N° 1597
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi, adoptée par le Sénat, portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques,
Par M. Dominique POTIER,
Député.
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Voir les numéros :
Sénat : 792 (2015-2016), 236, 237 et T.A. 55 (2017-2018).
Assemblée nationale : 630.
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SOMMAIRE
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Pages
Article 1er Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation
Article 3 Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice indemnisable par le fonds
Article 4 Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds
Article 5 Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds
Article 6 Recours du fonds contre des tiers (actions subrogatoires)
Article 7 Modalités de financement du fonds
Article 8 Régime de prescription
Article 9 Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur
Article 1er Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation
Article 3 Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice indemnisable par le fonds
Article 4 Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds
Article 5 Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds
Article 6 Recours des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation
Article 7 Modalités de financement du fonds
Article 8 Régime de prescription
Article 9 Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires
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Dans le contexte du modèle agricole conçu dans l’après-seconde guerre mondiale pour parvenir à l’autosuffisance en privilégiant des techniques intensives permettant une élévation des rendements, la consommation de pesticides aurait globalement doublé tous les dix ans entre 1945 et 1985. Aujourd’hui, malgré les mesures mises en place dans la période récente, notamment les plans « Ecophyto I » et « Ecophyto II », dont l’un des objectifs est de diviser par deux l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, cette dépendance demeure très forte.
Pendant longtemps, cette dépendance s’est accompagnée d’une sous-évaluation des risques liés à l’usage de ces produits et la conscience des réels dangers qu’ils occasionnent sur l’environnement et la santé humaine est demeurée insuffisante. Dès les années 1970 cependant, des interrogations ont émergé sur l’impact des pesticides sur l’environnement. Au début des années 1980, leur utilisation a progressivement fait l’objet d’une réglementation plus contraignante à l’échelle de l’Union européenne.
Si les résultats quantitatifs de ces plans « Ecophyto I » et « Ecophyto II » ne sont pas encore à la hauteur, les efforts qualitatifs déployés par les agriculteurs et leurs organismes représentatifs sont d’ores et déjà un point positif. Grâce à la généralisation des certificats individuels d’aptitude (Certiphyto) que tout utilisateur professionnel ou distributeur de produits phytopharmaceutiques doit acquérir sur titre ou par formation, la connaissance des risques lors de l’utilisation de ces produits et la maitrise des mesures de protection à mettre en œuvre ont déjà permis de limiter les expositions subies. Le plan « Écophyto II+ », qui vient renforcer cette démarche en intégrant les actions prévues par le plan d’action du 25 avril 2018 sur les produits phytopharmaceutiques et le plan de sortie du glyphosate du 22 juin 2018 a été mis en consultation du 20 novembre au 10 décembre 2018 ([1]) ; il va permettre d’accélérer le mouvement engagé et d’accompagner les agriculteurs dans la transition.
Cependant, les interrogations sur l’impact sanitaire de ses produits se sont depuis additionnées aux inquiétudes environnementales. Ce combat n’aurait pas pu être mené sans l’apport des lanceurs d’alerte que sont les victimes des pesticides, et en particulier les membres de l’association Phyto-Victimes créée en 2011 par des professionnels du monde agricole. Ces professionnels ont été brutalement confrontés à deux constats : les pesticides employés dans le cadre de leurs métiers avaient causés des dégâts importants et irréversibles sur leur santé, et la reconnaissance en tant que victimes des pesticides ne pouvait s’obtenir sans une vraie bataille judiciaire.
Depuis lors, de nombreux rapports ont permis une prise de conscience progressive par les pouvoirs publics et nos concitoyens de la gravité et de l’ampleur des risques liés à ces produits pour la santé humaine.
Ainsi en 2012, le rapport présenté par Mme Nicole Bonnefoy au nom de la mission commune d’information du Sénat présidée par Mme Sophie Primas ([2]) avait fait état d’une « urgence sanitaire » encore insuffisamment prise en compte. Au regard notamment des données collectées par les épidémiologistes dans le secteur agricole, le rapport de nos collègues sénateurs dressait le constat d’un système conduisant à une sous-déclaration et à une sous-reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques.
Le rapporteur avait lui-même d’ores et déjà pu écrire en décembre 2014, dans un rapport au Gouvernement sur l’évaluation et la révision du plan Ecophyto I, que « l’incurie dans la prise en compte des dangers de l’amiante est dans tous les esprits et personne n’est prêt à perdre vingt ans pour constater les dégâts des pesticides sur la santé humaine. Sans céder aux peurs inutiles, il convient de prévenir le risque dès aujourd’hui. Des progrès incontestables ont déjà été réalisés au cours des dernières années avec le retrait des molécules les plus dangereuses mais on n’est pas encore au terme de l’effort » ([3]).
Plus récemment, le rapport de la mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, présenté par nos collègues MM. Didier Martin et Gérard Menuel le 4 avril 2018 ([4]), a constaté l’existence de liens entre l’exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies et a recommandé de « créer un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytopharmaceutiques ».
À l’issue de la concertation menée dans le cadre des travaux la mission d’information sénatoriale et dans le prolongement de son rapport de 2012, la sénatrice Mme Nicole Bonnefoy a déposé la présente proposition de loi, cosignée par les membres du groupe socialiste et républicain du Sénat.
La proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat le 1er février 2018 et soumise à notre Assemblée a pour objet d’améliorer la prise en compte par notre législation des dommages occasionnés par l’exposition aux pesticides. Elle propose de compléter le dispositif de réparation en permettant la prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, que ces maladies soient ou non d’origine professionnelle, par la création d’un fonds d’indemnisation abondé par les fabricants de ces produits, sur le modèle du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.
À la suite de l’adoption de ce texte, le gouvernement a confié au conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l’inspection générale des finances (IGF), une mission relative à la préfiguration d’un dispositif d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, dont le rapport approuve le principe de cette création et fixe des pistes pour en déterminer le champ d’application ([5]).
Dans le cadre du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, des députés et des sénateurs ont proposé de mettre ces conclusions en pratique et de créer un tel fonds. Les auteurs de ce dernier amendement, adopté à l’unanimité par le Sénat, ont proposé un fonds chargé d’indemniser les seuls préjudices des victimes d’une exposition professionnelle avérée, quitte à reporter à un second temps la prise des victimes d’expositions environnementales ([6]) . À chaque fois ([7]), le Gouvernement et sa majorité ont fait valoir qu’il convenait d’attendre la parution de deux rapports :
– un rapport sur le financement et les modalités de création d’un fonds d’indemnisation, dont la remise au Parlement au plus tard en avril prochain est prévue par l’article 81 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible (Egalim) ;
– un rapport demandé en avril 2018 par le Gouvernement à l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et à l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), actualisant un bilan de la littérature scientifique sur les liens entre expositions et pathologies rendu en 2013 ([8]).
Cependant, la remise de ces rapports ne conditionne pas l’adoption du présent texte : la liste des pathologies pouvant ouvrir droit à une indemnisation est renvoyée par l’article premier de la présente proposition de loi à un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, des outre-mer et de l’agriculture ; les modalités d’organisation du fonds sont renvoyées à un décret devant être pris après la promulgation du présent texte.
Dans le cadre de la loi Egalim, l’Assemblée nationale a donc adopté le principe de la création avant le 1er janvier 2020 d’un fonds d’indemnisation des victimes de maladies liées aux produits phytopharmaceutiques.
Il est donc temps que le législateur honore juridiquement les promesses politique faites aux victimes, et se saisisse de ce texte pour apporter une solution concrète.
Les auditions menées par le rapporteur ont montré un relatif consensus des parties concernées, et notamment des organisations syndicales de travailleurs et d’exploitants agricoles et des associations de victimes, sur la nécessité de mettre en œuvre d’un fonds d’indemnisation des victimes d’exposition professionnelle, sur le modèle décrit par le rapport de la mission de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux rendu en janvier 2018 ([9]). Cependant, il a été soulevé les incertitudes existantes sur le nombre de personnes susceptibles d’être indemnisées du fait d’une exposition environnementale aux produits phytopharmaceutiques. En outre, les sources de financement envisagées dans la proposition de loi transmise par le Sénat devraient être diversifiées, pour que la charge financière ne se retrouve pas in fine supportée exclusivement par le monde agricole.
En effet, le risque phytopharmaceutique pour la santé humaine est réel mais sa prise en compte effective est relativement récente et son indemnisation limitée au titre des seules maladies professionnelles. Aussi la création d’un fonds d’indemnisation apparaît comme la solution pour prendre en charge les victimes d’un recours généralisé aux produits phytopharmaceutiques. Cependant, les modifications apportées par la commission des affaires sociales ont fortement limité l’ambition du fonds tel que proposé par le Sénat.
I. le risque phytopharmaceutique pour la santé humaine est réel mais sa prise en compte effective est relativement récente et son indemnisation limitée au titre des seules maladies professionnelles
Les produits phytopharmaceutiques sont un ensemble de substances utilisées par l’agriculture pour soigner ou prévenir les maladies des organismes végétaux. Par extension, on utilise ce mot pour désigner des produits utilisés pour contrôler des plantes, insectes et champignons.
Les substances qui contrôlent, détruisent ou préviennent les organismes considérés nuisibles sont regroupées sous le terme de pesticides. Celui-ci inclut à la fois les produits phytopharmaceutiques (utilisés sur les végétaux dans l’agriculture, l’horticulture, les parcs ou les jardins) et les produits biocides (utilisés dans d’autres applications, par exemple pour protéger les matériaux ou désinfecter). L’expression « produits phytosanitaires » est couramment employée dans un sens proche de produit phytopharmaceutique, défini par la réglementation communautaire, ou de « produit antiparasite contre les ennemis des cultures » défini par la réglementation française, ou encore de pesticide.
Les substances actives sont minérales ou organiques. Elles sont d’origine naturelle ou issues de la chimie de synthèse. Dans ce cas, il s’agit parfois de la reproduction par l’industrie chimique de molécules naturellement biocides isolées dans la nature.
Le règlement européen n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques définit comme produit phytopharmaceutique « tout produit composés de substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant, et destinés à l’un des usages suivants :
« a) protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou prévenir l’action de ceux-ci, sauf si ces produits sont censés être utilisés principalement pour des raisons d’hygiène plutôt que pour la protection des végétaux ou des produits végétaux ;
« b) exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, telles les substances, autres que les substances nutritives, exerçant une action sur leur croissance ;
« c) assurer la conservation des produits végétaux, pour autant que ces substances ou produits ne fassent pas l’objet de dispositions communautaires particulières concernant les agents conservateurs ;
« d) détruire les végétaux ou les parties de végétaux indésirables, à l’exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l’eau pour protéger les végétaux ;
« e) freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux, à l’exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l’eau pour protéger les végétaux. »
L’utilisation de ses produits conduit souvent les personnes qui les manipulent ou qui sont à proximité à être exposée à ces substances, même lorsque les précautions d’emploi sont respectées. Or le développement de certaines pathologies a un lien avec cette exposition aux produits phytopharmaceutiques.
A. Un lien avéré entre exposition aux pesticides et développement de certaines pathologies
L’utilisation massive des produits phytopharmaceutiques constitue un enjeu majeur de santé publique tant pour les applicateurs et leurs familles que pour les riverains et la population en général à travers les modes de contamination par l’air, l’eau, le sol et l’alimentation. Les substances actives utilisées dans les produits phytopharmaceutiques sont conçues pour attaquer des organismes vivants, les substances actives de ces produits peuvent produire des effets sur les organismes non cibles, dont l’homme.
Aujourd’hui, comme le rappelle le rapport précité de la mission d’information de l’Assemblée nationale, l’étude de référence relative aux effets sur la santé des produits phytopharmaceutiques est celle qui a été menée en 2010 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en se fondant sur une revue de la littérature scientifique internationale publiée au cours des trente dernières années ([10]).
Le rapport de l’Inserm conclut à l’existence de plusieurs niveaux de présomption s’agissant du lien entre l’exposition aux pesticides et différentes pathologies, en particulier certains cancers (hémopathies malignes, cancers de la prostate, tumeurs cérébrales, cancers cutanés), certaines maladies neurologiques (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs) ainsi que certains troubles de la reproduction et du développement. L’étude souligne en outre que la survenue d’autres pathologies telles que les maladies respiratoires, les troubles immunologiques et les pathologies endocriniennes pose également question. Il insiste enfin sur les expositions aux pesticides au cours de la période prénatale (in utero) et périnatale, ainsi que pendant la petite enfance, qui semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant.
L’Anses a également réalisé en 2016 un rapport d’expertise sur les expositions professionnelles aux pesticides en agriculture ([11]).
Le premier rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales, du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux et du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur l’utilisation des pesticides constatait que « l’utilisation massive des produits phytopharmaceutiques constitue un enjeu majeur de santé publique tant pour les applicateurs et leurs familles que pour les riverains et la population en général à travers les modes de contamination par l’air, l’eau, le sol et l’alimentation (...). Selon les modes de contamination, ce sont plus d’un million de professionnels de l’agriculture, la population des riverains et, plus largement, l’ensemble des consommateurs qui sont potentiellement exposés aux dangers que peuvent présenter les pesticides » ([12]).
Si les risques liés à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques sont avérés aujourd’hui pour la santé humaine, les connaissances scientifiques ne les ont mis en évidence qu’à compter du milieu du XXème siècle.
Les conclusions de ces rapports devront être actualisées par une étude confiée le 18 avril 2018 par le Gouvernement à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les liens entre pathologies et exposition professionnelle aux produits phytosanitaires.
Aujourd’hui, la nécessité de protéger les populations s’impose même en l’absence d’interdiction décidée à l’échelon européen, où se prennent les décisions relatives à l’autorisation des produits phytopharmaceutiques. En ce sens, le rapport IGAS-CGEAR-CGEDD précité souligne en particulier que le cadre juridique défini à l’échelle européenne « laisse persister des substances reconnues dangereuses dans l’attente du renouvellement de leur approbation » et appelle les autorités à agir vis-à-vis des « substances les plus préoccupantes qui demeurent sur le marché ».
B. L’encadrement de l’usage des pesticides n’a que récemment pris en compte les préoccupations de santé publique
Face à cette avancée de la science médicale, une règlementation sur les produits phytosanitaires s’est développée en France dès le début du XXème siècle avec pour premier objectif l’efficacité agronomique.
1. Vers une réduction de l’emploi des produits phytopharmaceutiques : les plans Ecophyto
Ce n’est que plus récemment qu’une réglementation communautaire s’est peu à peu construite pour limiter les effets des produits phytosanitaires sur la santé humaine et l’environnement avec, en tout premier lieu, l’adoption en 1976 d’une directive concernant la fixation de teneurs maximales admissibles en résidus de pesticides dans les fruits et légumes, suivie de règlementations destinées à interdire la mise sur le marché, dans les pays de la Communauté économique européenne, de certaines substances actives reconnues dangereuses pour la santé humaine au fur et à mesure de l’avancée des connaissances scientifiques. L’interdiction des produits les plus nocifs date des directives communautaires de 1979 et de 1991 et la mise en œuvre concrète de politiques de prévention de 2009.
La transposition de la directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009 a conduit en France à l’adoption des plans Ecophyto I et II.
Les plans Ecophyto I et II
Un plan d’actions destiné à rationaliser et à réduire l’emploi des produits phytopharmaceutiques dans la protection des cultures a été mis en place depuis 2008, Ecophyto I de 2008 à 2015, suivi par Ecophyto II. Il se décline en six axes qui visent à :
– faire évoluer les pratiques et les systèmes ;
– amplifier les efforts de recherche, développement et innovation ;
– évaluer, maîtriser et réduire les risques et les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine et sur l’environnement ;
– supprimer l’utilisation de produits phytopharmaceutiques partout où cela est possible dans les jardins, les espaces végétalisés et les infrastructures ;
– encourager, en favorisant une mobilisation des acteurs, la déclinaison territoriale du plan en cohérence avec les contraintes et potentialités locales, renforcer l’appropriation du plan par les acteurs du territoire et des filières et veiller à la cohérence des politiques publiques ;
– s’appuyer sur une communication dynamique et des approches participatives, pour instaurer un débat citoyen constructif quant à la problématique des produits phytopharmaceutiques, et instaurer une gouvernance simplifiée.
L’objectif du plan Ecophyto II est de réduire de 50 % le recours aux produits phytopharmaceutiques en France en dix ans, avec une trajectoire en deux temps. À l’horizon 2020, une réduction de 25 % est visée, par la généralisation et l’optimisation des techniques actuellement disponibles. Ensuite, une réduction de 50 % à l’horizon 2025 reposera sur des mutations profondes des systèmes de production et des filières soutenues par des déterminants politiques de moyen et long terme et par les avancées de la science et de la technique. La transition entre ces deux périodes, dans cinq ans, sera l’occasion d’une nouvelle révision du plan, conformément aux exigences de la directive 2009/128/CE.
Les risques liés à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques sont réels pour la santé humaine, et l’interdiction des produits les plus nocifs comme la mise en œuvre concrète de politiques de prévention sont récentes et non encore exhaustives. Par ailleurs, les effets des mélanges de substances actives associés aux adjuvants et aux solvants contenus dans les produits n’ont pas à ce jour fait l’objet de recherches approfondies. Il est donc envisageable que la population exposée à ces risques concerne à présent davantage les trente dernières années que les années futures. Mais ceci est sous la double réserve suivante : d’une part que les risques actuels soient suffisamment bien cernés et que des nouveaux risques, liés par exemple à de nouveaux produits, n’émergent pas ; d’autre part que des pathologies à effet différé correspondant à des expositions passées ne se manifestent pas à l’avenir.
2. Le développement de la phytopharmacovigilance pour surveiller les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques
Les risques pour la santé humaine, des écosystèmes et des organismes vivants que peuvent présenter les produits phytopharmaceutiques sont désormais surveillés. Avec la délivrance et le retrait des décisions d’autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, complétée par le décret n° 2016-1595 du 24 novembre 2016 relatif à la phytopharmacovigilance, a confié à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et la mise en place d’un dispositif de phytopharmacovigilance.
Il a pour objectif de surveiller les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques disponibles sur le marché et couvre à la fois la contamination des milieux, l’exposition et les impacts sur les organismes vivants et les écosystèmes, ainsi que les phénomènes d’apparition de résistances. Ce dispositif s’inscrit dans l’axe 3 du plan Ecophyto (Évaluer, maitriser et réduire les risques et les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine et sur l’environnement).
L’objectif premier de la phytopharmacovigilance est de détecter au plus tôt les signaux qui peuvent amener à prendre des mesures de prévention ou de limitation des risques liés aux produits phytopharmaceutiques, en se dotant de moyens d’anticiper, détecter, analyser et prévenir les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques. La phytopharmacovigilance vise ainsi à :
– permettre, si nécessaire, l’adaptation des conditions d’autorisation de mise sur le marché des produits aujourd’hui commercialisés (par exemple par la réduction des doses, l’adaptation des conditions d’application ou le retrait d’une autorisation de mise sur le marché) ;
– définir des mesures de gestion transversale, par exemple pour la protection des personnes à proximité des zones traitées ;
– contribuer à s’assurer du respect des interdictions d’usages de produits, notamment ceux dont les substances actives ne sont plus approuvées au niveau européen.
Pour répondre à ces objectifs, la phytopharmacovigilance repose sur trois modalités fondamentales et complémentaires de recueil de données et de production de connaissances : un réseau d’organismes de surveillance ou de vigilance, des études ad hoc et le recueil de signalements spontanés.
La phytopharmacovigilance repose sur la collecte systématique et régulière d’informations produites par les organismes de surveillance et de vigilance déjà existants, dans les domaines qu’elle couvre : les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques sur l’homme, les animaux d’élevage et sauvages (dont l’abeille domestique), les écosystèmes dans leur intégralité (biodiversité, cultures, faune, flore, air, eau, sol) mais aussi les aliments et l’apparition de phénomènes de résistance aux produits phytopharmaceutiques.
Ainsi, ce dispositif inclut les plans de surveillance des ministères sur l’eau, les aliments et les mortalités massives aiguës des abeilles ainsi que le recueil des effets non intentionnels dans le cadre de la Surveillance Biologique du Territoire (SBT). Participent également à ce réseau :
– les Centres anti-poison et de toxicovigilance (CAP-TV) coordonnés par l’Anses ;
– le dispositif Phyt’attitude de la Mutualité sociale agricole (MSA) ;
– l’Agence nationale de santé publique France (Santé Publique France) dans le cadre de sa mission de suivi des effets sur la santé humaine et des expositions ;
– la cohorte Agrican pilotée par le Centre François Baclesse ;
– le réseau SAGIR pour les effets éventuels sur la faune sauvage géré par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ;
– l’Institut technique scientifique de l’abeille et de la pollinisation (ITSAP) ;
– le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air (LCSQA) ;
– les Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA).
Des études ad hoc sont réalisées sur les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques lorsque les informations fournies par les organismes de surveillance et de vigilance sont identifiées comme méritant d’être précisées. Les premières études mises en place doivent permettre une meilleure connaissance des pratiques culturales et du recours aux produits phytopharmaceutiques (Inra), l’acquisition des données d’imprégnation humaine dans le cadre du programme national de biosurveillance (SPF), la valorisation des informations issues des CAP-TV.
Un dispositif spécifique est prévu pour le financement de ces études au travers d’une taxe sur les ventes des produits phytopharmaceutiques par les détenteurs d’autorisations de mise sur le marché. Créée par un amendement déposé par le rapporteur et huit autres députés dans le cadre de l’examen de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014, la taxe est due par les titulaires d’autorisations de mises sur le marché ou de permis de commerce parallèle de produits phytopharmaceutiques et frappe le montant hors TVA de leurs ventes de l’année civile précédente. L’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime fixe son taux plafond à 0,3 % du chiffre d’affaires des fabricants. En application de l’arrêté du 9 mars 2016, le taux de cette taxe s’élève aujourd’hui à 0,2 % de ce chiffre d’affaires. Son produit, de l’ordre de 4,2 millions d’euros, sert actuellement à financer le dispositif de phytopharmacovigilance piloté par l’Anses. Les modalités de financement ont été élargies par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 qui prévoit, en son article 148, de relever le plafond de la taxe affectée à l’Anses de 4,1 à 6,3 millions d’euros pour le financement de la phytopharmacovigilance et « pour améliorer la prise en compte des préjudices en lien direct avec l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ».
Enfin, l’Anses reçoit également des signalements des acteurs professionnels comme les titulaires d’autorisation de mise sur le marché, les fabricants, les importateurs, les distributeurs ou utilisateurs professionnels de produits phytopharmaceutiques, les conseillers et formateurs de ces utilisateurs. Ces déclarations sont essentielles pour la phytopharmacovigilance puisque ces acteurs sont directement au contact des professionnels du terrain.
C. La prise en charge et l’indemnisation des victimes par le régime de maladies professionnelles restent très limitées
1. Le régime des maladies professionnelles prend en charge un nombre limité de victimes
Actuellement, le système de réparation des victimes des produits phytopharmaceutiques se fonde essentiellement sur le régime des maladies professionnelles, permettant de prendre en charge de manière forfaitaire les conséquences de pathologies conséquences d’une activité professionnelle.
Les pathologies concernées sont celles qui répondent aux conditions énoncées aux alinéas 2 et 3 de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale. Il s’agit des maladies reconnues :
– soit sur le fondement des tableaux de maladies professionnelles dans les conditions mentionnées dans ceux-ci (alinéa 2) ;
– soit par une voie complémentaire faisant intervenir les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) lorsque ceux-ci établissent que ces maladies sont directement causées par le travail habituel de la victime alors même qu’une ou plusieurs conditions désignées dans un tableau ne sont pas remplies (alinéa 3).
Dans les régimes général et agricole, une maladie peut aussi être reconnue comme d’origine professionnelle lorsque le taux d’incapacité est supérieur à 25 % et qu’il existe un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’exposition professionnelle.
Le recours aux tableaux de maladies professionnelles permet de se fonder sur une présomption d’imputabilité de la pathologie à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.
En matière de pesticides, le régime agricole se distingue par la création de deux tableaux spécifiques :
– l’un pour la maladie de Parkinson (tableau n° 58 intitulé « maladie de Parkinson provoquée par les pesticides » créé en 2012) ;
– l’autre pour le lymphome malin non hodgkinien (LMNH ; tableau n° 59 intitulé « hémopathies malignes provoquées par les pesticides » créé en 2015).
Dans ces deux tableaux, les pesticides y sont définis de manière très large comme se rapportant « aux produits à usages agricoles et aux produits destinés à l’entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu’aux biocides et aux anti-parasitaires vétérinaires, qu’ils soient autorisés ou non au moment de la demande ».
Ainsi n’y a-t-il pas de substances précisément mises en cause. Toutefois, le tableau n° 59 précise des substances suspectées selon les études scientifiques dans la liste des travaux en indiquant qu’ils exposent habituellement « aux composés organochlorés, aux composés organophosphorés, au carbaryl, au toxaphène ou à l’atrazine ».
Dans les deux tableaux, la liste des travaux est indicative.
S’agissant du délai de prise en charge et de la durée d’exposition, ils sont d’un an, sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans pour la maladie de Parkinson et de dix ans, sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans, pour le LMNH.
Ces tableaux n’ont pas d’équivalent au régime général. Une éventuelle indemnisation y relèvera alors du système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles, via l’avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).
Aussi le nombre de victimes reconnues dans le cadre du régime agricole des accidents du travail et des maladies professionnelles apparaît aujourd’hui très limité, et n’est pas représentatif du nombre réel de victimes.
En exploitant les données de la Mutualité sociale agricole, la mission CGAAER-IGAS-IGF a recensé environ 700 malades déclarés à titre professionnel en dix ans (pris en charge ou non).
Ceci est conforme aux informations recueillies par le rapporteur de la présente proposition de loi au Sénat, qui a identifié une moyenne de 59 victimes prises en charge chaque année au sein du régime agricole, pour des affections liées aux pesticides et reconnues comme d’origine professionnelle sur le fondement des tableaux Parmi l’ensemble des tableaux, seul un petit nombre concentre cependant la très grande majorité des victimes : comme l’a indiqué la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), « seulement 4 maladies regroupent 96,6 % des victimes » ([13]). Au total, selon les informations communiquées par le ministère de la santé, sur la période 2007-2016, 678 maladies professionnelles liées aux pesticides ont été reconnues au sein du régime agricole, dont 303 au titre du tableau 58 créé en 2012 (Maladie de Parkinson provoquée par les pesticides) et 88 au titre du tableau 59 créé en 2015 (Hémopathies malignes provoquées par les pesticides). Au titre de la seule année 2016, 36 maladies professionnelles ont été reconnues au titre du tableau n° 58 et 25 au titre du tableau n° 59.
Ainsi que l’a indiqué le ministère chargé de la santé, au sein du régime général, le nombre de reconnaissances est plus limité, notamment en raison des activités concernées. Par ailleurs, il n’existe pas de tableau relatif aux pesticides dans ce régime, les seules maladies reconnues l’étant par le biais de la voie complémentaire.
Dans le même temps, l’association, Phyto-Victimes, a accompagné en cinq ans près de 300 personnes réparties sur l’ensemble du territoire national pour leur démarche de reconnaissance de maladie professionnelle.
Les limites du régime AT-MP sont cependant de plusieurs ordres :
– L’accès des victimes à une indemnisation, inégal, est dépendant des tableaux existants (nature des maladies, délais, durées d’exposition), dont l’existence est davantage liée aux capacités financières des régimes concernés qu’aux réelles conditions de survenance de la maladie du point de vue scientifique ;
– La contrainte financière conduit à une insuffisante évolutivité des tableaux en fonction des expertises scientifiques produites ;
– Enfin, il y a un déficit d’information : la connaissance de cette voie d’indemnisation par les assurés et médecins traitants est insuffisante, et, dans le cadre du système complémentaire aux tableaux, la connaissance scientifique ne fait pas l’objet d’une diffusion suffisante au sein et à destination des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour que ceux-ci puissent jouer efficacement leur rôle de « corde de rappel ».
De manière générale, l’établissement d’un lien de causalité entre la maladie et l’exposition à des substances nocives est le principal obstacle à la reconnaissance de la victime.
2. De l’ordre de 10 000 victimes professionnelles potentielles, actuellement non indemnisées
La mission CGAAER-IGAS-IGF a estimé, avec de grandes difficultés méthodologiques et un nombre réduit de sources, que le risque d’exposition aux produits chimiques de la population agricole concernerait actuellement 100 000 personnes. Le nombre de victimes potentielles pour lesquelles il y a une présomption forte de causalité entre la maladie et l’exposition est évalué à 10 000 personnes, dont deux tiers pour la maladie de Parkinson (tableau n° 58 du régime agricole AT-MP) et un tiers pour les hémopathies malignes (tableau n° 59).
Les régimes de responsabilité existants trouvent à s’appliquer au cas particulier des produits phytopharmaceutiques :
– la responsabilité des fabricants peut être recherchée du fait de la défectuosité de leur produit, en vertu de la directive de 1985, transposée en droit français en 1998. La loi écarte toute exigence de preuve de faute particulière du fabricant pour engager sa responsabilité. Le responsable ne pourra donc pas s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. Néanmoins, le demandeur devra prouver le lien de causalité avec le dommage et le délai de prescription de dix ans constitue une limite à l’action des victimes ;
– la responsabilité de l’État peut également être recherchée compte tenu des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires qu’il accorde sur le territoire national, au même titre que celle de l’Union européenne en ce qui concerne les autorisations des matières actives qui composent ces produits. Elle peut également être recherchée sur le fondement du défaut d’information du public, pour interdiction tardive, voire lorsqu’il a été amené à prescrire aux agriculteurs l’emploi de certaines substances ;
– la responsabilité de l’employeur peut être recherchée pour faute inexcusable, domaine dans lequel la jurisprudence est bien établie depuis le revirement de la Cour de cassation de 2002 avec « l’obligation pour l’employeur de sécurité découlant du contrat de travail » ;
– l’utilisateur des produits dangereux n’est pas exempt de toute responsabilité et cette dernière peut être recherchée s’il n’a pas respecté les préconisations de sécurité qui accompagnent l’utilisation du produit, notamment l’emploi des équipements de protection individuels.
Dans la pratique, hors un cas particulier lié à un accident ponctuel, la responsabilité des différents acteurs est difficile à établir. La responsabilité de l’employeur ne concerne que le salarié agricole et non l’exploitant lui-même. Enfin, l’utilisateur lui-même ne dispose que depuis peu d’équipements de protection mieux adaptés, aux dires de l’ensemble des interlocuteurs rencontrés, pour qu’il lui soit reproché d’avoir été négligent. La responsabilité est l’affaire de tous les acteurs ou de personne dans un tel cas.
Certes, le système des tableaux de maladies professionnelles présente le double intérêt d’alléger la charge de la preuve pour les victimes et de permettre une égalité de traitement dans le cadre des conditions posées par les tableaux. Toutefois, les tableaux actuels étant peu « couvrants », les victimes sont conduites à devoir produire des éléments de preuve qu’elles ne détiennent pas toujours, soit pour le CRRMP, soit devant le juge de droit commun.
Devant cette difficulté de démonstration du lien de causalité pour un nombre de victimes important, l’amélioration du régime accidents du travail-maladies professionnelles par extension du périmètre des maladies prises en charge pour le rendre cohérent avec l’évolution des connaissances scientifiques pourrait être possible, mais cela ne permettrait pas de couvrir toutes les victimes dites environnementales, ayant subi une exposition hors de tout cadre professionnel.
II. La création d’un fonds d’indemnisation apparaît donc comme la solution pour prendre en charge les victimes d’un recours généralisé aux produits phytopharmaceutiques
A. Un fonds pour prendre en charge les victimes au titre de la solidarité et de la responsabilité
Le législateur a déjà mis en place plusieurs fonds d’indemnisation rétrospectifs chargés de gérer les suites d’événements dommageables de grande ampleur situés dans le passé. La création du Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles par arrêté du 17 juillet 1989, du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, l’intervention de l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour les victimes de l’hormone de croissance et celles du benfluorex témoignent du rôle joué par ces organismes dans le traitement « curatif » des catastrophes sanitaires dont le nombre ne cesse de croître depuis l’affaire du sang contaminé du début des années 1990.
C’est pourquoi la présente proposition de loi propose de reprendre ce dispositif, fondé à la fois sur la solidarité nationale envers les victimes, qui sont essentiellement des agriculteurs et leurs familles, mais également sur la responsabilité de l’État qui a trop souvent délivré et maintenu des autorisations de mise sur le marché de substances dont les effets sanitaires faisaient l’objet d’études convergentes.
Sur cette base et en s’appuyant sur le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement intitulé Pesticides : vers le risque zéro ([14]), Nicole Bonnefoy et ses collègues sénateurs ont déposé la présente proposition de loi.
Elle s’inspire largement du dispositif législatif organisant le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), prévu par l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001.
B. Une prise en charge intégrale des préjudices subis par les victimes
L’article 1er de la proposition de loi définit le champ des personnes éligibles.
1. La primauté du dispositif de réparation des maladies professionnelles
Les professionnels du secteur agricole sont la première population concernée et pourront accéder au dispositif d’indemnisation dès lors qu’ils auront obtenu la reconnaissance d’une pathologie d’origine professionnelle et indemnisation forfaitaire sur le fondement du système déjà existant des tableaux de maladies professionnelles ou par le biais de la voie complémentaire (CRRMP). Aux termes de la proposition de loi, si elles en formulent la demande, les victimes dont la pathologie aura été reconnue comme d’origine professionnelle bénéficieront ainsi, ipso facto, d’une réparation intégrale.
2. Un champ d’intervention plus large que les régimes d’assurance contre les maladies professionnelles
Le dispositif d’indemnisation est en outre ouvert aux victimes exposées en dehors du cadre professionnel : il s’agit, d’une part, des « personnes qui souffrent d’une pathologie occasionnée par l’exposition aux produits phytopharmaceutiques sur le territoire de la République française », d’autre part, des enfants atteints d’une pathologie occasionnée par l’exposition aux pesticides de l’un de leurs parents. Il s’agit ici de prendre en compte les expositions in utero, mais également les effets d’une exposition sur le génome et les cellules reproductrices.
En s’intéressant aux expositions professionnelles des salariés et exploitants agricoles et à leur famille proche, la mission estime que 10 000 personnes environ pourraient bénéficier de ce dispositif. Cependant, cette évaluation ne prend pas en compte les personnes concernées par une exposition environnementale.
Le même article 1er confie au pouvoir réglementaire la tâche de définir quelles pathologies pourront ainsi être caractérisées comme résultant de l’exposition aux pesticides. Cette liste aura vocation à évoluer en fonction des progrès des connaissances scientifiques. Elle pourra se fonder à la fois sur les tableaux de maladies professionnelles existants et sur les conclusions de l’expertise collective de l’Inserm de 2013 et du rapport demandé le 18 avril 2018 à l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), actualisant les liens entre pathologies et exposition professionnelle aux pesticides.
3. Une réparation intégrale des préjudices subis
Les régimes d’assurance des maladies professionnelles sont fondés sur le principe d’une réparation forfaitaire des dommages subis, en fonction des frais médicaux et du taux d’incapacité professionnelle permanente subi par l’assuré.
Comme pour les autres fonds d’indemnisation, l’article 1er de la proposition de loi propose une réparation intégrale de l’ensemble des préjudices subis.
La nomenclature Dintilhac sert de référence pour l’indemnisation des préjudices. La remise du rapport Dintilhac – du nom du Président de la 2ème Chambre de la Cour de Cassation qui a présidé à son élaboration – en juillet 2005 a permis une réelle amélioration de l’indemnisation des victimes en reprenant tous les postes de préjudices retenus par la jurisprudence, en remettant à plat tout ce que la pratique judiciaire avait apporté pour en faire un guide à l’usage des victimes et de leurs conseils, qu’ils soient avocats ou médecins. La loi du 21 décembre 2006 a imposé aux professionnels (juge, expert, avocat, assurance, sécurité sociale) le recours à cette méthodologie pour déterminer les préjudices, qui opère une classification entre les préjudices patrimoniaux (économiques) et les préjudices extrapatrimoniaux, avant et après consolidation, la consolidation étant la stabilisation de l’état de la victime :
– les préjudices patrimoniaux - c’est-à-dire les préjudices financiers - et les préjudices extrapatrimoniaux - qui représentent les préjudices personnels - mais aussi ;
– les préjudices temporaires - qui existent entre le fait générateur (accident, erreur médicale ou autre) et la consolidation (c’est-à-dire la date à laquelle l’état de santé de la victime est considéré comme n’étant plus susceptible d’évolution notable) et les préjudices définitifs - qui subsistent après la consolidation.
Chaque préjudice est indemnisé en fonction d’un barème élaboré par le fonds.
4. Un allègement de la charge de la preuve
L’article 3 prévoit un dispositif qui s’appuie sur la présomption de causalité et le renversement de la charge de la preuve.
Le demandeur doit justifier :
– de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques ;
– de l’atteinte de l’état de santé de la victime.
Après investigation, le lien entre exposition aux produits phytopharmaceutiques et survenue de la pathologie sera prononcé par une commission médicale indépendante. La victime n’aura donc pas à prouver la causalité et la responsabilité de son état de santé.
Les alinéas 6 à 8 prévoient deux présomptions en faveur du demandeur :
– la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques vaut justification de l’exposition : en d’autres termes, la victime ayant déjà prouvé l’exposition et obtenu réparation au titre d’une maladie professionnelle n’aura pas à apporter à nouveau la preuve de son exposition ;
– en cas de décès, la prise en charge de celui-ci au titre de maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques vaut reconnaissance d’un lien de causalité : dans ce cadre, la décision de la commission médicale sur l’imputabilité est liée.
Dans ces deux cas de présomption en faveur du demandeur, il lui sera possible de demander au fonds le versement d’une provision, accordée dans un délai maximal d’un mois.
C. La mise en place d’un fonds d’INDEMNISATION, alimenté notamment par la taxe sur les produits phytopharmaceutiques
1. Un fonds géré par la Mutualité sociale agricole
Aux termes de l’article 2, la gestion du fonds est dévolue à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Celle-ci en assure la gestion comptable et financière dans un compte distinct des autres opérations comptables retracées par la caisse.
Le fonds est doté d’un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret.
En application de l’article 9, il devra remettre un rapport d’activité annuel.
L’article 4 prévoit les modalités selon lesquelles le fonds devra proposer une offre d’indemnisation dans un délai de neuf mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation. En cas de contestation, l’article 5 confie à la cour d’appel du domicile du demandeur les recours juridictionnels contre les décisions du fonds.
En application de l’article 8, le délai de prescription des demandes sera de dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques ou, en cas d’aggravation de la maladie, de la date du premier certificat médical constatant cette aggravation.
2. La mise à contribution des responsables des dommages subis
L’article 6 prévoit que les victimes indemnisées sont subrogées dans leurs droits par le fonds, qui est en mesure de se retourner et d’engager des procédures contentieuses envers les responsables.
La recherche de responsabilités par les victimes est toujours possible, bien que le lien de causalité qui permet de relier la maladie à une substance soit difficile à démontrer en l’état de la science et des règles de droit. Les principaux éléments de jurisprudence concernent les fabricants de produits « défectueux », l’État garant de la santé publique, l’employeur en cas de faute inexcusable, voire le salarié en cas d’imprudence. Dans la pratique, hors un cas particulier lié à un accident ponctuel, la responsabilité des différents acteurs est difficile à établir. Les fabricants sont soumis à une procédure d’autorisation de mise sur le marché extrêmement encadrée, qui s’appuie sur l’état de la science à date, procédure qui préserve de fait l’État ou l’Union européenne d’un risque de recherche en responsabilité. La responsabilité de l’employeur ne concerne que le salarié agricole et non l’exploitant lui-même. Enfin, l’utilisateur lui-même ne dispose pas à ce jour d’équipements de protection suffisamment adaptés, aux dires de l’ensemble des interlocuteurs rencontrés, pour qu’il lui soit reproché d’être négligent. La responsabilité est l’affaire de tous les acteurs ou de personne dans un tel cas.
C’est pourquoi cette possibilité permettra au fonds de poursuivre les responsables en cas de faute avérée, et d’utiliser les dommages et intérêts pour financer ses indemnisations.
3. L’affectation d’une fraction du produit de la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques acquittée par les entreprises de production
L’article 7 dresse une liste limitative des sources de financement du fonds. L’essentiel de ces recettes devrait provenir de l’affectation d’une fraction du produit de la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques (plafonnée actuellement à 0,3 % du chiffre d’affaires des fabricants) acquittée par les entreprises de production, prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime, tout en maintenant les sommes affectées à l’Anses pour le financement de la phytopharmacovigilance.
En tout état de cause, le rapporteur estime que ce financement ne pourra cependant servir qu’à accompagner la mise en place du fonds. Il conviendra par la suite d’ajuster les ressources du fonds à son besoin de financement.
Selon les estimations effectuées par la mission IGAS-IGF-CGAAER précitée, la réparation intégrale des préjudices subis par les salariés et exploitants agricoles et leur famille, comportant de l’ordre de 10 000 personnes potentiellement indemnisables, pourrait s’élever jusqu’à 930 millions d’euros, et nécessiter ainsi une ressource budgétaire pouvant atteindre 93 millions d’euros par an pendant dix ans ([15]).
C’est pourquoi la mission IGAS-IGF-CGAAER invite le financement à « refléter les responsabilités des acteurs », de la manière suivante :
– un accroissement de la taxe annuelle perçue sur le chiffre d’affaires (hors TVA) des ventes de produits phytopharmaceutiques, pour atteindre 1,5 % et engendrer 25 millions d’euros par an ;
– une contribution plus élevée des régimes accidents du travail et maladies professionnelles du secteur agricole, pour environ le même montant ;
– une contribution de l’État de l’ordre de 50 millions d’euros à travers deux mécanismes : la prise en charge dans le dispositif Ecophyto d’une partie des coûts liés à la recherche, puisque celle-ci est indispensable à la connaissance de l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine, mais également la prise en charge d’une partie de l’indemnisation sur le budget de l’État.
III. Un texte à l’ambition très amoindrie adopté par la commission des Affaires sociales
À l’occasion de son examen de la présente proposition de loi lors de sa réunion du 23 janvier 2019, la commission des affaires sociales a adopté dix amendements et supprimé quatre articles.
Si le rapporteur se félicite que le principe de la création d’un fonds d’indemnisation ait pu faire l’objet d’un consensus, il regrette que le texte limite fortement le champ des victimes prises en charge, limite la portée de leur indemnisation et ne prévoit plus la possibilité pour le fonds d’exercer des actions récursoires afin d’exiger des dommages et intérêts aux personnes dont la responsabilité dans l’exposition des victimes pourrait être prouvée.
La réparation forfaitaire, basée sur le taux d’incapacité professionnelle permanente, est la base sur laquelle les personnes sont indemnisées par les régimes AT-MP. En maintenant le même champ et les conditions d’indemnisation, le dispositif voté conduit à se satisfaire d’une amélioration de l’indemnisation des 60 à 70 cas de maladies professionnelles déjà reconnus chaque année.
A. Un champ de bénéficiaires revu à la baisse
En adoptant un amendement présenté par M. Matthieu Orphelin, la commission a acté la prise en charge des victimes d’exposition ayant fait l’objet d’une reconnaissance de maladie professionnelle à compter du 1er janvier 2020. En adoptant un amendement du rapporteur, a été prévue la prise en charge, à la même date, des enfants atteints d’une pathologie du fait de l’exposition d’un de leurs ascendants dans un cadre professionnel.
Cependant, en adoptant un amendement défendu par Mme Albane Gaillot et les membres du groupe La République en Marche, la commission a supprimé la prise en charge de l’ensemble des autres victimes d’exposition aux pesticides. Dans cette catégorie prévue par le Sénat, figuraient notamment :
– les personnes ayant subi une exposition dans un cadre professionnel mais atteintes d’une pathologie non reconnue comme maladie professionnelle, soit relevant du régime général où n’existe pas de tableaux relatifs aux pesticides, soit n’entrant pas dans les conditions prévues par les tableaux de maladies professionnelles du fait de l’ancienneté de leur exposition, ce qui concerne notamment les retraités, soit enfin n’étant pas en mesure de prouver devant le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) le lien « direct et essentiel » entre leur pathologie et l’exposition ;
– les membres de la famille des travailleurs de la terre n’étant pas couverts par un régime AT-MP, comme les exploitants, pour lesquels l’adhésion à un régime AT-MP n’était pas obligatoire avant 2002, les conjoints collaborateurs non affiliés avant l’obligation introduite par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 et les enfants ;
– les victimes ayant subi une exposition environnementale, c’est-à-dire notamment les riverains ayant subi les retombées d’épandage.
Le rapport de la mission précitée appelait cependant de ces vœux une extension du champ aux deux premières catégories, pour couvrir tous les travailleurs agricoles et leur famille proche ([16]).
En limitant ainsi le champ de la prise en charge, le texte adopté par la commission encourt des critiques relatives au respect du principe d’égalité.
B. Une indemnisation limitée à une base forfaitaire
En adoptant un amendement défendu par Mme Albane Gaillot et les membres du groupe La République en Marche, la commission a remplacé la réparation intégrale des préjudices par une réparation forfaitaire.
Le rapporteur rappelle que la création d’un fonds d’indemnisation spécifique se fonde à la fois sur la solidarité nationale et la responsabilité sans faute. C’est le cas de l’indemnisation des victimes du terrorisme comme celle relative à l’indemnisation des personnes contaminées à l’occasion d’une transfusion sanguine.
Dans tous les cas, le principe d’une réparation intégrale est la norme dans les fonds actuellement créés :
– Pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), sa mission est d’assurer la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’une pathologie en lien avec l’amiante et leurs ayants droit, en leur évitant une procédure contentieuse. Le principe d’indemnisation intégrale a été retenu, selon des règles dérogatoires du régime commun : couverture non seulement de la totalité des dommages − inédite en soi dans le domaine de la protection sociale − mais encore des risques ou pertes de chances encourus du fait d’une exposition, effective ou possible, à l’amiante ;
– Pour l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), sa mission est d’assurer, au nom de la solidarité nationale et sous certaines conditions, par le biais d’une offre d’indemnisation la réparation intégrale des préjudices subis à la suite d’accidents médicaux non fautifs ;
– Pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), la loi du 9 septembre 1986 institue un Fonds chargé de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme selon un mécanisme de réparation intégrale. Le Fonds de garantie des victimes du terrorisme étend ses compétences aux victimes d’infractions de droit commun. La loi du 6 juillet 1990 crée le Fonds de garantie des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) qui se substitue à l’État pour les indemnités allouées par les commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) aux victimes et répare intégralement les dommages corporels graves ;
– Pour le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), le dispositif instauré par la loi prévoit pour les personnes dont le droit à indemnisation a été reconnu une réparation intégrale consistant à indemniser la totalité des préjudices subis par la victime afin de compenser au maximum les effets des dommages subis.
Dans la mise en œuvre pratique, la réparation intégrale se traduit par l’application d’un barème aux préjudices subis par les victimes, chaque fonds disposant de grilles propres. L’application d’un barème peut sembler s’écarter du principe de réparation intégrale mais il offre en contrepartie aux victimes une sécurité juridique. La loi du 21 décembre 2006 a imposé aux professionnels (juge, expert, avocat, assurance, sécurité sociale) le recours à une méthodologie pour déterminer les préjudices, issue de la nomenclature Dintilhac. Cette méthodologie doit mettre en avant les préjudices à indemniser. Cette nomenclature est un outil de travail qui sert de fil conducteur au juge, à l’avocat et aux différentes parties présentes.
En ne définissant ni le niveau d’indemnisation, ni les préjudices indemnisables, cette rédaction ouvre ainsi plus de questions que de réponses. Le législateur encourt la critique de ne pas avoir exercé sa compétence en définissant précisément les préjudices à prendre en compte.
C. La suppression des dispositions organisant la procédure et les actions récursoires au sein du fonds
En supprimant les articles 4, 5 et 8, la commission a supprimé les dispositions définissant les règles de présentation et de paiement des offres formulées par le fonds, précisant les modalités de droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds et les règles relatives au délai de prescription de dix ans à l’issue duquel le fonds ne peut plus répondre à une demande d’indemnisation.
Certaines de ces précisions pourraient en effet relever du décret en Conseil d’État prévu à l’article 9, qui doit préciser le mode de fonctionnement du fonds. Cela revient toutefois à laisser au Gouvernement une forte latitude pour définir la portée et les conditions d’application du présent texte.
Mais de manière regrettable, ont été supprimées certaines prescriptions qui ne peuvent que relever de la loi.
L’absence de délai légal de prescription et de règles de recours, prévus par les articles 4 et 5, implique que le fonds pourra être amené à instruire des demandes présentées même des années après le diagnostic, sans pouvoir quantifier le nombre de demandes potentielles.
En supprimant également l’article 6, la commission a retiré toute possibilité pour le fonds d’exercer des recours contre les personnes qui ont causé des dommages au demandeur, susceptibles d’être réparés par voie d’action civile ou pénale, et notamment les fabricants qui n’auraient pas respecté la réglementation en vigueur au moment de la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques. En outre, est ainsi supprimée la possibilité, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, d’obtenir une majoration des indemnités versées à la victime.
D. L’amorce d’un financement du fonds par les producteurs de produits PHYTOPHARMACEUTIQUES
Comme invitait à le faire le rapport de la mission IGAS-IGF-CGAER, un amendement du rapporteur a amorcé un financement du fonds « reflétant les responsabilités des acteurs », en mettant à contribution les firmes phytopharmaceutiques par un accroissement de la taxe annuelle perçue sur le chiffre d’affaires des ventes de produits phytopharmaceutiques, en fixant un taux plafond de 1,5 %.
L’augmentation de cette taxe devrait permettre de percevoir 25 millions d’euros par an pour financer les indemnisations, tout en sauvegardant le financement spécifique de la phytopharmacovigilance effectuée par l’Anses.
Le rapporteur regrette toutefois le rejet de mode de financement alternatif et notamment sa proposition de création d’une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé par ces firmes au niveau mondial, rapporté à la part des ventes de produits phytopharmaceutiques réalisés en France.
*
* *
La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi modifiée. En conséquence, elle demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
Article 1er
Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation
Adopté par la commission avec modifications
Cet article définit le champ des personnes éligibles à une réparation de leurs préjudices résultant d’une maladie causée par l’exposition à des produits phytopharmaceutiques.
1. Les catégories de personnes indemnisables dans le texte adopté par le Sénat
L’article 1er de la proposition de loi énumère trois catégories de personnes pouvant obtenir réparation intégrale de leurs préjudices résultant d’une maladie causée par l’exposition à des produits phytopharmaceutiques.
Ces produits sont régis par l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime qui précise leur régime de mise sur le marché, de distribution ainsi que d’utilisation, conformément au règlement européen n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil.
Trois catégories de victimes indemnisables sont prévues par le Sénat :
– les personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques, en application des dispositions légales en vigueur pour les assurés relevant du régime général, d’un régime assimilé ou relevant des pensions civiles et militaires d’invalidité : il s’agit donc essentiellement des personnes ayant obtenu la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie sur le fondement des tableaux de maladies professionnelles ou par le biais de la voie complémentaire, après examen de leur dossier par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
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Le régime de reconnaissance des maladies professionnelles
Conformément au système instauré par la loi du 25 octobre 1919, une pathologie peut être reconnue comme maladie professionnelle, pour les travailleurs du régime général, si elle figure dans l’un des tableaux annexés au code de la sécurité sociale et pour les travailleurs relevant du régime agricoles, dans les tableaux annexés au code rural et de la pêche maritime. Ces tableaux comportent trois colonnes :
– la désignation des maladies : cette colonne liste les symptômes ou les affections dont le malade doit souffrir ; leur énumération est limitative ;
– le délai de prise en charge : il s’agit du délai maximal entre la constatation de l’affection et la date à laquelle le travailleur a cessé d’être exposé au risque. Ce délai dépend non seulement de chaque maladie mais parfois, pour une même cause, des manifestations ou symptômes cliniques présentés par le malade. Certains tableaux prévoient également une durée minimale d’exposition ;
– la liste des travaux susceptibles de provoquer l’affection en cause : cette liste peut être limitative (cas des maladies infectieuses et de la plupart des cancers) ou indicative (cas notamment de certaines maladies provoquées par des substances toxiques).
Pour les salariés relevant du régime général de la sécurité sociale, il existe aujourd’hui 112 tableaux annexés au code de la sécurité sociale ; pour ceux relevant du régime agricole, il existe 58 tableaux annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime.
En matière de pesticides, le régime agricole se distingue par la création de deux tableaux spécifiques :
– l’un pour la maladie de Parkinson (tableau n° 58 intitulé « maladie de Parkinson provoquée par les pesticides », créé en 2012),
– l’autre pour le lymphome malin non hodgkinien (LMNH ; tableau n° 59 intitulé « hémopathies malignes provoquées par les pesticides » créé en 2015).
Dans ces deux tableaux, les pesticides y sont définis de manière très large comme se rapportant « aux produits à usages agricoles et aux produits destinés à l’entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu’aux biocides et aux anti-parasitaires vétérinaires, qu’ils soient autorisés ou non au moment de la demande ». Ainsi n’y a-t-il pas de substances précisément mises en cause. Toutefois, le tableau n° 59 précise des substances suspectées selon les études scientifiques dans la liste des travaux en indiquant qu’ils exposent habituellement « aux composés organochlorés, aux composés organophosphorés, au carbaryl, au toxaphène ou à l’atrazine ». Dans les deux tableaux, la liste des travaux est indicative. S’agissant du délai de prise en charge et de la durée d’exposition, ils sont d’un an, sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans pour la maladie de Parkinson, et de dix ans, sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans, pour le LMNH.
Ces tableaux n’ont pas d’équivalent au régime général.
Lorsque la pathologie remplit les conditions prévues par le tableau, elle est présumée d’origine professionnelle et ouvre droit à une indemnisation forfaitaire en fonction du taux d’incapacité professionnelle permanente subi par l’assuré.
Parallèlement, la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 a institué une nouvelle procédure de reconnaissance du caractère professionnel des maladies.
En premier lieu, une maladie figurant dans un tableau, mais pour laquelle n’est pas remplie une ou plusieurs des conditions relatives au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux, peut être reconnue d’origine professionnelle s’il est établi qu’elle est « directement causée par le travail habituel de la victime » ([17]). L’absence d’une ou de plusieurs conditions administratives n’est donc plus un obstacle définitif à la reconnaissance de la maladie professionnelle. En revanche, les conditions médicales figurant dans le tableau restent d’application stricte et la victime ne bénéficie plus de la présomption d’origine : le lien direct entre la maladie et le travail doit être établi.
En second lieu, le quatrième alinéa de l’article L. 461-1 prévoit la possibilité de reconnaître le caractère professionnel d’une maladie non mentionnée dans un tableau mais directement imputable à l’activité professionnelle habituelle de la victime et ayant abouti soit au décès de la victime, soit à une incapacité professionnelle d’au moins 25 %. Dans ce régime de reconnaissance « hors tableau » il n’existe pas non plus de présomption d’origine : un lien à la fois direct et essentiel entre l’activité professionnelle habituelle et la maladie doit être établi et reconnu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles .
Celui-ci est composé de trois experts : le médecin-conseil régional ou son représentant, le médecin inspecteur régional du travail ou son représentant et un professeur des universités, praticien hospitalier. Il est saisi par la caisse primaire d’assurance maladie et doit se prononcer sur le lien entre la pathologie présentée par la victime et son activité professionnelle. Ses décisions s’imposent aux caisses de sécurité sociale.
– les enfants atteints d’une pathologie occasionnée directement par l’exposition aux produits phytopharmaceutiques de l’un de leurs parents ; cela permet de prendre en charge les conséquences des expositions aux pesticides des cellules germinales, ainsi qu’au cours de la période prénatale (in utero) et périnatale, qui semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant ;
– les autres personnes qui souffrent d’une pathologie résultant directement d’une utilisation, sur le territoire de la République, de produits phytopharmaceutiques : cela permet de prendre en compte les victimes exposées en dehors du cadre professionnel, et ainsi les personnes ayant subi une exposition environnementale, en étant par exemple, des riverains atteints d’une pathologie liée à l’exposition régulière aux épandages réalisés dans un champ voisin.
Un amendement adopté par le Sénat en séance publique a précisé que pour les deux dernières catégories, le lien entre exposition aux produits phytopharmaceutiques et la pathologie doit être direct : seules pourront être indemnisées les pathologies dont il aura été prouvé le lien avec l’exposition.
2. Les pathologies pouvant faire l’objet d’une indemnisation
Le dernier alinéa du présent article confie au pouvoir réglementaire, par un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, des outre-mer et de l’agriculture, la tâche de définir quelles pathologies pourront ainsi être caractérisées comme résultant de l’exposition aux pesticides.
Cette liste aura vocation à évoluer en fonction des progrès des connaissances scientifiques. Elle pourra se fonder à la fois sur les tableaux de maladies professionnelles existants et sur les conclusions de l’expertise collective de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2013 et du rapport conjoint demandé le 18 avril 2018 à l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et à l’Inserm, actualisant les liens entre pathologies et exposition professionnelle aux pesticides.
3. De l’ordre de 10 000 professionnels susceptibles de développer une pathologie liée aux produis phytopharmaceutiques
Le rapport de la mission de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ([18]) s’est livré à une estimation du nombre de personnes concernées parmi la population agricole, c’est-à-dire des personnes ayant subi une exposition dans le cadre de leur activité professionnelle (exploitants et salariés agricoles). Cette estimation n’inclus pas les personnes relevant des deux autres catégories, qui ont été exposées aux produits phytopharmaceutiques dans leur environnement.
10 % de la population agricole salariée (23 800 personnes) est exposée aux nuisances chimiques selon l’enquête Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer). L’expertise collective de l’ANSES Expositions professionnelles aux pesticides de juillet 2016 évaluait à plus d’un million de personnes la population potentiellement exposée aux pesticides : « En 2010, le recensement de l’agriculture dénombrait plus d’un million de personnes ayant une activité régulière en agriculture, auxquelles doivent être ajoutées plusieurs centaines de milliers de travailleurs non permanents ainsi que plusieurs dizaines de milliers de stagiaires. Ces effectifs s’accroissent considérablement si les retraités ayant travaillé sur des exploitations agricoles, qui ont potentiellement été exposés au cours de leur vie active, sont également pris en compte : il y a actuellement plus de deux retraités pour chaque actif dans le secteur agricole ».
Aussi la mission évalue que de l’ordre 100 000 personnes exposées sont susceptibles de développer une maladie, dont de 7 000 à 10 000 cas potentiels concernant la maladie de Parkinson et 2 300 personnes en sur-risque pour les cancers de la prostate, mélanomes cutanés, tous lymphomes non hodgkiniens (LNH) et myélomes multiples, figurant dans le tableau n° 59 des maladies professionnelles du secteur agricole.
Cependant, cette évaluation repose uniquement sur les expositions professionnelles et les conséquences potentielles sur les salariés et exploitants agricoles ; elle n’inclut aucune estimation du nombre de victimes d’exposition environnementale.
4. Le texte adopté par la commission limite le champ de la réparation aux seules victimes reconnues au titre d’un régime de maladie professionnelles et leurs enfants
En adoptant un amendement présenté par M. Matthieu Orphelin, la commission a acté la prise en charge des victimes d’exposition ayant fait l’objet d’une reconnaissance de maladie professionnelle à compter du 1er janvier 2020. En adoptant un amendement du rapporteur, a été prévue la prise en charge, à la même date, des enfants atteints d’une pathologie du fait de l’exposition d’un de leurs ascendants dans un cadre professionnel.
Cependant, en adoptant un amendement défendu par Mme Albane Gaillot et les membres du groupe La République en Marche, la commission a supprimé la prise en charge de l’ensemble des autres victimes d’exposition aux pesticides. Dans cette catégorie prévue par le Sénat, figuraient notamment :
– les personnes ayant subi une exposition dans un cadre professionnel mais atteint d’une pathologie non reconnue comme maladie professionnelle, soit relevant du régime général où n’existe pas de tableaux relatifs au pesticides, soit n’entrant pas dans les conditions prévues par les tableaux de maladies professionnelles du fait de l’ancienneté de leur exposition, ce qui concerne notamment les retraités, soit enfin n’étant pas en mesure de prouver devant le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) le lien « direct et essentiel » entre leur pathologie et l’exposition ;
– les membres de la famille des travailleurs de la terre n’étant pas couverts par un régime AT-MP, comme les exploitants, pour lesquels l’adhésion à un régime AT-MP n’était pas obligatoire avant 2002, les conjoints collaborateurs non affiliés avant l’obligation introduite par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 et les enfants ;
– les victimes ayant subi une exposition environnementale, c’est-à-dire notamment les riverains ayant subi les retombées d’épandage.
Le rapport de la mission précitée appelait cependant de ces vœux une extension du champ aux deux premières catégories, pour couvrir tous les travailleurs agricoles et leur famille proche ([19]).
En limitant ainsi le champ de la prise en charge, le texte adopté par la commission encourt des critiques relatives au respect du principe d’égalité.
5. L’indemnisation intégrale de l’ensemble des préjudices prévue par le Sénat
Dans la version adoptée par le Sénat, le premier alinéa du présent article prévoit que les victimes désignées pourront obtenir « réparation intégrale de leurs préjudices ».
Le régime de prise en charge des maladies professionnelles ne prévoit qu’une indemnisation forfaitaire : les frais médicaux liés à la maladie sont entièrement pris en charge et le salarié perçoit des indemnités journalières payées par la caisse d’assurance maladie ou par son employeur, en cas de maintien de salaire (subrogation) ([20]). En cas de séquelles physiques ou psychologiques liées à une maladie professionnelle, la CPAM fixe un taux d’incapacité permanente (IPP), permettant à l’assuré de percevoir des indemnités, en capital forfaitaire pour une incapacité permanente inférieure en deçà d’un seuil, en rente égale au salaire de référence multiplié par le taux d’incapacité au-delà ([21]).
Les préjudices extrapatrimoniaux ne sont pas pris en charge dans le régime de sécurité sociale des maladies professionnelles.
Au contraire, dans les fonds d’indemnisation créés, pour indemniser les victime des transfusions, de l’amiante, d’accidents médicaux, du terrorisme ou des essais nucléaires, le principe d’indemnisation intégrale a été retenu, selon des règles dérogatoires du régime commun : couverture non seulement de la totalité des dommages − inédite en soi dans le domaine de la protection sociale − mais encore des risques ou pertes de chances encourus du fait d’une exposition, effective ou possible.
La nomenclature Dintilhac sert de référence pour l’indemnisation des préjudices. La remise du rapport Dintilhac – du nom du Président de la 2ème chambre de la Cour de Cassation qui a présidé à son élaboration – en juillet 2005 a permis une réelle amélioration de l’indemnisation des victimes en reprenant tous les postes de préjudices retenus par la jurisprudence, en remettant à plat tout ce que la pratique judiciaire avait apporté pour en faire un guide à l’usage des victimes et de leurs conseils, qu’ils soient avocats ou médecins. Depuis juillet 2005, la nomenclature Dintilhac opère une classification entre les préjudices patrimoniaux (économiques) et les préjudices extrapatrimoniaux, avant et après consolidation, la consolidation étant la stabilisation de l’état de la victime :
– les préjudices patrimoniaux - c’est-à-dire les préjudices financiers - et les préjudices extrapatrimoniaux - qui représentent les préjudices personnels - mais aussi ;
– les préjudices temporaires - qui existent entre le fait générateur (accident, erreur médicale ou autre) et la consolidation (c’est-à-dire la date à laquelle l’état de santé de la victime est considéré comme n’étant plus susceptible d’évolution notable) et les préjudices définitifs - qui subsistent après la consolidation.
Tableau des préjudices issus de la nomenclature DINTILHAC
Préjudices patrimoniaux temporaires |
Préjudices Patrimoniaux permanents |
Préjudices extrapatrimoniaux temporaires |
Préjudices extrapatrimoniaux permanents |
Dépenses de santé actuelles |
Dépenses de santé futures |
Déficit fonctionnel temporaire |
Déficit fonctionnel permanent |
Perte de gains professionnels actuels |
Perte de gains professionnel futurs |
Souffrances endurées |
Préjudice esthétique permanent |
Préjudice scolaire universitaire ou de formation |
Incidence professionnelle |
Préjudice esthétique temporaire |
Préjudice d’agrément |
Frais divers |
Frais d’aménagement de logement |
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Préjudice sexuel |
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Préjudice d’établissement |
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Préjudices permanents exceptionnels |
Source : rapport mission IGAS-IGF-CGAAER
6. L’indemnisation forfaitaire prévue par le texte adopté par la commission
En adoptant un amendement défendu par Mme Albane Gaillot et les membres du groupe La République en Marche, la commission a remplacé la réparation intégrale des préjudices par une réparation forfaitaire.
Le rapporteur rappelle que la création d’un fonds d’indemnisation spécifique se fonde à la fois sur la solidarité nationale et la responsabilité sans faute. C’est le cas de l’indemnisation des victimes du terrorisme comme celle relative à l’indemnisation des personnes contaminées à l’occasion d’une transfusion sanguine.
Dans tous les cas, le principe d’une réparation intégrale est la norme dans les fonds actuellement créés :
– Pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), sa mission est d’assurer la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’une pathologie en lien avec l’amiante et leurs ayants droit, en leur évitant une procédure contentieuse. Le principe d’indemnisation intégrale a été retenu, selon des règles dérogatoires du régime commun : couverture non seulement de la totalité des dommages − inédite en soi dans le domaine de la protection sociale − mais encore des risques ou pertes de chances encourus du fait d’une exposition, effective ou possible, à l’amiante ;
– Pour l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), sa mission est d’assurer, au nom de la solidarité nationale et sous certaines conditions, par le biais d’une offre d’indemnisation la réparation intégrale des préjudices subis à la suite d’accidents médicaux non fautifs ;
– Pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), la loi du 9 septembre 1986 institue un Fonds chargé de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme selon un mécanisme de réparation intégrale. Le Fonds de garantie des victimes du terrorisme étend ses compétences aux victimes d’infractions de droit commun. La loi du 6 juillet 1990 crée le « Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et d’autres Infractions » (FGTI) qui se substitue à l’État pour les indemnités allouées par les commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) aux victimes et répare intégralement les dommages corporels graves ;
– Pour le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), le dispositif instauré par la loi prévoit pour les personnes dont le droit à indemnisation a été reconnu une réparation intégrale consistant à indemniser la totalité des préjudices subis par la victime afin de compenser au maximum les effets des dommages subis.
Selon les estimations de la mission IGAS-IGF-CGAAER, faite à partir des données des fonds d’indemnisation existants, il conviendrait d’estimer, en moyenne, le coût d’une indemnisation forfaitaire moyenne à 70 000 euros, et 100 000 euros pour une réparation intégrale.
En ne définissant ni le niveau d’indemnisation, ni les préjudices indemnisables, cette rédaction ouvre ainsi plus de questions que de réponses. Le législateur encourt la critique de ne pas avoir exercé sa compétence en définissant précisément les préjudices à prendre en compte.
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Article 2
Création et organisation du Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Adopté par la commission avec modifications
Cet article crée un « Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques » dont la mission est de réparer et d’indemniser les préjudices définis à l’article 1er de la présente proposition de loi.
Le présent article crée le fonds, précise son organisation et confie sa gestion à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole.
1. L’organisation du fonds
Aux termes du présent article, la gestion du fonds est dévolue à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Celle-ci en assure la gestion comptable et financière dans un compte distinct des autres opérations comptables retracées par la caisse.
Le fonds est doté d’un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret.
Le directeur général de la CCMSA est chargé de représenter ce fonds à l’égard des tiers.
La commission des Affaires sociales du Sénat a supprimé les dispositions relatives à la composition et l’organisation des organes du fonds, pour renvoyer ces dispositions au pouvoir réglementaire.
2. Les missions du fonds
L’article 2 confère au fonds la mission de « réparer les préjudices définis à l’article premier ». Les autres articles de la présente proposition de loi ne prévoient qu’un mode de réparation : l’indemnisation de l’ensemble des préjudices exposés.
Lors de son examen, la commission des Affaires sociales du Sénat a supprimé les dispositions relatives à la procédure d’examen des demandes, pour les transférer à l’article 3 de la proposition de loi.
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Article 3
Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice indemnisable par le fonds
Adopté par la commission avec modifications
Le présent article détaille les conditions dans lesquelles un demandeur peut se voir reconnaître le bénéfice de la réparation de ses préjudices en application du présent texte.
Le présent article prévoit les conditions dans lesquels un demandeur peut faire reconnaître que la pathologie qu’il subit est liée à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et qu’il entre dans les catégories définies à l’article 1er.
Il a été réécrit par la commission des Affaires sociales du Sénat, sur le modèle des dispositions en vigueur pour d’autres dispositifs, afin que la victime n’ait pas à démontrer elle-même le lien entre l’exposition et la pathologie subie.
Le principe de présomption d’imputabilité, qui ne nécessite plus pour les victimes d’établir le lien de causalité entre la maladie dont elles souffrent et la substance ou l’événement auxquels elles ont été exposées, a été retenu dans certains cas comme par exemple dans le dispositif prévu par la loi du 4 mars 2002 relative aux personnes contaminées par le virus de l’hépatite C, dans le dispositif de l’article 53 relatif au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 ou encore dans celui relatif aux victimes d’essais nucléaires.
1. Les obligations à la charge du demandeur
Le premier alinéa du présent article dispose que la demande de prise en charge du préjudice doit :
– justifier de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques ;
– et l’atteinte de son état de santé de la victime.
Le demandeur informe le fonds des autres procédures éventuellement en cours dès lors qu’elles sont relatives à l’indemnisation des préjudices visés par l’article 1er du présent texte. S’il a intenté une action en justice, le demandeur doit informer le juge de la saisine du fonds.
2. La procédure mise en œuvre par le fonds
Si le fonds estime que la pathologie peut avoir une origine professionnelle, il effectue une déclaration auprès du régime compétent, en lieu et place de la victime. L’organisme gestionnaire du régime de maladies professionnelles dispose alors d’un délai de trois mois, renouvelable une fois, pour se prononcer sur le caractère professionnel de la pathologie (alinéa 3).
Le fonds examine le dossier et « si les conditions d’indemnisation sont réunies », c’est-à-dire si, au vu des circonstances de l’exposition aux pesticides et des conséquences sur l’état de santé de la victime, un lien direct d’imputabilité pourrait être constaté (alinéa 4).
Le lien entre exposition aux produits phytopharmaceutiques et survenue de la pathologie est prononcée par une commission médicale indépendante, nommée par arrêté ministériel conjoint (alinéa 5).
3. Les moyens d’investigation à la disposition du fonds
Le fonds dispose de la faculté de procéder à toute investigation ou expertise utiles, « sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel ». Il sera ainsi possible de demander aux industriels les études et documents pouvant attester de l’existence de risque en cas d’exposition, et les conditions d’utilisation existantes lors de l’exposition (alinéa 4).
Il lui est également possible de requérir de l’État, des personnes publiques et notamment des organismes gestionnaires de prestations sociales susceptibles de prendre en charge tout ou partie du préjudice, « la communication des renseignements relatifs à l’exécution de leurs obligations éventuelles », permettant notamment d’évaluer les moyens mis en œuvre par la puissance publique pour éviter les expositions.
Les éléments recueillis par le fonds dans le cadre d’une demande de prise en charge sont soumis au secret professionnel (alinéa 10) ; si le demandeur peut avoir communication de son dossier, « sous réserve du respect du secret médical » (des tiers) « et du secret industriel et commercial », désormais renommé « secret des affaires » et protégé par les dispositions du code du code du commerce insérées par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires.
4. Les présomptions de lien entre exposition et pathologie professionnelle
Les alinéas 6 à 8 prévoient deux présomptions en faveur du demandeur :
– la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques vaut justification de l’exposition : en d’autres termes, la victime ayant déjà prouvé l’exposition et obtenu réparation au titre d’une maladie professionnelle n’aura pas à apporter à nouveau la preuve de son exposition ;
– en cas de décès, la prise en charge de celui-ci au titre de maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques vaut reconnaissance d’un lien de causalité : dans ce cadre, la décision de la commission médicale sur l’imputabilité est liée.
Dans ces deux cas de présomption en faveur du demandeur, il lui sera possible de demander au fonds le versement d’une provision, accordée dans un délai maximal d’un mois.
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Article 4
Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds
Supprimé par la commission
Cet article définissait les règles de présentation et de paiement des offres formulées par le fonds.
Inspiré des dispositions législatives initialement prévues pour la mise en place du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) par l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, le présent article rassemblait les dispositions relatives à la présentation et au paiement des offres formulées par le fonds.
L’alinéa 1er disposait qu’une offre d’indemnisation doit être présentée au demandeur dans les neuf mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation. Le fonds doit apporter trois séries de précisions :
– l’évaluation retenue pour chaque chef de préjudice ;
– le montant des indemnités, compte tenu des prestations déjà reçues de la part des organismes de sécurité sociale ;
– le montant des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice.
Les alinéas 2 et 3 précisaient qu’en l’absence de consolidation de l’état de la victime, l’offre présentée par le fonds revêt un caractère provisionnel et que l’offre définitive doit intervenir dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le fonds a été informé de cette consolidation.
L’alinéa 4 disposait que le paiement intervient dans un délai d’un mois à compter de la réception par le fonds de l’acceptation de son offre par la victime. Cette règle vaut pour les offres définitives et provisionnelles.
L’alinéa 5 posait le principe selon lequel l’acceptation d’une indemnisation par le fonds équivaut à un désistement ou à la renonciation à toute action juridictionnelle. Il dispose en effet que « l’acceptation de l’offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l’action en justice prévue à l’article 5 vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques ».
La commission des Affaires sociales du Sénat a cependant supprimé la disposition prévoyant la possibilité pour le fonds d’accorder une indemnisation complémentaire dans le cadre d’une procédure pour faute inexcusable est supprimée. En effet, la rédaction initialement prévue par le texte n’était pas satisfaisante : en l’absence de reconnaissance d’une faute inexcusable, le demandeur aurait eu à rembourser l’indemnisation complémentaire qui lui a été initialement octroyée. La possibilité de réviser le montant de l’indemnisation après la reconnaissance d’une faute inexcusable a été introduite par amendement à l’article 5 de la proposition de loi.
Lors de son examen, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a supprimé le présent article.
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Article 5
Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds
Supprimé par la commission
Cet article définissait les modalités de droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds.
Le présent article conférait au demandeur le droit d’action en justice contre le fonds dans trois cas limitativement énumérés :
– le rejet de la demande d’indemnisation ;
– l’absence d’offre reçue dans les délais prévus ;
– la non-acceptation par le demandeur de l’offre qui lui a été faite par le fonds.
Son second alinéa précisait que cette action doit être introduite devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur.
Lors de son examen, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a supprimé le présent article.
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Article 6
Recours du fonds contre des tiers (actions subrogatoires)
Supprimé par la commission
Cet article définissait les règles de recours du fonds d’indemnisation contre des tiers.
Également inspiré des dispositions applicables au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le présent article permettait au fonds d’exercer des recours contre les personnes qui ont causé des dommages au demandeur, susceptibles d’être réparés par voie d’action civile ou pénale.
La recherche de responsabilités par les victimes est toujours possible, bien que le lien de causalité qui permet de relier la maladie à une substance soit difficile à démontrer en l’état de la science et des règles de droit. Les principaux éléments de jurisprudence concernent les fabricants de produits « défectueux », l’État garant de la santé publique, l’employeur en cas de faute inexcusable, voire le salarié en cas d’imprudence.
Les responsabilités des fabricants peuvent être recherchées du fait de la défectuosité de leur produit, en vertu de la directive communautaire du 25 juillet 1985, transposée dans le droit français par la loi du 19 mai 1998 qui insère les articles relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux au code civil (articles 1245 à 1245-17). La loi écarte toute exigence de preuve de faute particulière du fabricant pour engager sa responsabilité. Le responsable ne pourra donc pas s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. Néanmoins, le délai de prescription de dix ans constitue une limite à l’action des victimes.
La responsabilité de l’État peut également être recherchée compte tenu de son autorité dans la procédure d’autorisation de mise sur le marché, au même titre que celle de l’Union européenne. Elle peut également être recherchée sur le fondement du défaut d’information du public, pour interdiction tardive voire lorsqu’il a été amené à prescrire aux agriculteurs l’emploi de certaines substances.
La responsabilité de l’employeur peut être recherchée pour faute inexcusable. Par un arrêt du 31 octobre 2002 (pourvoi n° 00-18.359), la Cour de Cassation est revenue sur une jurisprudence constante en retenant qu’ « il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, il suffit qu’elle ait été une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage », avec « l’obligation pour l’employeur de sécurité découlant du contrat de travail ».
L’utilisateur des produits dangereux n’est pas exempt de toute responsabilité et cette dernière peut être recherchée s’il n’a pas respecté les préconisations de sécurité qui accompagnent l’utilisation du produit, notamment l’emploi des équipements de protection personnels.
Dans la pratique, hors un cas particulier lié à un accident ponctuel, la responsabilité des différents acteurs est difficile à établir. Les fabricants sont soumis à une procédure d’autorisation de mise sur le marché extrêmement encadrée, qui s’appuie sur l’état de la science à date, procédure qui préserve de fait l’État ou l’Union européenne d’un risque de recherche en responsabilité. La responsabilité de l’employeur ne concerne que le salarié agricole et non l’exploitant lui-même. Enfin, l’utilisateur lui-même ne dispose pas à ce jour d’équipements de protection suffisamment adaptés, aux dires de l’ensemble des interlocuteurs rencontrés, pour qu’il lui soit reproché d’être négligent. La responsabilité est l’affaire de tous les acteurs ou de personne dans un tel cas.
Qu’il s’agisse du droit commun ou du système complémentaire du régime accidents du travail – maladies professionnelles, les personnes malades ou leur famille font également face à de multiples difficultés de preuve.
Aussi l’alinéa 1er du présent article disposait que « le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes ».
L’alinéa 2 prévoyait l’intervention du fonds devant les juridictions civiles et devant les juridictions de jugement en matière répressive en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices. Il est précisé que le fonds « intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi ».
L’alinéa 3 prévoyait que si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive.
L’alinéa 4 précisait que la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime.
Lors de son examen, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a supprimé le présent article.
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Article 7
Modalités de financement du fonds
Adopté par la commission avec modifications
Cet article prévoit les sources de financement du fonds d’indemnisation, constituées principalement d’une fraction de la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques.
Le présent article dresse une liste limitative des sources de financement du fonds. Il en distingue trois :
– l’affectation d’une fraction du produit de la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques acquittée par les entreprises de production, prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime;
– les sommes perçues en application de l’article 6 (recours contre tiers) ;
– les produits divers, dons et legs.
Créée par un amendement déposé par le rapporteur et huit autres députés dans le cadre de l’examen de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014, la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques est collectée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Elle est due par les titulaires d’autorisations de mises sur le marché ou de permis de commerce parallèle de produits phytopharmaceutiques et frappe le montant hors TVA de leurs ventes de l’année civile précédente. L’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime fixe son taux plafond à 0,3 % du chiffre d’affaires des fabricants. En application de l’arrêté du 9 mars 2016, le taux de cette taxe s’élève aujourd’hui à 0,2 % de ce chiffre d’affaires.
Son produit, de l’ordre de 4,2 millions d’euros, sert aujourd’hui à financer le dispositif de phytopharmacovigilance piloté par l’Anses.
Les modalités de financement ont été élargies par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 qui prévoit, en son article 148, de relever le plafond de la taxe affectée à l’ANSES de 4,1 à 6,3 millions d’euros pour le financement de la phytopharmacovigilance et « pour améliorer la prise en compte des préjudices en lien direct avec l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ».
Comme l’a souligné l’Anses, la recette collectée permet un financement à l’équilibre des opérations de pharmacovigilance.
Aussi un amendement de la commission des Affaires sociales du Sénat a prévu que le produit de la taxe est affecté en priorité à l’Anses et, pour le reliquat, au fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Le relèvement du taux de la taxe à son niveau plafond permettrait en effet de dégager des ressources supplémentaires (de l’ordre de 2 millions d’euros) pour financer la mise en place du fonds.
En tout état de cause, le rapporteur estime que ce financement ne pourra cependant servir qu’à accompagner la mise en place du fonds. Il conviendra par la suite d’ajuster les ressources du fonds à son besoin de financement.
Selon les estimations effectuées par la mission IGAS-IGF-CGAAER, la réparation intégrale des préjudices subis par les salariés et exploitants agricoles et leur famille, comportant de l’ordre de 10 000 personnes pouvant potentiellement bénéficier d’une indemnisation, pourraient s’élever de 430 à 930 millions d’euros, et nécessiter ainsi une ressource budgétaire pouvant atteindre 93 millions d’euros par an pendant dix ans ([22]).
C’est pourquoi le rapport de la mission IGAS-IGF-CGAAER invite le financement à « refléter les responsabilités des acteurs » ([23]), de la manière suivante :
– un accroissement de la taxe annuelle perçue sur le chiffre d’affaires des ventes de produits phytopharmaceutiques, pour atteindre 1,5 % et engendrer 25 millions d’euros par an ;
– une contribution plus élevée des régimes accidents du travail – maladies professionnelles du secteur agricole, pour environ le même montant ;
– une contribution de l’État de l’ordre de 50 millions d’euros à travers deux mécanismes : la prise en charge dans le dispositif Ecophyto d’une partie des coûts liés à la recherche, puisque celle-ci est indispensable à la connaissance de l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine, mais également la prise en charge d’une partie de l’indemnisation sur le budget de l’État.
Lors de son examen, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a adopté un amendement du rapporteur amorçant le financement du fonds par un accroissement de la taxe annuelle perçue sur le chiffre d’affaires des ventes de produits phytopharmaceutiques, en fixant un taux plafond de 1,5 %.
L’augmentation de cette taxe devrait permettre de percevoir 25 millions d’euros par an pour financer les indemnisations, tout en sauvegardant le financement spécifique de la phytopharmacovigilance effectuée par l’Anses.
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Article 8
Régime de prescription
Supprimé par la commission
Cet article définissait les règles relatives au délai de prescription à l’issue duquel le fonds ne peut plus répondre à une demande d’indemnisation.
Comme le prévoit l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 pour les victimes de l’amiante, les demandes d’indemnisation devraient être adressées au fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques dans un délai de dix ans.
Pour les victimes, ce délai courra à compter de :
– pour la maladie initiale, la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques ;
– pour l’aggravation de la maladie, la date du premier certificat médical constatant cette aggravation dès lors qu’un certificat médical précédent établissait déjà le lien entre cette maladie et une exposition aux produits phytopharmaceutiques.
Lors de son examen, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a supprimé le présent article et ainsi toute prescription des demandes.
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Article 9
Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires
Adopté par la commission sans modification
Cet article renvoie les modalités d’application de la loi à un décret en Conseil d’État et prévoit une période transitoire pendant laquelle le délai au terme duquel le fonds est tenu de présenter une offre d’indemnisation est allongé de trois mois.
Introduit par la commission des affaires sociales du Sénat à l’initiative de son rapporteur, le présent article apporte trois séries de précisions :
– Il prévoit l’obligation pour le fonds de remettre un rapport d’activité au Gouvernement et au Parlement, chaque année avant le 30 avril ;
– Il renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de définir les modalités d’application de la loi ;
– Enfin, il prévoit une période de transition d’une année pendant laquelle le délai au terme duquel le fonds est tenu de présenter une offre d’indemnisation est porté à douze mois (au lieu de neuf). Cette disposition a pour objectif de tenir compte des nécessaires contraintes liées à la phase d’installation et de montée en charge du fonds.
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annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur
Table ronde des syndicats d’exploitants agricoles :
– Confédération paysanne (*) – M. Thierry Jacquot, secrétaire national, et M. Bernard Breton, co-animateur du pôle social
– Coordination Rurale (*) – M. Jacques Commère, ingénieur agronome et responsable de l’organisation des producteurs de grains
– Jeunes Agriculteurs (*) –Mme Zoé Clément, conseillère environnement, territoire et qualité, M. Guillaume Cabot, membre du conseil d’administration, responsable du dossier Grandes cultures
M. Didier Martin, député de la Côte-d’Or, co-rapporteur de la mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques
Table ronde des syndicats de travailleurs agricoles :
– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Rénata Coutaz-Tretiakova, M. Serge Journoud, et M. Jean-Joël Lamain
– Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Sophie Gaudeul, secrétaire confédéral, et M. Gaël David, secrétaire confédéral
– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Pierre-Yves Montéléon, responsable confédéral en charge de la santé au travail
– Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) – Mme Lola Boucard, assistante confédérale, M. Guillaume Commenge, assistant confédéral, et Mme Patricia Drevon
Audition commune des auteurs du rapport « La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques » rendu en janvier 2018 par la mission IGF IGAS CGAAER :
– M. Pierre Deprost, inspecteur général des finances
– Mme Laurence Eslous, inspectrice des affaires sociales
Audition commune des administrations de l’agriculture et de la santé :
– Ministère de l’agriculture et de l’alimentation – Service des affaires financières, sociales et logistiques (SAFSL) – M. Michel Gomez, sous-directeur du travail et de la protection sociale, et Mme Virginie Chenal, adjointe sous-directeur du travail et de la protection sociale
– Ministère des solidarités et de la santé – Direction de la sécurité sociale (DSS) – Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la sécurité sociale, et Mme Cécile Buchel, cheffe de bureau accidents du travail et maladies professionnelles
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) – M. Robert Verger, président de la commission sociale fiscale, Mme Anne Sophie Forget, cheffe service emploi, et Mme Clotilde Bois Marchand, chargée de mission agronomie et environnement
Audition commune des agences sanitaires :
– Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) – M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise, Mme Françoise Weber, directrice générales déléguée du pôle produits réglementés, et Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles
– Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) – M. Robert Barouki, directeur de l’unité mixte de recherche toxicologie, pharmacologie et signalisation cellulaire
Association Phyto-Victimes – M. Paul François, président, Me François Lafforgue, avocat
Mme Nicole Bonnefoy, sénatrice, auteur de la proposition de loi, M. Bernard Jomier, sénateur, rapporteur de la proposition de loi, et Mme Sophie Rigard, collaboratrice
Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) – M. Eric Van Daele, administrateur central, Dr Elisabeth Marcotullio, médecin du travail, conseillère technique nationale, Dr Gérard Bernadac, médecin du travail, Mme Pascale Barroso, responsable du département santé, et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires
(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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Annexe N° 2 :
texte SUSCEPTIBLE d’être abrogé ou modifié
à l’occasion de l’examen de la proposition de loi
Projet de loi |
Dispositions en vigueur modifiées |
|
Article |
Codes et lois |
Numéro d’article |
7 |
Code rural et de la pêche maritime |
L. 253-8-2 |
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La commission examine au cours de sa séance du mercredi 23 janvier 2019 la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques (n° 630) (M. Dominique Potier, rapporteur).
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre commission est appelée à travailler sur le texte de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, dont le rapporteur est M. Dominique Potier.
M. Dominique Potier. Madame la présidente, mesdames et messieurs, chers collègues, je vous remercie de m’accueillir comme rapporteur au sein de votre commission des affaires sociales. Pour un membre de la commission des affaires économiques, c’est toujours comme une promotion !
Je voudrais tout d’abord rendre hommage aux députés qui ont participé, avec beaucoup d’attention, aux auditions préparatoires à l’examen de cette proposition de loi. Le dialogue que nous avons eu en marge de ces auditions était lui aussi d’une grande qualité. Je suis sûr que cela présage d’une capacité d’échange du même niveau pour l’examen du texte dans cette commission, en toute humilité, sans chercher à se donner des leçons les uns aux autres, encore moins des leçons de morale, à plus forte raison sur un sujet aussi sensible. Il s’agit plutôt de chercher la vérité, de s’efforcer d’être juste et d’agir au mieux.
Nous proposons, en lien avec les députés de la majorité qui ont suivi ce dossier, de considérer ce débat en commission comme une première étape, où nous allons gagner en connaissance du sujet et faire les premiers pas. La séance publique pourrait être l’occasion d’arriver à des accords plus importants.
Le 19 décembre, j’avais l’occasion de présider, à la fondation Jean Jaurès, aux côtés de Matthieu Orphelin, dans le cadre du collectif « Accélérons la transition écologique et solidaire ! », un colloque sur le fondement des travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), filiale de Sciences Po, qui posaient le principe d’une Europe sans pesticides à l’horizon 2050. La qualité des débats, menés notamment avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les ONG présentes, a montré que cette perspective, loin d’être utopique, était même heureuse au sens où elle permettait, par exemple, d’espérer une baisse des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 40 %.
Cette perspective d’une Europe sans pesticides en 2050 m’évoque l’après-guerre. Car nous serons alors un siècle après l’après-guerre. Ira-t-on alors jusqu’à considérer que la chimie dans l’agriculture n’aura finalement été qu’une parenthèse ? Envisager cette perspective, c’est vraiment engager un changement de paradigme tout à fait important. Cela me paraît être une des bonnes nouvelles de ce début du XXIe siècle : dans le monde de l’agronomie et dans la grande histoire de l’agriculture à l’ère moderne, la chimie n’aura-t-elle finalement été la solution majoritaire dans la lutte contre les ravageurs, les maladies et tous les maux qui peuvent frapper nos animaux et nos plantes que pendant une parenthèse dans l’histoire de l’humanité, entre 1950 et 2050 !
C’est dans cette perspective que je propose de nous placer désormais. J’évoquerai, pour preuve du consensus qui est en train de s’établir sur ce point, le dialogue que j’avais encore hier soir avec le nouveau président d’Interfel, l’interprofession des fruits et légumes. Ce secteur d’activité ne représente que quelques pourcents de la surface agricole utile française ; or il concentre, avec la viticulture, une part importante de la dépendance à la phytopharmacie. Eh bien, le président de l’interprofession des fruits et légumes me déclarait hier soir qu’il était prêt à adopter cette perspective d’une Europe sans pesticides en 2050. Autrement dit, même les secteurs les plus exposés dans la compétition internationale et les plus dépendants des situations de phytopharmaceutiques se mettent désormais dans cette perspective, dès lors que nous avons acté que nous avions changé de monde et que nous nous dirigeons résolument, pour des raisons de santé publique, de changement climatique, de souveraineté alimentaire et de cohérence des politiques sociales environnementales, vers une Europe sans pesticides.
Mais regardons en arrière et considérons l’explosion de ce recours aux intrants chimiques, mais aussi les premiers temps de la prévention et des premières alertes, qui n’apparaissent qu’en 1974 : il aura fallu attendre près de dix ans, parfois vingt, pour voir se mettre en place les premières politiques de prévention solides… Il aura fallu pratiquement une génération entre les premières alertes sanitaires et les directives européennes de 2009 qui établissent un lien de causalité entre les pesticides et leurs effets nocifs et enclenchent une obligation pour les États membres de mettre en place des politiques de prévention.
Tout en regardant l’horizon d’une Europe sans pesticides, plus saine et plus durable, rappelons-nous le temps de l’incurie, de l’inconscience et d’une forme de désinvolture que nous portions collectivement : nous devons admettre que, dans notre pays, des personnes ont été, inconsciemment et involontairement, victimes d’une faute, d’une responsabilité collective, en un mot d’un système. Car la prévention n’était pas présente et les précautions qui auraient dû être prises ne l’ont pas été.
Tout l’objet de la présente proposition de loi est de mettre nos pas dans le chemin de cette nécessaire réparation. Il y aurait un parallèle à faire avec d’autres conflits, comme ceux qui peuvent opposer des peuples sur un territoire : chaque fois qu’on est capable de réparer, on prévient la guerre et on prépare la paix. Si on n’est pas capable de réparer, on ne prépare pas vraiment la paix.
Je propose ainsi que nous fassions en sorte de nous donner, par la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de l’usage, du mauvais usage, du mésusage de la phytopharmacie, les moyens de préparer un monde où nous serons affranchis de ces pratiques et où nous aurons mis en œuvre des solutions plus heureuses pour notre agriculture et notre alimentation.
Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur une série de travaux extrêmement récents. 2013 a vu la parution du rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui a réellement modifié la donne. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur du plan Ecophyto II, sollicité par Jean-Marc Ayrault et remis à Manuel Valls, mais jamais réellement mis en œuvre depuis 2014. Ce plan rendait hommage aux changements profonds survenus depuis le Grenelle de l’environnement et, surtout, depuis le rapport de l’INSERM qui a établi un lien de causalité entre l’utilisation des phytosanitaires et tout un faisceau de maladies. Car il y a vraiment un monde avant ce rapport et un autre après.
Un autre rapport très important est celui qui a été porté par nos collègues sénateurs. Ils sont d’ailleurs allés au bout de leur combat, puisqu’ils ont ensuite déposé et fait adopter cette proposition de loi. Leur rapport d’information de 2012, intitulé « Pesticides : vers le risque zéro », est le fruit d’une mission présidée par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et membre du groupe Les Républicains du Sénat. Elle m’a renouvelé, par un message, son soutien et sa volonté de nous voir aboutir aujourd’hui. Vous voyez donc combien le spectre politique concerné est large.
Nicole Bonnefoy était quant à elle la rapporteure de cette proposition de loi. Le Sénat a adopté son rapport à l’unanimité en 2012. Ce rapport propose la création d’un fonds d’indemnisation. Nos collègues sénateurs socialistes et républicains ont, à partir de là, établi un diagnostic et, forts d’une conviction partagée, ont poursuivi leurs travaux visant à l’élaboration d’une loi.
Presque concomitamment, en 2011, Paul François crée l’association Phyto-Victimes. Lui-même avait été victime d’un accident dans l’usage de produits phytopharmaceutiques : nous connaissons tous son histoire héroïque, son courage, sa bravoure. Il poursuit son combat au-delà des frontières pour défendre des paysans victimes d’épandage aérien dans des régions d’Amérique du Sud. Paul François et des centaines de militants, à partir de 2011, ont montré la quasi-impossibilité, sur le plan juridique, d’une action en recherche de responsabilité des fournisseurs ou des autorisations publiques, aux fins d’obtenir la réparation des victimes. Entre 2011 et 2014, la conjugaison de l’action des acteurs de la société civile, d’un diagnostic parlementaire et des travaux scientifiques de l’INSERM, aura mis en lumière la nécessité d’agir par le biais d’un fonds d’indemnisation.
J’en viens à l’objet plus précis de ce fonds. Nous sommes héritiers d’une proposition de loi défendue par Nicole Bonnefoy et adoptée, le fait est assez rare, à l’unanimité par nos collègues sénateurs. Nous nous devons de reprendre ce combat, comme nous l’avons fait immédiatement en assurant une passerelle entre nos deux assemblées : nous nous sommes rendus au Sénat pour nous rendre compte des travaux réalisés ; nous avons accueilli les sénateurs Bernard Jomier et Nicole Bonnefoy à l’Assemblée nationale.
Je me réjouis de retrouver ici les visages de plusieurs personnes qui avaient participé à ce petit-déjeuner, à quelques pas d’ici. L’événement avait permis, autour de Paul François et de Nicole Bonnefoy, de réunir des députés de toutes sensibilités, qui ont en quelque sorte fait le serment de s’engager à poursuivre le combat engagé au Sénat. Ce que nous avons fait à l’occasion de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (EGALIM), sans succès, puis durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), sans davantage de succès… C’est pourquoi je salue la détermination du groupe Socialistes et apparentés, qui a consacré sa niche parlementaire à ce combat et à une autre proposition sur le chlordécone, variante de la proposition que je vais défendre. Sur les cinq propositions de loi qu’il propose d’examiner, deux concernent la santé du monde agricole et des populations rurales et les effets des pratiques que nous dénonçons aujourd’hui.
Nous sommes aujourd’hui au pied du mur, face à cette proposition que nous allons amender et corriger ensemble. De quoi s’agit-il ? Tout part du constat que, sur les populations agricoles, le seul régime des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) ne permet pas de couvrir l’intégralité des dégâts et des dommages causés aux personnes. Qui plus est, une partie des publics concernés n’est pas couverte, en raison d’arguties juridiques sur lesquelles je ne m’étendrai pas plus que nécessaire : il s’agit, par exemple, d’agriculteurs retraités pour lesquels les délais de prescription sont forclos, ou bien des cas où un recours est possible, mais où la preuve se révèle très difficile à établir ; il y a aussi ce cas, auquel, tout pathos mis à part, personne ne sera insensible, de cet enfant né avant 2005 et qui a subi in utero une exposition à des pesticides à une époque où sa maman n’était pas reconnue juridiquement comme conjointe d’exploitant, ce qui exclut toute possibilité de réparation au titre du registre habituel des maladies professionnelles ou des accidents du travail. Ajoutons qu’avant 2002, il n’y avait pas d’obligation de souscrire une assurance volontaire accidents du travail ; autant de personnes qui ne sont pas couvertes. Voilà au moins trois catégories, et je peux en trouver d’autres, qui échappent totalement au régime actuel de prise en compte.
Celui-ci n’a progressé que lentement, notamment à travers la création, pour le monde agricole, des tableaux nos 58 et 59, qui couvre les maladies de Parkinson et les lymphomes, tout au moins une catégorie de lymphomes malins. Mais toute une catégorie de maladies – plusieurs dizaines, à croire le rapport de l’INSERM – n’est pas prise en compte, par le fait que ces maladies résultent d’un faisceau de facteurs, d’un effet cocktail découlant de l’exposition à plusieurs substances.
Bref, il y a des populations qui ne sont pas prises en compte et des maladies mal identifiées. La création d’un fonds permettrait à la fois de prendre en compte toutes ces catégories de population exclues pour des raisons parfaitement scandaleuses, en prenant en considération la complexité de la nature même de ces maladies, qui ne peuvent pas relever d’une causalité immédiate.
Dans le cas de l’amiante, il est possible d’établir une cause, une conséquence et de trouver des traces qui ne sont pas discutables, à travers les identifications de la radiologie. Mais dans le cas présent, la causalité en faisceau justifie, par sa nature même, le besoin d’un fonds qui permet d’intervenir au bénéfice de populations aujourd’hui écartées. La prise en considération des faisceaux de symptômes permettra aussi aux victimes d’étayer leur cas et d’inverser la charge de la preuve.
Les fonds d’indemnisation dans notre pays sont à chaque fois nés de crises sanitaires larvées. Ce fut le cas du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), le plus célèbre, fruit d’un combat politique majeur dans notre pays et dont personne ne conteste plus le bien-fondé. Nous nous réjouissons que ce combat auquel des députés de plusieurs sensibilités ont participé ces dernières années, ait pu finir en triomphe. De la même façon, un fonds a été mis en place pour les victimes des essais nucléaires, de même que pour les malades du VIH infectées à l’occasion de transfusions sanguines, et plus récemment à l’occasion de l’épisode tragique du Mediator.
Ces réponses reposent sur un appel à la collectivité dans son ensemble, tant à la puissance privée qu’à la puissance publique. Car l’État est sollicité à travers ces régimes particuliers, mais la responsabilité privée est également recherchée.
Si nous avions encore des doutes sur la nécessité d’adopter cette proposition de loi, je rappellerais seulement le contenu d’un rapport commandé par l’ancien gouvernement et remis au gouvernement actuel il y a exactement un an. Par un vote à l’unanimité, dès le stade de la commission, les sénateurs avaient réclamé une triple mission d’inspection, par l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Vous avez tous pu prendre connaissance de ce rapport, à tous égards exemplaire sur le plan de la clarté et de la pédagogie ; nul besoin d’être un spécialiste pour entrer dans le raisonnement. Ainsi, depuis un an, l’État est en possession d’un rapport complet qui fait l’état de la question sur la base du dernier état de l’art, et qui plaide sans réserve pour la création d’un fonds.
J’en viens aux questions qui ont été abordées au cours de nos auditions préparatoires. Ma stratégie de rapporteur face à nos interlocuteurs, qu’il s’agisse des autorités scientifiques, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’INSERM ou l’INRA, des diverses autorités de gestion, des cabinets des ministres ou, bien sûr, des syndicats agricoles et syndicats de salariés, a été très simple : je leur ai demandé quels éléments d’information ils attendaient, qui n’aient pas déjà figuré dans le rapport de cette mission d’inspection rendu au mois de janvier 2018. Devant tous les députés qui étaient présents, je puis dire qu’aucun de nos interlocuteurs n’a pu nous démontrer que nous avions encore besoin d’informations complémentaires pour délibérer. La création d’un fonds apparaît comme une sorte de minimum requis.
Une première controverse, qui s’exprimera à l’occasion des amendements, a porté sur le périmètre des personnes concernées. Par prudence et par souci de consensus, je vais vous proposer non pas d’exclure, mais de reporter à 2022, la prise en compte des personnes qui auraient subi des affections liées aux pesticides sur le plan environnemental et non sur le plan professionnel. Autant il me semble urgent de prendre en compte l’ensemble des familles et l’ensemble des ressortissants des régimes agricoles de la Mutualité sociale agricole (MSA) concernés par les pesticides, autant une certaine prudence semble s’imposer sur le reste, dans la mesure où une série de rapports sont attendus pour 2019. Ils nous permettront de retrouver d’ici à 2022 la capacité à indemniser, le cas échéant, des victimes sur des critères de santé environnementale, encore mal renseignés aujourd’hui. À trop embrasser, nous pourrions mal étreindre ; nous avons donc choisi de rester centrés sur les accidents et maladies du travail, sans exclure pour autant les autres populations – car ce serait un mauvais service à rendre au monde agricole que de le privilégier dans la réparation des dégâts – dont la prise en compte sera reportée à l’issue d’un temps d’information non encore arrêté par la puissance publique.
La deuxième controverse qui pourrait animer nos débats ce matin, porte sur la nature intégrale ou forfaitaire de la réparation au titre du régime AT-MP. J’en appelle au sens de l’histoire : reportons-nous au combat de 1898 en faveur d’un régime d’accidents du travail et d’assurance maladie, mené par le député ouvrier Martin Nadaud. Il s’était engagé en faveur d’une réparation intégrale plutôt que d’une réparation forfaitaire. C’est la formule retenue dans le cas des crises sanitaires où une responsabilité collective, étayée par la puissance publique et privée, est établie.
Autrement dit, il serait totalement contradictoire avec les efforts engagés ces dernières décennies par nos prédécesseurs que de ne pas aller vers une réparation intégrale prenant en compte la totalité de la réparation, notamment dans la dimension patrimoniale et extra-patrimoniale, laquelle va jusqu’au préjudice esthétique et à tous les aspects de la souffrance à prendre en charge. La réparation intégrale est donc le point sur lequel nous pourrions être en désaccord partiel.
Ouvrir ce combat de la réparation, c’est certainement donner un signal très fort vers la prévention, qui est l’avenir de la puissance publique dans des sociétés complexes. Pour la première fois, un signal alarmant nous vient des États-Unis : l’espérance de vie en bonne santé y est pour la première fois en régression. Ce signal, nous ne pouvons pas ne pas l’entendre et adapter en conséquence nos modèles occidentaux de développement. Il est urgent d’agir.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes.
Mme Albane Gaillot. Au nom du groupe La République en Marche, je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour la qualité de nos échanges sur une véritable question de santé publique.
Nous sommes toutes et tous concernés car, nous le savons, il est aujourd’hui impossible de ne pas respirer ou ingérer de produits phytopharmaceutiques. Et ce, sans que nous le sachions. Les débats autour de la création de ce fonds d’indemnisation ont déjà eu lieu lors de l’examen du projet de loi EGALIM.
Nous avions pu acter à l’époque, à l’unanimité, la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, sur le financement et les modalités de création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes de maladies liées aux produits phytosanitaires. La représentation nationale s’est donc déjà exprimée sur la création du fonds ; seules les modalités techniques et le financement doivent encore être précisés.
Nous ne pouvons ainsi que regretter l’examen de ce texte avant la remise des conclusions du Gouvernement, même si je comprends évidemment les contraintes de l’agenda parlementaire et la seule possibilité pour le groupe Socialistes et apparentés d’inscrire un texte à l’ordre du jour lors de la journée du 31 janvier.
Comme je le disais, nous nous rejoignons bien évidemment sur l’urgence que représente la création de ce fonds d’indemnisation, même si nous aurons à débattre de la mise en œuvre et du financement de ce nouveau dispositif.
Nous proposerons par exemple de modifier le champ des personnes pouvant bénéficier de cette indemnisation en reprenant la rédaction, plus sage, proposée par le groupe socialiste au Sénat lors du PLFSS 2019. En l’état actuel, les connaissances scientifiques concernant les victimes environnementales et leur degré d’exposition sont insuffisantes pour les prendre en charge.
Nous sommes par ailleurs très réservés sur la mise en place d’une indemnisation intégrale ; nous proposerons de nous limiter, pour le moment, à une réparation forfaitaire des victimes afin de ne pas risquer de mettre en péril le régime actuel des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Si nous partageons donc l’objectif de création du fonds, nous souhaitons toutefois respecter les engagements pris par la représentation nationale et attendre la remise des conclusions du rapport du Gouvernement.
Les articles 4, 5, 6 et 8, en ce qu’ils concernent les modalités d’indemnisation des victimes – procédure, délais, droit d’action en justice et prescription – nous posent des difficultés. L’article 7 ne paraît pas en l’état répondre au besoin de financement d’un tel dispositif : il prévoit que le financement du fonds soit assuré par la taxe sur les produits phytosanitaires qui représente environ 4 millions d’euros par an. Nous sommes bien loin des 30 à 100 millions d’euros par an nécessaires selon l’IGAS, qui a pris position sur le sujet dans son rapport de janvier 2018.
Pour conclure, vous aurez donc compris la volonté d’avancer sur la réparation des victimes de produits phytopharmaceutiques de la part des députés du groupe La République En Marche. Ce sujet nous oblige à l’égard de nos concitoyens ; c’est la raison pour laquelle nous sommes mobilisés aux côtés du Gouvernement pour apporter une réponse à court terme, qui repose sur un dispositif efficace.
M. Gilles Lurton. Je tiens à mon tour à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour les auditions que vous avez conduites et votre volonté de permettre à chacune des parties intéressées de se prononcer sur le fond d’un sujet de santé publique qui nous concerne tous. Nous avons d’ailleurs, comme vous l’avez rappelé, déjà eu l’occasion plusieurs fois de débattre de ce sujet, parfois de manière passionnée, au cours de l’examen du projet de loi de loi EGALIM ou de l’examen des PLFSS.
Je dois dans un premier temps rappeler que les victimes professionnelles bénéficient déjà de possibilités d’indemnisation puisque plusieurs tableaux recensant les maladies professionnelles agricoles reconnaissent déjà certaines pathologies, par exemple la maladie de Parkinson, comme pouvant naître d’une exposition régulière aux produits pharmaceutiques. Néanmoins, la réparation qui découle de cette reconnaissance reste partielle et ne paraît plus être suffisante. Votre proposition de loi vise donc à mettre en place une réparation intégrale à travers la création d’un fonds d’indemnisation des victimes.
Cependant, le fonds proposé dans ce texte continue de soulever plusieurs interrogations, déjà abordées au cours des auditions.
La première concerne le mode de financement. Vous nous proposez d’y consacrer une fraction de la taxe perçue par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) pour la mise en place de dispositifs de pharmacovigilance. Si l’on retient cette option, et si le taux de cette taxe reste identique, les ressources seront alors trop faibles pour pouvoir répondre aux demandes d’indemnisation. L’ANSES a confirmé en audition que celle-ci ne rapportait pour l’heure que 4,3 millions d’euros. C’est, à notre avis, loin d’être suffisant, vous-même en aviez convenu.
Si le choix devait être fait d’une augmentation de cette taxe, encore faudrait-il savoir par qui elle serait financée et si elle serait répercutée sur le prix des produits, autrement dit sur les agriculteurs eux-mêmes.
La seconde interrogation concerne la gestion de ce fonds puisque ni la MSA, subodorée gestionnaire dans le texte, ni même la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) ne souhaitent se la voir confier.
Enfin, la troisième interrogation concerne le public éligible. Le texte prévoit que le fonds s’adresse non seulement aux agriculteurs, exploitants et salariés, mais également à toute personne souffrant d’une pathologie directement liée à cette exposition et aux enfants exposés in utero. Cette recherche de lien direct, difficile d’ailleurs à mettre en application, ouvre la voie à un public dont le nombre n’est pas facilement estimable.
Comme vous l’avez dit d’emblée, monsieur le rapporteur, notre commission a pour rôle de faire évoluer ce texte. Le groupe Les Républicains se prononcera ainsi en fonction des modifications apportées.
Mme Justine Benin. Le modèle agricole développé en France depuis l’après-guerre repose sur une forte dépendance aux produits phytopharmaceutiques. Au fil du temps, les pesticides et leurs effets sur la santé sont devenus un sujet de préoccupation majeur et un encadrement étroit des pesticides a progressivement été mis en place. En parallèle, les conversions à l’agriculture biologique se sont multipliées.
Cette dépendance aux produits phytopharmaceutiques demeure néanmoins très forte, en particulier dans les secteurs de la viticulture et de l’arboriculture et notre pays reste l’un des tout premiers consommateurs de pesticides en Europe et dans le monde.
Partant du constat de l’insuffisance des dispositifs de réparation actuels, vous proposez, monsieur le rapporteur, de mettre en place un dispositif de réparation intégrale des préjudices résultant, pour les victimes à la fois professionnelles et environnementales, de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques, et de créer à cet effet un fonds d’indemnisation.
Vous faites ainsi suite aux nombreux débats qui ont eu lieu dans le cadre de l’examen du projet de loi EGALIM – vos amendements portant création de ce fonds avaient alors suscité de longs échanges. Comme lors de l’examen d’EGALIM, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) soutient une meilleure prise en charge des victimes des produits phytopharmaceutiques et nous sommes favorables à la création de ce fonds d’indemnisation.
Nous sommes toutefois sensibles aux arguments que la ministre a développés au Sénat sur la déresponsabilisation totale des industriels : car votre dispositif revient à une indemnisation systématique, sans détermination de responsabilité, et de surcroît financée par une taxe sur les produits phytopharmaceutiques, et non par les industriels.
J’aimerais vous entendre sur ce sujet, monsieur le rapporteur, car il s’agit d’une question très importante.
Ainsi, mes chers collègues, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) soutient la création de ce fonds d’indemnisation, moyennant certains ajustements. Nous demandons également que soit accentué l’effort de recherche afin de développer les actions de protection des travailleurs et des populations. Nous soutenons de ce fait la feuille de route sur les produits phytosanitaires et du plan Ecophyto proposés par le Gouvernement.
Mme Nicole Sanquer. Le Groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI) ne peut que saluer l’initiative de nos collègues socialistes, tant le sujet qui occupe nos travaux ce matin constitue un enjeu majeur en termes de santé publique et de reconnaissance du préjudice subi.
Depuis déjà plusieurs décennies, de nombreux rapports ont mis en lumière les effets néfastes liés à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques, tant pour l’environnement que pour la santé humaine, et permis une prise de conscience progressive. Il est d’ailleurs à craindre que nous n’en prenions la pleine mesure que dans les années, voire les décennies à venir.
Nous saluons donc la mise à l’ordre du jour de cette proposition de loi, issue des travaux de nos collègues sénateurs et qui vise à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Nous sommes cependant partagés sur le mode de financement retenu, qui fait reposer la charge financière exclusivement sur les acteurs du monde agricole, premières victimes de l’utilisation de ces produits.
Nous nous interrogeons également sur le périmètre retenu, qui va bien au-delà des seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par une exposition aux produits phytopharmaceutiques, puisqu’il est étendu aux victimes environnementales.
Notre position de principe est qu’il revient à l’État de prendre ses responsabilités et de garantir un financement global, ou au moins majoritaire, du fonds d’indemnisation. Il nous paraît plus sage d’attendre les conclusions du rapport adopté lors de la loi EGALIM, prévu avant la fin du mois d’avril, qui doit nous donner des orientations et davantage de spécificités sur le financement et les modalités de création d’un fonds d’indemnisation.
Aussi nous contenterons-nous pour l’heure de ne pas nous opposer à cette proposition de loi, en attendant les propositions que le Gouvernement formulera lors de la séance publique.
M. Pierre Dharréville. Je voudrais à mon tour saluer le travail engagé par Dominique Potier et nos collègues socialistes sur cette question dont l’importance grandit dans l’opinion publique, à savoir l’utilisation des produits phytosanitaires et ses conséquences sur la santé publique, à commencer par la santé des travailleurs de l’agriculture.
J’ai bien entendu la manière dont notre rapporteur inscrivait sa démarche dans une volonté plus globale de changer de modèle. Je pense qu’il y a effectivement un certain nombre d’actes à produire pour y parvenir.
Je voudrais insister sur la nécessité de la prévention et de l’action sur les causes des pathologies que nous connaissons, sans pour autant nier la nécessité de la réparation et d’une juste réparation des préjudices subis.
Je remarque également que la création de fonds de ce type souligne l’insuffisance des dispositifs actuels de la branche AT-MP. Cela soulève naturellement la question de l’établissement des responsabilités, qui ne s’éteint pas avec la création de ce fonds. Dans le cas du FIVA, par exemple, le fonds a la possibilité de se retourner contre les responsables supposés des maladies déclenchées. La question du financement n’a donc rien de mineur.
Cela étant, il faut bien reconnaître – et je pense que c’est ce constat qui vous a conduit à déposer cette proposition – qu’il y a bel et bien une défaillance, et une responsabilité publique qui doit être assumée. C’est dans cette optique que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) regarde avec bienveillance la proposition qui nous est présentée.
M. Jean-Hugues Ratenon. Je voudrais en premier lieu saluer le travail du groupe Socialistes et apparentés concernant ce texte. Le groupe La France insoumise (FI) trouve que sa démarche va dans le bon sens et soutient cette proposition.
Ce texte appelle toutefois plusieurs remarques, notamment sur le délai de prescription, qui est à notre sens trop court. Et pour cause : les maladies causées par les produits phytosanitaires se déclarent majoritairement après dix ans. Ainsi, comment faire pour les nombreuses victimes qui ne développent ces maladies qu’après dix ans ?
En outre, le fonds sera-t-il suffisant pour le nombre de victimes, dont le nombre sera amené à s’accroître au fil des années ? À notre sens, il est difficile de prévoir les recettes que produira une taxe sur les recettes des fabricants de pesticides. L’objectif reste donc bien celui de se passer des pesticides, au-delà de la seule indemnisation des victimes – on ne peut pas ne pas penser au glyphosate.
Nous soutiendrons ce texte qui témoigne à nos yeux d’une volonté d’aller dans le bon sens.
Mme Jeanine Dubié. Je voudrais souligner l’intérêt et l’exhaustivité de ce rapport mais également la persévérance du rapporteur sur ce sujet qui l’occupe depuis de nombreuses années.
Nous assistons aujourd’hui à une prise de conscience croissante, par les pouvoirs publics comme par nos concitoyens, des risques que la forte dépendance aux produits phytopharmaceutiques fait peser sur la santé humaine et sur l’environnement. Notre assemblée y a consacré une mission commune d’information, présidée par Élisabeth Toutut-Picard, dont les conclusions ont été publiées en avril dernier.
Si les effets sur les écosystèmes et la biodiversité font l’objet d’études concordantes, l’évaluation des effets sur la santé reste un exercice délicat, notamment lorsque l’on essaie de déterminer, au cas par cas, les relations de causalité et les effets cumulés de l’interaction de plusieurs substances, dit « effet cocktail ».
Les auteurs de la présente proposition de loi proposent d’améliorer les dispositifs actuels afin de faciliter l’accès des victimes à l’indemnisation, en créant un fonds dédié. Ainsi, cette proposition définit clairement la liste des personnes pouvant prétendre à une indemnisation intégrale.
Il témoigne également d’une volonté de remédier au système actuel, particulièrement lourd et complexe, en mettant en place un nouveau dispositif de réparation. Le texte adopté au Sénat introduit une présomption de causalité et prévoit qu’une commission spéciale statue sur l’existence de ce lien. Il importe que l’indépendance de cette commission soit garantie.
J’insiste aussi sur le fait que les réparations doivent se faire dans un cadre strict. La question notamment du renversement de la charge de la preuve mérite d’être traitée. En outre, il apparaît nécessaire d’actualiser et d’améliorer le tableau des maladies professionnelles, aujourd’hui trop peu fourni.
Au-delà de l’aspect sanitaire, la question de l’utilisation des « phyto » doit aborder le nécessaire soutien à l’activité professionnelle de ceux qui les utilisent, à savoir les agriculteurs. Le groupe Libertés et territoires préconise ainsi la recherche d’un équilibre entre protection environnementale et sanitaire, et soutien à notre agriculture. Ce qui suppose de se donner les moyens de chercher des alternatives efficaces. La mise en place d’un tel fonds ne doit pas faire oublier qu’il est impératif de développer des actions de recherche en ce sens.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux questions des députés.
M. Bernard Perrut. Nous avons tous conscience des risques liés à l’usage des produits phytopharmaceutiques et des dangers qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine. À cet égard, il faut se féliciter des efforts d’ores et déjà consentis par les agriculteurs. Les plans Écophyto 1 et 2 et le plan de sortie du glyphosate permettent en effet d’accélérer le mouvement engagé et d’accompagner les agriculteurs, notamment les viticulteurs et les arboriculteurs, dans cette période de transition. Il faudra encore du temps pour qu’apparaissent de nouvelles alternatives et de nouveaux produits, mais on ne peut ignorer plus longtemps l’existence d’un lien entre l’exposition aux pesticides et certaines pathologies que les professionnels, leurs familles et les riverains contractent par divers modes de contamination : l’air, l’eau, le sol, l’alimentation…
La proposition de loi vise, à juste raison, à créer un fonds d’indemnisation des victimes de ces produits qui s’adresse à l’ensemble de la population. Toutefois, plusieurs interrogations demeurent, qui portent sur le mode de financement de ce fonds, notamment la taxe qui doit l’alimenter, les critères d’indemnisation, la répartition des montants d’indemnisation ou la gestion du fonds, puisque le texte prévoit que celui-ci sera géré par la caisse centrale de la MSA, laquelle semble ne pas le souhaiter.
La liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation est établie de telle façon que le champ des victimes potentielles est très large. Dès lors, je souhaiterais connaître l’évaluation du nombre de victimes dont vous disposez, monsieur le rapporteur. Comment établir – c’est toute la difficulté – le lien direct entre la pathologie observée et l’exposition aux pesticides, qui doit être démontré pour toute demande d’indemnisation ?
Si ce texte est nécessaire, on en perçoit bien les limites. Nous ne pourrons donc arrêter notre jugement qu’à la fin de la discussion.
Mme Élisabeth Toutut-Picard. Monsieur le rapporteur, vous soulignez bien l’insuffisance du régime d’indemnisation actuel. De fait, entre 2007 et 2016, moins de 700 malades ont vu leur pathologie reconnue au titre des maladies professionnelles, alors que le rapport des inspections générales évalue à 10 000 le nombre des victimes professionnelles potentielles de maladies liées à l’exposition aux pesticides. Ces chiffres sont, certes, à prendre avec précaution, car ils sont issus du croisement de données particulièrement complexes, mais le fait est qu’il existe, en la matière, une sous-déclaration et une sous-reconnaissance évidentes. Il est vrai que les tableaux des maladies professionnelles seront révisés, mais cette révision sera insuffisante. La création d’un fonds d’indemnisation se justifie donc amplement. La mission d’information que je présidais l’an dernier l’avait, du reste, clairement formulé dans ses recommandations : le principe de ce fonds n’est plus discutable. Il faut donc y aller, sans tarder ni mégoter sur les moyens ! Certes, la question du financement se pose, mais la mission des inspections avait proposé des scénarios plausibles, et nous pourrons bientôt trancher cette question sur le fondement du rapport qui sera transmis au Parlement en avril.
Votre proposition de loi vise à réparer les préjudices subis, mais ne serait-il pas encore mieux de les prévenir en améliorant le suivi médical des professionnels exposés ? Nous manquons en effet de données fiables concernant les exploitants et leurs familles qui ne sont pas astreintes aux obligations liées à la médecine du travail. La création d’un parcours de soins spécifique pour ces populations permettrait non seulement de remédier à ce problème, mais aussi de collecter des données épidémiologiques précieuses pour évaluer les besoins. Que pensez-vous de cette proposition, monsieur le rapporteur ?
M. Stéphane Viry. Je veux dire à quel point j’ai été sensible au plaidoyer de Dominique Potier. Manifestement, la question de la création d’un fonds destiné à indemniser les dommages causés aux personnes travaillant dans certaines filières agricoles doit être posée. Du reste, notre pays a su, jadis, créer des dispositifs analogues pour réparer des dégâts d’origine professionnelle. Il n’est donc plus temps de procrastiner !
Nous sommes ici un certain nombre, à avoir créé un groupe transpartisan pour avancer dans divers domaines liés à la transition énergétique. Ce texte me semble illustrer ce à quoi pourraient aboutir ces réflexions transversales et collégiales.
Des rapports ont d’ores et déjà été consacrés à cette question, qu’il s’agisse de celui de l’INSERM ou de celui du Sénat. Nous devons maintenant, sur le fondement de ce faisceau de présomptions d’imputabilité et de causalité, saisir la balle au bond et légiférer utilement sur le sujet.
Il n’en demeure pas moins, cher Dominique, qu’un certain nombre d’interrogations subsistent, notamment sur le financement, le champ d’application et le mode de réparation, intégrale ou forfaitaire. Nous verrons quelles réponses y seront apportées, mais je présume que nous pourrons réussir ensemble.
M. Matthieu Orphelin. Quel plaisir de constater un tel consensus ! C’est dans de tels moments que nous sommes fiers de faire de la politique. C’est un hommage collectif que nous rendons aux victimes, passées et présentes, de l’utilisation de ces produits phytosanitaires. Ce consensus va en effet nous permettre d’aller un peu plus loin que la loi EGALIM, en concrétisant la création un fonds d’indemnisation.
S’agissant de son financement, monsieur le rapporteur, une solution est proposée dans la proposition de loi, mais d’autres options seront discutées. Pourquoi ne pas prévoir, par exemple, comme le suggèrent certains groupes, une contribution spécifique assise sur les bénéfices des principales firmes produisant des pesticides, dont certaines jouissent d’excédents bruts d’exploitation très favorables ? J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point. Je salue en tout cas la qualité de votre travail.
M. Boris Vallaud. Je veux tout d’abord remercier Dominique Potier de s’être à nouveau saisi de cette question qui l’occupe depuis bien longtemps. Notre discussion – et cela vaut pour l’ensemble des propositions de loi du groupe Socialistes et apparentés examinées dans le cadre de cette niche – n’est que la première étape d’un débat démocratique et pluraliste, qui intervient après le lancement du grand débat national. Dans ce cadre, notre capacité d’écoute sera mise à l’épreuve, en particulier celle de la majorité, qui devra se montrer ouverte à des propositions qui n’émanent pas de ses rangs et dont les membres seront amenés à user pleinement de leurs prérogatives de parlementaires, notamment de leur pouvoir d’amendement et de leur liberté de vote. Je dis cela car nous avons le sentiment que les sujets que nous abordons sont consensuels. Comment, du reste, le souci du sort de milliers de victimes des produits phytosanitaires pourrait-il ne pas l’être ?
Certains ont relevé qu’il nous était proposé de créer un dispositif de réparation, mais que la question de la prévention demeurait entière. C’est précisément cette préoccupation qui avait conduit un certain nombre d’entre nous à souhaiter que l’interdiction du glyphosate, par exemple, soit inscrite dans la loi. Nous estimions en effet nécessaire d’envoyer un signe aux grandes industries, afin de leur faire comprendre que, cette fois-ci, elles ne devaient pas compter sur une alternance pour échapper aux devoirs qui sont les leurs.
Le consensus se traduit, pour l’instant, par des mots. Je ne voudrais pas qu’en séance publique, la majorité adopte une motion de renvoi en commission ou une question préalable, tout en affirmant sa préoccupation. On peut débattre, arguments contre arguments, du financement du fonds d’indemnisation ou du mode d’indemnisation, intégrale ou forfaitaire. Mais j’en appelle à la responsabilité de chacun. Certes, le rapport que nous attendons permet de laisser du temps à l’exécutif mais, ce temps, un certain nombre de victimes, hélas ! ne l’auront pas, parce que, malades, elles ne peuvent pas attendre.
M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous remercie pour l’état d’esprit de vos interventions, que je sens propice à une véritable co-construction.
Au préalable, je veux dire à Mme la présidente qu’il serait bon – je ne suis pas un spécialiste des arcanes de la procédure législative – que le rapporteur puisse déposer des amendements jusqu’au dernier moment. Les délais sont, en effet, très brefs. Or, je le dis avec humilité, après ma rencontre avec Nicole Bonnefoy et Bernard Jomier, j’ai été saisi d’un doute sur un point très précis dont je veux m’ouvrir à vous très librement : je veux parler du cas des enfants – je le dis sans pathos –, qui peuvent être victimes d’une exposition aux pesticides sans que leurs parents soient des professionnels. Les sénateurs – sensibilisés au sort de ces enfants par la question des cancers pédiatriques – les avaient inclus dans le champ couvert par le fonds d’indemnisation. En revanche, notre position, qui semble être partagée par la majorité, vise plutôt à exclure, dans un premier temps, les victimes d’une exposition environnementale, y compris donc les enfants, et à reporter la prise en compte de cette population à 2022 ou, comme le propose Mathieu Orphelin, à 2023. Une telle position n’est pas facile à assumer ; nous devons faire preuve de discernement. Nous pourrions ainsi être amenés à consulter des experts pour examiner la possibilité de prendre néanmoins en compte cette population.
Je reconnais donc les faiblesses de notre proposition et nos doutes, qui mériteraient une réflexion approfondie. Sur l’identification des populations qui ne seront pas immédiatement prises en compte comme sur les modalités de la réparation, je suis convaincu que nous pouvons aboutir à un consensus, si le dialogue se poursuit. Mais cela suppose, madame la présidente, que, lors de l’examen des amendements au titre de l’article 88, je puisse, en tant que rapporteur, défendre un amendement mis au point dans le cadre d’un groupe de travail rassemblant diverses sensibilités. Vous nous direz ce qu’il en est, mais je plaide pour que nous puissions, jusqu’au bout, poursuivre le dialogue le plus loin possible.
Je vais maintenant répondre aux questions qui m’ont été posées.
Tout d’abord, je remercie Mme Gaillot d’avoir rappelé, avec compassion, que le groupe socialiste ne disposait que d’une niche parlementaire d’une journée par an et d’avoir compris que nous n’allions pas attendre un an pour poursuivre un combat que nous menons depuis 2013.
Mathieu Orphelin a rappelé que l’amendement au projet de loi EGALIM, défendu nuitamment, ne visait pas à reporter le sujet, mais bien à fixer un rendez-vous. Mais les auditions nous ont permis de vérifier que les différents rapports, tant celui de l’ANSES que celui qui a été demandé au Gouvernement, ne nous apprendront rien que nous ne sachions déjà. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le fait que le calendrier proposé est le bon.
Par ailleurs, les arguments avancés pour limiter le bénéfice du fonds aux travailleurs de la terre et pour refuser de l’étendre à ceux qui sont exclus, pour des raisons parfois ubuesques, du champ des maladies professionnelles ne tiennent pas. À cet égard, opter pour un renvoi à la Commission supérieure des maladies professionnelles (COSMAP), dont je rappelle qu’elle s’est réunie, hier – est-ce un hasard ? je l’ignore –, pour la première fois depuis 2016, ce serait manquer le rendez-vous de l’histoire. J’ajoute que, dans le cadre d’un recours devant le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), la charge de la preuve repose sur le requérant. On sait à quel point c’est compliqué : tous les rapports de l’INSERM l’attestent, les causes sont multiples et s’additionnent pour produire ce qu’on appelle un « effet cocktail », si bien qu’il est pratiquement impossible d’établir devant la justice, ni a fortiori devant cette commission, un lien de causalité irréfragable. Par conséquent, seul un fonds analogue à celui qui a été créé pour indemniser les victimes de l’amiante notamment permet de prendre en compte globalement la maladie.
Cher Gilles Lurton, vous avez évoqué une compétition avec l’ANSES. Je suis bien placé pour vous répondre que, dans le cadre de la loi pour l’avenir de l’agriculture, le groupe parlementaire majoritaire avait prévu, en accord avec le ministre, que l’étude d’un produit phytosanitaire pouvait se poursuivre après sa mise sur le marché, afin que soient analysés ses effets à grande échelle, dans des contextes évolutifs – changement climatique, changements d’usage, évolution des pratiques économiques des filières, etc. C’est grâce à cette phyto-pharmacovigilance exercée par l’ANSES – je le dis avec une certaine fierté, ayant voté cet amendement – que le méta-sodium a été interdit en novembre 2018. Nous ne voulons donc en aucun cas détruire ce fonds, que nous avons créé et abondé lors des lois de finances. Je pense même que la somme – 4,2 millions – affectée aux travaux de l’ANSES est insuffisante et pourrait être portée à 5 millions, voire 6 millions, en prélevant entièrement la taxe de 0,3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises vendant des produits phytosanitaires soumis à autorisation de mise sur le marché. Ainsi, compte tenu de l’élargissement des finalités du fonds à la réparation des préjudices, ces 0,3 % constituent en quelque sorte un fonds d’amorçage. Du reste, nous savons que, dans leur étude, les trois inspections envisagent une augmentation de ce taux, qui devra être révisé le moment venu, jusqu’à 1,5 %, afin que les industries phytopharmaceutiques contribuent à la hauteur estimée dans les modélisations économiques.
Par ailleurs, nous ne devons en aucun cas baisser la garde en matière de prévention.
Mme Benin et Mme Sanquer ont évoqué la question sensible des réserves émises par Mme la ministre. Boris Vallaud l’a dit à sa manière : ce temps est celui de la société civile, du Parlement. Il nous revient de poser de grands principes. Du reste, si j’en crois nos collègues du Sénat, les positions de Mme la ministre ont évolué depuis : à nous d’obtenir une dernière évolution. Au demeurant, je vous rassure : la proposition de loi – que nous allons voter, je l’espère, à l’unanimité – renvoie très largement à des décrets, de sorte que le Gouvernement pourra fixer lui-même des normes qui tiennent compte du principe de réalité et de la vérité scientifique. Nous ne légiférons pas dans l’émotion ; notre propos n’est pas d’adresser des injonctions au Gouvernement mais de le mettre devant ses responsabilités, et je ne doute pas que la ministre saura les assumer.
S’agissant de la prévention, je retiens l’excellente proposition de Mme Toutut-Picard d’améliorer le suivi médical, et je suggère que son groupe dépose un amendement en ce sens, en espérant qu’il ne sera pas considéré comme un cavalier législatif. En tout état de cause, le fait d’appliquer des mesures de prévention à l’ensemble de la population rurale concernée – et ce sera encore plus vrai pour la chlordécone – me semble une excellente idée. J’y serais donc évidemment favorable.
M. Dharréville et M. Ratenon ont évoqué la question des recours en responsabilité. Le fonds d’indemnisation, je le rappelle, vise à assumer collectivement, privé et puissance publique, la réparation de dégâts collectifs dans le cadre d’une responsabilité sans faute – concept apparemment abscons mais reconnu à de multiples reprises dans notre pays. Son existence n’épuise pas les recours qui peuvent être formés lorsque la responsabilité des dommages est dûment établie. La justice peut ainsi être saisie si un industriel, un fournisseur ou un employeur a commis une faute ; nous devons effectivement y veiller. Ce n’est pas à la collectivité d’assumer une faute privée lorsqu’elle est établie par la justice.
Mme Dubié a plaidé pour la prévention, et je ne peux qu’abonder dans sons sens. Je rappellerai que le plan « Écophyto 1 », qui a été pourtant beaucoup dénigré, a permis l’établissement d’un Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques, dit « Certiphyto », qui a été délivré aux dizaines de milliers d’agriculteurs, d’ouvriers agricoles et d’employés de coopératives qui ont suivi un stage sur la manipulation de ces produits. Une prise de conscience est donc intervenue et les pratiques ont changé : des progrès ont été réalisés notamment dans le domaine des vêtements de protection. Il faut poursuivre ce travail, bien entendu. Mais la meilleure prévention réside dans l’abandon progressif des pesticides. Nous travaillons à l’avènement de cet autre monde à l’échéance de 2050, selon des modalités, cher Boris Vallaud, qui peuvent être légèrement divergentes – mais nous sommes bien d’accord sur les finalités.
Pour ma part, je ne suis pas d’avis que le Parlement se prononce sur les molécules. Son rôle, selon moi, est plutôt de plaider au niveau européen pour renforcer l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), afin qu’elle dispose de fonds propres et puisse réaliser ses expertises sans dépendre d’aucun lobby. À cet égard, les mesures que le gouvernement précédent a prises concernant l’ANSES sont importantes : ses prérogatives doivent être renforcées et ses fonds suffisants pour qu’elle puisse s’autosaisir, sans dépendre ni de l’opinion ni du marché. Telle est ma position, et je n’ai pas à m’en excuser puisqu’en tant que paysan et élu local, je me suis affranchi depuis plusieurs décennies du glyphosate. Il me semble que, dans une démocratie moderne, il ne faut pas confondre les champs et les lieux : il faut renforcer des lieux de décision autonomes, libérés des lobbies. Quant au Parlement, il doit rester prudent dans ces matières, car il n’agit pas forcément en connaissance de cause.
Par ailleurs, l’écart existant entre l’estimation réalisée par la mission des trois inspections et le nombre de malades actuellement pris en charge est, c’est vrai, considérable, puisque nous sommes dans un rapport d’un à dix, voire d’un à quinze. En effet, on estime actuellement le nombre de cas indemnisés au titre des régimes ATMP à 70 par an, soit 700 cas recensés en 10 ans, alors que le nombre des personnes susceptibles d’être concernées ‑ ceux qui souffrent de la maladie de Parkinson notamment –, est évalué, avec beaucoup de prudence par les inspections à 100 000 travailleurs de la terre exposés aux pesticides au sens large dont 10 000 professionnels développeront une pathologie au sens strict.
De fait, les agriculteurs tout comme la médecine de ville, voire l’hôpital public, connaissent mal le lien de causalité entre le métier exercé et l’affection diagnostiquée. La première cause que nous devons défendre est donc celle de l’information : en l’espèce, l’ignorance est l’ennemie de la justice. Des progrès considérables doivent ainsi être faits, d’abord dans la connaissance de ces maladies et de leurs causes, puis dans la réparation des dommages. Quoi qu’il en soit, le delta entre la population estimée et celle qui est prise en charge est considérable : s’il n’y avait qu’une raison de créer ce fonds, ce serait celle-là.
Enfin, M. Viry notamment a abordé la question de la modélisation économique. Je rappellerai la version haute évoquée par la mission des trois inspections. Selon que l’on retient la population directement concernée ou que l’on inclue également les familles des travailleurs de la terre, selon que l’on opte pour une réparation forfaitaire ou une réparation intégrale, l’estimation varie entre 23 millions et 93 millions d’euros, soit, sur une période d’une dizaine d’années, un total compris entre 250 millions, dans la version la plus étriquée et économie, et 1 milliard d’euros. Comment la mission propose-t-elle de répartir cette charge ? Un quart de celle-ci pèserait sur la profession elle-même, c’est-à-dire la MSA, un autre quart serait supporté par l’industrie phytopharmaceutique – en portant le taux de la taxe actuelle à 1,5 % –, la moitié restante pesant sur la Sécurité sociale, abondée par l’État et la solidarité nationale. Cette répartition peut faire l’objet d’un débat : pour ma part, j’estime que la part de l’industrie est sous-évaluée. Quoi qu’il en soit, ce modèle donne une idée de la répartition qui pourrait être décidée. Celle-ci représente un véritable effort, mais il y va de la réparation, pour autant qu’elle soit possible, des dommages subis par des milliers de personnes qui souffrent.
La commission en vient à l’examen des articles.
Article 1er
Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation
La commission examine, en discussion commune, les amendements AS21 du rapporteur et AS1 de M. Matthieu Orphelin.
M. Dominique Potier, rapporteur. En préambule, je tiens à dire que tous les amendements que je défendrai visent à nous rassembler.
Dans la loi EGALIM, il a été précisé, à l’initiative de Mathieu Orphelin, que le Gouvernement devait présenter au Parlement un rapport sur la création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Je m’inscris dans cet horizon de temps. Tout le monde, du reste, est d’accord sur ce point. L’amendement AS21 tend donc à retenir cette date pour la création du fonds d’indemnisation.
M. Matthieu Orphelin. Il est en effet très important que nous respections l’engagement pris dans la loi EGALIM en fixant au 1er janvier 2020 la date de création de ce fonds d’indemnisation. Je sais que cette mesure provoque certaines résistances. Certes, le Gouvernement devra faire preuve de volontarisme pour définir les modalités de fonctionnement et de financement du fonds d’ici à un an. Mais cette date, je le rappelle, avait été adoptée à l’unanimité.
Nous proposons également, par l’amendement AS1, qu’à compter de cette date, le fonds s’adresse aux agriculteurs, premières victimes des produits phytosanitaires, car la reconnaissance des maladies professionnelles nous offre les outils nécessaires à leur indemnisation. S’agissant des autres personnes concernées, notamment les riverains pour lesquels certaines questions demeurent, notamment sur les matrices d’exposition, nous proposons de nous donner davantage de temps – trois ans – pour mettre au point les méthodes dont nous ne disposons pas forcément aujourd’hui.
M. Dominique Potier, rapporteur. Je suggère à M. Orphelin de retirer son amendement au bénéfice du mien. S’agissant de la réparation intégrale, nous pensons également qu’il ne faut pas attendre 2023 : la réparation doit être intégrale dès le 1er janvier 2020, pour tous les travailleurs de la terre et leurs familles, actuellement exclues.
Mme Albane Gaillot. L’article 81 de la loi EGALIM du 31 octobre 2018 dispose que le fonds d’indemnisation sera créé avant le 1er janvier 2020, après la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement le 30 avril 2019. Il convient donc d’adopter la date du 1er janvier 2020. Par ailleurs, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) estime les que les connaissances actuelles en matière de santé environnementale ainsi que les données concernant les riverains ne sont pas suffisantes pour que nous légiférions avec clairvoyance et prudence sur le sujet. Je propose donc, en renvoyant à la discussion d’un amendement déposé par le groupe socialiste au PLFSS 2019, de limiter l’indemnisation aux victimes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle.
M. Gilles Lurton. Je serais tenté de dire que l’amendement de M. Orphelin est plus complet que celui de M. le rapporteur, dans la mesure où il prévoit de prendre en compte, à partir de 2023, le cas des riverains, auquel je suis très sensible. Certes, nous n’avons pas encore les moyens d’évaluer la situation sanitaire de ces derniers, mais nous rencontrons tous de nombreux riverains de terres agricoles qui se plaignent d’avoir à subir les conséquences de l’épandage de produits phytosanitaires.
Je regrette, par ailleurs, que la mission d’information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate de l’Assemblée nationale n’ait pas pu émettre un avis sur ce dossier.
M. Boris Vallaud. Nous soutiendrons bien entendu l’amendement du rapporteur. En effet, la date de création du fonds au 1er janvier 2020 est inscrite dans la loi EGALIM, de sorte qu’en votant cet amendement, nous ne contreviendrions en rien aux précédents votes de la représentation nationale. Je ferai observer que la remise d’un rapport en avril prochain compléterait, le cas échéant, le texte proposé par Dominique Potier, sans que l’un ne fasse obstacle à l’autre. Je ne vois donc pas pour quel motif légitime nous rejetterions cet amendement.
M. Cyrille Isaac-Sibille. Le groupe MODEM soutiendra l’amendement de Matthieu Orphelin.
M. Dominique Potier, rapporteur. Manifestement, il y a une petite confusion, et je m’en excuse. En fait, ces deux amendements sont jumeaux, sinon cousins : tous deux visent à fixer la date d’entrée en vigueur du fonds d’indemnisation au 1er janvier 2020. Ils diffèrent cependant sur la date à laquelle ce fonds doit prendre en compte la population des riverains, en tout cas les personnes dont la maladie n’est pas liée à une pratique professionnelle. Mathieu Orphelin propose la date de 2023 ; pour ma part, je propose 2022, sachant qu’une étude doit être rendue ce mois-ci à la demande des ministères de la santé et de l’agriculture, suite à l’émotion suscitée par la recrudescence de cancers pédiatriques dans une région française. En tout état de cause, il me paraît raisonnable d’approfondir nos connaissances scientifiques avant de prendre une décision politique sur ce point. Je propose d’attendre 2022, Mathieu Orphelin 2023. Que l’on adopte l’un ou l’autre de ces amendements, on ne déséquilibrera pas la visée politique que nous partageons.
La commission rejette l’amendement AS21.
Puis elle adopte l’amendement AS1.
La commission examine ensuite l’amendement AS16 de Mme Albane Gaillot.
Mme Albane Gaillot. Si nous poursuivons l’objectif de la proposition de loi, certaines de ses modalités doivent faire l’objet d’ajustements. L’amendement AS16 propose une réparation forfaitaire des préjudices. Nous pensons qu’une réparation intégrale aurait pour effet de remettre en cause le système accidents du travail et maladies professionnelles, qui date pourtant de 1898. Après avoir fêté l’an dernier les cent vingt ans de la loi concernant les responsabilités dans le cadre des accidents du travail, notre proposition paraît plus raisonnable ; une réparation forfaitaire peut être conséquente. Nous attendons tout particulièrement les conclusions du rapport gouvernemental pour ajuster ses différents paliers. Par ailleurs, on peut lire à la page 51 du rapport de l’IGAS, de l’IGF et du CGAAER qu’« aucun système européen n’offre de véritable réparation « intégrale » ». Les conseillers aux affaires sociales des ambassades de France qui ont été interrogés ont pour la plupart répondu qu’il n’existe pas de dispositif spécifique d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, comme cela est envisagé en France. Aucun des interlocuteurs n’a fait état de la création d’un fonds dédié.
M. Dominique Potier, rapporteur. Madame Gaillot, vous voilà face à un dilemme terrible : en votant l’amendement AS1 de Matthieu Orphelin, nous avons adopté le principe d’une réparation intégrale, y compris pour les populations qui n’ont pas été exposées professionnellement, dès lors que la science aura fourni les preuves nécessaires, en 2023 au plus tard. Adopter votre amendement serait pour le moins paradoxal.
Par ailleurs, votre état des lieux européen est contestable. Le chapitre du rapport que vous avez cité montre que le sens de l’Histoire, dans le domaine de la réparation des maladies professionnelles, c’est la réparation intégrale. Dans la mesure où nous cherchons un consensus, je n’ouvrirai pas de polémique sur les excédents de ces régimes, qui pourraient permettre de mieux prendre en compte les souffrances des travailleurs et des personnes concernées, pour peu que nous décidions d’en affecter tous les bénéfices à ce qui était dévolu par la loi et non de les mettre au service de visées moins nobles.
Nous avons les moyens, avec le régime AT-MP, de mieux réparer. Tous les fonds spécifiques, comme celui dont nous avons acté le principe à l’instant, assurent une réparation intégrale, dès lors que la preuve de la responsabilité collective est faite. Remettre en cause ce principe dans le cas des pesticides revient à le remettre implicitement en cause pour le FIVA, le VIH ou le Mediator. Avis défavorable.
M. Boris Vallaud. Notre groupe s’opposera à l’amendement AS16. Dans un autre domaine, un exemple montre que le sens de l’Histoire, c’est la réparation intégrale du préjudice : le plafonnement des indemnités prud’homales. Plusieurs tribunaux ont considéré qu’il fallait une réparation intégrale et non un plafonnement des indemnités forfaitaires.
Mme Albane Gaillot. Mon amendement pose en effet un problème législatif technique, monsieur le rapporteur, dans la mesure où nous venons de voter l’amendement de M. Orphelin sur la réparation intégrale. Nous ne pouvons pas inscrire une chose et son contraire dans la loi. Cependant, il est important d’examiner la question de la réparation des autres victimes, qui ne seraient pas concernées par des pathologies liées au phytosanitaire et qui risqueraient de se sentir discriminées, en n’étant indemnisées qu’au forfait. Il serait intéressant de réfléchir à une meilleure prise en charge des maladies professionnelles dans le cadre du régime AT-MP. Je vais donc retirer mon amendement.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pour clarifier le débat, je précise que l’amendement AS1 visait à créer deux régimes distincts dans leur date d’application, en précisant la liste des catégories concernées. Votre amendement, quant à lui, madame Gaillot, a trait à la réparation forfaitaire. Les deux amendements sont en réalité très différents et ne sont pas incompatibles.
Mme Albane Gaillot. Je vous remercie, madame la présidente, et ne souhaite plus retirer mon amendement. L’amendement de Matthieu Orphelin visait, de fait, à revenir sur les dates et les champs.
M. Matthieu Orphelin. Mon amendement ne concernait en effet que les dates et non le type d’indemnisation. Veuillez m’excuser si ma rédaction était fautive.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous n’allons pas agir par ruse ou jouer l’ironie. Outre que ce registre n’est pas le mien, ce n’est pas le moment : le sujet est trop grave. Alors que nous reprenons un texte du Sénat, adopté à l’unanimité et qui a mobilisé des centaines de personnes, nous n’allons pas nous donner des leçons pour telle ou telle maladresse. Matthieu Orphelin précisait dans son amendement que la réparation d’éventuelles victimes qui n’appartiendraient pas à la famille du travailleur de la terre serait intégrale. Il serait au moins paradoxal que l’indemnisation soit intégrale pour ces personnes, mais pas pour les travailleurs de la terre. Il faudra régler cette question et aligner les deux régimes.
Chaque fois que la responsabilité est collective dans une crise sanitaire, la réparation est intégrale. Voter contre la réparation intégrale, qui mobilise des fonds privés, reviendrait à remettre en cause la participation des industries phytopharmaceutiques dans le cas des drames sanitaires ou celle de l’industrie de l’amiante dans le cas du FIVA. Nous avons l’opportunité de réparer intégralement, puisque nous allons chercher les fonds privés d’industries, dont nous estimons qu’elles ont une part de responsabilité. Au nom de quoi pourrions-nous nous priver de cette juste réparation ? Imaginez-vous la vie d’un paysan atteint par une pathologie causée par les phytosanitaires, le devenir de sa ferme, et parfois de sa famille ? C’est de cela que nous parlons. Il n’est pas possible de faire du forfait dans un tel cas ; il faut aller au bout de la réparation. C’est le sens de l’Histoire.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement AS22 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS22 vise à expliciter la possibilité de prendre en charge, dès la création du fonds, des victimes d’exposition professionnelle non reconnues comme souffrant d’une maladie professionnelle, notamment les retraités et les conjoints, comme le préconise le rapport de l’IGAS, de l’IGF et du CGAAER, ou encore les enfants victimes d’une affection in utero. En effet, avant 2005, l’exposition des agriculteurs et de leurs conjoints n’était pas reconnue juridiquement et, partant, elle n’était pas prise en compte par ces régimes. Qui plus est, avant 2002, les assurances accidents du travail n’étaient pas obligatoires pour les exploitants. En substituant aux mots « la liste » « les listes », nous prenons en compte la famille des travailleurs de la terre et pas seulement ceux qui sont assurés à la MSA.
Mme Albane Gaillot. L’indemnisation des victimes professionnelles qui ne sont pas couvertes au titre de l’AT-MP, notamment des retraités, pose une vraie question. Je m’interroge toutefois sur la rédaction de votre amendement qui, à mon sens, n’inclut pas seulement les retraités agricoles, comme vous l’expliquez dans l’exposé des motifs. Je vous suggère de travailler ensemble, avant la séance, à une nouvelle rédaction afin de cibler précisément les retraités agricoles.
M. Pierre Dharréville. Je soutiens l’amendement du rapporteur, qui s’inscrit dans la logique des choses. Ce fonds est aussi fait pour répondre à un certain nombre de défaillances liées à l’étroitesse de tableaux et de dispositifs prévus dans le cadre dans la branche AT-MP.
M. Dominique Potier, rapporteur. Faisons attention au ton que nous utilisons. Tout à l’heure, vous entendiez renoncer à l’indemnisation intégrale au profit de l’indemnisation forfaitaire ; maintenant, vous nous dites qu’il faut en rester à la liste des victimes déjà prises en compte dans la branche AT-MP. Auquel cas ce n’est pas la peine d’adopter cette proposition de loi ! Vous faites seulement semblant de le vouloir. Nous avons proposé d’intégrer au système d’indemnisation des catégories qui n’y sont pas aujourd’hui. Peut-être que la rédaction n’est pas heureuse et qu’il faudra la modifier en séance ; mais si vous souhaitez vous en tenir à une indemnisation forfaitaire pour des gens qui sont déjà en mesure d’être indemnisés, autant voter dès le début contre notre proposition de loi. Je vous propose plutôt d’adopter mon amendement et de le corriger en séance, dans un esprit constructif. Comment allons-nous expliquer aux phytovictimes et à tous les syndicats que nous avons rencontrés que nous avons fait une loi pour ne pas changer la loi ? Il faut au moins élargir le champ d’indemnisation. Si la rédaction n’est pas heureuse, soyez certains du soutien de tous les députés présents ici, et en premier lieu de celui du rapporteur.
La commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’examen de l’amendement AS29 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous sommes en train de revenir au régime actuel… Une catégorie pourrait souffrir du rejet de nos amendements : les enfants victimes in utero avant 2005, dont la maman ne bénéficiait pas du régime de conjoint collaborateur. Même si ce vide juridique a été corrigé en 2005, cette catégorie de victimes, qui ont aujourd’hui entre vingt et vingt-cinq ans, n’a pas été prise en compte. Nous souhaitons qu’elle le soit désormais.
Mme Albane Gaillot. Je vous rejoins une nouvelle fois, monsieur le rapporteur, quand vous souhaitez inclure dans la prise en charge par le fonds l’indemnisation des enfants victimes in utero, en raison de l’exposition de leurs parents. J’ai déposé un amendement visant à redéfinir le champ des personnes pouvant obtenir la réparation de leurs préjudices aux seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’à leurs enfants. Nos deux amendements sont assez similaires, si ce n’est que le vôtre englobe également la sphère non professionnelle.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle étudie l’amendement AS14 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.
Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Dans quelques heures, nous examinerons la proposition de loi dont je suis la rapporteure sur la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone. Par le biais de cet amendement, je souhaite d’ores et déjà prendre le pouls de nos discussions, en ouvrant le bénéfice du fonds d’indemnisation à toutes les victimes du chlordécone, dès sa mise en place. La proposition de loi restreint le champ d’indemnisation aux seules pathologies d’origine professionnelle, tout en ouvrant la faculté d’étendre son bénéfice aux victimes d’origine environnementale en 2023. En Martinique et en Guadeloupe, aux victimes professionnelles, à savoir les ouvriers agricoles de la banane, exposés entre 1972 et 1993, qui ne le sont plus maintenant, s’ajoutent désormais toutes les victimes environnementales qu’il convient de prendre en charge, comme l’a proposé le Président de la République lui-même, lors de sa visite en Martinique le 29 septembre 2018.
M. Dominique Potier, rapporteur. Avis très favorable ! Même si nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet dans quelques heures, je me réjouis que notre collègue ait déposé cet amendement. Dans l’écosystème des outre-mer, la distinction entre les victimes professionnelles du chlordécone et les victimes parmi les populations rurales est particulièrement complexe. Qui plus est, la pollution des sols continue de faire des dégâts sur les animaux et les hommes. J’invite la commission à adopter cet amendement qui prend en compte la spécificité des outre-mer et lance le débat sur un sujet que nous examinerons en fin d’après‑midi.
Mme Albane Gaillot. Je comprends votre position. Cependant, dans la mesure où nous avons adopté l’amendement AS16, nous ne pouvons pas étendre l’indemnisation à toutes les victimes du chlordécone. Qui plus est, nous aurons cet après-midi un débat approfondi sur le cas spécifique du chlordécone et les pathologies liées à son utilisation. Nous sommes contre cet amendement.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement AS17 de Mme Albane Gaillot.
Mme Albane Gaillot. L’amendement AS17 vise à redéfinir le champ des catégories des personnes pouvant demander une indemnisation au titre de l’existence d’une maladie directement liée à l’exposition des produits phytopharmaceutiques. Les connaissances scientifiques relatives aux riverains ne sont pas suffisantes à ce jour pour établir le lien de causalité entre la pathologie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques. L’IGAS a ainsi relevé dans son rapport que nous ne disposions pas de suffisamment de connaissances scientifiques, à l’exception des cas d’exposition professionnelle des parents, en matière de santé environnementale. Sauf pour l’amiante et le plomb, le lien de causalité entre la pathologie et l’environnement est habituellement difficile à mettre en évidence. L’amendement reprend la rédaction proposée par le groupe socialiste au Sénat dans le cadre du PLFSS pour 2019, à laquelle nous ajoutons le cas des enfants atteints d’une pathologie directement occasionnée par l’exposition d’un de leurs parents, dans le cadre de leur activité professionnelle.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons un vrai différend sur ce sujet. Faute d’être en mesure de prouver scientifiquement l’origine des pathologies des victimes environnementales, il ne faudrait pas les prendre en compte. Quel message n’enverrions-nous pas ! Ceux qui travaillent et vivent dans la ferme seraient indemnisés – et encore, pas les retraités, par exemple, que vous avez exclus dans vos amendements –, mais il n’y aurait rien pour leurs voisins. Vous ne pouvez pas penser ce que vous dites ! La position de Matthieu Orphelin, qui renvoie cette question à 2023, me semble beaucoup plus sage. Si l’on découvrait alors, suite à l’étude qui sera menée cette année, qu’il n’y a pas de sujet, ce dont je doute, le fonds ne couvrirait pas ce champ ; mais exclure dès à présent ces populations, c’est envoyer un mauvais signal à nos concitoyens, ainsi qu’au monde agricole, en lui donnant l’impression qu’il bénéficie d’un accès privilégié à une réparation dont les autres seraient exclus. La sagesse, c’est, comme je le proposais dans mon amendement AS21 ou comme le proposait Matthieu Orphelin dans l’amendement AS16, de ne pas les exclure aujourd’hui, mais de prendre le temps de réfléchir à la bonne dimension et aux bonnes conditions de l’indemnisation. Je vous invite à retirer cet amendement, qui aurait un effet désastreux sur le combat que nous partageons.
La commission adopte l’amendement.
Elle en vient ensuite à l’examen de l’amendement AS23 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. C’est, d’une certaine façon, un amendement rédactionnel visant à prendre en compte pas tant les parents que les ascendants. Cette précision sémantique, sans être neutre, ne remet pas pour autant en cause l’équilibre du texte.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement AS18 de Mme Albane Gaillot.
Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à indemniser les enfants atteints d’une pathologie résultant directement de l’exposition d’un de leurs ascendants à des produits phytopharmaceutiques dans le cadre de leur activité professionnelle.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il me semble que l’amendement AS23 étant adopté, celui-ci n’a plus de sens. Je vous suggère donc de le retirer.
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Article 2
Création et organisation du Fonds d’indemnisation
des victimes des produits phytopharmaceutiques
La commission examine l’amendement AS24 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. L’article 2 a essentiellement trait aux modalités de financement et de fonctionnement du fonds. Le rapport du Sénat prévoyait d’en confier la gestion à la caisse centrale de la MSA. Pour éviter toute querelle, l’amendement renvoie la création du fonds à un décret du Gouvernement. Nous voulons ouvrir le champ qui, me semble-t-il, se confondait avec la MSA. L’important, c’est que ce fonds relève d’un organisme public, sans présager de son identité. La majorité ne manquera pas d’être sensible à cet amendement qui ouvre une plus grande latitude au Gouvernement…
Mme Albane Gaillot. Nous y sommes sensibles ! Je crains toutefois qu’on ne présume un peu de la forme juridique du fonds, en le décrivant comme un établissement public administratif. Or on ne sait pas aujourd’hui s’il est pertinent qu’il recouvre cette forme-là ou une autre ou encore qu’il soit directement rattaché à une caisse de sécurité sociale. Retravaillons cette question pour la séance.
M. Dominique Potier, rapporteur. En fait, le choix est entre la MSA et la MSA… Nous souhaitions seulement offrir au Gouvernement la possibilité de proposer une formule plus adaptée. Je vais retirer mon amendement, dans la mesure où nous sommes d’accord sur la finalité.
L’amendement est retiré.
La commission en vient à l’examen de l’amendement AS2 de Mme Sandrine Le Feur.
Mme Sandrine Le Feur. Cet amendement visait à inscrire dans le marbre la création du fonds d’indemnisation avant le 1er janvier 2020, conformément à l’article 81 du projet de loi EGALIM. Cette création fait l’unanimité, il est temps que ces maladies professionnelles soient indemnisées. S’engager clairement et fortement sur une date me semble important pour les victimes des produits phytosanitaires. Mais, étant donné que l’amendement AS1 de Matthieu Orphelin a été adopté, je vais le retirer.
L’amendement est retiré.
La commission étudie l’amendement AS19 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement vise à prendre en compte le rapport de l’IGAS, et pas seulement pour ce qui nous arrange… Il préconise en effet la création d’un conseil scientifique qui aurait pour mission la mise à jour continue des connaissances scientifiques. C’est un amendement de bon sens qui ne peut que nous rassembler.
Mme Albane Gaillot. Nous sommes une fois de plus favorables à votre amendement, dans la mesure où, si nous sommes sensibles à l’indemnisation, nous le sommes également à la prévention. Il apparaît nécessaire de faire de la pharmacovigilance et de s’adjoindre un comité scientifique, afin de réfléchir, d’anticiper et de prévenir.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Article 3
Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice
indemnisable par le fonds
La commission examine successivement les amendements AS25 et AS26 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS25 vise à corriger une erreur des excellents rédacteurs du Sénat, qui ont oublié de préciser que le secret médical ne s’appliquait qu’aux tiers et qu’on ne pouvait pas se voir interdire la consultation de son propre dossier médical… Quant à l’amendement AS26, il tire les conséquences du fait que le « secret industriel et commercial » est devenu le « secret des affaires », suite à la loi du 30 juillet 2018, dont je ne dirai pas ce que je pense, dans un souci de concorde…
La commission adopte successivement ces amendements.
Elle adopte l’article 3 modifié.
Article 4
Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds
La commission rejette l’article 4.
Article 5
Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds
La commission rejette l’article 5.
Article 6
Recours des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation
M. Dominique Potier, rapporteur. Pour la bonne compréhension de tous, il aurait été bon que la majorité exprime les raisons de son rejet des articles 4 et 5.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À ceci près que les articles ne faisaient pas l’objet d’amendements… Le débat aura lieu en séance.
La commission rejette l’article 6.
La commission examine l’amendement AS13 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.
Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Sur le modèle de ce qui se fait pour les indemnités versées aux victimes de l’amiante et aux victimes des essais nucléaires, cet amendement propose d’exonérer d’impôts l’ensemble des indemnités versées par le fonds aux victimes. Il nous semble utile de ne pas imposer une double peine aux victimes, en taxant les réparations dont elles bénéficient.
M. Dominique Potier, rapporteur. Avis extrêmement favorable. C’est la pratique habituelle pour l’ensemble des fonds. Je tiens à vous préciser que nous venons de rejeter la capacité d’actions récursoires qu’avait mentionnées M. Dharréville, soit une prérogative classique des fonds… C’est incroyable ! À part l’industrie phytopharmaceutique, je ne vois pas qui gagne au rejet de l’article 6.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je rappelle que l’on ne débat pas en commission sur les articles qui ne font pas l’objet d’amendements. Nous en discuterons en séance.
La commission rejette l’amendement.
Article 7
Modalités de financement du fonds
La commission est saisie de l’amendement AS28 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. Je suis assez fier de cet amendement que j’ai déposé hier, en réponse à une remarque qui nous a été faite par plusieurs de nos collègues, notamment au sein du groupe Les Républicains, au sujet des bénéfices indus des multinationales : comme ils l’ont souligné à juste titre, une taxation sur le flux des ventes de produits phytopharmaceutiques pourrait se répercuter sur le client final, à savoir l’agriculteur. Je trouve cette objection parfaitement légitime.
Pour en tenir compte, le présent amendement propose une solution alternative à l’augmentation de la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques – que le rapport rendu conjointement par l’Inspection générale des finances (IGF) le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture, de l’agroalimentaire et des espaces ruraux (CGAAER) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) suggère de faire passer de 0,2 % à 1,5 %. Je rappelle que la part de responsabilité de l’industrie phytopharmaceutique dans l’apparition de maladies chez les professionnels exposés à leurs produits est estimée à environ 25 % – proportion amène à se réduire très fortement depuis que vous avez repoussé le principe d’une réparation intégrale du préjudice.
M’inspirant de la modélisation récemment proposée par Bruno Le Maire dans le cadre de la lutte contre les GAFA, et qui consiste à prévoir une taxe assise sur le chiffre d’affaires réalisé à l’échelle mondiale par ces géants du numérique, je propose de créer une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé au niveau mondial par les firmes commercialisant des produits phytopharmaceutiques, rapporté à la part des ventes de ces produits réalisées en France, ce qui paraît finalement plus juste. Cette solution, moins satisfaisante que la transparence sur les holdings que nous avions précédemment demandée dans le cadre de plusieurs textes, constitue cependant un progrès, et devrait permettre de collecter un montant de l’ordre de 25 millions d’euros par an pour le financement du fonds – dans l’hypothèse haute, correspondant à une indemnisation intégrale.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement AS20 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS20 repose sur un mécanisme différent de celui défendu par le ministre de l’économie, puisqu’il vise à augmenter la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques, actuellement collectée par l’ANSES, en la faisant passer de 0,2 % à 1,5 %. Comme vous l’aurez compris, il est absolument nécessaire d’adopter cet amendement de repli car, à défaut, le fonds créé ne sera pas abondé.
Mme Albane Gaillot. Nous ne savons pas grand-chose des modalités pratiques de fonctionnement du nouveau fonds d’indemnisation ; même la façon dont il sera abondé – taxe sur le chiffre d’affaires ou sur les ventes de produits phytopharmaceutiques – reste encore indéterminée, mais ce qui est certain, c’est qu’une augmentation du prix de vente des produits phytopharmaceutiques aura pour conséquence une perte de pouvoir d’achat pour les agriculteurs. Lors des auditions auxquelles il a été procédé, les syndicats d’agriculteurs ont insisté sur le fait que la création d’un fonds ne présentait d’intérêt qu’à la condition qu’il soit effectif. Je vous invite par conséquent à engager une réflexion sur ce point, afin d’être en mesure de soumettre à notre assemblée, lors des débats en séance publique, un mode de financement répondant à cette exigence. En l’état actuel, le groupe La République en Marche votera contre cet amendement.
M. Dominique Potier, rapporteur. Je ne peux que vous avouer ma stupéfaction en apprenant qu’aucune de nos deux propositions de financement ne vous paraît satisfaisante. Je vous rappelle que la première correspondait à une disposition préconisée dans un rapport rendu conjointement par ces organismes gouvernementaux que sont l’IGF, le CGAAER et l’IGAS… Je ne vais pas faire de cette commission une tribune et y refaire le procès de la mondialisation, mais votre position me paraît incompréhensible ! Je rappelle que lors des auditions, un seul syndicat – et ce n’est pas le syndicat majoritaire – a émis des réserves sur l’impact que pourrait avoir sur l’économie agricole la mise en place de la taxe proposée : avec beaucoup de courage et un grand sens des responsabilités, tous les autres syndicats ont affirmé que, s’ils n’appelaient pas de leurs vœux la création de cette taxe – sans doute auraient-ils préféré l’amendement précédent à celui dont nous débattons actuellement –, ils étaient prêts à l’assumer au nom de la responsabilité professionnelle. Vous ne pouvez donc pas faire dire aux syndicats qu’ils sont opposés à cette taxe ! Je vous le répète, si nous rejetons cette seconde solution prévoyant un abondement du fonds, nous revenons au régime « maladies professionnelles et accidents du travail », autrement dit à la case départ.
M. Stéphane Viry. C’est bien ce qu’ils veulent !
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 7 modifié.
Article 8
Régime de prescription
La commission rejette l’article 8.
Article 9
Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires
La commission adopte l’article 9 sans modification.
La commission est saisie de l’amendement AS27 du rapporteur.
M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement de coordination prévoit que la présente loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2020.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
M. Dominique Potier, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie pour les échanges que nous avons eus. Nous avons fait un petit pas en adoptant le principe de la création du fonds d’indemnisation, mais il nous reste beaucoup de chemin à parcourir d’ici à la séance publique si nous voulons aboutir à un texte répondant aux attentes des sénateurs comme à celles exprimées par la société civile tout entière – et il est dommage que, sur ce chemin, le principal obstacle qui se présente à nous semble être constitué par une position trop conservatrice et trop timide du Gouvernement.
La satisfaction que nous pouvons ressentir à l’issue de l’examen de cette proposition de loi doit rester mesurée. En effet, si nous avons créé un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, celui-ci n’a pas vocation à couvrir toutes les personnes ressortissant des métiers du travail de la terre. Contrairement à tous les autres fonds d’indemnisation créés précédemment – je pense notamment au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), au Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ou encore au Fonds d’indemnisation des victimes du Mediator –, il serait le seul à ne pas être basé sur le principe d’une réparation intégrale du préjudice subi par les victimes. Toute liberté est laissée au Gouvernement pour la détermination du délai de prescription et des modalités de remboursement, et quasiment rien n’est dit au sujet des exigences éthiques que nous aurions pu défendre. Plus étonnant encore, ce fonds ne mobilise pas la capacité de recours dans le cas où la responsabilité d’un employeur ou d’un fournisseur serait établie.
Ce premier pas accompli reste donc d’une portée encore trop symbolique et nous devons nous attendre à un vif débat d’idées en séance publique, car il y a pire que de ne rien faire, c’est de faire semblant.
Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est pour moi tout le sens du débat parlementaire que d’enrichir un texte dans un processus de coconstruction, à la fois en séance publique et en commission, et je me félicite que nous nous soyons livrés à cet exercice ce matin.
La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi. En conséquence, elle demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport (http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/ta-commission/r1597-a0.pdf).
([1]) https://agriculture.gouv.fr/le-gouvernement-lance-la-consultation-sur-le-plan-ecophyto-ii-visant-reduire-notre-dependance-aux
([2]) Sénat, rapport d’information n° 42 (2012-2013) fait de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement Pesticides : vers le risque zéro présenté par Mme Nicole Bonnefoy, sénatrice https://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-042-1-notice.html
([3]) Dominique Potier, Pesticides et agro-écologie, les champs du possible, Rapport au Premier ministre, novembre 2014 https://agriculture.gouv.fr/rapport-de-dominique-potier-pesticides-et-agro-ecologie-les-champs-du-possible
([4]) Assemblée nationale, rapport d’information déposé en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, n° 852, 4 avril 2018 http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i0852.pdf
([5]) Laurence Eslous (IGAS), Pierre Deprost (IGF), Jean-Bernard Castet (IGF) et Xavier Toussaint (CGAAER), La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques, rapport de la mission de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, janvier 2018 http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-M-043-03-DEF.pdf
([6]) Amendement n° 474 rect au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, https://www.senat.fr/amendements/2018-2019/106/Amdt_474.html
([7]) Rapport, en nouvelle lecture, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, modifié par le Sénat, pour 2019 (n° 1408) n° 1440, http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r1440.pdf :
« l’article 81 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous prévoit l’établissement d’un rapport sur le financement et les modalités de création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes de maladies liées aux produits phytopharmaceutiques. Ce rapport doit être remis au Parlement par le Gouvernement dans un délai de six mois après la promulgation de la loi précitée, c’est-à-dire au plus tard avant la fin du mois d’avril 2019. Par ailleurs, la ministre de la santé a rappelé devant le Sénat que le Gouvernement avait confié à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) la réalisation d’une étude actualisée des liens entre pathologies et exposition professionnelle aux produits phytosanitaires. »
([8]) Inserm, Expertise collective, Pesticides, effets sur la santé, 2013.
([9]) Rapport de la mission IGAS-IGF-CGAER, op. cit.
([10]) Inserm, Expertise collective, Pesticides, effets sur la santé, 2013.
([11]) Anses, rapport d’expertise collective Expositions professionnelles aux pesticides en agriculture, juillet 2016.
([12]) C. Marty-Chastan et E.Rance (IGAS) - D.Guériaux et R.Tessier (CGAAER) – A.Delaunay et C.Mir (CGEDD), Utilisation des produits phytopharmaceutiques, rapport de la mission de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, décembre 2017.
([13]) Rapport n° 236 (2017-2018) de M. Bernard Jomier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 janvier 2018 https://www.senat.fr/rap/l17-236/l17-236_mono.html
([14]) Rapport d’information n° 42 (2012-2013) de Mme Nicole Bonnefoy, fait au nom de la mission commune d’information sur les pesticides présidée par Mme Sophie Primas, déposé le 10 octobre 2012 https://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-042-1-notice.html
([15]) Rapport de la mission IGAS-IGF-CGAAER, p. 76.
([16]) Rapport de la mission IGAS-IGF-CGAAER, p. 76.
([17]) Troisième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.
([18]) Laurence Eslous (IGAS), Pierre Deprost (IGF), Jean-Bernard Castet (IGF) et Xavier Toussaint (CGAAER), La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques, rapport de la mission de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, janvier 2018 http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-M-043-03-DEF.pdf
([19]) Rapport de la mission IGAS-IGF-CGAAER, p. 76.
([20]) Mais cette réparation diffère entre exploitants et salariés agricoles, les non-salariés ne disposant pas du niveau d’indemnisation des salariés. Pour les indemnités journalières versées jusqu’à la guérison ou la consolidation, le calcul est basé sur un gain forfaitaire annuel de 12 847 euros pour les exploitants (soit 35,19 euros par jour) tandis qu’il est basé sur le gain journalier réel (plafonné) pour les salariés. Ce même gain forfaitaire annuel de 12 847 euros sert de base au calcul de la rente d’incapacité permanente des non-salariés, alors que pour les salariés agricoles, la rente est, a minima, calculée sur la base d’un salaire annuel minimum de 18 336 euros.
([21]) La rente en cas d’incapacité permanente est versée dès 10 % de taux d’incapacité permanente pour les salariés, tandis que les chefs d’exploitation ne sont indemnisés qu’à partir de 30 % de taux d’incapacité. Ce taux seuil est même de 100 % pour les autres non-salariés agricoles.
([22]) Rapport de la mission IGAS-IGF-CGAAER, p. 76.
([23]) Ibid.