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N° 2741

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mars 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales :
le décubitus ventral et le pliage ventral ( 2606)
 

PAR M. François RUFFIN

Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale :  2606.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS(ition) : PoUR UNE POLICE DE LA CONFIANCE.. 5

1. Crise des « Gilets jaunes »

2. Crise dans la police

3. Crise de confiance

4. Sorties de crises

5. Conclusion : une police écologique

Commentaire de l’article unique de la proposition de loi

Article unique (art. L.141 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) Interdiction du recours au pliage et au plaquage ventral

Compte–rendu des débats

Liste des personnes entendues


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« Des milliers de collègues nous disent : "Il y a quelques semaines, on l’a sorti d’un pétrin au théâtre, il y a quelques semaines on a permis à la République de tenir debout quand sa stratégie politique était en train de faire chanceler la République, et aujourd’hui il se permet d’arborer un tee-shirt qui nous jette clairement à la vindicte populaire ? ».

Linda Kebbab, syndicaliste policière (SGP FO).

 

Cyril Hanouna : Qu’est-ce que vous a dit le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, parce que je crois qu’il vous a reçue ? Quand vous arrivez dans son bureau, il vous dit quoi ?

Doria Chouviat : Il m’explique que, d’une certaine manière, il a une part de responsabilité. Il s’excuse, il compatit, il présente ses condoléances. Mais après, par rapport à nos demandes, c’est-à-dire que les policiers soient suspendus, de mettre un terme à la pratique du plaquage ventral... Il ne peut rien faire du tout. On voit que c’est un homme qui a les mains liées.

Balance Ton Post, C8, 13 février 2020.

 

"La crise moderne est liée à ce que l'on appelle « crise d'autorité ». Si la classe dominante a perdu le consentement, c'est-à-dire si elle n'est plus « dirigeante », mais seulement «dominante », et seulement détentrice d'une pure force de coercition, cela signifie précisément que les grandes masses se sont détachées des idéologies traditionnelles, qu'elles ne croient plus à ce en quoi elles croyaient auparavant."

Antonio Gramsci.

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

Il faut l’avouer : j’ai tardé.

J’ai tardé à me pencher sur les « violences policières ». C’était sous mon radar, hors de mon horizon. Durant mes deux années sur le « Quartier Nord » d’Amiens, pourtant, bien des jeunes avaient « les keufs » dans leur collimateur, témoignaient de leur ressenti, ou de faits plus précis. Mais dans le gros pavé que j’en ai tiré, une poignée de pages seulement concernait la police, contre des chapitres entiers sur le logement, l’intérim, les rapatriés, la drogue. Même durant la « loi Travail », alors que je participais au mouvement Nuit debout, alors que mon entourage dénonçait les « flics » en boucle, les manifestations nassées, les gardes à vue, je n’ai rien écrit, peu dit. Sur l’affaire d’Adama Traoré, j’ai fait preuve de prudence, voire de nullité. Et même durant l’hiver Gilets jaunes, le reflux sur les ronds-points, ou dans les « actes » du samedi, m’est apparu davantage comme le fruit d’une résignation que comme l’effet des LBD.

Alors, pourquoi ce long silence ?

Une évidence, d’abord : c’est un métier difficile, dangereux. Et il est plus aisé de le dénoncer, derrière son clavier d’ordinateur, dans un bureau chauffé, que d’aller se heurter à la part d’ombre de la société, aux maris violents, aux alcooliques déchaînés, aux schizophrènes laissés sans soin, aux voyous de grand chemin, voire à des terroristes illuminés… La critique doit se faire avec humilité. Et je suis, au fond, plutôt respectueux de la légalité, de l’autorité : c’est la « police républicaine », jusqu’à preuve du contraire.

Surtout : mon chemin ne croise pas souvent la police. Je me rends parfois, par choix, au commissariat : pour porter plainte, avec un accueil correct au poste. Ou pour protester, aux cris de « Libérez nos camarades ! » J’ai subi des contrôles de papiers, de véhicules, que j’ai ressentis comme vexatoires, humiliants. Mais nul traumatisme pour autant. Rien à voir, à coup sûr, avec le quotidien d’un gamin coloré de banlieue.

Enfin, enfin : j’ai choisi de ne pas critiquer la police. Oui, je l’ai choisi, délibérément. Je l’ai choisi, politiquement. Me concentrer sur elle me semblait une erreur. Comme un leurre, on nous offrait un leurre, un paratonnerre pour détourner la colère. La police, c’est le bouclier qui protège les pouvoirs. Aussi nos mises en cause devaient-elles viser, non le bouclier, mais les pouvoirs, derrière, les pouvoirs politiques, économiques, voire médiatiques, l’ordre social. C’était se tromper de cible, sinon. En gros : « Quand le sage montre les puissants, l’imbécile regarde la matraque. »

Sauf que, depuis un an, la matraque s’est emballée, dirait-on.

Ce sont, d’abord, ces lycéens, à Mantes-la-Jolie, noirs pour la plupart, qui se tiennent à genoux, durant des heures, les mains sur la tête, avec des policiers casqués autour d’eux, filmant et commentant : « Voilà une classe qui se tient sage ! », « Tourne pas la tête, regarde bien droit ». Avec quelles sanctions, à la clé ? Aucune. Des plaintes classées sans suite par le parquet, et pas même une mise à pied.

Ce sont, ensuite, samedi après samedi des vidéos en série, des Gilets jaunes jetés à terre, ou matraqués au sol, ou roués de coups. Et des mutilés à jamais : 25 éborgnés, 5 mains arrachées, 321 crânes ouverts, avec des tirs, souvent, sur de simples manifestants, voire sur des passants, parfois à bout portant. Là encore, avec quelles sanctions à la clé ? Aucune, pour l’heure.

C’est une nuit d’horreur, à Nantes, une fête de la musique qui vire au cauchemar, avec des fêtards poursuivis, avec quatorze personnes poussées dans la Loire, avec Steve Caniço qui disparaît, retrouvé un mois plus tard noyé. Avec quelles sanctions ? Un commissaire déplacé… à Bordeaux, là où il avait demandé sa mutation, et « chargé d’évaluer ses collègues en matière de maintien de l’ordre » !

C’est, enfin, le décès de Cédric Chouviat, mort suite à un « plaquage ventral », avec « fracture du larynx » et « arrêt cardiaque consécutif à une privation d’oxygène ». Avec quelles sanctions pour les policiers ? Aucune, à ce jour.

Je ne renonce pas, néanmoins, je ne renonce pas à regarder les pouvoirs derrière la matraque. Car qui est responsable ? Le marteau ? Ou le bras qui tient le marteau ?

Les responsables de ces brutalités, les véritables responsables, sont à l’Intérieur, à Matignon, à l’Élysée. Ce sont eux, les politiques, qui ont permis cette violence, qui l’autorisent. Ce sont eux qui, ne parvenant plus à « diriger », à entraîner, à enthousiasmer, ont choisi de « dominer », avec la « pure force de coercition ». Ce sont eux qui, sans surprise, conduisent à une rupture, à une cassure, entre la police et la population, avec un taux de confiance qui, jamais, jamais, n’était tombé aussi bas.

Comme l’ont regretté, à demi-mot, des syndicats de police auditionnés : « Les Gilets jaunes, c’est une crise qui réclamait une réponse politique. On n’y a apporté qu’une réponse policière. »

*

*     *

Face à ces violences, des voix s’élèvent aujourd’hui, qui ne sont plus marginales.

Très vite, les institutions internationales se sont inquiétées. Trois rapporteurs des Nations unies ont jugé que « le droit de manifester en France a été restreint de manière disproportionnée lors des manifestations récentes des gilets jaunes » (14 février 2019).

La commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a recommandé (en vain) la « suspension » du lanceur de balles de défense (LBD), compte tenu du nombre élevé de blessés, déplorant notamment « un manque de clarté quant aux données relatives aux personnes blessées ».

Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, a demandé « l’ouverture urgente d'une enquête sur tous les cas rapportés d'usage excessifs de la force » (6 mars 2019).

Ce sont des rapports, des notes, de Amnesty international, de la Ligue des Droits de l’Homme, de Reporters sans frontières, de l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture, qui « protestent contre l’usage disproportionné du LBD » et « la stratégie de maintien de l’ordre ».

C’est l’écrivain et avocat Francois Sureau, proche d’Emmanuel Macron : « Cette « loi de la peur », comme il y a eu une loi du « sacrilège » sous la Restauration, vise à prévenir en réalité le retour du sacrilège commis contre les institutions. Si l’on est attaché aux libertés, on ne peut pas l’admettre. » Puis : « C’est le citoyen qu’on intimide, et pas le délinquant. »

C’est Jean-Louis Bourlanges, député Modem : « Il y a des violences policières, il y a des photos accablantes. Mais il est inimaginable, par rapport au climat de violence dans la société depuis un an, qu’il n‘y ait pas eu de violences policières. Je ne dis pas que c’est légitime, mais on est dans une situation où la violence est partout. Je crois qu’il faut reprendre la gestion des affaires policières à la base, tout est à reprendre : la formation, l’encadrement. On a une police qui est beaucoup plus une police de l’État qu’une police des citoyens. »

C’est Laurence Vichnievsky, députée Modem également : « Dans ce contexte difficile, le comportement des forces de l’ordre a été critiqué en France, à l’étranger et jusqu’au sein de l’Organisation des nations unies. Il y a eu, certes, des manquements individuels de la part des agents des forces de l’ordre, mais des questions sont également posées sur leur formation, leur équipement, leur doctrine d’emploi et même sur leur commandement. »

C’est Aurélien Taché, député En Marche : « Face aux événements récents, la première réponse à apporter, c’est d’abord de nommer les choses : dans un certain nombre de cas, il s’agit bien de violences policières caractérisées. Il faut le dire. »

C’est un éditorial du journal Le Monde, qui titre : « Les violences policières sont le reflet d’un échec », qui refuse les euphémismes : « La manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, jeudi 9 janvier, a été émaillée à nouveau par ce qu’il faut bien appeler, sans s’encombrer de guillemets, des violences policières. »

Ce rôle, dévolu à la police, très politique, suscite un malaise dans la police elle-même.

Début février, j’ai passé une après-midi à la Préfecture de Paris. Le syndicaliste policier Noam Anouar était poursuivi, pour avoir déclaré, notamment, à la télévision, que « le ministre de l’Intérieur et le gouvernement ne tiennent aujourd’hui que par la police », pour sa liberté de ton, rebaptisée « défaut de loyauté », « atteinte au renom de la police », « violation du devoir de réserve », il risquait la révocation, et il m’avait proposé de témoigner à son procès.

Comme j’attendais dans le couloir, assis sur les marches, j’écoutais les conversations des policiers : « Ils prennent tout le monde dans les manifs… Même la Bapsa ! Même la Brigade d’aide aux sans-abris, elle est réquisitionnée ! Ils ont suivi une formation de 48 heures pour manier le tonfa, et on les envoie là-dedans… »

Des officiers, en uniforme blanc, des hauts gradés, sont venus me saluer, et je les ai interrogés sur le maintien de l’ordre dans les cortèges : « Ça fait plus d’un an que ça dure, plus d’un an que ça n’arrête pas… Nos hommes sont usés. Et ils ne font pas ce métier pour ça. Ça n’est pas notre métier. »

Durant l’audience, alors que je plaidais, que je soulignais « la crise de confiance entre la police et la population », un préfet, le préfet qui présidait le jury, souffla, nostalgique : « Et pourtant, après les attentats de Charlie-Hebdo, les Français nous acclamaient ! ».

« Police : la confiance des Français au plus bas » (L’Express, 29 janvier 2020). Le sondage vient de tomber, en ce début d’année.

C’est la question clé, nous semble-t-il : comment rétablir cette confiance ?

De cette crise, nous pouvons faire une chance.

Une chance pour la police.

Une chance pour les citoyens.

Une chance pour refonder le lien entre police et citoyens, un lien abîmé, non pas depuis l’an dernier, mais dans la durée, un lien érodé, en particulier, dans les quartiers populaires, un lien détérioré avec la société et qui, en fait, nous semble-t-il, rend malheureux les policiers eux-mêmes.

1.   Crise des « Gilets jaunes »

« Dans la durée, si on remonte au XVIIe ou au XVIIIe siècle, la société est nettement moins violente aujourd’hui », remarque l’historien Quentin Deluermoz. « La naissance de la police, d’ailleurs, à Paris, témoigne d’un maintien de l’ordre qui se professionnalise, qui se civilise, qui n’est plus confié à l’armée. Entre 1893 et 1914, malgré l’agitation politique, syndicale, malgré le mouvement socialiste, malgré des manifestations immenses, agitées, on ne compte aucun décès. Avec cet oxymore policier : maintenir l’ordre, mais sans mort. Dans le temps long, la violence policière baisse, avec des rebonds, contre les communistes dans les années vingt, pendant la guerre d’Algérie avec Charonne et le préfet Papon. Et aujourd’hui, donc, on assiste en ce moment à une rupture, à un rebond de cette violence policière, avec des morts et des blessés. La séquence qu’on vit traduit un durcissement, latent auparavant, qui devient visible. »

Bien sûr, comme le soulignent les syndicats de policiers : « Les médias, les réseaux sociaux sont un miroir déformant ». Bien sûr, « lorsqu’on fait des milliers d’interventions, malheureusement, il arrive qu’il y ait des tragédies. Il ne peut pas y avoir de risque zéro ». Bien sûr, « nous sommes suremployés, depuis un an, sur tous les fronts. Comment éviter des craquages ? ».

Bien sûr, on peut le rappeler, et on le fera encore, policier est un métier risqué : neuf agents sont décédés durant leur service en 2019, 6 760 furent blessés, le double d’il y a quinze ans. Bien sûr, des « épisodes très traumatisants » ont marqué ces dernières années : « Avec les attentats de Charlie-Hebdo, ou d’autres opérations », retrace Bertrand Chamoulaud, de la DGPN, « on savait que les policiers pouvaient mourir sur la voie publique. Mais en juin 2016, à Magnanville, deux collègues sont tués chez eux, devant leur fils. Le domicile, jusqu’alors, c’était un lieu sanctuarisé. Et dernièrement, l’attentat à la préfecture de police… De l’intérieur même, nous sommes touchés. Ces évènements fragilisent d’autant plus. »

Bien sûr.

Néanmoins, ce « rebond de violence policière » demeure, constaté par tous les observateurs. Et il ne tombe pas du ciel, ou d’agents optant soudain pour la brutalité. C’est le politique qui l’a décidé, déterminé : « On n’est pas en train de parler de cas », relève le sociologue Sébastian Roché. « On parle d’un problème systémique. Il y a une responsabilité politique : la décision d’aller à la confrontation, prise début décembre dernier. Une stratégie de communication est mise en place parallèlement, reposant d’une part sur l’idée que ‘la police fait son travail’, et d’autre part sur la diabolisation des manifestants. »

Avant la « violence policière », il y a la violence verbale.

Quand, dans une allocution officielle, le Président de la République désigne les Gilets jaunes comme « une foule haineuse », des « factieux », des « séditieux », des « complices du pire », que fait-il ? Il les dénonce comme des ennemis. Il les expulse du corps national, sinon de la commune humanité, et leurs corps ne sont plus alors protégés. Ce que le préfet Didier Lallement traduit en « camps » : non plus un même peuple, mais deux « camps », et avec la police clairement d’un côté.

Toutes les polices.

Les unités spécialisées dans le maintien de l’ordre : les compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les escadrons de la gendarmerie mobile (EGM). Mais également les compagnies départementales d’intervention, les brigades anti–criminalité, les gardiens de la paix, les sous-officiers en charge des violences conjugales, etc. Et là encore, envoyer toutes les unités, c’est un choix politique.

« Demander à des policiers, non-CRS, de faire du maintien de l’ordre, c’est comme dire à un professeur de mathématiques que demain il donnera un cours d’histoire géographie », compare Christophe Rouget, commandant de police, du syndicat CFDT. « Eux se retrouvent dans les manifestations avec une résilience moindre, une formation et un équipement qui ne sont pas adaptés. Au moment des samedis gilets jaunes, des policiers ont dû aller acheter des protège-tibias chez Décathlon la veille ! »

Avec, surtout, un changement d’intention : non plus seulement contenir, mais intervenir, dans les manifestations. « La Bac, leur vision du monde », compare David Dufresne, « c’est la délinquance, l’émeute. Ils sont, par définition même, ‘anti-criminalité’. Dans une manifestation, pour eux, un Gilet jaune ou un étudiant, ce n’est pas un contestataire : c’est un délinquant. La Bac est arrivée dans les manifs au tournant des années 2000, avec l’idée d’interpeller les fauteurs de trouble au cœur même de la manif. Alors que, à l’inverse, les CRS et les gendarmes mobiles ne sont pas faits pour interpeller les gens, mais pour les encadrer. Il n’y a pas eu d’ordre pour dire : ‘Allez au massacre’, mais il y a eu une mise en scène qui disait : ‘C’est la guerre’. Le discours politique, c’était : ‘Allez-y, on vous couvre.’ »

Et ils seront couverts.

C’est le déni, par le Chef de l’État lui-même : « Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit » (7 mars 2019). Comme si, l’inacceptable, ce n’était pas les violences elles-mêmes !

« Je n’ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un Gilet jaune » (Christophe Castaner, 14 janvier 2019).

« Il faut arrêter de parler de violences policières, je ne connais pas de policier qui attaque des manifestants » (Christophe Castaner, 19 mars 2019).

« Nous n'avons pas de regret sur la façon dont nous avons mené l'ordre public et la sécurité publique. Les choses se sont quand même globalement bien passées en matière d'ordre public. Ce n'est pas parce qu'une main a été arrachée, parce qu'un œil a été éborgné, que la violence est illégale. Je ne présente pas d'excuses, je m'en remets à la justice de mon pays. » (Laurent Nunez, 2 juin 2019).

Et qu’importe les conclusions de trois rapporteurs des Nations unies, de la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ou de la Haute-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU.

Qu’importe : le ministre de l’Intérieur l’assure : « Les forces de l’ordre ont été des exemples de professionnalisme, de maîtrise et de sang-froid. » (Christophe Castaner, 17 juin 2019).

C’est un blanc-seing qui est délivré par le pouvoir.

Certes, c’est arrivé à un moment où, comme le rappelle le sociologue Cédric Moreau de Bellaing, « les mouvements sociaux refusent les règles de manifestation, la police est déstabilisée. » Certes, poursuit le même chercheur, on assiste sans doute à une mue : « Ce qui était considéré comme un signe de compétence professionnelle pendant longtemps dans les services spécialisés de maintien de l’ordre, chez les CRS, tenir sous les quolibets, assumer quelques jets de projectiles, en sachant que, finalement, ce ne sont pas eux qui sont visés, mais les destinataires de la protestation… Eh bien, aujourd’hui, c’est moins bien entendu par les jeunes recrues, qui d’une certaine manière sont moins tolérantes à la violence, qui les prennent pour elles-mêmes, pour leur personne. » Certes, ajoute-t-il, « pour que les injonctions à la violence aient un effet concret, il faut quand même que ça rencontre des conditions de possibilités chez les agents. »

Le Gouvernement aurait ainsi libéré des dispositions. Puis laissé faire.

Cette complicité, manifeste, bien que tacite, Jacques Toubon, l’évoquait dans son rapport 2019 : « Les réponses ou l’absence de réponse des ministres concernés aux recommandations du Défenseur des droits pourraient être interprétées comme une tolérance problématique vis-à-vis de certains manquements à la déontologie de la sécurité. »

Cette complicité se perçoit, surtout, dans l’absence de sanction. Pour des faits mineurs, un « jet de pavé » pour l’un, « deux gifles portées au visage d’un manifestant » pour l’autre, deux policiers ont comparu devant le tribunal correctionnel, condamnés à du sursis. Voilà tout pour le bilan judiciaire, à cette heure.

Mais quelles mesures disciplinaires ?

Le 12 janvier 2019, à Bordeaux, un tir de LBD a touché au crâne un pompier manifestant, Olivier Béziade, alors plongé dans le coma artificiel, aujourd’hui victime de graves séquelles. « Il semble bien que l’on soit dans le cas d’un tir isolé, non conforme, face à quelqu’un qui fuyait et ne mettait pas les policiers en situation de danger », analyse David Le Bars, secrétaire du syndicat des commissaires. Le gardien de la paix est mis en examen, mais n’est visé par aucune sanction.

À Toulon, le 5 janvier 2019, un commandant de police, Didier Andrieux, porte une rafale de coups au visage à un homme collé contre un mur. Le procureur de la République de Toulon refuse dans un premier temps d’ouvrir une enquête. Puis, devant le tollé, devant la vidéo qui circule, se ravise.

L’IPGN est finalement saisie et a clôturé son rapport depuis « plusieurs mois ». Mais aucune suite judiciaire n'est connue à ce jour. « C’est le cas typique où des sanctions administratives auraient dû être envisagées », assène le patron du syndicat des commissaires. Mais rien. Le commandant a pris sa retraite à l’automne dernier.

À Marseille, le 1er décembre, alors qu’une manifestation passe sous ses fenêtres, Zineb Redouane, une octogénaire d’origine algérienne, ferme les volets de son appartement. Elle est atteinte en plein visage par un tir de grenade lacrymogène. Hospitalisée en urgence, elle décède le lendemain au bloc opératoire. Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, classe d’emblée sans suite : « L’enquête indique qu’elle meurt d’un choc opératoire ». C’est la faute des médecins… Durant l’enquête, l’IGPN est confrontée au mutisme, à la mauvaise volonté, des policiers auditionnés. Le capitaine qui commandait la CRS 50 refuse de fournir les cinq lanceurs Cougar utilisés, pour un examen balistique. Là encore, sans mesure disciplinaire.

À Marseille, toujours, le 8 décembre cette fois, Maria rentre du travail avec son copain. Sur le chemin du retour, elle croise la route de manifestants. Dans la cohue, elle se prend un tir de LBD dans la jambe, tombe, son compagnon tente de la relever mais pas assez rapidement. Une équipe de policiers en civil, cagoulés, la plupart avec des casques de moto, arrive et lui assène plusieurs coups de matraque et de pieds alors qu’elle est au sol. Elle doit subir une opération de la tête et reste plusieurs semaines à l'hôpital. Le début du calvaire. En plus des séquelles, « Maria s’est confrontée à l’omerta policière », tonne son avocat, Maître Grazzini.

Elle tente de déposer plainte à deux reprises selon lui, une première fois seule – elle subit un refus catégorique – une autre fois accompagnée de sa mère – on leur explique qu’elles doivent saisir l’IGPN. Maria obtempère et fait un signalement sur la plateforme de l’IGPN « mais personne ne l’a jamais rappelée », explique l’avocat. Maria et son conseil sont finalement entendus par un commissaire. Ils en ressortent confiants, « l’audition était particulièrement détaillée », note l’avocat. Puis plus rien. En prenant connaissance des détails de l’enquête IGPN, l’avocat s’étrangle : « Les auditions de policiers identifiés n’ont toujours pas été menées. Et aucune mise en examen ou de mis sous statut de témoin assisté n’a été décidé ». Et bien sûr, aucune sanction.

Le samedi 23 mars, à Nice, Geneviève Legay, militante d’Attac, est grièvement blessée lors d’une charge policière. Le procureur affirme d’abord que la militante de 73 ans « n’a pas été touchée par des policiers. Il n’y a aucun contact direct entre un policier et cette dame ». Mais de très nombreux témoignages viennent battre en brèche cette version. De leur côté, dans un rapport, les gendarmes font état d’« une foule calme », estiment les ordres du commissaire de police « disproportionnés », et considèrent qu’il n’y avait pas de « nécessité absolue d’utiliser les armes pour charger cette foule ». Et d’ailleurs, le capitaine commandant l’escadron a refusé d’obéir aux ordres. L’enquête est toujours en cours, mais nulle sanction, semble-t-il, à l’égard ni du policier, ni du commissaire, ni du magistrat.

À Paris, le samedi 1er décembre 2018, des manifestants se réfugient dans un Burger King, avenue de Wagram. Les CRS reçoivent l’ordre d’évacuer le restaurant. Les policiers s’exécutent, et frappent avec une grande violence toute personne à portée de matraque, qu’elle soit debout ou au sol. Une enquête préliminaire est ouverte. Mais seuls deux officiers sont interrogés par l’IGPN, et tous, un capitaine, un commandant divisionnaire, refusent d’identifier les hommes présents dans le fast-food. Avec quelle sanction ? Une non-promotion : le commissaire qui commandait cette unité n’est pas devenu, comme il y postulait, « conseiller police » auprès du président du tribunal judiciaire de Paris ([1]).

Jusqu’au cas, le dernier, de Cédric Chouviat, interpellé quai Branly, à Paris, le 3 janvier. Un banal contrôle qui vire au drame : plaquage au sol, clé d’étranglement, et le décès. Le rapport d’autopsie conclut à une « asphyxie avec fracture du larynx ». Une information judiciaire est ouverte pour « homicide involontaire ». L’épouse du livreur en scooter témoignait ainsi, sur le plateau de Balance ton post :

« Cyril Hanouna : Qu’est-ce que vous a dit le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, parce que je crois qu’il vous a reçue ? Quand vous arrivez dans son bureau, il vous dit quoi ?

Doria Chouviat : Il m’explique que, d’une certaine manière, il a une part de responsabilité. Il s’excuse, il compatit, il présente ses condoléances. Mais après, par rapport à nos demandes, c’est-à-dire que les policiers soient suspendus, de mettre un terme à la pratique du plaquage ventral...

Cyril Hanouna : Il vous dit que par rapport aux sanctions, pour l’instant, il ne peut rien faire.

Doria Chouviat : Il ne peut rien faire du tout. On voit que c’est un homme qui a les mains liées. Il est entre deux feux, vous voyez ce que je veux dire ? Moi je le vois par rapport à ce qu’il me dit. Parce qu’il voit quand même que ce n’est pas normal, qu’effectivement ça s’est banalisé, qu’effectivement c’était disproportionné, qu’effectivement c’est très grave ce qui s’est passé, et que c’est irrémédiable… Ce qu’on a demandé c’était simple, et c’était largement justifié avec ce qui s’est passé. »  ([2])

Certes, avec les « primo-manifestants » Gilets jaunes, avec pas mal de débordements, avec au fil des « actes » des « casseurs » dans leurs rangs, le maintien de l’ordre n’était pas facilité. Il n’empêche : c’est justement leur métier. De garder leur calme, même dans des circonstances confuses. De n’user de la force, comme le définit leur code de déontologie, qu’en cas de « nécessité », et avec « proportionnalité ». De ne pas, eux-mêmes, se laisser déborder, par leur colère, par leur animosité. Et nous sommes convaincus que, dans leur vaste majorité, ces « règles fondamentales de discernement, de tempérance » sont respectées par les agents, dévoués à leur mission. Dans leur vaste majorité.

Lors de nos auditions, les syndicats de policiers nous ont alertés : « Il se passe quoi, quand un délinquant n’est pas puni, pas sanctionné ? Si on essuie les outrages sans réagir ? Eh bien il va recommencer. »

C’est vrai, ça paraît être du bon sens.

Cela vaut également pour les policiers. Qui détiennent le monopole de la violence légitime, et qui ne sauraient, c’est l’évidence, être incriminés à chaque recours à la force. Mais pour le rester, légitime, cette violence doit être légitimée, justifiée. Les fautes, les erreurs, sanctionnées. Sinon, lorsque l’autorité abuse de son pouvoir, c’est la confiance dans tout l’ordre social qui est ébranlé en cascade, dans la police, dans la police des polices, dans la justice, et au-delà dans les politiques qui dessinent cette police et cette justice.

C’est à eux, aux politiques, qu’il faut revenir, toujours : « Le gardien de la paix est un peu comme l’ouvrier qualifié à qui est confiée une tâche partielle dans une usine automobile », analyse Sébastian Roché. « Ce n’est pas de lui qu’il faut se plaindre si le modèle de voiture produit est trop cher et peu fiable ou encore s’il contient un logiciel truqué. C’est aux ingénieurs qui ont conçu l’usine et la voiture qu’il faut s’en prendre et même, au niveau supérieur, à ceux qui ont décidé de la production du véhicule et de son prix. On peut trouver de bons ou de mauvais ouvriers. Mais, ils ont été recrutés et formés, encadrés et promus suivant des règles décidées par les chefs de la police et même par les chefs des chefs de la police. »

2.   Crise dans la police

« Je vous renvoie l’ascenseur », m’interpelle Thierry Clair, de l’Unsa : « qu’est-ce que le politique attend du policier ? Est-ce qu’il attend qu’en situation de crise il fasse trois pas en arrière, ou est-ce que ‘force doit rester à la loi’, comme on nous l’apprend à l’école de police ? » Et d’insister : « Voilà, la vraie question : qu’est-ce qu’on attend des forces de sécurité ? Qu’est-ce qu’on attend de la police nationale ? Qu’est-ce qu’on attend des gendarmes ? ».

Aucun cap n’est aujourd’hui fixé à la police.

Ou alors, des caps successifs, simultanés, parfois opposés. Qui ont désorienté, plus qu’orienté : « Après la police de proximité », énonce Thierry Clair, « on est entré dans la politique du chiffre, lancée entre 2004 et 2006. Depuis, les fonctionnaires sont évalués au résultat. L’ensemble des rapports humains et hiérarchiques ont changé. C’est très difficile d’en sortir. »

Car, pour nos interlocuteurs, il faut « en sortir ». Cette « politique du chiffre » confine à l’absurdité :

« Léo Moreau, de la CFDT : On a attrapé la « bâtonnite ».

Le rapporteur : Pardon ? C’est quoi ça ?

Léo Moreau : Comme les écoliers, on rentre au commissariat, on fait des bâtons dans nos cahiers. Une, deux, trois interpellations. Il vaut mieux arrêter deux shiteux qu’un trafiquant, c’est mieux pour les statistiques… »

Avec pareille logique, le métier a perdu de son sens.

« Aujourd’hui, la nouveauté, c’est la PSQ, la police de sécurité au quotidien, qui est proche de la police de proximité », remarque Christophe Rouget, de la CFDT. « Mais ça ne se voit pas, c’est le maintien de l’ordre qui occupe tout le discours sur la police. Et quand on va dans un sens, c’est difficile de revenir en arrière. On ne repasse pas facilement d’une police d’intervention à une police de proximité… »

La police flotte ainsi entre deux eaux, entre des injonctions contradictoires.

Comme le résume le sociologue Fabien Jobard : « Le modèle de la police de proximité a été enterré par Nicolas Sarkozy au profit d’une police d’interpellation. Cela a eu des effets importants sur la manière dont les policiers perçoivent la population, comme une ‘menace’. »

Les liens avec les habitants se sont dégradés, d’après nos interlocuteurs, et pas seulement dans les « quartiers » : « Je suis rentré dans la police pour défendre les gentils contre les méchants », se souvient Thierry Launois, Unsa. « Mais aujourd’hui, c’est plus ça. Aujourd’hui, on va au contact tout le temps. Il n’y a pas une interpellation qui se passe gentiment. »

Nous est décrit un ordinaire de tensions et de frictions : « Il y a un vrai problème sur les rapports police / population. Aujourd’hui, plus personne ne respecte rien... », « Le rôle social du policier s’est dégradé ces vingt-cinq dernières années », « Il y a un problème de relation avec une partie de la population, quels que soient les niveaux sociaux ».

Un « problème de relation », oui. Une discordance se fait jour entre les policiers et la société, peut-être une manière d’être, de faire, de parler, un rapport à l’autorité, qui ne collent plus aux temps présents. Et le politique, plutôt que d’accorder cela, comme on le ferait d’un instrument de musique, d’un piano, d’une guitare, tout doucement, subtilement, plutôt que de régler policiers et société, le politique vient tirer sur la corde, au risque d’une déchirure. « On a envie de faire notre profession tranquillement », réclame Léo Moreau. « Aujourd’hui, il y a des collègues qui préviennent leurs enfants : ‘Ne dis pas à l’école que ton père est policier’. Moi, après cette crise des Gilets jaunes, j’ai peur, j’ai peur que les jeunes ne veuillent plus faire ce métier-là. »

Voilà la cause centrale, me semble-t-il, du « malaise de la police », qu’évoquent en chœur syndicalistes et chercheurs. Cette discordance d’avec leurs concitoyens, ce désaccord, latent, est ravalé, intériorisé. Il infuse dans les esprits, d’autant plus nocif qu’il ne trouve pas d’espace où se dire, où s’exprimer :

« Je me souviens, quand j’ai commencé ma carrière il y a trente ans à Paris », raconte Thierry Clair, « un fonctionnaire était désigné à tour de rôle pour faire le café et les sandwichs pour tout le monde. Vous aviez une salle conviviale, où tout le monde venait, on faisait l’appel, on prenait nos consignes, et ensuite on allait tous dans cette salle de repos. Un collègue était là, et il s’était occupé de tout. Tout ça a été supprimé parce que ‘effectifs, effectifs’, il faut être rentable, etc. Du coup, vous n’avez plus ce rapport humain, vous avez des machines à café, un distributeur de plats tout préparés, un micro-ondes... Aujourd’hui, ces temps communs n’existent plus.

Sur des grosses interventions, de type vol à main armée, ou terrorisme, il y a la cellule du psychologue opérationnel. Mais vous avez le travail quotidien du policier, avec des relations compliquées, des échecs, peut-être des injures à essuyer, un sentiment de frustration. Les choses sont emmagasinées par les fonctionnaires au fil du temps, et vous rentrez chez vous avec des petites choses qui se sont passées tout au long de la journée, à un moment vous rajoutez des soucis familiaux, et vous avez des gens vraiment très mal dans leur peau, des suicides, des tentatives de suicides » (Thierry Clair).

Une violence, qui peut se retourner contre soi, ou contre l’autre.

Ces « temps communs n’existent plus », mais le temps lui-même « dans la police est une denrée rare ». Le temps manque, pour « faire les deux heures de sport, pourtant obligatoires, chaque semaine » (Thierry Launois). Le temps manque, encore davantage, pour réfléchir, respirer, s’interroger sur ses missions, ses priorités. Le temps manque, surtout, pour « programmer des formations : si un collègue part, tout de suite on met le service en difficulté » (Christophe Rouget).

Thierry Launois : « On parle franchement ? Formation continue : zéro. C’est pas difficile. Zéro. »

Thierry Clair : « Il y a une formation initiale, mais pas de formation continue, hormis si vous êtes dans des services particuliers. Dans la police du quotidien, vous n’en faites quasiment pas. Parce que vous désorganisez tout le service si vous partez en stage. La formation continue, dans l’année, se limite très souvent aux trois tirs. »

Cette formation absente, ou quasi-absente, nous apparaît comme un gros souci. Ce devrait être le moment, privilégié, d’un pas en arrière, d’un retour réflexif sur le quotidien, d’un partage d’expériences, où la « doctrine » pourrait réajuster les pratiques, les amender, les corriger, les homogénéiser. Mais comme dit le lapin dans Alice au pays des merveilles, « en retard, en retard, j’ai rendez-vous quelque part, je n’ai pas le temps de dire au revoir, je suis en retard, en retard. » La police colle bien à l’époque, au fond, agents au bord du burn-out, courant, courant, courant, mais dans quel but ? Pour quelle destination ?

La solidarité, le collectif, s’est délité : « L’ensemble des rapports humains et hiérarchiques ont changé », estime Thierry Clair. « Avec le nouveau management, dans les années 2000 », analyse Christophe Rouget, de la CFDT, « il y a un esprit ‘Maison police’ qui a commencé à disparaître. » La sociologue Elodie Lemaire insiste sur ce contraste : « De l’extérieur, on a une image d’un fort esprit de corps. Mais en réalité, tout ça est complètement cassé. Les policiers te disent : « il n’y a plus de véritable esprit de corps dans la police ». Par exemple, le fait de manger ensemble, de boire un coup tous ensemble après une belle affaire, etc. Ça se fait de moins en moins. S’y mêlaient toute la hiérarchie, les officiers, les sous-officiers, les gardiens de la paix… C’était aussi une manière d’échanger, de parler du travail, de recadrer : qu’est-ce qui fonctionne bien ? qu’est-ce qu’on a raté ? C’était un temps, officieux, de retour critique.

Mais les réformes ont cassé ce corps. Avec, déjà, une division horizontale du travail : avant, avec le service d’investigation comptaient trois grosses unités, qui recevaient les plaintes, qui les choisissaient, qui les priorisaient, avec une relative autonomie. Les brigadiers et les officiers travaillaient de concert... Or, depuis le début des années 2000, on a découpé ce même service d’investigation en une quinzaine de petits services spécialisés (contre les violences conjugales, contre les vols de portable, contre les cambriolages, etc.), avec des agents spécialisés, qui travaillent dans leur couloir, qui échangent peu entre eux.

S’est renforcée, aussi, une division verticale du travail. Avec le new public management, les commissaires sont passés de « chef de service » à « manager de service ». Ils contrôlent les tâches de leurs subalternes, avec une déconnexion. Au début des années 2000, lorsque l’État a lancé ces réformes, en appelant à la « modernisation », les commissaires étaient emballés, on leur promettait des évolutions de carrière, de faire l’ENA, etc. En réalité, leur autonomie a été réduite, notamment par le recours aux statistiques, aux remontées de taux, etc. Aujourd’hui, tout en haut, il n’y a plus que les chiffres qui comptent.

On a l’impression que la police est unie. Mais c’est l’inverse : il faut regarder un commissariat comme un champ de luttes, avec des individus extrêmement atomisés. Et, bien souvent, des pratiques policières très hétérogènes… ».

« On a assisté à la réduction des effectifs d’officiers », alerte Christophe Rouget, lui-même commissaire. « Se pose, pour tous, la question du cadre, des cadres, qui façonnent le collectif, qui donnent une cohérence au travail quotidien ». Pour Thierry Clair, « si vous n’avez pas une hiérarchie, et surtout une hiérarchie intermédiaire, un brigadier-chef, un major, qui a assez d’ancienneté et d’assurance pour faire le tampon avec tout le monde, c’est compliqué. »

C’est bien à cet échelon, dans la « hiérarchie intermédiaire », que le sociologue Fabien Jobard situe le « problème de la réforme ‘corps et carrière’ de 2004 » : « On a énormément réduit les étages supérieurs de la police. On a permis aux gardiens de la paix de passer en catégorie B, mais pour que cette opération ne soit pas trop douloureuse budgétairement, on a réduit le nombre de commissaires et d’officiers. Avec un risque de coupure avec les agents, avec la base. Le commissaire discute avec son commandant, dans son bureau, avec les gradés, mais si ça ne redescend pas ? Les relais, ce sont les brigadiers, les chefs d’équipe. La clé, c’est le brigadier. C’est le contremaître de la police : il a un pied sur le terrain et un pied dans l’état-major. C’est à lui de resserrer les boulons à chaque fois. Ce sont eux les acteurs du changement. C’est sur eux qu’on doit miser, pour instiller un nouvel état d’esprit, qu’ils soient le relais de l’autorité sur le terrain, et donc qu’ils rappellent aux agents les règles fondamentales : de discernement, de tempérance, de proportionnalité, de nécessité. C’est sur eux qu’il faut agir. C’est le contremaître qui est vraiment essentiel. »

Et c’est ce « contremaître » que les réformes auraient négligé.

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*     *

Quel intérêt, pour nous, d’ausculter ce « malaise » ? Pourquoi évoquer ces salles de pause, ce temps manquant, cette solidarité émiettée, cette formation lacunaire, cette hiérarchie intermédiaire ?

Parce que, au fil de nos auditions, nous éprouvons le sentiment d’une désorganisation, qui se lit jusque dans des détails.

Qu’on prenne le plaquage ventral. Ludovic Delenclos, de la Direction Centrale du Recrutement et de la Formation de la Police Nationale (DCRFPN), nous déclare d’abord que la « formation prohibe la pression sur la cage thoracique », que « la position sur le ventre n’est maintenue que le temps nécessaire au passage des menottes », que « la pression sur les cervicales est interdite depuis 2008 et ne s’exerce que sur les omoplates, laissant l’abdomen sans pression pour permettre une respiration ventrale sans contrainte ». Il ajoute ensuite que « le policier peut s’allonger intégralement sur la personne : la pression est répartie, elle ne s’exerce pas sur un point particulier, et permet la respiration. » C’est déjà une ambiguïté : il y a bien une pression sur la cage thoracique et l’abdomen.

Mais cette incertitude est renforcée par une note, datée du 8 octobre 2008, délivrée par le chef de l’IGPN : « La compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. » La pression sur les voies respiratoires est donc admise. Encadrée, certes, mais admise.

Ce flou dans la doctrine se traduit, dans les faits, par des « pratiques hétérogènes ». Parfois, la compression exercée sur le thorax et l’abdomen n’est pas aussi « relâchée » que le préconise la note. Le Défenseur des droits rapporte ainsi que Mohamed Boukrourou s’est retrouvé avec trois policiers se tenant assis et debout sur lui. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), que Mohamed Saoud, menotté les bras en avant, ses chevilles entravées, et qu’un policier avait placé ses bras sur ses épaules, son genou sur ses reins, empêchant sa respiration. Quant à Lamine Dieng, menotté dans le dos, sanglé au niveau des jambes, ce sont quatre policiers qui l’ont maintenu au sol sur le plancher du car.

La compression n’est pas non plus « la plus courte possible ». La CEDH, dans son arrêt Saoud contre France, a constaté « que Mohamed Saoud a été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie ». Mohamed Boukrourou est resté en position de plaquage ventral avec le poids de trois gardiens de la paix sur son dos de 16 h 58 à 17 h 02, quatre minutes sans respirer. Abdelhakim Ajimi a, lui, subi sept à huit minutes de plaquage ventral avec clé d’étranglement, entravé aux membres supérieurs et inférieurs. Enfin, Amadou Koumé a été laissé dans cette position, allongé sur le flanc et menotté pendant quatre minutes, jusqu’à ce qu’il soit transporté dans le car de police.

J’établis un lien entre la doctrine floue de la police et ces « pratiques hétérogènes ». J’établis un lien avec la formation initiale raccourcie, la formation continue réduite à zéro. J’établis un lien avec le flottement dans le commandement. Sans être cruel, toujours sur le plaquage ventral, que l’on compare avec la gendarmerie nationale. Le colonel Laurent De La Follye de Joux, chef du bureau de la formation, nous affirme que « ni le décubitus ventral ni le pliage ventral ne sont enseignés ni appliqués dans la gendarmerie ». Il nous a remis le mémento d’intervention professionnelle, et nous a montré, page 124, « l’immobilisation au sol avec un contrôle par l’épaule réactif ». Était mentionné en rouge, au-dessus : « Cette technique d’immobilisation se réalise sans exercer de pression thoracique ». Interrogé par nos soins : « Que changerait pour vous l’adoption de la proposition de loi ? », il a été limpide : « Rien, absolument rien ».

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*     *

« On ne met pas assez en avant le lien entre les mauvais comportements et l’état interne de la profession », estime Fabien Jobard. « Or, les conditions de travail sont compliquées depuis très longtemps. Au quotidien, les policiers voient moins les mauvais gestes de leurs collègues que les locaux insalubres, les ramettes de papier achetées par les agents, le système de mobilité et de promotion, etc. Trente ans de transformations organisationnelles, dans la police, se retrouvent aujourd’hui. »

Ce diagnostic, ce malaise, profond, cette désorganisation, éclairent autrement le moment étrange que nous vivons.

« On aurait aimé, lors de ses vœux, que le ministre de l’Intérieur pense aux policiers qui ont assuré la pérennité de ce gouvernement », s’emporte Linda Kebbab, déléguée nationale de FO-Police. « Mais il préfère s’offrir un répit médiatique avant la campagne des municipales. » Christophe Castaner venait, courant janvier, de marquer une réserve : « On ne fait pas un croche-pied à l’éthique », et aussitôt les syndicats policiers montaient au créneau. De même lorsque, dans la foulée, au festival d’Angoulême, Emmanuel Macron a brandi un tee-shirt tendu par le dessinateur Jul, associant LBD et éborgné : « Des milliers de collègues nous disent : "Il y a quelques semaines, on l’a sorti d’un pétrin au théâtre, il y a quelques semaines on a permis à la République de tenir debout quand sa stratégie politique était en train de faire chanceler la République, et aujourd’hui il se permet d’arborer un tee-shirt qui nous jette clairement à la vindicte populaire ? ».

Ces réactions transpirent une toute-puissance : en substance, « le pouvoir tient grâce à nous ? Désormais, nous tenons le pouvoir. » Et c’est un chantage, même pas en filigrane, assez clair, presque ouvert, que la police, les syndicats notamment, exercent sur le président, sur le gouvernement.

Avec ce paradoxe, que nous entrevoyons : la toute-puissance est d’autant plus proclamée, martelée, que les policiers sont minés par une fragilité. Il faut afficher l’esprit de corps, d’autant plus quand ce corps se délite, quand ses membres s’atomisent.

« Lorsque la police est exposée à la critique », note le sociologue Fabien Jobard, « elle se reforme en tortue romaine. » Ou encore, pour son collègue Cédric Moreau de Bellaing : « La police se sent toujours plus ou moins comme une citadelle assiégée. » Assiégée par les associations, assiégée par la gauche, assiégée par les médias, assiégée par les juges, et maintenant même assiégée par le gouvernement…

À cause de ces failles, justement, pour mieux les cacher, pour les oublier, vient la tentation, évidente, de se brusquer. De se raidir. D’arborer une cuirasse d’assurance, de peur que tout l’édifice ne s’écroule. Il faut bétonner de certitudes, surtout quand, dans les profondeurs des cœurs, le doute s’est installé.

Un doute sur leur place dans la société.

Un doute, une inquiétude, pour chaque policier.

3.   Crise de confiance

« Police : la confiance des Français au plus bas. »

C’est un sondage de l’Ifop, commandé par L’Express : « Le regard porté sur les hommes et les femmes en uniforme par leurs concitoyens s'est fait de moins en moins indulgent ces derniers mois. Interrogés sur le sentiment que leur inspirent les policiers, les sondés ne sont plus que 43 % à exprimer leur "confiance", soit sept points de moins qu'en août 2019. Un niveau qui n'avait jamais été aussi faible. Plus préoccupant encore : ils sont 20 % à dire leur "inquiétude" et 10 % leur "hostilité" face aux forces de l'ordre. "L'institution aurait tort de penser qu'elle dispose ad vitam aeternam d'un capital sympathie auprès de la population », avertit le politologue Jérôme Fourquet, de l'Ifop. « La défiance est en train de s'enraciner, particulièrement du côté des jeunes, des électeurs de La France insoumise et des ouvriers." »

Avec la crise des Gilets jaunes, cette confiance a éclaté. Mais elle se détériore depuis longtemps, pas franchement au beau fixe : « Légitimité policière : le grand décrochage français », interpelle le sociologue Sébastian Roché. Lui a mené le projet Eurojustis avec son unité du CNRS, et il fonde son analyse sur les statistiques, internationales, de « European Social Survey » (2010). À la question « La police traite-t-elle les personnes avec respect ? », la France est en queue de peloton, seuls les pays de l’Est font pire (Ukraine, Russie, Bulgarie, Slovaquie, etc.), la Grèce également, Israël, mais la Hongrie, la Pologne, la Slovénie, la Croatie font mieux, les pays de l’Ouest (Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni, etc.) sont nettement mieux notés, sans compter les pays nordiques qui font la course en tête.

 

Ne pas traiter les personnes avec respect

(% vraiment pas souvent, pas très souvent)

Source : « La police traitet–elle les personnes avec respect ? »

ESS 2010 (Sébastian Roché, De la police en démocratie)

Là où la France fait son pire score, c’est à la question : « La police agit-elle de la même manière avec les différents groupes ethniques ? » Pour la majorité des sondés, 57 %, ce traitement est « moins bon ». Seuls la Russie, l’Ukraine et la Bulgarie font pire. En Allemagne, c’est vingt points de moins, 36,7 %. Une autre enquête le confirmait, EU-MIDIS, sur les minorités et la discrimination en Europe : 42 % des personnes issues d’Afrique du Nord sont contrôlées, dans la rue, en France. Contre 24 % des Turcs en Allemagne.

Ce manque de respect, ressenti, est socialement très clivé : lorsqu’on demande « Avez-vous vu un policier/gendarme traiter quelqu’un de manière irrespectueuse depuis deux ans ? », on obtient 5,9 % dans la « France hors HLM », mais près de deux fois plus, 9,9 % dans la « France HLM ». Et 12,3 % pour « Seine-Saint-Denis hors HLM », contre 21,8 % pour « Seine-Saint-Denis HLM ». Avec un haut niveau de racisme supposé des policiers : 39 % en France, 42 % en Seine-Saint-Denis, 48 % en HLM-Seine-Saint-Denis.

 

L’irrespect observé

(% oui, au moins deux fois depuis deux ans)

Source : « Avez–vous vu un policier ou un gendarme traiter quelqu'un de manière irrespectueuse ? », Eurojustis, 2011 (Sébastian Roché, De la police en démocratie)

Répétons-le : policier n’est pas un métier aisé, encore moins dans les « quartiers ». Où les agents perturbent des trafics. Où ils rencontrent une hostilité. Où, envoyés en première ligne, parfois dernier service public, ils font face à un concentré de difficultés, inégalités économiques, arrivées migratoires récentes et précarisées, ségrégation urbaine, qui ne sont pas de leur fait, et qu’ils ne sauraient résoudre. Demeure, néanmoins, qu’avec ces habitants, une défiance s’est installée, massive, durable, qui est devenue la norme.

Sébastian Roché commente ainsi : « Nous avons passé en revue différentes facettes de la relation au citoyen, depuis la satisfaction au guichet lors d’un dépôt de plainte jusqu’à celle vécue dans la rue lors d’un contrôle, et scruté également la légitimité des agents (le droit moral à être obéi que le public leur reconnaît). Comparativement aux autres pays et aux plus riches, situés en Europe de l’Ouest, la position de la France dans l’UE est souvent en dessous de la moyenne, quand ce n’est pas dans le tiers inférieur du classement. Les polices françaises souffrent d’une sorte d’infirmité relationnelle : elles échouent à l’épreuve du contact avec les citoyens. Cumulée à une seconde faiblesse : des failles dans l’impartialité du service. Les polices publiques, dont la fonction est de répondre de manière égale aux attentes de tous les citoyens, souffrent d’un déficit particulier auprès de la population la plus fragile socialement, appartenant aux milieux modestes et résidant dans les banlieues. Celle-ci se confond largement avec la minorité ethnique. Même la population majoritaire perçoit une police française marquée par des préjugés et dérogeant à l’impartialité. Je comprends que ces résultats puissent déplaire, mais les esquiver ne changera rien aux conséquences négatives pour les agents et pour la société en général. Je note que le malaise est exprimé par les agents eux-mêmes. Le ministère de l’Intérieur a publié un ‘bilan social’, pour la première fois, en 2014. Les policiers disent leur trouble à une large majorité, ils déplorent d’être peu aimés et regrettent la disparition de leur autorité. (…) Cette crise d’autorité invoquée par les policiers – qui est en fait un déficit de la capacité à ne pas déclencher remarques acerbes, gestes d’énervement, et à se faire obéir lorsqu’une intervention a lieu – découle directement d’une combinaison d’un ciblage ethnique et d’une infirmité relationnelle. » Et Sébastian Roché de conclure : « Les hommes politiques qui laissent perdurer des préjugés chez les policiers sur le terrain ont la plus grande part de responsabilité car il leur revient de décider des politiques en matière de police. Il leur arrive même de renforcer les stéréotypes. »

Cette confiance effritée, ces rapports compliqués, les policiers l’éprouvent chaque jour, et elle est éprouvante : « on va au contact tout le temps », « pas une interpellation ne se passe gentiment ». Cette confiance n’est pas abstraite, pas seulement un chiffre dans un sondage, elle se traduit très concrètement, très quotidiennement, très banalement, par des dizaines d’interactions rugueuses : regards, pressions, voire provocations et injures, qui rendent la vie pénible. Elle produit un malaise, un mal-être : quelle est ma place dans la société ?

Mais justement, sans doute, parce qu’il y a malaise, parce qu’il y a mal-être, justement parce qu’elle est centrale, parce qu’elle touche à l’identité du policier, cette question n’est pas posée. Et le modèle, le modèle d’autorité, qui ne passe pas, ou qui ne passe plus, s’enfonce dans une impasse.

Lors de nos auditions, s’est parfois engagé un dialogue de presque-sourds :

« Le policier : Quand on voit la liste de gens, dans votre proposition de loi, ils sont soit alcoolisés, soit drogués, soit énervés.

Le rapporteur : En l’occurrence, M. Chouviat n’était ni drogué ni alcoolisé…

Le policier : Non, mais il était énervé. J’ai eu l’occasion de parler avec les agents qui l’ont interpellé. Si le mec s’était laissé faire et menotté tranquillement, il n’y aurait pas eu d’incident. À chaque fois qu’un incident arrive, c’est parce qu’il y a outrage, rébellion.

Le rapporteur : Mais comment vous expliquez qu’un simple contrôle tourne au drame ?

Le policier : Quand on se rebelle et qu’on ne se soumet pas à l’autorité, il y a des réactions qui se mettent en place : le cœur s’emballe, et si le mec a une faiblesse, il fait un malaise cardiaque.

Le rapporteur : Donc dans le cas Chouviat, qu’est-ce que vous préconisez pour que ça ne se reproduise plus ?

Le policier : Du civisme.

Le rapporteur : Du civisme de la part des policiers ?

Le policier : Non… Enfin, pourquoi pas aussi. »

On aperçoit la mécanique qui se met en branle, l’escalade, le bras de fer engagé, le « force doit rester à la loi », y compris par la force, et même si l’interpellé ne représente aucune menace. Jusqu’à la tragédie, ici, jusqu’au paroxysme, mais illustrant, grossissant, des milliers de contrôles, banals, qui virent à l’« outrage ».

« Laurence, une collaboratrice du groupe Insoumis (et il me faut préciser qu’elle est noire) : Je subis souvent des contrôles d’identité. Et suis parfois emmenée au poste…

Le policier : Vraiment ?

Laurence : Oui, ça m’arrive.

Le policier : Mais c’est que vous devez chercher des ennuis.

Laurence : Je connais mes droits. Je les fais respecter.

Le policier : Ah bah oui, alors… »

Le moment « Gilets jaunes » sert en fait de révélateur. D’une crise plus profonde, plus latente, qui remonte à la surface. D’une crise périphérique, entretenue à la périphérie, et qui se fait plus centrale. D’une crise éprouvée par bien des minorités, et qui aujourd’hui gagne la majorité.

D’où le sentiment, chez les militants des banlieues, d’avoir devancé les Gilets jaunes : « Quand, avec le comité Adama, on a rejoint le mouvement des gilets jaunes », se souvient Youcef Brakhni, « on en voyait qui parlaient aux policiers, qui leur disaient : ‘Vous êtes avec nous, on est Français, il faut qu’on soit tous ensemble’. Plutôt que de les mépriser, on s’est dit : ‘Bon, ils vont comprendre.’ Ce n’est pas une question de personne : tu peux parler autant que tu veux avec le policier, lui il est là pour obéir. ».

Amal Bentounsi dresse ce parallèle : « Le terme « violences policières » est souvent assimilé aux violences dans les manifestations. Mais nous, on tient à rappeler que les quartiers ont servi de laboratoires à cette violence, dans l’indifférence générale. »

Car le chemin de croix, à parcourir, en cas de violences policières, les entraves à la justice, faites par la police, par la police des polices, voire par la justice elle-même, eux les connaissent depuis longtemps : « La violence policière s’arrête avec les coups, avec la mort, mais ce qui suit derrière c’est la violence judiciaire. C’est ça qu’endurent les familles pendant des années. » (Emmanuel Devaux, du collectif Vies volées).

Avec pléthore de « dysfonctionnements » : « Il y a des dysfonctionnements à chaque étape de la procédure », estime Farid El Yamni, dont le frère est décédé lors d’une interpellation en 2012 à Clermont-Ferrand. « Dans le cas de mon frère, la police des polices n’a pas utilisé des photos prises par les médecins, ils n’ont pas utilisé des preuves qui leur tendaient les mains. Le corps de mon frère, ils l’ont gardé pendant six mois avant de nous le rendre, ensuite ils ont dit : ‘Il est en putréfaction, on ne peut pas faire d’autopsie’. Pour mon frère, on a dit qu’il était mort de la drogue, alors que c’est absolument faux, alors que d’après des experts internationaux, que je suis allé chercher, on ne peut même pas dire qu’il était positif. Cette manière de détruire la vérité, et même de criminaliser la victime, permet de ne pas faire la justice. Nous on est n’est pas contre la police et la sécurité, au contraire. Mais on est pour la vérité et la justice.

Nous, on n’est pas des gens violents, mais on est dans une auto-défense, on est obligé d’être radicaux parce que l’injustice qu’on subit est extrême. Il n’y a pas de fraternité possible, il n’y a pas de « nous » possible. On est dans une situation de survie. »

« Il y a beaucoup de témoins que la juge d’instruction n’a pas reçus, elle refuse de les recevoir. On s’est battu pour avoir une reconstitution : ça s’est passé dans le bureau de la juge ! avec des chaises pour faire la voiture ! Il y a tout un système qui fabrique le non-lieu. À chaque fois qu’un proche est tué par la police, la famille est détruite, parce qu’on n’est pas reconnus en tant que victimes. Dans notre affaire, le policier impliqué a reçu la médaille d’honneur de la République. C’est une humiliation extrême, une volonté de nous détruire. » (Fatou Dieng, Lamine Dieng, décédé en 2007 lors d’une interpellation).

« En 2010, lors du mouvement sur les retraites, mon fils Geoffrey participait au blocus de son lycée, à Montfermeil », témoigne Christian Tidjani, de l’Assemblée des blessés. « Il a reçu une balle de LBD dans le visage. Le policier a prétendu que c’était de la légitime défense, que Geoffrey jetait des projectiles, et qu’ensuite il lui a porté secours. Sauf qu’on a obtenu deux vidéos : on assiste à une manifestation bon enfant, Geoffrey va pour pousser une poubelle, et d’un coup il se plie en deux, heurté par un tir. Et à aucun moment l’agent ne vient le secourir… J’ai voulu porter plainte pour « faux et usage de faux en écriture publique ». On m’a dit : « Vous ne l’aurez jamais », le procureur de Pontoise a déclaré : « On ne punit pas un flic dans le 93 ». Moi, j’ai toujours cru en la justice, mais à partir de ce moment je n’y croyais plus. C’est devenu une guerre de tranchées. Au bout de sa sixième version, le policier a reconnu que la légitime défense n’était pas actée. Ça a fait descendre la violence en nous. »

Je m’arrête, un instant, sur cette phrase : « ça a fait descendre la violence en nous. » Il a suffi que le policier livre ce demi-aveu, qu’à travers lui la société sorte du déni, que la famille obtienne cette part de vérité, pour que, déjà, l’apaisement paraisse possible. Un court répit : « Quand on a reçu les conclusions avant le procès, elles éliminaient le témoignage du policier. Pire que tout : la vidéo était sous scellés, quand elle est sortie, elle était rayée. Toutes les institutions sont vérolées. Aucune institution ne nous a aidés, ni la police, ni l’hôpital, ni l’école. C’est cette injustice-là qui fait qu’on a une colère… Toutes les familles de victimes, tous les blessés ont cette colère. On ne peut plus croire aux institutions. Le discours, où qu’on aille, c’est « Vous avez fait quelque chose pour que ça vous arrive ». On ne nous croit pas. Et ça, ça nous met hors de cette société. On est tout seuls. On ne croit plus aux institutions. Ce qui reste, c’est la rue.

Le jugement a été rendu : en première instance, le policier est condamné à un an de prison avec sursis, un an d’interdiction d’exercer et un an et demi d’interdiction de port d’arme. Il fait appel. Entre-temps, il est promu brigadier. En appel, il est condamné, à nouveau, mais il garde son boulot. Il se pourvoit en cassation. Geoffrey a été interné sept jours après le jugement. Vous imaginez quand vous avez 16 ans ? ».

Plus encore que la police, c’est la justice, ici, qui est en cause, les deux pouvoirs se mêlant, se confondant :

« Maître Eddy Arneton : Je veux évoquer la réponse, et souvent la non-réponse de la justice. Il est fondamental en vérité que la magistrature, qu’elle soit debout ou assise, ne soit jamais couchée. Or, dans tous nos dossiers de violences policières, nous recevons un accueil pour le moins froid du parquet. Ce qui est totalement logique, puisque le procureur de la République est le supérieur hiérarchique des forces de l’ordre. On sait pertinemment que dans un premier temps il y aura un classement sans suite.

Le rapporteur : C’est-à-dire que de manière institutionnelle le procureur est à la fois juge et partie ?

Maître Eddy Arneton : Bien sûr, il est le supérieur hiérarchique des fonctionnaires de police. Et de façon systématique il va classer sans suite en considérant que « l’infraction n’est pas caractérisée ». Si vous voulez que la justice fonctionne véritablement, il va falloir tout défaire. Cette proposition de loi débouche sur le fonctionnement de la justice. À partir du moment où vous avez des procureurs de la République qui sont des amis des présidents de juridiction, qui sont au même étage, qui font semblant de ne pas déjeuner entre eux... À partir du moment où vous êtes dans une forme de connivence, tant que ça ne sera pas résolu, vous aurez beaucoup de mal. »

J’insiste longuement, dira-t-on, sur une poignée de décès, sur des affaires tragiques, qui ne représentent pas, et heureusement, la norme des interactions. Certes. Mais ces familles de victimes, ces noms qui résonnent, « Adama Traoré », « Lamine Dieng », sont devenus les symboles, les symptômes, d’une crise avec la police. S’identifient à eux, sans doute, en partie, les 65 % de minorités qui s’estiment « moins bien traitées ». Les 42 % des personnes issues d’une famille d’origine africaine qui se font contrôler dans la rue. Les 21 % des habitants de « Seine-Saint-Denis HLM » qui, ces deux dernières années, ont assisté des agissement « irrespectueux ». Ces cas, dramatiques, sont les emblèmes d’un arbitraire, d’un sentiment d’arbitraire, plus routinier.

Et quand la société n’y répond pas, quand elle se tait, quand elle dénie, l’injustice est un feu terrible, qui couve, qui se répand.

Ces récits évoquent pour moi Michel Kohlhaas, un roman de Von Kleist. L’auteur, un romantique allemand du XIXème, reprend l’histoire de Hans Kohlhaas – qu’il rebaptise donc Michel. Ce bon père de famille, maquignon prospère, pieux protestant, s’en va comme à son habitude vendre ses chevaux en Saxe, vers 1540. Mais voilà qu’« il rencontra, près d’un imposant manoir féodal, une barrière qu’il n’avait jamais vue auparavant.

« – Qu’est-ce qui se passe donc ici ? dit-il au péager qui, après avoir pris son temps, sortait de la maison.

L’autre répondit en ouvrant :

– Privilège seigneurial accordé au Junker Wenzel von Tronka. »

Faute de « laissez-passer », le commerçant laisse deux chevaux en dépôt, et son valet Herse pour s’en occuper. À son retour, ses splendides alezans sont devenus des rosses, décharnées, ensanglantées, épuisées par les travaux des champs. Et son valet a fui, mordu par les chiens du Junker. Michel Kohlhaas porte alors plainte, sûr de son bon droit, certain de l’emporter. Sauf que le Junker a des relations haut placées, jusque dans les tribunaux : le bourgeois est débouté. Son avocat, son entourage, lui conseillent d’oublier, de se remettre à ses affaires.

C’est alors que le brave marchand, écœuré, décide de se faire justice lui-même, se mue en Rambo façon XVIème siècle, avec pour devise : « Fiat justitia, et pereat mundus », « Que la justice s’accomplisse, le monde dût-il s’effondrer ».

« Kohlhaas vendit sa maison, installa les enfants dans une voiture et les envoya de l’autre côté de la frontière. Il rassembla, à la tombée de la nuit, le reste de ses valets, sept en tout, fidèles comme l’or à sa personne ; il les arma, leur donna un cheval et en route pour le Tronkenburg !

« Avec cette petite cohorte, il fit irruption dans le château dès le commencement de la troisième nuit, culbutant de son cheval le péager et le garde en conversation sous le grand porche. Tandis qu’au milieu des crépitements soudains de toutes les baraques qu’on arrosait de flammes, Herse montait en hâte l’escalier tournant de la tour de la conciergerie et, frappant d’estoc et de taille, sautait sur le portier et sur l’intendant, en train de jouer, à moitié dévêtus, Kohlhaas se rua dans le château, à la recherche du Junker Wenzel, tel l’ange du Jugement fondant du haut du ciel. Justement le Junker, au milieu des éclats de rire, faisait lecture à la bande de jeunes amis qui l’entouraient de l’arrêt de justice envoyé par Kohlhaas. Il n’eut pas plutôt entendu sa voix dans la cour qu’il blêmit : ‘Frères, sauvez-vous !’ cria-t-il à la compagnie et il disparut.

« Dès son entrée dans la salle, Kohlhaas saisit à bras-le-corps un von Tronka, le Junker Hans qui marchait à sa rencontre ; il le projeta dans un coin de la salle, d’un tel coup que la cervelle jaillit sur les pierres. Pendant que les valets maîtrisaient et dispersaient les autres chevaliers qui avaient saisi leurs armes, il demanda où était le Junker Wenzel von Tronka. Alors, il enfonça d’un coup de pied les portes de deux chambres communiquant avec l’aile du château pour faire occuper les issues. Cependant, atteints par le feu des baraques, déjà le château et toutes ses dépendances flambaient à leur tour, exhalant une grande fumée vers le ciel. Tandis que Sternbald, avec trois valets dégourdis, déménageait en bloc ce qui n’était ni rivé ni cloué et précipitait le tout au milieu des chevaux comme butin légitime, les cadavres du concierge et de l’intendant, avec femmes et enfants, volaient par les fenêtres de la conciergerie. »

Mais le Junker est parvenu à s’échapper.

« Kohlhaas monta à la tour de la conciergerie qui offrait encore une pièce habitable et il rédigea une ‘Ordonnance de Kohlhaas’, ainsi qu’il l’appelait. Par elle, il sommait le pays de ne prêter aucune assistance au Junker Wenzel von Tronka avec lequel il était en état de guerre légitime. Bien plus, il faisait un devoir à tous les habitants, y compris parents et amis, de le lui livrer sous peine de mort, accompagnée irrévocablement de la destruction par le feu de tous les biens appartenants. Le manifeste fut répandu dans toute la région par des voyageurs et des étrangers. »

Michel Kohlhaas va dès lors semer la terreur, brûler des villes et piller des couvents, mi-justicier et mi-brigand, jusqu’à obtenir une étrange réparation : il obtient des dommages pour le vol et la maltraitance de ses chevaux, qui sont soignés, qui lui sont rendus. Mais il est condamné à la mort, à avoir la tête tranchée. Il meurt heureux : justice est faite.

Éviter des Michel Kohlhaas, c’est offrir aux victimes, à leurs familles, tout simplement la justice. C’est une reconnaissance, qui ne rend pas la vie, mais qui répare un lien, un lien à la communauté, à la commune humanité, une confiance en un contrat social. Sans quoi, oui, « il n’y a pas de fraternité possible, il n’y a pas de « nous » possible. »

4.   Sorties de crises

« La mission éminente des polices est de produire de la confiance en défendant des normes et valeurs supérieures, et ainsi de contribuer à la cohésion sociale. » Voilà le rôle qu’entrevoit, dans ses recherches, Sébastian Roché pour les policiers : « produire de la confiance ». Et de poursuivre : « Les sociétés ne vivent harmonieusement que lorsque les institutions publiques jouent leur rôle dans la production de la confiance nécessaire à la vie collective. Comment la police peut-elle pratiquement contribuer à la cohésion ? D’abord en ne la fragilisant pas au travers de politiques stigmatisantes ou de pratiques discriminatoires, susceptibles de favoriser la formation d’un sentiment de rejet. Telle est leur obligation négative : ne rien faire contre l’harmonie sociale, ne pas porter atteinte au sentiment d’appartenir à la collectivité nationale. Il s’agit d’offrir une « expérience positive de la police », la plus positive possible. Dans une société fragmentée, aux attentes contradictoires, ce n’est pas chose aisée : ce qu’espèrent des retraités en Corrèze, des cadres supérieurs à Neuilly, ou des enfants d’immigrés à Vénissieux, est nécessairement différent et parfois antagonique. Telle est l’obligation positive : ne pas construire une police séparatiste, mais universaliste, c’est-à-dire à la fois impartiale et égalitaire. »

Comment bâtir cette « police de la confiance » ?

● Une police formée

« Rien. La formation continue, c’est rien », témoigne Alexandre Langlois, du syndicat Vigi. « Ou alors, juste pour cocher des cases. J’avais des collègues, dans des unités d’élite, et on leur disait : ‘Vous allez faire des formations Excel et Word parce que c’est celles qui prennent le moins de temps.’ Après des fois, tu es ‘assigné volontaire’ pour une formation. Moi, j’ai fait une formation moto 125 cm3, j’étais content. Les formateurs posent la question : ‘Qui a le permis moto ?’, trois lèvent la main sur dix. Je leur dis : ‘Mais les mecs, qu’est-ce que vous faites là ? - Ben c’est mon chef de service qui a dit que c’était moi qui devais y aller…’. Le dernier rapport de la Cour des comptes dit que 51 % des fonctionnaires de police n’ont pas fait leurs trois tirs réglementaires… »

Tous les témoignages le confirment : « Formation continue, c’est zéro » (Unsa), « Ce qui manque le plus, c’est la formation continue » (CFDT). Voilà qui laisse pantois. Même la direction de la police nationale ne peut qu’abonder, être gênée :

« Bertrand Chamoulaud : C’est sûr, on ne peut pas aller à l’encontre de ce que vous dites, il y a des gros efforts à faire. On a du mal effectivement à assurer ces formations. Depuis 2015, ont été mises en place des formations sur la tuerie de masse. La priorité nouvelle a été celle-là, il a fallu faire des choix. Puis, ces dernières années, il y a une sur-sollicitation des forces de l’ordre suite aux mouvements sociaux. Pour laisser aux FDO des temps de répits, on a rogné sur la formation, c’est vrai. D’ailleurs, les FTSI, les formateurs, sont eux-mêmes sollicités pour venir en renfort dans les manifestations...

Le rapporteur : Ça signifie que les gestes d’interpellation, là, ne sont pas répétés durant des années ?

Bertrand Chamoulaud : En effet. Il faut des moyens, un dojo, un formateur... Faire progresser la formation, c’est un constat juste. »

C’est la base de la confiance : avoir, face à soi, un professionnel formé. C’est vrai pour les médecins, c’est vrai pour les enseignants, c’est vrai pour les plombiers, mais cela vaut également pour les policiers, qui sont armés, qui représentent l’État, qui détiennent un pouvoir. On attend qu’ils soient exercés, notamment, aux moyens de coercition, entraînés aux techniques d’immobilisation, qu’ils gardent à l’esprit les exigences de « nécessité » et de « proportionnalité », qu’on leur enseigne, qu’on leur rappelle, la toujours difficile maîtrise de soi.

Comment assurer cela avec une « formation zéro » … qu’on diminue encore ! Le Gouvernement a en effet réduit la formation des gardiens de la paix, passée d’un an à neuf mois. Mieux : l’enveloppe « formation » a baissé dans le projet de loi de finance de 2020, 1,07 million d’euros en moins, soit -5 % de ce maigre budget. L’indice que, manifestement, en matière de police, la quantité importe plus que la qualité...

● Modèle d’autorité

Il faut former, donc. Mais former à quoi ?

« Rechercher la confiance des citoyens n’est pas une idée centrale dans les écoles de police », remarque Sébastian Roché. « L’idée qui le synthétise le plus est : ‘Force doit rester à la loi’. Ce sont les policiers qui doivent avoir raison, par la force s’il le faut. C’est la devise de l’enseignement policier, en France. Un responsable de l’école qui forme les cadres me l’a encore rappelé, et il ajoutait que pour lui, c’était une bonne approche. Si on regarde le site de l’école de police, en revanche, la question de la relation à la population n’apparaît pas… ».

« La crise moderne est liée à ce que l'on appelle ‘crise d'autorité’ », énonçait Antonio Gramsci. Cette crise frappe, bien évidemment, la figure d’autorité par excellence, l’incarnation de la loi : le policier. Et l’on devine un raidissement, le désir de maintenir un ancien modèle, peut-être un ancien monde.

Me vient à l’esprit une autre profession : les médecins. Eux aussi incarnaient, incarnent toujours, sans doute moins, une figure d’autorité, scientifique. Mais leur façon de parler aux patients, de leur présenter un diagnostic, de leur proposer des remèdes, a dû s’adapter, bon gré mal gré, s’adapter à l’élévation du niveau scolaire, s’adapter à des malades qui ne les regardent plus comme les Grands Prêtres de la Science, s’adapter même à doctissimo.fr et autres consultations en ligne ! Il a fallu introduire plus d’explications, de justifications.

Il en va de même, je crois, pour le policier, qui ne doit pas renoncer à son autorité, mais l’habiller, la rendre plus légitime, moins arbitraire. Tout comme le roseau qui plie mais ne rompt pas.

Dans son livre De la police en démocratie, le sociologue Sébastian Roché écrit : « La police qui se pensait comme une autorité d’essence supérieure doit désormais savoir se justifier. La police moderne doit apprendre à rendre des comptes autant au citoyen qu’à sa hiérarchie… Ce faisant, la fabrication des ‘bonnes polices’ suppose que les forces ne se présentent plus sous l’étendard du ‘circulez, y a rien à voir’, mais disposent de personnels capables de s’exprimer sur leurs décisions autant que de connaître la base juridique de leur action. »

En voyage, au Danemark, pays en tête de son « benchmark », Sébastian Roché raconte : « Nous sommes allés visiter l’académie de police du pays. La formation des jeunes policiers dure trois ans. Par comparaison, les gardiens de la paix sont formés en un an en France, les commissaires en deux ans. Dans le modèle danois, on entre ‘par le bas’, on n’accède pas directement aux postes supérieurs, d’officier ou de commissaire, par concours direct. Et, surtout, on ne peut pas se présenter avant l’âge de 21 ans, c’est-à-dire trois ans après le bac. En pratique, les personnes sélectionnées ont entre 24 et 26 ans, une licence en poche ainsi que quelques années d’activité professionnelle. Les recruteurs évincent ainsi les candidats qui n’ont pas eu d’expérience dans un autre métier avant de rejoindre la police. Ils désirent des agents qui connaissent la société qu’ils vont policer, et qui font le choix actif de candidater après une expérience.

Ils m’ont expliqué que la pierre de touche de leur système est l’obtention de la confiance des citoyens. Le curriculum a été encore modifié dans ce sens en 2014, et il porte prioritairement sur trois éléments : l’analyse, l’évaluation et la réflexion sur le métier de policier ; la construction du dialogue avec les citoyens ; la responsabilité personnelle. Le premier cours qui est dispensé porte sur l’ambition première de la police danoise : construire une relation de confiance avec la population. Quel contraste avec la formation française où l’accent est mis sur la connaissance des textes et le principe suivant lequel ‘force doit rester à la loi’ (c’est-à-dire l’agent de police qui commande la situation). Une partie importante du curriculum vitae danois est donc destiné à comprendre la société, l’organisation, l’individu. Les policiers sont formés à la diversité des populations, et aux droits des personnes. Tout au long du parcours, on leur apprend que la police appartient à la société et que, en conséquence, la confiance est fondamentale pour réaliser leur travail. Les jeunes policiers sont sensibilisés au fait que la police, par leur action individuelle dont ils ont la responsabilité, doit ‘gagner la confiance des citoyens’ (je souligne). On remarquera la différence entre un système de formation qui met l’accent sur la force dans la relation au citoyen, et cet autre qui enseigne les fondements consentis de l’autorité. Je n’ai jamais entendu un tel discours au sein du système policier de formation français, dans lequel je travaille depuis vingt ans. Il a ses mérites, il serait injuste de ne pas le reconnaître, mais, clairement, cette finalité n’y est pas assez affirmée. Dans les modules danois d’enseignement, une part importante est faite à l’analyse de leur propre pratique. Ainsi, si lors d’un exercice les étudiants policiers danois choisissent de réaliser un contrôle d’identité, les élèves doivent se montrer capables d’expliquer à leur professeur pourquoi ils agissent ainsi. Le but recherché est de favoriser la réflexion du policier qui doit constamment se référer à l’effet de sa pratique et ne pas se contenter de connaître son cadre légal. Les Danois appellent cela ‘police réflexive’. »

Pour le déplorer ou s’en féliciter, mais tous nos interlocuteurs le constatent : l’enseignement, en France, est centré sur « la maîtrise des gestes » et sur la « formation juridique. » De la technique et des lois. C’est humainement fort sec, alors que policier est, au fond, au quotidien, un métier du lien, qui réclame bien plus l’usage de la parole que du tonfa. Le maniement des armes est enseigné, plus que la communication…

● Le contrôle d’identité

« En cas d’émeutes, j’y participerai ? » A cette question, parmi les adolescents, la réponse est majoritairement « non » … lorsqu’ils n’ont « pas subi de contrôle proactif ». Mais le « oui » l’emporte chez ceux qui l’ont déjà connu (Enquête Polis 2012).

C’est une évidence, d’intuition, mais révélée par les statistiques : « le contact à l’initiative de la police érode la sympathie pour les policiers et augmente l’idée qu’on pourrait participer à une émeute : les contrôles favorisent le ressentiment et la colère. »

Or, c’est une pratique massive en France : « Les policiers français utilisent, d’une manière générale, abondamment le contrôle d’identité. De plus, avec l’Espagne, la France est le pays qui montre la plus grande différence de ciblage entre minorité et majorité.

La police française est presque unique en Europe : on y contrôle très souvent les ressortissants nationaux, et beaucoup plus encore les minorités. En Allemagne, la minorité turque est plus contrôlée que la majorité. Mais elle l’est trois fois moins que la minorité maghrébine en France ! ».

 

Nombre de contrôles de police sur un an pour cent personnes en Europe

Source : Sébastian Roché, De la police en démocratie

Dans les deux pays, des sociologues ont accompagné des patrouilles durant des centaines d’heures : « Si l’on compare la France et l’Allemagne, on constate beaucoup plus de réticence de la part des policiers allemands à utiliser le contrôle et à se focaliser sur les populations d’origine étrangère. Les agents agissent, chose intéressante, avec réflexivité : ils cherchent consciemment à éviter d’avoir recours à un stéréotype lorsqu’ils abordent des personnes appartenant aux minorités. » Tandis que « les agents qui se servent fréquemment du contrôle en France l’utilisent plus comme un outil de soumission que pour verbaliser. »

Ces contrôles, réguliers, ciblés, produisent des effets sociaux délétères, rongent la confiance, plus qu’ils ne la construisent. Et pourtant, cette pratique, bien que massive, mais justement peut-être parce qu’elle est massive, parce qu’elle appartient à une routine, parce qu’elle relève d’un implicite policier, cette pratique n’est guère interrogée, ni même recensée. Il n’y a pas de contrôle du contrôle.

« Les policiers agissent ainsi parce qu’ils pensent que c’est moralement justifié, que c’est ‘la bonne chose à faire’ et que la loi leur permet de le faire. Le contrôle est donc perçu comme bon pour la société, pour la hiérarchie, et pour eux sur le terrain. »

Cela va de soi, pour les policiers, comme une évidence.

Mais surtout, à l’étage au-dessus, aucune question ne se pose : « Durant l’étude Polis et les cinq cents heures du volet Observations de dizaines de patrouilles, depuis leur départ jusqu’à leur retour du commissariat, le contrôle n’a pas été une seule fois le sujet du débriefing des agents de voie publique auprès de leur responsable hiérarchique… »

Et à l’étage encore au-dessus, au sommet : « Les décideurs nationaux ne font pas montre de vigilance et ne se dotent pas des outils de pilotage nécessaires, ils ne cherchent pas à encadrer pratiquement les actions et se contentent, par exemple, de références aux principes généraux du droit – qui ne suffisent pas pour prévenir la discrimination. Leur supervision est défaillante. »

C’est le politique, toujours, qui est responsable en dernier ressort.

● Contrôle externe

« 59. La police doit être responsable devant l’État, les citoyens et leurs représentants. Elle doit faire l’objet d’un contrôle externe efficace. »

C’est le « Code européen d’éthique de la police », validé par le Conseil de l’Europe, et par la France, qui exige ce « contrôle externe ». Et qui précise :

« 61. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des procédures effectives et impartiales de recours contre la police. »

Et enfin :

« 62. Il conviendrait d’encourager la mise en place de mécanismes favorisant la responsabilité et reposant sur la communication et la compréhension entre la population et la police. »

Or, dans notre pays, le « contrôle externe » de la police est ténu, sinon inexistant : « Les polices françaises », écrit Sébastian Roché, « ont cette caractéristique particulière de ne jamais se sentir redevables – directement ou par un circuit court – devant les citoyens. »

C’est la clé, pour les sociologues auditionnés, Sébastian Roché, mais aussi Fabien Jobard, Cédric Moreau de Bellaing, pour le journaliste David Dufresne. C’est la clé, également, pour des associations, Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, Amnesty International. C’est la clé pour que la police évolue, s’engage dans un dialogue avec la société.

« Ce sont les normes et les mécanismes de redevabilité qui conduisent la police », estime Sébastian Roché. « En France, la redevabilité de la police vis-à-vis du Parlement est très faible, contrairement à la Belgique. Il n’y a pas non plus de redevabilité institutionnalisée vis-à-vis des citoyens. Au niveau central, il n’y a aucun conseil d’analyse des politiques policières, où il y aurait des non-policiers avec des droits. Le ministre de l’Intérieur contrôle à la fois la chaîne de commandement et la chaîne de contrôle. Il n’y a pas de chaîne de contrôle externe, contrairement à l’Angleterre. Donc pour moi, toute réforme doit commencer par modifier ce système de redevabilité. »

Tout relève du ministre de l’Intérieur qui, par tradition, se vit comme « le premier flic de France », qui fait corps avec les policiers, qui se donne pour mission de « vous soutenir, de vous faire confiance et de vous protéger » (dixit Manuel Valls). Bien moins de « contrôler » ses hommes. Et qui, parfois, ne les guide, ne les oriente même plus.

● Police des polices

Autant le poser d’emblée : je ne crois pas à l’auto-régulation. Je ne crois pas aux grands patrons qui, d’eux-mêmes, limiteraient leurs parachutes dorés, ou aux actionnaires qui plafonneraient leurs dividendes. Je ne crois pas aux journalistes qui formeraient leur propre conseil de déontologie pour retirer leur carte de presse à des pairs. Et je ne crois pas plus aux policiers qui enquêteraient, objectivement, en toute neutralité, sur d’autres policiers.

« L’IGPN, elle n’est pas là pour couvrir ! », proteste Thierry Clair, de l’Unsa. « Quand le fonctionnaire passe administrativement devant l’IGPN, faut voir comment ça se passe. C’est une enquête comme si on avait affaire à un malfrat, quel qu’il soit. »

Ces auditions, d’après les témoins, paraissent fort peu confraternelles, assez musclées. Mais sans forcément, derrière, des décisions aussi franches. Accédant aux archives de l’Inspection Générale des Services, l’ancêtre de l’IGPN, le sociologue Cédric Moreau de Bellaing a montré combien « les dénonciations d’usage abusif de la force par la police aboutissent moins souvent à une sanction que celles de tout autre type d’atteintes (conduites en état d’ivresse, vols, escroqueries, dégradations, drogues, etc.) ; et, lorsque ces cas de violences sont sanctionnés, ils le sont proportionnellement moins gravement que les autres formes de déviances policières. » Sans doute est-ce dû, en partie, à la difficulté de « certifier d’une violence illégitime », mais aussi, note le chercheur, au désir de « préserver la force publique ».

Ces derniers temps, l’IGPN est pointée pour sa partialité dans nombre d’affaires : celle des lycéens mis à genoux à Mantes-La-Jolie, classée sans suite. Des Gilets jaunes estropiés, et l’IGPN qui, avec une mauvaise volonté réelle ou supposée, n’identifie pas l’agent en cause. Jusqu’à Steve Maia Caniço où, sur commande du Premier ministre, l’IGPN rend un rapport qui conclut, contre une foule de témoignages, mais refusant de les entendre, que l’intervention des forces de l’ordre « était justifiée et n'est pas apparue disproportionnée » et qu’ « il ne peut être établi de lien avec la disparition de M. Steve Maia Caniço ».

Symptôme de ce discrédit : Manuel C., le Gilet jaune éborgné Place d’Italie à Paris, alors qu’il bavardait paisiblement, a lui tout bonnement refusé d'être auditionné par l’IGPN. En raison, selon son avocat, Me Arié Alimi, de « la partialité de l'IGPN » qui étoufferait « les affaires de violences policières ».

Désormais, dans tous les dossiers, le soupçon plane sur l’IGPN : la confiance dans la police s’est affaiblie, mais dans la police des polices également.

« Certains pays ont voulu s’assurer que les organes de contrôle sont légitimes et impartiaux », compare Sébastian Roché. La nomination du patron de l’IGPN anglaise est validée par le Parlement. Quant aux affaires les plus graves, elles sont confiées à un organe indépendant, l’IOPC Independent Office for Police Conduct, ou Bureau indépendant sur la conduite de la police.

La Belgique dispose aussi d’un organe de contrôle indépendant, le comité P, dirigé par un magistrat, et dont les membres sont nommés par la Chambre des représentants. Au Danemark, une entité rattachée au ministère de la Justice associe enquêteurs, magistrats et profils de la société civile. Au total, une vingtaine de pays ont mis en place ces institutions indépendantes des polices qu’elles contrôlent. Pas la France.

● Le moment Facebook

« Il nous a dit : “Je vais vous filmer.” Il a sorti son portable et a commencé à nous filmer. Le contrôle a continué, toujours dans cette ambiance de provocation. » Dans l’affaire Chouviat, c’est une policière qui témoigne ainsi, auprès de la police des polices. Et une passante confirme, dit sa « surprise » par « le fait que la policière saisisse le téléphone », alors que Cédric Chouviat était au sol. « En voulant lui prendre son téléphone, ils lui ont ôté la vie. »

C’est par le portable, sans doute, que le drame fut déclenché.

Mais c’est par un portable, à nouveau, que le drame fut révélé : l’avocat de la famille, Me Arié Alimi, a lancé un appel à témoin. « Face à la communication officielle souvent mensongère, c’est déterminant de le faire pour éviter la perdition, voire la dissimulation de preuves. » Et de fait, des vidéos sont parvenues, qui contredisent la version officielle.

C’est la grande nouveauté, au fond, dans les relations entre police et population : le téléphone portable, et ensuite les réseaux Facebook. C’est au cœur, d’ailleurs, du film de Ladj Ly, Les Misérables. Et tout le mouvement des Gilets jaunes fut, samedi après samedi, rythmé par la publication, parfois en direct, de ces vidéos. Alors que, auparavant, dans le doute, on s’en serait remis à la bonne foi du policier, et moi le premier, alors qu’on aurait fait confiance à l’autorité, à la hiérarchie, à la préfecture de police, au ministre de l’intérieur, des images viennent désormais contredire la version officielle.

La gendarmerie dit avoir accepté cette nouveauté : « Les gendarmes savent maintenant que tout est filmé, et ça nous va bien parce que ça nous protège. » (Laurent De la Follye de Joux, chef de bureau de la formation.)

Côté police, en revanche, les propos sont plus hésitants.

Guère d’ambiguïté, il est vrai, chez le syndicat de police Alliance. Lui a réclamé l’interdiction de filmer les policiers, « très préoccupés par l’existence d’abus du droit de capter leur image lorsqu’ils se trouvent sur la voie publique ou dans un espace public dans l’exercice de leurs fonctions ».

Côté Unsa, on regrette que : « C’est filmé maintenant, tout le monde filme tout partout, et c’est diffusé sans contexte. Avant, la vidéo c’était l’État policier, aujourd’hui c’est de la transparence. »

Pour la CFDT, « le problème ce n’est pas qu’un policier soit filmé. C’est autorisé. Le problème, c’est de travailler avec trois smartphones à un mètre de vous pendant que vous faites une interpellation. »

Et Sébastian Roché observe la pratique ordinaire : « Si quelqu’un veut défendre ses droits, ou filmer, ça risque de finir en contrôle d’identité approfondi. Les policiers n’appliquent pas la loi, mais les normes de leur groupe professionnel : ‘On ne veut pas être filmés’. Donc Chouviat, c’est un cas extrême d’une situation banale. »

Une circulaire du ministère de l’Intérieur, datée du 23 décembre 2008, rappelait clairement cette loi : « La liberté d’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime. Les policiers ne peuvent s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission. Il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support. »

Mais cette loi pourrait évoluer : des « études juridiques » sont en cours, et le ministre Christophe Castaner pourrait annoncer, non pas une « interdiction de filmer », mais une « limitation de leur diffusion », un « encadrement de leur publication ».

Ce serait, à mon sens, un signal catastrophique. Faute d’un « contrôle externe » de la police, par le Parlement, par la presse, par une instance indépendante, c’est le téléphone portable qui a rempli cette fonction. Et alors que, après deux années de mouvements sociaux, des violences policières sont constatées, documentées, commentées, alors que les estropiés deviennent une quasi-banalité, alors que la confiance envers la police est au plus bas, quelle serait la grande décision du ministre ? Non pas interdire les LBD, mais la diffusion sur Facebook ? « Couvrez ce sein que je ne saurais voir… »

Au contraire. Que le ministre le réaffirme haut et fort : filmer les interpellations est un droit. Et que soient remises aux agents des « caméras-piétons », pour filmer leurs actions. Mais, cette fois, comme le critiquent les syndicats, pas avec une « mauvaise prise de vue », une « fixation défectueuse », une « batterie sans cesse à plat ».

On peut déplorer cette « guerre des images ».

Elle est aussi un indice de la confiance rompue.

● Des ponts

La question, néanmoins, nous semble plus vaste, plus ample, et même plus généreuse que : « Comment sanctionne-t-on les policiers fautifs ? » C’est une porte d’entrée trop étroite. Le débat nous paraît au-delà : « Comment mêle-t-on police et société ? Comment ouvre-t-on l’institution ? Comment, à tous les échelons, du local au national, les citoyens peuvent-ils rencontrer, interroger, échanger avec les policiers et leurs officiers ? Et même, pourquoi pas, dessiner ensemble les priorités quant au maintien de l’ordre ? ».

Afin que soit restaurée la confiance.

Afin que s’éloigne un double mal-être : le malaise évident des agents, dont les suicides en série sont un témoignage criant. Le malaise des habitants, qui redoute un arbitraire policier, chez qui la peur se mêle à l’insécurité.

Une piste serait d’ouvrir la police à d’autres professions, à commencer par des psychologues. Ils existent, certes, mais à la marge, non pas dans chaque commissariat, non pas au contact de chaque unité, à la fois pour écouter les agents, pour les soulager, et pourquoi pas également les victimes, voire les personnes interpellées. La police, c’est l’évidence, est placée au cœur des traumatismes, des drames sociaux, familiaux : ne peut-on les guérir que par la force et par la loi ? Ne serait-il pas efficace d’y adjoindre, d’emblée, une attention ?

Les sociologues, également, seraient les bienvenus : pour une observation participante, pour un retour sur les pratiques du métier, pour une réflexivité sur les rapports entretenus avec la population, avec les jeunes, avec les quartiers. Qu’est-ce qui construit la confiance ? Qu’est-ce qui l’érode ? Qu’est-ce qui est utile à la société ? Qu’est-ce qui est contre-productif ?

Nous avons, au cours de notre rapport, auditionné quatre sociologues, Elodie Lemaire, Fabien Jobard, Cédric Moreau de Bellaing, et Sébastian Roché. Des chercheurs qui, depuis des années, voire des décennies, travaillent sur la police. « Est-ce qu’on vous demande d’intervenir dans des services ? De participer à des formations dans les commissariats ? » À cette question, tous m’ont répondu « non ».

C’est un savoir, pourtant.

C’est un savoir dormant.

Qui pourrait aider la police, la faire évoluer.

Et c’est la question centrale, sans doute : remise en cause, profondément en crise, la police se replie-t-elle, comme une tortue dans sa carapace ? À l’écart de la société, voire contre elle ? Se verrouille-t-elle, ou au contraire s’ouvre-t-elle ?

Bien des indices n’inclinent pas à l’optimisme. L’éviction, notamment, de Sébastian Roché hors de l’École supérieure de la police, où ce chercheur du CNRS intervenait depuis 1993 : « Dans ces périodes de tension, les voix dissidentes sont très mal tolérées, analyse-t-il. Ce qui caractérise le système français, c’est que toutes les initiatives de réflexion sont perçues comme venant perturber les opérations. Ce qui fait une grosse différence avec les Anglais, dont le Home Office Secretary a une fonction d’analyse énorme. En France, les fonctions d’analyse sont perçues comme des menaces à la conduite des opérations de police. »

Mais également, parmi nos témoins, la volonté de faire taire un syndicat minoritaire, comme Vigi-Police : son secrétaire général, Alexandre Langlois, qui subit huit procédures pour diffamation : « Le procureur a dit, en somme : "Ce que vous dites sur le fond est parfaitement légitime, mais vous froissez les directeurs, donc on demande 20 000 € d’amende". » Son secrétaire général adjoint, Jérôme Gigou : « J’ai fait un tract syndical qui touche l’ancien numéro 3 du syndicat des commissaires. Il y a eu un signalement, on m’a envoyé chez le médecin, j’ai été envoyé en expertise psychiatrique à Saint-Anne. » Noam Anouar, sa figure la plus médiatique, qui au lendemain de sa nomination comme délégué Vigi a reçu une convocation à un conseil de discipline. Et qui vient, à son tour, d’être convié à une expertise psychiatrique : « Ils veulent nous faire passer pour des dingues ».

● Le pilote politique

Y a-t-il un pilote dans la police ? Y a-t-il un ministre à l’Intérieur ? Ou bien, en est-on à une autogestion chaotique, entre syndicats, hiérarchie, préfecture, sans cap politique fixé d’en haut ?

Et je ne peux qu’approuver cette remarque, en commission, de mon collègue du groupe Les Républicains Guillaume Larrivé : « Bien sûr, nous soutenons les forces de l’ordre et nous sommes conscients des difficultés de leur mission. Mais elles doivent être commandées. La chaîne hiérarchique comprend les gradés, les officiers, les commissaires dans la police, les sous-officiers et des officiers dans la gendarmerie, au bout se trouve le ministre de l’Intérieur. Je plaide pour le commandement, qui implique de savoir sanctionner, de dégager des lignes directrices de doctrine, de reconnaître parfois des errements et de les corriger. Le ministre de l’Intérieur ne doit pas être derrière les forces de l’ordre. Il est là pour être devant et les diriger. Au vu des événements des dix-huit derniers mois, le ministère de l’Intérieur devrait engager une réflexion sur d’éventuelles évolutions de doctrine et d’organisation. Je souhaite une chaîne hiérarchique qui assume de sanctionner lorsqu’il y a des errements, qui assure un bon enseignement et qui vérifie que la force est employée de manière légale. Il faut un rendez-vous d’actualisation de la doctrine au sein de la police nationale en 2020, en liaison avec la gendarmerie. »

5.   Conclusion : une police écologique

Je connais mal la police.

Je connais mieux l’agriculture.

Ces deux professions vivent, me semble-t-il, des moments qui se ressemblent. Toutes deux doutent de leur place, de leur fonction. Elles se sentent en conflit avec la société, avec la presse, avec les citoyens, accusée de polluer pour l’une, de violenter pour l’autre. Et ce sentiment produit un ressentiment, chez les deux, « rejeté je rejette », avec un repli : l’ « agribashing » dénoncé, ou le « copwatching ».

Il nous faut, pour les deux, faire le pari inverse : d’une agriculture, d’une police, pleinement intégrées à la société. D’une agriculture, d’une police, qui préparent l’avenir, et qui préparent un avenir écologique. C’est une évidence pour l’agriculture. Il paraît plus étrange, en revanche, d’associer ces deux mots : « police » et « écologie ».

Que serait donc une « police écologique » ?

Une police qui, justement, surveillerait les agriculteurs, les industriels, leurs rejets, voire nos poubelles ? Non, aucunement. Pas plus qu’une police dont les balles seraient recyclables, dont les gaz lacrymogènes seraient garantis neutres pour la couche d’ozone…

Une police écologique, c’est avant tout une police de la confiance.

Comment s’annonce le futur ?

Les conditions d’existence vont se dégrader. L’abondance d’énergie est derrière nous. Les crises, c’est à craindre, vont se succéder, le Coronavirus n’est qu’un avant-goût.

Et pourtant, bizarrement, l’espoir d’un monde meilleur subsiste. Durant la Seconde guerre mondiale, contre toute attente, l’espérance de vie s’est accrue de sept ans ! Le taux de pauvreté a diminué de moitié ! Non pas « malgré le rationnement », mais « grâce au rationnement ». Grâce à la solidarité, née d’un peuple uni contre un ennemi.

Dans un autre registre, Kropotkine, dans ses recherches de biologiste, au fin fond de l’Oural, a montré combien un climat hostile renforce l’entraide entre les espèces, la coopération au sein de l’espèce.

Deux chemins s’ouvrent alors à nous : la guerre de tous contre tous. La lutte pour la survie. La concurrence à tout va. La méfiance généralisée. Ou à l’inverse, la confiance, l’entraide, la solidarité. La police a sa place, pas seule, certes, avec l’éducation, avec les médias, avec la politique, mais la police a une place centrale, dans ces temps de crise, pour que notre destin commun bascule d’un côté ou de l’autre.

Voilà l’enjeu, aujourd’hui. Voilà l’enjeu d’une police écologique. Voilà l’enjeu d’une police qui aide à la confiance, la confiance à son égard, mais aussi la confiance entre voisins, entre concitoyens, pour qu’elle ne se délite pas.

Et pour démarrer par un bout, je suggèrerais cela : des « États généraux pour une police de la confiance », les plus ouverts possibles. Qui rassemblent toutes les parties, car la police est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls policiers : les syndicats, la hiérarchie, les ONG, les familles de victimes. Et les politiques bien sûr.

Car en dernier ressort, ce sont eux, toujours, qui décident de la police. Et qui dessinent l’avenir.

 

 

 

 


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   Commentaire de l’article unique
de la proposition de loi

Article unique
(art. L.141 [nouveau] du code de la sécurité intérieure)
Interdiction du recours au pliage et au plaquage ventral

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi interdit à toute personne exerçant des missions ou des activités de sécurité de recourir aux techniques d’immobilisation ayant pour effet d’entraver les voies respiratoires ou pouvant mener à l’asphyxie, telles que le pliage ou le plaquage ventral.

  Position de la Commission

Cet article a été rejeté par la Commission.

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1.   Le plaquage et le pliage ventral : l’impact de ces deux techniques d’immobilisation

● La gradation dans l’emploi de la force

L’intervention professionnelle peut se définir comme un ensemble de techniques et tactiques, individuelles ou collectives, destiné à contraindre ou maîtriser un ou plusieurs adversaires avec le strict niveau de force nécessaire. Elle a pour but de faire intervenir les forces de sécurité dans le respect de leur intégrité physique et de celle de l’adversaire, dans les limites du cadre légal.

Le modèle de l’intervention graduée a été élaboré afin de définir le niveau de force adéquat en toutes circonstances. Il comporte quatre phases, qui peuvent d’ailleurs se succéder :

– la coercition sans contact physique ;

– l’emploi de la force avec contact physique par moyen corporel ;

– l’usage des armes de force intermédiaire ;

– l’usage des armes à feu.

Au moment d’une interpellation les forces de sécurité ont donc plusieurs choix, le dialogue, le contact et l’usage de leurs armes – létales ou de force intermédiaire – dont l’emploi est réservé aux situations les plus extrêmes.

L’état du droit : un cadre réglementaire strict sur le recours à la force

Le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale pour l'exécution de leurs missions de sécurité intérieure – codifié dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure – fixe le cadre général dans lequel s’exerce l’action des policiers et des gendarmes. Sa lecture inspire plutôt la confiance dès lors qu’on peut y lire que « le policier ou le gendarme est au service de la population » et que « sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie ».

Surtout, le code prévoit un encadrement rigoureux des conditions dans lesquelles le fonctionnaire de la police nationale ou le militaire de la gendarmerie nationale peut recourir à la coercition.

Ainsi, aux termes de l’article R. 434–10 du code de la sécurité intérieure, « [l]e policier ou le gendarme fait, dans l'exercice de ses fonctions, preuve de discernement. Il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu'il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse légale à lui apporter. »

L’article R. 434–18 du même code prévoit que le policier ou le gendarme emploie la force « dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c'est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. »

L’article 113–4 de l’arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d’emploi de la police nationale s’inscrit dans cette même ligne puisqu’il indique que le policier doit faire preuve de sang-froid et de discernement dans chacune de ses interventions et qu’il doit veiller à la proportionnalité des moyens humains et matériels employés pour atteindre l’objectif de son action, notamment lorsque celle–ci nécessite l’emploi de la force.

Le code de déontologie contient également des dispositions protégeant les personnes interpellées. Ainsi, l’article R. 434–17 dispose que : « [t]oute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers ou des gendarmes et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant. Le policier ou le gendarme ayant la garde d'une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver la vie, la santé et la dignité de cette personne. »

On peut toutefois observer que le Défenseur des droits recommande d’aller plus loin et d’introduire, dans ce code de déontologie, une disposition similaire à celle de l’article 44 du code européen d’éthique de la police, précisant que « les personnels de police doivent agir avec intégrité et respect envers la population, en tenant tout spécialement compte de la situation des individus faisant partie de groupes particulièrement vulnérables » ([3]). Votre rapporteur fait sienne cette proposition, qu’il ne lui appartenait pas de reprendre dans une proposition de loi, eu égard à son caractère réglementaire, mais qui est nécessaire au vu des cas qui sont décrits dans le présent rapport.

 Les techniques d’intervention enseignées en formation initiale

Les policiers et les gendarmes disposent, pour exercer leurs missions, de techniques d’intervention qui peuvent leur permettre de maîtriser une personne sans faire usage de leurs armes. Enseignés dans les écoles de police et de gendarmerie, ces gestes sont pratiqués quotidiennement par les forces de l’ordre.

Technique de dégagement, technique d’esquive de parade et de riposte par percussion, technique de défense, d’amener au sol et de défense au sol, technique de défense face à une arme blanche ou contendante, technique de maîtrise de l’individu sont autant de gestes enseignés aux jeunes policiers et gendarmes.

Il est possible de menotter une personne en la laissant debout si elle n’est pas trop virulente, mais les différentes auditions, tant de la DGPN, de la DGGN, que des syndicats de police ont insisté sur l’intérêt, dans des cas difficiles, d’amener la personne à interpeller en position ventrale.

Pourquoi sur le ventre ?

Car le fait de placer une personne dans cette position neutralise toutes les zones susceptibles de dissimuler une arme, qui se trouve généralement à portée de main, comme à la ceinture, et limite sa possibilité de porter des coups. Si la personne est sur le dos, elle peut toujours saisir son arme si elle en possède une ou porter des coups de pied et de poing. Le fait de placer une personne sur le ventre évite « que les policiers ne donnent des coups pour pouvoir maîtriser la personne pour obtenir sa reddition » ([4]). Il faut alors l’accompagner de la position debout à la position allongée, soit en opérant un déséquilibre, d’abord sur le dos pour mettre la menotte, puis en la basculant sur le ventre pour finaliser le menottage, soit en l’amenant sur le ventre pour procéder au menottage dans le dos. Des clés sont également enseignées pour accompagner puis maîtriser la personne au sol.

En revanche, ce passage en position ventrale est limité dans le temps au passage des menottes.

Si l’on peut tout à fait entendre la nécessité d’amener la personne au sol, dans le cadre d’une interpellation difficile, se pose alors la question cruciale de la manière dont elle y est ensuite maintenue et pour combien de temps.

La question du plaquage ventral et de la pression thoracique qu’il entraine est alors au centre des débats. La technique du plaquage ventral ou du décubitus ventral consiste à plaquer et à maintenir une personne ventre au sol, tête tournée sur le côté, avec une compression sur le dos.

La technique du pliage consiste, quant à elle, à maintenir une personne assise, la tête appuyée sur les genoux, afin de la contenir.

a.   Plaquage et pliage ventral : un risque avéré pour la vie de la personne

 Le pliage ventral

Le pliage ventral est susceptible de provoquer une asphyxie posturale et est responsable de plusieurs décès. Cette pratique a été interdite en France dans le cadre de mesures de reconduite à la frontière après le décès de deux personnes à l’occasion de leur éloignement du territoire français. En effet, le 30 décembre 2002, Ricardo Barrientos décédait après avoir été attaché à sa place dans l’avion, la tête maintenue sur ses genoux et les policiers exerçant une pression sur chacune de ses omoplates, durant près de quarante minutes et entièrement recouvert par une couverture ([5]).

Quelques jours plus tard, en janvier 2003, Mariame Getu Hagos décédait dans les mêmes circonstances : le chef d’escorte « s’efforçait de le maintenir en position inclinée, en pesant avec le poids de son corps au niveau des épaules (…). Cela a duré une quinzaine de minutes. Comme il continuait à se débattre, le chef d’escorte était obligé de se mettre debout et de s’appuyer sur son dos pour le faire plier. » À la suite de ces drames, une instruction de la Police nationale relative à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière est venue interdire la pratique du pliage. « Afin de prévenir les risques médicaux dus à l’état d’excitation de l’éloigné et à son maintien dans l’avion, la pratique des gestes non réglementaires, notamment la compression du thorax, le pliage du tronc et le garrottage des membres, est strictement prohibée ». Cependant, seules sont concernées par ce texte les procédures de reconduite à la frontière ([6]).

En tout état de cause, l’ACAT a indiqué à votre rapporteur suivre plusieurs affaires dans lesquelles la technique du pliage est suspectée ou mise en cause : « Dans deux cas de décès au moins, des policiers ont reconnu avoir pratiqué ce geste. Wissam El-Yamni est décédé en janvier 2012 après son interpellation. D’après les informations dont l’ACAT a connaissance, la pratique d’un pliage serait mise en cause dans cette affaire. En 2009, c’est un homme âgé de 69 ans, Ali Ziri, qui décédait à la suite d’une intervention de police. Dans cette affaire, à nouveau, un agent de police reconnaissait avoir fait usage de la technique du pliage dans le véhicule qui conduisait Ali Ziri du lieu de son interpellation jusqu’au commissariat. »

 Le plaquage ventral

Le plaquage ventral est une technique d’immobilisation particulièrement dangereuse. Les cas sont malheureusement édifiants et très documentés, et pour s’en convaincre, il faut s’en remettre à l’avis des plus qualifiés, les médecins. Ainsi, dans l’affaire de M. A.A, décédé le 9 mai 2008 à Grasse, le rapport d’expertise médicale, établi le 25 novembre 2008 par les deux médecins légistes requis par les magistrats instructeurs, est édifiant :

« Le décès de M. A.A. résulte d’un mécanisme d’asphyxie mécanique lente avec privation prolongée en oxygène (…). L’origine de cette asphyxie résulte prioritairement d’une incapacité du sujet à assurer des mouvements respiratoires satisfaisants, dont la cause apparaît au minimum double : d’une part une compression thoracique empêchant des mouvements respiratoires efficaces (sujet allongé à plat ventre au sol et maintenu par une pression sur le tronc), et d’autre part par un mécanisme de compression du cou par le geste de maintien type « clé de bras » en entravant la circulation de l’oxygène et du sang dans le cou.

Compte tenu du tableau présenté d’asphyxie lente, où la dette en oxygène a été d’intensité fluctuante au décours des minutes (c’est-à-dire plus ou moins profonde), la persistance de mouvements par le sujet a pu rester possible un long moment.

Il s’agit donc de l’association de l’hyperpression sur le thorax de la victime maintenue allongée au sol à plat ventre et de la compression des axes aériens et vasculaires du cou lors de la clé de bras, qui ont été à l’origine du lent développement de l’asphyxie dont a été victime M. A.A. Si la part de responsabilité dans la survenue du décès de chacune de ces deux manœuvres ne peut être spécifiée avec exactitude, il nous apparaît toutefois possible, compte tenu des données de la littérature, que la compression thoracique ait joué un rôle prépondérant, même si potentialisé par la manœuvre de compression du cou. » ([7])

De même, le Défenseur des droits a rappelé que le fait de maintenir une pression sur le thorax ou l’abdomen est un geste qui peut mettre en jeu le pronostic vital de la personne qui la subit ([8]).

L’ONG Amnesty international a également travaillé sur ce sujet et montré la dangerosité du plaquage ventral : « Selon des experts, l'asphyxie positionnelle se produit lorsque l'on serre le cou d'un individu, ce qui rend la respiration difficile, ou lorsqu'on le maintien allongé sur le ventre afin de l'immobiliser ou de le transporter : cette position empêche de respirer correctement. Le fait de menotter une personne derrière le dos restreint également sa possibilité de respirer. Toute pression exercée dans le dos de la personne qui se trouve dans cette position (comme celle que peut exercer un agent de la force publique, notamment lorsqu'il essaie d'empêcher quelqu'un de bouger) accroît encore la difficulté à respirer. Lorsque l'on manque d'oxygène, la « réaction naturelle » consiste à se débattre encore plus. Face à cette agitation, un agent de la force publique aura tendance à exercer une pression ou une compression supplémentaire afin de maîtriser la personne, compromettant davantage encore ses possibilités de respirer » ([9]).

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a quant à lui indiqué que : « Dans les situations où une résistance est rencontrée, le personnel d'escorte aura habituellement recours à une immobilisation totale de l'étranger au sol, face contre terre, afin de lui passer les menottes aux poignets. Le maintien de l'étranger dans une telle position, qui plus est avec du personnel d'escorte apposant son poids sur diverses parties du corps (pression sur la cage thoracique, genoux dans les reins, blocage de la nuque) après qu'il se soit débattu, présente un risque d'asphyxie posturale ([10]). »

Les rapports d’Amnesty International font référence à plusieurs affaires de décès de personnes immobilisées en position ventrale, en Autriche, en Suisse, au Royaume-Uni, au Danemark et aux États-Unis. En Belgique, le ministre de l’intérieur a décidé d’interdire les techniques d’immobilisation pouvant provoquer une asphyxie posturale. Cette décision a fait suite à des recommandations émises par le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants lors d’une visite ayant eu lieu en Belgique entre le 25 novembre et le 7 décembre 2001. ([11])

Selon Amnesty international, en raison de la dangerosité de cette technique, les forces de l'ordre de certains États américains, dont la police de New-York et de Los Angeles, l'ont interdite.

2.   Le maintien en position ventrale : le flou de la doctrine de la police nationale

La réponse apportée par la police nationale à la question « autorisez-vous le plaquage et le pliage ventral ? » est loin d’être claire.

Lors de l’audition des représentants de la DGPN a bien été évoquée une pression sur la cage thoracique de la personne maitrisée : policier qui s’allonge sur elle, par pression du bassin du policier contre le bassin de la personne interpellée, pression sur les deux omoplates.

Certaines personnes auditionnées par votre rapporteur ont pourtant indiqué que cette technique de plaquage ventral ne doit pas impliquer un appui sur les poumons – mais au contraire sur l’épaule – et que la pression ne doit pas être maintenue au-delà de ce qui est strictement nécessaire ([12]).

Le chef de l’inspection générale de la police nationale a diffusé, le 8 octobre 2008, une note précise relative à l’usage de la force, indiquant notamment que : « Lorsque l’immobilisation de la personne est nécessaire, la compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. Ainsi, comme le soulignent régulièrement les services médicaux, l’immobilisation en position ventrale doit être la plus limitée possible, surtout si elle est accompagnée du menottage dans le dos de la personne allongée. Il en est de même, a fortiori, pendant le transport des personnes interpellées. Le cas échéant, toutes dispositions doivent être prises afin qu’un examen médical puisse être rapidement pratiqué. Préalablement à toute intervention estimée périlleuse, mettant notamment en cause une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui, l’information d’un médecin régulateur (centre 15) doit être systématique. C’est à lui qu’il reviendra de décider de la pertinence de l’envoi d’une équipe médicale sur place. » ([13])

Une compression du thorax et de l’abdomen est donc bien admise, même si elle fait l’objet d’un encadrement. Cette note a été remplacée par une instruction du directeur général de la police nationale du 4 novembre 2015 relative aux principes d’emploi de la force ou de la contrainte pour la maîtrise d’une personne en état de forte agitation en vue de son interpellation ou de son transport ([14]).

Cette note dispose que « lorsque l’immobilisation de la personne est nécessaire pour parvenir à sa maîtrise, la compression, tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen, doit être la plus courte possible. Cette exigence est particulièrement prégnante lorsque la personne est maintenue allongée en position ventrale, lors de son menottage dans le dos.

De même, durant le transport de la personne interpellée, lorsque sa maîtrise est à la fois complexe et dangereuse en raison d’un état de grande agitation, la compression momentanée de la partie supérieure de son torse (dite « technique du pliage ») est susceptible de préserver, en position assise, sa sécurité ainsi que celle des policiers interpellateurs. Toutefois, le recours à ce procédé ne peut être justifié que par l’urgence opérationnelle. Il doit demeurer strictement exceptionnel, être limité à quelques secondes et n’être répété que si la personne continue de résister. »

La police admet donc les deux techniques du plaquage et du pliage ventral, sous certaines conditions.

Les syndicats l’ont rappelé à votre rapporteur, « on fait comme on peut » lors d’une intervention compliquée, dans une situation de confusion et face à une personne qui se débat ([15]).

Un autre motif est invoqué par les autorités de la DGPN pour maintenir le plaquage ventral et le pliage ventral : ces méthodes sont « simples et rapides » à enseigner, économes donc en temps de formation. Elles seraient même, pour cette raison, reprises par les services de police municipale, par la RATP et par la sûreté ferroviaire…

3.   « En pratique, on fait comme on peut »

a.   Un usage de la force qui excède parfois ce qui est nécessaire

La plupart des techniques d’intervention enseignées ne posent pas de problème particulier. Mais il existe une condition : elles doivent être strictement nécessaires et proportionnées à la situation, sans quoi leur pratique devient illégale, s’apparente à une violence policière et devient dangereuse pour la personne appréhendée.

 Une pression forte sur le thorax

La lecture des cas tragiques dont a été saisi le Défenseur des droits monte bien qu’une pression forte sur le thorax a bien été mise en cause à plusieurs reprises.

Ainsi, s’agissant de M. M. B, trois policiers étaient assis et debout sur lui. Le Défenseur des droits montre qu’en effet que : « M. M.B. aurait essayé de se mettre à genoux, aussi le gardien de la paix M. G.M. a décidé de se mettre debout sur ses fesses. Il a été imité par la gardienne de la paix stagiaire Mlle S.D., qui s’est mise debout sur les mollets de M. M.B. Le sous-brigadier M. X.L. serait resté positionné à cheval au niveau de ses épaules. »

Dans le cas de Mohamed Saoud, deux policiers l’ont maintenu aux poignets et aux chevilles, et un autre a placé ses bras tendus sur les épaules de Mohamed Saoud et son genou sur les reins. La CEDH a ainsi indiqué que : « Les premiers policiers, blessés, furent remplacés par leurs collègues qui, ne parvenant pas à menotter Mohamed Saoud dans le dos, le menottèrent les bras en avant, le maintenant plaqué au sol sur le ventre par la pression de leur poids. Un premier policier le maintint aux poignets, le deuxième aux chevilles et le troisième plaça ses bras tendus sur les épaules du jeune homme ainsi que son genou sur les reins. Mohamed Saoud avait également les chevilles entravées.

Dans le cas de M. L. D., quatre fonctionnaires de police l’ont maintenu au sol, comme le souligne la Commission nationale de déontologie de la sécurité : « M.L.D. était transporté dans le car de police secours, où il y était placé toujours à plat ventre, dans la position face contre terre, menotté dans le dos et sanglé au niveau des jambes. Il était ainsi maintenu au sol, sur le plancher du car, par quatre des fonctionnaires intervenants : le premier, placé côté avant droit, le pressait sur son épaule droite ; le deuxième, placé côté avant gauche, lui maintenait le buste avec ses bras, un genou sur l’omoplate ; le troisième le tenait par le bassin et le postérieur ; le quatrième le maintenait au niveau des jambes, en tentant de les lui plier vers le fessier, pour éviter qu’il ne se débatte. »

 Une pression prolongée sur le thorax

De même, alors que la pression sur le thorax est supposée être la plus momentanée, cela est loin d’être toujours le cas.

Ainsi, la CEDH a constaté que : « le décès de Mohamed Saoud est intervenu du fait de son immobilisation au sol par les policiers durant plus de trente minutes, alors qu'il était menotté aux chevilles et aux poignets. Le fait qu'il se soit débattu pendant ces longues minutes était certainement dû à une tentative pour se dégager de cette emprise insupportable, qui accroissait ses difficultés respiratoires. »

S’agissant de M. M. B., le plaquage ventral a été estimé à environ quatre minutes par le Défenseur des droits.

Dans le cas de M. A. A., la commission nationale de déontologie de la sécurité a estimé qu’il avait fait l’objet d’un plaquage ventral pendant sept à minutes, alors même qu’il faisait également l’objet d’une clé d’étranglement : « M. W.L. a déclaré estimer à environ un quart d’heure le temps qui s’est écoulé pour l’ensemble de l’opération, et à sept à huit minutes le temps qui a séparé le moment où M.A.A. a été entravé aux membres supérieurs et inférieurs jusqu’à l’arrivée de l’équipage de police secours. La Commission considère que si les techniques de maîtrise et d’immobilisation peuvent apparaître, dans un premier temps, adaptées à la situation à laquelle les fonctionnaires se sont trouvés confrontés, ces techniques d’immobilisation ne s’imposaient plus après que M.A.A. a été menotté aux mains et aux pieds. M. A.A.ne pouvait alors plus s’échapper, ni être dangereux pour lui-même, pour les policiers ou pour les tiers. Dès lors, le fait de maintenir une clef d’étranglement de la part du gardien de la paix W.L., et de rester à califourchon sur le dos de M. A.A. pour le brigadier-chef J-M.M. constitue un usage de la force devenu sans justification. »

b.   L’escalade dans l’emploi de la force

Les auditions ont montré qu’une escalade dans l’emploi de la force était parfois atteinte sans que cela ne se soit toujours nécessaire. Ceci est confirmé dans au moins deux affaires ayant conduit à la mort des personnes interpellées qu’a eues à connaitre le Défenseur des droits.

Dans un premier cas, des policiers, appelés pour résoudre un conflit entre un client et un pharmacien, ont trouvé sur place deux personnes relativement calmes. Comme le veut la procédure habituelle, ils ont entrepris de faire sortir physiquement le client, bien que celui-ci indiquait vouloir simplement s’expliquer avec le pharmacien. C’est à ce moment que la situation a dégénéré : « M. M.B. a radicalement changé de comportement. Il est devenu hystérique, s’est mis à hurler et s’est débattu en faisant de grands gestes avec les bras ». Le rapport du Défenseur des droits montre que « si cette technique d’intervention est pertinente en cas de conflit physique entre deux personnes, les policiers se doivent de l’adapter aux circonstances de leur intervention. Dans la présente affaire, les fonctionnaires de police ont tout de suite noté que M. M.B. était calme et l’ont entendu dire à plusieurs reprises qu’il voulait s’expliquer avec le pharmacien. Le pharmacien étant également calme, il n’y avait pas de péril imminent pour les personnes ou les biens dans la pharmacie et donc aucune urgence n’imposait de faire sortir M. M.B. au plus vite. » ([16]) M. M.B., interpellé, a été poussé dans le fourgon de police, à plat ventre, les hanches et les jambes contre le sol et le torse légèrement sur le côté. Il aurait essayé de se mettre à genoux : un gardien de la paix se serait positionné debout sur ses fesses, imité par un autre gardien de la paix placé sur les mollets, un troisième se positionnant à cheval au niveau de ses épaules.

Dans un second cas, les policiers ont été appelés par un barman car un homme avait un comportement étrange et tenait des propos incohérents. Les séquences vidéo permettent de constater que l’équipage primo–intervenant a commencé à maîtriser cet homme environ une minute et quarante–cinq secondes après son arrivée dans le bar. Interrogé sur ce point par les agents du Défenseur des droits, le policier a indiqué qu’au regard des propos incohérents de l’homme, il ne lui avait pas paru utile de dialoguer davantage avec lui, d’autant qu’il était dangereux et menaçant. Or, comme le souligne le Défenseur des droits, c’est précisément au regard du fait que cet homme tenait des propos incohérents que le dialogue aurait dû être davantage employé, un contact verbal permettant d’instaurer un climat de confiance et de désamorcer un comportement agressif, tout en évitant de recourir à la force. Précisément, cet homme n’a visiblement pas compris ce qui était en train de se passer et qu’il était confronté à des policiers. Il a dès lors résisté à l’interpellation. Le Défenseur des droits estime ainsi que « l’action des équipages de police qui se sont ensuite succédés dans le bar s’est inscrite dans la continuité d’un usage de la force qui n’était initialement pas nécessaire. Il en a découlé des actions critiquables dans l’usage de la force qui a suivi. » ([17])

Comment ne pas évoquer, à ce stade, l’affaire Cédric Chouviat ? En la matière, les auditions de votre rapporteur n’ont permis de rassembler que peu d’éléments, les personnes auditionnées se retranchant, ce qui n’est pas illégitime, derrière l’instruction judiciaire en cours. Mais les circonstances sont là. Comment une banale verbalisation pour usage de téléphone au volant peut-elle déboucher sur la mort d’un homme ?

L’instruction judiciaire est certes en cours, mais la presse s’est fait l’écho de beaucoup d’éléments troublants, que votre rapporteur ne pouvait pas ne pas évoquer ici. Le vendredi 3 janvier 2020, Cédric Chouviat, livreur de profession, circule à scooter à proximité de la tour Eiffel quand il est contrôlé peu avant 10 heures par une patrouille de quatre policiers. Il semble d'abord faire l'objet d'une banale verbalisation pour utilisation d'un téléphone en roulant. Selon des vidéos filmées par des automobilistes, il se rapproche des policiers, casque sur la tête, téléphone à la main. Il fait alors l'objet d'une interpellation pour outrage. Les gardiens de la paix lui menottent le bras gauche mais ne parviennent pas à lui entraver le bras droit.

Selon le rapport d'intervention, Cédric Chouviat recule et trébuche. « Nous entraînant dans sa chute, il tombe sur un gardien de la paix, lui occasionnant de vives douleurs aux deux genoux », est-il écrit dans ce rapport. « Le gardien de la paix l'a fait pivoter l'amenant à plat ventre, les gardiens de la paix lui passent difficilement les menottes, placent l'individu sur le côté, en lui demandant de s'asseoir. C'est là que l'on constate qu'il a le visage tout bleu, et qu'on lui retire le casque. » Cédric Chouviat vient de subir une asphyxie pulmonaire, à l'origine d'un arrêt cardiaque. Secouru par les pompiers et transporté aux urgences, il est ensuite placé sous respiration artificielle. Son décès sera constaté le dimanche à 3 h 30 du matin ([18]).

Les résultats de l’autopsie, communiqués par le parquet de Paris, font état d’une « manifestation asphyxique » avec une « fracture du larynx » ([19]) .

Pour Me Arié Alimi, avocat de la famille Chouviat, la fracture du larynx est « probablement due à une strangulation » : « C’est une mort atroce et extrêmement violente. » William Bourdon, autre avocat de la famille, estime pour sa part que ce décès est le fruit d’une « culture de l’impunité et du déni qui encourage et déresponsabilise les policiers » : « Il n’y a aucun doute sur le fait que les modalités d’interpellation – la clé, le plaquage ventral, l’étouffement – étaient inappropriées et hors de proportion. »

c.   Des failles institutionnelles

La commission nationale de déontologie de la sécurité s’est interrogée, dans au moins deux cas d’espèce, sur le fait que les fonctionnaires de police auraient dû, outre l’appel aux renforts, faire appel aux pompiers, « s’agissant dès ce moment-là d’une intervention au caractère médical marqué. En effet, l’attitude de M. L.D. pouvait raisonnablement laisser penser que les fonctionnaires avaient affaire à un individu relevant d’une procédure d’envoi à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (ce qu’a d’ailleurs indiqué le capitaine de police J-B. C. lors de son audition) (…). La Commission recommande qu’afin d’éviter un emploi de la force pouvant entrainer [le décès], les services de police intervenants figent la situation dans un premier temps – qui devrait être aussi bref que possible – avant de faire appel à des secours médicalisés susceptibles de leur apporter leur concours » ([20]). Dans un autre cas, la commission signale de même qu’« il est établi que MM. W.L. et J.M., qui ont transporté M. A.A. jusqu’au véhicule de police, n’ont pas porté assistance à une personne qui se trouvait manifestement dans un état très préoccupant, alors même que les pompiers étaient sur place » ([21]).

Le Défenseur des droits rapporte même un cas dans lequel des policiers ont refusé la demande du responsable des pompiers arrivés sur place après une intervention violente de démenotter une personne souffrant de troubles mentaux, pourtant consciente et calme, par crainte qu’elle ne soit en train de simuler. 17 minutes plus tard, les pompiers ont constaté que cette personne était en arrêt cardio-vasculaire. « Les policiers l’ont démenotté[e] et les pompiers l’ont porté[e] dans la pharmacie. Ils ont pratiqué des massages cardiaques et ont utilisé le défibrillateur semi-automatique, sans succès. Le médecin du SMUR, arrivé sur les lieux (…), n’a pas pu [la] réanimer. » ([22]) Comme le note le Défenseur des droits, « si les policiers craignaient que [la personne] ne simule et ainsi d’avoir à le maîtriser de nouveau, l’arrivée rapide d’autres policiers ainsi que la présence des pompiers auraient dû les inciter à faire prévaloir la santé de M. M. B. ». ([23])

Comment concevoir que, dans cette situation, le pompier ou le soignant ne soit pas la personne en situation d’autorité ?

 

La criminalisation de la victime

Les collectifs de familles de victimes ont indiqué que la criminalisation de la victime était presque systématiquement invoquée pour dédouaner les forces de l’ordre à l’origine de la technique d’immobilisation ayant conduit à la mort.

L’idée serait de « salir » la victime dans une course de communication pour prendre à partie l’opinion publique et légitimer l’action des personnels incriminés en invoquant n’importe quel élément allant dans le sens de cette démonstration en particulier le casier judiciaire de la victime – « Adama Traoré n'est pas une victime innocente mais un délinquant multirécidiviste » ([24]), Amadou Koumé « trentenaire, qui a deux enfants d'une précédente union et a fait un séjour en prison en 2009 » ([25]) et l’état d’agitation de la personneà propos de Wissam El Yamni, « il y a eu une interpellation avec une force certaine en raison du comportement désordonné de l'intéressé. Les forces de l'ordre ont expliqué que le jeune homme lançait des projectiles sur les véhicules des policiers dans la nuit de 31 décembre, et était « très excité » ([26]) .

Il est incontestable que, dans certains cas, la personne interpellée pouvait être agitée, en état d’ébriété ou sous l’emprise de stupéfiants. Ce sont des arguments qui ont été présentés à votre rapporteur lors de ses auditions. Mais la présence de drogues est parfois réfutée lors de contre–expertises demandées par les familles de victimes. D’ailleurs, dans l’hypothèse où la consommation de stupéfiants serait avérée, en aucune manière cela ne doit conduire à légitimer l’usage de ces techniques d’immobilisation dans des conditions mettant en péril la vie de la personne interpellée ! Au contraire, comme l’indique le rapport de la commission nationale de déontologie de la sécurité. Cette commission a ainsi demandé, s’agissant de la question très spécifique des personnes ayant consommé de la cocaïne, que des « instructions précises et urgentes, ainsi que des formations adéquates, soient données à l’égard de ce type de contention, qui ne saurait être employé que très exceptionnellement, avec un effet limité dans le temps, afin de réduire au minimum les risques pour la santé de la personne interpellée. » ([27])

La commission nationale de déontologie de la sécurité pointe également la nécessité d’une bonne coordination entre les agents interpellateurs et les agents – s’il y a deux équipes – qui prennent en charge la personne interpellée. ([28])

Mais votre rapporteur voudrait pointer une plus grande faille encore : l’absence de suspension systématique pendant le temps de l’enquête interne des policiers et des gendarmes impliqués dans une intervention ayant conduit à la mort de l’individu interpellé. A minima, comment expliquer que ces fonctionnaires de la police et ces militaires de la gendarmerie ne soient pas placés provisoirement dans des services qui n’impliquent pas une présence sur la voie publique ? Comment concevoir que ces personnes puissent exercer, dans des conditions sereines, leurs missions sur la voie publique ?

4.   La jurisprudence européenne a déjà condamné la France pour l’utilisation de ces techniques

La France a fait l’objet de condamnations pour la manière dont ces techniques sont utilisées sur notre territoire.

Ainsi, par un arrêt du 9 octobre 2007, la Cour européenne des droits de l’Homme a conclu à la violation par la France de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme en raison du manquement des autorités à l’obligation de protéger la vie de Mohamed Saoud, jeune schizophrène.

La Cour a en effet constaté qu'en l'espèce, le maintien au sol de Mohamed Saoud a été identifié par les experts médicaux comme étant la cause directe de son décès par asphyxie lente ([29]). Elle a rappelé que, face à des personnes détenues, placées en garde à vue ou venant de faire l'objet d'une arrestation et se trouvant donc dans un rapport de dépendance par rapport aux autorités de l'État, ces dernières ont une obligation de protection de la santé. Celle-ci implique de dispenser avec diligence des soins médicaux lorsque l'état de santé de la personne le nécessite afin de prévenir une issue fatale ([30]). La Cour a constaté que Mohamed Saoud a été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d'entraîner la mort par asphyxie dite « posturale » ou « positionnelle ». Or, cette forme d'immobilisation d'une personne a été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie, l'agitation dont fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l'effet de la pression exercée sur son corps ([31]). Enfin, la Cour a déploré qu'aucune directive précise n'ait été prise par les autorités françaises à l'égard de ce type de technique d'immobilisation et que, malgré la présence sur place de professionnels formés au secours, aucun soin n'ait été prodigué à Mohamed Saoud avant son arrêt cardiaque.

5.   Une absence criante de formation en France

Les syndicats de police nous ont fait part des lacunes en matière de formation continue : elle se résume à « rien » pour Alexandre Langlois du syndicat VIGI Ministère de l’intérieur. C’est « zéro » pour l’UNSA. « Ce qui manque le plus », pour la CFDT. Et la DGPN n’a pas nié : « On ne peut pas dire le contraire. » Ajoutant que « la formation régulière aux gestes d’interpellation requerrait des moyens, un dojo, un formateur. »

Dans ces conditions, Mme Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer pour Amnesty international, estime que, dans certains cas, le recours nécessaire, légal et proportionné à ces techniques pourrait être envisagé, par exemple s’il évitait l’usage d’une arme à feu et durait le temps strictement nécessaire. Mais avec des policiers « qui ne savent pas les utiliser », faute d’une formation sérieuse à ces gestes, une interdiction lui paraît urgente.

Là encore, les faits démontrent cruellement la nécessité de faire évoluer la réglementation.

Intervenus à la suite d’une altercation entre un jeune homme et son banquier, les policiers ont affirmé avoir dû immobiliser de force le premier en effectuant une clé d’étranglement et en le plaquant au sol, avant de le menotter aux mains et aux pieds. Bien qu’ils aient réussi à le maîtriser, ils n’ont pas relâché leur emprise : tandis qu’un policier maintenait une clé d’étranglement, un autre était assis à califourchon sur son dos et un autre encore exerçait une pression sur ses jambes. Le jeune homme a ensuite été placé dans un fourgon de police. « Au moment où le brigadier-chef B.J. montait à l’arrière droit, le policier municipal J.F. a indiqué avoir aperçu les pieds de l’individu à travers la vitre arrière : « Comme les pieds étaient donc en hauteur, je me suis dit qu’il y avait un souci et j’ai ouvert la portière arrière droite. J’ai vu qu’il avait la tête en bas sans que je puisse vous préciser la position exacte. Il me semble que le visage est vers moi, la tête sur le tapis de sol. Je n’ai pas eu le temps d’en apercevoir davantage car immédiatement le fonctionnaire qui était assis à l’arrière droit m’a dit « Ferme » et ils sont partis immédiatement. (…) Selon moi, l’individu était plus calme, il aurait dû être assis sur la banquette et non allongé au sol. (…) Il y avait suffisamment de policiers municipaux ou autres sur place. Les badauds étaient calmes. À mon sens, M. A.A. pouvait être embarqué en position assise. C’est pour cela que je suis allé ouvrir la portière. Voir les pieds en l’air m’a semblé hors contexte. » (Audition de M. J.F. par l’IGPN le 15 mai 2008). (…) Le véhicule de police s’est rendu au commissariat distant d’environ un kilomètre en usant des avertisseurs sonores et lumineux. Le trajet a duré entre deux à trois minutes. La gardienne de la paix M.A-R. a indiqué : « L'individu bougeait les jambes et je me méfiais d'un coup de pied, mais avec le recul je me dis que c'était peut-être dû soit à des tremblements soit à des secousses résultants de la conduite, puisque j'étais moi-même cramponnée à la poignée haute. À aucun moment il n'a parlé. (…) Au début, vu la conduite rapide, les virages et les sirènes, nous nous cramponnions et nous ne pouvions discuter. Par contre, au niveau de l'usine F., l'individu a commencé à avoir des gaz qui sentaient mauvais, j'étais aux premières loges car ses fesses étaient pratiquement sous mon nez. Il en a eu plusieurs. J'ai un peu plaisanté en disant que ça allait bien pour lui car il avait des gaz. Je n'ai pas l'habitude de la mort et je ne savais pas que ces gaz pouvaient être un signe de relâchement. » (Audition de Mme M.A-R. par l’IGPN, le 14 mai 2008). » ([32])

La Commission nationale de déontologie de la sécurité considère dans le cas d’espèce que « si les techniques de maîtrise et d’immobilisation peuvent apparaître, dans un premier temps, adaptées à la situation à laquelle les fonctionnaires se sont trouvés confrontés, ces techniques d’immobilisation ne s’imposaient plus après que M. A.A. a été menotté aux mains et aux pieds. M. A.A. ne pouvait alors plus s’échapper, ni être dangereux pour lui-même, pour les policiers ou pour les tiers. (…) Cet abus de l’usage de la force est d’autant plus manifeste que des policiers municipaux étaient présents en nombre suffisant pour aider les deux fonctionnaires de la BAC à établir le cas échéant un périmètre de défense et/ou de sécurité. (…) De leur côté, les quatre gardiens de la paix de l’équipage police secours, en acceptant de prendre en charge M. A.A. sans se préoccuper de son état et en le laissant dans leur véhicule, la tête en bas et les pieds en l’air, ont fait preuve d’inhumanité. (….) La Commission s’indigne que la position atypique de M. A.A. et son absence de réponse n’aient pas suscité de réaction de la part des membres de l’équipage. En effet, aucune initiative n’a été prise pour modifier la position de M. A.A. de façon à ce que le transport soit décent, digne et sécurisé » ([33]).

 

Clé d’étranglement et plaquage ventral

Plusieurs familles de victimes ont eu l’occasion d’indiquer à votre rapporteur que le plaquage ventral avait été précédé par une clé d’étranglement.

Cette clé d’étranglement a pour but d’amener la personne à terre. Elle consiste à faire passer une personne de la station debout à une position au sol afin de la maîtriser pour procéder à son menottage, mais elle est parfois utilisée également pour y maintenir la personne. Elle a par exemple été utilisée dans le cas de M. X, décédé à la suite de son interpellation dans la nuit du 5 au 6 mars 2015 ([34]) :

« Le gardien de la paix G. a alors pratiqué sur [M. X.] un étranglement arrière, le conduisant au sol. À la suite de ce geste, M. X. s’est retrouvé en position assise demi-allongée (le buste relevé et les jambes allongées sur le sol), alors que le gardien de la paix G., qui continuait de maintenir son étranglement arrière, s’est retrouvé au sol (à genoux) avec lui. M. X. se débattait. (…) L’intéressé, qui était menotté par devant, s’est alors retrouvé avec ses avant-bras sous son buste, à l’aide desquels il tentait de se relever. D’après les déclarations du gardien de la paix G., M. X. tentait par ailleurs de rentrer sa tête dans ses épaules. Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait donc de nouveau pratiqué un étranglement arrière sur M. X., et qu’il lui avait relevé la tête, tout en restant positionné à genoux au sol, sur le côté gauche de l’intéressé. (…) Une fois le menottage dans le dos finalisé, le gardien de la paix G. a relâché l’étranglement qu’il pratiquait sur M. X., et s’est relevé. Il a précisé avoir alors entendu M. X. pousser un soupir. »

M. X. a ensuite été maintenu allongé sur le ventre, menotté pendant quatre minutes.

Un autre cas révèle l’inadaptation entre la formation des policiers et la réalité d’une intervention. Le Défenseur des droits a montré que les policiers ont cherché à obtenir une immobilisation « quasi-absolue » de la personne interpellée, qui était menottée, entravée, maintenue par les épaules, visage plaqué au sol. Or, « il ne peut être attendu d’une personne même menottée et entravée une immobilisation absolue et tout mouvement qu’elle effectue ne présente pas un danger réel pour les policiers ou elle–même, surtout lorsqu’ils sont quatre autour d’elle. » ([35])

Comme le souligne l’association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), « [u]n geste, même enseigné, qui serait utilisé dans une situation ne le nécessitant pas ou qui s’avérerait disproportionné, constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant. En tant que tel, il est formellement proscrit par le droit international et le droit français. » ([36]) Or, comme le pointe cette association, la question – cruciale – de l’évaluation de la nécessité et de la proportionnalité de tels gestes relève, sur le terrain, de la seule appréciation des agents les pratiquant. Dans plusieurs situations portées à sa connaissance, l’ACAT a pu constater qu’à partir du moment où des méthodes de contraintes étaient enseignées en formation, les agents des forces de l’ordre ont eu tendance à les considérer automatiquement comme légitimes.

● Un manque de formation pointé par la CEDH

Dans son arrêt de chambre rendu le 16 novembre 2017, dans l’affaire Boukrourou et autres c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu une décision de condamnation particulièrement éclairante. Cette fois, ce n’est pas tant cette technique en soi qui est condamnée mais bien la manière dont le recours à la force a été pratiqué : « La Cour note que l’instruction diligentée en interne a permis d’établir que les lésions sur le corps de M.B., constatées par les experts médicaux, ont bien été causées par les fonctionnaires de police lors de son interpellation. Devant le refus de M.B de sortir de la pharmacie, les policiers sont directement passés à un mode coercitif en tentant de le faire sortir par la force alors qu’il ne s’agissait pas d’une intervention nécessaire. Ensuite, deux coups de poings lui ont été portés au plexus : la violence de ce geste, attestée par le rapport d’autopsie, n’a en réalité eu pour effet que d’amplifier l’agitation et la résistance de M.B., renforçant son sentiment d’exaspération et d’incompréhension dans le déroulement des faits. Ce traitement, infligé à une personne vulnérable qui ne comprenait manifestement pas l’action des policiers, n’était ni justifié, ni strictement nécessaire. Enfin, à l’intérieur du fourgon, M.B. a été maintenu sur le ventre, menotté à point fixe et avec trois policiers debout et pesant de tout leur poids sur les différentes parties de son corps. M.B., bien que placé dans une situation de vulnérabilité tant en raison de sa maladie psychiatrique que sa qualité de personne privée de liberté, a été littéralement foulé aux pieds par la police à l’intérieur du fourgon.

La Cour relève cependant que rien ne laisse supposer que les violences infligées à M.B auraient été inspirées par une quelconque intention des policiers d’humilier l’intéressé ou de lui infliger des souffrances, mais qu’elles pourraient s’expliquer par un manque de préparation et de formation adéquate ou d’équipement. La Cour considère que ces gestes, violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent un seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 de la Convention. Elle dit donc qu’il y a violation. » ([37])

Baisse du budget de la formation de la police nationale
dans le projet de loi de finances pour 2020 : une aberration

Alors que les dépenses de formation dans le projet de loi de finances étaient budgétées à hauteur de 19,01 millions d’euros en autorisation d’engagement dans le projet de loi de finances pour 2019, elles ont enregistré une baisse sensible dans le projet de loi de finances pour 2020, s’établissant à 17,94 millions d’euros.

Le recrutement de davantage de policiers se fait en effet au détriment de leur formation et de leurs conditions de travail. C’est d’ailleurs ce qu’avait dénoncé notre collègue Ugo Bernalicis lors de la discussion budgétaire sur la mission « Sécurités » :

« Si les effectifs augmentent, tant mieux, mais il y a une difficulté que vous aviez d’ailleurs soulignée, monsieur le ministre, lors des auditions conduites par nos collègues Jean-Michel Fauvergue et Christophe Naegelen : les crédits de fonctionnement augmentent moins vite que les recrutements de personnel. Or il faut équiper les personnes qu’on recrute, pour qu’elles aient les moyens de faire leur travail, sinon on crée des frustrations, de la souffrance, ce qui n’est certainement pas l’objectif. Vous déplorez cette situation, mais quelle est la trajectoire prévue d’ici à 2022 ? Comptez-vous réaliser des économies – je ne le crois pas – ou obtenir des arbitrages budgétaires encore plus favorables pour le ministère de l’Intérieur ?

Autre difficulté, la formation initiale continue à être raccourcie à neuf mois afin d’aider à réaliser le plan de recrutement de 2 000 personnes par an – qui n’est, d’ailleurs, pas vraiment respecté. Quand allez-vous ouvrir une nouvelle école, voire plusieurs ? Nous allons avoir besoin d’écoles supplémentaires, ne serait-ce que pour rester à effectifs constants, et la durée de formation initiale ne peut pas rester indéfiniment à neuf mois. Il serait raisonnable de revenir à une durée d’un an, et on pourrait même se fixer l’objectif, ambitieux, de passer à deux ans de formation initiale, comme beaucoup de grandes démocraties et de grandes républiques l’ont fait dans le monde. Le fait de passer à un an, en 1989, constituait une grande avancée, mais 1989 c’était il y a trente ans – j’en sais quelque chose. » ([38])

Non seulement ce budget ne devrait pas baisser, mais il devrait augmenter ! En effet, de l’avis de quasiment toutes les personnes auditionnées, la formation continue est le parent pauvre de la police nationale. Si un effort substantiel a été fourni en matière d’entrainements sur le tir, ce qui est tout à fait louable, il faut absolument faire de même en matière de technique d’intervention.

● Un manque de formation dans la prise en charge du handicap et des pathologies psychiatriques

S’il existe plusieurs textes portant sur l’appréhension des personnes atteintes de troubles psychiatriques ([39]), le Défenseur des droits a indiqué, dans une décision assez récente, n’avoir eu connaissance d’aucun module spécifique consacré à la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux au cours de la formation continue au sein de la police nationale ([40]). C’est aussi le constat qu’a fait votre rapporteur dans le cadre de ses auditions. Il semble que ce sujet ne soit abordé, quand il l’est, qu’au seul moment de la formation initiale.

Le Défenseur des droits a donc recommandé, en 2011, le renforcement de la formation initiale et continue des fonctionnaires de police quant à la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux et que cette formation ait un caractère obligatoire ([41]). Au regard du nombre de dossiers – sept ! – dont il a eu à connaître concernant des décès de personnes en état d’agitation au cours d’une intervention, il a de nouveau recommandé, en 2018, qu’une formation obligatoire concernant la prise en charge des personnes en état d’agitation au sens large (troubles psychologiques ou psychiatriques; prise de drogues, d’alcool etc.) soit intégrée à la formation continue des fonctionnaires de police ([42]).

Les exemples tragiques ne manquent pas, la presse s’en est fait l’écho. Ainsi, un article paru dans le journal Libération le 23 septembre 2014 évoque le cas de Serge Partouche. Le 20 septembre 2011, alors que cette personne souffrant d’autisme se promenait dans le quartier de Marseille où vivaient ses parents, trois agents de police appelés par une voisine qui le trouvait menaçant sont intervenus pour l’interpeller. Serge Partouche ayant tenté de s’opposer à son interpellation, un agent lui fit une clé d’étranglement pendant que les deux autres lui firent plier les genoux. Ils l’ont couché à terre sur le ventre pour le menotter, puis, pendant que deux policiers immobilisaient ses chevilles et ses hanches, un troisième se mis à genoux sur son dos, compressant ses poumons. Lorsque le père de Serge Partouche arriva en courant cinq à dix minutes après le début de l’intervention, il était trop tard. Serge Partouche est mort le lendemain ([43]).

6.   Le dispositif proposé

L’article unique de la proposition de la loi insère un nouvel article au sein du chapitre Ier du titre IV du livre Ier du code de la sécurité intérieure consacré à la déontologie de la sécurité intérieure qui interdit à toute personne exerçant des missions ou activités de sécurité de recourir aux techniques d’immobilisation qui auraient pour effet d’entraver les voies respiratoires ou pouvant mener à l’asphyxie, telles que le pliage ou le plaquage ventral.

Cette interdiction pure et simple est le seul moyen de mettre enfin un terme effectif et définitif à ces pratiques.

Elle doit permettre aux forces de sécurité intérieure, et singulièrement à leur autorité politique, le ministre de l’Intérieur, d’agir enfin de manière efficace en la matière en renforçant la formation initiale et continue aux techniques d’immobilisation dans des conditions difficiles.

En effet, les pratiques d’intervention sont à l’évidence très hétérogènes dans la police nationale. Il semble exister un vrai flou dans l’enseignement quant aux pressions sur la cage thoracique, qui ne sont pas enseignées partout semble–t–il. Cela se conjugue avec une formation initiale raccourcie depuis quelques années et une formation continue très lacunaire du fait des nombreuses annulations pour cause de nécessité de service. Cela ne contribue donc pas à uniformiser les pratiques au sein de la police.

Des techniques potentiellement létales, de surcroît aussi mal enseignées, entrainent forcément des conséquences dramatiques. Plutôt que de continuer à prendre le risque de morts supplémentaires, la proposition de loi propose d’interdire cette pratique intrinsèquement dangereuse.

Par quelles techniques remplacer le plaquage ventral et la pression sur l’abdomen ? Sans aller chercher en Belgique, en Suisse ou dans l’État de New York, qui ont interdit cette pratique, nous avons des solutions en France. Le colonel Laurent De La Follye de Joux, chef du bureau de la formation de la gendarmerie nationale, nous a déclaré que « ni le décubitus ventral ni le pliage ventral ne sont enseignés ni appliqués dans la gendarmerie », où « l’objectif est d’utiliser les techniques les moins traumatisantes pour l’interpellé et pour le gendarme. » Le mémento d’intervention professionnelle de la gendarmerie illustre, par exemple en page 124, l’immobilisation au sol avec un contrôle par l’épaule réactif, avec la mention en rouge : « Cette technique d’immobilisation se réalise sans exercer de pression thoracique. » Si c’est dans le cadre d’une intervention de la gendarmerie qu’est mort Adama Traoré, c’est le seul cas impliquant des gendarmes parmi tous ceux que nous avons évoqués. La gendarmerie a une doctrine claire, et la pratique des gendarmes l’est donc bien davantage que celle de la police. La réponse apportée par les représentants de la gendarmerie nationale à la question posée par votre rapporteur : « Que changerait pour vous l’adoption de la proposition de loi ? » a été limpide : « Rien, absolument rien ».

Nous proposons en fait une unification de la doctrine d’intervention des forces de l’ordre française en matière d’immobilisation ventrale, d’en finir avec le flou des instructions. Finalement, il s’agit de répondre au vœu du ministre de l’Intérieur qui, à la suite du décès de M. Cédric Chouviat, a déclaré qu’il « envisagerait la suspension d’une technique dont il serait établi qu’elle pouvait entraîner la mort d’un homme. »

C’est établi.


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   Compte–rendu des débats

Lors de sa première réunion du mercredi 4 mars 2020, la Commission examine la proposition de loi visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales : le décubitus ventral et le pliage ventral (n° 2606) (M. François Ruffin, rapporteur).

Mme la présidenteYaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous allons examiner les deux propositions de loi renvoyées à la commission des Lois et inscrites par le groupe La France insoumise à l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 26 mars. La première, « visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales », nous est présentée par M. François Ruffin.

M. François Ruffin, rapporteur. Longtemps, je n’ai pas critiqué la police. À l’évidence, c’est un métier dangereux, et il est plus facile de le dénoncer derrière son clavier d’ordinateur, dans un bureau chauffé, que d’aller se heurter à la part d’ombre de la société. La critique doit se faire avec humilité. Mon chemin ne croise pas non plus souvent celui de la police ; mon quotidien n’a rien à voir avec celui d’un gamin de couleur des quartiers. J’ai également fait le choix politique de ne pas critiquer la police, considérant que, tel un paratonnerre, elle voyait se détourner sur elle la colère dirigée contre le pouvoir même.

Les choses ont évolué, pour moi comme pour beaucoup de Français, au fil d’une année de mouvement des gilets jaunes, au cours de laquelle on a recensé 25 éborgnés, 5 mains arrachées, 321 crânes ouverts, et constaté des tirs dirigés contre de simples manifestants, voire des passants. Les choses ont évolué avec le décès de Steve Caniço lors de la fête de la musique à Nantes, et celui de Cédric Chouviat, mort à la suite d’un plaquage ventral avec fracture du larynx et arrêt cardiaque consécutif à une privation d’oxygène. Selon un sondage de l’IFOP paru à la fin du mois de janvier dans l’Express, la confiance des Français en la police est au plus bas.

Je propose d’interdire le plaquage et le pliage ventral afin de rétablir cette confiance entre la police et les Français.

Christophe Rouget, du syndicat CFDT Police, nous a expliqué le choix qui s’offre à un policier lors d’une interpellation difficile : soit il sort son arme à feu, soit il utilise des armes de type Taser, soit il va au contact. Au contact, l’idéal est de placer la personne sur un support vertical, mais le policier court le risque de prendre des coups de pied. Si la personne interpellée est placée à l’horizontale, sur le dos, c’est dangereux pour sa tête ; la position sur le ventre est la moins dangereuse, et elle permet de menotter dans le dos. C’est l’option privilégiée.

Il ne s’agit pas, pour nous, de contester l’immobilisation ventrale ; ce que nous visons, c’est le blocage des voies respiratoires qui l’accompagne, par la pression sur l’abdomen et la cage thoracique, voire la clé d’étranglement qui produit un étouffement au niveau de la gorge. Ces techniques ont entraîné seize décès au cours des dernières années, les plus connus étant ceux d’Adama Traoré, de Serge Partouche, de Lamine Dieng, de Wissam El-Yamni, et dernièrement de Cédric Chouviat.

Nous avons reçu un adjoint à la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale. Dans un premier temps, il a déclaré que la formation ne prescrivait pas la pression sur la cage thoracique, que la position sur le ventre n’était maintenue que le temps nécessaire au passage des menottes, que la pression sur les cervicales était interdite depuis 2008 et ne s’exerçait que sur les omoplates, laissant l’abdomen sans pression pour permettre une respiration ventrale sans contrainte. Dans un deuxième temps, il a expliqué que le policier peut s’allonger intégralement sur la personne : la pression est répartie, elle ne s’exerce pas sur un point particulier, et permet la respiration. Reste qu’il y a bien une pression sur la cage thoracique et l’abdomen.

Dans une note diffusée le 8 octobre 2008, le chef de l’inspection générale de la police nationale a indiqué : « la compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. » La doctrine n’est donc plus la même puisqu’elle autorise la pression « momentanée et relâchée » sur le thorax ou l’abdomen. Elle est rappelée dans une instruction du directeur général de la police nationale du 4 novembre 2015 : « la compression, tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen, doit être la plus courte possible. » Il existe par conséquent une tolérance, non seulement à l’égard de l’immobilisation ventrale, mais aussi d’une pression sur les voies respiratoires, admise pourvu qu’elle soit la plus courte possible.

En matière de plaquage ventral, la doctrine de la police nationale est donc des plus floues, ce qui se traduit dans les faits par des pratiques totalement hétérogènes. Parfois, la compression exercée sur le thorax et l’abdomen n’est pas aussi « relâchée » que le préconise la note de 2008. Le Défenseur des droits rapporte ainsi que Mohamed Boukrourou s’était retrouvé avec trois policiers se tenant assis et debout sur lui, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que Mohamed Saoud avait été menotté les bras en avant, que ses chevilles étaient entravées et qu’un policier avait placé ses bras sur ses épaules et son genou sur ses reins, la pression exercée interdisant sa respiration. Quant à Lamine Dieng, il a été menotté dans le dos et sanglé au niveau des jambes, puis maintenu au sol sur le plancher du car par quatre policiers.

La compression n’est pas non plus « la plus courte possible ». La CEDH, dans son arrêt Saoud contre France, a constaté « que Mohamed Saoud a été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie dite "posturale" ou "positionnelle" ». Or la Cour observe que cette forme d’immobilisation a été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie, l’agitation dont fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l’effet de la pression exercée sur son corps. Mohamed Boukrourou est, quant à lui, resté en position de plaquage ventral avec le poids de trois gardiens de la paix sur son dos de 16 h 58 à 17 h 02 ; il a donc été dans l’impossibilité de respirer pendant quatre minutes. Abdelhakim Ajimi a, lui, subi sept à huit minutes de plaquage ventral avec clé d’étranglement, entravé aux membres supérieurs et inférieurs, avant l’arrivée de l’équipage de Police secours. Enfin, Amadou Koumé a été laissé dans cette position, allongé sur le flanc et menotté pendant quatre minutes, jusqu’à ce qu’il soit transporté dans le car de police.

J’établis un lien entre la doctrine floue et flottante de la police et son application très hétérodoxe.

Des condamnations ont été prononcées à la suite de ces plaquages ventraux. Le 9 octobre 2007, la CEDH a condamné la France en raison du manquement des autorités à l’obligation de protéger la vie de Mohamed Saoud. La Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu une décision rappelant que maintenir une clé d’étranglement de la part du gardien de la paix et de rester à califourchon sur le dos de Abdelhakim Ajimi constitue un usage de la force devenu sans justification. Dans une décision du 25 novembre 2011, le Défenseur des droits « a considéré que les policiers avaient fait un recours inadapté et disproportionné à la force à l’encontre de M. M.B, qui avait été victime d’un traitement inhumain et dégradant ». Dans un arrêt du 16 novembre 2007, la CEDH « considère que ces gestes, violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent un seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 de la Convention. Elle dit donc qu’il y a violation. » Enfin, une autre décision du Défenseur des droits regrette que, pendant les quatre minutes ayant suivi le menottage dans le dos, et alors qu’il se trouvait toujours en position ventrale, aucun des fonctionnaires de police présents sur les lieux n’ait pris l’initiative de relever Amadou Koumé afin de lui permettre de mieux respirer.

Les décès résultent d’un enchaînement funeste : la personne interpellée ne parvenant pas à respirer, elle tente de se relever, ce qui est interprété comme une rébellion qui entraîne une compression plus forte encore du policier. Ainsi, dans un rapport de 2001, Amnesty International indiquait que la position allongée sur le ventre « empêche de respirer correctement. Le fait de menotter une personne derrière le dos restreint également sa possibilité de respirer. Toute pression exercée dans le dos de la personne qui se trouve dans cette position […] accroît encore la difficulté à respirer. Lorsque l’on manque d’oxygène, la "réaction naturelle" consiste à se débattre encore plus. Face à cette agitation, un agent de la force publique aura tendance à exercer une pression ou une compression supplémentaire afin de maîtriser la personne, compromettant davantage encore ses possibilités de respirer ».

Les experts internationaux d’Amnesty international pensent que ces techniques ne doivent plus être utilisées en France, parce que manifestement la police française ne sait pas les utiliser, ce que souligne également la CEDH dans son arrêt du 16 novembre 2017 Boukrourou contre France, considérant que les souffrances infligées à la victime « pourraient s’expliquer […] par un manque de préparation, d’expérience, de formation adéquate ».

Les situations tragiques révèlent ce manque de formation sérieuse. Parfois, les policiers ne savent pas interpréter les signes de la mort avançant. Ainsi, une gardienne de la paix a déclaré, lors de son audition par l’inspection générale de la police nationale (IGPN), qu’elle n’avait pas perçu ce que révélaient l’agitation des jambes et les gaz que lâchait la victime : « Je n’ai pas l’habitude de la mort et je ne savais pas que ces gaz pouvaient être un signe de relâchement. » Il est aussi arrivé que les policiers refusent d’écouter un responsable des pompiers arrivé sur place après une intervention violente, qui demandait de laisser la personne respirer.

Les syndicats de police nous ont fait part des lacunes en matière de formation continue : elle se résume à « rien » pour Alexandre Langlois du syndicat VIGI Ministère de l’intérieur ; « c’est zéro » pour l’UNSA ; c’est « ce qui manque le plus », pour la CFDT. Un responsable de la direction générale de la police nationale a reconnu que de gros efforts devaient être faits, mais que la formation régulière aux gestes d’interpellation requérait des moyens, un dojo, un formateur.

Avoir face à soi des professionnels formés est pourtant fondamental pour avoir confiance. De même que nous n’imaginons pas nous faire opérer par un chirurgien qui n’a pas répété un geste de manière régulière, nous attendons de policiers armés, qui représentent l’État et détiennent un pouvoir, qu’ils soient exercés aux moyens de coercition et aux techniques d’immobilisation. Or ils ne le sont pas.

En l’absence de formation sérieuse, nous considérons, avec Amnesty international, que les policiers ne sont pas en état de pratiquer cette technique d’immobilisation, qui peut être mortelle, qui l’a déjà été seize fois.

Par quelles techniques remplacer le plaquage ventral et la pression sur l’abdomen ? Sans aller chercher en Belgique, en Suisse ou dans l’État de New York, qui ont interdit cette pratique, nous avons des solutions en France. Le colonel Laurent De La Follye de Joux, chef du bureau de la formation de la gendarmerie nationale, nous a déclaré que ni le décubitus ventral ni le pliage ventral n’étaient enseignés ni appliqués dans la gendarmerie, où l’objectif est d’utiliser les techniques les moins traumatisantes pour l’interpellé et pour le gendarme. Le mémento d’intervention professionnelle de la gendarmerie illustre, par exemple en page 124, l’immobilisation au sol avec un contrôle par l’épaule réactif, avec la mention en rouge : « Cette technique d’immobilisation se réalise sans exercer de pression thoracique. » Adama Traoré est, certes, mort dans le cadre d’une intervention de la gendarmerie, mais c’est le seul cas impliquant des gendarmes parmi tous ceux que nous avons évoqués. La gendarmerie a une doctrine claire, et la pratique des gendarmes l’est donc également. L’adoption de notre proposition de loi ne changerait rien pour la gendarmerie.

Nous proposons une unification de la doctrine d’intervention des forces de l’ordre française en matière d’immobilisation ventrale, d’en finir avec le flou des instructions. Finalement, il s’agit de répondre au vœu du ministre de l’Intérieur qui, à la suite du décès de M. Cédric Chouviat, a déclaré qu’il envisagerait la suspension d’une technique dont il serait établi qu’elle pouvait entraîner la mort d’un homme.

Il faut suspendre le décubitus ventral et le pliage ventral, techniques dont les instances européennes ont démontré qu’elles pouvaient entraîner la mort, et dont la gendarmerie se passe depuis 2002.

M. Jean-Michel Fauvergue. Rien n’efface la peine que cause la perte d’un être cher, que la victime soit du côté des forces de l’ordre ou en face. La douleur est immense pour la famille, les amis, les camarades et les collègues des policiers ou des gendarmes. Quand un tel drame se produit lors d’une intervention de police ou de gendarmerie, c’est un échec pour les forces de l’ordre, qui doivent exercer leur mission avec discernement et proportionnalité.

Seize cas ont été recensés au cours des dernières décennies. C’est toujours trop, mais ce chiffre doit être rapporté aux 4 millions d’interpellations effectuées par les forces de l’ordre. Toutes les interpellations ne se passent pas mal, certaines ne nécessitent même pas l’entrave des mis en cause. D’autres sont plus difficiles. En 2019, 15 000 faits de rébellion et 36 000 faits de violences contre les forces de l’ordre ont été constatés, 20 000 policiers et gendarmes ont été blessés en mission entre 2018 et 2019, et on compte 25 décès en service.

Ce ne sont pas les techniques qui sont en cause, mais la manière dont elles sont appliquées, leur durée ou leur conjugaison avec des problèmes de santé des mis en cause qui ne pouvaient être connus des forces de l’ordre au moment de l’interpellation.

Pour la police, une instruction générale du 4 novembre 2015 précise les conduites à tenir pour la maîtrise d’une personne en état de forte agitation en vue de son interpellation et de son transport. Elle prend en compte les risques d’asphyxie posturale, qui imposent de limiter le temps de compression, tout particulièrement sur le thorax et l’abdomen. Elle consacre les préconisations antérieures de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale et de la police nationale, ainsi que les principes de nécessité et de proportionnalité liés à l’emploi de la force pour s’assurer d’un individu difficilement maîtrisable.

En gendarmerie, officiellement, on n’utiliserait pas les techniques incriminées. C’est tout simplement parce qu’elles ne sont pas nommées de la même façon, mais la technique de mise au sol sur le ventre aux fins de menottage enseignée chez les gendarmes existe bel et bien. Dans le mémento que vous avez cité, les pages 140, 149 et 150 montrent qu’elle implique une pression du genou sur la partie haute du thorax.

Il faut comprendre que, face à une personne en état de démence, sous l’empire de stupéfiants ou d’une puissance musculaire supérieure à la moyenne, il peut exister un fossé entre la théorie enseignée en école et la réalité du terrain. Sans nier que l’on ne peut se dispenser d’une meilleure formation continue, je considère que la limitation des techniques d’intervention que vous préconisez irait à l’encontre de votre objectif. En interdisant l’amenée au sol par des techniques de compression, vous favoriseriez l’utilisation de coups frappés à mains nues ou par matraques, qui produiraient beaucoup plus de traumatismes sérieux et de risques létaux, ainsi que l’utilisation d’armes dites de force intermédiaire, telles que le fameux lanceur de balles de défense (LDB) ou le pistolet à impulsion électrique – qui peut avoir pour effet de faire écrouler la personne visée lourdement au sol ou sur un objet contondant –, sans parler de l’usage de l’arme à feu, dont je vous laisse le soin d’apprécier les conséquences.

Cette limitation des moyens intermédiaires signifie aussi le désarmement des policiers et des gendarmes, seuls autorisés à l’usage légitime de la force pour appliquer la loi et protéger nos concitoyens. La conséquence immédiate de l’adoption de votre proposition de loi serait de favoriser ceux qui recourent à la violence illégale, les criminels, les délinquants, les casseurs, qui ne pourraient plus être contenus par des ripostes adaptées de nos policiers et de nos gendarmes.

Il me semble paradoxal que ce texte qui prétend s’opposer aux violences soit présenté par un groupe politique dont le leader et quelques autres membres ont récemment été condamnés en première instance pour ces mêmes motifs. Le groupe La République en marche votera contre.

M. Raphaël Schellenberger. Les deux techniques d’immobilisation dont nous discutons sont parfois utilisées en dernier recours, dans des situations bien spécifiques, par nos forces de l’ordre. L’encadrement de ces pratiques est rigoureux et a été précisé par l’instruction générale de la direction générale de la police nationale du 4 novembre 2015. Les principes de nécessité et de proportionnalité pour l’emploi des moyens de contention y sont consacrés. Les règles d’emploi, notamment durant le transport de la personne en état de forte agitation, sont précises. Si le transport est effectué par véhicule léger, il peut être recouru au pliage ventral – une compression momentanée de la partie supérieure du torse effectuée sur une personne en position assise. Cette technique ne peut être justifiée que par l’urgence opérationnelle, doit demeurer strictement exceptionnelle et se limiter à quelques secondes. À bord d’un véhicule de type fourgon, le transport doit être obligatoirement effectué en position couchée sur le dos. Les policiers intervenants sont tenus de faire examiner par un médecin, le plus rapidement possible, la personne interpellée lorsqu’il a été fait usage de la force pour contenir son état d’extrême agitation.

Le recours à ces techniques d’immobilisation est donc strictement encadré et ne saurait intervenir que pour maîtriser une personne en état de forte agitation, refusant son interpellation ou son transport par les forces de l’ordre. Le cadre étant strict, tout dérapage hors de ses limites doit être sanctionné.

Le respect de ces règles par tous doit nous éviter de jeter l’opprobre sur une profession, sur ces femmes et ces hommes qui s’engagent à nous protéger dans des conditions de plus en plus difficiles, faisant face à une montée des violences à leur égard. L’an passé, 36 000 faits de violences contre les forces de l’ordre ont été commis, en augmentation de 4 % par rapport à 2018 ; 6 760 policiers ont été blessés, 10 sont morts. En 2019, on a recensé 28 849 cas d’outrage et rébellion contre les forces de l’ordre, en augmentation de 122 % par rapport à 2018.

Face à la multiplication de ces actes, il y a urgence à agir pour soutenir nos policiers et gendarmes. Le Gouvernement doit accorder plus de moyens et de considération à ceux qui protègent quotidiennement les Français. Notre politique pénale doit évoluer pour que les forces de l’ordre cessent de retrouver dans les rues les délinquants qu’elles ont arrêtés la veille au même endroit. Davantage de places de prison doivent être construites pour que notre politique pénale ne soit plus dictée par nos capacités carcérales, mais permette le plein respect des lois de la République et l’affirmation de l’autorité de l’État. Voilà l’immense défi pour faire reculer la violence.

Avec ce texte, La France insoumise cherche simplement à questionner le fondement même de la République : l’exercice légal de la violence légitime. En remettant ce principe en cause, vous cherchez à remettre en cause l’État de droit. L’interdiction des techniques d’immobilisation, qui sont déjà largement encadrées, se heurte au principe de réalité. Si elle venait à être appliquée, elle exposerait encore davantage nos forces de sécurité aux violences inadmissibles qu’elles subissent. Le mémento de la gendarmerie permet exactement les mêmes pratiques que les directives de la police, comme l’a signalé notre collègue Fauvergue.

Chercheriez-vous, monsieur le rapporteur, à ouvrir une forme de guerre des polices ? Cela ne nous étonnerait pas de la part d’un élu de La France insoumise qui a tout intérêt à semer la zizanie au sein de l’État. Le groupe Les Républicains est opposé à l’adoption de cette proposition de loi inadaptée aux défis d’ordre public et de sécurité qui nous font face, et qui est principalement destinée à remettre en cause les fondements de l’État de droit.

Mme Isabelle Florennes. Les dix-sept personnes décédées suite à une intervention policière sont, bien sûr, dix-sept décès de trop. Cette proposition de loi soulève une importante question : comment permettre aux forces de l’ordre d’exercer au mieux l’ensemble de leurs missions, tout en garantissant aux citoyens le respect le plus strict de leurs droits fondamentaux ? Cette problématique est ancienne, et nous disposons actuellement d’un cadre juridique et technique clair.

Les techniques d’immobilisation visées ici, pliage ventral et décubitus ventral, interviennent en dernier ressort. Avant d’y recourir, les forces de l’ordre en utilisent d’autres, physiques ou non, leur permettant d’intervenir sans exposer ni les personnes ni eux-mêmes. Il existe donc une gradation des réponses, et la négociation ou la dissuasion permettent de désamorcer les situations. La majorité des interpellations se déroulent sans employer la force, mais celle-ci est parfois nécessaire face à un ou plusieurs individus violents ou ayant une attitude imprévisible, présentant des troubles d’ordre psychologique, éventuellement liés à la consommation d’alcool, de stupéfiants ou de médicaments.

Il est intéressant de rappeler en contrepoint le nombre de policiers ou gendarmes blessés en mission, qui a augmenté de 15 % entre 2017 et 2018. En 2019, plus de 36 000 faits de violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique ont été enregistrés.

Le recours aux techniques d’immobilisation est strictement encadré par un corpus de textes qui ne laisse pas de place à l’interprétation, dans le code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationales. L’instruction du directeur général de la police nationale du 4 novembre 2015, formalisant une note de l’IGPN de 2008, complète ce cadre et apporte plusieurs précisions quant au recours à ces techniques : la compression doit être la plus courte possible ; les conditions de transport sont détaillées et les forces de l’ordre sont obligées de prévenir immédiatement le SAMU ou les pompiers en cas de recours à la coercition. J’observe que l’utilisation de ces techniques d’immobilisation permet d’en éviter d’autres, nettement plus dangereuses, notamment le pistolet à impulsions électriques.

Restent les dix-sept décès, survenus sur une période de vingt-deux ans. Malheureusement, ceux-ci résultent de la mauvaise exécution de ces techniques d’immobilisation normalement efficaces et peu traumatiques. Ce ne sont donc pas les techniques en elles-mêmes qui doivent être remises en cause, mais plutôt la formation, en particulier continue, qui doit être renforcée. Je rejoins le rapporteur sur ce point, cette problématique soulevée par la direction générale de la police nationale elle-même est récurrente et doit faire l’objet d’une réflexion plus poussée.

M. Ruffin souligne pertinemment dans son rapport que les techniques d’intervention devraient faire l’objet du même effort substantiel qui été fourni en matière d’entraînement au tir. Le groupe MODEM partage cet avis et souhaite qu’il soit procédé à un suivi rigoureux de l’évolution du budget alloué à la formation continue. Cette piste de réflexion nous paraît bien plus porteuse que l’interdiction, qui ne résout pas le problème, complique le travail de nos forces de l’ordre et ne garantit en rien les droits des personnes interpellées. Cela ne dispense pas de s’interroger sur les fautes commises par les forces de l’ordre : lorsqu’elles sont confirmées par les enquêtes, elles sont inadmissibles et nous les condamnons fermement.

Le groupe MODEM est opposé à cette proposition de loi.

Mme George Pau-Langevin. Soulignons d’emblée la difficulté du travail des policiers et les nombreuses interpellations qu’ils effectuent dans des conditions parfois très difficiles, en nous abstenant de donner des leçons sur ce qu’il convient de faire lorsqu’une personne est très agitée, droguée ou en état de démence. Mais dans une république, l’usage de la force par les forces de l’ordre doit être indiscutable.

La technique du plaquage ventral a entraîné des morts. C’est dans ma circonscription que Lamine Dieng a été tué en 2007 – précisons que les policiers avaient été appelés alors qu’une femme était frappée par un individu sous l’emprise de stupéfiants. Nous avons tous été marqués par ces événements, les choses doivent changer.

En 2015, les Français manifestaient leur soutien aux forces de l’ordre après les attentats qui avaient endeuillé notre pays ; le divorce est désormais prononcé après la multiplication fort regrettable d’incidents. Pourtant, des mesures importantes ont été prises : le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie est entré en vigueur en 2014, avec, par exemple, le port obligatoire du matricule ; le port de caméras mobilescest en cours d’expérimentation.

La technique du plaquage ventral a été interdite dans certains pays, mais encore faut-il savoir par quoi la remplacer – je ne suis pas persuadée qu’il soit préférable d’y substituer des tirs de LBD. Pour éviter ces drames, il faut améliorer la formation des forces de l’ordre. Le groupe Socialistes et apparentés, attentif à ce texte important, déterminera sa position d’ici au 26 mars.

M. Christophe Naegelen. Une interpellation qui débouche sur la mort d’une personne est un événement dramatique, nous en sommes tous d’accord. Mais il est important de ne pas tirer des généralités sur l’attitude des forces de sécurité intérieure à partir des cas mentionnés dans l’exposé des motifs.

L’amenée au sol, telle qu’elle est enseignée, doit respecter une stricte proportionnalité et une absolue nécessité. La personne doit être prévenue qu’elle va être amenée au sol, car, dans la mesure du possible, elle aura été menottée debout. Dans certaines situations où l’individu est alcoolisé, drogué ou simplement violent, on ne peut utiliser d’autres techniques que celles visées par ce texte. La raison des interpellations entre aussi en ligne de compte, comme le fait que les personnes sont parfois en train de se suicider ou que leurs forces sont décuplées par les circonstances : récemment, au commissariat de Remiremont, il a fallu la force de trois policiers de 90 kg pour maîtriser une personne de 60 kg.

Dans l’arrêt Saoud, la CEDH pose les conditions de l’utilisation de cette technique – un maintien pendant le temps strictement nécessaire à l’interpellation –, mais ne la condamne pas en soi. C’est son emploi qui, au cas par cas, est visé.

Les auditions de la commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité ont montré le manque de moyens humains, matériels et de formation. Si vous déposiez demain une proposition de loi ou des amendements pour augmenter les moyens des forces de sécurité, c’est bien volontiers que je les soutiendrais.

Ce n’est pas du tout ce que vous faites avec ce texte. Vous avez expliqué que votre intention n’était pas d’attaquer les policiers, mais vous vous êtes appuyé sur un sondage montrant que les Français avaient moins confiance en la police. Il est dommage de légiférer selon les sondages et bien plus intéressant de rechercher des solutions pragmatiques pour améliorer et faciliter le travail de nos policiers au quotidien !

Enfin, quels moyens peut-on substituer à ces techniques ? Le taser, les LBD, les armes létales ? Il faut savoir raison garder. Je comprends fort bien votre objectif, mais je ne pense pas que l’interdiction pure et simple de ces techniques soit la solution. Nous devons nous efforcer d’augmenter le temps de formation et recruter des formateurs. Le groupe UDI, Agir et Indépendants ne pourra soutenir cette proposition de loi en l’état.

M. Jean-Félix Acquaviva. Ce texte soulève un problème sérieux, qu’il ne faut pas nier ni minimiser. L’actualité récente a montré que certaines techniques d’immobilisation employées par les forces de l’ordre peuvent entraîner la mort de personnes. On ne peut s’en satisfaire dans une démocratie.

La France est souvent pointée du doigt. La CEDH, dans l’arrêt Saoud de 2007, a déploré le fait « qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation ». Elle a condamné la France à plusieurs reprises pour des décès survenus lors d’interpellations policières : le 16 novembre 2017, elle a considéré que les « gestes violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent un seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 de la Convention » ; le 21 juin 2018, elle a jugé qu’une victime avait été traitée avec négligence par les autorités, en violation de l’article 2 de la Convention. D’autres procédures sont en cours, notamment celle concernant l’affaire Lamine Dieng, décédé le 10 juin 2007 dans un fourgon de police.

Certains pays, comme la Suisse ou la Belgique, ont interdit les techniques d’immobilisation létale. S’il est justifié de réfléchir à cette interdiction, il convient de garder à l’esprit que l’utilisation de ces techniques peut être pertinente, notamment lorsque la personne présente un risque de blessure ou de mort, à l’encontre d’autrui ou d’elle-même, comme dans le cas de l’affaire Mohamed Saoud. Dans son arrêt, la CEDH n’a pas demandé le retrait de ces techniques d’immobilisation mais a souligné que c’est le maintien au sol durant trente-cinq minutes qui a été identifié par les experts médicaux comme la cause directe de son décès par asphyxie lente.

C’est surtout l’absence de directives qui pose problème : elles pourraient indiquer le comportement à tenir une fois la technique utilisée et obliger à la vigilance concernant l’état de santé de la personne maintenue au sol.

Avant d’interdire ces techniques de contrainte, il faut envisager un renforcement de la formation obligatoire des forces de l’ordre à ces dispositifs d’interpellation et la communication, au sein du ministère de l’Intérieur, de directives claires et précises. Compte tenu de leur dangerosité, l’utilisation de ces techniques ne doit pas être la règle, mais l’exception ; elle doit être strictement cantonnée aux individus dangereux.

Enfin, il serait opportun de mener une enquête indépendante et impartiale sur le nombre de décès liés à l’utilisation de ces techniques létales d’immobilisation. Comme a pu le souligner Amnesty International, il n’existe aucune statistique fiable sur ce sujet. Le groupe Libertés et territoires salue le fait que le débat ait été ouvert à l’initiative du groupe La France insoumise, mais il s’abstient, à ce stade, sur ce texte.

Mme Danièle Obono. Au-delà de son contenu précis et restreint, cette proposition de loi nous invite à débattre du rôle de la police et de son acceptation. C’est un questionnement que les collectifs de citoyens, de soutien aux victimes, aussi bien que les représentants de la police que nous avons auditionnés, considèrent comme fondamental. Doit-on considérer que la police est là pour discipliner les citoyens, leur apprendre le respect, leur montrer les limites de ce qu’ils peuvent exprimer ou de ce à quoi ils peuvent aspirer ? En entendant les déclarations des responsables politiques, du ministre de l’Intérieur ou du préfet de police de Paris, on pourrait croire que le métier de policier est essentiellement lié à la répression.

La police française, rappelons-le, est parmi les plus lourdement armées en Europe : l’usage des Flash-ball et des LBD, plus particulièrement dans les quartiers populaires, est là pour le rappeler. De surcroît, elle est la police européenne qui use le plus de ces techniques létales que sont le plaquage ventral, le pliage ventral et la clé d’étranglement.

Amnesty International a indiqué que ces techniques ne devraient pas être utilisées en France, puisque les consignes et les formations se sont révélées insuffisantes et inadéquates pour minimiser les risques induits par leur utilisation.

Tous les syndicats de police que nous avons auditionnés ont souligné un enseignement sommaire, une formation initiale insuffisante pour des techniques dont on sait qu’elles peuvent causer la mort par asphyxie, l’inadéquation de la formation à la réalité du terrain – les policiers étant surpris par les réactions violentes et la résistance des personnes interpellées.

De surcroît, le cadre légal de l’usage de la violence, qui doit être nécessaire et strictement proportionné, n’est pas enseigné. Les forces de l’ordre sont détentrices du monopole de la violence d’État, mais elles ne sont pas formées à n’utiliser cette violence qu’en dernier ressort, à en percevoir l’usage comme un échec. Certains policiers ont expliqué qu’il était impossible de fournir des échelles permettant d’évaluer la proportionnalité et la nécessité de l’usage de la violence.

Si Cédric Chouviat ne s’était pas opposé à son arrestation, il serait toujours en vie ; si Adama Traoré n’avait pas voulu échapper à un contrôle d’identité, il ne serait pas mort asphyxié. Si Lamine Dieng n’avait pas contesté son arrestation, il n’aurait pas eu à supporter le poids de quatre policiers sur lui. Et qu’aurait dû faire Wissam El-Yamni, mort après neuf jours dans le coma, suite à une interpellation – il a été retrouvé dans le couloir du commissariat inconscient, face contre terre, menotté et le pantalon baissé aux chevilles ?

Ces cas, dont le nombre peut sembler minime par rapport à celui des interpellations, sont précisément ceux qui devraient nous intéresser. En tant que responsables politiques et parlementaires, nous avons le devoir de protéger les droits des citoyens, de garantir que l’État exerce son pouvoir de manière respectueuse des droits humains. Dans les cas cités l’usage de la force a été disproportionné et non nécessaire, les réactions des personnes appréhendées ne justifiaient pas leur mort.

À quoi sert la police ? Nous pensons que la police est un élément de la cohésion sociale, qu’elle peut et doit assurer des missions de sécurité et de sûreté, en s’assurant que les personnes ne sont pas soumises à l’arbitraire et à la violence de l’État.

Les citoyens et les citoyennes doivent pouvoir faire confiance à leur police. Cette confiance se crée si la police devient un instrument de l’égalité. Au travers des formations contre les biais discriminants de genre, raciaux ou validistes, la lutte pour l’égalité devrait être intégrée au travail de la police. Mais ce n’est pas le cas. Toutes les personnes mortes suite à l’utilisation des techniques d’immobilisation étaient des hommes perçus comme noirs ou arabes. Cette dimension n’est pas une simple coïncidence. Elle montre combien il est nécessaire de mettre en œuvre une doctrine de désescalade et une formation liée à ces perceptions discriminantes. La police doit servir les citoyens, ce n’est qu’à cette condition qu’elle est républicaine, ce n’est qu’à cette condition que l’usage de la violence est légitime. Tel est le sens de cette proposition de loi.

M. Ugo Bernalicis. Cette proposition de loi conduit à s’interroger plus largement sur l’usage des techniques, qui doit être de dernier recours, et sur sa fréquence. Des collègues ont évoqué l’augmentation des délits d’outrage et rébellion. Il convient sans doute d’analyser ces chiffres sous un angle différent : le développement d’un business autour de ces infractions, avec dommage et intérêts à la clé, a été dénoncé à plusieurs reprises. Tout n’est pas si blanc que l’on aimerait le croire ; la police est un corps social comme les autres, qui vit en interaction avec le reste de la société.

Les policiers doivent être formés à la gestion du conflit et à la désescalade. Beaucoup de policiers, plus anciens dans le métier, m’ont confié que ces techniques n’étaient utilisées que très rarement et qu’elles n’occasionnaient pas de prise de risque si la personne était formée et habituée à leur pratique. Comme le souligne le manuel de gendarmerie, le plaquage et le pliage ventral ne sont pas les seules techniques d’immobilisation.

Maintenir des instructions floues, comme c’est le cas dans la police nationale, permet de renvoyer la responsabilité d’un décès au policier qui a pratiqué la technique ; cela dédouane la hiérarchie, la doctrine et tous ceux qui en ont décidé. Que l’on puisse affirmer qu’une mort n’est due qu’à la faute individuelle d’un agent qui n’aurait pas respecté une consigne floue est inadmissible. Il faut clarifier les choses !

M. Guillaume Larrivé. Je ne suis pas du tout d’accord avec la réponse, mais la question posée par le groupe de La France insoumise est une bonne question : c’est celle de l’usage de la force et du commandement. Bien sûr, nous soutenons les forces de l’ordre et nous sommes conscients des difficultés de leur mission. Mais elles doivent être commandées.

La chaîne hiérarchique comprend les gradés, les officiers, les commissaires dans la police, les sous-officiers et des officiers dans la gendarmerie ; au bout se trouve le ministre de l’Intérieur. Je plaide pour le commandement, qui implique de savoir sanctionner, de dégager des lignes directrices de doctrine, de reconnaître parfois des errements et de les corriger. Le ministre de l’Intérieur ne doit pas être derrière les forces de l’ordre ; il est là pour être devant et les diriger. C’est en ce sens que Nicolas Sarkozy a donné des instructions en 2008, que d’autres ont été communiquées en 2015. Au vu des événements des dix-huit derniers mois, le ministère de l’Intérieur devrait engager une réflexion sur d’éventuelles évolutions de doctrine et d’organisation.

Par effet de volume des recrutements opérés dans la police ces derniers mois, la formation a connu des failles, je le dis. La chaîne hiérarchique, y compris son sommet, doit s’interroger. Il appartient au directeur général de la police nationale, M. Frédéric Veaux, nommé récemment, d’évaluer d’éventuelles évolutions de doctrine. En tout cas, il ne nous revient pas de les inscrire dans la loi, encore moins lorsque leur formulation comporte un a contrario légistique hallucinant. Je ne veux pas être désagréable, monsieur le rapporteur, mais lorsque vous interdisez à « toute personne exerçant des missions ou activités de sécurité » de recourir aux techniques d’immobilisation, vous autorisez de fait le reste du monde à les pratiquer !

Je souhaite une chaîne hiérarchique qui assume de sanctionner lorsqu’il y a des errements, qui assure un bon enseignement et qui vérifie que la force est employée de manière légale. Il faut un rendez-vous d’actualisation de la doctrine au sein de la police nationale en 2020, en liaison avec la gendarmerie.

M. Alain Tourret. « Faites-moi une bonne police, je vous ferai un bon État », aurait dit Fouché, duc d’Otrante, un des plus grands policiers que la France ait connus. La police a à sa disposition des moyens exceptionnels : la force légale. En contrepartie, elle doit l’exercer par des moyens légaux. C’est en cela que la question soulevée par cette proposition de loi est intéressante. La police doit respecter le cadre de l’État de droit. À chaque fois qu’elle s’en est écartée, c’est le chaos qui a régné, en 1958 comme en 1968.

Je ne vois pas comment une loi peut interdire des techniques. J’estime que cela doit passer par un décret, peut-être même par une circulaire. Cette proposition de loi n’est donc pas recevable.

M. Guillaume Vuilletet. Je rejoins les propos d’Alain Tourret, même si la référence à Fouché est historiquement discutable... Ce débat éclairant montre qu’un tel texte est vain, qu’il a une valeur symbolique en ce qu’il cherche à ouvrir dans le débat public une question néanmoins parfaitement légitime. Les échanges ont montré que le problème relevait davantage de la formation. Il nous faudra veiller, lors de l’examen du projet de loi de finances, à prévoir davantage de garanties en la matière.

Il est faux de dire que tant de pays ont interdit ces pratiques... Ce n’est pas le cas de la Belgique, par exemple, qui les nomme et les décrit différemment. Non, la France n’est pas le seul pays à utiliser ces techniques, que le comportement des personnes interpellées peut justifier. Pour autant, chaque vie gâchée, chaque vie perdue est insupportable et il faut aller plus loin dans la formation et l’encadrement.

Je ne pense pas qu’il soit possible d’interdire cette pratique, parce qu’il n’y a pas de plan B et parce que ce n’est pas le rôle de la loi. Mais si je comprends les propos du rapporteur, ceux de Danièle Obono me choquent profondément. Notre collègue dénonce un État qui exercerait volontairement une violence illégitime sur un public ciblé. On ne peut pas laisser dire cela dans cette assemblée. Il convient de rappeler que les forces de l’ordre agissent dans un cadre, celui de la légalité républicaine !

M. Paul Molac. Je ne partage pas l’avis d’Alain Tourret : lorsqu’il y a mort d’homme et que la violence légale, celle exercée par la police, est en cause, il est légitime que le législateur s’empare de la question, quand bien même celle-ci relève du champ réglementaire.

Toutefois, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et je crains qu’en interdisant ce type de pratiques, on ne développe l’usage des tasers, bien plus dangereux, comme l’a rappelé Jean-Michel Fauvergue. Il convient d’améliorer la formation.

M. François Ruffin, rapporteur. Il n’y a pas de circulaire, il n’y a pas de règlement. Donc, on s’y met ! Cela fait dix-huit mois que, face à la détérioration des rapports entre la police et la population, on attend une réaction du ministère de l’Intérieur ; comme rien ne vient, nous sommes bien obligés de faire des propositions !

Ce texte ne vise pas à interdire l’amenée au sol, il reste possible de placer une personne sur le ventre. Mais, ainsi qu’il est indiqué dans le manuel d’intervention de la gendarmerie, nous voulons que ces techniques soient réalisées sans qu’une pression sur le thorax ou sur l’abdomen, de nature à entraver les voies respiratoires, soit exercée. Tel est le périmètre, au fond très réduit, de cette proposition de loi.

Je suis assez en accord avec ce qu’a dit Guillaume Larrivé. L’hétérogénéité des pratiques dans la police pose problème. Elle est due à un flou originel de la doctrine, qui n’est pas clarifié. Cela tient aussi à des raisons sociologiques, en premier lieu à l’éclatement du corps policier. Contrairement à la gendarmerie, le corps policier est décomposé en petites unités ; la chaîne de commandement se délite. Par ailleurs, le manque de temps, une denrée rare, entrave le commandement. Les « contremaîtres » de la police, les brigadiers, n’ont plus le temps de faire la liaison entre les commandants et le terrain. À cela s’ajoute une détérioration du temps social : les temps de repas collectif, cantine ou sandwich, ou de sport en commun disparaissent. Il n’y a plus de réflexion collective sur ce que l’on vient de faire, il n’y a plus de retour du commandement, plus de comparaison à la doctrine ou de rappel de la théorie par des temps de formation. Tout cela concourt à l’éclatement des pratiques.

La formation initiale a été réduite parce que l’on a préféré une police de la quantité à une police de la qualité : on a voulu faire du chiffre sur le terrain, dans les interventions, au détriment de la qualité. Il nous a été rapporté que la formation continue avait quasiment disparu, les formateurs étant eux-mêmes mobilisés dans les manifestations. Nous assistons à un délitement complet de ces temps de formation, qui sont pourtant l’occasion de rappeler la doctrine, le moment où s’unifie le corps de police.

Sans vouloir polémiquer, je rappellerai, chers collègues, que vous avez voté des crédits pour la formation de la police en baisse de 1 million d’euros. On se rend compte que la formation ne convient pas, et on réduit encore les crédits de 5 % ! Si nous sommes tous d’accord pour dire qu’il existe un problème, votons un budget qui soit à la hauteur !

Pour écrire De la police en démocratie, Sebastian Roché s’est rendu à l’académie de police au Danemark, où il a relevé que la notion prééminente était celle de la confiance, une notion absente de l’enseignement du corps policier français – dont il a été limogé depuis. Il note que « rechercher la confiance des citoyens n’est pas une idée centrale dans l’école de police », ajoutant : « force doit rester à la loi, ce sont les policiers qui doivent avoir raison, par la force s’il le faut : c’est la devise de l’enseignement policier en France ». L’auteur appelle cela une « infirmité relationnelle ».

Je suis chargé d’une mission d’information sur les métiers du lien – assistants maternels, animateurs périscolaires, auxiliaires de vie scolaire. Au fond, policier, c’est un métier du lien, un lien parfois rude, exercé dans des territoires compliqués, dans des situations malaisées. Mais la communication, le dialogue, la façon d’approcher les gens, y compris dans les quartiers difficiles, ne sont pas mis au centre de la formation initiale.

Sebastian Roché montre que les policiers danois apprennent à comprendre la société, l’organisation, l’individu. Ils sont formés à la diversité des populations et aux droits des personnes. On leur enseigne que la police appartient à la société et que la confiance est fondamentale pour remplir leur mission : « Les jeunes policiers sont sensibilisés au fait que la police, par leur action individuelle, dont ils ont la responsabilité, doit gagner la confiance des citoyens. On remarquera la différence entre un système de formation qui met l’accent sur la force dans la relation aux citoyens et cet autre qui enseigne le fondement consenti de l’autorité. »

Sebastian Roché ajoute : « Je n’ai jamais entendu un tel discours au sein du système policier de formation français, dans lequel je travaille depuis vingt ans. Il a ses mérites, il serait injuste de ne pas le reconnaître, mais clairement, cette finalité n’y est pas assez affirmée. Dans les modules danois d’enseignement, une part importante est faite à l’analyse de leurs propres pratiques. Ainsi, si lors d’un exercice, les étudiants danois choisissent de réaliser un contrôle d’identité, les élèves doivent se montrer capables d’expliquer à leurs professeurs pourquoi ils agissent ainsi. Le but recherché est de favoriser la réflexion du policier, qui doit constamment se référer à l’effet de sa pratique et ne pas se contenter de connaître son cadre légal. Les Danois appellent cela “police réflexive” ».

Notre proposition se limite à un point réduit, concernant une technique. Mais il est évident que le décès de Cédric Chouviat ne s’explique pas par le seul usage d’une technique, il découle aussi d’une attitude, d’un rapport de la police aux citoyens.

Je ne cherche pas à incriminer les policiers. Alors que je l’interrogeais, un responsable de l’UNSA m’a répondu : « Je vous renvoie l’ascenseur. Qu’est-ce que le politique attend du policier ? Est-ce qu’il attend qu’en situation de crise, il fasse trois pas en arrière, ou est-ce que force doit rester à la loi, comme on l’apprend à l’école de police ? » Voilà la vraie question : qu’attendons-nous des forces de sécurité ? C’est bien le politique qui trace les contours de la police qu’il souhaite, notamment par la formation, par le rapport aux citoyens, par les politiques d’intervention. Le délégué de la CFDT m’a expliqué que la police avait attrapé la « bâtonnite » ; comme les écoliers, de retour au commissariat, ils font des bâtons dans leur cahier, un par interpellation : « Il vaut mieux arrêter deux “shiteux” qu’un trafiquant, c’est mieux pour les statistiques ». Il est évident que, quand une relation doit déboucher systématiquement sur une interpellation ou une garde à vue, la politique du chiffre contribue à détériorer les rapports entre citoyens et policiers.

Je conclurai en citant encore Sebastian Roché : « Le gardien de la paix est un peu comme l’ouvrier qualifié à qui est confiée une tâche partielle dans une usine automobile. Ce n’est pas de lui qu’il faut se plaindre si le modèle de voiture produit est trop cher et peu fiable, ou encore s’il contient un logiciel truqué. C’est aux ingénieurs qui ont conçu la voiture qu’il faut s’en prendre et même, au niveau supérieur, à ceux qui ont décidé la production du véhicule et son prix. On peut trouver de bons ou de mauvais ouvriers, mais ils ont été recrutés, formés, encadrés, promus, suivant des règles édictées par les chefs de la police et même par les chefs des chefs de la police. » Les chefs des chefs de la police, ce sont les politiques. Les politiques ont la responsabilité de dire quelle police ils veulent.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous invite à vous prononcer sur l’article unique de la proposition de loi.

La Commission rejette l’article unique de la proposition de loi et, ce faisant, rejette la proposition de loi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La proposition de loi sera examinée en séance publique le jeudi 26 mars, telle qu’elle a été déposée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales : le décubitus ventral et le pliage ventral (n° 2606).

 

 

 

 

 


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   Liste des personnes entendues

Institutions :

   M. Laurent de la Follye de Joux, chef de bureau de la formation

    M. Julien Rossignol

   M. Ludovic Delenclos, adjoint à la cheffe de division des formations des techniques et de la sécurité en intervention à la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale

   M. Bertrand Chamoulaud, conseiller Doctrine-Défense-Planification-Renseignement du directeur général de la police nationale

Syndicats :

   M. Thierry Launois, délégué national formation

   M. Thierry Clair, secrétaire national Province

   M. Christophe Rouget

   M. Léo Moreau

   Mme Lucille Rouet, secrétaire nationale

   M. Nils Monsarrat, secrétaire national

Associations :

   Mme Jessica Lefevre, famille de victime

   M. Eddy Arneton, avocat

   Mme Amal Bentounsi, porte-parole du collectif urgence notre police assassine

   Mme Nathalie Seff, déléguée générale

   Mme Marion Guèmas, responsable Programmes et Plaidoyer Police-Justice

   M. Youcef Brakni

   Mme Fatou Dieng, famille de victime

   M. Farid El Yammi, famille de victime

   M. Christian Tidjani, famille de victime

   M. Emmanuel Devaux, journaliste

   Mme Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer

Personnalités qualifiées – Universitaires :

   Mme Mathilde Larrère, historienne

   Mme Aurélia Michel, maîtresse de conférence Université de Paris–Diderot

   M. Quentin Deluermoz, maître de conférence en histoire contemporaine, université Paris 13

 


([1]) Ces récits s’appuient sur une enquête publiée par Bruno Rieth et Laurent Valdiguié dans le magazine Marianne, le 27 janvier 2020 : « Comment avancent ces onze enquêtes symboliques des "bavures policières" ».

([2]) Balance Ton Post, C8, 13 février 2020.

([3]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2009-207 du 22 novembre 2011, p. 9.

([4]) Audition de représentants de la direction générale de la police nationale.

([5]) ACAT, note de positionnement sur la présente proposition de loi, p. 2.

([6]) ACAT, op. cit.

([7]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n°2008-109, p. 5.

([8]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2009-207 du 22 novembre 2011, p. 6.

([9]) Amnesty International, « Préoccupations d'Amnesty International en Europe janvier-juin 2001 ».

([10]) CPT, 13ème rapport général d'activités (2002-2003).

([11]) Note du Défenseur des droits envoyée à votre rapporteur, février 2020.

([12]) Audition du syndicat des cadres de la sécurité intérieure.

([13]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n°2008-109, p. 10.

([14]) Note DGPN/CAB/DDPR/N°15-5295-D du 4 novembre 2015 relative aux « Principes d’emploi de la force ou la contrainte pour la maîtrise d’une personne en état de forte agitation en vue de son interpellation ou de son transport ».

([15]) Audition du syndicat des cadres de la sécurité intérieure.

([16]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2009-207, p. 5.

([17]) Défenseur des droits, décision n° 2018-155, 29 mai 2018, pp. 16 et 17.

([18]) Le Parisien, Cédric Chouviat, mort après un contrôle de police : l’autopsie qui interpelle, 7 janvier 2020.

([19]) Le Monde, Mort d’un livreur lors d’une interpellation à Paris : l’autopsie évoque une asphyxie « avec fracture du larynx », 7 janvier 2020.

([20]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n° 2007-83, pp. 3 et 4.

([21]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n° 2008-109, p. 8.

([22]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2009-207 du 22 novembre 2011, p. 4.

([23]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2009-207 du 22 novembre 2011, p. 7.

([24]) Le Figaro, « Affaire Traoré : inversion accusatoire et manipulation victimaire », 2 août 2016.

([25]) L’Express, « Amadou Koumé, mort au commissariat: "J'ai vu des traces de coups sur son visage" », 6 avril 2017.

([26]) Le Figaro, « Clermont-Ferrand : l'homme dans le coma est mort », 9 janvier 2012.

([27]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n°2007-83, p. 5.

([28]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n°2008-109, p. 9. 

([29]) CEDH, Saoud c/ France, requête n° 9375/02, paragraphe 97.

([30]) CEDH, Saoud c/ France, op. cit., paragraphe 98.

([31]) CEDH, Saoud c/ France, op. cit., paragraphe 102.

([32]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n° 2008-109, pp. 4 et 5.

([33]) Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisine n° 2008-109, pp. 6, 8 et 9.

([34]) Défenseur des droits, décision n° 2018-155, 29 mai 2018, pp. 1, 6 à 9.

([35]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2012-167, 4 mai 2012, p. 17.

([36]) ACAT, note de positionnement sur la présente proposition de loi.

([37]) CEDH, requête n° 30059/15, 16 novembre 2017, communiqué de presse, p. 3.

([38]) Assemblée nationale, rapport n° 2306– tome VIII, M. Stéphane Mazars, pp. 59–60.

([39]) « Tel que cela ressort de l’enquête IGPN : circulaire de la direction de la police urbaine de proximité du 19 juillet 2007 relative aux personnes souffrant de troubles mentaux ; Note de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne du 12 octobre 2011 relative à la nouvelle procédure de conduite à l’IPPP des personnes ne paraissant pas jouir de leurs facultés mentales hors le cadre d’une procédure judiciaire » - Défenseur des droits, décision n° 2018-155, 29 mai 2018, p. 17.

([40]) « Tel que cela ressort de l’enquête IGPN. En outre, dans le cadre d’une autre affaire, le ministre de l’Intérieur a indiqué au Défenseur des droits qu’il existe certes un module spécifique d’une durée de 9 heures lors de la formation initiale (lors du stage en alternance). En revanche, il nous a été précisé qu’aucun module spécifique n’est prévu lors de la formation continue. Néanmoins, la formation à la qualification de brigadier inclut dans l’un de ses objectifs la prise en compte des personnes souffrant de troubles mentaux. Il nous a également été indiqué que chaque policier dispose d’un accès au guide pratique spécifiquement dédié à ce type d’intervention sur l’intranet de l’institut national de la formation de la police nationale. » - Défenseur des droits, décision n° 2018-155, 29 mai 2018, p. 17.

([41]) Défenseur des droits, décision n° MDS 2009-207 du 22 novembre 2011, p. 7.

([42]) Défenseur des droits, décision n° 2018-155, 29 mai 2018, p. 17.

([43]) Libération, « Autiste mort étouffé, les policiers jugés », 23 sept 2014.