachète 20 % de Bouygues, pour continuer de peser sur le cours suivi par ce qui constitue un fleuron de l’industrie nationale. Nous savons qu’il y a trois mille doublons entre les sites allemands et les sites français et que les dégâts industriels seront considérables en France, au-delà des délais que vous avez obtenus.

Dans le contrat de régulation économique, Air France n’occupe qu’une place modeste. Certes, à chaque contrat, elle s’efforce d’obtenir une position qui lui soit plus favorable. Mais je pense qu’il lui sera beaucoup plus difficile de négocier un contrat de régulation économique avec un opérateur privé, dont les intérêts seront distincts de ceux de l’État et de ceux d’Air France. En effet, si les compagnies mettent en concurrence les aéroports, les aéroports font de même avec les compagnies. Cela fait donc naître un risque pour Air France ;

Quant au rendement du fonds, vous avez eu raison de souligner qu’on ne peut garantir les rendements d’ADP à l’avenir. Mais vous auriez pu « caper » ce rendement, en offrant la garantie de l’État si ce rendement devait descendre en dessous d’un seuil défini à l’avance. En réalité, nous assistons seulement à une débudgétisation, parce que le Gouvernement ne veut pas assumer le niveau nécessaire de crédits budgétaires en faveur de l’investissement.

Loin de tout fétichisme de la nationalisation, j’estime cependant que l’État doit non seulement intervenir comme régulateur, mais aussi comme architecte de certaines opérations industrielles. Les fétichistes de la privatisation, quant à eux, semblent en revenir ; ainsi, au Royaume-Uni, l’entreprise ferroviaire East Coast pourrait être renationalisée. Nous pourrions tirer des leçons du passé, et de ce qui se passe chez nos voisins.

M. Stéphane Peu. Monsieur le ministre, je ne voulais certes pas dire que le Gouvernement ne pensait qu’à lui, ce qui eût été inutilement polémique. Quand on réfléchit à des cessions d’actifs ou à des privatisations, il est cependant tentant de n’envisager l’avenir qu’à quatre ou cinq ans, plutôt que de développer une vision d’État stratège à moyen terme. en l’occurrence, qu’il s’agisse d’ENGIE, de la Française des jeux ou d’ADP, les enjeux stratégiques de l’État et de la nation française me semblent être sacrifiés à une vision de court terme. Il s’agit seulement de combler le trou du budget.

En outre, de toutes les objections formulées à votre encontre, la seule à laquelle vous n’ayez pas répondu est celle qui portait sur la transition énergétique – ce qui semble donner raison à Nicolas Hulot. Quel est le rôle d’ADP et du développement des infrastructures aéroportuaires dans la transition énergétique ? Quand l’impact d’opérations est tel sur le climat et sur la transition énergétique, l’État doit s’impliquer dans la conduite de ces investissements, qu’il s’agisse de leur rythme, de leur montant ou des enjeux qu’ils recouvrent.

Enfin, je n’ai pas été convaincu de l’absence de risque pour Air France de cette évolution d’ADP. Être autour de la table des négociations tarifaires ne revient pas au même selon que les partenaires sont comme des compagnons ou sont au contraire des représentants d’intérêts divergents. Je persiste à penser, malgré vos explications, que la privatisation d’ADP présente de grands risques pour Air France et pour son hub, l’aéroport de Charles-de-Gaulle.

M. Ian Boucard. Nous avons entendu qu’il ne serait pas forcément bon pour Air France d’investir dans un quatrième terminal, car cela ferait le jeu des compagnies low cost. Pourtant, Air France milite en faveur d’un quatrième terminal, ce qui prouve manifestement que cela va dans son intérêt. Dans le secteur à bas coût, Air France pourrait d’ailleurs y aller plus franchement peut-être, même si elle a déjà lancé Hop! et Joon.

Toutes les compagnies aériennes qui fonctionnent aujourd’hui correctement s’appuient sur un hub fort, en général géré par un État. Sans même parler des Émirats arabes unis ou des compagnies américaines, considérées là-bas comme des actifs stratégiques, comme Daniel Fasquelle nous l’a expliqué, je songe aux pays émergents. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, Turkish Airlines se développe énormément du fait d’une volonté très forte de l’État turc : à l’aéroport d’Istanbul, celui-ci n’hésite pas à faire des investissements considérables.

Sans forcément prendre chez nous les mêmes décisions, nous ne saurions toutefois considérer que la privatisation d’ADP pourra être neutre pour notre compagnie nationale, ne serait que parce que, comme l’a dit Stéphane Peu, ses interlocuteurs changeront.

M. Guillaume Kasbarian. Une commission d’enquête a travaillé durant six mois sur le cas d’Alstom, de sorte que tout a été dit, je crois sur ce thème. Mais je voudrais revenir sur trois points.

Premièrement, j’entends dire que l’État, loin d’être un État stratège, ne voit qu’à court terme et brade les fleurons de l’industrie nationale. Un État stratège est pourtant un État qui doit faire des choix et définir ce qui est stratégique – ou non. Car, si tout est stratégique, plus rien ne l’est vraiment. Si nous devions identifier des entreprises ou des secteurs stratégiques, chacun d’entre nous aurait certainement des réponses très différentes, de sorte qu’on arriverait à couvrir tous les secteurs économiques : agriculture, énergie, télécommunications, industrie lourde, industrie pharmaceutique, industrie de défense, industrie de l’armement, industrie automobile, industrie aéronautique, industrie agroalimentaire… Dans tout cela, n’y a-t-il rien qui ne soit pas stratégique ? L’État ne possède pourtant pas des actions dans tous ces secteurs. Le fait qu’un secteur soit comme stratégique n’exige pas que l’État soit actionnaire des entreprises qui y appartiennent.

Deuxièmement, vous laissez entendre que l’actionnariat apporte une garantie de préservation de nos intérêts stratégiques. Ce n’est pas totalement vrai. Le fait d’être actionnaire ne donne pas forcément la maîtrise de quoi que ce soit. D’abord, un actionnaire très minoritaire ne saurait avoir de poids dans les décisions prises sur la marche de l’entreprise. Ensuite, comme l’a démontré David Azéma dans sa publication LImpossible État actionnaire ?, les intérêts de l’État ne se trouvent pas forcément mieux préservés par le fait qu’il est actionnaire.

Les États-Unis, nos partenaires au sein de l’OTAN, ne considèrent pas du tout qu’il leur faille être actionnaire de leurs entreprises de défense. Les fournisseurs de la défense américaine sont pourtant, sans conteste, des entreprises stratégiques.

Troisièmement, vous invoquez une perte de souveraineté du fait de la privatisation. Comme l’a excellemment démontré notre collègue Saint-Martin, l’État continue cependant de disposer de son pouvoir de régulation, du levier des commandes publiques, des règles et décrets qu’il édicte… autant d’outils de contrôle qui sont, en fait, beaucoup plus puissants que l’actionnariat. Or la privatisation ou la cession de participations ne fait pas renoncer l’État à ces leviers.

Dans le cadre de la privatisation d’un aéroport, il garde ainsi le contrôle de la douane, de la police, des listes de compagnies autorisées ou non à atterrir ou à décoller, mais aussi du contrôle aérien. Dans un secteur stratégique, l’État peut ainsi, sans être actionnaire, avoir des leviers de contrôle qui sont beaucoup plus puissants.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Il y a du vrai dans toutes les interventions que nous venons d’entendre. Elles reflètent moins des postures idéologiques qu’une réflexion collective de philosophie politique sur ce que doit être la place de l’État dans une économie moderne.

Pour moi, la participation de l’État au capital d’une entreprise n’est qu’un moyen, non une fin. Nous fixons trois objectifs à l’intervention de l’État dans l’économie réelle : la régulation, le soutien à l’innovation et la protection. Pour atteindre ces trois objectifs, nous sommes prêts à considérer une éventuelle montée dans le capital des entreprises – permanente ou temporaire – l’obtention d’actions préférentielles… Ces moyens ne sont cependant que la voie empruntée pour atteindre les trois objectifs stratégiques – réguler, innover, protéger.

Qu’est-ce, en outre, qu’un intérêt stratégique ? J’ai rejoint en 2009 la Caisse de dépôt et placement du Québec. Orientée vers des investissements publics de long terme, elle venait de perdre, en 2008, beaucoup d’argent. Parmi les trois investissements qui avaient coûté le plus à la caisse, il y avait un investissement minoritaire dans l’aéroport de Heathrow. Monsieur Vallaud, quand vous soutenez que les dividendes d’un aéroport sont assez stables, je vous engage à vous interroger sur leur pérennité – et sur leur stabilité. Si les choses vont bien aujourd’hui, elles peuvent aller moins bien demain. J’en ai vu un exemple concret.

La Caisse a cependant gardé cet investissement. J’ai pu ainsi constater que le plan d’affaires d’un aéroport repose d’abord sur les revenus, normalement stables et récurrents, tirés des boutiques. Un aéroport, c’est un centre commercial avec des ailes ! Eh bien, à mon sens, le secteur stratégique de l’État n’englobe pas les centres commerciaux avec des ailes… Certes, un aéroport ne se réduit pas à cela. Il y aussi des enjeux de bien commun : la sécurité, la fixation des tarifs, des enjeux environnementaux essentiels, tels que la pollution de l’air ou le bruit. Sur ces sujets-là, il est en effet essentiel que l’État garde une main. C’est bien ce que prévoit ce projet de loi. Il prévoit également que la régulation et l’encadrement des tarifs seront définis dans le cadre d’une négociation entre l’État et le concessionnaire. Si, dans le cadre de cette négociation, l’État veut avoir un impact, que ce soit sur les investissements ou sur la fixation des tarifs, il le pourra.

Quant à Air France, elle est engagée dans une compétition mondiale. Nous souhaitons tous qu’elle l’emporte dans cette bataille difficile, qui met aux prises des compagnies du monde entier. Pour qu’Air France gagne cette compétition mondiale, il faut aussi que son hub soit de classe mondiale. Sans être aujourd’hui dans les premiers de la classe, il se place dans le premier tiers. Il faut que son développement se poursuive ; or les besoins d’investissements sont énormes. Air France ne sera puissante que si son hub est puissant et se développe. La compétition mondiale engagée du côté des compagnies trouve son équivalent dans la compétition engagée entre les aéroports.

Comme élu en Amérique du Nord, il m’arrive de passer pas mal de temps dans les aéroports américains. Je ne pense pas qu’ils soient des exemples d’efficacité, de propreté ou de qualité du service. Certes, ils sont tous publics ; mais ils ne fonctionnent pas très bien. Quand vous consultez le classement des cent premiers aéroports mondiaux, classement établi par les voyageurs, le premier aéroport américain est celui de Cincinnati, à la trente-quatrième place ; celui de Houston est quarante-huitième et celui de San Francisco cinquante-et-unième.

Je pense que notre aéroport national peut faire mieux et que le projet proposé permettra d’y arriver.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je répondrai aux questions précises qui m’ont été posées.

Monsieur Woerth, vous m’avez interrogé sur la méthode d’indemnisation d’ADP. Permettez-moi d’abord de souligner l’incongruité de la situation actuelle. Si l’État a 50,6 % des actifs d’ADP, le secteur privé en détient quant à lui 49,4 %. Des acteurs privés participent ainsi, à hauteur de 49,4 % à l’exploitation, illimitée dans le temps, d’un actif stratégique… Nous ne saurions nous satisfaire de cette situation.

Je trouve d’ailleurs qu’il est impropre d’employer le terme de privatisation. Une privatisation aurait consisté à abaisser la part de l’État dans le capital d’ADP à 40 % ou à 30 %. C’était, de loin, la solution la plus simple ; une simple ligne dans le projet de loi PACTE aurait épargné des débats très longs. J’ai pourtant écarté d’emblée cette proposition, que je n’ai faite ni au Premier ministre ni au Président de la République, car c’eût été donner à un acteur privé la détention illimitée des pistes, du foncier, des boutiques, des hôtels et des infrastructures. Nous avons opté pour une concession d’une durée de soixante-dix ans.

Nous devons par conséquent indemniser ADP de sa perte d’une exploitation infinie au profit d’une exploitation limitée dans le temps, à savoir pour une période de soixante-dix ans. De ce point de vue, je considère que nos intérêts stratégiques et les intérêts publics français se trouvent renforcés. Le préjudice sera évalué par la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie futurs ; l’indemnisation sera versée en deux temps. Un premier versement sera effectué lors de la mise en place du nouveau régime, un second à l’issue de la période d’exploitation de soixante-dix ans. Ce second versement correspondra à la valeur nette comptable constatée des actifs à cette date. Il soldera l’indemnité et permettra une indemnisation qui soit la plus juste possible.

Nous n’allons pas décider seuls de cette indemnisation. Au contraire, elle sera soumise à un organisme indépendant, la commission des participations et des transferts, qui est compétente pour se prononcer lorsque l’État cède des participations dans des sociétés. Elle rendra un avis sur le montant proposé par l’État, pour que cette indemnisation soit juste.

Monsieur Woerth, vous avez également évoqué la nécessaire clarification de la fiscalité de la Française des jeux, comme des jeux de hasard en général. Je suis ouvert à cette discussion, soit dans le cadre de l’examen du présent projet de loi, soit ultérieurement.

Monsieur Fasquelle, vous dites que le Fonds pour l’innovation est insuffisamment abondé. Je rappelle que son aide s’élève cependant, sur dix ans, à 2,5 milliards d’euros. S’y ajoutent les six à sept milliards d’euros du crédit d’impôt recherche, ainsi que les dix milliards d’euros par an de la fin du Programme d’investissement d’avenir (PIA). En outre, nous souhaitons que ce fonds, aujourd’hui national, évolue demain hors de nos frontières. Le Président de la République a déjà proposé à la chancelière allemande la création d’un fonds franco-allemand, préfiguration d’un fonds européen dont les moyens financiers démultipliés seront à la hauteur de ce que réclament les innovations de rupture.

En ce qui concerne les investissements dans des infrastructures essentielles, je reconnais qu’il puisse y en avoir besoin. Cela fait partie du rôle de l’État d’en réaliser.

Monsieur Vallaud, vous m’avez, avec M. Peu, interrogé sur Air France. Il n’y a aucun changement par rapport à la situation existante. Vous prétendez que la compagnie aurait plus de possibilités d’influer, du fait du caractère public d’ADP. Ce n’est pas le cas. Air France donne son avis sur la fixation des tarifs aéroportuaires établie tous les cinq ans par le contrat de régulation économique (CRE). L’entreprise continuera de le faire. Elle se plaint déjà du faible niveau des tarifs. On peut donc reconnaître qu’elle n’est pas satisfaite aujourd’hui. Elle ne le sera peut-être pas plus demain. Mais le passage à un régime de concession ne modifie en rien les termes du débat sur ce sujet-là.

Ensuite, pour répondre à des arguments parfois avancés par Air France, j’attire votre attention sur le fait que les taxes aéroportuaires ne représentent que 3 % à 4 % des coûts d’Air France, contre 30 % pour ses coûts de personnel. Mieux vaut donc faire porter les efforts et les gains de compétitivité sur ce dernier poste, me semble-t-il. Ce sera plus efficace !

Voici mon sentiment profond : l’avenir d’Air France se joue non pas dans le niveau des taxes aéroportuaires, mais dans le retour de la compétitivité et du dialogue social au sein de l’entreprise, avec notamment la fin des grèves systématiques qui sont parfois le seul argument employé, avant même l’amorce de toute discussion. Voilà ce qui amènera le relèvement d’Air France que j’appelle de mes vœux.

Nous avons fait, pour sa direction, le choix d’un dirigeant et d’un responsable spécialiste du secteur aérien. Je crois profondément que ce choix permettra le relèvement de cette compagnie à laquelle nous sommes tous attachés.

Enfin, monsieur Vallaud, je partage totalement votre opinion que l’État doit jouer, dans certaines opérations industrielles, un rôle d’architecte. La question des choix à prendre se posera bientôt dans le domaine de l’énergie, notamment celle du mix énergétique et du calendrier de la transition énergétique. Voilà un domaine où une planification de l’État est nécessaire. Je n’hésite pas à employer ce terme, car les investissements sont tellement considérables qu’on a besoin de savoir où nous allons à quinze, vingt ou vingt-cinq ans.

Monsieur Peu, je n’avais effectivement pas répondu à votre question sur la transition énergétique et sur les obligations d’ADP en matière environnementale. C’est une question clé. L’entreprise ADP a déjà des obligations en matière environnementale, notamment en matière de construction. Je pense que nous pouvons renforcer ces obligations. Je suis favorable à ce que nous écrivions dans la loi qu’ADP doit tenir compte de l’impact de ses activités sur l’environnement. Même si cela n’est pas prévu pour le moment, cela ne me pose aucune difficulté. Je suis ouvert aux suggestions en ce domaine.

Sur le plan de la méthode, je suis convaincu que nos discussions vont permettre d’améliorer le texte et d’éclairer le Gouvernement, notamment s’agissant du maintien, ou non, de l’État dans le capital d’ADP, ou encore de la question environnementale. C’est l’objet du débat parlementaire.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous échangeons ainsi librement depuis une heure et demie. Je suggère que nous reprenions maintenant l’examen des amendements.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable sur les trois amendements de suppression.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements CS576, CS674 et CS2159. 

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS274, CS273 et CS272 de M. Stéphane Peu et CS675 de M. Daniel Fasquelle. 

M. Stéphane Peu. Je présenterai de manière groupée mes trois amendements. Ils portent tous sur la durée de la concession. La concession envisagée pour ADP représente plus du double de celle qui a été octroyée aux investisseurs privés dans le cadre de la privatisation des aéroports de Lyon ou de Toulouse, sans qu’aucune des spécificités d’ADP ne parvienne à justifier d’une durée aussi importante.

Nous faisons remarquer que l’ordonnance du 29 janvier 2016 pose le principe d’une durée limitée, calculée en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements. Son décret d’application du 1er février 2016 précise que la durée du contrat ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il amorce les investissements réalisés pour l’exploitation des ouvrages ou services.

En conséquence, ces amendements visent à appliquer une durée de concession plus limitée eu égard à ce qui s’est fait dans le cadre des autres privatisations en France et à l’international.

Le premier propose donc une limitation de la concession à dix ans, le deuxième à vingt ans et le troisième à trente ans. Ces différentes durées me semblent plus raisonnables et plus équilibrées que les soixante-dix ans envisagés.

M. Daniel Fasquelle. Si aucun de ces trois seuils ne vous convient, je vous propose de diviser simplement par deux la durée proposée dans l’article, pour limiter la concession à trente-cinq ans.

Mme Marie Lebec, rapporteure. La durée de soixante-dix ans est relativement classique. Le viaduc de Millau est ainsi concédé pour soixante-dix-huit ans et Eurotunnel pour quatre-vingt-dix-neuf ans. La durée de soixante-dix ans prend en compte les contraintes liées à la stabilité de l’entreprise, notamment en matière d’investissements. Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Permettez-moi de vous faire remarquer à nouveau que la durée de soixante-dix ans représente une amélioration très significative par rapport à … l’infini. Actuellement, les actionnaires privés, même s’ils sont minoritaires, ont en effet devant eux l’éternité… La durée de soixante-dix ans marque donc une nette amélioration par rapport à l’éternité.

Ensuite, il faut de la durée et de la visibilité pour faire des investissements aussi importants sur l’infrastructure. La durée de soixante-dix ans nous semble donc raisonnable. Comme l’a rappelé la rapporteure, c’est similaire à la durée de la concession du tunnel routier du Fréjus, du tunnel du Mont-Blanc ou du viaduc de Millau.

M. Ian Boucard. Dans ces exemples, la concession a été octroyée alors que l’ouvrage n’était pas encore construit, en particulier pour le viaduc de Millau. S’agissant d’ADP, les infrastructures sont là. Même si des investissements devront être effectués, des bases solides existent d’ores et déjà. Elles permettent d’ailleurs à cette entreprise d’être rentable.

L’État a vendu les autoroutes trente-cinq ans après leur construction, si ma mémoire est bonne, au moment, précisément, où ces ouvrages devenaient rentables, ce qui n’avait pas manqué de susciter des discussions animées. De ce point de vue, l’amendement de Daniel Fasquelle me semble intéressant, si on imagine que les investissements réalisés par les concessionnaires seront rentabilisés eux aussi d’ici à trente-cinq ans.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Nous avons passé une heure et demie à expliquer que le modèle d’ADP n’est en rien similaire au modèle d’exploitation des autoroutes. Je suis donc étonnée qu’on y revienne encore.

M. Charles de Courson. Pourquoi soixante-dix ans ? On nous dit de regarder les infrastructures nouvelles telles que le tunnel du Fréjus ou le viaduc de Millau mais on n’est pas du tout dans le même cas. ADP, c’est déjà près de 70 millions de voyageurs. D’ailleurs, les durées d’amortissement des pistes d’ADP ne sont absolument pas de soixante-dix ans. Je trouve donc cette durée un peu trop longue. En outre, plus vous réduirez la durée, plus l’indemnité – telle que vous envisagez de la calculer – diminuera puisqu’elle correspond à la valeur actualisée des cash flows futurs sur soixante-dix ans. Cela permettrait de faire une petite économie. Trente-cinq ans me semble la bonne durée.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. J’entends tous ces arguments. Cependant, il reste des investissements très lourds à faire, notamment à l’aéroport Charles-de-Gaulle, qui justifient une durée de concession plus longue. D’autre part, contrairement à ce que vient de dire Charles de Courson, quand vous échangez l’éternité contre une durée, plus celle-ci est courte et plus le montant de l’indemnisation est élevé. Or les intérêts patrimoniaux de l’État pourraient être remis en cause si la valeur d’indemnisation excède ou approche la valeur de cession. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements CS274, CS273, CS272 et CS675.

Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels CS626 et CS628 de la rapporteure.

Elle en vient à lamendement CS403 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’article 44 prévoit en 2089 la restitution à l’État de tous les titres de capital détenus par ADP dans des entreprises, quelles que soient ces entreprises et à partir du moment où elles exercent une partie, même infime, de leur activité en Île-de-France. Cette mesure paraît disproportionnée. Il convient donc de la préciser en la limitant, d’une part, aux entreprises liées à l’activité aéroportuaire et d’autre part, qui exercent majoritairement leur activité en Île-de-France.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. On ne peut pas ne restituer à l’État que les titres des entreprises dont l’activité est majoritairement située en Île-de-France car il peut y avoir des activités situées en Île-de-France ou hors de l’Île-de-France qui, bien que minoritaires, sont fondamentales.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. L’État indemnise tout. Il est donc normal que tout soit restitué à l’État à l’issue de la période de soixante-dix ans.

M. Charles de Courson. Tout ne sera pas restitué, puisque le projet de loi prévoit que si l’activité n’est pas située au moins partiellement en Île-de-France, les titres ne seront pas restitués à l’État. Si vous jugez excessif de fixer un minimum à 50 %, fixez-le à 5 ou à 10 %. On ne va pas restituer des activités qui ne sont qu’à quelques pourcents en Île-de-France. Je retire mon amendement et en déposerai un autre fixant un minimum à 5 %.

Lamendement CS403 est retiré.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la commission rejette lamendement CS277 de M. Stéphane Peu.

Elle aborde lamendement CS402 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. J’ai trouvé étonnante la rédaction de l’article. En effet, à l’occasion des nationalisations et privatisations antérieures, on a toujours procédé de la même manière : on confiait le dossier à un groupe de trois experts, l’un de la Cour de cassation, l’autre de la Cour des comptes et le troisième, du Conseil d’État. Ils procédaient à une estimation selon les deux méthodes pratiquées, combinées : celle de la valeur patrimoniale et celle des cash flows actualisés. Curieusement, vous utilisez exclusivement la méthode du cash flow actualisé. Ce n’est pas à la loi de choisir une méthode. Les experts transmettront leur estimation à la commission de privatisation, qui vérifiera si la méthodologie utilisée est correcte. Après, c’est vous, monsieur le ministre, qui ferez un choix. Je pense que cet article pose un problème constitutionnel.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Vous proposez que la méthode de calcul de l’indemnisation soit non plus fixée par la loi mais par d’autres instances compétentes alors même que, pour garantir que l’expropriation est équitable, il faut que le calcul de l’indemnisation soit prévu par la loi.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Nous estimons que le fait de préciser la méthode d’indemnisation dans la loi sécurise juridiquement l’opération. Comme vous le dites très bien, il existe en effet deux méthodes d’indemnisation. Nous avons écarté celle qui repose sur la base des actifs car il est impossible de déterminer ce que sera la valeur des actifs dans soixante-dix ans. Le calcul sera donc effectué sur la base du cash flow, suivant la méthode que vous avez vous-même définie. Ce choix a été soumis au Conseil d’État. Des experts juridiques se sont donc penchés longuement sur le sujet. Dans son avis, le Conseil d’État considère qu’il s’agit d’une méthode classique d’évaluation des entreprises. Il précise qu’en l’espèce, on ne peut pas lui opposer de méthode plus pertinente.

M. Charles de Courson. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire : l’indemnisation doit être juste et préalable. Vous vous souvenez de ce qui est arrivé à nos collègues de gauche quand ils ont nationalisé : leurs décisions ont été annulées par le Conseil constitutionnel car les modalités de calcul qu’ils avaient retenues n’étaient pas justes. Il a fallu délibérer à nouveau et confier à une commission le soin d’évaluer l’indemnisation. Il serait plus prudent d’en faire autant car vous ne savez pas ce qui peut se passer en soixante-dix ans. Le Gouvernement recourt d’ailleurs ici à un mélange des deux méthodes, s’appuyant sur la valeur actualisée déduction faite de la valeur nette comptable des mêmes biens à la fin de l’exploitation mentionnée – c’est-à-dire dans soixante-dix ans. Je le répète : j’ai des doutes quant à la constitutionnalité de cet article.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. La comparaison n’est absolument pas pertinente. Dans le cas des nationalisations de 1982, le Gouvernement avait choisi de retenir comme seul critère d’indemnisation un prix qui n’était pas conforme au prix de bourse des actifs nationalisés. Le Conseil constitutionnel avait donc indiqué qu’il fallait indemniser les acteurs privés à juste valeur. Nous, au contraire, retenons la seule méthode d’indemnisation quoi soit considérée comme juste par le Conseil d’État : elle repose sur la valeur nette comptable des actifs. Nous avons sécurisé juridiquement le montant et la méthode d’indemnisation.

La commission rejette lamendement.

Elle étudie lamendement CS880 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement a pour objectif de nous assurer que les recours éventuels qui seront introduits contre le texte fixant le montant de l’indemnité seront traités rapidement et donc directement devant le Conseil d’État.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable. Cela accélérera effectivement la procédure.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS478 de M. Éric Woerth et du sous-amendement CS2390 de la rapporteure Marie Lebec. 

M. Éric Woerth. Il s’agit d’associer le Parlement à la valorisation de l’indemnisation en élargissant la composition de la commission ad hoc à deux représentants du Parlement. Je suis persuadé qu’on trouvera au moins une personne compétente parmi les 577 députés pour siéger de façon efficace au sein de cette commission... Il s’agit aussi de permettre aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat de bénéficier d’une information en temps réel et de prévoir que cette information soit rendue publique. Le sous-amendement de la rapporteure dévitalise une bonne partie de mon amendement en supprimant la disposition visant à associer le Parlement à l’avis de valorisation donné à la commission des participations. Je regretterais donc qu’il soit adopté.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Le sous-amendement CS2390 a pour objet de ne conserver qu’une partie de l’amendement. Le 1° qui a pour objet de prévoir la présence d’un député et d’un sénateur dans la commission ad hoc chargée de calculer l’indemnité versée à ADP présente des difficultés. Il ne devrait pas s’agir d’une instance politique mais d’une instance purement technique. Les personnes retenues par le projet de loi pour faire partie de cette commission le sont pour leurs compétences. Il s’agit du premier président de la Cour des comptes, du président de l’Autorité des marchés financiers et du président du Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je partage l’objectif, poursuivi par Éric Woerth, de bonne information du Parlement mais en l’espèce, le mieux est l’ennemi du bien. Si nous prévoyons la présence de responsables politique dans cette commission, composée d’experts indépendants et chargée de rendre un avis sur l’indemnité, je crains que cela se retourne contre nous et que les actionnaires individuels nous le reprochent. Ils pourraient considérer en effet que ces responsables politiques ont par définition un engagement et qu’ils peuvent être juges et parties. Il est donc préférable d’adopter votre amendement tel que modifié par le sous-amendement de la rapporteure. Ainsi, le Parlement sera informé et il y aura publication de l’avis après la privatisation.

M. Éric Woerth. Beaucoup de choses se retournent contre nous sans qu’en général, on l’ait prévu avant…Cela fait le charme de la vie politique. (Sourires.) On peut considérer en effet que ce n’est pas le rôle du Parlement que d’entrer directement dans le vif des sujets, mais il s’agit là d’un bien national à valoriser. Il est donc normal que des élus de la nation, dont certains sont aussi compétents que les personnes que peut nommer la Cour des comptes, puissent participer à une commission saisie pour avis et non pour rendre une décision.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il ne s’agit pas de la valorisation d’une société mais de l’indemnisation d’ADP, acteur privé. Je suis réservé quant à l’idée que des parlementaires se prononcent techniquement sur le montant de l’indemnisation d’un actionnaire privé.

M. Charles de Courson. Certes, on ne rachète pas des actions, mais des actifs. Cependant, les actifs sont un élément de valorisation de l’entreprise, qui est cotée en bourse. On peut déduire une valeur implicite que valorise le marché des actifs par différence entre la valeur de l’entreprise et les actifs non rachetés. Vous avez donc raison mais partiellement tort.

La commission adopte le sous-amendement CS2390 puis lamendement CS478 sous-amendé.

Elle aborde lamendement CS275 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Cet amendement vise à permettre à l’État de mettre un terme à la concession, intégralement ou partiellement, dans le cas où le groupe Aéroports de Paris manquerait aux objectifs en matière de préservation de l’emploi et des conditions de travail des salariés que nous proposons par ailleurs de fixer dans son cahier des charges.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Si on reprend les mécanismes qui existent actuellement, le cahier des charges mentionné à l’article L. 6323-4 du code des transports ne fixe aucun engagement en matière d’emploi et de conditions de travail. Le conseil d’administration propose la convention collective qui doit être approuvée par le ministre des transports. Aucun changement n’est prévu de ce point de vue dans le cahier des charges. Enfin, il ne me paraît pas pertinent de figer pour soixante-dix ans l’évolution de l’emploi et des conditions de travail d’ADP.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

M. Stéphane Peu. Il ne faut pas travestir mes amendements ! Je n’ai pas proposé de figer pendant soixante-dix ans les conditions de travail d’ADP ! Il s’agit de permettre à l’État de reprendre en partie ou en totalité la concession en cas de manquement aux conditions de travail et d’emploi fixées dans le cahier des charges pendant la durée de la concession. Reste à les fixer dans le cahier des charges. Par parenthèse, il faudrait de temps en temps écouter les acteurs concernés par les lois que nous votons : lorsqu’ils sont tous opposés aux dispositions proposées, ce n’est jamais bon pour la suite. En l’occurrence, les salariés d’ADP, tous syndicats confondus, sont hostiles à ce texte. Ne pas traiter la question de l’emploi et des conditions de travail, ne pas prévoir de garde-fou en la matière dans ce projet de loi ne sera pas de nature à les rassurer.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous prie de m’excuser, monsieur Peu, si vous estimez que j’ai travesti votre amendement : ce n’était pas mon intention. Je voulais simplement dire que les dispositions actuelles du cahier des charges relatives aux conditions de travail et à la préservation de l’emploi ne seront pas modifiées. Je pense notamment aux garanties fixées par la convention collective qui doivent être approuvées par le ministre des transports.

La commission rejette lamendement CS275.

Elle examine lamendement CS276 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. J’imagine, après avoir entendu M. le ministre, que le cahier des charges comprendra des clauses environnementales ou visant au respect des critères relatifs à la transition énergétique. Cependant, ces clauses ne vaudront rien si nous ne nous dotons pas d’outils pour les faire respecter. Nous proposons que l’État puisse mettre un terme intégralement ou partiellement à la concession dans le cas où le groupe Aéroports de Paris manquerait à ses objectifs en matière de préservation de l’environnement.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement. Cependant, à la suite de notre rencontre avec les syndicats, nous avons souhaité que des dispositions protectrices de l’environnement soient incluses dans le cahier des charges. Cette question sera débattue un peu plus tard. Des sanctions pécuniaires, d’un montant de 2 % du chiffre d’affaires par manquement sont également prévues.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. J’approuve l’intention, mais la sanction me semble un peu excessive, puisque cela revient à mettre un terme à la concession. J’invite M. Peu à retirer son amendement. D’autres amendements, déposés par le rapporteur général, seront examinés qui visent à renforcer le cahier des charges en matière environnementale.

M. Stéphane Peu. Je suis prêt à retirer mon amendement mais la question que je soulève est celle des moyens de faire respecter le cahier des charges.

Lamendement CS276 est retiré.

La commission aborde lamendement CS700 de Mme la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que les cinq cas de faute énumérés dans le projet de loi ne sont pas cumulatifs et que la réalisation d’un seul d’entre eux suffit à permettre aux ministres concernés de mettre fin à la mission confiée à Aéroports de Paris.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable à cet amendement qui renforce la faculté de mettre fin au contrat. Je veux dire à nouveau à M. Peu qu’on peut effectivement singulariser la condition environnementale dans ce cahier des charges.

La commission adopte lamendement.

Elle étudie lamendement CS404 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. J’ai été un peu étonné par l’alinéa 17 qui prévoit de transférer des actifs à l’État, moyennant une indemnité lorsqu’il est mis fin à la mission d’ADP en cas de manquement. Mais l’indemnité de rupture prévue est fixée dans la loi au montant net comptable des biens qui ont été concédés, ce qui n’est pas possible. Il y aura indemnisation sur le fondement d’une expertise, à la suite d’un contentieux. Il n’est pas du domaine de la loi que de fixer cette indemnisation. Mon amendement précise donc que cette indemnisation sera fixée dans les conditions de droit commun pour éviter une éventuelle annulation du dispositif par le Conseil constitutionnel sur le fondement du droit de propriété.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable : la mission et le statut d’ADP sont sui generis et non de droit commun. Cela étant, dans les faits, l’objectif est de se rapprocher le plus possible du droit commun.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Plus le législateur est précis, moins il y a de contentieux. C’est pourquoi nous apportons cette précision dans la loi.

M. Charles de Courson. Le Conseil constitutionnel exige que l’indemnisation soit juste et préalable. Vous faites donc une erreur en faisant figurer cette disposition dans la loi.

M. Daniel Fasquelle. Gravons ce propos de M. le ministre : « plus le législateur est précis, moins il y a de risques de contentieux ». J’espère que vous vous appuierez sur cette phrase pour revenir sur la rédaction que vous proposez de l’objet social dans le code civil : cette rédaction est une folie au regard des contentieux qu’elle va entraîner.

La commission rejette lamendement CS404.

Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels CS631 et CS630 de la rapporteure. 

Puis elle adopte larticle 44 modifié.

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*     *

Article 45
(articles L. 6323-2 et L. 6323-4 du code des transports)
Cahier des charges d’Aéroports de Paris

A.   l’État du droit

L’article L. 6323-2 du code des transports fixe la liste des aéroports qu’ADP est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer : il s’agit de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget, ainsi que des « aérodromes civils situés dans la région Île de France, dont la liste est fixée par décret ».

L’article L. 6323-4 du même code établit l’existence d’un cahier des charges, approuvé par décret en Conseil d’État. Ce cahier des charges fixe les conditions dans lesquelles la société ADP assure les services publics liés à l’exploitation des aérodromes qui lui sont confiés.

L’article précise que ce cahier des charges mentionne également :

– les modalités selon lesquelles ADP assure la répartition des transporteurs aériens ;

– les modalités du concours d’ADP à l’exercice des services de navigation aérienne assurés par l’État ;

– les modalités du contrôle, par l’État, du respect des obligations incombant à la société au titre de ses missions de service public ;

– les modalités de l’accès des personnels de l’État et de ses établissements publics à l’ensemble du domaine aéroportuaire de la société pour l’exercice de leurs missions ;

– et les modalités du contrôle par l’État des contrats par lesquels ADP délègue à des tiers l’exécution de certaines de ses missions.

Cet article précise que l’autorité administrative peut, en cas de manquement, prononcer une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à l’ampleur du dommage et aux avantages tirés du manquement, dans une limite de 0,1 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice, porté à 0,2 % en cas de récidive.

B.   le dispositif proposÉ

L’article 44 a pour objet principal de renforcer le cahier des charges applicable à ADP pour y inclure un plus grand nombre dexigences et de prérogatives des pouvoirs publics.

Il doit résulter de l’ensemble de ces dispositions un contrôle de lÉtat sur ses actifs et une bonne information quant à la gestion faite par ADP des aérodromes dont il a la charge. Ainsi, l’État disposera, pour la première fois, d’un pouvoir d’autorisation sur les investissements, les travaux et les changements de contrôle de la société. Ce cahier des charges ne sera pas un simple contrat – comme dans le cas des autoroutes – mais fixé par la loi et par décret. Il n’y aura donc pas de marge de négociation pour le futur actionnaire sur le champ de la régulation de l’État.

Les nouvelles modalités de régulation seront précisées avant le lancement de la procédure de privatisation, de manière à donner aux acquéreurs potentiels une vision claire du cadre dans lequel l’entreprise exercera à l’avenir.

Les alinéas 1 et 2 modifient l’article L. 6323-2 pour préciser les aérodromes qu’ADP est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer, en établissant une liste exhaustive ne renvoyant plus au décret. Il s’agit des onze aérodromes suivants : Chavenay-Villepreux, Chelles-Le Pin, Coulommiers-Voisins, Étampes-Mondésir, Lognes-Emerainville, Meaux-Esbly, Paris-Issy-les-Moulineaux, Persan‑Beaumont, Pontoise-Cormeilles-en-Vexin, Saint-Cyr-l’École et Toussus-le-Noble.

Lalinéa 3 rappelle explicitement, à ce même article L. 6323-2, qu’ADP est chargée d’exploiter ces aérodromes, « dans le respect du cahier des charges mentionné à larticle L. 6323-4 ».

Les alinéas 4 à 23 accroissent la liste des mentions et précisions devant figurer au cahier des charges. Il s’agit notamment :

– des modalités d’application des articles créés ou modifiés par la loi : L. 6323-2-1, L. 6323-4, L. 6323-6 et L. 6325-2 (alinéa 6) ;

– des modalités selon lesquelles l’État, en l’absence d’accord avec ADP, pourra fixer lui-même les conditions de réalisation du service public aéroportuaire, les niveaux de performance à atteindre et les orientations sur le développement des aérodromes, ainsi que les sanctions si ces niveaux ne sont pas atteints (alinéa 8) ;

– des modalités selon lesquelles un commissaire du Gouvernement participe à l’ensemble des travaux du conseil d’administration d’ADP et se voit remettre toute information utile à sa mission (alinéa 9) ;

– des modalités selon lesquelles les dirigeants d’ADP chargés des principales fonctions opérationnelles seront agréés par l’État (alinéa 10) ;

– des modalités selon lesquelles ADP pourra rechercher la responsabilité sans faute de l’État du fait des décisions normatives ou des décisions d’organisation des services dont il a la charge, lorsqu’elles affectent l’activité d’ADP ou du fait des décisions de l’État prises en application de ces dispositions, lorsqu’elles bouleversent dans la durée les conditions économiques dans lesquelles l’exploitant opère ses activités (alinéa 11)

– des modalités selon lesquelles les opérations conduisant à un changement de contrôle d’ADP feront l’objet d’un accord préalable de l’État (alinéa 12) ;

– des modalités de respect par ADP des obligations de publicité et de mise en concurrence des marchés publics passés avec une entreprise liée ou co-entreprise (alinéa 13) ;

– des modalités d’encadrement de la durée des actes d’ADP pour tenir compte de la fin de sa mission et d’autorisation par l’État de tout acte dont la durée dépasse de plus de dix-huit mois la date de fin d’exploitation (alinéa 14) ;

– des modalités d’encadrement par l’État des décisions conférant des droits réels aux occupants des biens d’ADP (alinéa 15) ;

– des modalités d’encadrement et d’autorisation, par l’État, des opérations dépassant un certain montant ou une certaine superficie, définies par le cahier des charges, ou qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’exécution du service public aéroportuaire (alinéa 16) ;

– des modalités selon lesquelles ADP met à disposition de certains services et établissements publics de l’État les terrains, locaux, aménagements et places de stationnement (alinéa 17) ;

– des modalités d’encadrement et d’autorisation, par l’État, des modifications substantielles apportées aux capacités des installations aéroportuaires (alinéa 18) ;

– des modalités d’encadrement et d’autorisation, par l’État, de certains travaux dérogeant à des normes ou objectifs du cahier des charges, ou susceptibles d’affecter l’exécution du service public aéroportuaire ou l’exercice des missions des services de l’État (alinéa 19) ;

– des modalités de règlement amiable des différends entre l’État et ADP (alinéa 20) ;

– des modalités selon lesquelles le ministre chargé de l’aviation civile peut exiger qu’il soit mis fin à toute décision ou contrat d’ADP pris en méconnaissance des dispositions du cahier des charges (alinéa 21) ;

– des modalités selon lesquelles ADP transmet annuellement à l’État un certain nombre d’informations relatives à sa gestion financière (alinéa 22) ;

– des modalités selon lesquelles ADP informe l’État de toute requête visant à l’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc ou de conciliation et le tient informé du déroulement de la procédure (alinéa 23).

Les alinéas 24 et 25 augmentent les sanctions en cas de non-respect, par ADP, des dispositions du cahier des charges, pour les plafonner à 2 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos par manquement. Le cumul de pénalités encourues sur une même année civile est plafonné à 10 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos. Il s’agit, une fois encore, de renforcer les pouvoirs de contrôle de l’État en augmentant le montant des sanctions et, partant, leur caractère dissuasif.

C.   la position de la commission spÉciale

Un grand nombre de précisions ont été apportées par votre Commission à l’article 45.

Le contenu du cahier des charges tel que proposé par le projet de loi a été précisé par plusieurs amendements de votre rapporteure, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement. Il s’est agi : 

– de préciser que, lorsque l’État impose à ADP la réalisation d’investissements nécessaires au respect de ses obligations de service public, ceci doit être fait sans préjudice de la juste rémunération des capitaux investis telle que définie à l’article L. 6323-4-1 du code des transports ;

– d’exclure, de manière dérogatoire et exceptionnelle, la participation du commissaire du Gouvernement au conseil d’administration d’ADP pour les réunions portant sur la négociation du contrat de régulation économique, et ce afin de prévenir toute situation de conflit d’intérêts ;

– de limiter l’assujettissement aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par les ordonnances du 23 juillet 2015 et du 29 janvier 2016 aux seuls contrats de travaux. Cette exigence est supprimée pour les contrats liés à des « services connexes », de manière à permettre à ADP de conserver les contrats conclus en sociétés filiales ou avec des coentreprises, notamment en matière commerciale.

Ce contenu a, par ailleurs, également été complété par plusieurs amendements de votre rapporteure, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement. Le cahier des charges devra ainsi également préciser les modalités :

– selon lesquelles ADP exerce ses missions en tenant compte des effets de ses activités sur l’environnement ;

– selon lesquelles ADP garantit les conditions d’exercice d’une aviation générale, pour assurer notamment la pérennité des petits aéroclubs ;

– selon lesquelles un comité des parties prenantes (associant notamment les collectivités territoriales, les associations environnementales et les associations de riverains) est mis en place pour favoriser les échanges entre ces acteurs.

Enfin, un dernier amendement de votre rapporteure, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, rend obligatoire la réalisation d’au moins une évaluation de ce cahier des charges – tant de ses dispositions que de leur bonne mise en œuvre – au mitan de la durée d’exploitation consentie à l’entreprise, de manière à pouvoir prendre en compte d’éventuelles évolutions significatives dans le transport aérien ou l’équilibre économique de l’entreprise. Cette évaluation sera rendue publique. Il s’agit de garantir la bonne adéquation du cahier des charges d’ADP avec les évolutions à venir du secteur aéroportuaire, potentiellement importantes, ainsi qu’avec les objectifs du service public fixés par l’État, tout au long de la durée d’exploitation de 70 ans.

*

*     *

La commission est saisie des amendements identiques CS676 de M. Daniel Fasquelle et CS2160 de M. Dominique Potier. 

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS676 est défendu.

M. Boris Vallaud. L’amendement CS2160 aussi.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements de suppression. L’article 45 précise les modalités du cahier des charges. Pour mener à bien le projet de privatisation, cet article paraît donc particulièrement utile. Il permet par ailleurs de fixer un grand nombre d’exigences auxquelles devra satisfaire Aéroports de Paris.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, elle rejette lamendement CS278 de M. Stéphane Peu.

Elle examine lamendement CS705 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement d’appel vise à obtenir un engagement sur la transmission du projet de cahier des charges aux instances représentatives du personnel et la possibilité qui leur sera laissée d’émettre des observations à son sujet.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je propose à Mme Lebec de retirer cet amendement qui rejoint les préoccupations exprimées par M. Peu puisque j’ai demandé au président d’ADP de tenir les salariés régulièrement informés de l’avancement des différentes étapes préalables à la privatisation. Je lui ai aussi demandé de les informer de l’élaboration du cahier des charges des exploitations aéroportuaires. Je me suis rendu moi-même à ADP pour présenter l’opération et recevrai à nouveau les salariés dans le cadre du processus législatif en cours. Les garanties demandées par cet amendement et, précédemment, par M. Peu sont donc d’ores et déjà prévues.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je retire donc l’amendement.

Lamendement CS705 est retiré.

La commission étudie lamendement CS721 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que les investissements qui pourront être imposés par l’État à Aéroports de Paris devront respecter le principe législatif de juste rémunération des capitaux.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CS632 de la rapporteure.

Elle est saisie de lamendement CS723 du même auteur.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement a pour objet d’exclure de manière dérogatoire et exceptionnelle la participation du commissaire du Gouvernement au conseil d’administration d’ADP pour les réunions portant sur la négociation du contrat de régulation économique, ce pour éviter tout conflit d’intérêts.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

M. Charles de Courson. Je suis tout à fait favorable à l’amendement de notre rapporteure mais est-ce là le seul cas possible de conflit d’intérêts ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Nous n’avons pas identifié d’autres cas, mais vous pourrez déposer un amendement le cas échéant et nous le prendrons évidemment en compte.

La commission adopte lamendement.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements CS279, CS280 et CS281 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. L’amendement CS279 vise à garantir le maintien du nombre actuel de représentants des salariés au sein du conseil d’administration d’ADP : les salariés craignent notamment que leur représentation soit réduite, ce qui limiterait leur voix au chapitre.

L’amendement CS280 concerne les collectivités locales. Nous nous trouvons dans un système dépassé qui ne correspond pas à la réalité des impacts d’ADP sur les territoires : seule la ville de Paris et celle d’Orly siègent au conseil d’administration. Or l’impact sur les territoires a beaucoup changé, de même que l’organisation territoriale de l’Île-de-France. C’est pourquoi nous proposons que les départements et la région puissent être représentés au conseil d’administration. Je vous fais grâce de tous les impacts des aéroports relevant d’ADP sur les territoires, les riverains et les infrastructures…

J’en viens à l’amendement CS281. L’alinéa 11 de l’article 45 permettra de rechercher la responsabilité sans faute de l’État dans l’hypothèse où ce dernier prendrait une décision affectant significativement ou durablement l’activité d’ADP. À nos yeux, il n’est pas souhaitable d’ouvrir cette possibilité, car cela conditionnerait la mise en place d’une régulation visant l’intérêt général au respect des intérêts privés du groupe ADP. La sauvegarde de l’intérêt général, notamment pour des raisons liées à la santé et à l’environnement, doit permettre à l’État d’édicter des normes sans avoir à indemniser le secteur privé.

Mme Marie Lebec, rapporteure. J’émets un avis défavorable à l’amendement CS279 qui fixe à six le nombre des représentants des salariés au conseil d’administration d’ADP. Dans le cadre de sa privatisation, ce groupe devrait se rapprocher du droit commun : le nombre des membres du conseil d’administration serait ainsi ramené à dix ou douze, et il serait disproportionné que les salariés représentent la moitié du total.

Même avis en ce qui concerne l’amendement CS280 : à l’heure actuelle, il n’y a que trois censeurs auprès du conseil d’administration. Porter leur nombre à onze, comme vous le proposez, serait là encore une mesure disproportionnée. Cela relève, par ailleurs, d’une décision du conseil d’administration et non de la loi. Je tiens également à signaler que j’ai déposé un amendement visant à créer un comité des parties prenantes, qui aura pour objet d’associer davantage les collectivités territoriales – vous savez qu’elles se sont manifestées avant l’examen du projet de loi.

S’agissant de l’amendement CS281, il faut que l’État puisse continuer à légiférer ou à réglementer dans l’ensemble des domaines, comme vous l’avez dit. Néanmoins, l’idée de la responsabilité sans faute est que si une décision affecte durablement l’activité d’ADP ou lui porte préjudice, il est normal qu’il y ait une indemnité. C’est pourquoi je donne aussi un avis défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même position.

M. Stéphane Peu. Nous pourrons discuter plus longuement de ces différentes questions en séance, mais je voudrais ajouter un mot au sujet des collectivités territoriales. C’est à la loi de fixer les règles de leur association, et non à la future société ADP : ce serait un non-sens. Il faut associer au sein du conseil d’administration, qui est l’instance décisionnaire, les collectivités subissant un impact – il a ainsi été question précédemment du bruit, des infrastructures, du foncier et de l’aménagement.

La commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS633 et CS629 de la rapporteure.

La commission examine ensuite lamendement CS722 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous propose de limiter l’assujettissement d’ADP aux obligations de publicité et de mise en concurrence aux seuls contrats de travaux : cela permettra de conserver les contrats conclus en sociétés filiales ou avec des coentreprises, notamment en matière commerciale.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte successivement les amendements de précision CS635, CS656, CS636, CS637 et CS634 de la rapporteure.

La commission examine ensuite les amendements identiques CS1203 de M. Jean-Luc Lagleize et CS2016 de M. Jean-Paul Mattei.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS1203 permettra à l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI) de donner un avis sur le niveau de notation proposé par ADP, afin d’éviter un niveau qui exigerait une rentabilité anormalement élevée et ferait peser des tensions inflationnistes sur les redevances aéroportuaires dues par les compagnies aériennes, et en premier lieu Air France.

M. Philippe Bolo. Je n’ai rien à ajouter au sujet de l’amendement CS2016 : tout vient d’être dit.

Mme Marie Lebec, rapporteure. J’émets un avis défavorable : le niveau de notation n’est pas proposé par ADP, mais par l’État, et ne relève pas des compétences de l’ASI, qui est chargée d’émettre un avis sur les redevances aéroportuaires. Cela ne correspond pas à la mission de l’ASI, qui n’est pas équipée pour exercer la mission que vous proposez de lui donner.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette ces amendements.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CS648 de la rapporteure.

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS2353 de la rapporteure et CS283 de M. Stéphane Peu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Mon amendement précise qu’ADP devra exercer ses missions en tenant compte des effets de ses activités sur l’environnement, selon des modalités définies dans le cahier des charges.

M. Stéphane Peu. Le cahier des charges prévu par le code des transports sera enrichi par l’article dont nous discutons, et il va de soi qu’il faut notamment ajouter un objectif de préservation de l’environnement.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à votre amendement sans l’être, sur le fond, à la prise en compte de l’impact environnemental d’ADP. En ce qui concerne les gaz à effet de serre qui sont visés par l’amendement, il semblerait qu’ADP ne soit pas responsable des principales émissions – ce sont plutôt les compagnies aériennes…

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je suis favorable à l’amendement de la rapporteure, car il permettra de prendre en compte les impacts environnementaux des activités d’ADP. Il faut également souligner que c’est un amendement qui doit beaucoup à M. Peu. Nous verrons si cela peut être reconnu de manière plus claire par la suite. Je suis en revanche défavorable à l’amendement CS283.

La commission adopte lamendement CS2353.

Lamendement CS283 est ainsi sans objet.

La commission examine ensuite, en présentation commune, les amendements CS282 et CS284 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Ces amendements s’inscrivent dans le même esprit, mais j’ai l’impression qu’ils rencontreront moins de succès que ma précédente proposition… Il s’agit d’ajouter au cahier des charges un objectif de préservation de l’emploi, afin d’éviter une éventuelle purge des effectifs – cela peut arriver lors d’une privatisation trop peu encadrée. Il y a aussi la question du statut des salariés d’ADP : vous savez qu’ils y sont attachés, et ils ont raison de l’être.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas un statut, mais une convention collective.

M. Stéphane Peu. Le projet de loi, tous articles confondus, ne comporte pas une seule mention du devenir des salariés. Dans cette affaire de privatisation, il n’est nulle part question du statut, de l’emploi et de l’avenir des salariés : ils sont totalement absents de ce texte. Nous avons déposé un certain nombre d’amendements pour les y introduire, car ce sont des acteurs de premier plan dans l’entreprise.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Nous avons rencontré ensemble les syndicats, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, et j’ai noté, moi aussi, qu’ils étaient inquiets de l’avenir de leur société. Je l’ai dit précédemment : ce texte ne changera rien à leur statut, car il faudra toujours que la convention collective soit validée par le ministre des transports. J’émets un avis défavorable à votre amendement, car il ne me paraît pas souhaitable de figer les conditions d’emploi des salariés pour les soixante-dix années à venir, c’est-à-dire pendant la durée de la concession ou à son échéance, comme le proposent respectivement vos amendements CS282 et CS284.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. J’entends les remarques formulées par M. Peu, et je veux rappeler que rien ne changera pour les salariés en raison de ce projet de loi. La convention collective doit être approuvée par le ministre des transports, qui est chargé d’exercer la tutelle de la direction générale de l’aviation civile (DGAC), sur proposition du conseil d’administration d’ADP : cela restera le cas, y compris lorsque la cession d’actifs aura eu lieu. Si vous estimez qu’il faut le rappeler dans la loi – elle ne fait pas mention des salariés d’ADP, en effet –, je vous suggère de déposer un amendement en ce sens, auquel nous pourrions travailler ensemble dans les jours qui viennent. Cela permettra peut-être de rassurer les salariés.

M. Stéphane Peu. Je répondrai présent à cette invitation, bien sûr, mais je ne retire pas mes amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis la commission examine lamendement CS2398 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. J’ai déposé cet amendement pour préciser que le cahier des charges devra garantir les conditions d’exercice d’une activité d’aviation générale sur les aérodromes exploités par ADP – cela correspond à une demande des aéro-clubs concernés.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable : cet amendement répond à des préoccupations exprimées par M. Mattei, dont je veux saluer le travail.

La commission adopte lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CS2356 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Nous en venons à l’amendement que j’évoquais tout à l’heure en réponse à M. Peu : je vous propose de créer un comité consultatif local, distinct des organes de direction d’ADP, afin de regrouper a minima les collectivités territoriales, les riverains et les associations de protection de l’environnement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle examine lamendement CS714 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’objet de cet amendement est de garantir la bonne adéquation du cahier des charges d’ADP avec les évolutions à venir du secteur aéroportuaire : au moins une évaluation de la réalisation du cahier des charges devra avoir lieu.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS285 et CS286 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. L’amendement CS285 vise à apporter une clarification : en cas de non-respect des engagements fixés par le cahier des charges, l’article 45 prévoit des sanctions limitées à 2 % du chiffre d’affaires hors taxes lors du dernier exercice clos d’ADP, sous un plafond global par année civile, ce qui risque d’empêcher l’autorité administrative de prononcer des sanctions à la hauteur des préjudices subis en cas d’atteintes particulièrement graves. Par ailleurs, l’amendement CS286 propose des sanctions plus adaptées, plus cohérentes et plus dissuasives : le plafond serait ainsi porté à 5 % pour chaque manquement.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à l’amendement CS285 qui supprimerait le plafond de sanction de 2 % du chiffre d’affaires, pour ne garder que le plafond global de 10 % : le problème est que si une sanction équivalant à 10 % du chiffre d’affaires était prononcée, on ne pourrait plus adopter de sanctions au cours de la même année, car le plafond global aurait déjà été atteint. En ce qui concerne l’amendement CS286, je trouve qu’il serait excessif de porter le plafond par manquement de 2 à 5 %, compte tenu des pratiques en vigueur. Il faut aussi noter que le projet de loi prévoit déjà une augmentation, puisque ce plafond passera de 0,2 à 2 %.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette successivement ces deux amendements.

Puis elle adopte lamendement CS701 de la rapporteure, visant à apporter une précision juridique.

Elle est ensuite saisie de lamendement CS287 de M. Stéphane Peu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable, pour les mêmes raisons : cet amendement porterait le plafond annuel à 20 %, ce qui me paraît disproportionné.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite larticle 45 modifié.

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Après l’article 45

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS288 et CS289 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. L’amendement CS288 vise à empêcher la sous-traitance de second degré, en raison du péril qui en résulte pour la sécurité nationale. L’amendement CS289 est un amendement de repli.

Mme Marie Lebec, rapporteure. J’émets un avis défavorable à ces deux amendements. En effet, il ne me paraît pas nécessairement pertinent de limiter la sous-traitance à un seul niveau : toutes les précautions sont prises pour garantir que la sous-traitance d’ADP s’exerce dans le plus grand respect des règles de sécurité, notamment dans le cadre de la loi du 27 mars 2017 qui a instauré une obligation de vigilance des sociétés mères. Le plan de vigilance prévu par la loi est en cours d’élaboration, sous l’égide de la déontologue du groupe ADP.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Stéphane Peu. Plus les niveaux de sous-traitance sont nombreux, plus le contrôle perd en efficacité, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Pour des enjeux aussi stratégiques que ceux des aéroports, on ne peut pas se contenter des règles de droit commun. Je rappelle en effet qu’il y a des précédents à ADP : le plan des pistes d’Orly a été divulgué, de même qu’un schéma de vidéosurveillance, au moment de sa mise en place, et c’était le fait d’une sous-traitance de deuxième ou troisième niveau. Ce ne sont pas des fantasmes, des vues de l’esprit ou des suspicions excessives : on constate souvent que plus les niveaux de sous-traitance sont nombreux, plus le contrôle est difficile à exercer.

M. Roland Lescure, rapporteur général. L’objectif est louable, mais je ne suis pas sûr que vos amendements soient la meilleure manière de l’atteindre. Je connais moins bien que vous les cas que vous avez cités, mais la fuite venait-elle vraiment d’un sous-traitant de sous-traitant ? Par ailleurs, je rappelle que nous cherchons aussi à limiter les coûts et à nous assurer que l’on obtient les meilleurs prix possibles lorsque l’on passe des appels d’offres. Or la sous-traitance d’une sous-traitance peut conduire à un meilleur service ou à un meilleur prix. Je comprends l’objectif que vous visez, mais je pense qu’on ne peut l’atteindre qu’avec un véritable contrôle de la sécurité : ce contrôle existe, comme la rapporteure l’a dit, et il faudra s’assurer que ce sera toujours le cas par la suite.

La commission rejette successivement ces amendements.

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Article 46
(article L. 6323-6 du code des transports)
Nouvelles dispositions de maîtrise des emprises foncières

A.   l’État du droit

L’article L. 6323-6 du code des transports impose aujourd’hui à l’État, alternativement, de :

– s’opposer à une cession, à un apport sous quelque forme que ce soit, ou à la création d’une sûreté (c’est-à-dire d’un droit réel) sur un ouvrage ou terrain du domaine aéroportuaire, dès lors que celui-ci est nécessaire à la bonne exécution, par la société ADP, de ses missions de service public, ou au développement de celles-ci ;

– subordonner cette cession, apport ou création de sûreté à la condition qu’elle ne soit pas susceptible de porter préjudice à l’accomplissement de ces missions.

Le cahier des charges d’ADP fixe les modalités d’application de cette obligation, et détermine notamment les biens en cause.

L’article L. 6323-6 prévoit que tout acte de cession, d’apport ou toute création de sûreté réalisé sans que l’État ait été mis à même de s’y opposer, ou en violation de son opposition ou en méconnaissance des conditions fixées pour la réalisation de l’opération est nul.

Il précise enfin que les biens concernés ne peuvent faire l’objet d’aucune saisie et que le régime des baux commerciaux ne leur est pas applicable.

B.   le dispositif proposÉ

L’article 46 propose de reprendre ces dispositions de maîtrise des emprises foncières, et les adapte au nouveau cadre juridique fixé pour ADP.

Les alinéas 1 à 2 imposent à ADP de soumettre à l’État tout projet d’opération conduisant à la cession, à l’apport ou à la création d’une sûreté sur un bien ou titre de participation dont la propriété doit être transférée à l’État à l’issue de la période d’exploitation. Ce faisant, ces alinéas élargissent le régime existant sur le domaine des aérodromes proprement dit à l’ensemble des propriétés foncières de la société en Île-de-France (devant revenir à l’État à l’issue de la période de 70 ans), de manière à ce que l’État puisse s’opposer à des cessions ou à des constitutions de droits réels qui ne lui paraîtraient pas compatibles avec le développement, à terme, du service public aéroportuaire.

L’État autorise cette opération dès lors qu’elle n’est pas de nature à porter atteinte à la bonne exécution du service public aéroportuaire ou à ses développements et, s’agissant des sûretés, à condition que celles-ci soient consenties au titre du financement des missions d’ADP portant sur ses aérodromes en Ile-de-France. Il peut fixer des conditions à cette autorisation.

Lalinéa 3 précise également que les ouvrages et terrains d’ADP nécessaires à la bonne exécution, par la société, de ses missions de service public ou au développement de celles-ci ne peuvent faire l’objet d’aucune saisie, et que le régime des baux commerciaux ne leur est pas applicable.

Le cahier des charges d’ADP devra préciser les biens concernés.

Lalinéa 4 précise qu’est, comme dans le droit actuel, nul de plein droit, tout acte de cession, d’apport ou de création de sûreté, non autorisé par l’État ou réalisé en méconnaissance de son opposition ou des conditions fixées par lui pour la réalisation de cette opération.

Les alinéas 5 à 7 déterminent le régime dindemnisation de la société ADP vis-à-vis de lÉtat en cas de cession, dapport, ou de création de sûreté pour un bien dont la propriété aurait dû revenir à l’État à l’issue de la période de 70 ans.

Ainsi, s’il s’agit d’un bien apporté à ADP en application de l’article 2 de la loi du 20 avril 2005, la société verse à l’État 70% de la différence d’impôts entre la valeur vénale des biens à la date de leur transfert de propriété en 2005 et la valeur nette comptable figurant dans les comptes sociaux de la société à la date du transfert de propriété de l’actif, c’est-à-dire 70 % de la plus-value réalisée.

S’il s’agit d’un bien acquis ou réalisé par ADP postérieurement à la loi de 2005, et si la durée de vie de ces biens dépasse la durée d’exploitation de 70 ans, ADP verse à l’État une part de la plus-value calculée de la même manière, correspondant à la quote-part qui serait revenue à l’État à la fin de l’exploitation. Cette quote-part est définie par l’État et la société au moment du transfert de propriété des biens. Le même dispositif s’applique en matière de cessions de titres (transfert d’une quote-part calculée sur la différence positive entre le prix de cession des titres et la valeur nette comptable de ces titres).

Ces alinéas élargissent également l’assiette des biens immobiliers et mobiliers pour lesquels l’État perçoit une partie de la plus-value dégagée par les cessions autorisées, compte tenu de leur inclusion dans le périmètre des biens faisant l’objet d’un transfert en pleine propriété au terme de la période d’exploitation prévue à l’article 44.

Lalinéa 8 prévoit que, lorsqu’il fait partie du domaine public, le terrain d’assiette des aérodromes exploités par ADP peut faire l’objet d’un transfert de gestion au profit de l’État, sur décision du préfet de département compétent.

C.   la position de la commission spÉciale

Un amendement déposé par notre collègue Charles de Courson, et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement a été adopté par votre commission à l’article 46. Il impose qu’une indemnité soit définie dans les conditions de droit commun et versée à Aéroports de Paris en cas de transfert de la gestion d’un terrain d’ADP au profit de l’État.

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La commission examine lamendement CS2161 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous l’avons déjà dit précédemment dans la discussion : mon groupe considère que la privatisation d’ADP est une erreur stratégique et économique. Nous regrettons que le Gouvernement privilégie cette option à celle d’une optimisation des dividendes perçus. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 46.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable à cet amendement, comme à tous ceux visant à supprimer un article du projet de loi. Ce que vous proposez ne serait pas pertinent si nous voulons garantir la bonne réalisation de la privatisation d’ADP : cet article comporte, en effet, des dispositions relatives à la maîtrise foncière. Il est ainsi prévu que tout projet d’opération conduisant à la cession, à l’apport ou à la création d’une sûreté doit être validé par l’État et que toute opération réalisée sans accord est nulle.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis que l’excellente rapporteure.

La commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements CS290, CS291 et CS292 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Quand il s’agit du foncier, on touche au grisbi (Sourires). L’amendement CS290 prévoit que le foncier dont l’État est propriétaire ne pourra pas être cédé par ADP pendant la durée de la concession, car c’est le bien de tous les Français. Il convient de préserver les intérêts patrimoniaux de l’État, c’est-à-dire de nos concitoyens.

L’amendement CS291, si vous me permettez de le présenter en même temps, vise à mieux associer les salariés à la vie de l’entreprise – pardon d’être redondant, mais c’est un sujet qui nous tient à cœur. Nous pensons que les salariés ne sont pas que de simples producteurs : ce sont aussi des acteurs de l’entreprise. L’amendement permettra au comité d’entreprise de se saisir de tout projet de cession, d’apport ou de création de sûreté.

Enfin, notre amendement de repli CS292 vise à permettre aux collectivités locales d’Île-de-France – la région, les départements et les communes – de pouvoir acquérir prioritairement le foncier de l’État s’il est vendu. Cela permettra de préserver l’intérêt public.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable à ces trois amendements. Depuis une loi adoptée en 2005, le foncier concerné est la propriété d’ADP, et non de l’État. En ce qui concerne la préservation des intérêts patrimoniaux, l’article 46 prévoit qu’ADP devra reverser 70 % de la plus-value réalisée lors d’une éventuelle cession, qu’il faudra l’accord de l’État pour réaliser toute opération de cette nature et que l’État devra s’y opposer si cela risque de nuire à l’activité aéroportuaire.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis défavorable. Je voudrais rassurer M. Peu : ADP n’aura pas d’intérêt à agir. Comme la rapporteure l’a très bien rappelé, 70 % du produit des cessions iraient en effet à l’État. Les opérations n’auront donc pas lieu pour des raisons d’ordre financier. L’État pourra également s’opposer à une cession : cela fait partie des éléments de contrôle du cahier des charges. Enfin, on peut envisager que des cessions soient opportunes : si l’on souhaite réaliser une ligne de transport passant par une partie du foncier d’ADP, il y aura un motif d’intérêt général susceptible de justifier une cession partielle. J’invite donc à retirer l’amendement CS290 ; sinon, je donnerai un avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis la commission adopte successivement les amendements CS639 et CS640, de précision juridique, et lamendement CS641, rédactionnel, de la rapporteure.

La commission est ensuite saisie de lamendement CS405 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Aux termes de l’alinéa 8 de l’article 46, « lorsquil fait partie du domaine public, le terrain dassiette des aérodromes exploités par Aéroports de Paris en application de larticle L. 6323-2 peut faire lobjet dun transfert de gestion au profit de lÉtat sur décision du préfet territorialement compétent ». Il manque un élément : que ce soit en contrepartie d’une indemnité fixée dans les conditions du droit commun. Pendant la durée de la concession, l’État ne peut pas s’approprier sans indemnité un terrain qui a été concédé. Comment indemnisera-t-on ADP ? C’est l’objet du bref dispositif que je vous propose.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est un amendement de précision qui est utile afin de nous épargner un risque de dérive « nougateuse » du texte, à laquelle je sais que Charles de Courson est sensible (Sourires). J’émets donc un avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. À l’unanimité.

Puis la commission adopte larticle 46 modifié.

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Article 47
(article L. 6323-4-1 [nouveau] du code des transports)
Principe de la caisse double

A.   l’État du droit

Les articles L. 6325-1 à L. 6325-7 du code des transports fixent le régime des redevances aéroportuaires, versées par les compagnies aériennes aux exploitants daérodromes en rémunération des services rendus. Ce régime concerne ADP, comme tous les gestionnaires d’aérodromes.

Comme l’indique l’article L. 6325-1, les services publics aéroportuaires rendus sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne donnent lieu à la perception de redevances. Ces redevances peuvent faire l’objet de modulations, pour des motifs d’intérêt général, tendant à réduire les atteintes à l’environnement, à améliorer l’utilisation des infrastructures ou à favoriser la création de nouvelles liaisons. Le produit global des redevances ne peut excéder le coût des services rendus sur l’aérodrome.

Ces redevances sont de plusieurs natures :

– la redevance datterrissage, qui correspond à l’usage, par les aéronefs de plus de six tonnes, des infrastructures et équipements aéroportuaires nécessaires à l’atterrissage, au décollage, à la circulation au sol, ainsi que, le cas échéant, aux services complémentaires (balisage, information de vol, aides visuelles). Les tarifs de cette redevance sont fonction de la masse maximale certifiée au décollage de l’aéronef ;

– la redevance de stationnement, qui correspond à l’usage, par les aéronefs de plus de six tonnes, des infrastructures et équipements de stationnement, ainsi que, le cas échéant, aux services complémentaires (passerelles, dégivrage). Les tarifs de cette redevance sont fonction de la durée du stationnement, des caractéristiques de l’aéronef et, le cas échéant, de celles de l’aire de stationnement ;

– la redevance par passager, qui correspond à l’usage des installations aménagées pour la réception des passagers et du public, ainsi que, le cas échéant, aux services complémentaires (mise à disposition de comptoirs d’enregistrement et d’embarquement, installations de tri des bagages). L’assiette de cette redevance est le nombre de passagers embarqués.

Ces redevances représentent, pour une compagnie comme Air France, environ 600 millions d’euros par an, et 2 % des charges de lentreprise.

Pour les aérodromes gérés par ADP, si la fixation des tarifs donne lieu à consultation des compagnies aériennes notamment, celles-ci fournissent des informations concernant les prévisions de trafic, les prévisions quant à la composition et à l’utilisation de leur flotte ou encore leurs projets de développement sur l’aérodrome concerné.

Aux termes de l’article L. 6325-1, le montant de ces redevances tient compte de la rémunération des capitaux investis. Toutefois, en pratique, plusieurs mécanismes de fixation des redevances existent :

– le principe de caisse unique : le coût moyen pondéré du capital est calculé sur l’ensemble des activités de l’aéroport, y compris celles qui ne sont pas directement liées aux activités aéroportuaires (commerces, restauration, etc.). Seul l’aéroport de Londres-Heathrow applique ce principe ;

– le principe de double caisse : le coût moyen pondéré du capital est calculé sur les seules activités spécifiquement aéroportuaires, les autres activités étant exclues. La caisse dite « régulée » (activités aéroportuaires) est alors distincte de la caisse dite « non régulée » (activités annexes). Dans ce système, les compagnies financent uniquement les prestations dont elles bénéficient réellement ;

– le principe de caisse aménagée : le coût moyen pondéré du capital est calculé sur les activités purement aéroportuaires, auxquelles peuvent toutefois être associées certaines activités non aéronautiques, rentables et à prix libre. Dans d’autres cas, une partie des recettes de la caisse non régulée peut venir alimenter la caisse régulée. Ceci conduit généralement à faire baisser le coût moyen pondéré du capital (les activités de la caisse non régulée étant plus rentables que celles de la caisse régulée), et ainsi à diminuer le coût des redevances.

ADP est aujourd’hui assis sur le principe de la caisse double, ou aménagée de manière très partielle. En effet, les tarifs des redevances aéroportuaires sont calculés sur le coût du capital :

– pour des opérations exclusivement liées à lactivité aéronautique : passagers, atterrissages, stationnements des aéronefs, dégivrage, enregistrement, gestion des bagages, etc.

– pour quelques activités annexes uniquement : parcs de stationnement, prestations industrielles.

L’association de ces activités non aéronautiques, mais rentables et à prix libre, permet d’améliorer la rentabilité de la caisse régulée, et ainsi de faire diminuer le coût du capital et le tarif des redevances demandées.

En revanche, les activités plus commerciales, telles que les boutiques, les activités liées à la diversification immobilière ou les activités des filiales ne sont pas prises en compte. Ces activités, plus lucratives, feraient baisser le coût du capital, et donc la redevance demandée aux compagnies aériennes.

Le modèle de double caisse, moyennant cet aménagement partiel, permet, selon l’exploitant, d’améliorer la rentabilité sur l’ensemble des activités du groupe. En effet, les activités régulées ne sont alors pas alimentées par les recettes des activités commerciales, et doivent dégager une rentabilité propre. En parallèle, les activités commerciales ont tout intérêt à dégager autant de recettes que possible, car il est entendu que ces recettes ne seront pas prélevées pour alimenter une autre caisse et pourront être réinvesties.

B.   le dispositif proposÉ

L’article 47 tend à fixer dans le droit la pratique actuelle dADP. Ainsi, les résultats de différentes opérations d’ADP sont comptabilisés dans deux comptabilités différentes, et seule l’une d’entre elle sert d’assiette au calcul des redevances aéroportuaires. La caisse régulée inclut toutefois des activités dont la nature n’est pas purement aéroportuaire.

Les alinéas 1 et 2 précisent que les tarifs des redevances sont établis de manière à assurer une juste rémunération du capital dADP au regard du coût moyen pondéré du capital sur un périmètre d’activités, précisé par décret.

Lalinéa 3 indique que ce périmètre comprendra nécessairement les services publics aéroportuaires régulés, mais également : les activités foncières et immobilières relatives aux activités d’assistance en escale, au stockage, à la distribution de carburant, à la maintenance des aéronefs, aux activités de fret aérien, au stationnement public ainsi qu’aux transports publics.

En revanche, lalinéa 4 indique que devront être exclues du périmètre de calcul les activités commerciales et de service, notamment celles relatives aux boutiques, à la restauration, aux services bancaires et de change, à l’hôtellerie, à la location d’automobiles et à la publicité, ainsi que les activités foncières et immobilières hors aérogares.

Selon l’exposé des motifs, il s’agit d’assurer une incitation de la société à investir dans les infrastructures aéroportuaires et à développer le trafic de la plateforme et la connectivité de la France avec le reste du monde.

Inscrire cette double caisse dans la loi donne de la visibilité et de la prévisibilité pour les actionnaires potentiels. Cette mesure permet de garantir l’équilibre et l’attractivité de l’entreprise pour des investisseurs, parallèlement à la hausse de la régulation et des capacités d’intervention de l’État.

Une hausse des tarifs des redevances dans les prochaines années apparaît, par ailleurs, peu probable, en raison de la concurrence croissante entre aéroports européens, qui conduit ceux-ci à se rendre aussi attractifs que possible pour les compagnies aériennes du monde entier, notamment en escale.

C.   la position de la commission spÉciale

L’article 47 a été adopté par votre commission sans amendements autres que rédactionnels.

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*     *

La commission examine lamendement CS2162 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à l’amendement CS2162, qui supprime l’article 47. En effet, cet article stabilise le principe de la double caisse, actuellement déjà mis en pratique par Aéroports de Paris, pour le sécuriser sur le plan juridique. Ainsi, les résultats de différentes opérations d’ADP sont comptabilisés dans deux comptabilités différentes, et seule l’une d’entre elle sert d’assiette au calcul des redevances aéroportuaires. La caisse régulée inclura toutefois des activités dont la nature n’est pas purement aéroportuaire.

Il s’agit d’assurer une incitation de la société à investir dans les infrastructures aéroportuaires et à développer le trafic de la plateforme et la connectivité de la France avec le reste du monde.

Une hausse des tarifs des redevances dans les prochaines années apparaît, par ailleurs, peu probable, en raison de la concurrence croissante entre aéroports européens, qui conduit ceux-ci à se rendre aussi attractifs que possible pour les compagnies aériennes du monde entier, notamment en escale.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie des amendements identiques CS1212 de M. Jean-Luc Lagleize et CS2017 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Philippe Bolo. L’amendement CS2017 a pour objet de prévoir que l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI) détermine le coût moyen pondéré du capital d’ADP moyennant le renforcement de son indépendance et de ses pouvoirs, afin d’assurer la lisibilité de la régulation et de la trajectoire des tarifs et, in fine, de permettre au législateur veiller aux intérêts des compagnies aériennes.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS1212 est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Il n’est pas de la compétence de l’ASI de déterminer le coût moyen du capital – en revanche, elle homologue annuellement les tarifs des redevances.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine lamendement CS642 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est rédactionnel.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1205 de M. Jean-Luc Lagleize. 

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement vise à supprimer les transports publics du périmètre d’activités régulées sur lesquelles sont assises les redevances aéroportuaires qui alimentent la « caisse aménagée » servant au financement du service public.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’article 47 conserve et stabilise le système actuel, qui fonctionne bien et qu’il ne me paraît pas souhaitable de modifier de quelque manière que ce soit.

Vous estimez que ce n’est pas aux compagnies aériennes de payer pour les transports publics, car il ne s’agit pas d’activités purement aéroportuaires. En réalité, c’est justement l’intégration de certaines activités qui ne sont pas, au sens strict, purement aéroportuaires, comme les transports publics, les parkings, ou certaines prestations foncières et industrielles, qui justifie le fait qu’aujourd’hui, ADP est une « caisse aménagée », plutôt qu’une double caisse. Cet aménagement se fait au profit des compagnies aériennes : en effet, il s’agit là d’activités non régulées et à prix libres, qui peuvent être rentables. Les faire figurer dans la caisse régulée permet de faire diminuer le coût du capital sur cette caisse, donc le tarif des redevances applicables aux compagnies aériennes.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CS2320 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est rédactionnel.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1206 de M. Jean-Luc Lagleize. 

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement vise à instaurer une contribution des activités commerciales au bénéfice des prestations du périmètre régulé, sous la forme du versement d’au moins 50 % du résultat opérationnel des activités commerciales au périmètre régulé.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Certaines activités non régulées – parkings, prestations industrielles – sont déjà incluses dans la caisse servant de base au calcul des redevances et font diminuer le coût du capital. Par ailleurs, il s’agit d’inciter les activités commerciales à prospérer et à acquérir une rentabilité propre, ce qu’elles auraient moins de capacité à faire si 50 % de leurs bénéfices étaient reversés à la caisse régulée.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 47 modifié.

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*     *

Article 48
(article L. 6325-2 du code des transports)
Contrat de régulation économique pluriannuel

A.   l’État du droit

Le droit actuel précise, à l’article L. 6325-2 du code des transports que, pour ADP, des contrats de régulation économique (CRE) pluriannuels dune durée maximale de cinq ans déterminent les conditions de l’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires. Ils tiennent compte, notamment, des prévisions de coûts et de recettes, des investissements et des objectifs de qualité des services publics rendus. En l’absence de contrat, ces tarifs sont déterminés sur une base annuelle, selon des modalités fixées par voie réglementaire.

Aux termes de l’article R. 224-4 du code de l’aviation civile, ces contrats fixent :

– les conditions d’évolution des redevances et le plafond du taux moyen de leur évolution pour chaque période ;

– les périodes tarifaires successives (ne pouvant excéder un an) et leurs dates d’entrée en vigueur ;

– l’ajustement du plafond en cas d’écart avec les éléments prévisionnels pris en compte en matière de trafic et d’investissements ;

– les limites à l’amplitude et à la durée des modulations tarifaires ;

– les objectifs de qualité de service et les mécanismes d’incitation financière assortis ;

– le montant des investissements et les principales opérations d’équipement prévus ;

– les conditions de leur révision ou de leur fin anticipée.

Aux termes de l’article L. 6325-5, l’autorité administrative peut prononcer, à l’encontre de l’exploitant qui ne respecte pas les obligations prévues par ces dispositions, une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité de la faute et aux avantages qui en sont tirés, dans la limite de 1 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos.

Le contrat de régulation est soumis à la commission consultative aéroportuaire. Cette commission est placée auprès du ministre chargé de l’aviation civile qui la consulte lors de la préparation des contrats de régulation, notamment sur les programmes d’investissement, les objectifs de qualité de service et l’évolution des redevances pour services rendus. Elle auditionne, à son initiative ou à leur demande, les exploitants d’aérodromes, les transporteurs aériens, leurs organisations professionnelles et toute autre personne morale qu’elle juge compétente ou concernée. Elle rend un avis motivé dans le mois qui suit la demande. Aux termes de l’article L. 228-1 du code de l’aviation civile, elle peut également émettre, à la demande de ce ministre, des avis sur toute question relative à l’économie du secteur aéroportuaire. Les avis émis par la commission sont rendus publics.

En outre, une autorité administrative indépendante, lAutorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI) est placée auprès du vice-président du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Elle est chargée, pour les aérodromes accueillant plus de cinq millions de passagers, de rendre un avis conforme au ministre chargé de l’aviation civile sur tout projet de contrat de régulation économique et d’homologuer les tarifs des redevances mentionnées et, le cas échéant, leurs modulations, ainsi que les éventuels accords de qualité de service. Elle ne peut recevoir aucune instruction du ministre chargé de l’aviation civile. À la demande de l’autorité de supervision indépendante, les services du ministère chargé de l’aviation civile lui transmettent tout élément nécessaire à l’instruction des affaires dont elle est saisie, sous réserve des secrets protégés par la loi. En matière d’homologation tarifaire, l’ASI veille à plusieurs aspects :

– respect de la procédure de consultation des usagers ;

– respect des règles générales applicables aux redevances pour les tarifs appliqués et le cas échéant, leurs modulations ;

– caractère non discriminatoire de ces tarifs ;

– modération de l’évolution des tarifs ;

– respect du contrat de régulation économique, lorsqu’il en existe un ;

– juste rémunération des capitaux investis pour l’exploitant d’aérodrome, appréciée au regard du coût moyen pondéré de son capital calculé sur le périmètre régulé, correspondant principalement aux services publics aéroportuaires, en l’absence de contrat de régulation économique.

Elle ne peut toutefois pas imposer le recours à une caisse unique ou aménagée plutôt qu’à une caisse double, ni, dans le cas d’une caisse double, déterminer les activités devant relever du périmètre de la caisse régulée.

L’ASI publie un rapport annuel sur ses activités. De juillet 2016 à juin 2017, l’ASI a été saisie en vue de l’homologation des tarifs des redevances aéroportuaires des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Marseille-Provence, Lyon-Saint-Exupéry, Bâle-Mulhouse et Toulouse-Blagnac. Le rapport pour l’année 2017 fait état de plusieurs refus d’homologations de tarifs, ayant donné lieu à leur révision. Ainsi, saisie par le groupe ADP en juillet 2016 en ce qui concerne les tarifs 2016, l’ASI a opposé un refus d’homologation, considérant que l’évolution du tarif de la redevance d’atterrissage, traduisant le changement de structure tarifaire permis par le contrat de régulation économique conclu avec l’État, ne pouvait être regardée comme modérée pour l’ensemble des usagers, même en prenant en compte l’effet favorable de l’évolution des autres redevances. À la suite du refus d’homologation de cette première proposition tarifaire pour 2016, le groupe ADP a soumis à l’ASI une seconde proposition. L’ASI l’a acceptée.

Étapes d’élaboration d’un CRE

– L’aéroport publie un dossier public de consultation comportant, pour la période de cinq ans couverte, les prévisions de trafic, d’investissements, et la proposition de l’aéroport quant à l’évolution des redevances, le plus souvent liée à l’inflation ;

– les usagers (compagnies, associations de voyageurs) ont un délai d’un mois pour formuler leurs observations et s’ils le souhaitent, une contre-proposition ;

– le ministre des transports saisit la commission consultative aéroportuaire, qui auditionne les usagers et rend un avis public, tenant compte des observations formulées, rend un avis public consultatif ;

– le projet de CRE est alors négocié entre l’État et l’aéroport ;

– l’ASI est informée du projet de CRE et formule un avis conforme, publié au Journal officiel. L’État et l’aéroport ne peuvent signer le CRE qu’après avoir obtenu un avis favorable ;

– en ce cas, le CRE est publié et s’applique.

B.   le dispositif proposÉ

Le projet de loi porte une nouvelle rédaction de l’article L. 6325-2.

Les alinéas 1 et 2 conservent les dispositions en vigueur selon lesquelles, pour ADP, des contrats de régulation de cinq ans déterminent les conditions de l’évolution des tarifs des redevances, qui tiennent compte des prévisions de coût et de recettes, ainsi que des investissements et d’objectifs de qualité des services publics. Ils ajoutent toutefois que les objectifs de qualité de service public sont fixés par accord entre les parties ou, en l’absence d’accord, par le ministre chargé de l’aviation civile, selon des modalités précisées par le cahier des charges.

Lalinéa 3 maintient le droit actuel selon lequel, en l’absence de contrat pluriannuel, les tarifs sont déterminés sur une base annuelle dans des conditions fixées par voie réglementaire. Il insère toutefois une disposition précisant que, dans le cas dADP, et en labsence de contrat pluriannuel, lÉtat pourra, fixer le tarif de ces redevances, après proposition d’ADP, selon des modalités que le cahier des charges de la société devra préciser.

En conséquence, l’État gardera la maîtrise des redevances et pourra empêcher toute augmentation des tarifs qui ne serait pas justifiée.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté trois amendements principaux à l’article 48, déposés par votre rapporteure, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement.

Il s’agit, d’une part, d’élargir la liste des critères sur lesquels s’appuie l’évolution des tarifs des redevances, en faisant de la liste proposée par l’article 48 une liste non exhaustive. Ce faisant, l’amendement reprend la rédaction fixée à l’actuel article 6325-2 du code des transports. Ceci permettra d’inclure, éventuellement, les effets des évolutions du trafic aérien dans le calcul des redevances.

Il s’agit, par ailleurs, de préciser que, en l’absence de contrat de régulation économique, lorsque l’État fixe les tarifs des redevances de manière unilatérale, il le fait :

– sans préjudice de la juste rémunération des capitaux investis, au regard du coût moyen pondéré du capital sur le périmètre régulé, tel que précisé par l’article L. 6323‑4‑1 du code des transports ;

– sans préjudice des pouvoirs d’homologation de l’autorité de supervision indépendante des redevances, c’est à dire sans obérer l’homologation annuelle que cette autorité doit faire du tarif fixé pour les redevances.

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La commission examine lamendement CS2163 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à la suppression de l’article 48, qui précise les modalités de définition du contrat de régulation économique (CRE).

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1207 de M. Jean-Luc Lagleize. 

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement vise à rendre obligatoire la conclusion d’un contrat de régulation économique d’une durée limitée à cinq ans avec l’État pour Aéroports de Paris, les aérodromes civils relevant de la compétence de l’État accueillant plus de cinq millions de passagers par an, les aéroports dont le service public est financé par les seules redevances aéroportuaires, et les aéroports dont le service public est financé par les redevances aéroportuaires complétées par une partie des recettes issues des activités commerciales et de services.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Votre amendement a pour objet de rendre obligatoire la conclusion d’un contrat de régulation économique. Or, il est satisfait par l’alinéa 2 de l’article 48, dans la mesure où l’utilisation de l’indicatif a valeur d’impératif.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

Mme Isabelle Florennes. Puisque l’amendement CS1207 est satisfait, je le retire.

Lamendement CS1207 est retiré.

La commission examine lamendement CS715 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est rédactionnel.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie des amendements identiques CS1211 de M. Jean-Luc Lagleize et CS2018 de M. Jean-Paul Mattei. 

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS1211 est défendu.

M. Philippe Bolo. Il est proposé avec l’amendement CS2018 que, dans le cas d’Aéroports de Paris, les objectifs du contrat de régulation économique, en particulier les plafonds tarifaires et ceux liés à la qualité des services publics, soient fixés, par accord entre l’État et ADP, après avis conforme de l’autorité publique indépendante chargée de la supervision des décisions en matière de redevances aéroportuaires, sous réserve que son indépendance et ses prérogatives soient renforcées.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Ces amendements sont satisfaits, puisque l’autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires, qui doit déjà donner un avis conforme sur le contrat de régulation économique, a donc un regard sur les objectifs de service publics fixés dans le CRE.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Pour les mêmes raisons, je souhaite le retrait de ces amendements.

M. Philippe Bolo. Je retire l’amendement CS2018.

Mme Isabelle Florennes. Je retire également l’amendement CS1211.

Les amendements sont retirés.

La commission examine lamendement CS638 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est rédactionnel.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1208 de M. Jean-Luc Lagleize.

Mme Isabelle Florennes. L’article 48 a pour objet de définir le rôle du cahier des charges d’Aéroports de Paris, de valeur réglementaire, en matière d’orientation et d’encadrement des investissements et des objectifs de qualité du service public aéroportuaire ainsi qu’en matière d’évolution des tarifs des redevances aéroportuaires.

L’amendement CS1208 vise à préciser que, pour protéger les exploitants d’aéronefs d’une situation de monopole géographique pouvant entraîner des niveaux de tarifs de redevances trop élevés, le prochain contrat de régulation économique conclu entre l’État et Aéroports de Paris prend effet au 1er avril 2020.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Il est déjà prévu que le prochain contrat de régulation économique conclu entre ADP et l’État prenne effet au 1er janvier 2021. Une date d’effet au 1er avril 2020 serait trop précoce, car elle ne permettrait pas à l’ensemble des consultations et procédures de se dérouler comme requis. Je suis donc défavorable à l’amendement CS1208.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1209 de M. Jean-Luc Lagleize.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS1209 est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est satisfait.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

Mme Isabelle Florennes. Je retire l’amendement CS1209.

Lamendement CS1209 est retiré.

La commission examine lamendement CS720 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement est défendu.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Cet excellent amendement de Mme la rapporteure prévoit qu’en l’absence de contrat de régulation économique entre l’État et l’exploitant, la fixation des tarifs des redevances de manière unilatérale par l’État s’opère sans préjudice des missions de l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires. J’y suis très favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS713 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que l’État fixe les tarifs dans le respect du principe général de rémunération des capitaux investis par Aéroports de Paris.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle 48 modifié.

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Article 49
(article 191 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité
et l’égalité des chances économiques)
Autorisation et cadre général de la privatisation d’Aéroports de Paris

A.   l’État du droit

Aux termes de l’article L. 6323-1, du code des transports, la majorité du capital d’Aéroports de Paris doit être détenue par l’État.

Celui-ci détient effectivement, aujourd’hui, 50,63 % du capital et 58,5 % des droits de vote. Le reste du capital est détenu par Vinci (8 %), Schipol (8 %), Predica (5,1 %), les salariés (1,9 %) ou d’autres actionnaires (26,4 %).

L’article 191 de la « loi Macron » pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015, constitue un précédent : il autorise les privatisations des aéroports de Nice Côte dAzur et de Lyon.

Le II du même article précise également que, lors de ces opérations de cession, le cahier des charges de l’appel d’offres portant sur la cession de capital est approuvé par le ministre chargé de l’aviation civile. Il précise les obligations du cessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, ainsi que ceux du territoire concerné en matière d’attractivité et de développement économique et touristique. Il précise également les obligations du cessionnaire afin de garantir le développement de l’aérodrome en concertation avec les collectivités territoriales sur le territoire desquelles il est installé ainsi qu’avec les collectivités territoriales actionnaires.

Il indique, en outre, que les candidats doivent détailler, dans leurs offres, les modalités par lesquelles ils s’engagent à satisfaire à ces obligations. Enfin, il mentionne que les candidats au rachat des parts de l’État doivent disposer d’une expérience en tant que gestionnaire d’aéroport ou actionnaire d’une société gestionnaire d’aéroport et donner, dès le stade de l’examen de la recevabilité des offres, des garanties sur leur capacité à exercer les missions prévues au cahier des charges de la concession des aérodromes concernés. Cette capacité est appréciée par l’autorité signataire du contrat de concession aéroportuaire.

B.   le dispositif proposÉ

Lalinéa 1 autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital d’ADP.

Les alinéas 2 et 3 complètent en conséquence l’article 191 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, pour préciser que, dans le cadre de la privatisation d’ADP, les ministres chargés de l’aviation civile et de l’économie doivent rappeler aux candidats à lacquisition des actions aujourdhui détenues par lÉtat les obligations de service public pesant sur la société.

Ils pourront fixer dans un cahier des charges « de privatisation », si nécessaire, les conditions liées à l’acquisition et à la détention des actions, conditions relatives notamment à la stabilité de l’actionnariat.

Lalinéa 4 précise que les dispositions du II de l’article 191 de la loi du 6 août 2015 précitée ne sont pas applicables au transfert de la majorité du capital d’ADP au secteur privé.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté, à l’article 49, une précision apportée par amendement du Gouvernement, et ayant reçu l’avis favorable de votre rapporteure.

Il s’agit d’indiquer explicitement que, si la cession d’ADP n’est pas opérée sur les marchés financiers, elle devra faire l’objet d’un cahier des charges qui précisera :

– les obligations du ou des cessionnaires relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, d’attractivité et de développement économique et touristique du pays et de la région Ile-de-France, ainsi que de développement des interconnexions de la France avec le reste du monde ;

– en concertation avec les collectivités territoriales, les obligations du ou des cessionnaires afin de garantir le développement des aérodromes mentionnés à l’article L. 6323-2 du code des transports ;

– si nécessaire, l’expérience pertinente en tant que gestionnaire ou actionnaire d’une société exploitant un ou plusieurs aéroports et la capacité financière suffisante notamment pour garantir la bonne exécution par Aéroports de Paris de l’ensemble de ses obligations.

Les candidats devront détailler dans leurs offres les modalités par lesquelles ils s’engagent à satisfaire à ces obligations.

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La commission est saisie des amendements identiques CS293 de M. Stéphane Peu, CS677 de M. Daniel Fasquelle et CS2164 de M. Dominique Potier.

M. Stéphane Peu. Je ne reviendrai pas sur les raisons, exposées lors de la discussion générale, qui nous conduisent à nous opposer résolument au projet de privatisation d’Aéroports de Paris et à proposer par cet amendement CS293 la suppression de l’article 49. Je me bornerai à insister sur certains arguments.

Aéroports de Paris est une entreprise particulièrement stratégique pour l’État, puisqu’elle a été le point d’entrée sur le territoire de plus de 100 millions d’individus en 2017 : de ce point de vue, elle constitue l’une des frontières les plus importantes de notre pays. L’entreprise, qui représente 5 % du PIB régional, génère 8 % des emplois régionaux – en tant que député de Seine-Saint-Denis, je suis bien placé pour savoir que la plateforme de Roissy — Le Bourget constitue le premier employeur du département.

Je regrette donc la décision qui a été prise de privatiser ADP qui, du point de vue de mon groupe, est contraire à toute logique économique de long terme.

Par ailleurs, la privatisation d’ADP pourrait être entachée d’inconstitutionnalité, dans la mesure où le Conseil constitutionnel, dans une décision de janvier 1982, a considéré que le contrôle de la loi peut s’appuyer sur l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont lexploitation a ou acquiert les caractères dun service public national ou dun monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Or Aéroports de Paris est bien en situation de monopole.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS677, cohérent avec les autres amendements de suppression que nous avons déposés, est défendu.

M. Régis Juanico. Le Gouvernement a fait le choix d’engager une campagne de cession d’actifs de l’État afin de financer un fonds pour l’innovation de rupture.

Si le groupe Socialistes et apparentés n’est pas opposé à l’idée consistant à créer ce fonds – bien au contraire –, toute la question est de savoir quel montant doit lui être affecté, et s’il est opportun de brader des actifs de l’État dans des entreprises publiques dont certaines sont performantes et rapportent des dividendes chaque année, alors qu’il suffirait d’affecter ces dividendes au fonds de l’innovation de rupture en restant majoritaire au capital des entreprises publiques qu’il envisage de privatiser – cela serait même pour l’État une bien meilleure opération, comme l’ont montré les études d’impact. C’est la raison pour laquelle nous proposons, par l’amendement CS2164, de supprimer l’article 49.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Contrairement à ce qu’a dit M. Peu, la privatisation d’ADP ne serait pas jugée contraire à la Constitution, car cette société n’est pas considérée comme constituant un monopole de fait.

Par ailleurs, la privatisation sera encadrée de nombreuses garanties, que nous avons évoquées à de nombreuses reprises.

Pour ce qui est de l’affectation des revenus, évoquée par M. Juanico, il convient de relativiser l’importance des dividendes que peut rapporter ADP : le rendement de l’action est l’un des plus faibles du portefeuille de l’État et, comme pour toutes les actions, par nature instable – ce qui ne permettrait pas de garantir une affectation pérenne des rendements à un objectif particulier, en l’occurrence au fonds pour l’innovation de rupture.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable aux amendements de suppression de l’article 49.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je ne vais pas revenir sur tous les arguments échangés au cours du débat général sur le sens de cette opération de cession d’actifs. Je veux féliciter M. Juanico pour ses performances footballistiques, qu’il m’a été donné d’admirer avec mes enfants lors du match caritatif joué hier soir par l’Équipe de football de l’Assemblée nationale contre le Variétés Club de France (Sourires).

M. Régis Juanico. Je tiens à préciser que je n’ai pas encaissé seul les seize buts marqués contre nous !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je compatis : j’ai moi-même été gardien de but…

Pour ce qui est de la cession d’actifs, je redis que le choix qui a été fait par le Gouvernement est motivé par la volonté de garantir la stabilité du revenu du fonds pour l’innovation de rupture. Je suis donc défavorable aux amendements de suppression de l’article 49.

La commission rejette les amendements identiques CS293, CS677 et CS2164.

Elle examine lamendement CS645 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de précision juridique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS294 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Cet amendement est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Les collectivités territoriales n’étant pas actionnaires d’ADP aujourd’hui, elles ne peuvent pas bénéficier d’un droit de préférence. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement CS294.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS2402 du Gouvernement et CS406 de M. Charles de Courson.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. L’amendement CS2402 vise à créer le cahier des charges dans le cadre d’une cession d’actifs, ce qui permet de bien définir quels sont les obligations de la future société concessionnaire et les moyens de contrôle que conserve l’État. C’est pour moi l’occasion de souligner à quel point nous sommes attachés à prévoir des obligations strictes et qui restent sous le contrôle de la puissance publique.

M. Charles de Courson. L’article 191 de la « loi Macron » avait prévu une procédure stricte pour les ouvertures de capital des sociétés d’exploitation des plateformes aéroportuaires provinciales, notamment un appel d’offres et un cahier des charges précisant les obligations du cessionnaire. L’article 49 dérogeant à cette procédure, j’ai proposé avec l’amendement CS406 de la réintroduire en précisant que la cession d’un aéroport doit nécessairement donner lieu à l’établissement d’un cahier des charges – pour cela, je proposais de supprimer l’expression « en tant que de besoin », qui laissait entendre qu’il s’agirait d’une simple possibilité.

Cela dit, puisque l’amendement CS2402 du Gouvernement propose une réécriture complète de l’alinéa de l’article 49, incluant le principe d’un cahier des charges obligatoire, je retire mon amendement.

Lamendement CS406 est retiré.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable à l’amendement CS2402 du Gouvernement.

La commission adopte lamendement CS2402.

Elle est saisie de lamendement CS525 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je retire l’amendement CS525, pour les mêmes raisons que celles qui m’ont conduit à retirer l’amendement CS406. Il aurait même dû tomber…

M. Roland Lescure, rapporteur général. En tout cas, il est satisfait.

Lamendement CS525 est retiré.

La commission examine lamendement CS2001 de M. Jean-Louis Bourlanges.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS2001 comporte des dispositions importantes pour les collectivités territoriales franciliennes et, plus largement, pour le Grand Paris, car il permet de replacer la privatisation d’Aéroports de Paris dans une perspective plus territoriale et de créer les conditions d’un dialogue entre les collectivités et l’opérateur. Il est ainsi proposé de permettre aux collectivités de devenir actionnaires d’ADP au même titre qu’un acteur privé.

Il y aurait plusieurs avantages à cela, à commencer par le fait que les collectivités ont une capacité d’investissement de 2 milliards d’euros par an. Le produit des dividendes serait réinvesti dans les infrastructures de transport – je pense notamment au projet de liaison ferroviaire Charles de Gaulle Express – et les collectivités pourraient s’adosser, comme elles envisagent de le faire, à un fonds d’investissement français.

Je rappelle que ce modèle n’est pas nouveau et qu’il correspond au choix de la plupart des grands aéroports internationaux – en Europe, trente-six des cinquante aéroports principaux comportent un actionnaire public. En outre, il permet de sortir du statut d’extra-territorialité d’ADP, qui ne nous semble plus légitime.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Votre amendement vise à fixer dans la loi la possibilité pour les collectivités territoriales d’acquérir des actions d’ADP. En effet, cette possibilité existe déjà, mais la participation doit faire l’objet d’une autorisation prévue par décret en Conseil d’État.

Si la possibilité générale n’a pas à être inscrite dans la loi, le principe de l’autorisation, en revanche, doit être maintenu pour garantir que les collectivités territoriales qui souhaitent monter au capital d’ADP ont effectivement les moyens de le faire.

Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Si je comprends l’intention des auteurs de l’amendement CS2001, j’y suis néanmoins clairement défavorable.

Sur le plan des principes juridiques, les collectivités locales ne sont pas autorisées à prendre une participation dans une société commerciale – ce que deviendra ADP –, sauf exception. L’amendement prévoit, lui, qu’à titre général, les collectivités locales pourront prendre une participation dans une société commerciale. Nous ne fermons pas la porte à ce que les collectivités locales qui le souhaiteraient puissent prendre, par exception, une participation au capital d’ADP – je sais que certaines en ont manifesté l’intention –, mais nous souhaitons que cela reste un cas d’espèce précis, avec décret pris en Conseil d’État, et non une disposition de nature générale.

M. Charles de Courson. Cet amendement somme toute sympathique me conduit à poser une question au Gouvernement : dans le cadre de la procédure de droit commun, est-il ouvert à l’idée d’autoriser des collectivités locales à entrer au capital d’ADP ? En d’autres termes, monsieur le ministre, donneriez-vous un avis favorable à un décret le permettant de le faire ? Le cas échéant, les collectivités concernées achèteraient-elles des actions sur le marché, ou l’État leur réserverait-il des parts à un prix convenu ? J’aimerais savoir où en est votre réflexion sur ce point.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Pour ce qui est des modalités de cession, j’ai dit qu’elles étaient ouvertes et qu’elles feraient l’objet d’un débat pendant la séance publique, et je répète que la question relative à la présence de l’État au capital de la future société n’est pas tranchée : il peut conserver une participation ou céder l’intégralité des 50,6 % qu’il détient actuellement.

De même, je n’ai aucun a priori à l’égard des collectivités locales ; la question est de savoir si certaines d’entre elles ont un projet économique convaincant pour ADP. Nous avons beaucoup parlé des objectifs de l’État, du fonds pour l’innovation de rupture, du désendettement – tout ce qui a trait, en somme, à l’intérêt général et à l’intérêt public –, mais il ne faut pas négliger le projet industriel pour la future société, qui doit être de nature à faire d’ADP un leader mondial du développement aéroportuaire. Si des collectivités locales, notamment d’Île-de-France, apportent des éléments convaincants en ce sens, nous serons tout à fait disposés à les prendre en compte.

Bien entendu, la prise de participation par les collectivités locales est également soumise à une condition financière : il faut qu’elles soient en mesure de prendre une participation d’un montant significatif. Sous réserve que ces deux conditions soient remplies, je suis tout à fait ouvert à ce que des collectivités locales puissent prendre part au projet de cession.

Pour conclure, j’appelle votre attention sur le fait que l’amendement CS2001 prévoit la possibilité pour les collectivités locales d’investir dans une société qui aurait elle-même investi dans ADP – par exemple le Crédit Agricole, l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, Vinci, voire certains fonds d’investissement –, ce qui ne me paraît pas concevable.

Mme Isabelle Florennes. Je prends bonne note de vos remarques, monsieur le ministre et Madame la rapporteure, sur la rédaction de l’amendement déposé par mon collègue Jean-Louis Bourlanges, qui justifient effectivement une réécriture.

J’entends également que vous n’êtes pas opposés au principe d’une participation des collectivités locales au capital d’ADP, et à ce que nous échangions à ce sujet avant la séance publique. Dans l’immédiat, je retire donc l’amendement CS2001 en vue de reformuler sa rédaction et dans l’espoir qu’il puisse être adopté en séance.

Lamendement CS2001 est retiré.

La commission adopte larticle 49 modifié.

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Article 50
(articles L. 6323-1 et L. 6323-7 [nouveau] du code des transports)
Contrôle d’Aéroports de Paris et dispositions d’entrée en vigueur de la réforme

A.   l’État du droit

La Cour des comptes contrôle aujourdhui les comptes et la gestion dADP, en raison notamment de la détention de plus de la moitié de son capital par l’État, et ainsi de son caractère d’entreprise publique (article L. 111-4 du code des juridictions financières).

Le transfert au secteur privé de plus de la majorité du capital d’ADP pourrait entraîner la fin de ce contrôle, aussi larticle 50 précise quADP sera, après sa privatisation, « assimilé à un délégataire de service public » et soumis, à ce titre, au contrôle de la Cour des comptes. Il s’agit, notamment, de garantir la bonne gestion des actifs que l’État doit reprendre à l’expiration du délai de 70 ans.

B.   le dispositif proposÉ

Le présent article propose plusieurs dispositions de coordination juridique.

Les alinéas 1 et 2 de l’article 50 insèrent un article L. 6323-7 nouveau au chapitre III « Dispositions particulières à la société Aéroports de Paris » du titre II du livre III de la sixième partie du code des transports.

Cet article précise qu’ADP est assimilé à un délégataire de service public et, de ce fait, soumis au même contrôle que tout délégataire de service public. Il sera notamment soumis au contrôle de la Cour des comptes, en application de l’article L. 111-11 du code des juridictions financières qui lui soumet tout organisme délégataire d’une mission de service public. ADP devra fournir tout élément utile à l’instruction de cette juridiction.

Ces alinéas précisent également que tout élément transmis à la Cour des comptes dans le cadre de son contrôle sera parallèlement transmis à l’État.

Les alinéas 3 à 5 précisent les modalités d’entrée en vigueur du texte.

Lalinéa 3 précise que les articles 44 à 49, ainsi que le I de l’article 50 entreront en vigueur à la date de transfert au secteur privé de la majorité du capital dADP.

Lalinéa 4 précise que le décret en Conseil d’État approuvant le cahier des charges d’ADP (article 45) ainsi que le décret précisant le périmètre des activités retenues pour le calcul des redevances aéroportuaires (article 47) entreront également, vigueur à la date de transfert au secteur privé de la majorité du capital d’ADP.

Enfin, lalinéa 5 supprime, par cohérence juridique, le dernier alinéa de l’article L. 6323-1 du code des transports, aux termes desquels « la majorité du capital d’ADP est détenue par l’État ».

II.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté, à l’article 50, un amendement de votre rapporteure ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, et visant à supprimer l’obligation de transmission à l’État de tous les documents remis à la Cour des comptes à l’occasion d’un contrôle.

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La commission est saisie de lamendement CS2165 de M. Dominique Potier.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement est défendu.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

La commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CS724 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer la transmission automatique et intégrale à l’administration des informations collectées par la Cour des comptes sur Aéroports de Paris à l’occasion de ses contrôles.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Des rapports détaillés étant déjà transmis à l’État, je suis favorable à cet amendement.

M. Charles de Courson. Si je suis également tout à fait favorable à l’amendement CS724, celui-ci me conduit incidemment à m’interroger sur la très curieuse écriture de l’alinéa 2 de l’article 50, aux termes duquel « Aéroports de Paris est assimilée à un délégataire de service public ». Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser ce que signifie exactement cette notion d’assimilation, qui me paraît pour le moins approximative sur le plan juridique ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Monsieur le ministre, quelle est votre définition de l’assimilation ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je suggère que vers vingt-deux heures, nous lancions un débat sur « assimilation et intégration dans Aéroports de Paris ». Vous avez deux heures ! (Rires.)

En l’occurrence, le terme « assimilée » veut dire « considérée comme ». Si vous préférez la deuxième formulation, cela ne me dérange pas.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Pourquoi pas ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Mais « assimilée » correspond à la rédaction du Conseil d’État. Et M. de Courson est tellement attaché à la présence du Conseil d’État dans le conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Cette explication vous paraît-elle valable ou trop « nougateuse » ? (Sourires.)

M. Charles de Courson. En cas de contentieux, on va se demander comment distinguer la partie qui est assimilée et celle qui ne l’est pas.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. J’ai toujours considéré qu’il valait toujours mieux faire confiance aux littéraires plutôt qu’aux juristes. Malheureusement, au Conseil d’État, ce sont des juristes ! Mais je n’irai pas empiéter sur ses plates-bandes. Je vous suggère de renvoyer le débat à plus tard, et de retenir pour l’instant la formulation du Conseil d’État.

La commission adopte lamendement CS724.

Elle examine lamendement CS644 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Amendement de précision juridique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CS646 de la rapporteure.

Elle adopte enfin larticle 50 modifié.

Après larticle 50

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS295 et CS299 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Ces amendements visent à améliorer le pouvoir et le rôle des commissions consultatives de l’environnement en élargissant leurs compétences à toutes les sources de pollution liées à l’activité aéroportuaire, et pas seulement aux nuisances sonores. Ce qui nécessite la création d’un nouveau chapitre dédié spécifiquement à la prévention de la pollution liée aux aérodromes.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Comme on l’a déjà dit, la question de l’environnement sera bien prise en compte. Par ailleurs, l’objet de ces amendements n’est pas directement lié au texte. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Monsieur Peu, nous avons renforcé dans le cahier des charges ces obligations environnementales et leur contrôle ; il sera même possible d’interrompre la concession si jamais ces obligations n’étaient pas respectées.

Par ailleurs, dans le code de l’environnement ont déjà été prévus des critères de déclenchement des études environnementales, et des critères de participation du public sur les questions environnementales, y compris pour les aérodromes. Ces amendements, s’ils étaient adoptés, créeraient des dispositions supplémentaires exorbitantes pour les aérodromes eux-mêmes.

Enfin, et vous le savez mieux que personne, il est déjà possible de débattre de la pollution de l’air dans le cadre des commissions consultatives de l’environnement (CCE).

La commission rejette successivement les amendements CS295 et CS299.

Elle est saisie des amendements CS297, CS298 et CS300 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Vous avez sans doute remarqué que je faisais preuve d’une certaine constance, s’agissant de l’environnement, des droits des salariés et du droit des collectivités locales.

L’amendement CS297 traite des droits des salariés. Aujourd’hui, le conseil d’administration d’ADP peut modifier les statuts des salariés de l’entreprise, sous réserve de l’accord du ministre chargé de l’aviation civile, et celui en charge de l’économie et des finances, mais il n’en sera pas de même demain. Nous proposons donc de maintenir ce qui représente une garantie pour les salariés.

M. Charles de Courson. Mon cher collègue, ayant été rapporteur du texte sur Aéroports de Paris il y a une bonne dizaine d’années, je vous fais remarquer qu’il n’y a plus de statuts des salariés, mais une convention collective. Et elle ne relève pas du conseil d’administration mais de la négociation entre les partenaires sociaux. Le mieux serait donc que vous retiriez votre amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je rappelle qu’il y a des rapporteurs et un ministre pour donner des avis…

Mme Laure de la Raudière. Et il y a Charles !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Certes… Mais les règles sont les mêmes pour tous, y compris pour M. de Courson.

M. Stéphane Peu. Les autres amendements, CS 298 et CS300, sont défendus.

Mme Marie Lebec, rapporteure. J’émets un avis défavorable sur l’amendement CS297 : cela ne relève pas du domaine de la loi. Des garanties sont prises pour les salariés, qui seront consultés dans le cadre de l’élaboration du cahier des charges.

Avis également défavorable sur l’amendement CS298, qui propose que le Gouvernement remette un rapport sur les commissions consultatives de l’environnement. Nous sommes loin de l’objet du texte, même si l’on traite d’ADP.

Même avis sur l’amendement CS300, qui vise à l’établissement d’un rapport sur l’opportunité de la création d’une commission nationale pour l’aménagement du territoire. Là encore, on est un peu loin de l’objet du texte.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je rendrai un avis défavorable sur ces trois amendements, tout en saluant la constance de M. Peu – la constance est, on le sait, mère de toutes les vertus. Cela a permis de faire évoluer le texte de manière significative sur les questions environnementales.

Il n’est pas question de modifier le statut des salariés d’ADP. En tout état de cause, l’accord du ministre est requis pour que le conseil d’administration puisse modifier le statut des personnels ; cela constitue une garantie. Je le confirme à M. Peu.

M. Stéphane Peu. Ainsi, demain, dans le cadre de la privatisation, la loi continuera à conditionner la modification du statut des personnels à l’accord du ministre ? C’est important.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Demain, une fois que la cession d’actifs aura eu lieu et que l’État ne sera plus majoritaire, qu’il soit ou non encore présent au capital, le statut des salariés ne pourra pas être modifié par le conseil d’administration d’ADP sans un accord du ministre.

M. Stéphane Peu. Cela m’avait échappé. Je vous fais confiance et je retire l’amendement CS297.

Lamendement CE297 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CS298 et CS300.

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Sous‑section 2 :
La Française des jeux

Article 51
Autorisation du transfert au secteur privé de la majorité du capital de La Française des jeux

A.   l’État du droit

● La Française des jeux (FDJ) est une société anonyme de droit français, détenue à 72 % par l’État. Le reste du capital est principalement détenu par des associations d’anciens combattants (l’Union des blessés de la face et de la tête, à hauteur de 9,2 %, et la fédération Maginot, à hauteur de 4,2 %), ainsi que les salariés, à hauteur de 5 %.

La FDJ dispose aujourd’hui d’un monopole illimité dexploitation sur les jeux de loterie (tirage et grattage) en ligne et en points de vente, ainsi que sur les paris sportifs en points de vente. Ce monopole recouvre le droit exclusif d’organiser, d’exploiter et de commercialiser des jeux et paris. Ce monopole, certes illimité, est toutefois précaire puisqu’il peut être dénoncé par l’État avec un préavis de six mois.

La FDJ intervient également sur le secteur concurrentiel des paris sportifs en ligne.

En 2017, la Française des jeux a enregistré 15,1 milliards d’euros de mises : 49 % pour les jeux de grattage, 34 % pour les jeux de tirages et 17 % pour les paris sportifs. Ces mises croissent en moyenne de 5 % par an.

La FDJ a versé, au titre de 2016, 124 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires, soit 89 millions d’euros pour l’État. En parallèle, les prélèvements publics sur les jeux ont représenté, en 2017, 3,4 milliards d’euros, versés au budget général de l’État.

● Le secteur des jeux dargent et de hasard est fortement régulé, mais de manière segmentée. Les quatre principaux secteurs des jeux d’argent et de hasard relèvent de quatre autorités différentes :

– les casinos relèvent de l’autorité du ministère de l’intérieur ;

– les paris hippiques relèvent de l’autorité du ministère de l’agriculture ;

– la loterie et les paris sportifs en points de vente relèvent du ministère du budget ;

– les jeux en ligne ouverts à la concurrence (paris sportifs, paris hippiques, jeux de cercle) relèvent d’une autorité administrative indépendante : l’autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL).

En parallèle, le ministère de l’intérieur assure la police des jeux pour la préservation de l’ordre public, le ministère du budget garantit la lutte contre le blanchiment d’argent et le ministère de la santé exerce une action en matière de lutte contre les addictions.

● La loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne définit les objectifs de la politique de régulation du jeu menée par lÉtat :

– prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ;

– assurer l’intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ;

– prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;

– veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées.

● En ce qui concerne plus spécifiquement la FDJ, lautorité de régulation est distincte selon qu’il s’agisse des activités de monopole ou des activités exercées en concurrence :

– pour les activités exercées en monopole (tirage et grattage en ligne et en points de vente ; paris sportifs en point de vente), le décret n°78-1067 du 9 novembre 1978 relatif à l’organisation et à l’exploitation des jeux de loterie et l’article 48 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994 chargent le ministre chargé du budget des fonctions de régulateur. Une commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs (COJEX) est créée pour lappuyer, qui réunit des représentants de l’État, de la société civile, des experts en addiction, en régulation des jeux et en nouvelles technologies. Le ministre approuve, après avis de la COJEX, le programme des jeux annuel de la FDJ, son plan d’action en matière de jeu responsable et son plan de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent. Chaque jeu exploité par l’entreprise doit être autorisé avant sa commercialisation ;

– pour les activités de paris sportifs en ligne, qui sont exploitées en concurrence, lAutorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) en assure le contrôle, comme pour tout le secteur des jeux et paris en ligne (paris hippiques en ligne, paris sportifs et jeux de cercle). Celle-ci homologue les logiciels de jeux en ligne, donne un agrément aux opérateurs, veille à l’intégrité du jeu, notamment par le contrôle des dispositifs anti-collusion et lutte contre le blanchiment et l’offre illégale.

Revoir la régulation semble aujourd’hui une nécessité partagée, eu égard à la complexité que génère un cloisonnement strict entre les différents secteurs. S’il n’existe pas, aujourd’hui, de vide juridique dans la régulation, il semble quune plus grande efficacité pourrait être obtenue par la mise en place dune autorité de supervision partagée entre différents secteurs, si ce nest unique. Les joueurs, en effet, sont bien souvent communs aux différents secteurs, de même que les problèmes d’addiction, de fraude ou de blanchiment. Des modifications partielles ont été opérées, depuis 2010 et l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne, au hasard des véhicules législatifs. Aujourd’hui, c’est une réforme de grande ampleur qui est envisagée. Une mission sur ce thème a été confiée à l’Inspection générale des finances et au Conseil d’État, et devrait rendre ses conclusions fin septembre.

B.   le dispositif proposÉ

Le gouvernement estime que, si la nécessité d’un contrôle sur le secteur des jeux de hasard et d’argent est indiscutable, le contrôle actionnarial par l’État n’est pas le vecteur le plus adapté. Une cession de sa participation pourrait se faire sans remettre en cause la régulation quil opère sur le secteur. Ainsi, il propose d’autoriser le transfert de la FDJ au secteur privé, dans un contexte où l’entreprise mène une stratégie de modernisation et de transformation de son activité pour continuer à être un leader européen : l’élargissement de son actionnariat lui ouvrira de nouvelles opportunités de développement.

En parallèle, le présent projet maintient son monopole sur le secteur, mais pour une durée désormais limitée à 25 ans et pose les fondements dune refonte de la régulation des jeux dargent et de hasard par ordonnances, ne rendant plus nécessaire la présence majoritaire de l’État au capital de la FDJ.

À l’issue de la privatisation, l’État restera actionnaire minoritaire de l’entreprise (à hauteur de 20 % environ), pour continuer à participer à sa gouvernance et conserver un contrôle « étroit » comme limposent les normes européennes. En outre, sa présence comme actionnaire stable lui vaudrait probablement des droits de vote doubles.

Il na pas encore été décidé si lopération prendrait la forme dune cotation en bourse ou non, ni comment les commerçants détaillants et le grand public y seraient associés. En tout état de cause, il est peu probable que la FDJ soit rachetée par un opérateur concurrent, dans la mesure où elle est déjà la deuxième plus grande loterie en Union européenne, la quatrième plus grande au monde (après deux entreprises chinoises). En outre, elle est reconnue pour sa capacité d’innovation et son savoir-faire technologique, qu’elle vend aux autres acteurs du marché.

Lalinéa 1 confie, pour une durée limitée – et non plus une durée illimitée – à une personne morale unique faisant l’objet d’un contrôle étroit de l’État, le monopole de l’exploitation des jeux de loterie commercialisés en points de vente ou en ligne, ainsi que des jeux de paris sportifs commercialisés en points de vente.

Lalinéa 2 désigne La Française des jeux comme cette personne morale unique détentrice du monopole d’exploitation à compter de l’entrée en vigueur de la loi. La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne autorise à ne pas mettre en concurrence l’attribution de droits exclusifs, dès lors que l’État opère un contrôle étroit sur l’opérateur retenu, ce qui est prévu par le texte.

Lalinéa 3 autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la Française des jeux.

Les alinéas 4 à 13 (paragraphe IV) habilitent le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prendre, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure visant à :

– préciser le périmètre des droits exclusifs conférés à la Française des jeux et les contreparties dues par la société (alinéa 5) ;

– définir les conditions dans lesquelles ces droits exclusifs sont exercés, notamment la durée maximale, laquelle ne peut excéder 25 ans (alinéa 6) ;

– définir les conditions d’organisation et d’exploitation des droits exclusifs et les modalités du contrôle étroit sur la Française des jeux, en prévoyant, le cas échéant, la conclusion d’une convention entre l’État et la société FDJ ou le respect d’un cahier des charges défini par l’État (alinéa 7) ;

– définir les modalités de l’agrément de l’État requis en cas de franchissement de seuils du capital ou des droits de vote (alinéa 8) ;

– préciser les modalités d’exercice du pouvoir de contrôle et de police administrative de l’État sur l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard, ainsi que les modalités de régulation de ce secteur, notamment les dispositions applicables à l’ARJEL (alinéa 9). Cette disposition peut ouvrir la voie à une réforme d’ampleur de la régulation des jeux d’argent et de hasard ;

– modifier ou renforcer les sanctions administratives et pénales existantes et prévoir de nouvelles sanctions en cas de méconnaissance de ces règles applicables aux jeux d’argent et de hasard (alinéa 10) ;

– rendre ces dispositions applicables dans les territoires et collectivités d’outre-mer, le cas échéant avec les adaptations nécessaires (alinéa 11) ;

– abroger les dispositions obsolètes, inadaptées ou devenus sans objet, eu égard à la mise en œuvre des dispositions prévues par l’ordonnance (alinéa 12).

Il s’agit de renforcer le contrôle de l’État sur La Française des jeux, de préciser les modalités d’exercice de ce contrôle et du pouvoir de police administrative de l’État sur l’ensemble des jeux de hasard et d’argent, ainsi que le régime des sanctions administratives et pénales.

Lalinéa 13 prévoit enfin le dépôt d’une loi de ratification devant le Parlement au plus tard trois mois après la publication de l’ordonnance.

C.   la position de la commission spÉciale

Plusieurs amendements ont été adoptés par votre commission spéciale à l’article 51.

Le premier, déposé par votre rapporteure, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, permet de préciser le champ de l’habilitation faite au Gouvernement. Les « modalités de régulation » du secteur des jeux de hasard et d’argent, que le Gouvernement est habilité à réformer par ordonnances, incluent les modalités de lutte contre les offres illégales de jeux d’argent en ligne, ainsi que le renforcement de la prévention des phénomènes de dépendance.

Votre rapporteure a également souhaité préciser, par amendement ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, que le projet de loi de ratification de l’ordonnance évoquée devra avoir été déposé au Parlement avant le transfert de la Française des jeux au secteur privé.

Deux amendements plus larges ont été adoptés, permettant :

– de limiter les frais de gestion appliqués par les opérateurs de jeux aux comptes joueurs fermés à un montant forfaitaire par compte, défini par voie règlementaire. Cet amendement, présenté par votre rapporteure et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, bénéficiera aux joueurs, durant les six années précédant la clôture de leur compte – les avoirs qu’ils pourront retirer seront obérés d’un plus faible montant de frais de gestion – puis à l’État, au budget duquel ces avoirs sont reversés s’ils ne sont pas réclamés par leur propriétaire ;

– d’étendre la consultation du fichier des interdits de jeu au réseau des points de vente physique du PMU et de la Française des jeux pour le jeu sur compte joueur. Il s’agit de la proposition n° 13 du rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la régulation des jeux d’argent et de hasard, reprise par amendement par notre collègue Olga Givernet, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure.

*

*     *

La commission examine trois amendements de suppression de larticle, CS229 de M. Pierre Dharréville, CS678 de M. Daniel Fasquelle et CS2166 de M. Dominique Potier.

M. Stéphane Peu. L’amendement CS229 est défendu.

M. Daniel Fasquelle. Je ferai quelques remarques, qui vaudront pour plusieurs de mes amendements.

D’abord, je constate que les jeux et les loteries ont toujours été une activité à part, dont l’origine fut la création d’un fonds au profit des mutilés de guerre, et qu’il y a toujours eu un monopole national sur cette activité. Mais ces jeux et loteries ont aussi une activité sociale, et l’on sait qu’ils financent pour partie le Centre national pour le développement du sport (CNDS). D’où la question que je pose au ministre : qu’en sera-t-il demain, si La Française des jeux  est privatisée ?

Ensuite, cet article, comme d’autres, nous conduit à nous interroger sur l’avenir du système français. Vous voulez privatiser, tout en maintenant le monopole. En avez-vous réellement la possibilité, au regard du droit européen ? J’ai franchement des doutes, après avoir pris connaissance des derniers arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne – notamment un arrêt du 28 février 2018 qui dit exactement le contraire, et sur lequel nous pourrons revenir.

Si jamais ce monopole tombait, s’agissant des jeux à gratter, d’autres pourraient s’en emparer. Mais, du coup, la FDJ pourrait aussi remettre en cause le monopole des concours hippiques ou celui des casinos. Il y a là un vrai risque : un risque symbolique, un risque financier pour certaines activités, notamment pour le CNDS, mais également un risque systémique.

Enfin, comme pour ADP, vous restez dans une vue à court terme. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la professeure Emmanuelle Auriol qui parle d’une opération guidée par le court terme et le besoin de cash ; en conséquence de quoi, les rentes n’iront plus dans la poche du contribuable. Je partage tout à fait son point de vue.

En dernier lieu, j’aimerais savoir quelles garanties vous pouvez nous donner en matière de santé publique. On sait en effet qu’il y a un risque d’addiction à jouer. Cela justifiait le monopole d’État. Mais dès lors que l’État abandonne son monopole, quelles mesures prendrez-vous pour vous assurer que la lutte contre l’addiction se poursuivra ?

Mme la présidente Olivia Grégoire. Comme vous avez pu le constater, monsieur Fasquelle, je ne vous ai pas interrompu au terme de la minute réglementaire. Je suggère que nous procédions comme nous l’avons fait sur ADP, dans le cadre d’une discussion agréable et sympathique, sur le sujet stratégique de La Française des jeux. Cela permettra à chacun d’exposer son point de vue, avant que les rapporteurs, puis le ministre, répondent.

M. Régis Juanico. Pourquoi la privatisation de La Française des jeux pose-t-elle un problème ? Tout simplement parce que la FDJ n’est pas une entreprise comme les autres. Pour commencer, elle a 26 millions de clients ; ensuite, le jeu n’est pas une marchandise comme les autres : il est potentiellement dangereux. Voilà pourquoi les jeux d’argent et de hasard nécessitent une régulation puissante, cohérente, en termes de santé publique, d’ordre public, de lutte contre la fraude – en particulier contre le blanchiment – et de protection contre les risques de dépendance de nos concitoyens.

Pas moins de 56 % des Français jouent ; ils sont de plus en plus nombreux, et avec des mises de plus en plus en plus importantes. La FDJ représente 15 milliards de mises sur les 45 milliards des jeux d’argent et de hasard. Et si le nombre de joueurs excessifs est relativement stable depuis ces dernières années, autour de 250 000 ou 300 000, le nombre de joueurs à risque modéré a augmenté très fortement pour se situer autour d’un million.

Selon l’Observatoire des jeux, les jeux de loterie contribuent très significativement à l’ensemble du jeu problématique – qui concerne très significativement la FDJ – pour un coût social exorbitant : plusieurs milliards d’euros, entre le chômage, le divorce, la santé, le surendettement, la dépression, parfois le suicide. Et n’oublions pas les mineurs, puisqu’aujourd’hui un jeune sur trois, entre quinze et dix-sept ans, joue, notamment par le biais des paris sportifs.

Cela nécessite une politique publique de jeu responsable. C’est pourquoi nous défendons cet amendement de suppression de la privatisation de La Française des jeux. Aujourd’hui, la FDJ pratique une régulation en interne, une autolimitation, qui s’ajoute à la régulation souhaitée par M. le ministre. C’est ainsi, par exemple, qu’en 2014, Christophe Blanchard-Dignac, son PDG de l’époque, a mis le holà au jeu Rapido, retiré de la commercialisation parce que jugé trop addictif. Quelle sera l’attitude des actionnaires privés quand ils seront entrés dans le capital de la FDJ ? Seront-ils tentés de maximiser leurs dividendes en menant une politique commerciale agressive, en privilégiant les jeux les plus lucratifs et les plus addictifs ? Pour moi, ce n’est pas là une mission d’intérêt général. La puissance publique, l’État, doit donc conserver ses positions au sein de la FDJ.

Au-delà de ce qu’a dit Daniel Fasquelle sur le financement du sport, je pense que nous avons besoin de conserver la participation majoritaire de l’État au sein du capital de la FDJ. Cela garantira une double régulation.

M. Charles de Courson. Si l’on pousse le raisonnement de notre collègue Juanico, il faut nationaliser le PMU, il faut nationaliser les casinos, voire tout interdire ! Allez au bout de votre raisonnement, cher collègue : il est d’ailleurs tout à fait respectable. Mais cela s’appelle la prohibition. (Sourires) Et je me permets de vous rappeler que les jeux d’argent en France ne sont autorisés que dans quatre secteurs : casinos, jeux en ligne, FDJ et PMU. Si vous les interdisez partout, les gens iront jouer à l’étranger et ce sera pire que tout : mieux vaut un système encadré, public ou privé.

J’observe que les casinos sont extrêmement encadrés : ils ont même des obligations de prévention et d’interdiction de jeu. C’est ce qui explique qu’à l’entrée de tous les casinos, on vous demande votre carte d’identité pour vérifier que vous avez dix-huit ans, et que vous n’êtes pas interdit de jeu. Vous soulevez le problème du Loto, où il n’y a pas d’interdiction de jeu : on peut y réfléchir, mais dans une optique de prévention.

Vos arguments ne tiennent donc pas. On peut s’interroger sur le caractère stratégique du Loto, comme sur celui du PMU et des casinos aussi. Un peu de raison, revenons sur terre !

Mme Marie Lebec, rapporteure. La question qui se pose avec ces trois privatisations est de savoir si, oui ou non, il est stratégique que l’État soit dans le capital.

S’agissant de la FDJ, je ne le pense pas. Si l’État a un rôle à jouer, c’est surtout dans le domaine de la régulation, de la prévention, de la lutte contre les addictions et le blanchiment d’argent. Il a des services pour ce faire, mais aussi la volonté de travailler à une nouvelle régulation puisque la question est abordée à l’article 51.

Notons qu’à l’issue de la privatisation, l’État restera actionnaire minoritaire de l’entreprise, à hauteur d’environ 20 %, pour continuer à participer à sa gouvernance et conserver un contrôle étroit, comme l’imposent les normes européennes.

La privatisation réduira effectivement les dividendes que perçoit l’État de la FDJ – ils représentent aujourd’hui 90 millions d’euros par an. En revanche, cela ne changera rien en matière de rentrées fiscales, qu’il continuera de percevoir chaque année à hauteur de 3 milliards d’euros.

Je pense donc que nous avons aujourd’hui les outils pour mener à bien la régulation, la moderniser, et permettre à l’État de sortir du capital de la FDJ.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. « Le jeu brûle tout. Il est la passion. Il est le rêve. Lenfer et la démesure… Il est largent ! », écrivait Dostoïevski. Je partage l’ambition de M. Juanico : il faut réglementer le jeu. Nous avons tous ici suffisamment de connaissance de l’histoire, mais aussi des passions humaines – sinon, nous ferions autre chose que de la politique – pour savoir que le jeu est effectivement dangereux, addictif, et qu’il faut en prémunir nos enfants.

C’est bien aussi l’objet des choix que nous faisons, puisque nous allons renforcer considérablement le contrôle sur les jeux de hasard. Nous allons mettre en place une régulation du secteur, qui sera la plus sévère, la plus stricte, et je l’espère la plus efficace sur l’addiction au jeu. Et l’autorité de contrôle que nous instituerons pourra remédier à des défaillances qui remontent à bien des années, puisqu’il n’y avait pas jusqu’à présent d’autorité de régulation compétente sur les jeux comme celle qui existera désormais : une autorité capable de contrôler réellement le risque d’addiction au jeu. Si j’ai commencé par ces propos, c’est parce que pense que c’est le plus important.

Pour le reste, je vais vous dire mon sentiment personnel, je n’ai aucun doute sur le fait que l’État n’a strictement rien à faire dans les jeux. Très franchement, pour moi, l’État, c’est le nucléaire, les services publics, le rétablissement de l’ordre public économique. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, mais je vais le répéter dix fois, cent fois, mille fois s’il le faut pour vous dire ma vision de l’État. Oui, je crois au rôle de l’État dans l’économie, dans le cadre que j’ai indiqué. Mais que l’État doive s’occuper des jeux de hasard, du grattage, du tirage, tout ce qu’on voudra, non ! J’estime même que cela contribue à une dévalorisation de l’État, et qu’un des grands enjeux, pour les générations à venir, sera de rétablir la dignité de l’État dans son activité, et le sens des activités de l’État. Et pour ce faire, il faut avoir le courage de renforcer l’État dans certains domaines – on le fait avec cette institution financière publique de 1 000 milliards d’euros de bilan – mais aussi, ce qui est toujours plus difficile, de dire aux Français que l’État n’interviendra plus dans certains domaines, parce que cela n’a pas de sens, que ce n’est pas opportun. C’est ce que nous faisons pour La Française des jeux.

Immédiatement, d’aucuns, qui veulent entretenir la confusion auprès des Français, dont la professeure citée par le maire du Touquet, dont je plains les élèves : on nous accuse de vendre les bijoux de famille, et de faire perdre de l’argent à l’État. Pardon, mais c’est grotesque ! Ce qui rapporte de l’argent, c’est la fiscalité. Or la fiscalité et donc les recettes resteront strictement les mêmes : l’État continuera à toucher 3 à 3,5 milliards d’euros par an sur les recettes de la FDJ. Il perdra certes les dividendes – 90 millions d’euros. Mais ce n’est pas ce qui compte, car ce qui compte, ce sont ces milliards d’euros de recettes fiscales. Là-dessus, je ne pense donc pas qu’il y ait de difficultés.

M. Fasquelle soulève la question, parfaitement légitime, sur l’accord de l’Union européenne. Il n’y aura pas non plus de difficultés avec la jurisprudence ou la législation de l’Union européenne dès lors que nous maintenons un contrôle étroit sur les jeux, conformément à la jurisprudence « Sporting Exchange ». Nous pourrons opérer cette privatisation. Des décisions ont déjà été rendues en la matière.

Une autre inquiétude — et nous sommes là pour répondre à toutes les inquiétudes légitimes – s’est exprimée à propos des actionnaires historiques. Je pense en particulier aux associations d’anciens combattants, qui financent des actions humanitaires majeures dont Charles de Courson m’a parlé hier, ainsi qu’à la fédération des débitants de tabac qui m’ont fait part de leurs inquiétudes. Nous leur avons répondu qu’ils pourraient conserver leur participation au capital de la FDJ. Les salariés pourront également rester actionnaires ; je répète que le Gouvernement souhaite que les salariés puissent renforcer leur participation au capital s’ils le souhaitent. Nous saisirons aussi l’opportunité de cette participation pour encourager, comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, l’actionnariat populaire.

Voilà les quelques éléments que je voulais porter à votre connaissance. Je terminerai par un sujet important, celui des casinos, que l’on m’a souvent signalé.

Nombre d’entre vous, comme Daniel Fasquelle, qui vient d’une ville hautement touristique, réputée et appréciée du Président de la République, regrettent l’exclusion des casinos du périmètre de l’activité de l’autorité unique. Les casinos eux-mêmes préféreraient y être soumis ; le problème est qu’ils n’obéissent pas aux mêmes règles. Comme Charles de Courson l’a rappelé : il faut présenter sa carte d’identité à l’entrée, ne pas être inscrit au fichier des interdits de jeu pour pouvoir y entrer. Le ministre de l’intérieur a d’ailleurs exprimé des préoccupations en la matière.

Les enjeux ne sont pas les mêmes : les casinos souhaiteraient une régulation plus souple, alors que nous voulons imposer une régulation très stricte à travers cette autorité de contrôle. Je dis très simplement, tout cela sera traité ultérieurement. Le ministère de l’intérieur est prêt à traiter spécifiquement la question de la régulation des casinos, et je vous invite à y travailler avec lui.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, je souhaite que l’ARJEL soit l’autorité unique de régulation des jeux. Éric Woerth a déposé un amendement en ce sens, que je soutiendrai. Il n’y a pas de raison de mettre en place une autorité que pour les jeux en ligne. La mise en place d’une autorité unique irait dans le bon sens, et rassurerait tous ceux qui s’inquiètent des menaces d’addiction et se demandent si le retrait de l’État de la FDJ ne va pas entraîner demain, de la part d’investisseurs privés, des comportements que nous ne souhaitons pas.

Je vous ferai ensuite remarquer que l’État va tout de même perdre 90 millions d’euros par an, ce qui n’est pas négligeable.

Vous avez cité une jurisprudence qui date de 2010. Celle que j’ai évoquée date de février 2018. Dans cet arrêt, la Cour de Justice de l’Union européenne déclare qu’on peut parfaitement accepter qu’il y ait un monopole à côté d’une partie des jeux ouverts à la concurrence, mais à condition que ce monopole soit entre les mains de l’État. Mais à partir du moment où la FDJ conserve un monopole pour les jeux de grattage alors qu’elle devient un acteur privé, je ne suis pas certain que le monopole pourra se maintenir. C’est un problème de libre prestation de services, et d’application du traité de Rome. Si ceux qui créent des jeux à gratter dans d’autres États membres demandent à pouvoir les vendre en France, comment pourrons-nous nous y opposer ?

Je crains que ce que vous proposez présente un risque systémique, comme je l’ai dit tout à l’heure. Si le monopole de la FDJ est cassé, ceux à qui vous avez vendu la FDJ vont évidemment s’en plaindre : ils vont vouloir compenser, par exemple, en développant des machines à sous dans les lieux où ils vendent leurs jeux à gratter, ce qui pourra remettre en question le monopole des casinos. Au-delà, c’est tout l’édifice français qui risque de s’en trouver bouleversé.

Le risque est réel, et je vous demande de l’analyser avec les équipes qui vous entourent. Peut-être pourra-t-on en parler avant la séance ? Intéressez-vous particulièrement à la portée de cet arrêt de la CJUE. Sa jurisprudence a énormément évolué en quelques années, et elle continue de se préciser.

M. Régis Juanico. Le problème n’est pas dans la privatisation, ni dans l’avenir du rendement fiscal, qui restera extrêmement important, avec plus de 3 milliards d’euros chaque année pour la FDJ, et plus de 5 milliards au total pour l’ensemble des taxes sur les jeux d’argent et de hasard. Il n’est pas non plus dans le monopole, même si Daniel Fasquelle a posé des questions, liées à l’Europe et à sa jurisprudence, qu’il faudra bien traiter.

La grande question est de savoir quel sera le comportement du futur actionnaire privé de référence. Et je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre : que ce soient les associations d’anciens combattants, historiquement présents au capital, les débitants de bureaux de tabac et de presse, présents depuis peu, ou les salariés, ils n’ont pas forcément tous la capacité d’être actionnaires au capital de la FDJ. Il faudra donc régler la situation.

Quel sera son comportement en matière de jeu responsable ? Selon moi, c’est le problème qu’il faut poser. Jusqu’à aujourd’hui, la participation majoritaire de l’État dans le capital de la FDJ servait de corde de rappel, de garde-fou. Une autolimitation venait renforcer la réglementation et la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard.

Ensuite, on a parlé d’un rendement de 90 millions d’euros de dividendes par an. Je trouve que ce n’est pas si mal, d’autant que ce montant augmente assez fortement chaque année. Celui qui rachètera la FDJ – valorisée par le marché entre un milliard et un milliard et demi d’euros – rentabilisera rapidement son investissement, en dix ou quinze ans. N’est-on pas en train de brader un patrimoine national qui rapporte tout de même tous les ans un dividende important ?

Enfin, on est en droit de s’inquiéter pour le sport. Les taxes affectées ont été portées, par voie d’amendement – en « secouant » un peu le gouvernement de l’époque – à un maximum historique en 2017 : 270 millions d’euros. Or la FDJ est aujourd’hui le premier contributeur au financement du sport pour tous. L’an dernier, Gérald Darmanin, avec la majorité, a fait en sorte de diviser par deux ces taxes affectées. On peut donc se demander si les taxes affectées au financement du sport auront une pérennité. Je pose la question très directement au ministre qui est devant moi.

M. Charles de Courson. Quelle est la situation des quatre secteurs du jeu ?

Il y a d’abord, le PMU, avec France Galop et France Trot, qui sont privés et contrôlés sous l’autorité du ministre de l’agriculture. Il y a les casinos, tous privés – aucun casino n’est propriété de l’État – et régulés par le ministère de l’intérieur. Il y a La Française des jeux, régulée par la direction du budget de votre ministère. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, mais c’est resté pendant des années une chasse gardée : on y casait les vieux sous-directeurs ou directeurs du budget. Il y a enfin les jeux en ligne, entièrement privés.

Dans cet article, on met sous l’autorité de l’ARJEL les jeux en ligne, ce qui était déjà le cas. On y rajoute le PMU et la loterie, ce qui est logique. Mais pourquoi n’y rajoute-t-on pas les casinos ? Je peux le dire à votre place, monsieur le ministre : le ministre de l’intérieur veut garder l’autorité sur les casinos, et ne veut pas que l’on transfère le service qui s’en occupe à l’ARJEL. Il serait pourtant logique que l’on ait une main sur l’ensemble des jeux, pour mener une politique cohérente de prévention sur ces quatre secteurs. Mais on en reparlera tout à l’heure, puisqu’il y a un alinéa là-dessus.

Ce sont donc des discussions de boutique. Sur le fond, tous les rapports parlementaires ont conclu qu’il fallait placer ces quatre secteurs sous l’autorité de l’ARJEL – puisque c’est elle qui existe aujourd’hui.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Merci pour ces échanges qui, depuis le début de cette commission spéciale, ont été particulièrement constructifs – ce dont je tiens à remercier chacun d’entre vous, en particulier la présidente, le rapporteur général et les rapporteurs. Nous améliorons ainsi la loi, et c’est bien comme cela que je vois les débats parlementaires.

Daniel Fasquelle s’est interrogé sur l’arrêt de la Cour de Justice de 2018. Il est évident que l’opération que nous menons n’a de sens qu’avec le maintien du monopole, pour deux raisons fondamentales : la première tient à la rentabilité de l’opération pour le futur opérateur privé, qui n’est garantie que par le maintien du monopole ; la seconde tient au fait que c’est un élément de contrôle du jeu en France.

Nous sommes en contact avec la Commission européenne, et nous sommes confiants sur une issue favorable. Mais nous lui avons demandé de nous donner, sur la base de la jurisprudence de la Cour de 2018, un avis formel. Je vous invite donc à prendre contact avec mes équipes pour continuer à travailler d’ici à la séance, et pour qu’on vous fournisse toutes les informations pertinentes sur le sujet.

Pour être très précis, je rappelle qu’il y a un monopole sur les jeux de tirage, de grattage, en points de vente physique et en ligne ainsi que sur les paris sportifs en point de vente. En aucune façon ce monopole ne saurait être remis en cause. Encore une fois, monsieur Fasquelle, je vous invite à prendre attache avec mes équipes pour que nous vous tenions informé de nos discussions avec la Commission européenne. Et je vous remercie d’avoir soulevé ce point.

Sur la question des casinos posée par Régis Juanico et Charles de Courson, je vais être très franc : la situation actuelle tient d’abord à des raisons matérielles que l’on peut expliquer. Les casinos correspondent à des lieux physiques sur quelques points du territoire, notamment les plus touristiques : Biarritz, : Deauville, Le Touquet, Bagnoles-de-l’Orne…

M. Régis Juanico. Il y en a deux cents !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. On ne va pas tous les citer. Mais il se trouve que j’aime bien, ainsi, faire le tour de France… Quand on est enfermé au deuxième sous-sol de l’Assemblée nationale, on peut au moins voyager en esprit à travers la France.

Je reconnais bien volontiers qu’il y a aussi un blocage administratif. Il y a des chasses gardées, que vous connaissez : les casinos sont au ministère de l’intérieur, comme l’a rappelé Charles de Courson, et les jeux sont à la direction du budget. Il ne s’agit pas de faire des cadeaux à qui que ce soit. On mettra en place une régulation pour l’ensemble des jeux, que ce soient les jeux ressortissant du monopole ou les casinos. Mais je ne vous cache pas que, pour le moment, nous restons à une disposition dans laquelle il y a une régulation spécifique pour les jeux ressortissant du monopole. Et puis, on travaillera sur la régulation des casinos. Si un jour – je ne sais quand – on arrive à surmonter ces difficultés et mettre en place seule régulation, pourquoi pas ? Mais nous n’y sommes pas aujourd’hui.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, vous avez parlé de 90 millions d’euros de dividendes. Or le chiffre dont je dispose est de 133 millions – pour 2017.

M. Régis Juanico. C’est logique, dans la mesure où l’État possède 72 % du capital. Il suffit de faire le calcul…

M. Daniel Fasquelle. Effectivement. Il n’empêche que si vous multipliez cette somme sur vingt-cinq ans, on n’est pas très loin du montant de la vente de la Française de jeux. Autrement de, on se prive de la possibilité de percevoir des gains supplémentaires liés à l’évolution positive de cette entreprise.

La commission rejette les amendements.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS962 et CS963 de Mme Olga Givernet ainsi que lamendement CS407 de M. Charles de Courson.

Mme Olga Givernet. À mon sens, peu importe la forme que prendra l’actionnariat, l’important est que le cadrage juridique soit défini et le champ des droits exclusifs confiés à La Française des jeux précisé.

S’agissant de la question de savoir si l’État doit être ou non au capital, pour moi l’État est juge et partie, percepteur, actionnaire, régulateur, et cela peut provoquer un conflit d’intérêts. Si nous maintenons un contrôle étroit, il n’y a aucun souci quant au fait de privatiser la FDJ ; la stabilité de tout un secteur en dépend. Des investisseurs sont intéressés, ils doivent être rassurés. Cela permettra également une valorisation optimale de la FDJ.

La rédaction de l’alinéa 1 de l’article 51 me paraît floue. L’article 322-2 du code de la sécurité intérieure définit clairement la loterie comme l’ensemble des jeux d’argent et de hasard. Or, actuellement, la FDJ n’est pas présente sur l’ensemble des jeux du secteur. Je vous propose donc d’introduire deux notions, que vous avez évoquées, monsieur le ministre, les notions de grattage et de tirage, qui englobent à la fois les jeux tels que le Loto, l’Euromillions, le Keno, et nous voyons tous ce que sont les jeux de grattage.

Mes amendements CS962 et CS963 donnent une définition juridique de ces deux notions. L’Observatoire des jeux, la Cour des comptes, le comité d’évaluation et de contrôle dont je fais partie, ainsi que le rapport que j’ai présenté, utilisent déjà ces termes de grattage et de tirage. Le premier propose une offre de la FDJ identique « en dur » et en ligne. J’appelle votre attention sur le fait que c’est un cadrage plus restreint qu’aujourd’hui. C’est un choix politique que nous devons faire ensemble. Le second propose un cadrage plus souple qui laisse la possibilité de différencier l’offre « en dur » et l’offre en ligne, tout en restant dans la définition du jeu de grattage et du jeu de tirage.

Il y a un impérieux besoin de clarification juridique. Nous sommes face à une insécurité juridique et il faut avancer sur le sujet.

M. Charles de Courson. Nous avons eu le plaisir d’auditionner avec la rapporteure les responsables de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Ils nous ont dit de ne surtout pas écrire dans le texte le mot « loterie » mais, comme notre collègue le rappelle, d’écrire plutôt « grattage et tirage », car la loterie est plus vaste. Je suis tout à fait d’accord, car sinon vous allez autoriser la FDJ à faire autre chose que du grattage et du tirage. Mon amendement est le même que celui de notre collègue, qui reprend en plus la définition de la jurisprudence exposant très précisément ce que sont le grattage et le tirage. La Loterie nationale n’a pas compétence sur toutes les formes de loterie.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Nous avons beaucoup travaillé sur le sujet. Il est vrai que plusieurs rapports mentionnent le tirage et le grattage plutôt que la loterie, mais aucun texte de loi ne le fait. Nous sommes d’accord qu’il faut préciser le périmètre mais, sur cet article, nous recommandons plutôt d’attendre les conclusions de la mission en cours. Le Gouvernement, dans les différentes positions qu’il a prises sur la FDJ, n’a jamais émis l’intention d’étendre le périmètre de son monopole ; même si ce n’est pas un élément juridiquement sécurisant, c’est tout de même une première étape. Je demande le retrait de ces amendements.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je remercie Mme Givernet pour la qualité de son travail sur les jeux et leur régulation. Cela nous a aidé pour la préparation du texte, et je pense que cela nous servira beaucoup dans les débats à venir. Je remercie également M. Juanico.

Je considère, et je l’ai dit, que le vrai sujet est là, bien plus que dans la cession des actifs de l’État, pour une activité qui ne me paraît pas stratégique, du moment qu’elle est régulée de manière plus efficace. Je souhaite que nous poursuivions ce travail ensemble. Les amendements que vous avez déposés sont à mon sens des amendements d’appel : c’est l’ensemble de la définition des droits exclusifs de La Française des jeux qu’il faut préciser dans le cadre de cette régulation. Je propose de vous associer très directement à la rédaction de l’ordonnance qui portera sur la régulation des jeux et demande donc le retrait des amendements à ce stade.

Mme Olga Givernet. J’accepte volontiers de m’associer au travail qui sera conduit sur les ordonnances, mais le maintien de l’insécurité juridique dans cet article de la loi PACTE m’interroge. Je préfère maintenir les amendements pour l’instant, sans exclure de retravailler dans le cadre de cette loi sur la question de la définition.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je me permets d’insister pour que vous retiriez l’amendement CS962. Après une longue discussion avec la présidente de la FDJ, avec qui j’ai examiné cet amendement très attentivement, je ne me permettrais pas d’être aussi insistant si la FDJ n’avait pas manifesté une réelle inquiétude. Si cet amendement était adopté, sur cinquante-six jeux en ligne aujourd’hui exploités, seuls dix-neuf seraient autorisés, parce que les mots que vous employez dans cet amendement restreignent le champ des jeux.

M. Daniel Fasquelle. Tout cela m’inquiète énormément. Ce projet de loi introduit une double insécurité juridique, qui tient d’une part aux limites du monopole, car le mot « loterie » ne pourra pas empêcher l’opérateur qui sera choisi de commercialiser d’autres produits que ceux que la FDJ a jusque-là développés, et d’autre part à la nécessité de justifier le monopole devant la Cour de Justice de l’Union européenne pour des raisons impérieuses d’intérêt général. Quelles raisons avancerez-vous pour dire qu’il est normal de confier ces jeux de grattage et de tirage à un monopole privé et ne pas ouvrir cette activité à la concurrence ?

M. Régis Juanico. Il existe deux rapports parlementaires robustes sur la question de la régulation des jeux d’argent et de hasard. Le premier a été écrit par moi-même et Jacques Myard, qui n’est plus des nôtres ; Olga Givernet a contribué à un second rapport, consacré le suivi de nos préconisations – sept ou huit de nos quinze préconisations ont été réalisées en huit mois.

Sur la régulation, je ne doute pas du tout des engagements de M. Le Maire, et Gérald Darmanin avait d’ailleurs dit la même chose en séance publique quand nous avons mis le rapport de suivi à l’ordre du jour. C’est le calendrier qui m’inquiète. Comment pourrons-nous, nous parlementaires, inscrire cette régulation dans la loi ? J’ai une vieille réticence à l’égard de l’habilitation à légiférer par ordonnances : je trouve que c’est laisser un chèque en blanc à l’exécutif et déposséder les parlementaires de leurs prérogatives. Vous recevrez les conclusions d’une mission de l’IGF et du Conseil d’État fin septembre, au moment où nous siégerons pour discuter du texte en première lecture. Comment voyez-vous la conduite des travaux vis-à-vis de cette mission et le rôle que pourraient jouer les parlementaires, qui bien naturellement mettront leurs travaux à votre disposition ?

M. Roland Lescure, rapporteur général. Pour ce qui est de la sémantique et des définitions, on sait bien que cet univers est en perpétuelle évolution. L’innovation a lieu presque tous les jours ; Bien malin qui aurait pu imaginer il y a dix ans les jeux auxquels les Français jouent aujourd’hui. Je n’ai aucune idée de ce que sera fait l’avenir et je trouve par conséquent « grattage et tirage » un peu limitatif : peut-être suffira-t-il demain de cligner d’un œil pour jouer… Il faut laisser toute sa place à l’innovation.

Cela dit, il faut aussi s’assurer d’une sécurité, et d’abord en termes de régulation. Vous posez la question du calendrier. Privatise-t-on d’abord et régule-t-on après ? J’imagine que non. Privatise-t-on d’abord et fixe-t-on les conditions de la régulation après ? Non plus. Mme la rapporteure défendra un amendement qui permet de bien préciser le timing des différentes échéances. On ne vend pas les yeux fermés. Mais restons prudents sur la sémantique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il est important d’apporter de la clarté et de prendre le temps nécessaire : les enjeux sont considérables. Je ne voudrais pas que vous votiez en méconnaissance de vos votes.

Je suis très défavorable à l’amendement d’Olga Givernet car les mots qui définissent aujourd’hui le monopole de La Française des jeux  sont ceux du décret 78-1067, qui ne fait référence qu’aux jeux de loterie. L’avantage de ce terme très générique, c’est qu’il permet à la FDJ de développer toutes sortes de jeux de hasard nouveaux, y compris en ligne. Si vous retenez l’acception de grattage et de tirage, vous allez exclure du champ de la loi tous les jeux en ligne qui ne correspondent pas à ceux proposés dans les débits de tabac – dix-neuf au total –, sous forme papier et carton. Vous ouvrirez une vraie faille juridique, qui présente un risque important. J’insiste donc sur la nécessité de retirer cet amendement pour nous en tenir à la définition du monopole au titre du décret 78-1067 : en gardant l’acception de « jeux de loterie », on ne court aucun risque juridique.

La deuxième question, majeure, est de savoir si nous disposerons de la régulation avant la privatisation ou après. Il va de soi, pour moi, qu’il faut que nous en disposions avant. En termes de calendrier, je fixe à mes équipes l’ouverture de la discussion sur les ordonnances au 1er octobre, et je prends l’engagement que les discussions avec Olga Givernet et Régis Juanico sur la nouvelle régulation des jeux commenceront début octobre, pour nous assurer que la régulation sera disponible avant que le texte de loi portant privatisation des jeux soit promulgué. Je propose à Olga Givernet et Régis Juanico de travailler concrètement à la rédaction des ordonnances qui commencera au 1er octobre.

Mme Olga Givernet. J’ai bien entendu que certains jeux en ligne ne seraient plus proposés et je pense que cela vise plutôt l’amendement CS962. Existe-t-il un tel risque de suppression de produits avec mon second amendement ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avec l’amendement CS962, dix-neuf jeux resteraient autorisés sur cinquante-six ; avec l’amendement CS963, vingt-sept jeux resteraient autorisés sur cinquante-six. Dans les deux cas, il y a donc, si je peux me permettre, de la perte en ligne.

Mme Olga Givernet. Merci de ces précisions. Compte tendu de l’engagement d’un travail sur un cadrage définitif, et la possibilité à terme d’un élargissement du monopole, je retire mes deux amendements.

M. Charles de Courson. Le calendrier permet-il de préciser tout cela dans les délais ? La loi PACTE sera probablement votée avant que nous ayons les conclusions définitives.

Par ailleurs, je découvre, grâce à mon voisin, que le Conseil d’État a considéré, par un arrêt du 27 octobre 1989, qu’« il ne résultait ni des dispositions de la loi de 1933 ni des caractéristiques générales des jeux de hasard que la mission dont La Française des jeux avait été investie revêtirait le caractère dune mission de service public ». Peut-on exercer un monopole pour une mission qui ne soit pas de service public ? Jusqu’en 1999, le Conseil d’État puisque, jusqu’en 1999, il considérait que la FDJ avait une mission de service public ; la jurisprudence s’est inversée depuis cet arrêt. Nous sommes en plein brouillard.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je me réfère uniquement à l’avis qui a été rendu par le Conseil d’État en 2018 sur l’opération que nous lançons ; s’il avait eu des réticences, il nous l’aurait dit et se serait référé à l’arrêt que vous mentionnez. Je n’ai donc pas d’inquiétude puisque nous avons un avis du Conseil d’État qui nous ouvre la voie.

Sur le premier point, je prends deux engagements. Le premier, c’est que Régis Juanico, Olga Givernet et les parlementaires qui le souhaitent seront associés à la rédaction des ordonnances portant régulation du monopole du jeu à partir du 1er octobre. Le second, c’est que, si les travaux prennent trop de temps pour la mise en place de cette régulation, très complexe, et si la loi est promulguée rapidement, avant qu’elle ne soit opérationnelle, je m’engage à ne pas lancer l’opération de privatisation de la FDJ, quelle que soit la date de promulgation de la loi PACTE, tant que nous ne disposons pas de l’outil de régulation du monopole. J’affirme ce principe très important : il n’y aura pas de privatisation de La Française des jeux tant qu’il n’y aura pas une régulation solide du monopole sur laquelle nous aurons travaillé ensemble.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je vous sens toujours inquiets : je vous indique, pour vous rassurer pleinement, que la rapporteure a préparé un amendement en ce sens qu’elle présentera dans quelques minutes.

M. Charles de Courson. Dans ce cas, je retire mon amendement.

M. Régis Juanico. J’ai beaucoup de difficultés à cautionner la procédure des ordonnances, étant parlementaire et défenseur des droits du Parlement. Je retiens les engagements du ministre ce soir. Je pense qu’il ne prend pas trop de risques en termes de calendrier parce que les opérations de privatisation de la FDJ ne vont pas se faire en quelques semaines ou quelques mois, et le laps de temps qui va s’écouler nous permettra d’avancer sur la régulation. Parce que je suis également attaché au travail transpartisan, dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, et c’est pourquoi j’ai signé des amendements communs avec Olga Givernet, je participerai bien sûr à ces travaux sur la régulation, même si nous ne sommes pas d’accord sur la question de la privatisation.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de lamendement CS408 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Les termes utilisés dans l’alinéa 1, « faisant lobjet dun contrôle étroit de lÉtat », sont un peu flous. Le ministre a certes expliqué que l’absence de « contrôle étroit » aurait des conséquences juridiques au niveau européen, mais mieux vaudrait supprimer ces termes qui n’apportent rien, et traduire la notion dans l’ordonnance.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cela nous est imposé par la réglementation européenne. La CJUE n’autorise la mise en concurrence que si l’État s’engage à assurer un « contrôle étroit ». Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je confirme – et cela répond aussi à la question de Daniel Fasquelle – que c’est un terme de la jurisprudence de l’Union européenne : nous devons assurer un contrôle étroit si nous voulons confier un monopole à un opérateur public ou privé sur les jeux de hasard. Une série d’arrêts de la CJUE, Santa Casa en 2009, Sporting Exchange en 2010 et un nouvel arrêt en 2011, utilisent cette expression ; c’est par simple souci de sécurité juridique que nous reprenons les mêmes termes, même si on peut les trouver maladroits.

Lamendement est retiré.

La commission adopte ensuite lamendement de précision juridique CS647 de la rapporteure.

Puis, suivant lavis défavorable de la rapporteure, la commission rejette lamendement CS679 de M. Daniel Fasquelle.

La commission est saisie de lamendement CS409 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il s’agit d’une petite précision pour protéger le Gouvernement, en complétant l’alinéa 3 par les mots « après appel d’offres », et garantir que ce ne sera pas du gré à gré, qui ne manquerait pas de provoquer commentaires et suspicions de copinage.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Les modalités de cession n’ont pas encore été définies, mais le contrôle sera assuré par la commission des participations et transferts. Avis défavorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Si nous voulons un actionnariat populaire, et nous le souhaitons, outre les actionnaires dont nous avons déjà parlé, il ne s’agira pas d’un appel d’offres mais d’une opération de marché. Si vous nous enfermez dans l’idée de l’appel d’offres, vous mettez fin à l’idée d’actionnariat populaire. Je vous invite donc à retirer l’amendement.

M. Charles de Courson. Je le conteste. Il est parfaitement possible de faire de l’actionnariat avec les salariés suite à un appel d’offres. Il n’y a aucune contradiction. Vous gardez quelques pourcents du capital et les offrez au personnel.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est possible avec les salariés, mais pas avec les particuliers.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Ce n’est pas coté !

M. Charles de Courson. Ce n’est pas parce que ce n’est pas coté qu’on ne peut pas le faire : des sociétés non cotées ont des actionnaires parmi leurs salariés.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Mais pas avec les particuliers !

M. Charles de Courson. Il faut que vous précisiez publiquement sous quelle forme vous procéderez : y aura-t-il un appel d’offres ou bien n’excluez-vous pas un arrangement, auquel cas vous serez alors accusé, comme tous les ministres qui ont voulu faire cela, de copinage ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. On imagine le ministre des finances se lever un matin en se disant qu’il va vendre la FDJ, appeler son pote qui l’achètera… C’est peut-être ainsi que ça se passe dans d’autres pays, mais en tout cas pas chez nous, et pas avec ce ministre. Il y a un contrôle, la commission de contrôle sera saisie et surveillera l’opération. Je le redis, comme pour ADP, toutes les options sont ouvertes et je ne veux pas que nous nous enfermions en définissant à l’avance ce que nous allons faire. Il y va d’abord de l’intérêt patrimonial de l’État. Toutes les possibilités sont ouvertes et cela se passera sous un contrôle totalement indépendant. Il n’y aura aucun gré à gré. Je pense que ce sera une opération de marché, mais laissons toutes les possibilités ouvertes.

La commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte lamendement de précision juridique CS643 de la rapporteure.

Ensuite de quoi, la commission examine, en discussion commune, lamendement CS2289 de la rapporteure et CS964 de Mme Olga Givernet.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’amendement CS2289 essaie d’accorder la chèvre et le chou. Le but est de créer une autorité unique de surveillance et de régulation, comme s’y est engagé le Gouvernement dans la rédaction du texte, et de lui donner des caractéristiques d’indépendance suffisantes : elle sera indépendante dans certains domaines tandis que, dans d’autres, prévention du jeu des mineurs, lutte contre les addictions, lutte contre le blanchiment d’argent, et d’autres, la régulation de l’État reste nécessaire. Nous excluons toutefois du champ les casinos et clubs de jeu, soumis à une régulation spécifique et obéissant à des logiques économiques propres. Il nous semble important de mettre en place les conditions nécessaires à la réussite de la privatisation. La régulation des casinos et clubs de jeu ne doit pas forcément être traitée dans PACTE et peut faire l’objet d’un autre texte.

Mme Olga Givernet. Je souhaite également rappeler l’importance d’un régulateur unique et indépendant couvrant l’ensemble du secteur des jeux. Nos amendements sont incompatibles puisque Mme la rapporteure souhaite exclure les casinos. Nous avons comme objectif commun de lutter de façon efficace contre les activités illégales et la fraude, et d’offrir une meilleure protection des joueurs et des mineurs, à qui le jeu est interdit. Vous avez reporté des discussions aux ordonnances en faisant état des conclusions de la mission à venir ; je vous demanderai donc de reporter également dans le cadre des ordonnances la décision concernant les casinos, dans l’attente des conclusions de cette mission.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous invite à retirer votre amendement. Nous pensons que les casinos pourront intégrer l’autorité unique et indépendante prochainement, mais nous ne sommes pas encore prêts en matière de régulation. Il convient de reporter quelque temps le sujet des casinos et clubs de jeu.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il y a une incompatibilité entre ces deux amendements, et je vois bien que nous n’arriverons pas à résoudre, ni ce soir ni dans le cadre de la séance publique, puisque ce sera l’objet des ordonnances, la question de l’intégration ou non des casinos dans le périmètre de la régulation. Pour l’heure, la position du Gouvernement consiste à distinguer les jeux de tirage et de grattage en ligne ou physiques, ainsi que le PMU, des casinos. Mais je suis prêt à accepter que, dans le cadre de la discussion que je vous ai proposée sur la régulation, on remette cette question sur la table ; vous pourrez alors apporter vos arguments. Si vous parvenez à convaincre le ministère de l’intérieur notamment, qu’il vaut mieux inclure les casinos dans le champ de compétences de cette autorité de régulation, très bien. Je suis là aussi pour rappeler la position arbitrée par le Premier ministre dans le cadre gouvernemental. Mais je suis prêt à accepter d’étudier, dans le cadre des ordonnances, les deux possibilités. C’est une ouverture considérable, que je prends sur moi, mais je ne peux aller plus loin. Cela implique le retrait des deux amendements, qui nous enfermeraient dans une hypothèse ou dans l’autre.

Mme Olga Givernet. C’est une sage proposition de reporter le sujet à la discussion des ordonnances. Je m’engage à me plier à la décision qui sera prise dans ce cadre.

Les amendements CS2289 et CS964 sont retirés.

La commission est saisie de lamendement CS410 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement aurait pu être mis en discussion commune avec les précédents puisqu’il a exactement le même objet. Il est dommage que nous n’ayons pas convoqué le ministre de l’intérieur, madame la présidente. Tous les rapports parlementaires concluent qu’il faut une autorité unique ; les arguments pour maintenir la spécificité des casinos ne tiennent pas, si ce n’est, comme l’a suggéré le ministre à demi-mot, une logique de pouvoirs entre les ministères, et rien d’autre. Vous ferez de toute façon voter contre l’amendement, monsieur le ministre, il y a encore des gens trop disciplinés dans votre majorité… Je le retire.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je n’accepte pas votre remarque, monsieur de Courson. Si j’étais comme vous le dites, j’aurais fait voter sur l’amendement et je pense que je l’aurais emporté, mais ce n’est pas ma vision des débats, sur ce sujet qui est un sujet sensible comme sur tous les autres. Le texte PACTE est trop important et soulève des sujets trop difficiles pour qu’on ne laisse pas toute sa place au débat. J’assume, plutôt que d’avoir fait voter la séparation de la régulation des casinos et celle des autres jeux, d’aller au bout de la discussion pour que les deux propositions soient examinées dans le cadre des ordonnances. Vous avez compris que sur certains sujets – définition de la place de l’État, cession d’actifs, intéressement, participation, PEA-PME, financement des entreprises, redéfinition des entreprises –, mes convictions sont en béton armé. Mais j’ai l’honnêteté de reconnaître que ce n’est pas le cas sur tous les sujets. Une régulation unique, ce n’est après tout pas idiot. Je ne vais pas passer en force sur des sujets sur lesquels ma conviction n’est pas définitivement arrêtée.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je ne me suis pas encore prononcé sur ce sujet qui concerne avant tout des spécialistes y travaillant depuis des années mais permettez-moi tout de même de donner un avis de béotien. Je remercie M. le ministre pour son ouverture et je souhaite que nous fassions preuve d’un minimum de jugement : comment peut-on soutenir que les casinos et les jeux de grattage achetés au tabac du coin, c’est la même chose ? À mes yeux, cela pose question. J’attends avec impatience les travaux qui seront conduits sur ce sujet. Les enjeux de distribution sont totalement différents, tout comme les produits utilisés et les sommes en jeu. Au fond, ce que les uns et les autres ont en commun tient au fait qu’ils sont des jeux de hasard – mais j’en connais d’autres : les prévisions météo, par exemple, sont elles aussi un jeu de hasard. Faut-il pour autant les inclure dans la régulation unique ? J’estime au contraire que la proposition qui est faite de réfléchir avant de se jeter sur les casinos comme la misère sur le pauvre monde mérite un peu de travail.

Lamendement est retiré.

La commission en vient à lamendement CS967 de Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet. Le débat que nous avons eu sur ce point suffit et vous connaissez ma position sur l’indépendance. Nous pourrons y revenir lors de l’élaboration des ordonnances ; en attendant, je retire cet amendement.

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS961 de Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet. Je le retire, pour les mêmes raisons que le précédent.

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS2290 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à préciser le champ de l’habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances dans certains domaines essentiels de la régulation et du contrôle de l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard parmi ceux qui sont mentionnés aux 5° et 6° du IV de l’article 51.

Suivant lavis favorable du Gouvernement, la commission adopte lamendement.

Puis, suivant lavis favorable du Gouvernement, elle adopte lamendement rédactionnel CS649 de la rapporteure.

Elle passe à lamendement CS965 de Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet. Je le retire.

Lamendement est retiré.

Suivant lavis favorable du Gouvernement, la commission adopte lamendement rédactionnel CS650 de la rapporteure.

Puis elle examine lamendement CS716 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement, auquel le rapporteur général faisait référence tout à l’heure, vise à imposer que la réforme de la régulation intervienne préalablement à la privatisation de la Française des jeux.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis très favorable : cet amendement confirme l’engagement politique que j’ai pris de ne procéder à aucune privatisation avant d’avoir mis en place la régulation correspondante.

M. Régis Juanico. Je suis d’accord sur le principe qui inspire cet amendement, monsieur le ministre ; il serait néanmoins utile que nous ayons en séance publique une discussion permettant d’éclairer les parlementaires sur les grandes lignes de la régulation unique – appelons-la ainsi pour l’instant, même s’il faut une dose d’indépendance – que nous appelons tous de nos vœux. Le rapport de la Cour des comptes et les rapports de l’Assemblée nationale vont dans ce sens. Le cloisonnement actuel de la régulation est obsolète et peu réactif par rapport aux évolutions technologiques, alors même que la frontière entre jeux en ligne et jeux « en dur » s’efface peu à peu. Aujourd’hui, un pari peut se prendre sur un téléphone mobile avant d’être enregistré dans un point de vente physique ; que signifie donc la distinction entre jeu en ligne et jeu « en dur » ?

Il faut donner un caractère interministériel à la régulation ; il faut aussi que le ministère de la santé s’implique bien davantage ; il faut une régulation beaucoup plus réactive. Pour ce qui est des principes, il me semble intéressant de consacrer un peu de temps en séance publique à la teneur que nous souhaitons donner à une régulation forte et puissante.

M. Daniel Fasquelle. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir répété qu’il n’y aurait pas de privatisation avant régulation. Mieux aurait fallu mettre à plat l’ensemble de la question des jeux de hasard en France avant de vous lancer dans cette aventure, car tout est imbriqué comme un jeu de mikado : le moindre mouvement fait bouger l’ensemble.

Pouvez-vous prendre un engagement concernant la définition des jeux d’argent et de hasard ? La définition actuelle englobe les machines à sous. Or, celles-ci relèvent pour l’heure du monopole des casinos. Pouvez-vous vous engager à ce que La Française des jeux n’installe pas demain des machines à sous dans ses points de vente ? C’est un point extrêmement important : on sait que les machines à sous sont très addictives, en ligne comme « en dur ». En l’absence de verrou dans les ordonnances que vous prendrez, le risque que la Française des jeux, une fois privatisée, développe ce type de jeux est réel.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est un engagement que je peux prendre.

La commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CS1853 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à plafonner à 5 euros les frais de gestion lors de la clôture des comptes pour éviter les abus.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Elle examine lamendement CS1343 de Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet. Cet amendement porte sur le fichier des interdits de jeu utilisé par les casinos et les opérateurs de jeux en ligne, qui permet d’interdire l’accès des sites et des établissements de jeux aux joueurs exclus sur la base du volontariat. Il serait opportun d’élargir cette possibilité aux terminaux électroniques déjà présents dans les points de vente de La Française des jeux et du PMU. Cette disposition n’allongera pas le temps de manipulation de l’appareil puisque le contrôle sera effectué sur présentation d’une carte d’identité par interrogation d’un fichier numérique.

Cette mesure facile à mettre en œuvre correspond à une préconisation figurant dans le rapport du comité d’évaluation et de contrôle sur la régulation des jeux d’argent et de hasard. Son efficacité dans la prévention du jeu addictif et pathologique est reconnue.

Suivant lavis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, la commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle modifié.

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Article 51 bis (nouveau)
(article 5 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à louverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux dargent et de hasard)
Renforcement de la prévention du jeu des mineurs

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par le groupe La République en Marche, et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement.

Cet article additionnel permet aux détaillants de jeux d’argent et de hasard de disposer de la base légale nécessaire pour contrôler l’âge de leurs clients, et refuser une vente à un client mineur.

En effet, l’article 1er de la loi n° 2010‑476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne prévoit que les jeux font l’objet d’un encadrement strict, notamment au regard de la protection des mineurs. L’article 5 de cette même loi précise que « les mineurs, même émancipés, ne peuvent prendre part à des jeux d’argent et de hasard dont l’offre publique est autorisée par la loi » et que « les opérateurs de jeux d’argent et de hasard légalement autorisés sont tenus de faire obstacle à la participation de mineurs, même émancipés, aux activités de jeu ou de pari qu’ils proposent ». 

Pourtant, comme l’a relevé le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la régulation des jeux d’argent et de hasard, alors que la protection des mineurs est le premier objectif cité par la loi du 12 mai 2010, l’enquête de l’observatoire des jeux et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé estime que près d’un mineur interrogé sur trois (32,3 %) déclare avoir joué au cours de l’année écoulée, essentiellement dans le réseau physique. De plus, parmi les personnes de plus de dix-huit ans, une sur quatre déclare avoir fait l’expérience du jeu avant sa majorité. L’interdiction, inscrite dans l’article 5 de la loi de 2010, n’est donc pas respectée, notamment parce que les buralistes n’ont pas d’assise législative pour exiger une pièce d’identité des clients potentiels.

Le présent article additionnel apporte un premier élément de réponse sur ce point, en autorisant la personne physique qui commercialise des jeux d’argent et de hasard directement auprès de clients à exiger d’un client qu’il établisse la preuve de sa majorité.

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La commission est saisie de lamendement CS966 de Mme Olga Givernet.

Mme Olga Givernet. Le jeu d’argent présente un risque important d’addiction, notamment parmi les publics les plus vulnérables que sont les mineurs. Je rappelle qu’en France, ce type de jeux est strictement interdit aux mineurs. Malheureusement, les testings effectués dans les points de vente de La Française des jeux et du PMU révèlent que deux tiers des mineurs peuvent aisément se procurer des produits de jeu. Afin de renforcer le respect de cette interdiction, je propose de systématiser le contrôle des pièces d’identité pour les publics les plus jeunes, en laissant une marge d’appréciation au détaillant pour juger de la majorité d’une personne. Toute personne qui paraît être âgée de moins de vingt-cinq ans serait ainsi contrôlée. Ce modèle a déjà fait ses preuves dans les pays anglo-saxons, en particulier pour la vente de cigarettes et d’alcool. Je souhaite qu’il soit non contraignant. L’accent doit en effet être placé sur des campagnes de prévention auxquels les détaillants doivent être associés sans qu’ils soient seuls chargés de la mise en œuvre de l’interdiction. Par cet amendement, je propose également de travailler en lien plus étroit avec le ministère des solidarités et de la santé, qui est un acteur majeur de la régulation des jeux d’argent et qui s’intéresse de près à la question de l’addiction des joueurs.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable : les détaillants seraient tenus de contrôler l’identité et l’âge de toute personne paraissant avoir moins de vingt-cinq ans. Le critère du « paraître » est trop imprécis.

Mme Laure de La Raudière. Vous pourrez donc continuer d’aller jouer, madame la rapporteure !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis totalement défavorable. Je suis profondément hostile à tout texte législatif qui juge de l’apparence des gens, quelle qu’elle soit.

M. Ian Boucard. Je suis tout à fait d’accord avec le ministre : se fonder sur le fait de « paraître » avoir moins de vingt-cinq ans est très hasardeux, et même discriminatoire.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il y a des gens qui se réjouissent de paraître avoir moins de vingt-cinq ans…

M. Roland Lescure, rapporteur général. En ce qui me concerne, j’apprécie d’être contrôlé lorsque je me trouve aux États-Unis…

M. Charles de Courson. Au fond, cet amendement ne fait que reprendre la pratique en vigueur dans les casinos, où chacun doit présenter une carte d’identité.

M. Roland Lescure, rapporteur général. C’est très différent !

M. Charles de Courson. Puis-je conclure avec votre autorisation spéciale, monsieur le rapporteur général ?

M. Roland Lescure, rapporteur général. Si vous attendiez un tout petit peu, vous auriez votre réponse !

M. Charles de Courson. L’amendement de notre collègue Givernet ne fait que reprendre peu ou prou le système qui existe dans les casinos, où tout le monde doit présenter une pièce d’identité, même en ayant l’air d’avoir quatre-vingt-cinq ans.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Pas du tout.

M. Charles de Courson. Permettez : je connais un peu les casinos… (Rires.) En clair, il faut sous-amender cet amendement pour supprimer toute condition d’âge et pour que le contrôle d’identité s’applique à tous !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je ne suis pas d’accord avec ces propos. Quiconque entre dans un casino est obligé de présenter une pièce d’identité – même moi : c’est une obligation légale.

M. Charles de Courson. Faisons la même chose chez les détaillants !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est totalement différent. M. Boucard a très bien relevé l’introduction dans la loi d’une référence à l’apparence physique : je me battrai pour que cela n’arrive pas.

Mme Olga Givernet. Je vais retirer mon amendement bien que nous soyons plusieurs ici à souhaiter paraître avoir moins de vingt-cinq ans…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je vous le confirme !

Lamendement est retiré.

M. Régis Juanico. J’avais demandé la parole, madame la présidente, et voilà que l’amendement est retiré !

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il me semble avoir laissé le temps au débat de se déployer, sur ADP comme sur La Française des jeux. D’autres amendements suivent sur ces sujets.

M. Roland Lescure, rapporteur général. En effet, nous allons tout de suite examiner un autre amendement portant sur le même sujet.

La commission examine lamendement CS1749 de M. Adrien Taquet.

M. Adrien Taquet. Pour satisfaire M. de Courson et apporter davantage de sécurité juridique, il nous faut nous saisir de l’enjeu de la protection des mineurs. L’article 5 de la loi de 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne interdit aux mineurs même émancipés de prendre part à des jeux d’argent. Par ailleurs, les opérateurs de jeu d’argent et de hasard légalement autorisés sont tenus de faire obstacle à cette participation. Cependant, au-delà du testing, une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a montré qu’un tiers des mineurs a déclaré avoir joué au cours de l’année écoulée.

C’est pourquoi cet amendement vise à permettre aux détaillants de disposer de la base légale nécessaire, qui faut aujourd’hui défaut, pour contrôler l’âge de leurs clients.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable à cet amendement qui apporte les précisions nécessaires concernant la lutte contre le jeu des mineurs et qui donne aux buralistes l’assise législative nécessaire pour assurer le contrôle en cas de doute, sans toutefois les y obliger de manière systématique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable. Il est en effet indispensable de contrôler l’âge des clients, mais de le faire sur une base légale neutre et non discriminatoire.

M. Régis Juanico. Je suis favorable à cette proposition et j’avais cosigné l’amendement de Mme Givernet, car il s’inscrit dans la logique des préconisations du rapport du comité d’évaluation et de contrôle. La formulation proposée permet d’avancer sur ce sujet fondamental de l’identification des joueurs et de l’interdiction du jeu des mineurs. Les contrôles effectués il y a quelques années encore dans les points de vente de La Française des jeux faisaient apparaître des taux de non-conformité préoccupants : deux tiers de mineurs environ déclaraient jouer à des jeux de paris sportifs ou à d’autres jeux. La Française des Jeux elle-même a entamé un ambitieux travail interne sur ce sujet – c’est pourquoi je parle d’autolimitation – mais il faut progresser. Dans le premier rapport que j’avais rédigé avec Jacques Myard, nous avons évoqué un système assez lourd et contraignant d’identification systématique par pièce d’identité ; nous avons un peu reculé depuis, parce que la carte joueur ne correspond guère à la culture française. Il faut cependant que cette identification des mineurs soit garantie, car le jeu provoque des dégâts considérables chez les jeunes de quinze à dix-sept ans.

La commission adopte lamendement. L’article 51 bis est ainsi rédigé.

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Sous‑section 3 :
ENGIE

Article 52
(articles L. 111-49 et L. 111-68 du code de l’énergie)
Suppression de l’obligation de détention par des personnes publiques d’une part majoritaire du capital d’ENGIE

A.   l’État du droit

a)     Détention majoritaire dENGIE par lÉtat

GDF-Suez (aujourdhui ENGIE) est devenue société anonyme par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Toutefois, son activité reste alors qualifiée de service public national et la participation majoritaire de l’État obligatoire.

La loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie autorise par la suite la privatisation de GDF-Suez, mais prévoit l’impossibilité pour lÉtat de détenir moins dun tiers du capital de lentreprise (article L. 111-68 du code de l’énergie).

La loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 précise que ce seuil de détention minimal doit être respecté en capital ou en droits de vote, mais peut être franchi à la baisse à la condition qu’il soit à nouveau respecté dans un délai de deux ans.

Ainsi, depuis le 4 avril 2018, lÉtat détient 24,1 % du capital et 34,8 % des droits de vote. La participation de l’État au capital d’ENGIE représentait, en février 2018, une valeur d’environ 7,8 milliards d’euros immobilisés.

En outre, lÉtat détient une action spécifique chez ENGIE, assortie du droit de contrôle des cessions dactifs stratégiques et de leurs affectations à titre de garantie : le ministre chargé de l’économie peut s’y opposer par arrêté. Les actifs visés sont définis par leur fonction, ce qui permet de couvrir toute possibilité de contournement par l’entreprise. Cette action spécifique permet à l’État de s’opposer aux décisions de la société qui seraient contraires aux intérêts essentiels du pays, en matière de sécurité et de continuité d’approvisionnement. Un commissaire du Gouvernement est présent à l’ensemble des réunions du conseil d’administration, sans droit de vote pour les questions courantes, mais avec droit de veto pour les questions qui intéressent la sécurité nationale. Il a accès à l’ensemble des documents de l’entreprise. Selon l’entreprise, cette protection très forte accordée à l’État ne constitue pas un élément dissuasif pour les investisseurs potentiels : ceux-ci n’ont, quand ils investissent, généralement pas l’intention de céder les actifs stratégiques, qui constituent l’essentiel de la valeur de l’entreprise (30 milliards d’euros environ). Une telle action spécifique constitue un élément important du système de régulation.

Le dispositif actuel semble toutefois poser des difficultés ou n’être plus justifié. En effet, la détention minimale du capital ou des droits de vote d’ENGIE par l’État n’a pas de justification au regard de la préservation des intérêts essentiels de la France en matière de continuité et de sécurité d’approvisionnement en énergie, celle-ci étant assurée par le système de régulation gravitant, notamment, autour de la Commission de régulation de lénergie (CRE), et des pouvoirs conférés par l’action spécifique de lÉtat chez ENGIE.

En outre, cette contrainte limite la capacité de lÉtat à assurer une gestion optimisée de son portefeuille et à mobiliser des ressources pour financer, notamment, le fonds pour l’innovation de rupture ou entrer au capital d’autres entreprises. Enfin, cette contrainte de détention minimale limite les capacités d’augmentation de capital de l’entreprise, l’État ne pouvant ou ne désirant pas nécessairement y souscrire à hauteur de 30 % ou plus, compte tenu de ses priorités : le seuil actuel de détention par lÉtat est alors un élément bloquant par rapport à une volonté de croissance du capital dENGIE.

b)     Détention intégrale de GRTgaz par ENGIE, lÉtat ou des personnes publiques

Par ailleurs, l’article L. 111-49 du code de lénergie prévoit que le capital de la société GRTgaz, qui assure le transport du gaz naturel, ne peut être détenu que par GDF-Suez (devenue ENGIE), l’État ou des entreprises ou organismes du secteur public. GRTgaz est ainsi, aujourd’hui, une filiale d’ENGIE détenue à 75 % par ENGIE, à 25 % par la Société d’Infrastructures Gazières (consortium public composé de CNP assurances, CDC Infrastructure et la Caisse des Dépôts) et à 0,35 % par ses salariés.

Cette obligation pose également des difficultés et n’apparaît pas davantage nécessaire. L’existence d’une action spécifique détenue par l’État au sein d’ENGIE lui permet de s’opposer à une décision d’ENGIE relative à sa présence au capital de GRTgaz ou à d’éventuelles cessions, s’il estime une telle décision infondée ou dangereuse. En conséquence, une détention seulement majoritaire – et non plus intégrale – du capital de GRTgaz par ENGIE, l’État ou des organismes du secteur public serait suffisante pour assurer le respect des intérêts essentiels de la nation en matière de continuité et de sécurité d’approvisionnement en énergie.

B.   le dispositif proposÉ

Le présent article 52 supprime le seuil minimal de détention d’ENGIE par l’État. Si l’État ne prévoit pas de sortir rapidement du capital d’ENGIE, cette suppression permettra de donner davantage de flexibilité tant à l’État – sur son niveau de détention – qu’à l’entreprise – sur sa capacité à augmenter son capital pour financer des projets stratégiques.

En parallèle, l’article prévoit la suppression de l’obligation de détention intégrale du capital de GRTgaz par Engie, l’État ou des personnes publiques, pour la remplacer par une obligation de détention majoritaire. Ceci permettra à GRTgaz de mener une ouverture de son capital, notamment à des entreprises européennes du secteur de l’énergie.

Ainsi, les alinéas 1 et 2 modifient l’article L. 111-49 du code de l’énergie pour n’imposer qu’une détention majoritaire de GRTgaz par ENGIE, lÉtat ou toute entreprise ou organisme du secteur public. Ce mécanisme est celui qui a été précédemment adopté dans le cadre de la cession de RTE, et fonctionne aujourd’hui de manière très satisfaisante. Cette disposition permet d’alléger la contrainte pour les actionnaires, tout en maintenant le contrôle de GRTgaz par ENGIE ou une entité publique au travers de l’action spécifique détenue par l’État chez Engie. GRTgaz pourra ainsi ouvrir son capital – pour au moins 25 %, sans remettre en cause la détention majoritaire par des acteurs publics – notamment à des acteurs étrangers du même secteur, de manière à organiser des prises de participations croisées et un renforcement de l’Europe de l’énergie. Un projet serait envisagé en Allemagne. La rédaction actuelle, qui impose à ENGIE et au secteur public de demeurer majoritaires dans l’entreprise, ne semble pas poser de difficultés à court terme, ENGIE n’ayant pas de projet immédiat de sortie du capital (même si des discussions sont en cours avec d’autres gestionnaires d’infrastructures en Union européenne, pour opérer des rationalisations). En outre, l’entreprise ne souhaite pas un désengagement public trop important, de manière à garantir la sécurité d’approvisionnement la plus complète. Selon GRTgaz, la rédaction actuelle permet un bon équilibre.

Lalinéa 3 supprime larticle L. 111-68 du code de lénergie, disposant que le capital de GDF Suez (devenu ENGIE) est détenu à plus de 30 % par lÉtat. ENGIE souhaite saisir cette opportunité pour développer son actionnariat salarié, comme cela a déjà été le cas dans le cadre de précédentes opérations de cessions. Ceci permettra de lever l’élément bloquant que constitue le seuil minimal de détention pour satisfaire une volonté de croissance du capital de l’entreprise.

C.   la position de la commission spÉciale

L’article 52 a été adopté par votre commission spéciale sans modifications autres que rédactionnelles.

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Mme Sophie Beaudoin-Hubière. Au moment où, comme tous les députés de la commission, je vais devoir voter sur un article et sur des amendements relatifs à ENGIE et afin de me conformer pleinement aux règles de transparence et de déontologie qui s’appliquent à l’élue que je suis, je me dois de signaler que mon conjoint occupe un poste de cadre dans cette entreprise. Pour couper court à toutes les questions que d’aucuns pourraient se poser sur la possibilité que je me déporte ou sur celle d’une absence diplomatique, je ferai remarquer que nous ne demanderions pas à nos collègues médecins de ne pas voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La commission est saisie des amendements identiques CS581 de M. Ian Boucard, CS680 de M. Daniel Fasquelle et CS2167 de M. Dominique Potier.

M. Ian Boucard. L’article 52 prépare la sortie totale de l’État du capital d’ENGIE, déjà amorcée en 2006 lors de la fusion des groupes GDF et Suez ; aujourd’hui, le Gouvernement souhaite parachever son désengagement. Nous nous interrogeons sur l’utilité de cette réforme, surtout à un moment où la question du gaz est au cœur d’un conflit géopolitique et de nos relations avec la Russie, les États-Unis, voire la Chine. Dans la conjoncture actuelle, les prix du gaz ont augmenté de 6 % à 7 % le 1er juillet ; c’est la plus forte augmentation depuis six ans.

Telle est la question que nous nous posons, même s’il faut reconnaître que l’État ne détient plus que 24 % du capital d’Engie et 34,8 % de droits de vote dans son conseil d’administration. Il s’agit d’un secteur économique tout à fait stratégique, d’autant plus, je le répète, que le prix de cette énergie augmente depuis quelques mois – d’où mon amendement de suppression CS581.

M. Daniel Fasquelle. Je n’ajouterai pas grand-chose aux propos de M. Boucard sinon pour rappeler que le secteur de l’énergie n’est pas un secteur comme les autres : si l’on parle beaucoup d’indépendance alimentaire, monsieur l’ancien ministre de l’agriculture, on parle aussi beaucoup d’indépendance énergétique. Je regrette que l’État se désengage d’un secteur aussi important, ce qui explique mon amendement de suppression CS680.

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’amendement CS2167 vise également à supprimer l’article 52. Notre opposition à la cession d’actifs des entreprises stratégiques est constante. En l’occurrence, il me semble utile de rappeler l’importance de la garantie de la maîtrise publique des entreprises exerçant dans un secteur aussi stratégique, afin de préserver tout à la fois la souveraineté énergétique et la sécurité de l’approvisionnement. Alors que l’incertitude du marché gazier mondial peut à tout moment placer la France dans une situation de dépendance de l’approvisionnement, il nous semble nécessaire de conserver le caractère majoritairement public de cette entreprise.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Contrairement à La Française des jeux ou à ADP, nous ne privatisons pas ENGIE : nous faisons simplement évoluer la loi pour libérer l’État d’une situation de contrainte à l’égard du capital d’ENGIE et de GRTgaz. Je suis défavorable à ces amendements de suppression – comme à l’ensemble des amendements de suppression déposés sur ce texte. Leur adoption contraindrait ENGIE à détenir intégralement – et non majoritairement – le capital de GRTgaz, à l’inverse de ce que propose le texte. Cela supprimait par ailleurs la possibilité de lever les seuils de détention du capital d’ENGIE par l’État, actuellement fixés à un tiers. En clair, cela reviendrait à mettre un frein à la capacité d’augmentation du capital de l’entreprise.

Au-delà de la philosophie générale des privatisations, rappelons à ceux qui estiment que cette réforme rognera sur une protection suffisante d’ ENGIE et de GRTgaz que la participation de l’État au capital de ces deux entreprises est assortie d’une action spécifique qui lui permet de faire usage d’un droit de veto sur toute décision susceptible d’affecter leur avenir.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je tiens à rappeler pour commencer que ce cas de figure n’a strictement rien à voir avec celui de La Française des jeux ni avec ADP. Ces deux entreprises sont sous contrôle public – à 50,6 % de participation ou davantage dans le cas de La Française des jeux  – et nous souhaitons qu’elles passent sous contrôle privé, sous des formes différentes dans l’un et l’autre cas. En ce qui concerne ENGIE, l’État est déjà minoritaire puisqu’il ne détient que 24,1 % de son capital. Nous vous demandons donc l’autorisation de faire évoluer le capital d’ ENGIE avec une participation moindre de l’État.

Pour ces opérations comme pour les autres, je répète que le niveau de participation de l’État n’a pas encore été arbitré : je ne suis donc pas en mesure de vous indiquer le montant que nous céderons. Nous nous donnons cette flexibilité, et je répète que cela n’a rien à voir avec les deux opérations précédentes sur lesquelles nous avons passé beaucoup plus de temps, ce qui est normal.

Essayons ensuite de poser le vrai problème : que deviendra ENGIE dans les années à venir et, le cas échéant, à quelles entreprises s’adossera-t-elle pour développer son activité ? Au fond, cette question est beaucoup plus importante que celle qui consiste à savoir si l’État détiendra 24 % ou 15 % de son capital. Quel est l’avenir d’ENGIE ? L’entreprise sera-t-elle seule ou adossée à d’autres partenaires ? Voilà la question qui recoupe les préoccupations de M. Boucard et d’autres concernant l’instabilité énergétique et la nécessité pour la France de consolider ses positions. Mais le fait que l’État détienne 24 %, 20 % ou 15 % du capital d’ENGIE n’y change pas grand-chose.

Troisième point : en tout état de cause, l’État conserve rigoureusement les mêmes sécurités concernant l’approvisionnement en gaz de la France, puisqu’il dispose d’un double levier de protection qui est maintenu intact. L’État continue en effet d’édicter la régulation du secteur de l’énergie, d’une part, et conserve d’autre part l’action spécifique. Celle-ci lui permet – et cela vaut pour toutes les entreprises dans le capital desquelles il est présent – de s’opposer à toute décision de cession d’infrastructures stratégiques par ENGIE ou par ses filiales de droit français. C’est donc un levier très puissant. Par infrastructures stratégiques, il faut entendre les infrastructures de transport, de distribution, de stockage de gaz naturel et les installations de gaz naturel liquéfié situées sur le territoire national, telles que visées par les articles L. 111-69 et D. 111-21 du code de l’énergie.

Dernière remarque importante : existe-t-il un risque concernant les aspects stratégiques de l’approvisionnement ? Je confirme que ce risque est contenu par la régulation qui sera rigoureusement maintenue, quel que soit le niveau de participation de l’État dans ENGIE.

M. Charles de Courson. Je suis très étonné par ces amendements. Ce n’est pas avec une participation de 24 % que l’on pilote une entreprise ! Si l’on allait au bout de votre raisonnement, chers collègues, il faudrait nationaliser Total !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Ce n’est pas dans nos moyens…

M. Charles de Courson. Ce n’est pas raisonnable. Il faut rejeter ces amendements.

M. Ian Boucard. Nous avons bien compris, monsieur le ministre, que cette réforme n’est pas de même nature que celle qui concerne La Française des jeux  et ADP. Cela étant, Mme la rapporteure a utilisé un argument intéressant qui pourrait me convaincre : elle a sous-entendu que l’objectif n’était pas forcément la cession de parts de l’État, mais qu’une augmentation du capital par d’autres entreprises pourrait se traduire par une baisse de la part de l’État sans qu’il se désengage d’ ENGIE, ce qui serait très intéressant et qui permettrait d’aider ENGIE dans sa transition : on sait que, depuis qu’elle a une nouvelle dirigeante, cette entreprise s’est beaucoup investie dans une action très volontariste et novatrice en matière de transition énergétique.

En revanche, monsieur le ministre, je regrette que nous ne sachions pas ce qu’envisage le Gouvernement concernant la part de l’État. Je comprends le cheminement de votre pensée, mais une participation de 24 %, de 20 %, de 15 % ou de 10 %, cela change tout de même les choses…

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Pardonnez-moi de ne pas être plus explicite concernant votre deuxième question, mais ENGIE est une entreprise cotée. Si j’annonce ce soir des décisions sur une entreprise cotée, vous verrez ce que donnera le cours en bourse demain… Je suis contraint de m’en tenir au secret.

Sur le premier point, en revanche, je vous confirme qu’il peut y avoir une cession par l’État – mais je ne peux pas dire maintenant à quelle hauteur ; on peut aussi envisager une dilution de la part de l’État par apport de capital provenant d’autres entreprises.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte larticle sans modification.

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Article 52 bis (nouveau)
(intitulé de la section 4 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier, articles L. 111–48, L. 111–49, L. 111–69, L. 111-70, L. 11171 et L. 12146 et L. 1334 du code de l’énergie)
Dénomination d’ENGIE

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par notre collègue Adrien Taquet et le groupe La République en Marche, et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement.

Cet article additionnel remplace, dans le code de l’énergie, chaque fois que pertinent, la mention « GDF-Suez » par la mention « ENGIE » pour tenir compte du changement de nom de l’opérateur du service public du gaz, intervenu en 2015.

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La commission examine lamendement CS1760 de M. Adrien Taquet.

M. Éric Girardin. Cet amendement vise simplement à modifier le code de l’énergie pour tenir compte du fait que l’entreprise GDF-Suez est devenue ENGIE depuis le 29 juillet 2015.

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission adopte lamendement. L’article 52 bis est ainsi rédigé.

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Article 52 ter (nouveau)
(article L. 221-7 du code de lénergie)
Extension des certificats déconomies dénergie aux installations classées pour la protection de lenvironnement soumises aux systèmes déchange de quotas démissions de gaz à effet de serre

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par notre collègue Adrien Taquet et le groupe La République en Marche, et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement.

Cet article additionnel modifie l’article L. 221-7 du code de l’énergie de manière à rendre éligible au système des certificats d’économies d’énergie les actions d’économies d’énergie réalisées dans les installations classées pour la protection de l’environnement mentionnées à l’article L. 229‑5 du code de l’environnement, c’est-à-dire incluses dans le mécanisme de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

En effet, le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) constitue l’un des principaux instruments de la politique de maîtrise de la demande énergétique. Il impose aux fournisseurs d’énergie de développer les économies d’énergie : un objectif pluriannuel est défini et réparti entre les fournisseurs d’énergie en fonction de leur volume de ventes. En fin de période, ceux-ci doivent justifier de l’atteinte de cet objectif en ayant obtenu suffisamment de certificats d’économies d’énergie. Les opérations effectuées dans les installations classées soumises au système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (installations du secteur dit « ETS ») sont actuellement exclues du dispositif des CEE, dans la mesure où ce système des quotas incite les exploitants à réduire leurs consommations énergétiques, notamment à travers une amélioration de leur efficacité énergétique. Toutefois, les objectifs ambitieux de réduction des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre nécessitent des actions renforcées justifiant une évolution des dispositions applicables afin d’élargir le dispositif des CEE aux installations ETS, qui représentent de l’ordre de 10 % de la consommation énergétique nationale. C’est d’ailleurs ce qui est pratiqué dans d’autres États membres pour les dispositifs équivalents.

Par ailleurs, l’article additionnel précise que les conditions et modalités d’ouverture du dispositif CEE aux installations ETS seront fixées par décret en Conseil d’État. Il s’agit de ne déséquilibrer ni le dispositif des CEE ni le système des quotas d’émission de gaz à effet de serre, pour éviter les effets d’aubaine.

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Elle passe à lamendement CS1566 de M. Adrien Taquet.

M. Anthony Cellier. Nous partageons tous, je l’espère, le même objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction de la consommation d’énergie. Cet amendement vise à y contribuer en ouvrant le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) aux installations soumises au système communautaire d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (ETS) qui représentent 10 % de la consommation énergétique nationale. Je précise qu’un encadrement par décret permettra d’éviter la déstabilisation du dispositif de CEE, et les effets d’aubaine.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable à ce bel amendement.

M. Régis Juanico. Je regrette, madame la présidente, que l’amendement précédent CS1868 n’ait pas été défendu par ses signataires. Il a pourtant été annoncé au journal de France 2 qu’un amendement du groupe majoritaire…

M. Roland Lescure, rapporteur général. Que votre collègue aille donc à France 2 !

M. Régis Juanico.… viserait à obliger les opérateurs des centres d’appel d’ENGIE à informer leurs correspondants téléphoniques sur le pays d’implantation de leurs centres. Je tenais simplement à poser la question au ministre : y aurait-il été favorable, du point de vue de la relation avec la clientèle, étant entendu qu’ENGIE connaît un phénomène d’« offshorisation »…

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je ne peux laisser défendre un amendement en l’absence de ses signataires, monsieur Juanico. Je préside en l’absence du journal télévisé de France 2. Je ne doute pas que nous pourrons aborder le sujet de cet amendement en séance. En attendant, je suggère de ne pas solliciter l’avis d’un ministre sur un amendement non soutenu, fût-ce sur un sujet intéressant.

Mme Laure de La Raudière. Quel sera l’impact économique de l’amendement CS1566 sur les recettes de l’État ? Quel avantage présentera-t-il pour la filière ? Il n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Les échanges de certificats entre acteurs privés n’ont aucune incidence sur les recettes de l’État.

La commission adopte lamendement. L’article 52 ter est ainsi rédigé.

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Article 52 quater (nouveau)
(article L. 51548 (nouveau) du code de lenvironnement)
Plates-formes industrielles

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par M. Damien Adam, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure, sous réserve de l’adoption d’un sous-amendement rédactionnel de votre rapporteure.

Cet article additionnel créé une section 12 nouvelle, composée d’un article L. 515-48 nouveau au chapitre V du titre Ier du livre V du code de l’environnement, de manière à introduire la notion de « plate-forme industrielle » dans ce code et de permettre, pour les activités présentes sur ces plates-formes, les adaptations de la règlementation jugées utiles pour simplifier la mise en œuvre des prescriptions applicables à ces activités industrielles.

En effet, les activités des entreprises présentes sur une plate-forme industrielle se caractérisent par la mutualisation de certains moyens tels que ceux pour assurer le traitement des effluents ou la production des utilités (électricité, vapeur, gaz industriels, eaux industrielles…). Ce fonctionnement induit des particularités qui aujourd’hui ne sont pas prises en compte dans les règlementations applicables à ces entreprises.

Ces adaptations ne devraient pas conduire à remettre en cause le niveau des exigences en matière de prévention des risques et des pollutions et de protection de l’environnement, ni les principes de responsabilité résultant du code de l’environnement. Une telle démarche permettrait de favoriser l’attractivité des plates-formes industrielles en France, dans un contexte où, lors du choix de l’implantation d’une nouvelle activité, elles sont mises en concurrence au niveau européen. Favoriser l’implantation des entreprises industrielles sur les plates-formes présente également un avantage au plan environnemental puisque les sous-produits d’une activité peuvent trouver une valorisation au sein d’autres unités industrielles présentes sur la plate-forme.

Les modalités d’application, fixées par voie règlementaire, devront notamment définir les critères que les plates-formes industrielles devront respecter, en ce qui concerne leur constitution, leur fonctionnement et leur gouvernance.

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Elle examine lamendement CS1740 de M. Damien Adam, qui fait lobjet dun sous-amendement CS2365 de la rapporteure.

M. Damien Adam. Cet amendement élaboré avec l’Union des industries chimiques, que je trouve très pertinent, vise à consacrer dans la loi la notion de plate-forme industrielle. Ces plates-formes – il en existe partout en France, notamment dans ma région de Normandie – regroupent des entreprises qui mutualisent leurs moyens et pratiques dans les processus de production. La mise en commun des installations permet notamment à ces entreprises d’optimiser leur consommation d’énergie, de réduire la production de déchets ou encore de procéder à de meilleurs contrôles de sécurité. Cependant, l’absence de véritable statut pour ces plates-formes oblige les entreprises à appliquer la réglementation comme si elles étaient isolées, ce qui met en cause les avantages obtenus grâce à la mutualisation. Cette absence de statut entraîne des coûts et des lourdeurs pour les structures les plus petites, alors que le résultat final de la plateforme est le même.

En consacrant dans la loi la notion de plate-forme industrielle, l’exécutif sera autorisé à prendre des mesures spécifiques par voie réglementaire pour simplifier la vie des entreprises et créer un statut incitatif et favorable à ces plateformes. Autrement dit, leur fonctionnement en mutualisation sera pris en compte. Cette démarche de soutien s’inscrit pleinement dans les objectifs de notre stratégie industrielle d’incitation des entreprises à choisir la France.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement rédactionnel CS2365.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis. J’insiste sur le caractère tout à fait stratégique de cet amendement, qui permettra, en Normandie – région à laquelle je suis tout aussi attaché que M. Adam – comme ailleurs, de poursuivre dans le respect des règles environnementales le développement de plates-formes industrielles, actuellement très contraintes.

La commission adopte le sous-amendement CS2345.

Puis elle adopte lamendement ainsi sous-amendé. L’article 52 quater est ainsi rédigé.

Article 52 quinquies (nouveau)
(articles L. 221-5, L. 221-7 et L. 221-27 du code monétaire et financier)
Fléchage du livret A vers le financement de la transition énergétique et la réduction de lempreinte climatique

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par Mme Bénédicte Peyrol, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure, sous réserve de l’adoption d’un sous-amendement du Gouvernement.

Cet article additionnel propose de renforcer le fléchage de l’épargne contenue dans le livret A et le livret de développement durable et solidaire vers le financement de la transition énergétique et la réduction de l’empreinte climatique.

Le droit actuel prévoit, à l’article L. 221-5 du code monétaire et financier, que les ressources collectées par les établissements distribuant le livret A ou le livret de développement durable, et solidaire et non centralisées auprès du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations – c’est à dire conservées à leur bilan – sont employées par ces établissements au financement des petites et moyennes entreprises, notamment pour leur création et leur développement, ainsi qu’au financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens.

L’article additionnel préfère à la mention des « travaux d’économies d’énergie dans les bâtiments anciens », celle de « projet contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l’empreinte climatique ». De façon cohérente et en complémentarité avec les travaux menés pour évaluer les besoins en investissement de la transition écologique, il propose par ailleurs de renforcer l’évaluation de ces financements au regard des objectifs chiffrés de la stratégie nationale bas carbone dont les données sont mises à jour tous les cinq ans.

Le sous-amendement déposé par le Gouvernement, en revanche, exclut cette même évolution, également proposée, pour les dépôts collectés au titre du livret A et du livret de développement durable et solidaire centralisés par la Caisse des dépôts et consignations dans le fonds d’épargne prévu à l’article L. 221-7, les emplois verts de ce fonds d’épargne faisant déjà l’objet d’un fléchage spécifique.

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Elle passe à lamendement CS2089 de Mme Bénédicte Peyrol, qui fait lobjet dun sous-amendement CS2396 du Gouvernement.

M. Anthony Cellier. Il est défendu.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. L’amendement CS2089 vise à élargir le champ des « emplois verts » dans lesquels sont affectées les sommes collectées sur le livret de développement durable, mais il convient de le sous-amender en supprimant son deuxième alinéa, puisque les emplois verts du fonds d’épargne font déjà l’objet d’un fléchage spécifique. Tout cela s’inscrit dans notre objectif de finance verte.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable à l’amendement sous réserve de l’adoption du sous-amendement du Gouvernement.

La commission adopte le sous-amendement CS2396.

Puis elle adopte lamendement ainsi sous-amendé. L’article 52 quinquies est ainsi rédigé.

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Sous‑section 4 :
Ressources du fonds pour linnovation de rupture

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La commission adopte lamendement rédactionnel CS651 de la rapporteure.

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Article 53
(articles 2 et 4 de l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement)
Augmentation du nombre de représentants de l’État au conseil d’administration de l’établissement public Bpifrance

A.   l’État du droit

 Létablissement public industriel et commercial (EPIC) Bpifrance exerce aujourdhui trois missions :

– il porte, avec la Caisse des dépôts et consignations, la participation de l’État dans le capital de Bpifrance SA ;

– il opère une mission de garantie des émissions effectuées par Bpifrance Financement, filiale de Bpifrance SA ;

– il est opérateur dans la mise en œuvre de conventions conclues avec l’État, notamment dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA).

 L’article 2 de l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement dispose que l’EPIC Bpifrance est administré par un conseil dadministration composé d’un président nommé par décret et de cinq représentants de lÉtat nommés par décret, dont deux membres sont désignés sur proposition du ministre chargé de l’économie, un membre sur proposition du ministre chargé du budget, un membre sur proposition du ministre chargé de l’industrie et un membre sur proposition du ministre chargé de la recherche. Ces membres sont aujourd’hui :

– un représentant de la direction générale du Trésor ;

– un représentant de l’agence des participations de l’État ;

– un représentant de la direction du budget ;

– un représentant de la direction générale des entreprises ;

– un représentant de la direction générale de la recherche et de l’innovation ;

 L’article 4 de l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 dispose que les ressources de Bpifrance sont constituées par :

– 1° le montant des rémunérations qui lui sont versées par ses filiales, les sociétés dans lesquelles il détient une participation ou toute société dont l’État détient, directement ou indirectement, au moins 50 % du capital, en paiement des prestations et services qu’il assure pour leur compte ;

– 2° les dividendes et autres produits des participations qu’il détient dans ses filiales ou dans les sociétés dans lesquelles il détient une participation ;

– 3° la rémunération des missions qu’il exerce directement en son nom propre ou pour compte de tiers ;

– 4° des concours financiers de l’État et des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics ;

– 5° tous autres concours financiers.

B.   le dispositif proposÉ

Lalinéa 1 augmente le nombre de membres du conseil dadministration de l’EPIC Bpifrance, pour le porter à six. Il s’agit de permettre qu’y soit représenté, au côté des cinq membres désignés par les ministères compétents, le Secrétariat général pour linvestissement, dans la mesure où celui-ci aura un rôle de coordination et de suivi de l’utilisation des revenus du fonds pour l’innovation de rupture opéré par Bpifrance.

Les alinéas 2 à 6 complètent la liste des ressources de l’établissement, pour y ajouter :

– le produit financier des résultats du placement de ses fonds ;

– toutes autres recettes autorisées par les lois et règlements.

Il s’agit de sécuriser juridiquement le champ de ses recettes, afin qu’il puisse percevoir les intérêts sur les produits de cessions d’actifs de l’État chez ADP, ENGIE et la FDJ, qui constitueront à terme les 10 milliards d’euros d’actifs du fonds pour l’innovation de rupture.

Lalinéa 7 précise que les résultats du placement de ses fonds, dont le produit financier constitue une ressource pour l’EPIC, sont calculés à compter de la date de placement des fonds par Bpifrance sur un compte rémunéré. Il s’agit de garantir que le calcul des intérêts sur la première dotation de 1,6 milliard d’euros, issus de cessions déjà réalisées, de l’EPIC Bpifrance, puisse commencer dès le versement effectif de la dotation.

C.   la position de la commission spÉciale

Un amendement à l’article 53 a été adopté par votre commission. À l’initiative de M. Bolo, et avec l’avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure, il permet d’inscrire explicitement, dans les missions de Bpifrance, le soutien à la création d’entreprise.

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Suivant lavis favorable du Gouvernement, la commission adopte lamendement rédactionnel CS998 de Mme Marie Lebec, rapporteure.

Puis elle examine lamendement CS411 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. L’article 53 permet à Bpifrance de percevoir les intérêts sur ses dotations qui seront constitués par les 10 milliards d’euros d’actifs du fonds pour l’innovation de rupture. Ce fonds et son financement ayant été annoncés par le Gouvernement, il convient de leur donner une assise législative. Puisque le produit des cessions est voté par le Parlement, celui-ci doit également définir les priorités. Or la liste fixée ici n’est pas exhaustive : outre l’intelligence artificielle, les technologies telles que la chaîne de blocs et la transformation numérique des TPE-PME doivent être jugées incontournables. Tel est l’objet de mon amendement CS411.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je précise que ces fonds seront répartis à hauteur d’un tiers pour les start-up du secteur de la deep tech qui pourront répondre à des appels à projets, et de deux tiers pour les grands défis. Nous avons déjà identifié deux grands défis concernant lesquels il est nécessaire d’investir pour soutenir le développement de la technologie : l’intelligence artificielle et les nanotechnologies.

Cependant, je suis plutôt défavorable à cet amendement car le fonds pour l’innovation de rupture a déjà été créé par voie réglementaire. De plus, la rupture ne saurait par nature être définie : pour ne pas la limiter, il faut laisser le champ ouvert au maximum. Enfin, je conviens qu’il faut évaluer ces actions, mais je ne suis pas certaine qu’un rapport au Parlement soit opportun.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Je comprends l’intention qui motive cet amendement mais j’estime qu’il ne faut pas s’enfermer a priori dans une liste de priorités d’emploi des revenus. Nous avons précisément fait le choix de laisser la liberté à des personnalités qualifiées du monde de la recherche, de l’entreprise, du capital-risque. Lors de la première réunion de ce fonds pour l’innovation, elles nous ont présenté – à Mme Vidal et à moi-même – leurs propositions après avoir instruit celles qui provenaient des start-up. En toute franchise, la discussion était passionnante : ces propositions sont assez contre-intuitives par rapport à celles que nous aurions pu retenir, tout simplement parce que ces gens portent sur ce sujet qu’ils connaissent mieux un regard plus pointu que celui des responsables politiques. En la matière, il faut donc laisser les acteurs de terrain, plus compétents, nous proposer leurs décisions.

Mme Laure de La Raudière. C’était un amendement d’appel mais je voudrais rebondir sur vos propos, madame la rapporteure. Nous avons choisi l’intelligence artificielle et les nanotechnologies, dites-vous ; mais, à ma connaissance, c’est plutôt le Gouvernement qui a fait ce choix… Les parlementaires n’ont pas été mis dans la boucle. Il n’est pas prévu que le Gouvernement nous remette une évaluation de l’utilisation de ces fonds alors que nous sommes censés contrôler son action.

Je vais retravailler mon amendement dans la perspective de la séance afin que nous puissions être associés à la décision, ou tout au moins avoir un rapport sur l’utilisation de ces fonds. Nous sommes en train de privatiser des entreprises publiques, ce qui ne me pose pas de difficulté, mais il s’agit de constituer un fonds destiné à financer les innovations de rupture : il me semblerait logique d’avoir un rapport d’évaluation de tout ce qui est fait au moyen de ce fonds. Je retire mon amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. On me dit que le rapport pourrait être une bonne idée. Peut-être pourrait-on en reparler en séance ?

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CS1210 de M. Jean-Luc Lagleize.

M. Bruno Fuchs. L’amendement CS1210 tend à préciser que Bpifrance a pour objet de financer l’innovation de rupture, notamment dans les secteurs clés que sont l’aéronautique et le spatial, à travers le Fonds pour l’innovation de rupture qui sera abondé par le produit de la privatisation d’Aéroports de Paris.

En effet, la capacité d’innovation des entreprises françaises est un facteur essentiel de leur compétitivité. Or la France n’est pas à son avantage dans les comparaisons internationales : en 2015, elle dépensait 2,2 % du PIB en recherche et développement (R & D), en deçà de l’objectif européen de 3 %, alors que ce taux atteignait 2,9 % en Allemagne, 2,8 % aux États-Unis et 2,4 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment, je suis défavorable à votre amendement qui a pour objet de préciser que Bpifrance financerait l’innovation dans le spatial et l’aéronautique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Mêmes arguments. Je le vois surtout comme un amendement d’appel pour nous signaler l’importance de ces sujets qui effectivement méritent notre attention ; mais ne nous enfermons pas dans une liste a priori. Je vous propose de retirer cet amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS1217 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Le présent amendement propose de confier à Bpifrance la mission de venir aider l’artisanat dans le domaine de l’innovation. Vous avez la volonté, monsieur le ministre, de susciter et de soutenir l’innovation dans notre pays. Mais les artisans innovent eux aussi et leur poids est très important dans notre économie : 1,3 million d’entreprises en France en 2017. Si cet amendement était adopté, Bpifrance aurait pour mission de soutenir l’innovation dans l’industrie mais également dans l’artisanat, grand oublié dans cette affaire.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable pour les mêmes raisons qu’évoquées précédemment : les missions de Bpifrance sont d’ordre général. Ce n’est pas la peine d’ouvrir la voie à une liste.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. À mes yeux, c’est aussi un amendement d’appel. L’article 1er de l’ordonnance sur la BPI définit déjà, de façon très large, le mandat de soutien aux entreprises. Je veux rassurer M. Daniel Fasquelle, mais je pense qu’il me connaît suffisamment pour savoir que j’attache énormément d’importance à la défense de l’artisanat.

M. Daniel Fasquelle. Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Pour ma part, je préférerais que l’on précise, dans le texte de la loi, le soutien clair au secteur de l’artisanat en matière d’innovation. Je maintiens donc mon amendement.

La commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CS1801 de M. Mjid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. L’Agence des participations de l’État (APE) incarne l’État actionnaire, investisseur en fonds propres dans des entreprises jugées stratégiques par l’État, pour stabiliser leur capital ou les accompagner dans leur développement ou leur transformation.

Comme le montrent M. Marleix et M. Kasbarian dans le rapport qu’ils ont présenté au nom de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé, il convient de rendre plus efficace et plus transparente la doctrine de l’État en matière de gestion de ses participations, tant à l’égard des parlementaires qu’à l’égard des citoyens.

Cette vision de la stratégie d’État investisseur inclura non seulement celle de l’État mais également les orientations portées par la CDC et Bpifrance.

Un suivi parlementaire efficace, utile et équilibré passe d’abord par une meilleure information des parlementaires. Je remercie le ministre de nous avoir précisé sa vision de la manière dont l’État devait agir en matière de politique industrielle. Il faudrait le formaliser.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Votre amendement me semble satisfait puisqu’un tel rapport est déjà transmis chaque année au Parlement.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS2002 de M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. Cet amendement tend à ouvrir la possibilité à Bpifrance de participer au financement et au développement des entreprises dès leur création, en phase d’incubation, en orientant l’action publique vers l’accompagnement stratégique de projets innovants et prometteurs. En contrepartie des montants apportés, Bpifrance pourrait prendre des parts dans ces entreprises et ainsi les préserver d’investissements étrangers prédateurs.

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle 53 modifié.

Puis elle passe à l’amendement CS1823 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. On estime entre 2 et 2,5 millions, le nombre de Français résidant à l’étranger. Près de deux Français sur dix, installés à l’étranger en 2013, étaient des créateurs d’entreprises, contre seulement un sur dix en 2003, selon une étude détaillée réalisée par la Chambre de commerce et de l’industrie de Paris (CCIP).

Les Français, les entrepreneurs en particulier, réussissent de plus en plus à l’étranger. Malgré leur succès croissant, ils ont eux aussi besoin d’être soutenus et accompagnés, notamment financièrement. De nombreux entrepreneurs français soulignent les difficultés qu’ils rencontrent pour obtenir des financements en raison de dispositifs existants trop complexes, trop lointains. La somme de garanties exigées est telle qu’il leur est quasiment impossible d’obtenir une aide.

Alors que Bpifrance est une banque publique dédiée au service du financement et de l’investissement des entreprises locales et nationales, il me paraîtrait judicieux qu’elle puisse accompagner, à travers l’octroi d’un prêt, les entreprises créées par des entrepreneurs français installés à l’étranger pour leur permettre de développer leurs projets locaux.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à votre amendement qui ajouterait aux missions de Bpifrance le soutien financier des projets lancés par des Français établis à l’étranger. Ce n’est pas la mission de Bpifrance, qui a été créée pour soutenir les entreprises sur le territoire national et à l’export. En outre, le rayonnement de la France est assuré à l’étranger de bien d’autres manières et par d’autres organismes tels que Business France ou Atout France.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. M’jid El Guerrab. Je maintiens cet amendement auquel je tiens beaucoup.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CS1790 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. À l’instar du volontariat international en entreprise (VIE), service civique effectué à l’étranger en matière d’action culturelle, environnementale, humanitaire ou de développement technique, scientifique et économique, il est proposé de créer, sous l’égide de Bpifrance, un volontariat international PME qui pourrait inciter les étudiants de plus de dix-huit ans à suivre un stage dans les TPE ou PME implantées même en France. Cela permettrait notamment de créer un flux humain vers les territoires. Cet amendement s’inspire de différentes demandes qui ont émergé durant nos auditions.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Il est vrai que le sujet avait été évoqué avec Bpifrance. À titre personnel, j’y suis défavorable : je n’ai pas compris l’utilité de ce dispositif qui créerait une confusion avec le volontariat international porté par Business France.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur El Guerrab, je sais que vous accordez beaucoup d’importance à cet amendement dont vous m’avez parlé. Après mûre réflexion, je pense que votre dispositif viendrait concurrencer celui du VIE. Vous nous avez alertés sur un sujet important, mais je vous suggère de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Puis elle passe à l’amendement CS2024 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. L’idée est de permettre à un nombre important d’entreprises de moins de cinquante salariés de faire face à leurs difficultés.

Quand une entreprise est en difficulté, elle est souvent obligée de licencier avant de cesser son activité. La prise en charge des coûts de licenciement accentue ses difficultés. Le mécanisme que nous proposons de créer est un peu à l’image de ce qui existe à la COFACE : il s’agit de faire en sorte, en cas de licenciements nécessaires pour éviter une cessation d’activité, que Bpifrance prenne en charge les indemnités conventionnelles de licenciement. Par un système d’assurance, l’entreprise pourra ensuite rembourser le montant de ces indemnités pendant les cinq années suivantes, lorsqu’elle sera revenue à meilleure fortune. Cela permettrait à l’entreprise de garder de la trésorerie et d’avoir ainsi une meilleure chance de se rétablir et de poursuivre son activité.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement car la mesure proposée n’entre pas dans le cadre des missions de Bpifrance.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Même avis.

M. Bruno Fuchs. Je vais retravailler mon amendement avec l’Association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salaires (AGS) ou d’autres organismes.

L’amendement est retiré.

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Article 53 bis (nouveau)
(article L. 42533 du code général des collectivités territoriales)
Simplification de l’organisation de Bpifrance

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par votre rapporteure, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement.

Cet article additionnel a pour objet de permettre, à terme, une simplification de l’organisation du groupe Bpifrance. Il permet aux régions de garantir des concours financiers à des acteurs privés en constituant un fonds de garantie auprès de la filiale agréée de Bpifrance, Bpifrance financement.

À ce jour, les régions peuvent garantir, via des fonds de garantie, des concours financiers à des acteurs privés à la condition que ces fonds de garanties soient gérés par des sociétés dédiées à cette activité et dont les régions sont actionnaires. Or, dans la mesure où elles ne sont pas actionnaires de Bpifrance Financement, Bpifrance est contraint à transiter par une filiale dédiée, Bpifrance Régions, dont les régions sont actionnaires minoritaires mais qui n’est en réalité qu’une filiale outil de Bpifrance financement. Cette filiale lui permet de collecter et gérer les ressources que les régions allouent à la garantie de prêts bancaires. Cette organisation occasionne des lourdeurs et des coûts de gestion supplémentaires au sein du groupe Bpifrance, qui nuisent à l’efficacité économique de cet opérateur.

La modification de l’article L. 4253‑3 du code général des collectivités territoriales permettra aux régions de confier à Bpifrance Financement – établissement de crédit dont les régions ne sont pas actionnaires mais régulé et contrôlé par les pouvoirs publics – les ressources qu’elles allouent à la garantie bancaire, ce qui permettra à terme, dans l’hypothèse où l’ensemble des régions choisiraient de s’appuyer sur Bpifrance Financement plutôt que sur Bpifrance Régions, de faire disparaître Bpifrance Régions.

L’attachement des régions à Bpifrance Régions ne semble pas si grand que cette possibilité nouvelle qui leur sera offerte, qui pourrait à terme conduire à la disparition de Bpifrance Régions, puisse poser des difficultés.

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La commission est saisie de lamendement CS2229 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Cet amendement vise à permettre à terme une simplification de l’organisation du groupe Bpifrance.

À ce jour, les régions peuvent garantir, via des fonds de garantie, des concours financiers à des acteurs privés, à la seule condition que ces fonds soient gérés par des sociétés dédiées à cette activité et dont les régions sont actionnaires.

De ce fait, pour collecter et gérer les ressources que les régions allouent à la garantie de prêts bancaires, le groupe Bpifrance s’appuie sur une société dédiée, Bpifrance Régions, dont les régions sont actionnaires minoritaires et qui n’est qu’une filiale outil de Bpifrance Financement.

L’idée est d’inciter les régions à avoir recours uniquement à Bpifrance Financement pour simplifier l’organisation du groupe.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement. L’article 53 bis est ainsi rédigé.

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Article 53 ter (nouveau)
(article 7 de l’ordonnance n° 2005722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement)
Modification du conseil d’administration de Bpifrance

La commission a adopté un amendement portant article additionnel, déposé par notre collègue Adrien Taquet et le groupe La République en Marche, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure.

Cet article additionnel modifie l’article 7 de l’ordonnance n° 2005‑722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement pour procéder à deux ajustements dans la gouvernance de la société anonyme Bpifrance.

Il précise que les administrateurs représentant l’État et la Caisse des dépôts et consignations seront choisis en raison de leur compétence en matière économique et financière et permet ainsi de satisfaire aux exigences des autorités de tutelle (mécanisme de supervision unique européen et autorité de contrôle prudentiel et de résolution) en ce qui concerne l’évaluation des compétences des membres du conseil d’administration de Bpifrance.

Par ailleurs, il ajoute un administrateur indépendant au conseil d’administration pour se rapprocher des dernières recommandations préconisées par les codes de gouvernance d’entreprise et faciliter notamment la constitution des comités spécialisés du conseil d’administration (comités d’audit, des risques, des nominations et des rémunérations en particulier).

Enfin, il modifie la règle de parité afin que le collège des administrateurs « personnalités qualifiées » soit pair, en incluant désormais le directeur général.

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La commission examine lamendement CS1768 de M. Adrien Taquet.

M. Adrien Taquet. Cet amendement, préparé par Laurent Saint-Martin, propose deux ajustements d’importance dans la gouvernance de Bpifrance.

En premier lieu, il est proposé de préciser que les administrateurs représentant l’État et la CDC seront choisis en raison de leurs compétences en matière économique et financière. Cela permettra d’inscrire dans la loi l’importance de disposer d’une expertise solide sur les sujets qui concernent Bpifrance.

En second lieu, il est proposé d’ajouter un administrateur indépendant au conseil d’administration et d’ajuster ainsi la règle de parité, afin que le collège des administrateurs choisis comme personnalités qualifiées soit pair, en incluant désormais le directeur général, et puisse comporter autant de femmes que d’hommes. Ces mesures sont nécessaires en termes d’égalité entre les hommes et les femmes. De plus, elles sont conformes aux exigences des autorités de tutelle – Mécanisme de supervision unique européen et ACPR – et aux dernières recommandations préconisées par les codes de gouvernance d’entreprise.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Merci !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est un très bon amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Je suis particulièrement sensible aux amendements paritaires, je suis donc ravie quand l’avis est favorable. (Sourires.)

La commission adopte lamendement. L’article 53 ter est ainsi rédigé.

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Sous‑section 5 :
Évolution de la gouvernance de La Poste

Article 54
(article 10 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom)
Conseil d’administration de La Poste

A.   l’État du droit

a)     État du droit

 La composition du conseil dadministration de la société anonyme La Poste est fixée par l’article 10 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom.

L’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique vient compléter ce cadre.

Concernant la composition du conseil d’administration, l’article 10 de la loi du 2 juillet 1990 dispose que le conseil d’administration de La Poste est composé de trois à vingt et un membres. Il mentionne également que, dès lors qu’une personne morale de droit public, autre que l’État, détient une part du capital de La Poste, le conseil d’administration de La Poste est composé :

– pour un tiers, de représentants des salariés élus ;

– pour deux tiers, de représentants nommés par l’assemblée générale des actionnaires de manière à leur assurer une représentation reflétant leur détention du capital et leur permettant de détenir ensemble la majorité des droits de vote au sein du conseil d’administration sous réserve d’un représentant des communes et de leurs groupements et d’un représentant des usagers qui peuvent être nommés par décret.

 Le conseil d’administration de La Poste compte donc, depuis 2015 :

– sept administrateurs salariés ;

– deux administrateurs nommés par décret, représentant respectivement les communes et les usagers ;

– un représentant nommé par arrêté ministériel en application de l’article 4 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 ;

– onze représentants des actionnaires nommés par l’assemblée générale (dont 3 proposés par la Caisse des dépôts et consignations, sept par l’État et un administrateur proposé conjointement par les actionnaires).

L’article 10 de la loi du 2 juillet 1990 précise que l’ordonnance n° 2014‑948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique s’applique à La Poste.

b)     Difficultés relevées

Plusieurs difficultés naissent de ces dispositions :

– le droit mentionne que le conseil d’administration doit compter entre trois et vingt-et-un membres. Toutefois, il ne peut, en réalité, compter moins de douze membres : ceci rendrait impossible de respecter les règles selon lesquelles les représentants des actionnaires doivent être majoritaires d’une part, et le conseil d’administration doit comporter un tiers d’administrateurs salariés mais également un représentant des communes et de leurs groupements et un représentant des usagers d’autre part ;

– comme le mentionne l’étude d’impact (page 456), le plafond actuel de vingt-et-un membres est excessivement contraignant et apparaît en décalage avec le nombre maximal qu’une société anonyme de droit commun peut compter, celui-ci étant de dix-huit, auxquels s’ajoutent les représentants des salariés (dont le nombre peut aller jusqu’à cinq dans certaines sociétés cotées) et les représentants des salariés actionnaires ;

– il n’est pas utile de rappeler que l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique s’applique à La Poste, dans la mesure où cette application est automatique dès lors que l’État en est actionnaire ;

– l’article 10 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 fixe des règles dérogatoires à l’ordonnance précitée du 20 août 2014 : le nombre de salariés est fixé à « un tiers » et non à « au moins un tiers » ; l’article pose une exigence de voix majoritaire des administrateurs qui ne figure pas à l’ordonnance ; les deux administrateurs nommés par décret ne sont pas prévus par l’ordonnance, etc. Aussi, la référence à cette ordonnance n’apparait pas pertinente ;

– enfin, l’article 10 renvoie à la loi du 26 juillet 1983 s’agissant de l’élection des administrateurs salariés, alors que les modalités de cette élection sont fixées de manière plus précise par la loi du 2 juillet 1990 à laquelle il convient de se référer.

B.   le dispositif proposÉ

Le présent article 54 vise en conséquence à clarifier et rationaliser les dispositions régissant la composition du conseil d’administration de La Poste.

Les alinéas 1 et 2 modifient l’article 10 de la loi du 2 juillet 1990 de manière à indiquer que le conseil d’administration de La Poste est composé d’entre douze et vingt-quatre membres, et ainsi lever plusieurs des difficultés précédemment évoquées. Le fait de conserver vingt-quatre membres permet d’obtenir un multiple de trois et ainsi de simplifier la répartition par tiers.

Les alinéas 3 à 6 précisent la composition de ce conseil d’administration, de manière à indiquer :

– que cette composition est dérogatoire par rapport à l’ordonnance du 20 août 2014 ;

– qu’il comprend un tiers de représentants des salariés, élus dans les conditions prévues à l’article 12 de cette même loi ;

– qu’il comprend, pour deux tiers, des représentants nommés par l’assemblée générale des actionnaires de manière à leur assurer la détention majoritaire des droits de vote au sein du conseil d’administration, sous réserve d’un représentant de l’État nommé dans les conditions prévues à l’article 4 de l’ordonnance du 20 août 2014, un représentant des communes et de leurs groupements et un représentant des usagers qui peuvent être nommés par décret. Ce faisant, il instaure la présence d’un représentant de l’État désigné conformément à l’ordonnance de 2014.

Enfin, lalinéa 6 précise que la nomination des administrateurs représentant les actionnaires est soumise, s’ils sont nommés sur proposition de l’État, à l’article 6 de l’ordonnance du 20 août 2014. Ceci permettra notamment de clarifier les règles et modalités selon lesquelles des agents publics peuvent participer aux conseils d’administration d’entreprises privées.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté un amendement de rédaction globale de l’article 54, proposé par le Gouvernement et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure.

Cet amendement a pour objet principal de modifier l’article 1-2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom, de manière à modifier la structure de détention de son capital.

Alors qu’aujourd’hui, l’État doit être actionnaire majoritaire de La Poste, qui peut également être détenue de manière minoritaire par d’autres personnes morales de droit public ainsi que par l’actionnariat salarié, l’amendement impose désormais à La Poste d’être détenue intégralement par l’État, la Caisse des dépôts et consignations, et l’actionnariat salarié (sans plus fixer d’obligation de majorité pour l’État). L’objectif de cette modification est de permettre à la Caisse des dépôts et consignations de devenir actionnaire majoritaire de La Poste. Pour ce faire, elle cèderait à La Poste ses parts dans CNP Assurances. La Poste cèderait alors ces mêmes parts dans CNP Assurances à sa filiale La Banque Postale.

Il s’agit de permettre la constitution d’un grand pôle de bancassurance public entre La Banque Postale, filiale de La Poste, et CNP Assurances, dont la Caisse des dépôts est le premier actionnaire. Ceci permettra d’assurer le développement à moyen terme de ces deux entités financières de la sphère publique, ainsi que de contribuer à la diversification des activités du groupe La Poste et au renforcement de sa résilience. Ce changement se fera au profit des territoires, dans la mesure où il permettra, d’une part, une meilleure articulation des activités de la Caisse des dépôts – qui vient de créer la banque des territoires – et de celles de La Banque Postale, premier financeur des collectivités territoriales, et, d’autre part, apportera à La Poste les fonds propres nécessaires à sa diversification, notamment dans les services à la personne et les services de proximité (livraisons, maisons de service au public, etc.).

L’amendement précise également que La Poste et ses filiales chargées d’une mission de service public seront soumises au contrôle économique et financier de l’État.

Il modifie la composition du conseil d’administration de La Poste, de manière à la clarifier. Deux hypothèses sont envisagées. Tant que l’État sera majoritaire au capital, le conseil d’administration sera composé de vingt-et-un membres – et non plus d’un nombre compris entre douze et vingt-quatre membres dans la version initiale de l’article 54 du projet de loi – répartis de la manière suivante :

– un tiers de représentants des salariés (comme aujourd’hui) ;

– un représentant de l’État ;

– des représentants nommés par l’Assemblée générale des actionnaires dont au moins deux nommés sur proposition de l’État, ainsi qu’un représentant des communes et un représentant des usagers nommés par décret.

Lorsque l’État ne sera plus majoritaire, le représentant des communes et le représentant des usagers nommés par décret pourront participer aux réunions du conseil d’administration en qualité de censeurs, sans voix délibérative. L’État ne pourra plus proposer que deux représentants nommés par l’Assemblée générale.

La mention selon laquelle la nomination des administrateurs représentant les actionnaires est soumise, s’ils sont nommés sur proposition de l’État, à l’article 6 de l’ordonnance du 20 août 2014 est conservée. Ceci permettra notamment de clarifier les règles et modalités selon lesquelles des agents publics peuvent participer aux conseils d’administration d’entreprises privées.

L’amendement du Gouvernement crée également un nouvel article 10-1 à la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de manière à préciser que l’État peut désigner un représentant comme membre du conseil d’administration, du conseil de surveillance ou d’un organe de délibération équivalent, dans toute filiale de La Poste chargée d’une mission de service public. L’article 15 de l’ordonnance du 20 août 2014 sera applicable à ces filiales : dans celles dans lesquelles il aura un représentant, l’État pourra également désigner, dans des conditions fixées par voie réglementaire, un commissaire du Gouvernement. Ce commissaire du Gouvernement assistera, avec voix consultative, aux séances du conseil d’administration, du conseil de surveillance ou de l’organe délibérant en tenant lieu de la société. Le cas échéant, il exposera la politique du Gouvernement dans le secteur d’activité de celle-ci.

L’amendement modifie, pour le préciser, l’article 11 de la loi du 9 juillet 1990, qui dispose que le président du conseil d’administration de La Poste est nommé par décret. Il indique que ce président est nommé par décret, sur proposition du conseil d’administration, parmi les membres du conseil d’administration nommés par l’Assemblée générale proposés par l’État. Ce président pourra être révoqué par décret. Lorsque l’État ne sera plus actionnaire majoritaire, la révocation interviendra sur proposition du conseil d’administration.

Le code du travail est modifié pour permettre aux salariés de La Poste, dans l’hypothèse où l’État ne détiendrait plus la majorité du capital, de bénéficier du droit à une allocation d’assurance comme en bénéficient aujourd’hui les fonctionnaires. Ceci permet à La Poste de continuer à être son propre assureur-chômage, comme elle l’est aujourd’hui au titre de sa détention majoritaire par l’État, ou d’opter définitivement pour l’affiliation au régime de droit commun, comme l’ont fait les entreprises publiques du secteur électrique et gazier. 

Enfin, l’amendement précise que les administrateurs nommés par décret préalablement à l’entrée en vigueur de la loi demeurent en poste jusqu’à ce qu’il soit mis fin à leur mandat par décret.

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*     *

La commission est saisie de lamendement CS307 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Sous couvert de dispositions de toilettage et de clarification relatives à la gouvernance de La Poste, l’article 54 conduira en réalité à rendre l’État actionnaire minoritaire au sein de cet établissement, société anonyme à capitaux publics depuis 2010, dont il détient 74 % du capital.

Cette modification législative a pour objectif de permettre à la Caisse des dépôts et des consignations de prendre le contrôle de La Poste tout en rapprochant l’opérateur de CNP Assurance. De nombreuses craintes se sont exprimées sur de nouvelles restructurations nuisant à l’unité de La Poste, à la complémentarité de ses activités, à l’avenir distribution du courrier. On peut se demander si la gestion d’un établissement comme La Poste relève réellement des missions de la CDC.

Si l’on voulait créer un pôle public bancaire, ce que nous proposons depuis très longtemps, il faudrait employer une tout autre démarche politique qu’un article dans une loi comme celle-ci qui traite de nombreux autres sujets.

Nous craignons que ces dispositions ne soient qu’un pas de plus vers la privatisation du service public postal auquel nos concitoyens sont fortement attachés, dans une logique qui a conduit à des fermetures massives de bureaux au cours des dernières années, au détriment des besoins des usagers et des commerçants.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Je suggérerai de passer très vite à la présentation de l’amendement suivant, celui du Gouvernement, même si les deux amendements ne sont pas formellement en discussion commune. En définitive, monsieur Dharréville, votre propos concerne moins votre amendement que celui du Gouvernement. J’aurai ensuite l’occasion de répondre de manière générale aux deux amendements, si la présidente en est d’accord.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Monsieur le ministre, je vous propose de présenter par avance l’amendement CS2314.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je vais le faire de manière rapide parce qu’il est tard et que j’ai déjà eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises.

Pour ma part, je poserais la question suivante : quelle est l’alternative ? Si l’on croit au service public de La Poste, on donne les moyens à cet établissement de se développer. On peut toujours agiter le mot « privatisation » comme un chiffon rouge mais je pense que cela n’effraie plus grand monde. Le Gouvernement est clair dans ses intentions et dans sa stratégie : nous voulons développer le service public de La Poste et nous prenons acte de la diminution du volume du courrier, qui entraîne 550 millions d’euros de pertes chaque année. À en juger par le nombre de cartes postales et de lettres envoyées chaque année, tout porte à penser que la diminution de l’activité de courrier ira en s’accélérant.

Nous voulons donc adosser La Poste à une activité qui va lui permettre de se consolider : la bancassurance. Tel est le but de l’opération que nous vous proposons via l’apport des titres CNP que le CDC détient actuellement. Au terme de cette opération, La Poste restera une société à capitaux 100 % publics, détenue par les deux mêmes actionnaires : la CDC et l’État.

Qu’y gagnons-nous ?

D’abord, une plus grande rentabilité pour La Poste. J’ai eu l’occasion d’en discuter à de multiples reprises depuis quatorze mois avec Philippe Wahl, le président de La Poste, avec le président de la Banque Postale, avec des postiers. Ils voient bien que nous proposons un renforcement de leur service public. J’ai vu des réactions plutôt positives de la part des postiers eux-mêmes. Ils ont parfaitement compris que l’intention de l’État était de renforcer La Poste et non de l’affaiblir.

Ensuite, nous créons un grand pôle financier public qui sera très utile en matière d’aménagement du territoire, de financement des maisons de services au public, d’aide aux personnes en situation de dépendance. C’est vraiment une très belle opération.

Ce pôle financier public est réclamé à cor et à cri, monsieur Dharréville, par la famille politique à laquelle vous appartenez. Je vois un vrai paradoxe dans cette opposition à ce qui constitue une vraie opération de service public au service de l’intérêt général et des territoires.

M. Roland Lescure, rapporteur général. Ce rapprochement entre CNP Assurance et le groupe La Poste, cela fait vingt ans qu’on en parle… Vous nous proposez de le rendre effectif, monsieur le ministre ; soyez-en remercié. Nous allons avoir un bon débat en commission, qui ne manquera pas de se poursuivre dans l’hémicycle.

Cette opération est souvent présentée comme la création d’un grand pôle financier public et l’émergence d’un acteur national de la bancassurance. Pour moi, cela va au-delà d’une simple fusion-acquisition autour d’un groupe bancaire : La Poste est aussi une grande entreprise d’aménagement du territoire, un service public de proximité bientôt chapeauté par la Caisse des dépôts qui, depuis quelques mois, est reconnue comme la banque des territoires.

Nous allons donc permettre une synergie entre les 17 000 points de contact de La Poste et la force de frappe financière de CNP. Il s’agit de réunir les conditions d’une consolidation d’un acteur public financier de premier plan.

Ce rapprochement ambitieux qui aura un impact significatif sur la vie quotidienne des Français marque l’achèvement de la révolution copernicienne de La Poste qui a, je pense, enfin trouvé un modèle économique d’avenir sans renier ses missions fondamentales de service public qui, au contraire, se trouveront renforcées. Tout cela permettra d’accompagner de manière offensive, et non défensive, la transition inéluctable des métiers traditionnels.

Ce rapprochement hautement stratégique pour le groupe La Poste, premier employeur de France, avec plus de 250 000 salariés, fera l’objet de l’appropriation parlementaire qu’il mérite, malgré le temps assez court dont nous avons disposé depuis le dépôt de cet amendement du Gouvernement.

Je tiens à vous informer qu’avec sa rapporteure thématique, la commission spéciale mettra à profit le temps qui lui reste avant le début des débats en séance, le 25 septembre, pour recevoir la semaine prochaine tous les partenaires sociaux de La Poste et les trois dirigeants des entreprises concernées – la CNP, La Poste et la Caisse des dépôts.

Nous proposerons en séance un renforcement du contrôle parlementaire de la Caisse des dépôts à travers sa commission de surveillance.

Vous l’aurez compris, je suis défavorable à l’amendement de M. Dharréville et favorable à celui du Gouvernement, même si je sais que ce n’est qu’un début.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le ministre, comme vous l’avez rappelé, ma famille politique prône depuis longtemps la création d’un pôle financier public avec des missions étendues dans le but de participer à une forme d’assainissement des pratiques financières dans notre pays et au-delà.

Cela dit, la façon dont ce pôle a été conçu n’est pas satisfaisante. Elle nourrit plusieurs inquiétudes. Il y a besoin de faire mûrir ce projet avec les premiers concernés, les salariés de ces entreprises et les usagers de La Poste eux‑mêmes. Ce n’est pas la voie que vous avez choisie : cette mesure tombe d’en haut, sans avoir fait l’objet du travail politique et populaire nécessaire. Je le regrette. Ce n’est pas la bonne façon de procéder.

Je m’interroge sur ce projet de fusion. Les réponses me semblent pour l’heure trop générales et trop évasives. J’ai exprimé certaines craintes et j’estime que le caractère public des fonds ne constitue pas une garantie pour l’avenir.

En 2010, au moment où La Poste a été transformée en société anonyme, on nous avait été expliqué que l’État resterait actionnaire ; nous voyons bien qu’aujourd’hui, une nouvelle étape est franchie. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions sur la suite.

M. Charles de Courson. Je voudrais faire une observation sur la forme, et deux sur le fond.

Sur la forme, il y a quelque chose d’étrange à près d’une heure du matin de voir arriver un tel amendement.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Il n’y a rien d’étrange à cela !

M. Charles de Courson. Madame la présidente, je ne vous ai pas interrompue.

Mme la présidente Olivia Grégoire. Tout à fait, monsieur de Courson.

M. Charles de Courson. Cela évite au Gouvernement de nous fournir une étude d’impact sur un sujet majeur : nous n’avons pas affaire à un petit amendement. Nous ne disposons d’aucune analyse sur les avantages et les inconvénients de ce rapprochement et ses conséquences à moyen et long terme.

Sur le fond, ayant quelques idées en la matière, je considère qu’il y a une certaine logique à ce que La Poste devienne l’actionnaire dominant de la CNP. La bancassurance s’est développée : les assurances ont des filiales bancaires et les banques des filiales d’assurance. En revanche, le fait que la CDC devienne actionnaire majoritaire de La Poste me semble poser des questions graves. Cela implique que la Caisse des dépôts va devenir la holding d’un conglomérat comprenant un groupe qui aura, entre autres activités, la distribution de courrier. Cela ne change-t-il pas profondément la nature de la Caisse des dépôts ? Et qu’en sera-t-il de sa régulation au regard du Parlement ? C’est ma grande interrogation.

Pour ma part, mes chers collègues, je ne voterai pas l’amendement du Gouvernement. Il a des conséquences trop graves pour que nous l’adoptions sans disposer d’analyses de base.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Le débat dans l’hémicycle nous donnera tout le temps de répondre aux questions de M. Dharréville et de M. de Courson. Je considère que ce rapprochement constitue une opportunité formidable. On en parle depuis des années. Arrive un moment où il faut la faire. Vous êtes beaucoup trop fin connaisseur de la vie de la Caisse des dépôts et de La Poste, monsieur de Courson, pour ne pas savoir que plusieurs gouvernements successifs se sont essayés à cette opération qui ne prend personne par surprise.

M. Daniel Fasquelle. Je ne suis pas intervenu car nous avons déjà eu ce débat ce matin. J’ai déjà exprimé mes craintes, notamment au regard du droit européen. Je maintiens bien évidemment mes réserves.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous avons des réserves sur cet amendement, ne serait-ce que sur la forme, pour les mêmes raisons que M. de Courson.

La commission rejette lamendement CS307.

Elle adopte lamendement CS2314 du Gouvernement.

Puis elle adopte larticle 54 modifié.

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*     *

Section 4
Protéger nos entreprises stratégiques

Article 55
(article L. 151-3, articles L. 151-3-1 et L. 151-3-2 [nouveaux], article L. 1514 du code monétaire et financier)
Renforcement du régime des investissements étrangers en France

A.   l’État du droit

a)     Liberté des investissements étrangers : régimes différents pour les États membres de l’Union et les États tiers

Les investissements étrangers en France sont, par principe, libres, en vertu notamment du principe de libre circulation des capitaux. L’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne permet ainsi aux États membres de prendre de mesures restrictives à ces mouvements de capitaux que « justifiées par des motifs liés à lordre public ou à la sécurité publique ».

Le droit français en vigueur encadre ainsi aujourd’hui certains investissements étrangers en France, mais exclusivement dans des secteurs limitativement énumérés, susceptible de mettre en cause l’ordre public, la sécurité publique ou concernant des activités liées à la défense.

Depuis la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec létranger, et conformément aux traités européens et aux engagements internationaux de la France, les investissements étrangers dans certains secteurs doivent faire lobjet dune autorisation préalable du ministre de léconomie.

Ces secteurs ont été précisés par le décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger et portant application de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, puis étendus par le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

La procédure dencadrement est aujourdhui fixée aux articles L. 1513 et L. 151-4 ainsi que par les articles R. 153-1 à R. 153-13 du code monétaire et financier.

Ainsi, aux termes de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie les investissements dans l’un des domaines suivants :

– activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;

– activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives.

Le ministre de l’économie se prononce dans un délai de deux mois à compter de la date de réception de la demande d’autorisation. Le silence du ministre pendant cette période vaut accord au bout de deux mois.

Les entreprises souhaitant investir peuvent également déposer une demande de rescrit (article R. 153-7 du code monétaire et financier) : par ce biais, l’administration leur indique si, oui ou non, l’investissement qu’elles envisagent est soumis à autorisation. Ceci leur permet d’avoir une réponse rapide sur la nécessité de se lancer ou non dans une procédure d’autorisation, ainsi qu’une forme de sécurité juridique lorsque l’administration leur indique que leur investissement n’est pas concerné.

L’autorisation du ministre peut être assortie, si nécessaire, de conditions (articles L. 151-3 et R. 153-9). Le suivi des conditions est alors coordonné par la direction générale du Trésor et associe l’ensemble des administrations concernées.

L’autorisation peut être refusée si le ministre constate :

– qu’il existe une présomption sérieuse que l’investisseur est susceptible de commettre une infraction ;

– que la mise en œuvre d’éventuelles conditions ne suffit pas à assurer la préservation des intérêts nationaux.

Le ministre, s’il constate qu’un investissement a été réalisé en méconnaissance des prescriptions, peut enjoindre à l’investisseur de ne pas donner suite à l’opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure.

En cas de non-respect de l’injonction, le ministre peut également infliger à l’investisseur une sanction pécuniaire dont le montant est proportionnel à la gravité des faits et pouvant aller jusqu’au double de l’investissement réalisé de manière délictueuse.

Tout investissement réalisé en méconnaissance de ces dispositions est reconnu comme nul.

Les régimes sont distincts selon qu’il s’agit d’un investissement en provenance d’un pays membre de l’Union européenne ou d’un pays tiers.

 Pour les pays membres de lUnion européenne

Un investissement est défini comme le fait :

– d’acquérir le contrôle d’une entreprise dont le siège social est établi en France ;

– d’acquérir tout ou partie d’une branche d’activité d’une entreprise dont le siège social est établi en France.

Sont soumis à autorisation préalable les activités suivantes :

– les activités relatives à la cryptologie ;

– les activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale ;

– les activités de recherche, de production ou de commerce d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives destinées à des fins militaires ;

– les activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipements au profit du ministère de la défense ;

– les activités portant sur des matériels, des produits ou des prestations de services liées à l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique ainsi qu’en eau ; l’intégrité, la sécurité et la continuité d’exploitation des réseaux et services de transport, de communication électroniques ou d’un établissement, une installation ou un ouvrage d’importance vitale ; la protection de la santé (ces éléments ayant été ajoutés par le décret du 14 mai 2014 dit « Montebourg »).

– les activités réglementées de sécurité privée, lorsque les entreprises qui les exercent fournissent une prestation à un opérateur public ou privé d’importance vitale, participent directement et spécifiquement à des missions de sécurité définies aux articles du code de l’aviation civile ou du code des ports maritimes, ou interviennent dans des zones protégées ou réservées ;

– les activités de recherche, de développement ou de production, lorsqu’elles concernent exclusivement : les agents pathogènes, les zoonoses, les toxines, les moyens de lutte contre les agents prohibés au titre de la convention sur l’interdiction de la mise au point d’armes chimiques ; les matériels conçus pour l’interception des correspondances et la détection à distance des conversations ;

– les activités de productions de biens ou de prestations de service dans le secteur de la sécurité des systèmes d’information exercées par une entreprise liée par un contrat passé avec un opérateur d’importance vitale ;

– les activités relatives aux biens et technologies à double usage.

 Pour les États tiers

Un investissement est défini comme le fait :

– d’acquérir le contrôle d’une entreprise dont le siège social est établi en France ;

– d’acquérir tout ou partie d’une branche d’activité d’une entreprise dont le siège social est établi en France ;

– de franchir le seuil de 33,33 % de détention du capital ou des droits de vote d’une entreprise dont le siège social est établi en France.

Sont soumis à autorisation, en plus des catégories énumérées pour les investissements en provenance des États membres de l’Union européenne :

–  les activités dans les secteurs des jeux d’argent à l’exception des casinos ;

– les activités réglementées de sécurité privée ;

– les activités de recherche, développement ou production relative aux moyens destinés à faire face à l’utilisation illicite, dans le cadre d’activités terroristes, d’agents pathogènes ou toxiques ;

– les activités portant sur les matériels conçus pour l’interception des correspondances et la détection à distance des conversations.

b)     Limites actuelles et futures du régime existant

Toutefois, ces dispositions sont aujourd’hui considérées comme insuffisantes car :

– trop peu souples : la procédure de rescrit n’est ouverte qu’aux investisseurs et non aux entreprises ;

– trop peu dissuasives : les sanctions sont inadaptées à certaines situations : une sanction du double du montant de l’investissement réalisé a très peu de sens dans le cas des rachats d’entreprises « pour un euro symbolique »… ;

– peu adaptées aux technologies davenir.

En outre, un règlement européen est actuellement en cours de négociation. Il devrait fixer un cadre incitant les États membres n’ayant pas encore de système de contrôle des investissements étrangers à s’en doter, et fixer des principes généraux communs. Aujourd’hui, seuls douze États membres ont un tel mécanisme de filtrage. Ce règlement pourrait être adopté avant les élections européennes du printemps 2019.

Tout l’enjeu est d’assurer un équilibre entre la protection des intérêts stratégiques de l’État et l’attractivité pour des investisseurs capables d’assurer le financement de secteurs en forte croissance.

B.   le dispositif proposÉ

L’article 55 vise à renforcer l’encadrement des investissements étrangers en France, en particulier en durcissant le régime des sanctions pour les rendre plus dissuasives et en renforçant les pouvoirs de police administrative du ministre chargé de l’économie : modification de l’opération, rétablissement de la situation antérieure, cession des activités sensibles…

Les alinéas 1 à 3 modifient l’article L. 151-3 du code monétaire et financier pour préciser que sont définis par décret non pas uniquement la nature des activités soumises à autorisation, mais également la nature des investissements concernés.

Deux articles additionnels sont insérés après l’article L. 151-3.

L’article L. 151-3-1, créé par les alinéas 5 à 21, modifie les procédures applicables par le ministre chargé de l’économie si un investissement étranger a été réalisé sans autorisation préalable ou méconnaît les conditions dont est assortie l’autorisation.

Le I du nouvel article figure aux alinéas 6 à 12. Il renforce et complète les pouvoirs d’injonction du ministre chargé de l’économie lorsqu’un investissement a été réalisé sans autorisation préalable.

Lalinéa 6 lui permet d’enjoindre à l’investisseur de :

– déposer une demande d’autorisation : cela permet de régulariser, a posteriori, un investissement, lorsqu’il apparaît sans risque et que l’absence de demande d’autorisation relève de l’erreur plus que de la faute. Aujourd’hui, ceci est rendu impossible par la disposition selon laquelle tout investissement réalisé sans autorisation préalable est nul de plein droit, quand bien même un tel investissement, réalisé dans certaines conditions, pourrait ne présenter aucun danger pour les intérêts nationaux ;

– modifier l’investissement ;

– faire rétablir à ses frais la situation antérieure.

Lalinéa 7 précise que cette injonction peut être assortie d’une astreinte dont elle fixe le montant et la date d’effet. Le montant maximal journalier de l’astreinte sera fixé en Conseil d’État, de même que les modalités de la liquidation en cas d’inexécution totale ou partielle ou de retard d’exécution.

Les alinéas 8 à 12 donnent de nouveaux pouvoirs au ministre chargé de l’économie. Si la protection des intérêts nationaux est compromise ou susceptible de l’être, il pourra ainsi, à titre conservatoire :

– prononcer la suspension des droits de vote attachés aux actions ou parts sociales dont la détention par l’investisseur aurait dû faire l’objet d’une autorisation préalable ;

– interdire ou limiter la distribution de dividendes ou rémunérations attachées à ces actions ou parts sociales ;

– suspendre, restreindre ou interdire temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs liés à des activités soumises à autorisation ;

– désigner un mandataire chargé de veiller, au sein de l’entreprise concernée, à la protection des intérêts nationaux. Ce mandataire pourra faire obstacle à toute décision des organes sociaux susceptible de porter atteinte à ces intérêts.

Ces mesures visent à permettre aux autorités de mieux prendre en compte les situations d’urgence.

Le II est contenu dans les alinéas 13 à 18. Il confère également de nouveaux pouvoirs au ministre chargé de l’économie, si celui-ci estime que les conditions dont est assortie l’autorisation ont été méconnues. Il pourra ainsi :

– retirer l’autorisation et imposer à l’investisseur de solliciter une nouvelle autorisation ;

– enjoindre à l’investisseur concerné de respecter ces conditions dans un délai fixé ;

– enjoindre à l’investisseur concerné d’exécuter des prescriptions en substitution de l’obligation non respectée, dans un délai qu’il fixe.

Lalinéa 17 précise que ces injonctions peuvent être assorties d’une astreinte, de manière à renforcer l’incitation à les respecter.

Lalinéa 18 indique que le ministre peut également prendre les mêmes mesures conservatoires que précédemment énumérées, dans le cas où le non‑respect des conditions de l’autorisation compromet ou est susceptible de compromettre les intérêts nationaux.

Lalinéa 19 crée dans le nouvel article L. 151-3-1 un III précisant que les décisions ou injonctions ne peuvent intervenir qu’après l’envoi d’une mise en demeure de présenter des observations dans un délai de quinze jours, sauf en cas d’urgence, de circonstances exceptionnelles ou d’atteinte imminente à l’ordre public, la sécurité publique ou la défense nationale.

Lalinéa 20 crée un IV précisant que ces décisions sont susceptibles d’un recours de plein contentieux, c’est-à-dire peuvent être modifiées par le juge.

Enfin, lalinéa 21 crée un V renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer les modalités d’application de cet article.

Les alinéas 22 et 23 créent un article L. 151-3-2, conférant au ministre chargé de l’économie un pouvoir de sanction pécuniaire dans quatre cas :

– réalisation d’un investissement sans autorisation préalable ;

– obtention par fraude d’une autorisation préalable ;

– non-respect des conditions fixées par l’autorisation ;

– inexécution totale ou partielle d’injonctions.

À l’heure actuelle, ce pouvoir de sanction administrative pécuniaire n’existe qu’en cas de non-respect d’une injonction. La réalisation d’un investissement sans autorisation ou le non-respect des conditions de l’autorisation sont constitutifs d’un délit sanctionné par le code des douanes, et la sanction de l’obtention d’une autorisation par la fraude est, actuellement, soumis au même régime que pour tout type d’autorisation obtenue par fraude ([212]). Compléter l’éventail des sanctions administratives permettra ainsi de sanctionner rapidement des manquements à la réglementation.

Le montant maximal de cette sanction s’élève au maximum à la plus élevée des sommes suivantes : le double du montant de l’investissement irrégulier, 10 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise faisant l’objet de l’investissement, 1 million d’euros pour les personnes physiques et 5 millions d’euros pour les personnes morales. Ces sanctions ne peuvent être prononcées qu’après que l’investisseur a été mis à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés dans un délai de quinze jours. Le plafond en valeur absolue permet une sanction adaptée aux opérations de faible montant. La sanction exprimée en pourcentage du chiffre d’affaires permet de mieux sanctionner les investisseurs ayant procédé à des investissements dans des entreprises françaises génératrices de forts chiffres d’affaires. La sanction proportionnée au montant de l’investissement n’est pas modifiée. Ce dispositif permettra d’ajuster de manière plus fine la sanction en fonction de chaque situation.

Lalinéa 23 précise que le montant de la sanction pécuniaire et proportionné à la gravité des manquements commis.

L’abrogation du III de l’article L. 151-3 qui fixait jusqu’alors le régime des sanctions, figure par ailleurs à l’alinéa 4 du présent article, par souci de concordance juridique.

Enfin, lalinéa 24 procède également à une modification de coordination juridique.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté un amendement déposé par M. Kasbarian, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure. Il impose au Gouvernement de déposer un rapport sur les évolutions qu’il entend donner à la loi n° 68‑678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères dite « loi de blocage ».

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*     *

La commission examine lamendement CS585 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Le présent amendement vise à permettre au Parlement de statuer à l’occasion d’investissements étrangers en France (IEF). Il s’agit surtout d’un amendement d’appel : je sais d’avance ce qu’on me répondra concernant la confidentialité notamment… Reste que nombre de nos concitoyens sont préoccupés par cette question : des fleurons nationaux sont rachetés par des entreprises étrangères sans qu’ils soient consultés ni même informés. J’y suis moi-même particulièrement sensible puisque dans mon département nous avons vécu la vente d’Alstom Power en 2014 et d’Alstom Transport en 2017. Au-delà de cet amendement d’appel, il s’agit donc de savoir comment mieux définir la manière dont ces investissements étrangers sont réalisés dans nos entreprises stratégiques – puisque je rappelle que nous nous situons dans le cadre de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier qui prévoit d’ores et déjà dans quels cas d’IEF vous devez, en tant que ministre, donner votre autorisation.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Puisqu’il s’agit d’un amendement d’appel, je vous propose de le retirer. En effet, l’administration des investissements stratégiques relève du ministre compétent. Je vous informe en outre qu’un amendement de notre brillant collègue Kasbarian proposera la création d’une délégation parlementaire à la sécurité économique, qui permettra d’associer davantage députés et sénateurs au régime des IEF.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. De même que la rapporteure, j’invite M. Boucard à retirer son amendement. Il reste des questions de secret défense et d’habilitation défense à régler, mais je trouve excellente l’initiative de créer une délégation parlementaire à la sécurité économique.

M. Ian Boucard. Étant donné que je vais défendre par la suite d’autres amendements sans doute moins jusqu’au-boutistes, et que l’initiative de M. Kasbarian me semble bonne, je retire mon amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS892 de M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Je souhaite appeler votre attention sur un secteur que les députés du groupe Les Républicains considèrent comme stratégique : l’agriculture et la sécurité alimentaire. Certains investissements étrangers pourraient, en la matière, durablement déstabiliser le pays, qu’il agisse d’investissements étrangers dans le foncier agricole – des informations préoccupantes nous parviennent de plusieurs régions – ou bien d’investissements étrangers dans l’industrie agro-alimentaire. Ces secteurs doivent être considérés, j’y insiste, comme stratégiques et méritent donc la même attention que d’autres comme le secteur industriel.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Vous proposez d’ajouter la sécurité alimentaire au régime des IEF. J’y suis défavorable. Peut-être faut-il vous rappeler comment fonctionne le régime des IEF : il s’agit d’une voie dérogatoire à la libre circulation des capitaux et donc au droit de l’Union européenne qui dispose que seulement trois secteurs peuvent faire l’objet d’une dérogation : l’ordre public, la sécurité publique et la défense nationale. Certes la sécurité alimentaire est incluse dans l’ordre public et la sécurité publique, notamment en raison de ses liens avec la santé publique. Reste que l’ajout que vous proposez relève du décret et donc des compétences du ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je veux bien que nous tentions de tenir le rythme de quarante amendements par heure, mais il ne faut pas lancer le ministre sur ses sujets fétiches… La question agricole et celle en particulier de l’industrie agro-alimentaire et de certains actifs agricoles qui, à mes yeux, est stratégique, n’entre pas dans le champ des activités dites sensibles qui peuvent être couvertes par le décret sur les investissements étrangers en France. En l’y inscrivant, nous serions, on l’a dit, en contravention avec le droit de l’Union européenne.

En revanche, une réflexion n’est pas exclue – elle est d’ailleurs en cours – sur une stratégie de protection de nos actifs agricoles les plus sensibles. Je rappelle que lorsqu’un investisseur veut racheter le Clos de Tart, quelques hectares pour un prix de plusieurs centaines de millions d’euros, il est possible d’utiliser d’autres leviers pour qu’il reste entre des mains françaises – et le Clos de Tart est resté français. Il existe donc d’autres moyens que le décret IEF pour assurer la protection de certaines activités agricoles sensibles sur lesquelles je demeure très vigilant. Je pense d’ailleurs qu’une des meilleures protections, c’est d’avoir des groupes économiques puissants. Ainsi les vignobles les plus prestigieux, pour reprendre cet exemple, qui font l’objet d’attaques régulières, pourraient très rapidement passer dans des mains étrangères s’il n’y avait pas des groupes économiques puissants, avec des capacités, en matière d’investissements et en matière capitalistique, suffisamment fortes. Certains vignobles font l’objet de convoitises – il n’y a pas d’autre terme – et sont protégés parce qu’ils appartiennent à des groupes capitalistiques assez puissants.

Enfin, nous disposons d’un très grand savoir-faire concernant des technologies sensibles, je pense, dans le domaine agro-alimentaire, à la chaîne du froid, très compliquée à maîtriser, y compris par des pays développés. Or nous restons très vigilants quant à la maîtrise de ces technologies.

Tout cela pour vous dire que le ministère de l’économie et des finances – et le ministre lui-même – est très attentif à la protection de nos actifs agricoles et par d’autres moyens que le décret IEF.

M. Daniel Fasquelle. Je ne suis pas convaincu par les arguments qui viennent d’être présentés. On invoque le droit européen mais des dérogations sont prévues et dès lors je n’ai pas très bien compris le raisonnement de la rapporteure qui est défavorable à mon amendement tout en nous expliquant que la sécurité alimentaire peut faire partie de ces dérogations. Ensuite, le droit européen ne s’applique que s’il s’agit d’investissements qui viennent d’autres pays de l’Union européenne, or il faut peut-être se montrer plus vigilant quant aux investissements provenant des pays extracommunautaires.

Le présent texte est l’occasion d’envoyer un signal fort de soutien à notre industrie agro-alimentaire, à notre agriculture qui mérite la même attention que les autres secteurs d’activité économique. Nous redéposerons l’amendement en séance s’il ne devait pas être adopté.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je rappelle que les textes européens prévoient la circulation des capitaux au sein de l’Union européenne et je pense que c’est une très bonne chose. Les investisseurs indésirables – je ne donnerai pas leurs noms – se trouvent plutôt en dehors de l’Union européenne. Enfin, le Gouvernement est des plus vigilants sur la question agricole et je pourrais vous citer mille exemples. Voilà vingt ans que nous travaillons sur la question de l’épargne de précaution agricole. Bercy s’y est toujours opposé et maintenant qu’il s’y trouve un ministre de l’économie et des finances qui a été ministre de l’agriculture pendant trois ans, nous allons lever le « verrou de Bercy » en la matière.

M. Charles de Courson. Enfin !

M. Bruno Le Maire. Quand MM. Trump et Juncker déclarent qu’un accord est conclu entre l’Union européenne et les États-Unis en matière commerciale ou bien qu’un accord est sur le point d’être signé, je rappelle que la première réaction du ministre de l’économie est de considérer, avec le Président de la République, qu’un tel accord ne saurait inclure les produits agricoles. Quand des investisseurs veulent racheter des clos parmi les plus prestigieux au monde, dès lors qu’ils ne nous inspirent pas toute la confiance nécessaire, nous employons les moyens qu’il faut pour éviter que ces parcelles ne tombent entre leurs mains.

Vous savez parfaitement que vous avez un ministre de l’économie et des finances qui considère que l’agriculture est un secteur stratégique mais aussi, accessoirement, une partie essentielle de notre culture.

M. Daniel Fasquelle. Certes mais les ministres changent. Vous avez été ministre de l’agriculture et j’ai confiance en vous, même si l’expérience d’Alstom prouve que celui qui est au-dessus de vous n’a pas toujours été suffisamment vigilant et n’a pas toujours su défendre les intérêts du pays. Même si je vous fais, j’y insiste, entièrement confiance, vous ne serez pas toujours là… C’est pourquoi j’estime nécessaire de fixer dans le présent texte les règles concernant les secteurs agricole et agro-alimentaire.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient, en discussion commune, aux amendements CS893 de M. Daniel Fasquelle et CS2168 et CS2169 de M. Dominique Potier.

M. Daniel Fasquelle. L’amendement CS893 est quasiment le même que celui que je viens de défendre.

M. Dominique Potier. Je salue, madame la présidente, votre souhait de rapidité. Je serai donc relativement bref sur un sujet sur lequel je me bats depuis des années et, si vous le permettez, je défendrai mes deux amendements en même temps.

J’ai trouvé l’intervention de M. Fasquelle un peu piquante : si j’étais politicien, je rappellerais que la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle a été déférée par soixante députés du groupe Les Républicains – j’espère que vous n’en étiez pas, on pourrait vérifier mais ce n’est pas mon genre – devant le Conseil constitutionnel qui a abrogé les dispositions permettant de protéger les acquisitions qui relèvent de logiques spéculatives – chinoises pour 1 % d’entre elles et gauloises à 99 % – qui nuisent à notre souveraineté alimentaire et à l’agro-écologie.

Je vous ai quittés hier pour assister à un colloque sur le sujet, organisé par AgroParisTech et par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). La souveraineté alimentaire en Europe tient à notre capacité à tenir le foncier, à le protéger et à le partager. C’est un combat que je mène depuis des années. Grâce à M. Lescure, et je l’en remercie, nous avons obtenu la création d’une mission d’information commune sur le foncier agricole, présidée par Jean-Bernard Sempastous et dont je suis rapporteur avec Anne-Laurence Petel. Nous réalisons un travail passionnant qui doit aboutir, nous l’espérons, à un texte de loi que le Président de la République a annoncé aux jeunes agriculteurs. Tout n’est pas prêt au ministère de l’agriculture et tout n’est pas clair du côté de l’Élysée mais je suis heureux d’avoir avec M. Le Maire quelqu’un qui va nous écouter – et je lui propose de nous rencontrer ne serait-ce qu’un quart d’heure pour lui faire partager l’urgence d’une protection du foncier.

Les amendements CS2168 et CS2169 ne sont pas des amendements d’appel : nous les avons déjà défendus lors de l’examen d’autres textes. Ils prévoient que, dans l’attente du vote, pour la première fois depuis deux décennies, d’une grande loi foncière qui rebattra les cartes de la puissance publique, des régulations, du partage, de la protection – dans l’attente, donc, du vote d’une grande loi pour le XXIe siècle à l’égale des lois Pisani, nous puissions prendre des mesures d’urgence nous donnant les moyens d’éviter les grands désordres caractérisés, en matière agricole, par leur irréversibilité. En effet, chaque fois qu’un domaine, et pas seulement dans le vignoble, de 1 000 à 3 000 hectares, par exemple dans les terres à blé, sont accaparés dans une logique spéculative, le processus est irréversible.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable sur chacun des trois amendements. Le foncier agricole ne fait en effet pas partie des grands domaines pouvant faire l’objet d’un contrôle. Le décret pourra toutefois mentionner certaines activités si elles venaient à menacer l’ordre public, la sécurité publique ou la défense nationale, toujours dans le respect du droit de l’Union européenne. Les précisions sectorielles, je l’ai déjà mentionné, relèvent du décret, donc de la compétence du ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. J’émets également un avis défavorable sur ces trois amendements. Il n’en reste pas moins que je recevrai M. Potier très volontiers, et beaucoup plus qu’un quart d’heure, tant le sujet me passionne. Je rappelle que, dans le cadre du G20 agricole que j’ai eu l’honneur de présider en 2010, j’ai été le premier ministre de l’agriculture français à engager des négociations internationales sur l’accaparement des terres agricoles.

M. Daniel Fasquelle. Je répondrai à M. Potier que personne n’a le monopole d’une question. Je suis à sa disposition et à celle du ministre pour travailler avec eux sur un sujet qui préoccupe les députés de tous les bancs. Madame la rapporteure, l’article L. 151-3 du code monétaire et financier vise bien des domaines particuliers comme la défense nationale ; je ne vois donc pas pourquoi on nous renvoie systématiquement au décret. Si nous avions vraiment la volonté d’apporter cette précision dans la loi, nous pourrions le faire comme ce fut le cas pour d’autres secteurs d’activité.

M. Dominique Potier. Vous connaissez mon état d’esprit, monsieur Fasquelle, je rappelais seulement qu’il faut parfois assumer certaines contradictions en politique. Ce sont des députés du groupe Les Républicains qui, j’y insiste, en saisissant le Conseil constitutionnel, ont fait tomber la réforme qui pouvait asseoir la hiérarchie entre la propriété, la liberté d’entreprise et le bien commun lorsqu’il s’agit d’enjeux planétaires et de la survie de l’humanité. Nous avons raté ce rendez-vous, il y a un an et demi, certains d’entre vous s’étant fait le relais, il faut le dire, d’un lobby ultra libéral de la propriété foncière. Il existe une autre logique qui, j’en suis sûr, peut rassembler des hommes et des femmes de toutes les tendances politiques et c’est d’ailleurs le sens de mon combat qui réunit des Républicains, des centristes, des communistes...

M. Daniel Fasquelle. Cette question est très délicate et le texte doit être bien ficelé. Si les dispositions que vous aviez proposées, monsieur Potier, ont été censurées par le Conseil constitutionnel, c’est donc qu’elles n’étaient pas conformes à la Constitution et que n’importe qui, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), aurait pu faire tomber votre texte. Aussi avons-nous eu raison de soulever ces difficultés constitutionnelles et c’est bien la preuve que nous devons continuer à travailler ensemble.

La commission rejette successivement les trois amendements.

Elle examine ensuite lamendement CS1157 de M. Guillaume Kasbarian.

M. Guillaume Kasbarian. Il s’agit ici d’un amendement d’appel qui concerne la procédure de contrôle des IEF – on songe notamment aux cas d’Alstom, de STX et d’Alcatel. On l’a rappelé, le ministre chargé de l’économie a le pouvoir d’évaluer certains IEF dans des secteurs sensibles, de demander éventuellement aux investisseurs des engagements ou bien de bloquer, en dernier recours, une opération. Depuis le décret de 2014, dit décret Montebourg, les entreprises d’une dizaine de secteurs – défense, énergie, armes, médicaments… – bénéficient de cette protection et les investissements dont elles sont l’objet passent par le crible d’un bureau, à Bercy, appelé communément bureau « multicom ».

Le présent amendement propose une nouvelle approche de la procédure d’autorisation préalable des investissements étrangers en ajoutant aux secteurs mentionnés des technologies clefs. En effet, des technologies ne relevant pas de secteurs particuliers – robotique, intelligence artificielle…– ne sont pas prises en compte par le décret. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des informations sur votre stratégie, dans la perspective de la rédaction de votre décret ?

Mme Marie Lebec, rapporteure. Comme il s’agit d’un amendement d’appel, je vous suggère de le retirer. La définition des activités, cela a déjà été précisé, relève du pouvoir réglementaire et, du reste, un décret est en cours de rédaction, décret qui pourrait mentionner, si tel est le souhait du ministre, les secteurs concernés.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je tiens avant tout à remercier M. Kasbarian de nous avoir alertés sur la question. Je lui propose néanmoins de retirer son amendement. Je vais vous apporter les précisions nécessaires sur le renforcement du décret relatif aux investissements étrangers en France.

Ce renforcement s’inscrit dans une stratégie économique globale qui vise à attirer les investisseurs en France. Et plus vous attirez les investisseurs – et les résultats de notre politique sont là puisque les IEF ont fortement augmenté –, plus il faut être en mesure de protéger les secteurs les plus sensibles et les technologies sur lesquelles nous avons investi des moyens financiers et humains importants. J’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer brutalement mais je maintiens mes termes : la France n’a pas vocation à se faire piller ses technologies et ses savoir-faire.

Je rappelle également que les pays considérés comme les plus libéraux sont en réalité ceux qui se protègent le plus : il n’est que de songer au Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS). Il en va de même pour la Chine. Toutes les puissances technologiquement avancées protègent leurs technologies ; seule l’Europe, depuis des années, dans une espèce de course déraisonnable, effrénée, à l’ouverture, n’a pas su se doter des instruments nécessaires pour protéger son économie comme le font les plus grandes économies de la planète.

Je me réjouis qu’il y ait à cet égard une prise de conscience au niveau européen depuis quelques mois voire quelques années. Sous l’impulsion de la France, un règlement européen qui permet de passer au crible les investissements étrangers en Europe a été adopté. C’est un vrai progrès et, j’y insiste, la France a été à la pointe, avec le Président de la République, le ministre de l’économie et des finances et la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, pour aboutir à ce résultat.

Le décret sur les investissements étrangers en France sera publié, modifié, d’ici à l’examen du texte en séance afin que nous puissions alors en discuter. Il est prévu des avancées dans deux directions. La première est l’élargissement des secteurs – plusieurs secteurs des plus stratégiques ne sont en effet pas concernés par le décret en vigueur : les drones, le spatial, la recherche-développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, de fabrication additive et de semi-conducteurs. La seconde vise à renforcer l’efficacité du décret : nous allons mettre en place une procédure de sanctions plus stricte que celle en vigueur ; elle sera graduelle et pourra atteindre des montants très importants grâce à un coefficient multiplicateur du chiffre d’affaires de l’entreprise cible. Si un investisseur, malgré nos décisions, continue son investissement dans l’entreprise cible, il pourra se voir imposer une amende du montant d’un coefficient multiplicateur du chiffre d’affaires de l’entreprise cible, ce qui permettra à la fois une approche graduelle et de prononcer une sanction très dissuasive puisque les montants de l’amende pourront être vite très importants.

La French Tech, ayant besoin d’investissements et d’investissements rapides, était préoccupée de ce que l’extension du décret ait un caractère dissuasif sur les investisseurs potentiels. Sur sa proposition – excellente –, nous avons ouvert la possibilité de demander un rescrit préalable à l’investissement aux sociétés cibles d’acquisition elles-mêmes, ce qui leur permettra d’une part d’être sûres qu’un investisseur ne risque pas d’être rejeté par le ministère de l’économie et des finances, et ce qui permettra d’autre part à la French Tech d’avoir un investissement sécurisé.

Je rappelle pour finir que, sur décision du Président de la République, nous avons également, mais je ne vous donnerai pas d’éléments sur ce point puisqu’ils sont couverts par le secret défense, réorganisé la chaîne de commandement et de décision sur la question de la sécurité économique en France.

M. Guillaume Kasbarian. Je remercie M. le ministre pour toutes ces précisions sur une démarche qui permettra vraiment de protéger nos technologies stratégiques. Nous sommes donc tous très impatients de découvrir le décret Le Maire de 2018, qui fera suite au décret Montebourg de 2014. Je retire mon amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS583 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Le présent amendement vise à ajouter à la liste figurant à l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, les activités concernant le secteur énergétique et en particulier l’énergie nucléaire. Je n’ai pas besoin, j’imagine, de vous convaincre du caractère stratégique du secteur énergétique – nous avons eu l’occasion de l’évoquer hier à propos d’Engie – et même de son caractère de plus en plus stratégique, notamment dans le cadre de la transition énergétique, une priorité affichée par tous les groupes.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous propose de retirer votre amendement, déjà satisfait par le décret.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Ian Boucard. L’idée n’est pas de procéder à cet ajout dans le décret, puisque nous sommes ici pour faire la loi. L’article L. 151-3 du code monétaire et financier énumère les domaines d’activité soumis à autorisation préalable du ministre, quitte à ce que celui-ci les précise dans le décret. Reste que comme l’énergie me paraît être un secteur aussi stratégique que les activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, je propose de l’inscrire dans la loi.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CS586 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Dans le même ordre d’idées, le présent amendement vise à ajouter, à l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, les activités liées à la sécurité d’approvisionnement en matières premières, au transfert de technologies, de savoir-faire industriel, de composants ou de brevets, aux technologies liées à l’intelligence artificielle, au spatial et au stockage de données. Le ministre a en partie répondu que ces activités seraient mentionnées par le décret.

Pour rédiger cet amendement, je me suis fortement inspiré du rapport que M. Kasbarian a remis à l’issue des travaux de la commission d’enquête sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je remercie M. Boucard de nous avoir alertés et d’avoir mis en avant ces éléments ; je partage totalement son analyse, mais je lui propose de retirer son amendement.

Lamendement est retiré.

La commission en vient à lamendement CS1156 de M. Guillaume Kasbarian.

M. Guillaume Kasbarian. Voici un dernier amendement d’appel sur le décret IEF. Il ne s’agit pas ici du contrôle des investissements étrangers sur les technologies mais sur les données personnelles. Que se passe-t-il quand un investisseur étranger reprend une entreprise en France qui a collecté énormément de données personnelles sur les Français ? Loin de moi l’idée de donner dans le complotisme, mais la question est de savoir si certains secteurs, si certaines entreprises qui ont collecté des données personnelles des Français, ne devraient pas relever de la procédure IEF afin qu’on connaisse mieux les intentions d’un investisseur étranger et, éventuellement, qu’on examine ce qu’il entend faire de ces données.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement. La protection des données est incompatible avec les trois motifs énumérés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : ordre public, sécurité publique et défense nationale.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je propose également le retrait de l’amendement. J’entends là aussi me montrer très franc avec vous : nous ne sommes pas au bout de notre réflexion en la matière. Je rappelle que les États-Unis se sont dotés du Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act, dit CLOUD Act, qui est des plus offensifs. Si une procédure judiciaire est engagée qui implique une entreprise telle qu’Amazon, cette dernière peut se voir forcée par la justice américaine de fournir toutes les données de ses filiales en France – inutile, dès lors, de vous dire qu’en termes de confidentialité des données, cela pose de vraies difficultés. Poursuivons donc nos analyses et, en attendant d’aboutir, merci de nous avoir alertés sur ce sujet sensible.

Lamendement est retiré.

La commission examine ensuite lamendement CS584 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. L’alinéa 6 du présent article dispose que « si un investissement étranger a été réalisé sans autorisation préalable, le ministre chargé de léconomie peut enjoindre à linvestisseur de déposer une demande dautorisation, de faire rétablir à ses frais la situation antérieure ou de modifier linvestissement ». Puisque nous convenons tous qu’il convient d’adopter une stratégie un peu plus offensive pour défendre nos entreprises nationales et que j’entends la volonté du ministre d’avancer, afin de rendre systématique l’injonction du ministre, le présent amendement vise à substituer aux mots : « peut enjoindre », le mot : « enjoint ».

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Vous constaterez que l’article 55 prévoit les sanctions en cas de manquement et il me semble qu’il revient au ministre d’apprécier la sanction qui doit être appliquée.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je comprends bien l’intention de Ian Boucard, mais je pense qu’il faut laisser un minimum d’appréciation au ministre. C’est pourquoi je préfère l’expression « peut enjoindre ».

M. Ian Boucard. Je comprends que vous souhaitiez disposer d’une marge de manœuvre plus importante, mais je maintiens mon amendement car, comme le soulignait Daniel Fasquelle tout à l’heure, si j’ai pleinement confiance dans votre volonté de protéger nos entreprises nationales, les ministres ont vocation à passer et il paraît donc nécessaire de se montrer plus contraignant.

La commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CS412 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Aux termes de l’alinéa 7 du présent article, c’est un décret qui fixera le montant journalier maximum de l’astreinte en cas d’investissement réalisé sans autorisation préalable, ce qui ne me paraît pas tout à fait normal. Ce devrait être au Parlement de fixer ce montant. Le présent amendement propose donc qu’il soit de 2 % du montant de l’investissement en question – un taux considérable… À moins que le ministre n’estime que la fixation du montant maximum des astreintes n’est pas du domaine législatif mais du domaine réglementaire.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement. Pour être suffisamment dissuasif, le plafond journalier de l’astreinte doit dépendre du montant de l’investissement. Dans le cas d’un investissement d’un euro symbolique, l’astreinte à 2 % telle que vous la proposez, serait de deux centimes par jour…

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis défavorable également. La sanction que propose M. de Courson n’est pas suffisamment dissuasive – la rapporteure vient de citer l’exemple d’un investissement d’un euro symbolique pour lequel le montant de l’astreinte n’aurait plus aucun sens. Nous proposons un dispositif beaucoup plus strict et donc plus dissuasif. Le montant de la sanction pécuniaire s’élève au maximum à la plus élevée des sommes suivantes : le double du montant de l’investissement irrégulier, 10 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise, 5 millions d’euros pour les personnes morales et 1 million d’euros pour les personnes physiques. Ces sommes sont beaucoup plus importantes et nous couvrons un spectre plus large.

M. Charles de Courson. Les informations que vous nous donnez, monsieur le ministre, figurent-elles dans le projet de décret ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Elles figurent dans le projet de loi.

M. Charles de Courson. J’ai dû mal lire… J’en suis navré et retire mon amendement.

Lamendement est retiré.

La commission adopte lamendement rédactionnel CS652 de la rapporteure.

Puis elle se saisit de lamendement C588 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Cet amendement vise à étendre le contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement dans les procédures d’autorisation préalable afin de rendre plus transparentes les règles qui entourent l’investissement étranger en France (IEF) et ainsi mieux protéger les secteurs stratégiques de notre pays.

En effet, ces dernières années, la France a connu le rachat successif d’entreprises industrielles par des grands groupes étrangers. Ces situations soulèvent d’importantes questions sur la capacité de l’État à défendre tant nos savoir-faire industriels que nos intérêts stratégiques.

Il revient au Parlement de contrôler et d’analyser le processus des décisions prises à ce titre. Pour ce faire, après l’examen d’une opération d’investissement étranger en France, une note d’information confidentielle serait transmise aux présidents de groupe politique ou aux présidents des commissions parlementaires concernées, ainsi qu’un rapport annuel récapitulant toutes les autorisations accordées par l’État et les conditions fixées.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis défavorable. Je reviendrai tout à l’heure à la solution, plus globale, que nous vous proposons : une délégation parlementaire à la sécurité économique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

M. Daniel Fasquelle. Je soutiens cet amendement. Notre collègue Kasbarian a travaillé sur cette question, avec Olivier Marleix et d’autres membres de la commission d’enquête sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle. Nous y reviendrons donc, et nous pourrons nous retrouver autour d’un sien amendement, mais le sujet est très important. Dans l’affaire Alstom, le Parlement a été mis devant le fait accompli et a eu beaucoup de mal à avoir des informations. Ce n’est que bien des mois plus tard, alors que la messe était dite, qu’une commission d’enquête a été constituée. L’intervention du Parlement n’a pourtant de sens qu’au moment où la décision se prend.

Je soutiens donc l’amendement de M. Boucard. S’il n’était pas adopté, je soutiendrais l’amendement de notre collègue Kasbarian.

M. Charles de Courson. Pardonnez-moi, mais je reviens à l’amendement que je viens de retirer. Il portait sur l’astreinte, la réponse de M. le ministre sur l’amende ; cela n’a rien à voir.

La commission rejette lamendement.

Puis elle se saisit de lamendement CS1086 de M. Jean-Marc Zulesi.

M. Jean-Marc Zulesi. On ne peut que saluer le renforcement de l’arsenal grâce auquel la France protège investissements et entreprises stratégiques, mais il paraîtrait légitime que le Gouvernement rende régulièrement compte des décisions prises pour la protection des secteurs stratégiques et du suivi de celles-ci.

Mme Marie Lebec, rapporteure. La délégation que nous proposons assurera un suivi en matière d’IEF. Je suis donc défavorable à cet amendement qui a pour objet de demander un rapport.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CS1179 de M. Guillaume Kasbarian.

M. Guillaume Kasbarian. Par cet amendement, je demande un rapport sur la loi dite « de blocage », censée empêcher la fuite d’informations stratégiques vers des institutions étrangères. Pour le dire vite, considérons qu’elle vise notamment à empêcher la transmission d’informations à la demande d’un juge étranger dans le cadre d’une procédure qu’il aurait lancée.

Elle pose cependant plusieurs problèmes. Premièrement, il est très rarement recouru à cette loi – je crois que cela n’est arrivé qu’une ou deux fois depuis 1968. Deuxièmement, elle est parfois invoquée par des entreprises qui ne souhaitent pas coopérer avec des juridictions étrangères alors que parfois elles le devraient. Enfin, elles créent une défiance en matière de coopération judiciaire ; aux États-Unis, par exemple, il n’y a pas de dispositif équivalent. L’entreprise se retrouve donc dans une situation compliquée : soit elle transmet des informations à l’étranger, et, théoriquement, elle est condamnée en France, soit elle refuse de transmettre des informations à l’étranger, et elle y est condamnée pour défaut de coopération.

Je crois que le Premier ministre a chargé notre collègue Raphaël Gauvain d’une mission à ce propos. Cet amendement vous permet de présenter les conclusions que vous tirerez de son travail.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle 55 modifié.

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Article 55 bis (nouveau)
(article L. 151-5 du code monétaire et financier)
Publication de statistiques annuelles relatives au contrôle des investissements étrangers

Votre commission a adopté un amendement portant article additionnel, à l’initiative de notre collègue Guillaume Kasbarian, et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de votre rapporteure.

Cet article additionnel créé un nouvel article L. 151-5 au chapitre Ier du titre V du livre Ier du code monétaire et financier. Il impose la publication annuelle des principales statistiques relatives au contrôle des investissements étrangers par le ministre chargé de l’économie.

Une telle mesure permettra de mieux faire connaitre au public la réalité de cette mission confiée par le législateur au pouvoir exécutif.

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La commission se saisit de lamendement CS1159 de M. Guillaume Kasbarian.

M. Guillaume Kasbarian. Il s’agit ici de demander, dans un souci de transparence, des statistiques. Une certaine opacité entoure la procédure d’autorisation préalable des IEF, et aucune statistique n’est connue des Français. Voilà qui donne matière à deux interprétations complotistes. Selon l’une, nous contrôlerions trop – un obscur bureau à Bercy contrôlerait trop – les investissements étrangers en France. Selon l’autre, ils ne seraient pas assez contrôlés et, en fait de procédure de contrôle, il n’y aurait qu’une passoire laissant tout le monde investir dans tout et n’importe quoi.

La transparence offrirait un excellent remède à ce double complotisme. Lorsque vous vous êtes exprimé devant la commission d’enquête, vous aviez accepté, monsieur le ministre, de dévoiler des ordres de grandeur : nous sommes passés de vingt ou trente dossiers en 2013-2014 à une centaine de dossiers par an jusqu’à aujourd’hui. Cet amendement permet de pérenniser votre démarche, louable, de transparence, avec la publication d’un rapport annuel qui fera état des travaux menés dans le cadre la procédure prévue et montrera que l’État joue son rôle, contrôlant sans être excessivement protectionniste ni empêcher tout investissement étranger en France.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Avis favorable.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. C’est une excellente idée, et je remercie Guillaume Kasbarian de sa ténacité. Ce rapport contribuera grandement à la transparence et à la compréhension de la réalité des investissements étrangers en France.

M. Daniel Fasquelle. Tout cela est très bien, mais on autorise beaucoup. L’article 55 alourdit les sanctions, mais rien n’est dit des conditions. En réalité, de très nombreuses d’opérations sont validées sans condition, au terme d’une expertise très rapide. Il faudra en parler.

Quant aux statistiques, elles devront, quoiqu’anonymes, être suffisamment fines. On ne pourra certes pas entrer dans les détails, mais je voudrais savoir quelles opérations ont été autorisées sans conditions et quelles opérations ont été soumises à des conditions. Cela permettra d’apprécier la rigueur du contrôle mené par le ministère.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le groupe Socialistes et apparentés votera cet amendement. Nous demandons également plus de transparence dans les investissements étrangers en France. L’amendement va donc dans le bon sens, et nous y adhérons.

La commission adopte lamendement.

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Article 55 ter (nouveau)
(article 6 undecies [nouveau] de l’ordonnance  581100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires)
Délégation parlementaire à la sécurité économique

Votre commission a adopté un amendement déposé par le groupe La République en Marche, ayant reçu un avis favorable de votre rapporteure sous réserve d’un sous-amendement, et un avis de sagesse du Gouvernement.

Cet article additionnel modifie l’ordonnance de 1958 afin de créer une délégation parlementaire à la sécurité économique chargée de suivre de l’action du Gouvernement en matière de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, ainsi qu’en matière d’autorisation préalable des investissements étrangers dans une activité localisée en France. Cette délégation recevra les informations nécessaires à l’évaluation des politiques publiques menées dans ces domaines.

La volonté de créer une telle délégation émane du rapport d’enquête sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle ainsi que de l’engagement de Monsieur Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, de créer un système garantissant une meilleure information du Parlement en la matière.

L’instauration d’une délégation a pour finalité la bonne information du Parlement, afin que le législateur soit en mesure d’évaluer la mise en œuvre des politiques publiques relatives à la sécurité économique. La délégation pourra disposer de toutes les informations non nominatives propres à permettre au législateur d’exercer les missions que lui confie l’article 24 de la Constitution. Elle n’aura pas, en revanche, vocation à connaître des cas individuels ni à intervenir dans les procédures d’autorisation des investissements étrangers en France.

Le sous-amendement proposé par votre rapporteure vise à préciser que les compétences de la délégation à la sécurité économique s’exercent sous réserve des compétences de la délégation parlementaire au renseignement, et que les membres de la délégation parlementaire à la sécurité économique ne sont pas habilités à connaitre d’informations classifiées au titre de la défense nationale.

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La commission examine ensuite lamendement CS1831 de M. Adrien Taquet, qui est lobjet du sous-amendement CS2397 des rapporteurs.

M. Guillaume Kasbarian. Il s’agit de donner un plus grand poids au Parlement dans la procédure d’autorisation préalable des IEF. C’est l’une des propositions phares de la commission d’enquête dont j’étais le rapporteur. Le Parlement ne doit pas être mis devant le fait accompli, comme le disait M. Boucard ; il doit pouvoir contrôler a posteriori les opérations et le travail du ministère en matière d’investissements étrangers et, plus généralement, de sécurité économique. Je propose donc de créer une délégation parlementaire à la sécurité économique qui aurait notamment vocation à contrôler l’action du Gouvernement en matière de protection de nos intérêts économiques. Formée de quatre députés et quatre sénateurs, elle aurait un caractère transpartisan et permettrait à ses membres de s’investir pleinement dans le suivi de la question. Le format des commissions d’enquête n’est effectivement pas le plus approprié si nous voulons un contrôle continu et durable.

Mme Marie-Noëlle Battistel. J’adhère à cet amendement comme au précédent. Il faut veiller de près à la protection des entreprises stratégiques et l’intervention du Parlement avant des décisions peut-être irrémédiables est essentielle.

Peut-être cependant, l’effectif de cette délégation pourrait-il être légèrement étoffé pour que l’ensemble des groupes soit représenté.

M. Daniel Fasquelle. Le groupe Les Républicains soutiendra cet amendement. Je rappelle quel fut le travail d’Olivier Marleix et des autres membres de la commission d’enquête, dont j’étais. Je me retrouve dans cet amendement, issu de nos préconisations. Cependant, s’il s’agit seulement de faire les comptes après que les décisions auront été prises, cette délégation ne servira pas à grand-chose. Elle n’aura de sens que si le Gouvernement accepte de l’associer en amont à ses décisions. Sinon, elle ne servira qu’à laisser croire que les parlementaires auront validé des opérations qu’ils n’approuvent en fait pas forcément. Avons-nous des garanties, monsieur Kasbarian ? Et le ministre peut-il vraiment nous assurer que les parlementaires seront associés en amont ?

M. Éric Coquerel. Essayer, par cet article 55 et ces amendements, de « corriger le tir », c’est un peu mettre des rustines sur un pneu crevé. Si les entreprises considérées étaient restées publiques, nous ne serions pas en train de redouter l’arrivée d’investisseurs étrangers dans des secteurs stratégiques, qui jouent parfois un rôle dans la sécurité du pays. Nous ferions mieux de revenir, par exemple, sur la décision prise à propos de l’aéroport de Toulouse, et je ne parle pas d’autres qui pourraient être prises, notamment à propos d’ADP. Nous pourrons, certes, faire toutes les commissions d’enquête que nous souhaitons mais ces privatisations, permettant à des investisseurs de mettre leur nez privé dans des affaires qui devrait ressortir à la sphère publique, ne vont pas dans le bon sens – et je ne vise pas que les investisseurs étrangers.

Mme Laure de La Raudière. Le groupe UDI, Agir et Indépendants votera cet amendement. Je pense que c’est un bon dispositif, qui permettra au Parlement d’avoir des informations complémentaires. Peut-être ne faut-il pas un député de chaque groupe parlementaire – ce serait beaucoup – mais nous souhaitons que soit au moins précisé que l’opposition doit être représentée.

Par ailleurs, s’il n’y a pas de concertation entre le Gouvernement et le Parlement sur les décisions, quel moyen le Parlement aura-t-il donc d’exercer une pression sur le Gouvernement si les travaux de cette délégation ne sont pas publics ? Ces travaux pourront présenter un intérêt intellectuel, mais sans portée efficace.

M. Guillaume Kasbarian. Je remercie l’ensemble des groupes qui ont exprimé leur soutien à cette démarche, que ce soit en commission d’enquête ou à l’instant. Si je propose que la délégation compte huit membres, c’est parce que c’est le nombre de membres d’autres délégations parlementaires, et que cela semble bien fonctionner ; je songe notamment à la délégation parlementaire au renseignement. D’autres voulant que la délégation soit sensiblement moins nombreuse, je considère que le chiffre de huit est un bon compromis.

Par ailleurs, je tiens, ainsi que le groupe La République en Marche, à ce que les investissements étrangers demeurent libres en France. Il ne s’agit pas, pour le Parlement, de demander tous les jours l’interdiction de tel ou tel investissement étranger.

Nous instaurons un contrôle parlementaire inédit. Qu’il intervienne a posteriori évite d’entraver l’investissement. Il me semble que nous parvenons avec cette délégation au degré de contrôle approprié : s’exercerait sur l’administration une pression suffisamment forte pour qu’elle fasse son travail, sans que les investissements soient empêchés. Voyez les États-Unis, en pointe sur le sujet. En 2007, ils se sont dotés du Comité sur l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), récemment renforcé par le Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA) ; il s’agit non pas d’un contrôle en temps réel mais d’un contrôle a posteriori de l’action du Gouvernement.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Tout d’abord, je veux féliciter Guillaume Kasbarian. Il n’a rien cédé, au cours de la préparation de ce projet de loi, sur son projet de délégation.

Le sous-amendement CS2397 vise à introduire une précision. La délégation parlementaire à la sécurité économique exercerait sa mission « sous réserve des compétences de la délégation parlementaire au renseignement ». Nous avons eu de vifs échanges avec cette dernière, et il s’agit de veiller à ce que la nouvelle délégation créée n’empiète pas sur ses prérogatives. Cela permettrait éventuellement, au passage, d’augmenter le nombre des membres de la délégation parlementaire à la sécurité économique et de diffuser plus facilement ses travaux auprès du public, dans la mesure où ils ne comporteront pas d’informations classifiées.

Par ailleurs, il s’agit, cher collègue Fasquelle, d’instaurer avec Bercy une dynamique partenariale. Le renforcement du rôle de contrôle de Parlement suppose que celui-ci puisse travailler dans de bonnes conditions. Nous y veillerons en tout cas.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je rappelle simplement le principe de séparation des pouvoirs. Je ne me mêlerai donc pas de la création de la délégation parlementaire à la sécurité économique, et m’en remettrai, mesdames et messieurs les députés, à votre sagesse. C’est au Parlement de savoir s’il veut se doter de cette délégation ; l’exécutif n’a pas à prendre position.

En revanche, je préfère dire très clairement que les parlementaires ne seront pas associés en amont à la décision du Gouvernement. C’est l’exécutif qui décide et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui contrôlez.

M. Guillaume Kasbarian. Merci, madame la rapporteure, monsieur le ministre, pour les avis que vous venez d’exprimer. L’objectif n’est évidemment pas d’empiéter sur les prérogatives de l’exécutif ni de gêner son travail quotidien. Il est de contrôler a posteriori.

Par ailleurs, je trouve appropriée la suppression, par sous-amendement, de l’habilitation donnée aux membres de la délégation parlementaire à la sécurité économique à connaître d’informations classifiées. Tout d’abord, la majorité des informations économiques ne sont pas couvertes par le secret de la défense nationale. J’ai plusieurs listes de documents qui permettraient à une telle délégation de travailler sans être habilitée. Ensuite, cela peut rassurer quant au risque d’un empiétement sur les prérogatives de la délégation au renseignement et à apaiser certaines relations à l’intérieur. Enfin, la commission d’enquête a pu travailler six mois sur Alstom, Alcatel et STX. J’ai dans mon bureau tous les documents sur les sujets sensibles : le rapport du cabinet AT Kearney, celui du cabinet Roland Berger, etc. Ils ne sont pas classifiés, et il n’est nullement nécessaire d’être habilité « secret défense » pour y accéder.

M. Daniel Fasquelle. Je ne retire pas mon soutien à cet amendement, mais je veux dire mon inquiétude à la suite des propos que je viens d’entendre. Si le Parlement n’est là que pour constater les dégâts a posteriori, cela n’a aucun sens. Contrôler l’application de la loi, c’est contrôler aussi le moment de la décision. D’ailleurs, la loi encadre le pouvoir du ministre d’autoriser ou non certains investissements étrangers. Je revendique pour ma part le droit pour le Parlement de protéger certains fleurons français et d’intervenir au moment de la décision, pas seulement de constater les dégâts.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je note que Mme la rapporteure indique que son sous-amendement pourrait permettre de constituer une délégation à l’effectif plus fourni. Nous voterons donc également en faveur de ce sous-amendement.

La commission adopte le sous-amendement CS2397.

Puis elle adopte lamendement CS1831 sous-amendé.

Elle examine ensuite lamendement CS1303 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Une disposition inscrite à l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », visant à lutter contre la corruption, oblige à mettre en place un code de conduite et un dispositif d’alerte dans l’ensemble des groupes de plus de 500 salariés. Cela me semble très vertueux.

En revanche, la procédure administrative détaillée du 3° au 8° du II de ce même article 17 est une véritable usine à gaz. Les groupes industriels de plus de 500 salariés se sont souvent constitués au fur et à mesure et regroupent beaucoup d’entités indépendantes les unes par rapport aux autres, comptant chacune 70 ou 80 salariés. Ne leur imposons pas une lourdeur administrative inutile. Je propose donc que ces 3° à 8° du II de l’article 17 ne s’appliquent qu’aux entreprises de plus de 5 000 employés.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement, qui n’intervient pas au moment opportun : l’Agence française anticorruption (AFA) est trop récente et nous n’avons pas suffisamment de recul. Les obligations que vous proposez de supprimer sont celles de mettre en place une cartographie des risques, des procédures de contrôle comptables internes et externes ainsi qu’un dispositif de formation et un régime disciplinaire.

Une évaluation de la loi sera conduite, probablement dans les prochains mois. Je propose vous y soyez associée le plus possible.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis que la rapporteure. La proposition de Mme de La Raudière est très intéressante. Le texte visé n’est entré en vigueur qu’il y a à peine plus d’un an. Je propose donc que nous nous donnions un peu de temps et nous pourrons y revenir.

Mme Laure de La Raudière. Je maintiens mon amendement. Nous en avons déjà débattu dans l’hémicycle, et cette usine à gaz est vraiment une erreur. Par cet amendement, je ne propose qu’une simplification administrative, je ne propose évidemment pas de supprimer l’obligation de lutte contre la corruption.

La commission rejette lamendement.

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Article 56
(article 31 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique)
Réforme du dispositif de l’action spécifique

A.   l’État du droit

Une action spécifique est une action permettant à l’État de conserver un certain contrôle sur des entreprises en cours de privatisation ou privatisées, dans des secteurs stratégiques ou sensibles.

Ces droits préférentiels sont dérogatoires aux principes européens de libre circulation des capitaux et de liberté d’établissement, mais s’inscrivent dans le cadre des dérogations prévues par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet aux États membres le droit d’y faire exception pour certaines raisons d’intérêt national. Aussi sont-ils très précisément encadrés, aujourd’hui par l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 telle que modifiée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

L’article 31-1 de cette ordonnance, créé par la loi du 6 août 2015, dispose ainsi que, après la publication du décret autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital d’une société tel que défini à l’article 22 de l’ordonnance, l’État peut, préalablement à la réalisation de cette opération ayant pour effet de ramener la participation de l’État en dessous des deux tiers, de la moitié ou du tiers du capital de la société, demander la transformation d’une action simple en une action dite « spécifique ». Cette rédaction subordonne la création dune action spécifique au franchissement à la baisse dun seuil de détention du capital social. Ceci contraint donc la création d’une action spécifique à la détention préalable, par l’État, d’une participation substantielle au capital de l’entreprise.

Cette demande n’est possible que si la protection des intérêts essentiels du pays en matière d’ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale l’exige.

Cette action publique peut alors être assortie de lun ou de plusieurs des droits suivants :

– la soumission à un agrément préalable du ministre chargé de l’économie du franchissement d’un ou plusieurs seuils de participation au capital par un opérateur (aux termes de l’article L. 233-7 du code de commerce : « un nombre dactions représentant plus du vingtième, du dixième, des trois vingtièmes, du cinquième, du quart, des trois dixièmes, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des dix-huit vingtièmes ou des dix-neuf vingtièmes du capital ou des droits de vote »). Un seuil particulier peut être fixé pour les participations prises par des personnes étrangères ou sous contrôle étranger ;

– la nomination au conseil d’administration, au conseil de surveillance ou au sein de l’organe délibérant en tenant lieu d’un représentant de l’État sans voix délibérative ;

– le pouvoir de s’opposer aux décisions de cessions d’actifs ou de certains types d’actifs de la société ou de ses filiales, ou d’affectation de ceux-ci à titre de garantie qui seraient de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels du pays.

La jurisprudence impose que les mesures prises et la procédure de mise en place du dispositif soient non discriminatoires, justifiées par un motif propre à garantir la réalisation de l’objectif d’intérêt général poursuivi et proportionnées à ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Un décret en Conseil d’État prononce cette transformation d’une action simple en action spécifique et en précise les effets.

Une action spécifique peut également, à tout moment, être transformée en action ordinaire par décret.

Si des prises de participations sont effectuées au-delà de certains seuils, sans l’agrément préalable du ministre, les détenteurs de ces participations ne peuvent exercer les droits de vote correspondants tant qu’un agrément du ministre n’est pas intervenu. S’agissant des entreprises dont l’activité relève des intérêts de la défense nationale, ou de ceux mentionnés à l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (production ou commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre), les détenteurs de participations acquises irrégulièrement doivent céder ces titres dans un délai de trois mois à compter de la privation de leurs droits de vote. À l’expiration de ce délai, si les titres n’ont pas été cédés, le ministre chargé de l’économie doit faire procéder à la vente forcée des titres, selon des modalités prévues en Conseil d’État.

Lorsqu’une société dans laquelle a été instituée une action spécifique fait l’objet d’une scission ou d’une fusion, un décret procède à la transformation de cette action spécifique en action ordinaire et, si nécessaire, institue dans les dix jours suivants la scission ou la fusion, une nouvelle action spécifique dans la société résultant de l’opération qui exerce l’activité ou détient les actifs stratégiques.

L’État possède aujourd’hui des actions spécifiques dans quatre sociétés : chez Thalès, ENGIE, Safran et Nexter System.

B.   le dispositif proposÉ

L’article 56 modifie l’ordonnance précitée du 20 août 2004, dans un esprit de strict respect du droit européen. Il s’agit :

– d’étendre la possibilité de recourir au mécanisme de l’action spécifique hors cas de cession de capital public au secteur privé ;

– de garantir la limitation de l’utilisation de l’action spécifique à des cas strictement nécessaires et de manière strictement proportionnée au but poursuivi.

Ainsi, les alinéas 1 à 6 modifient l’alinéa 1 de l’article 31-1 de cette ordonnance pour étendre la possibilité de créer une action spécifique en dehors des cas de cessions de participation de l’État. Il s’agit de renforcer la protection des entreprises stratégiques dont lÉtat ou Bpifrance sont actionnaires minoritaires, pour peu que la protection des intérêts essentiels du pays le justifie.

En conséquence, lalinéa 3 précise que les dispositions de cet article s’appliquent aux sociétés dont lactivité est considérée comme stratégique au titre de larticle L. 151-3 du code monétaire et financier (activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ; activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives), sous réserve que lune des conditions suivantes soit respectée :

– la société figure, au 1er janvier 2018, au registre des entreprises relevant du périmètre de lagence des participations de lÉtat (telles qu’énumérées par l’annexe au décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004) (alinéa 4). Cette annexe contenait à cette date quatre-vingt-une entreprises, ce qui limite la portée de l’élargissement à une proportion raisonnable, d’autant plus que certaines d’entre elles n’ont pas d’activité dans les domaines potentiellement concernés par l’instauration d’une action spécifique ;

ses titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé et au moins 5 % de son capital est détenu par Bpifrance ou ses filiales, ou par un fonds d’investissement géré et souscrit majoritairement par elles, au 1er janvier 2018 (alinéa 5). En ce cas, lalinéa 7 précise que l’État acquière une action ordinaire avant sa transformation en action spécifique.

Le Conseil d’État estime que cette extension est compatible avec le droit de l’Union européenne, dans la mesure où les critères de décisions et les droits associés demeurent nécessaires, adéquats et proportionnés.

Lalinéa 6 rappelle les critères et modalités de création dune action spécifique, sans modification par rapport au droit actuel : si la protection des intérêts essentiels du pays en matière d’ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale exige qu’une action ordinaire soit transformée en action spécifique, un décret en Conseil d’État prononce cette transformation et en précise les effets. L’État devra donc, systématiquement, démontrer que l’instauration d’une action spécifique est nécessaire à la protection des actifs stratégiques mais également qu’elle est le meilleur moyen d’atteindre l’objectif stratégique.

Lalinéa 8 indique que ces dispositions s’appliquent, pour les sociétés remplissant les critères mais n’ayant pas leur siège social en France, à leurs filiales ayant leur siège social en France, après que l’État a acquis une de leurs actions. Il s’agit ici de combler un vide juridique dans le droit actuel.

Les alinéas 10 à 13 renforcent le droit dopposition associé à laction spécifique pour l’étendre au pouvoir de s’opposer à toute modification des conditions d’exploitation des actifs, ou à tout changement de leur destination, ce que ne prévoit pas le droit actuel. Ainsi, celle-ci conférera désormais à l’État le pouvoir de s’opposer aux décisions susceptibles de porter atteinte aux intérêts essentiels du pays, ayant pour effet de :

– céder, apporter ou transmettre des actifs ou types d’actifs de la société ou de ses filiales ;

– modifier les conditions d’exploitation des actifs ou types d’actifs ou d’en changer la destination ;

– affecter ces actifs ou types d’actifs à des titres de sûreté ou de garantie.

Un quatrième droit – après le droit de nomination, le droit de soumission à un agrément préalable et le droit d’opposition – est inséré par lalinéa 15 : l’action spécifique introduit un devoir de communication au ministre des informations nécessaires à lexercice des autres droits, notamment celles relatives à l’intégrité, à la pérennité et au maintien, sur le territoire national des actifs ou types d’actifs concernés. Cette liste n’est pas limitative.

Lalinéa 16 supprime la disposition du droit en vigueur selon laquelle une action spécifique produit ses effets de plein droit et peut être, à tout moment, transformée en action ordinaire par décret.

Lalinéa 18 impose à l’État d’apprécier, au moins tous les cinq ans, si le maintien dune action spécifique et les droits qui lui sont attachés sont nécessaires, adéquats et proportionnés à l’objectif de protection des intérêts essentiels du pays. Lalinéa 19 le complète en précisant que cette appréciation peut donner lieu à la modification des droits attachés à l’action spécifique, par décret en Conseil d’État, qui peut également transformer cette action spécifique en action ordinaire. Il s’agit, notamment, de garantir la compatibilité du dispositif avec le principe européen de libre circulation des capitaux en limitant au strict nécessaire son utilisation. Il s’agit également de pallier l’absence actuelle de dispositifs précisant les modalités de mise à jour des actions spécifiques et l’incertitude juridique qui existe autour de leur révision.

Lalinéa 20 précise les dispositions actuellement applicables en cas de fusion ou de scission dentreprise, pour les étendre aux cas où l’entreprise dans laquelle l’État détient une action spécifique cède tout ou partie des actifs concernés par l’action spécifique : en ces cas, une action spécifique peut être instituée dans toute société qui, à l’issue de l’opération, détient les actifs ou exerce l’activité au titre desquels la protection a été instaurée, quand bien même cette société ne relèverait pas du périmètre de l’APE ou ne serait pas détenue à plus de 5 % par Bpifrance ou l’une de ses filiales.

C.   la position de la commission spÉciale

Votre commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteure, un amendement à l’article 56 ayant reçu l’avis favorable du Gouvernement. Cet amendement prévoit une information de la société avant transformation d’une action ordinaire en action spécifique, modification des droits attachés à une action spécifique ou rétablissement d’une action spécifique à la suite d’une fusion ou d’une scission d’entreprise occasionnant une transmission des actifs stratégiques concernés.

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La commission se saisit de lamendement CS2392 de la rapporteure.

Mme Marie Lebec, rapporteure. L’article 56 vise à faire évoluer légèrement le dispositif de l’action spécifique pour que le Gouvernement puisse y recourir un peu plus facilement – l’action spécifique permet à l’État d’exercer un veto sur une décision de l’entreprise. Nous proposons une information de la société avant transformation d’une action ordinaire en action spécifique. L’idée est d’associer autant que possible ses instances dirigeantes à la protection de leurs actifs stratégiques.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Par souci de bonne coordination avec les entreprises concernées, nous proposons qu’elles soient averties que l’État prend une action spécifique dans leur capital.

La commission adopte lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS413 et CS414 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Ces deux amendements ont pour objet de poser la question des pouvoirs du Parlement en matière de transformation d’une action ordinaire en une action spécifique. L’article 34 de la Constitution dispose, me semble-t-il, que la loi fixe les règles concernant les nationalisations d’entreprise et les transferts de propriété du secteur public au secteur privé. Le Conseil constitutionnel ne s’est, à ma connaissance, pas prononcé sur la question de savoir si le pouvoir de transformer une action simple en action spécifique n’était pas de la compétence du Parlement.

Je propose donc que le Gouvernement saisisse le Parlement lorsque, transformant une action ordinaire en action spécifique, il se dote de pouvoirs spéciaux attentatoires au droit de propriété. En cas d’avis défavorable, il devrait, pour respecter les droits du Parlement, retransformer l’action spécifique en action ordinaire. En somme, ces amendements visent à inciter à réfléchir à la question.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Il y va de la séparation des pouvoirs. La transformation d’une action ordinaire en une action spécifique est une prérogative de l’exécutif. Le Parlement peut être informé de son exercice, mais il ne peut interférer dans son exercice.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Même avis pour les mêmes raisons.

M. Charles de Courson. Vos réponses sont un peu rapides. L’action spécifique n’a jamais été l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais il s’agit quand même d’une atteinte portée par le pouvoir réglementaire au droit de propriété sans que le Parlement en ait décidé. Dire qu’il s’agit là d’une prérogative gouvernementale, c’est un peu rapide. C’est comme si vous me disiez que vendre suffisamment d’actions pour que la part de l’État au capital d’une entreprise passe sous le seuil au-dessous duquel celle-ci n’est plus publique n’est qu’une prérogative de l’exécutif. Non ! C’est le Parlement qui autorise le Gouvernement à privatiser ou à nationaliser une entreprise. Nous venons d’ailleurs d’avoir de longues discussions à propos de telles décisions.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je serai très sincère : je veux bien passer tout le temps nécessaire sur les sujets qui le méritent, mais je propose qu’on ne perde pas de temps sur des sujets accessoires. Il n’y a aucune expropriation dans la transformation d’une action ordinaire en une action spécifique : l’action est achetée sur le marché ou de gré à gré, les entreprises concernées, qui se comptent sur les doigts d’une main sont averties – comme elles souhaitent l’être – et le Conseil d’État n’y voit pas d’objection. Le seul objet de l’action spécifique, dont les sociétés sont demandeuses, est de les protéger.

M. Charles de Courson. Peut-être les sociétés sont-elles demanderesses, mais, aujourd’hui, le Gouvernement peut l’imposer. Et je vous rappelle que la détention d’une action spécifique permet de bloquer toute une série de décisions du conseil d’administration. Je vise non pas l’achat d’une action mais sa transformation en action spécifique. Qu’il en soit au moins rendu compte et que cela soit soumis au Parlement. À ma connaissance, en l’état, il n’y a aucune jurisprudence, mais n’oubliez pas la possibilité d’une question prioritaire de constitutionnalité.

La commission rejette lamendement CS413.

Lamendement CS414 est retiré.

Lamendement CS1097 de M. Jean-Marc Zulesi est retiré.

La commission adopte larticle 56 modifié.

Après l’article 56

La commission examine lamendement CS751 de M. Didier Baichère.

M. Didier Baichère. Cet amendement d’appel vise à instituer un médiateur des entreprises de défense, ou, plus simplement, de renforcer les équipes du médiateur des entreprises. Avec la loi de programmation militaire (LPM) et le plan « Action PME », le ministère des armées encourage les PME à innover et à investir les marchés de la défense à l’international. Il importe que nous soyons au rendez-vous de l’accompagnement des PME de ce secteur spécifique. Or la médiation a montré son efficacité.

Mme Marie Lebec, rapporteure. Je vous invite plutôt au retrait de cet amendement, cher collègue. Il existe déjà un médiateur des entreprises, qui traite des entreprises de défense. Par ailleurs, la création d’un médiateur des entreprises ne relève pas de la loi.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Je vous invite moi aussi au retrait de cet amendement, d’autant que M. Pierre Pelouzet, médiateur des relations inter-entreprises, remplit très bien ses fonctions.

Lamendement est retiré.


([1]) La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.

([2])Articles 16, 20-IV, 22, 42, 51-IV, 63, 64, 65, 66-IV, 67 et 69 du présent projet de loi.

([3])Après ajout par amendements du Gouvernement des articles 69 bis, 71 bis et 71 ter.

([4])  Commission spéciale, compte rendu n° 7 du juillet 2018.

([5]) Art. R. 123-1 et suivants du code de commerce.

([6]) Par exemple, www.lautoentrepreneur.fr, www.cfenet.cci.fr , www.infogreffe.fr.

([7]) Les microentreprises ont l’obligation d’accomplir leurs démarches de création en ligne depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

([8]) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

([9]) Décret n° 73-314 du 14 mars 1973 portant création d’un système national d’identification et d’un répertoire des entreprises et de leurs établissements.

([10])www.pple.fr

([11]) Art. 59 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat

([12]) Art. 2 de la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982 précitée.

([13]) Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques Attali, 2008.

([14])  Selon l’étude d’impact, le relèvement du seuil de déclenchement du taux normal de contribution au FNAL  de vingt à cinquante salariés correspondrait à une perte de recettes de 190 millions d’euros environ pour les finances publiques en année pleine.

([15]) Décret n° 2014-1571 du 22 décembre 2014.

([16]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([17]) Décret n° 2015-516 du 7 mai 2015 relatif aux périodes de soldes.

([18]) Concertation sur les soldes, dirigée par William Koeberlé, octobre 2017.

([19]) Art. L. 822-1 et suivants du code de commerce.

([20]) La certification légale des comptes des petites entreprises françaises, mars 2018, p. 5.

([21]) SCA : société en commandite par actions

([22]) SNC : société en nom collectif.

([23]) SCS : société en commandite simple

([24]) Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.  

([25]) Grand Est, Nouvelle Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France et Occitanie.

([26]) Article 26 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.  

([27])  Chambres de commerce et d’industrie : les enjeux d’une réforme, rapport d’information n° 1189 par Mmes Stella Dupont et Valérie Oppelt, présenté le 24 juillet 2018, p. 67.

([28]) Cf. compte rendu n° 7 du juillet 2018.

([29]) Cf. commentaire de l’article 13.

([30])  Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([31]) Article L. 622-17 du code de commerce.

([32]) Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 en vigueur le 1er juillet 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.

([33]) Ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté et ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.

([34]) Présidé par M. Michel Grimaldi, le groupe de travail était composé de MM. Laurent Aynès, Pierre Crocq, Philippe Dupichot, Charles Gijsbers, Maxime Julienne, Philippe Simler, Hervé Synvet et Philippe Théry.

([35]) http://henricapitant.org/storage/app/media/pdfs/travaux/avant-projet-de-reforme-du-droit-des-suretes.pdf

([36]) Six à douze mois, cf. commentaire de l’article 15.

([37]) Respectivement aux articles L. 622-15, L. 631-14 et L. 641-12 du code de commerce.

([38]) La réversion entraîne généralement une forte réduction du montant de la rente, proportionnelle à l’espérance de vie du bénéficiaire de la réversion.

([39]) À l’article R. 3334-1-2 du code du travail. Le PERP dispose d’un régime de « gestion financière », prévu aux articles D. 144-26 et A. 144-4 du code des assurances.

([40]) Le forfait social et les abondements de l’employeur aux plans d’épargne salariale de leurs employés sont présentés ci-après à propos de l’article 57 du projet de loi.

([41]) Filiale à 100 % de la société hollandaise Nyse Euronext International BS, elle‑même contrôlée majoritairement par la société américaine NYSE Euronext Inc., Paris Euronext est donc une filiale locale d’une multinationale qui est le premier gestionnaire de marchés financiers au monde.

([42]) Dalloz, « Admission sur Euronext Paris et radiation », Frank Martin Laprade.

([43]) Respectivement directives 2004/39/CE et 2014/65/UE.

([44]) Droit financier, Thierry Bonneau, Pauline Pailler, Anne‑Claire Rouaud, Adrien Tehrani, Régis Vabres.

([45]) Article 6903 et P. 1.3.1, Règles de négociation Euronext.

([46]) Articles L. 424‑4 et L. 425‑7 du code monétaire et financier.

([47]) Article 6301 et P 1.1.2, Règles de marché d’Euronext.

([48]) L’AMF dispose d’un pouvoir réglementaire. À chaque modification, le règlement général est soumis à consultation publique avant d’être adopté par le Collège de l’institution puis présenté au ministre de l’Économie qui l’homologue par un arrêté publié au Journal officiel.

([49]) Droit financier, Thierry Bonneau, Pauline Pailler, Anne-Claire Rouaud, Adrien Tehrani et Régis Vabres.

([50]) Article L. 451‑1‑2 du code monétaire et financier et 221‑1 et suivants du RG AMF.

([51]) Les Échos, 26 juillet 2018.

([52]) Article 212-1 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers.

([53]) Article 212-26 du RG AMF.

([54]) Article L. 621-8-1 du code monétaire et financier, articles 213-1 et 213-2 du RG AMF.

([55]) Article 212‑27 du RG AMF.

([56]) Article 212‑8.

([57]) Article 212‑14.

([58]) Article 212‑12.

([59]) Article D. 411‑2 du code monétaire et financier.

([60]) Article L. 621‑9 du code monétaire et financier.

([61]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Libérer le potentiel du financement participatif dans lUnion européenne » /* COM/2014/0172 final */.

([62]) https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/initiatives/ares-2017-5288649_en .

([63])  http://financeparticipative.org/un-cadre-europeen-pour-le-crowdfunding/ .

([64]) Lexique financier des Échos.

([65]) Un modèle est disponible sur le site de l’AMF.

([66]) Compte rendu du Sénat, 36e séance (7 juin 1989) de la seconde session ordinaire 1988-1989.

([67]) Article 231‑21 RG AMF.

([68]) « Offres publiques : OPA, OPE, OPR », Dalloz, Dominique Carreau.

([69]) Dominique Carreau, ibid.

([70]) Articles 236‑1 et 236‑3 du RG AMF.

([71]) Les Échos, lexique financier.

([72]) Droit des sociétés, Maurice Cozian, Alain Viandier et Florence Deboissy.

([73]) Article 237‑2 du RG AMF.

([74]) Audition par votre rapporteur de Mme Colette Neuville, présidente de l’association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM).

([75]) « Admission sur Euronext Paris et radiation », Dalloz, Frank Martin Laprade.

([76]) 1re chambre, 3 juillet 1998.

([77]) Chambre commerciale, 29 avril 1997.

([78]) Dominique Carreau, ibid.

([79]) Article 15‑4 de la directive.

([80]) Article 237‑14 RG AMF.

([81]) Article 15-2 de la directive.

([82]) Article 237-16 RG AMF.

([83]) Dominique Carreau, ibid.

([84]) Article 261-1 RG AMF.

([85]) Article 261-5, RG AMF.

([86]) Article 152 de la directive.

([87]) Rapport n° 20 (2005-2006) de M. Philippe MARINI, fait au nom de la commission des finances du Sénat.

([88]) Articles p. 1.4.2 à p. 1.4.6.

([89]) Le montant total négocié sur les titres de capital de l’émetteur doit représenter moins de 0,5 % de sa capitalisation boursière sur les 12 derniers mois précédant sa demande de radiation.

([90]) Voir par exemple Les Échos Investir, 2 mai 2018.

([91]) Ce sont des titres financiers « hybrides », entre les titres de capital et les titres de créance.

([92]) Prévus à l’article L. 618‑8‑1 du code monétaire et financier.

([93]) Ils sont mentionnés au II de l’article L. 621‑14 du code monétaire et financier : délit d’initié par exemple.

([94]) Il s’agit notamment des règles relatives à la gouvernance, au contrôle, aux assemblées générales, aux titres financiers, à la dissolution, au capital, aux bénéfices, aux filiales, aux aménagements statutaires ou encore aux participations des sociétés cotées.

([95]) Décision du Conseil constitutionnel du 16 déc. 1999, n° 99-421 DC, considérant 13.

([96]) Article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

([97]) Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers.

([98]) Règlement (UE) n° 600/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers.

([99]) Selon la définition du doyen Gérard Cornu.

([100]) Cass. Civ. 21 juin 1920, DP 1921. 1. 102. – Civ. 1re, 1er juin 1960, Bull. civ. I, no 305. – Soc. 29 juin 1995, no 92-22.025, Bull. civ. V, no 228. – Civ. 2e, 22 mai 2014, no 13-14.698, Bull. civ. II, no 115).

([101]) Article L. 2148-8 du code monétaire et financier.

([102]) Article L. 214-7 du code monétaire et financier.

([103]) Articles L. 214 7-4 du code monétaire et financier (pour les OPCVM SICAV), L. 214‑24‑33 (pour les FIA SICAV), L. 214-8-7 (pour les OPCVM FCP) et L. 214-24-41 pour les FIA FCP).

([104]) Articles D. 214-5, D. 214-8, D. 214-32 et D. 214-32-15 du même code.

([105]) Communiqué de presse du 4 mars 2014.

([106]) Article L. 511-71 du code monétaire et financier.

([107]) Se reporter au commentaire de l’article 22 sur ces notions.

([108]) Directive 2014/65 UE du 15 mai 2014.

([109]) Directive 2009/65/CE du 13 juillet 2009.

([110]) On se reportera au commentaire de l’article 22 pour une présentation de l’entreprise de marché.

([111]) Règlement n° 600/2014.

([112]) Convention entre l’Autorité des marchés financiers et FranceAgriMer, l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer.

([113]) Site internet de l’AMF.

([114]) Terre-net, « Un accord entre FranceAgriMer et l’AMF pour mieux surveiller le marché à terme ».

([115]) Directive 2013/36/UE « CRD IV) pour les banques de financement et d’investissement, et directives 2009/65/CE « OPCVM » et 2011/61/UE « AIFM » pour les gestionnaires d’actifs.

([116]) Article L. 532-47 du code monétaire et financier.

([117]) On se reportera au commentaire de l’article 25 pour des développements sur les infrastructures post‑marché et notamment les chambres de compensation.

([118]) Détaillé à l’article L. 612-1 du code monétaire et financier.

([119]) Directive 2014/59/UE.

([120]) Ainsi, l’étude d’impact précise qu’un salarié maintenu à une législation de sécurité sociale étrangère coordonnée dans le cadre des règlements européens ou d’un accord international (détachement) ne pourra pas bénéficier de cette dispense.

([121]) Dans sa rédaction qui résulte de la loi n° 2013‑672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

([122]) Décision QPC n° 2017‑646/647 du 21 juillet 2017.

([123])Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([124]) Les Échos, 25 mars 2008, « Les secrets des chambres de compensation ».

([125]) Droit financier, Thierry Bonneau, Pauline Pailler, Anne‑Claire Rouaud, Adrien Tehrani, Régis Vabres.

([126]) Règlement UE n° 648/2012.

([127]) Directive 98/26 du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres.

([128]) Par analogie aux Initial Public Offerings (IPO), introductions en bourse.

([129]) Pour une présentation détaillée des enjeux de la technologie des blockchains, voir le rapport n° 1092 de Mme Valéria Faure-Muntian, députée, M. Claude de Ganay, député, et M. Ronan Le Gleut, sénateur, déposé le 20 juin 2018 au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-off/i1092.asp. Sur les enjeux des ICO, voir pages 78 à 80.

([130]) Les Échos, comprendre la blockchain en cinq points, 14 janvier 2016.

([131]) ESMA (European Securities and Markets Authority), the distributed ledger technology applied to securities markets, Discussion paper, 2 June 2016/ESMA/2016/773.

([132]) Ordonnances dont l’article 71 du présent projet de loi propose la ratification, respectivement en ses paragraphes IV et XXI.

([133]) Titres de dette servant de support à un financement participatif, créé par la loi « Macron » du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. On pourra se reporter au commentaire de l’article 27 pour une définition plus approfondie.

([134]) Tables rondes de la Commission des finances du Sénat du 7 février 2018.

([135]) Patrick Artus, « Bitcoin : le remède est pire que le mal », 19 décembre 2017.

([136]) Les Échos, Comment le marché des ICO a pris son essor, 5 octobre 2017.

([137]) On pourra se reporter au commentaire de l’article 22 en ce qui concerne les documents d’information exigibles dans le cadre des opérations boursières (notamment le prospectus).

([138]) Les Échos, 11 juillet 2018.

([139]) Les Échos, « Les vrais chiffres des ICO made in France », 12 juillet 2017. Étude de la banque d’investissement Avolta Partners.

([140]) Article 34 de la Constitution.

([141]) L’AMF dispose d’un pouvoir réglementaire. À chaque modification, le règlement général est soumis à consultation publique avant d’être adopté par le collège de l’institution puis présenté au ministre de l’économie qui l’homologue par un arrêté publié au Journal officiel.

([142]) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

([143]) Loi n° 92‑666 du 16 juillet 1992 relative au plan d’épargne en actions.

([144]) Rapport n° 1428 de M. Christian Eckert, rapporteur général, au nom de la Commission des finances, tome III.

([145]) Article R. 221‑111 du code monétaire et financier.

([146]) 2 du II de l’article 150‑0 A du code général des impôts.

([147]) 5 de l’article 200 A du code général des impôts.

([148]) Rapport n° 3282 de Mme Valérie Rabault, rapporteure générale, au nom de la commission des finances, tome 1.

([149]) Pour une présentation des marchés réglementés et organisés, on se reportera au commentaire de l’article 22.

([150]) Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015.

([151]) Une entreprise « liée » détient la majorité des droits de vote, a un droit de nomination ou de révocation d’un organe d’administration, de direction ou de surveillance ou exerce une influence dominante sur une autre entreprise en vertu d’un contrat. Une entreprise « partenaire » détient, seule ou conjointement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote d’une autre entreprise.

([152]) 6 de l’article 2 du règlement : exclut notamment l’immobilier résidentiel et commercial, sauf accessoire à un autre « actif physique ».

([153]) On se reportera à l’encadré relatif au financement participatif dans le commentaire de l’article 22 pour une présentation plus complète du financement participatif et du statut des plateformes.

([154]) Article L. 547‑9 du code monétaire et financier.

([155]) Article L. 533‑22‑3.

([156]) Article L. 547‑1.

([157]) Lexique financier Les Échos.

([158]) Articles L. 228‑36 et L. 228‑37 du code monétaire et financier.

([159]) Lexis Nexis, Fascicule « Titres participatifs ».

([160]) Loi « Delors » n° 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l’épargne.

([161]) Article L. 223‑1 du code monétaire et financier.

([162]) Articles L. 223‑6 à L. 223‑13 du code monétaire et financier.

([163]) Article 4 du décret n° 2016-1453 du 28 octobre 2016.

([164]) On se reportera au commentaire de l’article 26 ci-avant pour une présentation de cette technologie, dite aussi blockchain.

[165] Droit des sociétés, Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy

[166] On se reportera au commentaire de l’article 61 pour des développements sur la notion de raison d’être d’une société

([167]) On peut notamment citer, dans le cas des sociétés cotées, l’obligation d’établir un prospectus : se reporter au commentaire de l’article 22 sur ce point.

([168]) Droits des sociétés, Maurice Cozian, Alain Viandier et Florence Deboissy.

([169]) Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle.

([170]) Droit des sociétés, Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy.

([171]) Par exemple : Cordonnier, « L'égalité entre actionnaires » : thèse Paris, 1924.

([172]) Articles L. 225-204 et L. 242‑23 du code monétaire et financier.

([173]) Fascicule « Actions de préférence », Jurisclasseur Lexis Nexis, Bastien Brignon et Thierry Granier.

([174]) Droit des sociétés, Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy.

([175]) Ibid.

([176]) Rapport de la chambre de commerce Paris Île‑de‑France, présenté par M. Laurent Pfeiffer « Optimiser les actions de préférence : un enjeu pour la croissance des entreprises ».

([177]) Décret n° 2016-1453 du 28 octobre 2016.

([178]) Article L. 226 1 du code de commerce.

([179]) Article L. 227-1.

([180]) Certains auteurs ont en outre pu considérer que de telles actions sont des actions privilégiées sur le seul fondement de la force obligatoire du statut de la SAS, sans s’inscrire dans le régime des actions de préférence. Cela poserait ainsi la question de l’obligation d’appliquer la procédure des avantages particuliers.

([181]) Synthèse « Actions », Lexis Nexis, Thierry Granier.

([182]) Dalloz, « Capital social », Arnaud Lecourt. L’étude d’impact (page 357) précise en outre que le droit préférentiel de souscription est imposé en droit interne par la directive européenne 77/91/CEE du 13 décembre 1976.

([183]) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

([184]) Ordonnance n° 2008-1145 du 6 novembre 2008 relative aux actions de préférence.

([185]) Fascicule « Actions de préférence », Jurisclasseur Lexis Nexis, Bastien Brignon et Thierry Granier.

([186]) Article L. 228-15 du code de commerce.

([187]) Il doit cependant être prêté une particulière attention aux cas où le privilège est accordé à toutes les actions d’une catégorie possédée par un seul actionnaire. Si c’est bien sa personne qui est visée, le privilège constitue un avantage particulier.

([188]) 4° du III de l’article L. 228‑12 du code de commerce.

([189]) Depuis l’ordonnance n° 2004-6004 du 24 juin 2004.

([190]) Fascicule « Sociétés anonyme. – Valeurs mobilières donnant accès au capital ou droit à l'attribution de titres de créance », Jurisclasseur Lexis Nexis, Marie‑Christine Glotin.

([191]) Se reporter au commentaire de l’article 22 sur ces notions.

([192]) Rapport n° 1891 fait par M. Yves Blein au nom de la commission des affaires économiques.

([193]) Article L. 3332-17 du code du travail.

([194]) Article L. 3334-13 du même code.

([195]) Article L. 214‑164 du code monétaire et financier.

([196]) Cette condition a été détaillée par le décret n° 2015-719 du 23 juin 2015 à l’article R. 3332-21-1 du code du travail.

([197]) Article R. 3332-21-3 du code du travail.

([198]) Cette formule est aujourd’hui codifiée au quatrième alinéa de l’article L. 518‑2 du code monétaire et financier.

([199]) Arrêt Bergerat du 4 janvier 1865.

([200]) Décision n° 83-167 DC du 19 janvier 1984.

([201]) Frédéric Thiveaud, « La Caisse des dépôts ».

([202]) Le règlement européen 575/2013 « Capital Requirements Regulation » et la directive 2013/36/UE « Capital Requirements Directive », qui transposent dans le droit de l’Union européenne les règles prudentielles issues des accords de « Bâle III » et sont applicables depuis le 1er janvier 2014.

([203]) Les Échos, Les soutiers de la Caisse des Dépôts, 13 janvier 2016.

([204]) Référé S 2016-4091 du 23 décembre 2016.

([205]) Encyclopédia Universalis, « Banque – supervision prudentielle », Jézabel Couppey.

([206]) Décret n° 2016-1983 du 30 décembre 2016 relatif au contrôle externe de la Caisse des dépôts et consignations.

([207]) Rapport au Parlement 2016 du groupe Caisse des Dépôts.

([208]) La Caisse des dépôts, Frédéric Thiveaud.

([209]) Communiqué de presse du groupe Caisse des Dépôts du 12 avril 2018.

([210]) 72 États en sont signataires – et en transcrivent les obligations dans leurs codes de la route nationaux – mais n’en font partie ni les États-Unis, ni le Japon, ni la Chine. Ces conventions sont placées sous l’égide de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU), mise en place en 1947 par le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), à qui il revient d’en surveiller l’application et d’en proposer des modifications liées aux évolutions techniques, juridiques ou sociétales.

([211])  « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

([212]) Article 441-6 du code pénal : deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.