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N° 1677

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 février 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI demandant l’interdiction du glyphosate (n° 1560).

PAR Mme Bénédicte Taurine

Députée

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 Voir le numéro : 1560.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Une agriculture « biberonnée » au glyphosate

A. Un outil chimique redoutablement efficace

1. Le mode daction des produits à base de glyphosate

2. Malgré l’opacité des chiffres, une agriculture dépendante aux produits chimiques

B. Des usages essentiellement agricoles

1. Les usages agricoles

2. Les autres utilisations

II. Une dangerosité qui ne laisse plus de place au doute

A. Une urgence sanitaire

1. Les premières victimes : les agriculteurs

2. La rémanence du glyphosate atteint toute la population

B. Une atteinte à lenvironnement et à la biodiversité à grande échelle

1. Une pollution qui conduit à lappauvrissement des sols et de la biodiversité

2. Les cours deau massivement contaminés

3. Lurgence dune analyse de la qualité de lair

III. Lobjectif de la proposition de loi : engager la transition vers le « zéro glyphosate »

A. Une prise de conscience qui peine à se concrétiser

1. Les failles procédurales

2. Les décisions de justice et les décisions politiques

3. La colère des citoyens : linitiative citoyenne européenne

B. Un engagement présidentiel à transcrire dans le droit positif

1. Annonces et revirements présidentiels

2. Une inertie dans la baisse des usages : des phénomènes de « verrouillage sociotechnique »

3. Un travail sur les alternatives déjà bien engagé

travaux de la commission

I. DISCUSSION GÉNÉRALE

II. Examen de larticle unique

Article unique (art. L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime) Interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate

1. Létat du droit

a. La procédure dautorisation des produits phytopharmaceutiques

b. Les possibilités du législateur national

i. La restriction générale des usages

ii. Linterdiction de certains produits phytopharmaceutiques

2. Larticle unique de la proposition de loi

3. La position de la commission des affaires économiques

Après l’article 1er

 


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   Introduction

 

« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »

Article 1er de la Charte de l’environnement

 

La molécule du glyphosate est découverte en 1950 par le chimiste suisse Henri Martin. À partir de 1964 le glyphosate est utilisé dans sa fonction de chélateur de métaux, ce qu’explique ainsi la journaliste Marie-Monique Robin dans son livre enquête Le Round up face à ses juges : « le glyphosate permet d’extraire les métaux de leur milieu, de les fixer et de les rendre solubles dans l’eau ».

Ce n’est que depuis 1974 que le glyphosate est utilisé comme herbicide foliaire avec la commercialisation, par Monsanto, du Round up, produit phytopharmaceutique élaboré à base de cette molécule toxique.

Le brevet du glyphosate a expiré en 2000, on trouve désormais des mélanges à base de glyphosate dans 750 produits commercialisés par 90 fabricants dans 130 pays.

Le succès du glyphosate tient à sa fonction herbicide non sélective  tuant pratiquement toutes les plantes avec lesquelles il entre en contact et systémique – jusqu’aux racines. Son utilisation a décuplé au niveau mondial lors de la commercialisation de cultures génétiquement modifiées ([1]) qui lui sont résistantes.

Il est l’herbicide le plus utilisé au monde : avec environ 800 000 tonnes de matière active vendues annuellement il représente 25 % du marché mondial des pesticides. La France consomme environ 10 % des volumes de glyphosate vendus dans le monde.

Plus précisément, en 2017, en France métropolitaine, 8 800 tonnes de matière active ([2]) ont été vendues, tous usages confondus, soit environ 30 % du volume dherbicides vendus en France. La substance est essentiellement utilisée en production céréalière, en arboriculture et en viticulture. La SNCF l’utilise pour désherber les voies à hauteur de 0,4% de la consommation nationale.

En dépit du « succès » de ce produit phare de Monsanto et d’intenses campagnes de lobbying de ce géant mondial de l’industrie chimique visant à discréditer toute étude contradictoire, plusieurs études scientifiques et enquêtes journalistiques ont démontré la dangerosité du glyphosate pour la santé humaine, l’environnement et la biodiversité.

Mais c’est plus particulièrement le 20 mars 2015 que la lumière est faite sur sa dangerosité: le Centre international de recherche sur le cancer (CICR), agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré le glyphosate génotoxique (endommageant l’ADN), cancérogène pour l’animal et cancérogène probable pour lhomme (groupe 2A) ([3]).

Pourtant, après plusieurs mois de débats, le 27 novembre 2017 ([4]), les États membres de l’Union européenne ont voté favorablement à la proposition de la Commission européenne de renouveler l’autorisation du glyphosate pour 5 ans après que l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) ait refusé de classer le glyphosate parmi les agents cancérogènes.

Le même jour et après que la France a voté contre cette nouvelle autorisation, le Président de la République Emmanuel Macron déclarait : « jai demandé au Gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que lutilisation du glyphosate soit interdite en France des que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ».

Lors de la discussion de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ont pourtant refusé dinscrire cet engagement présidentiel dans la loi. Depuis, le Gouvernement, la majorité parlementaire et, récemment, le Président de la République, n’ont eu de cesse de défendre une position ambiguë sur ce sujet.

Les atermoiements de la majorité guidée par la parole présidentielle laissent agriculteurs et consommateurs dans l’incertitude. Un plan de sortie basé sur le volontarisme des acteurs et émaillé de dérogations n’est plus suffisant.

Les échecs des plans Ecophyto de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques mettent en doute la capacité du Gouvernement à tenir promesse : les ventes de ces produits ne diminuent pas et la révolution agro‑écologique n’est pas engagée.

Les solutions techniques existent pourtant : l’enjeu est avant tout politique.

Lobjectif doit être clair et lengagement des pouvoirs publics ferme, sans quoi les hésitations constituent un frein à la mise en œuvre une transition, qui est aujourdhui devenue urgente.

Cest pourquoi lobjet de la proposition de loi qui est soumise à votre examen est dinscrire dans le code rural et de la pêche maritime linterdiction de lutilisation des produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate à compter du 27 novembre 2020.

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I.   Une agriculture « biberonnée » au glyphosate

L’usage des produits phytopharmaceutiques d’origine chimique a commencé à se répandre entre les deux guerres mondiales et s’est généralisé après 1945, du fait notamment de l’apparition de nouvelles molécules comme les insecticides organochlorés ([5])  (dont le DDT). Avec l’interdiction des produits organochlorés se sont développés – en substitution – les produits organophosphorés, parmi lesquels se trouve le glyphosate.

Par ailleurs, la croissance des besoins alimentaires de l’Europe et du monde a soutenu un modèle de développement agricole intensif, dans lequel l’industrie chimique joue un rôle primordial. On constate régulièrement les désastres environnementaux et sanitaires qui en résultent.

A.   Un outil chimique redoutablement efficace

1.   Le mode d’action des produits à base de glyphosate

Le succès du glyphosate tient à son efficacité : selon le rapport de l’INRA « Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française » ([6]) publié en décembre 2017, il « bloque la chaîne de synthèse des précurseurs d’acides aminés essentiels ». À des degrés divers, ce mécanisme de blocage fonctionne sur tous les végétaux.

Le glyphosate est ainsi :

– non sélectif, c’est-à-dire qu’il est efficace pour détruire une grande majorité des végétaux. Son spectre d’action est donc extrêmement large ;

– systémique : en étant appliqué sur la plante, il migre dans les tissus jusque dans les parties souterraines pour en détruire le système racinaire.

Le glyphosate est essentiellement utilisé dans sa fonction herbicide, en particulier en interculture mais il a aussi deux autres fonctions qui ne sont pas pratiquées en France :

– le glyphosate a une fonction dessicative sur les céréales qui permet d’accélérer leur maturité avant leur récolte. D’après le rapport de l’INRA précité, les agriculteurs français n’utilisent plus le glyphosate pour cette fonction  ([7]) ;

– il faut également relever que nombre de pays autorisent le glyphosate en cours de saison sur les variétés de céréales OGM qui lui sont tolérantes (Round up ready, par exemple). Il n’existe pas de culture OGM en France mais un très grand volume de produits agricoles importés, notamment ceux qui composent l’alimentation animale, sont traités avec du glyphosate, sans qu’aucun contrôle ne soit effectivement exercé.

2.   Malgré l’opacité des chiffres, une agriculture dépendante aux produits chimiques

Le glyphosate, appliqué par pulvérisation ou épandage, est très simple dutilisation.

Ce produit est redoutablement efficace, nous l’avons vu, et il est également peu coûteux : il en coûte 12 € par hectare de traitement en moyenne alors que d’autres herbicides sélectifs coûtent environ 60 € par hectare.

Le glyphosate est une solution chimique de facilité qui, comme pour tous les produits phytopharmaceutiques, a détourné les agriculteurs de pratiques culturales respectueuses de l’environnement mais aussi plus utilisatrices de main d’œuvre et de mécanique. La dépendance aux produits chimiques est certaine.

En 2017 en France métropolitaine, 8 800 tonnes de matière active ([8]) ont été vendus, tous usages confondus. Le glyphosate représente environ 30 % des volumes d’herbicides vendus en France.

Le glyphosate n’étant pas interdit, le volume des ventes ne diminue pas. Elles ont même augmenté au gré des interdictions d’autres substances. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que l’on sait que les surfaces agricoles diminuent chaque année et que les surfaces agricoles cultivées en agriculture biologique – et donc n’utilisant pas de glyphosate – progressent. Il en résulte probablement que les quantités utilisées ramenées à l’hectare progressent également.

Ventes de glyphosate en France

Année de référence

Tonnage exprimé en quantité de substance active

2011

8 980

2012

9 730

2013

9 370

2014

10 070

2015

8 790

2016

9 110

2017

8 800

Source : banque nationale des ventes des distributeurs BNV-D (pour les années 2011 à 2016,) cité dans le rapport de l’INRA 2017 ;  ministre de la transition écologique et solidaire (pour l’année 2017)

Votre rapporteure regrette que l’opacité soit encore entretenue sur les quantités vendues et utilisées des produits contenant du glyphosate. Les chiffres des ventes recensés dans la banque nationale des ventes de produits phytosanitaires (BNV-D) ([9])  sont présentés sont forme de classeurs Excel dans lesquels figurent toutes les ventes des distributeurs, tous produits phytopharmaceutiques confondus. Les ventes de glyphosate sont ainsi répertoriées et totalisent 48 448 lignes d’un classeur comportant 769 255 lignes !

Capture d’écran de la BNV-D (fichier excel)

 

Le chiffre des ventes totalisé pour 2017 est celui régulièrement annoncé par le ministre de la transition écologique et solidaire. Les données chiffrées des années antérieures sont celles citées dans le rapport de l’INRA précité.

À ce jour, nous ne disposons pas encore des chiffres pour l’année 2018 et la répartition des usages par culture n’est pas disponible.

B.   Des usages essentiellement agricoles

1.   Les usages agricoles

En France, le glyphosate est essentiellement utilisé en grandes cultures, notamment céréalières, en viticulture et en arboriculture.

Le glyphosate détruit les couverts végétaux et les prairies, élimine le verdissement des parcelles avant semis sans devoir travailler le sol et contrôle la flore adventice (les « mauvaises herbes ») difficile : vivaces, invasives, allergènes ou toxiques.

En grandes cultures (céréales, betterave sucrière, pomme de terre etc.), le glyphosate est utilisé en interculture : il est utilisé pour détruire une prairie permanente ou temporaire, pour détruire un couvert d’interculture, mais le plus souvent, son usage a pour objet la destruction d’adventices, en complément d’un travail du sol.

Ses trois principaux usages en culture céréalière sont :

– la destruction des prairies temporaires, qui fournissent du fourrage pendant un temps avant le semis d’une nouvelle culture ;

– la destruction du couvert temporaire, une culture obligatoire mise en place entre la récolte et le semis afin de ne pas laisser le sol à nu (ce qui lui évite de perdre ses nitrates, lui permet de piéger du CO2 et favorise la biodiversité) ;

– la préparation à l’implantation d’une nouvelle culture.

En viticulture, le glyphosate est essentiellement utilisé en désherbage sous le rang, plus rarement entre les rangs (à raison d’un rang sur deux). Parmi les produits phytopharmaceutiques utilisés, la viticulture a davantage recours aux fongicides.

Environ 40 % des traitements herbicides sont faits avec un produit contenant du glyphosate mais le recours à cette substance est variable d’une région à l’autre : de 19 % des traitements herbicides en Champagne à 55 % en Charentes en 2013. Le nombre de traitements oscille de 1 à 3 par an avec une moyenne, en 2013, de 511 grammes de glyphosate par hectare et par an.

Entre 20 et 50 % de la surface du vignoble est traitée, en fonction de l’écartement entre les rangs (plus les rangs sont écartés plus le désherbage mécanique est aisé). L’importance de l’utilisation du glyphosate dépend du mode d’entretien du sol et des conditions pédoclimatiques de la zone à traiter.

Le désherbage a pour objectif de limiter la concurrence hydro-azotée mais concourt également à avoir des rangs de vignes plus esthétiques ...

En arboriculture (abricot, pêche, prune, cerise, pomme, etc.), le glyphosate est également utilisé en désherbage des adventices sous le rang pour limiter la concurrence dans l’accès à l’eau et aux minéraux et créer les conditions favorables au développement et à la maturation des fruits et pour éviter la prolifération des rongeurs. Les quantités utilisées sont très variables d’une production à l’autre : entre 480 et 1 000 grammes par hectare et par an à raison de deux applications par an.

Les territoires doutre-mer utilisent également le glyphosate.

Dans les plantations de canne à sucre, le glyphosate est utilisé dans les inter-rangs pour traiter les adventices et entretenir les abords. Les bananeraies sont, quant à elles, détruites chimiquement avant leur mise en jachère, ce qui permet notamment d’éliminer le charançon du bananier.

Carte de la rÉpartition des ventes de glyphosate par dÉpartement

 

Données extraites de la BNV-D et cartographie FranceinfoTV citée dans le rapport INRA Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française, 2017

La carte de la répartition des ventes de glyphosate par département est conforme à la répartition géographique des principales cultures qui en sont utilisatrices.

2.   Les autres utilisations

Le glyphosate est également présent dans notre environnement du fait de l’usage qu’en fait la SNCF pour désherber les quelques 61 000 km de voies ferrées. Cette consommation représente 0,4 % des usages en France.

Le ballast rend difficile le désherbage mécanique et le désherbage manuel est dangereux pour les personnels. La SNCF mène un vaste programme d’innovation qui semble prometteur : il combine solutions de bio-contrôle,  électriques, électromagnétiques, de couverture géotextile et même végétale.

L’utilisation de couverts textiles et les capteurs GPS ont déjà permis de réduire les quantités de produits phytopharmaceutiques utilisés par la SNCF : ils ont été divisés par 3 en 20 ans.

Le glyphosate est également utilisé sur les pistes datterrissage des avions tout comme dans les forêts pour éliminer les ronces.

L’utilisation des produits phytosanitaires, dont le glyphosate, est déjà interdite pour les collectivités publiques (depuis le 1er janvier 2017) et pour les particuliers (1er janvier 2019), nous y reviendrons.

 


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II.   Une dangerosité qui ne laisse plus de place au doute

Il est difficile d’établir une synthèse des effets dangereux du glyphosate sur la santé humaine et sur l’environnement tant les débats scientifiques sont biaisés par des cas prouvés de manipulations orchestrées par les firmes chimiques et par certains médias.

Les données documentaires sérieuses – indépendantes – font intensément état de la dangerosité des produits phytopharmaceutiques en général et du glyphosate en particulier mais il est important de préciser combien le grand public manque dinformation sur ces substances.

Lorsque l’on parle de la préparation commerciale du produit phytopharmaceutique, il faut distinguer la substance active, c’est-à-dire la molécule chimique qui apporte l’effet recherché (le glyphosate) de ses coformulants qui sont des solvants qui améliorent les propriétés et l’efficacité du produit, notamment pour son application et qui varient selon les formulations commerciales. L’ANSES a eu l’occasion de faire état de ses préoccupations sur ces co-formulants, notamment la tallowamine, dès 2016 ([10]).

La dangerosité des produits à base de glyphosate est démontrée comme substance active, comme produit et par combinaison avec d’autres substances chimiques produisant un effet cocktail encore insuffisamment documenté, bien que très inquiétant.

A.   Une urgence sanitaire

1.   Les premières victimes : les agriculteurs

L’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Pesticides, effets sur la santé, publiée en 2013, fait état d’associations positives entre l’exposition professionnelle à des pesticides et la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et des cancers hématopoïétiques (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples). Il existe aussi un facteur de risque pour le développement de lenfant sil est exposé lors des périodes prénatale, périnatale et lors de la petite enfance. Plusieurs de ces maladies figurent au tableau des maladies professionnelles reconnues.

Concernant plus spécifiquement le glyphosate, l’expertise collective de l’INSERM, décrit le lien entre exposition professionnelle d’agriculteurs et augmentation significative du risque de lymphome non hodgkinien chez ces agriculteurs. Le risque de myélomes multiples est également « suggéré ».

La cohorte AGRICAN de 180 000 personnes affiliées à la Mutualité sociale agricole (MSA), lancée en 2005 dans douze départements représentatifs d’activités agricoles et suivie jusqu’en 2007 ([11]) pour éclairer le lien entre expositions professionnelles agricoles et risque de cancers, a permis de montrer que certains cancers apparaissaient plus fréquemment en milieu agricole comme le mélanome de la peau, le myélome multiple, le lymphome non hodgkinien et le cancer de la prostate ([12]).

Le Gouvernement a confié le 18 avril 2018 à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et à l’INSERM une nouvelle étude sur les liens entre pathologies et exposition professionnelle aux produits phytosanitaires.

Au niveau international, le Centre international de recherche sur le cancer ([13]) (CIRC) dépendant de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a publié, en juillet 2015, une monographie qui classe le glyphosate comme « cancérogène probable » pour l’être humain.

Cette classification a été établie à partir dun « nombre de preuve limité » chez les humains et de « preuves suffisantes » chez les animaux dexpérimentation ainsi que « des preuves solides » que le glyphosate manifeste deux caractéristiques associées aux cancérogènes, à savoir la génotoxicité et la capacité à induire un stress oxydatif. La monographie du CIRC confirme le lien entre exposition au glyphosate et développement de lymphomes non hodgkiniens.

La monographie s’appuie sur toutes les études publiées dans les revues scientifiques : les experts ont examiné un millier d’études et en ont retenu 250 en raison de leur qualité, évaluée collectivement.

Plusieurs études démontrent également que le glyphosate est un perturbateur du système endocrinien.

Pour la journaliste Marie‑Monique Robin, la propriété chélatrice du glyphosate lui permet de capter les atomes de métaux disponibles dans l’environnement et de les rendre solides dans l’eau. C’est ce qui a provoqué des maladies rénales au Sri Lanka et conduit à son interdiction (voir infra).

À rebours de ces multiples démonstrations, lAgence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a, à plusieurs reprises, nié que le glyphosate soit génotoxique ou quil constitue une menace cancérogène pour lhomme et a donc rendu un avis favorable à son maintien sur le marché.

En France, l’ANSES a été saisie le 8 avril 2015 par plusieurs ministères pour analyser les éléments présentés dans la monographie du CIRC sur le glyphosate et dans les rapports de l’EFSA, afin de savoir s’ils étaient de nature à soutenir une proposition de modification de la classification du glyphosate ([14]).

La réponse publiée par l’ANSES est ambiguë : elle classe le glyphosate en catégorie 2 (« substances suspectées d’être cancérogènes pour l’homme » ; la catégorie 1 correspondant aux « cancérogènes avérés ou présumés » pour l’être humain et la catégorie 1B correspondant aux « cancérogènes supposés » et s’appuyant sur des données animales). Par ailleurs, l’Agence estime nécessaire que le classement du glyphosate soit rapidement revu par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

L’Agence affiche une position en retrait : « en conclusion, compte tenu d’une part, des délais impartis pour l’instruction et d’autre part, du nombre très important d’études et de publications disponibles, l’analyse du groupe de travail s’est appuyée exclusivement sur les rapports des évaluations européennes et du CIRC et non directement sur les rapports d’études conduits selon les lignes directrices qui intègrent les données brutes, ainsi que sur la littérature scientifique publiée. »

In fine, l’Agence fait donc état de son incapacité à trancher le débat scientifique mais les récentes révélations des Monsanto papers  ([15]) sur les évaluations européennes mettent à mal la méthodologie utilisée par les agences européennes et rendent caduque l’analyse de l’ANSES qui met à un même niveau de crédibilité le CIRC et l’EFSA.

Le Gouvernement a confié, le 18 avril 2018, à l’ANSES et à l’INSERM une étude sur les liens entre pathologies et exposition professionnelle aux produits phytosanitaires.

2.   La rémanence du glyphosate atteint toute la population

Faute d’étude récente des organismes de protection sanitaire des populations, plusieurs associations ont décidé d’élaborer leurs propres tests.

Générations futures a mené en 2017 une étude sur la présence de glyphosate dans des aliments vendus en France. Le rapport met en exergue la faiblesse des données officielles : « le nombre de recherches de glyphosate dans les analyses officielles reste limité car il faut mettre en œuvre un test spécifique pour le détecter, ainsi que pour son métabolite l’AMPA (acide aminométhylphosponique), ce qui engendre des dépenses importantes pour la recherche d’une seule molécule [...] Un examen des plans de suivi nationaux présentés  dans le rapport de l’EFSA sur les données 2015 montre que sur 84 341 échantillons analysés, le glyphosate n’avait été recherché que dans 5 329 échantillons, soit 6,3 % au total. [...] Dans le rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur les données 2015 concernant les résidus de pesticides dans les aliments végétaux on s’aperçoit par exemple que le glyphosate n’a été recherché que dans 41 échantillons de céréales, alors qu’une molécule comme le propiconazole pourtant 50 fois moins utilisée que le glyphosate (seulement 170 tonnes en 2013), a été recherchée dans 416 échantillons de céréales, soit 10 fois plus que le glyphosate ! ». Les résultats montrent la présence de glyphosate dans 16 des 30 échantillons analysés.

L’enquête de Générations futures « Quelle exposition des français au glyphosate ? » également présentée en 2017 se fonde sur la recherche de glyphosate dans les urines. L’enquête a porté sur un échantillon de 30 analyses d’urines. Les résultats sont sans appel : 100 % des échantillons analysés contenaient du glyphosate à une concentration supérieure à la valeur minimale de quantification du test. La concentration moyenne de glyphosate trouvée était de 1,25 ng/ml ([16]) d’urine soit 12,5 fois la concentration maximale admissible pour un pesticide dans l’eau (0,1 ng/l) ([17]). Ces résultats sont comparables à ceux de l’étude URINALE conduite en Allemagne sur 2 000 personnes et à celle réalisée sur les députés européens.

La Campagne glyphosate, du nom du collectif qui l’anime,  menée dans l’Ariège en avril 2018 a permis de tester les urines d’environ 300 personnes. Les résultats ont confirmé la présence systématique de glyphosate dans leur corps à des taux parfois 39 supérieur au taux autorisé dans l’eau potable. Le 15 juin 2018, environ 200 personnes ont déposé plainte contre les entreprises fabricantes de produits à base de glyphosate. 

Il est scandaleux que la preuve de la dangerosité de ces produits doive être apportée par ceux qui en sont les victimes.

B.   Une atteinte à l’environnement et à la biodiversité à grande échelle

Lors de l’épandage du glyphosate et plus généralement d’un produit phytopharmaceutique, seule une partie du produit atteint sa cible. Le reste se disperse dans l’air, dans l’eau et dans la terre. La pollution liée au glyphosate nest pas accidentelle, elle est diffuse car liée à de multiples points de rejet dans lenvironnement. Ce caractère diffus la rend invisible et inodore. L’effet du glyphosate sur l’environnement n’en est pas moins dangereux.

1.   Une pollution qui conduit à l’appauvrissement des sols et de la biodiversité

Longtemps, on a cru à la biodégradabilité du glyphosate. Dans les faits, celle-ci n’est pas celle vantée par ses fabricants. Dans les années 1990, Monsanto diffusait une publicité pour le Round up indiquant qu’il s’agissait d’une désherbant biodégradable alors que le glyphosate a une vitesse de dégradation au champ de 1 à 130 jours selon les sols ([18]).

Le rapport du CGEDD (Conseil général de l'environnement et du développement durable), IGAS (Inspection générale des affaires sociales), CGAAER (Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux) sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques de décembre 2017 ([19])  précise que :

« La bio-dégradabilité du glyphosate vantée par les fabricants dépend de l’AMPA (métabolite du glyphosate). Or, ce coformulant est non seulement la première molécule retrouvée dans les eaux, mais se révèle plus toxique pour l’environnement que le glyphosate. Pour autant, la substance glyphosate a été analysée isolément, sans considérer ses adjuvants, leurs propres effets ni le fait qu’ils augmentent son efficacité. Enfin, aucune étude ne porte sur les effets de l’usage du glyphosate sur la biodiversité et la façon dont celle-ci réagit à son utilisation. L’évaluation de la substance n’examine ni ce qui se passe en l’absence de glyphosate, ni ce qu’il provoque sur et dans une plante, dans le sol, l’eau et l’air, ce qu’il détruit, sa rémanence… De telles études seraient pourtant nécessaires, soit ex ante avant l’autorisation de la substance, soit, plus aisément, ex post pendant une sorte de période d’essai de la molécule. En tout état de cause, les procédures de renouvellement des autorisations européennes ne devraient plus ignorer les impacts environnementaux qui auront été constatés ».

Cela a pour conséquence d’appauvrir les sols et de détruire une partie de la biodiversité qu’ils contiennent en détruisant les ressources florales adventices qui hébergent et nourrissent la faune (oiseaux, insectes, micro-organismes).

2.   Les cours d’eau massivement contaminés

On retrouve des produits phytopharmaceutiques dans la quasi-totalité des cours deau français.

Les molécules sont transportées vers les masses d’eau soit par infiltration dans les différentes couches du sol jusqu’au nappes phréatiques, soit directement par ruissellement dans les eaux de surface.

Les rares points de contrôles « purs », c’est-à-dire non contaminées, concernent les zones montagneuses ou les zones peu intensives en agriculture. En 2013, selon le ministère de la transition écologique et solidaire, 92 % des cours deau sont contaminés.

Concentration totale moyenne en pesticides des eaux de surface en 2014

 

En microgrammes par litre (μg/L)

Source : Agences de l’eau et offices de l’eau, BRGM, Banque ADES et BDLisa, MTES BD Carthage, cité par le rapport du Commissariat général au développement durable Environnement & agriculture, Les chiffres clés, Édition 2018

La surveillance des pesticides dans les cours d’eau a couvert 84 % du territoire français en 2014. 63 % du territoire dépassent la norme d’eau potable de 0,1 μg/L ([20]), principalement du fait des pesticides.

Les concentrations les plus fortes concernent, sans surprise, les zones de grandes cultures viticoles ou d’arboriculture telles que la Beauce, le Bassin parisien ou le Nord de la France. En Martinique, la pollution est essentiellement due au chlordécone, pourtant interdit d’usage depuis 1993.

Le rapport du Commissariat général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) Pour une meilleure efficacité et une simplification des dispositions relatives à la protection des captages deau potable ([21]), précise que le glyphosate ou sa molécule de dégradation, l’AMPA (acide aminométhylphosponique), sont présents dans les cours d’eau.

3.   L’urgence d’une analyse de la qualité de l’air

La question de la présence des pesticides dans l’air ne fait pas l’objet de beaucoup d’études en France. Or, l’application du glyphosate par aspersion laisse penser que des quantités non négligeables de cette substance peuvent être transportées dans l’air.

AirParif a mesuré pendant un an en 2013 les quantités de pesticides dans l’air et a trouvé 48 molécules sur les 171 recherchées. Au cours de cette enquête, le glyphosate na pas été recherché ! Selon AirParif « sa forte solubilité dans l’eau le rend insensible à l’extraction par solvant organique, contrairement à d’autres pesticides et nécessite la mise en œuvre d’une extraction spécifique et par conséquent d’un prélèvement dédié » ([22]). Lanalyse de la présence de glyphosate est longue et coûteuse, ce qui est bien arrangeant pour nombre dindustriels.

L’ANSES, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) et le réseau des Associations agréées pour la surveillance de la qualité de l’air (AASQA) fédéré par ATMO France ont lancé, le 25 juin 2018, une campagne exploratoire de mesure des résidus de pesticides dans lair. Cette campagne nationale qui durera un an a pour objet d’améliorer les connaissances sur les pesticides présents dans l’air ambiant et ainsi mieux connaître l’exposition de la population sur le territoire national. Le glyphosate figure cette fois sur la liste des 80 substances qui seront mesurées.

Les résultats sont attendus pour la fin de l’année 2019. Il est grand temps dobtenir des informations sur lair que nous respirons.

 


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III.   L’objectif de la proposition de loi : engager la transition vers le « zéro glyphosate »

A.   Une prise de conscience qui peine à se concrétiser

1.   Les failles procédurales

Chronologie de la procédure de renouvellement de lautorisation du glyphosate par lUnion européenne

Mai 2012 : L’Allemagne, en tant qu’État membre rapporteur (EMR), reçoit le dossier à l’appui du renouvellement possible de l’autorisation du glyphosate. S’ensuivent plusieurs années d’évaluations et de report du vote sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate.

20 mars 2015 : le Centre international de recherche sur le cancer (CICR), agence de l’Organisation mondiale de la santé, déclare le glyphosate génotoxique (il endommage l’ADN), cancérogène pour l’animal et cancérogène probable pour l’homme (groupe 2A) ([23]).

12 novembre 2015 : l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) rend un avis favorable au renouvellement de l’autorisation du glyphosate.

23 juin 2016 : la Commission européenne renouvelle l’autorisation du glyphosate mais pour 18 mois seulement en attendant l’avis de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ([24]).

15 mars 2017 : L’ECHA et l’EFSA annoncent ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour classer le glyphosate comme cancérogène.

Avril-septembre 2017 : les Monsanto papers (documents déclassifiés par la justice américaine), analysés par le quotidien Le Monde, démontrent que l’Institut fédéral d’évaluation des risques allemand (Bundesinstitut für Risikobewertung, BfR), sur lequel s’est appuyée l’EFSA, aurait rédigé son rapport sur la base de documents fournis par l’industrie agrochimique.

6 octobre 2017 : la Commission déclare admissible l’initiative citoyenne signée par plus d’un million de citoyens et invitant la Commission à proposer aux États membres l’introduction d’une interdiction de l’utilisation du glyphosate, à réformer la procédure d’autorisation des pesticides et à fixer des objectifs de réduction obligatoires au niveau européen pour l’utilisation des pesticides.

12 décembre 2017 : après plusieurs reports du vote, la Commission européenne entérine formellement le vote favorable au renouvellement de l’approbation du glyphosate pour 5 ans, intervenu le 27 novembre 2017.

16 janvier 2019 : un rapport du Parlement européen issu de la commission « PEST » chargée d’examiner la procédure d’autorisation des pesticides au sein de l’Union européenne préconise une évolution de la procédure d’homologation des substances, notamment en terme d’évaluation scientifique. Le rapport révèle que le BFR, mandaté par l’Union européenne pour produire l’expertise préliminaire sur le glyphosate a recopié, souvent mot pour mot, le dossier d’homologation du glyphosate transmis aux autorités européennes par Monsanto et ses alliés industriels, réunis au sein de la Glyphosate Task Force (GTF).

31 janvier 2019 : suite des Monsanto papers : de nouveaux documents internes à Monsanto dévoilent les pratiques agressives de la firme pour « placer activement » des contenus favorables dans la presse et sur internet

Les Monsanto papers et le rapport du Parlement européen issu de la commission « PEST » montrent l’importance des failles de la procédure d’homologation des substances actives au niveau européen. Il est nécessaire et urgent de réformer la législation européenne relative à l’homologation des produits phytopharmaceutiques.

2.   Les décisions de justice et les décisions politiques

Les procédures judiciaires contre l’entreprise Monsanto se multiplient. Des milliers de procédures contre Monsanto sont en cours aux États-Unis.

 Aux États-Unis, le cas du procès de M. Dewayne Johnson contre Monsanto est devenu emblématique. Le jardinier est atteint d’un cancer attribué à son exposition au glyphosate, qu’il répandait dans le cadre de son métier.

Le tribunal de San Francisco ([25]) a jugé, le 10 août 2018, que Monsanto avait agi avec « malveillance » en cachant la dangerosité du glyphosate et son caractère potentiellement cancérigène. Il a jugé que les désherbants Roundup et RangerPro, à base de glyphosate, avaient « considérablement » contribué à la maladie de M. Johnson. La condamnation de Monsanto est fondée sur la dangerosité du produit et sur le défaut d’information des utilisateurs.

Monsanto a été condamné à verser à M. Johnson 290 millions de dollars, ramenés à 78,5 millions de dollars. Monsanto a fait appel de cette décision.

● En mars 2017, l’État de Californie, par le biais de l’agence californienne de protection de l’environnement, a reconnu le caractère cancérogène du glyphosate et a rendu obligatoire cette mention sur les emballages des produits en contenant.

● En France, c’est sur le fondement du principe de précaution que l’autorisation de mise sur le marché d’un produit à base de glyphosate a été annulée en janvier dernier.

Saisi par le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), le tribunal administratif de Lyon a annulé, par un jugement du 15 janvier 2019, la décision du 6 mars 2017 par laquelle l’ANSES a autorisé la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la SAS Monsanto.

Le tribunal administratif a considéré que lutilisation de ce produit portait une atteinte à lenvironnement susceptible de nuire de manière grave à la santé et que, par suite, lANSES avait commis une erreur dappréciation au regard du principe de précaution défini à larticle 5 de la Charte de lenvironnement en autorisant le Round up 360.

● En Argentine, au Brésil et au Salvador, des procédures sont en cours pour réévaluer la dangerosité du glyphosate mais c’est surtout le Sri Lanka qui fait barrage à cette substance.

● Au Sri Lanka, en octobre 2015, le Gouvernement a interdit les importations de glyphosate. Le Gouvernement s’est fondé sur le travail du Dr Channa Jayasumana, chercheur en santé environnementale à l’université de Rajarata, qui a démontré le lien de causalité entre l’épandage de glyphosate et le développement de maladies rénales. En juillet 2018 le Gouvernement est revenu sur sa décision mais partiellement seulement puisque seules les plantations de thé et d’hévéa sont autorisées à utiliser du glyphosate.

3.   La colère des citoyens : l’initiative citoyenne européenne

Auditionné par la mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, le ministre de la transition écologique et solidaire, M. François de Rugy, citait, le 8 novembre 2018, un sondage révélant que « 93 % des Français considéraient en 2017 que leur santé était affectée par les pesticides contenus dans les aliments ».

Cette déclaration recoupe plusieurs preuves de la préoccupation des populations. La demande de renouvellement de l’autorisation de l’utilisation du glyphosate est emblématique de cette crise de confiance qui a conduit des citoyens de l’ensemble des États membres de l’Union européenne à présenter une initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Interdire le glyphosate et protéger la population et l’environnement contre les pesticides toxiques » ([26]). L’ICE a recueilli plus d’un million de signatures jusqu’au 2 juillet 2017. La Commission européenne a jugé cette ICE recevable et y a répondu par une communication du 12 décembre 2017 l’engageant à un renforcement du travail des agences et à une réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec des objectifs chiffrés.

Sur le motif principal de lICE, la Commission a estimé que linterdiction du glyphosate ne se justifiait pas en labsence dun risque cancérogène certain et avéré reposant sur des études scientifiques.

Mais la préoccupation des citoyens a été prise en compte dans le débat sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate puisque le renouvellement n’a été autorisé que pour 5 ans, et non 15 ans, tel que prévu initialement.

B.   Un engagement présidentiel à transcrire dans le droit positif

1.   Annonces et revirements présidentiels

Après deux ans de controverses sur la dangerosité du glyphosate et de reports du vote, les États membres de l’Union européenne ont accepté, le 27 novembre 2017, le renouvellement de l’autorisation de cette substance. La France, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie, l’Autriche, la Croatie, la Grèce et Chypre ont voté contre ce renouvellement.

Le jour même à 9 h 10 le Président de la République Emmanuel Macron déclarait, par un simple tweet : « Jai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que lutilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain ».

Capture d’écran de la déclaration du Président de la République sur Twitter le 27 novembre 2017

Lors de la discussion de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ont, à l’issue d’un vif débat, refusé d’inscrire cet engagement présidentiel dans la loi. La commission du développement durable, saisie pour avis sur une partie du texte, avait pourtant adopté un tel amendement lors de son examen en commission.

Pour les députés de la majorité, la parole présidentielle valait loi et dès lors que le Président s’y était engagé, l’inscription d’un dispositif clair et ferme dans le code rural et de la pêche maritime était inutile. C’était sans compter sur l’inconstance du Président de la République, qui est revenu sur sa déclaration lors d’un déplacement dans la Drôme le 24 janvier 2019 en ces termes « La France ne parviendrait pas à se passer à 100 % du glyphosate dans les 3 ans ».

Après tant de débats, cette déclaration est un affront à la majorité parlementaire, qui n’a eu de cesse de défendre l’ « engagement » du Président de la République.

Plus généralement, les membres du Gouvernement ont, à plusieurs reprises, atténué leur engagement à sortir de l’utilisation du glyphosate en 2020.

Un communiqué de presse l’ancien ministre de l’agriculture et de l’alimentation, M. Stéphane Travert, du 22 juin 2018, mentionnait « la décision du gouvernement de mettre fin aux principaux usages du glyphosate d’ici trois ans au plus tard et d’ici cinq ans pour l’ensemble des usages, tout en précisant que les agriculteurs ne seraient pas laissés dans une impasse ».

Le 8 novembre 2018 devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate le ministre de la transition écologique et solidaire, M. François de Rugy, a présenté le plan de sortie du glyphosate comme « volontaire », basé sur la responsabilité des acteurs.

Il semble que délai de sortie – 3 ans ou 5 ans – et les exemptions à une future interdiction fassent encore débat. Autant de questions fondamentales qui n’inciteront pas les agriculteurs à s’engager dans la transition agro-écologique. Les professionnels ont besoin d’un cap clair et ferme afin d’être assurés qu’ils ne seront pas seuls à devoir changer de pratiques agricoles : tous les agriculteurs français y seront contraints et leur accompagnement dans cet objectif doit être assuré.

Déjà quinze mois ont passé depuis cet « engagement » et le doute subsiste pour les professionnels.

2.   Une inertie dans la baisse des usages : des phénomènes de « verrouillage sociotechnique »

Le plan Ecophyto du Gouvernement a pour objectif, depuis 2008, la diminution de l’usage des produits phytopharmaceutiques. La première version de ce plan prévoyait une réduction de cet usage de 50 % en 10 ans. L’indicateur « Nodu » est calculé à partir des achats de produits phytopharmaceutiques en rapportant la quantité vendue de chaque substance active à une « dose unité », s’affranchissant ainsi des possibles substitutions par des substances actives à plus faibles doses.

Entre 2009 et 2015, la tendance de ces ventes a été à la hausse. Ce constat a conduit, en octobre 2015, à l’annonce d’un plan Ecophyto 2 avec le même objectif de réduction des usages de 50 % mais avec un délai supplémentaire puisque l’objectif est fixé à l’horizon de 2025. Une étape intermédiaire est fixée pour 2020 avec une réduction de 25 % des usages. Les usages ayant encore augmenté de 12 % entre 2014 et 2016, le Gouvernement a donné, le 27 juillet 2018, une nouvelle impulsion au plan devenu le plan Ecophyto 2 +. Les objectifs sont complétés par celui de la sortie du glyphosate d’ici à 2020.

Évolution du nombre de doses unités (Nodu) à usage agricole

Source : ministère  chargé de l’agriculture, direction générale de l’alimentation, d’après la banque nationale des ventes des distributeurs (BNV-D) au 28 octobre 2016

L’incitation ne suffit plus, son échec a été démontré. Nous voyons que la méthode ne change pas, les énumérations de moyens demeurent mais sans interroger le changement de système de production pourtant nécessaire.

Il est fondamental dadopter une approche modifiant en profondeur les systèmes de production pour les rendre moins dépendants aux produits phytopharmaceutiques. Les obstacles ne sont pas d’ordre technique, il faut affirmer une volonté politique de produire autrement.

Carte de la variation de la quantité de glyphosate vendue par hectare de surface agricole utile (SAU) par département entre 2012 et 2016

Source : INRA, Reboud X. et al. Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française, 2017

Les solutions techniques existent : lenjeu est avant tout politique et relève du volontarisme. C’est ce qu’explique M. Jean-Marc Meynard dans son étude « Le plan Ecophyto 2025 pour réduire l’usage des pesticides : les raisons d’espérer » ([27]). Selon lui, en agriculture, comme dans d’autres secteurs, il existe des phénomènes dits de “ verrouillage sociotechnique ”. C’est à dire que tout le monde s’est organisé autour d’une technologie : les normes marchandes, les savoirs et savoir-faire, les réseaux d’acteurs sont configurés en fonction de cette technologie, à tel point que lorsqu’une technologie alternative arrive, même si elle est plus intéressante, elle trouve difficilement sa place. En grande culture par exemple, il y a eu, depuis les années soixante, une intensification et une spécialisation sur les espèces les plus rentables, blé, colza, maïs au détriment des autres espèces, et en particulier des légumineuses (luzerne, pois protéagineux …), avec un raccourcissement des rotations. Cette évolution favorise  les adventices et les pathogènes et accroît la dépendance aux pesticides. Les méthodes agronomiques de lutte contre les maladies et ravageurs, qui pourraient remplacer les pesticides, sont découragées par les filières, car elles obligeraient à modifier l’organisation des échanges, ou les process de transformation. Les semenciers investissent peu dans les espèces mineures. Ainsi, tous les acteurs des filières ont adapté leur stratégie à l’existence de la “ solution pesticides ” et la stratégie de chacun renforce celle des autres ».

Il est grand temps de prendre la mesure des dangers du glyphosate et d’avoir le courage politique de l’interdire.

Les conséquences de l’inertie politique dans la décision d’interdire l’utilisation de la chlordécone, molécule à la base du produit Curlone aux Antilles, devrait servir de leçon. Alors que les premières alertes sur la toxicité du produit se multipliaient et que les États-Unis interdisaient la molécule dès 1976, l’utilisation du Curlone s’est poursuivie en France jusqu’en septembre 1993, au-delà de la date limite de février 1992 prévoyant son interdiction. S’étaient alors succédées deux décisions : l’une accordant à titre dérogatoire un délai supplémentaire d’utilisation jusqu’au 28 février 1993, l’autre autorisant les planteurs bananiers à utiliser le reliquat des stocks de Curlone jusqu’au 30 septembre 1993. Le rapport n° 487 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques du 24 juin 2009 résume la situation : « Les prises de décisions concernant l’emploi de la chlordécone ont ainsi notablement varié entre les réticences, lautorisation provisoire, lhomologation officielle, linterdiction avec délai dérogatoire demploi des stocks existants et linterdiction définitive ». L’Assemblée nationale a débattu ces dernières semaines des conditions de l’indemnisation des victimes de ce produit ([28]).

3.   Un travail sur les alternatives déjà bien engagé

L’INRA ([29]) a fait un travail de recension des alternatives aux glyphosate et continue de travailler en ce sens pour accélérer la transition. Parmi ces solutions, on trouve :

– « la destruction physique par le désherbage mécanique et le travail superficiel du sol, en particulier au cours de la période d’interculture pour les cultures annuelles, ou au pied des ceps et des arbres dans le cas de la viticulture et de l’arboriculture respectivement » ;

– « le labour pour assurer la destruction par enfouissement de l’ensemble de la végétation [...] » ;

– « une somme de stratégies d’évitement partiel dont le recours au gel hivernal des couverts intermédiaires, via le choix des espèces adaptées, ou l’utilisation d’agro-équipements spécifiques permettant le hachage de la végétation » ;

– « la culture sous mulchs vivants, qui induit une modification profonde de la flore adventice et une limitation des adventices vivaces ou problématiques ».

Ces pratiques d’agro-écologie sont déjà utilisées. L’INRA n’a identifié que quelques « impasses » ([30]) : l’agriculture de conservation des sols, les agricultures menées dans des conditions difficiles, les cultures pour des marchés spécifiques avec fortes contraintes techniques telles que la production de semences ainsi que les légumes de frais et de conserve, des situations de niche comme le rouissage du lin fibre ou la récolte des fruits à coques.

De fait, l’INRA considère que pour 90 % des usages, des alternatives au glyphosate existent déjà et votre rapporteure est persuadée que le délai de trois ans prévu avant l’interdiction du glyphosate est suffisant pour accompagner les agriculteurs dans la transition agro-écologique et trouver des alternatives aux glyphosate pour les 10 % d’usages restants.

Selon l’ANSES, 190 produits à base de glyphosate bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou d’un permis de commerce parallèle en France. À la suite de la réapprobation du glyphosate en décembre 2017 au niveau européen, l’ANSES a fait savoir que :

– 58 dossiers de demande de renouvellement et 11 nouvelles demandes d’AMM ont été déposés à l’ANSES. L’Agence évaluera ces demandes par une comparaison des alternatives non chimiques de prévention ou de lutte disponibles. Pour les usages pour lesquels une alternative existera, l’AMM sera refusée ;

– les industriels se sont vus notifier la fin de validité au 15 décembre 2018 de 132 AMM qui n’ont pas fait l’objet d’une demande de renouvellement. Le délai maximal d’utilisation des produits déjà en possession des professionnels est fixé au 15 juin 2019.

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   travaux de la commission

I.   DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa séance du mercredi 13 février 2019, la commission a procédé à l’examen de la proposition de loi demandant l’interdiction du glyphosate (n° 1560), sur le rapport de Mme Bénédicte Taurine.

M. le président Roland Lescure. Notre commission est saisie au fond de la proposition de loi de Mme Bénédicte Taurine et de plusieurs de ses collègues demandant l’interdiction du glyphosate (n° 1560). Cette proposition de loi sera examinée en séance jeudi 21 février, dans la « niche » du groupe La France insoumise.

Cette proposition vise à inscrire dans la loi l’objectif porté par le Gouvernement d’interdire l’utilisation du glyphosate d’ici à trois ans.

Dans le cadre de cet objectif de sortie progressive du glyphosate, la commission des affaires économiques et la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire conduisent une mission d’information commune dont M. Julien Dive est président et MM. Jean-Baptiste Moreau et Jean-Luc Fugit sont corapporteurs. La mission a notamment auditionné le nouveau coordinateur interministériel chargé du plan de sortie du glyphosate.

Comme à l’habitude, nous entendrons une présentation de notre rapporteure et ensuite une discussion générale faisant intervenir des orateurs de groupe, à raison de quatre minutes chacun, puis les députés qui le souhaitent, pour deux minutes.

Nous passerons ensuite à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Je vous indique que la commission a été saisie initialement de dix-sept amendements. Un de ces amendements ayant été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, il en reste seize à examiner.

Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde : avec environ 800 000 tonnes de matière active vendues annuellement, il représente 25 % du marché mondial des pesticides.

En 2017, en France métropolitaine, 8 800 tonnes de matière active ont été vendues, tous usages confondus, ce qui représente environ 30 % du volume d’herbicides vendus en France. La substance est essentiellement utilisée en production céréalière, en arboriculture et en viticulture. Le succès du glyphosate tient à sa fonction d’herbicide non sélectif tuant pratiquement toutes les plantes avec lesquelles il entre en contact. Plusieurs études scientifiques et enquêtes journalistiques ont démontré sa dangerosité, que ce soit pour la santé humaine, l’environnement ou la biodiversité, malgré d’intenses campagnes de lobbying du géant mondial de l’industrie chimique, hier Monsanto, aujourd’hui Bayer, qui cherche à discréditer toute étude contradictoire au profit des actionnaires et au détriment de notre santé.

Le 20 mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré le glyphosate génotoxique, cancérogène pour l’animal et cancérogène probable pour l’homme.

Pourtant, après plusieurs mois de débats, les États membres de l’Union européenne ont voté favorablement la proposition de la Commission européenne de renouveler l’autorisation du glyphosate pour cinq ans. Depuis lors, il y eu les « Monsanto Papers » et l’enquête du journal Le Monde ; nous avons appris qu’une centaine de pages du rapport prétendument indépendant sur lequel s’est basée l’Union européenne et qui concluait à la non‑dangerosité du glyphosate était en réalité le simple copier-coller d’un rapport élaboré en 2012 par la multinationale elle-même. Un numéro d’Envoyé Spécial diffusé sur France 2 le 17 janvier 2019 indique que Monsanto aurait aussi rémunéré des scientifiques de renom pour que ces derniers discréditent les études favorables au glyphosate. En août 2018, la justice américaine a rendu son premier jugement contre Monsanto, condamnant la firme à verser 280 millions de dollars à un jardinier atteint d’un cancer en phase terminale attribué à son exposition aux herbicides Ranger Pro et Roundup Pro pendant deux ans ; les jurés ont estimé que Monsanto avait agi avec malveillance. L’annulation de l’autorisation du Roundup Pro 360 par le tribunal administratif de Lyon le 15 janvier 2019, au nom du principe de précaution, va dans le même sens. À la vue de ces divers éléments, il est inconcevable que l’interdiction du glyphosate ne soit pas à nouveau réclamée au niveau européen, et ce avant l’expiration de son homologation fin 2022.

Pour mieux vous rendre compte de l’impact de ce type d’agriculture qui associe semences transgéniques et utilisation intensive de pesticides comme le glyphosate, je vous conseille de regarder le documentaire Viaje a los pueblos fumigados de Fernando Solanas. Il présente les conséquences désastreuses du point de vue social et environnemental de ce type d’agriculture en Argentine, avec déforestation, destruction des sols, population sacrifiée, multiplication des cas de cancer, malformations à la naissance, etc. Il montre aussi qu’il est possible de produire autrement en favorisant une agriculture écologique sans pesticides.

La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui au nom du groupe de La France insoumise (LFI) interdit l’utilisation de produits à base de glyphosate à compter du 27 novembre 2020. Il est indispensable de protéger la population et de fixer un cap clair à nos agriculteurs.

Cette loi est indispensable et de nombreuses personnes s’emparent de ces questions : ainsi l’appel « Nous voulons des coquelicots » pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse, ou encore les sessions de prélèvement d’urine et dépôts de plainte organisés par l’association Campagne Glyphosate, qui a débuté en Ariège et qui se développe aujourd’hui au plan national.

Je citerai les propos d’une citoyenne, Martine : « Nous portons plainte contre les décideurs, contre les fabricants de pesticides, contre les décideurs européens qui ont mis ce produit extrêmement dangereux sur le marché ; nous ne portons pas plainte contre les agriculteurs, contre ceux qui ont finalement été trompés ». Et Dominique, qui ajoute : « On en a assez d’être empoisonnés alors que l’on n’utilise pas ces produits, d’être en quelque sorte l’équivalent des fumeurs passifs, qui ont permis la mise en œuvre de la loi Évin. Nous demandons l’interdiction de ce produit car on ne peut plus accepter d’être empoisonnés au quotidien ». En tant que parlementaires, il est de notre devoir d’écouter mais surtout d’entendre ce que disent les gens, et de prendre nos responsabilités.

Il est en effet de notre responsabilité de protéger la population. La dangerosité du glyphosate atteint non seulement les agriculteurs, qui en sont les premières victimes, mais également la population dans son ensemble du fait de la rémanence de cette substance dans le corps. L’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) « Pesticides, effets sur la santé », publiée en 2013, décrit le lien entre exposition professionnelle d’agriculteurs et augmentation significative du risque de lymphome non hodgkinien chez ces agriculteurs. Plusieurs études démontrent également que le glyphosate est un perturbateur du système endocrinien. Pour la journaliste Mme Marie‑Monique Robin, la propriété chélatrice du glyphosate lui permet de capter les atomes de métaux disponibles dans l’environnement et de les rendre solubles dans l’eau. C’est ce qui a provoqué des maladies rénales au Sri Lanka et conduit à son interdiction dans ce pays.

Le Gouvernement a confié le 18 avril 2018 à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et à l’INSERM une nouvelle étude sur les liens entre pathologies et exposition professionnelle aux produits phytosanitaires. Il est urgent que ce rapport soit remis.

Mais l’urgence porte aussi sur la protection de l’environnement et de la biodiversité : la pollution des produits phytopharmaceutiques et du glyphosate en particulier appauvrit les sols et la biodiversité. Les cours d’eau sont massivement contaminés et il n’y a pas de raison pour que l’air ne le soit pas aussi.

Il est de notre responsabilité de fixer un cap clair à nos agriculteurs : certains s’engagent dans la transition agro-écologique, mais le discours ambigu du Président de la République leur permet de douter de la détermination de l’État à interdire le glyphosate à la fin de l’année 2020.

Le Président de la République M. Emmanuel Macron déclarait, le 27 novembre 2017 : « J’ai demandé au Gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans. » Le 31 mai 2018, il avertit qu’il prendrait ses « responsabilités » sur le glyphosate si le monde agricole n’était pas au rendez-vous dans trois ans. « Il y aura un point de rendez‑vous et si les choses n’avancent pas dans trois ans, on passera par la loi », affirmait-il.

Lors de la discussion de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGALIM, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont néanmoins refusé d’inscrire cet engagement présidentiel dans la loi. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie pour avis sur une partie du texte, avait pourtant adopté un tel amendement lors de son examen en commission. La position de la majorité est ambiguë, et ce d’autant plus depuis la dernière déclaration du Président de la République, qui est revenu sur sa déclaration le 24 janvier dernier en ces termes : « La France ne parviendrait pas à se passer à 100 % du glyphosate dans les trois ans ».

Les atermoiements de la majorité guidée par la parole présidentielle laissent agriculteurs et consommateurs dans l’incertitude.

Plusieurs députés du groupe LaREM. Que d’agressions !

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. En tant que parlementaires, il est de notre responsabilité d’écouter et d’entendre les gens. À quoi bon un grand débat si l’on n’est pas capable de prendre en considération la volonté populaire ?

La politique volontariste de réduction des usages de produits phytopharmaceutiques est un échec : entre 2009 et 2015, la tendance des ventes a été à la hausse malgré la succession de plans Écophyto 1, 2, 2 +, dont l’ambition s’est limitée à utiliser la même méthodologie pour le glyphosate. L’urgence est telle que seule une interdiction stricte montrera la volonté de l’État de tout mettre en œuvre pour se passer de cette molécule. L’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les instituts techniques y travaillent : des solutions alternatives existent pour près de 90 % des usages ; pour les 10 % restants le délai imparti avant la mise en œuvre de l’interdiction doit permettre de trouver des alternatives.

Il est fondamental d’adopter une approche modifiant en profondeur les systèmes de production pour les rendre moins dépendants des produits phytopharmaceutiques. Les obstacles ne sont pas d’ordre technique ; il faut affirmer une volonté politique de produire autrement.

Les solutions techniques existent ; l’enjeu est avant tout politique et c’est à nous, législateur, de faire en sorte que l’intérêt général prime sur l’intérêt des lobbies ou de quelques multinationales. C’est ce qu’explique le chercheur M. Jean-Marc Meynard de l’INRA : selon lui, il existe des phénomènes dits de « verrouillage sociotechnique », c’est‑à‑dire que tout le monde s’est organisé autour d’une technologie. Les normes marchandes, les savoirs et savoir-faire, les réseaux d’acteurs sont configurés en fonction d’une technologie, à tel point que lorsqu’une technologie alternative arrive, même si elle est plus intéressante, elle trouve difficilement sa place. Tous les acteurs des filières, semenciers, conseillers techniques ou coopératives, ont actuellement adopté la « solution pesticides » et n’ont aucune intention de s’orienter vers un autre modèle.

Compte tenu de la pression économique, le seul moyen d’agir est à notre avis de passer par la loi, tout en accompagnant les acteurs vers un modèle plus respectueux de la santé, de la biodiversité et de l’environnement. Il ne s’agit pas non plus d’attendre qu’une nouvelle molécule élaborée par l’industrie chimique, qui serait potentiellement encore plus nocive, soit développée. C’est pour cette raison qu’il faut du courage politique.

Mes chers collègues, ne reproduisons pas les erreurs du passé, comme celle qui a été commise avec l’interdiction tardive du chlordécone aux Antilles, entre réticences, autorisation provisoire, interdiction avec délai dérogatoire d’emploi des stocks existants et interdiction définitive : nous en sommes aujourd’hui aux conditions d’indemnisation des victimes… Or le Président de la République a reconnu lors du grand débat avec les représentants des outre-mer que la prolongation de l’utilisation du chlordécone avait été décidée à la demande des lobbies, de certains élus et de certains responsables socio-économiques. Les victimes ont été les travailleurs et ceux qui ont été exposés. Le « zéro chlordécone » dans l’alimentation suppose d’adapter les cultures, d’accompagner les agriculteurs, d’investir dans la dépollution et de reconnaître les maladies professionnelles.

Concernant le glyphosate, il nous est possible de ne pas en arriver là. Chers collègues, voulez-vous soutenir un gouvernement qui aura lui aussi succombé à la volonté des lobbies et être responsables d’un scandale sanitaire lié à l’utilisation du glyphosate ? Vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas informés des risques que vous nous feriez alors courir.

Au niveau européen, la France a œuvré pour que la Commission européenne réduise le délai d’autorisation. Elle a voté contre son renouvellement. Tirons-en les conclusions au niveau national. Notre position servirait de modèle à un engagement des pays qui nous ont soutenus au niveau européen : Belgique, Luxembourg, Italie, Autriche, Croatie, Grèce et Chypre.

Prenons nos responsabilités. Débattons et éventuellement amendons cette proposition de loi. J’ai vu des amendements de Mme Batho et de M. Castellani qui permettraient de l’approfondir et de l’améliorer. En revanche, l’amendement de suppression du groupe majoritaire, qui ferait tomber les autres amendements et empêcherait un débat au sein de notre commission, serait incompréhensible et méprisant pour celles et ceux qui s’engagent et militent pour la suppression du glyphosate.

Dernière précision : j’ai lu dans la presse que notre groupe voudrait vous mettre en difficulté. Sincèrement, nous avons bien d’autres objectifs politiques et nous ne faisons pas non plus de la récupération à deux balles… Les députés LFI sont effectivement intéressés par la question du glyphosate et je suis bien placée pour le savoir dans la mesure où, je l’ai dit, la campagne a débuté en Ariège. Nous sommes  simplement à l’écoute des gens et nous considérons que notre santé passe avant les profits et les bénéfices de quelques multinationales comme Bayer. Notre rôle de députés est de porter la parole des gens et de proposer une loi qui améliore les conditions de vie de la majorité des personnes et pas uniquement celles des plus riches.

M. le président Roland Lescure. Merci, Madame la rapporteure. Je ne doute pas que le débat aura lieu ; il va même commencer immédiatement, avec les orateurs des groupes.

M. Jean-Baptiste Moreau. Je voudrais commencer par une citation, celle de l’article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée en 2000 : « Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

Si je fais référence à ce texte fondateur de l’Union européenne, c’est pour rappeler que l’enjeu de l’interdiction du glyphosate dépasse nos frontières françaises. La prise de conscience doit se faire au niveau européen et la France doit être aux avant-postes pour la préservation de notre environnement, la santé des agriculteurs et des citoyens européens. Ce serait un non-sens d’interdire à nos agriculteurs français des pratiques qui sont autorisées chez nos voisins européens et dont la production peut se retrouver librement sur nos étals de marchés.

M. Thierry Benoit. Il a raison !

M. Jean-Baptiste Moreau. Je remercie Mme la rapporteure pour son rapport qui met en évidence les différentes positions des États-membres et le besoin de crédibiliser la parole scientifique des experts à ce niveau. Les accusations de conflits d’intérêts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avec le groupe industriel Monsanto ont mis à mal la parole scientifique. Ce scandale montre que nous avons besoin d’une agence véritablement indépendante, sur le modèle de l’ANSES en France, qui assure un contrôle strict des produits. Notre santé mérite la transparence ; c’est pourquoi nous avons besoin d’études réellement indépendantes et coordonnées au niveau européen.

La parole de la France est essentielle. Grâce à la détermination et à l’engagement du Président de la République, nous avons réussi à réduire à cinq ans au lieu de quinze la période de renouvellement de l’autorisation du glyphosate au niveau européen, mais nous devons encore convaincre nos voisins d’aller plus loin. Une coordination est indispensable pour apporter une réponse globale à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. C’est ce que nous demandons dans le cadre de la mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, présidée par notre collègue M. Julien Dive et dont je suis le corapporteur avec M. Jean-Luc Fugit, membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Pour rappel, les travaux de cette mission d’information ont débuté le 27 septembre 2018 avec l’audition conjointe des ministres MM. Didier Guillaume et François de Rugy. La mission a notamment auditionné le président de l’INRA, des représentants de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), le président de l’association des chambres d’agriculture et M. le préfet Pierre‑Étienne Bisch, nommé en décembre 2018 coordinateur interministériel de cette mission et du plan de réduction d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, dit plan Écophyto 2 +.

Depuis le début de la législature, nous n’avons pas toujours été d’accord sur la réponse adéquate à apporter. Nous avons fait un choix courageux : ne pas inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate. C’est précisément le contraire de ce que propose le texte que nous examinons aujourd’hui. L’interdiction du glyphosate est actée, le Président de la République M. Emmanuel Macron a pris l’engagement d’arrêter l’utilisation du glyphosate d’ici à trois ans ; il est hors de question de revenir dessus.

La solution ne sera pas nécessairement une autre molécule. C’est d’abord par un changement de pratiques culturales que nous sortirons du glyphosate, mais ce changement ne peut pas se faire du jour au lendemain, nous ne pouvons pas imposer un tel bouleversement à une profession en souffrance, dont le tiers des membres gagnent moins de 350 euros par mois. C’est ensemble, main dans la main avec les paysans, que nous allons avancer.

Concrètement, notre majorité a déjà pris les devants avec des mesures fortes depuis le début de la législature sur la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et la transition de notre agriculture, avec notamment, dans le cadre du projet de loi EGALIM, la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques, l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur la vente des produits, l’objectif de 15 % de surface agricole utile dédiée à l’agriculture biologique et l’objectif de 20 % de produits bio parmi 50 % de produits locaux et sous signe officiel de qualité dans la restauration collective.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, nous avons engagé davantage de moyens en faveur de l’expérimentation des fermes DEPHY qui permettent la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, l’augmentation des taux de la redevance pour pollutions diffuses (RPD) qui permettra de financer le développement de l’agriculture biologique. Nous avons notamment augmenté cette taxe de 50 % pour le glyphosate.

Quatre ministères sont mobilisés pour sortir du glyphosate : le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, le ministère des solidarités et de la santé, et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Le Gouvernement s’est donné des moyens à la hauteur de nos responsabilités et a pris plusieurs engagements pour accompagner la stratégie de sortie du glyphosate : nomination d’un préfet coordinateur ; mise en place d’un centre de ressources piloté par l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCA), l’Association de coordination technique agricole (ACTA) et l’INRA, accessible à l’ensemble de la profession agricole dédié aux alternatives au glyphosate et qui vise à proposer des solutions concrètes aux agriculteurs selon une approche territoriale ; renforcement des mesures d’accompagnement pour diffuser les solutions et trouver des alternatives ; suivi des quantités vendues et utilisées afin de faire la transparence sur les usages, et nouvel examen par l’ANSES de l’ensemble des autorisations de mise sur le marché des produits contenant du glyphosate avec une date butoir à trois ans. Un programme prioritaire de recherche sur la sortie du glyphosate est en train d’être mis en place par le ministère de l’enseignement et la recherche. Tout le monde sera mis à contribution pour sortir du glyphosate, les régions, l’Agence française pour la biodiversité (AFB), les agences de l’eau, les collectivités territoriales et les groupes de professionnels agricoles.

Au nom du principe de précaution, il faut interdire le glyphosate et nous le ferons tous ensemble, de manière coordonnée, en bonne intelligence. Ce sont les paysans qui sont les principaux exposés. Madame la rapporteure, vous jugez vous-même dans votre rapport que le délai de trois ans est suffisant pour accompagner les agriculteurs dans la transition agro‑écologique et trouver des alternatives au glyphosate pour les 10 % d’usage restants. Nous aussi, députés de la majorité, en sommes persuadés. Dans trois ans, nous aurons trouvé des solutions pour la très grande majorité des cultures. Dans trois ans, nous interdirons le glyphosate ; nous n’avons pas besoin d’une loi idéologique pour cela.

M. le président Roland Lescure. Pour le groupe Les Républicains la parole est à M. Julien Dive, qui est également président de la mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie de l’utilisation du glyphosate.

M. Julien Dive. Merci, Madame la rapporteure, de votre exposé oral sur cette proposition de loi qui, je dois bien le dire, arrive à un moment un peu étonnant dans la mesure où, on l’a rappelé, une mission d’information commune travaille sur ce sujet depuis septembre 2018, qui comprend d’ailleurs un membre du groupe La France insoumise. Nous avons mené des auditions et d’autres auront lieu d’ici à la fin de cette année, à tout le moins d’ici à l’été, où un rapport d’étape sera remis. Cette mission d’information commune travaillera ces trois prochaines années et est, je le rappelle, quelque chose d’unique : unique en France puisqu’il n’y a pas d’équivalent au Sénat, unique en Europe puisqu’aucun Parlement européen ne s’est saisi du sujet. Il n’y a qu’en France que des parlementaires ont choisi de s’en saisir ; nous aurions pu voter un amendement, ignorer le sujet, mais nous avons courageusement choisi de le prendre à bras-le-corps et de conduire un travail de fond avec les différents acteurs.

L’usage du glyphosate est interdit en France depuis le 1er janvier 2017 pour les collectivités. Lorsque j’étais maire de ma commune, j’avais même proscrit son usage ainsi que celui d’autres pesticides depuis 2015. Il est également interdit en France pour les particuliers depuis le 1er janvier 2019. Il est utile de le rappeler : on oublie trop souvent que les utilisateurs du glyphosate étaient surtout les particuliers, qui ne disposaient parfois pas de bonnes préconisations d’usage et de dosage, dans les jardins privés mais aussi publics, ce qui contribuait à l’accumulation du glyphosate dans les sols.

N’oublions pas non plus que le premier utilisateur, en tant que personne morale, du glyphosate en France, n’a rien à voir avec le monde agricole : c’est la SNCF… Compte tenu des moyens dont elle dispose, je ne doute pas qu’elle saura trouver une alternative ; j’imagine d’ailleurs que les conseils d’usage et d’application du glyphosate à la SNCF ne sont pas les mêmes que dans l’agriculture.

Mais quand on parle de glyphosate, on a surtout l’agriculture à l’esprit ; c’est normal puisque c’est sans doute là qu’il est le plus utilisé. L’usage du glyphosate diffère selon les activités agricoles ; dans certains cas, il est possible de s’en passer. Un maraîcher possédant un ou deux hectares de cultures peut plus facilement renoncer à cet herbicide qu’un agriculteur céréalier sur trente ou quarante hectares, à plus forte raison lorsqu’il pratique ce que l’on appelle l’agriculture de conservation des sols (ACS), qui vise à moins recourir au travail de la terre, à moins labourer, et à utiliser les sols comme stockage de CO2. C’est une technique qui assure la rotation des cultures de céréales et en même temps met en place des couverts végétaux comme engrais : ce sont ces couverts végétaux qui sont traités au glyphosate, à l’automne et non avant récolte. Rappelons que dans certains pays, notamment en Europe de l’Est et en Amérique du Sud, le délai de traitement avant récolte est bien plus court qu’en France. Parfois le glyphosate est appliqué quelques jours avant le début de la moisson afin de définir un créneau bien précis pour l’entreprise chargée de la moisson – dans ces structures agricoles, l’agriculteur n’est pas toujours propriétaire de la moissonneuse-batteuse.

Le temps ne me permet pas de vous poser de nombreuses questions, Madame la rapporteure. Vous avez fait état des traces de glyphosate dans les cours d’eau. Mais avez-vous fait la distinction entre l’AMPA (acide aminométhylphosphonique), qui est le métabolite du glyphosate, et les lessives et détergents qui s’y retrouvent également ?

M. Antoine Herth. J’ai examiné avec attention le rapport de Mme Taurine et j’en ai fait une lecture critique. Je trouve son avis personnel truffé d’inexactitudes ou en tout cas de partis pris qui frisent la malhonnêteté par rapport à tous les travaux déjà menés dans cette maison.

J’ai d’abord pensé, Madame la rapporteure, que le titre lui-même, « Interdiction du glyphosate », qui se retrouve ailleurs dans votre document, était une erreur mais, à la fin du rapport, vous précisez bien l’état actuel de la réglementation. Rappelons que l’autorisation ou l’interdiction d’une molécule comme le glyphosate n’est pas de la compétence des États membres et relève des autorités européennes. En revanche, les États membres ont la possibilité d’interdire, de restreindre ou de préciser les usages des spécialités phytopharmaceutiques contenant du glyphosate. C’est bien dans ce cadre que s’inscrit l’annonce du Président de la République ainsi que tous les travaux de recherche actuellement engagés ; nous travaillons bien sur la question des usages et non sur ce que je considère être un faux débat, autrement dit sur l’autorisation ou l’interdiction du glyphosate. On peut avoir ce débat sur la place publique, aux Quatre Colonnes, pour se donner une posture devant la presse ou devant ses électeurs, chacun fait ce qu’il veut ; mais nous sommes ici dans un travail législatif et il convient d’être exact sur la portée de nos travaux.

Le même parti pris se retrouve dans le reste du texte. Vous parlez d’une agriculture « biberonnée au glyphosate ». Je trouve que c’est un peu insultant pour tous les agriculteurs qui n’utilisent pas ce produit, et ils sont nombreux, soit parce qu’ils ont des productions qui ne nécessitent pas le recours à de telles spécialités soit parce qu’ils ont fait le choix de l’agriculture biologique.

En revanche, je vous trouve bien gentille avec la SNCF, qui en est pourtant le premier utilisateur en volume. Vous prétendez que ce n’est pas le cas et qu’elle ne représente que 0,4 % des usages de glyphosate, mais savez-vous que, lorsqu’on utilise le glyphosate sur une voie de chemin de fer, on le projette sur le ballast et le produit va directement dans la nappe phréatique car il n’y a pas de micro-organismes pour dégrader la molécule ? C’est beaucoup plus dangereux que les usages agricoles.

En ce qui concerne les alternatives, je me suis dit, puisque nous sommes la commission des affaires économiques, que vous alliez enfin innover sur la question du glyphosate et nous proposer une étude d’impact, une étude des effets de son interdiction sur l’économie agricole et de l’économie en général. Rien de tout cela : vous vous bornez à soutenir que des alternatives existent – sans aller jusqu’à parler de l’usage de la binette dans l’agriculture… Pour la SNCF en tout cas, celles que vous annoncez relèvent essentiellement de la science-fiction. Enfin, vous oubliez totalement les travaux de la mission d’information commune, comme ceux de la mission de suivi de la stratégie de sortie de l’utilisation du glyphosate ou encore ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui s’est également penché sur cette question.

En conclusion, PPL, cela me fait penser à « petit peu léger » ou alors à une posture pour les Quatre Colonnes…

M. Nicolas Turquois. Nous devons de nouveau nous exprimer sur une disposition législative visant à interdire l’utilisation du glyphosate en France après en avoir déjà débattu il y a quelques mois. Si nous ne doutons pas de votre volonté de promouvoir une agriculture plus saine et notamment moins dépendante de la phytopharmacie et si nous partageons votre souhait de favoriser une agriculture plus rémunératrice pour ses acteurs, nous réitérons notre opposition à une interdiction telle que vous la projetez.

Interdire le glyphosate brutalement, c’est confronter immédiatement des milliers d’agriculteurs à des difficultés majeures, voire insurmontables dans un certain nombre de cas, en l’état actuel de la recherche. Du fait de son coût très modique, de sa souplesse d’utilisation et de son efficacité, le glyphosate est effectivement devenu un produit omniprésent sur les exploitations agricoles. Nous pouvons le regretter et, même si les études sur sa dangerosité ne sont pas unanimes, nous avons la responsabilité collective de travailler à son retrait rapide au nom du principe de précaution. Mais travailler au retrait rapide et interdire sont deux approches philosophiquement très différentes, même si in fine elles visent le même objectif.

Au groupe MODEM et apparentés, nous voulons privilégier une approche pragmatique qui tout d’abord s’appuie sur la responsabilisation des agriculteurs et ensuite tient compte des quelques impasses techniques pour lesquelles il n’y a pas d’alternative sérieuse au glyphosate.

À notre sens, l’engagement présidentiel de sortie en trois ans doit d’abord se traduire par la suppression de tous les usages où l’utilisation du glyphosate peut être substituée, soit par d’autres produits, ce qui est d’ailleurs très discutable du point de vue environnemental, soit, idéalement, par du travail du sol. À titre personnel, j’estime ces usages correspondent à 70 ou 80 % des volumes de glyphosate vendus en France. J’en profite pour regretter l’absence de statistiques fiables sur ce sujet : on ne connaît pas exactement les volumes vendus pour chaque type d’usage.

En revanche, il reste quatre utilisations du glyphosate pour lesquelles nous n’avons pas de solution crédible : la problématique des vivaces en grande culture, c’est-à-dire essentiellement le chardon et le liseron, que le glyphosate permet de détruire efficacement en fin d’été après les récoltes de céréales ou de colza ; la problématique de la vigne en zones très pentues où le travail du sol mécanisé est non seulement très dangereux à réaliser mais amène aussi une érosion très rapide des sols – on imagine mal le retour à un désherbage manuel dans ces situations ; la problématique de la SNCF où la lutte contre l’enherbement, et notamment les ligneux tels que les ronces et les épines, est indispensable, faute de quoi le ballast est très rapidement envahi et les voies rendues impraticables par l’action des racines qui décalent les structures en poussant ; reste enfin la problématique la plus emblématique, qui a été citée par notre collègue M. Julien Dive, à savoir l’agriculture de conservation. Cette technique agricole consiste à imiter la nature en ne laissant jamais les sols à nu. Chaque culture est semée dans le couvert végétal d’une précédente culture ; c’est à ce jour la forme la plus aboutie de protection physique des sols contre le lessivage et l’érosion éolienne. À mon sens, elle est sûrement au moins aussi vertueuse que l’agriculture biologique. Je vous invite d’ailleurs toutes et tous à regarder des vidéos qu’on trouve sur internet à ce sujet pour mieux comprendre de quoi il est question. Mais cette technique nécessite impérativement l’usage de petites quantités de glyphosate pour passer d’une culture à l’autre ; or, à ce jour, il n’existe à ma connaissance aucune alternative.

Sur ces quatre sujets, nous devons être collectivement responsables et trouver des solutions avant de brandir des interdictions. Si les usages du glyphosate diminuent en France de 70 ou 80 %, nos agriculteurs auront fait un pas qualitatif énorme. Je vous rappelle que nombre de produits agricoles importés ont été traités par du glyphosate pendant la croissance des cultures, pratique qui n’existe pas en France, où nous n’utilisons ce produit qu’avant ou après le cycle cultural. Nous devons être innovants, précurseurs en la matière, mais l’interdiction pure et simple est une impasse et un non-sens.

Le groupe MODEM et apparentés s’opposera donc à la proposition de loi ainsi rédigée.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Notre rapporteure et le groupe La France insoumise nous proposent ce matin de mettre en œuvre l’engagement pris par le Président de la République le 27 novembre 2017 d’interdire l’usage de la substance active glyphosate au plus tard le 27 novembre 2020. Naturellement, les députés du groupe Socialistes et apparentés adhèrent totalement à cet objectif de sortie la plus rapide possible de l’agrochimie en général et du glyphosate en particulier ; nous avions d’ailleurs proposé un certain nombre d’amendements en ce sens dans le cadre du projet de loi EGALIM.

Nous pensons également qu’il faut lutter avec la même énergie contre l’« agribashing » qui consiste à culpabiliser nos agriculteurs en leur reprochant des modes de production qu’ils ont été fortement incités à suivre dans le passé. Si nous voulons, et c’est un combat des socialistes depuis plusieurs années, réussir la transition vers l’agro-écologie et permettre la sortie des produits phytopharmaceutiques, il nous faut accompagner cette transition. Notre groupe proposera donc, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, un dispositif social et fiscal d’accompagnement à la transition vers l’agro-écologie afin de donner à tous nos paysans les moyens concrets de transformation de leurs modes de production et de sortie du glyphosate à l’horizon 2021.

Mais ce combat, pour être pleinement effectif, devra être porté par la France au niveau européen afin que l’agro-écologie devienne le modèle productif de l’Union européenne, dans l’intérêt à la fois des consommateurs, des producteurs et de nos terres. Nous appellerons donc le Président de la République à porter ce combat dans la nouvelle mandature européenne et le budget de l’Union.

Nous craignons cependant que le Gouvernement ne partage pas cette ambition, considérant qu’il a mis en consultation publique une ordonnance concernant la mise en œuvre des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques, dont les dispositions envisagées apparaissent contraires à l’intérêt général, au sens de la santé humaine, de la qualité environnementale et de notre économie rurale, ainsi qu’à l’esprit des trois lois ayant trait à ce dispositif. Notre collègue M. Dominique Potier saisira d’ailleurs le Premier ministre sur la conformité de cette ordonnance aux textes législatifs qui la fondent.

Enfin, sortir de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, et notamment du glyphosate, implique également de réparer les conséquences de leur utilisation dans le temps. Les socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont travaillé depuis plusieurs mois sur la mise en œuvre d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires, dont le principe de création a été arrêté pour le 1er janvier 2020. Nous veillerons évidemment, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, à ce que celui-ci soit à la hauteur des enjeux et des attentes puisque nous n’avons pas pu aller au terme de notre proposition de loi proposée la semaine dernière.

M. Jean-Hugues Ratenon. Je vais essayer de ne pas répéter ce qu’a fort bien exposé notre rapporteure, même si la répétition est la base de la pédagogie…

Depuis sept ans au moins, l’opinion s’agite autour de la question du glyphosate, son usage et ses dangers. Cette interrogation est légitime depuis que des chercheurs comme Gilles-Éric Séralini ont commencé à prouver la dangerosité du glyphosate et des risques qui y sont associés. Que ce soit sur la santé humaine ou l’écosystème, ma collègue nous a largement éclairés sur les effets néfastes du glyphosate : cancer, insuffisance rénale, pollution des nappes phréatiques aux métaux lourds notamment. La liste des effets destructeurs est longue. Bref, nos concitoyens ont raison de s’inquiéter et de vouloir l’interdiction de ce pesticide.

Mais au-delà de la simple question de la santé, ce cas pose la question du poids des lobbies. Le principal producteur de glyphosate, Monsanto, est un groupe tentaculaire qui n’a reculé devant aucune méthode pour essayer de stopper ceux qui ont lancé l’alerte sur la dangerosité de l’usage de ce produit. Cette grande multinationale de l’agrochimie a utilisé notamment des scientifiques de renom et des campagnes de presse contre les chercheurs qui ont eu le courage de mener des recherches indépendantes sur le glyphosate que nous voulons interdire aujourd’hui et qui nous empoisonne depuis des années. Cette affaire met en lumière les collusions qui existent entre les multinationales et les chercheurs, les grands médias et même les agences de contrôle sanitaire. Nous pouvons saluer sur ce sujet le travail exemplaire de quelques journalistes, notamment ceux qui travaillent autour de Mme Élise Lucet dans Envoyé spécial.

Tout cela n’est pas sans rappeler une triste affaire qui pèse encore aujourd’hui dans nos territoires d’outre-mer, celle du chlordécone. La très grande majorité d’entre nous s’accorde à dire que les gouvernements de l’époque, en autorisant la prolongation de l’autorisation de l’utilisation du chlordécone alors qu’ils savaient que ce produit était cancérigène, ont cédé à la pression des lobbies et des grandes industries de l’agrochimie. Voilà pourquoi nous devons fermer les portes de nos bureaux lorsque les lobbies viennent y frapper.

Les intérêts des grands groupes financiers mettent le plus souvent en danger la vie de la planète et de nos concitoyens. Dans le cas du glyphosate, les premières victimes sont ceux qui sont les plus exposés : nos agriculteurs. Pour eux, d’autres solutions existent, comme l’indique fort bien l’INRA dans une publication de 2017 intitulée Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française. Ces solutions appartiennent au domaine de l’agro‑écologie : il s’agit d’adopter des modes de production plus sains et respectueux de la nature. Ces solutions mécaniques et biologiques permettraient de préserver la santé de nos agriculteurs, de l’ensemble des consommateurs et de notre écosystème. Il est donc urgent d’accompagner techniquement et financièrement nos agriculteurs pour qu’ils puissent adapter leurs méthodes à ce changement de production. Il est important de ne pas les laisser seuls : ils ont besoin de nous autant que nous avons besoin d’eux.

Il est temps de légiférer, parce que toutes les solutions avancées ces dernières années par les différents gouvernements sont des échecs flagrants. Il est temps de légiférer, parce que notre santé n’attend pas. Il est temps de légiférer parce qu’il est urgent de protéger les écosystèmes, que nous empoisonnons avec nos pesticides. Non, il n’y a pas de piège, mais une volonté de protéger les gens et la planète.

Le Président de la République a pris l’engagement, le 27 novembre 2017, de sortir le pays du glyphosate en trois ans. Nous le prenons au mot ! et nous allons vous aider, mes chers collègues du groupe La République en Marche, à respecter son engagement.

M. Bruno Bonnell. Merci !

M. Jean-Hugues Ratenon. C’est pourquoi, nous proposons, avec cette proposition de loi, l’interdiction du glyphosate à partir du 27 novembre 2020.

M. Alain Bruneel. Je remercie Mme Taurine pour cette proposition de loi qui nous invite à prolonger la discussion qui a commencé, sans avoir été achevée, dans le cadre de la loi dite EGALIM.

Alors que les citoyens ont envie d’avoir une qualité de vie sociale et environnementale, c’est malheureusement la rentabilité financière qui prime avant tout sur la santé des gens. C’est ce que l’on voit notamment avec Monsanto, alors que chacun sait que le glyphosate est mortel et qu’il nuit gravement à la santé. Quel chemin emprunter pour que les engagements du Président de la République soient tenus ?

Alors que la France s’était engagée à diviser par deux l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici à 2018 – il s’agissait du plan Écophyto lancé à l’issue du Grenelle de l’environnement –, nous sommes encore très loin des objectifs initialement fixés. L’utilisation massive du glyphosate dans nos modèles agricoles est un excellent exemple des difficultés rencontrées pour atteindre des objectifs aussi ambitieux sans accompagnement durable des filières.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’était prononcé en faveur de la suppression progressive du glyphosate et d’autres molécules phytosanitaires potentiellement cancérogènes et dangereuses pour l’environnement pour tenir les engagements du plan Écophyto, tout en garantissant aux producteurs des différentes filières des solutions alternatives durables et un accompagnement des transitions, notamment par le transfert rapide des avancées de la recherche et des garanties de prix aux producteurs permettant de compenser d’éventuelles pertes de rendement, la nécessité absolue d’une harmonisation des réglementations et l’interdiction au niveau européen, enfin l’activation d’une clause de sauvegarde, toujours à l’échelle européenne, pour protéger nos productions vertueuses, sur le plan de la santé publique et de la protection de l’environnement, des concurrences déloyales hors de l’Union européenne.

Cette proposition de loi est importante en ce qu’elle prévoit d’inscrire dans le calendrier l’interdiction de l’utilisation du glyphosate et de créer les conditions pour permettre sa substitution.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Monsieur Moreau, vous avez raison : il faut être aux avant-postes. Mais notre stratégie diffère profondément de la vôtre puisque nous considérons que, pour être aux avant-postes, la France doit interdire et montrer l’exemple.

Le Président de la République s’étant engagé à interdire l’utilisation de ce pesticide d’ici à trois ans, pourquoi dès lors ne pas l’inscrire dans la loi ? Aucune raison ne justifie que cette décision politique, d’ores et déjà tranchée, ne soit pas réellement fixée dans la loi.

Monsieur Dive, il est normal que notre groupe se soit saisi de cette question puisqu’il s’agit de la santé des gens et que les citoyens se sont mobilisés.

M. Julien Dive. Je n’ai jamais dit que c’était anormal !

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Je ne vous attaque pas, je dis simplement que nous sommes sur la même longueur d’onde et que les parlementaires doivent vraiment se saisir de cette question. Et je ne reproche pas à la mission d’information d’exister. Seulement, elle est prévue pour une durée de trois ans. Or notre groupe considère qu’il faut aller plus vite et savoir, à un moment donné, arrêter de discuter.

Monsieur Herth, la SNCF travaille activement à la recherche d’une alternative à l’utilisation du glyphosate. Je vous rappelle qu’en vingt ans elle a déjà divisé par trois la quantité de produits utilisés et qu’elle favorise la biodiversité par la gestion raisonnée des espaces verts. Je ne sais pas sur quoi vous vous basez pour remettre en question le rapport de la SNCF.

Monsieur Dive, l’AMPA est le principal métabolite du glyphosate. Vous mettez le doigt sur une problématique forte : l’absence d’études régulières et détaillées. L’analyse de la présence d’une molécule, notamment dans l’air, est très coûteuse, ce qui explique l’insuffisance des informations en notre possession. Il faut donc en effet encourager la recherche.

L’étude d’impact économique est en cours : c’est l’objet de la mission d’information. Vous savez aussi bien que moi, Monsieur Herth, que nous n’avons que quelques semaines pour examiner une niche parlementaire, tandis que la mission d’information a trois ans devant elle. On sait déjà que les agriculteurs qui se passent de pesticides s’en sortent mieux économiquement, notamment ceux qui sont en agriculture biologique, compte tenu des prix du marché.

Madame Battistel, il est en effet évident qu’il faut accompagner la transition écologique et faire en sorte que la France fasse entendre sa voix au niveau européen pour interdire le glyphosate. Il convient d’éviter de se centrer sur notre pays et, au contraire, de regarder quelles sont les conséquences, y compris mondiales, de l’impact des produits phytopharmaceutiques sur les gens – j’ai d’ailleurs évoqué le cas de l’Argentine.

Monsieur Turquois, l’INRA est mobilisé et cherche des solutions. Mais cela prend du temps. C’est pour cela que nous avons fixé l’interdiction de l’utilisation du glyphosate en novembre 2020, pas aujourd’hui. Si on avait attendu que les gens se décident à instaurer la parité sans l’inscrire dans la loi, il n’y aurait peut-être pas autant de femmes à l’Assemblée nationale aujourd’hui.

M. le président Roland Lescure. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Monique Limon. Madame la rapporteure, avec la présente proposition de loi, vous demandez l’inscription de l’interdiction du glyphosate à compter du 27 novembre 2020. Comme le rappelle si justement votre exposé des motifs, personne ne peut ignorer la difficulté des agriculteurs à vivre de leur métier. Il est donc nécessaire de répondre à la longue crise que connaît cette profession en permettant aux agriculteurs de vivre décemment de leur travail. C’est dans ce sens que nous avons adopté le projet de loi dit EGALIM.

Nos avis divergent sur la méthode employée pour atteindre nos objectifs, à savoir la réduction des produits phytosanitaires. Inscrire l’interdiction du glyphosate en 2020 dans la loi, c’est méconnaître la diversité de nos filières qui ont besoin d’être accompagnées dans cette sortie. Comme le rappelle l’INRA dans son rapport en 2017, il existe des situations de difficulté et d’impasses, et la transition vers la sortie du glyphosate doit se faire sur une échelle de temps qui prend en compte la mise en œuvre de ces techniques alternatives.

Nous partageons la même volonté d’interdire le glyphosate, mais pas n’importe comment : il faut le faire de manière progressive, collective et concertée si nous voulons préserver notre patrimoine agricole. Néanmoins, depuis le 1er janvier 2017 l’utilisation des produits phytosanitaires, dont le glyphosate, est interdite pour les collectivités publiques et c’est maintenant chose faite pour les particuliers depuis le 1er janvier 2019.

Le Gouvernement et la majorité ont pris leurs responsabilités en mettant en place une mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, en nommant un préfet coordinateur chargé de la sortie du glyphosate, en créant un centre de ressources accessible à l’ensemble de la profession agricole, en renforçant les mesures d’accompagnement, en mobilisant les réseaux territoriaux des chambres d’agriculture et de l’enseignement agricole pour promouvoir les alternatives, le suivi des quantités vendues et utilisées des produits contenant du glyphosate afin de faire la transparence sur leurs usages. Nous ne pouvons présumer des résultats de nos actions avant d’en avoir sérieusement étudié les conséquences. Le travail déjà engagé commence à porter ses fruits ; certaines filières pourront se passer totalement du glyphosate. Pour d’autres, le travail sera plus long et nécessite la mobilisation de tous pour trouver des solutions alternatives.

M. Jean-Claude Bouchet. Le glyphosate est le produit le plus utilisé au monde, la part de la France, qui représente 5 %, concerne les céréales, l’arboriculture et la viticulture. Personne ne conteste la dangerosité du glyphosate, comme le prouvent différentes études, ni l’arrêt de son utilisation, qui doit être programmé. Mais quand arrête-t-on de l’utiliser et comment continuer à produire pour nourrir la planète ? Où en est-on de la recherche pour le remplacer ? Et si on ne l’utilise plus en France, comment arrêter de l’utiliser en Europe et ailleurs ? Sinon nous nous retrouverons avec des produits importés traités au glyphosate.

Nous sommes favorables à cet arrêt programmé, mais pourquoi faire une nouvelle loi maintenant ? Vous le savez, M. Emmanuel Macron n’est pas ma « tasse de thé », mais je lui donne acte de son engagement présidentiel sur l’arrêt programmé du glyphosate. Si cet engagement n’était pas tenu, alors oui une nouvelle loi serait nécessaire. Je suis à l’écoute de tous, je suis pour la santé publique, comme chacun ici, je suis pour une agriculture respectée et respectable. Pourquoi faire une loi qui anticipe une interdiction qui aura lieu de toute façon dans les trois ans ?

Mme Delphine Batho. Madame Taurine, je me réjouis de ce débat même si je ne me fais aucune illusion sur le destin de cette proposition de loi. J’invite tous les groupes qui veulent, à juste titre, porter la cause des pesticides, à inscrire leurs propositions de lois, comme celle sur les victimes des produits pharmaceutiques, en premier point de l’ordre du jour afin qu’elles ne se retrouvent pas la dernière roue du carrosse, examinées à minuit ou une heure du matin sans que l’on puisse entrer dans le fond de la discussion.

Le glyphosate concentre des enjeux de santé publique majeurs, de corruption et de falsification scientifique graves qui auraient à elles seules justifié que l’Europe ne décide pas le renouvellement de l’autorisation de cette substance, des enjeux aussi de transformation de notre modèle agricole au moment où tout porte à craindre, une nouvelle étude l’a indiqué hier, qu’il n’y aurait plus du tout d’insectes en 2100.

L’interdiction du glyphosate, votée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée, avait fait l’objet d’amendements de collègues de la majorité, qui tous ont été repoussés. Puis on a courageusement choisi… de capituler, choix confirmé par le Président de la République le 24 janvier dernier, ce qui n’était pas pour moi une surprise.

Tout ce qu’on a dit sur la loi est faux. Nous avons voté la loi qui prévoyait l’interdiction des néonicotinoïdes, et celle-ci est en vigueur depuis le 1er septembre dernier. Tous les collègues, même ceux qui s’y étaient opposés en avançant les mêmes arguments que ceux que l’on entend aujourd’hui sur le glyphosate, se sont réjouis de son entrée en application. Nous pouvons donc faire de même pour le glyphosate : il y a nécessité que le législateur intervienne.

Je suis surprise que personne n’évoque ce matin la décision du tribunal administratif de Lyon qui a interdit le Roundup Pro 360 dans les termes suivants : « Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le Roundup Pro 360 est probablement cancérogène pour l’homme, eu égard notamment aux résultats des expériences animales, est une “ substance suspectée d’être toxique pour la reproduction humaine ” au regard des expériences animales et est particulièrement toxique pour les organismes aquatiques. Dès lors, malgré les précautions d’emploi […], l’utilisation du Roundup Pro 360, autorisée par la décision attaquée, porte atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé publique. Par suite, l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Roundup Pro 360 malgré l’existence de ce risque ».

Ces tergiversations et cette décision de justice exposent la santé, la biodiversité, les agriculteurs français par l’imprévoyance, dans la mesure où ce sont désormais les tribunaux maintenant qui vont prendre les décisions, et elles exposent aussi les ministres à des poursuites pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

M. André Villiers. Madame la rapporteure, votre proposition de loi a le mérite de permettre de faire un point sur l’avancement programmé de cet important dossier. En tout cas, c’est ce que je veux y voir.

Vous avez indiqué que le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde. Je vous rappelle qu’entre 1974 et 2015, pas moins de 9,5 millions de tonnes ont été répandues sur la planète.

Le débat européen sur le prolongement de la licence d’exploitation pour cinq ans a donné lieu à un feuilleton allemand très édifiant sur fond de rachat de Monsanto par Bayer, faisant naître un titan mondial de l’agrochimie. Je relève d’ailleurs au passage la position à géométrie variable de la Commission européenne qui avait donné son aval à ce rachat, en mars 2018, et qui vient de s’illustrer tristement dans un autre dossier, celui d’Alstom‑Siemens. Mais ça, c’est l’Europe…

Comme l’a dit M. Antoine Herth, une mission d’information commune a été créée sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Cette mission, dont le rapporteur est notre collègue M. Didier Martin, a été chargée d’auditionner les associations, les fabricants, les agriculteurs, etc. J’ai noté, dans ce travail très documenté et très fourni, qu’une suggestion à effet immédiat avait été mise en avant, celle d’interdire l’utilisation du glyphosate pour la dessiccation – voilà un sujet dont il faudra sans doute débattre – qui est peut-être l’annonce d’une évolution plus rapide. J’ajoute que le chef de l’État a confié à M. Cédric Villani une mission d’expertise.

Si le principe de précaution doit prévaloir pour l’utilisation du glyphosate, c’est sans doute l’arbre qui cache la forêt : il y a lieu de s’interroger sur le recours à la chimie en agriculture.

En conclusion, nous sommes à la croisée des chemins. Prenons un peu de temps pour offrir à notre agriculture les voies et moyens d’avancer sur ces questions éminemment importantes, en rappelant deux éléments : d’abord le poids significatif de la France dans le domaine agricole à l’échelle de l’Europe, ensuite l’appétence grandissante des consommateurs pour les produits issus de l’agriculture, dans lesquels j’inclus évidemment les produits issus de l’agriculture biologique et ceux issus de l’agriculture dite raisonnée, tout cela correspondant évidemment à une demande sociétale importante.

M. Didier Martin. Je me limiterai à quelques points de méthode dans notre démarche vers la sortie des produits phytopharmaceutiques et du glyphosate.

Premièrement, l’interdiction ne sera possible que si la France, par l’intermédiaire de l’ANSES, fait la démonstration de la dangerosité de la molécule présente dans de très nombreux produits et dont la commercialisation est autorisée par l’Union européenne. Précisons que l’établissement de la dangerosité d’une molécule, en chimie comme en pharmacie, dépend des conditions d’usage.

Deuxièmement, une fois cette démonstration établie, effectivement, la France pourra décider unilatéralement en Europe et toute seule de retirer les produits contenant du glyphosate.

Troisièmement, les alternatives sont connues : elles mobilisent les ministères, une mission de l’Assemblée nationale et la recherche. Leur mise en œuvre nécessite un peu de temps, des investissements et des connaissances et surtout un changement des pratiques agricoles comme des pratiques ferroviaires, en particulier pour la SNCF.

Dans sa présentation initiale, Mme la rapporteure n’a pas beaucoup parlé des agriculteurs, ni de l’agriculture, ni de la SNCF. C’est, à mon avis, ce qui manque à sa plaidoirie et à cette proposition de loi.

Mme Barbara Bessot Ballot. Nous reconnaissons tous que la société est allée trop loin dans le toujours plus et que nous devons enrayer la surproduction. Néanmoins méfions‑nous du contre-balancier avec la culture de l’industrie de la peur, de la « pesticido‑phobie » et de la gesticulation anticapitaliste. Ce contre-balancier ne doit pas être la réponse. Il faut rester lucide et prendre en considération l’histoire pour en sortir sérieusement et de manière pérenne.

Par exemple, si effectivement le Salvador et le Sri Lanka ont respectivement souhaité sortir de l’utilisation du glyphosate en 2013 et en 2015, ils sont depuis lors tous les deux revenus sur leur décision et ont fait marche arrière. Pour notre part, c’est la marche avant qui nous intéresse. La pression collective est bien présente pour que nous laissions travailler les filières et que nous travaillions de manière pérenne pour en sortir. Nous sommes nombreux à porter le coquelicot pour sortir de l’utilisation des pesticides, mais attelons-nous au travail en restant lucides.

M. François Ruffin. Une fois n’est pas coutume : nous venons au secours du Président de la République pour l’aider à tenir un de ses engagements, qu’il avait prononcé le 27 novembre 2017 : « Le glyphosate doit être interdit au plus tard dans trois ans », autrement dit le 27 novembre 2020. C’est bien ce que prévoit cette proposition de loi. C’est pourquoi je suis un peu surpris du ton de certains intervenants, y compris de la majorité : on ne peut pas faire ça n’importe comment, ce serait de la gesticulation anticapitaliste, on serait dans l’impasse, dans le non-sens, ce serait méconnaître les difficultés, nous agirions par idéologie, ce serait une posture pour la salle des Quatre Colonnes…

M. Didier Martin. C’est vrai !

M. François Ruffin. Mais tout cela, allez le dire directement au Président de la République, puisque c’est lui qui a pris cet engagement ! Nous ne faisons que prendre la balle au bond.

L’interdiction du glyphosate doit évidemment s’inscrire dans un cadre plus large pour l’agriculture française. Nous considérons en effet que l’agriculture doit sortir de la mondialisation, du marché mondial, que la terre et ses produits ne sont pas des produits comme les autres. Et cela suppose une régulation de ce marché, avec des prix plancher et des quotas, bref, des instruments à même d’assurer le retour du progrès social pour les agriculteurs eux-mêmes qui doivent pouvoir bénéficier d’un revenu décent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, mais également permettre le progrès environnemental. Mais tant que nous resterons dans un marché mondialisé et que nous continuerons à accepter ce cadre, nous aurons le plus grand mal à progresser. La présente proposition de loi, même si elle ne porte que sur un point précis, s’inscrit dans une vision plus globale de l’agriculture.

Je veux aussi évoquer le poids des lobbies de la chimie que je ressens depuis le début de ce mandat. C’est bien de la marche arrière : tout est fait pour freiner, pour bloquer l’interdiction du glyphosate. Cela vaut aussi pour le secret des affaires qui a été abordé dans l’hémicycle, et c’était là encore l’industrie de la chimie qui était à l’œuvre. Le Conseil de l’Europe va jusqu’à parler d’une atteinte à la liberté de la presse.

M. le président Roland Lescure. Merci de conclure !

M. François Ruffin. Enfin, quand on voit le Président de la République défendre le chlordécone devant les élus d’outre-mer, en soutenant, contre l’avis de l’Organisation mondiale de la santé et d’un certain nombre de professeurs d’université, que ce n’est pas un produit cancérigène, on mesure à quel point le lobby de la chimie parvient à peser sur les décisions prises dans ce Parlement et par le chef de l’État.

M. Fabien Di Filippo. Dans certaines matières, le mieux est l’ennemi du bien. L’ « agribashing » à la mode, je ne sais trop pour quelle raison, n’a d’autres effets que d’affaiblir, sans aucun bénéfice environnemental, une production française répondant à des conditions sanitaires parmi les meilleures du monde. Notre agriculture, même conventionnelle, n’a rien à envier à beaucoup d’agricultures bio sur la planète.

Je poserai trois questions.

Premièrement, interdire le glyphosate, c’est-à-dire renforcer la compétitivité des produits étrangers sur un marché libre, reviendrait à importer davantage de produits fabriqués avec du glyphosate, ce qui n’aurait in fine aucune incidence pour le consommateur.

Deuxièmement, avez-vous conscience des produits qui seraient utilisés en remplacement du glyphosate ? Aujourd’hui, on sait qu’il faudrait utiliser à court terme des molécules en quantité six fois supérieure – je parle d’anti-graminées et d’anti-dicotylédones – qui ne seraient pas nécessairement meilleures pour l’environnement ; ce pourrait même être pire.

Enfin, l’utilisation des techniques alternatives de labour libérerait bien plus souvent tout le carbone stocké dans les prairies, ce qui aurait, là encore, un effet nocif sur l’environnement.

Avez-vous anticipé toutes ces conséquences qui seraient néfastes et pour le consommateur et pour notre planète ?

Mme Véronique Hammerer. Pour ma part, je ne suis en relation avec aucun lobby, et je n’en connais aucun.

Je réaffirme ici que nous sommes tous engagés sur la sortie du glyphosate, et plus globalement que nous sommes tous mobilisés sur la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce qui nous sépare, Madame la rapporteure, c’est la méthode que vous utilisez. La mise en place d’un centre de ressources, le renforcement de mesures d’accompagnement pour diffuser et trouver des alternatives – dont certaines sont technologiquement prêtes et d’autres pas encore économiquement au point –, la mobilisation des réseaux territoriaux des chambres d’agriculture, l’engagement agricole pour la formation des futurs agriculteurs, le suivi des quantités vendues et utilisées des produits contenant du glyphosate afin de faire toute la transparence sur les usages, la nomination d’un coordinateur interministériel, le lancement d’une mission d’information de l’Assemblée nationale : voilà notre méthode. Vous, vous imposez, vous décrétez, vous voulez aller plus vite, vous voulez forcer ; nous, nous faisons le choix de l’accompagnement et de la co-construction avec tous les acteurs concernés. Je suis d’accord pour aller plus vite, mais mettre en difficulté un pan de notre agriculture n’est pas notre choix politique.

Madame la rapporteure, comment comptez-vous accompagner cette transition et quelle est réellement votre méthode ?

M. Dominique Potier. Je profiterai de cette intervention pour rappeler ma prise de position, qui n’est pas populaire : je dois m’en expliquer chaque jour car elle est difficile à faire comprendre dans l’ambiance médiatique qui est la nôtre. Je ne crois pas avoir à prouver que je suis partisan de l’agro-écologie, voire d’une certaine radicalité dans l’agro-écologie depuis un quart de siècle. En tout cas, je pourrais en témoigner sur le territoire et sur la ferme où j’ai travaillé, ainsi qu’au travers des engagements qui ont été les miens au cours de la législature précédente.

Cela étant, je persiste à penser que c’est une erreur de délibérer dans un hémicycle, dans une assemblée sur des molécules. Pourquoi le faire pour les produits phytopharmaceutiques quand on ne le fait pas pour les médicaments humains ? L’intelligence des démocraties modernes, c’est de confier ce discernement et cette décision à des agences spécialisées, des comités d’éthique totalement autonomes sur le plan budgétaire. C’est le combat que je mène depuis des années pour que l’ANSES et l’EFSA échappent aux logiques des lobbies et des opinions publiques, aussi dangereux les uns que les autres, et pour établir un plan sanitaire de croissance.

Une fois que j’ai dit cela, je rappellerai que mon itinéraire et mon parcours, c’est plutôt d’aboutir à zéro pesticide en Europe en 2050. Des études convergentes de plusieurs organismes et think tanks montrent que cet objectif est accessible.

À ce stade, je veux alerter la commission sur deux faits contemporains.

Le ministre M. Didier Guillaume vient d’ouvrir au ministère de l’agriculture, et je m’en réjouis, une session sur une idée, introduite dans la loi dite EGALIM : faire de la haute valeur environnementale (HVE) la marque territoriale de l’agro-écologie. Les industriels, les paysans et les ONG environnementales sont tous réunis autour de cette perspective qui peut nous réconcilier et nous permettre de nous affranchir de la phytopharmacie de manière bien plus durable que toutes les délibérations que l’on essaie de prendre par ailleurs.

L’autre alerte, qui est plutôt un coup de gueule, concerne une ordonnance qui supprime la sanction en cas de non-réalisation des certificats d’économie de produits phytosanitaires alors que c’est une des promesses les plus fécondes dans le monde paysan aujourd’hui, une des politiques les plus innovantes – le Président de la République parlerait d’empuissancement de la société – qui permet aux filières, à la recherche et aux paysans de trouver des solutions pour sortir de la phytopharmacie, sortir de l’utilisation de molécules qui sont parfois pires que le glyphosate. Je condamne cette ordonnance ; je vais du reste saisir le Conseil d’État dans la mesure où je la crois contraire à l’esprit de la loi que j’avais portée le 20 mars 2017, et à ce que nous avons voté dans la loi dite EGALIM.

Enfin, je pense qu’il ne faut pas fermer la discussion. Le groupe Socialistes et apparentés, au travers de Mme Marie-Noëlle Battistel, proposera que nous poursuivions la discussion avec nos collègues du groupe La France insoumise.

M. Dino Cinieri. Tout le monde, y compris les agriculteurs, reconnaît la nécessité de mettre un terme à l’utilisation de ce produit dangereux pour la santé. Cela étant, j’estime qu’on ne peut pas inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi tant que des alternatives n’ont pas été validées par des scientifiques, en particulier l’INRA.

Des alternatives mécaniques existent, comme les couverts gélifs, le travail du sol, etc., mais elles ne sont pas réalisables dans tous les contextes pédo‑climatiques. Par ailleurs, leur mise en œuvre pourrait entraîner des conséquences néfastes sur le plan économique comme sur le plan environnemental. Un désherbant de biocontrôle existe également, mais son efficacité n’est pas encore suffisante pour se substituer au glyphosate.

Enfin, Madame la rapporteure, nous devons absolument convaincre la Commission européenne de réduire la durée d’utilisation du glyphosate, de façon à ne pas placer notre agriculture en situation de concurrence déloyale. J’en veux pour preuve que chez mes arboriculteurs de Pélussin, le produit de substitution a été passé cinq fois de suite sans donner aucun effet. Si je suis favorable au remplacement du glyphosate, par quels produits doit-on le faire ? Et pourquoi interdire aux agriculteurs français d’utiliser le glyphosate à partir de 2020, tandis que l’Europe l’autorise jusqu’en 2022 ? Faudra-t-il introduire des produits étrangers sur le territoire national ?

M. Matthieu Orphelin. Nous sommes face à un paradoxe du débat parlementaire : nous discutons d’une proposition de loi dont nous savons pertinemment qu’elle ne sera pas examinée en séance publique, le groupe La France insoumise ayant décidé de la placer en cinquième position, ce qui paraît bizarre compte tenu de l’urgence qui a été rappelée lors de sa présentation.

La vraie question, c’est comment mieux accompagner les agriculteurs qu’aujourd’hui dans la sortie du glyphosate ? J’avais déposé un amendement sur ce point, mais celui-ci a été déclaré irrecevable en application de l’article 40 de la Constitution. Il est dommage qu’on n’ait pas pu aborder cette question, car on a besoin de mieux accompagner les agriculteurs dans cette transition.

Pour régler ce problème, on aurait pu habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance, avant mi-2021, des mesures sur l’interdiction du glyphosate si les progrès d’ici là n’étaient pas suffisants. Mais, là encore, les parlementaires se heurtent aux règles constitutionnelles.

Enfin, comme l’amendement de mon collègue et frère jumeau M. Jean‑Baptiste Moreau a toute chance d’être adopté, cela signifie que les amendements suivants tomberont et qu’ils ne pourront donc pas être examinés. Mes trois amendements, qui reprenaient une idée que j’avais défendue au mois de mai dernier, prévoyaient une période de transition de trois ans lorsque les solutions existent et jusqu’à cinq ans en cas d’impasse technique ou économique.

M. le président Roland Lescure. Monsieur Orphelin, permettez-moi seulement de douter de la véracité de votre gémellité avec M. Moreau ! (Sourires.)

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. J’ai le sentiment que certains orateurs remettent en cause la parole présidentielle. C’est pourtant bien le chef de l’État qui a déclaré qu’il fallait sortir dans trois ans de l’utilisation du glyphosate. J’ai donc des difficultés à comprendre les raisons de cette sorte de rétropédalage par rapport à cette déclaration. Mais il est vrai que le Président de la République lui-même semble reculer par rapport à cette première annonce…

Monsieur Potier, effectivement, l’Assemblée n’aurait peut-être pas à se saisir de ce type de proposition de loi. Mais au vu des scandales et des différentes problématiques qui se sont posées dans l’étude et la prise de décision par l’Union européenne de poursuivre l’utilisation de cette molécule, il nous a semblé important, en tant que représentants des citoyens et des citoyennes, de nous saisir de cette question et, au-delà, de celle, plus globale, de l’impact des lobbies : il faut veiller à ce que nos décisions politiques ne soient pas orientées, mais bien prises en pleine connaissance de cause, sans risque de nous faire manipuler.

Je n’oppose pas les agriculteurs, je sais très bien que les éleveurs rencontrent de grandes difficultés et que le glyphosate n’est pas l’unique raison pour laquelle ils ne vivent pas décemment de leur travail. Mais vous savez, comme moi, qu’il faut préserver la santé des populations, ce qui passe par une plus grande vigilance de l’utilisation des pesticides. Mme Batho a parlé de la disparition des insectes : or ce sont eux qui pollinisent les végétaux et qui contribuent à obtenir des rendements et une production. Si notre modèle agricole aboutit à la destruction de la biodiversité, que deviendra l’humanité ? On parle beaucoup de préserver la planète, mais commençons par préserver notre espèce : après tout, la planète sera encore là bien après la fin de l’humanité, jusqu’à ce que notre système solaire disparaisse, dans quelques milliards d’années.

 


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II.   Examen de l’article unique

Article unique
(art. L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime)
Interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate

1.   L’état du droit

a.   La procédure d’autorisation des produits phytopharmaceutiques

Toute préparation commerciale qui constitue le produit phytopharmaceutique formulé mis sur le marché comprend :

– une substance active, la molécule à la base du produit qui provoque l’effet recherché ;

– un diluant ou un solvant destiné à abaisser la concentration de la substance active ;

– des adjuvants qui doivent faciliter l’utilisation du produit et améliorer son action ([31]). Ces adjuvants sont dépourvus d’activité phytopharmaceutique mais ils optimisent celle de la substance active en facilitant son application et en évitant les déperditions du produit. Ils permettent aussi de limiter les risques d’intoxication pour l’applicateur du produit.

Le cadre général dutilisation et dhomologation des produits phytopharmaceutiques prévu par le règlement (CE) n° 1107/2009 ([32]) est réparti entre la Commission européenne et les États membres.

L’approbation (ou l’interdiction) des substances actives relève de la compétence de la Commission européenne qui, appuyée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), en évalue la toxicité et la dangerosité. L’EFSA s’appuie sur les travaux des autorités compétentes de l’État rapporteur (celui dans lequel la société phytopharmaceutique a déposé une demande d’homologation). Pour la France, il s’agit de l’ANSES.

Afin d’obtenir une approbation, la « substance active (toute substance chimique, extrait végétal, micro-organisme exerçant une action contre les organismes nuisibles ou sur les plantes) ne doit pas avoir deffets nocifs sur la santé des êtres humains, y compris les groupes vulnérables, ou deffet inacceptable sur lenvironnement » ([33]).

La durée d’autorisation est de 15 ans pour la majorité des substances, réduite pour les substances dont on envisage la substitution et illimitée pour les substances de base.

Les États membres ont, quant à eux, la responsabilité des autorisations (ou retraits) de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques formulés à base d’une ou de plusieurs de ces substances actives autorisées.

Le règlement européen définit trois zones géographiques au sein desquelles les États partagent leurs informations, évaluent et, le cas échéant, autorisent la mise sur le marché des produits. L’évaluation réalisée par un État s’applique aux autres pays de la zone ([34]). En pratique, l’AMM ne peut être délivrée qu’après qu’une évaluation scientifique ait montré que l’utilisation du produit n’a pas « deffet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine ni deffet inacceptable sur les plantes ou lenvironnement et ne pas provoquer de souffrances ni de douleurs inutiles chez les animaux vertébrés » ([35]). Elle prend bien évidemment en compte la connaissance de la ou des substances actives à la base de la formule mais elle analyse également les conditions dapplication du produit et son efficacité pour lusage demandé.

L’autorisation est délivrée pour une durée maximale de 10 ans.

b.   Les possibilités du législateur national

L’usage des produits phytopharmaceutiques est encadré par le code rural et de la pêche maritime (titre V « La protection des végétaux » du livre II).

Les articles L. 253-7 et L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime organisent les usages et les interdictions de produits phytopharmaceutiques.

i.   La restriction générale des usages

Le législateur a toute latitude pour interdire certains usages des produits phytopharmaceutiques. Ainsi, depuis quelques années, l’étau se resserre sur ces produits : la législation interdit leur usage par les collectivités publiques et par les particuliers.

L’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, modifié par loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national et la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, prévoit l’interdiction pour les personnes publiques (État, régions, communes, départements, groupements et établissements publics propriétaires d’un domaine public ou privé) d’utiliser des produits phytopharmaceutiques pour l’entretien des espaces verts, de forêts et de promenades ouverts au public depuis 1er janvier 2017.

Il prévoit également l’interdiction de la mise sur le marché, de la délivrance, de l’utilisation et de la détention de ces produits pour un usage non professionnel – pour les particuliers – au 1er janvier 2019.

La loi n° 2017-348 du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle a prévu un assouplissement de l’interdiction de l’usage de ces produits lorsqu’ils s’avèrent nécessaires pour lutter contre un danger sanitaire grave menaçant la pérennité du patrimoine historique ou biologique et ne pouvant être maîtrisé par un autre moyen, y compris une méthode non chimique.

ii.   L’interdiction de certains produits phytopharmaceutiques

Le règlement européen n° 1107/2009 précité permet à un État membre d’interdire un produit :

– larticle 44 prévoit la possibilité pour un État de retirer ou de modifier une AMM lorsque les conditions prévues par le règlement  1107/2009 précité ne sont plus respectées et que le produit a un effet nocif immédiat ou différé, direct ou indirect sur la santé humaine ou animale ou sur les eaux souterraines ou sil a un effet inacceptable pour lenvironnement. Ce choix peut être fait à la lumière d’éléments scientifiques nouveaux ou de conditions d’utilisation ne pouvant plus être remplies compte tenu de l’évolution des techniques d’application ;

– larticle 36 de ce même règlement permet à un État membre de refuser sur son territoire national l’autorisation d’un produit « en raison de ses caractéristiques environnementales ou agricoles particulières, si [un État] est fondé à considérer que le produit présente toujours un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou l’environnement » ([36]).

C’est à l’appui de ces deux articles que la France a décidé l’interdiction des produits formulés à base de néonicotinoïdes par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

À noter que cette interdiction a constitué un premier pas avant l’interdiction de tous les produits et semences composés de cette substance à compter du 1er septembre 2018, y compris les produits alternatifs aux modes d’action identiques par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ([37]).

Dans tous les cas et pour se prémunir du risque de contentieux, les décisions d’interdiction doivent être fondées sur des études scientifiques. Nous l’avons vu, celles-ci sont nombreuses dans le cas du glyphosate. Elles devraient être encore étayées par la remise, par l’ANSES, du rapport demandé par le Gouvernement en 2018 et attendu pour cette année.

Le législateur français est donc fondé à interdire lutilisation de produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate.

2.   L’article unique de la proposition de loi

L’article unique de la proposition de loi modifie l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime. Il met en œuvre l’engagement du président de la République du 27 novembre 2017 d’interdire les produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate sur le territoire national à compter du 27 novembre 2020, soit précisément trois ans après cette annonce.

Un décret précisera les modalités d’application de la mesure, sans qu’aucune dérogation ne puisse intervenir.

Rappelons que le 31 mai 2018 le Président de la République avertit qu’il prendrait ses « responsabilités » sur le glyphosate si le monde agricole n’était pas « au rendez-vous » dans trois ans. « Il y aura un point de rendez-vous et si les choses navancent pas dans trois ans, on passera par la loi ». Le même jour, M. Christophe Castaner affirma qu’il soutiendrait une proposition de loi pour interdire le glyphosate d’ici 2021 à défaut « d’avancées » d’ici 18 ou 24 mois du plan d’action annoncé par le Gouvernement.

Quinze mois se sont écoulés depuis la première annonce du Président de la République, il est temps que le législateur s’engage.

3.   La position de la commission des affaires économiques

À l’initiative d’un amendement de Monsieur Jean-Baptiste Moreau et des membres du groupe La République en Marche, la commission des affaires économiques a supprimé l’article unique de la proposition de loi.

Mettant l’accent sur le plan de sortie du glyphosate engagé par le Gouvernement, l’auteur de l’amendement a fait valoir que la majorité parlementaire partageait avec la rapporteure l’objectif de sortie de l’utilisation du glyphosate et plus généralement l’objectif de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Il a indiqué préférer travailler main dans la main avec le monde agricole en responsabilisant les filières, en mobilisant la recherche et en développant des alternatives au glyphosate.

*

*  *

La commission est saisie de l’amendement CE7 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Cet amendement propose la suppression de l’article unique de cette proposition de loi. Le débat autour du glyphosate ne porte pas sur l’interdiction ou la non-interdiction du glyphosate dans trois ans – cet objectif est bien évidemment porté par la majorité et le Gouvernement –, mais uniquement sur l’opportunité de son inscription dans la loi.

Malgré le vote d’une majorité d’États membres de l’Union européenne en faveur d’une ré-autorisation de l’herbicide pour une durée de cinq ans, le Président de la République a souhaité engager la France dans une démarche beaucoup plus ambitieuse mettant en œuvre l’ensemble des moyens pour sortir du glyphosate en trois ans.

L’intervention de M. Bruneel a mis en évidence que la loi prévoyait la diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires à l’horizon 2018, et pourtant nous n’y sommes pas parvenus. Cela prouve qu’inscrire dans la loi un objectif n’est pas un gage d’efficacité. Il faut se donner les moyens d’accompagner les agriculteurs pour sortir du glyphosate, c’est la seule façon d’en sortir réellement. Inscrire cette disposition dans la loi ne changera rien à cet état de fait.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Accompagner les agriculteurs, c’est une évidence. Mais si cet objectif est inscrit dans la loi, au moins serons-nous sûrs d’avoir la volonté politique de le mettre en œuvre… À toujours repousser l’échéance, on donne des arguments qui permettent de remettre en cause la parole politique. Si des gens sont en train d’occuper les ronds-points, c’est parce qu’ils ne croient plus en notre parole. Revenons aux fondements de la politique, évitons d’être sans arrêt manipulés, prenons des décisions claires. Avis défavorable.

M. Thierry Benoit. Je soutiens cet amendement. Le Président de la République a défini un objectif : mettre un terme à l’usage du glyphosate dans notre pays en 2021. Une méthode a également été définie entre le Gouvernement et les parlementaires : une mission parlementaire travaille, présidée par notre collègue M. Julien Dive. Une réponse existe depuis plusieurs années, c’est l’agro-écologie et l’évolution des pratiques culturales. Rien n’oblige à utiliser du glyphosate, et un bon nombre d’agriculteurs s’efforcent de mettre en œuvre des techniques alternatives.

Madame la rapporteure, vous venez de dire que le mouvement social du moment tient au fait qu’on ne croit plus à la parole publique. Pourquoi ? Parce qu’un certain nombre d’acteurs politiques et médiatiques s’ingénient avec minutie à décrédibiliser la parole publique. Je suis élu depuis un certain nombre d’années, et je ne suis à la solde d’aucun lobby, Madame la rapporteure ! Je fais confiance à nos agriculteurs, et je suis heurté et meurtri de voir notre agriculture attaquée jour après jour, et de façon insidieuse : on dit aimer les agriculteurs, vouloir les défendre, on dit que ce sont les premières victimes, mais on les attaque tous les jours. Quand ce n’est pas sur les produits phytosanitaires, c’est sur le bien-être animal ; et quand ce n’est pas le bien-être animal, ce sont les produits carnés, et ainsi de suite ! Cela suffit !

Monsieur Moreau, au nom de mon groupe, je soutiens votre amendement de suppression. Il faut pacifier, et montrer que les parlementaires, comme les professionnels et les agriculteurs, sont des gens de bonne volonté. Il n’y a pas que des voyous dans ce pays, nous sommes entre personnes honnêtes, et nous ne sommes pas animés d’arrière-pensées. (Applaudissements.)

Mme Delphine Batho. En tout cas, il y a des voyous chez Monsanto. Les intérêts de l’agrochimie ne se confondent pas avec ceux du monde agricole, ils divergent.

M. Moreau affirme que le débat ne porte pas sur l’interdiction ou la non-interdiction du glyphosate, mais c’est précisément le cas. Le Président de la République s’est engagé pour l’interdiction du glyphosate ; et maintenant, il dit que cela tuerait l’agriculture française, qu’aucun rapport indépendant n’aurait démontré que le glyphosate était mortel, j’en passe et des meilleures… Et ce revirement a été salué par une série d’interlocuteurs que l’on connaît bien.

Vous opposez le volontarisme à l’interdiction par la loi. Je voudrais juste rappeler qu’il est établi depuis le Grenelle de l’environnement que le volontarisme en matière de sortie des pesticides ne marche pas. Je viens de consulter sur internet la plateforme pour la sortie du glyphosate, afin de savoir combien d’agriculteurs s’étaient engagés à sortir du glyphosate : il n’y en a que deux pour la France entière !

Cela s’explique car la politique publique que vous envisagez, sans interdiction, consiste à un transfert de responsabilité. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de déclarer si une substance est autorisée ou si elle est interdite ; or vous transférez cette responsabilité sur le monde agricole. Nous savons qu’un produit est probablement cancérigène. Vous l’autorisez, mais vous demandez aux agriculteurs de moins en utiliser et de faire un effort. J’appelle cela un transfert de responsabilité. C’est la raison pour laquelle je m’oppose à cet amendement et je soutiens la proposition d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate.

M. François Ruffin. Je proteste tout d’abord contre le principe qui consiste, en supprimant l’article et donc le texte même de la proposition de loi, à empêcher que la discussion se poursuive. J’y vois un problème d’ordre démocratique qui dépasse le cadre de nos accords et désaccords, qui peuvent être vifs. Nous sommes dans une enceinte où les débats peuvent être vifs du fait des intérêts qui s’opposent.

Du point de vue des principes, je pense que le choix que font les députés de la majorité est nocif pour le débat parlementaire et la démocratie, car il revient à interdire le débat sur les différents amendements qui ont été déposés.

Sur le fond, le débat porte bien évidemment sur l’interdiction ou la non-interdiction du glyphosate. Avons-nous confiance en vous ? Avons-nous confiance en vous pour ne pas repousser l’échéance en permanence, sous prétexte de missions lancées, de commissions qui vont se réunir, de consultations des différents acteurs, et pour encore réfléchir, et réfléchir à réfléchir ? Avons-nous confiance en vous pour aboutir à l’interdiction du glyphosate avant la fin du mandat ? Ma réponse est non ! Et je prends les paris devant tous ceux qui viennent de soutenir que le débat ne porte pas sur l’interdiction du glyphosate : avant la fin du mandat de M. Emmanuel Macron, nous ne serons pas sortis du glyphosate.

Si, à un moment, nous ne fixons pas un terme dans la loi, l’interdiction ne se fera pas. Nous l’avons dit, l’usage des pesticides est en hausse, malgré le Grenelle de l’environnement. Ce ne sera pas possible sans une volonté politique ferme.

Enfin, il n’y a de ma part aucun « agrobashing », mais clairement du chimio‑bashing !

M. le président Roland Lescure. Monsieur Ruffin, je n’ai pas l’habitude de répondre aux interpellations, mais puisque vous remettez en cause notre capacité à débattre, je rappelle que nous parlons de ce sujet depuis quatre-vingt-dix minutes, que tout le monde a pu s’exprimer, dont vous-même, et par deux fois. Un amendement de suppression est un amendement comme un autre qu’un groupe, quel qu’il soit, a le droit de défendre. C’est ce que nous sommes en train de faire. Je vous remercie de respecter ce fait, et de reconnaître que le débat a toujours eu lieu au sein de cette commission, et il en ira toujours ainsi.

Mme Laure de La Raudière. Je soutiens cet amendement de la majorité. Rappelons que les normes sanitaires, en France, sont parmi les plus exigeantes au monde. On ne peut pas comparer certaines pratiques d’utilisation du glyphosate dans d’autres pays avec celles qui existent en France.

Je suis élue d’un territoire céréalier, et la culture la plus respectueuse des sols dans le domaine céréalier nécessite des semis sous couvert, ce qu’on ne sait pas faire sans glyphosate. J’aimerais qu’avant d’interdire le glyphosate en France, on interdise d’abord l’importation des produits protéiniques cultivés avec OGM et glyphosate. Cela rendrait notre capacité à faire des rotations de culture en France avec des produits protéiniques rentables, ce qui n’est pas le cas.

Je voudrais aussi signaler qu’un lobbying très actif est fait en France par Générations futures, financé par la distribution bio, et par Biocoop : cela aussi, c’est un lobby !

M. Nicolas Turquois. Je voudrais aussi témoigner de mon soutien à l’amendement de M. Moreau, et réagir aux propos de M. Ruffin qui parlait de choix « nocif ». C’est l’exemple même d’un débat politisé : si le groupe La France insoumise avait réellement la volonté de travailler à l’interdiction du glyphosate sans entrer dans des débats politiques, il aurait placé ce sujet en première position à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, et non en cinquième position. Ainsi placé, ce texte n’a statistiquement aucune chance d’être examiné : on veut juste communiquer sur l’idée que la majorité refuse le débat au motif que nous allons voter l’amendement de suppression. C’est une posture purement politicienne : vous placez cette proposition de loi de façon à ce qu’elle ne soit jamais débattue, sinon à des heures tardives, et vous aurez alors beau jeu de reprocher à la majorité d’attendre une fois de plus la nuit pour débattre du glyphosate. Votre démarche n’a pas d’autre but ! (Applaudissements.)

Je veux souligner le caractère transpartisan de la mission parlementaire présidée par M. Julien Dive. C’est une approche raisonnable qui rejoint la position de M. Orphelin qui propose de supprimer la plupart des usages en trois ans, et les derniers usages en cinq ans. C’est une démarche constructive, à l’opposé de ces choix manichéens entre tout noir ou tout blanc, ceux-là mêmes que nous reprochent nos concitoyens qui manifestent sur les ronds‑points. Nous prenons les agriculteurs avec nous, dans une démarche responsabilisante, qu’il faudra naturellement accompagner à terme de mesures législatives ou réglementaires : cela me semble une démarche de bon sens.

M. Jean-Claude Bouchet. La défiance actuelle vis-à-vis des politiques s’explique par le fait que trop d’entre eux se sont contentés d’effets de manche, et c’est précisément ce que nous voyons ce matin. À quoi sert cette proposition de loi dans une niche parlementaire ? Dès lors qu’elle est placée en cinquième position, nous savons très bien, et le public doit le savoir, que cela ne sert à rien. Il fallait avoir le courage de la mettre en première position pour qu’elle puisse produire des effets. Il faut en finir avec les effets de manche, et cesser de se faire de la publicité sur le dos de l’agriculture et de milliers de gens.

Le Président de la République – dont je ne suis pas un fervent défenseur – s’est engagé. Une mission est en train de travailler pour trouver les produits de substitution et essayer de sortir du glyphosate. Respectons le travail de ces gens, faisons en sorte de leur donner le temps. Si l’engagement n’est pas tenu dans trois ans, alors nous voterons une loi. Nous verrons à ce moment-là. Mais pour l’heure, je défends l’amendement de suppression de M. Moreau.

M. Rémi Delatte. À mon tour, je veux apporter mon soutien à l’amendement de notre collègue. Madame la rapporteure, je crois que votre proposition de loi va finalement à l’encontre de l’objectif que vous fixez. Alors qu’il faut apaiser le débat sur ce sujet, vous êtes train d’opposer le monde paysan et les consommateurs et, une nouvelle fois, de stigmatiser nos agriculteurs.

Qui plus est, c’est un mauvais signal qui est donné au monde paysan. Nous voyons la détermination des agriculteurs à s’engager dans la sortie progressive du glyphosate. Cela se fera par la recherche, mais aussi par l’engagement de la profession à trouver des alternatives. Elle ne manque pas d’idées et de créativité qui permettront d’atteindre l’objectif. Ce que vous nous présentez comme une bonne intention, Madame la rapporteure, ne doit pas se résumer à une posture qui irait à l’encontre de l’objectif que nous poursuivons.

M. Julien Aubert. Mieux vaut renoncer à faire une erreur que de la commettre : cela reste un grand principe de sagesse… Dans ce débat sur le glyphosate, on retrouve invariablement les mêmes mécanismes.

Premièrement, la fabrique de la peur, ce qui a pour effet de mettre la pression sur les parlementaires qui oseraient défendre certaines positions. Lorsque l’on encourage les gens à lapider leurs élus en disant qu’il y a les bons parlementaires préoccupés de la santé de leurs concitoyens et les autres, à la main des lobbies, on fragilise la République.

Deuxièmement, une instrumentalisation de la science. Les lobbies ne sont pas seulement du côté des industriels : Générations futures a fait beaucoup de dégâts dans le débat scientifique en prétendant s’appuyer sur des preuves scientifiques, ce qui a contribué à la décrédibiliser la science. Évidemment, tout le monde trouve cela très bien quand ça l’arrange ; mais quand cela vient au détriment du compteur Linky, qui favorise la transition écologique, on regrette ce caractère irrationnel.

Dans mon département du Vaucluse, on a commis l’erreur d’interdire le diméthoate sur les cerises, sans disposer de solution de repli. Résultat, des gens perdent leur emploi, des entreprises vont fermer. À un moment donné, il va bien falloir choisir, trouver l’équilibre entre la recherche d’une agriculture plus saine sans oublier les humains qui travaillent derrière, et qui attendent de nous des décisions raisonnables dans un débat compliqué.

M. Yves Daniel. J’ai entendu dire qu’il n’y avait pas de solution alternative pour la gestion des couverts végétaux. Je peux témoigner que depuis vingt ans, dans mon exploitation qui est en agriculture biologique, nous maîtrisons parfaitement cette pratique.

Mme Laure de La Raudière. Pas dans les céréales !

M. Yves Daniel. Il existe une grande variété de systèmes et de modèles d’agriculture ; il est vrai que dans certaines situations, l’utilisation du glyphosate offre une solution.

On se pose la question du glyphosate, mais il faut aller bien au-delà : d’autres produits phytosanitaires sont encore plus dangereux. Je suis convaincu qu’il faut réduire l’utilisation des produits phytosanitaires de manière générale.

À titre personnel, je suis favorable à la fin de l’utilisation du glyphosate, puisque depuis vingt ans, ce n’est pas du tout un problème dans mon exploitation. Mais je soutiens cet amendement dans la mesure où un véritable engagement a été pris par le Président de la République, par cette commission, et par l’ensemble des acteurs. Ce qui compte pour moi, c’est le résultat. Soyons pragmatiques, soyons réalistes et acceptons de faire confiance à la parole politique : si nous-mêmes n’accordons pas de confiance à cette parole, c’est un problème…

M. Jacques Cattin. Dans une vie antérieure, j’étais viticulteur. Je fais partie de la génération qui a connu la situation avant les herbicides. Au départ, nous utilisions d’autres produits ; puis est arrivé le Roundup, présenté alors comme un produit qui ne laissait aucune trace – il faut le rappeler.

Le constat d’aujourd’hui ne doit pas être remis en cause, mais il ne faut pas s’en prendre à ceux qui appliquent ces produits. Je suis élu dans la région Grand Est, et la Champagne revient de loin en matière d’environnement : il n’y a pas si longtemps, on épandait les boues des stations d’épuration dans les vignes… On a finalement pris conscience que lorsque l’on vend un produit qui porte le nom d’une région, l’image de ce produit est totalement liée à sa qualité environnementale.

Dans le Grand Est, nous avons pris la décision de ne plus utiliser de désherbant en viticulture. Cela a créé des remous, mais nous allons le faire. Il faut revenir aux pratiques en vigueur avant les années soixante-dix, mais sans précipiter les choses. On ne change pas de technique du jour au lendemain, et je rappelle que les doses de Roundup actuellement utilisées sont bien inférieures à celles des atrazines auxquelles nous avions recours autrefois. Prenons des mesures de bon sens.

M. Alain Bruneel. Notre groupe ne va pas voter cet amendement de suppression. Je suis d’accord avec vous, Monsieur le président, cette question de l’interdiction du glyphosate mérite à tout le moins débat. Le partage d’idées est important, et je suis pour le pluralisme, pas pour la pensée unique. Or cet amendement va mettre un terme au débat en supprimant l’article, ce qui fera tomber d’autres amendements qui venaient enrichir le texte proposé ; Je ne voterai pas la suppression de l’article. Peu importe à mes yeux que le texte soit étudié en première ou cinquième position : une proposition de loi est une proposition de loi.

Pour ce qui est de l’opportunité d’inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi, je rappelle que nous sommes députés : notre rôle principal est de faire des lois, et il est important que certaines choses y soient inscrites.

M. Jean-Hugues Ratenon. J’entends les propos de certains, mais on sent bien une volonté de la majorité de protéger le Président de la République. On dirait même qu’ils souhaitent masquer un mensonge du Président M. Emmanuel Macron, qui ne souhaite pas l’interdiction du glyphosate en France.

Je suis scandalisé d’entendre applaudir des propos totalement démagogiques et malhonnêtes tendant à faire croire que La France insoumise joue contre les agriculteurs, ou ne souhaite pas l’examen de sa proposition de loi. Nous insistons sur notre volonté de sortir du glyphosate, le plus rapidement possible. Oui, il est urgent de légiférer sur ce danger qui expose nos agriculteurs et nos consommateurs. Vos propos ne sauraient cacher votre volonté de faire le choix du fric au détriment de l’humain. Vous faites le choix des multinationales, du capitalisme sauvage. Voter la suppression de l’article, c’est voter contre la population et contre les agriculteurs. Voter cet amendement, c’est empêcher le débat, c’est faire de l’obstruction sur un sujet qui mérite d’être débattu dans l’hémicycle.

M. Thierry Benoit. Le débat a bien lieu, et c’est très bien ainsi. Il existe une volonté partagée sur l’ensemble des bancs de cette Assemblée de trouver une solution alternative à l’usage du glyphosate.

Mais je le dis autant aux élus qu’aux citoyens qui suivent nos débats : il y a un principe de réalité. Souvenons-nous du Grenelle de l’environnement. C’était très conceptuel, très théorique, et il y a eu quasi-unanimité pour voter cette loi qui instaurait notamment l’écotaxe. C’était un concept. Puis plusieurs majorités, une de droite et du centre, l’autre de gauche, se sont fracassées sur le mur de la réalité parce qu’il était difficile de passer du conceptuel à l’opérationnel. C’est pourquoi je partage la méthode proposée par le Président de la République et par le Gouvernement, et le fait que les parlementaires vont s’efforcer de travailler à trouver une solution pour sortir du glyphosate me paraît raisonnable.

Il n’y aurait rien de pire que de fixer le terme de 2020 dans la loi sans être capables de s’y tenir. J’ai confiance dans la société française et dans l’ensemble des acteurs pour trouver les solutions alternatives à l’usage du glyphosate ; c’est la raison pour laquelle je suis convaincu qu’il ne faut pas le mettre dans la loi à ce stade.

M. François Ruffin. On entend dire que nous nous en prenons aux agriculteurs, qu’il faut faire confiance à la bonne volonté… Mais le problème est celui du fonctionnement de la vie sociale : les agriculteurs ne sont pas des individus libres dans une économie ouverte, tranquille, où ils agiraient comme ils voudraient. Ils sont pris dans l’étau des contraintes, dans l’étau des prix, dans l’étau des normes et ainsi de suite. En même temps que nous renforçons les exigences environnementales, il faut trouver comment faire pour desserrer cet étau. Comment rendre aux agriculteurs une marge de manœuvre qui leur permette la transformation sociale, environnementale, tout en garantissant le bien-être animal ? Évidemment, il faut que l’agriculture française avance dans toutes ces directions, mais elle ne peut pas le faire si on la laisse prise dans l’étau des prix.

J’entends invoquer le principe de réalité. Nous avons eu des discussions avec mes camarades : certains avaient commencé par imaginer un délai de six mois. Je pensais pour ma part que celui de trois ans proposé par le Président de la République était raisonnable et respectueux du principe de réalité. Mais une année et demie s’est déjà écoulée sur ces trois ans : on voit bien que ce délai ne sera pas respecté. Prétendre, dans ce contexte, que c’est nous qui délégitimons la parole publique alors que c’est le Président de la République qui a parlé de ces trois ans, je trouve que c’est un peu fort !

Enfin, le principe de réalité commande justement de regarder la réalité en face : en huit ans, l’usage des pesticides s’est accru de 12 %… C’est la première réalité à prendre en compte : malgré les effets de manche à tous les niveaux, les engagements, les chartes éthiques, les protocoles et toutes les grandes déclarations, la réalité, c’est une hausse de 12 % en huit ans ! Voilà la trajectoire que nous suivons !

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements CE9, CE15, CE10, CE16, CE1, CE4, CE12, CE3, CE11, CE17, CE5 et CE6 tombent.

Après l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement CE8 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. La cohérence, dont plusieurs collègues ont fait état, suppose que, dès lors que l’on interdit l’usage d’un produit en France, il faut en interdire l’importation. Or bon nombre d’amendements qui allaient dans ce sens ont été refusés lors du débat sur la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable.

Actuellement, en France, certaines substances dont quelques-unes peuvent être très utilisées, sont reconnues dangereuses ou très dangereuses pour la santé humaine. Leur exclusion au niveau européen a été demandée depuis belle lurette, mais elles restent autorisées. La situation est à ce point anormale que l’administration elle-même, et notamment l’inspection générale des affaires sociales, a écrit que compte tenu de la paralysie européenne, il fallait que la France interdise ces substances à son niveau, faute de quoi la responsabilité des pouvoirs publics serait engagée.

C’est l’objet de cet amendement, qui concerne notamment l’époxyconazole dont l’interdiction, qui aurait dû être décidée depuis dix ans, se heurte à un intense lobbying.

Mme la rapporteure. Nous sommes totalement favorables à cet amendement, mais au vu du vote qui vient d’intervenir sur le glyphosate, nous nous faisons peu d’illusions sur le sort qui lui est réservé… Effectivement, il faut aller vers l’interdiction de toutes les molécules que nous savons dangereuses pour la santé.

M. Jean-Baptiste Moreau. Un des engagements de la campagne présidentielle était d’interdire les molécules les plus dangereuses actuellement utilisées en agriculture. Des autorisations de mise sur le marché de l’ANSES sont remises en cause – du reste, sur le glyphosate, c’est l’ensemble des AMM qui a été remis à plat. Il est de la compétence de l’ANSES d’établir les profils toxicologiques et la dangerosité potentielle de ces substances. Et sitôt que cette dangerosité sera établie, je n’ai aucun doute sur le fait que l’ANSES supprimera l’AMM de ces molécules. Je suis défavorable à cet amendement.

M. François Ruffin. Cet amendement de Mme Batho me semble très intéressant, car l’arbre du glyphosate ne doit pas cacher la forêt des molécules. On voit bien qu’il y a aujourd’hui un effet d’opinion, de médias et de politiques, et j’y prends part, qui centre le débat sur le glyphosate devenu un symbole de cette agriculture que nous souhaitons transformer. Ce n’est sans doute pas la plus toxique des molécules, mais c’est la plus massivement répandue. Mais derrière le glyphosate, il y a beaucoup d’autres molécules, dont celle que vient de citer notre collègue. Il faut aller vers l’élimination progressive de toutes ces substances.

Un autre élément du principe de réalité est la hausse des cancers chez les enfants. Je ne dis pas automatiquement faire le lien, mais cela doit pour le moins nous amener à nous interroger. Comment faire pour endiguer ce phénomène ? Quand on aborde le débat sur le glyphosate et sur un certain nombre de molécules, c’est sans doute par ces réalités et par les relevés épidémiologiques, qui sont absolument catastrophiques, qu’il faudrait commencer. Ce qui amènerait à nous poser des questions sur ce que nous faisons pour nos enfants et pour nos familles.

M. Nicolas Turquois. Je voudrais juste rassurer Mme Batho sur l’efficacité de nos structures d’évaluation. Elle a cité l’époxyconazole, je l’informe que la date limite pour l’utilisation de l’époxyconazole est fixée à avril 2019, nous y sommes. Les choses ont été programmées. Je ne vais pas faire le tour de toutes les substances évoquées dans son amendement, mais c’est aussi déjà le cas pour l’époxyconazole, de même que pour le métam-sodium. Cela prouve que les autorités d’évaluation ont des méthodes scientifiques qui tiennent compte des risques. Et quand un produit est considéré comme dangereux, il est retiré.

M. Didier Martin. Monsieur Ruffin, en ce qui concerne les cancers des enfants, leur cause est inconnue dans beaucoup de cas. Cela étant, et Mme la ministre de la santé l’a dit dans l’hémicycle, il faut savoir le nombre de cas de cancers pédiatriques est stable depuis des années. Je pense que l’on peut lui faire confiance, car elle s’est beaucoup investie dans la lutte contre le cancer, et en particulier les cancers des enfants.

C’est évidemment une lutte à mener, et il faut mener des recherches sur l’origine de ces cancers pédiatriques, mais on ne saurait parler d’une explosion catastrophique du nombre de cancers d’enfants. Il faut parfois rétablir certaines vérités.

La commission rejette l’amendement.

En conséquence, l’amendement CE14 devient sans objet.

M. le président Roland Lescure. L’article unique ayant été supprimé, et aucun article additionnel n’ayant été ajouté, la proposition de loi n’est donc pas adoptée. Le texte qui sera soumis à l’examen de l’Assemblée lors de la séance publique jeudi 21 février sera donc le texte de la proposition de loi initiale déposée par Mme Bénédicte Taurine et plusieurs de ses collègues.

 


([1]) Par exemple, le Round up ready, commercialisé par Monsanto. Interdit en France.

([2]) Déclarations du ministre de la transition écologique et solidaire

([3]) Classification groupe 1 : 119 substances cancérogènes (amiante, tabac, boissons alcoolisées et viande transformée) ; groupe 2A : 81 substances dites « probablement cancérogènes » (plusieurs herbicides et la viande rouge) ; groupe 2B : 292 substances dites « peut-être cancérogènes » (carburants, fioul, café) ; groupe 3 « substances inclassables » (champs électriques et magnétiques, thé, encres d’imprimerie) ; groupe 4 « substances probablement pas cancérogènes » (ne contient qu’un agent : le caprolactame).

([4]) Décision entérinée le 12 décembre 2017

([5]) Le plus utilisé étant le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT)

([6]) INRA, Reboud X. et al. Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française, 2017

([7]) L'ANSES s'apprête à restreindre dans toutes les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires les usages du glyphosate en pré-récolte aux traitements en tâche, c'est-à-dire localisés, et donc à retirer l’ensemble des usages herbicides généraux avant récolte

([8]) Données de la banque nationale des ventes des distributeurs (BNV-D)

([9]) La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques a créé l’obligation pour les distributeurs de produits phytosanitaires de déclarer leurs ventes annuelles (année n) de produits phytosanitaires avant le 31 mars (année n+1) auprès des agences et offices de l’eau. Cette déclaration doit permettre de suivre les ventes sur le territoire national mais aussi d’établir le montant de la redevance pour pollutions diffuses pour chacun de ces distributeurs. Les données déclaratives réalisées par des distributeurs agréés de vente de produits sont stockées dans la banque nationale des ventes de produits phytosanitaires (BNV-D)..

([10]) https://www.anses.fr/fr/system/files/SUBCHIM2015sa0093.pdf

([11]) Questionnaire d’inclusion comprenant des données de santé, des habitudes de vie, un historique des pratiques agricoles et les caractéristiques des matériels utilisés.

([12]) Centre François Baclesse, INSERM, Université Caen Basse-Normandie Enquête Agrican Agriculture et Cancer, 2014.

([13]) CIRC, Monographie sur le glyphosate, Juillet 2015 https://monographs.iarc.fr/wp-content/uploads/2018/06/mono112-10.pdf

([14]) Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à la saisine glyphosate n° 2015-SA-0093

([15]) L’expertise préliminaire sur le glyphosate a recopié, souvent mot pour mot, le dossier d’homologation du glyphosate transmis aux autorités européennes par Monsanto et ses alliés industriels, réunis au sein de la Glyphosate Task Force (GTF).

([16])  ng/l : nanogramme par millilitre

([17])  ng/l : nanogramme par litre

([18]) Étude INSERM précitée

([19]) CGEDD, IGAS, CGAAER, M. Alexis Delaunay et Mme Catherine Mir, Mme Clémence Marty-Chastan et M. Erik Rance, MM. Didier Gueriaux et Robert Tessier, Utilisation des produits phytopharmaceutiques, décembre 2017

([20]) μg/L : microgramme/litre

([21]) Rapport du CGEDD Pour une meilleure efficacité et une simplification des dispositions relatives à la protection des captages d'eau potable n° 008725-0, juin 2014 https://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/documents//CGAAER_13017_2014_Rapport_cle03fac1.pdf

([22]) https://www.airparif.asso.fr/_pdf/publications/rapport-pesticides-partie2-160510.pdf

([23]) Groupe 1 : 119 substances cancérogènes (amiante, tabac, boissons alcoolisées et viande transformée) ; groupe 2A : 81 substances dites « probablement cancérogènes » (plusieurs herbicides et la viande rouge) ; groupe 2B : 292 substances dites « peut-être cancérogènes » (carburants, fioul, café) ; groupe 3 « substances inclassables » (champs électriques et magnétiques, thé, encres d’imprimerie) ; groupe 4 « substances probablement pas cancérogènes » (ne contient qu’un agent : le caprolactame).

([24]) La procédure habituelle d’évaluation des substances actives est conduite par l’EFSA. Exceptionnellement du fait de la controverse scientifique entre les études conduites par le CIRC et l’EFSA, la Commission européenne a demandé à l’ECHA de procéder à une évaluation relative à la dangerosité du glyphosate.

([25]) https://usrtk.org/wp-content/uploads/2018/08/Johnson-trial-judy-verdict.pdf

([26]) http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/initiatives/successful/details/2017/000002/fr

([27]) Laurence Guichard, François Dedieu, Marie-Hélène Jeuffroy, Jean-Marc Meynard, Raymond Reau et Isabelle Savini. 2017. Le plan Ecophyto de réduction d’usage des pesticides en France : décryptage d’un échec et raisons d’espérer. Cah. Agric.26, 14002. DOI: 10.1051/cagri/2017004

([28]) Proposition de loi tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes
du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, n° 1543, rejetée en première lecture à l’Assemblée nationale le 31 janvier 2019.

([29]) INRA, Reboud X. et al. Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française, 2017

([30]) « Il y a impasse quand la seule alternative envisageable à court terme consiste à réaliser la destruction à la main de la flore vivace ».

([31]) Il peut s’agir de tensio-actifs (qui favorisent l’absorption des substances actives à travers la cuticule cireuse des plantes), d’adhésifs (qui favorisent le maintien des substances après impact), d’émulsionnants, de colorants, de matières répulsives, de mouillants ou de stabilisants.

([32]) Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

([33]) Règlement (CE) n° 1107/2009, précité

([34]) La France se situe dans la zone sud qui inclut l’Espagne, l’Italie, le Portugal, Chypre, Malte, la Grèce et la Bulgarie.

([35]) Règlement (CE) n° 1107/2009, précité

([36]) Observations de la Commission européenne en réponse à la notification par les autorités françaises du projet de décret listant sept substances actives de la famille des néonicotinoïdes, cité par le CGEDD, IGAS, CGAAER, M. Alexis Delaunay et Mme Catherine Mir, Mme Clémence Marty-Chastan et M. Erik Rance, MM. Didier Gueriaux et Robert Tessier, Utilisation des produits phytopharmaceutiques, décembre 2017

([37]) L’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime prévoit, jusqu’au 1er juillet 2020, la possibilité de dérogations accordées par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé.