N° 2374

______

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIEME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, autorisant lapprobation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale dAllemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien,

PAR M. Bruno JONCOUR

Député

——

AVIS

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES

PAR Mme Séverine GIPSON

Députée

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Voir le numéro :  2043.


 

 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

 Pages

introduction

I. une coopération militaire franco-allemande toujours plus étroite

A. une lente mais certaine convergence dans le domaine militaire depuis 1945

B. Une coopération structurelle, opérationnelle et capacitaire DENSE

1. Des objectifs de sécurité convergents

2. Une coopération opérationnelle réaffirmée par le traité d’Aix-la-Chapelle

3. Un renforcement de la coopération capacitaire, un préalable indispensable

C. des incertitudes persistantes

1. Des approches parfois différentes en matière de défense

2. Des incertitudes politiques et budgétaires

II. L’ACCORD : vers une unité commune de transport tactique

A. son objet : mutualiser le transport tactique

B. Son dispositif : un copilotage conjoint

C. un processus de mise en œuvre entamé en attendant l’ApProbation de l’accord

CONCLUSIOn

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE : texte adoptÉ par la commission

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

AVIS DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE nationale ET DES FORCES ARMÉES

I. La coopération franco-allemande dans le domaine de la défense : une relation éprouvée et dynamique

A. L’approfondissement constant de la coopération militaire bilatérale

1. Du traité de l’Élysée au traité d’Aix-la-Chapelle : plus de cinquante ans de coopération dans le domaine de la défense

2. Le transport aérien tactique au cœur de la coopération militaire franco-allemande

B. L’actualité de la coopération militaire bilatérale

1. Dans le domaine opérationnel

2. Dans le champ capacitaire

II. la création d’une unité binationale de transport aérien tactique : un projet ambitieux au service des deux pays

A. Le cadre général du projet

1. La création d’une unité binationale

2. La création d’un centre de formation et d’entraînement commun

B. une unité au service des deux pays

1. L’intérêt pour l’Allemagne

2. L’intérêt pour la France

III. un accord technique dont l’approbation rapide conditionne l’achèvement du projet

A. Des dispositions essentiellement techniques mais indispensables à la poursuite des travaux

1. Un projet initié il y a trois ans

2. Le contenu de l’accord

B. Aller vite pour prévenir les retards

1. L’approbation de l’accord ne peut être autorisée que par le Parlement

2. Un calendrier à accélérer autant que possible

TRAVAUX DE LA COMMISSION SAISIE POUR AVIS

ANNEXE 1

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES par la rapporteure pour avis et DÉPLACEMENT


—  1  —

   introduction

Le traité l’Élysée de 1963, qui a scellé la réconciliation entre la France et l’Allemagne, a jeté les bases d’une coopération de défense concrète entre les deux États. Avec la diplomatie et l’éducation, la défense constituait en effet l’un des trois domaines couverts par le traité. La convention incluait notamment des dispositions concernant la fréquence des rencontres entre ministres de la défense et responsables militaires des deux pays, le rapprochement des doctrines militaires, les échanges de personnels ou encore les bases d’une coopération en matière d’armement.

Le préambule du présent accord y fait référence pour réaffirmer la volonté des deux pays de développer leur coopération dans le domaine militaire en général et dans le domaine du transport tactique aérien en particulier.

Signé à Berlin le 10 avril 2017, l’accord entre la République Française et la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition d’outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien vient donner une traduction concrète à ces engagements. En effet, il prévoit la création, à l’horizon 2021, d’une unité aérienne franco-allemande opérant et soutenant conjointement une flotte mutualisée de douze aéronefs de type C130-J – destinés à assurer des missions de protection, d’intervention et de soutien logistique et d’une capacité de transport de 13 à 15 tonnes – et un centre de formation et d’entraînement commun.

Dans les théâtres d’opérations extérieures, le transport aérien est en effet fondamental dès lors qu’il permet de projeter des troupes et du matériel et de les retirer sans dépendre d’alliés poursuivant parfois des objectifs divergents comme en témoignent les récentes décisions des États-Unis dans le Nord-Est syrien.

Le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 22 janvier 2019 et dont l’Assemblée nationale a autorisé la ratification le 3 octobre dernier, a, depuis lors, renforcé encore la coopération en matière de défense, au-delà de la clause d’assistance mutuelle en vertu de laquelle nos deux pays sont liés en application de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et du paragraphe 7 de l’article 42 du traité sur l’Union européenne, qui justifie que les deux pays convergent sur leurs objectifs et politiques de sécurité et de défense. Il fait référence au rôle du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, institué en 1988, pour favoriser la coordination dans ce domaine.

Pour l’avenir, les deux pays s’engagent dans ce traité à chercher à agir conjointement dès que ce sera possible pour maintenir la paix et la sécurité dans le monde, à développer l’Europe de la défense, à combler ses lacunes capacitaires.

En définitive, le présent accord est un premier pas franco-allemande vers une Europe de la défense qui se décide enfin à exister.

Votre rapporteur vous invite donc à l’adopter.

 


—  1  —

I.    une coopération militaire franco-allemande toujours plus étroite

A.   une lente mais certaine convergence dans le domaine militaire depuis 1945

En 1945, la priorité de la France était d’abord de se protéger d’un futur nouveau danger allemand. Ainsi, notre pays a participé aux réflexions sur les structures de sécurité collective en Europe. La France a alors signé le traité de Bruxelles de 1948 associant le Royaume-Uni et les pays du Benelux dans une alliance défensive. En 1950, face à la menace soviétique et aux demandes américaines d’intégrer l’Allemagne dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la France avait proposé la création d’une Communauté européenne de défense (CED) dotée d'une armée européenne et rattachée aux institutions politiques d’une Europe unie. Le fait que les partenaires européens de la France aient souhaité placer la CED sous la supervision de l’OTAN avait conduit à son rejet par la France en août 1954, à l’intégration de l’Allemagne dans l’OTAN en 1955, et à un long sommeil de la politique européenne de défense.

Le traité de réconciliation dit de l’Élysée a fait de la coopération en matière de défense l’un des trois axes de coopération et permis d’ouvrir de nombreux chantiers qui ont toutefois mis du temps à se concrétiser, en raison du fait notamment de la détente entre les blocs soviétique et occidental consécutif à la crise des missiles de Cuba qui a rendus ces chantiers moins urgents.

Dans les années 1980, dans un contexte de tensions renouvelées par l’invasion de l’Afghanistan et la crise des euromissiles, la France et la République fédérale d’Allemagne ont décidé d’activer leur coopération en matière de sécurité et de défense. C’est dans ce contexte que fut prise une série de décisions créant des mécanismes institutionnels – protocole de 1988 établissant un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité – et renforçant le contenu de la coopération
– création de la brigade franco-allemande, manœuvres conjointes, formation croisée d’officiers, lancement du programme d’hélicoptère de combat Tigre.

En outre, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense (PESC), la France et l’Allemagne travaillent ensemble au renforcement de l’autonomie stratégique de l’Europe, avec cependant un attachement allemand toujours réaffirmé pour le lien transatlantique. L’adoption d’un concept stratégique commun en 1996 a complété ce rapprochement par un travail de mise en cohérence de nos doctrines de sécurité.

Plus près de nous, la signature du traité d’Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019 intervient alors que l’environnement stratégique de la France, de l’Allemagne et de l’Europe est de plus en plus instable, marqué par la menace terroriste et le retour de logiques d’affirmation de puissance, notamment de la part de la Russie et de la Turquie, cette dernière étant pourtant membre de l’Alliance atlantique. Elle s’inscrit d’autre part dans un effort de renforcement de la capacité des Européens à assumer la responsabilité de leur sécurité. Le traité reflète et prolonge la relance de la coopération franco-allemande intervenue récemment, notamment dans le domaine capacitaire. Il donne ainsi un cadre général, ambitieux et pérenne aux futurs développements du partenariat de la France et de l’Allemagne en matière de défense. Il comprend une clause d’aide et d’assistance mutuelles, sur le fondement des articles 5 du Traité de l’Atlantique Nord et 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne.

B.   Une coopération structurelle, opérationnelle et capacitaire DENSE

1.   Des objectifs de sécurité convergents

Sur le plan structurel, la coopération de défense entre la France et l’Allemagne est pilotée par le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS), institué en 1988 et dont le rôle a été réaffirmé et élargi par le traité d’Aix-la-Chapelle, qui le définit comme « organe politique de pilotage [des] engagements réciproques ». Coprésidé par le Président de la République et le Chancelier fédéral, le CFADS réunit les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux États. Ses réunions sont préparées par différents groupes de travail, parmi lesquels le groupe franco-allemand de coopération militaire (GFACM), qui réunit le major général des armées et son homologue allemand, et le groupe de travail sur la coopération en matière d’armement (GTCA), qui réunit le directeur de la stratégie de la direction générale de l’armement (DGA) et le directeur de l’armement allemand. Le CFADS s’est tenu pour la dernière fois le 16 octobre 2019 à Toulouse en marge du Conseil des ministres franco-allemand (CMFA).

À ce jour, les interactions entre la France et l’Allemagne dans le domaine de la coopération structurelle de sécurité et de défense se concentrent sur la région sahélienne, priorité partagée par nos deux États. En effet, les deux pays travaillent conjointement dans le cadre de l’Alliance Sahel, particulièrement sur son secteur « sécurité intérieure ». Par ailleurs, les Allemands sont très présents au sein de l’École de maintien de la paix (EMP) de Bamako qu’ils financent dans ce cadre à hauteur de 1,4 million d’euros en 2019. Enfin, notre partenaire soutient à hauteur de 1,2 million d’euros, le Collège de défense du G5 Sahel.

Votre rapporteur souligne que la coopération franco-allemande se déploie au Sahel, loin de l’idée reçue habituelle qui veut que l’Allemagne serait uniquement préoccupée par la sécurité à l’est du continent européen, tandis que la France serait la seule à assurer la sécurité des limites sud de l’Union à travers une politique méditerranéenne et sahélienne solitaire. Autrement dit, les priorités française et allemande en termes d’intervention extérieure sont largement partagées – lutte contre le terrorisme, crises humanitaires-sécuritaires et immigration. À titre d’exemple, la France va appuyer la création d’une unité amphibie interministérielle et interarmées, dont l’équipement sera financé par l’Allemagne, dans le cadre de la lutte contre le mouvement Boko Haram sur la région du lac Tchad.

2.   Une coopération opérationnelle réaffirmée par le traité d’Aix-la-Chapelle

Dans le domaine opérationnel, la France et l’Allemagne partagent, aux termes de l’article 4 du Traité d’Aix-la-Chapelle, la volonté d’« agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible […] en vue de maintenir la paix et la sécurité ».

Ces dernières années, nos deux pays ont multiplié les déploiements conjoints sur différents théâtres : au Sahel avec le déploiement de la Brigade franco-allemande entre novembre 2018 et mars 2019, au Levant dans le cadre de la coalition contre Daech ou encore en Lituanie dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN où la participation française se traduira en 2020 par l’envoi de 300 soldats, quatre chars Leclerc et treize véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI). En outre, l’Allemagne a rejoint, le 25 juin 2018, l’Initiative européenne d’intervention (IEI), lancée par la France en vue de rapprocher les cultures stratégiques de ses membres. La France et l’Allemagne conduisent enfin des projets à dimension opérationnelle dans le cadre de la coopération structurée permanente de l’Union européenne.

l’Initiative européenne d’intervention (IEI)

L’idée d’une « Initiative européenne d’intervention », développée par le Président de la République dans son discours prononcé à la Sorbonne en septembre 2017, découle du constat de l’existence de divergences profondes entre pays européens, qui contribuent à miner les efforts entrepris pour développer la politique européenne de défense.

Le Président de la République a énoncé cette idée en ces termes : « Ce qui manque le plus à l’Europe aujourd’hui, cette Europe de la Défense, c’est une culture stratégique commune. Notre incapacité à agir ensemble de façon convaincante met en cause notre crédibilité en tant qu’Européens. Nous n’avons pas les mêmes cultures, parlementaires, historiques, politiques ni les mêmes sensibilités. […] Je propose dès à présent de construire cette culture en commun, en proposant une initiative européenne d’intervention visant à développer cette culture stratégique partagée. […] Je propose ainsi à nos partenaires d’accueillir nos armées nationales – et j’ouvre cette initiative dans les armées françaises – des militaires venant de tous les pays européens volontaires pour participer, le plus en amont possible, à nos travaux d’anticipation, de renseignement, de planification et de soutien aux opérations. Au début de la prochaine décennie, l’Europe devra ainsi être dotée d’une Force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir […]. »

Dix États se sont associés à cette initiative, via la signature, en juin 2018, d’une lettre d’intention : Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Estonie, Portugal, Danemark, Finlande et Royaume-Uni. Les directives politiques diffusées en novembre 2018 ont permis le lancement, au niveau des armées, de groupes de travail dans les domaines de l’anticipation stratégique, du développement de scénarios et de la planification, de l’appui aux opérations, ainsi que du retour d’expérience et du partage de doctrines.

L’Italie a finalement demandé le 21 septembre dernier à rejoindre l’initiative. La participation britannique montre la volonté du Royaume-Uni de rester partie prenante de la sécurité et de la défense européenne.

3.   Un renforcement de la coopération capacitaire, un préalable indispensable

Par l’article 4 du Traité d’Aix-la-Chapelle, la France et l’Allemagne se sont engagés à « intensifier l’élaboration de programmes de défense communs » et à « favoriser la compétitivité et la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne ».

Les deux États ont d’ores et déjà conduit, parfois avec d’autres pays européens, de nombreux programmes de coopération – hélicoptères NH90 et Tigre, avion de transport A400M, missiles MILAN et METEOR – et ont lancé, à l’occasion du CFADS du 13 juillet 2017, deux programmes majeurs : le char de combat de nouvelle génération, pour succéder aux chars Leclerc et Léopard, et le système de combat aérien du futur, pour remplacer les flottes de Rafale et d’Eurofighter Typhoon.

Dans le domaine aérien encore, la France et l’Allemagne participent au programme de drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance). Les deux États se sont, par ailleurs, engagés à développer une capacité de patrouille maritime. Afin de consolider ces nombreux programmes, la France et l’Allemagne partagent la volonté d’exploiter les possibilités offertes par l’Union européenne comme la coopération structurée permanente ou le Fonds européen de défense.

La coopération dans le domaine du transport tactique aérien s’inscrit bien évidemment dans cette dynamique.

Par ailleurs, outre le futur escadron binational de transport tactique C-130J, basé à Évreux, les unités binationales les plus emblématiques sont :

– la Brigade franco-allemande (BFA), dont le bataillon de soutien est également binational ;

– l’école franco-allemande du Tigre basée au Luc-en-Provence ;

– et son pendant en Allemagne, l’école de la maintenance du Tigre, à Fassberg.

La coopération peut également s’incarner par l’échange de personnel dans les structures allemandes et françaises : échange de pilotes de chasse en escadron de combat, d’instructeurs dans le domaine de la maintenance A400M en Allemagne et du pilotage tactique à Orléans.

C.   des incertitudes persistantes

1.   Des approches parfois différentes en matière de défense

Dans un contexte d’incertitudes stratégiques accrues – question récurrente du « découplage » stratégique avec les États Unis, Brexit, menace terroriste, remise en cause de l’ordre multilatéral notamment –, les approches françaises et allemandes diffèrent parfois sur des points importants en matière de défense.

L’Allemagne se montre soucieuse de ne pas remettre en cause l’OTAN quelles que soient les positions prises notamment par les États-Unis ou par un autre membre de l’Alliance. La France, quant à elle, maintient une position singulière à l’endroit de l’Alliance atlantique. Elle exprime davantage d’intérêt pour un pilier européen de défense. La France se montre en outre très attachée à des projections extérieures et à la dissuasion nucléaire, tandis que l’Allemagne préfère traditionnellement un statut de « soft power » et exprime des réticences à l’égard de toute intervention militaire, même si elle a évolué sur cette question depuis la conférence sur la sécurité à Munich en 2014. La sensibilité allemande aux questions nucléaires rend, par ailleurs, tout dialogue sur le sujet délicat.

En sein de l’Union européenne, la France a longtemps privilégié la relation bilatérale avec le Royaume-Uni : déclaration de Saint-Malo de 1998, qui avait conduit des avancées institutionnelles importantes en matière de défense européenne dans le traité de Nice, accord de Lancaster House de 2010, culture opérationnelle commune. Cette relation ne devrait pas être affectée par le Brexit. Cependant, la France doit renforcer sa coopération de défense avec l’Allemagne, qui apparaît dans le contexte actuel comme la seule force structurante pour l’Union européenne post-Brexit.

2.   Des incertitudes politiques et budgétaires

L’avenir de la relation franco-allemande de défense est étroitement lié à l’évolution du contexte politique interne en Allemagne dans les prochaines années. Si les élections en Brandebourg et en Saxe ont permis jusqu’à lors à la coalition gouvernementale d’envisager de se maintenir – SPD et CDU y étant respectivement arrivées en tête malgré de fortes baisses –, un retrait des sociaux-démocrates du gouvernement avant la fin de la législature n’est toujours pas exclu. Des élections anticipées pourraient amener en Allemagne des forces politiques plus réservées à l’égard de la coopération militaire franco-allemande à jouer un rôle dans un éventuel gouvernement de coalition.

Par ailleurs, la concrétisation des programmes conduits en coopération avec l’Allemagne dépendra d’une remontée en puissance durable des budgets de défense des deux États. En France, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une augmentation du budget de la défense de 1,7 milliard d’euros pour le porter à 37,5 milliards d’euros. En Allemagne, le budget de la défense doit passer à 45,1 milliards d'euros à compter de 2020 contre 43,2 milliards cette année, soit une augmentation de 2,1 milliards d’euros. La ministre fédérale de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a en effet réaffirmé l’objectif d’atteindre 1,5 % du PIB consacré aux dépenses de défense pour arriver à plus long terme à 2 %.

Ces efforts visent à combler la faible disponibilité opérationnelle de l’armée allemande qui peut constituer un motif d’inquiétude au regard de l’objectif d’engagements communs. La volonté du gouvernement allemand d’engager une remontée en puissance de la Bundeswehr, dans le cadre de la « conception de la Bundeswehr » adoptée en 2018, constitue à ce titre une évolution positive.

Cet effort devra être soutenu dans la durée dans un contexte d’incertitudes stratégiques accrues.

 


—  1  —

II.   L’ACCORD : vers une unité commune de transport tactique

A.   son objet : mutualiser le transport tactique

Initiée au printemps 2016 par les deux ministres de la défense, Jean-Yves Le Drian et Ursula von der Leyen, la mutualisation d’une flotte en matière de transport tactique aérien constitue un axe majeur de coopération entre la France et l’Allemagne. Cette volonté s’est concrétisée par deux lettres d’intention, signées les 4 octobre 2016 et 15 février 2017, où les deux ministres de la défense ont confirmé leur engagement sur le principe de cette coopération qui consiste à créer d’une part, une unité aérienne franco-allemande opérant et soutenant conjointement une flotte mutualisée d’avions de transport tactique de type C-130J constituée de douze appareils, d’autre part, un centre de formation et d’entraînement commun sur la base aérienne d’Évreux (Eure).

L’acquisition de ces nouveaux appareils C-130J par la France et l’Allemagne s’inscrit dans un contexte de vieillissement des flottes de transport tactique aérien des deux États et dans une dynamique d’interopérabilité des moyens et de renforcement de la stratégie franco-allemande de mutualisation des capacités.

Qualifiés de « choix de cohérence » par la ministre des armées lors de la cérémonie d’accueil du premier appareil, ils offrent à l’armée de l’air des capacités de transport logistique – personnels et matériels – et tactiques dès lors qu’ils permettent les atterrissages en terrains sommaires et l’aérolargage de parachutistes et de matériels.

Le déploiement d’un centre de formation complet, destiné à sécuriser la formation des personnels sur ce type d’appareil, constitue, par ailleurs, un atout majeur pour les armées de l’air des deux États.

La mise en place d’un escadron binational a pour ambition de renforcer les coopérations qui existent déjà entre les deux États. Il est ainsi prévu un partage et une interchangeabilité de tous les membres de l’unité binationale. Techniciens, spécialistes et membres d’équipages seront tous capables de travailler en équipes mixtes, sans distinction de nationalité. Tout en conservant la possibilité de conduire des missions dans un cadre purement national, l’un des objectifs est de mener des missions opérationnelles avec des équipages mixtes, aussi bien sur les avions français qu’allemands.

Cette unité sera composée de 260 personnes, à égale répartition entre Français et Allemands. Les premiers appareils français sont réceptionnés et actuellement mis en œuvre à Orléans, dans l’attente de leur transfert avec les équipages et les équipes techniques à Évreux à l’été 2021. Les équipages allemands arriveront alors à Évreux, pour commencer à réceptionner les C130J allemands. Une première capacité opérationnelle doit être atteinte en 2021 avec l’implantation de l’unité à Évreux, puis une capacité opérationnelle complète en 2024, après la réception des derniers avions allemands.

Votre rapporteur souligne qu’outre le bénéfice d’un cofinancement allemand, la création de cette unité binationale permettra d’impliquer nos partenaires allemands dès le début d’une opération au lieu d’attendre, comme c’est le cas aujourd’hui, leur soutien dans une opération que la France a déjà engagée seule. Toutefois, le système constitutionnel allemand prévoit que le Parlement doit autoriser toute intervention militaire au préalable – alors que la Constitution française dispose que le Président de la République décide d’une intervention armée dont seule la prolongation au-delà d’une période de quatre mois est autorisée par le Parlement. Pour lever cet obstacle constitutionnel, le Parlement allemand devra prédéfinir une liste de missions dans le cadre de laquelle, l’unité pourra intervenir.

La coopération en matière de transport tactique

Le transport stratégique aérien couvre l’ensemble des acheminements par voie aérienne entre les bases de métropole et les théâtres d’opérations.

Le transport tactique aérien concerne principalement la mobilité intra-théâtre, en opération, y compris en espace aérien contesté et regroupe l’ensemble des modes d’actions susceptibles d’être utilisés en zone de menace, tels que le largage de parachutistes, le largage de matériel, ou encore de ravitaillement en vol, notamment des hélicoptères.

L’origine de la coopération entre la France et l’Allemagne dans le domaine du transport tactique aérien remonte aux années 1960, avec les travaux conduits en commun pour la construction et l’acquisition d’avions de transport tactique C160 Transall. Le partenariat s’est poursuivi dans cette voie au travers de différents échanges et entraînements en commun : des officiers français sont placés en échange dans les escadrons allemands et des officiers allemands sont présents dans diverses unités et état-major en France depuis de nombreuses années.

La France et l’Allemagne sont par ailleurs les deux États piliers de la mise en place du Commandement européen de transport aérien (EATC, European Air Transport Command), qui assure depuis 2009 la centralisation de la planification et de la conduite de l’essentiel des missions de transport aérien pour l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne et la France.

Le programme A400M a également bénéficié de cette coopération forte. Les spécifications initiales ainsi que le processus d’acquisition de cet appareil ont été définis conjointement. Les pilotes A400M français et allemands, ainsi que les mécaniciens, suivent un cursus de formation commun en Allemagne et en France (Orléans).

C’est dans cette dynamique qu’a été décidée la création de l’unité binationale sur C130J, permettant d’étendre encore cette coopération, notamment au domaine de l’emploi des appareils.

B.   Son dispositif : un copilotage conjoint

Le protocole est articulé selon un préambule et neuf articles.

Le préambule précise que le présent accord s’inscrit dans le cadre du traité de l’Élysée et de son protocole portant création d’un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 22 janvier 1988. Il rappelle l’intention des deux gouvernements de développer leur coopération dans le domaine du transport tactique aérien et pour ce faire, de développer les infrastructures et les outils nécessaires.

L’article 1er énonce l’objet de l’accord et en définit les termes principaux : Des aéronefs seront acquis et fonctionneront à partir de la base d’Évreux à compter de 2021.

L’article 2 précise que la partie française sera chargée de la construction et de la rénovation nécessaire à la couverture des besoins de coopération. Elle agit comme maître d’ouvrage. Il prévoit néanmoins la participation de la partie allemande à la définition des besoins sur une base paritaire.

L’article 3 prévoit les modalités de mise en œuvre de l’article 2, par le biais notamment de la création d’une équipe de coordination.

L’article 4 prévoit la mise à disposition par la France des infrastructures utilisées en commun et des installations existantes sur la base aérienne d’Évreux. Il fixe un maximum de 60 millions d’euros pour chacune des parties en vue de la construction et de la rénovation des infrastructures.

L’article 5 concerne les outils de formation théorique et pratiques destinés aux équipages, au personnel technique – simulateurs de vol et autres – qui seront acquis en commun pour un montant maximum de 50 millions d’euros pour chaque partie.

L’article 6 précise que la partie allemande est exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée conformément à l’article 151-1-c de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

Les articles 7 et 8 fixent les modalités de dénonciation de l’accord et de règlement des différends relatifs à d’éventuelles divergences d’interprétation. Ces derniers seront réglés par la voie de la négociation entre les parties.

L’article 9 indique que le protocole entrera en vigueur un mois après notification par chaque partie de l’achèvement de ses procédures internes (paragraphe 1). Il est conclu pour une durée illimitée, mais peut être dénoncé à tout moment par notification, après un préavis de cinq ans et au terme d’une période de cinq ans.

C.   un processus de mise en œuvre entamé en attendant l’ApProbation de l’accord

Afin d’assurer la coordination de la montée en puissance de l’unité aérienne franco-allemande, les ministères des armées des deux pays ont mis en place un comité de pilotage conjoint se réunissant tous les trimestres, alternativement en France et en Allemagne. La responsabilité de ce comité a été confiée pour la France à l’état-major des armées. Douze groupes de travail permettent de balayer l’ensemble des besoins – emploi des équipages, simulation, infrastructures, réglementation, finances –, afin de respecter les échéances de 2021 et 2024.

En ce qui concerne la construction des bâtiments accueillant l’unité, un groupe de travail dédié aux infrastructures – hangar de maintenance, locaux de l’unité, centre de formation, bâtiment pour les cadres célibataires – a été mis en place pour définir et piloter les processus liés à la formalisation des besoins de chacun des États et définir les jalons à franchir.

La France étant maître d’ouvrage s’agissant de la rénovation et de la construction des infrastructures, les infrastructures technico-opérationnelles – hangar, locaux de l’unité – ont été réalisées et validées : étude de faisabilité, élaboration du programme, réalisation d’un marché de construction, conception, réalisation, aménagement et maintenance qui a été notifié en août 2019. La livraison des infrastructures interviendra en décembre 2021. Chaque État contribue à parts égales à concurrence d’un plafond de 60 millions d’euros conformément à l’article 4 de l’accord.

Les locaux du centre de formation ont été conçus comme un volet du marché de réalisation du simulateur, le titulaire du marché devant également fournir le bâtiment. Chaque État contribue à parts égales, à concurrence d’un plafond de 50 millions d’euros.

 

La base d’Évreux

L’armée de l’air s’est engagée depuis déjà plusieurs années dans une logique de regroupement des flottes d’avions. Ainsi, il avait été prévu, avec le retrait de service des C160 Transall, de regrouper à Évreux les différentes unités de l’armée de l’air mettant en œuvre des C130.

L’objectif, en regroupant les compétences et stocks de pièces de rechange, est de rationaliser et d’optimiser le maintien en condition opérationnel des appareils. Naturellement, base stratégique pour l’armée de l’air française, la base aérienne 105 d’Évreux a donc été considérée comme le meilleur choix, notamment pour des raisons géographiques et physiques : foncier important – ancienne base de l’OTAN, ayant précédemment accueilli des C130 américains jusqu’en 1964 –, longueur de piste importante, proximité de la région parisienne et de ses commodités notamment des possibilités scolaires et pour l’emploi des conjoints.

Ses capacités d’accueil sont importantes et justifient les importants investissements que réalise l’armée de l’air française pour densifier ce site.

 


—  1  —

   CONCLUSIOn

Le présent accord étant un accord intergouvernemental, l’ordre juridique interne allemand ne prévoit pas de procédure de ratification ; l’accord prenant effet dès sa signature.

Nos partenaires allemands attendent donc la fin de la procédure parlementaire française afin d’accélérer leurs préparatifs pratiques.

Au bénéfice de ses remarques, votre rapporteur recommande d’adopter le présent projet de loi visant à autoriser l’approbation de l’accord.


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa première réunion du mercredi 6 novembre 2019, la commission examine le présent rapport.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je souhaite, en notre nom à tous, la bienvenue à Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis de la commission de la défense, qui a donné hier un avis favorable à l’adoption du projet de loi qui nous est soumis. Elle prendra la parole sur cette question juste après notre rapporteur. L’actualité dans le Nord-Est syrien nous montre que la question de notre autonomie stratégique se pose avec une très grande acuité. À cette aune, la maîtrise du transport tactique apparaît absolument fondamentale.

Ce type de transport tactique aérien concerne principalement la mobilité entre les théâtres d’opérations, y compris dans l’espace aérien, et regroupe l’ensemble des modes d’action susceptibles d’être utilisés en zones de menaces – largage de parachutistes, largage de matériel ou ravitaillement en vol. Des unités de transport tactique performantes sont essentielles pour permettre à une armée moderne de se projeter sur un théâtre extérieur. La création de l’unité mixte franco-allemande facilitée par l’accord que nous examinons devrait permettre, dès 2021, de pallier le vieillissement de la flotte française des avions de transport Transall et d’impliquer plus efficacement nos partenaires allemands sur les théâtres d’opérations où nous sommes engagés. Notre pays conservera évidemment la capacité d’utiliser des aéronefs pour les opérations qu’il entendra mener seul.

J’ajoute que l’entrée en vigueur du présent accord est attendue avec impatience par nos forces armées et par nos partenaires allemands.

Sans plus attendre, monsieur le rapporteur, je vous laisse la parole.

M. Bruno Joncour, rapporteur. Le traité de l’Élysée de 1963, qui a scellé la réconciliation entre la France et l’Allemagne, a jeté les bases d’une coopération de défense concrète entre les deux États. Avec la diplomatie et l’éducation, la défense constituait en effet l’un des trois domaines couverts par ce traité. La convention incluait notamment des dispositions concernant la fréquence des rencontres entre les ministres de la défense et les responsables militaires des deux pays, le rapprochement des doctrines militaires, les échanges de personnels ou encore les bases d’une coopération en matière d’armement.

Le préambule du présent accord y fait référence et réaffirme la volonté de la France et de l’Allemagne de développer leur coopération dans le domaine militaire en général et dans celui du transport tactique aérien en particulier. Signé à Berlin le 10 avril 2017, l’accord vient donner une traduction concrète à ces engagements.

Je vais m’efforcer d’être le plus pédagogique possible s’agissant d’un sujet qui peut apparaître technique bien qu’il ait, comme vous l’avez réaffirmé avec force, madame la présidente, une forte dimension politique et stratégique.

D’abord, qu’est-ce que le transport tactique aérien ? Contrairement au transport stratégique qui recouvre les déplacements de l’armée de l’air de la métropole vers les théâtres d’opérations, le transport tactique concerne la mobilité intra-théâtres d’opérations, y compris sous le feu, et regroupe l’ensemble des modes d’action susceptibles d’être utilisés en zones de menaces – largage de parachutistes, largage de matériels ou ravitaillement en vol, notamment des hélicoptères. Il s’agit d’une activité essentielle pour nos troupes engagées dans l’opération Barkhane ou dans d’autres théâtres d’opérations, notamment pour quitter ce théâtre une fois la décision politique prise.

Où en sommes-nous du transport tactique aérien ? Nous subissons ce que les militaires appellent une réduction temporaire de capacités. Les Transall que notre armée de l’air utilise depuis des années sont progressivement retirés tandis que les livraisons d’A400M, appelés à les remplacer, subissent des retards par rapport au calendrier de déploiement prévu. D’où la nécessité de trouver des solutions rapides afin de s’assurer que notre armée conserve sa pleine capacité d’intervention.

Pourquoi une coopération franco-allemande en ce domaine ? L’intérêt de ce rapprochement est européen autant que français. Un détour historique s’impose ici. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France a eu pour principal souci de se protéger d’une nouvelle menace allemande mais dès 1954, il est apparu que le danger était devenu soviétique et qu’il était nécessaire de réintégrer l’Allemagne dans la défense commune. Après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, du fait notamment de la volonté des Européens de rester dans le giron de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’Allemagne est donc entrée dans l’Alliance atlantique. L’idée d’une Europe de la défense a ensuite connu une longue période de léthargie, même si le traité de l’Élysée a fait de la défense l’un de ses axes forts. À compter des années quatre-vingt, les projets de coopération ont repris et ont commencé à former un embryon d’Europe de la défense : création d’un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité en 1988, renforcement du contenu de la coopération avec la création de la brigade franco-allemande, l’organisation de manœuvres conjointes et de formations croisées d’officiers et le lancement du programme d’hélicoptères de combat Tigre.

Aujourd’hui, l’Allemagne est avec le Royaume-Uni notre principal partenaire en matière de défense et, demain, du fait du Brexit, c’est autour de ce noyau renforcé par le traité d’Aix-la-Chapelle que devra se constituer une future Europe de la défense. Rappelons ici l’Initiative européenne d’intervention (IEI) qui vise à rapprocher les cultures stratégiques. Née en 2018 d’une idée avancée par la France en 2017, elle a été rejointe par dix autres pays européens, dont l’Allemagne.

Pour la France, cette coopération est essentielle au moins pour trois raisons.

D’abord, elle permet d’impliquer l’Allemagne dès le début d’une opération. La France n’aura plus forcément à partir seule avant d’appeler ses partenaires européens à la soutenir. De manière générale, plus nos armées disposeront d’outils communs, plus il sera aisé d’impliquer les autres pays dans la défense commune.

Ensuite, elle favorisera les cofinancements allemands au moment où l’argent public se fait rare. Le coût partagé et la taille du projet permettent en outre d’éviter d’en rester aux micro-flottes, qui ne sont pas toujours très efficientes.

Enfin, l’existence même d’une unité intégrée conduira à définir des règles communes.

Venons-en à l’accord lui-même. Il vise à créer une unité commune de transport tactique aérien sur la base aérienne d’Évreux. Utilisée par l’OTAN jusqu’en 1964, elle possède la plus longue piste d’atterrissage au nord de la Loire. Elle accueillera dix aéronefs C‑130J, intermédiaires entre le Transall et l’A400M en termes de capacités, soit entre douze et quinze tonnes de matériel transporté. Six seront financés par les Allemands, quatre par les Français et quatre seront équipés pour faire du ravitaillement en vol. Leurs équipages seront franco-allemands. Il sera possible de lancer des opérations franco-allemandes, notamment d’évacuation de ressortissants, à partir de la base d’Évreux et chaque pays gardera la possibilité de mener des opérations purement nationales avec un équipage national également. L’accord prévoit également l’acquisition, grâce à un cofinancement, d’outils de formation, notamment de simulateurs. L’unité devra regrouper à terme, en 2024, 260 personnels : 70 % des navigants seront allemands et 60 % des non-navigants français. Les premiers avions devant être livrés en 2021, le calendrier est assez contraint.

L’ordre juridique interne allemand ne prévoyant pas de procédure de ratification pour un accord intergouvernemental, celui-ci prend effet dès la signature. Nos partenaires attendent donc la fin de la procédure parlementaire française pour accélérer leurs préparatifs pratiques. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis de la commission de la défense et des forces armées. Madame la présidente, merci de m’accueillir au sein de votre commission. La commission de la défense s’est saisie pour avis du présent projet de loi en raison de la nature essentiellement militaire de l’accord du 10 avril 2017. Ne faisons pas durer plus longtemps le suspense : hier, elle a émis un avis favorable à l’adoption de ce texte, et ce à une très large majorité. Nous n’avons compté aucun vote défavorable, seulement une abstention.

Je ne reviendrai pas ici en détail sur les dispositions de l’accord intergouvernemental que votre rapporteur vient d’exposer. Il ne me semble pas non plus utile de dresser un historique de la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense et du transport aérien tactique. Celui-ci est connu, de l’iconique Transall développé en commun dans la droite ligne du traité de l’Élysée à la mise en place d’une formation croisée des personnels navigants, soutiers et mécaniciens qui participent au lancement de l’A400M.

Je me concentrerai plutôt sur les principaux points qui ont retenu l’attention de mes collègues de la commission de la défense au sein de laquelle les échanges furent riches et nombreux.

Députée de la circonscription qui accueille la base aérienne 105 d’Évreux-Fauville, je ne peux que me féliciter de l’intérêt de la représentation nationale pour cet ambitieux projet.

En premier lieu, la commission a souhaité rappeler l’importance de l’implantation d’une unité binationale de C-130J d’un point de vue opérationnel. Il s’agit d’un avion polyvalent qui vient combler le trou capacitaire apparu avec le retrait progressif des Transall. Les dix aéronefs de l’unité permettront d’associer encore davantage les forces allemandes aux opérations que nous menons actuellement, notamment au Sahel.

En deuxième lieu, la commission a tenu à souligner l’intérêt d’un tel projet du point de vue financier. Un escadron commun permet de mutualiser les coûts d’installation, d’entretien et d’exploitation d’une flotte que nous aurions difficilement pu assumer seuls. Chacun connaît ici les inconvénients d’une micro-flotte.

En troisième lieu, la commission a dit son souhait que soit préparée au mieux l’arrivée des quelque 260 personnels qui composeront l’unité binationale, notamment les 130 militaires allemands. Avec eux, ce sont aussi des familles qu’il faudra accueillir et accompagner dans leur intégration en France. Je rappelle à cet égard que, pour les militaires allemands, une affectation à Évreux n’est pas qu’une simple étape de carrière mais un véritable projet de vie. La plupart resteront une dizaine d’années, voire plus.

En quatrième lieu, la commission a relevé la contribution essentielle d’un tel projet à l’affermissement de la coopération européenne dans le domaine de la défense. Pour la France, instigatrice de l’Initiative européenne d’intervention, il s’agit de concrétiser son rôle moteur dans la construction de l’Europe de la défense. Au niveau bilatéral, je suis convaincue que la constitution d’une unité opérationnelle commune contribuera à apaiser certaines discussions relatives au domaine capacitaire.

En cinquième et dernier lieu, la commission a fait part de sa préoccupation quant au calendrier d’examen du présent projet de loi. La procédure d’examen simplifié n’ayant pas été déclenchée, il est à craindre que ce texte ne puisse être adopté avant le premier trimestre 2020, ce qui retardera d’autant l’approbation de l’accord. Or celle-ci conditionne le lancement effectif d’un certain nombre de chantiers, en particulier la notification par la délégation générale de l’armement (DGA) du marché relatif au centre de formation et d’entraînement.

Avec votre soutien, madame la présidente, et celui de l’ensemble des membres de votre commission, nous espérons parvenir à une accélération du calendrier d’examen du présent texte, au service d’un projet ambitieux et structurant pour nos forces comme pour la défense européenne.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Éric Girardin. Merci aux deux rapporteurs pour l’éclairage qu’ils ont apporté tant sur l’histoire de la coopération franco-allemande en matière de défense que sur ses perspectives. Ils ont rappelé, s’il en était besoin, l’importance de l’unité franco-allemande pour l’Europe et par l’Europe.

Le projet de loi que nous examinons vise à la création d’un escadron commun sur la base d’Évreux. Le groupe La République en Marche estime que ce projet de loi, dans le prolongement du traité de l’Élysée et plus récemment de celui d’Aix-la-Chapelle, va dans le sens de l’histoire. Nous ne pouvons que nous réjouir de voter ce texte qui constitue une étape supplémentaire dans la construction d’une Europe de la défense après la création de la brigade franco-allemande et le lancement de projets industriels communs comme l’avion de combat du futur SCAF – Système de combat aérien du futur – ou le char de combat du futur, MGCS – Main Ground Combat System. Certes, il ne s’agit pas ici d’un accord européen à proprement parler mais il constitue une étape vers une coopération toujours plus intégrée de nos deux armées.

Je partage l’avis des deux rapporteurs sur la nécessité de ratifier au plus vite cet accord.

Nous aimerions toutefois savoir comment la base d’Évreux se prépare à l’arrivée de militaires allemands. Les installations seront-elles prêtes à temps ? N’oublions pas qu’ils ne viendront pas seuls. Comment la ville d’Évreux entend-elle accueillir les familles ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous préciser qui commandera cet escadron ?

M. Guy Teissier. Pour reprendre la jolie formule de Jacques Brel, « ce n’est pas Waterloo, mais ce n’est pas Arcole ». Le rapport qui nous est présenté a une certaine importance, dans la mesure où tout ce qui nous rapproche de nos voisins européens, notamment de l’Allemagne, est important. Il existe depuis très longtemps dans le Var une école franco-allemande, l’école de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT), qui fonctionne parfaitement bien. Mais il s’agit d’une école, et nous parlons ici d’une base tactique, ce qui est sensiblement différent.

Dans nos échanges avec les Allemands, nous sommes toujours plutôt déficitaires. D’ailleurs, sur la base d’Évreux, il y aura plus d’avions allemands que d’avions français – six contre quatre. La France et l’Allemagne ont des cultures militaires très différentes – c’est un euphémisme. L’armée allemande est très peu employée, alors que l’armée française est engagée sur tous les fronts : seuls 3 000 soldats allemands sont engagés en dehors de leurs frontières, alors que 30 000 soldats français le sont. Par ailleurs, l’armée allemande est une armée syndiquée : nous ne marchons pas du même pas. Des difficultés opérationnelles sont donc à craindre, si nous devons faire intervenir ces avions en dehors de la routine du quotidien.

Cela étant, il est vrai que notre flotte d’avions tactiques, constituée de C-130 et de C-160 Transall – les successeurs du Noratlas 2 501 – est totalement dépassée. Notre collègue Jean-Jacques Ferrara m’a indiqué que les derniers de ces avions seront mis à la retraite en 2023. Le renouvellement de cette flotte est donc une bonne chose.

Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, parce qu’il a une vraie force sur le plan symbolique et qu’il nous importe de voir revivre la base d’Évreux. Il m’a cependant paru nécessaire de rappeler les différences qui existent entre nos deux pays, à la fois du point de vue des mentalités et de l’emploi des forces armées. Je crois beaucoup à la coopération en matière de formation. Ce projet de base commune me laisse plus dubitatif, mais je veux faire confiance à l’avenir.

M. Michel Fanget. Nous avons voté, il y a quelques semaines, le projet de loi autorisant la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle, qui renforce la coopération diplomatique et militaire entre la France et l’Allemagne. Avec cet accord relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le domaine tactique aérien, nos deux pays font un pas de plus vers l’Europe de la défense, que la France appelle de ses vœux.

L’Europe de la défense devra nécessairement s’appuyer sur des partenariats de ce type. Nous en avons avec d’autres pays de l’Union européenne, comme la Grande-Bretagne, et ils constituent le socle de notre coopération en matière militaire. Dans le contexte actuel, ces initiatives sont plus que bienvenues, si nous voulons continuer à peser sur les grandes décisions internationales. L’offensive turque en Syrie a montré que nous devons absolument pouvoir réagir de concert avec d’autres pays européens si nous voulons être entendus et respectés par les autres puissances. Il faut donc que des accords de ce type se multiplient à l’avenir.

Je rappelle que le transport tactique aérien conditionne notre capacité à projeter nos troupes sur tous les théâtres d’opérations. C’est cette capacité de projection, que l’armée française est l’une des rares à posséder, qui nous a par exemple permis d’intervenir dans des délais extrêmement brefs au Mali par exemple. L’appui technique nécessaire au déroulement de telles opérations a un coût très élevé. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés salue donc l’initiative qui est prise ici d’entamer une coopération avec des partenaires de confiance, et il votera ce projet de loi.

Mme Frédérique Dumas. Le 29 avril 2019, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) constatait que les dépenses militaires mondiales avaient atteint 1 800 milliards d’euros en 2018, ce qui représente une hausse de 2,6 % par rapport à 2017. Le constat est clair : le monde se réarme. Dans un tel contexte, la coopération proposée par ce projet de loi est précieuse, puisqu’elle vise à mutualiser les moyens de la France et de l’Allemagne et à développer des partenariats stratégiques.

Dans son rapport sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, le sénateur Christian Cambon estime que le traité d’Aix-la-Chapelle représente une avancée, mais il regrette qu’il ne contienne pas de mesures concrètes. L’accord qui nous est présenté aujourd’hui a le mérite de prendre en considération des objectifs stratégiques communs à la France et à l’Allemagne, puisqu’il concerne essentiellement la région sahélienne. Les expériences menées en mai 2018 dans cette région avec les aéronefs C-130J, qui font l’objet de cet accord, ont été jugées concluantes par l’armée de l’air, qui a indiqué : « Les résultats obtenus durant cette campagne d’expérimentation au Sahel sont à la hauteur des attentes. Avec plus de 560 militaires et presque 60 tonnes de fret transportées en moins d’une quarantaine d’heures de vol, tous les objectifs visés ont été atteints et permettront à terme de valider la capacité de cet avion à opérer sur terrain sommaire et en environnement opérationnel. » Cela démontre combien il est nécessaire de mutualiser l’utilisation de cet aéronef.

Cet accord devrait en outre assurer une complémentarité à deux niveaux. Tout d’abord, il fait partie d’un projet aérien franco-allemand plus vaste, qui s’articule autour de plusieurs autres programmes, comme celui visant à créer l’avion du futur, appelé Next-Generation Weapon System, ou le programme de construction des hélicoptères Tigre. Les nouveaux avions compléteront par ailleurs les équipements aériens des deux parties, la France devant faire face au vieillissement de ses flottes et l’Allemagne au retrait de ses C-160 d’ici 2021.

Même si la France et l’Allemagne ont effectivement des divergences en matière de défense, le contexte du Brexit impose un renforcement de leur coopération. En effet, lorsque le Royaume-Uni sera définitivement sorti de l’Union européenne, ce sont ces deux États qui disposeront de la plus grande puissance militaire de l’Union européenne.

Ma question concerne l’A400M, qui devait remplir les objectifs de l’aéronef C‑130. Dans quels délais pensez-vous qu’il sera opérationnel ?

M. Alain David. Cet accord semble aller dans le bon sens, celui d’une meilleure coopération entre l’Allemagne et la France dans le domaine aérien militaire. Cette coopération a des bases solides, qui sont rappelées dans l’étude d’impact. On y lit en effet : « Dans les années 1950, le programme Transall a ainsi démontré les excellentes relations nouées avec l’Allemagne après la guerre et, plus récemment, la coopération au sein de l’école franco-allemande de pilotage du Tigre, et dans le cadre de l’A400M répondent à la volonté commune de mutualiser la réponse des armées aux besoins opérationnels. » En conséquence, le groupe Socialistes et apparentés votera ce rapport.

M. Jean-Paul Lecoq. Je n’ai pas le même point de vue que vous sur ces questions. En juin 2019, M. François Cornut-Gentille a publié un rapport dans lequel il explique que l’aviation tactique française est dans une situation catastrophique. On a fait le choix de sous-traiter à des entreprises privées, qui veulent aujourd’hui garder leurs parts de marché, ce qui crée d’importants conflits. Ce diagnostic est assez éloigné des discours que j’entends ce matin sur l’excellence française. Tout n’est pas parfait, loin de là, et il y a urgence à rattraper le coup.

L’accord entre l’Allemagne et la France pourrait justement nous donner l’occasion de rattraper le coup. Et le communiste que je suis pourrait être tenté de soutenir cet accord pour la seule raison qu’il vise à remettre du service public – même syndiqué allemand.

Mais la question sous-jacente, c’est celle de l’OTAN, et je ne peux pas concevoir que l’on réfléchisse à un tel accord sans poser la question de l’OTAN. On n’a qu’à sortir de l’OTAN et assumer ! On organise une transition politique et écologique, en disant qu’on envisage un nouveau paradigme à l’échelle européenne, on suspend notre participation aux interventions en cours et on commence à réfléchir à la manière de contrôler nous-mêmes l’espace aérien, sans dépendre de l’OTAN. C’est bien beau d’avoir des avions, mais si on dépend des États-Unis pour les faire voler, l’armée française n’a plus aucune autonomie !

Notre groupe a voté contre la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle. Vous avez dit, madame la rapporteure pour avis, que personne n’avait voté contre ce projet de loi lors de son examen en commission de la défense hier : si l’un des membres de notre groupe avait été présent, il aurait voté contre ou se serait abstenu. Le fait que ce projet se développe sur la base d’Évreux me plaît plutôt, car c’est une base qui assume bien sa vocation militaire, qui a de vraies valeurs et une vraie technicité. Et c’est une bonne chose pour la Normandie. Il n’en reste pas moins qu’il faut tenir compte de l’histoire de l’armée allemande. Pendant des décennies, on a interdit à l’Allemagne de se défendre, et si aujourd’hui les Allemands ne sont pas sur la même ligne que nous, c’est d’abord parce qu’on ne les y a pas autorisés. C’est aussi parce que le peuple allemand en a décidé ainsi.

La rapporteure pour avis se réjouit que le Parlement prenne des décisions mais, en réalité, nous n’avons rien décidé ! Un accord a été signé sans qu’on nous demande notre avis et on nous invite maintenant à le ratifier sans pouvoir l’amender. Cela pose la question du rôle des députés dans l’élaboration des politiques publiques et des accords internationaux. Il faudrait que ce soient les parlementaires qui travaillent en amont et qui donnent mandat au Président de la République et au ministre compétent de signer des accords, sur la base de leurs consignes : voilà comment devrait fonctionner une vraie démocratie. Or les choses ne se sont pas passées de cette manière. En Allemagne, c’est le Parlement qui décide, et c’est pour cette raison qu’il y a un tel déséquilibre entre la démocratie française et la démocratie allemande. Nous ne sommes pas à armes égales, pour reprendre la métaphore militaire.

Mme Valérie Boyer. L’accord que nous examinons vise à renforcer la coopération militaire franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien, en créant l’unité aérienne franco-allemande. Il prévoit également de mutualiser les moyens humains et matériels pour réaliser des missions conjointes, le cas échéant avec des équipages mixtes franco-allemands.

Même s’il est important de combler notre trou capacitaire en matière de transport tactique, je veux rappeler que notre coopération militaire en matière de défense se heurte à une réalité : entre les milieux militaires français et allemands, il existe un vrai fossé culturel. M. Hans-Peter Bartels, commissaire parlementaire aux forces armées, a ainsi déclaré : « Après deux guerres mondiales désastreuses, l’Allemagne ne soutient une armée que dans l’espoir qu’elle ne sera jamais déployée, quand la France, dotée de l’arme nucléaire, d’un siège à l’ONU et d’une riche histoire, se sent une responsabilité d’intervenir. »

L’armée, en Allemagne, est parlementaire, elle est syndiquée, et placée sous le contrôle du Bundestag, qui seul a le pouvoir de donner son feu vert à une action militaire. Actuellement, l’armée allemande a moins de 3 000 soldats déployés à l’étranger, alors que la France compte plus de 30 000 hommes engagés, dont 6 000 en opération extérieure, essentiellement au Mali et au Levant, près de 4 000 en appui dans les anciennes colonies et plus de 7 000 déployés dans les territoires d’outre-mer. Le parlement allemand a également refusé d’avancer sur le projet d’avion de combat du futur, un programme placé sous leadership français, tant qu’il n’aurait pas obtenu des avancées sur le futur char de combat, placé, lui, sous leadership allemand.

Ces derniers mois, Paris et Berlin se sont opposés sur de nombreux dossiers : le budget de la zone euro, le traité de libre-échange avec les États-Unis, les armes déployées dans la péninsule arabique et, bien évidemment, l’OTAN et nos relations avec la Turquie. Un fossé s’est creusé entre nous sur le plan économique, mais aussi en matière de stratégie militaire et de politique migratoire. Aujourd’hui, la responsabilité de la France et de l’Allemagne est immense, surtout dans le contexte du Brexit. Cette entente ne va pas de soi, car nos deux pays sont très différents, mais ils sont aussi les garants de la paix, de la prospérité et de la poursuite de l’aventure européenne.

En réalité, ce traité ne mérite ni cris d’orfraie ni enthousiasme démesuré. Il est important de faire entrer pleinement nos nations dans le XXIe siècle. L’Allemagne et la France doivent incarner une forme de sursaut européen. Elles doivent aussi clairement se poser la question de leur place dans l’OTAN. Le groupe Les Républicains votera ce texte, comme il l’a fait en commission de la défense.

M. Jean-Louis Bourlanges. Les rapports qui nous sont présentés sont importants, car le sujet lui-même est important. Nos collègues Jean-Paul Lecoq et Valérie Boyer ont posé une question essentielle, celle de nos rapports avec l’OTAN. Ce n’est certes pas à l’occasion de l’examen de ce projet de loi que nous devons revoir de fond en comble nos rapports avec l’OTAN, mais ils ont raison de dire que c’est une question absolument fondamentale.

J’aimerais faire quelques remarques.

Premièrement, le présent accord se fonde en effet sur le traité d’Aix-la-Chapelle, mais surtout sur le traité de l’Élysée. Or il ne faut pas se raconter d’histoire : si le traité de l’Élysée a certes permis de créer l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ), il a aussi marqué une rupture profonde entre la France et l’Allemagne en matière stratégique. Je vous rappelle qu’à la grande colère du général de Gaulle, nos amis allemands avaient ajouté un préambule au traité de l’Élysée, disant que la défense ne pouvait se faire que dans le cadre de l’OTAN. Un an plus tard, on a connu la crise du plan Fouchet : après l’échec d’une armée intégrée, avec la CED, ce fut l’échec d’une politique de défense intergouvernementale. Il faut se rappeler que nous héritons de cette histoire très compliquée et qu’il y a eu, pendant de nombreuses années, un énorme malentendu entre la France et l’Allemagne qui s’explique sans culpabiliser personne. Aujourd’hui, la boucle est bouclée, puisque cet accord se fonde sur le traité d’Aix-la-Chapelle, qui prolonge lui-même le traité de l’Élysée.

Deuxièmement, Mme Valérie Boyer a raison de dire qu’il y a une différence de culture stratégique profonde entre la France et l’Allemagne. Le Président de la République l’avait lui-même soulignée de façon explicite dans son discours de la Sorbonne. Mais ce qui me paraît positif, c’est que le présent accord de coopération nous place sur un plan où cette différence de culture stratégique, qui relève essentiellement du rapport à l’engagement des forces militaires, ne joue pas, dans la mesure où il concerne le transport, c’est-à-dire la préparation à l’engagement. Le champ de cet accord est donc excellent.

Ma troisième remarque concerne l’OTAN. Ce qui est paradoxal, c’est que la défense de l’Europe est plutôt assurée dans le cadre de l’OTAN et que la coopération européenne, notamment franco-allemande, joue beaucoup plus hors zone. Or cet accord, qui vise à développer nos capacités d’acheminement d’aviation tactique et de troupes sur les théâtres extérieurs, concerne précisément l’engagement hors zone. Il est d’ailleurs très précieux de constater que les Allemands ne sont pas seulement obsédés par la frontière orientale de l’Europe, mais qu’ils sont aussi soucieux que nous d’avoir une couverture au Sud.

Même s’il est vrai que cet accord ne résout pas le problème fondamental des rapports de l’Europe avec l’OTAN, il ne présente que des avantages. Il mérite donc d’être voté.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Nous avons besoin de coopération en matière de transport tactique, notamment de matériel militaire : nous sommes tous d’accord là-dessus.

Il y a toutefois un point que je ne comprends pas dans cet accord. Vous écrivez, monsieur le rapporteur, qu’« outre le bénéfice d’un cofinancement, la création de cette unité binationale permettra d’impliquer nos partenaires allemands dès le début d’une opération au lieu d’attendre, comme c’est le cas aujourd’hui, leur soutien dans une opération que la France a déjà engagée seule ». Vous ajoutez : « Toutefois, le système constitutionnel allemand prévoit que le Parlement doit autoriser toute intervention militaire au préalable. […] Pour lever cet obstacle constitutionnel, le parlement allemand devra prédéfinir une liste de missions dans le cadre de laquelle l’unité pourra intervenir. » Nous allons donc créer une brigade commune, sans savoir comment nous pourrons l’utiliser : c’est extravagant !

Une fois de plus, la France se met dans la main de l’Allemagne. Nous allons nous rendre prisonniers d’une décision du parlement allemand, avec toutes les difficultés que cela implique. Dans ces conditions, autant donner le pouvoir au parlement français ! Ce que nous sommes en train de faire est surréaliste, ahurissant ! On met la charrue avant les bœufs. N’y a-t-il pas suffisamment de domaines dans lesquels nous pourrions travailler avec l’Allemagne, notamment en matière industrielle et militaire ?

Deuxièmement, il est regrettable de toujours donner à l’Allemagne, sans jamais rien recevoir d’elle. Nous aurions pu nous servir de cet accord pour créer un rapport de forces constructif et tenter d’obtenir des choses. À la place, nous lui cédons et réunissons des avions sur une base, sans savoir comment nous pourrons les utiliser. Concrètement, si nous voulons lancer une opération contre des djihadistes dans un pays étranger, faudra-t-il demander l’autorisation de l’Allemagne ? Et si le Bundestag ne veut pas, est-ce que seuls les avions français partiront ?

C’est, au choix, du folklore ou de l’inconscience ! En tout cas, cela ne nous rend pas crédibles aux yeux des militaires : il faudra bien que l’on sache qui va décider du départ de ces avions. Vous oubliez qu’un outil de défense est au service d’une politique, c’est-à-dire d’une vision et de décisions. Or nous n’avons ni la même vision, ni le même processus de décision que les Allemands. Et vous voulez mettre des avions en commun sur une base à Évreux : tout cela est grotesque et n’est pas à la hauteur de l’enjeu de défense !

M. Jacques Maire. Il faut raison garder et analyser les besoins de nos militaires. Les militaires français actuellement en opération dans les zones du Sahel sont extrêmement dépendants des bases allemandes : je vous rappelle que l’une d’elles est installée au sein de la base avancée de Niamey et qu’elle compte plusieurs centaines de personnes. L’essentiel de l’activité logistique de l’opération Barkhane est assuré par les partenaires de la France, et non par elle-même. Cette activité logistique repose sur un engagement au quotidien des pilotes allemands et de l’armée allemande.

J’ai entendu des propos sur l’incapacité de l’Allemagne à nous accompagner au quotidien dans nos opérations extérieures, mais la réalité prouve le contraire. Que des députés français émettent des doutes quant à l’effort que l’Allemagne consent pour nous soutenir au Sahel serait mal venu, et tout à fait contraire à la réalité.

M. Jérôme Lambert. Je veux remercier M. Jacques Maire pour son intervention. J’avoue avoir été un peu troublé par les propos de notre collègue Nicolas Dupont-Aignan, mais je crois qu’ils ne se situent pas tout à fait sur le même plan. Si l’on se place sur le plan des idées, si on conceptualise, il a raison. Mais quand on regarde ce qui se passe concrètement sur le terrain, c’est Jacques Maire qui a raison. Je crois que la conclusion de cet accord est de bon augure pour la suite.

M. Bruno Joncour, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie de vos observations. M. Éric Girardin a souligné que cet accord faisait partie d’une série d’initiatives en vue de la création d’une Europe de la défense et plusieurs d’entre vous ont rappelé que la mutualisation de nos forces était absolument nécessaire à la réussite de ce projet. Même s’il peut y avoir des différences entre la France et l’Allemagne en matière de défense, et des malentendus à dissiper, il n’empêche que nos deux pays ont des objectifs de sécurité convergents et qu’un renforcement de notre coopération militaire s’impose. Nous assistons, me semble-t-il, à une lente, mais certaine, convergence dans le domaine militaire.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué l’OTAN, à juste titre. Il est vrai qu’on ne peut pas aborder un accord comme celui-ci sans évoquer l’OTAN et son avenir. Le débat qui doit avoir lieu prochainement au sein de notre commission sur ce sujet nous donnera l’occasion de préciser les choses et de tracer des perspectives.

Monsieur Lecoq, enfin, vous avez évoqué le rapport de M. François Cornut-Gentille. Il me semble que vous faites une erreur d’appréciation, car il portait davantage sur le transport stratégique que sur le transport tactique.

Je vais laisser à Mme la rapporteure pour avis le soin de donner des précisions sur la base d’Évreux, puisqu’il s’agit de son territoire.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Monsieur Girardin, la base d’Évreux est protégée et contrôlée. Il faut donc revoir son organisation, afin de rendre possibles les travaux qui vont s’y dérouler pendant plusieurs années : une route va être dédiée exclusivement à l’accès des poids lourds, pour ne pas perturber le fonctionnement protégé de la base, notamment la piste et le lieu de stationnement des aéronefs. S’agissant des infrastructures, les premiers travaux de dépollution vont commencer la semaine prochaine sur le site qui a été choisi pour construire les bâtiments destinés à l’accueil des aéronefs. Vous m’avez interrogé également sur le commandement de cet escadron : il sera français et le commandant en second sera allemand.

L’accueil des militaires nécessitera d’abord des aménagements au sein même de la base. Des constructions et des rénovations y sont prévues pour créer une vie et un esprit nouveaux : des « city stades » vont être créés pour renforcer la cohésion et l’esprit sportif des militaires et pour leur permettre d’entretenir leurs aptitudes physiques. La piscine sera également rénovée, comme le bâtiment destiné à l’accueil des célibataires géographiques allemands. En dehors du périmètre de la base, il convient également de prendre en considération les besoins des conjointes et des conjoints en matière de logement, de scolarité et d’emploi. Une personne dédiée apportera un soutien aux familles dans leurs démarches administratives et le pôle d’accès en tout temps, en tout lieu au soutien (ATLAS) aura également un guichet dédié en allemand.

M. Bruno Joncour, rapporteur. Nous recevrons cet après-midi le chef d’état-major des armées : nous pourrons poser toutes nos questions à cet éminent expert.

Mme Frédérique Dumas. Je n’ai pas eu de réponse à ma question sur l’état d’avancement du programme de l’A400M.

M. Jean-Paul Lecoq. Le rapport de M. François Cornut-Gentille concerne à la fois le transport tactique et le transport stratégique : je n’ai donc pas eu tort de le mentionner.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je ne m’oppose pas à la mutualisation, mais à la perte d’autonomie et de décision de notre armée. J’aimerais avoir une réponse précise et comprendre comment les choses se passeront concrètement en cas d’urgence. Fera-t-on une distinction entre les avions allemands et les avions français ? S’agira-t-il d’une brigade commune ? Dépendra-t-on des pilotes allemands si le Bundestag ne donne pas son autorisation ? La moindre des choses est de définir clairement l’arbre de décision, pour savoir comment les choses se passeront concrètement.

Vous voyez, monsieur Lambert, et je dis cela en toute amitié, que je parle de choses très concrètes. Je ne nie pas que nous ayons besoin de nos partenaires européens au Mali, et je suis favorable à cette coopération, mais il ne faut pas que cet appui entrave notre capacité de réaction et l’indépendance de notre politique nationale. Or c’est précisément la question que pose ce projet de base commune et d’avions communs. Je veux seulement comprendre.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Monsieur Dupont-Aignan, vous m’interrogez sur l’emploi des forces. Les deux états-majors de l’armée de l’air travaillent actuellement à l’établissement d’une liste de missions qui pourraient être conduites sans accord politique complémentaire. Vous craignez une perte de souveraineté, mais il me semble important de rappeler que chacun des deux pays aura la possibilité de mener des missions de manière nationale, avec ses propres avions et ses propres personnels, notamment pour les interventions jugées sensibles.

Avec la flotte de C-130J, la France disposera d’une force moderne et complémentaire de celle dont elle disposait déjà. Or elle n’aurait pas pu s’en doter sans la création de cette unité binationale, car elle n’aurait pas eu les moyens de l’entretenir. Bref, nous n’aurions disposé que d’une micro-flotte, avec tous les problèmes qui peuvent en découler. Cette unité binationale contribuera au renforcement de notre capacité d’intervention souveraine, puisqu’elle nous dotera de nouvelles capacités.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Si je comprends bien, vous nous demandez d’accepter cet accord, avant de connaître les missions qui seront déterminées d’un commun accord par les états-majors et approuvées par le Bundestag ?

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Un cadre est défini, qui concerne le commandement, les missions des avions et les heures dédiées soit à l’un des deux pays, soit aux deux. La fiche en cours d’élaboration intégrera également des missions de ravitaillement et d’évacuation.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je n’ai pas compris.

M. Bruno Joncour, rapporteur. Il s’agit de transport tactique, et non stratégique, c’est-à-dire essentiellement d’opérations de ravitaillement et d’évacuation.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je comprends votre préoccupation, monsieur Dupont-Aignan, mais on ne peut pas prévoir a priori, au niveau d’un accord comme celui-ci, la nature des missions auxquelles on sera confronté. Il est normal que les états-majors agissent et décident au coup par coup : cela paraît inévitable.

Je suis en désaccord avec vous sur un point précis : vous considérez qu’il n’y a pas de véritable terrain d’entente entre les Français et les Allemands et qu’ils ne pourront pas prendre de décisions rapidement. Je crois que c’est faux. Ce qui s’est passé au Sahel montre au contraire qu’il y a une complémentarité assez forte entre nos deux armées. Je ne crois pas que cet outil commun nous paralysera : nous avons nos propres instruments et nous pourrons intervenir seuls si nous avons à le faire. On ne peut pas reprocher à cet accord de ne pas prévoir toutes les missions pour lesquelles il sera éventuellement sollicité. Je propose néanmoins que nous interrogions, et même que nous « cuisinions » le chef d’état-major sur ce sujet, car la question de M. Dupont-Aignan est intéressante.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il ne s’agit évidemment pas de prévoir toutes les missions à l’avance pour dix ou vingt ans. Ce que je veux connaître, c’est la nature des missions que l’état-major pourra décider sans consulter le Bundestag, c’est-à-dire rapidement, sur la base d’une coopération gouvernementale. Je veux savoir quelle est la marge de manœuvre du côté allemand : il me semble que c’est le minimum, quand on s’apprête à signer un tel accord.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Monsieur le député, les missions qui relèvent du transport tactique sont classiques et bien rodées. S’agissant des missions sous le feu, les états-majors sont en train de travailler à l’établissement d’une liste. Je vous rappelle que, depuis plus de dix ans, la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Espagne et l’Italie ont décidé de mutualiser leurs moyens de transport aérien tactique et stratégique sous un commandement commun, le commandement européen du transport aérien, ou European Air Transport Command (EATC), qui est implanté aux Pays-Bas. Au total, ce sont 200 avions qui sont ainsi partagés. Un avion allemand peut déjà transporter des militaires français au Sahel ou dans les pays baltes. Les C-130J sont déjà intégrés dans l’EATC.

M. Bruno Joncour, rapporteur. J’ajoute que la France a la possibilité d’intervenir seule, et donc d’avoir une maîtrise stratégique.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous reviendrons évidemment sur ces questions avec le chef d’état-major cet après-midi.

Il faut aller vers la mutualisation et la coopération : nous le constatons tragiquement, au moment où les Américains désinvestissent la zone de sécurité dans le Nord-Est syrien. Cette mutualisation et cette coopération sont difficiles à réaliser, mais elles sont absolument nécessaires. L’Europe et les Européens doivent prendre leurs responsabilités. Mais nous devons aussi sauvegarder notre capacité autonome d’intervention car, avec le Brexit, la force française de défense deviendra tout à fait unique en Europe. Oui à la coopération, à condition de préserver l’indépendance, l’autonomie et la capacité française à intervenir.

Cet accord pose aussi la question du pouvoir de nos parlements respectifs. Il est vrai que les parlementaires du Bundestag ont, sur les questions de politique étrangère – mais pas seulement – davantage de pouvoirs que les parlementaires français, puisqu’ils participent à une forme de codécision avec le pouvoir exécutif allemand. Nos institutions sont très différentes, puisqu’en France, c’est le Président de la République qui est le chef des armées. Il n’y a pas de doute que le Parlement est plus fort en Allemagne qu’en France. Nous devons donner davantage de pouvoir au parlement français : c’est un combat que je mène depuis longtemps et que nous devons absolument mener ensemble. Je suis convaincue que lorsqu’on a un exécutif fort, comme c’est le cas en France, on a tout intérêt à avoir aussi un parlement fort.

En Allemagne, aucune opération extérieure des forces militaires ne peut être décidée, si le Bundestag n’a pas donné son feu vert : ce n’est pas le cas en France. Les sujets sont nombreux, sur lesquels nous pourrions travailler pour renforcer les pouvoirs de notre parlement : je rejoins les préoccupations de Jean-Paul Lecoq sur cette question. Il existe une différence culturelle et politique importante entre nos deux parlements et je pense que nous aurions beaucoup à apprendre du fonctionnement du Bundestag, comme de celui de nombreux parlements européens. Nous ne sommes pas dans le haut du panier, en termes de démocratie parlementaire.

J’ai bien entendu, madame la rapporteure pour avis, votre demande d’une procédure simplifiée et je la relaierai auprès du ministre chargé des relations avec le Parlement. Pour l’instant, ce texte n’est pas inscrit à l’ordre du jour : on avait parlé de novembre, puis de décembre, et maintenant de janvier.

Par ailleurs, nous aurons mercredi 27 novembre, en liaison avec la commission de la défense à qui nous l’avons proposé, une audition consacrée à l’OTAN, qui durera trois heures. Nous écouterons trois intervenants extérieurs, avant de débattre avec eux, ce qui paraît tout à fait essentiel dans le contexte actuel.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Madame Dumas, je tiens à vous rassurer au sujet de l’A400M : il est déjà opérationnel et intervient presque tous les jours, notamment pour les opérations de transport. Nous avons connu des problèmes et des retards sur les moteurs et la maîtrise des capacités tactiques mais, aujourd’hui, la situation est satisfaisante.

Monsieur Lecoq, permettez-moi d’apporter une petite précision. Vous vous référez au rapport de M. Cornut-Gentille, mais il en existe un autre que je vous invite à lire : c’est celui de M. Jean-Jacques Ferrara, un député du groupe Les Républicains qui fait partie de notre commission et qui a réalisé un excellent rapport sur l’armée de l’air.

Monsieur Maire, vous avez salué l’engagement des forces allemandes. Je rappelle qu’au-delà de leur participation aux missions européennes, deux C-160 Transall allemands sont déployés au Sahel, à Niamey, dont l’un est dédié à des missions d’évacuation sanitaire : c’est très important pour nos troupes.

Mme Frédérique Dumas. Je ne suis pas totalement satisfaite de votre réponse. C’est bien parce que le programme de l’A400M n’était pas totalement au point, notamment pour le largage des parachutistes, qu’on a recouru à l’avion américain. Vous dites qu’il fonctionne, mais certains éléments sont encore en cours de rodage. Quand sera-t-il vraiment au point ? Notre souveraineté passe aussi par là.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Les retards concernaient seulement la production, et le problème est résolu. En septembre, celui des parachutages a également été réglé.

La commission adopte l’article unique ainsi que l’ensemble du projet de loi.

 

 

 

 


—  1  —

   ANNEXE : texte adoptÉ par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco‑allemande dans le domaine du transport tactique aérien, signé à Berlin le 10 avril 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________________________

N.B. : le texte de l’accord est annexé au projet de loi n° 2043.


—  1  —

   LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

 

 

M. le Colonel Paul Villemin, chef division aviation de mission et de support, état-major de l’armée de l’air, bureau programmes

 

 


—  1  —

   AVIS DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE nationale
ET DES FORCES ARMÉES

 


—  1  —

La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement De la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien. Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 19 juin 2019, ce projet de loi a été renvoyé au fond à la commission des Affaires étrangères, et n’est pas encore, à l’heure de l’écriture du présent avis, inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Signé à Berlin le 10 avril 2017, cet accord conditionne l’implantation sur la base aérienne 105 d’Évreux-Fauville, à l’horizon de 2021, d’une unité binationale de C130-J et du centre de formation et d’entraînement qui lui est attaché. Ce projet ambitieux repose sur la mise en commun de dix aéronefs, qui seront exploités par environ 260 militaires français et allemands. Ce faisant, la France et l’Allemagne s’engagent mutuellement à un niveau inédit, parachevant ainsi une coopération historique dans le domaine du transport aérien tactique, née dans les années 1960 autour du C160 Transall et confortée, plus récemment, dans le cadre du développement de l’A400M.

Les deux pays témoignent ainsi de leur volonté d’affermir leur coopération militaire sur le segment opérationnel, alors que d’importants programmes sont déjà « sur les rails » dans le champ capacitaire, à l’instar du système de combat aérien futur (SCAF) ou du système principal de combat terrestre, ou main ground combat system (MGCS). Alors que, ces derniers mois, nombre d’observateurs ont pointé les désaccords entre Français et Allemands s’agissant de ces programmes, la rapporteure pour avis estime que l’aboutissement d’un tel projet peut contribuer à apaiser les échanges.

Projet phare de la coopération franco-allemande, l’implantation d’une unité binationale sur la base aérienne d’Évreux participe également de la construction de l’Europe de la Défense et du renforcement de l’Initiative européenne d’intervention, créée à l’initiative du président de la République.

Projet d’envergure pour la défense, la constitution de cette unité binationale témoigne également de la vigueur de l’amitié franco-allemande. Au final, ce sont près de 130 personnels allemands qui s’installeront pour plusieurs années autour d’Évreux, souvent en famille, poursuivant ainsi un véritable projet de vie. Leur venue est du reste fort attendue par les Eurois, pour beaucoup engagés dans des initiatives ayant vocation à préparer leur accueil.

Si certaines questions demeurent, s’agissant notamment du respect du calendrier initialement fixé pour la réalisation de ce projet, la rapporteure pour avis invite l’Assemblée nationale à se prononcer au plus vite en faveur de l’adoption du présent projet de loi.

 

I.   La coopération franco-allemande dans le domaine de la défense : une relation éprouvée et dynamique

A.   L’approfondissement constant de la coopération militaire bilatérale

1.   Du traité de l’Élysée au traité d’Aix-la-Chapelle : plus de cinquante ans de coopération dans le domaine de la défense

La coopération franco-allemande dans le domaine de la défense repose principalement sur les dispositions du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, la défense constituant l’un des trois domaines couverts par le texte, qui jette notamment les bases d’un rapprochement doctrinal et d’une coopération dans le champ de l’armement. Elle s’appuie également sur le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS), institué par le protocole du 22 janvier 1988 au dit traité. Coprésidé par le président de la République française et le chancelier de la République fédérale d’Allemagne, le CFADS réunit les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux États. Plusieurs groupes de travail sont chargés de la préparation de ses réunions, parmi lesquels le groupe franco-allemand de coopération militaire (GFACM), qui réunit le major général des armées et son homologue allemand, ainsi que le groupe de travail sur la coopération en matière d’armement (GTCA), auquel participent le directeur de la stratégie de la direction générale de l’armement (DGA) et le directeur de l’armement allemand.

Cinquante-six ans plus tard, le 22 janvier 2019, la signature du traité de coopération et d’intégration franco-allemand d’Aix-la-Chapelle a créé un cadre favorable à l’approfondissement de la coopération bilatérale de défense dans les domaines capacitaire et opérationnel, tout en rappelant l’importance de l’inscription de la relation bilatérale dans le cadre européen. Il instaure également une clause d’aide et d’assistance mutuelles, sur le fondement des articles 5 du traité de l’Atlantique Nord et 42.7 du traité de l’Union européenne. Par ailleurs, il conforte le CFADS, dorénavant défini comme l’« organe politique de pilotage [des] engagements réciproques ».

Le traité d’Aix-la-Chapelle marque un approfondissement de la coopération militaire du point de vue opérationnel, avec l’engagement pris « d’opérer des déploiements conjoints ». C’est du reste dans ce cadre qu’intervient la mise en place de l’unité bilatérale de C130-J, bien plus intégrée que les nombreux projets conduits en commun jusqu’à présent.

2.   Le transport aérien tactique au cœur de la coopération militaire franco-allemande

De nombreux projets ont été conduits au fil des ans afin d’affermir la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense.

La brigade franco-allemande (BFA), dont vient d’être célébré le trentième anniversaire, en est un exemple concret dans le champ opérationnel. Composée de 5 600 soldats, dont quarante pourcents de Français et soixante pourcents d’Allemands, la BFA a pour mission d’intervenir dans l’ensemble des missions de maintien de la paix et de la sécurité, dans le cadre de son intégration au sein des forces de l’OTAN et de l’Union européenne. Elle a récemment été déployée au Sahel, même s’il convient de préciser que militaires français et allemands ne l’étaient pas sous la même bannière : tandis que les uns étaient engagés dans le cadre de l’opération Barkhane, les autres l’étaient sous le mandat de la mission onusienne au Mali (MINUSMA).

Dans le domaine capacitaire, l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque Tigre a été développé en commun, et sa mise en œuvre a débouché sur la création d’une école franco-allemande au Luc, chargée de la formation des équipages allemands et français, et d’une autre école binationale à Fassberg, en Allemagne, où se déroule la formation aux opérations de maintenance sur cet hélicoptère.

Toutefois, c’est bien dans le domaine de l’aviation de transport tactique que la coopération a été la plus intense. Ainsi, l’iconique C160 Transall fut un vrai succès, à tel point que cinquante ans après sa mise en service, il est toujours employé en opération au Sahel, tant par les forces françaises – un appareil de l’escadron de transport 2/4 Anjou y est déployé – que par les forces allemandes, qui ont engagé jusqu’à deux Transall, dont un en version « nurse » pour des opérations d’évacuations sanitaires, essentiellement au profit des populations civiles.

Plus récemment, rappelons qu’au titre d’un accord technique franco-allemand sur les formations croisées des personnels affectés sur A400M, pilotes, soutiers et mécaniciens français effectuent leur formation initiale sur la base de Wunstorf, en Basse-Saxe, tandis que leurs homologues allemands en font de même, pour leur formation tactique, sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy.

Enfin, la France et l’Allemagne ont joué un rôle moteur dans la constitution du commandement européen du transport aérien (EATC), implanté à Eindhoven, aux Pays-Bas. Aujourd’hui, sept pays européens – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas – lui ont confié le contrôle opérationnel de près deux cents avions de transport de dix-sept types différents, représentant plus de 60 % des capacités militaires de transport et de ravitaillement en vol de l’Union européenne. Les C130-J de la future unité binationale seront, eux aussi, placés sous le commandement de l’EATC.

B.   L’actualité de la coopération militaire bilatérale

1.   Dans le domaine opérationnel

Alors que l’article 4 du traité d’Aix-la-Chapelle précise l’engagement de la France et de l’Allemagne à agir « conjointement dans tous les cas où ce sera possible […] en vue de maintenir la paix et la sécurité », force est de constater que les deux pays ont déjà collaboré sur différents théâtres ces dernières années, dans le cadre de déploiements :

– au Sahel, ainsi qu’il l’a déjà indiqué, tant au travers de l’engagement de la BFA que du déploiement de deux Transall allemands parfois mis à disposition du commandement des opérations aériennes, implanté sur la base aérienne de Lyon-Mont-Verdun (JFAC AFCO) ;

– en Lituanie, de janvier à août 2018, dans le cadre des mesures de réassurance mises en œuvre par l’OTAN ;

– au Levant, dans le cadre de la coalition internationale contre Daech.

Par ailleurs, l’Allemagne a rejoint dès le mois de juin 2018 l’Initiative européenne d’intervention (IEI), dont l’objectif est de favoriser l’émergence d’une culture stratégique commune. Notons à cet égard que l’Allemagne partage les préoccupations de la France s’agissant du Sahel, et a dans ce cadre apporté son soutien au Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, dont la création a été annoncée lors du sommet du G7 de Biarritz, et qui vise à élargir le périmètre d’activité du G5 Sahel.

2.   Dans le champ capacitaire

L’article 4 du traité d’Aix-la-Chapelle évoque également « l’élaboration de programmes de défense communs », qui permettra notamment de « favoriser la compétitivité et la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne ».

Plusieurs projets en cours d’étude ou de développement illustrent le rapprochement initié entre les deux pays dans le champ capacitaire, à commencer par le SCAF et le MGCS.

● Le système principal de combat terrestre (ou Main Ground Combat System – MGCS).

Dans le domaine de l’armement terrestre, la France et l’Allemagne ont décidé de développer conjointement le MGCS, pour lequel une lettre d’intention signée en juin 2018 exprime l’objectif d’une livraison des premiers systèmes en 2035. La maîtrise d’œuvre est partagée entre la France et l’Allemagne, tandis que la maîtrise d’ouvrage est confiée à l’Allemagne seule.

● Le système de combat aérien futur (SCAF).

Dans le domaine aérien, la France et l’Allemagne se sont engagées dans le développement du SCAF, un « système de systèmes » consistant en un nouvel avion de combat de sixième génération complété par plusieurs éléments interconnectés et interopérables. La France se voit confier la maîtrise d’ouvrage ; les entreprises Dassault et Airbus ont été retenues pour la maîtrise d’œuvre. Après l’adhésion de l’Espagne au projet en février 2019, un accord-cadre définissant les axes de travail pour les études de recherche et de technologie a été signé en juin 2019, lors du salon international de l’air et de l’espace du Bourget. Les premiers travaux devraient permettre la réalisation d’un démonstrateur à l’horizon de 2025-2026, en vue d’une livraison du système à l’horizon de 2040.

● D’autres projets sont également en cours, à l’instar du drone MALE européen, du renouvellement de la capacité aérienne de patrouille maritime MAWS (Maritime Airborne Warfare System) à l’horizon de 2032-2035, de la rénovation de l’hélicoptère Tigre, qui doit permettre à ces appareils de demeurer opérationnels jusqu’en 2040 environ, ou encore, dans le domaine spatial, des réflexions sur une nouvelle génération de satellites.

D’après le communiqué publié à l’issue du conseil des ministres franco-allemand organisé à Toulouse le 16 octobre 2019, les parties ont « levé des blocages importants pour poursuivre le développement du char et de l'avion de combat du futur ». S’il convient de le saluer, de nombreuses questions demeurent, notamment s’agissant de la doctrine d’emploi des matériels, de la permanence de leur financement ou des règles d’exportation des systèmes d’armes. En outre, d’après la rapporteure pour avis, l’approfondissement de la coopération dans le domaine opérationnel, au travers de la constitution de l’unité bilatérale de C130-J, contribuera aussi à l’apaisement des discussions et à la résolution des questions toujours en suspens dans le domaine capacitaire.

II.   la création d’une unité binationale de transport aérien tactique : un projet ambitieux au service des deux pays

A.   Le cadre général du projet

1.   La création d’une unité binationale

La future unité binationale de transport aérien tactique mettra en œuvre dix aéronefs C130-J Super Hercules : quatre appareils français et six appareils allemands. La France a d’ores et déjà réceptionné les deux premiers appareils, actuellement stationnés sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, les deux derniers devant être livrés par Lockheed Martin au cours des dix-huit prochains mois. Du côté allemand, le premier appareil sera livré au mois de décembre 2021.

Le C130-J est un avion polyvalent qui, pour la France, vient combler un trou capacitaire lié, notamment, au retrait progressif des Transall. Il apporte également un surplus de capacité, pouvant transporter jusqu’à 19 tonnes de chargement à 3 000 kilomètres, alors que le C160 était limité à 10 tonnes à 2 500 kilomètres, ou une tonne à 5 000 kilomètres. Sur les théâtres, il permettra de remplir un large panel de missions, allant du simple transport à des missions plus tactiques, comme le largage de personnels ou de fret, la recherche et le sauvetage, l’évacuation sanitaire ou l’extraction de personnels en zones de menace ainsi que le ravitaillement en vol des hélicoptères comme des chasseurs.

Pour mettre en œuvre ces aéronefs, l’unité s’appuiera sur environ 260 personnels, avec autant de Français que d’Allemands. Le contingent allemand comportera néanmoins une plus grande part de personnels navigants, pour tenir compte du plus grand nombre d’avions mis à disposition.

Si des personnels allemands sont déjà intégrés à Orléans, le premier contingent affecté à Évreux devrait arriver au printemps 2021. Par la suite, un contingent plus important rejoindra la BA 105 à l’été 2021, avant une montée en puissance progressive à compter de l’arrivée du premier avion. La capacité opérationnelle initiale est donc attendue à la fin de l’année 2021, la pleine capacité opérationnelle l’étant, quant à elle, à l’horizon de 2024.

Afin de respecter ces échéances, douze groupes de travail ont été constitués afin d’étudier l’ensemble des besoins – les conditions d’emploi des équipages, la simulation, les infrastructures, la réglementation, etc. – et de faire remonter les questions principales au comité de pilotage conjoint qui se réunit tous les trimestres, alternativement en France et en Allemagne, et assure la coordination de la montée en puissance de cette unité.

La principale spécificité de cette unité binationale tiendra à sa complète intégration. Ainsi, les personnels allemands et français travailleront ensemble, sur des appareils allemands ou français. Les équipages pourront être mixtes, de même que les équipes de maintenance ou de logistique. Ce niveau de coopération est tout à fait inédit tant il est approfondi. Les aéronefs et leurs équipages seront placés sous le commandement opérationnel de l’EATC, et pourront être déployés en opérations extérieures, dans des conditions qu’il convient encore de préciser au regard des règles d’emploi propres à chaque État. Enfin, chaque pays conservera la possibilité d’intervenir en parfaite autonomie et de manière nationale, à partir de ses propres appareils et avec ses propres équipages, notamment dans le cadre d’opérations sensibles.

2.   La création d’un centre de formation et d’entraînement commun

Afin de sécuriser la formation des personnels sur ce type d’appareil, le projet prévoit également la création d’un centre de formation et d’entraînement, dont les prestations seront en partie externalisées avec le recours à des instructeurs civils afin de limiter le coût des ressources humaines. Composante significative du projet, il constitue un atout majeur pour les armées de l’air des deux nations en permettant de s’affranchir des contraintes que représente une formation à l’étranger, essentiellement aux États-Unis.

Le centre de formation et d’entraînement commun accueillera notamment un simulateur de vol et un simulateur de soute d’avion, ce dernier facilitant l’entraînement aux opérations de largage aérien. Il doit ainsi permettre la formation complète des personnels navigants et des équipes de maintenance, en conformité avec le cadre normatif européen défini par l’agence européenne de la sécurité aérienne.

Le centre de formation complet pour les équipages et les mécaniciens doit atteindre une capacité initiale au premier semestre 2022, avant la livraison du simulateur en fin d’année 2022 et l’accession à une pleine capacité en 2024.

B.   une unité au service des deux pays

Au-delà des intérêts opérationnels propres à chacun des deux pays, la création de cet escadron binational permettra aussi de rationaliser et d’optimiser le maintien en condition opérationnelle des appareils, grâce au regroupement des compétences et des stocks de pièces de rechange : avec la mise en place de cette unité commune, chaque pays s’épargne les tracas habituels d’une micro-flotte.

1.   L’intérêt pour l’Allemagne

Lors de ses auditions, la rapporteure pour avis a pu mesurer l’importance d’un tel projet pour les autorités allemandes. C’est ainsi que le général Albl, attaché de défense et chef de la mission militaire de l’ambassade d’Allemagne en France, lui a indiqué que l’officier chargé du suivi de ce projet au sein du ministère de la Défense allemand échangeait régulièrement et directement avec la ministre, afin de la tenir informée de ses avancées.

En outre, les personnels allemands qui seront affectés – tous déjà identifiés – ont débuté leur formation il y a déjà deux ans.

Ce fort engagement tient d’abord au fait que le projet a été initié par la partie allemande, désireuse de combler un trou capacitaire et de maintenir sa faculté à réaliser des missions d’évacuation de ressortissants en cas de crise. Entre le retrait annoncé de la flotte C160 et les retards de l’A400M, il était donc nécessaire de développer une telle capacité. Pour les forces allemandes, un tel projet leur garantit de disposer, avec une flotte relativement réduite, d’une capacité à la fois flexible, pérenne et efficiente, en raison de l’aptitude des Super Hercules à « durer » sur le terrain.

En outre, alors que la Luftwaffe ne comptait pas encore d’avion de type C‑130, le rapprochement opéré en direction de la France permet de bénéficier du retour d’expérience des personnels français, qui mettent en œuvre des C-130H Hercules depuis de nombreuses années.

Du reste, le choix d’implanter cette unité opérationnelle sur le sol français n’est pas sans conséquence, dans la mesure où, l’ensemble de la flotte de C130-J y étant stationné, les personnels qui y seront affectés le seront pour de nombreuses années – une dizaine d’années au minimum pour la plupart d’entre eux. Pour eux, il s’agit donc d’un véritable projet de vie, qui explique que les personnels identifiés suivent des cours de français afin de préparer au mieux leur intégration en France.

2.   L’intérêt pour la France

Pour la France, la constitution d’un tel escadron binational permettra de bénéficier d’une nouvelle capacité performante et de partager le fardeau de ses engagements, tant d’un point de vue financier que d’un point de vue opérationnel.

D’un point de vue opérationnel, l’objectif est d’associer encore davantage les forces allemandes aux opérations telles que celles que les forces françaises conduisent actuellement, notamment au Sahel. Afin de s’affranchir des contraintes d’emploi en opérations extérieures susceptibles de survenir du fait des règles propres à chaque pays, les états-majors des deux pays travaillent actuellement à l’élaboration de normes d’emplois partagées. Si ce travail est toujours en cours, il ne fait guère de doute que l’objectif est d’être en mesure de mettre davantage nos partenaires à contribution, y compris dès le début d’une intervention. En outre, l’unité effectuera la plupart de ses missions sous le commandement opérationnel de l’EATC, selon les règles d’emploi existantes.

D’un point de vue plus financier, un escadron commun permet de mutualiser les coûts d’installation, d’entretien et d’exploitation d’une flotte que la France aurait difficilement pu assumer seule.

En outre, alors que la France contribuera plus faiblement à cette unité d’un point de vue capacitaire, les Allemands ont consenti un « crédit » annuel de 1 200 heures de vol que les équipages français pourront réaliser sur des avions allemands.

Enfin, cette première unité binationale opérationnelle pourrait de surcroît augurer d’autres projets de même ambition. En effet, l’approfondissement de la coopération capacitaire et opérationnelle franco-allemande inscrite dans le traité d’Aix-la-Chapelle pourrait trouver une nouvelle traduction dans la constitution d’une unité « miroir » en Allemagne, un « Évreux inversé » selon les mots du général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air, devant la commission de la Défense, autour d’une capacité d’hélicoptères de transport lourd. Alors que l’Allemagne s’apprête à renouveler sa flotte de CH-53, une telle opportunité mérite d’être étudiée plus avant, et ce d’autant plus que les trois Chinook CH-47 britanniques actuellement déployés au Sahel prouvent au quotidien la pertinence d’une telle capacité.

III.   un accord technique dont l’approbation rapide conditionne l’achèvement du projet

A.   Des dispositions essentiellement techniques mais indispensables à la poursuite des travaux

1.   Un projet initié il y a trois ans

Si l’acquisition de la pleine capacité opérationnelle de cette future unité commune n’est attendue qu’à l’horizon 2024, le projet a été initié dès le printemps 2016 par les ministres chargés de la défense des deux pays, M. Jean-Yves Le Drian et Mme Ursula von der Leyen. Ces derniers ont confirmé le principe de ce projet par la signature de deux lettres d’intention, le 4 octobre 2016 et le 15 février 2017. Négocié au cours du premier semestre de l’année 2017, l’accord a finalement été signé à Berlin le 10 avril 2017.

Depuis lors, il n’a eu de cesse d’être confirmé, la ministre des Armées, Mme Florence Parly, déclarant ainsi le 15 janvier 2018, à l’occasion de son intervention prononcée à l’occasion de la livraison du premier C130-J sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, qu’ « en avançant ensemble, par des initiatives ambitieuses et concrètes, sur le transport aérien militaire, la France et l’Allemagne s’engagent une nouvelle fois pour l’Europe de la Défense. Bientôt, une unité bilatérale stationnée sur la base 105 d’Évreux verra le jour. Et je crois que c’est par ces gestes, par ces actes, que nous pourrons demain vivre dans une Europe qui maîtrise son destin et sait se défendre dès qu’on la menace. »

L’approbation de l’accord intergouvernemental du 10 avril 2017 n’est ainsi qu’une étape supplémentaire dans la constitution de ce projet structurant participant pleinement à l’approfondissement de l’Europe de la Défense.

2.   Le contenu de l’accord

L’accord intergouvernemental se compose d’un préambule, qui rappelle simplement le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense, et de neuf articles. De nature essentiellement technique, il a pour objet de préciser les modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation nécessaires à la mise en œuvre de l’unité bilatérale de C-130J sur la base aérienne d’Évreux.

La rapporteure pour avis ne détaillera pas ici les dispositions de cet accord, une telle analyse étant effectuée par le rapporteur « au fond » de la commission des Affaires étrangères. Elle en souligne néanmoins ci-dessous les principaux éléments.

L’article premier précise l’objet de l’accord et donne quelques définitions générales. Premièrement, il est précisé que les infrastructures construites ou rénovées pour la mise en place du projet comprennent le bâtiment réservé à l’unité binationale, les hangars du service technique et le bâtiment du centre de formation et d’entraînement. Deuxièmement, les outils de formation recouvrent les matériels, à l’instar des simulateurs, ainsi que les prestations de formation qui seront mis à disposition des personnels navigants, des mécaniciens et de l’ensemble des autres personnels impliqués dans ce projet.

L’article 2 confie à la France la responsabilité de la construction et des rénovations des infrastructures réalisées sur la base aérienne, et précise les modalités d’association de la partie allemande à la définition des besoins. Du reste, les infrastructures financées en commun seront utilisées de manière commune.

L’article 3 stipule qu’une équipe de coordination binationale est chargée de suivre la réalisation du programme d’infrastructures.

L’article 4 précise que la France met à disposition les infrastructures utilisées en commun et celles de la base aérienne nécessaires à la mise en œuvre de la coopération. En outre, il fixe à 60 millions d’euros maximum la part de chaque État pour les dépenses de construction et de rénovation des infrastructures, y compris les coûts annexes. Le coût de ces interventions a fait l’objet d’une évaluation de la direction centrale du service d’infrastructure de la défense (DCSID). Il inclut notamment les coûts liés aux opérations de dépollution pyrotechnique qui seront engagées sur la base aérienne d’Évreux – à compter de mi-novembre et pour une durée de seize semaines – en amont des travaux de construction. Il s’agit notamment de vérifier et, le cas échéant, de traiter, les munitions et bombes ou leurs résidus qui seraient toujours présents sur le site depuis les bombardements effectués durant la Seconde Guerre mondiale. Le principe d’un partage égal du financement est consacré. Enfin, l’article renvoie à un accord complémentaire la mise en œuvre de ces dispositions.

L’article 5 traite, quant à lui, des modalités de financement des outils de formation et d’entraînement. Il fixe à 50 millions d’euros maximum la part de chaque partie pour leur acquisition, elle aussi à parts égales. Ce montant résulte d’une évaluation effectuée par la direction générale de l’armement, à partir des besoins exprimés par les forces. Par ailleurs, l’article précise que les dépenses relatives à la formation sont prises en charge par chaque pays pour leurs personnels respectifs, les dépenses de fonctionnement des outils de formation acquis en commun étant, elles, partagées annuellement entre les deux pays au prorata de leur durée d’utilisation respective.

L’article 6 prévoit l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée de la part des biens et des prestations financés par l’Allemagne, conformément aux dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Pour rappel, ainsi que le précise l’étude d’impact annexée au projet de loi, le c) du 1 de l’article 151 de la directive précitée autorise les États membres à exonérer de TVA les livraisons de tels biens et prestations effectuées dans un État membre de l’OTAN et destinées aux forces armées des autres membres de l’Alliance atlantique, pour l’usage de ces forces ou l’élément civil qui les accompagne.

L’article 7 renvoie à un accord complémentaire la détermination et la compensation de la valeur résiduelle des infrastructures et des outils de formation financés en commun en cas d’extinction ou de dénonciation de l’accord. Il précise par ailleurs l’exclusion de tout scénario conduisant à un démantèlement obligatoire des infrastructures alors rendues inutiles.

L’article 8 traite des modalités de règlement des différends entre les parties, en renvoyant à la négociation.

L’article 9, enfin, traite des modalités d’entrée en vigueur de l’accord et, éventuellement, de celles de son extinction. S’agissant de l’entrée en vigueur, il est précisé que l’accord entrera en vigueur un mois après la date à laquelle les parties se sont mutuellement notifié que les conditions nationales nécessaires à son entrée en vigueur sont remplies. En l’espèce, la procédure allemande ne prévoit rien d’autre que la consultation préalable de la commission budgétaire du Bundestag, qui a rendu son avis le 22 mars 2017. Dès lors, ainsi que le précise l’étude d’impact annexée au projet de loi, l’instrument de ratification allemand a été transmis par la voie diplomatique au ministère de l’Europe et des affaires étrangères le 15 mai 2018. Côté français, les dispositions constitutionnelles imposent que l’approbation de l’accord soit autorisée par le Parlement.

Conclu pour une durée indéterminée, l’accord peut être amendé à tout moment, les parties pouvant également y mettre un terme par un accord écrit. La dénonciation de l’accord ne peut néanmoins intervenir qu’après un délai de cinq années à compter de son entrée en vigueur, et avec un délai de cinq ans. Autrement dit, dès son entrée en vigueur effective, il s’appliquera pendant au moins dix ans.

B.   Aller vite pour prévenir les retards

1.   L’approbation de l’accord ne peut être autorisée que par le Parlement

En vertu des dispositions de l’article 53 de la Constitution, l’approbation du présent accord ne peut être autorisée que par une loi. Tel est l’objet du présent projet de loi. Bien que déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 19 juin 2019, le texte n’est pas, à ce jour, inscrit à l’ordre du jour de la séance publique. Il a néanmoins été examiné « au fond » par la commission des Affaires étrangères lors de sa réunion du 6 novembre 2019, au lendemain de l’examen pour avis conduit par la commission de la Défense.

Une fois le projet de loi examiné et adopté – c’est du moins le souhait de la rapporteure pour avis – par l’Assemblée, il sera classiquement transmis au Sénat dans le cadre de la navette parlementaire.

En l’état actuel des choses, et au regard de l’encombrement de l’agenda législatif jusqu’à la fin de l’année 2019, il est à craindre que le vote définitif du présent projet de loi ne puisse intervenir avant le premier semestre 2020, ce qui n’est pas sans conséquence sur la mise en œuvre du projet dans les délais initialement prévus.

2.   Un calendrier à accélérer autant que possible

Alors même que l’accord a été signé il y a plus de deux ans et que le projet de loi autorisant son approbation a été déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale avant l’été 2019, il y a aujourd’hui urgence à aller vite.

Comme l’a indiqué la rapporteure pour avis, l’objectif est de permettre l’entrée en service opérationnel de cette future unité binationale à l’horizon 2021. Ainsi qu’elle l’a déjà exposé, un premier détachement de personnels allemands pourrait rejoindre la base aérienne 105 dès le printemps 2021, tandis que les C130-J français actuellement stationnés sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy la rejoindraient à l’été 2021, en même temps que les personnels français et qu’une large part des personnels allemands. Quant au premier C130-J allemand, il est attendu sur la base aérienne 105 en décembre de la même année.

Ce calendrier est ambitieux.

Si chacun s’accorde sur le fait que la montée en puissance opérationnelle de l’unité binationale nécessitera du temps – c’est d’ailleurs pourquoi la pleine capacité n’est attendue qu’à l’horizon de 2024 – ne serait-ce que pour que les personnels apprennent à travailler ensemble, il est indispensable que le calendrier de réalisation des infrastructures et d’implantation des outils de formation soit compatible avec les objectifs initiaux.

Or, pour la rapporteure pour avis, deux points sont source d’interrogations, si ce n’est de préoccupation.

D’abord, il est peu probable que les travaux d’infrastructures soient achevés avant la fin de l’année 2021.

En déplacement sur la base aérienne d’Évreux, elle a pu mesurer l’ampleur des chantiers à conduire. Certes, les premières opérations liées au chantier de dépollution ont été lancées. De même, les lieux d’implantation des nouveaux bâtiments ont été identifiés, et des travaux préparatoires engagés. C’est ainsi que l’ancienne entrée de la base aérienne, située le long de la nationale 13, va être rouverte afin de permettre aux engins de chantiers d’accéder directement à une zone qui sera isolée du reste de la base aérienne le temps des travaux. En parallèle, un pont provisoire est sur le point d’être inauguré, afin de permettre aux personnels de la base de continuer à utiliser les axes de circulation quasi normalement. Une telle anticipation est indispensable afin de pouvoir engager les travaux de construction et de rénovation au plus vite. Néanmoins, alors que la durée de ces derniers est estimée à environ dix-huit mois, leur lancement ne peut être retardé pour des questions procédurales !

Le commandement de la base aérienne, le colonel Sébastien Delporte, comme l’attaché militaire de l’Ambassade d’Allemagne en France, le général Albl, ont certes indiqué à la rapporteure pour avis qu’un retard de quelques mois ne serait pas, en soi, si préjudiciable. Ainsi, alors que la flotte de C-160 est en déflation, une partie des installations dédiées aux Transall pourrait être utilisée par les C-160J dans l’attente. De plus, la « rusticité » propre aux militaires leur permettra de s’adapter aux circonstances.

Une telle solution n’est toutefois ni durable, ni satisfaisante, alors que ce projet est présenté comme « phare ».

Ensuite, il a été indiqué à la rapporteure pour avis qu’afin de respecter le calendrier initial, la direction générale de l’armement devait notifier le contrat relatif à l’acquisition des outils de formation et d’entraînement au dernier semestre de l’année 2019. En l’état, cela semble inenvisageable.

Or, le délai nécessaire à l’acquisition et à l’implantation des outils de formation et d’entraînement est estimé à une trentaine de mois. En somme, plus la promulgation du présent projet de loi tarde, plus le calendrier initial de mise en œuvre de l’ensemble du projet paraît intenable.

Nul ne peut se satisfaire d’une telle situation.

C’est pourquoi il est urgent d’identifier les voies et moyens d’accélérer le calendrier d’examen du présent projet de loi, afin de permettre l’approbation rapide de l’accord et de ne pas prendre de retard dans la mise en place du projet.

D’ici là, la rapporteure pour avis invite la représentation nationale à adopter le présent projet de loi.

 


—  1  —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION SAISIE POUR AVIS

Le mardi 5 novembre 2019, la commission examine pour avis, sur le rapport de Mme Séverine Gipson, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien.

Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’horaire inhabituel de cette réunion : cet après-midi, en effet, sont examinés en séance publique, dans le cadre de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2020, les crédits de la mission « Sécurités ». Notre rapporteure pour avis sur les crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale », Aude Bono-Vandorme, doit intervenir dans l’Hémicycle à cette occasion. Il m’est donc apparu totalement discourtois – pour ne pas dire plus – de réunir notre commission au moment où notre collègue y prendra la parole, ce qui nous aurait privés de la possibilité de l’entendre et de participer à ce débat.

Voilà pourquoi nous nous réunissons exceptionnellement aujourd’hui avant les Questions au Gouvernement, et non après.

Avant d’en venir au projet de loi, je voudrais exprimer l’émotion qui a été la nôtre samedi dernier à l’annonce du décès du brigadier Ronan Pointeau, âgé de vingt-quatre ans et membre du 1er régiment de Spahis. Il est mort pour la France au Mali, dans le cadre de l’opération Barkhane, après l’explosion d’un engin explosif improvisé au passage de son véhicule blindé léger. Sa mort est malheureusement pour nous l’occasion de saluer une nouvelle fois le courage et l’engagement de nos soldats qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême. Elle nous rappelle également la nécessité de continuer, au Sahel, le combat contre les djihadistes afin d’assurer la paix et la sécurité dans cette région dont dépend également, faut-il le rappeler, la nôtre, de ce côté-ci de la Méditerranée. J’adresse, au nom de la commission, à la famille ainsi qu’aux amis du brigadier Ronan Pointeau nos respectueuses condoléances. J’adresse également une pensée fraternelle aux militaires maliens qui sont décédés ce week-end au cours d’une attaque terroriste attribuée, elle aussi, aux djihadistes.

À l’approche du 11 novembre, je voudrais par ailleurs, mes chers collègues, vous recommander de porter ce qu’il est convenu d’appeler le Bleuet de France, à savoir l’insigne du souvenir en l’honneur de tous les morts pour la France d’hier et d’aujourd’hui, mais également en celui des militaires blessés, des victimes d’actes de terrorisme et des pupilles de la Nation. Je crois en effet qu’il est de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de montrer l’exemple en arborant ce symbole : je vous rappelle, si tant est que cela soit nécessaire, l’importance de l’œuvre nationale du Bleuet de France, qui complète les actions de solidarité mises en œuvre par l’État en faveur des militaires d’active et des ressortissants de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG).

Nous en venons maintenant à l’examen pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien. Cet accord a notamment pour objet de créer une unité binationale franco-allemande d’avions de transport tactique C130-J ainsi qu’un centre de formation et d’entraînement commun sur la base aérienne d’Évreux : c’est la raison pour laquelle nous avons choisi comme rapporteure pour avis sur ce projet de loi Mme Séverine Gipson.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Si le titre de ce projet de loi dit presque tout de son contenu, permettez-moi tout de même de le résumer de manière plus concrète : il s’agit de permettre l’implantation sur la base aérienne 105 d’Évreux-Fauville, à l’horizon de 2021, d’une unité franco-allemande d’avions de transport tactique C130-J et du centre de formation et d’entraînement commun qui lui sera attaché.

Nous en avons tous entendu parler, notamment lors des auditions de la ministre des Armées et du chef d’état-major de l’armée de l’air : il s’agit d’un projet inédit, ambitieux et structurant, tant pour nos forces que pour l’approfondissement de la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense. C’est pourquoi il me semble important de commencer par un bref exposé de ses tenants et aboutissants, et tout d’abord par un rappel historique.

L’idée d’un escadron commun d’avions de transport tactique C130-J a vu le jour dès le printemps 2016. Elle s’est rapidement concrétisée par un échange de lettres d’intention entre le ministre français de la Défense d’alors, Jean-Yves le Drian, et son homologue allemande qui, comme chacun le sait, se trouve aujourd’hui à la tête de la Commission européenne. Je rappelle que la France venait alors de décider d’acquérir auprès de Lockheed Martin plusieurs avions C130-J afin de compenser les retards et les difficultés de la flotte d’A400 M, tandis que l’Allemagne était à la recherche d’une nouvelle capacité sur le segment du transport aérien tactique.

Dans ce contexte, c’est presque naturellement qu’un approfondissement de notre coopération bilatérale dans le domaine du transport tactique a été envisagé : en effet, la relation franco-allemande en la matière est aussi ancienne que continue. Je ne reviendrai pas ici sur la coopération quasi historique autour du C160 Transall, développée dans les années soixante. Plus proche de nous, il me paraît important de rappeler qu’au titre d’un accord technique franco-allemand portant sur les formations croisées des personnels affectés sur A400M, pilotes, soutiers et mécaniciens français effectuent leur formation initiale sur la base de Wunstorf, en Basse-Saxe, tandis que leurs homologues allemands en font de même, pour leur formation avancée sur le volet tactique, sur la base aérienne 123 d’Orléans. Si le renforcement de notre coopération dans le domaine du transport aérien tactique est le fruit de cette histoire partagée, elle atteindra, avec le C130-J, un niveau inédit.

Concrètement, la future unité franco-allemande sera composée de dix avions C130-J : quatre avions français et six avions allemands. La France a d’ores et déjà reçu ses deux premiers appareils, stationnés et mis en œuvre sur la base aérienne d’Orléans, et tous les appareils français devraient rejoindre celle d’Évreux à l’été 2021. Le dernier appareil français devrait être livré au printemps 2021, tandis que le premier des six appareils allemands rejoindra la base d’Évreux la même année, au mois de décembre.

Sur cette flotte de dix appareils, cinq seront dotés d’une capacité de ravitaillement en vol, ce qui constitue un atout tactique majeur, notamment au profit des hélicoptères. Environ 260 personnels rejoindront la base aérienne à terme, dont la moitié d’Allemands, pour la mise en œuvre de cette flotte. Si des personnels allemands sont d’ores et déjà installés sur la base aérienne d’Orléans afin de travailler à la préfiguration de cette future unité binationale, ce n’est qu’en avril 2021 qu’un premier détachement allemand pourrait s’installer à Évreux. L’été 2021 devrait voir l’arrivée d’un contingent plus conséquent, avant une montée en puissance progressive, au fur et à mesure de l’arrivée des aéronefs allemands, à compter de décembre 2021, et jusqu’en 2024.

Le C130-J est un avion polyvalent qui, pour la France, vient combler un trou capacitaire lié, notamment, au retrait progressif des Transall. Sur les théâtres, il permettra de remplir un large panel de missions, allant du simple transport à des missions plus tactiques, comme le largage de personnels ou de fret, la recherche et le sauvetage, l’évacuation sanitaire, l’extraction de personnels en zones de menace ou, comme je l’ai dit, le ravitaillement des hélicoptères comme des chasseurs.

La constitution d’un tel escadron binational permettra à la France de bénéficier d’une nouvelle capacité performante et de partager le fardeau, tant d’un point de vue financier qu’opérationnel. D’un point de vue opérationnel, l’objectif est d’associer encore davantage les forces allemandes aux opérations que nous menons actuellement, notamment dans la bande sahélo-saharienne.

Afin de s’affranchir des contraintes d’emploi susceptibles de survenir du fait des règles propres à chaque pays, les états-majors des deux pays travaillent actuellement à l’élaboration de normes d’emplois partagées. Je ne vous cache pas cependant que l’objectif est d’être en mesure de mettre davantage nos partenaires à contribution, y compris dès le début d’une intervention.

D’un point de vue plus financier, un escadron commun nous permet de mutualiser les coûts d’installation, d’entretien et d’exploitation d’une flotte que nous n’aurions pas pu assumer seuls. Quant à se contenter d’une micro-flotte, chacun connaît ici les inconvénients d’une telle solution.

Enfin, alors que la France a été à l’origine de l’Initiative européenne d’intervention (IEI), un tel projet témoigne concrètement de notre rôle moteur dans la construction de l’Europe de la défense. J’estime pour ma part que l’approfondissement de notre coopération opérationnelle pourrait également contribuer à l’apaisement de certaines discussions dans le domaine capacitaire. S’il n’est pas ici question des programmes SCAF – système de combat aérien du futur – ou MGCS – Main Ground Combat System –, il me semblait important de le noter. Par ailleurs, le projet d’unité binationale prévoit également l’implantation d’un centre de formation et d’entraînement partagé, également sur la base aérienne d’Évreux.

La construction de ce centre nous garantira une totale autonomie, grâce notamment à l’installation de simulateurs et d’autres outils de formation théorique et pratique. Là aussi, la mutualisation est source d’économies. Elle témoigne également de la reconnaissance du savoir-faire de nos militaires, les Allemands comptant bien bénéficier de l’expertise française en matière d’exploitation d’appareils de type C130.

J’en viens à présent au texte de l’accord qui nous occupe aujourd’hui. Les neuf articles qui le composent fixent les principes et les conditions du financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation nécessaires au fonctionnement de cette unité bilatérale. Il prévoit ainsi un partage à parts égales des coûts, à hauteur de 110 millions d’euros maximum pour chaque État. La contribution de chaque pays comporte une part dédiée au financement des opérations de construction et de rénovation, à hauteur de 60 millions d’euros, et une autre affectée à l’acquisition des outils de formation, à hauteur de 50 millions d’euros. L’approbation de cet accord permettra donc, en premier lieu, de lancer les travaux correspondant aux infrastructures utilisées en commun, comme le bâtiment réservé à l’unité franco-allemande, les hangars du service technique ou le centre de formation, et, en second lieu, d’acquérir les matériels et les prestations utilisés en commun au sein du centre de formation et d’entraînement, comme le simulateur de vol et le simulateur de soute.

Comme vous le voyez, il s’agit d’un accord essentiellement technique, mais dont l’approbation est nécessaire à la concrétisation de cet ambitieux projet. Il nous faut donc aller vite si nous souhaitons que sa mise en œuvre ne soit pas retardée. Certes, les choses ont d’ores et déjà, heureusement, avancé. Les ministères français et allemands des Armées ont ainsi mis en place un comité de pilotage conjoint se réunissant tous les trimestres, alternativement en France et en Allemagne. Douze groupes de travail permettent de balayer l’ensemble des besoins – emploi des équipages, simulation, infrastructures, réglementation, etc. – afin de respecter les échéances de 2021 et 2024, date retenue pour l’achèvement du projet et pour la mise en œuvre de la pleine capacité opérationnelle.

Concernant plus précisément la construction des infrastructures technico-opérationnelles, comme le hangar et les locaux de l’unité binationales, les étapes habituelles ont été franchies. La situation est plus tendue s’agissant du centre de formation. En effet, la notification par la direction générale de l’armement (DGA) du contrat pour l’acquisition des outils de formation devait, afin de tenir les délais, intervenir au cours du dernier trimestre de l’année 2019. Or celle-ci ne peut intervenir tant que l’accord n’est pas approuvé, et il ne fait guère de doute, en l’état actuel des choses, que tel ne sera pas le cas d’ici à la fin de l’année.

Aux termes de l’article 53 de la Constitution, l’approbation d’un accord international qui engage les finances publiques de l’État ne peut en effet être autorisée qu’en vertu d’une loi. L’Assemblée nationale étant la première assemblée saisie, et le présent projet de loi n’étant pas encore inscrit à l’ordre du jour de la séance publique, il est à craindre que tant l’encombrement du calendrier législatif jusqu’en décembre que les aléas de la navette parlementaire renvoient l’approbation de l’accord en question au premier trimestre de l’année 2020. Ce n’est pas encore les calendes grecques mais, pour la mise en œuvre du projet, c’est déjà bien tard ! Ajoutons à cela qu’il faudra, selon les informations qui m’ont été transmises, compter au minimum dix-huit mois pour la réalisation des travaux d’infrastructures et autour de trente mois pour l’achèvement du centre de formation et d’entraînement. Je crains donc qu’à la fin de l’année 2021 nous disposions bien des avions et des personnels, mais pas du hangar, des bureaux ni du centre de formation.

J’ai rencontré l’attaché de défense de l’ambassade d’Allemagne en France, des représentants de l’état-major de l’armée de l’air ainsi que le commandant de la BA 105 d’Évreux-Fauville : tous assurent cependant que la capacité d’adaptation aux conditions de rusticité propre aux militaires leur permettra de s’adapter aux conditions qu’ils rencontreront le moment venu. Une telle situation ne me paraîtrait néanmoins pas refléter l’ambition d’un projet présenté comme phare pour l’approfondissement de la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense. Du reste, ce projet me semble par ailleurs porteur de plus larges promesses. Il contribuera tout d’abord, plus largement, à renforcer l’amitié franco-allemande. Il ne faut pas oublier en effet qu’au-delà des militaires, près de 130 familles s’installeront autour d’Évreux, la plupart pour une dizaine d’années.

De ce point de vue, pour les personnels allemands, une affectation à Évreux ne sera pas qu’une étape dans un plan de carrière : elle constituera bel et bien un véritable projet de vie. De nombreuses initiatives ont d’ailleurs déjà été lancées afin de préparer leur arrivée.

 Un tel projet pourrait en outre préfigurer le lancement d’autres coopérations opérationnelles : le général Philippe Lavigne a ainsi évoqué ainsi devant nous le scénario d’un « Évreux inversé » dans le domaine des hélicoptères de transport lourd. Pour toutes ces raisons, il me semble que notre commission devrait faire preuve d’une certaine vigilance, voire ne pas s’interdire d’exercer d’amicales pressions en vue d’accélérer le calendrier d’examen de ce projet de loi. D’ici là, je vous invite à émettre un avis favorable à son adoption.

M. Fabien Gouttefarde. Je vous remercie, Madame la rapporteure, chère Séverine, pour ce propos liminaire. Je me réjouis bien évidemment de l’examen de ce texte par notre commission, et j’espère qu’il passera très vite en séance publique.

Cet accord est en effet extrêmement important tant pour la concrétisation de la coopération franco-allemande que pour la pérennité et le renforcement de la base aérienne 105 sur son territoire, que pour le dynamisme d’Évreux et de son environnement, avec l’installation de 130 familles. Si vous répondez favorablement à l’invitation qui vous a été lancée pour le 4 décembre prochain par l’armée de l’air, vous vous rendrez compte, chers collègues, que la base aérienne d’Évreux a d’ores et déjà commencé sa transformation, en prévision de l’accueil de nos amis allemands. Mes anciennes affectations au ministère de la Défense m’amènent à poser une question technique. Lorsque des militaires s’installent durablement à l’étranger, ils bénéficient en général d’un accord juridique appelé Status of Forces Agreement (SOFA), qui leur permet de jouir d’un privilège de juridiction. Par exemple, un soldat français qui commettrait un délit à Djibouti, serait jugé par un juge français et non pas djiboutien. Ce même accord juridique leur garantit certains droits liés notamment au permis de conduire ou, en matière fiscale, à certaines taxes comme la TVA. Nos amis allemands ont-ils prévu un SOFA ? Ou, par défaut, est-ce le SOFA OTAN, qui régit en temps normal les relations avec les pays membres de cette organisation, qui s’appliquera ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Une fois n’est pas coutume, je suis mille fois d’accord avec la rapporteure. Lors de la présentation de mon avis budgétaire, la semaine dernière, je n’ai pas manqué d’ailleurs d’alerter notre présidente et la ministre, sur l’urgence qu’il y avait à approuver cet accord. Il serait plus que fâcheux en effet que les crédits qui ont été alloués en la matière ne soient pas consommés – je n’ose l’imaginer. Je me suis même demandé s’il ne fallait pas avoir recours à la procédure d’examen simplifié. Quoi qu’il en soit, tout ce qu’a dit la rapporteure nous convient. Le groupe Les Républicains soutient cette démarche. J’ai également apprécié qu’elle évoque l’hypothèse d’un escadron franco-allemand d’hélicoptères de transport lourd : je note que l’idée fait son chemin. La meilleure façon de soutenir cette éventualité est par conséquent de faire en sorte que l’escadron franco-allemand d’Évreux voie le jour et fonctionne de la meilleure façon possible.

M. Joaquim Pueyo. J’étais favorable à cet accord signé par la France et l’Allemagne à Berlin le 10 avril 2017. J’ai par conséquent apprécié les propos tenus par la rapporteure. Tout d’abord, je suis pour le renforcement de l’Europe de la défense. Certes, il s’agit en l’occurrence d’un accord bilatéral. Mais j’ai toujours en point de mire cette Europe de la défense même si les Battle groups, créés voilà dix ans n’ont encore jamais été déployés sur les théâtres d’opération. Ce texte pourrait précisément être de nature à permettre par la suite le déploiement de troupes dans un temps très court et sous l’égide de l’Union européenne. Il a souvent été question de coopération européenne et de formation : cet accord amorce une telle logique puisqu’il prévoit également l’implantation d’un centre de formation. Je suis favorable à l’ensemble de ces dispositions, compte tenu des menaces qui pèsent sur les démocraties européennes. L’Union européenne est une grande démocratie – et il y en a très peu au monde ! Si l’on peut donc renforcer l’Europe de la défense à travers des accords bilatéraux – nous en avons d’ores et déjà passé avec l’Angleterre et avec l’Espagne, et ils fonctionnent très bien –, une telle évolution va dans le bon sens.

M. Bastien Lachaud. La France insoumise se réjouit que notre commission se soit saisie pour avis de ce texte. Pour le reste, mes propos seront peut-être un peu discordants. Ce projet n’est pas le premier du genre : la coopération avec l’Allemagne est déjà ancienne et relativement profonde. De ce fait, l’accord que nous examinons ne suscite pas une grande inquiétude. Je voudrais néanmoins le remettre dans son contexte. Contrairement à ce qui a été dit, il n’est pas question pour l’Allemagne d’avancer sérieusement dans la coopération militaire. Après trente ans d’existence, la brigade franco-allemande se cherche encore – chacun le sait et d’aucuns le disent publiquement. Il n’y a, d’ailleurs, pas vraiment lieu de regretter cette situation : une remontée en puissance de l’Allemagne dans le domaine militaire ne serait pas de nature à nous réjouir. L’hégémonie économique que ce pays a conquise sur l’Europe ces dernières années ne doit pas se doubler de la reprise de son statut de puissance militaire. Je le dis sans volonté polémique ni agressivité, cela va de soi. Il faut simplement veiller à ce qu’il y ait un équilibre des puissances sur le continent.

Certaines velléités outre-Rhin et une forme de désinvolture chez nous doivent nous inciter à la prudence. La paix est un bien trop précieux pour qu’on puisse se contenter de le considérer comme acquis. La bonne volonté n’est pas une garantie ultime contre les dynamiques profondes qui sont susceptibles de travailler le continent européen. On me répondra que cette coopération en matière de transport tactique est un moyen d’assurer une nouvelle interdépendance qui est garante de paix et servira à rendre effective la souveraineté européenne. Nous n’en croyons rien. Tout d’abord, l’idée de la souveraineté européenne est une chimère : la souveraineté appartient au peuple, et il n’y a pas un peuple européen, mais des peuples. En outre, les motivations de cet accord sont bien plus prosaïques : il s’agit seulement de mutualiser les dépenses et de réduire les coûts. C’est la stratégie préconisée par l’OTAN sous l’appellation de Smart Defence. Sa mise en œuvre profite d’ailleurs très opportunément à l’industriel américain Lockheed Martin, qui fournit les avions de transport. Les intérêts économiques et stratégiques des États-Unis ne sont guère ébranlés : la coopération européenne n’est nullement une alternative. Pour conclure, je voudrais souligner que nous n’avons évidemment pas d’hostilité de principe à la coopération bilatérale. Mais encore faut-il qu’elle soit sincère et qu’elle n’obère pas notre souveraineté.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Je salue, comme beaucoup d’autres collègues, ce nouvel accord de coopération franco-allemand. Il s’inscrit dans la continuité : c’est une pierre apportée à l’édifice, si je puis m’exprimer ainsi, des coopérations franco-allemandes et de l’Europe de la défense. Vous avez utilisé le conditionnel à propos de nombreux éléments. Vous avez notamment dit que vous n’étiez pas sûre que cet accord se mettrait en place aussi rapidement qu’on pourrait le souhaiter. Avons-nous des moyens pour accélérer la procédure ?

Mme Sabine Thillaye. Merci pour votre présentation, Madame la rapporteure. Cet accord vise à créer une unité aérienne franco-allemande opérationnelle. Quel en sera le commandement ? Dans le cas de la brigade franco-allemande, il y a un commandement du côté allemand et un autre du côté français. Y aura-t-il cette fois un commandement intégré ? J’aimerais également vous interroger sur les 130 familles qui vont rejoindre Évreux. A-t-on prévu quelque chose de particulier pour leur installation ?

M. Jacques Marilossian. Je voudrais saluer le travail de notre rapporteure à propos de ce projet de loi qui va permettre de concrétiser un accord de coopération militaire franco-allemande dans un domaine, le transport tactique aérien, qui est plus décisif pour les opérations extérieures qu’on le pense souvent. Mme Gipson nous a parlé de C130-J répartis entre la France et l’Allemagne, mais elle aussi évoqué la question des hélicoptères lourds. Nous manquons, semble-t-il, d’appareils de ce type : ils sont très précieux dans le cadre des opérations extérieures et ils pourraient alléger les contrats opérationnels en ce qui concerne les C130-J. On utilise notamment des hélicoptères britanniques de type Chinook dans le cadre du dispositif Barkhane. Avez-vous identifié des pistes de coopération avec l’Allemagne ou avec d’autres partenaires européens, comme le Royaume-Uni, pour l’exploitation éventuelle d’hélicoptères lourds en matière de transport tactique ?

M. Christophe Lejeune. On était loin d’imaginer le 5 novembre 1989, il y a exactement trente ans, ce qui allait se produire quatre jours plus tard, et on ne se doutait pas que l’on discuterait un jour d’un tel accord de coopération avec une Allemagne réunifiée. Ce texte est un beau symbole.On ne peut que se féliciter de cet accord. Néanmoins, si l’objectif est de faire en sorte que la France et l’Allemagne soient davantage à même de conduire conjointement des opérations, les contraintes qui existent en Allemagne en matière d’engagement extérieur, notamment la nécessité d’avoir l’accord préalable de nos collègues du Bundestag, ne risquent-elles pas de limiter la fluidité de l’application, sur le plan opérationnel, de cet accord ?

M. Jean-Michel Jacques. Je me réjouis de la montée en puissance prévue pour les C130-J. Ce sera une véritable bouffée d’air qui nous aidera à compenser les insuffisances en matière de transport aérien tactique. Nous sommes en effet pris en étau : malgré le vieillissement de la flotte actuelle, nous attendons la pleine montée en puissance de l’A400M. Je salue également le renforcement de la coopération franco-allemande. Il a été question des infrastructures dans la base aérienne d’Évreux, mais qu’est-il de celles qui pourraient être projetées dans le cadre des opérations extérieures ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer. C’est une initiative forte. Je partage les inquiétudes de Jean-Jacques Ferrara en ce qui concerne les moyens de transport. Les dix appareils dont il est question correspondent à ce qui est nécessaire pour projeter un régiment. À défaut de déployer des hommes sur certains théâtres, à proximité d’endroits où il faudrait se projeter, nous avons besoin d’une flotte de transport, notamment d’hélicoptères lourds. Je voudrais revenir sur l’installation des familles. On a décidé en 1994 d’implanter l’école des équipages du Tigre, l’hélicoptère de combat franco-allemand, en France, dans la base du Cannet-des-Maures. Avez-vous eu connaissance d’un retour d’expérience ? On sait qu’il y a eu beaucoup de problèmes, qui ne concernaient pas du tout l’hélicoptère ou l’instruction délivrée, mais l’intégration des familles et le logement – l’intendance et le casernement, si je puis dire.

Mme Sereine Mauborgne. Merci à notre rapporteure pour le travail qu’elle a réalisé sur ce projet extrêmement déterminant pour l’avenir. S’il a pu y avoir quelques problèmes en ce qui concerne l’intégration des familles, on peut dire que l’écosystème global du Cannet-des-Maures et du Luc est aujourd’hui tout à fait positif pour les familles allemandes. Il y a notamment des classes internationales qui permettent d’apprendre certaines matières en allemand et en français du CP jusqu’au lycée. Je pense que les problèmes sont résolus et qu’il faudrait surtout regarder notre propre manière de préparer les familles qui partent en Allemagne dans le cadre de la brigade franco-allemande : il y a notamment la question des cours de langue, qui ne sont pas ouverts, actuellement, aux familles. On me l’a beaucoup signalé dans le cadre de mes permanences. À l’inverse, les familles allemandes parlent extrêmement bien le français, des fêtes allemandes sont organisées deux fois par an au sein de la base, et le commandement est assuré une année par un Français et l’année suivante par un Allemand. Je crois qu’il existe une très bonne gouvernance.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci pour ce rappel, chère collègue. On voit bien à quel point nous avons besoin, avant tout, de renforcer le lien bilatéral.

Mme Séverine Gipson, rapporteure pour avis. Ce projet est en effet important pour la base d’Évreux, la ville et les communes alentour, Monsieur Gouttefarde. On sent qu’il y a une dynamique qui se crée depuis deux ans grâce aux services qui se mettent en place et aux rencontres qui ont déjà eu lieu avec les Allemands – ils sont venus à Évreux pour visiter les lieux. Il n’y a pas de dispositions spéciales de type SOFA dans l’accord, mais je pense que la question des conditions d’accueil des militaires allemands sera examinée dans le cadre des groupes de travail qui ont été créés. Il est probable que le SOFA OTAN s’appliquera, mais je ne peux pas le confirmer complètement à l’heure actuelle.

Merci, Monsieur Ferrara, pour votre intervention et votre soutien. Je n’ai qu’un souhait : que nous puissions continuer à œuvrer ensemble pour accélérer la mise en œuvre de ce projet. Il faut le réaliser à temps et donner ainsi un bon exemple en matière de projets européens. Nous devrons assurer un bon accueil et veiller à l’image de la France.

Monsieur Pueyo, puisque tout le monde semble d’accord, nous pouvons aller plus vite. Je veux être optimiste sur ce plan. Je partage totalement votre avis sur ce beau projet : bien qu’il soit bilatéral, je pense qu’il contribue à l’affermissement de la défense européenne.

Ce n’est pas la première fois que nous ne partageons pas la même analyse, Monsieur Lachaud, et je ne crois pas que ce sera la dernière (Sourires). Ce partenariat avec l’Allemagne est ambitieux : il permettra de répondre à un réel besoin opérationnel et d’associer toujours davantage nos alliés à la conduite de nos opérations. Cet accord va contribuer à l’affermissement de la relation bilatérale dans le domaine de la défense à un moment où il existe des incertitudes liées au Brexit, à la remise en cause de l’OTAN par un nombre croissant d’acteurs et à l’attitude des États-Unis. Nous avons plus que jamais besoin de renforcer la défense européenne – nous pouvons au moins nous accorder sur le fait que nous ne sommes pas d’accord sur ce point.

Compte tenu de l’encombrement du calendrier législatif jusqu’à la fin de l’année, Madame Bureau-Bonnard, l’idéal aurait été que ce projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire du mois de juillet ou que la conférence des présidents décide de recourir à la procédure d’examen simplifiée – cela supposerait qu’aucun des présidents de groupe ne s’y oppose, mais c’est évidemment leur droit. J’inviterai demain matin Mme de Sarnez, lorsque la commission des affaires étrangères examinera ce projet de loi, à étudier l’opportunité de défendre le recours à cette procédure. À défaut, il restera deux possibilités : soit une inscription rapide du texte à l’ordre du jour dans un créneau qui serait libre, soit le dépôt, par le Gouvernement, d’un amendement au projet de loi de finances qui reprendrait les dispositions du projet de loi. Le commandant de la nouvelle unité sera français, Madame Thillaye, et le commandant en second allemand. À l’inverse de ce qui est prévu dans le cadre de la brigade franco-allemande, cette unité sera totalement intégrée.

Il faut aborder la question de l’accueil des familles sous plusieurs angles. Des moyens sont prévus pour améliorer le vivre-ensemble, comme la construction de « City Stades » pour accueillir des rencontres sportives et renforcer la cohésion. La piscine sera également remise en état afin de créer une dynamique et de permettre à nos militaires de garder leur condition physique. Par ailleurs, l’hébergement sera rénové. Un bâtiment sera dédié aux célibataires géographiques : on est en train de réorganiser la base pour assurer l’accueil des Allemands. En dehors de la base, il y a tout un travail portant sur le logement des familles, sur la scolarité des enfants – il s’agit de voir quels établissements peuvent les recevoir et dans quelles conditions – et sur l’emploi des conjoints – il faut voir si on ne peut pas créer une unité d’accueil visant à faciliter leur intégration. Une personne sera chargée d’assurer un accueil des nouveaux arrivants, de les orienter et de les aider dans leur installation. Il y aura également un soutien administratif dans le cadre du pôle Atlas : un guichet sera créé pour les Allemands. Tout va se mettre en place progressivement.

Je vous remercie, Monsieur Lejeune, pour ce que vous avez dit à propos de l’Allemagne et de la France. Pour éviter les pertes de temps procédurales, l’objectif est de parvenir à définir un cadre d’emploi recouvrant une liste de missions susceptibles d’être conduites sans qu’un accord complémentaire soit nécessaire, notamment de la part de nos homologues au Bundestag. Par ailleurs, l’Allemagne et la France pourront toujours agir seules, sur le plan national et d’une manière autonome, dans le cadre de missions sensibles.

En ce qui concerne les hélicoptères de transport lourd, Monsieur Marilossian, je dois dire que je me suis surtout intéressée à l’opportunité d’un rapprochement avec l’Allemagne : elle dispose de nombreux CH-53 et doit assurer un renouvellement de sa flotte l’an prochain. Il y a un « créneau » pour avancer mais nous pourrions également envisager un partenariat avec d’autres pays. S’agissant du Royaume-Uni, en particulier, il convient de saluer l’engagement de CH-47 au Sahel, qui va se prolonger jusqu’à l’été 2020. Je ne suis pas en mesure de vous donner des éléments plus précis, mais il me semble que l’état-major de l’armée de l’air a étudié la possibilité d’un partenariat avec le Royaume-Uni, voire avec le Canada. C’est donc une affaire à suivre…

Bien que la base aérienne d’Évreux accueille une unité de projection de moyens de communication, Monsieur Jacques, il n’est pas prévu de réaliser des projections d’infrastructures dans le cadre de l’unité binationale dont nous parlons. Les avions, les équipages et les mécaniciens pourront, en revanche, être projetés en OPEX.

Je n’ai pas de retour particulier en ce qui concerne la situation de l’École de l’aviation légère de l’armée de terre du Luc, Monsieur Michel-Kleisbauer et Madame Mauborgne, mais je vous garantis que tout le monde est en ordre de bataille à Évreux et aux alentours pour accueillir les personnels et leurs familles dans les meilleures conditions possibles.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci encore pour votre travail, Madame la rapporteure. Je crois que nous pouvons tous partager la volonté d’approfondir et de renforcer nos relations avec les Allemands, mais aussi d’accélérer la concrétisation de ce projet.

La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi sans modification.

 


—  1  —

   ANNEXE 1

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES par la rapporteure pour avis et DÉPLACEMENT

(Par ordre chronologique)

 

1. Auditions

  Mission militaire de l’ambassade de la République fédérale d’Allemagne en FranceM. le général de brigade Werner Albl, attaché militaire, M. le colonel Markus Bungert, attaché de l’air ;

  État-major de l’armée de l’airM. le colonel Paul Villemin, chef de la division de l’aviation de mission et de support.

 

2. Déplacement

  Base aérienne 105 d’Évreux-Fauville ‒ échange avec M. le colonel Sébastien Delporte, commandant la base aérienne, 4 novembre 2019