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N° 1701

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 février 2019

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI

 

 

visant à renforcer lintégrité des mandats électifs et
de la représentation nationale (n° 788)

 

 

PAR M. Moetai BROTHERSON
Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 788

 


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SOMMAIRE

 

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Pages

AVANT-PROPOS............................................ 5

COMMENTAIRE des articles de la proposition de loi

Article 1er (art. 131-26-1 du code pénal) Peine complémentaire dinéligibilité

Article 2 (art. 132-81 du code pénal) Circonstance aggravante de la qualité délu ou de membre du Gouvernement

Article 3 Application sur lensemble du territoire national

Compte rendu des débats

Personnes entendues

ANNEXE 1 :  AVIS DU CONSEIL DÉTAT

ANNEXE 2 : délits visés au ii de larticle 131-26-2 du code pénal


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Mesdames, Messieurs,

Depuis le début de la XIVe législature, alerté par la défiance croissante des citoyens envers leurs élus, le législateur s’est attaché à renforcer les exigences de probité et de moralité qui pèsent sur la classe politique.

Les lois organique n° 2013-906 et ordinaire n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relatives à la transparence de la vie publique, adoptées à la suite de la mise en cause d’un ancien ministre du budget pour fraude fiscale, ont organisé le contrôle des intérêts et des patrimoines des élus, mais aussi renforcé les peines d’inéligibilité encourues en les portant de cinq ans à dix années.

La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, a édicté les procédures et les sanctions prévues en répression des atteintes à la probité.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II », a marqué un progrès notable : alors que l’inéligibilité d’un responsable politique fautif était auparavant prononcée par le juge s’il l’estimait pertinente, la loi pose désormais cette sanction pour principe et exige du juge une décision spéciale s’il souhaite l’écarter.

Enfin, à la suite d’une campagne présidentielle rythmée par les investigations judiciaires sur le passé de différents candidats majeurs, la première initiative de la XVe législature a consisté à accroître le périmètre dans lequel s’applique le prononcé obligatoire de l’inéligibilité. Alors que celui-ci était cantonné, en 2016, à quelques infractions de nature financière, l’article 1er de la loi n° 2017‑1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique l’a notamment étendu à tous les crimes, aux violences aggravées, aux discriminations, aux fraudes électorale et fiscale, aux manquements à l’obligation de transparence. Depuis cette date, ce sont toutes les infractions qui mettent en cause la capacité d’un individu à représenter ses concitoyens qui valent, par principe, exclusion des fonctions électives pour cinq années et, si les faits sont commis pendant l’exercice d’un mandat ou d’une fonction ministérielle, exclusion pour dix années.

Pourtant, si le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a fait le choix d’inscrire la présente proposition de loi à l’ordre du jour de la journée qui lui est réservée par la Constitution ([1]), c’est qu’il estime que les gages d’honnêteté donnés aux électeurs par le droit en vigueur ne sont pas suffisants, que les demandes des citoyens pour une plus grande probité des élus n’ont pas été entendues, que l’exemplarité de l’immense majorité d’entre eux est trop souvent affectée par les turpitudes de quelques-uns.

Bien sûr, il aurait été possible, sinon préférable, d’explorer une voie plus radicale, faisant prévaloir une dimension préventive plutôt qu’une logique répressive, passant d’une espérance de sanction des fautifs à une ambition de moralisation de tous les candidats. Conditionner toutes les candidatures à toutes les élections à la présentation dun casier judiciaire vierge, sur le modèle qui prévaut aujourd’hui pour l’accès à divers emplois privés et publics ([2]), permettrait à coup sûr de rendre au monde politique son image de probité.

Ce n’est pas, pour trois raisons, le choix qui a été privilégié par la présente proposition de loi :

–  en premier lieu, bien qu’il s’agisse d’une promesse de campagne du Président de la République, et bien que cette orientation ait eu les faveurs, dans le passé, de la commission des Lois de l’Assemblée nationale ([3]), lexigence dun casier judiciaire vierge a été écartée de la loi du 15 septembre 2017 à la demande du Gouvernement qui la jugeait contraire à la Constitution ([4]) ;

–  en deuxième lieu, si la volonté de ne pas risquer la censure constitutionnelle dans le cadre des lois organiques et ordinaire pour la confiance dans la vie politique pouvait être comprise, un tel risque n’existe pas lorsque qu’il s’agit de réviser la Constitution. Or, non seulement la majorité à l’Assemblée nationale n’a porté aucun amendement en ce sens au cours des débats de l’été 2018, mais elle a même écarté une proposition formulée en ce sens par un député de l’opposition ([5]), dissipant toute ambiguïté quant à sa décision de ne jamais permettre que se concrétise cette exigence des citoyens ;

–  en troisième lieu, dans l’hypothèse où l’analyse de la constitutionnalité d’une exigence de casier judiciaire vierge serait admise, un véhicule législatif existe déjà, qui a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 1er février 2017 et dont il reviendrait, alors, aux sénateurs de se saisir ([6]).

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La présente proposition de loi s’inscrit donc dans une perspective différente : offrir au juge pénal le moyen légal dexclure de la vie publique pour une longue durée, voire à titre définitif, les personnes dont la condamnation à diverses infractions témoignerait dune conduite personnelle incompatible avec la fonction de représentation de leurs concitoyens. En effet, les peines d’inéligibilité encourues aujourd’hui, de cinq à dix ans, apparaissent bien trop légères pour sanctionner avec efficacité les manquements, pour décourager avec méthode les violations de la loi, pour faire comprendre sans le moindre doute que certains comportements ne sont plus admis.

À cette fin, l’article 1er porte à trente ans la peine d’inéligibilité prévue par la loi du 15 septembre 2017 et que le juge doit obligatoirement prononcer, sauf décision spéciale. Cette sanction peut même être infligée à titre définitif lorsque l’auteur des faits a multiplié les infractions et que le juge peut établir que les violations de la loi ont eu lieu en nombre.

L’article 2 inscrit dans le code pénal une circonstance aggravante de commission d’une infraction par une personne disposant d’un mandat électif ou exerçant des fonctions ministérielles, conformément à l’exigence d’exemplarité dont témoigne déjà, dans le droit en vigueur, la peine d’inéligibilité doublée à laquelle sont exposés les auteurs d’infraction dans cette position.

Enfin, l’article 3 prévoit l’application des deux dispositions précédentes sur l’ensemble du territoire national, y compris les collectivités disposant d’une autonomie élargie – Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna.

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Afin de garantir la constitutionnalité du dispositif proposé, la saisine du Conseil dÉtat a été sollicitée sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution ([7]). Le président de l’Assemblée nationale a donné droit à cette demande. Les travaux du Conseil d’État ont suggéré plusieurs voies d’amélioration de la proposition de loi, tant en matière rédactionnelle que sur le fond des mécanismes envisagés ([8]).

Votre rapporteur sest attaché à transcrire les recommandations du Conseil dÉtat dans les amendements qu’il a présenté à la commission des Lois, de sorte que la rigueur juridique de la proposition de loi lors de son examen en séance publique ne puisse souffrir de contestation.

La commission des Lois a toutefois rejeté la proposition de loi.

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   COMMENTAIRE des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. 131-26-1 du code pénal)
Peine complémentaire dinéligibilité

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi porte à trente ans la durée de la peine d’inéligibilité que prononce obligatoirement la juridiction pénale, sauf décision spécialement motivée, lorsqu’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits est condamnée pour une des infractions mentionnées à l’article 131‑26‑2 du code pénal. Cette inéligibilité peut être prononcée à vie lorsque cette infraction est suivie ou accompagnée d’une autre mentionnée au même article. La personne condamnée peut solliciter le relèvement de l’inéligibilité tous les dix ans.

  Dernières modifications législatives intervenues

La peine complémentaire d’inéligibilité a été portée de cinq à dix ans par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique lorsque le condamné est une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits.

Son prononcé est devenu obligatoire pour certains délits, sauf décision spécialement motivée de la juridiction de jugement, avec la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a étendu la liste des infractions donnant lieu au prononcé obligatoire de l’inéligibilité ; elle a aussi systématisé la mention de celle-ci au casier judiciaire des personnes condamnées.

  Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté l’article 1er de la proposition de loi.

1.   L’état du droit

Au cours des six dernières années, le dispositif pénal applicable en répression d’une atteinte à la probité a été considérablement renforcé. La mise en cause de personnalités politiques de premier plan à l’occasion d’affaires judiciaires au fort retentissement médiatique a conduit le législateur à préciser régulièrement – et à accroître significativement – l’inéligibilité encourue à la suite d’infractions pénales jugées incompatibles avec l’exercice de fonctions publiques.

a.   Le droit en vigueur avant 2013

i.   L’interdiction des droits civiques, civils et de famille

En application de l’article 131-26 du code pénal, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille se compose de cinq éléments que la juridiction de jugement peut prononcer en tout ou partie :

–  le droit de vote ;

–  l’éligibilité ;

–  le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ;

–  le droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations ;

–  le droit d’être tuteur ou curateur ; cette interdiction n’exclut pas le droit, après avis conforme du juge des tutelles et le conseil de famille ayant été entendu, d’être tuteur ou curateur de ses propres enfants.

Cette sanction est limitée dans le temps : elle est de dix ans au plus en cas de condamnation pour crime et cinq ans au plus en cas de condamnation pour délit.

Le dernier alinéa de l’article 131‑26 précité prévoit également que, lorsque le juge prononce la privation du droit de vote ou d’éligibilité, cette décision emporte automatiquement interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique.

Conformément au principe de légalité des peines, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille peut être décidée en tant que peine complémentaire si la loi le prévoit spécifiquement pour la répression d’une infraction donnée ([9]). C’est le cas pour un grand nombre de crimes et de délits dont, notamment, l’atteinte à la probité ([10]), la fraude électorale ([11]) et la fraude fiscale ([12]). Il revient à la juridiction de jugement de décider de l’opportunité de la prononcer – on parle de peine facultative ([13]). Les juridictions de jugement y ont toutefois très peu recours ([14]).

ii.   Les conditions de relèvement et de réhabilitation

L’article 702-1 du code de procédure pénale dispose que toute personne frappée d’une interdiction résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation de la relever, c’est-à-dire d’en réduire la durée ou d’y mettre un terme. La demande ne peut être portée devant la juridiction compétente qu’à l’issue d’un délai de six mois après la décision initiale de condamnation. En cas de refus opposé à cette première demande, une autre demande ne peut être présentée que six mois plus tard. Il en est de même, éventuellement, des demandes ultérieures.

Par ailleurs, tout condamné peut demander à bénéficier d’une réhabilitation qui « efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation » ([15]). La réhabilitation peut être demandée en justice après un délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle et de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle. Ce délai commence, pour les condamnés à une amende, au jour où la condamnation est devenue irrévocable et, pour les condamnés à une peine privative de liberté, au jour de leur libération définitive ([16]). La réhabilitation est, par ailleurs, acquise de plein droit après un délai variant de trois à vingt ans à la suite de l’exécution d’une peine correctionnelle ([17]).

Le droit en vigueur jusqu’en 2013 prévoyant toutefois que la privation des droits civiques, civils et de famille ne pouvait excéder une durée de cinq ans, ces dispositions nont pas trouvé à sappliquer. Sollicités par votre rapporteur, les services de la Chancellerie ont confirmé que les demandes de relèvement d’inéligibilité présentées devant les tribunaux étaient excessivement rares, pour ne pas dire inexistantes.

iii.   Le cas particulier du prononcé à titre principal

Comme toutes les peines complémentaires, la privation de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille peut être prononcée par la juridiction à titre principal, c’est-à-dire à l’exclusion de toute peine d’emprisonnement ou d’amende, en application de l’article 131‑11 du code pénal. Cette possibilité permet une meilleure individualisation par le choix d’une sanction spécialement adaptée à la situation du délinquant – soit, dans le cas d’un élu, le prononcé d’une inéligibilité.

Cette faculté laissée au tribunal n’est pas sans conséquence sur la possibilité laissée au condamné de solliciter la levée anticipée de linterdiction. La procédure de relèvement de l’article 702-1 du code de procédure pénale est explicitement limitée aux « condamnations prononcées à titre de peine complémentaire ». La réhabilitation judiciaire n’est ouverte à l’égard des condamnés à une sanction pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende, prononcée à titre principal, que trois à cinq ans à compter de l’expiration de ladite sanction. Quant à la réhabilitation légale, ses délais excèdent le quantum maximal d’inéligibilité prévu par la loi.

b.   La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique

i.   Une inéligibilité définitive proposée par le Gouvernement

Le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique a été déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale à la suite de la démission de M. Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au Budget, mis en cause dans une affaire de fraude fiscale. Son article 19 prévoyait d’aggraver la peine dinéligibilité encourue par les élus et les ministres, en permettant au juge de la prononcer à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus. L’objectif revendiqué est « avant tout dissuasif : en effet, la durée de la peine complémentaire dinéligibilité limitée à dix ans au plus en matière criminelle et cinq ans au plus en matière délictuelle semble insuffisante au regard de la nature et de la gravité des faits réprimés, comme la corruption, le trafic dinfluence, la fraude électorale ou la fraude fiscale » ([18]).

Le dispositif proposé est similaire à celui de peines dinterdiction existantes, comme celle dexercer une fonction publique, une activité professionnelle ou une profession commerciale ou industrielle, ou de diriger ou contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ([19]). Il s’inspire également de l’interdiction du territoire français prononcée à l’encontre d’un étranger coupable d’un crime ou d’un délit ([20]).

La peine d’inéligibilité définitive ou de dix ans était encourue pour les délits datteintes à la probité, de fraude électorale et de fraude fiscale, ainsi qu’en cas de non-respect des obligations de déclarations de patrimoine et d’intérêts et, pour les membres du Gouvernement, en cas d’attestation mensongère sur le caractère sincère, exhaustif et exact de leurs déclarations de patrimoine et d’intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

ii.   Une disposition très atténuée par le Parlement

Lors de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale, le rapporteur, M. Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des Lois, s’est interrogé sur la conformité aux principes constitutionnels d’une « inéligibilité perpétuelle » ([21]). La commission des Lois avait écarté cette perspective.

En séance publique, les amendements de rétablissement présentés par le Gouvernement, ainsi que par les députés d’opposition MM. Laurent Wauquiez et Arnaud Richard, n’ont pas été adoptés. Le rapporteur fit alors valoir « que, même prononcée par un juge à titre définitif, une peine dinéligibilité naura jamais deffet perpétuel » du fait de la possibilité de relèvement et de réhabilitation, de sorte que la disposition proposée par le Gouvernement revêtait un caractère essentiellement symbolique ([22]). L’inéligibilité à titre définitif ne fut pas abordée au Sénat, non plus que dans les étapes suivantes de la procédure législative.

La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique s’est finalement limitée à introduire dans le code pénal un nouvel article 131‑26‑1 aux termes duquel la peine d’inéligibilité « peut être prononcée pour une durée de dix ans au plus à lencontre dune personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits » lorsque la loi le prévoit expressément. Le régime du prononcé de la peine, de son relèvement et de sa réhabilitation sont demeurés inchangés.

c.   La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

Transcrivant dans le code pénal une proposition formulée par le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ([23]), la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », a transformé la peine complémentaire d’inéligibilité, jusqu’alors facultative, en peine obligatoire. Alors que la juridiction de jugement devait auparavant choisir de prononcer une peine complémentaire facultative, elle doit désormais justifier le choix de ne pas infliger la peine complémentaire obligatoire.

Ce mécanisme ne vaut que pour quelques délits limitativement énumérés et présentant un caractère d’infraction économique :

–  la concussion (art. 432-10 du code pénal) ;

–  la corruption passive ou le trafic d’influence commis par ou à l’égard d’une personne dépositaire de l’autorité publique (art. 432-11 du code pénal) ;

–  la prise illégale d’intérêts (art. 432-12 et 432-13 du code pénal) ;

–  le favoritisme (art. 432-14 du code pénal) ;

–  la soustraction ou le détournement de biens publics commis intentionnellement (art. 432-15 du code pénal) ;

–  la corruption active et le trafic d’influence commis par les particuliers (articles 433-1 et 433-2 du code pénal).

Les quantums encourus demeurent fixés à dix ans pour les crimes et les délits commis par des responsables politiques, et à cinq ans pour les autres délinquants.

d.   La loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique

Consécutif à un engagement du Président de la République ([24]), le projet de loi pour la confiance dans la vie politique a été déposé sur le bureau du Sénat dès le 14 juin 2017. Son article 1er fait le choix d’une extension du champ de la peine complémentaire obligatoire dinéligibilité afin d’éloigner plus systématiquement des fonctions électives les personnes qui, par les infractions qu’elles ont commises, ont démontré ne plus remplir les conditions de probité essentielles à l’exercice de leur mandat.

Les infractions donnant lieu au prononcé obligatoire d’une peine d’inéligibilité, sauf décision spécialement motivée prenant en considération les circonstances de sa commission et la personnalité de son auteur, sont désormais celles qui trahissent une violation caractérisée des valeurs les plus fondamentales de la société française :

–  les infractions de nature criminelle, que le code pénal juge les plus graves pour l’ordre social et qu’il réprime d’une peine de réclusion ;

–  les violences aggravées envers les personnes et les délits dordre sexuel – agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral, proxénétisme –, attentatoires au principe d’égalité entre les femmes et les hommes ;

–  les discriminations, qui mettent en péril la communauté nationale ;

–  les escroqueries, abus de confiance, abus de bien social et divers délits boursiers qui, sans forcément être le fait de responsables publics, témoignent d’une incapacité de leurs auteurs à se mettre au service du bien commun ;

–  les actes de terrorisme, qui excluent que ceux qui les perpètrent puissent solliciter une charge publique.

Les infractions visées sont aussi celles qui révèlent un défaut dintégrité incompatible avec lexercice dun mandat électif et, par extension, le recel et le blanchiment de ces infractions ainsi que leur commission dans le cadre d’une association de malfaiteurs :

–  les manquements au devoir de probité ([25]) ;

–  les faux en écriture publique et délits assimilés ;

–  les délits de corruption et trafic dinfluence ;

–  les délits constitutifs de fraude électorale réprimés d’emprisonnement ;

–  la fraude fiscale aggravée ;

–  les manquements aux obligations déclaratives des élus auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

La loi du 15 septembre 2017 a également garanti l’effet des condamnations à une peine d’inéligibilité en imposant leur mention au casier judiciaire des personnes concernées et en autorisant la consultation des fiches correspondantes par les autorités administratives auprès desquelles s’effectue le dépôt des candidatures pour les élections politiques.

2.   Le cadre conventionnel et constitutionnel

a.   La prohibition des peines automatiques

i.   Le cadre constitutionnel

Le droit de vote et d’éligibilité des personnes est régi par deux dispositions de rang constitutionnel. Il s’agit du dernier alinéa de l’article 3 de la Constitution selon lequel « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques », et de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 aux termes duquel : « La Loi est lexpression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit quelle protège, soit quelle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Le Conseil constitutionnel a conforté la protection des droits de vote et déligibilité des personnes en posant des exigences strictes à toute restriction qui pourrait leur être apportée et, plus précisément, en conférant valeur constitutionnelle au principe énoncé au premier alinéa de l’article 132-21 du code pénal aux termes duquel : « Linterdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à larticle 13126 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit dune condamnation pénale. » En effet, la décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, a déclaré contraire à la Constitution l’article L. 7 du code électoral selon lequel : « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour lune des infractions » limitativement énumérées.

Selon le Conseil constitutionnel, cette sanction méconnaissait les principes de nécessité et d’individualisation des peines inscrits à l’article 8 de la Déclaration de 1789 ([26]). Ainsi que l’indique le commentaire de cette décision publié aux Cahiers du Conseil constitutionnel (n° 29), cité par la rapporteure de l’Assemblée nationale sur le projet de loi pour la confiance dans la vie politique, Mme Yaël Braun‑Pivet, présidente de la commission des Lois, « le Conseil constitutionnel juge quune peine est prononcée par une juridiction de jugement et suppose une appréciation de la culpabilité. Le critère de la peine est donc sa finalité répressive. Ainsi, les incapacités constituent des peines si elles sont laccessoire de cette peine, mais elles nen sont pas si elles sont édictées seulement pour garantir la moralité dune profession. Or, la radiation prévue par larticle L. 7 nétait pas une simple mesure de sûreté destinée à "moraliser" le monde politique. Elle avait été conçue comme une punition et son but était répressif. Elle était liée au jugement dune juridiction de jugement et à lappréciation de la culpabilité de lintéressé » ([27]).

Le principe de nécessité des peines prohibe les peines automatiques ([28]) et le principe dindividualisation des peines exige qu’une sanction non seulement puisse être modulée, mais que cette possibilité relève du juge seul et ne soit pas conditionnée à une demande des parties en ce sens ([29]). Cette interprétation des normes constitutionnelles faisait échec à la perspective d’exiger un casier judiciaire vierge de la part des candidats à une élection politique ([30]).

Les peines obligatoires, à l’inverse, que le tribunal peut toujours moduler et choisir de ne pas infliger au moyen d’une décision spécialement motivée, sont conformes à ces prescriptions dès lors qu’elles présentent un lien direct avec l’infraction et qu’elles revêtent une utilité publique ([31]). Le Conseil constitutionnel l’a implicitement admis à l’occasion de son examen de la loi du 9 décembre 2016 ([32]) avant de l’affirmer explicitement lorsque la loi pour la confiance dans la vie politique lui a été soumise ([33]).

Dans cette dernière décision, le juge a toutefois apporté deux précisions :

–  dans une réserve dinterprétation, il a exclu que se cumulent le mécanisme de la peine obligatoire et le dernier alinéa de l’article 131-26 du code pénal selon lequel une peine d’inéligibilité entraîne de plein droit l’interdiction ou l’incapacité d’exercer une fonction publique, car il en résulterait une violation du principe de proportionnalité des peines ([34]) ;

–  par une censure partielle, il a exclu de la liste des infractions soumises au mécanisme de la peine obligatoire d’inéligibilité les délits de presse, considérant que la liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique comme dans les campagnes électorales, et qu’elle subirait une restriction excessive si les candidats aux élections pouvaient être frappés d’inéligibilité du seul fait de leurs propos ([35]).

ii.   Le cadre conventionnel

L’article 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit la tenue d’élections « dans les conditions qui assurent la libre expression de lopinion du peuple sur le choix du corps législatif ».

La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît aux États une « ample marge de manœuvre » et vérifie l’absence d’arbitraire dans les procédures qui viennent suspendre le droit de tout citoyen à se présenter aux suffrages des électeurs ([36]). Elle s’attache principalement au respect de lexigence de proportionnalité formalisée par l’existence d’une limite temporelle et d’une possibilité de revoir la mesure d’exclusion. Le principe selon lequel une restriction peut frapper un individu qui s’est rendu coupable de manquements à ses devoirs dans des fonctions publiques ne soulève pas de difficulté, a fortiori lorsque la décision est entourée des garanties dindividualisation et dindépendance qui caractérisent une sanction pénale.

Par ailleurs, le caractère incompressible d’une peine de réclusion peut être assimilée à un traitement inhumain et dégradant ([37]). Il semble cependant exclu qu’une simple inéligibilité, fût-elle prononcée à titre définitif et sans possibilité de relèvement, puisse être comparée à un emprisonnement à perpétuité.

Enfin, en matière d’inéligibilité, le caractère automatique et irréversible de l’interdiction de siéger au Parlement faite à un précédent chef d’État ayant fait l’objet d’une procédure de destitution a pu être sanctionné ([38]). La conventionnalité d’une telle mesure nécessite donc d’être limitée dans le temps et d’être susceptible de révision.

b.   La question de l’interdiction à titre définitif

Saisi de textes comprenant des dispositions instituant une peine complémentaire à titre définitif, le Conseil constitutionnel n’a jamais examiné doffice leur constitutionnalité ([39]). En revanche, il a récemment eu à connaître de deux questions prioritaires de constitutionnalité à propos de dispositions de cette nature.

Le 1er juin 2018, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’interdiction définitive d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement encourue en raison du refus, puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, pour un directeur d’établissement d’enseignement privé hors contrat, d’assurer, malgré une mise en demeure de l’État, un enseignement conforme à l’objet de l’instruction obligatoire ([40]).

Quoique plus ancienne, la décision rendue le 27 novembre 2015 sur les conséquences de la peine définitive d’interdiction de territoire français prononcée à l’encontre d’un étranger est aussi plus instructive ([41]). Elle posait la question d’une peine définitive prononcée par une juridiction à titre principal. Le requérant soulignait que la combinaison des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale neutralisait les possibilités offertes à une personne condamnée d’obtenir une atténuation de la peine qui lui était infligée. En effet :

  la procédure de relèvement de l’article 702-1 du code de procédure pénale est explicitement limitée aux « condamnations prononcées à titre de peine complémentaire » et n’est donc pas applicable ;

–  la réhabilitation de plein droit de l’article 133‑13 du code pénal peut être sollicitée après un délai de cinq ans à compter de l’exécution de la peine, ce que son caractère définitif exclut ;

–  la réhabilitation judiciaire prévue par l’article 786 du code de procédure pénale suppose, à l’égard des condamnés à une sanction pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende, prononcée à titre principal, l’expiration de la sanction subie, ce que là encore son caractère définitif exclut ([42]).

Le Conseil constitutionnel a jugé que, « au regard de la réhabilitation judiciaire, les personnes condamnées à une peine à titre principal sont dans une situation différente de celles condamnées à la même peine à titre complémentaire » qui peut justifier que la réhabilitation judiciaire – qui était le principal grief du requérant – ne s’applique pas de façon identique dans les deux situations. Par ailleurs, le Conseil estime qu’il n’existe aucune atteinte au principe de proportionnalité des peines dans cette sanction :

–  le condamné peut « être dispensé dexécuter la peine sil est gracié » ;

–  la condamnation peut être « effacée par leffet dune loi damnistie » ;

–  l’article 789 du code de procédure pénale permet une réhabilitation judiciaire si le condamné rend des services éminents à la France ;

–  les fiches relatives à des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans sont automatiquement retirées du casier judiciaire dès lors que lintéressé na pas été condamné dans lintervalle à une nouvelle peine criminelle ou correctionnelle ([43]).

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très ferme puisqu’elle admet que le juge pénal puisse édicter une peine d’interdiction qui, en dehors de circonstances exceptionnelles justifiant une grâce ou une amnistie ou de l’accomplissement de services éminents rendus au pays, ne peut être remise pendant au moins quarante ans – à la condition qu’aucune condamnation correctionnelle, même mineure, ne soit enregistrée dans ce laps de temps. Si la liberté pour un étranger de se trouver sur le territoire français ne peut être comparée au droit fondamental de se présenter aux élections, il n’en reste pas moins que la constitutionnalité dune peine complémentaire valant interdiction ou incapacité à titre définitif semble hors de doute.

Enfin, la constitutionnalité des peines complémentaires à caractère définitif figurant dans le code pénal a toujours été soutenue par la Cour de cassation, qui na pas transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’interdiction définitive d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale prévue à l’article 131-27. Il appartient au juge qui prononce des interdictions d’exercer « de sassurer quelles sont proportionnées et ne sont pas de nature à faire obstacle au droit dobtenir un emploi » ([44]).

3.   Les dispositions de la proposition de loi

L’article 1er de la proposition de loi complète par deux alinéas l’article 131‑26‑1 du code pénal.

Le premier alinéa prévoit que, en cas de commission d’une des infractions énumérées par le législateur à l’occasion de la loi pour la confiance dans la vie politique ([45]), le juge pénal peut prononcer une peine d’inéligibilité pouvant atteindre trente ans lorsque l’auteur des faits exerce une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public. L’inéligibilité peut même être prononcée à vie lorsqu’une infraction de la liste « suit ou accompagne » la commission d’une autre infraction de la liste.

Inéligibilité en fonction de l’auteur des faits et de l’infraction commise

 

Toute personne autre qu’un élu ou un membre du Gouvernement

Une personne élue ou membre du Gouvernement

Délits pour lesquels la loi prévoit l’application de l’article 131‑26 du code pénal

Peine facultative d’une durée maximale de 5 ans

Interdiction de plein droit d’exercer une fonction publique

Délits pour lesquels la loi prévoit l’application des articles 131‑26 et 131‑26‑1 du code pénal

Peine facultative d’une durée maximale de 5 ans

Interdiction de plein droit d’exercer une fonction publique

Peine facultative d’une durée maximale de 10 ans

Interdiction de plein droit d’exercer une fonction publique

Délits de l’article 131‑26‑2 du code pénal

Peine obligatoire d’une durée maximale de 5 ans

Interdiction d’exercer une fonction publique sur décision du juge

Peine obligatoire d’une durée maximale de 30 ans ou définitive

Interdiction d’exercer une fonction publique sur décision du juge

Crimes

Peine obligatoire d’une durée maximale de 10 ans

Interdiction d’exercer une fonction publique sur décision du juge

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Il résulte de la combinaison de cette disposition et des articles en vigueur du code pénal le dispositif suivant :

–  par principe, l’inéligibilité est une peine complémentaire facultative que le juge pénal peut prononcer pour une durée maximale de cinq ans lorsque la loi le prévoit pour la répression d’un délit donné, et de dix ans pour un crime donné ;

–  par exception, cette peine facultative peut être prononcée pour une durée de dix ans pour les délits prévus par la loi à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits ;

–  lorsque le juge connaît d’une affaire relative à l’un des délits énumérés par le législateur dans la loi du 15 septembre 2017, la peine d’inéligibilité est prononcée obligatoirement sauf décision spéciale de la juridiction. Pour une personne qui n’est ni membre du Gouvernement ni détentrice d’un mandat électif public, elle est limitée à une durée de cinq ans pour un délit et à dix ans pour un crime ; dans le cas contraire, elle peut être prononcée pour trente ans ou à titre définitif ;

–  en application du dernier alinéa de l’article 131‑26 du code pénal et de la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 septembre 2017 sur la loi pour la confiance dans la vie politique, l’interdiction de plein droit d’exercer une fonction publique est attachée de plein droit à l’inéligibilité si celle-ci constitue une peine facultative. Dans le cas où la loi impose le prononcé de l’inéligibilité sauf décision spécialement motivée, l’interdiction d’exercer une fonction publique doit être décidée par la juridiction.

Le second alinéa crée une procédure de relèvement spécifique pour les personnes à l’encontre desquelles a été prononcée une peine d’inéligibilité d’une durée supérieure à dix ans. Elles peuvent demander à en être relevées toutes les dix années à compter du prononcé de la peine. Ce mécanisme est plus strict que la procédure de relèvement de droit commun, qui prévoit la possibilité de solliciter le juge après six mois, mais il présente l’avantage d’être accessible aux personnes condamnées à une inéligibilité à titre principal qui sont actuellement dépourvues de voie de recours. Le juge statue au regard des faits reprochés, des circonstances, de la personne, de sa conduite et de son état physique et mental.

4.   La position du Conseil d’État

Saisi de la présente proposition de loi en application du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution ([46]), le Conseil d’État a formulé d’utiles commentaires sur la rédaction de l’article 1er.

Le Conseil d’État a notamment estimé que « les exigences constitutionnelles et conventionnelles qui viennent dêtre rappelées ne font pas obstacle à ce quune peine complémentaire dinéligibilité à vie » soit créée par le législateur ([47]). Par ailleurs, « la peine dinéligibilité de trente ans encourue en cas de commission, par un membre du Gouvernement ou un élu, dun crime ou dun des délits énumérés à larticle 131262 napparaît pas manifestement disproportionnée au regard de la finalité que poursuit la proposition de loi, de la nature des infractions que la peine complémentaire obligatoire vient sanctionner et de la place particulière quoccupent leurs auteurs dans la démocratie » ([48]). Selon les informations recueillies par votre rapporteur, le Conseil dÉtat avait déjà approuvé, en 2013, la disposition comparable proposée par le Gouvernement dans le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique ([49]).

En revanche, le Conseil d’État a préconisé que l’article 1er soit amendé sur deux points :

–  à propos des conditions permettant au juge de prononcer linéligibilité à vie, qui, dans la rédaction initiale de la proposition de loi, pourrait résulter de la simple répétitivité d’un même fait à caractère délictueux ou d’un concours d’infractions pour un même fait délictueux, d’autant que la combinaison de deux délits faiblement réprimés pourrait ainsi l’entraîner au contraire de la commission d’un crime ([50]) ;

–  au sujet de la procédure de relèvement, au motif que l’application de la peine pendant dix ans sans possibilité de relèvement total ou partiel serait contraire au principe dindividualisation des peines, même s’il reste loisible au législateur « de sécarter du droit commun et retenir un délai plus long » que les six mois de l’article 702‑1 du code de procédure pénale, eu égard à l’intérêt général qui motive ces dispositions dérogatoires ([51]).

Enfin, du strict point de vue formel, le Conseil d’État a recommandé que la procédure spécifique de relèvement figure dans le code de procédure pénale et non dans le code pénal. Il a également suggéré que les dispositions propres à la peine d’inéligibilité soient adjointes à l’article 131‑26‑2 du code pénal, auquel elles se rapportent, plutôt qu’à l’article 131‑26‑1 du même code.

5.   La position de la Commission

Votre rapporteur s’est attaché à apporter au dispositif de l’article 1er les améliorations préconisées par le Conseil d’État. À cette fin, il a soumis deux amendements à la Commission.

Un premier amendement procédait à une rédaction nouvelle de l’article 1er. Il insérait les dispositions relatives à linéligibilité à l’article 131‑26‑2 du code pénal et non, comme initialement envisagé, à l’article 131‑26‑1. Il retenait une gradation plus conforme à l’échelle des infractions et des peines en réservant l’inéligibilité à titre définitif aux personnes coupables dun crime, aux récidivistes déjà condamnés à une peine d’inéligibilité prononcée à titre obligatoire et commettant une nouvelle infraction constitutive d’un crime ou d’un délit figurant dans la liste de la loi pour la confiance dans la vie politique, et aux délinquants commettant plusieurs infractions en concours réel ([52]). Enfin, il explicitait la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017 en précisant que, en cas d’inéligibilité édictée dans le cadre d’un prononcé obligatoire, l’interdiction d’exercer une fonction publique pouvait être cumulativement infligée à condition d’être expressément prononcée par le juge.

Un second amendement portant article additionnel inscrivait dans le code de procédure pénal une procédure de relèvement spécifique pour l’inéligibilité afin de garantir sa conformité au principe d’individualisation des peines, qu’elle soit prononcée à titre principal ou complémentaire. En effet, le Conseil d’État avait recommandé de « fixer une durée appropriée au terme de laquelle le relèvement peut être demandé, le cas échéant en fonction du quantum de la peine dinéligibilité prononcée par le juge ». Il avait également considéré que « la circonstance que la peine soit applicable pendant dix ans sans possibilité de relèvement total ou partiel ne répond pas aux exigences » de la Constitution ([53]). Il en résultait que le délai avant la première demande de relèvement et entre les demandes successives devait consister en une fraction de la peine prononcée et que cette fraction devait représenter une durée inférieure à dix ans.

Or, les mentions figurant au casier judiciaire sont automatiquement effacées quarante ans après la dernière condamnation d’une personne, de sorte que votre rapporteur a considéré que ce délai de quarante ans pouvait être retenu comme la durée réelle dune condamnation prononcée à titre définitif. En conséquence, afin de respecter les prescriptions du Conseil d’État, il convenait de fixer le délai de présentation d’une demande de relèvement au cinquième de la durée de l’inéligibilité prononcée par le juge. Le système de relèvement aurait ainsi été le suivant en fonction des peines d’inéligibilité encourues :

– pour un citoyen encourant une inéligibilité de cinq ans dont le prononcé est facultatif, une demande serait possible tous les ans ;

– pour un citoyen ou un élu encourant une inéligibilité de dix ans dont le prononcé est facultatif, une demande serait possible tous les deux ans ;

– pour un élu encourant une inéligibilité de trente ans, une demande serait possible tous les six ans ;

– pour un élu encourant une inéligibilité à titre définitif, une demande serait possible tous les huit ans.

Ce mécanisme était plus strict que le droit en vigueur, qui autorise la présentation de demandes tous les six mois. Toutefois, le Conseil d’État a estimé que le Parlement pouvait choisir « de sécarter du droit commun et retenir un délai plus long au regard des finalités de répression effective des élus et membres du Gouvernement coupables de crimes ou de délits dune particulière gravité quils poursuivent ». En outre, que le droit commun permette la présentation de dix-neuf demandes de relèvement pour une condamnation à dix années d’inéligibilité – soit le maximum encouru suivant le droit positif – est apparu de nature à encombrer inutilement les juridictions.

Enfin, et suivant là encore la recommandation du Conseil d’État, l’amendement exigeait que l’intéressé fasse la preuve dune conduite conforme à lhonneur et à la dignité depuis le prononcé de la condamnation, ce critère ayant vocation à éclairer la décision du juge.

La Commission a rejeté les amendements du rapporteur ainsi que l’article 1er.

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Article 2
(art. 132-81 du code pénal)
Circonstance aggravante de la qualité délu ou de membre du Gouvernement

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 crée une circonstance aggravante tenant à l’exercice d’une fonction de membre du Gouvernement ou d’un mandat électif public lors de l’infraction.

  Dernières modifications législatives intervenues

Sans objet.

  Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté l’article 2.

1.   L’état du droit

La section 3 du chapitre II du titre III du livre Ier du code pénal est consacrée à la « définition de certaines circonstances entraînant laggravation, la diminution ou lexemption des peines ». Y figurent notamment les circonstances aggravantes de commission d’une infraction qui font encourir à son auteur une peine plus élevée que celle normalement prévue par la loi. Le législateur a retenu deux rédactions alternatives pour ces dispositions :

–  soit il s’est limité à définir les circonstances entraînant une modulation de la peine. Il revient alors aux articles prévoyant les infractions concernées de déterminer les peines encourues en fonction des éléments de l’espèce ([54]) ;

–  soit il a édicté à la fois les éléments de caractérisation de la circonstance aggravante et les conséquences de celle-ci sur le quantum de la peine encourue ([55]).

2.   Les dispositions de la proposition de loi

L’article 2 de la proposition de loi institue une circonstance aggravante tenant à lexercice dune fonction de membre du Gouvernement ou dun mandat électif public au moment de la commission d’une infraction.

Le champ de cette circonstance aggravante recouvre les crimes et délits énumérés à larticle 131-26-2 du code pénal ([56]).

3.   La position du Conseil d’État

Le Conseil d’État a souligné que la circonstance aggravante de commission d’une infraction par un membre du Gouvernement ou par le titulaire d’un mandat électif pouvait s’appliquer tant aux fautes commises dans l’exercice des fonctions que dans un cadre purement privé. « Toutefois, il napparaît pas manifestement contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines quune infraction fasse lobjet dune peine aggravée dès lors quelle est commise par une personne à laquelle simpose, en raison de ses fonctions publiques, un devoir particulier dexemplarité et de dignité. » Cette disposition est donc considérée conforme à la Constitution ([57]).

Le Conseil d’État a toutefois relevé deux imperfections dans la rédaction de l’article 2 :

–  en premier lieu, les infractions concernées ne sauraient être définies par le règlement dès lors que la liste de l’article 131‑26‑2 du code pénal ne comporte que les crimes et un certain nombre de délits ;

–  en second lieu, la qualité d’élu ou de membre du Gouvernement est un élément constitutif de certains des délits énumérés à l’article 131‑26‑2, de sorte que cet élément ne peut valablement fonder une aggravation de la peine encourue ([58]).

Enfin, le Conseil d’État a appelé le législateur à examiner de façon circonstanciée les infractions susceptibles d’être concernées par cette circonstance aggravante, notamment si elle devait conduire à élever certains délits au rang de crime.

4.   La position de la Commission

Votre rapporteur juge judicieuses les remarques formulées par le Conseil dÉtat sur la rédaction de l’article 2. Il apparaît effectivement malvenu de faire de la qualité d’élu ou de membre du Gouvernement une circonstance aggravante tout en faisant référence aux infractions énumérées à l’article 131‑26‑2 du code pénal, dès lors qu’un certain nombre de celles-ci reposent précisément sur les fonctions occupées par l’auteur des faits ([59]).

En conséquence, il a proposé un amendement procédant à une nouvelle rédaction de l’article 2, de sorte que celui-ci se borne à énoncer le principe dune aggravation des peines encourues en cas de commission par une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits. Il reviendrait au législateur de déterminer les infractions concernées et la nature de l’aggravation.

Votre rapporteur souligne que cette rédaction serait une simple mise en forme du droit en vigueur. En effet, l’article 131‑26‑1 du code pénal ([60]) précise d’ores et déjà que la peine d’inéligibilité prononcée en répression d’une même faute est limitée à une durée de cinq années en droit commun, mais que cette durée est portée à dix années lorsque l’auteur est une « personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits » – ce qui constitue bien une circonstance aggravante.

La Commission a rejeté l’amendement du rapporteur ainsi que l’article 2.              

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Article 3
Application sur lensemble du territoire national

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 prévoit l’application des dispositions précédentes sur l’ensemble du territoire de la République, y compris les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution.

  Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté l’article 3.

1.   L’état du droit

L’article 74 de la Constitution prévoit que le statut des collectivités qu’il régit détermine « les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ». Ces collectivités sont en principe soumises au principe dit de « spécialité législative », en vertu duquel les lois et règlements n’y sont applicables que sur mention expresse. Il en va ainsi de la Polynésie française ([61]), de Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin ([62]), de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ([63]) et des îles Wallis et Futuna. La Nouvelle-Calédonie est également soumise au principe de spécialité législative, mais sur le fondement de l’article 77 de la Constitution précisé par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Les statuts de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint‑Pierre‑et‑Miquelon prévoient toutefois que la plupart des lois et règlements y sont applicables de plein droit en dérogation au principe de spécialité. On parle de « régime de l’Atlantique » ou de régime du « tout est applicable sauf... » ([64]). Il n’y a alors pas lieu, pour les textes concernés, de prévoir une mention particulière d’applicabilité.

La large autonomie dont dispose la Polynésie française, en vertu du statut de 2004 qui régit ce territoire, laisse toutefois subsister la compétence de l’État en matière de droit pénal et de procédure pénale ([65]). L’article 7 précise que, dans ces domaines, « sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin ».

Le droit applicable à la Nouvelle-Calédonie est très similaire : il confère expressément à l’État la responsabilité d’édicter les règles applicables à la procédure pénale ([66]) et au droit pénal ([67]), sous réserve d’en prévoir l’application par une mention expresse ([68]).

Enfin, la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer, dispose, en son article 4, que « le territoire des îles Wallis et Futuna est désormais régi (…) par les lois de la République et par les décrets applicables, en raison de leur objet, à lensemble du territoire national et, dès leur promulgation dans le territoire, par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires doutre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna ». Établi aux débuts de la Ve République, ce statut ne confère que peu de compétences aux autorités locales, au contraire des textes élaborés au cours des vingt dernières années. Les prescriptions dispensées de mention expresse pour leur application sont les lois nécessairement destinées à régir l’ensemble du territoire de la République ([69]), des approbations et des ratifications de traités et accords internationaux, des ratifications d’ordonnances ([70]) et des textes destinés à ne s’appliquer que dans une ou plusieurs collectivités d’outre-mer ([71]). La création d’un dispositif de nature pénale n’entre pas dans ce cadre.

2.   Les dispositions de la proposition de loi

Si le législateur a qualité pour imposer l’application de la loi pénale sur les territoires de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et des îles Wallis et Futuna, il doit expressément en prévoir la mention. L’article 3 de la proposition de loi prévoit, par conséquent, cette application.

3.   La position du Conseil d’État

Le Conseil d’État a recommandé au législateur de privilégier une mise à jour des « compteurs » pour l’application outre-mer figurant à l’article 711‑1 du code pénal et, le cas échéant, à l’article 804 du code de procédure pénale.

4.   La position de la Commission

En cohérence avec les votes émis sur les précédents articles, la Commission a rejeté l’amendement du rapporteur transcrivant les recommandations du Conseil d’État ainsi que l’article 3.

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 20 février 2019, la Commission examine la proposition de loi visant à renforcer lintégrité des mandats électifs et de la représentation nationale (n° 788) (M. Moetai Brotherson, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous allons examiner la proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine visant à renforcer l’intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale, texte dont M. Moetai Brotherson a été nommé rapporteur.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, avant d’être un élu, je suis, comme chacun d’entre vous, un citoyen, et c’est en tant que citoyen que j’ai entamé la réflexion qui a abouti à cette proposition de loi. Dans notre société démocratique, comme dans un couple, la base de la relation entre le peuple et les élus qui le servent, c’est la confiance. Lorsque celle-ci est altérée, le divorce est inévitable. Les citoyens connaissent la devise de la République, qui érige l’égalité en principe fondateur. Ces dernières années, à cause du comportement de quelques-uns, qui méconnaissent ce principe, c’est nous tous, à la faveur d’un amalgame favorisé par la résonnance et les raccourcis de la pensée qu’autorisent les réseaux sociaux, qui nous sommes retrouvés marqués du signe de la bête.

C’est avec beaucoup d’humilité, mais sans naïveté ni masochisme, que je vous présente cette proposition de loi. L’intention qui est la mienne est avant tout de contribuer à changer les mœurs et les sentiments qui n’en finissent pas de faire vaciller l’attachement du peuple à la démocratie représentative.

En 2017, le Gouvernement, fidèle à ses engagements de campagne, nous soumettait le projet de loi pour la confiance dans la vie politique. Pourtant, après son adoption, j’ai continué à entendre, outre-mer comme en métropole, la même remarque : « Si un élu détourne des millions deuros qui auraient dû aller à la sécurité de mes enfants dans la rue, à la santé de ma mère à lhôpital, à la création demplois pour les personnes qui ne peuvent plus se nourrir, il doit recevoir un carton rouge ! Sil recommence, la justice doit pouvoir lui dire que la partie est terminée, sans quil ait la possibilité de la recommencer. » C’est évidemment encore plus vrai s’il viole ou s’il tue.

Je vous soumets ce texte sans naïveté ni masochisme, disais-je. De fait, il ne s’agit pas de rendre définitivement inéligible un élu qui aurait donné un coup de pied dans une poubelle. Une simple erreur ne doit pas systématiquement entraîner l’inéligibilité. Mais je crois qu’aligner notre régime sur celui de nos concitoyens serait un signe fort de notre volonté de restaurer et de garantir la confiance entre le peuple et ses élus.

Lorsque cette proposition de loi a été déposée, en mars de l’an dernier, elle a été abondamment commentée. Une grande partie de ces commentaires me mettaient en garde : « Tu verras, aucun de tes collègues ne la votera parce quils sont tous pourris ! » À chaque fois, j’ai répondu : « Non, limmense majorité de mes collègues sont des citoyens et des élus attachés à la notion de probité et ils nont rien à craindre dune telle proposition de loi. » Ce n’est pas par goût douteux pour l’autoflagellation que je vous présente ce texte, mais bien pour nous permettre de dire tous ensemble au peuple qu’il peut avoir confiance dans ses élus et que l’ensemble d’entre eux ne sauraient être assimilés à quelques pommes pourries.

Contrairement à certains d’entre vous, fins bretteurs, je ne suis pas juriste de formation, mais ingénieur en informatique et télécommunications. J’ai donc procédé avec beaucoup d’humilité et de pragmatisme pour aboutir à une rédaction qui tienne compte à la fois des remarques des parlementaires que j’ai pu consulter, de l’avis du Conseil d’État saisi par le président de l’Assemblée nationale, des attentes des citoyens et des garanties démocratiques essentielles à une loi équilibrée. Dans ma circonscription, j’ai pu rencontrer l’ensemble des acteurs du système judiciaire pénal – du parquet au siège en passant par les avocats – et j’ai intégré à ma réflexion les remarques qui leur ont été inspirées par leur pratique quotidienne du droit.

Notre proposition de loi tend à compléter la loi pour la confiance dans la vie politique. Celle-ci dispose que le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité prévue aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal est obligatoire lorsque des sanctions sont décidées en répression des crimes ou des délits dont la liste figure à l’article 131-26-2 dudit code. On y trouve notamment l’abus de confiance, les infractions liées à l’utilisation des fonds publics, au financement des campagnes électorales.

Pour les délits mentionnés dans la loi pour la confiance dans la vie politique, nous proposons que l’inéligibilité encourue soit portée à trente années au plus. L’exemplarité des sanctions doit permettre de restaurer les liens entre la représentation nationale et les citoyens représentés. Les personnes investies d’un mandat électif ont vocation à représenter véritablement la nation. Si la Constitution, la démocratie et le peuple placent en eux la confiance nécessaire pour qu’ils s’expriment au nom de la République, l’élu et le titulaire de fonctions gouvernementales ont le devoir de respecter les valeurs du pacte républicain. Le non-respect de ces valeurs est l’une des raisons qui expliquent le désengagement des Français de la vie de la cité. Cette réalité prive la loi de sa signification primaire : être le reflet de la volonté du peuple.

La sanction se doit d’être suffisamment dissuasive pour garantir l’intégrité des titulaires de fonctions électives et gouvernementales, pour restaurer la confiance. Il s’agit, non d’augmenter de manière immodérée la charge des représentants du peuple ou de créer de nouvelles infractions, puisque l’arsenal législatif existe déjà, mais de faire en sorte que la sanction encourue soit à la mesure du préjudice qu’une personne détenant de telles fonctions cause à la nation en cas de faute. La sanction proposée se veut un outil supplémentaire pour le magistrat du siège, qui peut prononcer une peine d’inéligibilité adaptée aux circonstances de l’infraction. Elle élargit la faculté d’appréciation du juge sans automaticité.

L’article 1er prévoit également la faculté pour la juridiction de prononcer une peine pouvant aller jusqu’à l’inéligibilité à titre définitif. Cette peine exige une condition supplémentaire : la commission d’un crime ou de plusieurs des délits visés. Le fait de prendre la vie d’un citoyen dans des circonstances particulièrement graves donne lieu à une sanction – la réclusion criminelle à perpétuité – qui garantit la réparation de l’atteinte portée à la société, car le caractère sacré de la vie est le fondement de la collectivité. Dans une autre mesure, la gravité d’un comportement doit pouvoir aboutir à une inéligibilité visant à réparer proportionnellement l’atteinte à la confiance des citoyens. Selon nous, c’est un pas nécessaire vers la restauration de la confiance.

Parallèlement à cette possible aggravation des peines, il nous a paru important de respecter le principe, non écrit mais largement admis, du droit à une seconde chance. Nous prévoyons la possibilité d’un relèvement qui, d’une part, est un prérequis pour respecter le droit de tout justiciable à la révision de sa condamnation, et qui, d’autre part, renforce la constitutionnalité du dispositif.

L’article 2 prévoit la création d’une circonstance aggravante. Enfin, l’article 3 rend le dispositif applicable sur l’ensemble du territoire national.

Telles sont, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais vous soumettre en guise d’introduction. Nous aurons bien entendu l’occasion de discuter chacun des articles de la proposition de loi lors de l’examen des amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons entendre les orateurs des groupes.

M. Rémy Rebeyrotte. Cette proposition de loi vise à renforcer l’exigence d’intégrité à laquelle les membres du Gouvernement et les élus sont soumis dans l’exercice de leur mandat et de leurs fonctions. Nous souscrivons tous, ici, je crois, à l’objectif fixé.

Vous suggérez, monsieur le rapporteur, de porter de dix à trente ans la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité instituée par la loi de décembre 2016 pour certains crimes et délits, dont la liste a été étendue par la loi du 15 septembre 2017. Votre texte prévoit même une peine d’inéligibilité à vie si l’infraction suit ou accompagne la commission d’une autre de ces infractions. Vous proposez, en outre, un régime particulier de relèvement qui peut être sollicité tous les dix ans.

Le Conseil d’État a été saisi de votre proposition de loi. Si, dans son avis, il ne juge pas inconstitutionnels la plupart des dispositifs proposés, il souligne toutefois le risque d’une inflation législative dans le domaine concerné. « Il est permis de sinterroger », estime-t-il ainsi, « sur lopportunité de modifier le régime de la peine complémentaire obligatoire dinéligibilité si peu de temps après son entrée en vigueur » et après qu’il a été complété, ajouterai-je, en septembre 2017. En effet, il convient tout d’abord d’évaluer le dispositif existant, le nombre des peines prononcées, leur efficacité et la durée des enquêtes.

La loi de 2017, qui portait sur bien d’autres aspects de la moralisation de la vie publique – exercice des mandats parlementaires, embauche de collaborateurs, financement de la vie politique… – ne faisait que préciser efficacement, en complétant la liste des crimes et délits concernés, la loi de décembre 2016. Or, cette fois, il s’agit de remettre en cause, avant toute évaluation, l’équilibre des peines, puisqu’on va jusqu’à proposer une inéligibilité à vie. Le Conseil d’État ne s’est pas opposé à ce principe. Toutefois, il souligne la nécessité d’appliquer concrètement les lois de 2016 et 2017 et de les évaluer. Je dirais, pour employer une expression triviale, qu’il nous incite à ne pas pratiquer la « course à l’échalote » des peines et à stabiliser le droit, notamment par égard pour les juges. Il importe en effet que la loi ne soit pas révisée tous les dix-huit mois.

À ce stade, le groupe La République en Marche, vous l’aurez compris, n’est pas favorable à cette proposition de loi. Votre texte soulève, par ailleurs, d’autres questions tout à fait légitimes, notamment sur le lien entre l’inéligibilité et les autres condamnations pénales ou sur le relèvement de la peine.

Nous nous prononcerons contre le texte en l’état mais, ce faisant, nous ne vous opposons pas une fin de non-recevoir ; nous laissons la porte ouverte au cas où nous nous apercevrions que nous ne sommes pas allés assez loin en 2016 et en 2017 et qu’il faut renforcer le dispositif actuel. Pour l’instant, il convient d’assurer la stabilité du droit et d’appliquer les dispositions en vigueur.

M. Raphaël Schellenberger. S’il est vrai que la période actuelle est marquée par la défiance de nos concitoyens envers les institutions, le groupe Les Républicains estime qu’il est de notre responsabilité de restaurer la confiance. Plusieurs dispositions ont déjà été prises à cette fin : je pense aux lois de 2013 sur la transparence de la vie publique et de 2017 pour la confiance dans la vie politique. Ces textes ont largement accru le risque encouru par les élus fautifs. L’arsenal législatif existe et il ne faudrait pas donner le sentiment en votant, chaque année ou presque, une loi sur le sujet que ces turpitudes sont chose commune. La quasi-totalité des élus sont justes envers leurs concitoyens et ne cherchent pas à tirer un profit personnel de l’exercice de leur mandat. Remettre l’ouvrage sur le métier alors qu’aucune condamnation n’a été prononcée, qu’aucun fait nouveau n’est survenu et que les dispositifs existants sont vraisemblablement dissuasifs, ce serait alimenter l’inflation législative.

On comprend bien, monsieur le rapporteur, l’intérêt et l’opportunité de cette discussion quelques mois avant que M. Gaston Flosse redevienne éligible. Vous faites mine de vous étonner de mon propos mais, si l’enjeu de cette proposition de loi est de discuter d’un cadre général conçu pour s’appliquer à une situation particulière, je précise que la loi pénale n’est pas rétroactive. Nous devons nous garder, singulièrement au sein de la commission des Lois, d’adopter des textes de circonstance. Ce n’est pas parce que l’inéligibilité de M. Flosse arrivera à son terme en juillet 2019 que nous devons remettre en question un système qui semble largement fonctionner puisque, depuis l’entrée en application des derniers textes, aucun manquement à la probité n’a été constaté dans la classe politique.

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le rapporteur, je souhaite saluer le travail que vous avez accompli, notamment dans le cadre de vos auditions, qui ont permis de nourrir une réflexion plus large sur le sujet qui nous occupe. Il me semble également important de souligner vos efforts répétés pour associer l’ensemble des membres de la commission des Lois à vos travaux et créer les conditions propices à un débat éclairé.

Il convient de replacer la proposition de loi dans un contexte plus large en rappelant les mesures adoptées au cours des premières semaines de la législature, mesures qui constituaient la traduction de la volonté politique de regagner la confiance des Français. Nous avons élargi le périmètre des infractions entraînant une inéligibilité et rendu obligatoire sa mention au casier judiciaire. Dans la continuité de certaines des mesures de la loi relative à la transparence de la vie publique, nous avons renforcé l’arsenal législatif existant pour réaffirmer l’incompatibilité de certains comportements avec l’exercice d’un mandat.

Un an après l’adoption de cette loi, vous présentez un texte qui se veut encore plus ambitieux, au risque, sans doute, de l’être un peu trop. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM), dont vous savez l’attachement à ce type de mesures, ne méconnaît pas la nécessité de renforcer la confiance en garantissant la transparence et la probité dans l’exercice des mandats électifs publics et les fonctions gouvernementales. Toutefois, l’une des dispositions de votre proposition de loi nous empêche d’envisager d’apporter à celle-ci un soutien plein et entier : je veux parler de l’article 2 qui fait de l’exercice d’un mandat ou d’une fonction gouvernementale une circonstance aggravante. Nous ne pouvons, en effet, souscrire à l’idée que l’aggravation d’une peine soit déconnectée de l’infraction qui la provoque. De même, comme il est précisé dans l’avis du Conseil d’État, il semble assez difficile d’imaginer qu’une circonstance aggravante soit également un élément constitutif d’une infraction. Je n’insisterai pas sur la dernière difficulté soulignée par le Conseil d’État qui a trait à la peine découlant de cette potentielle nouvelle circonstance aggravante.

Plusieurs autres éléments du texte nécessitent sans doute d’être réécrits. C’est la raison pour laquelle le groupe MODEM attend beaucoup de nos discussions. Nous espérons qu’un compromis pourra être trouvé et que nos débats aboutiront à une nouvelle rédaction attentive aux préconisations du Conseil d’État.

Mme Nicole Sanquer. La proposition de loi dont nous débattons porte un titre évocateur, qui semble devoir susciter une adhésion sans réserve tant cet objectif est louable. En effet, notre démocratie a besoin d’élus probes et intègres ; quant à ceux dont l’honnêteté ne serait pas la première des vertus, ils doivent être sanctionnés à la juste mesure de leurs actes.

Dans la lutte contre toute forme de corruption et d’abus dans le cadre de fonctions électives ou gouvernementales, nous avons déjà fait un long chemin. Les lois successives pour la moralisation et la confiance dans la vie publique ont posé les pierres d’un édifice tendant à l’exemplarité. Il est désormais établi qu’un homme politique qui a enfreint des lois peut être pénalement sanctionné ; c’est une bonne chose. Une fois cela affirmé, il nous faut regarder de plus près cette proposition de loi qui appelle de nombreuses remarques.

En ce qui concerne son article 1er, nous ne sommes pas fondamentalement opposés à l’augmentation du quantum des peines d’inéligibilité, mais les dispositifs créés par les lois précédemment citées sont trop récents pour être évalués. Nous pouvons nous interroger sur l’opportunité de modifier à nouveau leur régime. En outre, il paraît difficile de comprendre la cohérence de la disposition relative à l’inéligibilité à vie, dans la mesure où cette peine pourrait être encourue pour le cumul de deux délits faiblement sanctionnés alors qu’un seul crime, pourtant plus sévèrement réprimé, ne donnerait lieu qu’au prononcé d’une inéligibilité de trente ans.

À l’article 2, vous proposez une grande innovation. Toutefois, la création d’une circonstance aggravante tenant à l’exercice d’une fonction de membre du Gouvernement ou d’un mandat électif au moment de la commission d’une infraction soulève des questions fondamentales. Considère-t-on que l’élu est un citoyen comme les autres et qu’il n’a pas à subir une peine plus élevée du fait de son statut, ou que le statut d’élu implique un devoir d’exemplarité ? Si, dans son avis sur cette proposition de loi, le Conseil d’État ne semble pas voir d’obstacle dirimant à cet article 2, il évoque tout de même quelques points d’achoppement : quid des infractions pour lesquelles la qualité d’élu est déjà un élément constitutif ? Quid de la détermination de la peine résultant de la circonstance aggravante ?

Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez présenté ce texte comme une proposition de loi pour l’inéligibilité à vie des élus corrompus. Or, force est de constater que cela ne correspond pas exactement à son contenu. À ce stade, votre texte comporte des imprécisions. Si son objectif suscite l’adhésion, le groupe UDI, Agir et Indépendants souhaite que le débat permette de clarifier vos intentions et d’apporter les précisions nécessaires.

M. Hervé Saulignac. Le groupe Socialiste et apparentés souscrit, sur le fond, à l’esprit de cette proposition de loi. Il est nécessaire que les élus soient exemplaires et que soient appliquées à ceux qui ne le seraient pas des sanctions telles que personne ne puisse laisser entendre qu’il y aurait, dans ce pays, une justice à deux vitesses. Or, ce sentiment est encore beaucoup trop partagé par un certain nombre de nos concitoyens et accrédite l’idée d’une caste politique organisée pour s’auto-protéger et qui serait au-dessus des lois, tandis que le peuple serait jugé avec beaucoup moins de clémence. Il faut se méfier d’un tel sentiment qui ne correspond pas toujours à la réalité. De fait, plusieurs collègues ont rappelé combien le cadre législatif avait évolué favorablement. Pourtant, c’est indéniable, ce sentiment subsiste, nourrit le rejet des représentants et alimente un antiparlementarisme qui rejaillit sur une bonne partie des élus.

Il nous incombe d’être exemplaires et d’exiger de la justice qu’elle le soit également dans ses jugements à l’égard des élus qui ne l’ont pas été dans l’exercice de leur mandat. Nous devons rappeler une réalité méconnue : les lois relatives à la transparence de la vie publique ont considérablement amélioré le pouvoir de contrôle et imposé aux élus des règles strictes, au respect desquelles veille la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

L’enjeu est bien l’égalité. Mais si aucun élu n’est au-dessus des lois, aucun élu ne doit être au-dessous des lois. Or, si nous créons en quelque sorte une justice d’exception pour les élus – nous n’en sommes pas loin –, nous accréditons l’idée d’une justice à deux vitesses, et rien ne dit que certains ne réclameront pas, demain, une justice adaptée pour les patrons qui auraient fauté, pour les fonctionnaires qui auraient fauté, pour les banquiers qui auraient fauté ! Bien entendu, nous devons combattre sans ambiguïté tout privilège qu’un élu pourrait tirer de son statut, mais celui-ci ne saurait constituer une circonstance aggravante. Nous devons prévoir toutes les garanties nécessaires pour que la justice prononce les justes sanctions contre les élus qui auraient commis des fautes, mais nous ne devons pas céder à l’air du temps. Il serait dangereux d’imaginer que certains citoyens soient tenus à une exemplarité d’exception qui relèverait d’une justice d’exception.

Aussi, plutôt que d’intervenir sur le terrain pénal, cette proposition de loi aurait-elle pu s’inscrire dans le champ électoral et s’attacher à définir les conditions d’éligibilité de tout citoyen. En effet, la véritable mesure de justice, celle qui serait intelligible pour la plupart de nos concitoyens et que de nombreux Français plébiscitent, consisterait, nous semble-t-il, à exiger des élus un casier judiciaire vierge. Le groupe Socialistes et apparentés a défendu cette mesure à plusieurs reprises, notamment lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique. En effet, pour accéder à près de quatre cents métiers, il faut n’avoir fait l’objet d’aucune condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Pourquoi cette exigence ne s’imposerait-elle pas à tout citoyen qui veut briguer une fonction élective ? C’était une promesse du Président de la République mais la majorité a finalement revu sa position sur ce point. Il est d’autant plus regrettable, monsieur le rapporteur, que vous n’ayez pas choisi de rouvrir ce débat qu’une telle mesure ne peut être proposée par voie d’amendement car les conditions d’éligibilité relèvent d’une loi organique.

Pour ces différentes raisons et bien que nous partagions sur le fond votre intention, nous nous abstiendrons lors du vote sur votre proposition de loi.

M. André Chassaigne. Cette proposition de loi, présentée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) que je préside, et défendue par notre collègue Moetai Brotherson, a été cosignée par tous les membres de mon groupe. Nous la soutenons avec une forme de fierté qui m’incite, d’une part, à revenir sur le fondement de ce texte et, d’autre part, à m’élever contre certains propos tenus par les orateurs précédents.

Je considère l’affirmation selon laquelle cette proposition de loi serait un texte de circonstance comme une insulte. S’il peut arriver à certains de présenter des textes de circonstance, tel n’est pas le cas du groupe GDR. Je le dis clairement : il en va de la conception que nous avons de notre mandat. Je m’élève donc contre cette analyse, qui n’a d’autre fin que de dévaloriser cette proposition de loi.

Par ailleurs, d’aucuns estiment que le texte ferait du statut d’élu une circonstance aggravante. Or, ce n’est pas vraiment le sens de cette proposition de loi. L’article 1er, par exemple, prévoit une peine complémentaire d’inéligibilité en cas de crime ou de délit lorsque ceux-ci sont commis par un élu ou un membre du Gouvernement. Inéligibilité : cette peine complémentaire a bien un lien avec l’exercice d’un mandat électoral. La distorsion ne me paraît donc pas scandaleuse par rapport au commun des mortels.

En ce qui concerne la circonstance aggravante, l’article 2 précise bien qu’elle tiendrait à l’exercice d’une fonction de membre du Gouvernement ou d’un mandat électif public.

C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que nous avons souhaité que le texte soit soumis au Conseil d’État – fait exceptionnel, je tiens à le souligner. Combien de députés, en effet, ont eu le courage de soumettre, dans un souci de transparence, leurs propositions de loi au Conseil d’État ? Cette procédure remonte à la révision constitutionnelle de 2008. Je crois qu’elle a été utilisée au total une dizaine de fois, la plupart du temps par des membres de la majorité dans le cadre de propositions de loi élaborées en accord avec le Gouvernement. Pour le reste, elle a dû être employée pour deux textes : l’un que j’avais défendu il y a quelques années, l’autre qui est celui de Moetai Brotherson.

Ne vous appuyez surtout pas sur les observations du Conseil d’État en vous arrêtant uniquement sur les dispositions qui seraient déclarées non conformes : si nous avons soumis le texte au Conseil d’État, c’est justement pour que notre rapporteur puisse présenter des amendements répondant à ses observations de façon à éviter, dans un cadre comme celui de la commission des Lois, des remises en cause portant sur le caractère anticonstitutionnel de nos propositions.

Par ailleurs – et, là encore, je rebondis sur les interventions précédentes même si le rapporteur y répondra sur le fond –, notre proposition de loi n’est pas en opposition avec tout ce qui a été mis en place depuis plusieurs années, notamment le dispositif visant à prévenir les conflits d’intérêts ou encore le renforcement de la transparence financière. Nous nous réjouissons de ces avancées obtenues au cours de cette législature et de la précédente. Nous nous inscrivons dans la même logique, en prévoyant le durcissement des peines d’inéligibilité applicables aux élus et aux membres du Gouvernement. Nous poursuivons nous aussi l’objectif de lutte contre les conflits d’intérêts en apportant une pierre supplémentaire – inutile de dire que, dans ce domaine, il est nécessaire d’améliorer continuellement les dispositifs.

Certes, l’examen de ce texte intervient dans un contexte grave, marqué par l’antiparlementarisme et la remise en cause de la probité des élus. Mais si l’on veut redonner confiance au peuple, lever la suspicion, il est plus que jamais nécessaire de voter des textes forts – et celui-ci en est un.

M. Paul Molac. La proposition de loi vise à améliorer les relations entre les élus et le peuple. Pour certains, le divorce est consommé ; d’autres reconnaissent tout de même le travail des représentants – surtout ceux qu’ils connaissent, d’ailleurs. En effet, ces personnes, quand vous les croisez, écorchent les élus mais vous disent à la fin : « On ne dit pas ça pour vous ; vous, on vous connaît. » Le lien entre les citoyens et l’élu est particulièrement important ; la confiance ne peut se tisser que par un lien direct.

Notre collègue Raphaël Schellenberger a parlé de M. Gaston Flosse, dont les turpitudes sont arrivées jusqu’en métropole, ce qui n’est pas très courant, force est de le reconnaître. L’affaire a été suffisamment choquante pour que nous votions une loi : il ne fallait pas que de telles choses se reproduisent. De fait, des cas comme celui-ci sont très préoccupants.

La proposition de loi a un objet relativement limité, ce qui est normal : on ne peut pas tout mettre dans un texte de cette nature. Elle vise à aggraver les sanctions. Le problème est effectivement celui de l’exemplarité des élus. En n’étant pas exemplaires, nous jouons avec le feu : nos concitoyens attendent de nous, dès lors que nous les représentons, que nous soyons plus vertueux qu’ils ne le sont eux-mêmes. Certains qui nous disent : « Tous pourris ! » feraient mieux de se regarder : ils s’apercevraient que nous le sommes beaucoup moins qu’eux. La plupart, pour ne pas dire l’immense majorité des élus, font bien leur travail et ont un bon esprit, ils exercent leur mandat avec conscience ; il est important de le dire.

Je souhaiterais ouvrir le débat sur ce qui constitue, à mon avis, l’un des principaux manques de la loi de moralisation de 2017 : je veux parler du fait que nous n’avons absolument pas touché à la haute administration – ce qu’un certain nombre de nos concitoyens nous reprochent. En effet, il existe des collusions avec les grandes entreprises et des conflits d’intérêts, notamment du fait du pantouflage. Certains de nos concitoyens ne sont pas dupes. D’ailleurs, ils nous le disent : « Est-ce vraiment vous qui gouvernez, ou bien, finalement, nest-ce pas ladministration qui prend à votre place des décisions que vous vous contentez davaliser, parce que vous êtes un peu coincés ? Vous ne nous défendez pas réellement. » Il faudra donc absolument se pencher sur la moralisation de la haute fonction publique. Nous avons fait le travail pour les élus ; il reste beaucoup à faire s’agissant des élites issues des grandes écoles.

M. Arnaud Viala. On ne peut que souscrire, bien entendu, à la volonté de rétablir le lien de confiance entre nos concitoyens et les élus. De fait, ce lien est abîmé : il y a beaucoup de suspicion. Je voudrais vous livrer deux réflexions sur le sujet.

D’abord, il me semble qu’il faut cesser d’alimenter en permanence la défiance. Nous avons passé beaucoup de temps, en commission des Lois et dans l’hémicycle, à débattre de la loi pour la confiance dans la vie politique – texte qu’un grand nombre d’entre nous ont voté, précisément pour améliorer les conditions d’exercice des mandats et accroître la transparence. Nous sommes dans une période où beaucoup de questions se posent quant à la façon dont les élus exercent leurs fonctions, mais il me semble qu’à force de pointer du doigt les quelques-uns – car ce sont des exceptions – qui se comportent mal, de déposer des propositions de loi, de lancer des débats très médiatisés, on accroît encore et toujours la défiance des Français vis-à-vis de ceux qui les représentent.

Ensuite, lorsqu’il est question des élus – je rejoins ce que disait M. Paul Molac à l’instant –, il n’y a pas que les parlementaires. Même si l’on constate, effectivement, une vague d’antiparlementarisme, méfions-nous, une fois encore, de ne pas la nourrir : le Parlement reste le lieu où, au niveau national, la démocratie s’exprime. On abîme sa fonction par certaines prises de parole intempestives. En outre, on oublie qu’aux côtés des élus, d’autres catégories de hauts responsables doivent eux aussi faire la démonstration de leur probité dans l’exercice de leurs fonctions.

Pour ces raisons, je voudrais vraiment que l’on limite la quantité de débats sur ce thème et que l’on tranche une fois pour toutes.

M. Sébastien Huyghe. Pour abonder dans le sens de notre collègue Arnaud Viala, je pense moi aussi qu’un cadre général a déjà été fixé et renforcé avec la loi pour la confiance dans la vie politique. Il faut cesser de toujours vouloir faire plus et de verser dans l’autoflagellation. Comme l’ont dit plusieurs intervenants, la grande majorité des élus font preuve de probité et, en remettant sans arrêt le sujet sur la table, on jette davantage encore la suspicion plutôt qu’on ne résout des problèmes.

En outre, à l’heure des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu, nos concitoyens sont informés des malversations dont quelques élus – car ce sont des exceptions – se sont rendus coupables et des condamnations prononcées. En définitive, cette proposition de loi me fait l’effet d’être un texte relatif non pas à la confiance dans les élus, mais plutôt à la défiance vis-à-vis des électeurs : ces derniers disposent de tous les moyens nécessaires pour être informés des exactions commises par les élus. Il faut leur faire confiance pour ne pas reconduire des gens qui auraient trahi leur confiance.

M. Bruno Questel. Comme à Levallois-Perret ?

M. Éric Diard. J’entends bien les propos du rapporteur et je comprends la problématique, dont la Polynésie française est un bon exemple, de l’instabilité engendrée par certains agissements. Le fait que certaines personnes, bien qu’elles aient été mises en cause – voire condamnées –, conservent le pouvoir indéfiniment, ne saurait être toléré à l’avenir. Toutefois, je voudrais abonder dans le sens des intervenants précédents : faisons attention à ne pas nous lancer dans une course sans fin. Prenons garde également à ne pas citer trop souvent l’exemple des députés car ils subissent l’opprobre pour tout le monde.

J’attends, moi aussi, beaucoup de la réforme de la fonction publique, en particulier de la haute fonction publique. Comme les collègues qui m’ont précédé, je juge inadmissibles certains cas de pantouflage. De même, certains niveaux de rémunération sont inacceptables : qu’un haut fonctionnaire gagne trois fois plus que le chef de l’État ne me paraît pas justifié. Les hauts fonctionnaires doivent eux aussi être exemplaires.

Mme Laurence Vichnievsky. Nous comprenons tous la philosophie de cette proposition de loi. Effectivement, il est encore plus grave de commettre un certain nombre d’infractions lorsqu’on est ministre ou élu. Cela dit, la possibilité de s’amender, de se réinsérer, de progresser en termes de moralité doit être offerte à tous dans notre République, y compris aux élus.

Au moment de la discussion du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, j’avais dénoncé une lacune dans notre législation s’agissant de la fraude fiscale. Peut-être vous en souvenez-vous. J’ai donc profité de l’examen de cette proposition de loi pour déposer un amendement, cosigné par plusieurs membres de mon groupe, qui vise à rendre inéligibles les personnes condamnées pour fraude fiscale, même si cette fraude n’a pas été commise en bande organisée et même si les fraudeurs n’ont pas ouvert de compte à l’étranger, créé des sociétés écrans ou encore fait usage de faux documents. Dès lors qu’on a été condamné pour fraude fiscale, on doit encourir une peine d’inéligibilité. Un amendement similaire avait rencontré un certain écho au moment de nos discussions dans l’hémicycle sur le projet de loi pour la confiance dans la vie politique.

M. Jean-Luc Warsmann. Je ne suis pas favorable, moi non plus, à ce que nous nous lancions dans une « course à l’échalote ». Cela dit, mes chers collègues, il faut que notre législation soit adaptée à toutes les situations : chaque fois que nous laissons la possibilité à quelques-uns de faire des choses scandaleuses et relevant de la délinquance, cela retombe sur tout le monde. Je voudrais également apporter un témoignage personnel. Quand j’occupais votre fonction, madame la présidente, j’ai reçu un jour M. Gaston Flosse accompagné de deux députés de son territoire. Ces derniers n’ont pas dit mot et, pendant une demi-heure, M. Flosse m’a passé des commandes : il fallait supprimer tel article, présenter tel amendement. Je lui ai expliqué que l’époque où l’on venait ainsi « faire ses courses » à Paris était révolue. Voilà comment les choses se passaient avant : c’est ainsi que l’on a créé de l’impunité avec tous les dysfonctionnements qui en ont découlé.

Ensuite, je souhaite profiter de cette intervention pour évoquer un sujet connexe mais qui a été abordé par plusieurs collègues : il existe un vide du fait de l’irresponsabilité financière des présidents d’exécutifs territoriaux et des ministres. C’est un véritable sujet, y compris s’agissant de la haute fonction publique. Si vous en parlez à un directeur d’administration centrale, il vous dira la chose suivante : « Si un jour on me poursuit pour une mauvaise décision, ma défense sera simple : je dirai que jai reçu un ordre du ministre ; comme celui-ci est irresponsable, laffaire sarrêtera là. » Le climat actuel étant ce qu’il est, la Commission s’honorerait à remettre le sujet à l’ordre du jour. Alors que nos concitoyens veulent de la rigueur dans la gestion de l’argent public, il ne me choquerait pas qu’un décideur soit responsable financièrement de ses choix. Une sanction doit pouvoir être prononcée par les juridictions financières : il ne s’agit pas nécessairement de lui demander de rembourser, mais il faut qu’il puisse être sanctionné.

M. Rémy Rebeyrotte. Concernant ce dernier point, c’est l’un des éléments dont nous aurons sans aucun doute à débattre dans le cadre de la révision constitutionnelle.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Je ne répondrai pas à tous ; je me contenterai d’une réponse globale. Il me semble avoir moi-même dit, dans mon propos introductif, qu’il ne s’agissait pas de verser dans l’autoflagellation. Il ne s’agit pas non plus de pointer du doigt seulement les députés. La proposition de loi ne vise pas à les punir seuls : tous les élus sont concernés.

Il ne s’agit pas davantage de créer une justice d’exception. Quant au fait de sanctionner les patrons et les hauts fonctionnaires, il me semble qu’il existe déjà des sanctions spécifiques. Les patrons peuvent faire l’objet d’une interdiction de gérer et les hauts fonctionnaires peuvent être révoqués.

En ce qui concerne la circonstance aggravante, nous pouvons en débattre – nous sommes là pour cela. Je voudrais toutefois prendre l’exemple de la violence envers les femmes. Nous sommes tous d’accord, ici, me semble-t-il, pour considérer qu’elle est inacceptable. Or, il me semble qu’elle l’est encore plus quand elle est le fait d’un élu parce que cela donne un exemple déplorable aux générations futures. Le peuple nous regarde – un peu trop, peut-être, du fait des réseaux sociaux et des médias, mais c’est un fait : nous nous devons d’être exemplaires.

J’accepte volontiers certaines remarques portant sur la rédaction du texte. C’est la raison pour laquelle, comme l’a souligné le président Chassaigne, nous avons tenu à le soumettre au Conseil d’État. Vous verrez, lors de l’examen des amendements, que nous avons tenu compte de son avis et que nous nous efforçons de lever les doutes qu’il a exprimés.

La Commission en vient à lexamen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. 131-26-1 du code pénal) : Peine complémentaire dinéligibilité

La Commission examine lamendement CL10 rectifié du rapporteur.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Cet amendement inaugural est certainement le plus important de ceux que j’ai déposés. Il vise précisément, comme je le disais à l’instant, à mettre en application les recommandations du Conseil d’État et les demandes des magistrats judiciaires que nous avons auditionnés.

Tout d’abord, nous actualisons le code pénal en inscrivant dans le texte la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel, saisi de la loi pour la confiance dans la vie politique, concernant la peine automatique d’exclusion de la fonction publique – c’est l’objet du dernier alinéa de l’amendement.

Ensuite et surtout, nous repensons l’échelle de l’inéligibilité. Celle-ci serait de trente ans pour les délits que le Parlement a énumérés en 2017, et définitive en cas de crime, de récidive ou de concours réel d’infractions. Je vous ai communiqué l’avis du Conseil d’État : celui-ci est explicite quant au fait que l’inéligibilité définitive est conforme à la Constitution. J’ai plaisir à vous signaler également que, lors des débats de 2013, c’était aussi la position du gouvernement socialiste, de même que celle de notre ancien collègue M. Laurent Wauquiez : tous défendaient cette évolution. Il n’y a aucun obstacle juridique.

Quant à l’argument de l’opportunité, je note avec intérêt que la majorité n’a vu aucune objection à faire évoluer en 2017 la peine d’inéligibilité qui venait d’être réformée coup sur coup en 2013 et en décembre 2016. Je partage les arguments de grande qualité qui avaient été avancés à l’époque pour justifier cette démarche par Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et par les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je n’ai pas l’impression que la demande d’exemplarité soit moins forte qu’il y a dix-huit mois. J’appelle chacun à la cohérence par rapport aux propos tenus dans l’hémicycle il y a un an et demi – et, par voie de conséquence, à voter cet amendement.

M. Rémy Rebeyrotte. Premièrement, je voudrais apporter une précision : la loi de 2017 a accru le nombre des infractions auxquelles la loi de 2016 devait s’appliquer, même si nous aurons tout à l’heure un débat sur l’opportunité de revoir la liste. En revanche, elle n’a pas remis en cause l’équilibre des peines adopté par le Parlement en décembre 2016. La logique, en termes juridiques, n’est donc pas du tout la même qu’aujourd’hui.

Deuxièmement, nous voterons contre cet amendement, de la même manière que nous voterons contre le texte dans son ensemble. En effet, notre position consiste à dire qu’il faut voir comment les textes de 2016 et 2017 sont mis en application et procéder à leur évaluation le moment venu. Il ne s’agit pas du tout de vous opposer une fin de non-recevoir : nous voulons voir comment le dispositif s’adapte en fonction des décisions d’ores et déjà prises. Au demeurant, il ne faut pas se lancer dans une course à l’échalote – l’expression a été utilisée à plusieurs reprises –, d’ailleurs virtuelle, d’une certaine manière, puisque nous ne disposons pas encore des éléments permettant d’évaluer les conséquences du texte précédent.

Enfin, le Conseil d’État s’est beaucoup interrogé sur le lien entre inéligibilité et condamnation pénale. Il s’est demandé s’il faut, en matière d’inéligibilité, établir une hiérarchie au regard des crimes et délits et de leur importance, ou bien s’il convient de laisser au juge le soin de juger en lui donnant la possibilité de renforcer l’inéligibilité – ce qui revient à faire en sorte que la personne concernée ne puisse plus nuire – tout en étant moins sévère en matière de peine principale. Ces questions vont sans doute compter parmi nos sujets de réflexion à l’avenir : je vous remercie donc pour le travail que vous avez engagé.

M. André Chassaigne. Je voudrais faire une observation à la suite de l’intervention de notre collègue Rémy Rebeyrotte. J’ai une certaine ancienneté à l’Assemblée nationale. Il m’est arrivé maintes fois, même si je ne votais pas un texte parce que j’étais opposé à son orientation générale, de soutenir certains amendements quand je considérais qu’ils permettaient de l’améliorer. Il me paraît parfaitement contradictoire, après avoir relevé les insuffisances du texte dans une première intervention et souligné que le Conseil d’État avait fait des observations, de repousser un amendement du rapporteur tenant compte, précisément, de ces observations et visant à faire évoluer la rédaction. Je ne comprends vraiment pas que le groupe majoritaire puisse s’opposer à des amendements qui vont dans le bon sens quand bien même, en définitive, il voterait contre le texte – à moins que vous ne vouliez pas faire évoluer le texte afin de justifier, ensuite, le fait de ne pas le voter.

La Commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL2 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. L’instauration d’une durée plancher de cinq ans d’inéligibilité me semble importante si l’on veut doter la mesure d’un réel aspect coercitif. En cinq ans, un certain nombre d’élections peuvent avoir lieu que ce soit à l’échelon local, national ou européen. Une durée minimale de cinq ans pour la peine d’inéligibilité permet l’écoulement d’un délai suffisamment long pour que la personne concernée puisse démontrer qu’elle remplit à nouveau les conditions d’exemplarité nécessaires à l’exercice d’un mandat, quel qu’il soit. Elle permet, par ailleurs, de donner à la peine une véritable effectivité en ôtant à la personne concernée toute possibilité de se présenter à n’importe quelle élection qui interviendrait dans l’intervalle. En effet, le prononcé d’une peine d’inéligibilité d’un an n’a, par exemple, pas réellement de sens, à moins qu’une élection décisive pour la personne concernée n’intervienne dans ce court laps de temps.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Chère collègue, vous proposez que la peine d’inéligibilité soit au minimum de cinq ans, ce qui est contraire à la Constitution : le juge pénal doit toujours avoir la faculté de moduler la sanction, voire de l’écarter s’il estime que les circonstances le justifient. J’ajoute que cet amendement donnerait à la loi une tournure rigoriste qui est à l’exact opposé de l’objectif qui est le mien : je souhaite la sévérité avec les escrocs avérés, pas la sanction sans pitié de la moindre étourderie. Par exemple, quand vous êtes conseiller municipal d’un village et à ce titre président d’honneur d’un club sportif, le fait de prendre part au vote des subventions municipales vous rend coupable de prise illégale d’intérêts. Or, personne ne demande cinq années d’inéligibilité pour ce type d’affaires, qui se soldent généralement par une amende avec sursis. Avis défavorable.

M. Rémy Rebeyrotte. Je comprends la réflexion du président Chassaigne. J’ai senti chez le rapporteur, en travaillant avec lui, la volonté de faire œuvre utile et non celle de faire de l’affichage. Si nous sommes, à ce stade, opposés aux amendements, c’est parce que nous sommes opposés au texte en lui-même, mais cela ne veut pas dire que le travail de fond n’aura pas été engagé. Je peux affirmer que nous avons apprécié votre contribution.

M. André Chassaigne. Ce n’est vraiment pas ma conception du travail législatif : on peut se prononcer dans tel ou tel sens sur le texte final tout en travaillant pas à pas sur le contenu, en essayant de l’adapter – en l’occurrence, il s’agit de tenir compte des observations du Conseil d’État. Vous, vous votez contre des amendements dont vous considérez qu’ils vont dans le bon sens. Ce n’est pas du tout, je le répète, ma conception. Je trouve même votre démarche d’une extrême gravité : elle remet en cause, au nom de la volonté majoritaire, tout le travail que l’on peut faire sur un texte. Vous mettez en cause la dignité de notre fonction.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine alors lamendement CL3 de Mme Marie-France Lorho.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Si cet amendement peut sembler logique, il est en retrait par rapport à mon amendement CL10. Le Conseil d’État m’a convaincu qu’en raison de l’échelle des peines, il était cohérent d’attacher l’inéligibilité définitive à un crime dès la première occurrence, sans attendre le principe d’une récidive.

La Commission rejette lamendement.

Elle rejette ensuite larticle 1er.

Après larticle 1er

La Commission examine lamendement CL9 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. J’ai déjà dit quelques mots de l’objectif de cet amendement. Je voudrais ajouter que les débats parlementaires récents concernant le verrou de Bercy – lequel a été supprimé, prétend-on, alors que je considère qu’il a simplement été aménagé ; mais là n’est pas la question – ont fait apparaître que très peu de délinquants fiscaux étaient poursuivis. Je laisse à l’appréciation de mes collègues le cas du délinquant fiscal ayant agi en bande organisée ou ayant eu recours aux différents artifices que j’ai évoqués tout à l’heure – sociétés écrans, faux : bref, toute la panoplie de celui qui recherche le paradis fiscal. Le présent amendement vise à dire qu’un élu de la République ne peut pas avoir été convaincu de fraude fiscale : il s’agit donc d’élargir le champ, trop restreint lors du débat sur la loi pour la confiance dans la vie politique. En l’état actuel des textes, la disposition frappant un fraudeur d’inéligibilité est assez vaine.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement. Il me semble qu’en matière de fraude fiscale, l’élément qui doit disqualifier une personne pour l’exercice d’une fonction publique réside dans le principe même de la fraude et non dans ses modalités d’exécution.

M. Rémy Rebeyrotte. Encore une fois, nous ne sommes pas opposés a priori à cette disposition, à ceci près que cela suppose de rouvrir des discussions qui ont eu lieu il y a dix-huit mois.

M. Ugo Bernalicis. À ce compte-là, à quoi sert le grand débat ?

M. Rémy Rebeyrotte. Nous souhaitons simplement, à ce stade, voir comment s’appliquent les dispositions votées en 2017, qui renforçaient la loi de décembre 2016, avant de rouvrir le débat. Peut-être d’ailleurs d’autres éléments devront-ils être mis en place – c’est ce que le Conseil d’État a suggéré –, s’agissant notamment de la qualification des crimes et délits entraînant des peines d’inéligibilité.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Je voudrais répondre à nos collègues et amis de la majorité au sujet de l’idée selon laquelle il faudrait attendre de disposer d’une évaluation des dispositifs de 2016 et de 2017 avant de changer quoi que ce soit. Lors des auditions, notamment celles des acteurs du système judiciaire, les magistrats ont insisté sur la durée des procédures : la plupart des affaires concernant des hommes politiques traînent pendant cinq, dix, quinze ans. Si l’on attend, comme vous le suggérez, la pleine application de la loi de 2017, ce sont nos lointains successeurs qui modifieront la loi dans les législatures futures. Pendant ce temps-là, les pommes pourries continueront à nuire.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL11 rectifié du rapporteur.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. L’objet de cet amendement est de créer une procédure de relèvement spécifique dans le code de procédure pénale. Il s’agit, ici encore, d’une recommandation du Conseil d’État, qui tendait à autoriser le relèvement de l’inéligibilité dans le code de procédure pénale et non dans le code pénal. C’est aujourd’hui le droit commun qui s’applique, avec la possibilité de solliciter du tribunal un relèvement tous les six mois. Cela paraît d’autant plus excessif que les peines d’inéligibilité peuvent, depuis 2013, atteindre dix ans. Autrement dit, un individu condamné à la peine maximale pourrait encombrer le tribunal à dix-neuf reprises, sans d’ailleurs que les critères de relèvement figurent explicitement dans la loi.

Chers collègues, la majorité vient de voter le projet de loi relatif à la justice qui ferme par trop l’accès au juge dans des domaines où il est pourtant fondamental. Ce n’est pas le cas ici : on doit pouvoir demander à être relevé de la peine d’inéligibilité, bien sûr, mais dans des conditions raisonnables. Je vous propose donc que l’on puisse demander le relèvement par tranches de 20 % de la peine, soit quatre fois au cours de son exécution. Cela me semble largement suffisant pour assurer l’individualisation et la proportionnalité des peines. Je vous propose aussi que le relèvement nécessite la démonstration d’une conduite conforme à l’honneur et à la dignité, comme l’a recommandé le Conseil d’État.

M. Rémy Rebeyrotte. Effectivement, le Conseil d’État préconise de fixer en proportion de la peine à purger la durée au terme de laquelle il serait possible de demander le relèvement de l’inéligibilité. Un problème s’est posé dans le cas des condamnations à titre définitif : où fixer cette proportion ? Dans cette situation, on en revient à un nombre d’années. Si nous sommes amenés à retravailler sur ces questions, soit il nous faudra revenir à la proposition initiale qui fixait un certain nombre d’années au terme desquelles on pouvait réexaminer la situation, soit il faudra privilégier la règle proportionnelle et renoncer à l’inéligibilité à vie. Nous pourrons débattre de l’opportunité d’aggraver le dispositif.

La Commission rejette lamendement.

Article 2 (art. 132-81 du code pénal) : Circonstance aggravante de la qualité délu ou de membre du Gouvernement

La Commission examine lamendement CL12 du rapporteur.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. L’objet de cet amendement est de prévoir une circonstance aggravante pour les élus et les membres du Gouvernement.

Je vous propose de poser le principe selon lequel, pour un élu ou un membre du Gouvernement, la dignité des fonctions entraîne une exigence d’exemplarité. En conséquence, les peines encourues devraient être plus importantes.

Dans la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, vous avez décidé que les violences faites aux femmes sont plus lourdement sanctionnées si elles sont le fait du conjoint : vous avez eu raison. En cohérence avec les votes passés, je vous propose de prévoir que les agressions sexuelles soient plus gravement punies quand elles sont le fait d’un parlementaire ou d’un élu qui parade quotidiennement à la télévision pour dénoncer les comportements dont il se rend pourtant coupable. En d’autres termes, un ministre du budget qui frauderait le fisc encourrait une peine plus lourde qu’un plombier, un chômeur ou un entrepreneur dans la même situation. C’est d’ailleurs discrètement prévu dans la loi puisque, depuis 2013, la peine complémentaire d’inéligibilité encourue est doublée quand l’auteur des faits est un élu ou un membre du Gouvernement. Il reviendra au juge, à l’avenir, d’appliquer ce principe au cas par cas. C’est un acte politique fort qui est proposé ici, je pense que les Français l’exigent et qu’ils ont raison.

M. Rémy Rebeyrotte. Des dispositions existent déjà pour reconnaître des circonstances aggravantes, et le juge a les moyens de les appliquer dans un certain nombre de situations. Voyons d’abord comment les choses se passent compte tenu des textes de 2013, 2016 et 2017.

M. André Chassaigne. Monsieur Rebeyrotte, je comprends que l’on puisse avoir des appréciations nuancées sur cette situation, mais considérer que la recommandation du Conseil d’État ne doit pas être prise en compte ne semble pas un bon argument. Vous feriez certainement un excellent conseiller d’État, cher collègue, puisque ce dernier a travaillé sur cette proposition de loi, fait ces recommandations, mais vous estimez maintenant que ses recommandations ne sont pas opportunes.

M. Rémy Rebeyrotte. Je vous remercie, monsieur Chassaigne !

La Commission rejette lamendement.

Puis elle rejette larticle 2.

Article 3 : Application sur lensemble du territoire national

La Commission est saisie de lamendement CL13 du rapporteur.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Cet amendement tend à l’application des articles précédents à l’ensemble du territoire national, donc également à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à Wallis-et-Futuna.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle rejette larticle 3.

Titre

La Commission examine lamendement CL14 du rapporteur.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Les articles de la proposition de loi n’ayant pas été adoptés, cet amendement a beaucoup perdu de son intérêt…

La Commission rejette lamendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en avons terminé…

M. Ugo Bernalicis. Je souhaite intervenir. Je vous prie de pardonner mon retard, j’ai manqué la discussion générale et je m’en excuse, j’étais parti soutenir un syndicaliste.

Je voudrais vigoureusement protester contre le fait que les cinq amendements déposés par mon groupe ont été jugés irrecevables par la présidente de la Commission pour un motif qui me semble fallacieux : la prétendue absence de lien avec le texte. Ces amendements complétaient l’aspect répressif du texte par un volet préventif créant des obligations, pour les élus, de suivre un certain nombre de formations et de mettre en place des cellules de veille. Nous souhaitions contrebalancer l’approche répressive par un statut de l’élu plus protecteur et élargir le spectre du sujet.

Je constate que la dérive autoritaire n’existe pas juste au sein de l’exécutif, mais aussi au sein de notre Commission ! (Rires et exclamations.) Cela vous fait rire, mais ceux qui nous regardent savent qu’il y a eu un précédent avec la commission d’enquête sur l’affaire « Benalla ». J’ai écrit deux courriers au président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand pour demander la création d’une nouvelle commission d’enquête ; je n’ai reçu à ce jour aucune réponse.

Je comprends que les oppositions vous dérangent. Les propos de M. Chassaigne ont attesté de votre manière de traiter les journées d’initiative parlementaire et les textes examinés ici. Nous le verrons sans doute encore demain, lors de l’examen des propositions de loi de La France insoumise dans l’hémicycle, et lors de celui des textes de nos collègues, notamment de la Gauche démocrate et républicaine.

Il n’est pas possible de fonctionner de la sorte. Ce n’est pas l’idée que je me fais, à l’instar de nombreux autres, d’une assemblée et du travail parlementaire. Et l’on va nous expliquer ensuite, à propos de la justice des mineurs, que l’on met en place des groupes de contact pour discuter de la loi en dehors de l’Assemblée nationale alors que c’est précisément la fonction du Parlement !

Je ne comprends pas ce mode de fonctionnement. Nous vous avions écrit, madame la présidente, à propos des irrecevabilités. Les choses deviennent insupportables. Ce n’est pas la première fois. J’ai l’impression que vous voulez appliquer par anticipation votre réforme constitutionnelle qui, je le rappelle, chemine difficilement pour le moment.

M. Hervé Saulignac. Il ne faut pas négliger ce qui vient d’être dit à l’instant, encore moins le traiter par des rires qui traduisent une forme de mépris. (Exclamations.) Vous ne m’empêcherez pas de dire ce que j’ai à dire. Vous nous empêchez déjà de débattre sur un certain nombre de sujets au motif qu’ils ont été débattus il y a dix-huit mois. Vous n’allez pas m’empêcher de dire que votre réaction à l’égard de ce que vient de dire un collègue relève du mépris.

Je ne sais pas si vous mesurez le niveau de considération accordée à l’initiative parlementaire. L’amendement dont nous venons de débattre consiste à corriger un titre. Quand cette proposition de loi m’a été présentée, j’ai été très étonné par son titre : « renforcer lintégrité des mandats électifs et de la représentation nationale » ; j’ai considéré que cela ne voulait rien dire. Notre collègue veut corriger cet intitulé pour mentionner : « lexigence dintégrité des titulaires de fonctions gouvernementales ou de mandats électifs publics ». Je ne vois pas au nom de quoi je devrais lui refuser cette correction même si je ne voterai pas sa proposition de loi. Pourtant, c’est ce que vous venez de faire. Vous en arrivez à voter contre le bon sens. Si nous en sommes là, c’est extrêmement inquiétant pour la démocratie parlementaire.

M. Rémy Rebeyrotte. Il est surprenant, cher collègue, que, face à l’opinion publique que vous appelez à votre secours, vous arriviez avec un retard absolument colossal en Commission, trois minutes avant la fin de l’examen du texte. Nous avons débattu, chacun a pu dire ce qu’il avait à dire.

M. Ugo Bernalicis. Pas sur nos amendements !

M. Rémy Rebeyrotte. Que vos amendements soient retenus ou non, nous trouvons surprenant votre comportement. Nous ne pensons pas que le travail parlementaire consiste à faire de l’affichage ou des coups politiques au sein de la Commission. Nous pensons plutôt qu’il s’agit de travail, de perspectives, d’évaluation, de reprendre le texte lorsque c’est nécessaire. Nous nous sommes exprimés. D’ailleurs, le Conseil d’État a aussi estimé dans son avis qu’il était trop tôt pour légiférer de nouveau et qu’il fallait stabiliser le droit après l’adoption des textes précédents. Chacun voit dans l’avis du Conseil d’État des positions différentes mais je tenais à souligner cet élément.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vais répondre à M. Bernalicis, uniquement sur le plan du droit car il s’agit d’une question purement juridique.

La recevabilité des amendements, leur lien direct ou indirect avec le texte, est appréciée en faisant application de la Constitution ; il ne s’agit pas d’une dérive autoritaire mais des règles de droit, dont je me dois de faire assurer le respect en ma qualité de présidente de la commission des Lois.

J’ai déclaré irrecevables cinq amendements déposés sur cette proposition de loi. Vous contestez cette irrecevabilité en vous fondant notamment sur l’intitulé du texte. Ce n’est pas au titre de la proposition de loi qu’il faut se référer mais à son contenu. La substance des mesures qu’il est envisagé de prendre doit être rapprochée de celles qui figurent dans le texte initial.

Pour dire les choses différemment, permettez-moi de vous citer un extrait du commentaire d’une décision du Conseil constitutionnel du 4 août 2011 à propos de la décision n° 2007‑546 du 25 janvier 2007 : « Cest le contenu même du projet ou de la proposition initiale qui est pris en compte ; lexposé des motifs ou le titre du projet ou de la proposition, sils constituent des indices, ne constituent que des indices du contenu matériel des dispositions. »

Dans le même esprit, je vous renvoie à une décision, extrêmement récente puisqu’elle date du 25 octobre 2018, portant sur la loi relative à l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Le Conseil constitutionnel a censuré, sur ce motif de lien insuffisant, les articles 12, 21, 22, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 43, 49, 56, 58, 59, 60, 78, 86 et 87.

Je ne crois pas respectueux de notre assemblée de débattre infiniment de dispositions vouées à être annulées. C’est perdre du temps parlementaire. Il vaut mieux se concentrer sur les dispositions des textes qui nous sont soumis.

Je précise que le texte de notre collègue Brotherson a un contenu exclusivement pénal ; il vise à réprimer davantage les infractions commises par les titulaires d’un mandat électif. Les amendements que vous avez déposés et que j’ai déclarés irrecevables s’inscrivent dans une logique extrêmement différente : l’un organisait le droit à la suspension du contrat de travail des élus pendant leur mandat : un autre était relatif à un droit à la formation des élus ; un troisième exigeait la publication des rendez-vous des parlementaires avec les groupes de pression ; un quatrième était relatif à la formation en matière de discriminations ; le dernier portait également sur les lobbyistes. Ils n’ont aucun lien avec le texte : c’est la raison pour laquelle je les ai déclarés irrecevables.

Je vous invite, si vous estimez ces dispositions essentielles, à déposer une proposition de loi. Vous en avez tout à fait le droit. Vous pourrez même si vous le souhaitez redéposer vos amendements en vue du débat en séance publique, mais j’imagine que la même appréciation sera alors portée à leur égard.

Je vous rappelle que les décisions d’irrecevabilité que je prends sont les mêmes à l’égard de tous les groupes parlementaires et du Gouvernement.

M. Ugo Bernalicis. En l’occurrence, seuls nos amendements ont été déclarés irrecevables !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Sur ce texte, à part ceux du rapporteur, il n’y avait pas d’autres amendements que ceux de votre groupe. Je ne vais pas déclarer irrecevables des amendements dont je ne suis pas saisie !

En revanche, sur les derniers textes examinés par la commission des Lois, j’ai déclaré irrecevables des amendements du groupe majoritaire, du Gouvernement et de tous les groupes minoritaires ou d’opposition. C’est une règle à laquelle je continuerai de me tenir par respect pour la commission des Lois et pour l’Assemblée nationale. Je pense que les vice-présidents de cette Commission me suivent dans cette démarche respectueuse de notre Constitution.

Pour conclure, je constate que tous les articles de la proposition de loi que nous examinions ce matin ont été rejetés et qu’il n’y a pas lieu, dès lors, de procéder à un vote sur l’ensemble du texte, qui est rejeté. Le débat aura lieu en séance publique sur le texte initial.

M. Moetai Brotherson, rapporteur. Je note que la majorité n’a pas définitivement clos la porte. Même si je suis déçu de cette position, nous sommes après tout en démocratie. Je voudrais conclure en partageant avec vous une citation d’Albert Einstein : « Le monde est dangereux à vivre. Non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » J’espère que, le 7 mars, nous ne serons pas du côté de ceux qui regardent et laissent faire.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à renforcer lintégrité des mandats électifs et de la représentation nationale (n° 788).

 

 


—  1  —

 

Personnes entendues

   M. Charles Duchaine, directeur

   M. Eric Alt, magistrat

   M. David Koubbi, avocat à la cour

   Mme Jessica Pernet-dit-Vincent, chargée de communication

   Mme Cécile Leingre, présidente du tribunal de première instance de Papeete

   M. Hervé Leroy, procureur de la République près le tribunal de première instance de Papeete

   M. Dominique Pannetier, président de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Papeete

   M. José Thorel, substitut général près la cour d’appel de Papeete

 


—  1  —

 

   ANNEXE 1 :
AVIS DU CONSEIL D’ÉTAT

 

CONSEIL DETAT

 

Assemblée Générale

_________

 

Séance du jeudi 14 février 2019

N° 395384

 

 

EXTRAIT DU REGISTRE

DES DELIBERATIONS

 

 

 

AVIS SUR LA PROPOSITION DE LOI

 

visant à renforcer lintégrité des mandats électifs et de la représentation nationale

 

 

1. Le Conseil d’État a été saisi par le président de l’Assemblée nationale, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi n° 788 visant à renforcer l’intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale, présentée par Mesdames et Messieurs les députés Moetai Brotherson, Bruno Nestor Azerot, Huguette Bello, Alain Bruneel, Marie-George Buffet, André Chassaigne, Jean-Paul Dufrègne, Elsa Faucillon, Sébastien Jumel, Jean-Paul Lecocq, Jean-Philippe Nilor, Stéphane Peu, Fabien Roussel et Hubert Wulfranc.

 

2. Se plaçant dans le prolongement des dispositions de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique, la proposition de loi se donne pour objectif de renforcer les garanties de probité et d’intégrité des titulaires de fonctions gouvernementales ou de mandats électifs publics. L’article 1er de la proposition de loi porte la peine complémentaire d’inéligibilité pouvant être prononcée en cas de crime ou de délits, dont la liste est donnée à l’article 131-26-2 du code pénal, lorsqu’ils sont commis par un élu ou un membre du Gouvernement, à une durée pouvant aller jusqu’à trente ans et crée, pour ces personnes, une peine d’inéligibilité à vie lorsqu’un délit de la liste ou un crime suit ou accompagne la commission d’un autre crime ou d’un autre délit de ladite liste. L’article 2 institue une nouvelle circonstance aggravante tenant à l’exercice d’une fonction de membre du Gouvernement ou d’un mandat électif public.

 

3. Le Conseil d’État suggère de modifier le titre de la proposition de loi pour que celui-ci vise l’ensemble des catégories de personnes auxquelles elle entend s’appliquer. Le titre suivant pourrait être retenu : « Proposition de loi visant à renforcer l’exigence d’intégrité des titulaires de fonctions gouvernementales ou de mandats électifs publics ».

 

4. Après avoir examiné l’ensemble des articles de cette proposition de loi, le Conseil d’État présente les observations suivantes.

 

I. - Sur le cadre juridique

 

Sur létat du droit positif

 

5. L’article 131-26 du code pénal prévoit qu’une interdiction des droits civiques, civils et de famille peut être prononcée à titre de peine complémentaire pour une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et pour une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit. À ce titre, le juge pénal peut condamner la personne, en application du 2° de l’article 131-26, à une peine d’inéligibilité. L’article 131-26-1, introduit dans le code pénal par la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie politique, dispose que la peine d’inéligibilité peut être prononcée pour une durée de dix ans au plus, dans les cas prévus par la loi lorsque le délit est commis par une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits. L’article 131‑26‑2 du code pénal, résultant de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique, rend obligatoire le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité à l’égard de toute personne coupable d’un crime ou d’un des délits que cet article énumère en son II. Au nombre d’une quarantaine, ces délits sont de nature et de gravité diverses et font l’objet d’une répression différenciée allant de trois mois à dix ans d’emprisonnement. Ils relèvent des catégories suivantes : atteinte à l’intégrité de la personne, agressions sexuelles, harcèlement moral, discriminations, escroquerie, abus de confiance, actes de terrorisme, atteintes à la confiance publique, manquements au devoir de probité, atteintes à l’action de la justice, fraude électorale, financement illégal de la vie politique, fraude fiscale, violation des règles de transparence de la vie politique, association de malfaiteurs, etc... Aux termes du III de l’article 131-26-2, « …la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine (dinéligibilité), en considération des circonstances de linfraction et de la personnalité de son auteur ».

 

6. La proposition de loi, au 2 de son article 1er, tend à porter de dix à trente ans le maximum de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité lorsqu’elle est prononcée à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits dans le cas d’un crime « prévu par la loi » ou d’un délit compris dans la liste de l’article 131-26-2 du code pénal. L’inéligibilité pourrait également être prononcée à vie « lorsqu’un délit visé au II de l’article 131-26-2 ou un crime suit ou accompagne la commission d’un autre crime ou d’un autre délit prévu au II de l’article 131‑26-2 ».

 

La proposition de loi, au 3 de son article 1er, prévoit expressément la faculté, pour la personne condamnée, de demander au juge, au terme d’un certain délai, le relèvement de sa peine afin de recouvrer son droit d’éligibilité.

 

Elle crée, par son article 2, une circonstance aggravante tenant à l’exercice de fonctions électives ou de membres du Gouvernement.

 

7. Le Conseil d’État prend, tout d’abord, acte de la volonté des auteurs de la proposition de loi de faire adopter par le Parlement de nouvelles dispositions législatives destinées à « instaurer une exemplarité inconditionnelle » des élus et des membres du Gouvernement. Il observe toutefois qu’une telle démarche ne s’appuie pas, faute de temps, sur une évaluation de l’application des lois récentes qui n’ont pas encore, semble-t-il, été appliquées par les juridictions répressives, si bien qu’il est possible de s’interroger sur la nécessité de modifier à nouveau le régime de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité peu de temps après l’adoption de la loi du 15 septembre 2017.

 

Sur les normes supérieures applicables

 

8. Une peine d’inéligibilité affecte le droit dont jouit chaque citoyen d’être candidat à des élections politiques, en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et son corollaire, la liberté des électeurs de choisir leurs représentants, découlant de l’article 3 de la Constitution de 1958.

 

9. Les peines prévues par la loi ne doivent, par ailleurs, pas méconnaître les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel estime toutefois que « la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur » et qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » : il incombe au juge constitutionnel de « s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » (voir, par exemple, décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie publique, cons. 6). S’agissant du principe d’individualisation des peines, il implique, selon le Conseil constitutionnel, « qu’une sanction pénale ne puisse être prononcée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, sans qu’il puisse faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ».

 

10. Le législateur doit également veiller à ne pas méconnaître les exigences découlant de l’article 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux termes duquel « les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Si la Cour européenne des droits de l’homme admet, à ce titre, que des restrictions aux droits électoraux soient infligées à un individu qui, par exemple, a commis de graves abus dans l’exercice de fonctions publiques, elle s’assure que ces restrictions « ne réduisent pas le droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés ». En particulier, « ces limitations ne doivent pas contrecarrer “la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif” » (CEDH, Gr. ch., 6 janvier 2011, Paksas c. Lituanie, n° 34932/04, § 96). Le respect de l’exigence de proportionnalité est apprécié notamment au regard de l’existence d’une limite temporelle et d’une possibilité de revoir la mesure en cause. Dans ce domaine, la Cour reconnaît aux États une « ample marge de manœuvre » et vérifie l’absence d’arbitraire dans les procédures (CEDH, Gr. ch., 16 mars 2006, Zdanoka c. Lettonie, n° 58278/00, § 115).

 

II. Sur larticle 1er

 

11. En ce qui concerne la place des dispositions figurant au 2 de l’article 1er de la proposition de loi, le Conseil d’État estime que dès lors que celles-ci n’ont pas vocation à compléter le cadre tracé par l’article 131‑26-1 mais à s’appliquer exclusivement aux infractions visées par l’article 131-26-2, elles doivent être rattachées à cet article.

 

Sur la peine dinéligibilité à vie

 

12. Le Conseil d’État estime que les exigences constitutionnelles et conventionnelles qui viennent d’être rappelées ne font pas obstacle à ce qu’une peine complémentaire d’inéligibilité à vie ou une peine qui peut s’y apparenter dans certaines circonstances, comme la peine de trente ans envisagée dans la proposition de loi, puisse être prévue par la loi dès lors que, répondant à une nécessité, elle n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité de l’infraction qu’elle réprime, qu’elle est individualisée par le juge et qu’au cours de son exécution, la personne condamnée peut en demander le relèvement.

 

Sur la proportionnalité de la peine dinéligibilité de trente ans au plus

 

13. Lors de l’examen de conformité des dispositions introduites par la loi du 15 septembre 2017 à l’article 131-26-2 du code pénal, le Conseil constitutionnel a relevé qu’en instituant une peine obligatoire d’inéligibilité, le législateur « a entendu renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants » et que « parmi les infractions impliquant le prononcé d’une telle peine il a ainsi retenu, d’une part, l’ensemble des crimes et certains délits d’une particulière gravité et, d’autre part, des délits révélant des manquements à l’exigence de probité ou portant atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral ».

 

14. Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a admis qu’une même peine complémentaire d’inéligibilité de dix ans maximum puisse être prononcée à l’égard d’une personne coupable de crime ou d’un des délits énumérés à l’article 131-26-2 du code pénal. Ainsi, bien que ceux-ci se caractérisent par une grande diversité quant à leur nature et à leur gravité, une telle diversité n’a pas fait obstacle à ce que le législateur décide de les réprimer par une peine complémentaire d’inéligibilité dont la durée maximale est identique.

 

15. Par ailleurs, dans une décision n° 2018-710 QPC du 1er juin 2018, le Conseil constitutionnel a jugé que ne méconnaît pas les principes de nécessité et de proportionnalité des peines l’interdiction définitive d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement encourue en raison du refus, pour un directeur d’établissement d’enseignement privé hors contrat, d’assurer, malgré une mise en demeure de l’État, un enseignement conforme à l’objet de l’instruction obligatoire, eu égard à la nature des comportements réprimés et alors même que la peine principale encourue pour cette infraction n’est que de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

 

16. Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, et sous réserve des garanties d’individualisation et de relèvement qui seront examinées ci-après, la peine d’inéligibilité de trente ans encourue en cas de commission, par un membre du Gouvernement ou un élu, d’un crime ou d’un des délits énumérés à l’article 131-26-2 du code pénal n’apparaît pas manifestement disproportionnée au regard de la finalité que poursuit la proposition de loi, de la nature des infractions que la peine complémentaire obligatoire vient sanctionner et de la place particulière qu’occupent leurs auteurs dans la démocratie.

 

17. Néanmoins, le Conseil d’État estime devoir faire deux observations complémentaires.

 

Il observe d’abord qu’en envisageant de réprimer par une même peine complémentaire d’inéligibilité d’une durée maximale de trente ans une liste préétablie de délits se caractérisant par leur très grande hétérogénéité, les auteurs de la proposition de loi font un choix qui ne permet pas de cibler la répression et la dissuasion renforcées qu’ils recherchent sur les comportements les plus susceptibles de remettre en cause l’exemplarité attendue des élus et membres du Gouvernement et le lien de confiance entre les Français avec leurs représentants. Une liste plus resserrée, centrée sur ces dernières infractions, permettrait de parer au risque évoqué ci-dessus.

 

Il relève ensuite qu’en procédant ainsi, la proposition de loi reporte vers le juge pénal la charge d’assurer, au cas par cas, la proportionnalité de la peine d’inéligibilité qui sera prononcée dans l’espace désormais beaucoup plus ample laissé par le législateur.

 

Sur la proportionnalité de la peine complémentaire dinéligibilité à vie en cas de pluralité dinfractions

 

18. La proposition de loi prévoit qu’une peine d’inéligibilité à vie peut être prononcée « lorsqu’un délit visé au II de l’article 131-26-2 ou un crime suit ou accompagne la commission d’un autre crime ou d’un autre délit prévu au II de l’article 131-26-2 ».

 

19. Le Conseil d’État relève qu’il pourrait résulter de l’application de cette disposition qu’une inéligibilité à vie serait encourue pour le cumul de deux délits faiblement sanctionnés alors qu’un crime, pourtant plus sévèrement réprimé, ne serait susceptible de donner lieu qu’au prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité de trente ans maximum. L’inéligibilité à vie pourrait au surplus résulter de la simple répétition d’un même fait à caractère délictueux ou d’un concours d’infractions pour un même fait délictueux, avec le risque d’être encourue dans de nombreuses circonstances. Il s’ensuit que l’aggravation la plus forte de la peine ne paraît pas en rapport avec la circonstance qui la détermine. Le Conseil d’État observe que la disposition en cause s’expose, du fait de l’inadéquation manifeste de la règle posée au regard de l’objectif poursuivi, à un fort risque de censure constitutionnelle.

 

La conformité à la Constitution serait mieux assurée si la proposition de loi retenait une gradation de la peine d’inéligibilité plus conforme à l’échelle des infractions et des peines, en réservant l’inéligibilité à vie à la commission successive de crimes ou de délits d’une particulière gravité identifiés dans la liste de l’article 131-26-2 du code pénal. La loi pourrait décider, par un dispositif ad hoc inspiré des dispositions relatives à la réitération, que cette peine peut être infligée à une personne déjà condamnée définitivement pour un crime ou un de ces délits lorsque cette personne aurait commis, dans un délai laissé à l’appréciation du législateur, un crime ou l’un de ces délits et en aurait été reconnue coupable.

 

Sur la procédure de relèvement

 

20. La proposition de loi institue à l’article 131-26-1 du code pénal une procédure spécifique de relèvement permettant à la personne condamnée à une peine d’inéligibilité supérieure à dix ans ou à vie de formuler une demande de relèvement tous les dix ans. Ce dispositif appelle trois remarques.

 

21. En premier lieu, ces dispositions fixent les conditions dans lesquelles il est possible de demander le relèvement de la condamnation après son prononcé. Elles n’ont, en principe, pas leur place dans le code pénal et devraient figurer à l’article 702-1 du code de procédure pénale relatif aux conditions dans lesquelles le relèvement peut être demandé postérieurement à la condamnation.

 

22. La proposition de loi invite, en deuxième lieu, le juge à se prononcer sur le maintien, la réduction ou la fin de la peine d’inéligibilité au regard « des faits reprochés, des circonstances actuelles, de la personne, de sa conduite et de son état physique et mental ». Le Conseil d’Etat estime que ces mentions sont, pour certaines d’entre elles, imprécises, sources de difficultés d’interprétation et inutiles dès lors que le juge doit toujours se prononcer au regard des circonstances de chaque espèce, de la nature de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

 

Le législateur pénal a déjà subordonné le prononcé d’une mesure de relèvement au respect d’une condition par la personne condamnée. Ainsi, en cas de condamnation pour banqueroute, la juridiction ne peut accorder le relèvement que si l’intéressé a apporté une contribution suffisante au paiement du passif du débiteur (article 702-1 du code de procédure pénale). Si les auteurs de la proposition de loi estiment nécessaire, il pourrait être expressément prévu que la mesure de relèvement est soumise à la démonstration préalable d’une conduite conforme à l’honneur et à la dignité depuis le prononcé de la condamnation.

 

23. Enfin, l’article 702-1 du code de procédure pénale permet à tout condamné de demander au juge le relèvement de sa peine à l’issue d’un délai de six mois après la condamnation ou le rejet d’une précédente demande de relèvement.

 

Le dispositif institué par la proposition de loi est beaucoup plus rigoureux. La personne condamnée à une peine d’inéligibilité à vie ou supérieure à dix ans ne pourra solliciter son relèvement que toutes les dix années à compter de son prononcé. Ainsi la peine prononcée supérieure à dix ans se trouvera assortie d’une « période de sûreté » applicable de plein droit et non modulable alors que celle inférieure à dix ans pourra faire l’objet d’une demande de relèvement dans un délai de six mois suivant la condamnation puis tout rejet d’une précédente demande de relèvement.

 

Si le Conseil d’État estime que les auteurs de la proposition de loi peuvent choisir de s’écarter du droit commun et retenir un délai plus long au regard des finalités de répression effective des élus et membres du Gouvernement coupables de crimes ou de délits d’une particulière gravité qu’ils poursuivent, il lui semble que la circonstance que la peine soit applicable pendant dix ans sans possibilité de relèvement total ou partiel ne répond pas aux exigences du principe d’individualisation. Pour assurer la conformité à la Constitution de la proposition de loi, ses auteurs peuvent, soit revenir à l’application du droit commun, soit fixer une durée appropriée au terme de laquelle le relèvement peut être demandé, le cas échéant en fonction du quantum de la peine d’inéligibilité prononcée par le juge. La loi pourrait de plus permettre à la juridiction de jugement, par décision spéciale, de faire varier cette durée en fonction des circonstances de l’espèce.

 

III. - Sur larticle 2

 

24. L’article 2 crée une circonstance aggravante tenant à l’exercice d’une fonction de membre du Gouvernement ou d’un mandat électif public au moment de la commission de l’infraction. Plusieurs points doivent ici être relevés.

 

Sur la rédaction de la disposition

 

25. Conformément à l’exigence de légalité des peines et de précision de la loi pénale, il est recommandé de substituer la formule utilisée à l’article 1er pour définir les personnes visées à celle, ambigüe, de l’article 2. Il devrait ainsi être prévu que l’infraction est aggravée lorsqu’elle « est commise par une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits ». Par ailleurs, il est exclu que la peine d’inéligibilité puisse être prévue par le règlement dès lors qu’elle ne peut être encourue en matière contraventionnelle.

 

Sur linstauration dune circonstance aggravante

 

26. La proposition de loi aggrave la répression des crimes et des délits énumérés à l’article 131‑26-2 lorsqu’ils sont commis par des élus ou des membres du Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions comme en dehors de celles-ci, dans un cadre purement privé.

 

Cette nouvelle circonstance aggravante présente la particularité de ne pas être nécessairement en relation avec l’infraction commise puisqu’elle peut être constituée dans des conditions étrangères à l’exercice des fonctions. Toutefois, il n’apparaît pas manifestement contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines qu’une infraction fasse l’objet d’une peine aggravée dès lors qu’elle est commise par une personne à laquelle s’impose, en raison de ses fonctions publiques, un devoir particulier d’exemplarité et de dignité.

 

Sur le champ dapplication et les effets de la circonstance aggravante

 

27. Le Conseil d’État doit, tout d’abord, relever une difficulté résultant de ce que la nouvelle circonstance aggravante tenant à l’exercice d’une fonction gouvernementale ou d’un mandat électif public a, en l’état, vocation à s’appliquer à tous les crimes et délits énumérés à l’article 131-26-2. Or, pour quelques-uns de ces délits (notamment la corruption passive et le trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique prévus à l’article 432-11 du code pénal ou la violation des obligations relatives à la déclaration de situation patrimoniale d’un parlementaire réprimée par l’article L.O. 135-1 du code électoral), l’exercice d’une telle fonction ou d’un tel mandat est également un élément constitutif de l’infraction. En prévoyant ainsi qu’un des éléments constitutifs de certains délits visés à l’article 131-26-2 est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions, la proposition de loi serait contraire au principe de légalité des délits et des peines (voir, par exemple, décision n° 2014-448 QPC du 6 février 2015, cons. 7).

 

Par ailleurs, si l’article 2 de la proposition de loi prévoit que la circonstance aggravante s’applique à tous les crimes et délits énumérés à l’article 131-26-2 du code pénal, il ne détermine pas, pour chacun d’eux, l’aggravation de la peine résultant de la circonstance aggravante.

 

Dès lors que les auteurs de la proposition de loi ne souhaitent pas déterminer, parmi les infractions visées à l’article 131-26-2, celles auxquelles la nouvelle circonstance aggravante peut s’appliquer dans le respect des principes constitutionnels et l’aggravation de la peine principale pouvant en résulter, le Conseil d’État recommande de prévoir, au nouvel article 132-81, que la nouvelle circonstance aggravante s’appliquera dans les cas prévus par la loi. Il appartiendra au législateur de préciser, par d’autres dispositions, les infractions auxquelles la circonstance aggravante s’appliquera et l’aggravation de la peine principale en résultant, soit en modifiant les dispositions propres à chacune de ces infractions, soit en prévoyant des aggravations en fonction de la durée des peines encourues, à l’instar des articles 132-76, 132‑77 ou 132-79 du code pénal. Une telle détermination supposera un examen circonstancié dès lors notamment que l’application de cette circonstance aggravante pourrait conduire à « criminaliser » certains délits.

 

IV. - Sur larticle 3

 

28. L’article 3 définit le champ d’application territorial des dispositions de la proposition de la loi. Il étend leur application à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna.

 

Dès lors que la proposition de loi entend modifier des dispositions du code pénal, il convient d’actualiser l’article 711-1 de ce code qui en précise l’applicabilité outre-mer. Cette modification se suffit à elle-même et ne nécessite d’être explicitée ni par la mention selon laquelle le texte est applicable sur l’ensemble du territoire de la République, ni par la mention expresse des collectivités d’outre-mer dans lesquelles le texte est rendu applicable.

 

Dans l’hypothèse où les auteurs de la proposition de loi souhaiteraient modifier l’article 702-1 du code de procédure pénale, ainsi qu’il a été suggéré, il serait de même nécessaire de modifier l’article 804 de ce code.

 

Cet avis a été délibéré par lassemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 14 février 2019.

 


—  1  —

 

   ANNEXE 2 :
délits visés au ii de l’article 131-26-2 du code pénal

Articles

Infractions

Peines principales

Code pénal

222-9

Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

222-11 et 222-12

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dans certains cas, 5 ans et 75 000 euros

222-14

Violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende si incapacité totale de travail pendant plus de huit jours

 

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende hors incapacité totale de travail pendant plus de huit jours

222-14-1

Violences commises en bande organisée ou avec guet-apens sur une personne dépositaire de l’autorité publique

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende hors incapacité totale de travail pendant plus de huit jours

222-14-4

Le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l’étranger, d’user à son égard de manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire de la République

3 ans d’emprisonnement et 45 000 d’amende

222-15

Administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui

Mêmes peines que celles prévues aux articles 222‑9 à 222-14-1

222-15-1

Embuscade

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

222-27 à 222-31

Agressions sexuelles autres que le viol

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

7 ans d’emprisonnement et 100 000 d’amende dans certaines circonstances

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende dans certaines circonstances

222-31-1 et 222-31-2

Agressions sexuelles incestueuses

Mêmes peines que précédemment + retrait de l’autorité parentale

222-32

Exhibition sexuelle

1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende

222-33-2 à 222-33-2-2

Harcèlement moral

2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dans certaines circonstances

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende dans certaines circonstances

225-1 et 225-2

Discrimination

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende dans certaines circonstances

313-1 et 313-2

Escroquerie

5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende

7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende dans certaines circonstances

314-1 à 314-3

Abus de confiance

3 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende

7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende dans certaines circonstances

421-1 à 421-8

Actes de terrorisme

À partir de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

432-10

Concussion

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

432-11

Corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique

10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende

432-12 et 432-13

Prise illégale d’intérêt

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

432-14

Atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public

2 ans d’emprisonnement et 200 000 euros d’amende

432-15

Soustraction et détournement de biens

10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende

433-1 et 433-2

Corruption active et trafic d’influence commis par les particuliers

10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

434-9 et 434-9-1

Corruption et trafic d’influence du personnel judiciaire

10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

434-43-1

Le fait, pour les organes ou représentants d’une personne morale condamnée à la peine prévue à l’article 131-39-2, de s’abstenir de prendre les mesures nécessaires ou de faire obstacle à la bonne exécution des obligations édictées par l’Agence française anticorruption

2 ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende

435-1 à 435-6

Corruption et trafic d’influence d’agent public d’un État étranger ou d’une organisation internationale publique

10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

435-7 à 435-10

Corruption et trafic d’influence du personnel judiciaire d’un État étranger ou d’une cour internationale

10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

445-1 à 445-2-1

Corruption de personne n’exerçant pas une fonction publique

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

441-2

Faux et usage de faux dans un document administratif

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende dans certaines circonstances

441-3

Détention de faux document administratif

2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende dans certaines circonstances

441-4

Faux et usage de faux en écriture publique ou authentique

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

441-5

Fourniture frauduleuse de document administratif

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros dans certaines circonstances

441-6

Obtention frauduleuse de document administratif

2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende

450-1

Association de malfaiteurs

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

Code électoral et textes assimilés

Article L.86 à L.88-1, L.91 à L.104, L.106 à L.109, L.111, L.113 et L.116

Infractions relatives aux élections (liste électorale, vote, dépouillement, déroulement du scrutin…)

1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour déclaration frauduleuse, inscription frauduleuse, délivrance frauduleuse d’un certificat, acte de candidature frauduleux, manœuvre pour faire obstacle au droit de vote ou inciter à l’abstention ou influencer le vote, violences et outrages par les membres d’un collège électoral, toute autre violation du déroulement du scrutin, du secret du vote ou de la sincérité du scrutin

 

1 an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende pour vote par personne déchue du droit de vote

 

6 mois à deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour inscription multiple ou substitution de signature

 

5 ans d’emprisonnement et 22 500 euros d’amende pour action sur le nombre de bulletins ou enlèvement de l’urne

 

3 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende pour vote par personne déchue du droit de vote et entrée dans l’assemblée électorale avec armes dissimulées

 

2 ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour trouble des opérations électorales ou pression sur les électeurs ou manœuvre frauduleuse ou dons et libéralités pour influencer le vote

 

À partir de 5 ans d’emprisonnement et 22 500 euros d’amende pour irruption violente dans un ou plusieurs collèges électoraux

 

10 ans d’emprisonnement pour violation du scrutin pour membres du bureau

Article L. 113-1 et article 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique

Financement des campagnes électorales et des parties politiques

3 ans d’emprisonnement et 45 000d’euros d’amende

 

1 an d’emprisonnement et 15 000 euros pour non transmission d’un document de prêt

Article L.O. 135-1 et articles 4 et 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013

Infractions relatives à la législation sur la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

 

1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour ne pas déférer aux injonctions de la HATVP

 

1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour divulgation des déclarations

Code général des impôts

Articles 1741 et 1743 si bande organisée ou comportement mentionné au 1° à 5° de larticle L. 228 du livre des procédures fiscales

Fraude fiscale aggravée, recel et blanchiment

5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

 

7 ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende dans certaines circonstances

Code monétaire et financier

Articles L. 465-1 à L. 46533

Délit d’initié, recel et blanchiment

5 ans d’emprisonnement et 100 millions d’euros d’amende

Code de commerce

Articles L. 2413 et L. 2426

Infractions concernant les sociétés à responsabilité limitée et infractions relatives à la direction et à l’administration, recel et blanchiment

5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende

7 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende dans certaines circonstances

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale

 

 

 

 


([1])  Article 48, alinéa 5 : « Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l’initiative des groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes minoritaires. »

([2]) La Constitution protège, par l’article 6 de la Déclaration de 1789, l’accès des citoyens à « toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », c’est-à-dire, en langage moderne, la possibilité qui leur est offerte de briguer un mandat électif ou d’entrer dans la fonction publique. Cette dernière exige déjà des candidats un casier judiciaire vierge. L’article 5 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite « loi Le Pors », prescrit ainsi : « Nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire […] le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions ». Cette exigence de « vertu » a reçu à plusieurs reprises l’assentiment du Conseil constitutionnel, y compris lorsque l’appréciation du comportement des candidats reposait sur des critères plus aléatoires qu’une mention au casier judiciaire. Dans sa décision n° 2012-278 QPC du 5 octobre 2012, le Conseil a jugé conforme à la Constitution l’article 16 de l’ordonnance organique n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, aux termes duquel les personnes qui présentent leur candidature à l’École nationale de la magistrature doivent notamment « être de bonne moralité ». Les juges ont estimé que « les dispositions contestées ont pour objet de permettre à l’autorité administrative de s’assurer que les candidats présentent les garanties nécessaires pour exercer les fonctions des magistrats et, en particulier, respecter les devoirs qui s’attachent à leur état ; qu’il appartient ainsi à l’autorité administrative d’apprécier, sous le contrôle du juge administratif, les faits de nature à mettre sérieusement en doute l’existence de ces garanties ».

([3]) L’article 1er du projet de loi pour la confiance dans la vie publique, dans sa version adoptée par la commission des Lois le 20 juillet 2017 (n° 106), exigeait des candidats aux différentes élections un casier judiciaire vierge de certaines infractions précisément énumérées.

([4]) Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, indiquait alors : « La commission des Lois a souhaité substituer à ce dispositif un mécanisme auquel le Gouvernement avait renoncé pour des motifs de constitutionnalité. En interdisant automatiquement, sans qu’une juridiction ne se prononce, à ceux qui ne disposent pas d’un casier judiciaire vierge – le fameux B2 – de se présenter aux élections, on porte atteinte au principe de nécessité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe d’individualisation des peines qui en découle » (Assemblée nationale, première séance du lundi 24 juillet 2017).

([5]) L’amendement n° 195 de M. Nicolas Dupont-Aignan au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) prévoyait l’inéligibilité définitive de toute personne condamnée pour crime. Il a été repoussé par la commission des Lois et non soutenu en séance publique.

([6]) Proposition de loi organique visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection présidentielle, législative ou sénatoriale et proposition de loi visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection locale (T.A. n° 901 et 902).

([7]) « Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose. »

([8])  Avis de l’Assemblée générale du Conseil d’État n° 395384 du jeudi 14 février 2019.

([9]) La peine complémentaire est celle que le tribunal a la possibilité de prononcer, lorsqu’elle est prévue par la loi, en plus de la peine principale – amende ou incarcération. L’« interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit » est toujours une peine complémentaire au sens de l’article 131‑10 du code pénal.

([10]) Article 432-17 du code pénal.

([11]) Article L. 117 du code électoral.

([12]) Article 1741 du code général des impôts.

([13]) Le second alinéa de l’article 132-21 du code pénal précise que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ».

([14]) En matière d’atteintes à la probité, l’étude d’impact jointe au projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, déposée le 24 avril 2013, dénombre une condamnation en 2007, trois en 2008, une en 2009, une en 2010 et une en 2011.

([15]) Article 133‑16 du code pénal.

([16]) Article 786 du code de procédure pénale. Toutes les conditions de délais sont levées si le condamné a « rendu des services éminents au pays » aux termes de l’article 789 du code de procédure pénale.

([17]) Pour une condamnation à une amende ou à une peine de jours-amende le délai est de trois ans à compter de son paiement ou de l’incarcération. Pour une condamnation unique soit à un emprisonnement n’excédant pas un an, soit à une peine autre que l’incarcération ou l’amende, le délai est de cinq ans à compter de l’exécution de la peine ou de la prescription. Pour une condamnation unique à un emprisonnement n’excédant pas dix ans ou pour les condamnations multiples à l’emprisonnement dont l’ensemble ne dépasse pas cinq ans, le délai est de dix ans à compter de l’expiration de la peine subie ou de la prescription. Ces délais sont doublés en cas de condamnation en état de récidive légale.

([18]) Étude d’impact jointe au projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, déposée le 24 avril 2013.

([19]) En application de l’article 131-27 du code pénal, ces peines peuvent être prononcées à titre définitif ou, respectivement, pour cinq ans au plus en ce qui concerne l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle et pour dix ans au plus pour l’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle ou de diriger ou contrôler une entreprise commerciale ou industrielle.

([20]) L’article 131-30 du code pénal dispose que cette interdiction est prononcée à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus.

([21]) Rapport de M. Jean-Jacques Urvoas fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique (n° 1108 et 1109), 5 juin 2013. M. Alain Vidalies, représentant le Gouvernement devant la commission des Lois, avait affirmé que la constitutionnalité du dispositif était hors de doute et que les craintes du rapporteur relevaient d’un « argument d’opportunité ».

([22]) Assemblée nationale, deuxième séance du mercredi 19 juin 2013.

([23]) Rapport de M. Jean-Louis Nadal, Renouer la confiance publique, 2015, proposition n° 18.

([24]) « Nous exigerons des comptes. Aujourd’hui, le principal danger pour la démocratie est la persistance de manquements à la probité parmi des responsables politiques, dont le comportement est indigne de la charge de représentant du peuple. Demain, les responsables politiques devront rendre des comptes. Sur leurs entourages et la façon dont ils utilisent l’argent public. Sur leur probité personnelle, car si on ne peut être fonctionnaire lorsqu’on ne dispose pas d’un casier judiciaire B2 vierge, on ne devrait pas non plus pouvoir être parlementaire. Sur leur politique, surtout, parce que les Français demandent de la clarté. » (https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/vie-politique-et-vie-publique)

([25]) Concussion, corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, prise illégale d’intérêts, atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession, soustraction et détournement de biens.

([26]) « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

([27]) Rapport de Mme Yaël Braun-Pivet fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la confiance dans la vie politique (n° 105 et 106), 20 juillet 2017.

([28]) Conseil constitutionnel, décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, considérant n° 41 : « Le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce. »

([29]) Conseil constitutionnel, décision n° 2005-520 DC du 22 juillet 2005, Loi précisant le déroulement de l’audience d’homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. L’existence d’une procédure de relèvement ne suffit donc pas à assurer la constitutionnalité de la sanction si le juge ne peut en modifier le quantum au moment de la prononcer.

([30]) Il a pu être soutenu que l’exigence d’un casier judiciaire vierge pour l’exercice de fonctions électives constitue une condition d’entrée dans la vie publique et non une disposition répressive corollaire à une condamnation pénale. Cette interprétation avait notamment été retenue par l’Assemblée nationale lors de l’adoption, le 1er février 2017, des propositions de loi organique et ordinaire visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection (rapport de Mme Fanny Dombre-Coste fait au nom de la commission des Lois, n° 4404 et 4408, 25 janvier 2017).

([31]) Conseil constitutionnel, décision n° 2010-40 QPC du 29 septembre 2010, M. Thierry B. ; décision n° 2010‑1 QPC du 29 septembre 2010, Société Cdiscount et autre ; décision n° 2010‑72/75/82 QPC du 10 décembre 2010, M. Alain D. et autres.

([32]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([33]) Conseil constitutionnel, décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, par. n° 8 à 10 : « En premier lieu, en instituant une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, le législateur a entendu renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Parmi les infractions impliquant le prononcé d’une telle peine complémentaire, il a ainsi retenu, d’une part, l’ensemble des crimes et certains délits d’une particulière gravité et, d’autre part, des délits révélant des manquements à l’exigence de probité ou portant atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral. En second lieu, d’une part, la peine d’inéligibilité doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d’en moduler la durée. D’autre part, le juge peut, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, décider de ne pas prononcer cette peine complémentaire. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines doit être écarté. »

([34]) Ibid., par. n° 11.

([35]) Ibid., par. n° 13.

([36]) CEDH (grande chambre), 16 mars 2006, Zdanoka c. Lettonie, n° 58278/00, par. n° 115.

([37]) CEDH (grande chambre), 12 février 2008, Kafkaris c. Chypre, n° 21906/04.

([38]) CEDH (grande chambre), 6 janvier 2011, Paksas c. Lituanie, n° 34932/04.

([39]) Par exemple, dans sa décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, le Conseil constitutionnel n’a pas déclaré contraire à la Constitution le nouvel article 131-21-2 du code pénal créant la peine d’interdiction définitive de détenir un animal.

([40]) Conseil constitutionnel, décision n° 2018-710 QPC du 1er juin 2018, Association Al Badr et autre, par. n° 20 : « les peines ainsi instituées ne sont pas manifestement disproportionnées. »

([41]) Conseil constitutionnel, décision n° 2015-501 QPC du 27 novembre 2015, M. Anis T.

([42]) La chambre criminelle de la Cour de cassation juge donc irrecevable les demandes de réhabilitation formulées par des interdits de territoire définitifs à titre de peine principale puisque celle-ci ne sera pleinement exécutée qu’au décès du condamné (Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-84.441).

([43]) Article 769 du code de procédure pénale.

([44]) Cass. crim., 12 juin 2014, n° 13‑87819 ; Cass. crim., 4 avril 2018, n° 17‑85027.

([45]) Cette liste d’infractions est codifiée au II de l’article 131‑26‑2 du code pénal.

([46]) « Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose. »

([47]) Conseil d’État, avis du 14 février 2019 sur la proposition de loi visant à renforcer l’intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale (n° 395384), point n° 12.

([48]) Ibid., point n° 16.

([49]) Conseil d’État (commission permanente), avis du 22 avril 2013.

([50]) Conseil d’État, avis du 14 février 2019 précité, point n° 19.

([51]) Ibid., point n° 23.

([52]) Article 132‑2 du code pénal : « Il y a concours d’infractions lorsqu’une infraction est commise par une personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction. »

([53]) Conseil d’État, avis du 14 février 2019 précité, point n° 23.

([54]) Les articles 132‑71 à 132‑75 du code pénal se bornent à définir les notions de bande organisée, guet-apens, préméditation, effraction, escalade et arme. L’article 132‑80 dispose que « les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas », mais ne précise pas quelles sont les infractions concernées. Par exemple, l’article 222‑9 punit de dix ans d’emprisonnement les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, mais l’article 222‑10 porte cette peine à quinze ans de réclusion criminelle lorsque les violences sont perpétrées par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.

([55]) Les articles 132‑76, 132­‑77 et 132‑79 du même code prévoient que les infractions comprenant un élément raciste, une dimension sexiste ou l’usage de moyens de cryptologie sont plus durement réprimées. Par exemple, les crimes normalement réprimés de trente ans de réclusion criminelle sont alors passibles de la perpétuité ; la peine de cinq ans d’emprisonnement réprimant un délit est portée à sept ans.

([56]) Voir le commentaire de l’article 1er pour la liste complète des infractions concernées.

([57]) Conseil d’État, avis du 14 février 2019 précité, point n° 26.

([58]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014‑448 QPC du 6 février 2015, M. Claude A., cons. n° 7 : « dès lors qu’il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits ».

([59]) La concussion définie à l’article 432‑10 du code pénal est ainsi « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ». Elle ne peut donc être commise que par une personne dépositaire de l’autorité publique, catégorie à laquelle appartiennent les élus et les membres du Gouvernement.

([60]) Cet article a été créé par la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([61]) Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.

([62]) Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

([63]) Loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

([64]) Régis Fraisse, « Les collectivités territoriales régies par l’article 74 », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 35, avril 2012.

([65]) 2° de l’article 14 de la loi du 27 février 2004 précitée.

([66]) 2° du I de l’article 21 du statut du 19 mars 1999 précité.

([67]) 5° du II du même article, les autorités locales étant compétentes pour réprimer des infractions de même nature dans les conditions fixées par le statut.

([68]) Article 6‑2 du statut du 19 mars 1999 précité.

([69]) Conseil constitutionnel, décision n° 2004‑490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, considérant n° 18. Le législateur organique a plus tard formulé la même réserve à l’article 8 de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française. Les contours de cette catégorie de normes, dite des « lois de souveraineté », sont définis restrictivement par la jurisprudence.

([70]) Conseil d’État, 17 mai 2002, M. Hoffer, n° 232359.

([71])  L’applicabilité résulte alors du texte même.