N° 1794 |
|
N° 400 |
ASSEMBLÉE NATIONALE |
|
SÉNAT |
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUINZIÈME LÉGISLATURE |
|
SESSION ORDINAIRE 2018 - 2019 |
Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale |
|
Enregistré à la présidence du Sénat |
le 21 mars 2019 |
|
le 21 mars 2019 |
RAPPORT
au nom de
L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
sur
L’utilisation des animaux en recherche et LES alternatives à l'expérimentation animale : état des lieux et perspectives
Compte rendu de l’audition publique du 17 janvier 2019
et de la présentation des conclusions du 21 mars 2019
par
M. Cédric VILLANI, député, et Mme Florence Lassarade, sénatrice
Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale par M. Cédric VILLANI, Premier vice-président de l’Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Gérard LONGUET, Président de l’Office |
— 1 —
Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques
Président
M. Gérard LONGUET, sénateur
Premier vice-président
M. Cédric VILLANI, député
Vice-présidents
M. Didier BAICHÈRE, député M. Roland COURTEAU, sénateur
M. Patrick HETZEL, député M. Pierre MÉDEVIELLE, sénateur
Mme Huguette TIEGNA, députée Mme Catherine PROCACCIA, sénateur
DÉputés
|
SÉnateurs |
M. Julien AUBERT M. Didier BAICHÈRE M. Philippe BOLO M. Christophe BOUILLON Mme Émilie CARIOU M. Claude de GANAY M. Jean-François ELIAOU Mme Valéria FAURE-MUNTIAN M. Jean-Luc FUGIT M. Thomas GASSILLOUD Mme Anne GENETET M. Pierre HENRIET M. Antoine HERTH M. Patrick HETZEL M. Jean-Paul LECOQ M. Loïc PRUD’HOMME Mme Huguette TIEGNA M. Cédric VILLANI |
M. Michel AMIEL M. Jérôme BIGNON M. Roland COURTEAU Mme Laure DARCOS Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS Mme Véronique GUILLOTIN M. Jean-Marie JANSSENS M. Bernard JOMIER Mme Florence LASSARADE M. Ronan Le GLEUT M. Gérard LONGUET M. Rachel MAZUIR M. Pierre MÉDEVIELLE M. Pierre OUZOULIAS M. Stéphane PIEDNOIR Mme Angèle PRÉVILLE Mme Catherine PROCACCIA M. Bruno SIDO |
— 1 —
SOMMAIRE
___
Pages
I. compte rendu de l’audition publique du 17 janvier 2019
1. L’expérimentation animale : état des lieux ; points de vue scientifique, associatif et sociétal
1. Les méthodes alternatives à l’expérimentation animale, leur place en recherche
ANNEXE 1 : QUESTIONS ET COMMENTAIRES DES INTERNAUTES LORS DES TABLES RONDES
ANNEXE 2 : PRÉSENTATION de Mme la professeure FRANCELYNE MARANO
— 1 —
conclusions de l’AUDITION PUBLIQUE
« UTILISATION DES ANIMAUX À DES FINS SCIENTIFIQUES ET MÉTHODES ALTERNATIVES : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES »
Dans le contexte d’une prise de conscience croissante de la sensibilité des animaux, notamment en réaction aux scandales dénoncés dans des abattoirs ces dernières années, l’Office a pris l’initiative d’organiser deux auditions publiques contradictoires sous forme de tables rondes, pour, d’une part, examiner les conditions dans lesquelles se déroule l’expérimentation animale en France (I), d’autre part, évaluer la possibilité de la réduction de l’utilisation d’animaux par des méthodes alternatives (II).
Le fait même d’utiliser des animaux en recherche suscite souvent des opinions tranchées, parfois inconciliables. C’est pourquoi, dans le but d’éclairer au mieux la représentation nationale, les rapporteurs ont souhaité inviter un panel représentatif de ces différentes positions, et donner la possibilité au public et aux internautes de poser des questions aux participants.
Ont ainsi été invités :
– des scientifiques utilisant les animaux dans leur travail de recherche : Mme Angela Sirigu, chercheuse en sciences cognitives, et M. Nicolas Dudoignon, représentant du laboratoire Sanofi ;
– des scientifiques impliqués dans la règlementation de l’expérimentation animale : le Pr Hélène Combrisson pour la Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA), et M. Ivan Balansard pour le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (GIRCOR) ;
– un spécialiste du comportement des animaux, en la personne du Pr Bertrand Deputte ;
– des représentants d’associations : M. André Ménache pour le Comité scientifique Pro Anima et M. George Chapouthier pour La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences.
M. Georges Chapouthier, chercheur et philosophe, a résumé le débat autour de l’expérimentation animale en évoquant un conflit moral, qui concerne tout citoyen un tant soit peu sensible aussi bien à la condition animale qu’à la nécessité de faire avancer la recherche biomédicale.
En l’espèce, plusieurs associations rejettent le principe même de l’expérimentation animale. Selon M. Ménache, vétérinaire, pour le Comité scientifique Pro Anima ce rejet a, par le passé, déjà pu influencer les décisions d’entreprises, comme celle de l’arrêt du test du Botox sur les souris, aux États‑Unis. Il appartenait donc aux parlementaires d’étudier cette question en profondeur, à la lumière des différents points de vue des parties prenantes.
I.- L’expérimentation animale : points de vue scientifique, associatif et
règlementaire
Les animaux sont des êtres sensibles, dont il est estimé qu’ils sont dotés d’une forme de conscience – toutefois différente de la conscience humaine –, ont noté plusieurs scientifiques, dont le spécialiste du comportement animal, M. Deputte. Il reste nécessaire d’évaluer le ressenti des animaux dans les conditions du laboratoire, pour détecter tout mal-être, et l’éviter autant que possible.
Les interventions de Mme Sirigu, de MM. Dudoignon et Balansard ainsi que du Pr Combrisson ont permis de mettre en évidence le fait que chaque laboratoire, académique ou industriel, est aidé dans cette démarche par les structures « Bien-être animal » (SBEA) et suit la Charte nationale d’éthique rédigée par la Commission nationale d’expérimentation animale et le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale. Comme préconisé dans le rapport de l’OPECST de 2009([1]), les vétérinaires participent activement à la surveillance de l’état physique et mental des animaux. Les laboratoires peuvent également faire le choix d’être accrédités par un organisme indépendant, ce qui implique un audit régulier.
La directive européenne concerne les vertébrés, groupe au sein duquel on retrouve notamment les mammifères, et une famille d’invertébrés, les céphalopodes (calmars) ; elle a fait évoluer la règlementation autour de l’habitat des animaux en laboratoire, leur garantissant un espace plus grand. Au-delà du changement de la règlementation, de bonnes pratiques expérimentales sont enseignées aux personnels travaillant avec des animaux, et actualisées au cours de la formation continue, obligatoire. Depuis la directive européenne, les formations comportent une formation spécifique à l’espèce animale utilisée par l’expérimentateur. Les scientifiques (Pr Combrisson, Mme Sirigu, MM. Balansard et Dudoignon) ont assuré que la prise de conscience de la sensibilité animale était générale, et que les personnels utilisant des animaux étaient également plus attentifs au bien-être des animaux qu’auparavant.
Certaines techniques d’expérimentation n’utilisant pas d’animaux, mais des cellules en culture par exemple, ouvrent la perspective d’une recherche qui pourrait se passer des animaux. Au cours de l’audition, il est apparu clairement que pour certains domaines, ce remplacement est impossible (avis partagé par tous les intervenants excepté M. Ménache). C’est le cas notamment des neurosciences comportementales, ce que Mme Sirigu a illustré par un cas concret de recherche qui a directement bénéficié aux personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Les recherches en cours sur l’autisme ont aussi été évoquées pour démontrer la nécessité de ces travaux et l’impossibilité de faire ce genre d’études avec des animaux simples ou des modèles non animaux.
Le secteur de l’industrie pharmaceutique insiste également sur l’obligation tant morale que règlementaire de tester de futurs médicaments sur les animaux et considère qu’il est pertinent d’utiliser des animaux comme modèles expérimentaux, vu les bénéfices que l’expérimentation animale a apportés à la santé humaine par le passé. À plusieurs reprises, les représentants de ce secteur, mais aussi MM. Boissel(2) et Balansard ont noté que des approches réductrices, tendant à qualifier des techniques substitutives trop simplistes, ne permettent pas d’appréhender la complexité du vivant.
Plusieurs experts (MM. Dudoignon, Ménache, Boissel, Decelle et Furger([2])) se sont accordés sur le fait que les animaux, notamment les rongeurs, actuellement les plus utilisés, ne sont pas des modèles parfaits de la physiologie humaine, car, comme l’a résumé M. Ménache: « Nous ne sommes pas des rats de 70 kg ». L’échec de neuf médicaments potentiels sur dix (validés sur des modèles animaux au préalable) lors des phases cliniques, pendant lesquelles ils sont testés chez l’homme, illustre bien les limites des modèles animaux. Devant l’absence de modèle parfait, M. Boissel, M. Ménache et le Pr Marano estiment que les données issues des études de biosurveillance et des études épidémiologiques devraient être exploitées au mieux, puisqu’elles sont directement obtenues chez l’homme.
La création d’une commission d’enquête sur la validité des modèles animaux, demandée par le représentant du Comité scientifique Pro Anima, ne constitue pas a priori l’outil d’investigation le plus adapté pour un sujet d’évaluation scientifique, mais pose néanmoins clairement la question d’une évaluation apaisée comparant les résultats du modèle animal et les autres techniques.
Il a été noté à plusieurs reprises par les représentants de l’industrie pharmaceutique que la règlementation différait d’une région du monde à une autre ; ainsi, la législation est moins contraignante en Amérique du Nord ou surtout en Asie, par rapport à l’Europe, même si la situation en Asie s’améliore rapidement. Comme cela avait déjà été mentionné dans le rapport de l’OPECST de 2009, durcir excessivement la règlementation risquerait de peser sur la compétitivité des laboratoires académiques et industriels, et d’encourager la délocalisation des études sur animaux par les entreprises vers des lieux où les exigences sont moins respectueuses des animaux. M. Dudoignon a estimé que la France se trouvait dans un assez juste équilibre entre la prise en compte du bien‑être animal et l’application de mesures contraignantes qui pourraient affecter la compétitivité de la recherche.
Le représentant du GIRCOR a expliqué qu’une des raisons du rejet de l’expérimentation animale par le grand public était sa mauvaise information : 80 % des personnes interrogées reconnaîtraient ne pas savoir en quoi cette expérimentation consiste. Il a par ailleurs estimé que certaines associations de défense des animaux profitaient de cette mauvaise connaissance pour véhiculer des idées fausses dans l’opinion publique. De même, certaines entreprises du secteur cosmétique utilisent par exemple un étiquetage « non testé sur des animaux », alors que les tests sur les animaux sont interdits depuis 2012([3]).
L’expérimentation animale pour la recherche peut aussi être comparée avec l’utilisation des animaux à des fins alimentaires : M. Chapouthier a considéré que ces derniers bénéficient de moins bons traitements que dans la recherche.
Les questions des parlementaires et du public ont mis en évidence l’utilisation, par la France, de beaucoup plus d’animaux que ses voisins, pour l’enseignement (secondaire et supérieur). Sans qu’une explication convaincante de cette différence ne se soit vraiment fait jour, la CNEA a assuré appliquer la même règlementation aux projets utilisant des animaux pour l’éducation qu’aux projets de recherche qui lui sont soumis. M. Chapouthier et le Pr Combrisson ont estimé que des efforts pourraient être utilement faits dans l’enseignement secondaire et supérieur pour réduire l’utilisation d’animaux. Un accès à l’expérimentation sur animaux aux seuls étudiants qui sont déjà avancés dans leur cursus et proches d’une entrée en laboratoire est envisagé en ce sens par un groupe de travail de la CNEA. Ces travaux pratiques seraient l’occasion de prodiguer une formation morale et pratique, à l’éthique et à la manipulation des animaux, dont M. Chapouthier a dénoncé l’insuffisance, sur l’aspect moral. Un enseignement obligatoire dans les formations du supérieur concernées permettrait de sensibiliser les étudiants avant leur arrivée en laboratoire, où il n’est pas rare de devoir attendre plusieurs mois avant de pouvoir bénéficier de la formation, selon les recherches effectuées par ailleurs par l’Office.
Pour examiner les avancées réalisées dans le domaine des méthodes alternatives à l’expérimentation animale ou au sein de celle-ci, au cours de la seconde table ronde, vos rapporteurs ont souhaité faire intervenir :
– un représentant des acteurs scientifiques impliqués dans le développement de ces méthodes alternatives, en la personne du Pr Francelyne Marano, présidente de la Plateforme française dédiée au développement, à la validation et à la diffusion de méthodes alternatives en expérimentation animale (FRANCOPA) ;
– des représentants de deux initiatives scientifiques de méthodes substitutives : M. Christophe Furger pour le programme Valitox, et M. Jean‑Pierre Boissel pour la société Novadiscovery ;
– un représentant du syndicat des entreprises pharmaceutiques (LEEM), M. Thierry Decelle ;
– un représentant d’une association finançant la recherche et le développement de méthodes substitutives, le Comité scientifique Pro Anima, M. André Ménache, également intervenant de la première audition.
II.- Les méthodes alternatives : perspectives d’utilisation et promotion de leur utilisation
Depuis la proposition, par W. Russell et R. Burch, de la stratégie dite des « 3 R » en 1959, mais aussi depuis le rapport de l’OPECST de 2009, de nombreuses avancées scientifiques récentes ou leur meilleure accessibilité, permettent d’estimer que ce principe fait l’objet d’un suivi plus rigoureux. Il a été rappelé par le Pr Marano et par M. Balansard, qu’il ne se limitait pas à encourager la substitution de l’expérimentation (replace) mais aussi à réduire le nombre d’animaux utilisés (reduce) et à réduire l’ensemble des contraintes subies par les animaux (refine).
En l’espèce, des améliorations technologiques significatives ont été évoquées, avec la culture cellulaire et la microfluidique, permettant d’utiliser des cultures de cellules humaines sur le plus long terme et de se rapprocher de la réalité physiologique avec des modèles fonctionnels, notamment avec les organoïdes et les organes-sur-puces. Les améliorations technologiques, comme dans le domaine de l’imagerie, permettent également de réduire le nombre d’animaux et la sévérité des procédures qui leur sont appliquées.
Les technologies dites « omics »([4]), dont l’utilisation a très fortement augmenté, ouvrent la perspective d’une grande quantité d’informations retirées d’un nombre d’animaux utilisés plus faible. La révolution du big data et l’utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle devraient permettre d’appréhender la physiologie humaine dans la mesure où des données de santé acquises chez l’homme peuvent être analysées à grande échelle. Il a aussi été montré par M. Boissel que les connaissances biomédicales pouvaient être utilisées de façon à modéliser des aspects de la physiologie humaine, notamment des maladies. Ainsi, dans le cas de l’accident vasculaire cérébral, un algorithme s’est avéré un meilleur modèle que le rongeur.
Ces technologies font l’unanimité, mais il a été noté par les Pr Marano et Combrisson, MM. Balansard, Boissel et Decelle, qu’elles restaient d’abord complémentaires des techniques d’expérimentation animale classiques, dans le sens où elles ne permettent pas de répondre aux mêmes questions. Il est ressorti que les techniques in vivo, in vitro et in silico ne doivent pas être opposées mais combinées dans une démarche intégrée tirant parti des avantages de chacune. M. Balansard a particulièrement insisté sur la nécessité de disposer de tous les modèles possibles pour mieux appréhender la complexité du vivant.
Les méthodes substitutives sont utilisées en recherche, domaine dans lequel elles ne nécessitent pas d’accréditation. Leur utilisation en industrie (pharmaceutique et cosmétique par exemple), en remplacement des tests toxicologiques, nécessite une validation règlementaire par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et l’ECVAM (Centre européen pour la validation des méthodes alternatives). La procédure actuelle a été, d’une part, critiquée par MM. Ménache et Furger pour sa lenteur et son coût, très dissuasifs, d’autre part, encensée par le LEEM pour sa rigueur et la nécessité de disposer de tests fiables et sûrs.
Il a été regretté, avec l’intervention de M. Ménache comme avec les questions du public, que des experts des méthodes alternatives ne figurent pas au sein des comités d’éthiques locaux, de façon à conseiller les porteurs de projet. M. Ménache a estimé en effet que les scientifiques s’en tenaient aux concepts de réduction et d’amélioration, sans envisager sérieusement le remplacement. Le GIRCOR et le LEEM sont d’avis que les chercheurs qui composent les comités connaissent déjà, pour leur domaine d’expertise, la grande majorité des techniques disponibles pour répondre aux questions posées dans les projets, et les techniques alternatives comme les cultures cellulaires sont déjà utilisées, pas toujours cependant dans l’objectif de réduire l’expérimentation animale.
De même, selon FRANCOPA et le GIRCOR, les techniques alternatives étant déjà utilisées en recherche comme méthodes complémentaires des approches in vivo, il apparaît moins pertinent de proposer un cursus universitaire consacré aux méthodes alternatives que d’enseigner ces techniques dans les cursus actuels, en complément des techniques classiques.
Le représentant du secteur pharmaceutique a souligné que les différences de règlementation entre les pays peuvent constituer une limite au développement des méthodes substitutives en entreprise, car bien que l’Europe autorise des tests in vitro pour certaines procédures, d’autres pays persistent à exiger des tests in vivo.
La prise en compte des nouvelles technologies nécessite une révolution culturelle. La Haute Autorité de santé américaine a fait un pas dans ce sens, autorisant le fait d’apporter une preuve de concept pour un médicament via une modélisation informatique (in silico). M. Boissel a jugé qu’il était nécessaire d’inciter les organismes tels que l’Agence européenne du médicament, l’Agence nationale de sécurité du médicament ou la Haute Autorité de santé, à envisager d’aller en ce sens.
Il a aussi été demandé par M. Ménache que l’accès à des rebuts de tissus humains, issus de la chirurgie par exemple, et destinés à l’incinération, soit facilité lorsque leur utilisation est pertinente, notamment parce qu’elle permettrait de limiter l’utilisation d’animaux.
Dans le rapport de 2009, l’OPECST suggérait d’encourager le développement de méthodes alternatives et substitutives par la création d’un prix scientifique prestigieux. En France, l’unique prix existant est remis par une association, donc par l’initiative privée, et seuls des financements européens sont exclusivement dédiés à la recherche et au développement de technologies substitutives, souvent dans un objectif très précis, comme dans le cas du projet SEURAT([5]) pour la toxicité chronique des produits cosmétiques.
Le manque de financements dédiés à la recherche sur les méthodes substitutives a été dénoncé par le Comité scientifique Pro Anima, FRANCOPA et le responsable du programme Valitox. Concernant les pratiques actuelles en laboratoire, et bien qu’aucune proportion des expérimentations in vitro ou in silico par rapport aux in vivo n’ait pu être estimée, le Pr Marano et Combrisson, et MM. Balansard et Decelle ont affirmé que toutes les techniques étaient utilisées, parfois par le biais de consortium, permettant à chaque équipe de recherche d’apporter son expertise dans un type donné d’expérimentation. Il apparaît donc que les financements actuels contribuent déjà au développement de méthodes alternatives, même si ces financements ne sont pas « fléchés » comme tels, d’autant plus que la tendance est au regroupement de laboratoires possédant des expertises complémentaires, pour l’obtention de tels financements.
D’après le Pr Combrisson, la question du financement dédié aux méthodes alternatives se pose également dans le cadre de cursus éducatifs, pour lesquels des investissements sont nécessaires, par exemple pour l’utilisation de la réalité virtuelle pour la formation pratique des étudiants des écoles vétérinaires.
FRANCOPA et le GIRCOR ont suggéré de créer un « Centre 3 R », par analogie avec ce qui existe au Royaume-Uni et des plateformes pour soutenir le développement de méthodes substitutives dans certains domaines, à l’instar de la plateforme de pré-validation prévue dans le Plan national santé environnement 3, dans le cadre de la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens.
En 2009, l’OPECST avait soutenu le principe de la création d’une base de données qui permettrait aux chercheurs de partager des résultats ou des données obtenus au laboratoire, mais qu’ils n’auraient pas l’intention de publier par la voie classique ; cela aurait en effet permis de ne pas réitérer inutilement des expériences, notamment lorsqu’elles sont vouées à l’échec. Aucune base de données publique n’a été créée en ce sens, mais plusieurs initiatives de revues, telles que Negative Results([6]), proposent de publier ces résultats dans un format plus simple qu’une publication classique. Il faut également noter que les récentes plateformes de partage d’articles telles qu’Arχiv([7]) et bioRχiv([8]) facilitent également la diffusion de ces résultats.
Néanmoins, selon MM. Balansard et Dudoignon, la diffusion des résultats non-attendus, inexpliqués, dits « négatifs » n’est pas dans les habitudes des chercheurs ; elle représente un changement culturel qui nécessitera un encouragement.
III.- Recommandations des rapporteurs
Bien que les avancées technologiques laissent présager un meilleur suivi des recommandations énoncées dans la règle des « 3 R », plusieurs voies d’amélioration peuvent être envisagées à l’issue des deux tables rondes de l’audition publique.
Puisque les modèles animaux ne sont pas toujours représentatifs de la physiologie humaine, notamment pour ce qui concerne certaines maladies, il est apparu qu’il fallait inciter au développement d’études de biosurveillance et d’études épidémiologiques, ces études produisant des données de santé humaines. L’avènement des big data (données massives) permet d’envisager des études à grande échelle, comme dans le cadre du projet européen HEALS (Health and Environment-wide Associations based on Large population Surveys). La possibilité d’une utilisation des données regroupées dans les dossiers médicaux partagés (DMP), récemment mis en place, pourrait être étudiée. L’analyse épidémiologique de ces données, avec l’accord des personnes concernées et dans le cadre d’une gestion rigoureusement éthique et de la garantie de la sécurité des données, constituerait un observatoire de la physiologie de la population française.
La modélisation de la physiologie humaine par des algorithmes d’intelligence artificielle (l’in silico), basée sur des données biomédicales, a semblé avoir un fort potentiel de remplacement de l’expérimentation animale. C’est le cas surtout pour la preuve de concept qui doit être apportée aux autorités sanitaires avant l’entrée d’un médicament potentiel dans des phases cliniques. La Haute Autorité de santé américaine a pris ce chemin en 2017 ; il faut encourager la Haute Autorité de santé et l’Agence nationale de sécurité du médicament à faire de même.
Dans le prolongement de ce que l’Office proposait déjà en 2009, la publication des résultats dits « négatifs » sur les plateformes disponibles devrait être encouragée par la valorisation de ces publications, à travers la définition d’un critère de performance qui y serait attaché.
L’audition a par ailleurs mis en évidence la nécessité de prodiguer les rudiments de la formation à l’éthique et à la bientraitance des animaux dans le cursus universitaire, ainsi que de limiter l’utilisation d’animaux en travaux pratiques à l’enseignement supérieur. Concernant la formation des jeunes chercheurs ou des chercheurs changeant de modèle animal d’étude, il semble très important qu’ils puissent suivre une formation spécifique dans les meilleurs délais (au maximum d’un mois), au besoin en ouvrant un plus grand nombre de places en formation pour atteindre cet objectif, qu’il faut soutenir.
Enfin, en 2016, les associations de défense de la cause animale ont reçu une réponse positive à leur demande de doublement du nombre de leurs membres siégeant à la Commission nationale d’expérimentation animale. Celle-ci se compose actuellement([9]) d’un président, de huit représentants de ministères, de six personnalités représentant les secteurs de la recherche publique et privée, de trois personnalités proposées par les professionnels de l'expérimentation animale et de trois personnalités proposées par les associations de protection des animaux et de la nature. Le décret nécessaire à ce changement demeure cependant encore en attente de publication, semble-t-il du fait que sa publication était liée à celle d’un autre décret sur l’abattage des animaux. Il convient maintenant que l’Office insiste auprès des ministres compétents sur la nécessité de publier le décret attendu depuis maintenant trois ans.
— 1 —
I. compte rendu de l’audition publique du 17 janvier 2019
Audition publique sur l’utilisation des animaux en recherche et les alternatives à l'expérimentation animale : état des lieux et perspectives
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office.- Le sujet de ce matin a été introduit par notre premier vice-président Cédric Villani. Une initiative courageuse, utile, et sans doute indispensable. L’expérimentation animale est un sujet à la fois polémique et récurrent. Nous devons établir l’état des lieux en France et à l’étranger de façon assez exhaustive et systématique.
En décembre 2009, nos collègues MM. Michel Lejeune et Jean-Louis Touraine, députés, avaient présenté un rapport sur « l’expérimentation animale en Europe : Quelles alternatives ? Quelle éthique ? Quelle gouvernance ? »([10]). Ils avaient formulé des recommandations et s’étaient montrés relativement optimistes sur la perspective d’utiliser des méthodes alternatives dans un certain nombre de cas.
Qu’en est-il dix ans après ? C’est l’objet de cette audition ouverte au public, à la presse, et diffusée en direct et en différé sur internet.
Je cède la parole à Cédric Villani, qui présidera la première table ronde.
1. L’expérimentation animale : état des lieux ; points de vue scientifique, associatif et sociétal
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- C’est un plaisir et un honneur de vous accueillir aujourd’hui. Nos intervenants viennent de toute la France : Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Pays basque, pour une première table ronde consacrée à un état des lieux de l’expérimentation animale en sciences : la question de l’utilité des animaux en sciences, les conditions dans lesquelles l’expérimentation animale s’effectue, la formation des personnels, les connaissances disponibles sur les sujets tels que la conscience animale et leur adéquation avec l’utilisation qui en est faite.
Parmi les intervenants, il y aura des experts scientifiques parlant de l’expérimentation animale telle qu’elle a lieu dans leur laboratoire ou leur entreprise, une association militant pour la cause animale, une association promouvant les alternatives à l’expérimentation animale et des experts participant à la réglementation de l’expérimentation à l’échelle de la France.
Nous privilégierons les angles scientifiques et réglementaires tout en tenant compte des sensibilités de l’opinion publique et des citoyens sur ce sujet. Nous nous restreindrons à la situation en France, tout en nous intéressant à ce qui se passe à l’étranger, en particulier au sein de l’Union européenne.
Dans la seconde table ronde, le sujet des méthodes alternatives sera traité en profondeur avec un regard international.
En ce qui concerne le cadre législatif, la directive européenne 2010/63/EU du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2010, relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, fixe le cadre européen de l’expérimentation animale.
Le public ici présent et les internautes qui suivent la retransmission en direct pourront poser des questions que nous soumettrons aux experts durant les deux phases du débat. Les questions du public seront ramassées après les interventions des experts. Les internautes peuvent poser des questions via une plateforme dédiée. Nous collecterons les questions reçues via les réseaux sociaux et les poserons aussi dans la mesure du temps disponible. Celles qui ne sont pas traitées en séance seront, dans la mesure du possible, traitées en différé avec une réponse par voie électronique.
M. Chapouthier, par votre parcours scientifique et votre activité militante, vous incarnez une partie du débat sur l’expérimentation animale. Directeur de recherche émérite au CNRS, philosophe, membre du conseil d’administration de La Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA), vous êtes bien connu et respecté sur ce sujet. En parallèle de votre activité de recherche en neurobiologie qui vous a amené à travailler avec des laboratoires, vous avez développé une expertise philosophique de la question de l’expérimentation animale qui a donné lieu à une thèse de doctorat en lettres et sciences humaines intitulée « Essai de définition d’une éthique de l’homme vis-à-vis de l’animal » (1986) et à un ouvrage : « Le chercheur et la souris » (2013).
M. Georges Chapouthier, directeur de recherche émérite au CNRS et philosophe, membre du CA de La Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA).- Je commencerai par donner quelques grandes idées pour amorcer le débat. Je suis à la fois neurobiologiste et partisan du droit de l’animal. Je pense que seule cette façon de confronter les deux aspects, a priori antagonistes, permettra d’arriver à un résultat. Toute autre solution, soit d’un côté, soit de l’autre, me paraît abusive et excessive.
Tout d’abord, de quel animal parle-t-on ? Le règne animal comprend des groupes très variés, par exemple les éponges, qui n’ont aucune sensibilité, et des groupes d’animaux très nombreux avec une sensibilité nerveuse. Il ne s’agit pas de sensibilité au sens où on l’entend d’une plante ou d’une pellicule photo qui sont sensibles à la lumière. Il s’agit d’une sensibilité nerveuse que possède la plupart des groupes animaux. Lorsqu’ils subissent un événement qui risque de porter atteinte à leur corps, ils sont capables de fuir ou de retirer une partie de leur corps, souvent de façon réflexe, c’est-à-dire non consciente.
La présence d’un cerveau développé chez certains animaux, dits fortement céphalisés, ouvre la possibilité qu’il existe des phénomènes de conscience, auxquels nous ferons référence plus tard dans ce débat. On parlera alors de phénomènes de douleur quand il y a nociception (détection biologique du stimulus douloureux) et émotion, et de souffrance quand il y a nociception et cognition, conscience de cette souffrance. Ce sont ces animaux-là qui intéressent le plus les gens préoccupés par le respect de l’animal, mais la question se pose aussi pour les autres. À ce propos, il serait intéressant de savoir à partir de quand parler de conscience.
Deuxième remarque, l’expérimentation animale est porteuse d’une ambiguïté épistémologique et d’un conflit moral. Ambiguïté épistémologique, parce que la grande majorité des animaux, composée de rongeurs (souris, rats, etc.), est considérée suffisamment proche de l’homme pour que les résultats obtenus puissent servir à l’amélioration de la thérapeutique humaine, mais suffisamment loin pour que la question morale ne se pose pas trop. Il y a là un conflit moral, parce qu’il y a, d’une part, le souhait de ne pas faire mal à l’animal, d’autre part, celui de faire progresser la médecine humaine.
Je suis de ceux qui pensent qu’il n’est pas concevable de supprimer l’expérimentation animale à moyen terme ; en revanche, il faut l’améliorer. Au plan juridique, l’expérimentation animale est en avance sur les autres domaines de l’utilisation de l’animal par l’homme. Par exemple, un chercheur n’a pas le droit de faire souffrir un poisson pour s’amuser. En revanche, pour le plaisir gastronomique, on peut plonger une truite vivante dans l’eau bouillante.
Dans le domaine de l’expérimentation animale, ces règles sont résumées dans la directive européenne 2010/63/EU. Celle-ci a des manques, mais dans l’ensemble elle présente un caractère d’amélioration. Philosophiquement, elle s’appuie sur la règle des 3 R : « Raffiner » les protocoles, Remplacer quand c’est possible, Réduire le nombre d’animaux, auxquels on ajoute un quatrième R : Réhabiliter les animaux après l’expérience, quand c’est possible. Tout cela va dans le bon sens.
La science n’est pas figée. Actuellement, on considère qu’il est légitime de protéger d’éventuelles souffrances les vertébrés et les céphalopodes comme la pieuvre. La question se pose pour d’autres groupes d’animaux : les crustacés, comme le homard, sont très étudiés actuellement au plan scientifique. La science évolue et les conséquences morales et juridiques doivent aussi évoluer.
Les animaleries peuvent être réglementées, mais il est impossible de mettre un inspecteur derrière chaque chercheur. La formation morale des personnels qui s’occupent des animaux (chercheurs, techniciens…) est aujourd’hui très insuffisante. Cette formation doit aider le chercheur à voir dans l’animal autre chose qu’un simple élément nécessaire pour produire sa thèse. Ce point essentiel pourrait être beaucoup amélioré si l’on imposait aux chercheurs en biologie et aux personnels techniques des formations morales plus poussées.
Enfin, dans tous les autres cas d’utilisation de l’animal par l’homme, l’expertise du scientifique peut être utile. Dans une démocratie, c’est le peuple et donc ses représentants qui font les lois. Mais dans ce domaine, compte tenu du type de contraintes et de droits liés à certains groupes d’animaux, le législateur ne peut pas faire l’économie de l’expertise du scientifique. Celui qui connaît l’expérimentation animale aura donc un rôle essentiel, non seulement dans son domaine, mais pour délimiter aussi les contraintes que la société peut se donner dans d’autres domaines d’utilisation des animaux.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Merci pour cet exposé qui plante très bien le sujet avec ses ambiguïtés, ses conflits et ses volontés d’amélioration.
Mme Angela Sirigu, vous êtes une chercheuse reconnue dans le domaine des sciences cognitives, médaille d’argent du CNRS en 2013. Vos travaux de recherche en neuropsychologie vous ont amenée à travailler sur plusieurs animaux modèles, dont des primates, pour lesquels la réglementation est stricte. En particulier, nous aimerions vous entendre sur la question des règles d’éthique et leur application, notamment lors de la réalisation d’expériences – comment les choses se passent-elles concrètement en laboratoire ? – et tout autre sujet que vous jugerez important pour le débat.
Mme Angela Sirigu, directrice de recherche au CNRS, directrice de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, CNRS et université de Lyon.- Je vais évoquer le rôle de la recherche pour la compréhension des comportements humains, en particulier la recherche réalisée avec les modèles primates dans les sciences du cerveau actuelles et futures. En neurosciences, depuis les années 1970, les enregistrements sur des singes éveillés nous ont donné une compréhension précise du rôle des différentes régions cérébrales. C’est grâce à la recherche chez les primates non humains que l’on peut investiguer des modèles pathologiques.
Il faut le reconnaître, la recherche chez le primate pose une question éthique. Il est légitime de se demander si l’on peut avancer dans les connaissances du fonctionnement cérébral et ses altérations sans connaître les coûts de la recherche chez les primates.
Les modèles primates ont énormément contribué à la médecine moderne. Il est assez spectaculaire de voir les tremblements d’un patient parkinsonien s’arrêter lorsqu’il appuie sur un bouton, déclenchant une stimulation dans son cerveau. Ce résultat est issu de la recherche chez les primates non humains, des enregistrements qu’une équipe de Bordeaux a pu faire dans les structures profondes du cerveau.
La recherche chez les primates a également contribué aux progrès chez les patients tétraplégiques, en leur permettant de piloter des bras robotisés. Des recherches, porteuses d’espoirs, sont en cours dans ce domaine.
Les militants de la cause animale estiment que les expériences sur la souris ne font qu’augmenter la souffrance animale et qu’elles n’apportent rien, parce que les fonctions cérébrales de la souris sont très différentes de celles de l’homme, ce qui est faux. L’argument contraire, à savoir que les fonctions cérébrales des primates sont proches de celles de l’homme, est utilisé pour bannir la recherche chez les primates.
Les rongeurs représentent 80 % de la recherche fondamentale en neurosciences et les primates seulement 0,1 %. La question éthique se pose, il faut la prendre en considération. Cependant, je veux souligner que les seules espèces de primate utilisées en laboratoire sont des macaques. Il y a un saut évolutif entre les macaques et l’homme ; les grands primates, les plus proches de l’homme, ne sont pas utilisés.
Au niveau réglementaire, que ce soit dans les laboratoires de recherche du CNRS, de l’Inserm ou du CEA, il y a beaucoup de réglementations qui permettent de restreindre la recherche chez les primates et de bien la contrôler. Chaque projet est soumis à un comité d’éthique. Des directives européennes dictent des règles sur la recherche sur les primates. Chaque laboratoire met en place une SBEA –Structure chargée du bien-être des animaux –, pour que les chercheurs échangent entre eux et qu’on puisse intervenir en cas de dysfonctionnement.
Tous les chercheurs s’engagent à respecter le principe des 3 R : Réduction (du nombre d’animaux), « Raffinement » (amélioration des techniques), Remplacement (développement de techniques substitutives). Il y a aussi beaucoup de GDR (groupements de recherche) qui se sont formés pour contrôler l’expérimentation animale chez les primates.
Enfin il faut continuer l’effort de communication avec le public sur les conditions d’expérimentation.
Je terminerai sur l’avenir de la recherche dans le domaine des neurosciences. Existe-t-il des modèles alternatifs pour la compréhension des fonctions cérébrales ?
J’ai évoqué la contribution des modèles primates à la médecine. Dans le domaine des recherches actuelles sur l’autisme, qui est un fardeau pour notre société, je suis convaincue qu’on ne peut pas se passer de la recherche animale si l’on veut comprendre la maladie.
Tout d’abord, des recherches inter-espèces sont nécessaires, de la souris vers le primate et l’homme. Ensuite, des recherches en parallèle sont nécessaires, par exemple, pour comprendre les systèmes de neurotransmission, qui sont altérés dans l’autisme. Il y a des comportements très sophistiqués qu’on retrouve chez les primates non humains, et qui sont en train d’être investigués chez l’homme, dont on ne connaît pas du tout les mécanismes neuronaux.
Je vais vous présenter une vidéo dans le cadre d’un projet de recherche à l’université de Tucson, dans laquelle figurent des macaques. Dans cette vidéo, deux singes se toilettent mutuellement ; le toilettage étant un élément de la vie sociale des singes. Cette vidéo a été présentée à un autre singe, et l’endroit que ce singe observe sur la vidéo est symbolisé par un point, observable sur l’image. La chercheuse a enregistré l’activité électrique des neurones dans une zone du cerveau appelée l’amygdale, via une sonde implantée dans le cerveau du singe observateur. Chaque pic d’activité détecté par la sonde est encodé par un signal sonore, c’est ce que vous entendez dans l’enregistrement audio. Il est possible de remarquer une augmentation de la fréquence des signaux sonores, c’est-à-dire une augmentation de l’activité des neurones de l’amygdale, lorsque le singe regarde les yeux des singes dans la vidéo.
Cet exemple de recherche fondamentale met en évidence le substrat neurologique de certains comportements, par exemple le comportement d’évitement oculaire qu’on retrouve chez les autistes, sujet sur lequel on a très peu de connaissances. On va désormais pouvoir investiguer ce substrat chez l’homme pour voir de quelle manière il dysfonctionne et comment y remédier.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Merci. Nous allons passer à la recherche industrielle qui utilise aussi des animaux à des fins scientifiques. Une enquête du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation indique que le secteur pharmaceutique utilise de façon importante des animaux pour des activités de recherche appliquées à la santé : un quart environ([11]). D’autres secteurs de l’industrie pharmaceutique sont concernés, le secteur Qualité qui vérifie l’efficacité et l’innocuité des produits de santé manufacturés par exemple. Je donne maintenant la parole à M. Nicolas Dudoignon sur la question de la nécessité et des conditions dans lesquelles l’expérimentation animale se fait dans le contexte de l’entreprise.
M. Nicolas Dudoignon, vétérinaire, responsable de la politique de protection animale, Sanofi R&D.- Je vous remercie de l’opportunité qui nous est donnée d’intervenir aujourd’hui. Je suis vétérinaire et j’exerce en laboratoire depuis la fin de mon cursus vétérinaire, en étant passé par une thèse universitaire. Mon rôle consiste à garantir au sein de Sanofi l’application des lois, des règlements et des meilleurs standards définis pour garantir la protection des animaux qui sont utilisés, et à établir une politique d’ensemble à l’échelle des sites R&D de la branche Médicaments. Je suis basé au siège R&D sur le site de Chilly-Mazarin dans l’Essonne.
Mon rôle est aussi d’interagir activement avec les autres acteurs du secteur privé, notamment le LEEM qui représente l’industrie du médicament, pour promouvoir une recherche utile et responsable dans toutes ses composantes.
Notre mission chez Sanofi est d’améliorer la santé de centaines de millions de personnes à travers le monde. Pour la prévention de différentes maladies et la mise à disposition de différents médicaments, nous disposons d’infrastructures principalement dans trois pays : France, Allemagne et États-Unis, ainsi qu’en Asie. Il est important pour nous de s’assurer que nos standards sont comparables dans toutes les différentes composantes de notre programme.
La R&D de Sanofi comprend 5 000 collaborateurs en France sur 6 sites et un investissement significatif pour financer la R&D en interne, mais aussi irriguer l’écosystème français de la recherche biomédicale avec de multiples partenariats.
Pour répondre aux besoins de nos axes de recherche qui ont été recentrés sur l’oncologie, l’immunologie et l’inflammation, les maladies rares, les maladies neurologiques, le diabète et les maladies cardio-vasculaires, tous les projets démarrent par l’identification d’une ou plusieurs cibles dont la validation et la pertinence passent inévitablement par des étapes initiales de modélisation informatique, de synthèse chimique ou biologique, puis des phases de caractérisation sur cellules in vitro.
Ensuite, il est évident pour nous qu’il n’est ni justifié ni acceptable, scientifiquement, éthiquement ou réglementairement, de passer directement aux essais cliniques chez l’homme sans phase préalable de caractérisation, d’efficacité et d’innocuité sur des modèles animaux.
En matière de prédiction des effets chez l’homme, bien que des méthodes non animales existent et soient utilisées abondamment, leurs performances n’égalent pas suffisamment celles qu’on peut attendre et qu’on connaît des essais sur les animaux.
Depuis longtemps, comme l’a déjà mentionné Mme Sirigu, des comités d’éthique interviennent dans les laboratoires. Le secteur privé s’est de longue date investi dans ce secteur. Des comités d’éthique sont en place pour examiner toutes les demandes d’utilisation des animaux qui sont présentées par les équipes de recherche, et c’est seulement après l’approbation de ces demandes que l’on peut engager des recherches.
Ce recours n’est vraiment autorisé que si l’on a démontré que l’on ne pouvait pas répondre à la question scientifique posée via une méthode substitutive, qui éviterait l’utilisation des animaux. C’est ce que soulignait déjà le rapport de l’OPECST de 2009 en insistant sur la nécessité d’effectuer cet examen éthique, sous forme d’une analyse au cas par cas mettant en balance les avantages à utiliser des animaux et les inconvénients qui en résultent pour eux.
Cette justification du recours aux animaux par rapport à d’autres méthodes non animales est un sujet auquel j’apporte une grande importance pour m’assurer que les scientifiques ont vraiment pesé avec soin les avantages et les limites des différents modèles. Il est bien question de modèles de recherche sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour répondre à l’hypothèse qu’ils formulent.
Le recours à l’animal s’explique par la nécessité d’un modèle pour récapituler la complexité du vivant et ses interactions dynamiques, et parce qu’en la matière, on a atteint la limite des modèles non animaux.
Le choix de l’espèce est un point crucial. On note des évolutions dans ce domaine, à la fois parce que les avancées marquantes en génétique nous permettent d’accéder à des modèles beaucoup plus ciblés, et que l’industrie pharmaceutique a pris un virage en s’orientant vers des produits biologiques plutôt que des produits chimiques. En cela, la cible telle qu’elle est identifiée chez l’homme n’est pas nécessairement présente chez toutes les espèces animales. On s’attache donc à n’analyser que l’espèce d’intérêt, même si cette espèce devait être un primate, comme cela a été récemment le cas avec l’isatuximab, un produit anticorps utilisé contre le myélome multiple en cancérologie.
Nous avons d’autres exemples où les chercheurs s’appuient sur des modèles plus innovants comme le poisson zèbre, un tout petit poisson, par exemple dans le domaine de la recherche en cardiologie, plutôt que d’aller directement chez une espèce mammifère, comme les rongeurs ou le chien.
Dans cet esprit d’approche alternative globale en expérimentation animale, on inclut cette notion de remplacement, mais aussi la réduction du nombre et le « raffinement » des conditions d’utilisation. Pour cela, des biostatisticiens sont impliqués en amont dans la conception des études et les discussions au sein des comités d’éthique, pour s’assurer que les effectifs les plus faibles et adaptés possibles seront utilisés, mais aussi pour aider à exploiter les résultats et s’assurer que l’on va retirer un maximum d’informations exploitables de chacune des études.
La réutilisation des animaux, en tant que modalité de réduction du nombre utilisé, ne doit pas être négligée. Celle-ci est autorisée par le texte réglementaire, et au sein de nos laboratoires, elle est mise à profit afin de réduire le nombre d’animaux nécessaires dans les programmes de recherche, dans la limite du respect de la réglementation et des contraintes du bien-être animal, qui se traduisent par des règles internes en la matière.
En termes de niveau de soin que l’on souhaite prodiguer aux animaux présents dans les animaleries, les normes qui sont imposées aujourd’hui par la directive de 2010 et applicables en France depuis 2017 avaient été adoptées dès les années 2000 dans nos laboratoires. Nous avons à cœur de fournir aux animaux les meilleures conditions possibles en termes d’hébergement et d’enrichissement de leur environnement, pour leur permettre d’exprimer un maximum de comportements dit naturels, d’interagir entre eux et avec le personnel. C’est un élément important pour favoriser le bien-être des animaux et aussi le mieux-être du personnel qui travaille avec eux. Par exemple, on cherchera constamment à améliorer le confort d’animaux diabétiques qui sont handicapés par le surpoids ou par des mictions fréquentes.
Toutes les phases d’un protocole d’étude sont passées au peigne fin par le comité d’éthique avant qu’il soit mis en œuvre, puis dans le cadre de la réalisation par une cellule dédiée – la SBEA – structure chargée du bien-être des animaux présente dans les animaleries et les laboratoires, de façon à apporter les conseils adéquats pour que le bien-être des animaux soit pris en compte au mieux. Un vétérinaire est constamment disponible, il donne des conseils en matière d’anesthésie, de prise en charge de la douleur, ou encore de bonnes pratiques pour le prélèvement ou les techniques de chirurgie, et il participe aux programmes de formation continue du personnel.
Toutes ces améliorations, dont la portée peut sembler limitée au quotidien, constituent un programme conséquent au total, dans lequel s’inscrit aussi le développement de nouvelles techniques telles que l’apport de l’imagerie sur les petits animaux, qui nous permet des avancées significatives en matière de bien-être et de réduction ; il est possible d’utiliser un animal sur le long terme, de faire du suivi longitudinal sur des pathologies inflammatoires ou cancéreuses, là où avant les analyses séquentielles des lots d’animaux étaient nécessaires.
Le rôle des vétérinaires, qui a été renforcé avec la directive, est également très important chez Sanofi : ils s’impliquent à tous les niveaux. Nous avons un minimum de sept vétérinaires dédiés à ce sujet sur nos quatre sites de R&D français. Nous avons des équipes d’animalerie dévouées et du personnel formé pour tout cela.
Nous inscrivons toute cette démarche dans un « programme de soin et d’utilisation des animaux » qui est régulièrement audité par un organisme indépendant pour obtenir un niveau d’accréditation de nos installations. Cette démarche, menée sur tous nos sites, est l’un des gages d’engagement de l’entreprise dans une « culture of care », une culture de la bienveillance, du soin.
Toutes ces composantes sont pour nous essentielles tant que le recours aux animaux restera incontournable, avant d’administrer un médicament ou un vaccin à l’homme. L’une des pistes de discussion, bien que la porte soit déjà entrouverte par les autorités de santé, serait d’avoir plus de possibilités, et à l’échelle internationale, de limiter l’utilisation des animaux avant de procéder à une demande d’autorisation d’un médicament. Certaines autorités imposent cependant encore le recours à l’animal alors qu’on pourrait parfois s’en passer.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Quel est l’organisme indépendant chargé de l’audit ?
M. Nicolas Dudoignon.- L’AAALAC (Association for assessment and accreditation of laboratory animal care international – Association internationale pour l’évaluation et l’accréditation du traitement des animaux de laboratoire), une organisation internationale. On lui soumet un programme, elle visite le site tous les trois ans, et on lui présente un rapport d’activité annuel sur les améliorations en matière de bien-être des animaux et de sécurité du personnel.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Vous évoquez certains organismes ou pays qui imposent l’expérimentation animale.
M. Nicolas Dudoignon.- À l’échelle internationale de SANOFI, certains tests, requis par la réglementation, nous sont demandés pour mettre un médicament sur le marché. Là où l’Europe ne demande parfois qu’un test in vitro dans certaines applications, d’autres régions du monde continuent à imposer un test in vivo (sur des animaux), pour des tests de toxicité aiguë par exemple. Cela peut également porter sur certains tests de libération de lots de vaccins ou de produits biologiques : l’innocuité pourrait être démontrée in vitro, alors que certains pays continuent à demander des tests in vivo.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Avant d’aller plus loin sur les aspects réglementaires, nous allons entendre le point de vue d’associations promouvant les alternatives à l’expérimentation animale. L’OPECST s’efforce d’être le point de convergence d’expertises scientifiques et de la volonté citoyenne. Il est donc important d’entendre les associations, les corps intermédiaires, etc. M. André Ménache, au nom de l’association Antidote Europe et du comité scientifique Pro Anima, vous allez évoquer le ressenti des citoyens, ceux que vous représentez. Vous interviendrez également dans la seconde table ronde sur le financement des méthodes alternatives.
M. André Ménache, vétérinaire, conseiller scientifique Antidote Europe, porte-parole de Pro Anima.- Il est impossible de vous expliquer en quelques minutes ce qui m’a pris 40 ans à comprendre sur l’expérimentation animale. Je profiterai donc plutôt de l’occasion qui m’est donnée pour faire le plaidoyer de la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la validité du modèle animal.
Lors de cette commission d’enquête, les experts invités à témoigner auraient la tâche de vulgariser leurs arguments afin que les personnes sans formation en sciences du vivant puissent bien comprendre les enjeux en toute transparence. Les conclusions devraient aboutir à des recommandations pour faire évoluer les lois qui exigent encore la pratique d’essais sur des animaux.
Voici très brièvement une proposition de questions essentielles qu’une commission d’enquête parlementaire pourrait étudier de façon approfondie :
1/ Quelle est la signification du mot « prédire » en sciences du vivant ?
2/ Quelle est la signification de la complexité et de la biologie évolutionnaire dans ce débat ?
3/ Alors que notre plus proche cousin le chimpanzé, n’est plus considéré comme indispensable en recherche biomédicale selon l’Institut de la médecine aux États-Unis, pourquoi certains chercheurs insistent-ils toujours pour utiliser des singes, des chiens, des rats et des poissons zèbres beaucoup plus éloignés de nous en termes d’évolution ?
4/ Un exemple édifiant est le Botox, qui contient la toxine botulique, la substance la plus toxique au monde. Aux États-Unis, l’industrie pharmaceutique a réussi depuis 2011 à remplacer les tests sur des souris par une méthode utilisant des cellules humaines en culture pour homologuer la vente du Botox. Si nous possédons aujourd’hui la technologie pour évaluer une substance aussi toxique, pourquoi alors continuer à tester sur des animaux des substances qui le sont beaucoup moins, comme nos médicaments ? Selon la FDA (Food and Drug Administration), Haute Autorité de sécurité sanitaire aux États-Unis, sur dix molécules ou médicaments qui ont réussi à passer avec succès les tests sur animaux, neuf vont échouer au cours d’essais cliniques chez les humains pour des raisons de toxicité ou par manque d’efficacité. Le taux de prédiction serait donc seulement d’environ 10 %.
5/ Pourquoi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) se base-t-elle principalement sur des tests sur des rongeurs pour établir les valeurs sanitaires de référence et les valeurs toxiques de référence pour les humains ? Nous ne sommes pas des rats de 70 kg. Nous sommes tous actuellement des cobayes, puisque nous avons ingéré pendant 30 à 40 ans le glyphosate, le bisphénol A, etc. Maintenant que l’on constate des pathologies chez les humains, les autorités de réglementation ne sont pas d’accord entre elles pour déterminer si les tests sur les souris sont plus performants ou plus prédictifs que ceux effectués sur les rats. On a négligé pendant des décennies des données précieuses issues de la biosurveillance et de l’épidémiologie ; il est dommage qu’on continue à se baser majoritairement sur des tests utilisant des animaux. Le résultat est que les enfants naissent aujourd’hui avec 300 substances chimiques de synthèse dans leur corps.
6/ En France, en 2018, la dépense intérieure de R&D était de 50 milliards d’euros. Quelle part était attribuée à l’expérimentation animale et aux méthodes sans recours à l’animal ?
7/ Pourquoi la représentation de la société civile au sein des comités d’éthique de recherche animale est-elle minoritaire, voire symbolique, alors que dans les pays scandinaves, elle y représente 50 % des membres ?
8/ Opinion publique : plus d’un million de personnes ont soutenu l’initiative citoyenne européenne intitulée « Stop vivisection ! » en 2015. Actuellement, on compte près de 500 000 signatures contre l’expérimentation animale en France via des pétitions comme celles publiées sur www.mesopinions.com et sur les réseaux sociaux des associations de protection animale.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Professeur Hélène Combrisson, vous êtes professeure émérite à l’école vétérinaire d’Alfort en physiologie et thérapeutique, cheffe du département Sciences biologiques et pharmaceutiques, et vous présidez la Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA), dont le secrétariat est assuré par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. La CNEA a été impliquée, avec le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (CNREEA), dans la rédaction de la Charte nationale portant sur l’éthique de l’expérimentation animale, qui définit le rôle des comités d’éthique. Vous avez la parole pour nous éclairer sur les missions de la CNEA, notamment l’impact de cette Charte.
Pr Hélène Combrisson, professeure émérite à l’école vétérinaire d’Alfort, présidente de la Commission Nationale de l’Expérimentation Animale (CNEA).- La CNEA n’est pas seulement née à la suite de la directive de 2010 ; la France a mis en place cette structure lors de la mise en application de la directive européenne précédente de 1986([12]).
En 2005, le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (CNREEA), qui est partenaire de la CNEA, a été créé([13]). Sa mission était d’écrire la charte nationale d’éthique. Au démarrage, son but était d’harmoniser le travail de comités d’éthique qui s’étaient créés séparément, car à l’époque, la réglementation française ne les rendait pas obligatoires.
En 2010, la directive 2010/63/EU indiquait dans son article 49 que tous les pays membres devaient créer des comités nationaux pour la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ; les missions de ces comités correspondaient aux missions que nous avions déjà établies pour la CNEA. Cette commission conseille les autorités compétentes et les structures chargées du bien‑être des animaux sur des questions en rapport avec l’acquisition, l’élevage, l’hébergement, les soins et l’utilisation des animaux dans les procédures, et veille au partage des meilleures pratiques. Ces missions ont été adaptées, puisqu’en particulier les structures chargées du bien-être animal n’existaient pas avant 2010. Ces comités nationaux échangent entre eux, à travers des réunions régulières, des informations sur le fonctionnement dans les différents pays.
La CNEA actuelle a été créée par un décret de février 2013([14]). Sa mission est de donner des avis sur les projets de modification de la réglementation, ainsi que sur différents sujets. Elle se compose d’un président, de huit représentants de l’État à raison d’un pour chaque ministère impliqué dans ce questionnement, des personnalités qualifiées représentant les secteurs privés et publics de la recherche, des personnalités représentant les associations de protection animale. Il y a actuellement trois personnes représentant les associations, mais la Commission a demandé d’augmenter ce nombre à six.
Le programme de formation occupe une grande partie de l’activité de la CNEA. Quatre types de formation ont été rendus obligatoires par la directive. Elles correspondent à des missions différentes des personnels : conception des procédures et des projets ; application ou mise en œuvre des procédures ; soins aux animaux. Est par ailleurs prévue dans la directive une mission sur la mise à mort des animaux, qui en France n’a pas été traitée séparément, mais avec les formations sur la conception de projets et l’application des procédures.
Ces formations sont obligatoires pour toute personne qui travaille auprès des animaux en recherche. Elles doivent être approuvées par le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation après avis de la CNEA.
Cette qualification s’inscrit dans l’ensemble des compétences des personnels, elle comprend une formation initiale, sept participations à une formation spécifiquement orientée vers l’expérimentation animale, et en plus une formation continue de trois jours imposée par période de six ans pour former les personnels tout au long de leur vie. Les jeunes qui arrivent dans le monde de l’expérimentation animale doivent être tutorés jusqu’à ce qu’ils soient en capacité de travailler seuls.
La CNEA donne des avis sur les programmes de formation. Depuis 2013, ils se composent de deux parties : une partie générale (réglementation, principes éthiques, etc.) et des modules spécialisés par espèce (rongeurs, poissons…), qui à mon sens sont un grand progrès par rapport à ce qui existait auparavant.
Le rôle de la CNEA est de vérifier que les programmes respectent un cadre (items, horaires a minima, etc.), mais surtout de s’assurer de la conformité de l’objectif de ces formations, qui est de sensibiliser ces personnes au travail avec les animaux et à l’application de la règle des 3 R. Il faut non seulement répondre aux items prévus, mais le faire de façon équilibrée. La réflexion sur la pratique des 3 R doit être mise en avant tout au long de ces formations. La CNEA réfléchit beaucoup à la façon de réaliser l’apprentissage des gestes courants a minima dans ces formations, pour que ces gestes courants soient réalisés au mieux, et que le nombre d’animaux utilisés en formation soit limité autant que possible.
La CNEA a rédigé un guide pour l’évaluation de ces formations, qui est également à disposition des responsables pédagogiques. Plus récemment, nous avons élaboré un guide sur la formation continue, dont l’objectif est d’entretenir les connaissances dans le domaine de l’expérimentation animale et de l’application des 3 R. Actuellement, un groupe de travail sur l’utilisation des animaux dans l’enseignement supérieur a été mis en place par la CNEA. J’espère que nous arriverons rapidement à donner quelques recommandations.
Une grande part de notre activité est consacrée à l’évaluation de ces formations. Nous donnons aussi des avis sur un certain nombre de sujets en collaboration avec le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (CNREEA), dans un sens ou dans l’autre. Dans le CNREEA, la représentation de la société civile est plus large, et donc les avis ont peut-être plus un caractère éthique. À la CNEA, nous avons plus d’experts en expérimentation animale, les avis ont probablement un aspect plus scientifique.
M. Georges Chapouthier.- Ces formations sont excellentes, c’est très bien qu’elles existent. Pensez-vous qu’après ces formations, le degré de sensibilisation des praticiens à l’éthique soit suffisant ? Une fois qu’ils ont suivi ces formations, considèrent-ils l’animal en tant qu’être sensible devant être protégé, et non pas comme un « petit bout de thèse » ? Ne faudrait-il pas augmenter la quantité de formations à l’éthique ?
Pr Hélène Combrisson.- Plusieurs réponses. Premièrement, la sensibilité de l’ensemble de notre société a évolué, les gens qui se dirigent vers l’expérimentation animale sont comme tout le monde. Lorsqu’ils arrivent, ils sont déjà beaucoup plus sensibilisés qu’il y a trente ans. Deuxièmement, ce sont de jeunes chercheurs qui viennent aujourd’hui dans ces formations, très tôt dans leur cursus, alors qu’auparavant les chercheurs qui commençaient à se former à l’éthique dans ce domaine étaient cinquantenaires. Enfin, les responsables pédagogiques sont vraiment très sensibilisés à tout cela.
M. Nicolas Dudoignon.- J’ajouterais que l’obligation de formation continue est un bénéfice pour toutes ces personnes qui ont suivi depuis très longtemps la formation initiale. C’est un moyen de re-sensibiliser, de redonner les éléments de contexte, d’insister sur le cadre éthique qui a pris de l’importance ces dernières années.
Pr Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire à l’université Paris Diderot, membre du Haut Conseil de santé publique, présidente de FRANCOPA (Plateforme nationale pour le développement des méthodes alternatives en expérimentation animale).- Pour les jeunes chercheurs qui s’orientent vers l’expérimentation animale dans le cadre de leur thèse, la formation initiale sur l’expérimentation animale est rendue obligatoire par les écoles doctorales. Quand le laboratoire ne peut pas la prendre en charge, elle peut être financée par l’école doctorale. Il y a globalement une meilleure prise de conscience de l’importance de cette formation.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Vous avez évoqué les mécanismes institutionnels, les évolutions culturelles. Peut-on donner des exemples concrets entre ce que l’on peut faire ou pas, ce qui était toléré avant et qui aujourd’hui n’est plus admis, que ce soit le fait de l’application des chartes ou de l’évolution des consciences en la matière ?
Pr Hélène Combrisson.- Maintenant, il y a un passage obligatoire par le comité d’éthique, dont le rôle est justement de faire une évaluation éthique des projets scientifiques utilisant des animaux, et, ensuite, une autorisation de projet par le ministère. La revue de tout ce qui est proposé est donc extrêmement importante.
Les chercheurs ont commencé par traîner les pieds en disant que c’était du travail supplémentaire, mais ils se rendent bien compte, par les interférences entre comités d’éthique et chercheurs, de tout l’intérêt de l’examen de leurs projets sous un angle différent. Cela permet de pointer des choses qui peuvent être améliorées.
Avec le temps, certaines pratiques vont évoluer. Ce n’est pas inscrit dans les réglementations, mais c’est inscrit dans les bonnes pratiques. Petit à petit, certaines choses ne se font plus, ou se font autrement. Les gestes évoluent au fil du temps. Par exemple, le CNREEA a établi des recommandations sur la production d’anticorps monoclonaux par le biais de liquide d’ascite, une technique invasive utilisant des animaux.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Peut-on avoir un exemple frappant qui soit communicable au citoyen de quelque chose qui ne se fait plus aujourd’hui ?
Pr Hélène Combrisson.- L’exemple des méthodes d’euthanasie est parlant : aujourd’hui certaines méthodes d’euthanasie sont autorisées, d’autres sont interdites. Auparavant, quand on euthanasiait un rat, on lui frappait le cou sur le bord de l’évier, et ensuite on le saignait. Cette pratique est maintenant absolument interdite.
M. Nicolas Dudoignon.- Je vais apporter un autre élément de réponse. Comme le disait le Pr Combrisson, certaines méthodes sont régies par la réglementation, d’autres font simplement l’objet de recommandations. La France tend plutôt à établir des recommandations qu’à autoriser ou interdire certaines méthodes. En revanche, certaines recommandations fortes émanent du Comité national, comme cela a été le cas pour l’ascite. Le Comité s’est aussi penché sur la question de l’utilisation des animaux dans certains cadres d’enseignement et sur celle des techniques d’euthanasie.
L’évolution des techniques et le changement des pratiques viennent aussi des avancées techniques et technologiques. Par exemple, chez Sanofi, pour provoquer un infarctus chez le porc, une chirurgie lourde était pratiquée il y a encore quelques années : la thoracotomie. Aujourd’hui, on utilise les mêmes techniques qu’à l’hôpital : une petite incision dans un vaisseau pour faire passer un stent avec ballonnet de façon à créer un infarctus à distance. La sévérité de l’intervention sur l’animal n’est plus du tout la même qu’avant. Ce genre de pratique mérite un partage le plus large possible.
M. Ivan Balansard, GIRCOR.- Ces vingt dernières années, énormément d’efforts ont été faits pour améliorer la prise en charge de la douleur des animaux, notamment chez les rongeurs, l’espèce la plus utilisée. Les rongeurs sont par nature des proies qui expriment très peu la douleur, et pendant très longtemps, on a négligé l’existence de douleur et donc sa prise en charge chez ces animaux.
Depuis vingt ans, il y a une véritable révolution, avec de nombreuses études qui permettent de mieux évaluer la douleur chez ces animaux-là, et de la diminuer ; on dispose maintenant d’un arsenal thérapeutique comparable à ce qui existe chez l’homme. Quelles que soient les procédures expérimentales, les anesthésies mises en place en laboratoire sont absolument identiques à celles qui sont utilisées dans les hôpitaux chez l’homme. C’est très différent de ce que l’on a pu connaître jusque dans les années 1990, où il faut reconnaître que ces aspects étaient négligés.
Mme Angela Sirigu.- Si les règles éthiques ne sont pas respectées par les chercheurs, aucune publication n’est acceptée et aucun financement n’est obtenu. C’est donc très important pour les chercheurs de respecter les règles éthiques et le bien-être animal.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Nous allons écouter les deux dernières interventions de la table ronde. M. Bertrand Deputte, vous êtes professeur honoraire d’éthologie et contributeur de l’expertise scientifique de l’INRA sur la conscience animale.
Pr Bertrand Deputte, professeur à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort.- Le terme « expérimentation » fait référence à la méthode scientifique utilisée pour produire de la connaissance. C’est important, car le terme « connaissance » et l’aspect scientifique sont battus en brèche dans beaucoup d’endroits, alors que c’est le moyen le plus efficace pour produire une connaissance valable, puisqu’elle sera remise en cause en permanence, et non pas sujette à des déclarations péremptoires.
Je citerai deux aphorismes. « La connaissance sans compassion est inhumaine et la compassion sans connaissance est inefficace » (Victor Weisskopf, chercheur). C’est dans cette perspective que je me situe, côté connaissance, avec de la compassion bien sûr, puisque j’interviens en tant qu’éthologiste.
Le second aphorisme : « Rien en biologie n’a de sens qu’à la lueur de l’évolution » (Theodosius Dobzhansky, généticien). Opposer l’homme à l’animal est aberrant puisque l’homme est un animal ; il y a une proximité physiologique entre l’homme et le reste du règne animal dans le sens de l’évolution. C’est dans ce cadre que le choix de l’espèce modèle est important, c’est par son intermédiaire qu’une connaissance sur les mécanismes biologiques humains sera acquise. Les modèles animaux sont choisis pour leurs spécificités et pour les adaptations qu’ils ont montrées au cours de leur évolution.
L’éthologie est l’une des disciplines scientifiques qui s’intéressent au comportement. Trop souvent on considère que l’éthologie est l’étude ou l’observation de l’animal dans son milieu naturel, ce qui est inexact. La spécificité de l’éthologie est de considérer un individu dans son intégralité et en interaction avec le milieu dans lequel il est placé, quel qu’il soit. Il est effectivement beaucoup plus facile d’étudier des grands félins en Tanzanie que de les placer dans des milieux où l’on a besoin de comprendre leur comportement, c’est-à-dire dans des laboratoires. L’étude du comportement de l’animal est essentielle pour préparer ses conditions d’hébergement et sa récupération, en plus de sa réaction à l’expérience proprement dite.
J’ai participé pendant une dizaine d’années à la révision de la convention STE n° 123 (Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques) au Conseil de l’Europe en tant que coordinateur du groupe Primates. Le concept de bien-être animal est apparu il y a une quarantaine d’années. Ce concept extrêmement intéressant fait référence à la manière dont l’animal, qui arrive avec ses spécificités acquises au cours de l’évolution par sélection naturelle et parfois par sélection artificielle, répond à de nouvelles contraintes qui lui sont posées, notamment des contraintes de confinement, comme c’est le cas des animaux hébergés en expérimentation animale, dans les parcs zoologiques, etc.
Pour rappel, le bien-être animal n’est pas un concept creux, il fait référence au comportement, et nécessite donc une évaluation de celui-ci chez les animaux dans les situations dans lesquelles ils sont placés. Dans cette évaluation, on retrouve le mot « expérimentation ». Certaines personnes ne l’acceptent pas, mais déplacer un animal d’un milieu à un autre est une expérimentation durant laquelle son comportement est évalué ; le terme « évaluation » est important. Il ne s’agit pas de parler au nom de l’animal, mais de faire parler l’animal à la suite de l’observation et de l’analyse des réponses qu’il a fournies. On essaie, de manière scientifique et honnête, de décrire le ressenti de l’animal vis-à-vis de la situation dans laquelle il est placé.
J’ai participé à l’expertise collective lancée par l’INRA et l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) sur la conscience animale. Notre conclusion était très claire, elle réactualise tout ce que les naturalistes, c’est-à-dire ceux qui observent l’animal, considèrent depuis le XVIIIe siècle : l’animal n’est pas une machine, l’animal a une conscience. Il n’y a aucune raison de penser que cette conscience soit identique à la nôtre, mais elle existe, et c’est en cela que le débat s’orientait très bien tout à l’heure. Dans une grande partie du règne animal, les animaux ont une conscience, c’est un fait scientifique établi à travers les études sur la métacognition, sur le comportement au sens large et sur d’autres aspects de l’étude du comportement ; il est du ressort de l’éthique de prendre en compte cette conscience.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- M. Balansard, vous êtes vétérinaire, délégué scientifique à l’Institut des sciences biologiques du CNRS, au bureau éthique et modèles animaux, et vous présidez le GIRCOR – Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche –, une association composée à la fois de membres institutionnels et privés, qui a pour rôle d’informer le grand public sur la réalité du terrain en matière d’expérimentation animale via son site internet www.recherche-animale.org.
M. Ivan Balansard, vétérinaire CNRS, président du GIRCOR (Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche).- Le GIRCOR est une association qui regroupe plus d’une quarantaine d’organismes publics et privés. Elle a été créée en 1992, à l’initiative d’Hubert Curien, alors ministre de la recherche, qui faisait déjà le constat, encore d’actualité, du manque d’information, voire de la désinformation de l’opinion publique au sujet de l’expérimentation animale.
Les derniers sondages montrent que 80 % des Français reconnaissent ignorer la réalité de l’expérimentation animale, les espèces utilisées, les conditions de vie des animaux dans les laboratoires et l’existence d’une réglementation. Près d’un Français sur trois pense qu’aucune réglementation n’encadre l’utilisation des modèles animaux. C’est sans doute cela qui explique l’écoute dont bénéficient certains groupes qui entretiennent de la confusion et banalisent volontairement des termes d’un autre temps, comme la vivisection pour qualifier la recherche en biologie, comme si celle-ci était restée figée au XIXe siècle.
La communauté scientifique est responsable en grande partie de cette situation. Pendant trop longtemps, elle a refusé de communiquer sur l’expérimentation animale, par crainte, négligence, voire parfois avec une certaine condescendance. La mission du GIRCOR est d’informer en toute transparence sur la recherche biomédicale. Celle-ci comprend la recherche pré-clinique, mais aussi la recherche fondamentale, qui cherche à comprendre les mécanismes du vivant, à déceler des mécanismes pathologiques pour développer des traitements pour l’homme et l’animal, ainsi que des solutions pour préserver l’environnement.
Le GIRCOR ne se limite pas à la défense de l’expérimentation animale, qui n’est pas une fin en soi. Il s’agit de défendre la recherche dans sa globalité. Pour appréhender l’immense complexité du vivant, il faut disposer de tous les modèles qui permettent d’obtenir des informations à des échelles différentes : molécule, cellule, tissu, organe, organisme entier, population d’organismes. Tous ces modèles, qu’ils soient in vitro, in vivo ou in silico sont complémentaires et la recherche intégrée illustre aujourd’hui cette complémentarité.
Certains groupes utilisent le piège extrêmement dangereux consistant à opposer, de manière totalement artificielle, une recherche in vitro ou in silico qui serait vertueuse, à une recherche in vivo qui serait diabolique. C’est nier la réalité de la complexité de la recherche, et donc cela doit être expliqué.
Cela n’empêche pas de promouvoir de nouvelles techniques, je pense en particulier au développement d’organes sur puce qui ouvrent des perspectives extraordinaires et qui vont sans doute permettre à moyen terme de s’affranchir de l’utilisation d’un grand nombre d’animaux, en particulier dans le domaine de la toxicologie. Le GIRCOR encourage toutes ces avancées.
Si la recherche a encore besoin de modèles animaux, il est impératif qu’elle soit rigoureusement respectueuse de la sensibilité et du bien-être animal. Le respect de l’animal est une valeur cardinale de la science responsable que nous souhaitons promouvoir. Ce n’est pas un hasard si le bureau du GIRCOR se compose quasi exclusivement de vétérinaires.
L’une de nos missions est d’accompagner la communauté scientifique dans l’amélioration continue des pratiques. Là aussi, ne tombons pas dans l’autosatisfaction, il y a des progrès à faire. Nous y travaillons et la communauté scientifique y travaille, en particulier dans la diffusion des valeurs éthiques.
Depuis quinze à vingt ans, nous assistons à un changement culturel, avec une préoccupation croissante et légitime de l’opinion publique pour le respect et le bien-être animal. Ce tournant est également présent dans le monde de la recherche, et dans la nouvelle directive européenne 2010/63/EU qui place la sensibilité de l’animal et la règle des 3 R au cœur des pratiques de recherche.
Dans ce contexte, bien avant que ceci ne devienne obligatoire, le GIRCOR a accompagné depuis une vingtaine d’années la création de comités d’éthique, la formation de leurs membres ; il a participé à la publication de guides d’évaluation éthique des projets.
Avec l’apparition des nouvelles structures du bien-être animal (SBEA) au sein de tous les établissements de recherche, le GIRCOR a un rôle de coordination.
Enfin, concernant le replacement, le quatrième R évoqué par M. Chapouthier, le GIRCOR est partenaire d’associations comme le GRAAL (Groupement de réflexion et d’action pour l’animal) qui œuvrent à la réhabilitation des animaux en fin de protocole. Ainsi plusieurs milliers d’animaux de différentes espèces ont déjà été replacés.
La préoccupation de nos concitoyens pour le bien-être animal et la justification permanente des animaux utilisés en recherche sont plus que légitimes, elles sont indispensables. Nous devons poursuivre nos efforts en matière d’ouverture, de transparence, en privilégiant les échanges entre la communauté scientifique, les associations de malades, les associations de protection animale et le grand public.
Ce défi essentiel implique largement le GIRCOR. Pour reprendre ce maître mot de respect, il est important de reconnaître que la communauté scientifique a longtemps adopté une posture un peu paternaliste, en négligeant de considérer les demandes de transparence émanant de l’opinion publique. C’est un tort que nous devons corriger ensemble. Un dialogue, ce n’est pas la somme de deux monologues ; il faut privilégier l’écoute.
Je le répète, il faut aussi arrêter les caricatures, d’un côté comme de l’autre, et arrêter notamment de parler de vivisection. Encore une fois, cela renvoie à des pratiques pénalement condamnables, avec potentiellement des peines de prison. Arrêtons de dire que la recherche pratique la vivisection, que les chercheurs sont des tortionnaires, arrêtons également de faire croire que les méthodes alternatives vont permettre de tout comprendre et de tout résoudre tout de suite.
Plutôt que de s’enfermer dans des oppositions, essayons de travailler ensemble pour continuer à œuvrer pour le progrès, pour l’amélioration des pratiques, pour la diffusion des valeurs éthiques, pour augmenter et améliorer les 3 R au sein des procédures de recherche, et aussi pour répondre à de nouveaux défis ; je pense en particulier aux problèmes de reproductibilité, au partage des données scientifiques, ou encore à la publication des résultats négatifs, qui sont sans doute des chantiers auxquels il va falloir s’atteler.
2. Discussion
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Comme sur tous les sujets délicats, il nous faut du dialogue et de la compréhension mutuelle. Les questions sont ouvertes.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office.- Concernant la directive européenne et la culture du respect des règles en Europe et aux États-Unis, y a-t-il de vraies différences culturelles ou plutôt une convergence entre les deux continents ?
Mme Angela Sirigu.- J’ai travaillé au NIH – Institut national de santé des États-Unis – et il me semble que les règles éthiques y sont exactement les mêmes qu’en Europe. Comme je l’ai dit, pour obtenir une publication scientifique, il faut respecter les règles éthiques en matière d’expérimentation animale. C’est valable en Europe comme aux États-Unis.
M. Nicolas Dudoignon.- La directive européenne de 2010 était censée s’adapter aux disparités entre les 28 États membres, par rapport aux 15 membres en 1986. Il existe encore aujourd’hui des disparités, puisque le niveau de départ était assez hétérogène au moment de la directive en 2010. En France, les comités d’éthique étaient déjà en place de manière volontaire, donc la transposition de la directive fut assez facile.
Selon les pays, le niveau d’exigence des autorités compétentes est assez variable, par exemple dans le niveau de détail ou de contrainte associé au système d’évaluation et d’autorisation des projets. Certains ont continué à tout centraliser : en Angleterre, l’évaluation et l’autorisation se font au niveau du Home Office, équivalent du ministère de l’Intérieur. En Belgique, les comités d’éthique locaux évaluent et autorisent les projets, mais le contrôle est assuré par une autorité centrale. En France, il y a une composante locale, avec les comités d’éthique institutionnels des établissements, et une composante centrale, avec le ministère qui délivre les autorisations. En Allemagne, nos collègues sont soumis à la logique fédérale, celle des Länder, avec différents niveaux d’exigence des autorités, et dans certains cas, un regard très aigu des autorités, notamment sur l’utilisation des primates.
À mon sens, la France est dans un relatif bon équilibre pour placer à la fois le point de vue éthique et celui du bien-être animal au centre des discussions, tout en continuant à donner à la France une chance en termes de compétitivité dans la recherche.
Aux États-Unis, le comité d’éthique doit nécessairement étudier un projet pour que les chercheurs obtiennent une autorisation de travailler avec des animaux, cependant, les exigences ne sont pas les mêmes. Premièrement, toutes les espèces ne sont pas soumises à la même réglementation, les rongeurs sont par exemple distingués des « grandes espèces », et deuxièmement, les normes d’hébergement ne sont pas du tout les mêmes. En Europe, il y a une obligation d’héberger les animaux en groupes sociaux harmonieux, à respecter une densité maximale d’animaux par cage et à enrichir l’environnement de l’animal. Ce n’est pas le cas partout dans le monde.
Pour Sanofi, groupe international, la mise en place d’une même étude sur primates en France, en Allemagne, aux États-Unis ou en Asie n’implique pas le respect des mêmes normes, à moins qu’il se les impose lui-même.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Quelle est la gradation des niveaux d’exigence entre la France, l’Allemagne, les États‑Unis et l’Asie ?
M. Nicolas Dudoignon.- L’Europe est la plus exigeante en la matière ; viennent ensuite les États-Unis, puis l’Asie, qui néanmoins est en train de faire d’énormes progrès, car elle ouvre son marché à l’international. Beaucoup de laboratoires de recherche ou de sous-traitants y ont également ouvert des structures. Ils imposent, dans leurs structures mêmes, des normes qui sont plus semblables à celles des Européens ou des Américains qu’aux standards Asiatiques.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Sur la question du Botox, M. André Ménache nous a dit que les États-Unis sont plus exigeants que l’Europe. C’est en décalage avec ce que l’on vient d’entendre.
M. André Ménache.- C’est tout simplement l’opinion publique qui a fait la différence. Aux États-Unis, l’association de protection animale Humane Society of the United States a mené campagne pendant dix ans contre le fabricant du Botox Allergan. Cette campagne a convaincu le fabricant que le cours de ses actions pourrait en pâtir ; en réaction, Allergan a dépensé beaucoup d’argent pour développer une méthode qui a remplacé les souris afin de tester le Botox. C’est un exemple frappant du rôle que peut jouer l’opinion publique.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- L’usage du Botox était mis en contraste avec l’expérimentation animale.
M. André Ménache.- Effectivement, le Botox a une application cosmétique, il permet de diminuer les rides, et il est heureux que le caractère injuste du sacrifice de millions de souris ait primé par rapport à cette utilisation.
M. Thierry Decelle, vétérinaire en chef, responsable de la protection animale, Sanofi, représentant le LEEM (Les Entreprises du Médicament).- J’ai la chance d’opérer dans différents pays et de visiter des animaleries dans différentes structures en Asie ou en Amérique du Nord. Il est vrai qu’en Asie, les normes évoluent très vite, les règles éthiques ne sont plus si éloignées des normes de l’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord.
En Amérique du Nord, l’approche de l’éthique est assez pragmatique. La directive européenne de 2010 offre des intentions éthiques qui vont au-delà de la réglementation. L’application des enjeux promus par la Commission européenne et les instances européennes va au-delà de la simple application de la réglementation. Les perspectives des 3 R et de la « culture of care » sont bien présentes dans la directive et appliquées, et c’est une réelle avancée en Europe.
M. Ivan Balansard.- Cela fait plus de trente ans qu’une culture de l’éthique est obligatoire en France. Jusqu’en 2013, date de la transposition de la directive, le recours aux comités d’éthique était facultatif et l’avis des comités d’éthique était consultatif. Autant dire que le niveau de pression était assez faible. À partir de 2013, quand l’autorisation éthique est devenue obligatoire avant la mise en place des procédures, la France a vraiment rattrapé son retard vis-à-vis de certains pays européens, des États-Unis ou du Canada, où ces obligations réglementaires étaient déjà présentes depuis de nombreuses années. Les considérants de la directive sont extrêmement intéressants à lire. Cette directive est très ambitieuse vis-à-vis du respect de l’animal et de la promotion des 3 R.
Mme Émilie Cariou, députée.- Dans un rapport de l’OPECST, il avait été question de la création d’un registre des résultats négatifs. Nous avons déjà ce genre d’échanges et de coopération à l’échelle locale avec le partage d’échantillons. Où en est-on au niveau mondial ? Est-ce compliqué ? Peut-on le faire ? Est-ce que les chercheurs, par secteur d’activité, échangent ce type de données ? À l’heure de l’open data, ce partage d’expérience pourrait éviter de refaire les mêmes expériences, notamment négatives.
M. Ivan Balansard.- La publication des résultats négatifs est un point très important. Une remarque avant tout : le terme « négatif » est péjoratif. Dans la mesure où la méthodologie est bonne, il n’y a pas de résultats négatifs, c’est tout simplement que les résultats obtenus ne sont pas ceux que l’on attendait…
Effectivement, refaire des expériences qui ont déjà été menées signifie aussi utiliser des animaux inutilement. En décembre 2016, ce point avait été discuté à la Commission européenne lors d’un colloque sur les méthodes alternatives.
Pour encourager la publication des résultats négatifs, les efforts doivent être faits au sein de la communauté scientifique. Lors du dernier bureau du GIRCOR, nous avons reçu deux chercheurs français qui ont créé le journal « Negative results ». Un changement culturel doit être encouragé pour sortir de cette obsession de la publication « publish or perish », et pour changer la manière de faire la science.
Ce point a des répercussions sur la recherche en général, mais aussi sur le bien-être animal et le nombre d’animaux utilisés ; c’est l’un des chantiers du GIRCOR.
M. Georges Chapouthier.- Je suis d’accord, c’est vraiment un point essentiel. Jusqu’à une date récente, il était difficile de publier dans les magazines, parce qu’il y avait un coût. Maintenant, grâce à l’informatique, on peut développer le stockage des résultats, quels qu’ils soient. Il faudrait aussi en tenir compte dans les carrières des chercheurs, en mettant en valeur la publication des résultats négatifs.
M. Nicolas Dudoignon.- Aujourd’hui, les chercheurs ne sont pas reconnus pour cela. Il faut encourager un changement culturel. Les collègues de la recherche publique ont développé Negative results dans un format de publication beaucoup plus simple que dans les grandes revues, encore faut-il que cela soit accepté. Pour cela, on a besoin du soutien de l’administration et des politiques. Ce travail ne peut pas se faire uniquement à l’échelle de la France car la publication est une question internationale, qui concerne tous les chercheurs du monde. Au‑delà de la puissance des revues, il y a aussi la reconnaissance des carrières qui va au-delà de la France. Toute forme de soutien aux initiatives telles que Negative results est la bienvenue. Nous essayons de les faire connaître au niveau de la Commission européenne, dans tous les États membres. Votre soutien à ce niveau-là sera très apprécié.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Il va de soi que nous n’aurons aucune difficulté à soutenir cette recommandation qui faisait déjà partie des recommandations du rapport de l’OPECST en 2009.
Mme Samantha Cazebonne, députée.- Je suis très sensible à ce sujet depuis très longtemps. J’ai cinq questions : En France en 2016, 34 000 animaux ont été tués à des fins éducatives. La même année, les universités et centres de formation britanniques n’ont utilisé que 1 422 animaux. J’ajouterai qu’en France, le nombre d’animaux utilisés pour l’enseignement et la formation a augmenté de 31 % depuis 2010. Et pourtant, on ne saurait prétendre que les étudiants britanniques sont moins bien formés que les étudiants français. Comment expliquez-vous cet écart de 1 à 20 ?
Est-il possible en France d’apprendre des gestes techniques en médecine et en chirurgie humaine sans utiliser des êtres vivants ? Si l’on se réfère au site de l’hôpital virtuel de Lorraine, cela semble possible. La CNEA ne pourrait-elle pas intervenir activement sur ce point pour que la France obtienne d’aussi bons résultats que la Grande-Bretagne, en valorisant les méthodes de substitution dans l’enseignement et la formation, et en incitant les pouvoirs publics à soutenir cette transition ?
Les deux autres questions concernent davantage les consommateurs français. Beaucoup de Français sont sensibles au bien-être animal et ne souhaitent plus utiliser de produits cosmétiques ayant été testés sur les animaux. Comment pourrions-nous améliorer l’information du consommateur, car celle-ci n’est pas suffisante sur les produits que l’on achète. Je l’ai vécu encore récemment, personne n’a pu m’informer si telle marque avait recours à l’expérimentation animale.
Enfin, comment mettre en avant les comportements vertueux des entreprises qui respectent une certaine éthique dans ce domaine ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Certaines de vos questions touchent à la formation et à l’éducation, qui n’entrent pas directement dans le thème de cette table ronde. Mais nos intervenants qui ont des avis autorisés sur la question peuvent répondre.
M. Georges Chapouthier.- Je vais intervenir sur l’éducation, un point essentiel. S’il y a plus d’animaux utilisés en France qu’en Angleterre, c’est en raison d’une vieille tradition cartésienne. On peut faire beaucoup mieux en ce qui concerne les animaux utilisés dans l’éducation, même dans l’enseignement supérieur.
Évidemment, un vétérinaire a besoin de s’exercer avec des animaux. Mais certains étudiants ne se destinent pas à la recherche expérimentale, et dans certains certificats, on leur impose des expérimentations qui ne leur servent à rien. Je pense donc qu’on peut réduire l’utilisation d’animaux, sans la supprimer complètement.
J’irais plus loin, non seulement dans la réduction du nombre d’animaux, mais dans la formation des jeunes. Dans la société du futur, c’est dès le départ qu’il faut former les jeunes au respect de l’animal, dans des cours d’éducation civique, morale et animalière. Cela amènera ensuite à des améliorations sur l’expérimentation animale.
Pr Francelyne Marano.- Concernant la formation dans l’enseignement supérieur, on diminue le nombre d’animaux, voire on n’utilise plus d’animaux dans un certain nombre d’universités. Il y a une transition vers ces méthodes substitutives que vous évoquiez, c’est-à-dire des outils vidéo (réalité virtuelle, par exemple) ou des modèles inertes constitués de matériaux qui permettent de mimer les organes. Des efforts très importants sont fournis, en particulier par les écoles vétérinaires. Des outils ont été développés à Lyon pour que les étudiants se familiarisent avec les techniques de chirurgie via la réalité virtuelle, réduisant ainsi le nombre d’animaux utilisés.
En ce qui concerne la cosmétologie, il faut savoir qu’il est interdit de tester un produit cosmétique sur l’animal depuis un certain nombre d’années([15]). Tout doit être fait en utilisant les méthodes alternatives substitutives que je vais présenter tout à l’heure. Le test sur l’animal de produits cosmétiques vendus en Europe est interdit, il expose l’entreprise à des poursuites. La directive européenne est très contraignante, elle s’applique en France et dans le reste de l’Europe.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Quel est le périmètre précisément de cette directive ? Elle s’applique aux laboratoires, aux entreprises françaises, à tous les produits vendus en France, aux produits européens… ?
Pr Francelyne Marano.- Toutes les grandes et petites entreprises cosmétiques sont contraintes. Tout produit cosmétique qui entre dans l’espace européen et qui a été fabriqué dans l’espace européen ne peut pas avoir été testé autrement qu’avec des méthodes alternatives substitutives. Il peut y avoir des principes actifs, qui, s’ils sont utilisés dans d’autres applications, peuvent avoir été testés sur l’animal ; par contre, tous les produits finis doivent avoir été testés avec ces méthodes alternatives substitutives.
Mme Samantha Cazebonne, députée.- Je connaissais cette directive à laquelle vous faites allusion. Mais je suis surprise, car lorsqu’on achète aujourd’hui les produits des marques les plus courantes dans le commerce, rien ne garantit qu’ils n’ont pas été testés sur les animaux. Nous sommes bien dans l’espace européen, mais ce n’est pas fabriqué dans l’espace européen. Ou alors il me manque une information en tant que consommatrice. Mais aujourd’hui je ne pense pas que vous puissiez me garantir que mon shampooing d’une marque bien connue n’a pas été testé sur les animaux. Il existe bien un déficit d’information.
Pr Francelyne Marano.- Il s’agit d’un manque d’information sur l’étiquetage. L’Oréal en particulier a développé des méthodes qui évitent de tester sur l’animal dans ses laboratoires, en France, dans le reste de l’Europe et aux États-Unis, suite à cette interdiction. Ils doivent se conformer à la réglementation européenne pour vendre leurs produits et ne peuvent faire autrement.
Si cela n’est pas indiqué sur l’étiquette, c’est peut-être que le laboratoire considère simplement qu’il respecte la réglementation. Évidemment, je ne saurais dire s’il y a des contrevenants.
Mme Samantha Cazebonne, députée.- Pour compléter les propos de M. Chapouthier, j’ai moi-même été chef d’établissement, et régulièrement, je devais me battre contre les professeurs de sciences de la vie et de la terre pour que justement, on n’utilise pas d’animaux. Je ne connais pas la position de l’Éducation nationale et je la saisirai bientôt sur ce point. Nous avons encore de gros progrès à faire dans nos établissements d’enseignement secondaire et supérieur, et dans la formation des professeurs.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Je précise que Mme Francelyne Marano est professeure émérite à l’Université Paris Diderot et n’intervenait en aucune façon au nom d’industries telles que L’Oréal ou autres.
M. Ivan Balansard.- L’utilisation d’animaux est interdite en Europe dans le domaine des cosmétiques, sur les produits finis comme sur les composants. Malgré cela, certains groupes continuent à présenter des images d’animaux avec du rouge à lèvres, et certains produits cosmétiques se prévalent sur leurs produits d’un symbole d’animal barré, alors que c’est interdit dans toute l’Europe. Cela illustre bien la confusion autour de ces questions.
Pr Hélène Combrisson.- Dans l’enseignement secondaire, l’utilisation d’animaux vivants est interdite depuis fort longtemps. Il reste les dissections de souris euthanasiées (en amont) ; pour ma part, je n’en vois pas bien l’intérêt. De belles illustrations pourraient suffire, d’autant que la souris décongelée n’est pas vraiment un matériel qui donne aux élèves le goût de la science.
Dans l’enseignement supérieur, les programmes d’enseignement pratique utilisant des animaux doivent suivre le même parcours que les projets de recherche : passage par les comités d’éthique et par une autorisation du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Ce passage-là a remis en question un certain nombre de TP qui étaient inscrits dans les programmes de façon réitérée depuis des dizaines d’années sans qu’on en voie toujours bien l’intérêt. Ces programmes n’étaient parfois pas très respectueux des animaux et parce qu’ils ont été critiqués, beaucoup sont voués à l’arrêt.
Un groupe de travail de la CNEA a justement été mis en place pour travailler sur les possibilités en termes de méthodes alternatives afin de limiter ce recours aux animaux dans l’éducation, et peut-être de le réserver à des étudiants déjà avancés dans leur cursus, qui se destinent véritablement à la recherche animale. Compte tenu de la sélection très importante, peu d’étudiants suivraient ces TP, dont la visée serait uniquement professionnelle.
Nous avons travaillé sur des supports informatiques, lesquels se développent et deviennent de plus en plus intéressants, ainsi que sur des modèles inertes (en plastique par exemple) qui permettent de faire de très nombreux gestes thérapeutiques, que ce soit des injections, des prélèvements, etc. Il existe des rats en plastique, mais aussi des modèles de plus grands animaux que l’on trouve maintenant dans les écoles vétérinaires : il est possible de sonder une chienne en plastique ou de palper les ovaires d’une vache en plastique. Ces outils permettent d’acquérir l’apprentissage des gestes avant de passer aux animaux vivants.
Mme Angèle Préville, sénatrice.- Il est reconnu comme un fait scientifique établi que l’animal a une conscience. Par le passé, cela remontait-il déjà de la part des chercheurs et des personnels ? Aujourd’hui, avec la mise en place des comités d’éthique, y a-t-il un retour de la part des chercheurs et des personnels qui s’occupent des animaux, ou non ? Avec les primates, si l’on y prête attention, on doit voir des réactions.
Je voulais également vous interroger sur la réutilisation et le replacement des animaux. J’ai été un peu choquée par ce mot « réutilisation ». S’agit-il du replacement ? Vous avez aussi parlé de mise à mort ? A-t-on des chiffres ?
Enfin, concernant la sensibilité du public, je dois avouer personnellement que j’ai préféré très longtemps ne pas savoir ce qui se passait. Rien que ce qui vient d’être évoqué sur le cochon m’a donné un haut-le-cœur.
M. Nicolas Dudoignon.- Quand je parlais du cochon, il était question de mimer un infarctus chez l’homme. Dans ce cadre-là, il faut agir au niveau du cœur, et pour cela, on intervenait de manière chirurgicale par thoracotomie, c’est‑à‑dire qu’on ouvrait la cage thoracique. On retrouve ce genre de procédure dans les hôpitaux, lorsqu’une intervention est nécessaire au niveau de la cage thoracique. Il faut savoir que c’étaient des vétérinaires compétents qui pratiquaient ces opérations, avec les bonnes pratiques d’anesthésie et d’analgésie, et une surveillance accrue des animaux dans le réveil post-chirurgie et dans leur suivi au quotidien quand les pathologies se développaient par la suite.
Cette approche peut paraître choquante, parce que la technique elle-même est sévère. C’est effectivement une chirurgie lourde, mais elle est bien considérée comme telle : chacune des personnes impliquées dans la conception de l’expérience, dans sa réalisation et dans le suivi des animaux, est consciente de cela. Notre personnel animalier, qui est au contact des animaux plusieurs fois par jour, est conscient de cela. Il est le veilleur de terrain qui alerte le vétérinaire et les équipes de recherche quand l’animal montre des signes de fatigue ou d’essoufflement, parce que l’infarctus se développe.
Nous avons réellement amélioré la technique : aujourd’hui, l’approche chirurgicale qui permet de générer cet infarctus est une chirurgie mineure. Nous sommes plutôt satisfaits de ce genre d’amélioration, à la fois technique et scientifique. Le niveau de sévérité imposé à un animal pour créer un modèle de pathologie est ainsi plus réduit. Concernant le suivi de l’animal, le fait qu’il possède une forme de conscience est présent dans toutes les discussions, en amont lorsqu’on examine tous les contours d’une étude, mais également au quotidien sur le terrain ; le personnel l’a toujours à l’esprit.
Chaque personne a également conscience de ce que va devenir l’animal. Dans certains cas, pour les besoins de l’étude, il devra être mis à mort, parce que des prélèvements doivent être effectués, que ce soit pour faire des études de tissu en histologie, de la culture de cellules, ou pour analyser différentes composantes au sein des tissus. Cela n’est malheureusement pas possible sans euthanasier l’animal, car il ne se remettrait pas des suites de ces prélèvements.
En revanche, il est clair que la possibilité du placement des animaux est présente à chaque instant. Un cochon qui se remettrait d’une étude, de ce qu’on lui a imposé et des traitements que l’on a faits, est un candidat au placement. Reste à trouver la bonne personne, le bon endroit, apte à l’accueillir pour lui garantir le niveau de bien-être, au moins égal aux soins qu’on lui donne dans le laboratoire. C’est à la fois une contrainte réglementaire, mais aussi une garantie pour nous.
Nos programmes de placement concernent potentiellement les primates, si l’on est apte à trouver des sanctuaires privés prêts à les accueillir, mais aussi les chiens, qui deviennent alors des chiens du quotidien dans des foyers.
Bien entendu, cela se fait ailleurs aussi, et au travers de collaborations très fortes avec des associations comme le GRAAL, et avec les écoles vétérinaires pour que cela se passe dans les meilleures conditions pour les animaux.
Chez nous, la vie de l’animal ne dure pas le temps d’une étude, elle démarre chez le fournisseur, chez l’éleveur, et elle se finit après le laboratoire si c’est possible.
M. Georges Chapouthier.- La réhabilitation est en pleine évolution et c’est tant mieux. C’est valable pour les gros animaux, mais pour des questions de nombre, c’est peu concevable pour les rongeurs.
Je reviens sur la notion de conscience, qui a beaucoup évolué. On considère maintenant que les vertébrés et les pieuvres ont une conscience qu’il faut ménager. C’est vrai aussi pour l’homme. Je rappelle quand même que jusque dans les années 1980, des bébés humains qui ne parlaient pas ont été opérés sans anesthésie, parce qu’on considérait qu’ils ne sentaient rien ! Il y a donc une évolution de la notion de conscience qui bénéficie à l’homme et à l’animal.
En dehors de ces groupes protégés que sont les vertébrés et les céphalopodes (pieuvres et calmars), la question se pose maintenant pour d’autres groupes d’animaux. Les scientifiques se demandent si les homards, les crabes, n’ont pas une forme de conscience. Chez les insectes, on a démontré que les abeilles pouvaient distinguer le haut et le bas et qu’elles avaient des conceptions cognitives.
Mme Angela Sirigu.- Je suis surprise de la manière dont on utilise le mot « conscience » chez l’homme et chez l’animal. Je suis désolée, mais aucun fait n’établit une conscience chez l’animal, telle qu’on l’entend chez l’homme. On en est encore à débattre de ce qu’est la conscience chez l’homme, on est loin d’avoir résolu la question de la conscience chez l’animal.
Ce que l’on sait, et la recherche en neurosciences l’a montré, c’est que le macaque, par exemple, peut traiter des informations, peut avoir des sensations, et peut faire des associations. Mais savez-vous combien il faut d’essais pour qu’un macaque fasse des associations entre un stimulus et une réponse ? Au minimum 1 500 essais, alors que des enfants de 3 ans apprennent très vite ce genre d’associations… Il faut donc faire très attention à ce que l’on nomme « conscience » chez les animaux, sans nier qu’ils peuvent avoir des sensations et ressentir des états.
Je voulais aussi revenir sur ce que l’on fait des animaux après l’étude. En général, si l’animal sort en bonne santé de son séjour en laboratoire, le laboratoire de recherche l’envoie en pensionnat. Il en existe pour les singes que l’on n’utilise plus dans l’expérimentation mais ce n’est pas le cas de tous les animaux. Évidemment, si l’on a besoin de faire des prélèvements, l’animal est sacrifié.
M. Thierry Decelle.- Pour donner une réponse plus positive à votre questionnement, qui est légitime, je dirais que, même si l’on n’a pas forcément de réponse scientifique sur la conscience, les animaliers qui travaillent tous les jours avec les animaux sont « conscients » que l’animal est un être sensible. Cette capacité à avoir de l’empathie vis-à-vis de l’animal est un point essentiel au moment du recrutement des animaliers. Pour faire ce métier d’animalier, de technicien de recherche, il faut avoir la passion de l’animal, aimer véritablement avoir cette interaction avec l’animal.
Mme Angela Sirigu.- Personne ne nie que les animaux ont de l’empathie. D’ailleurs on étudie les mécanismes cérébraux de l’empathie.
Pr Bertrand Deputte.- Mme Sirigu a raison de faire attention. Il ne faut pas prendre le mot conscience dans sa globalité, et surtout il ne faut pas penser que la conscience dont on montre l’existence chez les animaux est la même que celle chez l’homme. Mais la manière dont les animaux se comportent et ressentent les situations représente une forme qu’on appelle conscience chez l’homme. Chez l’homme, il y a en revanche une forme de conscience qui est supérieure, que l’on ne retrouve pas chez les animaux, mais les autres formes de conscience sont communes aux espèces animales, dont l’homme fait partie. Il faut donc faire attention : la conscience chez les animaux n’est pas la conscience pour l’espèce humaine. Cependant, les animaux ayant une forme de conscience, celle-ci doit être prise en compte et doit motiver le respect de l’animal.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- L’heure est maintenant aux questions du public et de l’audience, telles que collectées par ma collègue Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Je réagirai d’abord à ce que vient de dire M. Chapouthier. En tant que pédiatre, spécialiste des prématurés, lorsque j’ai commencé mes études et ma pratique, on nous expliquait effectivement que le prématuré n’avait aucune sensibilité, et les actes, qui étaient choquants pour moi, jeune interne en pédiatrie, étaient faits sans anesthésie. Heureusement les choses évoluent. D’ailleurs, c’est en évoluant en ce sens qu’on a pu aussi se préoccuper de sensibilités et de douleurs animales. Je pense qu’on peut faire le parallèle entre les progrès en médecine humaine et les progrès en expérimentation animale. Actuellement, le prématuré a un environnement extrêmement rassurant qui tient compte de la possibilité de ressentir la douleur.
Les questions du public et des internautes se recoupent entre elles, ainsi qu’avec certaines questions posées par mes collègues parlementaires. Sur la comparaison européenne, on note qu’en France, le traitement des animaux est plus sévère que dans d’autres pays : 17 % des animaux en France subissent des actes sévères contre 7 % en Allemagne, 6 % au Royaume-Uni.
On revient également sur les animaux utilisés dans les parcours éducatifs, en rappelant le chiffre de 35 000 animaux en France, et des chiffres bien inférieurs dans nos pays voisins. Pourquoi une telle situation spécifique en France ? On l’a déjà abordé.
Voici quelques autres questions :
1/ Y a-t-il un manque de moyens attribués à l’université pour utiliser des méthodes alternatives ?
2/ Dans le public et parmi les internautes, on s’inquiète de la publication des statistiques françaises, tardives et souvent non rétrospectives. Elles ne diminuent pas depuis quelques années. N’est-on pas arrivé à la limite des effets de la directive européenne de 2010 ? Il n’y a pas de statistiques sur les animaux utilisés sans que des résultats intéressants en ressortent. Les chercheurs sont-ils évalués sur l’efficacité des protocoles pour éviter le gaspillage d’animaux ?
3/ Dans le public, la notion de responsabilité apparaît. On demande s’il y a un type de responsabilité engagée à l’égard de chercheurs qui n’obtiennent pas de résultats ou qui effectuent des tests sur les animaux.
4/ À propos des critères pour évaluer la souffrance et la formation, comment définir le degré d’une intervention légère, modérée ou sévère ? Existe‑t‑il un moyen objectif pour l’expérimentateur de décider si l’expérience est douloureuse ou non pour l’animal ? Ne faut-il pas aller au-delà de la souffrance, puisque les animaux sont également sujets à un mal-être, comme indiqué dans l’expertise à laquelle M. Bertrand Deputte a contribué ?
5/ Les comités d’éthique et la Charte nationale d’éthique : comment les comités sont-ils composés ? Est-il envisageable de faire évoluer la Charte nationale en attendant que la directive européenne évolue ? La Charte est un engagement moral, mais en cas de non-respect, le signataire peut-il être poursuivi ? Y a-t-il un rapport d’activité de la Commission nationale de l’expérimentation animale qui permettrait au grand public de voir concrètement ses actions ?
6/ La formation des personnels animaliers : est-il possible de prendre son poste avant d’avoir suivi des formations ? On a vu qu’a priori, la réponse est non. À titre personnel, je m’interroge sur les trois jours de formation évoqués par période de six ans. N’est-ce pas un peu réduit par rapport aux formations des médecins par exemple, qui sont sensiblement plus longues ? Existe-t-il une formation spécifique en algologie et une formation au comportement des animaux ?
7/ Y a-t-il une possibilité de restreindre l’utilisation des primates à la recherche sur les maladies graves ?
8/ La frontière entre expérimentation et observation : comment ce sujet apparaît-il dans les textes ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Vous avez évoqué différents stades de sévérité d’expérimentation, légère, modérée ou sévère. À quelle classification cela se réfère-t-il ?
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Ce sont les statistiques publiées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Ivan Balansard.- La réponse à la dernière question est donnée par la directive. On entend par procédure d’expérimentation animale tout ce qui va entraîner chez l’animal une douleur, un stress ou une angoisse supérieure ou égale à l’introduction d’une aiguille réalisée selon les bonnes pratiques vétérinaires.
Ce référentiel ne prend donc pas seulement en compte des actes invasifs. Les contraintes de privation sociale, de privation d’espace rentrent dans le contexte de l’expérimentation animale.
Pour revenir aux questions sur les formations, ces formations réglementaires existent depuis la directive de 1986. La grande nouveauté de la directive de 2010 est de les avoir spécialisées par groupes d’espèces. Auparavant, les formations concernaient tous les vertébrés, des poissons aux primates non humains ; à présent, les formations sont organisées par groupes d’espèces. Les chercheurs et techniciens suivent la formation réglementaire spécifique du modèle sur lequel ils sont amenés à travailler, et doivent suivre à nouveau une formation spécifique s’ils changent de modèle d’étude.
Ces formations réglementaires doivent être suivies dans l’année qui suit la prise de fonction. C’est pourquoi de plus en plus d’étudiants en thèse suivent ces formations dans le cadre de leur programme doctoral.
Le programme de ces formations est assez ambitieux. 57 heures pour les concepteurs de projet, soit un peu plus d’une semaine ; 45 heures pour les réalisateurs de procédures, c’est-à-dire souvent des techniciens et du personnel animalier, avec un programme dédié à l’éthique, à la réglementation, mais aussi à l’évaluation et à la prise en charge de la douleur, à l’anesthésie, à l’analgésie ; le programme comprend aussi une initiation au comportement des espèces utilisées.
Au sein des établissements, une personne est désormais en charge du suivi des compétences du personnel. Pour chaque personne, un livret de compétences atteste du suivi de la formation réglementaire initiale obligatoire, éventuellement complétée par une formation réglementaire à la chirurgie (21 heures de cours supplémentaires).
Concernant les formations de trois jours tous les six ans, il s’agit en réalité de formation continue ; ce point est important car ce n’était pas le cas auparavant. Ces formations ont pour vocation de régulièrement actualiser les pratiques. Ces trois jours sont obligatoirement axés sur le bien-être animal et le respect de la règle des 3 R : réduire, remplacer, « raffiner ».
M. Nicolas Dudoignon.- Ivan Balansard vient de donner la définition de la procédure, qui correspond finalement à une notion de seuil. L’introduction d’une aiguille réalisée selon les bonnes pratiques vétérinaires illustre le niveau « léger », mais les pratiques peuvent être caractérisées de « modérées », éventuellement de « sévères ». C’est ce que la Commission a souhaité inclure dans la révision de la directive de 1986 : que partout en Europe soit appliquée la même classification de sévérité des procédures, quelle que soit la finalité, scientifique ou éducative. À partir du moment où les projets d’enseignement dépassent cette limite de seuil, ils doivent être soumis à la même réglementation d’autorisation de projet.
Le plus délicat aujourd’hui est peut-être de s’assurer que chacun s’approprie cette classification. C’est au moment de la conception des projets qu’elle doit être prise en compte. Le chercheur a la responsabilité de définir la classe de sévérité dans chacune des procédures qu’il inclut dans son projet. Ceci est discuté avec le comité d’éthique, qui est libre de réévaluer la sévérité de chaque procédure dans un sens ou dans l’autre.
Concrètement, à la fin de chacune des utilisations d’animaux, les équipes de recherche doivent reporter dans les statistiques nationales la sévérité réelle endurée par chacun des animaux. Cela a donné lieu aux différentes classes de sévérité.
Ce système n’existait pas auparavant, se met en place progressivement et nécessite beaucoup de travail de formation et d’éducation dans toute la communauté scientifique. Depuis 2015, des statistiques annuelles sont publiées dans chaque pays. Même si chaque établissement bénéficie d’un accompagnement collectif par le comité d’éthique et la structure en charge du bien-être animal, l’harmonisation des évaluations de la sévérité nécessite encore beaucoup de formation et la Commission (CNEA) en est consciente. Des groupes de travail ont été mis en place et un financement a été dégagé pour que la formation soit délivrée le plus largement possible.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Voulez-vous dire que c’est finalement assez subjectif ?
M. Nicolas Dudoignon.- Il y a du subjectif, et en même temps, c’est un référentiel écrit qui figure dans la directive. Dans les formations que je délivre aux membres de comités d’éthique au travers de ma casquette GIRCOR, j’invite toujours les gens, qui ne se retrouvent pas dans cette classification, à s’approprier eux-mêmes la classification en établissant des exemples concrets, éventuellement en discutant entre personnes qui travaillent dans les mêmes domaines.
Le chercheur ne réalise pas ce travail d’évaluation seul. De plus, la prise en considération de la douleur passe de façon incontournable par l’évaluation de la sévérité. Au travers de la règle des 3 R, tout doit être mis en œuvre pour la limiter. Non seulement la douleur, mais aussi tout autre type de contrainte de type stress, souffrance, dommage durable, que pourrait sentir un animal.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Juste une réflexion du public : le GIRCOR ne communique pas sur les méthodes alternatives. Mais je ne pense pas que cela soit votre rôle. Nous en parlerons dans la seconde table ronde.
M. Ivan Balansard.- Je m’inscris en faux. Nous communiquons sur les méthodes alternatives. Il y a une confusion sur la définition des méthodes alternatives. En recherche, elles désignent toutes les méthodes qui permettent d’obéir à la règle des 3 R : réduction des animaux utilisés, remplacement des animaux utilisés par des méthodes substitutives, « raffinement » en limitant les contraintes exercées sur les animaux.
En ce sens, le GIRCOR est avant tout préoccupé par les méthodes alternatives, qu’il ne faut pas réduire aux méthodes substitutives. Elles en font partie, mais ne sont pas l’intégralité des méthodes alternatives. À propos des méthodes substitutives, j’ai évoqué la révolution initiée par les organes sur puce, par la microfluidique, ou encore par le développement des organoïdes ; le GIRCOR en fait la promotion et c’est extrêmement important.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Des témoignages suggèrent que certains élèves en formation ont du mal à accéder à ces formations plus spécifiques sur l’expérimentation animale. Pouvez-vous nous éclairer sur le nombre de formations disponibles ? L’offre de formation actuellement disponible répond-elle aux besoins ou est-elle insuffisante en volume ?
Pr Hélène Combrisson.- Depuis 2013, de nouvelles formations se sont ouvertes. Nous avons eu beaucoup de dossiers à évaluer. Toutefois, trouver du jour au lendemain une place en formation n’est pas évident, surtout pour les formations destinées aux chercheurs et les formations à la chirurgie.
Nous espérons que se mettent en place davantage de formations dans les universités. Il y a eu un progrès, mais le mieux serait d’offrir la possibilité aux étudiants de suivre cette formation spécifique de façon intégrée à leur cursus, et non pas d’attendre la thèse (ou même plus tard) pour la suivre.
Les quatre écoles vétérinaires ont proposé ces formations depuis qu’elles existent. Dans les autres établissements, c’est plus difficile. Des facultés de pharmacie les ont également mises en place, mais c’est plus difficile en faculté de sciences. Les choses s’améliorent progressivement.
D’autre part, les universités manquent parfois de moyens pour mettre en place des méthodes alternatives, et le développement de systèmes de simulation informatique a un certain coût. Un exemple concret : une équipe a récemment obtenu 6 000 euros dans une université pour un projet de programme de simulation informatique ; une autre université a obtenu 60 000 euros. Il est évident que les travaux ne seront pas élaborés de la même façon dans la première université et dans la deuxième. Il est donc indispensable de travailler beaucoup plus en réseau entre universités pour bénéficier du travail des uns et des autres. C’est un système public, il n’y a pas de raison de se faire concurrence.
M. Ivan Balansard.- À propos des programmes universitaires, il serait important d’aborder très tôt, au sein du cursus de licence, une réflexion éthique sur l’animal, sur sa place dans la société et sur les questions morales liées à l’expérimentation animale. L’imposer dans tous les programmes de licence en biologie pourrait être une bonne manière de sensibiliser les étudiants à la place de l’animal dans la société.
Mme Samantha Cazebonne, députée.- J’abonde dans votre sens. Je fais partie du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur le respect de l’animal. Mon collègue député Loïc Dombreval a fait une demande de mission auprès du ministre François de Rugy pour s’emparer de ces questions et en faire un sujet de société. J’espère que nous serons nombreux à le soutenir.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Cette première table ronde est maintenant close. Nous avons entendu les contributions et les questions de la représentation nationale, des citoyens, des experts intéressés. Nous avons abordé des questions de principe, des questions pratiques, d’organisation humaine, de comparaison internationale, de rapports entre questions culturelles, morales et éthiques, les impératifs techniques et scientifiques.
Les débats ne sont pas simples et méritent des approfondissements. Un certain nombre de questions ont été posées. Des réponses ont été apportées, mais nous devrons y revenir dans la suite des travaux.
Nous avons entendu aussi la demande de M. Ménache qui a énoncé de façon très précise un certain nombre de questions relativement à la création d’une commission d’enquête parlementaire. Il s’agira d’y répondre.
— 1 —
1. Les méthodes alternatives à l’expérimentation animale, leur place en recherche
Présidence de Mme Florence Lassarade, sénatrice
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- En introduction aux débats de cette seconde table ronde, je rappelle que l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques expérimentales est une pratique très ancienne en recherche médicale et biologique, qui est aujourd’hui remise en cause dans nos sociétés.
Nous avons évoqué trois facteurs qui contribuent à cette remise en cause. En premier lieu, une attention plus grande est portée aujourd’hui à la souffrance infligée aux animaux. Une profonde réévaluation du statut et de la place de l’animal a été opérée ces dernières années. Il est désormais établi, y compris par le droit, que les animaux sont doués de sensibilité, certains sont particulièrement intelligents et éprouvent des émotions. Aussi avons-nous le devoir de les protéger contre les souffrances que nous pourrions leur causer.
En deuxième lieu, la recherche de solutions alternatives à l’expérimentation animale, qui sera l’objet de cette table ronde, bénéficie d’un socle de réflexions dont certaines sont déjà anciennes. On a évoqué les 3 R – Replacement, Reduction, Refinement –, que l’on peut traduire par remplacement, réduction et optimisation ou affinement, auxquels on peut ajouter un quatrième R pour Réhabilitation. Les experts qui vont intervenir dresseront un tableau des méthodes alternatives disponibles et des perspectives qu’elles offrent.
Enfin, les méthodes alternatives à l’expérimentation animale bénéficient depuis plusieurs années d’un contexte juridique adapté. Il faut souligner que les principes des 3 R et les orientations qui en découlent servent de base à de nombreux textes réglementaires, en particulier à l’échelle européenne. Les premiers principes datent de 1986 et en 2010, la directive 2010/63/EU relative à la protection des animaux en a réutilisé certains. L’article 13 de cette directive impose ainsi de choisir parmi les espèces les moins susceptibles de ressentir de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse ou de subir des dommages durables.
C’est dans ce cadre théorique et juridique que s’inscrivent les travaux de l’OPECST, en particulier dans son rapport de 2009. Ces travaux ont participé au développement de la réflexion sur l’expérimentation animale et les méthodes alternatives. Le recours à ces méthodes est non seulement une urgence éthique, mais aussi une nécessité pratique dans un contexte réglementaire qui les préconise, et au-delà, dans un contexte de recherche socialement responsable.
En dépit de ces évolutions, seule la réglementation sur les cosmétiques interdit le recours à l’expérimentation animale, et de nombreuses questions restent ouvertes, auxquelles notre table ronde pourra, je l’espère, apporter des réponses.
D’abord, au plan strictement scientifique, il s’agit de comprendre dans quelle mesure il est envisageable ou possible de se passer complètement des expériences sur les animaux de laboratoire. Autrement dit, les méthodes alternatives ou de substitution permettent-elles de remplacer toutes les dimensions de la recherche animale pour faire progresser la recherche ?
Ce type de recherche ne reste-t-il pas incontournable lorsqu’il s’applique à des organismes vivants trop complexes pour être reproduits dans des modèles simplifiés ?
Comment améliorer la qualité et la prédictibilité des modèles utilisés dans la recherche avec des alternatives non animales ? Notre table ronde pourra, je l’espère, nous permettre d’explorer sur ce plan scientifique les apports et les limites actuels de différentes méthodes alternatives.
En second lieu, s’il existe des limites au développement des méthodes alternatives, sont-elles uniquement scientifiques ? On peut souligner la question des modes de financement dans le développement des méthodes alternatives. Alors que certains pays de l’Union européenne, comme le Royaume-Uni, la Suède, l’Allemagne ou les Pays-Bas sont très actifs dans cette recherche, en raison de mécanismes de financement dédiés, qu’en est-il en France ? Quelles seraient les solutions pour faire changer les choses ?
De même, quel rôle peuvent jouer les institutions et les élus que nous sommes dans le développement de la recherche fondée sur des méthodes alternatives à l’expérimentation animale ? Autrement dit, l’ambition de notre table ronde doit être de faire le point sur les progrès et les limites actuelles au développement des méthodes alternatives, mais aussi d’évaluer les pistes qui permettront à la France, du point de vue de ses institutions, de mieux développer l’utilisation des méthodes alternatives.
Les questions du public présent ici seront collectées avant l’intervention du dernier intervenant. Mon collègue Cédric Villani les posera, dans la limite du temps qui nous est imparti.
Je donne la parole à la professeure Francelyne Marano. Pouvez-vous nous préciser comment les principes des 3 R sont déclinés, notamment dans les méthodes alternatives ? Nous aurons une description précise de deux méthodes de substitution grâce aux prochains intervenants. Aussi pourriez-vous décrire de façon générale les méthodes alternatives comprenant les stratégies de réduction et de « raffinement » ? Ces stratégies vous semblent-elles d’avenir dans le domaine de la toxicologie, qui semble voué à continuer à se développer, compte tenu de la prise de conscience générale des effets délétères de nombreux matériaux ou molécules, comme celles que l’on nomme perturbateurs endocriniens ?
Pr Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire à l’université Paris Diderot, membre du Haut Conseil de santé publique, présidente de FRANCOPA (Plateforme nationale pour le développement des méthodes alternatives en expérimentation animale).- Je vais présenter ce que l’on appelle les méthodes alternatives en recherche, je détaillerai surtout les méthodes substitutives, et vous présenterai aussi le GIS (Groupement d’intérêt scientifique) FRANCOPA, que je préside, et dont Philippe Hubert ici présent est le directeur général.
Le GIS FRANCOPA est la plateforme nationale pour le développement des méthodes alternatives en expérimentation animale, créée à la demande du ministère de la Recherche en 2008, afin de compléter le réseau de plateformes qui existait déjà en Europe, ces plateformes étant en avance dans un certain nombre de pays de l’Union européenne par rapport à la France. Ce réseau européen ECOPA (European Consensus-Platform for alternatives) existe toujours. Le dernier symposium ECOPA, organisé par FRANCOPA, s’est déroulé début novembre à Paris.
La plateforme FRANCOPA a pour fonction de développer en France les connaissances et les pratiques sur les méthodes alternatives en expérimentation animale. Elle comprend 15 membres, avec les quatre piliers demandés pour les plateformes au niveau européen : le pilier académique, avec les représentants de l’Inserm, du CEA, du CNRS, de l’INRA, et des associations scientifiques comme la SPTC (Société de Pharmaco-Toxicologie Cellulaire) ; le pilier institutionnel, avec le ministère de la Recherche, l’Ineris (Institut national de l’environnement et des risques), l’ANSM (Afssaps à l’époque de la création du GIS), l’Anses (Afsset à l’époque de la création du GIS) ; le pilier industriel, avec des associations professionnelles ; le pilier associatif, avec des associations de protection animale, comme Opal (Recherche expérimentale et protection de l’animal de laboratoire), LFDA (La Fondation droit animal, éthique et sciences), et nous avons eu une demande d’adhésion du GIRCOR.
Des commissions d’experts permettent également de faire le point sur l’évolution de ces méthodes, de même qu’un site web (www.francopa.fr) et une newsletter.
Ces méthodes alternatives ont été élaborées il y a presque 60 ans. W. M. S. Russell et R. L. Burch ont lancé le concept des 3 R en 1959. Dans l’esprit du public, alternative est associé à substitution ; il s’agit pourtant d’un seul des 3 R. Les deux autres R ne doivent pas être négligés pour autant.
En ce qui concerne les techniques de substitution, alors que la règle des 3 R a été énoncée il y a 60 ans, les méthodes dans ce domaine sont en fait très récentes. Elles résultent en effet des recherches en biologie cellulaire et moléculaire, dans les technologies dites « omics »([16]), en modélisation et dans toutes les applications associées à la bio-informatique. Le développement des méthodes alternatives au titre de la substitution a bénéficié de tous ces apports scientifiques, qui étaient encore balbutiants en 1959. On manquait alors d’éléments pour pouvoir le mettre en œuvre.
Aujourd’hui, on dispose vraiment d’outils très performants. Dans certains domaines, l’expérimentation animale reste absolument nécessaire, il est impossible de faire autrement. Pour la professeure de biologie cellulaire que je suis, représenter un organisme aussi complexe que l’organisme humain par des modèles substitutifs, c’est encore du domaine de la prospective.
Par contre, les modèles, les différents outils moléculaires et les outils dits in silico ouvrent des possibilités importantes. L’approche cellulaire est pratiquée de façon courante. Nous disposons de l’approche des organoïdes, de la possibilité de développer des organes sur puce, et puis tout ce qui concerne le développement de la modélisation informatique. En fournissant de grandes quantités de données exploitables, la modélisation et les techniques in silico permettent d’éviter le recours à l’expérimentation, y compris l’expérimentation in vitro, en particulier pour tout ce qui concerne la sécurité sanitaire.
Il faut prendre en considération toutes les données acquises en recherche clinique et en épidémiologie. Actuellement, c’est comme cela que sont conçus à la fois les approches fondamentales de recherche dans le domaine des pathologies, et aussi tout ce qui concerne la connaissance des effets des médicaments, des produits chimiques : cela permet une approche globalisée.
Un certain nombre de ces méthodes substitutives sont déjà utilisées dans l’industrie, notamment en industrie cosmétique, en particulier pour ce qui concerne la tolérance locale sur la peau et les yeux, la phototoxicité, la corrosion et l’irritation. Ces méthodes in vitro, les cultures de cellules en particulier, permettent de tester des produits chimiques à grande échelle. Cela concerne aussi l’absorption percutanée, et depuis longtemps déjà, les mécanismes de génotoxicité, de mutagénèse et les effets chromosomiques. Tout cela est réglementé par des directives européennes, mais aussi par des lignes directrices de l’OCDE qui proposent des protocoles très précis, que les industriels doivent utiliser.
Pour les recherches axées sur les mécanismes d’actions, on a aussi la possibilité de développer des systèmes qui reproduisent la peau, des muqueuses respiratoires (épithélium alvéolaire ou épithélium branchial). Ces systèmes peuvent utiliser des cellules d’origine humaine, cultivées dans des systèmes de culture complexe, afin de comprendre les mécanismes d’actions étudiés.
Il est aussi possible d’utiliser des cellules souches, qui peuvent être d’origine humaine, ou des organoïdes, c’est-à-dire la représentation en culture cellulaire d’un organe avec ses spécificités. Dans le passé, ces cultures cellulaires posaient un problème de dédifférenciation : elles ne présentaient plus les caractéristiques de la cellule d’origine. Tandis qu’avec les nouveaux outils, en particulier les co-cultures ou les organoïdes, on peut conserver, parfois pendant plusieurs mois, la caractéristique de l’organe en culture.
Le développement de ces méthodes repose sur l’association des recherches de plusieurs domaines, dont la physique et l’informatique. Il faut noter que les organes sur puce, grâce à leur système de chambre de culture avec compartiments, permettent d’avoir une représentation plus complète des interactions entre un organe et d’autres systèmes cellulaires.
Enfin, la bio-informatique a permis de développer de façon extraordinaire ces approches, ici avec la modélisation moléculaire. Aujourd’hui elle est largement utilisée, en particulier dans l’industrie pharmaceutique. On a maintenant accès aux structures moléculaires, qui permettent de déterminer des propriétés biologiques.
En tant que professeure de biologie cellulaire, j’ai assisté au développement de ce domaine de recherche, qui a explosé au cours des 50 dernières années ; les progrès sont considérables. C’est la recherche fondamentale qui a permis, à travers des transferts vers l’industrie, d’utiliser ces différents systèmes, à la fois pour comprendre les pathologies, rechercher de nouveaux médicaments et réglementer la sécurité sanitaire.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- M. Jean-Pierre Boissel intervient en tant que directeur du conseil scientifique et co-fondateur de Novadiscovery, entreprise innovante fondée en 2010 et développant des solutions in silico, expression courante pour désigner les calculs sur ordinateur, par exemple pour prédire la quantité optimale de médicament à délivrer à un patient. M. Boissel va nous présenter cette technologie et ce en quoi elle peut remplacer en partie l’expérimentation animale. Il pourra également évoquer les éventuelles difficultés rencontrées dans le développement des méthodes alternatives et leur intégration dans le système actuel de santé, par exemple dans le processus de sélection des molécules pour entrer en essai clinique.
M. Jean-Pierre Boissel, directeur du conseil scientifique et co-fondateur de Novadiscovery.- Trois précautions pour commencer. En premier lieu, je n’entends pas la notion d’in silico en opposition au in vivo ou au in vitro. Il faut tendre au contraire vers une intégration de ces trois approches dans un cercle vertueux et synergique. Deuxièmement, le concept in silico regroupe beaucoup de choses ; je me restreindrai à l’approche que Novadiscovery développe. Troisièmement, je centrerai mon propos sur l’approche in silico comme méthode alternative à l’expérimentation animale dans l’innovation et le développement de nouveaux médicaments.
Premièrement, les systèmes biologiques sont complexes, et au-delà du fait qu’ils comportent de nombreuses composantes qui interagissent de manière quantitative, ils sont plein de redondances et de mécanismes de rétroaction. C’est un truisme, il n’empêche qu’on l’avait un peu oublié, et il a fallu un numéro spécial de la revue Science en 1999 pour alerter sur les dangers du tout-réductionnisme et la nécessité de trouver des méthodes intégratives. Cela a été le début de la réflexion que je vais vous présenter.
Deuxième élément de contexte : les connaissances en biomédecine doublent tous les dix ans depuis le milieu du siècle précédent. Certes, ce sont des méthodes indirectes qui ont permis d’arriver à ce constat, mais il existe une immense quantité de connaissances actuellement dans les archives, et celles-ci sont mal et insuffisamment utilisées. Des études ont essayé de comprendre les obstacles à l’utilisation optimale de ces connaissances. L’un est assez fondamental : c’est la représentation de ces connaissances. On connaît la représentation discursive et la représentation graphique (laquelle est toujours en développement), mais ces deux approches restent insuffisantes pour nous permettre d’utiliser ces connaissances. C’est la représentation mathématique qui est venue à l’esprit comme le moyen d’organiser les connaissances disponibles sous une forme actionnable, c’est-à-dire permettant des simulations.
Le troisième élément de contexte est un peu éloigné de ces questions autour de la connaissance : il s’agit de la diminution linéaire depuis vingt ans de l’efficience de la recherche pharmaceutique, de l’innovation et du développement, qui vient en partie du manque de prédictivité de deux étapes clés dans cette R&D : la phase pré-clinique et la phase 2 des essais cliniques.
Comment fonctionne le recours au formalisme mathématique pour représenter ces connaissances ? Les connaissances qui semblent nécessaires pour comprendre un phénomène d’intérêt, comme une maladie, sont réunies. Ces connaissances sont évaluées, un niveau de preuve leur est associé, puisque malheureusement, l’activité scientifique n’est pas dénuée d’incertitudes, d’erreurs voire d’infox. Par ce procédé, les connaissances se muent en assertions ; une assertion simple est par exemple : « la protéine A phosphoryle la protéine B. » Ces assertions sont transformées en équations, et toutes ces équations sont réunies dans un système d’équations, transformé en lignes de codes. Ce modèle est validé, et ensuite, des simulations sont lancées pour répondre aux questions que l’on s’était posées au départ.
Ce processus a plusieurs limitations, dont celle-ci : un modèle, quelle que soit sa nature, ne représente pas le réel, il est un aspect biaisé du réel. Rappelons que la cible, c’est de modéliser une maladie humaine. En théorie, grâce à ce modèle mathématique d’une maladie humaine, on pourrait se passer complètement des modèles animaux, mais en pratique, ce n’est pas possible.
Les modèles animaux sont utilisés en pharmacie avec trois grands objectifs : la preuve de concept (pour savoir si la molécule qu’on va développer a des chances d’avoir un effet sur la maladie humaine), la partie pharmacocinétique (absorption, distribution, métabolisme et élimination), et la toxicité. Pour ces deux dernières utilisations, nous sommes assez loin de pouvoir proposer une méthode alternative, même s’il y a des projets actuellement avec des modèles mathématiques de la peau, pour distribuer à travers la peau des substances médicamenteuses ou autres. Pour la toxicité, la perspective d’une méthode de substitution est encore lointaine.
En revanche, pour la preuve de concept, nous avons déjà des exemples qui marchent, comme celui de l’accident vasculaire cérébral en phase aiguë, qui est déjà ancien. Nous avons réalisé un modèle de cet accident pour l’homme, puis nous en avons fait une version pour rongeur, puisque c’était à l’époque le modèle prévalent pour tester les molécules à effet neuroprotecteur. Environ 300 de ces molécules sont passées du stade pré-clinique, où elles avaient été efficaces sur ces modèles animaux, au stade clinique, et elles ont toutes failli ! Imaginez la quantité d’énergie dépensée, le coût financier et le coût éthique : tous les essais pratiqués sur les patients au cours des essais cliniques n’ont servi à rien. Dans certains cas, la thérapie proposée s’est même avérée néfaste. Ces 300 molécules avaient été déclarées efficaces sur le modèle rongeur, dont nous avons montré qu’il ne permettait pas de prédire l’effet chez l’homme.
Les techniques in silico peuvent donc aider à la preuve de concept d’un futur éventuel nouveau médicament.
Quelles sont les limites ? La première, c’est l’acceptabilité de cette approche. Que ce soit au niveau institutionnel ou à celui des firmes pharmaceutiques, cette acceptabilité a été nulle depuis les débuts de la technique, en 2000, jusqu’en 2017, date à laquelle l’acceptabilité par les firmes pharmaceutiques a changé.
En 2017, aux États-Unis, le Sénat et la Chambre des représentants se sont associés pour émettre un bill – texte normatif entre le décret et la loi – demandant instamment à la FDA, l’administration sanitaire en charge des médicaments et de l’alimentation, de pousser les firmes à introduire du in silico dans leurs dossiers de présentation de nouveaux médicaments. Cela a tout changé. La FDA, qui avait déjà réfléchi à la question pour d’autres raisons, a très récemment, primo, accepté un premier projet de dossier qui remplace complètement la phase 2 d’un nouveau médicament par une technique in silico, il s’agit d’ailleurs d’un produit français ; et secundo, lancé un programme pilote sur deux ans dit Model-Informed Drug Development (MIDD), qui consiste à soutenir un certain nombre de projets d’échanges avec les promoteurs pharmaceutiques et les développeurs de modèles de médicaments pour les aider dans leur concept et permettre à la FDA de se familiariser avec l’approche in silico.
L’implication de la FDA dans ce processus concerne l’homme, mais pourquoi ne pas imaginer un processus similaire pour l’expérimentation animale, avec un organisme étatique qui incite fortement à l’utilisation des méthodes alternatives, en particulier les techniques in silico, à travers les agences européennes, l’Agence européenne du médicament (EMA), et en France, l’ANSM ou la HAS ?
Pour conclure, les possibilités offertes par les techniques in silico sont immenses, et il reste du travail pour les traduire en applications concrètes ; cependant, certaines sont déjà concrètement utilisées. Ce qui se passe aux États-Unis doit nous convaincre que c’est une partie de l’avenir.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- M. Thierry Decelle est vétérinaire en chef pour le groupe Sanofi, mais c’est en tant que laboratoire adhérent représentant le LEEM qu’il intervient aujourd’hui. Comme cela a été précisé au cours de la première table ronde, les entreprises pharmaceutiques sont fortement concernées par l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques. M. Decelle pourra nous éclairer sur la possibilité pour les entreprises pharmaceutiques d’utiliser les méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Dans quel contexte, dans quelles conditions, notamment au regard de leur validation et de leur accréditation ?
M. Thierry Decelle, vétérinaire en chef, responsable de la protection animale, Sanofi, représentant le LEEM (Les Entreprises du Médicament).- Effectivement, il m’a été demandé de faire, en tant qu’industriel, un état des lieux de la place des méthodes alternatives substitutives dans le cadre du développement et de la recherche de nouveaux médicaments et de vaccins.
Je rappelle que le LEEM fédère 260 entreprises de l’industrie pharmaceutique en France, et parmi ses membres, il compte de nombreux acteurs majeurs, PME ou grands groupes comme Sanofi, qui sont engagés en recherche et développement pour le bien des patients. Notre objectif est de développer et de mettre sur le marché de nouveaux médicaments, et d’assurer qu’ils sont sûrs et efficaces.
Pour cette intervention, j’utiliserai uniquement des exemples du groupe Sanofi pour les rendre plus concrets, mais sachez que la stratégie de l’industrie pharmaceutique est globalement similaire. Quelle que soit l’entreprise, les approches sont les mêmes ; viennent ensuite les questions de propriété intellectuelle, car on ne peut évidemment pas tout partager.
J’ai une spécialisation vétérinaire en sciences et médecine de l’animal de laboratoire, une formation reconnue par l’Ordre des vétérinaires, et un DEA de toxicologie. Je l’ai passé en 1993, mon sujet de mémoire portait sur la toxicité rénale d’un médicament utilisé en chimiothérapie sur des modèles in vitro et in vivo – déjà à cette époque, les deux modèles étaient utilisés pour aborder les mêmes questions de différentes manières.
Aujourd’hui, je suis responsable de la protection animale chez Sanofi. Parmi mes activités, je dois m’assurer, au-delà des règles éthiques que l’on met en place dans tous les pays, que notre démarche visant au développement des 3 R soit proactive, quels que soient le domaine et l’environnement réglementaire ou culturel. C’est un axe important de notre démarche d’entreprise. À ce titre, je suis rattaché à la Direction RSE de Sanofi, la responsabilité sociale de l’entreprise. C’est un message fort que nous voulons faire passer : la protection animale va au-delà des aspects scientifiques, c’est la responsabilité des entreprises vis-à-vis des animaux utilisés dans nos cadres de recherche, de développement ou de contrôle qualité.
S’agissant de notre stratégie intégrée de recherche et de contrôle qualité, l’objectif de Sanofi est de développer des médicaments sûrs et plus efficaces. Nous avons de plus en plus de questions légitimes des autorités pour mieux comprendre le mode d’action de ces médicaments, comment ils fonctionnent et quels sont les mécanismes toxiques. Nous devons fournir beaucoup plus de données qu’il y a quelques années, plus complètes, plus mécanistiques. Nous intégrons donc des données plus nombreuses dans tous nos dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès de toutes les autorités.
Le modèle animal permet aujourd’hui de récapituler la complexité du vivant. On a besoin de ce modèle animal. Néanmoins, les autres modèles nous permettent d’aller beaucoup plus loin dans la compréhension des mécanismes d’action et de toxicité, et par conséquent de prédire l’efficacité chez l’homme.
C’est la complémentarité qui est recherchée, et pas une opposition entre le in vivo et ce qu’on appelle les nouvelles méthodes. À l’instar de la recherche publique, l’industriel qui prend une décision recherche la convergence d’éléments provenant de différents modèles pour s’assurer qu’ils vont bien tous dans le même sens, qu’ils sont signe d’activité chez l’homme, voire des signaux d’alerte. C’est la convergence des résultats obtenus avec différents modèles qui nous permet d’améliorer et d’affiner la prédictivité de ces modèles chez l’homme.
Nous avons développé une stratégie intégrée de recherche et de contrôle parce qu’aujourd’hui, pour tous nos projets, quelle que soit la thématique, nous avons des approches sur ordinateur, in vivo, sur animaux, de la recherche clinique et des essais cliniques. Et c’est cette approche intégrée, l’ensemble de toutes ces données, qui nous permet d’arriver à la conclusion que telle molécule peut être un médicament.
Pour chaque question scientifique, la question de la pertinence du modèle est posée. Celui qui l’est le plus est retenu – cellules, ordinateur ou animal. Cette approche est privilégiée dans l’industrie pharmaceutique par rapport à une logique de remplacement d’une approche par une autre.
En dix ans, depuis le dernier rapport de l’Office parlementaire, il y a eu des évolutions majeures, techniques ou scientifiques. C’est le cas par exemple des « omics » ou du séquençage, qui nous permettent d’aller beaucoup plus vite, de générer énormément de données, ce qui était impossible il y a dix ans. En une nuit, le génome d’une bactérie peut être séquencé, et aujourd’hui, les données cliniques sont accessibles. Nous sommes entrés dans l’ère du big data. Les développements dans le domaine de l’informatique nous ouvrent aussi le champ de l’intelligence artificielle.
Mes collègues l’ont déjà signalé : nous avons aussi des techniques in vivo de « raffinement » et d’amélioration du recours aux modèles animaux.
Ces dix dernières années, des changements sociétaux sont apparus, qu’il est important de prendre en compte : la place de l’animal et des 3 R dans la société. Nous ne pouvons pas ignorer ce mouvement de fond dont nous faisons partie. Les chercheurs ont une vraie responsabilité sociétale.
Le monde de la recherche voit son paysage changer, avec plus de start-up, de biotech, qui offrent de nouvelles options, de nouvelles alternatives. Le mode de travail change lui aussi : le mode collaboratif – avec les biotech, avec les universités, mais aussi avec les entreprises concurrentes – doit être pris en compte pour gagner en ouverture. Bien sûr, nous protégeons notre propriété intellectuelle, mais la collaboration est tout de même possible, en particulier pour des développements technologiques.
Quels sont les freins actuels ? Certains modèles sont encore trop descriptifs, il faut améliorer leur fonctionnalité. Il est important d’avoir le même niveau d’information via le modèle substitutif qui est choisi.
La notion de validation entre en ligne de compte. On se réfère souvent au modèle animal, ou à l’homme mais un modèle est toujours imparfait, et il est toujours difficile de comparer deux choses imparfaites pour faire une extrapolation sur la population. Il faut vraiment changer de paradigme, c’est-à-dire de repère, cesser de chercher à comparer deux modèles entre eux, et baser les validations sur d’autres références.
Sur l’aspect acceptation par les autorités, un important travail de fond est à faire pour que toutes les autorités, quel que soit le pays ou le domaine, soient ouvertes à ces changements.
Le changement peut s’opérer par des développements technologiques, comme la reconstitution de tissu ou l’intelligence artificielle, qui semble être une réelle opportunité pour la recherche pharmaceutique.
Il s’agit aussi d’un changement culturel, pour que nos chercheurs acceptent ces nouveaux modèles. Cela doit nécessairement faire l’objet d’un travail chez les chercheurs, en interne, mais aussi au niveau des autorités.
Les collaborations scientifiques doivent être renforcées. Des projets comme le projet européen IMI (Innovative Medicines Initiative) voient le jour et constituent de grands modèles de collaboration. Les partenariats public-privé sont aussi très efficaces.
Nous devons également renforcer nos expertises et nos formations en interne. Nous y travaillons régulièrement.
Je pourrais donner beaucoup d’exemples : l’évaluation des impuretés des médicaments qui se fait in silico, la modélisation de la pharmacocinétique, ou des modèles in vitro : Sanofi a acquis la société Vax Design pour réaliser in vitro un modèle de réponse immunitaire complète.
Nous travaillons à différents projets, avec le pôle d’innovation technologique BIOASTER à Lyon par exemple, pour améliorer la prédictivité.
Enfin, il y a la recherche clinique : mieux comprendre ce qui se passe chez l’homme nous aide à mieux anticiper et à mieux comprendre nos modèles précliniques, qu’ils soient in vitro, in vivo, ou mathématiques.
En conclusion, Sanofi a réduit de 25 % le recours aux animaux de laboratoire sur les quatre dernières années et trois animaleries ont été fermées les dix dernières années. Nous avons gagné un certain nombre de prix « 3 R » sur des méthodes de remplacement, en France ou en Allemagne.
La dynamique actuelle est rapide et passionnante. L’environnement change très vite et il y a des opportunités à saisir, pas seulement pour l’industrie pharmaceutique. C’est aussi un enjeu économique pour la France, pour les biotech, pour les start-up et pour l’environnement industriel, dans lequel il faut investir.
Malgré tous ces progrès, expérimenter sur l’animal reste nécessaire avant de passer à l’homme. Cela reste une étape incontournable, pour laquelle nous développons les soins dans nos programmes de recours aux animaux de laboratoire, pour avoir des programmes d’excellence.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Je vous remercie de vos exemples. Sur l’aspect de la validation des techniques et sur des aspects plus scientifiques des méthodes alternatives, nous allons entendre M. Christophe Furger, responsable du programme Valitox, qui vise à développer des tests toxicologiques issus de méthodes alternatives in vitro. M. Furger nous présentera cette technologie et les processus de validation pour accréditation, ainsi que les freins rencontrés dans le développement des techniques.
M. Christophe Furger, chercheur en biologie cellulaire, responsable du programme Valitox.- Je vais apporter un exemple très concret d’expérience de dépôt de dossier de validation de méthode alternative auprès des autorités compétentes dans l’Union européenne.
Valitox est un programme de validation scientifique d’un test alternatif pour la mesure de toxicité dans le domaine réglementaire. In fine, nous espérons qu’il s’applique aux règlements européens classiques de type REACH (Registration, evaluation, authorization and restriction of chemicals([17])), qui régule les produits chimiques, la cosmétique, les biocides, la classification étiquetage - emballage, ou encore les pesticides.
Nos objectifs sont d’évaluer le niveau de prédiction de la nouvelle approche en comparant directement des données humaines et des données cellulaires, sans passer par des données animales ; apporter ensuite les démonstrations nécessaires à l’entrée en phase de validation par le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives (ECVAM), afin de fournir un test d’évaluation de la toxicité d’un échantillon par une mesure qui soit à la fois simple, robuste, fiable et surtout de haut débit, au vu des demandes de règlements comme REACH, pour lequel 140 000 molécules doivent être testées. À terme, il s’agit de cibler un ou plusieurs domaines d’application réglementaire, la toxicité aiguë (par inhalation, absorption, voie cutanée), mais aussi la sensibilisation, l’irritation et la corrosion, cutanée ou oculaire.
Nous utilisons un test cellulaire car les cellules sont les plus petites unités fonctionnelles du vivant, et à ce titre, elles forment l’approche la plus naturelle de substitution aux essais pour les animaux. À l’heure actuelle, l’essentiel de la quinzaine d’essais qui ont été validés au cours de ces vingt dernières années par l’OCDE sont des tests cellulaires.
L’utilisation de cellules ne pose aucun souci éthique. Les méthodes peuvent facilement être standardisées et sont adaptées au haut débit. Il en existe de très nombreux exemples dans l’industrie pharmaceutique pour le criblage à haut et très haut débit utilisé pour générer de nouveaux médicaments.
Elles sont autant, sinon plus prédictives des effets toxiques, dans notre contexte du moins, que les modèles animaux. Cela est clairement établi dans la littérature scientifique. Les taux de prédiction pour l’espèce humaine sont de 60 à 70 % quand ils sont fondés sur des données animales, et de 55 à 80 % quand ils s’appuient sur des données cellulaires.
Pourtant, il subsiste encore un fort déficit de confiance dans ces modèles cellulaires. On oppose aux tests in vitro un manque de représentativité vis-à-vis de l’organisme humain, un préjugé qui persiste, quels que soient les arguments apportés.
Enfin, les objections classiques aux tests cellulaires sont levées progressivement. Jusqu’à présent, les cellules utilisées étaient souvent des modèles d’origine cancéreuse, peu réalistes vis-à-vis de la physiologie humaine. En effet, les cellules étaient isolées dans leur boîte de culture, leurs capacités métaboliques étaient faibles, voire inexistantes. L’apport de trois approches récemment standardisées a levé progressivement ces objections : les cultures organotypiques (typiquement les modèles de peau reconstitués), les cellules souches (notamment les cellules souches humaines pluripotentes induites), les organes sur puce (ces fameux micro-organes basés sur la microfluidique).
Concernant Valitox, nos liens avec l’ECVAM se sont établis sur un mode de questions-réponses, très basique. Une première version avancée du test a été soumise à l’ECVAM en 2014, basée sur la prédiction des effets sur l’espèce humaine. Elle s’appuie sur des données de toxicité aiguë qui ont été observées chez l’humain à partir d’une base de données issue d’un programme européen qui décrit environ 97 substances, des DL-50 humaines (50 % de la dose létale) qui ont été mesurées à partir de données dans les centres antipoison d’Allemagne et du Danemark sur environ 1 800 cas. Cette base de données est tout à fait adaptée à la situation. À partir de ces données, nous avons établi un modèle de prédiction de notre test cellulaire, qui se révèle être très proche de la normale, avec un coefficient de détermination de 0,7, représentant une valeur de prédictivité de 70 %.
Concrètement, l’étape suivante dans la validation de la technique consiste à fournir des données sur le type de mesure et sur les protocoles opératoires standardisés, qui assurent une transférabilité des technologies vers les autres laboratoires, et à déterminer les contrôles positifs et négatifs.
Dorénavant, il ne suffit plus que le test fonctionne, la base mécanistique du test doit être démontrée, ses limitations doivent être analysées. Nous devons également réaliser une analyse concurrentielle, une analyse de fiabilité, de reproductibilité, et enfin, assurer une transférabilité intra et inter-laboratoires ; tout cela se situant dans les étapes de pré-validation.
L’étape de validation à proprement parler concerne la pertinence, c’est‑à‑dire tout ce qui a trait à la démonstration de la sensibilité, de la spécificité et de la prédictivité.
Une étude rétrospective a identifié un délai moyen pour les différentes étapes du processus depuis la création d’un dossier à l’ECVAM. Il y a six étapes : recherche, développement, pré-validation, validation, revue, adoption. La phase de recherche, de compréhension des voies de toxicité ou des mécanismes cellulaires a une durée comprise entre 1 et 5 ans. La phase de développement, qui consiste déjà en une nouvelle méthode qui vise une application spécifique, avec une démarche intra-laboratoire, dure de 2 à 5 ans. La pré-validation, au cours de laquelle le protocole est optimisé et transférable, avec une démarche multi-centres, nécessite de 1 à 2 ans. La validation proprement dite, pour laquelle la fiabilité et la pertinence sont établies, nécessite de 2 à 5 ans. La revue, l’évaluation indépendante, par les pairs dure de 2 à 3 ans. Enfin, l’adoption par l’OCDE en Europe, de 1 à 3 ans. Au total, ce processus s’étale a minima sur 9 ans, a maxima sur 23 ans.
Actuellement, les tests cellulaires sont validés au compte-gouttes et relégués à des applications périphériques, voire annexes ou subsidiaires. Pourquoi ? Si l’on reprend l’historique des validations, la première validation a eu lieu au workshop d’Amden en Suisse, en 1990 ; suivie par la création de l’ECVAM en 1995 ; puis trois tests de toxicité, signalés par Mme Marano, ont été validés en 1997 ; puis plus rien jusqu’en 2004 ; un seul test validé en 2004 sur la photo-toxicité (c’est d’ailleurs le seul test qui remplace actuellement un test animal) ; puis un rythme d’environ un test par an jusqu’en 2018.
Concernant Valitox, l’ECVAM a salué sa pertinence pour l’application visée, c’est-à-dire la toxicité aiguë, mais juge les données insuffisantes pour une évaluation complète. Elle reconnaît aussi un intérêt pour l’application en sensibilité cutanée, mais soulève le problème des faux positifs et faux négatifs, qui sont récurrents quelles que soient les méthodes, animales ou alternatives. L’ECVAM demande entre autres une démonstration fine des mécanismes en jeu ; ces résultats ont été publiés en décembre 2017. Nous avons pris l’initiative de monter un programme de transfert de Valitox au modèle 3D en collaboration avec la société bordelaise Poietis, spécialisée dans les imprimantes cellulaires 3D.
En conclusion, les moyens publics alloués à cette problématique du financement sont essentiellement européens, à travers le programme Horizon 2020. Ils vont essentiellement à de très gros consortiums qui ciblent en général une seule application, comme par exemple le projet SEURAT sur la toxicité chronique : 50 millions d’euros sur 10 ans, cofinancés pour moitié par l’Union européenne et pour l’autre par l’industrie cosmétique.
Il existe également l’initiative du CAAT (Center for alternatives to animal testing), un regroupement universitaire qui œuvre pour les tests alternatifs depuis 1981, dont les dotations s’élèvent à 10 000 euros par projet.
Concernant Valitox, la question du financement a été partiellement résolue par le soutien de fondations et d’associations. Je leur rends hommage pour leurs efforts. Le programme a été coordonné par le comité scientifique Pro Anima et cofinancé par la Fondation 30 millions d’amis, la Fondation Brigitte Bardot, la LSCV (Ligue Suisse Contre l’expérimentation Animale), la Fondation Bourdon, la SPA, la SNDA en France.
Ce qui manque dans ce système, c’est une reconnaissance du domaine des méthodes alternatives comme un champ de R&D à part entière, et surtout, il y a un besoin d’appels à projets publics dédiés à cette problématique, notamment sur le développement de tests en vue de leur validation par l’ECVAM. De mon point de vue, c’est ce relais qui fait cruellement défaut aujourd’hui.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Merci pour cet exposé dense et passionnant qui ouvre vraiment des perspectives. M. André Ménache, le manque de financement alloué à la recherche sur les méthodes alternatives a été évoqué. Vous avez la parole pour évoquer l’action de Pro Anima dans le financement des méthodes alternatives, mais également pour nous faire part de vos remarques concernant l’ensemble du débat de ce jour.
M. André Ménache, vétérinaire, conseiller scientifique Antidote Europe, porte-parole de Pro Anima.- Le mot « alternatif » est trompeur. Le grand public imagine qu’une méthode dite alternative remplace une expérience sur l’animal vivant. En réalité, environ 80 % des méthodes alternatives concernent la réduction et le « raffinement », plutôt qu’un réel remplacement.
Concernant les méthodes de remplacement proprement dites, plusieurs utilisent des cellules ou des tissus d’origine animale. Il est donc essentiel de faire la distinction entre le remplacement relatif et le remplacement absolu. Pour le cas du remplacement relatif, un animal est sacrifié, donc il ne souffre plus, et ses cellules et ses organes sont utilisés. Dans le cas du remplacement absolu, il n’est fait aucune utilisation d’animal, vivant ou mort, il s’agit par exemple des cellules humaines en culture.
Le Centre européen pour la validation de méthodes alternatives (ECVAM) a validé une cinquantaine de méthodes alternatives depuis sa création en 1991, soit 2 méthodes par an. Le délai de validation d’une méthode alternative peut aller jusqu’à 7 ans, voire plus, et peut coûter jusqu’à 1 million d’euros. Alors, quelles motivations pour les industriels et chercheurs à développer de telles méthodes ?
De surcroît, les autorités n’imposent aucune obligation d’appliquer des méthodes alternatives déjà validées et également acceptées par l’OCDE. Le budget de l’ECVAM est passé de 15 millions d’euros en 2008 à 6 millions d’euros en 2018. Alors que le projet phare de l’Union européenne de recherche et d’innovation Horizon 2020 dispose d’un budget de 80 milliards d’euros, quelle est la situation en France concernant la répartition des fonds publics dans ce domaine ?
Les méthodes dites alternatives doivent suivre un processus rigoureux afin d’être homologuées : trois laboratoires participent et tous doivent obtenir le même résultat. Cependant le modèle animal n’a jamais été validé en tant que modèle scientifique ou prédictif pour l’étude des maladies humaines. Je reformule donc notre demande de création d’une commission d’enquête parlementaire sur la validité du modèle animal.
Par ailleurs, il est souvent plus facile pour un chercheur d’obtenir une autorisation pour expérimenter sur cent souris ou cent rats, que d’obtenir une autorisation pour expérimenter sur des déchets chirurgicaux humains destinés à l’incinération. Il faut donc faciliter l’obtention de l’autorisation à travailler sur des tissus humains.
Il est clair qu’il est impossible de reproduire en laboratoire un système vivant complexe entier. Cependant le modèle animal est moins prédictif pour l’être humain qu’un jeu de pile ou face. J’ai déjà indiqué que selon la FDA, haute autorité de sécurité sanitaire aux États-Unis, le taux de prédiction des tests sur les animaux est de 10 %. A priori, toute méthode dont le pouvoir de prédiction dépasse les 51 % serait plus performante que les tests sur les animaux. Le public attend que les méthodes substitutives atteignent des taux de prédiction de 90 % et au-delà. Aujourd’hui, ce niveau n’est pas atteint. Mais par rapport aux tests sur les animaux, les méthodes associant plusieurs technologies par étape atteignent un taux de prédiction bien supérieur à celui du modèle animal.
On ne dit pas que des cellules en culture ou des ordinateurs peuvent remplacer un système vivant complexe entier. Bien sûr que non. Il faut utiliser plusieurs technologies, de manière à, par étape, élever le taux de prédiction.
Pour finir, je vais évoquer la recherche fondamentale dans les universités. On a principalement parlé aujourd’hui, de la toxicité, de la réglementation dans l’industrie pharmaceutique et cosmétique. J’ai siégé pendant plusieurs années au sein de comités d’éthique en Belgique et en Suisse, malheureusement pas encore en France. Je constate que le R de remplacement dans la recherche fondamentale dans les universités est quasi inexistant. Pourquoi ?
Prenons le cas concret d’un chercheur qui planifie d’utiliser 100 rats à des fins de recherche, pour trouver un nouveau traitement du cancer chez l’homme. Le chercheur déclare au comité d’éthique qu’il pratique la réduction : « au lieu de 120 rats, j’ai utilisé 100 rats » ; qu’il pratique le « raffinement » : « je vais donner des antidouleurs toutes les 8 heures aux rats » ; et concernant le remplacement : « je veux étudier cette maladie dans un système vivant complexe entier et je ne peux pas le faire dans des cellules humaines en culture », ce qui est tout à fait légitime. Lorsque je lui demande de démontrer la pertinence du modèle rat pour le cancer chez l’homme, à ce moment-là, on me répond : « Monsieur Ménache, vous dépassez votre cadre de membre du comité d’éthique. Votre cadre, ce sont les 3 R, et l’on a bien respecté les 3 R. » En définitive, on ne questionne pas la validité du modèle animal. Je dois avouer que cela m’a beaucoup frustré, et je veux partager cette frustration avec vous, parce que je pense que cela se passe également aujourd’hui dans les universités françaises.
2. Discussion
Mme Florence Lassarade, sénatrice : Nous allons passer aux questions du public et des internautes.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Je vais commencer par une demande de clarification de ma part. M. Ménache nous parle de taux de prédictivité extrêmement faibles – 10 % –, et tout à l’heure, M. Furger a plutôt évoqué, dans certains contextes, des taux de prédiction autour de 60 % pour les uns et pour les autres. J’aimerais comprendre cette disproportion de nombres qui ne doivent pas représenter la même chose de part et d’autre.
M. Christophe Furger.- Les taux que j’ai indiqués s’inscrivent dans le cadre des études en toxicité. Classiquement, dans l’ensemble des données dont on dispose, on observe en effet des taux de prédiction de l’ordre de 50 à 60 % pour les tests animaux, et pour les tests cellulaires, parfois un peu moins et souvent un peu plus.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Plutôt un peu plus, mais de l’ordre des deux tiers, dans un cas comme dans l’autre ?
M. Christophe Furger.- C’est cela.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Vous, M. Ménache, le chiffre de la FDA que vous évoquiez s’applique-t-il à un périmètre différent ?
M. André Ménache.- Au moment des tests en phase de développement, juste avant les essais cliniques, on passe par l’in vitro, mais également par deux espèces d’animaux, rongeur et non-rongeur. Et ensuite, on passe aux essais cliniques chez l’homme, et alors, sur 10 molécules ou 10 médicaments qui ont réussi à passer ces tests sur les animaux, 9 vont échouer au cours des essais cliniques chez l’homme, à cause de leur toxicité ou d’un manque d’efficacité.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Je n’ai pas bien compris. Ce sont des phases différentes du développement ?
M. Christophe Furger.- Dans le cas que j’ai évoqué, ce ne sont pas des phases de développement, c’est uniquement l’application des méthodes réglementaires pour mesurer la toxicité dans le cadre réglementaire. Là, on est dans des phases beaucoup plus amont…
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Si je comprends bien, M. Ménache parle du début du cycle, et vous, vous vous placez plus en aval ?
Pr Francelyne Marano.- Ce débat sur la prédictivité des tests animaux par rapport aux tests in vitro existe depuis que je travaille dans ce domaine. Et cela concerne essentiellement la sécurité des produits chimiques et du médicament. Mais nous avons aussi tout ce qui concerne la recherche fondamentale sur le fonctionnement du vivant et sur les pathologies, et là, en général, on associe toujours à la fois l’approche chez l’animal et l’approche in vitro, ceci dans le cadre de consortiums de laboratoires, dans lesquels chacun a son domaine de compétences. C’est assez naturel que quelqu’un qui travaille dans le domaine de l’expérimentation animale dans le cadre de ses recherches n’associe pas lui-même directement les méthodes cellulaires ou les méthodes in silico. Il va s’associer pour cela à d’autres chercheurs qui auront la capacité de le faire.
La nécessité de travailler en consortium est un point très important ; c’est ce qui se fait dans la recherche fondamentale, et maintenant dans les recherches plus appliquées. C’est la complémentarité des approches qui permet d’arriver à expliquer les mécanismes biologiques.
Dans le domaine de la sécurité des produits chimiques et du médicament, les méthodes dites substitutives doivent prouver leur efficacité à modéliser ce qui se passerait si l’homme était en contact avec le produit ou le médicament. C’est pourquoi à l’ECVAM, on met tant de temps à valider une méthode. Et c’est tout à fait dommage que l’ECVAM ne travaille pas plus rapidement, sans doute par manque de moyens.
Je rejoins M. Ménache là-dessus : les moyens manquent pour faire évoluer correctement ces méthodes. En France en particulier, il faut des plateformes technologiques qui associent toutes les compétences pour réaliser ces transferts de méthodes. Une équipe seule ne peut le faire. Les méthodes qui existent dans les laboratoires de recherche sont développées dans des buts très précis, pour étudier tel mécanisme d’action, souvent très pointu. Il faut pouvoir les transférer ensuite vers les applications, et aussi vers les biotechnologies.
M. Thierry Decelle.- Le chiffre qui a été cité par M. Ménache concerne le périmètre suivant : sur 10 composés qui passent du pré-clinique au clinique, donc qui rentrent en développement clinique, il n’y en a qu’un seul qui arrivera sur le marché. C’est là où est le gaspillage. C’est une intégration : il y a des problèmes de sécurité, de preuve de concept d’efficacité, de métabolisme, etc. Le chiffre de 10 % englobe tous ces aspects.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- La première question de l’audience est assortie du commentaire suivant : « autant sur la première table ronde on avait l’impression d’améliorations possibles sur les dosages, sur la possibilité d’encourager telle pratique ou telle évolution, autant sur la deuxième table ronde on a l’impression qu’il y a matière à des changements plus radicaux, et à des questions d’amélioration des processus, des règlements, des financements, etc. »
Question : Peut-on rendre systématique la présence d’experts des méthodes alternatives et d’experts de l’éthique dans les comités d’éthique afin d’informer les chercheurs sur les possibilités offertes par ces méthodes dites alternatives, ou dans les instituts de recherche et dans les entreprises, pour aider les chercheurs à opter pour les méthodes alternatives ? Bref, nous sommes dans la continuité des nécessaires partages des informations et des compétences. Qu’est-ce qui, en pratique, peut être fait, voire imposé, pour aboutir à un changement qualitatif immédiat ?
M. Ivan Balansard.- Quelle que soit la discipline – neurosciences, problèmes immunitaires ou infectieux, etc. –, je pense que toutes les approches sont présentes dans les laboratoires de recherche fondamentale. Ne tombons pas dans le piège qui consiste à opposer les tenants de la recherche in vitro à ceux de la recherche in vivo. En réalité, dans n’importe quel laboratoire de recherche, vous verrez des biochimistes, des biologistes cellulaires, des personnes qui travaillent sur des modèles in vivo, des bio-informaticiens, et c’est l’ensemble de tous leurs travaux qui convergent vers le résultat scientifique. Un expert free-lance en méthode alternative qui viendrait dans un comité d’éthique pour apporter la bonne parole est une idée complètement déconnectée de la réalité. Un laboratoire de recherche, c’est un ensemble de compétences à tous les niveaux, à toutes les échelles.
Cela ne signifie pas que tout est parfait. Il y a encore des progrès à faire pour développer d’autres méthodes substitutives. Mais enfin, en France, le fait est qu’il n’existe pas de laboratoire où les approches seraient exclusivement in vivo ou in vitro. Partir de ce principe erroné dénaturerait le débat.
D’un mot, quand M. Ménache parle de prédictivité à pile ou face pour les modèles animaux, en tant que vétérinaire, je dois dire que tous les médicaments vétérinaires que nous utilisons sur nos animaux de compagnie et nos animaux de rente sont exactement les mêmes molécules que l’on emploie chez l’homme : antibiotiques, médicaments contre l’hypertension artérielle, anti-inflammatoires, etc. Ce sont les mêmes molécules, cela veut dire qu’elles fonctionnent chez le chien, le chat, la brebis, la vache, l’homme. On ne peut pas dire que la prédictivité est de 50 % ; je crois que c’est une contrevérité.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- La première question portait sur les comités d’éthique, en s’appuyant sur un exemple donné par M. Ménache. M. Balansard, si vous nous dites que dans les laboratoires, il y a toujours un mélange de ces différentes expertises, peut-on en dire autant dans les comités d’éthique ?
M. Ivan Balansard.- Là encore, ces comités d’éthique existent depuis de nombreuses années et sont obligatoires en France depuis 2013. Leur fonctionnement a été structuré, notamment par la Charte nationale d’expérimentation animale. Il faut le reconnaître, il y a encore des progrès à faire dans le fonctionnement de ces comités. Ils doivent amener à discuter et à améliorer les pratiques. Oui, il faut encourager à ce que plus de personnes y participent, et à ce qu’ils soient des lieux de discussion permettant d’optimiser la qualité de la recherche.
M. Thierry Decelle.- Je confirme ce que disait Ivan Balansard sur l’approche intégrée, en particulier au niveau des comités d’éthique. La question du remplacement, de la méthode substitutive, est réellement posée. Les chercheurs sont questionnés sur leurs projets : quelles sont les méthodes substitutives ? Qu’est-ce qui leur a permis de justifier de passer à l’animal ? Que comptent-ils faire après pour remplacer le modèle animal ?
Nous avons des scientifiques dans les comités d’éthique, c’est réglementaire, et tous nos scientifiques ont des approches in vitro et in vivo. Les 3 R, ce n’est pas une science en soi : on n’est pas « docteur en 3 R ». Nous avons des mathématiciens, des biochimistes, des cliniciens, tous les profils. Ce qui compte, c’est d’avoir cette richesse au niveau des comités d’éthique. Les scientifiques se challengent et je peux vous assurer qu’ils ne se font pas de cadeaux ; cela permet de faire avancer le débat.
M. Jean-Pierre Boissel.- Pour que ça change, pour que les méthodes alternatives soient acceptées et appliquées, il faut agir au niveau des agences de régulation du médicament et des dispositifs médicaux. Je citais l’exemple de la FDA qui s’est lancée dans le in silico. On ne trouve pas cela en France. L’Agence européenne du médicament (EMA) a décidé de suivre, avec plusieurs années de retard, l’agence américaine. La situation du in silico va probablement évoluer en Europe, mais pour les autres méthodes alternatives, je n’en sais rien. Ces agences ont un rôle très important, parce que l’industrie se cale sur ce qu’on lui demande de faire.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Je vous transmets cette question liée à l’exposé de M. Furger sur la motivation pour passer à ces méthodes dites alternatives : « le processus de validation et de tests réglementaires est bien trop long et coûteux, de 6 à 10 ans au moins, 200 000 euros pour le laboratoire inventeur, ce qui ralentit considérablement le remplacement des animaux. Quelles solutions pour un processus efficace de validation des tests alternatifs ? »
On a compris dans votre exposé que ce délai pouvait frôler le quart de siècle. Est-ce qu’il y a là une prudence excessive de la part de l’ensemble du système, et si oui, que faire pour desserrer cette exigence ?
M. Christophe Furger.- Je pense que ces temps longs sont liés au principe de précaution. Il est peut-être abusif, en tout cas, il est vraiment inscrit dans la méthode. Quand j’ai évoqué les six étapes principales – recherche, développement, pré-validation, validation, revue, adoption –, à chaque étape, il est possible de revenir à l’étape précédente, ou aux deux étapes précédentes et de repartir dans le processus complet. Tout cela est sans doute lié à une volonté de précaution, et en effet, c’est peut-être la démarche d’une manière globale, non linéaire, récursive, qui fait certainement perdre énormément de temps à la procédure. On peut revenir constamment au point de départ.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Si le problème est institutionnel, quelles sont les modifications envisageables, les leviers ?
M. Christophe Furger.- Je ne sais pas. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas avancé jusqu’aux étapes de validation avancées, et nous avons assez peu accès aux informations décisionnelles.
Pr Francelyne Marano.- La procédure de validation que vous venez de présenter concerne essentiellement les tests de toxicité. En dehors de ce domaine, il y a d’autres méthodes. Les dossiers d’autorisation de mise sur le marché concernent des produits très divers : médicaments, produits cosmétiques, alimentaires, chimiques (nanoparticules, perturbateurs endocriniens)… Il faut donner des réponses à toutes ces questions et faire qu’il y ait une protection, en particulier des plus vulnérables. Pour cela, il existe des méthodes, nombreuses, elles peuvent dans certains cas être considérées comme utilisables par l’OCDE par exemple, qui a plus de tests disponibles actuellement. Ces techniques peuvent également être utilisées par les industriels dans le cadre d’un dossier pour montrer que le produit qu’ils veulent mettre sur le marché ne va pas poser de problème pour le consommateur ou le patient.
Pour comprendre les mécanismes d’actions, ce sont très souvent ces méthodes in vitro, toutes celles que j’ai présentées, jusqu’aux plus complexes, qui peuvent être utilisées, ainsi que l’approche « omics », la biologie systémique… Toutes ces approches ne rentrent pas dans les processus de validation qui ont été exposés. Elles sont utilisées en recherche fondamentale, où la validation n’est pas requise. Le laboratoire de recherche prend le meilleur modèle selon ses critères, pour répondre à la question qu’il a posée, en association avec d’autres laboratoires, car il est évident que personne ne dispose de toutes les compétences.
M. Thierry Decelle.- La question de la validation est un vrai challenge. À titre d’exemple, nous, entreprises, avons estimé que certains projets demandaient dix ans d’efforts et 10 millions d’euros. Mais nous nous lançons quand même dans ces projets, parce qu’il est véritablement dans notre intérêt d’aller vers ces méthodes alternatives, pour la précision de certaines méthodes, la fiabilité de certaines données, et même le coût de l’expérimentation animale, qui est très élevé.
Il faut passer par la validation, parce que la sécurité des patients en dépend. Aujourd’hui, quelle autorité serait prête à accepter un médicament pour lequel on n’a pas toutes les preuves de son innocuité ? C’est pour cette raison que cela prend beaucoup d’années et que l’on doit avoir un certain nombre de contrôles positifs, de contrôles négatifs, pour montrer que cette méthode répond bien à toutes les interrogations. C’est un vrai défi, mais il faut penser à la sécurité des patients avant tout.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Dans l’absolu, ce que vous dites, M. Decelle, est vrai et convaincant, mais il arrive qu’on ait des incohérences dans le niveau d’exigence que l’on impose entre différentes voies. Un exemple classique est celui de la différence entre le soin apporté au processus de validation pour les médicaments et le très faible soin apporté aux vérifications pour les équipements, de sorte qu’il peut très bien y avoir des patients soignés avec un médicament qui a passé toutes sortes de tests, mais aussi avec un pacemaker qui lui n’a subi aucun test sérieux de fiabilité. La question ici est de savoir si le même niveau d’exigence est appliqué aux différentes voies, ou s’il y a une voie dans laquelle le niveau d’exigence est disproportionné par rapport à une autre. Il s’agit ici de comparer pour avoir une attitude cohérente dans les niveaux de sécurité.
M. Thierry Decelle.- N’étant pas spécialiste de ce domaine, je ne pourrai pas répondre directement à votre question. En Europe, l’approche est concertée, mais ailleurs, les exigences et les vitesses sont différentes. Cela ne veut pas dire que la direction suivie n’est pas la même, mais il y a un effet calendrier qui fait que certains tests demeurent requis dans certains pays mais sont supprimés dans d’autres. La prise en compte de ces différences est une réelle difficulté dans le développement d’un médicament.
Allons-nous trop loin ? C’est aux autorités de le dire. Nous avons régulièrement des négociations avec les autorités pour discuter de notre programme d’évaluation toxicologique de nouvelles molécules, pour savoir si le modèle est bien pertinent. C’est le cas en particulier avec les produits biologiques, où certains modèles ne sont pas pertinents. Il faut apporter un certain nombre d’arguments aux autorités pour ne pas faire certains tests, lorsque nous considérons que le modèle n’est pas pertinent. Il est du ressort des autorités d’accepter ou pas nos propositions.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Sachant que les comités qui composent les autorités, les agences, sont l’émanation, à la fin, de la communauté scientifique experte, donc également de vous tous ici présents indirectement.
Une autre question : « pourquoi aucun diplôme universitaire n’est dédié aux méthodes alternatives ? » La réponse est plus ou moins dans les interventions qui ont eu lieu, insistant sur le fait que ce que l’on désigne par méthodes alternatives recouvre de nombreuses spécialités et disciplines différentes. Dans de nombreux diplômes, qui eux sont bien ancrés dans des spécialités claires, les méthodes alternatives pertinentes pourront être enseignées.
Je vous transmets maintenant un ensemble de questions qui visent à demander quels sont les moyens pour encourager une transition : « est-il possible d’engager des moyens humains et financiers – sous-entendus conséquents – au ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, ou par la création d’une agence indépendante de soutien aux méthodes alternatives ? La CNEA pourrait-elle participer à la promotion de ces méthodes alternatives ? Comment renforcer les possibilités de financement, encourager le développement de méthodes en décidant d’un arrêt de l’expérimentation dans certains domaines, de façon à stimuler le développement de ces méthodes, comme cela a été le cas avec l’interdiction forcée de l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques ? »
Mme Angela Sirigu.- Je ne voudrais pas que les auditeurs s’imaginent que toutes les méthodes alternatives que vous décrivez peuvent être appliquées à toutes sortes de recherches dont nous discutons ici.
Depuis vingt minutes, il est question de toxicité. Comment peut-on s’imaginer qu’on puisse répondre, avec des cultures cellulaires, aux questions que nous, neuroscientifiques, nous posons : la relation entre le système digestif et le cerveau ; l’encodage des souvenirs ; comment planifier le mouvement ? Il est possible de faire des modèles bien entendu, et ceux-là, on les utilise déjà en recherche en neurosciences. Mais je précise que ces modèles sont très souvent issus des données qu’on a obtenues auparavant avec les enregistrements unitaires chez l’animal.
Il faut bien préciser que vos modèles alternatifs répondent à des cas spécifiques dans la recherche, qui ne concernent pas toute la recherche.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Mme Sirigu, il me semble qu’ici, une minorité pense que toutes les recherches et expérimentations animales pourraient être remplacées par des méthodes alternatives. J’aimerais que, de façon un peu subjective peut-être, on essaie de déterminer des pourcentages. Évidemment, toute classification a sa part d’arbitraire. Mais entre animal, cellule, ou modèle mathématique ou in silico, quelle est grossièrement la proportion entre ces trois techniques sur le terrain ?
M. Ivan Balansard.- Il est extrêmement difficile de répondre. En premier lieu, lorsqu’on parle d’animaux, il faut aussi penser à tous les invertébrés : mouches drosophiles, vers plats…, et bien d’autres animaux qui sont beaucoup plus nombreux que les vertébrés qui sont utilisés. Je doute que l’on puisse avoir des données solides.
Par ailleurs, des moyens seraient bienvenus pour développer en particulier un « Centre 3 R », comme au Royaume-Uni, qui s’est doté il y a plus d’une quinzaine d’années d’un Centre national pour la promotion des méthodes alternatives au sens des 3 R, le NC3Rs (National Centre for the 3Rs). Ce centre est totalement intégré dans la communauté scientifique anglaise et il a un rôle important dans l’amélioration des pratiques.
Il est certain en tout cas qu’il reste des progrès à faire, en particulier en termes de moyens qui pourraient être dévolus à la promotion des 3 R en recherche.
Pr Francelyne Marano.- Bien évidemment, ces approches ne sont pas suffisantes pour comprendre ce sur quoi vous travaillez, Mme Sirigu, dans le domaine des neurosciences, mais pas seulement ; nous n’avons jamais prétendu cela, au contraire. Par contre, ces outils apportent des éléments de réponse, en particulier pour les mécanismes auxquels il n’est pas toujours facile d’avoir accès avec l’organisme entier.
Tout cela, il faut le voir dans une perspective de complémentarité. Les choses ont été claires, je pense, à travers nos échanges. Évidemment, ces méthodes substitutives ne concernent pas uniquement la toxicologie. La pharmacologie utilise ces outils depuis longtemps. La compréhension des mécanismes au niveau le plus fin utilise les outils in vitro, in silico également. La complémentarité est absolument nécessaire.
Les problèmes de financement existent de façon évidente. La France n’a pas de programme de recherche dévolu à cela. Comme cela a été dit, c’est au niveau européen qu’il faut aller chercher les financements ; c’est une problématique à prendre en compte.
À propos de la création d’un « Centre 3 R », il serait sûrement le bienvenu. Par ailleurs, des plateformes sont en train de se développer. Je pense à une plateforme qui apparaît dans le cadre de la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). Il y avait déjà une première demande de plateforme de pré-validation pour développer des tests in vitro et in silico, voire sur d’autres modèles, qui ont été évoqués aujourd’hui : la drosophile, Caenorhabditis elegans (les petits vers plats)… Cette plateforme apparaît à nouveau dans des propositions d’actions de la SNPE 2 qui a été mise en consultation publique avant-hier, après présentation par la ministre des Solidarités et de la santé et le ministre de la Transition écologique et solidaire.
Les actions concrètes et rapides sont possibles car certains projets sont en cours de développement, et il leur faut des financements.
M. Georges Chapouthier.- Concernant les financements, cela a été dit à plusieurs reprises, on ne peut pas toujours facilement remplacer une expérience sur l’animal entier par des modèles. Néanmoins je signale que La Fondation droit animal éthique et sciences propose tous les deux ans un prix Alfred Kastler (co‑fondateur de LFDA), qui vise justement à encourager, à travers une récompense financière, les chercheurs qui proposent des modèles substitutifs des animaux entiers : il y a des cas où c’est possible – mais je ne dis pas que c’est possible dans tous les cas … On peut en tout cas regretter que les pouvoirs publics n’en fassent pas autant.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Un exemple de lauréat ?
M. Georges Chapouthier.- Dans le cadre de recherches sur les tiques pour la maladie de Lyme, une chercheuse a remplacé l’animal entier par des modèles complètement in vitro (Sarah BONNET, directrice de recherche à l’INRA, Prix 2015).
Pr Hélène Combrisson.- À propos de ce que peut faire la CNEA : n’ayant pas d’argent, elle ne peut financer aucun projet. En revanche, la CNEA peut faire des recommandations concernant l’utilisation d’animaux ou de méthodes alternatives en enseignement, qu’il s’agisse de l’enseignement supérieur ou dans les formations spécifiquement en expérimentation animale où l’on demande aussi qu’un certain nombre d’éléments soient réalisés sans animaux, avec des modèles inertes, etc. Les programmes de chirurgie sont également concernés. On n’accepte pas que les personnes fassent les gestes directement sur les animaux vivants, on recommande une prise de contact avec les instruments chirurgicaux sur des supports inertes. Ce sont des encouragements que l’on peut déjà mettre en œuvre.
Une remarque assez générale : je trouve que ce débat sur les méthodes alternatives est très influencé par les questions sur la toxicité, pour lesquelles je conçois que la validité de ces méthodes doit être démontrée et que cela prend du temps. Les statistiques d’utilisation des animaux en recherche indiquent que la moitié le sont pour des études fondamentales, et pas la moitié pour la toxicité, qui ne concerne qu’une petite partie des animaux. En recherche fondamentale, il y a une complémentarité des méthodes, comme l’a très bien dit Mme Marano, et ici, il n’est pas question de validation de méthodes alternatives. Celles-ci prennent très naturellement leur place : pratiquement tous les projets de recherche soumis aux comités d’éthique prévoient aussi des méthodes in vitro ou des méthodes alternatives au sens large. Ces projets justifient la nécessité de devoir utiliser des animaux entiers à un certain stade du projet pour confirmation, par exemple. Cette combinaison fait qu’il est impossible de chiffrer la part dépendant des animaux par rapport au reste.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- D’après l’enquête publiée régulièrement par le ministère, sur l’ensemble des utilisations à des fins scientifiques, 43 % des animaux sont utilisés en recherche fondamentale. Mais comme le disait M. Balansard, le terme « animaux » regroupe une telle variété d’espèces que ce taux brut n’est pas si informatif.
Pr Hélène Combrisson.- Ce taux porte sur la recherche couverte par la réglementation, il concerne donc les vertébrés et les céphalopodes. Les invertébrés ne sont pas du tout comptabilisés.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- D’accord. Je n’ai plus de questions.
Mme Florence Lassarade, sénatrice.- Je vous remercie tous pour votre participation et l’éclairage que vous avez apporté à ce débat. Le public est resté nombreux parce que ce sont des sujets qu’il faut dépassionner, de manière à aller de l’avant. C’est ce type de table ronde et le dialogue qui peuvent peut-être faire évoluer les pratiques. Nous, parlementaires, sommes là pour relayer les préoccupations du public et celles des scientifiques.
Je souhaitais donner une note d’optimisme. Finalement, les recherches sur le Botox n’ont pas été demandées par l’industrie cosmétique. Ce sont tout d’abord les neurologues qui ont utilisé ce produit dans le traitement de certaines paralysies de l’enfant. En particulier pour les patients infirmes moteurs cérébraux, ces traitements ne fonctionneraient pas sans la mise au point du Botox. Le sacrifice de tous ces animaux n’a pas été vain, bien que maintenant on doive aller naturellement vers une approche plus compréhensive de l’animal. Je vous remercie.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office.- Nous arrivons à la fin de cette matinée consacrée à l’expérimentation animale. L’ensemble des débats fera l’objet d’un compte rendu et de conclusions synthétiques.
Dès le départ, avec l’intervention de M. Chapouthier, on a bien vu que l’on se situait à un confluent de problématiques : problématiques scientifiques et questions d’efficacité, problématiques de recherche et développement, mais aussi questions éthiques fortement influencées par l’évolution des cultures, des sensibilités, d’une génération à l’autre aussi.
Au fur et à mesure des débats, on a constaté à quel point l’analyse de la question demandait une multiplicité de regards. Les spécialités invoquées sont différentes, selon les problèmes regardés : toxicité, non-toxicité, recherche, développement, etc. On a bien constaté l’importance de l’organisation du partage des cultures, des connaissances et de l’information, aussi bien dans les institutions que dans les procédures.
Nous avons constaté et entendu, en particulier dans les interventions de MM. Furger et Boissel, à quel point il peut être long et coûteux de développer l’ensemble des recherches qui permettront d’aller vers la mise en œuvre du remplacement, par exemple.
Nous avons entendu que, dans certains cas, ce remplacement est dicté aussi par des questions d’efficacité. Certains traitements ne vont pas être bien prédits par l’expérimentation animale. Si l’on développe ces méthodes, ce n’est donc pas seulement pour des questions éthiques. Il peut y avoir aussi des questions d’efficacité, selon les situations.
Les interventions de Mme Sirigu ont rappelé qu’il existe une variété de recherches et de modèles. Dans certains cas, on ne sait toujours pas faire autrement qu’avec l’expérimentation animale.
MM. Ménache et Deputte ont relevé un certain nombre de revendications, d’incitations à aller plus loin, plus vite dans certains aspects.
D’une façon générale, je pense que tout le monde aura apprécié les regards éclairés, précis et passionnés des uns et des autres dans ces deux tables rondes. Nous aurons plaisir à rester en contact avec les uns et les autres dans le cadre des réflexions sur ce thème. Il était déjà à l’ordre du jour il y a une dizaine d’années, et il reviendra bien sûr sur la table de l’OPECST dans le futur. C’est sur cet appel à la poursuite, au renouvellement et au renforcement du dialogue que je conclus la matinée.
— 1 —
II. EXTRait de la réunion de l’opecst du jeudi 21 mars 2019 présentant les conclusions de l’audition publique
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – L’audition publique sur l’expérimentation animale a eu lieu le 17 janvier dernier. Elle avait pour objet de faire un état des lieux de l’utilisation des animaux en recherche et de faire un point sur les alternatives à l’expérimentation animale. Notre premier vice-président, Cédric Villani, présidait la première table ronde, et Florence Lassarade présidait la seconde. Cette audition s’inscrivait dans la continuité de travaux antérieurs de l’Office, puisqu’en 2009, un rapport de deux anciens collègues députés faisait un point sur l’expérimentation animale en Europe. Le sujet de la condition animale devient en effet cher – peut-être trop… – à beaucoup de nos concitoyens. Il était donc important de rencontrer les différentes parties prenantes à l’utilisation d’animaux de laboratoire pour évaluer la situation actuelle et dresser les perspectives. C’est bien aussi le rôle de l’Office d’examiner les incidences sur la recherche scientifique d’une modification éventuelle des règles en la matière.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – En 2009, les députés Michel Lejeune et Jean-Louis Touraine se sont penchés sur la question. Quelles alternatives ? Quelle éthique ? Quelle gouvernance ? Pour faire le point sur ce sujet passionné, qui touche à notre sensibilité envers les animaux, le débat doit être éclairé par des faits. Qu’apportent les animaux à la recherche ? Jusqu’où les modèles actuels de substitution nous permettent-ils d’aller ? Dans quelles conditions utilise-t-on les animaux en France, par rapport à nos voisins européens et d’autres pays dans le monde ? Quelles sont les évolutions depuis la révision de la directive européenne en 2010 ?
La première table ronde réunissait des scientifiques du milieu académique, du milieu industriel et un spécialiste de l’étude du comportement animal ; des représentants des instances qui communiquent, définissent et contrôlent les conditions dans lesquelles les animaux sont utilisés ; et deux représentants d’associations de défense de la cause animale. La deuxième table ronde réunissait des spécialistes des méthodes alternatives, le représentant d’un industriel et le représentant d’une association qui finance la recherche sur méthodes substitutives.
Les sensibilités des uns et des autres ont évolué, si bien qu’on nous a assurés que les bonnes pratiques enseignées dans les formations à l’expérimentation animale allaient au-delà des normes fixées par l’Union européenne. L’Europe est plutôt en avance sur l’Asie et l’Amérique du Nord dans la prise en compte du bien-être animal – ce qui n’est pas sans conséquences sur la recherche.
Mais la France pourrait faire mieux, à l’image de certains de ses voisins ‑ l’Allemagne et le Royaume-Uni –, en ce qui concerne les animaux utilisés dans les parcours éducatifs, dans l’enseignement secondaire et supérieur, en limitant l’accès aux animaux aux étudiants déjà bien avancés dans leur parcours, et en accompagnant l’utilisation d’animaux par une formation à l’éthique et à la bientraitance.
La question de l’efficacité des modèles – animaux ou non – a été soulevée. Les scientifiques se sont accordés sur le fait qu’aucun modèle n’est parfait, et que les différentes méthodes – in vivo, in vitro et in silico – ne doivent pas être opposées mais utilisées de façon complémentaire, car elles ne permettent pas de répondre aux mêmes questions. Les données de bio-surveillance mériteraient pour leur part d’être davantage exploitées puisqu’elles reflètent directement la physiologie humaine. Nous proposons donc d’encourager le développement d’études épidémiologiques de grande ampleur, telles qu’elles se font au niveau européen, par exemple dans le cadre du projet HEALS (Health and Environment-wide Associations based on Large population Surveys). Le dossier médical partagé pourrait constituer une autre piste, à condition que l’accord de ses propriétaires soit requis, que les données soient gérées de façon irréprochable, et que leur sécurité soit garantie.
Le partage des résultats non destinés à être publiés, dits résultats négatifs, devrait être encouragé, comme le proposait déjà l’OPECST en 2009. Nous continuons à soutenir cette initiative, qui pourrait bénéficier de l’expérience de bases de données telles qu’arχiv.
La recherche publique et la recherche privée ont insisté sur la complexité du vivant, loin d’être élucidée dans sa totalité. Ce fait rend l’expérimentation animale nécessaire, car le modèle animal est le seul à prendre en compte tous les paramètres physiologiques nécessaires à l’étude de l’effet d’un médicament, par exemple. Cependant, de nouvelles technologies prometteuses sont en développement : ainsi, la modélisation par des algorithmes peut s’avérer meilleure que des modèles animaux dans certains cas, et notamment pour les accidents vasculaires cérébraux. Nous encourageons les agences de santé françaises à accueillir favorablement les preuves de concept effectuées in silico, comme l’a fait la Food and Drug Administration aux États-Unis.
En somme, le monde scientifique ne doit pas s’isoler des revendications des citoyens. Il convient à cet égard d’insister auprès des ministres compétents pour que le décret – annoncé en 2016 – qui doit faire passer le nombre de représentants d’associations de défense des animaux au sein de la Commission Nationale de l’Expérimentation Animale (CNEA) de trois, soit un cinquième des membres, à six, soit un tiers, soit signé. Je proposerai que Gérard Longuet, Cédric Villani et moi-même écrivions aux ministres compétents en ce sens.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Merci. Cette audition n’était-elle pas trop tendue ?
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Non, mais elle fut très détaillée. Il y a eu peu de provocations. Chacun a pu s’exprimer. Dans le contexte actuel, il était nécessaire d’associer des représentants d’associations comme Pro Anima. Le vétérinaire qui les représentait a par exemple commencé par donner l’exemple de recherches sur le Botox, effectuées sur des souris, par le passé, et qui avaient été suspendues suite à l’action d’associations de citoyens, pour lesquels il n’apparaissait pas légitime que des produits de chirurgie esthétique soient testés sur des animaux. J’ai rappelé que les expériences sur le Botox avaient, en premier lieu, servi à étudier les paralysies consécutives à la grande prématurité.
Georges Chapouthier a parlé des trois « R » : replace, refine and reduce. Pour accroître l’acceptabilité, il faut bien sûr toujours plus de transparence – mais pour autant nous sommes loin des monstruosités des années 1950. Des responsables de l’industrie pharmaceutique nous ont ainsi expliqué que les expériences se faisaient sous la surveillance de vétérinaires, au moins pour les mammifères.
J’ajouterais que cette audition était ouverte aux internautes, qui ont pu poser des questions.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Avez-vous pu discuter avec le ministre de l’utilisation d’animaux dans le secondaire ou l’enseignement supérieur ?
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Les animaux vivants ne sont plus utilisés dans l’enseignement secondaire. Il n’y a que dans l’enseignement supérieur, en particulier dans les écoles vétérinaires, que des animaux sont manipulés vivants. Les animaux sont aussi très utiles pour les neurosciences – où ils peuvent être bien traités. Le problème est que ces préoccupations, qu’ont les chercheurs en Europe, sont peu partagées en Asie, ce qui rend la recherche plus facile là-bas. Résultat : nos laboratoires sont défavorisés.
L’audition a été l’occasion pour certains scientifiques de préciser que l’expérimentation animale n’est pas toujours pertinente pour les humains, pour preuve, seuls 10 % des médicaments développés chez l’animal sont finalement commercialisés pour l’homme. Il y a donc eu beaucoup d’animaux sacrifiés en vain. Le terme de « reduce » a tout son sens : comme il a été dit, l’homme n’est pas un rat de 70 kg ! Ce constat appelle à envisager des modèles qui peuvent être plus performants, comme le sont parfois les techniques in silico.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Dans l’industrie pharmaceutique, ce sont des rats et souris de laboratoire qui sont utilisés, je suppose.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Oui, ils sont élevés spécialement à cet effet, par des personnels sensibilisés à leur bien-être. Pour les mammifères, se pose aussi le problème de leur « retraite ». Il existe des établissements pour héberger les singes réformés.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Cela signifie qu’ils ne périssent pas ! Mais j’imagine que cela ne concerne pas les escargots ou les poissons… ?
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Les escargots pas encore, les poissons si : la réglementation concerne les vertébrés et les céphalopodes – les calmars par exemple –, mais pas les invertébrés (dont les escargots, les insectes, les vers, etc.).
M. Jérôme Bignon, sénateur. – Cette question est intéressante car elle traverse la société. Elle ne concerne pas que les animaux de laboratoire, mais également les gibiers. Certaines ONG ne sont pas contre la chasse elle-même mais contre le fait de tuer des animaux. Animant des tables rondes après le Grenelle de l’environnement, j’avais fait venir un sociologue qui expliquait de manière éclairante leur point de vue, assis sur l’idée que l’animal ne présentait qu’une différence de degré avec l’homme. Nous avons évolué depuis l’époque où l’on estimait pouvoir faire n’importe quoi avec les animaux de laboratoire au motif qu’ils n’étaient que des animaux... Une autre table ronde concernait alors, à l’initiative du ministre de l’agriculture Michel Barnier, l’abattage, le transport et les conditions d’élevage des animaux, tous sujets qui agitent également encore notre société. Ce qui choque dans les fermes des mille vaches n’est pas le nombre mais le traitement qu’elles subissent. Mieux vaut mille vaches bien traitées dans un grand établissement avec des vétérinaires que dix vaches dans une ferme misérable. Bref, ces problèmes dépassent la question des animaux de laboratoire. Des propositions de loi circulent sur ces questions, et nous n’avons encore rien réglé.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – C’est un fait de société en effet. Je n’ai peut-être pas assez insisté sur la question de la souffrance et de la douleur animale. Dans les années 1980, d’aucuns soutenaient que l’on pouvait effectuer des actes sans anesthésie sur les bébés prématurés, pour la raison qu’ils n’avaient pas encore de sensibilité à la douleur, ce que je ne pouvais pas croire ! Depuis, les progrès ont été considérables. Bref, soyons modestes dans notre approche des affaires animales, et sachons reconnaître nos erreurs, pour éviter de les commettre à nouveau.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Je suggère que le compte rendu fasse apparaître plus clairement que nous ne parlons que des mammifères. Cela pourrait par exemple figurer dans l’introduction.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Sont en réalité concernés tous les vertébrés, car les poissons aussi font l’objet d’expérimentations. Les vertébrés incluent aussi les oiseaux et les reptiles. Sont en revanche exclus de cette catégorie les insectes, les mollusques, et bien d’autres encore.
M. Jérôme Bignon, sénateur. – De nombreuses expérimentations sont conduites en effet sur les poissons des glaces par exemple, qui ont des sangs très particuliers.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Soit. Autorisez-vous la publication de ces conclusions et du compte rendu de l’audition ?
L’Office autorise la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu des auditions publiques sur l’expérimentation animale.
— 1 —
— 1 —
ANNEXE 1 :
QUESTIONS ET COMMENTAIRES DES INTERNAUTES
LORS DES TABLES RONDES
– En France en 2016, 34 480 animaux ont été tués pour des fins « éducatives ». La même année, les universités et centres de formation britanniques n’ont utilisé que 1 422 animaux. Comment expliquez-vous cet écart de 1 à 20 ?
− Par souci de transparence et d’efficacité, pensez-vous qu'abandonner l’utilisation du terme de « règle des Trois R », obsolète, soit pertinent ? Chaque type de méthode devrait être traité en séparant les méthodes de remplacement de celles dites à tort alternatives (utilisation d'animaux).
− Est-ce que les deux intervenants MM. Christophe Furger et Jean-Pierre Boissel pourraient nous expliquer comment ils ont financé leurs recherches ? Ont‑ils reçu (ou reçoivent-ils) des financements publics, privés ?
− Doit-on déduire que le fait de continuer à utiliser des animaux dans les filières des sciences du vivant comme « outils pédagogiques » est lié à l'absence de moyens pour la mise en place d'outils de simulation pour lesquels [les Universités] ne voient pas d'intérêt à investir ?
− La CNEA ne pourrait-elle pas intervenir en valorisant les méthodes de substitution dans la formation professionnelle aux bonnes pratiques en expérimentation animale et inciter les pouvoirs publics à soutenir cette transition ?
− En attendant la modification des textes réglementaires et notamment la règle des Trois 3R, ne serait-il pas possible de prévoir des rubriques distinctes dans les formulaires de demande d’autorisation de projet pour chaque type de méthodes mise en application par le concepteur de projet ?
− André Ménache pourrait-il nous expliquer la règle des Trois R ?
− Partant du postulat que l’on ne saurait compter uniquement sur le hasard si l’on veut développer le nombre et le champ des méthodes alternatives, à quel niveau et de quelle manière la recherche publique s’engage-t-elle dans cette voie ?
− Pourrait-on savoir si des structures publiques comme l’Inserm ou le CNRS – dont nous avons une représentante pour cette audition - financent des projets de recherche translationnelle utilisant des apports de la recherche fondamentale, pour la mise au point de méthodes alternatives non animales ?
− Le processus de validation des tests réglementaires est bien trop long (de 6 à 10 ans) et trop coûteux (au moins 200 000 euros pour le laboratoire inventeur) ce qui ralentit considérablement le remplacement des animaux. Quelle solution pour un processus efficace de validation des tests alternatifs ?
− Pour accélérer la transition vers des méthodes alternatives en toxicologie ne faudrait-il pas fixer au niveau de l’UE un calendrier et des objectifs chiffrés avec une date butoir d’interdiction comme cela a été fait pour les cosmétiques avec des résultats très positifs pour la recherche ?
− Sur la base de quelle expertise le concepteur de projet évalue-t-il en amont du projet le degré de gravité « estimé » de la procédure ?
− Quelles formations spécifiques doivent suivre les vétérinaires d’animalerie pour acquérir les compétences en matière d’algologie [prise en charge de la douleur] et de comportement animal pour l’ensemble des espèces concernées, quel est le contenu de ces formations et quels sont les quotas horaires ?
− Quelle est précisément la durée et la nature des formations des techniciens animaliers (actes techniques, soins et mise à mort d’animaux d’espèces très différentes). Peuvent-ils prendre leur fonction sans avoir suivi de formation ?
− Comment expliquer qu’aucune université française n’ait créé jusqu’à présent de diplôme de second cycle spécialisé sur les méthodes in vitro ?
− Pour que les chercheurs puissent disposer rapidement pour un coût modique des cellules et tissus humains pour mener leurs recherches « in vitro » ne serait-il pas possible d’organiser des circuits efficaces éthiques entre les centres hospitaliers et les utilisateurs, comme pour les dons d’organes ?
− Accompagner la transition vers une recherche sans expérimentation animale nécessite d’impulser, de soutenir des projets, de mettre en place et de coordonner des dispositifs. Pour ce faire le MESRI ne devrait-il pas créer une structure indépendante comme une agence nationale pour le développement des méthodes alternatives ?
− Quels sont les outils, ressources documentaires, accompagnement dont dispose le concepteur de projet pour s’assurer en amont de son projet qu’aucune méthode non-animale ne lui permettrait d’atteindre les résultats attendus ? A-t-il obligation de faire état de ses démarches auprès du comité d’éthique?
− Pour éviter la répétition d’expériences déjà réalisées et le « gaspillage » de vies animales, le concepteur de projet a-t-il un moyen de savoir si au même moment un projet identique n’est pas en cours ailleurs et de savoir quel en a été le résultat si celui-ci est terminé ?
− En dépit de la directive de 2010, le nombre d’animaux utilisés dans l’UE (notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en France) ne se réduit pas (voire augmente) depuis 2007. Comment évoluer vers l’objectif final de la directive du remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants (considérant 10) ?
− Comment se fait-il qu’en France les données statistiques soient publiées avec retard, que les rapports non-techniques (eux-aussi publiés tardivement) soient souvent mal présentés et incomplets (pas d'informations sur le stade de sévérité), que les appréciations rétrospectives ne soient pas publiées ?
− Pourrait-on savoir quels sont les moyens humains dédiés au MESRI à la réalisation de l’ensemble des tâches de contrôle et de suivi de l’expérimentation animale et de la promotion des méthodes alternatives ?
− Ne pensez-vous pas qu’il faille réserver l’utilisation des primates non humains (notamment dans les procédures « sévères ») aux urgences épidémiologiques et aux phases pré-cliniques de dispositifs pour des maladies humaines particulièrement graves, et surtout stopper leur utilisation en toxicologie ?
− Le taux d’expérimentation au stade « sévère » est de 16,7% en France en 2016, contre 7,4% en Allemagne et 5,6% au Royaume-Uni. Pour les primates, il est de 4,2% contre 0,3 et 0,6%. Ne serait-il pas temps d’engager une réflexion volontariste pour réduire en France le recours aux procédures sévères ?
− Une récente expertise collective à laquelle Bertrand Deputte a participé tend à accorder aux animaux un registre d’états mentaux et des formes de conscience bien plus riches que la seule capacité de souffrir. Peut-on alors dans des expérimentations s’en tenir à éviter « les souffrances inutiles » ?
− N’est-il pas injuste d’imposer à ceux qui, dans un cadre expérimental, font souffrir des animaux, des actions qui souvent les offensent… même s’il ne s’agit que de ces soutiers de la recherche, que sont les doctorants, les post-doctorants, les animaliers, et les techniciens de laboratoire ?
− Les expérimentations animales doivent cesser totalement. Ce temps est révolu. Aujourd’hui les cultures de cellules humaines sont le support le plus adapté, et sans dommage pour l’humain et l’animal.
− La réglementation ne prévoit dans les comités d’éthique ni la présence d’experts en méthodes alternatives (et notamment de remplacement) ni celle de spécialistes des questions éthiques. Comment l’évaluation éthique des projets utilisant des animaux peut-elle être éclairée, objective et impartiale ?
− Pr Combrisson, l’une des missions du CNEA concerne le partage d’informations sur les évaluations de projets avec les Comités Nationaux des autres États Membres de l’UE. Y a-t-il un rapport d’activités qui soit consultable par le grand public ?
− La Charte Nationale d’Éthique en expérimentation animale n’est qu’un engagement moral et en cas de non-respect par ceux qui la signent, aucune poursuite ne peut être engagée. Des contrôles réguliers et des sanctions effectives et dissuasives ne seraient-ils pas plus efficaces qu'une charte ?
− Afin de pouvoir émettre un avis éclairé sur la pertinence de l’utilisation des animaux dans les projets qui leur sont soumis, les membres des comités d’éthique suivent-ils une formation approfondie dans le domaine des méthodes alternatives ? Sinon, sur quoi se fondent-ils pour rendre leur avis ?
− Il est impossible de mimer une maladie complexe (Alzheimer, Parkinson, cancer, diabète, dystrophie, etc.) avec des cellules !!!
− Si cela permet d'éviter d'expérimenter sur des humains alors oui, on doit expérimenter sur des animaux.
− C'est déjà une bonne chose cette ouverture au public pour le débat et le fait que celui-ci soit diffusé. Cela fait une approche démocratique tant nécessaire.
− On commence à voir la législation changer quant aux maltraitances infligées aux animaux. Qu'en est-il de l’expérimentation animale ? Pourquoi n'est‑ce pas considéré comme de la maltraitance animale et de la barbarie?
− Quelle protection le législateur compte- t-il donner à ces animaux? Le législateur compte-t-il opérer une interdiction totale de l'expérimentation animale ou un encadrement de celle-ci? Et dans ce cas, quelles mesures d'encadrement ?
− Parfait pour l’expérimentation, mais alors si on découvre une malformation ou anomalie suite à l'essai sur l'animal. Le produit en cause doit faire l'objet immédiat du retrait du produit. Le doute ne doit pas être tempéré par une décision politique. Entre autres le glyphosate, etc.
− La chercheuse fait mention de recherches contre l'autisme, il me semble qu'un lien avait été établi entre cette malade et des produits Round-up. Pour autant, on a laissé perdurer les substances. Si déjà on fait de la recherche qui est coûteuse, on doit répercuter au plus vite les mesures.
− L'intelligence artificielle serait-elle l'alternative à l'expérimentation animale ?
− Je suis diabétique de type 1 sous pompe à insuline, je fais de la recherche sur moi-même. Ce que je sais, c'est que l'amour et les câlins du chat m'aident à vivre bien psychiquement. Dans un monde parfaitement juste et humain, il n'y aurait pas de diabète de toute façon.
− Existe-t-il une comptabilité et un rapport sur les animaux utilisés sans résultat avéré. Y a-t-il du « gaspillage » d’animaux?
−Donnez-nous le nombre et le pourcentage des animaux utilisés sans aucun résultat.
− Les uns parlent de droits de l’animal, les autres de respect de l’animal. Pourraient-ils expliquer leur choix de termes ?
− Il faudrait créer un rapport national pour que l’on puisse simplement connaître la quantité d’animaux utilisés chaque année. Pour être compétitif en matière de recherche, les enjeux conditionnent-ils la quantité d’animaux utilisés?
− Pourquoi la formation dispensée en expérimentation animale (chirurgie ...) n'a aucune équivalence d'un pays européen à l'autre, alors que l'on se base sur une directive européenne ?
− La science cherche des solutions pour l'homme à l'extérieur de lui-même, ne serait-il pas temps de faire des recherches orientées sur l'humain lui-même ? On essaie de guérir le physique et le psychique mais on néglige encore le côté spirituel de l'individu (ne pas confondre avec religiosité).
− L'embryon est-il pensé par certains chercheurs comme une alternative potentielle à l'animal ?