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N° 2243

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 septembre 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1])
CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI relatif à la bioéthique,

 

 

Par MPhilippe BERTA, Mme Coralie DUBOST, M. Jean-François ÉLIAOU, Mme Laëtitia ROMEIRO DIAS, M. Hervé SAULIGNAC et M. Jean-Louis TOURAINE,

Rapporteurs

 

 

Tome II

examen des articles
 

 

——

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  2187.

 

 


 

 

La commission spéciale est composée de :

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente ;

M. Thibault Bazin, M. Francis Chouat, M. Bruno Fuchs, Mme Monique Limon, vice-présidents ;

Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Aurore Bergé, M. Guillaume Chiche, M. Maxime Minot, secrétaires ;

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur sur le titre Ier, articles 1er et 2,

Mme Coralie Dubost, rapporteure sur le titre Ier, articles 3 et 4,

M. Hervé Saulignac, rapporteur sur le titre II,

M. Philippe Berta, rapporteur sur les titres III et IV,

M. Jean-François Eliaou, rapporteur sur le titre V,

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure sur les titres VI et VII ;

M. Joël Aviragnet, M. Didier Baichère, Mme Valérie Beauvais, M. Olivier Becht, Mme Valérie Boyer, Mme Marine Brenier, M. Xavier Breton, M. Pascal Brindeau, Mme Anne-France Brunet, M. Pierre Cabaré, Mme Josiane Corneloup, Mme Bérangère Couillard, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Nathalie Elimas, Mme Elsa Faucillon, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Paula Forteza, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Bastien Lachaud, Mme Anne-Christine Lang , Mme Marie Lebec, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Marilossian, M. Didier Martin, Mme Sereine Mauborgne, M. Thomas Mesnier, Mme Danièle Obono, Mme George Pau-Langevin, Mme Bénédicte Pételle, Mme Sylvia Pinel, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier, M. Pierre-Alain Raphan, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Laurianne Rossi, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Pierre Vatin, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet, Mme Martine Wonner

 

 

 

 

 

 

 

 


  1  

   Examen des articles : comptes rendus des débats

SOMMAIRE

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Pages

Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 16 heures ()

Avant l’article 1er

Article 1er Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 21 heures ()

Article 1er (suite) Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 9 heures 30 ()

Article 1er (suite) Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 14 heures 30 ()

Article 1er (suite) Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 21 heures ()

Article 1er (suite) Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Après l’article 1er

Article 2 Assouplissement du don de gamètes et autorisation de leur autoconservation

Réunion du jeudi 12 septembre 2019 à 9 heures 30 ()

Après l’article 2

Avant l’article 3

Article 3 Droit d’une personne conçue dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur d’accéder à ses origines

Réunion du jeudi 12 septembre 2019 à 14 heures 30 ()

Article 3 (suite) Droit d’une personne conçue dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur d’accéder à ses origines

Après l’article 3

Réunion du jeudi 12 septembre 2019 à 21 heures ()

Article 4 Établissement de la filiation des enfants nés par recours à l’assistance médicale à la procréation par un couple de femmes ou par une femme non mariée

Après l’article 4

Avant l’article 5

Article 5 Extension du don croisé d’organes à plus de deux paires de donneurs/receveurs pour améliorer l’accès à la greffe

Après l’article 5

Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 9 heures 30 ()

Article 6 Extension du bénéfice d’un prélèvement de cellules-souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé à ses parents pour accroître les possibilités de greffes intrafamiliales en l’absence d’autre alternative thérapeutique

Article 7 Renforcement des droits des personnes sous mesure de protection de leurs biens dans l’exercice de leur citoyenneté en leur permettant de donner leur consentement au don

Après l’article 7

Article 8 Réalisation d’examens de génétique sur une personne décédée ou hors d’état d’exprimer sa volonté au profit de sa parentèle

Article 9 Transmission d’une information génétique au profit de la parentèle ou dans les situations de rupture du lien de filiation biologique dans le strict respect de l’anonymat des personnes concernées

Après l’article 9

Article 10 Consentement à l’examen des caractéristiques génétiques

Après l’article 10

Article 11 Garanties entourant le recours à des traitements algorithmiques de données massives en santé

Après l’article 11

Article 12 Encadrement du recours aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale

Article 13 Encadrement des dispositifs de neuro-modulation

Après l’article 13

Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 14 heures 30 ()

Article 14 Différenciation des régimes juridiques d’autorisation s’appliquant à l’embryon et aux cellules souches embryonnaires

Après l’article 14

Article 15 Régulation, en recherche fondamentale, de certaines utilisations des cellules souches pluripotentes induites

Article 16 Limite de conservation des embryons proposés à la recherche et non inclus dans un protocole après cinq ans

Article 17 Utilisation des outils de modification ciblée du génome en recherche fondamentale

Article 18 Développement des « passerelles soin/recherches » par l’utilisation facilitée d’échantillons conservés à d’autres fins

Après l’article 18

Article 19 Rénovation du régime du diagnostic prénatal permettant de reconnaître la médecine fœtale et de renforcer l’information de la femme enceinte et du couple et prévoyant des recommandations de bonnes pratiques

Après l’article 19

Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 21 heures ()

Article 20 Suppression de l’obligation de proposer un délai de réflexion prévue dans le cadre de l’interruption médicale de grossesse (IMG) et encadrement de la réduction embryonnaire

Article 21 Clarification des conditions d’interruption médicale de grossesse pour les femmes mineures non émancipées

Après l’article 21

Article 22 Autorisation de la greffe de tissu germinal pour le rétablissement d’une fonction hormonale et clarification du devenir des gamètes et tissus germinaux conservés

Article 23 Élargissement des missions des conseillers en génétique

Après l’article 23

Article 24 Garantie d’une transmission sécurisée des résultats d’examens génétiques entre laboratoires

Article 25 Aménagement, pour les patients concernés, d’une passerelle  entre la génétique somatique et la génétique constitutionnelle

Article 26 Sécurisation de l’utilisation du microbiote fécal

Article 27 Réalisation de médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement dans le cadre d’une seule intervention médicale sous la responsabilité d’un établissement ou organisme autorisé au titre de l’article L. 4211-9-1 du code de la santé publique

Article 28 Diverses mises en cohérence au sein du code de la santé publique

Avant l’article 29

Article 29 Élargissement des missions du Comité consultatif national d’éthique des sciences de la vie et de la santé

Article 30 Évolution des compétences et de la composition des organes de l’Agence de la biomédecine

Article 31 Habilitations à légiférer par voie d’ordonnance

Article 31 Réexamen de la loi

 

 


— 1 —

   EXAMEN DES ARTICLES : COMPTES RENDUS DES DÉBATS

La commission spéciale procède à l’examen des articles du projet de loi relatif à la bioéthique (n° 2187) lors de ses réunions des mardis 10, mercredi 11, jeudi 12 et vendredi 13 septembre 2019.

Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 16 heures ([2])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, je vous propose que nous démarrions l’examen du projet de loi. Je remercie Mmes les ministres d’être présentes pour nous accompagner dans cet examen.

titre premier
élargir L’ACCÈS AUX TECHNOLOGIES DISPONIBLES SANS S’AFFRANCHIR DE NOS PRINCIPES ÉTHIQUES

Chapitre premier
Permettre aux personnes d’exercer un choix éclairé en matière de procréation
dans un cadre maîtrisé

Avant l’article 1er

La commission examine l’amendement n° 1184 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur spécial. Avis défavorable. Une décision prise après que des informations complètes ont été fournies représente un « choix éclairé ». Je suis donc opposé à la suppression du mot « éclairé » dans l’intitulé du chapitre premier.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er
Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous allons commencer par une série d’amendements identiques, qui tendent à supprimer l’article 1er. Le nouveau règlement de l’Assemblée, que nous avons adopté, prévoit que lorsque plusieurs membres d’un même groupe présentent des amendements identiques, la parole est donnée à un seul orateur de ce groupe.

Mme Annie Genevard. Mais pas en commission !

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Les députés du groupe LR ont déposé onze amendements identiques. Néanmoins, soucieuse de continuer à garantir des débats apaisés et de laisser chacun et chacune s’exprimer, je me propose de donner la parole à cinq de ses orateurs.

M. Xavier Breton. Madame la présidente, avant que nous passions à la défense des amendements, sur quel article de notre règlement fondez-vous cette décision ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Sur l’article 100, alinéa 5.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, vous aurez noté que l’avis du Conseil constitutionnel sur cette question est très clair : il indique que, lorsqu’on est dans une situation d’obstruction, la présidence de séance peut effectivement faire usage cette disposition. Néanmoins, vous ne pouvez pas préjuger ex ante des arguments qui vont être utilisés à l’appui de ces amendements. Or, comme vous le savez, la défense des amendements est un droit fondamental. Ce droit a été rappelé dans l’avis du Conseil constitutionnel. Je vous demande explicitement que l’avis du Conseil soit respecté dans cette enceinte. Notre groupe fera évidemment les mêmes remarques au président de l’Assemblée nationale pour ce qui est de la séance publique : il y va de la libre expression de l’ensemble des députés. Sortir de ce cadre poserait un véritable problème constitutionnel. Je pense qu’il est important de le rappeler ici.

Sur un texte aussi important que la bioéthique, je pense que votre proposition n’est pas soutenable. Nous souhaitons que chaque député puisse clairement s’exprimer. C’est bien la moindre des choses, madame la présidente.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Le Conseil constitutionnel a validé la disposition que vous contestez. Le président doit simplement respecter les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ; il me semble que, depuis quinze jours, depuis nos auditions, chacun a pu poser des questions, a pu s’exprimer. C’est bien dans ce souci que je ne souhaite pas appliquer l’article 100, alinéa 5, en permettant à cinq d’entre vous d’exprimer la position défendue par votre groupe et non un seul orateur, comme le prévoit le règlement.

M. Fabien Di Filippo. Et combien auront le droit de répondre ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Cinq députés également pourront répondre.

Mme Annie Genevard. Nous avons eu, ce matin, avec les vice-présidents de l’assemblée, une réunion organisée par le secrétaire général, à propos de l’application du nouveau règlement tel qu’il sera mis en œuvre à partir du 1er octobre.

Nous avons évoqué la défense des amendements identiques. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a été très clair : la proposition qui avait été faite par la majorité de l’Assemblée nationale n’a pas été retenue par le Conseil. Il est donc loisible aux députés de défendre chacun de leurs amendements identiques, pour autant qu’il n’y ait pas de volonté manifeste d’obstruction par répétition des mêmes arguments – ce dont vous ne pouvez pas préjuger ex ante, comme l’a rappelé à l’instant mon collègue Patrick Hetzel. Je ne crois pas, pour ma part, que nous soyons dans ce cas de figure. C’est la raison pour laquelle il me semble que chacun d’entre nous doit pouvoir défendre son amendement de suppression. Je laisse cependant cette question à votre arbitrage, madame la présidente.

M. Pierre Dharréville. Madame la présidente, je vous remercie de laisser se dérouler un petit échange sur cette question un peu sensible et qui le mérite, puisque c’est effectivement la première fois que nous examinons un texte sous le régime de ce nouveau règlement. Je vous avoue que je n’avais pas totalement compris que ces décisions auraient des répercussions jusque dans le travail de commission, ce qui contribuera à limiter de manière considérable les échanges et porter atteinte à leur qualité – mais ce n’est pas vous qui en avez personnellement décidé et vous n’êtes pas en cause dans cette affaire.

Cela étant, je rejoins les objections formulées par nos collègues de droite, et notamment par M. Patrick Hetzel, concernant les modalités d’application. Car le Conseil constitutionnel a émis un certain nombre de réserves dont nous devons tenir compte dans la vie quotidienne de notre assemblée lorsque nous examinons les textes. Je pense qu’il faut effectivement prendre le temps d’un débat serein et tranquille dans lequel nous pouvons nous exprimer. En commission, en général, nous avons une latitude supplémentaire de ce point de vue.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. C’est bien dans ce souci de clarté et de sincérité des débats que je n’ai pas souhaité appliquer stricto sensu le règlement – qui, quelle qu’ait été la position de chacun, a bel et bien été adopté – en permettant à cinq parlementaires, et non à un seul, de donner la position de leur groupe sur des amendements strictement identiques.

M. Thibault Bazin. Je crois qu’une lourde tâche nous attend, puisque nous avons près de 2 200 amendements à étudier. Tout comme vous, nous souhaitons un débat apaisé et serein. Je propose que dès lors que nous sommes en présence d’amendements identiques et que les députés ont des arguments complémentaires à faire valoir, ils puissent s’exprimer, de telle sorte que personne ne soit privé de cette liberté d’amener, en responsabilité, des arguments complémentaires. En procédant ainsi, nous gagnerons du temps en évitant un débat interminable sur les temps de parole.

Mme Aurore Bergé. Comme nous l’avons collectivement prouvé lors des auditions, y compris l’audition des trois ministres hier soir, nous avons tous à cœur de poursuivre dans un climat serein, apaisé et constructif l’examen du projet de loi de révision de bioéthique. Et vous avez choisi, madame la présidente, d’aller au-delà de ce que permet le règlement en ne limitant pas le droit de parole à un seul orateur par groupe et par amendement identique, afin qu’une pluralité d’opinions qui puisse s’exprimer.

M. Patrick Hetzel. Mais ce que vous dites est faux !

Mme Aurore Bergé. Chers collègues de l’opposition, je crois que le climat serein et apaisé suppose aussi qu’on puisse s’écouter : je me suis permis de vous écouter quand vous avez exprimé vos positions, permettez-moi, au nom de mon groupe, d’exprimer la nôtre : il s’agit de préserver la pluralité des opinions et le respect du contradictoire, que ce soit pour défendre des amendements identiques ou pour y répondre, avec le même nombre d’orateurs pour l’ensemble des groupes. Cela me paraît équitable.

M. Philippe Vigier. Madame la présidente, je pense que vous avez su conduire des auditions dans un climat d’apaisement, sur un texte qui le mérite.

Pour avoir été de ceux qui ont été autour de la table du président Ferrand, pendant de longues semaines, lorsqu’il s’agissait de négocier le règlement de l’Assemblée, je tiens à rappeler que l’engagement avait été pris que ce nouveau règlement s’applique lors de la session ordinaire. Je suis donc un peu surpris de voir que l’on anticipe en en faisant usage dès aujourd’hui, alors que nous sommes en session extraordinaire. Chacun comprendra que si l’on démarre dans cet esprit de blocage, l’apaisement que vous avez souhaité ne sera pas au rendez-vous. Mais peut-être la raison l’emportera-t-elle ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Cela dépend aussi de la volonté de chacun. Le nouveau règlement s’applique à partir du 1er septembre, certaines dispositions s’appliquant à partir du début de la session extraordinaire.

M. Bruno Fuchs. Le règlement s’applique, mais nous sommes en présence d’une configuration originale, dans la mesure où la plupart des groupes parlementaires n’ont pas donné de consigne de vote, s’en remettant à l’intime conviction de leurs membres. Ainsi, au sein d’un même groupe, plusieurs points de vue peuvent s’exprimer. Il faut donc essayer d’élargir le débat, tout en essayant de rester dans des délais que nous savons très contraints.

Mais la configuration d’examen de ce texte particulier est très spécifique par rapport à d’autres textes à venir.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. C’est bien pour cela que j’ai tout de suite proposé d’élargir le nombre de prises de parole, sans limiter le droit de réponse à un orateur contre et un orateur pour.

M. Xavier Breton. Il pourrait en aller différemment s’il s’agissait de points très techniques ; mais sur des amendements de suppression, les argumentations peuvent être très différentes, à plus forte raison sur un sujet aussi important que l’extension de l’assistance médicale à procréation. Je crois que sans avoir constaté d’obstruction, vous avez pris le parti de limiter les débats dès le départ pour éviter tout risque à cet égard.

N’oubliez pas la réserve émise par le Conseil constitutionnel : le recours à un seul orateur par groupe doit être exceptionnel et ne peut intervenir qu’en cas d’obstruction des débats. Or vous ne pouvez faire état de quelque obstruction que ce soit : c’est donc vraiment un parti pris de votre part. Certes, nous ne vous mettons pas en cause, madame la présidente : vous répondez sûrement à un ordre de votre majorité. Mais c’est un très mauvais signal au début de l’examen de ce texte. S’il devait arriver que l’on répète systématiquement les mêmes arguments, le nouveau règlement vous permettrait effectivement d’accélérer les choses ; mais décider de l’appliquer a priori, c’est vraiment une décision partiale.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Précisément, je ne l’applique pas a priori, monsieur Breton, et je ne réponds pas davantage aux ordres de qui que ce soit. J’assume parfaitement une décision qui est mienne, à savoir de continuer dans le même état d’esprit que depuis le début, et que je croyais partagé.

C’est bien la raison pour laquelle je n’entends pas faire application du règlement, mais, bien au contraire, vous permettre de prendre la parole à cinq, plutôt qu’à un seul ; mais si vous tenez vraiment à ce que je l’applique, cela ne me pose pas problème. Je pensais seulement que c’était plus intéressant de mener un débat élargi, et j’aimerais bien continuer dans cet état d’esprit, plutôt que de perdre une demi-heure ou une heure à discuter des temps de parole… Le règlement a été voté, qu’on soit pour ou qu’on soit contre, et je comprends bien que l’on souhaite l’appliquer.

M. Patrick Hetzel. À supposer que ce règlement s’applique à partir du 1er septembre, c’est la première fois que nous nous réunissons dans cette configuration. C’est pourquoi, madame la présidente, je voudrais vous alerter, et avec vous tous mes collègues, simplement sur une chose : si vous ne donnez pas corps à nos attentes, vous risquez de rendre votre propre texte inconstitutionnel. Il faut vous en rendre compte. En procédant de la sorte, la majorité risque de créer elle-même un vice de forme qui peut fonder un recours devant le Conseil constitutionnel. Cela aura donc un certain nombre de conséquences, qu’il serait sage d’anticiper. Car votre interprétation, madame la présidente, n’est absolument pas celle du Conseil constitutionnel.

M. Guillaume Chiche. La présidente organise nos travaux et les débats ; elle ne satisfait pas la volonté d’un groupe politique, quand bien même celui-ci serait majoritaire. Elle se consacre seulement à l’organisation de nos échanges. Nous pouvons tous saluer la façon dont ont été conduites les auditions réalisées ces deux dernières semaines, et encore hier.

L’article 100, alinéa 5, qui prévoit, sur les amendements identiques, un orateur par groupe, puis une prise de parole pour et une prise de parole contre, est le fruit d’un règlement que la représentation nationale a collectivement adopté afin d’améliorer la conduite des débats parlementaires. Soucieuse de garantir l’expression de chacune des sensibilités, madame la présidente, vous multipliez par cinq ces droits de parole. Ce faisant, vous allez permettre, si j’ai bien compris, à cinq orateurs de défendre des arguments à l’appui de ces amendements, puis à cinq autres de présenter des arguments en leur défaveur… Ce qui équivaut, peu ou prou, au nombre au total de députés du groupe les Républicains qui ont présenté des amendements identiques !

Mes chers collègues, je crois que vous aurez la capacité, avec cinq orateurs pour cette série d’amendements identiques, de défendre un à un les arguments que vous entendez présenter à la représentation nationale au soutien de leur adoption. Je crois que ce choix est de nature à permettre des débats riches et respectueux. Je pense que nous devrions, sans plus tarder, commencer l’examen des 2 000 amendements et plus qui nous attendent.

Mme Annie Genevard. Madame la présidente, je crois qu’il y a une confusion et je vous suggérerais de faire une brève suspension de séance pour vous rapprocher des services de l’Assemblée, de sorte que soit précisément explicité ce point que nous avons étudié ce matin avec l’ensemble des vice‑présidents et le secrétaire général de l’Assemblée nationale, lequel nous a expliqué la position du Conseil constitutionnel.

Le Conseil a prévenu qu’il serait extrêmement vigilant sur le respect de l’expression des parlementaires dans la défense de leurs amendements. Je réitère ma mise en garde en cas de recours devant le Conseil constitutionnel : s’il est avéré que, sur un article, l’expression des députés a été entravée, il y a un réel risque d’inconstitutionnalité.

Pour ce qui est de la pratique « un pour, un contre » évoquée par notre collègue Chiche, je crois qu’il y a une confusion : c’est dans le cadre de la défense de l’amendement en séance que l’auteur de l’amendement présente son amendement, avant que la commission saisie au fond et le Gouvernement ne donnent leur avis, et le président de séance donne ensuite la parole à deux parlementaires, dont un orateur contre. Mais libre à lui d’autoriser davantage d’orateurs à s’exprimer s’il le souhaite. Autrement dit, tout est fait pour assouplir le règlement plutôt que d’en faire une application restrictive. Pour en rester au cadre qui nous occupe, je vous invite vraiment, madame la présidente, à prendre l’attache des services de l’Assemblée pour éclaircir ce point. Car il nous a été dit très précisément que chaque auteur d’un amendement identique peut défendre son amendement.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Les services de l’Assemblée ne sont pas très loin de moi, voire à mes côtés… Je répète que le Conseil constitutionnel a validé la disposition que vous contestez. Le président doit simplement respecter les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. C’est bien dans cet état d’esprit que je souhaite que nous démarrions maintenant les travaux, sachant que je vous rejoins, madame Genevard : l’exposé des amendements sera fait par cinq d’entre vous et donnera lieu à des réponses, de sorte que la discussion pourra s’engager. C’est bien le sens des débats que j’entends mener.

M. Alexis Corbière. Je vous remercie, madame la présidente, de m’accueillir dans cette commission. L’exigence de clarté et de sincérité suppose que toutes les subtilités et les différences au sein des différents groupes puissent s’exprimer – c’est une évidence.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. C’est ce que nous allons faire.

M. Alexis Corbière. L’argument que vous venez de donner va dans le sens de ce que demandent mes collègues : dès lors que vous êtes tenue de respecter les exigences de sincérité et de clarté, vous ne pouvez limiter le temps de parole sans courir de risque d’inconstitutionnalité. L’idée d’une petite suspension de séance afin de clarifier les choses me paraît raisonnable. Je vais dans le sens de ce qu’ont dit mes collègues des Républicains… (Sourires.) Eh oui, c’est assez choquant de voir que je suis d’accord avec eux et qu’En marche est encore pire ! Mais c’est votre affaire et je vous laisse avec votre conscience.

Mais vous ne pouvez pas faire ce coup de force au risque d’entacher cette loi d’autoritarisme. Au-delà de nos divergences sur ces questions, il s‘agit d’un problème de fond. Être raisonnable, c’est prendre le temps, avant que ce long débat ait lieu, de nous mettre d’accord sur des règles communes.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Franchement, je ne crois pas faire preuve d’autoritarisme… Ce n’est vraiment pas le signal que j’ai souhaité donner depuis quelques jours, durant nos auditions. Ce n’est surtout pas celui que je souhaitais donner en permettant à cinq auteurs d’amendements identiques de s’exprimer.

Qu’on soit d’accord ou non avec le règlement, c’est un autre débat. Il a bel et bien été adopté. C’est désormais notre règle et elle s’applique à tous, qu’on soit d’accord ou non, même si certains d’entre vous n’ont pas voté pour ! Nous sommes députés, nous sommes là pour appliquer la loi, que nous l’ayons votée ou non.

M. Alexis Corbière. On n’a jamais vu un règlement imposé par un seul groupe !

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Ça, c’est un autre débat. Le débat d’aujourd’hui, c’est de commencer à examiner ce projet de loi qui nous amène sur un sujet important.

M. Xavier Breton. Je voudrais quand même savoir si l’article 100, alinéa 5, s’applique à la séance ou aux réunions de commissions. Quand on lit cet alinéa de notre règlement, il y est indiqué que « les amendements présentés par le Gouvernement ou par la commission saisie au fond ont priorité de discussion sur les amendements des députés ayant un objet identique. ». Le fait de parler d’amendements déposés par la commission signifie bien que le cas envisagé est celui de la séance. L’alinéa se poursuit comme suit : « Lorsque plusieurs membres d’un même groupe présentent des amendements identiques, la parole est donnée à un seul orateur de ce groupe désigné. »

Peut-on nous répondre précisément si l’article 100, alinéa 5, s’applique aussi aux débats en commission ?

M. Thibault Bazin. Se pose un vrai problème sur la date d’application, dans la mesure où un certain nombre de dispositions ne sont pas mises en œuvre lors des sessions extraordinaires, alors qu’elles sont prévues par le nouveau règlement – c’est le cas notamment des séances de questions au Gouvernement. La date qui avait été annoncée pour une application pleine et entière de nouveau règlement était le 1er octobre.

Je demande une suspension de séance de deux minutes, afin que l’on puisse clarifier tous ces éléments.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. La suspension est accordée.

La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.

La commission examine les amendements identiques n° 2 de M. Xavier Breton, n° 190 de M. Patrick Hetzel, n° 540 de Mme Annie Genevard, n° 628 de M. Thibault Bazin, n° 819 de M. Éric Pauget, n° 1011 de Mme Emmanuelle Ménard, n° 1044 de M. Philippe Gosselin, n° 1298 de Mme Josiane Corneloup, n° 1333 de M. Fabien Di Filippo, n° 1349 de Mme Agnès Thill et n° 2062 de M. Pascal Brindeau.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous commençons l’examen des amendements.

M. Xavier Breton. L’article 1er ne se contente pas d’élargir l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ; il en modifie bel et bien en profondeur la nature. Les médecins ne seront plus là pour soigner une infertilité médicale constatée, mais pour répondre à une demande sociétale. Il n’y a donc plus de réalité objective : le critère médical, qui constitue aujourd’hui un rempart à l’utilisation de techniques posant des questions éthiques majeures, disparaît purement et simplement. C’est la porte ouverte à l’arbitraire et à la réponse à toutes les demandes sociétales.

Qui plus est, on l’a bien entendu lors de nos auditions, aucune étude ne prouve qu’il n’y a pas d’effet sur les enfants. Ce sujet fait débat, l’avis du comité consultatif national d’éthique montre bien qu’il n’existe pas d’études fiables pour les couples de femmes et absolument aucune étude pour les femmes seules. Et la dernière audition que nous avons eue avec le professeur Lévy-Soussan, pédopsychiatre, a montré que toutes les études dont on pouvait se prévaloir comportaient en fait des biais de méthode qui nuisent à leur véracité et à leur objectivité. C’est pourquoi nous vous proposons, par l’amendement n° 2, de supprimer l’article 1er.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement n° 190 est également un amendement de suppression de l’article 1er.

Si l’on regarde cet article intitulé « Élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation », on s’aperçoit de deux choses : d’une part, le critère médical d’infertilité, qui conditionne aujourd’hui l’accès, est supprimé ; d’autre part, il contribue à modifier les règles de prise en charge par l’assurance maladie, dans la mesure où on élargit l’AMP à un nouveau public pour lequel cette question de l’infertilité ne se pose justement pas, ou si ce n’est dans la mesure où est elle est liée à des questions biologiques.

Par ailleurs, la référence qui existait jusqu’à présent au sujet de l’âge de procréer disparaît de la loi : on renvoie à un décret et, du coup, la représentation nationale ne débat plus de cette question. Enfin et surtout, on autorise le recours à un double don de gamètes au cours d’une même tentative d’assistance médicale à la procréation.

Étant opposé à ces différents points, je demande une suppression de l’article 1er.

Mme Annie Genevard. Mon amendement n° 540 a le même objet. L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes entraîne notre droit sur la voie de l’éviction du réel et de la biologie. Depuis le droit romain, en effet, hors hypothèse d’adoption, la mère est celle qui accouche : mater semper certa est. Ce texte méconnaît le droit de l’enfant à jouir d’une filiation vraisemblable et le prive définitivement de père. Cette modification, qui n’est imposée par aucune discrimination qu’il s’agirait de combattre – le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État l’ont dit très clairement –, méconnaît l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle fait en outre courir le risque de préjudices dont l’État pourrait avoir à rendre compte lorsque des enfants délibérément privés de père en demanderaient réparation.

M. Thibault Bazin. Cet article est problématique. Quels seront ses effets ? L’inégalité entre les couples de femmes et les couples d’hommes n’aboutira-t-elle pas inéluctablement à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), officiellement interdite, mais que vous allez faciliter par la directive que vous préparez ? Ne risque-t-on pas de rendre illusoire le maintien de la gratuité des gamètes, compte tenu du manque – redouté – de don de gamètes, au moins à court terme ? La même interrogation se pose sur le risque de marchandisation de produits du corps humain.

Mesure-t-on aussi les risques pour l’enfant d’une institutionnalisation de l’absence du père ? Certains enfants pourraient vivre comme une injustice le fait d’en être privés. L’article n’aboutit-il pas aussi à une AMP généralisée sans sexe, y compris pour des couples hétérosexuels qui ne souffriraient d’aucune pathologie, mais qui pourraient ainsi mieux sélectionner l’enfant à naître, comme cela a été avoué hier soir ?

Quel avenir enfin de la relation médicale, si les moyens ne sont plus concentrés sur la réponse aux situations pathologiques ? Je vous propose, par mon amendement n° 628, d’appliquer le principe de précaution en supprimant cet article.

M. Éric Pauget. Votre texte amène une approche qui va entraîner, comme cela vient d’être dit, une rupture d’égalité face au droit à la descendance de chacun. En reconnaissant des droits féminins exclusifs, cette mesure s’affirme comme particulièrement discriminatoire à l’encontre des couples d’hommes et des hommes non mariés. Le problème ne saurait être résolu sans leur reconnaître plus tard le droit à la GPA. Cette vision s’appuie sur une distinction de sexe qui porte une atteinte grave à l’égalité des droits de l’homme.

Ce texte introduit une réelle rupture d’égalité. D’où mon amendement de suppression n° 819.

Mme Emmanuelle Ménard. Aujourd’hui, l’AMP s’adresse à des personnes biologiquement infertiles, ou dont l’infertilité est inexpliquée. Mais, avec ce projet de loi, on va l’ouvrir aux personnes qui ne souffrent pas d’infertilité et dont la situation ne permet pas la procréation, dès lors qu’elles sont seules ou qu’elles vivent avec des personnes de même sexe. L’AMP va donc devenir un moyen technique de fabriquer un enfant pour tous, sans se préoccuper de l’enfant lui-même, au détriment de son droit de connaître ses origines.

Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de le dire hier soir, cette extension conduira inéluctablement, malgré vos dénégations, à la GPA et à la commercialisation du corps humain. Vous soutenez, madame la ministre, que nous n’y arriverons pas ; mais les ministres changent et personne ne sait si le prochain aura la même position que vous.

Encore une fois, au nom de l’égalité, je ne vois pas comment nous pourrions refuser la GPA aux couples d’hommes notamment. C’est pourquoi je demande, par mon amendement n° 1011, la suppression de cet article.

Mme Agnès Thill. Mon amendement n° 1349 tend lui aussi à la suppression de l’article 1er.

Dès lors qu’il n’y a pas d’évolution scientifique en matière d’AMP, on peut se demander quelle est sa place dans la révision de la loi relative à la bioéthique qui prend en compte les évolutions scientifiques. Une loi à part eût mieux convenu. Une autre question se pose, celle du sens de la médecine, qui n’est plus réparatrice : est-ce à la médecine de répondre à un désir sociétal ? Doit‑elle augmenter le possible, en augmentant ce qui est impossible biologiquement ? Qu’est-ce qu’un progrès ? Quelque chose de nouveau, quelque chose de plus, ou quelque chose qui améliore ?

L’arrêt du Conseil d’État du 29 septembre 2018 rappelle que des situations différentes justifient des décisions différentes. Par conséquent, il n’y a ni discrimination, ni inégalité à combattre, comme on l’entend à longueur d’émission de radio. Il rappelle que l’enfant n’est pas « une raison d’intérêt général. » La réponse n’est pas juridique, mais bien politique. Le désir transformé en une égalité des droits des adultes conduirait à une inégalité des droits des enfants, à qui il manquera un parent sur les deux auxquels ils ont droit.

S’il ne s’agissait que d’un égal accès à une technique, il suffirait de donner accès à cette technique avec gamètes inefficaces. C’est donc bien de l’accès à un enfant qu’il s’agit, non de l’accès à une même technique : un droit à l’enfant, déguisé, qui n’existe pas, à peine feint. Actuellement, l’absence de père avant la naissance est considérée comme un préjudice dans le droit, évalué financièrement. Nous ferions d’un préjudice un droit.

M. Pascal Brindeau. Mon amendement de suppression n° 2062 permet de poser les enjeux et les termes de ce débat sur l’extension de la procréation médicalement assistée. Un certain nombre d’arguments ont déjà été développés. Je me contenterai d’insister sur deux d’entre eux.

Premièrement, au nom d’une volonté, compréhensible, de répondre à une demande sociétale, au nom de la recherche d’une égalité qui n’en est pas une, les couples d’hommes ou les hommes seuls pourront demain prétendre pouvoir eux aussi fonder une famille et avoir des enfants. Au nom d’une forme de célébration du droit à l’enfant, on fait basculer complètement l’ordre anthropologique qui est le nôtre et on met en concurrence directe l’ordre naturel de la procréation et la possibilité technique de créer des enfants d’une autre manière. Qu’on s’y oppose aujourd’hui ou pas, cela ne sera évidemment pas sans conséquences demain sur la possibilité, pour des parents, quel que soit leur sexe, de choisir les caractéristiques génétiques de leur enfant à naître. Cela ne me semble pas être la conception française de l’éthique.

Deuxièmement, l’ouverture de cette AMP à des causes autres que strictement thérapeutiques n’est pas sans présenter des risques pour les stocks de gamètes, actuellement tendus. Sans forcément parler de pénurie, cela pourrait contraindre, à un moment donné, dans les centres d’AMP, à devoir faire des choix discriminants entre les couples qui ont recours à l’AMP pour des raisons thérapeutiques et ceux qui y recourent pour d’autres raisons.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Mon avis est évidemment défavorable dans la mesure où tous ces amendements sont contraires, voire opposés, à l’objet même du projet de loi.

Je voudrais d’abord rectifier quelques affirmations. Dire que l’AMP ne traiterait plus des maladies est inexact : l’AMP n’a jamais traité aucune maladie, même quand elle est appliquée pour des raisons d’infertilité. La femme reste infertile après l’AMP, comme elle l’était avant.

Le but de l’AMP est de chercher à compenser une défaillance. Deux cas étaient visés à l’origine : celui d’une infertilité médicalement prouvé ou le risque de transmission de maladies. Mais dans la pratique, elle a été étendue aux couples hétérosexuels qui n’avaient pas d’enfant, même s’il n’y avait pas d’infertilité médicale. L’extension proposée aujourd’hui est évidemment jugée bénéfique par bon nombre de gens.

On ne peut d’ailleurs pas dire non plus que la médecine, en général, sortirait du côté thérapeutique. Car cela fait très, très longtemps que la médecine n’est pas que thérapeutique : quand on fait de la médecine préventive, quand on fait de la chirurgie réparatrice, quand on réalise des IVG, on n’est évidemment pas dans la thérapeutique. Nous nous trouvons donc dans le cas de figure habituel d’une médecine qui s’occupe de la santé, sans s’occuper seulement de traiter des maladies.

Enfin, invoquer le principe de précaution n’est pas tout à fait opportun, car nous ne sommes pas du tout dans l’incertitude. Le principe de précaution pourrait s’appliquer si l’on allait vers l’aventure, vers le risque, vers l’incertitude, vers la témérité… Mais la grande majorité des pays du monde ont déjà adopté ces pratiques. Nous-mêmes, en France, constatons qu’elles se sont développées, en marge de la loi. Partout, à l’étranger comme en France, on a pu observer que les effets ne sont pas délétères et qu’au contraire, ils pouvaient être bénéfiques aussi bien pour les femmes que pour les enfants.

En dernier lieu, la GPA n’a rien à voir avec l’AMP. L’ouverture de la GPA est un sujet complètement différent. Je crois qu’il vaut mieux traiter les sujets séparément. Pour l’heure, nous discutons de l’extension de l’AMP. Je vous propose donc de rejeter ces amendements de suppression.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Mesdames et messieurs les députés, vous me permettrez de faire une réponse générale.

D’abord, l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation est absolument sans incidence sur l’interdiction de la gestation pour autrui, laquelle est antinomique des grands principes bioéthiques auquel nous sommes attachés. On ne fait pas du tout appel pour la GPA à la même technique médicale et une loi de bioéthique n’est pas une loi d’égalité des droits.

L’argument du droit à l’enfant, dont il a été fait état, n’est invoqué nulle part. D’ailleurs, il n’existe pas. Il n’existe pas non plus pour les couples hétérosexuels aujourd’hui : si nous accompagnons les parents dans leur projet de parentalité, il peut arriver à une équipe d’AMP de refuser d’engager un couple dans cette démarche, pour des raisons qui tiennent au nombre de tentatives, pour des raisons d’âge ou pour des raisons de maladie. Il y a une évaluation pluridisciplinaire des couples avant toute démarche d’AMP. En aucun cas, ce « droit à l’enfant » n’existe aujourd’hui pour les couples hétérosexuels ; il n’existera pas davantage pour les couples homosexuels ou pour les femmes non mariées.

Enfin, vous parlez beaucoup de l’objectivation de l’infertilité. Je rappelle que des couples hétérosexuels s’orientant aujourd’hui dans une démarche d’AMP doivent déclarer une infertilité. La recherche des causes d’infertilité fait naturellement l’objet d’une démarche médicale. On les trouve parfois, parfois pas. Même si aucune cause d’infertilité objective n’est trouvée – et, d’ailleurs, nous ne pouvons pas éliminer l’hypothèse d’un couple n’ayant pas de rapports sexuels –, la loi permet aujourd’hui cette démarche. Et quelle que soit l’objectivation d’une pathologie sous-jacente, ou son absence, l’AMP est remboursée, Cet argument de l’objectivation actuelle d’une pathologie ne tient donc pas, car il n’y a pas, aujourd’hui, dans les démarches d’AMP, de clause d’accessibilité.

Enfin, la préoccupation de la place et du rôle du père revient souvent. Il n’est évidemment pas question de nier le rôle du père dans la construction de l’enfant, mais ce n’est pas contradictoire avec l’existence d’autres modèles familiaux qui, d’ores et déjà, ont été consacrés dans la loi : je rappelle que les familles homoparentales ou monoparentales ont le droit d’adoption. C’est une filiation qui donne aujourd’hui les mêmes droits à l’enfant que la filiation naturelle. Ainsi, d’une certaine façon, le législateur a d’ores et déjà tranché, en jugeant que tous ces modèles parentaux existent et permettent à l’enfant de s’épanouir dans une famille, quel que soit le type de famille.

Je souhaitais insister sur ces points avant d’exprimer mon désaccord avec ces amendements de suppression.

Mme Aurore Bergé. Je crois qu’il est important de parler de ce qui est dit dans cet article et de ce qui n’y est pas dit. Il n’y est évidemment pas question de choisir les caractéristiques génétiques de l’enfant, comme on a pu l’entendre ; il n’y est pas question de fabriquer un enfant. En revanche, il y est bien question d’une technique médicale, déjà utilisée dans notre pays, mais aujourd’hui réservée à certaines femmes en raison d’un statut matrimonial particulier ou d’une orientation sexuelle particulière. C’est bien cela que nous voulons, aujourd’hui, changer dans la loi, en permettant l’élargissement de l’AMP à toutes les femmes, sans distinction d’orientation sexuelle ou de statut matrimonial. C’est donc bien une technique médicale connue, éprouvée, que nous voulons mettre en œuvre au bénéfice de toutes les femmes.

Il n’est pas non plus question, comme vous l’avez dit, madame la ministre, de nier l’importance et le rôle des pères ; il s’agit de reconnaître la qualité d’un projet parental, qui peut exister dans d’autres types de famille, comme c’est le cas dans les familles homoparentales ou comme c’est le cas dans les familles composées par les femmes non mariées. Tel est l’argument qui a été retenu dans le projet de loi.

Le groupe de La République en Marche est défavorable aux amendements de suppression de cet article, qui est l’un des éléments clés du projet de loi de révision de la loi de bioéthique, en ce qu’il permet enfin l’accès à l’AMP à toutes les femmes.

M. Maxime Minot. Grâce à ce projet de loi relatif à la bioéthique, toutes les femmes pourront désormais avoir accès à la procréation médicalement assistée en France. Jusque-là réservé aux couples hétérosexuels, le recours à l’AMP est ainsi étendu aux femmes célibataires et aux couples de femmes qui pourront désormais connaître elles aussi le bonheur d’être parents.

Avec certains collègues du groupe Les Républicains, nous avons décidé de soutenir ce projet de loi qui va selon nous dans le bon sens, puisqu’il s’inscrit dans le cadre de progrès technologiques nouveaux et d’attentes sociétales fortes.

En effet, tous les sondages d’opinion le montrent : la grande majorité de nos concitoyens est favorable à l’extension de l’AMP pour toutes. Ce projet de loi s’inscrit donc parfaitement dans le cadre de cette évolution progressiste des mentalités et répond à une réelle demande de liberté, d’égalité et de fraternité entre tous les concitoyens.

Je rappelle également que l’ouverture de l’AMP à toutes est soutenue par le CCNE qui a donné un avis favorable à cette mesure. Il me paraît donc incohérent, pour toutes ces raisons, de soutenir ces amendements de suppression.

M. Philippe Gosselin. Quelques mots sur le fond ainsi que sur l’organisation des débats, sans vouloir y revenir…

M. Erwan Balanant. Mais en y revenant tout de même !

M. Philippe Gosselin. Au moins, ce sera dit et inscrit.

Tout d’abord, avec la reconnaissance de la PMA – ou de l’AMP – pour toutes les femmes, c’est bien un droit à l’enfant qui sera reconnu. Or c’est ce droit qui, à l’évidence, pose un certain nombre de questions.

Pourquoi priver les hommes de ce droit ? On voit bien la question qui, si elle ne figure certes pas dans cet article, pourrait se poser, comme on voit celle sur laquelle certaines circulaires en germe – dans l’attente de certaines décisions de la Cour de cassation, qui seront rendues publiques sans doute le 18 septembre – pourraient porter.

Je reviens sur votre interprétation du règlement, madame la présidente, de façon à ce que mes propos figurent au compte rendu, ce qui nous évitera d’y revenir. Premièrement, le nouveau règlement devrait s’appliquer à compter de l’ouverture de la session ordinaire, et pas dès maintenant.

M. Erwan Balanant. Non.

M. Philippe Gosselin. C’est d’ailleurs pour cette raison que les questions au Gouvernement d’aujourd’hui n’ont pas eu lieu sous le régime de la nouvelle formule mais sous celui de l’ancienne.

Deuxièmement cette réforme du règlement s’applique aux séances publiques et non pas aux travaux en commission.

Dans tous les cas, même si le communiqué de la présidence de l’Assemblée nationale en date du 4 juillet dernier n’a mentionné aucune des réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel, il en existe tout de même sept : cela est de nature à battre en brèche la satisfaction affichée par la majorité.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que tous les débats doivent répondre à une exigence de clarté et de sincérité. C’est seulement en cas d’obstruction, et seulement dans ce cas, que le président ou la présidente peut éventuellement, en séance publique, encadrer et limiter le droit d’expression des députés, notamment la présentation d’amendements qui pourraient paraître identiques.

Je note du reste que si les interventions que viennent de faire nos collègues se ressemblent bien sûr un peu sur le fond, puisqu’elles ont presque toutes marqué une opposition – certains allant jusqu’à demander, dans certains cas, sa suppression – à l’AMP, ils n’ont pas tous usé des mêmes arguments.

Il va falloir y prêter attention : je l’affirme parce que je suis moi-même victime, madame la présidente, de votre interprétation. Je n’ai en effet pas pu défendre mon amendement n° 1044, et que je ne suis pas le seul dans ce cas. Rassurez-vous, je n’y reviendrai pas cinquante fois, puisque mes propos figureront au compte rendu.

Ces réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel nous engagent, comme elles engagent la présidence de la séance publique. La réforme du règlement ne doit enfin pas s’appliquer aux réunions de commission : il nous faut donc mesurer collectivement les risques que nous prendrions à vouloir y escamoter les débats.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, président de la commission spéciale. Je vous remercie, monsieur Gosselin, d’avoir rappelé les exigences de clarté et de sincérité qui s’imposent à nous. J’ai également noté votre souhait que notre débat se déroule dans un bon climat. Vous avez donc pu vous exprimer sans problème.

Fabien Di Filippo. Je suis également, madame la présidente, une autre victime de votre interprétation extensive et anticipée du nouveau règlement de l’assemblée qui, comme vient de le dire mon collègue, ne devrait s’appliquer qu’en séance publique.

Il s’agit d’un très bon cas d’école s’agissant de l’application que vous comptez en faire, car si mes collègues ont légitimement insisté sur les problèmes de filiation ainsi que sur l’ouverture à la GPA, mon argumentation était, elle, centrée sur les risques de pénurie de gamètes.

Mon amendement n° 1333 étant considéré comme ayant été défendu, je n’ai pas pu faire valoir mes arguments avant que les avis tant du rapporteur que de la ministre ne soient donnés.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, président de la commission spéciale. C’est pourtant ce que vous êtes en train de faire.

Fabien Di Filippo. Oui, mais je ne pourrais que répondre à ces avis : le risque d’inconstitutionnalité relevé par mes collègues est donc ici clairement établi. Je vais tout de même vous expliquer mon point de vue concernant d’autres propos que j’ai entendus.

Le CCNE, que l’on ne peut soupçonner d’être totalement hostile à l’AMP sans père, nous alertait il y a un an sur le risque de pénurie de gamètes, sur leur rareté ainsi que sur l’allongement des délais d’attente. Je le cite : « Une rupture du principe de gratuité des dons pourrait ouvrir des perspectives de marchandisation des produits du corps humain ».

Nous avons toujours été hostiles à une telle perspective en France, qu’il s’agisse de don de sang de don de gamètes.

Or on constate qu’en raison d’une telle pénurie certains pays, comme l’Espagne, la Belgique ou le Danemark, recourent au dédommagement des donneurs ou à l’importation de gamètes qui parfois ont été fournis contre rémunération, quand ils n’assument pas carrément la marchandisation du don, comme au Danemark. Vous me direz que ce n’est pas dans la loi, mais c’est une ouverture que vous préparez pour l’avenir, du fait de cette pénurie. Il suffit de consulter Cryos, la plus grande banque de sperme au monde : les clients peuvent y choisir des gamètes selon une douzaine de critères, dont la couleur de la peau ou des yeux. On s’oriente donc bien vers une fabrication d’enfants selon les désirs physiques des parents. D’ailleurs, comble de l’horreur, le caddie permettant de faire ses emplettes sur son site est symbolisé par un landau. Or cette évolution porte un nom : il s’agit d’une dérive eugéniste à laquelle vous ouvrirez in fine la voie.

Voilà pourquoi je proposais de supprimer cet article 1er. J’aurais cependant aimé pouvoir faire valoir mes arguments avant que les avis de la commission et de la ministre ne soient donnés.

M. Jacques Marilossian. Nos collègues nous proposent une série d’amendements identiques visant à interdire aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes seules le bénéfice de l’AMP.

Je l’ai déjà indiqué au cours des auditions qui ont été menées : l’AMP procède d’abord à mon sens et avant tout d’un parcours très complexe – je sais de quoi je parle – mais aussi d’un don d’amour. Or le projet parental et le don d’amour sont, me semble-t-il, les bases essentielles de l’épanouissement de l’enfant.

M. Erwan Balanant. Bien sûr !

M. Jacques Marilossian. Nous sommes avant tout législateurs : nous devons donc tous nous préoccuper de l’intérêt général, ce qui impose de faire abstraction de nos particularités, qu’elles soient religieuses ou philosophiques : c’est en tout cas ce que je m’efforce de faire, en respectant les autres.

Nous devons tous constater que notre société est diverse et multiple et qu’elle change. Nous devons donc, en tant que législateurs, adapter la loi à ses évolutions, tout en respectant bien naturellement nos principes fondamentaux.

Nos collègues évoquent par exemple l’intérêt supérieur de l’enfant pour justifier la présence du père et de s’opposer à l’AMP pour toutes. Mais, mes chers collègues, où est l’intérêt de l’enfant battu ou violé par son père ? Or nous savons tous que ce cas de figure n’est hélas pas une fiction. L’intérêt supérieur de l’enfant réside avant tout dans l’amour.

Nous devons à mon sens exercer notre responsabilité de législateurs en rendant possible cette avancée majeure et donner ici un cadre aux couples de femmes, afin qu’elles n’aient plus à subir soit des tracas techniques, soit des tracas administratifs, et surtout qu’elles ne soient plus contraintes de partir à l’étranger pour concrétiser ce projet parental et ce don d’amour.

Je ne voterai donc pas ces amendements de suppression et vous invite tous à faire de même.

M. Erwan Balanant. Bravo !

M. Guillaume Chiche. Nous avons tout d’abord été nombreux à participer aux auditions qui ont été tenues les deux semaines précédentes.

Il nous a été démontré à cette occasion que le développement d’un enfant, quelle que soit la structure familiale – monoparentale, en couple hétérosexuel ou homosexuel – dans laquelle il grandit, ne rencontrait aucun écueil si tant est que celle-ci lui offre de la stabilité et de l’amour. Cela est d’ailleurs corroboré par un certain nombre d’études scientifiques qui nous ont été présentées.

M. Xavier Breton. Lesquelles ?

M. Guillaume Chiche. Je pense en particulier aux travaux de la professeure Susan Golombok, de l’université de Cambridge. J’ai moi-même mis en avant et porté à votre connaissance des travaux menés par le Fonds international des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

J’en viens au droit à l’enfant : il faut à mon sens se montrer bien clair s’agissant des tenants et des aboutissants de ce projet de loi qui entend ouvrir l’accès à une pratique médicale qui offre des probabilités de succès de 60 % à l’issue de quatre fécondations in vitro (FIV) ou six inséminations artificielles avec donneur (IAD), prises en charge par la sécurité sociale.

Nous parlons donc bien d’un droit d’accès à une pratique médicale et non d’un succès garanti à 100 % : il n’y a donc pas de droit à l’enfant.

Autre élément que nous sommes nombreux ici à avoir entendu hier soir et qui a été porté à notre connaissance par la garde des Sceaux : elle a précisé que nous insérions dans le code civil un article 6-2 instituant des droits de l’enfant, par opposition au droit à l’enfant. Il me semble donc que nous gravons dans le marbre de la loi, et d’abord dans ce projet de loi, l’absence de droit à l’enfant.

Autre argument récurrent : ce projet de loi introduirait une rupture d’égalité entre les hommes en couple homosexuel désireux de recourir à la GPA et les femmes en couple lesbien désireuses de recourir à l’AMP. Il faut à mon sens être très clair : l’objectif du texte est de permettre à toutes les femmes d’accéder à la procréation médicalement assistée.

La GPA est une pratique médicale interdite à toutes les personnes, quels que soient leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur statut matrimonial. Nous ne proposons pas de l’autoriser ni d’en élargir l’accès sur le territoire.

Nous serons donc défavorables à l’adoption de ces amendements.

M. Thibault Bazin. Ces premiers échanges me font m’interroger. Tout d’abord, madame la ministre, j’ai eu plaisir à vous écouter. Vous avez notamment affirmé que le projet de loi n’était pas une loi d’égalité des droits. Vous allez devoir vous accorder avec votre collègue garde des Sceaux : elle a parlé hier d’offrir un nouveau droit, parlant d’un choix d’égalité. Nous situons-nous donc ou non dans la perspective d’une égalité des droits ? L’argumentation de notre collègue Jacques Marilossian est de nature à nous inquiéter, puisqu’on pourrait l’invoquer en vue de légaliser la GPA.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué l’AMP à laquelle on aurait recours pas forcément pour des raisons pathologiques : mais on ne peut pas, très sincèrement, se prévaloir du viol de la loi pour légitimer une mesure. Cela nous conduirait à légitimer beaucoup de choses dans notre pays ; je ne suis pas sûr que notre société en sortirait gagnante.

M. Xavier Breton. Je réagis aux propos de notre collègue Jacques Marilossian car ils m’ont quelque peu choqué. Il a notamment fait le raccourci suivant : les enfants de couples hétérosexuels seraient battus par leur père.

M. Jacques Marilossian. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Xavier Breton. Si, ils revenaient à cela. Imaginez que l’on affirme la même chose à propos de personnes de même sexe : que n’entendrait-on pas comme procès en homophobie ! Il faut également à mon sens faire attention à l’hétérophobie : on ne peut pas user d’arguments de la sorte sans faire référence, encore une fois, à la réalité de notre société.

Les parents essayent d’élever leurs enfants de leur mieux. On sait qu’il existe des situations compliquées quelle que soit la structure familiale. Quoi qu’il en soit, user de tels arguments et de tels raccourcis peut blesser des millions de personnes dans notre pays.

M. Patrick Hetzel. Madame la ministre, nous avons également auditionné, la semaine dernière, des juristes.

Lorsque nous les avons interrogés – vous pouvez vous reporter au compte rendu –, ils nous ont indiqué qu’effectivement, d’un point de vue juridique, à partir du moment où l’on étend le bénéfice de l’AMP aux couples de même sexe, même si ce n’est aujourd’hui qu’au bénéfice des couples de femmes, en raison même de ce principe d’égalité, les hommes pourront logiquement exiger d’y avoir accès.

Vous savez pertinemment que l’effet domino auquel nous faisons référence est une réalité : à aucun moment nous n’avons eu des éléments convaincants, notamment sur le plan juridique, qui permettraient d’envisager de faire l’un sans l’autre. Et cet effet domino est implacable : dans un premier temps, on étend le bénéfice de l’AMP à toutes les femmes ; dans un second temps, on voit bien la GPA se profiler. Or c’est sur ces changements profonds que nous souhaitons alerter, car nous pensons que l’irréversibilité que vous êtes en train d’enclencher va poser des problèmes : elle conduira, comme l’a rappelé notre collègue Fabien Di Filippo à la marchandisation des produits du corps humain. Le modèle que vous êtes en train de construire, c’est celui d’une ultralibéralisation de la société : ce n’est pas celui que nous souhaitons pour notre société de demain.

M. Pascal Brindeau. Je réponds aux arguments de M. le rapporteur, de Mme la ministre et de Mme Aurore Bergé : il faut à mon sens s’en tenir en définitive à la lettre du texte et ne pas fantasmer sur les conséquences éventuelles de l’extension de l’AMP.

Je voudrais que Mme la ministre confirme qu’actuellement, en cas de recours à une AMP avec tiers donneur, les centres d’assistance médicale à la procréation procèdent à ce que l’on appelle l’appariement des gamètes en vue de maintenir au bénéfice du couple déclaré infertile une forme de vraisemblance de filiation et de procréation, qui tienne notamment compte de critères géographiques. Au demeurant, après avoir auditionné un certain nombre de représentants de ces institutions, on ne sait pas très bien comment, en réalité, est borné cet appariement. Comment feront demain les centres qui procéderont à des AMP pour des couples de femmes ? L’appariement se fera-t-il en fonction de la vraisemblance automatique de la seconde mère, de la demande expresse du couple ou en fonction d’autres critères ?

Mme Annie Genevard. M. le rapporteur Jean-Louis Touraine nous a expliqué qu’en ce qui concerne l’enfant, les effets d’une AMP ouverte aux couples de femmes seraient bénéfiques. Peut-il nous en dire davantage ?

Mme Coralie Dubost. Puisque vous avez, chers collègues, invoqué les juristes, je me sens obligée de prendre la parole une minute dans la mesure où ils ont été auditionnés à l’initiative de notre collègue Jean-Louis Touraine, rapporteur, et de moi-même. Il me semble qu’aucun d’entre eux n’a cherché à présupposer ou à fantasmer sur l’avenir… Ils sont plutôt venus nous parler du principe d’égalité, eu égard au mécanisme de filiation que nous devrions retenir dans le cadre de ce projet de loi : le principe d’égalité. Ils ont également rappelé que ce même projet de loi respectait en tous points le principe d’indisponibilité du corps humain tout comme celui de gratuité. Nous sommes donc aux antipodes des fantasmes de marchandisation que vous invoquez afin de justifier votre refus d’un progrès sociétal aujourd’hui très attendu.

Ce progrès répond par ailleurs à un principe de réalité. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : aujourd’hui, beaucoup d’enfants issus d’AMP réalisées à l’étranger soit par des femmes seules, soit par des couples de femmes, vivent dans notre pays.

Il nous faut donc nous montrer très prudents dans tout ce que nous évoquons dans cette salle : peut-être en effet certains d’entre eux, ou leurs parents, nous regardent. Nos débats seront observés : pensons-y lorsque nous parlons d’eux.

Durant les auditions que nous avons conduites – dans de bonnes conditions – ces quinze derniers jours, beaucoup de professionnels ont évoqué devant nous la notion d’altérité et mis en exergue le fait que celle-ci n’était pas forcément ni strictement sexuée, puisqu’elle peut s’observer dans différents couples et dans différents binômes. Elle peut en outre s’observer dans l’entourage très proche des individus.

Sans préjuger des propos de notre rapporteur sur cette partie du projet de loi, je pense que les bénéfices dont il est question tiennent surtout à un projet parental qui est affirmé, réfléchi, consolidé, et à ce fameux don d’amour dont parlait notre collègue Jacques Marilossian. Nous allons dans le bon sens, celui d’une société parfaitement assumée.

M. Erwan Balanant. Bravo !

Mme Agnès Thill. Je veux rappeler que la maltraitance n’est pas réservée aux hétérosexuels : elle s’élève à 30 % chez les femmes. En outre, s’agissant de la GPA dont nous parlons, si tout le monde est opposé à la marchandisation, il est fort possible que l’on fasse état de la GPA éthique : dans ce cas, il n’y aura pas de marchandisation.

Enfin, l’article 1er de ce projet de loi est à bien des égards paradoxal, qu’il s’agisse de la parité – ce qui prouve le besoin d’altérité – ou des femmes seules. Or nous savons tous qu’il faut les aider financièrement et bâtir une politique d’aide à la famille.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Puisqu’il m’est impossible de répondre à tous les arguments avancés, je n’évoquerai que quatre brefs points. On a évoqué le droit à l’enfant. Il n’y a pas de droit à l’enfant, il y a les droits de l’enfant, ou, de la part des parents, le désir d’enfant, tous légitimes.

Le droit à l’enfant n’existe pas. M. Chiche a rappelé à ce sujet que le succès d’une AMP n’était pas garanti puisqu’une procréation menée dans ces conditions n’a, à l’issue de quatre fécondations in vitro, que 60 % de chances d’aboutir.

N’oublions pas non plus le rôle de l’équipe médicale : comme dans chacun des autres actes qu’il accomplit, le médecin n’est pas un prestataire technique de services. En Belgique, où le corps médical pratique depuis bien longtemps l’AMP au bénéfice de femmes seules ou de couples de femmes, 30 % des femmes seules qui le sollicitent sont déboutées de leur demande parce que l’équipe médicale ne la considère pas comme méritant d’être poursuivie.

Bannissons donc une bonne fois pour toutes de nos discussions ce terme de droit à l’enfant, totalement inapproprié. Aucune demande de droit à l’enfant n’a été formulée par aucun d’entre nous.

Deuxièmement, effectivement, les centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) pratiquent depuis le début l’appariement afin d’essayer de maintenir le secret, une certaine vraisemblance, afin de laisser penser que l’enfant serait génétiquement issu de ses parents. Il faut désormais le laisser à la liberté des parents : certains le souhaitent, c’est très bien, respectons leur choix. Sans aller toutefois jusqu’à cette quasi absurdité en cherchant un appariement pour les groupes sanguins (ABO), et pourquoi pas demain pour les groupes HLA, et pour je ne sais quoi d’autre après-demain… C’est démodé. Mais un appariement physique peut être revendiqué par certains parents. Malheureusement, cela peut se retourner contre eux : les gens appartenant à des minorités ethniques ont le plus grand mal à trouver des donneurs correspondant à leur type.

Il faut donc laisser aux couples qui ne demandent pas d’appariement la possibilité de recevoir des gamètes d’un type différent – j’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens, que nous examinerons le moment venu. Il ne serait par exemple pas choquant que demain un couple asiatique habitant en France puisse avoir ainsi un enfant de type caucasoïde, s’il le souhaite. L’appariement doit désormais être laissé en grande partie à la liberté des parents, et non imposé de façon paternaliste.

Troisièmement, bien entendu, la GPA est hors sujet. Je vois deux raisons pour lesquelles il n’y a aucun risque qu’elle constitue une dérive possible après l’adoption de ce projet de loi.

Tout d’abord, la GPA est pour l’instant interdite aux couples hétérosexuels : il n’est donc pas possible de l’étendre aux couples homosexuels. C’est donc tout à fait différent de l’AMP, dont l’accès était restreint, et sera désormais offert à toutes. Or la GPA reste interdite à tous.

Par ailleurs, il existe une autre différence, qui ne tient pas à une question de droit ou de demande d’égalité et qui est, chers amis, imparable, car anatomique : même si vous me direz qu’on ne peut insulter l’avenir et que l’on ne sait pas de quoi demain sera fait, pour encore longtemps, les hommes ne procréent pas au sein de leur propre organisme.

M. Xavier Breton. Pour l’instant !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous conviendrez par conséquent qu’accorder à des femmes qui ont le droit d’élever leurs enfants, d’adopter des enfants et de se marier celui de faire des enfants n’a rien que de tout à fait normal. En revanche, évidemment, donner à des hommes la possibilité de procréer en leur sein n’est physiquement pas possible. Vous m’accorderez donc qu’il s’agit d’une chose totalement différente ; soutenir que de l’AMP dériverait la GPA relève de l’abus de langage.

Quatrièmement, vous sous-entendez qu’une telle évolution ne saurait avoir d’effets positifs ou bénéfiques. Or c’est bien le cas : les auditions que vous avez probablement suivies comme moi de façon attentive ont montré que des jeunes qui sont passés par un tel parcours expriment leur joie et leur fierté d’avoir eu deux mamans, comme d’autres expriment leur joie et leur fierté d’avoir eu une maman et un papa. Les uns comme les autres éprouvent la même fierté.

Il faut à cet égard que vous vous souveniez de l’état qui a précédé votre propre mémoire, c’est-à-dire de votre prime enfance. Nous l’avons tous connu : à ce stade, ce qui est normal, c’est la famille dans laquelle nous vivons. Si la famille ne compte qu’une mère, c’est cela, la normalité. Il en est de même si elle en compte deux.

M. Erwan Balanant. Exactement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Lorsque l’on entre ensuite à l’école maternelle, l’on se rend compte que notre schéma normal n’est pas tout à fait universel puisque d’autres petits camarades ont un père et une mère. Et on découvre ensuite qu’ils sont même majoritaires ; mais tout cela se passe de façon naturelle et habituelle, sans que cela ne choque aucun de ces enfants. Ceux-ci ne demandent pas que l’on change leur modèle familial : ceux qui ont un père et une mère ne demandent pas qu’on leur enlève le premier ou la seconde, ou qu’on leur substitue quelqu’un d’autre. Et tous les enfants qui ont deux mères nous l’ont dit : je ne veux pas que l’on m’enlève une de mes mamans que j’aime pour la remplacer par un père. Ils sont parfaitement épanouis dans ce cadre familial.

D’ailleurs, les études de toute nature ont montré que, grâce à l’attention et à l’amour qu’ils reçoivent, les enfants issus d’une AMP, quel que soit leur modèle familial, disposent tous d’un avantage important : les sentiments et l’intérêt qu’on leur porte favorisent leur éveil. Ce qui n’a rien d’étonnant, s’agissant d’enfants autant attendus et espérés.

Par conséquent, oui, les effets d’une telle évolution sont positifs, que l’AMP ait été faite au bénéfice d’une femme seule, d’un couple homosexuel ou d’un couple hétérosexuel. Quoi qu’il en soit, l’AMP a pour les enfants des aspects positifs.

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous répondrons, si vous le permettez à deux voix, avec Nicole Belloubet.

Je le répète : la loi relative à la bioéthique n’est pas une loi d’égalité des droits. L’argument me gêne dans les deux sens, c’est-à-dire autant lorsqu’il est utilisé par ceux qui revendiquent à tout prix la non-discrimination que lorsqu’il l’est par ceux qui soutiennent à tous crins que nous allons glisser vers l’égalité de droits.

Les lois relatives à la bioéthique ont toujours été construites de la même façon : elles interrogent une technique médicale offerte à la population au regard des principes éthiques fondamentaux qui s’imposent au-delà du droit. De ce fait, le raisonnement sur l’égalité des droits aboutit effectivement aux dérives que vous avez évoquées et conduit – je reprends les mots de M. Patrick Hetzel – les juristes à affirmer que l’argument juridique va s’imposer pour l’ouverture de la GPA. Or ce ne sera aucunement le cas : l’argument juridique sera toujours fort moins que l’argument éthique. Je laisserai Nicole Belloubet évoquer cet aspect, car il faut que nous nous mettions d’accord sur ce que doit être une loi relative à la bioéthique : nous ne sommes pas en train de comparer les droits des individus entre eux. Nous regardons chaque technique et chaque bénéficiaire potentiel, en tenant compte des possibles vulnérabilités ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant : tout cela s’impose au-delà du principe d’égalité et du droit à l’égalité.

Je réponds à M. Pascal Brindeau concernant le choix des gamètes et les critères de vraisemblance : effectivement, les règles de bonnes pratiques de l’AMP prévoient aujourd’hui que l’on peut, à la demande des parents, chercher les gamètes d’un donneur répondant à des critères de ressemblance physique ou appartenant à des groupes sanguins compatibles. Cette procédure visait à préserver le secret des familles. Je ne pense pas que les femmes la revendiquent, car une telle transposition me paraît compliquée. Il sera cependant peut-être légitime de réviser ces règles de bonnes pratiques à l’aune des nouvelles dispositions que nous prévoirons dans la loi.

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je répondrai à la question de l’égalité des droits, dont certains d’entre vous soutiennent qu’elle porterait en germe une dérive de l’AMP vers la GPA.

On peut à mon sens s’appuyer sur deux arguments afin de contrecarrer cette idée : le premier tient au fait qu’il n’existe pas, je le répète, de droit à l’enfant. Je vous ai expliqué hier soir que nous avons introduit dans le projet de loi un article créant un article 6-2 dans le code civil visant à bien préciser quels sont les droits et les devoirs de l’enfant ; mais vous ne trouverez nulle part mention d’un droit à l’enfant.

Dans son avis relatif au projet de loi relatif à la bioéthique, le Conseil d’État a indiqué très clairement qu’à partir du moment où il n’existe pas de droit à l’enfant, aucun principe d’égalité ne peut en découler : « La notion de droit à l’enfant n’ayant pas de consistance juridique, l’enfant étant sujet de droit et non l’objet du droit d’un tiers, aucune atteinte au principe d’égalité ne peut être invoqué sur ce terrain ».

Cela me paraît aller précisément dans le sens de ce que nous disons : on ne peut pas revendiquer l’égalité sur la base d’un « droit à » qui n’existe pas et qui n’a pas de consistance : dès lors, la question du glissement des droits d’un couple de femmes vers ceux d’un couple d’hommes ne se pose pas davantage.

Mon second argument à l’encontre de ce glissement vers la GPA, que M. Patrick Hetzel qualifie d’« effet domino implacable » tient au fait que le principe d’égalité ne peut à mon sens jouer en la matière. Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel l’ont réaffirmé à plusieurs reprises en jugeant qu’au regard de l’AMP, les couples hétérosexuels et les couples homosexuels ne sont pas dans la même situation, et les couples de femmes et les couples d’hommes pas davantage au regard de la procréation. Par conséquent, l’égalité ne peut pas être invoquée en la matière.

Par ailleurs, et je ne fais là que redire sous une autre forme la même chose que ce qu’Agnès Buzyn vient d’indiquer, la GPA pose deux problèmes liés à des principes fondamentaux, et tout d’abord à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes. Une GPA amènera les parties à décider par convention qui sera la mère de l’enfant. Or ce ne sera pas forcément celle qui accouchera : une telle situation porterait donc atteinte à l’indisponibilité de l’état des personnes. Par ailleurs, la GPA pose également, vous le savez, un problème de patrimonialité du corps, notion que nous récusons.

Nous devons respecter ces deux principes fondamentaux de notre droit : or la GPA bute précisément sur ces deux principes, à savoir l’indisponibilité de l’état des personnes et la non patrimonialité du corps humain.

Par conséquent, parce que le principe d’égalité ne peut être invoqué et parce que la GPA bute sur deux principes fondamentaux que nous devons respecter, je maintiens qu’il ne faut pas nourrir de craintes sur le plan juridique quant à un possible glissement de l’ouverture de l’AMP à des couples de femmes vers la GPA.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, président de la commission spéciale. Je propose que nous passions au vote.

La commission rejette les amendements identiques.

La commission est saisie de l’amendement n° 1009 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit par cet amendement de rappeler le principe suivant : l’AMP poursuit un objectif thérapeutique et ne peut être mise en œuvre que dans le respect des droits de l’enfant, et non pour satisfaire un hypothétique droit à l’enfant qui se verrait ici consacré de facto, quand bien même il n’est pas inscrit dans le projet de loi. Je ne pense pas que l’on puisse sincèrement parler de respect des droits de l’enfant lorsqu’on le prive délibérément de père.

Je rappelle par ailleurs les réserves exprimées par plusieurs psychiatres auditionnés par notre commission s’agissant notamment de l’ouverture de l’AMP à des femmes seules. Le professeur Myriam Szejer a notamment mentionné une culpabilité inconsciente ou consciente engendrée par le fait de ne pas donner de père à l’enfant concerné. Selon elle, cette culpabilité, surtout lorsqu’elle est inconsciente, provoque une forme d’anxiété maternelle.

De son côté, le professeur Pierre Lévy-Soussan s’est interrogé : placer délibérément un enfant dans une situation que l’on sait à risque fait-il partie du rôle de la médecine ? Autant de réserves qui méritent, me semble-t-il, d’être prises en compte.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous réitérez cette notion de thérapeutique : or non, l’AMP ne poursuit pas d’objet thérapeutique. De quoi est-on guérie à l’issue d’une AMP ? La femme est toujours aussi stérile après qu’avant… Et s’il s’agit d’un couple homosexuel, rien n’aura changé après l’AMP. On n’aura traité aucune maladie. Autrement dit, on ne poursuit pas un objectif thérapeutique.

Par ailleurs, vous reparlez du droit à l’enfant alors que nous venons de démontrer qu’il n’existe pas et que l’équipe médicale ne va pas se contenter d’obéir à une demande sans prendre en compte toutes les dimensions de cette forme de procréation. Nous y reviendrons d’ailleurs afin de prouver que l’engagement de l’équipe réalisant l’AMP inclut celui d’évaluer ces dimensions.

Votre proposition nous ramènerait en arrière : je me suis d’ailleurs demandé pourquoi vous n’étiez pas allée jusqu’à proposer de faire disparaître totalement l’AMP, puisque vous voudriez l’interdire lorsqu’elle a pour objet d’éviter la transmission de maladies graves, et la limiter aux seuls cas où une infertilité est médicalement prouvée. L’adoption de votre amendement nous conduirait donc très loin de l’état présent du droit, avant même le vote du projet de loi : vous souhaitez un retour en arrière, c’est-à-dire un régime d’interdiction beaucoup plus sévère. Or il me semble que nous ne sommes pas réunis ici pour évoquer la nostalgie d’un passé où la médecine ne s’était pas encore développée.

Enfin, vous convoquez à votre secours des psychiatres : chacun peut en appeler aux siens. Écoutez plutôt à ce sujet Mme Geneviève Delaisi de Parseval qui suit nombre d’enfants nés dans ces conditions : elle vous rassurera totalement. On trouve parmi eux, comme chez tous les autres enfants, des cas d’épanouissement parfait, parfois des cas à problèmes, mais ni plus, ni moins ; les psychiatres sont le reflet de ce constat. La pédopsychiatrie est faite pour répondre aux besoins de tous les enfants, qu’ils soient nés dans des conditions naturelles ou par le biais d’une assistance médicale à la procréation. Pour toutes ces raisons, mon avis est bien entendu défavorable : l’adoption de votre amendement nous conduirait en effet à l’opposé de l’objectif bénéfique que nous recherchons.

M. Fabien Di Filippo. Je tiens à insister sur la faiblesse de certains arguments employés par le rapporteur, qui soutient que l’AMP thérapeutique n’existe pas. Il faut tout de même placer sur un plan différent une AMP grâce à laquelle des couples hétérosexuels infertiles peuvent surmonter une maladie ou un handicap physique, car elle a tout de même, quoi qu’on en dise, une visée thérapeutique…

M. Erwan Balanant. Non, ce n’est pas thérapeutique !

M. Fabien Di Filippo. … et les AMP permettant de remédier à une infertilité « sociale », concept créé de manière complètement artificielle dans la loi. Ce sont des choses bien différentes.

Notre opposition à ce projet de loi ne vise pas à distinguer les mauvais parents des bons : la vie nous place les uns et les autres dans des situations bien différentes. En revanche, vous ne pouvez pas effacer le père, nier son existence et empêcher l’enfant de savoir qui l’a engendré et de le côtoyer, car cela pose problème. Et c’est un fait parfaitement objectif : personne n’est venu témoigner qu’il était content d’avoir deux mères parce que cela s’est bien passé… Et comment aurions-nous pu faire témoigner quelqu’un qui n’aurait pas été content parce que les choses se seraient mal passées ? Je répète que vous effacez de la vie de l’enfant l’existence d’un père grâce auquel, quoi qu’on en dise, il est là. Si les femmes peuvent bien évidemment porter un enfant dans leur sein, il faudra toujours, d’une manière ou d’une autre, un homme et une femme pour faire un enfant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Non, il faut des gamètes.

M. Pascal Brindeau. Je reviens sur l’argumentation du rapporteur : il conviendra avec moi que le droit positif n’autorise pas l’ouverture de l’AMP à tous les couples homosexuels. Or il faut bien une cause de départ, qui est une suspicion de pathologie. J’entends bien que l’AMP ne répare pas une situation pathologique ; reste qu’elle a pour l’heure un lien avec une maladie potentielle ou avec une infertilité potentielle ; cela n’a rien à voir avec les situations pour lesquelles vous proposez de l’ouvrir. À tel point que les couples hétérosexuels pourront demain recourir par simple choix à une AMP, en décidant de ne plus procéder par la voie naturelle de procréation et de faire appel à une assistance technique.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est déjà le cas aujourd’hui.

M. Pascal Brindeau. Or c’est ce qui me gêne profondément : que l’on veuille ou non, et même si vous pouvez le contester aujourd’hui avec la plus grande force, mettre en concurrence cette voie de procréation naturelle et la technique ouvrira la voie à d’autres techniques qui permettront demain de choisir l’enfant que l’on souhaite et ses caractéristiques. Cette évolution porte un nom : le risque de l’eugénisme, et ce n’est pas dans la conception éthique de la France.

M. Patrick Hetzel. La question posée à travers cet amendement est celle du respect des droits de l’enfant.

Vous avez insisté, Madame la garde des Sceaux, sur le fait qu’il n’y avait évidemment pas de droit à l’enfant, mais des droits de l’enfant. Or, de ce point de vue, cet amendement apporte une sécurisation et va dans votre sens. Dès lors, on a du mal à comprendre le Gouvernement qui, d’un côté, rejette l’idée d’un droit à l’enfant et entend, tout comme nous, respecter les droits de l’enfant et, de l’autre, donne un avis défavorable à un amendement qui tend précisément à les sécuriser.

M. Pierre Dharréville. Tout d’abord, l’AMP est un palliatif, non une thérapie.

Ensuite, l’AMP est d’ores et déjà une pratique sociale, décidée par la société, pour faire face à un certain nombre de problèmes que rencontrent certains couples. Elle a déjà, par nature, un caractère social et pas seulement médical : c’est un outil que nous nous sommes donné, que la technique nous a permis d’élaborer pour faire face à certains enjeux. Au point où nous en sommes, il s’agit simplement de mettre les choses en cohérence et d’en tirer toutes les leçons. On mélange plusieurs problèmes : l’homoparentalité, la monoparentalité ; tout cela existe déjà dans la société ; mais les questions qui nous sont posées aujourd’hui ne sont pas de cette nature. Le temps est venu de tirer d’autres conclusions de cette pratique sociale qu’est devenue l’AMP. C’est pourquoi nous ne voterons pas cet amendement.

M. Xavier Breton. Je reviens sur l’évocation par notre rapporteur de l’audition de Mme Geneviève Delaisi de Parseval. Elle a effectivement indiqué qu’elle était favorable à l’extension de l’AMP aux couples de femmes ; mais souvenez-vous qu’elle a également émis des réserves s’agissant des femmes seules, considérant qu’un enfant a besoin de deux parents et qu’en avoir un seul exigeait un travail psychique supplémentaire. Lorsqu’on cite des extraits d’auditions, encore doit-on respecter leurs auteurs.

M. Thibault Bazin. Selon vous, madame la ministre de la santé, l’argument de l’objectivation d’une pathologie ne tient pas dans la mesure où cela ne constitue pas une clause d’accessibilité à l’AMP. Or l’article L. 2141-2 du code de la santé publique dispose que « le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué »… Pourriez-vous préciser vos propos ?

M. Guillaume Chiche. Ce projet vise à étendre l’accès à l’AMP à l’ensemble des femmes et non à réviser ou à restreindre des droits existants. Or cet amendement priverait un certain nombre de couples – en l’occurrence, hétérosexuels – de la possibilité de recourir à l’AMP. Il est particulièrement malvenu d’expliquer à des personnes qui, aujourd’hui, peuvent y recourir que cela ne leur serait plus possible après l’adoption de ce texte. C’est pourquoi, outre les arguments de M. le rapporteur, nous sommes défavorables à l’adoption de cet amendement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Di Filippo, je rappelle que l’adoption plénière est aujourd’hui autorisée pour les familles homoparentales et monoparentales. Nier ce fait et considérer que l’accès à l’AMP implique d’appartenir à un autre modèle familial revient à instituer une hiérarchie entre un enfant adopté et un enfant né de l’AMP. Or le législateur a déjà estimé que ces familles étaient suffisamment robustes et solides pour accueillir un enfant adopté.

Pour ce qui est de l’objectivation d’une pathologie sous-jacente, la démarche est la suivante : lorsqu’un couple se présente pour engager une démarche d’AMP, il doit déclarer qu’il est en situation d’infertilité ou d’essai de grossesse depuis un an. Ensuite, l’équipe recherche d’éventuelles causes médicales qu’il serait possible de traiter. À défaut – et cela arrive souvent –, la démarche d’AMP continue. Ce n’est pas parce qu’aucune maladie, aucune cause d’infertilité n’est découverte que les parents ne peuvent pas accéder à cette technique. Quelle que soit la cause d’infertilité, je l’ai dit – et même si, à la limite, les parents ne se sont jamais accouplés, et nous n’avons aucun moyen de le savoir… –, ils ont droit à une démarche d’AMP.

Force est d’ailleurs de constater qu’il n’existe pas toujours de pathologie : bon nombre de couples, après une première grossesse par AMP, font par la suite des enfants par voie naturelle… Nous savons très bien que des blocages psychologiques peuvent jouer. Autrement dit, ce critère absolu d’une pathologie nécessaire dont vous voulez tirer argument ne correspond pas à ce qu’est la réalité vécue par les couples hétérosexuels.

Mme Annie Genevard. Madame la ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises la similitude qu’il y aurait entre l’adoption d’un enfant par un couple de même sexe et l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes.

Comme vous le savez, un premier argument consiste à distinguer les choses : un enfant adopté est à l’origine une victime des malheurs de la vie, privée de son père et de sa mère biologiques, avant de retrouver une famille ; la situation d’un enfant conçu par PMA est bien sûr totalement différente. Tout cela, nous l’avons dit et redit.

En revanche, vous utilisez un argument que je trouve choquant : le législateur a tranché et de ce fait, si vous me permettez cette expression un peu triviale, circulez, il n’y a rien à voir, et surtout rien à dire.

Un certain nombre d’entre nous ont participé aux discussions sur le mariage et l’adoption – on résume trop souvent cette loi au mariage pour tous, oubliant que l’important dans ce texte était moins le mariage que la faculté d’adopter. Nous avons quant à nous combattu cette disposition et nous la combattons aujourd’hui parce que nos convictions n’ont pas changé. Je crains, madame la ministre, qu’il ne vous faille entendre cet argument un certain nombre de fois encore ; car même si la majorité a changé, il reste toujours une minorité à s’y opposer, et nous avons toute légitimité pour le faire.

Enfin, dernière différence que je tiens à souligner : l’enfant adopté avait un père et une mère, dont il a été privé par les aléas tragiques de son histoire ; mais l’enfant conçu dans le cadre d’une AMP au sein d’un couple de même sexe, verra sa filiation sexuée effacée puisqu’il aura deux mères d’intention et que l’élément masculin est supprimé ab initio. C’est là une différence majeure qui motive profondément notre opposition.

Mme Sereine Mauborgne. Lorsque vous dites, madame Genevard, que le père est totalement gommé dans le cadre d’une AMP, le problème se pose également pour les couples hétérosexuels. En quoi l’homoparentalité poserait-elle un problème spécifique ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. En principe, madame Mauborgne, les débats ne doivent pas se dérouler entre vous.

Mme Sereine Mauborgne. Je réagissais aux propos tenus.

M. Thibault Bazin. Pour réagir à ceux de ma collègue Mauborgne…

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Ce qui s’applique à Mme Mauborgne s’applique à vous, monsieur Bazin.

M. Thibault Bazin. Justement, je vais soutenir les propos de ma collègue Genevard pour essayer de convaincre la ministre et le rapporteur.

Nous créons une situation dans laquelle, ab initio, l’enfant est privé d’un père. Or c’est seulement aujourd’hui que nous mesurons les conséquences et les dégâts des lois de 1994 – d’où les questions sur la levée de l’anonymat. Dans vingt ans, quels seront les effets des décisions que nous allons prendre ? Des enfants ne pourraient-ils reprocher à l’État d’être la cause de leur situation ? Nous n’en savons rien, mais nous devons nous poser la question, en toute responsabilité.

En outre, si un enfant issu de l’AMP d’un couple de femmes fait connaissance, dix-huit ans plus tard, avec son géniteur – lequel aura donné son accord –, qu’ils se prennent d’affection l’un pour l’autre et que l’enfant souhaite le prendre pour père, cela ne lui sera pas possible. La question mérite en tout cas d’être posée, surtout avec la levée de l’anonymat. Privilégiera-t-on l’intérêt de l’enfant devenu majeur ou celui des parents ab initio ? Peut-être la question se posera-t-elle dans vingt ans.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Ce débat, et notamment cette dernière question, se pose de la même manière dans tous les cas d’AMP avec donneur.

Il faut mesurer ce qu’est un parcours d’AMP, comme il faut mesurer ce qu’est un parcours d’adoption. Il faut mesurer ce que c’est qu’être parent. Être parent, ce n’est pas avoir contribué à la vie avec ses gamètes : c’est aussi avoir été là chaque jour de la vie de l’enfant.

Ajoutons qu’un très grand nombre d’enfants, aujourd’hui, adoptés ou nés d’AMP avec donneur, ne souhaitent à aucun prix rencontrer leur géniteur ; à l’inverse, d’autres le souhaitent, et entreprennent d’ailleurs pour ce faire des démarches parfois douloureuses.

Dans le cas d’AMP avec donneur, suivre votre raisonnement revient à effacer le donneur en tant que père alors qu’il s’agit de répondre à un projet parental qui peut être celui d’un couple formé par un homme et une femme, d’un couple constitué de deux femmes ou celui d’une femme seule. L’important est de repenser le projet parental et de ne pas appeler « père » le donneur ou « mère » la donneuse – puisqu’il est aussi possible de faire des dons d’ovocytes. Il est très important de le rappeler pour respecter les personnes qui nous écoutent et qui sont nées d’AMP avec donneur ou qui ont été adoptées, et de ne jamais faire la confusion entre ce qu’est un père ou une mère et un géniteur.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous rappelle que seuls les membres de la commission spéciale ont le droit de participer au vote.

La commission rejette l’amendement n° 1009.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1024 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Trois observations à propos de cet amendement, qui me permettront également de réagir à ce qui a été dit précédemment.

Ce projet de loi sur l’AMP pour toutes, ai-je entendu, n’enlève de droits à personne ; or il me semble que l’on enlève prioritairement à l’enfant celui d’avoir un père.

Ensuite, à vous entendre, l’adoption et l’AMP, c’est un peu la même chose, on se retrouve finalement dans la même situation. Or, avec l’adoption, on donne des parents à un enfant qui en a été privé suite à un accident de la vie ; avec l’AMP, on donne un enfant à des parents. La logique est donc radicalement inverse.

Enfin, l’AMP pour toutes s’inscrit dans la lignée de la loi qui a consacré le mariage pour tous. Je vous rappelle que le gouvernement de l’époque avait juré, la main sur le cœur, que le mariage des couples homosexuels n’emporterait pas de conséquences sur la filiation. Pourtant, aujourd’hui, nous y sommes. Permettez‑moi donc de douter de l’interdiction ad vitam aeternam de la GPA.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Même argumentation que pour l’amendement précédent : celui-ci tend à réserver exclusivement l’AMP aux cas d’infertilité pathologique, ce qui est très restrictif, même au regard de la législation actuelle – et, à plus forte raison, au regard de l’évolution que nous entendons proposer au bénéfice des personnes concernées, enfants et parents.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement soulève également une question abordée la semaine dernière, en particulier, au cours de l’audition du professeur Drago : celui-ci s’est interrogé sur le risque de contentieux, pour l’État, dans la mesure où ces enfants nés sans père pourraient considérer qu’ils subissent un préjudice à cause de cette loi et qu’ils pourraient en demander réparation.

J’aimerais que la ministre de la justice nous dise ce qu’elle en pense, car un certain nombre de juristes nous ont alertés sur ce volet-là : à terme, les enfants concernés pourraient attaquer l’État pour avoir été dès le départ privés de père.

M. Bruno Fuchs. J’entends cet argument et je me suis moi-même posé la question, comme tous mes collègues, mais je ne peux adhérer à l’idée selon laquelle nous priverions un enfant de père : nous offrons à un enfant le droit de vivre alors que, sans ce nouveau droit de l’AMP accordé à des femmes seules ou en couple, il n’y aurait par définition pas de vie nouvelle. Nous rendons possible la naissance d’une vie nouvelle dans le cadre d’un projet parental, un projet d’amour, un projet de vie qui doit être soutenu.

M. Didier Martin. Cet amendement vise en effet à exclure les femmes seules et les couples de femmes du recours à l’AMP. Il est donc exactement à l’opposé du projet de loi que nous proposons.

Je voudrais aussi que chacun pense un instant à toutes ces femmes seules, à tous ces couples de femmes qui vivent des moments plus ou moins douloureux ou difficiles, et financièrement lourds, en étant contraintes de sortir du territoire par milliers pour bénéficier de l’AMP à l’étranger. À chaque fois que l’on s’oppose à ce nouveau droit que nous voulons instituer, on oublie le parcours de vie de ces femmes.

Ce rappel me semble nécessaire, car si les arguments des uns et des autres reflètent des convictions, une vision de l’avenir, nous n’avons pas encore vraiment évoqué ces femmes, seules ou en couple, qui vivent des situations auxquelles elles ne doivent pas être éternellement soumises. Au contraire, elles doivent pouvoir bénéficier, à proximité de chez elles, dans les meilleures conditions, de ce nouveau droit que la loi offre aujourd’hui aux couples hétérosexuels.

M. Fabien Di Filippo. Quoi que l’on en dise, nous avons entendu de nombreux arguments pour justifier le droit des couples de femmes à avoir un enfant. Mme la ministre Vidal a même dit qu’il ne fallait plus parler de père pour désigner le géniteur… Nous n’avons donc même plus le droit de parler du père !

M. Fuchs, de son côté, explique que l’enfant devrait se réjouir de sa seule présence au monde. Mais ce qui le réjouirait, c’est de connaître ses origines, de savoir d’où il vient ! Je ne dis pas qu’il a forcément besoin d’un père pour l’élever et s’occuper de lui tous les jours – la vie nous met dans les situations où elle nous met –, mais qu’il a besoin, pour se construire, de savoir d’où il vient et quelles sont ses origines.

On ne peut pas nier, effacer d’un trait de plume l’existence d’un père biologique ! Lorsque l’enfant aura grandi, il décidera avec qui il tissera des liens, qui il appellera « papa », « maman », ou « maman et maman », mais vous ne pouvez pas effacer d’un trait de plume l’existence d’un père. Or, quoi que vous en disiez, avec ce texte, vous allez priver l’enfant de la possibilité de savoir d’où il vient et qui a été son père.

Mme Coralie Dubost. Vous faites une confusion : c’est déjà la situation que connaissent les couples hétérosexuels après avoir recouru à une AMP. Depuis 1994, le droit dispose que le donneur n’est jamais le père et c’est très bien ainsi. Le donneur a donné un patrimoine génétique mais la filiation, dans tous les cas, est impossible.

En l’occurrence, il ne s’agit pas d’effacer le père, mais, au contraire, de reconnaître le choix fait par le donneur, et qui consiste à donner des gènes, non à s’engager en responsabilité dans un projet parental. Il ne fait qu’accompagner ceux qui portent le projet parental. Selon moi, vous faites une confusion préjudiciable à toutes les familles hétéroparentales qui ont bénéficié d’une AMP.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Ce projet de loi, monsieur Di Filippo, représente une avancée considérable puisque l’enfant, à sa majorité, pourra retrouver ses origines. C’est cela qui est important. Si sa construction ne lui a pas permis de trouver la sérénité, il pourra rechercher ce qui lui manque à travers cet accès aux origines ; mais quoi qu’il en soit, c’est auprès de son père et de sa mère ou de ses deux mères qu’il se construira, et il pourra le faire fort bien sans forcément avoir grandi dans un couple constitué par un papa et une maman.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Mme la députée Ménard, si j’ai bien compris, considère que l’ouverture de l’AMP à des couples de femmes n’est que la conséquence de la loi relative au mariage pour tous.

Mme Emmanuelle Ménard. Elle en est le prolongement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je ne crois pas que ce soit le cas. Les choix qui ont été faits dans la loi du 17 mai 2013 n’ont aucune incidence sur le choix d’ouvrir l’AMP aux couples de femmes, qu’elles soient du reste mariées ou non.

La loi de 2013 concernait le mariage et l’adoption ; il n’y avait dedans aucun élément sur l’AMP. Aujourd’hui, c’est un choix différent qui vous est proposé et qui, d’une certaine manière, n’a rien à voir avec ce que le législateur a choisi de faire dans la loi sur le mariage pour tous.

La deuxième observation porte sur la question de la responsabilité. M. Patrick Hetzel se demande si les enfants nés d’un couple de femmes pourraient attaquer leurs mères ou l’État pour avoir été privé de père dès le départ. Cela me semble extrêmement difficile, sinon impossible : il faudrait qu’une faute et un préjudice aient été commis ; or les mères agiront précisément dans le respect de la loi qui, nous l’espérons, sera adoptée. Par ailleurs, je ne vois pas très bien en quoi le fait d’être élevé par deux femmes pourrait constituer un préjudice. En l’occurrence, la question de la responsabilité n’est pas pertinente.

M. Patrick Hetzel. Le professeur Drago a rappelé que la cour d’appel de Metz, en 2016, avait estimé à 25 000 euros le préjudice moral subit par un enfant privé de son père parce que celui-ci avait été écrasé alors que sa mère était enceinte. Ce préjudice a été confirmé par la Cour de cassation et peut donc faire jurisprudence, mais c’est sans doute un débat de juristes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Vous voyez bien que les deux situations sont totalement différentes : dans un cas, l’enfant a effectivement été indemnisé de la perte de son père ; dans celui qui nous occupe, le postulat de départ est totalement différent.

La commission rejette l’amendement n° 1024.

La commission est saisie de l’amendement n° 1026 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. En théorie, il ne devrait pas être nécessaire d’introduire la précision que je propose par cet amendement. Pourtant, à la lumière d’un projet de loi qui veut priver délibérément un enfant de son père, il convient de rappeler que notre droit doit se soumettre aux principes juridiques qui découlent de la hiérarchie des normes, notamment, des textes internationaux et, parmi eux, la convention internationale des droits de l’enfant.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’intervention de M. Martin qui nous enjoint, et j’en suis bien d’accord, de prendre en compte la douleur de ces femmes obligées de se rendre à l’étranger pour effectuer une AMP. J’aimerais qu’à leur douleur on associe celle des enfants qui, eux, grandiront sans père.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre demande est satisfaite puisque l’accès à l’AMP fait l’objet d’un accompagnement spécifié à l’article L. 2141-10 modifié par le présent article 1er, et qui reconnaît les droits de l’enfant – y compris un droit supplémentaire important, celui de l’accès aux origines – de même que la motivation du couple, l’information sur les possibilités de réussite et d’échec, les règles relatives au consentement, etc.

S’agissant du rôle du père, soyons très clairs entre nous : le géniteur n’est en rien un père. Plutôt que d’ajouter des arguments juridiques à ceux qui ont été donnés par Mme la ministre ou Mme Coralie Dubost, je rappellerai la célèbre phrase que Marcel Pagnol fait dire à César, dans sa trilogie marseillaise : le vrai père, c’est celui qui aime, celui qui pourvoit aux besoins de l’enfant, qui assure son éducation. N’appelons donc pas « père » ou « père biologique » le géniteur : il est celui qui a fait don de ses gamètes, mais il n’a rien à voir avec un père. Ne confondons pas les deux !

Mme Annie Genevard. Monsieur le rapporteur, notre débat sur le père, la place qu’il doit avoir, les conséquences de son absence, est tout à la fois fondamental et légitime.

Lors des auditions, j’ai été frappée de découvrir qu’il y avait trois absents.

Le père tout d’abord. Selon moi, nous ne nous sommes pas suffisamment interrogés sur les conséquences de l’absence de père dans la filiation alors qu’il en est complètement effacé, les mères devenant les seuls parents.

L’enfant, ensuite, dont nous n’avons pas assez parlé — nous reviendrons dans nos discussions sur les études qui ont été menées et sur leur fiabilité.

La biologie enfin. J’ai été frappée du discours anti-biologie de nos collègues favorables à ce texte, comme s’il y avait une sorte d’indécence à en parler. Nous ne pouvons tout de même pas effacer la dimension sexuée et biologique de la filiation au motif que nous ouvrons des droits aux couples de femmes ! C’est pourquoi nous reviendrons sur cette question lorsque nous examinerons la suppression du titre VII bis au profit du nouveau dispositif que Mme la garde des Sceaux nous a présenté hier. Elle nous a assuré qu’il était léger, qu’il effleurait à peine ce titre ; à ceci près que même la femme qui a accouché, dans un couple de femmes, n’a pas un statut différent alors que, par nature, c’est elle la mère ; or elle n’est donc plus reconnue en tant que telle et se voit placée exactement au même rang que sa conjointe.

M. Alexis Corbière. Mme Ménard a évoqué la douleur des enfants sans père. C’est un vaste débat, mais je crains qu’en défendant un tel état d’esprit on n’en vienne à supprimer toute une série de droits. Imaginons une femme qui choisit de donner naissance à un enfant malgré ses relations orageuses avec un homme. Cela devrait-il devenir illégal ? On met là le doigt dans une spirale extrêmement dangereuse. On peut aussi évoquer la douleur des enfants qui n’ont jamais souhaité avoir tels ou tels parents, sans doute bien plus vive que celle pouvant naître après l’union aimante de deux personnes choisissant d’avoir un enfant. N’allons donc pas sur ce terrain glissant, surtout lorsqu’il s’agit de légiférer !

Il me semble que l’on multiplie les arguments d’autorité alors que, à ma connaissance, rien n’atteste qu’il puisse exister une telle douleur de l’enfant dans un couple de femmes homosexuelles. On peut le marteler pendant toute la nuit mais, en l’état, toutes les études démontrent, et c’est tant mieux – ou tant pis pour ceux que cela indispose – que tel n’est pas le cas.

Mme Agnès Thill. Le problème de cette absence du père mérite que l’on s’y attarde quelques instants.

Études ou non, des spécialistes font état de cette douleur et ma vie professionnelle en atteste également. Si, comme il semble, un enfant peut sans problème naître et grandir sans père, est-ce à dire que celui-ci, dont j’ai bien compris qu’il n’était pas indispensable, ne serait même pas utile ? Dans ce cas, c’est cette société-là dont je ne veux pas, une société qui dit que l’autre n’est pas nécessaire. Est-on en train de fabriquer une société dans laquelle la moitié de l’humanité – en l’occurrence, les hommes – serait exclue sans que cela ne soulève aucun problème ? Cette société-là, je n’en veux pas !

M. Hervé Saulignac. Les débats seront longs et l’on ne manquera pas d’user de certains arguments parfois un peu tirés par les cheveux… On peut toujours évoquer la douleur des enfants sans père, quand bien même elle me semble tout à fait contestable et très largement contestée. On peut aussi se pencher sur la douleur des enfants sans amour et sans soin, qui n’est pas l’apanage des seuls couples hétérosexuels ou homosexuels.

Je suis convaincu que l’ouverture de l’AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes ne revient pas à exposer mécaniquement les enfants à un risque de manque d’amour et de soin. En aucun cas. Une telle ouverture permet de répondre à un désir d’enfant à travers un droit nouveau.

L’argument consistant à dire que, sans père, un élément essentiel manquerait à l’épanouissement d’un enfant est fallacieux.

M. Didier Martin. Comment vit-on sans père ? Seuls ceux qui en ont fait l’expérience pourraient en parler.

L’amendement proposé est inutile, à moins d’admettre qu’il faudrait interdire à des femmes de quitter le territoire pour bénéficier d’une AMP. Si l’absence de père est une douleur pour l’enfant, il faudrait à tout prix l’éviter. Voulez-vous aller jusque-là avec ce genre d’argument ? Par ailleurs, les droits de l’enfant auxquels se réfère cet amendement sont universels. Pourquoi évoquer ces droits pour l’AMP et pas pour d’autres questions concernant les enfants en général ? Cet amendement me semble totalement superfétatoire.

M. Thibault Bazin. Pourquoi en parler ? Je m’adresse au rapporteur et aux ministres : parce que l’on crée un droit et qu’il faut vérifier que les conditions sont réunies pour préserver l’intérêt de l’enfant. Ce point est tout de même essentiel.

J’établis un lien avec le débat sur la filiation. Pourquoi cette ouverture de droits aux couples de femmes et aux femmes seules ? Tel était, certes, le projet d’Emmanuel Macron qui déclarait d’ailleurs dans un tweet en février 2017 que la non-ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules était « une discrimination intolérable » – on sent bien que la question discriminatoire peut recouvrir une confusion politico-juridique sur l’égalité.

Mais un couple d’hommes pourrait fort bien revendiquer un même droit sur ce fondement de la filiation à partir d’un « don d’amour », comme vous l’avez dit, afin de répondre à sa souffrance, à son désir d’accueillir un enfant ! Vous avez évoqué le parcours de ces femmes contraintes de se rendre à l’étranger, mais quid du parcours de ces hommes ? Et sitôt que l’on file le raisonnement, on se retrouve à aller vers la GPA. Nous voyons bien qu’il ne s’agit pas de réformer nos lois de bioéthique stricto sensu. N’aurait-il pas été plus pertinent, mesdames les ministres, de réformer le droit de la filiation ?

M. Raphaël Gérard. Ce débat est très intéressant mais j’ai le sentiment que l’on aborde ce sujet comme s’il était complètement abstrait.

Comme M. Dharréville l’a rappelé fort justement, ces familles existent. Les familles homoparentales n’ont pas attendu la loi de 2013 pour exister ! Il y en a toujours eu et il ne s’agit pas d’inventer un nouveau modèle familial : il faut simplement intégrer ces dernières dans la société.

M. Martin l’a dit : aujourd’hui, ces couples de femmes ou ces femmes seules qui souhaitent recourir à une AMP doivent dépenser des sommes importantes à l’étranger, dans des pays où ces grands principes fondateurs que sont l’indisponibilité du corps et la non-marchandisation du matériel génétique ne sont pas toujours appliqués aussi rigoureusement que chez nous.

Arrêtons de faire comme si ces familles n’existaient pas, intégrons-les ! En ouvrant cette technique aux couples de femmes et aux femmes seules, nous réglerons cette question de la marchandisation du corps à l’étranger.

M. Xavier Breton. Nous sommes d’accord : il existe déjà des couples de femmes qui ont des enfants, en adoptent, en élèvent. Le problème est de savoir si l’on utilise le mot « mère » ou « maman » pour les deux et si l’on supprime les mots « père » et « papa ».

Nous parlons certes de l’amour, mais je me souviens très bien de ce pédopsychiatre qui expliquait, à la fin de son audition, que les enfants n’ont pas besoin d’amour mais de parents. L’amour, ça va, ça vient, si j’ose dire, chacun d’entre nous est bien placé pour le savoir (Sourires), c’est très aléatoire… Or le droit n’est pas le baromètre de l’amour : il vise à objectiver les choses pour définir, en l’occurrence, une relation entre un enfant et des adultes à travers le lien de la filiation.

Comment utilise-t-on les mots « père » et « mère » dans notre droit ? Dès lors que l’on dit à un enfant qu’il a deux mères, à égalité, on évacue la dimension corporelle de la grossesse et de l’accouchement, on met de côté cette réalité du corps qui, d’une certaine manière, rattrape l’enfant lors de sa construction.

Encore une fois, il ne s’agit pas de discuter de modes de vie, mais de savoir si, dans notre droit de la filiation, les mots « père » et « mère » ont encore un sens ou non.

M. Guillaume Chiche. On entend beaucoup parler du père, mais peut-être faut-il s’interroger sur ce qu’est un donneur, et rappeler qu’à aucun moment, ceux qui font un don de gamètes ne prétendent au statut de père. Du reste, la loi les en préserve : on ne peut ni engager leur responsabilité parentale ni établir une filiation entre le donneur de gamètes et l’enfant né de ce don. J’ajoute qu’il serait particulièrement dangereux de proposer une évolution en ce sens, dans la mesure où cela percuterait de plein fouet nombre de familles hétérosexuelles qui ont recouru à une aide médicale à la procréation avec tiers donneur – pour rappel, 24 000 enfants naissent chaque année d’une AMP. Certes, pour une partie seulement d’entre eux, les parents ont eu recours à un tiers donneur, mais ils existent et sont bien réels. Or, il serait absolument faux d’affirmer que le donneur est le véritable père de ces enfants ; c’est bien un géniteur.

M. Thibault Bazin et Mme Emmanuelle Ménard. Ce n’est pas ce qui a été dit : vous caricaturez !

M. Guillaume Chiche. Je ne cherche pas à caricaturer, je m’efforce de comprendre vos arguments et d’y répondre.

À vous entendre, on retirerait son père à un enfant. Or, dans un parcours d’AMP, une femme – demain, seule ou en couple avec une autre femme ; aujourd’hui, en couple avec un homme – qui a le désir de fonder une famille recourt à un don pour enfanter et aller au bout de son projet parental. À aucun moment, n’intervient un père que l’on escamoterait.

Mme Annie Genevard. Monsieur Chiche, nous nous sommes, me semble-t-il, mal compris. Nous ne prétendons pas que le donneur a vocation à être le père ou la légitimité pour l’être. Nous nous interrogeons simplement sur le rôle de la paternité dans la construction d’un enfant. À cet égard, permettez-moi de citer les propos lumineux de Mme Sylviane Agacinski : « Il n’y a pas d’équivalence ni de similitude de condition entre les sexes et entre les couples. La maternité et la paternité représentent des situations asymétriques et, si les mots ont encore un sens, une mère n’est pas l’équivalent féminin d’un père. » On ne saurait dire les choses plus clairement.

Par ailleurs, je souhaiterais répondre à ceux qui estiment que cette loi serait justifiée par le fait que des cohortes de femmes se rendent à l’étranger, mettent leur santé en péril et dépensent des sommes très importantes pour réaliser un projet familial. Sur ce point, une expertise montre que les chiffres ne sont pas stabilisés et qu’en tout état de cause, ils ne correspondent pas à ceux qui figurent dans l’étude d’impact. À vous entendre, il faudrait légiférer pour répondre à une situation de première urgence. Commençons par examiner attentivement les choses afin de connaître notamment le nombre des femmes concernées. Faut-il rappeler que nous nous apprêtons à opérer un changement dont certaines des personnes que nous avons auditionnées, qui sont pourtant de véritables thuriféraires du texte, ont qualifié de fondamental, en évoquant un changement de civilisation. Le nombre des couples concernés est-il si conséquent qu’il justifie que nous modifiions à ce point le droit de la filiation ?

M. Jacques Marilossian. Ne faisons pas l’autruche : nous savons que des femmes franchissent la frontière pour recourir à l’AMP à l’étranger. Il y a quelques années, Mme Simone Veil, constatant que 300 000 avortements étaient pratiqués chaque année, avait estimé qu’il fallait arrêter de nier ce fait et définir un cadre.

Certes, un père est nécessaire à la construction d’un enfant, mais c’est un idéal. Lorsque mes parents ont divorcé, dans les années 1960, seulement un pour mille des enfants se trouvait dans ma situation. Aujourd’hui, ils représentent la moitié de la classe de mes propres enfants, au lycée. Dans les années 1960, je ne me sentais pas normal ; ce n’est plus le cas aujourd’hui d’un enfant de divorcés. Pourquoi ? Parce qu’un enfant passe plus de temps à l’école que dans sa famille : c’est donc là qu’il construit son modèle de société. Demain, lorsque des enfants ayant deux mamans ne seront plus les seuls à se trouver dans cette situation, ils ne se sentiront pas anormaux. C’est cela qui importe ! La construction de l’enfant se fait bien entendu dans sa famille – et s’il y a de l’amour, c’est largement suffisant –, mais aussi, du point de vue de son identité et de son rôle social, dans la société, à commencer par l’école. Le plus important, c’est qu’il ne se sente pas différent des autres, exclu, anormal, parce qu’il serait le seul de sa classe à avoir deux mamans.

Arrêtons de nous voiler la face : des couples de femmes ont recours à l’AMP à l’étranger, il faudra bien leur donner une place en France !

La commission rejette l’amendement n° 1026.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 2057 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. La problématique de l’ouverture de l’AMP n’est évidemment pas liée, à mon sens, à l’orientation sexuelle des familles. Dès lors que l’on fonde le projet familial sur la seule volonté d’un projet parental
– aujourd’hui, celui d’un couple hétérosexuel, demain celui d’un couple de femmes ou d’une femme seule – et que l’on réduit l’AMP à un instrument permettant de faire droit à ce projet, on ouvre un champ qui relève de l’éthique. En effet, qu’est-ce qui empêchera, demain, de recourir à cet instrument médical pour réaliser un projet parental à plus de deux ? Pourquoi refuserions-nous à trois personnes, quel que soit leur genre, de développer un tel projet fondé sur l’amour d’un enfant à naître ? Demain, il n’y aura plus de barrières juridiques et éthiques à opposer à ce type de demandes.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement s’inscrit dans la lignée des précédents : il s’oppose au progrès de la loi. Nous y sommes donc bien entendu défavorables.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques n° 3 de M. Xavier Breton, n° 191 de M. Patrick Hetzel et n° 541 de Mme Annie Genevard, ainsi que les amendements n° 629 de M. Thibault Bazin, n° 1034 de Mme Émilie Bonnivard, n° 1045 de M. Philippe Gosselin, n° 1579 de M. Bruno Fuchs et n° 1772 de M. Raphaël Gérard.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 3 vise à maintenir la rédaction actuelle de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique en soumettant le recours à l’AMP à la condition d’une infertilité médicalement constatée.

À ce propos, je souhaiterais savoir, madame la ministre de la santé, si une étude d’impact a été réalisée sur les conséquences de la suppression du critère de l’infertilité pour les couples femme-homme. Combien d’entre eux vont demander à y avoir accès ? Rappelons-nous les auditions réalisées par la mission d’information que je présidais et dont M. Jean-Louis Touraine était le rapporteur : ni le président du Comité consultatif national d’éthique ni le Défenseur des droits n’étaient favorables à la suppression de ce critère pour les couples hétérosexuels. A-t-on bien mesuré toutes les conséquences d’une telle mesure ?

M. Patrick Hetzel. Lors de son audition, la semaine dernière, le professeur Lévy‑Soussan nous a alertés sur le fait qu’une AMP sans père avait un certain nombre d’incidences. Ce faisant, il s’appuyait sur un certain nombre d’études qui montrent que l’adoption d’enfants par un seul parent crée des difficultés liées à l’absence d’un des deux parents. Les éléments dont nous disposons ne nous permettant pas d’écarter tout risque pour l’enfant, nous estimons que le principe de précaution devrait s’appliquer. Tel est l’objet de l’amendement n° 191.

Mme Annie Genevard. Par l’amendement n° 541, nous proposons de maintenir les conditions actuellement exigées pour le recours à l’AMP.

Lorsque je vous entends, mesdames les ministres, j’avoue ma perplexité. L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes n’est pas un sujet médical ; en effet, comme l’a dit Mme Aurore Bergé, ce dispositif est, de ce point de vue, connu et éprouvé. Ce n’est pas non plus, avez‑vous dit, madame la ministre de la santé, un sujet éthique – ce qui est étonnant, puisque nous examinons un projet de loi de bioéthique – ni une question d’égalité des droits. Je souhaiterais donc vous poser une question simple : qu’est-ce que l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes ? Jusqu’à présent, vous l’avez défini par ce qu’elle n’est pas…

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 629 a un objet similaire. Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué tout à l’heure qu’il ne fallait pas oublier pas le rôle de l’équipe médicale. Il s’agit, en effet, d’une question de fond. Que demandons-nous à la santé publique, dans un contexte – vous le savez, madame la ministre de la santé – très tendu, si tendu que certains assurés sociaux pourraient ne pas comprendre que l’assurance maladie soit sollicitée. Aussi, je souhaiterais vous interroger sur trois points liés aux effets de la suppression du but thérapeutique de l’assistance médicale à la procréation.

Tout d’abord, qu’en est-il de la médecine, dont les moyens humains et financiers ne sont pas extensibles et qui peine déjà à faire face aux défis qu’elle a à relever ?

Ensuite, que deviendra la relation entre patient et médecin si, les moyens n’étant plus concentrés sur la réponse aux situations pathologiques, celui-ci est contraint d’arbitrer entre différentes situations ? La gestion, on l’a bien compris, se fera au fil de l’eau, mais les délais vont s’allonger et les couples, homosexuels comme hétérosexuels, pourraient nourrir une certaine suspicion et se considérer comme discriminés. Cette frustration croissante peut créer des tensions dans notre société.

Enfin, si, faute de critère objectif, la médecine ne procède plus qu’à une évaluation subjective de la souffrance des personnes désireuses d’accueillir un enfant, sans pour autant souffrir d’une pathologie les en empêchant, ne risque-t-on pas de créer des injustices ? L’éthique de la vulnérabilité n’impose-t-elle pas de traiter d’abord ceux qui présentent une pathologie ?

L’amendement n° 1034 est défendu.

M. Philippe Gosselin. Pour défendre l’amendement n° 1045, je ne reviendrai pas sur le droit à l’enfant ni sur le glissement possible vers la GPA et l’atteinte aux principes de dignité et d’indisponibilité, qui ont déjà été évoqués. Je souhaite plutôt vous interroger, madame la ministre de la santé, sur des points très concrets. À combien estimez-vous le nombre des nouvelles demandes, une fois supprimé le critère de l’infertilité ? Comment envisagez-vous la progression à laquelle nous assisterons certainement dans les années à venir ? Comment comptez-vous créer de nouveaux centres d’AMP pour répondre à cette demande ? Dans mon département de la Manche, le centre d’AMP de Cherbourg est en cours de fermeture faute d’un nombre suffisant de praticiens. Par ailleurs, puisqu’il n’y aura plus de critère objectif lié à l’infertilité, comment comptez-vous organiser, si je puis me permettre cette expression, la réalisation des AMP ? Comment permettre aux personnes vivant en milieu rural d’y avoir accès et éviter qu’elle ne soit réservée à une catégorie particulière de nos concitoyens ? Bref, le ministère de la santé a-t-il anticipé cette évolution et comment compte-t-il y faire face alors que, par ailleurs, l’absence de moyens lui pose déjà bien des difficultés ?

M. Bruno Fuchs. Sur la forme, je ne suis pas certain que l’amendement n° 1579 doive être discuté à ce moment du débat. Il me paraît en effet plus proche de l’amendement n° 1787 de M. Gérard que de ceux que nous venons d’examiner.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous propose néanmoins de le défendre maintenant, car il fait partie de la discussion commune.

M. Bruno Fuchs. Par cet amendement, nous proposons qu’outre les couples formés d’un homme et d’une femme ou de deux femmes, toute femme seule, et non « toute femme non mariée », comme le prévoit le projet de loi, puisse avoir accès à l’AMP. De fait, si l’on s’en tient à la rédaction actuelle du projet de loi, une femme qui est en couple sans être mariée pourrait recourir à l’AMP sans l’autorisation de son conjoint ou de son concubin.

Mais, je le répète, cet amendement ne me semble pas avoir sa place dans cette discussion commune.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. En l’espèce, la discussion commune regroupe les amendements portant sur l’alinéa 3.

M. Raphaël Gérard. Je m’étonne également que mon amendement n° 1772 soit examiné dans le cadre de cette discussion commune, dans la mesure où il prend le contre-pied de ceux qui viennent d’être défendus par nos collègues Les Républicains.

Quoi qu’il en soit, il tend à inscrire dans la définition même de l’AMP la notion de projet parental. Dans la pratique, la procréation médicalement assistée, qu’elle vise à remédier à l’infertilité ou pas, a toujours pour objet de répondre à un projet parental. Par ailleurs, le recours à l’AMP avec tiers donneur ne répond pas à un objectif thérapeutique puisque cette technique médicale ne permet pas de soigner l’infertilité de l’homme ou de la femme stérile. En revanche, elle permet, grâce au don de gamètes d’un tiers, de réaliser un projet parental.

En 2011, le législateur avait estimé que la formulation antérieure de la loi présentait l’inconvénient de faire de la demande parentale l’élément essentiel du recours à l’assistance médicale à la procréation. Cette notion avait alors été retirée du texte pour renforcer la dimension médicale, qui est aujourd’hui la source de la confusion qui caractérise nos débats sur la visée thérapeutique de l’AMP.

L’extension de celle-ci aux couples de femmes et aux femmes seules cisgenres consacre sa finalité, qui est de permettre à toute personne susceptible de pouvoir porter un enfant de recourir au don d’engendrement d’un tiers pour réaliser son projet parental.

Dès lors, il me paraît opportun de consacrer la notion de projet parental en la faisant figurer dans la définition même de l’AMP, puisqu’elle apparaît déjà par ailleurs dans les articles L. 2141-3 et L. 2141-4 du code de la santé publique. On répondrait ainsi à l’argument selon lequel il s’agirait de reconnaître un droit à l’enfant. Tel n’est pas l’objet de ce texte : il s’agit bien d’accompagner et d’encadrer un projet parental.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il convient de séparer ces amendements en deux groupes. Le premier comprend les amendements identiques et les amendements n° 629, n° 1034 et n° 1045, qui visent à remettre en cause le principe même du projet de loi en refusant toute extension de l’AMP à d’autres personnes que les couples hétérosexuels infertiles ou susceptibles de transmettre une maladie à l’enfant. Bien entendu, nous sommes défavorables à ces amendements puisque l’objet du texte est précisément de l’étendre aux couples de femmes homosexuelles et aux femmes seules.

Mme la ministre de la santé répondra aux questions qui lui ont été posées. Pour ma part, j’indiquerai que le nombre total de procréations médicalement assistées, quelle que soit la technique utilisée – insémination artificielle, fécondation in vitro… –, effectuées en France pour des couples hétérosexuels était, en 2016, de 24 609, dont beaucoup moins de la moitié avec un tiers donneur. Le nombre de femmes en couple ou de femmes seules qui recourraient à l’AMP ne peut pas être précisément évalué, mais il serait de l’ordre de 2 000 à 3 000, sachant que – c’est la seule donnée précise dont nous disposons pour l’instant – 760 femmes françaises se rendent chaque année en Belgique pour y effectuer une AMP. D’autres se rendent en Espagne ou ailleurs. Pour la plupart d’entre elles, la préparation à l’AMP se fait en France.

Quant aux amendements n° 1579 et n° 1772, j’y suis favorable, mais je demanderai à leurs auteurs de bien vouloir les retirer car nous examinerons ultérieurement l’amendement n° 2233, qui est dans la même veine, puisqu’il porte sur l’accompagnement de l’AMP, notamment sa dimension médicale et psychologique, et vise à l’étendre à l’ensemble des couples pouvant le solliciter. Je ne vous propose donc pas un retrait définitif de vos amendements, mais je souhaite que nous en différions l’examen pour pouvoir étudier globalement cette possible amélioration du texte.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vais répondre à quelques-unes des questions qui m’ont été posées.

Monsieur Breton, vous m’interrogez sur l’impact qu’aurait sur les couples hétérosexuels la suppression du critère de l’infertilité. Ce questionnement peut se comprendre au plan théorique, mais la lourdeur d’une démarche d’AMP est telle que je ne vois pas très bien quel couple hétérosexuel pourrait choisir d’enfanter grâce à cette technique, qui nécessite un investissement personnel et des traitements importants. Je ne crois donc pas que ce mode de procréation devienne naturel, si telle est votre crainte. En tout état de cause, il faut faire confiance à la prise en charge pluridisciplinaire des familles qui expriment leur désir de parentalité. Les entretiens doivent permettre de faire les choix les plus adaptés à la situation de chaque personne. Encore une fois, si un couple est capable d’avoir un enfant par voie naturelle, je ne vois pas ce qui le motiverait à entreprendre une démarche d’AMP.

Madame Genevard, peut-être ai-je fait un raccourci. Je voulais dire, non que l’extension de l’AMP n’était pas un sujet éthique – il s’agit à l’évidence d’une question bioéthique –, mais qu’elle ne posait pas de problème au regard de nos valeurs éthiques fondamentales.

Monsieur Bazin et monsieur Gosselin, vous m’interrogez sur notre capacité à assurer la montée en charge du dispositif afin de répondre à l’accroissement des demandes qui ne manquera pas de se produire. L’étude d’impact porte sur 2 000 couples supplémentaires par an, ce qui représente un effort supplémentaire de 10 millions à 15 millions d’euros. Nous avons considéré que cette somme, rapportée aux 300 millions d’euros du budget actuel de l’AMP, représentait un effort soutenable. Nous allons par ailleurs renforcer notamment les capacités humaines des centres d’AMP afin qu’ils puissent prendre en charge ces nouveaux couples.

Monsieur Bazin, vous avez également indiqué que nous allions prendre en compte une souffrance subjective. Mais tel est déjà le cas : la Sécurité sociale rembourse actuellement des interventions de chirurgie réparatrice et esthétique sur le fondement d’une souffrance subjective. Un nez trop grand, par exemple, peut avoir un impact sur la vie personnelle de la personne concernée. La souffrance subjective est donc bien intégrée à la conception que nous avons du bien-être. En effet, je le rappelle, la santé correspond, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au bien-être psychique et physique. Ce type d’intervention est ainsi pris en compte dans les dépenses d’assurance maladie. Une telle mesure n’est donc pas en contradiction avec notre droit et avec la façon dont nous envisageons les dépenses d’assurance maladie.

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, vous ne comprenez pas, dites‑vous, pourquoi des couples hétéros non stériles auraient recours demain à l’AMP et éviteraient ainsi la couette… (Sourires.)

M. Erwan Balanant. La couette, ou ailleurs !

M. Thibault Bazin. Pourtant, hier, vous avez évoqué les risques que comporte la recherche d’un enfant « parfait ». Or on sait que l’AMP permet d’établir des diagnostics potentiellement un peu plus poussés. Certes, nous aurons ce débat lorsque nous examinerons un autre article du projet de loi, mais nous savons que certains ont la volonté d’aller plus loin. Vous avez été claire sur ce point et j’espère que vous tiendrez cette digue. Néanmoins, nous ne pouvons pas discuter cet article sans évoquer ceux qui en découlent. Il y a là, de fait, un véritable risque qu’il faudrait peut-être encadrer davantage sur le plan légistique.

M. Xavier Breton. Je m’étonne que cette question n’ait fait l’objet d’aucune étude d’impact. On sait en effet qu’il est possible, dans le cadre des techniques d’assistance médicale à la procréation, de sélectionner les gamètes. Certes, on nous répondra qu’une telle sélection n’est pas autorisée aujourd’hui. Mais, puisqu’elle l’est à l’étranger, avec des banques de gamètes telles que Cryos, le jour viendra où l’on nous dira qu’il faut l’autoriser en France pour que ces chers Français ne soient pas obligés de se rendre à l’étranger. Il existe donc un véritable risque d’aller vers des bébés sur mesure. Or, cette possibilité pourrait « tenter » tous les couples, y compris les couples femme-homme. C’est pourquoi l’absence d’étude de l’impact de la suppression du critère d’infertilité me semble totalement irresponsable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Breton, je n’ai pas utilisé l’argument selon lequel il faut légaliser une pratique en France au motif qu’elle existe ailleurs. Précisément, les lois de bioéthique fixent des interdits au regard de notre culture et de nos valeurs éthiques fondamentales. Ainsi le choix des gamètes n’est en aucun cas permis par la loi française, et il ne le sera pas davantage demain. C’est la raison pour laquelle nous restons attentifs à l’anonymat du don, qui participe de la même logique.

Nous discutons, dans le cadre de ce projet de loi, de tout ce qui est possible, notamment de beaucoup de choses qui se font ailleurs. L’objet du texte est de définir collectivement ce que nous ne souhaitons pas en France. L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules, nous la proposons, non pas parce qu’elle se fait ailleurs, mais parce qu’elle ne remet pas en cause nos valeurs éthiques fondamentales.

M. Philippe Gosselin. N’oublions pas qu’au-delà de l’égalité – je ne reviendrai pas sur le point de savoir s’il s’agit d’une loi d’éthique ou d’une loi d’égalité : nous nous sommes un peu emmêlé les pinceaux sur ce sujet lors de l’audition d’hier soir –, une partie des arguments avancés pour défendre l’extension de l’AMP est fondée sur le fait qu’il n’est pas normal que des femmes se rendent en Belgique ou en Espagne. On voit bien qu’une sorte de forum shopping, de dumping éthique, est tout à fait possible. De fait, l’un des arguments qui reviennent régulièrement, dans les propos de la majorité notamment, consiste à dire que nous ne pouvons pas créer des barrières aisément franchissables. On l’a vu hier à propos de la recherche des origines : celle-ci est interdite en France, mais il suffit d’un clic pour commander sur internet un test venant des États-Unis. Les digues que vous tentez de construire – et je veux bien accepter votre bonne foi – sont faites de sable et ne peuvent pas tenir. Si nous ne sommes pas clairs, dès le départ, sur les objectifs et les arguments, ils ne pourront donc que s’écrouler.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Fuchs, retirez‑vous l’amendement n° 1579 ?

M. Bruno Fuchs. Nous examinons le troisième alinéa de l’article 1er et je ne voudrais pas que le texte débute par une formulation imprécise qui favorise la confusion. Je souhaiterais donc que nous en débattions, à un moment ou à un autre.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Si vous le maintenez, je rappelle que le rapporteur est favorable à son retrait.

M. Bruno Fuchs. Je n’ai pas de raison de le retirer, car je pense que le texte est imprécis. Discutons-en !

M. Raphaël Gérard. Je retire mon amendement n° 1772 au profit de l’amendement n° 2233 du rapporteur.

L’amendement n° 1772 est retiré.

La commission rejette les amendements identiques  3,  191 et  541, puis, successivement, les amendements  629,  1034,  1045 et  1579.

Puis elle est saisie de l’amendement  1104 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Hier, Mme la garde des Sceaux a indiqué qu’il n’existait pas de définition juridique du couple et de l’union libre : ne sont reconnus par le droit que le mariage, le Pacs et le concubinage. Il me paraît donc important de préciser que l’AMP est ouverte aux couples mariés, pacsés ou prouvant une vie commune d’au moins deux ans.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous sommes nombreux à nous être posé la question à la première lecture du texte. Il nous semblait, par exemple, que l’expression « femme seule » était plus appropriée. Mais, pour des raisons juridiques qu’a expliquées Mme la garde des Sceaux, il est important de prendre en compte les conséquences, notamment en matière de filiation, des termes choisis. Si une femme est mariée, son mari est présumé être le père : la paternité lui sera attribuée. Nous sommes donc tenus de nous rapprocher du droit actuel. Il faut s’assurer que l’enfant sera protégé. Des précisions vous seront peut-être données par Mme la garde des Sceaux. En tout état de cause, mieux vaut nous en tenir à l’expression « femme non mariée », même si, pour la compréhension du texte, l’expression « femme seule » nous semblait plus appropriée. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je ne peux que répéter ce que j’ai dit hier soir. Dans la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel tout comme dans les tables du code civil, le mot « couple » renvoie aux trois formes juridiques suivantes : le mariage, le Pacs ou le concubinage. Il me paraît donc superfétatoire de le préciser dans le texte.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine les amendements identiques  4 de M. Xavier Breton, n° 192 de M. Patrick Hetzel, n° 542 de Mme Annie Genevard, n° 630 de M. Thibault Bazin et n° 1141 de M. Jérôme Nury.

M. Xavier Breton. Mon amendement n° 4 propose de supprimer, à l’alinéa 3, les mots « ou de deux femmes ou toute femme non mariée », afin de réserver l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de personnes de sexe différent.

Nos collègues Aurore Bergé et Guillaume Chiche ont exposé leur vision du texte, qui consisterait, en étendant l’accès à l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes, à établir une égalité entre les femmes. Mais dans notre droit – et c’est à eux que fait référence l’article L. 2141-2 du code de santé publique –, ce sont les couples qui ont accès à cette technique. En présentant ce texte comme une façon d’établir l’égalité des droits entre les femmes – ce qui va à l’encontre des propos de Mme la ministre –, on en vient à nier la notion de couple et à évincer les hommes de ces techniques.

Il faut en revenir à ce que prévoit la loi actuelle – l’assistance médicale à la procréation est ouverte aux couples constitués d’une femme et d’un homme – et ne pas réduire ce texte à la seule question de l’accès des femmes, et seulement des femmes, à ce droit.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement n° 192 a le même objet. S’agissant de l’accès des femmes seules à l’assistance médicale à la procréation, il est important de considérer la situation de grande précarité dans laquelle elles peuvent se trouver, ainsi que le montrent des études récentes. Il est paradoxal que la majorité, faisant fort légitimement état de sa sensibilité à ces questions, évoque des situations subies dans un cas, des situations choisies dans un autre : elle entre ainsi dans une logique de discrimination sociale. C’est une question que l’on ne peut évacuer et qui mérite toute notre attention.

Il est un autre argument qu’il ne faut pas davantage négliger lorsque l’on évoque l’AMP sans père. En expliquant que la technique ne sert plus à contrer un empêchement de nature médicale, on se place dans une démarche transhumaniste. Lorsque l’on dit que l’on s’efforce d’étendre, grâce à la technologie, les possibilités biologiques actuelles, on ne franchit pas seulement une frontière ; ipso facto, le verrou se trouve levé. Lisez la déclaration transhumaniste, et vous verrez qu’il existe une quasi-correspondance entre son article 4 et l’exposé des motifs du Gouvernement se rapportant à l’article 1er du projet de loi. Il ne faut pas écarter d’un revers de la main cette dimension. Je pense que notre rôle de parlementaires consiste à vous alerter sur ces points.

Mme Annie Genevard. Je souhaite vous renvoyer à l’audition de la professeure Myriam Szejer, qui, sans se montrer hostile au projet de loi, a exprimé de fortes réserves sur la question de l’accès des femmes non mariées à l’AMP. S’appuyant sur son expérience professionnelle, elle a évoqué des états de fragilité chez ces femmes, liés à la culpabilité de ne pas avoir donné de père à leur enfant, le développement possible d’anxiétés et d’attitudes compensatoires, des idéaux éducatifs démesurés, des couples mère-enfant souvent pathologiques et fusionnels. Il me paraît donc important de s’interroger, et c’est le but de mon amendement n° 542. Je le ferai à nouveau en présentant l’amendement n° 543, sur la question des femmes seules souhaitant mener un projet de PMA.

M. Thibault Bazin. Dans un sondage paru le 15 juin 2018, 93 % des Français considéraient qu’un enfant a besoin de son père et de sa mère. Le débat de démocratie participative institué par les états généraux a abouti à la même conclusion, puisque sur le site dédié, l’extension de l’AMP – mais sans doute faut-il désormais parler d’assistance technique à la procréation ? – a recueilli 87 % d’opinions défavorables.

Chers collègues, avons-nous le droit d’imposer demain à un enfant de ne pas avoir de père, après-demain à un enfant de ne pas avoir de mère ? Lorsque l’on recentre la question sur l’enfant, la réponse diffère de celle défendue par la majorité avec ce projet de loi. D’où mon amendement n° 630.

M. Arnaud Viala. Je défends l’amendement n° 1141 de Jérôme Nury, dont je suis cosignataire. Je me demande si nous allons suffisamment au fond des choses, si nous mesurons bien l’enjeu qui consiste à ne plus mettre le progrès scientifique au service d’une vision humaniste de la place de la femme et de l’homme dans la société, mais au service d’une forme de bien-être, centrée sur l’individu, comme vient de le dire Mme la ministre. Ce débat mérite que l’on s’y appesantisse, car selon la façon dont on pose la question, la réponse n’est pas forcément celle que propose le texte.

M. le rapporteur nous a indiqué qu’il était favorable à un amendement concernant le droit à l’enfant, finalement retiré. Cela ne laisse pas d’interroger. Je voudrais que l’on m’explique les conséquences qu’entraînera l’adoption de l’article 1er. Le droit à l’enfant ne peut être limité à une catégorie de citoyens français. Or le texte prévoit de l’étendre à des citoyens qui n’en bénéficient pas pour des raisons d’ordre purement biologique, mais aussi, ainsi que l’a expliqué la garde des Sceaux, d’en exclure définitivement d’autres citoyens. Je voudrais que l’on ait l’honnêteté de dire jusqu’à quand cette situation sera tenable.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable sur ces amendements qui, une fois encore, visent à limiter l’AMP aux seuls couples hétérosexuels présentant une infertilité démontrée ou une pathologie transmissible, puisque leur adoption priverait le texte de son objet.

Je le répète, monsieur Viala, aucun couple, quel qu’il soit, aucune personne ne peut revendiquer un quelconque droit à l’enfant. Ce droit n’existe pas, il ne s’agit donc pas de l’étendre.

Il me semble quelque peu exagéré de parler de « transhumanisme » à propos d’une circonstance où, après qu’un gamète mâle a été associé à un gamète femelle, l’œuf se développe dans un utérus, évidemment féminin. La différence éventuelle tient à l’éducation qui sera assurée, soit par une femme seule, soit par deux femmes, soit par une femme et un homme, mais la conception de cet enfant reste traditionnelle, dans le cadre d’une reproduction qui, si elle n’est plus sexuelle, demeure sexuée.

On ne cesse d’entendre dire que l’enfant n’aura pas de père et que cela aura des conséquences graves. La question est légitime et mérite d’être posée. Nous l’avons abordée, et il se trouve que les sciences humaines démontrent l’inverse. Rappelons à cette occasion qu’il convient de faire la différence entre le genre et la fonction. À l’époque de Sigmund Freud, les images respectives du père et de la mère étaient bien différentes de celles qui s’imposent au XXIe siècle : le père incarnait l’autorité, la mère l’amour. Heureusement, les pères d’aujourd’hui savent témoigner leur amour, et les mères n’attendent plus le retour du père pour infliger les éventuelles punitions à l’enfant ! Ce temps est révolu.

Les arguments de cet ordre me font penser à la remarque d’un ami psychiatre, qui notait que l’absence de père ferait au moins disparaître le complexe d’Œdipe… Vous voyez que l’on peut y répondre par la boutade !

Restons simples : dans la mesure où ces circonstances existent, et qu’elles n’ont pas d’effet dramatique, organisons-les dans la loi.

M. Patrick Hetzel. À partir du moment où l’on peut recourir aux techniques d’assistance à la procréation sans nécessité médicale, on est dans une logique où l’on force les choses : j’y vois les germes du transhumanisme. Et je pense que nous y sommes d’ores et déjà lorsque je lis à l’article 4 de la déclaration transhumaniste : « Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles ». Ce n’est pas du tout anodin.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Mais ces limites ont déjà été dépassées !

M. Erwan Balanant. À ce compte, avaler un cachet d’aspirine, c’est être transhumaniste !

Mme Aurore Bergé. En plus de rappeler la position du groupe La République en Marche, je souhaite revenir sur les arguments avancés pour défendre ces amendements qui ôteraient tout objet à l’article 1er.

Le premier, qui évoque le transhumanisme, vise délibérément à inquiéter les Français, tout comme celui qui consiste à expliquer que l’accès à l’AMP de toutes les femmes entraînera systématiquement l’ouverture de la GPA. Nous avons déjà démontré qu’il s’agissait de situations différentes. Chaque loi relative à la bioéthique permet de s’interroger sur ce que nous souhaitons autoriser, au regard des limites éthiques que nous posons. Or il apparaît clairement que la majorité et le Gouvernement n’ont pas souhaité autoriser la GPA.

Par ailleurs, chers collègues, vous critiquez l’utilisation de techniques médicales pour des raisons autres que biologiques. Il vous faudrait, par souci de cohérence, considérer que vous êtes opposés à l’accès à l’AMP des couples hétérosexuels présentant une infertilité constatée, qu’elle soit ou non d’origine physiologique !

Nous considérons que cette technique médicale est éprouvée, qu’elle s’inscrit dans les limites éthiques que nous souhaitons poser et qu’il ne serait pas légitime de ne pas l’ouvrir aux couples de femmes.

M. Arnaud Viala. Monsieur le rapporteur, vous vous êtes déclaré favorable à un amendement sur la notion de projet parental, très proche de celle du droit à l’enfant. Je réitère donc ma question – sans agiter de chiffon rouge, madame Bergé : si l’on étend le périmètre de nos concitoyens capables de porter un projet parental, comment, à court terme, pourra-t-on continuer d’en exclure une catégorie de Français ?

M. Guillaume Chiche. Oui, monsieur Breton, nous voulons reconnaître à toutes les femmes les mêmes droits, qu’elles soient ou non en couple, et indépendamment de leur orientation sexuelle. Parce que nous refusons de hiérarchiser les familles ou le désir d’enfant, nous ne voulons pas exclure certaines femmes de la possibilité de recourir à une pratique médicale, celle de l’AMP.

Je ne pense pas que la comparaison entre les femmes seules et les familles monoparentales soit pertinente. Dans le cas de ces dernières, le projet parental initial était bien souvent partagé, et ce sont les faits qui les ont amenées à une telle situation, avec le lot de surprises, parfois désagréables, que cela entraîne, notamment au regard des ressources nécessaires pour subvenir aux besoins d’un enfant. Mais dans le cas d’une femme seule qui souhaite recourir à une AMP, le projet parental est appréhendé et anticipé sous tous ses aspects.

Nous avons justifié l’extension de l’AMP à toutes les femmes par le fait qu’un certain nombre d’entre elles choisissaient de se rendre dans un autre pays en courant des risques sanitaires et juridiques, parfois en se surendettant. Il faut ajouter à cela que certaines ont recours à une « PMA sauvage », sans accompagnement médical, en important des gamètes depuis l’étranger ou en usant de techniques artisanales qui les mettent en danger. C’est ce que nous cherchons à corriger avec l’article 1er.

La commission rejette les amendements identiques n° 4, 192, 542, 630, 1141.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements  1102 de M. Cyrille Isaac-Sibille, n° 1977 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe et les amendements identiques n° 5 de M. Xavier Breton, n° 193 de M. Patrick Hetzel et n° 631 de M. Thibault Bazin.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Ce projet de loi interroge les modèles familiaux sur lesquels nous souhaitons construire notre société. Il en existe de toutes sortes. Comme je l’ai rappelé hier, le fa’a’mura, en Polynésie française, autorise un couple à faire don d’un enfant à sa naissance.

Par mon amendement n° 1102, je pose une question : souhaitons-nous déconstruire notre modèle actuel ? Celui-ci repose sur le couple, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, première cellule de solidarité pour la prise en charge éducative et matérielle de l’enfant. En autorisant l’accès à l’AMP aux femmes seules, nous instaurons un nouveau type de famille, la famille uniparentale, nous dirigeant, je le crains, vers une société de plus en plus individualiste. La solidarité qui s’exerce au sein du couple, ainsi que le veut notre modèle, devra alors être prise en charge par l’État ou les collectivités, et non plus par la famille.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je propose, par mon amendement n° 1977, de limiter l’extension de l’AMP aux seuls couples de femmes. Je n’entends pas remettre en cause le désir d’enfant que toute femme peut éprouver, ni porter de jugement sur les différentes situations familiales qui peuvent exister, mais prendre en compte l’intérêt de l’enfant. Je considère en effet que la conception, la naissance d’un enfant est liée à un projet partagé entre deux personnes, ce qui permet une nécessaire altérité et assure la présence d’un tiers dans la relation mère-enfant.

Par ailleurs, le temps disponible et la capacité financière moindres – même si des études nuancent cet aspect – par rapport à ceux d’une famille biparentale, interrogent sur l’opportunité de cette extension. Il convient aussi de noter que l’Autriche et la Norvège ont ouvert l’AMP aux couples de femmes, sans l’étendre aux femmes seules.

Il est régulièrement fait état d’études : je vous invite à les aborder avec prudence tant elles sont peu nombreuses et basées sur des cohortes restreintes. Enfin, l’analogie avec l’adoption ne me paraît pas fondée, puisque la situation d’un enfant qui a besoin d’un foyer n’a rien à voir avec celle d’un enfant qui a été conçu.

M. Xavier Breton. Les auditions ont montré qu’il existait de nombreuses réticences à l’égard de l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules, même chez les spécialistes favorables à l’accès des couples de femmes à ces techniques – je pense notamment à la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval.

Par ailleurs, si les études portant sur les enfants nés dans des couples de femmes existent, et peuvent être sujettes à controverse, aucune ne permet de se déterminer sur ce sujet, ainsi que l’indique très clairement l’avis du CCNE.

Enfin, l’argument selon lequel les personnes célibataires sont autorisées à adopter ne convainc pas, dans la mesure où l’adoption permet de donner des parents à un enfant qui n’en a plus, quand l’assistance médicale à procréation permet de donner un enfant à des parents qui n’en ont pas. Les termes sont inversés et la notion de temps n’est pas la même. D’où mon amendement n° 5, qui propose de ne pas étendre l’AMP aux femmes seules.

M. Patrick Hetzel. Je lirai trois citations à l’appui de mon amendement n° 193. M. Emmanuel Macron, le 10 décembre 2018 : « [C’est la colère de] la mère de famille célibataire, veuve ou divorcée, qui ne vit même plus, qui n’a pas les moyens de faire garder les enfants et d’améliorer ses fins de mois et n’a plus d’espoir. Je les ai vues, ces femmes de courage pour la première fois disant cette détresse sur tant de ronds-points ! » ; M. Édouard Philippe, le 8 mars 2019 : « Il faut déplacer des montagnes quand on élève seule ses enfants. » ; Mme Christelle Dubos, le 4 avril 2019, dans une interview donnée au journal La Croix : « [Toutes les familles monoparentales connaissent] des problèmes similaires : même solitude, même difficulté à articuler travail et vie de famille, etc. » Je peux vous fournir une dizaine de pages de citations de membres du Gouvernement sur le sujet. Il est clair que, dans ce domaine, le principe de précaution doit prévaloir.

M. Thibault Bazin. J’apporterai quelques arguments complémentaires pour défendre mon amendement n° 631. L’ouverture de l’assistance technique à la procréation à toute femme non mariée pose des questions bien spécifiques. Ainsi, le Conseil d’État a considéré « excessif de donner à une personne la puissance extrême d’imposer à une autre l’amputation de la moitié de son ascendance ».

Du point de vue matériel, on sait que les familles monoparentales sont plus précaires et constituent un quart de la population pauvre. Lors des auditions, des députés de la majorité ont fait valoir que les femmes seules souhaitant accéder à l’AMP avaient plutôt les moyens financiers d’élever un enfant – ce qui ne va pas sans poser d’autres questions éthiques et philosophiques – mais existe-t-il une clause qui prémunisse une femme célibataire de perdre son emploi ?

Enfin, ne risque-t-on pas d’introduire une inégalité majeure entre les enfants, certains ayant ab initio un seul parent ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Pour une réflexion aboutie, il est important de réaliser qu’il n’y a rien de comparable entre la situation, subie, d’une femme à la tête d’une famille monoparentale, et celle d’une femme seule qui décide d’entreprendre une démarche en vue d’une AMP.

La décision de ces femmes obéit à des raisons diverses : certaines veulent rester seules et avoir une famille, d’autres n’ont pas encore trouvé le compagnon avec qui elles feront leur vie, mais se savent à l’âge où elles seront bientôt inaptes à procréer. D’autres encore choisiront de conserver leurs ovocytes, ainsi que la loi les y autorisera.

Il s’agit généralement de femmes qui ne sont pas du tout en situation de précarité, mais qui, durant des mois, des années, ont mûri leur réflexion, analysé avec leur famille et leurs proches les conditions dans lesquelles leur enfant sera accueilli. Ces enfants très attendus sont fort choyés, bien éveillés, car beaucoup de personnes interagissent avec eux. La situation n’est en rien comparable à celle d’une femme qui a procréé sans toujours l’avoir prévu, dont le compagnon est parti au cours de la grossesse et qui se retrouve dans une immense précarité.

La représentante de l’association Mam’en solo, lors de son audition, a expliqué que les enfants se développaient bien, sans se sentir amputés d’un père, concluant ainsi : « Les différentes études le démontrent : ce n’est pas le format de la famille qui compte, mais la qualité des interactions avec les enfants. Les anti-PMA pensent qu’il est presque criminel qu’un enfant naisse sans un père à ses côtés ; nous considérons pour notre part que ce type de considération sur nos familles est davantage susceptible de faire souffrir nos enfants que l’absence d’un père. » Prenons garde à ne pas laisser prospérer ces idées qui stigmatiseraient ces femmes et ces familles et les gêneraient dans leur épanouissement ; car de fait, il est bel et bien possible de s’épanouir dans ces foyers.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Cette discussion est très importante et je sais que cette question interpelle certains d’entre vous. Il s’agit à mes yeux d’une belle mesure, qui concerne ces nombreuses femmes qui ont mûri un projet de parentalité, savent qu’elles ne trouveront pas leur âme sœur avant l’âge où elles ne pourront plus procréer, souhaitent impérativement accompagner un enfant dans sa vie. De toutes les façons, elles y parviendront. Nous connaissons tous des femmes qui ont eu un enfant seul.

Cette mesure permet de sécuriser médicalement leur parcours en leur évitant de prendre des risques. Elle pourra aussi rassurer un grand nombre d’hommes car il arrive que, devant des difficultés matérielles, la perte d’un emploi par exemple, une mère seule se tourne vers le géniteur et exige, contre son gré parfois, une reconnaissance de paternité et l’octroi d’une pension alimentaire.

Cette situation existe depuis toujours, nous considérons qu’il est plus sain d’accompagner le projet parental, longuement mûri, de ces femmes. Toutes celles que nous avons auditionnées préalablement à la rédaction de ce projet de loi assumaient de manière tout à fait impressionnante cette monoparentalité, avec souvent un entourage familial et amical très présent. Je trouve cette mesure très belle.

M. Erwan Balanant. Les citations que vous avez lues, monsieur Hetzel, visaient des mères de famille monoparentale, dont la situation n’a rien à voir avec celle des femmes qui ont décidé d’avoir, seule, un enfant. Celles-ci ont mené une réflexion, conduit leur projet en s’entourant d’amis, parfois d’un compagnon à venir – on ne peut rien prévoir en la matière ; celles-là subissent l’abandon de leur conjoint, parfois sans pouvoir en divorcer ni toucher de pension alimentaire. Comparer ces situations relève de la mauvaise foi. Nous avons d’un côté des femmes qui ont un projet parental, un désir fort de donner la vie et de créer une famille – peut-être pas sur le modèle que vous imaginez –, de l’autre, des femmes aux prises avec un contexte totalement subi, qui n’ont pas du tout choisi cette situation. Malgré tout le respect que j’ai pour vous, monsieur Hetzel, je trouve cet argument légèrement fallacieux.

Mme Aurore Bergé. Cette question nous a traversés et nous nous sommes tous interrogés sur le bien-fondé de cette mesure. Légiférons-nous de manière juste en permettant l’ouverture de l’AMP aux femmes seules ? C’est un questionnement que nous avons tous eu et qu’expriment certains de nos collègues du groupe La République en Marche.

Nous pouvons y répondre en considérant qu’il ne s’agit pas d’un projet de monoparentalité, telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui. Nous connaissons tous des femmes qui, malheureusement, n’ont pas choisi la situation dans laquelle elles sont, ont le plus grand mal à obtenir le recouvrement des pensions alimentaires, doivent faire appel au CCAS de leur commune en raison de la grande précarité dans laquelle elles sont plongées après le départ de leur conjoint. Sur ce sujet, nous avançons. Mais cet alinéa concerne des femmes, d’un milieu sociologique souvent différent, qui ont réfléchi, mûri leur choix.

D’autre part, il semble que la perception de l’AMP soit un peu faussée chez certains. Un parcours en PMA n’est pas un long fleuve tranquille, d’accès simple, immédiat et forcément réussi. Il serait quelque peu exagéré d’imaginer que les femmes se jetteront toutes sur cette possibilité de faire seule un enfant et iront envahir les CECOS ! La décision doit être réfléchie, la démarche évaluée et le parcours ne réussit pas toujours.

Nous avons pris le temps de mûrir cette mesure, avec les états généraux. En ouvrant ce droit, nous sécurisons les femmes qui y auront accès et la filiation des enfants à venir ; nous garantissons que le donneur ne pourra en aucun cas être considéré comme le père. Cette liberté et ces sécurités nouvelles doivent nous convaincre d’adopter cet article.

M. Guillaume Chiche. Je ne voudrais pas que les personnes qui suivent nos débats, et singulièrement les familles monoparentales, aient l’impression que nous échangeons en vase clos. Effectivement, 36 % des foyers monoparentaux vivent sous le seuil de pauvreté, un défi pour notre société. L’exécutif et la majorité parlementaire ont eu à cœur de prendre des dispositions particulières en leur faveur, notamment dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Il est effectivement impossible de comparer la situation de ces familles avec celle des femmes célibataires qui construisent un projet parental, et je rejoins en cela les propos de mes collègues. Mais je vous alerte sur une tendance dangereuse qui consisterait à ouvrir des droits à la mesure du portefeuille de chacun. S’agissant du recours à des pratiques médicales, il faut garder raison et s’en tenir à une logique universelle.

M. Patrick Hetzel. Nous avons tous conscience que dans une de ces situations, une femme décide seule, tandis que dans l’autre, une femme seule subit. Mais il y a un point commun : dans les deux cas, cette femme sera seule avec le ou les enfants. C’est à ce sujet que nous ont alerté un certain nombre de professionnels de l’enfance : une des questions importantes est l’altérité, et le colloque singulier entre une mère seule et son enfant pose un certain nombre de problèmes. Je vous rappelle qu’au cours des auditions menées jeudi dernier, les professionnels ont été unanimes sur ce point, quelle que soit leur vision de l’altérité, car il est possible d’entendre l’altérité comme sexuelle, impliquant la présence d’un homme et d’une femme, ou de l’entendre comme requérant simplement la présence d’une autre personne.

Reste que nous avons affaire à une personne qui, de fait, sera seule. Il n’est pas question de stigmatiser les familles monoparentales : cela représente plus de trois millions de personnes. Mais le projet de loi va plus loin : il va entraîner une responsabilité de la société. Sommes-nous prêts à l’assumer collectivement ? J’en doute, dans la mesure où, in fine, nous sommes face à une situation liée à un désir d’enfant. Et s’il ne s’agit nullement de négliger le désir d’enfant, c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer. D’où mes interrogations, et mon amendement.

M. Xavier Breton. Le désir d’enfant est bien réel, mais dans vos propos, madame la ministre, le désir d’enfant se transforme en un droit à l’enfant car vous estimez que la femme fera cet enfant dans tous les cas. Dont acte ; mais cela n’impose pas de l’inscrire dans la loi.

Vous n’entendez pas les psychiatres et les pédopsychiatres qui indiquent que fonder la filiation sur la relation exclusive entre une femme et son enfant va étouffer ce dernier, qui ne connaîtra que sa mère, et qui ne pourra pas se construire, notamment au niveau de sa généalogie. Quelles que soient les circonstances et les difficultés que nous avons connues, nous savons tous que nous avons un père et une mère, et plus loin des grands-parents, ce qui nous permet de nous construire et de nous inscrire dans une généalogie.

Dans le cas dont nous débattons, il y aura une relation exclusive avec une mère qui aura voulu cet enfant et à qui nous aurons reconnu ce droit à l’enfant. C’est une mesure irresponsable.

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, l’intérêt de l’enfant a été absent de vos propos. Vous avez évoqué le projet mûrement réfléchi d’une future mère, et je conviens avec Mme Bergé que le parcours est très long jusqu’à l’aboutissement d’une AMP. Mais le parcours est encore plus long pour l’enfant par la suite, et il est possible que des accidents de la vie surviennent. Nous prenons la responsabilité de faire naître un enfant qui restera seul en cas d’accident de la vie. Vous n’avez pas répondu sur ce point, le risque de laisser l’enfant seul en cas d’accident est le résultat d’un choix du parent, mais pas de l’enfant.

Si la question du choix d’un géniteur contre son gré a été évoquée, la loi aura aussi une dimension incitative ou dissuasive. Voulons-nous inciter à l’apparition de familles monoparentales, avec toutes les fragilités qu’elles induisent en cas d’accident de la vie ? C’est une vraie question.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. La question centrale dans mon amendement n’est pas le désir de la femme, mais bien les conditions qui nous semblent les plus favorables pour le développement de l’enfant. Il ne s’agit pas de faire de discrimination ou de juger qu’une femme n’est pas capable d’éduquer un enfant, mais de donner à un enfant les conditions optimales pour son développement.

On nous dit qu’il s’agira de femmes qui ne subiront pas une situation, mais qui la choisiront. Mais il arrive que des couples en grande précarité viennent demander à bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Faut-il la leur refuser ? Si des femmes connaissant une situation sociale très fragile souhaitent avoir un enfant, va-t-on leur répondre qu’elles sont trop fragiles, qu’elles ne sont pas cadres, que leur projet n’est pas suffisamment mûr pour qu’elles aient accès à l’AMP ? Nous aboutirions à des situations très difficiles à gérer pour les équipes médicales, et qui feraient courir un risque à la mère et à son enfant.

Quant à la sécurisation des hommes, je confesse avoir une grande admiration pour Mme Buzyn, mais je ne comprends pas son argument. Si une femme qui souhaite avoir un enfant seule se fait faire un enfant par un tiers, puis se retourne vers lui pour obtenir une pension alimentaire, c’est que quelque chose dysfonctionne dans son rapport à autrui… Et je ne suis pas sûre que le recours à l’AMP y change quoi que ce soit.

Mme Aurore Bergé. Ce sont pourtant des situations qui existent.

Mme Bénédicte Pételle. Je ne suis pas très à l’aise, car ce sujet est très délicat. Je partage l’idée selon laquelle on ne peut comparer une femme en situation monoparentale précaire à une femme seule qui souhaite recourir à l’AMP, mais ce qui compte à mes yeux, c’est l’altérité. Et rappelons notre condition humaine : nous sommes des êtres fragiles, nous pouvons connaître des problèmes de santé, une dépression. Être à deux, pouvoir se relayer, c’est important pour l’enfant, et c’est aussi une façon de tempérer nos blocages, nos difficultés, les éléments excessifs de nos caractères.

La commission rejette successivement les amendements n° 1102 et n° 1977, puis les amendements identiques n° 5, n° 193 et n° 631.

 

 


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Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 21 heures ([3])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, que nous avons interrompu cet après-midi après avoir rejeté les amendements n° 5, n° 93 et n° 631. Nous avons déjà traité 45 amendements…

Article 1er (suite)
Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 1267 de Mme Marine Brenier et n° 1902 de M. Didier Martin ainsi que l’amendement n° 1787 de M. Raphaël Gérard.

Mme Marine Brenier. Les juristes civilistes que notre commission a auditionnés se sont montrés extrêmement inquiets de voir apparaître la notion de « femme non mariée » dans le code civil. Notre amendement n° 1267 a pour but de les rassurer en proposant de remplacer les mots « femme non mariée » par les mots « femme célibataire ».

M. Didier Martin. Sous les numéros 1267 et 1902, voici le premier amendement hétéro créé par deux groupes différents sans concertation !

La notion de « femme non mariée » est assez large et recouvre diverses situations : il peut s’agir d’une femme célibataire, d’une femme liée par un pacte civil de solidarité (PACS) ou d’une femme vivant en union libre. Celle de « femme célibataire » est plus satisfaisante : d’une part, elle vient préciser que les femmes seules peuvent accéder à la procréation médicalement assistée (PMA) ; d’autre part, elle établit une distinction avec les femmes pacsées ou vivant en concubinage notoire, pour lesquelles il apparaît nécessaire de respecter l’avis de leur compagnon. Pour elles, il n’y aurait pas de liberté totale de recourir à la PMA.

M. Raphaël Gérard. Notre amendement n° 1787 propose lui aussi de substituer les mots « femme célibataire » aux mots « femme non mariée ». J’ai bien entendu les arguments très pertinents avancés par Mme la garde des Sceaux hier autour de la présomption de paternité mais j’aimerais que nous ayons ici une réflexion plus philosophique sur la question suivante : peut-on empêcher une femme mariée d’accéder à la PMA si son mari ne souhaite pas s’impliquer dans un projet parental ? On sait que certaines personnes, pour des raisons financières ou religieuses, sont séparées de fait sans avoir divorcé. Une femme mariée de quarante-deux ans souhaitant recourir à la PMA sera contrainte de divorcer en amont du projet de PMA et il lui faudra attendre un an si son conjoint n’est pas d’accord. La notion de « femme non mariée » renvoie à un conflit en matière de liberté matrimoniale. Que doit-on décider de faire primer : le droit absolu des femmes à disposer de leur corps ou leur statut conjugal ? Il faut savoir qu’il est toujours possible d’annuler la filiation établie dans le cadre de la présomption de paternité en recourant à la preuve biologique. Dans certains cas comme l’accouchement dans le secret, la primauté est donnée à la liberté des femmes : on les autorise à ne pas inscrire leur nom sur l’acte de naissance, autrement dit à laisser leur mari dans l’ignorance de sa paternité.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vais vous demander, avec quelques regrets, chers collègues, de retirer ces trois amendements, même si je partage en partie les préoccupations qui les sous-tendent.

La notion de « femme non mariée » ne correspond pas strictement à ce que nous visons dans la rédaction de l’article 1er. Certes, il y a des femmes en couple, mariées ou non, et des femmes isolées, sans compagnon, mais nous sommes obligés de tenir compte des incidences du statut conjugal, qu’il s’agisse du mariage, du PACS ou du concubinage notoire, en matière de filiation. Il se trouve
– Mme Belloubet l’expliquera mieux que moi – que seule la référence au mariage permet de prendre en compte ces incidences : une femme mariée n’a pas le droit de demander toute seule de recourir à la PMA, elle doit recueillir le consentement de son mari ; une femme non mariée, même si elle est pacsée, même si elle vit en concubinage notoire, peut faire ce qu’elle veut. Mesdames, sachez donc ce qui vous attend le jour où vous vous mariez… Si vous voulez être libre de recourir à la PMA, réfléchissez ! Je ne suis pas juriste ; toujours est-il qu’il faut prendre en compte ces traditions inscrites dans le code civil. Je vous propose donc d’en rester là

Précisons toutefois que si le concubin ou le partenaire de la mère ne souhaite pas s’engager dans la procédure de l’assistance médicale à la procréation (AMP), il peut ne pas reconnaître l’enfant qui en est issu. Étant donné qu’il n’aura pas lui-même consenti à l’AMP, il ne tombera pas sous le régime prévu à l’article 311-20 du code civil et sa responsabilité ne pourra pas être davantage recherchée.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je vois que M. le rapporteur ne plaide pas beaucoup en faveur du mariage…

Monsieur Gérard, je ne suis pas philosophe, je ne suis que juriste et c’est sur le fondement du droit que je vous répondrai. Le Conseil d’État nous a incités à faire le choix des termes « femme non mariée » parce que les incidences juridiques du recours à l’AMP ne sont pas les mêmes selon qu’une femme est mariée ou non. Dès lors qu’elle est mariée, la présomption de paternité joue. Si le mari n’est pas d’accord ou n’est pas informé, cela soulèvera évidemment des problèmes alors que pour les femmes non mariées, qu’elles soient pacsées, en concubinage ou en union libre, la présomption de paternité ne joue pas. Bien sûr, la loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice que vous avez adoptée peut venir aider certaines personnes puisqu’elle a réduit les délais du divorce contentieux de deux ans à un an. Il n’en demeure pas moins qu’une femme mariée ne peut pas avoir toute seule recours à l’AMP.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ceux d’entre nous qui sont mariés peuvent être rassurés : même après la loi, nous pourrons passer toutes nos semaines à l’Assemblée nationale sans craindre que notre épouse n’ait, en notre absence, eu recours à l’AMP sans nous prévenir. (Sourires.)

M. Erwan Balanant. À la lecture du projet de loi, j’avoue que la formule de « femme non mariée » m’avait un peu dérangé : elle me paraissait désuète et discriminatoire. Toutefois, ce choix s’explique au regard des effets du mariage en matière de filiation puisqu’il existe une présomption de paternité. Le choix de l’expression permet d’autoriser la PMA le plus largement possible tout en protégeant la liberté des hommes mariés, monsieur le rapporteur… Cette terminologie reste néanmoins choquante. Elle renvoie à un constat plus fondamental : le droit de la filiation, bâti autour du lien matrimonial entre les parents, est quelque part tombé en désuétude.

Dans les années qui viennent, il faudra sans doute que nous nous penchions sur une nécessaire adaptation du droit de la filiation – mais surtout pas dans le cadre de ce texte, qui a trait à la bioéthique et non à la filiation. Reconnaissons que le mariage n’est plus le socle familial par excellence ; il n’est plus la seule façon de créer une famille. La société s’est profondément transformée. Les chiffres sont éloquents : en 1968, la proportion d’enfants nés hors mariage n’était que de 6 % ; aujourd’hui, elle est de 50 %. Il nous faudra revoir le droit de la filiation, jusqu’alors centré sur la vraisemblance et la vérité biologique ; il ne reflète plus la réalité des unions. Je plaide pour que la représentation nationale réfléchisse avec la Chancellerie sur une réforme. Elle renvoie à un autre enjeu : l’adoption par les couples homosexuels.

M. Thibault Bazin. Je suis vraiment consterné…

M. Erwan Balanant. Le contraire m’aurait étonné !

M. Thibault Bazin. Faisons attention à ce que nous disons. Tout à l’heure, nous devions avoir le souci de ne pas faire offense aux familles monoparentales et homoparentales. Ce soir, certains évoquent le mariage comme un lien qui priverait de liberté ; or il n’est pas un modèle désuet pour tout le monde. Dans notre pays, de nombreuses personnes choisissent librement de se marier. Le mariage a ses vertus. Il fonctionne comme une véritable cellule de solidarité. Les articles du code civil lus lors de la cérémonie du mariage le disent bien : les époux se doivent mutuellement secours et assistance, valeurs qui font écho à la fraternité, au cœur de la devise de notre pays. C’est un modèle conçu pour la protection des enfants, qui est la première préoccupation qui doit nous animer. Pour toutes ces raisons, nous ne devons pas décrédibiliser le mariage.

M. Bruno Fuchs. J’ai lu l’avis du Conseil d’État et, d’un point de vue juridique, je comprends les choix faits dans le projet de loi, mais il faut aussi prendre en compte la réalité des situations. À la lecture de l’article 1er ; nous comprenons qu’une femme mariée ne pourra recourir à l’AMP sans le consentement de son mari alors qu’une femme pacsée ou en concubinage pourra le faire sans le dire à son compagnon, même si celui-ci ne souhaite pas avoir d’enfant. J’aimerais savoir si la future loi autorisera le fait qu’il y ait d’un côté de la sincérité et, de l’autre côté, une possible insincérité. Nous confirmez-vous, monsieur le rapporteur, mesdames les ministres, qu’une distinction très nette est établie entre les femmes mariées et les femmes non mariées et qu’une pratique puisse être sincère chez les premières, et insincère vis-à-vis du compagnon chez les secondes ?

Mme Michèle de Vaucouleurs. Madame la garde des Sceaux, sans doute quelque chose m’a échappé dans votre explication mais j’aimerais que vous nous précisiez les raisons pour lesquelles vous préférez les termes « femme non mariée » à ceux de « femme célibataire »…

M. Guillaume Chiche. Monsieur Bazin, vous avez parfaitement raison : il ne nous faut manquer de respect à aucun mode de conjugalité. Ce qui a motivé, je crois, les différentes réactions, c’est qu’un seul modèle, celui du mariage, serve de point d’ancrage pour définir les autres statuts. N’y voyez aucune mauvaise pensée.

Cela étant, nous sommes réceptifs aux explications apportées par le rapporteur et Mme la garde des Sceaux. Le terme de « femme non mariée » permet de couvrir tous les statuts existants en dehors du mariage. De ce fait, il apporte de la sécurité juridique à la rédaction de ce projet de loi. Nous soutiendrons donc cette position.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Ce sont des raisons juridiques et non pas sociologiques qui ont guidé notre choix. Le statut de femme mariée ou non mariée repose sur un critère très objectif, qui se vérifie très simplement sur l’acte d’état civil alors que statut de célibataire implique un contrôle de fait, qui nécessite une enquête. Les effets de la PMA ne sont pas les mêmes, sur le plan juridique, pour une femme mariée ou non mariée. Lorsqu’un homme épouse une femme, il reconnaît par avance les enfants qu’elle pourrait avoir : c’est la présomption de paternité. Cette présomption ne joue pas en dehors du mariage. C’est pour assurer la sécurité juridique que nous avons retenu ces termes.

La commission rejette les amendements n° 1267 et n° 1902.

L’amendement n° 1787 est retiré.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement n° 584 de Mme Géraldine Bannier et l’amendement n° 1899 de M. Didier Martin.

Mme Géraldine Bannier. L’amendement n° 584 avait aussi pour but d’obtenir une explication du choix des termes « femme non mariée ». Plusieurs femmes de ma génération, âgées de trente-cinq ou quarante ans, ont été surprises par cette expression, soulignant le fait qu’une femme seule ne se définissait pas par rapport au mariage. Pour mettre à égalité les femmes mariées et pacsées, je propose les termes « femme non en couple », ce qui équivaut à « célibataire ou seule ». Cela dit, après avoir entendu les explications de Mme la garde des Sceaux, j’accepte de retirer mon amendement.

M. Didier Martin. L’amendement n° 1899 vise à ajouter après les mots « femme non mariée », le mot « et non pacsée ». Il s’agit là d’un critère objectif puisque mariage et PACS sont enregistrés. Il me paraît important de respecter l’avis du partenaire dans la décision de recourir à la PMA.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Madame Bannier, je vous rassure : il n’y a pas que les personnes de trente-cinq ou quarante ans qui trouvent un peu désuet de définir le statut d’une femme par le fait qu’elle est ou non mariée.

M. Thibault Bazin. Arrêtez de dire des choses pareilles !

Mme Emmanuelle Ménard. Alors maintenant, on est désuet si on est marié !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il y a d’autres façons de faire couple. Cela dit, des raisons juridiques justifient le choix fait dans le texte. Pour parvenir à une sécurité juridique pour les personnes concernées et les enfants à venir, il serait sage de retirer ces amendements.

M. Arnaud Viala. Mme la garde des Sceaux et M. le rapporteur avancent des arguments juridiques clairs que nous entendons. Cela dit, la question posée ici n’est pas juridique ; elle est humaine et sociale. Pourquoi des personnes vivant en concubinage notoire ne seraient-elles pas soumises à la même règle que celles qui sont mariées ? Même vos explications juridiques frisent l’incohérence. Il y a quelques heures, madame la garde des Sceaux, vous nous exposiez la définition juridique du terme « couple » qui s’applique aussi bien aux personnes mariées, aux personnes pacsées ou aux personnes vivant en concubinage ; à présent, vous établissez des distinctions entre ces catégories et vous mettez à part les personnes mariées. Si nos collègues de la majorité sont revenus sur cette rédaction – en se permettant parfois des commentaires un peu légers, permettez-moi de le dire, monsieur le rapporteur –, c’est uniquement parce qu’ils refusent que le mariage serve d’ancrage à la rédaction. Ce qui revient à pointer du doigt le mariage d’une façon qui ne me paraît pas correcte.

M. Erwan Balanant. Que mes collègues de l’opposition se rassurent : pour moi, le mariage est tout aussi respectable que les autres formes d’union. Je suis personnellement marié, et si je ne l’étais pas, ma position ne serait pas différente.

Nous avons bien compris que le choix des termes « femme non mariée » répondait à un souci de sécurisation juridique.

Reste que, dans les années à venir, je le redis, il nous faudra mener une réflexion sur la filiation et sur le droit de la filiation. Le respect dû au mariage s’impose de la même manière aux nouvelles formes familiales qui apparaissent dans notre société. Elles sont tout autant fondées que cette forme plus traditionnelle qu’est le mariage.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Certains d’entre vous estiment que les termes « femme non mariée » ne correspondent pas à la réalité sociologique, mais c’est un texte juridique que nous sommes en train de rédiger : il convient d’utiliser un terme dont le sens juridique est clair et partagé. Or juridiquement, je le répète, c’est le fait d’être marié qui entraîne des conséquences différentes en matière d’établissement de la filiation. Le fait d’être pacsé ou non n’a pas d’incidence. C’est la raison pour laquelle nous tenons à ces termes, même si je conviens avec vous que la réalité de la vie courante n’est pas arc-boutée contre cette distinction.

M. Thibault Bazin. Une remarque de forme sur l’amendement n° 1899 : le terme « pacsée », qui vient de l’acronyme PACS, n’existe pas dans le code civil. Si nous adoptions cet amendement, cette rédaction ne correspondrait donc à rien. Faisons preuve de sérieux dans nos choix de terminologie.

L’amendement n° 584 est retiré.

La commission rejette l’amendement n° 1899.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2122 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement n° 2233 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement précise que le recours à l’AMP a pour objet « de répondre à un projet parental ». Nous avons supprimé le critère d’infertilité pour lui substituer un critère d’objectif et donner toute sa place à l’engagement. Ce qui répond à la préoccupation exprimée par M. Gérard dans son amendement n° 1772 cet après-midi.

M. Thibault Bazin. Un projet est toujours plus ou moins objectif et plus ou moins subjectif. Très sincèrement, monsieur le rapporteur, la notion de « projet parental » est à prendre avec des pincettes : elle est un peu floue. Évitons de soumettre l’enfant au seul vouloir des parents : tout projet suppose une finalité et l’accueil d’un enfant ne peut être considéré comme l’unique finalité d’un projet. Prêtons attention à la situation des enfants qui ne sont pas forcément souhaités et qui ont toute leur place dans notre société.

M. Erwan Balanant. Un enfant non souhaité, cela me paraît difficile avec la PMA !

M. Thibault Bazin. Mais surtout, il ne faudrait pas arriver à ce que les parents puissent se demander : « Cet enfant correspond-il à mon projet parental ? »

M. Pascal Brindeau. Ainsi, l’accès à l’AMP serait déterminé par la seule volonté des couples, quelle que soit d’ailleurs leur orientation sexuelle. Je repose la question à laquelle je n’ai pas eu de réponse tout à l’heure, monsieur le rapporteur : dans ces conditions, qu’est-ce qui interdira demain que ce projet ne soit plus seulement réservé à deux personnes ?

M. Patrick Hetzel. Nous sommes certains à dire que, de manière sous‑jacente, la notion de droit à l’enfant commence à apparaître dans ce texte. La notion de projet parental a tendance à privilégier le désir exprimé par les parents qui peut, dans certains cas, s’exercer au détriment des enfants. Or nous considérons que c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer. Ces glissements successifs suscitent des interrogations. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé plusieurs amendements sur cet article.

M. Erwan Balanant. Pour notre part, nous estimons que les termes de « projet parental » sont parfaitement adéquats. Ils répondent à la préoccupation que nous partageons pour la famille, chers collègues du groupe Les Républicains. Le projet parental renvoie en effet à l’idée de « faire famille ». Or aujourd’hui, il y a diverses manières de faire famille, que l’on choisisse le cadre du modèle traditionnel, parfois en se fondant sur des choix religieux, ou que l’on soit une femme seule. C’est cela qu’il faut aujourd’hui reconnaître. C’est une réalité sociale et notre travail de législateur est de faire en sorte que notre législation corresponde à la réalité de notre société.

M. Raphaël Gérard. J’aimerais rassurer tout le monde en rappelant que les termes de « projet parental » figuraient dans la loi de 1994 : je ne crois pas qu’il ait existé la moindre idée d’un droit à l’enfant de 1994 à 2011. Je veux bien croire que la reconnaissance, en 2013, des familles homoparentales chatouille certains d’entre nous, mais il ne faudrait pas qu’ils voient dans cet amendement une consécration du droit à l’enfant dans la loi.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Merci, monsieur Gérard, d’avoir rappelé que ces termes figuraient déjà dans la loi. Il faut y voir toute la noblesse d’un engagement. Très distinct d’une quelconque revendication d’un droit à l’enfant, il a plutôt à voir avec le désir d’enfant grâce auquel l’espèce humaine a pu se pérenniser – dans L’Éloge de la Folie, Érasme soulignait que si seule la raison avait prévalu, les femmes n’auraient pas enfanté, compte tenu des douleurs de l’accouchement et des risques qu’elles prenaient en pareille circonstance… C’est toute la noblesse de l’espèce humaine. Il nous faut continuer dans cette voie, même si les modes de procréation sont plus divers que par le passé.

La commission rejette l’amendement n° 2233.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques n° 2234 du rapporteur et n° 1776 de M. Raphaël Gérard et les amendements identiques n° 1556 de M. Bruno Fuchs et n° 1620 de Mme Danièle Obono.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’amendement n° 2234 vise à supprimer la référence à l’évaluation psychologique et médicale prévue en application de l’article L. 2141‑10 du code de la santé publique. Après discussion, je propose de le retirer en faveur de l’amendement n° 2020 de Mme Wonner.

M. Raphaël Gérard. Cette évaluation pourrait donner le sentiment qu’elle conditionne l’accès à l’AMP et qu’elle introduit une procédure d’agrément qui ne dit pas son nom. Cela risque de susciter des inquiétudes quant aux discriminations qu’elle pourrait nourrir à l’encontre des femmes seules ou des couples de femmes. Nous savons que l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a recensé des cas dans un récent rapport sur l’adoption et l’accès à l’adoption par les couples homoparentaux. Une étude de Mme Colette Chiland réalisée en 2013 a montré que les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) avaient des pratiques d’accueil très différentes à l’égard de couples composés d’une femme cisgenre et d’un homme transgenre : certains leur donnent accès à la PMA à condition de se soumettre des examens supplémentaires. Dans une étude consacrée aux enfants de père transgenre conçus par PMA, à paraître dans les prochaines semaines, Mme Agnès Condat montre pourtant que leur développement psychoaffectif est parfaitement normal.

Cela dit, comme M. le rapporteur, je vais retirer mon amendement n° 1776 au profit de celui de Mme Wonner, signé par l’ensemble des membres de mon groupe.

M. Bruno Fuchs. L’amendement n° 1556 est défendu.

M. Ugo Bernalicis. L’évaluation médicale et psychologique étant déjà prévue dans la réécriture de l’article L. 2141-10 du code de la santé publique, il nous paraît inutile de la mentionner ici. Nous ne sommes pas opposés à ce qu’une telle évaluation soit pratiquée, si elle est faite à la demande des intéressés, mais nous considérons qu’elle ne doit pas être imposée. Je ne suis pas sûr qu’on demande un tel examen quand les enfants sont conçus d’une autre manière. Nous maintenons donc notre amendement n° 1620.

Les amendements n° 2234, n° 1776 et n° 1556 sont retirés.

La commission rejette l’amendement n° 1620.

Elle en vient à l’amendement n° 1177 de M. Philippe Berta.

Mme Michèle de Vaucouleurs. La procréation médicalement assistée implique un parcours difficile. Elle comporte des risques pour la santé de la mère qui portera l’enfant, plus ou moins élevés en fonction de la technique retenue. Ses chances de succès sont également relativement faibles et variables en fonction de l’âge, de la technique, et d’une grande diversité de facteurs externes. Or ces informations indispensables à un choix éclairé sont aujourd’hui largement méconnues du grand public. Le présent amendement vise donc à renforcer l’impératif d’une bonne information des candidats à la PMA sur la réalité du parcours, l’engagement qu’il requiert et ses probabilités de succès.

Je ne sais pas si l’amendement n° 2020 de Mme Wonner intègre cette dimension.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement est déjà satisfait par les alinéas 25 et suivants de l’article 1er, qui prévoient la remise aux demandeurs d’une information détaillée sur les possibilités de réussite ou d’échec, les effets secondaires et les risques à court et à long terme de l’AMP, la remise d’un dossier guide et le rappel du droit en vigueur. Tous ces éléments sont consignés à l’article L. 2141-10 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l’article 1er. Je vous invite à retirer votre amendement, dans la mesure où il est déjà satisfait.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je maintiens cet amendement, car c’est celui de mon collègue Philippe Berta : s’il estime qu’il est effectivement satisfait, il ne le représentera pas lors de la séance publique.

La commission rejette l’amendement n° 1177.

Elle examine ensuite l’amendement n° 2020 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Cet amendement est le fruit d’une large discussion et d’une vraie concertation au sein du groupe de La République en Marche.

La seule modification apportée par le projet de loi à l’article L. 2141-10 du code de la santé publique consiste à soumettre les couples hétérosexuels, les couples de femmes ou les femmes seules qui souhaitent avoir accès à l’AMP à une nouvelle évaluation, de nature psychologique. La rédaction actuelle de l’article L. 2141-10, qui ne s’applique aujourd’hui qu’aux couples hétérosexuels, prévoit déjà des « entretiens particuliers » avec un ou plusieurs médecins réunis au sein d’une équipe clinicobiologique.

Il est vrai que cette nouvelle rédaction ne créerait aucune discrimination dans les faits, puisque cette évaluation psychologique s’appliquerait à tous les demandeurs. Mais le fait d’introduire une évaluation psychologique au moment même où l’on ouvre l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules est de nature à semer la confusion, dans la mesure où ce choix pourrait laisser penser que l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules nécessiterait une expertise psychologique approfondie, auxquels ne sont pas soumis aujourd’hui les couples qui recourent à l’AMP. C’est pourquoi nous proposons, avec cet amendement, de supprimer l’évaluation psychologique et de maintenir la rédaction actuelle de l’article L. 2141-10 du code de la santé publique.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est au profit de cet amendement, qui me paraît plus complet, que j’ai, comme plusieurs de mes collègues, retiré mon propre amendement. J’y suis donc très favorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je souscris pleinement à l’argumentation de Mme Martine Wonner et suis favorable à cet amendement.

M. Patrick Hetzel. Madame la ministre, j’imagine que si le Gouvernement a fait le choix, au moment où il a élaboré ce projet de loi, d’introduire une évaluation psychologique, c’est parce qu’il estimait qu’il y avait une bonne raison de le faire. Certains professionnels ont d’ailleurs appuyé ce point de vue, en insistant sur le fait que la loi modifiait profondément la situation antérieure. Je suis surpris de la facilité avec laquelle vous acceptez aujourd’hui de supprimer cette évaluation, à laquelle vous sembliez particulièrement attachée. Pour moi, il y a là un vrai paradoxe : toutes les évaluations, toutes les auditions ont montré que la question psychologique était essentielle. Madame la ministre, pourquoi avoir fait le choix d’introduire cette évaluation psychologique pour la retirer aujourd’hui ? Peut-on réellement préserver l’intérêt supérieur de l’enfant si l’on cesse de prendre en compte cette dimension psychologique ? Si je me souviens bien, l’introduction de cette évaluation avait précisément vocation, dans l’exposé des motifs du Gouvernement, à garantir la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant…

Mme Annie Genevard. Je regrette que nous nous dirigions vers la suppression de cette mention. Mes chers collègues, vous voyez de la discrimination partout, vous ne voulez pas voir la réalité, telle que les professionnels nous l’ont présentée. Si vous pensez que la dimension psychologique d’une PMA est négligeable, pourquoi avoir organisé, dans le cadre de nos auditions, une table ronde composée pour l’essentiel de psychologues, de psychiatres et de pédopsychiatres ? Tout cela me semble peu cohérent.

Il arrive que des personnes, parce qu’elles ont été abîmées par la vie – et cela vaut aussi bien pour les personnes hétérosexuelles qu’homosexuelles –, voient dans la maternité une tentation de réparation. C’est ainsi, c’est humain, c’est la vie ! Et vous, vous vous obstinez à rester dans le principe, quitte à gommer la réalité. C’est la raison pour laquelle je suis opposée à cet amendement.

Il me semble utile de maintenir une évaluation psychologique. Vous avez dit vous-même, madame la ministre, que la PMA pourra être refusée à un couple de femmes ou à une femme seule. Or cette possibilité de refus doit se fonder non seulement sur des motifs physiologiques, mais aussi sur des motifs d’ordre psychologique.

M. Thibault Bazin. Cet amendement tend à remplacer le terme « évaluation » par le mot « entretiens ». Je m’interroge sur le sens de cette modification, et surtout sur ses conséquences : en l’absence d’évaluation, l’équipe médicale sera-t-elle toujours en capacité de dire non ? Je crains que cet amendement n’introduise une forme d’automaticité. Je ne cherche pas à discriminer qui que ce soit, mais il peut arriver que l’évaluation fasse apparaître des difficultés et il est problématique de s’en dispenser.

Quelles seront par exemple les conséquences de l’adoption de cet amendement sur l’alinéa 25 de cet article 1er, où il est également question d’« entretiens particuliers », et surtout sur son alinéa 37, qui prévoit les cas où un médecin peut refuser de procéder à une PMA s’il considère que les conditions ne sont pas réunies ? Comment comptez-vous articuler l’amendement n° 2020 avec ces alinéas ?

M. Pascal Brindeau. Cet amendement pose deux questions. Premièrement, comme mon collègue l’a montré, son adoption reviendrait à mettre par terre toute idée d’interdisciplinarité dans la mesure où seul le critère médical serait désormais retenu. Or une équipe devrait pouvoir se fonder sur un critère psychologique pour estimer si un couple – ou une femme seule – est prêt à accueillir un enfant. Je ne vois vraiment pas comment on peut faire l’économie d’une évaluation psychologique.

J’ajoute qu’en remplaçant l’évaluation psychologique par de simples entretiens, on crée un hiatus entre la PMA et l’adoption – mais je parle sous le contrôle de Mme la garde des Sceaux. La procédure d’adoption est assez lourde et comprend aussi une forme d’évaluation psychologique : on s’assure que le couple, quel qu’il soit – d’hommes, de femmes, ou hétérosexuel – peut effectivement accueillir un enfant. Si l’on adopte l’amendement n° 2020, il faudra aussi modifier la procédure d’adoption, pour ne pas « stigmatiser », si je puis m’exprimer ainsi, les couples qui souhaitent adopter.

M. Guillaume Chiche. Monsieur Hetzel, il ne faut pas voir de malice dans l’attitude du Gouvernement, qui ne fait qu’accepter l’enrichissement de la loi proposé par des parlementaires : c’est le propre de notre démocratie. Les échanges que nous avons eus hier, l’audition des ministres et le travail de notre collègue Martine Wonner nous ont permis d’avancer sur ce sujet.

L’objet de cet amendement est tout simplement de maintenir le droit actuel. Introduire la notion d’évaluation médicale et psychologique, c’est percuter le droit auquel sont aujourd’hui soumis les couples hétérosexuels qui recourent à l’aide médicale à la procréation. Or le projet de loi que nous examinons n’a pas vocation à complexifier ou à percuter le droit existant pour les couples hétérosexuels susceptibles de recourir à cette pratique.

J’ajoute que les « entretiens particuliers », qui existent déjà dans le droit actuel et que nous proposons de maintenir, sont réalisés par une équipe clinicobiologique pluridisciplinaire qui inclut des psychiatres, des psychologues ou des pédopsychiatres.

M. Hervé Saulignac. Cette évaluation psychologique me semble être d’un autre temps. Elle soulève des questions très complexes, auxquelles il me semble impossible de répondre. Par exemple, à partir de quelle défaillance psychologique un refus sera-t-il justifié ?

Pour détendre un peu l’atmosphère, je vous dirai que lorsque j’ai fait un enfant – et je ne crois pas être le seul –, je n’ai fait l’objet d’aucune évaluation psychologique. Je suis évalué a posteriori par ma fille, mais c’est une autre histoire… (Sourires.) Jusqu’à présent, lorsqu’un couple hétérosexuel recourt à la PMA, c’est parce qu’il n’a pas le choix, c’est parce qu’il n’a pas cette liberté, extrêmement précieuse, de faire un enfant charnellement. La technique permet aujourd’hui de surmonter ces difficultés, mais veillons à ne pas instaurer un examen de passage ! Ce qui est essentiel, c’est que les couples qui entreprennent cette démarche ne restent pas seuls dans leur réflexion, qu’ils bénéficient d’un accompagnement et qu’ils reçoivent des conseils et des informations, afin de mesurer pleinement les conséquences de leur décision. Je suis donc, comme les autres membres du groupe Socialistes et apparentés, extrêmement favorable à cet amendement.

M. Matthieu Orphelin. Dans la pratique, les décisions sont souvent prises de manière collégiale et, lorsqu’il y a un doute sur le plan psychologique, la procédure n’est pas bloquée, mais seulement ralentie : c’est ce que nous disent les psychologues qui travaillent dans les services d’AMP. Par ailleurs, il arrive souvent que les couples qui rencontrent des difficultés lors des entretiens psychologiques décident tout simplement de changer de centre d’AMP.

Mme Elsa Faucillon. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est favorable à cet amendement.

Il me semble important de rappeler qu’une AMP est toujours précédée d’une évaluation médicale : c’est déjà le cas aujourd’hui et ce sera aussi le cas pour les couples de femmes et les femmes non mariées qui se présenteront devant un médecin pour accéder à l’AMP. Il est évident que si l’évaluation médicale montre que la PMA ne peut pas avoir lieu, le médecin peut et même doit s’y opposer : c’est son rôle. Il est inutile de le préciser ici, car cela fait partie des missions et des responsabilités du corps médical.

Gardons-nous par ailleurs de faire des comparaisons entre la PMA et l’adoption. S’il y a une évaluation psychologique avant toute adoption, c’est parce que l’État a la responsabilité de l’enfant qui va être adopté. Même si l’on peut déplorer la longueur de la procédure d’adoption et les difficultés qu’elle présente, la comparaison ne me paraît pas pertinente. Je crois, comme mon collègue Hervé Saulignac, que l’accompagnement, l’information et la durée même du parcours de la PMA permettent de prendre en compte les questions d’ordre psychologique. Je ne vois vraiment pas, même si l’État a une responsabilité en matière de PMA, ce qui justifierait une telle ingérence de celui-ci dans la vie de ces couples ou de ces femmes non mariées.

Mme Sylvia Pinel. Le groupe Libertés et Territoires soutiendra également l’amendement de Mme Martine Wonner : la rédaction qu’il propose nous semble beaucoup plus satisfaisante que la rédaction actuelle de l’alinéa 3, qui prévoit une « évaluation » psychologique.

J’ai moi-même proposé dans l’amendement n° 1825, qui sera examiné un peu plus loin, de supprimer cette évaluation, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, elle m’apparaît comme une régression par rapport au droit actuel, dans la mesure où nous l’avons fait disparaître pour d’autres types d’intervention
– je pense notamment à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Deuxièmement, ce qui paraît essentiel, c’est qu’une équipe pluridisciplinaire puisse effectivement entendre les différents candidats à l’AMP pour s’assurer qu’ils ont un projet parental. Enfin et surtout, il importe d’introduire un suivi psychosocial pour celles et ceux qui en éprouveraient le besoin, compte tenu du fait que le parcours de l’AMP est long et difficile – c’est le sens de certains amendements que nous défendrons un peu plus tard.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon amendement n° 1013, que nous examinerons un peu plus loin, est assez comparable à celui de notre collègue Martine Wonner, puisqu’il vise à supprimer le terme « psychologique » pour ne maintenir que l’évaluation médicale, à laquelle je suis très favorable, parce qu’elle repose sur des critères objectifs. Je suis plus sceptique quant à l’évaluation psychologique qui me semble, non pas inutile, mais incomplète.

En effet, dans la mesure où cette évaluation a lieu avant le début de la PMA, elle ne permet pas d’évaluer les troubles qui pourraient se développer par la suite. Au cours des auditions, il a par exemple été rappelé que les femmes seules pourraient ressentir une culpabilité, consciente ou inconsciente, et une forme d’anxiété maternelle à l’idée notamment de priver leur enfant d’un père. C’est pour cette raison que j’avais des réserves quant à cette notion d’évaluation psychologique.

Mais je vous avoue que j’ai été très sensible à l’argumentation de ma collègue Annie Genevard, à laquelle je me rallie totalement. Je retirerai donc mon amendement n° 1013, au profit de la rédaction actuelle de l’alinéa 3 de l’article 1er.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je suis favorable à cet amendement. Il ne paraît pas nécessaire de faire figurer le terme « psychologique » ici, dans la mesure où l’équipe pluridisciplinaire comporte, de fait, des psychologues ou des psychiatres.

M. Bruno Fuchs. De très nombreux amendements ont tenté de faire évoluer la rédaction initiale, qui rapprochait la procédure de la PMA de celle de l’adoption, dans le but de responsabiliser davantage les parents. La rédaction proposée par Mme Martine Wonner me semble préférable à la rédaction initiale, qui n’était pas tout à fait adaptée.

M. Jean-François Eliaou. Monsieur Bazin, les mots ont un sens : il y a une réelle différence entre une « évaluation » et des « entretiens » – au pluriel. Une évaluation implique une grille et des points ; il n’est pas question de recourir à ce type de pratique dans le cas qui nous occupe. Le fait que les entretiens soient réalisés par une équipe clinicobiologique pluridisciplinaire a un sens : celle-ci ne comporte pas que des psys, on y trouve aussi des biologistes, des cliniciens et éventuellement des gynécologues, qui parlent entre eux. La notion de pluridisciplinarité est tout à fait essentielle. Il s’agit d’un colloque singulier entre l’équipe clinicobiologique, qui peut comporter des psychologues ou des psychiatres, et le couple ou la femme. Par ailleurs, ma collègue Elsa Faucillon a eu raison de rappeler qu’il importe de bien distinguer le parcours qui nous occupe aujourd’hui du parcours de l’adoption.

M. Pascal Brindeau. Pardonnez-moi, mais le parcours de l’adoption consiste lui aussi à donner de l’amour à un enfant, en lui donnant des parents. Or le parcours de l’adoption comporte aujourd’hui une évaluation psychologique. Et tous ceux qui ont adopté ou qui ont, dans leur entourage, un couple désireux d’adopter, savent à quel point cette évaluation est terrible et perturbante. Je suis donc en total désaccord avec vous sur l’idée qu’il faudrait distinguer absolument la PMA de l’adoption : ce sont deux manières différentes de fonder une famille et de réaliser un projet parental. Si vous supprimez l’évaluation médicale et psychologique pour la PMA, alors il faut la supprimer aussi pour l’adoption : c’est une question d’éthique.

M. Erwan Balanant. Il ne faut pas, monsieur Brindeau, opposer l’adoption et la PMA.

M. Pascal Brindeau. C’est précisément ce que je viens de dire !

M. Erwan Balanant. Il m’a semblé que vous vouliez faire croire que nous favorisons la PMA par rapport à l’adoption. L’adoption pose elle aussi de vraies questions…

Mme Aurore Bergé. Mais ce n’est pas le sujet !

M. Erwan Balanant. Ce n’est effectivement pas le sujet, mais c’est un sujet auquel je tiens. Vous avez dit tout à l’heure que tous les couples pouvaient adopter. Mais en réalité, seuls les couples mariés peuvent aujourd’hui adopter. Un couple qui n’est pas marié ne peut pas adopter conjointement.

M. Pascal Brindeau. Une femme seule peut adopter !

M. Erwan Balanant. L’un des deux peut adopter, mais cela ne crée pas nécessairement une famille – puisque vous tenez tant à la famille ! Si l’un des deux décède, vous voyez les problèmes qui se posent…

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Balanant, ce n’est pas le sujet.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. J’aimerais, parce que plusieurs d’entre vous m’ont interrogée à ce sujet, expliquer les raisons qui poussent le Gouvernement à évoluer et à modifier la rédaction initiale du projet de loi.

Notre souhait était d’apporter une précision, et non une modification de l’existant. Or la rédaction actuelle apporte une modification, non une précision. Tout d’abord, il n’est pas nécessaire de faire référence à une « évaluation médicale », dans la mesure où elle va de soi, dès lors qu’il y a un acte médical : on ne peut pas réaliser un acte médical sans évaluer le patient. Ensuite, pour répondre à Mme Ménard, il ne s’agit de procéder à une évaluation psychologique à un instant t, mais de procéder à une succession d’entretiens, tout au long du parcours. J’ajoute que ces entretiens seront réalisés par une équipe pluridisciplinaire, ce qui est préférable à l’évaluation par une seule personne à l’entrée du parcours. En définitive, notre souci de précision a conduit à dénaturer ce qu’est la réalité du suivi de ces couples – un suivi dans la durée et dans la pluridisciplinarité – et il a pu laisser croire que nous estimions qu’un entretien psychologique pouvait suffire à faire l’évaluation d’une personne et de son parcours de vie. Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables à l’amendement de Mme Martine Wonner.

Les équipes procèdent déjà à une évaluation pluridisciplinaire : les entretiens psychologiques, avec des psychiatres, des assistantes sociales ou d’autres professionnels, ont déjà lieu. Nous ne souhaitons pas modifier l’existant.

La commission adopte l’amendement n° 2020.

En conséquence, les amendements identiques n° 763 de Mme Nadia Ramassamy, n° 1013 de Mme Emmanuelle Ménard et n° 1825 de Mme Sylvia Pinel tombent, ainsi que l’amendement n° 2123 du rapporteur.

La commission examine ensuite l’amendement n° 1700 de Mme Claire Pitollat.

Mme Sereine Mauborgne. Cet amendement vise à instaurer concrètement des conditions d’équité dans l’accès des personnes à l’assistance médicale à la procréation. Il vise à affirmer de manière spécifique dans la loi que chacun des demandeurs doit pouvoir bénéficier de la même recevabilité lorsque sa demande est émise et du même délai de prise en charge, afin d’éviter toute discrimination dans le traitement des demandes d’AMP en fonction de la ou des demandeurs.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je partage totalement cet objectif, mais il me semble que mes amendements n° 2235 et n° 2236, que nous examinerons un peu plus tard, sont préférables, car plus détaillés.

Mme Sereine Mauborgne. Pourquoi, monsieur le rapporteur, mon amendement et les vôtres ne font-ils pas l’objet d’une discussion commune ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Parce qu’ils ne portent pas sur le même alinéa que le vôtre. Nous examinerons tout à l’heure, en discussion commune, une série d’amendements portant sur la prévention de la discrimination. Le vôtre arrive plus tôt, à un endroit apparemment moins opportun. Mais nous sommes d’accord sur l’objectif.

L’amendement n° 1700 est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 808 de M. Fabien Di Filippo et n° 1036 de Mme Émilie Bonnivard.

M. Fabien Di Filippo. La PMA permet aujourd’hui aux couples hétérosexuels qui souhaitent avoir un enfant de surmonter des difficultés médicales. L’étendre aux femmes seules et aux couples de femmes, c’est reconnaître le concept d’infertilité sociale, qui avait été introduit dans la loi par la précédente majorité, concept aussi artificiel que chimérique.

Vous prévoyez, en outre, sa prise en charge à 100 % par la sécurité sociale. Or il faut savoir qu’un essai de PMA coûte un peu plus de 5 000 euros en moyenne. On peut se demander s’il revient au contribuable national, à la solidarité nationale, de prendre en charge le désir d’enfant des couples homosexuels ou des femmes seules. Je ne le pense pas, surtout au moment où votre gouvernement a décidé de dérembourser les médicaments contre la maladie d’Alzheimer ou certains médicaments d’homéopathie. Telle est la question que pose mon amendement n° 808.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 1036 vient d’être défendu. J’ajoute que le coût total d’une PMA peut atteindre 20 000 euros si l’on prend en compte l’intégralité du parcours.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. On estime que la prise en charge de l’AMP par l’assurance maladie va augmenter de 10 %. Sur le fond, je vous renvoie à l’avis du Conseil d’État, qui estime que la PMA pour toutes instaure un traitement égalitaire entre toutes les personnes bénéficiaires de la protection universelle maladie ayant recours à une AMP, ce qui apparaît conforme au principe d’égalité devant la protection sociale, comme au principe de solidarité, dont le Conseil d’État a rappelé qu’il constituait l’un des trois principes fondateurs du modèle bioéthique français, avec les principes de dignité et de liberté. Pour ne pas entraver ces principes fondateurs de la bioéthique à la française, nous pensons qu’il est nécessaire que la prise en charge soit la même pour les femmes seules, pour les couples de femmes et pour les couples hétérosexuels. La vérité oblige d’ailleurs à dire que les femmes en couple ou les femmes seules qui se rendent en Belgique, en Espagne ou ailleurs pour accéder à l’AMP, bénéficient déjà de la prise en charge d’un grand nombre d’examens effectués préalablement en France.

Je note, au passage, qu’il est inexact de désigner, comme vous le faites dans votre amendement, l’AMP comme un acte unique, car il s’agit en réalité d’une succession d’interventions – mais peu importe. Sur le fond, il nous paraît tout à fait indispensable, si nous voulons respecter les principes de bioéthique français, d’assurer cette prise en charge par l’assurance maladie.

Mme Aurore Bergé. L’enjeu, c’est tout simplement celui de l’effectivité du droit que nous ouvrons. Dès lors que l’on souhaite que chaque femme, quel que soit son statut matrimonial ou son orientation sexuelle, puisse avoir accès à la PMA, il faut être cohérent et faire en sorte qu’elle soit prise en charge par l’assurance maladie. On ne peut pas introduire une distinction entre celles qui pourraient être remboursées, au motif qu’elles sont en couple hétérosexuel, et celles qui ne pourraient pas l’être et qui, de fait, n’auraient pas accès à la nouvelle possibilité qui leur est ouverte. Par souci de cohérence, le groupe de La République en Marche est défavorable à ces amendements.

M. Pierre Dharréville. Premièrement, je ne crois pas que les personnes qui vont s’engager dans une PMA le feront à la légère. Deuxièmement, cette extension du recours possible à l’AMP n’aurait pas de sens sans le remboursement : c’est la condition de l’effectivité du droit. Cela poserait, pour le coup, une question éthique que nous serions incapables de résoudre. La PMA ne doit pas être un terrain d’inégalité.

M. Guillaume Chiche. Comme notre collègue Aurore Bergé l’a très bien dit, il y va de l’effectivité du droit. Au-delà, ces amendements remettent en cause l’un des principes fondateurs de notre sécurité sociale, celui qui veut que chacun cotise en fonction de ses moyens et perçoive en fonction de ses besoins. Je n’énumérerai pas tous les soins pris en charge par la sécurité sociale, pour lesquels des femmes en couple lesbien cotisent, alors même qu’elles n’y auront jamais recours.

M. Fabien Di Filippo. Comme tous les Français !

M. Guillaume Chiche. Ce sont les principes d’universalité et de solidarité. Aujourd’hui, monsieur Di Filippo, des femmes en couple lesbien cotisent, comme tous les Français, à la sécurité sociale, ce qui permet de prendre en charge des aides médicales à la procréation réalisées par les couples hétérosexuels. Je ne vois donc pas au nom de quel principe nous les exclurions de cette prise en charge, alors même que nous prenons en charge cette pratique pour d’autres personnes, dans les mêmes conditions.

M. Pascal Brindeau. J’aimerais que la majorité fasse preuve d’un peu de cohérence. Monsieur le rapporteur, depuis le début de nos débats, vous ne cessez de nous expliquer en long, en large et en travers que l’accès à l’AMP n’est pas un acte thérapeutique ni médical. Il me semblait que la création de la sécurité sociale et de la branche d’assurance maladie était destinée à couvrir des risques liés à la maladie et à la pathologie pour l’ensemble de nos concitoyens.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Pas seulement ! L’IVG n’est pas un acte thérapeutique, mais il est pris en charge.

M. Pascal Brindeau. Expliquez-nous pourquoi, aujourd’hui, vous voulez absolument qu’un acte ni médical, ni thérapeutique, soit pris en charge par l’assurance maladie.

Mme Aurore Bergé. C’est un acte médical, même s’il n’est pas thérapeutique, puisque ce sont des médecins qui le réalisent.

M. Pascal Brindeau. Puisque vous justifiez que l’on dérembourse un certain nombre d’actes ou de prescriptions, sous prétexte qu’ils relèvent du confort et non du soin à proprement parler, pourquoi ne pourrait-on pas distinguer les PMA « thérapeutiques », en tout cas destinées à pallier l’infertilité, présupposée ou pathologique, d’un couple hétérosexuel, et celles qui découlent d’un choix social fait par une femme seule ou par un couple de femmes ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le groupe Socialistes et apparentés ne s’inscrit absolument pas dans la logique de ces amendements. On ne peut pas, au moment même où nous créons un droit, introduire une inégalité. Au nom des principes d’égalité et de solidarité, nous voterons contre ces amendements.

Mme Sereine Mauborgne. Premièrement, la sécurité sociale sert aussi à financer des actes de prévention et d’éducation. Deuxièmement lorsque des couples hétérosexuels recourent à l’AMP, l’infertilité est supposée, mais n’a pas toujours de réalité physique : il arrive d’ailleurs que des couples arrivent à avoir un enfant après avoir bénéficié d’une AMP. Enfin, on ne peut pas défendre d’un côté la non-marchandisation du corps et, de l’autre, défendre un système à double entrée, dans lequel le même dispositif serait payant pour les homosexuels et remboursé pour les hétérosexuels. Pour moi, c’est la porte ouverte à la marchandisation et à l’ouverture au privé : la sécurité sociale a le mérite de fixer, pour chaque acte, un tarif unique.

Mme Caroline Fiat. Alors que, depuis plusieurs semaines, nous entendons parler de marchandisation du corps, voilà que vous proposez l’achat des gamètes ! Votre amendement ferait presque peur car, alors que vous redoutez cette évolution, vous nous dites : « On va discriminer et les gens achèteront des gamètes. » Il faut rester cohérent, sinon cela ne peut pas marcher !

M. Thibault Bazin. Mon collègue Di Filippo n’a pas du tout parlé d’achat de gamètes ! Cette prise en charge par l’assurance maladie fait d’autant plus débat qu’elle ne dépend pas de l’orientation sexuelle, puisqu’elle est également ouverte aux femmes seules. Dans le contexte actuel, nous devons nous poser une question de principe : devons-nous aller sur ce terrain où l’on ne s’occupe pas de maladie ? C’est un choix, mais cela met en jeu notre rapport à notre pacte sur l’assurance maladie.

Deuxième remarque, qui n’est pas anodine : nous débattrons tout à l’heure de l’alinéa 41, par lequel vous supprimez la prise en charge du traitement de l’infertilité. La lutte contre l’infertilité est une vraie cause nationale ; la suppression de la prise en charge de son traitement à l’alinéa 41 me pose problème.

Mme Emmanuelle Ménard. Je suis étonnée par une chose toute simple : vous préconisez le remboursement de la PMA par la sécurité sociale au nom de l’égalité, tout en ne cessant de nous rappeler que nous ne sommes pas dans le cadre d’une loi d’égalité. Vous invoquez le principe d’égalité, mais seulement quand cela vous arrange ! J’aimerais un peu de cohérence : soit le principe de l’égalité s’applique entre tous les couples, sans oublier les femmes seules, et alors cela vaut dans tous les domaines ; soit il ne s’agit pas d’une loi d’égalité et on en tire les conséquences. Mais on ne peut pas jouer sur tous les tableaux !

M. Philippe Berta. Je rappelle que pour les PMA pratiquées à l’étranger, toutes les phases préparatoires de l’acte sont déjà prises en charge en France et financées par la sécurité sociale.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je ne reprendrai pas tous les arguments déjà avancés sur l’universalité de l’assurance maladie. Je veux juste rappeler que la sécurité sociale rembourse déjà de nombreux actes non thérapeutiques. Ainsi, la chirurgie esthétique, sur un ressenti de mal-être, par essence subjectif, est prise en charge par la sécurité sociale ; on pourrait citer beaucoup d’autres exemples. La sécurité sociale ne se contente pas de prendre en charge le traitement des maladies : elle rembourse également des actes préventifs, de dépistage ou de confort quand le ressenti de l’inconfort est trop important. Cet argument ne tient donc pas.

Le deuxième argument que je trouve fallacieux, pour répondre à M. Di Filippo, est celui du remboursement et du déremboursement. Je veux rappeler ce qui fait qu’un acte est remboursé ou non dans notre système de sécurité sociale : son efficacité est évaluée par la Haute Autorité de santé sur la base de critères objectifs. Il n’y a donc pas lieu de mettre en regard le déremboursement de médicaments. Ainsi, je souhaiterais qu’il existe des médicaments efficaces contre la maladie d’Alzheimer, que je pourrais rembourser : c’est le rêve de tous les Français. Si certains médicaments ont été déremboursés, c’est parce que la Haute Autorité de santé a rendu un avis non seulement défavorable, mais faisant même état de risques particuliers avec ces traitements ; il en va de même pour l’homéopathie. L’avis de la ministre sur le déremboursement n’a pas d’intérêt. En ce qui concerne les actes de procréation médicalement assistée, la Haute Autorité de santé a évalué les pratiques, considéré qu’elles étaient efficaces et fixé leur tarif.

Nous souhaitons simplement rendre ce droit effectif en permettant sa prise en charge par l’assurance maladie. M. Berta a tout à fait raison de préciser que nombre de femmes pratiquant aujourd’hui une PMA à l’étranger se voient prescrire et rembourser la totalité de leur bilan en France. Ne nous voilons pas la face : il est nécessaire de rendre l’accès à ce droit réel. Il n’y a pas d’idéologie dans le remboursement ou dans le déremboursement d’actes : quand ils sont efficaces, ils sont remboursés.

La commission rejette successivement les amendements n° 808 et 1036.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1590 de M. Matthieu Orphelin et n° 1948 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement n° 1590 vise à ouvrir l’accès à la PMA aux hommes transgenres. Depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, il n’est plus nécessaire de démontrer qu’une opération chirurgicale a été réalisée pour pouvoir changer de sexe. Désormais, des personnes nées avec un appareil reproducteur féminin peuvent, sans avoir été opérées, faire reconnaître à l’état civil une autre identité de genre. La rédaction actuelle du projet de loi les exclut de l’ouverture de l’accès à la PMA : le présent amendement vise à y remédier.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. L’amendement n° 1948 est proche de celui de M. Orphelin. L’argument selon lequel une femme seule désirant un enfant parviendra à ses fins peut également s’appliquer à un homme trans seul, tout comme les arguments sanitaires.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable à ces deux amendements, presque identiques, qui permettent de prévenir une discrimination vis-à-vis des personnes transgenres. Choisissez l’un ou l’autre : M. Orphelin souhaite-t-il retirer son amendement en faveur de celui de Mme Vanceunebrock‑Mialon, ou l’inverse ? Je vous laisse décider entre vous.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement n’est pas favorable à ces amendements car, dans la vie civile, seule l’identité indiquée à l’état civil est prise en compte. Si une femme transgenre décide de changer de sexe et devient un homme à l’état civil, elle n’aura pas accès à la PMA car cela aboutirait à ce qu’un homme à l’état civil devienne mère : ce serait compliqué ! Nous souhaitons donc en rester à l’état civil. De ce fait, une femme transgenre qui devient homme mais ne l’inscrit pas à l’état civil pourra, elle, accéder à la PMA.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai du mal à entendre l’argument simpliste selon lequel il ne servirait à rien de ne pas prévoir cette disposition au motif qu’une femme, qu’elle soit trans ou non, parviendra toujours à ses fins. Il y a une différence entre une femme décidée à tout faire pour recourir à une PMA et concevoir un enfant, et le fait que le législateur organise cette possibilité. Nous avons évoqué tout à l’heure le cas des enfants naissant sans père à cause d’un accident de la vie : il y a une différence fondamentale entre un enfant grandissant sans père pour cette raison et le fait que le législateur organise la mise à l’écart du père. C’est un choix de société et, pour ma part, je ne souscris pas à l’organisation de la mise à l’écart du père. Nous prendrions la responsabilité de faire naître des enfants dans des situations particulièrement compliquées. Les accidents de la vie, c’est une chose ; l’organisation de ces accidents, qui, de ce fait, ne seraient plus des accidents, en est une autre.

M. Charles de Courson. La nuit dernière, madame la ministre, vous nous avez expliqué que certaines femmes devenaient hommes mais gardaient leur appareil reproductif. La question n’est donc pas théorique : si une telle femme bénéficie d’une PMA dans un autre pays, elle déclarera à l’état civil français un enfant né d’un homme. C’est bien un homme à l’état civil français qui accouchera d’un enfant, que nous serons bien obligés de reconnaître. Ce texte offre donc une belle illustration d’une certaine incohérence. Nous aurons beau interdire en droit français l’accès à la PMA à ces ex-femmes transgenres, celles-ci iront à l’étranger : dès lors, votre argument tombe.

M. Ugo Bernalicis. Nous soutenons l’amendement de notre collègue Orphelin. Nous avions d’ailleurs déposé un amendement proposant quasiment la même chose mais il a été retoqué pour irrecevabilité au titre de l’article 40 – je ne vois pas bien pourquoi.

Il faut avancer sur ce sujet car nous rencontrerons des situations de fait proprement ingérables. L’amendement, tel qu’il a été rédigé par Matthieu Orphelin, est assez clair et permet de résoudre la situation. Je comprends que notre collègue Ménard soit en désaccord avec nous : oui, nous sommes un certain nombre à souhaiter que le législateur permette que le changement de sexe à l’état civil ne fasse pas obstacle à l’accès à l’assistance médicale à la procréation.

M. Thibault Bazin. Nous voyons bien la situation confuse créée par ce projet de loi. Madame la ministre, vous avez indiqué que la femme transgenre qui ne déclarerait pas son changement de sexe à l’état civil pourrait accéder à la PMA : que se passera-t-il alors à l’état civil pour l’enfant ?

Mme Annie Genevard. Dans le cas de figure, assez invraisemblable, que nous venons d’évoquer – un père qui deviendrait une mère –, il me semble que se repose la question de l’évaluation psychologique.

Mme Agnès Thill. J’entends qu’on souhaiterait autoriser l’AMP aux personnes transgenres. J’aimerais juste savoir si quelqu’un, ici, s’est posé la question de l’intérêt des enfants issus d’une personne transgenre ayant eu accès à l’AMP.

M. Raphaël Gérard. J’entends beaucoup de choses extrêmement imprécises, qui montrent bien la difficulté du sujet. La législation existante permet d’ores et déjà l’accès à la PMA dans un certain nombre de cas, notamment celui d’un homme transgenre en couple avec une femme cisgenre ; à ma connaissance, une cinquantaine d’enfants sont déjà nés dans ce cadre, et l’étude que leur a consacrée Mme Agnès Condat montre qu’ils s’épanouissent parfaitement dans leur famille. Cette étude a comparé une trentaine d’enfants nés dans une famille composée d’une mère cisgenre et d’un père transgenre avec des enfants nés dans une famille hétérosexuelle standard, une troisième cohorte permettant de valider les résultats de cette étude.

Le deuxième problème est juridique et trouve son origine dans la loi de 2016, qui a facilité le changement de sexe à l’état civil en démédicalisant le processus. Jusqu’en 2016, le changement de sexe à l’état civil imposait une stérilisation ; la France, condamnée pour cette pratique barbare, l’a abandonnée – c’est une très bonne chose. Toutefois, le législateur de 2016 n’a pas tiré les conséquences de cette décision. Depuis 2016, des enfants naissent dans ce pays avec un parent trans, qu’il soit homme ou femme, et leur filiation pose un véritable problème de droit.

Par ailleurs, comme l’indiquait Mme la ministre, un homme transgenre qui n’a pas déclaré son changement de sexe à l’état civil aura accès à la PMA dans la mesure où il est toujours considéré comme une femme à l’état civil ; en revanche, une personne trans qui aura inscrit son changement de sexe à l’état civil n’y aura pas accès. Le projet de loi pose donc un problème de discrimination, qu’il conviendra de trancher.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je veux rappeler que la démarche des personnes transgenres passe par divers stades évolutifs, parfois avec des traitements, parfois sans. C’est pourquoi nous avons décidé d’en rester à la notion de changement d’état civil, acte volontaire et indépendant de l’évolution médicale réelle de la personne, qu’elle subisse des traitements ou non. Certaines femmes transgenres reçoivent un traitement qui les rend infertiles tout en conservant un appareil génital féminin. D’autres, au contraire, ne suivent pas de traitement particulier ; elles pourront néanmoins se déclarer hommes, puisque la loi leur permet de le faire sans recevoir de traitement. Mais nous ne souhaitons pas ouvrir à des hommes transgenres à l’état civil la possibilité d’accéder à la PMA. Si quelqu’un fait une PMA à l’étranger, situation évoquée par M. de Courson, ou même fait un enfant par voie naturelle, cela posera un problème de filiation puisque c’est un homme qui donne naissance… Je laisse donc la parole à Nicole Belloubet (Sourires), qui est régulièrement confrontée à cette question.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Cela s’appelle la solidarité gouvernementale ! (Sourires.)

Rappelons d’abord que de telles situations sont extrêmement rares : elles se comptent sur les doigts d’une main dans une année. Ensuite, les quelques cas que nous connaissons n’ont rien à voir avec la PMA : ce sont des cas de filiation charnelle. Par ailleurs, l’objectif de la loi est de fixer des règles générales et non de traiter des cas singuliers.

La loi de 2016 a facilité le changement de sexe à l’état civil, désormais possible sans geste médical. De ce fait, nous considérons la personne uniquement selon son sexe à l’état civil : ainsi, un homme qui serait devenu femme à l’état civil pourrait recourir à une PMA avec une autre femme. Il n’est donc pas besoin d’indiquer quoi que ce soit de particulier dans la loi puisque les règles s’appliquent en fonction du sexe mentionné à l’état civil.

M. Thibault Bazin. La question mérite d’être posée : une femme devenue homme mais qui a conservé son appareil reproductif aura-t-elle le droit, en l’état actuel du texte, de recourir à la PMA ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Seul l’état civil compte. Une femme ayant gardé un utérus fonctionnel qui décide de devenir un homme et change son sexe à l’état civil n’aura pas droit à la PMA dans la mesure où elle est un homme à l’état civil.

À l’inverse, un homme décidant de devenir une femme ne peut évidemment pas être lui-même enceinte. Toutefois, s’il est devenu une femme à l’état civil, il pourra accéder à la PMA dans le cadre d’un couple homosexuel, sa conjointe bénéficiant d’un don de gamètes. Les règles que nous inscrivons dans la loi sont liées à l’état civil des personnes. Prenez un papier et un crayon, élaborez toutes les hypothèses que vous souhaitez, mais je vous ai résumé les deux grands cas de figure.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. J’ajoute que le juge est là précisément pour traiter ces cas singuliers. Nous n’avons pas forcément besoin de tout prévoir dans la loi : la jurisprudence fera son œuvre.

M. Thibault Bazin. À la suite de la loi de 2016, une femme qui se dit homme mais qui a conservé son appareil reproductif peut avoir accès à la PMA, pour peu qu’elle n’ait pas changé son état civil.

La commission rejette successivement les amendements n° 1590 et n° 1948.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 632 et n° 638 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Défendus.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable à ces deux amendements.

La commission rejette successivement ces amendements.

Elle en vient ensuite à l’examen, en discussion commune, des amendements n° 867 de M. Maxime Minot,  1553 de M. Bruno Fuchs et n° 1819 de Mme Sylvia Pinel.

M. Maxime Minot. Le critère de l’infertilité, médicale ou biologique, ne doit pas être mis de côté par le projet de loi. C’est en effet ce critère qui pousse à recourir à l’AMP. Mon amendement n° 867 vise donc à se rapprocher de la définition de la PMA de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique. L’ouverture du recours à l’AMP ne vient nullement remettre en cause l’actuelle AMP pour les couples hétérosexuels connaissant un problème d’infertilité. Le présent amendement vise seulement à prendre en compte les nouveaux bénéficiaires de l’AMP.

Le maintien du critère de l’infertilité comme condition nécessaire au recours à l’AMP est plus que nécessaire, pour deux raisons : d’une part, une suppression de ce critère pourrait faire craindre un déremboursement de l’AMP par la sécurité sociale ; d’autre part, le critère d’infertilité a une importance primordiale sur le plan psychologique, car le recours à l’AMP ne constitue en aucun cas un mode de conception de confort, contrairement à ce que certains avancent encore aujourd’hui.

M. Bruno Fuchs. L’amendement n° 1553 a le même objet : il s’agit d’élargir la définition de la PMA en y intégrant l’infertilité. Cela correspond à la définition d’origine et concerne statistiquement beaucoup plus de bénéficiaires. Il est important de ne pas changer la définition car cela donnerait l’impression qu’il est extrêmement facile de recourir à la PMA, qu’il s’agit d’une PMA de confort. Psychologiquement, cela n’enverrait pas un bon signal car nous savons très bien que le parcours est lourd et extrêmement difficile. Il faut donc en rester à une définition plus médicale, tout en l’élargissant aux nouveaux bénéficiaires.

M. Philippe Vigier. Avec cet amendement n° 1819, nous nous associons à ce que viennent de dire nos collègues. À entendre les professeurs d’université et les praticiens que nous avons auditionnés, la fertilité en France, comparée aux autres pays européens, est plutôt en régression. Nous sommes assez largement favorables à l’ouverture de la PMA aux femmes seules ou en couple, mais je ne vois pas pourquoi vous avez écarté le critère de l’infertilité, envoyant ainsi un mauvais signal à toutes celles et à tous ceux qui en souffrent. L’élargissement se fait donc à leur détriment, qu’ils s’agissent de couples hétérosexuels ou non.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ces différents amendements ont tendance à restreindre au champ de l’infertilité le recours à la PMA, ce qui n’est pas dans l’objet de la loi, laquelle ne se limite pas aux cas d’infertilité médicalement ou biologiquement constatée. Je souhaite donc le retrait de ces amendements, qui sont en contradiction avec l’objet même de la loi.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas votre argumentation. L’amendement défendu par notre collègue Vigier évoque d’un côté l’infertilité biologique ou médicale et, d’autre part, la possibilité d’une transmission d’une maladie très grave à l’enfant. Cela devrait couvrir le champ. Selon vous, il existerait d’autres cas de figure : pouvez-vous nous préciser lesquels ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Monsieur Vigier, il y a une confusion sur ce que vous entendez par « infertilité biologique ». Pouvez-vous nous expliquer précisément ce que vous entendez par là ?

M. Philippe Vigier. C’est assez simple… Les critères de l’infertilité biologique sont connus : soit les gamètes sont capables d’assurer une fécondation, soit ils sont déficients ou absents et il faut alors chercher des gamètes d’emprunt. La loi permet à des couples hétérosexuels connaissant de tels problèmes de trouver une solution. Toutefois, la prise en charge de ces couples varie sur le territoire français, les médecins eux-mêmes expliquant que, selon les régions, l’on sort des protocoles à quarante-trois ans – c’est la loi – ou bien à trente-huit ou trente-neuf ans. Il y a un vrai problème d’infertilité, contre laquelle il faut lutter. Quel mauvais message nous enverrions si cette loi ne devenait qu’une loi de convenance, réservant la PMA aux seules femmes en couple ! Je suis favorable à un élargissement de la PMA à tous mais, en tant que biologiste, je ne peux laisser faire cette régression, alors même que les causes d’infertilité ne cessent d’augmenter. Élargissez, certes, mais n’oubliez pas le public pour lequel ont été mises en place, il y a plus de trente ans, les méthodes qui ont permis de progresser dans ce domaine !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous incluons dans le projet de loi toute femme seule, de même que nous incluons tout couple de femmes, qu’elles aient ou non une infertilité biologique ou médicale. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ces amendements

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je ne peux que surenchérir : les couples de femmes ou les femmes seules ne souffrent pas d’infertilité ; biologiquement parlant, elles sont fertiles.

M. Philippe Vigier. Pas forcément !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Est-ce à dire que vous souhaitez réserver l’AMP aux seules personnes infertiles biologiquement ?

M. Philippe Vigier. Pas du tout, madame la ministre. Nous souhaitons surtout ne pas oublier l’infertilité, qui concerne tant les couples hétérosexuels que les femmes seules ou les femmes en couple. Nous sommes favorables à l’élargissement à des personnes fertiles en couple ou seules ; en revanche, ne laissez pas de côté des femmes infertiles, qui peuvent être seules, en couple homosexuel ou hétérosexuel. Cela me paraît simple.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends mieux votre état d’esprit, mais je ne vois pas en quoi la rédaction actuelle interdirait à des femmes seules infertiles d’avoir accès à l’AMP et de faire une recherche d’infertilité. Dans des couples de femmes, pourquoi une femme qui, dans une démarche d’AMP, n’arriverait pas à tomber enceinte, n’aurait-elle pas droit à une recherche d’infertilité ? Je ne comprends pas en quoi le texte de loi serait amélioré par ces amendements et je ne vois pas en quoi il empêcherait de prendre en charge des femmes infertiles homosexuelles ou seules. En réalité, le texte n’est en rien restrictif : il vaut pour toute cause d’infertilité et tout type de femme.

La commission rejette successivement les amendements n° 867, 1553 et 1819.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1773 de M. Raphaël Gérard et  1947 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, les amendements identiques n° 2236 de M. Jean-Louis Touraine et n° 1774 de M. Raphaël Gérard, ainsi que les amendements n° 1166 de M. Didier Baichère  872 de M. Maxime Minot, n° 1912 de M. Didier Martin, n° 1587 de M. Matthieu Orphelin, n° 1555 de M. Bruno Fuchs et n° 2018 de M. Guillaume Chiche.

M. Raphaël Gérard. L’amendement n° 1773 vise à affirmer le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement dans l’accès à la PMA. Comme je l’ai déjà souligné, les pratiques dans les CECOS sont un peu disparates, allant jusqu’à la discrimination de certains couples candidats à l’AMP. Cela étant, j’avais volontairement présenté cet amendement de manière assez large, peut-être un peu trop large : je le retire donc au profit de l’amendement n° 2018 de M. Chiche. Je verrai lors de l’examen en séance s’il faut y apporter des précisions.

L’amendement n° 1773 est retiré.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Pour répondre aux inquiétudes concernant une éventuelle hiérarchisation des demandes d’accès à une AMP qui se fonderait sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes concernées, le législateur doit préciser qu’il ne peut y avoir de discrimination dans ce domaine.

J’insiste ici sur la non-discrimination liée à l’identité de genre d’une personne. Ne pas prendre cette discrimination en compte serait le signe que nous peinons encore à reconnaître l’égalité des droits aux personnes transgenres. Pourtant, il faut tenir compte des quelques rares avancées qui ont été réalisées ces dernières années : depuis la loi de 2016 sur la modernisation de la justice, les personnes trans ont accès à l’autoconservation de leurs gamètes et à l’AMP. C’est pourquoi nous ne pouvons reculer, et nous devons, au contraire, affirmer notre engagement contre la discrimination liée à l’identité de genre. Tel est l’objet de mon amendement n° 1947.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il ne doit y avoir aucune différence de traitement liée au statut conjugal, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre. Mon amendement n° 2236, le plus complet de la série, propose que ce principe de non-discrimination soit inscrit dans la loi.

M. Raphaël Gérard. Mon amendement n° 1774 est identique. Il s’agit de préciser que l’identité de genre ne doit pas faire obstacle à l’accès à l’AMP.

M. Didier Baichère. Nous retirons l’amendement n° 1166 au profit de l’amendement n° 2018.

M. Maxime Minot. Chaque couple ou personne souhaitant avoir recours à l’AMP doit être pris en charge de manière égalitaire et uniforme, sans considération de son sexe, de sa situation matrimoniale ou de son orientation sexuelle. Les nouveaux bénéficiaires de l’AMP ne doivent en aucun cas être moins bien traités que les bénéficiaires initiaux.

Mon amendement n° 872 vise donc à renforcer le principe d’égalité entre chaque bénéficiaire d’une AMP, qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel, d’un couple de femmes ou d’une femme célibataire ; il ne doit y avoir aucune discrimination ou hiérarchisation entre eux.

M. Didier Martin. L’amendement n° 1912 est retiré au profit de l’amendement n° 2018.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement n° 1587 est également retiré.

M. Bruno Fuchs. Le législateur doit inscrire le principe de non-discrimination dans le texte. L’amendement n° 1555 propose une formulation simple et courte : « Cet accès est équivalent en termes de recevabilité de la demande et de délai de prise en charge médicale. »

M. Guillaume Chiche. Je remercie mes collègues qui acceptent de retirer leurs amendements au profit de l’amendement n° 2018, qui vise à préciser dans la loi le principe de non-discrimination au cœur de notre volonté commune d’élargir l’accès à la PMA à toutes les femmes. Il dispose ainsi que cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des personnes.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ces amendements sont très comparables. Je propose d’adopter le plus complet, mon amendement n° 2236, lequel dispose qu’aucune différence de traitement ne saurait être appliquée, notamment au regard du statut conjugal, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre des personnes. Ce qui fera tomber les autres.

M. Pascal Brindeau. Je m’interroge sur l’objectif que vous poursuivez. En effet, dès lors que l’article 1er ouvre le droit à l’assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes et les femmes seules, il interdit a priori toute discrimination ; ces amendements me semblent surtout de nature à jeter la suspicion sur les CECOS et les centres d’AMP dans leur gestion d’une éventuelle pénurie de gamètes.

En pointant les choix qu’ils auront à faire entre les différents bénéficiaires, on touche au cœur du problème que pose l’extension de l’AMP, à savoir le risque que ces centres ne soient pas en mesure de répondre à toutes les demandes d’AMP supplémentaires qui ne manqueront pas de se faire jour.

M. Erwan Balanant. Je trouve l’amendement de M. Chiche très pertinent, mais je souhaiterais le sous-amender pour préciser qu’aucune discrimination ne peut se fonder sur l’identité de genre.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Auquel cas il va falloir nous le transmettre sous forme écrite, monsieur Balanant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce sous-amendement est inutile puisque cette précision figure dans l’amendement n° 2236.

M. Bruno Fuchs. Pour ma part, je maintiens que la formulation de mon amendement n° 1555 est plus simple mais produit les mêmes effets, puisqu’il préconise un accès équivalent en termes de recevabilité de la demande et de délais de prise en charge médicale.

M. Thibault Bazin. Quand on crée des droits, il faut savoir envisager toutes leurs conséquences. Or les équipes pluridisciplinaires s’inquiètent des éventuels soupçons de discrimination dont certains bénéficiaires potentiels pourraient les accuser en cas d’allongement des délais d’accès à une AMP, uniquement due à la pénurie de gamètes.

De même, en cas de refus d’une AMP, l’équipe ne doit pouvoir être soupçonnée d’avoir agi de manière discriminante. C’est la raison pour laquelle il me semble que, si l’on mentionne des critères de discrimination, il faut tous les mentionner. Ou n’en inscrire aucun.

M. Charles de Courson. Il ne faut adopter aucun de ces amendements. En effet, nous connaissons une pénurie de gamètes, que l’adoption de cette loi va aggraver. Le véritable problème est celui de la gestion des files d’attente, ce qui me paraît une question réglementaire. Il me paraîtrait donc plus sage d’indiquer que les critères de gestion des files d’attente – premier arrivé, premier servi ou autres – seront fixés par décret, dans le respect du principe de non-discrimination, point. Ces amendements, s’ils étaient adoptés, pourraient aller à l’encontre de l’objectif souhaité par leurs auteurs.

Mme Aurore Bergé. Notre groupe souhaite soutenir collectivement un amendement qui garantisse l’effectivité d’un accès à l’AMP sans aucun risque de discrimination, notamment en raison de l’orientation sexuelle ou du statut matrimonial. Il n’y a là aucune défiance vis-à-vis des centres et voulons simplement que ce principe de non-discrimination soit inscrit dans la loi, seulement la volonté de nous prémunir de tout risque de dérive.

En ce qui concerne ensuite une éventuelle pénurie de gamètes, sujet récurrent, les spécialistes ont plutôt fait état d’une gestion à flux tendus, sachant que le Gouvernement a décidé que, désormais, tout serait mis en œuvre pour augmenter le nombre de donneurs potentiels, au-delà des trois cents donneurs par an dont nous disposons aujourd’hui.

M. Patrick Hetzel. Le principe de non-discrimination est un principe général qui s’impose de lui-même, dans cette nouvelle loi, à l’AMP. Vouloir l’inscrire dans cet article pourrait laisser penser qu’en réalité son application pose problème. Cela pourrait en effet être le cas pour une question de gestion des flux. Or, par définition, la question de la gestion des flux n’a rien d’intangible et, plutôt que de vouloir la résoudre en l’inscrivant « en dur » dans la loi, il me semble qu’il serait préférable que le Gouvernement opte pour un dispositif réglementaire.

Mme Annie Genevard. À vous écouter, j’ai le sentiment que l’affirmation de ce principe est faite pour vous rassurer. Vous éprouvez le besoin d’affirmer ce principe de non-discrimination, car vous savez que son application risque d’être compromise par les choix qui devront être faits entre les bénéficiaires potentiels, du fait de l’indisponibilité des gamètes.

En outre, un choix suppose toujours une forme de discrimination au sens étymologique du terme : on choisit une solution plutôt qu’une autre, un receveur plutôt qu’un autre. On aurait tort d’évacuer le principe de réalité, tel qu’il a été exposé par M. Charles de Courson. Je ne suis donc pas favorable à ces amendements.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 2018 présenté par M. Guillaume Chiche, non pour des raisons de flux ou de stocks de gamètes, mais parce que nous craignons que, par conviction, certains centres d’AMP se spécialisent, pour telle ou telle raison, dans le traitement des couples hétérosexuels, créant ainsi une forme de discrimination à l’entrée.

Bien qu’elle soit beaucoup agitée, la question du stock et du flux n’est pas une vraie question, car, aujourd’hui, ce qui fait clairement défaut et nécessite trois ans d’attente, ce sont les ovocytes ; or, à ma connaissance, les couples de femmes et les femmes seules n’auront pas besoin d’ovocytes. En ce qui concerne les spermatozoïdes, il n’y a plus aucun problème de délai d’attente depuis que le don a été ouvert aux hommes qui n’ont jamais procréé : on a enregistré en 2017 près de quatre cents donneurs, contre trois cents en 2016, et nous entendons lancer des campagnes d’information pour consolider les stocks.

J’ai expliqué hier que, pour éviter toute tension au moment du passage de l’ancien stock au nouveau stock, nous avons bien prévu trois étapes : une première durant laquelle la PMA sera ouverte aux femmes en couple homosexuel ou seules, pour lesquelles nous continuerons à utiliser le stock de gamètes antérieur, tout en organisant le registre destiné à la future ouverture de l’accès aux origines ; une deuxième étape, au cours de laquelle, le registre ayant été mis en place, nous ferons appel à de nouveaux donneurs, qui seront d’accord pour l’accès aux origines, ce qui nous permettra, sur une durée de plusieurs mois, de reconstituer un stock ; une troisième étape enfin, lorsque ce stock de nouveaux donneurs sera constitué, où il sera possible d’avoir recours à des donneurs ayant permis l’accès aux origines. Cela nous permet de garantir que, lorsque nous passerons d’un type de donneurs à l’autre, le stock aura été reconstitué.

Cessons de brandir ces délais d’attente qui ne concernent que les dons d’ovocytes, dont on sait qu’ils relèvent de procédures plus complexes et plus exigeantes, et qui ne concernent en aucun cas les couples de femmes et les femmes seules.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je voudrais insister sur le fait que notre amendement n° 2236 a été travaillé avec l’ensemble des professionnels, qui ont insisté sur le fait qu’il ne fallait pas limiter les discriminations à l’orientation sexuelle ou au statut matrimonial, mais interdire toutes les discriminations. Nous ne voulons pas nous exposer à voir se reproduire ce qui s’est passé avec l’adoption, où certains conseils de famille ont cherché à privilégier les couples hétérosexuels. Cela étant, je suis favorable au sous-amendement n° 2294 de M. Balanant.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement n’est favorable qu’à l’amendement n° 2018, et défavorable au sous-amendement.

Les amendements n° 1773, n° 1947, n° 1774, n° 1166, n° 1912, n° 1587, n° 1555 sont retirés.

La commission rejette successivement les amendements n° 2236 et n° 872.

Elle rejette ensuite le sous-amendement n° 2294.

Puis elle adopte l’amendement n° 2018.

La commission en vient à l’examen de l’amendement n° 2235 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur Il s’agit d’indiquer que l’on ne peut imposer à la femme ou couple receveur l’appariement du donneur de gamètes sur la base des caractéristiques physiques. Je rappelle que l’appariement se pratique actuellement, quand il est souhaité par le couple receveur. Il existe cependant des cas où il devient un obstacle ou une discrimination, lorsque les receveurs appartiennent à des groupes ethniques minoritaires, pour lesquels on ne dispose pas de donneur. Il y a donc dans notre pays toute une catégorie de personnes qui n’ont pas accès à l’AMP, faute de donneurs correctement appariés.

C’est la raison pour laquelle nous proposons d’indiquer que l’on ne doit pas imposer cet appariement mais le satisfaire chaque fois qu’il est souhaité.

M. Pascal Brindeau. Cela signifie en creux que l’on va autoriser le choix par les futurs parents des caractéristiques physiques de l’enfant, puisqu’on interdit aux CECOS et aux centres d’AMP d’imposer des critères d’appariement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Non, c’est exactement le contraire.

M. Pascal Brindeau. On peut avoir des divergences de vues, mais soyez clairs dans vos objectifs : vous êtes en train de créer pour les receveurs le droit de choisir les caractéristiques physiques de leur futur enfant, lesquelles relèvent aujourd’hui de la seule appréciation des centres !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Non, c’est ce qui se pratique actuellement et que nous voulons abolir !

M. Thibault Bazin. Cet amendement est très dangereux car il signifie que les receveurs ont un droit de regard sur l’appariement. C’est ouvrir la porte à l’eugénisme et à ce qui se pratique dans d’autres pays où l’on choisit ses enfants sur catalogue. Il faut absolument voter contre cet amendement.

M. Xavier Breton. Cet amendement témoigne d’une volonté d’éliminer complètement la dimension biologique et corporelle de la filiation pour ne conserver que sa dimension affective et éducative, et cette manière de pouvoir choisir son enfant peut nous conduire très loin.

On peut comprendre l’intention de départ, qui vise à faciliter l’AMP pour les personnes qui ont du mal à trouver des gamètes faute de trouver un profil de donneur appartenant à leur ethnie d’origine, etc. Mais un tel élargissement procède d’un bricolage qui rend possibles toutes les dérives. Il serait donc plus prudent que le rapporteur retire son amendement, à moins que son objectif ne soit véritablement de défendre la vision d’une procréation à la carte.

M. Charles de Courson. Je suis troublé par cet amendement du rapporteur, qui signifie que, contrairement à d’autres, certains couples auront la possibilité de refuser un appariement – encore faut-il que les responsables des services les en avertissent. Vous mettez là le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux, qui revient à laisser in fine le choix aux receveurs. C’est tout à fait contraire à notre tradition en la matière : c’est le début de l’enfant à la carte. Je vois bien l’idée du rapporteur, mais son amendement est totalement contre-productif.

M. Patrick Hetzel. La rédaction de cet amendement pose effectivement un vrai problème, puisqu’il implique qu’à un moment donné, les futurs parents auront leur mot à dire sur certaines caractéristiques physiques du donneur, ces dernières déterminant l’appariement. Cela signifie bien que l’on s’oriente vers un système d’enfant sur catalogue, dans la mesure où ils devront avoir connaissance des critères susceptibles de donner lieu à appariement.

M. Philippe Vigier. Si les receveurs ne peuvent se voir imposer un appariement en fonction des caractéristiques physiques, cela implique qu’on leur offre une forme de choix.

Par ailleurs, si les receveurs ne peuvent se voir imposer un appariement sur des critères physiques, sur quels critères peut-on leur imposer un appariement fondé ?

M. Bruno Fuchs. Cet amendement est inquiétant. Il faudrait préciser quelles informations ont été communiquées aux receveurs pour qu’ils choisissent ou non l’appariement, s’ils doivent ou non justifier leur refus, à combien de refus ils ont droit et ce qu’il advient après ces refus. Au-delà du fait que l’on s’oriente, avec ce type de proposition, vers le principe du choix sur catalogue, l’absence de précisions sur la procédure laisse libre champ à de très nombreuses interprétations.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Si je comprends l’intention du rapporteur, la rédaction de l’amendement me paraît trop ambiguë ; il me paraît difficile de le voter en l’état.

Mme Annie Genevard. Je crois avoir entendu que, dans le cas d’une AMP liée à un problème d’infertilité au sein d’un couple hétérosexuel, on procédait à un appariement qui garantisse une forme de vraisemblance biologique, afin de donner toutes les chances de réussite au projet parental. Est-ce ce type de considération, monsieur le rapporteur, qui a motivé votre amendement, étant entendu que, dans un couple de femmes, la vraisemblance biologique, cela ne fonctionne plus ?

C’est la raison pour laquelle ce qui se comprend pour un couple hétérosexuel se comprend un peu moins dans le cas d’un couple homosexuel. Cette question du choix doit donc retenir toute notre attention car, parmi les lignes rouges que nous nous sommes tous fixées, il y a le refus de l’eugénisme, du choix des caractéristiques physiques de l’enfant à naître.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Si je comprends bien le sens de cet amendement, il entend mettre fin à la pratique de l’appariement sur les caractéristiques physiques, qui présente effectivement deux inconvénients : d’une part, un risque de limitation de l’accès à la PMA pour certaines minorités et, d’autre part, un encouragement à perpétuer une culture du secret, ce que nous ne voulons plus encourager.

Néanmoins, il me semble que la rédaction de cet amendement est problématique et qu’elle mériterait d’être reprécisée.

M. Pierre Dharréville. Les évolutions que nous sommes en train d’opérer doivent en effet nous conduire à interroger cette pratique de l’appariement, de manière à en faire un geste cohérent. Or, en l’état, cet amendement ne me paraît pas répondre exactement aux objectifs poursuivis ; je me demande par ailleurs si de telles précisions ont réellement leur place dans la loi.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Actuellement, les couples ayant recours à l’AMP se voient proposer des gamètes sélectionnés selon un appariement censé donner une vraisemblance à la filiation charnelle, c’est-à-dire assurer la ressemblance physique de l’enfant avec les parents, en fonction de leurs morphotypes. On peut, en ce sens, parler d’eugénisme…

M. Xavier Breton. Ce n’est pas de l’eugénisme, c’est de la vraisemblance biologique !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce à quoi s’ajoute un appariement en fonction des groupes sanguins ABO.

Nous considérons qu’il faut maintenir la possibilité de l’appariement en fonction du morphotype, notamment pour les receveurs souhaitant garder secret le don de gamètes. Certains parents en revanche préfèrent s’en remettre au hasard et récusent toute sélection qui pourrait être assimilée à de l’eugénisme. C’est tout le contraire d’une sélection sur catalogue. Cette option permet en particulier aux membres d’un groupe ethnique minoritaire d’accéder à l’AMP, ce qui n’est pas possible avec un système d’appariement dans la mesure où l’on ne trouve pas de donneurs de gamètes correspondant à leurs caractéristiques physiques.

C’est la raison pour laquelle nous proposons aux receveurs de pouvoir choisir ou non l’appariement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame Genevard, l’emploi du mot « eugénisme » me paraît ici dangereux et tiré par les cheveux. Nous venons d’une époque où la question de la vraisemblance de paternité était essentielle dans les couples parce que l’on souhaitait maintenir le secret de la procréation. Depuis, les choses ont beaucoup évolué. Dans le cadre de leurs bonnes pratiques, les CECOS proposent depuis longtemps un choix binaire aux parents : souhaitez-vous, oui ou non, un enfant qui vous ressemble ? Mais les parents ne choisissent pas les gamètes : c’est aux CECOS de s’arranger pour trouver, dans leur stock, les gamètes les plus proches compte tenu de certaines caractéristiques physiques. Les parents disent simplement s’ils veulent, ou pas, qu’il y ait une vraisemblance physique. Les CECOS essaient alors de faire en sorte que ce soit le cas. Un choix est proposé aux parents, et il n’est pas prévu de revenir sur ces règles de bonne pratique.

Elles n’ont évidemment aucun sens pour des couples de femmes ou pour une femme seule. Pour les couples hétérosexuels, il s’agit de trouver des spermatozoïdes ou des ovocytes permettant une vraisemblance physique ; pour les couples homosexuels ou les femmes seules, la question de la vraisemblance ne se pose pas : il y aura, de toute façon, une suspicion d’AMP impliquant un tiers donneur, et ce sera dit à l’enfant.

Ce que je comprends de l’amendement du rapporteur est qu’il vise à inscrire dans la loi le fait que les receveurs peuvent refuser un appariement. Aujourd’hui, c’est plutôt une proposition qui est faite : les parents ont le choix entre l’appariement ou pas.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Certains CECOS font systématiquement un appariement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Normalement, les parents ne peuvent pas ne pas être informés qu’ils ont le choix : cela fait partie du guide d’information qui leur est remis et dont le contenu est validé par l’Agence de la biomédecine. Les parents sont accompagnés, et il y a une harmonisation des pratiques. Les guides remis doivent donner cette information.

C’est simplement un choix qui est proposé. Ce n’est pas de l’eugénisme : les parents ne vont pas choisir des enfants sur catalogue. Il s’agit de pratiques suivies par les CECOS depuis toujours pour les couples hétérosexuels. Nous ne souhaitons pas revenir sur ces pratiques, mais nous ne souhaitons pas forcément introduire un élément nouveau dans la loi. Je préférerais donc que vous retiriez l’amendement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je ne le peux pas. J’ai été contacté par des personnes qui, dans plusieurs CECOS, se sont vues imposer un appariement alors qu’elles ne le souhaitaient pas. Plus précisément, elles n’ont pas eu accès à l’AMP car on leur a dit que l’on ne trouvait pas de donneurs appariés. On ne leur a pas laissé le choix de bénéficier de gamètes sans appariement. Je crois qu’on ne peut pas laisser ces personnes sur le bord du chemin.

La commission rejette l’amendement n° 2235.

La réunion, suspendue à minuit cinq, est reprise à minuit quinze.

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 634 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 7 de M. Xavier Breton, n° 195 de M. Patrick Hetzel, n° 633 de M. Thibault Bazin et n° 1739 de Mme Emmanuelle Ménard, ainsi que l’amendement n° 635 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 634 tend à créer une clause de conscience pour les médecins et le personnel de santé qui ne souhaiteraient pas participer à l’AMP non pas pour des questions d’orientation sexuelle, mais du fait de l’absence de raison médicale. Le personnel médical ou paramédical appliquant cette clause de conscience dirigera la personne concernée vers un praticien ou un établissement susceptible de pratiquer l’AMP.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 7 vise, dans le même esprit, à faire en sorte que les professionnels de santé ne se reconnaissant pas dans une évolution qui irait vers une médecine de convenance, sans reposer sur des réalités médicales justifiées, puissent dire que cela ne correspond pas à leur conception. Il y a un débat sur cette évolution.

Cette disposition est d’autant plus importante que nous sommes dans une société qui ne permet plus l’expression d’une objection de conscience, à titre personnel. Il y a une pensée unique, imposée par un pouvoir unilatéral qui l’exprime d’une manière très forte, comme le montre la répression, notamment médiatique, des mouvements sociaux. Tout individu doit avoir la possibilité de dire : « ceci est contraire à ma conscience ». Nous devons défendre cette conception des choses.

L’évolution de la médecine interroge, elle fait débat. Il n’y a pas une vérité qui devrait s’imposer. Des choix majoritaires peuvent être faits : c’est la démocratie, mais la démocratie consiste aussi à respecter ceux qui ne se retrouvent pas dans les choix qui sont faits et pour qui les décisions imposées seraient contraires à leur conscience. Face à une évolution de la médecine qui n’est pas souhaitée par certains professionnels, nous proposons d’instaurer une clause de conscience.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 195 est identique au précédent. Je voudrais faire valoir un autre argument : lors des auditions qui ont eu lieu la semaine dernière, les représentants des gynécologues et obstétriciens ont explicitement demandé ce que nous proposons. Ils ont fait part de grandes inquiétudes, en insistant sur le fait que leurs confrères pratiquant dans le secteur public sont susceptibles de faire l’objet de pression des chefs d’établissement. Ils ont souhaité qu’une clause de conscience soit spécifiquement introduite à l’article L. 2141‑2 du code de la santé publique pour s’assurer qu’une telle disposition s’applique à la procréation médicalement assistée.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Vous avez dû faire beaucoup d’auditions tout seul, la semaine dernière… (Sourires.)

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 633 est défendu.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement n° 1739 vise à instaurer une clause de conscience pour les médecins et le personnel de santé qui ne souhaitent pas participer à une AMP sans raison médicale. L’article 47 du code de déontologie médicale établit une règle générale en matière de clause de conscience. En substance, tout médecin peut refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles à condition qu’il ne s’agisse pas d’une urgence et qu’il donne tous les moyens aux patients d’accéder aux soins, par exemple en les réorientant vers un confrère. Or l’article 7 du même code impose aux médecins une attitude non discriminatoire vis-à-vis des patients. Une sorte de conflit juridique peut exister entre ces deux articles. D’où la nécessité, me semble-t-il, d’introduire explicitement dans la loi une clause de conscience afin d’éviter toute ambiguïté.

M. Thibault Bazin. J’ai déposé l’amendement n° 635 à titre de repli – il concerne seulement les médecins et non les autres professionnels de santé. Il prévoit également d’orienter la personne faisant l’objet d’un refus vers un praticien ou un centre susceptible de réaliser l’acte en question.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Une clause de conscience existe déjà : l’article R. 4127-47 du code de la santé publique prévoit que, « hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». Il est tout à fait inutile d’introduire une clause de conscience supplémentaire. Le président de la section Éthique et déontologie du Conseil national de l’Ordre des médecins, le docteur Faroudja, a clairement indiqué lors de son audition qu’un médecin ne peut pas s’abriter derrière la clause de conscience pour faire une discrimination. Il peut dire qu’il ne veut pas s’impliquer lui-même dans tel ou tel acte, mais il confie alors la personne concernée à l’un de ses confrères, apte à pratiquer l’acte demandé. Ajouter une clause de conscience à celle qui figure déjà dans le code de déontologie médicale serait tout à fait inutile, et cela nous exposerait à beaucoup de contestations. Je demande donc le retrait de ces amendements.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je suis défavorable à ces amendements. Permettez-moi de revenir sur la manière dont on a abouti à la situation actuelle.

Un médecin a toujours le droit de ne pas réaliser un acte quand la vie du patient n’est pas en danger : il évalue le cas de chaque malade individuellement, en prenant en compte les risques et les bénéfices, et il peut décider de ne pas agir. C’est son choix. Voilà ce que prévoit le code de déontologie. On raisonne patient par patient, et acte par acte : le médecin évalue à chaque fois l’intérêt du malade et sa propre capacité à réaliser l’acte. La déontologie médicale permet à chaque médecin de refuser de réaliser un acte, mais cela ne s’applique ni à des groupes de malades ni à un type d’acte en particulier. C’est une évaluation individuelle, au cas par cas.

La question de l’IVG s’est ensuite posée. Certains médecins, pour des raisons liées à leurs convictions, ne voulaient pas pratiquer ce type d’acte. Cela nous a conduits à une clause de conscience relative à un acte précis, qui ne correspondrait pas aux convictions d’un médecin, et qui n’est pas lié à un public mais à sa nature même. En parallèle du droit nouveau qui a été créé pour les médecins, il existe une obligation de ne pas faire perdre de temps aux femmes, en les orientant vers un professionnel pratiquant l’acte demandé. Ce n’est pas ce qui est prévu dans le cadre de la déontologie médicale : le médecin peut, en effet, refuser de pratiquer un acte sans orienter nécessairement la personne vers un praticien bien défini.

Par ces amendements, vous ajouteriez un troisième type de clause de conscience, qui ne serait lié ni à un examen au cas par cas ni à un acte en particulier, mais à un type de public, ce qui relèverait clairement d’une discrimination. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable.

M. Xavier Breton. Je ne vois pas en quoi cela viserait un public en particulier. Il est question de l’AMP sans raison médicale : cela concerne aussi les couples homme-femme.

J’entends bien ce qu’ont dit le rapporteur et la ministre : notre demande est satisfaite, pour les médecins, par le droit existant, mais il y a aussi d’autres catégories de personnel de santé, notamment les infirmiers ou infirmières et les auxiliaires médicaux. Pour eux, la question reste donc posée.

On invoque toujours l’argument selon lequel on stigmatiserait certaines personnes. Or ce n’est pas le cas. C’est vous qui levez le critère relatif à l’infertilité constatée pour les couples homme-femme. Il ne s’agit pas du tout de viser un public en particulier, mais un type d’acte qui n’a plus rien à voir avec l’exercice médical tel qu’on l’entend jusqu’à présent.

Mme Sereine Mauborgne. Il faut aussi préciser qu’une grande partie des injections, dans le cas des AMP, sont réalisées par des infirmiers libéraux, qui bénéficient toujours d’une clause de conscience. Ils sont libres d’accepter ou de refuser une prise en charge. À mon avis, ces amendements sont déjà satisfaits par la pratique quotidienne.

Mme Emmanuelle Ménard. Je souscris à ce qu’a dit M. Xavier Breton : cette clause de conscience n’est pas relative à un public, mais à un type d’acte. Par ailleurs, l’alinéa 10 de l’article 21 de votre projet de loi prévoit une clause de conscience pour les médecins en ce qui concerne les IVG pour motif médical. Je comprends mal pourquoi ce serait possible dans un cas et pas dans un autre, au motif que notre demande serait déjà satisfaite : cela me paraît un peu contradictoire.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La procédure d’AMP est identique qu’il y ait une cause d’infertilité de nature médicale ou idiopathique, autrement dit sans cause médicale. Ce n’est pas un acte que vous ciblez, mais bien un public. L’acte est le même quelle que soit la cause d’infertilité, et qu’il y en ait une ou non. Ce n’est donc pas une clause de conscience liée à un acte.

La pratique sera exactement la même, qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel infertile ou d’un couple qui n’a pas d’infertilité prouvée médicalement. Ces amendements relèvent bien d’une discrimination en fonction du public concerné. C’est l’indication que vous remettez en cause et non l’acte. L’indication relève d’un choix médical individuel, effectué dans le cadre du code de déontologie et au cas par cas. Ce que vous proposez est une clause de conscience qui n’est pas fondée sur l’acte, ou plutôt sur le processus de l’AMP. Celui-ci est absolument identique pour tous les publics, qu’il s’agisse d’une femme seule, d’une femme en couple homosexuel ou d’un couple médicalement infertile ou sans infertilité prouvée médicalement. Cela ne peut pas être une clause de conscience au même titre que pour l’IVG, qui est relative à un acte.

Mme Annie Genevard. Qu’en est-il des médecins qui seraient contre l’AMP ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Ils devraient alors faire un autre métier : on peut être gynécologue-obstétricien, mais ne pas faire d’AMP…

Ce que vous proposez est une discrimination en fonction du public concerné. Ce que ces amendements ciblent, c’est un public, non un acte.

M. Olivier Véran. Je rejoins complètement la ministre. Les équipes pratiquant l’AMP font essentiellement cela : elles se tournent en général vers cette activité. Si on n’a pas envie de faire de l’AMP, on n’est pas obligé de le faire. On peut avoir une autre activité quand on est gynécologue-obstétricien : on n’est pas obligé de travailler dans un centre d’AMP. Ce n’est pas une activité polymorphe que chaque gynécologue pourrait pratiquer dans son cabinet entre deux autres patientes, mais une activité extrêmement spécialisée. Dès lors que l’on se tourne vers l’AMP, c’est que l’on y est favorable, sinon on ferait autre chose. Si on donne le choix de ne pas réaliser certaines AMP, c’est nécessairement en fonction de critères discriminatoires – ne nous voilons pas la face – au motif que ce serait contraire à des valeurs. Pour ma part, je suis neurologue, je ne fais pas d’AMP ; nos collègues qui sont infirmiers ou qui exercent d’autres activités médicales ou paramédicales n’en font pas non plus ; ceux qui font de l’AMP se destinent à cette activité. Leur dire qu’ils peuvent le faire mais qu’ils ne sont pas obligés s’ils n’en ont pas envie n’aurait pas vraiment de sens. La portée de la mesure qui nous est proposée est vraiment discriminatoire.

M. Xavier Breton. Il n’est pas uniquement question des médecins – il n’y a pas qu’eux dans les professions de santé. Des agents des hôpitaux sont parfois affectés dans des services qu’ils n’ont pas choisis. Les médecins ont peut-être une certaine liberté de choix, mais je ne suis pas sûr que l’on choisisse son service quand on est auxiliaire médical, ce qui est d’ailleurs tout à fait logique sur le plan de l’organisation des soins – cela ne me pose pas de problème.

À partir du moment où l’AMP sera possible sans raison médicale, ce sera le cas pour tout le monde. On n’appliquera plus le critère de l’infertilité. Il ne s’agit donc pas du tout du choix d’un public : c’est vous qui choisissez de permettre l’AMP sans raison médicale, assumez-en la responsabilité. Il n’y aura pas demain des actes d’AMP sur raison médicale et d’autres sans raison médicale. Préciser, dans nos amendements, que l’on n’est pas tenu de participer à AMP « sans raison médicale » est peut-être inutile d’un point de vue rédactionnel, mais cela ne crée pas deux types de public – soyons très clairs sur ce point. C’est à partir du moment où vous voulez que l’AMP puisse avoir lieu sans raison médicale qu’un problème se pose et que certains professionnels de santé, ayant une haute idée de l’exercice de la médecine, refusent d’endosser la responsabilité.

Mme Martine Wonner. Afin de compléter les propos de M. Olivier Véran, je tiens à rappeler que cette activité, très particulière, ne peut être pratiquée que si on a une autorisation donnée spécifiquement par les autorités de tutelle. Une telle autorisation mentionne le nom des professionnels concernés. Ceux qui sont d’accord pour réaliser ce type d’activité sont libres de se signaler et de porter un projet au sein d’un établissement. On ne force aucun professionnel, médical ou paramédical, à pratiquer cette activité. Ce qui a été dit tout à l’heure ne correspond pas du tout à la réalité.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends mieux les intentions de M. Breton depuis qu’il a insisté sur l’absence de raison médicale pour la PMA. J’avais trouvé que la rédaction de son amendement était discriminatoire, mais je comprends qu’il veut simplement permettre à n’importe quel professionnel de refuser de travailler dans un centre d’AMP. Je croyais – et cela montre bien que l’amendement est mal rédigé – qu’il visait des publics souhaitant une AMP sans raison médicale.

Tout professionnel de santé peut refuser d’exercer dans le cadre de telle ou telle activité. Je ne connais aucune personne qui aurait été obligée de travailler dans un bloc opératoire alors qu’elle n’en supporte pas l’odeur, par exemple. Il y a un libre choix. Ce que vous proposez ne me paraît pas relever de la loi. Par ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait obliger quelqu’un à travailler dans un centre d’AMP s’il ne le souhaite pas.

M. Patrick Hetzel. Cette mesure a été demandée par un certain nombre de professionnels : s’ils l’ont fait, c’est qu’ils considèrent qu’il peut y avoir un problème. Des personnes que nous avons auditionnées ont souligné à plusieurs reprises que des choses peuvent être imposées au personnel, notamment dans le secteur public. Vos propos, madame la ministre, figureront au compte rendu : je conseillerai aux acteurs concernés d’en faire état s’il devait y avoir le moindre problème – ils pourront expliquer que des garanties ont été données pour l’application de la clause de conscience.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je suis consciente que cela ralentit les débats, mais je voudrais quand même souligner que nous n’avons rien prévu de tel pour les centres pratiquant l’IVG. Or la question aurait pu se poser de la même façon pour les acteurs paramédicaux qui y travaillent.

Il ne s’agit pas, pour moi, d’une clause de conscience, au sens légal du terme, mais d’une liberté de choisir où l’on travaille. Il existe beaucoup de raisons pour lesquelles des professionnels peuvent décider de ne pas exercer telle ou telle activité ; cela ne mérite pas de figurer spécifiquement dans la loi en ce qui concerne l’AMP. Ce n’est pas de niveau législatif et cela existe pour toutes les autres activités, y compris l’IVG.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous allons passer aux votes.

M. Thibault Bazin. Je retire les amendements n° 634, n° 633 et n° 635 pour les retravailler en vue de la séance.

M. Xavier Breton. J’ai bien entendu que l’amendement n° 7 est satisfait par la pratique et qu’il continuera à l’être. Je le retire donc.

M. Patrick Hetzel. Je fais de même pour l’amendement n° 195.

Mme Emmanuelle Ménard. Je vais retirer l’amendement n° 1739, mais j’aimerais savoir, compte tenu de ces explications, pourquoi une clause de conscience est prévue à l’alinéa 10 de l’article 21 du projet de loi.

Mme Annie Genevard. Cela concerne l’IVG pour motif médical.

Les amendements n° 634, n° 7, n° 195, n° 633, n° 1739, et n° 635 sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement n° 1747 de Mme Béatrice Piron.

Mme Béatrice Piron. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer, comme le demande la Déclaration internationale des droits de l’enfant. Elle précise que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante lors de l’adoption des lois le concernant. Élever un enfant coûte cher : selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), son arrivée dans un foyer entraîne une hausse moyenne de 20 % du budget du ménage. Afin de garantir que l’enfance ne se déroule pas dans la précarité, tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme seule souhaitant s’engager dans une démarche de procréation médicale assistée devra pouvoir justifier d’un niveau de revenus susceptible de permettre sa subsistance et celle de l’enfant à naître. Tel est l’objet de mon amendement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’émets un avis défavorable à l’amendement n° 1747, ainsi qu’au suivant, n° 1745. Le premier vise la totalité des bénéficiaires de l’AMP et le second uniquement les femmes seules, ce qui est quelque peu discriminatoire, puisque cela revient à préjuger que l’incapacité financière est l’apanage des femmes isolées. L’un comme l’autre sont contraires au principe même de notre système de solidarité nationale. Il faut faire confiance aux équipes pluridisciplinaires pour détecter les situations de grande fragilité : elles doivent être identifiées et elles méritent soit un accompagnement, soit une décision négative. Il faut en tout cas que la décision prise soit éclairée.

M. Charles de Courson. Le droit de procréer est constitutionnel. Il y a une jurisprudence en la matière, notamment de la Cour de cassation. Conditionner la procréation à un niveau de revenu serait une véritable régression sociale – or c’est à cela que revient cet amendement, puisque l’on n’aurait le droit de procréer que sous condition de ressources. Une telle proposition est inconstitutionnelle.

M. Cyrille Isaac-Sibille. C’est la procréation censitaire… (Sourires.)

La commission rejette l’amendement n° 1747.

L’amendement n° 1745 de Mme Béatrice Piron est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 1351 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Nous voulons préciser qu’un avis défavorable du médecin ou du pédopsychiatre met immédiatement fin au processus d’assistance médicale à la procréation. Ces professionnels doivent se prononcer sur le projet parental afin de déterminer, après enquête, si la démarche doit ou non aboutir, en émettant un avis qui n’est pas seulement consultatif, mais décisionnaire : il doit pouvoir mettre fin à une démarche d’assistance médicale à la procréation. Je souhaite que l’on se rapproche de ce qui est prévu pour l’adoption. Je voudrais aussi rappeler qu’un enfant ne peut pas être enfermé dans un projet, même parental. Un enfant a un avant et un après : on ne peut pas le réduire à un désir ou à un projet.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’accès à l’AMP n’est pas un droit opposable. L’équipe médicale pluridisciplinaire qui reçoit la ou les personnes demandant une AMP a toute aptitude à décider de l’opportunité de poursuivre le projet parental. Il n’est pas du tout nécessaire d’ajouter un alinéa qui donnerait un peu l’impression que l’on aurait à s’opposer à un désir transformé en droit à l’enfant. Les équipes pluridisciplinaires peuvent donner l’avis qui leur semble opportun.

M. Charles de Courson. Un avis défavorable est-il susceptible de recours, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Inspirons-nous des pays qui ont beaucoup d’expérience dans ce domaine : en ce qui concerne l’AMP pour les femmes seules en Belgique – cela concerne des Belges dans 75 % des cas et des Françaises pour tout le reste –, un peu plus de 25 % des demandes sont rejetés. Cela relève d’une décision souveraine de l’équipe médicale. Ce n’est pas un médecin isolé qui se prononce : quand un refus est opposé, c’est sur la base d’un avis collégial, et il n’y a pas d’opposition.

M. Pascal Brindeau. J’aimerais avoir un éclairage sur un point que je n’ai pas bien compris malgré les auditions, mes lectures et les discussions que j’ai pu avoir. En l’état actuel du droit, que se passe-t-il quand l’équipe pluridisciplinaire dit « non » à un couple hétérosexuel qui a un projet d’AMP ? Confirmez-vous, ou non, que le couple peut aller voir un autre centre d’AMP pour obtenir, éventuellement, la poursuite de son projet ? Une contradiction entre les avis des équipes pluridisciplinaires est-elle par définition impossible ?

Mme Annie Genevard. Cela fait un certain temps que nous discutons du fonctionnement de ces équipes pluridisciplinaires, et cela mérite clarification.

Lorsque nous avons auditionné les professionnels, certains nous ont dit, après la réunion, dans le cadre d’une discussion informelle, qu’ils émettaient bien souvent un avis négatif – je parle des psychologues, psychiatres et pédopsychiatres – mais que cet avis n’était pas suivi par l’équipe médicale. Cela signifierait, en fait, que tous ces gens travaillent en parallèle. Nous avons inscrit un principe dans la loi, mais comment cela se passe-t-il dans la réalité, madame la ministre ? Si un avis négatif est émis, j’imagine qu’il est fondé. Pourquoi ne le suit-on pas ? Pourquoi est-il sans effet sur la décision finale ? Tout cela conduit à s’interroger sur le fonctionnement des équipes et le cheminement suivi. Je pense que nous avons besoin de garde-fous, et vous l’avez d’ailleurs souligné – vous avez dit qu’il faut pouvoir refuser une PMA si elle présente des risques pour l’un des conjoints ou pour l’enfant à naître. Je crois qu’il est sain de pouvoir dire « non » quand l’entreprise est périlleuse ou problématique, en particulier pour l’enfant. Encore faut-il savoir comment le dispositif prévu fonctionne.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Pour ce qui est des refus de pratiquer l’AMP, il peut exister des contentieux devant le tribunal administratif. Je ne sais pas combien il y en a – il faudrait que je me renseigne avant de vous répondre –, mais c’est assez rare.

Peut-il y avoir un nomadisme des personnes à qui l’accès à l’AMP est refusé ? Oui, on peut changer d’équipe, de même que l’on peut demander un deuxième avis quand un médecin refuse de pratiquer un acte. Les règles prévues pour les actes médicaux s’appliquent aussi à l’AMP. Il n’y a pas de limite en ce qui concerne le nombre d’avis.

J’ai entendu ce qui a été dit au sujet de dysfonctionnements d’équipes. C’est absolument le contraire de ce que doit être une équipe pluridisciplinaire. Vous avez indiqué que des avis n’ont pas été suivis. ; la question est de savoir s’ils ont été discutés ou non – il peut y avoir des avis contraires au sein d’une équipe. Cette question relève des bonnes pratiques et d’un travail avec les professionnels au sein de l’Agence de la biomédecine, qui anime ces équipes.

Je ne crois pas que nous puissions légiférer spécifiquement sur les avis médicaux ou pluriprofessionnels dans le domaine de l’AMP – nous n’avons jamais légiféré sur d’autres avis pluriprofessionnels, relatifs à d’autres cas. Je pense, par exemple, au passage aux soins palliatifs : il y a toujours un avis d’une équipe pluriprofessionnelle. Mais la manière dont ces équipes travaillent n’est pas prévue par la loi.

J’entends néanmoins votre souci d’harmonisation, de clarté et de transparence des procédures internes, madame Genevard. Il me semble que l’Agence de la biomédecine réalise un travail en continu, avec les équipes, sur des règles de bonnes pratiques et des expériences partagées en matière d’organisation. Cela fait partie de l’amélioration de la qualité du service rendu que l’on doit assurer au fil des années.

Je ne sais pas ce que l’on pourrait écrire dans la loi pour vous rassurer. En réalité, une équipe pluriprofessionnelle confronte des points de vue. S’il fallait toujours tenir compte d’un avis négatif, ce serait contraire à la collégialité : elle consiste à confronter des avis, négatifs comme positifs, et à prendre une décision collégiale à la fin.

La commission rejette l’amendement n° 1351.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1352 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Nous proposons de faire référence à « tout couple formé d’un homme et d’une femme » au début de l’alinéa 4. En effet, aucun référent masculin ne remplace un père. Comme le docteur Lévy-Soussan l’a expliqué lors de son audition, les gynécologues sont plutôt enclins à le croire, mais les professionnels de l’enfance ne le sont pas. Des collectifs de médecins s’y opposent. Aucun parrain, oncle, ami, que l’on voit le week-end ou deux fois par semaine, ne remplacera jamais un père. Il est d’ailleurs tout à fait paradoxal d’admettre, dans le même temps, qu’il faut un référent masculin : c’est admettre que l’altérité est nécessaire. On veut satisfaire les adultes, mais cela revient à ce qu’un être humain n’ait jamais la chance de connaître ce que signifie avoir un père. Ce n’est pas protéger l’enfance. C’est pourquoi la procréation médicalement assistée ne doit exister que pour les couples formés d’un homme et d’une femme. Le Conseil d’État a rappelé dans un arrêt du 29 septembre 2018 que des situations différentes justifient des décisions différentes, et que l’enfant n’est pas une raison d’intérêt général.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement vise à restreindre l’AMP aux couples hétérosexuels, ce qui est le contraire de ce que prévoit le projet de loi. J’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1352.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 8 de M. Xavier Breton, n° 196 de M. Patrick Hetzel,  543 de Mme Annie Genevard, n° 636 de M. Thibault Bazin et n° 866 de M. Charles de Courson.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 8 tend à revenir sur l’ouverture de l’AMP aux femmes seules.

J’ai posé hier soir une question sur la multiparentalité à Mme la garde des Sceaux. Elle y a apporté une réponse purement juridique, et non politique. Or on voit bien que ce texte a une visée politique. Aucun argument juridique ne le justifie : comme le Conseil d’État l’a souligné, l’égalité est respectée dans le droit actuel. Il peut y avoir un choix politique consistant à ouvrir l’AMP, mais on ne peut pas le fonder sur un argument juridique tenant à l’égalité. Dont acte.

À partir du moment où l’on fonde uniquement la filiation sur un projet parental et un acte de volonté, comme cela a été dit hier, cela peut concerner deux personnes en dehors de leur réalité sexuée, c’est-à-dire notamment un couple de femmes. Vous ouvrez également cette possibilité à une femme seule. Au nom de quel argument pourrez-vous vous opposer à une demande provenant de trois adultes, quelle que soit la combinaison retenue – trois hommes, trois femmes, deux hommes et une femme ou deux femmes et un homme –, qui demanderont à avoir un enfant ? Si vous ne fondez pas votre argumentation sur l’altérité sexuée, ni même sur l’altérité dans un couple de personnes de même sexe – ce n’est pas mon option, mais on peut entendre cette forme d’altérité –, qu’est-ce qui vous permettra de dire non ? Si ce qui compte, c’est l’amour, je ne doute pas que trois personnes – et pourquoi pas quatre, cinq… – puissent en avoir assez pour élever un enfant. Ce n’est pas du tout là un fantasme : de telles idées sont développées à l’heure actuelle, jusque dans des magazines. Certaines personnes se déclarent favorables à la multiparentalité !

Sur le plan politique, que répondez-vous ? Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que ce n’est pas prévu dans le texte, puisqu’en le présentant, vous avez fait un choix politique. Quel argument donnerez-vous à trois personnes qui feraient cette demande – et qui, on n’en doute pas, sont capables d’aimer un enfant et de l’élever – pour leur expliquer qu’elles ne peuvent pas être à trois les parents d’un enfant ? Donnez-nous une réponse simple, sinon cela montrera que votre raisonnement est une impasse.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement n° 196 a le même objet : la question de fond, dont nous avons débattu tout à l’heure au sujet d’autres amendements, tient au fait que l’enfant qui naîtra de l’AMP n’aura qu’un seul parent. Qui plus est, c’est le législateur qui, ex ante, prend la responsabilité de créer cette situation. Or les auditions que nous avons menées au cours des dernières semaines ont clairement montré les points de fragilité d’une telle position. Les spécialistes de l’enfance et les psychologues qui se sont exprimés, jouant d’une certaine manière le rôle de lanceurs d’alerte, ont ainsi appelé à la vigilance à l’égard de ce colloque singulier entre un parent et un enfant qui ne connaîtra pas l’altérité parentale.

De fait, la question de l’altérité est pleinement posée. Le Conseil d’État dit que votre choix est politique, que rien ne l’impose. Par ailleurs, on sait que l’on va mettre ces enfants dans une situation de fragilité – et c’est un texte de loi qui va créer de telles situations. Cela crée une responsabilité de la part de la société visàvis des enfants à naître, que nous aurions tort de négliger. L’un des psychologues qui se sont exprimés la semaine dernière a non seulement insisté sur le fait qu’il était un lanceur d’alerte, il a aussi déclaré qu’il considérait qu’un certain nombre de problèmes liés à la situation seraient sans doute révélés dans vingt ou trente ans.

Mme Annie Genevard. Mon amendement n° 543 revient, comme ceux de mes collègues, à la question des femmes seules voulant recourir à la PMA. J’ai évoqué tout à l’heure, comme M. Patrick Hetzel vient de le faire, les risques qu’emportait, sur le plan de la relation avec l’enfant, le fait d’être seul à l’élever, bien que ce soit une situation très courante – bon nombre d’entre vous l’ont signalé.

Madame la ministre des solidarités et de la santé, vous-même et le Président de la République, depuis plus de deux ans maintenant, avez fait des familles monoparentales, et particulièrement des femmes seules, l’objet principal des politiques sociales que le Gouvernement entend conduire ; on peut le comprendre dans la mesure où toutes les études sur la pauvreté montrent que les femmes seules sont particulièrement exposées à la précarité sociale et économique. Or il y a une forme d’incohérence à vouloir combattre les effets négatifs de l’isolement des mères tout en en favorisant l’émergence par ce texte de loi.

Mme Coralie Dubost, rapporteure, expliquait récemment, lors d’un débat télévisé auquel je participais également, qu’il ne fallait pas confondre la monoparentalité choisie et la monoparentalité subie. La première serait porteuse de toutes les vertus, la seconde vouée à l’exclusion sociale. Cette vision des choses est véritablement caricaturale. Du reste, il existe plusieurs formes de monoparentalité choisie : quand une femme décide de se séparer de son conjoint, c’est une monoparentalité parfaitement choisie, qui n’en expose pas moins aux difficultés liées au fait d’élever seul un enfant.

M. Erwan Balanant. Il faudrait donc supprimer le divorce ?

M. Thibault Bazin. En complément des arguments déjà développés, je souhaite souligner à l’appui de mon amendement n° 636 que non seulement la disposition visée priverait l’enfant d’une double filiation, mais surtout notre société lui offrirait un « système assurantiel », si je puis m’exprimer ainsi, divisé par deux. Imaginons la situation dans laquelle il se retrouverait si sa mère seule subissait un terrible accident de la vie : non seulement il deviendrait orphelin mais, pour survivre, il n’aurait qu’une seule lignée sur laquelle s’appuyer au lieu de deux. On voit bien les conséquences dommageables que cela aurait pour l’enfant lui-même. Si donc on pense vraiment à l’intérêt de l’enfant, si on a le souci de le protéger, je pense qu’il est prudent de supprimer l’extension de la PMA aux mères seules.

M. Charles de Courson. Toute la question de l’article 1er – comme de l’article 2, d’ailleurs –, est celle de l’articulation, de l’équilibre entre le désir d’enfant et les droits de l’enfant, au nombre desquels figure celui d’avoir un père.

M. Erwan Balanant. Pas du tout !

M. Charles de Courson. Or, avec ce texte, on crée volontairement une catégorie d’enfants sans père. Vous me direz que ce n’est pas le cas parce que, dans les articles 3 et 4, on a enfin établi le droit aux origines. Certes, mais avoir accès à ses origines, cela ne donne pas un père. D’abord, pendant dix-huit ans, vous ne savez pas de qui il s’agit. Ensuite, même si vous souhaitez le savoir et que vous découvrez son identité, il ne sera jamais votre père, d’autant qu’il ne vous aura pas élevé et qu’il ne vous aura pas aidé dans la vie comme votre mère aura pu le faire.

Je suis de ceux qui pensent que, à partir du moment où l’on crée la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes, on n’échappera pas à la GPA, au nom de l’égalité entre les sexes.

M. Thibault Bazin. Il a raison !

M. Charles de Courson. Il faudra cinq à dix ans pour y arriver, mais c’est inéluctable. Pour ces raisons, et dans le but de préserver les droits de l’enfant, je pense qu’il faut en rester à la PMA au service des couples hétérosexuels ayant des problèmes d’infertilité. D’où mon amendement n° 866.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La question des femmes seules revient à nouveau dans le débat, comme tout à l’heure. Je ne pense pas, monsieur de Courson, que le droit de l’enfant à avoir un père soit inscrit dans quelque texte que ce soit,…

M. Erwan Balanant. Eh non !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur.… pas davantage que le droit à avoir des grands-parents. Heureusement, d’ailleurs, car s’il fallait donner ou imposer un conjoint à toutes les femmes seules, y compris les veuves, pour que l’enfant ait un père, nous nous retrouverions dans une situation pour le moins inconfortable… Il n’existe pas de droit de l’enfant à avoir un père, à quelque moment que ce soit. Je peux concevoir que certains souhaitent qu’un enfant ait un père, une mère, quatre grands-parents – une famille complète. Cela dit, soyons pragmatiques : autant il est légitime de se demander si l’enfant qui naîtra d’une PMA et sera élevé par une femme seule rencontrera des difficultés, autant beaucoup d’entre nous ont été convaincus par la présentation – dans le cadre tant de la mission d’information, à laquelle vous avez participé, que des auditions menées par la commission spéciale – des études réalisées sur le sujet et par les témoignages d’enfants ayant connu un tel parcours.

Au bout du compte, l’objectif du projet de loi est bien d’étendre la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Je suis donc, évidemment, défavorable à ces amendements.

Mme Coralie Dubost. Au préalable, vous me permettrez un remerciement à l’adresse de M. Touraine : c’est un homme, il n’a pas l’âge dont il est question dans le texte, et malgré tout il défend très bien les femmes. Les hommes qui partagent de tels combats sont rares. Merci pour nous toutes !

Ensuite, pour répondre à l’interpellation de Mme Genevard concernant le débat télévisé qui nous a retenues pendant quelques minutes au début de l’audition d’hier, je tiens à apporter quelques précisions – et je vous remercie de me tendre la perche –, au cas où mon propos n’aurait pas été parfaitement entendu sur le plateau. Effectivement, j’ai fait une distinction, que je maintiens, entre la monoparentalité subie et la monoparentalité choisie, étant entendu qu’il existe différentes formes de choix, y compris la séparation. Dans le cadre d’une séparation, la parentalité peut être partagée, aménagée et, de ce fait, co-portée, sans difficulté particulière : certaines séparations se déroulent dans d’excellentes conditions. D’autres, en revanche, ne sont pas choisies, se passent mal, et les choses sont alors plus difficiles pour les femmes – ou pour les hommes, d’ailleurs, car certains hommes aussi se retrouvent seuls.

Il y a beaucoup de confusions autour de la notion de monoparentalité, comme si celle-ci renvoyait à un seul type de situation, alors qu’il en existe actuellement une multitude dans la société. Il est vrai que cette question a été très peu abordée à l’Assemblée nationale ; il serait intéressant que nous nous en saisissions. Cela dit, je pense que le champ de ce texte, en matière de monoparentalité choisie, dans le cadre de l’accès à une PMA, n’est clairement pas celui dont j’ai entendu parler, puisqu’il a été question de vulnérabilité et de précarité. Or il s’agit ici, au contraire, de personnes tout à fait équipées psychologiquement et matériellement, y compris du point de vue de l’organisation sociale et de l’entourage, pour accompagner un enfant.

M. Xavier Breton. Autrement dit, ce sont des riches !

M. Erwan Balanant. Mais non !

Mme Coralie Dubost. Nous sommes ici dans le cadre d’un projet qui a été structuré et qui sera structurant pour l’enfant. Il est très important de ne pas faire d’amalgames entre les situations que vise ce texte et la pluralité des situations liées à la monoparentalité, au XXe et au XXIe siècles, qui peuvent poser question et dont nous aurons peut-être à traiter un jour dans d’autres débats.

M. Guillaume Chiche. Je partage en tout point les arguments de M. Touraine et de Mme Dubost. J’ajoute que, s’agissant de l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires, dites « non mariées », il ne faut pas considérer que ces femmes s’inscrivent dans une démarche complètement déraisonnable : elles sauront apprécier leur capacité à s’occuper d’un enfant, à entamer un parcours de PMA avec tiers donneur ; il faut leur donner la liberté de le faire.

M. Xavier Breton. Des diplômées, quoi !

M. Guillaume Chiche. Pardon ?

M. Xavier Breton. Avec les moyens intellectuels et matériels de le faire !

M. Guillaume Chiche. Je vous invite, cher collègue, à ne pas interrompre systématiquement les orateurs. Il me semble que, depuis le début de la journée, nous avons réussi à échanger de manière suffisamment calme.

Les femmes en question, disais-je, sont comme tout un chacun suffisamment raisonnables pour apprécier l’opportunité d’un projet parental, d’un désir d’enfant, et recourir ou non à une aide médicale à la procréation avec tiers donneur, si elles en ont le besoin et l’envie.

M. Erwan Balanant. Je voudrais réagir à ce que vient de dire M. Breton. Selon lui, il s’agirait de femmes diplômées…

M. Xavier Breton. C’est ce que vient de dire Mme Dubost !

M. Erwan Balanant. Pas du tout. On a parlé de femmes qui auraient mûri un projet : c’est tout de même différent. De votre côté, vous êtes en train d’essentialiser et vous laissez croire qu’une femme non diplômée et qui n’aurait pas les moyens serait dans l’incapacité d’avoir des enfants, de mener un projet de parentalité. C’est absolument scandaleux ! Ce sont là deux choses totalement différentes. Vous parlez même de bobos. C’est incroyable ! Il y a des femmes, quels que soient leur milieu social, leurs moyens de subsistance, leur culture, leur niveau d’études, qui sont parfaitement en mesure de mener une réflexion sereine, tranquille, de se dire qu’elles atteignent un âge où, même si elles n’ont pas de compagnon, il est peut-être temps de faire un enfant, et qui décident de le faire dès lors que la loi leur en offre la possibilité. Tel est l’objectif de ce texte. Il ne s’agit en aucune manière d’un droit qui serait réservé à des femmes d’un milieu supérieur.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je souhaite répondre à M. Breton, qui m’a à nouveau interrogée au sujet de la multiparentalité ou de la pluriparentalité. Je comprends que cela vous tracasse. Vous avez raison sur un point : le langage courant reconnaît déjà une forme de pluriparentalité. En effet, si l’on considère le cas de l’adoption simple, selon les règles prévues, l’enfant adopté a quatre parents : ses parents biologiques et ses parents adoptifs. Il existe donc, d’une certaine manière, une forme de pluriparentalité.

Au-delà de cet exemple, toutefois, il est important pour nous, et cela d’autant plus que notre société est construite comme cela, que la réalité juridique s’impose. Or, dans notre droit, il n’y a qu’une filiation, qu’une seule filiation par branche, comme le précise très clairement l’article 320 du code civil. Comme il est apparu, à la lecture, que cet article ne s’appliquait qu’aux couples hétérosexuels, nous avons proposé un nouveau dispositif – c’est le projet de nouvelle rédaction de l’article 4 du projet de loi, qui vous a été transmis aujourd’hui –, qui pose le même principe pour les couples homosexuels, c’est-à-dire que, une fois que la filiation est établie à l’égard des deux mères, personne ne pourra en établir une autre. On conserve donc cette double linéarité – hétérosexuelle ou homosexuelle, mais c’est bel et bien une double linéarité. Il s’agit certes d’une règle de droit, monsieur Breton, mais c’est aussi un projet politique.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. La question me tient à cœur, vous l’aurez bien compris. Elle est délicate, comme toutes celles qui touchent à la naissance. Au-delà de cet aspect, je voudrais mettre en garde contre les généralisations, notamment quand on parle d’une avancée « pour les femmes ». Il faut être très prudent à cet égard, ne serait-ce que parce que toutes les femmes ne se reconnaîtront pas forcément dans un tel projet.

Il a été question de la rationalité du choix d’une femme seule décidant d’avoir un enfant. Or le désir d’enfant n’est pas forcément rationnel : il peut arriver que l’on ne s’assure pas qu’on est en mesure d’assumer seul un tel projet. Avoir un enfant à deux, ce n’est déjà pas facile, alors l’avoir seul… Il me paraissait important de le rappeler.

Par ailleurs, dans les centres d’aide médicale à la procréation, se pose déjà la question de couples dont la situation sociale est très délicate – certains sont au RSA. D’un côté, leur demande est légitime mais, de l’autre, on sait bien que l’enfant à naître sera dans une situation de grande fragilité. La question se pose d’autant plus – au-delà du fait que le principe d’altérité, je l’ai déjà dit, me semble très important – lorsque le projet parental repose sur une seule personne.

La commission rejette les amendements identiques n° 8, n° 196, n° 543, n° 636 et n° 866.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, je vous soumets une petite équation mathématique avant que vous alliez vous coucher. Nous avons examiné une centaine d’amendements en sept heures de débats, soit quatorze amendements à l’heure en moyenne. Il nous reste environ 1 975 amendements à examiner, ce qui représente, si nous continuons à ce rythme, 140 heures de débats, soit six jours non-stop, alors que nous n’en disposons plus que de trois. Vous avez la nuit pour y réfléchir. (Sourires.) À demain matin !

 

 

 

 

 

 

 

 

 


— 1 —

Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 9 heures 30 ([4])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, en reprenant nos travaux aux amendements à l’article 1er.

Article 1er (suite)
Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 1532 de M. Matthieu Orphelin et n° 1549 de M. Bruno Fuchs ainsi que les amendements n° 1828 de Mme Sylvia Pinel, n° 1905 de M. Didier Martin, n° 1766 et n° 1767 de M. Hervé Saulignac.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement n° 1532 vise à permettre au membre du couple survivant de poursuivre le projet parental, ainsi que l’ont successivement recommandé l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’État et le rapport d’information de la mission parlementaire.

Dès lors que l’on permet aux femmes célibataires d’avoir recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) en utilisant des gamètes ou des embryons issus d’un don, il paraît incongru de leur refuser l’accès aux gamètes et embryons de leur partenaire défunt. Évidemment, et cela fera l’objet d’un amendement ultérieur, cela suppose d’avoir recueilli préalablement l’accord écrit de celui-ci à la poursuite de l’AMP dans l’éventualité de son décès.

M. Bruno Fuchs. L’amendement n° 1549 est identique. Ce que propose le projet de loi est très paradoxal puisqu’une femme veuve disposant d’un embryon créé au cours de son mariage ne pourrait pas en bénéficier alors même qu’elle pourrait faire appel à un autre donneur. Cette disposition est inacceptable en l’état.

Cet amendement est le premier traitant le sujet. D’autres suivront, qui préciseront les modalités de l’implantation possible de cet embryon.

Mme Sylvia Pinel. L’amendement n° 1828 vise, dans le même esprit que les précédents, à permettre à une personne engagée dans une procédure d’AMP avec son conjoint de poursuivre cette démarche avec les gamètes ou les embryons issus de ce conjoint, dans le cas où ce dernier viendrait à décéder.

L’interdiction de l’AMP post-mortem est difficilement justifiable dès lors que l’on permet aux femmes célibataires d’avoir recours à l’AMP avec tiers donneur anonyme. Comment peut-on autoriser les femmes seules à recourir à l’AMP avec un tiers donneur et continuer de le leur interdire avec les gamètes de leur conjoint décédé ?

Bien sûr, l’AMP post-mortem nécessite un strict encadrement. Elle ne doit être possible que si le couple était déjà engagé dans un parcours d’AMP et si le conjoint décédé avait préalablement donné son accord à une telle utilisation. Il s’agit, finalement, d’autoriser la poursuite d’un projet parental.

Nous aborderons, dans des amendements à suivre, la question des délais d’utilisation, toujours dans le sens d’un encadrement strict de cette procédure.

M. Didier Martin. Je reprends les arguments qui viennent d’être exposés par nos collègues à l’appui de l’amendement n° 1905.

La condition pour avoir recours à l’AMP post-mortem est que les conjoints aient exprimé leur consentement ex ante, formellement et par écrit, afin que l’accord des deux membres du couple ne fasse aucun doute.

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’amendement n° 1766 est quasi-identique.

Pouvons-nous ouvrir la PMA aux femmes seules et refuser aux femmes veuves de poursuivre leur projet parental ? Il convient d’évaluer le traumatisme que serait, pour une femme endeuillée, d’avoir à donner ou à détruire les embryons conçus avec son compagnon, alors qu’on lui proposerait de poursuivre son projet avec un tiers donneur.

Évidemment, la question du délai se pose. La loi espagnole ne rend, par exemple, ce transfert possible qu’au terme d’un délai de douze mois à compter du décès, quand il est de six mois en Belgique. Il s’agira de bien caler celui que nous pourrions impartir. En tout cas, ne pas autoriser l’AMP post mortem relèverait d’un raisonnement assez tortueux.

L’amendement n° 1767 est de repli.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La question est importante. Plusieurs amendements porteront encore dessus et, moi-même, j’en présenterai sous plusieurs formes afin de laisser un choix à notre commission.

Il s’agit de savoir si des gamètes ou embryons conservés dans le cadre d’un projet parental, par exemple dans la crainte du décès de l’homme possiblement soumis à une chimiothérapie ou gravement malade, peuvent être laissés à la libre disposition de la femme devenue veuve ou si nous devons décider à sa place.

Nous avons été sollicités, de façon assez formelle, par le Conseil d’État qui nous demande de compléter le texte par une disposition autorisant la PMA post mortem, pour deux raisons, l’une logique et l’autre pratique. La première est que, lors des révisions antérieures des lois de bioéthique, le législateur a toujours refusé d’autoriser la PMA post mortem au motif que cela aurait ouvert la PMA aux femmes seules. Aujourd’hui, dans la mesure où nous étendons le bénéfice de la PMA aux femmes seules, la logique veut que cet argument tombe.

La raison pratique est liée à une décision récente. En plusieurs circonstances, des femmes ont sollicité le droit d’utiliser des gamètes ou des embryons. Récemment, l’une d’entre elles a obtenu du Conseil d’État que ses embryons lui soient restitués afin qu’elle aille effectuer la PMA en Espagne. De ce fait, à l’avenir, les femmes placées dans des circonstances comparables pourraient être incitées à saisir le Conseil d’État afin de mener à bien leur PMA à l’étranger. La situation s’avère inconfortable.

J’ajoute, à titre personnel, que si nous récusions cette avancée, nous entraverions un choix parental formellement exprimé puisque, dans les couples concernés, la conservation des gamètes ou des embryons avait pour objet un projet parental. Il faut laisser la femme décider si, à la lumière des discussions qu’elle a pu avoir avec son compagnon, elle souhaite le prolonger ou l’interrompre.

Quelles peuvent-être les difficultés ? Celles tenant aux successions ont été aplanies, puisqu’il est de tradition, dans ces cas, que la succession soit différée. La raison commande tout de même de préciser que le projet parental ne doit pas être poursuivi de très nombreuses années après le décès, car on ne peut pas différer une succession de dix ans. Un délai d’un ou deux ans est très habituel. Les exemples sont nombreux, à l’heure actuelle, de successions différées pour des raisons moins importantes que la naissance d’un enfant.

Faut-il accorder cette possibilité dès le décès du conjoint ? Il apparaît plus raisonnable d’accorder un délai permettant de traverser la phase de deuil et donc de s’assurer que l’enfant à venir ne soit pas celui du deuil, et que la femme ne soit soumise à aucune pression au moment où elle décide de poursuivre ce projet parental.

En définitive, il me semble qu’il s’agit d’une question de confiance vis‑à‑vis d’une femme qui, une fois qu’elle a traversé la période difficile du deuil, est tout à fait apte à décider ce qui est le mieux dans son propre intérêt et dans celui de l’enfant à naître dans le cadre du projet parental qu’elle a initié avec son défunt conjoint.

Je suggère cordialement aux auteurs des amendements, en indiquant que je les approuve, de bien vouloir les retirer dans la mesure où cette disposition sera plus à sa place dans la partie du texte consacrée aux ruptures d’AMP.

M. Patrick Hetzel. La PMA post mortem ne permet pas, à mon sens, de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant. Des spécialistes de l’enfance nous ont clairement indiqué, lors des auditions, qu’elle revenait à faire symboliquement engendrer un mort : au moment où l’AMP est effectuée, on sait d’ores et déjà que l’enfant naîtra d’un père mort. La situation est tout à fait particulière ! En voulant institutionnaliser une telle pratique au nom de la société, on prend un risque énorme. Beaucoup de spécialistes nous ont alertés sur le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant ne serait pas respecté.

La PMA post mortem pose, à l’évidence, plusieurs problèmes spécifiques. On peut entendre le désir des adultes, mais pas s’il contrevient à l’intérêt de l’enfant. Savoir qu’au moment où le processus de sa création était engagé, son père était déjà mort n’est pas neutre du tout. Avant de faire assumer collectivement cette évolution à notre société, il faut que nous en mesurions les effets.

Un autre argument, juridique celui-là, a été avancé par le Conseil supérieur du notariat, notamment : le risque de voir apparaître un héritier postérieurement au règlement d’une succession.

Mme Bénédicte Pételle. Comme l’a dit Mme la ministre, de telles situations sont extrêmement rares : dix cas seulement ont été dénombrés en dix ans.

Le positionnement sur cette question est complexe. J’entends le risque de faire vivre à une femme un double deuil ainsi que l’absurdité de détruire un embryon conçu avec son mari défunt alors qu’elle pourra ensuite recourir à la PMA avec un tiers donneur.

La femme endeuillée se trouve dans une position de fragilité et peut subir des pressions. Votre proposition de lui laisser un délai n’est pas inintéressante, mais dans quelle mesure pourra-t-elle faire son choix en toute liberté ? L’idée de fabriquer un enfant orphelin me met mal à l’aise. Il en va autrement si la femme est déjà enceinte au moment du décès de son conjoint : même si elle a le choix de poursuivre ou non son projet parental, l’embryon a déjà été implanté. En outre, je crains que l’enfant ne soit vu comme un réparateur, celui qui comble un deuil, qui console. Je suis également très mal à l’aise avec l’idée du père mort qui engendre.

Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, je me prononce donc contre ces amendements.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, pour la clarté de nos débats, je vous rappelle que le rapporteur vous demande de vous rallier à son amendement n° 2238, que nous examinerons dans quelques instants. Je laisserai chacun s’exprimer sur cette question très importante de façon à pouvoir procéder aux mises aux voix successives un peu plus rapidement.

M. Jean-François Eliaou. J’étais initialement favorable à la PMA post mortem, mais je ne le suis plus. Mes réflexions et les débats m’ont fait réaliser la difficulté qu’il y aurait à inscrire dans la loi un encadrement exhaustif pour cette disposition.

S’agit-il d’autoriser la PMA post mortem à partir des gamètes ou des embryons ? Ce n’est pas du tout la même chose. Les embryons signifient que le projet parental est bien avancé.

Quand faut-il l’autoriser et quand faut-il l’interdire par rapport à la date du décès ? Il me semble très compliqué d’inscrire un délai dans la loi. Je ne suis pas sûr que celle-ci doive descendre à ce niveau de détail et d’intimité.

Il y a aussi les contraintes liées aux successions, dont le rapporteur a parlé. Différer la succession d’un ou deux ans ne posera pas de problème aux notaires. Cela pourrait en être un s’il fallait aller au-delà, dans l’attente du moment où la femme décidera de faire un enfant et d’implanter ces embryons.

Or les fécondations in vitro avec des embryons, dans 70 % des cas, n’aboutissent pas à une grossesse. Ce serait, pour la femme concernée, la double peine : à la douleur du décès du père s’ajouterait l’échec de la conception d’un enfant à partir de ses spermatozoïdes. Elle vivrait alors une situation dramatique, à l’issue d’un parcours de fécondation in vitro lui-même long et pénible.

Enfin, dans quelles situations va-t-on prévoir dans la loi la possibilité de recourir à une telle procédure ? Celle dans laquelle le père est atteint d’un cancer ou celle d’un père qui se crashe contre un arbre ? Les deux situations sont bien différentes.

Pour ces raisons, je suis défavorable à ces amendements.

M. Thibault Bazin. Il est dommage que le conseil des ministres ait lieu ce matin, car la ministre aurait pu nous livrer sa position, très intéressante, sur ce sujet auquel elle a beaucoup réfléchi. La question était déjà présente dans les débats en 1994 puis en 2004 et en 2011. À chaque fois, nos prédécesseurs, sous quelque majorité politique que ce soit, dans leur grande sagesse, l’ont tranchée avec prudence.

Considérons d’abord la situation de la mère, confrontée à la mort. Cela n’a rien d’anodin. Non seulement il lui faudra passer par la clinique du deuil, mais, au poids du deuil, vont parfois s’ajouter des pressions familiales et sociales attendant un transfert de l’image paternelle vers l’enfant. On ne veut jamais mourir, sauf, parfois, le rapporteur… La procréation porte en elle notre volonté de survivre par la transmission.

Plaçons-nous surtout du point de vue de l’enfant, qui naîtrait orphelin. Un délai pour la mise en œuvre de la PMA post mortem ne ferait qu’éloigner la date de fécondation de la date du décès, avec toutes les répercussions d’ordre psychologique que cela peut avoir pour l’enfant.

Si le seul argument tient au fait qu’ouvrir la PMA aux femmes seules rendrait, par déclinaison, compliqué de s’opposer à la PMA post mortem, cela est problématique. On voit bien que prendre pour seule base le projet parental atteint une limite quand il pourrait se faire au détriment de l’enfant.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Bazin, il serait bon qu’on ne porte pas de jugement sur les propos de nos collègues.

Mme Florence Provendier. Comment faire son deuil ? Comment faire preuve de résilience ? Comment ne pas subir la pression familiale des proches du défunt ? Surtout, comment l’enfant à naître peut-il se construire alors même qu’il a été conçu grâce aux cellules d’un mort ?

M. Erwan Balanant. Ce point soulève sur le fond des questions extrêmement importantes, mais aussi des questions de forme, d’organisation et de légistique. M. le rapporteur l’a bien dit, le projet de loi ne l’avait absolument pas pris en compte, pas plus que le droit positif.

M. le rapporteur a rappelé que des décisions du Conseil d’État et de la Cour de cassation ont contraint l’État français à restituer du matériel génétique à des femmes qui sont allées faire réaliser l’implantation à l’étranger. Ces cas ont beau avoir été extrêmement rares – dix au cours des dix dernières années –, la situation ne manquera pas de se reproduire à l’avenir. Or le législateur ferait montre de sagesse en l’encadrant puisque, par la décision du Conseil d’État, les femmes pourront aller réaliser une PMA post mortem à l’étranger.

À mon sens, l’État français doit organiser l’insémination ou l’implantation d’embryons post mortem en apportant des réponses aux arguments qui ont été avancés : celui de la succession comme celui du consentement. Ce dernier doit être éclairé et libre ; il doit être exprimé au moment où est fait le choix de recourir à une AMP, évidemment par les deux membres du couple ; la femme survivante doit pouvoir le retirer à tout moment.

Si ces conditions étaient remplies, nous pourrions aboutir à une situation qui satisfasse à la fois nos impératifs et notre volonté d’encadrer cette procédure.

Je conclus en soulignant que la question du délai est extrêmement importante.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes quelque peu troublés par le cas de figure en débat et, pour tout dire, assez réservés concernant la proposition qui nous est faite.

Une première question me vient à l’esprit : le projet parental ne se trouverait-il pas modifié par la nouvelle situation ? Dans ce cas, peut-être faut-il voir les choses autrement.

Deuxième élément, ne s’agit-il pas d’une extension exorbitante des capacités humaines puisque, la personne concernée n’étant plus là, elle n’est, en principe – hors la technique –, plus capable de donner la vie ? L’enfant à naître ne naîtrait pas d’un don, mais d’un père décédé.

Cela peut se produire dans la vraie vie. On sait bien dans quelle situation déjà très difficile se retrouvent les femmes n’ayant pas eu recours à une PMA : c’est une douleur que de devoir faire des choix, de trancher.

Je ne suis donc pas certain de saisir tout le sens que peut avoir, au bout du compte, une telle démarche. Je crains que des familles et des femmes ne se retrouvent confrontées à des dilemmes encore plus douloureux. Et je me demande s’il est vraiment souhaitable d’envisager les choses sous l’angle de la logique de réparation qui sous-tend certains propos.

Mme Annie Genevard. Mme la garde des Sceaux a indiqué hier que la loi visait à traiter des situations générales. Or nous parlons d’une dizaine de cas en dix ans. Est-il raisonnable d’inscrire dans la loi une disposition tellement discutée et qui ne concerne que si peu de cas ?

Je vous invite, chers collègues, à bien réfléchir au point de vue de l’enfant. Vous parlez beaucoup de l’adulte qui vit un deuil, qui pourrait poursuivre son projet procréatif en bénéficiant des gamètes de son conjoint décédé plutôt que de ceux d’un donneur anonyme. Mais qu’en est-il de l’enfant ? Comment recevra-t-il son histoire, lorsqu’on lui racontera plus tard qu’il n’était pas encore né que son père était déjà décédé ? Comment peut-on psychologiquement porter une chose pareille ?

Les lois relatives à la bioéthique sont, à mon sens, fondées sur l’idée que ce qui est techniquement possible n’est pas toujours souhaitable. Gardons à l’esprit cet équilibre. Mes chers collègues, ne jouons pas aux apprentis sorciers !

M. Xavier Breton. Sur ce sujet, il n’existe pas de réponse qui ne présente pas d’inconvénients. À partir du moment où l’on joue avec le temps pour la conservation des gamètes, il y a obligatoirement un effet boomerang lorsque surviennent des accidents, comme le décès d’un membre du couple.

On voit bien aussi que la proposition qui nous est faite aurait un effet cette fois domino. D’abord, dès lors que vous ouvrez la procréation médicalement assistée aux femmes seules, comment expliquer qu’elle serait refusée aux femmes ayant construit avec leur conjoint décédé un projet parental ?

Ensuite, vous considérez que dans la mesure où cette procédure peut se dérouler à l’étranger, il faudrait l’autoriser en France. Une telle logique de dumping éthique n’est pas souhaitable.

Il faut bien mesurer les conséquences en droit de nouvelles dispositions légales, notamment en matière de succession. Un enchaînement de délais peut apporter bien des complications : d’abord, six mois minimum à partir du décès, puis douze mois au cours desquels aura lieu l’insémination ou le transfert d’embryons, et enfin le temps de la grossesse. En tout, vingt-sept mois qui peuvent avoir des conséquences familiales ou patrimoniales si le défunt était chef d’entreprise, et si donc une entreprise fait partie de l’actif successoral. Les juristes nous ont alertés sur ces points.

Il est effectivement dommage que Mme la ministre Agnès Buzyn ne soit pas présente parmi nous pour pouvoir formuler ses interrogations, mais je veux les reprendre parce qu’elles m’ont donné matière à réflexion. Je pense, d’une part, au poids que l’on fait peser sur l’enfant de sa naissance intervenue après le décès de son père, et, d’autre part, aux pressions que son entourage familial pourrait exercer sur la femme. On aura beau prévoir d’organiser le recueil d’un consentement libre, on sait que les relations familiales sont souvent compliquées à gérer par le droit.

Pour ces raisons, je suis très réticent.

M. Guillaume Chiche. Je ne m’exprime pas, s’agissant de ce sujet particulier sur lequel chacun doit se déterminer en fonction de ses convictions et des orientations, au nom de l’ensemble du groupe La République en marche.

Il me semble que nous devons respecter un principe de double cohérence. La première, qui a déjà été soulignée, voudrait que, avec l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires, on cesse de ne proposer aux femmes engagées dans un parcours de PMA avec un conjoint qui viendrait à décéder que trois choix : faire don des embryons restant à la recherche ou à une autre femme, ou les détruire. Expliquer à une femme qui vient de perdre son conjoint qu’elle ne peut poursuivre son projet parental avec ses embryons mais qu’une autre femme le pourrait, et que, pas d’inquiétude, elle aura la possibilité de recourir à la PMA qui sera ouverte aux femmes seules dès l’adoption de ce projet de loi, est absolument incohérent.

La deuxième cohérence est liée au poids que nous voulons éviter de faire supporter à l’enfant à naître. Prenons le cas où, dans le cadre de la loi actuelle, une femme dont le conjoint est décédé aurait fait don de ses embryons à une autre femme ou à un autre couple. Au nom du droit d’accès aux origines, l’enfant né de ce don pourrait avoir accès à l’identité de cette femme et entrer en contact avec elle, par exemple dans le but de la remercier. Elle pourrait tout à fait lui expliquer qu’elle aurait souhaité mener elle-même cette gestation mais qu’à l’époque, la loi le lui interdisait et que c’est pour cette raison qu’elle avait donné de son embryon à une autre femme. Le poids qui pèserait alors sur les épaules de l’enfant ne serait sûrement pas neutre !

Il est compliqué d’expliquer à une femme qu’elle serait sous l’emprise de son entourage familial. À mon sens, la femme dispose d’une liberté d’appréciation. L’amendement n° 2238 de notre rapporteur borne le recours à une PMA post mortem puisqu’il ne serait pas possible avant l’expiration d’un délai de deuil et de prévenance de six mois courant à compter du décès du conjoint. Du reste, l’argument de la femme sous influence a déjà été utilisé dans d’autres débats : le droit de vote des femmes, l’interruption volontaire de grossesse. Il ne me paraît pas approprié ici.

M. Hervé Saulignac. A priori, quand on perd la vie, on ne peut plus la donner. Pourtant, la technique aujourd’hui le permet. Nous sommes là au cœur de la bioéthique : si la technique le permet, la loi doit-elle pour autant l’autoriser ?

Notre groupe considère que la femme veuve est une femme seule. Très seule. Tragiquement seule. Dans certaines circonstances, elle peut avoir à se demander si l’amour qui prévalait au moment de son engagement dans la PMA avec son conjoint est bien toujours en accord avec le désir d’enfant. La question est très compliquée.

Pour les détracteurs de cette procédure, l’enfant qui va naître aura une histoire personnelle absolument terrible. La littérature contredit cela de la manière la plus nette.

Quant aux pressions, également terribles, qui s’exerceraient sur la femme, elles pourraient être évitées par l’amendement qui vise à recueillir les consentements au sujet de la PMA post mortem : il sera toujours possible d’arguer que ce consentement n’a pas été donné.

Je pense que nous devons rendre possible pour ces femmes l’accès à la maternité grâce à la technique. Je ne me vois pas, demain, expliquer à une femme qui aurait perdu son époux que nous lui avons refusé de concrétiser son désir d’enfant au motif que nous craignions les pressions qu’elle aurait pu subir.

Je retire, par conséquent, mes amendements au profit de l’amendement n° 2238 du rapporteur.

Les amendements n° 1766 et 1767 sont retirés.

Mme Coralie Dubost. Merci, monsieur le rapporteur, pour votre amendement qui me semble très structuré et encadré. Vous avez mis à profit les recommandations qui ont été données, notamment, par le Conseil d’État.

Je voudrais aussi évoquer la cohérence globale du projet de loi. On fonde l’ouverture de l’accès à la PMA à toutes les femmes et la suppression du motif thérapeutique sur la force de la volonté et le projet parental, affirmé à un stade antéconceptionnel, chez le notaire. Celui-ci recueillera le consentement au don et, s’agissant d’un couple de femmes, la reconnaissance conjointe. On confère une force juridique à la volonté exprimée par le projet parental, que ce soit à deux ou de la part d’une femme non mariée. C’est exactement ce qu’a dit le Conseil d’État dans l’affaire « Mme G. » de mai 2016, par son arrêt annulant une décision de refus de transfert d’embryons post mortem. Au passage, je préférerais un autre terme. À mes yeux, le projet parental survit : il s’agit finalement d’une PMA de volonté survivante plutôt que post mortem.

Le Conseil d’État a autorisé cette pratique – qui, je le rappelle, avait été votée par notre assemblée en 2011, avant que la disposition ne soit retirée au Sénat – au motif que la loi n’assure pas une application correcte de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de la Cour européenne des droits de l’homme. Il fallait donc envisager une application différente. Le Conseil d’État, dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique de 2018, formule des préconisations qui vont dans le sens de l’encadrement d’une PMA de volonté survivante, que votre amendement a fidèlement reprises, qu’il s’agisse de l’expression du consentement préalable chez le notaire au moment du consentement au don, qui confère toute sa force à la volonté, ou de l’encadrement par les délais.

Il me semble que le droit encadre déjà la capacité des femmes à prendre des décisions lorsque surviennent certaines difficultés. Nous sommes donc en mesure d’adopter cette disposition, à laquelle je suis très favorable.

M. Charles de Courson. Je dois être le seul membre de la commission à avoir connu toutes les lois de bioéthique. Je suis un cas unique !

En 2011, nous avions tous refusé l’insémination post mortem. Même si, comme cela a été rappelé, la majorité de l’époque s’était un peu laissé aller, le Gouvernement avait fait corriger cela au Sénat. Au risque de choquer certains d’entre vous, je reconnais que l’amendement Touraine est cohérent avec le texte. Mais c’est bien là le problème : il tire les conclusions de l’extension aux femmes seules et aux couples de femmes du recours à la PMA.

Prenons l’exemple d’une femme qui perd son mari alors que le couple avait entamé une PMA. Vous lui refuseriez l’insémination par les gamètes
– supposons qu’il n’y ait pas encore d’embryon – alors que vous l’autoriseriez, puisqu’elle est une femme seule, à recourir à la PMA ? De surcroît, avec la jurisprudence du Conseil d’État, elle peut récupérer les gamètes de son défunt mari et les exporter – on n’a pas interdit, en effet, l’exportation ni l’importation des gamètes. Elle pourrait donc réaliser son projet en Espagne ou en Belgique, pour ne citer que ces pays. Vous voyez donc bien que la situation est intenable. Si vous êtes opposé à l’insémination ou à la réimplantation d’embryon post mortem, vous ne pouvez pas être favorables à la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes. C’est pourquoi l’amendement Touraine est très cohérent au regard de l’ouverture à la PMA.

Par ailleurs, on ne distingue plus les gamètes de l’embryon. Il me semble qu’à partir du moment où il y a un embryon, la vie a commencé : c’est un être en devenir, comme on disait jadis. Vous n’allez pas refuser à une femme l’implantation lorsque son mari est décédé, mais en sens inverse, le veuf devrait trouver une femme tierce pour porter l’embryon. Vous voyez bien dans quoi on rentre !

Réfléchissez bien à l’amendement Touraine : vous n’y échapperez pas, par cohérence et par respect du principe d’égalité, malgré l’opposition du Gouvernement ; si vous y êtes opposés, vous devez voter contre la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes. Le débat est aussi simple que cela.

Mme Agnès Thill. Effectivement, il y a une certaine cohérence. Par la procréation post mortem, on permet de naître d’un mort – il faut appeler les choses par leur nom. Au sein de ma circonscription rurale, dans mes 173 communes, il faut que j’explique ce qu’est la PMA post mortem, il faut dire que cela signifie naître d’un individu mort.

On entend bien que, si on accepte la PMA pour les femmes seules, les objections contre la PMA post mortem tombent d’elles-mêmes : en cela, c’est cohérent. Dans l’ancien monde, une veuve pouvait se remarier, avoir une histoire avec un nouveau compagnon, nourrir un projet différent, avec d’autres spermatozoïdes. Ainsi, la vie va de l’avant et ne s’attarde pas sur le passé. S’agissant de la PMA post mortem, à l’instar de la PMA pour une femme seule, on ne retient que le désir de la femme. Le père ne voulait peut-être pas de cette décision. Est-on certain qu’il aurait accepté de ne pas voir son enfant ? Peut-être voulait-il absolument l’élever.

Je souhaiterais qu’on pense aussi à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette mesure suscitera de réelles difficultés au sein d’une même famille. On sait déjà que porter ne serait-ce que le prénom d’un oncle, d’un père, d’un frère aîné décédé pose de réels problèmes à un enfant, alors naître d’un individu décédé, c’est encore pire.

Mme Laurianne Rossi. Nous faisons face à une question qui interroge chacun de nous profondément, en ce qu’elle touche à la mort, au deuil. Je suis cosignataire de plusieurs amendements visant à lever l’interdiction de la PMA post mortem, car je considère que l’interdiction établie par le projet de loi risque de déboucher sur des situations incohérentes, pour ne pas dire ubuesques. Une veuve pourrait être autorisée à s’engager dans un processus d’assistance médicale à la procréation, avec l’intervention d’un tiers donneur, tout en devant abandonner l’embryon, fruit du projet parental conçu avec son mari, son conjoint, de son vivant. Il y a là, effectivement, une incohérence, pour ne pas dire une injustice, qu’il sera difficile de justifier – je rejoins les propos de mon collègue de Courson. Il convient de lever cette interdiction en posant les garde-fous nécessaires, comme le propose l’amendement de M. le rapporteur. Les garde-fous doivent concerner les délais, le consentement explicite avant le décès et une certaine clarification ; à cet égard, le terme d’ « embryon » est plus approprié que celui de « gamètes ».

Concernant d’éventuelles pressions, je suis d’accord avec M. le rapporteur qu’il faut faire confiance aux femmes. Il ne s’agit pas aujourd’hui pour nous, chers collègues, de remettre en question le libre arbitre des femmes et leur droit à disposer de leur corps. D’ailleurs, les pressions pourraient aussi s’exercer en sens inverse. Enfin, c’est notre rôle de législateur, me semble-t-il, d’encadrer cette matière pour ne pas laisser la décision au juge ; la jurisprudence a d’ailleurs déjà tranché en autorisant, à deux reprises, dans des cas très exceptionnels, l’insémination post mortem à l’étranger grâce à l’exportation des gamètes.

M. Philippe Vigier. Sur ces questions, chacun a sa part de vérité, mais je voudrais insister sur la cohérence. Vous ouvrez, par ce texte, la PMA aux femmes seules, mais vous l’interdisez à celles qui étaient engagées dans un processus d’AMP avec leur compagnon, et alors même que l’embryon peut être déjà là. Imaginez le drame que cela représente pour une femme qui perd son compagnon brutalement ou dont le compagnon donneur, à la suite d’une maladie, ne peut plus procréer. Chers collègues de La République en marche, vous ne pouvez pas dire, d’un côté, que vous laissez la liberté à des femmes seules d’avoir recours, demain, à la PMA, tout en l’interdisant dans quelques cas très isolés.

Par ailleurs, je rappelle que le code civil admet, sous certaines conditions, les mariages post mortem, qui sont certes extrêmement rares. Ce que nous n’encadrerons pas par la loi, rassurez-vous, la jurisprudence le fera pour nous. Vous entendez instituer un délai, monsieur Touraine, mais vous savez très bien qu’il s’agit de moments terribles de déstabilisation. Qui peut savoir si l’arrivée d’un enfant, qu’une femme a conçu dans le cadre d’un projet d’AMP avec son mari, sera de nature à la conforter ou à la fragiliser, lorsqu’elle sera devenue seule ? Qui a la réponse ? Puisqu’il y a quelques cas isolés, je pense qu’il vaut mieux les encadrer que de favoriser le contournement par l’étranger, dans des délais sur lesquels les juridictions se positionneront à un moment ou à un autre. J’invite chacun à réfléchir posément et à se demander si ces quelques cas ne méritent pas un encadrement plutôt que le laisser-aller, lequel entraînerait davantage de dérives.

M. Olivier Véran. « PMA post mortem » : derrière un nom pour le moins sinistre, de quoi parle-t-on ? Quelles sont les situations de vie rencontrées, certes, par un petit nombre de familles – une dizaine en dix ans ? C’est un débat difficile, qui honore notre assemblée. Il m’est rarement arrivé d’être à ce point dans l’incertitude avant un vote sur un amendement.

Les projets parentaux élaborés par les couples peuvent connaître beaucoup de changements radicaux. Considérons un projet de PMA, avec un embryon fécondé prêt à être implanté. Le père biologique apprend qu’il est atteint d’une maladie grave et incurable, tel un cancer. Pour autant, doit-on cesser le projet ? La question ne se pose pas dans cette situation, mais dans le seul cas de la bascule de la vie à la mort du père biologique. On connaît des situations aussi dramatiques que celle-ci, qui peuvent percuter un projet parental. Pour ma part, à l’inverse de mon collègue Jean-François Eliaou, j’étais plutôt défavorable, a priori, à la PMA post mortem ; je suis maintenant dans l’incertitude, à la lecture des débats et de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui, depuis plus de vingt ans, nous enjoint de légiférer pour légaliser la PMA après la mort du père biologique. Dans cette situation particulière, au nom de quelles valeurs devrions-nous interdire à une femme majeure, qui a un projet parental, de le mener à bien ?

J’entends certes les risques de pressions, mais je vois dans l’amendement de M. Jean-Louis Touraine plusieurs mesures sécurisantes, tels le consentement éclairé, qui peut être annulé à tout moment, et le délai minimal et maximal. Je ne crois donc pas que ces hypothétiques pressions soient de nature à créer une difficulté.

Nous devons plutôt nous demander si cette situation aura un effet sur l’enfant à naître ou sur l’accomplissement du deuil pour la future mère. Je dois dire que l’avis du CCNE nous incline plutôt à légiférer dans le sens proposé par le rapporteur.

M. Raphaël Gérard. Le sujet est extrêmement sensible. J’aimerais qu’on se place, l’espace d’un instant, à hauteur de l’enfant conçu de cette manière, dont plusieurs orateurs se sont interrogés sur la charge qu’on allait faire peser sur ses épaules. Nous ouvrons la PMA aux femmes seules. Si l’on refuse à une veuve l’accès aux gamètes de son défunt mari tout en lui permettant de s’engager dans un parcours de PMA avec tiers donneur, quel poids fait-on potentiellement peser sur les épaules de l’enfant à naître, lui qui sera un enfant de remplacement et non pas celui qui était imaginé dans le cadre du projet parental ? Encore une fois, je regrette qu’on n’ait pas entériné, hier, la notion de projet parental, qui me semble essentielle. Comme le disait Mme Rossi, il faut faire confiance aux femmes. Une femme sait quel est le meilleur projet pour son enfant et pour elle, et dans quelle mesure elle pourra élever cet enfant dans les meilleures conditions, sans faire peser le poids du deuil.

Prenons conscience que, même si l’on n’a recensé que dix cas en une dizaine d’années, ces personnes ont quand même dû emprunter des parcours judiciaires extrêmement lourds, qui s’apparentent beaucoup, en plus de l’épreuve du deuil, à une espèce de châtiment imposé pour la simple raison que nous ne savons pas prendre parti sur cette ouverture. Je pense donc qu’il faut régler cette question, ne serait-ce que pour ces dix femmes.

M. Pascal Brindeau. On voit bien la terrible impasse éthique et juridique dans laquelle on se trouve désormais pour avoir ouvert l’accès de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. J’entends tous les arguments en faveur et en défaveur de la possibilité de procréation post mortem. À partir du moment où la volonté prime sur tout le reste – puisque tel est bien le fondement des dispositions présentées –, il n’y a pas d’autre possibilité que d’emprunter cette voie, par cohérence, par esprit de justice et aussi parce que, quand bien même il n’y aurait que peu de cas, si la loi ne fixe pas une règle, la jurisprudence s’y emploiera. Cela dit, il me paraît très regrettable que l’État, le législateur soit obligé d’entrer dans le très intime des personnes pour déterminer qui a droit à tel type d’enfant. On est très éloigné de ce qui me semble être l’éthique à la française.

Mme Monique Limon. Je suis favorable à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Ce qui guide mon choix, c’est le projet parental. Or, si je pense à ce projet parental et à l’intérêt de l’enfant, je ne peux pas concevoir la PMA post mortem comme possible. À partir du moment où une femme perd son mari, il me semble que son projet de vie devient nécessairement autre, qu’un basculement s’opère. Même si, évidemment, je fais confiance aux femmes, la situation nouvellement créée n’a, à mes yeux, rien à voir. Ce qui me guide au plus haut point, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Il me semble que, dans le processus de construction identitaire de l’enfant, ce serait vraiment catastrophique de naître dans ces conditions.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Le sujet est éminemment difficile. Même si les cas restent peu nombreux, il soulève nombre de questionnements. Pour ma part, n’étant pas favorable à la PMA pour les femmes seules, il m’est sans doute plus facile de me prononcer sur ce sujet. J’observe que, non seulement il y a peu de cas, mais que les risques encourus semblent nombreux et qu’on ne les mesure pas forcément tous. On se sent l’obligation de légiférer systématiquement sur des situations peu fréquentes. Pour ma part, j’engage à la prudence et à ne pas chercher à légiférer sur tout. La jurisprudence peut se prononcer sur de tels cas. Il faut plutôt, à mon sens, rester en retrait et ne pas vouloir toujours tout encadrer jusqu’au plus petit détail – on ne pourra pas le faire, et je ne crois pas que ce soit l’objet de la loi.

M. Philippe Berta. Selon les chiffres qui m’ont été communiqués, on a connu quatre situations de ce type dans le passé. Même si l’on est à l’échelle de l’epsilon, il faut aussi prendre en compte la cause du décès du conjoint : est-ce un décès accidentel, une pathologie ? Le cas échéant, cette dernière est-elle héréditaire, dominante, transmissible ? Cela soulève beaucoup de questions.

Mme Martine Wonner. Les législateurs que nous sommes sont appelés à s’interroger sur des techniques qui auraient peu ou prou évolué. En l’occurrence, ce n’est pas le cas : la PMA post mortem ne fait pas appel à une technique novatrice. Depuis le début de notre discussion sur le projet de loi, notre fil conducteur est le projet parental. Je souhaite vraiment que nous l’ayons à l’esprit tout au long de notre réflexion.

Je remercie notre rapporteur, parce que chaque ligne de son amendement est marquée par la prudence ; son initiative consacre avec humanité cette pratique, dans le respect du projet parental. Ces situations sont extrêmement rares, mais elles nous parlent d’histoires de vie, d’amour. Un grand nombre d’enfants naissent tous les jours dans un contexte facile, biologique, mais sont-ils le fruit de l’amour ? L’étayage formidable pour un enfant, pour se construire, connaître une adolescence solide, devenir un adulte équilibré est bien, à chaque instant, de savoir qu’il est le fruit du désir parental, d’un amour qui peut dépasser la mort. Qui sommes-nous, législateurs, pour nous substituer à ce désir ? L’enfant existe même quand le père disparaît, quelle qu’en soit la raison, dans la parole de la mère au quotidien. J’espère donc que vous voterez l’amendement du rapporteur.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’organisation de nos débats est un peu compliquée : alors que nous débattons, en théorie, des premiers amendements en discussion commune, c’est l’amendement n° 2238 de M. Touraine, qui porte sur l’alinéa 5, qui est affiché.

Je m’interroge sur l’insémination post mortem, en ce qu’elle établira une filiation avec une personne décédée. Pour ma part, je présenterai ultérieurement un amendement qui vise à autoriser une femme seule à recourir à l’insémination post mortem dans le cadre d’un don dirigé, en utilisant les gamètes ou l’embryon déjà réservés pour ce projet, mais en limitant la filiation à la femme seule.

M. Francis Chouat. Comme le disait mon collègue Saulignac, nous sommes au cœur de ce qu’est une loi de bioéthique, dans la mesure où il nous est demandé de choisir entre le souhaitable et le possible. Pour ma part, j’ai longtemps estimé que ce qui doit primer, c’est l’équité des droits et qu’à partir du moment où nous ouvrons la PMA aux femmes seules, la logique commanderait de l’étendre aux femmes devenues seules. Toutefois, à la réflexion, à l’écoute des débats, je me pose deux questions. Premièrement, y a-t-il un véritable parallélisme des vies, en vertu duquel la loi devrait intégrer un parallélisme des droits ? Les deux cas précités ne sont pas du tout comparables : une femme seule et une femme devenue seule sont titulaires des mêmes droits mais ne s’inscrivent absolument pas dans le même contexte social. Deuxièmement, peut-on considérer que l’enfant à naître connaîtra les mêmes conditions de naissance, un environnement familial et social comparable à celui d’un enfant né d’une PMA accomplie par une femme seule ? Je ne le pense pas davantage. Je ne suis pas sûr que cette disposition contribue à l’équilibre que le projet de loi s’efforce en permanence de maintenir entre le droit des femmes et l’intérêt de l’enfant.

J’ajoute un élément de droit, en appelant à la prudence concernant les dons dirigés – ce qui ne concerne pas l’amendement de M. Jean-Louis Touraine. Sommes-nous capables d’intégrer la jurisprudence à notre réflexion ? Après avoir pensé autre chose, il y a encore quelques jours ou quelques heures, je donne plutôt un avis défavorable aux amendements portant sur cette question très sensible.

M. Brahim Hammouche. L’amendement du rapporteur me paraît procéder d’une réflexion très aboutie. Il n’a pas pour objet d’introduire une quelconque transgression, mais d’assurer la transmission. On ne souhaite pas transgresser et dépasser la mort, mais rendre présent l’absent et transmettre quelque chose du couple. Si le couple conjugal est, par définition, fini, le couple parental reste à construire. Cet amendement vise à ce que la parentalité voie le jour et se développe, sans aucun déni du deuil, dont le dernier stade est l’acceptation et l’espoir. La possibilité de l’insémination par un don, non pas anonyme mais identifié, rendrait présente la figure du père, dont l’importance a été rappelée ici à de nombreuses reprises. Les pères absents deviennent présents dès lors que la mère dit à l’enfant : « c’était ton père ». Je crois que cet amendement s’inscrit pleinement dans la logique de la transmission de la vie, parce que la vie doit l’emporter sur la mort.

M. Philippe Gosselin. L’amendement de notre collègue Touraine est parfaitement cohérent avec le projet de loi, même si c’est une cohérence dans laquelle, personnellement, je ne me reconnais pas. Cela montre bien l’effet domino de ce texte. À partir du moment où on reconnaît la PMA pour toutes, y compris pour des femmes célibataires, on ne voit pas au nom de quoi on imposerait à une veuve de renoncer à son projet parental, au fruit de son amour, en la contraignant éventuellement à repasser par la case départ pour avoir recours à un tiers donneur anonyme. Le texte, en l’état, est donc totalement illogique. Cela montre bien l’impasse dans laquelle il nous mène.

L’État a, d’une certaine façon, la mainmise sur la procréation. Des attentes existent, des questions sont soulevées ; on entend une demande de légalisation ou, à tout le moins, de définition de règles pour éviter que la jurisprudence puisse faire, si j’ose dire, tout et n’importe quoi. Demain, on aura peut-être d’autres questions, et ainsi de suite. C’est là l’effet domino que nous dénonçons – même si, encore une fois, je reconnais la cohérence parfaite, la logique implacable de la disposition qui est proposée par notre collègue Jean-Louis Touraine et par les auteurs des autres amendements. Néanmoins, cette logique ne peut pas être suivie, sans que cela retire en rien toute empathie pour le projet parental, que nul ne conteste. La loi n’a pas vocation à prévoir tous les cas de dons d’amour, de projet parental, à moins de vouloir instaurer une forme de mainmise de l’État sur la procréation. On fait, finalement, peu de cas de l’intérêt de l’enfant.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Nos discussions sont très enrichissantes mais quelque peu contradictoires. Quand j’entends une collègue dire qu’un enfant est le fruit d’un amour, cela met en question, à mes yeux, la PMA pour les femmes seules. Il faut s’efforcer, selon moi, de simplifier les choses. L’amendement est très long, car il s’emploie à préciser, peut-être au-delà du nécessaire. Il faut revenir aux choses simples. Comme le disait notre collègue Hammouche, cette question nous renvoie à la mort. Face à cette réalité brutale, il faut aller de l’avant et pas en arrière. La vie est toujours plus forte. Il faut laisser à la femme la chance de repartir de l’avant, de rebondir.

M. Guillaume Vuilletet. Pour faire écho aux propos de notre collègue Véran, ce débat, dont on perçoit sans conteste la dimension sensible, nous honore. Je suis de ceux dont la position a évolué au cours de la discussion. J’étais plutôt favorable à la PMA post mortem, mais, à l’écoute de nos discussions, j’ai changé d’avis.

Je définirai d’une manière un peu différente de Mme Martine Wonner ce qu’est une loi de bioéthique : à mes yeux, elle doit assurer l’adéquation entre la science, le droit et l’évolution de la société. C’est la raison pour laquelle on révise ces lois à échéances régulières : aujourd’hui, tous les sept ans, demain, peut-être, tous les cinq ans. On doit prendre en considération, à mon sens, l’état de la société. Je ne suis pas sûr, en entendant les uns et les autres, que nous ayons une position très claire sur un sujet aussi sensible. On se fonde sur le projet parental, mais ce n’est pas un mot magique. Il justifie qu’on prenne en considération la volonté des individus d’avoir un enfant, mais aussi – c’est le rôle de la loi, et c’est ce qui arrête l’effet domino qu’évoquait notre collègue Gosselin – qu’on fixe une limite. En l’occurrence, à mon avis, on va trop loin. J’ai le sentiment, eu égard à l’état de la société, que nous ne sommes pas prêts. C’est pourquoi il faut, me semble-t-il, s’en tenir au texte du Gouvernement.

M. Jacques Marilossian. J’apprécie beaucoup ce débat, mais j’avoue que je suis pris aussi d’un certain vertige. Je me demande si nous ne succombons pas à une sorte d’ivresse qui nous conduirait à nous prendre un peu pour Dieu ou, comme diraient certains, pour le grand architecte. Je m’interroge : quelles limites doit-on se fixer ? Où réside la frontière de la vie ? Je crois sincèrement que nous devons agir avec prudence et, entre technique et éthique, ne pas basculer dans une « science sans conscience ». Donner la vie après la mort de manière consciente est, me semble-t-il, une question bien plus complexe qu’il n’y paraît. Nous devons veiller à ne pas franchir certaines limites. Le projet parental dont on nous parle, n’était pas, avant la mort du conjoint, de créer un orphelin. Faisons attention !

M. Éric Coquerel. Je suis d’accord avec notre collègue Gosselin, sans en tirer les mêmes conclusions, évidemment. Ayant proposé un amendement d’esprit similaire, nous considérons que l’amendement du rapporteur doit être voté à partir du moment où l’on est favorable à l’extension de la PMA. Ce qui nous guide, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, c’est la recherche de l’égalité. Un collègue évoquait tout à l’heure les difficultés que susciterait la filiation avec une personne décédée, mais cela existe déjà. Lorsqu’un couple veut avoir un enfant, personne ne conteste le fait que la mère puisse lui donner naissance si le père est mort entre-temps. Il en va de même dans le cas où un père, se sachant condamné, décide de manière lucide et réfléchie, avec la mère, de donner malgré tout la vie. À partir du moment où on admet la PMA comme un moyen de donner la vie, je ne vois pas pourquoi on introduirait une inégalité.

Par ailleurs, à l’heure actuelle, vérifie-t-on si, dans le cadre des dons anonymes, des gamètes ne sont pas utilisés alors que le donneur est mort entre-temps ? Ce cas doit se produire, puisqu’on ne peut le vérifier qu’au bout d’un an – et encore les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) nous disent qu’ils ne peuvent pas le vérifier dans toutes les situations.

Enfin, une fois que le choix de la PMA a été fait, avec un père que l’on a choisi, je ne sais pas s’il n’est pas plus traumatisant d’avoir affaire à un donneur anonyme.

Par conséquent, il faut voter l’amendement n° 2238 du rapporteur.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Au‑delà des arguments relatifs à la cohérence défendus par mes collègues, je veux rappeler à ceux qui évoquent l’opportunité de laisser la jurisprudence se positionner qu’elle l’a déjà fait. En 2016, le tribunal administratif de Rennes a enjoint au centre hospitalier de Rennes d’exporter le sperme du mari décédé d’une jeune femme pour une insémination à l’étranger. Le Conseil d’État a également autorisé un transfert de sperme. Il me semble que les magistrats envoient au législateur un message qu’il serait opportun d’entendre.

Par ailleurs, nous ne défendons pas l’idée qu’il serait souhaitable de poursuivre un projet de PMA après le décès du conjoint, car nous ne pouvons pas préjuger de l’opportunité de poursuivre le projet parental, qui dépend des situations individuelles ; nous défendons la possibilité de faire un tel choix. Maintenir l’interdiction, c’est juger a priori de l’inopportunité de poursuivre le projet et empêcher toute réflexion autour.

Mme Aurore Bergé. Nous sommes au cœur de ce qu’est, pour moi, un projet de loi relatif à la bioéthique, puisque nous sommes mis face à des choix qui n’ont rien d’évident, et que personne ne peut dire, au sein de notre commission, qu’il a raison et que l’autre a tort, quels que soient les arguments employés.

Certains ont rapproché l’ouverture de la PMA aux femmes seules et l’autorisation de la PMA post mortem. Je ne crois pas qu’ouvrir la PMA aux femmes seules entraîne nécessairement l’ouverture de la PMA post mortem. Je suis donc défavorable aux différents amendements.

Examiner un projet de loi relatif à la bioéthique, c’est se poser à chaque instant la question de la conciliation entre ce qui est techniquement possible et ce qui est éthiquement souhaitable. Pour les raisons qui ont été invoquées, de l’évolution de la nature du projet parental, de l’intérêt de l’enfant, qui doit tous nous guider, que nous revendiquons à chaque instant dans nos interventions et qui est ici potentiellement en contradiction avec l’intérêt de la femme, de la définition du bon délai, qui garantisse le respect du deuil tout en permettant que le projet ne soit pas réalisé trop longtemps après le décès, des questions techniques et successorales ou encore des risques de pressions familiales sur la femme, je considère qu’il est éthiquement souhaitable de ne pas ouvrir l’accès à la PMA post mortem.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous remercie tous pour vos divers points de vue et cette réflexion commune, qui est délicate. Chacun a conscience d’avoir évolué vers un point de vue qui n’est pas forcément superposable à celui qu’il avait a priori. On se rend compte qu’il y a, sur cette question, des options diverses qui sont toutes légitimes.

Nous pouvons, par notre vote, témoigner de notre confiance à des femmes qui ont certes traversé une période difficile de leur vie, mais qui se sont reconstruites et qui choisissent, en responsabilité, après avoir eu toutes les informations souhaitables, soit d’interrompre le projet parental qu’elles avaient formé avec leur conjoint, soit de le poursuivre. Faisons‑leur confiance. Quel serait l’intérêt supérieur de l’enfant, en plus de l’intérêt de ces femmes ? N’est‑il pas de naître dans cette famille qui l’a conçu, espéré et aimé avant même qu’il ne se soit développé ? Les deux autres possibilités seraient que l’enfant naisse dans une autre famille – quitte à ce qu’il vienne, dix‑huit ans plus tard, trouver cette femme qui lui expliquerait ce que la loi l’a obligée à faire – ou que l’embryon soit détruit. L’embryon n’a pas d’autre issue. S’il est proposé à la recherche, il sera détruit après quatorze jours. En définitive, nous devons réfléchir à l’intérêt supérieur de l’enfant, tout autant qu’à l’intérêt de la femme concernée et à son aptitude à choisir, en son âme et conscience.

Nous sommes encouragés en ce sens par tous les organismes qui se sont penchés sur la question, que ce soit le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil d’État ou beaucoup des personnes auditionnées. Ils ne le font pas de gaieté de cœur, parce qu’ils ont, eux aussi, été partagés entre des sentiments contradictoires, mais, après réflexion, il leur semble que la solution la plus favorable était de laisser la femme choisir ce qui lui paraît bénéfique pour elle et son enfant.

Monsieur de Courson, je vous rassure, je propose deux amendements : l’amendement n° 2238 a trait à la transmission des gamètes et des embryons et l’amendement n° 2232 à la transmission des seuls embryons. Ce sont, en effet, des questions un peu différentes, certains pouvant considérer que l’embryon représente un stade plus avancé dans le projet parental et qu’en tant que tel il ne peut qu’être ou détruit ou développé pour devenir un enfant dans cette famille qui l’a espéré.

Enfin, j’ai beaucoup entendu parler des risques de pression, auxquels je suis sensible. Mais nous avons déjà la réponse à cette question, qui se pose également dans le cas, un peu comparable, des dons d’organe du vivant. Nous nous sommes prémunis contre la crainte qu’un donneur de rein soit soumis à la pression de sa famille, en organisant une visite du donneur seul auprès d’un juge, afin qu’il atteste qu’il n’est soumis à aucune pression. Il n’y a jamais eu, en France, aucune pression qui ait conduit à des prélèvements abusifs.

Tel est, mes chers collègues, après vous avoir tous entendus, le fruit de ma réflexion. Je vous remercie encore très chaleureusement pour vos interventions, et vous suggère de retirer les amendements précédant les miens.

M. Matthieu Orphelin. Mon amendement n° 1532 ayant été coupé en deux, je le retire au profit de l’amendement n° 2238.

L’amendement n° 1532 est retiré.

Les amendements n° 1549 et n° 1828 sont retirés.

M. Didier Martin. Même si je fais confiance à notre assemblée pour voter l’amendement n° 2238 du rapporteur, je maintiens mon amendement n° 1905.

La commission rejette l’amendement n° 1905.

L’amendement n° 1534 de M. Matthieu Orphelin est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2124 du rapporteur.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 544 de Mme Annie Genevard.

Elle en vient à l’amendement n° 383 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Ne faut‑il pas distinguer les gamètes des embryons ? Il me semble que, pour ceux qui sont dans la logique du texte, on ne peut pas assimiler les gamètes à un embryon, qui est un être en devenir. Refuser à une femme qui vient de perdre son mari d’implanter des embryons qui étaient prêts à l’intervention, ce n’est pas la même chose que de conserver les gamètes du défunt. Si M. le rapporteur propose deux amendements, il ne nous a pas indiqué sa préférence.

Par ailleurs, nous parlons du cas des veuves, mais il faudrait aussi parler de celui des veufs !

M. Erwan Balanant. Cela s’appelle une GPA. M. de Courson est pour la gestation pour autrui !

M. Charles de Courson. Non ! Mais si vous êtes veuf et que vous perdez votre femme, alors que vous vous étiez lancés dans un processus de PMA et que des embryons ont été formés, est‑il choquant, dans la logique de votre texte, d’essayer de trouver une femme tierce pour porter ces embryons ? Il faut aller jusqu’au bout, sans quoi vous allez créer une discrimination entre les femmes et les hommes. Il faut parler des deux situations.

Mon amendement vise à vous faire choisir l’amendement du rapporteur qui prend en compte les seuls embryons, les gamètes étant détruits en cas de décès.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Monsieur de Courson, si je vous ai bien compris, vous êtes d’accord pour retirer votre amendement en faveur de mon amendement n° 2232 ?

M. Charles de Courson. J’attends que vous ayez exprimé votre préférence entre vos deux amendements.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Si l’amendement n° 2238 n’est pas adopté, je choisirai l’amendement n° 2232.

M. Charles de Courson. L’amendement n° 2232 est donc un amendement de repli ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Exactement. Je vous suggère de retirer votre amendement, monsieur de Courson.

La commission rejette l’amendement n° 383.

Elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1777 de M. Raphaël Gérard, n° 2238 du rapporteur, n° 2096 de M. Didier Martin faisant l’objet du sousamendement n° 2268 de M. Erwan Balanant, n° 2094 de M. Bruno Fuchs, n° 2089 de M. Matthieu Orphelin, n° 1911 de Mme Emmanuelle FontaineDomeizel, n° 1550 de M. Bruno Fuchs, n° 1908 de M. Didier Martin, n° 2058 de M. Pascal Brindeau, n° 2232 du rapporteur, les amendements identiques n° 1037 de Mme Émilie Bonnivard, n° 1678 de Mme Annie Vidal, n° 1705 de Mme Claire Pitollat et n° 1949 de Mme Laurence VanceunebrockMialon, ainsi que les amendements n° 1663 de M. Bastien Lachaud et n° 2229 de Mme Sylvia Pinel.

L’amendement n° 1777 est retiré.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je pense n’avoir plus besoin de présenter l’amendement n° 2238.

M. Thibault Bazin. Nous avons bien compris que c’est l’amendement n° 2238 qui a la préférence du rapporteur. Nous vous alertons depuis des heures. L’inévitable effet domino du projet de loi va nous entraîner dans des impasses éthiques. Il est dangereux de se fonder sur le projet parental. L’intérêt de l’enfant, que l’on oublie en ce moment dans nos discussions, doit primer sur la volonté de la veuve. Faisons attention quand on invoque le concept d’amour, qui est subjectif et risqué en droit. Prenons également garde à la tentation de l’immortalité. Jusqu’où irons‑nous ? Quel sera le rapport de notre société au réel ? Quel sera son rapport au temps ?

Monsieur le rapporteur, votre amendement concerne l’embryon mais aussi l’insémination des gamètes. La mise à disposition des gamètes du conjoint décédé pose également la question de la non‑patrimonialité du corps. Soyons très prudents avec ces gamètes qui ne peuvent pas être mis sur le même plan que des embryons créés en présence des deux personnes vivantes. Pour toutes ces raisons, je vous invite à vous opposer à l’amendement n° 2238 du rapporteur.

M. Bruno Fuchs. C’est un débat difficile, dans lequel il n’y a pas d’évidence. Néanmoins, il me semble faux d’avancer que le projet parental serait rompu au moment du décès de l’un des conjoints, puisque l’autorisation préalable inscrit cette éventualité dans le projet parental. Le couple s’étant déjà prononcé sur une telle possibilité, je ne vois aucune rupture du projet parental.

Par ailleurs, la question relève de la responsabilité de chacun : des adultes peuvent décider en conscience. Le délai laisse également la possibilité de changer d’avis. Il ne s’agit pas d’imposer une faculté, mais d’ouvrir un droit à ceux ou celles qui le souhaitent. L’amendement n° 2238, que nous soutenons, vise, ni plus ni moins, à offrir à chacun la capacité de gérer sa vie et d’être responsable de ses décisions.

M. Didier Martin. L’amendement n° 2096 vise à introduire la notion de délai durant lequel le recours à la PMA est possible. Ce délai serait défini par le Conseil d’État.

M. Erwan Balanant. Le sous‑amendement n° 2268 vise à encadrer le processus. Notre souhait d’ouvrir la PMA à toutes les femmes entraîne des effets auxquels il faut répondre. L’amendement n° 2238 du rapporteur, tout comme l’amendement n° 2096 sous‑amendé par mon sous‑amendement, permettent d’exclure tous les risques que nous avons relevés. Si nous ne faisons rien, nous serons dans une situation très difficile : des recours devant le Conseil d’État risqueront d’allonger les délais et de poser de vrais problèmes à un certain nombre de femmes. Définissons un cadre et votons pour l’amendement du rapporteur.

M. Bruno Fuchs. L’amendement n° 2094 est très proche du n° 2096 de M. Didier Martin.

Les amendements n° 2089 et n° 1911 sont retirés.

M. Bruno Fuchs. L’amendement n° 1550 vise à fixer un délai encadrant la période pendant laquelle on peut faire le choix de l’insémination, de douze à trente‑six mois après le décès. Je le retire.

L’amendement n° 1550 est retiré.

M. Didier Martin. L’amendement n° 1908 vise à définir un délai de réflexion de six mois après le décès et à laisser au maximum deux ans pour avoir recours à la PMA post mortem.

L’amendement n° 2058 est retiré.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’amendement n° 2232 est un amendement de repli, qui vise à autoriser le seul transfert d’embryons. Dans le premier cas, je proposais la possibilité de transférer soit les gamètes, soit l’embryon. Il faut comprendre que, même lorsqu’il s’agit de spermatozoïdes, le projet parental peut déjà être relativement avancé. J’ai ainsi connu le cas d’un homme atteint d’un cancer évolutif qui a conservé ses spermatozoïdes avant une chimiothérapie. Sa femme a entrepris une insémination artificielle du vivant de son mari. Malheureusement, la maladie a évolué. L’insémination n’ayant pas réussi à la première tentative, la femme a demandé d’utiliser les spermatozoïdes. Le projet était déjà très avancé, même sans fécondation in vitro ni embryon. À vous de voir, en toute conscience, dans quelle mesure vous souhaitez restreindre cette évolution au seul cas de l’embryon ou l’étendre au cas plus large des embryons et des gamètes.

Mme Émilie Bonnivard. L’amendement n° 1037 est défendu.

Les amendements n° 1678, n° 1705 et n° 1949 sont retirés.

M. Éric Coquerel. L’amendement n° 1663 s’inscrit dans le même esprit que l’amendement n° 2238 du rapporteur, si ce n’est que nous proposons d’étendre le délai pendant lequel la PMA est possible, pour tenir compte des éventuels problèmes de succession.

L’amendement n° 2229 est retiré.

La commission rejette successivement l’amendement n° 2238, le sousamendement n° 2268, ainsi que les amendements n° 2096, n° 2094, n° 1908, n° 2232, n° 1037 et n° 1663.

La réunion, suspendue à onze heures quinze, reprend à onze heures vingtcinq.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels n° 2237, n° 2126 et n° 2125 du rapporteur.

Elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1396 de M. JeanFrançois Mbaye et n° 1973 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

M. Jean-François Mbaye. La jurisprudence du tribunal administratif de Rennes, en janvier 2016, qui a autorisé le rapatriement des gamètes d’un mari décédé, en faisant un contrôle de conventionalité fondé sur l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, m’a inquiété. C’est pourquoi j’ai tenu à ce que nous puissions engager cette discussion sur la PMA post mortem avec cet amendement n° 1396.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement n° 1973 vise à donner à une femme dont le conjoint est décédé la possibilité de poursuivre le projet d’AMP qui était engagé. L’AMP étant ouverte aux femmes seules, rien ne s’oppose à ce qu’elles puissent bénéficier de ce qui pourrait s’apparenter à un don dirigé au sein du couple. Le consentement à l’AMP pourrait notamment envisager cette disposition. Toutefois, la filiation serait alors établie au nom de la mère et, le cas échéant, de son nouveau conjoint. Les conditions encadrant ce don dirigé, notamment dans le temps, seraient précisées par décret.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis de sagesse sur ces deux amendements.

La commission rejette successivement les amendements n° 1396 et n° 1973.

Elle est saisie de l’amendement n° 1021 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. En son alinéa 6, l’article 1er prévoit que l’âge requis pour bénéficier d’une PMA soit fixé par décret, ce qui le rendrait plus facilement modifiable puisqu’il échapperait ainsi au contrôle du législateur. Nous avons tous en tête des cas extrêmes, telles ces femmes qui, l’une en Inde, est devenue mère à plus de soixante-dix ans, et l’autre en Espagne, a eu des jumeaux à près de soixante-sept ans. Or les risques de complications d’une grossesse augmentent avec l’âge de la mère. Fixer l’âge par décret pose problème dans la mesure où l’on pourrait tout à fait assister à une pression sociale. Comme on veut étendre aujourd’hui la PMA aux couples de femmes ou aux femmes seules, pourquoi ne pas décider demain qu’une femme de soixante ans, soixante-dix ans voire davantage pourrait, toujours au nom de la sacro-sainte égalité, bénéficier d’une PMA ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre présentation est quelque peu contradictoire. En supprimant l’alinéa 6, vous laissez toute liberté de recourir à l’assistance médicale à la procréation à n’importe quelle condition d’âge.

L’important, c’est que la loi précise qu’il y aura des conditions d’âge, celles-ci étant fixées par la voie réglementaire, après avis de tous les experts, en particulier de l’Agence de la biomédecine, et pouvant éventuellement être modifiées en fonction de l’évolution des techniques.

M. Charles de Courson. Ce débat a déjà eu lieu lors de l’examen des précédentes lois de bioéthique. Toutes les positions avaient été défendues, y compris celle consistant à fixer un âge différent pour les femmes et pour les hommes. La sagesse l’ayant emporté, nous avions adopté un texte qui ne fixait pas d’âge pour les femmes compte tenu de leur extrême diversité au regard de la capacité à procréer, mais prévoyait d’examiner la situation de santé de la femme, certaines femmes pouvant procréer jusqu’à cinquante ou cinquante-deux ans, d’autres étant ménopausées à trente-cinq ans.

Les hommes aussi avaient fait l’objet d’un grand débat puisque, techniquement, ils peuvent concevoir un enfant jusqu’à l’âge de soixante-dix ou soixante-quinze ans. Je crois me souvenir que, pour eux, nous avions fixé un âge sociétal de soixante ou soixante-cinq ans.

Je souhaiterais savoir ce que le Gouvernement envisage en la matière. Lors de leur audition dans le cadre de la mission dont vous étiez le rapporteur, les ministres nous avaient donné des indications. En tout cas, la rédaction actuelle n’est pas bonne. On ne peut pas dire qu’un décret fixera un âge. Il faut laisser davantage de souplesse, notamment pour les femmes.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une AMP ne sont pas fixées dans la loi mais par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence de la biomédecine. Les âges que vous évoquez n’étaient pas fixés dans la loi ; il s’agissait de recommandations de l’Agence, qui n’auraient que cette valeur si la loi ne mentionnait pas de limitations d’âge.

C’est le décret qui les indiquera, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, puisque, pour les unes comme pour les autres, mais pour des raisons différentes, il est dangereux de recourir à une PMA à un âge avancé, dans l’intérêt tant des parents que des enfants. Les problèmes tiennent à la capacité de procréation mais aussi à diverses maladies.

L’alinéa 6 pose, je le crois, les conditions souhaitables ; il ne faut donc pas le supprimer. L’Agence de la biomédecine a fixé des âges – soixante ans pour les hommes, je crois. Tout cela sera indiqué dans le décret.

M. Olivier Véran. Je suis assez sensible aux arguments de M. de Courson sur les bornes d’âge. Par le renvoi au décret, le législateur sera dessaisi d’une question importante – jusqu’à quel âge ? – des points de vue à la fois éthique, moral, sociétal, médical et scientifique. C’est un débat dont nous sommes un peu privés. Pourrions-nous avoir, d’ici à l’examen en séance publique, des indications un peu plus précises sur les orientations qui pourraient être prises dans le cadre de la rédaction du décret ?

M. Thibault Bazin. Il est dommage que le conseil des ministres empêche Mme la ministre d’être présente ce matin, car la question du décret est fondamentale. Surtout, le texte pèche par son imprécision concernant l’âge pour les hommes également dans les articles relatifs à la conservation et à l’utilisation des gamètes. Sans même évoquer la PMA post mortem, dans les cas où des hommes sont très âgés, la question de l’intérêt de l’enfant se pose. Des dérives sont déjà observées aujourd’hui, avec des personnes qui se présentent alors qu’elles avaient déjà eu un parcours d’AMP en 1980. Il faut pouvoir réguler, encadrer de manière très précise. C’est pourquoi il est nécessaire que la ministre nous indique quel sera le contenu du décret de sorte que nous sachions ce que compte faire le Gouvernement en la matière.

La commission rejette l’amendement n° 1021.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 9 de M. Xavier Breton et n° 197 de M. Patrick Hetzel, l’amendement n° 637 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 10 de M. Xavier Breton, n° 198 de M. Patrick Hetzel, n° 639 de M. Thibault Bazin et n° 1048 de M. Philippe Gosselin, ainsi que l’amendement n° 526 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 9 tend à prévenir les abus dans la rédaction du décret. Demander que l’homme et la femme formant le couple soient vivants, en âge de procréer et aient consenti préalablement au transfert des embryons humains ou à l’insémination permettrait d’encadrer de manière raisonnable le décret à venir.

M. Patrick Hetzel. L’amendement identique n° 197 vise à assurer une plus grande sécurisation, y compris juridique. Il convient de préciser clairement que le couple doit être vivant, en âge de procréer et qu’il ait donné son consentement explicite. C’est là un triptyque de conditions qui doivent être réunies en même temps.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 637 est défendu.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 10 est de repli. Il s’agit d’indiquer expressément que l’âge limite de la femme pour bénéficier d’une AMP est fixé à quarante-trois ans, qui est aussi l’âge limite de la prise en charge d’une fécondation in vitro (FIV) par la sécurité sociale et celui qui permet d’attendre des taux de grossesse réalistes.

Il est gênant d’aborder ce sujet alors que la ministre n’est pas là pour nous indiquer quelles orientations elle compte donner pour la rédaction du décret. Cela pose un problème de méthode, puisque nous présentons des amendements pour ouvrir le débat mais n’obtenons pas de réponses. Si nous connaissions les intentions du Gouvernement, nous ferions un travail un peu plus sérieux !

M. Patrick Hetzel. Il est vrai que l’éclairage du Gouvernement sur ce point précis serait très utile puisque, hier soir, la ministre a indiqué que certaines choses étaient techniquement possibles mais éthiquement pas souhaitables.

Comme l’a indiqué M. Xavier Breton, dans un but de sécurisation et pour éviter toute dérive, je propose, par l’amendement n° 198 de repli, de fixer un âge limite de quarante-trois ans pour la femme. À un moment donné, il faut poser une borne, tout le débat étant de savoir quelle est celle qui est légitime. La question, il est vrai, peut être traitée par décret, mais il nous faudrait quelques garanties.

M. Thibault Bazin. Avec un taux de grossesse par PMA de moins de 5 % chez les femmes de plus de quarante-deux ans, il est vraiment raisonnable de fixer la limite d’âge de la femme pouvant bénéficier d’une AMP à quarante-trois ans, âge également limite pour la prise en charge d’une FIV par la sécurité sociale. Cela permettrait d’éviter une forme d’acharnement procréatif. Tel est l’objet de l’amendement n° 639.

M. Philippe Gosselin. Il faut une forme de parallélisme, sinon des compétences, au moins des dates. C’est l’objet de l’amendement n° 1048. La sécurité sociale a fixé la limite d’âge pour la prise en charge des FIV à quarante‑trois ans ; il serait idéal d’en faire de même pour l’AMP.

Je ne suis pas opposé par principe à ce qu’un décret puisse établir d’autres limites, mais avant de confier cette responsabilité au Gouvernement, il serait bon qu’il puisse nous apporter quelques éclairages. Je suggère que l’on attende le retour de la ministre parmi nous, cet après-midi, pour voter ce point précis. N’y voyez aucune intention polémique ; il s’agit non pas de modifier le débat mais d’avoir des éléments de réponses plus concrets, des orientations plus précises.

M. Patrick Hetzel. L’actualité peut aussi nourrir ce débat puisqu’il ne vous a pas échappé qu’une femme de soixante-quatorze ans a donné naissance en Inde, il y a quelques semaines, à des jumelles. On voit bien quels problèmes vont se poser : lorsque les enfants auront dix-huit ans, leur mère en aura quatre-vingt-douze.

L’amendement n° 526 reprend les conclusions de l’étude d’impact du Gouvernement suggérant de fixer une limite. C’est vraiment le type de sujet sur lequel nous aimerions connaître l’avis du Gouvernement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable sur ces deux séries d’amendements. Les premiers, parce qu’ils reviennent sur la nécessité que les couples soient composés d’un homme et d’une femme pour pouvoir bénéficier de la procréation médicalement assistée. Les seconds, parce qu’ils tendent à fixer dans la loi une limite d’âge, d’ailleurs pour les seules femmes, en introduisant une confusion entre l’âge autorisé et la limite d’âge pour le remboursement d’une FIV par la sécurité sociale. Tout cela n’est pas abouti.

Il est légitime que la loi précise qu’il y aura des limites d’âge, mais il importe que ce soient les professionnels, et non le législateur, qui les définissent, en fonction des connaissances médicales à un moment donné, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. C’est la tâche de l’Agence de la biomédecine et des experts qui sont consultés par elle.

M. Charles de Courson. Pour la énième fois, fixer une barrière générale pour les femmes est une totale erreur. Il faut revenir au texte que nous avions précédemment voté, qui prévoyait une appréciation au cas par cas. Certaines femmes ont des enfants par les voies naturelles jusqu’à un peu plus de cinquante ans, tandis que d’autres n’en ont pas à trente ou trente-trois ans. Il faut moduler, pas fixer un âge comme cela.

Mme Annie Genevard. La question de la limite d’âge interroge le projet parental. Je me réjouis qu’on ait repoussé cette notion de projet parental, parce qu’elle ancrait totalement la question de la filiation dans la volonté et dans le projet. Dès lors, tout est possible, y compris des naissances à des âges totalement périlleux. La limite d’âge est donc une question très pertinente et elle mériterait d’être inscrite dans la loi.

M. Fabien Di Filippo. On voit bien que vous tâtonnez dans ce nouveau champ des possibles que vous explorez – un nouveau champ des possibles n’est pas toujours synonyme de progrès. Hier, vous nous avez objecté des arguments sur l’effectivité et l’égalité des droits, sur le fait qu’il faille rembourser la PMA sans père pour toutes les femmes et les femmes seules. Aujourd’hui, si l’on adopte le texte en l’état sans avoir obtenu d’éclairage de la part de la ministre, des personnes n’auront pas les mêmes droits que d’autres à partir d’un certain âge puisqu’elles devront payer la PMA. Tant qu’on ne se sera pas mis d’accord sur ce que devraient être les bornes d’âge et comment devraient évoluer les âges de prise en charge, ce texte pâtira d’une incohérence supplémentaire et vous instaurerez les conditions d’une PMA à plusieurs vitesses. Peut-être faut-il, comme le disaient mes collègues, prendre le temps de discuter davantage et attendre que la ministre revienne pour faire quelque chose de vraiment abouti.

M. Jean-François Eliaou. Nous ne sommes pas en Inde ni, pour reprendre l’expression de M. Bazin, dans l’acharnement procréatif. Si la loi devait fixer un âge, ce ne serait qu’un âge chronologique qui n’a souvent rien à voir, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, avec l’âge physiologique. L’appréciation de l’âge physiologique et des capacités de la femme de procréer et d’élever des enfants est extrêmement importante. Il faut donc faire confiance au corps médical et à l’Agence de la biomédecine pour indiquer quand la PMA est possible ou pas.

Je suis donc favorable à ce que la loi indique qu’il y aura prise en compte d’une limite d’âge, mais défavorable à ce qu’elle fixe précisément un âge.

M. Xavier Breton. J’ai bien entendu que ce qui gêne le rapporteur dans la première série d’amendements, c’est la mention d’un homme et d’une femme. J’en déduis qu’il est d’accord avec les autres critères d’un couple vivant, en âge de procréer et ayant préalablement consenti au transfert des embryons humains ou à l’insémination pour bénéficier d’une PMA. Je retire donc l’amendement n° 9 pour le retravailler d’ici à l’examen du texte en séance publique.

M. Patrick Hetzel. Je retire également l’amendement n° 197.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce n’est pas parce que j’ai donné une raison évidente de ne pas accepter des amendements qu’il n’y en a pas d’autres secondaires qui emportent le même avis. N’en pas parler ne vaut pas approbation des autres critères que vous énoncez. La seule mention que ces amendements sont en dehors du cadre de la loi suffit à motiver la demande de leur retrait.

Les amendements identiques nos 9 et 197 sont retirés.

M. Thibault Bazin. Je maintiens l’amendement n° 637, même si je le retravaillerai d’ici à l’examen du projet de loi en séance publique. Je suis très inquiet des évolutions prévues dans le texte.

M. Xavier Breton. Compte tenu de la dernière intervention du rapporteur, je maintiens l’amendement n° 10.

La commission rejette successivement l’amendement n° 637, les amendements identiques nos 10, 198, 639 et 1048, ainsi que l’amendement n° 526.

Elle est saisie de l’amendement n° 1842 de Mme Aude Luquet.

Mme Aude Luquet. L’âge de l’homme et de la femme est déterminant, non seulement dans la réussite d’une assistance médicale à la procréation, mais également pour le bien-être de la mère et de l’enfant au regard de pathologies qui se trouvent surreprésentées l’âge avançant. Il convient donc, par cet amendement, d’énoncer clairement que l’âge limite qui doit être fixé par le Conseil d’État s’entend aussi bien pour la femme que pour l’homme.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je comprends votre intention louable d’apporter cette précision « de l’homme et de la femme », même si elle est sous-entendue. Toutefois, cela exclut les personnes transgenres et obligerait à apporter cette précision complémentaire en plusieurs autres endroits du texte.

Il est effectivement utile de préciser que les conditions d’âge ne concernent pas uniquement la femme, mais bien l’homme et la femme. Je vous propose de retirer votre amendement pour le retravailler en vue de la séance publique.

L’amendement n° 1842 est retiré.

La commission en vient à l’amendement n° 1189 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Octroyer au Conseil d’État la possibilité de fixer par décret l’âge idéal de la fécondité est sensé si cette autorité prend en compte le cycle naturel de la fécondité féminine. Sans cette prise en compte, l’institution pourrait être accusée de vouloir distordre la réalité. Il me semble qu’il sera très difficile pour le Conseil d’État de déterminer un âge idéal de la fécondité, car cette période est tacitement déterminée par la loi naturelle.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La modification proposée n’est pas opérationnelle. Elle ne constitue pas un critère juridique suffisant pour fixer une limite d’âge. Parler de l’âge naturel de fécondité n’est pas assez précisément définissable.

M. Xavier Breton. Je voterai cet amendement. La notion d’âge naturel de la fécondité constituerait un bon cadre pour la rédaction du décret.

La commission rejette l’amendement n° 1189.

Puis elle examine l’amendement n° 1840 de Mme Aude Luquet.

Mme Aude Luquet. Afin de déterminer les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une PMA, il faut prendre en compte non seulement les risques médicaux de la procréation liés à l’âge, mais aussi l’intérêt de l’enfant. Celui-ci passant par le respect de la place de l’enfant dans les générations familiales, il convient d’énoncer clairement la nécessité de respecter les liens intergénérationnels pour fixer l’âge maximal d’accès à la PMA.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement est satisfait. Le projet de loi précise bien que les conditions requises pour bénéficier d’une PMA prennent en compte l’intérêt de l’enfant à naître, ce qui montre la place des enfants dans les générations. C’est d’ailleurs l’avis du Conseil d’État. La précision que vous souhaitez apporter est donc redondante, et je vous demande de retirer cet amendement.

M. Xavier Breton. C’est un amendement intéressant. Il eût été bon que Mme la ministre soit présente pour nous indiquer si l’inscription de l’enfant dans les générations familiales sera prise en compte lors de la rédaction du décret.

L’amendement n° 1840 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1353 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Mon amendement vise à préciser le cadre reconnu de l’intérêt de l’enfant.

Ce qui me préoccupe, c’est le consentement. Dans notre droit, il ne justifie pas l’acte, ou alors notre justice deviendrait une justice de contrats, avec toutes les dérives possibles qu’on peut imaginer. D’ailleurs, l’enfant est-il consentant pour ne pas avoir de père ?

Heureusement, la justice française protège les enfants. Elle n’obéit pas à la demande ni au consentement pour avoir ou obtenir. Ce n’est pas une justice de contrats mais une justice de lois et d’éthique que nous devons défendre, avec un parlement qui pense à la dignité de l’enfant.

Enfin, je rappelle que l’article 7 de la convention internationale des droits de l’enfant prévoit que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. »

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre proposition est inutile : tout au long du texte il est question de l’intérêt supérieur de l’enfant. On ne va pas préciser que l’intérêt de l’enfant est d’avoir un père, que ce soit pour la PMA ou pour les autres modes de procréation.

Restons-en à la rédaction actuelle du projet de loi, qui énonce que l’intérêt de l’enfant est préservé sans aller jusqu’à spécifier un intérêt particulier comme celui supposé de la présence du père.

M. Thibault Bazin. Cet amendement est intéressant. Votre réponse me plaît, monsieur le rapporteur, parce que vous dites que l’intérêt supérieur de l’enfant est inscrit à maintes reprises dans le projet de loi – nous vous proposerons toutefois de l’ajouter là où cela n’apparaît pas forcément dans le texte.

Cela dit, nous n’avons pas de définition de ce que recouvre l’intérêt de l’enfant. À cet égard, la déclaration des droits de l’enfant est beaucoup plus complète que ce qu’a pu indiquer le Conseil d’État, qui fait seulement état de la connaissance de ses origines et de la stabilité. On voit bien que d’autres dimensions devraient être prises en compte dans l’intérêt de l’enfant, et il est intéressant d’avoir ce débat.

La commission rejette l’amendement n° 1353.

Puis elle examine l’amendement n° 1975 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cet amendement tend à préciser que le décret en Conseil d’État pourra prévoir des conditions d’âge différentes si, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, il y a eu recours ou non à un double don de gamètes ou à un don d’embryons ainsi qu’à des ovocytes auto-conservés. Il ressort, en effet, des auditions que le recours à une AMP pourrait être autorisé à un âge plus avancé en cas de don d’ovocytes ou d’accueil d’un embryon, les risques d’échec de l’AMP étant limités par rapport à une AMP effectuée avec des ovocytes plus âgés.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je comprends l’intention, mais ce n’est pas dans la loi que ces précisions sont opportunes. Si l’Agence de la biomédecine, qui sera consultée lors de la rédaction du décret, le juge utile, différentes conditions d’âge pourront être fixées. Je ne crois pas que le législateur doive entrer dans ces considérations techniques, qui sont d’ailleurs sujettes à évoluer.

M. Charles de Courson. Nous avons discuté des ovocytes auto-conservés dans le cadre de la mission d’information. Le danger, c’est que des femmes, notamment cadres supérieures ou menant une carrière professionnelle, utilisent le dispositif que vous proposez pour différer jusqu’à des âges avancés la conception des enfants qu’elles souhaiteraient avoir.

La commission rejette l’amendement n° 1975.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 1033 de M. Pascal Lavergne et n° 1771 de M. Hervé Saulignac.

M. Pascal Lavergne. Depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, les personnes transgenres peuvent procéder à la modification de la mention de leur sexe à l’état civil sans avoir subi de stérilisation. Ainsi, un homme trans peut porter un enfant et accoucher. De ce fait, il est important de préciser que cette modification de la mention du sexe à l’état civil n’est pas une entrave à la réalisation d’une PMA. Tel est l’objet de l’amendement n° 1033.

M. Hervé Saulignac. L’amendement n° 1771 est identique. Hier, Mme la ministre a indiqué clairement que l’état civil décidait, en toutes choses et en toutes circonstances, de la possibilité d’accéder ou non à une PMA, et qu’une personne trans, en l’occurrence une femme devenue homme, ne pouvait pas procéder à une PMA. Mais cette réponse ne règle pas totalement la question. Quid d’une femme devenue homme qui n’a pas encore changé de sexe à l’état civil, qui procède de manière régulière à une PMA et pourrait vouloir changer de sexe à l’état civil après avoir eu un enfant ? Des personnes trans peuvent parfaitement comprendre que leur intérêt, si elles souhaitent avoir un enfant, est de ne pas changer de sexe à l’état civil, de faire l’enfant et d’en changer après.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable. Ces amendements simplifieront les choses, car de tels cas vont se présenter et il faut bien reconnaître la filiation des enfants qui naîtront de ces personnes. Cela ne veut pas dire que les choses sont simples dans de telles circonstances, mais il est prudent d’éviter que la modification récente de la loi n’entrave la possibilité pour ces personnes de mettre au monde des enfants.

Sagesse et prudence commandent donc d’adopter ces amendements.

M. Raphaël Gérard. Sans relancer le débat assez confus que nous avons eu hier soir, j’insiste sur la prudence dont nous devons faire preuve pour ne pas créer de nouvelles discriminations. Aujourd’hui, certaines personnes transgenres ont déjà accès à la PMA au sein d’un couple hétérosexuel. Si l’on ne clarifie pas ce point, on risque de créer des différences de traitement en fonction des statuts des personnes. Ainsi, comme le disait M. Saulignac, les hommes trans se verraient discriminés selon qu’ils auraient ou non effectué leur changement de sexe à l’état-civil.

Je voudrais aussi revenir sur une imprécision de vocabulaire qui m’irrite beaucoup. Un homme trans, ce n’est pas une femme qui décide de devenir un homme. Le seul choix que fait la personne, c’est d’assumer son identité de genre et de se mettre en conformité avec la réalité de son identité. Il est donc bien question d’identité et pas d’un changement qui résulterait d’un caprice ou d’une décision personnelle.

Le projet de loi ne peut pas introduire de nouvelles discriminations pour des personnes aux parcours de vie extrêmement compliqués.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, je vous invite à la brièveté, car nous avons déjà eu un très long débat sur le sujet hier soir.

M. Éric Coquerel. S’agissant d’une loi de bioéthique, c’est l’honneur de notre assemblée que de permettre que les arguments soient défendus jusqu’au bout.

Les amendements que nous avions déposés pour autoriser la PMA pour toute personne en capacité de procréer ayant été déclarés irrecevables sans que nous comprenions pourquoi, nous appuyons ces deux amendements identiques.

Mon collègue l’a dit, la question de l’égalité doit toujours nous guider dans le vote des amendements. Dans le cas considéré, il y a rupture d’égalité. Le débat d’hier a montré que de nombreux aspects n’ont pas été compris. Nous parlons bien d’hommes assignés femmes à leur naissance qui effectuent une transition vers le genre masculin. Bien qu’ils soient en capacité de procréer, dans la rédaction actuelle du projet de loi, ceux-là ne pourraient pas bénéficier de la PMA en raison de l’indication présente dans leur état civil alors qu’une personne transgenre en couple hétérosexuel qui n’a pas déclaré pas son changement de sexe à l’état civil le peut. Il y a là une anomalie absolue, qu’il est utile et nécessaire de corriger.

Le Conseil d’État a souligné que plusieurs pays européens qui se sont dotés de lois de bioéthique ne définissent pas d’identité de genre pour autoriser la PMA. Enfin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a donné un avis en ce sens.

M. Patrick Hetzel. La garde des Sceaux avait développé, hier soir, des arguments extrêmement convaincants, indiquant notamment les difficultés juridiques que pourrait entraîner une rédaction différente de celle du projet de loi. Son absence au moment où ce sujet éminemment sensible est traité est particulièrement regrettable.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Les ministres, qui se sont largement exprimées hier sur ce sujet, assistent ce matin au conseil des ministres. Je puis vous assurer qu’elles seraient venues si elles l’avaient pu, car elles le souhaitaient vivement.

M. Pascal Brindeau. L’anomalie juridique n’intervient pas nécessairement dans la situation actuelle mais dans l’hypothèse où nous ouvrons le droit à la PMA. Cas d’école : une femme en transition vers le statut d’homme, n’ayant pas déclaré à l’état civil qu’elle est devenue homme, se fait inséminer et accouche ; à l’état civil, elle est considérée comme mère. Si elle assume ensuite sa transition, et devient homme, devient-elle père, par présomption, à l’état civil ou devra-t-elle adopter son enfant comme père ? La situation est inextricable.

M. Xavier Breton. L’introduction de la notion de genre fondée uniquement sur la volonté, en évacuant toutes les réalités corporelles et sexuées, aboutit à des impasses. Nous n’avons pas de réponse aux questions simples, comme celle que vient d’énoncer notre collègue, et l’absence du Gouvernement n’aide pas.

J’entends qu’un débat s’est tenu hier, mais il portait sur un amendement dont l’objet était tout autre. Les conditions dans lesquelles nous travaillons sont donc très difficiles. Il est malheureux que l’opposition se retrouve dans l’obligation de défendre les positions des ministres !

La commission rejette les amendements n° 1033 et n° 1771.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1835 de Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Le délai nécessaire pour trouver un donneur compatible varie d’un centre à l’autre en fonction du stock de gamètes disponibles dans le centre et des contraintes d’appariement des couples. L’appariement se fait selon certaines caractéristiques morphologiques ou biologiques. L’amendement vise à permettre au couple ou à la femme non mariée demandant un don de gamètes de refuser de subordonner ce don à un appariement correspondant notamment à son origine ethnique. En effet, certaines personnes peuvent voir leurs chances de trouver un donneur diminuer du fait de leur appartenance à un groupe ethnique minoritaire.

D’après les données de l’Agence de la biomédecine, le délai moyen pour bénéficier d’un don d’ovocytes répondant aux critères d’appariement entre la donneuse et la receveuse varie d’un à trois ans, en fonction du nombre de donneuses qui se sont présentées dans le centre. La ressemblance physique ne doit pas nécessairement être une priorité, si les candidats à l’AMP font le choix d’y renoncer. Il faut leur laisser la possibilité de la refuser, s’il n’y a aucune contre‑indication, notamment médicale.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement est comparable à celui que j’ai défendu hier. J’y suis toujours favorable. Il faut laisser le choix aux personnes d’utiliser ou non l’appariement réalisé par les CECOS. Cela est d’autant plus important pour les minorités ethniques, qui auront un accès limité au don de gamètes.

Si les amendements portant sur cette question n’étaient pas adoptés, ils pourraient être retravaillés en vue de la séance publique, afin de bien faire comprendre à nos collègues que de larges groupes de personnes se trouvent pénalisés si on ne les laisse pas s’exonérer de l’appariement réalisé par les CECOS.

Mme Annie Genevard. Cette question a été évoquée hier. Je crois avoir entendu Mme la ministre des solidarités et de la santé expliquer que la première question posée par les CECOS est de savoir si les parents souhaitent ou non un appariement. Par conséquent, le choix leur est donné. Cet amendement, comme celui du rapporteur hier, me semblent donc sans objet.

La commission rejette l’amendement n° 1835.

Elle en vient aux amendements identiques n° 2241 du rapporteur et n° 1950 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’amendement n° 2241 porte sur le dispositif de réception des ovocytes de la partenaire (ROPA). Pour diverses raisons, dans un couple de femmes, on peut rencontrer le souhait ou la nécessité que l’une des deux femmes fournisse les ovocytes et l’autre porte l’enfant. Cela peut se produire du fait de certaines maladies ou d’une différence d’âge, si la femme la plus âgée du couple n’a plus d’ovocyte fécondable. Dans de telles circonstances, il s’agit d’offrir la possibilité que la PMA soit réalisée en utilisant les ovocytes de l’une des membres du couple tandis que l’autre membre porte l’enfant.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. L’amendement n° 1950 est identique. Alors que nous sommes alertés sur une possible pénurie de gamètes, il permettrait à un couple de femmes d’aller jusqu’au bout de son projet parental. Dans le cas où la première femme aurait un problème de nidification et la seconde, d’ovocytes, la PMA ne nécessiterait pas de don extérieur.

Cette solution n’est absolument pas comparable à une GPA, car personne ne met son ventre à disposition d’autrui. La gestation se fait pour l’enfant du couple. La femme qui porte l’enfant sera bien sa mère, de même que sa compagne.

Mme Annie Genevard. Ces amendements, et bien d’autres qui portent sur le même sujet, en promouvant l’idée que l’ovocyte d’une femme soit accueilli par une autre, fournissent un exemple de toutes les combinaisons possibles que souhaitent faire adopter certains dans le cadre de cette loi.

J’y vois précisément une gestation pour autrui et l’illusion que l’enfant bien est celui de deux femmes. C’est non seulement l’effacement plus que total de la dimension masculine de la filiation, puisque l’enfant est le produit de l’ovocyte et de l’utérus de deux femmes, mais aussi l’illustration de la dérive vers le techniquement possible mais éthiquement condamnable.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, les propositions que vous défendez sont à 180 degrés des propos qu’a tenus la ministre des solidarités et de la santé lundi soir. Nous avons besoin de savoir où nous allons avec ce texte : là où vous voulez nous conduire en tant que rapporteur, ou là où se positionne la ministre ?

En ce qui concerne la ROPA, la ministre a très clairement exprimé qu’il s’agit d’un don dirigé, qui contrevient au principe du strict anonymat entre les donneurs et les receveurs. C’est un glissement vers la notion de mère porteuse.

Nous risquons d’être pris dans un engrenage extrêmement dangereux. Soyons prudents sur ces questions et votons contre l’amendement du rapporteur.

Mme Emmanuelle Ménard. Je suis du même avis. La ROPA serait un terrible recul en arrière puisqu’il semble clairement établi aujourd’hui que les dons ne doivent pas être dirigés. La ROPA est tout l’inverse. Ne vous en déplaise, le dispositif est absolument assimilable à une GPA, certes éthique puisqu’il n’y aurait pas de contrepartie financière, mais une GPA tout de même.

Nous en tiendrons-nous au principe d’une absolue interdiction de la GPA en France ou ferons-nous une exception, dans ce projet de loi, pour une GPA éthique ?

M. Pascal Brindeau. Si l’on autorise ce don dirigé, comment le droit, donc la bioéthique, pourra-t-il interdire demain le don d’un homme vers un couple de femmes ou une femme seule ? Vous faites sauter une digue qui, là encore, emporte des conséquences que personne ne maîtrise.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je suis favorable à ces amendements. J’en ai d’ailleurs déposé un similaire, qui sera examiné par la suite. Il s’agit effectivement d’un don dirigé, mais qui ne recouvre pas les mêmes difficultés que d’autres dons dirigés.

Mme Coralie Dubost. Je trouve ce débat complexe et intéressant. M. le rapporteur confirmera qu’il existe des levées partielles d’anonymat, notamment au bénéfice du conjoint ou d’autres membres de la famille, dans le cas de dons d’organes croisés hors gamètes. Si cette possibilité existe déjà dans le cadre médical, pourquoi ne pas l’étendre au cas des gamètes ?

Par ailleurs, nous avons entendu lors des auditions qu’une pratique très assumée des CECOS consiste à demander à une femme ayant besoin d’ovocytes de venir accompagnée d’une donneuse dont les ovocytes iraient à d’autres. Une orientation est donc déjà prise, et je pense que la ROPA mérite d’être regardée non pas comme une atteinte au principe d’anonymat absolu mais comme une des clauses dérogatoires à cet anonymat, qui sont déjà considérées dans la pratique médicale.

M. Jean-François Eliaou. Les mots ont un sens. On ne peut pas ici parler de GPA, car la mère porte l’enfant pour elle-même et sa compagne, dans le cadre d’un couple. On ne peut pas non plus parler de don dirigé, puisqu’il s’effectue à l’intérieur d’un couple.

En revanche, je m’inquiète du risque de rupture d’égalité. Certains couples auront la chance d’avoir cette possibilité, d’autres ne l’auront pas. Nous devrons contrôler cette pratique des CECOS consistant à faire remonter dans la liste d’attente des personnes qui se présentent avec un ami ou des membres de la famille prêts à donner leurs gamètes. Ce n’est pas une bonne pratique. De surcroît, elle risque de diminuer la possibilité de recourir au don altruiste car, finalement, le don d’ovocytes restera limité au sein des couples, et ceux qui ne seraient pas en mesure de se plier à cette pratique n’auraient pas la possibilité de recevoir des ovocytes d’une tierce donneuse.

Je suis donc assez défavorable à la proposition.

M. Xavier Breton. On voit bien qu’en fondant la filiation sur le seul acte de volonté qu’est le projet parental, on en vient à bricoler, à manipuler toutes les combinaisons possibles. Le pilier biologique, qui devrait être stable, est utilisé selon le désir des adultes, bien loin de l’intérêt de l’enfant.

Il serait décidément intéressant que nous ayons l’avis du Gouvernement. Ce texte est le sien, il en a étudié la cohérence, et le Conseil d’État a donné son avis. Il est regrettable qu’il ne soit pas représenté ce matin, alors que nous discutons de points certes ponctuels mais néanmoins importants, puisqu’ils participent de l’effet domino inhérent au texte. Finalement, ce sont les députés Les Républicains qui défendent les positions du Gouvernement, comme ils le peuvent, face à une majorité divisée. Il tout de même dommage de travailler dans ces conditions.

M. Patrick Hetzel. Au moins le rapporteur est-il cohérent. Il a déclaré plusieurs fois publiquement qu’il était favorable à la GPA éthique ; avec la ROPA, il nous propose un glissement progressif vers la GPA, celle-ci se définissant par la présence de deux donneurs, par un double don. Avec les arguments ici développés, on ne voit pas comment la GPA, fût-elle éthique, n’arriverait pas dans notre pays. J’entends que, dans cette salle, certains y sont favorables ; pour ma part, j’y suis hostile. Je vois bien que tout est fait pour que l’effet domino devienne la règle compte tenu des irréversibilités que vous créez.

Je regrette, moi aussi, que le Gouvernement ne soit pas présent alors que nous avons à analyser la cohérence d’ensemble de ce texte. Nous voyons que, progressivement, certaines alertes que nous avons formulées sont en train de se confirmer. Ces amendements entrent clairement dans cette logique. Le rapporteur se montre donc cohérent, mais nous nous opposons fermement à son projet politique.

M. Guillaume Chiche. Les députés ne doivent pas se sentir abandonnés ou esseulés lorsqu’ils examinent un texte à l’Assemblée nationale en l’absence de l’exécutif ! Hier soir, nous avons échangé jusque tard dans la nuit avec les représentants du Gouvernement ; notre rapporteur a animé l’ensemble des auditions et des réunions de travail prévues. Le législateur peut légiférer assez tranquillement et de manière éclairée.

Je n’ai pas de position de principe sur la ROPA, dans laquelle je ne vois ni une GPA éthique ni un don dirigé. Je peux comprendre son intérêt pour un couple lesbien présentant une grande différence d’âge, les ovocytes de la femme la plus jeune ayant plus de chance d’être fécondés que ceux de la femme la plus âgée. Néanmoins, s’agissant de don d’organes, il importe de s’assurer que le consentement de la personne donnant l’ovocyte n’est pas contraint, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de pression sur l’une des deux femmes du couple afin de donner un ovocyte à sa conjointe. Pour le don d’organes, il me semble qu’un passage devant le juge ou le notaire est nécessaire. J’aimerais avoir un éclairage sur ce processus.

M. Éric Coquerel. Nous sommes opposés à la GPA non pas pour des raisons techniques, mais parce que nous refusons le risque de marchandisation des corps, en l’occurrence de femmes étrangères à un couple qui seraient utilisées à des fins de gestation pour autrui. Tel n’est pas le cas ici. Je suis donc étonné par la notion de « GPA éthique », qui apparaît davantage comme un oxymore.

La situation visée n’est pas celle d’une GPA, mais celle d’un défaut de fertilité au sein d’un couple. Il s’agit moins d’autoriser un don dirigé que de permettre à deux mères de concevoir. J’entends que ce point puisse faire débat ; pour notre part, nous l’envisageons. Par certains de ses aspects, cet amendement rejoint l’esprit du projet du Gouvernement. Nous sommes bien là dans un projet parental solidaire, de l’engagement à l’enfantement.

Enfin, je voudrais citer à l’appui de cet amendement une tribune récente de Réseau Fertilité France, qui explique pourquoi, médicalement, la ROPA est intéressante : elle « permet de suppléer au défaut de fertilité d’une femme du couple en recourant aux ovocytes de l’autre femme, sans avoir à se tourner vers un don d’ovocytes. Elle est alors conforme aux dispositions encadrant la PMA qui prévoient que les fécondations in vitro (FIV) soient réalisées en priorité à partir des ressources du couple afin de réserver l’accès à la banque de sperme ou d’ovocytes aux personnes chez qui ceux-ci sont déficients ou absents. » Nous sommes bien là dans le cadre d’un projet parental solidaire, conforme à l’esprit de la loi.

M. Philippe Gosselin. On ne peut pas établir de comparaison avec le don d’organes, car l’objet n’est pas du tout le même. Il s’agit là de faire naître un individu nouveau, non de remédier aux défauts d’un organisme ou aux effets d’une maladie, par un don de rein par exemple.

L’on peut bien s’étriper sur le terme, GPA ou ROPA, c’est là un processus totalement différent de l’AMP pour toutes. C’est un nouvel étage de la fusée, qui s’apparente davantage aux mères porteuses et à la GPA, qu’on le reconnaisse ou non. D’ailleurs, une étape supplémentaire est franchie puisqu’on qualifie ce processus de « solidaire », pour les uns, d’« éthique » pour les autres, et qu’on le légitime par le projet parental. On est toujours dans la même approche, qui montre bien l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et l’effet domino que nous dénonçons depuis le début. À cet égard, je salue moi aussi la cohérence pleine et entière du rapporteur sur le sujet.

M. Olivier Véran. Dans le cas où la femme qui portera l’enfant a un problème ovarien et ne peut pas utiliser ses propres ovocytes dans le cadre de la PMA, je ne vois aucune difficulté à ce que l’ovocyte provienne de sa partenaire. Si la femme qui portera l’enfant dispose d’ovocytes fonctionnels mais souhaite, pour une forme de partage dont je peux comprendre le principe, bénéficier des ovocytes de sa partenaire, j’y serai opposé pour une raison médicale. Sauf confusion de ma part – j’aimerais entendre M. le rapporteur sur ce point –, il existe un risque accru de complications obstétricales, notamment d’éclampsie, pour des grossesses avec don d’ovocytes. On ne peut pas faire courir de risque sanitaire aux femmes qui porteront l’enfant.

M. Pierre-Henri Dumont. Je ne comprends pas bien l’argument selon lequel le don d’ovocytes effectué au sein d’un couple ou d’une famille ne revient pas à recourir à une mère porteuse et de facto à une GPA. Pour moi, le fait d’implanter les ovocytes d’une femme dans sa compagne, pour une raison médicale ou autre, revient tout simplement à recourir à une mère porteuse. Puisque l’argument a été étendu aux membres d’une même famille, s’il y a un dysfonctionnement au sein du couple, qu’est-ce qui empêchera, demain, la mère de l’une des deux femmes de porter l’enfant du couple ? On ouvre là une porte sans entrevoir où elle peut nous mener. Nous sommes convaincus que ce que vous permettez là conduira de facto à une GPA, quel que soit le terme que vous lui accolerez.

M. Raphaël Gérard. J’ai du mal à concevoir le cheminement intellectuel de nos collègues qui parlent de GPA au sein d’un même couple. Encore une fois, M. Coquerel l’a très bien rappelé, le code de la santé publique précise qu’avant de recourir à un tiers donneur, il faut utiliser les gamètes disponibles au sein du couple. Dès lors que l’on consacre ce principe, on l’applique. Pour cette raison, la pratique de la ROPA me semble parfaitement justifiée pour un couple de femmes.

Dans le cas décrit par Mme Vanceunebrock-Mialon d’une femme qui rencontrerait des problèmes de nidification et dont la compagne aurait la capacité de porter un enfant, le couple serait obligé de recourir à un double dons de gamètes – ovocyte extérieur au couple et spermatozoïdes. Faisons simple ! Nous connaissons tous les tensions qui existent sur le don d’ovocytes. Lorsque les gamètes sont disponibles au sein du couple, utilisons-les.

M. Hervé Saulignac. Certains de nos collègues sont embarrassés par ces amendements parce qu’ils ne voient pas très bien ce qui les motive, si ce n’est le souhait d’offrir un choix qui peut presque être considéré comme une forme de confort, même si le terme n’est pas approprié. Il me semble qu’ils deviendraient entendables si l’on réintroduisait la notion d’infertilité : une femme infertile dans un couple de femmes peut recourir aux ovocytes d’une autre femme, y compris ceux de sa conjointe, partenaire ou épouse. Il y a là un argument fondé, qui rend respectable et entendable le recours à ces ovocytes.

M. Pierre Dharréville. Je comprends qu’il puisse exister un désir, volonté de partage ou projet solidaire, que les deux mères aient une forme de lien biologique avec l’enfant. C’est une idée que nous avons beaucoup interrogée dans nos discussions récentes sur ce que c’est qu’être parent.

Ce qui m’importe c’est la manière dont, au fil des décisions que nous prenons, nous construisons une loi, une pensée cohérente. Les questions posées par cet amendement ne viennent-elles pas interroger fondamentalement la philosophie du don, au-delà des cas qui nous sont présentés ? Ainsi, je me demande s’il ne faut pas réfléchir à asseoir, de manière solide, ce que nous appelons le don dans notre pays, et la manière dont nous le pratiquons. En tout cas, il ne faut pas chercher, à travers des décisions de ce type, à réguler les dons. Une pénurie ou des difficultés d’approvisionnement ne peuvent pas être résolus de cette manière.

M. Brahim Hammouche. Je ne lis pas ces amendements comme une GPA bis ou déguisée, ni un recours à une mère porteuse, mais comme le projet de deux mères qui sont plutôt heureuses. Selon moi, ils pourraient être reliés à l’article 75 de notre code civil, selon lequel deux conjoints se doivent assistance et secours mutuels. Si cette assistance doit passer par une procréation médicalement assistée, pourquoi pas ?

M. Didier Martin. Plusieurs problèmes médicaux – nidification, stérilités ovarienne ou tubaire – justifieraient médicalement ces dons d’ovocytes. Ouvrir la possibilité d’un don d’ovocytes dans le couple est utile, cela permettra d’éviter aux couples d’attendre longtemps un tel don. Laissons aux médecins, dont c’est le métier, le soin de juger au cas par cas des risques d’éclampsie ou des cas particuliers de stérilité, et ouvrons aux couples de femmes la possibilité de recourir à la ROPA.

Mme Aurore Bergé. Je rejoins mon collègue Dharréville. Ne risque-t-on pas de remettre en cause la philosophie du don altruiste ?

Hier, nous avons adopté un amendement pour limiter les risques de « priorisation » dans l’accès à l’AMP. Or la disposition dont nous débattons le remet, de fait, en cause : s’il est possible d’avoir accès aux ovocytes de sa compagne, le couple passera mécaniquement en haut de la liste. Cela me paraît contradictoire avec l’esprit de la loi.

Enfin, pour rebondir sur les propos de mon collègue Véran, du point de vue médical, le processus n’est pas du tout anodin : la mère qui donnera ses ovocytes subira une stimulation ovarienne et pour celle qui recevra l’embryon, il faudra en passer par une FIV. En audition, nous avons été nombreux à souhaiter que la priorité soit donnée, quand cela est possible, à d’autres méthodes moins intrusives.

Mieux vaudrait rejeter ces amendements, contradictoires avec la philosophie du don et celle du projet de loi.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Écoutons les femmes, nombreuses, qui adoptent les moyens actuels de procréation, dont la ROPA ; écoutons les professionnels de santé qui les pratiquent au quotidien, et les enfants qui en sont nés et en sont heureux. Il s’agit non pas de se projeter dans des risques futurs, mais d’analyser ce qui est une pratique actuelle : devons-nous ou ne devons-nous pas la fixer dans la loi ?

De nombreux arguments plaident pour l’affirmative. L’amendement est parfaitement dans l’esprit de la loi, selon laquelle il faut en priorité recourir aux ressources propres du couple. M. Gosselin contestait les comparaisons de Mme Dubost et de M. Chiche avec les dons d’organes, mais je partage leur point de vue : le don d’un organe de son vivant comporte une levée d’anonymat et se réalise dans des conditions permettant de se prémunir contre toute pression. La philosophie n’est donc pas complètement différente.

À l’inverse, j’ai beaucoup de peine à entendre la comparaison avec la GPA, car c’est exactement le contraire ! Dans la GPA, la femme porteuse
– j’emploie délibérément ce terme – transmet l’enfant dont elle a accouché à un autre couple. Dans la ROPA, la mère accouche de l’enfant qu’elle a porté dans son utérus. Je ne comprends pas vos craintes. La ROPA reproduit quasiment les conditions naturelles de procréation.

Quant à la disparition du rôle du père, ne nous faites pas ce procès ! Ne sommes-nous pas ceux qui introduisent des dispositions sur l’accès aux origines dans notre droit, autrement dit la reconnaissance du donneur masculin et la possibilité de connaître le nom de son donneur à dix-huit ans et, éventuellement, d’échanger avec lui ? Au contraire, grâce à nous, le donneur masculin sera davantage reconnu.

Je redis ma conviction que le législateur aurait tout avantage à entériner la pratique de la ROPA telle qu’elle se pratique dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, au bénéfice de tous ceux qui peuvent y recourir, notamment quand ils ont des difficultés de procréation.

La commission rejette les amendements n° 2241 et n° 1950.

Puis elle examine l’amendement n° 2239 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il s’agit de répondre à une demande récurrente. La France se distingue des autres pays par un manque d’études prospectives de suivi des femmes ou des couples receveurs, comme des enfants nés de ces pratiques. Pourtant, nous avons du recul puisqu’avant 1994, ces dernières étaient monnaie courante avant d’être transitoirement prohibées. Des enfants en sont donc issus. Malgré tout, aucune étude n’a été réalisée.

L’amendement tend à faire mener des études prospectives de suivi de toutes les personnes concernées par les centres d’AMP ou d’autres professionnels de la procréation, ainsi que par des universitaires, notamment en sciences humaines. Même si notre loi tente de se rapprocher de la perfection, soyons modestes : nous devrons peut-être y apporter des améliorations ou des corrections. Au moins pourrons-nous nous fonder sur des études françaises. Pour le moment, elles sont essentiellement anglo-saxonnes. Or la sociologie est légèrement différente dans ces pays.

M. Jean-François Eliaou. Je tiens à souligner l’intérêt d’une telle mesure en France où nous n’avons pas d’études de suivi des receveurs et des enfants issus de dons de gamètes, ni des dons d’organes ou de cellules souches hématopoïétiques. Or nous attachons autant d’importance au suivi médical que psychologique de ces patients. Des amendements ultérieurs proposeront la constitution d’un registre. Il est très important d’apporter notre soutien à cette proposition.

Mme Annie Genevard. Beaucoup de nos collègues ont souligné la cohérence du rapporteur. Je dénonce son incohérence ! Pendant les auditions, il n’a cessé de nous répéter que la PMA ne posait aucun problème aux enfants qui en étaient issus, que toutes les études anglo-saxonnes le démontraient, allaient dans le même sens et que les cohortes étaient suffisantes. Le présent amendement dit précisément le contraire ! Il reconnaît qu’il n’existe pas d’étude suffisamment fiable et que celles qui sont disponibles sont, pour l’essentiel, anglo-saxonnes. Vous venez de souligner que la sociologie de ces pays est différente de la nôtre, monsieur le rapporteur ; vous reconnaissez donc que le législateur est appelé à prendre une décision en méconnaissance de ses conséquences ! Je vous en remercie. Vous avez raison, il serait très utile de mener des études approfondies.

M. Didier Martin. J’ai assisté à de nombreuses auditions, et je me souviens de l’insistance très forte du professeur Frydman pour procéder à une évaluation et à un suivi de la loi. Il n’y a donc absolument aucune incohérence entre la proposition du rapporteur et le fait de nous appuyer sur des études réalisées dans d’autres pays pour proposer cette réforme. Il est important de disposer, à l’avenir, d’éléments nationaux de suivi des conséquences de cette nouvelle mesure, qui introduit un droit fondamental et constituera une transformation profonde du droit de filiation.

Je soutiens très fermement l’amendement du rapporteur.

M. Brahim Hammouche. L’amendement met surtout en lumière la pauvreté, que tous les universitaires ici présents connaissent, de la recherche épidémiologique en France. Si nous voulons être à la hauteur des revues internationales, il faut autoriser de telles études épidémiologiques.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas un amendement, c’est un aveu de faiblesse et d’impuissance plutôt inquiétant.

M. Guillaume Chiche. Comme mon collègue Didier Martin, je soutiens cet amendement : toute nouvelle pratique doit s’accompagner d’outils d’évaluation et de suivi.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je soutiens également très fermement cet amendement. Mes collègues ont raison, les auditions ont souligné que nous aurions tout à gagner à accompagner ces nouvelles dispositions d’un suivi étayé.

La commission adopte l’amendement n° 2239.

 

 

 

 

 

 

 


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Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 14 heures 30 ([5])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique. Ce matin, nous nous sommes arrêtés aux amendements à l’article 1er.

Article 1er (suite)
Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

La commission examine les amendements identiques n° 11 de M. Xavier Breton, n° 640 de M. Thibault Bazin et n° 1049 de M. Philippe Gosselin.

M. Xavier Breton. Madame la ministre des solidarités et de la santé, nous savons que vous avez assisté au conseil des ministres, dont l’ordre du jour devait être particulièrement chargé, mais nous avons bien regretté votre absence, notamment lors des débats sur la procréation médicalement assistée (PMA) post mortem. Nous avons dû défendre vos positions en votre absence mais l’important est que l’essentiel ait été sauvegardé. Les votes n’ont abouti à aucune dérive, fort heureusement.

L’amendement n° 11 vise à réduire autant que possible la création d’embryons surnuméraires dans le cadre de la PMA, comme le fait le droit allemand. Il est important d’éviter la création de stocks susceptibles d’être utilisés par l’industrie pharmaceutique ou la recherche. Il convient de prévoir une protection suffisante pour l’embryon humain contre toute dérive, notamment en proposant aux couples une autre implantation tant qu’il existe des embryons surnuméraires.

Nous proposons de rédiger ainsi les alinéas 7 à 10 : « Compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons humains. Dans ce cas, ce nombre est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation, compte tenu du procédé mis en œuvre. Une information détaillée est remise aux membres du couple sur la nécessité de réaliser ultérieurement une autre implantation jusqu’à épuisement du stock d’embryons humains surnuméraires. » Nous précisons que « Les membres du couple peuvent consentir par écrit à ce que les embryons humains surnuméraires soient accueillis par un autre couple répondant aux conditions de l’article L. 2141‑2. Dans les cas faisant obstacle à l’implantation des embryons humains ceux-ci sont accueillis par des couples demandeurs répondant aux conditions de l’article L. 2141‑2. ».

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, vous pouvez être soulagée. Grâce à l’opposition, le pire a été évité ce matin. Il est important de le souligner car il aurait pu se produire un glissement vers des dérives éthiques mais le risque n’est toutefois pas totalement à écarter en séance publique.

Le sort des embryons surnuméraires nous préoccupe. L’embryon n’est pas quelque chose de banal. Ce n’est pas un matériau. Il faut envisager la question avec tout le sérieux qu’impose le développement actuel de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Les avancées techniques auxquelles nous assistons depuis deux ans, notamment avec la vitrification des ovocytes, ne justifient plus autant qu’avant la création d’embryons surnuméraires. Il importe d’en réduire le nombre. La pratique allemande peut nous inspirer sur ce point.

Par ailleurs, il convient d’assurer un avenir à l’embryon en proposant aux couples une autre implantation tant qu’il existe des embryons surnuméraires. Si une autre implantation ne pouvait être envisagée, resterait la solution d’un don d’embryon.

M. Philippe Gosselin. L’embryon humain n’est pas un matériau comme les autres, il nécessite une attention particulière. À ce titre, il faut éviter la multiplication des embryons surnuméraires.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Mes chers collègues, jusqu’à maintenant, nous avons pris grand soin de ne pas caricaturer les positions des uns et des autres et j’aimerais que vous ne disiez pas trop souvent : « Le pire a été évité ». Nous avons du respect pour vos positions et nous attendons de votre part le même respect pour les nôtres. Ici, ce qui est discuté – et c’est tout le sens de la bioéthique à la française –, ce sont différentes visions du bien, il n’y en a pas de meilleures ou de pires que les autres. C’est dans cet esprit qu’il nous faut poursuivre l’examen de ce projet de loi.

Monsieur Breton, je partage votre objectif de limiter la création d’embryons surnuméraires. Nous savons qu’il en existe des centaines de milliers. Par boutade, je dirai que la réimplantation post mortem permettrait à certains d’avoir une destinée au lieu d’être détruits mais cela ne concernerait qu’un très petit nombre d’entre eux. Je dois ajouter que je n’adhère pas aux moyens que vous préconisez. Pour limiter leur production, il faut d’abord aboutir à de meilleurs résultats en matière de fécondation in vitro (FIV). Tant que le taux de succès ne dépassera pas 20 %, des embryons surnuméraires seront nécessaires pour réitérer les tentatives jusqu’à ce qu’un enfant puisse naître. Cela suppose d’accepter la recherche sur l’embryon. S’il y a autant d’embryons créés, c’est qu’il faut qu’il y en ait suffisamment pour en avoir de viables et éviter qu’il y en ait de non viables, tels ceux qui sont éliminés lors de la procréation dans les conditions naturelles sans que personne ne s’en rende compte.

Avis défavorable à ces amendements identiques.

Mme Elsa Faucillon. Je rejoins M. le rapporteur. J’ajoute que cette réduction que vous appelez de vos vœux compliquerait singulièrement le parcours des femmes et de celles ou ceux qui les accompagnent. Elles devraient en effet plus souvent repasser par l’étape du prélèvement d’ovocytes qui est fait sous anesthésie générale, ce qui n’a rien d’anodin en matière de santé. Même si je considère qu’il faut promouvoir le don d’ovocytes, on ne peut pas souhaiter à une femme d’avoir à subir une douzaine de fois ce prélèvement.

M. Guillaume Chiche. Je partage moi aussi les propos du rapporteur. Nos échanges ont été de bonne tenue ce matin, même en votre absence, madame la ministre. Les différentes positions ont été exprimées de manière très respectueuse et nous devons poursuivre nos travaux dans cet état d’esprit.

Je veux d’abord souligner qu’il n’y a aucune création d’embryon à des fins de recherche.

J’aimerais ensuite revenir sur l’exposé sommaire de votre amendement, monsieur Breton. Évoquant le droit allemand, vous indiquez que « les expériences tentées pendant la seconde guerre mondiale ont montré l’importance de limites juridiques en la matière ». Si c’est une référence à l’eugénisme, notion à mon sens trop largement employée dans le cadre de nos débats, il me paraît bon de rappeler qu’il répondait à trois caractéristiques principales : l’absence de construction scientifique, la volonté de changer la nature humaine, la contrainte exercée sur les personnes qui le subissaient. Je vous appelle à la plus grande prudence avant de comparer notre droit et ce projet de loi à des concepts et des pratiques qui ont prévalu pendant les heures les plus sombres de notre histoire.

Mme Bérangère Couillard. À la suite de Mme Elsa Faucillon et de M. Guillaume Chiche, répétons que la PMA n’est pas une cure de jouvence. Ce sont les personnes qui y ont eu recours qui le disent. Les embryons créés ne sont pas « en trop », ils viennent augmenter les chances de réussite de la PMA. Ensuite, une décision claire est prise : conserver l’embryon, le détruire, ou bien le donner soit à des fins de recherche soit à un autre couple.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, que vous ayez besoin d’exprimer votre indéfectible soutien à Mme Buzyn ne pose pas problème. Reste que les mots ont un sens. Et je nous invite collectivement à les peser et les soupeser afin que nos débats se déroulent dans le même état d’esprit que celui qui prévaut depuis maintenant trois semaines.

La commission rejette les amendements n° 11, n° 640 et n° 1049.

Elle en vient à l’amendement n° 1032 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 7 par la phrase suivante : « L’assistance médicale à la procréation ne peut être mise en œuvre au moyen de gamètes achetés à l’étranger. ». Avec l’élargissement de l’accès à la PMA, les besoins de gamètes vont augmenter. Or, madame la ministre, vous expliquiez lundi soir que nous étions à environ 300 dons de sperme par an. Le très faible nombre de donneurs de gamètes en France peut laisser penser que des personnes ont recours à l’achat de gamètes à l’étranger, pratique qui s’oppose clairement au principe de non-marchandisation du corps humain. Il me semble donc important d’inscrire cette interdiction dans le texte.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Madame Ménard, votre amendement est en grande partie satisfait dans la mesure où l’implantation de gamètes venant de l’étranger est soumise à une autorisation de l’Agence de la biomédecine ; elle doit donc respecter les critères d’autorisation correspondant aux principes éthiques du droit français, dont la gratuité fait partie. Il n’est donc pas envisageable d’implanter des gamètes prélevés dans conditions éloignées des standards français.

En revanche, on ne saurait interdire l’implantation de gamètes gratuits, dont le prélèvement respecte les mêmes règles d’éthique que les nôtres.

Mme Emmanuelle Ménard. Ce n’est pas l’objet de mon amendement.

M. Xavier Breton. Je soutiendrai personnellement l’amendement de Mme Ménard qui ajoute une précision utile et juste.

J’aimerais maintenant répondre à M. Guillaume Chiche au sujet de notre référence au droit allemand afin de lever toute confusion. Il est clair que nous ne nous situons pas dans la logique du point de Godwin en cherchant une comparaison avec le régime nazi. Nous voulons simplement signifier que le fait que le droit allemand soit si strict en matière de production d’embryons surnuméraires s’explique par son histoire. Par ailleurs, cela montre que juridiquement, il est possible de limiter la production d’embryons surnuméraires.

La commission rejette l’amendement n° 1032.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement n° 641 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 12 de M. Xavier Breton, n° 199 de M. Patrick Hetzel, n° 546 de Mme Annie Genevard et n° 1050 de M. Philippe Gosselin, ainsi que l’amendement n° 1779 de M. Raphaël Gérard.

M. Thibault Bazin. Madame la présidente, en matière d’éthique, nous recherchons le mieux et nous voulons éviter le pire. Mes propos n’étaient en aucun cas destinés à vous atteindre personnellement, monsieur le rapporteur. Je réaffirme ici le respect que j’ai pour vos convictions, pour différentes qu’elles soient des miennes. Il s’agissait plutôt d’un message positif à l’intention de Mme la ministre.

Mon amendement n° 641 vise une disposition très dangereuse du projet de loi : l’autorisation du double don de gamètes qui revient à supprimer tout lien biologique entre l’enfant issu d’une PMA et ses parents. Un enfant pourrait ainsi avoir trois mères : ses deux mères usuelles et une mère biologique. On peut se demander pourquoi une femme seule ou un couple de femmes n’apporteraient pas au moins une filiation biologique. En l’absence de pathologie, pourquoi faire appel au don d’ovocytes. Ce matin, nous évoquions la méthode ROPA – réception des ovocytes de la partenaire.

Le texte prévoit la possibilité d’une AMP avec deux « tiers donneurs » : un homme et une femme. L’enfant qui en serait issu ne partagerait donc aucun patrimoine génétique avec ses parents. Cette disposition, en plus de priver un enfant de ses parents biologiques, risque d’ouvrir demain la porte à un marché de la procréation en permettant aux parents de choisir les caractéristiques génétiques de leur enfant. Toutes les dispositions se tiennent en un effet domino, voire en un effet mikado.

Avec cet amendement, nous ne faisons que proposer un retour au droit actuel, beaucoup plus prudent.

M. Xavier Breton. Le but de notre amendement n° 12 est d’éviter que les parents puissent choisir les caractéristiques génétiques de leurs enfants de manière libre et arbitraire. Il est important de garder un minimum d’ancrage biologique et corporel à la filiation. Cela évite que la toute-puissance des adultes et le primat donné au projet parental ne s’exercent au détriment de l’intérêt des enfants.

M. Patrick Hetzel. Revenons aux lois de juillet 1994 : elles ont autorisé le recours à un don de gamètes pour permettre à des couples infertiles de réaliser leur projet parental. Cette pratique n’est, en effet, pas anodine, comme les pédopsychiatres ont eu l’occasion de le souligner lors des auditions. Nous avons vu aussi que les enfants nés d’un don de gamètes avaient des revendications particulières.

Ces lois ont par ailleurs interdit la pratique du double don : l’enfant est toujours biologiquement issu de l’un des deux membres du couple. Or le projet de loi prévoit de remettre en cause cet interdit, ce qui ouvre la voie à l’autorisation de la gestation pour autrui (GPA). Notre amendement n° 199 vise à en revenir au droit actuel.

Mme Annie Genevard. Du fait de l’interdiction actuelle du double don, l’enfant est toujours biologiquement issu de l’un des deux membres du couple. La remise en cause de cette interdiction montre que nous arrivons au bout du processus d’éviction du lien biologique, qui est fondateur pour l’enfant. S’il apprend qu’il est né d’un don, il pourra se lancer dans la quête de ses origines en s’appuyant sur cet élément de stabilité psychologique. Cet aspect du projet de loi est tout à fait préjudiciable à l’enfant, or je considère qu’il faut toujours se placer du point de vue de l’intérêt de l’enfant.

M. Philippe Gosselin. Lundi, Mme la garde des Sceaux a parlé de révolution du droit de la filiation, en soulignant qu’elle procédait à la création d’une filiation de toutes pièces sur le plan juridique. C’est effectivement cela. Interdire le double don permettrait au moins de maintenir une filiation biologique qui, elle, ne relève pas de la fiction juridique. Il me paraît préférable qu’il en soit ainsi pour les enfants qui naîtront.

M. Raphaël Gérard. Je dois dire que je ne sais pas très bien pourquoi mon amendement n° 1779 a été mis en discussion commune avec les amendements identiques de mes collègues…

Après avoir soutenu longuement hier que le motif de stérilité devait être une condition sine qua non pour accéder à la PMA, ils sous-entendent maintenant qu’une femme non mariée devra utiliser ses propres ovocytes même si elle est stérile.

Je m’étonne aussi que vous n’ayez pas soutenu notre position ce matin à propos de la ROPA dont le présent amendement est une variante. Quand il y a des ovocytes ou des gamètes disponibles au sein d’un couple, il me paraît logique de donner la priorité à leur utilisation avant de recourir à un tiers donneur.

Il est en concordance avec des amendements que je défendrai ultérieurement. Aujourd’hui, l’auto-conservation des gamètes est autorisée pour une femme transgenre. L’idée est de l’autoriser à utiliser ses spermatozoïdes par priorité pour un projet d’AMP qu’elle aurait avec une femme cisgenre.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ni domino, ni mikado, ni retro. Évitons de toujours regarder en arrière. Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’interdiction du double don car il est utile et bénéfique. Dès lors qu’on accepte le don d’embryon, qui suppose la fusion d’un gamète mâle et d’un gamète femelle, on doit accepter le double don. Demande de retrait ou avis défavorable à l’amendement de M. Bazin et aux amendements identiques.

Quant à l’amendement de M. Gérard, il propose un dispositif de type ROPA qui inclut les transgenres. J’y suis favorable. Il serait difficile d’imaginer une méthode ROPA réservée aux transgenres mais nous verrons en quel sens notre assemblée souhaite trancher.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Breton, vous vous dites inquiet de voir le double don de gamètes offrir la possibilité de choisir les caractéristiques génétiques de l’enfant à naître. N’entrons pas dans cette polémique. Pour ma part, je ne comprends pas comment on peut ne pas permettre ce double don. Il répond à des situations pathologiques qui sont devenues assez fréquentes. Pensons à deux conjoints stériles du fait d’une leucémie dont ils auraient été atteints à l’adolescence, cas clinique que j’ai rencontré. Aujourd’hui, leur seule possibilité d’accéder à la PMA repose sur un don d’embryon. Je pense que dans cette situation, le fait qu’il n’y ait aucun lien biologique entre l’enfant et ses parents ne vous choque pas. Or il n’y a aucune différence entre un don d’embryon et un double don de gamètes.

Pourquoi favorisons-nous le don de gamètes ? Parce que les parents peuvent se projeter d’emblée grâce à cette procédure qui leur est dédiée alors qu’accueillir un embryon surnuméraire issu d’un autre projet parental est pour eux beaucoup plus difficile et douloureux et suppose un investissement dans l’enfant à venir qui n’est pas forcément le même. Cette possibilité est avant tout destinée aux couples hétérosexuels stériles mais elle est ouverte aussi aux femmes seules stériles ou aux couples de femmes dont l’un des membres est stérile.

Vous mettez en avant l’importance du lien biologique mais cet argument ne tient pas. Donner cette primauté n’est possible que si l’un des membres du couple n’est pas stérile. Je ne vois pas quelle femme irait demander des ovocytes, avec les délais d’attente que l’on connaît, si elle-même est en capacité de les fournir. En outre, je ne comprends pas comment on peut s’opposer à ce double don dès lors que les couples stériles bénéficient déjà de dons d’embryon.

Je suis donc défavorable à ces amendements

Quant à l’amendement concernant la ROPA, j’y suis défavorable pour d’autres raisons. Cette méthode repose sur le don dirigé : le donneur choisit la personne qui bénéficiera de ses gamètes. Par glissement, il risque d’y avoir des demandes de dons qui dépassent le cadre du couple, avec par exemple une sœur et non plus la conjointe qui serait à l’origine du don. Comme je suis formellement opposée aux dons dirigés, je suis défavorable à la ROPA. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

La commission rejette successivement l’amendement n° 641, les amendements identiques nos°12, 199, 546 et 1050, ainsi que l’amendement n° 1779.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1190 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Cet amendement tend à supprimer la mention de l’autoconservation des ovocytes dans le but de choisir à son gré la période idéale pour devenir parent. Cela risque en effet d’encourager la femme à différer sa grossesse au profit de sa carrière. Le problème est pris à l’envers. Une femme n’est pas une machine et un enfant n’est pas une marchandise ou un bien de consommation. Au lieu de favoriser l’emprise de la vie professionnelle sur la vie personnelle, il serait sans doute plus sensé d’adopter des mesures visant à accompagner les femmes enceintes ou les jeunes mères dans leur vie professionnelle.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre présentation est un peu réductrice. Ne comparons pas des systèmes différents. Certaines multinationales, ce qui est regrettable, escomptent que leurs salariées vont ainsi différer leur projet de maternité. Nous sommes tous ici favorables à ce qu’elles forment ces projets lorsque leur fécondité est à son meilleur. Dans certaines entreprises, toutefois, il ne s’agit pas du tout de brider les possibilités des femmes d’enfanter mais de permettre à celles qui sont désargentées de recourir à cette procédure onéreuse, non prise en charge par la solidarité nationale. C’est un service qui leur est rendu et non pas une obligation qui leur est faite. Il faut se garder de caricaturer les pratiques de pays étrangers aux systèmes différents.

La suppression d’alinéa que vous proposez va à l’encontre de l’objectif recherché par la loi. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon. Je suis opposée à l’amendement de Mme Lohro qui revient à enlever une possibilité de choix aux femmes, à restreindre leur capacité à disposer librement de leur corps, au prétexte que certains s’emparent de ces méthodes pour les monnayer.

Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le rapporteur, que les multinationales agissent pour venir en aide à des femmes désargentées. Elles le font pour exercer des pressions sur leurs salariées. Elles sont en mesure de capter les aspirations de la société et de leur attribuer une valeur marchande.

La commission rejette l’amendement n° 1190.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 13 de M. Xavier Breton, n° 200 de M. Patrick Hetzel et n° 642 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements identiques n° 547 de Mme Annie Genevard et n° 1143 de M. Jérôme Nury.

M. Xavier Breton. Par l’amendement n° 13, nous souhaitons supprimer les références à la femme non mariée aux alinéas 8 et 9 de l’article 1er. L’ouverture de l’AMP aux femmes seules induit un effet domino. Nous l’avons vu ce matin avec le débat sur les veuves et nous pouvons redouter que cela ne contribue à augmenter le nombre de familles monoparentales.

M. Patrick Hetzel. L’ouverture de la PMA aux femmes seules va conduire à gommer l’altérité propre au couple. Beaucoup de professionnels nous ont alertés sur cet aspect. À travers cet amendement, il nous revient une nouvelle fois d’insister sur ce point. Nous le faisons au nom de la société, en tant que législateur. Collectivement, voulons-nous assumer le fait que des enfants se retrouvent d’emblée dans une situation de grande fragilité en n’ayant qu’un seul parent ? C’est une évolution que nous ne souhaitons pas encourager, d’autant que les accidents de la vie peuvent aussi arriver.

M. Arnaud Viala. L’amendement n° 1143 est pratiquement identique à ceux de mes collègues. Je vois mal comment on peut faire coexister dans un même texte la notion de projet parental, qui est discutable en elle-même, et sa limitation à une seule personne.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable à tous ces amendements qui reviennent à interdire l’AMP aux femmes non mariées.

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 13, n° 200 et n° 642, et les amendements identiques n° 547 et n° 1143.

Elle en vient à l’amendement n° 1029 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Un embryon est un enfant à naître dans sa période de fragilité la plus profonde. Ce constat engage donc le législateur à répondre à un certain nombre de questions avant de légiférer. En 1994, il a autorisé la conservation des embryons pour éviter aux femmes les fortes contraintes liées aux prélèvements d’ovocytes à répétition. Or, aujourd’hui, la vitrification des ovocytes permet leur conservation et prive d’utilité la conservation des embryons. Ce serait faire preuve de prudence que d’arrêter de congeler de nouveaux embryons.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’état actuel des techniques ne permet pas d’aller en ce sens. En réalité, la seule façon de limiter la production d’embryons surnuméraires serait d’autoriser la recherche sur les embryons afin de parvenir à en produire un nombre adéquat.

Mme Annie Genevard. Cette question, nous l’avons abordée durant les auditions. Nous l’avons en particulier posée au professeur Frydman, spécialiste s’il en est de la PMA. Il s’est montré beaucoup plus ouvert que vous, monsieur le rapporteur. Il a en effet considéré que la congélation des gamètes féminins et masculins permettait de les utiliser en tant que de besoin, ce qui évite la production d’embryons surnuméraires, problème pointé par de nombreux intervenants.

Cette technique est aujourd’hui maîtrisée mais elle n’est pas assez utilisée alors qu’elle est très prometteuse. Vous avez tort, monsieur le rapporteur, de la rejeter de façon automatique. Mme la ministre de la santé, dont l’avis est l’un des plus autorisés dans cette enceinte, pourra nous en dire davantage.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends parfaitement le sens de vos propositions et je pense que nous sommes tous favorables à la conservation des ovocytes par la technique de la vitrification, qui est efficace et qui se développe partout. Elle ne répond toutefois pas à la totalité des situations que rencontrent les médecins. Pour certaines méthodes, les professionnels ont besoin d’avoir recours aux embryons et il n’est pas possible d’éviter qu’il y en ait de surnuméraires. Nous ne pouvons donc fermer totalement la porte à la congélation d’embryons. Le projet de loi tente de réduire le nombre d’embryons congelés autant que faire se peut.

La commission rejette l’amendement n° 1029.

Elle est saisie de l’amendement n° 1191 de Mme Marie-France Lorho.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement aboutirait à l’inverse de ce que nous souhaitons tous, en permettant de produire un nombre illimité ou inconsidéré d’embryons. Il supprime en effet une phrase importante qui exige que le nombre d’ovocytes soit limité à ce qui est strictement nécessaire.

La commission rejette l’amendement n° 1191.

Elle examine l’amendement n° 1686 de M. Bastien Lachaud.

M. Éric Coquerel. Par cet amendement de bon sens, nous proposons d’insérer l’alinéa suivant après l’alinéa 8 : « L’aide médicale à la procréation s’adapte à toutes les situations. Ainsi, lorsqu’elle n’est pas nécessaire, aucune stimulation hormonale n’est proposée. »

De nombreuses femmes, parce qu’elles ont des ovocytes parfaitement fonctionnels, n’ont pas besoin de stimulation ovarienne. Or le protocole français impose cette stimulation, qui est lourde et souvent inutile, notamment pour les couples de femmes qui ne rencontrent aucun problème de fertilité. Nous proposons donc d’adapter les protocoles au corps des femmes et de ne pas leur imposer un traitement trop lourd. C’est déjà le cas dans d’autres législations européennes.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. Vous semblez associer la stimulation ovarienne à la seule insémination artificielle, alors qu’elle peut aussi être indiquée pour la fécondation in vitro. Il faut évidemment veiller à la santé de la femme et éviter que l’AMP ne constitue un trop long parcours d’obstacles. Mais, pour ma part, je privilégie les échanges entre la femme et le centre d’AMP.

Je viens de relire un message que M. René Frydman m’a adressé hier soir et qui répond en partie aux interrogations de Mme Annie Genevard. Il écrit qu’il faut faire confiance aux professionnels et ne pas décider à leur place. Encadrer à l’excès, c’est renoncer à prendre en compte les circonstances particulières : il faut laisser une place au dialogue entre la femme et les équipes médicales. Gardons-nous de construire trop de barrières, même si c’est avec de bonnes intentions.

Mme Annie Genevard. Piqué au vif, vous êtes allé à la source, monsieur le rapporteur ! Il ne s’agit pas d’interdire la congélation des embryons. Nous demandons seulement que la congélation des ovocytes apparaisse dans la loi comme une alternative à privilégier. La congélation des embryons resterait une possibilité, dans les cas où elle s’avérerait nécessaire. On ne peut pas tout à la fois se réjouir des causes et déplorer les effets. On ne peut pas produire toujours plus d’embryons et déplorer, dans le même temps, qu’il y ait des embryons surnuméraires.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je vous rappelle que nous examinons actuellement l’amendement n° 1686.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Que ce soit au sujet de la stimulation ovarienne ou de la conservation des ovocytes, il faut faire confiance à l’équipe médicale. Qui peut imaginer qu’une équipe médicale décide d’une stimulation si elle n’est pas nécessaire ?

M. Xavier Breton. C’est une bonne chose que de limiter le recours à la stimulation hormonale, qui est lourde et douloureuse et il semble effectivement opportun de préciser dans la loi qu’il faut l’éviter quand elle n’est pas nécessaire. Le laisser-faire, en la matière, n’est pas dans l’intérêt des femmes.

M. Didier Martin. Il faut faire confiance aux praticiens, qui n’imposent jamais un traitement superflu. Il faut également avoir en tête que le taux de succès de ces techniques reste relativement faible. Or la stimulation ovarienne peut accroître les chances de réussite : c’est pourquoi il faut laisser aux praticiens la responsabilité de la prescrire, ou non.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous entrons sur le terrain de la pertinence des prescriptions médicales et, précisément, du traitement hormonal. Il me semble que c’est aller trop loin que d’inscrire dans la loi qu’une équipe médicale doit, ou non, recourir à telle ou telle technique médicale. Le fait de prescrire un médicament à bon escient relève de la déontologie médicale élémentaire. Commencer à évaluer dans la loi la légitimité de certaines prescriptions, c’est mettre le doigt dans l’engrenage, et j’y suis défavorable.

Je répète que tout cela relève de la bonne pratique clinique : les techniques font l’objet de recommandations et des indications figurent dans les résumés des caractéristiques du produit (RCP) des médicaments. N’allons pas trop loin : ce n’est pas notre rôle que de faire des prescriptions aux équipes médicales.

Mme Marie-Pierre Rixain. Cet amendement me semble inutile, car toute femme est libre de son corps, et surtout libre de s’entretenir avec les professionnels de santé sur les procédures qui peuvent l’accompagner vers la maternité.

La commission rejette l’amendement n° 1686.

Puis elle examine l’amendement n° 1694 de Mme Danièle Obono.

M. Éric Coquerel. Nous avons longuement débattu ce matin de la méthode de réception des ovocytes de la partenaire, dite ROPA. Ce qui gênait certains de nos collègues, c’est que cette méthode soit possible dans tous les cas de figure et pour tous les couples de femmes. Ce que nous proposons avec cet amendement, c’est de limiter cette pratique aux cas où il y a un problème de fertilité, y compris pour les couples lesbiens.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement n° 1694.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 14 de M. Xavier Breton, n° 201 de M. Patrick Hetzel, n° 643 de M. Thibault Bazin, n° 1030 de Mme Emmanuelle Ménard et n° 1051 de M. Philippe Gosselin.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 14 tend à supprimer l’alinéa 9 de l’article 1er, qui prévoit que les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons non susceptibles d’être transférés ou conservés fassent l’objet d’une recherche. Qui dit recherche, dit destruction de l’embryon.

La logique actuelle consiste à produire plus d’embryons que nécessaire
– ce sont les fameux embryons surnuméraires. Si l’on ne fixe pas dans la loi des moyens concrets de limiter la production d’embryons, on va se diriger, de fait, vers une production d’embryons pour la recherche. On séquence un peu les consentements pour ne pas lier directement la production à la recherche, mais c’est bien ce qui se passe dans les faits : on en produit plus que nécessaire et on destine ceux qui restent à la recherche. On répond ainsi à la demande des acteurs de santé, qui ont besoin d’embryons pour leurs programmes de recherche.

M. Patrick Hetzel. Les lois de bioéthique sont toujours l’occasion de faire le bilan de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, et notre rôle est de prendre en compte les avancées de la science. Mme Annie Genevard a rappelé, en citant le docteur René Frydman, que la congélation des gamètes fonctionne très bien aujourd’hui et que l’on peut donc aller vers une réduction du nombre d’embryons congelés. Nous devons tenir compte du fait que des techniques existent, qui permettent de réduire le nombre d’embryons surnuméraires. Le Comité consultatif national d’éthique a dit très clairement que l’embryon est une personne humaine potentielle. On ne peut donc pas traiter l’embryon de la même manière que les gamètes : c’est une vraie question éthique. C’est pourquoi je demande, avec l’amendement n° 201, de supprimer l’alinéa 9.

M. Thibault Bazin. Dès lors qu’il n’y a plus de projet parental, l’embryon peut avoir plusieurs destinations : la non-conservation, la recherche ou le don. Ces trois possibilités se valent-elles ? Ont-elles la même valeur pour la société ? C’est ce que donne à penser la rédaction actuelle du texte. Or la recherche sur l’embryon fait l’objet de débats depuis les premières lois de bioéthique et l’on avait d’abord posé le principe de son interdiction. Des dérogations ont été introduites dans les lois de bioéthique postérieures, et même en dehors de ces lois de bioéthique – ce qui pose d’ailleurs la question de leur pertinence. Ces dérogations ont été accordées, parce qu’on nous a promis des découvertes et des avancées médicales. Or, huit ans plus tard, ces avancées ne sont pas probantes. Peut-être serait-il temps de se rappeler ce que sont les embryons et le respect qu’on leur doit. Tel est l’objet de mon amendement n° 643.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon amendement n° 1030 vise, comme ceux de mes collègues, à supprimer l’alinéa 9. Je voudrais souligner qu’il existe en France une vraie inégalité entre les embryons. Si des parents ont un projet parental pour leur embryon, on le considère comme une personne humaine en devenir. Mais si l’embryon n’est plus au cœur d’un projet parental et qu’il n’a pas été donné à un autre couple, il n’est plus qu’un objet, qui peut être soumis à la recherche ou détruit au terme de son délai de conservation. Ce relativisme vise surtout à justifier la recherche scientifique sur l’embryon.

Jusqu’en 2013, la recherche sur les embryons était interdite, malgré certaines dérogations, au motif que le corps humain ne peut faire l’objet d’aucune marchandisation et que l’on doit, par tous les moyens, sauvegarder la dignité de la personne humaine. Avec ce nouvel article, les parents pourront consentir à la recherche médicale sur leurs embryons, ce qui pose naturellement un certain nombre de questions éthiques. Par prudence, il me semble préférable de supprimer ce dispositif, afin de ne pas encourager la recherche sur les embryons. La recherche offre d’autres possibilités, notamment via les cellules pluripotentes induites (IPS).

M. Philippe Gosselin. Depuis quelques années, on assiste à un glissement, s’agissant de la recherche sur l’embryon. On est passé de l’interdiction à l’autorisation, via des dérogations, et le présent projet de loi veut nous amener à une simple déclaration préalable. Peu à peu, la recherche sur l’embryon risque de se généraliser. Or en demandant aux parents de donner leur accord pour que leur embryon soit destiné à la recherche, on transfère sur eux une responsabilité qui n’est pas la leur : c’est à l’État, à travers la loi, de définir clairement ce qu’il autorise et ce qu’il interdit. En outre, compte tenu du glissement qui nous a menés de l’interdiction à la déclaration, les parents seront mal informés des conséquences d’un don éventuel. Et ce n’est pas ainsi que nous réglerons la question des embryons surnuméraires. Nous devons nous montrer prudents : tel est le sens de l’amendement n° 1051.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je rappelle que ce n’est pas la recherche qui provoque la destruction des embryons : c’est parce que certains embryons sont destinés à la destruction que l’on peut faire des recherches sur eux. Il s’agit toujours d’embryons surnuméraires et je vous rappelle qu’il est interdit, dans notre pays, de produire des embryons à des fins de recherche. Je crois avoir ainsi répondu à certaines des questions et des craintes qui se sont exprimées.

La recherche sur l’embryon est nécessaire pour plusieurs raisons. Premièrement, si nous voulons que le taux de succès des fécondations in vitro augmente – ce qui permettra de réduire le nombre d’embryons surnuméraires –, il faut que nous comprenions le développement initial de l’embryon. Deuxièmement, la recherche sur le nouveau-né et sur le fœtus humain est autorisée en France, dans des conditions strictes : il n’y a donc rien de choquant à ce qu’elle soit également autorisée sur l’embryon, qui représente un autre stade du développement humain. Je vous renvoie au premier avis du Comité consultatif national d’éthique, qui date de 1985 et qui définit les conditions d’utilisation des tissus fœtaux ou embryonnaires d’origine humaine à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Dès cette époque, tout cela a été parfaitement encadré. Il n’est pas raisonnable de penser que nous pourrons progresser sur ces questions autrement que par la recherche.

Madame Ménard, vous avez évoqué les cellules IPS. Permettez-moi de vous rappeler qu’il y a déjà une très grande différence entre les cellules IPS et les cellules souches embryonnaires et qu’il y a une différence encore plus grande entre les cellules IPS et un embryon entier : ce sont des choses totalement différentes et jamais, de l’étude des cellules IPS, on n’apprendra comment se développe un embryon. Il ne faut pas tout mélanger.

Nous ne devons donc pas redouter, dans des conditions très encadrées et jusqu’à un âge qui sera très limité – quatorze jours – de développer des recherches sur l’embryon. Elles nous permettront, demain, de réduire le nombre d’embryons surnuméraires, qui sont beaucoup trop nombreux dans les congélateurs français à attendre d’être détruits.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. J’ai entendu des choses qui sont fausses et je répète que la question de l’AMP et celle de la recherche sont éminemment différentes. Laisser entendre, comme vous le faites, que l’on congèlerait des embryons pour la recherche est une idée qui choque toutes les équipes médicales. Aujourd’hui, la recherche sur l’embryon est extrêmement bien encadrée. Une autorisation est demandée aux parents lorsqu’ils ont eu un enfant ou qu’ils ont renoncé à leur projet parental après plusieurs échecs de PMA. À ce moment-là, les embryons congelés peuvent être destinés à la recherche, détruits ou donnés à d’autres couples.

Vos propos sont honteux, monsieur Breton, et je ne peux pas vous laisser dire que l’on congèle des embryons en vue de la recherche. On compte aujourd’hui 19 000 embryons congelés : ils l’ont été pour les parents, dans une démarche d’AMP, et non pour la recherche. Ces 19 000 embryons, personne ne sait d’ailleurs ce qu’il faut en faire aujourd’hui.

M. Xavier Breton. Alors, continuons comme cela !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. C’est pour cette raison que nous avons introduit dans ce projet de loi un article qui permettra de ne pas les conserver au-delà d’une certaine durée. Il faut avoir à l’esprit que depuis la loi de 2004 qui a rendu possible la recherche sur l’embryon, seuls 3 000 embryons ont été utilisés, ce qui prouve bien que nous n’avons pas besoin de produire des embryons pour la recherche. Tout cela relève du fantasme et ce n’est bon ni pour les équipes médicales, ni pour les parents, ni pour les chercheurs. La loi a réglé ce problème depuis très longtemps et les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Madame Ménard, vous dites qu’il suffirait de faire de la recherche sur les gamètes, mais elle ne donne absolument pas les mêmes informations que la recherche sur l’embryon. La recherche sur les gamètes nous renseigne sur la fécondation et la capacité d’un spermatozoïde à rencontrer un ovocyte. La recherche sur l’embryon, quant à elle, donne des informations sur le développement des tissus. Or c’est la recherche sur l’embryon qui nous donnera des pistes pour traiter le cancer des enfants. On sait en effet que, dans le cancer des enfants, les premières anomalies apparaissent dès l’embryogénèse et au moment du développement tissulaire intra-utérin. Freiner la recherche sur l’embryon, c’est donc se priver de l’espoir de progresser dans la recherche sur les cancers des enfants les plus incurables. Les cellules IPS ne donnent pas non plus les mêmes informations : il ne faut pas tout mélanger et tout n’est pas possible avec tout.

Vous avez dit, monsieur Bazin, qu’on n’avait pas vu beaucoup de résultats, que les avancées médicales étaient assez modestes. Cela me fait penser à la formule selon laquelle on n’a pas besoin de chercheurs, mais de trouveurs. Mais la recherche n’avance pas en rendant compte de ses découvertes, année après année : elle est parfois incrémentale, parfois fractale, et c’est ainsi qu’elle progresse. On ne peut pas dire que, parce qu’il n’y a pas eu assez de publications dans des revues de rang A, on doit arrêter la recherche dans ce domaine. Ce n’est pas ainsi que ça fonctionne ! Des progrès ont été faits. Ils sont peut-être insuffisamment visibles pour vous, mais ils sont utiles à toute la communauté scientifique, comme tous les progrès incrémentaux. Je répète que cette recherche est aujourd’hui indispensable.

Enfin, monsieur Gosselin, vous avez fait une confusion, puisque le régime déclaratif ne concerne pas l’embryon, mais les cellules souches embryonnaires, ce qui n’a rien à voir. Mme Frédérique Vidal expliquera la différence entre les deux et nous aurons l’occasion d’en reparler.

Je tenais à faire cette mise au point, parce que certains des propos que j’ai entendus pourraient choquer nos concitoyens et qu’ils ne décrivent absolument pas la réalité.

M. Philippe Gosselin. Je reconnais que j’ai fait une confusion, madame la ministre.

La commission rejette les amendements identiques n° 14, n° 201, n° 643, n° 1030 et n° 1051.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1355 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Cet amendement, qui concerne également la recherche sur l’embryon, propose de réécrire l’alinéa 9 et de n’autoriser la recherche sur les embryons que dans le cadre d’un couple composé d’un homme et d’une femme qui renoncerait à la conservation ou au transfert desdits embryons.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il s’agit pour moi d’un combat d’arrière-garde. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1355.

Puis elle examine l’amendement n° 1144 de M. Jérôme Nury.

M. Arnaud Viala. J’ai déjà défendu plusieurs amendements de mon collègue Jérôme Nury relatifs à la monoparentalité et celui-ci les prolonge.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1144.

La commission examine l’amendement n° 548 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Avec cet amendement, nous voulons éviter que la recherche sur l’embryon ne soit considérée comme une issue ordinaire. Nous proposons que la destination de l’embryon à la recherche ne puisse être envisagée qu’à titre subsidiaire, lorsque l’implantation de l’embryon n’est possible, ni au profit du couple qui en est à l’origine, ni au profit d’un autre couple. C’est la raison pour laquelle je propose de substituer aux mots « ou conservés » les mots : « conservés ou accueillis par un autre couple ». Même si cette hypothèse est rare, il faut qu’elle apparaisse dans la loi, la recherche ne venant qu’à titre subsidiaire.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Les explications de Mme la ministre sur la manière dont se passe la recherche – sans abus, sans excès, et sous un contrôle rigoureux – ont dû vous rassurer pleinement, madame Genevard, et il ne paraît pas nécessaire de renforcer la loi sur ce point. Comme le disait le président Georges Pompidou, il faut arrêter d’emmerder les Français. (Exclamations parmi les membres du groupe Les Républicains.) Laissons travailler ceux qui aident à la procréation ou qui font de la recherche dans ce domaine.

M. Thibault Bazin. Nous débattons d’un sujet qui peut heurter des consciences en France. Il convient, si nous voulons garder un débat apaisé, d’éviter de nous emporter, même quand la fatigue se fait sentir.

Madame la ministre, vous avez dit qu’il y avait 19 000 embryons congelés en France. Or, en 2015, on avançait plutôt le chiffre de 220 0000 embryons. Si je ne me trompe pas, les 19 000 embryons dont vous parlez sont ceux qui sont conservés dans des organismes de recherche. Pouvez-vous me confirmer que l’on compte bien, en France, plus de 200 000 embryons congelés ? Si tel est bien le cas, le problème de leur destination se pose vraiment.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les recherches sur l’enfant et le fœtus, mais la différence, c’est qu’on ne tue pas l’enfant ou le fœtus
– heureusement ! Votre projet de loi contient des dispositions relatives aux cellules souches embryonnaires. Or, pour les obtenir, il faut détruire l’embryon… Comment fera-t-on la part entre les besoins de la science, qui réclame toujours de nouveaux matériaux, et la protection de l’embryon ? Quelle limite sera posée ?

M. Charles de Courson. Lors de l’examen des précédentes lois de bioéthique, nous avons eu des débats torrides sur le statut des embryons surnuméraires. Constatant que la question était extrêmement difficile, nous avons provisoirement renoncé à donner un statut aux embryons surnuméraires, en espérant que l’évolution technique nous aiderait à le faire. Or je constate que nous en sommes toujours au même point dans ce projet de loi : on n’a toujours pas donné de statut juridique aux embryons surnuméraires.

Vous nous avez dit, madame la ministre, qu’il y a aujourd’hui 19 000 embryons congelés. La loi prévoyait la création de registres. J’aimerais savoir si ces registres existent bien, car il m’a semblé, en vous écoutant, que ce n’était pas tout à fait clair. Ces registres devaient permettre de s’assurer que personne ne s’emparerait d’embryons surnuméraires pour en faire des choses condamnées par la loi. Les registres existent-ils et la loi est-elle bien respectée ? Si tel était le cas, nous n’aurions peut-être pas ce genre de débat aujourd’hui…

Mme Annie Genevard. Monsieur le rapporteur, je suis choquée de la mention que vous avez faite des propos du président Pompidou, à propos du principe selon lequel la recherche sur l’embryon est subsidiaire et ne vient qu’après la finalité de procréation. Il ne s’agit d’emmerder ni les Français, ni les collègues, ni qui que ce soit, mais de réfléchir sérieusement et dignement à des questions assez fondamentales.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Pour répondre à votre question, monsieur Bazin, les 19 000 embryons que j’ai évoqués sont effectivement les embryons qui sont congelés dans les centres d’AMP et qui bénéficient d’une autorisation du couple pour être utilisés pour la recherche : ce sont des embryons disponibles pour la recherche. Ce sur quoi je voulais insister, c’est que nous n’avons pas besoin de produire des embryons en vue de la recherche, dans la mesure où seuls 3 000 de ces 19 000 embryons congelés et disponibles pour la recherche ont été utilisés en quinze ans. Je voulais, en donnant ces chiffres, répondre à M. Xavier Breton, qui prétendait que nous produisions à dessein des embryons surnuméraires pour les chercheurs. Je ne peux pas accepter ces propos, je ne peux pas les entendre et je ne peux pas accepter qu’ils soient prononcés en ce lieu, car ils ne sont pas raisonnables et qu’ils ne décrivent pas la réalité.

Pour en venir à votre question, monsieur de Courson, les registres sont parfaitement tenus. Les centres d’AMP sont autorisés, ce qui signifie qu’ils sont soumis à des contrôles. Ils subissent un double contrôle : celui de l’Agence de la biomédecine et celui des agences régionales de santé. Si les registres ne sont pas tenus, les critères de qualité tombent et les centres ferment. Il faut arrêter de fantasmer. Je comprends que ces questions puissent susciter des craintes, mais tout cela est parfaitement réglementé : nul ne peut dérober des embryons pour se livrer à je ne sais quelle expérience. Les lois s’appliquent, les lois de bioéthique sont des lois fondamentales dans notre pays et nul ne les contourne.

Mme Annie Genevard. Madame la ministre, vous n’avez pas donné votre avis sur mon amendement, qui vise à rappeler que la recherche ne peut être envisagée qu’à titre subsidiaire, lorsque l’implantation de l’embryon n’est possible ni au profit du couple qui en est à l’origine, ni d’un autre couple.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. C’est déjà le cas. Si une famille donne son consentement pour la recherche, c’est qu’elle a déjà décidé de renoncer pour elle-même et qu’elle ne souhaite pas que l’embryon soit donné à un autre couple en vue d’une implantation. Je ne comprends pas ce que votre amendement apporterait.

La commission rejette l’amendement n° 548.

L’amendement n° 2242 du rapporteur est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques n° 15 de M. Xavier Breton, n° 202 de M. Patrick Hetzel, n° 644 de M. Thibault Bazin et n° 1145 de M. Jérôme Nury.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 15 tend à supprimer, à l’alinéa 10, les mots : « ou une femme non mariée », afin d’éviter l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules, avec toutes les conséquences qui en découleraient, selon l’effet domino que nous condamnons.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, je regrette que vous ayez retiré votre amendement n° 2242, car il nous aurait donné l’occasion de discuter davantage de la rédaction actuelle de l’alinéa 10, qui introduit la notion problématique de « qualité » de l’embryon. Le deuxième alinéa de l’article 16-4 du code civil dispose que « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ». Ce qui est visé à l’alinéa 10, c’est sans doute la qualité cellulaire de l’embryon et il faudrait le préciser.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Hetzel, je vous invite à parler de votre amendement, et non de celui que le rapporteur a retiré.

M. Patrick Hetzel. C’est ce que je fais, madame la présidente. Vous ne précisez pas ce qui fait la « qualité » de l’embryon et je considère, pour ma part, que l’introduction de cette notion de « qualité » est la reconnaissance potentielle d’une pratique sélective. Or qui dit pratique sélective, dit eugénisme. C’est un problème de fond et nous devrons débattre de cette rédaction en séance publique, si nous ne le faisons pas ici. Je suis étonné, madame la ministre, que le Gouvernement puisse parler de la « qualité » de l’embryon, car cela pose une question de fond. En attendant, mon amendement n° 202 est défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’émettrai un avis défavorable sur tous ces amendements, qui veulent réserver l’AMP aux femmes qui sont en couple hétérosexuel.

Monsieur Hetzel, vous m’accorderez qu’un embryon qui n’est pas viable, du fait d’importantes anomalies chromosomiques, n’est pas d’une qualité équivalente à celle d’un embryon qui peut être réimplanté et donner naissance à un enfant. Cela n’a rien à voir avec l’eugénisme. L’eugénisme concerne ce qui peut se transmettre génétiquement aux générations futures. En l’occurrence, un embryon non viable ne se transmet pas dans le futur : on ne peut donc pas parler d’eugénisme. Et il n’y a rien d’indécent à reconnaître qu’une proportion importante d’embryons, dans les conditions naturelles comme dans les conditions in vitro, présente un certain nombre d’anomalies chromosomiques.

La commission rejette les amendements identiques n° 15, n° 202, n° 644 et n° 1145.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1192 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Comme mon collègue Patrick Hetzel, je m’interroge sur cette notion de « qualité » des embryons, qu’il conviendrait à mon sens de préciser. Au titre de quelles anomalies un embryon pourra-t-il être détruit ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable. On ne peut pas, à l’heure actuelle, fournir les précisions que vous demandez. Pour moi, la seule distinction que l’on puisse faire est la distinction entre les embryons viables et les embryons non viables.

M. Charles de Courson. Monsieur le rapporteur, la rédaction actuelle est insuffisante et il faudra l’améliorer d’ici la séance publique ou renvoyer à un décret qui définira ce qui fait la qualité d’un embryon. L’alinéa 10 prévoit qu’une nouvelle AMP peut être refusée à un couple ou à une femme du fait d’un « problème de qualité » de l’embryon. Mais on ne sait pas selon quels critères cette qualité est évaluée. Si une femme fait un recours, la question de la qualité se posera. Et qui l’appréciera ? Il faut absolument préciser ce point.

La commission rejette l’amendement n° 1192.

Puis elle examine les amendements identiques n° 452 de M. Xavier Breton et n° 494 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. En parlant de la « qualité » de l’embryon, on a vraiment le sentiment qu’on a affaire à une marchandise, qui pourrait être repoussée parce qu’elle présente un défaut. Or il me semble que l’embryon mérite davantage de considération. Ces questions sont importantes et nous devons prendre le temps d’en débattre, plutôt que d’essayer d’avancer à marche forcée.

Mon amendement n° 452 vise à préciser cette notion de qualité. Le rapporteur nous dit que c’est trop tôt et que nous devons encore y travailler, mais c’est tout de même notre rôle que d’apporter cette précision. Avec cet amendement, je propose donc d’indiquer que nous parlons de « qualité cellulaire ». Cette précision éviterait que l’on considère l’embryon comme une simple marchandise.

M. Patrick Hetzel. L’alinéa 10, parce qu’il est trop imprécis, laisse des questions en suspens : qui va apprécier la qualité de l’embryon, et selon quels critères ? Nous proposons, a minima, de préciser qu’il s’agit de la qualité cellulaire de l’embryon.

C’est la première fois, depuis que nous examinons des textes de bioéthique, que l’idée d’un tri est explicitée. En effet, si l’on définit une qualité, c’est bien en vue d’un tri. Et qui dit tri, dit logique eugénique. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que ce n’est pas le cas. Expliquez-nous, madame la ministre, ce que vous voulez dire en parlant de la qualité de l’embryon : quelles sont les intentions du Gouvernement ?

Avec l’amendement n° 494, je propose de préciser que l’on parle de sa qualité « cellulaire ».

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Breton, il ne s’agit pas d’avancer à marche forcée, mais d’être raisonnables. Je vous rappelle qu’il nous reste 1 894 amendements à examiner et que nous devons avoir achevé l’examen de ce texte dans la nuit de vendredi à samedi.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous dites que c’est la première fois que nous inscrivons dans la loi cette notion de qualité, mais ce n’est pas vrai. C’est dans la loi de bioéthique de 2011 qu’a été introduite pour la première fois la notion de qualité de l’embryon. Plusieurs d’entre vous étaient présents au moment de la révision de cette loi de bioéthique : si vous voulez accuser M. Jean Leonetti d’eugénisme, libre à vous, mais moi, je ne le ferai pas. Je répète qu’on ne peut absolument pas parler d’eugénisme à propos d’embryons qui ne sont pas viables
– donc pas réimplantables – et qui ne modifieront pas l’évolution de l’espèce.

Par ailleurs, il ne me semble pas pertinent de parler de la qualité cellulaire de l’embryon, car cette qualité tient à des critères chromosomiques et à d’autres données plus complexes. Nous n’avons pas les moyens, aujourd’hui, de définir précisément la qualité qui garantit la viabilité de l’embryon, mais je répète que la seule distinction qui vaille est celle-ci : d’un côté, les embryons qui, une fois réimplantés, pourront donner naissance à un fœtus et, de l’autre, ceux qui s’arrêteront immédiatement de se développer et seront expulsés.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je crois utile de revenir sur la logique de tout cela. L’alinéa 10 est directement repris de la loi de 2011 : il est rédigé exactement de la même manière, à ceci près que nous avons ajouté la mention des femmes non mariées, puisqu’il n’y était question que des couples. Cet alinéa vise donc uniquement à ajouter la référence aux femmes non mariées.

Ensuite, concernant la qualité, la question date de 2011 : cela n’a rien à voir avec le choix des embryons par les parents ou même par les équipes. Des problèmes peuvent survenir pendant la congélation : il peut se produire des pertes de cellules, rendant les embryons inaptes à la réimplantation. De même, un diagnostic préimplantatoire peut révéler que les embryons congelés présentent une anomalie génétique que l’on ne souhaite pas réimplanter, les enfants antérieurs souffrant déjà d’une maladie génétique. Les critères de qualité sont appréciés par l’équipe d’AMP.

L’alinéa 10 ne dit rien d’autre que ce qui existe déjà depuis six ans et n’a pas posé de problème. Ajouter le mot « cellulaire » réduirait la capacité des équipes à évaluer la qualité de réimplantation de l’embryon. Nous souhaitons donc ne rien toucher au texte actuel, lequel n’aboutit à aucun eugénisme – ce n’est pas le sujet. Il concerne la qualité de la réimplantation au sens des bonnes pratiques de thérapie cellulaire dans les laboratoires qui font de l’AMP et connaissent cela parfaitement.

Enfin, pour répondre à M. de Courson, le nombre d’embryons congelés est de 223 836 au 31 décembre 2016.

M. Charles de Courson. Nous n’avons pas utilisé le terme de « qualité » mais celui de « caractéristiques » de l’embryon.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Selon l’article L. 2141-3 du code de la santé publique, « un couple dont les embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. » Nous avons juste précisé « couple ou personne non mariée ».

La commission rejette les amendements identiques n° 452 et n° 494.

Elle examine ensuite l’amendement n° 992 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il s’agit d’un amendement rédactionnel. Toutefois, à la suite de nos débats, je me sens profondément mal à l’aise avec cette notion de qualité, qui ne traduit pas véritablement la question de la viabilité. La notion de qualité peut être entendue de manière assez différente, allant au-delà du cas des embryons endommagés ou n’allant pas à leur terme. Je retire donc cet amendement dans un but constructif, afin que nous puissions travailler d’ici la séance à une autre rédaction.

L’amendement n° 992 est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 1100 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’objet de cet amendement est de préciser que, lors d’une fécondation in vitro, l’on ne peut pas concevoir plus d’embryons que ce qu’il est possible d’en implanter. Il s’agit de limiter le nombre d’embryons surnuméraires congelés. Je me fonde sur les pratiques ayant cours en Allemagne, où l’on limite la création d’embryons dans le cadre d’une FIV : les embryons ne sont pas congelés et sont tous implantés, ce qui leur évite la destruction ou d’être destinés à la recherche.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1100.

Puis elle examine l’amendement n° 549 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. La production d’embryons surnuméraires est une difficulté à laquelle il faut pouvoir apporter des réponses. Dès 1989, le Comité consultatif national d’éthique évoquait le problème : ce n’est donc pas nouveau.

Je propose que l’état des techniques médicales en matière d’AMP soit décrit dans le rapport annuel établi par l’Agence de la biomédecine. Cela concernerait l’évolution des techniques de conservation des ovocytes ou encore le transfert et la conservation d’embryons. Ce rapport permettrait d’éclairer les décideurs en charge de ces questions, à commencer par la représentation nationale.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement est satisfait, l’Agence de la biomédecine fournissant chaque année un rapport : vous pouvez vous le faire adresser.

M. Xavier Breton. Il serait intéressant de connaître les résultats de ces études : quels efforts ont été faits concrètement pour limiter la production d’embryons surnuméraires, objectif clairement affiché par la loi de 2011 ? Quels moyens ont été utilisés et quels sont les résultats ?

Mme Agnès Thill. J’entends bien les questions qui se posent sur la qualité et la quantité des embryons. La survie et le dynamisme d’un État ne dépendent que de sa natalité et de sa démographie : il ne faudrait pas que l’État souhaite en maîtriser la quantité et la qualité.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Pour répondre à Mme Genevard, tout cela figure déjà dans le rapport d’activité de l’Agence de la biomédecine : 223 836 embryons congelés, très peu de dons d’embryons pour l’accueil dans d’autres familles, 19 000 destinés à la recherche, tous ces chiffres figurent dans le rapport. L’Agence communique tous les renseignements issus des CECOS – centres d’études et de conservation des œufs et du sperme – via les registres : cela fait partie de ses missions.

Nous souhaitons tous limiter le nombre d’embryons congelés, sans pour autant réduire les chances de succès pour les familles. Grâce à la vitrification ovocytaire, ce nombre se réduira progressivement dans les années qui viennent : un autre équilibre s’établira, avec plus de gamètes congelés et moins d’embryons.

La commission rejette l’amendement n° 549.

Puis elle examine l’amendement n° 1778 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Il s’agit d’entériner l’idée d’utiliser les ovocytes disponibles au sein du couple plutôt que de recourir à un don d’ovocyte.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement est contre.

La commission rejette l’amendement n° 1778.

Elle en vient ensuite à l’amendement n° 1031 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement d’appel pour réfléchir à la question de la libre disposition des embryons. Je ne suis pas contre le fait que des embryons soient accueillis par d’autres parents, au contraire, puisque cela permettra à des enfants de naître. Mais l’embryon, selon qu’il est destiné à naître ou non, est-il considéré de la même façon ? Est-il considéré comme un enfant à naître seulement quand il fait l’objet d’un projet parental ? Et pour les embryons qui ne seraient pas choisis pour être accueillis, leur destinée serait-elle uniquement d’être détruits ou de faire l’objet d’une recherche scientifique ? Nous voyons bien le danger que comporte un raisonnement en fonction de l’intention que l’on projette sur l’embryon. Il convient donc de faire preuve d’une grande prudence.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En supprimant ces alinéas, la possibilité de don d’embryons surnuméraires à un autre couple serait exclue. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1031.

Puis elle examine les amendements identiques n° 385 de M. Charles de Courson et n° 1356 de Mme Agnès Thill.

M. Charles de Courson. La technologie ayant évolué, la conservation des ovocytes est désormais possible. L’idéal serait donc de supprimer définitivement la catégorie des embryons surnuméraires. Nous nous sommes heurtés au problème de leur statut : en cas de décès de son mari, une femme peut-elle récupérer un embryon surnuméraire ? Au regard de la jurisprudence existante, il semble que la réponse soit positive. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de clarification dans la loi.

L’amendement n° 385 a donc pour objet de vous faire prendre position clairement. Aujourd’hui, on peut conserver les ovocytes et le sperme, évitant ainsi la création d’embryons surnuméraires ; c’est ce que font les Allemands. On ne sait pas très bien quel est le régime juridique de ces embryons surnuméraires : ce sont des êtres en devenir mais ce n’est plus du matériel génétique.

Mme Agnès Thill. L’amendement n° 1356 vise à supprimer l’alinéa 12. Il convient de ne pas autoriser le transfert d’embryons qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental vers un autre couple. Si le couple ne souhaite plus conserver ses embryons, il faudrait les détruire.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La suppression de l’alinéa 12 aurait pour effet d’interdire la possibilité pour ces embryons de se développer chez un autre couple ou chez une femme par l’intermédiaire d’un don. Vous les condamnez donc à la destruction obligatoire, sans leur laisser la possibilité d’être accueillis par un autre couple. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis défavorable également. Le développement de la vitrification d’ovocytes fera naturellement baisser le nombre d’embryons surnuméraires congelés. On ne peut pas supprimer complètement la création d’embryons surnuméraires car cela aboutirait à stimuler beaucoup plus souvent des femmes pour l’obtention d’ovocytes lorsque la vitrification ovocytaire n’est pas possible.

Nous avons en effet besoin d’un panel de techniques : tout ne s’applique pas à tout le monde. Si vous réduisez la possibilité de congeler des embryons, certaines femmes devront être restimulées de façon régulière pour fabriquer des embryons, alors qu’en une seule stimulation, vous obtenez suffisamment d’embryons pour faire plusieurs tentatives de réimplantation. Vous soumettriez ainsi la femme à des traitements hormonaux itératifs de stimulation ovarienne.

Il s’avère que tout le monde ne peut pas passer par la congélation et la vitrification ovocytaire : cela ne règle pas la totalité des cas. Vos amendements diminueraient la probabilité pour certaines femmes d’avoir accès à la fécondation in vitro. Puisque nous ne sommes pas encore techniquement prêts, ne fermons pas cette possibilité de congélation d’embryons : les conséquences en termes d’accès à l’AMP seraient néfastes.

M. Xavier Breton. Seriez-vous d’accord pour donner une priorité à la vitrification d’ovocytes et pour ne recourir à la production d’embryons que lorsque l’on ne peut vraiment pas faire autrement ? Différentes solutions existent mais il est important que l’on puisse accorder une priorité aux ovocytes pour limiter la production d’embryons surnuméraires.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Tout cela fait partie des règles de bonnes pratiques, que l’Agence de la biomédecine refondera totalement afin de les adapter aux nouvelles dispositions. Je ne souhaite pas écrire cela dans la loi car cela reviendrait à prescrire à des équipes le recours à des techniques qu’elles ne maîtrisent pas forcément : le législateur irait trop loin. L’objectif de cette loi est d’éviter de produire trop d’embryons surnuméraires : cela figurera dans les règles de bonnes pratiques.

M. Patrick Hetzel. Je veux insister sur l’argument développé par M. de Courson, qui soulève le problème du statut de l’embryon. Monsieur le rapporteur, vous m’avez répondu tout à l’heure qu’il n’y avait pas d’eugénisme parce qu’il n’y a pas d’implantation. Cet argument n’est pas valable lorsque l’on décide quel embryon sera utilisé et quel autre ne le sera pas. Quand la nature sélectionne, ce n’est pas de l’eugénisme, mais quand l’être humain sélectionne un embryon, j’appelle cela de l’eugénisme !

Les amendements n° 385 et n° 1356 sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement n° 386 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement a pour but de faire une piqûre de rappel, comme on dit chez les médecins, car nous commençons à voir les conséquences de cette décision. J’espère que cela incitera à davantage de réflexion.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 386.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques n° 17 de M. Xavier Breton et n° 204 de M. Patrick Hetzel, ainsi que l’amendement n° 1146 de M. Jérôme Nury.

M. Xavier Breton. Il s’agit également d’une piqûre de rappel pour l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules.

M. Patrick Hetzel. Défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable à ces amendements, qui reposent la question des femmes célibataires.

La commission rejette les amendements identiques n° 17 et n° 204, puis l’amendement n° 1146.

Elle examine ensuite l’amendement n° 799 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Piqûre de rappel, madame la présidente !

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 799.

Elle en vient à l’amendement n° 495 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. L’objet de cet amendement est de compléter l’alinéa 12 par les mots « à l’exception de leur propre fratrie. » Il s’agit d’introduire une limite tenant à la famille.

La commission, se rangeant à l’avis défavorable du rapporteur, rejette l’amendement n° 495.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 387 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 13 à 18, qui concernent le décès de l’un des parents. Si l’on considère qu’un embryon doit avoir un père et une mère, on ne peut pas voter en faveur des alinéas 13 à 18.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 387.

Elle examine l’amendement n° 1193 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Il s’agit de supprimer les alinéas 13 et 14, qui concernent le décès de l’un des membres du couple et le devenir de leurs embryons.

La commission, suivant l’avis défavorable du rapporteur, rejette l’amendement n° 1193.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1357 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Il vise à supprimer l’alinéa 13, qui traite de la procréation post mortem. Il convient de ne pas autoriser les transferts d’embryons si l’un des membres du couple est décédé. Il faut continuer d’appliquer les règles en vigueur, à savoir la destruction des gamètes et embryons dont l’un des parents serait décédé.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il y a un contresens dans votre lecture de l’alinéa 13, lequel est l’opposé de la procréation post mortem. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1357.

Elle en vient à l’amendement n° 1315 de Mme Elsa Faucillon.

M. Pierre Dharréville. Nous proposons que la décision relative à l’accueil de l’embryon par un autre couple ou par une femme seule soit mentionnée dans une directive anticipée rédigée préalablement par le couple concerné, plutôt que de laisser cette décision au membre du couple survivant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Plutôt que dans une directive anticipée, cette décision doit être mentionnée lors de l’élaboration d’un projet procréatif, comme cela se pratique dans divers pays. Un questionnaire dans lequel toutes les éventualités sont prévues permettrait aux parents de faire un choix ou d’indiquer une orientation quant à la destinée des embryons.

Je ne pense pas que l’on puisse inclure cela dans les directives anticipées
– très peu de Français en rédigent, du reste. Il faudra peut-être réécrire cet amendement pour la séance afin de prévoir tous les cas de figure – décès, séparation, maladie grave et incurable – dans un questionnaire qui serait rempli par les parents auprès de l’équipe médicale.

M. Pierre Dharréville. J’hésite avant de retirer cet amendement car j’aimerais d’abord savoir ce que Mme la ministre en pense.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il est difficile de faire peser l’obligation sur le médecin. Nous savons très bien que nous devons évaluer la capacité psychique de nos malades à recevoir un certain nombre d’informations, notamment en fin de vie, et je trouverais très violent d’obliger tous les médecins à faire cette demande à quelqu’un potentiellement en train de mourir.

Par ailleurs, les directives anticipées contiennent un espace libre où chacun peut indiquer ce qu’il veut : les couples qui sont dans cette démarche peuvent ainsi indiquer leur décision. Mais je vérifierai ce point car il existe un guide sur l’espace rédactionnel dans les directives anticipées. Quoi qu’il en soit, je suis défavorable à cet amendement tel qu’il est rédigé.

M. Pierre Dharréville. Je retire cet amendement afin de modifier sa rédaction, l’expression « directive anticipée » étant mal choisi.

L’amendement n° 1315 est retiré.

La commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2127 du rapporteur.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 1843 de Mme Aude Luquet.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 2082 de Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’autoriser la PMA en cas de décès de l’autre membre du couple. Nous en revenons donc à notre débat sur la procréation post mortem. Je demande le retrait de cet amendement.

L’amendement n° 2082 est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement n° 1130 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Le débat a déjà eu lieu ; sagesse.

La commission rejette l’amendement n° 1130.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 454 de M. Xavier Breton et n° 496 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. L’alinéa 13 indique qu’en cas de décès d’un membre du couple, le membre survivant est « consulté par écrit » : le présent amendement vise donc à assurer que cette consultation donne lieu à un avis conforme, qui sera suivi.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ces amendements sont déjà satisfaits. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Charles de Courson. Est-ce que seul le conjoint survivant peut être décisionnaire ? Que se passera-t-il si un tiers – les parents ou les enfants du conjoint décédé – n’est pas d’accord ? Un recours serait-il possible ? L’embryon surnuméraire est le fruit de deux patrimoines, et l’on a déjà vu des recours de ce type. Avez-vous étudié ce point, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Le texte est clair : il s’agit de l’autre membre du couple.

M. Charles de Courson. Est-ce que seul le conjoint survivant peut disposer de l’embryon surnuméraire ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La loi dira que c’est au conjoint survivant de décider. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de recours : les gens sont libres de s’opposer mais la loi, et la jurisprudence qui devra en découler, disposera que seul le conjoint survivant est habilité à donner un avis sur ces embryons et ces gamètes.

M. Patrick Hetzel. Si nous défendons ces amendements, c’est justement parce que nous ne sommes pas sûrs de cela. Comment peut-on sécuriser votre interprétation, madame la ministre ? Nous voulons éviter que la jurisprudence ne se prononce différemment.

Mme Annie Genevard. À plusieurs reprises, M. le rapporteur, Mme la ministre et un certain nombre de nos collègues ont invoqué la confiance qu’il faudrait accorder aux femmes, aux couples, aux professionnels de la médecine. Or nous sommes là pour légiférer : il ne s’agit pas d’exprimer une défiance mais de fixer un cap, de donner des orientations, de poser des principes éthiques. Ce qui va sans dire va mieux en le disant sur le plan législatif !

La commission rejette les amendements identiques n° 454 et n° 496.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 16 de M. Xavier Breton et n° 203 de M. Patrick Hetzel, ainsi que l’amendement n° 645 de M. Thibault Bazin.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 16 a pour objet de tenir compte de l’avis non seulement du membre survivant du couple mais également de celui qui est décédé. Le devenir d’embryons humains est une décision grave : il serait donc intéressant d’inciter un couple à réfléchir à la volonté qu’il exprimerait en cas de décès de l’un de ses membres et à l’exprimer dans des directives anticipées ou, si l’on souhaite éviter la comparaison avec la fin de vie, dans des indications ou des instructions sur le devenir de l’embryon humain. Ainsi, ce sont bien les demandes du couple qui seront prises en compte au moment où le choix sera fait.

M. Patrick Hetzel. La rédaction du projet de loi posant problème, l’amendement n° 203 a pour objet de sécuriser le processus.

M. Thibault Bazin. La rédaction proposée par l’amendement n° 645 est un peu différente : il s’agit de préciser que c’est lors de la démarche en vue d’une AMP que l’on incite les personnes à penser cette décision grave, qui ne peut être prise que par les couples et non appartenir au seul membre survivant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ces amendements nous proposent de sortir du droit actuel, qui confie à la personne survivante du couple le soin de prendre la décision. À ma connaissance, cela n’a pas causé beaucoup de conflits : d’autres membres de la famille n’ont pas exprimé une quelconque contestation. Ce droit fonctionne : pourquoi le corriger ? La rédaction de ces amendements ne peut être acceptée mais rien n’empêche d’y retravailler en vue de la séance pour prévoir la rédaction d’indications, au moment de la procédure d’AMP, par les deux membres du couple ou la personne seule. Celles-ci identifieraient les principales circonstances pouvant survenir dans le futur et feraient des recommandations. Je vous demande donc de retirer ces amendements, faute de quoi l’avis sera défavorable ; mais rien n’empêche de reprendre cette idée pour la séance.

M. Charles de Courson. Les directives anticipées peuvent être individuelles : que se passe-t-il si le conjoint décédé a rédigé des directives anticipées inverses de la position de son conjoint ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Au moment de la préparation de l’AMP, une possibilité peut être offerte aux deux membres du couple de rédiger l’un et l’autre ce qu’ils souhaitent. Si l’un d’eux décède, l’équipe médicale tiendra compte de l’avis de la personne décédée.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Cet article existe déjà dans la loi actuelle mais celle-ci a été entièrement réécrite pour s’adapter à l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes non mariées. La disposition existante n’a jamais suscité de contentieux : cela doit déjà nous rassurer.

Pour ce qui est de proposer aux couples de donner leur avis de façon anticipée, je trouve que la situation n’est pas du tout la même que pour les directives anticipées pour soi-même. Il s’agit d’un projet parental, d’un projet de couple : on peut tout à fait imaginer que dans une discussion intime, quand tout le monde va bien, on prenne une décision mais qu’à la suite d’un deuil, on change cette décision. Ces amendements rendraient irrévocable une décision concernant deux personnes alors que l’une d’elles ne peut plus donner son avis ni en changer. Cela me gêne donc de faire l’analogie avec les directives anticipées, dans lesquelles on prend une décision pour soi-même. Comment pourriez-vous hiérarchiser l’avis antérieur au deuil et l’avis postérieur au deuil ? On a le droit de changer d’avis quand il s’est passé un événement particulier. Il faut laisser cela à l’intimité du conjoint survivant, qui devra gérer du mieux qu’il peut cette situation. N’oublions pas qu’il s’agit d’un projet de couple : l’avis des deux personnes compte, et pas seulement celui de la personne décédée.

La commission rejette les amendements identiques n° 16 et n° 203.

L’amendement n° 645 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 800 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Piqûre de rappel !

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 800.

Elle examine ensuite l’amendement n° 801 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement pourrait répondre à la remarque de la ministre : on laisserait le conjoint survivant se positionner après un événement de la vie, en apportant la précision que « S’il y a eu des directives anticipées du membre du couple décédé, elles sont prises en considération pour éclairer la décision du survivant. »

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’expression « directives anticipées » définit quelque chose de précis : elles sont prises pour soi-même et concernent nos conditions de fin de vie. Votre amendement concerne quelque chose de différent : il s’agit de l’évolution de l’embryon dans l’éventualité du décès de l’un des membres du couple. En l’état, cela induirait une confusion, mais votre amendement peut être réécrit pour permettre de tenir compte de l’avis de la personne décédée. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je retire cet amendement ; si Mme la ministre a des suggestions à nous faire d’ici là, je suis preneur.

L’amendement n° 801 est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques n° 205 de M. Patrick Hetzel et n° 647 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je suis défavorable aux amendements ayant pour objet d’exclure les femmes non mariées de la possibilité de bénéficier d’une AMP.

La commission rejette les amendements identiques n° 205 et n° 647.

Elle examine ensuite l’amendement n° 550 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Depuis les lois du 29 juillet 1994 et jusqu’au début de 2019, l’accueil d’embryon supposait une autorisation du couple par le président du tribunal de grande instance. Cette exigence permettait de faire de l’accueil d’embryon une sorte d’adoption prénatale – l’adoption suppose en effet une décision du tribunal de grande instance. Cela permettait ainsi, sur le plan symbolique, de maintenir l’embryon humain dans le registre de l’humain en évitant de considérer qu’il ne s’agissait que d’un « don d’embryon » : seules les choses peuvent faire l’objet d’un don. Cependant, poursuivant un objectif gestionnaire, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice a décidé de supprimer l’étape judiciaire pour alléger le travail des magistrats. Cette modification regrettable, subrepticement intervenue en dehors du processus de révision des lois de bioéthique, doit être remise en cause. L’amendement n° 550 tend donc à réinstaurer l’autorisation judiciaire préalable.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La loi du 23 mars 2019 étant venue trancher cette question en modifiant les conditions de l’accueil d’embryon, il ne semble pas opportun de revenir sur ses dispositions. Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 550.

Elle est saisie des amendements identiques n° 206 de M. Patrick Hetzel et n° 648 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 206, très proche de celui que vient de défendre notre collègue Annie Genevard, a pour objet d’ajouter à l’alinéa 16, après le mot : « notaire », les mots : « ou le juge d’instance de leur commune de résidence ».

En effet, la loi du 23 mars 2019 a supprimé la référence au juge, ce qui a créé de nombreuses difficultés sur lesquelles nous avions alerté. Le juge peut ordonner une enquête ou apprécier la qualité d’un témoignage, ce qui n’entre pas dans les prérogatives du notaire. Avec ces dispositions, le Gouvernement souhaite désengorger les tribunaux, mais il ne faudrait pas pour autant négliger l’intérêt supérieur de l’enfant – or, on a bien l’impression que celui-ci est bradé du fait de la suppression du recours au juge.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 206 et n° 648.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement n° 733 de Mme Nadia Ramassamy et n° 868 de M. Maxime Minot.

M. Maxime Minot. L’amendement n° 868 a pour objet de compléter l’alinéa 16 par les deux phrases suivantes : « Le notaire transmet une copie de ce consentement à l’agence de la biomédecine qui la conserve pour une durée fixée par décret en conseil d’État. Cette dernière doit veiller au maintien de la sécurité, de l’intégrité et de la confidentialité de ce consentement. »

Il s’agit ici de garantir l’effectivité du droit d’accès à ses origines. Il reviendra au notaire, officier ministériel, de veiller à transmettre une copie du consentement au don à l’Agence de la biomédecine.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’ai déposé un amendement, que nous examinerons prochainement, ayant pour objet de permettre de fournir des informations aux familles sur l’accès aux origines dès le don initial. Une telle solution me paraît à la fois plus simple et plus efficace que celle consistant à utiliser une copie envoyée par le notaire à l’Agence de la biomédecine.

Par ailleurs, nous allons avoir à débattre pendant un certain temps de questions relatives d’une part à la filiation, d’autre part à l’accès aux origines, que nous devons veiller à traiter de manière distincte car elles ne sont pas de même nature.

J’émets un avis défavorable à ces amendements.

M. Charles de Courson. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous préciser quel est le rôle du notaire ? En la matière, quels sont des droits et ses devoirs ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il lui revient d’informer sur les conditions de filiation et de recueillir le consentement au don.

La commission rejette successivement les amendements n° 733 et n° 868.

Elle est saisie de l’amendement n° 1131 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. L’amendement n° 1131 est similaire à un autre que nous avons examiné ce matin, si ce n’est qu’il a pour objectif d’autoriser la procréation en cas de décès de l’un des membres du couple survenant avant l’accueil d’un embryon, alors qu’une AMP a été engagée. Si c’est la femme qui survit, il serait en effet étrange de l’obliger à refaire toutes les démarches, alors qu’il suffit de laisser se poursuivre la procédure déjà engagée.

Il est donc proposé que les deux membres du couple aient la possibilité d’exprimer leur consentement, lequel devra être recueilli par un notaire, comme cela est le cas pour tout projet parental lié à l’accueil d’un embryon fécondé avec des gamètes qui ne sont pas ceux des membres du couple.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Comme je l’ai fait ce matin, j’émets un avis de sagesse au sujet de cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 1131.

La réunion, suspendue à dix-sept heures, reprend à dix-sept heures vingt.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements identiques n° 207 de M. Patrick Hetzel et n° 649 de M. Thibault Bazin.

Elle est saisie de l’amendement n° 551 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. L’amendement n° 551 est rédactionnel. Depuis les lois du 29 juillet 1994, le choix du vocabulaire utilisé dans les dispositions relatives à l’embryon humain est fondé sur le refus constant de réifier le fruit de la conception humaine. C’est ainsi que le code de la santé publique n’envisage jamais la destruction des embryons, mais la fin de leur conservation : c’est aussi pourquoi on ne parle pas de don d’embryon mais d’accueil de celui-ci. Dans cet esprit, il convient de remplacer : « le couple ayant renoncé » – à l’embryon – par : « le couple qui a consenti à son accueil ». C’est l’objet du présent amendement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il s’agit bien d’accepter ou de renoncer à un embryon et, dès lors, l’emploi du verbe « renoncer » ne me paraît pas inapproprié. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 551.

Mme Annie Genevard. C’est incompréhensible ! Si vous continuez comme ça, vous pouvez dire adieu à l’esprit consensuel sur ce texte !

La commission examine les amendements identiques n° 455 de M. Xavier Breton et n° 497 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. Je rejoins Mme Genevard pour m’étonner du rejet de l’amendement précédent.

Pour ce qui est de l’amendement n° 455, il vise à préciser qu’un seul médecin pourra accéder aux informations médicales non identifiantes.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements identiques n° 455 et n° 497.

Elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2131 du rapporteur.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements n° 552 de Mme Annie Genevard et n° 1917 de Mme Martine Wonner.

Mme Annie Genevard. L’amendement n° 552 vise, à l’alinéa 18, à substituer au mot : « médicale » le mot : « thérapeutique », qui est plus précis
– par ailleurs, le premier mot implique le soin, la prévention ou le traitement, alors que le second ne fait référence qu’à l’activité d’un médecin.

Mme Martine Wonner. L’amendement n° 1917 vise, à l’alinéa 18, à substituer au mot : « médicale » les mots : « en lien avec la santé physique ou psychique ».

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Si je peux comprendre l’amendement de Mme Wonner, qui introduit la notion de santé physique ou psychique, je ne vois pas l’intérêt de celui de Mme Genevard, visant à remplacer le mot : « médicale » par le mot : « thérapeutique » – surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’actions thérapeutiques proprement dites. L’adjectif « médicale » est certes un peu imprécis, mais « thérapeutique » a en revanche une signification très spécifique, à savoir qu’il qualifie ce qui se rapporte au traitement des maladies
– ce qui n’est pas adapté au texte.

J’émets donc un avis défavorable à l’amendement n° 552, et un avis de sagesse sur l’amendement n° 1917.

La commission rejette successivement les amendements n° 552 et n° 1917.

Elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2130 du rapporteur.

Elle examine l’amendement n° 553 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. L’amendement n° 553 vise, après le mot : « né », à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 18 : « ou du couple ayant accueilli l’embryon. »

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Le principe de l’extension de l’AMP à la femme seule ayant été accepté, je suis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 553.

Elle est saisie de l’amendement n° 1362 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Cet amendement vise à rétablir une altérité. En effet, dire qu’il y aura dans l’environnement de l’enfant un référent masculin correspond à reconnaître l’indispensable parité nécessaire au développement de l’enfant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable à cet amendement visant à exclure la femme non mariée de la possibilité de recourir à l’AMP.

La commission rejette l’amendement n° 1362.

Elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1878 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon et les amendements identiques n° 457 de M. Xavier Breton et n° 499 de M. Patrick Hetzel.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Pour garantir l’absence d’une marchandisation de quelque nature que ce soit dans l’accueil d’un embryon par un autre couple, il semble pertinent de remplacer le terme « paiement » par celui de « contrepartie », qui comprend la rétribution financière, mais dont le spectre est plus large. Tel est l’objet de l’amendement n° 1878, qui permet ainsi de s’assurer que le principe fondamental du don est préservé et qu’aucun avantage ne pourrait en être retiré.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 457 rejoint l’esprit de l’amendement que vient de défendre Mme Vanceunebrock-Mialon, puisqu’il vise à ajouter à l’alinéa 19, après le mot : « paiement », les mots : «, don ou avantage ». Il est permis de penser que, puisque notre collègue fait partie de la majorité, son amendement est le mieux placé pour recueillir un avis favorable, et si tel était effectivement le cas, je retirerais mon amendement au profit du sien.

M. Patrick Hetzel. Comme mon collègue Xavier Breton, j’estime que l’essentiel est de garantir les notions de don et de gratuité et d’écarter le risque que s’impose une logique de marchandisation. Je suis donc moi aussi disposé à retirer mon amendement n° 499 au profit de celui de Mme Vanceunebrock-Mialon.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je remercie M. Breton et M. Hetzel pour leur galanterie à l’égard de Mme Vanceunebrock-Mialon, et j’émets un avis favorable à l’amendement n° 1878, visant à remplacer le terme « paiement » par celui de « contrepartie ».

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Même avis.

La commission adopte l’amendement n° 1878.

En conséquence, l’amendement n° 2129 tombe.

Les amendements n° 457 et n° 499 sont retirés.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1363 de Mme Agnès Thill.

Elle examine ensuite l’amendement n° 554 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Dans le même esprit que l’amendement n° 551, que vous avez rejeté de manière inexplicable, je propose avec l’amendement n° 554 de remplacer les mots : « le couple ayant renoncé à l’embryon » par : « le couple ayant consenti à l’accueil de leur embryon par un autre couple ».

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il n’y a qu’une nuance entre les deux rédactions, mais j’émets néanmoins un avis défavorable à celle que vous proposez.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends la remarque de Mme la députée – la notion d’accueil est plus positive que celle de renoncement – et je lui suggère de prendre contact avec mes services afin de retravailler la rédaction de son amendement pour le rendre tout à fait conforme à l’esprit du texte.

Mme Annie Genevard. Je retire mon amendement pour en revoir la rédaction en vue de la séance publique.

L’amendement n° 554 est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques n° 456 de M. Xavier Breton et n° 498 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. Considérant que mon amendement est satisfait par l’amendement de Mme Vanceunebrock-Mialon que nous venons d’adopter, je le retire.

M. Patrick Hetzel. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je retire également mon amendement.

Les amendements n° 456 et n° 498 sont retirés.

La commission examine l’amendement n° 1364 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Le médecin ou le pédopsychiatre doit se prononcer sur le projet parental et déterminer après enquête si la démarche doit ou non aboutir. Son avis n’est pas que consultatif, mais décisionnaire, puisqu’il doit pouvoir mettre fin à une démarche d’assistance médicale à la procréation. Tel est l’objet de l’amendement n° 1364.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous avons déjà décidé du rôle de l’équipe pluridisciplinaire dans les centres d’AMP, c’est pourquoi je suggère le retrait de cet amendement, et émettrai à défaut un avis défavorable.

L’amendement n° 1364 est retiré.

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements n° 1588 de Mme Emmanuelle Ménard et n° 500 de M. Patrick Hetzel.

Mme Emmanuelle Ménard. La rédaction actuelle de l’alinéa 20 prévoit que l’accueil de l’embryon est subordonné à des règles de sécurité sanitaire, comprenant notamment des tests de dépistage des maladies infectieuses. L’amendement n° 1588 vise à préciser que ces tests doivent être effectués auprès du ou des donneurs de gamètes ainsi que sur la personne à laquelle l’embryon sera implanté. Il s’agit d’une mesure de sagesse en vue de protéger l’enfant contre d’éventuelles maladies, alors qu’il aurait pu se développer de façon parfaitement normale si les différents acteurs de la PMA avaient procédé à ces tests.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 500 a pour objet de préciser que les tests prévus concernent la femme qui accueille l’embryon.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’amendement n° 1588 est satisfait, dans la mesure où des tests sont réalisés systématiquement.

Quant à l’amendement n° 500, il risque de restreindre le champ des examens, c’est pourquoi j’y suis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je précise que tous les tests dont il est ici question sont déjà effectués à la fois sur le donneur de gamètes et sur les deux membres du couple, et qu’ils sont fixés par décret. Ces deux amendements sont donc satisfaits.

L’amendement n° 1588 est retiré.

M. Patrick Hetzel. Je maintiens l’amendement n° 500, car j’estime que l’obligation d’effectuer les tests doit relever du niveau législatif plutôt que du niveau réglementaire.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous rejoignons ici le débat sur le don du sang. Faire figurer dans la loi les sérologies de dépistage nécessaires implique que l’on se trouve dans l’incapacité de faire évoluer ces tests quand on est confronté à des maladies émergentes. Les dispositions relatives aux tests ne peuvent pas être du niveau législatif, car il faudrait un nouveau texte législatif à chaque fois que les tests doivent être changés. Je suis donc défavorable à votre amendement, monsieur Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Ayant suivi la question du don du sang et ayant été à l’époque convaincu par vos arguments, madame la ministre, par cohérence, je retire l’amendement n° 500.

L’amendement n° 500 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 1952 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Afin d’éviter, dans la mesure du possible, une procédure d’assistance médicale à la procréation vouée à l’échec, des tests de dépistage des maladies infectieuses sont nécessaires.

Une liste de ces tests devrait être établie en tenant compte de l’avis d’experts, et également pouvoir être modifiée en fonction de l’évolution des connaissances médicales.

C’est pourquoi l’amendement n° 1952 vise à préciser qu’un décret en Conseil d’État établit la liste de ces tests après avis de l’Agence de la biomédecine.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Comme vient de le dire Mme la ministre, les exigences relatives à la mise en place de tests sont déjà satisfaites dans la mesure où il existe un décret, qui peut faire l’objet de modifications à chaque fois que nécessaire, en fonction de l’évolution des connaissances.

L’amendement n° 1952 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1228 de Mme Marine Brenier.

Mme Marine Brenier. L’amendement n° 1228 a pour objet d’ouvrir aux établissements privés à but lucratif les nouvelles attributions relatives à l’AMP et à la conservation des embryons, dans un souci d’équité territoriale. En effet, à l’heure actuelle, les établissements privés à but lucratif peuvent intervenir en délégation de service public, mais certains territoires ne disposent malheureusement pas d’établissement public ou d’établissement privé à but non lucratif susceptible d’exercer ces nouvelles attributions.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Plusieurs amendements portent sur la possibilité d’étendre aux établissements privés, dans des conditions très encadrées, la capacité d’effectuer des prélèvements et de mettre en place des AMP. Je suis favorable à une telle extension, à la condition qu’elle se fasse sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine.

Pour ce qui est de l’amendement n° 1228, qui consiste simplement à supprimer un alinéa de l’article 1er, j’estime qu’il manque de précision, c’est pourquoi j’invite Mme Brenier à le retirer en faveur d’un amendement ultérieur, qui décrira plus précisément les établissements chargés de ces missions.

Mme Marine Brenier. Je maintiens l’amendement n° 1228.

La commission rejette l’amendement  1228.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 1928 de Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, n° 413 de Mme Anne-France Brunet et n° 388 de M. Charles de Courson.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. L’amendement n° 1928 a pour objet de permettre une activité d’autoconservation des ovocytes et d’accueil des embryons aux établissements publics et privés.

En effet, les centres privés disposent de professionnels tout aussi bien formés et travaillant dans les mêmes conditions que dans les centres publics. De plus, il peut arriver que le traitement des demandes prenne plus de deux ans, de sorte que les personnes voulant y recourir se tournent vers des structures étrangères.

Il est donc nécessaire de permettre aux établissements privés de pouvoir également pratiquer ces activités, tout comme les établissements publics et privés à but non lucratif.

Mme Anne-France Brunet. À l’heure actuelle, plus de 60 % des fécondations in vitro réalisées en France le sont dans des centres privés à but lucratif. Ces centres privés ont aujourd’hui la compétence pour recueillir des gamètes, réaliser l’obtention d’embryons et assurer leur transfert. Je suis moi aussi tout à fait favorable au fait de permettre que le don de gamètes et le don d’embryon puissent se faire au sein de tous types d’établissements, publics ou privés. Tel est l’objet de l’amendement n° 413.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, je n’ai pas compris pourquoi on excluait les établissements privés ne participant pas au service public, car s’ils participaient, ils seraient régis par les mêmes règles que les établissements publics – j’en viens même à me poser des questions sur la constitutionnalité d’une telle exclusion. On nous dit que l’inclusion des établissements privés donnerait lieu à une dérive commerciale, mais ce n’est pas la question : l’essentiel est de savoir si ces établissements remplissent les missions qui leur sont confiées aussi bien que les établissements publics et les établissements privés participant au service public.

À mon sens, il n’y a pas de raison d’établir une discrimination entre les différents établissements privés selon qu’ils sont à but lucratif ou non, et les arguments jusqu’à présent avancés en ce sens me paraissent infondés. Avec l’amendement n° 388, je propose donc de supprimer cette discrimination.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je suis favorable à ces amendements. Il n’y a en effet pas de raison théorique d’exclure les établissements privés à but lucratif, dans la mesure où les compétences sont comparables, le contrôle est largement aussi sévère et le risque de dérive commerciale est nul en ce qui concerne des missions d’intérêt public, définies et encadrées comme telles, et pour lesquelles on peut aussi demander une absence de dépassement d’honoraires par les praticiens.

J’ajoute que l’inclusion des établissements privés à but lucratif aurait un effet positif supplémentaire, celui de permettre un meilleur maillage du territoire national. En effet, le nombre de centres publics pratiquant ce type d’actes est très limité et, en dehors des villes où ils se trouvent, il n’y a pas de centres appropriés implantés, ce qui a évidemment une répercussion sur les messages d’information et de promotion du don dans les zones concernées.

Je suis donc favorable à l’extension aux établissements privés à but lucratif – je le dis d’autant plus volontiers que je suis un ardent défenseur de l’hôpital public – puisqu’il s’agit en l’occurrence d’une activité n’ayant pas vocation à être strictement restreinte au secteur public. Il n’en serait pas de même si l’existence de dérives ou d’anomalies était établie, ce qui, à notre connaissance, n’est pas le cas – cela n’est d’ailleurs pas du tout vraisemblable.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre avis favorable et je rejoins tout à fait vos arguments. On peut d’ailleurs ajouter que tous les centres, publics comme privés, ont déjà l’autorisation de conserver les ovocytes, les paillettes et les embryons dans le cadre de projets parentaux.

Mme Elsa Faucillon. On a vu tout à l’heure à quel point l’activité d’autoconservation des ovocytes était un sujet délicat. Pour notre part, nous avons dit que nous étions favorables à la possibilité pour toutes les femmes de conserver leurs ovocytes et d’en avoir la maîtrise, comme elles ont la maîtrise de leur corps. Nous avons également eu le souci d’encadrer au maximum ces pratiques, afin de contrecarrer tout ce qui pourrait attenter aux libertés des femmes, et être à l’origine d’éventuelles ruptures d’égalité – je pense en particulier à ce que les multinationales pourraient entreprendre en ce sens.

Comme d’autres groupes, nous avons exprimé des craintes quant aux risques pouvant peser sur la conservation des embryons. Je crois que toutes ces craintes sont légitimes, qu’il est nécessaire de poser des garde-fous et qu’il est sage de faire reposer cette responsabilité sur le secteur public.

Quant à l’argument consistant à dire qu’il y aura des délais d’attente, il voit sa pertinence limitée par le fait que ces délais constituent déjà un problème pour les personnes s’adressant actuellement à l’hôpital public pour bénéficier d’une PMA. On ne peut donc pas lever les garde-fous au motif qu’il y aurait de l’attente, on doit plutôt travailler à la réduction de ces délais, afin de ne pas aggraver la rupture d’égalité qui existe déjà.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Sauf erreur, il n’y a pas de problème de maillage des CECOS. Compte tenu des risques avérés pesant sur la conservation des gamètes et des embryons, je vous invite à observer les activités du public et du privé : vous constaterez que les personnes recourant à l’AMP auprès d’établissements privés ne sont pas les mêmes que celles qui se tournent vers des établissements publics. Cela doit nous conduire à nous interroger sur les garanties à prévoir pour empêcher que des pressions ne soient exercées sur la gestion des gamètes et des embryons. Pour ma part, je ne vois aucun avantage à ouvrir cette activité au secteur privé, d’autant que pour le moment, le recours aux seuls établissements publics est satisfaisant dans la pratique qui nous est nécessaire.

M. Patrick Hetzel. Pour que nous disposions d’une vision aussi complète que possible, il serait intéressant que Mme la ministre nous précise comment l’acte sera repris dans la classification des actes : le ministère de la santé a-t-il déjà fait des choix en la matière ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je commencerai par vous dire, monsieur Hetzel, qu’aucune modification tarifaire n’est prévue : tous les actes prévus existent déjà. Ainsi, l’autoconservation d’ovocytes se pratique déjà pour les femmes atteintes d’un cancer, avant un traitement pouvant avoir pour conséquence de réduire leur fertilité. Seules les indications et les publics concernés changent : les actes et les tarifs restent les mêmes.

Pour ce qui est du maillage territorial, il existe aujourd’hui vingt-neuf centres autorisés à recevoir et congeler du sperme provenant de dons en vue de sa conservation, et trente centres dédiés au don d’ovocytes.

Pourquoi le Gouvernement est-il défavorable à ce que les centres privés puissent avoir les mêmes attributions que les centres publics ? À l’heure actuelle, les centres privés font déjà de l’autoconservation de gamètes pour les PMA se faisant au sein d’un couple – c’est-à-dire sans recours à un don de gamètes extérieurs. Ils sont également autorisés à pratiquer des actes de conservation visant à préserver la fertilité de femmes atteintes d’un cancer et devant subir un acte chirurgical ou un traitement, dans la mesure où ces actes se font dans un cadre médical prescrit par l’équipe qui suit le malade.

Ce dont nous parlons aujourd’hui s’inscrit dans un autre cadre, pouvant correspondre à trois cas de figure.

Le premier cas, que vous avez évoqué, est celui de centres privés pouvant recevoir et accueillir des embryons congelés. Nous sommes défavorables à l’accueil des embryons dans les établissements privés à but lucratif, car l’accueil d’embryons déjà congelés pour un autre couple n’a représenté que dix-neuf cas l’année dernière et correspond à une activité très spécialisée et sensible. Or, il y a déjà dix-neuf centres pratiquant ce type d’accueil : vous le voyez, il ne semble pas nécessaire de recourir à des centres privés.

Le deuxième cas est celui de l’autoconservation de gamètes, une pratique que nous ouvrons dans la loi. Nous ne souhaitons pas inciter les femmes à l’autoconservation, ni que les centres à but lucratif les y incitent. Si l’esprit des lois de bioéthique s’y oppose, c’est parce que, telles que nous les avons construites, ces lois prévoient que les organismes à but non lucratif ont le monopole de la collecte, de la conservation et de l’attribution des embryons destinés au don, ainsi que des autres cellules, des organes ou des tissus, c’est-à-dire des pratiques où peut se poser la question de la marchandisation du corps humain. Nous souhaitons qu’il continue à en être ainsi, car à défaut il serait à craindre que cela n’ouvre la voie à des demandes portant à l’avenir sur d’autres types de cellules ou de tissus – le troisième cas de figure que j’évoquais.

Nous allons accompagner les centres ayant déjà la capacité d’accueillir les embryons afin qu’ils soient en mesure de faire face à une hausse de la demande, mais il nous semble que le maillage territorial tel qu’il existe actuellement ne nécessite pas l’ouverture de centres privés à but lucratif dédiés à cette activité. Si de nouveaux centres devaient absolument être créés, il faudrait qu’il s’agisse de centres publics ou de centres privés à but non lucratif.

M. Xavier Breton. Les propos de Mme la ministre sont très sages, et de nature à nous rassurer face aux tentations que peut susciter le texte d’ouvrir un marché de la procréation. Il ne s’agit pas d’opposer secteur public et secteur privé, mais il nous semble important de répondre aux besoins tout en faisant en sorte que les principes éthiques ayant toujours fondé nos lois de bioéthique soient préservés au moyen de garde-fous. Je voterai donc contre ces amendements.

Mme Claire Pitollat. Je voudrais pour ma part souligner l’importance de maintenir les activités liées à la PMA dans le privé, une importance mise en évidence lors des auditions auxquelles nous avons procédé. Cela se justifie en termes de continuité des soins – les centres privés proposent une gamme de services allant du bilan d’infertilité jusqu’à l’implantation – comme en termes de proximité.

Un rapport de l’Agence de la biomédecine de 2016 indique que la moitié des AMP a été faite dans des centres privés. Dix-sept de ces centres sont aujourd’hui autorisés à pratiquer l’autoconservation ovocytaire, et nous nous priverions d’une grande partie des capacités actuelles si, demain, les centres privés n’étaient plus autorisés à exercer cette activité – il faudrait également gérer la question du transfert des ovocytes, avec toutes les pertes que cela peut impliquer.

Je veux également rappeler que cela fait vingt-cinq ans que ces centres exercent, sans qu’aucune dérive n’ait jamais été constatée à ce jour : ils ont donc à leur actif une longue expérience justifiant que nous leur fassions confiance.

Enfin, je le répète, les auditions ont souligné la nécessité de maintenir la continuité et la proximité des soins.

M. Pierre Dharréville. Personne ne s’étonnera du fait que, dans le prolongement de ce qu’a dit ma collègue Elsa Faucillon, je réaffirme notre attachement à la plus grande maîtrise publique possible sur les enjeux liés au vivant, au don de la vie et à la gestion des matières attachées à la personne.

Nous sommes ici au cœur des questions qui nous sont posées par cette loi de bioéthique. Les logiques de marchandisation dictées par l’argent essaient de se glisser partout, y compris dans la biomédecine, et l’une des principales tâches qui nous incombent en tant que législateur dans le cadre de l’élaboration de cette loi consiste à écarter tous les risques de voir d’autres logiques que celles propres à la bioéthique que nous essayons de définir ensemble tenter de s’y glisser. Je suis très vigilant sur ce point et très réservé sur les propositions s’y rapportant, car je crains que certains organismes qui ne relèveraient pas de la puissance publique puissent être tentés, en prétendant répondre aux désirs des personnes souhaitant avoir un enfant, de recourir aux nouvelles possibilités techniques à d’autres fins que celles pour lesquelles elles ont été conçues.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. J’insiste sur le fait que la loi ne change strictement rien aux activités des centres : qu’ils soient publics ou privés, ils vont tous continuer à faire ce qu’ils font déjà. La seule question posée est celle de l’ouverture aux centres privés à but lucratif de l’activité consistant à congeler les gamètes. Nous souhaitons que la loi circonscrive cette activité aux centres publics et aux centres privés non lucratifs, d’une part parce qu’il s’agit là de recueillir et de conserver des tissus du corps humain, d’autre part parce que nous ne voulons pas que les femmes soient incitées à faire congeler leurs ovocytes de façon systématique à partir d’un certain âge : en la matière, il convient de poser des garde-fous, car il est à craindre que des dérives incitatives puissent venir modifier les comportements d’une grande partie de la population.

Une fois que les gamètes seront congelés et conservés dans des centres publics ou privés non lucratifs, rien n’empêchera les femmes voulant les utiliser de s’engager dans une démarche d’AMP dans un centre privé. Les gamètes pourront y être transférés et utilisés. Nous voulons simplement que le recueil et la conservation des gamètes aient lieu dans le secteur public ou privé non lucratif.

M. Bruno Fuchs. Je trouve depuis le début que ce projet de loi est extrêmement prometteur. Il devrait être accueilli d’une manière très favorable, même s’il y a un risque de déception lié aux difficultés d’application dans les prochaines années : il faudra être capable de satisfaire rapidement les demandes. Tout ce qui va dans le sens d’un système efficace et rapide – c’est moins vrai chez nous que dans d’autres pays européens – est positif, si c’est sécurisé. C’est le cas avec les amendements que nous examinons. Je trouve donc qu’il s’agit de bonnes propositions.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je voudrais rappeler que l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires n’induira pas de pénurie de gamètes. Cela implique des spermatozoïdes. Or il n’y a aucune pénurie de dons dans ce domaine. La seule question qui se pose actuellement concerne l’autoconservation des gamètes.

La commission rejette successivement les amendements n° 1928, n° 413 et n° 388.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1365 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Afin d’éviter autant que possible les détournements, je souhaite préciser l’origine des autorisations données aux établissements publics ou privés à but non lucratif, à savoir le ministère des solidarités et de la santé et l’Agence de la biomédecine.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1365.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 555 de Mme Annie Genevard et n° 1366 de Mme Agnès Thill.

Mme Annie Genevard. Je vous propose de supprimer l’alinéa 22. Le code de la santé publique subordonne le recours à l’AMP à l’existence d’un risque médical ou à une situation d’infertilité. L’ouverture de cette procédure aux couples de femmes fait tomber ces deux conditions et ouvre la voie potentiellement – pas nécessairement aujourd’hui, mais cela arrivera peut-être en France – à un commerce lié aux gamètes. Regardons, en effet, ce qui se passe aux États-Unis avec les dons de sperme de détenteurs de prix Nobel et le recours à des catalogues : il est possible de choisir le donneur en fonction de son apparence physique, de sa profession et de son niveau d’études.

Tout cela n’existe pas en France, bien sûr, mais il faut se demander si l’on ne risque pas, à la faveur de cette loi, de voir arriver ce type de pratiques dans notre pays. M. Fabien Di Filippo a souligné hier qu’il est possible de commander des gamètes sur catalogue dans certaines maisons, telles que Cryos, en demandant des caractéristiques bien précises, ce qui ouvre la porte à des tentations eugénistes. Même si le danger est pour l’instant écarté en France, encore qu’il ne soit pas interdit d’imaginer que des parents y recourent, il faut se poser la question et imaginer les garde-fous permettant d’éviter ce genre de dérive. Tel est l’objet de l’amendement n° 555.

Mme Agnès Thill. L’amendement n° 1366 vise également à supprimer l’alinéa 22, afin de rétablir l’article L. 2141‑7 du code de la santé publique.

Je rappelle que tout organisme qui assure la conservation d’embryons ou de cellules souches embryonnaires à des fins de recherche doit être titulaire d’une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’émets un avis défavorable au rétablissement du critère d’infertilité pathologique pour le recours à l’AMP.

Vous avez déclaré que vous voulez mettre fin aux PMA « artisanales »
– je vous souhaite beaucoup de plaisir – et à l’hypocrisie consistant à laisser des couples et des femmes seules partir à l’étranger. Je pense non seulement que vous n’y mettrez pas un terme, mais que plus les modalités d’accès à la PMA seront limitées et contraignantes en France, plus il existera une tentation d’aller à l’étranger ou de recourir à des PMA « artisanales », qui sont très faciles mais très peu sécurisés en matière juridique et médicale, notamment sur le plan infectieux. Les objectifs que vous défendez sont très louables, mais la prohibition n’est pas le bon moyen pour les atteindre.

La commission rejette les amendements n° 555 et n° 1366.

Elle examine ensuite l’amendement n° 389 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il est toujours intéressant de se poser cette question simple : les lois que nous adoptons sont-elles applicables ou au contraire faciles à contourner ? Mon amendement vise à interdire l’exportation et l’importation des gamètes ou des embryons. Dans le cas d’un couple dont le mari décède pendant une procédure d’AMP, le texte prévoit que celle-ci devient impossible. Or la jurisprudence accepte que les gamètes, voire les embryons surnuméraires, soient rendus à la veuve. Celle-ci peut alors les emporter en Espagne ou en Grande-Bretagne, dans un pays qui accepte l’AMP pour les veuves, ce qui permet de contourner complètement la loi. Mon amendement vise à éviter cette situation, même si la rédaction est certainement améliorable.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’émets un avis défavorable. Vous souhaitez interdire l’importation et l’exportation, mais cela concernerait-il tous les cas ou seulement ceux qui ne correspondent pas aux critères en vigueur en France sur le plan éthique ?

M. Charles de Courson. L’objectif de mon amendement est d’assurer le respect de la loi nationale.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Dans ce cas, votre amendement est satisfait. Le projet de loi permettra d’éviter les transferts non conformes aux critères éthiques. C’est ce que prévoit la nouvelle rédaction de l’article L. 2141-9 du code de la santé publique.

M. Charles de Courson. S’agissant des veuves, nous avons adopté une position qui consiste à interdire la poursuite de l’AMP. Seulement, la jurisprudence leur permet de demander le matériel génétique de leur défunt mari
– gamètes ou embryons – et elles peuvent ensuite partir à l’étranger. Dans la rédaction actuelle du texte, on ne peut pas interdire la libre circulation des personnes – vers l’Espagne ou la Belgique, par exemple. Si on ne prend pas un certain nombre de précautions, les dispositions que nous adoptons seront toujours contournées.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Cher collègue, il existe une règle selon laquelle on ne reprend pas la parole à propos de son propre amendement, quand on l’a défendu soi-même, une fois que le rapporteur a donné son avis. Il serait bon que tout le monde la respecte.

M. Fabien Di Filippo. C’est un amendement intéressant. Il faut tirer les leçons de ce qui se passe à l’étranger. Interdire l’entrée de gamètes sur le territoire national est la seule manière de s’assurer que des gamètes issus de dons ayant fait l’objet d’une contrepartie, ou d’une rémunération, ne serviront pas à une PMA en France. La traçabilité ne permettra jamais de s’assurer que les dons ont eu lieu dans les mêmes conditions de gratuité et d’altruisme que celles prévalant en France. Il faut au moins qu’il y ait dans ce texte des mesures permettant d’interdire de telles importations – plus encore que les exportations.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Cette demande de précautions est déjà satisfaite, à deux titres.

Tout d’abord, le projet de loi encadre très strictement l’entrée des embryons sur notre territoire ainsi que leur sortie. Ce ne sera possible que pour les embryons conçus dans le respect des principes fondamentaux qui sont consacrés par le code civil – la dignité, l’intégrité du corps humain ou encore l’interdiction des pratiques eugéniques : seuls ces embryons pourront éventuellement faire l’objet d’un déplacement en vue de permettre la poursuite d’un projet parental.

Ensuite, de tels déplacements sont soumis à une autorisation individuelle délivrée par l’Agence de la biomédecine. Les couples allant à l’étranger ou qui en viennent afin de poursuivre un projet d’AMP doivent avoir une autorisation. Cela doit être possible, mais dans le respect des principes fondamentaux et sur la base d’une autorisation individuelle délivrée par l’Agence de la biomédecine.

Les préoccupations que vous avez évoquées sont fondées, mais vous voyez qu’elles sont déjà satisfaites.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. L’amendement est-il maintenu ?

M. Charles de Courson. J’hésite…

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. C’est oui ou non, monsieur de Courson (Sourires).

M. Charles de Courson. Je voudrais revenir sur l’exemple d’un couple qui s’est engagé dans une procédure d’AMP : si le mari décède et qu’il y a des gamètes ou des embryons, la jurisprudence actuelle permet à la veuve de les récupérer. Qu’est-ce qui lui interdit ensuite de partir à l’étranger avec ces gamètes ou ces embryons ? Vous nous dites que ce n’est pas possible, mais on nous a expliqué que c’était le cas. Votre réponse m’étonne donc beaucoup, monsieur le ministre. Si vous avez raison, je vais retirer mon amendement, mais est-ce bien vrai ? Le rapporteur confirme-t-il qu’une veuve – pour continuer avec cet exemple, mais on pourrait en prendre d’autres – peut récupérer les gamètes ou un embryon et partir avec eux à l’étranger ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Oui, et je ne vois pas pourquoi on devrait l’interdire si les conditions d’éthique, telles qu’elles sont définies en France, sont respectées.

La commission rejette l’amendement n° 389.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement n° 1726 de Mme Emmanuelle Ménard et les amendements identiques n° 22 de M. Xavier Breton, n° 209 de M. Patrick Hetzel et n° 651 de M. Thibault Bazin.

Mme Emmanuelle Ménard. La rédaction actuelle du projet de loi évacue l’idée selon laquelle l’embryon doit être conçu avec les gamètes d’au moins un des deux parents. Cela permettra l’entrée sur notre territoire d’embryons sans lien biologique avec un des membres du couple, ce qui n’est pas souhaitable pour l’enfant, car il sera privé de sa lignée paternelle et maternelle. C’est contraire à son intérêt. Mon amendement fait écho à une disposition prévue par l’article L. 2141-3 du code de la santé publique : les embryons entrant sur notre territoire ou qui en sortent devront avoir été conçus avec des gamètes provenant d’au moins un membre du couple. Le but est de conserver le plus possible une certaine cohérence entre la filiation et la biologie.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 22 impose aussi que les embryons soient conçus avec les gamètes d’au moins un des membres du couple.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ces amendements conduiraient à interdire le double don de gamètes, sujet dont il a déjà été question : nous avons récusé une telle interdiction. J’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1726, puis les amendements identiques n° 22, n° 209 et n° 651.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2128 du rapporteur.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 654 et n° 653 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements identiques n° 23 de M. Xavier Breton, n° 210 de M. Patrick Hetzel et n° 652 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Dans le cas d’un couple de femmes, l’amendement n° 654 tend à préciser que l’enfant à naître sera issu de l’ovocyte de celle qui le portera et d’un gamète provenant d’un donneur. C’est la solution qu’il faut privilégier.

L’amendement n° 653 demande que l’ovocyte soit issu d’une des deux femmes et d’un gamète d’un donneur.

L’amendement n° 652 tend à interdire le don d’ovocyte de la compagne dans le cadre d’un couple de femmes.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteure. Ces amendements s’opposent en particulier au principe de la réception d’ovocytes de la partenaire (ROPA). J’émets un avis défavorable.

M. Thibault Bazin. La ministre a dit qu’elle était contre la ROPA…

La commission rejette successivement les amendements n° 654 et n° 653, puis les amendements identiques n° 23, n° 210 et n° 652.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 650 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’émets un avis défavorable à cet amendement qui interdirait aux femmes non mariées d’avoir accès à l’AMP.

La commission rejette l’amendement n° 650.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement n° 1367 de Mme Agnès Thill.

Puis la commission examine les amendements identiques n° 21 de M. Xavier Breton et n° 208 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. Mon amendement tend à revenir sur l’ouverture de l’AMP aux femmes seules.

Je m’étonne de ce que le rapporteur a dit tout à l’heure : il a émis un avis défavorable au motif que les amendements étaient contraires à la ROPA. Or nous l’avons rejetée majoritairement. Il y a donc un vrai problème : nos débats servent-ils à quelque chose ?

M. Patrick Hetzel. Je défends l’amendement n° 208, par cohérence avec ce que nous avons déjà dit à plusieurs reprises. C’est une piqûre de rappel (Sourires.)

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je reconnais que vous êtes cohérents, mais je le suis tout autant en émettant un avis défavorable.

La commission rejette les amendements identiques n° 21 et n° 208.

Elle examine ensuite l’amendement n° 993 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il serait bon qu’il y ait une cohérence entre le rapporteur et la majorité au sein de la commission. Ce sera important lorsque vous aurez à défendre en séance ce qui a été adopté ici.

L’amendement n° 993 tend à apporter une précision : l’autorisation qui doit être délivrée par l’Agence de la biomédecine l’est préalablement à l’entrée sur le territoire national d’embryons, lesquels doivent avoir été conçus dans le respect de nos principes fondamentaux.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce que vous proposez d’ajouter est superflu. Il n’existe pas de mise en œuvre préalable dans un régime d’autorisation. Celle-ci est donnée a priori et non a posteriori, sinon ce n’est plus une autorisation, et ceux qui contreviennent à leurs obligations s’exposent à des sanctions.

M. Patrick Hetzel. Ce que vous venez d’indiquer pourrait laisser penser que vous vivez dans un monde idéal, monsieur le rapporteur. Une partie des débats que nous avons dans le domaine de la bioéthique s’explique par l’existence de transgressions : les règles ne sont pas respectées dans un certain nombre de cas. Nous voulons être aussi clairs que possible afin qu’il n’y ait pas la moindre ambiguïté. L’amendement déposé par Thibault Bazin est donc parfaitement légitime.

Mme Aurore Bergé. C’est une précision qui me paraît utile. Elle tend à responsabiliser l’Agence de la biomédecine et à sécuriser le transfert d’embryons. Je considère que nous pouvons voter en faveur de cette disposition.

La commission adopte l’amendement n° 993.

M. Thibault Bazin. Merci, chers collègues !

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques n° 24 de M. Xavier Breton, n° 211 de M. Patrick Hetzel et n° 655 de M. Thibault Bazin ainsi que l’amendement n° 656 du même auteur.

M. Xavier Breton. Je vais profiter de cette période favorable pour présenter l’amendement n° 24 (Sourires). C’est un sujet important. On pourrait fabriquer in vitro, de manière artificielle, des gamètes à partir de cellules souches embryonnaires humaines ou de la dérivation de cellules somatiques. Dans ce domaine, la recherche sur les cellules souches s’accompagne d’interrogations éthiques. Je vous propose d’interdire la création de gamètes par de tels procédés.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Sur le fond, je suis d’accord – je me suis déjà exprimé à ce sujet. Le problème est que ces amendements ne sont pas placés au bon endroit dans le texte. C’est un domaine qui relève encore de la recherche. Or celle-ci est traitée à l’article 14. C’est là que ces amendements seraient appropriés – ils sont, sinon, parfaitement justifiés.

La ministre de la santé nous a dit que cette question ne s’est pas encore posée, mais je pense qu’il serait plus prudent de légiférer au préalable : je ne doute pas que des avancées aient lieu prochainement au niveau mondial. Il faudrait nous tenir prêts en indiquant ce qui serait contraire à nos valeurs éthiques, en particulier l’utilisation de cellules somatiques reprogrammées en cellules souches pluripotentes, dites IPS, pour se substituer à des gamètes.

Je vous propose de retirer vos amendements pour les redéposer dans la partie du texte qui concerne la recherche.

M. Xavier Breton. Je retire mon amendement pour le redéposer en séance, comme le rapporteur invite à le faire.

M. Patrick Hetzel. Je reste un peu dubitatif et j’aimerais connaître l’avis du Gouvernement avant de retirer l’amendement n° 211. Vous nous dites qu’il serait préférable que ces amendements portent sur l’article 14, qui est consacré à la recherche. Or si nous les avons déposés à l’article 1er, c’est que nous souhaitons que ces techniques ne puissent pas être utilisées pour l’AMP. Je crains que l’on ne sécurise pas la situation si l’on déplace les amendements à l’article 14.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet article concerne notamment la recherche en matière d’AMP. Nous voulons nous prémunir contre certaines recherches précliniques : nous ne souhaitons pas qu’elles concernent des gamètes produits à partir de cellules IPS chez l’homme – chez l’animal, c’est une autre question – et ensuite que l’on passe à l’acte dans le cadre de l’AMP. Il serait donc préférable d’inscrire ces dispositions à l’article 14.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Sans entrer dans le débat de fond, je trouve également que ces amendements auraient davantage leur place à l’article 14.

M. Patrick Hetzel. Je retire l’amendement n° 211 pour le redéposer en vue de la séance.

M. Thibault Bazin. Je vais également procéder à un transfert non pas d’embryons mais d’amendements (Sourires).

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je crois, au demeurant, qu’ils ont déjà été déposés à l’article 14.

Les amendements  24, n° 211, n° 655 et n° 656 sont retirés.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 1782 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Cet amendement tend à revenir à la rédaction actuelle de l’article L. 2141‑10 afin de garantir le caractère pluridisciplinaire des entretiens préalables à l’AMP et ainsi d’éviter de soumettre l’appréciation d’une demande d’un couple ou d’une personne seule à l’arbitraire d’un médecin. C’est d’autant plus important qu’il s’agit d’évaluer, au-delà des aspects médicaux, la solidité du projet parental.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Mme Wonner nous a expliqué – je crois que c’était hier – la formulation que vous proposez, et je vous rejoins : il vaut mieux faire référence aux « membres de l’équipe médicale clinicobiologique » plutôt qu’à « un ou plusieurs médecins », ce qui pourrait sousentendre un seul. Je vous propose néanmoins de retirer votre amendement au profit de celui, plus précis, qui a été déposé par Mme Wonner.

Mme Martine Wonner. Mon amendement n° 2021 précise notamment la composition de l’équipe clinicobiologique.

M. Raphaël Gérard. Je vais retirer mon amendement au profit du vôtre.

L’amendement n° 1782 est retiré.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 994 de M. Thibault Bazin et n° 1368 de Mme Agnès Thill.

M. Thibault Bazin. Je suis en train de lire l’amendement de Mme Wonner : il est vraiment tourné vers la dimension psychiatrique puisqu’il demande la participation d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’un infirmier ayant une compétence en psychiatrie.

L’amendement que j’ai déposé tend simplement à préciser qu’il faut une participation de plusieurs médecins – au lieu d’un seul. Il convient de favoriser la collégialité, sans se restreindre à l’approche psychiatrique.

Mme Agnès Thill. L’amendement n° 1368 prévoit qu’un avis médical unique ne peut pas suffire pour la mise en œuvre de l’AMP. Le projet parental doit faire l’objet de plusieurs avis médicaux.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteure. Si l’on fait appel à une équipe médicale clinicobiologique, notamment composée d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’un infirmier ayant une compétence en psychiatrie – il pourra y avoir d’autres membres –, je pense que l’on évitera le risque d’une décision monomédicale. Je suggère de retirer ces amendements au profit de celui de Mme Wonner. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 994 et n° 1368.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 410 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Je propose d’en rester à la rédaction actuelle de la loi en ce qui concerne la participation des médecins aux entretiens. Les équipes et les organisations sont aujourd’hui différentes selon les centres. Des psychologues, des psychiatres, des sages-femmes, des infirmiers et des assistantes sociales peuvent notamment participer, mais il n’y a pas nécessairement des médecins à chaque étape. Chacun a son travail. Le parcours est néanmoins supervisé par un médecin. Les auditions et les retours que nous avons eus ont mis en évidence que la rédaction retenue à l’alinéa 25 risque de compliquer les parcours et de bousculer les modes d’organisation qui existent.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous propose de retirer votre amendement au profit de celui de Mme Wonner, qui répondra à votre inquiétude. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 410.

Elle en vient à l’amendement n° 2021 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Je vous propose de préciser la composition des équipes clinicobiologiques pluriprofessionnelles, sans remettre en cause l’activité qu’elles réalisent actuellement. Nous avons déjà retenu l’idée, à l’occasion d’un amendement précédent, selon laquelle il faut des entretiens réguliers, mais il faut ajouter que l’équipe comporte au moins un psychiatre, un psychologue ou un infirmier ayant une compétence en psychiatrie

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement n° 2021.

En conséquence, l’amendement n° 1558 tombe.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 1781 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Cet amendement tend à instaurer un principe de non-discrimination en fonction de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre dans le cadre de la prise en charge. Nous avons examiné hier d’autres amendements qui se situaient en amont de l’accès à l’AMP. Il s’agit cette fois du parcours en lui-même. J’ai déjà eu l’occasion de souligner les discriminations qui existent, notamment les demandes de stérilisation visant certains hommes transgenres en couple hétérosexuel et ayant recours à l’AMP dans le cadre légal actuel. L’amendement n° 1781 permettra de poser un principe et de rompre avec des pratiques qui me paraissent appartenir à un autre temps.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est un élément positif en vue d’éviter les discriminations. J’émets un avis favorable.

La commission rejette l’amendement n° 1781.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2132 du rapporteur.

La commission examine ensuite l’amendement n° 1369 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Je voudrais revenir sur la prétendue égalité des droits qui devrait exister. Il n’y a ni discrimination ni rupture d’égalité : l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 29 septembre 2018 rappelle que des situations différentes justifient des décisions différentes. L’enfant n’est pas une raison d’intérêt général. La réponse nous appartient, et elle n’est pas juridique.

La transformation du désir en une égalité des droits des adultes conduirait inévitablement à une inégalité des droits des enfants – il leur manquerait un des deux parents auxquels ils ont droit.

Il y a aussi une aberration en ce qui concerne les femmes non mariées – et célibataires : la situation précaire des femmes seules avec un enfant est reconnue.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Faut-il encore justifier l’extension de la PMA aux femmes seules ? Nous en avons déjà longuement parlé. Restons constants : je demande le retrait de cet amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1369.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement l’amendement n° 657 de M. Thibault Bazin et les amendements identiques n° 25 de M. Xavier Breton et n° 212 de M. Patrick Hetzel.

Puis la commission est saisie des amendements identiques n° 26 de M. Xavier Breton, n° 213 de M. Patrick Hetzel et n° 658 de M. Thibault Bazin.

M. Xavier Breton. Les entretiens qui sont organisés doivent notamment permettre de vérifier la motivation des deux membres du couple ou de la femme non mariée. Par l’amendement n° 26, nous proposons que ce soit aussi l’occasion de rappeler les possibilités offertes par la loi en matière d’adoption. Pourquoi supprimer l’information qui est actuellement prévue dans ce domaine ? On connaît la difficulté des parcours dans le cadre de l’AMP. Par ailleurs, l’adoption mérite une attention particulière car elle permet de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. Patrick Hetzel. Nous déplorons, vous le savez, que la partie du texte relative à l’AMP, qui n’est pas un sujet de bioéthique en tant que tel, mais plutôt un sujet sociétal, n’ait pas fait l’objet d’un texte spécifique. Cela aurait permis d’aborder un certain nombre de questions sociétales, notamment celle de l’adoption, qui est importante. Il est un peu aberrant et réducteur de traiter séparément ces aspects. Nous souhaitons que l’adoption ait pleinement sa place au sein de l’article 1er. Tel est l’objet de l’amendement n° 213.

M. Thibault Bazin. Il faut vraiment conserver le rappel des possibilités prévues par la loi en matière d’adoption. C’est ce que l’amendement n° 658 tend à assurer. Supprimer l’information délivrée ne revient-il pas à ne plus donner une chance à des enfants déjà nés ? Je pose la question devant le secrétaire d’État, qui y sera sans doute sensible.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je ne sais pas d’où viennent vos craintes. L’alinéa 34 prévoit qu’il y ait rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’adoption et que l’on communique l’adresse des associations et organismes susceptibles de compléter l’information délivrée à ce sujet.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison : au regard de la difficulté des parcours en matière d’AMP, il est légitime de délivrer une information sur les dispositions relatives à l’adoption. Ces deux sujets doivent effectivement être appréhendés ensemble, et on doit orienter les personnes intéressées vers des associations. C’est le sens de l’alinéa 34, que le rapporteur vient de rappeler.

Ces amendements étant satisfaits, je vous propose de les retirer, sans quoi j’émettrai un avis défavorable.

J’ajoute que c’est, en effet, un sujet qui m’intéresse, monsieur Bazin. J’ai confié une mission sur l’adoption à la députée Monique Limon, qui est membre de votre commission, et à la sénatrice Corinne Imbert, qui appartient à la même formation politique que vous. Ces deux parlementaires me remettront leurs conclusions dans le courant du mois d’octobre et nous aurons l’occasion de reparler plus précisément de ce sujet à cette occasion.

M. Xavier Breton. Le problème est que l’alinéa 34 concerne des informations données au moyen d’un « dossier-guide », c’est-à-dire par écrit. Ce que nous demandons est que cela reste évoqué lors d’un entretien. Ce serait un très mauvais signal de réduire l’information au sujet de l’adoption.

La commission rejette les amendements n° 26, n° 213 et n° 658.

Elle examine ensuite l’amendement n° 501 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Par cet amendement, nous voulons préciser qu’il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître. Il ne doit jamais être perdu de vue.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous sommes animés par l’intérêt supérieur de l’enfant tout au long de l’examen de ce texte, et je ne doute pas qu’il en soit de même pour vous. Nous partageons donc cette valeur. Néanmoins, l’inscrire dans le projet de loi ne me paraît pas utile. Ce n’est pas cela qui pourra s’opposer à l’extension de l’AMP… Nous avons en commun la volonté de tenir compte de l’intérêt de l’enfant, mais nous divergeons quant à la façon de l’appréhender. Je vous propose de retirer cet amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 501.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 995 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il est défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il ne me paraît pas opportun de préciser, comme le demande votre amendement, que l’évaluation est non seulement médicale mais aussi sociale. Je crois que l’on peut faire confiance, d’une façon moins stigmatisante, à l’équipe qui est chargée d’évaluer globalement les conditions d’accueil de l’enfant. J’émets un avis défavorable.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je voudrais rappeler la définition de la santé qui est notamment promue par l’OMS : elle a différentes composantes qui sont de nature psychologique, physique mais aussi sociale. Je ne pense pas qu’il soit discriminant de mettre en évidence un déterminant dont on sait qu’il entre en jeu, notamment en ce qui concerne les femmes seules. C’est une question qui se pose. Il me semble que cette dimension doit apparaître dans l’accompagnement et « l’évaluation » – je mets des guillemets en employant ce terme.

Mme Annie Genevard. Si le rapporteur est animé, comme je le crois, par l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’a rien à craindre d’une approche sociale de la situation. C’est le bon sens même. Les services sociaux interviennent dans un grand nombre de situations. Pourquoi n’y aurait-il pas une évaluation sociale lorsque des demandes d’AMP sont formulées par des femmes seules – on sait qu’il s’agit d’une population particulièrement exposée sur le plan social – ou pour toute demande d’AMP ? Cela n’aurait rien de scandaleux : c’est l’application du principe de réalité.

La commission rejette l’amendement n° 995.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 601 de Mme Anne-France Brunet, n° 1557 de M. Bruno Fuchs, n° 1768 de M. Hervé Saulignac, n° 2078 de Mme Sylvia Pinel et n° 2087 de Mme Martine Wonner.

Mme Anne-France Brunet. L’amendement n° 601 vise à supprimer le mot « psychologique » à l’alinéa 28. Les conditions psychologiques étant d’ordre médical, cette mention n’est pas nécessaire a priori, et on pourrait avoir l’impression qu’elle est liée à l’ouverture de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes.

M. Bruno Fuchs. Il s’agit ici d’une question que nous avons déjà abordée plusieurs fois depuis hier : le volet psychologique de l’évaluation. À mon avis, les amendements visant à le supprimer s’imposent assez naturellement.

M. Hervé Saulignac. La suppression du terme « psychologique » nous paraît effectivement s’imposer ; nous avons longuement évoqué la question hier. C’est d’autant plus nécessaire qu’un certain nombre de vérifications sont déjà prévues, notamment à travers les entretiens. Elles sont de nature à donner toutes les garanties nécessaires. L’évaluation psychologique, qui est porteuse de risques, ne nous paraît donc pas devoir figurer dans la loi.

M. Philippe Vigier. Mes collègues et moi-même souhaitons nous aussi supprimer le caractère obligatoire de l’évaluation psychologique. Autant il est normal que les professionnels de santé puissent décider, à un moment ou un autre, qu’une telle évaluation est susceptible d’apporter un élément supplémentaire pour la prise de décision et l’accompagnement des candidats à l’AMP, autant le fait de rendre cette évaluation obligatoire peut quelquefois revêtir un caractère discriminatoire – puisque M. le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance est parmi nous, je donnerai l’exemple des entretiens psychologiques avec les familles candidates à l’adoption, qui suscitent souvent le découragement ; je suppose que celles et ceux qui sont ici ont d’autres exemples à l’esprit. En revanche, comme ma collègue Sylvia Pinel et moi-même l’indiquons dans l’exposé sommaire de notre amendement, un accompagnement psychosocial et la vérification des conditions sociales seraient des gages de réussite pour la famille qui a fait le choix de s’engager sur le chemin de l’AMP. Sur ce point, nous rejoignons ce que disait notre collègue Xavier Breton.

Mme Martine Wonner. Hier, nous avons adopté l’amendement no 2020, qui remplace l’évaluation médicale et psychologique par des entretiens avec l’équipe médicale clinicobiologique – dont nous venons d’ailleurs de préciser la composition. Parce que les mots sont importants, ces amendements visent, par coordination, à supprimer également à l’alinéa 28 la mention de cette évaluation médicale et psychologique, qui pourrait être mal vécue et se révéler anxiogène.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je suis tout à fait favorable à la suppression du terme « psychologique » à cet alinéa.

M. Olivier Véran. Notre groupe soutient totalement ces amendements qui sont parfaitement justifiés.

La commission adopte les amendements identiques n° 601, n° 1557, n° 1768, n° 2078 et n° 2087.

Elle examine ensuite l’amendement no 1370 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. J’en reviens à un sujet qui a déjà été abordé sous tous ses aspects : il s’agit de rétablir une altérité. En effet, dire qu’il y aura dans l’environnement de l’enfant un référent masculin revient à reconnaître la nécessité de la parité dans le développement de l’enfant.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement no 1370.

Elle en vient à l’amendement no 1769 de M. Hervé Saulignac.

M. Hervé Saulignac. Il s’agit de compléter l’alinéa 28 en faisant en sorte que l’évaluation ne conduise pas à débouter un couple de femmes ou une femme célibataire en raison de son orientation sexuelle, de son statut marital ou de son identité de genre.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il ne serait pas acceptable, effectivement, qu’une discrimination intervienne sur le fondement de ces critères. Nous pouvons donc le préciser dans l’article. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement no 1769.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels nos 2134 et 2135 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement no 736 de Mme Nadia Ramassamy.

La commission examine l’amendement no 1371 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. La prise en charge de la PMA par la sécurité sociale ne semble pas opportune, dans la mesure où elle constitue une validation officielle d’un comportement privé. Il conviendrait de redéfinir le sens de la sécurité sociale, sachant que certains actes, dont le volume est important et qui sont parfois indispensables – soins dentaires, opération de la myopie au laser, etc. –, sont considérés comme relevant du confort.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Non, nous ne souhaitons pas revenir sur la prise en charge de la PMA par la solidarité nationale, car elle nous paraît s’imposer. Du reste, à l’évidence, la prise en charge est effective – et ce depuis très longtemps – pour certains actes ici qualifiés comme étant de confort mais qui sont importants pour la santé des personnes. Depuis longtemps, l’assurance maladie, d’ailleurs mal nommée – peut-être faudra-t-il, un jour ou l’autre, l’appeler « assurance santé » –, s’occupe d’autre chose que de faire simplement de la thérapeutique. Au même titre que l’IVG, que certaines variétés de chirurgie réparatrice et d’actes ne relevant pas de la médecine préventive, il est important que la PMA pour toutes soit prise en charge par la solidarité nationale, sans qu’il y ait de ségrégation à l’égard de telle ou telle personne ayant recours à cette technique. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1371.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel no 2136 du rapporteur.

La commission en vient alors aux amendements identiques no 460 de M. Xavier Breton et no 502 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. À l’alinéa 30, il est fait référence au fait que les professionnels doivent informer les personnes concernées de l’impossibilité de réaliser un transfert des embryons conservés en cas de rupture du couple. Il s’agit de compléter l’alinéa en mentionnant également la rupture du pacte civil de solidarité. Il convient effectivement de préciser que les membres d’un PACS sont concernés par la disposition.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements identiques no 460 et no 502.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement no 2243 du rapporteur et les amendements identiques no 27 de M. Xavier Breton, no 214 de M. Patrick Hetzel et no 659 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il apparaît opportun de prévoir que les couples qui sont engagés dans un parcours d’AMP soient d’emblée informés des dispositions légales qui s’appliquent en cas de décès de l’un de ses membres, et ce quelles que soient les dispositions en question – que nous définissons d’ailleurs ensemble.

M. Xavier Breton. L’alinéa 30 prévoit une information quant à l’impossibilité de réaliser le transfert des embryons conservés en cas de rupture du couple. Or nous avons décidé d’exclure la possibilité d’un transfert post mortem. L’amendement no 27 est donc, en définitive, un amendement rédactionnel, puisque nous vous proposons de compléter l’alinéa 30 par les mots « ou de décès d’un de ses membres ».

M. Thibault Bazin. Deux arguments complémentaires. D’abord, nos amendements comportent deux fois moins de mots que celui du rapporteur, pour un effet équivalent. Comme on dit que la loi est bavarde, on pourrait, dans une démarche environnementale, économiser un peu de papier. (Sourires.) Ensuite, la formulation que nous proposons est exactement la même que celle qui figure à l’article L. 2141-10 du code de la santé publique. Un certain conservatisme serait de bon aloi en la matière.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’entends bien, monsieur Bazin, il y a deux fois moins de mots dans vos amendements, mais il y a aussi deux fois moins d’expression. En effet, la formulation que vous proposez ne mentionne que le décès lui-même. Or la sagesse veut que l’on fasse référence également à toutes les dispositions prévues en cas de décès d’un des membres du couple – certaines ont été décidées ce matin, d’autres suivront. Il est important que la totalité de ces dispositions soient portées à la connaissance du couple au début du parcours d’AMP. Si je comprends l’intérêt d’être bref, en l’occurrence, votre amendement est un peu réducteur. Je vous suggère donc de vous rallier à ma rédaction, qui englobe ce que vous proposez tout en tenant compte d’autres dispositions éventuelles.

M. Xavier Breton. Pourriez-vous nous préciser quelles sont ces « dispositions éventuelles », monsieur le rapporteur ? Voulez-vous parler de dispositions qui existent déjà, ou bien d’autres qui vont être votées ? Il est important que nous le sachions pour décider si nous retirons nos amendements.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce sont les dispositions qui figurent à l’alinéa 5.

La commission adopte l’amendement no 2243. En conséquence, les amendements nos 27, 214 et 659 tombent.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette ensuite l’amendement no 996 de M. Thibault Bazin.

Elle en vient alors à l’amendement no 602 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Cet amendement vise à proposer un suivi psychologique pendant l’AMP, car de nombreuses difficultés de cet ordre peuvent émerger tout au long du parcours. Le suivi ne sera pas nécessairement assuré dans le centre d’AMP lui-même car, on le sait bien, les psychologues qui y travaillent ont peu de disponibilités.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je comprends votre point de vue et le souhait que vous exprimez. Faut-il proposer systématiquement un suivi psychologique ou bien laisser celui-ci à l’initiative de l’équipe médicale et psychologique qui entoure le processus ? Du reste, le suivi en question devra être assuré par l’équipe elle-même : on ne saurait le concevoir comme totalement distinct de l’équipe qui réalise l’AMP. Je ne suis pas sûr que la disposition que vous proposez ajouterait autre chose qu’une contrainte. D’ailleurs, la pratique que vous préconisez est déjà très habituelle. En outre, elle sera encouragée par l’amendement de Mme Martine Wonner que nous avons adopté tout à l’heure.

M. Olivier Véran. Il y a une salve d’amendements concernant le suivi ou l’évaluation psychologique dans le cadre d’une procédure de PMA. Comme l’a dit M. Touraine, un couple qui est dans une démarche de PMA n’a pas besoin d’une évaluation psychologique ou psychiatrique avant d’engager la demande. À cet égard, lors des auditions, les professionnels ont été très clairs, notamment l’Ordre des médecins, qui a dit que l’équipe réalisant la PMA n’avait pas à statuer en fonction de critères psychologiques. En revanche – et c’est le second sujet de débat entre nous depuis un bon moment –, il importe de s’assurer qu’un couple qui s’est engagé dans une procédure de PMA soit accompagné tout au long du parcours, car celui-ci peut être long, difficile, parfois même douloureux. Quelle que soit la forme de cet accompagnement – il peut être fait par des psychologues ou d’autres personnes –, il faut éviter de rigidifier les choses dans la loi comme on est en train d’essayer de le faire. Les centres qui procèdent à l’AMP disposent des ressources nécessaires pour accompagner les couples : la représentation nationale, si elle est inquiète à ce propos, peut être rassurée.

La commission rejette l’amendement n° 602.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel no 2137 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement no 486 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. L’objectif de cet amendement est de préciser la rédaction de l’alinéa 33. Pour le moment, en effet, il est seulement indiqué qu’un descriptif des techniques concernées doit être remis aux personnes. Je pense qu’il faut aller plus loin, notamment en communiquant « les taux moyens de réussite par cycle de fécondation in vitro et d’insémination artificielle ainsi que les taux de réussite et d’échec par cycle de fécondation in vitro et d’insémination artificielle en fonction de l’âge de la femme ». J’insiste sur ces aspects car de nombreuses personnes nous ont dit que l’information fournie oralement à l’heure actuelle, notamment au titre du quatrième alinéa de l’article L. 2141-10 du code de la santé publique, est le plus souvent insuffisante, et surtout que sa nature varie selon les praticiens. Pour éviter une trop forte hétérogénéité, voire une absence totale d’informations sur un certain nombre de détails qui peuvent avoir leur importance dans la prise de décision de celles et ceux qui souhaitent recourir à ces techniques, nous proposons d’inscrire clairement dans l’article 1er les éléments qui doivent faire l’objet d’une information. Ces précisions visent également à renforcer les garanties données aux personnes susceptibles d’avoir recours à l’AMP.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre demande est satisfaite par l’alinéa 29, qui dispose que les personnes sollicitant l’AMP doivent être informées « des possibilités de réussite et d’échec des techniques d’assistance médicale à la procréation, de leurs effets secondaires et de leurs risques à court et long terme, ainsi que de leur pénibilité et des contraintes qu’elles peuvent entraîner ». De plus, dans le code de la santé publique, il est indiqué que tout acte doit faire l’objet d’une information complète. Je crains donc que ce que vous proposez ne soit superfétatoire. J’entends votre remarque au sujet de l’application des dispositions existantes, mais je ne suis pas sûr que le fait d’inscrire une troisième fois l’information dans les textes soit très efficace. Très souvent, en pratique, ces éléments d’information sont donnés aux personnes. Malheureusement, ce dont les praticiens ne s’assurent pas, c’est qu’ils sont entendus par les femmes en question. C’est une chose d’avoir expliqué à un patient les conditions, les risques, d’avoir indiqué le taux d’échec, c’en est une autre de s’assurer qu’il a vraiment compris. Si tel n’est pas le cas, une femme peut sortir de la consultation en croyant que les chances de succès sont de 90 %, que le processus ne sera ni pénible ni douloureux et, par la suite, être très déçue – alors qu’elle avait été prévenue. Je ne sais pas comment remédier à cette différence entre les informations données et les informations comprises, mais je crains que ce ne soit pas par la loi qu’on y arrive. On pourrait agir au niveau réglementaire, ou encore dans le cadre des guides de bonnes pratiques. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 486.

La réunion, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.

La commission examine l’amendement no 2244 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il s’agit de compléter le dispositif d’information sur l’accès aux origines. Je propose, pour ce faire, d’insérer après l’alinéa 34 un alinéa ainsi libellé : « Des éléments d’information sur l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur, ainsi que la liste des associations et organismes susceptibles de compléter leur information sur ce sujet ».

La commission adopte l’amendement no 2244.

Elle est ensuite saisie de l’amendement no 443 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Pierre Rixain. Lors des auditions menées par la commission spéciale, Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, a fait part de l’importance de l’accompagnement psychologique des personnes ayant recours à une AMP. Il convient notamment de leur donner des clés leur permettant d’appréhender la démarche et d’en discuter. Pour ce faire, le présent amendement vise à ce que des informations en matière de suivi psychologique soient incluses dans le dossier-guide remis aux demandeurs.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement me semble satisfait par l’adoption de l’amendement no 2021 de Martine Wonner, qui permet d’assurer l’accompagnement. Je vous demande donc de le retirer.

Mme Marie-Pierre Rixain. Je considère effectivement que mon amendement est satisfait : je le retire.

L’amendement no 443 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 487 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il existe un certain nombre de techniques naturelles de procréation – c’est ce que l’on appelle la NaProTechnologie – qui, selon de nombreux professionnels, peuvent constituer une solution alternative à l’AMP pour les couples confrontés à un problème d’infertilité. Il semble donc important, dans le cadre de la discussion menée avec ces couples, de leur préciser quelles sont ces techniques alternatives avant d’aller vers des dispositifs plus lourds.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous sommes bien évidemment favorables aux recherches sur l’infertilité, et il sera tout à fait pertinent d’aborder la question après l’article 2. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable de traiter des différents aspects de manière disséminée. Je vous propose donc de retirer votre amendement en vue d’une analyse ultérieure.

La commission rejette l’amendement n° 487.

La commission examine ensuite, en discussion commune, l’amendement no 1559 de M. Bruno Fuchs et l’amendement no 737 de Mme Nadia Ramassamy.

M. Bruno Fuchs. On voit bien, depuis le début de l’examen du texte, l’importance d’assurer un accompagnement dans le parcours d’assistance médicale à la procréation avec don, car il peut se révéler difficile. Le premier acte de l’accompagnement par la puissance publique pourrait consister à remettre un dossier-guide comprenant des informations relatives aussi bien aux techniques qu’au parcours. Cela me semble d’autant plus nécessaire que le texte ne fait plus référence à l’infertilité. Il ne faudrait pas laisser penser que la PMA pour toutes est quelque chose de facile. Un tel guide serait pleinement justifié.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord pour fournir des informations, mais la demande que vous formulez est déjà satisfaite par l’alinéa 29 et les alinéas 32 à 34. Parmi les éléments que M. Fuchs propose de faire figurer dans le guide, seule la bibliographie n’est pas prévue actuellement. Je demande donc le retrait de ces amendements.

Les amendements no 1559 et no 737 sont retirés.

La commission examine l’amendement no 488 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit d’ajouter un alinéa ainsi libellé : « Informer les deux membres du couple de l’existence et du devenir des embryons dits surnuméraires et conserver dans le dossier une preuve écrite de cette information ». En effet, le droit français, à l’inverse du droit allemand et du droit italien, ne fait pas obstacle à la fabrication d’embryons qui, n’étant pas transférés immédiatement dans l’utérus au terme de la fécondation in vitro, sont cryoconservés, dans l’attente d’un hypothétique projet parental. Dans la perspective, souhaitée par la loi, de permettre aux personnes d’« exercer un choix éclairé en matière de procréation », il paraît indispensable que les membres du couple soient pleinement informés de cette question éthique fondamentale avant de faire un choix en conscience.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Les personnes sont informées de fait au cours des différentes phases. La preuve en est qu’ils doivent donner leur avis quant au devenir des embryons surnuméraires, qu’il s’agisse d’en faire don en vue d’une autre implantation, de les destiner à la recherche ou de les détruire – faute de quoi on se retrouve avec 230 000 embryons dans des congélateurs. Oui, les personnes sont donc interrogées et informées. Une fois encore, on peut se demander si la forme du dialogue est suffisante. Quoi qu’il en soit, il est prévu, tout au long du parcours, que les personnes soient tenues informées de l’état des embryons qui ont été développés et de leur destination ; elles doivent même spécifier ce qu’elles souhaitent en faire.

La commission rejette l’amendement n° 488.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement no 1372 de Mme Agnès Thill.

La commission en arrive aux amendements identiques no 28 de M. Xavier Breton, no 215 de M. Patrick Hetzel et no 660 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’objectif de ces amendements est de faire en sorte que le délai d’un mois coure à partir du dernier entretien.

M. Thibault Bazin. Il s’agit en réalité d’en rester, sur ce point, à la législation actuelle, dont on se demande pourquoi il fallait la modifier.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Le dernier entretien ne semble pas constituer un repère suffisamment fiable, car il peut y en avoir eu d’autres, par exemple en cas de demande d’informations additionnelles. C’est la raison pour laquelle nous avons préféré la formulation qui figure dans le texte.

La commission rejette les amendements identiques no 28, no 215 et no 660.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel no 2133 du rapporteur.

La commission examine l’amendement no 1757 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Cet amendement est de portée pratique. Nous avons posé le principe de non-discrimination, mais nous savons aussi que nous pouvons nous heurter à une pénurie de gamètes plus ou moins longue. En outre, les CECOS fonctionnent de manière différente selon les endroits. Il est bien beau de poser le principe d’une non-discrimination ; encore faut-il préciser les critères permettant de choisir les bénéficiaires et éviter l’arbitraire. Comment les CECOS vont-ils procéder ? Se fonderont-ils uniquement sur la date d’inscription, ou bien d’autres critères entreront-ils en ligne de compte, tels que l’orientation sexuelle et le statut matrimonial ? On ne sait pas du tout, concrètement, quels critères détermineront l’attribution de gamètes. C’est la raison pour laquelle je propose, dans mon amendement, que les modalités d’application du principe de non‑discrimination soient fixées par décret en Conseil d’État. Cela permettra de garantir l’égalité de traitement entre les demandeurs, et surtout la transparence sur l’ensemble du territoire national.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Hier, et tout à l’heure encore, nous avons adopté des amendements permettant de prévenir les discriminations. Je considère donc que la demande est satisfaite. Cela dit, nous devrons être vigilants : nous inscrivons des mesures dans la loi, mais il faudra contrôler leur respect effectif.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Comment ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En effet, on connaît d’autres domaines dans lesquels la discrimination a certes été prohibée, mais la loi est mal exécutée, malheureusement.

Les seuls critères qui peuvent être acceptés tiennent à l’âge ou à l’appariement – quand les personnes le souhaitent. On ne saurait accepter que le type de couple, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre deviennent des critères pour le choix. Ce n’est plus à la loi de le dire, car c’est déjà doublement inscrit dans les textes. Il faudra veiller à l’application de la loi, en particulier en missionnant les ARS et l’Agence de la biomédecine pour qu’elles contrôlent régulièrement l’absence de toute discrimination.

M. Olivier Véran. Je pense qu’il pourrait être intéressant de publier une circulaire rappelant un certain nombre de critères en fonction desquels un couple souhaitant entrer dans un parcours de PMA ne pourrait pas être discriminé. En effet, au-delà de l’orientation sexuelle ou de l’âge, j’ai entendu des récits faisant état d’autres formes de discrimination. On m’a ainsi parlé d’un centre de PMA ayant récusé un couple au motif que la femme ne parlait pas français. L’équipe considérait qu’elle ne comprendrait certainement pas les traitements qu’il lui faudrait suivre tout au long de la prise en charge. Cela permettait, par ailleurs, d’améliorer les statistiques de réussite du centre. Il existe ainsi des pratiques très localisées, qui ne paraissent peut-être pas discriminatoires aux équipes, mais qui le sont pour nous – comme le prouvent les sourcils froncés que j’ai vus en rapportant ce cas. Il n’appartient pas à la loi de proposer un catalogue de critères, mais une circulaire serait utile en la matière.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Ériger des principes dans la loi, c’est très bien, mais comment fait-on, après, pour les appliquer ? Il faut effectivement veiller à leur mise en œuvre, que ce soit par circulaire ou par décret. C’est aussi le cas en matière de garde d’enfants : il y a des listes d’attente, de nombreux critères existent mais ils ne sont pas toujours objectifs et on observe de très grandes inégalités dans le territoire. En l’espèce, si la définition des critères n’est pas du domaine de la loi, il faut au moins que nous inscrivions dans le texte que ces critères sont définis au niveau national, de même que leurs modalités d’application. Je maintiens mon amendement.

La commission rejette l’amendement n° 1757.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement no 520 de M. Patrick Hetzel.

Elle en vient à l’amendement no 956 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’alinéa 37, nous l’avons déjà dit hier, prête vraiment à confusion ; il faut le reformuler. En effet, il semble permettre que l’AMP soit réalisée par un autre médecin que celui qui a participé aux entretiens prévus dans l’article lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues. L’amendement vise à clarifier la rédaction pour éviter tout acharnement procréatif quand les conditions ne sont pas réunies. Je vous propose de le réécrire ainsi : « lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues par le présent titre ou lorsque le médecin ayant participé aux entretiens prévus ».

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La formulation que vous proposez prête encore plus à confusion, car vous ne mentionnez plus la nécessité de l’interaction entre le médecin et les demandeurs. Pour que le refus soit opposable et accepté, il faut bien qu’à un moment ou un autre les demandeurs voient un médecin et échangent avec lui. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement no 956.

Elle examine ensuite l’amendement no 1918 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, mais il a son importance. Il vise à remplacer les mots « un médecin ayant » par les mots « le médecin, ayant par ailleurs ». Actuellement, le texte précise que la décision finale appartient à un seul médecin. Au regard de l’importance et de l’impact d’une décision comme celle-ci sur le projet du couple ou de la femme seule, il semble fondamental que le médecin qui prend la décision après concertation avec l’équipe ait participé aux entretiens préalables.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La précision nous semble utile, même si l’intention du Gouvernement était bien celle-là. Avis favorable.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable également.

La commission adopte l’amendement no 1918.

Elle est ensuite saisie de l’amendement no 1373 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Il vise à permettre au personnel médical de refuser de pratiquer une AMP pour des raisons de conscience. Le personnel usant de ce droit doit cependant communiquer le nom de praticiens qui répondront à la demande du couple.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Comme dans le cas de l’IVG, il n’y a pas besoin de clause de conscience, puisque cela figure déjà dans le code de déontologie médicale. Ajouter cette précision est assez humiliant pour les femmes,…

M. Olivier Véran. Bravo !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. …car elle leur laisse entendre qu’elles ne sont pas dignes. Pour ce qui concerne les médecins, je vous rassure, madame Thill : si certains ne veulent pas s’engager dans de tels actes, nous souhaitons qu’ils ne le fassent pas, car ils ne sauraient pas bien les réaliser. En outre, tous les médecins transmettent à leurs confrères l’activité dont ils ne veulent pas se charger, et c’est très bien ainsi. Votre demande est donc déjà largement satisfaite.

La commission rejette l’amendement no 1373.

Elle examine l’amendement no 1827 de Mme Sylvia Pinel.

M. Philippe Vigier. Par cet amendement visant à insérer un alinéa après l’alinéa 37, nous proposons que les motifs de l’accord, du report ou du refus d’une assistance médicale à la procréation soient expressément mentionnés dans le dossier médical partagé (DMP). Cette disposition me paraît essentielle pour parvenir à une harmonisation du fonctionnement des centres d’AMP, lesquels pourraient fournir des réponses différentes en fonction du profil des demandeurs, mais aussi pour éviter tout risque de contentieux. Il y va donc à la fois de la transparence, de l’efficacité et de la coordination entre les différents centres. La mesure permettra aussi de commencer à évaluer la loi en indiquant si les équipes accompagnent de la même façon toutes les personnes qui entament une AMP.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Toutes les indications médicales seront transcrites dans le DMP le jour où celui-ci sera exhaustivement rempli, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas. Le fait que quelqu’un sollicite une AMP y sera consigné, de même que la réalisation de tel ou tel acte – stimulation ovarienne, tentative de fécondation d’un type ou d’un autre. En revanche, les données administratives elles-mêmes ou les éléments qui, en dehors de l’aspect médical, amèneraient à une décision, n’y trouvent pas véritablement leur place.

Par ailleurs, vous suggérez que l’inscription au DMP pourrait être bénéfique dans la mesure où elle contribuerait à rendre plus transparentes les décisions des centres d’AMP. Or le DMP est confidentiel ; il n’est pas accessible à des personnes qui se livreraient à des études, car cela romprait bien entendu la confidentialité. Le DMP ne permettra donc jamais de garantir la transparence. Il faut, pour ce faire, d’autres modes d’enregistrement. En l’occurrence, les centres d’AMP procèdent eux-mêmes à l’enregistrement : ils ont le devoir de maintenir le registre de toutes les activités réalisées. C’est à ce niveau que la transparence doit se faire, en espérant bien entendu que les centres rendent compte de la totalité de leurs activités – mais cela vaut pour tout acte médical. Je demande le retrait de cet amendement, tout en sachant qu’il serait souhaitable de bien insister auprès de tous les praticiens, par voie réglementaire, pour qu’ils n’oublient pas de remplir les DMP.

M. Charles de Courson. M. Vigier a raison de poser la question. Pour ma part, je souhaite vous demander, monsieur le rapporteur, quelles sont les voies de recours en cas de refus.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est facile : il suffit d’aller demander à un autre centre. S’il y a plusieurs refus, la réponse peut être considérée comme définitive.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas ce que prévoit le droit français, monsieur le rapporteur. Une décision administrative – et c’est bien de cela qu’il s’agit – peut faire l’objet d’un recours.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Dans ce cas, la décision n’est pas contestable.

M. Charles de Courson. Pourquoi donc ? Toute décision administrative est contestable : il peut y avoir des erreurs, des imprécisions, que sais-je encore.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cela n’a rien de spécifique à l’AMP. Quand un chirurgien vous propose une prothèse de hanche et que vous doutez de l’indication, vous allez demander d’autres avis. Si un deuxième chirurgien puis un troisième vous disent la même chose, il y a de grandes chances pour que l’opération soit effectivement indiquée. En revanche, si les avis divergent, vous faites appel à votre jugement et vous utilisez votre libre arbitre. En tout cas, ce n’est pas quelque chose qui va vous être imposé.

M. Charles de Courson. Certes, mais là, il s’agit du refus de réaliser une AMP.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est pareil : on peut refuser de vous poser une prothèse de hanche. Cela peut être déplaisant, mais vous serez obligé de l’accepter.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Il me semble intéressant de réfléchir à la proposition qui nous est faite ici. La décision concerne des couples ou des personnes seules ayant une forte attente : on se doit bien évidemment de leur en expliquer les raisons. De plus, dès lors que les pratiques semblent différer d’un centre à l’autre, cette communication me paraît tout à fait intéressante. Par ailleurs, cela permettrait à une autre équipe sollicitée d’être informée des raisons qui ont conduit la première à refuser l’AMP. Enfin, on sait l’intérêt que revêt le partage d’informations pour la santé des personnes. Pour toutes ces raisons, je trouve que la proposition mérite qu’on s’y arrête.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je n’imagine pas qu’un couple puisse être l’objet d’un refus sans que l’équipe médicale lui en donne précisément la raison, avec tout le tact nécessaire ; dans toute prescription, le colloque singulier entre le médecin et le patient est le lieu de cette explication. Si ce dernier conteste, en l’espèce, le refus qui lui est opposé, libre à lui de se tourner vers un autre centre, qui, peut-être, lui opposera le même refus.

Certains souhaitent que ces motivations puissent être enregistrées quelque part, afin de nourrir les études statistiques ultérieures. Ces études ne peuvent en aucun cas se fonder sur les dossiers médicaux des malades, dont la confidentialité doit impérativement être respectée, c’est le principe même du secret médical. C’est aux centres de fournir les données d’étude nécessaires.

M. Philippe Vigier. Le secret médical n’est pas en cause ici, puisque c’est une obligation à laquelle est soumise l’équipe médicale en charge de l’AMP. En revanche, refuser toute inscription dans le dossier médical est la porte ouverte au nomadisme : tous ceux qui ont vu leurs demandes refusées se tourneront vers d’autres centres, voire partiront à l’étranger.

Je vous mets donc en garde et insiste sur le fait que, contrairement à ce que vous avez dit, nous ne sommes pas ici dans le domaine réglementaire mais bel et bien dans celui de la loi.

Mme Martine Wonner. Je suis d’accord avec le rapporteur. En effet, l’inscription dans le dossier médical du refus d’AMP et de ses motivations condamnerait inéluctablement le couple demandeur à subir le même refus de la part d’une autre équipe médicale. L’AMP est un parcours difficile pour les couples ou les femmes seules, et ce n’est pas parce que l’accord n’a pu se faire avec une première équipe qu’il ne faut pas laisser toutes leurs chances aux demandeurs, face à une nouvelle équipe, qui doit pouvoir les accueillir sans a priori.

M. Philippe Gosselin. Si je traduis grossièrement les propos du rapporteur, il semblerait que le DMP constitue une violation du secret médical, en permettant un éparpillement des données personnelles de santé à droite et à gauche et en interdisant à des patients de solliciter un deuxième avis médical. Si c’est le cas, c’est tout le DMP, dans son principe même, qu’il convient de remettre à plat ! Ce sont des arguments qui, juridiquement, ne tiennent pas la route.

M. Olivier Véran. À terme, toutes les informations médicales figureront dans le DMP. La question ne se posera donc pas, et il est inutile de préciser dans la loi que les éléments relatifs à l’AMP doivent y figurer.

Par ailleurs la loi rend obligatoire la communication de son dossier à un patient, ce qui lui permettra d’avoir accès aux raisons qui ont motivé le refus d’une AMP.

La commission rejette l’amendement n° 1827.

Puis elle examine l’amendement 1978 de Mme Marie TamarelleVerhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Cet amendement propose de construire, sous l’égide de l’Agence de la biomédecine, un référentiel national fixant des indicateurs d’appréciation des critères d’évaluation de la recevabilité d’une demande d’AMP. Les équipes à qui incombe la responsabilité de prendre cette décision ne peuvent aujourd’hui s’appuyer sur aucun document de ce type, alors que la position à adopter n’est pas toujours évidente.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce que vous proposez est complexe et ne conviendra pas aux médecins, qui détestent qu’on leur dicte leurs actes. Nous devons faire confiance aux équipes et à l’Agence de la biomédecine qui les coordonne, pour définir eux-mêmes les conditions d’évaluation des demandes et organiser leur amélioration, car tout ne sera pas d’emblée parfait.

Vous connaissez nos confrères, et vous savez comment ils s’efforceront de contourner ce type de formalisme bureaucratique. Je vous exhorte donc à vous en tenir à des schémas plus simples. Bornons-nous à demander aux équipes d’AMP et à l’Agence de la biomédecine des rapports réguliers sur leurs pratiques et leurs modalités d’évaluation, en fonction de quoi nous verrons s’il faut formuler des recommandations pour faire cesser d’éventuelles discriminations et harmoniser les conditions de refus ou d’acceptation des demandes d’AMP. Avis défavorable.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Il ne s’agit pas d’imposer un cadrage et des obligations aux équipes mais de leur fournir un étayage.

La commission rejette l’amendement n° 1978.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1953 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Cet amendement, dans le même esprit que celui visant à autoriser la réception des ovocytes d’un membre du couple par l’autre membre du couple, a vocation à s’adresser à un public plus large. Ainsi lorsqu’un homme transgenre a procédé à l’autoconservation de ses ovocytes avant sa transition et lorsqu’une femme transgenre a procédé à l’autoconservation de son sperme avant sa transition, ces gamètes doivent pouvoir être utilisées par l’autre membre du couple, ce qui permet d’éviter de recourir à un donneur tiers. C’est notamment une manière de répondre à la pénurie de gamètes.

Nonobstant l’avis favorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1953.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement n° 1374 de Mme Agnès Thill.

Puis elle en vient à l’amendement n° 1880 de Mme Frédérique Lardet.

Mme Frédérique Lardet. Le présent amendement propose d’étendre la démarche obligatoire de consentement préalable devant notaire aux cas où le couple ou la femme célibataire recourent à une AMP avec tiers donneur à l’étranger.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’aurais aimé que le ministère m’éclaire sur le point de savoir si l’on peut imposer la consultation d’un notaire français pour un acte réalisé à l’étranger.

Je comprends votre demande, mais il me paraît difficile de contraindre à cette formalité une personne qui se rend à l’étranger, d’autant qu’il peut s’agir de quelqu’un qui envisage de s’expatrier durablement.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En ouvrant l’AMP aux couples de femmes, ce projet de loi ambitionne de diminuer fortement les départs à l’étranger. Même si le texte ne l’indique pas expressément, un consentement à l’AMP et une déclaration de volonté devant notaire en France suffisent pour que le dispositif puisse s’appliquer lorsque l’enfant naît en France. J’ajoute que la déclaration de volonté n’est pas dissociable du consentement à l’AMP qui se fait devant le notaire, dans les règles du secret professionnel, et non plus devant le juge. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Philippe Vigier. Le Gouvernement a souhaité instaurer cette démarche du consentement préalable devant notaire. J’entends les doutes du rapporteur en ce qui concerne les procédures d’AMP qui sont réalisées à l’étranger, mais je rappelle que nous souhaitons tous endiguer le flux des couples et des femmes seules qui se rendent à l’étranger.

Par ailleurs, la démarche de consentement préalable a tout son sens dans le cas d’une pratique médicale. Pourtant, on en est dispensé, lorsqu’on se fait traiter hors de France.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Si les femmes se rendent à l’étranger, c’est entre autres pour des questions de prise en charge et parce que l’AMP est interdite à certaines d’entre elles en France. Le jour où l’offre pourra satisfaire toutes les demandes et où elle sera intégralement prise en charge, elles n’auront plus aucune raison d’aller chercher à l’étranger un service qu’elles peuvent se procurer en France.

Quant à celles qui se sont vu opposer un refus dans notre pays, nos collègues étrangers n’ont pas forcément envie de les récupérer comme des « rebuts » que leur enverrait la France – je rappelle que le taux de refus chez les Françaises qui effectuent une démarche en Belgique est de 25 %.

Si l’offre est suffisante, s’il n’y a plus de délais d’attente exorbitants, si le taux d’échec est raisonnable, la plupart des couples et des femmes opteront pour une solution française, moins onéreuse et plus pratique. Il restera certes toujours des personnes qui feront le choix de l’étranger, parfois parce qu’elles cherchent des services spécifiques – éventuellement à la limite de l’éthique – mais, pour l’immense majorité des demanderesses, le retour en France va se faire naturellement.

Mme Coralie Dubost. Il est très fréquent qu’à l’étranger, et en particulier en Europe, un consentement au don soit également exigé, même s’il ne se fait pas nécessairement devant notaire. Par ailleurs, s’agissant de l’Europe, nous sommes dans un marché qui garantit la libre circulation des personnes et des services, et il me semble que la disposition proposée pourrait être attentatoire à cette liberté de circulation, qui est l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne.

Mme Frédérique Lardet. Il y a beaucoup de « si » dans la réponse du rapporteur, et l’on peut fort bien imaginer que certaines femmes continueront de se rendre à l’étranger, parce que nous manquerons de gamètes. Dans ce cas, la démarche du consentement ne sera-t-elle obligatoire que pour les femmes qui sont traitées en France ?

Concernant ensuite le remboursement par la sécurité sociale, toutes les femmes aujourd’hui en France n’en bénéficient pas, et celles qui en ont les moyens pourront toujours se tourner vers l’étranger et échapper au consentement préalable.

Je retire mon amendement mais le redéposerai en séance.

L’amendement n° 1880 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 661 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Nous proposons un retour à la législation actuelle, qui permet l’intervention d’un juge ou d’un notaire.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 661.

Puis elle en vient à l’amendement n° 216 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit de faire en sorte qu’on puisse avoir recours au juge, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Quelle est la position des notaires sur cette question ?

M. Jean-Louis Touraine. Cela leur procure des actes supplémentaires, mais pas spécialement bien rémunérés.

La commission rejette l’amendement n° 216.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 738 de Mme Nadia Ramassamy et n° 1318 de Mme Elsa Faucillon.

M. Pierre Dharréville. Lorsque l’assistance médicale à la procréation nécessite le recours à un tiers donneur, le médecin propose aux bénéficiaires un entretien avec un professionnel de la psychologie de l’enfance, dont l’objet est de les accompagner sur la façon d’aborder la question de l’accès aux origines avec leur enfant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est en effet nécessaire mais c’est déjà satisfait. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements identiques n° 738 et n° 1318.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement n° 662 de M. Thibault Bazin.

Puis elle examine l’amendement n° 873 de M. Maxime Minot.

M. Maxime Minot. Il s’agit d’améliorer l’information des bénéficiaires d’une AMP en leur remettant un guide comportant des explications sur la technique médicale utilisée, des conseils sur la façon d’aborder le sujet avec leurs enfants, ainsi qu’une liste d’associations pouvant leur être utiles.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement s’insère après l’alinéa 38, mais les dispositions qu’il propose existent ailleurs dans le texte, et il est donc satisfait. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 873.

Elle en vient à l’amendement n° 1919 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Cet amendement confie au pouvoir réglementaire, par le biais d’un décret en Conseil d’État, le soin de détailler la composition des équipes pluriprofessionnelles, afin d’assurer une relative homogénéité dans l’ensemble du territoire.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Sagesse.

La commission rejette l’amendement n° 1919.

Elle examine ensuite l’amendement n° 739 de Mme Nadia Ramassamy.

M. Thibault Bazin. Il est défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La question de l’information sur la fertilité, notamment en direction de la jeune génération, est importante, mais votre amendement n’est pas convenablement situé dans le texte. Je vous proposerais donc de le retirer, bien que j’en approuve le contenu.

L’amendement n° 739 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 2245 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait. Je le retire.

L’amendement n° 2245 est retiré.

 

 

 

 

 

 

 

 


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Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 21 heures ([6])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux en poursuivant l’examen des amendements à l’article 1er.

Article 1er (suite)
Élargissement de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

La commission est saisie des amendements identiques n° 31 de M. Xavier Breton, n° 218 de M. Patrick Hetzel et n° 663 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Par l’amendement n° 31, mon collègue Xavier Breton vise à supprimer les alinéas 39 à 43 de l’article premier. Ces dispositions transforment un acte médical en acte de convenance. Elles obligent la collectivité à en assurer la charge. La sécurité sociale a pour but de permettre à chacun d’accéder à des soins de santé. Ne plus respecter ce principe essentiel mettrait en péril notre système de sécurité sociale, qui serait vidé de son essence même.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement n° 218 est identique. Lorsqu’une prise en charge est proposée, il convient qu’elle ait un objet thérapeutique. Or on voit bien ici que l’on s’en écarte. Je m’interroge donc sur la légitimité d’une prise en charge de l’assistance médicale à la procréation (AMP) par la sécurité sociale, comme d’ailleurs nombre de nos concitoyens. D’un côté, ils voient que de plus en plus de molécules sont déremboursées, tandis que, de l’autre côté, une simple dimension sociétale ouvrirait droit à une prise en charge. Il y a là un vrai paradoxe.

M. Thibault Bazin. Ce point est très important. L’extension de l’assistance médicale à la procréation en fait une technique accessible à la demande pour toutes, financée à 100 % par la sécurité sociale, que les causes d’intervention soient médicales ou non, transformant ainsi le rôle des médecins.

À ce titre, les alinéas 41, 42 et 43 posent un vrai problème. La modification du code de la sécurité sociale, en éliminant le financement à 100 % des traitements de la stérilité pour le réserver uniquement aux techniques d’AMP, peut se révéler particulièrement injuste. Nos concitoyens peuvent se demander pourquoi la politique de santé ne s’intéresse pas d’abord aux maladies. Pourquoi cette disposition de l’alinéa 41 supprimant les mots « et pour le traitement de celle-ci », s’agissant de la stérilité ? Quel message voulez-vous envoyer alors même que, lundi soir, nous avons évoqué clairement le besoin de travailler sur l’infertilité ?

Dans nos circonscriptions, de nombreuses personnes sont très opposées à la prise en charge de cette technique par la sécurité sociale, dans un contexte tendu où l’on n’arrête pas d’expliquer que les finances publiques sont limitées, que les ressources médicales sont limitées. Certes, vous allez me répondre que le coût va être somme toute modique, compte tenu du nombre de personnes potentiellement concernées. Mais, symboliquement, aller sur ce champ et de cette manière peut se révéler vraiment injuste et révoltant pour nos concitoyens.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable. Je ne doute pas que quelques personnes s’opposent à cette évolution, mais je sais, par ailleurs, que d’autres sont très nombreuses à la revendiquer au nom de la justice sociale.

Pour l’instant, les femmes et les couples de femmes qui désirent l’AMP vont dans des pays voisins, et y réalisent cette opération à leurs propres frais. Seuls les examens qui peuvent être anticipés et le suivi ultérieur sont effectués en France, où ils sont pris en charge par notre solidarité nationale. En découle une sélection par l’argent, puisque seules les femmes fortunées peuvent affronter ces coûts. Permettre l’AMP pour toutes en France, c’est non seulement offrir le service, mais également l’offrir sans discrimination et sans distinction de revenus.

D’ailleurs, contrairement à ce que vous indiquez, l’assurance maladie n’a pas comme vocation unique la prise en charge d’actes thérapeutiques. Depuis très longtemps, elle finance des actions de prévention médicale ; elle finance l’IVG, la chirurgie réparatrice et reconstructrice, énormément de choses qui ne sont pas des activités thérapeutiques au sens propre. Il est tout à fait clair que cela va continuer à s’étendre de plus en plus. Nous avons pour objectif que l’assurance maladie investisse de plus en plus dans la prévention, plutôt que dans le curatif.

C’est donc une évolution tout à fait légitime que, au même titre que l’IVG est prise en charge à 100 % par l’assurance maladie, l’AMP soit prise en charge pour toutes. Si ce n’était pas le cas, cela créerait une discrimination, qui serait dénoncée. C’est d’ailleurs l’avis unanime de tous ceux qui ont analysé cette question, au premier rang desquels le Conseil d’État, qui nous a très chaleureusement recommandé de prévoir une prise en charge globale de l’ensemble des AMP.

D’ailleurs, le coût en est relativement modique, comme vous l’avez dit vous-même ; il est en tout cas peu élevé. Cela représentera un pourcentage supplémentaire faible, de l’ordre de 10 %, du coût investi dans l’AMP, car une partie des frais est déjà prise en charge pour les femmes qui sollicitent ces traitements à l’extérieur. Au bout du compte, il n’y aura pas de modification de l’équilibre. Nous aurons, au contraire, le plaisir de pouvoir dire que, comme toujours, nous offrons un égal accès, sans distinction de revenus, à toutes celles qui ont besoin de ces capacités d’aide à la procréation.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je ne peux qu’être d’accord avec M. le rapporteur. Je n’ajouterai qu’une précision, parce que j’ai senti une interrogation, un doute dans les propos de monsieur Bazin.

Nous conservons, bien entendu, la prise en charge à 100 % de tous les actes d’investigation de l’infertilité. Tout ce qui est nécessaire pour faire un diagnostic d’infertilité chez les couples hétérosexuels est évidemment toujours pris en charge à 100 %. Il existe un ticket modérateur pour les actes d’AMP en général, qui va être, bien entendu, étendu aux nouveaux publics pour que ce soit la même chose pour chacun.

Pour les femmes qui se donnent aujourd’hui les moyens d’aller faire une PMA en Belgique ou en Espagne, beaucoup de dépenses sont en réalité remboursées par l’assurance maladie, tels les examens qu’elles subissent en France et les médicaments. Il existe d’ores et déjà une forme de prise en charge de ces pratiques, alors même qu’elles sont réalisées dans d’autres pays.

M. Fabien Di Filippo. Je suis convenu, hier soir, d’un désaccord avec Mme la ministre, quand j’ai présenté un amendement du même acabit, afin que ces prestations ne soient pas prises en charge par la sécurité sociale. N’y revenons pas.

Vous soulignez la faiblesse des coûts, en citant des chiffres qui varient de 15 millions d’euros à 30 millions, comme si c’était une paille, mais aujourd’hui on remet en cause des hôpitaux de proximité et on ferme des services pour beaucoup moins que cela. À un moment donné, il faut réévaluer les luxes qu’on peut se permettre et les désirs qu’on peut satisfaire à l’aune des soins de proximité dont doivent bénéficier les populations.

Verra-t-on un jour ce dispositif de la PMA pour toutes pris en charge, au titre de l’aide médicale d’État (AME) ou de la couverture maladie universelle (CMU) pour des étrangers en situation régulière ?

M. Guillaume Chiche. Nous serons, naturellement, défavorables à l’adoption de ces amendements. Peut-être faut-il rappeler que la sécurité sociale a une vocation universaliste de solidarité. Aujourd’hui, alors qu’une partie des femmes peut recourir à la procréation médicalement assistée en bénéficiant d’une prise en charge par la sécurité sociale, il serait anormal d’ouvrir ce droit à l’ensemble des femmes en ne prenant en charge cette pratique médicale que pour une partie d’entre elles. Car tout le monde cotise à la sécurité sociale.

Je vais me permettre une petite incidente à l’intention de notre collègue Genevard. J’ai pris, chère collègue, connaissance de la publication d’un communiqué de presse, cosigné par un certain nombre de vos collègues, sur le déroulement de nos débats et sur l’ « attitude fermée » de la majorité, qui ferait bloc contre les oppositions. Faut-il préciser que, depuis le début de nos débats, les prises de parole, y compris au sein de la majorité, sont tout à fait libres ? Nombre d’amendements ont été présentés par des collègues de la majorité sans recueillir l’assentiment de l’ensemble du groupe, de l’exécutif gouvernemental ou même du rapporteur, sans qu’aucune consigne de vote de quelque nature que ce soit ait été donnée.

Le mécanisme d’adoption des amendements à la majorité tel qu’il se déroule actuellement dans notre commission dépasse donc largement les appartenances partisanes. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous tenons à avoir des échanges constructifs et apaisés, sans qu’aucun d’entre nous puisse se targuer de détenir une vérité absolue sur quelque sujet bioéthique que ce soit.

M. Raphaël Gérard. Cela n’a pas l’air évident pour tout le monde ici, mais les lesbiennes, comme les femmes célibataires, payent des cotisations sociales. J’ai quelquefois l’impression que, dans ce débat, on réfléchit comme si elles étaient en dehors de la société, en dehors de tout système. Au contraire, tout l’enjeu de ce texte est bien de les remettre au cœur de la société en leur donnant la capacité de faire famille.

Je voudrais aussi qu’on s’interroge sur le coût induit de toutes les PMA sauvages, ces PMA artisanales qui entraînent des problèmes de contamination et des difficultés dans l’accès aux soins. C’est une vraie réalité. Autoriser le remboursement des PMA pour les femmes seules comme pour les couples de femmes, c’est un moyen de lutter contre ce fléau, qui n’est pas forcément visible dans la société.

Enfin, pour avoir conduit nombre d’auditions et rencontré nombre de femmes qui sont allées, seules ou en couple, faire une PMA à l’étranger, je rappelle que beaucoup se sont lourdement endettées pour cela. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’on puisse accepter encore qu’un foyer soit dans l’obligation de s’endetter pour fonder sa famille et avoir des enfants.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Bien évidemment, le groupe MODEM est contre ces amendements. Je remercie Mme la ministre d’avoir rappelé que l’infertilité est bien prise en charge. J’ai moi-même déposé un amendement visant à renforcer le bilan d’infertilité, notamment pour les femmes dès l’âge de trente ans, car on sait que c’est l’âge auquel commence la perte de fertilité. Malheureusement, cet amendement a été jugé irrecevable, au motif qu’il induisait une augmentation de charges publiques. Je vous remercie de me confirmer que tout est bien pris en charge, madame la ministre.

Mme Emmanuelle Ménard. Cette intervention vaudra défense de mon prochain amendement, que je ne pourrai soutenir ici, ayant à faire dans l’hémicycle.

Il me semble qu’avec ce projet de loi, on transforme la PMA en une technique à la demande pour toutes, financée à 100 % par la sécurité sociale, que les causes de l’infertilité soient médicales ou non. Ainsi, on transforme en quelque sorte les médecins en prestataires de services.

Je pense, au contraire, que seules les PMA réalisées pour raisons médicales devraient être remboursées à 100 %. La prise en charge à 100 % de la PMA pour toutes met de côté les critères habituels de hiérarchisation des besoins de santé. Il en est ainsi de celui de la gravité de la maladie et de ses conséquences en termes de dégradation de l’état de santé ou d’espérance de vie. L’infertilité n’engage pas l’état de santé ou l’espérance de vie. Ce privilège réservé à l’AMP est donc problématique en termes d’équité.

Les données d’efficience et d’efficacité sont également mises de côté, compte tenu du coût élevé des fécondations in vitro (FIV) et de leur faible taux d’efficacité, de 10 % à 20 % selon la technique utilisée et le profil de la patiente. Parallèlement, des listes entières de médicaments sont retirées du panier, comme récemment les médicaments de lutte contre la maladie d’Alzheimer. Leur efficacité était certes contestée par des généralistes, mais pas par les neurologues ou les gériatres, qui leur reconnaissaient un effet frein envers la maladie.

D’autres maladies ne sont pas bien traitées en France. Par exemple les 250 000 à 300 000 malades de l’épilepsie sont souvent en déshérence, car il n’y a pas de budget consacré à cette maladie.

L’étendue de la prise en charge des prestations sanitaires ne cesse de diminuer, tandis que les mesures de limitation de l’offre de soins se multiplient. Une prise en charge de l’AMP non thérapeutique aggraverait le déséquilibre existant au détriment des malades, alors que les femmes concernées ne souffrent d’aucune maladie. Il me semble qu’il y a ici un grand paradoxe.

La commission rejette les amendements n° 31, n° 218 et n° 663.

Elle examine l’amendement n° 556 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Madame la présidente, avec votre permission, je répondrai préalablement à mon collègue Guillaume Chiche. Le sentiment que nous avons est fondé et étayé. Pendant les auditions, nous n’avons rien dit sur le fait que l’immense majorité des personnes entendues, en tout cas la majorité d’entre elles, étaient favorables au texte. Nous aurions pu, à ce moment-là, protester au motif que les points de vue auraient dû être plus équilibrés. Mais nous avons joué le jeu des auditions et nous y avons assisté.

Maintenant que nous avons commencé l’examen des articles, ceux d’entre nous qui ne partagent pas vos points de vue sur ce texte de loi ne vont pas protester quant au fait que leurs amendements ne sont pas retenus ; c’est la logique du jeu entre la majorité et l’opposition. En revanche, il y a bon nombre d’amendements qui visent à compléter et à améliorer le texte, et je crois que vous devez vous montrer plus ouverts. C’est l’esprit qui a toujours prévalu dans cette enceinte lors de l’examen des projets de lois de bioéthique. C’est la raison pour laquelle, au terme de cette deuxième journée d’examen de nos amendements, je forme le vœu que les rapporteurs et le Gouvernement soient plus attentifs à recevoir équitablement nos propositions.

Quant à mon amendement, c’est bien la question de la justice sociale que pose cette proposition de prise en charge complète du coût de l’extension de la PMA. L’étude d’impact le chiffre à environ 20 000 euros par couple, alors même que d’autres traitements comme, tout récemment, l’homéopathie ne sont plus pris en charge. Voilà bien ce qui fait débat aujourd’hui.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Si votre amendement visait à conforter encore davantage la prise en charge globale par la sécurité sociale de tous les actes de PMA pour toutes les femmes, j’aurais évidemment un immense plaisir à vous donner un avis favorable. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et je me vois donc contraint, à mon grand regret, de devoir prononcer un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 556.

Elle en vient aux amendements identiques n° 32 de M. Xavier Breton, n° 219 de M. Patrick Hetzel et n° 664 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Vous disiez, madame la ministre, que l’alinéa 41 n’allait rien changer. Reprenant l’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale, je lis que la participation de l’assuré peut être limitée ou supprimée « pour les investigations nécessaires au diagnostic de la stérilité et pour le traitement de celle-ci ». Or vous proposez de remplacer cet alinéa par les seuls mots : « pour les investigations nécessaires au diagnostic de l’infertilité », sans plus de précision !

Pourquoi supprimer « et pour le traitement de celle-ci » ? Pourquoi ne plus parler de stérilité, mais d’infertilité ? Il y a une nuance assez fine dans notre langue française, qui veut que la stérilité soit un état définitif, alors que l’infertilité peut être temporaire. Et lorsqu’il s’agit de fonder le recours à la PMA, notamment pour les couples hétérosexuels, on voit bien que c’est une des failles possibles dans les textes actuels.

Nous vivons dans un monde de tensions – tensions budgétaires, tensions sociales, comme on l’a vu, il y a encore quelques mois, autour des ronds-points. Les ressources sont limitées et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) nous alerte. Pour reprendre ses mots, il nous dit que la question des ressources se posera et que la société devra faire un choix sur ses priorités. Lorsqu’on a un budget contraint, que souhaite-t-on voir pris en charge par l’assurance maladie ? Quand on étend des droits, la question est de savoir ce qu’on va faire en moins ailleurs, dans un contexte de budget contraint. C’est une question de justice sociale. Tous nos concitoyens ont droit à une réponse claire sur cette question.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Madame la ministre va vous répondre, mais elle vous l’a déjà dit : vous vous inquiétez de façon exagérée d’un soi‑disant défaut de prise en charge du traitement de la stérilité, alors qu’il n’en est rien.

D’ailleurs, mettez-vous à la place à la place des équipes concernées : elles préfèrent identifier une cause de stérilité chirurgicalement curable ou d’autre nature ; elles préfèrent y remédier plutôt que d’effectuer des AMP à répétition jusqu’à ce qu’enfin, un premier enfant naisse, avant plusieurs autres AMP pour un deuxième enfant. Car le traitement de la stérilité, une fois qu’il est achevé, les grossesses se déroulent naturellement et de façon simple. Vous imaginez donc bien que les professionnels ne vont pas privilégier systématiquement l’AMP quand il y a un traitement possible de la stérilité.

Vos craintes vont être dissipées par Mme la ministre. Ce sont des fantasmes.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le mot « infertilité » est plus approprié que le mot « stérilité », parce qu’il couvre des causes beaucoup plus larges que cette dernière. Notamment, un couple peut être infertile sans que ses membres soient individuellement stériles. Une stérilité peut être due à une obstruction des trompes, mais tous vos organes génitaux peuvent aussi bien ne présenter aucune anomalie sans que cela empêche une infertilité due à l’incompatibilité entre le donneur et le receveur, à une anomalie de l’implantation de l’œuf ou à une anomalie hormonale. En réalité, prendre en charge à 100 % toutes les causes d’infertilité permet de couvrir toutes les causes, au-delà de la stérilité.

M. Thibault Bazin. Mais pourquoi supprimez-vous « et pour le traitement de celle-ci » ?

Mme Aurore Bergé. Dans l’article L. 160-14, au départ, l’alinéa 12 se référait à la question de la stérilité et au traitement de celle-ci. À partir du moment où l’on évoque plutôt l’infertilité, notion d’acception plus large, cette mention est supprimée par souci de cohérence dans l’article du code de la sécurité sociale.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends votre inquiétude, je vois bien le problème. L’objectif est clair : tout doit être pris en charge à 100 % pour les couples, et on ne doit pas changer l’existant. Je vérifierai que la nouvelle rédaction englobe bien la chirurgie de la stérilité, par exemple l’obstruction des trompes. Vous me prenez un peu de court avec cet amendement, je vous l’avoue, mais l’objectif est bien de prendre en charge à 100 % la totalité des causes d’infertilité des couples, notion plus large que la stérilité.

Mme Annie Genevard. Ce que je comprends de la modification du code de la sécurité sociale, c’est qu’en réalité, pour prendre en compte l’extension de la PMA aux couples de femmes, il faut passer de la notion de stérilité à la notion d’infertilité, qui englobe ce que vous appelez l’ « infertilité sociale ».

La question que pose mon collègue est tout à fait pertinente : vous résolvez le traitement de l’infertilité sociale par la PMA, mais cela laisse pendante la question du traitement de l’infertilité biologique. C’est la raison pour laquelle le texte, en l’état, ne saurait être satisfaisant, car il introduit véritablement un doute sur la prise en charge de l’infertilité des couples hétérosexuels.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Elle est englobée dans cette rédaction. La notion d’infertilité est seulement plus large, sans compter que des couples hétérosexuels peuvent souffrir d’infertilité sans être stériles. La définition que nous proposons est donc plus proche de la réalité de ce que vivent les couples.

Je vais néanmoins vérifier que toutes les situations sont bien englobées. S’il y a le moindre doute, nous reviendrons sur ce point par voie d’amendement.

La commission rejette les amendements n° 32, n° 219 et n° 664.

Elle est saisie de l’amendement n° 666 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Le fait de payer des cotisations sociales ne donne pas forcément droit à des prestations sociales. Cela dépend des besoins et des pathologies. D’ailleurs, c’est toute la distinction entre les envies et les besoins. Il faut faire attention aux arguments qui sont donnés. Par prudence, je pense qu’il aurait été raisonnable de garder la mention en question. Je prends acte de ce que ce n’est pas le choix qui a été fait. Néanmoins, je pense que c’est l’une des questions très importantes que nous devons traiter d’ici à la séance publique.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je réitère un avis défavorable sur tous les amendements qui remettraient en cause la prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale. Mme la ministre a très bien indiqué que la nouvelle rédaction n’hypothèque en rien la prise en charge intégrale du diagnostic et du traitement de l’infertilité.

M. Fabien Di Filippo. Une remarque tout de même : la notion d’infertilité ne permettra pas d’échapper au problème quand il s’agira de la prise en charge du désir de grossesse des femmes seules. Leur situation ne correspond ni à de la stérilité ni à de l’infertilité. À ce moment-là, se posera un troisième problème, d’ordre sémantique, juridique et politique, qui n’est pas couvert par ce texte.

On ne peut pas nous reprocher de ne pas vouloir soigner les personnes, qu’il s’agisse de femmes seules ou de couples lesbiens. C’est un argument un peu facile. Tout le monde est soigné de la même manière. En l’occurrence, pour nous, il ne s’agit pas d’un soin. C’est sur ce point que porte notre désaccord. Par pitié, ne cédez donc pas à la facilité, en balayant simplement d’un revers de main tout ce que nous proposons, en nous disant : « Vous ne voulez plus soigner les gens qui forment des couples homosexuels ! »

Quand nous entendions proposer une révision du champ d’application de l’AME, on nous disait de même : « Vous ne voulez plus soigner les petits enfants en situation irrégulière ! » Et, finalement, aujourd’hui, cette même majorité nous explique que le champ de l’AME est peut-être excessif et devrait être revu. Ce sera bientôt votre cas, madame la ministre, et vous vous rallierez à mes arguments ! De même, je serai heureux d’être une bonne source d’inspiration pour vous dans le domaine de l’AMP.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Je voudrais répondre à mon collègue Bazin, mais aussi, peut-être, à mon collègue Vigier. Il me semble vous avoir entendu dire que les cotisations, finalement, ne donnent pas automatiquement des droits. Pour ma part, il me semble qu’en termes de solidarité nationale, il faudrait cesser de faire le distinguo entre les citoyens selon leur orientation sexuelle. Car tel est un peu le fond du propos. Cela me choque de toujours entendre cet argument.

M. Patrick Hetzel. De plus en plus, nos concitoyens, alors qu’ils sont malades, sont confrontés au fait qu’un certain nombre de soins ne sont plus remboursés à 100 %. On a notamment déclassifié des affections de longue durée, ce qui a un certain nombre d’incidences. Aujourd’hui, on peut donc se demander s’il est raisonnable, vu les tensions budgétaires sur les comptes sociaux que nous connaissons, d’aller dans cette direction-là. C’est un sujet de fond.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. On sort du débat, mais je ne peux pas laisser dire des choses pareilles, monsieur Hetzel. Je sors d’une réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui s’est tenue hier. Toutes les opérations de mesure et toutes les évaluations conduites aujourd’hui par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) sur l’accès aux soins des Français montrent que le reste à charge n’a cessé de diminuer pour eux. Il est le plus bas d’Europe, à 7 %. Il diminue de 1 % par an quasiment.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que des soins ne sont plus pris en charge à 100 %. Quand les soins ne sont plus remboursés dans ce pays, c’est parce qu’ils ont été évalués comme inefficaces ou nocifs. Il n’y a pas d’autre raison. Cette évaluation relève d’une autorité indépendante, la Haute Autorité de santé (HAS). Il ne s’agit pas de choix politiques. Il faut arrêter de faire croire aux Français qu’aujourd’hui, on rembourse ou on dérembourse quoi que ce soit pour des raisons idéologiques – et encore moins pour des raisons budgétaires, monsieur Di Filippo.

Quand on voit les médicaments qu’on prend en charge aujourd’hui dans ce pays, ce doit être notre fierté : nous prenons en charge des médicaments pour des maladies rares, dont le coût s’élève à 1 million d’euros par patient. Nous l’assumons et nous continuerons à l’assumer, parce que c’est ce qui fait la fierté de la France en termes d’accès aux soins. Vous pouvez donc compter sur l’engagement de cette majorité, et sur l’engagement de la ministre de la santé que je suis, pour permettre aux Français d’avoir toujours accès aux soins dans les conditions actuelles.

La commission rejette l’amendement n° 666.

Elle examine les amendements identiques n° 34 de M. Xavier Breton, n° 221 de M. Patrick Hetzel, n° 781 de M. Alain Ramadier et n° 2002 de M. Gilles Lurton.

M. Alain Ramadier. Je vais défendre à la fois les amendements n° 34 et n° 781.

La médecine est-elle là pour soigner ou pour répondre à des désirs ? Cette question lancinante n’a fait l’objet d’aucun approfondissement sérieux au cours de nos échanges. Il me semble que la médecine a vocation à soigner et que la sécurité sociale a vocation à rembourser les soins qui ont trait à cet objectif.

Que répondre aux couples malades, stériles ou infertiles qui peinent à trouver réponse à leurs maux ? Des raisons psychologiques peuvent être des freins à la fertilité, aussi bien chez l’homme que chez la femme : la peur du poids de la responsabilité, une enfance battue, une agression sexuelle, un désir d’enfant obsédant… C’est à ces causes médicales que la société, à travers la sécurité sociale, doit avant tout dédier ses moyens. Or, en éliminant le financement à 100 % des traitements de la stérilité, pour le réserver uniquement aux techniques d’AMP, comme le prévoit cet article, nous choisissons le chemin de la facilité. La technique n’est qu’un palliatif, elle n’est en aucun cas une réponse. Elle ne saurait se substituer à ce qui est au fondement de la science et de son pendant éthique : le souci de percer les mystères du corps humain dans le respect des limites de sa condition.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 221 est identique. À propos de la prise en charge, madame la ministre, nous ne nous comprenons pas.

Je pense que vous devez quand même rencontrer des associations de malades ou des familles… Prenez, par exemple, l’état de la psychiatrie en France aujourd’hui. Là, il y a vraiment un problème de prise en charge. Le suivi des enfants qui sont atteints de troubles du spectre autistique constitue, lui aussi, un vrai sujet. Vouloir dire que tout va bien, en déclarant : « Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le député », c’est ignorer la réalité. Il y a un moment où vous ne pouvez plus simplement balayer d’un revers de main les problèmes qui se posent dans le cadre de votre portefeuille ministériel.

Car cette question se pose, nos concitoyens nous la posent lorsque nous sommes en circonscription. Je vous assure que je ne peux pas alors l’esquiver, comme vous êtes en train de le faire, parce que nos concitoyens nous rappellent immédiatement à nos responsabilités.

M. Gilles Lurton. Avec l’alinéa 43, on passe d’un système de soins remboursés par la sécurité sociale pour cause d’infertilité à une technique à la demande, financée à 100 %. Avec ce texte ouvrant la procréation médicale assistée à tous les couples de femmes et aux femmes non mariées et prévoyant, dans l’alinéa 43, le remboursement à 100 % pour tous, nous ne sommes plus, de mon point de vue, dans l’objet de la sécurité sociale, à savoir couvrir les pertes de revenus occasionnées par le chômage, la maladie ou encore les accidents de travail.

C’est pourquoi, par mon amendement n° 2002, je vous propose de supprimer l’alinéa 43.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La question a été posée de savoir quel est le but de la médecine. La médecine a pour but de maintenir l’ensemble de nos concitoyens dans le meilleur état de santé. Quant à la définition de la santé, celle donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est la suivante : « état de bien-être physique, mental et social ». Voilà le but de la médecine.

Cela passe effectivement parfois par des traitements thérapeutiques de maladies avérées. Parfois, cela passe directement par la prévention des maladies : c’est encore mieux quand on peut maintenir un bon état de santé et empêcher le développement de maladies. Telle est la fonction la médecine, et donc de la prise en charge par l’assurance maladie.

Ce que nous vous demandons ici s’inscrit ainsi tout à fait dans ses missions. C’est pourquoi nous proposons de rejeter vos amendements.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Mes chers collègues, j’entends ici votre difficulté à conceptualiser que la sécurité sociale pourrait finalement rembourser un acte médical qui ne soignerait pas. Effectivement, ce n’est pas le cas de la PMA pour les femmes concernées, puisque, de toute façon, il n’y a, chez elles, rien à soigner. Dès lors, remettez-vous en cause aujourd’hui le remboursement de la contraception ?

La commission rejette les amendements n° 34, n° 221, n° 781 et n° 2002.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 33 de M. Xavier Breton, n° 220 de M. Patrick Hetzel, n° 665 de M. Thibault Bazin et n° 2038 de M. Gilles Lurton.

M. Thibault Bazin. J’ai trouvé dommage que la discussion engagée tout à l’heure sur la suppression des mots « pour le traitement de celle-ci » n’ait pas abouti.

Mais je veux revenir sur la question du critère médical de l’accès aux soins. Sur nos territoires, il y a des incompréhensions au sujet d’un certain nombre de déremboursements. Vous nous dites, madame la ministre, que le critère médical est pris en compte et que c’est la Haute Autorité de santé qui décide du déremboursement ou du remboursement. Mais si elle prend en compte le critère médical pour ne plus rembourser un certain nombre de médicaments, qui d’ailleurs avaient pourtant des effets pour les patients, mais qu’elle ne le prend pas en compte lorsqu’il s’agit de prendre en charge certaines techniques, il y a là une profonde incohérence. On peut même y voir tout à fait légitimement une injustice.

M. Gilles Lurton. L’amendement n° 2038 est de repli par rapport à l’amendement n° 2002 que vous venez de refuser.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Bazin, les actes médicaux sont évalués en fonction de leur capacité à atteindre un objectif. Pour la procréation, il se trouve que c’est l’Agence de la biomédecine, et non la Haute Autorité de santé, qui évalue l’efficience des actes.

M. Thibault Bazin. Les taux de réussite ne sont pas bons !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Vous pouvez considérer que les taux de réussite ne sont pas bons, mais, à l’arrivée, il y a quand même des bébés qui naissent. Donc, il est considéré que les procédures fonctionnent ! Si aucun acte d’AMP n’aboutissait à un bébé, ces actes ne seraient pas remboursés. L’acte est évalué : s’il est efficace, il est remboursé. De la même façon, les médicaments sont évalués par la Haute Autorité de santé et, s’ils sont efficaces, ils sont remboursés.

La commission rejette les amendements n° 33, n° 220, n° 665 et n° 2038.

Elle en vient à l’amendement n° 1830 de Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Il s’agit de demander aux centres d’AMP de remettre annuellement à l’Agence de la biomédecine un rapport présentant le bilan et le suivi de leurs demandes, pour mesurer l’impact de cette loi dans les centres d’assistance au sein de chaque territoire et avoir une vision précise de la situation, année après année, de l’évolution des demandes et de leur traitement. Il s’agit aussi d’apprécier plus précisément l’équité territoriale, puisque, comme nous l’avons déjà indiqué, nous sommes attentifs au maillage et à l’accès à l’AMP partout sur le territoire.

L’absence de suivi des demandes nous empêche aujourd’hui de mener une telle étude approfondie. C’est la raison pour laquelle, avec la création du fichier national, et pour harmoniser les bonnes pratiques dans les différents centres, nous pensons que ce rapport serait utile pour évaluer et améliorer notre fonctionnement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1830.

Elle est saisie de l’amendement 1979 de Mme Marie TamarelleVerhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Il s’agit de prendre le temps d’une évaluation, en 2025, de l’extension de l’AMP au regard, notamment, de l’évolution des dons, de la prise en charge par l’assurance maladie et de ses impacts financiers, ainsi que de l’évolution de l’activité des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS). Nous disposerions ainsi de données claires et objectives qui nous permettraient d’orienter cette politique de la meilleure façon possible.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis de sagesse. Il est effectivement bénéfique de pouvoir disposer d’une évaluation. J’ajouterai que cette évaluation devrait même être étendue à l’ensemble des CECOS, dans tous les départements. Nous obtiendrions ainsi, non seulement une bonne photographie de l’état actuel, mais surtout, une vue de l’évolution observable à la suite des nouvelles mesures qui vont être prises.

Je crois que développer des rapports d’évaluation aurait un sens, car cela nous permettrait de mieux piloter l’évolution de cette politique dans les prochaines années.

La commission adopte l’amendement n° 1979.

Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La commission est saisie des amendements identiques n° 919 de M. Thibault Bazin et n° 1459 de M. Pierre Vatin.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 919 vise à exclure de la prise en charge de l’AMP les bénéficiaires de l’aide médicale d’État, c’est-à-dire les étrangers en situation irrégulière, car il ne s’agit manifestement pas d’une question de santé publique.

Le coût total de l’AMP est en effet estimé à près de 20 000 euros alors que l’AME concerne l’accès aux soins. Si l’on suit votre logique, il n’est pas possible d’intégrer les bénéficiaires de l’AME à l’extension de cette technique.

M. Pierre Vatin. L’amendement n° 1459 est identique. Il me semble, en effet, qu’il n’y a pas d’urgence sanitaire, donc qu’il n’y a pas lieu de délivrer un traitement à des étrangers en situation irrégulière, qui n’ont pas vocation à le recevoir.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Le problème ne se pose pas compte tenu du périmètre et des conditions de l’AME. Je vous suggère de retirer vos amendements, sinon, avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le traitement de l’infertilité et l’AMP étant d’ores et déjà exclus du panier de soins de l’AME, ces amendements sont satisfaits. Nous vous proposons donc de les retirer.

M. Fabien Di Filippo. Ils n’en sont pas exclus : ils n’y figurent pas. Nous aimerions avoir la garantie de leur exclusion tant de la couverture maladie universelle pour les étrangers en situation régulière, que de l’AME.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Bazin ?

M. Thibault Bazin. Si, dans deux ans, les personnes en situation irrégulière n’étaient plus présentes sur le territoire national, la question ne se poserait pas, vu la longueur des délais dans ce domaine. Écrivons donc dans loi que cela n’est pas possible !

M. Olivier Véran. Je ne pensais pas que l’on ouvrirait un débat sur l’AME ce soir alors qu’il a été tranché depuis un moment, lorsque nous avons défini le panier de soins destiné aux personnes étrangères en situation de précarité.

L’AME concerne des gens qui sont en France depuis au moins trois mois et qui se situent sous un certain seuil de revenus. Ses conditions d’attribution sont très particulières et je ne crois pas que ces personnes viennent en France dans le but de bénéficier de la PMA. Sans doute quittent-elles bien plutôt un pays dans lequel les conditions de vie sont difficiles et cherchent-elles autre chose en France.

Le panier de soins dont elles bénéficient est extrêmement restrictif, car il exclut non seulement l’AMP mais aussi les cures thermales.

Par ailleurs, il est toujours opportun de rappeler que ces populations souffrent en particulier de maladies chroniques.

Mme Annie Genevard. Depuis que l’AME a été créée, madame la ministre, le panier de soins a-t-il évolué ? J’ai tendance à penser que oui compte tenu de l’évolution de son coût pour le budget de la nation. Rien n’interdit donc de considérer que d’autres évolutions soient possibles.

J’ajoute que, comme vous le savez, madame la ministre, la présence d’un enfant garantit la possibilité de rester sur le territoire national pour une femme ou pour un couple en situation irrégulière. La question que nous posons n’est donc pas totalement infondée.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous pouvons débattre longuement de l’AME et je ne doute pas, monsieur Di Filippo, que nous aurons cette conversation tous les deux, comme chaque année, dans le cadre du projet de loi de finances.

Le panier de soins de l’AME est restreint depuis des années. Si son coût évolue, c’est en raison de l’évolution de celui des médicaments, des traitements. Il demeure bien inférieur à celui de la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire – les médicaments, notamment, n’y sont pas remboursés à 15 %, les cures thermales n’y sont évidemment pas incluses, de même que tout ce qui relève de la procréation médicalement assistée, et il n’a pas vocation à augmenter.

Nous ne souhaitons pas une inscription spécifique dans la loi, car cela me semblerait stigmatisant.

La commission rejette les amendements identiques n° 919 et n° 1459.

Elle examine ensuite l’amendement  579 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Cet amendement vise à inscrire dans le code civil qu’est interdite toute intervention ayant pour but ou conséquence de concevoir un enfant qui ne serait pas issu de gamètes provenant d’un homme et d’une femme. Cela est évidemment lié au développement des recherches sur les cellules souches pluripotentes (IPS).

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous avons déjà discuté de cette question et nous sommes convenus qu’elle serait abordée à l’article 14, relatif à la recherche sur l’embryon.

Il s’agit d’un problème important contre lequel nous devons nous prémunir. En l’état, l’utilisation des cellules IPS pour la procréation relève de la recherche, non d’une application pratique pour l’espèce humaine.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Un retrait, donc, ou un avis défavorable.

Mme Annie Genevard. Je retire l’amendement compte tenu de l’engagement de M. le rapporteur d’inscrire une telle disposition à l’article 14. Tel est bien le sens de votre propos, n’est-ce pas ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En effet.

L’amendement  579 est retiré.

La commission examine, en présentation groupée, les amendements  1671 et n° 1669 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Ces amendements ont trait à la PMA post mortem, dont nous avons déjà longuement parlé ce matin, l’amendement n° 1669 visant à interdire d’exporter les gamètes d’un défunt pour procéder à l’étranger à une insémination post mortem.

Nous avons déjà souligné ce matin le paradoxe qu’il y a à autoriser une femme à procéder à une PMA lorsqu’elle est seule et à ne pas le lui permettre à partir des gamètes de son mari défunt puisque cela reviendrait à procéder, si j’ose dire, à un « don fléché ». Cela peut sembler injuste, mais le problème n’est pas tant l’impossibilité, pour une veuve, de recourir à une PMA post mortem ; il est, à la base, que l’on accorde à une femme seule la possibilité d’accéder à la PMA.

Normalement, l’insémination post mortem est interdite en France mais, si les gamètes sont envoyés à l’étranger, elle devient possible. Le cas s’est d’ailleurs déjà présenté. En 2016, la presse a rapporté l’exemple d’une femme française qui, pour la première fois, a pu utiliser le sperme de son mari défunt. C’est le tribunal administratif de Rennes qui a ainsi enjoint au CHU d’exporter le sperme d’un homme décédé et d’opérer un transfert de la semence hors de France pour permettre à sa veuve de recourir à une insémination.

Certes, la situation était très particulière puisque le mari de cette femme était décédé au mois de janvier suite à une maladie, alors qu’elle était enceinte, et qu’au cours du même mois, celle-ci a perdu son enfant in utero, à quelques jours du terme. Les juges ont choisi de prendre en compte ce cas de figure si spécifique et ont autorisé cette dame à exporter les gamètes de son mari à l’étranger pour pouvoir recourir à une insémination post mortem.

Même si je comprends la douleur d’une telle situation, on voit là que la loi peut être détournée. Il conviendrait donc d’écrire noir sur blanc qu’un gamète ne peut être utilisé dans le cadre d’une procréation médicalement assistée que lorsque le donneur est en vie au moment de l’insémination – c’est l’objet de l’amendement n° 1671 – et qu’il n’est pas possible d’exporter les gamètes d’un défunt pour procéder à l’étranger à une insémination post mortem.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’amendement n° 1671 est satisfait puisque l’insémination post mortem n’est pas autorisée en France.

Il n’est pas souhaitable, en revanche, que le n° 1669 soit satisfait. Vous avez vous-même rappelé la jurisprudence, l’avis très clair du Conseil d’État : rien ne justifie d’interdire à quelqu’un de poursuivre son projet dans un autre pays.

Je vous propose donc de retirer l’amendement n° 1671, et donne un avis défavorable au n° 1669.

Mme Emmanuelle Ménard. Je maintiens les deux, car ils démontrent qu’il est possible de détourner la loi. Ce n’est pas parce qu’il est possible de procéder ainsi à l’étranger qu’il est souhaitable de faire de même en France.

La commission rejette successivement les amendements  1671 et  1669.

La commission examine, en présentation groupée, les amendements  604 et n° 605 de M. Lionel Causse.

M. Lionel Causse. Bien que le recours à la PMA ne relève pas d’un comportement à risque et qu’aucune étude scientifique sérieuse n’ait mis en évidence un risque accru de maladies qui y soient liées, certaines compagnies d’assurance insèrent systématiquement dans leur contrat, notamment leur contrat d’assurance emprunteur pour un achat immobilier, une exclusion de garantie dans la prise en charge de l’incapacité temporaire ou permanente de travail frappant les affections liées à « toute procréation médicalement assistée, grossesse pathologique, ou précieuse », dès lors qu’une femme déclare y avoir recouru par le passé, même dix ans plus tôt, ou déclare y avoir recours.

L’amendement n° 604 tend à interdire, dans les contrats d’assurance, toute clause excluant du champ de la garantie les affections résultant d’une procréation médicalement assistée, d’une grossesse pathologique d’une femme non ménopausée, ou d’une grossesse précieuse. L’amendement n° 605 est de repli.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous dénoncez les abus de certaines assurances qui, dans le but de se protéger, vont tellement loin qu’elles refusent de couvrir des risques même infimes. Je comprends tout à fait ce que cela peut avoir de choquant et de pénalisant pour les personnes concernées. Sagesse.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Vous souhaitez interdire à des assurances d’exclure de leur garantie des grossesses pathologiques, or les maladies entrent dans le cadre de la convention AERAS
– S’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé. Les assurances ont toujours le droit d’exclure des pathologies de leurs contrats mais, dans le cadre de cette convention, elles doivent proposer des garanties, conditionnées au paiement de surprimes. La loi prévoit déjà que tout ce qui relève des pathologies entre dans la convention AERAS.

M. Lionel Causse. J’ai sous les yeux un contrat d’assurance indiquant clairement qu’acceptées aux conditions normales du contrat, les garanties ITT, IPT, IPP sont exclues pour certaines affections – qui sont citées – et pour les suites et conséquences de toute procréation médicalement assistée, grossesse pathologique ou précieuse.

Venant du secteur bancaire, je peux vous dire que c’est la réalité.

Il s’agit donc d’interdire aux établissements d’assurance d’appliquer une telle clause à des personnes ayant bénéficié de ce type d’intervention. Cela emporte, en effet, des conséquences importantes sur les crédits, les emprunts immobiliers, sans qu’aucune raison scientifique n’atteste qu’une maladie résulte de telles pratiques.

M. Charles de Courson. Cet amendement a-t-il une portée ? En d’autres termes, les conséquences dommageables d’une procréation médicalement assistée ne sont-elles pas déjà couvertes à 100 % dans le cadre de l’AMP ? Si tel est le cas, cette exclusion n’a aucune portée. Comment la sécurité sociale prend-elle donc en charge les affections résultant d’une PMA ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Quoi qu’il en soit, une femme enceinte est prise en charge à 100 % mais ce n’est pas de cela que nous parlons. Nous parlons bien, par exemple, d’une incapacité majeure voire d’un décès liés à des grossesses multiples mal prises en charge ? M. Causse n’évoque pas la question des complémentaires santé mais bien celle des assurances de prêts emprunteurs ?

M. Lionel Causse. En effet.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Normalement, les assureurs ont le droit d’exclure ce type de couvertures ou de clients potentiels. Il s’agit d’un secteur totalement marchand, commercial. Pour m’être confrontée à eux, je sais ce qu’il en est : ils ont le droit d’exclure, et vous avez le droit de ne pas choisir un assureur qui procéderait ainsi.

Moralité : une exclusion en raison d’une pathologie relève forcément de la convention AERAS.

Il existe nécessairement une clause pour une prise en charge mais elle implique des surprimes. Je ne sais pas à quel point l’interdiction que vous proposez aurait la moindre portée juridique.

M. Philippe Gosselin. C’est l’occasion de parler des conventions AERAS, qui soulèvent quelques petits problèmes.

Je sais que vous avez signé une nouvelle convention voilà quelques semaines, et il fallait le faire mais, au-delà de nos désaccords de fond sur la PMA, notre collègue a posé une vraie question. Il ne faudrait pas, en effet, qu’une complication soit considérée comme une pathologie d’exclusion qui entraînerait des surcoûts et que le signataire de l’assurance emprunteur, par exemple, soit dirigé vers l’AERAS alors que celle-ci ne prend pas en charge, ou à des coûts exorbitants, un certain nombre d’éléments.

En l’occurrence, il ne s’agit pas du traitement d’une pathologie en tant que telle, d’une affection de longue durée, mais des conséquences d’un autre acte. Sans polémique aucune, c’est là une bonne et vraie question. Sans doute serait-il sage d’adopter cet amendement, car une telle disposition s’imposerait ainsi aux compagnies financières, aux assurances, etc. À moins que nous ne disposions d’une autre porte de sortie…

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Dans une assurance emprunteur, l’assureur relève du secteur marchand et a le droit d’exclure tout public cible s’il considère qu’il présente un sur-risque de pathologies ou de complications ne lui permettant pas de rembourser son prêt.

Un public exposé à un sur-risque médical relève de la convention AERAS.

M. Philippe Gosselin. Devrait relever !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Devrait relever de la convention AERAS.

D’ici au débat en séance publique, j’essaierai d’avoir confirmation de la portée, ou non, de cet amendement. Si nous sommes capables d’imposer aux assureurs de ne pas procéder à certaines exclusions, on souhaiterait que ce soit le cas pour toutes les pathologies ! Or, si les grossesses suite à une AMP présentent vraiment un sur-risque – notamment après des grossesses multiples –, il n’est pas possible d’empêcher un assureur d’imposer une surprime.

M. Lionel Causse. Une dame atteinte d’un cancer, demain, ne pourra pas faire jouer son assurance parce qu’elle a bénéficié d’une PMA alors qu’aucun lien ne sera établi avec sa maladie.

Je me propose de retirer ces deux amendements afin que, d’ici à la séance publique, les points soulevés par Mme la ministre soient étudiés.

Les amendements  604 et n° 605 sont retirés.

La commission est saisie des amendements identiques n° 166 de M. Xavier Breton, n° 354 de M. Patrick Hetzel, n° 918 de M. Thibault Bazin et n° 1093 de M. Philippe Gosselin.

Mme Josiane Corneloup. Dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé et au moment où des listes entières de médicaments sont retirées de la prise en charge, il est nécessaire de connaître le coût de l’AMP appliquée selon les nouvelles dispositions afin de mieux apprécier son impact budgétaire. Tel est l’objet de l’amendement n° 166.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 354 vise à avoir des certitudes chiffrées car, aujourd’hui, nous ne disposons que d’estimations et des écarts importants existent, allant pratiquement du simple au double. Nous devons disposer des chiffres exacts dès la mise en œuvre du dispositif.

M. Thibault Bazin. Certains ont ironisé lorsque j’ai évoqué la prise en charge de la PMA pour les bénéficiaires de l’AME. Or je me suis renseigné : un rapport de l’Inspection générale des finances fait état de cette pratique. Depuis, un décret retirant la PMA du panier de soins a été pris, mais cela montre bien qu’elle pourrait y être incluse à nouveau.

Par l’amendement n° 918, nous demandons que soit remis au Parlement un rapport, qui s’avérerait particulièrement intéressant au moment où l’on se pose la question de l’évaluation de nos politiques publiques. Nous disposerions ainsi d’une certitude comptable suite aux décisions qui seront prises, étant entendu qu’il y a une polémique sur les chiffres avancés dans l’étude d’impact quant au nombre de personnes qui se rendent à l’étranger. Chiffres triennaux, chiffres annuels, nous avons du mal à mesurer la part qui relève plutôt du confort ou de l’obligation. Une telle évaluation, à terme, est importante.

M. Philippe Gosselin. Nous venons de débattre des remboursements, de la part de la sécurité sociale, des finances publiques… Il serait très intéressant de disposer d’un bilan mesurant précisément les conséquences financières de ce dispositif, et c’est l’objet de l’amendement n° 1093.

Puisque vous êtes sûre d’un montant de 15 à 30 millions, même si ce n’est pas rien, eh bien, banco ! Ayons de vrais chiffres, ayons un vrai bilan ; cela évitera bien des fantasmes et devrait même vous rendre service !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’amendement n° 1979 de Mme Tamarelle-Verhaeghe à l’article 1er satisfaisant vos demandes, il est inutile de remettre un nouveau rapport. Nous vous proposons un retrait.

M. Philippe Gosselin. Nous ne cherchons pas à nous obstiner. En témoignage de bonne volonté, je retire mon amendement, dès lors qu’il est effectivement satisfait.

Les amendements n° 166, n° 354, n° 918 et n° 1093 sont retirés.

La commission en vient à l’amendement  1227 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Cela a été dit, le territoire français est émaillé de nombreux centres de PMA, qui se caractérisent par une certaine disparité, notamment en termes de taille, de niveau d’activité, mais aussi de succès. Cet amendement a pour objectif d’initier une réflexion approfondie sur la structuration actuelle des établissements spécialisés dans l’AMP afin d’assurer une égalité des chances pour les couples et les femmes qui y recourent, étant entendu que cela implique et impliquera encore plus demain de disposer des plateaux techniques les plus élaborés.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cette demande va au-delà du rapport souhaité par Mme Tamarelle-Verhaeghe et permet, en effet, de dresser un état des lieux de l’ensemble des centres, de leurs disparités, de leurs résultats, des possibilités d’amélioration des uns et des autres.

Alors que nous nous apprêtons à leur confier des missions supplémentaires, il peut être opportun de se poser ces questions. Je formule donc un avis de sagesse.

La commission adopte l’amendement n° 1227.

Elle examine ensuite l’amendement  1836 de M. Matthieu Orphelin.

M. Matthieu Orphelin. Cet amendement fait suite à certaines auditions et à des échanges sur le terrain. La loi, les procédures évoluent et, selon certains organismes, personnes ou associations, il est nécessaire d’assurer une formation continue des personnels de différents secteurs, dont la santé et la justice. Il s’agit d’un amendement d’appel pour mettre en évidence un tel enjeu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous demande de retirer votre amendement, car le nombre de rapports demandés risque d’être excessif. S’il convient de compléter le champ des deux rapports que nous avons adoptés, des ajouts sont possibles, mais il n’est pas envisageable de multiplier les rapports à l’infini.

M. Matthieu Orphelin. Je le retire, mais c’est une vraie question. Nous ne sommes pas à un rapport près et l’enjeu, en l’occurrence, est bien réel, comme nous l’avons vu lors des auditions.

L’amendement n° 1836 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement  578 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Je souhaite revenir sur le flou qui, dans l’étude d’impact, entoure l’évaluation du nombre de femmes françaises se rendant à l’étranger pour bénéficier d’un don de gamètes. Ces chiffres sont confus dès lors que trois années sont agrégées pour aboutir à un nombre de 2 000 à 3 000 cas par an. En réalité, il serait largement inférieur à 1 000, ce qui relativise le nombre de personnes concernées par cette loi.

Cet amendement propose de soumettre au Parlement, avant le 31 décembre 2020, un rapport faisant état du nombre de femmes françaises qui ont recouru à l’assistance médicale à la procréation à l’étranger pendant la décennie 2009-2019 et du coût total que ces recours auraient occasionné pour le budget de l’assurance maladie s’ils avaient eu lieu en France et s’ils avaient été totalement pris en charge.

Imposer au Gouvernement de déterminer avec précision le nombre d’enfants nés d’une PMA réalisée à l’étranger, en moyenne annuelle, et le coût qui résulterait de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes n’est pas indifférent en matière de prévision de dépenses de santé.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous supposez que le nombre de PMA pour des femmes seules ou en couple sera équivalent au nombre de femmes qui ont été à l’étranger. Or ce ne sera probablement pas le cas puisque certaines sont dissuadées de s’y rendre pour des raisons de coûts ou d’éloignement. L’indication ne serait donc pas précise pour l’avenir.

Nous disposons de quelques données que nous avons obtenues en comparant ce que nous avons pu évaluer, en France : le nombre des examens effectués dans les centres d’AMP en vue de cette procréation médicalement assistée, le nombre des naissances puisque ces enfants sont suivis en France. Nous avons aussi des chiffres déclarés par la Belgique ou l’Espagne, pour ne citer que ces deux pays, qui ont enregistré le nombre de femmes françaises qui ont recouru à leurs centres.

Je n’ai pas ces chiffres sous les yeux ; du reste, ils ne sont pas précis à l’unité près. Je ne dirais pas, en revanche, qu’ils permettent d’extrapoler le nombre exact d’AMP pour des femmes seules ou en couple après la promulgation de la loi en France.

Avis défavorable.

Mme Annie Genevard. Pourrais-je disposer de ces chiffres pour le débat en séance publique ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En Belgique, quelques centaines de femmes étaient concernées. Je n’ai pas les autres chiffres, mais vous aurez l’ensemble pour le débat en séance.

La commission rejette l’amendement n° 578.

Article 2
Assouplissement du don de gamètes et autorisation de leur autoconservation

La commission est saisie des amendements identiques n° 35 de M. Xavier Breton, n° 222 de M. Patrick Hetzel, n° 667 de M. Thibault Bazin et n° 1057 de M. Philippe Gosselin.

Mme Josiane Corneloup. L’amendement n° 35 vise à supprimer cet article, qui ouvre la possibilité d’une autoconservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes, une telle possibilité risquant de conduire à des frustrations et à des dérives. L’autoconservation ne conduit pas toujours à une grossesse et ce procédé est susceptible d’encourager les grossesses tardives qui, nous le savons, sont souvent à risque pour la femme et pour l’enfant. Par ailleurs, certaines femmes pourraient subir des pressions de leur employeur leur demandant de repousser leur projet parental pour privilégier leur emploi.

M. Thibault Bazin. Cet amendement n° 667 de suppression de l’article 2 se justifie dès lors que vous n’adopterez sans doute pas des amendements que nous discuterons ensuite.

Cet article ouvre la possibilité, sans limite sérieuse, d’une autoconservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes. Une telle disposition pourrait avoir des conséquences dommageables. N’encouragerait-elle pas des grossesses tardives, davantage à risque pour la femme et pour l’enfant, contrevenant ainsi à la prévention ? Ne pourrait-on pas craindre des pressions des employeurs demandant le report des projets parentaux pour privilégier l’activité économique à court terme ? Le service public même pourrait ne pas être épargné, le témoignage de jeunes médecins va dans ce sens. La femme serait alors moins libre de devenir maman à un âge pourtant plus adapté pour sa santé et celle de l’enfant.

L’autoconservation de gamètes est déjà possible pour des raisons bien définies et se pratique d’ailleurs dans des proportions plus importantes que celles du don de gamètes. Peut-être d’autres raisons médicales pourraient-elles justifier cette autoconservation – nous pourrions les étudier –, mais il ne faut pas, à mon sens, élargir une telle possibilité au-delà des motivations médicales.

Lorsque l’on rédige une loi, il convient aussi de veiller à son effet incitatif ou dissuasif. Il convient, en l’occurrence, de faire en sorte que le recours à la technique ne soit pas encouragé. Pour la santé de la femme, il est préférable d’envisager un projet d’enfant par les voies naturelles aux périodes propices de sa vie.

M. Philippe Gosselin. L’article 2 généralise quasiment l’autoconservation de gamètes. Que cela puisse se faire dans un certain nombre de cas, bien sûr ; que l’on élargisse, le cas échéant, les possibilités d’une extension, pourquoi pas, le débat mérite d’avoir lieu ; mais une ouverture quasi absolue est l’exemple même d’une fausse bonne idée qui présente des risques de dérives.

Un certain nombre d’éléments ont été pointés – grossesses tardives, pression des employeurs – qu’il ne faut pas exclure. Il est, en effet, facile et un peu spécieux de dire : « Vous êtes jeune, attendez un peu, veillez à votre carrière, vous avez bien le temps, etc. »

Des courses contre la montre peuvent être évidemment engagées – je n’oublie pas qu’avec l’âge, la fertilité diminue –, mais une généralisation nous paraît dangereuse. Tel que formulé, l'article 2 doit être supprimé, même si un élargissement du dispositif reste toujours possible.

Nous sommes ainsi contraints d’exprimer un « oui, mais » à travers l’amendement n° 1057.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’autoconservation des gamètes n’est pas systématisée.

M. Philippe Gosselin. Quasiment !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Non, bien des Françaises ne procéderont pas à la vitrification de leurs ovocytes ni des Français à la congélation de leurs spermatozoïdes !

En revanche, la situation antérieure n’était pas satisfaisante, notamment en ce qui concerne les ovocytes. L’horloge biologique des femmes est impitoyable et les âges de procréation ont changé. La période entre laquelle nombre de femmes modernes imaginent un projet familial et la fin de la possibilité de fécondation est donc assez courte. Si, à cette période, plus encore que pour des raisons professionnelles, la vie de couple n’est pas stabilisée et que ces femmes souhaitent attendre, il est parfaitement légitime qu’elles disposent de quelques années pour leur permettre de réaliser leur projet sereinement. Voilà ce dont il s’agit.

Quel était le système antérieur ? La vitrification des ovocytes pour le don, le surplus pouvant être utilisé pour soi. Naturellement, cela ne fonctionnait pas et ce système a été dénoncé par les femmes et l’ensemble des professionnels de santé. Il convient donc de le corriger. Le système proposé sera, quant à lui, beaucoup plus transparent, franc, commode. De là à évoquer une généralisation, c’est un peu excessif !

Enfin, l’article 2 ne vise pas seulement la conservation des ovocytes et des spermatozoïdes. Sa suppression entraînerait celle de bien d’autres dispositions.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 35, n° 222, n° 667 et n° 1057.

Elle examine ensuite l’amendement  1101 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon amendement vise à protéger la donneuse d’ovocytes en précisant que seul un majeur qui a déjà procréé doit pouvoir être donneur, et que les donneurs qui vivent en couple doivent être tous les deux d’accord pour un don, tout comme le couple receveur.

Je l’ai dit, il s’agit de protéger la donneuse d’ovocytes, car ce don n’est pas sans risque pour la femme, l’intervention étant intrusive – je pense, en particulier, à un risque de stérilité. Il faut également éviter, dans le cas d’un couple, que l’un des deux ne se retrouve dans une situation un peu délicate par rapport à l’autre. On prend souvent l’exemple d’un homme qui aurait donné ses gamètes sans le dire à sa compagne ou qui, s’il n’en avait pas alors, en a une désormais, et qui dix-huit ans plus tard, âge auquel l’enfant pourra connaître sans condition ses origines, verrait sonner ce dernier à sa porte sans que son conjoint soit au courant.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement contredit l’esprit de la loi. Vous proposez de rajouter des conditions restrictives alors que celle-ci, au contraire, tend à ce que les conditions du don de gamètes le soient moins.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1101.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 36 de M. Xavier Breton et n° 223 de M. Patrick Hetzel, l’amendement n° 668 de M. Thibault Bazin et l’amendement n° 557 de Mme Annie Genevard.

Mme Josiane Corneloup. L’amendement n° 36 vise à réinscrire dans la loi que le donneur doit avoir procréé, disposition qui avait été ôtée lors de l’examen de la loi de bioéthique de 2011. La suppression d’une telle exigence n’est pourtant pas anodine. Outre que de n’avoir pas procréé ne permet pas au donneur de réaliser la portée de son geste, il semble que les conditions d’expression d’un consentement libre et éclairé ne soient pas réunies.

M. Patrick Hetzel. L’amendement  223, identique, vise à maintenir une disposition passée, soit un lien direct entre le don de gamètes et le fait d’avoir préalablement procréé, car la dimension de la perspective de don est toute autre. Lors des auditions, un certain nombre de professionnels se sont étonnés de sa disparition.

M. Thibault Bazin. Il est vrai que la question des motivations du donneur est importante, mais celle de l’acte qu’il accomplit l’est particulièrement. Je suis un homme et je sais que l’on prend plus conscience de la portée de notre acte lors de la naissance de l’enfant. Un lien spécifique, extrêmement beau et fort, existe entre la mère et l’enfant qu’elle porte, mais l’homme ne prend plus largement conscience de son acte qu’à la naissance.

Cela me semble important, s’agissant des conditions de l’expression d’un consentement libre et éclairé du donneur, lequel le sera d’autant plus qu’il aura pris totalement conscience de cet acte. C’est l’objet de l’amendement n° 668 que de s’en assurer.

Mme Annie Genevard. Mon amendement n° 557 est similaire. Je pense également qu’aucun don de gamètes ne doit être accepté de la part d’une personne qui n’a pas préalablement procréé.

La suppression de cette condition relèguerait les gamètes au rang de ressources biologiques, sans considération de leur nature singulière. C’est d’autant plus vrai qu’avec les nouvelles dispositions inscrites dans la loi, le donneur s’engage à accepter l’hypothèse de la révélation de son identité complète à la majorité de l’enfant. Il doit donc avoir pleinement conscience de son geste et, en ce sens, avoir procréé est un élément utile.

De surcroît, je ne crois pas qu’il y ait pénurie de gamètes masculins. Cela a été dit à plusieurs reprises, nous sommes à l’équilibre.

Je suppose que la suppression de cette disposition vise à augmenter le nombre de dons, mais je crois que cette décision doit être prise en considération de la responsabilité qu’elle implique.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En 2011, une autre majorité a supprimé ce critère sans que cela ait d’inconvénient. Cette condition de procréation antérieure visait alors principalement à éviter des transmissions de maladies ; nous disposons aujourd’hui d’autres critères pour cela.

La raison invoquée par plusieurs d’entre vous me paraît étrange : c’est une fois qu’un homme a procréé que, d’un seul coup, il devient plus apte à comprendre la nature de son geste. Pour ma part, le lendemain de la naissance de mon premier enfant, je ne me suis pas réveillé en me sentant plus sage, plus capable de décider. Je n’ai pas ressenti de transfiguration. En revanche, j’ai donné beaucoup d’amour à ma femme et à mon enfant. Je ne vois pas en quoi le fait d’avoir procréé apporterait un élément supplémentaire.

Nous disposons d’une expérience universelle dans un État où il importe de simplifier le don, de le rendre plus transparent et de ne pas multiplier les craintes et les difficultés risquant de le restreindre. Cela est vrai pour plusieurs dons, mais particulièrement pour celui de gamètes. Je pense que votre amendement irait à l’encontre de cette évolution.

Je répète que la suppression de cette notion n’a pas eu de conséquence, ni dans notre pays ni dans les autres.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avec le recul constant de l’âge auquel arrive le premier enfant, l’obligation d’avoir soi-même été père ou mère pour pouvoir être donneur avait pour effet d’en restreindre de façon régulière le nombre. Les donneurs étaient de plus en plus âgés, et les gamètes de moins bonne qualité. Ce sont les raisons qui, en 2011, ont motivé la suppression de la condition de procréation antérieure.

Grâce à cette suppression, la qualité des gamètes a été garantie, les donneurs ont été suffisamment nombreux et la pénurie de spermatozoïdes a été enrayée. Exiger à nouveau d’avoir déjà eu au moins un enfant pour être donneur, sachant que notamment les hommes ont souvent leur premier enfant très tardivement, conduirait à amoindrir la qualité des gamètes disponibles.

Nous sommes donc défavorables à ces amendements.

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 36 et n° 223, l’amendement n° 668 et l’amendement n° 557.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1118 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Serait-il possible de connaître la proportion de donneurs masculins ayant donné leurs gamètes avant d’avoir procréé et après l’avoir fait une première fois ?

Mon amendement tend à préciser que les personnes impliquées dans un don doivent être clairement informées des conséquences psychiques, affectives, juridiques et sociales que le recours au don peut avoir pour elles-mêmes comme pour l’enfant à naître.  Il s’agit d’éviter un don qui, par la suite, serait regretté.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je perçois mal les conséquences juridiques ou sociales que vous évoquez ; les conséquences psychiques et affectives peuvent se discuter.

Quoi qu’il en soit, pour l’enfant à naître, des informations doivent être données. Ainsi, chacun sait les conditions dans lesquelles dorénavant l’accès aux origines sera élargi : à dix-huit ans, l’enfant pourra connaître l’identité de son père. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis défavorable.

Pour rassurer Mme Ménard, on peut retirer son consentement à tout moment de la vie. Bien sûr, on ne peut pas revenir en arrière si les gamètes ont été utilisés, mais tant qu’ils sont congelés, ce retrait est possible.

La commission rejette l’amendement n° 1118.

Elle est saisie de l’amendement n° 1580 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement tend à préciser que le consentement du donneur est recueilli par écrit et peut être révoqué de la même façon à tout moment. Entre le moment où le sperme est donné et celui où il est utilisé, il peut s’écouler jusqu’à cinq ou six ans. Il faut prévoir une possibilité de rétractation au cours de cette période.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je présume qu’un écrit existe, mais le fait de donner ses gamètes vaut consentement. Personne n’est contraint à ce don.

Par ailleurs, à tout moment, chacun peut révoquer son choix et refuser l’utilisation du don, pourvu que les gamètes n’aient pas encore été utilisés. Un donneur peut aider dix personnes à enfanter ; ses spermatozoïdes sont conservés dans dix paillettes. Après la naissance de deux enfants, par exemple, il peut signifier son refus de voir utiliser les huit paillettes restantes. Elles sont donc détruites. Cette destruction rend inutile la rétractation par écrit.

Pour ces raisons, je vous propose de retirer votre amendement.

L’amendement  1580 est retiré.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. En réponse à la question posée par Mme Ménard, j’indique que le décret d’application de la loi du 7 juillet 2011 portant sur ce point a été publié le 11 août 2016. En 2016, il y a eu 20 % de donneuses d’ovocytes nullipares et 50 % de donneurs de spermatozoïdes nullipares. La levée de la restriction a permis de réaliser un bond dans le don d’ovocytes.

La séance est suspendue à vingt-trois heures vingt, et reprend à vingt-trois heures trente-cinq.

La commission examine, en discussion commune l’amendement n° 1980 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, les amendements identiques n° 37 de M. Xavier Breton, n° 224 de M. Patrick Hetzel et n° 1447 de M. Pierre Vatin, et les amendements n° 669 de M. Thibault Bazin et n° 558 de Mme Annie Genevard.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. J’ai bien entendu les rappels de Mme la ministre et de M. le rapporteur au sujet du consentement du conjoint. Toutefois, même si l’étude d’impact jointe au projet de loi lie directement ce consentement à la primomaternité pour justifier sa suppression, le don de gamètes, et particulièrement le don d’ovocytes, n’est pas anodin et engage plus largement le couple. Il pèse sur celui-ci un risque médical qui ne doit pas être sous-estimé. Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) du 25 octobre 2018 souligne également qu’écarter le consentement ou l’information du partenaire de vie implique potentiellement de retenir un candidat au don dont le partenaire s’opposerait à cette démarche. Et cette question pourrait ressurgir par la suite puisque le consentement peut être révoqué à tout moment.

C’est pourquoi la Fédération des CECOS plaide pour le maintien du consentement du conjoint du donneur, que l’amendement n° 1980 tend à conserver tel qu’il est dans le code de la santé publique.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 37 est important en ce qu’il prévoit que, le cas échéant, le second membre du couple soit associé à la décision de don de gamètes, car celui-ci a un impact sur la vie du couple du donneur. Il s’agit d’un choix qui n’est pas anodin, et il est essentiel que le conjoint donne formellement son consentement, ce que prévoit le code de la santé publique et que nous proposons de maintenir.

M. Patrick Hetzel. L’article L. 1244-2 du code de la santé publique prévoit que le consentement du partenaire est recueilli en même temps que celui du donneur de gamètes, ce qui est pertinent dans la mesure où ce don est de nature à susciter une progéniture. Cette réalité est susceptible d’avoir un impact, ne serait-ce que symbolique, sur la vie de famille et la généalogie du couple du donneur. Il est donc souhaitable et judicieux que le consentement du partenaire soit recueilli afin de s’assurer que le don de gamètes ne se fasse pas en dissonance avec le projet familial du couple.

La rédaction de l’article 2 du projet de loi supprime ce recueil du consentement du partenaire, c’est pourquoi l’amendement n° 224 vise à le rétablir.

M. Pierre Vatin. Il me semble important que le couple témoigne de son unité pour ce genre de don. Cela évite les mauvaises surprises et les désaccords susceptibles de survenir par la suite.

En matière de responsabilité du couple, on considère que les dettes de l’un sont les dettes de l’autre ; en matière de don, il me semble qu’un accord de l’un et l’autre permettrait d’éviter bien des désagréments. L’amendement n° 1447 tend à l’assurer.

Mme Annie Genevard. L’amendement n° 558 tend à ce que le conjoint du donneur soit parfaitement informé et, surtout, qu’il donne son consentement. Le mariage impose entre époux un devoir de loyauté qui postule qu’un acte aussi important que le don de gamètes ne puisse être réalisé par l’un sans que l’autre y ait également consenti.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’entends qu’il est souhaitable que le donneur, s’il est en couple, informe son conjoint de sa décision. Toutefois, revenir à une obligation, contraindre les centres de prélèvement à discuter avec l’un et avec l’autre et à obtenir le consentement de chacun présente des difficultés, mais surtout s’écarte de l’évolution que nous voulons faire connaître à cette loi.

Chacun est responsable de ses actes. Un adulte éclairé, à qui on dit qu’il serait bénéfique d’informer son conjoint, peut le faire sans qu’on lui mette le couteau sous la gorge et l’oblige à faire signer un document.

La notion de couple souffre, d’ailleurs, d’un défaut de définition, particulièrement à l’époque actuelle. Mettons-nous à la place des CECOS qui auront à demander aux personnes si elles sont en couple… Comme le dit M.de Courson, « Ça va, ça vient ». Comment faire pour attraper l’oiseau rare ?  Faut-il s’adresser au partenaire d’hier ou à celui de demain ?  Il y a bien des façons de faire couple aujourd’hui. Vous pensez aux couples mariés, mais ils constituent la minorité des couples qui procréent, la minorité aussi de ceux qui donnent des gamètes. Que faire pour tous les autres ?

Sur le plan pratique comme sur celui des nouvelles modalités de don, il est souhaité que l’engagement soit celui du donneur, qui, dans toute la mesure du possible, tient son conjoint informé de sa décision. Pour, ces raisons, l’avis est défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis défavorable. Que chacun des membres du couple puisse retirer son consentement à tout moment est facteur d’insécurité pour les CECOS. La vie est ainsi faite qu’on peut être d’accord à certains moments et plus à d’autres.

La France est d’ailleurs le seul pays à avoir maintenu le consentement du conjoint. Des responsabilités individuelles existent même lorsque l’on est marié, il n’y a donc pas de raison de considérer que le choix n’est pas libre dans cet état.

La commission rejette successivement l’amendement n° 1980, les amendements identiques n° 37, n° 224 et n° 1447, l’amendement n° 669 et l’amendement n° 558.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1969 de Mme Michèle de Vaucouleurs, qui fait l’objet du sous-amendement n° 2319 de Mme Nathalie Elimas.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Pour les dons effectués avant la promulgation de la présente loi, l’amendement n° 1969 tend à permettre au donneur de consentir à l’utilisation de ses gamètes dans le cadre législatif nouveau, par écrit. Ce consentement est révocable à tout moment jusqu’à l’utilisation des gamètes.

Le calendrier de mise en œuvre des nouvelles dispositions relatives à la levée de l’anonymat, permettant notamment l’utilisation du stock actuel sous certaines conditions, limite le risque de pénurie. Toutefois, cet amendement conserve tout son sens, car il garantit que les donneurs ayant effectué leur don antérieurement à la promulgation de la présente loi pourront lever leur anonymat afin que leur don puisse être enregistré directement dans les conditions de la nouvelle législation. Les enfants nés du don pourront ainsi accéder à leurs origines.

Mme Nathalie Elimas. Le sous-amendement n° 2319 tend à préciser que le don ne pas avoir déjà conduit à une insémination.  Pour pérenniser l’usage des stocks de gamètes disponibles, il faut offrir la possibilité aux donneurs ayant effectué leurs dons avant la promulgation de la présente loi, et dans le seul cas où celui-ci n’aurait pas déjà conduit à une insémination, de le maintenir en autorisant l’accès à leurs données non identifiantes et à leur identité.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’avoue être dans l’embarras. Il serait effectivement bon de pouvoir contacter les donneurs dont le don n’aurait pas conduit à une insémination, pour les informer des nouvelles dispositions afin de savoir s’ils sont susceptibles de s’y adapter.

Toutefois, il ressort des entretiens que nous avons eus avec les professionnels des CECOS que cela n’est guère possible ni, d’ailleurs, souhaitable pour eux. Les centres ont pris auprès des donneurs l’engagement de ne pas les recontacter, sauf dans le cas de l’apparition d’une maladie génétique importante chez un enfant né du don, afin de les avertir de l’existence de ce trait génétique dans leur famille. Les CECOS proposent plutôt la diffusion d’une information générale dans notre pays indiquant aux donneurs qui le souhaitent qu’ils peuvent se manifester auprès d’eux.

Je ne sais comment répondre à votre souhait d’information directe aux donneurs, et m’en remets à la sagesse de la commission.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. L’avis du Gouvernement est défavorable, car la loi n’est pas rétroactive, quand bien même cette rétroactivité ne serait partielle – car vous ne souhaitez pas obliger les donneurs à exprimer leur consentement, mais simplement qu’ils soient recontactés.

Je comprends l’objectif poursuivi, car je perçois les souffrances susceptibles de survenir. Toutefois, à l’époque où les donneurs ont fait leurs dons, ils avaient un contrat moral avec les CECOS ; une loi leur garantissait l’anonymat et de n’être jamais recontactés. Faire effraction dans la vie de ces personnes alors qu’elles s’estiment protégées par ce contrat et ne s’attendent pas à être recontactées me pose un problème éthique. Ce n’est pas rien, vingt ans après, d’aller solliciter un donneur qui peut-être est en couple ou connaît des problèmes personnels. Sur le plan de l’éthique, il ne me semble pas possible d’aller jusque-là.

Le Gouvernement s’engagera dans une campagne visant à inciter les donneurs qui accepteraient l’accès aux origines à se faire connaître auprès de la commission. Mais nous ne voulons pas d’un acte proactif des CECOS, par téléphone ou par courrier, qui ferait effraction dans la vie des gens vingt ou trente ans après le don.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Il ne s’agit ici que de rechercher des donneurs dont les gamètes n’ont pas encore été utilisés. Je souhaiterais donc savoir quel est le délai de conservation des gamètes avant leur utilisation.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Réservons le débat sur l’accès aux origines pour l’article 3, à l’occasion duquel nous parlerons de la capacité qu’auront les donneurs à signifier leur accord après l’entrée en vigueur de la loi.

La commission rejette successivement le sous-amendement n° 2319 et l’amendement n° 1969.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1376 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Il s’agit de préciser que les gamètes sont automatiquement détruits en cas de décès du donneur afin d’exclure la possibilité d’une procréation post mortem. Il conviendra de continuer d’appliquer les règles en vigueur de la destruction des gamètes et des embryons dont le donneur serait décédé.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement est satisfait par la rédaction de l’alinéa 19 de l’article 2. Je vous propose donc de le retirer.

L’amendement  1376 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 1981 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Cet amendement de repli reprend une demande formulée par la Fédération des CECOS consistant à maintenir le principe de l’information du conjoint, de façon à ce que la décision soit plus pérenne et ne puisse pas être remise en question.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. On aura beaucoup de peine à s’assurer de la transmission formelle de cette information. En revanche, une recommandation forte doit être adressée au donneur en lui signifiant l’importance de l’information de son conjoint. Mais cela ne peut aller au-delà d’un entretien entre le centre recueillant les gamètes et le donneur lors du don.

Pour ces raisons, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, mon avis sera défavorable.

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi le sens de vos propos sur cette question du consentement : le consentement du donneur est révocable, mais que celui du conjoint puisse l’être serait facteur d’insécurité ? Voilà qui n’est guère cohérent !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La France est le seul pays à demander l’accord des deux membres d’un couple pour un don clairement individuel. Lorsque vous donnez vos gamètes, ce ne sont pas ceux de votre conjoint. Or le don est révocable à tout moment, et par chacun des membres du couple. Cela est très insécurisant pour les CECOS, auxquels on demande de s’assurer des deux consentements.

Les couples pourraient très bien s’être séparés. Les CECOS n’ont pas pour mission de vérifier en permanence la situation des couples. Demander à deux conjoints un consentement mutuel pour un don de gamètes qui seront congelés pendant vingt ans est extrêmement complexe. Les CECOS exercent une activité médicale ; ils n’ont pas pour vocation de passer leur temps à interroger les donneurs pour savoir s’ils vivent toujours avec leurs conjoints qui seraient susceptibles de révoquer le don.

Je comprends que votre proposition correspond à un schéma familial, mais cela relève de la vie privée. Encore une fois, nous sommes le seul pays au monde à demander le consentement des deux membres du couple.

M. Xavier Breton. Nous devons être fiers de l’exception que représentent les lois françaises de bioéthique !

Vous êtes en train de tout lâcher ! Les autres pays, dans une vision anglo-saxonne utilitariste et libérale uniquement fondée sur le marché, adoptent une logique individualiste dans laquelle la notion de couple n’existe plus. Nous avons, d’ailleurs, entendu le rapporteur s’interroger sur la notion de couple – « ça va, ça vient » , a-t-il dit.

Non ! Soyons fiers de cette exception bioéthique française ; vous aussi, madame la ministre, qui souriez ! Imiter la commercialisation constatée dans tous les autres pays, est-ce cela votre schéma ?  Nous le refusons !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Que mon sourire ne soit pas mal perçu : j’ai souri parce que vous avez défendu, avec raison, cet argument que moi-même je ne cesse de mettre en avant, en disant que cette loi correspond à notre culture et qu’elle constitue une exception française. Je vous rejoins donc dans cet argument, mais vous me faites un mauvais procès.

En revanche, pour les CECOS, objectivement, obtenir le consentement des deux membres du couple, sachant que chacun d’entre eux peut à tout moment le révoquer, et lier cela à un état civil ne fait pas partie de leur mission. Cela ne ferait que leur compliquer considérablement les choses et les insécuriser, car ils peuvent commettre des erreurs.

Il s’agit d’un don individuel de cellules appartenant à une seule personne. On a beau être marié, on n’en est pas moins individuellement responsable. Lorsque vous commettez un acte pénalement répréhensible, la responsabilité pénale pèse sur vous, pas sur le couple. Il y a beaucoup de moments dans la vie où, malgré le couple, l’individualité persiste.

En l’occurrence, il faut bien conserver à l’esprit que, lorsque l’on donne des gamètes, ceux-ci vont être congelés pendant vingt à trente ans.

Mme Annie Genevard. Ce qui sera nouveau avec ce texte sera la révélation de l’identité du donneur. Il s’agit d’un changement fondamental, qui signifie que l’enfant né d’un don pourra, dix-huit ans après, aller à la rencontre de la personne qui lui a permis d’exister. Cette irruption possible, si le conjoint et les enfants de cette personne l’ignorent, peut avoir des conséquences. J’entends que l’exercice n’est pas très confortable pour les CECOS mais, face à cet inconfort, il y a les conséquences possibles de la révélation, dix-huit ans après, d’un don dans l’ignorance duquel a été tenu le conjoint.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Cet argument est entendable, mais il ne tient pas sachant que, dans les grandes métropoles, presque 50 % des couples divorcent : vingt ou trente ans après le don, la moitié des donneurs aura sûrement refait sa vie avec une autre personne, qui n’aura pas donné son consentement. L’effraction que vous décrivez se produira donc de toute façon.

Je souligne aussi que l’accès aux origines, dont nous discuterons à l’article 3, ne suppose pas forcément que le donneur sera contacté. La première étape, à laquelle beaucoup s’arrêteront sans doute, consistera, pour les enfants issus du don, à obtenir des données non identifiantes. Par la suite, une commission réfléchira à l’opportunité de les mettre en relation, s’ils le souhaitent, avec le donneur, mais tous ne le voudront pas forcément. Fort heureusement, tous les donneurs ne seront pas recontactés !

La commission rejette l’amendement n° 1981.

Elle en vient à l’amendement no 2246 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut davantage d’études sur les donneurs, leur profil, les conditions dans lesquelles ils décident de leur don, comment ils évoluent et appréhendent, des années après, la gratification éventuelle de leur geste de générosité. Il serait intéressant aussi de savoir ce que les nouvelles modalités de l’accès aux origines modifieront pour eux.

Je propose que nous nous dotions d’une capacité de suivi longitudinal, sur de longues années, des donneurs qui y consentent. Cela permettrait de mieux orienter les futures campagnes d’appel aux dons, de mieux répondre aux inquiétudes et aux demandes, et de faire, en définitive, un travail de meilleure qualité.

M. Xavier Breton. Je note que l’exposé sommaire de l’amendement de M. le rapporteur comporte une faute d’accord. Cela peut arriver à tout le monde !

M. Guillaume Chiche. En effet, il est nécessaire d’orienter de manière fine et efficace les futures campagnes. Dans les pays où les règles d’anonymat ont été modifiées, on a noté un changement du profil des donneurs. Dans la mesure où nous nous apprêtons à lever partiellement cet anonymat, il serait utile que des études permettent de suivre et d’apprécier dans le temps cette évolution.

La commission adopte l’amendement n° 2246.

Elle est saisie des amendements identiques no 39 de M. Xavier Breton, no 226 de M. Patrick Hetzel, no 671 de M. Thibault Bazin et no 1059 de M. Philippe Gosselin

Mme Josiane Corneloup. Les auditions de la commission spéciale ont montré que l’extension de l’accès à la PMA conduirait inévitablement à une pénurie de gamètes, donc à la tentation de commercialisation. L’amendement no 39 précise que la gratuité des gamètes est le principe et qu’aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, ne peut être alloué au donneur.

M. Patrick Hetzel. La gratuité des gamètes est un principe qui doit être inscrit comme tel dans le texte pour éviter toute ambiguïté. D’où notre insistance avec l’amendement identique no 226. D’aucuns ont fait valoir que, dans ce cadre, une indemnisation pouvait être possible : on voit bien le glissement qui pourrait se produire vers la marchandisation du corps humain. C’est une vision que nous rejetons.

M. Thibault Bazin. Cela me heurte d’entendre le rapporteur parler de « gratification » lorsqu’il défend un amendement, en apparence anodin, sur l’étude des profils des donneurs.

Je me pose, là encore, la question de l’intérêt de l’enfant, dont le Conseil d’État dit qu’il a besoin de stabilité. Or la levée de l’anonymat risque de créer des situations très compliquées dans les familles où se produira cette irruption. Ce n’est pas le lot commun que de changer de couple : aujourd’hui, 78 % des enfants vivent avec leurs parents. En écrivant cette loi, nous devons rechercher la paix sociale. C’est très important.

M. Philippe Gosselin. Ce texte, dont la promulgation interviendra sans doute dans quelques mois, peut modifier les grands équilibres du don. Il est donc important de rappeler les principes éthiques qui le régissent : l’indisponibilité du corps humain, qui va de pair avec la dignité, la gratuité du don et l’interdiction de toute gratification ou détournement de la gratuité. Pour éviter les dérives, et peut-être les fantasmes, il faut inscrire dans la loi ce principe qui nous réunit tous. Vous ne pouvez que souscrire à cette proposition. On reproche parfois à la loi d’être bavarde, mais parfois il est bon de graver les principes essentiels dans son marbre. D’où l’amendement no 1059.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Soyez satisfaits, tous les dons de parties du corps humain, sans exception, obéissent au principe de gratuité. Pourquoi le spécifier pour les dons de gamètes ? La seule gratification que le donneur retire de son don est purement intellectuelle ou affective : c’est le fait d’avoir été généreux et de savoir qu’il a aidé une famille à procréer.

Quant à l’idée que la pénurie pourrait entraîner des dérives commerciales, cela ne se peut dans un pays où la gratuité est un principe absolu. Alors qu’il n’y a pas assez d’organes à transplanter, on n’observe strictement aucun trafic.

M. Xavier Breton. Cela existe dans bien des pays ! Des Français sont acheteurs, d’ailleurs.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est que, précisément, les dons n’y sont pas gratuits. Mais on ne peut pas régler les problèmes qui se posent ailleurs. Vous ne pouvez rien contre les personnes qui vont à l’étranger acheter des gamètes. Je parle ici des donneurs qui donnent en France, pour traiter les personnes sollicitant l’AMP dans notre pays. Nous pouvons faire respecter ces règles absolues de gratuité en France, mais nous ne pouvons rien à ce qui se passe au Danemark, à Chypre ou ailleurs. Nous devons respecter ces pays avec leurs différences, même si on peut les regretter. En tout cas, la gratuité doit continuer de s’imposer en France, qu’il y ait pénurie ou non. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La gratuité du don est un principe éthique fondamental. Ces amendements sont satisfaits par l’article 16-6 du code civil, qui découle de l’article 21 de la convention d’Oviedo. Je vous propose donc de les retirer.

D’aucuns agitent la pénurie d’aujourd’hui comme la cause possible de dérives commerciales. L’extension de l’accès à l’AMP à toutes les femmes, faut-il le rappeler, n’induira pas de pénurie puisque les gamètes concernés sont les spermatozoïdes, dont nous ne manquons pas. La pénurie concerne les ovocytes, car la procédure de prélèvement est plus lourde. Par ailleurs, il est faux de parler de la « fin de l’anonymat » du don. Le don de gamètes demeure anonyme à l’égard du receveur, qui n’a pas, et n’aura jamais accès aux données. C’est l’enfant à naître, vingt ans plus tard, qui pourra accéder à des données non identifiantes, et à des données identifiantes s’il le souhaite. Nous mettons tout en œuvre pour qu’une pénurie ne se produise pas ; j’évoquerai ces mesures ultérieurement.

M. Patrick Hetzel. Le rapporteur a expliqué que l’on ne pouvait pas agir dans un pays étranger. C’est faux, puisque les entreprises françaises qui emploient des mineurs à l’étranger peuvent être condamnées en France, tout comme les Français coupables de tourisme sexuel auprès de mineurs.

La commission rejette les amendements identiques n° 39, n° 226, n° 671 et n° 1059.

Elle en vient à l’amendement no 1114 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard. L’article L. 1244-4 du code de la santé publique dispose que le recours aux gamètes d’un même donneur ne peut délibérément conduire à la naissance de plus de dix enfants. Je propose de supprimer le terme « délibérément », qui peut laisser penser qu’un recours aux gamètes d’un même donneur peut conduire à la naissance de plus de dix enfants.

Ainsi, un donneur ne pourra pas, par inadvertance, donner naissance à un trop grand nombre d’enfants. Il s’agit de s’assurer de la diversité des gènes et de lutter contre une éventuelle consanguinité. Par ailleurs, on peut facilement l’observer car cette population n’est pas si nombreuse, les enfants issus de PMA ont tendance à se regrouper dans des associations et à s’y côtoyer, ce qui est propice à la formation de liens amoureux, et éventuellement familiaux. Il semble important de supprimer ce terme pour lutter contre les risques de consanguinité.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. D’où l’importance de l’accès aux origines ! À dix-huit ans, ils sauront s’ils sont demi-frères et demi-sœurs. Mais cela suppose que leur relation amoureuse ne commence qu’après leur majorité…

Vous avez raison, il faut éviter les risques de consanguinité. Le terme « délibérément » permet de prendre en compte des circonstances exceptionnelles : la conception de jumeaux avec la dixième paillette, le don d’un des embryons surnuméraires issus du don par le couple receveur à un autre, ce qui permettra la naissance d’un onzième enfant. Vous pouvez donc être rassurée, le recours aux gamètes d’un même donneur peut conduire à la naissance tout au plus de onze enfants. Je considère l’amendement comme satisfait.

M. Thibault Bazin. Vos propos ne me rassurent en rien ! La naissance de jumeaux pourrait se produire pour le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième enfant, etc.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous savons les compter au fur et à mesure !

M. Thibault Bazin. J’espère aussi que vous savez maîtriser le projet parental des familles. Car, dans le deuxième exemple que vous avez pris, il faut que vous soyez capable de dire « stop » si neuf enfants sont déjà nés longtemps auparavant !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Bien sûr, cela fait l’objet d’un contrôle.

La commission rejette l’amendement n° 1114.

Elle examine les amendements identiques no 38 de M. Xavier Breton, no 225 de M. Patrick Hetzel, no 670 de M. Thibault Bazin, no 1117 de Mme Emmanuelle Ménard et no 1448 de M. Pierre Vatin.

M. Xavier Breton. Par l’amendement no 38, je propose de limiter à cinq le nombre d’enfants nés des gamètes d’un même donneur, afin d’éviter tout risque de consanguinité. Ce risque est rendu plus aigu par le développement des tests génétiques. Et l’on sait que la facilité des déplacements – le projet de loi d’orientation des mobilités est examiné en ce moment même dans l’hémicycle – permet d’abolir les limites géographiques qui rendaient autrefois la consanguinité bien plus aléatoire.

M. Patrick Hetzel. En effet, le risque de consanguinité est réel, et il augmente avec le développement des fratries. L’amendement n° 225 tend à y remédier.

Mme Emmanuelle Ménard. Avec l’ouverture de la fécondation artificielle à un plus grand nombre de personnes, le risque de consanguinité va s’accroître. Pour compenser l’augmentation du risque, il convient de limiter à cinq le nombre de naissances issues d’un don de spermatozoïdes, comme c’était d’ailleurs le cas jusqu’en 2004. Tel est l’objet de l’amendement n° 1117. Je le répète, le risque de consanguinité est démultiplié par le fait que de nombreux jeunes issus de dons se retrouvent dans des associations.

M. Pierre Vatin. Sachant que nous sommes déjà 15 % à ne pas être les enfants de notre père, dix naissances plutôt que cinq ne multiplient-elles pas le risque de consanguinité ? L’amendement n° 1448 tend à le limiter.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cela fait quinze ans que ce chiffre est passé dans les pratiques, sans conséquences néfastes. Les familles nombreuses actuelles peuvent encore compter jusqu’à dix enfants conçus de façon naturelle. Enfin et surtout, l’accès aux origines permet à ces enfants de savoir qu’ils font partie d’une même fratrie génétique.

Si vous voulez réduire de moitié le nombre d’enfants nés des gamètes d’un même donneur, je vous demande, chers collègues, de prendre votre bâton de pèlerin pour doubler le nombre de donneurs. Vous vous inquiétez du risque de pénurie ? Trouvez deux fois plus de donneurs, et chacun donnera deux fois moins de gamètes !

M. Charles de Courson. La première loi de bioéthique prévoyait justement que les dons de gamètes d’un donneur ne pouvaient pas conduire à la naissance de plus de cinq enfants. Mais pour éviter la consanguinité, il faut prendre en compte une variable bien plus importante : le lieu où ces gamètes sont utilisés. La sagesse voudrait que les gamètes prélevés sur Paris soient utilisés à Marseille. Chacun sait que la formation des couples tient surtout à leur rencontre : plus vous vous éloignez, plus la probabilité chute. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu’il serait plus astucieux d’imposer que les prélèvements pratiqués dans un CECOS n’y soient pas utilisés, mais envoyés à l’autre bout de la France ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Certains grands séducteurs, dans certains villages, exposent déjà à ce risque, monsieur de Courson !

M. Patrick Hetzel. C’est une attaque ad hominem !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il faut leur demander de voyager, d’être itinérants !

Plus sérieusement, le nombre de dix provient d’une analyse statistique qui rend le risque équivalent à celui existant dans la population générale. Quant à la répartition géographique des gamètes, c’est une bonne suggestion. Échanger de temps en temps des échantillons pourrait faire partie des bonnes pratiques des CECOS. Les groupes de travail peuvent y réfléchir, mais cela ne mérite pas d’être inscrit dans la loi. Le nombre de dix enfants n’expose pas aujourd’hui à un risque supérieur.

La commission rejette les amendements n° 38, n° 225, n° 670, n° 1117 et n° 1448.

Elle en vient à l’amendement no 559 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Cet amendement vise à rejeter l’autoconservation « de précaution », car elle pourrait entraîner une organisation temporelle des grossesses et la constitution d’un stock d’ovocytes qui deviendrait vite l’objet de convoitises.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je comprends que vous souhaitiez prémunir la société contre toute dérive, mais vos craintes ne m’apparaissent pas fondées. En outre, cette question a déjà été débattue et nous n’entendons pas revenir sur les conditions de la conservation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 559.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette également l’amendement no 810 de M. Fabien Di Filippo.

Elle est ensuite saisie de l’amendement no 1107 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement d’appel. La congélation des gamètes pourrait laisser accroire aux femmes qu’elles sont détentrices d’une sorte d’assurance de maternité. Le CCNE s’est prononcé, le 15 juin, contre l’autoconservation des ovocytes « sociétale » ou « de précaution », par opposition à l’autoconservation pour motif médical. L’Académie de médecine s’est prononcée en faveur de la conservation « sociétale », tout en précisant qu’il fallait veiller à éviter toute dérive mercantile.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet amendement conduirait à supprimer la possibilité de l’autoconservation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1107.

Elle examine les amendements identiques no 40 de M. Xavier Breton, no 227 de M. Patrick Hetzel, no 672 de M. Thibault Bazin, no 1060 de M. Philippe Gosselin et no 1449 de M. Pierre Vatin.

M. Xavier Breton. Le prélèvement et la conservation de gamètes doivent se faire uniquement lorsque des raisons médicales l’exigent. Les pratiques de convenance risquent de s’accompagner de pressions, notamment de la part des entreprises, comme c’est déjà le cas aux États-Unis. Peut-être est-ce votre modèle, mais je vous demande de ne pas entrer dans cette logique individualiste, utilitariste, ultra-libérale et anglo-saxonne dans laquelle on invite les femmes à planifier leurs grossesses en fonction de leur parcours professionnel, plutôt que d’adapter la vie économique aux réalités de la vie familiale. L’amendement n° 40 tend à éviter cette dérive.

M. Philippe Gosselin. L’amendement n° 1060 a le même objet. L’autoconservation peut avoir un intérêt, mais il faut éviter la logique de convenance.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements identiques n° 40, n° 227, n° 672, n° 1060 et n° 1449.

Elle est saisie de l’amendement n° 416 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Amendement défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Sagesse.

La commission rejette l’amendement n° 416.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel no 2138 du rapporteur.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 1715 de Mme Claire Pitollat.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Amendement défendu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Sagesse.

La commission rejette l’amendement n° 1715.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette également l’amendement no 874 de M. Maxime Minot.

Puis elle examine l’amendement n° 673 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il est déjà arrivé, et nous avons recueilli des témoignages en ce sens, que l’homme soit le receveur et que l’on demande à la femme de procéder à un don d’ovocytes.

Aussi l’amendement vise-t-il à préciser qu’un couple receveur ne peut pas être donneur. Cela permet d’éviter les pressions. En interdisant le don dirigé et le don croisé de gamètes, nous interdisons toute demande de contrepartie effective et garantissons le respect du principe de gratuité.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 673.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 674 de M. Thibault Bazin et n° 1450 de M. Pierre Vatin.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 674 tend à inscrire dans la loi que le don est gratuit.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Tout don concernant le corps humain est gratuit. Ces amendements sont redondants. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 674 et n° 1450.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 43 de M. Xavier Breton et n° 675 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements n° 230 de M. Patrick Hetzel et n° 1451 de M. Pierre Vatin.

M. Xavier Breton. Les amendements précédents ont été rejetés car ils étaient satisfaits : le don est gratuit, nous sommes tous d’accord. Ce qui compte, c’est la sanction. Cet amendement vise à prévoir que toute personne ayant rémunéré ou octroyé un avantage à une autre personne pour obtenir un don de gamètes est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Les arguments selon lesquels ces pratiques ont cours partout ailleurs qu’en France sont insistants, et nous devons résister à cette pression. La gratuité de tous les dons concernant le corps humain doit demeurer un principe intangible.

Mais pour que cela soit effectif, il faut prévoir une sanction. Les auditions ont montré que l’extension de l’accès à l’AMP allait entraîner une pénurie de gamètes. De celle-ci découlera nécessairement une pression qui conduira, les professionnels nous l’ont dit, à une marchandisation. Nous sommes tous d’accord pour conserver ce principe de gratuité, mais nous vous proposons que cela soit effectif et opérationnel. C’est tout l’objet de l’amendement n° 43.

M. Thibault Bazin. Mêmes arguments pour l’amendement identique n° 675.

M. Patrick Hetzel. Il faut défendre de façon inconditionnelle certains de nos principes éthiques et se donner les moyens de cette défense. Cela impose de prévoir des sanctions lorsqu’ils ne sont pas respectés. C’est l’objet de l’amendement n° 230.

M. Pierre Vatin. Entre la malignité des uns et la naïveté des autres, il est important de prévoir une sanction, exposée par l’amendement n° 1451.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous avez eu la main légère ! La loi française prévoit déjà d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Voulez-vous affaiblir les sanctions ? Je préfère que nous en restions aux conditions légales prévues et vous suggère, par conséquent, de retirer vos amendements.

M.  Charles de Courson. Monsieur le rapporteur, pourriez-vous préciser à la commission si ce dispositif a déjà été appliqué et à combien de reprises ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je l’ignore. Les Français étant angéliques et vertueux, très peu ont transgressé la loi – aucun peut-être.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. L’article L. 511-9 du code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende l’obtention de gamètes contre paiement, quelle que soit la forme de rémunération. L’alinéa 2 de ce même article prévoit les mêmes peines pour celui qui sert d’intermédiaire pour l’obtention ou la remise de ces gamètes.

Je ne sais pas s’il y a déjà eu des condamnations, mais le code pénal est très strict, beaucoup plus en tout cas que les députés Les Républicains, que je trouve un peu laxistes !

M. Xavier Breton. Ce que j’entends, c’est que ces peines sanctionnent le paiement, alors que nous faisons référence à l’octroi d’un avantage. Si vous confirmez que les dispositions existantes visent les avantages, pas uniquement monétaires, je retirerai l’amendement. Dans le cas contraire – votre argument était bien tenté, mais quelque peu limité –, je le maintiendrai.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous donne lecture de l’article L. 511-9 du code pénal : « Le fait d’obtenir des gamètes contre un paiement, quelle qu’en soit la forme, à l’exception du paiement des prestations assurées par les établissements effectuant la préparation et la conservation de ces gamètes, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Est puni des mêmes peines le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention de gamètes contre un paiement, quelle qu’en soit la forme, ou de remettre à des tiers, à titre onéreux des gamètes provenant de dons. »

Évidemment, si des avantages en nature ont été apportés et qu’ils sont évalués, la même sanction s’appliquera.

M. Xavier Breton. Il n’est pas fait mention des avantages. Je maintiens donc mon amendement.

Mme Annie Genevard. Une enquête effectuée par l’IGAS en 2011 a révélé que pour remonter dans la liste d’attente d’un don de gamètes, le couple candidat était invité à désigner une donneuse d’ovocytes. C’était en quelque sorte un avantage qui était octroyé, pas un paiement et cela ne justifiait sans doute pas des sanctions aussi lourdes que celles prévues par l’article L. 511-9 du code pénal. Mais sans doute y avait-il là une forme de rémunération du don.

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 43 et n° 675, l’amendement n° 230 et l’amendement n° 1451.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 998 de M. Thibault Bazin.

Elle examine les amendements identiques n° 183 de M. Xavier Breton, n° 371 de M. Patrick Hetzel, n° 935 de M. Thibault Bazin et n° 1452 de M. Pierre Vatin.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 183 tend à compléter l’alinéa 9 de façon à préciser que l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire doit informer la personne intéressée des taux de réussite d’une insémination artificielle et d’une fécondation in vitro, en fonction de l’âge de la femme ainsi que des risques médicaux liés aux hyperstimulations ovariennes et aux grossesses tardives.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable : cela relève davantage du domaine réglementaire que de la loi.

La commission rejette les amendements n° 183, n° 371, n° 935 et n° 1452.

Elle est saisie de l’amendement n° 957 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’ouverture de l’autoconservation de gamètes à toute personne en faisant la demande impose des réserves concernant une information parfaite des personnes, en particulier sur le rapport bénéfice/risque de cette procédure. Loin d’être anodine pour les femmes, cette procédure n’est pas toujours la garantie d’une grossesse allant à son terme, et les ovocytes congelés sont moins « performants » que les embryons congelés. Il est important de le leur signifier. C’est le sens de cet amendement, inspiré des auditions menées par la commission spéciale.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. C’est tout l’objet de l’entretien entre le médecin et la patiente, et de l’information qui sera diffusée aux personnes désireuses de conserver leurs gamètes. Cet amendement introduirait une redondance, il est déjà satisfait.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. C’est la déontologie médicale. Vous ne pouvez pratiquer sur un patient un acte médical, quel qu’il soit, sans l’informer des bénéfices et des risques. Si le patient se retourne par la suite contre le médecin et que celui-ci n’apporte pas la preuve qu’il a informé correctement son patient, il se trouvera en très grande difficulté. Je ne comprends pas que l’on souhaite inscrire dans la loi ce qui, en réalité, fait partie de la consultation médicale.

La commission rejette l’amendement n° 957.

Puis elle examine les amendements identiques n° 44 de M. Xavier Breton, n° 231 de M. Patrick Hetzel, n° 676 de M. Thibault Bazin, n° 1061 de M. Philippe Gosselin et n° 1453 de M. Pierre Vatin.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 44 tend à préciser que la conservation doit rester dans un établissement situé en France. Cela permet d’éviter le marché, les risques de dérive et d’échanges avec l’étranger. Il s’agit d’une précision de bon sens sur laquelle nous pourrons tous nous accorder.

M. Patrick Hetzel. Le rapporteur a expliqué à plusieurs reprises qu’il était difficile de mettre en œuvre la législation française en dehors du territoire national. Pour que nos principes éthiques puissent pleinement s’appliquer, et afin d’éviter toute dérive, il convient de préciser ce point. C’est l’objet de l’amendement n° 676.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Non seulement ce n’est pas aisé, mais ce n’est pas souhaitable. Les pays n’apprécieraient pas que l’on vienne leur donner des leçons et imposer nos règles. Chaque pays observe ses propres règles. La question est de savoir si nous voulons vivre enfermés dans nos frontières ou si nous sommes capables de coopérer avec des pays voisins. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je souhaiterais un état des lieux de ce qui se pratique en la matière. Ce qui résulte d’un don gratuit, désintéressé ne doit pas servir ailleurs sous une forme qui poserait problème au donneur. J’imagine qu’il existe des règles et des pratiques permettant de le contrer. Mais avant de prendre notre décision, il serait souhaitable que nous puissions être informés.

J’admets, monsieur le rapporteur, que chaque pays a ses règles et que nous n’avons pas de leçons à donner. Mais dans ce domaine, les pratiques se répondent. Et sans donner quelque leçon que ce soit, nous avons besoin de débattre ensemble de l’éthique, un sujet qui dépasse les frontières. Ce débat peut être fructueux. Cela ne veut pas dire que tous les pays doivent s’aligner sur les choix que nous faisons, mais nous sommes aussi comptables de ce que devient le genre humain, au fil des décisions bioéthiques qui sont prises. Les questions que nous nous posons ne peuvent donc rester dans les limites de nos frontières.

Mme Sereine Mauborgne. Je me pose les mêmes questions que M. Dharréville. Je pense notamment à une jurisprudence récente, qui a permis à une femme ayant la double nationalité d’emporter ses embryons dans son pays d’origine pour y entreprendre une PMA post mortem. Si la question de la conservation en France demeure entière, quelle est la portée de tels amendements dès lors que le juge a déjà statué en sens contraire ?

M. Pierre Vatin. Les pays étrangers n’ont pas forcément la même législation que la nôtre, de sorte que nous sommes soumis à des aléas éthiques. Dès lors, ne pourrait-on pas proposer que le transfert des gamètes à l’étranger soit encadré par l’Agence de la biomédecine ou tout autre organisme agréé ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. L’adoption de ces amendements empêcherait une femme qui déménagerait à l’étranger et souhaiterait y faire un enfant dans le cadre d’une procédure d’AMP d’importer ses gamètes. Or il est évident que, si elle les a auto-conservés, elle doit pouvoir le faire. Ces déplacements sont, du reste, parfaitement encadrés par l’Agence de la biomédecine, en application de l’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique, qui dispose :

« L’importation et l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine.

« Seul un établissement, un organisme, un groupement de coopération sanitaire ou un laboratoire titulaire de l’autorisation prévue à l’article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d’assistance médicale à la procréation peut obtenir l’autorisation prévue au présent article.

« Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu’aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-7 et L. 2141-11 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l’objet d’une autorisation d’importation ou d’exportation […] ».

M. Charles de Courson. Qu’en est-il des embryons ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Les embryons relèvent d’un autre article.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Monsieur Dharréville, je suis tout aussi attaché que vous aux valeurs éthiques qui font notre fierté et que nous entendons bien protéger. Mais soyons modestes : depuis 1994, les Français recourent, par milliers, aux services de pays étrangers pour faire ce qu’ils ne peuvent pas faire en France ; je pense notamment aux femmes seules ou en couple qui souhaitent bénéficier d’une PMA. Or les conditions dans lesquelles ces techniques sont utilisées varient d’un pays à l’autre, ce qui n’est pas souhaitable. La meilleure solution consiste donc, me semble-t-il, à définir, pour notre propre pays, des conditions acceptables respectant nos règles éthiques. Ainsi les ressortissants français ne seront plus incités à partir à l’étranger et, de ce fait, à transgresser quelque peu nos règles. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. En tout cas, il serait illusoire de vouloir modifier les conditions de prélèvement, de don et d’appariement, qui sont différentes dans chaque pays.

M. Xavier Breton. Si j’avais entendu le seul rapporteur, qui a émis un avis défavorable au motif que de tels amendements empêcheraient la coopération entre pays, j’aurais maintenu le mien, compte tenu de tous les risques de dumping éthique qui existent. Mais Mme la ministre a montré, en rappelant le cadre légal existant, que cette situation était prévue et encadrée et qu’elle prenait davantage en compte les préoccupations éthiques. Je retire donc l’amendement n° 44.

Les amendements n° 44, n° 231, n° 676, n° 1061 et n° 1453 sont retirés.

La commission en vient à l’examen des amendements identiques no 1881 de Mme Laurianne Rossi et n° 2022 de Mme Aurore Bergé.

Mme Laurianne Rossi. Actuellement, seule une personne atteinte de certaines pathologies peut conserver ses propres gamètes, et elle est tenue de faire don à autrui d’une partie d’entre eux. Le projet de loi supprime cette exigence de don, et c’est une bonne chose. Mais il convient – c’est l’objet de l’amendement n° 1881 – de permettre à l’intéressé de faire un tel don dès le prélèvement et le recueil de ses gamètes. Nous pourrions ainsi pallier la baisse du nombre des gamètes et du stock d’ovocytes.

Mme Aurore Bergé. Il nous paraît, en effet, important d’offrir aux personnes concernées la possibilité de donner une partie de leurs gamètes. Tel est l’objet de l’amendement n° 2022.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte les amendements n° 1881 et n° 2022.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques no 182 de M. Xavier Breton, n° 370 de M. Patrick Hetzel et n° 934 de M. Thibault Bazin.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 182 est important, puisque nous proposons que l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire comportant au moins un psychologue s’assure, au cours d’une série de trois entretiens, réalisés à intervalles d’au moins un mois, du consentement libre et éclairé de l’intéressée.

Dans son avis n° 126, en date du 15 juillet 2017, le Comité consultatif national d’éthique estime en effet qu’« il ne faudrait pas que cette technique [celle de l’autoconservation ovocytaire] pallie les difficultés matérielles et se substitue à la recherche par la société de moyens permettant aux femmes, selon leur désir et leur choix de vie, de procréer naturellement et plus tôt, sans considérer comme inéluctable d’avoir à différer l’âge de la maternité. Différer un projet de grossesse à un âge tardif – connaissant les risques de ces grossesses tardives – peut difficilement être considéré comme participant à l’émancipation des femmes face aux limites biologiques. Outre le mésusage et les pressions socioprofessionnelles auxquels cette technique peut exposer, le bénéfice escompté au regard des moyens médicaux et économiques qui devraient être déployés apparaît très faible. »

Aussi paraît-il indispensable que la liberté du consentement de l’intéressée soit appréciée sérieusement par l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, en particulier par un psychologue.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 370 a le même objet. Il faut a minima que la liberté de consentement de l’intéressée soit appréciée par l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, en particulier par un psychologue.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je pense que l’on peut faire confiance aux femmes et se dispenser d’un encadrement aussi strict et rigide que celui qui est proposé. Bien entendu, elles doivent être informées, mais une telle procédure – trois entretiens réalisés à intervalles d’un mois, dans des conditions très strictes – serait non seulement difficilement applicable mais aussi un peu humiliant pour certaines d’entre elles. Mon avis est donc plutôt défavorable, même si je reconnais que le message doit être transmis.

Au demeurant, il me semble que, pour être efficace en la matière, il faut intervenir beaucoup plus tôt, auprès des adolescents, filles et garçons, voire lorsqu’ils sont plus jeunes, afin de leur expliquer ce qu’est l’horloge biologique de la procréation chez les humains.

La commission rejette les amendements n° 182, n° 370 et n° 934.

Puis elle examine les amendements identiques no  1560 de M. Bruno Fuchs et n° 1935 de M. Didier Martin.

M. Brahim Hammouche. L’amendement n° 1560 tend à supprimer l’alinéa 10 de l’article 2. Il convient, afin d’assurer un maillage du territoire qui permette de répondre au plus près à la demande, de favoriser une augmentation des dons et de mettre un terme au monopole dévolu depuis 1994 aux CECOS, et de permettre aux ARS d’autoriser les établissements privés à procéder au prélèvement, au recueil et à l’autoconservation des gamètes en vue d’une future PMA.

M. Didier Martin. Actuellement, l’AMP est déjà en grande partie assurée par des établissements privés agréés par les ARS dont les standards de qualité et de sécurité sont élevés et contrôlés. Il n’y a donc pas lieu de limiter la conservation de gamètes aux établissements publics, qui risquent, qui plus est, l’engorgement en raison de l’ouverture de l’AMP à de nouveaux publics. L’amendement n° 1935 vise donc à étendre cette conservation aux établissements privés.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable.

M. Pierre Dharréville. Face à ce type d’amendements, je suis pris de vertige. Pour éviter l’engorgement, il convient, dites-vous, non pas de renforcer les centres publics en leur donnant les moyens de faire plus et mieux, mais de confier cette mission au privé. Ce n’est pas sérieux ! Il s’agit de gamètes ; chacun sait ce que cela signifie et représente. Il faut donc, au contraire, sanctuariser leur conservation ou, pour le dire autrement, la laïciser le plus possible, et donc la maintenir sous l’égide d’institutions publiques.

M. Xavier Breton. Je rejoins M. Dharréville : nous devons éviter que ne se crée, dans notre pays, un marché de la procréation. Les pressions sont terribles : on sent bien que des intérêts économiques et financiers sont très présents. Il nous faut donc absolument lutter contre une telle évolution ; c’est notre responsabilité. Et si un seul pays doit refuser le marché de la procréation, c’est la France ! Nous n’avons pas de leçons à recevoir des Anglo-saxons en la matière ; nous devons combattre leur conception utilitariste de la bioéthique. C’est pourquoi, à titre personnel, je suis défavorable à ces amendements.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je défendrai dans quelques instants un amendement ayant un objet similaire.

Monsieur Dharréville, les centres privés conservent d’ores et déjà, et ce depuis plusieurs dizaines d’années, les gamètes et les embryons, dans le cadre d’un projet parental. Quel danger cela a-t-il représenté ? Tout est contrôlé et encadré : un registre est tenu, une autorisation est délivrée par l’ARS… Comme Mme la ministre l’a indiqué tout à l’heure, on connaît le nombre de gamètes et d’embryons à l’unité près. Je ne vois donc pas de quoi vous avez peur. En tout état de cause, si nous voulons offrir un véritable service à nos concitoyens, il faut autoriser tous les centres à conserver les gamètes. Arrêtons de fantasmer !

Mme Aurore Bergé. Depuis le début de l’examen du texte, nous rappelons le principe selon lequel il convient de légiférer en fonction, non pas de ce qui se passe ailleurs, mais de ce que nous souhaitons voir autoriser en France au regard des règles éthiques que nous nous fixons. Le fait que les choses se passent bien à l’étranger n’est pas un argument ; elles peuvent, du reste, mal se passer.

Nous proposons, dans le projet de loi, d’étendre la possibilité d’autoconservation des ovocytes et des gamètes tout en précisant que nous ne souhaitons pas encourager cette pratique. Nous avons ainsi adopté des amendements qui prévoient notamment le développement de campagnes sur la question de la fertilité. Si, demain, les centres privés peuvent conserver les gamètes, qui sont particulièrement précieux, alors on risque d’aller vers la marchandisation que nous dénonçons tous et de favoriser l’incitation à recourir à cette pratique, voire les pressions exercées sur les femmes pour qu’elles conservent leurs ovocytes, soit le contraire de ce que nous voulons. Nous allons, du reste, défendre des amendements visant à apporter de nouvelles sécurités en la matière.

J’estime que ces amendements sont risqués pour les femmes et contraires à notre objectif, qui est de leur offrir une liberté nouvelle et non de les soumettre à diverses pressions.

M. Olivier Véran. Je ne partage pas l’idée selon laquelle l’ouverture au privé pourrait aboutir à ce que des pressions soient exercées sur les femmes. Actuellement, 60 % des PMA réalisées en France le sont dans des centres privés. Il y a certes des grilles tarifaires différentes selon que les établissements sont publics ou privés. Pour autant, ces derniers ont des services d’urgence ouverts aux malades, ils accueillent, aujourd’hui, des couples hétérosexuels et accueilleront également, demain, des couples de femmes et des femmes seules, ils assurent un maillage important du territoire…

Au demeurant, je ne suis pas certain que les demandes d’autoconservation seront innombrables : elles correspondront à des situations bien précises. C’est, en tout cas, ce que l’on constate dans les pays voisins du nôtre. En revanche, nous aurons besoin de l’ensemble de la filière capable de répondre à ces demandes. Rappelons, en outre, que la publicité est interdite dans le domaine médical. Je ne vois pas pourquoi émergerait brutalement une pression sociétale, au prétexte que 60 % des centres qui réalisent des PMA actuellement seraient, demain, habilités à conserver les ovocytes. À titre personnel, je suis favorable à cette extension aux établissements privés.

M. Patrick Hetzel. Il faut tout de même avoir conscience qu’actuellement, à l’étranger – fort heureusement, nous n’en avons pas d’exemples en France –, des entreprises privées font pression sur leurs salariées pour qu’elles recourent à l’autoconservation. On a même cité le cas d’Apple et de Facebook qui le proposent carrément à leurs salariées au prétexte de leur bien-être. Mais on voit bien que l’on cherche également à repousser ainsi les limites posées à la marchandisation. On ne peut donc pas exclure cette problématique. J’ajoute que ce sont des féministes qui nous alertent sur ce sujet.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement est défavorable à cette extension. Je rappelle qu’actuellement, seuls les centres publics ou privés à but non lucratif ont l’autorisation de recueillir et de conserver ces gamètes, qui sont des produits du corps humain. Nous ne souhaitons pas étendre cette possibilité aux centres privés, notamment parce que nous ne voulons pas inciter les femmes à y recourir de façon massive ; nous voulons seulement leur en donner la possibilité.

Enfin, je le rappelle, si les femmes ont besoin d’utiliser ces gamètes, elles pourront bien entendu le faire dans des centres privés d’AMP, comme c’est d’ores et déjà possible. Les gamètes seront alors transférés du CECOS qui les conserve vers le centre en question. C’est, du reste, déjà le cas pour les gamètes issus d’un don : ceux-ci sont conservés dans des centres publics ou privés à but non lucratif et sont transférés, le cas échéant, vers un centre privé d’AMP. Actuellement, les centres qui recueillent et conservent les gamètes ne sont donc pas forcément ceux qui réalisent l’AMP. Je souhaite que la conservation demeure réservée aux centres à but non lucratif.

La commission rejette les amendements identiques n° 1560 et n° 1935.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, je vous propose que nous achevions, d’ici à 2 heures du matin – et dans cette limite –, la discussion de l’article 2, pour lequel une trentaine d’amendements restent à examiner.

M. Thibault Bazin. Madame la présidente, je profite de votre proposition pour suggérer au Conseil d’État de travailler cette nuit. En effet, un amendement a été déposé qui réécrit l’article 4 et dont l’adoption ferait tomber environ 200 amendements, alors qu’il a trait à un sujet qui suscite de grandes discussions. Il serait donc souhaitable qu’il donne, si possible demain, son avis sur les conséquences de cet amendement sur la filiation.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous verrons demain matin, monsieur Bazin.

La commission examine, en discussion commune, les amendements no 1695 de M. Cyrille Isaac-Sibille et n° 1727 de Mme Claire Pitollat.

M. Cyrille Isaac-Sibille. L’amendement n° 1695 a un objet similaire à celui des amendements précédents. Je souhaiterais, à ce sujet, préciser les propos de Mme la ministre. Si les CECOS conservent bien les gamètes issus d’un don, les centres privés conservent d’ores et déjà les gamètes ainsi que les embryons issus de la personne. Ils le font dans le cadre d’un projet parental immédiat ; nous proposons seulement de les autoriser également à les conserver dans le cadre d’un projet parental différé. Nous ne sommes pas du tout dans le cadre d’un don.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement n° 1695.

En conséquence, l’amendement n° 1727 tombe, ainsi que les amendements n° 414 de Mme Anne-France Brunet, n° 390 de M. Charles de Courson, n° 1377 de Mme Agnès Thill et n° 2141 du rapporteur, l’amendement n° 946 de M. Thibault Bazin ayant été retiré.

M. Thibault Bazin. Voilà ce qui se passe lorsqu’on travaille aussi tard : nous venons de rejeter, il y a quelques minutes, deux amendements ayant le même objet !

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels n° 2140 et  2139 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques no 232 de M. Patrick Hetzel et n° 677 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 677 est défendu. Je tiens à exprimer mon dépit. Les propos de Mme la ministre m’avaient rassuré mais après le vote qui vient d’avoir lieu, je suis très inquiet.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 232 et n° 677.

Puis elle examine l’amendement n° 1956 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

M. Raphaël Gérard. Cet amendement vise à préciser une notion qui nous paraît ambiguë, en substituant, aux mots : « il soit mis fin à leur conservation. », les mots : « ils soient détruits. » De fait, une fois qu’il est mis fin à la conservation des gamètes, on ignore ce qu’ils deviennent : ils peuvent être détruits, attribués à un autre couple ou utilisés à des fins de recherche.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Dans les faits, cela revient au même, puisque la fin de la conservation implique la destruction. Je n’ai pas d’avis tranché sur la question.

M. Xavier Breton. Cela revient peut-être au même, mais en écrivant « destruction », on affiche et, d’une certaine manière, on revendique une certaine brutalité. Contrairement peut-être à vous, chers collègues de la majorité, nous estimons que les gamètes n’ont rien d’anodin : ils sont à l’origine de la vie. En l’espèce, le choix avait été fait de les conserver, puis la décision est prise de mettre fin à leur conservation. Si cette expression était ambiguë, on pourrait entendre votre proposition, monsieur Gérard. Mais tel n’est pas le cas. Il s’agit là d’un affichage, d’une revendication, qui laisse entendre que les gamètes sont une marchandise, un matériau. À l’instar d’un stock devenu inutile dans une grande surface, on les détruit. Non ! L’expression « mettre fin à » est précautionneuse, empreinte d’une certaine sensibilité, qui témoigne du fait que la démarche n’est pas anodine. Pour vous, il s’agit d’un matériau…

Mme Aurore Bergé. Pas du tout !

M. Xavier Breton. Mais si. On le voit bien : vous avez ouvert la porte à la marchandisation en étendant la possibilité de conserver les gamètes aux centres privés à but lucratif, qui, dès lors, vont chercher à entrer dans une logique de marché. Vous l’assumez. Telle n’est pas notre conception. Une loi doit exprimer les sensibilités. Parler de destruction comme si ces gamètes étaient un stock de marchandises qui ne servent plus à rien n’est pas acceptable. Encore une fois, la rédaction actuelle me semble beaucoup plus sensible, plus précautionneuse. Je ne comprends pas cet acharnement à considérer les gamètes mais aussi, en définitive, les embryons comme de simples matériaux.

Mme Sereine Mauborgne. Je crois que l’objet de l’amendement était justement de préciser le texte pour éviter que l’on puisse penser que les gamètes pourront, après qu’il sera mis fin à leur conservation, être utilisés à d’autres fins.

M. Thibault Bazin. La terminologie n’est pas du tout anodine : elle traduit une certaine idée de la personne. Si l’on est attaché au respect de sa dignité, si l’on estime que les gamètes, qui sont des éléments du corps humain, sont porteurs d’une identification pour les personnes, on peut préférer l’expression « il est mis fin à leur conservation », qui semble plus respectueuse que : « ils sont détruits ».

Du reste, il est également question, à certains endroits du texte, de la destruction des embryons. J’ai déposé un amendement à ce sujet, car la terminologie que l’on utilise et la manière dont on met fin à la conservation des embryons ou des gamètes sont importantes. Si l’on considère que ceux-ci n’ont rien de banal, on doit pouvoir les traiter avec dignité, y compris dans le vocabulaire qu’on utilise. C’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.

M. Patrick Hetzel. Moi aussi, je suis évidemment contre cet amendement. Comme l’ont rappelé mes collègues, nous exprimons, dans un texte de loi, une vision de notre société. Jusqu’à présent, les lois de bioéthique ont toujours témoigné d’une attention particulière à ces questions. Ne favorisons pas la dérive qui conduirait à traiter ce qui relève de l’humain comme on traite des choses. Ce ne serait pas à la hauteur de l’éthique, qui doit prévaloir en la matière.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je suggère à M. Gérard de retirer l’amendement, dans la mesure où il semble avoir une résonance qui préoccupe certains de nos collègues, que l’on peut comprendre. Si le mot « destruction » leur apparaît plus agressif et moins respectueux, maintenons la rédaction actuelle. Le débat pourra avoir lieu plus tard, dans d’autres conditions. Notre but n’est certainement pas de froisser les uns ou les autres à raison de leur conception de l’embryon.

M. Raphaël Gérard. Par souci d’apaisement, je vais retirer l’amendement, mais je m’interroge sur la cohérence du discours de nos collègues. Tout à l’heure, ils s’élevaient contre la possibilité d’effectuer des recherches sur les embryons surnuméraires ; à présent, ils réfutent, en s’appuyant sur des arguments opposés, notre proposition d’une solution claire pour ces embryons. Si je retire l’amendement, je maintiens néanmoins que se pose la question du sort des embryons après qu’il a été mis fin à leur conservation.

L’amendement n° 1956 est retiré.

La commission examine les amendements identiques n° 233 de M. Patrick Hetzel, n° 678 de M. Thibault Bazin et n° 1537 de M. Bruno Fuchs.

M. Patrick Hetzel. Nous proposons de raccourcir le délai de conservation des gamètes en l’absence de réponse de la personne concernée. Un délai de cinq ans paraît suffisant et permettrait de s’assurer d’une capacité de stockage suffisante pour conserver les dons, problème qui a été évoqué à plusieurs reprises.

M. Brahim Hammouche. Par l’amendement n° 1537, nous souhaitons également raccourcir la durée de conservation des gamètes sans réponse de la personne concernée.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 233, n° 678 et n° 1537.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2142 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement n° 1924 de Mme Martine Wonner.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis défavorable.

L’amendement n° 1924 est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2143 du rapporteur.

Elle en vient aux amendements identiques n° 51 de M. Xavier Breton, n° 238 de M. Patrick Hetzel et n° 685 de M. Thibault Bazin.

M. Xavier Breton. L’article 2 fait disparaître le but thérapeutique du champ de la bioéthique procréative. Par l’amendement n° 51, nous proposons de l’y rétablir.

M. Thibault Bazin. Si l’on ne souhaite pas inciter à l’autoconservation, par souci de cohérence, il ne faut pas prévoir la prise en charge par l’assurance maladie en l’absence de raison médicale. Tel est l’objet de l’amendement n° 685.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous en avons déjà discuté, avis défavorable.

La commission rejette les amendements identiques n° 51, n° 238 et n° 685.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 947 de M. Thibault Bazin.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels n° 2144 et n° 2145 du rapporteur.

La commission est saisie de l’amendement n° 2025 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Cet amendement vise à renforcer l’interdiction d’importation de gamètes existants. Des entreprises privées basées à l’étranger, spécialisées dans la vente de gamètes, développent leur activité en France, en contravention avec tous les principes fondamentaux de notre droit bioéthique, notamment l’anonymat et la gratuité du don.

L’adoption de cet amendement portera un coup d’arrêt à ces pratiques en renforçant la loi et en prévoyant des sanctions.

Contre l’avis défavorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement n° 2025.

Puis elle examine l’amendement n° 2023 de Mme Aurore Bergé.

Mme Aurore Bergé. Si l’acte médical qui permet l’autoconservation des gamètes sera pris en charge par la sécurité sociale, ce ne sera pas le cas pour la conservation, dont le coût est d’environ 40 euros par an. Ce coût ne doit pas non plus être pris en charge par un employeur, qui pourrait se servir de cet élément pour faire pression sur les femmes. Cet amendement apporte cette précision.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis d’autant plus favorable qu’en France, cette opération sera prise en charge par la solidarité nationale pour les patients atteints de pathologie altérant leur fertilité. Nous n’avons pas besoin d’autres intervenants, et il serait embarrassant d’impliquer les employeurs.

M. Thibault Bazin. Je trouve cet amendement intéressant mais incomplet, parce que la seule mention de la prise en charge par l’employeur n’est pas suffisante. Il faut aussi insérer la notion de compensation par toute autre forme, car nous savons combien les employeurs sont redoutables pour imaginer de telles compensations !

M. Pierre Dharréville. J’aimerais parfois que la lutte contre la marchandisation s’étende au-delà des sujets dont nous débattons aujourd’hui, mais je ne mets aucunement en doute la sincérité des propos qui sont tenus ici.

Nous mettons le doigt sur une question délicate soulevée par l’autoconservation des gamètes, qui devrait ouvrir un débat de société assez vaste. La pression exercée – notamment sur les femmes – pour qu’elles accomplissent une carrière aussi rapide que possible lors des premières années de leur vie professionnelle devrait interpeller toute la société. Nous essayons de pallier les difficultés que ce mode de vie peut provoquer, mais je ne pense pas que la fuite en avant dans ce sens soit souhaitable.

Par ailleurs, d’autres phénomènes conduisent à repousser l’âge du premier enfantement, liés à la précarité et aux difficultés rencontrées par certains jeunes pour s’installer dans la vie et se projeter. Ce sont des questions sociales lourdes, et je ne pense pas que cet amendement suffise à empêcher les employeurs d’exercer des pressions. Mais faisons au moins ce geste.

Mme Michèle de Vaucouleurs. La philosophie de cet amendement est intéressante, malheureusement, je crains qu’il ne soit inopérant. Je le voterai mais, pour moi, c’est un affichage.

La commission adopte l’amendement n° 2023.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques n° 447 de M. Xavier Breton, n° 489 de M. Patrick Hetzel et n° 1561 de M. Bruno Fuchs, ainsi que l’amendement n° 1955 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

M. Xavier Breton. Le système qui est mis en place va entraîner une pénurie de gamètes, notamment des ovocytes, du fait de l’ouverture aux femmes seules de l’assistance médicale à la procréation. Il est nécessaire d’objectiver cette pénurie.

De plus, la procréation va devenir un marché, notamment suite à la décision de la majorité de l’ouvrir aux établissements privés à but lucratif.

Il me semble donc nécessaire que le Gouvernement remette un rapport au Parlement pour dresser l’état du don de gamètes en France si, par malheur, ce projet de loi venait à être adopté. Tel est l’objet de l’amendement n° 447.

M. Brahim Hammouche. Si l’amendement n° 1561 est identique, l’état d’esprit n’est pas du tout le même. Nous demandons ce rapport afin d’améliorer les choses en les rendant plus visibles et lisibles. Le dernier rapport de l’IGAS sur le don d’ovocytes date de 2011, ce qui me semble trop lointain pour dresser un état des lieux.

Un tel rapport permettrait d’améliorer les critères d’inclusion, les délais d’attente, l’accès au protocole, le nombre d’ovocytes ou de paillettes de sperme attribuées, le nombre de tentatives réalisées. Il est nécessaire d’évaluer tous ces éléments avec des données suffisantes pour améliorer les pratiques.

M. Raphaël Gérard. Nous avons constaté de grandes disparités dans les pratiques et l’accès à l’AMP d’un CECOS à l’autre. Nous demandons, à travers l’amendement n° 1955, que le Gouvernement remette un rapport afin de connaître les pratiques et les critères appliqués dans ces différents centres.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ces demandes de rapport sont redondantes avec des demandes précédentes, mais surtout avec le rapport que rend annuellement l’Agence de la biomédecine. Nous pouvons nous satisfaire des informations ainsi fournies, qui nous permettent de piloter cette évolution.

Par ailleurs, on peut envisager qu’une mission d’inspection analyse de manière plus détaillée le fonctionnement des CECOS et les disparités régionales, mais c’est une autre question.

Je suggère le retrait des amendements.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 1955 prévoit un délai de deux ans pour la remise de ce rapport. Je pense qu’une telle durée est nécessaire pour réaliser cette étude. Je retire donc l’amendement n° 447 qui ne prévoyait qu’un délai de six mois au profit de l’amendement n° 1955.

Les amendements identiques n° 447, n° 489 et n° 1561 sont retirés.

M. Raphaël Gérard. Nous ne pouvons pas faire l’économie de l’état des pratiques des CECOS, mais j’entends les arguments du rapporteur. Je retire cet amendement afin de le recentrer sur les bonnes problématiques en vue de la séance.

L’amendement n° 1955 est retiré.

La commission en vient à l’amendement n° 984 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Certains souriaient lorsque j’évoquais précédemment des compensations sous toutes formes, mais c’est un vrai problème. Si nous voulons que l’impossibilité pour les entreprises de prendre en charge la conservation des ovocytes soit effective, nous devons penser aux mutuelles. Si une mutuelle de santé prend en charge l’autoconservation, et qu’elle est financée pour moitié par l’entreprise, cela reviendra au même. Si nous partageons la volonté de trouver une solution effective, nous devons étudier tous les aspects de la question de manière très précise.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous venons de voter un amendement qui sécurise cette question ; je ne crois pas nécessaire de le compléter. Les conditions d’exercice du contrôle ne permettraient pas de telles dérives. Je demande donc le retrait de l’amendement.

M. Thibault Bazin. Je le maintiens, les garanties évoquées ne suffisent pas.

La commission adopte l’amendement n° 984.

Elle adopte l’article 2 modifié.

 

 

 

 

 

 

 

 


— 1 —

Réunion du jeudi 12 septembre 2019 à 9 heures 30 ([7])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique en abordant les articles additionnels après l’article 2. Il nous reste 1 475 amendements à examiner.

Après l’article 2

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 417 de Mme Anne-France Brunet, n° 1780 de M. Hervé Saulignac, les amendements identiques n° 1738 de M. Xavier Breton et n° 1944 de M. Patrick Hetzel, l’amendement n° 561 de Mme Annie Genevard, l’amendement n° 2265 du rapporteur, l’amendement n° 1783 de M. Raphaël Gérard et l’amendement n° 809 de M. Fabien Di Filippo.

Mme Anne-France Brunet. L’amendement n° 417 vise à autoriser le don dirigé de gamètes et d’embryons dans des conditions encadrées : il doit être altruiste – sans rémunération –, exclure tout établissement d’une filiation avec le donneur, faire l’objet d’un consentement devant notaire.

Cela aurait deux principaux avantages.

D’une part, le don dirigé encadré permettrait de réduire les risques sanitaires et juridiques attachés à procréation médicale assistée (PMA) artisanale à laquelle ont recours plus de 15 % des femmes homosexuelles.

D’autre part, cela permettrait d’augmenter le stock de gamètes et de diminuer les délais d’attente pour les demandeurs.

M. Hervé Saulignac. Je peux déjà savoir quel sort sera réservé à mon amendement n° 1780 puisque Mme la ministre s’est prononcée hier contre les dons dirigés. Nous estimons néanmoins qu’un cas mériterait une attention particulière : quand une femme est infertile, elle pourrait bénéficier des ovocytes de sa compagne. Vous m’objecterez que la compagne en question peut porter l’enfant mais celle-ci n’a pas forcément la volonté ou la possibilité de le faire. Vous m’accorderez qu’il y aurait quelque chose d’incongru à ce que ces femmes aient recours au don d’ovocytes alors qu’elles en ont à leur disposition.

M. Xavier Breton. La loi de 1994 a interdit le don croisé anonyme de gamètes mais nous savons que cette pratique a perduré. Un couple receveur peut ainsi réduire le délai d'attente avant l'insémination artificielle lié au manque de gamètes en présentant un membre de sa famille ou une connaissance au centre d'études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS). Il importe de rappeler très clairement cette interdiction pour que le don de gamètes réponde bien aux principes de gratuité, de liberté du consentement, d’anonymat et corresponde à une démarche altruiste et non pas égoïste. C’est le sens de mon amendement n° 1738.

M. Patrick Hetzel. Les lois de bioéthique reposent sur des principes forts dont le don est à la base même. Notre amendement n° 1944 vise à s’assurer qu’il ne s’accompagne d’aucun avantage particulier, financier ou autre, car il perdrait précisément son caractère de don.

M. Thibault Bazin. Notre code pénal réprime le fait de conditionner le bénéfice d’une assistance médicale à la procréation (AMP) à la désignation d’une personne acceptant de donner ses gamètes. Par l’amendement n° 561, nous aimerions ajouter que le fait de favoriser cette démarche est aussi réprimé. Une enquête réalisée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), révélée lors des débats de 2011, a montré que, dans de nombreux cas, pour remonter dans la liste d’attente d’un don de gamètes, le couple candidat à l’AMP était invité à désigner une donneuse d’ovocytes.

Madame la garde des Sceaux, je profite de votre présence pour vous poser une question qui vous concerne. Hier soir, nous avons demandé que le Conseil d’État émette un avis sur l’amendement qui révolutionne l’article 4. Pensez-vous que nous pourrons en disposer avant d’aborder cette partie très importante du texte ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je comprends tout à fait les inquiétudes de certains de nos collègues à l’égard du don dirigé ou du don relationnel et des discriminations d’accès à la PMA que ces pratiques engendrent.

La prohibition formulée en 2011 s’est avérée inopérante. Ce n’est pas une raison pour la lever, bien évidemment. Sur les stations de radios publiques et dans la presse, les responsables de centres d’AMP reconnaissent que les délais d’attente sont réduits pour les femmes qui présentent des amies susceptibles d’alimenter la banque de gamètes. Nous savons que si nous maintenons cette prohibition, les professionnels continueront à proposer des solutions comparables, compte tenu des difficultés auxquelles se heurte le don d’ovocytes.

Dans mon amendement n° 2265, je propose d’ouvrir la possibilité de recourir au don dirigé et au don relationnel. Dans le premier cas, il y aurait levée de l’anonymat du don, ce qui constituerait un grand changement par rapport à notre modèle actuel : la personne en attente de PMA viendrait avec une personne qui lui ferait don ses gamètes, comme c’est le cas pour certains dons d’organe. Dans le deuxième cas, elle viendrait avec une personne qui donnerait ses ovocytes à la banque de gamètes sans bénéficier personnellement de ce don. Il n’y aurait pas alors de levée de l’anonymat. Il faudrait s’assurer que ces dons ne s’accompagnent d’aucun avantage en retour comme pour le don d’organes où le donneur est entendu par le juge.

J’aimerais que nous réfléchissions à trouver une solution réaliste et respectueuse de nos grandes valeurs éthiques.

M. Raphaël Gérard. Notre amendement n° 1783 propose, au côté du principe général d’anonymisation des dons de gamètes ou d’embryons, d’ouvrir la possibilité de dons dirigés en se conformant aux principes fondamentaux du respect de l’intégrité du corps humain – non-marchandisation – et de l’interdiction de l’inceste.

Dans ce cadre, le candidat à l’AMP pourra se présenter dans les CECOS avec un donneur non anonyme dont le don permettra de réaliser son projet parental. Cette ouverture du don dirigé est de nature différente des dons relationnels dans la mesure où il n’y a aucune contrepartie possible. Les places de chacun des intervenants dans la procédure de l’AMP sont bien définies et préservent l’intérêt du donneur et des parents : la filiation est sécurisée en application de l’article 311-20 du code civil, ce qui signifie que le donneur ne peut devenir le père de l’enfant.

Cette mesure présente également deux avantages : d’une part, elle répond partiellement à la pénurie éventuelle de dons d’ovocytes qui reposent sur une procédure particulièrement contraignante pour les femmes ; d’autre part, elle permet de poser un cadre sécurisé sur le plan sanitaire pour celles et ceux qui aujourd’hui pratiquent des inséminations artisanales qui exposent aux maladies et aux infections sexuellement transmissibles.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 809 vise à insérer la phrase suivante : « Les dons de gamètes dits "dirigés", c’est-à-dire entre deux individus qui se connaissent, sont formellement interdits. »

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je comprends la démarche qui a inspiré ces différents amendements. Il ne faut pas voir dans les avis que je vais émettre des jugements de valeur.

Avis défavorable ou demande de retrait pour les amendements défendus par M. Breton, M. Hetzel et M. Bazin.

Quant aux amendements n° 417, 1780 et 1783, qui proposent une solution concrète et évitent que beaucoup de patientes aillent à l’étranger recueillir des ovocytes dans des conditions beaucoup moins éthiques qu’en France, je proposerai à Mme Brunet, à M. Saulignac et à M. Gérard de les retirer au profit du mien, qui va dans le même sens.

Je suggère que nous essayions de trouver une possibilité d’inciter au don, avec un encadrement très strict.

Mme Martine Wonner. Nous avons écarté hier la méthode ROPA
– réception d'ovocytes de la partenaire – après beaucoup d’échanges. Il me paraît difficile d’accepter aujourd’hui les dons dirigés. La carence des gamètes nourrit de multiples fantasmes, notamment autour de l’accès aux origines. Mais il faut rester extrêmement prudents au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être notre préoccupation première, et du respect de l’égalité entre les femmes.

M. Pascal Brindeau. À travers ces amendements, nous continuons de subir l’effet domino de l’ouverture généralisé de la PMA. Les solutions que les uns et les autres recherchent, sans doute de bonne foi, vont à l’encontre de nos principes bioéthiques. Pensons à l’anonymat que remet en cause le don dirigé car rien ne permet de garantir l’absence de lien entre la personne du donneur et la personne du receveur. C’est la porte ouverte à la ROPA et demain à la gestion pour autrui (GPA).

M. Philippe Vigier. J’imaginais qu’avec cette nouvelle loi, toutes les AMP artisanales qu’on a vu se développer depuis quelques années allaient cesser. Or, dès le départ, monsieur Touraine, vous entrez dans le champ dérogatoire. Dans l’exposé sommaire de votre amendement, vous faites un aveu d’impuissance : « Aujourd’hui, de nombreuses femmes recourent à des chemins de traverse pour fonder une famille ». Vous émettez même l’hypothèse que les stocks de gamètes ne permettront pas de satisfaire les nouvelles demandes d’AMP et que les femmes devront continuer à se rendre à l’étranger. C’est accepter d’avance que la loi sera un échec total.

En outre, le don dirigé créera de nouvelles discriminations entre ceux qui pourront y avoir recours et ceux qui ne le pourront pas.

Ce champ dérogatoire, il faut le laisser de côté. Sinon vous ne pourrez pas répondre à l’espoir que vous avez fait naître.

M. Jean-François Eliaou. Je suis opposé aux dons dirigés qui impliquent une rupture d’égalité.

M. Charles de Courson. Accepter le don croisé, c’est remettre en cause le principe de l’anonymat mais aussi le principe de gratuité puisqu’il suppose une contrepartie. M. le rapporteur le justifie par la nécessité d’augmenter le nombre de donneurs. Or Mme la ministre de la santé nous a expliqué que le stock de spermatozoïdes était très important. Quant aux ovocytes, il y a d’autres moyens d’accroître leur nombre. Autrement dit, cela revient à détruire la cohérence de l’édifice bioéthique construit depuis les premières lois bioéthiques de 1994.

J’aime beaucoup notre rapporteur, qui est un garçon sérieux, mais ses amendements montrent bien que, fondamentalement, c’est un libertaire. Il suit une stratégie de grignotage en demandant le maximum de ce qu’il espère. À la limite, mieux vaudrait qu’il dépose un amendement unique consistant à remplacer tous les articles de la loi par un article unique ainsi rédigé : « Tout est autorisé ».

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les députés, j’ai bien pris en compte les précautions que certains d’entre vous ont prises pour encadrer le don dirigé. Nous ne reviendrons pas sur l’anonymat entre donneur et receveur car des dérives sont possibles, qu’il s’agisse de pressions financières ou morales. Je comprends la volonté de certains parents de recourir à ce genre de pratiques mais il me semble qu’il faut se préoccuper de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans cette perspective, le texte cherche à poser avec clarté la distinction entre le père et la mère qui élèvent l’enfant et le donneur, qui bien qu’il contribue au projet parental, ne doit avoir aucun lien avec l’enfant, au risque de créer de la confusion. Or un don dirigé, s’il intervient dans un cercle relationnel proche, peut être source de confusion chez l’enfant et potentiellement affecter son développement.

Madame Brunet, vous évoquiez les 15 % de femmes qui ont recours à la PMA artisanale. L’ouverture de la PMA à toutes les femmes et la sécurisation de la filiation ont pour but de répondre à ces pratiques.

La pénurie ne touche que les ovocytes et pas les spermatozoïdes. L’ouverture, en 2016, du don de gamètes aux personnes n’ayant jamais eu d’enfants a permis une augmentation des dons : en un an, nous sommes passés de 300 à 400 donneurs pour les spermatozoïdes et de 500 à 700 donneuses pour les ovocytes. La ministre de la santé s’est engagée hier soir à ce qu’une campagne soit lancée, avec un volet de sensibilisation pour éviter tout risque.

Monsieur Bazin, votre amendement visant à réprimer pénalement ce genre de pratiques est satisfait : le code pénal comprend déjà des dispositions allant en ce sens.

Enfin, j’aimerais rassurer l’ensemble des parlementaires, notamment ceux qui sont issus du groupe Les Républicains, qui veulent réaffirmer l’interdiction du don croisé : le Gouvernement, qui est sur cette même ligne, estime que leur demande est déjà satisfaite.

La commission rejette successivement l’amendement n° 417, l’amendement n° 1780, les amendements identiques n° 1738 et n° 1944, l’amendement n° 561, l’amendement n° 2265, l’amendement n° 1783 et l’amendement n° 809.

Elle est saisie de l’amendement n°°1970 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cet amendement vise à autoriser le don dirigé de gamètes au sein d’un couple de femmes. Si l’une d’elle n’est pas en mesure de porter d’enfant, elle pourra bénéficier du don d’ovocytes de sa conjointe dans des conditions définies par décret. Il semble dommage qu’une femme souffrant d’une incapacité ovocytaire ait recours à un double don alors qu’elle pourrait bénéficier d’un don d’ovocytes de sa conjointe. En réintroduisant dans ce cas précis le critère d’infertilité, on évite toute dérive de cette pratique.

Autoriser ce don dirigé permet par ailleurs de préserver le stock d’ovocytes au bénéfice de femmes ne pouvant pas bénéficier d’un tel mode de don.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Par cohérence avec les avis que j’ai émis hier, favorable.

M. Pascal Brindeau. Ce que propose cet amendement s’apparente à une ROPA. L’adopter reviendrait à faire sauter une digue dont l’existence recueille sinon un consensus du moins un très large accord.

La commission rejette l’amendement n° 1970.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous allons aborder la discussion d’une série d’amendements, allant de l’amendement n° 680 à l’amendement n° 2024, qui portent tous sur le même thème : l’information sur la fertilité. Je vous propose de donner la parole à l’ensemble des auteurs concernés puis d’entendre l’avis du rapporteur et celui de M. le secrétaire d’État, s’il le souhaite. Nous procéderons ensuite à la mise aux voix de l’ensemble de ces amendements.

La commission examine dans une présentation groupée l’amendement n° 680 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 189 de M. Xavier Breton, n° 377 de M. Patrick Hetzel et n° 941 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 1993 de Mme Michèle de Vaucouleurs, les amendements n° 1597 et n° 1601 de M. Matthieu Orphelin, les amendements identiques n° 184 de M. Xavier Breton, n° 372 de M. Patrick Hetzel et n° 936 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 185 de M. Xavier Breton, n° 373 de M. Patrick Hetzel et n° 937 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 528 de M. Jean-François Eliaou et l’amendement n° 2024 de Mme Aurore Bergé.

M. Thibault Bazin. L’infertilité est la grande oubliée de ce projet de loi, mais elle mériterait d’être une grande cause nationale. Nous voulons encourager les pouvoirs publics à favoriser les recherches sur les causes de cette pathologie, souvent associée à l’environnement. Celles-ci pourraient permettre à beaucoup de couples d’éviter d’avoir recours à la PMA, procédure lourde, difficile, dont l’efficacité est toute relative. Par l’amendement n° 680, nous proposons de faire de la fertilité une grande cause nationale en 2020.

M. Xavier Breton. La lutte contre l’infertilité devrait nous mobiliser. Nous constatons que celle-ci se développe dans notre pays et que nous n’en connaissons pas assez les causes. Il faudrait lancer à la fois des programmes de recherche, qui se pencheraient en particulier sur le rôle de l’environnement et des perturbateurs endocriniens, et des campagnes d’information destinées notamment aux plus jeunes en insistant sur les risques liés aux grossesses tardives, et sur l’horloge biologique. Dans notre pays, l’idée que les grossesses peuvent avoir lieu à tout âge avec les mêmes chances de réussite reste trop répandue.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Notre amendement n° 1993 vise à instaurer des campagnes d’information sur le don de gamètes et sur la fertilité dans les lycées afin de sensibiliser les jeunes générations à ces questions.

M. Matthieu Orphelin. Mon amendement n° 1597 vise à donner une priorité nouvelle à la prévention des troubles de la fertilité masculine et féminine, en particulier ceux qui sont liés aux perturbateurs endocriniens. Il ne s’agit pas d’affirmer que rien n’est fait en ce domaine – le Gouvernement vient de lancer il y a quelques jours la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs – mais il faut aller beaucoup plus loin et renforcer les efforts en matière de recherche, de connaissance, d’information.

Mon amendement n° 1601 vise à intégrer le lien de causalité entre perturbateurs endocriniens et infertilité dans le plan national santé environnement (PNSE).

M. Patrick Hetzel. Mes trois amendements nos 377, 372 et 373 ont pour objet d’inscrire certaines dispositions dans le code de l’éducation et dans le code de la santé publique. L’information sur les problématiques liées à la fertilité doit être délivrée le plus tôt possible à l’heure où l’âge de la première grossesse augmente. Il s’agit de multiplier les actions concrètes en milieu scolaire et dans l’enseignement supérieur.

M. Jean-François Eliaou. Mon amendement n° 528 met l’accent sur l’importance des campagnes d’information à l’intention des jeunes. Elles comporteraient des explications sur la physiologie de la reproduction, sur la puberté, la fertilité, l’autoconservation des gamètes, le don de gamètes – tous sujets qu’ils ne maîtrisent pas forcément – et seraient menées dans les collèges et les lycées mais également au moment du service national universel.

Mme Aurore Bergé. Le groupe de La République en Marche pense qu’il est essentiel qu’une campagne d’information sur l’infertilité soit menée par l’assurance maladie à destination des hommes et des femmes âgés de dix-huit à trente ans. L’âge de la première grossesse recule et, dans le même temps, la fertilité et la fécondabilité baissent du fait de multiples facteurs d’ordre économique, environnemental et social. Il faudrait, a minima, qu’une campagne d’information soit faite, pour que chacun ait bien conscience des possibilités qui lui sont offertes.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je propose que M. le rapporteur donne son avis sur l’ensemble de ces amendements avant que nous n’entamions la discussion.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il importe d’informer les Français sur l’horloge biologique, sur l’évolution de la fertilité avec l’âge et sur les risques d’infertilité et de pathologie au cours de la grossesse ou chez l’enfant à naître. En effet, toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’une grande partie de la nouvelle génération est relativement ignorante de ces questions. Il faut ajouter à cela les facteurs environnementaux, ainsi que l’effet de l’alcool, du tabac et de l’obésité, qui font également baisser la fertilité des filles et des garçons de façon significative. Toutes les études médicales conduites récemment le montrent.

Dans ce contexte, il est absolument nécessaire de lancer un plan de prévention. Il faut informer les jeunes sur l’évolution de la fertilité avec l’âge, pour qu’ils en tiennent compte dans leur projet parental, et sur les facteurs qui nuisent à la fertilité ou qui favorisent certaines maladies. Une partie de cette prévention doit évidemment être effectuée par l’éducation nationale, auprès des garçons comme des filles, car les uns et les autres doivent être conscients de ces phénomènes. Certaines de ces questions sont déjà en partie abordées, en même temps que l’éducation sexuelle et la prévention des maladies sexuellement transmissibles, mais ce travail est visiblement insuffisant, si l’on en juge par le niveau de connaissance des jeunes. Il y a indéniablement un palier à franchir en matière d’information.

Plusieurs de vos propositions me paraissent tout à fait remarquables. Elles contribueraient effectivement à renforcer l’information au sein de l’éducation nationale, comme en dehors de celle-ci. Nous ne pourrons pas adopter la totalité de vos amendements, mais il faut retenir toutes ces bonnes idées et les concrétiser, soit par voie réglementaire, soit dans le cadre d’une expérimentation. Il faut une mobilisation maximale autour de cette cause. Certains voudraient en faire une cause nationale et c’est, en tout cas, une cause qui relève de l’urgence.

M. Thibault Bazin. Il me semble que nous ne nous situons pas tous au même niveau. Le rôle d’une loi de bioéthique, c’est de définir des objectifs clairs et lisibles. Pour notre part, nous demandons que la fertilité soit élevée au rang de Grande cause nationale. Nous avons débattu hier de l’autoconservation des gamètes avec Mme la ministre. Si nous ne voulons pas que cette pratique devienne systématique, il faut informer les gens. La dérégulation et l’ouverture de centres privés à but lucratif font craindre des dérives et il est clair qu’une digue a déjà sauté.

L’amendement de la majorité, défendu par notre collègue Aurore Bergé, me semble insuffisant, car je pense que le travail d’information doit être fait avant l’âge de dix-huit ans, c’est-à-dire à l’école, et qu’il doit s’appuyer sur un enseignement biologique. On ne peut pas se contenter d’adresser un courrier aux jeunes adultes, d’autant qu’ils ne consultent pas forcément leur médecin généraliste de façon régulière. On avait déjà demandé aux médecins de sensibiliser les jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans à la question du don d’organes, mais cela ne fonctionne pas vraiment. Alors que nos ressources sont limitées, doit-on donner la priorité à la recherche ou à la sensibilisation des jeunes ? Vous ne répondez pas clairement à cette question et votre proposition d’informer les assurés âgés de dix-huit à trente ans n’est vraiment pas à la hauteur des défis auxquels notre société est confrontée.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Le rôle d’une loi de bioéthique est de fixer des objectifs. Or j’ai l’impression que nous mélangeons ici les objectifs et les moyens. Chacun de ces amendements propose des moyens de promouvoir la prise de conscience et les comportements adaptés sur la question de l’infertilité des femmes. Mais la prévention ne s’invente pas, et elle ne se limite pas à l’information : une prévention efficace nécessite des compétences spécifiques. Si l’on évalue certains des projets qui ont été lancés au sein de l’éducation nationale avec les meilleures intentions, on s’apercevra que certains sont efficaces, que d’autres n’apportent aucune plus-value et que d’autres encore sont contre-productifs.

À mon sens, nous devrions, dans cette loi, énoncer clairement notre objectif, qui est d’informer les jeunes femmes et les jeunes hommes sur l’infertilité et sur les moyens de la prévenir. Et nous devrions demander aux experts de Santé publique France, qui ont des compétences en matière de prévention, de nous indiquer les moyens les plus adaptés d’atteindre cet objectif. Notre rôle, en tant que législateur, n’est pas d’entrer dans le détail de ces dispositifs : pour avoir une action vraiment efficace, nous devrions faire confiance aux personnes compétentes dans ce domaine.

M. Philippe Vigier. Notre pays a su se mobiliser pour de grandes causes, par exemple la lutte contre les violences routières, et je pense qu’il faut faire de la fertilité une Grande cause nationale. À longueur d’auditions, on nous a répété que les collégiens, les lycéens et les étudiants devraient être sensibilisés à ces questions. Les professionnels que nous avons entendus estiment qu’il faudrait intégrer dans le cursus de formation des médecins, comme des infirmiers, un volet sur la reproduction et la fertilité. Ils nous ont également dit que la France, qui était à la pointe de la recherche et de l’innovation dans ces domaines il y a trente ans, avait régressé et perdait des places dans le classement mondial. Le sujet est pourtant d’une importance considérable, puisque l’infertilité est une violence faite à la vie.

Vous ouvrez de nouveaux droits aux couples de femmes et aux femmes seules, mais vous passez complètement à côté du problème de l’infertilité. Or les deux questions ne s’opposent pas : elles se complètent. En effet, l’infertilité peut toucher aussi bien des personnes seules que des personnes vivant en couple, hétérosexuel ou homosexuel. Et ce problème ne cesse de s’aggraver dans notre pays, comme le montrent les études scientifiques. Face à la gravité de la situation, nous ne pouvons pas nous contenter d’envoyer un courrier à toutes les femmes de France. Faisons un sondage dans la rue : qui sait, à l’âge de vingt ans, que le degré de fertilité n’est plus le même à trente-cinq ans qu’à vingt-huit ans ?

Nous avons, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, un devoir de formation, d’information et de recherche. Nous devons imaginer un plan stratégique, car tout cela a un coût pour la santé publique. En ne luttant pas contre les causes de la stérilité et de l’infertilité, on exerce une vraie violence envers ceux qui ont envie d’accueillir un enfant et qui ne le peuvent pas.

M. Pascal Brindeau. Le nombre et la nature des amendements montrent qu’il y a un consensus sur cette question : tout le monde s’accorde sur la nécessité de prévenir, d’informer, de former et de communiquer sur les causes et les conséquences de la fertilité. L’absence de dispositions sur la question est d’ailleurs la grande faiblesse de ce projet de loi.

Une multitude de propositions ont été faites, qui concernent aussi bien la formation que l’information, la communication ou la prévention. Il importe d’avoir un plan cohérent et l’idée de faire de la fertilité une Grande cause nationale pourrait être une piste. En tout cas, je crains qu’il soit contre-productif d’adopter des dispositifs nombreux et sans lien entre eux. Ne serait-il pas préférable de travailler à la rédaction d’un amendement transpartisan, qui prendrait en compte tous les objectifs qui ont été identifiés ?

Mme Laurianne Rossi. Le nombre important d’amendements déposés sur la question de la fertilité par une grande partie des groupes montre qu’il y a un consensus sur la nécessité d’informer et de sensibiliser les jeunes hommes et les jeunes filles de ce pays sur leur fertilité. L’objectif est qu’ils puissent se réapproprier leur corps et qu’ils soient plus libres face à leurs choix futurs en matière de procréation.

Je suis cosignataire de l’amendement du groupe de La République en Marche, qui vise à informer les hommes et les femmes âgés de dix-huit à trente ans sur la question de la fertilité. Je suggère d’aller plus loin en sensibilisant les jeunes dès la puberté, en milieu scolaire, ou en proposant un bilan de fertilité, qui serait pris en charge par la sécurité sociale. Ce sont des pistes qui pourraient être explorées en vue de la séance.

La question des perturbateurs endocriniens est centrale, lorsqu’on s’intéresse aux causes de l’infertilité, mais on ne la réglera pas dans le cadre de ce projet de loi. Je signale néanmoins que la commission des affaires sociales et celle du développement durable ont ouvert sur le sujet une mission d’information, qui est présidée par M. Michel Vialay, et dont je suis co-rapporteure, avec notre collègue Claire Pitollat, ici présente. Nous rendrons, d’ici l’automne, un rapport qui comportera un certain nombre de recommandations.

Sur cette question des perturbateurs endocriniens, je veux également saluer l’étude que Santé publique France a publiée il y a quelques jours, ainsi que la deuxième stratégie nationale, qui a été dévoilée par la ministre des solidarités et de la santé et par la ministre de la transition écologique et solidaire. Tout cela fait de la France un pays précurseur en matière de recherche, de sensibilisation et de formation de nos personnels de santé sur cette question. Nous devrions bientôt pouvoir définir des principes de précaution, notamment en direction des publics les plus sensibles, que sont les femmes enceintes, les nourrissons et les jeunes enfants.

Mme Clémentine Autain. J’aimerais commencer par une remarque de forme. Je m’étonne que tous ces amendements, qui ont un rapport assez lointain avec la bioéthique, aient été jugés recevables, alors que d’autres de nos amendements, portant par exemple sur la fin de vie, ont été déclarés irrecevables.

Je ne suis pas certaine que tous ces amendements relèvent bien d’une loi de bioéthique. Le Gouvernement peut très bien lancer des campagnes d’information sans en informer le Parlement – même si c’est toujours une bonne chose qu’un débat ait lieu en amont, au sein de notre assemblée. S’agissant de la recherche, il serait tout à fait possible d’amender le projet de loi de financement de la sécurité sociale et d’y inscrire des budgets pour avancer dans ce domaine.

Sur le fond, j’entends les arguments qui sont exposés et il est vrai que, pour être pleinement libre et faire des choix éclairés, il faut connaître son corps. Mais faisons très attention ! Si certaines femmes retardent aujourd’hui le moment où elles font le choix d’avoir un enfant, c’est d’abord à cause des conditions sociales, qui sont extrêmement tendues. Si nous voulons encourager les femmes à avoir des enfants plus tôt, il faut aussi agir sur le cadre social.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que les campagnes d’information consistent en un message nataliste et prédictif, comme on a pu en connaître par le passé. Si notre objectif est de rendre les individus plus libres, il faut éviter d’être normatifs et de culpabiliser les femmes qui, pour des raisons diverses, choisissent de repousser leur première grossesse. Il faut réfléchir en termes d’égalité professionnelle, de service public de la petite enfance, de représentation sociale genrée : tout cela me semble infiniment plus efficace et plus juste, du point de vue de la liberté et de l’égalité, que des campagnes rigides et normatives.

M. Hervé Saulignac. Notre collègue Clémentine Autain a parfaitement exprimé ma pensée. Certains de nos amendements ont été jugés irrecevables, au motif qu’ils constituaient une charge et qu’ils ne relevaient pas du champ de la bioéthique. Or je suppose que l’amendement de la majorité, qui prévoit l’envoi d’un courrier à tous les Français, aura un coût et constituera lui aussi une charge. Par ailleurs, je ne suis pas certain qu’il relève bien du champ de la bioéthique.

En matière de santé publique, le devoir d’information s’impose dans tous les domaines. Nous devrions donc nous concentrer ici sur ce qui fait le cœur de notre projet de loi, à savoir la bioéthique, et, lorsque le projet de loi aura été adopté, nous pourrons réfléchir aux campagnes d’information et de communication, qu’il importera évidemment de lancer.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, nous sommes tous d’accord sur ces questions, mais le problème, c’est qu’elles relèvent largement du domaine réglementaire.

En matière de recherche, nous devons déterminer pourquoi la fertilité de nos concitoyens ne cesse de baisser depuis cinquante ans et pourquoi elle a chuté de plus de moitié chez les hommes. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous dire ce que vous comptez faire dans ce domaine ?

Par ailleurs, si vous voulez atteindre le maximum de nos concitoyens, il faut agir au niveau du lycée. On peut d’ailleurs se demander si les grandes campagnes nationales sont les plus efficaces. Quelle est, monsieur le secrétaire d’État, votre position sur le sujet ?

Enfin, en tant que vice-président de la commission des finances, je me demande, comme mes collègues, comment ces amendements ont été jugés recevables et sont parvenus à passer la barrière de l’article 40…

M. Philippe Berta. Si la recherche sur le cancer et les maladies rares a avancé, c’est parce que nous avons lancé de grands plans nationaux. Aujourd’hui, la France est un leader mondial sur la question des maladies rares. Je sais, pour les avoir expertisées pendant quelques années, que nous avons de très belles équipes de recherche sur la reproduction à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), et il y en a d’autres à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

Ce que je propose, pour ma part, c’est le lancement d’un grand plan national sur la fertilité, qui inclurait une coordination de la recherche – hélas inexistante, aujourd’hui, entre les différents organismes – et un volet d’information en direction du grand public et des plus jeunes. Ce sera l’objet de mon amendement n° 2220.

M. Raphaël Gérard. Ce débat est intéressant, mais je crois qu’il faut prendre un peu de hauteur. J’ai rappelé, au moment de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, que l’éducation nationale prévoit déjà des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle. Leur mise en œuvre est encore inégale, car elle dépend beaucoup de la capacité des enseignants à aborder ces sujets, mais la sensibilisation à la question de la fertilité pourrait très bien s’inscrire dans ce cadre. Plutôt que de créer de nouveaux dispositifs, il serait sans doute préférable de consolider, avec le ministère de l’éducation nationale, ceux qui existent déjà.

M. Pierre Dharréville. J’ai de la chance, car mon amendement n° 1311 a été déclaré recevable. Il propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’opportunité de la création d’un plan national de lutte contre l’infertilité.

Il est fondamental que chacune et chacun d’entre nous puisse être totalement libre de ses choix, et cela suppose que les gens soient informés. La sécurité sociale pourrait effectivement avoir un rôle à jouer en la matière, comme le propose l’amendement de la majorité. Il y a néanmoins des écueils à éviter. Premièrement, il faut veiller à ce que l’information sur l’infertilité ne devienne pas une injonction nataliste. Deuxièmement, cette question est étroitement liée à celle de l’autoconservation des gamètes, avec toutes les conséquences qu’elle peut avoir dans la vie sociale. Comme je l’ai déjà dit hier soir, je pense que nous devrions avoir une discussion beaucoup plus large sur les conditions sociales qui nous conduisent aujourd’hui à ce type de pratiques et de demandes. La précarité, les difficultés de la vie professionnelle et l’injonction de faire carrière ne sont pas neutres…

Un plan national de prévention n’aurait pas seulement vocation à informer, mais aussi à rechercher les causes de l’infertilité et à agir contre elles, autrement dit à aborder le problème dans toutes ses dimensions.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour l’ensemble de vos contributions. Dans la lignée des interventions de MM. Thibault Bazin et Charles de Courson, je remarque que la nécessité de développer l’information, la sensibilisation et la recherche fait l’objet d’un consensus. J’ai relevé le souhait de M. Patrick Hetzel que ce consensus débouche sur des actions concrètes et je voudrais détailler certaines de celles qui ont déjà été lancées par le Gouvernement et qui rencontrent vos préoccupations.

Comme certains d’entre vous l’ont rappelé, nous avons présenté, le 3 septembre dernier, avec les ministres Élisabeth Borne et Agnès Buzyn, la deuxième stratégie nationale contre les perturbateurs endocriniens. La France, qui est un pays pionnier en la matière, travaille à définir des règles de prévention de l’infertilité. Il est vrai que l’approche, sur cette question, reste assez sectorielle, mais nous allons bientôt présenter le quatrième plan national santé-environnement, qui s’appellera « Mon environnement, ma santé », et qui a vocation à intégrer toutes les approches sectorielles pour leur donner davantage de lisibilité. Ce plan intégrera notamment la nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens.

Vous avez souligné, monsieur Berta, l’excellence du travail réalisé par les équipes de l’INSERM en matière de recherche fondamentale. Dans le champ de la recherche clinique, sachez que vingt-et-un projets relatifs à l’infertilité ont été financés au cours des cinq dernières années, pour un montant global de 10 millions d’euros. Mme Agnès Buzyn a par ailleurs présenté une feuille de route de lutte contre l’endométriose, qui touche une femme sur dix et qui entraîne, chez 30 à 40 % d’entre elles, des troubles importants de la fertilité. Vous le voyez, le Gouvernement a déjà engagé un certain nombre d’actions concrètes pour améliorer la fertilité dans notre pays.

J’en viens aux amendements qui ont été déposés. En matière d’information et de sensibilisation – et croyez qu’il n’y a, de ma part, aucune approche partisane –, il me semble que la proposition de Mme Aurore Bergé de confier à l’assurance maladie le soin de mener des campagnes d’information en direction des populations âgées de dix-huit à trente ans serait la plus efficace, car l’assurance maladie dispose de canaux de communication qui permettent de toucher l’ensemble des assurés. S’agissant de la nécessité d’une information plus précoce en direction des collégiens et des lycéens, je rejoins M. Raphaël Gérard : des cours relatifs à la santé sexuelle sont déjà dispensés à nos élèves de lycée, que nous pourrions peut-être renforcer. Enfin, je ne suis pas opposé à la proposition qui a été faite par l’un d’entre vous de travailler, en vue de la séance, à un dispositif plus complet et plus cohérent – qui inclurait les dispositions contenues dans l’amendement de Mme Aurore Bergé – afin de nous assurer que tous les étudiants de notre pays seront sensibilisés à ces questions d’infertilité.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, je suis déçu. Ne soyons pas hypocrites : qui peut croire que nous allons résoudre la question de l’infertilité en nous contentant d’envoyer un courrier aux personnes connues de l’assurance maladie âgées de dix-huit à trente ans ? Ce qu’il faut, c’est assurer la cohérence de nos différentes politiques publiques : politique publique de l’éducation, politique publique de la santé et politique publique familiale. Or vous ne proposez aucune approche globale. Il est essentiel d’agir sur la fertilité, mais on ne peut le faire qu’en menant simultanément une action sur la natalité, qui relève de la politique familiale, et une action sur l’environnement, qui ne se limite pas à la question des perturbateurs endocriniens. Si vous étiez prêts à mener une telle politique, votre texte aurait une tout autre portée : il toucherait les milliers de personnes qui sont aujourd’hui confrontées au problème de l’infertilité.

La question fondamentale, plus encore que : « Quel monde voulons-nous pour demain ? », est la suivante : « Qu’est-ce que notre société veut encourager ? ». La loi de bioéthique a un caractère pluriannuel, avec une clause de révision, dont nous débattrons probablement dans la nuit de vendredi à samedi, à la va-vite, ce qui est dommage. Nous avons l’occasion de définir ici ce que nous voulons demander à notre recherche pour les huit années à venir. Quelles seront nos priorités ? Les aveux de notre collègue Berta parlent d’eux-mêmes.

M. Philippe Berta. Quels aveux ?

M. Thibault Bazin. L’information ne suffit pas.

M. Philippe Vigier. Monsieur le secrétaire d’État, l’amendement de Mme Aurore Bergé ne peut être qu’un élément de la réponse. Vous rendez-vous compte du signal que vous envoyez à la communauté médicale ? Vous passez totalement à côté de la question de l’infertilité dans ce projet de loi, ce qui revient en réalité à l’aggraver. Pourquoi refuser d’en faire la Grande cause nationale de 2020 ? Ce serait une brique complémentaire à l’extension de la PMA.

Vous envoyez aussi un mauvais message aux couples de femmes ou aux femmes seules qui sont infertiles et qui pourraient bénéficier de la PMA : ce texte ne leur apporte rien. Avec ma collègue Sylvia Pinel, j’avais déposé un amendement, dans lequel nous proposions d’introduire trois consultations pour les femmes, entre vingt et trente-cinq ans, afin de les informer sur leur niveau de fertilité. Vous avez écarté cette proposition.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué tout à l’heure une pénurie de gamètes, à propos du don croisé. Pour lutter contre la pénurie de gamètes, il faut mettre sur la table toutes les causes d’infertilité, informer, sensibiliser, expliquer. Et vous ne le faites pas. Franchement, nous ne sommes pas sur le bon chemin.

Mme Aurore Bergé. La question de l’infertilité a tenu une place extrêmement importante dans nos auditions et je ne prétends évidemment pas résoudre le problème avec mon amendement, mais je pense que c’est une première brique. Je serais très heureuse que nous travaillions collégialement en vue de la séance pour aller plus loin, même si la question a été posée de la pertinence d’aborder ce sujet dans le cadre de cette loi de bioéthique.

Nous avons tous noté que l’information est une nécessité, mais qu’elle ne suffira pas, puisque le retard de la première grossesse a aussi des causes sociales, économiques et environnementales. Faut-il demander un rapport pour objectiver ces causes, comme le propose notre collègue Pierre Dharréville ? Faut-il renforcer la recherche ? Ce sont de vraies questions, sur lesquelles nous pouvons travailler en vue de la séance.

M. Matthieu Orphelin. Il y a un consensus sur cette question de l’infertilité et ce serait une erreur de passer à côté dans ce projet de loi. L’influence de l’environnement, notamment des perturbateurs endocriniens, est évidente et nous devrions faire une proposition sur ce sujet. Une stratégie nationale vient certes d’être annoncée, et c’est une très bonne chose, mais elle n’inclut aucune action spécifique sur la question de la fertilité. Et il en est de même du prochain plan national santé-environnement. Pour montrer notre volonté commune d’agir sur le sujet, nous pourrions inscrire la lutte contre l’infertilité à l’article L. 1311-6 du code de la santé publique, qui définit le champ d’application du plan national santé-environnement et qui identifie déjà plusieurs priorités.

M. Philippe Berta. J’aimerais rappeler quelques chiffres, qui devraient frapper l’imagination. Aujourd’hui, en France, un couple sur sept a un problème de fertilité. Voilà un domaine où la parité existe, puisque l’origine de l’infertilité concerne à 50 % les hommes et à 50 % les femmes. Je répète que les plans nationaux sont un excellent moyen de stimuler la recherche et de la coordonner : nous l’avons vu par le passé et je pense que nous avons besoin, aujourd’hui, d’un plan sur l’infertilité, qui intégrerait toutes les actions de prévention et d’information.

M. Pascal Brindeau. La discussion montre que nous pourrions arriver à une proposition qui satisferait l’ensemble des collègues et des groupes. Je rappelle que nous débattons d’une loi de bioéthique et il ne semble pas judicieux de procéder par petites touches, en adoptant un ou deux amendements, sans vision d’ensemble. Il faudrait plutôt travailler à un amendement commun qui fixerait des grands principes – ce qui, du reste, serait plus conforme à l’esprit d’une loi de bioéthique. Faire de la fertilité une Grande cause nationale pourrait être une piste, mais ce n’est pas la seule.

M. Pierre Dharréville. Je pense effectivement, et Mme Aurore Bergé l’a elle-même reconnu, que sa proposition ne fait pas le tour du sujet. Nous ne pouvons pas envisager la santé seulement sous l’angle du soin ou des mesures palliatives : il faut la considérer dans son ensemble et dans sa dimension préventive, en s’attaquant aux causes des difficultés de santé. M. Georges David, qui a quitté la présidence des CECOS en 1992, a dit qu’il serait réellement fier le jour où l’on pourrait annoncer aux couples stériles : « Nous savons d’où vient votre stérilité et nous avons les moyens de la guérir. » Il reste du chemin à parcourir ! Pour conclure, la démarche d’information mérite d’être réfléchie pour ne pas tomber dans certains travers qui lui seraient préjudiciables.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Mes chers collègues, si le sujet fait l’unanimité parmi vous, aucun amendement en revanche ne semble recueillir votre accord. Je vous propose donc de les retirer tous afin de travailler ensemble, en vue de la séance, à la rédaction d’un amendement transpartisan, recueillant l’assentiment de tous. Sur un tel sujet, cela constituerait un bon signal.

M. Philippe Vigier. Je suis tout à fait d’accord, madame la présidente : organisons cela comme il faut.

M. Matthieu Orphelin. Très bien, si le sujet santé environnement figure bien dans la nouvelle rédaction.

Mme Aurore Bergé. Je suis tout à fait d’accord pour que l’on retravaille de manière collective pour la séance.

M. Thibault Bazin. Nous nous inscrivons également dans cette logique. Ayant beaucoup d’attentes sur ce sujet, nous sommes un peu frustrés parce que nous n’avons pas pu développer toutes nos idées au cours du débat. Il nous reste donc une semaine pour y parvenir.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Tout à fait d’accord avec la proposition de retravailler avec le Gouvernement en vue de la séance sur une proposition la plus complète possible.

Les amendements n° 680, n° 189, n° 377, n° 941, n° 1993, n° 1597, n° 1601, n° 184, n° 372, n° 936, n° 185, n° 373, n° 937, n° 528 et n° 2024 sont retirés.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 362 de M. Patrick Hetzel, n° 926 de M. Thibault Bazin et n° 1444 de M. Pierre Vatin.

M. Patrick Hetzel. Ces amendements ont pour objet de supprimer la référence au don de gamètes dans le code du service national car cela concerne la procréation : ce n’est pas du tout la même chose que le don de sang, de plaquettes ou de moelle osseuse. Ou alors, il faudrait élargir l’information : il y a un vrai paradoxe à limiter celle-ci au don de gamètes lors de la journée d’information citoyenne.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 362, n° 926 et n° 1444.

Elle en vient ensuite à l’examen, dans une présentation groupée, des amendements n° 2220 de M. Philippe Berta et n° 1311 de Mme Elsa Faucillon, des amendements identiques n° 47 de M. Xavier Breton, n° 234 de M. Patrick Hetzel et n° 679 de M. Thibault Bazin, des amendements n° 782 de M. Alain Ramadier, n° 683 de M. Thibault Bazin et n° 1123 de Mme Emmanuelle Ménard, des amendements identiques n° 49 de M. Xavier Breton, n° 236 de M. Patrick Hetzel, n° 682 de M. Thibault Bazin et n° 1455 de M. Pierre Vatin, des amendements identiques n° 48 de M. Xavier Breton, n° 235 de M. Patrick Hetzel, n° 681 de M. Thibault Bazin et n° 1454 de M. Pierre Vatin, ainsi que des amendements identiques n° 50 de M. Xavier Breton, n° 237 de M. Patrick Hetzel et n° 684 de M. Thibault Bazin.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Chers collègues, pour les amendements n° 2220 à 684 qui demandent un rapport sur l’infertilité, je vous propose d’adopter la même méthode que précédemment : je donnerai la parole à chacun des auteurs d’amendements, M. le rapporteur nous donnera ensuite son avis, puis nous reprendrons le débat.

M. Philippe Berta. L’amendement n° 2220 a pour objet de promouvoir, à l’instar de ce que nous avons fait pour le cancer et les maladies rares, un grand plan national consacré à la thématique de l’infertilité. Le schéma et le mode opératoire sont tout tracés grâce à l’expérience acquise lors des plans précédents : nous n’avons qu’à les reproduire pour cette thématique.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 1311, très similaire à celui de M. Philippe Berta, demande un rapport sur l’opportunité d’un plan national de lutte contre l’infertilité.

M. Patrick Hetzel. La question de fond qui revient de manière récurrente est celle de l’infertilité, de sa prévention et des recherches à entreprendre. L’objectif de nos amendements est donc de pousser le Gouvernement à mener une véritable politique en la matière car il n’existe actuellement que des politiques ministérielles. Il faudrait sans doute remonter ce sujet à Matignon car nous voyons bien que chaque ministère y va de sa politique. Cela soulève le problème de la coordination en matière de recherche, de santé publique et d’éducation, et repose en outre la question de la politique familiale.

Mme Emmanuelle Ménard. En France, environ un couple sur six consulte pour un problème d’infertilité. Trop souvent convaincues de la toute‑puissance médicale, de nombreuses femmes s’engagent rapidement sur le très difficile chemin de la PMA. Il convient de leur apporter l’éventail des réponses existantes, surtout quand on examine un texte assez médiatisé comme celui sur la bioéthique ; or l’on ne parle plus aujourd'hui que de PMA. Mon inquiétude est qu’au moindre signe d’infertilité, les femmes s’orientent vers la PMA plutôt que vers des soins quand cela est possible.

La PMA n’est pas un traitement mais un palliatif. Il ne faut pas sous-estimer le fait que la PMA est très souvent, voire toujours un parcours du combattant, pour la femme comme pour l’homme, avec une intimité souvent violée, un couple fragilisé, l’obsession de la maternité pouvant même provoquer, les chiffres l’attestent, une rupture du couple : le risque de divorce triple avec l’échec d’une PMA. Il est donc nécessaire de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les différentes alternatives à la PMA pour traiter l’infertilité, notamment par des moyens naturels respectueux de l’embryon humain.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il est en effet important de prévoir un grand plan national. Il est sûrement plus approprié qu’une grande cause nationale, laquelle ne dépend pas de nous : c’est un label officiel attribué par le Premier ministre, le Parlement ne s’en occupant pas. Nous pouvons en revanche décider un grand plan national, et je suggère que cela se fasse en cohérence avec la révision complète de la politique préconisée pour la lutte contre l’infertilité. Je vous propose donc que cela soit intégré dans le projet commun qui sera élaboré d’ici la séance. Je souhaite donc que tous ces amendements soient retirés en faveur d’un amendement proposant un grand plan national et un rapport du Gouvernement.

Les amendements n° 2220, n° 1311, n° 47, n° 234, n° 679, n° 782, n° 683, n° 1123, n° 49, n° 236, n° 682, n° 1455, n° 48, n° 235, n° 681, n° 1454, n° 50, n° 237 et n° 684 sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement n° 1837 de Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Cet amendement a pour objet de renforcer la législation sur l’interdiction de l’achat et de la vente de gamètes sur internet. Le modèle bioéthique français fait reposer le don de gamètes comme de tout produit du corps humain sur le principe de gratuité. Il est également lié aux principes de dignité et d’indisponibilité du corps humain. Ces derniers n’ont pas été remis en question dans ce projet de loi mais n’ont pas non plus été réaffirmés avec force ; or, pour des raisons impératives de protection de la santé publique et de la dignité humaine, il apparaît essentiel que notre législation précise que la vente de gamètes est interdite, y compris à distance.

L’importation de gamètes achetés à distance, outre le fait qu’elle relève d’une marchandisation en fraude totale avec notre législation, fait entrer sur notre territoire des matériels qui peuvent ne pas répondre aux normes de qualité et de sécurité en vigueur dans notre pays. De plus, dans certaines banques de gamètes situées à l’étranger, les acheteurs ont la possibilité de se réserver l’exclusivité de certains gamètes. Cela ne correspond nullement au modèle bioéthique français.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Votre amendement est satisfait, les pénalités étant même plus lourdes que celles que vous suggérez : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

M. Fabien Di Filippo. Le Gouvernement devra nous expliquer comment il compte procéder pour surmonter le risque de pénurie de gamètes, qui est réel selon le Comité consultatif national d’éthique. Dans la mesure où il est impossible de savoir dans quelles conditions et avec quelles contreparties les gamètes sont récupérés dans les pays étrangers, le Gouvernement devra donc préciser sa stratégie sur ce point. Tous les pays étrangers qui se sont engagés dans cette voie avant nous ont rencontré ce type de problème, qui se posera en France dans quelques années. Pour notre part, nous serons toujours hostiles à toute marchandisation du corps humain.

M. Pierre Dharréville. Si des dispositions existent en droit pour punir ce type de pratiques, la question soulevée n’en présente pas moins un intérêt. Je ne suis pas certain que la réponse soit dans l’amendement ; il faut donc aller plus loin. Nous avons fait l’expérience hier avec quelques collègues : il existe des sites internet parfaitement accessibles qui vous proposent d’acheter des gamètes, en fonction de critères que vous pouvez définir. Que pouvons-nous faire pour empêcher le développement et l’accessibilité d’une telle démarche sur notre territoire ? Je précise que nous ne sommes pas allés au bout du processus !

Mme Laurianne Rossi. Pour compléter les propos du rapporteur rappelant que des sanctions existent déjà, je rappelle que nous avons adopté hier, tard dans la nuit, un amendement n° 2025 réaffirmant le principe de la gratuité du don de gamètes et proscrivant toute commercialisation et importation. Cet amendement est satisfait à double titre puisque le principe de gratuité du don de soi, qu’il s’agisse de sang, d’organes ou de gamètes, est clairement réaffirmé par ce projet de loi.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement est pertinent et, contrairement à ce que vient de dire Mme Rossi, il convient aujourd'hui de lutter efficacement contre les risques de marchandisation, qui sont réels : il existe de nombreux exemples à l’étranger. Comment vous y prenez-vous pour lutter contre cela ? Vous ne pouvez pas vous contenter de répéter que c’est réglé : non, ce n’est pas réglé ! Si nous sommes extrêmement nombreux à déposer des amendements sur ce point, c’est bien la preuve que le problème n’est pas réglé !

M. Guillaume Chiche. Nous poursuivons tous le même objectif. La question ne porte pas sur les dispositions légales en vigueur – les sanctions existantes sont plus importantes que celles proposées dans les amendements soumis à notre scrutin – mais sur leur application. Or nous sommes là pour définir des dispositions législatives et non pour assurer leur application concrète. Si des réponses opérationnelles doivent être intégrées dans la législation, pourquoi pas ? Mais tel n’est pas l’objet de l’amendement qui nous est proposé.

M. Charles de Courson. Cet amendement soulève un vrai problème. Si l’on veut contribuer à l’atténuer ou à le résoudre, il faut s’attaquer à ses trois volets : le vendeur, l’acheteur et le diffuseur. Il faudrait, d’ici la séance, peaufiner l’amendement pour que la sanction pèse sur les trois. Celui qui vend ses gamètes est en effet aussi responsable que l’acheteur et que le diffuseur servant de support à la transaction. Inspirons-nous de ce que nous avons pu faire dans d’autres domaines où nous avons rencontré le même problème, à savoir des actes illégaux commis sur des sites internet.

Mme Sylvia Pinel. J’entends les propos du rapporteur mais nous constatons tous que la législation actuelle n’est pas efficace. Je profite de la présence de Mme la garde des Sceaux pour lui demander si, en la matière, des actions publiques ont été lancées et si le Gouvernement compte donner des instructions pour faire appliquer cette législation. Le Gouvernement peut-il prendre un engagement pour que ce problème réel soit traité ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je veux rappeler le cadre : les importations en France sont soumises à une autorisation et à l’obligation de respecter des principes éthiques, sous peine de sanction. Nous avons fait ce choix, contrairement à d’autres pays, et nous le réaffirmons.

Quant à l’importation sauvage, le code pénal prévoit déjà des sanctions contre les trois personnes concernées, monsieur de Courson. L’article 511-9 du code pénal punit l’obtention de gamètes contre paiement, la peine encourue étant de cinq d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, ce qui est bien supérieur aux sanctions que vous souhaitez inscrire dans la loi ; l’alinéa 2 de ce même article punit aussi celui qui sert d’intermédiaire.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je demanderai à Mme Pinel de bien vouloir retirer son amendement, qui allégerait les sanctions en cas de fraude. Ce ne sont pas les sanctions qui manquent, mais le contrôle de leur application : cela relève d’une autre démarche.

La commission rejette l’amendement n° 1837.

Puis elle examine l’amendement n° 560 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. L’objet de cet amendement est simplement de revenir aux dispositions en vigueur en 1994. Nous avions d’ailleurs alerté sur le risque à faire évoluer la législation, comme cela a été fait en 2004.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 560.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1582 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement vise à inciter au don d’ovocytes et de gamètes en accordant au donneur de spermatozoïdes et aux membres de couples donneurs d’embryons le bénéfice des dispositions de l’article L. 1225-16 du code du travail. Cela permettrait à l’employeur d’autoriser ces donneurs à se rendre à leurs rendez-vous médicaux.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cette question relève du droit du travail et non de la loi sur la bioéthique : je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

L’amendement n° 1582 est retiré.

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 2248 et n° 2247 du rapporteur, ainsi que l’amendement n° 603 de Mme AnneFrance Brunet.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Il s’agit d’autoriser les établissements privés à contribuer à cette action, dès lors qu’ils bénéficient d’une autorisation des agences régionales de santé et de l’Agence de la biomédecine et subissent un contrôle drastique. En effet, les établissements publics ne sont pas dimensionnés pour faire face à tous les besoins. Les moyens prévus ont pour but de prévenir toute dérive, notamment en termes de dépassement d’honoraires, comme pour les urgences ou d’autres domaines dans lesquels le secteur public est débordé. Le secteur privé assume une mission de service public dans les mêmes conditions que le service public. Ces amendements ont donc pour objet de compléter notre vote d’hier.

Mme Anne-France Brunet. L’amendement n° 603 vise à éviter toute dérive financière entre le public et le privé à but lucratif ou non, notamment les dépassements d’honoraires pour toutes les activités liées à l’AMP, au don de gamètes et d’embryons.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Avis favorable.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement, dans la lignée des nombreuses discussions qui ont eu lieu hier, est défavorable à ces amendements.

M. Pierre Dharréville. Je suis toujours autant opposé à ce type de propositions : il faut s’arrêter là. Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué que ces amendements se plaçaient dans le droit fil de l’amendement adopté par erreur hier : il faut rétablir la situation ! L’argument de l’inégalité entre le service public et le secteur privé est impropre : il ne s’agit pas d’organiser une sorte de concurrence libre et non faussée en matière de gestion de gamètes ! De même, vous dites que le service public n’est pas en capacité aujourd'hui de faire face aux besoins : alors donnons-lui les moyens de le faire ! Pourquoi renoncer à ce que le service public assume ses missions ? Il existe d’autres façons de régler ce problème.

Par ailleurs, vous affirmez que cela ne pose pas de problème car chacun assure une mission de service public. Or les intérêts en jeu ne sont pas les mêmes : certains acteurs souhaitent manifestement récupérer des activités supplémentaires. Pour ma part, je suis radicalement opposé à tout ce qui concourt à la marchandisation de l’humain ; or, en l’occurrence, nous sommes en plein dedans ! S’agissant d’une question éthique lourde, nous ne pouvons pas aller dans cette direction : c’est une question de principe.

M. Xavier Breton. Ces amendements reflètent bien l’esprit de ce texte : l’ingérence de l'État dans la vie des familles et l’organisation d’un marché de la procréation au bénéfice de sociétés qui y ont intérêt. Le Gouvernement est certes défavorable à l’ouverture de centres privés à but lucratif mais nous devons tous nous mobiliser contre cette logique de marchandisation du corps, cette logique utilitariste à l’anglo-saxonne, et continuer à défendre le modèle français de bioéthique.

M. Pascal Brindeau. La solution proposée par le rapporteur ne pourrait s’envisager que dans le cadre d’une concession de service public, comme on peut les connaître entre hôpital public et cliniques privées. Sinon, cela reviendrait à mettre en concurrence le secteur public et le secteur privé, donc à ouvrir au marché le champ de la procréation : cela me paraît être aux antipodes de nos principes éthiques.

Mme Clémentine Autain. Nous sommes tout à fait opposés à cette logique de privatisation de missions relevant du service public. Dans des domaines assez proches, tels que l’avortement ou les accouchements, nous rencontrons de vrais problèmes car le privé prend les parts les plus lucratives : si ce n’est pas lucratif, cela ne les intéresse pas et le service public doit assurer la partie non lucrative. De même, les maternités privées pratiquent les accouchements les plus intéressants, avec des places formidables pour les pères, des accouchements sous l’eau ou que sais-je encore ; mais dès qu’il y a un grave problème dans le déroulement de l’accouchement, alors on s’adresse à l’hôpital public qui, lui, doit assumer les situations très difficiles.

Il existe donc déjà un problème de répartition entre le public et le privé, où les logiques sont différentes, le public devant assurer la mission de service public dans sa globalité, indépendamment de sa rentabilité, tandis que le privé fait son miel des actes les plus lucratifs. Les enjeux éthiques sont très importants : il est ainsi sage de s’en tenir au cadre existant et de ne pas laisser la main du marché perturber des éléments fondateurs de notre système de santé.

M. Patrick Hetzel. Nous avons noté une divergence entre le rapporteur et le Gouvernement. Hier soir, la ministre de la santé a expliqué clairement pourquoi elle ne souhaitait pas une généralisation au secteur privé lucratif. Nous redoutons un glissement progressif vers une marchandisation : on n’y coupera pas si on ne se dote pas de garde-fous. Les propos du rapporteur ne m’ont pas rassuré à cet égard.

M. Philippe Vigier. Je soutiens les amendements de M. Touraine car l’on ne peut écarter complètement les établissements privés du prélèvement des gamètes et de la procédure de PMA. De plus, les centres privés de PMA existent : si l’on estime qu’il y a déjà une distorsion de concurrence ou que ce n’est pas acceptable pour diverses raisons, alors il faut les fermer ! Il faut faire preuve d’un peu de cohérence.

Par ailleurs – les professionnels nous l’ont expliqué eux-mêmes – l’accueil des couples et des femmes ayant recours à la PMA n’est pas identique sur tout le territoire national. Vous pousseriez donc tous ceux qui ne pourront être accueillis dans le service public sur le chemin de l’étranger, alors que nous sommes précisément en train de voter un texte pour éviter ces fuites vers l’étranger ! Il faut revenir à des protocoles français maîtrisés afin que les PMA se pratiquent dans des conditions de sécurité sanitaire maximales.

La commission rejette successivement les amendements n° 2248, n° 2247 et n° 603.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 916 de M. Thibault Bazin et n° 1445 de M. Pierre Vatin.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 916 vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la mise en place d’un fichier centralisé des donneurs de gamètes.

Tout en préservant l’anonymat du donneur, ce fichier permettrait d’avoir l’assurance qu’un donneur n’a pas fait de dons dans plusieurs établissements, ce qui se justifie d’autant plus depuis que la majorité a décidé d’ouvrir la possibilité aux centres privés à but lucratif de recueillir les gamètes.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Plutôt qu’un rapport, une inspection permettrait de disposer d’une évaluation précise de la situation. Je vous invite par conséquent à retirer vos amendements et à prendre contact avec les services du ministère afin de suggérer une telle inspection – à défaut, je serai défavorable à ces amendements.

M. Thibault Bazin. Je maintiens mon amendement.

M. Pierre Vatin. Je maintiens également le mien.

La commission rejette les amendements n° 916 et n° 1445.

Elle est saisie de l’amendement n° 441 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Je retire l’amendement de repli n° 441, qui portait sur la lutte contre les perturbateurs endocriniens susceptibles de diminuer la fertilité.

L’amendement n° 441 est retiré.

La commission examine les amendements identiques n° 353 de M. Patrick Hetzel, n° 917 de M. Thibault Bazin et n° 1446 de M. Pierre Vatin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 353 vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le lancement d’une campagne nationale d’information sur les dons d’ovocytes, ceci afin de nous permettre de contourner l’impossibilité où nous nous trouvons de demander directement une telle campagne nationale sur ce thème essentiel, car il convient de nous montrer proactifs en la matière.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 353, n° 917 et n° 1446.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 1746 de Mme Danièle Obono.

La réunion, suspendue à onze heures quarante-cinq, reprend à onze heures cinquante-cinq.

Chapitre II
Reconnaître et sécuriser les droits des enfants nés d’assistance
médicale à la procréation

Avant l’article 3

La commission examine les amendements identiques n° 161 de M. Xavier Breton, n° 349 de M. Patrick Hetzel et n° 1466 de M. Pierre Vatin.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 161 est défendu.

M. Patrick Hetzel. L’objectif de l’amendement n° 349 est d’insérer dans le code civil, après l’article 8, un article ainsi rédigé : « Art. 8-1. – La loi garantit la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

J’ai lu les avis du Conseil d’État selon lesquels on peut débattre sur la notion juridique d’intérêt supérieur de l’enfant, mais je rappelle qu’un certain nombre de textes européens et internationaux invitent à protéger l’enfant et à tenir son intérêt supérieur pour une considération primordiale. J’insiste donc sur le fait qu’à aucun moment, le désir des adultes ne doit venir contrecarrer cet intérêt supérieur de l’enfant.

M. Pierre Vatin. Comme l’a dit M. Hetzel, il est essentiel de ne jamais perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant, quelle que soit la situation. Tel est l’objet de l’amendement n° 1466.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Pour noble qu’il soit, votre souhait de voir l’intérêt supérieur de l’enfant pris en considération est satisfait, puisque le Conseil constitutionnel l’a déjà consacré au travers de deux décisions. Cette notion, qui s’est essentiellement construite autour des conventions internationales, s’applique déjà dans notre ordre juridique interne, mais il ne paraît pas opportun de chercher, à l’occasion de l’examen d’une loi de bioéthique, à l’intégrer à tous les autres champs sur lesquels elle pourrait porter.

Je vous invite par conséquent à retirer ces amendements, et émettrai à défaut un avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 161, n° 349 et n° 1466.

Elle est saisie des amendements identiques n° 162 de M. Xavier Breton, n° 350 de M. Patrick Hetzel et n° 1467 de M. Pierre Vatin.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées.

La commission rejette les amendements n° 162, n° 350 et n° 1467.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette ensuite les amendements identiques n° 160 de M. Xavier Breton, n° 348 de M. Patrick Hetzel et n° 1465 de M. Pierre Vatin.

Article 3
Droit d’une personne conçue dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur d’accéder à ses origines

La commission est saisie des amendements identiques n° 1734 de M. Xavier Breton et n° 1770 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Xavier Breton. Avec l’article 3, nous abordons la question de la levée de l’anonymat du don de gamètes, un sujet compliqué pour lequel il n’existe pas de réponse toute faite : le don de gamètes étant fait, on peut se trouver dans une logique d’accès aux origines, ou au contraire préserver la possibilité de construire une filiation à l’intérieur d’une famille.

On entend certaines associations demander la levée de l’anonymat, invoquant le fait que des personnes nées de dons de gamètes avec tiers donneur ressentent le besoin de connaître leurs origines. Si on peut comprendre ces personnes, la souffrance qu’elles ressentent et les attentes qu’elles expriment, il faut aussi entendre la majorité silencieuse, qui ne souhaite pas que soit remis en cause l’anonymat du don de gamètes et estime que cet anonymat, dans les conditions où il est aujourd’hui mis en œuvre, permet aux personnes concernées de vivre leur vie en ayant une relation apaisée avec leurs parents.

Il y a donc deux sons de cloche sur le sujet, et j’ai moi-même mis un certain temps à me faire une opinion. En tout état de cause, j’ai constaté que certains mettaient un malin plaisir à déstructurer complètement le modèle de la famille, en multipliant à l’envi le nombre de parents. Sur ce point, je reste assez conservateur et considère qu’il convient de préserver le modèle fondé sur un père et une mère, qui peuvent à un moment donné choisir de révéler à leur enfant le secret de ses origines – il s’agit bien d’un secret, et non d’un mensonge de famille, contrairement à ce qu’affirment certains. Nous devons à tout le moins faire preuve de prudence et éviter que l’État ne s’ingère dans la manière dont les familles vivent la question du don de gamètes.

Je le répète, il n’y a pas de réponse évidente à cette question : si ce qui existe aujourd’hui n’a pas que des avantages, cela n’a pas non plus que des inconvénients.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon collègue Xavier Breton a dit l’essentiel au sujet de cet amendement de suppression de l’article 3, qui porte sur la levée de l’anonymat pour les dons de gamètes. Aujourd’hui, le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur et, en cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations qui permettent l’identification de ceux-ci.

Avec l’article 3, on ouvre un nouveau droit aux personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur qui, à leur majorité, auront la possibilité d’accéder sans conditions aux informations non identifiantes relatives au tiers donneur, ainsi qu’à l’identité de ce dernier. Comme l’a dit Xavier Breton, l’obligation de lever l’anonymat peut constituer une sorte d’ingérence au sein des cellules familiales, de plus en plus prégnante au fil de l’évolution de notre société, et il me semble qu’il y a une réelle remise en question de la façon dont la loi organise et sécurise l’identité du donneur. Cette situation me paraît problématique, et c’est pourquoi je souhaite la suppression de l’article 3. Tel est l’objet de l’amendement n° 1770.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Demander la suppression de l’article 3 va à rebours de l’esprit du projet de loi, qui porte précisément la consécration d’un droit nouveau : le principe de l’anonymat est maintenu dans le cadre de la relation entre donneur et receveur, mais l’enfant, qui n’est pas donneur, dispose d’un droit à accéder à ses origines, consacré par une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme elle-même fondée sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est précisément en nous référant à l’intérêt de l’enfant issu d’un don de gamètes, qui n’a rien choisi et a droit à la construction d’un récit identitaire, que nous portons avec fierté une réforme qui constitue un progrès, en termes de changement, culturel et social, du regard porté sur l’AMP.

Par ailleurs, cette réforme présente un aspect essentiel, qui va occuper une grande part dans nos débats sur les articles 3 et 4, à savoir le fait que nous mettons fin à la confusion entre les origines, c’est-à-dire les gènes, et la parentalité. La filiation avec le donneur est bloquée, et l’enfant peut avoir accès à ses origines sans chercher une relation parentale de substitution.

Pour l’ensemble de ces raisons, je suis défavorable à ces amendements de suppression de l’article 3.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, c’est la même discussion qui se poursuit depuis la première loi de bioéthique, votée en 1994. À l’époque, j’ai été le seul à défendre le droit aux origines comme un droit fondamental des enfants – seule la Suède avait alors instauré ce droit, quelques années auparavant. Depuis, l’évolution technologique a permis à un certain nombre d’enfants de retrouver leurs origines, ou la famille de leur donneur, en recourant à des fichiers privés. Du point de vue technologique, il y a déjà un moment que l’interdiction de connaître ses origines biologiques ne tient plus.

Au demeurant, l’accès à ses origines est un droit fondamental et, si l’on développe des technologies nouvelles dans le domaine de la PMA, il faut adapter le droit en conséquence. Nous devons faire notre révolution culturelle, et sortir du droit romain dont nous sommes certes les héritiers, mais qui ne connaissait que la reproduction humaine par la voie naturelle – en la matière, nous avons transposé les règles de l’adoption, mais celles-ci sont tout à fait inadaptées.

Le seul véritable problème qui se pose à nous est celui de l’encadrement du droit d’accès aux origines et, de ce point de vue, j’estime que le texte va dans la bonne direction, même si des améliorations sont toujours possibles. En tout état de cause, si nous ne faisons pas notre révolution culturelle, nous serons rattrapés par l’évolution technologique à laquelle on assiste au niveau international. Neuf pays ont d’ores et déjà reconnu le droit aux origines – notamment l’Allemagne, où au siècle dernier l’application du concept de Lebensraum a conduit à priver des milliers d’enfants du droit à accéder à leurs origines, tant paternelles que maternelles.

M. Patrick Hetzel. Le droit international semble obliger à créer un lien de filiation à l’égard du donneur. Nous devons avoir conscience du fait qu’il serait assez incohérent juridiquement de dissocier la question des origines de celle de la filiation. Je suis d’ailleurs un peu embêté que nous abordions l’article 3 ex abrupto, sans disposer préalablement de l’avis du Conseil d’État sur l’article 4.

J’insiste sur le fait que le Gouvernement se livre à un abus de droit en utilisant la possibilité de réécrire intégralement un article, sans avoir procédé à une étude d’impact et sans que nous ait été communiqué l’avis du Conseil d’État sur l’article 4 – qui présente à l’évidence un lien direct avec l’article 3. J’estime que procéder de la sorte équivaut pour le Gouvernement à un détournement du pouvoir législatif, mais est aussi à l’origine de difficultés lors de l’examen du texte auquel nous procédons actuellement. Je trouve dommage que le Gouvernement, qui souhaitait un débat apaisé, n’ait pas lui-même jugé utile de réunir toutes les conditions qui étaient nécessaires pour cela.

Pour ce qui est du contenu de l’article 3, les professionnels considèrent que lever l’anonymat – ce à quoi je suis par ailleurs favorable car, comme l’a dit M. Charles de Courson, l’accès aux origines revêt une grande importance – pourrait se traduire par une diminution du nombre de donneurs. Par ailleurs, même si aucune filiation n’est établie entre le donneur et le receveur, il me paraît difficilement concevable d’interdire à l’enfant qui connaîtrait l’identité du donneur d’exercer une action à fins de subsides. Comme vous le voyez, la levée de l’anonymat pose de nombreuses questions, qu’on ne peut se contenter de balayer d’un revers de main.

M. Pascal Brindeau. Comme M. Charles de Courson, j’estime qu’il est difficile de ne pas autoriser l’accès aux origines, dès lors que la technologie le permet et qu’une telle démarche peut constituer un élément essentiel dans la construction psychologique d’un enfant.

Au fond, la vraie difficulté, qui n’est pas totalement réglée par la rédaction actuelle de l’article 3, est la protection de la vie privée du donneur. Certes, il y a le principe du consentement, mais si l’enfant issu d’un don veut connaître son géniteur, il pourra le faire – même si nous voulions dresser des barrières, nous aurions des difficultés à le faire – et le souhait que pourraient avoir certains enfants de faire reconnaître légalement un lien de paternité entraîne des risques de contentieux non négligeables, notamment en ce qui concerne les enfants issus d’un couple de femmes ou d’une femme seule.

M. Guillaume Chiche. Je suis tout à fait d’accord avec M. Breton pour considérer qu’il n’y a pas de solution évidente, pas de vérité absolue à la question de la levée de l’anonymat.

Je rappelle que l’article 3 ne permet qu’une levée partielle de l’anonymat. Ainsi, l’anonymat entre le donneur et le receveur de gamètes reste intact : seul l’enfant receveur bénéficie de la levée de l’anonymat.

Par ailleurs, il existe différents types d’informations parmi celles susceptibles d’être communiquées au receveur. À côté des informations non identifiantes, portant notamment sur des éléments à caractère médical, et qui peuvent revêtir une importance capitale en matière de santé, d’autres informations peuvent permettre à l’enfant né d’un don d’accéder, s’il le souhaite, à l’identité du donneur. Sur ce point, les auditions auxquelles nous avons procédé au cours des dernières semaines ont été particulièrement enrichissantes : je pense notamment à celles d’enfants nés de PMA avec tiers donneur, qui nous ont expliqué que la construction de leur récit d’identité ne passait pas par la recherche d’un père ou d’une mère – qu’ils avaient déjà en la personne de ceux ayant pourvu à leur éducation –, mais visait simplement à leur permettre de comprendre qui était le donneur ayant permis leur naissance. En aucun cas, la recherche du donneur ne se confond avec celle d’un père ou d’une mère. Pour ma part, je suis donc tout à fait défavorable aux amendements de suppression de l’article 3.

M. Thibault Bazin. Je suis bien embarrassé, madame la garde des Sceaux, car il est difficile d’examiner l’article 3 en le dissociant de l’article 4. Je ne voudrais surtout pas que l’on puisse s’imaginer que la parole du rapporteur Touraine me manque, mais j’aimerais tout même citer la phrase figurant au bas de la page 83 de son rapport d’information : « Elle ne peut non plus se concevoir qu’en lien avec le maintien du strict anonymat du don, ce qui pose la question de la subordination à la volonté des parents du droit d’accès de l’enfant à ses origines. » À cette contradiction mise en évidence par le rapport d’information de l’Assemblée nationale, vous avez répondu en déposant mardi un amendement revenant sur ce que prévoyait le texte initial au sujet de la filiation. Je vous avoue que, face à une telle situation, je suis très inquiet.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des arguments évoqués en faveur de l’article 3, auxquels je souscris évidemment.

Comme l’a très bien dit M. Guillaume Chiche, il ne s’agit pas de lever totalement l’anonymat du don entre le donneur et le receveur : il est important de rappeler que la levée d’anonymat est partielle et ne se fait qu’au bénéfice de l’enfant.

C’est la notion d’intérêt supérieur de l’enfant qui a présidé à l’évolution que constitue l’article 3. Comme vous le savez, les experts comme les personnes concernées – c’est-à-dire les enfants nés de tiers donneurs – disent que les mensonges entretenus autour des conditions réelles de la conception ou de l’adoption sont délétères, et ont un retentissement considérable sur la construction et le développement des enfants concernés.

J’imagine que dans le cadre de vos travaux, vous avez dû recevoir M. Arthur Kermalvezen, à qui la technologie a très facilement permis de retrouver son donneur en une semaine. Dans son livre Le Fils, il explique que l’impossibilité de connaître ses origines, donc de se construire, est à l’origine d’une frustration provoquant une souffrance indicible, mais bien réelle. Comme le font tous les enfants nés d’un don, il dit bien qu’il n’était pas à la recherche d’un père, mais d’un récit, d’une partie de son histoire et de son identité ayant joué un rôle fondamental dans son enfance, pour sa construction en tant qu’adulte en devenir.

Je conclurai en insistant sur le fait que le droit à l’identité n’est pas un droit à la rencontre, ni dans le droit ni dans les faits, mais qu’il est fondamental de permettre aux enfants nés de tiers donneurs de pouvoir accéder à leurs origines. Je suis donc naturellement défavorable aux amendements de suppression de l’article 3.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Si je vous rejoins sur le fait qu’il existe un droit au respect de la vie privée du donneur, j’estime précisément que l’article 3 aménage un équilibre satisfaisant entre les droits de l’enfant – et de ses parents – et ceux du donneur.

Je suis très étonnée que l’opposition déclare regretter que le Gouvernement ait la possibilité, dans le cadre d’un débat parlementaire, de proposer de nouveaux aménagements. Cela dit, sur le fond, je rappelle qu’il est prévu depuis 1994 qu’aucun lien de filiation ne puisse être établi entre le donneur et le l’enfant : il n’y a aucune confusion entre le lien biologique – les gènes – et la parentalité. C’est ce que nous venons réaffirmer, tout en reconnaissant la capacité pour l’enfant d’avoir accès à son récit identitaire, qui constitue aux yeux de la Cour européenne des droits de l’homme un droit fondamental revêtant un intérêt vital.

M. Xavier Breton. Monsieur le ministre, nous entendons les témoignages des personnes qui expriment le besoin de connaître leurs origines. Cependant, on ne peut en faire une généralité : tous les enfants nés de dons de gamètes ne demandent pas la levée de l’anonymat. On voit bien que ce qui est mis en place avec l’article 3 procède de la volonté de dissocier le pilier corporel du pilier affectif et éducatif dans la filiation, alors que nous considérons que ces deux piliers, ainsi que le pilier social – l’état civil – ne doivent faire qu’un. Mme la garde des Sceaux a bien exprimé l’idée selon laquelle la filiation ne devait résulter que d’un acte de volonté, un projet. Pour nous, la dimension corporelle doit rester inscrite dans la filiation.

La commission rejette les amendements n° 1734 et n° 1770.

Elle examine l’amendement n° 1124 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. La notion d’informations médicales non identifiantes, figurant à l’article 3, ne me paraît pas suffisamment précise. Jusqu’où ces informations sont-elles non identifiantes ? Je ne pense pas que cela soit défini dans notre corpus législatif et réglementaire. Pourquoi vouloir maintenir un secret avec des informations médicales non identifiantes, alors que les enfants nés d’un don connaîtront désormais l’identité du donneur de gamètes ? Enfin, on peut aller jusqu’à considérer que le fait que les enfants nés d’une PMA n’aient pas accès, comme les autres enfants, à l’intégralité des informations médicales du donneur, qu’elles soient ou non identifiantes, est constitutif d’une discrimination.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je pense que vous faites une confusion, car l’accès à des informations médicales non identifiantes existait déjà précédemment, notamment en cas de nécessité thérapeutique. De ce point de vue, il n’y a pas de discrimination, mais au contraire un souci d’égalité entre tous les enfants.

Quant à supprimer l’accès du médecin à ces données, cela reviendrait à créer une discrimination entre les enfants, c’est pourquoi il est absolument nécessaire de le maintenir. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 1124.

Elle est saisie de l’amendement n° 600 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. L’amendement n° 600 vise à ce que la conception par assistance médicale à la procréation soit indiquée dans le dossier médical partagé et dans le carnet de santé. En effet, la conception par AMP est un acte médical, qui a des conséquences dans la vie et l’histoire médicale des enfants conçus au moyen d’un don. On ne peut laisser des enfants entrer dans un cabinet médical et, à la question des antécédents médicaux, devoir réexpliquer à chaque fois leur histoire.

Par ailleurs, une femme qui n’aurait pas accès à ses origines se posera certainement des questions quant à son risque de contracter un cancer du sein au cours de sa vie, et il serait intéressant pour elle de bénéficier d’un suivi médical un peu plus poussé que la moyenne.

L’inscription dans le dossier médical partagé et le carnet de santé permet un meilleur suivi médical dans l’intérêt supérieur des enfants conçus par don. Pour ce qui est de l’inscription dans le carnet de santé, certains objecteront que l’enfant pourra apprendre en consultant ce document qu’il a été conçu par AMP. Cette hypothèse est peu probable car, à supposer même que les enfants puissent déchiffrer cette mention – chacun sait que l’écriture des médecins est généralement illisible –, la plupart d’entre eux ne sauront pas ce qu’elle signifie. À l’inverse, la mention de la conception par AMP dans le carnet de santé peut constituer le support ou le prétexte d’une discussion pour les parents qui souhaiteraient évoquer ce sujet avec leur enfant – les psychanalystes évoquent souvent la nécessité de disposer d’un élément matériel pour engager une discussion de ce type.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je comprends votre préoccupation, mais je suis défavorable à cet amendement. En effet, le carnet de santé est accessible à tous, notamment à l’enfant, alors que le texte prévoit le principe d’un accès aux origines à la majorité. Votre proposition irait donc à l’encontre du droit que nous créons, ainsi que des précautions dont nous souhaitons l’entourer. Par ailleurs, d’autres rapporteurs, à savoir M. Eliaou et Mme Romeiro Dias, ayant déposé des amendements portant sur le dossier médical partagé, nous aurons d’autres occasions d’évoquer ce point.

M. Jean-François Eliaou. Il aurait sans doute été préférable que tous les amendements ayant trait au dossier médical partagé soient classés à la suite, afin que nous puissions les examiner tous ensemble. L’inscription dans le carnet de santé ne me paraît pas une bonne idée, dans la mesure où il est accessible à tous. En revanche, j’ai déposé un amendement visant à ce que la conception par AMP soit indiquée dans le dossier médical partagé, que nous examinerons ultérieurement. En tant que médecin, il me semble en effet important, au-delà de la question de l’accès aux origines, de disposer d’informations sur les antécédents médicaux, en particulier en termes de génétique, et bien avant la majorité du receveur.

Quand un enfant né d’une AMP avec tiers donneur est atteint d’une maladie à composante héréditaire, il est nécessaire que le donneur soit alerté
– parce qu’il a pu faire d’autres dons, mais aussi parce que l’information est importante pour lui-même et ses propres enfants. De même, si le donneur est atteint d’une maladie héréditaire avant la majorité du receveur, celui-ci doit être alerté. Nous devons donc inventer un système permettant que l’alerte puisse être donnée, dans un sens comme dans l’autre : j’ai proposé que ce soit au moyen du dossier médical partagé, mais d’autres solutions peuvent être envisagées.

M. Charles de Courson. On ne doit en aucun cas faire figurer cette information dans le carnet de santé. Toutes les auditions ont montré que c’est aux parents, au sens juridique du terme, d’expliquer peu à peu à l’enfant comment il a été conçu, en fonction de sa maturité, comme en matière d’adoption. C’est la solution idéale. Quand on inscrit son enfant à l’école, on produit le carnet de santé. En cas d’indiscrétions, vous imaginez bien le traumatisme si les parents n’ont pas encore jugé utile d’en parler.

En ce qui concerne le dossier médical partagé, cet amendement est-il nécessaire ? Il s’agit, en effet, d’un acte médical : l’information figure-t-elle déjà dans le DMP, madame la rapporteure, aussi bien du côté des parents que de l’enfant ? Si ce n’est inscrit nulle part, on peut y réfléchir – mais on ne doit pas passer par le carnet de santé.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous ne voterons pas en faveur de cet amendement, car une inscription dans le carnet de santé ne nous semble pas du tout une bonne idée. Ce document suit l’enfant partout où il va : à la crèche, chez l’assistante maternelle, à l’école, parfois, ou dans les centres de loisirs. Il appartient aux parents de choisir à quel moment il faut révéler – ou non – à l’enfant son mode de conception. La nounou n’a pas à le savoir, ni à le dire à d’autres personnes… En ce qui concerne le dossier médical partagé, il me semble que votre amendement est déjà satisfait.

Mme Géraldine Bannier. J’entends les réserves exprimées à propos d’une mention dans le carnet de santé. Ce qui est important est que l’information soit partagée entre médecins. Je vais retirer mon amendement si vous êtes d’accord pour utiliser plutôt le dossier médical partagé.

L’amendement n° 600 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette ensuite l’amendement n° 503 de M. Patrick Hetzel.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1589 de M. Pierre-Alain Raphan et n° 1898 de Mme Frédérique Lardet.

Mme Coralie Dubost, rapporteur. J’émets un avis défavorable. Je ne vois pas comment un médecin pourrait intervenir en cas d’union civile.

La commission rejette successivement les amendements n° 1589 et n° 1898.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2269 de la rapporteure.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 1581 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. L’objectif de l’amendement est de préciser à l’alinéa 2 que les embryons peuvent être concernés – il n’y a pas que le cas des gamètes.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vous propose de retirer votre amendement car il est satisfait compte tenu de la définition du tiers donneur.

L’amendement n° 1581 est retiré.

La commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2270 de la rapporteure.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 1936 de Mme Laëtitia Romeiro Dias et n° 529 de M. Jean-François Eliaou.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. L’amendement n° 1936 vise à permettre aux enfants conçus par don de gamète ou d’embryon de bénéficier d’une prise en charge médicale appropriée quel que soit le choix des parents quant à la révélation, ou non, à l’enfant de son mode de conception. Nous devons éviter toute intrusion au sein des familles et il faut respecter le choix des parents au sujet de la transmission d’une telle information à l’enfant. Néanmoins, notre rôle est de nous assurer que tous les enfants ont un accès égal aux soins et une prise en charge médicale efficace.

M. Jean-François Eliaou a déjà parlé de cette question. Comment pourrait-on nier, de nos jours, l’importance des antécédents en ce qui concerne les décisions et les investigations médicales ? Comment assurer une bonne prise en charge si le médecin n’est pas informé du recours à un tiers donneur et qu’il se fonde sur des antécédents médicaux erronés ? Je propose que le mode de conception figure dans le DMP, avec une mention indiquant si l’enfant est informé ou non.

Pourquoi choisir le DMP ? Tous les enfants en auront un dans quelque temps. Les informations ne sont accessibles qu’aux professionnels et elles sont soumises au secret médical. La mention que je propose d’instaurer pourra à tout moment être supprimée ou masquée quand un professionnel n’a pas besoin de la connaître. Cela évitera aussi aux parents de devoir réexpliquer leur parcours de procréation à chaque consultation. Le DMP est géré par le représentant légal du mineur. Enfin, une telle inscription est la seule manière de respecter le choix des familles en ce qui concerne la révélation ou non à l’enfant de son mode de conception sans que cela ait une incidence sur le parcours de soins.

M. Jean-François Eliaou. Je ne vais pas tout réexpliquer : nous avons déjà parlé plusieurs fois de cette question. Il n’y a pas actuellement de mention dans le DMP, parce que ce n’est pas encore prévu par la loi. Par ailleurs, les informations médicales inscrites sont soumises à l’approbation du patient ou de ses parents. Dans ce domaine, il faudra apporter une modification par décret.

Je ne suis pas nécessairement d’accord avec l’amendement n° 1936 : je ne pense pas qu’il faudrait indiquer dans le DMP, à l’attention du personnel médical, si l’enfant est informé ou non. S’il l’est, très bien ; si ce n’est pas le cas, il faudra une évaluation et une mise à jour systématique, ce qui représente une charge supplémentaire. Je préfère donc mon amendement, naturellement (Sourires).

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ces deux amendements visent à atteindre le même objectif, qui est d’assurer un bon suivi médical même si l’enfant n’est pas informé de son mode de conception. Vous voulez préserver la relation entre les parents et les enfants et le choix de révéler ou non la situation tout en permettant aux médecins de savoir ce qu’il en est des antécédents médicaux. Ces objectifs me paraissent bons et ils correspondent à nos principes constitutionnels
– le préambule de la Constitution de 1946 mentionne la protection de la santé.

Sur le plan rédactionnel, j’ai une petite préférence pour l’amendement de M. Eliaou : je crains que le fait de mentionner si l’enfant est informé ou non de son mode de conception porte à confusion. Par ailleurs, il faudra apporter en séance des modifications si l’amendement est adopté, notamment pour renvoyer à un décret. On devra faire en sorte que l’information reste confidentielle et qu’elle ne soit pas révélée à l’enfant.

M. Philippe Vigier. Il faut l’accord de la personne concernée ou des parents : tout le monde n’est pas obligé d’accepter que ses informations médicales figurent dans le DMP, ce qui change tout. Cela ne signifie pas que je suis opposé à l’amendement de M. Eliaou, qui me paraît intelligent et subtil.

Si jamais quelqu’un a donné des gamètes, qu’ils sont congelés et que l’on détecte quelques années plus tard l’existence d’une maladie, il doit y avoir une information médicale. En l’absence de destruction des gamètes, une maladie, qui peut être récessive, risque d’être transmise.

Rend-on le DMP obligatoire ? C’est extrêmement important du point de vue de l’efficience des soins, mais cela représente un changement complet par rapport à la situation actuelle. Par ailleurs, l’utilisation d’un cryptage pour l’inscription de certaines pathologies dans le DMP permet de réserver l’accès à l’information à certains acteurs et de préserver le secret, qui ne doit pas être éventé.

M. Jean-François Eliaou. Tout à fait.

M. Pierre Vatin. Je m’inquiète du risque que l’enfant, même s’il n’a pas lui-même accès au DMP, puisse incidemment en avoir connaissance et découvre qu’il est issu d’une conception impliquant un tiers donneur si les parents sont un peu négligents et qu’ils laissent, par exemple, leur ordinateur ouvert.

Mme Martine Wonner. J’ai également déposé un amendement sur cette question. De quel DMP parlons-nous ? Il ne doit surtout pas s’agir de celui de l’enfant. Il faut qu’il puisse savoir, à un moment ou un autre de son évolution, qu’il est né à l’issue d’un don, mais ce n’est pas le sujet qui nous préoccupe pour le moment. L’enfant pourra accéder à son DMP à partir du moment où il aura sa propre carte Vitale, c’est-à-dire à 16 ans. Celui-ci, pas plus que le carnet de santé, ne doit comporter d’indication si l’enfant ne sait pas qu’il est né à l’issue d’un don.

En revanche, il est absolument fondamental pour certaines pathologies qu’un médecin s’occupant de l’enfant puisse accéder aux données médicales du donneur, c’est-à-dire à son DMP, sans que l’anonymat soit remis en cause. Il est essentiel pour la santé de l’enfant que l’on puisse accéder non seulement aux données disponibles au moment du don, mais aussi au DMP complété par des informations sur les pathologies que le donneur peut avoir développées depuis.

Enfin, je rejoins ce qui a été dit précédemment : c’est le titulaire du DMP qui ouvre l’accès à celui-ci. Dans ces conditions, on ne pourrait pas interdire au donneur de le refuser.

M. Charles de Courson. On doit peaufiner ces amendements. On ne sait pas à quels dossiers médicaux partagés on doit faire référence : s’agit-il de celui de l’enfant, de ceux des deux parents – s’il y en a deux – ou seulement de celui qui a un reçu un don ? Dans un premier temps, jusqu’à l’âge de 18 ans, il me semble que cela devrait uniquement concerner le DMP du parent qui a reçu un don de spermatozoïdes ou d’ovocytes. L’enfant pourra avoir accès à son DMP à partir de 16 ans : il peut y avoir un problème si les parents ne lui ont pas dit comment il a été conçu.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je suis très attachée à l’idée que les mentions figurant dans le DMP doivent pouvoir être contrôlées par le titulaire de ce dossier. Je suis favorable à ce que le recours à la PMA puisse être indiqué, à condition qu’il y ait un accord des parents ou de l’enfant – une fois qu’il est devenu adulte. En l’état, ces amendements posent beaucoup de questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponses. Il faut réfléchir à ce sujet, j’en conviens.

M. Olivier Véran. C’est un casse-tête. Ces amendements ouvrent vraiment un débat intéressant.

Tout d’abord, quelle est la finalité ? Est-ce de garantir que, quoi qu’il arrive, un enfant sera informé qu’il est issu d’une PMA, lorsqu’il aura atteint l’âge de consulter son propre DMP ? S’agit-il plutôt de donner des informations médicales en vue des soins et du suivi de l’enfant – et ensuite de l’adulte ?

Prenons le cas, par exemple, d’un jeune de 16 ans présentant des signes pouvant faire suspecter une maladie inflammatoire du système nerveux central. Si le jeune vient tout seul – c’est assez rare, mais admettons – et qu’il dit que son père a une sclérose en plaques, le médecin peut tenir compte de cet élément dans son diagnostic. En revanche, s’il est informé qu’il ne s’agit pas du père biologique, l’information relative aux antécédents parentaux sera extraite de l’évaluation et du diagnostic.

Il me semble que le secret médical n’est pas opposable au patient. Dans le cas d’un enfant de moins de 16 ans, il faut évidemment qu’il y ait un dialogue avec les parents. Il n’en reste pas moins que l’on va confier au médecin indirectement, par le DMP, un secret médical dont le patient n’a pas connaissance lui-même. C’est vraiment un casse-tête, mais je comprends l’intérêt médical, qui est manifeste même s’il n’est pas majeur, pour la prise en charge du patient.

Je suis assez d’accord avec la rapporteure : il faut revoir un certain nombre de points en ce qui concerne la forme et, peut-être, apporter quelques garanties sur les modalités de fonctionnement du dispositif au plan éthique.

Mme Aurore Bergé. J’entends bien l’argument selon lequel il faut pouvoir accompagner au mieux, sur le plan médical, un enfant né à la suite d’un don. Néanmoins, est-ce vers le DMP qu’il faut se tourner ? Par ailleurs, peut-on vraiment garantir que l’enfant n’aura jamais accès à l’information, par quelque moyen que ce soit, avant l’âge de 18 ans ?

Nous souhaitons – nous l’avons dit lors de l’examen de l’article 1er – que ce soit les parents qui décident du moment approprié pour révéler – ou non – le don. Nous les encourageons à le faire, mais c’est à eux de prendre la décision.

Autre élément, si une mention dans le DMP d’un enfant est soumise à l’autorisation des parents, il n’y a aucune garantie qu’elle sera apportée. On n’aura pas la possibilité de contraindre les parents : cela n’aura pas de caractère contraignant.

Je comprends l’objectif, mais le DMP est-il le meilleur moyen de l’atteindre ? L’effectivité du dispositif est-elle garantie ? Je me demande si l’on ne pourrait pas retravailler sur certains aspects en vue de la séance.

Mme Géraldine Bannier. Il est important de régler le problème lié au mensonge. Si un adolescent ne sait pas qu’il a été conçu dans le cadre de l’AMP, on ne connaîtra pas les antécédents médicaux, alors qu’ils peuvent exister. Je souhaite que l’on utilise le DMP de l’enfant pour que les médecins connaissent la situation.

M. Philippe Gosselin. On voit bien la difficulté soulevée par ces amendements. On est au cœur des données personnelles de santé, qui sont un sujet extrêmement délicat. Avec le DMP, le secret médical pourrait bousculer le secret de famille : on entre dans l’intimité des familles et pas seulement dans celle des personnes nées à l’issue d’une AMP. Je ne sais pas si ces dispositions sont vraiment complètes et si elles constituent la bonne porte d’entrée – je n’ai pas de parti pris. On doit travailler collectivement sur ce sujet d’ici à la séance. Cela pose notamment la question du contenu et de l’opposabilité du DMP, dont nous avons déjà débattu hier. Si ce dossier est une coquille vide et que l’on ne peut pas l’utiliser, il ne présente pas d’intérêt. Prenons garde, aussi, à ne pas instituer des régimes différents selon les sujets.

M. Jean-François Eliaou. J’ai bien entendu les interventions des uns et des autres. Il va falloir travailler la rédaction. Je vais donc retirer mon amendement et je vous proposerai d’en déposer un autre en séance, dans une logique transpartisane.

Je tiens à souligner plusieurs éléments. Il y a une rupture d’égalité entre les enfants nés à l’issue d’un don et les autres en ce qui concerne la possibilité de connaître les antécédents familiaux. Par ailleurs, on peut sanctuariser les données – elles ne seront pas nécessairement divulgables à tout le monde. Je crois qu’il est très important de trouver un moyen de donner l’alerte : aucun élément de la chaîne ne doit être manquant.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Afin de travailler d’une manière collective et d’apporter toutes les réponses aux questions qui peuvent se poser, je vais également retirer mon amendement.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je crois qu’il y a deux questions. Tout d’abord, quelle est la nature des données qui doivent figurer dans le DMP ? Ensuite, comment peut-on s’assurer de connaître les antécédents médicaux en cas de pathologie chez l’enfant ?

La conception impliquant un tiers donneur n’est pas une donnée médicale : c’est une donnée intime, et on peut s’interroger sur la pertinence de la faire figurer dans le DMP. Sans anticiper sur les débats qui pourraient avoir lieu lors de l’examen de l’article suivant, je rappelle que certains d’entre vous ne veulent pas que l’état civil mentionne le mode de conception. Avec ces amendements, il s’agirait de l’inscrire dans le DMP.

Je voudrais également souligner que toutes les informations médicales importantes sont déjà couvertes par la loi. Ne fantasmons pas trop sur les zones d’ombre.

Vous savez, par ailleurs, que la sélection du donneur fait l’objet d’un questionnaire médical très poussé.

Même s’il est possible de cacher un certain nombre de données au sein du DMP, l’enfant pourrait ne pas être au courant de son mode de conception alors qu’un certain nombre de professionnels le seraient. Ce n’est pas nécessairement la philosophie de ce que nous voulons faire dans l’intérêt de l’enfant.

Autre élément à prendre en compte dans la réflexion, il faut distinguer la mention du mode de conception dans le DMP, ce qui est l’objet des amendements, auxquels vous avez compris que le Gouvernement est plutôt défavorable, et l’alerte relative à un antécédent médical : celle-ci doit effectivement être inscrite dans le DMP afin que l’ensemble des professionnels de santé en aient connaissance.

En réalité, il existe déjà des dispositifs permettant de répondre aux questions que vous posez, à la fois en cas de nécessité thérapeutique pour l’enfant conçu à partir de gamètes issus de dons et de découverte d’une anomalie génétique chez le donneur – cela fonctionne dans les deux sens. Il s’agit des articles L. 1244‑6 et L. 1131-1-2 du code de la santé publique. C’est un médecin du CECOS qui est alors alerté. C’est lui qui a l’expertise et peut-être aussi la sensibilité pour traiter ce genre de questions et entrer en contact avec l’enfant.

Pour toutes ces raisons, il me semble que le DMP n’est pas nécessairement le bon vecteur à utiliser ou, en tout cas, pas sous la forme d’une mention automatique du mode de conception.

Les amendements n° 1936 et n° 529 sont retirés.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 2271 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Par coordination avec l’alinéa 51, qui modifie un article du code pénal, l’amendement n° 2271 tend à remédier à un oubli dans l’article « miroir » du code de la santé publique : il faut mentionner le cas de la femme non mariée.

La commission adopte l’amendement n° 2271.

Elle examine ensuite l’amendement n° 392 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Mon amendement vise à apporter une précision. Il peut y avoir deux donneurs en cas de don d’embryon. Il est vrai que seule une trentaine d’enfants sont issus chaque année d’un don d’embryon dit surnuméraire, mais le projet de loi ne me paraît quand même pas très bien rédigé sur ce point.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Votre amendement est déjà satisfait par la définition du tiers donneur. Cela peut couvrir aussi bien une personne qu’un couple.

L’amendement n° 392 est retiré.

La commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2272 de la rapporteure.

 

 

 

 


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Réunion du jeudi 12 septembre 2019 à 14 heures 30 ([8])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi relatif à la bioéthique.

Article 3 (suite)
Droit d’une personne conçue dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur d’accéder à ses origines

La commission examine les amendements identiques n° 239 de M. Patrick Hetzel, n° 562 de Mme Annie Genevard et n° 686 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Nous sommes hostiles à l’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires, suivant en cela l’avis de nombreux spécialistes de la famille et de l’enfance. L’État n’a pas, selon nous, à permettre le développement de familles monoparentales qui ne résultent en rien d’accidents de la vie.

Mme Annie Genevard. Les pouvoirs publics et la majorité ont adopté plusieurs mesures à l’attention des femmes contraintes d’élever seules leurs enfants. Il nous paraît donc incohérent de ne pas tenir compte ici de leur fragilité et d’encourager, avec cette loi, la maternité chez les femmes célibataires.

Mme Coralie Dubost, rapporteure sur les articles 3 et 4. Ces amendements vont à rebours de notre réforme, qui consiste à ouvrir la PMA à toutes. En outre, ils ont pour effet incident d’exclure de la définition de tiers d’honneur la femme seule. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 239, n° 562 et n° 686.

Elle est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements n° 1982 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe et n° 1178 de M. Philippe Berta.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Il s’agit de revoir les droits du donneur, auquel le présent projet de loi n’accorde pas une place considérable.

Conformément aux recommandations du Conseil d’État, nous proposons que le tiers donneur donne son consentement à l’accès à son identité au moment de la demande de l’enfant devenu majeur et non au moment du don. Il s’agit en effet de préserver les dons de gamètes, qui pourraient être compromis par la levée de l’anonymat, mais également de mieux prendre en compte le droit à la vie privée et familiale du donneur, dont la situation peut avoir évolué ; enfin le consentement du donneur peut apparaître plus éclairé au moment de la majorité de l’enfant qu’au moment du don.

Quoi qu’il en soit, je m’interroge sur la levée de l’anonymat, alors qu’il est la règle en matière de dons d’organes et qu’en l’occurrence, les affects sont plus forts.

M. Philippe Berta. Notre amendement vise à respecter le droit du donneur à accepter ou à refuser la levée de l’anonymat, au moment où la demande est formulée par l’enfant conçu par assistance médicale à la procréation, avec les gamètes qu’il a donnés.

Sa rédaction, conforme aux préconisations du Conseil d’État, ménage le plus juste équilibre entre le respect de l’enfant et celui du donneur. Elle permet l’expression d’un consentement éclairé par la connaissance des circonstances existantes au moment où cette demande serait formulée.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ce projet de loi entend consacrer le droit d’accès aux origines comme un droit inconditionnel, un droit fondamental, d’intérêt vital pour l’enfant.

Il serait donc préjudiciable de créer une rupture d’égalité entre les enfants issus de l’AMP, en permettant au donneur de revenir éventuellement sur son consentement. Si désormais la procréation par AMP est assumée, le don doit l’être également, avec toutes les conséquences qu’il entraîne.

La commission rejette successivement les amendements n° 1982 et n° 1178.

Puis elle en vient à l’amendement n° 2295 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement propose de corriger la rédaction de l’alinéa 9, qui consacre le principe du droit d’accès aux origines, afin de lever toute confusion entre le tiers donneur et l’enfant.

M. Charles de Courson. Vous avez remplacé le mot « enfant » par le terme de « personne », ce qui est une bonne chose si l’on se réfère à un majeur.

En revanche, le texte du Gouvernement spécifiait qu’un enfant pouvait, à sa majorité, et s’il le souhaitait, accéder à l’identité du tiers donneur, cette dernière condition ne s’appliquant pas à l’accès aux données non identifiantes, ce qui n’est plus le cas avec votre rédaction.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cette nouvelle rédaction a pour objectif de lever toute ambiguïté sur le fait qu’à sa majorité un enfant né grâce à un tiers donneur peut demander à prendre connaissance soit des données non identifiantes de ce tiers donneur, soit de son identité, soit des deux, le « et » ayant valeur de « et/ou ».

M. Bruno Fuchs. Nous créons avec cette disposition, un type de relation qui n’existe pas aujourd’hui, à savoir la relation entre un enfant né d’un don et son donneur. Autant l’accès aux origines ne pose pas de problème majeur, si l’on s’en tient aux données non identifiantes, autant l’accès à l’identité peut déboucher sur une relation réelle, dont on ne sait ni comment la définir ni comment elle peut évoluer : on peut parfaitement imaginer, par exemple, un jeune issu d’une famille en grande difficulté, dont le donneur a, au contraire, très bien réussi dans la vie et avec lequel il essaiera d’entrer en contact.

Nous nous efforçons de distinguer ce qui est de l’ordre de la filiation de ce qui est de l’ordre de l’accès aux origines, mais on ignore encore si l’accès à l’identité du tiers donneur et la relation hybride qui en découlera n’auront pas de conséquences sur les liens familiaux de la personne née du don. Je ne dis pas que nous ne devons pas le faire, mais nous n’avons aucune visibilité.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je suis favorable à l’amendement de Coralie Dubost, qui clarifie la rédaction initiale.

Je précise par ailleurs que l’enfant a le droit d’obtenir des données non identifiantes sur son donneur et, s’il le souhaite, d’aller au-delà, et d’obtenir son identité. Le donneur, quant à lui, n’est en aucun cas dans l’obligation de rencontrer le jeune.

M. Pierre Dharréville. Je vais défendre ici l’amendement que j’ai déposé et que l’adoption de celui-ci risque de faire tomber.

Si je suis favorable à la transmission des données non identifiantes, je suis perplexe sur la levée de l’anonymat, dont vous dites qu’elle est partielle mais qui est une réalité. Certes, on ne peut rester insensible aux témoignages de celles et ceux qui aspirent à en savoir plus sur leurs origines, mais leurs questions peuvent‑elles toutes obtenir des réponses ?

Leur quête, inhérente à tout être humain, pose plusieurs questions, et d’abord celle de l’intégrité du don. À mon sens, l’anonymat et l’une des garanties et des caractéristiques de cette intégrité.

Elle pose ensuite une question de cohérence. En effet, alors que cette réforme entend rompre avec la logique de la vraisemblance biologique sur laquelle reposait jusqu’à présent l’AMP avec tiers donneur, permettre l’accès à l’identité du donneur est une façon de conforter la dimension biologique de la conception et de l’identité.

Je m’interroge également sur les conséquences que cette décision pourrait avoir sur l’accouchement sous X.

Enfin, je crains de voir surgir une forme de droit opposable aux origines. S’il est inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant que l’enfant a le droit à un nom et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux, il serait souhaitable que nous précisions ce que nous‑mêmes entendons par droit aux origines, et si cela s’inscrit bien dans le registre de la convention.

Être né d’un don est une belle chose, et nous avons tous ici à cœur de le valoriser. En revanche, connaître son donneur et explorer ce faisant la dimension biologique de son identité n’est pas nécessairement ce que nous entendons privilégier. Cela mérite débat.

J’ajoute que, très concrètement, cette disposition peut avoir un effet très déstabilisant pour les familles et engendrer bien des illusions chez les enfants.

M. Pascal Brindeau. Ma remarque est d’ordre grammatical : il me semble que la mention « à sa majorité » devrait être mise entre virgules, voire déplacée en début de phrase.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. M. Dharréville a exactement et mieux que je ne l’aurais fait exprimé ma pensée. La ministre nous dit que la rencontre avec son donneur n’est pas un droit pour l’enfant, mais je ne vois pas comment on peut l’empêcher, sur simple injonction – en témoignent les difficultés que nous avons à empêcher les parents agresseurs d’approcher du domicile de leurs enfants.

Par ailleurs je redis combien le consentement donné quand on est jeune ne peut être considéré comme un consentement éclairé concernant des faits qui se dérouleront vingt ou trente ans après, à un moment où les circonstances de la vie ne seront plus les mêmes.

M. Hervé Saulignac. Nous avons à prendre une décision qui, si elle est adoptée, sera lourde de sens et constituera un changement radical. Jusqu’à présent étaient privilégiés les parents, qui pouvaient garder le secret de la conception et le donneur, qui pouvait rester anonyme. Or, il ressort des auditions des personnes nées d’un don que, pour certaines, ne pas connaître l’identité de leur donneur est une souffrance qu’on ne peut ignorer.

Certes, les risques existent et ils sont nombreux, Je ne crois pas qu’on évitera les rencontres car, dès lors que l’on possède une identité, il est facile de trouver une adresse et d’aller frapper à la porte. Toutes les questions qu’a soulevées notamment Pierre Dharéville sont légitimes, mais elles ne trouveront pas de réponse tant que cette disposition n’aura pas été mise en œuvre. En d’autres termes, nous sommes invités à légiférer à l’aveugle à tout le moins, « d’une main tremblante ». Quelles que soient cependant les incertitudes, l’enjeu est tel que notre groupe votera cet amendement.

Mme Martine Wonner. Je me réjouis de cette avancée extraordinaire, et je voudrais répondre aux inquiétudes qui s’expriment. L’exemple des autres pays européens montre que la possibilité offerte aux enfants issus d’un don de connaître l’identité de leurs donneurs modifie le profil de ces derniers, qui sont aujourd’hui plus mûrs et plus réfléchis. Il n’y a aucune raison de penser que ce nouveau droit va entraîner une diminution des dons.

M. Jean-Louis Touraine. Nous devons admettre ensemble que les enfants se développeront mieux dans la vérité. Je ne pense pas qu’il faille d’ailleurs opposer les droits de l’enfant et ceux de ses parents, ou du donneur. Les parents y trouveront leur compte, avec la fin de ces secrets de famille, qui faisaient beaucoup de dégâts et aboutissaient, le jour où l’enfant découvrait la vérité, à une rupture de la confiance.

Quant aux donneurs, l’exemple des pays d’Europe du Nord montre en effet que leur profil va évoluer et que l’on aura affaire à des hommes prêts à échanger avec les enfants qui seront nés grâce à leur magnifique générosité. Cela constituera une forme de gratification morale importante. Il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter de cette évolution.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je ne suis pas certaine qu’une fois que cette possibilité leur sera offerte tous les enfants nés du don souhaiteront connaître leur donneur. Il me semble que ce qui leur est insupportable aujourd’hui, c’est de ne pas en avoir la possibilité, mais que tous ne choisiront pas d’avoir des données identifiantes, voire de rencontrer leur donneur, se bornant à obtenir des données non identifiantes.

Dans le premier cas, le rôle de la Commission sera précisément d’apporter au jeune un accompagnement et de faire l’interface avec le donneur, afin que la rencontre, si elle a lieu, se fasse dans les meilleures conditions. Selon moi, le risque qu’un enfant tente de rencontrer son donneur malgré le refus de celui-ci est faible.

Monsieur Dharréville, vous avez parlé de levée de l’anonymat. Il ne s’agit pas de cela. L’anonymat, c’est ce qui préserve la relation entre un donneur et celui qui reçoit le don, et cet anonymat est, en l’espèce, garanti, au moment de la procréation médicalement assistée, entre le donneur et le couple. À la différence du don de tissus, de cellules ou d’organes, il y a, dans l’AMP, une tierce personne qui est l’enfant. Nous proposons de lui donner accès, à sa majorité, à des données non identifiantes ou identifiantes concernant son donneur, ce qui n’est pas stricto sensu ce que l’on qualifie de levée de l’anonymat dans le cas des greffes. Je souhaiterais donc qu’on ne mélange pas les deux notions, cela crée de la confusion.

M. Thibault Bazin. Pourriez-vous nous indiquer, madame la présidente, quels sont les amendements qui tomberaient du fait de l’adoption de l’amendement de la rapporteure ?

J’ai moi-même en effet déposé un amendement pour préciser la notion de données non identifiantes en ajoutant « y compris indirectement ». En effet, comme nous l’a indiqué la CNIL, des données a priori non identifiantes peuvent malgré tout aboutir à révéler l’identité du donneur.

Je voudrais insister par ailleurs sur le fait que le besoin de connaître l’identité de son donneur sera d’autant plus fort qu’un enfant élevé par une femme seule ayant eu recours à un tiers donneur n’aura qu’une seule lignée, celle de sa mère.

Cela étant, je suis plutôt favorable à la levée de l’anonymat, à condition toutefois qu’elle ne concerne pas l’accouchement sous X.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Bazin, l’amendement de la rapporteure ferait tomber les amendements suivant jusqu’au n° 1832 inclus.

Mme Annie Genevard. Lors de nos auditions, l’un des intervenants nous a dit que le droit d’accéder à ses origines et le droit de ne pas révéler le don, le droit donc au respect de la vie privée, étaient des principes d’égale portée juridique.

Il faut en avoir conscience, car beaucoup, dont le rapporteur Touraine, ont des positions très radicales sur le don, estimant que le dissimuler est un mensonge délibérément entretenu, et que sa révélation, à l’âge de la majorité, peut, à en croire les psychiatres, avoir des effets dévastateurs.

J’ai conscience que savoir d’où l’on vient est une aspiration humaine très profonde, mais il faut aussi respecter les familles qui veulent garder le silence. Or, l’ouverture de la PMA aux femmes seules vient contredire cette liberté individuelle et, de ce point de vue-là, la loi n’apporte pas de réponse satisfaisante.

M. Bruno Fuchs. Pourquoi ne pas dissocier en deux amendements les deux questions, d’une part celle des données non identifiantes, d’autre part celle de l’identité du donneur, dont la révélation nous entraîne dans un processus dont on ne connaît pas les conséquences ? Peut-être des psychanalystes nous diront-ils, dans vingt ans, que nous avons commis une grave erreur et que nous avons créé des situations pires que celles qui se caractérisaient par le fait de ne rien savoir.

M. Pierre Dharréville. Je suis à peu près convaincu, à l’heure où je vous parle, qu’il n’existe pas de prédétermination biologique de la personne. Or, c’est de cela que nous sommes en train de discuter.

Par ailleurs, vous nous dites, madame la ministre, que le don est fait aux parents. Je pense qu’il est aussi fait à l’enfant, et l’argument du droit de l’enfant me paraît donc assez discutable, dans la mesure où, en réalité, ce droit n’est ouvert qu’à la majorité.

Je voudrais également pointer la contradiction qui consiste, d’une part, à invoquer le droit d’accès aux origines et, d’autre part, à interdire les tests génétiques. Ce sont autant de questions auxquelles nous devons répondre avec cohérence et sur le long terme, de la même façon que nous ne pourrons faire l’économie d’un vrai débat sur la médecine prédictive.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Force est de constater que, même au sein de notre groupe, cette disposition suscite des divergences. Cela étant, les auditions ont clairement mis en évidence tout l’intérêt qu’il y avait à lever cet anonymat à la majorité de l’enfant. Tout le monde n’est pas encore convaincu, mais nous sommes nombreux à avoir évolué sur cette question. Refuser cette évolution reviendrait à se cacher derrière son petit doigt, compte tenu des tests génétiques qui sont à disposition sur le marché. Cela serait particulièrement malvenu de la part du législateur.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je me permets d’insister sur le choix des mots. Nous n’avons pas parlé dans le texte de levée de l’anonymat ni d’accès aux origines. Nous avons choisi de dire que l’enfant pouvait accéder à des données non identifiantes ou identifiantes sur son donneur. Cela confère au donneur un statut qui n’est ni celui du père biologique ni celui d’un substitut paternel.

Je répète également qu’il ne s’agit pas d’une levée de l’anonymat, puisque le couple de receveurs peut ne jamais disposer des informations, si l’enfant ne veut pas les lui donner.

Les termes d’accès aux origines ne nous conviennent pas non plus, et nous estimons que parler d’accès à des données non identifiantes et identifiantes est plus rigoureux.

Je rejoins Mme de Vaucouleurs : ce que nous mettons en place permet une intermédiation par une commission, qui sera en charge d’accompagner et éventuellement d’aider l’enfant à se repérer dans ses désirs et ses besoins, dans son positionnement. Cela nous paraît mieux cadré que la pratique sauvage des tests génétiques, qui permettent à des enfants de faire effraction dans des familles, des années après un don.

Enfin, Madame Genevard, vous soulevez le cas des femmes seules qui pourront révéler ou non à leur enfant qu’il est né d’un don. C’est déjà le cas, dans les 4 % de couples hétérosexuels ayant recours à la PMA qui ont dû faire appel à un tiers donneur et dans lesquels il ne dépend que des parents d’en informer leur enfant. En réalité, les seuls à savoir systématiquement qu’ils sont issus d’un tiers donneur seront les enfants nés dans un couple homosexuel.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Il est important, quand on consacre un nouveau droit, d’en dessiner les contours et d’en comprendre les objectifs. Nous n’innovons pas : le droit que nous mettons en place a été consacré depuis 1984 dans différents pays d’Europe ; en 2017, l’Allemagne l’a inscrit dans les textes, alors que la Cour constitutionnelle l’avait déjà consacré en 1989.

Nous savons donc où nous allons, et il n’y a pas de craintes particulières à avoir, notamment concernant la pénurie de dons. Les États ayant autorisé l’accès aux données n’ont rien constaté de tel, mais plutôt une évolution du profil des donneurs.

J’ai la conviction intime que nous opérons un véritable changement culturel, qui va permettre de mettre fin au tabou de l’infertilité et de la PMA qui régnait dans les couples hétérosexuels au nom d’une conception de la famille construite sur la vraisemblance biologique ; d’où l’anonymat des dons de gamètes organisé en 1994. Aujourd’hui, nous voulons ouvrir la communication dans les familles et sensibiliser la population à la problématique du don – la ministre nous a annoncé que de grandes campagnes de sensibilisation seraient lancées.

Par ailleurs, il n’y a pas de levée de l’anonymat, puisque le don reste parfaitement anonyme au regard de la société, et que le donneur et le receveur ne se connaissent pas. Nous offrons simplement aux enfants nés d’un don la possibilité d’accéder, à leur majorité, à des origines personnelles qui vont les aider à construire leur identité.

Parmi toutes les personnes nées d’un don que nous avons entendues, certaines cherchaient à connaître leur donneur, d’autres non, mais toutes ont expliqué que cette recherche n’était pas la quête d’un parent de substitution mais une quête d’identité, qui ne remettait nullement en cause le lien avec leur famille. C’est important de le répéter pour éviter toute confusion des genres.

Il n’y aura pas non plus, par ricochet, de conséquence sur l’accouchement sous X, puisque l’article spécifie bien que la mesure est circonscrite à l’assistance médicale à la procréation.

Puisqu’enfin cet amendement va en faire tomber certains, je tiens à signaler qu’il a été inspiré par le travail qu’ont mené les uns et les autres.

Mme Elsa Faucillon. Ma réflexion sur le sujet n’est pas encore complètement aboutie, et je me laisse jusqu’à la discussion dans l’hémicycle.

À l’heure qu’il est, je considère en tout cas qu’il est primordial de lutter contre le secret, qui peut être dramatiquement délétère dans la construction d’un enfant. Cela étant, je me demande si le fait d’autoriser un enfant à disposer d’informations sur son donneur ne va pas paradoxalement renforcer cette culture du secret, dans la mesure où certains parents n’auront pas envie qu’un tiers inconnu s’immisce entre eux et leurs enfants. J’aimerais avoir votre sentiment sur ce problème.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement va faire tomber l’amendement  1178 de M. Berta. Or les juristes que nous avons auditionnés nous ont bien dit l’importance de trouver le juste équilibre entre, d’une part, les droits du donneur et, d’autre part, les droits de l’enfant. Il me semble qu’il y a un pas entre les données identifiantes d’un donneur et son identité complète. En franchissant ce pas, on instaure un déséquilibre que l’amendement  1178 s’efforçait de corriger.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Hetzel, l’amendement n° 1178 a déjà été rejeté.

M. Philippe Gosselin. La rapporteure veut nous rassurer en invoquant les exemples étrangers. J’entends que la France met ses pas dans des traces étrangères, mais notre pays a de certaines questions une approche spécifique, et les données de santé ainsi que leur protection ne sont pas tout à fait traitées de la même manière dans d’autres pays.

La notion de secret médical n’est pas non plus toujours comprise de la même façon, non plus que la notion de secret de famille. Et je ne parle même pas de la psychogénéalogie qui, depuis les années 1970, a fait des progrès non négligeables… Bref, compte tenu de ce qu’est la société française, les réponses apportées aux questions de bioéthique ne sont pas nécessairement les mêmes en France et à l’étranger. Se contenter d’invoquer l’exemple étranger me semble donc constituer une réponse un peu courte et maladroite.

D’où l’intérêt de mener une réflexion collective sur le sujet. Même sans être d’accord sur le fond, nos délibérations peuvent s’enrichir des doutes, des interrogations et des réponses de tous les membres de la commission. Sur ce point précis, il est sans doute important que l’enfant issu d’une PMA puisse disposer d’éléments identifiants sur la personne du donneur, mais, si ces éléments permettent de livrer l’identité complète de ce dernier, cela présente d’autres inconvénients qu’il est bon de mettre sur la table.

M. Brahim Hammouche. Je crois qu’il y a plusieurs niveaux de réflexion. Au niveau politique, c’est l’État qui organise le système des dons. Nous ne pouvons donc pas organiser un secret de famille qui serait aussi un secret d’État. Assumons au contraire nos responsabilités politiques, pour permettre l’accès potentiel à l’origine du don.

Mais il appartient effectivement aux familles, le cas échéant, de révéler les secrets de famille. Le praticien considère que mieux vaut toujours dire les choses, fussent-elles traumatisantes, inquiétantes ou angoissantes, de manière à définir un cadre susceptible de donner aux personnes concernées l’assurance nécessaire pour progresser ultérieurement.

Nous parlons de bioéthique, mais je crois qu’il est aussi important d’aborder la question biographique, en garantissant l’accès aux données grâce auxquelles la personne concernée pourra écrire son récit personnel, son récit de famille. Le récit des origines lui permettra de sortir d’un quelconque fantasme des origines.

Mme la rapporteure propose un amendement qui permet de lever toutes ces difficultés. À titre personnel, je soutiendrai son adoption.

M. Charles de Courson. Je voulais demander une précision à madame la rapporteure et, éventuellement, à madame la ministre. Puisqu’on parle d’identité du tiers donneur, j’ai pris avec moi ma carte d’identité. Les informations données y sont les suivantes : nom, prénoms, sexe, date de naissance, lieu de naissance, taille et adresse du moment.

Le texte définit les données non identifiantes mais pas l’identité. Qu’est-ce que l’identité, selon vous ?

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai deux questions. La première a trait à la formulation de l’alinéa 9. Vous dites que « toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité aux données non identifiantes et à l’identité de ce tiers donneur. » Or, ce matin, nous sommes tous tombés à peu près d’accord pour considérer que, pour les enfants procréés grâce à un donneur, il était important que le médecin qui suit la famille et l’enfant puisse avoir accès à cette information. Cela peut en effet avoir une influence sur le dossier et sur l’évolution médicale de l’enfant. Mais vous venez de nous dire, madame la rapporteure, que, si les familles ne veulent pas donner l’information à leur enfant, personne en fait ne les y obligera. Il y a là une forme de contradiction. Comment la résout-on ?

Deuxièmement, le tiers donneur sera-t-il informé que l’enfant a demandé à avoir accès à son identité ? Y a-t-il une réciprocité ou donne-t-on l’identité à l’enfant, avant qu’il en fasse ce qu’il veut ?

M. Olivier Véran. Nous envisageons une situation qui va concerner les futurs enfants, dans dix-huit ans. D’ici là, il pourra s’être passé énormément de choses. Songeons qu’il y a dix-huit ans, le séquençage du génome humain n’existait pas. Quelques années plus tard, le premier séquençage du génome humain allait coûter treize milliards de dollars et prendre des années entières. Aujourd’hui, des sites internet vous proposent de payer pour donner votre ADN, sur des bases de données américaines ou chinoises… Ainsi, nul ne peut savoir ce qui se passera dans dix-huit ans, en termes d’impact des nouvelles technologies de santé sur la connaissance des origines.

On sait que, jusqu’à présent, le choix du secret a été retenu. Car on ne savait pas si la pratique du recours au don ne serait pas marquée du sceau de la honte, celle de ne pas avoir pu avoir d’enfants. Aujourd’hui, nous nous trouvons liés par ce secret. Or les enfants qui sont devenus majeurs et qui ont, pour certains, trente ou trente-cinq ans, nous expliquent que le secret pour lequel nous avions opté à l’époque produit un impact sur eux, car ils ont envie de connaître leurs origines biologiques et, parfois, de disposer d’informations médicales. Cette curiosité pousse certains à aller jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme. Aujourd’hui, notre seule réponse est que nous sommes liés par ce secret, qui a fait l’objet d’un contrat il y a des décennies.

Voilà pourquoi entériner le fait qu’on va lever le secret et garantir ainsi à chacun le bénéfice d’informations, comme le propose cet amendement, nous donne la garantie de ne pas nous tromper. Nous avons maintenant suffisamment de recul pour le faire, sans compter l’expérience des pays étrangers.

M. Francis Chouat. Je soutiens l’amendement de ma collègue Coralie Dubost. Dans l’alinéa 9, il est question d’accéder à « des » données non identifiantes, alors que, dans l’amendement, il est question d’accéder « aux » données non identifiantes. Ce glissement de termes recouvre-t-il une réalité différente ?

M. Philippe Vigier. La levée du secret va constituer une avancée, et comme le disait Olivier Véran, nous en verrons la traduction dans 18 ans. Vous vous souvenez certainement du témoignage apporté, dans le cadre de nos auditions, par un enfant qui était né sous PMA et de la force avec laquelle il exprimait sa volonté de savoir qui, à un moment ou à un autre, avait fait en sorte qu’il puisse vivre ! C’était bouleversant. Je pense que vous connaissez tous du fait de vos expériences professionnelles ou familiales, des enfants qui ont été adoptés. Tous ceux que j’ai rencontrés voulaient savoir qui avaient été leurs parents biologiques.

Vous avez souligné, madame la ministre, un élément essentiel, à savoir que l’anonymat sera toujours respecté entre la receveuse et le donneur. En revanche, je vois mal comment on va éviter les rencontres. Il y aura tout un accompagnement psychologique à assurer. Nous devons faire en sorte que ce désir débouche sur un épanouissement, et non sur une frustration. La réaction des individus sera différente selon la qualité de l’accompagnement, mais je fais confiance aux équipes médicales pour y veiller.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Monsieur Chouat, le glissement que vous observez n’est pas un glissement substantiel. Les deux formulations reviennent absolument au même. Par ailleurs, vous savez qu’elles seront précisées par décret en Conseil d’État : nous posons, dans le texte législatif, le principe de l’accès aux données non identifiantes et il appartient ensuite au pouvoir réglementaire de préciser leur définition.

Monsieur de Courson, je vous remercie de soulever la question de la polysémie du mot « identité ». L’identité est à la fois ce qui nous rend identiques entre nous et pourtant si singuliers. La singularité de l’identité du donneur sera définie par décret en Conseil d’État, mais je pense, comme vous le confirmera sans doute Mme la ministre, qu’elle couvrira nom et prénom.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous envisagions en effet de proposer le nom, le prénom et la date de naissance. Cela sera précisé par décret.

Quant au lieu d’habitation, de toute façon, trente ans après, il ne servirait pas à grande chose. Car, puisqu’on parle de délais de 18 ans, je tiens à souligner qu’en réalité, si on prend en compte le temps nécessaire pour que la loi soit votée, ainsi que le temps nécessaire pour que les gamètes des nouveaux donneurs soient assez nombreux en stock pour qu’on passe d’un régime à l’autre, les premiers enfants nés sous ce nouveau régime et habilités à se faire connaître auprès de la commission ne se présenteront au mieux devant elle qu’en 2041 ou en 2042… Je ne suis donc pas sûre que l’adresse recueillie à la date de la naissance sera toujours la même à cette date.

M. Philippe Gosselin. Puisque vous parlez de la date de naissance, pouvez-vous nous parler aussi du lieu de naissance. Son omission est-elle volontaire ? Sans indication du lieu de naissance, vous ne pouvez pas retrouver l’état civil et il n’y a pas de généalogie ascendante possible… C’est un point intéressant.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous n’avons pas encore pris de décision aujourd’hui. Nous voulions proposer au Conseil d’État le nom, le prénom et la date de naissance. Mais on pourrait imaginer qu’un groupe de travail réfléchisse autour de ce décret, avant qu’on le publie.

M. Philippe Gosselin. Ne pas donner le lieu de naissance, c’est lancer peut-être un jeu de piste qui engendrer d’autres frustrations.

M. Bruno Fuchs. Madame la ministre, vous venez dire que, dans trente ou quarante ans, on ne sera pas sûr que l’adresse donnée sera la bonne. Sommes-nous en train d’ouvrir un droit que nous ne pourrons pas garantir ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Notre collègue Bazin a déposé un sous-amendement n° 2422.

M. Thibault Bazin. Ce sous-amendement reprend un amendement qui risque de tomber. Il fait suite à une question soulevée par la CNIL, qui nous a indiqué que la notion de « données non identifiantes » était floue, ces données non identifiantes pouvant être « indirectement » identifiantes.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je salue votre attention aux détails, Monsieur Bazin. Mais celle-ci vous aura permis de noter que, dans ce même article 3, nous renvoyons aussi, pour les données non identifiantes, à un décret en Conseil d’État, qui va en préciser la nature et permettre ainsi qu’elles ne deviennent pas identifiantes. À défaut de retrait de l’amendement, je demanderai donc son rejet.

M. Thibault Bazin. Je le maintiens, car la confiance n’exclut pas le contrôle. Vu toutes les inquiétudes que nous avons, je vous propose d’apporter tout de suite la précision.

M. Philippe Gosselin. Ce décret sera-t-il pris après avis de la CNIL ? Puisqu’il s’agit de données personnelles et de données de santé, ce point me semble intéressant.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Oui, il y aura évidemment un avis de la CNIL, en fonction des délais différenciés de mise en œuvre de cet article.

La commission rejette le sous-amendement n° 2422.

Puis elle adopte l’amendement n° 2295, faisant ainsi tomber les amendements n° 1403 de M. Jean-François Mbaye, n° 1380 de Mme Agnès Thill, n° 1617 de Mme Marine Brenier, n° 1645 de M. Thibault Bazin, n° 1312 de M. Pierre Dharréville, n° 346 de M. Patrick Hetzel, n° 1719 de M. Christophe Naegelen, n° 391 de M. Charles de Courson et n° 1832 de M. Hervé Saulignac.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1957 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Les enfants issus d’AMP avec tiers donneurs sont enfin entendus par ce projet de loi, qui répond à leur demande de pouvoir accéder à leurs origines. Pour autant, seul l’accès aux donneurs est ouvert ici, alors que la demande des associations s’étend aussi souvent jusqu’aux autres enfants issus du don, ou siblings.

Il ne s’agit bien entendu aucunement de créer des fratries, tout aussi peu que l’accès aux origines, c’est-à-dire aux données relatives au donneur, aurait vocation à créer une relation père-enfant entre ces deux personnes. Par ailleurs, le désir d’accéder à ses origines peut se trouver brisé à l’annonce du décès du donneur. Dans ce contexte, la mise en relation avec les autres enfants issus du don peut soutenir les personnes désireuses d’accéder à leurs origines.

Enfin, nous devons tenir compte de l’utilisation croissante des tests récréatifs, qui permettent à ces enfants issus de dons de se mettre en relation. Ces rencontres s’organisent aujourd’hui sans encadrement. L’objet de cet amendement est donc de faire intervenir la commission nouvellement créée pour accompagner ces personnes, selon des conditions définies par un décret en Conseil d’État.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement aborde un sujet sur lequel nous avons beaucoup échangé au cours des auditions. Ma position évolue sur ce point. Je comprends l’objectif poursuivi par cet amendement, comme je comprends la demande de ces enfants issus d’AMP. Une fois devenus adultes et majeurs, ils veulent avoir la faculté de réaliser certaines mises en relation, ou de les refuser. Mais je comprends aussi les craintes autour d’une possible confusion qui conduirait à reporter sur les donneurs un sentiment familial.

Il me semble que ces craintes ne sont pas fondées, lorsque l’enfant est devenu un adulte majeur, responsable et bien construit. S’il se pose la question du récit identitaire de façon verticale, en s’interrogeant sur son ascendance biologique, il peut aussi se poser la question, de manière horizontale, de l’existence de possibles demi-frères et demi-sœurs biologiques. Cette demande peut donc être tout à fait légitime. Toutefois, je pense en même temps qu’on n’est pas tout à fait au clair sur les modalités de cette recherche. J’émets donc des réserves.

M. Pascal Brindeau. Ce dispositif revient à placer le donneur dans une situation qui n’est plus celle d’un simple donneur. À grands traits, il revient à ce que l’enfant conçu par PMA retrouve ses demi-frères ou ses demi-sœurs. Les choses prennent alors une tournure psychologique qui me semble assez dangereuse pour les enfants eux-mêmes, comme pour le donneur.

Mme Annie Genevard. Je partage tout à fait ce qui vient d’être dit. En plus, on nous a expliqué, durant tout ce débat, que le donneur n’a pas d’existence et n’est en réalité qu’une paillette. Si, dans ce cas, on lui reconnaît la capacité d’être le parent d’autres enfants, comme on permet à ceux-ci d’aller à la rencontre des autres enfants nés du don, on lui donne évidemment un autre statut. Cela ouvre vraiment la porte à la multiparentalité. Je suis absolument hostile à cet amendement.

M. Jean-François Eliaou. Je pense que le donneur n’a pas eu vocation à créer une famille. À partir de ce moment, je ne vois pas très bien pourquoi les enfants pourraient se rencontrer. En outre, de façon indirecte, cela reviendrait à une levée de l’anonymat. Or, comme l’a souligné la ministre, il faut être très attentif à ce point. Enfin, le donneur donne de façon individuelle. Même si le nombre de paillettes qu’il peut donner peut aller jusqu’à dix, il les donne à titre individuel. Je suis donc assez défavorable à cette proposition d’amendement.

M. Thibault Bazin. Alors que nous sommes en train de construire la société telle qu’elle sera dans dix-huit ans, il faut en mesurer tous les impacts. L’aventure qui commence comporte déjà de nombreuses incertitudes. Il faut s’interroger sur les relations qui peuvent émerger et sur les demandes affectives qui peuvent naître. Par un effet domino, cela peut avoir un impact dans les familles et y créer de l’instabilité et de véritables tensions, à l’encontre de la paix sociale. Je suis profondément défavorable à cet amendement.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement surréaliste nous fait passer dans une tout autre dimension. Imaginez la rencontre des enfants d’un homme qui a donné trente ans auparavant des gamètes… Ils peuvent être jusqu’à dix ou quinze à frapper à sa porte ! Mais imaginons seulement l’un d’entre eux qui se présente subitement comme demi-frère. On est en train d’élever le patrimoine génétique au rang familial.

M. Raphaël Gérard. Ne réveillons pas de vieilles peurs ! Je vous rappelle que l’amendement que nous venons d’adopter permet d’accéder aux origines. Ainsi, les dix enfants nés des dix paillettes – voire les onze si les derniers-nés sont une paire de jumeaux – pourront accéder à l’identité de leur donneur. Les onze enfants pourront donc, potentiellement sonner à sa porte.

Il s’agit, par l’amendement n° 1957, de faciliter les rencontres entre les enfants issus d’un même donneur. Encore une fois, on peut fantasmer, mais ces situations existent et des associations permettent à des enfants qui n’ont pas accès à l’identité de leur donneur de se retrouver pour mener des recherches conjointes. Certains, grâce aux tests récréatifs, découvrent qu’ils partagent un donneur commun comme géniteur.

Par cet amendement, nous n’inventons donc rien. Nous définissons seulement un cadre pour éviter dérives et débordements.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. J’émets aussi certaines réserves sur l’amendement tel qu’il est rédigé. Mais j’y vois un intérêt lorsque le donneur est décédé car, même si son identité est connue, certaines questions restent en suspens. Puisqu’il ne peut plus les lui poser directement, celui qui ressent le besoin de combler des trous dans son histoire pourrait ainsi être mis en contact avec l’un des enfants issus de ce géniteur. À mes yeux, le dispositif aurait un intérêt dans ce cadre-là. Mais il n’est peut-être pas assez précisé dans l’amendement.

Mme Elsa Faucillon. Autant j’ai seulement exprimé des réserves sur le précédent amendement, autant celui-ci me semble bafouer des principes fondamentaux. Les enfants issus du don n’ont pas donné leur accord et n’ont pas forcément besoin ou envie de faire la connaissance de demi-frères ou demi-sœurs biologiques. On crée quelque chose de toutes pièces : si le donneur n’est pas un père, les autres enfants issus du don ne sont pas des demi-frères et demi-sœurs.

La commission rejette l’amendement n° 1957.

Puis elle examine les amendements identiques n° 241 de M. Patrick Hetzel et n° 1043 de M. Philippe Gosselin.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit de supprimer l’alinéa 10, tout simplement parce qu’il permet la communication de l’identité du tiers donneur, une fois atteinte la majorité de l’enfant conçu par AMP. Or, comme le rappelle le débat que nous venons d’avoir à l’instant, la question de la levée de l’anonymat soulève aussi celle, cruciale, du lien de l’enfant avec le donneur de gamètes.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’entends l’argument, mais je pense que la rédaction de l’alinéa 10 satisfait déjà cette préoccupation, de sorte que sa suppression n’est pas nécessaire. À défaut de retrait de l’amendement, je demande donc le rejet de l’amendement.

La commission rejette les amendements n° 241 et 1043.

Puis elle examine l’amendement n° 347 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement propose d’aller jusqu’au bout de la logique. Si on veut arriver à une totale transparence, il faut poser en amont la question directement au donneur. Je vous propose donc de rédiger l’alinéa 10 comme suit :

« Le consentement exprès du tiers donneur à la communication des données non identifiantes énumérées au I de l’article L. 2143‑3 du code de la santé publique et de son identité, recueilli avant tout don, est une condition préalable audit don. »

Cela évite de créer un éventuel conflit entre les droits du donneur et ceux de l’enfant. Les droits de chacun sont respectés.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Le texte prévoit d’ores et déjà que le consentement exprès du tiers donneur doit être recueilli. Il n’est pas nécessaire d’apporter des précisions supplémentaires.

La commission rejette l’amendement n° 347.

Puis elle examine l’amendement n° 379 de M. Jean-François Mbaye.

M. Jean-François Mbaye. Mon amendement vise à remplacer l’expression » tiers-donneur » par celle de « personne souhaitant procéder à un don de gamètes ». Car, en réalité, avant le don, on n’est pas encore tiers-donneur. On est seulement un candidat au don.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je ne pense pas que votre formulation soit parfaite non plus, car elle évoque seulement le don de gamètes, sans qu’il soit question d’embryon. Si vous acceptez de retirer votre amendement, on peut voir ce qu’on peut faire pour la séance publique.

M. Jean-François Mbaye. Je vous fais confiance. Je pense qu’il est important qu’on fasse ce travail. La formulation mériterait des précisions.

L’amendement n° 379 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1461 de M. Pierre Vatin.

M. Pierre Vatin. Cet amendement visait à compléter l’amendement n° 347 de M. Hetzel. Par souci d’égalité, il tend à éviter que l’enfant puisse avoir accès aux données identifiantes on non identifiantes si le donneur a en refusé la communication.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je comprends votre souhait de préciser la rédaction, mais je préfère la rédaction de l’amendement n° 380 de monsieur M’Baye, qui indique : « En cas de refus, il ne peut procéder au don de gamètes. » Je vous suggérerais donc de retirer votre amendement au bénéfice de ce dernier.

L’amendement n° 1461 est retiré.

Puis la commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2273 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1280 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. La rédaction initiale de l’alinéa 10 peut être ambiguë en laissant entendre que les futurs donneurs pourraient choisir de donner de façon anonyme ou de donner en consentant à ce que leur identité soit transmise sur demande de l’enfant majeur né du don, créant ainsi un système de double guichet.

Au contraire, l’intention du texte est sans ambiguïté. Il faut que le donneur sache et consente à la transmission de son identité à la majorité de l’enfant. Pour corriger cette ambiguïté, le présent amendement propose de préciser que le consentement exprès du tiers donneur conditionne le recueil des gamètes ou le transfert d’embryon.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Même demande que précédemment. Je trouve que la rédaction de M. MBaye est plus complète. Je propose donc le retrait de cet amendement au bénéfice du n° 380.

M. Charles de Courson. La rédaction laisse entendre qu’il y aurait deux catégories de donneurs, comme s’il n’était pas exclu que certains donneurs donnent sans accepter la communication de leurs données. Or ce n’est pas du tout le sens général de ce texte. Il n’y a qu’une seule catégorie de donneurs.

L’amendement n° 1280 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1900 de Mme Frédérique Lardet.

Mme Frédérique Lardet. Cet amendement de précision a pour but de clarifier le caractère obligatoire du consentement du donneur à la communication de ses données non identifiantes, ainsi que de son identité, préalablement au don.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. La précision n’est pas nécessaire. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

L’amendement n° 1900 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1138 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’alinéa 10 prévoit que le consentement du tiers donneur à la divulgation de son identité est recueillie avant même qu’il soit procédé au don. Je souhaiterais ajouter : « et une nouvelle fois au moment où le don est effectué. » Cela ferait coïncider l’accord du donneur et la communication des données de son identité, de façon à s’assurer que la volonté du donneur n’a pas changé.

J’en profite pour réitérer ma question de tout à l’heure, lorsque je voulais savoir si le donneur est prévenu que l’enfant a, le cas échéant, demandé à ce que son identité lui soit communiquée.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. À propos du double consentement, j’ai déjà répondu que j’y étais défavorable car il pourrait entraîner une rupture d’égalité entre les enfants issus de PMA.

Quant à la question que vous réitérez, je vous propose de la poser au moment où nous examinerons la composition et les missions de la commission en charge du sujet.

La commission rejette l’amendement n° 1138.

Puis elle examine l’amendement n° 1987 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cet amendement vise à préciser que le consentement du donneur à la communication de ses données non identifiantes et de son identité peut être recueilli postérieurement à son don, lorsque celui-ci est antérieur à la date de promulgation de la loi relative à la bioéthique.

Hier, dans mon amendement à l’article 2, j’avais proposé l’adoption d’une disposition similaire. Ma collègue Nathalie Elimas avait par ailleurs sous-amendé cette proposition en précisant que cette possibilité était limitée aux seuls donneurs de gamètes n’ayant pas déjà donné lieu à une insémination. Il me paraît nécessaire que, sans remettre en cause la non-rétroactivité de la loi, nous puissions rechercher le moyen de permettre aux enfants issus des dons ou d’insémination à venir de pouvoir bénéficier de plein droit des nouvelles dispositions.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’entends tout à fait la préoccupation que vous évoquez à l’égard des enfants qui ont été conçus par PMA avant le futur nouveau régime. Cela étant, je vous propose de retirer cet amendement au bénéfice de ce que je proposerai à l’alinéa 21, relativement au fonctionnement de la commission.

L’amendement n° 1987 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 2064 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Il s’agit d’essayer de trouver un meilleur équilibre entre le droit nouveau des enfants à connaître leurs origines et le droit du donneur à la protection de sa vie privée. On peut très bien imaginer que, du fait de l’évolution de la vie personnelle du donneur, la révélation de son identité lorsque l’enfant aura 18 ans lui pose un problème. Il est donc proposé que le donneur puisse renouveler son consentement à la divulgation de son identité, au moment où l’enfant aura 18 ans.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je l’ai dit, je suis défavorable à cette idée du double consentement. Permettez-moi de repréciser que l’accès à l’identité n’est pas non plus un droit à la rencontre. Chaque situation sera individuelle et accompagnée par la commission compétente, dont nous détaillerons le fonctionnement.

Les enfants, devenus adultes qui sont venus témoigner ont bien expliqué qu’ils avaient besoin de la pièce du puzzle manquante, en termes d’information, mais sans avoir forcément envie d’aller rencontrer le donneur, et d’échanger ou de tisser une relation avec lui. Il ne s’agit pas d’un droit à la rencontre qui pourrait percuter la vie du donneur.

M. Bruno Fuchs. Nous sommes bien sûr tout à fait favorables à cette recherche et au droit à l’identité. Mais ouvrir un droit absolu serait prendre un grand risque ;

Vingt ou trente ans après le don, le parcours du donneur s’est enrichi et l’enfant n’est pas héritier de ce parcours. Il pourrait aussi bien découvrir que son donneur est en prison et qu’il est violeur multirécidiviste. Cela peut arriver ! Or l’enfant ne peut pas prendre en charge l’ensemble du parcours qui a été fait entre le moment où le donneur a donné et le moment où il a connaissance de son identité. Il s’agit de protéger l’enfant.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’entends votre préoccupation relative aux cas pathologiques. Un violeur multirécidiviste sera cependant, comme j’ose l’espérer, en prison. De cette façon, la société dans son entier sera protégée, et pas seulement l’enfant qui serait issu d’une PMA.

Mais, loin des cas pathologiques, on peut aussi imaginer que cela se passe le plus sainement du monde. En tout état de cause, on ne doit pas légiférer en fonction des cas pathologiques.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous avons réfléchi énormément avant d’écrire la loi. C’est la raison pour laquelle la commission d’intermédiation est essentielle. D’autres pays ont fait simplement le choix d’un registre, ce qui est plus simple. Mais cela expose justement à des situations de ce type. La commission aura vraiment pour rôle, devant une situation extrême, de débouter l’enfant de sa démarche. Si une commission constate que l’enfant est particulièrement pathologique, il y aura un accompagnement spécifique. Voilà ce qui, à nos yeux, rend viable cette obligation d’accord préalable.

Mme Géraldine Bannier. On peut appartenir au même groupe politique sans partager la même vision des choses. Pour ma part, je vois plutôt quel choc ce peut être, pour l’enfant, de savoir qu’il est issu d’un don. Toute sa vie, il va se demander s’il est l’enfant d’un violeur ou l’enfant de quelqu’un de très bien…

Mme Coralie Dubost, rapporteure. L’enfant issu d’une PMA est l’enfant des parents qui ont consenti au don et qui ont engagé la PMA. Il n’est l’enfant de personne d’autre. Ce qui se joue dans l’accès aux origines, c’est une question d’identité. Ce n’est pas une question de parentalité, d’héritage ou d’un quelconque relationnel de substitution.

M. Pascal Brindeau. Mme la rapporteure et Mme la ministre assurent que tout est organisé pour qu’il s’agisse seulement d’un « droit de savoir » et que la « rencontre » ne soit possible que si le donneur en accepte vraiment le principe. Mais qu’est-ce qui, dans le droit et, surtout, dans les faits, garantit aujourd’hui qu’un enfant, parce qu’il a accès à l’identité du donneur et qu’il pourra retrouver son adresse, ne sonnera pas à sa porte pour lui dire : « Bonjour papa ! » ? Rien.

La commission rejette l’amendement n° 2064.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, nous devons encore examiner 1 440 amendements. Je vous propose de nous fixer comme objectif de terminer l’étude de l’article 3 avant la séance de ce soir.

La commission examine les amendements identiques n° 240 de M. Patrick Hetzel, n° 687 de M. Thibault Bazin et n° 1460 de M. Pierre Vatin.

M. Patrick Hetzel. Le don de gamètes a évidemment un impact potentiel sur la vie future du couple du donneur, raison pour laquelle cet amendement propose que le conjoint de ce dernier donne formellement son consentement.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable. Que l’on soit marié ou non, en concubinage ou pas, on est libre de disposer de son corps et d’effectuer un don ou non. Ce système fonctionne très bien depuis une vingtaine d’années et il n’y a aucune raison de le changer – je vous renvoie à la notion d’indisponibilité de l’état des personnes.

M. Charles de Courson. Le mariage est un contrat. Que se passe-t-il si vous faites un don sans en avertir votre conjoint ? Peut-il utiliser un tel argument, par exemple, pour divorcer ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Bien sûr que non !

M. Charles de Courson. Est-ce une infidélité ? Si votre conjoint découvre que vous avez fait ce don sans lui en avoir parlé… En cas de contentieux, cela peut-il constituer un motif supplémentaire ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Nous sommes en train de changer de logique et de logiciel. Pendant des décennies, la PMA avec tiers donneur pouvait être assimilée à un adultère sans joie, ce que je trouve absolument délirant au XXIe siècle, d’où mon opposition farouche à cet amendement.

M. Bruno Fuchs. Je note un paradoxe voire un illogisme dans cet article. Puisque nous sommes en train de faire une loi pour lever le secret, pour la vérité, le texte devrait indiquer que cette transparence vaut également dans le cadre d’un couple.

En rejetant cet amendement, on autorise finalement le secret alors qu’il faudrait aller au bout de la logique de la loi en exigeant la transparence et la vérité à chaque étape entre les individus, entre les citoyens, quelle que soit la nature de leurs relations.

La commission rejette les amendements n° 240, n° 687 et n° 1460.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement  772 de M. Patrick Hetzel.

Elle est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements  521 de M. Patrick Hetzel et n °380 de M. Jean-François Mbaye.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement dispose que « le refus de consentement est un obstacle au don ».

M. Jean-François Mbaye. J’ai évoqué cette question dans mon précédent amendement. La loi doit mentionner expressément que le consentement à l’accès aux origines conditionne purement et simplement la possibilité de donner ses gamètes.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je remercie ceux qui ont accepté de retirer leurs amendements au profit de ce dernier : nous y sommes !

Avis favorable à cet amendement de M. Mbaye, donc, sous réserve d’une modification visant à remplacer « au don de ses gamètes » par « à ce don » afin de se référer et aux gamètes, et à l’embryon, lequel était exclu dans la première rédaction.

M. Patrick Hetzel. L’amendement ainsi rectifié rejoint celui que j’ai proposé. Les propositions de l’opposition vous gênent ! (Protestations.)

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je ne suis pas bien sûre d’avoir compris. L’amendement n° 380 répondrait donc à la problématique que j’ai soulevée tout à l’heure ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Non, celui qui la concerne sera discuté plus tard.

La commission rejette l’amendement  521.

Elle adopte ensuite l’amendement  380 rectifié.

La commission est saisie de l’amendement  1958 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Au moment du don, l’état de santé du donneur est connu, or, il peut évoluer et les informations relatives à sa santé peuvent avoir des conséquences sur les enfants éventuellement issus de son don.

Certains donneurs rencontrés ont fait part de leur volonté de donner des informations a posteriori sur leur état de santé. Sans imposer aux donneurs de transmettre ce type d’informations, il faut leur permettre de le faire.

Par ailleurs, en inscrivant cette possibilité dans la loi, nous valoriserions cet acte de générosité profond et continu qui anime beaucoup de donneurs.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cette question a déjà été évoquée ce matin lors de l’examen des amendements de Mme Romeiro Dias et de M. Eliaou. Je pense que nous devons retravailler l’ensemble pour la séance publique et, si vous acceptiez de retirer le vôtre, nous pourrions parvenir à un travail plus constructif, plus large et plus précis.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je confirme que cet amendement est déjà satisfait. Nous proposons qu’il soit repoussé.

L’amendement  1958 est retiré.

La commission examine l’amendement  773 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cet article donne à l’enfant la possibilité d’accéder dans tous les cas à des données non identifiantes et à l’identité du donneur. Pour être totalement cohérent, il convient de préciser que le décès du tiers-donneur sera sans incidence sur la communication de ces données et de son identité.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cette précision n’est pas nécessaire, le donneur ayant donné son accord une fois pour toutes au moment du don. L’enfant devenu majeur pourra accéder aux données quoi qu’il arrive, cette disposition ne se limitant pas au vivant du donneur.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Patrick Hetzel. Je le retire puisque l’adoption de l’amendement rectifié de notre collègue Mbaye rend mon amendement en effet inutile.

L’amendement n° 773 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement  774 de M. Patrick Hetzel.

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements  1586 de M. Bruno Fuchs et n° 1404 de M. Jean-François Mbaye.

M. Bruno Fuchs. La révélation de la relation entre l’enfant, devenu majeur, et le donneur entraînera un certain nombre de cas de figure qui peuvent être préjudiciables à la relation pour l’enfant mais, également, au sein de la famille.

Imaginons une relation avec quelqu’un devenu champion du monde de football ! Elle ne relèvera pas seulement de la communication d’informations médicales non identifiantes mais elle mobilisera de puissants affects au sein du jeu familial initial et elle pourra le bouleverser des décennies après. Nous ne nous sommes pas encore interrogés à ce propos et rien ne figure dans la loi.

Je souhaite qu’il existe un « sas » lorsque le jeune souhaitera connaître son origine car un certain nombre de situations ne pourront être révélées sans être dommageables. Le donneur doit donc pouvoir bénéficier d’un droit de rétractation avant de révéler son identité et il doit pouvoir renouveler l’expression de son accord.

M. Jean-François Mbaye. Mon amendement vise à anticiper les suites de l’ouverture de l'accès aux origines pour les personnes issues d’une AMP avec tiers donneur.

Pourquoi ? Nous savons que ces derniers peuvent d’ores et déjà être retrouvés en recourant à des tests génétiques dont les résultats sont croisés avec certaines bases de données hébergées à l’étranger. Autrement dit, les personnes qui le souhaitent peuvent aujourd’hui parfaitement entrer en contact avec leur géniteur.

La consécration de l’accès aux origines pouvant avoir un impact sur ce type de démarche, cet amendement propose de permettre aux tiers-donneurs qui le souhaitent de donner leur consentement à l’idée d’être mis en contact avec les personnes issues de leur don dès lors que ces dernières en feraient la demande.

Son adoption permettrait ainsi d’encadrer les prises de contact et de limiter les risques d’atteinte à la vie privée du donneur qui, dans l’hypothèse où il ne souhaiterait pas consentir à une prise de contact, pourrait bénéficier d’un élément de preuve préconstitué en cas de contentieux.

J’ajoute que ce consentement pourrait être révoqué à tout moment, jusqu’à la demande formulée par la personne qui serait issue de ce don.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable à l’amendement  1586 et au principe du double consentement. Lorsque l’on consacre un droit considéré comme inconditionnel, ce n’est pas possible : il y a un premier consentement, indispensable, et c’est tout. Pas de rupture d’égalité entre les enfants !

Je comprends la préoccupation et l’objectif exprimés par M. Mbaye dans son amendement n° 1404 mais comme nous sommes en train de consacrer ce droit nouveau, ses contours, il faut d’abord que la commission se constitue et qu’elle effectue ses premières missions. Peut-être cette question-là pourra-t-elle être réexaminée mais, à ce stade, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements n° 1586 et n° 1404.

La commission est saisie de l’amendement  1541 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement prévoit que les données non identifiantes seront définies par décret en Conseil d’État.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Votre amendement vise à renvoyer à un décret en Conseil d’État les données non identifiantes et à en supprimer les principes généraux, or, la rédaction de cet article me semble équilibrée. Nous sommes parvenus à une bonne articulation en faisant en sorte que le législateur pose les principes généraux de ces données non identifiantes et qu’elles soient ensuite précisées par un décret en Conseil d’État. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Bruno Fuchs. Si vous estimez que cette rédaction est équilibrée, je me rallie à votre point de vue.

L’amendement  1541 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement  775 de M. Patrick Hetzel.

La commission examine l’amendement  1920 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Il s’agit, à l’alinéa 11, de préciser que les informations en question sont non identifiantes. Cette modification sémantique permettra de clarifier le texte.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je ne suis pas certaine que cette précision soit utile mais je m’en remets à la sagesse de la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Cet amendement clarifie en effet le texte. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement n° 1920.

Elle examine ensuite l’amendement  1158 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Lors du consentement, le médecin recueille des informations concernant le tiers donneur. Aux éléments subjectifs communiqués par ce dernier, il serait préférable de privilégier le recueil de données médicales objectives qui, lorsque l’enfant sera né, pourront se révéler pertinentes.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. L’alinéa 13 concerne les données non identifiantes qui peuvent être transmises à l’enfant et non les données médicales couvertes par le secret médical selon le code de la santé publique.

Selon moi, il n’est pas possible d’inclure dans la liste de ces données l’état « de santé précis » ou les antécédents médicaux du donneur.

Par ailleurs, les donneurs et leurs gamètes font l’objet de tests afin de s’assurer de leur caractère sain : tests de sécurité sanitaire, études très documentées de l’arbre généalogique du donneur, etc.

Je vous propose de retirer votre amendement, sinon, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1158.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2274 de la rapporteure.

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements n° 1613 de Mme Bérangère Couillard, n° 1974 de M. Didier Martin, n° 1635 de M. Bruno Fuchs, n° 1792 de M. Raphaël Gérard, et n° 1291 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Didier Baichère. L’amendement n° 1613 vise à permettre le recueil des antécédents médicaux ainsi que ceux des parents proches du donneur, s’ils sont connus des futurs parents, au moment du don. Ces informations semblent en effet indispensables à la bonne information de l’enfant et à celle de ses parents
– par exemple, en ce qui concerne les cancers.

M. Didier Martin. L’amendement n° 1974 vise à permettre le recueil des antécédents médicaux et ceux de proches parents du donneur au moment du don tels qu’il les décrit.

M. Raphaël Gérard. L’idée est la même : on peut considérer que, lorsqu’il procède au don, le donneur est encore en bonne santé car, généralement, il est plutôt jeune. Il doit donc également fournir des renseignements sur ses antécédents familiaux.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Comme j’ai eu l’occasion de le dire en donnant mon avis à Mme Ménard, les antécédents médicaux ne peuvent figurer dans les données non identifiantes compte tenu du secret médical.

En revanche, nous avons discuté ce matin de la possibilité, pour le médecin, d’être informé de données médicales relatives aux antécédents familiaux – nous travaillerons sur cette question pour la séance publique – lesquelles doivent donc être distinguées des données non identifiantes auxquelles l’enfant aura accès.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer ces amendements qui ne sont pas à leur place ici.

Les amendements  1613, n° 1974, n° 1635, n° 1792 et n° 1291 sont retirés.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement  1314 de M. Pierre Dharréville.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Beaucoup de préoccupations se font jour sur la transmission des données médicales qui pourraient être utiles, nombre d’amendements visant à transmettre ces dernières aux receveurs.

Lorsqu’un donneur est sélectionné, il fait l’objet d’un interrogatoire extrêmement poussé sur ses antécédents médicaux personnels et familiaux. J’ai devant moi ces quatorze pages de recherches de maladies multiples et variées, qu’elles soient personnelles ou familiales. Les critères d’exclusion sont nombreux dès qu’il s’agit de maladies potentiellement transmissibles génétiquement.

Nous ne souhaitons pas faire figurer de données médicales dans les données non identifiantes parce que nous ne nous situons pas dans un registre de données de santé. Les règles sont en effet très différentes puisque seuls des médecins peuvent consulter des registres de données médicales – d’où la complexité d’un tel accès.

Je le répète : à proprement parler, les données non identifiantes ne sont pas des données médicales et les critères d’exclusion sont si nombreux qu’ils permettent de renseigner l’enfant sur les risques non encourus par le donneur.

Enfin, si une maladie génétique apparaît secondairement dans la vie du donneur, un article de la loi prévoit qu’un médecin pourra en informer la personne.

L’interrogatoire subi par les donneurs permet de fournir, en quelque sorte, négativement, un très grand nombre de renseignements quant à leur état de santé.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2275 de la rapporteure.

Elle est ensuite saisie de l’amendement  522 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il est défendu.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je comprends la précision souhaitée par M. Hetzel mais elle est inutile car l’alinéa 9 dispose que seul l’enfant peut avoir accès aux données non identifiantes. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 522.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques n° 596 de Mme Géraldine Bannier, n° 1330 de M. Jean-Louis Touraine, n° 1539 de M. Bruno Fuchs et n° 2007 de M. Didier Martin, ainsi que les amendements n° 1408 de M. Jean-François Mbaye et n° 1922 de Mme Martine Wonner.

Mme Géraldine Bannier. Cet amendement propose d’ajouter au recueil d’informations concernant le tiers donneur un 7° précisant : « Tout autre élément ou information qu’il souhaiterait laisser. » Il ne faut pas fermer la porte à la communication d’autres données.

M. Bruno Fuchs. Mon amendement identique n° 1539 a été très bien défendu par Mme Bannier.

M. Didier Martin. Le donneur doit effectivement pouvoir faire part de tout élément ou information qu’il souhaite lors de l’entretien avec le médecin.

M. Jean-François Mbaye. Il s’agit en quelque sorte d’augmenter les chances des bénéficiaires du droit d’accès aux origines de pouvoir satisfaire leurs objectifs personnels tout en respectant la volonté du tiers-donneur mais, aussi, de prévenir d’éventuelles prises de contact intempestives.

Mme Martine Wonner. L’amendement n° 1922 dispose que le donneur consent à ce qu’un médecin puisse accéder, exclusivement pour des raisons médicales, à son dossier médical partagé (DMP).

Je ne reprends pas la discussion sur le DMP et je vous propose même, madame la rapporteure, de retirer cet amendement afin que nous puissions mener ensemble une réflexion transpartisane aboutissant à un amendement commun à ce propos.

Ce matin, nous avons discuté des inscriptions sur le DMP de l’enfant ou des parents mais, en l’occurrence, puisque la réglementation autorise le détenteur du DMP d’ouvrir des droits de consultation, le donneur permettrait à tout médecin de consulter son DMP dès lors, bien sûr, que l’état de santé d’un enfant serait en cause.

L’amendement  1922 est retiré.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Sur un plan rédactionnel, la formulation « Tout autre élément » me paraît maladroite mais nous pourrions en effet discuter de toute autre « information qu’il souhaiterait laisser ».

Ma réflexion évolue beaucoup en la matière. En l’état, après avoir demandé plusieurs expertises, il me semble que le droit d’accès à l’information sur les origines – et non le droit à la rencontre, non la confusion avec des relations – implique de ne pas se situer dans la construction d’un récit sur les données non identifiantes qui pourrait s’apparenter à ce que l’on connaît sous d’autres régimes. C’est d’enfants issus de la PMA qu’il s’agit.

Par ailleurs, laisser les donneurs libres de livrer telle ou telle information reviendrait à créer une rupture d’égalité entre les enfants issus de la PMA lorsqu’ils auront accès aux données non identifiantes.

Pour ces deux raisons, demande de retrait ou avis défavorable.

M. Jean-François Mbaye. Je ne partage pas tout à fait le point de vue de Mme la rapporteure.

Entendons-nous bien : dès lors qu’il sera possible d’accéder aux données non identifiantes lorsque la demande en sera faite, ces amendements supposent que le donneur souhaiterait peut-être spontanément partager des informations avec ces enfants nés d’un don de gamètes sans que l’on vienne pour autant à penser qu’il y aurait une hiérarchisation ou une rupture d’égalité.

Des donneurs que j’ai rencontrés m’ont fait part de leur volonté de partager des informations qui ne seront peut-être pas prévues par ce texte mais qui pourraient être utiles à ces enfants, à ces personnes nées d’un don.

M. Bruno Fuchs. Ce point est essentiel. Nous nous situons sur deux plans différents. Les éléments qui seront délivrés remontent à vingt, vingt-cinq ou trente ans. La situation du donneur est différente, le contexte qui a présidé à l’énoncé de ces données est évanoui. Sans doute le donneur ne se souviendra-t-il plus des mots qu’il avait utilisés !

Le législateur doit comprendre que ces deux échelles de temps sont assez différentes et que les éléments contextuels de l’époque seraient intéressants, et pour le donneur, et pour le jeune.

Mme Géraldine Bannier. Je n’ai pas vraiment compris l’argument de la rapporteure. Le texte dispose que « le médecin recueille l’identité du tiers-donneur ainsi que des informations le concernant portant sur », s’en suivent un certain nombre de considérations auxquelles nous ajoutons après l’alinéa 17 « Tout autre élément ou information… ». Aucun problème matériel ne se pose ici.

J’ajoute que l’idée d’un tel amendement est issue de la parole de donneurs souhaitant laisser des informations.

Mme Aurore Bergé. L’alinéa 17 fait état des motivations du don, ce qui est essentiel dans la construction de l’enfant : pourquoi cette personne a-t-elle accepté d’en faire un ? Peut-être est-ce même là le plus fondamental, si l’on en croit les témoignages que nous avons recueillis.

Par ailleurs, si l’enfant a accès à tout autre élément ou information, nous n’avons aucune possibilité d’en vérifier la nature, laquelle pourrait être perçue comme une contrainte, une intrusion, une difficulté.

L’énoncé des motivations est une chose positive dans un récit mais laisser la porte ouverte à tout autre élément et information peut être un risque pour l’enfant lorsque, à ces dix-huit ans, il pourrait accéder à un tel flot, auquel il n’est pas forcément préparé.

M. Didier Martin. Cela mérite réflexion. Un adulte engage une démarche pour connaître son identité narrative. Il convient aussi de penser aux droits du donneur qui, dans cet alinéa, a l’occasion d’apporter des éléments qui lui semblent utiles pour expliquer sa motivation mais aussi quelques éléments de sa vie qu’il jugerait utiles pour cet enfant né suite à son don.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Nous avons atteint un équilibre, nous sommes sur la ligne de crête que nous cherchons à créer dans cette consécration de droit.

Parmi les données non identifiantes figurent, à l’alinéa 17, « Les motivations de son don, rédigées par lui. » Aucune exclusion d’information au moment du don ! Cette temporalité-là ne soulève donc aucun problème, les éléments d’informations sur les raisons de ce don étant possibles. De ce point de vue, ces amendements sont superfétatoires.

S’il s’agit d’énoncer des raisons autres que celles qui ont décidé du don, c’est à mon sens ici que nous devons placer le curseur pour dire « non ». Nous créons un droit à l’information sur des données non identifiantes et sur les origines, non un droit à la relation ou à la rencontre avec le donneur, laquelle sera décidée ultérieurement - avec la commission, en fonction de la volonté de chacun – mais pas au moment du don, ce qui ne me semble pas juste.

Enfin, si la formule « Tout autre élément » ne me semble pas opportune, c’est qu’elle pourrait impliquer la présence de photos, de clés ou d’autres objets, or, nous ne sommes pas sous le régime de l’accouchement dans le secret.

Je maintiens mon avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous avons évoqué la CNIL, qui a jugé la formule de « données non identifiantes » trop floue. Nous avons donc souhaité les circonscrire, ne serait-ce que pour l’équipe médicale.

J’imagine la difficulté dans laquelle se trouverait un médecin qui, au CECOS, aurait face à lui un donneur souhaitant rédiger un texte libre. Comment jugerait-il que telle donnée est identifiante, telle autre, non, et si elle est susceptible d’être mal interprétée ou non ? Outre les excellents arguments de la rapporteure, je me mets pragmatiquement à la place de ces médecins. Je sais qu’ils auront autre chose à faire que de lire le texte libre d’un donneur.

Nous avons défini un certain nombre de données, homogènes pour tous les enfants issus du don, sans informations distinctives. De plus, chacun est à sa place : pas de relations. Les donneurs ne sont pas des parents de substitution, des pères ou des mères biologiques : ce sont des donneurs de gamètes. Nous ne souhaitons pas aller au-delà s’agissant des informations qui sont communiquées.

La commission rejette successivement les amendements identiques  596, n° 1330, n° 1539 et n° 2007, puis l’amendement  1408.

La commission examine l’amendement  1927 de M. Didier Martin.

M. Didier Martin. Je propose, après l’alinéa 17, d’ajouter un alinéa disposant que ces données peuvent être actualisées par le donneur lors de la consultation annuelle prévue par la loi.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. A priori, les données non identifiantes n’ont pas besoin d’être actualisées, à la différence des données médicales que vous aviez souhaité introduire. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1927.

Puis, elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2276 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement  1614 de Mme Bérangère Couillard.

M. Didier Baichère. Si les parents le souhaitent, il semble nécessaire d’ouvrir la possibilité pour eux de disposer d’informations non identifiantes sur le donneur, en respectant bien entendu le principe d’anonymat.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Nous avons longuement discuté à ce propos.

Lors du don, bien sûr que non : il est hors de question d’entrer dans une perspective de choix du donneur.

En revanche, et même si c’est sans doute prématuré pour en conclure quoi que ce soit législativement, j’ai entendu des parents, des receveurs, donc, expliquer qu’ils ont parfois du mal à révéler à leur enfant son mode de conception tant ils se trouvent eux-mêmes face à l’inconnu, au flou, à l’abstraction du donneur. Les données non identifiantes faciliteraient peut-être la discussion. C’est intéressant mais nous n’en sommes pas encore là juridiquement.

En l’état, avis défavorable ou demande de retrait.

M. Charles de Courson. L’adoption de cet amendement anéantit le texte puisque les parents en parleront à l’enfant, alors qu’il ne devait pas accéder à ces informations avant dix-huit ans. Il faudrait dès lors modifier tout l’équilibre de la loi.

La commission rejette l’amendement  1614.

La commission examine les amendements identiques  1564 de M. Bruno Fuchs et n° 1941 de M. Didier Martin.

M. Bruno Fuchs. Il s’agit d’ajouter dans le fichier les consentements au don de gamètes et à l’accueil d’embryon.

M. Didier Martin. Mon amendement propose que l’Agence de la biomédecine conserve les consentements au don de gamètes et à l’accueil d’embryon afin que les personnes ainsi conçues puissent disposer, à leur majorité, d’un document officiel relatif à leur conception avec donneur.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. L’alinéa 19 concerne les données relatives au tiers donneur, ce qui intègre les dons de gamète et d’embryon. Un tel amendement étant inutile, demande de retrait ou avis défavorable.

L’amendement  1941 est retiré.

La commission rejette l’amendement n° 1564.

Elle adopte ensuite les amendements identiques  2278 de la rapporteure et n° 1409 de M. Jean-François Mbaye, ainsi que l’amendement rédactionnel  2277 de la rapporteure.

La commission examine l’amendement  1160 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit ici de s’assurer que les données relatives au tiers donneur recueillies et conservées par l’Agence de la biomédecine ne seront pas utilisées à des fins autres que celles permettant à l’enfant issu d’une PMA d’avoir accès à un certain nombre d’informations.

Mme la ministre a dit à propos de l’alinéa 17 qu’il serait très difficile pour les médecins des CECOS de vérifier, notamment, les motivations du donneur. Cela signifie-t-il qu’elles peuvent être un motif d’exclusion ? Sont-elles relues et, éventuellement, censurées ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Les motivations ne sont pas en cause : ce sont les données non identifiantes que nous avons souhaité circonscrire. Je me suis exprimée sur un amendement prévoyant, en quelque sorte, un « texte libre » où le donneur pourrait laisser d’autres informations, d’autres éléments, hors la motivation du don : par exemple, qu’il a été champion de natation en 2018. Ce serait en l’occurrence une donnée identifiante, ce qui obligerait les CECOS à analyser ce texte libre pour déterminer la nature des données qu’il contient, identifiantes ou non.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement  1160.

Elle examine ensuite l’amendement  1410 de M. Jean-François Mbaye.

M. Jean-François Mbaye. J’ai eu l’occasion d’échanger avec plusieurs acteurs associatifs qui sont tout aussi mobilisés que nous sur certaines thématiques dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Le don en série est un phénomène inquiétant. Des personnes dont les motivations peuvent varier, depuis l’altruisme excessif jusqu’au narcissisme le plus sordide, feraient ainsi en sorte de multiplier les dons dont, certains, hors des CECOS, afin de contourner les dispositions qui limitent à dix le nombre d’enfants conçus avec les gamètes d’un même donneur.

La mise en place d’un fichier national centralisé doit permettre de lutter contre ces pratiques, de faire respecter le droit positif. Tel est l’objet de cet amendement.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ce que vous proposez est déjà satisfait par le texte. Dès lors que l’Agence de la biomédecine dispose de l’ensemble des informations, elle pourra vérifier ce qu’il en est. C’est l’un des objectifs du texte.

L’amendement  1410 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement  419 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Cet amendement vise à centraliser les données déjà en possession des centres d’AMP dans une base unique gérée par l’Agence de la biomédecine.

Une telle conservation me semble nécessaire afin d’avoir une meilleure vision du nombre d’enfants issus par exemple d’un unique donneur et de faciliter le contact avec les donneurs ou avec les enfants nés de dons avant la mise en place du nouveau régime de don.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je ne comprends pas vraiment votre amendement. Le texte propose aussi de disposer d’un fichier géré par l’Agence de la biomédecine.

Mme Anne-France Brunet. Il s’agit en l’occurrence de regrouper et de centraliser l’ensemble des données actuelles des centres d’AMP alors que l’alinéa 19, tel que je le comprends, ne prévoit pas a priori le recueil d’un historique par l’Agence de la biomédecine. Nous bénéficierions ainsi de l’ensemble des données existantes afin de les recueillir dans une base de données unique.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Tel qu’il est rédigé, votre amendement ne poursuit pas l’objectif annoncé. Je vous invite à le retirer et à en reparler avant la discussion en séance publique.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Le retirez-vous ?

Mme Anne-France Brunet. Non.

La commission rejette l’amendement n° 419.

La commission adopte les amendements rédactionnels identiques n° 2279 de la rapporteure et n° 1411 de M. Jean-François Mbaye.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 1857 de M. Matthieu Orphelin et n° 1381 de Mme Agnès Thill.

M. Matthieu Orphelin. Avec l’amendement n° 1857, je veux ouvrir le débat sur l’âge d’accès aux données identifiantes et non identifiantes, étant entendu qu’il n’y a pas d’âge parfait, comme l’ont montré les auditions. Certes, cela dépend de la maturité du jeune, et 16 ans n’est forcément préférable à 18. Peut-être pourrait-on prévoir une évaluation de cette maturité pour, éventuellement, permettre l’accès aux données avant 18 ans.

Mme Agnès Thill. Cette décision de n’autoriser l’accès aux données qu’à 18 ans me trouble particulièrement.

Mon amendement n° 1381 propose donc une réécriture de l’alinéa 20 de l’article 3. Il tend à donner un accès aux données non identifiantes relatives au tiers donneur, dès que l’enfant en exprime le désir ou le besoin. L’identité complète du tiers donneur reste cependant corrélée à la majorité de l’enfant.

Pourquoi, en effet, attendre 18 ans puisque l’on reconnaît que l’enfant aura besoin de ces éléments Je veux mettre là en exergue un des multiples paradoxes de ce texte : on considère que procréer des enfants sans père issus de femmes seules ou de femmes lesbiennes en couple ne pose aucun problème, mais en même temps, on reconnaît que l’enfant aura besoin de connaître l’identité de celui qui, finalement, n’a fait que donner un bout de lui-même.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. L’âge de 18 ans a été choisi car l’intéressé est alors complètement autonome par rapport à ses parents. Il n’aura donc pas forcément besoin de leur donner l’information. En revanche, à 16 ans il est soumis à l’autorité parentale, et si les parents exigent de faire partie de cette aventure, le jeune sera obligé d’accéder à leur demande.

Je comprends la préoccupation, mais la majorité civile demeure fixée à l’âge de 18 ans.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Comme Mme la ministre, je trouve ce débat intéressant, et il est vrai que la question s’est posée à plusieurs reprises au cours des auditions. Cela étant, pour la première consécration d’un droit, retenir l’âge de la majorité comme celui de la maturité me semble raisonnable.

C’est pourquoi, à ce stade, l’avis est défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard. Retenir l’âge de 16 ans réglerait en même temps le problème du dossier médical partagé, car aujourd’hui, avec sa carte Vitale, le jeune a accès à ce dossier dès cet âge-là. La question de savoir si le parent doit informer ou non l’enfant, alors que celui-ci risque de découvrir de façon inopinée qu’il est issu d’une procréation par tiers donneur, ne se poserait plus.

M. Raphaël Gérard. Ici où là la question de l’avancement de l’âge de la majorité a d’ores et déjà été posée. Il est fort probable que dans dix-huit ans, nous aurons avancé sur ce sujet : il faudra alors revoir l’âge d’accès. À moins que nous n’adoptions maintenant la proposition de Matthieu Orphelin.

M. Matthieu Orphelin. Je sais bien que la question est complexe. On observe d’ailleurs que d’un pays à l’autre les situations varient puisque l’âge est fixé, par exemple, à 16 ans en Allemagne, en Autriche et dans les Pays-Bas.

Je souhaitais surtout que nous ayons ce débat.

La commission rejette successivement les amendements  1857 et n° 1381.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 1945 de M. Didier Martin et n° 1565 de M. Bruno Fuchs.

M. Didier Martin. Avec l’amendement n° 1945, je propose de préciser, à l’alinéa 20 qu’au moment où l’enfant souhaite accéder aux données non identifiantes, il puisse également accéder au consentement de son ou de ses parents au don ou à l’accueil d’embryon.

M. Bruno Fuchs. L’amendement n° 1565 permet de reconstituer l’intégralité de l’histoire et intègre le consentement des parents afin de ne pas laisser face à face le jeune et le donneur.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Le consentement au don des parents déclenche le processus médical, et entraîne une protection particulière de la filiation. Toutefois, cela ne me semble faire partie du récit, sauf si les parents ont le désir de le transmettre. Pour éviter toute confusion, mon avis est défavorable.

La commission rejette successivement les amendements n° 1945 et n° 1565.

Ensuite, elle est saisie de l’amendement n° 1793 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Avec cet amendement, je reprends le thème des siblings mais en évoquant le donneur. Si nous n’encadrons pas la possibilité de mettre en relation les uns avec les autres les enfants nés du même donneur, seul ce dernier sera en mesure de le faire. Or je ne suis pas certain que nous ayons envie de faire reposer cette responsabilité sur ses épaules.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’entends que la question des siblings constitue un sujet de préoccupation important.

Je rappelle cependant que l’article 3 concerne le droit d’accès aux origines, qui est une information sur une ascendance  il ne s’agit pas d’une horizontalité ni d’une fratrie. Il importe qu’il n’y ait aucune confusion à cet égard. Nous utilisons le terme anglais de sibling pour désigner ce type de situation relationnelle faute d’avoir trouvé, pour l’instant, un mot français.

J’entends également les questions sous-jacentes : que se passera-t-il si une rencontre entre siblings survient ? qu’en serait-il des risques de consanguinité Mais elles ne doivent pas être réglées dans le cadre d’un article de loi qui consacre l’accès aux origines.

Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Les bases de données privées permettent de retrouver – nous en avons eu plusieurs témoignages – des demi-frères ou des demi-sœurs issus du couple qu’avait formé le géniteur ou la génitrice ou du don de leur père ou de leur mère biologique. Dans ces conditions, est-il choquant d’ouvrir ces possibilités d’accès à l’âge de 18 ans pourvu que les autres enfants aient atteint cet âge Cela relève de la même logique que celle qui inspire ce texte.

Mme Anne-France Brunet. La base de données unique, qui peut récupérer l’ensemble des éléments provenant des centres d’AMP, pourrait aussi récupérer l’historique stocké dans les différents centres. Cela éviterait les situations dommageables aux demi-frères et demi-sœurs issus des mêmes gamètes.

La commission rejette l’amendement  1793.

Elle en vient à l’amendement n° 531 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Je vais retirer cet amendement qui se réfère à un autre amendement, déclaré irrecevable. Un mot simplement pour dire qu’il s’agit de déterminer les missions de la Commission d’accès aux données non identifiantes et du registre national centralisant les données relatives aux donneurs de gamètes ainsi que les receveurs. Ce registre ne doit pas être seulement un réceptacle des données.

L’Agence de la biomédecine, qui dispose d’une expertise dans le domaine des greffes d’organes et des cellules souches hématopoïétiques, ne se borne pas à collecter des données. Elle s’attache aussi au suivi des enfants nés de don, et assure la diffusion et le contrôle des bonnes pratiques.

Ce savoir-faire, aux côtés de la Commission, sera un gage de réussite de la loi. Lorsqu’elle sera promulguée, nos concitoyens suivront ses effets avec beaucoup d’attention. Il nous reviendra de mettre en place des outils propres à prouver son efficacité, et de faire en sorte que les données relatives aux donneurs ou aux enfants issus du don circulent dans un flux performant.

À ce stade je retire donc cet amendement, que je reformulerai afin de le présenter en séance publique.

L’amendement n° 531 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement n° 776 de M. Patrick Hetzel.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 420 de Mme Anne-France Brunet.

Mme Anne-France Brunet. Cet amendement propose, qu’avec l’accord écrit du ou des titulaires de l’autorité parentale, un enfant mineur puisse accéder aux données non identifiantes. Je rappelle qu’un mineur né sous X ayant atteint l’âge du discernement peut, avec l’accord de ses représentants légaux, avoir accès à ces données. Pourquoi introduire une rupture d’égalité d’accès aux origines entre ces deux types de population ? 

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Descendre potentiellement très loin dans la minorité pour autoriser l’accès à des données non identifiantes ou identifiantes me semble excessif dans la mesure où, en droit, l’âge de discernement se mesure à la capacité à s’exprimer sur un sujet, ce qui ne signifie pas nécessairement celle de le traiter et le digérer en totalité. C’est déjà lourd pour ces enfants, dans certaines situations. Laissons-les arriver à maturité. Autant je comprends le débat autour de l’âge de 16 ans, autant je considère que là nous allons trop loin.

Avis défavorable.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement me paraît extrêmement pertinent. Il propose à un jeune, quel que soit son âge, d’avoir accès à ces données avec ses parents. Si dans le cadre familial, on a procédé relativement tôt à une information sur la façon dont l’enfant a été conçu, pourquoi attendre cinq, sept, ou dix ans ? Ce délai sera alors source d’interrogations et de perturbations.

Comme l’a souligné M. Dharréville précédemment, c’est l’accès aux origines de l’enfant qui est en cause, pas de l’adulte de 18 ans. Si l’on en revient à l’essence même de ce projet de loi, il faut adopter cet amendement.

M. Jean-Louis Touraine. Cette demande fait sens, car il sera difficile d’occuper la période séparant la révélation initiale faite à l’âge de trois ou quatre ans de l’âge de 18 ans sans que l’enfant pose des questions auxquelles personne ne pourra répondre, ce qui sera à l’origine de certaines frustrations.

La mesure proposée serait donc bénéfique. Mais il convient de préciser que cette information passe par les parents, qui pourraient sélectionner les données non identifiantes communiquées à l’enfant en fonction de son âge et de ce qui paraît opportun.

M. Pierre Dharréville. La formule proposée par cet amendement me semble préférable au texte initial. Mais si nous allions dans cette direction, il faut prévoir un accompagnement important et se donner les moyens de faire en sorte que les choses se passent le mieux possible.

Mme Aurore Bergé. Cet amendement ferait courir un risque à l’enfant. C’est l’âge de la majorité qui a été retenu pour autoriser l’accès à l’ensemble des données, identifiantes ou non identifiantes. Et cela ne doit rien au hasard.

En outre, l’anonymat n’est levé qu’au bénéfice de l’enfant. Si cette démarche était accompagnée par les parents, dans quelle mesure pourrons-nous garantir qu’ils n’auront pas accès aux données non identifiantes Or ce n’est absolument pas notre volonté.

Enfin, si l’on ouvre l’accès à n’importe quel âge, comment être sûr qu’il s’agit du consentement et du souhait de l’enfant âgé de 10, 11 ou 12 ans, et non celui des parents, qui auront peut-être incité à cette démarche. 

Dans l’intérêt de l’enfant, il faut donc conserver l’âge de 18 ans, afin que lui seul puisse faire la demande.

Mme Michèle de Vaucouleurs. J’abonde dans le sens d’Aurore Bergé. L’adolescence est une période de construction qui n’est jamais facile. Il faut laisser ce temps afin de trouver le bon niveau de dialogue avec l’enfant. En effet, s’ils sont quelque peu démunis dans la façon d’aborder la question avec l’enfant, les parents pourraient être tentés de s’en débarrasser en autorisant l’enfant à accéder aux données.

La commission rejette l’amendement n° 420.

La commission suspend ses travaux à dix-sept heures dix pour les reprendre à dix-sept heures trente.

La commission examine l’amendement n° 1412 de M. Jean-François Mbaye.

M. Jean-François Mbaye. Cet amendement propose, sans contraindre les parents à révéler une information relevant de leur vie privée, de permettre à leurs enfants d’avoir connaissance de leur mode de conception et d’avoir accès à leur origine dès leur majorité. Cela concerne les enfants des couples hétérosexuels ayant recouru à une AMP exogène, qui aurait la certitude de pouvoir accéder à leur origine alors que les parents peuvent ne pas souhaiter révéler le mode de conception.

Il s’agit également d’éviter une discrimination entre les familles homoparentales et les familles hétéroparentales, qui ne serait pas acceptable.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement est satisfait par l’engagement pris par le Gouvernement. Il ne sera pas nécessaire de prouver qu’on est issu d’une AMP. La présentation d’une carte d’identité suffira pour obtenir une réponse.

Je demande le retrait de cet amendement.

L’amendement  1412 est retiré.

La commission en vient à l’amendement n° 1413 de M. Jean-François Mbaye.

M. Jean-François Mbaye. Amendement de cohérence avec l’amendement n° 1404, précédemment rejeté par la commission.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’en reviens à la ligne de crête que nous avons trouvée. Nous consacrons un droit d’accès à l’information sur les origines et non sur la mise en relation de l’enfant avec le donneur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1413.

La commission examine l’amendement n° 1853 de M. Hervé Saulignac.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement vise à permettre la transmission aux parents de données non identifiantes relatives au donneur.

Une enquête menée récemment au sein de la fédération des CECOS et destinée aux donneurs de gamètes et aux couples receveurs a mis, en effet, en évidence qu’environ 70 % des donneurs et des professionnels des CECOS sont favorables à la transmission des données non identifiantes (DNI) aux couples. Près de 50 % des couples receveurs souhaitent obtenir des données non identifiantes issues du donneur. Concernant les antécédents médicaux du tiers donneur, ils sont 95 % à souhaiter y avoir accès.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je comprends l’intention de cet amendement, qui porte sur un sujet auquel je réfléchis beaucoup. Mais nous ne pouvons être conduits à contredire le principe de l’anonymat entre le donneur et le receveur  ce qui interdit l’accès aux données identifiantes. En ce qui concerne les données non identifiantes, ma réflexion n’est pas mûre.

Encore une fois : il est question ici de la consécration d’un droit personnel de l’enfant à l’accès à ses origines, celles du donneur, et non de la consécration d’un droit général à l’information de l’enfant et des parents sur le donneur.

Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Cet amendement soulève un vrai problème qui n’est pas traité par le texte : celui de l’accès des parents juridiques à ces informations.

Il me semble que nous détruirions le texte si nous autorisions l’accès avant l’âge de 18 ans de l’enfant. Mais ne résoudrions-nous pas le problème en modifiant l’amendement et en prévoyant qu’à compter de l’âge de 18 ans de l’enfant, les parents juridiques pourraient avoir accès aux données ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Madame la rapporteure, j’entends vos arguments et vos interrogations sur cette question qui n’est pas traitée dans le texte et qui ne porte que sur les données non identifiantes. Il s’agit de permettre aux parents d’avoir connaissance d’un certain nombre d’informations utiles à la santé de l’enfant notamment.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous sommes très défavorables à cette proposition. On tire là un drôle de fil : alors que nous sommes partis de l’idée qu’un enfant ne pouvait pas se construire sans ces données identifiantes ou non, on en vient progressivement au droit à l’information.

Je rappelle le principe éthique de tous les dons : l’anonymat et l’absence complète de connaissance sur l’identité du donneur. Si on ouvre une brèche pour les parents au sujet du don de gamètes, je ne vois pas pourquoi nous ne le ferions pas pour le don de moelle osseuse alors que le pays d’origine n’est même pas révélé. De même, pour les greffes d’organes la région du décès n’est pas dévoilée. C’est un principe fondamental de notre construction éthique que de ne pas permettre l’accès à des informations.

Avec ce texte, nous avons choisi de changer de paradigme pour la construction de l’enfant, mais n’allons pas jusqu’à dire que les parents peuvent accéder à des informations. Nous irions beaucoup trop loin au regard de nos principes éthiques.

La commission rejette l’amendement  1853.

Elle examine ensuite, en discussion commune les amendements n° 1834 de M. Hervé Saulignac, n° 1571 de M. Bruno Fuchs, et les amendements identiques n° 1347 de M. JeanLouis Touraine, n° 1615 de Mme Bérangère Couillard et n° 1951 de M. Didier Martin.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Comme l’ont rappelé les CECOS, le projet de loi ne prévoit pas de transmettre au donneur des données non identifiantes concernant les enfants issus de son don. Le nombre d’enfants issus d’un don peut varier entre 0 et 10 pour le donneur de spermatozoïdes et généralement entre 0 et 1 pour le don d’ovocytes ou d’embryons. Il semble donc souhaitable de pouvoir informer le donneur à l’arrêt de l’utilisation de son don et après la naissance du dernier enfant issu de son don, du nombre total d’enfants conçus à partir de son don. Il s’agit d’une demande fréquente des donneurs.

M. Bruno Fuchs. La disposition que je propose est en vigueur dans plusieurs pays européens. Dès lors que le donneur peut être confronté à l’interpellation d’un jeune, à partir de ses 18 ans, il semble logique qu’il puisse être au fait du nombre d’interpellations dont il est susceptible de faire l’objet.

M. Didier Baichère. L’amendement n° 1615 vise à permettre la transmission, sur demande, aux donneurs des informations relatives au nombre d’enfants nés grâce à leur don ainsi qu’à leur année de naissance.

M. Didier Martin. Nous proposons de permettre aux donneurs de savoir si leur don a donné lieu à des naissances, et de connaître le sexe et l’année de naissance des enfants. Il s’agit d’une mesure d’équité à l’égard des intéressés.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’avoue, mes chers collègues, ne pas percevoir la notion d’équité revendiquée par ces amendements. Le donneur est un adulte qui choisit de faire un don et prend toute la mesure de sa décision. Les receveurs sont des parents qui choisissent de s’engager dans un processus d’AMP, et vont, eux aussi, assumer ce choix.

L’enfant issu d’une AMP, lui, n’a rien choisi  c’est parce qu’il vient au monde dans ce contexte qu’il n’a pas choisi, et pour qu’il puisse se construire que nous consacrons aujourd’hui cet accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur à sa majorité. Ce dispositif prend place dans un chapitre intitulé « Reconnaître et sécuriser les droits des enfants nés d’assistance médicale à la procréation ; cela ne concerne ni les droits des donneurs ni ceux des parents.

Je souhaite que nous ne nous perdions pas dans ce débat. Restons concentrés sur ce qui peut permettre aux enfants d’être sécurisé, de se construire et d’être reconnus dans leur situation. Nous devons nous en tenir à cela afin d’éviter toute confusion.

Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Madame la rapporteure vous avez tout à fait raison : nous devons nous concentrer sur ce que nous offrons à quelqu’un qui n’a rien demandé. Et c’est ce droit à la construction de l’identité que nous voulons accorder à ces enfants.

En ce qui concerne les donneurs et les receveurs, nous ne souhaitons absolument pas faire évoluer le droit relatif au don et à sa réception, qui est lié à nos principes éthiques. Tout ce que proposent ces divers amendements concourt à tirer le fil de modifications du droit applicable aux greffes par exemple, bref de tous nos principes éthiques.

Je m’inquiète de ces demandes portant sur le droit à l’information des uns et des autres : tel n’est pas l’objet de l’article 3. Comme Mme la rapporteure, je souhaiterais que nous nous en tenions stricto sensu à l’intérêt de l’enfant.

M. Jean-François Eliaou. Ces amendements proposent en fait une rupture d’anonymat, fût-elle a minima, qui remettrait en cause beaucoup de choses.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que, lorsque l’on est donneur, le fait de savoir que l’on a permis la naissance d’un, deux ou trois enfants soit de nature à apporter une grande satisfaction.

C’est pourquoi je suis défavorable à cette proposition.

M. Pascal Brindeau. Ces amendements sont porteurs de danger, car, comme l’ont indiqué la ministre et la rapporteure, ils induisent la rupture d’un principe que, malgré l’exception que nous créons pour la PMA, nous tentons de sauvegarder.

Nous ne sommes pas loin d’un droit ouvert aux donneurs de connaître leur « descendance  alors que l’on nous explique depuis le début que le donneur n’est qu’un matériel génétique. Admettons qu’un footballeur très connu, transféré pour 222 millions d’euros, ait été conçu par tiers donneur, je pense que le donneur, informé, aurait un intérêt assez particulier à le rencontrer… et à revendiquer quelques droits sur le contrat.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le droit pour un enfant issu d’un don d’accéder à ses origines à sa majorité ne doit pas nier celui des enfants issus du même donneur à ne pas vouloir accéder à leurs origines.

La commission rejette successivement les amendements  1834 et  1571, ainsi que les amendements identiques n° 1347, n° 1615 et n° 1951.

La commission examine les amendements identiques n° 2097 de M. Bruno Fuchs et n° 2100 de M. Didier Martin.

M. Didier Martin. Il s’agit d’ajouter le mot « indépendante  après le mot « commission .

Mme Coralie Dubost, rapporteure. La qualité des membres composant la commission suffit à garantir son indépendance.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 2097 et n° 2100.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements n° 2296 et n° 2297 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ces amendements reprennent les alinéas 21 à 30 de l’article 3 relatifs à la commission ainsi qu’à ses missions, dont les auditions auxquelles nous avons procédé ont montré que la rédaction n’était pas assez claire.

Nous avons ainsi été interrogés sur le pouvoir de refus, ou non, de la commission qui doit statuer sur les demandes qu’elle reçoit. Les intervenants se demandaient pourquoi il y avait un 1° et un 2° portant respectivement sur les données non identifiantes et l’accès à l’identité, pourquoi il n’était pas précisé quelles étaient les personnes susceptibles de poser ces questions, et en quoi consistait précisément la demande du médecin sur le caractère non identifiant de certaines données.

Aux termes de ces amendements, nous précisons que la commission est chargée, pour les enfants issus d’AMP – même si ceux non issus d’AMP pourront aussi poser la question – de faire droit aux demandes d’accès à des données non identifiantes relatives aux tiers-donneurs et à leur identité qui sont conformes aux modalités définies par le décret en Conseil d’État mentionné à la fin de cet article. Ces modalités ainsi définies visent les enfants issus d’AMP. Ainsi toute personne majeure pourra-t-elle poser la question. S’il s’agit bien d’un enfant issu d’AMP, la commission fera droit à la demande, si tel n’est pas le cas, la procédure prendra fin.

Nous précisons également qu’elle est chargée de demander à l’Agence de la biomédecine la communication des données non identifiantes et de l’identité des tiers donneurs, et de se prononcer, à la demande d’un médecin, sur le caractère non identifiant de certaines données – disposition qui figure à l’alinéa 24 dans la rédaction actuelle du projet de loi.

S’agissant de l’alinéa 28, qui prévoit que la commission a aussi pour mission de recueillir et d’enregistrer l’accord des tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don – soit tous les dons effectués avant 2020 –, je propose de supprimer les mots « et se manifestent sur leur initiative pour autoriser l’accès à leurs données non identifiantes et à leur identité ainsi que la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine.

L’amendement n° 2297 procède aux mêmes modifications avec quelques variantes, et à la même suppression, mais complète cette dernière phrase par les mots : « à la demande d'une personne conçue par assistance médicale à la procréation ».

Pourquoi ces modifications ? Nous considérons que le droit que nous créons est indispensable car il s’agit d’un intérêt vital. Il découle du droit à l’identité défini par la Convention européenne des droits de l’homme mais il doit aussi être concilié avec le droit au respect de la vie privée du donneur : cela impose de trouver un juste équilibre. Nous y sommes parvenus. Reste que les enfants conçus par PMA avant le régime que nous créons ne seront pas concernés par ce nouveau droit. Nous craignons en effet qu’en dépit de la campagne de sensibilisation que le Gouvernement, dont la bonne volonté ne fait aucun doute, mènera à l’intention des anciens donneurs, certains ne se manifestent pas.

Mon amendement vise donc à mieux garantir le droit pour les enfants issus d’AMP avant l’année 2020, sans tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution, car je sais, mes chers collègues, que des amendements proposant notamment la création d’un registre ont connu ce sort puisque le Parlement ne peut créer une charge nouvelle pour l’État.

Nous pensons que cette simple modification, dans la version que le Gouvernement préfèrera, permettrait de nous mettre à niveau devant cette demande. Cela d’autant plus que, pour les enfants nés avant 1994, il n’y avait pas de loi relative à l’anonymat ; nous leur ferions ainsi subir une rétroactivité de l’anonymat, alors que nous sommes en train de consacrer un droit nouveau, dit vital par les différentes cours.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je suis favorable à l’amendement n° 2296, dont la rédaction rend plus claires les missions de la commission sans modifier le fond du projet de loi.

En revanche, l’amendement n° 2297 prévoit que la demande procède d’une personne conçue par AMP, ce qui me pose un problème. Nous voulons effectivement que cette commission puisse recueillir des propositions de changement de statut pour les donneurs plus anciens souhaitant entrer dans la nouvelle législation. Mais je ne vois pas pourquoi cela devrait coïncider avec la demande d’un receveur.

On va lancer un appel à l’attention des anciens donneurs afin de leur proposer de se faire connaître auprès de la commission de façon à pouvoir modifier leur statut et qu’ils donnent leur consentement à l’accès aux origines. N’importe quel enfant issu du don pourra ainsi, éventuellement chaque année, demander à la commission si le donneur qui est à l’origine de leur naissance s’est fait connaître. En faisant coïncider cela avec une demande spécifique, vous changez le sens du projet de loi.

M. Jean-François Eliaou. Je suis tout à fait d’accord avec Mme la ministre. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que le dispositif proposé soit à même de fonctionner, et il risquerait d’être intrusif.

Je ne saisis pas pleinement le sens du 4° : que signifie la phrase « De se prononcer, à la demande d’un médecin, sur le caractère non identifiant de certaines données ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cette rédaction reprend l’alinéa 24 du projet de loi : si, dans le cadre d’un traitement médical, un médecin a besoin d’informations médicales non identifiantes au sujet d’un enfant qu’il sait issu d’AMP, il peut s’adresser à la commission qui interrogera l’Agence de la biomédecine pour les lui transmettre.

M. Jean-François Eliaou. Il s’agit donc de faire demander par un médecin des informations médicales à une commission qui n’est pas médicale. Je ne suis pas sûr qu’une telle disposition soit fluide, voire autorisée.

Mme Géraldine Bannier. La rédaction proposée par l’amendement n° 2296 me convient davantage que le texte initial. J’avais d’ailleurs déposé un amendement allant dans le même sens. En effet, investir la commission de la mission de statuer sur l’accès aux données non identifiantes lui conférait un pouvoir décisionnaire et discrétionnaire. Cela conduisait à s’interroger sur les critères sur lesquels elle allait se fonder pour décider si l’enfant avait droit, ou non, d’accéder aux données non identifiantes ainsi qu’à l’identité du donneur.

Ainsi, si le tiers-donneur était décédé, l’enfant aurait-il eu le droit d’accéder à ces informations ? Il en va de même si le tiers-donneur devient une personne connue, ou s’il se manifeste dans les conditions prévues à l’alinéa 28 et que l’on découvre que, par le passé, il a été donneur répétitif.

La nouvelle rédaction est beaucoup plus satisfaisante.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je salue les avancées apportées, nous aboutissons à un texte qui fait sens.

Mme Martine Wonner. J’ai déposé un amendement allant dans le même sens. Il est pour moi fondamental qu’il n’y ait aucune rupture d’égalité, et que, lorsqu’un enfant devenu adulte souhaite accéder à des informations non identifiantes, la commission s’exécute de façon automatique. Elle ne se réunit et n’accompagne la demande que pour les informations identifiantes.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Lorsqu’un donneur remplit les données non identifiantes, notamment la partie sur la motivation, et qu’un médecin du CECOS doute du caractère non identifiant de ces données, celui-ci peut demander à la commission, qui est constituée de magistrats, de se prononcer à ce sujet.

La commission adopte l’amendement n° 2296.

En conséquence, les amendements nos 2297 de la rapporteure, 899 de M. Maxime Minot, 2098 de M. Bruno Fuchs, 2101 de M. Didier Martin, 1932 de M. Yannick Favennec Becot, 421 de Mme Anne-France Brunet, 587 de Mme Géraldine Bannier, 1921 de Mme Martine Wonner, 883 de M. Maxime Minot, 2099 de M. Bruno Fuchs, 2102 de M. Didier Martin, 1128 de Mme Emmanuelle Ménard, 880 de M. Maxime Minot, 1572 de M. Bruno Fuchs., 588 de Mme Géraldine Bannier, 884 de M. Maxime Minot, 1540 de M. Bruno Fuchs, 2009 de M. Didier Martin, 902 de M. Maxime Minot, 1573 de M. Bruno Fuchs, 903 de M. Maxime Minot, 1960 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, 881 de M. Maxime Minot, 1574 de M. Bruno Fuchs, 1641 de Mme Géraldine Bannier, 1414 de M. Jean-François Mbaye, 1328 de M. Jean-Louis Touraine et 1260 de Mme Marine Brenier tombent.

La commission examine l’amendement n° 242 de M. Patrick Hetzel.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Comme au sein du CNAOP, il ne semble pas justifié de prévoir la présence d’un député et d’un sénateur au sein de cette commission. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 242 .

Elle est saisie de l’amendement n° 2281 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement a pour objet de désigner comme premier membre de la commission le magistrat de l’ordre judiciaire, qui la présidera.

La commission adopte l’amendement n° 2281.

La commission examine ensuite l’amendement n° 505 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Étant donné la multiplicité du nombre des juridictions administratives, il convient de préciser la juridiction des membres nommés. Il serait légitime qu’ils appartiennent au Conseil d’État.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cette précision est inutile. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 505.

Elle examine l’amendement n° 506 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Par parallélisme, il convient de préciser que, dans l’ordre judiciaire, les membres nommés siègent à la Cour de cassation. Le statut de ces magistrats conférerait à la commission une autorité incontestable.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 506.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel no 2280 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement n° 507 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Pour éviter d’entrer dans une vision trop bureaucratique, il convient de limiter le nombre de représentants des ministères : je propose de l’abaisser à deux.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. C’est très tentant, mais cela modifierait sensiblement l’équilibre des votes au sein de la commission. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 507.

Puis, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l’amendement n° 688 de M. Thibault Bazin.

La commission en vient à l’examen de l’amendement n° 595 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Il est prévu que « quatre personnalités qualifiées choisies pour leurs connaissances ou leur expérience dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation ou des sciences humaines et sociales » siègent à la commission. Les sciences humaines et sociales représentant un champ large, je propose qu’entrent dans la composition de la commission « une personnalité qualifiée pour ses connaissances dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation et trois personnalités choisies pour leurs connaissances ou leur expérience en psychologie, psychiatrie ou psychanalyse ».

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Vous soulignez ainsi la sensibilité des questions qui pourront être tranchées par la commission. Mais avec tout le respect que j’ai pour la psychologie, la psychiatrie et la psychanalyse, j’ignore quelle sera la place de ces disciplines dans l’expertise sur l’AMP dans dix, vingt ou trente ans. Je préfère que nous nous laissions une marge de manœuvre dans le cas où d’autres disciplines émergeraient dans ce domaine. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

M. Pascal Brindeau. Je voudrais savoir qui nommera le membre de la juridiction administrative, le magistrat de l’ordre judiciaire, les représentants des différents ministères, les personnalités qualifiées et les représentants d’associations.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Comme la commission sera placée auprès du ministre chargé de la santé, c’est lui qui nommera, par décret, sur proposition du ministère de la justice et du ministère chargé de l’action sociale, les représentants des ministères concernés. Il faut bien voir que cette commission ne fait pas de la stratégie, mais est chargée d’évaluer les données individuelles.

L’amendement n° 595 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1126 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il serait souhaitable qu’au moins deux médecins figurent parmi les personnalités qualifiées, dans la mesure où il s’agit quand même de régler des problèmes rencontrés par des enfants issus d’une PMA.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Les membres proposés par le ministère chargé de la santé représenteront le corps médical.

La commission rejette l’amendement n° 1126.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2282 de la rapporteure.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 1566 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Je propose de substituer au mot « expérience » celui de « pratique ».

Mme Coralie Dubost. Il est important que l’expérience prévale. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1566.

Puis, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l’amendement n° 1382 de Mme Agnès Thill.

Elle est saisie des amendements identiques n° 243 de M. Patrick Hetzel et n° 689 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. La commission doit inclure des représentants des associations familiales. Je propose d’ajouter à la liste de ses membres deux représentants de l’Union nationale des associations familiales.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 243 et n° 689 .

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 1162 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il convient de prévoir que seulement deux représentants d’associations, de sensibilité différente, siégeront à la commission. La composition telle qu’elle est prévue – six représentants d’association sur seize membres – me semble déséquilibrée. Les associations sont tout à fait utiles, mais pourquoi seraient-elles aussi nombreuses à siéger dans cette commission dont la mission n’est pas de débattre, mais de rendre service aux enfants qui attendent des réponses sur leur origine ? Il ne faut pas perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. L’intérêt supérieur de l’enfant sera préservé puisque la société civile, au sein de la commission, participera au bon traitement des données. Cet amendement reviendrait à modifier les équilibres. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1162.

Puis elle examine l’amendement n° 508 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Les représentants des associations doivent être nommés sur avis conforme des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Le législateur peut légiférer sur les principes mais il ne lui appartient pas de décider de la composition de la commission. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 508.

L’amendement n° 1164 de Mme Emmanuelle Ménard est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2283 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement n° 509 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il serait préférable que ce soit le membre du Conseil d’État qui préside la commission, compte tenu de la dimension administrative de ses missions. Il s’agit d’un amendement de cohérence.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Il me semble que les considérations sur le droit des personnes, notamment sur la protection des droits et libertés, l’emportent. Or cela relève de l’ordre judiciaire.

La commission rejette l’amendement n° 509.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2284 de la rapporteure.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 563 de Mme Annie Genevard.

M. Thibault Bazin. Mme Genevard propose de remplacer « le couple qui a fait don de gamètes ou d’embryon » par « le couple qui a fait don de gamètes ou consenti à l’accueil de ses embryons » afin de s’inscrire dans le registre sémantique constamment retenu pour l’embryon humain depuis 1994.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ce sera un avis favorable !

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Même avis.

Mme Annie Genevard. Je remercie mon collègue d’avoir présenté cet amendement. Je rappelle que j’ai défendu précédemment deux amendements du même ordre, au sujet desquels vous nous avez invités à trouver une formulation plus adéquate d’ici à l’examen en séance.

La commission adopte l’amendement n° 563.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 2011 de M. Didier Martin.

M. Didier Martin. Cette clarification juridique permet de protéger les membres de la commission de sanctions pénales lorsqu’ils divulguent des données non identifiantes et l’identité des tiers donneurs.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement est contraire à l’objet du projet de loi qui est de permettre aux seuls enfants issus d’une AMP l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur. Il convient donc de réprimer pénalement la divulgation de telles informations, excepté au bénéfice de l’enfant. Je vous demande de le retirer.

L’amendement n° 2011 est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2285 de la rapporteure.

Puis, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l’amendement n° 244 de M. Patrick Hetzel.

La commission en vient à l’examen de l’amendement n° 2293 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. La jurisprudence s’est prononcée sur la question de savoir si l’interdiction, prévue à l’article 16-8 du code civil, de la divulgation d’informations permettant d’identifier le donneur et le receveur concernait l’enfant né du don. L’alinéa 50 vise à insérer le nouvel article 16-8-1 consacrant la possibilité, pour l’enfant majeur, d’accéder à des données non identifiantes et identifiantes.

Nous souhaitons le compléter pour préciser que, dans le cas d’un don de gamètes ou d’embryons, les receveurs sont les personnes qui ont donné leur consentement à l’assistance médicale à la procréation.

M. Charles de Courson. Madame la rapporteure, vous aviez proposé antérieurement de remplacer les mots « enfant majeur » par les mots « personne majeure », ce qui me semble une précision utile.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit la possibilité d’accéder « à des données non identifiantes ou à l’identité du tiers donneur ». Ne faut-il pas prévoir de remplacer la conjonction « ou » par la conjonction « et » ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. En légistique, la conjonction de coordination « ou » n’est pas exclusive : elle indique un caractère alternatif, mais aussi cumulatif. À partir du moment où vous pouvez avoir l’un ou l’autre, vous pouvez avoir les deux. La personne née du don peut aussi ne demander que les données non identifiantes.

La commission adopte l’amendement n° 2293.

En conséquence, les amendements n° 2286 de la rapporteure et n° 1415 de M. Jean-François Mbaye tombent.

Elle est saisie de l’amendement n° 1383 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Il convient de prévoir que l’accès à l’identité du tiers donneur est subordonné à son consentement exprès, exprimé au moment du don, et que le tiers donneur bénéficie d’un délai de deux mois de rétractation à compter de la date du don. Dans le cas d’une rétractation du tiers d’honneur, les gamètes seront détruits.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Le don ne relève pas d’une démarche commerciale, c’est une décision qui est réfléchie, mûrie. Le Gouvernement lancera des campagnes de sensibilisation sur les modalités du don : les donneurs seront parfaitement informés. Il ne convient pas de revenir sur le principe du consentement. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Tout au long de sa vie, et à tout moment, un donneur peut rétracter son don. Cette capacité est bien plus large que celle proposée dans cet amendement.

L’amendement n° 1383 est retiré.

La commission adopte l’amendement de coordination n° 2287 de la rapporteure.

Puis elle examine les amendements identiques n° 393 de M. Charles de Courson et n° 779 de M. Patrick Hetzel.

M. Charles de Courson. Piqûre de rappel. (Sourires.)

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les amendements n° 393 et n° 779.

Puis elle examine l’amendement n° 1169 de M. Didier Baichère.

M. Didier Baichère. Cet amendement est en cohérence avec ceux que j’ai déposés à l’article 1er, et qui portent sur la situation des personnes transgenres. Dans sa rédaction actuelle, le texte empêcherait toute personne transidentitaire ou intersexe capable de porter un enfant d’accéder aux techniques d’AMP, si son genre indiqué à l’état civil n’est pas féminin. Je propose d’inclure ces personnes dans le périmètre, conformément à l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement n’est pas cohérent avec la rédaction des articles 1er et 2, telle que nous l’avons adoptée. Il vous revient de convaincre notre assemblée lors de l’examen en séance.

La commission rejette l’amendement n° 1169.

Les amendements n° 2049 et  2041 de M. Didier Martin sont successivement retirés.

La commission en vient à l’examen de l’amendement n° 2288 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Par souci de cohérence, cet amendement a pour objet de prévoir une entrée en vigueur simultanée, au premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi, des dispositions relatives à la création de la commission d’accès et à sa composition.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je vous invite à retravailler la rédaction de cet amendement.

L’amendement n° 2288 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 245 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Les alinéas 54 et 55 de l’article 3 visent à supprimer tous les embryons humains proposés à l’accueil et les gamètes issus de dons antérieurs au vote de la loi. D’après les chiffres du ministère, cela concerne 12 000 embryons humains, disponibles pour le don. Posons-nous vraiment la question : est-ce ainsi que nous voulons traiter la question de l’embryon humain ? Acter, d’un trait de plume que l’on va en détruire 12 000 mérite réflexion. Il serait préférable de procrastiner ; une telle décision serait un signal quant à la considération que nous portons à l’embryon humain.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a indiqué que ce dispositif était de nature à garantir le respect du consentement du donneur. Cela suppose de s’assurer qu’aucun donneur ne sera exposé au risque que son identité ou des informations non identifiantes soient révélées, sans qu’il y ait préalablement consenti. Ces alinéas permettent une période de transition et l’application du texte dans de bonnes conditions. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je comprends que cela puisse être choquant. Cependant, nous pensons qu’il est impossible de faire coexister dans les cuves des CECOS deux types de gamètes et deux types d’embryons. Outre que la gestion serait horriblement anxiogène pour les équipes, on court le risque que des couples reçoivent des embryons ou des gamètes donnés sous le régime antérieur, ce qui créera une discrimination.

Mme Annie Genevard. Cet amendement pose à nouveau la question des embryons surnuméraires. Nous avons l’impérieuse obligation de réfléchir à la suite. Il est regrettable que le texte n’affiche pas comme priorité le fait de privilégier une autre technique qui évite la production d’embryons surnuméraires. Le CCNE avait déjà pointé le danger il y a plus de vingt ans. Il faudrait préférer à toute technique la congélation des ovocytes, afin de ne produire des embryons qu’« à la demande ».

Je ne demande pas que la production d’embryons surnuméraires soit interdite, mais que la loi privilégie d’autres techniques n’y conduisant pas. Avec la destruction prévue de ces embryons, on arrive au bout de la logique.

Je comprends les réserves qui sont les vôtres par rapport aux CECOS. Mais la loi pourrait être plus explicite sur la priorité donnée à la congélation des ovocytes.

M. Charles de Courson. Si je peux me permettre, madame la ministre, vos arguments ne sont pas bons et quelque peu bureaucratiques. Il est parfaitement possible de maintenir les deux régimes, présent et futur – celui du stock existant, celui des dons effectués après la promulgation de la loi –, en indiquant aux receveurs sous quel régime le don est placé.

Je partage les propos de Mme Genevard. Pour des raisons éthiques, les Allemands privilégient la cryogénisation des ovocytes, qui permet de ne féconder que le nombre d’ovocytes requis pour chaque implantation, sans qu’il soit nécessaire de réactiver le cycle de la femme pour prélever de nouveaux ovocytes. Il n’y a pas d’embryons surnuméraires en Allemagne.

M. Patrick Hetzel. Madame Buzyn, vous avez consacré votre existence professionnelle à la vie ; mais en tant que ministre, vous usez d’un argument purement bureaucratique et juridique pour justifier de la destruction de 12 000 embryons. Franchement, cela mériterait un autre débat. Considérant vos engagements, que je respecte profondément, cela me choque doublement que vous puissiez nous opposer de tels arguments.

Mme Emmanuelle Ménard. Moi aussi je suis surprise et, j’avoue, très choquée par vos arguments, madame la ministre. Vous expliquez qu’il est anxiogène pour les équipes des CECOS de gérer la cohabitation de deux régimes d’embryons surnuméraires. Mais n’est-il pas anxiogène, pour les mêmes équipes, de devoir procéder à la destruction de 12 000 embryons ?

M. Thibault Bazin. Le problème est celui de la transition d’un ancien modèle vers un nouveau modèle, alors que les conditions juridiques entourant le consentement ne sont plus les mêmes. Les personnes qui ont destiné à l’accueil leurs embryons surnuméraires ont fait un choix ; elles auraient pu mettre fin à la conservation des embryons, mais elles ont préféré la première solution.

Comment traiter cette phase de transition ? On peut décider de simplifier les choses, en fixant une date et en supprimant tout ce qui existait auparavant. Mais il faudrait se demander comment respecter les volontés qui se sont exprimées à l’origine. Je sais qu’il est compliqué de demander aux donneurs leur accord, mais cela demande encore réflexion.

M. Olivier Véran. Je rejoins l’interrogation de M. Bazin. J’ai bien compris qu’il fallait ménager une période d’adaptation avec une mise en place progressive, en quatre temps, qui permettra d’écouler le stock existant d’embryons et de gamètes et d’en éviter la destruction d’une grande partie.

S’il devait en rester, le problème serait celui de la levée de l’anonymat. Lorsqu’il s’agit de couples ayant donné récemment, ne peut-on vraiment pas envisager d’organiser un rappel, pour antérioriser en quelque sorte l’application de la loi ? Ce débat n’est pas politique, il a lieu sur tous les rangs, et je vois que Matthieu Orphelin a déposé un amendement identique.

Nous saisissons bien la difficulté technique, mais en même temps – si je puis dire –, nous nous interrogeons. De surcroît, les délais pour accéder aux techniques de PMA peuvent être très importants. Nous savons bien que vous faites le maximum et que ce n’est pas de gaieté de cœur que vous organisez cette destruction. Mais est-on allé au bout du bout du raisonnement ? Est-ce que, d’un point de vue juridique, on ne peut pas aller plus loin et se donner la possibilité de rappeler les donneurs ?

M. Guillaume Chiche. La volonté, très marquée, est d’éviter l’existence d’un double guichet, avec des gamètes et des embryons donnés sous deux régimes différents. Pour éviter une suppression sèche immédiatement après la promulgation de la loi, il faut prévoir un délai de latence durant lequel on pourrait ventiler les stocks d’embryons et de gamètes. Tout l’enjeu du texte est de prendre les précautions pour ne pas avoir à détruire les 12 000 embryons évoqués dans l’exposé sommaire de cet amendement.

Olivier Véran a bien posé le problème de l’anonymat. Il est problématique, lorsque l’on a garanti leur anonymat aux donneurs, de retourner vers eux cinq, dix ou quinze ans après, et de risquer ainsi de les replonger dans la situation.

Sans vouloir donner de leçon à quiconque, je crois qu’il faut être très prudent, Monsieur Hetzel, quand on parle d’embryons, ou de respect de la vie. Cela risque de nous entraîner vers des débats plus passionnés. Le groupe La République en Marche ne votera pas cet amendement.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement renvoie aussi à la question de la destruction du stock de gamètes, qui risque de priver les demandeurs de l’accès à la PMA pendant plusieurs années, le temps de reconstituer le stock. On ne cesse de nous dire qu’il existe peu de donneurs en France : est-il impensable de les contacter pour leur demander s’ils sont prêts à accepter les nouveaux termes de la loi ?

D’autres pays se sont trouvés dans la même situation. Au Portugal, les donneurs ont été recontactés : 97 % des femmes et 70 % des hommes qui avaient donné sous l’ancien régime ont accepté que leurs dons soient conservés sur les bases de la nouvelle législation. Pourquoi ce qui s’est passé au Portugal ne pourrait-il pas être fait en France ?

Mme Géraldine Bannier. Il n’y a pas de raison de présumer que les donneurs sous l’ancien régime refuseront systématiquement les conditions fixées par la nouvelle loi. On arrive bien à recontacter, sans problème de rétroactivité, les femmes ayant accouché sous X ; pour quelle raison inexpliquée n’arriverait-on pas à recontacter les anciens donneurs ? Certains seraient sans doute ravis de voir leur don réutilisé aux nouvelles conditions fixées par la loi. Par ailleurs, il est vrai que la destruction de l’ensemble du stock, alors qu’on se pose la question du nombre de gamètes, peut paraître étrange. Je milite pour que l’on contacte les anciens donneurs.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je n’ai pas été assez précise, pardonnez-moi. La façon dont nous allons procéder vise à éviter toute pénurie de gamètes. Dès que la loi sera promulguée, nous avons prévu de mettre en place le registre à l’Agence de la biomédecine, tout en continuant à utiliser le stock de gamètes existant. Dans l’attente de la constitution du registre, qui prendra peut-être huit mois, il sera proposé aux nouveaux donneurs de se faire connaître lors du changement de régime, s’ils veulent basculer vers le nouveau régime.

Dès que le registre sera constitué à l’Agence de la biomédecine, on demandera à tous les nouveaux donneurs leur consentement. On constituera alors un stock parallèle. Cette phase, durant laquelle cohabiteront deux types de gamètes et d’embryons, durera environ un an. Cependant, les dons ne viendront que de l’ancien stock, que nous continuerons ainsi d’écluser. Il n’y aura pas d’enfants nés à la même date qui auront, pour les uns, accès à leurs origines, et seront pour les autres, privés de cet accès. Pour l’égalité des droits des enfants, les couples ne pourront pas choisir entre les deux régimes.

Lorsque l’on estimera que le nouveau stock suffisant, on basculera, par décret, de façon brutale, vers le nouveau régime. Tous les enfants nés d’un don réalisé après cette date seront placés sur le même pied d’égalité.

Lorsque les lois de bioéthiques antérieures ont été rédigées, nous pensions que les embryons surnuméraires offerts à l’accueil seraient utilisés. Force est de constater que très peu d’embryons sont dans ce cas – 19 l’année dernière. Cela explique qu’un stock se soit constitué. En réalité, les couples n’arrivent pas à se projeter dans un embryon issu d’un projet parental formé par d’autres. Il faut l’accepter : les couples veulent leurs propres gamètes, leurs propres embryons, et le transfert d’embryons n’intéresse personne.

Vous proposez que l’on recontacte les couples pour leur demander l’autorisation de basculer dans le nouveau régime. Nous refusons de le faire, comme pour les gamètes. Car nous considérons que lorsque le don a été réalisé, le contrat moral était que les donneurs resteraient dans l’anonymat. Le simple fait de les appeler par téléphone constituerait une effraction.

Imaginez des couples qui ont donné leurs embryons pour un autre projet parental, sans parvenir à avoir un enfant par AMP. Ils ont fait un don altruiste, mais ils n’ont pas forcément envie, dix ans plus tard, que l’on vienne leur dire quel a été le sort de leurs embryons. Nous pensons qu’il n’est pas éthique de retourner vers des personnes qui s’étaient vu promettre l’anonymat et qui pensaient qu’elles n’entendraient plus jamais parler des CECOS.

Nous proposons simplement de faire une campagne d’information afin que tous les donneurs des régimes antérieurs, qu’ils soient des couples ou des donneurs de gamètes, se fassent connaître s’ils souhaitent être enregistrés dans le nouveau registre de l’Agence de la biomédecine.

Cela ne peut être qu’un appel général. Nous ne voyons pas qui accepterait de contacter des couples, qui ont peut-être divorcé, qui ont eu une vie complexe, pour leur rappeler qu’ils n’ont pas eu d’enfants, mais que, quinze ans après, leurs embryons sont toujours conservés. Il nous semble que cela n’est pas éthique.

D’où le choix que nous avons fait. Je comprends qu’il puisse vous paraître violent, mais nous n’avons pas d’autre solution. Nous ne pouvons pas indéfiniment garder 20 000 embryons, placés sous l’ancien régime, qui sont là depuis des années parce que personne n’en veut, et qui ne seront jamais utilisés. J’espère avoir été claire.

M. Thibault Bazin. Je voudrais mettre cette question en parallèle avec celle du double don de gamètes, auquel les couples pourront avoir accès demain si le projet de loi est voté en l’état. N’est-il pas plus éthique d’accueillir un embryon dont les donneurs ont refusé qu’il soit mis fin à la conservation ?

Par ailleurs, établissez-vous une distinction sur le plan éthique entre les embryons surnuméraires, qui sont conservés dans le cadre d’un projet parental depuis des années, et les embryons surnuméraires qui ont été expressément destinés aux dons ? Leur nombre doit être assez limité, aux alentours de 1 000. Opérer cette distinction permettrait de respecter la volonté des personnes.

M. Charles de Courson. Est-ce qu’il n’y aurait pas une solution qui consisterait à maintenir les alinéas 54 et 55, mais uniquement sur les gamètes, qui sont du matériel ? S’agissant des embryons, un alinéa supplémentaire prévoirait d’interroger les parents, un millier de personnes environ, pour leur donner le choix entre basculer dans le nouveau régime ou consentir à la destruction de leurs embryons. Il me semble que cela serait plus respectueux.

M. Bastien Lachaud. Madame la ministre, pouvez-vous nous garantir qu’aucun CECOS, pendant la première phase, ne refusera une PMA à un couple de femmes ou à une femme seule au motif que les donneurs, sous l’ancien régime, ne destinaient pas leurs gamètes ou leurs embryons à des couples de femmes ou à des femmes seules ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Monsieur Lachaud, dès la promulgation de la loi, les stocks de spermatozoïdes seront accessibles aux couples de femmes et aux femmes seules. Les anciens donneurs qui, du fait de leurs convictions, ne souhaitent pas que leurs gamètes soient utilisés pour ces femmes, pourront révoquer leur don. Ils peuvent le faire à tout moment ainsi qu’on leur a fait savoir au moment du don. Il n’y a donc aucune raison de les recontacter.

Je rappelle qu’il n’y a aucune tension sur le stock de spermatozoïdes : l’ouverture de la PMA aux femmes ne posera donc aucun problème. Quant aux ovocytes, ils ne concernent pas les couples de femmes ou les femmes seules, à moins qu’elles ne soient stériles, ce qui serait une double peine… Pardonnez-moi, l’expression est très mal choisie… C’est la fatigue. Je voulais dire que dans ces cas, elles ont un double problème et il faudrait un double don.

Monsieur de Courson, il me semble avoir déjà répondu à votre question. Il n’est pas éthique de recontacter aujourd’hui des couples qui ont donné leurs embryons il y a peut-être dix ou quinze ans, leur vie s’est écoulée, a connu des souffrances qu’ils ont peut-être scotomisées – excusez-moi ce terme, je suis tellement fatiguée que je ne trouve plus mes mots ! Ils ont peut-être évacué de leur esprit les problèmes qu’ils ont connus pour avoir un enfant. Les recontacter pour leur dire que leurs embryons sont toujours conservés peut les décevoir, car ils apprendront que leur don altruiste n’a pas été utilisé, et cela peut également réveiller des douleurs intimes, d’autant qu’on leur proposerait de changer de régime, pour qu’ils acceptent d’être éventuellement recontactés dans vingt ans.

Le contrat moral qui encadrait le don altruiste dans l’ancien régime était que nous ne reviendrions pas vers ces personnes, et je souhaite que nous nous y tenions.

M. Didier Martin. Il est vrai que les différentes périodes et les mesures transitoires forment une trame complexe. Lors de la première phase, immédiatement après la promulgation de la loi, les couples de femmes et les femmes non mariées pourront recevoir des dons effectués sous l’ancien régime par des donneurs qui n’ont pas consenti à la levée de l’anonymat. Cela signifie-t-il que, lorsque les enfants qui naîtront de ces dons atteindront la majorité, ils ne pourront pas recontacter les donneurs si ces derniers n’ont pas consenti en amont à la levée de l’anonymat ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Sauf si les donneurs se font connaître et acceptent d’entrer dans le registre. Aujourd’hui, celui-ci n’est pas constitué et il faudra un délai incompressible de six mois pour le faire. Nous ne pourrons accueillir de donneurs sous le nouveau régime que lorsque ce registre aura été créé. Au cours de cette période intermédiaire, après la promulgation de la loi, toutes les PMA se feront encore sous l’ancien régime s’agissant de l’accès aux origines, puisque nous ne serons pas en mesure d’assurer aux enfants que les donneurs figurent dans le registre.

Lorsque le registre existera, nous proposerons aux nouveaux donneurs qui se rendront dans les CECOS de basculer dans le nouveau régime. Et nous ferons un appel général aux anciens donneurs pour que tous ceux qui acceptent l’accès aux origines contactent la Commission pour se faire connaître et figurer dans le registre.

Nous allons offrir la possibilité aux anciens comme aux nouveaux donneurs de basculer vers le nouveau régime, mais ce ne sera pas obligatoire. Jusqu’à la constitution du registre et la bascule vers le nouveau régime, qui aura lieu lorsque nous aurons constitué un stock suffisant, d’ici un an ou un an et demi, les enfants nés de PMA n’auront pas accès à leurs origines.

La commission rejette l’amendement n° 245.

Elle en vient à l’amendement n° 1990 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cet amendement comme l’amendement n° 1991 visaient à éviter la destruction inutile de gamètes. Le calendrier de mise en œuvre nous prémunissant de ce risque, ces amendements sont devenus sans objet et je les retire.

L’amendement n° 1990 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 394 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je propose que l’on supprime les mots « les embryons proposés à l’accueil » des alinéas 55 et 54, pour les raisons que je viens d’indiquer.

Nous supprimerions ainsi les stocks de gamètes, qui ne sont rien de plus que du matériel génétique. Pour les embryons proposés à l’accueil, je déposerai un amendement afin d’offrir au millier de familles concernées le choix entre l’adhésion au nouveau régime et la destruction de l’embryon. Cette solution serait respectueuse et je pense, madame la ministre, qu’elle est techniquement possible.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Nous n’avons pas encore évoqué un élément apparu lors des auditions : la pratique des CECOS s’agissant de l’anonymat des donneurs et leur capacité à les contacter a suscité un certain malaise. Nous avons compris qu’il y avait des difficultés, y compris avant 1994, alors que le principe d’anonymat du don n’avait pas été posé.

Avec tout le respect et le mérite qu’il faut reconnaître aux CECOS pour avoir conduit toutes les AMP depuis les origines jusqu’à ce jour, beaucoup de témoignages de parents ou d’enfants qui n’ont pas été accompagnés nous sont parvenus. On ne sait plus si c’est la capacité ou la volonté qui fait défaut à certains CECOS pour transmettre des informations, et c’est ce qui entraîne les discussions que nous avons.

S’agissant de l’amendement, j’opère une distinction entre la situation des parents qui ont donné des embryons et de ceux qui ont donné des gamètes : aller interroger des personnes qui ont eu un projet parental et ont décidé de tourner la page peut induire une forme de violence. S’agissant des gamètes, je suis plus réservé. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Je retire l’amendement, pour le compléter par un alinéa reprenant la proposition que je viens de faire à la ministre de contacter les familles des donneurs en leur offrant le choix entre l’adhésion au nouveau régime ou la destruction des embryons.

L’amendement n° 394 est retiré.

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements n° 1930 de M. Didier Martin ainsi que des amendements identiques n° 1568 de M. Bruno Fuchs et n° 1701 de M. Bastien Lachaud.

M. Didier Martin. Cet amendement vise à faire en sorte que l’on puisse conserver le stock de gamètes des donneurs ayant donné leur accord.

M. Bruno Fuchs. Je partage l’avis de la ministre : nous ne pouvons pas revenir sur le contrat qui a été passé avec les anciens donneurs et leur demander de rejoindre le nouveau régime.

On peut imaginer qu’à la suite de la campagne de sensibilisation qui va être lancée, un certain nombre de donneurs seront d’accord pour se voir appliquer le nouveau régime.

Je vous propose donc de rédiger l’alinéa 54 de la manière suivante : « À compter d’une date fixée par décret, ne peuvent être utilisés pour toute insémination et toute tentative d’assistance médicale à la procréation que les embryons proposés à l’accueil et les gamètes dont les donneurs ont donné leur accord pour la transmission de données non identifiantes et pour la communication de leur identité en cas de demande des enfants à naître de leur don. »

M. Bastien Lachaud. Si la ministre m’a convaincu s’agissant des embryons, la souffrance n’est pas forcément la même pour les gamètes. J’aimerais vraiment savoir pourquoi la France ne pourrait pas faire ce qui est possible au Portugal ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ces amendements vont dans le bon sens. Ils s’inscrivent dans la dynamique globale que vient de décrire la ministre. D’un point de vue rédactionnel, l’amendement n° 1930 me semble meilleur. Avis favorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Avis favorable à l’amendement n° 1930.

Monsieur Lachaud, nous estimons que ce n’est pas parce qu’une pratique est acceptée dans un autre pays qu’elle doit automatiquement être adoptée en France. Peu de pays disposent de lois de bioéthique, en tout cas telles que nous les construisons. Les pays ont des cultures et des préoccupations différentes, qui aboutissent à des pratiques de terrain différentes. Nous ne souhaitons pas utiliser l’argument selon lequel les choses se font ailleurs, car en réalité, toutes les techniques médicales se font quelque part. Nous construisons notre propre loi.

Le débat que nous menons sur ce sujet est un bon moment pour sensibiliser les donneurs. Nous devons en faire la publicité afin que les donneurs sous l’ancien régime contactent la commission. J’ai envie que ce débat soit nourri à l’Assemblée et que la presse s’en empare afin que le public en ait connaissance.

Mme Martine Wonner. Pour illustrer les propos de la ministre, je souhaite partager avec vous un grand moment d’émotion. J’ai mené sur ce sujet des réunions publiques et des débats en présence notamment des associations PMAnonyme et Origines. Lors de l’une d’entre elles, nous avions tous compris qu’un donneur était présent parmi nous, car il était intervenu sur le sujet plusieurs fois de façon très agressive. À la fin de la réunion, il s’est effondré en larmes en disant qu’il venait de comprendre la nécessité vitale, pour les adultes nés de dons, d’accéder à ces informations. Et il nous a clairement déclaré qu’il ferait les démarches nécessaires dès que possible. C’est un exemple très concret : il faut que les personnes puissent se faire connaître et être identifiées.

La commission adopte l’amendement n° 1930.

En conséquence, les amendements n° 1568 et n° 1701 tombent, ainsi que les amendements n° 593 de Mme Géraldine Bannier et n° 1831 de M. Sébastien Cazenove.

Puis, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement n° 690 de M. Thibault Bazin.

L’amendement n° 1991 de Mme Michèle de Vaucouleurs est retiré.

La commission est ensuite saisie en discussion commune des amendements n° 1416 de M. Jean-François Mbaye, n° 2104 de M. Didier Martin, et des amendements identiques n° 1569 de M. Bruno Fuchs et n° 2107 de M. Bastien Lachaud.

M. Jean-François Mbaye. Dans l’esprit des amendements précédents, nous souhaitons que la science puisse bénéficier de ce stock de gamètes plutôt que de les détruire avant même l’entrée en vigueur de la loi.

M. Didier Martin. Il faut éviter la destruction des stocks actuels de gamètes, qui serait contre-productive dans la situation de pénurie, en particulier d’ovocytes, que nous connaissons.

De surcroît, détruire des gamètes affecterait négativement la crédibilité du système et aurait des effets délétères sur le recrutement de nouveaux donneurs.

M. Bruno Fuchs. Mon amendement est défendu.

M. Bastien Lachaud. Nous souhaitons également allonger la période de conservation des gamètes pour que les personnes qui souhaitent donner leur accord aient plus de temps pour le faire.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements n° 1416 et n° 2104 ainsi que les amendements identiques n° 1569 et n° 2107.

Puis elle adopte l’amendement de précision n° 2289 de la rapporteure.

L’amendement n° 594 de Mme Géraldine Bannier est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques n° 246 de M. Patrick Hetzel et n° 691 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Les couples dont les embryons sont conservés ont pu choisir de les donner à un autre couple. Si ces embryons humains non utilisés viennent à être détruits, il est logique que l’accord du couple donneur soit requis tant la destruction peut contrevenir au choix qu’ils ont fait devant notaire.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les amendements n° 246 et n° 691.

Elle examine ensuite l’amendement n° 2298 de la rapporteure.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je propose de supprimer l’alinéa 56, tout en sachant que ce n’est pas simple. Autant je pense que nous ne pouvons pas contraindre les donneurs sous l’ancien régime à passer sous le régime de la levée de l’anonymat, autant je ne voudrais pas que cet alinéa interdise aux enfants nés d’AMP avant l’adoption de ce texte d’interroger la Commission et de tenter d’obtenir une réponse.

Nous raisonnons pour de longues durées, dix ou vingt ans, et peut-être qu’une fois le fichier constitué, lorsque la Commission aura commencé à statuer, ses membres trouveront des façons de demander la levée de l’anonymat sans être en infraction. Peut-être que certains donneurs n’auront pas de difficultés avec la levée de l’anonymat. Il n’est pas question d’enfants à naître, mais d’enfants déjà nés, dont certains ont atteint l’âge adulte et sont nés avant même la loi de 1994 qui a instauré l’anonymat absolu. Nous consacrons un droit aux enfants à venir, en estimant qu’il procède d’un intérêt vital, sans le reconnaître à ceux qui sont nés avant l’instauration du régime de l’anonymat.

La situation des enfants nés avant 2020 me pose un vrai problème éthique, madame la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je comprends votre préoccupation éthique mais, pendant la période concernée, rien n’a été prévu pour sécuriser l’accès aux origines, de sorte qu’il serait difficile non seulement de trouver les donneurs mais d’être certains que ce sont les bons. Au plan pratique, nous prendrions donc des risques. À cette époque, je le rappelle, l’AMP montait en puissance et les lois de bioéthique n’existaient pas encore : rien n’a été pensé dans la perspective d’une reconnaissance du droit que nous accordons aujourd’hui. Encore une fois, je comprends votre préoccupation au plan éthique mais, en pratique, nous prendrions des risques considérables.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Si l’on ne parvient pas à contacter les donneurs, soit : c’est ainsi. Mais ne pourrions-nous pas prendre en compte les cas où cela serait pratiquement possible ? Certes, les difficultés sont telles qu’il est impossible de garantir, comme nous le faisons pour l’avenir, le droit à l’accès aux origines. Mais peut-être pourrions-nous, afin de ne pas les laisser de côté, permettre au moins aux personnes concernées de tenter quelque chose. Telle était en tout cas mon intention lorsque j’ai déposé cet amendement de suppression de l’alinéa 56, suppression qui, je vous le concède, serait un peu brutale.

M. Charles de Courson. Madame la rapporteure, vous soulevez un véritable problème, mais ce que vous proposez n’est pas possible, compte tenu des conditions dans lesquelles les dons ont été faits. Peut-être existe-t-il une solution intermédiaire – nous l’avions, du reste, envisagée – qui consisterait à interroger les donneurs. En tout état de cause, il n’est pas possible d’appliquer rétroactivement le nouveau régime à tous les enfants nés d’une AMP avec tiers donneur, car cela reviendrait à violer les conditions du don, à moins que le donneur donne son accord – mais ce n’est plus le même amendement.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Nous pourrions en effet remplacer, à l’alinéa 56, la référence à l’article L. 2143-2 par une référence à l’article L. 2143‑6, qui a trait aux missions de la commission.

Mme Martine Wonner. Cette question est fondamentale, et je remercie Mme la rapporteure de nous permettre d’y revenir. Nous ne pouvons pas continuer à priver les adultes concernés de la possibilité de retrouver leur donneur. Certes, la législation ayant évolué au cours du temps, notamment en 1994, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes et à un certain flou. Mais nous savons, pour avoir auditionné les intéressés – et je sais, à titre personnel, pour les avoir entendus en tant que psychiatre –, les difficultés qu’ils rencontrent, notamment pour transmettre leur histoire, surtout lorsqu’ils deviennent eux-mêmes parents. C’est pourquoi il me paraît fondamental de trouver une solution qui leur laisse la possibilité d’avoir accès à leurs origines.

M. Jean-François Eliaou. Des campagnes d’information et de recrutement, ou plutôt de sensibilisation, des anciens donneurs seront organisées. Il ne faut pas entrer dans l’intimité de ces personnes, surtout des années après le don : cela pourrait causer des dégâts importants et être contre-productif. Mais, si ces campagnes de sensibilisation sont bien conçues et incluent notamment des témoignages d’enfants, devenus adultes, demandant en quelque sorte réparation, je crois que nous pourrons accéder à un certain nombre de demandes. Certes, pas à toutes : cela ne serait, en tout état de cause, pas possible car certains donneurs sont décédés, d’autres ont été perdus de vue… On ne pourra pas satisfaire tout le monde.

J’ajoute qu’aux débuts des CECOS, on donnait, non pas dix, mais des centaines de paillettes : très peu de donneurs donnaient beaucoup. C’est un problème considérable, pour le CECOS de Montpellier comme pour les autres. C’est pourquoi je ne pense pas que l’on puisse accéder à ce type de demandes.

M. Olivier Véran. Je souhaiterais être certain de bien comprendre le débat, car je vous assure qu’il est complexe pour le béotien que je suis. Le texte garantit le droit à la levée de l’anonymat du donneur pour les enfants à naître, à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Auparavant, l’anonymat relevait d’un contrat tacite avec les donneurs. Or, ce droit à l’anonymat vient percuter un autre droit, celui de connaître sa filiation biologique et d’obtenir des éléments d’ordre médical, par exemple, voire l’identité du donneur pour certains enfants devenus adultes. Le régime juridique actuel interdit absolument que ces deux droits se rencontrent. Ce que nous souhaitons – c’est en tout cas l’objet de la réflexion de la rapporteure –, c’est créer au moins les conditions de leur conciliation, sans pour autant remettre en cause ni le droit des donneurs d’avoir la paix ni celui des personnes conçues grâce à un don de connaître leurs origines biologiques. Ne pourrait-on pas imaginer un dispositif en « double aveugle », comme on dit en médecine ? On appellerait l’ancien donneur pour lui demander si, dans l’hypothèse où les gamètes qu’il a donnés ont servi à concevoir un enfant, il serait d’accord pour être contacté.

Certes, ces deux droits se « percutent ». Mais force est de constater que les démarches entreprises par les enfants devenus adultes vont jusqu’à la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme et, lorsqu’on regarde des reportages qui leur sont consacrés, on apprend que certains d’entre eux sont parvenus, en recourant au système D ou par internet, via la génétique, à retrouver leurs origines, et on éprouve forcément beaucoup de compassion pour eux. On en aurait tout autant, je suppose, pour quelqu’un qui aurait donné du sperme dans les années 1990 et qui verrait sa vie bouleversée aujourd’hui par les conséquences de ce don. Ne pourrait-on pas créer les conditions qui permettraient que, au moins dans certaines situations, ces deux droits puissent se concilier. Si vous me dites que ce n’est pas possible, soit : je vous en donnerai acte.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je souhaiterais, si cela est possible, que Mme la rapporteure retire l’amendement pour que nous puissions réfléchir, d’un point de vue technique, à une rédaction satisfaisante, car supprimer l’alinéa 56 serait vraiment très dangereux et préjudiciable. Il faut que nous y travaillions tous ensemble.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vous remercie, madame la ministre, pour votre proposition : nous y retravaillerons ensemble, avec ceux de mes collègues qui sont sensibles à ce sujet, et de façon transpartisane, d’ici à la séance publique. Je comprends le risque que cet amendement ferait courir au texte. Aussi, je le retire.

L’amendement n° 2298 est retiré.

La commission adopte l’amendement n° 2291 de la rapporteure, qui tend à corriger une erreur matérielle.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 247 de M. Patrick Hetzel et n° 692 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. C’est une question que nous avons déjà évoquée et à laquelle Mme la ministre s’était montrée sensible. L’amendement n° 247 vise à substituer, à l’alinéa 57, au mot « utilisés » le mot : « conservés », qui nous semble plus respectueux.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable. En l’espèce, le mot : « utilisés » est bien approprié.

La commission rejette les amendements n° 247 et n° 692.

Puis elle adopte l’amendement n° 2290 de la rapporteure, qui tend à corriger une erreur matérielle.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette ensuite successivement les amendements n° 777 de M. Patrick Hetzel et n° 1417 de M. Jean-François Mbaye.

La commission adopte l’amendement n° 2292 de la rapporteure, qui vise à corriger une erreur matérielle.

Puis, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l’amendement n° 1418 de M. Jean-François Mbaye.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1639 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Par cet amendement, nous proposons que, par respect pour les personnes conçues par don de gamètes ou d’embryons avant la présente loi, les dossiers médicaux encore détenus dans les services des CECOS ou les cabinets gynécologiques soient conservés sans limitation dans le temps. De fait, en la matière, les pratiques varient selon les CECOS. Or, la loi peut encore évoluer, et ces personnes peuvent avoir besoin, un jour, d’avoir accès à leur dossier.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je comprends et je partage votre objectif, tant il est vrai que nous avons été frappés, lors de nos auditions, par les problèmes liés à la conservation des données dans les CECOS. Mais, tel qu’il est rédigé, l’amendement contreviendrait à la réglementation applicable aux données personnelles. Je vous demanderai donc de le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement n° 1639 est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 1170 de M. Didier Baichère, n° 1940 et n° 1939 de M. Didier Martin, et n° 1636 de M. Bruno Fuchs.

M. Didier Baichère. La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique a introduit dans le code de l’éducation des dispositions spécifiques relatives à l’information sur les dons d’organes et le don de sang. Or, il me paraît important de prévoir une information analogue sur le don de gamètes et l’accès aux origines afin de sensibiliser les élèves des lycées et de l’enseignement supérieur à ces sujets. Tel est l’objet de l’amendement n° 1170.

M. Didier Martin. Les motifs de l’amendement n° 1940 sont identiques à ceux que M. Baichère vient d’exposer. Je sais, madame la ministre, que l’expression « accès aux origines » ne vous convient pas forcément, mais c’est la plus commune. Quoi qu’il en soit, nous proposons de modifier le code de l’éducation afin que les jeunes adultes et les futurs adultes soient informés de ces différents enjeux.

Quant à l’amendement n° 1939, il a le même objet que le précédent, à ceci près qu’il ne fait pas mention de l’accès aux origines – j’ai donc plus d’espoir qu’il soit adopté. Il vise en effet à informer les élèves des lycées et des établissements d’enseignement supérieur des questions relatives à la fertilité, à l’impact de l’environnement sur celle-ci et aux mesures nécessaires pour la préserver, le cas échéant avec l’assistance d’associations militant dans ces domaines.

M. Bruno Fuchs. Compte tenu du rapport très alarmant de l’Agence nationale de santé publique, qui insiste sur l’altération globale de la santé reproductive masculine en France, il est urgent de sensibiliser davantage les élèves aux questions liées à la fertilité et à l’infertilité. Tel est l’objet de l’amendement n° 1636.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Il est important de penser à la sensibilisation de jeunes, mais une telle campagne doit être élaborée et mise en œuvre par le Gouvernement, notamment par les ministères de la santé et de l’éducation nationale. Il serait donc un peu risqué que nous prenions des décisions qui relèvent d’une réunion interministérielle. C’est pourquoi je demanderai le retrait de ces amendements ; à défaut j’y serai défavorable, pour des raisons de forme : une telle mesure n’est pas du ressort du Parlement.

Les amendements n° 1170, n° 1940, n° 1939 et n° 1636 sont retirés.

La commission examine l’amendement n° 1986 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant les dispositions de l’article 3, en particulier l’impact de la possibilité de communiquer les données et l’identité du tiers donneur sur l’évolution du nombre de dons.

En effet, si l’étude d’impact écarte les rumeurs persistantes prévoyant une baisse du nombre des donneurs, l’argumentation repose avant tout sur une comparaison avec d’autres pays européens, comme la Suède ou le Royaume-Uni. Or, les règles relatives au don et au recours à des banques privées sont différentes d’un pays à l’autre. En conséquence, comme le souligne la fédération des CECOS, estimer qu’une baisse des dons n’aura pas lieu au regard d’une simple comparaison internationale ne semble pas suffisant. La nouvelle gestion des données relatives aux donneurs et aux dons devrait permettre une évaluation plus fiable qu’aujourd’hui, notamment sur les motivations des donneurs. Un tel rapport pourrait enfin mettre en exergue l’efficacité et les limites des campagnes de dons.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Nous avons entendu les scientifiques, notamment les sociologues, sur le suivi éventuel de différentes cohortes : il était très difficile de réaliser une étude d’impact précise dans ce domaine. Je comprends donc votre demande, même si, dès lors qu’il s’agit de données personnelles, un tel rapport sera difficile à réaliser. Néanmoins, je ne veux pas me priver du plaisir de voir le Sénat supprimer chacune de nos demandes de rapport ; j’émets donc un avis favorable.

La commission adopte l’amendement n° 1986.

Elle adopte ensuite l’article 3 modifié.

Après l’article 3

La commission est saisie de l’amendement n° 1323 de Mme Florence Provendier.

Mme Florence Provendier. Cet amendement vise à informer l’enfant de son droit d’accéder à ses origines personnelles à sa majorité, en mentionnant ce droit dans son carnet de santé. En effet, celui-ci est le seul document médical que tous les enfants reçoivent à leur naissance et qui les accompagne. Une mention expresse de ce droit permettrait aux enfants d’en prendre connaissance et de connaître la procédure à suivre pour le revendiquer.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cette question a été débattue ce matin. Le carnet de santé ne nous semble pas être le document approprié, car il est accessible à tous. Avis défavorable.

Mme Florence Provendier. Il s’agit uniquement de mentionner la marche à suivre pour accéder à ses droits.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une donnée de santé. Nous réfléchissons aux différentes modalités d’information des enfants, mais il nous semble que celle-ci relève avant tout de la relation parents-enfant. Nous en avons longuement discuté ce matin.

La commission rejette l’amendement n° 1323.

Puis elle examine l’amendement n° 1583 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Une enquête menée récemment au sein de la fédération des CECOS et destinée aux donneurs de gamètes et aux couples receveurs a mis en évidence qu’environ 70 % des donneurs et des professionnels des CECOS sont favorables à la transmission des données non identifiantes aux couples receveurs et que près de 50 % de ces derniers souhaitent obtenir des données non identifiantes issues du donneur. Cet amendement vise donc à permettre cette transmission.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Comme nous l’avons indiqué ce matin, il faut, me semble-t-il, se concentrer sur la demande de l’enfant devenu majeur d’avoir accès à ses origines grâce à des données identifiantes ou non identifiantes et s’abstenir de créer une confusion dans la relation entre receveurs et donneurs. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1583.

 

 

 

 


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Réunion du jeudi 12 septembre 2019 à 21 heures ([9])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, lorsque nous nous fixons des objectifs, cela fonctionne. Alors, tentons d’examiner au moins l’article 4 ce soir. J’ai bien dit « au moins » car nous pourrons peut-être aller plus loin !

Article 4
Établissement de la filiation des enfants nés par recours à l’assistance médicale à la procréation par un couple de femmes
ou par une femme non mariée

La commission examine les amendements de suppression n° 61 de M. Xavier Breton, n° 248 de M. Patrick Hetzel, n° 564 de Mme Annie Genevard, n° 693 de M. Thibault Bazin, n° 1926 de Mme Emmanuelle Ménard et n° 2066 de M. Pascal Brindeau.

M. Xavier Breton. L’amendement n° 61 est l’occasion d’évoquer la méthode employée pour réformer le droit de la filiation. Le sujet est complexe et les avis antérieurs au dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée – celui du Conseil d’État, comme le rapport d’information établi par nos collègues – soulignaient qu’aucun dispositif n’était parfait et que tous comportaient des avantages et des inconvénients.

Madame la garde des Sceaux, lorsqu’il a déposé son projet de loi, le Gouvernement avait eu le temps de mûrir son choix pendant des mois, avec un système de déclaration anticipée de volonté (DAV). Vous étiez donc prêts à assumer ce choix, avec les inconvénients que tout le monde connaissait. Mais, oh surprise ! sans doute à la suite de pressions, vous changez de pied et revenez sur la rédaction initiale…

Par amendement, vous proposez une nouvelle réforme du droit de la filiation, nous y reviendrons à l’occasion de l’examen de votre amendement et des sous-amendements. Quel est l’avis du Conseil d’État sur cette nouvelle rédaction ? Sur un sujet aussi important, sensible et structurant pour la société que le droit de la filiation, l’improvisation n’est pas possible ; nous avons besoin de l’éclairage du Conseil d’État et d’analyses. Comment peut-on changer de système aussi facilement, en quelques heures, après des mois et des mois de réflexion ? L’article 4 n’est absolument pas stabilisé. C’est pourquoi nous proposons sa suppression.

M. Patrick Hetzel. Je partage le constat de mes collègues sur la méthode. C’est a minima un détournement de procédure, pour ne pas dire un abus de pouvoir du Gouvernement. Bien sûr, formellement, rien ne l’empêche de procéder de la sorte, mais le sujet est capital.

Évidemment, vous avez tâtonné pour trouver une bonne formule. Madame la garde des Sceaux, vous parlez de révolution dans le droit de la filiation. C’est vrai. Mais votre méthode pose problème : vous voulez éviter que l’opposition ne dénonce le bouleversement du code civil, tout en tentant de rassurer ceux qui considèrent qu’il ne doit pas y avoir de filiation discriminante pour les couples de femmes. L’exercice a ses limites ! Vous avez été obligée de changer de pied vingt‑quatre heures avant le début des discussions. La situation est ubuesque : nous avons eu connaissance de l’amendement, donc de la nouvelle rédaction de l’article, tout juste avant le début des travaux, ce qui nous a laissé quarante-huit heures pour sous-amender votre amendement ! Nous n’avons pu avoir accès aux sous-amendements qu’à dix-sept heures cinquante aujourd’hui. Le décalage entre les déclarations du Gouvernement et la réalité est énorme ; rien n’est réuni pour que le débat soit apaisé puisque nous ne disposions pas des éléments consolidés avant le début des débats. Vous en portez la lourde responsabilité. C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement de suppression.

Mme Annie Genevard. La situation est paradoxale : les amendements que nous examinons portent sur un texte déjà mort-né – si j’ose dire –, puisque vous allez nous proposer un autre dispositif.

Néanmoins, ce dernier a des points communs avec le titre VII bis sur lequel portent nos amendements. Madame la garde des Sceaux, l’article 4, qui organise l’établissement de la filiation en cas de procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes et les femmes seules, constitue le cœur du projet de loi. Je vous rappellerai quelques-unes des phrases entendues lors de nos auditions : M. le rapporteur Touraine a estimé qu’il s’agissait d’un changement de civilisation, plus que d’un changement de modèle, que la mère n’était plus forcément celle qui accouche et que le père était volontairement évincé. Nous avons aussi entendu que la science écrasait désormais la vérité biologique et que la filiation bâtie sur l’engendrement était un mythe. Nous nous opposons à cela avec une extrême fermeté. Votre dispositif gomme la dimension charnelle de la filiation, c’est un véritable problème.

Les associations militantes ont beaucoup débattu du titre VII bis au motif qu’il était discriminant, mais ce reproche a été évacué par le Conseil d’État – « à situations différentes, réponses différentes ». Porter de la sorte atteinte au titre VII est une faute grave.

M. Thibault Bazin. Madame la garde des Sceaux, j’imagine que le projet de loi présenté en conseil des ministres avait été mûrement réfléchi. Puis, une heure avant le début de l’examen en commission, vous changez complètement d’option ! Cela complique notre travail et la manière d’appréhender les impacts des modifications. Les conditions d’examen ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Hier, je vous ai demandé s’il était possible de disposer d’un avis du Conseil d’État sur le nouveau dispositif, afin d’en mesurer l’impact. Vous avez finalement décidé de modifier le titre VII du code civil relatif à l’établissement de la filiation par présomption, dans le cas des couples mariés, et par reconnaissance volontaire, dans le cas des couples non mariés.

La commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) reconnaît que cela revient à donner « à la présomption et à la reconnaissance un sens différent de celui qu’ils ont traditionnellement en droit de la filiation, à savoir le reflet de la réalité biologique ». Cette option, qui peut apparaître au premier abord relativement simple, s’avère en réalité très complexe à mettre en œuvre et heurte certains principes structurants du droit de la filiation.

En tant que majorité, c’est votre droit de le porter, mais ce n’est pas anodin ! C’est du reste pourquoi cette option n’avait initialement pas été retenue : elle impliquait de revoir en profondeur tout le droit de la filiation. Un projet de loi relatif à la bioéthique n’est pas le lieu de telles modifications. Cela exigerait de revenir sur l’interdiction d’établir une double filiation de même sexe, selon les modes d’établissements dévolus à la filiation d’apparence biologique. Or c’est cette interdiction, qui se conçoit dans le code civil comme une impossibilité, qui permet de contester une filiation. La présomption de comaternité ne peut avoir le même sens que la présomption de paternité, qui repose sur l’apparence. Une présomption de comaternité ne peut être qu’une simple présomption de la volonté d’être parent et ne peut être contestée de la même façon. La présomption de paternité se combat par la preuve biologique, tandis que la présomption de comaternité ne pourrait être combattue que par la preuve de l’absence d’implication dans le projet parental.

Votre proposition reviendra à faire coexister dans le même dispositif d’établissement de la filiation un modèle de vraisemblance biologique et un modèle de volonté, avec tous les conflits que cela peut engendrer. Dans son étude du 28 juin 2018, le Conseil d’État avait rejeté cette option, indiquant qu’elle était contradictoire avec la philosophie des modes d’établissement classique de la filiation, qui repose sur la vraisemblance, le sens de la présomption et de la reconnaissance étant de refléter une vérité biologique. Le Conseil d’État appelait l’attention sur le fait qu’elle conduirait à une remise en cause des principes fondateurs du droit de la filiation, fixés par le titre VII du livre Ier du code civil qui régit l’ensemble des cas de figure. Vous allez modifier la situation des couples hétérosexuels qui ont recours à un tiers donneur ; ce n’est pas neutre et cela ne correspond pas à la promesse gouvernementale de ne rien changer pour les couples hétérosexuels ! C’est pourquoi l’amendement n° 693 vise à supprimer l’article.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 4 est extrêmement important : il remet en question l’établissement de la filiation dans notre pays. C’est une révolution, vous l’avez annoncé. La création d’un nouveau régime de filiation rompt avec le principe de la vraisemblance et, malgré vos dénégations, ouvre à terme la porte à un autre régime de filiation – la gestation pour autrui (GPA) –, puisqu’il repose sur le projet parental et l’intention. Actuellement, il existe une filiation de droit commun – correspondant à la réalité biologique – et une filiation adoptive. Introduire une nouvelle filiation d’origine à l’égard de deux femmes bouleverserait le sens de cette filiation, en la détachant de toute référence à l’engendrement de l’enfant, ni véritable, ni vraisemblable. Si l’intention était promue comme fondement de la nouvelle filiation, cela priverait le régime de la filiation de toute cohérence. L’amendement n° 1926 a donc pour objet de supprimer l’article.

M. Pascal Brindeau. L’amendement de suppression n° 2066 vise à démontrer – mais mes collègues l’ont déjà largement fait – qu’à partir du moment où la PMA est ouverte au-delà des nécessités thérapeutiques, aux femmes en couple ou seules, les effets en cascade sur le droit de la filiation ne peuvent être maîtrisés et une solution juridiquement, éthiquement et anthropologiquement acceptable ne peut être trouvée, à tel point que vous avez fait marche arrière entre le dépôt du projet de loi et aujourd’hui. La déclaration anticipée de volonté ne satisfaisait personne car elle créait des différences. L’application du droit commun – celui s’appliquant à la naissance par tiers donneur pour un homme et une femme – semble la voie la plus simple, mais ne supprime pas les incertitudes juridiques, ni ne gomme complètement les inégalités entre enfants nés de ces dispositifs, selon qu’ils sont issus de couples hétérosexuels ou homosexuels, ou bien de femmes seules.

Enfin, le droit de la filiation ne tenant plus sur ses fondements, c’est aussi la porte ouverte à la reconnaissance de la filiation par GPA. Du reste, j’aimerais que le Gouvernement confirme – ou infirme – les informations parues récemment dans la presse concernant la préparation d’une circulaire pour traiter le cas des enfants nés par GPA à l’étranger.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Contrairement à mes collègues, je tiens à remercier la garde des Sceaux car notre travail conjoint illustre parfaitement ce que nous appelons souvent de nos vœux : la coconstruction législative. Après le long travail de préparation du Gouvernement, les deux semaines d’auditions et d’échanges, nombreux et denses, nous ont permis d’apporter notre pierre à l’édifice. Nicole Belloubet et ses services ont fait preuve d’une grande ouverture en acceptant d’entendre les points importants soulevés par les membres de la commission, tout en conservant les mécanismes essentiels du dispositif.

Vous avez raison, l’article s’intègre aux dispositions relatives à la filiation dans le code civil. Mais ce n’est pas la pierre angulaire du projet de loi, qui n’est pas une réforme du droit de la filiation. Il se contente de tirer les conséquences de l’élargissement de l’accès à une technique médicale. En outre, le projet de loi comporte d’autres sujets de bioéthique et je serai ravie que nous puissions également en débattre !

L’article, tel qu’amendé par les dispositions co-portées par le Gouvernement et la rapporteure, permettra de tirer le plus finement possible les conséquences de l’élargissement de l’accès à la PMA, sans bousculer tout le droit de la filiation. Contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a pas de remise en cause de la présomption de paternité, ni d’instauration d’une présomption de comaternité ou de parenté ; nous ne dégenrons pas le droit de la filiation. Nous nous appuyons sur les mécanismes déjà utilisés dans les parcours de PMA des hétérosexuels. Vous vous raccrochez à une prétendue vérité biologique, mais la fiction que vous dénoncez existe depuis 1994 : un mécanisme extrêmement spécifique a été prévu pour sécuriser les parents dans leur parcours de PMA. Ne reconnaissez-vous pas la filiation de ces couples, assise sur l’article 311-20 du code civil ? Cela m’étonnerait.

Lors de l’examen des amendements, vous constaterez que le titre VII ne connaît pas de bouleversement radical. Je suis ravie que nous puissions en débattre de façon apaisée.

Enfin, vous dénoncez le dépôt tardif des amendements : il n’a pas eu lieu il y a une heure, mais il y a plus d’une journée. Vous avez eu le temps de déposer plus d’une centaine de sous-amendements ; les droits de l’opposition sont donc parfaitement respectés.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je le sais et vous l’avez répété avec vos mots, cet article est extrêmement sensible. Madame Genevard, vous estimez que c’est le cœur de ce projet de loi. Je ne sais pas, mais c’est une conséquence importante de l’article 1er que vous avez adopté il y a quelques heures. Évidemment, construire le droit de la filiation est un acte important, qui a du sens, même si l’objet du projet de loi, je le redis, est avant tout bioéthique. Nous ne faisons que tirer les conséquences de l’ouverture de la PMA à des femmes seules ou en couple. Elle doit s’accompagner de l’établissement d’une filiation pour les enfants qui naîtront.

Je reviendrai sur trois points soulevés par MM. Breton, Bazin, Hetzel et Brindeau : la méthode, notre prétendu changement de pied et votre sollicitation d’un avis du Conseil d’État.

Sur la méthode, je serai très brève. Le projet de loi est complexe et nous avions fait une double proposition au Conseil d’État, avant de finaliser le projet tel qu’il a été déposé à l’Assemblée nationale. Puis nous vous avons entendus, nous avons énormément travaillé avec la rapporteure et les autres députés impliqués afin de formuler la proposition que vous avez sous les yeux. Elle est juridiquement très rigoureusement pesée, tout en répondant à une attente très forte.

Contrairement à ce que vous affirmez, ce texte est l’illustration de la méthode de travail – la coconstruction – que nous pouvons conduire avec le Parlement. Monsieur Hetzel, vous employez – et vous le savez – des termes inappropriés. Il n’y a ni « abus de droit » ni « détournement de procédure ». Le Gouvernement ne fait que tirer les conséquences de l’article 44 de la Constitution et de l’article 86, alinéa 5 de votre Règlement.

Vous prétendez que nous changeons de pied. Absolument pas. L’évolution que va connaître le droit de la filiation pour les couples de femmes est effectivement une véritable révolution, mais seulement pour ces couples. Nous introduisons un nouveau fondement – un acte de volonté et un projet parental – également perçu par certains comme une révolution. C’est très important, mais nous ne changeons pas de pied.

Mme Genevard, certaines de vos citations pourraient paraître choquantes. Je rappelle qu’il ne s’agit pas de propos du Gouvernement – vous ne l’avez du reste pas prétendu. Il faut faire attention : cette évolution, pour importante qu’elle soit, doit se faire dans le respect des opinions et de la sensibilité des uns et des autres.

Enfin, il n’est pas nécessaire de demander l’avis du Conseil d’État sur notre amendement. Il a été écrit de manière extrêmement rigoureuse et minutieuse par les spécialistes de droit civil qui travaillent à la direction des affaires civiles et du sceau de la chancellerie. Les séances de travail ont été nombreuses. En outre, nous avons respecté les principes de fond et de forme énoncés par le Conseil d’État dans son avis. Sur le fond, il estimait qu’il n’était pas souhaitable de modifier la filiation telle qu’elle existe pour les couples hétérosexuels. Nous ne le faisons pas, contrairement à ce que vous affirmez, Monsieur Bazin. Le Conseil d’État avait également validé le principe d’un consentement mutuel des deux mères au projet parental ; vous le retrouverez dans notre proposition. Il préconisait l’interdiction de toute action à des fins d’établissement ou de contestation de la filiation si la PMA a lieu ; le texte le prévoit aussi.

Nous respectons également les recommandations du Conseil d’État concernant les enfants : il n’y a pas de droit à l’enfant ; ce dernier est considéré comme un sujet disposant de droits et de devoirs. Nous reprenons les deux grands principes énoncés par le Conseil d’État : L’enfant, une fois né et quelle que soit sa filiation, a les mêmes droits. En outre, nous respectons son intérêt supérieur puisqu’il doit disposer, je cite le Conseil d’État, « d’une certitude juridique sur son état » et de la garantie d’un cadre familial stable. C’est ce que nous vous proposons.

J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements de suppression car notre proposition, très rigoureuse, a été rédigée dans la concertation et respecte les principes énoncés par le Conseil d’État.

M. Guillaume Chiche. Jusqu’à présent, nos travaux se sont particulièrement bien déroulés et ont permis d’enrichir le projet de loi. Concernant l’article 4, nous avons tous entendu les critiques, positives ou négatives. C’est ce qui nous a amenés à proposer des enrichissements. Madame la ministre, alors que l’exécutif est parfois accusé de légiférer en vase clos, je me réjouis qu’il ait entendu ces remarques et nous propose une évolution du projet de loi.

En outre, je partage le point de vue de notre collègue Xavier Breton : sur ce sujet, pas plus que sur les autres articles du projet de loi, il n’existe d’évidence ou de vérité absolue. Débattons donc tranquillement des différents modèles : l’amendement du Gouvernement et vos cent huit sous-amendements nous en donneront l’occasion ! Toutes les conditions sont réunies pour que le débat sur la filiation soit apaisé et constructif.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas donner une suite favorable à vos amendements de suppression, pour une raison simple : nous avons ouvert la PMA à toutes les femmes et ne pouvons prendre le risque de l’insécurité juridique pour les enfants qui naîtront. Ce serait les considérer comme des fantômes de la République et nous ne le voulons pas.

M. Thibault Bazin. Tentons d’analyser l’état actuel du droit, ce que nous abrogeons et ce que nous créons. Actuellement, un couple hétérosexuel qui a recours à un tiers donneur se situe dans la section 3 « De l’assistance médicale à la procréation » du chapitre Ier « Disposition générales » du titre VII « De la filiation » du code civil, au cœur des principes structurants qui fondent la filiation, notamment la vraisemblance biologique.

Nous avons déjà eu ce débat : votre proposition abroge la section 3 « De l’assistance médicale à la procréation », ce tronc commun dans lequel étaient situés les couples hétérosexuels qui faisaient appel à un tiers donneur. Désormais, ils sont transférés vers un nouveau chapitre V. Le fondement de la filiation sera donc nécessairement différent ! C’est votre choix et vous êtes majoritaires. Mais c’est symbolique et on ne peut pas dire que cela ne change rien pour les couples hétérosexuels…

Enfin, depuis trois jours, vous rappelez que la volonté et le projet parental seront les fondements de la filiation mais, assez curieusement, votre proposition n’est pas claire.

Mme Elsa Faucillon. Évidemment, je ne vais pas voter les amendements de suppression. Je salue l’amendement du Gouvernement dont j’ai enfin pu prendre connaissance. Il répond en grande partie à mes doutes et à mes inquiétudes à la lecture du projet de loi initial. L’article 4 ne tirait pas toutes les conséquences de l’extension des droits prévue par l’article 1er. En conséquence, le dispositif était bancal et tournait autour du pot.

Je m’interroge encore sur un dernier point, comme de nombreuses associations qui vous ont interpellés. Ne vous seriez-vous pas arrêtés en chemin ? En effet, il y a maintenant des couples de femmes mariées : pourquoi la présomption de maternité ne vaudrait pas pour elles, comme elle vaut pour les couples hétérosexuels mariés, pour lesquels la présomption de paternité s’applique même lorsqu’ils font appel à un don ? Pourquoi ne pas avoir franchi ce dernier pas ? Cela contreviendrait-il à la sécurité juridique de l’enfant ?

Mme Annie Genevard. Chers collègues de la majorité, madame la garde des Sceaux, je vous invite à y aller franchement. N’ayez pas peur de vos opinions ! Madame la garde des Sceaux, vous affirmez ne pas toucher au droit existant de la filiation. Mme Dubost ajoute « ce n’est pas une réforme du droit de la filiation » et, pour conclure, M. Chiche parle de débat apaisé et constructif… Cher Guillaume Chiche, nous sommes des gens civilisés, mais ne confondez pas la forme et le fond ! La forme peut être courtoise, mais le fond est résolument antagoniste.

Madame la garde des Sceaux, je ne doute pas que les personnels travaillant dans vos services sont parfaitement compétents. Mais c’est également le cas au Conseil d’État, Or dans son étude du 28 juin 2018 « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », il est très clair. La solution que vous nous proposez « apparaît en contradiction avec la philosophie des modes d’établissement classiques de la filiation qui reposent sur la vraisemblance, le sens de la présomption et de la reconnaissance étant de refléter une vérité biologique, le Conseil d’État attire l’attention sur le fait [que la solution que vous allez nous proposer] conduirait à une remise en cause des principes fondateurs du droit de la filiation fixés par le titre VII du livre Ier du code civil qui régit l’ensemble des situations ».

C’est donc bien une véritable révolution dans le droit de la filiation, il faut le dire ! C’est votre droit de le proposer, mais c’est notre droit de considérer que l’abandon de la vérité biologique constitue un changement absolument majeur : vous faites de l’enfant le fruit d’une volonté, ce que l’on « veut », avec toutes les conséquences que cela emportera.

M. Raphaël Gérard. Je fais partie de ceux qui n’étaient pas du tout convaincus par la première rédaction de l’article. Je salue donc le travail remarquable de notre rapporteure et remercie également Mme la garde des Sceaux et son cabinet pour leur écoute et la réécriture de l’article.

Les propos de Mme Genevard sont intéressants et entrent en résonance avec ceux de M. Bazin : nous ne remettons pas en cause la vraisemblance biologique, elle l’était déjà puisque la section s’intitulait « De l’assistance médicale à la procréation ».

Tous les couples concernés seront désormais dans un même chapitre. L’entrée de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur dans le code civil avait déjà remis en question la notion de vraisemblance biologique. Cette dernière est plutôt du côté de la procréation charnelle… Le projet de loi a le mérite de le clarifier, de préserver le titre VII, donc de sanctuariser le principe de vraisemblance biologique attaché la filiation charnelle. J’entends que vous y soyez attachés, je le respecte. Ces nouvelles dispositions contribueront par ricochet à clarifier la procréation médicalement assistée. C’est une grande avancée. De même, la déclaration conjointe vient également rompre avec l’idée de vraisemblance biologique. C’est un simple objet de droit.

Vous le voyez, l’article 4 va plutôt dans le sens que vous défendez, en créant un chapitre spécifique pour l’assistance médicale à la procréation.

M. Hervé Saulignac. Dans ce débat, certaines positions sont irréconciliables ou inconciliables, certaines cohérences s’opposant à d’autres. Nos collègues sont hostiles à la PMA, en cohérence, ils sont hostiles à son extension…

M. Thibault Bazin. Nous ne sommes pas hostiles à la PMA, mais à son extension !

M. Hervé Saulignac. Au cours des trois derniers jours, vous avez clairement exprimé votre réserve – votre hostilité même – envers l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. C’est donc par cohérence que vous êtes hostiles à l’idée que l’on puisse construire une filiation pour les enfants issus de ces PMA !

Nous aussi sommes cohérents : vous avez raison, Madame Genevard, allons au bout de la « révolution » – puisque plusieurs ont employé ce terme. Le Gouvernement nous fait une proposition intéressante qui atténue une discrimination visible. Mais, madame la ministre, encore un petit effort : nous souhaitons que l’on se rapproche, voire que l’on atteigne, des principes de filiation de droit commun, afin que plus rien ne distingue les couples de femmes des couples hétérosexuels.

Votre proposition crée une reconnaissance ante-conception : si le nom et la place dans le code civil changent, la philosophie est similaire à la déclaration anticipée de volonté. On maintient donc une distinction entre les couples : les deux femmes seraient toutes les deux mères par reconnaissance, alors qu’en l’état actuel du droit, on devient mère en mettant au monde son enfant. Nous y sommes presque, mais n’aurons achevé cette révolution qu’en appliquant le droit commun à tous !

M. Pascal Brindeau. Les arguments développés ont tous leur cohérence mais – c’est toute la difficulté de l’extension de la PMA – il y aura toujours un hiatus juridique : la présomption de maternité ne peut s’entendre pour la deuxième mère. Dans le cadre d’une PMA pour un couple de femmes, le seul dispositif viable consiste bien en un acte permettant la reconnaissance de l’enfant par la deuxième mère. La science n’a pas encore trouvé de solution… Peut-être y viendra-t-on un jour – cela réglera nos problèmes juridiques. Cela explique l’impasse dans laquelle nous sommes, et les effets dominos incontrôlables.

Si nous créons un nouveau dispositif pour traiter la problématique, nous ferons basculer les couples hétérosexuels ayant recours à la PMA avec tiers donneur dans une autre conception du droit de la filiation, fondée sur un acte de volonté – et donc de reconnaissance. La filiation ne sera plus « naturelle », c’est‑à‑dire fondée sur la vraisemblance biologique. Cette vraisemblance n’étant pas la vérité biologique, elle permet aux couples hétérosexuels qui recourent à la PMA de se trouver dans la même situation que les couples pour lesquels la procréation est « naturelle ». C’est là toute la difficulté. Est-on capable d’écrire un dispositif certes juridiquement cohérent, mais qui le soit surtout au regard de nos principes de procréation et de filiation ? J’en doute… Qu’en sera-t-il des autres modes de filiation ? Madame la garde des Sceaux, je souhaiterais que vous répondiez à ma question sur la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Notre groupe s’opposera aux amendements de suppression. Nous sommes satisfaits de constater que les échanges avec la rapporteure et les parlementaires ont permis au Gouvernement de revoir sa proposition. Dans sa rédaction initiale, l’article 4 ne répondait aucunement aux demandes exprimées lors des différentes auditions. Mais nous sommes convaincus que la suite de nos échanges, en commission puis en séance, permettra de compléter utilement le projet de loi, notamment en matière d’établissement de la filiation.

La commission rejette les amendements de suppression n° 61, n° 248, n° 564, n° 693 n° 1926 et n° 2066.

Elle passe à la discussion commune des amendements identiques n° 2266 du Gouvernement et n° 2267 de la rapporteure, ainsi que des amendements n° 1274 de Mme Emmanuelle Ménard, n° 1535 de M. Jean-Louis Touraine, n° 1965 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon et n° 1798 de M. Raphaël Gérard.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous en venons à l’examen de l’amendement n° 2266 du Gouvernement. Je vous propose que Mme la ministre le présente, que leurs auteurs présentent également les amendements tendant à récrire l’article. Puis nous ouvrirons une discussion générale durant laquelle chacun pourra s’exprimer, ce qui nous permettra ensuite d’examiner plus rapidement les sous-amendements.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai noté vos différentes interrogations. Je n’y réponds pas car j’y reviendrai à l’occasion de l’examen des sous-amendements qui traitent de ces sujets.

Le présent amendement est le résultat d’un travail extrêmement soutenu, conduit avec Mme la rapporteure Coralie Dubost depuis plusieurs semaines. Je tiens également à remercier Jean-Louis Touraine et les autres membres de la commission avec lesquels nous avons échangé, notamment Aurore Bergé et Guillaume Chiche. Les interventions d’autres députés, de tous bords, nous ont permis de vous faire cette proposition.

Je le répète, ce projet de loi est une réforme de bioéthique, et non de la filiation. C’est pourquoi, pour reprendre l’expression de M. Saulignac, dans certaines hypothèses, nous n’avons pas pu « aller jusqu’au bout ». Nous avons fait le choix de ne pas toucher au droit de la filiation tel qu’il existe pour les couples hétérosexuels.

Les auditions auxquelles la commission a procédé ont montré que le dispositif initial du projet de loi semblait opérer des distinctions – distinctions, et non discriminations – trop marquées entre les différents modes d’établissement de la filiation. Je le redis, l’intention du Gouvernement n’était évidemment pas d’enfermer les couples de femmes ayant recours à l’AMP dans une catégorie juridique à part.

Notre amendement répond à quatre principes : sécurité juridique pour les enfants et les mères ; simplicité des procédures – nous y tenons beaucoup pour éviter les tracasseries ; prise en compte du réel – face à la procréation, les couples de femmes ne sont pas dans la même situation que les couples hétérosexuels et la revendication d’une similitude absolue est donc complexe à satisfaire car la vraisemblance biologique ne peut pas jouer ; enfin, volonté de ne pas modifier le droit de la filiation existant pour les couples hétérosexuels. Nous souhaitons accorder de nouveaux droits aux couples de femmes, en allant au bout de la démarche, sans rien retirer aux autres.

Là où le projet de loi initial créait un nouveau titre VII bis, dédié à la filiation des enfants nés de couples de femmes ayant eu recours à une AMP avec tiers donneur, la rapporteure et moi-même vous proposons de compléter le titre VII du livre Ier du code civil relatif à la filiation. Au sein de ce titre, un nouveau chapitre sera créé, relatif au recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, pour tous les couples sans distinction, qu’ils soient hétérosexuels ou composés de deux femmes. Les différentes auditions ont mis en lumière une demande forte en ce sens. Dans le projet initial, nous avions sans doute péché par souci excessif de symétrie : entre le titre VII consacré à la filiation charnelle et le titre VIII consacré à la filiation adoptive, nous avions créé un titre VII bis consacré à la filiation pour les couples de femmes. Nous le corrigeons. Ce n’est pas seulement une question de légistique, l’emplacement des dispositions étant toujours un enjeu symbolique important. Ainsi, le dispositif sera plus clair, avec un large tronc commun relatif à l’AMP, puis des éléments propres à chaque cas de figure.

En second lieu, le débat s’est beaucoup focalisé sur la déclaration anticipée de volonté (DAV). Comme vous le constatez, dans l’amendement que nous vous proposons, elle est supprimée. Elle répondait à un souci de sécurité juridique – que nous conservons – mais, lors des auditions, certains ont considéré ce nouveau document juridique comme inutile et pouvant être interprété comme opérant une distinction excessive entre les couples en fonction de leur orientation sexuelle. Je le répète, ce n’était pas la volonté du Gouvernement, mais les réactions doivent être entendues.

Dans l’amendement, nous conservons un haut niveau de sécurité juridique pour les deux femmes et l’enfant, grâce au recours à une notion juridique bien connue en droit civil : la reconnaissance. Elle sera effectuée conjointement par les deux mères, qui s’engageront ensemble sur la base d’une stricte égalité dans ce projet devant notaire, au moment où il recueillera le consentement à l’AMP. La reconnaissance existe déjà en droit de la filiation : ainsi, un père non marié peut reconnaître son enfant par acte authentique devant notaire. Nous étendons cette possibilité aux couples de femmes ayant recours à la PMA. À la naissance, l’une des mères – ou les deux – produira simplement cette reconnaissance, comme le fait aujourd’hui un père ayant reconnu son enfant par anticipation.

L’acte de naissance portera alors la mention selon laquelle l’enfant a été reconnu par ses deux mères, mais aucune mention de la PMA, ni aucune notion juridique nouvelle. Ce dispositif, clair et raisonnable, offre une réponse aux inquiétudes, en termes tant de sécurité, de simplicité que d’égalité.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Pour les bonnes organisation et compréhension de nos débats, je vais donner la parole aux auteurs des amendements proposant une rédaction globale de l’article 4, en terminant par Mme Coralie Dubost, rapporteure.

Mme Emmanuelle Ménard. Je propose que l’article 4 soit ainsi rédigé : « Pour les couples de femmes qui recourent à une assistance médicale à la procréation, la femme qui accouche est déclarée mère de fait. Sa compagne peut quant à elle déclencher une procédure d’adoption simple ou plénière. »

En effet, la filiation par déclaration anticipée de volonté laisserait entendre qu’à la naissance de l’enfant, ce dernier aurait deux mères, ce qui reviendrait à laisser croire qu’il n’a pas de père, ce qui est faux, car biologiquement impossible.

La procédure d’adoption aurait au moins le mérite de ne pas faire croire à l’enfant, comme au reste de la société, que l’on peut naître de deux mères.

La filiation adoptive ne se présente en effet pas comme la filiation d’origine de l’enfant. C’est la transcription du jugement d’adoption qui tient lieu d’acte de naissance, ce qui permet de ne pas bouleverser la cohérence de la filiation de droit commun telle qu’elle découle de l’acte de naissance de l’enfant.

M. Jean-Louis Touraine. Mon amendement avait été déposé avant les modifications que Mme la garde des Sceaux, que je remercie tout d’abord pour son écoute ainsi que pour le travail intensif qui a été conduit par elle-même ainsi que par ses services au cours des dernières semaines, a introduites : je vais donc adapter mon propos à celles-ci.

Je voudrais également remercier Mme la rapporteure qui s’est attelée avec acharnement à un sujet d’importance non seulement pour les droits individuels dans le cadre de la filiation mais également en termes d’image. Or l’image a une forte valeur symbolique.

Il est vrai qu’au moment où j’avais rédigé cet amendement, deux philosophies s’opposaient : les uns, que nous venons d’entendre, souhaitaient que nous ne modifiions strictement rien pour les couples hétérosexuels et que nous développions un régime le plus différencié possible pour les couples homosexuels ; les autres, dont je fais partie, souhaitaient au contraire un système identique pour l’ensemble des couples.

Une telle situation nous a amenés, puisque Mme la garde des Sceaux avait proposé l’instauration de la déclaration anticipée de volonté, à proposer que cette déclaration s’applique à l’ensemble des couples ayant recours à la PMA.

Les modifications en question ont donc été introduites : nous en attendons des effets bénéfiques, notamment grâce à la déclaration conjointe qui induit beaucoup moins de différences entre les différents types de couples. Elles présentent également l’avantage de reconnaître le donneur, ce qui n’est pas inutile car il s’agit d’un point important et nouveau.

Enfin, elles permettent d’éviter une hiérarchisation entre les mères. Nous venons d’entendre qu’au contraire d’autres souhaiteraient y revenir, alors qu’avec ces modifications les deux mères sont équivalentes, sans distinction entre celle qui a accouché et l’autre.

Je veux donc saluer ce pas bénéfique que venons de faire, car effectivement, aujourd’hui, on peut être mère sans avoir accouché. Cela permettra de résoudre un grand nombre de difficultés qui jusqu’à présent ont pénalisé de nombreux enfants.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Mon amendement vise en premier lieu à créer un régime unique de filiation pour toutes les familles ayant recours à une AMP avec tiers donneur, que la structure parentale soit formée d’un couple composé d'un homme et d'une femme, d’un couple composé de deux femmes ou d’une femme seule.

La déclaration anticipée de volonté permet de reconnaître l'existence d'un projet parental et s'applique en ce sens à tous ceux qui ont recours à une AMP avec tiers donneur. La création d'un régime spécifique pour les couples de femmes induit une distinction, avalisée par la loi, des familles qu'elles forment avec leurs enfants.

Or on ne peut aujourd'hui distinguer les familles selon l'orientation sexuelle des parents. Cette stigmatisation des familles homoparentales dans la loi entretient en effet les stigmatisations subies dans tous les pans de la société.

Cet amendement permet en second lieu de tirer les conséquences juridiques des modifications que ce projet de loi induit pour les enfants nés d'un couple de deux femmes ayant eu recours à une AMP avant sa promulgation. La filiation des familles homoparentales découle de l'ouverture de l’AMP aux couples de femmes et est organisée pour protéger les enfants et leurs parents.

Cependant, n’organiser cette sécurisation des familles que pour les enfants qui naîtront après la promulgation de la loi crée immédiatement une inégalité entre enfants. En effet, un enfant né en 2019 n’aura pas les mêmes droits qu’un autre né en 2020 et cette injustice sera directement le fait de ce projet de loi. C’est d’ailleurs également le cas des enfants nés avant la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Pour y remédier, cet amendement prévoit des dispositions transitoires qui encadreront l’établissement tardif de la filiation des enfants nés d’une AMP avec tiers donneur.

Pendant un an à compter de la promulgation de la loi, les deux mères déposeraient, dans le cas où elles seraient toujours en couple ou séparées mais sans conflit, une déclaration conjointe devant notaire.

Cette déclaration serait ensuite transmise à l’officier d’état civil. En cas de conflit, la mère n'ayant pas accouché devrait établir la preuve auprès du juge qu’elle partageait le projet initial avec la mère ayant accouché.

L’adoption de cet amendement aurait donc pour effet de mettre toutes les familles sur un pied d’égalité, sans distinction liée à l’orientation sexuelle des parents, et de protéger tous les enfants nés à l’issue d’une AMP avant ou après la promulgation de la loi.

M. Raphaël Gérard. Mon amendement visait à récrire les dispositions relatives à la DAV en en faisant un outil de sécurisation de la filiation pour tous les enfants nés d’un homme et d’une femme, de deux femmes ou d’une femme célibataire au moyen d’une PMA avec tiers donneur.

En effet, la solution initialement retenue dans le projet de loi me semblait induire une discrimination au regard du mode d’établissement de la filiation car de mon point de vue, et contrairement à ce qu’affirme le Conseil d’État, il n’existe pas entre ces couples de différence au regard de la procréation.

L’homme qui consent à l’insémination de sa compagne avec le sperme d’un tiers donneur se trouve en effet dans une situation identique à celle de la femme qui consent à l’insémination de sa compagne avec le sperme d’un tiers donneur. Dans la mesure où la filiation s’établit de mon point de vue vis-à-vis de chacun des deux parents, et non globalement vis-à-vis du couple parental, l’interprétation de la position du Conseil d’État constitue un véritable sujet de réflexion.

L’idée était d’ouvrir la DAV à l’ensemble des couples afin de sortir de la fiction biologique que j’évoquais tout à l’heure et qui est liée au recours à l’AMP avec tiers donneur. On ne peut en effet dans ce cas pas parler de vraisemblance biologique : tout au plus peut-on parler de droit au mensonge lorsqu’il s’agit de consacrer dans le droit la capacité des parents à maintenir le secret de la naissance de leur enfant, mais certainement pas d’une telle vraisemblance.

La solution proposée au travers de la nouvelle rédaction nous permet de faire un sérieux pas un avant, je l’ai dit tout à l’heure. Je regrette cependant qu’on ne soit pas en mesure d’ouvrir ce nouveau mode de filiation à l’ensemble des couples concernés.

Il s’agit quoi qu’il en soit d’une avancée notoire : cet amendement n’a donc plus lieu d’être.

L’amendement n° 1798 est retiré.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je donne tout d’abord l’avis de la commission sur les amendements qui viennent d’être présentés. Madame Ménard, vous proposez un maintien du droit actuel, qui, cela a été largement évoqué, notamment au cours des auditions, n’est pas opérationnel.

Nous avons notamment entendu, certes à huis clos, des témoignages très clairs : même lorsque le dispositif juridique actuel est opérationnel, il n’évite pas qu’une distinction s’opère, au sein d’une même famille homoparentale de femmes, entre les enfants, selon qu’ils sont nés avant ou après 2013, ce qui conduit parfois à la délivrance de trois livrets de famille pour deux enfants seulement.

La commission est donc défavorable à cet amendement : une telle solution ne serait pas responsable ni cohérente avec l’adoption de l’article 1er du projet de loi dont elle ne tire pas les conséquences.

S’agissant de l’amendement n° 1535, je remercie également M. Jean-Louis Touraine pour ses travaux dans le cadre des travaux de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, pour nos échanges très enrichissants dans le cadre de ce titre Ier sur lequel nous sommes co-rapporteurs, ainsi que pour la cause qu’il défend.

Si je ne souhaite pas entrer dans la technique juridique concernant la question des origines, dont nous avons parlé cet après-midi, je sais combien vous vous êtes battu, cher collègue, avec d’autres, pour une filiation spécifique visant à permettre aux enfants concernés de connaître leurs origines. Je comprends cette cause et salue votre engagement à son profit.

Par ailleurs, et nous l’avons également évoqué entre nous ainsi que cet après-midi, il nous semblait particulièrement important de distinguer la question de la filiation de celle des origines, sans pour autant abandonner la recherche d’une consécration de ce droit d’accès à son identité.

C’est la raison qui me conduit à donner un avis défavorable à cet amendement.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, je comprends également votre demande qui rejoint également ce qui a été évoqué tout à l’heure par M. Hervé Saulignac : vous voudriez aller jusqu’au bout de cette quête de l’égalité dans les modalités d’établissement de la filiation entre les couples de femmes et les couples hétérosexuels.

Comme l’a expliqué la ministre tout à l’heure, nous avons trouvé me semble-t-il, au travers de la proposition du Gouvernement sur laquelle que je vais également revenir, une solution satisfaisante dans la mesure où elle permet de simplifier et de mettre tous les types de familles concernées dans un même titre.

Elle permet en effet de regrouper toutes les personnes ayant recours à la PMA : cela concerne donc également, même si nous le les avons pas évoquées, toutes les femmes non mariées.

Toutes les femmes, donc, du point de vue de la gestatrice, qu’elles soient ou non mariées, qu’elles soient en couple hétérosexuel ou homosexuel, se voient appliquer un régime défini par un même chapitre du code civil intitulé : « De l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ».

Du point de vue de la femme gestatrice, il s’agit à mon sens d’un pas important. Il faut donc retenir cette solution. Si nous allions tout de suite, aujourd’hui, plus loin, nous susciterions des peurs dont nos collègues qui ont défendu des amendements de suppression de l’article 4 se sont fait l’écho. Elles sont liées à celle d’une grande révolution qui ferait faire à notre droit de la filiation une grande bascule.

Or nous ne souhaitons pas que ce soit le cas aujourd’hui : nous avons abouti à une solution d’équilibre. Je ne dis pas cependant que je serais opposée à une réforme du droit de la filiation, même si j’exprime ainsi une opinion infiniment personnelle. Une telle réforme ne pourrait de toute façon s‘envisager qu’en dehors du champ ce projet de loi.

Je pense en effet que si aujourd’hui la pluralité des familles, y compris d’ailleurs des familles hétérosexuelles, peut poser des questions et provoquer de vastes débats, les aborder nous éloignerait des strictes conséquences de l’adoption de l’article Ier.

Pour toutes ces raisons, je demande aux auteurs des amendements en discussion commune de les retirer. À défaut, j’y serais défavorable.

J’apporte ma petite pierre à notre édifice, puisque la ministre a je crois parfaitement présenté l’amendement n° 2266 qui est défendu conjointement par le Gouvernement ainsi que par moi-même – sous le n° 2267 –, en tant que rapporteure et au nom des différents échanges que j’ai eus avec mes collègues.

Je ne veux pas m’attribuer seule le mérite de ce travail, car nous avons été nombreux à y prendre part. Les mots trouvés à cette occasion ont été particulièrement justes : au cours des auditions, nous avons été touchés par ceux qui ont été employés et qui, en rapport avec ce titre VII bis et avec l’éventualité de basculer dans le titre VII, avaient trait à la symbolique. Nous avons en effet entendu à plusieurs reprises des témoignages bouleversants.

Il me semble que nous sommes prêts, à l’automne 2019, à assumer des choix sociétaux et politiques.

Nous avons notamment entendu cet appel : aidez-nous à être des citoyens comme les autres. Il est évident que nous avons eu à cœur, dans ces conditions, de bien faire les choses, sans pour autant provoquer l’effondrement du statut de la totalité des familles hétéro-parentales.

Le choix a été fait de revenir sur cet article 311-20 du code civil qui avait déjà, depuis 1994 — cela ne date donc pas d’avant-hier —, aménagé un régime spécifique aux familles hétéro-parentales engagées dans un processus de PMA avec tiers donneur.

Depuis 1994 donc, cette idée que lorsque l’on ne situait pas dans le cadre d’une procréation charnelle, sexuée et directe, l’engagement dans ce processus devait néanmoins se traduire par un mode de filiation particulier, s’est imposée. Ce mode permettait d’établir, avec un père non biologique, une filiation qui était déjà la plus solide du code civil.

En effet, une fois que le couple hétérosexuel a consenti au don, suivi le processus de PMA, que l’enfant est venu au monde et que la reconnaissance a eu lieu, la filiation ne peut être détruite.

Elle ne peut pas l’être, c’est-à-dire que la volonté de l’homme, dans ce couple composé de lui-même et d’une femme, de reconnaître l’enfant à venir et d’en assumer la responsabilité pour toute la durée de sa vie, avec toutes les conséquences qu’emporte un lien de filiation, était indestructible. Une puissance était par conséquent en germe dans cet acte de volonté.

Le fait de l’étendre aux couples de femmes et de se conformer à cette modalité sans pour autant toucher aux notions de présomption de paternité ou d’introduire une comaternité constitue précisément un équilibre très sain pour l’avenir.

Simplicité, sécurité pour l’enfant, sérénité dans cette capacité à homogénéiser : cette avancée va donc à mon sens satisfaire bon nombre de parlementaires et ce de façon transpartisane.

Les amendements n° 1535 et n° 1965 sont retirés.

M. Patrick Hetzel. J’aborde un autre point de méthode : madame la ministre, vous avez tout à l’heure balayé l’argument de M. Bazin au motif que le travail avait été fait sérieusement et que point n’était donc besoin d’un avis du Conseil d’État.

En réalité, vous le savez puisque vous avez siégé au Conseil constitutionnel, si l’on a considéré qu’il était important que le Conseil d’État communique un avis visant à éclairer le législateur, c’est bien pour une raison. Or vous êtes obligée de reconnaître que, compte tenu d’une telle réécriture, un tel avis fait défaut.

Je reviens à présent sur certains éléments en discussion, car nous sommes bien en présence d’une réforme de la filiation. Vous affirmez que l’on ne touche pas à la filiation au sein des couples hétérosexuels : c’est vrai, mais uniquement pour ceux qui ne font pas appel à un tiers donneur.

En outre, vous revenez également sur un principe multiséculaire de notre droit qui a été rappelé par de nombreux juristes tant lors des débats que des auditions : mater semper certa est, autrement dit : l’identité de la mère est toujours certaine.

Par ailleurs, quelle est la cohérence de la disposition dont nous débattons avec le reste du titre VII ? La plupart des juristes que nous avons auditionnés nous ont en effet clairement indiqué qu’un problème se posait à cet égard.

Je vous rejoins sur un point : il est sûr qu’il n’existait pas de solution optimale. M. Jean-Louis Touraine, rapporteur, avait lui-même indiqué que la formule précédemment proposée présentait des avantages et des inconvénients. Celle que vous défendez désormais en présente également.

Par conséquent, on ne peut pas dire que dorénavant tout soit réglé : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous allons effectivement défendre un certain nombre de sous-amendements.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je l’ai déjà rappelé, les auditions ont mis en évidence les inconvénients qu’il y aurait eu à procéder à l’établissement de la filiation des enfants nés de couples de femmes par AMP, comme le proposait la rédaction initiale du projet de loi.

Au moment où l’on souhaite reconnaître le projet parental comme condition d’accès à l’AMP, il paraît incompréhensible que l’on ne reconnaisse pas pleinement l’AMP avec tiers donneur comme un mode d’établissement à part entière de la filiation pour l’ensemble des enfants qui en sont issus.

Nous sommes nombreux à avoir, à la suite de ces mêmes auditions, esquissé des propositions afin qu’il n’y ait pas un mode d’établissement de la filiation spécifique aux femmes en couple.

Ainsi, ma proposition visait à généraliser l’établissement de la filiation par DAV à tous les couples ainsi qu’aux femmes seules recourant à l’AMP, la situation antérieure des couples hétérosexuels non mariés et des femmes seules étant désormais régie par le titre VII bis.

Toutefois, la nouvelle proposition qui nous a été soumise par le Gouvernement paraît pleinement satisfaisante : j’y souscris donc sans réserve. En effet, sur ce sujet comme sur celui de l’accès aux origines, nos travaux nous permettent aujourd’hui d’aboutir à des propositions solides et cohérentes.

Par ailleurs, j’ai souhaité, à travers d’autres amendements portant également sur l’article 4, formuler des propositions relatives à la filiation portant sur la reconnaissance des enfants nés d’une AMP à l’étranger ainsi que sur certaines dispositions du code civil.

Je présenterai au moment de l’examen du projet de loi en séance publique de nouveaux amendements à cet article tel qu’il aura été modifié par la commission.

M. Jean-François Eliaou. Madame la garde des Sceaux, madame la rapporteure, je salue bien entendu ce travail de coconstruction qui est remarquable notamment parce qu’il a été accompli en très peu de temps : il faut le souligner car c’est important, et mon propos n’est pas du tout ironique.

Il a fallu en effet à la suite des auditions, donc dans un laps de temps très court, répondre à un certain nombre de remarques et de critiques constructives qui avaient été formulées à cette occasion : un tel travail montre que nous sommes capables de réagir de façon rapide et efficace.

J’ai quelques questions car, vous le savez – je le rappelle en permanence –, je ne suis pas juriste. Premièrement, s’agissant des mères non mariées, une branche de la filiation manque : comment le dispositif est-il sécurisé ?

Deuxièmement : pourquoi la filiation est-elle établie chez les couples de femmes par consentement et non par consentement et accouchement, c’est-à-dire par reconnaissance de ce dernier, comme l’a indiqué très doctement en latin notre collègue Patrick Hetzel ?

Troisièmement : y a-t-il une différence entre la situation des femmes mariées, donc en couple, et celle des femmes non mariées ? S’il ne me semble pas que ce soit le cas, je souhaiterais que vous me répondiez sur ce point.

Enfin, l’inscription sur l’acte de naissance sera-elle différente selon que les enfants sont issus de couples homosexuels ou de couples hétérosexuels ayant recouru à la PMA avec tiers donneur ?

M. Charles de Courson. Quand on lit votre amendement, madame la ministre, on voit bien que vous tentez de faire croire que vous coulez le modèle des femmes ayant recours à l’AMP sur celui des couples hétérosexuels : or, en fait, cela ne marche pas, et je vais vous le prouver.

Je fais à ce propos trois remarques : s’agissant tout d’abord de la reconnaissance, celle-ci est antérieure à l’insémination ou à l’implantation d’un embryon, alors que la reconnaissance dans le cas des couples hétérosexuels non mariés a lieu lorsque la femme est enceinte. On voit donc bien que le parallèle est tout à fait factice : il ne s’agit en effet absolument pas de la même chose.

Je rappelle que dans le cas d’un couple hétérosexuel marié, il n’y a pas de débat puisque la loi dit que le mari est présumé être le père de l’enfant, sauf engagement d’une action – je vais y revenir – en désaveu de paternité.

Deuxième remarque : comment l’acte de naissance va-t-il être rédigé ? Je n’ai en effet pas bien compris votre intervention sur ce point, madame la ministre. Rien de précis ne figure d’ailleurs dans votre texte. Lorsqu’il s’agit d’un couple hétérosexuel, chacun connaît la rédaction d’usage, qui comprend l’éventuelle reconnaissance anticipée. Si le couple est marié, le mari devient automatiquement le père de l’enfant.

Or que va-t-on indiquer en l’espèce ? Sur cet acte figurera, en tout cas je l’espère, l’identité de la mère qui a mis au monde l’enfant des deux femmes formant le couple parental. Pouvez-vous par conséquent nous indiquer comment l’acte de naissance sera rédigé dans ce cas ?

Ma troisième remarque porte sur l’équivalent d’un désaveu de paternité pour les couples hétérosexuels, que je peine à nommer. En effet, votre amendement envisage le cas dans lequel il y a eu recours à l’AMP mais dans lequel la femme gestatrice a pu avoir des relations hétérosexuelles : l’enfant venu au monde peut alors ne pas forcément être issu de cette même AMP. Comment se déroulera dans ces circonstances le désaveu de maternité ou de comaternité ?

On voit bien que vous ne parvenez pas à couler un modèle sur l’autre. Or vous n’avez choisi cette solution que pour faire plaisir à ceux qui affirment qu’il serait discriminatoire de créer un titre VII bis. Or il n’y a en l’espèce aucune discrimination. À situation différente, définition différente : c’est une constante du droit.

M. Thibault Bazin. Je reviens sur le cas des couples hétérosexuels recourant à une PMA avec tiers donneur, qui, certes, ne représentent que 4 à 5 % de l’ensemble des PMA. Il faut en effet faire attention lorsque l’on évoque la PMA de bien distinguer les PMA sans tiers donneur, c’est-à-dire intraconjugales, qui constituent l’essentiel des cas, et les PMA avec tiers donneur.

Aujourd’hui, les couples qui se trouvent dans le premier cas procréent dans un contexte de vraisemblance biologique en vue de fonder une filiation. Or, après l’adoption de l’article 1er se pose la question de savoir comment on procède concernant les couples de femmes. En effet, en ce qui les concerne, la vraisemblance biologique ne tient pas : c’est une observation assez objective tirée d’une réalité biologique.

Pourquoi alors cette même vraisemblance biologique ne jouerait-elle plus dans le cas des couples hétérosexuels ayant recours à la PMA avec un tiers donneur ? Pourquoi les supprimer de la section 3 du chapitre Ier que vous abrogez ?

Il vous faut expliquer ce choix, qui n’est pas anodin, car la situation de ces mêmes couples va de ce fait changer du point de vue de l’appréhension de la filiation.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Je reviens sur la stigmatisation des couples de femmes qui résultait de la première rédaction de cet article : la nouvelle rédaction semble en partie y remédier.

En revanche, le second objectif que je m’étais fixé, et qui consiste à tirer les conséquences juridiques des modifications que ce projet de loi induit pour les enfants nés d’un couple composé de deux femmes ayant eu recours à une AMP avant son adoption définitive et sa promulgation, ne semble pas atteint.

Ce projet a en effet un effet direct sur la situation de ces enfants, la filiation des familles homoparentales qui découle de l’ouverture de l’AMP étant organisée pour protéger les enfants ainsi que leurs parents.

Je reviens donc aux propos que j’ai tenus tout à l’heure : j’aimerais vraiment pour que nous trouvions une solution à ce problème et que nous puissions discuter de dispositions transitoires qui permettraient de traiter le cas des quelques milliers d’enfants qui se trouvent exclus de ce dispositif.

Madame la ministre, si l’idée d’inscrire dans la loi de telles dispositions transitoires visant à protéger les enfants vous déplaît, ce que je peux imaginer, je souhaiterais que l’ouverture de la possession d’état aux couples de même sexe soit sérieusement envisagée. C’est la raison pour laquelle j’ai retiré mon amendement n° 1965.

J’insiste cependant pour qu’une solution soit trouvée avant l’examen du projet de loi en séance publique en vue de sécuriser la situation juridique de tous les enfants concernés par celui-ci.

M. Jean-Louis Touraine. Cela a été indiqué, nous ne débattons à cet instant pas d’un projet de loi portant sur la filiation ni, bien entendu, de l’article portant sur l’accès aux origines.

Pour autant, nous devons bien sûr tenir compte des différents types familiaux actuels qui doivent désormais bénéficier d’une reconnaissance immédiate, incontestable et sécurisée du point de vue juridique des liens unissant parents et enfants.

Je veux à nouveau saluer les efforts déployés en vue de trouver un bon compromis. Nous pouvons être satisfaits, quel que soit le point d’où nous sommes partis il y a quelques semaines, de la rédaction qui nous est présentée aujourd’hui.

Cette rédaction est satisfaisante car elle présente plusieurs vertus : tout d’abord, elle établit la différence la plus faible possible en fonction de l’orientation sexuelle. On tend en effet vers une identité de procédures, et c’est bien ainsi.

En outre, elle amorce une évolution qui, si elle est encore incomplète, s’avère de plus en plus visible et qui consiste à éviter de se cacher, s’agissant de la PMA pour les couples hétérosexuels, derrière la vraisemblance ou plutôt la simulation de procréation charnelle. Il s’agit de ce que notre collègue Raphaël Gérard appelait tout à l’heure le mensonge.

Cette rédaction inscrit par ailleurs clairement dans la loi la reconnaissance des deux mères, et ce de façon équivalente. Priorité n’est plus donnée à l’une d’entre elles : nous ne sommes plus en présence d’une mère prioritaire, et cela est tout à fait important pour l’avenir.

Elle permet enfin de reconnaître le donneur de gamètes, ce qui est important car il a été trop nié par le passé. Il est tout à fait important que l’on puisse de plus en plus lui attribuer un rôle.

M. Guillaume Chiche. Madame la garde des Sceaux, madame la rapporteure, le dispositif que vous nous proposez correspond au dispositif que nous recherchions, c’est-à-dire un dispositif sécurisé qui établisse un mode d’établissement de la filiation similaire pour l’ensemble des mères.

Il faut dès lors se poser la question : où devons-nous établir cette similitude dans le mode d’établissement de la filiation entre les mères ? Parlons-nous des mères qui accouchent, comme le propose d’après ce que j’ai compris notre collègue Annie Genevard, c’est-à-dire que toute mère accouchant établit sa filiation par ce seul fait, au risque de créer une particularité et une différenciation entre les deux femmes composant un couple lesbien et portant un projet parental commun ?

Consacrons-nous au contraire une similitude dans le mode d’établissement de la filiation entre les deux femmes composant un couple lesbien ? Je crois absolument fondamental de privilégier l’égalité entre celles-ci, tout d’abord parce que cela nous permet de reconnaître à parité une coresponsabilité à l’égard du projet parental : elles sont en effet ainsi reconnues comme les deux mères.

Elles bénéficient ainsi d’un mode d’établissement de la filiation sécurisé qui offre à l’enfant concerné un environnement le plus sécurisé possible. Il me semblerait malvenu, Monsieur Bazin, de marquer une différence dans le code civil entre les différents types de famille.

C’est la raison pour laquelle la consécration de ce projet parental mené à parité par les deux femmes d’un même couple, qui se trouvent ainsi parties prenantes de ce même projet, doit figurer au titre VII et dans un chapitre englobant l’ensemble des personnes recourant à la même pratique médicale, indépendamment de leur orientation sexuelle.

M. Thibault Bazin. Le rapporteur Jean-Louis Touraine me confiait tout à l’heure en aparté que le rapport d’information qu’il avait commis en janvier 2019 constituait selon lui presque une bible, même s’il n’est pas question de parler de la bible ce soir. (Sourires.)

Il vient d’énumérer tous les avantages qu’il trouvait à la solution du Gouvernement : or il oublie ce faisant de mentionner les inconvénients qu’il avait mentionnés dans ce rapport.

Très sincèrement, j’aimerais comprendre sa position, car il y affirmait à la page 82 : « Cette option – que vous allez retenir – ne peut plus se concevoir qu’en lien avec le maintien du strict anonymat du don, ce qui pose la question de la subordination à la volonté des parents du droit d’accès de l’enfant à ses origines. »

Si l’on suit le raisonnement de la rapporteure Coralie Dubost, qui nous a indiqué rejeter une telle éventualité compte tenu de l’adoption successive des articles 1er et 2, mais aussi de l’article 3, il nous est impossible d’adopter l’amendement du Gouvernement, car ce ne serait pas cohérent.

Mme Annie Genevard. Nous touchons avec cette question de l’identité absolue des deux mères un point assez fondamental : permettez-moi par conséquent d’y revenir. Notre collègue Patrick Hetzel a cité le fameux adage mater semper certa est : la mère est toujours certaine d’être la mère, puisque c’est elle qui accouche.

Je comprends le souci qu’ont les couples homosexuels féminins de chercher une solution visant à ancrer la filiation vis-à-vis de l’autre femme. Loin de moi l’idée de le mépriser, car il est légitime.

Ceci étant dit, vous répondez à ce souci légitime au travers d’une solution qui ne convient pas : elle ne fonctionne pas parce que vous niez la spécificité de la mère qui accouche. Nous parlons beaucoup de droit : permettez-moi une parenthèse du côté de la poésie.

Dans l’édition du journal Le Monde publiée le 9 septembre dernier à 17 heures figurait un article tout à fait formidable intitulé : « Au commencement était le verbe — Retour sur l’épopée de la voix humaine ». Comme ce titre m’intriguait, je l’ai lu. Je vous en cite une phrase : « La voix de la mère se grave dans la matière molle du cerveau à partir du sixième mois de vie utérine : ce sceau indélébile servira d’empreinte à l’enfant. »

Je veux par là mettre en exergue le fait qu’il existe une spécificité de la maternité, de l’enfantement et de l’engendrement : si un tel constat ne conduit pas à une hiérarchie, il exprime la singularité de celle-ci.

Dès lors que vous gommez cette même singularité, vous fondez la filiation sur la volonté : or c’est à partir de là que les choses peuvent partir en vrille, par crainte de la gestation pour autrui. Dès lors en effet que vous fondez la filiation sur la volonté, la volonté d’une femme appellera certainement celle d’un homme.

M. Pascal Brindeau. Je suis assez inquiet et même effaré par les arguments que certains de nos collègues de la majorité utilisent pour justifier cette recherche absolue d’égalité entre les deux femmes porteuses d’un projet de recours à l’AMP.

En matière de filiation, il n’existait dans ce cas des couples de femmes que de mauvaises solutions : je pense que si le Gouvernement a choisi la moins mauvaise d’entre elles, elle ne le reste pas moins.

Tenter cependant de justifier et d’expliquer qu’une sorte de caractère asexué de deux êtres naîtrait de leur seule volonté d’être parents nous amène à des schémas qui peuvent s’avérer demain totalement irréalistes. Personne ne pourra en effet effacer, même en l’inscrivant noir sur blanc dans notre droit, qu’en l’état actuel de la science un enfant ne peut naître – pour ne pas employer d’autres mots – que d’un mâle et d’une femelle.

Or vous êtes en train de nier cette évidence. Demain se posera effectivement la question de la GPA pour laquelle j’espère que nous obtiendrons une réponse de la part de la garde des Sceaux. Puisque la seule volonté prime sur le lien de filiation, plusieurs personnes — trois, quatre ou plus —, quels que soient leur sexe et leur mode de relation, pourront prétendre à un lien de parenté avec un enfant : une telle perspective nous plonge un peu dans une société digne de Frankenstein.

M. Brahim Hammouche. Je reviens sur cette question de filiation et de mère certaine : mater certissima. Je rappelle que l’Ancien régime, sous lequel on demandait aux reines de France d’accoucher en public afin de prouver qu’elles étaient bien mères de leurs enfants, appartient au passé.

Depuis 1978 et la première fécondation in vitro, ce principe s’est éloigné de la réalité. En outre, si l’on veut user de formules latines, on serait à mon sens bien inspirés de faire référence aux suivantes : filiatio est cum familiale demontrat ou encore cum leger demontrat, c’est-à-dire la filiation est ce que la loi dit.

La loi peut, à mon sens, tout. Les représentants de la Cour de cassation qui ont été auditionnés la semaine dernière l’ont — ceux qui étaient présents s’en souviennent — bien confirmé : ce n’est pas à la loi de faire la société, mais bien à la société de faire la loi, donc de choisir. Nous sommes en train de légiférer, et de proposer : or ce que nous proposons constitue bien une avancée. Nous créons un droit sans en supprimer un autre.

Notre proposition vise à étendre cette filiation afin de rendre les choses beaucoup plus congruentes à la réalité et au réel.

M. Didier Martin. La citation faite par notre excellente collègue Annie Genevard – au commencement était le verbe – me permet de rebondir : je ne pense pas que Mme la garde de sceaux ait souhaité s’appuyer sur cette citation pour nous proposer cet amendement qui, à titre personnel, me convient très bien puisque j’ai déposé un amendement allant dans le même sens.

Vous êtes en définitive totalement d’accord, Madame Genevard, avec l’amendement du Gouvernement, puisque si le verbe est au commencement, c’est ainsi l’affirmation de la volonté de la filiation qui est au commencement, avant, donc, l’essence.

Mme Aurore Bergé. Je ne sais pas si nous ne disposions que de mauvaises solutions. Quoi qu’il en soit, nous rencontrions une difficulté pour aboutir à une solution qui soit suffisamment consensuelle et sécurisante pour l’enfant.

Notre première préoccupation est en effet de trouver un moyen d’établir la filiation et de la sécuriser au bénéfice de l’enfant : c’est elle qui nous réunit. Il me semble que la solution à laquelle nous avons abouti ne nie pas le rôle de la mère, ce qui est à mon sens évidemment essentiel.

Il me semble qu’elle reconnaît par ailleurs enfin réellement dans notre droit l’homoparentalité, puisque précisément les deux femmes deviennent mères au même niveau. Or cette reconnaissance, qui est tout à fait légitime, n’a pas qu’une portée simplement symbolique : elle devient ce faisant réellement effective, traduisant ainsi une volonté partagée au sein de la majorité

Il me semble que cela se fait, car c’était également une de nos préoccupations majeures, sans préjudice, c’est-à-dire sans rien altérer du droit applicable aux personnes hétérosexuelles.

Il fallait concilier plusieurs objectifs, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant et la sécurisation de sa filiation, la reconnaissance de l’homoparentalité, donc le placement de ces deux mères sur un pied d’égalité. Il me semble en outre qu’avec cet amendement, nous sommes parvenus à ne rien altérer du droit existant applicable aux personnes hétérosexuelles.

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Je réponds très brièvement aux multiples questions – je pense en particulier à celles posées par M. Jean-François Eliaou – que vous avez posées, car nous y reviendrons au moment de l’examen de chacun des sous-amendements.

Deux éléments à ce stade, donc : oui, je le redis ici, nous avons tiré les conséquences de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes. Nous créons ce faisant un mode d’établissement de la filiation totalement déconnecté de la vraisemblance biologique : c’est très important.

Je respecte parfaitement le fait que vous soyez en désaccord, mais pardonnez-moi, Monsieur Breton, nous ne le créons que pour les couples de femmes. Nous restons en effet, s’agissant des couples hétérosexuels, parce que nous n’avons absolument pas voulu modifier le droit positif, sur le modèle de la vraisemblance biologique.

Si un article s’appliquant à ces derniers a pu être déplacé dans le code civil, sa rédaction n’a ce faisant absolument pas été modifiée, Monsieur Bazin.

M. Thibault Bazin. Une section a été abrogée.

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous avons par conséquent créé un mode d’établissement de la filiation différent, fondé sur la volonté et le projet parental, donc la reconnaissance conjointe, qui traduira cette même volonté et ce même projet. Il apportera la sécurisation nécessaire de l’enfant à venir au sein d’un couple de femmes, qu’elles ou non soient mariées.

Par conséquent oui, nous avons créé un tel mode : c’est donc de la sorte que nous avons introduit une véritable nouveauté. C’est d’ailleurs en ce sens que nous n’avons pas souhaité établir une similitude exacte avec les dispositions préexistantes applicables, elles, aux couples hétérosexuels recourant à l’AMP.

Une telle démarche aurait été cohérente puisque, vous le savez, il s’agit d’une solution que nous avions soumise au Conseil d’État, sur laquelle il nous a fait part de son avis et qu’il n’avait pas souhaité retenir.

Par conséquent oui, nous créons un mode d’établissement de la filiation spécifique aux couples de femmes. Dans ce cadre, puisque cette filiation est établie sur la base de la reconnaissance, il faut le reconnaître et le dire : ce n’est pas l’accouchement qui fait la filiation. Celle-ci est établie par la reconnaissance conjointe : c’est ce document qui permet de l’établir.

Cependant, l’accouchement est une condition nécessaire car si, par hasard, au sein d’un couple de femmes ayant consenti à recourir à l’AMP et ayant signé une reconnaissance conjointe l’une de ces deux femmes ne devait pas accoucher, alors cette reconnaissance serait frauduleuse et la filiation par AMP n’existerait pas : elle serait, de ce fait, annulée. Nous nous situons donc bien dans le cadre d’un régime juridique cohérent.

Il me semble que toute tentative d’assimilation absolue avec la filiation en vigueur pour les couples hétérosexuels ayant recours à une AMP serait erronée, car ce même régime obéit à une autre logique. Si nous avons souhaité que sa construction soit aussi proche que possible avec celle-ci, afin qu’il n’offre pas de singularité excessive, il ne peut malgré tout pas être construit de la même manière.

M. Charles de Courson. Et l’acte de naissance ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il y figurera le nom de l’enfant, comme sur tout acte de naissance, ainsi que les noms des mères – très vraisemblablement, le nom de la mère qui a accouché devrait figurer en première place. Il comportera également, de manière traditionnelle, la ligne « événement relatif à la filiation » où sont aujourd’hui mentionnés, le cas échéant, la reconnaissance anticipée faire par le père, pour un couple hétérosexuel non marié, et le mode d’établissement par adoption – l’absence de mention signifiant qu’il s’agit d’un couple hétérosexuel marié. Vous pourrez également trouver dans cette rubrique, dorénavant, l’indication « reconnaissance par ses mères, le […] » devant maître X.

M. Charles de Courson. Il ne sera pas écrit : « est né de Mme X et de Mme Y » ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Non, il y aura « mère et mère », comme vous avez actuellement « père et mère ».

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J'espère que Mme la ministre me pardonnera la lecture un peu personnelle du code civil à laquelle je vais me livrer, qui est le fruit des réflexions que m’ont inspirées les auditions que nous avons conduites. Les arguments que je vais avancer fondent notre position d’ensemble sur le sujet ; je ne les réexposerai pas lors des débats sur les sous‑amendements. Vous affirmez que le titre VII du code civil est le reflet d'éléments biologiques, qui traduisent la réalité ou, du moins, établissent la vraisemblance de la filiation. J'ai entendu, à l’instar de nombre de mes collègues, au cours des auditions, d'autres lectures. De fait, le titre VII du code civil ne mentionne à aucun moment les termes : « biologie », « vraisemblance biologique » ou « vérité biologique ». Un certain nombre de professeurs de droit ont évoqué l'aspect volontariste de la filiation dans chacun de ses modes d'établissement. Plusieurs auteurs nous ont dit qu’à leur sens, la conclusion du mariage constituait une reconnaissance anticipée des enfants à naître, que le fait d'accueillir tous les enfants issus du mariage constituait un acte de volonté, au même titre que la reconnaissance du père ante ou post-natale. Il existe donc des lectures du titre VII centrées sur la volonté – c’est une question débattue en droit. D’autres personnes nous ont dit : peu importe que la filiation soit biologique ou résulte d’un acte de volonté, dans la mesure où le titre VII se caractérise par une vision essentiellement causale. Il est inspiré par le dessein de déterminer ce qui a causé la venue au monde d’un enfant : acte de procréation charnelle – qui établit la vraisemblance biologique – ou acte de volonté, décision d'assumer la responsabilité de l’enfant. Finalement, ce qui importe, c'est le lien de droit qui est créé et l’identité de ceux qui vont l’assumer pendant toute la durée de vie de l’enfant. J'ai une préférence pour la lecture causale, qui repose sur l’engendrement – celui-ci pouvant être volontaire, dans le cadre d’une PMA, biologique, ou reposer sur la vraisemblance biologique. On n'en a pas parlé mais on sait que, dans certaines familles hétérosexuelles, la vraisemblance biologique n’est qu’apparence ; les enfants ne sont pas forcément issus biologiquement de l'homme, reconnu comme père en droit et dans les faits. Le titre VII met en avant le critère de l’existence des familles, dans leur pluralité.

La ministre nous a dit très clairement, que, quelle que soit notre appréhension des fondements du titre VII, tous les enfants, dans toutes les familles, auront les mêmes droits, par application de l’article 1er et du choix de société d'étendre la PMA à toutes les femmes. Je pense que nous serons tous d'accord pour reconnaître ce fait, qui est la clé pour comprendre la philosophie du texte. J’ajoute qu’il existe déjà des modes d’établissement de la filiation légèrement distincts – selon qu’un couple hétérosexuel est ou non marié, par exemple – qui produisent tous exactement les mêmes effets.

Nous défendons une novation sociale, qui est parfaitement assumée par Mme la ministre et que je soutiens, consistant à créer un mode de filiation anteconceptionnelle, fondé sur une volonté conjointe. C'est extrêmement important pour l'avenir de notre société. C’est valoriser la place des hommes et des femmes que d’insister sur le caractère conjoint, le projet parental, qui était au cœur de nos débats sur l’article 1er.

Je voudrais mentionner un dernier apport de l’article 4, qui a été élaboré, là encore, en coconstruction avec Mme la ministre : nous supprimons, à l’article 311-20 du code, les « conditions garantissant le secret », en cohérence avec l’article 3. Nous refusons, en effet, la culture du secret autour de la procréation médicalement assistée. C’est aussi un progrès social.

La commission examine les sous-amendements aux amendements identiques n° 2266 et n° 2267.

Elle est d’abord saisie des sous-amendements identiques n° 2299 de M. Patrick Hetzel, n° 2340 de M. Xavier Breton et n° 2362 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’article 4, dans sa nouvelle rédaction, supprime l'article 310 du code civil, lequel proclame le principe d'égalité de tous les enfants, pour introduire une exception injustifiée, à mon sens, dans un nouvel article 6-2, concernant les enfants adoptés en la forme simple. L'article 358, qui est abrogé par le projet de loi du Gouvernement, suffit à rappeler l'égalité des droits, dans le cas de l'adoption plénière. Il ne faut donc évidemment pas abroger cette disposition, dans la mesure où elle protège les enfants adoptés en la forme plénière. De plus, dans un souci de lisibilité de la loi par le citoyen, le déplacement de ces articles spécifiques hors des titres VII et VIII est particulièrement inopportun. L’affirmation du principe d'égalité en tête du code civil est inutile, puisqu'il est déjà énoncé dans les articles 310 et 358, qu'il convient de maintenir. C'est la raison pour laquelle, par cet amendement, je propose de supprimer les troisième à septième alinéas de l'article 4, telle que réécrits par le Gouvernement.

M. Xavier Breton. Mon sous-amendement n° 2340 est identique. Je voudrais revenir sur les propos de Mme la garde des Sceaux et sur la question de savoir si l'accouchement est ou non une condition suffisante pour être mère. Aujourd'hui, c’est le cas. Vous nous dites que ce ne sera plus toujours vrai, cette condition demeurant suffisante uniquement pour les femmes en couple avec un homme. En revanche, pour les couples de femmes, il faudra quelque chose de plus. On voit donc que vous créez une discrimination entre les femmes, selon leur situation, ce qui, me semble-t-il, devrait choquer nombre de nos collègues.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les sous-amendements n° 2299, n° 2340 et n° 2362.

Elle en vient au sous-amendement n° 2425 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je reviens sur la proposition que j'ai défendue tout à l'heure. Seule la solution de l'adoption permet, me semble-t-il, de respecter les dispositions du titre VII du livre Ier du code civil, qui sont entièrement axées sur la recherche de la véritable filiation de l'enfant. À défaut, les dispositions applicables à tous les enfants s'en trouveraient fragilisées.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette le sous-amendement n° 2425.

Elle se saisit ensuite du sous-amendement n° 2414 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Je propose de supprimer les alinéas 5 à 7 de l’amendement n° 2266. En effet, le principe d'égalité des filiations que vous proposez d’instituer dans votre texte, madame la garde des Sceaux, est parfaitement établi par les articles 310 et 358 du code civil. Il n'a donc pas sa place dans le titre préliminaire du code civil, lequel ne doit pas traiter de questions particulières.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette le sous-amendement n° 2414.

Elle passe à l’examen du sous-amendement n° 2378 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s'agit d'un sous-amendement d'appel pour alerter le Gouvernement sur le fait que le droit commun de la filiation s'oppose à ce que deux filiations – maternelles ou paternelles – soient établies à l'égard d'un même enfant. Ce principe, qui irrigue tout le droit de la filiation, est en particulier affirmé par l'article 320 du code civil et a été consacré tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour de cassation. Vous n'en tenez pas compte alors qu’en application de ces principes essentiels du droit français, et au regard de la hiérarchie des normes, l'acte juridique proposé dans le projet de loi – la filiation par déclaration anticipée de volonté – est de nullité absolue, à moins de considérer que le droit de la filiation n'est pas d'ordre public. On peut tenir le même raisonnement concernant l’amendement n° 2266, même s’il passe par le régime de la reconnaissance. En effet, le régime de filiation proposé, en établissant deux filiations maternelles, entraînera des difficultés juridiques, y compris devant le Conseil constitutionnel.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Madame Ménard, la loi du 17 mai 2013 avait déjà ouvert la possibilité d'une double filiation de même sexe, donc je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas proposer cette mesure.

Madame Genevard, il me semble au contraire que l’emplacement de l’article 6-2 est adapté, car il est parfaitement complémentaire de l'article 6-1 : les deux dispositions, à mes yeux, se répondent.

La commission rejette le sous-amendement n° 2378.

Elle se saisit ensuite des sous-amendements identiques n° 2300 de M. Patrick Hetzel, n° 2341 de M. Xavier Breton et n° 2363 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Il s'agit d'affirmer l'égalité des filiations en tête du code civil, tout en maintenant l'altérité sexuelle, dans le cadre de la parité
– position à laquelle nous sommes attachés et qui constitue un motif de divergence avec le projet de la majorité.

M. Xavier Breton. Le sous-amendement n° 2341 est identique à celui de notre collègue Hetzel. Je souhaiterais revenir sur la discrimination qu’établira le mode de filiation entre, d'une part, la femme en couple avec un homme, qui sera mère par l'accouchement, et la femme en couple avec une autre femme, qui ne le sera pas nécessairement puisqu’elle devra accomplir une démarche particulière. Cela montre bien votre volonté d'évacuer le pilier corporel de la filiation, qui est, à nos yeux, essentiel, à côté du pilier affectif et éducatif, d’une part, et du pilier social, d’autre part. Le pilier corporel permet en effet d'asseoir solidement les filiations. En en faisant fi, vous dites très clairement aux femmes qui sont en couple avec une autre femme que leur accouchement n'a aucune valeur – en tout cas pas la même valeur que celui d’une femme hétérosexuelle. Encore une fois, il y a une discrimination, et je m’étonne de constater que cela ne vous révolte pas, alors que vous êtes prompts à dénoncer toute forme de discrimination ou de stigmatisation. Je vous demande donc, encore une fois, comment vous justifiez cette discrimination.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. La parenté est un lien de droit qui découle du mode de procréation choisi. Peu importe qu’il s’agisse d’une AMP ou d’une procréation charnelle : la filiation est établie juridiquement, sans qu’il soit besoin d’apporter d’autres précisions.

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Monsieur Breton, le projet de loi n’introduit évidemment aucune discrimination. La mère qui accouchera sera bien la mère : je ne vois pas où est la difficulté. Elle sera mère, au même titre que l’autre mère, ce qui est évidemment l'essentiel.

M. Xavier Breton. L’accouchement ne suffira pas !

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Je vous ai répondu tout à l'heure que l'accouchement était une condition nécessaire.

M. Xavier Breton. Mais pas suffisante !

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. La mère qui accouchera sera mère, point. Votre proposition est, en un sens, paradoxale, car vous souhaitez que les couples de femmes soient soumis au droit de la filiation s’appliquant aux couples hétérosexuels. Vous proposez donc vous‑même de reconnaître la similitude existant entre les deux types de couples.

La commission rejette les sous-amendements n° 2300, n° 2341 et n° 2363.

Elle en vient aux sous-amendements identiques n° 2327 de M. Thibault Bazin et n° 2377 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Le sous-amendement n° 2327 vise à supprimer l'alinéa 2 de l’article 4, lequel abroge les articles 310 et 358 du code civil. Il me semble qu'il faut, au contraire, conserver ces deux articles. L’article 358, en particulier, qui a trait à l’adoption, consacre les droits de l'enfant.

La commission rejette les sous-amendements n° 2327 et n° 2377.

Elle examine ensuite le sous-amendement n° 2413 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Madame la garde des Sceaux, madame la rapporteure, je voudrais revenir sur votre choix juridique de la reconnaissance. En droit, la reconnaissance est fondée sur la vérité biologique ou, du moins, sur la vraisemblance des faits qui y sont décrits. En reconnaissant un enfant, l'homme ou la femme atteste de ce qu'il est ou de ce qu'il pourrait être le père ou la mère de l'enfant. C'est la raison pour laquelle le dispositif juridique que vous avez choisi ne me convient absolument pas. De surcroît, il donnera lieu, selon moi, à d’immanquables contentieux. L'acte accompli par les femmes sera fragilisé par le recours au droit commun de la reconnaissance. Par ailleurs, les reconnaissances relevant du titre VII verront le critère de la vraisemblance remplacé par celui de la volonté et deviendront, de ce fait, inattaquables, quand bien même serait produite une preuve biologique. Tel est d'ailleurs le motif de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans l’arrêt « Mandet contre France » de 2016, qui a très clairement rappelé que la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant conduisait nécessairement à ce que sa filiation soit établie au regard de la vérité biologique.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je trouve votre raisonnement très intéressant mais, compte tenu de la rédaction proposée, l’avis est défavorable.

La commission rejette le sous-amendement n° 2413.

Elle se saisit du sous-amendement n° 2326 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il a pour objet de supprimer le dix-septième alinéa de l'amendement n° 2266. En effet, le régime de filiation que vous proposez vise à sécuriser une filiation artificielle en la rendant quasi irrévocable, ce qui revient à conférer à l'intention unilatérale de la femme une portée qui peut paraître exagérée. Il est par ailleurs intéressant de constater qu'actuellement, un homme qui reconnaît un enfant sans en être le père biologique peut se voir contester cette filiation par l'enfant. En revanche, la filiation que vous proposez pour les couples de femmes s'imposerait de façon définitive pour les mères, ce qui créerait, à mes yeux, une discrimination entre les couples hétérosexuels et homosexuels.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je ne vois pas en quoi il y aurait une discrimination. De la même façon qu’il n’y a pas d'action en responsabilité à l'encontre du donneur, le texte n’en institue pas contre l’établissement de la filiation.

Mme Emmanuelle Ménard. Aujourd'hui, un enfant qui naît dans un couple hétérosexuel et qui a un doute sur la paternité de celui qui est censé être son père peut intenter une action en recherche de paternité et contester la paternité de celui qui se dit le père. En revanche, dans le cas d’un couple de mères, l’enfant ne pourra pas contester la filiation avec la mère qui n’a pas accouché, ce qui crée une discrimination entre les couples hétérosexuels et homosexuels.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Considérons le cas d’un couple hétérosexuel qui recourt à une AMP avec tiers donneur, qui a exprimé son consentement chez le notaire et qui a reconnu l'enfant – soit par présomption de paternité, dans le cas du mariage, soit par déclaration, anticipée ou non. Une fois la filiation établie entre l'enfant issu de l’AMP et le père, aucune action en contestation de paternité biologique ne peut être intentée ; comme je le disais tout à l’heure, il s’agit d’une relation très puissante. La seule contestation possible prévue par le code civil, et conservée pour le couple de femmes, consiste à prouver que l'enfant n'est, en réalité, pas issu de l'AMP mais d'une autre relation, qui aurait eu lieu autrement.

Le sous-amendement n° 2326 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la commission, elle rejette ensuite le sous-amendement n° 2328 de M. Thibault Bazin.

La commission passe ensuite à l’examen des sous-amendements identiques n° 2303 de M. Patrick Hetzel, n° 2344 de M. Xavier Breton et n° 2367 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Je propose de supprimer, au dix-neuvième alinéa de l’amendement n° 2266, les mots : « ou la femme non mariée ». En effet, le lien de filiation à l'égard de la femme seule qui a accouché est établi par l'article 311-25 du code civil. Il ne semble pas nécessaire d’adopter une disposition concernant spécifiquement la PMA – l'intervention du notaire, en l’occurrence, étant parfaitement inutile. De surcroît, d’autres dispositions interdisent l'établissement d'un lien de filiation à l'égard du donneur. On ne comprend pas très bien pourquoi on appliquerait cette disposition à la femme non mariée. Il s’agit d’une incohérence au regard de l'esprit du texte et de la volonté du Gouvernement.

M. Xavier Breton. Je défends le sous-amendement n° 2344 en reprenant à mon compte les arguments très pertinents de notre collègue Hetzel.

La commission rejette les sous-amendements n° 2303, n° 2344 et n° 2367.

Elle en vient ensuite aux sous-amendements identiques n° 2331 de M. Thibault Bazin, n° 2411 de M. Xavier Breton et n° 2419 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. Il est quand même regrettable qu’on n’ait aucune réponse de Mme la rapporteure ni de Mme la garde des Sceaux à nos interrogations sur les amendements – notre collègue Hetzel vient de soulever une vraie question – même si je comprends votre embarras, parce que vous êtes dans l'improvisation et le bricolage complets. Je voudrais revenir sur la discrimination que vous êtes en train d’établir entre les femmes. Madame la garde des Sceaux, aujourd'hui, dans le cadre de l'AMP pour les couples de personnes de sexe différent, la maternité est établie par l'accouchement, qu’il y ait eu ou non don d'ovocytes. L’accouchement est une condition suffisante. Pour les couples de femmes, ce ne sera plus le cas : il faudra également procéder à une déclaration. Vous établissez donc une discrimination, car vous allez demander aux femmes en couple avec une autre femme d’accomplir une formalité supplémentaire. N’en avez-vous pas conscience ? Vous pouvez aller jusqu'au bout de votre logique, comme notre collègue Saulignac le défend – ce qui a le mérite de la cohérence – mais vous savez fort bien qu’on est toujours rattrapé par ses contradictions. Assumez cette discrimination, qui vient du fait que vous entendez fonder la filiation, pour les AMP avec tiers donneur, sur la seule volonté. Il reste pourtant un pilier corporel, que vous ne pouvez pas évacuer ; il vous rattrape toujours, parce que la réalité, ce ne sont pas des fantasmes. La loi ne peut pas tout. La réalité, c’est l’existence physique des corps. Vous établissez une discrimination entre les femmes, assumez-le !

M. Patrick Hetzel. Le Gouvernement a entendu instituer un mode de filiation fondé sur la volonté concordante des membres d'un couple. Il est permis d'exprimer des inquiétudes, liées au fait que la volonté d'avoir un enfant peut évidemment fluctuer. Par ailleurs, un couple n'est pas non plus à l'abri d'une désunion, d'autant que les parcours d'AMP, dont la réussite est au demeurant limitée, sont, on le sait, éprouvants. Prenons l'exemple d'un couple non marié qui aurait, à un instant t, exprimé son consentement devant notaire et qui se séparerait au cours de la procédure d'AMP – laquelle peut être soumise à de longs délais. Comment le médecin traitant et le notaire auront-ils connaissance de cette séparation, qui remet en cause la volonté commune ? Cet événement aura des conséquences graves sur le lien de filiation de l'éventuel enfant à naître, qui sera possiblement l'enfant des deux femmes, ou celui d'une seule, si celle-ci a continué son parcours d'AMP en dépit de la séparation. Compte tenu des questions qui se posent, il paraît nécessaire de donner à ce consentement une durée de validité : nous proposons trois ans, dans l'intérêt de l'enfant.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Suggérez-vous que les PMA nécessitent un délai de trois ans ? L’expression du consentement aura lieu devant un notaire ; ce ne sera pas un contrat signé au coin d’une table à la fin du repas. Le consentement au don sera suivi d’un acte médical, d’une procédure impliquant les deux membres du couple. Les conditions de retrait du consentement sont très claires et sont d'ailleurs réaffirmées dans l’article : le consentement est très sécurisé. Les praticiens que nous avons auditionnés nous ont fait part d’un cas de rétractation avant insémination, dans toute l'histoire de la PMA, dont ils ont bien été informés. Je ne pense donc pas qu'il y ait de difficultés en la matière.

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Monsieur Breton, vous invoquez l'argument de la discrimination parce que vous sentez que c'est cela qui peut faire bouger les lignes. Or, nous avons précisément souhaité éviter toute discrimination. Nous voulons établir un mode d'établissement de la filiation qui corresponde à la volonté de deux femmes d’avoir ensemble un enfant. Vous savez que, juridiquement, on peut appliquer des mesures différentes à des personnes se trouvant dans des situations dissemblables, sans porter atteinte au principe d'égalité. En l’occurrence, une situation différente justifie un mode d'établissement de la filiation distinct. Notre objectif est évidemment de garantir l'égalité entre les deux mères. Nous ne nions évidemment pas le fait que l’une des mères a accouché et est devenue mère, mais nous affirmons que l’accouchement n’est pas la cause de la filiation.

M. Patrick Hetzel. C’est là-dessus que nous sommes en désaccord !

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Je comprends que vous soyez en désaccord mais, si nous faisions de l'accouchement la cause de la filiation, nous devrions établir une différenciation entre les deux mères. Or, comme je viens de vous le dire, nous avons pour objectif d’établir l'égalité entre elles. La reconnaissance conjointe posée ab initio consacre cette égalité. Dans un couple hétérosexuel qui procède à une AMP, le père n'en est pas moins père alors que ce n'est peut-être pas lui qui a donné les gamètes.

M. Patrick Hetzel. Il y a vraisemblance !

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Je ne vois pas où est la différence : ce sont deux cas à peu près identiques.

M. Thibault Bazin. Nous essayons de réaliser, en quelque sorte, une étude d'impact puisque nous n’avons pas eu l'avis du Conseil d'État sur cette disposition. Si un couple de femmes recourt à l'AMP puis se sépare après la naissance de l'enfant, le juge accordera-t-il, au regard de l'intérêt de l'enfant, une importance particulière à la mère biologique – qui aura développé avec l'enfant, notamment dans les premières semaines, des liens extrêmement forts ? Quand on crée des droits, on doit envisager les conflits pouvant survenir avec d’autres droits. Madame la ministre, nous demeurons dans l’attente des réponses aux questions que nous vous avons posées tout à l'heure et que vous deviez nous apporter lors de l’examen des sous-amendements.

M. Pascal Brindeau. Que des collègues de la majorité s'égarent, en imaginant que la mère procréatrice peut être sur un strict pied d'égalité avec l’autre mère, et en considérant qu’il n’y a pas de différence entre le statut de cette dernière et celui d'un père, admettons. Mais entendre cela de la bouche de la garde des Sceaux, ça me gêne beaucoup. Vous ne pouvez pas nous expliquer qu’il n'y a pas de différence entre le père qui a consenti au don d’un tiers donneur, dans le cadre d’une AMP, et la deuxième mère : c’est une ineptie juridique, à moins de considérer – ce qui me ramène à ma question, qui va vous paraître un peu lancinante – qu’il s’agit d’un cheval de Troie pour assurer la reconnaissance d'un mode de filiation par GPA.

M. Thibault Bazin. Il a raison !

M. Pascal Brindeau. En effet, si on n’opère plus de distinction entre la mère qui accouche et celle qui n'a pas accouché, c'est la voie ouverte à l'établissement d'une filiation simple par recours à la GPA. J'aimerais beaucoup vous entendre à ce sujet.

Mme Annie Genevard. Madame la garde des Sceaux, lorsque vous déclarez que l'accouchement ne suffit pas à établir la filiation, il y a quelque chose qui révolte le bon sens, face à l'évidence de la réalité. Vous êtes aveuglée, me semble-t-il, par l’objectif de l'égalité. Je sais bien que c'est ce qui a motivé la plupart des auditions, notamment des militants de cette recherche éperdue d'égalité, qui fait complètement l'impasse sur l'évidence de ce que chacun connaît. J’observe que vous êtes profondément en contradiction avec votre collègue Agnès Buzyn, qui a déclaré à de très nombreuses reprises que ce texte n'est pas une loi d'égalité des droits. Or, avec l'affirmation selon laquelle l'accouchement ne suffit pas à établir la filiation, parce qu'elle introduirait de facto une inégalité entre les deux mères…

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Une hiérarchie !

Mme Annie Genevard. vous démontrez que c'est l'obsession de l'égalité des droits, qui vous fait dire – pardonnez-moi – une énormité.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. C'est une question éminemment complexe, mais il y a des choses qu'on ne peut pas laisser dire. Monsieur Bazin, vous avez demandé comment le juge traiterait les deux mères en cas de séparation, sachant que l’une d’elles a porté un enfant et pas l'autre. Vous sous-entendiez ainsi que le fait d'accoucher rendrait l'une des mères plus mère que l'autre, ce qui n'est pas recevable. Peut-être ne vouliez-vous pas dire cela, mais il faut faire attention à la portée de ses propos. Si l’on interprétait votre discours, cela pourrait signifier que, dans le cas d'un couple hétérosexuel, la mère est, en quelque sorte, plus légitime que le père – culturellement, cela a pesé longtemps, dans notre société. Il y a là un réel danger. De la même façon, quand un des membres d’un couple adopte un enfant, il serait alors, lui aussi, moins légitime. Cela étant, j'entends bien l'autre écueil sur lequel vous nous alertez : si seule la volonté compte, le fait de porter l'enfant n'est pas indispensable à la filiation, ce qui fait courir le risque – ce que tout le monde craint, à juste ou à moins juste titre – de l’ouverture sur la GPA. Mais attention à ne pas faire de discrimination entre deux parents sur le fondement de l’aspect corporel ou biologique, qui serait prédominant.

M. Guillaume Chiche. Je voulais revenir sur plusieurs remarques que j’ai entendues. D’abord, vous avez mis en cause notre obsession de l'égalité. Il ne me semble pas, que, pour un parlementaire de la Ve République, ce soit un défaut d’avoir l’égalité pour boussole politique – j'ose espérer que cet objectif est partagé bien au-delà des murs de notre assemblée. Ensuite, s’agissant de la prétendue discrimination à tous crins que vous évoquiez, je veux vous rassurer, cher collègue Breton : ce n'est absolument pas le cas. Comme je vous l'expliquais précédemment, nous souhaitons instituer un mode d'établissement de la filiation similaire pour les deux membres d'un même couple – en l'occurrence, un couple lesbien ayant recours à l’aide médicale à la procréation avec un tiers donneur.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’entends votre inquiétude. Selon l’adage mater semper certa est, l’identité de la mère est toujours certaine, puisqu’elle a accouché. À une époque, il n’y avait que cela pour être certain de l’identité d'une mère. Cela étant, doit-on considérer que, parce que la mère qui accouche est très certainement la mère, l’autre femme ne peut pas l’être ?

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas ce que nous disons !

Mme Coralie Dubost, rapporteure. C’est la question que je pose. On peut considérer que cela n'empêche pas d'autres mères d'être certainement mères, notamment quand elles s'y sont engagées et qu'elles l’ont déclaré au préalable.

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Je ne suis absolument pas en désaccord avec ma collègue Agnès Buzyn. La loi sur laquelle nous travaillons n'est pas une loi d'égalité des droits, mais, quand on crée un droit nouveau, on souhaite évidemment respecter le principe d'égalité. Par ailleurs, s’agissant de l'accouchement, Madame Genevard, il faut très attention aux mots – je me parle aussi à moi-même en disant cela. Je répète que l'accouchement n'est pas la cause de la filiation, dans le schéma des couples de femmes qui ont recours à une AMP, même s’il est évidemment nécessaire. Enfin, je souhaiterais apporter un début de réponse à M. Brindeau – je ne ferai que l’esquisser car nous allons examiner de nombreux amendements, après l'article 4, sur la question de la GPA. L’accouchement est toujours nécessaire dans le schéma de l'AMP pour les couples de femmes, ce qui est fondamental au regard de la GPA. La femme qui déclarera l'enfant à l'état civil, après sa naissance, devra fournir un certificat d'accouchement et la reconnaissance conjointe. C'est bien parce qu'il y aura ce certificat d'accouchement que l'enfant pourra être déclaré à l'état civil comme étant né de mère X et de mère Y, et qu’il sera impossible de glisser vers la GPA.

La commission rejette les sous-amendements n° 2331, n° 2411 et n° 2419.

Elle examine ensuite les sous-amendements identiques n° 2412 de M.Xavier Breton et n° 2420 de M. Patrick Hetzel.

M. Xavier Breton. Le sous-amendement n° 2412 a trait à la révocation du consentement. Madame la garde des Sceaux, je vous remercie pour vos explications : vous assumez le fait de chercher à établir l’égalité entre les femmes, à l'intérieur des couples de femmes, mais aussi, nous l'avons bien entendu, de créer une inégalité entre les femmes au sein de la société. Il y aura les femmes
– au sein des couples homme-femme – pour qui l'accouchement sera une condition suffisante pour établir la maternité et la filiation, et celles – dans les couples de femmes – pour lesquelles l’accouchement ne les déterminera plus nécessairement. Pour les couples de femmes, vous évacuez l'accouchement, ce qui conduit à le relativiser. Je suis parfaitement d'accord avec notre collègue Brindeau : cela amènera nécessairement la GPA un jour. Ce n'est pas encore pour aujourd'hui, mais la logique est là. Surtout, vous êtes en train de dire aux femmes ayant un conjoint masculin : vous accouchez, vous êtes mère, vous n'avez rien d'autre à faire, tandis que vous dites aux femmes qui sont en couple avec une autre femme : vous accouchez, mais vous n'êtes pas mère : il faut une reconnaissance. Cela signifie que vous établissez une différence. J’entends qu’en parlant de « discrimination », on emploie un jugement de valeur, mais il me semble, contrairement à vous, que ce mot est justifié. On voit bien, encore une fois, votre incapacité à articuler l'égalité et la différence. Pour avoir l'égalité, vous niez les différences, notamment corporelles. Voilà pourquoi vous voulez évacuer l'accouchement. J'entends la position de notre collègue Touraine, qui revendique une procréation sans sexe : c'est le chemin sur lequel il veut conduire notre société. Nous souhaitons, pour notre part, que le sexe ait toujours sa place dans la procréation.

M. Patrick Hetzel. Alors que, pour tous les enfants, aujourd'hui, la femme qui accouche est reconnue comme la mère, ce ne serait plus le cas dans le cadre de la nouvelle filiation fondée sur la volonté, puisque vous avez prévu un autre dispositif : voilà ce que nous contestons. Vous êtes en train de nier une réalité biologique ou physiologique. Le droit que l’on définit ici peut-il s’écarter de la véracité ? À partir du moment où vous établissez que les deux mères ont exactement le même statut, en tirant le fil, cela revient presque à nier que l'une d’elles aurait accouché. On a eu ce débat à propos de l'AMP post mortem. On est en train de dire que, finalement, ça ne compte pas, que ça n'a aucune importance, et on gomme une réalité : chaque enfant, pour naître, passe forcément par le processus de l'accouchement.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je ne vois pas le lien avec vos sous‑amendements, qui portent sur la révocation du consentement, et auxquels je donne un avis défavorable.

La commission rejette les sous-amendements n° 2412 et n° 2420.

Elle en vient aux sous-amendements identiques n° 2304 de M. Patrick Hetzel, n° 2345 de M. Xavier Breton et n° 2368 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Le sous-amendement n° 2304 vise à permettre aux personnes conçues par don de gamètes et d'embryons, de disposer, à leur majorité, d'un document officiel au sujet de leur conception avec donneur, en prévoyant que les copies de tous les consentements au don soient archivées par l'Agence de la biomédecine, à moins que le Gouvernement ait une autre proposition. Le problème, aujourd’hui, est de savoir comment on va s’assurer que cette information – dont le Gouvernement nous dit qu'elle est importante et que c'est un droit pour les personnes concernées – sera centralisée de manière fiable.

M. Xavier Breton. Je crois qu'on est tous d'accord pour constater que vous instituez une différence entre les femmes au sein de la société.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je donne un avis défavorable pour les mêmes motifs qui ont justifié notre refus de créer un registre des consentements au don à l'Agence de la biomédecine, à l'article 3 : le règlement général sur la protection des données et les réserves de la CNIL – Commission nationale de l'informatique et des libertés. L'Agence de la biomédecine conservera des données médicales et non pas notariales, lesquelles sont placées sous le sceau de la confidentialité.

La commission rejette les sous-amendements n° 2304, n° 2345 et n° 2368.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette le sousamendement n° 2332 de M. Thibault Bazin.

Elle examine les sous-amendements identiques n° 2305 de M. Patrick Hetzel, n° 2346 de M. Xavier Breton et n° 2369 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Madame la rapporteure, j’entends que l'Agence de biomédecine n'est peut-être pas la structure idoine pour centraliser l’information et je ne vois pas d’inconvénient à ce que cela se fasse ailleurs. Peut-être faut-il rechercher une solution avec le Conseil supérieur du notariat ? C’est un enjeu important, puisqu’il faut sécuriser le processus.

J’en viens sous-amendement n° 2305. Puisque ce n’est pas le consentement qui établit la filiation mais la mention de la mère dans l'acte d'état civil, je vous propose de substituer, au vingtième alinéa de l’amendement n° 2266, les mots « Le consentement à une assistance médicale à la procréation » par les mots : « L’établissement du lien de filiation à l’égard de l’enfant issu d’une aide médicale à la procréation dans les conditions du présent chapitre ».

Mme Coralie Dubost, rapporteure. S’agissant du registre, l’avis est toujours défavorable, compte tenu du caractère confidentiel de l'acte. Par ailleurs, dans la mesure où on n’établit pas un registre des consentements au don des PMA hétérosexuelles, je ne vois pas pourquoi on en créerait un aujourd'hui. Dans le cas d’une action en contestation, il faudra fournir le document notarié. Enfin, la filiation s’établit bien par la reconnaissance conjointe.

La commission rejette les sous-amendements n° 2305, n° 2346 et n° 2369.

Elle examine les sous-amendements identiques n° 2339 de M. Patrick Hetzel, n° 2361 de M. Xavier Breton et n° 2409 de M. Thibault Bazin.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Si je résume, vous proposez que toutes les dispositions du titre VII soient applicables aux couples de femmes faisant une PMA, que l’une soit mère du fait de l’accouchement et que l’autre le soit à la suite d’une déclaration de reconnaissance. Vous voulez donc étendre le droit commun, ce que vous critiquiez pourtant tout à l’heure dans vos amendements de suppression. Avis défavorable, même si je retiens votre raisonnement, auquel je resongerai.

La commission rejette les sous-amendements n° 2339, n° 2361 et n° 2409.

Puis elle examine le sous-amendement n° 2423 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 4, dans sa rédaction actuelle, conduit à utiliser le mécanisme de reconnaissance pour établir la maternité de celle qui n’a pas accouché. Or, juridiquement, la reconnaissance est un aveu de filiation et non pas un acte juridique créateur de filiation. La volonté n’a pas le pouvoir de créer une filiation, parce que celle-ci ne peut être ni cédée ni abandonnée. La mère qui accouche ne peut donc pas abandonner sa maternité au profit d’une autre femme. La volonté de l’une comme celle de l’autre n’ont pas un tel pouvoir.

Par ailleurs, il est important que la maternité de celle qui accouche puisse être établie conformément aux chapitres Ier à IV du titre VII du livre Ier du code civil, à l’issue d’une assistance médicale à la procréation.

Enfin, pour éviter de faire imploser – ou exploser – tout le droit de la filiation et de fragiliser la filiation de tous les enfants – résultat auquel conduirait le projet de loi dans sa rédaction actuelle –, il est indispensable d’établir la filiation de celle qui accouche, en appliquant le droit de la filiation. L’éventuelle filiation d’une deuxième femme par la voie de l’adoption est ouverte par le titre VIII du livre Ier du code civil. En dehors d’une adoption, les solutions permettant d’établir la filiation d’une personne qui n’est pas celle qui accouche conduisent à remettre en cause le droit de la filiation pour l’ensemble des enfants.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Comme je l’ai dit précédemment, c’est intéressant, mais ce n’est pas cohérent avec votre amendement de suppression. Avis défavorable.

M. Pascal Brindeau. Plusieurs sous-amendements qui tentent de refaire une différence entre la mère qui accouche et celle qui est mère par l’intention ont été rejetés. Le Gouvernement, la rapporteure et la majorité sont arc-boutés sur le fait que ce soit la seule volonté qui crée le lien de filiation, c’est-à-dire la déclaration conjointe. Madame la garde des Sceaux, vous avez dit que l’accouchement n’était pas la cause de la filiation et qu’il fallait actuellement produire un certificat d’accouchement, lequel n’est pas opérant pour créer la filiation. Qu’est-ce qui empêchera demain quelqu’un de contester l’obligation de devoir produire un certificat d’accouchement pour établir la filiation, dans la mesure où c’est la déclaration conjointe de consentement qui l’établit ? Cela me pousse à vous reposer la question : quid de la GPA ?

La commission rejette le sous-amendement n° 2423.

Elle examine les sous-amendements identiques n° 2329 de M. Patrick Hetzel, n° 2360 de M. Xavier Breton et n° 2408 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Le sous-amendement vise à apporter une précision, en indiquant expressément, dans un souci de clarté, que la rupture d’un PACS prive d’effet le consentement à l’AMP.

M. Xavier Breton. Je suis surpris, madame la garde des Sceaux, de voir que l’accouchement aura une portée différente selon les femmes : pour la femme dans un couple hétérosexuel, il en fera une mère ; pour une femme en couple avec une femme, l’accouchement ne sera pas suffisant. Vous faites une différence, une discrimination même, entre les accouchements. Vous êtes en train de stigmatiser les femmes en couple avec une femme, pour lesquelles l’accouchement ne suffirait pas à établir la filiation, contrairement aux femmes en couple avec un homme.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je n’ai pas compris le rapport de votre sous‑amendement avec le PACS.

M. Xavier Breton. C’est normal ! (Sourires.)

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Avis défavorable.

La commission rejette les sous-amendements n° 2329, n° 2360 et n° 2408.

Puis elle examine les sous-amendements identiques n° 2306 de M. Patrick Hetzel, n° 2347 de M. Xavier Breton et n° 2370 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Pour être cohérents avec ce qui a été dit jusqu’à présent, mon sous-amendement vise à réserver l’AMP aux couples formés d’un homme et d’une femme – voilà qui est clair !

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Vos sous-amendements ne correspondent pas à l’alinéa…

Les sous-amendements n° 2306, n° 2347 et n° 2370 sont retirés.

La commission examine ensuite les sous-amendements identiques n° 2310 de M. Patrick Hetzel, n° 2351 de M. Xavier Breton et n° 2374 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Le sous-amendement vise à faire établir un lien de filiation à l’égard de l’autre membre du couple, homme ou femme, par le recours à l’adoption plénière. Cela permettrait de rester dans une vision classique de la filiation et, surtout, de ne pas nier la réalité d’un accouchement. La manière dont vous traitez ce problème juridique n’est pas la bonne.

M. Xavier Breton. Vous ne pourrez pas nous répondre que notre sous-amendement risque d’établir une inégalité, puisque vous la créez entre les femmes en fonction de leur couple.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les sous-amendements n° 2310, n° 2351 et n° 2374.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette ensuite les sous-amendements identiques n° 2307 de M. Patrick Hetzel, n° 2348 de M. Xavier Breton et n° 2371 de M. Thibault Bazin.

La commission examine ensuite les sous-amendements identiques n° 2309 de M. Patrick Hetzel, n° 2350 de M. Xavier Breton et n° 2373 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Le sous-amendement vise à maintenir le système actuel d’établissement du lien de filiation de l’enfant issu d’une AMP avec tiers donneur, dans les couples hétérosexuels.

M. Xavier Breton. J’insiste sur son importance.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Vous pourriez peut-être retravailler vos sous-amendements d’ici à la séance, puisqu’ils ne correspondent pas du tout à l’alinéa concerné. La question de l’AMP hétérosexuelle est déjà réglée.

Le sous-amendement n° 2373 est retiré.

La commission rejette les sous-amendements nos 2309 et 2350.

Puis elle examine les sous-amendements identiques n° 2308 de M. Patrick Hetzel, n° 2349 de M. Xavier Breton et n° 2372 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Le sous-amendement vise à établir un lien de filiation pour la femme qui n’accouche pas, en passant par l’adoption simple.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les sous-amendements n° 2308, n° 2349 et n° 2372.

Elle passe à l’examen du sous-amendement n° 2421 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il vise à remplacer l’expression « à l’égard de chacune d’elles, par la reconnaissance qu’elles ont faite conjointement devant le notaire lors du recueil du consentement mentionné à l’article 342-10 », par l’expression « pour la mère qui porte l’enfant par la déclaration de son accouchement lors de la déclaration de naissance de l’enfant (comme pour toute naissance) et pour l’autre mère par la reconnaissance anticipée de l’enfant à naître de la mère qui porte l’enfant ». Il s’agit de ne pas revenir en arrière dans notre droit de la filiation, qui vise à reconnaître de facto la mère qui accouche comme celle de l’enfant. Le régime de reconnaissance par anticipation pour les deux mères revient à nier un principe structurant de notre droit, ce qui n’est pas souhaitable. Il revient en effet à dire que la mère qui accouche entretient le même rapport de filiation que l’autre mère, ce qui n’est factuellement pas le cas, puisque l’une donne naissance à l’enfant et l’autre non. En outre, vous déclarez que l’accouchement n’est pas la cause de la filiation pour les femmes homosexuelles, alors qu’il l’est pour les femmes hétérosexuelles, ce qui me semble discriminatoire.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je suis très étonnée, Madame Ménard, d’entendre autant de propositions d’extension du simple droit commun pour les couples de femmes. Néanmoins, votre solution n’est pas celle qui a été retenue par l’amendement.

M. Raphaël Gérard. Au fil des débats, nous convergeons vers l’ouverture du titre VII et des dispositions du droit commun aux couples de femmes. Si nous travaillons collectivement à une réécriture, peut‑être arriverons‑nous à une solution commune pour la séance.

La commission rejette le sous-amendement n° 2421.

Puis elle examine le sous-amendement n° 2333 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Par prudence, je retire mon sous-amendement, parce que je ne veux pas du tout converger vers la société que nous propose notre collègue, même si je respecte ses convictions. Madame la rapporteure, si nos sous‑amendements ne correspondent pas toujours aux alinéas de l’amendement du Gouvernement, c’est parce qu’il n’est pas facile de travailler en peu de temps. Nos sous-amendements ont été des reprises du système de la DAV, ce qui explique qu’il y ait des incohérences. Mes autres sous-amendements sont défendus par avance. Je pense vraiment que votre solution n’est pas bonne.

Le sous-amendement n° 2333 est retiré.

La commission examine le sous-amendement n° 2416 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. J’ai une proposition à faire : établir légalement la filiation pour celle qui accouche, par le seul fait de l’accouchement, et pour l’autre mère, que l’acte soit fait devant notaire, préalablement à la réalisation de la PMA.

M. Thibault Bazin. On est force de proposition !

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Intéressant, mais avis défavorable.

M. Patrick Hetzel. Je tenais à faire un point de méthode sur la position de nos sous-amendements. Le document que nous avons reçu avec l’article 4 ne permet pas de connaître précisément les alinéas, ce qui peut expliquer les écarts. Nous en faire le reproche, alors que nous avons travaillé en flux tendu, n’est pas correct.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je ne vous ai pas fait de reproche !

M. Patrick Hetzel. Vous avez dit que vous n’y compreniez rien ! Nous travaillons dans des conditions incroyables ! Il peut y avoir un saut d’un ou deux alinéas, parce que nous n’avons pas disposé de la version pastillée. Ces conditions de travail exécrables sont le fait du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Votre proposition, Madame Genevard, de reconnaître que l’une des femmes soit mère par l’accouchement et l’autre par une reconnaissance ab initio, vient heurter notre volonté de faire en sorte qu’il n’y ait pas de hiérarchie entre ces mères, qu’elles soient mères toutes les deux ensemble de la même façon. L’absence de hiérarchie se traduit forcément par la reconnaissance anticipée que nous proposons.

La commission rejette le sous-amendement n° 2416.

Puis, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les sous-amendements n° 2334 et n° 2335 de M. Thibault Bazin.

Elle examine ensuite le sous-amendement n° 2426 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Par souci de coordination, il vise à supprimer la rédaction de l’article 342-12. Le droit commun applicable au nom patronymique suffit, me semble-t-il.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Dans le droit dit commun, c’est le nom du père qui prévaut en l’absence d’accord. Dans ce cas, nous proposons qu’en l’absence d’accord, ce soit les deux noms des deux mères qui apparaissent. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

La commission rejette le sous-amendement n° 2426.

Le sous-amendement n° 2410 de Mme Emmanuelle Ménard est retiré.

La commission examine ensuite les sous-amendements identiques n° 2311 de M. Patrick Hetzel, n° 2352 de M. Xavier Breton et n° 2375 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Si les dispositions de l’article 311-21 sont maintenues alors que, par ailleurs, la filiation est établie à l’égard de la mère par la mention de son nom dans l’acte d’état civil et à l’égard de l’autre membre du couple par reconnaissance, elles deviennent parfaitement inutiles.

M. Xavier Breton. Mme la garde des Sceaux vient de nous dire qu’elle ne voulait pas établir de hiérarchie entre la femme qui a accouché et celle qui ne l’a pas fait. La question n’est pas tant d’établir une hiérarchie qu’une différence. Vous êtes incapables de penser la différence, parce que, pour vous, elle est créatrice d’inégalité. Je rejoins d’ailleurs tout à fait les derniers propos de Mme Tamarelle-Verhaeghe. Nous n’établissons pas de hiérarchie de valeur, mais disons simplement que c’est différent. Vous niez l’importance de l’accouchement, parce que vous ne voulez pas établir de différence. Mais il faut l’assumer : une femme qui accouche, c’est différent d’une femme qui n’aura pas accouché, sans que cela n’implique qu’elle soit plus ceci ou moins cela – c’est une réalité objective.

Nous assumons l’importance du corps dans la filiation, quand vous voulez l’évacuer, ce qui va laisser la place à toutes les dérives. Fonder la filiation à partir de la seule volonté, c’est prendre le chemin de la multiparentalité. Pourquoi direz‑vous non à ceux qui voudraient faire une déclaration à trois ? Moi, je peux leur dire non, puisque je fonde la filiation sur l’altérité sexuée. De même, pour les demandes de GPA, dans la mesure où l’accouchement n’a plus d’importance, vous ne pourrez plus invoquer l’argument de l’utilisation du corps de la femme… Votre raisonnement n’a plus de limites et vous êtes rattrapés par son absurdité.

M. Hervé Saulignac. Même si cela est un peu embarrassant, je suis obligé de donner raison à Xavier Breton. Madame la ministre, lorsque vous avez présenté votre amendement, vous avez rappelé quatre principes, dont la prise en compte du réel. Le réel, c’est que l’une des deux femmes met un enfant au monde, tandis que l’autre non. L’enfant qui grandit dans un couple de femmes sait toujours laquelle des deux l’a mis au monde. D’une certaine manière, avec ce que vous nous proposez, vous effacez cette réalité dans l’état civil. De ce point de vue, vous niez une forme de réalité, ce qui risque d’être contesté par les couples de femmes ellesmêmes.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. L’accouchement de la mère sera bien reconnu et visible, puisqu’il sera inscrit dans les documents médicaux, le carnet de santé, et peut-être le dossier médical partagé (DMP). Il n’y a donc pas à se poser la question de savoir si les mères diront laquelle d’entre elles a accouché, puisque c’est un fait qui apparaîtra.

M. Xavier Breton. Mais pas à l’état civil !

M. Guillaume Chiche. Monsieur Saulignac, il n’y aura aucune différence de filiation entre les enfants dont nous parlons : il s’agit bien de modes d’établissement de la filiation.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Ce n’est pas ce que nous avons dit !

M. Guillaume Chiche. Il n’y a aucune hiérarchie entre les mères, quels que soient le modèle familial et les membres du couple.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Breton, vous savez très bien, puisque je vous l’ai dit tout à l’heure, que je ne nie pas l’accouchement – et il est inutile de fantasmer autour de possibles dérives –, étant donné que, lorsque l’on ira déclarer l’enfant à l’état‑civil, il faudra bien un acte prouvant que la mère a accouché. Nous ne nions pas l’accouchement, mais disons au contraire que c’est une condition indispensable. Cette égalité entre les mères, Monsieur Saulignac, répond à une demande forte des femmes qui souhaitent avoir un enfant en couple, que vous pourriez prendre en considération, et ne nie pas l’accouchement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette les sous-amendements n° 2311, n° 2352 et n° 2375.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette successivement le sous-amendement n° 2336 de M. Thibault Bazin, le sousamendement n° 2427 de Mme Emmanuelle Ménard, ainsi que les sousamendements identiques n° 2312 de M. Patrick Hetzel, n° 2353 de M. Xavier Breton et n° 2376 de M. Thibault Bazin, le sous-amendement n° 2428 de Mme Emmanuelle Ménard, les sous-amendements identiques n° 2314 de M. Patrick Hetzel, n° 2355 de M. Xavier Breton et n° 2380 de M. Thibault Bazin, les sousamendements identiques n° 2313 de M. Patrick Hetzel, n° 2354 de M. Xavier Breton et n° 2379 de M. Thibault Bazin, les sous-amendements identiques n° 2315 de M. Patrick Hetzel, n° 2356 de M. Xavier Breton et n° 2381 de M. Thibault Bazin, les sous-amendements identiques n° 2317 de M. Patrick Hetzel, n° 2358 de M. Xavier Breton et n° 2383 de M. Thibault Bazin, les sousamendements identiques n° 2318 de M. Patrick Hetzel, n° 2359 de M. Xavier Breton et n° 2407 de M. Thibault Bazin, et enfin les sous-amendements identiques n° 2316 de M. Patrick Hetzel, n° 2357 de M. Xavier Breton et n° 2382 de M. Thibault Bazin.

La commission examine ensuite le sous-amendement n° 2338 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. En l’état de notre droit, le défaut de déclaration de naissance est incriminé à l’article 433-18-1 du code pénal. Compte tenu de l’importance des effets du consentement, tel que vous l’avez imaginé, il convient de s’assurer que cette reconnaissance soit remise à l’officier d’état civil le jour de la déclaration de naissance.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Tout est déjà prévu dans le dispositif. Avis défavorable.

Le sous-amendement n° 2338 est retiré.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vois avec plaisir, monsieur le député, que vous accédez à la reconnaissance conjointe.

M. Thibault Bazin. Je réfléchis avec vous, afin d’enrichir le texte, même si les hypothèses initiales ne me conviennent pas.

La commission examine le sous-amendement n° 2417 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. L’amendement vise à revenir sur un propos que j’ai déjà tenu, mais que je voudrais fonder sur des références un peu plus précises. Pendant les auditions, on nous a répété à l’envi que toutes les études allaient dans le même sens, qu’un enfant élevé dans une famille homoparentale était plus heureux, plus ouvert, qu’il n’y avait aucun problème. Or ces conclusions se fondent sur des études dont tout laisse à penser qu’elles sont totalement biaisées, comme l’a démontré le docteur Berger. Olivier Vecho et Benoît Schneider concluent, de la même façon, dans leurs travaux, que les études publiées aux États-Unis n’étaient pas fondées scientifiquement. C’est pourquoi je propose qu’une commission constituée d’experts, membres de la société française de psychiatrie de l’enfant, réalise une analyse critique de ces études, comme cela se fait dans toutes les autres disciplines médicales avant une prise de décision importante comme la nôtre.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette le sous-amendement n° 2417.

Elle examine enfin le sous-amendement n° 2418 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. J’ai une autre proposition à vous faire, madame la garde des Sceaux, puisque la première ne vous a pas convaincue : l’adoption simple pour la deuxième mère. J’ai entendu les réserves des couples de femmes, disant que le temps de la procédure d’adoption créait une fragilité. Néanmoins, je crois que cette fragilité est à mettre en regard avec l’intérêt que présenterait le choix d’une telle disposition.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette le sous-amendement n° 2418.

La commission adopte les amendements identiques nos 2266 et n° 2267 portant rédaction globale de l’article 4.

En conséquence, tous les amendements suivants déposés sur l’article 4 tombent.

La réunion est suspendue de minuit cinq à minuit quinze.

Après l’article 4

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement n° 426 de Mme Anne-France Brunet.

Puis elle examine l’amendement n° 1664 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Il vise à autoriser l’établissement de la filiation d’un enfant conçu par don par la voie de la possession d’état. La possession d’état consiste dans « une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ». L’amendement intéresse plusieurs situations, notamment celle des enfants nés d’AMP au sein d’un couple de femmes avant l’entrée en vigueur du présent projet de loi et dont la filiation à l’égard de la mère sociale n’a pu être établie par la voie adoptive. Cette mère sociale pourrait ainsi, nonobstant sa séparation avec la mère biologique, faire reconnaître sa filiation à l’égard de l’enfant, par la voie de la possession d’état. Il intéresse également le cas des enfants nés de GPA à l’étranger, pour lesquels la voie adoptive n’est pas possible, à l’instar des femmes célibataires ou des couples de femmes.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Si je comprends bien votre amendement, il vise à permettre l’établissement du lien de filiation pour la deuxième mère, dans le cas des PMA conçues avant ce texte, lorsque l’adoption simple ne fonctionne pas, du fait d’une séparation. Je suis ennuyée, parce que je pense que ce n’est pas exactement le champ du texte, dans la mesure où nous sommes censés tirer les conséquences pour l’avenir. Néanmoins, comme vous, j’ai entendu les témoignages de ces nombreuses mères qui sont venues nous parler de leurs difficultés face aux tribunaux. Sagesse.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Touraine, vous exposez l’idée que l’on pourrait reconnaître la filiation par le biais de la possession d’état, si j’ai bien compris. Il me semble que votre requête présente une difficulté dans la mesure où l’octroi de la possession d’état est soumis à deux conditions : que la personne se comporte, dans les faits, aux yeux de tous, comme le parent de l’enfant, ce qui ne semble, dans ce cas, pas poser de difficulté ; mais également que cette possession d’état soit paisible, publique, continue et non équivoque. Dans un couple composé de deux femmes, ce caractère non équivoque ne saute pas aux yeux d’emblée et n’est pas probant.

M. Thibault Bazin. Je suis profondément défavorable à cet amendement. À un moment, il vous faudra avoir une certaine cohérence dans vos messages… Alors que M. Touraine, qui est également rapporteur, en arrive à proposer, par voie d’amendement, des montages qui concernent notamment des enfants nés de GPA à l’étranger, vous ne pouvez pas continuer à dire que vous ne voulez pas de la GPA et prévoir des directives qui la préparent.

La commission rejette l’amendement n° 1664.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 163 de M. Xavier Breton, n° 351 de M. Patrick Hetzel, n° 576 de Mme Annie Genevard et n° 915 de M. Thibault Bazin.

M. Xavier Breton. L’amendement vise à inscrire à l’article 16-1 du code civil que le corps humain est indisponible. Il est important que nous rappelions avec force l’indisponibilité du corps humain. Nous avons vu qu’il existait des tentations, notamment avec la conservation des gamètes confiée à des centres privés à but lucratif, de ce qui serait un marché de la procréation, où seraient commercialisés des produits du corps. La circulaire en cours de préparation sur la gestation pour autrui pour les enfants nés à l’étranger prépare cette pratique, en la reconnaissant, tandis que le Gouvernement ne fait rien et refuse de s’élever, au niveau international, pour l’interdire de façon universelle, qu’elle soit gratuite ou pas. Il existe aujourd’hui une certaine tentation de considérer que le corps est quelque chose qui nous appartient, que nous avons un corps, alors qu’en réalité nous sommes un corps. Il est important de profiter de l’examen de cette loi de révision pour rappeler les grands principes qui font des lois de bioéthique de notre pays une exception au niveau international.

M. Patrick Hetzel. Le principe de l’indisponibilité du corps humain existe dans notre droit, mais de façon implicite. Or, plus que jamais, il devient nécessaire de l’expliciter, en l’inscrivant à l’article 16-1 de notre code civil. Cela nous préservera des risques d’une marchandisation.

Mme Annie Genevard. Nous proposons d’ajouter au deuxième alinéa de l’article 16‑1 du code civil qu’en plus d’être inviolable le corps humain est indisponible.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’imagine que ce sont des amendements d’appel, puisque la jurisprudence comme le code les satisfont. L’indisponibilité du corps humain est un principe d’ordre public qui a été consacré par la Cour de cassation en 1991. L’article 16-1 du code civil consacre déjà le principe de non patrimonialité du corps humain, que nous avons longuement évoqué lors de l’examen des articles 1er, 2 et 3. Demande de retrait.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Si la non patrimonialité du corps humain est définie dans le code civil, en revanche, juridiquement, l’indisponibilité du corps n’existe pas vraiment : c’est l’indisponibilité de l’état des personnes qui existe. Dès lors que l’on veut toucher à l’un des éléments qui caractérisent l’état des personnes, il faut passer par un juge. Je crois qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même chose.

M. Xavier Breton. Madame la rapporteure, nous sommes tous d’accord pour reconnaître l’importance de ce principe. Nous pourrions d’ailleurs travailler pour le faire inscrire dans la Constitution, afin de lui donner plus de force, dans la prochaine loi de révision de bioéthique.

Les amendements nos 163, 351 et 915 sont successivement retirés.

La commission rejette l’amendement n° 576.

Elle examine ensuite l’amendement n° 573 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. L’amendement vise à rendre possible l’identification génétique post mortem dans le cadre d’une action relative à la filiation, pour rétablir la conformité du droit français avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Votre amendement présume du consentement d’une personne à la réalisation de tests génétiques post mortem pour établir la filiation. Cela me semble attentatoire à la liberté de la personne.

La commission rejette l’amendement n° 573.

Puis elle examine l’amendement n° 1578 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Consultée par la Cour de cassation au sujet de l’établissement de la filiation avec un parent d’intention, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a imposé à la France l’obligation de reconnaître celui-ci et de lui laisser la libre appréciation du moyen utilisé pour y parvenir. La procédure actuelle est longue, compliquée et aléatoire. Le parent d’intention doit passer par l’adoption. C’est pourquoi l’amendement vise à ajouter à l’article 47 du code civil, après le mot « irrégulier », « ou falsifié », ce qui devrait simplifier la reconnaissance.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation permet la transcription dans l’état civil de l’état civil du père biologique et l’adoption de l’enfant par le conjoint ou la conjointe. Cette jurisprudence a été confortée par un avis de la CEDH du 10 avril 2019, lequel a consacré les équilibres recherchés depuis plusieurs années sur ce sujet complexe, puisqu’il s’agit de maintenir l’interdiction de la GPA en France, tout en assurant la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, en établissant sa filiation. La Cour de cassation se prononcera prochainement sur cette question. Mme la garde des Sceaux a également précisé, à l’occasion de la séance des questions au Gouvernement, ce mardi, qu’une circulaire permettra de sécuriser définitivement la situation des enfants qui sont nés d’une GPA légale à l’étranger. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il y a un double point de départ. Le premier, c’est que la GPA est interdite en France. Elle le demeurera. C’est pour nous un point intangible. Nous considérons en effet qu’autoriser la GPA porte atteinte aux principes que nous défendons et que, mesdames, messieurs les députés, vous avez rappelés. Le deuxième, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme l’a rappelé le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, l’intérêt des enfants passe par le fait de voir leur filiation établie et d’avoir le droit de mener une vie familiale normale voire sereine. À partir de là, une jurisprudence a été établie en France et est appliquée, laquelle consiste à transcrire directement dans l’état civil français l’état civil du père biologique et, pour le parent d’intention, à ouvrir la possibilité d’une adoption. L’adoption fait d’ailleurs, plus généralement, l’objet d’une réflexion en ce moment à l’Assemblée nationale.

La solution trouvée par la France a recueilli l’aval de la Cour européenne des droits de l’homme qui avait été saisie par la Cour de cassation sur les solutions à apporter à ce type de questionnement. La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que les États membres avaient une certaine marge de manœuvre et que l’établissement de la filiation par adoption était l’une des voies possibles. La solution française s’est trouvée, en quelque sorte, confortée par cet avis.

La CEDH ayant été saisie sur une affaire individuelle, la Cour de cassation va à nouveau statuer dessus dans quelques semaines. Le droit, en France, est clairement établi, et avait d’ailleurs été indiqué aux officiers d’état civil, dans une dépêche qui leur avait été adressée en 2017. Après l’avis d’avril 2019 de la CEDH, puis après que la Cour de cassation aura de nouveau statué, nous pourrons à nouveau adresser aux officiers d’état civil un texte leur rappelant les principes que je viens d’énoncer devant vous. Cela est important pour assurer l’unité des pratiques dans notre pays. En toute hypothèse, je le redis, la GPA demeure un interdit absolu en France.

M. Bruno Fuchs. Je souhaite rappeler mon opinion personnelle sur cette question. Comme vous, madame la garde des Sceaux, je suis tout à fait opposé à la GPA. Avec cet amendement, j’essaie de simplifier la procédure.

La commission rejette l’amendement n° 1578.

Puis elle examine l’amendement n° 1807 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Je ne sais pas pourquoi mon amendement n’est pas en discussion commune avec celui de M. Fuchs puisqu’il traite du même sujet. Il propose en effet de compléter la rédaction de l’article 47 du code civil.

Je partage pleinement les propos de Mme la garde des Sceaux. Je rappelle que l’avis de la Cour européenne des droits de l’Homme indique que le traitement des demandes doit être effectif et rapide. Or, selon qu’on habite à Versailles ou à Montpellier, les jugements d’adoption pour les cas de couples de même sexe ou hétérosexuels sont plus ou moins longs en raison d’une vraie résistance dès lors qu’il y a soupçon de GPA. Certaines familles entrent dans des procédures très compliquées qui peuvent être très longues parce qu’idéologiques, ce qui fragilise la filiation des enfants, lesquels peuvent se retrouver pendant six mois, un, deux voire trois ans dans une situation très précaire au cas où le parent figurant sur l’état civil français décède.

Il conviendrait donc de s’interroger sur l’efficacité de l’application de ces procédures, car ces questions concernent des familles et des enfants qui ont besoin d’une sécurité.

M. Thibault Bazin. Nous sommes en train de multiplier les affirmations selon lesquelles on ne s’affranchit pas de nos principes éthiques et on interdit telle chose. Mais ce qui manque, ce sont les sanctions quand on ne respecte pas ces principes. Un projet de loi a un caractère incitatif ou dissuasif, et il faut être sincère dans ce qu’on affirme. Lorsqu’une pratique touche à nos principes fondamentaux, qui finalement entrent dans notre droit avec un décret et une jurisprudence sans que le législateur ne se soit prononcé dessus, cela pose problème. La France ayant un système juridique avant tout basé sur la Constitution et la loi, contrairement au modèle américain, il faut, à un moment donné, se donner les moyens pour rendre nos principes effectifs. Je ne remets pas en cause ce désir d’amour et le projet parental que tout le monde peut avoir, mais la question est de savoir si on y donne droit ou non. Si on estime que la gestation pour autrui va à l’encontre de nos principes, faisons respecter ce principe.

Mme Annie Genevard. Comme mon collègue, je considère qu’il y a, en France, une forme d’hypocrisie. On se gargarise de beaux principes comme l’indisponibilité du corps humain, le refus de la marchandisation du corps humain, jamais de GPA chez nous, mais de facto on la tolère à l’étranger et on tolère ses conséquences en France puisque le parent biologique est reconnu, de même que l’autre parent par le biais de l’adoption.

Par conséquent, il faut établir dans le droit l’interdiction de recourir à une convention de gestation pour autrui des suites de laquelle naît un enfant, et prévoir des sanctions, car c’est un acte profondément délictueux. Ce sera l’objet d’un amendement que je présenterai ultérieurement.

Mme Aurore Bergé. Comme vous, le fait que des hommes et des femmes recourent à la GPA me déplaît et me heurte profondément. Je préférerais que personne n’y ait recours, dans aucun pays du monde, surtout dans les pays où l’on sait que c’est une forme évidente d’esclavage.

Sur qui doivent reposer les sanctions ? Dès lors que ces enfants sont là, quand bien même nous détestons la manière avec laquelle ils sont arrivés, la responsabilité doit-elle peser sur eux ?

Mme Annie Genevard. Absolument pas !

Mme Aurore Bergé. Et si vous faites porter la sanction sur ceux qui sont devenus ses parents, qui pénalisez-vous sinon les enfants ? Je pense que nous sommes nombreux ici à partager la même conviction sur la GPA qui nous heurte profondément, mais dans le même temps notre responsabilité première est de faire en sorte que cela ne pèse pas malgré tout sur les enfants. Je ne vois pas d’autre levier que cette circulaire qui permettra de fait que les parents deviennent des parents, même si je n’aime pas la manière par laquelle ils ont pu l’être.

M. Thibault Bazin. Je vous remercie, madame la présidente, de nous laisser le temps de nous exprimer sur ce sujet très important.

Nous ne sommes pas inhumains, et quand un enfant est là il faut l’accueillir, quel que soit son mode de conception. Sur les réseaux sociaux, on peut voir actuellement de la publicité pour un salon sur la GPA qui se tiendra bientôt à Bruxelles. Notre ancien collègue, Jean Leonetti, avait déposé une proposition de loi qui prévoyait des dispositifs dissuasifs, car si on ne veut pas demain de GPA, encore faut-il s’en donner les moyens. Nous avons fait des propositions et j’espère que nous serons au rendez-vous pour renforcer la dissuasion à l’égard de ceux qui réfléchissent à faire une GPA, et de tous ceux qui font de la publicité pour ce moyen, y compris ici, parfois même sur des plateaux de télévision. Si l’on estime que la GPA n’est pas conforme à la dignité de la personne humaine, et je me réjouis qu’il puisse y avoir consensus à ce propos, peut-être va-t-il falloir sanctionner, à un moment donné, ces publicités.

Mme Annie Genevard. Je souscris en tout point aux propos qui viennent d’être tenus.

Je vous invite à aller au-delà de l’affirmation des principes que vient de faire Mme Bergé. Bien évidemment, l’enfant doit être accueilli, et bien évidemment il ne doit pas porter la faute de ses parents. Mais il faut aussi mettre fin à ce système abominable où en Inde, comme vous l’avez dit, des femmes sont réduites en esclavage. Si on en reste à la situation actuelle, on sait que ce système perdurera à nos portes. Notre responsabilité est de dire à ces couples d’hommes qui seraient tentés de recourir à la location du ventre d’une femme que ce n’est pas à ce prix-là qu’ils peuvent devenir père. Il faut le dire et il faut pouvoir le sanctionner. Sinon, nous sommes condamnés à voir perdurer cette abominable situation.

M. Raphaël Gérard. Comme vous l’avez dit, Monsieur Bazin, il ne faut pas encourager la GPA en faisant de la publicité.

Il fut un temps où j’ai pu partager cette représentation de couples hommes homosexuels qui se rendaient aux États-Unis ou au Canada pour une GPA. Cela existe et cela les concerne. Pour autant, on doit sécuriser leurs enfants. Mais c’est aussi la réalité de familles hétérosexuelles qui sont passées par des parcours très longs et très douloureux du point de vue psychologique, physique, d’échec de PMA, d’échec de l’adoption nationale et qui au final, parce qu’ils veulent fonder une famille, s’endettent pendant des dizaines d’années – certains vendent même leur maison – pour une GPA. J’ai de la peine à condamner cette réalité-là, même si effectivement le système, qui n’est pas autorisé pour l’instant dans notre pays, interpelle. On ne peut pas faire peser sur les enfants le poids d’une histoire déjà très douloureuse pour les parents et il faut qu’on accepte de faciliter la sécurisation de la filiation de ces enfants, puis ouvrir ou clore le débat.

Mme Sereine Mauborgne. Un couple hétérosexuel de ma circonscription est allé aux États-Unis pour une GPA. Deux enfants y sont nés de la même mère sans la considérer comme un ventre qui a porté leurs enfants. Ce couple est aujourd’hui revenu vivre en France, mais leurs enfants n’ont aucune sécurité juridique.

Madame la ministre, pouvez-vous confirmer que vous allez sécuriser le parcours de ces enfants, parce que c’était une promesse et un engagement fort du Président de la République, alors candidat, à l’égard de ces familles ? Pour ma part, je me réjouissais de pouvoir respecter cet engagement.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ce débat, qui n’est pas simple, doit éviter toutes les caricatures. D’abord, il n’y a pas une mais plusieurs GPA : celles qui sont sauvages et interdites en France, celles qui peuvent avoir lieu en Inde où les femmes sont dans une situation de grande précarité et où l’on peut soupçonner l’exploitation de cette grande vulnérabilité, celles qui sont faites aux États-Unis, celles dites éthiques pratiquées au Canada, et celles qui sont intrafamiliales faites au Portugal. Cette diversité de situations fait qu’il est très compliqué d’apporter une seule réponse.

Si la GPA a été faite légalement dans un autre pays, on ne peut pas poursuivre les familles qui sont en France. Par contre, on peut poursuivre les individus qui ont eu recours à une GPA sauvage en France. D’ailleurs, les sanctions sont lourdes.

Je sais que les médias vous ont beaucoup sollicités récemment sur ce sujet qui constitue, pour eux, du pain bénit. Mais en réalité, les choses sont bien plus compliquées. Au-delà du fait qu’il y a une pluralité de réponses à une pluralité de situations, le seul qui doit obtenir une seule réponse, c’est l’enfant à qui on doit garantir une vie familiale normale et sereine, comme l’a expliqué très justement la ministre. À ce titre, il me semble que la jurisprudence de la Cour de cassation – à cet égard, on peut saluer le travail prétorien de nos juges qui assument une certaine responsabilité en la matière – a créé des dispositifs permettant de sécuriser l’article 47 auquel vous faites référence qui ne concerne pas strictement la filiation puisqu’il a également des impacts majeurs en droit de l’immigration. Je pense que ce n’est pas le lieu d’apporter une sécurité supplémentaire à ces enfants‑là via cet article. Je vous propose donc de retirer cet amendement.

Mme la ministre s’est engagée à prendre une circulaire prévoyant une uniformité d’application de la jurisprudence de la Cour de cassation dans le territoire par tous nos magistrats. J’espère qu’ils entendent eux aussi le message et que nous ne verrons bientôt plus de résistance vis-à-vis de certaines situations.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Au fond, nous fonctionnons dans un cadre juridique tel qu’il a été défini par la Convention européenne des droits de l’Homme à laquelle nous sommes adhérents et qui a précisé dans un avis récent les éléments que j’ai soulignés tout à l’heure. La convention respecte l’interdit sur le territoire national, ce qui permet à la France de faire primer ses valeurs et ses principes, mais elle n’interdit pas que l’on prenne en compte les intérêts des enfants. C’est précisément dans cet équilibre que nous nous situons en France.

Monsieur Bazin, effectivement M. Leonetti avait déposé en 2014 une proposition de loi qui prévoyait de punir d’un an d’emprisonnement ceux qui tentaient d’obtenir la naissance d’un enfant par la pratique de la GPA. Ce n’est pas l’état du droit aujourd’hui en France : ce qui est pénalisé en France, c’est l’entremise.

Une GPA réalisée en France n’a pas lieu d’être puisque la femme qui accoucherait serait forcément la mère. Donc, tout contrat passé avec une autre femme est inconnu. Se pose la question des personnes qui vont faire une GPA à l’étranger, dans des États où, comme l’a rappelé Mme Dubost, la pratique est tout à fait légale et permise par la Convention européenne des droits de l’Homme. Pour notre part, nous restons sur nos principes et sur l’équilibre que nous avons instauré en ce qui concerne l’établissement du droit de la filiation.

La commission rejette l’amendement n° 1807.

Puis elle rejette successivement les amendements n° 626 et n° 627 de Mme Annie Genevard.

La commission est saisie de l’amendement n° 1612 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Madame la garde des Sceaux, vous avez rappelé l’interdiction de la GPA qui n’est donc plus pratiquée régulièrement en France depuis le début des années quatre-vingt-dix. En revanche, nous ne sommes pas partisans de sanctionner d’une quelconque façon les enfants qui en sont nés. Une procédure prolongée d’adoption est donc inappropriée, imposant délais et insécurité. La CEDH consent à cette adoption comme une formule minimum pour que la France ne soit plus condamnée. Je rappelle que le Président de la République nous a demandé de nous préoccuper du sort de ces enfants nés de GPA. Comme l’a rappelé Mme Aurore Bergé, nous ne pouvons pas faire porter aux enfants les conséquences de phénomènes auxquels ils sont étrangers. Ce ne sont pas eux qui ont choisi leur mode de procréation.

Cet amendement consacre et étend par voie législative la jurisprudence désormais constante du tribunal de grande instance de Paris, lequel déclare en effet exécutoires les jugements étrangers par lesquels la filiation d’un enfant né par GPA a été établie et regarde alors cette filiation comme une filiation adoptive.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Il me semble que l’on est toujours hors du champ du projet de loi relatif à la bioéthique, même si le sujet est passionnant, qui prévoit l’extension de l’accès à la PMA à toutes les femmes et d’en tirer les conséquences au niveau de la filiation. Je propose donc le retrait de cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 1612.

Elle examine ensuite l’amendement n° 2056 de M. Arnaud Viala.

M. Thibault Bazin. M. Viala propose un excellent amendement qui vise à insérer, après l’article 4, l’article suivant : « La gestation pour autrui est interdite. »

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Cet amendement est déjà satisfait par l’article 16-7 du code civil. Je vous propose donc de le retirer.

M. Thibault Bazin. Je le maintiens, car nous devons mener un important travail pour le rendre effectif.

La commission rejette l’amendement n° 2056.

Titre II
Promouvoir la solidarité dans le respect
de l’autonomie de chacun

Chapitre premier
Conforter la solidarité dans le cadre du don d’organes,
de tissus et de cellules

Avant l’article 5

La commission examine l’amendement n° 1000 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il convient non seulement de promouvoir la solidarité mais aussi de conforter le respect des principes essentiels en matière de don d’organes que sont le respect du corps de la personne vivante comme de la personne décédée, la non-patrimonialité du corps humain, le consentement et l’anonymat du don d’organes et la gratuité du don. C’est pourquoi je propose de compléter l’intitulé du chapitre Ier du titre II par ces principes essentiels.

M. Hervé Saulignac, rapporteur sur le titre II. Les principes que vous énumérez s’imposent au texte. J’ajoute que les articles 16 et suivants du code civil fixent déjà l’ensemble de ces principes. Par conséquent, je vous demande de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je maintiens l’amendement parce que je suis vraiment préoccupé par l’effectivité de ces principes.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Monsieur Bazin, vous ne pouvez pas dire que ces principes ne sont pas effectifs puisque cela fait trente ans que des greffes sont pratiquées.

M. Thibault Bazin. Je souhaite que l’on réaffirme ces principes dans le titre II avant d’évoquer les sujets suivants, dans le même esprit que le titre Ier qui précise « sans s’affranchir de nos principes éthiques ».

La commission rejette l’amendement n° 1000.

Article 5
Extension du don croisé d’organes à plus de deux paires de donneurs/receveurs pour améliorer l’accès à la greffe

La commission examine l’amendement n° 1278 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de repenser le don d’organes comme un acte personnel, généreux et altruiste et non comme une obligation légale où la personne n’aurait plus son mot à dire sur le devenir de son corps. Le don n’est pas altruiste parce qu’il vient sauver des vies, mais c’est l’intention du donneur qui en fait un don altruiste. On en arrive malheureusement parfois à des situations pour le moins paradoxales où l’on entend certains membres du corps médical regretter la baisse du nombre des accidents vasculaires cérébraux (AVC) car cela pourrait induire une baisse du nombre d’organes à donner. Je trouve cela regrettable.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Vous souhaitez que le Gouvernement puisse promouvoir des campagnes d’information. Or je vous rappelle qu’il existe des campagnes de promotion du don d’organes qui relèvent de l’Agence de la biomédecine qui diffuse des plaquettes qui visent à faire le point sur l’activité de ce don.

Par ailleurs, je n’ai pas compris quelle était votre référence à une quelconque obligation légale en matière de dons. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1278.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 1001 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. J’ai lu attentivement l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur les dons d’organes, qui préconise de limiter la possibilité du don croisé d’organes au rein. C’est ce que je vous propose de préciser par cet amendement.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le don croisé qui a été instauré par la loi de 2011 n’a pas été réduit au rein, mais dans les faits il se limite au rein. C’est là que les tensions principales se font jour. Comme les reins sont exclusivement concernés, je ne vois pas quel est l’intérêt d’un tel amendement. Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Si on fait une petite dérogation par rapport à la notion de don sans contrepartie, il convient de le préciser dans la loi.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je pense que votre amendement est superfétatoire parce qu’en réalité le don croisé ne s’adresse qu’aux donneurs vivants. Or, de facto seul le rein peut être prélevé chez un donneur vivant. Le principe du don croisé consiste à rechercher une compatibilité qu’il n’y a pas entre frères et sœurs, par exemple. Même si cela devait s’appliquer à d’autres organes, l’intérêt sur le plan de la greffe serait exactement le même que celui pour le rein. Le don croisé a été créé parce qu’on s’est aperçu que la compatibilité entre donneurs vivants était parfois insuffisante, et que l’on trouve une meilleure compatibilité chez un autre couple de donneurs/receveurs.

Monsieur Bazin, il n’y a jamais de contrepartie dans les greffes d’organes aujourd’hui en France. Il n’y a donc pas de contrepartie dans le don croisé, il y a seulement un couple, un frère et une sœur ou une mère et son enfant par exemple, et la compatibilité entre les organes étant insuffisante, on choisit un autre couple pour laquelle la compatibilité serait meilleure et on croise les organes. On s’aperçoit qu’en augmentant le nombre de possibilités de croisement, on a une meilleure capacité à apparier l’organe et moins de risques de rejet.

M. Thibault Bazin. Un couple donneur/receveur est prêt à donner dans un don croisé dès lors qu’il y a un autre couple de donneur/receveur. Il y a donc bien une forme de contrepartie qui a été limitée dans la loi de manière assez intelligente. En réalité, ce croisement est un don simultané, c’est une espèce de dérogation réfléchie et encadrée de manière éthique.

Je vais retirer l’amendement, mais je me demande pourquoi le CCNE préconise de limiter la possibilité du don croisé d’organes.

L’amendement n° 1001 est retiré.

La commission étudie l’amendement n° 1690 et l’amendement n° 1693, tous deux de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. La loi de 2011 permettait de faire un échange entre deux paires, ce qui a conduit à un très faible nombre de transplantations avant d’être arrêté par l’ensemble des équipes de transplantation en France, le don croisé d’organes ne fonctionnant pas bien avec deux paires seulement et l’excès d’exigence de simultanéité ne rendant pas possible cette réalisation.

Le présent projet de loi vise à augmenter le nombre de paires possibles, mais de le limiter à quatre paires. Pour ma part, je propose de supprimer cette limite de quatre paires qui peut s’avérer être le minimum pouvant faire mieux fonctionner ce système, et de pratiquer ce qu’on appelle une chaîne de donneurs qui est courante dans bon nombre d’endroits. Aucune limitation ne serait prédéfinie dans la loi. Elle pourrait être fixée par voie réglementaire à cinq ou six paires, en fonction des possibilités et des besoins. Je propose également de limiter l’exigence de simultanéité, sachant que si, dans une famille, un donneur ne remplit pas ses obligations, qu’il se rétracte, la compensation serait faite par la priorisation d’une transplantation à partir d’un rein prélevé sur un sujet décédé.

Le bon fonctionnement du système avec des donneurs vivants exige souvent plus de quatre paires et que les demandes ne se fassent pas toutes en même temps.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Ces amendements visent à modifier les chaînes de dons. Il s’agit d’un débat extrêmement complexe qui fait intervenir bien évidemment des experts médicaux, mais également des mathématiciens parce que ces questions nécessitent une modélisation.

On sait que les chaînes de trois à quatre paires produisent d’assez bons résultats et qu’il y a peu de ruptures de chaîne. Autrement dit, il y a une faisabilité avérée pour des équipes médicales. Mais au-delà de trois ou quatre paires, on se heurte à quelques difficultés. Les Américains ont réalisé des chaînes de dix-sept ou vingt paires, mais ces chaînes de grande ampleur impliquent des périodes extrêmement longues.

En prévoyant des chaînes plus grandes, votre amendement revient sur le délai de vingt-quatre heures. Comme vient de l’indiquer M. Touraine, le croisement de dons d’organes ne fonctionne pas avec deux paires, en raison d’une condition de simultanéité. Nous proposons donc un délai de vingt-quatre heures pour pouvoir travailler sur quatre paires. Autoriser davantage de paires ne permettrait pas à l’ensemble des opérations de prélèvement de se dérouler dans un délai de vingt-quatre heures. Le chaînage jusqu’à six paires commence lui aussi à poser des problèmes d’organisation. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l’amendement n° 1690 et que je demande son retrait au profit de l’amendement n° 1693 dans lequel vous proposez de fixer une limitation du nombre de paires par voie réglementaire afin d’introduire de la souplesse et de pouvoir le cas échéant, si les conditions sont réunies, aller au-delà de quatre paires. Cela permettra effectivement de ne pas rester figé sur ce que prévoit le projet de loi.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je suis favorable à l’amendement prévoyant de fixer le nombre de paires par décret. Je rappelle à ceux qui auraient la moindre inquiétude dans cette salle que l’Agence de la biomédecine repose sur des comités d’experts dont le conseil d’orientation scientifique et médical valide toutes les décisions. Procéder par décret permettrait d’aller progressivement à trois paires, et peut-être à quatre paires parce que les modélisations montrent que quatre paires c’est bien. Si les techniques évoluent dans deux ans grâce à de meilleurs liquides de conservation des greffons, on pourrait en venir à cinq paires par décret, ce qui éviterait d’attendre à chaque fois de passer par la loi. Aussi l’amendement de M. Touraine qui prévoit de fixer le nombre de paires par décret correspond-il bien à la façon dont on progresse dans le champ des greffes.

M. Jean-Louis Touraine. Je retire l’amendement n° 1690 et je maintiens l’amendement n° 1693 qui d’ailleurs recueille l’adhésion des experts de l’Agence de la biomédecine qui souhaitent davantage de souplesse.

M. Pierre Dharréville. Je rebondis sur ce qui a été évoqué en matière de rupture potentielle de la chaîne du don. Donner un rein n’est pas tout à fait de même nature que donner son sang. La rupture de la chaîne du don suppose que la condition de l’acceptation du don par la personne n’est pas remplie, ce qui pose un grave problème. J’entends ce que vous dites, madame la ministre, sur les préventions de l’Agence de la biomédecine. L’extension de cette pratique, qui n’est pas sans poser de questions puisqu’on sort du cadre traditionnel du don pour entrer dans une forme d’échange, doit être entourée de grandes précautions afin de respecter au maximum l’esprit initial, celui du don.

L’amendement n° 1690 est retiré.

La commission adopte l’amendement n° 1693.

Elle en vient à l’amendement n° 958 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Le principe de la greffe d’organes pose le problème de la gratuité du don. Donner un organe n’est pas anodin, Ne pas forcément attendre de contrepartie fait partie de nos principes fondamentaux de la bioéthique. Quand on donne son consentement en attendant en échange qu’il y ait un autre don pour un tiers qui nous intéresse, il peut arriver que la chaîne du don soit coupée, comme l’a dit mon collègue Dharréville. Plus la chaîne de dons sera grande, plus le risque d’avoir des consentements un peu faussés sera élevé.

Comme ce fameux don croisé d’organes n’a pas fonctionné de manière opérationnelle, je propose que le dispositif que vous imaginez soit à titre expérimental, pour une durée de trois ans, suivis d’une évaluation. J’ai repris exactement cette formulation qui existe ailleurs dans le projet de loi pour d’autres dispositions.

Comme on s’aventure, avec cet article, dans quelque chose qui peut poser des problèmes éthiques, il serait prudent de l’appréhender sous cette forme.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je ne comprends pas pourquoi le don croisé entraînerait un risque nouveau de marchandisation, car il est clair que l’anonymat demeure entre les paires.

Imaginons qu’un père souhaite donner un rein à son fils, mais qu’il n’est pas compatible. Il entre alors dans un processus de dons croisés, c’est-à-dire qu’il va lui-même donner un rein à une personne avec laquelle il est compatible et, par croisement, son propre fils recevra le rein d’un autre donneur compatible. Mais les identités des deux paires ne sont pas révélées, il n’y a pas de rupture de l’anonymat. Par conséquent, le risque de marchandisation que vous évoquiez tout à l’heure n’est pas nécessairement accru.

M. Thibault Bazin. Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Et je n’ai pas parlé de l’anonymat mais de la gratuité du don.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Accroître le nombre de croisements possibles augmente seulement la probabilité de trouver un greffon compatible pour un enfant, mais ne change rien à nos critères éthiques qui avaient été respectés pour le don croisé avec deux paires. Il n’y a pas plus ou moins d’échanges. Certes, il y a un risque plus élevé de rupture de la chaîne, mais ce n’est pas grave, car au pire, si un donneur se rétracte, celui qui attend le greffon étant en dialyse il ne meurt pas et il devient prioritaire sur la liste de greffes à partir d’un donneur décédé. Vous augmentez simplement le nombre de greffons disponibles dont on sait qu’ils sont en diminution sur les donneurs décédés et qu’ils vont continuer à baisser puisque nous prenons de mieux en mieux en charge les accidents vasculaires cérébraux, les infarctus et qu’il y a de moins en moins d’accidents de voiture, ce dont on peut se réjouir. Augmenter le nombre de paires ne change donc absolument rien aux principes éthiques qui avaient été préservés lors du don croisé. Le seul risque est celui de la rupture de chaîne. C’est une question de probabilité.

La commission rejette l’amendement n° 958.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels n° 2146 et n° 2147, du rapporteur.

La commission est saisie de l’amendement n° 621 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Organiser les prélèvements sur une durée de vingt-quatre heures, comme le prévoit le projet de loi, fait courir le risque d’une révocation du consentement d’un donneur alors que le receveur de la paire à laquelle il appartient aura déjà été greffé ou peut, au contraire, l’empêcher de se rétracter alors qu’il le souhaiterait. L’organisation simultanée est donc, de ce double point de vue, une garantie supplémentaire. C’est la raison pour laquelle l’amendement vise à maintenir l’obligation d’organiser simultanément les opérations de prélèvement et de greffes dans le cadre d’un don croisé.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je comprends tout à fait votre raisonnement et la logique de votre argumentation, mais en maintenant la condition de simultanéité prévue actuellement dans la loi, il ne serait pas possible de passer à une chaîne de quatre paires. C’est la raison pour laquelle je ne peux qu’émettre un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 621.

Elle est saisie de l’amendement n° 574 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Tel qu’il est rédigé, l’article 5 tend à faire penser que l’anonymat pourrait être garanti entre donneur et receveur d’une même paire, ce qui est impossible. C’est pourquoi Mme Genevard propose d’insérer, après le mot : « receveur », les mots : « de paires différentes ».

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le respect de l’anonymat du don d’organes est un principe absolu. À cet égard, le texte est très clair puisqu’il est écrit que : « L’anonymat entre donneur et receveur est garanti. » J’insiste sur ce que j’ai dit tout à l’heure, à savoir que l’anonymat est garanti entre les donneurs et les receveurs des différentes paires, sachant qu’il est évident qu’il n’y a pas d’anonymat à l’intérieur de la même paire entre un père et son fils. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 574.

Puis elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

La commission examine l’amendement n° 945 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement prévoit de dispenser l’information sur le don d’organes en classe de troisième et pendant les années de lycée.

En discutant avec les services concernés, j’ai pu constater que l’obligation pour les médecins généralistes d’informer leurs patients de 16 à 25 ans, que prévoit la loi de 2004, n’était pas effective. Il est en effet difficile que le médecin s’assure des connaissances du patient lors d’une consultation. De plus, à cet âge, les jeunes ne consultent pas forcément un généraliste. Cette occasion n’est donc pas optimale pour diffuser les modalités de consentement du don.

Si nous souhaitons que chacun prenne conscience de l’existence d’un registre des donneurs et donne un réel consentement, nous devons nous assurer que les jeunes disposent de l’information sur le don d’organes. Le dispositif prévu à l'heure actuelle n’étant pas opérant, une information en amont, dispensée par le personnel de l’éducation nationale, serait préférable.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Il faut très probablement réfléchir à la façon d’améliorer cette communication, qui n’est pas optimale. L’information sur le don d’organes pourrait entrer dans le champ des missions de sensibilisation de l’école, bien que l’on veuille faire porter beaucoup à cette dernière.

Aujourd'hui, je le rappelle, la question relève des compétences de l’Agence de la biomédecine, qui organise des campagnes de sensibilisation.

Par ailleurs, si j’entends que les médecins sont très sollicités, ils apparaissent comme les professionnels les plus à même de diffuser une information utile et éclairante sur le don d’organes.

Je rappelle enfin qu’une telle information est prévue dans le cadre des journées défense et citoyenneté. Il semble donc qu’il existe déjà plusieurs dispositifs, peut-être insuffisants. C'est pourquoi je donnerai un avis défavorable à cet amendement.

M. Thibault Bazin. Vérifier le consentement des personnes est essentiel. Aujourd'hui, les jeunes ne sont pas informés de l’existence du registre. Les médecins libéraux, qui assument de nombreuses responsabilités, ne trouvent pas toujours le moment opportun pour aborder ce sujet avec eux lors d’une consultation. Au contraire, l’enseignant de sciences de la vie pourrait présenter cette thématique, de manière très pédagogique, lors d’un cours sur les organes.

Cela me semble bien plus approprié que de donner des informations sur le don d’organes lors de la journée défense et citoyenneté, ce qui, comme j’ai pu le constater, manque vraiment de sérieux.

Le recueil du consentement, un de nos principes éthiques, pose de vraies questions. Donnons-nous les moyens d’évoquer cette thématique, qui n’est pas évidente, avec toute une classe d’âge, en troisième.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Cela ne rassurera pas complètement M. Bazin, mais le dossier médical partagé (DMP) comprend une phrase attestant que le médecin généraliste a donné l’information sur l’existence du registre national des refus de dons d’organes. Le formulaire rappelle donc au médecin qui remplit un DMP avec son patient qu’il est censé l’informer de l’existence de ce registre.

M. Thibault Bazin. Certes, mais combien de jeunes prennent rendez-vous avec un généraliste pour ouvrir un tel dossier ?

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Il ne faut pas réduire la question de l’information sur le don d’organes aux seuls jeunes car la proportion des Français conscients qu’ils sont supposés consentir au don d’organes est certainement très faible. Vous avez donc raison sur la nécessité de communiquer, mais il faut imaginer dispenser cette information de manière large et massive.

La commission rejette l’amendement n° 945.

Puis elle examine l’amendement n° 1276 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard. Je retire cet amendement car il est satisfait.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1294 de Mme Josiane Corneloup.

M. Thibault Bazin. Cet amendement introduit des sanctions plus dissuasives en matière de trafic d’organes.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Plusieurs amendements traitent de ce sujet, qui nous préoccupe tous. La lutte contre le tourisme de transplantation ne relève pas à proprement parler du champ de la bioéthique, qui doit plutôt articuler les avancées de la science et les interrogations que celles-ci posent en matière éthique. Les incriminations pénales permettent de faire respecter ces grands principes mais l’aggravation des peines ne relève pas de la bioéthique. Pour cette raison de principe, j’émettrai un avis défavorable.

Le débat sur ce sujet important est ailleurs : il y a incontestablement matière à légiférer, mais pas à cet instant ni dans ce cadre. De plus, des dispositions pénales complètes et précises existent déjà.

M. Patrick Hetzel. Ce premier argument est problématique : l’extension de la PMA ne relève pas non plus de la bioéthique, puisque c'est un sujet sociétal…

Cela étant, l’amendement prévoit bien d’inscrire ces sanctions dans le code pénal. Si la garde des Sceaux était présente, nous pourrions lui rappeler que, selon un rapport du Sénat paru il y a quelques mois, la moitié des amendes pénales ne sont pas recouvrées. Cela pose problème : le Parlement vote des sanctions et la justice prend des décisions, qui ne sont pas exécutées par la suite.

M. Thibault Bazin. La non-marchandisation du corps humain ainsi que le respect de la dignité de la personne et de ses éléments sont bien des sujets de bioéthique. Cette proposition n’est donc pas hors sujet mais très concrète.

Si notre législation condamne naturellement le trafic d’organes, mais mentionne un paiement, l’amendement, lui, évoque un « profit ou avantage comparable », comme lorsque ceux qui font du tourisme procréatif recherchent des intermédiaires.

Cette proposition assez fine mérite une attention redoublée de notre part. Elle ne doit pas être balayée, malgré l’heure à laquelle nous l’étudions.

M. Jean-Louis Touraine. Il s’agit non pas de tourisme procréatif mais de tourisme de transplantation.

La commission rejette l’amendement n° 1294.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1296 de Mme Josiane Corneloup.

La commission examine l’amendement n° 1297 de Mme Josiane Corneloup.

M. Thibault Bazin. Il s’agit toujours de lutter contre le tourisme de transplantation.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1297.

Elle est saisie de l’amendement n° 1295 de Mme Josiane Corneloup.

M. Thibault Bazin. L’amendement définit le quantum approprié des peines.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1295.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1304 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement répond aux questions qui peuvent émerger s’agissant de l’utilisation des réseaux sociaux et de communication pour établir des registres parallèles de donneurs et de receveurs, qui pourraient déboucher sur certaines pressions et mises en cause de la logique du don.

Bien qu’il ne soit peut-être pas entièrement abouti, il a du moins le mérite de poser la question.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Même avis que pour les amendements précédents, pour les mêmes raisons.

La commission rejette l’amendement n° 1304.

La commission est saisie des amendements identiques n° 358 de M. Patrick Hetzel et n° 922 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’objectif est d’inscrire la mention « donneur d’organes » dans le dossier médical partagé et sur la carte Vitale. Cela constituerait un moyen efficace d’informer sur le souhait des personnes.

M. Thibault Bazin. Si, comme la ministre l’a souligné, le médecin généraliste échange des informations sur le don d’organes avec son patient, il peut aussi cocher une case « donneur d’organes » dans le DMP, le cas échéant. Cela revient à faire d’une pierre deux coups.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Mme la ministre l’a dit, depuis la loi de modernisation de notre système de santé, le dossier médical partagé contient un volet sur le don d’organes. Par conséquent, l’intention des amendements est satisfaite.

Par ailleurs, je le répète, depuis la loi Caillavet, toute personne est supposée consentir au prélèvement d’organes. Que nous le disions ou pas, nous sommes tous consentants.

Aussi, je vous suggère de retirer ces amendements. À défaut, j’y serai défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Une telle proposition n’a pas de sens : il faut absolument faire reposer le refus du don sur le registre national des refus de l’Agence de bioéthique, seule instance organisée pour centraliser les refus.

En effet, une personne, donneuse d’organes sur sa carte Vitale, qui décide finalement de s’y opposer, ne contactera pas spontanément la Caisse nationale d’assurance maladie pour modifier sa carte Vitale. Sur le registre des refus elle peut, en temps réel, accepter ou supprimer un refus.

Parce que les personnes peuvent changer d’avis, le registre doit être dynamique. C'est pourquoi nous ne souhaitons absolument pas diffuser cette information ailleurs, pas même dans le dossier médical partagé.

Les amendements n° 358 et n° 922 sont retirés.

La commission examine l’amendement n° 1906 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Cet amendement a pour objectif d’augmenter le nombre de donneurs en France et d’accroître l’information sur le don d’organes. Il vise à intégrer cette question au modèle proposé par le Conseil d’État dans le cadre des directives anticipées sur la fin de vie. Dans un tel cas, le patient et potentiel donneur serait informé du don d’organes et du consentement présumé, qui, selon le rapport du CCNE, n’est pas opérationnel.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement, incontestablement inspiré par une grande sincérité, viendrait plutôt alourdir un principe qui, aujourd'hui est simple et compréhensible. Toute personne est supposée consentir au don d’organes ; dans le cas contraire, elle doit s’inscrire sur le registre national des refus. Mieux vaut s’en tenir à l’existant plutôt que d’ajouter un dispositif qui serait porteur d’une forme de contradiction.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Ce sujet a été discuté lorsque la Haute autorité de santé a rédigé un guide sur les directives anticipées, afin d’apprendre aux Français à les remplir. Nous avons pourtant refusé de faire figurer la moindre information sur le don d’organes dans les directives anticipées, car ce sont deux sujets différents.

Le fait de lier les directives anticipées au don d’organes est en effet paru malvenu car il laisserait à penser aux Français qu’il faut favoriser le non-acharnement thérapeutique pour disposer de davantage de greffons. Il a semblé que cela pouvait donner une image erronée de ce que doit être l’accompagnement d’une fin de vie.

Les deux sujets ont donc été clairement dissociés. Le registre national des refus de l’Agence de la biomédecine est donc bien le seul endroit où l’information doit figurer. Quant au DMP, il doit seulement inciter le médecin généraliste à donner l’information, non comprendre la mention de l’acceptation ou du refus du don.

Mme Laurianne Rossi. Au regard des précisions qui viennent d’être apportées, je retire l’amendement.

L’amendement n° 1906 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 1897 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Cet amendement, qui rejoint celui qu’a défendu M. Bazin précédemment, concerne l’article du code de la santé publique prévoyant que les médecins assurent une information sur le don d’organes aux patients âgés de 16 à 25 ans. Considérant qu’il est inutile d’être restrictif en la matière, je vous propose de supprimer la limite d’âge supérieure.

Lever cette limite d’âge permettrait de sensibiliser davantage les Français, tout au long de la vie. Le site du ministère des solidarités et de la santé indique en effet que, selon une étude datant de juin dernier, seuls 24 % des Français connaissent la loi relative au don d’organes.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Un médecin ne s’intéresse pas nécessairement à l’âge de son patient lorsqu’il s’agit d’évoquer le don d’organes.

De plus, si j’entends la nécessité de ne pas s’en tenir à cette limite d’âge, je répète que l’Agence de la biomédecine est censée mener des campagnes massives auprès des Français pour les sensibiliser à ces questions.

Mon avis sera donc plutôt défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Cette limite avait été pensée pour sensibiliser les jeunes.

En réalité, je suis d’accord avec vous, Madame Rossi, autant sensibiliser tout le monde. Je serai donc plutôt favorable à la levée de la borne d’âge supérieure et à inscrire « au moins 16 ans » dans le code de la santé publique.

M. Thibault Bazin. Je le redis, le dispositif actuel, qui fait reposer l’information sur les médecins, n’est pas opérant. Les médecins généralistes, qui ont beaucoup à faire, demandent à se concentrer sur leurs missions.

Élargir le nombre des personnes concernées ne fera pas fonctionner mieux le dispositif. Cherchons-en un autre. Nous devons procéder différemment pour satisfaire cet enjeu de communication.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. La tranche d’âge visée se rend très peu chez le médecin. Les consultations obligatoires s’étalent jusqu’à 17 ans, mais ces moments d’échange visent des personnes un peu trop jeunes pour aborder les questions relatives au don d’organes. Quant à la tranche d’âge des 18 à 25 ans, elle est celle qui consomme le moins de soins médicaux.

Nous avons mis en place le service sanitaire, où des étudiants en santé parlent de santé publique. On peut imaginer d’intégrer à ce cadre des messages de santé publique autour du don d’organes dans les informations fournies au collège ou au lycée.

Comme vous, j’estime que le médecin généraliste n’a pas que cela à faire. Mais l’obligation d’information est inscrite dans la loi. Il serait dommage de supprimer les discussions que les généralistes ont avec leur patientèle sur le refus de don. Si l’on conserve l’information par le généraliste, je pense, comme Mme Rossi, que cette information peut être donnée à tout adulte, et pas seulement à des personnes âgées de 16 à 25 ans.

La commission adopte l’amendement n° 1897.

Elle est saisie des amendements identiques n° 361 de M. Patrick Hetzel et n° 925 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement vise à compléter le code de santé publique par l’alinéa suivant : « L’Agence de la biomédecine réalise une enquête annuelle auprès des équipes françaises de greffe afin de déterminer combien de leurs patients ont eu recours au commerce de transplantation d’organe à l’étranger. »

L’information, assez facile à quantifier dans la mesure où certaines personnes inscrites sur les listes d’attente de greffes se retirent, permettrait d’éclairer cette thématique.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Ces amendements sont satisfaits car des enquêtes sont réalisées tous les deux ans sur ce sujet.

La commission rejette les amendements n° 361 et n° 925.

Puis elle examine les amendements identiques n° 356 de M. Patrick Hetzel et n° 920 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Dans le même esprit, l’amendement n° 356 vise à obtenir des informations plus précises.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le tourisme de transplantation a déjà été évoqué. Nous rappelons que les personnes qui partent à l’étranger pour obtenir un greffon se mettent en danger. Il est important de sensibiliser nos concitoyens à ces pratiques.

Par ailleurs, la lutte contre le trafic d’organes relève non pas du système de santé mais de la police et de la justice. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 356 et n° 920.

Elle en vient à l’amendement n° 1279 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable. La fonction des « coordinateurs de prélèvements » n’est pas claire. Par ailleurs, un donneur et sa famille ne sont pas dans l’isolement comme l’exposé sommaire le laisse supposer.

La commission rejette l’amendement n° 1279.

Elle examine l’amendement n° 942 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement et les deux suivants sont issus d’un retour du terrain et visent à améliorer le dispositif actuel.

Actuellement, un jeune peut s’inscrire sur le registre national des refus à partir de 13 ans, soit par internet, soit par courrier postal, ou indiquer son refus à ses parents, qui le transmettront. Il règne cependant un flou sur la période allant de 13 à 18 ans puisque, jusqu’à 18 ans, une autorisation écrite des deux parents est nécessaire pour le don.

Compte tenu des dispositions en vigueur pour les personnes mineures, de l’importance de cette inscription et de la maturité associée à cette tranche d’âge, et dans un souci de clarification, il conviendrait de repousser à 18 ans l’âge auquel cette inscription sur le registre est possible.

Cet amendement vise donc à considérer que tout majeur est un donneur potentiel mais que ce n’est pas le cas pour les personnes mineures, auxquelles s’appliquent les dispositions de l’article L. 1232-2.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. La règle qui prévaut actuellement semble plutôt équilibrée car un refus n’engage pas. Il est souhaitable qu’un jeune puisse décider très tôt, et seul, de son refus et de son inscription sur le registre national, quitte, bien entendu, à revenir sur sa décision quand il le souhaite. En revanche, un don engage.

En vertu des principes généraux du droit de la santé, les mineurs sont placés sous l’autorité de leurs parents. C'est donc l’âge de 18 ans qui déclenche leur autonomie et capacité à décider.

La différence de traitement s’explique ainsi et me semble cohérente. C'est pourquoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je partage pleinement l’avis du rapporteur. Le dispositif laisse au jeune l’autonomie de s’inscrire sur le registre des refus. S’il décède alors que son refus est enregistré, le prélèvement s’arrête. Les parents ne peuvent pas autoriser le don, ce qui signifie que leur volonté ne s’impose pas sur celle de leur enfant mineur. C'est là une belle mesure.

À l’inverse, si le mineur n’est pas inscrit sur le registre des refus, les parents doivent donner leur consentement.

Votre amendement, Monsieur Bazin, aboutirait à ce que la parole des parents, pour le don comme pour le refus, soit toujours supérieure à celle de l’enfant, contrairement au dispositif, qui fait primer la volonté de l’enfant lorsqu’il a exprimé son refus.

La commission rejette l’amendement n° 942.

Elle examine ensuite l’amendement n° 943 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Depuis 2014, en France, il est possible de prélever les patients relevant du protocole Maastricht III, pour lesquels une limitation ou un arrêt programmé des thérapeutiques ont été décidés, en raison du pronostic des pathologies ayant conduit à une prise en charge en réanimation. L’arrêt cardiaque du patient est provoqué par l’arrêt des traitements, dont font partie l’alimentation et l’hydratation artificielles, et permet le prélèvement d’organes.

Compte tenu de l’importance du facteur temps dans la chaîne du don, il convient de permettre la consultation du registre national des refus pour les personnes qui relèvent de Maastricht III, sachant que leur décès est très proche.

Cet amendement subtil permettrait d’améliorer le dispositif.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Mme la ministre souhaitera certainement s’exprimer sur ce sujet.

Cette proposition viendrait déroger à un principe important selon lequel le registre ne peut être consulté qu’après le décès, une disposition qui doit être préservée. Le Comité consultatif national d’éthique a établi une séparation très stricte entre l’équipe qui décide de l’arrêt des traitements et celle qui prélèvera les organes. Nous ne souhaitons pas abolir cette frontière, certes symbolique, mais extrêmement importante, en raison des risques qui peuvent exister, notamment de penser que l’on peut cesser les soins pour prélever des organes, si aucun refus n’a été exprimé.

M. Thibault Bazin. Étant soucieux de l’effectivité de nos principes éthiques, je retire cet amendement.

L’amendement n° 943 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 944 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Lorsque des donneurs potentiels non Français ont en leur possession une carte de donneur, par exemple lors d’un accident de voiture, la première obligation prévue est de consulter le registre national des refus. Celui-ci ne peut pourtant pas contenir le nom de ces personnes, du fait de leur nationalité.

Cet amendement vise à éviter cette démarche car le facteur temps est important dans la chaîne du don d’organes. Comme cela se pratique dans certains pays, les personnes visées, des donneurs potentiels non Français, portent sur elles une carte de donneur d’organes.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Monsieur Bazin, vous pourriez participer au concours Lépine des amendements ! (Sourires.) Il me semble que vous êtes allé chercher celui-ci très loin. Pourtant, l’avis sera toujours défavorable.

Ce n’est pas l’obligation de nationalité mais celle de résidence qui ouvre droit à l’inscription sur le registre national des refus. Par conséquent, la démarche de consultation n’est pas inutile car l’accidenté peut, tout en étant étranger, être résident en France et inscrit sur le registre. Pour l’étranger non résident, le droit de son pays s’applique.

M. Thibault Bazin. Je retire cet amendement, pour le retravailler. Mon but n’est pas de déposer gratuitement des amendements mais de transmettre les propositions d’améliorations des services qui ont rencontré certains cas particuliers. Le contexte de pénurie de dons entraîne une réelle frustration. Il existe de moins en moins de personnes qui entrent dans les cas où le prélèvement d’organes est possible.

Ces amendements visent donc à améliorer le dispositif.

L’amendement n° 944 est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement n° 1293 de Mme Josiane Corneloup.

M. Thibault Bazin. Il est juste défendu, compte tenu de l’heure et de l’ampleur des sujets qui nous attendent.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1293.

Puis, suivant encore l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 1305 de Mme Elsa Faucillon.

Elle est saisie de l’amendement n° 1275 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement vise à établir par décret la liste des pays dans lesquels la réalisation d’une transplantation d’organe ne déclenche pas le remboursement du suivi médical post-opératoire en France.

Cette liste, conçue sur le modèle de celle des paradis fiscaux, devrait à terme être établie à l’échelon européen. Il s’agit là bien évidemment de lutter contre le trafic d’organes, qui est actuellement en pleine expansion.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable. Si des personnes se mettent en danger en réalisant une opération de greffe à l’étranger, notre devoir est de les prendre en charge, non de les juger.

La commission rejette l’amendement n° 1275.

Elle examine l’amendement n° 1697 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Cet amendement est assez comparable à celui que M. Bazin vient de défendre, bien qu’il aille beaucoup moins loin.

La plupart des prélèvements d’organes sur sujets décédés s’effectuent sur des donneurs en état de mort encéphalique. Certains patients, pourtant, sont prélevés alors qu’ils subissent un arrêt cardiaque, notamment programmé, d’après le protocole Maastricht III. Ce dispositif portant sur un sujet très sensible, il a été mis en place de façon très encadrée et progressive par l’Agence de la biomédecine, avec une grande prudence. En effet, l’arrêt cardiaque programmé laisse prévoir un moment où le prélèvement sera réalisable.

Les équipes qui réalisent ces prélèvements dans le cadre de Maastricht III ont indiqué de manière répétée la grande difficulté qu’elles rencontraient à ne connaître l’état de l’inscription sur le registre national des refus que très tardivement, après que le décès a été déclaré. Le prélèvement d’organes est alors réalisé dans des conditions difficiles.

Il ne s’agit pas là de permettre une consultation anticipée du registre – M. le rapporteur a bien résumé les risques que celle-ci peut faire courir –, mais simplement de solliciter que les modalités de consultation du registre soient étudiées. Une fois l’étude menée, un rapport serait fourni nous permettant, avec l’avis de la CNIL, de savoir quand et comment améliorer la pratique de ces prélèvements.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Les réserves que j’ai indiquées à M. Bazin demeurent évidemment. Cependant, l’amendement ayant pour objectif de réaliser une étude afin d’améliorer l’existant, j’émettrai un avis de sagesse.

M. Pierre Dharréville. Ce registre est-il plus accessible que le site internet pour signer la pétition contre la privatisation d’Aéroports de Paris ? (Sourires.)

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. La remarque de politique politicienne de M. Dharréville, à deux heures du matin, au sujet des donneurs Maastricht III, est pour le moins surprenante. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement et propose à M. Jean-Louis Touraine de le retirer. En vertu d’un décret en Conseil d’État, le registre ne peut pas être consulté avant le décès des personnes. Même une étude ne nous semble pas aller dans le bon sens.

M. Jean-Louis Touraine. Je maintiens toutefois l’amendement car j’ai été sollicité sur ce point par les équipes de prélèvement.

La commission rejette l’amendement n° 1697.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, il nous reste 850 amendements à examiner.

 

 

 

 

 

 


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Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 9 heures 30 ([10])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique. Il nous reste 848 amendements à examiner et nous en arrivons à l’article 6.

Article 6
Extension du bénéfice d’un prélèvement de cellules-souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé à ses parents pour accroître
les possibilités de greffes intrafamiliales en l’absence
d’autre alternative thérapeutique

La commission examine l’amendement n° 622 de Mme Annie Genevard.

M. Thibault Bazin. L’amendement est défendu.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement  622.

Puis elle examine l’amendement n° 2067 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. L’article 6 permet d’étendre la possibilité de greffe de cellules souches dans le cadre intrafamilial, en particulier auprès des enfants et des majeurs protégés.

Je suis assez favorable au principe. Mais, en l’état actuel de la rédaction du projet de loi, il n’y a pas de limite s’agissant des enfants, en particulier pas de limite d’âge. Ma proposition d’en fixer une à seize ans n’est peut-être pas adéquate, mais mon amendement a avant tout pour but de poser la question.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je me suis moi aussi longtemps posé la question. Personnellement, j’avais aussi la tentation d’introduire dans la loi cette limite d’âge. Mais à la suite des auditions et de tout ce que j’ai pu lire, je suis revenu sur cette idée : le plus efficace est d’en rester à un examen au cas par cas. Car le critère d’âge n’est pas pertinent en la matière ; il faut apprécier un certain nombre d’autres critères, tels le degré de maturité, l’état de santé du donneur, sa corpulence, sa volumétrie sanguine, etc. On peut parfaitement imaginer qu’un mineur pratiquement majeur, à dix-sept ans et dix mois, ne soit pas éligible au vu de ces critères, alors que quelqu’un qui serait beaucoup plus jeune y répondrait. De ce fait, introduire un critère d’âge peut évacuer un certain nombre de donneurs potentiels, alors que rien ne s’opposerait à un don de leur part, et a contrario, introduire dans la mécanique des candidats qui, vérification faite, devront être finalement écartés au vu des autres critères. Je suis donc défavorable à l’introduction de ce critère d’âge et je vous suggère de retirer votre amendement.

M. Thibault Bazin. Madame la présidente, je ne comprends pas pourquoi mon amendement n° 961, quasiment identique, à ceci près qu’il s’insère à deux endroits du texte, n’est pas en discussion commune avec celui-ci, dans la mesure où je propose également une limitation à seize ans. Le principe du consentement libre et éclairé se comprend parfaitement, surtout chez un mineur de dix-sept ans et quelques mois, mais encore faut-il qu’il soit totalement en capacité de l’exprimer. Je crois qu’il convient tout de même de limiter cette ouverture. Examen au cas par cas, oui, mais n’oublions pas que la loi est également là pour protéger les plus vulnérables. Seize ans me paraissaient une limite raisonnable.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Votre amendement n’est pas en discussion commune par le fait qu’il propose une insertion à l’alinéa 6, et celui‑ci à l’alinéa 2.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Permettez-moi de vous proposer une vision générale du problème. Les mineurs donnent déjà pour leur frère ou leur sœur : il n’y a donc pas de limite d’âge. La situation est toujours évaluée par une équipe pluridisciplinaire, indépendante de l’équipe qui suit le malade. Cette dernière précaution a été introduite dans les bonnes pratiques en greffe de moelle, depuis une vingtaine d’années déjà : ainsi, la personne qui évalue la capacité au don du donneur est totalement indépendante de la prise en charge du malade, afin d’éviter l’exercice de pressions.

En outre, en vue d’un don de moelle, l’accord est toujours donné au tribunal de grande instance : il y a toujours un juge qui évalue la situation de la famille. Dans cette appréciation, l’âge n’a pas de pertinence : si vous êtes en présence d’un donneur de seize ans, dont le poids est faible, alors que le parent malade est obèse, vous savez très bien que la quantité de moelle que vous allez devoir retirer pour greffer l’adulte ne sera jamais suffisante, sous peine d’entraîner des problèmes chez le donneur. À l’inverse, avec un jeune de treize ans et même de dix et un adulte de petite taille, la chose sera possible, si tant est que l’on est assuré de la compatibilité du donneur et sa capacité à donner son accord. Mais il faut aussi évaluer toute une série d’autres critères : que les sérologies virales, le poids, etc. Je comprends que fixer un critère d’âge puisse rassurer relativement à la capacité du jeune à donner son consentement ; mais d’ores et déjà, des prélèvements sont d’ores effectués sur des jeunes de trois ou quatre ans pour greffer un membre de la fratrie, auquel cas ce sont les parents qui sont la tutelle.

M. Xavier Breton. Mon amendement n° 483, que nous devions examiner plus loin, propose également une limite à seize ans. Nous devons effectivement être prudents sur ces questions. Ayant bien entendu les explications de madame la ministre et de notre rapporteur, je vais le retirer.

L’amendement n° 2067 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1717 de Mme Marie-Noëlle Battistel.

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’article 310 du code civil dispose que « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère ». Le projet de loi supprime la notion de père et mère dans ce qui a vocation à devenir un article chapeau du code civil et la remplace par celle de parents.

Cet amendement, proposé par la délégation aux droits des femmes, a donc pour objet, par cohérence, de corriger les mentions de père et de mère dans la rédaction de l’article 6.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Sur le fond, ce changement paraît évidemment souhaitable : la mise en cohérence de nos codes est une nécessité. Pourtant, d’un point de vue strictement pratique, il semble difficile de toiletter le code de la santé publique par petits bouts en s’en tenant qu’à ces seules dispositions. Il serait préférable de balayer plutôt l’ensemble. Demande de retrait.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans la mesure où cet amendement vous est présenté au nom de la délégation aux droits des femmes, je le maintiens.

La commission rejette l’amendement n° 1717.

L’amendement n° 483 de M. Xavier Breton est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 959 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, j’ai bien compris votre argumentation relativement à la limite d’âge pour les dons de moelle, mais vous propose néanmoins de mettre un verrou, ou un garde-fou, dans le projet de loi, en ne prévoyant cette mesure qu’à titre expérimental, pour une durée de trois ans suivie d’une évaluation. Cela permettrait notamment de bien vérifier les conditions du consentement.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Premièrement, introduire une disposition prévoyant une mesure à titre expérimental dans un article codifié, contribue à faire perdre sa force à la codification : ce n’est pas de bonne pratique.

Deuxièmement, le prélèvement sur mineur reste vraiment l’exception ; il n’est pratiqué qu’en dernier recours. Lorsqu’il s’agit de procéder à un don aux parents, on commence systématiquement par rechercher un majeur suffisamment compatible.

Enfin, je rappelle qu’il existe déjà de nombreux garde-fous dans la loi. Le don de cellules-souches hématopoïétiques est déjà possible. Il ne doit y avoir aucun risque pour les mineurs : c’est déjà inscrit très clairement dans la loi. De même, tous les moyens devront d’abord avoir été mis en œuvre pour trouver un donneur majeur suffisamment compatible ; c’est également inscrit, tout comme l’information du mineur et la participation du juge. On peut donc estimer que l’arsenal législatif comporte déjà suffisamment de garde-fous.

C’est pourquoi j’émettrai un avis défavorable, considérant que cette expérimentation n’apporterait rien de significatif.

M. Pascal Brindeau. Et pourtant, l’alinéa 5 de l’article 6 fait bel et bien état des « risques encourus par le mineur »… C’est donc bien que l’on considère que certaines pratiques peuvent présenter un danger pour le mineur. C’est pourquoi nous nous interrogeons sur les conditions de son consentement libre et éclairé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Le risque encouru est celui qui est inhérent à une anesthésie générale. On est bien obligé d’en faire état, même s’il est faible. On doit aussi expliquer au mineur qu’il pourra avoir un peu mal à l’endroit des prélèvements, d’avoir des bleus… La procédure doit être expliquée dans son entièreté.

Des garde-fous importants ont été mis en place : ainsi l’enfant donneur sera représenté au tribunal de grande instance non par ses parents, mais par un administrateur ad hoc désigné par le juge. Cet administrateur prendra en compte les bénéfices et les risques pour l’ensemble de la procédure.

Enfin, l’Agence de la biomédecine a désormais l’arsenal de moyens nécessaires pour suivre ce type de greffe et en faire figurer explicitement le résultat dans son rapport d’activité. Il faut bien voir qu’il s’agit de greffes de dernier recours, et très rares : moins d’une dizaine par an. On ne tirerait donc pas grand-chose d’une expérimentation. Mieux vaut suivre, le nombre et l’efficacité des greffes dans le rapport d’activité de l’agence : vous pourrez, année après année, en mesurer l’efficacité.

La commission rejette l’amendement n° 959.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 961 et n° 960 de M. Thibault Bazin, ainsi que l’amendement  1536 de M. Bruno Fuchs.

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, vous m’avez convaincu hier de retenir l’âge de treize ans comme l’âge où les mineurs sont assez autonomes pour exprimer leur refus d’être inscrit sur le registre national des donneurs.

La possibilité de se tourner vers des mineurs dont l’âge est beaucoup moins élevé peut tout de même inquiéter. Je vous propose, par cet amendement, de fixer aussi à treize ans l’âge minimum pour un don de moelle. Vous êtes beaucoup plus spécialiste que moi de ce sujet, mais je persiste à croire que, même si c’est aussi une question de croissance et de capacité à pouvoir être bien pris en charge, il serait tout de même prudent de respecter une limite minimale, comme le proposent mes amendements n° 961 et n° 960.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. C’est le juge qui apprécie la capacité du consentement, indépendamment de cette limite d’âge. Pour ma part, je serais tenté de donner un avis favorable à votre demande, Monsieur le député, mais je ne suis pas plus spécialiste que vous… Peut-être la ministre vous convaincra-t-elle, comme hier, du contraire ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. On touche vraiment, ici, à l’éthique pure et dure : ce n’est même pas une histoire de spécialistes. Nous parlons de situations où un jeune parent est atteint d’une leucémie aiguë et que son groupe tissulaire est extrêmement rare, de sorte qu’on sait qu’on n’en trouvera pas dans le fichier. Il n’a pas non plus de frères et sœurs.

Il s’agit de situations exceptionnelles dans la mesure où l’on dispose désormais de fichiers très larges. Mais, pour certaines personnes originaires d’Indonésie ou d’Afrique centrale, ou issues d’origines géographiques différentes, comme dans le cas où le patient aurait un parent asiatique et un autre parent originaire d’Amérique du Sud, le médecin sait d’avance que ce croisement va donner une combinaison de groupes tissulaires très rare, pour laquelle il a peu de chances de trouver un donneur dans le registre international.

Dans cette situation, où un parent court le risque de mourir, au vu du pronostic de la maladie, le médecin peut constater qu’un enfant est compatible. En retenant votre amendement, nous fixerions une barrière d’âge qui ferait que, dans cette famille, alors qu’on aurait pu sauver la mère, cela ne serait plus possible. Imaginons le cas d’une fratrie d’enfants âgés de sept à quinze ans, dont l’un serait par chance compatible avec sa mère, mais n’aurait que dix ans, et non treize… Et vous savez que c’est le seul moyen de sauver la mère !

Fixer une barrière d’âge serait insupportable pour tout le monde, non seulement pour l’équipe médicale, mais même pour cette famille. Comment pourraitelle le vivre ? Limiter à treize ans aurait peut-être du sens en termes de discernement, mais non en termes de capacité à donner de la moelle : on prélève régulièrement, en pédiatrie, des enfants de cinq ou six ans pour un frère ou une sœur.

Plutôt qu’une représentation de l’enfant par les parents devant le juge, nous défendons l’idée d’un administrateur ad hoc désigné pour évaluer le bénéfice et le risque. Fixer d’avance une barrière créerait au contraire des situations atroces et insupportables, non seulement pour les équipes médicales, mais aussi à l’intérieur même de la famille : comment les enfants vont se voir les uns les autres ?

M. Bruno Fuchs. Je vous remercie de me laisser une chance d’apporter une contribution à l’argumentation de Monsieur Bazin à ce stade de la discussion. Puisque le raisonnement a déjà été tenu pour une limitation à seize ans, je ne vais pas rallonger le débat. La réponse de la ministre me satisfait et je vais retirer mon amendement n° 1536.

M. Thibault Bazin. Je retire les miens aussi. Mais j’aimerais savoir, au sujet de ces dons entre frères et sœurs, s’il y a tout de même un âge minimum. Vous parlez de cinq ou six, mais arrive-t-il d’aller en dessous ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Oui, cela arrive, parce que le critère déterminant est celui du poids : il faut que l’enfant ait un poids suffisant pour que la quantité de moelle qu’on prélève soit suffisante pour que la greffe prenne. S’il vous fallait greffer un enfant leucémique de trois ans, vous pourriez tout à fait prélever chez un enfant de deux ans : en termes de volume de moelle prélevée, ce dont vous avez besoin pour greffer un enfant de trois ans est tout à fait compatible avec un prélèvement chez un enfant de deux ans et cela se pratique au quotidien dans les équipes de pédiatrie, et même chez des enfants beaucoup plus petits.

Dans ce projet de loi, nous avons souhaité que l’accord ne soit plus donné par les parents, mais par un administrateur désigné par le juge. Nous n’avons jamais considéré que le consentement libre et éclairé de l’enfant, assorti d’un âge limite, devait figurer dans la loi : on ne serait plus capable de greffer des enfants en pédiatrie.

Les amendements n° 961, n° 960 et n° 1536 sont retirés.

Puis la commission adopte les amendements rédactionnels n° 2148 et n° 2149 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement n° 962 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je vous propose qu’un délai de réflexion d’une semaine à un mois soit prévu.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. D’une semaine à un mois, ce n’est guère précis… Mais je comprends la difficulté de l’être davantage. Outre les garde-fous, qui ont été détaillés assez longuement, la procédure elle-même intègre le temps de la réflexion nécessaire ; d’une certaine façon, ce que vous proposez est déjà par ce biais satisfait.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Entre le moment où vous typez les groupes tissulaires de l’enfant et celui où vous achevez tous les examens ultérieurs menés pour vérifier qu’il est en capacité d’avoir une anesthésie générale, il y a, de toute façon, un délai quasi incompressible de quinze jours. En réalité, on se trouve toujours dans des situations d’urgence, face à des gens atteints de leucémies aiguës réfractaires ou en rechute : définir un délai expose en réalité le parent à mourir. Je pense donc que cet amendement n’est pas une bonne idée.

M. Thibault Bazin. Je ne veux certes pas que le parent meure et je ne suis pas pour accélérer la fin de vie… Je retire mon amendement.

L’amendement n° 962 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1326 de Mme Florence Provendier.

Mme Florence Provendier. Cet amendement vise à ajouter les mots « en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant » après le mot « prélèvement ». L’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant dispose en effet que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

C’est bien le cas dans les faits, mais le préciser expressément ne peut pas nuire. Il ne s’agit donc que d’ajouter ce principe fondamental.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le projet de loi respecte la convention dite d’Oviedo : de ce point de vue l’objet de votre amendement est satisfait. Par ailleurs, la référence à l’intérêt supérieur de l’enfant peut être moins précise que les garde-fous évoqués tout à l’heure, lesquels sont justement définis dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable à l’endroit de cet amendement, même si je comprends naturellement l’esprit qui présidait à son dépôt.

La commission rejette l’amendement n° 1326.

Puis elle examine l’amendement n° 1647 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je propose qu’un décret fixe les critères à prendre en compte pour les prélèvements réalisés sur un mineur. Cela permettrait de respecter cette logique de l’examen au cas par cas, en prenant en compte le poids, l’âge, la morphologie, etc. C’est pour me rassurer, madame la ministre…

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Un décret prévoit d’ores et déjà les modalités d’application du présent chapitre dans le code de la santé publique. En l’occurrence, il intègre l’article L. 1241-3, qui traite des mineurs. Donc je crois que votre intention est satisfaite.

L’amendement n° 1647 est retiré.

Puis elle se saisit de l’amendement n° 963 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’amendement est défendu.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 963.

L’amendement n° 2249 du rapporteur est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 964 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’amendement est défendu.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 964.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2150 du rapporteur.

Enfin, elle adopte l’article 6 modifié.

Article 7
Renforcement des droits des personnes sous mesure de protection de leurs biens dans l’exercice de leur citoyenneté en leur permettant de donner leur consentement au don

La commission examine l’amendement n° 572 Mme Annie Genevard.

M. Thibault Bazin. Il s’agit de corriger de ce qui semble être une coquille du projet de loi : l’expression « représentation à la personne » n’a aucun sens juridique. En droit, on parle de « représentation de la personne ».

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Monsieur Bazin, un rapporteur ne devrait pas dire cela, mais je ne sais pas… Vous maîtrisez parfaitement bien la langue française. Moi-même, qui la maîtrise peut-être un peu moins que vous, mais j’aurais tendance à dire comme vous « représentation de la personne ». J’ai posé la question à Mme la ministre, en espérant qu’elle pourra nous donner une réponse précise…

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je vous rassure : il ne s’agit aucunement d’une coquille. Le droit civil distingue, parmi les mesures de protection juridique, la mesure de représentation à la personne et celle de représentation aux biens. Il s’agit de représentation partielle. La notion de représentation de la personne est une notion différente qui implique une représentation globale de la personne.

L’amendement n° 572 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1677 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’article 7 ouvre la possibilité à toute personne protégée de procéder à un don d’organes de son vivant ou de demander à prélever des organes à des fins thérapeutiques ou scientifiques, sauf dans les cas où une mesure de représentation à la personne a été prononcée où l’interdiction subsiste.

Cet amendement vise à poser un principe d’autorisation à procéder à un don d’organes à toute personne protégée. Toutefois, par exception, cette autorisation serait conditionnée pour les personnes protégées qui bénéficient d’un régime de représentation à la personne à la réunion de deux conditions cumulatives : premièrement, l’obligation d’un consentement exprès de la personne pour procéder à cet acte éminemment personnel. Cela ferme cette faculté aux personnes qui ne peuvent s’exprimer. Cette condition s’inscrit dans la philosophie du régime applicable en matière d’acte strictement personnel, pour lesquels nul ne peut se substituer au consentement de la personne protégée compte tenu de la nature de l’acte touchant à l’intimité de la personne.

Deuxièmement, compte tenu de la gravité de l’acte, l’autorisation du juge des tutelles est nécessaire après audition de la personne et constitue une précaution. Le juge des tutelles vérifiera ainsi que la personne protégée a reçu une information adaptée, qu’elle comprend les conséquences et risques de l’acte et qu’elle a pu exprimer un consentement libre et éclairé.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Ce n’est pas une autorisation « à toute personne protégée », puisque les personnes faisant l’objet d’une mesure de protection à la personne ne sont pas concernées par les dons d’organes de leur vivant. En effet, il ne semble pas souhaitable d’ouvrir cette possibilité à toute personne protégée, notamment celles dont je viens de parler, qui sont les plus vulnérables. Dans ces conditions, bien entendu, il faut maintenir la protection dont elles bénéficient. Cet article 7 n’assouplit en réalité les conditions que pour les autres personnes protégées.

L’enjeu n’est pas tant d’allers chercher partout des donneurs potentiels que de faire en sorte qu’on puisse améliorer le don d’organes. D’autres articles de ce projet de loi, s’agissant notamment du don croisé, répondent cet objectif. Il ne semble donc pas nécessaire d’aller au-delà, en ouvrant plus encore cette possibilité à un certain nombre de majeurs protégés, par exemple les publics faisant l’objet d’une mesure de protection à la personne.

M. Thibault Bazin. Je proposais seulement d’ajouter « sans l’accord exprès de la personne protégée, et sans l’autorisation du juge des tutelles l’ayant préalablement auditionnée ».

M. Hervé Saulignac, rapporteur. C’est déjà le cas. Si un refus est exprimé par la personne concernée, il fait obstacle à tout prélèvement, dès lors qu’elle peut donner son consentement. Le juge aura vérifié ce dernier point.

La commission rejette l’amendement n° 1677.

Puis elle examine l’amendement n° 2118 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je vous propose de rédiger ainsi l’alinéa 6 : « Le refus du mineur ou du majeur protégé fait obstacle à l’utilisation ultérieure des organes ainsi prélevés. Lorsque le mineur ou le majeur protégé ne peut exprimer sa volonté ou comprendre les conséquences de cet acte, l’utilisation ultérieure des organes est subordonnée à l’absence d’opposition dans les directives anticipées de la personne protégée ou nécessite, le cas échéant, de recueillir le témoignage de la personne de confiance désignée par la personne protégée en vertu de l’article L. 1111‑12. »

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Nous avons débattu hier soir, à une heure certes très tardive, de la question des directives anticipées que vous aimeriez introduire dans ce projet de loi. La ministre a eu l’occasion de dire que les directives anticipées s’appliquaient à la fin de vie et qu’il fallait se garder de créer de confusion en introduisant une procédure applicable aux dons d’organes.

Ajoutons que si l’on introduisait cette dimension des directives anticipées, la question pourrait se poser pour le mineur de savoir quel rôle jouent ses parents et comment ils expriment leur consentement. Votre amendement mériterait à tout le moins d’être réécrit en vue de la séance publique. Demande de retrait, sinon avis défavorable.

L’amendement n° 2118 est retiré.

L’amendement n° 2119 de M. Thibault Bazin est retiré.

La commission adopte l’article 7.

Après l’article 7

La commission examine l’amendement n° 921 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Le présent amendement tend à supprimer l’interdiction absolue de tout don de sang aux personnes protégées qui, en l’état actuel du texte est excessive car générale, puisqu’elle concerne toute personne faisant l’objet d’une mesure de protection.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Cet amendement tend à étendre la possibilité de donner son sang aux majeurs protégés. Faisant usage de ma liberté de rapporteur, je vais exprimer un avis favorable, ne serait-ce que pour permettre à Mme la ministre d’expliquer son avis défavorable… J’ai moi-même du mal à comprendre pourquoi les majeurs protégés n’ont pas ne serait-ce que la capacité de consentir. Il y a probablement une explication tout à fait recevable au refus qui leur est opposé, mais je trouve cela dommageable, et par ailleurs peu cohérent avec le droit civil et notre volonté de donner plus d’autonomie à ces publics. Avis favorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous sommes d’accord pour permettre aux majeurs protégés qui présentent certaines caractéristiques génétiques de pouvoir donner leur moelle, dans la mesure où leur don permet de sauver une vie alors qu’il n’est pas possible de trouver d’autres donneurs. Mais, dans le cadre d’un simple don du sang, recourir à une procédure devant un juge des tutelles pour recueillir un accord explicite, alors qu’il n’y a pas de risque vital pour qui que ce soit en France, nous paraît être une procédure beaucoup trop lourde et complexe. Dans le cas de la greffe de moelle, on parle d’une situation où le malade n’a pas d’autres donneurs dans le monde : on recourt à la seule personne qui peut lui sauver la vie. L’extension au don du sang des mêmes dispositions n’aurait pas du tout le même sens.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 921.

Chapitre II
Permettre la solidarité dans le cadre de la transmission
d’une information génétique

Article 8
Réalisation d’examens de génétique sur une personne décédée ou hors d’état d’exprimer sa volonté au profit de sa parentèle

La commission examine l’amendement n° 948 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Amendement est de précision ; dans la mesure où les ayants droit ont déjà un accès au dossier, il convient de préciser que ce sont les « nouvelles informations » non contenues dans le dossier médical de la personne décédée, autrement les résultats des nouveaux examens, qui doivent leur être communiqués.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Cette précision ne paraît pas utile : le projet de loi reprend déjà une formulation qui englobe toutes les informations, les anciennes comme les nouvelles.

La commission rejette l’amendement n° 948.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels n° 2152, n° 2250 et n° 2153 du rapporteur.

La commission examine l’amendement n° 1002 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement propose d’ajouter, après le mot « suspecte », l’adverbe « fortement » afin de garantir l’utilité de cet examen génétique.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Vous souhaitez introduire la notion de suspicion forte. Je crains qu’elle ne soit de nature à susciter quelques contentieux et d’interminables débats : à partir de quel moment une suspicion devient-elle forte ? J’avoue ne pas savoir…

Par ailleurs, qu’importe que les soupçons soient plus ou moins forts, nous parlons du cas d’une affection grave ; le médecin, dans sa démarche diagnostique, doit éliminer toutes les possibilités avant de procéder à un test génétique. C’est à partir du moment où il soupçonne réellement la présence d’une anomalie, quelle que soit sa gravité, que les tests génétiques peuvent être décidés.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. J’ignore si nous sommes dans la science-fiction, mais « suspecter » ou « soupçonner » pose déjà en soi problème. Nous traitons de sujets qui ne sont pas anodins, et la recherche de données doit être nécessaire. Il peut y avoir des soupçons infondés, des suspicions évanescentes… Certes, mon amendement était surtout d’appel ; reste que cette notion mériterait d’être précisée.

La commission rejette l’amendement n° 1002.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels n° 2155, n° 2156, n° 2157, n° 2158, n° 2159 et n° 2160 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

Article 9
Transmission d’une information génétique au profit de la parentèle ou dans les situations de rupture du lien de filiation biologique dans le strict respect de l’anonymat des personnes concernées

La commission adopte les amendements rédactionnels n° 527, n° 2161 et n° 2162 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1252 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Cet amendement a pour objet de permettre aux enfants nés d’un don ou au tiers donneur de bénéficier de la même solidarité que les autres personnes dans le cadre de la transmission d’informations génétiques.

Le diagnostic génétique visé dans cet article est de première importance et la transmission de l’information peut permettre à des individus porteurs d’une anomalie génétique pouvant être responsable d’une affection grave de bénéficier d’actes de prévention ou de soin de nature potentiellement vitale. Il apparaît donc crucial que les enfants nés d’un don et les tiers donneurs soient également dans un régime de transmission obligatoire de l’information, via un centre d’AMP, et non dans un régime de transmission facultative. Il s’agit d’un enjeu majeur pour leur santé, trop important pour que leur soit attribué un régime différencié défavorable.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. C’est effectivement un sujet de débat. Il est vrai que dans le cas d’un enfant non issu d’une PMA ou dont la mère n’a pas accouché dans le secret, la personne est tenue d’informer les membres de sa famille. Dans le cas d’un enfant né d’un tiers donneur ou dont la naissance a eu lieu sous le secret, elle « peut autoriser la transmission de l’information », par le fait qu’il y a rupture du lien de filiation. Argument que je comprends ; toutefois, il me semble que cette transmission d’informations pourrait se faire sans rupture de l’anonymat. J’émettrai donc un avis de sagesse, qui est aussi de prudence, car il me semble possible d’accéder à votre demande.

La commission adopte l’amendement n° 1252.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels n° 2164, n° 2165, n° 2166, n° 2167 et 2168 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La commission examine l’amendement n° 68 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Les potentialités prédictives des technologies peuvent entraver la vie économique et sociale d’une personne dès lors que la probabilité de survenance d’une maladie l’empêcherait de conclure une police d’assurance ou d’obtenir un prêt bancaire, par exemple. Il est donc essentiel d’établir des limites claires et fermes à ne pas dépasser.

C’est pourquoi cet amendement propose d’insérer dans le code civil un article 16‑10‑1 ainsi rédigé : « Nul ne peut subordonner la conclusion d’un contrat portant sur la fourniture de biens ou de services ou d’un contrat d’assurance à la réalisation sur la personne de son cocontractant d’un test génétique ou d’un autre acte relevant de l’application des technologies prédictives à l’évaluation de l’état de santé. »

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le code pénal interdit et réprime de tels agissements ; la question se pose peut-être de l’effectivité de cette interdiction, mais elle est d’ores et déjà prévue.

Par ailleurs, l’article 16‑13 du code civil pose le principe général de non‑discrimination en raison des caractéristiques génétiques.

Enfin, aux termes de l’article L. 1141‑1 du code de la santé publique, les banques et les assurances ne peuvent pas prendre en compte ces caractéristiques génétiques, quand bien même celles-ci leur seraient volontairement transmises par la personne concernée.

Pour ces raisons j’émets un avis défavorable, non sans avoir conscience, qu’en dépit de toutes les dispositions que j’ai évoquées, le problème peut continuer à se poser dans les faits.

La commission rejette l’amendement n° 68.

Puis elle étudie l’amendement n° 1634 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. L’objet de cet amendement est de renforcer le dispositif de dépistage néonatal pour tenir compte des progrès de la génétique, des techniques et des évolutions relatives à la prise en charge des maladies rares. Car notre pays est très en retard dans ce domaine en comparaison de pays similaires.

Rappelons que le dépistage néonatal est effectué, avec le consentement de la famille, auprès de tous les nouveau-nés ou, dans certains cas, auprès de ceux qui présentent un risque particulier de développer l’une de ces maladies. La liste de ces maladies est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l’Agence de la biomédecine et ne contient actuellement que cinq pathologies, même si une sixième est annoncée.

Les évolutions de la génétique peuvent conduire à la détection de nombreuses maladies rares monogéniques pour lesquelles existent des mesures de prévention et de soin établies, qu’il s’agisse de moyens d’action thérapeutique ou du recours à un régime ou un complément alimentaire, par exemple.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le Conseil d’État nous incite à la plus grande prudence sur cette question du dépistage, et particulièrement du dépistage généralisé.

Par ailleurs votre amendement évoque tout à la fois tous les nouveau-nés et ceux qui présentent un risque particulier ; il faudrait savoir quel public vous souhaitez viser. Ce sujet complexe, sur lequel la ministre aura l’occasion de s’exprimer, nécessite un travail de fond ; en tout état de cause, votre rédaction demande à être reprise.

Pour ces raisons, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, mon avis sera défavorable.

M. Jean-Louis Touraine. L’amendement de M. Berta représente une avancée nécessaire. Dépister cinq maladies à la naissance signifie que les autres maladies qui pourraient être prévenues et faire l’objet de traitements ou de régimes adaptés ne sont pas prises en charge. Il arrive donc que ces malades soient diagnostiqués beaucoup trop tard. Le nombre de ces maladies extrêmement rares est très important ; il n’est donc bien sûr pas question de toutes les dépister, mais seulement celles pour lesquelles une prise en charge très précoce selon le dépistage néonatal présente un réel bénéfice.

Comme l’a indiqué M. Berta, cinq de ces maladies seulement sont prises en charge en France, auxquelles sera probablement ajouté le déficit immunitaire. Tous les autres pays européens prennent en charge vingt-cinq de ces maladies en moyenne, certains même presque quatre-vingt. Ces chiffres peuvent être excessifs, mais entre cinq et vingt-cinq, on peut progressivement trouver un nombre satisfaisant, qui pourra d’ailleurs évoluer dans les deux sens : certaines maladies peuvent s’ajouter, et d’autres se voir retirées de la liste. La solution de souplesse consistant à fixer la liste par arrêté, et donc à la modifier périodiquement en fonction des progrès de la médecine et de la science, me paraît donc raisonnable.

M. Xavier Breton. Il y a tout lieu d’être inquiet du sens de ces amendements. Derrière de belles considérations, on sent une volonté d’aller vers un bébé zéro défaut, une logique poussant à éliminer tout enfant qui serait porteur de maladies ou de handicaps.

Nous devons donc faire très attention, et il est important que le Gouvernement nous fasse part de ces attentions à ce sujet. Il faut encore être attentif aux mots que l’on utilise ; il faut rarement user du terme d’eugénisme, mais je l’utiliserai à dessein cette fois, en parlant même d’eugénisme libéral : cette notion n’est pas de moi, mais du philosophe Habermas. Il explique qu’il n’y a pas de politique publique prévoyant d’éliminer les enfants porteurs de maladies ou de handicaps : on fait porter la responsabilité aux parents. Finalement, l’État se décharge sur eux en les laissant choisir entre telle ou telle possibilité.

Nous devons être très prudents dans ces sujets. Il s’agit de cas très douloureux, mais on voit bien l’intention cachée derrière la généralisation de ces dépistages pratiqués sur l’ensemble de la population, et sur un nombre croissant de handicaps et de maladies.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Pardonnez-moi, Monsieur Breton, mais vous faites une confusion entre le dépistage prénatal et préimplantatoire et ce dont nous parlons là, en l’occurrence le dépistage néonatal, où nous avons affaire à des enfants qui sont déjà nés : en pratiquant le test de Guthrie, par exemple, on cherche s’ils sont porteurs de maladies génétiques afin, le cas échéant, de leur apporter très précocement un traitement. Il ne s’agit absolument pas d’éliminer des enfants, mais d’enfants nés et potentiellement atteints d’une maladie que nous voulons traiter très rapidement. Nous aurons l’occasion de reparler du dépistage prénatal et préimplantatoire.

M. Pierre Dharréville. La question qui se pose à nous est celle du caractère automatique de ces tests, qui mérite plus ample information, car, pour ma part, je n’ai pas forcément tous les éléments me permettant d’en juger. Se pose également celle de l’étendue du nombre des tests pratiqués. M. Touraine évoque une liste susceptible d’évoluer – au vu des progrès de la recherche, me semble-t-il. Ce qui ouvre un débat plus technique sur lequel nous avons besoin d’être éclairés avant de prendre une décision.

M. Philippe Berta. Je précise que ces tests sont pratiqués en France depuis 1972, pour le premier d’entre eux ; le dernier ajout, qui date de 2002, concerne la mucoviscidose.

Toutes ces pathologies sont actionable – expression anglaise qui signifie que le traitement peut être adapté à l’individu. Je ne souhaite à personne de connaître ce que je vis régulièrement dans mon bureau à l’Assemblée : rencontrer des familles qui ont perdu un premier enfant alors que si le premier diagnostic avait été fait à temps, un complément alimentaire aurait suffi pour sauver leur gamin, et auxquelles on refuse ce diagnostic pour le deuxième enfant…

Les techniques employées comme le dépistage à partir de la sueur sont de vieux tests très archaïques, et ne sont pas pour l’instant des tests génétiques. Il est hors de question de vouloir séquencer les gènes suspectés, mais d’utiliser des techniques de puces à ADN que nous maîtrisons parfaitement, afin de détecter les mutations sans regarder aux alentours, donc sans risque de recueillir de données incidentes.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. À l’intention de M. Dharréville, j’indique que le quantum de maladies à rechercher à la naissance, connu des médecins, est assez faible. Comme l’a rappelé M. Berta, certains pays détectent deux ou trois maladies supplémentaires par rapport à ce que nous faisons en France.

Nous travaillons avec toutes les équipes pour élargir la palette de ces dépistages néonataux, mais ce choix ne relève pas que des seuls experts. Chaque fois que l’on ajoute un dépistage néonatal – mais cela vaut pour tous les dépistages en général –, on évalue sa balance intérêt-coût ; c’est ainsi que fonctionne un dépistage appliqué à la population générale. Ces règles sont établies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : tout dépistage doit apporter un bénéfice important pour le malade à un coût relativement faible pour la société. Il est aujourd’hui nécessaire d’élargir le nombre des dépistages néonataux en France à plus de maladies. Celles-ci ont été définies par la Haute autorité de santé (HAS), elles font l’objet d’un décret, et nous organisons l’égal accès au dépistage de tous les nouveau-nés en France.

Cet amendement propose de consacrer les dépistages néonataux au niveau législatif. Mais en France, tous les dépistages sont couverts par un article du code de la santé publique, qu’il s’agisse du dépistage des cancers, du dépistage d’autres maladies ou du dépistage néonatal : tous correspondent à la même définition. Si nous mettons le dépistage néonatal au niveau législatif, la même question va se poser pour le dépistage du cancer du sein comme pour tous les autres, car il n’y a aucune raison d’y faire figurer au fil du temps tous les progrès de la science. Cet amendement nous ferait perdre en souplesse en mettant en exergue un dépistage par rapport à d’autres, tout aussi utiles au sens de l’OMS et recommandés par la santé publique.

M. Berta souhaite par ailleurs que les tests concernés soient avant tout des tests génétiques ; pour l’heure, il est proposé que certains tests soient génétiques et d’autres enzymatiques. Nous ne souhaitons pas que les tests mentionnés dans la loi soient systématiquement génétiques, car on peut un jour imaginer des maladies polygéniques emportant des mutations multiples, des signatures nécessitant un processus de dépistage de nature plutôt biochimique. Il n’y a donc pas de raison de faire de préférence dans la loi et d’y mettre la génétique en exergue.

M. Pierre Dharréville. Merci, madame la ministre, pour ces éclaircissements dont la philosophie me convient.

Je souhaite toutefois élargir les perspectives de ce débat, car nous savons que, dès lors que des prédispositions génétiques sont présentes, la probabilité de déclenchement d’une maladie est très élevée. J’imagine que c’est sur la base de tels critères qu’un certain nombre de tests sont rendus systématiques.

Mais parfois l’idée peut se répandre dans l’opinion publique d’une forme d’automaticité généralisée, ce qui n’est pas le cas : s’il est des choses que l’on peut prévoir à coup sûr, la médecine prédictive a des limites. Tout n’est pas inscrit dans nos gènes, y compris certaines maladies, quand bien même nous pourrions y être prédisposés. Tout n’est pas absolument certain.

Des illusions peuvent se faire jour dans le débat public, et ce débat mérite d’être instruit. Ce n’est pas ici et maintenant qu’il aura lieu, et je ne suis pas qualifié pour le conduire ; mais je ne pense pas qu’il était dans l’esprit de l’amendement de Philippe Berta de généraliser à outrance les tests génétiques.

La commission rejette l’amendement n° 1634.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1627 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Dans le même état d’esprit, cet amendement vise à apporter de la souplesse au dépistage néonatal en prévoyant que la liste des maladies pouvant donner lieu à un tel dépistage soit fixée par arrêté du ministre, et qu’elle puisse être périodiquement révisée en fonction des progrès médicaux et scientifiques.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je demande le retrait de cet amendement, car cette liste existe déjà : la ministre a d’ailleurs précisé que le ministère travaillait à élargir le champ du dépistage néonatal.

M. Jean-Louis Touraine. Je prendrai l’exemple du déficit immunitaire combiné sévère qui, s’il est diagnostiqué à la naissance, présente 97 % de chance de guérison grâce à la greffe de cellules-souches ; s’il est diagnostiqué à l’âge d’un an, les trois quarts des enfants qui en sont atteints sont déjà morts.

Mme Sereine Mauborgne. Je reconnais que Mme Buzyn nous rassure par son discours, car elle est une excellente professionnelle : on a envie de penser que les bonnes décisions seront prises et pourront évoluer en cas de besoin. Le problème est que tous les ministres de la santé ne sont pas nécessairement des médecins super-efficients : si les choses ne sont pas inscrites dans la loi, nous sommes incapables de donner une garantie réelle aux familles auxquelles nous avons affaire.

L’amendement de M. Berta peut ainsi sembler superflu au regard de la grande compétence dont le ministère de la santé fait aujourd’hui preuve. Mais si demain le ministre désigné provient de l’industrie, le regard porté sur ces problèmes ne sera pas aussi aigu. Or, en face de nous, il y a des familles et des responsabilités.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. À vouloir trop bien faire, on fait parfois l’inverse de ce que l’on défend. Prenons garde à ne pas disperser dans différents pans de la loi des choses qui doivent être traitées dans le code qui leur est spécifique, en l’occurrence le code de la santé publique.

La commission rejette l’amendement n° 1627.

Titre III
Appuyer la diffusion des progrès scientifiques
et technologiques dans le respect des principes éthiques

Article 10
Consentement à l’examen des caractéristiques génétiques

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je souhaite la bienvenue à mes côtés à M. Philippe Berta, rapporteur sur les titres III et IV.

La commission est saisie de l’amendement n° 1542 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement tend à autoriser les tests génétiques dits « récréatifs ». Interdite en France, cette pratique y est devenue pourtant tout à fait habituelle. Chaque année, 100 000 Français ont réalisé un de ces tests ; demain, dans trois ans, c’est une grande partie de nos compatriotes qui s’y livrera.

L’interdiction est assortie d’une amende de 3 750 euros, mais celle-ci n’est jamais appliquée ; il y a donc là une hypocrisie qui doit être levée. Ce à quoi s’ajoutent des implications dans le domaine médical comme dans celui du business, dans la mesure où tous ces séquençages d’ADN sont stockés dans des bases de données situées, non pas en France, mais aux États-Unis ou en Chine.

Il s’agit donc là d’une activité commerciale et de recherche, et si nous voulons être demain leaders dans le domaine de la médecine prédictive, nous avons besoin de base de données ; nous avons donc tout intérêt à pratiquer ces types de tests sur notre sol si nous voulons bâtir une industrie de recherche. C’est comme si nous décidions de ne pas développer l’industrie de l’automobile comme nous l’avons fait à une certaine époque : dans cinq ou dix ans, nous serions totalement absents de ce secteur.

M. Philippe Berta, rapporteur. Au regard des dangers qu’elle représente, cette pratique n’a rien de récréatif. Si la loi la punit de 3 750 euros d’amende, c’est surtout parce qu’elle a pour effet de faire exploser les familles. On sait qu’un grand nombre d’entre nous n’a pas forcément le père biologique qu’il croit ; j’estime que ce type de secret doit être maintenu secret.

En revanche, vous soulevez une question incontournable, celle de mettre en place des structures à la française bien contrôlées afin d’avoir accès à nos données de séquençage, auquel, d’ici cinq ans maximum, tout le monde viendra, compte tenu des prouesses techniques réalisées et de l’emballement de la technologie.

Dans cette attente, il faut faire passer le message : le travail fourni par ces entreprises est vraiment de piètre qualité. Je vous invite à prendre connaissance des résultats des études réalisées : ils sont assez folkloriques. Cela n’est d’ailleurs pas surprenant puisque les bases de données qu’elles utilisent sont insuffisantes, et pour la plupart « pompées » dans le travail des scientifiques.

Je comprends le problème ; il faut effectivement y réfléchir, et dissuader nos compatriotes de chercher à accéder à ces données éminemment dangereuses. C’est pourquoi, à ce stade, mon avis sera défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je suis préoccupé par la multiplication de ces tests présentés comme une forme d’accès à la recherche de ses origines, tout à fait illusoire.

Je ne suis pas uniquement inquiet pour la personne qui délivre ses données intimes sans exactement savoir où elles vont atterrir ni à quoi elles vont servir ; le problème est que, ce faisant, elle n’engage pas qu’elle-même. Elle engage non seulement ses proches, sa parentèle génétique, mais aussi, quelque part, tout le genre humain : car, parvenue à une certaine taille, une telle base de données peut permettre le développement de choses dont nous ne voulons pas. Je ne les mesure pas toutes, mais on sent bien que ce n’est la seule identité génétique de l’intéressé que l’on confie ainsi à des structures privées dont les objectifs réels sont inconnus. Je pense que ces pratiques soulèvent des questions vertigineuses que je maîtrise mal, qui mériteraient une réflexion approfondie. Ne serait-ce que parce qu’elles donnent lieu à des offensives commerciales en plein développement, et que des gens y investissent un argent qui serait certainement mieux utilisé autrement.

Mme Martine Wonner. J’ai entendu des mots un peu extrêmes : pratiques éminemment dangereuses, explosion des familles… Peut-être faudrait-il être un peu plus prudent. Le fait est que, pour une somme modique, tout le monde a accès à ces tests. Je suis en phase avec vous lorsque vous dites que la qualité des données recueillies est mauvaise. Mais ceux qui recourent à ces tests ne le font pas pour obtenir un screening génomique de valeur scientifique, mais seulement pour savoir de quel continent sont venus leurs ascendants.

Quant au fait de laisser une forme de traçabilité, avec des coordonnées, cela relève du libre choix de chacun. À tel point que nous avons entendu des associations qui, par le biais de l’accès à ces tests ont pu remonter jusqu’aux donneurs de gamètes ou d’ovocytes, ce qui, pour le coup, a eu un effet stabilisant pour ces familles.

En tant que législateurs, nous devons être très prudents et nous poser la question : faut-il continuer à laisser ces données nous échapper ou, sans reprendre l’exemple de l’industrie automobile, voulons-nous reprendre la maîtrise de ces techniques sur notre territoire ?

M. Pascal Brindeau. Supprimer la notion de « fins médicales ou de recherche scientifique », c’est ouvrir la porte à toute forme d’utilisation de ces tests, et pas seulement récréative. Certains arguments me posent problème, tel celui qui avance que cette pratique a déjà cours à l’étranger. Au nom de ce principe, on peut légaliser des tas de pratiques très dangereuses, y compris pour la santé publique ! De même, l’utilisation commerciale des données génétiques va totalement à l’encontre de nos principes éthiques. Par ailleurs, le texte fait mention de la « personne », une notion qu’il convient de préciser dans la mesure où les recherches peuvent concerner des mineurs – ce dont nous débattrons peut-être.

M. Patrick Hetzel. La rédaction proposée par le Gouvernement paraît plus satisfaisante car elle vient encadrer des pratiques aux effets potentiellement graves. Cet amendement permettrait de fournir des données ADN à des sociétés strictement privées, localisées à l’étranger. Que ce soit déjà le cas, ainsi que l’explique M. Fuchs, n’est pas une raison pour continuer dans cette direction. C’est une pente très dangereuse et des chercheurs spécialistes de ces questions nous ont alertés sur les différents risques, y compris sur l’évolution de ces bases de données dans les années à venir.

M. Jean-François Eliaou. Je pense que ces tests dits récréatifs, personnels ou à but généalogique ne peuvent pas être réalisés à l’aveugle, et sans encadrement. Mais surtout, je comprends mal l’argument qui consiste à dire que la France doit constituer ses propres bases de données plutôt que de laisser nos concitoyens participer à la constitution de bases de données à l’étranger. Cela suffit-il à justifier que l’on autorise les Français à faire réaliser ce type de tests ? C’est choquant, d’autant que pour constituer de telles bases, il faut une méthodologie appropriée : ce n’est pas en prenant des personnes dans la population que l’on y parvient. Je trouve l’argument fallacieux.

M. Bruno Fuchs. Oui, l’opération industrielle et technique se fait à l’étranger, Monsieur Brindeau, et ce sont des Français qui y participent. Ils peuvent commander les tests, ils y sont même incités par des publicités diffusées en France ! Si vous voulez être logique, il faut appliquer la loi, interdire toute publicité et prévoir de nouvelles sanctions.

Lorsque nous avons débattu de la recherche des origines, il a été dit à plusieurs reprises que l’on pouvait obtenir des informations grâce à des banques de données existantes. Celles-ci sont fabriquées à l’étranger, grâce à des tests réalisés par des Français.

Mon amendement ne vise pas à modifier la loi dès aujourd’hui, mais à poser la question : soit on autorise ces tests, soit on les interdit et on sanctionne. Mais on ne nourrit pas une industrie internationale à partir de ces données.

On sait très bien que la médecine prédictive va se développer et que, demain, l’intelligence artificielle permettra d’éviter un certain nombre de maladies. Le travail sur le génome nécessite d’accéder à des informations que nous sommes en train de donner à l’étranger. C’est une question industrielle, mais dont dépend aussi notre capacité à améliorer notre système de santé et la qualité des soins. Nous ne devons pas être absents dans ce domaine où des technologies commencent à se développer.

L’alternative est la suivante : si c’est autorisé, on l’écrit dans la loi ; si c’est interdit, on applique la loi et on sanctionne tout Français qui va faire un test à l’étranger ou toute entreprise qui fait de la publicité sur une chaîne de télévision.

M. Didier Martin. On pourrait oser un parallèle avec le tabac, dont on autorise la vente tout en en interdisant la publicité. Ici, c’est l’inverse : la publicité est autorisée pour des tests dont l’usage est interdit… Soyons cohérents : ou bien nous considérons que ces tests sont inutiles, voire dangereux, et nous en interdisons la publicité ; ou bien nous laissons les Français recourir à ces tests dits récréatifs, qui répondent quand même à un certain désir, et nous communiquons sur le sujet.

M. Brahim Hammouche. J’ai cosigné cet amendement et je rejoindrai les propos de M. Fuchs. Nous devons être cohérents. Ainsi qu’on peut le voir dans la presse, les Français recourent déjà à ce type de tests, dont la qualité est très variable et les résultats contradictoires. Il faut dire les choses, faire le ménage, se poser la question de leur autorisation et aller jusqu’au bout de la logique.

M. Guillaume Chiche. J’ai une inquiétude, à laquelle le rapporteur et Mme la ministre ne pourront peut-être pas répondre. Je m’inquiète à l’idée que les acteurs économiques, que ce soit en France ou à l’étranger, puissent acheter les fichiers de données médicales issues de ces tests, auxquels les personnes recourent seulement à des fins de recherche de leurs origines. Ces données pourraient être exploitées dans une démarche purement business sans que les utilisateurs y aient consenti. Si tel est le cas, la loi doit encadrer très strictement ces tests.

M. Pierre Dharréville. Je profite de cette occasion pour défendre l’amendement n° 1303, portant article additionnel après l’article 10, qui prévoit que « la commercialisation de tests ayant pour finalité de pratiquer des examens génétiques est interdite dès lors qu’elle n’a pas de finalité scientifique ou thérapeutique. »

M. Martin a expliqué que ces tests répondaient à un désir ; je pense que ce sont des biens de consommation dont la profitabilité est certaine et qui permettent de vendre encore d’autres produits. Ne nous y trompons pas, la démarche est très commerciale !

Dans la mesure où il est question de marchander des données de santé, parfois immatérielles, et d’en tirer profit, le problème est éthique et doit nous préoccuper. L’évolution du big data, notamment, rend ces questions très sensibles. Le législateur doit intervenir dans ce domaine.

M. Thibault Bazin. Cette proposition, qui émane de la majorité, m’inquiète beaucoup. Au prétexte de la santé, vous justifiez la suppression de la condition de finalité médicale des tests : c’est quelque peu paradoxal ! On sait que les résultats des tests récréatifs peuvent être mal compris et que leur qualité pose question. Notre rôle est de protéger les personnes : nous devons réguler des pratiques qui ne sont pas adaptées et qui peuvent se retourner contre leurs utilisateurs et créer chez eux du malêtre. Restons prudents et rejetons cet amendement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je disais en aparté à Frédérique Vidal que, d’un point de vue éthique, ces dispositions qui traitent du dépistage en population générale sont à mes yeux les plus intéressantes du projet de loi, car elles interrogent notre vision de la société et peuvent la transformer radicalement.

Le Gouvernement est défavorable à modifier la finalité des tests, qui doit demeurer médicale ou de recherche.

Il est vrai que les tests à usage récréatif se pratiquent à l’étranger et qu’il existe un marché. Si nous les autorisons en France, tous les citoyens pourront faire séquencer leur génome, mais avec un niveau d’information totalement illusoire. En effet, en dehors des origines géographiques – et encore – et des quelques pathologies dont le gène en cause a été identifié, la précision des tests est presque nulle, en tout cas très mauvaise.

Du coup, nous allons nous retrouver avec une foule de Français qui disposeront d’informations à caractère prédictif sur le risque de maladies, ou des anomalies génétiques transmissibles à leur descendance ; et nous serons dans l’incapacité de les rassurer et de les informer correctement. Des résultats faisant apparaître des facteurs de risque potentiel pourront induire chez ces gens des changements de comportement : deux conjoints qui auraient, par le biais d’un de ces tests récréatifs, fait réaliser le séquençage complet de leur génome, pourraient ainsi découvrir qu’ils sont toutes deux porteurs d’une anomalie génétique récessive ; soucieux de ne pas prendre le risque de faire un enfant potentiellement malade, ils exigeront, sur ce critère, à recourir à l’AMP et au dépistage préimplantatoire. C’est, au final, toute la population française qui cherchera à savoir si elle n’est pas porteuse d’une maladie pour sa descendance et exigera de bénéficier d’un AMP pour éviter d’avoir un enfant malade, ou qui changera ses habitudes alimentaires.

Cette population – on parle de millions de personnes pour un marché ouvert et récréatif – sera non seulement destinataire d’informations potentiellement fausses, mais aussi « accompagnée » par de nombreux charlatans.

Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, certaines personnes obligeront leur fiancé à se soumettre un test prénuptial afin de s’assurer qu’il ne risque pas de développer la maladie d’Alzheimer ou qu’il n’est pas porteur de la chorée de Huntington ! Où va-t-on, sous prétexte que les Français ont envie de connaître leur génome, que c’est récréatif et que cela se fait ailleurs ?

Qu’avons-nous fait ? Nous ne souhaitons pas que les données partent à l’étranger et nous voulons pouvoir interpréter nous-mêmes les données du génome en très grand nombre. Frédérique Vidal parlera du plan, mis en place il y a quelques années déjà, qui consiste à recueillir toutes les informations génétiques obtenues suite à des tests réalisés sur indication médicale ou effectués à des visées de recherche. Il s’agit de cohortes de plusieurs dizaines, voire de centaines de milliers de personnes. Ces bases de données nous permettent de mieux interpréter les anomalies génétiques. D’autre part, toutes les données génétiques seront intégrées au Health Data Hub, prévu par la loi santé, qui permettra de produire des algorithmes et de l’intelligence artificielle.

Autant les données génétiques à l’échelon de la population générale permettent de mieux comprendre le génome, cerner les risques et orienter les médecins dans leur pratique, autant l’information au niveau individuel est fallacieuse et porteuse de graves dérives pour notre société – que je ne suis pas prête à assumer à l’endroit où je me trouve.

M. Thibault Bazin. Très bien !

M. Pierre Dharréville. C’est un débat important. La constitution de bases de données publiques doit, du coup, répondre à un certain nombre d’exigences pour ce qui est du stockage des données, de la propriété des données, de la propriété et de la conception des logiciels utilisés. Or je ne suis pas certain que l’on ait déployé en ce sens toutes les capacités publiques nécessaires.

M. Jean-François Eliaou. Il est extrêmement choquant que la chaîne BFM-TV puisse diffuser des publicités pour une pratique interdite en France. En réponse à une question écrite que je lui ai posée, le ministre de la Culture a indiqué que le CSA avait adressé une mise en garde. Si cela continue, les parlementaires devront entreprendre une démarche collective et manifester leur opposition à ces diffusions.

Mme Monique Limon. Je suis d’accord avec vous, madame la ministre, mais que dire à ces jeunes trentenaires, nés d’un don, qui disent recourir à ces tests récréatifs pour rechercher leurs origines et retrouver leurs géniteurs ? Ils parlent de leur malaise face aux résultats, mais leur demande est forte et mon seul souci est d’y répondre et d’encadrer cette recherche-là.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Il s’agit effectivement d’une question de bioéthique dans sa définition première : au motif qu’une chose est techniquement possible, devons-nous pour autant la souhaiter pour notre société ?

Je réfute l’argument selon lequel il faudrait constituer des bases de données issues des tests récréatifs, comme d’autres le font à l’étranger, pour nourrir l’intelligence artificielle. Étant donné la façon dont est effectué le séquençage et la fiabilité des résultats, je vous laisse imaginer ce que pourraient donner les conclusions tirées d’algorithmes auto-apprenants à partir de ces bases de données !

C’est bien la raison pour laquelle nous avons mis en place le plan Médecine France génomique 2025. Doté de 200 millions d’euros, il vise à sécuriser le stockage sur les plateformes de données et à permettre une véritable recherche à partir des données génomiques, en associant évidemment l’ensemble des laboratoires qui pratiquent ces tests génétiques.

L’objet du Health Data Hub, prévu par la loi santé, est de regarder comment on peut choisir d’utiliser ces données et les mettre à la disposition d’une intelligence artificielle, elle-même au service de l’humanité et de son bien-être.

On a longtemps insisté sur l’importance de la génétique pour expliquer un certain nombre de pathologies, à tel point que l’idée a fini par s’installer dans les esprits qu’à un gène correspond une maladie. Il faut bien comprendre que c’est l’exception et que ce sont en réalité des faisceaux d’indications que l’on obtient : dans le meilleur des cas, les personnes qui ont réalisé ces tests récréatifs se voient indiquer, parmi les informations de type pseudo-médical, des probabilités de risques.

Je vous invite à réfléchir à ce que ces demandes, et les résultats qui en découlent, induisent en termes de liberté des personnes. Évidemment, nous n’en sommes pas là, et heureusement, un certain nombre de lois nous protègent, mais il convient de rappeler, alors que ces pratiques se développent, plusieurs choses.

Tout d’abord, ce n’est pas un jeu que de faire de la génétique : il est normal que les tests soient réalisés par des professionnels, à des fins médicales ou de recherche, de façon très encadrée. Il faut par ailleurs se défaire de l’idée du « tout génétique » : la génétique, on le sait aujourd’hui, n’explique pas tout. Enfin, nos concitoyens doivent savoir que même s’ils ne donnent pas leurs coordonnées personnelles en souscrivant à un test génétique, ils consentent, lorsqu’ils cliquent sur « j’accepte » – sans lire les quatorze pages en arial 5 –, à ce que beaucoup d’informations sur leur vie privée soient aspirées.

M. Bruno Fuchs. En déposant cet amendement, nous ne souhaitions pas le voir adopter, mais ouvrir le débat. Je poserai à nouveau la question de la sanction, dans la mesure où nous comprenons que ces tests ne sont pas un jeu, qu’ils ne sont pas fiables, voire dangereux. Dans la mesure où les Français seront de plus en plus nombreux – des millions dans les années à venir – à faire pratiquer ces tests génétiques, la question demeure : que fait-on ?

L’amendement  1542 est retiré, ainsi que l’amendement n° 1543 de M. Bruno Fuchs.

La commission en vient à l’amendement n° 623 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Les généticiens que nous avons auditionnés, et je pense plus particulièrement aux propos du professeur Arnold Munnich, nous ont alertés. Autoriser le séquençage du génome, plutôt que la recherche sur une séquence d’ADN, entraîne évidemment des découvertes incidentes. Comme Mmes Buzyn et Vidal viennent de le rappeler, ce n’est pas neutre, et l’écart entre la probabilité d’occurrence et le risque certain peut être abyssal. Il convient de traiter ces questions avec beaucoup de prudence. C’est l’objet de cet amendement.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous souhaitez maintenir le cadre juridique actuel, mais l’existence même de ces données incidentes nous oblige à le faire évoluer. La question est de savoir si ces informations seront communiquées aux patients, étant entendu qu’ils devront y avoir consenti.

Bien que les niveaux d’expressivité soient différents, ne nous y trompons pas, certaines mutations conduisent immanquablement à des pathologies : ainsi, une délétion delta-F-508 de la protéine CFTR entraînera à coup sûr la mucoviscidose. Il faut donner un cadre au praticien qui, s’il a recueilli le consentement du patient, pourra discuter avec lui du résultat.

M. Thibault Bazin. Il ne s’agit pas d’empêcher des tests génétiques quand ils sont nécessaires, qu’il existe une finalité médicale et que la personne y a consenti. Mais avec le séquençage, on change d’échelle quant à la quantité d’informations incidentes, sans rapport avec l’affection pour laquelle le patient est traité. Or ces révélations quant à la probabilité de développer une pathologie peuvent avoir un impact fort. Nous devons débattre de la façon de traiter ces informations, le patient peut en être très sérieusement affecté, quand bien même il aura donné son consentement.

M. Philippe Berta, rapporteur. C’est tout l’objet de cet article, qui traite de l’accompagnement. Si j’apprends, par une information incidente, qu’une mutation me donne une probabilité importante de développer un cancer du poumon, je serai au moins incité à arrêter le tabac !

La commission rejette l’amendement n° 623.

Puis elle examine l’amendement n° 1544 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement vise à préciser les modalités de divulgation des résultats obtenus lors d’un test génétique. Le patient doit être accompagné par un professionnel de la santé pour l’analyse et la présentation des résultats d’un test.

M. Philippe Berta, rapporteur. Le code de la santé publique le prévoit déjà.

L’amendement n° 1544 est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement n° 1546 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Le code pénal prévoit une peine de 3 750 euros d’amende à l’encontre d’une personne ayant recours à un test génétique récréatif. Je ne suis pas certain que cette peine ait été prononcée une seule fois.

Nous proposons de compléter l’article 226281 du code pénal par un alinéa ainsi rédigé : « Toute forme de publicité ou d’incitation à l’examen de ses caractéristiques génétiques ou de celles d’un tiers ou l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques en dehors des conditions prévues par la loi est puni de 3 750 euros d’amende. Les entreprises immatriculées à l’étranger proposant la réalisation d’examens de ses caractéristiques génétiques ou de celles d’un tiers ou l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques en France sont punies de 10 000 euros d’amende et d’une interdiction d’exercer sur le territoire français en cas de récidive. Les hôpitaux, les universités ou les instituts français, et donc les chercheurs français, qui collaborent et publient avec les entreprises privées proposant des tests génétiques sont punis de 3 750 euros d’amende. »

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1546.

Ensuite de quoi, elle examine l’amendement n° 1545 de M. Bruno Fuchs.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous ne sommes pas favorables à une demande de rapport supplémentaire.

La commission rejette l’amendement n° 1545.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2320 du rapporteur.

Enfin, elle adopte l’article 10 modifié.

Après l’article 10

La commission examine l’amendement n° 1751 de Mme Nicole Dubré-Chirat.

M. Jean-Louis Touraine. Défendu.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cet amendement a également trait aux tests récréatifs. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1751.

Elle est saisie de l’amendement n° 1303 de Mme Elsa Faucillon.

M. Pierre Dharréville. J’ai défendu cet amendement.

M. Philippe Berta, rapporteur. Même avis que précédemment.

La commission rejette l’amendement n° 1303.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 1020 de Mme Annie Genevard.

M. Thibault Bazin. Après avoir entendu les propos des ministres, j’estime que cet amendement de Mme Genevard est le bienvenu, puisqu’il prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport portant sur les risques, notamment psychologiques, susceptibles de résulter, pour le patient, de la révélation des résultats d’un examen de caractéristiques génétiques sans relation avec l’indication initiale ou l’objectif initial de l’examen pratiqué.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1020.

La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente.

Article 11
Garanties entourant le recours à des traitements algorithmiques de données massives en santé

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 2321 du rapporteur et n° 1629 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

M. Philippe Berta, rapporteur. Mon amendement n° 2321 prévoit l’information du patient préalablement à l’utilisation d’un traitement algorithmique de données massives, conformément au principe de consentement aux soins.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. La demande d’un consentement du patient préalablement à l’utilisation d’un traitement algorithmique des données massives ne me semble pas pertinente.

Il existe de multiples façons de traiter un échantillon ; l’intelligence artificielle n’est qu’un dispositif médical comme un autre, régi par les règles encadrant le recours aux dispositifs médicaux. Il n’y a pas, pour les patients, de risques spécifiques à l’utilisation de ce procédé. L’essentiel est qu’il y ait toujours une intervention humaine, et c’est l’objet du présent article. Un médecin est toujours tenu de se fonder sur les meilleurs moyens d’investigation existants, dont les logiciels d’aide à la décision font partie.

Mais les patients ne sont pas informés de toutes les analyses et tous les examens qui vont être faits à partir d’un prélèvement ; il n’y a pas de raison de faire de l’intelligence artificielle une pratique à part. L’essentiel est la transparence ; on ne peut pas dire à l’avance aux patients quelles techniques seront utilisées dans le détail. C’est au professionnel de santé, au fur et à mesure que l’examen s’affine, de décider de faire appel à une technique ou une autre. Le code de déontologie prévoit que le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée. Il n’est pas pertinent de prévoir un régime particulier pour l’intelligence artificielle, le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement n° 1629 s’appuie sur une recommandation formulée par le Comité consultatif national d’éthique dans son avis 129. Cette mesure est également préconisée par le rapport Touraine de 2019 afin d’écarter le risque de délégation du consentement du patient engendré par l’intelligence artificielle.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je précise que mon amendement n° 2321 ne prévoit pas un consentement du patient, simplement une information.

M. Thibault Bazin. Informer le patient préalablement à l’utilisation de cette technique me semble positif, mais pas suffisant.

Nous présentons des amendements prévoyant des dispositions complémentaires, et je crains que nous ne puissions pas les soutenir si celui-ci est adopté. Mon amendement n° 989, prévoit de mentionner « toute technique actuelle ou à venir de l’intelligence artificielle », parce que la seule notion de traitements algorithmiques de données massives est insuffisante. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle n’a plus besoin d’algorithmes et se développe par des réseaux neuronaux, comme l’ont souligné l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques et le Comité consultatif national d’éthique.

Un autre amendement fait suite à l’audition du Défenseur des droits, qui nous a mis en garde sur la représentativité des données massives. Il estime qu’il existe un véritable biais à ce sujet ; nous devons nous assurer que l’algorithme est performant pour tous, dans un souci de justice sociale.

Mme Martine Wonner. Je souhaite interroger les ministres concernant les vies des personnes adultes nées de dons, qui ne connaissent pas leurs origines.

Certaines d’entre elles sont membres d’associations et se rencontrent régulièrement, tant et si bien, la vie est ainsi faite, que parfois, un homme et une femme tombent amoureux. C’est merveilleux, mais ils peuvent avoir l’angoisse d’être issus du même donneur. Naturellement, ils ont aujourd’hui tendance à recourir aux tests récréatifs. Quelle réponse pouvons-nous leur apporter ?

M. Patrick Hetzel. Je trouve l’amendement de M. Berta très intéressant, même si nous allons plus loin en proposant que le patient ne soit pas seulement informé, mais qu’il donne son consentement. Le Défenseur des droits insiste sur la nécessité de donner un maximum d’informations, voire de demander le consentement, car ces sujets sont éminemment sensibles. Je comprends la nécessité de trouver un équilibre, mais il faut faire en sorte de donner préalablement un maximum d’informations aux patients.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. L’expression « traitement algorithmique de données massives » a été consacrée par le CCNE. Elle inclut les techniques d’utilisation de l’intelligence artificielle, notamment les réseaux de neurones.

Exiger d’expliquer l’algorithme qui sera utilisé reviendrait, lors d’un examen d’anatomie et cytologie pathologiques, à demander a priori quelles colorations seront utilisées ou si l’on fera une coupe en congélation ou en inclusion de paraffine… C’est au fur et à mesure des résultats que l’on estime s’il faut inclure de nouvelles demandes afin de confirmer le diagnostic.

Exiger qu’une base de données unique et certifiée soit utilisée pour tout le monde est contraire à la manière intelligente d’utiliser les sous-groupes. Si vous utilisez une base de données représentant la population générale pour traiter le cas d’une pathologie portée par le chromosome Y, la moitié des informations ne sera pas pertinente ; il faudra restreindre la base de données. Si l’interrogation est liée à une première pathologie constatée, la base de données la plus pertinente est celle qui regroupe les personnes ayant développé ce type de pathologie, et il est très difficile de le déterminer à l’avance.

Vos propositions reviennent à demander un consentement a priori à l’utilisation de l’intelligence artificielle sans être capable d’expliquer précisément ce qui sera cherché. Il nous paraît plus important qu’a posteriori, comme pour tous les rendus médicaux, on soit capable d’expliquer les examens formulés, et pourquoi ils ont abouti à proposer ce diagnostic, ce traitement ou cette prévention. C’est tout l’intérêt de maintenir une intervention humaine dans le traitement algorithmique des données : il est très compliqué de dire dès le départ quel type d’examen sera nécessaire pour proposer le traitement ou la prévention. Imposer par la loi d’informer a priori des examens qui seront nécessaires, alors que le diagnostic ne peut être posé qu’après leurs résultats, ne nous paraît pas pertinent.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Concernant les jeunes issus de procréation médicalement assistée qui s’interrogent sur le risque de consanguinité, je tiens à vous rassurer : il s’agit d’une indication médicale, totalement couverte par prescription médicale.

La demande en recherche de consanguinité peut être effectuée pour rassurer ces couples quant à l’absence de risques pour leur descendance, ils n’ont pas besoin de recourir aux tests récréatifs. S’ils ont le moindre doute, ils doivent aller voir leur médecin pour demander une prescription médicale de recherche de consanguinité, qui se pratique dans les laboratoires de génétique ; et c’est une indication médicale remboursée.

M. Pascal Brindeau. Je comprends que l’on ne puisse pas prédéterminer un type de traitement algorithmique, et donc en informer le patient a priori. Mais il arrive, dans les cas de pathologies évolutives, que le médecin propose des protocoles sans savoir par avance s’ils seront efficaces, et qu’il les adapte ensuite. Dans ce cas, il y a bien un dialogue avec le patient pour expliquer quelles seront les conséquences de telle ou telle solution.

Un tel dialogue peut également avoir lieu en matière d’intelligence artificielle, bien qu’il puisse être très difficile pour un médecin d’expliquer des techniques qu’il ne maîtrise pas forcément, et que la vulgarisation auprès du patient soit complexe. Le recueil du consentement peut se discuter de mon point de vue, mais cet échange a priori me semble très important.

La commission rejette successivement les amendements n° 2321 et 1629.

L’amendement n° 989 de M. Thibault Bazin est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 492 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Comme je l’indiquais tout à l’heure, suivant l’avis du Défenseur des droits, nous proposons de ne pas nous limiter à l’information du patient a priori, mais de recueillir son consentement explicite.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous venons d’en débattre ; nous avions choisi de ne pas demander le consentement. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Dans le cadre de la relation entre le médecin et son malade, pour demander un consentement ou donner une information, il faut fournir une information complète sur les risques et les bénéfices. Le recours à l’intelligence artificielle ne fait pas courir de risques à la santé du malade, et il va se développer dans tous les domaines, par exemple pour l’analyse d’images de scanner.

Quelle serait exactement la nature d’un consentement sur la base d’une information éclairée pour les milliers de dispositifs d’intelligence artificielle qui vont se développer ? Il nous semble préférable de prévoir qu’une intervention humaine est toujours nécessaire pour analyser la pertinence des résultats, l’action qui doit en découler. C’est une régulation beaucoup plus robuste que d’exiger une information ou un consentement a priori. Que pourrait-on dire par avance au malade ? Que l’on va utiliser de l’intelligence artificielle, sans donner d’informations plus détaillées.

M. Patrick Hetzel. Je suis sensible à ces arguments, je retire l’amendement.

L’amendement n° 492 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1946 de M. Yannick Favennec Becot.

M. Yannick Favennec Becot. Dans les cas d’utilisation de traitements algorithmiques, il est essentiel que la personne qui bénéficiera d’un acte en faisant usage en soit informée en amont.

Cette information qui devra être claire, loyale et appropriée ne peut être communiquée au moment des résultats, car cela reviendrait à porter atteinte à sa liberté de choix et à son droit d’opposition.

De plus, la question de la certification des algorithmes se pose : il faut s’assurer qu’il y aura le moins de biais possibles, car n’importe quel algorithme ne pourra être utilisé. Je rappelle d’ailleurs que lors de nos auditions, les experts ont demandé une labellisation ou une certification de ces algorithmes.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous en avons déjà débattu : avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Les algorithmes sont considérés comme des dispositifs médicaux ; de ce fait, par définition, ils sont certifiés.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Comme je l’ai exposé précédemment, imposer l’information préalable me paraît inopportun car nous ne savons pas comment informer.

En revanche, l’évaluation de ces dispositifs soulève d’importantes questions. Si un dispositif conclut à la nécessité de changer la prise en charge médicale d’un patient, il s’agit d’un dispositif médical qui doit faire l’objet d’un marquage CE selon la réglementation européenne. Et s’il doit être intégré aux soins, il doit faire l’objet d’une évaluation par la Haute Autorité de santé pour permettre un remboursement de l’objet ou de l’acte qui utilise l’algorithme.

Il existe donc un processus d’analyse du niveau d’implication du dispositif dans la prise en charge, et s’il modifie les traitements, il se voit appliquer la réglementation applicable aux dispositifs médicaux : marquage CE et évaluation de la HAS.

La commission rejette l’amendement n° 1946.

Les amendements n° 965 et n° 1653 de M. Thibault Bazin sont retirés.

La commission en vient à l’amendement n° 2068 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Cet amendement porte sur la certification et la labellisation de ces processus. Suite aux explications de la ministre, je le retire.

L’amendement n° 2068 est retiré.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette ensuite l’amendement n° 2120 de M. Yannick Favennec Becot.

Elle en vient à l’amendement n° 966 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je propose de créer une labellisation pour l’utilisation des techniques, actes, procédés, méthodes et équipements utilisant des traitements de données massives. Un décret en fixerait les modalités de certification.

Créer une certification pour toutes ces utilisations, à l’instar des médicaments mis sur le marché, permettrait de rassurer les patients et les professionnels qui auraient recours à ce type d’actes.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il s’agit d’imposer à un algorithme une obligation de certification et de labellisation supplémentaire par la HAS, ce qui est contraire à la réglementation européenne actuelle. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 966.

Elle en vient à l’amendement n° 1656 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Selon les recommandations de la CNIL, l’alinéa 3 devrait être précisé en s’assurant que la personne concernée a bien été informée, et surtout que son consentement a été recueilli non seulement quand le traitement algorithmique est paramétré définitivement, mais aussi lors de la phase de paramétrage.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il ne paraît pas nécessaire de prévoir un consentement préalable au paramétrage : par définition, le patient l’a donné avec son consentement général aux soins. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1656.

Elle en vient à l’amendement n° 2322 du rapporteur.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cet amendement pour objet de préciser que l’adaptation des paramètres d’un traitement algorithmique de données massives pour des actes à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique, ne peut être réalisée sans l’intervention d’un professionnel de santé.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Cet amendement est satisfait, puisque le projet de loi prévoit que le professionnel de santé est associé au paramétrage du traitement, et qu’il peut en demander la modification compte tenu des données de son patient. Tout l’objectif de cet article est de donner plus de sécurité au patient.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous proposons simplement une clarification de la rédaction.

La commission adopte l’amendement n° 2322.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 1120 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il convient de limiter les modifications possibles des traitements algorithmiques par les professionnels de santé aux seules modalités prévues lors de la conception de ce traitement.

Si les algorithmes prévoient que certains paramètres soient adaptés par le professionnel afin de répondre au mieux aux besoins spécifiques d’un patient, il en est d’autres pour lesquels toute modification porterait atteinte à l’intégrité de l’algorithme. Les modalités d’adaptation sont prévues dans le respect des exigences de sécurité requises par la réglementation européenne, les produits visés répondant à la définition de dispositif médical.

Ainsi, toute adaptation hors de ce cadre ne permettrait pas de garantir la bonne utilisation du traitement algorithmique ainsi que la performance et la sécurité de ses résultats, utilisés à des fins médicales.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Une fois de plus, il me semble difficile de couvrir par cet article l’ensemble des traitements algorithmiques possibles, étant donné que des algorithmes seront intégrés aux mécanismes d’auto-apprentissage.

Il me paraît finalement plus sûr pour le patient de prévoir la certification des traitements algorithmiques – c’est tout l’enjeu du label dispositif médical – et de comprendre comment se fait l’auto-apprentissage de l’algorithme. L’amendement me semble satisfait, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1120.

Elle en vient à l’amendement n° 1630 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cet amendement vise à garantir la liberté du médecin en précisant que ce dernier n’est pas tenu de suivre les indications d’un algorithme, et ne peut fonder sa décision médicale sur les seules données fournies par un algorithme.

Cette mesure, soutenue par le Conseil d’État, permettra d’éviter une perte de responsabilité du médecin au profit de l’algorithme. Bien que la répression de l’exercice illégal de la médecine puisse fonder l’interdiction d’un diagnostic établi uniquement par un système d’intelligence artificielle, une telle interdiction mériterait néanmoins d’être rappelée de manière plus nette comme le recommande le Conseil d’État.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cet amendement est satisfait par le cadre juridique actuel. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1630.

Elle est saisie de deux amendements pouvant faire l’objet d’une discussion commune,  1896 de M. Yannick Favennec Becot et n° 1679 de M. Thibault Bazin.

M. Yannick Favennec Becot. Cet article prévoit que la traçabilité des actions d’un traitement algorithmique et des données ayant été utilisées par celui-ci est assurée, mais il ne précise pas les modalités de cette garantie.

Mon amendement n° 1896 vise donc à prévoir des référentiels de bonnes pratiques, afin de préciser et d’établir les modalités de cette traçabilité. Les associations représentant les usagers de la santé devront participer à l’élaboration et la validation de ces référentiels, en lien avec la CNIL.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 1679 est défendu.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable. La traçabilité des actions d’un traitement algorithmique de données massives ne peut être assurée par des référentiels de bonnes pratiques, mais plutôt à la rigueur selon de tels référentiels.

La commission rejette successivement les amendements n° 1896 et n° 1679.

Elle est saisie de l’amendement n° 1596 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Pierre-Alain Raphan. La Constitution suisse contient un article intéressant, en vertu duquel toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent. Avec le développement de l’intelligence artificielle, je ne suis pas certain que nous maîtrisions l’ensemble de la chaîne. Je suis inquiet du stockage des données de santé sur des systèmes qui pourraient échapper au droit européen.

Nous avons évoqué le Cloud Act américain lors des auditions ; je sais que des serveurs aux États-Unis risquent de laisser fuiter des données, ou que des données de santé des Français pourront être saisies sans le consentement direct du patient.

C’est pourquoi je demande le stockage de ces données sur des serveurs français, gérés par des sociétés françaises.

M. Philippe Berta, rapporteur. Ce point aurait pu être discuté avant l’introduction du règlement général sur la protection des données (RGPD), mais depuis son adoption, je ne peux que donner un avis défavorable.

M. Brahim Hammouche. Le RGPD est effectivement en place, mais sommes-nous suffisamment vigilants et transparents ? Il s’agit de propriété et de sécurité ; cet amendement pose des questions auxquelles il faut être très vigilant, et je lui apporte mon soutien.

M. Pierre-Alain Raphan. Je suis d’accord, monsieur le rapporteur, que le RGPD a été un progrès énorme pour la protection des données, mais il me semble que le Cloud Act n’a pas encore été pris en compte. L’Union européenne se penche actuellement sur le sujet, et je souhaite que la France apporte une protection supplémentaire en réponse à l’adoption du Cloud Act. Nous pourrons en rediscuter et travailler à cela ensemble en vue de la séance ; en attendant, je retire l’amendement.

L’amendement n° 1596 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1665 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je propose de compléter l’alinéa 4 en ajoutant la phrase : « L’efficacité attendue de ce traitement est évaluée. »

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1665.

Elle en vient à l’amendement n° 895 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Dans le cadre de la préparation de la réforme que traduit le présent projet de loi, la mission parlementaire d’information avait émis le vœu qu’une réflexion éthique particulière soit conduite autour de l’emploi dans un cadre thérapeutique de l’intelligence artificielle.

Compte tenu de l’importance prévisible du développement du recours à ces techniques, il paraît important d’inscrire dans la loi le principe de cette réflexion.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable. Une réflexion éthique autour de l’emploi dans un cadre thérapeutique de l’intelligence artificielle est d’ores et déjà envisagée dans le cadre de l’extension du périmètre de compétence du CCNE prévue à l’article 29 du projet de loi.

La commission rejette l’amendement n° 895.

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 523 de M. Patrick Hetzel, n° 967 de M. Thibault Bazin et n° 1113 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Patrick Hetzel. Force est de reconnaître que les dispositions de cet article sont très générales. Certes, la loi ne peut pas toujours être précise, mais nous considérons qu’en l’espèce un certain nombre de points méritent d’être clarifiés, particulièrement l’interprétation du traitement algorithmique et son utilisation. Pour ce faire, nous proposons par l’amendement n° 523 de renvoyer à un décret en Conseil d’État. L’objectif est notamment de veiller au respect des droits du patient. Il s’agit d’ailleurs d’une recommandation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

M. Thibault Bazin. En complément des arguments de mon collègue Patrick Hetzel, je dirai qu’il ressort clairement de l’audition de l’Ordre des médecins, il y a dix jours, mais aussi de ce que les usagers nous ont dit, qu’en dépit des obligations qui sont fixées et du fait que l’on réintroduise le médecin dans la relation – ce qui est très bien –, il n’est pas sûr que l’on permette à celui-ci d’avoir une connaissance suffisante de l’algorithme utilisé. Du reste, vous l’avez dit vous-mêmes, une multitude d’algorithmes pourrait être utilisée. Il faut faire en sorte que les compétences du professionnel permettent à celui-ci de s’assurer en aval – puisqu’il a été refusé que ce soit fait en amont – que le traitement est en adéquation avec l’acte pour lequel il a été utilisé. Il convient donc d’apporter des précisions sur ce point, comme le propose mon amendement n° 967. J’en profite pour vous dire, monsieur le rapporteur, que je n’ai pas parfaitement compris l’argument que vous avez avancé contre la labellisation des utilisations et celui qui concernait les référentiels.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement n° 1113 vise à confier à la Haute Autorité de santé (HAS) la mission qui consiste à élaborer une liste de recommandations pratiques pour une application concrète du principe de « garantie humaine » dans le numérique en santé, établi par cet article. En effet, il convient de recourir à des experts pour élaborer dans le détail le sens et les applications de cette garantie.

M. Philippe Berta, rapporteur. La référence à un décret en Conseil d’État n’apparaît pas utile. Par ailleurs, M. Hetzel et M. Bazin ne précisent pas les points sur lesquels porterait le décret. Les précisions relatives aux modalités d’application pourraient être plus utilement apportées tout à la fois par les recommandations de bonnes pratiques de laboratoire (BPL) de la Haute Autorité de santé ou par des lignes directrices de la CNIL, par exemple. Avis défavorable.

En ce qui concerne l’amendement défendu par Mme de Vaucouleurs, dont je suis cosignataire, j’ai changé d’avis : la référence à un arrêté n’apparaît finalement pas pertinente. Défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Je tiens à préciser, car c’est quelque chose d’important, que les équipes sont pluridisciplinaires. On ne demande pas, par exemple, à un médecin qui utilise la radiologie d’être un spécialiste de radiologie ; mais, dans l’équipe pluridisciplinaire, il y a un radiologue. Par ailleurs, je vois mal comment un décret pourrait expliquer comment se fait la restitution à un patient, par un médecin, de ses données de santé.

La commission rejette successivement les amendements n° 523, n° 967 et n° 1113.

Puis elle adopte l’article 11 modifié.

Après l’article 11

La commission examine l’amendement n° 699 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Les potentialités prédictives des technologies peuvent gravement entraver la vie économique et sociale d’une personne dès lors que la probabilité de survenance d’une maladie l’empêcherait, par exemple, de conclure une police d’assurance ou d’obtenir un prêt bancaire. Il est donc essentiel d’établir des limites claires et fermes qui ne doivent pas être dépassées. C’est pourquoi je vous propose, après l’article 16-10 du code civil, d’insérer un article ainsi rédigé : « Les technologies prédictives appliquées à la santé humaine ne peuvent, en aucun cas, influer négativement sur la vie économique et sociale des personnes concernées. ».

M. Philippe Berta, rapporteur. On comprend bien l’intention, d’ailleurs tout à fait louable. Toutefois, j’ai beau lire et relire cet amendement, sa rédaction me paraît assez imprécise. Il ne répond donc pas à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2005-514 du 28 avril 2005. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 699.

Elle en vient alors à l’amendement n° 1637 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le présent amendement vise à garantir la liberté du médecin en précisant qu’il n’est pas tenu de suivre les indications d’un algorithme. Ce dernier a simplement pour rôle d’éclairer la prise de décision médicale, et non d’imposer le choix d’un traitement. Ainsi, et conformément à la proposition n° 42 du rapport Touraine, il convient de préciser qu’une faute ne peut être établie du seul fait que le praticien n’aurait pas suivi les recommandations d’un algorithme, quand bien même celles-ci se seraient révélées exactes. Cette mesure, soutenue par le Conseil d’État, permettra d’éviter une perte de responsabilité du médecin au profit de l’algorithme.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je comprends bien votre volonté de garantir la liberté du médecin vis-à-vis des données fournies par un algorithme. Toutefois, il ne me semble pas nécessaire de faire référence au régime de responsabilité médicale. La rédaction de l’article 11 laisse d’ores et déjà entendre que le médecin n’est pas tenu de suivre les résultats obtenus. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Je voudrais expliquer à quel point il me semble dangereux d’inscrire cela dans la loi. Un médecin, face à un examen biologique ou à une radio, peut décider, pour telle ou telle raison, de s’écarter de l’information qu’il a obtenue à travers ces dispositifs. Avec les algorithmes, on atteint un niveau supplémentaire d’aide au diagnostic et à la prise en charge ; il n’en demeure pas moins que le médecin, au quotidien, fait des choix. Soit il tient compte d’une donnée dont il dispose, soit il décide de s’en écarter : c’est là sa responsabilité propre.

Écarter systématiquement la responsabilité d’un médecin qui n’aurait pas tenu compte d’une information fournie par un algorithme très robuste augmenterait d’ailleurs, d’une certaine manière, les risques pour les patients, car cela reviendrait à exonérer totalement les médecins qui ne tiendraient pas compte de certaines informations médicales. C’est aux médecins qu’il revient d’évaluer, dans leur pratique, les informations qu’ils reçoivent, mais dire qu’ils ne seraient pas responsables au motif que ces informations proviendraient d’un algorithme me pose problème.

Mme Michèle de Vaucouleurs. J’entends tout à fait vos arguments. Mon collègue Cyrille Isaac-Sibille, qui est à l’origine de cet amendement, jugera de l’opportunité de le présenter de nouveau en séance. À ce stade, je le retire.

L’amendement n° 1637 est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 1631 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Dans le même esprit que précédemment, le présent amendement vise à garantir la liberté du médecin en précisant que ce dernier n’est pas tenu de suivre les indications d’un algorithme et qu’il ne peut fonder sa décision médicale sur les seules données fournies par un algorithme. Cette mesure, soutenue par le Conseil d’État, permettra d’éviter une perte de responsabilité du médecin au profit de l’algorithme. Bien que la répression de l’exercice illégal de la médecine puisse fonder l’interdiction d’un diagnostic établi uniquement par un système d’intelligence artificielle, une telle interdiction mériterait d’être rappelée de manière plus nette, comme le recommande le Conseil d’État.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cet amendement s’inscrit effectivement dans la lignée de l’amendement précédent : avis défavorable également.

La commission rejette l’amendement n° 1631.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1003 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je vous propose d’inscrire dans le texte le principe fondamental de la garantie d’une supervision humaine de toute utilisation du numérique dans le domaine de la santé, ainsi que l’obligation d’instaurer à tout moment, pour une personne qui le souhaiterait, la possibilité d’un contact humain avec quelqu’un qui serait en mesure de lui transmettre l’ensemble des informations concernant les modalités d’utilisation du numérique dans le cadre de son parcours de soins. Cette proposition s’inspire des préconisations du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable. Ces principes se déduisent d’ores et déjà du texte même de l’article 11. De plus, si je puis me permettre, la rédaction de cet amendement est un peu imprécise et ne répond donc pas à l’objectif de clarté de la loi.

La commission rejette l’amendement n° 1003.

Elle en vient alors à l’amendement n° 1644 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Pierre-Alain Raphan. Une application d’intelligence artificielle vient de m’indiquer que mon amendement recevrait sûrement un avis défavorable…

M. Thibault Bazin. Bienvenue au club ! (Sourires.)

M. Pierre-Alain Raphan. Il vise à garantir le même principe que l’amendement de M. Bazin. L’application me conseille de le retirer. (Sourires.)

M. Philippe Berta, rapporteur. Très bonne application !

M. Thibault Bazin. Comme quoi l’intelligence artificielle bride la liberté ! Résiste ! Prouve que tu existes ! (Sourires.)

L’amendement n° 1644 est retiré.

Article 12
Encadrement du recours aux techniques d’enregistrement
de l’activité cérébrale

La commission examine l’amendement  533 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement n° 533 va de pair avec l’amendement n° 532 que je vous présente donc par avance.

Ces amendements abordent un problème de sémantique mais aussi, au-delà, de définition. L’enregistrement de l’activité cérébrale, selon la formulation retenue dans le projet de loi, inclut un certain nombre d’examens, dont l’électroencéphalogramme et l’IRM fonctionnelle, mais pas les techniques utilisant l’imagerie anatomique, comme le scanner ou l’IRM. Autrement dit, les termes « enregistrement de l’activité cérébrale » introduisent de la confusion. Surtout, on laisse entendre que des techniques telles que l’IRM fonctionnelle ou l’électroencéphalogramme pourraient être utilisées à des fins judiciaires, ce qui n’est pas préconisé – et n’est d’ailleurs pas prévu dans le projet de loi. Pour toutes ces raisons, je souhaiterais, comme indiqué dans l’amendement n° 532, substituer le mot « imagerie » aux mots « enregistrement de l’activité », de manière à en rester à l’état actuel du droit.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. En ce qui me concerne, je préfère la formulation du projet de loi. En effet, il existe de nombreux moyens de mesurer l’activité cérébrale : au-delà de l’imagerie – notamment l’IRM fonctionnelle, que vous avez citée –, on peut faire appel à bien d’autres techniques telles que l’électroencéphalogramme et la stimulation magnétique crânienne. Il me semble que le terme retenu dans le texte couvre l’ensemble, intégrant aussi l’imagerie.

M. Jean-François Eliaou. Si j’ai bien compris, le rapporteur est défavorable à mon amendement. En soi, cela ne me pose pas de problème ; mais, comme je l’ai indiqué en juillet dernier dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), je pense qu’il est très important de définir les examens fonctionnels qui seront interdits lors d’une procédure judiciaire. Mon problème n’est pas la recherche ou le domaine médical ; effectivement, il faut disposer de tous les aspects, aussi bien anatomiques que fonctionnels, de l’activité cérébrale. Mon souci est très simple : il est de faire en sorte que les techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale ne soient pas utilisées dans le cadre de procédures judiciaires, premièrement, parce que cela n’est pas fiable, deuxièmement, parce que c’est tout à fait contestable sur le plan éthique. Par conséquent, nous avons travaillé avec le Gouvernement pour trouver la dénomination la plus juste. Je reste ouvert à d’autres dénominations que celle que je propose, mais je ne veux pas que soit utilisé à des fins judiciaires quelque enregistrement de l’activité cérébrale que ce soit. Non seulement il serait très compliqué de l’analyser, mais ce serait une dérive bioéthique qui me poserait problème.

M. Brahim Hammouche. Il s’agit effectivement d’un point de vigilance sur le plan éthique. La neuro-imagerie et les neurosciences disent des choses, mais on ne peut pas leur faire dire tout. Ne pas tenir compte du contexte serait une erreur aussi importante que, s’agissant des gènes, de ne pas tenir compte de l’environnement.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Sur le fond, il conviendra peut-être, effectivement, de retravailler le texte en séance. Il est vrai que la modification du code civil et du code pénal telle que proposée peut prêter à confusion.

M. Jean-François Eliaou. Après ce que vient de déclarer Mme la ministre, je retire bien entendu mon amendement. Nous retravaillerons en vue de la séance. Je serai extrêmement vigilant sur la rédaction qui sera retenue.

L’amendement  533 est retiré.

La commission examine l’amendement  1598 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Pierre-Alain Raphan. Dans le même esprit que ce que vient de proposer M. Eliaou, je propose de préciser le texte en substituant au mot « enregistrement » les mots « traitement des données issues », pour s’assurer de la maîtrise des données de santé et de leur utilisation, afin que celle-ci reste strictement médicale.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je propose que nous en restions à ce que Mme la ministre vient de déclarer : tout le monde va se remettre à travailler sur la question dans les jours qui viennent.

M. Pierre-Alain Raphan. Eh bien, travaillons ensemble avec M. Eliaou, Monsieur Berta ! Je retire l’amendement n° 1598 et nous travaillerons ensemble en vue de la séance.

L’amendement  1598 est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement  532 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Je le retire car il allait de pair avec l’amendement n° 533.

L’amendement  532 est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement  1110 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le présent amendement vise à interdire aux banques, assurances et mutuelles une sélection et stratification de leur clientèle en fonction de critères comportementaux sur la base des données de santé. Il s’appuie sur une recommandation formulée par le rapport d’analyse prospective 2 019 de la HAS. En effet, l’émergence de techniques permettant de traiter des données massives incite ces entreprises à écarter les clients qui présentent des risques élevés et sont donc peu profitables. Cette pratique pourrait mettre en péril le principe de mutualisation des risques : les adhérents ayant de « bons » comportements pourraient estimer qu’il convient de démutualiser leurs risques dans le portefeuille de leur assurance complémentaire.

Notre pays ne s’est pas doté d’un arsenal juridique de nature à empêcher cette sélection, dont nous pouvons penser qu’il sera tentant de l’accentuer du fait de la disponibilité grandissante des données de santé. Si le fait de prendre en compte l’état de santé d’une personne pour lui refuser un emploi ou un service constitue une discrimination passible de sanctions, la loi a maintenu quelques exceptions en matière d’assurance. Dans ces conditions, le risque d’une stratification des clientèles, à laquelle s’ajouterait la démutualisation des risques, du fait du recours à des données de santé, est susceptible de se concrétiser à l’avenir. Pour éviter de porter atteinte aux solidarités universelle ou catégorielle d’assurance maladie, de telles pratiques devraient être interdites.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. L’amendement est satisfait : tout cela est déjà largement réglementé. Je vous propose donc de retirer l’amendement ; à défaut, j’appellerais à son rejet.

La commission rejette l’amendement  1110.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette ensuite l’amendement  1111 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Elle en arrive alors à l’amendement n° 2364 du rapporteur.

M. Philippe Berta, rapporteur. Puisque nous avons décidé collectivement de réécrire l’article 12, je retire l’amendement n° 2364.

L’amendement n° 2364 est retiré.

La commission adopte l’article 12 sans modification.

Article 13
Encadrement des dispositifs de neuro-modulation

La commission adopte l’amendement rédactionnel  2323 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement  1604 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Pierre-Alain Raphan. Il s’agit, ici encore, de l’évolution des techniques d’intelligence artificielle appliquées à la santé. L’amendement n° 1604 concerne la neuro-modulation. On sait que des expériences ont lieu dans ce domaine outre-Atlantique, notamment sur l’initiative d’Elon Musk, avec Neuralink. L’objectif est d’augmenter l’activité cérébrale pour devenir potentiellement plus réactif et plus intelligent. Il importe de s’assurer que l’utilisation de ces techniques est strictement médicale, et non de confort.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il semble difficile de n’autoriser les dispositifs de neuro-modulation qu’à des fins médicales, puisqu’il en existe déjà dans d’autres secteurs, en particulier à visée de détente et de relaxation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement  1604.

Elle en arrive à l’amendement  1603 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Pierre-Alain Raphan. L’amendement n° 1603 participe du même esprit que le précédent. Je ne suis pas très satisfait de la réponse qui vient de m’être faite, car on risque, à long terme, de s’orienter vers une forme de transhumanisme. C’est pourquoi je réitère ma demande d’une utilisation strictement médicale de la neuro-modulation.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je reste défavorable à de tels amendements. Nous allons reparler du transhumanisme dans les minutes ou les heures qui viennent. Peut-être faudra-t-il le définir un peu mieux.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Avis défavorable également. Il y a tant de choses qui modulent l’activité cérébrale ! Quand vous apprenez à lire, vous modulez votre activité cérébrale ; quand vous écoutez de la musique, cela a un impact sur votre activité cérébrale. Il faut donc faire attention à ce que l’on écrit dans la loi. Demander que la modification de l’activité cérébrale ait seulement des fins médicales n’a pas beaucoup de sens. Quand on parle, par exemple, on n’a pas la même activité cérébrale que quand on ne parle pas.

M. Pierre-Alain Raphan. Merci, madame la ministre, pour votre éclairage. J’aimerais quand même que nous travaillions ensemble sur la question car ce qui se passe avec ces nouvelles technologies, notamment ce que fait Elon Musk, qui réussit dans tous ses projets, m’inquiète au plus haut point. Il faut protéger notre espèce. Je voudrais savoir comment on pourrait encadrer ces techniques, au moins pour nos concitoyens.

La commission rejette l’amendement  1603.

Elle est ensuite saisie de l’amendement  968 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il convient d’encadrer davantage l’utilisation éventuelle de tout dispositif de neuro-modulation. En effet, cette technique, sans porter atteinte à la santé humaine, peut ne pas respecter la dignité d’une personne. Je propose donc d’ajouter, à la première phrase de l’alinéa 4, après le mot « humaine », les mots « , ou ne respectant pas le respect de la dignité humaine, ou ne respectant pas le principe de justice entre tous ».

M. Philippe Berta, rapporteur. Il me semble que la dignité humaine est déjà largement protégée par le Conseil constitutionnel. En ce qui concerne le « principe de justice entre tous », je trouve la formulation, là encore, si je puis me permettre, relativement peu précise. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement  968.

Elle examine ensuite l’amendement  570 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, vous évoquiez le transhumanisme. De fait, on se demande fréquemment, à l’heure actuelle, si on se dirige vers l’homme augmenté. Un certain nombre de dispositifs existent d’ores et déjà : il suffit de voir les exosquelettes utilisés par l’armée française – même s’il est vrai qu’il s’agit de dispositifs extérieurs au corps humain. Cela dit, on voit bien qu’il y a un risque de glissement. Les procédés de neuro-modulation peuvent poursuivre un objectif que je me permets de qualifier de transhumaniste, tout simplement parce qu’on n’est plus seulement dans une visée d’amélioration : on veut aller vers une augmentation de la performance du corps humain lui-même, plus précisément au niveau neurologique. On touche là une limite. En tout cas, la question mérite un débat. Je crois qu’il faut fixer des lignes rouges. Sinon, on ne sait pas où les choses s’arrêteront – M. Raphan le disait parfaitement tout à l’heure. Pour ma part, je pense qu’il faut interdire les procédés de neuro-modulation dès lors qu’ils peuvent conduire au transhumanisme.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je partage totalement cette inquiétude, bien sûr. Qui ne la partagerait pas ? Toutefois, le principe de dignité humaine est protégé par le Conseil constitutionnel, je l’ai dit ; je pourrais également vous rappeler les articles 16 et 16-4 du code civil. Une fois encore, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement  570.

Elle adopte ensuite l’article 13 modifié.

Après l’article 13

La commission examine l’amendement  577 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 577 et le précédent, qui ont été déposés sur l’initiative de notre collègue Annie Genevard, ont leurs racines dans les travaux de David Le Breton, sociologue strasbourgeois qui, dans l’un de ses papiers, montre bien que certaines tendances qui se développent visent à dire adieu au corps, autrement dit à mettre de côté la dimension strictement charnelle – c’est cela, le transhumanisme. Il nous semble donc pertinent d’écrire clairement dans le code civil cette chose toute simple : « Toute pratique transhumaniste tendant à l’amélioration ou l’augmentation de la personne humaine est interdite. ».

M. Philippe Berta, rapporteur. Je vous ai déjà répondu : nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de la personne humaine. C’est un principe de valeur constitutionnelle ; c’est aussi le sens du code civil. Ce que vous demandez est donc d’ores et déjà très clairement garanti. Une fois encore, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement  577.

Elle est alors saisie de l’amendement  1651 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Pierre-Alain Raphan. Il n’aura échappé à personne qu’il y a une forme de désynchronisation entre le temps technologique et le temps politique. L’objectif de l’amendement n° 1651 est de proposer un rapport annuel de veille technologique et d’évaluation de l’impact de l’évolution des nouvelles technologies sur la santé, les données de santé et les pratiques médicales.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je me suis moi-même suffisamment exprimé sur le décalage existant entre le temps scientifique, le temps sociétal et le temps des lois de bioéthique pour ne pas être de votre avis. Toutefois, s’agissant de votre amendement, je vous pose la question : qui ferait un tel rapport ?

M. Thibault Bazin. Je crois que M. Raphan est partant ! (Sourires.)

M. Pierre-Alain Raphan. Je me tiens à votre disposition, monsieur le rapporteur !

M. Philippe Berta, rapporteur. Comme, par ailleurs, nous ne sommes pas très enclins aux demandes de rapport, j’émets un avis défavorable ; j’en suis désolé.

La commission rejette l’amendement n° 1651.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, je vous propose que nous interrompions nos travaux. Nous les reprendrons à quatorze heures, avec l’article 14.

 

 


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Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 14 heures 30 ([11])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous abordons l’examen du titre IV.

Titre IV
Soutenir une recherche libre et responsable
au service de la santé humaine

Chapitre premier
Aménager le régime actuel de recherches sur l’embryon
et les cellules souches embryonnaires

Article 14
Différenciation des régimes juridiques d’autorisation s’appliquant à l’embryon et aux cellules souches embryonnaires
  

La commission examine les amendements identiques n° 69 de M. Xavier Breton, n° 256 de M. Patrick Hetzel et n° 700 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Cet article vise à distinguer les recherches menées sur les embryons humains et celles sur les cellules souches embryonnaires. Il prévoit de soumettre la recherche sur dernières non plus à un régime d’autorisation encadrée mais à un simple régime de déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine.

Si une cellule souche embryonnaire n’est pas un embryon humain en soi, le législateur ne peut oublier qu’elle en émane et que son prélèvement en provoque la destruction : tel est l’objet de l’amendement n° 69.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 256 vise à rappeler un certain nombre de principes qui ont été développés au cours des différentes lois relatives à la bioéthique, parmi lesquels figure évidemment le respect de la vie et de l’humain.

Nous sommes par conséquent extrêmement attentifs à ce que dans les différentes dispositions du projet de loi cette spécificité, qui a toujours marqué les différentes lois bioéthiques françaises, soit maintenue, et à ce que l’on ne franchisse pas les lignes rouges.

M. Thibault Bazin. L’article 14 de ce projet de loi opère stratégiquement et tactiquement une distinction philosophique entre les embryons humains et les cellules souches embryonnaires. On voit bien dans quel but : il s’agit de justifier un assouplissement de la législation qui rendra plus faciles les recherches sur les cellules souches embryonnaires. Or cela ne me semble pas éthique. Si une cellule souche embryonnaire ne constitue pas en soi un embryon humain – c’est incontestable – le législateur ne peut pas pour autant oublier qu’elle en a émané, fût-ce plusieurs années auparavant, et que son prélèvement en provoque la destruction.

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de supprimer, au travers de cet amendement n° 700, l’article 14 afin d’en rester à un régime d’autorisation encadré.

M. Philippe Berta, rapporteur sur les titres III et IV. Je vais faire une réponse globale sur tous les amendements de suppression, soit de l’article 14 lui-même, soit de certains de ses alinéas, ou tendant à en proposer une nouvelle rédaction, afin de lever certains doutes et de rappeler quelques éléments relatifs aux embryons et aux cellules souches.

L’article 14 vise à clarifier le régime juridique des recherches portant d’une part sur l’embryon, et d’autre part sur les cellules souches embryonnaires. Il identifie en premier lieu, dans un nouvel article du code de la santé publique, le régime juridique des recherches portant sur les gamètes destinés à constituer un embryon ou sur un embryon destiné à naître. Ces derniers relèvent effectivement du régime de recherche impliquant la personne humaine, le fameux RIPH, qui nécessite une autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, ainsi que l’avis d’un comité de protection des personnes, un CPP.

Ces recherches sont réalisées au bénéfice de l’embryon et n’ont pas vocation à lui porter atteinte : j’insiste sur ce point car ce régime juridique issu de la loi du 6 août 2004, dite loi Jardé, n’a pas été compris. Dans la mesure où l’embryon est destiné à naître, il n’y a pas destruction ni atteinte à son intégrité, ni bien sûr à celle de sa mère.

Cet article procède par ailleurs à la distinction des régimes juridiques applicables à la recherche d’une part sur les embryons et d’autre part sur les cellules souches embryonnaires, dites CSE. Aujourd’hui soumises à autorisation de l’Agence de la biomédecine, ces recherches feront l’objet d’une autorisation s’agissant des premières, et d’une simple déclaration s’agissant des secondes.

Leurs interrogations éthiques ne sont effectivement pas du tout les mêmes : je rappelle que les cellules souches embryonnaires sont des cellules qui ont été dérivées — il y a peut-être un, dix ou vingt ans — d’embryons, et ce dans le monde entier. Ces cellules ont la capacité de se multiplier : on établit donc des lignées cellulaires que les laboratoires s’échangent depuis bien longtemps.

Nous sommes donc bien loin dans leur cas de l’embryon, d’autant plus que ces CSE ont perdu des caractéristiques : elles ne sont plus — j’insiste sur ce mot — que pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles ont la capacité de produire quelques tissus qui sont bien sûr extrêmement précieux en termes de thérapie.

Si elles ont donc conservé la pluripotence, elles ont en revanche perdu la totipotence, c’est-à-dire qu’elles n’ont plus, depuis l’origine, c’est-à-dire depuis bien longtemps, aucune capacité à reformer un embryon complet.

Je rappelle que les recherches sur les embryons sont autorisées par l’Agence de la biomédecine et qu’elles doivent donc répondre à des critères précis, qui sont rappelés à l’article 14, ainsi qu’à la nécessité de ne recourir à l’embryon que si l’état des connaissances scientifiques le justife.

Ces recherches sont totalement encadrées et contrôlées : elles peuvent d’ailleurs être suspendues si elles ne respectent pas les interdits fixés tant par le code civil que par celui de la santé publique. Mon commentaire d’article en dresse d’ailleurs la liste précise.

En résumé, je le rappelle, ces CSE représentent aujourd’hui une chance unique. Je vous renvoie à l’édition de l’hebdomadaire L’Express en date du 11 septembre dernier, qui vous permettra de comprendre le sens de mes propos.

Aujourd’hui en effet, les visées et actions thérapeutiques d’ores et déjà en cours, qui font l’objet de 400 essais cliniques avec déjà de grands succès, ne doivent surtout pas être remises en cause. Pour prendre un fait d’actualité, je ne pense pas qu’un célèbre pilote de Formule 1 soit actuellement à l’hôpital européen Georges Pompidou pour une autre raison…

Il ne faut donc en aucun cas interdire ces progrès majeurs de la thérapie cellulaire qui s’offrent à nous. Les demandes faites ces dernières années auprès de l’Agence de la biomédecine afin d’avoir accès à des embryons surnuméraires sont au nombre de quatre. C’est nécessaire parce que lorsqu’on cultive des cellules en culture, et ce quel que soit le type de lignée cellulaire, elles vont avoir tendance, au fil des années, à évoluer. Cela signifie qu’elles subissent des arrangements chromosomiques, des pertes de chromosomes, ou qu’elles développent des chromosomes surnuméraires : il faut donc pouvoir faire appel – passez-moi l’expression – à des lignées fraîches. Voilà pourquoi nous sommes encore obligés de faire appel à des embryons surnuméraires, dont je rappelle qu’ils sont sans cela voués à être détruits.

En résumé, j’émets un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression de l’article, car ils remettent en question ces évolutions majeures en termes de santé humaine, aujourd’hui et plus encore demain.

Je serai également défavorable aux amendements proposant une rédaction globale de l’article, en tant qu’ils imposent des mesures plus que contraignantes, ainsi qu’aux amendements portant suppression de divers alinéas traitant de ces recherches parce que la communauté — qu’elle soit médicale ou scientifique — que je représente ici sait qu’elle dispose en la matière d’un outil simplement exceptionnel.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il me semble important de rappeler que la recherche sur l’embryon en France n’est autorisée que sur des embryons dont la seule autre destination est la destruction : on ne génère en effet jamais d’embryons à des fins de recherche. C’est d’ailleurs pour cette raison que lorsqu’on pose la question du projet parental ou de son absence, le choix se porte très souvent sur l’utilisation possible, dans le cadre de la recherche.

Il faut également rappeler que l’éthique dont font preuve les chercheurs qui mènent ce type de recherches est démontrée par les chiffres : alors qu’actuellement 19 000 embryons sont congelés à des fins de recherche, 3 000 seulement ont été utilisés depuis que ce type de recherche est autorisé. Ces scientifiques sont tout à fait conscients qu’ils utilisent un matériel humain.

La recherche sur les cellules souches embryonnaires s’effectue sur des cellules dérivées d’embryons. Certes, elle nécessite la destruction de l’embryon pour produire de telles cellules mais, pour donner un exemple, la plus vieille lignée cellulaire existant en laboratoire, issue d’un cancer de l’utérus, a aujourd’hui plus de soixante-dix ans. Et personne ne conteste le fait que cette même lignée est encore extrêmement utile. C’est le cas de la plupart des lignées de cellules souches embryonnaires, qui, pour leur très grande majorité, ont été dérivées au moment où ce type de recherche a été autorisé pour la première fois.

Les cellules souches embryonnaires donnent lieu chaque année en France à une quinzaine de publications scientifiques qui témoignent, toutes, d’avancées majeures. Ce nombre est comparable à celui observé dans d’autres pays dans lesquels il existe, pourtant, une liberté totale de recherche sur ces mêmes cellules. Cela montre, là encore, qu’elles sont toujours utilisées à bon escient par nos chercheurs.

Comme cela a été rappelé, la recherche sur ces cellules souches embryonnaires a engendré de très grandes avancées scientifiques et médicales. Au regard du fait que ces cellules sont maintenant, pour certaines d’entre elles, utilisées depuis plusieurs années dans les laboratoires, y compris dans des laboratoires qui n’ont jamais vu un embryon humain, il nous paraît rationnel de pouvoir distinguer le régime d’utilisation des cellules souches embryonnaires et celui des embryons humains. Il ne s’agit pas de ne plus faire de demande ou de ne plus indiquer à quoi vont servir ces cellules, mais de le faire de manière simplifiée.

Pour que les choses soient très claires, je souligne que cette nouvelle modalité de déclaration de l’usage des cellules embryonnaires à des fins de recherche ne s’applique pas à celles qui seraient issues de nouveau d’un embryon, c’est-à-dire qu’à chaque fois que des nouvelles lignées de CSE seront fabriquées, elles seront soumises au même régime d’autorisation que celui applicable à l’embryon.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est également défavorable à ces amendements de suppression.

M. Patrick Hetzel. Il est effectivement important d’avoir un débat à propos de l’article 14, car un certain nombre de questions se posent.

Les deux premiers alinéas de l’article avaient été adoptés dans le cadre de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé de Mme Marisol Touraine, au détour d’un amendement gouvernemental. Ils formaient alors un titre V au sein de l’article 2151-5 du code de la santé publique qui encadre précisément la recherche sur l’embryon. Ils sont aujourd’hui déplacés au sein du titre consacré à l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, dans ce qui va être appelé les dispositions générales tout en étant toilettés, comme cela a été expliqué dans l’étude d’impact fournie par le Gouvernement.

On ne parle plus de recherche biomédicale mais de recherche en général : pourquoi ? Pourquoi surtout avoir supprimé les termes in vitro ? Dès lors on peut s’interroger : ces recherches pourront-elles être menées in vivo ?

Je me pose ces questions parce qu’à l’heure où la Chine a confirmé la naissance d’un bébé « génétiquement modifié » au moyen de la méthode CRISPR‑Cas9, pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeat, les conditions d’encadrement des recherches autorisées sur, selon la rédaction de l’alinéa 2, « les gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation », sont quasi nulles.

Je trouve dommage que nous ne disposions d’aucune précision concernant le but de ces recherches ni aucune garantie sur le fait qu’elles soient menées sans porter atteinte à l’embryon et au bénéfice de celui-ci.

Nous ne disposons pas de plus de précisions concernant les conditions dans lesquelles est recueilli le consentement du couple, alors que sur un sujet aussi sensible, et considérant les risques potentiels, il devrait au minimum être éclairé et formalisé par écrit.

Alors qu’on nous propose d’apporter de nouvelles modifications, il serait a minima intéressant de savoir quelles sont les véritables recherches qui ont été menées en France depuis l’adoption de ces deux alinéas, ce que ne précise pas l’étude d’impact.

M. Thibault Bazin. Nous avons la chance que le rapporteur soit issu de la communauté scientifique, mais nous représentons tous ici la nation.

Vous avez évoqué un célèbre pilote de Formule 1. J’espère, bien sûr, que le traitement anti-inflammatoire dispensé à celui qui a marqué notre enfance par ses performances lui réussira. Mais rien ne dit qu’il s’agit dans ce cas de cellules souches embryonnaires. À ma connaissance, en effet, aucune thérapie n’est validée à ce jour à partir de cellules souches embryonnaires humaines et aucun essai clinique n’est en cours – mais vous êtes plus à même que moi de le savoir. Il est plus probable qu’il s’agisse de cellules souches adultes, qui constituent une belle alternative. Elles sont d’ailleurs couramment utilisées notamment pour produire cet effet anti-inflammatoire. Peut-être pourrez-vous, monsieur le rapporteur, nous apporter des précisions à ce sujet.

Aujourd’hui, les recherches menées sur les CSE humaines sont prévues par la loi de 2011 : elles ne sont donc pas interdites. Le débat porte sur les modifications que vous voulez apporter, c’est-à-dire passer d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration. Pourquoi souhaitez-vous un tel assouplissement ? Pourquoi la considération éthique est-elle différente en 2019 de ce qui avait été imaginé en 2011 ?

Cela m’amène à m’interroger : les besoins de la recherche sont-ils aujourd’hui différents ? Faut-il désormais aller plus vite parce que d’autres mènent de telles recherches ou procèdent à des essais ailleurs, ou notre réflexion éthique a-t-elle changé depuis 2011, époque où les lois relatives à la bioéthique étaient conçues de manière très consensuelle ?

S’agissant de la destination des embryons, le consentement doit être éclairé. Certains choisissent la destruction, d’autres la recherche. Or il y a recherche et recherche – tant sur les embryons que sur les CSE – et cela peut conduire à des choses très différentes.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il est effectivement important que nous puissions avoir ce débat. Sur votre dernière interrogation portant sur l’évolution entre 2011 et 2019, les techniques, et notamment la calibration des milieux de culture, font que nous sommes aujourd’hui capables d’utiliser des lignées en laboratoires sans qu’elles dérivent. En 2011, lorsque l’on voulait utiliser des cellules souches embryonnaires, on se trouvait bien souvent dans un système où l’on dérivait ces mêmes cellules.

Par ailleurs, vous avez raison, les travaux sur les CSE ont démarré en France plus tard que dans un certain nombre d’autres pays. Mais, aujourd’hui, la qualité des publications françaises – au total 136 publications émanant d’équipes françaises ont été recensées – fait référence dans le monde.

Ces publications ont porté sur des avancées majeures, et notamment un essai clinique portant sur le traitement de l’insuffisance cardiaque. Début 2019, un essai clinique a été autorisé sur le traitement de la rétine pigmentaire : il est actuellement en cours de recrutement. Deux projets, qui ont par ailleurs conduit au développement de produits de thérapie cellulaire, vont faire l’objet de demandes d’essais cliniques : ils portent, d’une part, sur le traitement de maladies graves de la peau liées à la drépanocytose et, d’autre part, sur le traitement des maladies métaboliques du foie. Deux autres projets ont permis l’identification de molécules, qui ont récemment été utilisées dans le cadre d’essais cliniques, notamment avec pour indication des formes génétiques de l’autisme et de la myotonie de Steinert. Enfin, deux projets visent à élucider des mécanismes qui permettent la mise en place de la pluripotence.

Vous le voyez, il s’agit d’avancées scientifiques réelles menées dans un laps de temps court, au regard du temps de la recherche dont il ne faut jamais oublier, en effet, qu’il est long. Il est donc essentiel d’encourager nos chercheurs, qui font partie des meilleurs chercheurs au monde, à continuer à accumuler des connaissances qui pourront être utilisées au bénéfice de l’ensemble de la société, notamment dans le traitement de maladies rares comme la myotonie de Steinert.

Au-delà de potentiels traitements, la simple accumulation de connaissances sur la façon dont les choses fonctionnent est intéressante car elles pourront, un jour ou l’autre, être reprises et utilisées. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici que l’acquisition de connaissances que permet la recherche est ce qui fait d’un pays un grand pays.

Comme toujours dans les lois relatives à la bioéthique, il s’agit de prendre en compte ce que nous sommes capables de faire aujourd’hui et d’évaluer si cela percute les sujets d’éthique. Eh bien, nous considérons qu’un régime différent de celui applicable à la recherche sur l’embryon peut être prévu lorsque des laboratoires souhaitent mettre en place des protocoles de recherche portant sur des cellules souches embryonnaires qu’ils obtiennent d’autres laboratoires sans qu’eux-mêmes n’aient à dériver ces cellules à partir d’embryons.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je vais reprendre trois points, dont deux plus anecdotiques, voire presque people, puisque nous avons évoqué le cas d’un ancien champion de Formule 1. Il est précisément hospitalisé, au sein de l’hôpital Georges Pompidou, dans le service du professeur Philippe Menasché, qui a été à l’origine de notre première success story en matière d’utilisation de cellules souches embryonnaires.

Le deuxième point est moins anecdotique que pathétique, puisqu’il s’agit des embryons chinois : deux petites filles ont effectivement été l’objet d’une manipulation par édition du génome au moyen de la technique CRISPR-Cas9. Ces chercheurs, qui ont été mis au ban de la communauté scientifique, ont en effet trouvé judicieux de provoquer des mutations sur le gène CCR5, dont on sait que certains hommes et certaines femmes – très peu nombreux – qui en sont naturellement porteurs, sont résistants au virus du SIDA. Il s’agissait d’un exercice de style débile – je n’ai pas honte de le dire –, au demeurant rigoureusement interdit dans tous les pays et en tout cas très clairement en France, puisqu’il n’a jamais été question de réimplantation d’embryons après édition et manipulation.

Bien sûr, nous souhaiterions utiliser ces fameuses cellules adultes redifférenciées en cellules souches, c’est-à-dire les cellules dites iPS, pour Induced pluripotent stem cells. Malheureusement, nous en sommes aujourd’hui encore bien incapables ! Ne leur attribuez pas des vertus qu’elles ne possèdent pas à ce stade : ce sont des cellules qu’il a fallu modifier génétiquement en introduisant quatre gènes qui, si vous voulez tout savoir, codent des facteurs de transcription du développement. Elles sont loin aujourd’hui de la caractérisation souhaitée et leur utilisation à des fins thérapeutiques semble bien lointaine, ne serait-ce que pour obtenir un label GMP – Good Manufacturing Practice – permettant de les utiliser en clinique. J’espère comme vous que nous y parviendrons un jour.

Nous sommes donc contraints pour le moment de nous cantonner aux CSE, que nous utilisons également pour faire progresser nos connaissances sur ces fameuses cellules iPS. Nous avons en effet besoin d’un gold standard afin de contrôler en permanence ce à quoi nous avons affaire. J’espère que cela changera un jour. Une telle évolution permettra notamment d’utiliser nos propres cellules et faire donc ainsi fi de toute barrière immunologique.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. En 2016, c’est effectivement au travers d’un amendement qu’a été adoptée dans cette partie du texte la possibilité d’utiliser des embryons dans le cadre de la recherche sur la procréation médicalement assistée. Or nous avons estimé que cette décision pouvait générer des ambiguïtés. Intégrer les recherches en AMP dans le cadre de la RIPH nous a semblé beaucoup plus protecteur.

M. Brahim Hammouche. Notre groupe approuve l’article 14, qui favorisera la recherche tout en responsabilisant les chercheurs. Que les choses aient évolué depuis 2011 est une excellente nouvelle puisque cela montre que nos laboratoires et nos chercheurs sont encore dans la course et font partie de l’élite de la recherche.

Le régime déclaratif n’est pas synonyme de laisser-faire. Ce n’est pas un blanc-seing donné aux équipes. Il s’agit de conforter une avancée. L’Agence de la biomédecine peut à tout moment reprendre la main, notamment au travers de son conseil d’orientation qui est composé d’éminents experts et scientifiques. Tout est donc balisé : la recherche doit être fondamentale, avoir une pertinence scientifique, une finalité médicale et respecter les principes fondamentaux de la recherche à la fois sur les plans méthodologique et éthique.

L’article 14 a donc été travaillé en conscience et en responsabilité tant pour ce qui s’est déjà fait hier, ce qui se fait aujourd’hui et ce qui se fera demain en vue de favoriser les pluripotentialités de la recherche sur ces cellules.

M. Thibault Bazin. Je ne voudrais pas que l’on croie que nous voulons supprimer l’article 14 parce que nous serions opposés à la recherche de manière générale : ce n’est pas le cas. Nous espérons bien que la recherche progressera en matière d’insuffisance cardiaque ou de rétine pigmentaire.

La question n’est pas en soi de pouvoir on non conduire ces recherches. Puisque le régime d’autorisation ne les rend pas impossibles, pourquoi donner ce signal d’une baisse du niveau d’exigences ? Nous ne nous situons pas dans la perspective d’une interdiction, mais d’un changement de paradigme puisque l’on passerait d’un régime d’autorisation à un régime déclaratif. Certes, et comme je l’ai rappelé, une disposition a été votée dans un texte en 2016, mais il ne s’agissait pas d’une loi de bioéthique. Puisque nous sommes aujourd’hui dans ce cadre, interrogeons-nous : quelle est la considération éthique qui doit s’appliquer à ces recherches ? Existe-t-il des alternatives ? Nous comprenons bien les besoins de la recherche mais pourquoi passer d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration ? Cette évolution pourrait envoyer un signal de moindre considération éthique de la recherche. Si le bien-fondé de la recherche ne se discute pas, la question du comment et du quoi se pose : c’est l’objet des lois de bioéthique.

M. Pierre Dharréville. Sans partager toutes les interrogations exprimées par M. Thibault Bazin, la question qui m’est évidemment venue à l’esprit en lisant le projet de loi est la même : pourquoi cette modification ?

Je constate en effet dans d’autres domaines – le champ social, par exemple – qu’à chaque fois qu’on passe du régime de l’autorisation à celui de la déclaration, c’est peut-être pour accélérer un certain nombre de processus, mais aussi parce que l’on juge que la puissance publique tarde trop à répondre. La lenteur justifierait ce passage au régime déclaratif, quitte à procéder ensuite à des vérifications. Or si la deuxième raison était prédominante dans le choix opéré ici, cela serait assez problématique. La modification envisagée pose donc la question des moyens accordés à nos instances pour leur permettre d’effectuer leur travail. En la matière, je ne crois pas à la légèreté mais une validation, d’une manière ou d’une autre, par des institutions républicaines est absolument décisive. J’insiste sur ce point pour être bien sûr de comprendre les raisons qui ont conduit à cette modification.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je suis désolé si mes explications vous ont semblé confuses : la raison fondamentale de cette évolution est que nous souhaitons, au travers de cet article, distinguer les situations dans lesquelles on détruit des embryons en vue d’obtenir des cellules souches embryonnaires et de mener des recherches, des situations dans lesquelles on ne détruit pas d’embryons afin de mener des recherches sur ces mêmes cellules.

Cette distinction est liée au fait que les équipes de recherche concernées ne sont pas les mêmes : certaines travaillent à la fois sur des questions d’embryon, d’implantation, de début d’embryogénèse et de fertilité, alors que d’autres s’attachent aux problèmes de différenciation cellulaire et de recréation de nouveaux tissus. Nous considérons que les deux régimes doivent être distincts parce que les recherches menées ne portent pas sur les mêmes sujets scientifiques, qu’elles ne sont pas conduites par le même type de laboratoire et qu’elles ne correspondent pas aux mêmes situations.

Nous le verrons un peu plus tard dans l’analyse du projet de loi, et notamment à l’article 15 : une telle évolution permet ensuite de distinguer ce qui est faisable en matière de destination ou d’enjeux puisque les cellules souches embryonnaires ne sont plus assimilées à un embryon, comme c’était le cas jusqu’à présent.

Une telle évolution s’impose pour des raisons tenant au type de recherche mené, sachant que dans mon esprit il n’existe pas de recherche supérieure à une autre. Quant à la suppression de l’adjectif « biomédicale », elle s’est imposée car beaucoup de recherches en sciences humaines et sociales s’appuient également sur ces sujets. La recherche fondamentale ne se réduit pas à de la recherche biomédicale.

On distingue donc des situations dans lesquelles on détruit un embryon afin de faire de la recherche de celles dans lesquelles on travaille sur des cellules qui peuvent être utilisées dans des laboratoires qui ne posent pas de questions scientifiques autour de la fertilité.

Marc Delatte. Les enjeux éthiques sont également différents selon que l’on traite de recherche sur l’embryon ou sur les cellules souches, qu’elles soient de type CSE, c’est-à-dire qu’il s’agisse de cellules souches embryonnaires humaines, ou iPS.

La commission rejette les amendements identiques n° 69, n° 256 et n° 700.

La commission est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements identiques n° 71 de M. Xavier Breton et n° 258 de M. Patrick Hetzel, de l’amendement n° 702 de M. Thibault Bazin, des amendements identiques n° 72 de M. Xavier Breton, n° 259 de M. Patrick Hetzel et n° 703 de M. Thibault Bazin, ainsi que des amendements identiques n° 318 de M. Patrick Hetzel, n° 791 de M. Alain Ramadier et n° 844 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Avec votre permission, madame la présidente, je vais défendre en même l’amendement n° 258 et l’amendement n° 259, qui est un amendement de repli. L’amendement n° 258 vise à récrire l’article 14.

Madame la ministre, vous n’avez pas répondu à ma question : pourquoi veut-on apporter une modification à la loi alors que nous ne disposons d’aucune étude documentée depuis 2016 permettant de la justifier ?

L’étude d’impact nous apprend que depuis 1998, plusieurs centaines de lignées de cellules souches embryonnaires ont été dérivées et caractérisées dans le monde : elles sont utilisées dans de très nombreux laboratoires. Nous en avons eu confirmation lors des auditions et M. le rapporteur vient d’y faire référence. Mais pourquoi ne ferions-nous pas comme en Allemagne, où une grande coalition a pris un certain nombre de mesures ? Or l’Allemagne ne me semble pas être un pays attardé en matière de recherche, y compris en matière génétique. Pourquoi donc n’utiliserions-nous pas les cellules souches embryonnaires d’embryons déjà détruits et ne ferions-nous pas comme nos voisins d’outre-Rhin en interdisant a priori la recherche sur l’embryon ?

Puisque la transgression a déjà eu lieu en détruisant des embryons humains à des fins de recherche, faisons-la cesser, puisque la recherche n’a plus besoin a priori de détruire de nouveaux embryons.

Il existe d’ailleurs un réel paradoxe à propos duquel, madame la ministre, j’aimerais vous entendre : l’étude d’impact communiquée par le Gouvernement nous apprend, à la page 332, que le nombre d’embryons humains fournis chaque année à la recherche est quasiment équivalent au nombre d’embryons humains effectivement inclus dans un protocole de recherche la même année. Je reprends l’exemple du Gouvernement : en 2016, cela représentait 2 855 embryons humains. Pourquoi la recherche a-t-elle besoin aujourd’hui d’un si grand nombre d’embryons humains alors que l’on nous explique que les chercheurs travaillent sur les cellules souches humaines dérivées d’embryons humains et qu’il en existe des centaines de disponibles, comme l’a indiqué le rapporteur ?

M. Thibault Bazin. Avec votre permission, madame la présidente, je défendrai en même temps les amendements n° 702 et n° 703.

Si je vous suis bien, Madame la ministre, les laboratoires mènent des recherches différentes, certaines portent sur l’embryon, d’autres sur les cellules souches embryonnaires, sur lesquelles le regard éthique serait différent, compte tenu du fait que celles-ci sont disponibles. M. Pierre Sabatier nous a cependant indiqué, au cours de son audition, que de nouvelles lignées étaient nécessaires. N’y a-t-il pas de considération éthique entre les CSE existantes, dont les laboratoires ont besoin, et les CSE nouvelles, qui vont nécessiter la destruction d’embryons ?

Certes, nous ne destinons pas d’embryons spécifiquement à la recherche, conformément à la convention d’Oviedo. Mais lorsque nous aurons besoin de nouvelles cellules souches embryonnaires, il faudra bien détruire des embryons afin de les prélever. Le régime que nous prévoyons d’appliquer à ces mêmes cellules ne devrait-il donc pas être identique à celui que nous prévoyons d’appliquer aux embryons ? Je pose la question car ce point mérite d’être précisé, même si à titre personnel je suis en désaccord avec cet assouplissement de notre droit positif en la matière.

M. Alain Ramadier. L’amendement n° 72 est un amendement de repli.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 318 vise à suspendre les recherches portant sur l’embryon ainsi que sur les cellules souches embryonnaires humaines pendant un délai d’un an afin de permettre à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de dresser un bilan. Je regrette en effet que l’on n’ait pas attendu que cet office parlementaire commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, qui essaie en général de dégager un consensus sur certaines questions, accomplisse un tel travail avant de légiférer.

M. Alain Ramadier. Lors de chaque modification législative portant sur le régime de la recherche sur les embryons humains ainsi que sur les cellules souches embryonnaires humaines sont annoncés des résultats probants qui seraient à portée de main, ce qui a conduit le Parlement à accorder des dérogations de recherche, puis à autoriser la recherche sur les embryons et les cellules souches.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quel bilan peut-on dresser de ces dérogations et autorisations ? La loi prévoit que la recherche sur l’embryon doit être « susceptible de produire des progrès thérapeutiques majeurs ». Or, selon M. Alain Fisher, professeur d’immunologie pédiatrique et titulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France, « on n’a pas encore constaté beaucoup de bénéfices pour les patients des essais cliniques menés actuellement ».

Avant d’aller plus loin, je vous propose donc, mes chers collègues, la voie de la sagesse en donnant à une autorité compétente, c’est-à-dire l’OPECST, le soin d’établir un premier état des lieux en la matière.

M. Thibault Bazin. Sans être passionné par la rétine pigmentaire, je ne peux pas ne pas m’interroger alors que d’autres acteurs empruntent d’autres voies : je pense notamment aux fameuses cellules iPS. Il me semble en effet que le professeur Takahashi, qui illustre les efforts menés par le Japon en la matière, tente de trouver des solutions thérapeutiques sur la rétine. Madame la ministre, si les Japonais obtiennent des résultats, ne vaudrait-il pas mieux, à terme, privilégier les iPS plutôt que les cellules souches embryonnaires humaines ? Ne doit-on pas favoriser le moyen le plus éthique possible ?

M. Philippe Berta, rapporteur. J’émets un avis globalement défavorable sur tous ces amendements.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je précise un point : il ne s’agit pas de modifier la loi, mais de mettre en cohérence la recherche sur l’embryon avec les règles de la recherche portant sur la personne humaine.

Lorsque des nouvelles lignées sont nécessaires, nous nous situons bien entendu dans le cadre de la recherche sur l’embryon. Lorsque l’on dérive de nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires à partir d’embryons, on reste dans le cadre du régime déclaratif applicable à l’utilisation d’embryons. C’est la raison pour laquelle on distingue les recherches menées sur des cellules nécessitant la destruction de l’embryon de celles conduites sur des cellules n’impliquant pas une telle destruction. Telle est la base de la distinction que nous proposons entre les deux régimes.

Je ne reviendrais pas sur la proposition d’arrêter toute recherche pendant un an, qui, eu égard à l’importance de ces questions ne me paraît pas très raisonnable.

Alors qu’avons-nous obtenu grâce à ces recherches ? La recherche sur l’embryon a débouché sur 19 publications dans des revues de portée internationale, qui font référence, issues d’équipes dont la renommée est incontestable.

Par exemple, nos équipes ont été capables de mettre en évidence ce que l’on appelle des marqueurs de la qualité embryonnaire ou des marqueurs prédictifs d’une meilleure implantation, ce qui peut être utile pour les fécondations in vitro et l’AMP en général.

Elles ont également identifié une petite molécule, qu’on appelle un peptide, qui, ajoutée au milieu permettant de créer des embryons dans le cadre de l’AMP, améliore la qualité de ces embryons. Quand on sait à quel point le processus de l’AMP est compliqué, tout élément de nature à le faciliter revêt une grande importance.

Elles ont encore identifié des mécanismes conduisant à l’inactivation du chromosome X chez l’homme : il est en effet très important qu’une partie du chromosome X soit inactivée pour éviter des maladies génétiques graves.

Elles ont aussi obtenu des informations sur l’impact des mutations mitochondriales, qui sont précieuses pour la compréhension d’un nombre très important de maladies musculaires ou neurodégénératives.

Bref, il y a de réelles avancées, dont certaines vont déboucher sur des essais cliniques, afin de vérifier la pertinence du traitement élaboré à partir des connaissances acquises. Là encore, il importe de raisonner sur le temps long, puisqu’il s’agit de découvertes qui sont, de fait, extrêmement récentes.

Sur les iPS, il faut bien comprendre que ce sont, dès le départ, des cellules génétiquement modifiées : on part de cellules adultes que l’on modifie génétiquement pour qu’elles retrouvent un comportement s’approchant de celui des cellules embryonnaires.

M. Jean-François Eliaou. Bref, ce sont des OGM.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Pour une cellule, un tel processus est extrêmement violent. Or rien ne garantit aujourd’hui que les modifications génétiques, dont on voit a priori le premier effet, qui est de retrouver des capacités assez semblables à celles de cellules embryonnaires, n’ont pas induit d’autres phénomènes.

Pour la DMLA, par exemple, il est donc important que des essais cliniques soient menés en parallèle à partir des iPS et des cellules souches embryonnaires. Ce sont eux qui permettront de confirmer, ou non – la méthodologie est essentielle – si le résultat bénéfique est identique pour les deux types de lignées cellulaires. Si tel est le cas, nous privilégierons évidemment pour cette indication, dans ce contexte et avec cette méthodologie, les cellules iPS par rapport aux cellules souches embryonnaires, ne serait que parce que dans le cas des premières, la fabrication de tissus somatiques ne requiert pas d’autorisation.

C’est ainsi que se construisent les protocoles de recherche. Il ne faut pas attribuer aux cellules iPS des potentialités que nous ne mesurons pas véritablement aujourd’hui. Il ne vous aura évidemment pas échappé que c’est la personne qui a mis en place le protocole permettant d’obtenir ces iPS qui fait débuter les essais cliniques les utilisant. Il le fait cependant en même temps que la communauté mondiale : tout le monde est en effet très impatient de savoir si, dans le cadre de ce protocole, pour cette indication et dans le cadre de cet essai clinique, les résultats sont ou non parfaitement comparables.

La commission rejette successivement les amendements n° 71, n° 258, n° 702, n° 72, n° 259, n° 703, n° 318, n° 791 et n° 844.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, je vous propose une présentation commune de tous les amendements concernant les recherches interventionnelles sur personne humaine.

La commission examine en présentation commune les amendements n° 70 de M. Xavier Breton, n° 257 de M. Patrick Hetzel, n° 701 de M. Thibault Bazin, n° 785 de M. Alain Ramadier, n° 73 de M. Xavier Breton, n° 260 de M. Patrick Hetzel, n° 704 de M. Thibault Bazin, n° 312 de M. Patrick Hetzel, n° 838 de M. Thibault Bazin, n° 624 de Mme Annie Genevard, n° 74 de M. Xavier Breton, n° 261 de M. Patrick Hetzel, n° 705 de M. Thibault Bazin et n° 1389 de Mme Agnès Thill.

M. Patrick Hetzel. Nos discussions sont intéressantes pour fixer le cap en matière de bioéthique. Un argument revient assez régulièrement : la recherche française serait en retard par rapport à celle d’autres nations – ce qui ne manque pas d’inquiéter nos concitoyens… À l’occasion de chaque révision des lois de bioéthique, on auditionne systématiquement le professeur Peschanski. À chaque fois, et avec tout le respect qu’on lui doit, il déclare que d’ici à la prochaine révision, la recherche aura mis sur le marché de nouveaux traitements. On nous fait miroiter des avancées thérapeutiques… que nous attendons toujours.

Madame la ministre, vous avez mis en avant les dix-neuf publications de recherches d’équipes françaises dans des revues scientifiques de premier plan, mais la dimension thérapeutique reste un point faible. Vous me répondrez que cela nécessite du temps ; j’en ai parfaitement conscience. Reconnaissez cependant qu’il existe un énorme décalage entre les annonces et les réalisations.

On nous dit qu’on est en retard, mais veut-on vraiment suivre le modèle chinois ? Je ne le pense pas. J’ai cité l’Allemagne. Soyons prudents : certains pays au premier plan international en matière de recherche sont plus restrictifs que nous. Pourtant, leurs citoyens sont soignés et cela n’empêche pas les avancées. J’ai parfaitement conscience qu’en Allemagne, l’histoire est à l’origine de l’interdiction de la recherche sur l’embryon. Il reste que ce pays dote d’importants moyens la recherche utilisant des lignées anciennes de cellules souches embryonnaires. Pourquoi notre communauté scientifique ne travaille-t-elle pas davantage dans cette direction ? Que je sache, les publications allemandes ne sont pas à la traîne. On peut donc s’interroger : les modifications législatives sont-elles seules à l’origine de nouvelles thérapies ?

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, j’aimerais vous faire confiance, vous croire sur paroles, mais en préparant notre réunion, j’ai relu les débats des précédentes révisions des lois de bioéthique et je suis inquiet. À chaque nouvel assouplissement, le ou la ministre au banc annonce, en effet, l’imminence d’essais cliniques et des résultats rapides…

Notre collègue Dharréville a soulevé un point important : quels sont les moyens humains et financiers de l’Agence de la biomédecine pour délivrer les autorisations ? Pourquoi baisser nos standards éthiques ? Si l’on souhaite que les autorisations soient délivrées rapidement, donnons-lui les moyens de les traiter, en conservant le même standard éthique. Ce n’est pas une question technique ou juridique, mais bien éthique, comme le soulignait M. Jean Leonetti dans son rapport en 2011.

Je tiens à rendre hommage au Gouvernement concernant la veille scientifique et technologique effectuée par le ministère des affaires étrangères. En la parcourant, je suis tombé sur une publication du 22 avril 2019 qui me laisse perplexe : « Chirurgie de la rétine, les patients transplantés en 2017 [au Japon] avec des cellules souches pluripotentes induites (iPS) se portent bien ». Vous nous avez dit que la chirurgie de la rétine pouvait justement justifier un assouplissement pour permettre les recherches. Et j’ai été rassuré par vos déclarations, indiquant qu’il fallait privilégier le moyen le plus éthique quand on était capable d’y arriver. Pourquoi ne le fait-on pas, si tel est le cas ? Nos équipes de recherche donnent-elles la priorité à ces recherches sur les cellules iPS ou attendent-elles, en observatrices, les résultats japonais ? C’est aussi une question éthique.

M. Alain Ramadier. Les amendements n° 785 et n° 73 visent à souligner une incohérence juridique. Selon l’alinéa 2 de l’article 14, « des recherches menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées sur l’embryon, avant ou après son transfert à des fins de gestation ». Cette disposition est en contradiction avec l’alinéa 16 du même article qui dispose que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation. On ne peut pas interdire le transfert d’un embryon sur lequel des recherches ont été menées tout en l’autorisant dans d’autres cas.

En outre, le régime de recherche proposé dans cet article n’offre aucune garantie quant au fait que les embryons manipulés ne seront ni abîmés, ni détruits. Il n’est pas précisé, comme le régime des études le faisait avant 2013, que ces recherches doivent être menées « au bénéfice de l’embryon » et « sans lui porter atteinte ».

M. Jacques Testart l’indiquait lors des auditions de la mission d’information, il s’agit à la fois de la création d’embryons pour la recherche et de la possibilité de transfert in utero des embryons après recherche. Un tel régime viendrait transgresser un principe fondateur du droit français et international, celui de l’article 18 de la convention d’Oviedo.

Mme Agnès Thill. L’amendement n° 1389 vise à supprimer l’autorisation de mener des recherches sur l’embryon, avant ou après son transfert à des fins de gestation.

M. Philippe Berta, rapporteur. J’ai déjà répondu globalement. Les points qui vous interpellent – c’est parfaitement légitime – ont été largement explicités dans l’argumentaire que vous avez reçu sur l’article 14. J’y réponds point par point à toutes les questions. Mon avis est défavorable à tous ces amendements.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. M. Hetzel, et d’autres, m’ont interpellée sur les avancées thérapeutiques. Si vous entendez des chercheurs, ils vous parleront sans doute de production de connaissances – c’est un fait ; les publications sont là pour le prouver. Et je vous rappelle que nous examinons actuellement les dispositions du projet de loi relatives à la recherche. S’agissant d’avancées thérapeutiques, et c’est aussi ce qui fait la réputation qualitative de la France, nous ne souhaitons pas en obtenir à tout prix. C’est le rôle des phases I à IV des essais cliniques. Nous ne testons jamais directement sur des êtres humains un protocole qui semble fonctionner, comme cela peut se produire dans d’autres pays. Je sais que ce n’est pas ce que vous sous-entendiez, mais il faut être prudent : la connaissance ne peut se résumer à son utilité à court terme ou à son impact immédiat sur la santé. En ma qualité de ministre de la recherche, il me paraît très important de le rappeler. La production de la connaissance est ce qui fait qu’un pays reste un grand pays.

Vous avez évoqué l’Allemagne et sa capacité à investir dans la recherche. Je vous entends avec bonheur : au moment de l’examen du projet de loi de programmation sur la recherche, je serai ravie que nous partagions cette préoccupation de soutenir financièrement la recherche. L’Allemagne dépense 3 % de son PIB pour la recherche, et s’est fixé un objectif de 3,5 %. Quand nous en serons là par des choix collectifs, je ne doute pas que nous consacrerons plus de moyens aux cellules iPS, comme sur tous les sujets de recherche, en vue de produire de la connaissance.

Nos débats sont vraiment passionnants et de très haut niveau, et je vous en remercie. En réalité, nous traitons les questions de bioéthique comme elles se posent au moment où les projets de loi de bioéthique sont débattus… Vous faisiez référence au bon travail de veille scientifique et technologique du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ; je ne manquerai pas de le leur faire savoir. Pour autant, même si, deux ans après, les patients se portent bien, cela ne valide ni ne sécurise ces recherches, extrêmement complexes – ces cellules adultes ont connu quatre modifications majeures de gènes afin de les rapprocher de cellules embryonnaires. Le temps de la recherche est plus long et il ne s’agit pas d’essais cliniques massifs. C’est une bonne nouvelle si les choses se passent bien, mais cela ne nous dispense pas de continuer à observer.

En outre, il s’agit de thérapie : lorsqu’elle sera accessible sur le marché, avec tout ce que cela nécessite d’autorisations et de contrôles pour qu’on puisse la considérer comme un véritable médicament, ce sujet n’intéressera plus la ministre de la recherche.

Monsieur Bazin, vous vous inquiétez que les équipes de recherche puissent attendre de constater que les autres se trompent et refuser d’exprimer elles-mêmes une curiosité scientifique. Je ne connais pas de chercheurs qui fonctionnent ainsi ! La curiosité est le moteur de la recherche.

Vous avez tous soulevé ce qui vous paraît être une ambiguïté : dans un cas, on autoriserait la réimplantation d’embryons sur lesquels on aurait effectué des recherches ; dans l’autre, on l’interdirait. Je le répète : il est formellement interdit dans tous les cas de fabriquer des embryons à des fins de recherche. C’est proscrit à la fois par la convention d’Oviedo et les lois de bioéthique. Mais, dans un contexte d’assistance médicale à la procréation (AMP), on produit des embryons pour, in fine, les implanter. Dans ce cas, si le couple est porteur d’une anomalie génétique qui s’est manifestée chez un enfant, il est heureux que l’on puisse vérifier si l’embryon qui va être implanté est porteur, ou non, de la même anomalie génétique. C’est le principe du diagnostic préimplantatoire (DPI).

Il faut donc distinguer ce qui relève de la recherche – encore une fois, il est totalement interdit de fabriquer un embryon à des fins de recherche – et le fait que nous fabriquons des embryons en vue de les implanter. Dans ce dernier cas, il est heureux que les médecins soient autorisés à les examiner à la loupe, afin de vérifier qu’ils se divisent correctement et, éventuellement, faire des tests. C’est la raison pour laquelle la recherche sur l’embryon dans un contexte d’AMP a été transférée dans les dispositions de la loi relatives aux recherches sur la personne. L’intention de réimplantation est alors flagrante et les lois de bioéthique doivent distinguer ce cas de figure : c’est pourquoi les dispositions relatives aux embryons à vocation de procréation médicalement assistée doivent être transférées dans celles de la loi qui relèvent de la protection des personnes. J’espère que mes explications sont claires. Je peux y revenir autant de fois qu’il le faudra

M. Pierre Dharréville. Madame la ministre, je ne peux que vous soutenir quand vous plaidez pour que nous donnions les moyens à la recherche de faire son travail. Considérer qu’il faut tout arrêter parce qu’on n’a pas eu de résultat n’est pas pertinent, d’autant que ce type de décision revient à celles et ceux qui cherchent – ils sont mieux à même d’en juger.

Je reste cependant troublé par la possibilité de faire des recherches sur des embryons qui vont être implantés et deviendront des personnes. Je vous ai écoutée attentivement et j’ai saisi les objectifs. À la première lecture du projet de loi, je ne l’avais pas compris ainsi, mais je vous ai entendue. Quoi qu’il en soit, il faudrait en rester à un principe et analyser la destination. Il faut clairement interdire les recherches sur les embryons qui ont vocation à être implantés. Vous nous dites que c’est le cas, tant mieux. Je rappellerai les propos de M. Lucien Sève, philosophe, membre du premier comité d’éthique : « notre respect pour l’embryon va à son présent dans la mesure où nous considérons son avenir ». C’est à cet avenir qu’il faut penser, en continuant à réfléchir et à œuvrer.

M. Marc Delatte. Il est important de distinguer recherches et études sur l’embryon. Cela ne figure pas dans la loi du 6 août 2013, mais dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Les « recherches biomédicales non interventionnelles » ne doivent pas porter pas atteinte à l’intégrité de l’embryon, mais elles favorisent l’amélioration des techniques d’AMP. Il s’agit par exemple de techniques pharmacologiques visant à la maturation avant l’implantation de l’embryon in utero, qui relèvent de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

M. Patrick Hetzel. Les débats sont importants sur ces questions car la France a toujours eu une certaine vision de la bioéthique. C’est plus largement le cas en Europe, où la consolidation de ce droit est le fruit du code de Nuremberg. Nous en avons tiré certaines conséquences, notamment le respect du vivant et la non-marchandisation du corps.

Peut-être n’avons-nous pas été assez clairs, Madame la ministre, mais les évolutions que vous proposez à travers le régime déclaratif nous inquiètent à deux titres : comment garantirez-vous le respect du vivant ? Est-on sûr qu’il n’y aura pas marchandisation ? Au Japon, certains produits cosmétiques sont ainsi fabriqués à partir de placenta. Nous ne souhaitons pas que cela se développe en Europe. Est-on sûr que le régime déclaratif ne va pas faciliter la réalisation de profits par les industriels ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Seules les dispositions concernant le diagnostic et la recherche clinique en vue de comprendre et d’améliorer les processus d’AMP – doit-on implanter l’embryon après deux ou trois jours ? l’ajout d’un peptide dans le milieu favorise-t-il le processus ? – sont transférées dans les dispositions de la loi relatives à la personne humaine. S’agissant de la recherche sur l’embryon, l’interdiction perdure. Ces trois dispositifs différents sont toujours, improprement, appelés « recherches ».

La commission rejette successivement les amendements n° 70, n° 257, n° 701, n° 785, n° 73, n° 260, n° 704, n° 312, n° 838, n° 624, n° 74, n° 261, n° 705 et n° 1389.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2222 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements identiques n° 75 de M. Xavier Breton, n° 262 de M. Patrick Hetzel et n° 706 de M. Thibault Bazin, puis l’amendement n° 2117 de Mme Agnès Thill.

Les amendements n° 2005 et n° 2045 sont retirés.

La commission examine, dans le cadre d’une présentation commune, les amendements identiques n° 127 de M. Xavier Breton, n° 314 de M. Patrick Hetzel, n° 786 de M. Alain Ramadier et n° 840 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 128 de M. Xavier Breton, n° 315 de M. Patrick Hetzel et n° 841 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 316 de M. Patrick Hetzel et n° 842 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 129 de M. Xavier Breton, ainsi que les amendements identiques n° 317 de M. Patrick Hetzel, n° 788 de M. Alain Ramadier et n° 843 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Les amendements n° 127 et  786 visent à calquer notre droit sur nos engagements internationaux, en l’occurrence la convention d’Oviedo, dont le contenu a été fortement inspiré par les lois de bioéthique françaises de 1994 et que la France a ratifiée en 2011. L’article 18 de la convention interdit de créer des embryons pour la recherche. Or, depuis 2013, ce régime juridique de protection de l’embryon n’existe plus en France. Il convient de le réanimer, non pas en vue d’interdire les recherches, mais de s’assurer qu’elles poursuivent des finalités objectivement conformes à nos principes éthiques.

M. Patrick Hetzel. Madame la ministre, je vous ai posé des questions sur le risque de marchandisation et il est regrettable que vous n’ayez pas souhaité y apporter de réponse.

Les amendements n° 314 et n° 315 visent à répondre à une autre de nos interrogations. Le Gouvernement semble dans une position très jésuitique – si vous me permettez cette comparaison. Vous évoquez des fins thérapeutiques. Certes, mais si, à un moment donné, au cours des manipulations sur l’embryon, on l’endommage, il ne sera pas implanté, et la finalité thérapeutique se transformera en finalité de recherche. La frontière est ténue et on ne peut évacuer si facilement le sujet quand on se situe aux frontières du vivant. C’est l’intérêt de nos lois de bioéthique. Soyons vigilants afin de maintenir ces garde-fous qui ont été une chance pour notre pays.

M. Thibault Bazin. Essayons d’appréhender le principe éthique que vous posez, madame la ministre – on ne crée pas d’embryons pour la recherche, notamment par le biais de l’AMP. Cela signifie-t-il que les avancées de la science, par exemple la vitrification ovocytaire, nous permettront de produire moins d’embryons surnuméraires ? Nous n’avons pas tous l’ambition de fonder une famille très nombreuse – peut-être serait-ce le cas si la politique familiale était plus généreuse…

Le régime actuel empêche-t-il la production de connaissances ? Pas forcément. Vous observez ce qui se passe à l’étranger, mais l’étranger observe-t-il aussi ce que nous faisons ? La recherche française est à l’origine de publications : comment la communauté internationale les perçoit-elle ? Deux directions différentes sont prises. Laquelle est le mieux à même de soigner des patients ?

Notre collègue Dharréville l’a souligné, il s’agit de recherches sur de futures personnes : que se passe-t-il si on abîme l’embryon et qu’on ne peut plus l’implanter ? L’embryon aura bien alors été indirectement produit pour la recherche… C’est l’objet de l’amendement n° 840.

L’amendement n° 841 fait suite à une décision du Conseil constitutionnel sur la loi du 26 janvier 2016, dans laquelle il distingue les recherches interventionnelles et les recherches observationnelles dans le cadre de l’AMP, en validant uniquement ces dernières. Mais le décret d’application du 4 mars 2016 étend les recherches aux recherches interventionnelles… Or nous souhaitons éviter toute manipulation génétique inappropriée.

M. Philippe Berta, rapporteur. Les scientifiques, que j’essaie humblement de représenter, sont tout à fait capables d’agir en responsabilité. Chaque fois que je participe à un débat de bioéthique en région, je suis heureux de voir qu’ils sont tous présents. Vous pouvez être certains qu’ils savent parfaitement jusqu’où ils peuvent aller et comment poser les garde-fous nécessaires.

Les demandes formulées dans vos amendements sont parfaitement expliquées dans tous les rapports de l’Agence de la biomédecine. Mon avis est défavorable sur tous les amendements.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Par souci de simplification, je n’emploie sans doute pas toujours les termes exacts. Je vais donc le redire : on ne produit jamais des embryons pour la recherche. Quel est le processus ? Lorsqu’un couple a un projet parental qui nécessite une procréation médicalement assistée, le plus important est évidemment que ce projet aboutisse. Pour cela, on génère des embryons surnuméraires, comme le prévoit le protocole médical. Lorsque le couple a réalisé son projet parental, ou lorsqu’il n’y a plus de projet parental, les embryons sont détruits, proposés à d’autres couples ou pour la recherche.

La recherche visant à améliorer l’AMP revient ainsi à diminuer le nombre d’embryons surnuméraires nécessaires au succès de la procréation médicalement assistée. Autoriser les recherches cliniques pour améliorer la procréation médicalement assistée ne signifie pas que l’on touche l’embryon : il s’agit d’analyser s’il est préférable d’implanter deux ou trois jours après la fécondation, par exemple. Soyons clairs : il n’y a pas de manipulation génétique possible sur des embryons ensuite réimplantés. Pour autant, les risques – et les bénéfices – sont inhérents à tout protocole.

Enfin, le transfert de ces dispositions permettra d’appliquer celles relatives aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH).

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 127, n° 314, n° 786 et n° 840, les amendements identiques n° 128, n° 315 et n° 841, les amendements identiques n° 316 et n° 842, l’amendement n° 129 et les amendements identiques n° 317, n° 788 et n° 843.

Elle rejette ensuite les amendements identiques n° 76 de M. Xavier Breton et n° 263 de M. Patrick Hetzel.

Elle en vient à l’amendement n° 707 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, je ne remets absolument pas en cause le discernement éthique des chercheurs. En tant que parlementaires, il nous arrive de participer à des soirées-débats avec des professeurs qui sont très investis et qui se posent eux-mêmes des questions. Partager leurs réflexions éthiques est très intéressant.

Pour autant, la communauté scientifique doit-elle décider en autonomie ? La France doit conserver son modèle, dans lequel le Parlement fixe certaines règles. D’ailleurs, une fois que les règles sont fixées, les chercheurs sont plus libres car ils sont protégés et connaissent leurs limites. Vous plaidez pour une loi de confiance, et plus d’interdits. Mais les interdits qui caractérisent le modèle français libèrent aussi les chercheurs. Au-delà de toute caricature, les règles communes permettent de s’épanouir et se développer ! Est-ce au Parlement et à la société de s’approprier ces questions ou à un comité de scientifiques d’établir ses propres règles ? Notre modèle est en jeu ; il est donc important de se poser ces questions.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous venez de nous expliquer le rôle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)… Je suis défavorable à l’amendement.

La commission rejette l’amendement n° 707.

Elle en vient à l’examen, dans le cadre d’une présentation commune, des amendements identiques n° 77 de M. Xavier Breton, n° 264 de M. Patrick Hetzel et n° 708 de M. Thibault Bazin, et des amendements identiques n° 78 de M. Xavier Breton, n° 265 de M. Patrick Hetzel et n° 709 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 264 est une modification rédactionnelle. En l’état actuel de la rédaction de l’article 14, la notion de recherche sur l’embryon humain laisse à penser que l’objet de la recherche est l’étude de l’embryon humain. Or il ne s’agit que d’un moyen. C’est pourquoi je propose que l’on parle de recherche « avec » un embryon humain et « avec » des cellules souches embryonnaires. Ce serait plus respectueux et plus conforme à l’esprit de ces recherches.

M. Philippe Berta, rapporteur. C’est vous qui faites preuve de jésuitisme… Défavorable.

La commission rejette successivement les amendements n° identiques n° 77, n° 264 et n° 708 et les amendements identiques n° 78, n° 265 et n° 709.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, je vous propose une présentation commune des très nombreux amendements concernant les conditions d’autorisation d’un protocole qui vont de l’amendement n° 1209 à l’amendement n° 720.

La commission examine, dans le cadre d’une présentation commune, les amendements identiques n° 266 de M. Patrick Hetzel et n° 710 de M. Thibault Bazin, les amendements n° 79 de M. Xavier Breton et n° 525 de M. Patrick Hetzel, les amendements identiques n° 80 de M. Xavier Breton et n° 267 de M. Patrick Hetzel, les amendements identiques n° 81 de M. Xavier Breton, n° 268 de M. Patrick Hetzel et n° 712 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 82 de M. Xavier Breton, n° 269 de M. Patrick Hetzel et n° 713 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 711 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 83 de M. Xavier Breton, n° 270 de M. Patrick Hetzel et n° 714 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 84 de M. Xavier Breton, n° 271 de M. Patrick Hetzel et n° 715 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 85 de M. Xavier Breton, n° 272 de M. Patrick Hetzel et n° 716 de M. Thibault Bazin, les amendements n° 2169 et n° 2170 du rapporteur, les amendements identiques n° 86 de M. Xavier Breton, n° 273 de M. Patrick Hetzel et n° 717 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 87 de M. Xavier Breton et n° 274 de M. Patrick Hetzel, l’amendement n° 718 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 88 de M. Xavier Breton, n° 275 de M. Patrick Hetzel et n° 719 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements identiques n° 89 de M. Xavier Breton, n° 276 de M. Patrick Hetzel et n° 720 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 266 vise à modifier la rédaction de l’alinéa 7. Le bien-fondé scientifique et médical de la recherche doit être intelligible pour tous les acteurs du processus d’autorisation du protocole de recherche.

M. Thibault Bazin. Les amendements n° 710 et n° 712 visent à préciser que la recherche appliquée ou fondamentale doit permettre des progrès médicaux majeurs identifiés ou identifiables.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 267 vise à ajouter la notion d’impératif thérapeutique absolu, afin de maintenir des garde-fous.

L’amendement n° 269 vise quant à lui à préciser que la recherche fondamentale ou appliquée sur l’embryon humain doit permettre des progrès thérapeutiques majeurs. Comme exposé précédemment, on nous les annonce depuis plusieurs décennies, mai il y a un décalage entre les discours et la réalité.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 711 vise, par prudence, à compléter l’alinéa 8 en inscrivant ces recherches dans un impératif thérapeutique absolu, présentant un caractère d’urgence et pour lesquelles aucune solution alternative n’est connue.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 270 vise à préciser que, lorsque l’on effectue des recherches en recourant à des embryons humains ou à des cellules souches embryonnaires, la nécessité doit en être expressément établie, aucune autre voie n’étant envisageable. Les Allemands comme les Japonais nous ont montré que des voies différentes existaient.

M. Thibault Bazin. La nécessité de ces recherches doit être expressément établie. L’amendement n° 714 vise à modifier la charge de la preuve.

La formulation actuelle de l’alinéa 7 étant trop imprécise, l’amendement n° 716 propose de la remplacer par « il est impossible de mener cette recherche ».

L’amendement n° 717 précise quant à lui que la recherche envisagée ne doit présenter aucun risque pour l’intégrité physique de l’embryon humain.

M. Patrick Hetzel. Un certain nombre de prérequis de l’expérimentation, respectés en pratique, n’ont pas été inscrits dans la loi. Ne pourrait-on pas, cette fois, les préciser ? Tel est l’objet de l’amendement n° 274.

M. Thibault Bazin. Je vous propose de préciser, par l’amendement n° 718, que « l’autorisation de toute recherche effectuée dans les conditions de l’alinéa précédent n’est accordée qu’après vérification préalable par l’Agence de la biomédecine qu’une expérimentation sur l’animal a eu lieu précédemment et a été suffisamment concluante. »

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 275 vise à énoncer qu’« aucune recherche sur l’embryon humain ne peut être autorisée pour l’exécution de travaux de recherche portant sur la modélisation des pathologies et sur le criblage des molécules. »

M. Philippe Berta, rapporteur. La loi ne doit être ni trop bavarde, ni trop précise. L’emploi des mots a un sens. Il n’est pas certain que les ajouts proposés soient de nature à sécuriser les recherches, tant les mots utilisés dans ces amendements sont dénués de portée pratique. Par ailleurs, qu’il me soit permis de rappeler les critères permettant d’autoriser un protocole de recherche. Des conditions scientifiques et éthiques sont posées par le I de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique. La pertinence scientifique doit tout d’abord être établie et validée par les structures de contrôle ad hoc. La recherche doit par ailleurs viser une finalité médicale, cette condition étant posée depuis la loi du 6 août 2013. L’absence de méthode alternative constitue une troisième condition, même si ce terme n’est plus expressément utilisé depuis la loi précitée : il s’agit de démontrer qu’« en l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ». Sur ce fondement, sont donc privilégiées les recherches sur les animaux ou leurs embryons avant les études sur l’être humain, même au stade potentiel attaché à l’embryon.

Les projets doivent en outre respecter les principes fondamentaux attachés à l’embryon. Non revêtus de la personnalité morale, les embryons n’en sont pas moins appréhendés comme des personnes humaines potentielles, à qui le respect est dû. C’est pourquoi le législateur a décidé que les recherches portant sur ceux-ci ne peuvent viser certaines finalités.

En résumé, j'émets un avis défavorable sur tous les amendements ajoutant de nouveaux critères ou restreignant le champ des recherches, portant sur les alinéas 6 à après l’alinéa 10.

La commission adopte les amendements rédactionnels n° 2169 et  2170 du rapporteur.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette successivement les amendements identiques n° 266 et n° 710, les amendements n° 79 puis n° 525, les amendements identiques n° 80 et n° 267, les amendements identiques n° 81, n° 268 et n° 712, les amendements identiques n° 82, n° 269 et n° 713, l’amendement n° 711, les amendements identiques n° 83, n° 270 et n° 714, les amendements identiques n° 84, n° 271 et n° 715, les amendements identiques n° 85, n° 272 et n° 716, les amendements identiques n° 86, n° 273 et n° 717, les amendements identiques n° 87 et n° 274, l’amendement n° 718, les amendements identiques n° 88, n° 275 et n° 719, ainsi que les amendements identiques n° 89, n° 276 et n° 720.

Suivant le même avis, elle rejette ensuite les amendements identiques n° 132 de M. Xavier Breton, n° 319 de M. Patrick Hetzel et n° 846 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 90 de M. Xavier Breton, n° 277 de M. Patrick Hetzel et n° 721 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements identiques n° 93 de M. Xavier Breton, n° 280 de M. Patrick Hetzel et n° 724 de M. Thibault Bazin.

La commission passe à l’examen des amendements identiques n°°91 de M. Xavier Breton, n° 278 de M. Patrick Hetzel et n° 722 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je vous propose, par l’amendement n° 722, de compléter l’alinéa 11 de l’article 14 par les mots : « ces derniers sont informés de la nature des recherches. »

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 91, n° 278 et n° 722.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 92 de M. Xavier Breton, n° 279 de M. Patrick Hetzel et n° 723 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 279 vise à compléter l’alinéa 11 par la phrase suivante : « Aucune autorisation ne peut être donnée si l’un des deux membres du couple ne donne pas son consentement exprès. »

M. Philippe Berta, rapporteur. Ces amendements sont satisfaits par l’article L. 2141-4 du code de la santé publique, dans sa version issue de l’article 16, donc avis défavorable.

Les amendements n° 92, n° 279 et n° 723 sont retirés.

La commission adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels n° 2174, n° 2173 et  2172 du rapporteur.

Elle examine les amendements identiques n° 94 de M. Xavier Breton, n° 281 de M. Patrick Hetzel et n° 725 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Si une autorisation de recherche viole la loi, le règlement ou les conditions de l’autorisation, tous édictés pour préserver, en particulier, l’éthique et la dignité humaine, il n’y a aucune raison de se contenter de la suspendre : il faut, à mes yeux, l’annuler immédiatement. Tel est l’objet de l’amendement n° 725.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous proposez de supprimer la possibilité de suspendre l’autorisation de recherche et souhaitez que le retrait soit prononcé d’emblée. Cette suspension peut être mise en place pour diligenter des inspections, vérifier le respect du droit et assurer l’application du principe du contradictoire. Le retrait de l’autorisation pourrait intervenir, mais n’allons pas trop vite en besogne ; il faut pouvoir permettre une inspection. Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je relis l’alinéa 15 : « En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. […] » Peut-être suis-je excessivement rigoureux, mais il me semble que le texte vise la violation et non la suspicion de violation, laquelle pourrait justifier les contrôles que vous évoquez.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous ne serez jamais aussi rigoureux que l’Agence de la biomédecine. La violation en question peut consister en l’absence d’un formulaire ou un problème de cette nature, conduisant à une suspension provisoire.

La commission rejette les amendements n° 94, n° 281 et n° 725.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2171 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 282 de M. Patrick Hetzel.

Elle passe ensuite à l’examen des amendements identiques  95 de M. Xavier Breton et n° 726 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Le projet de loi opère un véritable choix en autorisant la culture de l’embryon humain jusqu’au quatorzième – au lieu du septième – jour dans le cadre d’un protocole de recherche. Le septième jour, le bouton embryonnaire se compose de deux catégories de cellules, constituant deux feuillets : l’ectoblaste et l’endoblaste. Au quatorzième jour, il n’en va plus du tout de même, puisque la taille de l’embryon a été multipliée par quatre par rapport au septième jour. Le quatorzième jour correspond à la formation de l’ébauche du tube neural, le système nerveux primitif. Si l’on accepte, aujourd’hui, la recherche sur l’embryon humain in vitro jusqu’à quatorze jours, et que, demain, on réussit à maintenir en vie l’embryon humain in vitro au-delà de cette durée, à quel titre refusera-t-on de mener des recherches sur un être humain de plus de quatorze jours ? La science permet actuellement d’aller jusqu’à quatorze jours, ce qui explique que cette limite soit ainsi fixée. À quel moment mène-t-on une réflexion éthique sur le stade de développement de l’embryon ?

M. Philippe Berta, rapporteur. On fixe une limite qui n’existait pas dans les textes préexistants. À quatorze jours, la masse cellulaire interne de l’embryon conduit à l’apparition de trois feuillets : l’ectoderme, l’endoderme et le mésoderme. La limite de quatorze jours est retenue dans la quasi-totalité des autres pays. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Contrairement à ce qu’on entend régulièrement, la précédente loi ne fixait aucune limite. Il nous a paru important d’en déterminer une. D’autres amendements ont pour objet d’étendre la durée de la recherche, mais il nous a semblé qu’en s’arrêtant au moment de l’apparition des trois feuillets, on adoptait une position équilibrée.

M. Pascal Brindeau. Puisqu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de limite légale, quelle était, en pratique, la limite que les chercheurs se fixaient ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Longtemps, cette règle a résulté de la capacité à maintenir l’embryon en observation. Ensuite, comme l’a indiqué votre rapporteur, la règle généralement admise était quatorze jours.

Mme Aurore Bergé. Il me semble que le projet de loi est plus protecteur que les amendements, car il fixe une limite qui n’existait pas. Si nous adoptions votre amendement, nous protégerions moins bien l’embryon. Nous posons des bornes éthiques, ce qui me semble essentiel.

M. Thibault Bazin. Mieux vaut en effet fixer une limite. Je suis d’accord avec vous sur le fond. Je retire donc mon amendement, tout en continuant à m’interroger sur l’évolution à venir.

Les amendements n° 95 et n° 726 sont retirés.

La commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2175 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement n° 1846 de Mme Sylvia Pinel.

M. Yannick Favennec Becot. Le projet de loi prévoit qu’il soit mis fin au développement in vitro des embryons sur lesquels une recherche a été conduite, au plus tard au quatorzième jour de leur constitution. L’amendement n° 1846 vise à allonger ce délai à vingt et un jours. En effet, entre le premier et le quatorzième jour de gestation, le développement embryonnaire consiste avant tout en la formation des futures annexes embryonnaires. L’embryon proprement dit, c’est-à-dire la structure qui donnera le futur fœtus, est seulement composé d’un ensemble de cellules pluripotentes indifférenciées. C’est seulement à partir du quinzième ou du seizième jour de développement que ces cellules immatures commencent à se différencier dans les trois lignages embryonnaires à l’origine des différents organes. C’est à ce stade que les premières étapes du développement de l’embryon commencent véritablement. Comprendre les mécanismes de ces premières étapes nous paraît crucial. Nous estimons important de ne mettre un terme au développement in vitro des embryons sur lesquels une recherche a été conduite qu’au vingt et unième jour de leur constitution. Les positions des professionnels nous ont d’ailleurs rassurés. Sans aucunement porter atteinte au principe de la dignité humaine, nous entendons accompagner la recherche et les progrès scientifiques. De nombreux pays réfléchissent d’ailleurs à l’opportunité de passer de quatorze jours à trois semaines.

M. Philippe Berta, rapporteur. Finalement, cela prouve qu’avec quatorze jours, nous nous situons à un âge d’équilibre. C’est une limite qui paraîtra suffisante, me semble-t-il, à la communauté scientifique. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1846.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2176 du rapporteur.

Elle en vient aux amendements identiques n° 320 de M. Patrick Hetzel, n° 789 de M. Alain Ramadier et n° 847 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Comme cela a été dit lors des débats et comme nous avons pu l’entendre au cours des auditions que nous avons menées, il faut se garder de franchir un certain nombre de lignes rouges, ce qui suppose d’énoncer explicitement des principes dans la loi. L’amendement n° 320 vise ainsi à préciser que « L’expérimentation de l’utérus artificiel est interdite. » On voit bien, en effet, dans quelles directions on risque de s’orienter. Jusqu’à présent, les lois de bioéthique, en France, n’ont pas franchi certaines limites. Plus que jamais, il faut être cohérent et ne pas hésiter à rappeler les spécificités de cette matière. J’ai bien conscience que, dans d’autres pays, on est en train de mener des recherches dans ce sens mais ce qui nous honore, c’est que la communauté scientifique ne franchisse pas cette ligne rouge. C’est le rôle du législateur de s’en assurer.

M. Alain Ramadier. L’amendement n° 789 vise à interdire l’expérimentation – j’insiste sur ce mot – de l’utérus artificiel. Bien que celle-ci ne transparaisse pas dans le projet de loi, elle est aujourd’hui techniquement possible et même envisagée en Angleterre et aux États-Unis. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la mission d’information sur la bioéthique, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), M. Jean-François Delfraissy, confirmait la mise au point à venir de cette technique procréative. Profitons de l’occasion qui nous est donnée pour dire que la France, sans aucune ambiguïté, refuse de s'engager dans cette voie, qui la conduirait à faire fi de toute considération éthique.

M. Philippe Berta, rapporteur. J’avoue ne pas savoir exactement ce qu’est un utérus artificiel. Je ferai deux observations. Premièrement, les embryons dont nous parlons ne sont pas destinés à être réimplantés. Deuxièmement, gardons-nous de nous interdire, par cette disposition, de faire progresser nos techniques, en l’occurrence pour les grands prématurés. Avis défavorable.

M. Brahim Hammouche. Il n’existe pas de publications qui définissent réellement ce qu’est un utérus artificiel. On peut identifier plusieurs modèles de recherche s’orientant dans cette direction, mais ce n’est pas le cas du nôtre. Il paraît difficile de voter un amendement sur quelque chose qui n’est pas encore très bien défini.

M. Jean-Louis Touraine. Il faudrait préciser qu’il s’agit d’un utérus artificiel humain, puisque des recherches instructives ont atteint un stade avancé sur le développement embryono-fœtal de l’agneau. Il serait néfaste de se priver de ces connaissances. Par ailleurs, comme l’a rappelé le rapporteur, l’utérus artificiel, d’une certaine façon, n’est rien d’autre qu’une couveuse. Si, actuellement, la limite de viabilité des grands prématurés est de vingt-trois semaines, avec des séquelles importantes, on peut imaginer que les progrès qui seront effectués pour assurer le maintien en couveuse permettront d’avancer la viabilité à vingt-deux semaines, voire avant, avec très peu ou pas de séquelles. Il serait très malvenu de se priver de ces bénéfices pour les grands prématurés. Il convient donc, soit d’être beaucoup plus spécifique et prudent dans l’énoncé, soit d’attendre que la science sache définir précisément ce que vous voulez restreindre. Il ne faut pas, en tout état de cause, empêcher – ce qui n’est assurément pas votre intention – de mieux soigner les grands prématurés.

M. Patrick Hetzel. Je remercie le professeur Touraine pour ces précisions. Il a évidemment raison. Il faudrait sous-amender, en précisant qu’il est bien question d’un utérus humain, pour éviter toute ambiguïté par rapport à d’autres travaux. Par ailleurs, ce qu’il s’agit d’empêcher, ce sont les expérimentations entre zéro et vingt-trois semaines. Il faudra peut-être prendre un décret, en fonction des évolutions de la science, pour préciser ce point. Il n’est évidemment pas question d’interrompre les travaux sur les grands prématurés : ce n’est nullement l’objet de l’amendement, comme vous vous en doutez. Tout ce qui peut être fait pour le développement de la vie doit être favorisé.

La commission rejette les amendements n° 320, n° 789 et n° 847.

Elle passe à l’examen de l’amendement n° 2223 du rapporteur.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir des recherches permettant d’identifier les causes de l’infertilité. Cela fait écho à notre débat d’hier. De nombreuses publications scientifiques, un grand nombre d’experts alertent les pouvoirs publics sur l’augmentation notable des cas d’infertilité, en particulier dans les pays développés. La France dispose d’équipes de recherche de très haut niveau sur les questions liées à la fertilité, dans toutes les disciplines concernées. Une coordination de ces équipes, à l’image de celle qu’a réalisée l’Institut national du cancer (INCa) concernant les équipes travaillant sur le cancer, permettrait de stimuler la recherche sur les causes de l’infertilité et sur les actions à entreprendre pour y remédier.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je donne un avis de sagesse puisque, effectivement, la recherche peut porter sur les causes de l’infertilité, comme sur de nombreux autres domaines. C’est une précision qui paraît importante.

La commission adopte l’amendement n° 2223.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements identiques n° 124 de M. Xavier Breton, n° 311 de M. Patrick Hetzel et n° 837 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements identiques n° 134 de M. Xavier Breton, n° 321 de M. Patrick Hetzel et n° 848 de M. Thibault Bazin.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 322 de M. Patrick Hetzel, n° 790 de M. Alain Ramadier et n° 849 de M. Thibault Bazin

M. Patrick Hetzel. Il s’agit, par l’amendement n° 322, de modifier la rédaction de l’alinéa 17 pour y apporter la précision suivante : « L’importation de cellules souches embryonnaires ne peut être autorisée que lorsque ces cellules souches ont été obtenues dans un pays signataire de la convention d’Oviedo. » Cela nous permettrait de nous conformer à nos exigences éthiques, dans la mesure où cette convention internationale garantit le respect de certains principes. Il faut évidemment éviter de travailler avec des pays qui, sur ces questions, proposent un moins-disant éthique.

M. Alain Ramadier. L’amendement n° 790 est défendu au moyen des mêmes arguments.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je ne suis pas tout à fait d’accord. On peut fort bien être signataire de la convention d’Oviedo et ne pas produire de cellules souches dans le respect des principes éthiques du droit français. À l’inverse, on peut être issu d’un pays qui ne l’a pas signée tout en respectant les règles relatives aux cellules souches importées en France. La rédaction du projet de loi me paraît la plus appropriée, car elle fixe nos critères, qui sont, à mon sens, clairement identifiés.

La commission rejette les amendements n° 322, n° 790 et n° 849.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Chers collègues, je vous propose une présentation commune de tous les amendements portant sur les recherches sur les cellules souches, qui vont de l’amendement n° 136 à l’amendement n° 729.

La commission examine, dans le cadre d’une présentation commune, les amendements identiques n° 136 de M. Xavier Breton, n° 323 de M. Patrick Hetzel et n° 850 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 137 de M. Xavier Breton, n° 324 de M. Patrick Hetzel et n° 851 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 2177 du rapporteur, les amendements identiques n° 138 de M. Xavier Breton, n° 325 de M. Patrick Hetzel et n° 852 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 140 de M. Xavier Breton, n° 327 de M. Patrick Hetzel et n° 854 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 283 de M. Patrick Hetzel, n° 727 de M. Thibault Bazin et n° 1390 de Mme Agnès Thill, les amendements identiques n° 139 de M. Xavier Breton, n° 326 de M. Patrick Hetzel et n° 853 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 954 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 97 de M. Xavier Breton, n° 284 de M. Patrick Hetzel et n° 728 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 955 de M. Thibault Bazin, les amendements n° 2178 et  2179 du rapporteur, les amendements identiques n° 141 de M. Xavier Breton, n° 328 de M. Patrick Hetzel et n° 855 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 142 de M. Xavier Breton, n° 329 de M. Patrick Hetzel et n° 856 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques n° 2224 du rapporteur et n° 2027 de M. Marc Delatte, l’amendement n° 2181 du rapporteur, les amendements identiques n° 330 de M. Patrick Hetzel et n° 857 de M. Thibault Bazin, l’amendement n° 2180 du rapporteur, les amendements identiques n° 286 de M. Patrick Hetzel et n° 730 de M. Thibault Bazin, et les amendements identiques n° 285 de M. Patrick Hetzel et n° 729 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. L’amendement n° 136 vise à supprimer les alinéas 18 à 33, lesquels prévoient de créer un régime de recherche sur les cellules souches embryonnaires distinct du régime de recherche sur l’embryon humain. La loi fera ainsi échapper ces cellules au régime légal de la recherche sur l’embryon et soumettra ce type de recherches à une simple déclaration, ce qui empêchera de les contrôler et les livrera à l’industrialisation.

M. Patrick Hetzel. Je me fonde sur les mêmes arguments pour défendre l’amendement n° 323.

L’objet de l’amendement n° 324 est de maintenir le principe de l’autorisation des protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Nous ne souhaitons pas, en effet, qu’elles soient soumises à une simple déclaration.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’amendement n° 2177 est rédactionnel.

M. Thibault Bazin. Par l’amendement n° 852, nous souhaitons limiter la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, d’une part, aux lignées de cellules souches établies et existantes sur le territoire français avant la promulgation de la présente loi, d’autre part, aux lignées de cellules souches établies et existantes à l’étranger, dans le respect des principes éthiques et ayant fait l’objet d’une autorisation d’importation, avec le visa de l’Agence de la biomédecine.

M. Patrick Hetzel. Par l’amendement n° 326, je propose d’insérer, après l’alinéa 22, les mots : « La liste des lignées de cellules souches embryonnaires dérivées en France ou susceptibles d’être importées de l’étranger, existantes au jour de la promulgation de la loi, et sur lesquelles des recherches peuvent être menées en France, dans le respect des principes éthiques des articles 16 à 16-8 du code civil, est établie par décret du ministère de la recherche. » Il s’agit, madame la ministre, que vous puissiez exercer un contrôle en la matière.

M. Thibault Bazin. Par l’amendement n° 853, nous entendons être force de proposition et vous permettre de résoudre le conflit éthique lié à la distinction entre les lignées de cellules souches embryonnaires humaines.

L’amendement n° 728 a pour objet de préciser que l’Agence de la biomédecine s’oppose aux recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines « si, en l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons humains ». L’amendement n° 955 vise à prévoir cette opposition « si, en l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines. »

M. Philippe Berta, rapporteur. Les amendements n° 2178 et n° 2179 sont rédactionnels.

M. Thibault Bazin. Puisque, me semble-t-il, nous partageons les mêmes principes éthiques, je vous propose, par l’amendement n° 855, que l’on vérifie que les protocoles de recherche n’aient pas pour objet la « modélisation de pathologies et le criblage de molécules ».

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 329 vise à supprimer l’alinéa 24, lequel revient à autoriser la création de gamètes artificiels à partir de cellules souches embryonnaires humaines. La création de gamètes artificiels humains n'a jamais été autorisée en France jusqu’à présent. Ses conséquences seraient vertigineuses. Les chercheurs nous disent que le risque majeur – c’est le cœur du débat sur l’article 14 – est la création d’embryons pour la recherche, comme l’illustrent les protocoles conduits au Japon. Évidemment, nos principes éthiques ne sont pas les mêmes mais, compte tenu de la rédaction de l’article, on pourrait s’en inquiéter.

M. Thibault Bazin. Nous sommes tout à fait favorables aux dispositions du projet de loi interdisant la création de gamètes à partir de cellules iPS. Nous vous proposons, par l’amendement n° 856, d’agir de même avec les cellules souches embryonnaires humaines.

M. Philippe Berta, rapporteur. Toute utilisation de cellules souches embryonnaires humaines en recherche est soumise à déclaration à l’Agence de la biomédecine, selon le nouveau régime instauré à l’article 14. S’agissant des recherches nécessitant une attention particulière – différenciation des cellules souches embryonnaires en gamètes, agrégation de ces cellules avec des cellules précurseurs de tissus extra-embryonnaires –, l’avis du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine est requis avant toute décision d’opposition de celle-ci.

Des recherches récentes menées chez l’embryon animal consistant à explorer la possibilité d’obtenir des organes humains développés à partir de cellules souches pluripotentes humaines chez l’animal ouvrent une voie de recherche d’intérêt, quand on connaît les difficultés à trouver des organes à greffer dans notre pays. Ces recherches soulèvent néanmoins des interrogations éthiques, tenant notamment au franchissement de la barrière d’espèces.

En conséquence, il est proposé, par l’amendement n° 2224, que ces recherches soient examinées dans les mêmes conditions que les autres voies de recherche nécessitant une attention particulière si elles ont pour but le transfert chez la femelle – étant entendu que, si l’expérimentation ne conduit pas au développement in utero d’un embryon, il n’y a aucun risque à faire naître un animal porteur de cellules, de tissus ou d’organes humains.

Des dispositions équivalentes sont proposées par l’amendement n° 2226, à l’article 15, s’agissant des cellules souches pluripotentes induites, dites « IPS ».

M. Marc Delatte. Les dispositions de la loi de 2011 concernant les approches expérimentales ne sont plus interprétables, dans le contexte scientifique actuel, pour les recherches sur l’embryon. Il est donc important de les repréciser, en lien avec l’avis n° 129 du Comité consultatif national d’éthique et le rapport du Conseil d’État. Tel est l’objet de l’amendement n° 2027.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Le Gouvernement donne un avis favorable aux amendements n° 2224 et n° 2027, qui apportent une précision utile et correspondent à la philosophie du texte.

Pour en revenir aux débats précédents, j’insiste sur le fait qu’on ne peut pas – il serait malhonnête de le faire croire à nos concitoyens – considérer, aujourd’hui, que les cellules iPS sont identiques aux cellules souches embryonnaires. Refuser la modélisation et le criblage de molécules, s’empêcher de comprendre des pathologies serait extrêmement dangereux pour les Français. Quand on crible des molécules, il faut être sûr que les modifications génétiques induites dans les iPS n’entraînent pas des réponses à ces molécules qui ne sont pas les vraies réponses. On parle d’OGM – organismes génétiquement modifiés : les IPS sont, de fait, des cellules génétiquement modifiées. Personne ne peut dire, aujourd’hui, si le fait de cribler des molécules sur des cellules comportant des gènes modifiés offrira les mêmes résultats que ceux obtenus sur des cellules non génétiquement modifiées. Il serait dangereux d’interdire toute modélisation et tout criblage sur des cellules souches embryonnaires, au prétexte que les iPS les remplaceraient.

M. Thibault Bazin. Insérer des cellules embryonnaires humaines dans un embryon animal, qui sera transféré chez une femelle, pose de vraies questions.

M. Philippe Berta, rapporteur. Actuellement, aucune législation n’existe au sujet de ce type d’expérimentation. L’objectif est de faire des recherches pour voir si l’implantation de cellules embryonnaires humaines dans des animaux – en l’occurrence souvent des cochons, qui sont le plus proche de nous sur le plan immunologique – pourrait nous permettre d’obtenir des organes qui nous font aujourd’hui cruellement défaut pour les greffes.

M. Thibault Bazin. C’est ce que j’avais compris : vous ajoutez cette précision à l’alinéa 24. Nous parlons bien d’insérer des cellules embryonnaires humaines dans l’embryon animal, et traitons dans l’article 14 de ce qui est soumis à autorisation ou à déclaration. J’entends votre argument selon lequel il faut traiter ce sujet dans la loi. Mais à quel niveau cela doit‑il se faire ? Pourriez-vous nous préciser votre intention ?

M. Philippe Berta, rapporteur. Le projet est d’abord soumis à une autorisation du ministère de la recherche, puis à une déclaration, de sorte qu’il existera un double contrôle.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. La loi en vigueur traite seulement de la question des chimères formées par l’implantation de cellules animales dans des embryons humains. Nous apportons cette précision pour réguler l’usage des chimères composées de cellules humaines dans des embryons animaux.

M. Pascal Brindeau. À partir du moment où nous autoriserons le transfert de cellules embryonnaires humaines dans un embryon animal, jusqu’où laissera-t-on se développer l’embryon à des fins de recherche thérapeutique ? Autrement dit, pourrons-nous, sous couvert de recherche, faire naître des animaux qui comporteront des cellules embryonnaires humaines ?

M. Patrick Hetzel. Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce que vous nous avez dit tout à l’heure ? Dans les rapports de l’Inserm ou de l’Académie des sciences, les cellules iPS semblent équivalentes aux cellules souches embryonnaires humaines en matière de modélisation des pathologies. Votre proposition respecte‑t‑elle réellement les principes éthiques ? Vous ne pouvez pas les balayer d’un simple revers de la main.

Mme Agnès Thill. Sommes-nous bien en train de parler des embryons hybrides destinés aux greffes ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur Hetzel, je ne nie pas que les cellules iPS et les cellules souches embryonnaires se ressemblent : elles sont équivalentes, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles soient identiques. Il ne faut pas laisser croire que les cellules iPS sont la même chose que les cellules souches embryonnaires.

M. Philippe Berta, rapporteur. De nouvelles données relatives à l’épigénétique devraient nous permettre d’aller plus loin dans la comparaison entre ces deux types de cellules. En dédifférenciant une cellule adulte, vous changez complètement son épigénèse. Or, aujourd’hui, nous ne sommes pas capables de suivre l’épigénèse de façon globale. Nous avons besoin d’études pour comprendre si la cellule iPS, que nous souhaitons tous utiliser à terme, possède la même caractéristique épigénétique qu’une cellule souche embryonnaire. Nous avons besoin de poursuivre le comparatif.

Par ailleurs, n’allez pas dire que la France est particulièrement en retard sur les Japonais ! Je connais beaucoup d’équipes, même à Montpellier, qui travaillent sur les cellules iPS au quotidien.

M. Jean-François Eliaou. Comment cela, « même à Montpellier » ? Surtout à Montpellier ! (Sourires.)

M. Thibault Bazin. Si je comprends bien votre amendement, monsieur le rapporteur, vous ajoutez un cran supplémentaire, afin de mettre l’Agence de la biomédecine dans la boucle. Si c’est le cas, j’y suis extrêmement favorable. Le débat entre cellules iPS et cellules souches embryonnaires ne relève pas exactement du même sujet, et biaise son approche, à mon sens. Les rapports reconnaissent que ce n’est pas exactement la même chose et qu’elles n’ont pas le même usage. Mais nous devons aussi regarder les besoins, notamment pour ce qui est des modélisations ou de l’industrie. C’est, à mon sens, biaiser l’examen de l’article 14 que de le résumer aux cellules iPS.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous avez entièrement raison, Monsieur Bazin, mais comme M. Hetzel m’avait interpellée sur ce sujet, je lui ai répondu, sans faire attention à la cohérence du débat. Comme vous l’avez dit, il s’agit de définir un cran supplémentaire en mettant l’ABM dans la boucle.

Madame Thill, nous sommes en réalité encore très loin de ces greffes potentielles. Personne ne peut préjuger de ce qui sera possible ou non de faire à l’avenir.

Je me répète : l’objectif de la recherche n’est pas obligatoirement de servir la santé humaine. De nombreuses recherches permettent de produire de la connaissance, qui sera sans nul doute un jour utile, sans que l’on ne sache encore à quoi – cela n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens d’essayer de le prévoir. J’ai souvent rappelé à mes étudiants que ce sont des chercheurs qui étudiaient les geysers qui ont permis de découvrir l’enzyme utilisée aujourd’hui dans tous les tests génétiques.

M. Marc Delatte. Une équipe britannique a récemment montré la capacité de pluripotence des cellules iPS, en en injectant à des embryons murins au stade de la gastrula. Voilà un exemple de la recherche actuelle.

M. Pascal Brindeau. Les propos de la ministre légitiment le fait que l’on ne borne pas la recherche dans un domaine pourtant bien particulier, puisqu’il s’agit tout de même de mélanger entre elles différentes espèces du règne animal. Cela a des incidences éthiques importantes. Au nom de la capacité de la recherche à trouver demain peut-être des solutions pour la médecine humaine, on fait sauter des bornes. Quelles sont les limites éthiques de ces mélanges ? Je n’ai pas de jugement de valeur sur le transfert d’une cellule, fût-elle embryonnaire humaine, vers un animal, mais jusqu’à un certain point. Que se passerait-il si l’on faisait naître un animal doté de cellules humaines ? Même si nous ne connaissons pas aujourd’hui les avancées possibles de la science sur le sujet, il me semble que nous devrions borner ces expériences, pour éviter de créer des chimères vivantes.

M. Thibault Bazin. Même si nous savons qu’il y a une pénurie d’organes, nous devrons nous interroger sur l’aspect psychologique de l’implantation d’un organe provenant d’un cochon. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme… Quelle conscience définissons-nous, en tant que législateur, pour la communauté scientifique qui espère sincèrement trouver pour soigner ensuite ? Parfois se cachent aussi des intérêts financiers que nous ne pouvons pas négliger. Nous devons poser des barrières éthiques pour nous prémunir contre les dérives que nous avons pu constater dans d’autres pays. Même si nous pouvons nous accorder sur les finalités, les moyens d’y parvenir peuvent se révéler non éthiques.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Nous disons exactement tous la même chose. Cela fait longtemps que, dans les boîtes de culture, nous savons mélanger des cellules humaines avec des cellules animales. Alors que rien n’existait sur ce sujet éthique, je remercie le rapporteur pour son amendement, parce qu’il me semble important d’être capable de borner la question, en demandant à l’ABM et à son comité d’orientation de jeter un regard sur ce qui doit se faire et ce qui ne le doit pas.

M. Patrick Hetzel. On peut effectivement saluer la proposition du rapporteur, qui pose le tout premier cadre sur cette question. Cela étant, ne cachons pas le sujet de fond, qui est un point de divergence majeur avec vous. Vous faites évoluer le texte, en passant d’une demande d’autorisation à une simple déclaration.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous poursuivons l’examen des amendements dans cette longue présentation commune.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’amendement n° 2181 est rédactionnel.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 330 vise à proposer une autre rédaction à la fin de l’alinéa 24, afin de maintenir un certain nombre de lignes rouges.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’amendement n° 2180 est rédactionnel

M. Patrick Hetzel. Quant à l’amendement n° 285, il vise à insérer, après l’alinéa 24, l’alinéa suivant : « Les gamètes ainsi créés ne peuvent en aucune façon servir à féconder un autre gamète, issu du même procédé ou obtenu par don, pour constituer un embryon humain. »

La commission adopte successivement les cinq amendements rédactionnels n° 2177, n° 2178, n° 2179, n° 2181 et n° 2180 du rapporteur, ainsi que les amendements identiques n° 2224 et n° 2027.

Suivant les différents avis défavorables du rapporteur, elle rejette successivement les amendements identiques n° 136, n° 323 et n° 850, les amendements identiques n° 137, n° 324 et n° 851, les amendements identiques n° 138, n° 325 et n° 852, les amendements identiques n° 140, n° 327 et n° 854, les amendements identiques n° 283, n° 727 et n° 1390, les amendements identiques n° 139, n° 326 et n° 853, l’amendement n° 954, les amendements identiques n° 97, n° 284 et n° 728, l’amendement n° 955, les amendements identiques n° 141, n° 328 et n° 855, les amendements identiques n° 142, n° 329 et n° 856, les amendements identiques n° 330 et n° 857, les amendements identiques n° 286 et n° 730, et les amendements identiques n° 285 et n° 729.

Puis elle passe à l’examen, en discussion commune, des amendements identiques n° 2252 du rapporteur et n° 2028 de Mme Caroline Janvier, ainsi que de l’amendement n° 1744 de M. JeanLouis Touraine.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’amendement n° 2252 vise à instaurer un régime déclaratoire relatif à la conservation des cellules souches embryonnaires, afin de rester cohérents avec le nouveau régime de recherche que nous avons instauré dans le projet de loi. La recherche sur ces cellules n’appelle pas les mêmes interrogations éthiques que celle qui porte sur l’embryon. C’est pourquoi nous regroupons sous le régime déclaratif tout ce qui concerne la cellule souche embryonnaire.

M. Guillaume Chiche. Le groupe La République en Marche a déposé un amendement n° 2028 identique à celui du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine. L’amendement n° 1744 vise à proposer que les règles applicables à la conservation des lignées de cellules souches embryonnaires, qui ont été entièrement produites, relèvent d’un régime déclaratif auprès de l’ABM et non d’un régime d’autorisation, lequel perdure bien sûr pour la recherche sur les embryons.

M. Philippe Berta, rapporteur. Puisqu’il s’agit d’amendements quasiment identiques, je suggère à M. Touraine de retirer le sien.

L’amendement n° 1744 est retiré.

M. Thibault Bazin. Je suis défavorable à ces amendements, parce que je pense que nous devons conserver, pour la conservation, un régime d’autorisation, seul à même de garantir un haut niveau d’exigence éthique.

M. Patrick Hetzel. Il est extrêmement important que la majorité, qui manifestement souhaite aller dans ce sens, assume que, sur ce point précis, c’est du moins‑disant éthique.

La commission adopte les amendements identiques n° 2252 et n° 2028.

Puis elle examine l’amendement n° 1845 de Mme Sylvia Pinel.

M. Yannick Favennec Becot. L’amendement vise à corriger une incohérence. Le projet de loi introduit une nouveauté, en distinguant le régime juridique s’appliquant à l’embryon de celui s’appliquant aux cellules souches. La recherche sur ces dernières ne sera plus soumise qu’à une déclaration auprès de l’Agence de biomédecine. Pourtant, alors que les programmes de recherche sur les cellules souches embryonnaires sont déclaratifs, leur conservation dépend d’une autorisation. Maintenir ce double régime pour les programmes de recherche est incohérent et peut porter atteinte à la viabilité de ces programmes plusieurs années après leur commencement. En effet, l’obtention d’une autorisation induit une possibilité de contestation en justice, qui pourrait mettre un terme à un programme en cours. L’amendement vise donc à ne pas maintenir les protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires dans un système d’autorisation pour la conservation. Un régime déclaratif suffit à nos yeux.

M. Philippe Berta, rapporteur. Votre amendement vient d’être satisfait par l’adoption du mien.

L’amendement n° 1845 est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels nos 2182, 2183, 2184, 2185 et 2186 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement n° 2033 de Mme Sereine Mauborgne.

Mme Sereine Mauborgne. Il me semble que les médecins choisissant de transgresser les règles établies dans cette loi méritent de subir des sanctions plus lourdes que celles qui sont prévues. Madame Buzyn, je me permets de vous reposer la question : est-ce la voie réglementaire qui prévoit les sanctions ordinales en cas de manquement à une responsabilité éthique ?

M. Philippe Berta, rapporteur. Dans la mesure où il faut respecter la proportionnalité des peines, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 2033.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels nos 2188 et 2189 du rapporteur.

Elle examine l’amendement n° 787 de M. Alain Ramadier.

M. Alain Ramadier. Seules les recherches biomédicales en assistance médicale à la procréation ayant un caractère interventionnel sont autorisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Or, ces autorisations n’étant pas publiées au Journal officiel, elles ne peuvent être contestées. Pis encore, on ne connaît ni la nature des travaux qui ont pu être menés depuis trois ans, ni leur finalité, ni leurs résultats. L’amendement vise à lever cette opacité, surtout à l’heure où le but serait d’adapter nos lois de bioéthique aux « avancées de la science ». Mais, pour s’y adapter, encore faut-il les connaître.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je vous propose de vous en référer aux multiples rapports publiés très régulièrement par l’Agence de la biomédecine. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 787.

Elle adopte ensuite l’article 14 modifié.

La réunion est suspendue de seize heures quarante-cinq à dix-sept heures cinq.

Après l’article 14

La commission examine les amendements identiques n° 175 de M. Xavier Breton, n° 363 de M. Patrick Hetzel et n° 927 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. C’est une nécessité de mettre l’accent sur l’objectif avant tout curatif des diagnostics anténataux, en suggérant à cette fin aux pouvoirs publics d’inciter les grands instituts de recherche et les structures hospitalières à faire de la médecine fœtale et embryonnaire l’une des priorités de leurs activités.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cette demande de rapport sur l’état de la recherche portant sur les « maladies particulièrement graves » me laisse un peu circonspect. Où est le curseur de la gravité ? Par ailleurs, on ne peut pas contraindre l’ordre du jour des assemblées parlementaires. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 175, n° 363 et n° 927.

Puis elle examine les amendements identiques n° 176 de M. Xavier Breton, n° 364 de M. Patrick Hetzel et n° 928 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Tandis que tous les moyens sont orientés vers le dépistage de la trisomie avant la naissance, aucun effort n’est fait dans la recherche de traitements pour accompagner, soigner, voire guérir un jour les personnes handicapées.

M. Patrick Hetzel. C’est une question qui mérite en effet un éclairage plus important.

M. Thibault Bazin. Je profite de ces amendements pour dire à Mme la ministre Agnès Buzyn que son intervention sur la trisomie 21, lundi soir, m’a beaucoup touché et qu’elle fera date. Il est important d’être cohérents, dans une société qui se veut la plus inclusive possible, et de veiller, quand on fait une loi, à être incitatifs, de sorte que notre recherche puisse accompagner, plutôt qu’éviter, les personnes atteintes d’un handicap.

J’ai eu la chance d’être maire d’une commune qui comptait cinq cents personnes handicapées pour trois mille habitants, grâce à l’enracinement d’établissements médico‑sociaux depuis plus de huit cent soixante ans. J’ai vu avec quel bonheur elles s’épanouissaient – notamment les personnes atteintes d’une trisomie 21 – et qu’elles apportaient un surplus d’humanité, disaient bonjour dans la rue, ce que nous n’entendons pas beaucoup à Paris. À Rosières-aux-Salines, beaucoup disent bonjour, et cela rend heureux.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il est faux de dire qu’il n’existe pas de recherche sur la trisomie 21. Elle est forcément très complexe, puisqu’il s’agit d’éliminer l’expression d’un chromosome. Il faudrait intégrer dans toutes les cellules de l’organisme un élément dont on sait qu’il existe sur le chromosome X, qui éteindrait le chromosome 21. C’est, malheureusement, encore de l’ordre de l’utopie.

S’agissant de vos commentaires sur la trisomie 21, je pense savoir de quoi je parle et il n’y a pas plus pléiotropique, en matière de phénotype, que celle-ci. Certains enfants atteints de trisomie 21 peuvent mener une vie presque normale, même si l’on sait statistiquement qu’ils déclencheront un syndrome d’Alzheimer précoce, étant donné que l’un des principaux gènes responsables de cette maladie est sur le chromosome 21, dont ils ont trois copies, tandis que d’autres enfants sont pratiquement des légumes – je n’ai pas peur du terme, c’est une situation personnelle. On ne peut pas résumer le syndrome de Down : c’est une multidiversité. Certains enfants pourront rejoindre des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et mener une activité quasi professionnelle, alors que d’autres iront dans des maisons d’accueil spécialisées (MAS) et seront seulement là, et pas grand-chose d’autre.

La commission rejette les amendements n° 176, n° 364 et n° 928.

Article 15
Régulation, en recherche fondamentale, de certaines utilisations
des cellules souches pluripotentes induites

La commission examine les amendements identiques n° 148 de M. Xavier Breton, n° 335 de M. Patrick Hetzel et n° 862 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Il est regrettable que l’utilisation des cellules souches pluripotentes induites soit envisagée uniquement dans le projet de loi pour une manipulation qui n’est pas éthique, à savoir la création de gamètes artificiels. C’est pourquoi je propose de supprimer les alinéas 1 à 9.

M. Thibault Bazin. J’ai un doute concernant l’article 15. Pourriez‑vous me confirmer, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, que la création de gamètes artificiels à partir de cellules iPS est bien interdite, pour ne pas ouvrir la porte à de nouvelles techniques de reproduction ?

M. Philippe Berta, rapporteur. S’agissant des cellules iPS, nous avons fait le tour de la question. C’est un outil de recherche, dont nous espérons qu’il devienne un jour, encore lointain sans doute, un outil thérapeutique

La commission rejette les amendements n° 148, n° 335 et n° 862.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2190 du rapporteur.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 144 de M. Xavier Breton, n° 331 de M. Patrick Hetzel et n° 858 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. La recherche pharmacologique a pour principal objectif la mise au point de médicaments. Elle consiste notamment à cribler des molécules, modéliser des pathologies et tester la toxicité des médicaments. Il est acté de façon consensuelle aujourd’hui que, pour la recherche de l’industrie pharmaceutique, les cellules souches embryonnaires humaines peuvent être remplacées. Les cellules souches pluripotentes induites sont une alternative reconnue et effective, dans ce domaine. Il n’y a plus aucun débat sur ce point.

M. Patrick Hetzel. Dans le prolongement de ce que vient de dire M. Alain Ramadier, l’amendement n° 331 vise à insérer, après l’alinéa 3 : « Les cellules souches pluripotentes induites sont utilisées pour la recherche pharmacologique. »

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 144, n° 331 et n° 858.

Puis elle passe à l’examen, en discussion commune, des amendements identiques n° 145 de M. Xavier Breton et n° 332 de M. Patrick Hetzel, et des amendements identiques n° 792 de M. Alain Ramadier et n° 859 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 332 vise à demander à l’ABM la remise d’un rapport sur les recherches en matière de cellules souches pluripotentes induites.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements identiques n° 145 et n° 332, puis les amendements identiques n° 792 et n° 859.

Elle examine les amendements identiques n° 146 de M. Xavier Breton, n° 333 de M. Patrick Hetzel et n° 860 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. L’alinéa 4 revient à autoriser la création de gamètes artificiels à partir de cellules souches pluripotentes induites. La création de gamètes artificiels n’a jamais été autorisée en France. Ses conséquences sont vertigineuses. Elle entraînerait notamment la création d’embryons pour la recherche, comme en témoignent les recherches menées par des scientifiques japonais.

M. Patrick Hetzel. Si cet alinéa est maintenu et si l’interprétation que nous en faisons est confirmée, cela revient bien à dire que nous entrons dans un processus de moins‑disant éthique.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je tiens à rappeler que nous avons souhaité un contrôle et un encadrement de l’usage des cellules iPS, lesquels n’existent actuellement pas dans notre loi de bioéthique. Nous savons qu’il est possible, aujourd’hui, de faire un certain nombre de choses à partir des cellules iPS. Nous souhaitons inscrire dans la loi que, si d’aventure, il devenait possible de générer des gamètes à partir de cellules iPS, il y ait une déclaration à l’ABM. Nous contraignons une recherche sur les cellules iPS, qui aujourd’hui n’est soumise à aucune règle.

Il nous paraît néanmoins pertinent d’autoriser cette recherche, parce que beaucoup de questions se posent sur la fertilité. Comprendre comment se créent des gamètes, c’est aussi comprendre les mécanismes à l’œuvre et, potentiellement, être capables d’apporter des connaissances à la gamétogenèse.

Enfin, je rappelle que cette loi de bioéthique, comme les précédentes, comme la convention d’Oviedo, interdit de fabriquer des embryons, quelle que soit la façon dont on le fait, pour la recherche. Nous ajoutons un point de vigilance, ce qui est tout le sens d’une loi de bioéthique : interroger le faisable au regard de l’éthique.

M. Thibault Bazin. Je suis d’accord avec vous, madame la ministre : il faut traiter ce sujet qui ne l’était pas jusqu’alors. Mais tout dépend de la façon dont il l’est. Le fil qui peut être tiré m’inquiète. J’ai bien compris que vous posiez un verrou. Mais, souvent, face à une porte, la tentation c’est de l’ouvrir. En autorisant, sous un bon prétexte, celui de comprendre la gamétogenèse, la création de gamètes artificiels, ne voudra-t-on pas, ensuite, aller un peu plus loin et créer un embryon, sans néanmoins dépasser le délai des quatorze jours, seulement pour comprendre ? Cet argument du « pour comprendre » peut, en réalité, être tiré encore un peu plus loin. La prochaine loi de bioéthique ne nous fera-t-elle pas franchir une nouvelle étape dans ce domaine ? Certains amendements d’appel semblent d’ailleurs l’annoncer. S’agit-il, madame la ministre, d’un vrai terminus ? D’autres pays ont déjà cédé à la tentation…

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. On peut toujours tout imaginer, Monsieur Bazin, mais cela signifierait que nous déciderions de violer la convention d’Oviedo et la loi de bioéthique… Laissez-moi reprendre votre argument. Aujourd’hui, nous réglons une partie des problèmes d’infertilité en allant chercher des cellules, qui ne sont pas des gamètes, et en prélevant leurs noyaux pour les injecter dans des ovocytes uniquement en vue d’une procréation médicalement assistée. Je pense qu’il est très important d’encadrer les recherches sur les cellules iPS, même si leur origine n’est pas embryonnaire, si la recherche a vocation à comprendre et à essayer de faire des gamètes avec ces cellules. Cela n’a strictement rien à voir avec le fait d’autoriser à utiliser des gamètes pour créer des embryons à des fins de recherche, ce qui reste parfaitement interdit.

Néanmoins, puisque nous acceptons aujourd’hui de faire des ICSI, c’est‑à‑dire de partir de cellules qui ne sont pas encore des gamètes, de prendre des noyaux et de les injecter dans les ovocytes des femmes, dans le cadre d’une PMA, pourquoi, si un jour il devait exister une autre façon d’aller chercher le noyau d’une cellule, de le mettre dans un ovocyte et de permettre à des couples stériles d’avoir des enfants, nous priver de faire de la recherche, pour comprendre comment se fait la différenciation ? Une fois que l’on a compris les mécanismes, il est aussi plus facile de comprendre pourquoi certaines causes de stérilité sont liées à des blocages dans la différenciation des spermatozoïdes.

Une fois de plus, comprendre les choses et produire de la connaissance, c’est le rôle de la recherche. Savoir à partir de la connaissance produite ce que l’on autorise sur des sujets éthiques, c’est le rôle de la loi de bioéthique. Elle doit veiller à encadrer, de sorte à éviter de laisser faire des choses qui ne correspondent pas à nos principes éthiques, et non à empêcher.

M. Guillaume Chiche. Monsieur Bazin, c’est bien parce qu’il existe une multitude de portes que nous sommes réunis pour réviser la loi de bioéthique. La question est bien de savoir si nous les ouvrons ou non et de mettre le curseur entre ce que la science peut permettre et ce que la loi autorise. Il ne faut pas avoir peur de cette porte qu’en l’occurrence nous n’autorisons pas à ouvrir.

M. Patrick Hetzel. Madame la ministre, vous avez évoqué plusieurs limites. Mais nous avons vu que les Japonais ont pris une certaine direction avec les cellules iPS, puisqu’ils ont réussi à créer une souris à partir d’une cellule de peau transformée en cellule iPS. Il faut des garde-fous un peu plus précis, pour éviter toute dérive. Les Japonais, qui sont très en pointe sur les cellules iPS, n’ont pas les mêmes garde-fous que nous, et nous avons vu où cela les a menés… Nous devons absolument éviter de prendre la même direction. Or la rédaction actuelle n’est pas suffisamment claire ni précise. Il faut encadrer davantage que vous ne le faites.

La commission rejette les amendements n° 146, n° 333 et n° 860.

Elle examine ensuite l’amendement n° 625 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement propose une rédaction claire et précise de l’alinéa 4 de l’article 15, de telle sorte que l’on interdise les recherches destinées à créer des gamètes ou des embryons à partir de cellules iPS. Contrairement à ce que vous dites, vous êtes en train d’ouvrir la porte.

M. Philippe Berta, rapporteur. Défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 625.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements identiques n° 147 de M. Xavier Breton, n° 334 de M. Patrick Hetzel et n° 861 de M. Thibault Bazin.

La commission étudie les amendements identiques n° 2226 du rapporteur et n° 2029 de M. Marc Delatte.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il s’agit de reprendre l’esprit d’un amendement précédent que nous avons adopté sur la création de chimères, mais en utilisant des cellules iPS et non des cellules embryonnaires. Nous verrouillons ce type de recherche pour pouvoir les soumettre à habilitation.

M. Marc Delatte. Mêmes arguments que M. le rapporteur, dans le même esprit que les amendements n° 2224 et n° 2027 adoptés à l’article 14.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Favorable.

La commission adopte les amendements n° 2226 et n° 2029.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2191 du rapporteur.

La commission est saisie des amendements identiques n° 100 de M. Xavier Breton, n° 287 de M. Patrick Hetzel et n° 731 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Je propose d’indiquer clairement que la dérivation de cellules somatiques en gamètes est interdite.

M. Philippe Berta. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 100, n° 287 et n° 731.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 102 de M. Xavier Breton, n° 289 de M. Patrick Hetzel et n° 814 de M. Thibault Bazin, ainsi que les amendements identiques n° 101 de M. Xavier Breton, n° 288 de M. Patrick Hetzel et n° 813 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 289, qui est un amendement de repli, vise à préciser qu’en aucune façon les gamètes dérivés de cellules souches pluripotentes induites ne peuvent être fécondés ou fécondables.

Madame la ministre, si vous vous opposez à cet amendement, cela veut dire qu’en réalité, la loi permettra de le faire. Cela montrerait bien qu’il existe une ambiguïté, ce que je n’imagine à aucun moment.

M. Thibault Bazin. Cela fait bien longtemps qu’aucun de nos amendements n’a été adopté… Y être favorable serait l’occasion pour nous d’augmenter le pourcentage de nos amendements retenus.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 288, qui est également un amendement de repli, précise qu’en aucune façon les gamètes dérivés de cellules souches pluripotentes induites humaines ne peuvent être fécondés en vue de recevoir un embryon humain. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Il convient d’expliciter désormais ces choses-là dans la loi.

M. Thibault Bazin. Nous vous faisons de nombreuses propositions de rédaction. Certaines sont plus ou moins bavardes et ont plus ou moins un impact. Faites votre choix : il y en a pour tous les goûts ! Si on pouvait en adopter un, ce serait bien…

M. Philippe Berta, rapporteur. Défavorable.

M. Pierre-Alain Raphan. Je remercie M. Bazin pour le choix qu’il nous offre. (Sourires.)

Madame la ministre, j’ai reçu une série d’articles m’informant que l’on a réussi à imprimer des ovaires avec une imprimante 3D, en tout cas qu’une souris a pu naître avec ce type de technologie. Avez-vous connaissance de cela ? Cela pourrait poser autant de problèmes éthiques que de filiation. (Sourires.)

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je n’ai rien lu sur le sujet. Si l’on parle d’organoïdes, c’est-à-dire de choses simplifiées, alors effectivement on sait faire. Mais s’il s’agit d’ovaires, on ne sait pas faire.

En fait, il existe des possibilités, y compris au travers des imprimantes 3D, de recréer des interfaces entre certains tissus cellulaires pour regarder comment les cellules communiquent les unes avec les autres. Ce dont vous parlez est probablement encore de la science-fiction, mais je vérifierai.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nombreux sont ceux qui parlent d’organes au lieu d’organoïdes. Créer un organe avec une imprimante 3D relève de la science-fiction. Il existe en effet des choses qui ressemblent à des tissus superposés et qui permettent de faire certains types de recherche, notamment sur le médicament. Tout ce qui permet de modéliser et de se rapprocher au plus près d’un organe est utile et permettra, par exemple, de faire moins de recherches sur l’animal. On essaie donc de développer des substituts, mais on ne crée pas des ovaires par imprimante 3D. C’est une façon très contractée de dire ce que font les scientifiques.

M. Patrick Hetzel. Cette discussion permet de rebondir sur des propos tenus par M. Jean-Louis Touraine en début de semaine, à la suite d’une question de Mme Annie Genevard qui demandait si des gamètes artificiels seraient susceptibles d’être utilisés pour l’AMP. Il avait affirmé que ce n’était pas le cas. Si j’ai bien compris ce que vous venez de dire, madame la ministre, vous évoquez cette hypothèse d’utilisation de gamètes artificiels pour l’AMP. Confirmez-vous ou infirmez-vous cela ? C’est un sujet éminemment sensible par rapport à l’article 15 dont nous débattons.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je suis partie de ce qui existe actuellement quand on fait de l’AMP. On peut faire une AMP par fécondation in vitro classique, ou en prenant des noyaux de cellules et en les injectant dans des ovocytes de manière à générer des embryons. C’est la technique des ICSI.

Le processus de différenciation jusqu’aux spermatozoïdes capables de mobilité et de fertilisation est extrêmement difficile à analyser et à étudier. Partir de cellules, quelles qu’elles soient, et essayer de reproduire le processus de méiose, c’est comprendre quelles sont les étapes qui permettent à ce processus d’avoir lieu. C’est donc potentiellement faire en sorte de proposer aux couples d’utiliser une fécondation spermatozoïde/ovule et pas une injection. Plus on se rapproche d’une fécondation spermatozoïde/ovule et moins on génère de risques dans le cadre d’une AMP.

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 102, n° 289 et n° 814, ainsi que les amendements identiques n° 101, n° 288 et n° 813.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels n° 2192, n° 2193, n° 2195, n° 2196, n° 2197, n° 2198, n° 2199, n° 2200, n° 2201, n° 2202, n° 2203, n° 2204, n° 2205 et n° 2206 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 15 modifié.

Article 16
Limite de conservation des embryons proposés à la recherche et non inclus dans un protocole après cinq ans

La commission examine les amendements identiques n° 103 de M. Xavier Breton, n° 290 de M. Patrick Hetzel et n° 815 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. L’article 16 a pour objet de mettre fin à la conservation des embryons humains qui ne font plus l’objet d’un projet parental et sont proposés par les couples concernés à la recherche, mais ne sont pas inclus dans un protocole de recherche après un délai de cinq ans de conservation. Si cet article met fin à une situation indigne de conservation d’embryons surnuméraires, il contribue à révéler la réification de l’embryon humain.

M. Patrick Hetzel. Je souhaite faire un commentaire général sur l’étude d’impact de l’article 16. En fait, je ne vois pas quel est le rapport entre cet article et les pages 333 à 336 de ce document. Nous avons déjà débattu avec Mme Buzyn au début de la semaine de ce sujet sensible qu’est le nombre d’embryons congelés à ce jour – quelque 223 000 embryons congelés pour 74 000 couples. En 2016, un total de 19 354 embryons était conservé en attente de faire l’objet d’une recherche puisqu’ils ont été donnés par les couples dont ils sont issus. L’étude d’impact nous apprend aussi que le nombre d’embryons humains donnés chaque année à la recherche est quasiment équivalent au nombre d’embryons humains effectivement inclus dans un protocole de recherche. On nous a dit à plusieurs reprises qu’il fallait modifier certains critères concernant ces recherches parce que nos équipes étaient bridées. Or, en France, moins de dix équipes de recherche travaillent sur l’embryon. Je souhaiterais que le Gouvernement s’exprime davantage sur cette question et que l’on fixe une limite de conservation.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’article 16 que vous voulez supprimer vise à modifier l’article L. 2141-4 du code de la santé publique qui régit les conditions de conservation des embryons surnuméraires qui ont été conçus en vue d’une PMA. Il prévoit aussi la destruction du stock d’embryons destinés à la recherche qui n’ont pas été intégrés dans un protocole de coopération sauf s’ils présentent un intérêt particulier pour la recherche. Je rappelle que la conservation a un coût important puisque l’on parle de 20 000 embryons. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. J’insiste à nouveau sur le fait qu’on ne crée pas d’embryons pour faire de la recherche. Il est question ici d’embryons qui sont donnés à la recherche par des couples qui ont renoncé à un projet parental et consenti à ce que ces embryons soient utilisés par le monde de la recherche, détruits ou confiés à d’autres couples. On n’a jamais dit qu’il y avait des problèmes d’approvisionnement d’embryons. J’ai même répété qu’il y avait un stock de 19 000 embryons qui ne font plus l’objet d’un projet parental et qui ont été donnés à la recherche. La question est de savoir combien de temps les conserver. Le projet de loi propose de fixer une date limite et une durée limite à leur conservation.

Le couple a donc le choix soit d’offrir ses embryons à d’autres couples – les chiffres qui vous ont été donnés lors de l’audition des représentants de l’Institut national d’études démographiques (INED) montrent une assez faible demande de la part d’autres couples –, soit de demander directement leur destruction, soit d’autoriser leur conservation à des fins de recherche avant d’être détruits. Fixer un délai de conservation de cinq ans nous a semblé raisonnable.

Monsieur Raphan, comme Mme Buzyn et moi-même avons des habitudes de scientifiques, nous avons fait des recherches. C’est bien une matrice en 3D qui a été conçue et qui permet à des follicules embryonnaires de se loger à l’intérieur. Ce n’est absolument pas l’organe complet, même si le titre peut prêter à confusion.

M. Pierre-Alain Raphan. Je vous remercie pour vos explications.

M. Thibault Bazin. Nous sommes maintenant au fait des destinations possibles des embryons congelés lorsqu’il n’y a plus de projet parental. Comme une loi a potentiellement un aspect incitatif et un aspect dissuasif, avez-vous une considération éthique différente en fonction de la destination de ces embryons surnuméraires une fois qu’ils ne font plus l’objet de projets parentaux ? Le don est-il à considérer différemment en termes éthiques ? Les trois possibilités d’utilisation sont-elles identiques ou avez-vous une préférence éthique ? Y a-t-il, dans le projet de loi, une incitation pour une utilisation plutôt qu’une autre ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Pour moi, le bon choix, c’est celui que fait le couple.

Dès lors qu’il n’y a plus de projet parental pour les embryons surnuméraires, c’est au couple de décider et il n’y a pas de jugement de valeur à porter sur leur choix.

La commission rejette les amendements n° 103, n° 290 et n° 815.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1391 de Mme Agnès Thill.

Les amendements n° 1995 et n° 2046 de M. Didier Martin sont retirés.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements n° 1392 et n° 1393 de Mme Agnès Thill, l’amendement n° 620 de Mme Annie Genevard, et les amendements identiques n° 186 de M. Xavier Breton, n° 374 de M. Patrick Hetzel et n° 938 de M. Thibault Bazin.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 2207 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 949 de M. Thibault Bazin.

Elle est saisie des amendements identiques n° 187 de M. Xavier Breton, n° 375 de M. Patrick Hetzel et n° 939 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Nous avons insisté à plusieurs reprises sur la question du consentement. On nous explique que tout se fait dans la transparence, que tout le monde est informé, que tout est sécurisé. L’amendement n° 375 vise précisément à compléter l’alinéa 5 de l’article 16 par la phrase suivante : « Le consentement est joint au protocole de recherche autorisé par l’Agence de la biomédecine. »

M. Philippe Berta, rapporteur. Les conditions sont fixées par l’article 14. Défavorable.

La commission rejette les amendements n° 187, n° 375 et n° 939.

Puis elle examine l’amendement n° 1331 de Mme Bénédicte Pételle.

Mme Bénédicte Pételle. L’article 16 prévoit qu’en cas de décès, le membre survivant peut faire trois choix que vous avez énumérés, et il fixe un délai de réflexion à compter du décès avant la consultation du membre survivant.

Une décision aussi importante que le devenir des embryons conçus du temps du vivant de son partenaire ne saurait être prise sereinement à un moment où la personne se trouve fragilisée psychologiquement par le deuil qu’elle traverse. Le délai d’un an ne devrait donc pas souffrir d’exception. La lenteur est parfois signe de sagesse.

M. Philippe Berta, rapporteur. La loi n’oblige pas à prendre une décision avant le délai d’un an. Elle ne prévoit qu’une initiative anticipée du membre du couple survivant. Ce n’est qu’une possibilité offerte. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1331.

Puis elle examine les amendements identiques n° 376 de M. Patrick Hetzel et n° 940 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. Si l’Agence de la biomédecine n’a pas la preuve du consentement écrit et préalable du couple géniteur selon lequel il donne son embryon à la recherche, elle ne peut autoriser le protocole de recherche sans contrevenir aux principes éthiques qui s’y appliquent, dans le respect des articles 16 à 16-8 du code civil.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cette précision qui figure à l’article 14 du projet de loi définit les responsabilités respectives des centres d’AMP et de l’Agence de la biomédecine. La responsabilité de la vérification effective des consentements incombe en effet aux premiers. L’Agence doit par contre s’assurer, lors de l’autorisation de la recherche, des conditions dans lesquelles les consentements sont ou seront obtenus, notamment en utilisant des formulaires types. Avis défavorable.

M. Patrick Hetzel. M. Berta a raison : cet amendement a été rédigé alors que nous disposions d’une autre version de l’article 14. Cela dit, la disposition que je propose permettrait malgré tout de sécuriser les choses. C’est la raison pour laquelle il faut parfois être très explicite.

La commission rejette les amendements n° 376 et n° 940.

Puis elle adopte les amendements rédactionnels nos 2208 à 2212 du rapporteur.

La commission est saisie des amendements identiques n° 104 de M. Xavier Breton, n° 291 de M. Patrick Hetzel et n° 816 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. L’amendement n° 104 vise à réaffirmer l’objectif de diminution du nombre des embryons humains conservés, compte tenu de leur augmentation régulière.

M. Patrick Hetzel. Il convient en effet de faire les choses de façon parcimonieuse. Nous sommes dans le domaine du vivant et il faut procéder avec précaution. La ministre nous avait indiqué que le Gouvernement souhaitait aller dans ce sens. C’est le rôle du Parlement de vérifier que c’est bien le cas.

M. Thibault Bazin. On le voit, la science évolue et la vitrification des ovocytes permet d’envisager une diminution du nombre d’embryons surnuméraires. Vous avez indiqué que des recherches étaient en cours pour faire en sorte qu’il y en ait moins. Au-delà des clauses de révision habituelles dont il sera question lorsque nous aborderons l’article relatif au suivi des travaux de bioéthique, il convient que le Parlement puisse disposer d’un rapport annuel sur un enjeu important pour notre société.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous partageons cet objectif. Toutefois, il faut laisser du temps à la recherche, car c’est elle qui nous donnera la réponse. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. L’Agence de la biomédecine a la mission légale d’assurer le suivi de l’application de la loi. Elle s’acquitte de cette mission dans le cadre d’un rapport annuel d’activité, ainsi que par l’intermédiaire de son rapport médical et scientifique qui établit tous les ans un état complet de l’activité d’AMP. Il me semble donc que votre demande est satisfaite.

La commission rejette les amendements n° 104 , n° 291 et n° 816.

Puis elle adopte l’article 16 modifié.

Chapitre II
Favoriser une recherche responsable en lien
avec la médecine générale

Article 17
Utilisation des outils de modification ciblée du génome en recherche fondamentale

La commission est saisie des amendements identiques n° 149 de M. Xavier Breton, n° 336 de M. Patrick Hetzel et n° 864 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Les alinéas 1 et 2 de l’article 17 prévoient la suppression du second alinéa de l’article L. 2151-2 du code de la santé publique qui dispose que : « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. »

La suppression de l’interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques signifie a contrario que les chercheurs pourront créer en laboratoire des embryons transgéniques et chimériques.

Il convient donc de s’interroger sur les motivations de la suppression de cet interdit fondateur du droit de la bioéthique française.

M. Patrick Hetzel. L’article 17 porte sur un sujet qui mérite également une attention toute particulière. Comment se fait-il qu’on lève, au travers de la nouvelle rédaction, l’interdiction de créer des embryons chimériques ?

Dans son dernier avis sur la révision des lois de bioéthique, le CCNE indique ceci : « Le potentiel pluripotent offre d’autres possibilités d’application considérées comme sensibles en ce qu’elles soulèvent des questions éthiques inédites » et il développe bien évidemment les problèmes éthiques qui sont posés.

Ce qui a fait jusqu’à présent la particularité des lois de bioéthique françaises, c’est qu’elles avaient une vraie vision sur la question de l’humain et de la vie. Même si celles-ci, bien évidemment, peuvent donner lieu à des débats car il n’y a pas de vision unilatérale ou unique en la matière. Or au fur et à mesure qu’on avance dans le texte, on note un moins-disant éthique, qui sera source de problèmes. Comme l’a rappelé Mme Annie Genevard, ce n’est pas parce que les débats sont courtois que nous n’avons pas une opinion différente de la vôtre sur ces questions. Nous estimons en effet qu’il faut s’interroger sur le type de monde que nous voulons demain.

M. Thibault Bazin. Madame la ministre, je vais avoir besoin que vous me rassuriez. Vous prévoyez, aux alinéas 1 et 2 de l’article 17, de supprimer le second alinéa de l’article L. 2151-2 du code de la santé publique qui dispose que « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite » et de le remplacer par : « La modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite. » Or je ne comprends pas pourquoi vous remplacez une phrase très claire par une autre qui me paraît l’être un peu moins.

Cela signifie-t-il que l’on pourrait envisager demain de créer des embryons transgéniques avec l’expérimentation de la technique CRISPR-Cas 9 dite du ciseau moléculaire ? Cela signifie-t-il que l’on pourrait expérimenter sur l’embryon in vitro la technique de la FIV à trois parents ? Si on est capable de supprimer le critère pathologique, dès lors que l’on veut peut-être créer un lien biologique de deux femmes qui ont un projet parental, on pourrait imaginer finalement une FIV à trois parents. Cela semble techniquement possible ailleurs. La modification de l’article L. 2151-2 du code de la santé publique ouvre-t-elle cette possibilité ? Je ne comprends pas pourquoi vous proposez de supprimer la phrase : « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. »

M. Philippe Berta, rapporteur. Monsieur Bazin, à chaque fois que je vous entends parler de FIV à trois parents, cela me fait sursauter.

Vous faites allusion à des pathologies génétiques mitochondriales, c’est-à-dire au cas d’un couple pour lequel tout va bien sur la partie chromosomique et génomique, mais dont la femme présente, au niveau de ses mitochondries – ce sont des petits organites présents en plusieurs milliers de copies dans chaque cellule – une mutation qui va avoir une incidence sur la respiration de la cellule. Il s’agit donc de permettre à ces couples – cela a été fait à l’hôpital Necker chez le professeur Arnold Munnich – d’avoir un enfant qui sera bien le fruit de leur génome et de leurs chromosomes, et aux futures cellules de respirer, donc de se multiplier, et à l’embryon d’exister. Il ne s’agit nullement de trois parents. La composante génomique est apportée par les chromosomes du père et de la mère. Il s’agit seulement de substituer un petit chromosome circulaire qui comporte quelques gènes de respiration mitochondriale, qui sont d’ailleurs d’origine bactérienne.

J’en viens aux amendements qui visent à supprimer les alinéas 1 et 2 de l’article 17.

En supprimant l’interdiction de conception d’embryons transgéniques et chimériques, l’article 17 poursuit deux objectifs.

Premièrement, il sécurise les recherches effectuées dans un cadre in vitro impliquant une modification ciblée du génome. Toutefois, demeurent totalement interdites les recherches effectuées dans le cadre de la PMA et qui sont susceptibles de donner naissance à un enfant.

Le rapport explicatif de la convention d’Oviedo que vous citez souvent donne quelques indications sur la portée de l’interdiction à terme énoncée à l’article 13. S’il rappelle que des modifications génétiques ne peuvent être opérées sur des spermatozoïdes ou des ovules destinés à la fécondation, il admet que des recherches médicales puissent être admises à la double condition qu’elles soient effectuées strictement in vitro et avec la promulgation d’un comité d’éthique ou de toute autre instance compétente.

Deuxièmement, il explicite que la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces reste interdite.

Le code de la santé publique interdit la création d’embryons chimériques sans apporter de définition précise. L’étude du Conseil d’État comme le rapport d’information relatif à la révision de la loi de bioéthique plaident en faveur d’une clarification juridique.

L’article 17 propose donc une définition de l’embryon chimérique et apporte les clarifications nécessaires. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 149, n° 336 et n° 864.

Puis elle en vient à l’amendement n° 513 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Si l’on veut rassurer tout le monde, il suffit, à l’alinéa 1, de substituer aux mots : « remplacé par les dispositions suivantes », les mots : « complété par une phrase ainsi rédigée ». Cela éviterait, comme l’a indiqué M. Bazin, de rayer d’un trait de plume la phrase suivante du code de la santé publique qui est très claire : « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. »

Ce que je vous propose est dans la philosophie du « en même temps » de la République en Marche, puisqu’il s’agit de maintenir ce qui existe et de le compléter avec la formulation que vous avez prévue à l’article 17.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous globalisez chimérique et transgénique, ce qui est totalement différent. Il faut poursuivre la recherche in vitro sur des embryons qui n’ont bien sûr aucun devenir d’implantation. On ne va pas s’interdire d’essayer de réaliser l’édition des génomes avec la technique CRISPR-Cas9. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il n’y a aucune ambiguïté s’agissant de l’interdiction de la création d’embryons chimériques, que l’on réaffirme en explicitant sa portée précise. Le Conseil d’État a lui-même expliqué qu’il fallait apporter des clarifications. C’est pourquoi nous précisons que la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules – sans préciser ce que sont ces cellules – provenant d’autres espèces – sans préciser non plus quelles sont ces espèces
– est interdite.

En ce qui concerne les embryons transgéniques, sans objet de réimplantation, conservés à des fins de recherche avec destruction à quatorze jours, il s’agit de savoir comment donner aux chercheurs la possibilité d’utiliser notamment la technique CRISPR-Cas9 tout en maintenant l’interdiction formelle de manipulations génétiques au travers de l’édition du génome sur des embryons qui ont vocation à être réimplantés. Cela est garanti par la convention d’Oviedo et le code civil, lequel dispose que « La transmission à la descendance d’un génome modifié est interdite ». On ne peut donc pas générer d’embryons transgéniques humains en vue de réimplantation.

Si vous demandez si l’objectif est d’autoriser l’édition du génome pour la recherche, la réponse est très clairement oui.

M. Thibault Bazin. Je vous remercie, madame la ministre, monsieur le rapporteur, pour votre franchise. Actuellement, il est interdit de créer des embryons transgéniques. Mais la technique CRISPR-Cas9 permettra de faire des recherches dans les autres conditions prévues dans le code civil. Là encore, c’est une évolution qui est proposée et non un maintien de nos interdits au niveau transgénique. On commence donc potentiellement et même s’il y a des garde-fous, à avancer vers le transhumanisme, certes sous de bons prétextes. Je le répète, la tentation est toujours d’ouvrir les portes. Vous proposez de passer d’une interdiction à une autorisation encadrée. Là encore, on abaisse d’une certaine manière notre standard éthique. C’est votre choix. Pour ma part, je pense qu’il y a peut-être un risque. C’est pourquoi je voterai l’amendement n° 513 de M. Hetzel.

M. Jean-François Eliaou. Monsieur Bazin, si on en reste à la loi de bioéthique votée il y a huit ans, sans prendre en compte les progrès de la science accomplis depuis lors, il ne sert à rien de se réunir. C’est le fondement des lois de bioéthique successives. Certes, le cadre bioéthique français est très spécifique et on peut en discuter, mais il faut pouvoir progresser en réfléchissant à toutes les dérives possibles. On ne peut pas en rester au statu quo ante.

M. Bruno Fuchs. Je remercie M. Bazin de nous avoir enjoints à la prudence, nous y veillons tous. Faire attention est même notre principal réflexe dans ce débat depuis le début de la semaine. Mais une éthique au rabais, visant à conserver à l’identique le référentiel de raisonnement et d’interdits, alors que les pratiques scientifiques changent, fait courir le risque que ces pratiques ne dépassent celui-ci.

Dans le monde, de nombreuses équipes travaillent sur des chimères créées en injectant des cellules humaines dans des embryons d’animaux. Il y a quelques semaines, les Japonais viennent précisément d’autoriser des chercheurs à laisser les embryons aller jusqu’à leur terme. L’enjeu, en France, est d’arriver à un niveau similaire de recherche tout en établissant des cadres protecteurs très précis, qui sont décrits dans ce projet de loi. Il n’y a donc pas de dérive possible. Interdire des pratiques qui existent ailleurs, c'est nous mettre en situation de défaut.

M. Brahim Hammouche. Ces éléments d’avancées, qui questionnent aussi la finalité de ce débat et ses retombées, doivent être pris en compte ou du moins participer à une démarche intégrative afin de remplir le cadre que l’on crée avec l’éthique.

Si une commission bioéthique avait vu le jour au XIXe siècle, elle aurait également comporté des opposants aux vaccins antirabiques. Or ces thérapeutiques, que les scientifiques commençaient à utiliser à l’époque, nous ont conduits à soigner, à prévenir voire à éliminer bon nombre de maladies.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends tout à fait votre questionnement car nous voulons à présent mener une recherche sur le génome lors du développement embryonnaire alors que les embryons transgéniques étaient interdits il y a une dizaine d’années. Comme l’a dit M. Jean-François Eliaou, les techniques ont changé. Il y a dix ou quinze ans, la transgénèse consistait à injecter un gène tout en ignorant l’endroit où il se logerait. Avec les techniques assez grossières de l’époque, nous ne maîtrisions absolument pas l’effet que ce gène pouvait avoir dans la cellule.

Avec la technique Crispr-Cas9 dite des « ciseaux moléculaires », il est aujourd'hui possible de désactiver un gène ou de le remplacer par un autre. Il est très important de faire ces études sur les amas de cellules embryonnaires en cours de développement, que l’on suit jusqu’à quatorze jours avant de les détruire, car quantité de gènes s’allument lors de l’embryogénèse, qui ne jouent plus aucun rôle dans les tissus adultes.

Or les anomalies moléculaires que l’on retrouve dans les cancers des enfants touchent des gènes du développement. C'est la raison pour laquelle les signatures moléculaires des cancers des enfants n’ont rien à voir avec celles des cancers adultes. De ce fait, les traitements ciblés que l’on utilise chez l’adulte n’ont pas beaucoup d’intérêt chez l’enfant.

Les cancers des enfants suscitent donc l’embarras des chercheurs, qui découvrent des anomalies moléculaires du gène du développement embryonnaire. Ils tentent en conséquence de mieux connaître l’impact de ces gènes qui s’allument au cours du développement sur la façon dont les tissus se fabriquent, et de mieux cerner la signification même de ces gènes pour comprendre les maladies qui surviennent chez les enfants.

Aujourd'hui, nous disposons de techniques très précises, qui permettent d’éteindre un gène ou de le remplacer par une autre forme de gène, et de mieux comprendre comment les tissus se développent. Ce champ de recherche est considérable. Nous ne sommes pas en train de construire des embryons transgéniques, ni de développer le transhumanisme : nous sommes dans la compréhension très précise du développement embryonnaire et de la façon dont les gènes seront utilisés à certains stades du développement. Ce type de recherche fondamentale, foncièrement utile, ne doit pas prêter à autant de fantasmes.

Telle est mon opinion, et j’espère avoir exprimé le plus clairement possible pourquoi il est nécessaire de transformer la loi en matière de recherche et pourquoi les questions ne se posaient pas de la même façon il y a dix ans.

M. Thibault Bazin. Lorsqu’une telle question se pose, nous devons l’interroger au regard de nos principes éthiques. Ce n’est pas parce que des techniques sont utilisées ailleurs qu’elles doivent l’être en France. L’argument qui a été avancé précédemment – mais pas par vous, madame la ministre, qui me rassurez à chaque fois par vos réponses – m’interpelle car, justement, nous avons une éthique à la française. Nous ne pouvons pas dire que nous devons atteindre le même niveau de recherche qu’ailleurs car une des forces de la France, qui peut nous valoriser et faire notre grandeur, est justement ce questionnement éthique, qui nous conduit à ne pas forcément faire tout ce qui se pratique ailleurs.

Crispr-Cas9 est une véritable révolution, mais l’outil peut être utilisé à de bonnes comme de moins bonnes fins. Si nous promouvons les finalités positives, je souhaite vérifier avec vous qu’en levant cet interdit, ce qui existe par ailleurs est bien suffisant. Comme vous, je ne veux pas que, grâce à Crispr-Cas9, nous nous retrouvions dans la situation, qui s’est produite ailleurs, de faire naître deux bébés génétiquement modifiés.

Les études sur le développement embryonnaire sont déjà passées de sept à quatorze jours, au motif que les techniques avaient évolué. Dont acte, mais il faut faire attention car si la majorité a une conscience éthique similaire à la nôtre, des déviances peuvent exister. De plus, sur certains sujets, nous passons d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration. En l’occurrence, nous allons permettre une nouvelle technique : veillons à ce qu’il n’y ait pas de tentation d’augmenter des personnes, au lieu de soigner et de mieux accompagner des enfants.

Il est intéressant de noter que le CCNE n’a pas enjolivé cette technique, mais a invité à la questionner. Alors qu’on lève un interdit, les deux premiers alinéas de l’article 17, qui est très court, interpellent. Suffiront-ils, bien que je sache que la loi ne doit pas être bavarde ? J’aimerais vous faire confiance, mais je suis inquiet.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. La loi n’est peut-être pas la seule à être bavarde. (Sourires.)

La commission rejette l’amendement n° 513.

Puis elle examine les amendements identiques n° 105 de M. Xavier Breton, n° 292 de M. Patrick Hetzel et n° 817 de M. Thibault Bazin.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable. Nous avons déjà largement débattu des problèmes que posent les chimères.

La commission rejette les amendements n° 105, n° 292 et n° 817.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette ensuite les amendements identiques n° 106 de M. Xavier Breton, n° 293 de M. Patrick Hetzel et n° 818 de M. Thibault Bazin.

La commission est saisie des amendements identiques n° 107 de M. Xavier Breton, n° 294 de M. Patrick Hetzel et n° 820 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Il convient de préciser que toute pratique eugénique visant à modifier les caractéristiques génétiques est interdite.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 107, n° 294 et n° 820.

Elle examine les amendements identiques n° 151 de M. Xavier Breton, n° 338 de M. Patrick Hetzel et n° 904 de M. Thibault Bazin.

M. Philippe Berta, rapporteur. Là encore, la discussion a déjà eu lieu. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 151, n° 338 et n° 904.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements identiques n° 152 de M. Xavier Breton, n° 339 de M. Patrick Hetzel et n° 905 de M. Thibault Bazin.

La commission est saisie des amendements identiques n° 153 de M. Xavier Breton, n° 340 de M. Patrick Hetzel et n° 906 de M. Thibault Bazin.

M. Philippe Berta, rapporteur. La discussion a déjà eu lieu pour les articles 14 et 15. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 153, n° 340 et n° 906.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 337 de M. Patrick Hetzel, n° 793 de M. Alain Ramadier et n° 865 de M. Thibault Bazin, ainsi que l’amendement n° 2075 de M. Arnaud Viala.

M. Patrick Hetzel. L’expression « génétiquement modifié » s’entend plus largement que le terme « transgénique ». C'est pourquoi l’amendement n° 337 vise à ajouter, après l’alinéa 2, la phrase suivante : « La création d’embryons génétiquement modifiés est interdite. »

M. Alain Ramadier. Argument identique pour l’amendement n° 793.

M. Thibault Bazin. Par souci de cohérence avec ce que nous avons dit, nous voulons nous assurer avec tous les garde-fous possibles. C'est l’objet de l’amendement n° 865.

Quant à l’amendement n° 2075, il vise à ajouter la phrase suivante après l’alinéa 2 : « La modification, par l’usage des nouvelles technologies, de caractéristiques physiques d’un embryon humain est interdite. »

M. Philippe Berta, rapporteur. Par souci de cohérence, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 337, n° 793 et n° 865, ainsi que l’amendement n° 2075.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements identiques n° 108 de M. Xavier Breton, n° 295 de M. Patrick Hetzel et n° 821 de M. Thibault Bazin.

La commission est saisie de l’amendement n° 1006 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. La rédaction des trois derniers alinéas de ce court article 17 m’inquiète. Lors des auditions, leur compréhension a d’ailleurs fait l’objet de débats.

Tout le monde convient qu’en matière de bioéthique, il convient d’être prudent et précis. Je propose donc une rédaction claire du dernier alinéa de l’article 16-4 du code civil, selon laquelle « aucune modification ne peut être apportée aux caractères génétiques d’une personne dès lors que le but ou les conséquences, directes ou indirectes, prévues ou fortuites, ont pour effet de modifier les caractères génétiques de la descendance de la personne. »

La rédaction actuelle peut laisser croire en effet que l’on pourrait, de manière indirecte ou fortuite, modifier les caractéristiques de la personne. Cet amendement me semble très important.

M. Philippe Berta, rapporteur. M. Bazin fait référence aux modifications des cellules germinales dans le cadre de la thérapie germinale. Ce point est satisfait par le droit actuel car je ne connais personne qui ne s’y oppose pas.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je le dis très clairement : nous partageons absolument votre position sur le fond. L’article 16-4 du code civil prévoit qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». En revanche, s’agissant de votre amendement, la loi ne peut pas nous prémunir d’un risque qui, éventuellement, pourrait se réaliser.

Une fois de plus, aucun doute ne doit subsister sur la volonté du Gouvernement. Il ne s’agit pas d’autoriser des modifications génétiques transmissibles à la descendance. L’article 16-4 est rédigé de la manière la plus claire et la plus protectrice possible.

M. Thibault Bazin. Comme précédemment, je m’interroge sur les raisons qui poussent le Gouvernement à modifier l’alinéa 4 de l’article 16-4 du code civil, si celui-ci est considéré comme clair.

L’alinéa 5 de l’article 17 du projet de loi vise en effet à supprimer l’adjectif « génétiques » dans « maladies génétiques », entraînant une ambiguïté, voulue ou non. Si elle n’est pas voulue, clarifions-la sur le fond, si vous en êtes d’accord. J’y tiens vraiment.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. En supprimant le qualificatif « génétiques », on étend la protection à toute maladie et on rejoint les termes de la convention d’Oviedo.

Il est important que nous ayons cet échange car je ne voudrais pas qu’un doute subsiste sur la volonté du Gouvernement à ce sujet.

La commission rejette l’amendement n° 1006.

La commission examine l’amendement n° 1288 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Dans sa rédaction actuelle, l’article 16-4 du code civil, qui interdit les thérapies géniques germinales, réserve cependant la possibilité que des transformations soient apportées aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne dès lors que celles-ci relèvent de « recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques ».

L’amendement vise à supprimer cette possibilité exceptionnelle dont pourrait résulter la constitution d’embryons génétiquement modifiés. En effet, dans sa rédaction actuelle, et, plus encore, dans celle que souhaite lui donner le projet de loi, cette exception prive l’interdiction prétendument posée par le texte d’une réelle effectivité.

S’il suffit de s’inscrire dans le cadre d’une recherche tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, ou plus largement encore, de toute maladie, comme Mme Vidal vient de le dire, il est en réalité fort simple de pouvoir apporter de telles modifications transmises à la descendance. Nous franchissons là une nouvelle ligne rouge. Pour nous en prémunir, cet amendement prévoit une rédaction plus protectrice.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cette rédaction est peut-être un peu trop protectrice car, prise au pied de la lettre, elle interdit les thérapies géniques somatiques, ce qui serait extrêmement dommage. Je vous invite d’ailleurs au colloque qui, mardi prochain, présentera les résultats des thérapies géniques actuelles, que je ne voudrais surtout pas que nous nous interdisions. Avis défavorable.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je partage l’avis du rapporteur. Mais ce débat montre que vous avez l’impression que certains points ne sont pas clarifiés.

Votre amendement interdirait en effet toute recherche sur les maladies génétiques, ce qui n’est pas acceptable. Je vous propose cependant de retravailler pour aboutir à une formulation qui vous sécurise. Le Gouvernement n’a aucunement la volonté de générer des embryons transgéniques à des fins de naissance. Bien que, de mon point de vue, le dispositif soit déjà doté d’une ceinture et de bretelles, je suis prête à y ajouter un parachute pour vous sécuriser ! (Sourires.) Nous n’avons aucune envie que quiconque tombe.

M. Patrick Hetzel. Je ne prendrai pas la responsabilité de retirer l’amendement, dans la mesure où il a été déposé par Mme Annie Genevard.

Nous avons cependant entendu les propos apaisants de Mme la ministre, qui a compris la problématique. Vous n’interdisez donc pas d’avoir recours à de telles modifications pour la recherche. Nous resterons donc attentifs à un amendement gouvernemental, qui permette de nous rassurer.

La commission rejette l’amendement n° 1288.

La commission examine l’amendement n° 582 de Mme Annie Genevard.

M. Thibault Bazin. Cet amendement vise à remplacer les mots « dans le but » par « susceptibles d’avoir pour effet » dans l’alinéa 4 de l’article 16-4 du code civil. La rédaction actuelle nous semble trop ambiguë.

M. Philippe Berta, rapporteur. C’est toujours le même sujet. J’en profiterai cependant pour défendre la communauté scientifique, dont les membres ne cherchent pas à jouer les apprentis sorciers. Il n’a jamais été question pour aucun d’entre eux de réfléchir à une modification d’ordre germinal.

Nous vous proposons donc à nouveau de réfléchir à une rédaction qui, à aucun instant, ne doit mettre en danger des thérapies qui sont en train de commencer à soigner enfin les 3 millions d’enfants qui n’attendent que cela. Avis défavorable.

M. Patrick Hetzel. J’espère que personne n’imagine que nous fassions ce procès à la communauté scientifique, d’autant que certains d’entre nous sont membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Nous sommes attachés à la communauté scientifique. Ne nous envoyons pas ce type d’argument.

La commission rejette l’amendement n° 582.

La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 109 de M. Xavier Breton, n° 296 de M. Patrick Hetzel et n° 822 de M. Thibault Bazin, ainsi que l’amendement n° 1281 de Mme Annie Genevard.

M. Alain Ramadier. Cet article ouvre à la transformation des caractères génétiques d’une personne, si elle n’a pas pour but de modifier la descendance. Cette modification pouvant être une conséquence non voulue, il convient donc de le préciser et d’ajouter après les mots « dans le but » les mots « ou ayant pour conséquence ».

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 1281, déposé par Annie Genevard, vise à remplacer les mots « dans le but » par « susceptibles d’avoir pour effet » dans l’alinéa 4 de l’article 16-4 du code civil.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous en avons amplement discuté. L’avis est toujours défavorable.

La commission rejette successivement les amendements identiques n° 109, n° 296 et n° 822, ainsi que l’amendement n° 1281.

La commission examine l’amendement n° 1008 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement complète l’article 16-4 du code civil par l’alinéa suivant : « Est interdite toute modification des caractères génétiques d’une personne née ou potentielle ayant pour objectif ou pour effet d’améliorer ses capacités ou ses performances naturelles, inhérentes à son appartenance à l’espèce humaine. »

Il vise à interdire toute tentative transhumaniste en évoquant les personnes nées ou potentielles.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1008.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 1289 de Mme Annie Genevard.

La commission adopte ensuite l’article 17 modifié.

Article 18
Développement des « passerelles soin/recherches » par l’utilisation facilitée d’échantillons conservés à d’autres fins
   

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 970 et  969 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’article 18 a pour objet de faciliter la recherche nécessitant des examens de génétique sur des collections d’échantillons biologiques conservés à des fins médicales. Nous avons mené certaines auditions sur ce sujet, qui modifie l’expression du consentement.

L’amendement n° 970 vise à préserver la liberté de choix du patient, lequel doit consentir à l’intervention.

Quant à l’amendement n° 969, il ajoute « l’autorise expressément » à la fin de l’alinéa 2. Nous entendons ainsi permettre à la personne d’exprimer son opposition après avoir été informée du programme de recherche, qui d’ailleurs recouvre une réalité plus large que le « projet de recherche ». Cela donnera d’autant plus de valeur au consentement, un principe fondamental de notre bioéthique à la française.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements n° 970 et 969.

La commission examine l’amendement n° 971 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il s’agit d’ajouter qu’« un décret précise la forme de l’information délivrée à la personne. » À l'heure actuelle, il subsiste un flou sur ce point, car la personne pourrait recevoir un mail ou un courrier. Si la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) évoque un délai théorique d’un mois, il faut toutefois s’assurer que la personne a bien reçu l’information.

Nous allons passer d’un système où l’on recueillait le consentement, à un dispositif où il est présumé, si la personne ne s’oppose pas, après avoir été dûment informée. Il serait donc prudent de préciser au moins la forme de l’information délivrée.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’amendement est satisfait par l’alinéa 11 de l’article 18. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 971.

La commission examine l’amendement n° 1667 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement est le fruit des auditions menées et des préconisations de la CNIL. Afin de respecter le règlement général sur la protection des données (RGPD), il convient de prévoir le droit de s’opposer non seulement à l’examen mais aussi à l’utilisation des données après le prélèvement.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il s’agit d’un cas typique où le RGPD s’applique. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1667.

La commission est saisie de l’amendement n° 516 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement prévoit plusieurs modifications à la fin de l’alinéa 3.

L’expression juridique « par tout moyen » permet tout d’abord de clarifier le texte et nous semble préférable à « sans forme ».

Il importe aussi de préciser une durée après laquelle le responsable de la recherche peut estimer que la personne ne s’est pas opposée. Dans le domaine de la protection des données, on le sait – M. Bazin y faisait référence –, la CNIL préconise un mois pour laisser à la personne la possibilité d’exprimer son opposition.

Enfin, le mot « intervention » peut être sujet à plusieurs interprétations. Si le simple fait de conserver l’échantillon est une intervention, le droit d’opposition est réduit à néant. Il est donc préférable de se référer à « l’examen prévu ».

M. Philippe Berta, rapporteur. L’expression « sans forme » me posant également problème, je demanderai l’avis de la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il s’agit ici de réutiliser des éléments qui ont été prélevés à d’autres fins, alors que le délai entre le prélèvement et son utilisation peut être long.

Nous avons voulu prévoir la façon dont la personne est informée du programme de recherche. Celle-ci peut faire valoir son droit d’opposition à tout moment. Il n’est donc pas souhaitable de prévoir un délai au-delà duquel elle ne pourrait plus retirer son consentement, alors que la recherche n’aurait pas débuté.

S’agissant de remplacer « sans forme » par « par tout moyen », je fais confiance aux juristes qui ont rédigé l’article. La rédaction actuelle me semble correcte car les deux expressions sont de sens équivalent.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 516.

La commission examine l’amendement n° 973 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement de repli vise à ajouter le délai d’un mois préconisé par la CNIL.

M. Philippe Berta, rapporteur. La mention d’un tel délai ressort du décret d’application. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 973.

La commission examine l’amendement n° 972 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. La notion d’intervention, évoquée lors des auditions, peut en effet être interprétée comme l’intervention pour la conservation du prélèvement. L’amendement vise donc, à l’alinéa 3, à substituer aux mots « tant qu’il n’y a pas eu d’ » les mots « avant chaque ».

Je proposerai d’autres rédactions dans les amendements suivants afin de clarifier ce que l’on considère comme une intervention et à partir de quand court le consentement.

M. Philippe Berta, rapporteur. La CNIL, qui aura naturellement un droit de regard sur le décret, lorsqu’il aura été rédigé, interviendra sur sa rédaction. Je ne vois donc pas l’intérêt de modifier la rédaction actuelle. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 972.

La commission examine l’amendement n° 974 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je ne désespère pas qu’un de mes amendements soit adopté. (Sourires.) Celui-ci vise justement à ce qu’un décret définisse les interventions possibles. Je pense donc qu’il sera adopté.

M. Philippe Berta, rapporteur. Ce point est satisfait par l’alinéa 11 de l’article 18. Je suis désolé de donner un nouvel avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Mais le décret mentionné ne porte pas sur les mêmes éléments !

La commission rejette l’amendement n° 974.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2213 du rapporteur.

La commission est saisie des amendements identiques n° 2227 du rapporteur et n° 517 de M. Patrick Hetzel.

M. Philippe Berta, rapporteur. À la différence du médecin, le responsable du programme de recherche ne détient pas l’identité du patient. Il s’agit souvent d’un scientifique, un chercheur, qui n’est pas médecin.

Il ne peut donc pas procéder à l’information du patient lors de la découverte d’une information médicale le concernant. En revanche, comme le prévoit déjà le texte, il lui incombe de prévenir le médecin détenteur de l’identité.

M. Patrick Hetzel. Je m’appuie sur les excellents arguments développés par le rapporteur pour défendre l’amendement n° 517.

La commission adopte les amendements n° 2227 et n° 517.

La commission examine l’amendement n° 975 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’amendement vise à compléter l’alinéa 6 par les mots « et des risques qui lui sont associés ».

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 975.

La commission examine l’amendement n° 1394 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Cet amendement vise à insérer après le mot « mineur » les mots « de moins de 13 ans », afin de donner un droit consultatif au mineur entre 13 et 18 ans dans le cadre d’un programme de recherche de ses caractéristiques génétiques.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1394.

La commission est saisie de l’amendement n° 583 de Mme Annie Genevard.

M. Thibault Bazin. Compte tenu des explications données hier, je suis conduit à retirer l’amendement.

L’amendement n° 583 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 518 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit d’apporter une précision : des « moyens raisonnables » doivent être mis en place pour retrouver une personne.

M. Philippe Berta, rapporteur. Ces précisions ne me semblent pas utiles en tant que l’alinéa 9 prévoit qu’il appartient aux comités de protection des personnes (CPP) d’évaluer les éléments justifiant de la possibilité de procéder à l’information.

La commission rejette l’amendement n° 518.

La commission examine l’amendement n° 1004 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je ne désespère pas et continue de vous faire des propositions, notamment celle-ci, qui reprend une préconisation du CCNE.

Il s’agit d’ajouter à l’alinéa 9, après le mot « décédée » les mots «, sauf si un refus a été exprimé de son vivant ».

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1004.

La commission examine l’amendement n° 519 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement a pour objectif de faire en sorte que le décret veille aussi « à l’utilisation de leurs échantillons et au traitement de leurs données à caractère personnel associé ». Il renforce donc la protection des individus.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 519.

La commission est saisie de l’amendement n° 1670 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je propose que la CNIL soit saisie pour élaborer le décret, qui revêt une grande importance en ce qui concerne les données personnelles.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1670.

La commission examine l’amendement n° 1395 de Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Il s’agit de supprimer les mots « ou en assurant la promotion » à la fin de l’alinéa 14. Il paraît en effet nécessaire d’exclure les organismes qui feraient uniquement la promotion de programmes de recherche, notamment les agences publicitaires, qui n’ont pas de lien avec des activités de recherche proprement dites.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous confondez « promotion » et « publicité ». Dans le domaine scientifique, ces termes n’ont pas du tout la même signification. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1395.

La commission examine l’amendement n° 976 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Même si le « programme » de recherche se veut plus large que le « projet » de recherche – c'est l’un des changements qu’opère l’article –, il doit être suffisamment explicite, tout en restant imprécis. Les chercheurs auditionnés en table ronde lors de la première semaine d’auditions ont d’ailleurs exprimé à ce sujet un questionnement éthique.

Cet amendement vise donc à assurer une meilleure information du patient en ajoutant l’alinéa suivant : « Ces activités de recherche doivent être énoncées de manière suffisamment claire avec leurs objectifs et leurs enjeux ainsi que leurs limites éventuelles, pour que le patient puisse exprimer un consentement libre et éclairé en toute connaissance de cause ». Son adoption permettra aux chercheurs de travailler en toute quiétude.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement est satisfait par l’alinéa 11 de l’article 18.

La commission rejette l’amendement n° 976.

La commission adopte l’amendement rédactionnel n° 2219 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 18 modifié.

Après l’article 18

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements n° 1600 et  1602 de M. Pierre-Alain Raphan.

Puis elle examine l’amendement n° 1112 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le présent amendement vise à faciliter l’enrichissement des bases de données de santé en promouvant un mécanisme de présomption du consentement s’il existe un intérêt public pour la santé.

Il apparaît nécessaire de trouver un juste équilibre entre une action à la fois individuelle et collective, où le patient, tout en se soignant, participe à la recherche. Deux risques sont en effet identifiables. D’une part, le nécessaire consentement, qui est de rigueur actuellement, pourrait restreindre l’accès à certaines données utiles pour la recherche médicale. À l’inverse, la perspective que le consentement d’un individu puisse être biaisé en raison d’éventuelles pressions liées à l’intérêt de la recherche de disposer de ses données suscite des craintes.

Cet amendement, qui s’appuie sur la recommandation du rapport Touraine, vise donc à passer d’un consentement explicite à un droit d’opposition à la collecte et à l’utilisation des données de santé. Ce même mécanisme a été mis en œuvre dans le cadre de la stratégie « Ma santé 2022 », avec l’ouverture automatique du dossier médical partagé.

M. Philippe Berta, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement est satisfait par le droit en vigueur.

La commission rejette l’amendement n° 1112.

La réunion, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous abordons l’examen du titre V du projet de loi, dont M. Jean-François Eliaou est le rapporteur.

Titre V
Poursuivre l’amélioration de la qualité et de la sécurité
des pratiques du domaine bioéthique

Chapitre premier
Renforcer la qualité et la sécurité des pratiques

Article 19
Rénovation du régime du diagnostic prénatal permettant de reconnaître la médecine fœtale et de renforcer l’information de la femme enceinte et du couple et prévoyant des recommandations de bonnes pratiques

La commission examine l’amendement n° 2254 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement propose une nouvelle définition de la médecine fœtale. Jusqu’à présent, il s’agissait de diagnostic ; nous préférons une définition plus large et plus précise : « La médecine fœtale s’entend des pratiques médicales, y compris cliniques, biologiques et d’imagerie, ayant pour but d’assurer, chez l’embryon ou le fœtus, le dépistage, le diagnostic, l’évaluation pronostique et, lorsque cela est possible, les soins obstétricaux et chirurgicaux d’une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus. »

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. En rénovant la définition du diagnostic prénatal, nous avons voulu rester au plus près de la définition actuelle, tout en la modifiant pour la rééquilibrer avec le volet prise en charge et soins. Vous considérez que le but du diagnostic prénatal est le dépistage, or nous ne sommes pas en situation de dépistage : si c’était le cas, ce serait de l’eugénisme.

La femme enceinte est informée de la possibilité de recourir à des examens permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse. Si elle le souhaite, elle demande des examens, mais il ne s’agit ni d’un dépistage, ni même d’une proposition systématique du médecin. Nous souhaitons garder cet équilibre. Voilà pourquoi nous préférerions que vous retiriez votre amendement.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Proposez-vous une nouvelle rédaction ou bien conservez-vous cette définition en l’état ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous ne souhaitons pas modifier le projet de loi : nous préférons le mot « détecter » à celui de « dépistage ».

L’amendement n° 2254 est retiré.

La commission examine les amendements identiques n° 110 de M. Xavier Breton, n° 299 de M. Patrick Hetzel et n° 823 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne. Nous proposons donc qu’une information soit donnée tout au long des différentes étapes du dépistage prénatal, afin que la femme enceinte y consente en toute connaissance de cause.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Votre intention est doublement satisfaite. Les principes généraux du consentement libre et éclairé figurent déjà à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique. En outre, le II de l'article L. 2131-1, relatif au diagnostic prénatal, dispose que la femme enceinte reçoit « une information loyale, claire et adaptée à sa situation. » Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 110, n° 299 et n° 823.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement n° 2214 du rapporteur et l’amendement n° 950 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. À la suite d’échanges avec les praticiens recevant des femmes enceintes, je me demande pourquoi obliger le prescripteur, médecin ou sage-femme, à communiquer les résultats des examens au deuxième membre du couple. Dans le droit actuel, la femme enceinte décide si l’autre membre de son couple doit également être informé. L’alinéa 7 lui ferait perdre ce droit, ce qui serait étonnant au regard des droits accordés à l’article 1er – vous voyez à quoi je fais référence.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. La rédaction actuelle est convenable dans la mesure où il s’agit d’un projet commun. Si la femme enceinte est au cœur de la décision, il est important que le couple soit informé. À ce stade, c’est l’information qui compte, évidemment pour la femme enceinte mais aussi, le cas échéant, pour l’autre membre du couple ; cela sera différent pour les étapes suivantes.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends le souci de cohérence de M. Bazin. Jusqu’où aller dans l’information des couples ? Cela mérite que l’on en discute et, en y réfléchissant bien, je suis assez favorable à l’amendement de M. Bazin.

M. Thibault Bazin. Dans le parcours d’une femme enceinte, où les rendez-vous médicaux peuvent être assez nombreux, s’il faut que les deux membres soient présents à chaque fois qu’une information doit être communiquée, cela compliquerait clairement le parcours. Par ailleurs, les médecins qui suivent les femmes enceintes sont très interrogatifs sur cette obligation d’informer le deuxième membre du couple : cela serait vraiment problématique. C’est pourquoi j’insiste pour que l’on adopte l’amendement n° 950.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’article 19 prévoit plusieurs étapes relatives à l’annonce et à la prise en charge. Les professionnels que nous avons interrogés nous disent que cela peut poser des problèmes dans la prise en charge, lorsque des couples sont en difficulté et que le conjoint est absent au moment de prendre une décision. Nous pouvons discuter d’une nouvelle rédaction consensuelle en vue de la séance, mais il est normal que l’autre membre du couple soit informé au moment de l’annonce. S’il ne l’est pas, il pourra, dans la suite du processus, ne jamais être là et mettre en difficulté la prise en charge par les médecins. S’il y a un souci, il faut l’annoncer au couple ; ensuite, les choses seront un peu différentes parce que la femme enceinte est au centre du processus.

Mme Monique Limon. Je suis d’accord avec la liberté laissée à la femme, mais peut-être cela peut-il se faire dans le même temps : une fois l’annonce faite à la femme, le médecin ou la sage-femme lui demande si elle veut bien que l’on fasse entrer son compagnon ou sa compagne pour l’en informer. C’est à la femme enceinte de décider de partager ou non l’information.

M. Patrick Hetzel. Je souhaite que l’on réfléchisse à la cohérence de l’ensemble. Lors des débats précédents, nous avons proposé que le conjoint du donneur soit consentant en cas de don de gamètes. Cela a été refusé car il s’agit du droit de l’individu à disposer de son propre corps. Ce que vous proposez relève d’une logique différente, il faut en avoir conscience. Aucune solution n’est parfaite mais je tiens à vous alerter. Si l’on se replace sur le terrain juridique, vous avez une vision très romaine des choses car cela revient à considérer que le mari doit absolument être informé : c’est très différent de ce que vous avez défendu par ailleurs. Le sujet est délicat et la question de la cohérence est posée.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je retire mon amendement et vous propose de revoir la rédaction pour la séance afin de prendre en compte les différentes propositions qui ont été faites.

M. Thibault Bazin. Je maintiens mon amendement. Vous pourrez le corriger en séance. Il est en effet très important car il vise à ne pas enlever des droits aux femmes enceintes et à simplifier leur parcours.

Mme Aurore Bergé. Ces deux amendements sont complémentaires car ils ont tous deux pour objectif de laisser la femme décider seule, et si elle le souhaite, d’inclure dans cette démarche son ou sa partenaire. Cela est cohérent avec l’esprit de ce projet de loi, qui vise à donner plus de liberté aux femmes. Vous visez deux alinéas différents parce que cela concerne deux moments différents du parcours médical. Je soutiens donc ces deux amendements.

Mme Coralie Dubost. Je suis très partagée : si je comprends la défense du droit des femmes, nous sommes aussi en train de défendre la notion de projet parental partagé. Il est bon que chacun assume sa part de responsabilité : la femme ne doit pas être la seule destinataire des nouvelles qui doivent être annoncées, qu’elles soient bonnes ou non. Lorsqu’il s’agit d’un projet de couple, il est bien que les deux membres du couple assument cette charge mentale et émotionnelle.

M. Guillaume Chiche. Bravo, cher collègue Bazin : vous êtes le pivot de la majorité avec cet amendement ! (Sourires.) Je pense que celui-ci est particulièrement bienvenu : laisser à la femme la capacité de choisir lui donne plus de liberté dans la conduite de sa grossesse. Je comprends la logique du projet parental partagé mais il n’est absolument pas question, avec cette rédaction, d’exclure l’autre membre du couple du processus. Je soutiens donc cet amendement.

M. Didier Martin. Je ne suis pas du tout d’accord car cela ne correspond pas du tout à ce qui se passe dans les cabinets. Quand une femme enceinte vient consulter avec son compagnon, le médecin ne demande pas à celui-ci de rester dans la salle d’attente parce que sa femme ne serait pas d’accord pour lui donner l’information. Cette situation n’est pas souhaitable ; elle est même absurde : dès lors qu’une femme vient accompagnée pour son diagnostic prénatal, cet amendement obligerait le médecin à demander au conjoint de rester dans la salle d’attente si la femme ne souhaite pas lui donner l’information. Cela serait de plus inutile : comment la femme accueille-t-elle l’information, comment réagit-elle immédiatement si son compagnon veut absolument un garçon et qu’elle découvre que c’est une fille ? Et encore, il n’est pas obligatoire de révéler le sexe, mais cela peut être bien plus grave : si l’annonce concerne des affections nécessitant des décisions thérapeutiques importantes, il ne me paraît pas du tout naturel que la femme fasse dire à son compagnon présent qu’elle ne veut pas qu’il soit informé. C’est une fausse liberté, qui aurait des effets néfastes sur le projet parental.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La difficulté, c’est que nous cherchons à couvrir par la loi des situations qui sont extrêmement diverses. Or cela est différent du don de gamètes, qui est individuel. La grossesse implique une tierce personne et concerne les deux membres du couple. On peut comprendre la nécessité d’informer les deux que la grossesse se déroule dans des conditions compliquées et qu’il y a un problème. Toutefois, nous connaissons des situations dans lesquelles les femmes sont très seules pendant leur grossesse, le mari n’est pas là, parfois même il pourrait prendre des décisions très différentes concernant une interruption médicale de grossesse : c’est le problème fondamental.

Faut-il, pour une interruption médicale de grossesse, que la décision de l’un prime sur celle de l’autre ? L’un doit-il empêcher l’autre de faire une IMG ? Tel est le fond du problème. Une femme informée d’une anomalie pendant la grossesse et désirant recourir à une IMG ne souhaitera peut-être pas que cette information soit partagée si elle sait que son mari s’y opposera formellement. Nous devons trouver un modus vivendi permettant à l’équipe médicale d’apprécier les différents cas de figure, mais il ne s’agit certainement pas de faire sortir le mari pendant la consultation, ni d’imposer systématiquement la présence du mari. Je vous propose d’y retravailler en vue de la séance et vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.

M. Thibault Bazin. Quand on envisage de modifier la loi, il est toujours intéressant de voir quelles sont les dispositions en vigueur. Selon l’article L. 2131-1, « Toute femme enceinte reçoit, lors d’une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée (…) » Pourquoi modifier cet article en créant une communication automatique à l’autre membre du couple ? Pourquoi réduire les droits de la femme enceinte ? Je maintiens mon amendement et j’espère qu’il sera adopté mais, si ce n’est pas le cas, je suis d’accord pour travailler à une version commune préservant les droits de la femme enceinte.

M. Brahim Hammouche. Selon l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance (…) reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. » Tout est résumé dans cet article : la disposition envisagée réduira les droits définis dans cet article du code de la santé publique.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Systématiser l’information à l’autre membre du couple pose problème car celui-ci peut être temporairement injoignable. Que fait-on dans ce cas ? Cela empêcherait-il de communiquer l’information à la femme enceinte ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Hammouche, vous évoquez la pathologie d’une personne protégée par le secret médical : elle n’est pas obligée de la révéler à l’autre. Mais en l’occurrence, il s’agit de la pathologie d’un fœtus : c’est donc plus compliqué d’un point de vue déontologique car le fœtus est issu de deux personnes. Je pense en fait qu’il ne faut pas toucher à la loi actuelle. Je suis donc favorable à l’adoption de l’amendement de M. Bazin.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. J’insiste sur le fait que nous sommes au moment de l’annonce d’un problème. S’il n’y a pas une information complète du couple, nous risquons de rencontrer des soucis de non-présence du conjoint dans la suite du processus. Je précise en outre à Mme Bergé que nous en sommes à l’alinéa portant sur la communication des résultats.

Cela étant, je retire l’amendement n° 2214. Il faut une rédaction concertée pour la séance qui tendra à satisfaire toutes les possibilités générales.

L’amendement n° 2214 est retiré.

La commission adopte l’amendement n° 950.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 2430 du rapporteur et n° 951 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’amendement n° 2430 porte sur l’alinéa 8. Il vise à établir, dans le projet de loi, la pratique actuelle de laisser la femme enceinte choisir si l’autre membre de son couple doit également être informé et pris en charge par le médecin. Il permet aussi de ne pas imposer au corps médical l’obligation de transmission de l’information au partenaire de la femme enceinte. Nous sommes donc plus loin dans le processus.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je suis favorable à l’amendement de M. Eliaou.

La commission adopte l’amendement n° 2430.

En conséquence, l’amendement n° 951 tombe.

La commission en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements n° 297 de M. Patrick Hetzel et n° 824 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Avis défavorable car ces amendements, qui visent à remplacer le mot « suspectée » par le mot « recherchée », ne correspondent pas à la réalité : dans le processus de diagnostic, on suspecte d’abord et on recherche ensuite.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 824 ne propose pas le mot « recherchée » mais le mot « présumée » : je trouve cela plus respectueux.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je préfère également « suspectée » à « présumée ».

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. C’est vraiment le terme médical, qui traite de « suspicion de pathologie ».

Les amendements n° 297 et n° 824 sont retirés.

La commission examine ensuite, en discussion commune, l’amendement n° 825 de M. Thibault Bazin ainsi que les amendements identiques n° 112 de M. Xavier Breton et n° 298 de M. Patrick Hetzel.

M. Thibault Bazin. Avant de prendre quelque décision que ce soit, la femme enceinte doit pouvoir être conseillée par le médecin. L’amendement n° 825 a donc pour objet de compléter la dernière phrase de l’alinéa 8 par les mots « et remise, si la personne le souhaite, par le médecin. »

M. Patrick Hetzel. Je propose la formulation « remise par le médecin » plutôt que « proposée ».

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. La documentation existante est remise à la patiente par le centre. Ce n’est pas nécessairement le médecin qui en dispose. La documentation doit donc aussi pouvoir être disponible ailleurs que chez le médecin. Pour fluidifier le processus, il ne faut pas forcément que le médecin donne de la main à la main cette documentation. Ce n’est pas d’ordre législatif ni même réglementaire : cela relève de bonnes pratiques. Il est important que la loi dispose que la personne est informée, sans entrer dans les détails. Avis défavorable.

La commission rejette successivement l’amendement n° 825 et les amendements identiques n° 112 et 298.

Puis elle examine les amendements identiques n° 171 de M. Xavier Breton, n° 359 de M. Patrick Hetzel et n° 923 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Lorsque les femmes enceintes apprennent que le fœtus est potentiellement porteur d'une maladie grave, elles sont alors confrontées à un choix extrêmement douloureux. L’amendement n° 171 vise donc à leur fournir systématiquement une liste des associations de leur département qui pourraient les aider dans ce cas de figure.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Avis défavorable car ces amendements sont satisfaits par l’alinéa 8.

La commission rejette les amendements n° 171, n° 359 et n° 923.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 113 de M. Xavier Breton, n° 300 de M. Patrick Hetzel et n° 826 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Avis défavorable car cela relève des bonnes pratiques, qui sont déjà prévues à l’alinéa 8.

La commission rejette les amendements n° 113, n° 300 et n° 826.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2429 du rapporteur.

Puis elle examine les amendements identiques n° 115 de M. Xavier Breton, n° 302 de M. Patrick Hetzel et n° 829 de M. Thibault Bazin

M. Patrick Hetzel. L'alinéa 3 de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique dispose qu'aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne. L’amendement n° 302 a pour objet d’assurer une information tout au long des différentes étapes du dépistage prénatal, afin que la femme enceinte y consente en toute connaissance de cause.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Ces amendements sont déjà satisfaits dans le droit actuel. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements n° 115, n° 302 et n° 829.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 114 de M. Xavier Breton, n° 301 de M. Patrick Hetzel et n° 828 de M. Thibault Bazin

M. Alain Ramadier. Il est nécessaire de laisser un temps de réflexion à la femme enceinte après l’annonce des résultats.

M. Thibault Bazin. Cela concerne le fameux délai de réflexion d’une semaine, évoqué lors des auditions : il est préconisé en pareille situation et il serait préférable de l’inscrire dans la loi.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Avis défavorable. Au cours de ce long processus, la femme enceinte et, le cas échéant, le couple, réfléchit. La femme voit le clinicien, l’échographiste, l’imageur et, à chaque étape, il y a une annonce. La femme peut à tout moment interrompre ce processus et dire stop ; cela existe déjà dans le droit actuel. Un délai de réflexion risquerait d’entraîner un stress supplémentaire pour la femme enceinte parce qu’elle devra réfléchir, seule ou avec son ou sa partenaire. Cela créerait de plus un risque d’infantilisation. Enfin, quel serait le point de départ de ce délai de réflexion ? Pour toutes ces raisons, et contrairement à ce qui avait été préconisé par le Conseil d'État, je suis d’accord avec la rédaction actuelle du projet de loi. J’émets donc un avis défavorable.

Mme Bénédicte Pételle. J’avais proposé un amendement similaire à l’article 20. Une fois le diagnostic posé, il s’agit simplement de proposer un délai.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. L’interruption médicale de grossesse est un acte médical qui se fait sous anesthésie générale. Je ne connais pas une situation où la femme va au bloc une heure après avoir reçu son diagnostic : comme pour tout acte chirurgical, la femme aura un rendez-vous quelques jours après, elle aura un bilan pré-anesthésique et elle obtiendra évidemment un délai de réflexion si elle le demande. Le délai existe donc : l’inscrire dans la loi provoquerait une souffrance. Pour les femmes, qui savent qu’elles vont subir une IMG, qui peuvent en être au sixième ou au septième mois de grossesse et dont le bébé peut déjà bouger, c’est insoutenable ! Pour en avoir été témoin, je sais que les huit jours qu’elles passent à attendre sont une torture ! Le processus est déjà très long et aucune équipe médicale ne saute sur une femme pour l’emmener au bloc opératoire. Laissons donc les choses se faire : les équipes sont capables de juger d’un doute. Supprimons ce délai dans la loi.

M. Patrick Hetzel. Merci pour votre réponse, madame la ministre : c’est évidemment la médecin qui s’exprime. Pour ma part, j’ai été sensible à un autre argument avancé par le Conseil d'État : celui-ci s’est posé la question légitime du droit des femmes en pareille situation et a considéré que ce délai était un droit important. Comment concilier les pratiques médicales avec les droits des femmes ? Ce délai est conçu comme étant protecteur. Cette question mérite que nous l’examinions car le Conseil d'État y avait explicitement fait référence.

Mme Sereine Mauborgne. Pouvez-vous nous préciser si ce délai est systématiquement supprimé ou si la femme peut demander un délai de réflexion ? Ce n’est pas très clair.

Mme Aurore Bergé. Initialement, quand le délai a été inscrit dans la loi, cela répondait à une logique d’accompagnement de la femme, afin de lui présenter toutes les options. Mais peut-être cela a-t-il été fait en méconnaissance de l’acte, qui n’a rien à voir avec une interruption volontaire de grossesse. Il s’agit d’une interruption médicale, pour des raisons tenant à la santé de la femme ou pour toutes les raisons prévues et encadrées par la loi. Ces situations sont toujours vécues de manière dramatique. Si dans le cadre d’une IVG, ce délai permet vraiment une réflexion, le processus conduisant à l’IMG se déroule pendant de très nombreuses semaines, qui sont vécues comme une souffrance. Si, à la fin du énième entretien, on répète à la femme qu’elle a encore la possibilité de réfléchir pendant une semaine, cela revient à lui imposer de le faire. Or ce n’est pas tenable pour elle et c’est probablement inconfortable pour les médecins. Dans l’intérêt de la femme, qui ne choisit pas de subir cette souffrance, nous devons supprimer ce délai.

M. Brahim Hammouche. Le processus est suffisamment long pour prendre conscience de ce qu’il y a à faire. La prise de conscience naît de la durée de ce parcours : ajouter un délai créerait de l’ambiguïté ou du doute là où il faut assumer et prendre ses responsabilités. Le professionnel porte également avec lui un sentiment de culpabilité : allonger le délai ajouterait une forme de culpabilité, consciente ou inconsciente.

M. Thibault Bazin. Ces situations sont extrêmement douloureuses et à aucun moment nous n’avons eu en tête de rallonger les souffrances. Ce n’était absolument pas notre volonté. Nous retirons donc nos amendements car ils ont été mal compris : l’objectif était d’accorder un droit à la femme, dont elle pourrait disposer si elle le souhaite, afin qu’elle ne ressente pas une pression pour se décider rapidement – nous avons eu des témoignages en ce sens. Je tenais à le préciser pour que cela ne soit pas mal compris.

Les amendements n° 114, n° 301 et n° 828 sont retirés.

La commission examine ensuite l’amendement n° 2255 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir, dans le cadre de l’AMP, un dispositif d’information du tiers donneur si les examens révèlent des caractéristiques génétiques fœtales sans relation avec l’indication de l’examen, c'est-à-dire des données incidentes. Par cohérence avec l’article 9, l’information du tiers donneur ne constitue pas une obligation.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il nous semblait que cet amendement était satisfait : l’article 19 prévoit déjà un dispositif d’information du tiers donneur. Avis de sagesse.

La commission adopte l’amendement n° 2255.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels n° 2215 et n° 2216 du rapporteur.

La commission examine l’amendement n° 812 de M. Fabien Di Filippo.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Les recommandations existent déjà, comme je l’ai expliqué dans mon commentaire de l’article. Le législateur fixe les principes, le pouvoir exécutif exécute et prévoit les modalités d’application : ainsi s’énonce le principe de séparation des pouvoirs. J’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 812.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2257 du rapporteur.

La commission en vient alors aux amendements identiques n° 116 de M. Xavier Breton, n° 303 de M. Patrick Hetzel et n° 830 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je m’inquiète qu’il soit prévu à l’alinéa 16 de l’article 19 de déterminer par arrêté sur proposition de l’Agence de la biomédecine les recommandations de bonnes pratiques relatives au diagnostic préimplantatoire (DPI). Pour ma part, je ne suis pas favorable à ce qu’on élargisse le recours à cette pratique. Insérer les mots « tel que défini à l’article L.2131-4 » permettrait de rester dans l’esprit de la loi.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cette précision ne me paraissant pas utile, j’émets un avis défavorable. J’ai d’ailleurs déposé voilà quelques instants un amendement rédactionnel qui allait dans ce sens et qui a été adopté.

La commission rejette les amendements n° 116, n° 303 et n° 830.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 2256 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement de précision vise à mettre en cohérence l’alinéa 16 avec le reste de l’article 19, conformément au débat que nous avons depuis plusieurs minutes sur le fait d’étendre l’information à l’autre membre du couple.

La commission adopte l’amendement n° 2256.

Elle en vient aux amendements identiques n° 117 de M. Xavier Breton, n° 304 de M. Patrick Hetzel et n° 831 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Il ne peut être laissé à l’appréciation des seules autorités administratives la responsabilité de mettre en place de nouvelles techniques de diagnostic en population générale. Nous souhaitons que la représentation nationale y soit associée dans le cadre d’un débat public.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Prévoir que toute nouvelle technique d’examen de biologie médicale en vue d’établir un diagnostic prénatal fasse l’objet d’une autorisation législative me paraît une mesure compliquée à mettre en œuvre : la recherche médicale, les techniques d’exploration avancent. Imposer un visa législatif pour chaque nouveau moyen de diagnostic biologique, paraclinique validé me paraît hors de propos et non réaliste. L’avis est par conséquent défavorable.

La commission rejette les amendements n° 117, n° 304 et n° 831.

Puis elle adopte l’article 19 modifié.

Après l’article 19

La commission examine l’amendement n° 2052 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je propose par cet amendement que toute femme enceinte soit informée dès le début de sa grossesse de la possibilité de donner son cordon ombilical et, si elle le souhaite, de se voir transmettre la liste des vingt-huit maternités impliquées dans la collecte. Par ce simple don altruiste, une femme peut contribuer aux soins d’enfants atteints d’une maladie du sang.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Le don est-il altruiste ou à visée autologue, c’est-à-dire pour soi-même ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. M. Bazin a bien précisé qu’il s’agissait d’un don altruiste.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Plusieurs précisions sur le sujet. Premièrement, les banques de sang placentaire nécessitent une prise en charge du cordon ombilical relativement complexe à mettre en œuvre : les maternités, publiques ou privées, doivent en effet créer un environnement permettant de récupérer le sang placentaire, de le stocker et d’en disposer pour les patients qui en ont besoin. Deuxièmement, il y a une corrélation entre le nombre de cellules récupérées dans le sang placentaire et l’efficacité de ce sang pour traiter les patients, notamment dans le cadre d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques pour le traitement de la leucémie. Troisièmement, le prélèvement nécessite une autorisation. Bref, ce que vous proposez est extrêmement généreux, mais difficilement réalisable sur le plan technique. Enfin, quatrièmement, les allogreffes de cellules souches hématopoïétiques à partir de sang de cordon ont de moins en moins d’indications. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je suis vraiment défavorable à ce que la liste des vingt-huit maternités soit diffusée auprès de toutes les femmes enceintes qui le souhaiteraient. Ces maternités ont été choisies en raison des caractéristiques du bassin de population qu’elles drainent, pour refléter la diversité des groupes tissulaires de la population française. La technique de la greffe placentaire est utilisée lorsqu’on ne trouve pas de donneur dans le fichier compte tenu de la rareté du groupe tissulaire du malade. Orienter les femmes enceintes vers ces maternités, si c’est bien là ce que vous proposez, créerait un afflux trop important de dons de cordons.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Il est aussi proposé d’ouvrir d’autres maternités de ce type.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Ce n’est vraiment pas souhaitable, car l’organisation actuelle fonctionne et les dons suffisent à alimenter les banques placentaires.

La commission rejette l’amendement n° 2052.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 929 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement vise à préciser que lorsque le placenta est prélevé, sans incitation d’aucune sorte, en vue de l’éventuelle utilisation ultérieure au bénéfice de l’enfant des cellules du sang de cordon ombilical, le consentement préalable de la donneuse est requis, après qu’elle a été informée des modalités de sa conservation.

S’agissant de l’amendement précédent, son objet n’était pas de créer un afflux indésirable. Ma préoccupation était plutôt que les femmes soient informées de la possibilité de donner leur cordon, mais j’ai bien compris que ce n’était pas souhaitable. Le sont-elles dans les bassins de vie où sont situées les maternités impliquées dans la collecte ? Il m’a semblé en travaillant sur le texte que ce n’était pas le cas, mais il se peut aussi qu’il n’y en ait pas au sein de ma circonscription.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Pour compléter les éléments de réponse déjà apportés, je préciserai que tout est organisé sous l’égide de l’Agence de la biomédecine, et que des campagnes de communication sont lancées quand les dons sont insuffisants, ce qui n’est pas le cas actuellement. À nouveau, cette collecte nécessite un encadrement. M’en étant occupé dans le cadre des fonctions que j’exerçais avant mon mandat de député, je sais qu’un afflux trop important présente deux risques : celui d’un défaut de prise en charge, et celui de la frustration des personnes qui souhaitent donner.

L’amendement n° 929 est retiré.

L’amendement n° 930 de M. Thibault Bazin est également retiré.

La commission en vient ensuite à l’examen, en discussion commune, de deux amendements n° 571 de Mme Annie Genevard et n° 2259 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Nous abordons ici un sujet un peu complexe, le DPI-HLA, c’est-à-dire le couplage de la technique du diagnostic préimplantatoire et du typage HLA des embryons, de l’anglais human leukocyte antigens pour antigènes des leucocytes humains. On l’appelle également la technique du bébé médicament.

Je présenterai dans un premier temps un amendement de suppression de l’article L.2131-4-1 du code de la santé publique. Depuis quatre ans, en effet, cette pratique n’est plus utilisée en France, et un seul centre la proposait alors, à Paris. Je peux vous dire, en outre, pour l’avoir pratiqué, qu’il s’agit d’un dispositif très complexe techniquement parlant. Dans le cadre du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur l’évaluation de l’application de la loi bioéthique de 2011, j’en étais donc arrivé à la conclusion qu’il fallait supprimer la pratique du DPI-HLA, notamment pour des raisons d’ordre éthique.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le questionnement est en effet éminemment éthique. Sont concernées par cette technique des familles dont l’enfant est atteint d’une maladie génétique rarissime – l’anémie de Fanconi a une incidence inférieure à dix cas par an – et peut être sauvé par une greffe compatible d’un frère ou d’une sœur. En l’absence d’autre enfant, un dépistage préimplantatoire est réalisé au cours duquel on vérifie si certains embryons sont compatibles avec l’enfant malade. Le sang du cordon ombilical est ainsi recueilli à la naissance du deuxième enfant en vue de sauver le premier. La probabilité d’avoir un enfant non atteint de cette maladie monogénique récessive est de trois sur quatre, et la probabilité que l’embryon soit HLA compatible est d’un sur quatre : seul un embryon sur seize sera à la fois indemne et susceptible de permettre une greffe de sang de cordon ombilical. Il faut tenir compte en outre de la probabilité de réussite de la fécondation in vitro (FIV), qui est de 20 %. La probabilité de réussite du DPI-HLA est donc d’un sur quatre-vingt. Il s’agit par conséquent d’un dispositif lourd qui n’est aujourd’hui plus pratiqué en France, mais pour lequel des familles se rendent en Belgique ou en Espagne. Le nombre de cas est très faible. Pour ces maladies, on obtient avec une greffe réalisée à partir d’un donneur volontaire des résultats beaucoup moins bons qu’avec une greffe réalisée à partir du sang de cordon ombilical.

Supprimer la possibilité de réaliser cette pratique, c’est supprimer pour quelques enfants par an l’accès à une technique certes très lourde et très complexe, car plusieurs FIV sont parfois nécessaires, mais susceptible de leur sauver la vie. Savoir s’il faut ou non maintenir cette pratique dans la loi est une question difficile qui nécessite un débat parlementaire, et qui ne saurait être tranchée par une ministre ou un rapporteur.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je souhaiterais que le rapporteur nous éclaire un peu plus précisément sur la technique qui fait l’objet de son amendement, car l’appellation « bébé médicament » est assez inquiétante.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cette technique concerne les familles dont l’enfant est atteint d’une maladie génétique rare qui nécessite une allogreffe et qui n’ont pas d’autre enfant, ou pas d’enfant HLA compatible avec l’enfant malade. En l’absence de donneur ou de sang placentaire compatibles au sein des banques, en France ou dans le monde, la seule possibilité de soigner l’enfant malade est pour le couple de mettre au monde un autre enfant sain et HLA compatible. Même si ce terme peut paraître choquant, on effectue bien un tri des embryons pour implanter ceux qui sont indemnes de la tare génétique et HLA compatibles. La probabilité de réussite du processus est donc très faible.

Quelle que soit la décision qui sera prise sur le sujet, il faudra réfléchir au point suivant : à l’article L.2141-3 du code de la santé publique, il est précisé qu’un couple ne peut recourir à une nouvelle stimulation ovarienne tant que tous les embryons sains de la première série n’ont pas été transférés, même si ces embryons ne sont pas HLA compatibles. Si l’amendement de suppression de l’article L.2131-4-1 n’est pas adopté, il faudra prévoir une dérogation à l’article L.2141-3 pour la mise en œuvre du DPI-HLA, ce cas de figure n’ayant pas été prévu. Il s’agit en effet d’un tri génétique, et non pas d’un tri qualitatif.

Mme Bénédicte Pételle. Je m’interroge pour ma part sur la place de l’enfant nouvellement né dans la fratrie en cas d’échec du processus : celui-ci portera la culpabilité de n'avoir pas guéri le frère ou la sœur malade.

Mme Sereine Mauborgne. Je voudrais vous rassurer, chère collègue : à mon sens, la question de la culpabilité du nouvel enfant n’est pas liée à l’assistance médicale à la procréation (AMP) et le DPI-HLA. La conception d’un second enfant est pratiquée sous la couette depuis des années par toutes les familles qui se sont retrouvées face à ce cas de conscience : avoir un autre bébé pour permettre de soigner un enfant malade grâce à une greffe de cellules souches réalisées à partir du sang de cordon ombilical. Le DPI-HLA sécurise le parcours mais ne change rien à la volonté farouche des familles concernées de sauver leur enfant. Je peux en témoigner pour les avoir suivies pendant plusieurs années.

Mme Coralie Dubost. Je suis loin de saisir tous les enjeux que soulève ce sujet, mais je vous sais gré, madame la ministre, de souligner la nécessité de débattre au Parlement de cette question éminemment éthique. J’aurai donc, en tant que néophyte, quelques questions.

Vous avez dit que très peu de cas étaient recensés : pour ceux-ci, y a-t-il un suivi des enfants concernés, tant des malades que des soignants ? A-t-on un peu de recul sur l’évolution de la situation au sein des familles ?

Mme Aurore Bergé. Je suis heureuse que ce débat ait lieu, mais celui-ci me rend très mal à l’aise. Je comprends bien qu’une famille puisse souhaiter tout mettre en œuvre pour sauver son enfant, mais qu’on mette au monde un autre enfant avec cette seule visée me gêne profondément, à plus forte raison si les chances de réussite de la technique utilisée sont très minces. Je m’interroge sur le désir de parentalité pour l’enfant à naître et la façon dont celui-ci pourra se construire dans ces conditions. Nous nous sommes posé mille questions sur l’ensemble des articles de ce projet de loi à l’aune de l’intérêt de l’enfant : il y a ici deux intérêts qui entrent en conflit, celui de l’enfant à sauver et celui de l’enfant à naître conçu pour sauver le premier. Ce n’est pas parce que la pratique avait cours en dehors de tout cadre médical qu’il faudrait l’institutionnaliser, l’encourager ou à tout le moins l’accompagner par les nouvelles techniques disponibles. Personnellement, et vous constatez à quel point je suis mal à l’aise avec ce débat, il ne me paraît pas éthique d’autoriser cette technique visant à mettre au monde un enfant uniquement pour en sauver un autre.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Si, dans ces cas de figure, les parents ont la tentation d’avoir un nouvel enfant pour soigner le premier, un diagnostic prénatal est de toute façon pratiqué compte tenu du risque de mettre au monde un enfant atteint de la tare génétique. Nous avons donc tout intérêt à autoriser le diagnostic préimplantatoire pour éviter les grossesses à répétition susceptibles de conduire à des avortements à répétition.

Mme Sereine Mauborgne. Je précise qu’il y a dans ces cas une urgence vitale : il n’est pas question d’attendre plusieurs grossesses, la greffe doit être réalisée rapidement.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Il faut tout d’abord que le parcours de la FIV, qui est douloureux pour un couple, arrive à son terme, ce qui n’a rien d’évident.

Concernant votre remarque, Madame Mauborgne, rien ne garantit que l’enfant fait sous la couette ne sera pas atteint de la tare génétique. Il n’est d’ailleurs pas recommandé aux familles concernées, qui souvent ont recours au conseil génétique, de faire un enfant de cette façon. Le bébé sous la couette n’est pas une solution.

Pour répondre à votre question, Madame Dubost, je ne dispose pas des chiffres exacts, mais l’Agence de la biomédecine publie régulièrement un rapport d’excellente facture sur le sujet, et notre collègue Jean-Louis Touraine a également publié un tel document dans le cadre de la mission d’information menée en amont de nos travaux. Compte tenu du nombre infime de cas recensés, les chiffres ne peuvent de toute façon pas être très significatifs sur le plan statistique.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Depuis neuf ans que cette technique est inscrite dans la loi, vingt-cinq couples ont été pris en charge, neuf enfants sont nés à l’issue de son application, cinq enfants étaient HLA compatibles et trois greffes ont été pratiquées. En somme, nous discutons d’une technique presque plus employée, très lourde, autorisée au cas par cas, exceptionnellement. Si le DPI-HLA est supprimé de la loi, les familles qui auront recours à cette technique en Belgique ou ailleurs ne pourront plus être remboursées.

Très peu d’enfants sont concernés. J’ai été témoin une fois de l’aboutissement du processus : l’enfant qui naît est pleinement investi, il n’est pas que l’outil de la guérison du malade, si c’est ce qui vous préoccupe, Madame Bergé. Certes, l’appellation « bébé médicament » peut correspondre à la démarche initiale, mais les familles concernées peuvent aussi tout simplement désirer un autre enfant.

Mme Aurore Bergé. Ce n’est pas la même chose !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Quand on a un enfant de quatre, cinq ou six ans hospitalisé en hématologie parce qu’il est atteint d’une maladie gravissime, on peut souhaiter agrandir la famille, avoir d’autres enfants. Le premier étant atteint d’une maladie génétique, un DPI est nécessairement proposé dans le cadre du conseil génétique, et une démarche d’AMP s’enclenche obligatoirement.

Mme Aurore Bergé. Ce n’est pas la même démarche !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Interdire alors aux parents qui souhaitent simplement avoir un autre enfant de vérifier si les embryons sont compatibles pour une greffe éventuelle revient à supprimer la possibilité de recourir à cette technique. Pour la poignée de familles concernées, soit moins de cinq par an, qui de toute façon y auront recours ailleurs, c’est la double peine.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Le sujet me paraît d’autant plus sensible au plan éthique que l’application de la technique a peu de probabilité d’aboutir.

J’aimerais revenir à la proposition du rapporteur : s'agirait-il de permettre, dans le cas où les embryons sains du couple ne seraient pas compatibles pour une greffe, d’en créer de nouveaux sans avoir à passer par une grossesse ?

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Il s’agit non pas de grossesse mais de tentative de FIV.

M. Thibault Bazin. Avec une sélection des embryons !

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Bien sûr, car c’est là l’objet de la technique !

M. Thibault Bazin. Cela pose des questions éthiques !

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Aux termes de l’article L.2141-3, on ne peut aujourd’hui fabriquer une nouvelle série d’embryons sans implantation des précédents que si les premiers présentent une anomalie qualitative, ce qui ne correspond pas au cas où, après le tri, aucun embryon ne serait à la fois sain et compatible. J’ai donc déposé un amendement de repli qui vise à prévoir dans l’article une dérogation à cette limitation pour le seul cas du DPI-HLA. En d’autres termes, on autoriserait la fabrication d’embryons jusqu’à en obtenir un qui aurait les caractéristiques recherchées.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je comprends que le fait de fabriquer plus d’embryons que nécessaire puisse être source d’inquiétude pour certains d’entre vous, mais il s’agit de le faire pour tout au plus une dizaine de familles. En outre, le recours à cette pratique est encadré par l’Agence de la biomédecine et soumis à son conseil d’orientation. Je le répète, les familles n’ont pour ainsi dire aucune autre possibilité, les greffes réalisées avec d’autres types de donneurs ayant très peu de chance de réussir.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Quel est donc l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements en discussion commune, madame la ministre ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. L’avis est défavorable sur l’amendement n° 571, et je m’en remets à la sagesse de la commission s’agissant de l’amendement n° 2259.

La commission rejette successivement les amendements n° 571 et n° 2259.

Elle en vient ensuite à l’amendement n° 514 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Dans le même esprit que celui du rapporteur, cet amendement vise à supprimer du code de la santé publique la référence au dispositif de double DPI.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Mon amendement ayant été rejeté, je ne peux que m’en remettre à la sagesse de la commission.

La commission rejette l’amendement n° 514.

Puis elle examine l’amendement n° 1547 de M. Bruno Fuchs.

M. Brahim Hammouche. Cet amendement vise à permettre le dépistage des embryons aneuploïdes, c’est-à-dire dont les cellules ne posséderaient pas le nombre normal de chromosomes. Parce que leur dépistage est aujourd’hui interdit, ces embryons peuvent être transférés aux femmes en parcours d’AMP et le faire échouer. Les embryons ne sont évalués qu’au moyen des embryoscopes et par les biologistes. Il s’agirait de faire évoluer la pratique, d’utiliser les nouveaux moyens techniques à notre disposition pour augmenter les chances de réussite de l’AMP et en limiter le coût psychique.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’avis est défavorable, car l’amendement est mal placé : il vise l’article L.2131-4-1, qui concerne le DPI‑HLA, alors qu’il aurait fallu viser l’article L. 2131-4.

La commission rejette l’amendement n° 1547.

Elle se saisit ensuite de l’amendement n° 1749 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Je reviens au DPI-HLA, dont nous venons de voter le maintien dans la loi. En pratique, la technique a été très rarement utilisée ; le Conseil d’État a d’ailleurs pointé du doigt l’encadrement juridique qui en serait la cause. Il ne peut en effet y avoir de nouvelles tentatives de fécondation in vitro si tous les embryons conservés à l’issue de la première tentative n’ont pas été utilisés. Or il se peut que, parmi ceux-ci, aucun ne soit à la fois sain et HLA compatible. Il est donc nécessaire de permettre de déroger à la règle limitative en vigueur. Certes, quatre ou cinq embryons viendront s’ajouter aux 200 000 déjà conservés, mais c’est la seule façon de permettre l’aboutissement du dispositif. Comme l’a dit le rapporteur, il s’agit bien d’une dérogation pour ce seul cas spécifique.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. En supprimant le dernier alinéa de l’article L. 2141-3, vous annulez la limitation pour toute situation, sans préciser qu’une telle annulation ne vaut qu’en cas de DPI-HLA. Dans l’amendement de repli que je présenterai dans quelques instants, la dérogation est au contraire autorisée pour la seule indication dont nous avons longuement débattu. Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. Jean-Louis Touraine. Je ne comprends pas votre objection : l’amendement vise bien le seul cas de DPI-HLA, il ne s’agit pas d’ouvrir cette possibilité à tous les couples.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Tel qu’il est rédigé, votre amendement vise à supprimer l’alinéa suivant : « Un couple dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d'une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. » Vous feriez ainsi tomber complètement la restriction. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de retirer cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. Jean-Louis Touraine. Monsieur le rapporteur, pourriez-vous simplement m’éclaircir sur la place de votre amendement dans la discussion ?

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’amendement qui vient immédiatement en discussion porte sur le même article, mais tend à introduire une indication précisant que l’alinéa en cause n’est pas opposable en cas de DPI-HLA. De la sorte, cette possibilité ne serait pas ouverte à tous les couples.

L’amendement n° 1749 est retiré.

La commission en vient à l’amendement n° 2258 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Il s’agit de l’amendement de repli évoqué à l’instant.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous proposons de rediscuter de cette dérogation afin de sécuriser le dispositif. Dans l’attente de cette nouvelle rédaction, nous demandons le retrait de l’amendement.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. J’accepte de retirer cet amendement et d’en retravailler la rédaction avec le ministère de la santé.

L’amendement n° 2258 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 1632 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Le diagnostic préimplantatoire a pour objet la recherche d’une anomalie génétique pouvant être responsable d’une affection grave reconnue comme incurable au moment du diagnostic ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter.

Le présent amendement vise, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à étendre le champ de ce diagnostic à la numération des autosomes, c’est-à-dire des chromosomes non sexuels, afin d’éviter tout risque de dérive discriminatoire. Cet examen appelé diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A) n’implique aucun acte supplémentaire dans le cadre du DPI.

La vérification du nombre d’autosomes est centrale à plusieurs niveaux. Elle est importante tout d’abord pour le taux de réussite des fécondations in vitro, lesquelles sont déjà considérées à risque puisqu’elles font l’objet d’un DPI. Une mauvaise numération des autosomes – aneuploïdie autosomique – aboutit en effet très majoritairement à des embryons non viables et à des fausses couches. Elle permet également d’éviter les grossesses multiples, car on ne transfère pas d’embryons nécessitant une interruption de grossesse. Le nombre d’embryons congelés est en outre diminué, car seuls les embryons haploïdes sont conservés, et les embryons aneuploïdes ne sont pas implantés en cas de don. Le parcours est simplifié pour les femmes, et on réduit à la fois le taux d’échec et les dépenses de santé.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Nous avons procédé à plusieurs auditions sur ce sujet complexe. Le DPI-A peut se justifier, car le taux de succès des FIV, qui n'est pas mauvais, pourrait néanmoins être amélioré. Au cours de la rédaction du rapport de l’OPECST, nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de ce diagnostic et avons ouvert une porte. Au cours des auditions menées dans le cadre du projet de loi, j’ai toutefois perçu que les professionnels n’étaient pas disposés à pratiquer le DPI-A comme un soin, car la technique est encore considérée comme une activité de recherche clinique. Notre rôle n’est pas d’accéder aux demandes des professionnels, mais il est important de les entendre : or, ceux-ci souhaitent faire de la recherche clinique, notamment dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC).

La technique ne me paraît pas suffisamment maîtrisée à ce jour pour être inscrite dans la loi comme examen de soin courant, même à titre expérimental. En outre, les DPI pratiqués concernent le plus souvent des femmes jeunes, qui sont moins sujettes aux aneuploïdies. Il faudrait cibler une population spécifique, ce qui n’est pas possible dans le cadre de la loi. Enfin, nous risquons d’avoir à faire face à un nombre de demandes considérables, dont certaines seraient infondées, et donc d’être débordés. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous sommes, là encore, au cœur des questions éthiques. Vous proposez une expérimentation, ce qui implique que l’on cherche un résultat. En réalité, vous disposez déjà de nombreux arguments pour proposer d’ores et déjà le DPI-A. Votre proposition peut donc se résumer ainsi : rechercher les aneuploïdies, c’est-à-dire essentiellement les trisomies, mais pas seulement, car elle porterait également sur celles qui provoquent des fausses couches chez des femmes chez qui l’on mène un diagnostic préimplantatoire en raison d’une maladie génétique. Tel est le sens de votre amendement.

S’agissant de la partie portant sur la recherche d’anomalies chromosomiques qui aboutirait à des fausses couches, le rapporteur l’a dit : nous n’avons aucune certitude sur celles qui provoquent réellement des fausses couches. En tout état de cause, un projet de recherche national va répondre à cette question. Même s’il existe en la matière des suspicions, la sécurité n’est pas garantie.

En recherchant des anomalies chromosomiques, on va donc découvrir des trisomies 21, mais également des trisomies 18 et des trisomies 13. L’argument est d’éviter à des familles ayant déjà un enfant souffrant d’une maladie génétique de courir un risque d’anomalie génétique supplémentaire.

C’est sur ce point que nous touchons à une question d’éthique, car nous n’avons pas besoin d’une expérimentation pour répondre à cette question : nous savons en effet que la technique est opérationnelle. Nous savons que si un DPI est en cours, il n’est pas très compliqué de mener une recherche de trisomie 21. Dans ce cas, on aboutira effectivement à un tri d’embryons. Ce tri s’effectuera en fonction du critère suivant : l’élimination d’une pathologie qui n’est pas la pathologie initialement recherchée et pour laquelle le DPI avait initialement été proposé. On va donc éliminer des embryons porteurs, notamment, de trisomie.

Le mot expérimentation ne me convient pas, car en réalité vos arguments montrent que nous avons déjà la réponse : nous savons en effet que nous sommes capables d’éliminer les embryons porteurs de la trisomie 21 en plus de la maladie génétique recherchée. Dans ce cas, le mot expérimentation signifie que l’on contourne, quelque part, la loi pour aller au-delà. En fait, vous voulez ouvrir le DPI-A.

Ce point mérite discussion, et le législateur doit faire son travail. Je ne suis d’ailleurs même pas certaine d’ailleurs qu’une telle décision puisse relever uniquement d’un gouvernement.

Nous nous trouvons en l’espèce face à des familles qui vivent des drames et qui accompagnent des enfants souffrant parfois de très graves handicaps. À l’échelon individuel, pour les équipes, pour les soignants, pour les gynécologues-obstétriciens et pour les généticiens, il est tellement simple de dire qu’on ne leur rajoutera pas ainsi le risque d’avoir un autre enfant souffrant d’une pathologie.

C’est à ce stade que je ne suis pas à l’aise, car une telle évolution signifie qu’à l’échelon collectif, on dit à la société que l’on est effectivement d’accord pour éliminer, en le sachant, un certain nombre de pathologies, essentiellement celles que l’on sait trouver le plus facilement, c’est-à-dire les trisomies. Mais, à la limite, pourquoi s’en tenir à celles-ci ? Pourquoi ne pas dire à ces parents que, dans la mesure où il existe d’autres maladies génétiques graves, on peut également procéder à d’autres recherches ? Pourquoi les laisser avoir un enfant atteint, par exemple, d’une amyotrophie spinale ? Nous allons mettre la main dans un engrenage : si on autorise le dépistage des trisomies parce qu’il est simple, qu’est‑ce qui nous empêchera de subir une pression visant à aller chercher par la même occasion d’autres gènes de pathologie ?

Une telle décision est lourde à l’échelon collectif. Je suis par conséquent très mal à l’aise, même si je comprends bien entendu le drame vécu par les familles, comme l’avis des équipes qui les suivent. Mais quel message allons-nous ainsi envoyer à la population ? Aujourd’hui, la trisomie fait l’objet d’un diagnostic prénatal, ce qui signifie que ces familles bénéficieront de toute façon de la recherche de la trisomie 21 dans ce cadre. Il est vrai cependant, vous avez raison, que le processus est plus lourd car il oblige à un avortement. Elles pourront également bénéficier bientôt d’un diagnostic de trisomie 13 et de trisomie 18, puisqu’il va être inclus dans le DPN. Décider collectivement de l’ouvrir dans le cadre des examens préimplantatoires est d’une nature différente.

Je vous livre la difficulté que me pose cette proposition, qui mérite d’être discutée.

M. Patrick Hetzel. Merci, madame la ministre, d’avoir exposé les choses avec une très grande sensibilité. En prenant connaissance de cet amendement de notre collègue Philippe Berta, j’ai en effet considéré qu’il s’agissait d’un détournement de procédure car il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une expérimentation pour vérifier si l’on maîtrise la technique. La question de fond est bien celle du tri que l’on va opérer dans le cadre du diagnostic, et du choix du moment pour y procéder. Certes, nous sommes dans notre rôle de législateur, mais il n’est pas facile de répondre à cette difficile question au détour d’un simple amendement.

Les conséquences d’une telle proposition seront extrêmement lourdes pour la société, et la mettre en œuvre sans étude d’impact serait assez dangereux. La sagesse voudrait que l’on ne s’engage pas aujourd’hui dans cette direction qui traduit également une vision de la société. Il faut être sensible à cet aspect. Ce changement de paradigme aura des conséquences. Mais nous n’ignorons pas non plus les problèmes qui peuvent survenir après l’implantation.

M. Thibault Bazin. Je souscris aux arguments de la ministre et m’oppose à cet amendement, même si je comprends que l’on puisse souhaiter son adoption lorsqu’on est confronté à certaines problématiques.

Je ne suis donc pas favorable à cette extension du DPI qui, certes, est présentée comme une expérimentation. Mais peut-on parler d’expérimentation alors que la mesure s’appliquera dans deux des quatre centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, c’est-à-dire d’ores déjà sur 50 % des établissements hospitaliers concernés ?

Cet amendement comme d’autres qui vont dans le même sens pose une vraie question de société car on y sent la tentation d’aller plus loin dans la sélection, souvent d’ailleurs sous couvert de bons arguments. Or à quel moment dit-on stop ? À quel moment s’écarte-t-on du simple tri pour en arriver à la question, qui comporte un risque, de l’adéquation entre un enfant à naître et un projet parental ?

Ce qui me gêne, dans vos propos, madame la ministre, c’est qu’on n’est pas sûr des priorités qui seront données. Certains éléments ne sont pas probants, en l’état des connaissances. Si on ouvre la porte aux aneuploïdies, on pourra le faire pour d’autres choses, qu’on est capable de détecter, en étendant le DPI.

Il faut se garder de glisser vers ce que j’appelle de l’eugénisme – chacun peut le nommer comme il l’entend. Il faut s’arrêter là et s’opposer à cet amendement.

M. Jean-Louis Touraine. Le DPI-A est une question importante. J’avais proposé un amendement qui concernait tous les cas de FIV s’étant soldées par un échec, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Je comprends donc que mon collègue l’ait présenté sous la forme d’une expérimentation, ce qui l’a mis à l’abri de cette épée de Damoclès.

Comme le rapporteur vient de le dire, nous nous trouvons placés, en quelque sorte, sous le contrôle des praticiens concernés par ces activités, qu’on a auditionnés en assez grand nombre, et qui s’inquiètent que nous puissions stagner ou reculer.

Aujourd’hui même, dans une tribune dans Le Monde, le professeur René Frydman et des représentants de toutes les sociétés savantes – citons la société de médecine de la reproduction, les cytogénéticiens, la société de gynécologie, la société de la fécondation in vitro, la fédération des biologistes – nous demandent, unanimement, de prendre connaissance de la réalité médicale. Permettez-moi de vous lire leurs conclusions :

« Oui, les aneuploïdies conduisent à des pertes fœtales, qui représentent 50 à 60 % des fausses couches précoces. » Grâce au dispositif proposé, on pourrait donc multiplier par deux le taux de succès des fécondations in vitro, ce qui n’est pas négligeable, surtout pour ceux qui ont déjà rencontré plusieurs échecs.

« Oui, il peut être réalisé un DPI-A sans étudier les chromosomes X et Y. » On ne connaîtra donc pas le sexe, et les anomalies de ces chromosomes seront maintenues, puisqu’on n’y touchera pas. Ce ne serait donc en aucune façon de l’eugénisme, mais plutôt l’inverse, puisqu’on ne ferait qu’écarter les embryons non viables.

« Non, l’analyse des mutations – « le screening de gènes » – ne fait en aucun cas l’objet du DPI-A. »

« Oui, ce diagnostic doit être réservé à des indications médicales et ne doit pas être systématique en fécondation in vitro ni pour des couples fertiles. »

« Oui, il doit y avoir un encadrement. »

En définitive, cette proposition me paraît très raisonnable et modérée, et permettrait de résoudre des difficultés concrètes dans la pratique des fécondations in vitro.

Mme Coralie Dubost. Sur cet amendement proposé par des sachants, je m’exprime en tant que simple citoyenne, sans expertise professionnelle, comme plusieurs de mes collègues. J’ai été, comme beaucoup d’autres membres de la commission spéciale, extrêmement sollicitée sur ce sujet, en particulier par des praticiens et des parents qui ont connu une expérience douloureuse ; ils m’ont demandé d’y prêter une attention particulière. Je voulais témoigner de leurs attentes.

Cela étant, j’entends les risques, les réticences, les enjeux, l’immense complexité du débat, qui est proprement vertigineux, l’éternel problème – qui se reposera à l’avenir – consistant à déterminer où l’on place le curseur et comment on s’assure qu’il demeurera stable alors que la science ne cesse d’évoluer.

J’ai deux interrogations. D’une part, si cette mesure était mise en place, le choix serait-il laissé aux parents ? Le positionnement du curseur, le choix éthique leur reviendrait-il ? Je m’interroge car, depuis le début du débat, on parle de « tri ». Si tel est le cas, pourquoi y a-t-il une différence aussi notable à l’échelle individuelle entre le DPN et le DPI ?

Mme Sereine Mauborgne. Je ne prétends pas davantage être une spécialiste du sujet, la génétique ne faisant pas partie de ma formation de base. Ayons en tout cas à l’esprit que nous sommes de passage, que la loi bioéthique nous survivra et que nous agissons pour l’avenir. M. Philippe Berta propose de nous permettre d’évaluer le dispositif et de faire évoluer nos pratiques grâce à l’expérimentation. C’est se donner une chance de légiférer, dans cinq ans, sur le fondement de données objectives en matière de quantité, de qualité, en prenant en considération le vécu des soignants – ce qui me paraît important, à l’instar de Mme la ministre, lorsqu’une nouvelle pratique est mise en œuvre – et celui des parents – car il faut toujours avoir à l’esprit qu’une fausse couche, c’est un grand espoir suivi d’un immense chagrin.

M. Marc Delatte. Je suis placé devant un cas de conscience.

Je soutiens vos propos, madame la ministre. Pendant plus de 26 ans, j’ai été médecin de famille et j’ai soigné des trisomiques, beaucoup… Il y a trois ou quatre jours, j’ai revu une petite que j’avais suivie. Je suis très ému et je m’en excuse… Elle s’appelle Lorraine. Elle était heureuse de me voir… Elle m’a dit : « Je suis en CDI ! ».

Dans quelle société vit-on ? Où est la dignité ? Voilà mon sentiment.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Il est très difficile d’intervenir après le témoignage que nous venons d’entendre. Je suis également très partagée et je ne suis pas très loin de revenir à ma position initiale.

Ce débat est certes très difficile mais il ne faut pas se cacher derrière le principe d’expérimentation. Nous devons débattre et trancher : ou c’est oui, ou c’est non, mais le principe d’expérimentation me paraît très compliqué. Si l’on répond par l’affirmative, il sera impossible d’imaginer un retour en arrière dans cinq ou sept ans. Une fois que la pratique du tri des embryons avant implantation aura été lancée comment expliquer ensuite à des couples que ce sera impossible pour eux parce que la loi finalement l’interdit ?

Le débat est complexe mais ne nous abritons pas derrière le principe de l’expérimentation pour ne pas prendre de décision. Si c’est oui, c’est oui. Un retour en arrière après deux ans d’expérimentation serait vraiment très difficile.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le DPI-A s’adresse à des familles qui ont déjà vécu des naissances compliquées, qui gèrent au quotidien la maladie d’un enfant. Est-il possible que ce diagnostic soit réalisé à l’étranger si la famille souhaite en faire un pour un deuxième ou un troisième enfant ? Dispose-t-on d’éléments pour savoir si des parents se déplacent effectivement ? Pour que l’on puisse avancer, il me semblerait important de prendre en compte leur situation, la manière dont ils agissent. Nous pourrions ainsi intégrer cette expérience car nous avons besoin de toutes ces informations pour prendre la bonne décision.

M. Didier Martin. En tant que clinicien, je sais que pas un enfant trisomique ne ressemble à un autre. Il s’agit en effet d’une anomalie polymorphe. La vie de tous ces enfants doit être respectée bien entendu mais, pour ceux qui sont à naître, la réflexion est complexe.

Aujourd’hui, que fait-on ? L’échographie et la prise de sang permettent de détecter la nuque épaisse, le fémur court, les bêta-HCG. Nous dialoguons ensuite avec les familles pour qu’elles prennent leur décision. Nous sommes engagés depuis longtemps dans une politique publique de dépistage des signes de la trisomie qui entraîne des décisions thérapeutiques importantes. Elles appartiennent d’abord aux parents mais elles sont éclairées par les médecins, leurs connaissances… et leur expérience, car ils en ont besoin, ne l’oublions pas.

J’ai fait de la radiologie et j’ai toujours tiré tous les enseignements possibles des clichés, de l’imagerie. Il faut tout chercher. En l’occurrence, nous disons qu’il ne faut pas tout regarder : une anomalie génétique spécifique est recherchée suite à la pathologie grave dont souffre un enfant ; l’embryon n’en est pas atteint mais, dans un certain nombre de cas, toujours trop nombreux, il est trisomique. Le choc est évidemment grand pour la famille et pour l’équipe soignante qui se consacre au dépistage de maladies mais qui n’a pas le droit de regarder en dehors de son cahier des charges. Je considère que nous avons le droit de regarder, d’informer, et c’est à la famille de prendre une décision qui est lourde, difficile. Le témoignage de notre collègue qui a suivi des trisomiques pendant sa carrière professionnelle est très émouvant. Il n’y a aucun systématisme, aucun eugénisme. Ce sont des décisions difficiles mais il faut pouvoir les prendre, et se donner les moyens de savoir avant de décider.

Mme Florence Provendier. Si cet amendement soulève un vrai problème, la formule « à titre expérimental » me gêne particulièrement. Nous sommes vendredi soir, cette question est très difficile et il me semble que l’évoquer ainsi, entre nous, qui sommes une vingtaine, c’est limiter un peu notre capacité à peser l’ensemble des enjeux.

En tant que citoyenne et députée, je considère au final que c’est aussi aux parents d’exprimer leurs choix.

Si la formule « à titre expérimental », à ce stade, me gêne, je pense que nous devons avancer ensemble sur ces questions mais, peut-être, à un autre moment.

Mme Monique Limon. La présentation par M. Frydman d’une succession de FIV infructueuses pour une même femme m’a laissée mal à l’aise. Je me suis alors demandé pourquoi ne pas trier pour éviter toutes ces souffrances.

En prenant un peu de recul par rapport à ce témoignage, en dialoguant avec les collègues et en tenant compte de notre discussion en ce moment même, j’ai tendance à penser qu’il ne faut pas aller jusque-là.

Même si cela ne relève pas directement de la loi sur la bioéthique, je pense que l’on ne fait pas tout en faveur des enfants porteurs de handicap, loin s’en faut.

M. Raphaël Gérard. Ce débat est en effet extrêmement intéressant mais je partage le sentiment de ma collègue Florence Provendier.

Même si mon point de vue a un peu varié depuis le début de notre discussion, ma conviction est arrêtée. Il n’en demeure pas moins que je suis confronté à un vrai cas de conscience lorsque je me dis que nous allons trancher dans le cadre de cette commission alors que, manifestement, les positions sont encore un peu flottantes.

Sur une question pareille, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un débat en séance publique de manière que toutes les sensibilités soient représentées. Je sors de mon rôle mais je considère qu’il serait juste que chacun puisse s’exprimer sur un sujet pareil. Personnellement, je me sens très mal à l’aise à l’idée de devoir trancher ici, un vendredi soir, à vingt-et-une heures trente, alors que toutes les sensibilités de notre assemblée n’ont pas pu s’exprimer. Je recommande donc de différer un peu cette discussion et de la renvoyer à la séance publique.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Je souscris également aux propos de Mme la ministre de la santé mais, bizarrement, je ne pense pas être vraiment d’accord avec MM. Bazin et Hetzel. En effet, madame la ministre, vous me semblez plutôt incertaine, comme nous le sommes, et votre discours peut laisser entendre les deux options.

Cela soulève une question sociétale, étant entendu que la société est composée d’individus et que, aujourd’hui, elle n’accepte plus une certaine fatalité. Le monde a changé !

De quoi parle-t-on ? Du handicap. Ces enfants sont bien sûr acceptés
– nous parlons beaucoup d’inclusion – mais faut-il se demander si ces naissances doivent être évitées ? Je rappelle que, dans leur majorité, les handicaps ne sont pas de naissance. Nous menons certes de nombreuses actions de prévention des risques, sur la route, etc., mais comment se comporter vis-à-vis du handicap ? Nous devons savoir quelle société nous voulons. En 2019, quelle société va-t-on construire à cet égard ?

On fait déjà une sélection pour la trisomie 21. Vous dites que l’on va trier mais l’exemple de M. Martin était très éclairant. Le parcours de la PMA est long et douloureux et s’il se termine par une interruption médicale de grossesse (IMG), il l’est tout autant.

Un dernier mot : vous avez tous évoqué un curseur mais je crois que celui‑ci, c’est la loi bioéthique.

M. Brahim Hammouche. Je ne reviendrai pas sur toutes les dimensions de ce problème. En l’occurrence, nous devons faire des allers-retours avec notre conscience, notre morale, notre éthique, notre pratique. Ce débat est à la fois riche émotionnellement et en termes de perspective.

Un pays comme le Danemark est chef de file en matière d’inclusion sociale, notamment vis-à-vis des personnes en situation de handicap, or, le DPI s’y pratique à 100 %. Il convient donc de distinguer DPI et projet d’inclusion ou d’accueil du handicap : l’un n’empêche pas l’autre.

Puisque le terme d’eugénisme a été prononcé, je tiens à dire que nul, dans cette maison, n’est eugéniste ou n’a d’intentions eugéniques, personne, dans aucun rang. Il n’y a nulle arrière-pensée, ni d’avant-garde, ni d’arrière-garde, motivée par des considérations eugénistes. Simplement, un certain nombre de procédés sont possibles et nous les avons à disposition.

Toutes les avancées scientifiques, toute notre morale, toute notre éthique font que l’on ne peut s’en remettre au sort et se voir ainsi réduit à un éventuel « mauvais sort ». Nous sommes dans un processus de désacralisation et c’est ainsi que nous avançons, avec les données de la science et de la conscience.

Nous devons cheminer munis d’un certain nombre de boussoles et de repères cardinaux, particulièrement sur ce point singulier de la loi.

M. Philippe Berta. Je souhaite repositionner le débat un peu plus techniquement et prosaïquement, ce dont je vous prie de m’excuser.

Le DPI revient bien à sélectionner des embryons : on cherche un embryon qui ne soit pas malade pour le réimplanter dans le ventre de sa mère. J’ai l’impression que l’on feint d’ignorer que, depuis décembre 2018, un DPNI, un dépistage prénatal non-invasif, a été introduit – il suppose bien entendu un consentement, nul ne forçant quiconque à quoi que ce soit dans notre pays. Chaque femme peut ainsi, en donnant trois ou quatre millilitres de sang au début de sa grossesse, procéder au dépistage d’une trisomie et, si elle, le désire, se voir proposer une IVG.

Des collègues ont vécu à Strasbourg, il n’y a pas très longtemps, une situation où l’on a dit à la mère que, super ! un embryon sélectionné ne portait pas la mutation génique de la mucoviscidose mais que, désolé ! il était trisomique. Imaginez-vous un peu ? Nous nous retrouverons dans des cursus de FIV avec DPI, puis, DPNI et IVG ! Je ne vois pas bien l’intérêt. J’ai du mal à saisir quelle femme les supportera.

Mme Aurore Bergé. Finalement, si je puis me permettre, nos débats sur la PMA étaient beaucoup plus simples ! Sans doute pointaient-ils moins les tensions entre ce qui est possible et ce qui est souhaitable.

Je remercie mon collègue Marc Delatte pour son témoignage, pour avoir parlé de ces enfants et de la façon dont ils peuvent grandir et vivre.

Voilà deux ans que nous parlons de société inclusive, laquelle est pour moi substantiellement liée à cette question dont je pense, contrairement à M. Berta, qu’elle est très différente de celle du DPNI et du diagnostic prénatal. Avant même l’implantation, nous déciderions donc de ce qui est ou non acceptable au sein d’une société ? Lorsque les parents seront confrontés à ce choix : « Voulez-vous un embryon sain ou un embryon qui l’est moins ? », j’imagine que la décision ira dans un sens plutôt que dans l’autre.

Cela n’a rien à voir avec le fait d’être enceinte, d’être déjà dans un processus de grossesse ! Les sensations ne sont pas les mêmes, ni la réalité. En l’occurrence, nous déciderions des maladies acceptables et de celles qui ne le sont pas ce qui, comme disait ma collègue Coralie Dubost, nous place face à deux questions fondamentales : jusqu’où va-t-on, quelles sont les maladies acceptables ou pas ? Par principe, la trisomie doit-elle être refusée ? Que dire, dès lors, à ces enfants et à ces adultes trisomiques qui vivent et grandissent ? Quel message leur envoie-t-on, ainsi qu’à leur famille ? J’en suis profondément inquiète. Quelles autres maladies devraient-elles être éliminées a priori au lieu de les combattre et d’imaginer leurs impacts sur des programmes de recherche ?

À mes yeux, c’est la question du curseur et de qui est habilité à le placer qui est donc fondamentale. En tant que législateur, je ne me sens pas habilité à le faire, ni à dire aujourd’hui, en commission, ou demain, dans l’hémicycle, quelles sont les maladies acceptables et celles qui ne le sont pas.

Serait-ce à la Haute autorité de santé de le dire ? Vous nous avez dit vous‑même, madame la ministre de la santé, qu’en tant que présidente vous n’auriez pas accepté de prendre cette responsabilité-là, que vous estimiez bien trop lourde.

Qui peut donc décider ? Aujourd’hui, nous n’avons pas la réponse, elle n’est pas suffisamment étayée pour que nous puissions la donner ici. J’invite donc à faire preuve de la plus grande prudence en la matière et je pense que ce serait l’honneur de notre loi bioéthique, en 2019, de poser un interdit plutôt que d’accepter et d’encourager cette nouvelle pratique.

Mme George Pau-Langevin. Nos débats sont extrêmement intéressants et émouvants mais j’ai l’impression d’une dérive. Il me semble que ce texte vise à ce que la décision revienne aux parents, or, nous sommes en train de nous demander si nous avons le droit d’autoriser plus ou moins ou pas du tout la naissance d’enfants trisomiques.

Cette question, aujourd’hui, fait déjà l’objet d’une réglementation. D’ores et déjà, une femme enceinte a le droit de choisir si elle veut ou non accueillir et élever un enfant trisomique. Nous nous posons la question, mais des règles de droit existent.

Le choix que l’on nous propose à travers le DPI s’explique par la démarche de personnes souhaitant recourir à une fécondation. Nous n’allons pas leur donner un élément d’appréciation : c’est à eux de savoir s’ils gardent leur enfant tel qu’il est !

La trisomie n’est pas en cause puisque la possibilité de procéder à une interruption volontaire de grossesse est inscrite dans la loi.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Avant de donner mon avis, je souhaite préalablement souligner trois points.

Tout d’abord, la rupture d’égalité : ouvrir ce dispositif impliquera forcément que des couples dont les enfants ne sont pas atteints de maladies génétiques demandent un DPI-A et il sera très difficile de le leur refuser.

L’expérimentation, ensuite : l’alinéa 2 de l’article 14 prévoit déjà la possibilité de réaliser une expérimentation de recherche clinique, comme le demandent les investigateurs cliniques – j’insiste : ils sont au plus près du soin -, qui sont soucieux d’une telle ouverture.

Enfin, nous avons évoqué le choix des parents mais, comme l’a dit Mme Aurore Bergé, imaginons-nous que des parents auxquels on va annoncer que leur embryon présente des anomalies chromosomiques autoriseront, ensuite, la réimplantation ? Je ne le crois pas.

La situation est très différente par rapport au DPNI : la famille, les parents, la femme enceinte acceptent ou refusent ensuite ; ce n’est pas la même chose que d’accepter ou de refuser que l’embryon soit implanté.

Pour toutes ces raisons, je demande à notre collègue Philippe Berta de bien vouloir retirer son amendement, sinon, je donnerai un avis défavorable.

M. Philippe Berta. Je le maintiens.

La commission rejette l’amendement  1632.

Elle est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements identiques  172 de M. Xavier Breton, n° 360 de M. Patrick Hetzel, n° 924 de M. Thibault Bazin ainsi que de l’amendement n° 2260 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Les amendements identiques relevant plutôt de l’Agence de la biomédecine que du Comité consultatif national d’éthique, l’amendement n° 2260 préconise que l’Agence réalise une étude telle que celle de 2007, qui a permis de faire un état des lieux précis et de travailler ainsi sur cette question.

Je rejoins par ailleurs les propos qui ont été tenus tout à l’heure : ce travail pourrait intégrer un état des lieux sur le DPI et le DPN.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis de sagesse sur l’amendement du rapporteur.

La commission rejette les amendements identiques n° 173, n° 360 et n° 924, puis, elle adopte l’amendement  2260.

 

 

 

 

 


— 1 —

Réunion du vendredi 13 septembre 2019 à 21 heures ([12])

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, en reprenant à l’article 20.

Article 20
Suppression de l’obligation de proposer un délai de réflexion prévue dans le cadre de l’interruption médicale de grossesse (IMG) et encadrement de la réduction embryonnaire

La commission est saisie de l’amendement n° 305 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Nous considérons qu’il est essentiel de maintenir la proposition d’un délai de réflexion d’une semaine avant la pratique d’une interruption médicale de grossesse (IMG).

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Nous avons déjà débattu sur ce point tout à l’heure ; par cohérence avec ce que j’ai dit à ce sujet, j’émets un avis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 305.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 119 de M. Xavier Breton, n° 306 de M. Patrick Hetzel et n° 832 de M. Thibault Bazin, ainsi que l’amendement n° 1682 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Il est essentiel de maintenir la proposition d’un délai de réflexion d’une semaine avant la pratique d’une IMG. Tel est l’objet de l’amendement n° 119.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 306 est défendu.

M. Thibault Bazin. J’appelle votre attention sur le fait que nos amendements ont pour objet que la femme « se voie proposer » un délai de réflexion et que le Conseil d’État préconise de maintenir cette proposition. Il ne s’agit pas d’instaurer un délai incompressible, mais de permettre à la femme placée dans une situation très difficile – mais hors urgence médicale – de bénéficier, si elle le souhaite, d’un délai de réflexion.

J’ai proposé un amendement similaire, n° 1682, que je vais retirer, car je préfère la rédaction de mon amendement n° 832.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Si votre propre rédaction vous convient, tout va bien… (Sourires.)

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Nous avons eu ce débat tout à l’heure. Je suis défavorable au fait de proposer un délai de réflexion car j’estime qu’au cours du temps, relativement long, nécessaire pour établir un diagnostic, la femme concernée a le temps de réfléchir et de prendre une décision.

Par ailleurs, d’un point de vue juridique, il faudrait pouvoir déterminer exactement à partir de quand ce délai d’une semaine va commencer à courir ; en général, le point de départ est l’annonce du diagnostic. Mais dans la pratique, ce diagnostic s’établit au fil des consultations, sans que l’on puisse déterminer à quel moment précis il se trouve définitivement confirmé.

Enfin, s’il est vrai que le Conseil d’État regrette la suppression du délai de réflexion, le Conseil constitutionnel a de son côté rendu une décision le 21 janvier 2016, dans laquelle il estimait qu’aucune exigence de valeur constitutionnelle n’imposait de façon générale le respect d’un délai de réflexion avant la réalisation d’un acte médical ou chirurgical.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements.

M. Thibault Bazin. Je ne comprends vraiment pas ce qui justifie que l’on supprime, par l’article 20, la proposition d’un délai de réflexion qui était faite aux femmes jusqu’à présent. Certes, il existe un délai de fait, mais le fait que les médecins soient obligés de proposer un délai présentait, à mon sens, l’intérêt d’éviter toute pression, dans un sens ou dans l’autre.

J’ai noté que le Conseil d’État soulignait, dans son avis, le problème du point de départ du délai, et ne précisait pas la durée du délai de réflexion qu’il souhaitait voir maintenu. Sans doute devrions-nous faire porter notre réflexion sur ce point afin de trouver une solution plus satisfaisante que celle résultant de la rédaction actuelle de nos amendements.

L’amendement n° 1682 est retiré.

La commission rejette les amendements identiques n° 119, n° 306 et n° 832.

La commission est saisie des amendements identiques n° 307 de M. Patrick Hetzel et n° 833 de M. Thibault Bazin.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 307, rédigé à la suite d’échanges avec un certain nombre de professionnels, vise à compléter l’alinéa 4 par la phrase suivante : « Des investigations supplémentaires peuvent être demandées s’il y a la possibilité d’y remédier. »

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 833 est défendu.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je ne comprends pas bien la logique de ces amendements visant à prévoir qu’en cas de diagnostic d’une pathologie particulièrement grave et incurable chez le fœtus, « des investigations supplémentaires peuvent être demandées s’il y a la possibilité d’y remédier »…

D’un point de vue rédactionnel, il serait utile de préciser par qui et quand ces investigations supplémentaires pourront être demandées.

Sur le fond, on se demande à quoi il s’agirait de remédier, dans la mesure où le diagnostic d’une pathologie particulièrement grave, reconnue comme incurable au moment du diagnostic, a été posé.

Je vous invite par conséquent à retirer ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Les amendements n° 307 et n° 833 sont retirés.

La commission examine l’amendement n° 1005 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je vous propose un petit amendement rédactionnel, qui a pour objet d’insérer l’adjectif « avérés » après le mot « risques » à la première phrase de l’alinéa 5.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. C’était bien joué, monsieur Bazin, mais votre petit amendement n’est pas vraiment rédactionnel !

Le problème de l’adjectif « avéré » est qu’il n’a pas de signification d’un point de vue médical : ou bien il y a un risque, ou bien il n’y en a pas. Et dès lors qu’il y en a un, il est évident que les médecins commencent les investigations.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 1005.

Elle est saisie de l’amendement n° 1789 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. En cohérence avec un amendement que j’ai déposé afin de permettre de traiter de manière distincte l’interruption partielle de grossesse multiple motivée par une pathologie fœtale et celle qui est motivée par les risques graves que la grossesse multiple fait peser sur la santé de la femme, l’amendement n° 1789 vise, à la première phrase de l’alinéa 5, à supprimer les mots : «, des embryons ou des fœtus, ».

La commission adopte l’amendement  1789.

Elle examine, en discussion commune, les amendements n° 952 de M. Thibault Bazin et n° 1810 du rapporteur.

M. Thibault Bazin. J’ai relu plusieurs fois l’article 20, ce qui m’a convaincu de la nécessité de prévoir la présence d’un médecin spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte, qui ne figure nulle part. En effet, le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDP) n’a pas de membre permanent pour l’affection de la femme et a pour fonction la pathologie du fœtus, pas celle de la femme. Or il est parfois nécessaire d’examiner conjointement la pathologie du fœtus et celle de la femme qui le porte : c’est l’objectif de la disposition prévue à l’amendement n° 952.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Votre amendement me paraît reposer sur une confusion, monsieur Bazin : il ne s’agit pas ici nécessairement d’une interruption de grossesse motivée par une pathologie maternelle. L’interruption partielle d’une grossesse multiple peut intervenir pour un motif lié à la femme, mais ce motif n’est pas obligatoirement une pathologie sous-jacente, précédant la conception.

Il n’y a donc pas lieu d’imposer que l’équipe pluridisciplinaire comprenne nécessairement un praticien « spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte », puisque la femme demandant l’interruption partielle de grossesse peut très bien ne présenter aucune affection : parfois, c’est uniquement le caractère multiple – voire hypermultiple – de la grossesse qui menace sa santé, sans qu’elle présente une pathologie sous-jacente.

Il convient de réorganiser l’article 20 pour en tenir compte, et ce sera l’objet d’un autre amendement que j’ai rédigé à cet effet. Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je comprends votre argument lié au fait que l’interruption partielle d’une grossesse multiple n’est pas forcément liée à une pathologie sous-jacente de la femme, et je vais retirer mon amendement – en espérant que votre amendement en discussion commune comporte une disposition similaire, monsieur le rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je suis désolé de vous décevoir, monsieur Bazin, mais ce n’est pas vraiment le cas. Mon amendement n° 1810 vise à rédiger ainsi la fin de la deuxième phrase de l’alinéa 5, après le mot « femme » : « et une personne qualifiée tenue au secret professionnel qui peut être un assistant social ou un psychologue. »

Il y a trois indications à une interruption partielle de grossesse multiple : premièrement, le risque que le caractère multiple de la grossesse fait peser, à la fois sur le fait que cette grossesse puisse être menée à terme sans danger et sur la santé, voire la vie, de la femme concernée ; deuxièmement, en cas de pathologie sous-jacente chez la femme, par exemple une cardiopathie, contre-indiquant une grossesse multiple – mais nous ne sommes pas dans ce cadre-là ; troisièmement, la présence chez au moins un des fœtus d’une anomalie génétique. Ces trois indications doivent bien être distinguées : ce sera l’objet de mon amendement n° 1815, que nous allons examiner dans quelques instants.

M. Thibault Bazin. Je me demande s’il ne faudrait pas réécrire tout l’article 20 en fonction des trois cas de figure que vous décrivez, monsieur le rapporteur…

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Non, ce que je propose est suffisant.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La situation est tout de même complexe, ce qui justifie que nous revoyions ensemble la rédaction de l’article 20. Par conséquent, j’invite M. le rapporteur à retirer lui aussi son amendement.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. J’accepte, madame la ministre.

Les amendements n° 952 et n° 1810 sont retirés.

M. Thibault Bazin. Une fois n’est pas coutume, j’apprécie à sa juste valeur la sagesse ministérielle !

La commission est saisie des amendements identiques n° 121 de M. Xavier Breton, n° 308 de M. Patrick Hetzel et n° 834 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. L’amendement n° 121 est défendu.

M. Patrick Hetzel. Le n° 308 également. Ce sont des amendements de repli.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 834 est défendu.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je souhaite le retrait de ces amendements et émettrai à défaut un avis défavorable, car je pense qu’ils seront satisfaits par la nouvelle rédaction qui vous sera proposée.

Les amendements n° 121, n° 308 et n° 834 sont retirés.

La commission examine l’amendement n° 1815 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’amendement n° 1815 visait à mettre en exergue, après l’alinéa 5 de l’article 20, une indication qui ne me semble pas apparaître clairement dans la rédaction actuelle de cet article. Toutefois, compte tenu de l’appel de Mme la ministre à travailler ensemble à une meilleure rédaction, je retire cet amendement.

L’amendement n° 1815 est retiré.

La commission adopte l’article 20 modifié.

Article 21
Clarification des conditions d’interruption médicale de grossesse pour les femmes mineures non émancipées

La commission est saisie des amendements identiques n° 122 de M. Xavier Breton, n° 309 de M. Patrick Hetzel et n° 835 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. L’article 21 clarifie la situation de la femme mineure concernée par une interruption de grossesse pour raison médicale et qui désire garder le secret à l’égard de ses parents. Cela conduit toutefois à une intrusion des professionnels de la santé dans les relations familiales et à lever une fois de plus un garde-fou en considérant que la consultation des parents d’une mineure non émancipée qui souhaite réaliser une IMG n’est plus indispensable. Mon amendement n° 122 vise donc à supprimer cet article.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 309 est défendu.

M. Thibault Bazin. Je ne m’explique vraiment pas la présence de l’article 21 au sein de cette loi de bioéthique, d’autant qu’une telle disposition figure déjà à l’article L. 1111-5 du code de la santé publique. Mon amendement n° 835 vise donc à supprimer l’article 21.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Si Mme la ministre y consent, je vais lui laisser le soin de répondre à la question de M. Bazin.

Pour le reste, je commencerai par rappeler que, pour les mineures comme pour les majeures, l’interruption médicalisée de grossesse n’a rien à voir avec l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’IMG pour les mineures peut correspondre à deux cas de figure : ou bien la jeune fille souffre d’une pathologie obstétricale qui met en jeu son pronostic vital, ou bien le fœtus présente une malformation génétique. C’est le même contexte dramatique que celui visé à l’article 20, pour le cas des majeures.

Notons qu’en l’état actuel du droit, dans le cas d’une IVG, la consultation préalable des parents d’une mineure non émancipée n’est déjà plus indispensable.

À défaut de dispositions spécifiques à l’IMG et de renvoi aux dispositions de l’article L. 2212-7 du code de la santé publique, applicable à l’IMG, c’est le droit commun et les principes généraux de l’article L. 1111-5 du même code qui s’appliquent.

L’article L. 1111-5 dispose que le médecin « peut se dispenser d’obtenir le consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque l’action de prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas où cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. […] Dans le cas où le mineur maintient son opposition, le médecin […] peut mettre en œuvre l’action de prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement ou l’intervention. Dans ce cas, le mineur se fait accompagner d’une personne majeure de son choix. »

Nous proposons de reproduire exactement ce dispositif pour l’IMG, en l’assortissant, par voie d’amendement, d’un certain nombre de conditions qui ne sont pas vraiment explicites à la lecture de l’article 21.

Je suis donc défavorable aux amendements de suppression de l’article 21.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La raison d’être de l’article 21 est de séparer clairement dans le code de la santé publique ce qui relève de l’IMG de ce qui relève de l’IVG. Aujourd’hui, l’IMG n’est définie qu’au moyen de renvois à la définition de l’IVG, ce qui est source de confusion et peut avoir pour conséquence de compliquer le travail des équipes. Par ailleurs, nous souhaitons que les solutions mises en œuvre en matière d’IVG pour les mineures le soient également en matière d’IMG, ce qui doit notamment permettre l’IMG chez les mineures sans autorisation parentale.

M. Thibault Bazin. Si je comprends bien, votre méthode pour clarifier les régimes respectifs de l’IVG et de l’IMG consiste à reproduire pour la seconde les dispositions relatives à la première qui figuraient déjà dans le code de la santé publique, ce qui peut se concevoir.

Sur le fond, je me pose cependant deux questions au sujet de l’IMG pour les mineures.

Premièrement, la réalisation d’une IMG est une opération lourde, souvent réalisée à un terme avancé, qui nécessite une période de rétablissement relativement longue, ainsi que des mesures de soutien et d’accompagnement. La personne de confiance suffit-elle à assurer cet accompagnement, ou un appui familial, pouvant éventuellement reposer sur l’autorité parentale, est-il requis dans une situation aussi compliquée ? De toute façon, les parents finiront toujours par apprendre ce qui s’est passé, ne serait-ce qu’en consultant les relevés de prestations qui leur seront adressés par leur caisse d’assurance maladie – à moins qu’une intervention de ce type ne donne lieu à une prise en charge réalisée selon des modalités spécifiques, ce que j’avoue ignorer.

Deuxièmement, vous avez dit tout à l’heure, monsieur le rapporteur, que l’IMG pouvait se justifier par une malformation génétique du fœtus. Le fait de ne pas informer les parents de la réalisation de l’IMG sur leur fille mineure ne va-t-il pas avoir pour conséquence de priver la famille de cette jeune fille, à commencer par ses frères et sœurs, d’une information déterminante quant au risque auquel ils pourraient être confrontés d’être atteints par la même pathologie ? Il me semble que nous serions bien avisés de faire preuve sur cette question du même discernement que celui qui avait précédemment guidé nos choix sur d’autres sujets relatifs aux données génétiques. J’ai bien conscience du fait que les situations qui sont ici évoquées sont lourdes et complexes, et que le contexte peut n’être pas évident, mais il me semble que nous pouvons difficilement faire l’économie de ces questionnements.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Les questions que vous soulevez sont effectivement très complexes, monsieur Bazin. Je rappelle cependant que la situation que vous évoquez n’a pas vocation à se produire de manière généralisée, mais seulement dans les cas où les représentants de l’autorité parentale ne sont pas informés de la situation ou refusent de donner leur accord : autrement dit, il n’y a guère d’alternatives. En tout état de cause, quand la décision est prise par la collectivité, par le biais du médecin et de l’équipe pluridisciplinaire, d’effectuer une IMG sur une mineure, la prise en charge de cet acte doit être totale et s’effectuer avant, pendant et après sa réalisation.

L’alternative consisterait à exiger l’autorisation parentale, donc à refuser de pratiquer l’IMG quand cette autorisation fait défaut. Ce qui pourrait poser un réel problème, tant sur le plan médical qu’en termes de prise en charge.

La découverte d’une anomalie génétique chez le fœtus nécessite que, par l’intermédiaire du conseil génétique, on s’efforce de contacter la parentèle. Évidemment, ce n’est pas toujours possible, mais ce n’est pas pour autant que la femme et l’enfant ne doivent pas être pris en charge.

M. Thibault Bazin. Il me semble que le thème de l’IMG pour les mineures peut se décomposer en trois sujets distincts : premièrement, la décision prise par la mineure, éventuellement sans l’accord de ses parents ; deuxièmement, dans le cas où la mineure a décidé seule, l’éventuelle information de la famille ; troisièmement, lorsque le fœtus est porteur d’une malformation génétique, la transmission éventuelle de cette information aux autres membres de la famille. Ces deux dernières questions, qui sont nouvelles dans notre réflexion bioéthique, ne se situent pas sur le même plan que la première, déjà traitée par le code de la santé publique.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je pense que, dans les deux derniers volets que vous évoquez, les équipes médicales s’efforceront toujours de contacter la famille, et que l’arrivée d’un enfant aura pour conséquence de changer beaucoup de choses au sein de cette famille – mais, encore une fois, de telles considérations vont au-delà de notre capacité de législateur.

M. Patrick Hetzel. Je suis d’accord avec ce que vous venez de dire, monsieur le rapporteur, mais il me semble tout de même que l’aspect « protection des mineurs » est à prendre en considération dans le type de situations que nous évoquons. S’il est tout à fait légitime d’envisager ces situations sous l’angle du code de la santé publique, et de chercher à clarifier et d’harmoniser ce qui se fait dans les domaines respectifs de l’IVG et de l’IMG, il n’en demeure pas moins que, dans le cas spécifique de l’IMG, la question de la protection des mineurs se trouve posée. Cet aspect-là a-t-il bien été pris en compte par le Gouvernement ?

M. Thibault Bazin. Pour ma part, je ne pense pas que le fait de réécrire pour l’IMG ce qui existe déjà au sujet de l’IVG dans le code de la santé publique soit la meilleure façon de clarifier les choses !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. L’IVG peut avoir lieu sous le secret pour les mineures, et il y a moyen de faire en sorte que cela n’apparaisse pas dans le dossier médical. Tout cela est très bien protégé. Les parents peuvent ne pas être informés si la mineure concernée veut garder le secret. Lorsqu’il faut pratiquer une IMG, en revanche, il faut demander leur consentement.

Nous sommes en présence de situations humaines de détresse. Si la mineure souhaite garder le secret, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire
– par exemple, elle vient d’une famille marquée par de nombreuses difficultés. Il existe des problèmes psychologiques ou sociaux souvent complexes lorsqu’une mineure souhaite garder secrète sa grossesse et qu’une IMG est pratiquée. On voit bien quel est le public…

Nous voulons que le secret puisse être gardé, ce qui n’est pas possible actuellement. On peut réaliser une IVG sans que les parents soient prévenus, mais pas une IMG, alors qu’il y a une anomalie fœtale ! Cela paraît assez contradictoire : dans le premier cas – celui de l’IVG, qui relève du libre arbitre –, on peut ne pas prévenir les parents ; dans le second cas, où on est obligé de faire une IMG, il faut les prévenir.

Vous avez demandé pourquoi il faut séparer les deux dispositifs au lieu de se contenter de les harmoniser. Dans le cas de l’IVG, des mesures relatives à la contraception sont prévues par la loi : il faut délivrer une information pour éviter une réitération. On n’est pas du tout dans la même démarche lors d’une IMG : l’objectif n’est pas d’informer sur la contraception. Nous souhaitons donc bien distinguer les deux pratiques, tout en rendant l’IMG possible sans autorisation des parents.

La commission rejette les amendements  122, n° 309 et n° 835.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1605 de M. Pierre-Alain Raphan.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je vous propose, monsieur Raphan, de retirer votre amendement, car il pourrait être satisfait par mon amendement n° 1821 que je défendrai tout à l’heure.

L’amendement n° 1605 est retiré.

Puis la commission examine l’amendement n° 1817 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Mon amendement vise à clarifier le fait qu’une interruption de grossesse demandée par une mineure non émancipée pour des raisons médicales est réalisée exactement dans les mêmes conditions que pour n’importe quelle femme, qu’elle soit mineure émancipée ou majeure, à savoir dans les conditions prévues par l’article L. 2213-1 du code de la santé publique, que l’article 20 du projet de loi réécrit intégralement. Aucune condition médicale n’était rappelée dans l’article 21.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous suggère de retirer votre amendement afin de le retravailler.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je l’accepte d’autant plus volontiers que nous allons de toute façon réécrire l’article L. 2213-1, mais j’insiste sur l’utilité du renvoi que je propose.

L’amendement n° 1817 est retiré.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements n° 123 de M. Xavier Breton, n° 310 de M. Patrick Hetzel et n° 836 de M. Thibault Bazin.

La commission est ensuite saisie de l’amendement  1821 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Nous arrivons, monsieur Raphan, à l’amendement dont je vous parlais il y a quelques instants. Il vise à supprimer l’alinéa 4, qui demande au médecin de « s’efforcer », dans l’intérêt de la patiente, « d’obtenir son consentement pour que l’une des personnes investies de l’exercice de l’autorité parentale ou, le cas échéant, le représentant légal soient consultés ». C’est un peu disruptif, mais je pense qu’il est important de bien prendre en compte le caractère pathologique de la situation. La rédaction qui est prévue actuellement me paraît un peu paternaliste. Mon amendement a aussi pour objet de modifier la rédaction du début de l’alinéa 5.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je préférerais un retrait de cet amendement. Nous cherchons à suivre une ligne de crête : nous voulons qu’il soit possible d’avoir une IMG sans le consentement des parents, tout en souhaitant que le médecin suscite chez la mineure concernée la recherche du consentement des parents. On ne peut pas la forcer, mais je serais quand même un peu gênée si le médecin ne se posait même pas la question de savoir s’il y a des parents qui pourraient accompagner la mineure…

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je vais retirer mon amendement, mais je proposerai en séance de remplacer « s’efforcer d’obtenir » par « susciter », car j’aime bien le terme utilisé par la ministre…

L’amendement n° 1821 est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement n° 953 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je vous propose, monsieur Bazin, de retirer votre amendement. Il aurait pu être satisfait par celui que je viens moi‑même de retirer… (Sourires.)

M. Thibault Bazin. J’avais remarqué !

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. C’est un peu un jeu de poupées russes… Nous allons, de toute façon, modifier la rédaction de l’article 21 en fonction de celle que nous aurons retenue pour l’article 20.

M. Thibault Bazin. Je pense qu’il y a une forme d’incompréhension sur les intentions de cet article, madame la ministre, et il est important de les clarifier. Il faut « susciter » autant que possible un accompagnement de la part de la famille après l’IMG, durant la période de rétablissement.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Bien sûr.

L’amendement n° 953 est retiré.

Puis la commission est saisie de l’amendement n° 1824 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’article 21 comporte des dispositions que je souhaite renuméroter afin d’éviter une confusion : on peut penser, en l’état, que ces mesures ne s’appliquent qu’aux femmes mineures.

Tout d’abord, la clause de conscience relative aux IMG pour les mineures concerne également les majeures. Je propose d’en faire un article L. 2213-4 du code de la santé publique. Ce sera l’objet de mon amendement n° 1826.

Ensuite, les IMG doivent être pratiquées uniquement par un médecin, contrairement aux IVG, que les femmes soient mineures ou majeures. Mon amendement n° 1824 permettra de l’établir clairement sans rien changer aux dispositions proposées.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. J’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement n° 1824.

Elle passe ensuite à l’amendement n° 1826 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je viens de présenter cet amendement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Même avis favorable.

La commission adopte l’amendement n° 1826.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1720 de Mme Marie-Noëlle Battistel.

Mme George Pau-Langevin. Nous sommes un peu dérangés par la formulation retenue dans le projet de loi : en supprimant les renvois par le biais desquels les règles applicables à l’IVG s’appliquent aussi à l’IMG, on donne l’impression de créer un nouveau type de clause de conscience pour le médecin. Pourquoi ne pas simplement prévoir que la clause de conscience spécifique à l’IVG s’applique aussi à l’IMG ? Nous allons, sinon, avoir trois types de clause de conscience : la clause générale, une clause spécifique à l’IVG et une clause pour l’IMG. Cela compliquera considérablement la compréhension du texte. Et il faudra par la suite assurer une coordination et veiller à une évolution parallèle entre les trois régimes. Cette complexité nous paraît inutile.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. C’est effectivement un sujet important. La clause de conscience susceptible d’être invoquée par les professionnels de santé en matière d’IMG est aujourd’hui prévue par un renvoi, opéré par l’article L. 2213-2 du code de la santé publique, à l’article L. 2212-8 relatif à l’IVG, lequel dispose : « un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention ». Il est essentiel de bien séparer l’IMG et l’IVG, fût-ce au prix de redites. Je le dis sans sous-entendus ou idées derrière la tête : on ne doit absolument pas confondre les deux dispositifs, ni leur contexte pour les mineures. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Tout cela existe déjà. Ce que vous appelez la troisième clause de conscience figurait déjà dans l’article du code qui est relatif aux IMG, mais sous la forme d’un renvoi à la clause de conscience prévue pour l’IVG. Le texte clarifie la loi sans rien changer au droit existant.

Mme George Pau-Langevin. Je précise qu’une évaluation de l’IVG est en cours au sein de la délégation aux droits des femmes. Il ne nous semble pas nécessairement opportun de modifier le droit existant avant que cette évaluation arrive à son terme.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Comme la ministre et moi-même l’avons dit, il ne s’agit pas de modifier le droit en vigueur. Il existe un renvoi, qui sépare d’une manière très claire deux situations qui n’ont rien à voir sur le plan clinique.

La ministre a également rappelé tout à l’heure que l’on délivre une information sur les modes de contraception dans le cas de l’IVG. Je suis opposé à ce que l’on dise à une mineure qui a voulu son enfant, mais qui a été confrontée à une pathologie de la grossesse ou de l’enfant, de se renseigner sur les modes de contraception… Le contexte est absolument différent, et je crois qu’il faut bien séparer les choses.

La délégation aux droits des femmes travaille sur la question de l’IVG. Or l’IMG n’a rien à voir, même s’il s’agit du même acte – étant entendu que c’est souvent un peu plus compliqué dans le cas de l’IMG, puisqu’elle intervient souvent plus tard au cours de la grossesse.

La commission rejette l’amendement  1720.

Puis elle adopte l’article 21 modifié.

Après l’article 21

La commission examine, dans le cadre d’une présentation groupée, l’amendement n° 2053 de Mme Laëtitia Romeiro Dias, les amendements identiques n° 1743 de M. Bastien Lachaud et n° 2073 de Mme Laëtitia Romeiro Dias, ainsi que les amendements n° 1863 de M. Jean-Louis Touraine, n° 1966 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon et n° 1808 de M. Raphaël Gérard.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Je présenterai en même temps les amendements n° 2053 et n° 2073. Ils concernent un problème important que nous devons traiter : la situation des enfants dits « intersexes », c’est-à-dire qui présentent à la naissance des variations du développement sexuel. Celles-ci sont très diverses mais, dans beaucoup de cas, l’enfant ne court aucun danger de mort, ni même un danger particulier pour sa santé. Néanmoins, d’après les retours nombreux que nous avons eus, on pratique très souvent un traitement, une opération de conformation sexuée dans le but que le sexe de l’enfant ait une forme socialement admise. Ce sont des opérations chirurgicales et des traitements hormonaux lourds qui provoquent des souffrances physiques importantes, vécues comme des mutilations. Il y a aussi des personnes se retrouvant dans un corps qui ne correspond pas, finalement, au choix fait avant l’âge de trois ans par les parents et l’équipe soignante. Je sais qu’il existe également des cas où une nécessité médicale est avérée, et où il n’est pas question, bien entendu, d’interdire une intervention qui s’impose.

Le Conseil d’État nous alerte et nous exhorte à intervenir, de même le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le Défenseur des droits et une mission d’information de notre Assemblée. Bon nombre de pays ont été obligés ou sont sur le point d’intervenir législativement : la Californie, Malte, Islande ou le Portugal, qui a même adopté une loi spécifique en la matière. Nous ne pouvons pas évacuer le sujet ; nous nous devons de trouver une solution.

Je propose, pour ma part, que les opérations de conformation sexuée n’ayant pas de caractère d’urgence vitale ne soient pas pratiquées, sauf recueil du consentement du patient, une fois qu’il est en âge de décider. Le code civil prévoit déjà que l’on ne peut porter atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne et que son consentement doit être recueilli préalablement, hors les cas où son état rend nécessaire une intervention. On pourrait se dire, en théorie, que la loi est suffisante. Malheureusement, dans la pratique, une interprétation extensive s’est développée en France, comme dans d’autres pays, et l’acceptation sociale est souvent intégrée dans la définition de la nécessité médicale, ce que je conteste, comme beaucoup de personnes qui ont été opérées pour ce motif.

Il convient de préciser la situation, en étant plus explicite, et de nous assurer que l’on attend, dans la mesure du possible sur le plan médical, que l’enfant puisse consentir à de tels traitements irréversibles.

Mon amendement n° 2053 insiste sur la nécessité d’orienter d’une manière systématique les bébés concernés vers des centres spécialisés où des professionnels de santé sont plus à même d’évaluer et de prendre en charge les enfants et leur famille – cela fait parfois défaut sur le terrain. Je vous demande, mes chers collègues, d’intervenir en ce sens. La bioéthique consiste naturellement à créer des droits nouveaux, à interdire ou à encadrer de nouvelles pratiques, mais aussi à corriger ce qui, dans la pratique, heurte nos principes éthiques.

M. Bastien Lachaud. Il s’agit d’un sujet important : selon les statistiques internationales, il touche 1,7 % des enfants qui naissent. Ce n’est donc pas du tout anecdotique, et ce que notre collègue vient de dire est absolument exact. Ces opérations sont considérées par les institutions internationales et par les personnes qui les ont subies comme de véritables mutilations, qui suivent leurs victimes toute leur vie : il s’agit de traitements lourds qui nécessitent ensuite une prise d’hormones à vie et qui créent, finalement, des troubles ou des problèmes psychologiques : des femmes se retrouvent mises dans des corps d’hommes et des hommes dans des corps de femmes, dans lesquels on ne se reconnaît pas.

Les critères de nécessité médicale et de consentement sont effectivement prévus par les textes actuels, mais ils sont appliqués d’une manière trop restrictive par de nombreux praticiens. Il est important de préciser ce qu’est la nécessité médicale en ajoutant qu’elle doit être vitale. L’amendement n° 1743 a pour objet de modifier le code civil en ce sens.

Une telle question a toute sa place dans notre débat sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Le Comité consultatif national d’éthique s’est emparé de ce sujet, comme nous l’a expliqué son président lorsque nous l’avons auditionné ; un groupe de travail spécifique a été créé au vu de la complexité de la situation – un rapport doit ainsi nous être transmis en octobre. Il serait dommageable de ne pas prendre position dans ce projet de loi : de tels actes se déroulent quotidiennement, et ce n’est plus du tout admissible.

M. Jean-Louis Touraine. J’ai déposé un amendement comparable, n° 1863, à propos des enfants présentant des variations du développement sexuel, autrement appelés « intersexes ». Il existe une grande variété de pathologies : dans certains cas, une orientation sexuelle paraît vraisemblable, mais il peut aussi y avoir un état parfaitement intersexe dans d’autres cas. L’expérience a montré que lorsque des interventions chirurgicales – irréversibles – sont réalisées, plus du tiers des enfants regrettent l’orientation qui leur a été assignée. À l’issue d’une mobilisation sur ce sujet, la France a été pointée du doigt par de nombreuses organisations et institutions, aussi bien nationales qu’internationales. Dans ce contexte, le Conseil d’État et notre mission d’information ont formulé des recommandations.

En dehors des cas qui peuvent être réglés assez simplement en adressant les enfants dans des centres spécialisés spécifiquement habilités à traiter ces questions, dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires comportant notamment des médecins, des chirurgiens et des psychologues, je propose de ne faire aucune intervention irréversible tant que l’enfant ne peut pas exprimer un point de vue – il ne s’agit ni de l’âge de la majorité ni même de celui de la puberté : selon la plupart des spécialistes, cela se situe entre 7 et 9 ans, selon le niveau de maturité des enfants. Nos différents amendements visent à éviter de nombreux drames liés au fait que ces enfants ont été entraînés dans une orientation irréversible, qu’ils regrettent par la suite.

M. Raphaël Gérard. Je vais présenter en même temps les amendements n° 1966 et n° 1808. Je suis très heureux que nous puissions débattre de ce sujet qui me tient particulièrement à cœur. Vous avez d’ailleurs un peu anticipé cette discussion, madame la ministre, dans votre intervention de lundi soir.

J’ai rencontré au cours des six derniers mois la plupart des équipes médicales concernées, ainsi que des associations, des juristes, des psychologues, des sociologues et des universitaires afin d’essayer de comprendre cette question dans toute sa complexité. Après ces multiples auditions, je ne suis pas encore totalement certain de tout cerner.

Il existe effectivement un cadre légal, mais nous nous posons des questions – du moins, c’est mon cas – sur l’interprétation qui en est faite. Je m’interroge également sur la nature vraiment pluridisciplinaire des équipes et sur la manière dont les centres de référence organisent leurs réunions mensuelles. Elles ont bien lieu, je l’ai vérifié, mais il semblerait qu’un certain nombre d’interventions soient réalisées sans attendre la réunion inter-établissements, autrement dit sans avoir été débattues.

Il est difficile de répondre à des questions aussi complexes. C’est à la fois un sujet de société et d’éthique : doit-on absolument choisir de mettre des enfants dans un sexe ou dans un autre dès le plus jeune âge, au prix d’interventions parfois extrêmement lourdes ? J’ai personnellement des difficultés à imaginer la situation d’une petite fille qui va subir trois ou quatre interventions de réduction du clitoris et de vaginoplastie alors qu’elle n’a pas eu la possibilité de se déterminer en termes de genre… Certains de ces enfants en viennent à présenter de véritables problèmes de dysphorie de genre lorsqu’ils avancent en âge.

Je crois qu’il est vraiment temps de nommer toutes ces questions et de réaliser un état des lieux précis. J’ai bien vu toute la difficulté du sujet. M. Bastien Lachaud a parlé d’un taux de 1,7 % d’enfants alors que j’ai entendu parler de 1 ‰, 2 ‰, 4 ‰… Cela montre à quel point on a du mal à définir le sujet et à le saisir dans toute sa complexité. C’est une vraie question de société et nous ne pouvons plus faire l’économie d’un débat.

J’ai défendu au cours de nos travaux un certain nombre de positions sur les personnes trans, et j’aurai l’occasion d’y revenir, ainsi que sur les enfants intersexes. À force de maintenir ces personnes à la marge de la loi, en les considérant comme des cas trop particuliers pour entrer dans un cadre légal général, on finit par les oublier. Si les enfants et les personnes intersexes se retrouvent dans une situation où ils sont complètement niés par le milieu médical et par la société, c’est parce que le législateur ne va pas au bout de son travail quand il le fait. J’aimerais que l’on puisse avancer ce soir ou du moins en séance.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Ces amendements sont relatifs aux actes dits de conformation ou d’assignation sexuée. C’est une question absolument fondamentale. Même si l’on ne connaît pas les chiffres, on sait qu’il s’agit d’enfants : le législateur a évidemment à cœur de défendre les plus faibles, et en particulier l’intérêt supérieur de l’enfant. La difficulté sur le plan pathologique, ou plutôt nosologique, tient au fait que ces enfants n’ont pas la possibilité de s’exprimer au moment où l’intervention, ou la série d’interventions, est pratiquée.

Plusieurs éléments doivent être pris en considération. Il y a des cas « faciles » – j’utilise des guillemets –, les cas d’urgence vitale, où le pronostic vital est engagé pour l’enfant. Dans ces cas-là, il n’y a pas de discussion : il faut y aller, sinon on perd l’enfant. Hors urgence vitale, des souffrances très importantes peuvent également être liées à ces situations – des cas de rétention, des gonades qui ne descendent pas ou des risques de cancérisation lorsque des enfants ont à la fois un testicule et un ovaire. Il peut donc être important de prendre une décision médicale. Mais il existe aussi de nombreux cas où il n’y a pas d’urgence et où il faudrait réfléchir.

J’attire votre attention sur la nécessité de passer – en le faisant rapidement – par plusieurs étapes. La première consiste à travailler sur le cadre nosologique, qui est extrêmement compliqué, et à comprendre comment les patients sont pris en charge en fonction des différentes situations. Comme vous l’avez souligné, monsieur Gérard, il faut prendre le temps de comprendre, sans forcément s’en remettre aux sachants : la représentation nationale doit se saisir de ces cas. Vous avez dit vous-même que vous n’avez pas encore bien défini le périmètre après six mois d’auditions, et c’est bien normal.

Il est donc très important de prendre le temps de la réflexion – tout en se hâtant car, chaque jour, des enfants sont opérés. Il me semble, en effet, que nous ne sommes pas, actuellement, en mesure de légiférer de façon sereine. Il nous faut discuter, prendre contact avec les professionnels et créer une mission d’information de manière à proposer, dans les six mois à venir, des préconisations que nous soumettrons éventuellement au Gouvernement en vue de l’élaboration d’un projet ou d’une proposition de loi. Cette étape de réflexion est très importante.

Par ailleurs, je ne peux pas vous laisser dire, monsieur Gérard, que ces enfants sont négligés par la loi et par le corps médical. Les centres de référence et de compétences spécialisés en uropédiatrie ont fait l’objet d’un gros travail de structuration. Cependant, tous n’ont pas les mêmes pratiques : certains sont plus permissifs que d’autres, hors urgence médicale bien entendu. Il convient donc que la future mission d’information se penche sur cette question.

Enfin, il serait, selon moi, prématuré que la loi exclue dès aujourd’hui telle ou telle pratique médicale, car ce que nous écririons dans le texte, quand bien même prendrions-nous beaucoup de précautions, pourrait empêcher les praticiens de faire leur travail correctement.

Pour ces différentes raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements, sachant, je le répète, qu’une mission d’information transpartisane sera créée afin d’étudier ces cas et d’émettre, sur le fondement d’une étude sérieuse, des préconisations en vue de modifier la loi.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous ai écouté attentivement. Lundi dernier, j’ai indiqué que j’étais défavorable à toute interdiction de pratiques médicales ; le rapporteur a raison sur ce point. Le panel des anomalies est très vaste et les prises en charge se font au cas par cas : nous connaissons trop de peu de chose sur ce qu’il convient de faire en faveur de ces enfants pour énoncer une interdiction de ce type au plan législatif. En outre, il est très difficile de déterminer les actes qui ont une finalité médicale et ceux qui en sont dépourvus – au demeurant, la loi interdit d’ores et déjà tout acte médical ou chirurgical qui ne répond pas à une nécessité médicale.

Je vous ai également indiqué que je prenais toutes les mesures nécessaires pour que ces enfants aient accès à des centres et à des réseaux de référence. Nous avons ainsi prévu d’homogénéiser et de renforcer le dispositif actuel, organisé autour d’un centre de maladies rares du développement génital et qui comprend quatre sites principaux ainsi qu’un réseau de centres de compétences répartis sur l’ensemble du territoire. Je souhaite que tous les enfants bénéficient, dans ce cadre, d’une prise en charge par des équipes spécialisées.

J’avais prévu de consulter le Comité consultatif national d’éthique avant d’élaborer ce projet d’arrêté. Mais, après vous avoir entendus, je crois important de faire état de ce sujet dans la loi. De fait, nous sommes face à de véritables souffrances et l’encadrement actuel n’est pas suffisant. Vous avez tous accompli un travail d’audition considérable, qui m’a d’ailleurs interpellée. C’est pourquoi je souhaite que cette question ne soit pas absente du texte. À cet égard, l’amendement n° 1904 de M. Gouffier-Cha me semble le plus proche de ce qu’il conviendrait de faire, puisqu’il tend à préciser que « sauf urgence vitale, aucun traitement ou acte médical visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne ne peut être pratiqué sans qu’ait été préalablement consultée l’équipe pluridisciplinaire d’un établissement de santé figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 1151-1. »

Je souhaite donc que nous retravaillions, d’ici à la séance publique, sur cette base : un enfant qui souffre de ce type d’anomalie doit bénéficier d’une prise en charge pluri-professionnelle dans un centre de référence. Nous marquerons ainsi le fait qu’il s’agit d’un sujet de préoccupation nationale, que vous avez bien identifié comme tel et qui nécessite une prise en charge de meilleure qualité. Mais, en tout état de cause, n’inscrivons pas dans la loi ce qui est permis ou non pour un médecin ; nous prendrions des risques considérables.

Je propose donc notamment à M. Gérard, à M. Lachaud, à Mme Romeiro Dias, à M. Touraine ainsi qu’à M. Gouffier-Cha de travailler ensemble d’ici à la séance publique pour que nous nous mettions d’accord sur un amendement qui soit fidèle à l’esprit des propositions des différents groupes ayant réfléchi à cette question.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Je salue l’avancée proposée par Mme la ministre et je retire mes amendements.

Les amendements n° 2053 et  2073 sont retirés.

M. Raphaël Gérard. Merci beaucoup, madame la ministre, d’avoir entendu cet appel au secours lancé, et par les personnes concernées et par ceux d’entre nous qui ont travaillé sur le sujet. Je retire mon amendement ainsi que celui de Mme Vanceunebrock-Mialon, dont j’étais cosignataire.

Les amendements n° 1966 et  1808 sont retirés.

M. Bastien Lachaud. Je vous remercie, madame la ministre, de prendre en compte notre préoccupation. Nous serons ravis de travailler avec vous à la rédaction d’un amendement en vue de la séance publique. Néanmoins, je maintiens le mien, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je ne vois pas pourquoi l’avis de la mission d’information dont notre collègue Touraine était le rapporteur serait plus défaillant sur ce point-là que sur d’autres. Ensuite, l’amendement de notre groupe vise, non pas à interdire telle ou telle pratique, mais à définir un cadre légal général pour les interventions qui, en dehors des cas d’urgence vitale, pourraient être pratiquées sans le consentement des intéressés. Je ne vois donc pas en quoi il pose problème, puisqu’il vise à garantir le droit, déjà reconnu, au respect de l’intégrité physique.

J’ai, moi aussi, réalisé de nombreuses auditions. Or beaucoup d’experts nous ont expliqué que ces opérations étaient plus efficaces lorsqu’elles étaient pratiquées après la puberté, en tout cas à un âge plus avancé que celui auquel elles sont actuellement effectuées. Il me paraît donc important de légiférer sur ce point. C’est pourquoi, je le répète, je maintiens mon amendement, tout en acceptant de travailler de manière transpartisane à la rédaction d’une proposition plus collective en vue de la séance publique.

Par ailleurs, j’aimerais, madame la ministre, puisque vous avez accès aux statistiques de vos services, que vous nous indiquiez le nombre annuel des interventions liées à ces variations.

M. Philippe Berta. Il se trouve que, dans le cadre de mes activités passées, je me suis penché sur les problèmes de détermination et de différenciation du sexe. Aussi, je souhaiterais appeler votre attention sur la complexité de cette question, complexité qu’a soulignée par Mme la ministre.

Chaque cas est un cas individuel. Certaines anomalies sont liées à la détermination du sexe, lorsqu’il y a discordance entre la structure génétique de l’enfant et les gonades qui se mettent en place. Celles-ci peuvent être très complexes : elles peuvent être mixtes, c’est-à-dire moitié ovarienne, moitié testiculaire – c’est ce que l’on appelle un ovotestis –, différentes de chaque côté… On peut rencontrer des garçons XX hermaphrodites et des petites filles XY, sur lesquelles il faut intervenir immédiatement pour lui ôter ses reliquats gonadiques, faute de quoi elle déclenchera assez rapidement un gonadoblastome. Il y a également les situations mosaïques, dont la complexité est différente. Il existe ensuite un autre type d’anomalies, liées, celles-là, à la différenciation du sexe. Il s’agit de cas, non plus d’hermaphrodisme, mais de pseudo-hermaphrodisme, qui se caractérisent par une résistance aux androgènes et qui touchent, par exemple, des garçons dont les testicules sont bloqués dans des cornes utérines. Or, là encore, si l’on n’agit pas rapidement, les testicules et le tissu utérin vont dégénérer. Bref, il faut savoir de quoi on parle.

Ces phénomènes, que vous appelez « intersexes », sont désignés, dans le monde professionnel, sous le vocable « ambiguïtés sexuelles ». Dans ce domaine, la France a accompli, au cours des années 1990, un travail très important, dont elle doit être fière, pour organiser, stratifier, comprendre. Il s’agit, en réalisant notamment des essais moléculaires et endocrinologiques, d’être le plus proche possible de l’action appropriée. Ce n’est vraiment pas simple. Il faut donc absolument se donner le temps de la réflexion, faute de quoi je crains que l’on n’amalgame tout et n’importe quoi.

M. Guillaume Chiche. Je veux tout d’abord réagir aux propos de notre collègue Berta. L’enjeu majeur, me semble-t-il, est, non pas de savoir si les équipes médicales agissent avec discernement ou non, mais, comme l’ont très bien expliqué mes collègues, de recueillir le consentement de la personne concernée, mineure ou non, qui se voit parfois assigner un sexe et matricer sa vie sans que celui-ci corresponde à son développement. Il faut en effet, en dehors des cas d’urgence vitale, se poser la question du recueil du consentement, et vous nous offrez, madame la ministre, une très belle opportunité de l’inscrire dans la loi. À cet égard, je crois, cher collègue Bastien Lachaud, que nous aurions tout à gagner à travailler de concert en vue de la séance publique plutôt que de devoir nous prononcer, ce soir, sur un amendement qui risque d’être rejeté, ce qui laisserait penser, à tort, qu’il existe un désaccord partisan sur le sujet.

Merci, madame la ministre, mes chers collègues, pour votre engagement sincère. Il s’agit d’un sujet fondamental sur lequel nous pouvons avancer collectivement et de manière transpartisane d’ici à la séance publique.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Touraine, retirez‑vous votre amendement n° 1863 ?

M. Jean-Louis Touraine. Je vais le retirer, madame la présidente, pourvu que nous puissions prendre assez rapidement connaissance du texte alternatif afin de savoir s’il répond bien à la diversité des situations qu’a rappelée M. Berta ou s’il nous faut présenter en séance publique un amendement qui permette d’apporter une solution à l’ensemble des enfants intersexes.

L’amendement n° 1863 est retiré.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je souhaite apporter une clarification. Il est très important, me semble-t-il, de s’assurer que chaque enfant ne subit aucune perte de chance et peut être traité de la façon la plus appropriée et la plus humaine possible, car les situations sont complexes et parfois difficiles à vivre pour les familles.

Vous souhaitez que l’on recueille le consentement des enfants. Je comprends que certains d’entre eux aient le sentiment, arrivés à l’âge adulte, d’avoir été mutilés. Cependant, chaque cas est différent et certaines situations, sans être des urgences vitales, peuvent présenter un risque, de sorte qu’il est impossible, dans de nombreux cas, d’attendre l’adolescence. Je ne veux donc pas vous laisser croire que l’amendement qui sera déposé en séance publique comportera le mot « consentement » : car, si tel était le cas, nous nous exposerions au risque de compromettre gravement les prises en charge. Veillons à éviter de priver l’enfant d’une chance, dans un sens ou dans l’autre. Je m’efforcerai de trouver l’équilibre qui convient.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Par l’amendement n° 1743, M. Lachaud propose que soient « dépourvus de nécessité médicale et interdits les actes de conformation sexuée visant à modifier les caractéristiques sexuelles primaires et secondaires d’une personne, sauf en cas d’urgence vitale ou de consentement personnellement exprimé par cette dernière, même mineure. » Je ne peux qu’être défavorable à une telle mesure, car elle serait tout simplement inapplicable.

Quant à l’amendement n° 1904 de M. Gouffier-Cha, qui n’est certes pas défendu, il prévoit que, « sauf urgence vitale » – mais comment la définit-on ? Cette urgence doit-elle être appréciée à court terme, à moyen terme ? – «, aucun traitement ou acte médical visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne ne peut être pratiqué sans qu’ait été préalablement consultée l’équipe pluridisciplinaire d’un établissement de santé figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 1151-1. » En l’espèce, la consultation, me semble-t-il, ne suffit pas : doivent s’y ajouter la prise en charge, l’accompagnement, l’intervention, le suivi… Au cours d’une consultation, on ne peut pas forcément analyser la complexité nosologique du cas.

Il est très difficile de légiférer sans risquer d’obérer les chances de l’enfant. Peut-être pourrons-nous aboutir à une rédaction équilibrée, mais je suis perplexe. En tout cas, nous ferons le nécessaire pour y parvenir.

La commission rejette l’amendement n° 1743.

Article 22
Autorisation de la greffe de tissu germinal pour le rétablissement d’une fonction hormonale et clarification du devenir des gamètes et tissus germinaux conservés

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels  1867, n° 1868 et  1869 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1786 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Par cet amendement, nous proposons que les personnes qui entament un traitement contre le cancer ou une autre pathologie susceptible d’entraîner une perte de fertilité soient informées de la possibilité d’auto-conserver leurs gamètes. En effet, Mme Robert a rencontré, dans le cadre de son rapport, des personnes âgées de moins de 35 ans atteintes d’un cancer qui sont devenus infertiles suite à une intervention chirurgicale et qui n’avaient pas été informées de cette possibilité. De même, il est fréquent que les personnes transsexuelles n’en soient pas non plus informées au moment d’entamer leur transition ou de suivre un traitement hormonal. Les patients doivent donc être informés dès le démarrage du traitement, voire en amont.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Avis favorable, à condition, mon cher collègue, que vous supprimiez l’adverbe « obligatoirement », qui est inutile dès lors que la phrase est conjuguée au présent de l’indicatif. J’ajoute qu’une telle clarification peut être souhaitable, mais que cette information est prévue dans les préconisations du plan Cancer 2014-2019. Néanmoins, il est vrai que les patients atteints d’un cancer ne sont pas les seuls concernés.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous demanderai, monsieur Gérard, de retirer l’amendement, car il est satisfait. Certes, il ne l’est pas dans les faits – je vous rejoins sur ce point –, mais il est prévu, dans le plan Cancer, qu’une information sur la préservation de la fertilité et les techniques qui la permettent – information qui figure du reste dans tous les guides « Cancer Info » – est délivrée lors de la consultation d’annonce. Que les équipes ne fassent pas tout ce qui est prévu dans la réglementation, cela arrive, mais ce n’est pas en inscrivant cette précision dans la loi que l’on y changera quoi que ce soit.

Par ailleurs, il faut être très prudent. En effet, la consultation d’annonce n’est pas forcément le bon moment pour évoquer la préservation de la fertilité : le patient vient d’apprendre le diagnostic de sa maladie, qui peut être gravissime, et il peut être préférable d’attendre quelques semaines avant d’aborder la question avec lui.

M. Raphaël Gérard. Je vais maintenir l’amendement, tout en le rectifiant, car il concerne tous les traitements susceptibles de porter atteinte à la fertilité et pas uniquement les traitements contre le cancer.

La commission adopte l’amendement n° 1786 ainsi rectifié.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 1255 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Il s’agit d’instaurer la possibilité d’une visite médicale dédiée à la fertilité en dehors de tout projet parental. Cette visite aurait une double finalité. La première est la diffusion de messages de prévention personnalisés sur la fertilité : comportements altérant la fertilité, horloge biologique, perturbateurs endocriniens, etc. La seconde est la réalisation d’examens médicaux des principaux facteurs de fertilité. Dans les cas où les résultats de ces examens le justifieraient, le médecin informerait la personne concernée de la possibilité de conserver ses gamètes ou tissus germinaux en vue d’un futur projet parental.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je ne perçois pas la plus-value qu’apporterait l’amendement par rapport au dispositif existant. Actuellement, par exemple, le Centre hospitalier intercommunal de Créteil propose à toute femme, quel que soit son âge et indépendamment de tout projet parental, des « fertilité check-up » comprenant, pour un montant de 350 euros – non pris en charge par la Sécurité sociale, mais ce n’est pas le cas non plus dans votre amendement – des consultations sur la fertilité et des examens échographiques destinés à vérifier leurs facteurs de fertilité. Rien n’interdisant de telles consultations aujourd’hui, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; sinon, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement n° 1255 est retiré.

La commission examine les amendements n° 1954 de Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon et n° 1785 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, les politiques des centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) en matière d’accueil des personnes transgenres au moment de l’autoconservation de leurs gamètes diffèrent d’un centre à l’autre. Je propose donc de préciser que le changement de sexe à l’état civil ne fait pas obstacle à la demande d’autoconservation pour motif médical.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Lors de son audition, lundi dernier, Mme la ministre a précisé, en réponse à l’une de mes questions sur l’autoconservation des gamètes des personnes transgenres : « Si une opération chirurgicale de transition a lieu, il peut y avoir une prise en charge de l’autoconservation des gamètes à titre médical, comme pour quelqu’un qui a une endométriose ou un cancer aujourd’hui. En dehors de ce cas, comme pour les autres hommes et les autres femmes, l’autoconservation sera ouverte, en application de l’article 2 de notre projet de loi, dans les bornes d’âge qui sont définies par décret. »

Je vous demande donc de retirer vos amendements, car ils sont satisfaits.

M. Raphaël Gérard. Je suis désolé, mais je vais m’entêter. Nous avons là une illustration de ce que j’évoquais tout à l’heure : on refuse de nommer les situations. Depuis la loi de 2016, le changement de sexe à l’état civil n’est plus conditionné par un traitement ou une opération chirurgicale. Il m’est donc très difficile d’entendre que la chirurgie serait un passage nécessaire pour vivre son identité de genre de façon épanouie. Cette précision s’impose, et elle est justifiée par l’expérience des personnes concernées. De fait, les réponses des représentants des CECOS lors des auditions sont assez éloignées de ce que vivent les personnes transsexuelles lorsqu’elles sont accueillies dans ces centres. Je maintiens donc mes amendements.

La commission rejette successivement les amendements n° 1954 et n° 1785.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel n° 1871 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 2231 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou. Cet amendement a trait à une situation un peu particulière. En l’état actuel du droit, les adultes qui ont conservé leurs gamètes ou leurs tissus germinaux et qui ne les utilisent pas peuvent, s’ils y ont consenti, dans des conditions très précises, les donner, mettre fin à leur conservation ou les confier à la recherche. Par cet amendement, nous proposons que les gamètes ou tissus germinaux conservés d’une personne mineure qui vient à décéder puissent, si les parents y consentent – ce consentement devant être réitéré tous les trois mois – faire l’objet d’une recherche, dans les mêmes conditions que celles aujourd’hui prévues pour les gamètes ou tissus germinaux conservés de personnes majeures.

En effet, un certain nombre de professionnels insistent sur le fait que, premièrement, le tissu germinal d’un testicule ou d’un ovaire n’est pas le même avant et après la puberté et, deuxièmement, lorsqu’on réinjecte à un patient des tissus germinaux, surtout des ovocytes, on prend le risque de réintroduire dans le corps d’un patient en rémission ou en guérison un tissu contenant des cellules résiduelles leucémiques ou cancéreuses. Or, cette mesure permettrait aux chercheurs d’étudier la spermatogénèse et l’ovogénèse sur des tissus prépubères mais aussi et surtout de prévenir la réintroduction de tissus affectés par des cellules tumorales.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis favorable, sous réserve de certaines précisions concernant le recueil du consentement. Je vous propose donc de retirer l’amendement et d’y retravailler d’ici à la séance publique.

L’amendement n° 2231 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1022 de Mme Annie Genevard.

M. Patrick Hetzel. Les gamètes auto-conservés pour des raisons médicales par une personne malade ne doivent pas pouvoir être ultérieurement donnés pour l’assistance médicale à la procréation au profit d’un tiers en raison des risques sanitaires que leur utilisation comporte. Lors de son audition, Mme la professeure Catherine Poirot, présidente du Groupe de recherche et d’étude sur la cryoconservation de l’ovaire et du testicule (GRECOT), a appelé notre attention sur ce point.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Des dispositions réglementaires viennent encadrer les dons de gamète et théoriquement, il n’y a pas de risque que des gamètes conservés pour des motifs pathologiques puissent être donnés. Il existe une liste très exhaustive de critères d’acceptabilité des dons. Cela dit, je donne un avis favorable à votre amendement car nous estimons qu’un ancrage législatif est nécessaire.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 1022.

Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels n° 1873, n° 1874 et n° 1875 du rapporteur.

Sur l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement n° 1167 de M. Didier Baichère.

Elle est saisie de l’amendement n° 1882 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement vise à préciser, au sein des dispositions transitoires de l’article 22, que les gamètes ou tissus germinaux qui seront déjà conservés à la date de publication de la présente loi relative à la bioéthique, ne seront détruits, en cas de décès d’une personne majeure, que si celle-ci n’a pas au préalable explicitement consenti à ce que ses gamètes fassent l’objet d’un don ou à ce que ses gamètes ou tissus germinaux fassent l’objet d’une recherche.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement n° 1882.

Puis elle adopte l’article 22 modifié.

Chapitre II
Optimiser l’organisation des soins

Article 23
Élargissement des missions des conseillers en génétique
 

La commission examine l’amendement n° 1307 de Mme Elsa Faucillon.

M. Pierre Dharréville. L’article 23 entend confier aux conseillers en génétique de nouvelles prérogatives en leur permettant entre autres de réaliser certains examens sans qu’une prescription médicale soit nécessaire.

Nous ne souhaitons pas remettre en cause le rôle des conseillers en génétique. Toutefois, il nous semble important de rappeler que ces personnels ne sont pas des médecins et qu’en matière de génétique, il reste préférable que la prescription médicale soit obligatoire.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. La prescription par les conseillers génétiques est strictement encadrée. La procédure est fortement protocolisée : ils sauront quels examens s’imposent, compte tenu du cadre clinique. Ce sont les médecins généticiens qui élaborent la fiche de prescription et c’est à eux que revient le soin de communiquer les résultats aux patients. Ajoutons que la prescription, même si elle est faite sous l’autorité des médecins généticiens, relève de la responsabilité des conseillers en génétique.

Avis défavorable.

M. Didier Martin. Je profite de cette occasion pour rappeler ce que nous avons entendu en audition : les médecins et les conseillers généticiens sont d’accord pour faire évoluer les tâches confiées aux conseillers généticiens, y compris en leur ouvrant la possibilité de communiquer les résultats à la personne concernée.

La commission rejette l’amendement n° 1307.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement n° 1885 du rapporteur et l’amendement n° 2016 de Mme Sereine Mauborgne.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’amendement n° 1885 entend préciser que les résultats seront communiqués à la personne « uniquement » par le médecin généticien.

Mme Sereine Mauborgne. Comme l’a souligné M. Martin, les médecins généticiens se sont déclarés favorables à une évolution des responsabilités des conseillers en génétique afin de se voir libérer du temps médical et se consacrer à leurs travaux de recherche. Dans l’esprit de la loi « Ma santé 2022 », il me paraît important, dans l’intérêt des patients, de prendre en compte les accords entre professionnels de santé afin d’effectuer des glissements de tâches dans le cadre des protocoles.

Nous proposons donc dans notre amendement n° 2016 que les conseillers puissent communiquer les résultats lorsque « l’anomalie constatée est faible ou absente ». Je m’étonne qu’il soit discuté en même temps que l’amendement du rapporteur, exactement contraire…

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Si ces deux amendements sont en discussion commune, c’est précisément parce qu’ils sont exclusifs l’un de l’autre…

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je suis très défavorable à votre amendement, madame Mauborgne, qui va précisément à l’opposé de l’objectif que je vise.

Tout d’abord, je ne comprends pas bien votre rédaction : comment une anomalie peut-elle à la fois être « constatée » et « absente » ?

En outre, je suis extrêmement réservé sur l’organisation pratique que suppose cette répartition des tâches. Dans la salle d’attente, les patients seraient soit dirigés vers le conseiller en génétique si leurs résultats sont normaux, soit vers le médecin généticien si une anomalie est détectée. Autrement dit, ils connaîtraient d’avance le résultat…

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il est vrai, madame Mauborgne, que l’esprit de « Ma santé 2022 » est de favoriser les délégations de tâches pour libérer du temps médical. Pour la prescription, il me semble que cela ne pose aucun problème. Pour la communication des résultats, je dois dire que l’argument de M. le rapporteur m’a fait changer de position : l’argument selon lequel le tri des malades en salle d’attente reviendrait à donner le résultat par avance… Ce qui me conduit à donner un avis défavorable à votre amendement n° 2016.

Pour autant, je ne souhaite pas non plus que seul le médecin soit habilité à communiquer les résultats. Si nous sommes amenés à organiser des consultations séparées dans le cadre des protocoles de délégation de tâches dans certains hôpitaux, il faut envisager plusieurs possibilités de répartition du travail. Mon avis sera donc également défavorable à l’amendement du rapporteur.

Gardons-nous d’aller trop loin dans un sens ou dans un autre.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Dans ces conditions, je retire mon amendement.

Mme Sereine Mauborgne. Dans les discussions que nous avons eues avec les généticiens, nous avons vu que lorsqu’une personne est atteinte d’une anomalie génétique, l’information n’est pas révélée aux autres membres de la famille. Je ne sais pas comment M. le rapporteur peut imaginer que les résultats seraient communiqués en même temps. Les consultations seraient séparées et le tri dans la restitution pourrait être aisément opéré.

L’amendement n° 1885 est retiré.

La commission rejette l’amendement n° 2016.

Sur l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 515 de M. Patrick Hetzel.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 1886 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 23 modifié.

Après l’article 23

La commission est saisie de l’amendement n° 1256 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Le présent amendement vise à ouvrir la possibilité aux détenteurs d’un diplôme d’études spécialisées (DES) de génétique médicale de réaliser des examens de diagnostics génétiques. Les docteurs en sciences spécialisés en génétique disposent de toutes les compétences requises pour procéder à la phase analytique des diagnostics génétiques. Le DES de génétique médicale est en effet une formation translationnelle mixte clinico-biologique qui forme des médecins spécialistes en génétique médicale aussi bien dans les activités cliniques que biologiques. Or, la rédaction actuelle de la loi invite l’Agence de la biomédecine à établir des critères d’agrément restrictifs pour ces professionnels qui ne sont pas des biologistes médicaux et qui ne sont pas inclus dans la liste d’exceptions. Le nombre de diagnostics génétiques étant amené à croître avec les dispositions du présent projet de loi et du plan « France Médecine génomique 2025 », il importe que tous les professionnels compétents soient en mesure d’y participer.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Monsieur Berta, autant je comprends la première partie de cet important amendement, qui vise à compléter la liste des personnes qui peuvent exercer les fonctions de biologiste médical sans l’être, afin d’y ajouter les médecins généticiens, autant je ne comprends pas sa seconde partie qui complète, à l’article L. 4161-1 du code de la santé publique la liste des personnes qui, sans être médecins, peuvent effectuer certains actes sans encourir le reproche d’exercice illégal de la médecine. Les généticiens titulaires du DES de génétique sont en effet des médecins dans 90 % des cas. Est-il pertinent de les ajouter à la liste des non-médecins qui échappent, à certaines conditions, à l’incrimination d’exercice illégal de la médecine ?

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Philippe Berta. Je vais retirer mon amendement pour y apporter des correctifs.

L’amendement n° 1256 est retiré.

Article 24
Garantie d’une transmission sécurisée des résultats d’examens génétiques entre laboratoires

L’amendement n° 575 de Mme Annie Genevard est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1007 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. J’ai lu attentivement la contribution du Comité consultatif national d’éthique qui recommande la création d’un statut des conseillers génétiques pour éviter la prolifération de charlatans – je reprends ici un mot employé dans nos débats. J’estime que c’est une nécessité, compte tenu du développement exponentiel des tests génétiques et de l’augmentation du recours aux non-médecins.

Soucieux de ne pas faire de loi bavarde, j’ai voulu économiser les mots et aller à l’essentiel en proposant de compléter l’article 24 par la phrase suivante : « Un statut des conseillers génétiques est créé ». Je vous fais toute confiance, madame la ministre, pour lui donner une réalité quand vous en aurez fini avec vos différents chantiers, retraites et autres…

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Les conseillers en génétique ont déjà un statut, monsieur Bazin : je vous renvoie aux articles R. 1132-1 à R. 1132-20 du code de la santé publique qui détaillent les modalités de l’exercice de cette profession et diverses exigences.

Dans ses préconisations, le CCNE visait un élargissement des tâches effectuées par les conseillers en génétique à la prescription, ce qui est précisément l’objet de l’article 23.

Demande de retrait, ou avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je vais réfléchir d’ici à la séance à une éventuelle amélioration.

L’amendement n° 1007 est retiré.

La commission adopte l’article 24 sans modification.

Article 25
Aménagement, pour les patients concernés, d’une passerelle
entre la génétique somatique et la génétique constitutionnelle
  

La commission est saisie de l’amendement n° 1271 de M. Jean-Pierre Door.

M. Thibault Bazin. Il s’agit de renforcer les conditions de protection de la réalisation d’un examen génétique à des fins médicales sur la personne décédée, en exigeant que le médecin ait une qualification spécifique en génétique.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement est directement lié à l’article 23 ; par cohérence avec la position que j’ai exprimée, je vais lui donner un avis défavorable. Vous n’avez aucune assurance qu’une équipe pluridisciplinaire comprenne un médecin qualifié en génétique à même de communiquer les résultats. Personnellement, cela me gêne qu’un conseiller en génétique puisse restituer ces résultats, compte tenu de leur caractère sensible.

M. Thibault Bazin. Je vais transmettre votre avis à M. Door et vous travaillerez peut-être entre confrères à une nouvelle rédaction.

L’amendement n° 1271 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 1892 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Le présent amendement vise à combler une lacune du projet de loi qui ne comprend pas de définition précise de la génétique somatique. La formulation qui s’y réfère est floue puisqu’il est seulement fait mention des « caractéristiques génétiques acquises ultérieurement ». Nous proposons donc d’ajouter la phrase suivante : « L’examen des caractéristiques génétiques somatiques consiste à analyser les caractéristiques génétiques d’une personne qui ne concernent pas ses cellules germinales. ». Cette distinction entre génétique constitutionnelle et génétique somatique permet ensuite d’alléger le reste de la rédaction de l’article 25.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je suis d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : cet article n’est pas bien rédigé. Toutefois insérer les mots de « génétique somatique » et « génétique constitutionnelle » dans la loi me paraît relever d’un vocabulaire par trop médical. Nous cherchions à rendre cette distinction compréhensible par nos concitoyens. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je suis gentil et compréhensif, mais je ne veux pas retirer cet amendement. La rédaction actuelle n’est absolument pas satisfaisante. L’article 25 définit l’objet de l’examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles ; il me paraît important, parallèlement, de définir l’objet des caractéristiques génétiques somatiques pour rendre compte de la complexité des examens génétiques. Cela permet en outre de définir les données incidentes. Prenons un exemple simple : l’examen des cellules tumorales du cancer du sein relève de la somatique, mais si l’on détecte parmi elles la présence d’un gène BRCA1, cela relève de la génétique constitutionnelle.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vais accepter l’amendement du rapporteur, mais sous réserve d’une modification qui permette à nos concitoyens de comprendre le mot « somatique ». Ce sous-amendement consisterait à remplacer les mots « qui ne concernent pas ses cellules germinales » par « qui ne sont ni héritées ni transmissibles à partir de cellules autres que les cellules germinales ».

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je crois que le plus simple est que je retire mon amendement pour que nous travaillions ensemble à une nouvelle rédaction… (Sourires.)

L’amendement n° 1892 est retiré ainsi que l’amendement de cohérence n° 1894 du rapporteur.

La commission adopte l’article 25 sans modification.

Article 26
Sécurisation de l’utilisation du microbiote fécal

La commission est saisie des amendements identiques n° 2261 du rapporteur, n° 1551 de M. Bruno Fuchs et n° 1673 de M. Thibault Bazin.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’article 26 a pour objet de créer un cadre juridique spécifique au recueil des selles d’origine humaine destinées à la préparation du microbiote fécal à des fins thérapeutiques. Il vise également à encadrer les étapes de collecte, de contrôle, de conservation, de transport ainsi que les modalités de traçabilité des selles collectées.

Nous considérons qu’un tel article n’a pas sa place dans une loi de bioéthique. Si cet amendement de suppression n’est pas adopté, je présenterai un amendement de repli qui propose d’instaurer des mesures coercitives de contrôle de ces pratiques de transplantation de selles humaines pour une indication médicale reconnue : la résistance aux antibiotiques d’un germe dénommé Clostridium difficile qui provoque des décès.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous allons suspendre la séance quelques minutes.

La séance, suspendue à zéro heure quinze, est reprise à zéro heure trente.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je retire mon amendement de suppression n° 2261.

M. Brahim Hammouche. Nous nous interrogeons sur la présence d’un tel article dans une loi de bioéthique, raison pour laquelle notre amendement n° 1551 propose de le supprimer afin de l’intégrer dans une loi de santé ultérieure.

M. Thibault Bazin. Je ne suis pas sûr que Mme la ministre ait l’intention de proposer une nouvelle loi santé, compte tenu du programme chargé qui l’attend…

L’organisation de la discussion est ainsi faite que les amendements de suppression d’article sont placés avant les autres amendements. Or nous considérions notre amendement n° 1673 plutôt comme un amendement d’appel au cas vous refuseriez les améliorations du texte que nous proposons dans nos amendements suivants.

Un amendement de suppression d’article ne signifie pas nécessairement que l’on cherche à supprimer le dispositif concerné, contrairement à ce que peuvent laisser entendre les médias, qui ont tendance à simplifier les choses. Ainsi, le groupe Les Républicains n’a jamais voulu supprimer l’interruption médicale de grossesse, mais seulement clarifier le dispositif.

Dans le cas présent, notre intention n’est évidemment pas de remettre en cause la pratique en question, réellement utile, mais de mieux verrouiller la procédure. Sur ce point, nous sommes dans le même état d’esprit que le rapporteur. Nous allons toutefois retirer notre amendement.

Les amendements n° 2261, n° 1551 et  1673 sont retirés.

La commission examine l’amendement n° 1258 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Le présent amendement vise à assurer le consentement du donneur auprès de qui seront collectées les selles en vue d’une utilisation thérapeutique pour un tiers. Cette inscription du consentement dans la loi est nécessaire car il s’agit d’un produit issu du corps humain et que les examens de contrôle peuvent de manière incidente révéler une anomalie pouvant être causée par une affection grave comme une tumeur du côlon.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable. Le consentement du donneur est déjà recueilli dans le questionnaire clinique réalisé avant tout prélèvement de selles – comme de sang. C’est la règle et cela relève des bonnes pratiques. Votre amendement est donc satisfait. Je répète que l’article 26 ne vise qu’à encadrer une pratique qui existe déjà.

L’amendement n° 1258 est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 977 de M. Thibault Bazin et n° 2262 du rapporteur.

M. Thibault Bazin. Sur cette question, comme sur d’autres, vous préférez le régime déclaratif au régime d’autorisation, ce que nous contestons. Compte tenu des accidents qui se sont produits aux États-Unis, et même plus près de nous, il paraît pertinent de prévoir un régime d’autorisation pour la collecte de selles plutôt qu’un régime de déclaration, qui est plus léger.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Mon amendement va dans le même sens que le vôtre, monsieur Bazin, puisque je préconise moi aussi un régime d’autorisation, afin de mieux encadrer cette pratique. Je vous invite donc à retirer votre amendement au profit de mon amendement n° 2262, dont la rédaction me semble préférable.

L’amendement n° 977 est retiré.

La commission adopte l’amendement n° 2262.

Elle examine ensuite l’amendement n° 978 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement vise, comme les précédents, à s’assurer du consentement libre et éclairé du donneur. Vous avez expliqué, monsieur le rapporteur, que ce consentement était déjà recueilli dans le questionnaire clinique et que cela relevait des bonnes pratiques. Mais, puisque notre but est de mieux encadrer les choses, ne serait-il pas préférable de l’expliciter ? Nous serions tous rassurés.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je répète que votre amendement est satisfait, que c’est une évidence absolue et que cela relève des bonnes pratiques. Je vous invite donc à le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement n° 978 est retiré.

La commission adopte les amendements rédactionnels nos 2217 et 2218 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement n° 979 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement vise à supprimer le mot « imminent », à l’alinéa 9. Le transfert de microbiote fécal est risqué, compte tenu des infections possibles. Il faut donc faire preuve de prudence et prévoir une décision de suspension ou d’interdiction en cas de risque, et pas seulement en cas de risque « imminent ». Nous avions déjà pointé le même genre de difficulté à propos d’un autre article : si nous voulons encadrer, faisons-le vraiment.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je ne suis pas favorable à cet amendement, car la notion de « risque imminent » a un sens.

Je rappelle que l’objectif de cet article est d’encadrer l’activité de collecte de selles, en en confiant le contrôle à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Un prélèvement ne sera transplanté au patient que si les explorations réalisées, les réponses au questionnaire et l’examen clinique montrent qu’il n’y a pas de risque a priori – même si le risque n’est jamais nul.

La notion de « risque imminent » peut être évoquée lorsque des manquements sont graves et avérés, au point qu’ils risquent d’entraîner des problèmes pour le patient, par exemple un risque de contamination. En cas de risque imminent, une procédure s’enclenche, sous le contrôle de l’ANSM. La suppression du mot « imminent » dénaturerait la procédure, au risque de rendre la pratique elle-même impossible.

L’amendement n° 979 est retiré.

La commission adopte l’article 26 modifié.

Article 27
Réalisation de médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement dans le cadre d’une seule intervention médicale sous la responsabilité d’un établissement ou organisme autorisé au titre de l’article L. 4211-9-1 du code de la santé publique

La commission examine l’amendement n° 1552 de M. Bruno Fuchs.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je vous invite à retirer votre amendement, car je ne suis pas favorable à la suppression de cet article. Il me semble préférable de le maintenir et de mieux encadrer, comme le proposent plusieurs amendements, la réalisation de médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement (MTI-PP).

L’amendement n° 1552 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 980 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. À l’alinéa 6, je propose, après le mot « médicale », d’insérer les mots « dans un délai raisonnable ». L’article 27 autorise la préparation de médicaments de thérapie innovante au cours d’une seule intervention médicale. L’idée qu’il y aurait « une seule intervention médicale » pouvant s’avérer contestable, je propose de préciser que cette préparation doivent se faire « dans un délai raisonnable ».

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je ne peux qu’être défavorable à votre amendement, monsieur Bazin, dans la mesure où la mention que vous voulez supprimer est précisément ce qui définit le médicament de thérapie innovante préparé ponctuellement. Cette définition a fait l’objet d’accords et de conventions européennes.

Je rappelle que nous parlons ici d’un médicament réalisé à des fins autologues et que le prélèvement, puis la modification, le contrôle et la réinjection dudit prélèvement chez le même patient doit se faire au cours d’un acte médical unique. L’expression « délai raisonnable » n’est donc absolument pas adaptée.

L’amendement n° 980 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 981 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. À l’alinéa 6, je propose, après le mot « réalisées », d’insérer les mots « dans des situations autologues seulement et non d’un patient à l’autre ». Il s’agit, là encore, d’encadrer au mieux cette pratique.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je ne peux, cette fois encore, qu’être défavorable à votre amendement, car les MTI-PP sont, par définition, préparés à des fins autologues. Ce type de médicament ne peut pas faire l’objet d’injections allogéniques. J’ajoute que, d’un point de vue purement rédactionnel, il faudrait parler de « fins autologues », et non de « situation autologue ».

L’amendement n° 981 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 2263 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement visait, dans un souci de précision, à insérer à l’alinéa 7, après le mot « administration », les mots « à des fins autologues », mais je le retire.

L’amendement n° 2263 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 982 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Avec cet amendement, je propose que l’Agence nationale de sécurité du médicament puisse également contrôler la responsabilité médicale des sous-traitants éventuels. Je ne sais pas si cette disposition a sa place dans une loi de bioéthique, mais nous devons nous assurer que le contrôle s’étend aux sous-traitants : c’est une question de fond.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je crois utile de rappeler la manière dont sont réalisés les MTI-PP.

On prend le patient, on l’endort et on l’amène au bloc opératoire. Là, on lui prélève, par exemple, un petit bout de cartilage, que l’on manipule – de manière peu importante –, et on le lui réinjecte dans la foulée. C’est un acte médical unique qui est réalisé en quelques heures, et le patient reste au bloc opératoire.

Le traitement, qui a lieu entre le prélèvement et la réinjection, peut se faire soit dans le même établissement, au sein d’un laboratoire voisin du bloc opératoire, soit dans un établissement prestataire de services : c’est pour cette raison qu’il est fait mention d’un « contrat » dans l’article.

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’ANSM ne peut contrôler que les établissements qu’elle a autorisés, et non les établissements auxquels est parfois sous-traité le traitement du prélèvement. Je vous proposerai, avec mon amendement n° 2253, un dispositif qui clarifie les choses et qui garantit un contrôle à toutes les étapes du processus.

Je vous invite donc, monsieur Bazin, à retirer votre amendement.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, vous proposez, avec votre amendement n° 2253, que cette vérification soit opérée « en coordination avec l’Agence régionale de santé ». Pensez-vous vraiment que ce type de contrôle soit suffisant ?

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. L’ANSM n’exerce un pouvoir de contrôle, voire de police, que sur les établissements qu’elle autorise. Si le même établissement fait le prélèvement, fabrique la préparation et la réinjecte, l’ANSM peut contrôler toutes les étapes de la procédure. Mais si la deuxième étape est confiée à un sous-traitant, l’ANSM ne peut pas la contrôler. C’est pourquoi je propose que ce contrôle soit fait en coordination avec l’ARS. De cette manière, toutes les étapes seront parfaitement contrôlées.

L’amendement n° 982 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 2253 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je viens de présenter cet amendement.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, l’ANSM est compétente pour inspecter les établissements autorisés : elle désigne des inspecteurs et peut intervenir dans les établissements de santé qui préparent les MTI-PP. Par ailleurs, en application de l’article L. 5313-3 du code de la santé publique, l’ANSM peut demander aux agences régionales de santé de faire intervenir leurs agents habilités à contrôler l’application des dispositions législatives et réglementaires visant à préserver la santé : cela peut s’appliquer aux établissements sous-traitants. Votre amendement me paraît donc satisfait et je vous invite à le retirer.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je maintiens mon amendement, car je crois utile de clarifier les choses, notamment pour la phase de manipulation et de préparation qui a lieu en dehors du bloc opératoire.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je m’en remets alors à la sagesse de votre assemblée.

La commission adopte l’amendement n° 2253.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 2121 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 27 modifié.

Article 28
Diverses mises en cohérence au sein du code de la santé publique

La commission adopte successivement l’amendement rédactionnel n° 2036 et l’amendement de coordination n° 2039 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement n° 2040 du rapporteur.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 3 par les mots : « au regard des critères énoncés par décret en Conseil d’État, après avis de l’Agence de la biomédecine. »

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie de votre vigilance, monsieur le rapporteur. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement n° 2040.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels n° 2042 et  2044 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 28 modifié.

Titre VI
Assurer une gouvernance bioéthique adaptée au rythme des avancées rapides des sciences et des techniques

Avant l’article 29

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je souhaite la bienvenue à Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure pour les titres VI et VII.

La commission examine l’amendement n° 794 de M. Alain Ramadier.

M. Alain Ramadier. Défendu.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 794.

Elle examine ensuite l’amendement n° 1915 de M. Didier Martin.

M. Didier Martin. Cet amendement vise à modifier l’intitulé du titre VI en substituant aux mots « et des techniques » les mots « des techniques et des évolutions sociétales ».

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Avis favorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Votre proposition me met un peu mal à l’aise : je m’interroge sur la manière dont nos concitoyens pourraient comprendre une telle formulation. En matière d’éthique, est-ce l’évolution sociétale qui doit nous guider ? Il me semble qu’une loi de bioéthique porte davantage sur l’évolution des techniques… Dans la mesure où ce titre modifierait l’orientation de la loi, je m’en remets à la sagesse de votre assemblée.

M. Jean-François Eliaou. Je suis, moi aussi, un peu gêné par cette notion d’évolution sociétale, comme je le suis, du reste, par le mot « techniques ». Le champ d’une loi de bioéthique me semble dépasser celui des techniques et des évolutions sociétales. Cette formulation me semble un peu brutale.

Mme Coralie Dubost. Je comprends que notre collègue souhaite lier les notions de techniques et d’évolutions sociétales, mais la rédaction qu’il propose ne fait que les juxtaposer. Par ailleurs, nous sommes déjà censés prendre en compte les évolutions sociétales dans tous les textes de loi que nous examinons… Il faudrait donc, si nous voulons modifier l’intitulé du titre VI, expliciter ce lien entre « techniques » et « évolutions sociétales ». Cela pourrait modifier profondément le champ d’application des lois de bioéthique : c’est donc une question importante.

La commission rejette l’amendement n° 1915.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 179 de M. Xavier Breton, n° 367 de M. Patrick Hetzel et n° 931 de M. Thibault Bazin.

M. Alain Ramadier. Le caractère obligatoire du recours aux états généraux de la bioéthique ne concerne que les projets de loi. Il paraît donc indispensable d’inclure les propositions de loi qui peuvent aussi traiter de bioéthique. Tel est l’objet de l’amendement n° 179.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 367 vise également à élargir le périmètre des états généraux de la bioéthique aux propositions de loi. En effet, au cours des dernières années, il est arrivé que des propositions de loi aient une incidence sur des questions de nature bioéthique.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 931 est défendu. Je précise que mon collègue Patrick Hetzel faisait allusion à la loi de 2013.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Même si je comprends le sens de vos amendements, j’y suis défavorable, car ils visent à organiser des états généraux avant l’examen de chaque proposition de loi. Ce dispositif serait beaucoup trop lourd, compte tenu du nombre de propositions de loi déposées chaque année dans cette assemblée.

Je suis néanmoins sensible à votre idée de mener une réflexion bioéthique sur d’autres textes examinés à l’Assemblée nationale : c’est pourquoi je vous proposerai, avec mon amendement n° 2432, de créer une délégation permanente, qui serait chargée de ces questions.

M. Guillaume Chiche. Je pense, comme la rapporteure, que le dispositif que vous proposez serait beaucoup trop lourd et qu’il aurait pour effet de restreindre l’initiative parlementaire. Le présent projet de loi prévoit déjà d’organiser, chaque année, des débats citoyens sur les questions de bioéthique ; cela suffira largement à éclairer l’opinion et la représentation nationale.

La commission rejette les amendements n° 179, n° 367 et n° 931.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 2432 de la rapporteure et n° 1116 de M. Patrick Hetzel.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. L’amendement n° 2432 vise à créer une délégation parlementaire à la bioéthique, conformément à la proposition n° 60 de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique.

Cette proposition me paraît cohérente avec celle, contenue dans le projet de loi, d’organiser chaque année des débats citoyens sur un ou plusieurs thèmes relevant de la bioéthique. Dans la mesure où les institutionnels et les citoyens sont régulièrement invités à débattre de ces questions, il semble important que les parlementaires aient, eux aussi, un outil de travail à leur disposition. Cette délégation pourra être saisie ou se saisir de projets ou de propositions de loi ayant un rapport plus ou moins étroit avec la bioéthique. Elle assurera également le suivi de l’application de la loi, ce qui est unanimement demandé.

Notre réflexion bioéthique pourra ainsi s’inscrire dans la durée, ce qui est essentiel. En effet, nous avons tous constaté que s’il est si difficile de légiférer dans ce domaine, c’est aussi parce que nous ne débattons de ces questions qu’à l’occasion des révisions de la loi de bioéthique. Cette délégation nous permettra d’accroître notre expertise, de prendre le temps de l’évaluation et de partager nos réflexions bioéthiques sur des textes qui peuvent concerner ce champ – je pense par exemple à des textes sur l’environnement.

M. Patrick Hetzel. L’amendement n° 1116 est identique au vôtre, madame la rapporteure, et je vous remercie d’avoir repris cette proposition, que nombre d’entre nous soutenaient.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dont plusieurs membres sont ici présents, a déjà un certain nombre de missions qui peuvent relever de la bioéthique. Il importe néanmoins de mener un travail un peu plus suivi sur ces questions et nous avons constaté à plusieurs reprises, au cours de nos débats, que l’OPECST ne pouvait pas nous renseigner sur tous les sujets. Compte tenu de la sensibilité des questions liées à la bioéthique, c’est une bonne chose que d’aller vers une plus grande institutionnalisation.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je suis un peu réservé sur cette question. Il importe évidemment d’évaluer la loi, mais d’autres dispositifs seraient envisageables. L’article 24 de la Constitution nous confère déjà une mission de contrôle et d’évaluation en dehors de toute organisation, ce qui signifie que nous pouvons aussi agir à titre individuel. Nous devrions commencer par nous emparer de cette possibilité.

Par ailleurs, si nous créons une délégation parlementaire à la bioéthique, qu’adviendra-t-il de l’OPECST ? La répartition des tâches entre les deux instances sera d’autant plus complexe que l’OPECST est un organe bicaméral. Multiplier les structures et faire grossir le millefeuille n’est jamais un gage d’efficacité. N’oublions pas, enfin, qu’il existe aussi, au sein de l’Assemblée nationale, un comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC).

En termes d’organisation, quelle fonction, quelles missions, quel statut convient-il de donner à cette nouvelle structure ? Et quels moyens d’action ? Il n’est pas certain, par exemple, que l’on trouvera le véhicule législatif approprié à chaque fois que cette instance proposera une avancée intéressante.

M. Guillaume Chiche. L’OPECST a un rôle essentiel, mais il ne se saisit pas de tous les sujets qui concernent la bioéthique. Il a par exemple fait le choix, et je pense que c’est une bonne chose – de ne pas se saisir des questions relatives à la procréation et à la PMA, parce qu’elles étaient déjà abordées dans le cadre des assises de la bioéthique, sous l’égide du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et qu’elles faisaient l’objet d’une mission parlementaire.

La création d’une délégation parlementaire à la bioéthique nous permettra de réfléchir à ces questions dans la durée et de veiller à l’application et à l’évaluation du présent projet de loi. Sur le modèle de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre, la nouvelle délégation aura un périmètre d’action qui lui permettra de se saisir de certaines questions, en amont ou en aval de l’examen de nos textes de loi.

La commission adopte les amendements n° 2432 et n° 1116.

Article 29
Élargissement des missions du Comité consultatif national d’éthique
des sciences de la vie et de la santé

La commission est saisie de l’amendement n° 2431 de la rapporteure.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Cet amendement vise à organiser le concours de la Commission nationale du débat public aux côtés du Comité consultatif national d’éthique lors de l’organisation des états généraux et des débats citoyens. Ces états généraux ont été une vraie réussite, grâce à l’expertise du CCNE, mais ses membres ne nous ont pas caché les difficultés pratiques d’organisation auxquelles ils avaient pu être confrontés. L’organisation de débats publics sur l’ensemble du territoire nécessite en effet un vrai savoir‑faire, que détient aujourd’hui la CNDP.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous partageons clairement l’objectif, mais je ne suis pas sûre qu’il convienne d’inscrire dans la loi ce qui se rapporte à ces débats. Lorsque nous avons saisi le CCNE pour les états généraux de la bioéthique, nous avons mis en place une organisation ad hoc, qui aurait pu être différente pour une loi d’un autre format. Cette souplesse confère de grandes capacités d’adaptation, en fonction du texte de loi et des acteurs concernés. Avis défavorable.

M. Marc Delatte. Le CCNE a prouvé sa grande réactivité pour mobiliser, dans des délais extrêmement courts, la société civile.

L’amendement n° 2431 est retiré.

La commission en vient à l’amendement n° 1625 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Cet amendement vise à assurer le suivi régulier des sujets scientifiques, dont l’évolution est rapide. À l’inverse des sujets sociétaux soulevés par les lois de bioéthique, qui nécessitent un temps long de maturation et de réflexion, ce suivi apparaît indispensable si l’on considère les progrès scientifiques de ces dernières années, qui nécessitent une adaptation plus rapide de notre législation pour permettre à notre recherche et à nos laboratoires de rester à l’avant-garde mondiale en ce domaine. Dans ce contexte, les commissions parlementaires compétentes, ainsi que l’OPECST, en lien avec le CCNE, apparaissent toutes désignées pour jouer ce rôle.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. J’y suis défavorable, parce qu’il est en partie satisfait par la création des délégations parlementaires à la bioéthique, et il ne me paraît donc pas pertinent de confier au CCNE une mission d’évaluation régulière.

La commission rejette l’amendement n° 1625.

Puis elle examine l’amendement n° 1306 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Le CCNE est composé de cinq personnalités désignées par le Président de la République et appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles, de dix-neuf personnalités choisies pour leurs compétences et leur intérêt pour les problèmes d’éthique, et de quinze personnalités appartenant au secteur de la recherche.

Cet amendement d’appel propose de modifier cette composition pour l’élargir à des représentants d’associations directement concernées par les questions de bioéthique, l’idée étant d’amplifier la portée des débats d’éthique dans la société.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. On peut en effet se poser la question de la composition du CCNE, et plusieurs amendements vont dans ce sens, avec différentes propositions. Cela étant, cette recomposition doit se faire dans le respect de certains équilibres, et il serait préférable que nous réfléchissions tous ensemble à une composition cohérente, d’ici à la discussion en séance.

L’amendement n° 1306 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 795 de M. Alain Ramadier.

M. Alain Ramadier. Il convient, pour l’avenir, de consolider tout ce qui peut permettre à notre pays de débattre sereinement d’enjeux aussi sensibles que ceux touchent aux lois de bioéthique.

Dans cette perspective, cet amendement vise à redonner une place aux représentants des principales familles spirituelles de notre pays, qui avait été exclues du renouvellement de la composition du CCNE en 2013. C’est pourquoi nous proposons la présence d’au moins deux religieux sur les cinq personnalités désignées pour présenter les principales familles philosophiques et spirituelles de notre pays.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Avis défavorable. Il appartient au Président de la République de nommer les personnalités devant incarner la dimension spirituelle de la réflexion bioéthique. Dans cette perspective, le choix du dernier Président de la République s’est porté non pas sur des représentants des cultes, mais sur des membres de la société civile qui travaillent sur les questions religieuses. Ne perdons pas de vue que ces personnalités sont nommées intuitu personae : elles n’ont pas vocation à représenter une entité ou une organisation au CCNE.

La commission rejette l’amendement n° 795.

Puis elle en vient à l’amendement n° 990 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement vous propose que les personnalités soient désignées et non proposées afin de renforcer l’autonomie des organismes consultatifs.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Votre intention est louable, mais la procédure choisie vise à garantir la parité. Un des seuls moyens en effet de garantir que celle-ci soit respectée est qu’une autorité puisse superviser et trancher parmi les personnalités proposées par les différents organismes. J’émettrai donc un avis de sagesse.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Sans une autorité qui puisse coordonner les différentes candidatures, on court le risque de se retrouver avec des compétences manquantes, ou seulement des hommes, voire avec certains membres dont les déclarations publiques d’intérêts poseraient problème.

L’amendement n° 990 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement n° 796.

Puis elle en vient à l’amendement n° 534 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Mon amendement propose que, tous les deux ans, après une consultation citoyenne, le CCNE établisse un rapport d’évaluation de la loi de bioéthique, qui dressera un bilan de la mise en œuvre de la loi.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Prévoir un rapport d’évaluation tous les deux ans me paraît un délai trop resserré. Par ailleurs, cela ne me paraît pas nécessaire, compte tenu de la création de la délégation parlementaire. Avis défavorable.

M. Jean-François Eliaou. Je concède que deux ans est un délai trop court. En revanche, la délégation parlementaire concerne les députés, tandis que ma proposition est tournée vers les citoyens. Or le Président de la République et les membres du Gouvernement ne cessent de répéter que les citoyens doivent s’emparer de l’évaluation de la loi, puisque c’est à eux que la loi va d’abord profiter ou qui vont la subir.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Si votre objectif est de permettre aux citoyens de s’exprimer à intervalles réguliers, il est satisfait, puisque le texte prévoit que le CCNE organise chaque année des débats citoyens sur un ou plusieurs sujets de bioéthique. À cela s’ajoutent également les états généraux, en amont de chaque révision de la loi. Cela représente déjà un programme assez chargé.

L’amendement n° 534 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 1626 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Au-delà des actions de sensibilisation menées au sein des espaces régionaux de réflexion éthique (ERE), il apparaît nécessaire de prévoir, pour les professionnels de santé, au moyen notamment de la formation initiale et continue, des ateliers de réflexion et d’information sur les évolutions en cours dans le domaine de la bioéthique. À cet égard, les stages hospitaliers apparaissent tous désignés pour développer ce type d’initiative.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. L’article L. 1412-6 du code de la santé publique prévoit déjà que les ERE constituent, en lien avec les centres hospitalo-universitaires, des lieux de formation, de documentation, de rencontres et d’échanges. Néanmoins, votre précision me paraît assez utile dans la mesure où, dans la pratique, ce lien ne se fait pas toujours. Avis favorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous souhaitons évidemment que ces espaces participent à la formation. Ils doivent également faire fonction d’observatoires des pratiques, et ce sont évidemment des lieux de documentation et d’animation. En termes de formation, il y a probablement des marges importantes d’amélioration des enseignements, mais cet amendement est déjà satisfait au plan législatif, puisque la formation participe déjà des missions des ERE. Je vous propose donc de le retirer.

M. Brahim Hammouche. Je précise que cet amendement reprend une requête des espaces de réflexion éthique.

La commission rejette l’amendement n° 1626.

Puis elle adopte l’article 29 sans modification.

Article 30
Évolution des compétences et de la composition des organes
de l’Agence de la biomédecine

La commission est saisie de l’amendement n° 1623 de M. Philippe Berta.

M. Philippe Berta. Cet amendement vise à placer l’Agence de la biomédecine sous la double tutelle du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la recherche. Le champ de compétences de cet établissement public est directement lié aux prérogatives du ministre de la recherche ; il apparaît donc pertinent que celui-ci soit associé au ministre de la santé dans les activités de contrôle réglementaire de l’Agence.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Avis défavorable. Il est plus simple et plus opportun d’avoir une seule tutelle, et le ministère de la santé paraît tout désigné pour l’Agence de la biomédecine et ses missions.

La commission rejette l’amendement n° 1623.

Puis elle examine les amendements identiques  2433 de la rapporteure et n° 1622 de M. Pierre-Alain Raphan.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Le projet de loi propose d’enlever à l’Agence de la biomédecine sa compétence en matière de nanobiotechnologies. Or les parlementaires ont besoin de ce suivi d’activité, car c’est un sujet sur lequel nous devrions prochainement être amenés à légiférer. Notre amendement n° 2433 vise donc à rétablir la compétence de l’Agence de la biomédecine en matière de nanobiotechnologies.

M. Pierre-Alain Raphan. Les nanobiotechnologies, tout comme l’intelligence artificielle, offrent des possibilités de recherche très puissantes. Cela demande une veille particulière et un cadre adapté. D’où mon amendement identique n° 1622.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Nous avons retiré à l’Agence sa mission d’évaluation des nanotechnologies par le fait qu’elle nécessite des compétences tout à fait particulières dont elle ne dispose pas, sachant par ailleurs que c’est un domaine dans lequel sont impliqués d’autres organismes comme le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou d’autres agences œuvrant dans le champ environnemental.

Je ne suis pas contre conserver les nanobiotechnologies dans les missions de l’Agence, mais sans préciser qu’il s’agit d’une mission d’évaluation, ce qui l’obligerait à recruter une centaine de personnes. J’émettrai donc un avis de sagesse.

La commission adopte les amendements n° 2433 et n° 1622.

Puis elle en vient à l’amendement n° 2434 de la rapporteure.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Cet amendement a pour objet de préciser la mission de l’Agence de la biomédecine, en indiquant qu’elle élabore les règles de répartition et d’attribution des gamètes et des embryons, qui sont approuvées par arrêté du ministre chargé de la santé. Il s’agit ainsi de participer à l’objectif d’harmonisation des pratiques des CECOS.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il n’y a pas lieu de répartir les gamètes au motif que nous élargissons l’accès à la PMA. C’est même le contraire de ce que nous préconisons : nous mettons tout en œuvre pour éviter la pénurie. Dans ces conditions, demander à l’Agence de répartir et d’attribuer les gamètes ne se justifierait que si, comme pour les greffons, des critères de compatibilité entraient en jeu, ce qui n’est pas le cas. Cela laisserait donc supposer qu’on organise en quelque sorte des listes d’attentes selon certaines règles de priorisation, ce qui est aux antipodes du discours que nous avons tenu jusqu’à présent.

Selon moi, tout doit être fait au contraire pour rassurer les couples sur le fait qu’il n’y aura pas de pénurie de gamètes et, par ailleurs, il n’existe aucun critère permettant d’attribuer tel gamète à telle receveuse. Je préférerais donc le retrait de cet amendement.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Les associations comme la fédération des CECOS ont très fortement exprimé leur souhait de voir l’Agence de biomédecine harmoniser les règles d’attribution des gamètes.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Attribution signifie appariement en fonction de critères déterminés : le terme est donc, selon moi, mal choisi. En revanche, l’Agence aura la tâche, dès que la loi sera votée, de se rapprocher des CECOS pour leur demander d’élaborer leurs règles de bonnes pratiques, de façon à ce que celles-ci soient harmonisées.

Mme Coralie Dubost. Comme le souligne l’exposé des motifs de l’amendement de la rapporteure, l’objectif poursuivi est bien de participer à l’harmonisation des pratiques des CECOS. Je me réjouis donc de ce guide des bonnes pratiques que vous annoncez, mais que se passera-t-il s’il n’est pas respecté ? Qu’est-il prévu en matière d’évaluation, de contrôle, voire de correction de pratiques qui ne seraient pas conformes ?

M. Raphaël Gérard. Je me réjouis également de cette harmonisation des pratiques. Cela étant, la question de la répartition mérite d’être évoquée, puisque certaines personnes appartenant à des ethnies minoritaires sont confrontées à des délais particulièrement longs, faute de gamètes pouvant leur être appariés. Or, peut-être ces gamètes pourraient-ils être disponibles dans d’autres CECOS.

M. Jean-François Eliaou. La notion de répartition me gêne également, mais il me semblerait important que l’on puisse centraliser les données, tant pour l’offre que pour la demande : à moins de faire le tour des CECOS, il est difficile d’obtenir une information consolidée.

M. Brahim Hammouche. Puisque les CECOS sont soumis à des règles de certification par la Haute Autorité de santé, ils doivent probablement répondre à des guidelines, qu’il suffirait de renforcer.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Les CECOS sont soumis à un régime d’autorisation par l’Agence de la biomédecine. S’ils ne respectent pas les règles de bonnes pratiques, ils ne sont plus autorisés.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Je vais retirer cet amendement dont la rédaction, calée sur les dispositions applicables aux dons d’organes, n’est sans doute pas appropriée, mais je reviendrai vers vous d’ici à la séance. Je persiste à penser que les bonnes pratiques sont insuffisantes pour réguler l’activité au niveau national.

L’amendement n° 2434 est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement n° 1301 de Mme Elsa Faucillon.

M. Pierre Dharréville. Conformément aux observations émises par l’Agence de la biomédecine dans son rapport concernant l’application de la loi bioéthique, nous proposons qu’un suivi de santé soit instauré pour les donneurs de cellules souches hématopoïétiques.

Aujourd’hui, la loi prévoit un suivi pour les donneurs d’organes et les donneuses d’ovocytes. En revanche, rien n’est prévu concernant l’état des donneurs de cellules souches hématopoïétiques et, par conséquent, aucun dispositif ne permet d’évaluer les conséquences du prélèvement sur leur santé. Le présent amendement permet de corriger ce déséquilibre.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. C’est déjà prévu, et cet amendement est donc satisfait.

L’amendement n° 1301 est retiré.

La commission examine l’amendement n° 2435 de la rapporteure.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Cet amendement a, d’une part, pour objet de compléter le fichier des donneurs, des dons et des enfants issus de l’assistance médicale à la procréation, avec les données relatives aux personnes en attente de dons de gamètes ou d’embryons.

Il vise, d’autre part, à maintenir la mission de l’Agence de la biomédecine consistant à assurer une information permanente du Parlement et du Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques dans le domaine des neurosciences.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Cette mission est apparue au fil du temps comme éloignée du cœur de métier de l’Agence, qui est compétente dans le domaine de la greffe, de la reproduction, de l’embryologie et de la génétique humaine, et qui n’a donc pas l’expertise interne pour la mener à bien. Cette mission est par ailleurs assumée aujourd’hui par d’autres acteurs, notamment l’ITMO Neurosciences de l’AVIESAN – Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé –, association de chercheurs qui rassemble tous les organismes de recherche dédiés aux neurosciences. Je suis donc défavorable à ce point de votre amendement.

En ce qui concerne l’extension aux personnes en attente de don de gamètes ou d’embryons du registre auquel vous faites référence et dont nous avons débattu à l’article 3, j’y suis également défavorable. Le but de ce registre est de permettre la gestion centralisée des dons, pas d’organiser les files d’attente. Autant je suis convaincue que le suivi et l’accompagnement des personnes en attente doivent être renforcés au sein même des CECOS, autant la centralisation des données les concernant ne me paraît pas de nature à améliorer l’humanité de cet accompagnement. Je préférerais donc que nous retravaillions cette question avec la rapporteure.

L’amendement n° 2435 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 1674 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Les états généraux ont mis au jour de très fortes attentes et beaucoup d’interrogations au sujet de l’intelligence artificielle. Or notre projet de loi n’y consacre qu’un article.

Il me semble que, pour tout ce qui concerne la médecine, il faudrait confier à l’Agence de la biomédecine la mission de réfléchir à ce qui touche à l’intelligence artificielle. Il est certes apparu, lorsque nous avons auditionné ses représentants, qu’elle ne le souhaitait pas forcément, mais les enjeux sont néanmoins là. On peut évidemment envisager de se tourner vers l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour ce qui concerne les certifications et les labelisations, mais il me semble que l’Agence de la biomédecine a malgré tout un rôle à jouer.

Cet amendement reprend pour partie une proposition de loi que j’avais déposée, en la limitant à ce qui, dans le champ de l’intelligence artificielle, vient en interaction avec la biomédecine.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Au regard de l’éclairage que vient de nous donner la ministre sur les neurosciences et les capacités de l’Agence de la biomédecine à traiter de ce sujet, je comprends votre objectif, mais votre amendement me semble inopérant, dans la mesure où l’agence ne dispose pas de l’expertise nécessaire.

Nous avons néanmoins besoin de cette expertise ; le mieux serait donc de retravailler cette question d’ici à la séance, afin de trouver, comme pour les neurosciences, l’organisme adapté, susceptible d’éclairer le Parlement.

M. Thibault Bazin. Une telle proposition devient irrecevable dès lors qu’il faut à l’Agence les moyens financiers d’assumer cette compétence. Si nous voulons avancer dans notre réflexion sur la bioéthique, il nous faut donner des moyens à l’Agence de la biomédecine ; je souhaite, pour la santé de nos concitoyens, madame la ministre, que vous gagniez face à M. Darmanin vos arbitrages budgétaires de cet automne…

L’amendement n° 1674 est retiré.

La commission adopte l’article 30 modifié.

Titre VII
Dispositions finales

Article 31
Habilitations à légiférer par voie d’ordonnance

La commission adopte l’article 31 sans modification.

Article 31
Réexamen de la loi

La commission examine l’amendement n° 983 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Nous sommes victimes d’une injustice légistique… Cet amendement, qui créé les délégations parlementaires à la bioéthique est, sans doute à la suite d’une erreur, le même que les amendements identiques adoptés avant l’article 29. Peut-on espérer un rattrapage, et considérer qu’il est adopté ? (Sourires.)

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. C’était bien tenté, monsieur Bazin !

M. Thibault Bazin. Le monde est injuste et parfois fait de frustration, mais je l’accepte…

L’amendement n° 983 est retiré.

La commission en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements  2437 de la rapporteure, n° 1765 de M. Jean-Louis Touraine et des amendements identiques n° 535 de M. Jean-François Eliaou et n° 1616 de Mme Bérangère Couillard.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. L’amendement n° 2437 a pour objet de restreindre le délai entre deux examens d’ensemble de la loi de bioéthique de sept à cinq ans, conformément à la proposition n° 59 de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique. Il propose, par conséquent, de ramener le délai d’évaluation par l’OPECST de cette même loi de six à quatre ans.

M. Raphaël Gérard. L’amendement n° 1765 est défendu.

M. Jean-François Eliaou. Mon amendement n° 535 propose également de réduire le délai d’examen de la loi par le Parlement de sept à cinq ans.

M. Didier Baichère. L’amendement n° 1616 est défendu.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Ces amendements poursuivent le même objectif, mais je demande le retrait des amendements n° 535 et n° 1616 au profit de mon amendement n° 2437, qui ajuste en conséquence le délai d’évaluation par l’OPECST.

M. Pierre Dharréville. Je me permets d’intervenir maintenant, madame la présidente, car si l’amendement de Mme la rapporteure était adopté, mon amendement n° 1308 tomberait. Il consiste à proposer, non pas de réduire le délai dans lequel le Parlement serait amené à réexaminer cette loi de bioéthique, mais de faire en sorte que l’OPECST se saisisse du sujet tous les trois ans, afin d’effectuer une première étape d’évaluation à mi-terme.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Certes, l’évolution des techniques nécessite que nous procédions plus fréquemment à la révision des lois de bioéthique, et à mon sens, il serait justifié de procéder à au moins une révision par quinquennat. Mais de là à prévoir une révision tous les trois ans…

M. Pierre Dharréville. En fait, je propose de revoir la loi tous les sept ans, mais en prévoyant une évaluation par l’OPECST à mi-terme, c’est-à-dire tous les trois ans – étant précisé que cette évaluation ne déboucherait pas systématiquement sur une révision.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Sur ce point, il vous revient évidemment de décider ; c’est pourquoi j’émets un avis de sagesse.

Le Gouvernement estime qu’il convient de fixer un délai maximal entre deux révisions, mais que rien ne doit empêcher de réviser la loi avant l’échéance prévue quand le besoin technique s’en fait sentir, quand les sociétés savantes, les associations de malades ou les parlementaires interpellent.

Les décrets d’application mettent souvent du temps à être pris. Ainsi, pour ce qui est de la mise en œuvre des dispositions relatives à l’accès aux origines, et notamment de la constitution d’un nouveau stock de gamètes, nous savons d’ores et déjà que nous ne serons sans doute pas opérationnels avant un an et demi.

L’évaluation à mi-parcours peut se révéler très courte, et il semble difficile d’envisager plus d’une révision tous les cinq ans, quand on sait qu’il faut organiser, un an à l’avance, des États généraux de la bioéthique. En prévision de la présente loi, nous nous sommes attelés début 2018, autrement dit depuis deux ans, à ce qui représente un énorme travail. Une révision tous les cinq ans permettrait d’être en adéquation avec le quinquennat présidentiel et la législature parlementaire, mais force est de reconnaître que même le rythme d’une révision tous les sept ans n’a jamais pu être tenu : aujourd’hui, nous avons déjà un an et demi de retard…

Je vous le répète, la décision vous revient, mais je me devais de vous alerter sur l’opérationnalité des mesures que vous proposez.

M. Pierre Dharréville. Je suis sensible à ce qui vient d’être dit par Mme la ministre quant aux difficultés auxquelles une réduction du délai de révision pourrait nous confronter. Effectivement, les sujets sur lesquels portent les lois de bioéthique, et l’importance des décisions prises dans ce cadre, nécessitent de prendre un certain recul et de pouvoir travailler en toute sérénité, sans être obligé de courir sans cesse contre le temps.

Cela dit, j’insiste sur le fait que ma proposition ne consistait pas à réduire le délai entre deux révisions, mais simplement à permettre une évaluation à mi-terme, sous une forme restant à définir, afin d’être en mesure d’anticiper plus facilement certaines choses et éventuellement de prendre des décisions de manière anticipée.

M. Brahim Hammouche. Nous ne devons pas perdre de vue que nous venons d’adopter le principe de mise en place d’une délégation composée de trente-six parlementaires qui, si nous en restions au rythme de sept ans, pourrait travailler efficacement et sereinement. Comme l’a rappelé Mme la ministre, les délais n’ayant jamais pu être tenus, il est vain de chercher à les réduire encore : entre l’idéal et la réalité, il faut trouver un juste milieu, ce que permettra sans doute la mise en place de la délégation, dont le fonctionnement pourrait se caler sur le quinquennat tandis que la révision continuerait à se faire tous les sept ans.

M. Patrick Hetzel. Cette question de la révision a toute son importance. On sait que le temps de la recherche et le temps politique, dévolu à la prise de décision, ne se superposent pas systématiquement : quand on discute avec des chercheurs, on les entend souvent dire que les choses ne vont pas assez vite.

Cela dit, je suis sensible aux propos qu’a tenus Mme la ministre, et j’estime moi aussi que vouloir procéder à une révision tous les cinq ans relève du wishful thinking : nous aurions tous envie d’atteindre cet objectif, mais celui-ci n’est pas raisonnable.

Par ailleurs, si certains estiment que chaque quinquennat devrait donner lieu à une nouvelle loi de bioéthique, je n’en fais pas partie. Je considère en effet que, si l’on veut aboutir à des consensus et faire en sorte que les sujets dont il est question dans le cadre des lois de bioéthique donnent lieu à des débats un peu moins politisés que d’autres, la réduction à cinq ans du délai entre deux révisions n’est pas souhaitable, car cela aboutirait à ce que chacun veuille avoir son marqueur. Jusqu’à présent, les lois de bioéthique qui se sont succédé ont réussi à éviter cet écueil – c’est la seule chose dont nous soyons certains.

Pour avoir moi-même été partisan du quinquennat, notamment pour la durée du mandat du Président de la République, je suis bien placé pour dire aujourd’hui que cela ne me paraît finalement pas la meilleure formule, et que vouloir tout aligner sur le rythme quinquennal n’est sans doute pas une bonne idée. Travailler sur les lois de bioéthique, cela revient un peu à pousser le rocher de Sisyphe : à chaque fois que l’on croit avoir atteint une position d’équilibre, le rocher bascule et il faut tout recommencer. Mon intime conviction est que nous ferions mieux de nous en tenir au rythme de révision actuel.

Mme Coralie Dubost. J’entends votre point de vue, madame la ministre, mais force est de reconnaître que l’amendement de la rapporteure ne me paraît pas sans intérêt… En tant que rapporteure sur les articles 3 et 4, j’estime que sur des sujets tout à la fois techniques et sociétaux tels que l’accès aux origines par les données identifiantes et non identifiantes, ou la filiation pour les couples de femmes ayant accès à la PMA, devoir atteindre sept ans pour voir traiter une affaire aussi personnelle et intime, c’est extrêmement long.

Lors des précédentes lois de bioéthique, celles de 2004 et de 2011, ces sujets avaient été abordés de façon un peu hésitante par le législateur, qui n’avait pas osé trancher, alors que des générations d’enfants, et de nombreux couples de femmes, suivaient les débats avec le fol espoir de voir leur situation enfin prise en compte, et des réponses leur être apportées. Pouvez-vous imaginer la déception de ces personnes quand le cap de la loi de bioéthique est franchi, c’est-à-dire quand la révision s’achève, sans qu’aucune vraie décision n’ait été prise, et qu’elles savent devoir attendre sept longues années avant de pouvoir à nouveau espérer un changement ?

Sept ans sans aucune chance de voir évoluer sa situation personnelle, parfois très douloureuse, c’est extrêmement long. C’est pourquoi, si l’idée d’un délai de cinq ans ne paraît pas satisfaisante en termes d’opérationnalité, et parce qu’il ne semble pas permettre le recul nécessaire à la prise en considération et à l’évaluation de certaines avancées scientifiques avant de se déterminer, je pense que sur certains sujets, où la science se mêle à des aspects sociétaux profonds, nous devons au moins être en mesure de les détacher afin de les traiter dans un délai inférieur à sept ans. Je peux vous assurer que les avancées consacrées par les articles 3 et 4 de la présente loi sont attendues depuis très longtemps, et que cette attente démesurée a produit des souffrances qui l’étaient tout autant.

La question me paraît donc à tout le moins devoir être débattue, que ce soit sous la forme de la proposition actuelle de la rapporteure ou sous une autre.

M. Jean-François Eliaou. Je voudrais compléter sur certains points l’intervention de Mme Coralie Dubost, sur laquelle je suis totalement d’accord.

Premièrement, le délai ne serait pas vraiment de cinq ans, mais de cinq ans à dater de la promulgation de la précédente loi, comme le précise l’amendement de Mme la rapporteure.

Deuxièmement, nous savons parfaitement que ce délai de cinq ans ne sera pas respecté, et qu’en réalité la loi ne sera révisée que tous les six ans.

Je voudrais insister sur un autre point. Nous avons tous une soif d’intégrer un maximum de dispositions dans la loi relative à la bioéthique car elle ne revient que tous les sept ans. Cela conduit à du stress, à une volonté de tout mettre dans ce texte. Si on passait à une fréquence un peu plus faible, de cinq ans, cela permettrait d’avoir de la sérénité et on ne serait pas obligé de reprendre tous les articles à chaque fois.

M. Thibault Bazin. C’est un débat intéressant. Tout dépend si vous êtes pressés ou non d’adopter certaines mesures : je suis en train de réfléchir à un amendement qui proposerait une fréquence de vingt ans dans l’hypothèse où la prochaine loi dans ce domaine légitimerait la gestation pour autrui (GPA). (Sourires.)

Nos débats auraient été d’un autre ton, et ils auraient été plus proches des exercices précédents, si l’on avait sorti du texte ce qui concerne la filiation – cela aurait pu faire l’objet d’un autre projet de loi. C’est vrai qu’il y a des connexions – je ne les nie pas –, mais cela conduit à un décalage par rapport à ce que nous avons l’habitude de faire en matière de bioéthique, et ce n’est pas un aspect négligeable.

Et si c’est pour avoir la GPA à la prochaine loi, je me demande même si je ne vais pas proposer un délai de 99 ans afin de ne pas la voir adoptée de mon vivant. (Sourires.)

M. Guillaume Chiche. Je suis plutôt favorable à un cycle régulier de cinq ans. Le champ des possibles évolue de plus en plus vite et je ne pense pas que le législateur soit là pour courir après le progrès scientifique ou des demandes sociétales. Je ne m’inscris pas dans un calendrier électoral ou concernant le Président de la République et l’exécutif : je suis très attaché à ce qui peut être fait par la représentation nationale.

Que se passerait-il si l’on maintenait un délai de sept ans ? La promulgation du présent texte devrait avoir lieu en 2020, ce qui nous amènerait à une révision en 2027. Les heureux élus de la prochaine législature ne seraient donc pas amenés à s’interroger et à légiférer dans ce cadre pendant leur mandat. Sans revenir sur les sujets propres à chaque révision ni sur ceux qui nous ont plus particulièrement intéressés ces derniers jours, comme les diagnostics préimplantatoires et les questions de procréation et de filiation, bien d’autres éléments mériteraient d’être soumis à l’étude et à la sagacité de la XVIe législature – la prochaine. L’idée que les députés qui viendront après nous pourraient ne pas être amenés à se prononcer suscite en moi des interrogations.

M. Pierre-Alain Raphan. Je soutiens la proposition de la rapporteure. Compte tenu du rythme d’évolution des nouvelles technologies, ce n’est pas un luxe d’avoir une forme de veille et de pouvoir adapter la législation tous les cinq ans. J’en profite pour tendre la main à M. Bazin, afin que nous travaillions ensemble sur l’article 30.

M. Marc Delatte. Il y aura toujours une tension entre les avancées des technologies et de la science et le temps politique. Outre les sujets sociétaux forts dont nous avons débattu, des questions relatives à la génomique, à l’intelligence artificielle et à notre interaction avec l’environnement vont se poser à l’avenir. Beaucoup de travaux sont en cours au sein du CCNE sur l’ensemble de ces enjeux. Il y a également le sujet de l’éthique, dont nous n’avons pas parlé : l’éthique à la française, mais aussi l’éthique face à la mondialisation et l’idée qui consisterait à tendre vers une éthique européenne, sur des bases communes.

M. Pierre-Alain Raphan. Tout à fait.

Mme Aurore Bergé. La création d’une délégation sera une véritable avancée : cela permettra d’assurer la veille qui a été évoquée et de réaliser un travail parlementaire. Tout au long de l’examen de ce texte en commission, nous avons insisté sur l’exception française qui est liée au processus de révision de la loi relative à la bioéthique – c’est un processus de maturation. Cela ne me gênerait pas, si nous sommes réélus, qu’il n’y ait pas nécessairement d’obligation dans ce domaine lors d’un prochain quinquennat.

M. Thibault Bazin. Vous serez alors dans la minorité ! (Sourires.)

Mme Aurore Bergé. Qu’il y ait des arbitrages politiques lors d’une révision de cette loi, c’est évident, mais je pense qu’il ne faut pas établir un lien avec le temps politique ou avec l’élection présidentielle : cela n’a rien à voir avec l’objet d’une telle révision, et je pense qu’on ne serait pas du tout dans le même contexte. Le processus de maturation qui a eu lieu avec les États généraux de la bioéthique, la tenue de conventions dans les régions, l’avis du CCNE et la mission d’information de l’Assemblée nationale n'auraient certainement pas été identiques si le rythme avait été accéléré. Garder une durée plus longue, de sept ans, ce qui implique un débat presque tous les cinq ans compte tenu du processus de maturation, me paraît plutôt de nature à conforter dans notre pays un modèle qui me paraît extrêmement vertueux.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la commission sur ces amendements : nous n’avons pas à prescrire au Parlement comment ce dernier doit adopter la loi. Je vous ai fait part de mon point de vue, mais il m’est tout à fait personnel. Le Gouvernement considère que le choix appartient au Parlement.

La commission rejette successivement les amendements n° 2437 et  1765 ainsi que les amendements n° 535 et n° 1616.

La commission examine l’amendement n° 536 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Par cet amendement, je propose que le rapport de l’OPECST soit remis six mois avant le début des travaux de révision de la loi de bioéthique, quelle que soit la périodicité de cette révision.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Votre amendement ne me paraît pas utile, dans la mesure où l’OPECST a toute liberté pour élaborer son programme de travail. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement n° 536.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 1308 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Dès lors que le projet de loi prévoit que la révision de la loi bioéthique interviendra dans un délai maximal de sept ans, il paraît opportun que l’OPECST puisse se saisir du sujet tous les trois ans, afin d’effectuer une première évaluation et de mieux saisir ainsi les évolutions technologiques dont nous savons combien elles sont rapides en matière de bioéthique.

Mme Laëtitia Romeiro Dias, rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement est satisfait par la création de la délégation qui aura pour objet spécifique la bioéthique et qui pourra réaliser ces travaux d’évaluation.

M. Jean-François Eliaou. Je tiens à apporter une précision importante. Je suis désolé de vous contredire, madame la rapporteure, mais il est faux de dire que l’OPECST est libre d’organiser ses travaux comme il l’entend. Du reste, il n’a pas non plus le droit de s’autosaisir. Ces questions doivent faire l’objet de dispositions législatives.

M. Pierre Dharréville. Nous verrons comment travaillera la délégation que vous proposez de créer. Je pense, par exemple, au nombre des parlementaires qui la composeront – mais cela renvoie à d’autres débats que nous aurons en d’autres temps. Quoi qu’il en soit, les travaux de cette délégation pourraient s’appuyer sur ceux de l’OPECST. C’est pourquoi il me paraît intéressant d’établir un lien entre ces deux instances, qui ne doivent pas être opposées.

La commission rejette l’amendement n° 1308.

Elle adopte ensuite l’article 32 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié. (Applaudissements.)

M. Thibault Bazin. Mon opposition est seulement signe de vigilance… Du reste, j’ai fait le calcul : 60 % des articles nous conviennent !

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Cela méritait d’être dit !

M. Thibault Bazin. Et, permettez-moi de le dire, vous avez assuré, madame la présidente !

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je suis touchée !

Je vous remercie pour ces trois semaines passionnantes et je vous donne rendez-vous pour la semaine prochaine.

 

 

 

 

 


([1])  La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.

([2])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8082225_5d77ab1bedbeb.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-10-septembre-2019

([3])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8086398_5d77f4145a689.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-10-septembre-2019

([4])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8088145_5d78a057badac.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-11-septembre-2019

([5])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8091678_5d78e65f0b555.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-11-septembre-2019

([6])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8096216_5d7948f79a2e8.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-11-septembre-2019

([7])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8098232_5d79f3ebd9599.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-12-septembre-2019

([8])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8100352_5d7a380622116.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-12-septembre-2019

([9])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8102306_5d7a934ec8666.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-12-septembre-2019

([10])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8103265_5d7b43743e513.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-13-septembre-2019

([11])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8105222_5d7b837944242.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-13-septembre-2019

([12])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8107435_5d7bf706cf6eb.commission-speciale-bioethique--projet-de-loi-relatif-a-la-bioethique-suite-13-septembre-2019