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N° 1679

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le mercredi 13 février 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi pour l’interdiction du régime européen de travail détaché sur le territoire national,

 

VOLUME I

AVANT-PROPOS, COMMENTAIRES D’ARTICLE ET ANNEXES

 

 

Par M. Jean-Luc MÉLENCHON,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1563.


 

 

 

 


—  1  —

SOMMAIRE___

Pages

Avant-propos

I. Un phénomène massif marqué par la fraude

A. Un phénomène mal identifié, source de fraudes continues

1. La réalité du travail détaché en France

2. Une réalité qu’on ne mesure pas totalement

B. Les évolutions juridiques n’ont pas rÉGLÉ LE PROBLÈME

1. Une première directive en 1996 qui porte en elle les dérives

2. Une révision de la directive qui ne corrigera pas les abus

C. Un exemple parmi d’autres d’une Europe en recul sur le terrain des droits sociaux

II. Le détachement comme terreau fertile du dumping social

A. la course au moins-disant social

1. L’affaissement des droits sociaux

2. La fraude structurelle renforce le dumping

B. l’Union européenne, zone de non-droit international ?

III. rompre avec un régime de détachement synonyme de régression sociale

A. Concrétiser sans attendre le principe « à travail égal, salaire égal »

B. Consacrer dans la loi la clause de mieux-disant social

C. Assurer le respect à l’échelle européenne des engagements internationaux

Commentaires d’articles

Article 1er Abrogation du régime européen du travail détaché

I. L’abrogation du régime juridique du travail détaché

A. Un maquis juridique

B. L’abrogation de l’ensemble des dispositions relatives au régime européen de détachement des travailleurs

II. L’intégration du régime européen du travail détaché dans le champ du travail dissimulé

A. La définition du travail dissimulé et les sanctions associées

B. L’assimilation du travail européen détaché au travail dissimulé

Article 2 Consécration d’une clause de mieux-disant social

I. Le champ d’application de la clause de mieux-disant social

II. L’enclenchement d’une convergence sociale par le haut en Europe

Article 3 Rapport relatif à l’action de la France auprès du Conseil européen pour permettre la non-application du régime européen du détachement

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

annexe  2 : Liste des contributions reçues

annexe  3 : liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi


—  1  —

Avant-propos

● « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal » ([1]).

Ces phrases sont issues de la déclaration universelle des droits de l’homme. Elles consacrent le principe d’égalité de rémunération. Ce principe est remis en cause frontalement par le régime du travail détaché. Celui-ci a inscrit dans le droit européen un accès inégal à la rémunération et à la sécurité sociale pour des travailleurs effectuant les mêmes tâches.

● Les migrations temporaires de travailleurs existaient bien avant la première directive sur le détachement des travailleurs de 1996. Cette réalité n’a jamais rendu indispensable un statut de travailleur détaché. Au point de départ, on pouvait comprendre le besoin de faire venir des travailleurs temporairement pour des raisons de qualifications manquantes. Mais aujourd’hui, la situation a radicalement changé. La pénurie de main d’œuvre, ou de qualifications n’est pas ce qui justifie l’énorme majorité du détachement. Le statut créé par la directive a eu pour seul effet d’entrainer les États de l’Union européenne dans une course au moins disant social. Ce rapport ne remet aucunement en cause les travailleurs détachés dans leur personne ou leurs qualités professionnelles, ni les syndicats qui les défendent. Il vise à dénoncer un système dont ils sont les premières victimes.

Dans son principe, il organise, sous couvert de « liberté de prestation de services », le dumping social. En effet, au cœur du régime se trouve le paiement dans le pays d’origine des cotisations sociales. En France, il est utilisé par les employeurs pour faire venir de la main d’œuvre moins chère que celle disponible sous contrat de droit français. Au niveau européen, il pousse à la baisse des droits et des systèmes de protection sociale partout.

Dans son application, le régime des travailleurs détachés est une machine à créer de la fraude. La complexité juridique sur laquelle il s’appuie et le manque de coopération entre les administrations de contrôles des différents États rendent impossible tout contrôle efficace. Les entreprises les moins vertueuses témoignent d’une imagination sans limite pour faire des montages complexes s’appuyant sur les différences entre États afin de se soustraire au droit du travail et de la protection sociale.

Aucun travailleur ne sort gagnant du régime de travail détaché. Les travailleurs détachés subissent souvent des conditions de travail dégradantes et en cas de fraude perdent tout droit à la sécurité sociale. Les travailleurs établis durablement en France doivent faire face à une concurrence déloyale.

Quelle légitimité pour un cadre juridique permettant la négation quotidienne de l’égal accès aux droits sociaux, sur un même territoire, sans distinction d’origine ? Quelle légitimité pour un travail détaché souvent marqué par des conditions de travail avilissantes, heurtant jour après jour la dignité de la personne humaine ? Surtout, quelle légitimité pour un régime juridique devenu l’incarnation d’une régression aux antipodes du progrès social ?

● Le régime européen de détachement des travailleurs organise donc la course au moins-disant social et la concurrence déloyale. L’exigence d’égalité de traitement entre travailleurs nationaux et étrangers est pourtant consacrée par le droit international et notamment par l’Organisation internationale du travail (OIT).

L’incompatibilité stricte du régime du détachement avec les engagements internationaux de la France vient noircir encore davantage le tableau. La convention n° 97 de l’OIT, en particulier, ratifiée par la France en 1954, interdit tout traitement moins favorable des travailleurs migrants en matière de rémunération et de droits sociaux.

Le droit du détachement a donc transformé l’Union européenne en zone de non-droit international, sans que les acteurs institutionnels européens n’aient trouvé nécessaire de s’en inquiéter.

Il faut maintenant rompre avec l’application du régime de détachement des travailleurs tel qu’il existe depuis 1996. Il ne s’agit pas de s’opposer à la venue sur le territoire français de travailleurs européens pour des missions temporaires. Mais cela doit se faire dans des conditions d’égalité absolue avec les travailleurs français.

● Cet objectif peut être atteint par le vote de cette proposition de loi mise en discussion à l’Assemblée nationale.

Trois articles la composent, réconciliant la France avec la double promesse d’égalité et de progrès social chevillée à son histoire.

L’article 1er abroge l’ensemble du titre du code du travail relatif au travail détaché. Il introduit ce dernier dans le champ du travail dissimulé, rendant ainsi illégal l’accueil d’un travailleur migrant européen dans des conditions et une rémunération moins favorables que celles de l’État d’accueil.

L’article 2 instaure dans notre droit du travail une clause de mieux-disant social, dont bénéficieront les travailleurs migrants s’installant provisoirement sur le territoire national.

L’article 3, enfin, demande au Gouvernement d’informer le Parlement sur son action auprès du Conseil européen pour ne pas appliquer sur notre territoire le régime du détachement et obtenir la ratification par l’ensemble des États-membres de la convention n° 97 de l’OIT précitée.

I.   Un phénomène massif marqué par la fraude

Le régime européen du travail détaché s’appuie sur une directive de 1996, complétée d’une directive d’exécution en 2014 puis révisée en 2018. Ces directives vont à l’encontre d’une convergence sociale par le haut. Toute équation visant à concilier détachement des travailleurs et progrès social est donc illusoire.

Deux constats préalables rendent même impossible tout espoir d’un contrôle efficace, y compris dans le cadre actuel. L’absence d’informations exhaustives sur la réalité du phénomène, d’une part et les fragilités juridiques ayant nourri les dérives, d’autre part. Ils sont d’autant plus inquiétants qu’ils s’inscrivent dans le contexte d’une Europe en recul global en ce qui concerne des droits sociaux.

A.   Un phénomène mal identifié, source de fraudes continues

1.   La réalité du travail détaché en France

La première fragilité inhérente au régime de travail détaché réside dans l’impossible quantification précise du phénomène. Nul ne sait réellement combien de travailleurs détachés sont présents en France.

● 516 000 déclarations de détachement ont été faites en France en 2017. La réalité doit donc se situer au-delà. Ce nombre a bondi de 46 % en un an seulement. Cette augmentation s’inscrit dans la lignée de celles déjà constatées en 2015 et 2016, respectivement de 25 % et 24 %.

L’explosion du nombre de travailleurs détachés depuis l’adoption de la directive de 1996 montre bien son dévoiement. Entre 2008 et 2017, le nombre de travailleurs détachés en France a quintuplé (passant de 96 000 à 516 000) dans un contexte où le taux de chômage oscillait autour de 10 % de la population active. Le détachement n’est donc pas utilisé pour combler une pénurie de main d’œuvre mais bien uniquement en raison de l’avantage financier qu’il offre aux employeurs.

Il convient de noter le cas de travailleurs de nationalité française détachés en France. La Cour des comptes chiffre ce phénomène à 43 750 personnes – soit près d’un travailleur détaché sur dix. Cette situation est l’une des nombreuses dérives qui constituent la réalité du détachement. Elle montre encore comment ce régime n’est désormais utilisé que pour faire baisser les salaires.

Le détachement n’est pas une réalité marginale ou résiduelle. Il apparaît particulièrement concentré dans certains États, territoires ou secteurs :

– s’agissant des États, l’Allemagne, la France et la Belgique accueillent à elles seules plus de la moitié des travailleurs détachés ;

– s’agissant des territoires, en France, les deux tiers des salariés détachés le sont dans cinq régions : quatre régions frontalières ([2]) et l’Île-de-France ;

Nombre de travailleurs déTachés déclarés par région d’accueil
(sur les dix premiers mois de 2017)

Source : Cour des comptes, rapport public annuel 2019, tome I, p. 62.

– s’agissant des secteurs d’activité, enfin, l’intérim (144 000 salariés détachés), l’industrie (101 000) et le bâtiment (68 500) concentrent à eux-seuls la majorité des détachements.

 

 

 

 

 

L’exemple du travail détaché dans le secteur du bâtiment

Le bâtiment est aujourd’hui l’un des secteurs les plus exposés aux dérives structurelles du détachement.

Les fédérations du secteur auditionnées par le rapporteur ont fait état de conditions de travail dégradantes, où se mêlent le travail de nuit et le week-end, le sommeil dans un habitat insalubre et une absence des règles relatives à l’hygiène et la sécurité. Les formations obligatoires applicables à ce secteur, notamment au risque de l’amiante, ne sont le plus souvent pas suivies.

Les quelques centaines de contrôles opérés chaque année sont dérisoires au regard des millions de chantiers mis en œuvre. L’injustice est en particulier ressentie par les petites entreprises et les artisans du bâtiment. Le recours au travail détaché des grands groupes implique une forme de concurrence déloyale contre ceux qui y ont très peu recours.

Le secteur du bâtiment est pourtant particulièrement exposé aux fraudes – les trois quarts des amendes prononcées par l’inspection du travail en la matière ayant concerné le BTP.

Cas particulièrement révélateur, le travail dissimulé à l’EPR de Flamanville a donné lieu à la condamnation de l’entreprise Bouygues TP, au titre du détachement de 460 salariés. Le montage juridique faisait intervenir une entreprise basée en Irlande, agissant par l’intermédiaire d’une succursale chypriote procédant au recrutement de travailleurs polonais. L’amende imposée à l’entreprise, de 25 000 euros, parait par ailleurs bien faible mise en regard avec les 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires du groupe Bouygues.

Les auditions menées et les constats opérés sur le terrain montrent que cette situation est loin d’être isolée.

2.   Une réalité qu’on ne mesure pas totalement

● Ces chiffres ne constituent qu’une approximation et une sous-estimation de la réalité du travail détaché. En effet, le recensement statistique se limite à la seule addition des formulaires de détachement. Ces derniers, intitulés « documents portables A1 », sont émis par les organismes de sécurité sociale de l’État dans lequel le travailleur est assuré et doivent donc permettre d’attester l’affiliation au régime de sécurité sociale de l’État d’établissement.

Or, les formulaires A1 ne suffisent en aucun cas à quantifier le phénomène du détachement. L’ensemble des États-membres ne délivrent pas systématiquement ce formulaire ou alors seulement rétroactivement. Certains travailleurs détachés peuvent par ailleurs simplement ne pas être comptabilisés, du fait d’erreurs d’enregistrement reconnues par la Commission européenne elle‑même, voire de fraudes liées au manque d’authenticité du formulaire.

En 2016, la direction générale du travail (DGT) a mis en place un outil informatique, SIPSI, qui centralise toutes les déclarations préalables de détachement (DPD). Ce fichier est censé rendre plus efficace le recensement et donc le contrôle du travail détaché en France. Mais le logiciel souffre de défauts qui permettent encore aux employeurs de dissimuler des détachements. En effet, il permet qu’une même déclaration puisse concerner jusqu’à cinq prestations différentes. C'est contraire à la directive de 1996 et à sa transposition dans le code du travail français. Malgré l’alerte des syndicats, le ministère du travail ne semble pas vouloir corriger cette possibilité qui permet pourtant de dissimuler des travailleurs détachés, au détriment de leurs droits.

Le cas du transport routier incarne à lui-seul ce double phénomène d’approximation statistique et de concentration sectorielle. En 2017, on a recensé 800 000 déclarations de détachement dans ce secteur en France, sans que l’on sache à combien de travailleurs ce chiffre correspond.

B.   Les évolutions juridiques n’ont pas rÉGLÉ LE PROBLÈME

1.   Une première directive en 1996 qui porte en elle les dérives

● La directive du 16 décembre 1996 ([3]) a précisé le régime du détachement, dans une Union européenne comprenant alors 15 États-membres. Le détachement est alors défini comme une prestation de services transnationale temporaire, effectuée par les ressortissants d’un État-membre dans le territoire d’un autre État-membre. Dès l’origine, elle organise l’inégalité entre les travailleurs détachés et les travailleurs sous contrat de droit commun.

– l’employeur qui détache le travailleur doit respecter un « noyau dur » de règles essentielles du marché du travail du territoire d’accueil. Les dispositions relatives au salaire minimum, au temps de travail maximal, aux périodes de repos minimales, à la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, ou à la durée des congés payés annuels s’appliquent donc ;

– mais les cotisations sociales dues par le travailleur détaché, en revanche, sont celles de son pays d’origine et l’affiliation au régime initial de sécurité sociale est maintenue. Il s’agit donc d’une exception aux principes classiques du droit ([4]), qui auraient justifié une application du droit de la sécurité sociale de l’État d’accueil. Les règlements de coordination des régimes de sécurité sociale de 2004 ([5]) et 2009 ([6]) sont venus préciser les règles applicables en matière de sécurité sociale dans le cadre d’un détachement.

Cette dernière disposition est celle qui pose le plus grand problème. Cette faille permise par la directive s’est transformée en appel à la destruction des systèmes de sécurité sociale et au démantèlement des droits.

La directive de 1996 mélange donc le droit du pays d’accueil, pour le droit du travail, et du pays d’origine, pour la protection sociale.

● Cette juxtaposition de normes et d’adaptations a une conséquence directe : la généralisation de la fraude et des abus. La complexité inhérente au droit du détachement a ouvert de nombreuses brèches conduisant au contournement de normes élémentaires et fondamentales du droit social.

Face aux abus unanimement constatés, la directive originelle de 1996 a été complétée en 2014 par une directive d’exécution ([7]), supposée préciser l’application du régime du détachement et lutter contre les dérives associées.

Parmi les principales dispositions peuvent être mentionnés le mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d’ordre – alors limité au secteur de la construction – ou l’établissement par les États d’une liste ouverte de contrôles devant permettre de vérifier la réalité et la durée du détachement.

Mais la directive d’exécution de 2014 n’a pas réglé le problème de la fraude structurelle au détachement. Elle n’a ni amélioré la coordination entre les administrations des pays d’accueil et des pays d’origine, ni permis aux pays d’accueil de sanctionner les fraudes constatées. Un arrêt de la CJUE de 2018 est même venu sanctionner une législation de la Belgique. Elle permettait de requalifier des salariés sous contrat belge et de redresser les cotisations sociales non perçues lorsqu’une fraude était détectée ([8]). Il ne s’en est pas suivi non plus de baisse des pratiques des entreprises « boîte aux lettres » ou du détachement « en cascade ». La responsabilité solidaire des donneurs d’ordre n’existe pas réellement. Aucun donneur d’ordre ou maître d’ouvrage n’est réellement inquiété en France.

Donnant lieu à des adaptations législatives nationales aussi foisonnantes qu’instables, ces aménagements n’ont pas éliminé les dérives associées au détachement.

2.   Une révision de la directive qui ne corrigera pas les abus

● La révision récente de la directive de 1996 poursuivait un objectif a minima de correction d’abus devenus consubstantiels au détachement.

Définitivement adoptée le 28 juin 2018, la nouvelle directive ([9]) avait pour objectif théorique de garantir le respect du principe « à travail égal, salaire égal ».

Les modifications qu’elle introduit sont souvent limitées ou en trompe l’œil. Elles ne sont pas susceptibles de changer la donne :

– dans la plupart des cas, les conditions d’hébergement des travailleurs et les allocations ou le remboursement des dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture des travailleurs détachés sont déterminées par les barèmes des pays d’origine. En effet, les barèmes en vigueur dans le pays d’accueil ne s’appliquent qu’en cas de déplacement du travailleur détaché, dans le cadre de sa mission. S’il effectue sa mission dans le même lieu, la législation de son pays d’origine continue de s’appliquer pour les conditions d’hébergement, les allocations de remboursement de nourriture ou de logement ;

– la durée maximale de détachement passe de 24 mois à 18 mois (12 mois, avec une prolongation de 6 mois possible). Cette disposition peut sembler aller dans le bon sens mais n’aura surtout que très peu d’impact puisque la durée moyenne de détachement en France est de 44 jours ;

– contrairement à la proposition faite par le Parlement européen, elle n’adopte pas de « double base légale », prenant en compte les droits de travailleurs au même titre que le droit à la libre prestation de service ;

– l’ensemble des secteurs d’activité sont désormais concernés par l’obligation de respect, lors d’un détachement, des dispositions prévues par les conventions collectives de portée générale. Cela sera sans effet sur le droit national, qui avait d’ores et déjà procédé à cette généralisation ;

– la notion de rémunération succède à celle de taux de salaire minimal, permettant notamment d’intégrer les primes et indemnités prévues par la législation et les pratiques de l’État d’accueil ;

– les travailleurs intérimaires détachés bénéficieront de conditions de travail et d’emploi identiques à celles des travailleurs intérimaires locaux ;

– le secteur des transports, le premier touché par le détachement, ne rentre pas dans le champ de la directive.

Surtout, cette directive ne revient pas sur le cœur du dumping social : le paiement des cotisations sociales dans le pays d’origine. On peut donc considérer d’ores et déjà qu’elle ne mettra pas fin à la concurrence déloyale.

Par ailleurs, la Pologne et la Hongrie ont saisi en octobre 2018 la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) contre la nouvelle directive de 2018. Il n’y a donc pas de garantie, à ce stade, que la révision rentre en vigueur.

● La transposition de cette directive – qui devrait intervenir dans un délai de deux ans – n’a pas encore été effectuée par la France.

Sur la forme, le Gouvernement a fait le choix de renvoyer à une ordonnance la transposition de la directive. L’habilitation à légiférer par ordonnance a été adoptée discrètement, par amendement gouvernemental, lors de la discussion du projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » au Sénat, le 13 juillet 2018. L’ordonnance, qui doit être publiée au plus tard le 5 mars 2019, devra ensuite faire l’objet d’un projet de loi de ratification déposé au Parlement dans les trois mois suivants sa publication. Le choix d’un projet de loi ou d’une proposition de loi ordinaire aurait, a minima, permis l’expression pleine et entière sur un sujet aussi fondamental pour notre modèle social que le travail détaché.

C.   Un exemple parmi d’autres d’une Europe en recul sur le terrain des droits sociaux

La révision de la directive de 1996 ne peut être interprétée de manière isolée, dans le contexte plus inquiétant d’une Union européenne ayant adopté en 2017 un « socle européen des droits sociaux » en régression.

Le retour en arrière engendré par le « socle européen des droits sociaux »

Le « socle européen des droits sociaux » a été proclamé par les dirigeants de l’Union européenne le 17 novembre 2017, lors du sommet social tenu à Göteborg, en Suède.

Présentée comme un progrès, cette nouvelle proclamation peut en réalité être considérée comme une régression au regard de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée en 1989 lors du Conseil européen de Strasbourg.

Quatre engagements de la Charte, en particulier, n’ont pas été repris dans le nouveau document :

– le principe selon lequel « il convient de donner aux aspects sociaux la même importance qu’aux aspects économiques » ;

– l’engagement à « s’inspirer des conventions de l’Organisation internationale du travail » ;

– « le rapprochement dans le progrès des durées de travail, des congés payés annuels, et des protections concernant la santé des travailleurs » ;

– surtout, le droit de « tout travailleur d’exercer toute profession ou tout métier dans la Communauté selon les principes de l’égalité de traitement, pour l’accès au travail, les conditions de travail ainsi que la protection sociale du pays d’accueil ».

Ce dernier engagement a perdu toute substance avec le droit européen du travail détaché. Il constituait pourtant un principe protecteur pour l’ensemble des travailleurs européens, garantie d’une concurrence loyale.

Ces engagements ont laissé la place, dans le nouveau socle, au principe d’une « flexibilité nécessaire aux employeurs » et au postulat – non étayé – d’indemnités chômage ayant un « effet dissuasif par rapport à un retour rapide à l’emploi ».

II.   Le détachement comme terreau fertile du dumping social

Le détachement repose donc sur un cadre juridique défaillant et une réalité impossible à contrôler. Sa réalité est devenue au fil des années celle de l’institutionnalisation du dumping social.

Confortée par une libre prestation de services devenue un totem, la course au moins-disant social est d’autant plus inacceptable qu’elle est contraire aux engagements souscrits à l’échelle internationale, et notamment ceux de l’Organisation internationale du travail, transformant donc l’Union européenne en zone de non-droit.

A.   la course au moins-disant social

1.   L’affaissement des droits sociaux

● Le travail détaché constitue depuis vingt ans un vecteur sans cesse renforcé d’affaissement des droits sociaux et de concurrence déloyale.

Profitant des écarts de normes et de coût du travail entre États européens, il a mis à la disposition des employeurs un cadre officiel de mise en concurrence des protections sociales européennes. La course au moins-disant social est engagée. La convergence s’effectue désormais dans un sens uniquement défavorable au renforcement des droits des travailleurs.

De fait, le régime du travail détaché a permis de légaliser un système dans lequel les conditions de travail et d’emploi d’un État ne s’appliquent pas à l’ensemble des travailleurs. Deux catégories de travailleurs coexistent donc. Les travailleurs établis durablement sur le territoire national, bénéficient de l’ensemble de la protection sociale. Les travailleurs détachés voient leurs droits limités à un noyau dur.

Deux exemples récents permettent de saisir à quel point ce système entraîne toute l’Union européenne dans le moins-disant social. En 2017, la Roumanie a adopté une réforme qui réduit à 2 % les cotisations sociales patronales, le reste étant à la charge du salarié. Cela a entraîné une baisse de 11 % des salaires roumains. En 2018, la Bulgarie a supprimé de sa législation tout barème minimal concernant les indemnités de transport, de nourriture et d’hébergement. Ces réformes introduisent une concurrence déloyale évidente, au détriment des droits et des conditions de travail des salariés roumains et bulgares.

Quant à la France, cette concurrence déloyale est un puissant incitatif pour les allègements de cotisations sociales. Leur coût se retrouve finalement transféré sur des hausses d’impôts les plus injustes comme la TVA.

2.   La fraude structurelle renforce le dumping

● S’y ajoutent les dérives constatées au quotidien lors des contrôles de détachements. Facile à organiser, la fraude est bien plus délicate à tracer et à sanctionner.

Se glissant dans les interstices des droits nationaux et les failles du droit européen, des employeurs peu scrupuleux ont élaboré de nombreuses techniques de fraudes, attestant d’une imagination active contre l’ordre public social.

Certaines fraudes se limitent à l’absence de déclaration du détachement ou de production du certificat « A1 », qui empêche simultanément la bonne connaissance de la réalité du détachement et le contrôle de son déploiement.

D’autres montages permettent d’utiliser le détachement pour des activités pourtant pérennes et habituelles. Les « sociétés boîte aux lettres », en particulier, correspondent à des coquilles vides. Elles témoignent pourtant d’une activité stable et régulière dans un État-membre, bien que domiciliées administrativement dans un autre État pratiquant un coût du travail inférieur. Ces détachements en cascade rendent les contrôles complexes et les sanctions improbables.

Surtout, les infractions aux règles interdisant le travail illégal sont souvent constatées en masse. Sont mêlés non-respect des durées maximales de travail et des temps de repos et conditions de travail dégradantes, heurtant la dignité de la personne humaine. Le travail de nuit se conjugue alors à la malnutrition, au renoncement aux congés voire à la privation de la liberté d’aller et venir sur le temps de repos.

Une fraude répandue et très simple est celle concernant la qualification des travailleurs. On déclare qu’un travailleur est peu qualifié, et on le paye donc au salaire minimum alors qu’en vérité il dispose d’une qualification supérieure, qui vaut en France un bien meilleur salaire. C’est évidemment difficile à détecter. Et surtout illusoire, quand on compare l’ampleur des fraudes aux effectifs de l’inspection du travail.

La réalité des contrôles est dérisoire au regard de l’ampleur des fraudes. L’administration française a annoncé vouloir augmenter leur fréquence jusqu’à 1 500 par mois. Un objectif qui ne permet nullement d’espérer une résorption du phénomène et qui n’a pas été atteint, ni en 2016, ni en 2017. Cette dernière année marque même une baisse de 27 % de la fréquence des contrôles. Par ailleurs, en 2017, le taux de recouvrement des amendes administratives est très faible, de 37 %. Moins d’une entreprise reconnue comme fraudeuse sur deux paye effectivement l’amende.

Le constat que vient de dresser la Cour des comptes n’appelle en ce sens pas de remarques supplémentaires : « Des cas très préoccupants de conditions indignes de travail et d’hébergement sont régulièrement relevés, en particulier, mais pas seulement, dans le secteur de l’agriculture. Certaines situations peuvent être qualifiées de traite des êtres humains et entraîner des conséquences extrêmement graves » ([10]), jusqu’au décès ou la maladie.

● Le droit du travail détaché porte donc en lui-même sa propre nocivité.

Sa violence ne résulte pas de ses abus ou de comportements isolés. Elle est consubstantielle au principe même d’un régime ayant institutionnalisé la concurrence déloyale et injuste entre deux travailleurs dans un même État.

Les avocats les plus farouches du travail détaché invoquent souvent, sans l’expliciter, le principe de liberté de prestation de services, consacré dans les traités européens.

Cette liberté de prestation de services n’a toutefois pas été imaginée, à l’origine, pour devenir un vecteur de contournement systématique des règles nationales et européennes. Elle en est pourtant devenue le principal support, réduisant à néant la possibilité de faire coexister détachement des travailleurs et progrès social.

B.   l’Union européenne, zone de non-droit international ?

La fragilité juridique du régime du travail détaché est particulièrement manifeste au regard des engagements internationaux de plusieurs États européens.

Il y a d’abord la Déclaration internationale des droits de l’homme de 1948, ayant consacré dans notre ordre juridique le principe « à travail égal, salaire égal ». Mais la France a également ratifié en 1954 la convention n° 97 de l’OIT sur les travailleurs migrants.

L’article 6 de cette convention suffit à lui-seul à mettre à mal le bien-fondé du régime du détachement en vigueur. Il dispose ainsi :

« Tout membre pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à appliquer, sans discrimination de nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux immigrants qui se trouvent légalement dans les limites de son territoire, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qu’il applique à ses propres ressortissants en ce qui concerne les matières suivantes : (…) la rémunération (et) la sécurité sociale ». La sécurité sociale applicable est donc ici directement liée à l’exigence d’égalité de traitement des travailleurs. Pourtant, la nouvelle directive sur le travail détaché la disjoint des conditions générales.

Cette convention a été signée par dix États européens ([11]), ayant depuis conduit leur droit national à ne plus la respecter. Les États ayant adhéré à compter de 1995 ne l’ont ensuite pas ratifiée. En effet, ils se préparaient à adopter la première directive détachement l’année suivante.

L’Union européenne a elle-même constaté l’incompatibilité potentielle de son propre droit avec le droit international.

L’incompatibilité potentielle avec le droit international
reconnue par l’Union européenne elle-même

N’étant pas un État au sens du droit international, l’Union européenne occupe un statut à part au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT). Le droit de l’Union européenne emportant des conséquences directes dans le droit social des États-membres, il lui revient néanmoins de vérifier l’articulation et la compatibilité de ses normes avec celles fixées par le droit international.

La Commission européenne a donc établi une typologie des conventions de l’OIT par ordre de priorité dans le processus de ratification, allant d’une haute priorité à une faible priorité. Une catégorie supplémentaire est toutefois prévue pour certaines conventions, « potentiellement incompatibles » avec le droit de l’Union européenne.

Cette dernière catégorie est précisément celle retenue pour la convention n° 97 de l’OIT sur les travailleurs migrants. En 2013, la Commission européenne a ainsi reconnu l’incompatibilité potentielle de quatre conventions de l’OIT, dont la convention n° 97 précitée : « There are four Conventions which engage Union exclusive external competence that are potentially incompatible with the EU acquis. Where a Convention is incompatible with the EU acquis the Commission should abstain from promoting its ratification, and therefore these Conventions are not included in the priority ranking » ([12]).

Conséquence concrète, les États-membres n’ayant pas ratifié cette convention en amont de leur adhésion à l’Union européenne sont aujourd’hui incités à ne pas y procéder. À l’inverse, les dix États-membres l’ayant ratifiée au préalable ne sont pas considérés comme enfreignant le droit de l’Union, mais doivent déployer tout moyen nécessaire pour éliminer les incompatibilités constatées.

Le droit international relatif aux travailleurs migrants est donc, pour l’essentiel, volontairement laissé de côté par l’Union européenne.

Traité après traité, l’Union européenne a donc progressivement fait voler en éclat tout respect des engagements précédemment contractés par certains de ses membres. Elle a donc étendu délibérément une zone de non-droit international. C’est une évolution en contradiction avec l’ensemble des principes et règles juridiques sur lesquels repose sa construction.

III.   rompre avec un régime de détachement synonyme de régression sociale

La parenthèse ouverte par l’adoption de la directive de 1996 peut aujourd’hui être refermée par l’adoption des trois articles qui composent la présente proposition de loi. Ils proposent que la France prenne l’initiative de rompre avec le système inique du détachement tout en ouvrant un chemin de convergence sociale par le haut dans l’ensemble de l’espace social européen.

A.   Concrétiser sans attendre le principe « à travail égal, salaire égal »

Le premier outil d’une convergence sociale par le haut réside dans le refus d’appliquer le régime européen du travail détaché en France. En effet, celui-ci est devenu le principal obstacle à l’application du principe « à travail égal, salaire égal ». Cet objectif implique d’abroger l’ensemble des dispositions du code du travail qui transposent le régime en droit français.

Il ne s’agit en aucun cas d’interdire le détachement en soi, ni la mobilité des travailleurs : cette réalité existait bien avant 1996.

L’enjeu est uniquement de garantir l’application stricte du droit du travail et du droit de la sécurité sociale pour tout travailleur exerçant son activité sur le territoire national. Il n’y a pas d’obstacle majeur à l’égalité de traitement des salariés européens travaillant temporairement sur le sol français. Il existe des agences d’intérim qui font déjà venir des salariés d’autres États membres en utilisant des contrats de droit français ([13]).

La persistance de discriminations, notamment salariales, entre deux travailleurs effectuant deux tâches identiques sur le territoire national – via l’application du régime européen du détachement – entrerait donc dans le champ du travail dissimulé, entraînant l’application des sanctions associées.

Tel est l’objet de l’article 1er.

B.   Consacrer dans la loi la clause de mieux-disant social

Le deuxième outil du processus de convergence sociale engagé par la France repose sur la consécration dans notre droit du travail d’une clause de mieux-disant social.

Cette clause permettrait de garantir à tout travailleur exerçant une activité temporaire sur le territoire national de bénéficier de la protection sociale et des garanties les plus protectrices. Le droit du travail français s’appliquera donc par principe, à moins que le droit de l’État d’origine soit plus favorable et protecteur. Dans ce dernier cas, le droit de l’État d’origine primerait. Le droit européen en matière de travail détaché permet pour l’instant l’inverse. De nombreux employeurs utilisent le salaire du pays d’origine comme assiette des cotisations sociales. Par exemple, pour un travailleur détaché portugais qui gagne 2 000 euros en France, ses cotisations sociales seront calculées non pas sur 2 000 euros mais sur 580 euros qui correspond à son salaire portugais avant d'être détaché.

La clause de mieux-disant social pourrait, par capillarité, être adoptée chez nos voisins et garantir ainsi une convergence réellement par le haut, en matière notamment de lutte contre les discriminations, de droits syndicaux et de congé maternité.

Tel est l’objet de l’article 2.

C.   Assurer le respect à l’échelle européenne des engagements internationaux

Le troisième outil mis en œuvre par cette proposition de loi vise l’adaptation du droit de l’Union européenne, afin de garantir sa conformité à la fois au nouveau droit du détachement appliqué par la France et aux engagements internationaux souscrits par certains États auprès de l’OIT.

La négociation qu’ouvrirait la France auprès de ses partenaires européens couvrirait un triple champ comprenant la définition d’objectifs de convergence sociale, l’obtention par la France d’une clause d’opt-out permettant la non-application du régime européen du travail détaché et la ratification de la convention n° 97 de l’OIT par les États n’y ayant pas encore procédé.

Tel est l’objet de l’article 3.

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   Commentaires d’articles

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

Article 1er
Abrogation du régime européen du travail détaché

Supprimé par la commission

L’article 1er de la proposition de loi abroge l’ensemble du titre du code du travail relatif au travail détaché. Il met ainsi fin à la transposition des dispositions du droit de l’Union européenne relatives au détachement – avec en premier lieu la directive originelle de 1996.

Outre des modifications rédactionnelles de conséquence, il intègre par ailleurs le régime européen du travail détaché dans le champ du travail dissimulé, entraînant l’application des sanctions administratives et pénales associées.

I.   L’abrogation du régime juridique du travail détaché

Le premier article propose que la France arrête d’appliquer les dispositions du régime européen de détachement des travailleurs. Étant donné l’impossibilité d’obtenir au niveau européen un consensus pour rétablir dans la directive l’égalité de traitement entre travailleurs, c’est la seule façon de parvenir à cet objectif.

Le régime juridique du travail détaché, défini par le droit de l’Union européenne, a engendré d’innombrables adaptations réglementaires et législatives dans le droit du travail national.

Interdire l’application du régime du détachement sur le territoire national implique d’abroger l’ensemble des dispositions du code du travail qui s’y rattachent.

A.   Un maquis juridique

● Le régime juridique du travail détaché a été défini par la directive du 16 décembre 1996.

Il est supposé découler du principe de libre prestation de services défini à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le régime du détachement est intervenu au lendemain des adhésions de l’Espagne et du Portugal en 1986, puis de l’Autriche, la Finlande et la Suède en 1995. Il a en réalité uniquement institutionnalisé l’organisation d’une concurrence déloyale sous couvert de libre prestation de services transfrontière.

● Conformément au droit de l’Union européenne, les dispositions des directives n’étant pas d’effet direct ont été transposées dans les droits nationaux.

Dans le cas de la France, outre des adaptations réglementaires intervenues dès 2000, une série de modifications législatives ont par la suite été adoptées pour étoffer, au fil des réformes, le titre VI du livre II de la première partie du code du travail.

B.   L’abrogation de l’ensemble des dispositions relatives au régime européen de détachement des travailleurs

● Le de l’article 1er abroge la totalité du titre VI précité du code du travail organisant l’application du travail détaché.

Dans le détail, sont donc abrogés l’ensemble des articles précisant :

– les dispositions générales, précisant notamment l’application du droit européen du détachement et la définition juridique du détachement (chapitre Ier) ;

– les conditions de détachement et la réglementation applicable, définissant notamment les obligations incombant à l’employeur (chapitre II) ;

 le contenu et la portée du contrôle effectué par l’inspection du travail (chapitre III) ;

– le niveau des amendes administratives encourues par les donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage (chapitre IV) ;

– les actions en justice pouvant être exercées par les organisations syndicales (chapitre V).

● Le procède à des modifications de coordination, en supprimant les références au code de l’entrée et du séjour des étrangers aux dispositions abrogées.

● Le dispositif retenu conduit donc à ne plus traduire dans notre droit national les dispositions prévues par les directives relatives au détachement.

L’article garantit donc le respect du principe « à travail égal, salaire égal », prévu par le droit international. Il n’y a donc pas lieu d’opposer l’argument de manquement à l’obligation constitutionnelle. Les nombreux exemples d’opt-out délivrés par le passé à certains États-membres suffisent à y répondre.

Le dispositif prévu à cet article doit, en ce sens, être rapproché de l’article 3 de la présente proposition de loi, prévoyant la négociation par la France d’une clause de non-participation au régime européen du travail détaché.

II.   L’intégration du régime européen du travail détaché dans le champ du travail dissimulé

A.   La définition du travail dissimulé et les sanctions associées

● Le travail dissimulé constitue l’une des formes de travail illégal, aux côtés du prêt illicite de main d’œuvre, du cumul irrégulier d’emplois ou de l’emploi irrégulier de travailleurs étrangers sans titre de travail.

Il se définit comme une dissimulation d’activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou d’actes de commerce de personnes se soustrayant intentionnellement à leurs obligations.

L’article L. 8221-3 du code du travail précise le champ des obligations applicables : la demande d’immatriculation au répertoire des métiers, d’une part ; le renseignement des déclarations aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale, d’autre part.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a ajouté une troisième obligation, dont le manquement vaut travail dissimulé, spécifiquement pour le régime du détachement. Il s’agit de la situation dans laquelle un employeur appliquerait la législation relative au travail détaché alors que son activité établie à l’étranger se limite à des opérations de gestion interne ou administrative, ou que son activité stable et habituelle est réalisée en France.

● La constatation d’activités relevant du travail dissimulé entraîne l’application de doubles sanctions administratives et pénales, s’ajoutant au redressement de cotisations sociales :

– en matière administrative, outre la suppression des aides publiques, l’exclusion des contrats publics et la fermeture administrative temporaire, le cas particulier du détachement entrant dans le travail dissimulé donne lieu à une amende administrative de 2 000 euros par salarié détaché – ou 4 000 euros en cas de récidive – dans la limite de 10 000 euros ;

– en matière pénale, la personne ayant eu recours au travail dissimilé peut être condamnée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende – et jusqu’à 225 000 euros s’il s’agit d’une personne morale

B.   L’assimilation du travail européen détaché au travail dissimulé

● Le de l’article 1er intègre l’application du régime européen du travail détaché dans le champ des activités assimilées à un travail dissimulé.

Cette disposition se substitue à celle mentionnée supra, prévoyant que le non-respect des obligations applicables en matière de détachement entre dans le champ d’application du travail dissimulé.

Désormais, toute exécution des dispositions des directives de 1996 et 2018 relatives au détachement entraînerait donc l’application des sanctions administratives et pénales associées au travail dissimulé.

● Il ne s’agit pas d’une interdiction en soi du détachement des travailleurs. Cette réalité existait bien avant 1996, sans donner lieu aux dérives constatées après l’adoption du statut du travail détaché.

L’objet de cette disposition est de garantir l’application de l’ensemble du droit du travail et du droit de la sécurité sociale aux travailleurs exerçant leur activité sur le territoire national.

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Article 2
Consécration d’une clause de mieux-disant social

Supprimé par la commission

L’article 2 consacre dans le code du travail une clause de mieux-disant social, applicable aux travailleurs exerçant une activité temporaire sur le territoire national.

Il garantit l’application du droit du travail le plus protecteur : le droit national par principe, s’il est plus protecteur ; le droit du pays d’établissement de l’entreprise étrangère, par exception, s’il est plus favorable.

Cette clause enclenche ainsi, dans notre droit du travail, le processus de convergence sociale par le haut, à rebours de la course au moins-disant social aujourd’hui à l’œuvre.

I.   Le champ d’application de la clause de mieux-disant social

● L’article 2 introduit dans le code du travail une clause de mieux-disant social, destinée à garantir l’application des dispositions les plus protectrices pour les salariés exerçant temporairement une activité sur le territoire national.

La clause de mieux-disant distingue un principe et une exception :

– par principe, le droit du travail national s’applique. Cela vise l’ensemble des situations dans lesquelles les dispositions en vigueur sur le territoire d’origine offrent une protection nulle ou inférieure ;

– par exception, le droit du travail du pays d’origine est retenu, lorsqu’il est plus favorable.

● Cette clause s’appliquera aux salariés réunissant trois conditions constitutives d’un détachement :

– leur employeur doit être régulièrement établi hors de France ;

– le salarié travaille habituellement pour le compte de celui-ci ou de celle-ci hors du territoire national ;

– il exécute son travail sur le territoire national pendant une durée limitée.

● Le champ d’application de la clause de mieux-disant social couvre six domaines fondamentaux du code du travail :

– l’interdiction de toute discrimination (article L. 1132-4) ;

 l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L. 11411) ;

– l’interdiction du harcèlement au travail (article L. 1151-1) ;

– le droit applicable aux syndicats professionnels (article L. 2111-2) ;

– le bénéfice d’un congé de paternité ou d’accueil de l’enfant (article L. 1225-35) ;

– la protection des salariées en état de grossesse ou durant leur congé maternité (article L. 1225-4).

II.   L’enclenchement d’une convergence sociale par le haut en Europe

La clause de mieux-disant social introduite par cet article sera dans un premier temps limitée au seul territoire national.

Néanmoins, sa finalité dépasse les frontières et devrait s’appliquer, à terme, dans l’ensemble des États de l’Union européenne. Engageant la réciprocité avec la France, la majorité de nos voisins gagnerait à adopter une telle clause, et à enclencher ainsi une convergence sociale par le haut.

Le dispositif prévu à cet article rejoint en ce sens celui inscrit à l’article 3 de la proposition de loi.

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Article 3
Rapport relatif à l’action de la France auprès du Conseil européen pour permettre la non-application du régime européen du détachement

Supprimé par la commission

L’article 3 vise à relayer à l’échelle européenne les objectifs de convergence sociale par le haut et de non-application du régime européen de travail détaché.

Pour ce faire, il prévoit la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur son action auprès de nos partenaires européens en ce sens. Cette action devrait notamment permettre d’acter l’obtention par la France d’une clause d’opt-out relatif au régime de détachement des travailleurs.

L’objectif de progrès social porté par cette proposition de loi dépasse le seul territoire national et devrait, à terme, être partagé par l’ensemble de nos partenaires européens.

Tel est le sens de l’article 3 de la proposition de loi, qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement informant de l’action de ce dernier auprès de ses partenaires européens, via le Conseil européen, dans trois matières :

– la définition et l’adoption d’objectifs de convergence par le haut des systèmes de sécurité sociale de l’Union européenne. Ces objectifs viendraient se substituer au maigre socle européen des droits sociaux adopté en 2017, insuffisant dans son périmètre comme dans sa finalité ;

– l’obtention par la France d’une clause d’opt-out dans l’application du régime européen de détachement des travailleurs. Dans l’attente d’une éventuelle adaptation de ce régime, l’obtention d’une telle dérogation est indispensable pour mettre le droit national en conformité avec le droit de l’Union européenne et permettre la pleine application de cette proposition de loi ;

– la demande d’une ratification de la convention n° 97 de l’Organisation internationale du travail (OIT) par les 19 États-membres n’y ayant toujours pas procédé. Cette convention de 1949 relative aux travailleurs migrants garantit notamment l’application du principe « à travail égal, salaire égal » en matière de rémunération comme de sécurité sociale. La demande de non-ratification de cette convention, exprimée par la Commission européenne, apparaît aussi injustifiée qu’incompatible avec l’objectif social et doit donc cesser. Ce faisant, la convention n° 97 pourrait pleinement produire ses effets dans l’Union européenne.

Le rapport sur cette négociation, qui conditionne la pleine application de la présente proposition de loi, devra être remis au Parlement au plus tard un après la promulgation de la loi.

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   annexes

annexe N° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(par ordre chronologique)

 

            Table ronde de branches professionnelles

 Fédération française du bâtiment (*) – Mme Laetitia Assali, directrice générale adjointe, et M. Benoît Vanstavel, directeur des relations institutionnelles

 Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) (*) – M. Henry Halna du Fretay, secrétaire général, M. Dominique Proux, directeur des relations institutionnelles, et Mme Valérie Guillotin, chargée de mission au pôle juridique et social

            Table ronde de personnalités qualifiées

 Mme Sophie Robin-Olivier, professeure de droit à l’École de droit de la Sorbonne (Paris 1), spécialisée en droit social européen, directrice du Master de droit anglo-américain des affaires, directrice du programme JD/Master (Paris 1-Columbia-Cornell)

 M. Ismaël Omarjee, maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, co-directeur du M2 juriste européen, UFR droit et science politique

            Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF)  Mme Jeanne-Marie Prost, déléguée nationale, Mme Christine Rigodanzo et M. Yannick Henry, chargés de mission

 

 

 

 

(*) Ce représentant dintérêts a procédé à son inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sengageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de lAssemblée nationale.

 


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annexe n° 2 :
Liste des contributions reçues

            Union syndicale Solidaires

            Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

 

 

 

 


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annexe n° 3 :
liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d'article

1er

Code du travail

Titre VI du livre II de la première partie [abrogé]

Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

L313-10, L313-7-2, L313-24 et L322-1

Code du travail

L8221-3

2

Code du travail

L1132-4, L1141-1, L1151-1, L2111‑2, L1225-35 et L1225-4

 

 


([1]) Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948, article 23.

([2]) Grand-Est, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes et Hauts de France.

([3]) Directive 96/71/CE du Parlement européen et du conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

([4]) Lex loci laboris.

([5]) Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

([6]) Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

([7]) Directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur.

([8]) CJUE, n° C-356/15, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Royaume de Belgique, 11 juillet 2018.

([9]) Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.

([10]) Cour des comptes, Rapport public annuel 2019, tome I, p. 66.

([11]) Outre la France, la convention n° 97 de l’OIT a également été ratifiée par l’Allemagne, la Belgique, Chypre, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Slovénie.

([12]) https://ec.europa.eu/social/BlobServlet?docId=12598&langId=en, p. 14.

« Il y a quatre Conventions engageant la compétence exclusive de l’Union qui sont potentiellement incompatibles avec les acquis de l’UE. Lorsqu’une Convention est incompatible avec l’acquis de l’UE la Commission doit s’abstenir d’en promouvoir la ratification, expliquant pourquoi ces Conventions ne sont pas incluses dans les priorités ».

([13]) Voir par exemple http://www.terra-competences.com/fr/.