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N° 3052

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juin 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à permettre aux conseils départementaux d’accorder des subventions aux petites et moyennes entreprises et industries et aux artisans fragilisés, en particulier du secteur du tourisme, par la crise du covid-19 ( 2996)

PAR M. Pierre CORDIER

Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale :  2996.


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos .............................................. 2

Commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er (art. L. 3231-3 du code général des collectivités territoriales) Permettre aux départements daccorder des aides aux entreprises fragilisées par létat durgence sanitaire

Article 2 Gage de recevabilité financière

COMPTE RENDU DES DEBATS

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR


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Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire sans précédent que traverse notre pays depuis plusieurs semaines va avoir des conséquences durables sur des pans entiers de notre société, en particulier sur le tissu économique et social de proximité. Afin d’atténuer les effets dévastateurs de la chute de l’activité qui s’est produite et qui va inévitablement aboutir au dépôt de bilan de très nombreux commerçants, artisans, petites et moyennes entreprises, il est urgent de mobiliser les capacités d’intervention de toutes les collectivités publiques.

Or, parce qu’ils ne disposent plus que d’une compétence résiduelle en matière économique depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », les départements ne peuvent pas participer pleinement à l’effort national de soutien en faveur des entreprises.

La « loi NOTRe » avait en effet confié aux régions une compétence exclusive pour définir les aides aux entreprises situées sur leur territoire et aux communes et à leurs groupements une compétence exclusive dans le domaine des aides à l’immobilier d’entreprises, cantonnant les départements à des aides sectorielles en complément des autres collectivités.

Alors qu’ils incarnent, avec les communes, la proximité de l’action publique, les départements se trouvent donc limités dans leur action – au-delà des mesures prises, par exemple, en matière de commande publique ([1]) – pour soutenir les entreprises locales.

Le conseil départemental des Ardennes a, par une délibération du 14 mai 2020, mis en place un dispositif de soutien à la relance des très petites entreprises ardennaises – moins de trois salariés. Un fond de 12 millions d’euros a ainsi pu être constitué pour accorder des subventions aux entreprises les plus fragilisées par la crise sanitaire. Il s’agissait d’aider les petites structures à reconstituer leurs stocks et à faire face aux dépenses sanitaires engendrées par la reprise de leur activité. Estimant que cela n’entrait pas dans le champ de compétence du département, le préfet des Ardennes a déféré cette délibération devant le juge administratif.

Pour ne pas être pris en défaut de la même manière, le conseil départemental du Calvados travaille, pour sa part, à la création d’une prestation d’aide sociale dédiée aux travailleurs non-salariés modestes plongés dans une situation de fragilité à la suite de l’état d’urgence sanitaire. Il s’appuie, pour cela, non pas sur sa compétence, résiduelle, en matière économique, mais sur sa compétence en matière sociale qui lui permet de « mettre en œuvre toute aide ou action relative à la prévention ou à la prise en charge des situations de fragilité » ([2]). L’aide ainsi délivrée ne serait pas considérée comme une aide aux entreprises mais comme une aide à la personne.

D’autres départements, comme la Seine-et-Marne, l’Ain, la Vendée ou la Mayenne ont fait le choix de verser des subventions de manière indirecte aux entreprises en abondant des fonds mis en place par les régions ou les chambres consulaires – chambres de commerce et d’industrie ou chambres des métiers et de l’artisanat. Ce n’est pas pleinement satisfaisant car, de l’aveu des exécutifs départementaux, cela exige la mise en place de dispositifs complexes et longs à mettre en œuvre, là où il y a urgence.

Or, c’est aujourd’hui que les entreprises individuelles, les petits commerçants et les petits artisans ont besoin du soutien des pouvoirs publics. Si les départements ne peuvent agir, de manière préventive, ce sont eux qui verront leurs dépenses sociales exploser dans quelques semaines ou dans quelques mois.

Alors que beaucoup de voix se font entendre pour rétablir la clause générale de compétences des départements, le dispositif de la présente proposition de loi, que le groupe Les Républicains a inscrit à l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 11 juin, est de portée beaucoup plus limitée. Il se veut avant tout pragmatique.

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique avait ainsi ouvert une brèche bienvenue dans l’attribution de compétences exclusives aux régions et au bloc communal en matière économique pour permettre aux départements d’intervenir en soutien des entreprises de leur territoire en cas de catastrophe naturelle en leur versant directement des aides.

C’est sur ce modèle que ce texte entend ouvrir une nouvelle dérogation pour permettre aux départements d’aider directement, de façon temporaire, les petites entreprises touchées par la crise sanitaire :

– comme dans les cas de catastrophe naturelle, cette aide aurait pour objet de permettre aux entreprises de remettre en état leurs moyens de production, de reconstituer un stock, d’indemniser une perte de revenu afin de redémarrer leur activité ;

– elle permettrait d’apporter un soutien particulier au secteur touristique dans les territoires, qui est un domaine de compétence partagé du département ;

– elle ne pourrait être demandée au plus tard que six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire car le but n’est pas de la pérenniser mais de simplement répondre à une situation d’urgence.

Avec la mise en place d’un dispositif simple, facultatif et encadré dans le temps, la présente proposition de loi répond aux attentes de nombreux conseils départementaux : il serait dommage de les priver d’agir quand tant de commerçants et d’artisans sont menacés de disparition.

 


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   Commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. L. 3231-3 du code général des collectivités territoriales)
Permettre aux départements daccorder des aides aux entreprises fragilisées par létat durgence sanitaire

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article a pour objet de permettre aux départements d’accorder, de façon exceptionnelle et par dérogation aux compétences économiques des régions et des communes et de leurs groupements, des aides aux entreprises dont l’activité a été affectée en raison de décisions prises pour faire face à la crise sanitaire.

  Dernières modifications législatives intervenues

L’article L. 3231-3 du code général des collectivités territoriales a été modifié par l’article 71 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique afin de permettre aux départements de verser, par dérogation, des aides aux entreprises situées sur leur territoire en cas de catastrophe naturelle.

  Position de la Commission

Cet article a été rejeté par la Commission.

1.   L’état du droit

a.   Une compétence résiduelle du département en matière économique

La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », a réorganisé la répartition des compétences entre collectivités territoriales en matière économique, au détriment du département :

– la région dispose ainsi, en application de l’article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), d’une compétence exclusive pour définir les aides et régimes d’aides aux entreprises situées sur leur territoire ;

– le « bloc communal » (communes et intercommunalités) dispose pour sa part, conformément à l’article L. 1511-3 du CGCT, d’une compétence exclusive dans le domaine des aides à l’immobilier d’entreprises.

Le département ne disposait donc plus que d’une compétence résiduelle en matière économique, son intervention se limitant aux cas suivants :

– par dérogation à l’article L. 1511-2, le département peut conclure une convention avec la région afin de contribuer, à titre complémentaire, au financement d’aides accordées par celle-ci en faveur d’organisations ou d’entreprises exerçant leur activité dans le secteur de l’agriculture et de la pêche ([3]) ;

– le département est également compétent pour octroyer des aides à l’exploitation des salles de cinéma ([4]) et à l’installation ou au maintien de professionnels de santé dans les zones déficitaires ([5]) ;

– enfin, sur le fondement de l’article L. 2251-3 du CGCT, le département a conservé la faculté de compléter des aides accordées par les communes ou leurs groupements dès lors que l’initiative privée est défaillante ou insuffisante pour assurer la création ou le maintien d’un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural ou dans une commune comprenant un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville.

b.   Une intervention désormais possible en cas de catastrophe naturelle

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a introduit une dérogation aux compétences exclusives des régions et du bloc communal en matière économique pour permettre aux départements d’intervenir en cas de catastrophe naturelle.

L’article L. 3231-3 du CGCT autorise désormais le département, par dérogation, à verser des aides aux entreprises dont au moins un établissement est situé dans une commune du département définie par un arrêté portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, et dont l’activité est affectée en raison des dommages importants subis par son outil de production.

L’objectif était de permettre aux départements de répondre efficacement à des situations d’urgence, à l’image des inondations survenues dans l’Aude à l’automne 2018, en renforçant les moyens d’action des collectivités concernées.

Le dispositif adopté fait l’objet d’un encadrement strict :

– le département ne peut verser des aides qu’après y avoir été autorisé par le préfet du département ;

– le versement des aides est conditionné par la conclusion d’une convention avec la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales compétent en application des articles L. 1511-2 et L. 1511-3, région, commune ou établissement public de coopération intercommunale ;

– les éléments que peuvent venir financer les aides sont limitativement énumérés par la loi : il s’agit de « permettre aux entreprises de remettre en état leurs locaux et moyens de production, de reconstituer un stock, dindemniser une perte de revenu afin de redémarrer leur activité » ;

Encadrée par le droit de l’Union européenne ([6]), cette nouvelle faculté d’intervention s’exerce seulement en complément des autres dispositifs d’aide ou d’indemnisation dont les entreprises concernées peuvent bénéficier.

2.   Le dispositif proposé

Sur le modèle des aides pouvant être versées en cas de catastrophe naturelle, le présent article complète l’article L. 3231-3 du CGCT afin d’autoriser les départements à verser des aides directes aux entreprises dont l’activité a été affectée par l’épidémie de covid-19. Il s’agit de répondre à l’urgence économique et sociale et d’atténuer les effets dévastateurs de la chute d’activité qui s’est produite dans de nombreux secteurs, notamment dans le domaine du tourisme, depuis le début de l’état d’urgence sanitaire en démultipliant les capacités d’intervention des collectivités publiques.

Létat durgence sanitaire

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a instauré, dans le code de la santé publique, un régime « d’état d’urgence sanitaire ». Cet état d’urgence sanitaire peut concerner une partie ou tout le territoire « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».

L’état d’urgence sanitaire a été initialement déclaré pour deux mois, soit jusqu’au 24 mai 2020, sur l’ensemble du territoire puis a été prolongé jusqu’au 10 juillet 2020 par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020.

Dans le cadre de cet état d’urgence, le Premier ministre peut prendre, par décret, des mesures prévues par la loi comme, par exemple, ordonner un confinement à domicile, procéder à des réquisitions, prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits, ou encore décider toute limite réglementaire à la liberté d’entreprendre.

C’est dans ce contexte que le Premier ministre a décrété la femeture de la plupart des établissements recevant du public jusqu’au 11 mai, dont les magasins de vente et les centres commerciaux sauf pour l’alimentation et certains commerces spécialisés, et que cette fermeture a été prolongée au-delà du 11 mai pour les restaurants et débits de boisson.

Le dispositif proposé par la proposition de loi est très proche de celui qui a été prévu en cas de catastrophe naturelle :

– le département ne pourra verser d’aide qu’après y avoir été autorisé par le préfet du département ;

– l’aide du département sera réservée aux entreprises dont au moins un établissement se situe dans une commune du département où l’état d’urgence sanitaire a été déclaré et « dont lactivité est affectée en raison dune fermeture totale ou partielle imposée par lautorité administrative » (alinéa 2) ;

– comme dans les cas de catastrophe naturelle, cette aide aura pour objet de « permettre aux entreprises de remettre en état leurs locaux et moyens de production, de reconstituer un stock, dindemniser une perte de revenu afin de redémarrer leur activité » ;

– cette aide permettra d’apporter un soutien particulier au secteur touristique dans les territoires. L’alinéa 5 précise ainsi que cette aide s’adresse en particulier aux cafés, restaurants et hôtels, ainsi qu’aux campings, chambres d’hôtes, gites et autres hébergements touristiques privés ;

– l’alinéa 7 précise que cette aide ne pourra être demandée au plus tard que six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Le but n’est en effet pas de mettre en place un dispositif pérenne d’aide mais simplement de répondre à une situation d’urgence.

3.   La position de votre Commission

La commission des Lois a rejeté cet article.

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Article 2
Gage de recevabilité financière

Rejeté par la Commission

Cet article a pour objet de compenser les éventuelles pertes de recettes pour l’État qui pourraient résulter de la mise en œuvre de la proposition de loi. Il prévoit, à cette fin, la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs, prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La Commission a rejeté cet article.

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   COMPTE RENDU DES DEBATS

Lors de sa réunion du mercredi 3 juin 2020, la Commission examine la proposition de loi visant à permettre aux conseils départementaux d’accorder des subventions aux petites et moyennes entreprises et industries et aux artisans fragilisés, en particulier du secteur du tourisme, par la crise du covid-19 (n° 2996) (M. Pierre Cordier, rapporteur).

M. Pierre Cordier, rapporteur. Je souhaite d’abord remercier le président de notre groupe, M. Damien Abad, de m’avoir permis de défendre cette proposition de loi, et tous ceux qui y ont travaillé avec moi.

Durant le confinement, j’ai pu observer, comme vous tous, ce que vivaient les artisans, les commerçants, les dirigeants de petites structures de trois ou quatre salariés, confrontés à des difficultés que les dispositifs étatiques, au demeurant justifiés, n’ont pas suffi à aplanir. J’ai aussi constaté que l’exercice par les départements de leur compétence économique aurait été fort utile si elle ne leur avait été retirée sous la législature socialiste par le biais d’une réforme assortie d’un redécoupage scandaleux. Conseiller général, puis départemental depuis 2004, je sais que les élus de l’échelon départemental travaillent au plus près du terrain et tissent des liens forts avec le monde économique.

La crise sanitaire aura des conséquences durables sur des pans entiers de notre société. Pour atténuer les effets dévastateurs de la chute d’activité économique, qui aboutira à de nombreux dépôts de bilan à l’automne – ils ont déjà commencé : il n’est qu’à voir dans les rues parisiennes ces vitrines blanchies pour cause de cessation d’activité –, il faut démultiplier les capacités d’intervention des collectivités publiques.

Même si elle est encore l’objet de critiques, il ne s’agit pas de remettre en question la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ». Le législateur a souhaité confier à la région la compétence exclusive pour définir les régimes d’aides aux entreprises et au bloc communal la compétence exclusive pour les aides à l’immobilier d’entreprise. Le département ne dispose plus que d’une compétence résiduelle en matière économique : son intervention se limite au financement, en complément de la région, d’aides dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche, d’aides aux salles de cinéma ou, en complément de la commune, d’aides au maintien de certaines activités nécessaires en zone rurale ou en quartier prioritaire de la politique de la ville.

J’ai pris pour modèle la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi « Engagement et proximité », proposée par la majorité, qui introduit dans le code général des collectivités territoriales une dérogation aux compétences exclusives de la région et du bloc communal en matière économique pour permettre aux départements de verser des aides aux entreprises dont au moins un établissement est situé dans une commune concernée par un arrêté reconnaissant l’état de catastrophe naturelle et dont l’activité est affectée en raison des dommages importants subis par son outil de production. C’est ce qui s’est produit dans l’Aude, lors des inondations de l’automne 2018, où le conseil départemental a pu ainsi donner un coup de main aux entreprises en difficulté.

Le conseil départemental des Ardennes, où je siège, a adopté à l’unanimité une délibération visant à aider les petites entreprises de moins de trois salariés à reconstituer leur stock et à faire face aux dépenses en matériels de protection sanitaire, liées à la reprise de leur activité. Le préfet, sur instruction, a déféré cette délibération au juge administratif, dont nous attendons la réponse. Les élus du Calvados ont cherché à contourner la difficulté en s’appuyant sur la compétence du département en matière sociale : ils ont proposé une aide aux salariés modestes plongés dans une situation de fragilité liée à l’état d’urgence sanitaire. C’est une forme de contournement, mais cela revient exactement au même. Les conseils départementaux de l’Oise, de l’Essonne ou de Meurthe-et-Moselle réfléchissent à des dispositifs similaires.

Lorsqu’il y a le feu, il faut mobiliser tous les moyens disponibles. Comme le disait M. Pierre Monzani, directeur général de l’Assemblée des départements de France (ADF), lorsque je l’ai entendu sur le sujet, on ne peut pas demander aux collectivités de rester strictement dans leur domaine, l’économie pour les régions, le social pour les départements. Comment séparer l’économie du social ? Si nous n’intervenons pas en amont et que nous ne mettons pas les moyens nécessaires pour soutenir ces structures, tous ces salariés seront licenciés et nous les retrouverons dans les prochains mois à Pôle Emploi et au revenu de solidarité active (RSA). Il n’est pas question de réécrire la loi NOTRe, votée par l’ancienne majorité socialiste, mais seulement d’aider les petits entrepreneurs, commerçants et artisans, comme on le fait d’ores et déjà en situation de catastrophe naturelle.

Le mécanisme est très encadré : la proposition de loi prévoit que les conseils départementaux n’auront la faculté d’accorder ces aides que jusqu’au 31 décembre 2020, seulement s’ils le souhaitent et sont en capacité de le faire, et sous réserve de l’autorisation par le préfet, comme c’est déjà le cas pour les catastrophes naturelles. L’aide sera réservée aux entreprises dont au moins un établissement est situé dans une commune du département où l’état d’urgence a été déclaré et dont l’activité est affectée en raison d’une fermeture totale ou partielle imposée par l’autorité administrative.

Cette aide, dont l’objet est de remettre en état les locaux et les moyens de production, reconstituer un stock ou indemniser une perte de production permettra de soutenir en particulier l’industrie touristique – les départements disposent d’une compétence en matière touristique –, l’alinéa 5 de l’article 1er citant les cafés, restaurants et hôtels, ainsi que les campings, chambres d’hôtes, gîtes et autres hébergements touristiques privés. L’alinéa 7 précise qu’elle pourra être demandée au plus tard six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire : le but n’est pas de remettre en place un dispositif pérenne et d’ouvrir une brèche qui permettrait aux départements de conserver ad vitam æternam cette compétence.

Cette proposition de loi répond à une attente de dizaines de départements, quelle que soit leur sensibilité politique, qui souhaitent seulement donner un coup de main à leurs petits entrepreneurs, qui en ont réellement besoin.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous commençons la discussion générale.

M. Rémy Rebeyrotte. Je ne partage pas votre vision, monsieur le rapporteur. Je rappelle que la loi NOTRe a été votée par l’Assemblée nationale, mais aussi par le Sénat, n’en déplaise au président Larcher. Par ailleurs, la loi du 17 mai 2013, en imposant un nouveau découpage cantonal, a permis un rééquilibrage démographique, et partant, une représentation plus égalitaire. Enfin, l’introduction du scrutin binominal nous a permis d’atteindre ce que nous aurions mis des décennies à obtenir : la parité. J’ai siégé durant vingt et un ans au conseil général de Saône-et-Loire : quand j’y suis entré, il y avait une femme, et seulement trois quand j’en suis sorti… À ce rythme, il aurait fallu quasiment trois siècles !

Aux côtés du Gouvernement, qui a géré remarquablement cette crise, les exécutifs des collectivités locales se sont tous mobilisés, chacun à leur niveau, pour trouver des réponses à cette situation, nouvelle à bien des égards. Je veux leur rendre hommage.

Vous entendez répondre ici à une demande légitime des présidents de conseil départemental : pouvoir venir en aide aux chefs d’entreprises de petite taille, aux artisans, aux commerçants, que l’arrêt de leur activité a plongés dans une situation délicate. Toutefois, je ne pense pas que cela soit encore d’actualité. Pourquoi ?

D’abord, le Gouvernement et les régions ont élargi leur soutien, très largement destiné à l’origine aux grandes entreprises, aux PME et aux PMI, beaucoup moins aux entreprises sans salariés, aux commerçants et aux artisans.

Ensuite, certains départements ont contribué aux fonds de solidarité gérés par les régions. Ils l’ont fait en étant pleinement associés aux mesures et en les ciblant vers les structures locales. Ils ont pris leur part, tout en reconnaissant à la région son rôle de chef de file dans la mise en place du dispositif. D’autres, comme vous l’avez rappelé, ont déployé leurs propres aides en exerçant leurs compétences dans les domaines de l’action sociale et du tourisme. Ainsi, le président de Saône-et-Loire a lancé une grande campagne de promotion touristique pour aider les acteurs à redémarrer leur activité. Les départements ne sont donc pas restés l’arme au pied, mais ils ont su agir en coordination avec l’État et la région.

Enfin, il est devenu évident que les départements seront fortement mis à contribution, dans la mesure où les dépenses liées au RSA sont appelées à augmenter fortement – on parle déjà de 560 millions d’euros supplémentaires dès 2020. Il leur faut donc conserver leurs moyens pour être au rendez-vous de la solidarité lorsque la crise sociale aura fait suite à la crise économique et à la crise sanitaire, et elle n’aura rien d’anodin.

Enfin, on prend progressivement conscience de l’importance d’une bonne coordination des aides. Quand l’État, la région et le département financent chacun à 50 % l’achat des masques, on se retrouve avec 150 % d’aide… C’est un peu comme dans la recette du Picon-bière de Pagnol : on ne sait plus exactement où mettre le quatrième tiers ! Le même problème se rencontre aussi à l’occasion des inondations. La coordination et la reconnaissance du chef-de-filat sont sans doute un élément clé, y compris dans l’application des textes.

Vous aurez compris que le groupe La République en Marche n’est pas favorable à cette proposition de loi.

M. Raphaël Schellenberger. Mon propos sera bien différent, et pas seulement parce que je bois de l’amère bière et non du Picon-bière…

Nous ne remettons pas en cause le redécoupage et les binômes, monsieur Rebeyrotte, J’apprécie la finesse de votre connaissance du fonctionnement des collectivités territoriales, mais vous en profitez parfois pour jouer au bonneteau en parlant du mode de scrutin quand nous parlons de compétences et de la mise en silo des collectivités territoriales par la loi NOTRe. Le bilan socialiste est celui d’un travail mal fait, dont personne n’est satisfait. La seule solution pour s’en sortir serait de remettre toute la loi à plat.

Telle n’est pas l’ambition de ce texte, inscrit dans une journée réservée et qui entend seulement corriger à la marge un problème récurrent pour les collectivités locales. D’autres textes, votés sous cette législature, ont déjà procédé à des ajustements : à force de voter des textes de loi qui s’éloignent des grands principes, de la clarté et de la cohérence, on en finit par légiférer par petits bouts, ce qui n’est évidemment pas très satisfaisant. Le petit bout que nous vous soumettons aujourd’hui vise à compléter celui que vous avez voté avec la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 : on n’imaginait pas alors qu’une crise sanitaire puisse prendre une ampleur telle qu’elle nécessite que tous, nous nous mobilisions pour relancer l’économie et la vie sociale dans nos territoires.

Une proposition simple, claire, serait finalement de revenir aux grands principes de l’organisation des collectivités territoriales – libre administration, clause de compétence générale, absence de tutelle d’une collectivité sur l’autre –, le concept assez fumeux de chef-de-filat n’ayant d’autre but que d’organiser une forme de tutelle sans encourir les foudres du Conseil constitutionnel.

Pour ce qui est de la question des moyens, monsieur Rebeyrotte, la réponse existe, elle a toujours existé : c’est l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Certaines souhaiteront dépenser beaucoup, d’autres voudront agir dans des domaines où la dépense publique n’est pas utile ? Elles en rendront compte à leurs électeurs. Elles sont responsables devant eux seuls, ce n’est pas aux parlementaires de juger du bien-fondé de leurs choix. Il y a des élections pour cela.

Ce texte n’a pas l’ambition de revenir sur la loi NOTRe, comme nous le préconisions avec notre collègue Bruno Questel dans le rapport d’information sur son évaluation, mais seulement de corriger à la marge un texte dramatique pour les collectivités territoriales, afin qu’elles puissent mieux répondre à la mobilisation générale qu’appelle cette crise.

Mme Isabelle Florennes. Cette proposition de loi a un parfum de précipitation politicienne.

D’abord, parce que ce texte viendrait, en pleine crise sanitaire, bouleverser l’équilibre de la répartition des compétences tel qu’il est organisé par la loi NOTRe. La ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, l’a rappelé : la période ne s’y prête pas, d’autant que vous proposez d’étendre le dispositif très récent de la loi « Engagement et proximité », qui n’a pas encore été mis en œuvre.

Précipitation ensuite, car la proposition de loi semble ignorer les nombreux outils existants et ceux qui ont été créés pour faire face à la crise. Il n’est pas souhaitable de complexifier ce paysage dense dans lequel les entreprises, qui disent avoir besoin d’un interlocuteur unique, ont parfois des difficultés à s’orienter.

Précipitation enfin, car la réponse proposée n’est pas la bonne. D’une part, elle fait courir le risque d’un éparpillement de l’action des départements, qui ont déjà beaucoup à faire dans le cadre de leurs compétences dans le domaine social. D’autre part, elle ne répond pas exactement au besoin exprimé par les entreprises : le problème tient moins à l’éventail, très complet, des aides proposées qu’à leur fléchage : leur répartition territoriale doit pouvoir être suivie de manière totalement transparente. Le ministre de l’Action et des comptes publics s’est récemment exprimé sur le sujet et nous serons très attentifs aux propositions du Gouvernement en la matière.

Le groupe MODEM ne soutiendra donc pas votre proposition de loi. Il nous faut agir, certes, mais pas tous azimuts. Au demeurant, ce n’est pas au Parlement de régler d’éventuels conflits entre des régions et des départements souvent présidés par des élus du même bord politique que le vôtre, monsieur le rapporteur. Vous nous reprochez régulièrement d’entraver la liberté des collectivités à trop vouloir légiférer ; pour une fois, soyez cohérents ! Restons pragmatiques : les outils sont là, les entreprises s’en servent. N’allons pas déstabiliser le monde économique et ne noyons pas l’action, cruciale, des départements.

M. Hervé Saulignac. Chers collègues membres du groupe Les Républicains, le procès du passé que vous instruisez en vient à donner le sentiment que vous ne souhaitez pas que le groupe Socialiste soutienne votre proposition de loi, à notre sens bienvenue… Loin d’être précipitée, elle arrive à notre sens un peu en retard, mais elle pourrait, hélas ! être encore utile si notre pays devait connaître une nouvelle crise sanitaire.

Vous proposez de créer une dérogation à la loi NOTRe, que vous critiquez beaucoup mais dont vous ne remettez pas en cause les fondements. Ce serait en réalité la troisième, puisqu’elle s’ajouterait à celle de la loi « Engagement et proximité », par laquelle le préfet peut autoriser, par arrêté, le conseil départemental à verser des aides aux entreprises dans les territoires en état de catastrophe naturelle, et à celle du code général des collectivités territoriales, qui permet aux départements, lorsque l’initiative privée est défaillante ou absente, de contribuer au financement d’opérations d’investissement en faveur d’entreprises de services marchands nécessaires aux besoins de la population en milieu rural.

Cette dérogation est cependant justifiée, pour plusieurs raisons.

Premièrement, ne soyons pas naïfs, de nombreux départements pratiquent déjà ce type d’aides, mais de manière un peu détournée, en mettant en avant des critères sociaux, pour accompagner des indépendants ou des agriculteurs, ce qui revient indirectement à aider des entreprises en difficulté. Bien des présidents de conseils départementaux auraient aimé pouvoir utiliser un tel dispositif ces dernières semaines. Ils pouvaient certes venir en aide à un artisan qui avait des enfants et vu disparaître tout son chiffre d’affaires, mais jamais actionner un levier qui remette son entreprise debout. D’où une frustration, et un paradoxe incompréhensible pour ces chefs d’entreprise.

Deuxièmement, les départements ont, en matière d’aides d’urgence, une agilité que n’ont pas les régions. Être chef de file est une chose, instruire un dossier d’aide au profit de très petites entreprises en est une autre. En outre, il est parfois très difficile pour un département de travailler avec la région : j’ai pu le constater lorsque, président du conseil départemental de l’Ardèche, je devais m’entendre avec le président de la région, Laurent Wauquiez ; j’aurais apprécié de pouvoir bénéficier d’un tel dispositif.

Troisièmement, dans une situation d’une gravité exceptionnelle, la puissance publique doit pouvoir lever des freins et activer des secours exceptionnels.

Toutefois, le dispositif proposé mériterait d’être mieux borné dans le temps : la demande d’aide devrait être adressée pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de trois mois, et non de six mois, comme vous le proposez. Par ailleurs, les régions doivent, bien entendu, être averties des aides versées par les départements afin d’éviter tout risque de doublon. Enfin, si les entreprises du secteur touristique ont été, c’est vrai, particulièrement touchées, mieux vaut s’en tenir à un dispositif qui s’adresse à l’ensemble des secteurs pour ne pas en oublier.

M. Pascal Brindeau. Je suis atterré par l’argumentation développée par le représentant du groupe LaREM ; je me demande s’il a conscience de la situation du secteur touristique. Comment peut-on affirmer que le dispositif proposé n’est plus d’actualité, alors que les entrepreneurs de ce secteur ne peuvent parfois même pas reprendre leur activité, faute de trésorerie ? Comment peut-on considérer qu’une aide de 1 500 euros est suffisante pour passer une telle crise ?

On a également invoqué le risque d’une dispersion des interventions. Mais, depuis le début de la crise, collectivités territoriales et État ont été sollicités dans l’ensemble des dispositifs d’urgence, que ce soit dans le domaine économique ou dans la gestion de la crise – je pense notamment à la fourniture de masques.

Quant à la charge financière que représenteraient ces aides pour les départements alors que le nombre d’allocataires du RSA risque d’exploser, je rappelle que le Gouvernement a offert aux régions la possibilité d’inscrire les crédits consacrés aux aides d’urgence en investissement. Pourquoi en serait-il autrement pour les départements ? Les aides économiques départementales seraient ainsi financées par la dette, au même titre que celles qui sont versées par l’État.

Je trouve cette proposition de loi utile, pour plusieurs raisons. Premièrement, ajouter un euro à un euro peut permettre d’assurer la viabilité d’entreprises artisanales ou commerciales menacées. Deuxièmement, ce texte est cohérent avec les autres dispositifs mis en œuvre. Troisièmement, il est équilibré dans la mesure où le rapporteur a pris soin de prévoir une autorisation du représentant de l’État, donc une coordination avec ses services, et la conclusion d’une convention avec l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou la région. Plutôt qu’une dispersion, il s’agit bien de favoriser la coordination des moyens publics mis en œuvre pour tenter de sauver un secteur qui, dans certaines régions, est réellement en danger de mort, particulièrement pour les petites structures et les opérateurs dérivés.

Le groupe UDI soutiendra donc cette proposition de loi utile et cohérente.

M. Jean-Félix Acquaviva. Le souci de nos collègues Les Républicains est légitime. La situation économique et sociale est anxiogène ; elle requiert proximité, fluidité et réactivité. Qui plus est, cette crise agit un peu comme des sables mouvants : on ne sait pas grand-chose de sa profondeur et la rapidité des dégâts qu’elle provoquera d’un endroit à l’autre. Et s’il faut saluer les mesures qui ont été prises, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’elles ne seront pas suffisantes pour atténuer le choc que subiront, à la rentrée, les territoires dans lesquels le secteur touristique est très développé et où un effet domino menace d’autres secteurs, l’agroalimentaire ou l’artisanat par exemple. En matière économique et sociale, le pire n’est donc peut-être pas derrière nous.

Force est de constater également que la gestion verticale de la crise a produit des couacs. Je pense, par exemple, au décret restreignant les liaisons aériennes avec la Corse, qui a été corrigé après le tollé que l’on sait. Si nous voulons éviter de nouvelles erreurs, notamment dans la gestion de la crise à venir, les concurrences et les doublons, il faut donc améliorer les relations entre l’État et les collectivités.

Néanmoins, le groupe Libertés et Territoires ne saurait souscrire à une répartition des compétences illisibles. Nous avions critiqué la création de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) au motif qu’elle produira une concurrence entre l’État et les collectivités compétentes en matière d’aménagement du territoire – à plus forte raison chez nous où il y aura désormais deux ANCT ; nous aurons les mêmes réserves à l’égard des compétences que l’on souhaite ici confier aux départements. Nous aurions souhaité que l’on distingue entre, d’une part, ce qui est légitime, c’est-à-dire l’intervention dans le cadre de la crise, qui peut nécessiter des dérogations, et, d’autre part, le fond du problème, à savoir la loi NOTRe. De fait, je ne vois pas comment, compte tenu de la crise cataclysmique des finances publiques qui s’annonce, on pourra éviter de réviser cette loi de fond en comble, notamment pour toiletter les compétences et affirmer le principe de l’autonomie financière et surtout fiscale des collectivités, ce à quoi on s’est toujours refusé jusqu’alors.

Certes, dans les grandes régions technocratiques dépourvues de substrat socioculturel, les départements sont plus aptes à agir dans l’urgence et à jouer un rôle de proximité. Mais dans d’autres régions, en Corse ou en Bretagne par exemple, cela se justifie moins. Il faudra donc parvenir à un équilibre entre la nécessaire clarification de la notion de chef-de-filat, qu’il faudra assumer, et la proximité.

M. Bruno Questel. Ayant été rapporteur du projet de loi « Engagement et proximité », je me rappelle que, lorsque le Gouvernement a défendu son amendement visant à autoriser l’intervention des départements en cas de catastrophe naturelle, il avait bien insisté sur le caractère éminemment dérogatoire du dispositif et exclu que celui-ci puisse être étendu à d’autres considérations, aussi légitimes soient-elles.

S’agissant du chef-de-filat des régions, je tiens à dénoncer le clientélisme politique honteux qui a présidé à la distribution des masques par le président de la région Normandie. Cependant, la remarque de M. Saulignac concernant ses difficultés à travailler avec M. Wauquiez me semble relever d’une conception un peu surprenante de la République…

Je souhaite que nous menions une réflexion approfondie sur la taille des régions et, plus largement, sur la loi NOTRe. Oui, cette loi est une mauvaise loi, qui a abîmé la République. Il nous faudra un jour y revenir.

M. Pierre Cordier, rapporteur. J’ai bien compris que la majorité ne souhaitait pas aider les commerçants et artisans en difficulté dans les territoires (Protestations). Et que M. Rebeyrotte, qui est conseiller général depuis cent quarante-sept ans, est très compétent en la matière… Et pourtant, cela revient exactement à cela !

Cette proposition de loi, a-t-on dit, arrive trop tard. Mais ce n’est pas moi qui fixe le calendrier des journées réservées ! Si nous avions pu la déposer avant, nous l’aurions fait. Quant à l’hommage rendu aux élus locaux, c’est bien la seule chose que je partage avec M. Rebeyrotte, tant il est vrai qu’ils ont réalisé un travail considérable pour remédier à la défaillance évidente de l’État. Souvenez-vous : au début du confinement, les personnels des EHPAD, les infirmières libérales, les médecins n’avaient pas de masques. Heureusement que les élus locaux étaient là !

En ce qui concerne les régions, monsieur Rebeyrotte, vous êtes « à côté de la plaque ». Dans certaines d’entre elles, quelle que soit, du reste, la sensibilité politique de leur président, les dispositifs ne sont pas adaptés à la demande des artisans et commerçants. Allez proposer à un petit boulanger ou à un droguiste en difficulté un prêt à taux zéro ou une avance remboursable… Les départements, me dites-vous, auront besoin de réserves budgétaires à l’automne, pour payer le RSA. Mais notre objectif est d’intervenir en amont, pour éviter de retrouver tous ces gens à Pôle Emploi ou au RSA. Nous ne nous inscrivons pas du tout dans la même logique et nous ne sommes clairement pas sur la même longueur d’onde.

Quant à la féminisation des conseils départementaux, je m’en réjouis, mais vous êtes un des rares à être satisfait du nouveau découpage des cantons qui a abouti, dans ces centaines de commune, à totalement déconnecter les conseillers départementaux des citoyens. Au demeurant, bon nombre de femmes n’ont pas attendu de faire partie d’un binôme pour s’imposer dans la vie politique : les exemples ne manquent pas.

Rémy Rebeyrotte. Chez Les Républicains ?

M. Pierre Cordier, rapporteur. Monsieur Schellenberger, vous avez raison, il peut être intéressant que les présidents de région, les présidents de département et les présidents d’intercommunalité travaillent ensemble. La mobilisation générale est précisément l’objet de cette proposition de loi, qui permettrait aux conseils départementaux d’intervenir pendant quelques mois, grâce à un instrument très souple. Encore une fois, il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit. Dans une collectivité qui m’est chère, le conseil départemental avait prévu de désendetter le département à hauteur de 12 millions. À présent, il veut allouer cette somme à des aides aux artisans, commerçants et chefs de petites entreprises. Or, la loi ne le permet pas. Allez expliquer aux présidents de départements qu’ils gardent leur argent pour payer le RSA dans quelques mois… Ce n’est en aucun cas la logique que je vous propose.

Madame Florennes, je croyais que le MODEM était une structure modérée, calme, posée, et François Bayrou un homme ouvert d’esprit et tolérant. Comment pouvez-vous parler de précipitation politicienne alors que le confinement a été décidé mi-mars ? Je peux comprendre que vous ne soyez pas favorable à ce dispositif, mais votre jugement est en décalage par rapport à la réalité. Si j’ai déposé cette proposition de loi, c’est pour répondre aux demandes exprimées sur le terrain. Les dizaines de présidents de conseils départementaux et d’anciens vice-présidents chargés du développement économique que j’auditionne regrettent de ne pas pouvoir aider les petites structures de leur département, et certains viennent de chez vous. Il faudrait aussi que vous vous coordonniez, au sein du MODEM !

Monsieur Saulignac, ne soyez pas heurté par mes propos sur la loi NOTRe mais il est de fait que la suppression d’un certain nombre de dispositifs a en quelque sorte frustré de nombreux élus départementaux de ne plus pouvoir intervenir dans le domaine économique dans les territoires – à une petite échelle certes, en raison des règlements européens notamment qui limitaient les subventions directes ou les prêts à remboursement différé. Beaucoup de socialistes ou d’anciens socialistes, comme M. Rebeyrotte, regrettent que cette loi ait été votée.

Je vous remercie de votre soutien, monsieur Brindeau. Peut-être êtes-vous un des seuls, dans cette salle, à avoir conscience de la gravité de la situation (Exclamations). Croyez bien que tous les petits commerçants et artisans de France sauront que La République en marche et le MODEM s’opposent à cette proposition de loi alors qu’elle leur permettrait de sortir la tête de l’eau ! Nous le leur ferons savoir !

M. Erwan Balanant. C’est honteux !

M. Pierre Cordier, rapporteur. Pas du tout !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je suggère d’en rester aux arguments de fond plutôt que de céder aux invectives.

M. Pierre Cordier, rapporteur. Tout à fait ! Merci, madame la présidente.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cela s’adresse également à vous, monsieur le rapporteur.

M. Pierre Cordier, rapporteur. Je ne fais que répondre aux invectives et vous me connaissez suffisamment pour savoir que je ne laisserai pas quelques élus détourner le sens du dispositif que je propose !

Pascal Brindeau a évoqué la défaillance de l’État. Heureusement que les conseils départementaux ont été au rendez-vous, comme ce fut le cas dans le mien, mais aussi ailleurs, et mis de l’argent sur la table pour acheter les masques et répondre aux demandes !

Les Ardennes, mais aussi le Calvados ou la Meurthe-et-Moselle, ont ainsi décidé de réorienter une partie de leurs crédits pour donner un coup de main à ces petites structures. Le mécanisme que je propose est encadré, il repose effectivement sur un accord des préfets : c’est ce qu’avait prévu la loi « Engagement et proximité » lorsqu’elle a autorisé les départements à intervenir en cas de catastrophe naturelle. Car je suis tout aussi ouvert d’esprit que vous, chers collègues de la majorité, et c’est pourquoi j’ai repris un dispositif que je trouvais intelligent et que vous aviez vous-mêmes proposé il y a quelques mois !

M. Acquaviva a parlé d’un climat anxiogène pour tous les petits artisans et commerçants ; je le rejoins tout à fait. Quelles que soient nos sensibilités, sans doute n’avons-nous pas encore pris la mesure du choc qui se profile à l’automne prochain. En ce mois de juin, les gens retrouvent une vie presque normale après le confinement, pensent à leurs congés ; mais économiquement, cela va faire très mal en septembre et octobre. Si le dispositif que je propose n’est pas adopté, des centaines de milliers d’emplois disparaîtront dans toutes ces petites structures. Car les régions et l’État n’y suffiront pas. Les Républicains ont voté les deux dispositifs de soutien proposés par le Gouvernement, parce qu’ils allaient dans le bon sens, mais nous maintenons que le département est l’échelon le plus approprié pour aider les petites structures à continuer de vivre – avec l’accord du préfet, s’entend, et en lien très étroit avec les régions et les intercommunalités afin d’éviter les doublons, aux effets toujours dévastateurs.

Je me suis entretenu hier au téléphone avec Pierre Monzani, le directeur général de l’Assemblée des départements de France (ADF), qui est bien entendu très favorable à une intervention limitée dans le temps et très encadrée des départements, tout comme le président de l’ADF, Dominique Bussereau, connu pour sa tolérance et son ouverture d’esprit.

J’ai bien compris que le texte sera rejeté, mais sachez que les commerçants et les artisans de nos territoires en seront informés.

M. Guillaume Vuilletet. J’ai du mal à ne pas réagir à ce que je viens d’entendre.

Dans cette commission, nous avons l’habitude de nous parler à peu près poliment. Il peut nous arriver de tenir des propos sévères, mais nous évitons les arguments d’autorité. Vous connaissez sûrement très bien votre territoire, mais nous aussi connaissons bien les nôtres. Arrêtez de vous croire supérieur au motif que vous faites des dizaines de visioconférences.

Je me réjouis de l’excellente coordination constatée dans le domaine médical et social entre les différentes strates dans de nombreuses régions, mais ce n’est pas la question des aides de l’État que vous avez soulevée : dire que cette majorité n’a rien fait pour les commerçants, les artisans et le secteur du tourisme, c’est « du foutage de gueule », passez-moi l’expression ! L’annulation des charges à hauteur de 18 milliards, ce n’est tout de même pas rien !

En fait, vous vous demandez s’il faut ou non revenir sur la loi NOTRe. Soyons clairs : je suis départementaliste et je considère cette loi comme un accident politique et industriel. Il faudra revenir dessus, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille retourner à la situation antérieure, où tout le monde faisait tout dans tous les domaines, sans aucune coordination. Nous pourrons en discuter lors de l’examen de la loi « Décentralisation, différenciation et déconcentration » (3D), comme nous avions commencé de le faire avec la loi « Engagement et proximité » mais il faut savoir faire preuve d’un minimum d’humilité, et par rapport aux événements, et par rapport à l’organisation de la République.

M. Erwan Balanant. Votre intervention m’a également un peu perturbé, monsieur Cordier. Vous êtes visiblement un homme responsable ; vous avez été maire, conseiller départemental et vous êtes aujourd’hui député. Vous avez toutes les clés en main pour ne pas dire n’importe quoi. Prétendre que La République en marche et le MODEM refusent d’aider les commerçants et les artisans, c’est totalement scandaleux. Le Gouvernement a engagé une démarche inédite. Jamais ils n’ont été aidés aussi massivement et dans un laps de temps si court !

J’ai réalisé dans ma circonscription un petit questionnaire « flash » auprès des commerçants et des artisans : aucun n’a demandé l’aide du département. Zéro, nada, rien ! Ce qui ressort de ce questionnaire et de nos conversations, c’est un désir de clarté et de rapidité. Ils se félicitent de l’importance des aides apportées, ils regrettent seulement que cela soit parfois un peu lent à mettre en place. Or vous proposez de compliquer ce qui ne doit pas l’être. M. Acquaviva a parlé de sables mouvants : lorsque l’on se retrouve dedans, la meilleure des choses à faire est surtout de ne pas s’agiter. C’est précisément ce que vous faites avec ce texte, en faisant de la surenchère et en tenant des propos malhonnêtes.

M. Fabien Di Filippo. Ce qui est malhonnête, c’est de refuser toute forme de critique et de refuser de voir le caractère concret de nos propositions. Mon collègue ne vous a pas reproché de ne pas connaître le terrain, mais de refuser de faire jouer un levier d’aides dont les très petites entreprises ont urgemment et dramatiquement besoin.

Je relève plusieurs contradictions dans vos propos.

Premièrement, vous vous vantez d’avoir débloqué des aides inédites pour nos entreprises. Cela s’explique par l’erreur stratégique du Gouvernement, qui a confiné l’ensemble de la population et a mis à l’arrêt complet un certain nombre de secteurs. Forcément, le coût du chômage partiel est lui aussi inédit. S’il y avait eu des tests, s’il y avait eu des masques, le confinement aurait été beaucoup plus ciblé, comme chez nos voisins allemands, où le recul dans le secteur du BTP n’est que de 4 %.

Deuxièmement, nous avons des régions de taille XXL comme le Grand Est ou Auvergne-Rhône-Alpes, où il est très difficile de s’occuper des PME et des petites communes. Forcément, on a perdu en qualité d’information et en proximité. Un jour, il faudra se réveiller !

Troisièmement, vous jugez ce texte précipité, mais vous êtes les premiers à dire que cette crise inédite nous a mis dans une situation d’urgence absolue. Il y a donc également urgence à aider nos entreprises. Compte tenu des chiffres annoncés cette semaine par le ministre de l’économie lui-même, tout le monde doit donc avoir conscience de l’urgence économique et du risque de disparitions d’entreprise et de destruction d’emploi.

Quatrièmement, ce texte n’est plus d’actualité, dites-vous. Dès lors, pourquoi l’entrée en vigueur de votre plan de relance est-elle prévue seulement à l’automne ? Avons-nous le temps ? Tout est-il déjà réglé ? Je ne le pense pas et personne, ici, n’en disconviendra. Ne dites surtout pas qu’il ne serait plus d’actualité, pour les départements qui le souhaitent et qui le peuvent, de pouvoir actionner un levier d’aides supplémentaires ! C’est ridicule ! Ne soyez pas dans le déni !

Il y a toujours un décalage entre la perception de vos dispositifs, très autosatisfaite, et la manière dont ils s’appliquent sur le terrain. Dans ma circonscription, les chefs d’entreprise me disent qu’entre ce qu’annonce M. Le Maire et la façon dont les choses sont mises en œuvre, les astérisques et les astérisques aux astérisques font que dans bien des secteurs, un grand nombre de TPE et de PME se sont retrouvées laissées de côté. Et cela, vous ne pouvez pas le nier !

Vous demandez de la clarté et de la rapidité ; il n’y a pas mieux que de faire jouer la subsidiarité pour redonner un moyen d’action très concret à un échelon de proximité. Les départements souhaitent investir davantage dans le soutien au travail et à l’activité économique plutôt que de continuer à s’enfoncer dans les sables mouvants du RSA, dont ils ne se sortent plus.

M. Éric Ciotti. Il faut aborder ce texte d’une façon très pragmatique.

La situation est terrifiante : notre richesse nationale va diminuer de 11 %, nous sommes face à une vague d’une ampleur et d’une violence inédites et nous priverions certains acteurs de moyens d’action ? Il me paraît de bon sens que les acteurs économiques institutionnels locaux, à l’échelon qu’ils trouvent pertinent – en l’occurrence, celui des départements - puissent faire ce qu’ils jugent bon de faire.

Certains départements en ont la capacité, d’autres pas. J’ai présidé pendant neuf ans un conseil départemental qui dispose d’un budget comparable à celui des anciennes régions. Face à l’augmentation des dépenses liées au RSA, très brutale depuis quelques semaines – 4 000 allocataires de plus dans les Alpes-Maritimes –, il est logique de penser que le département pourrait participer à la mobilisation générale. C’est le cas lors de catastrophes naturelles ; pourquoi ne le serait-ce pas lors de catastrophes sanitaires ?

La révision de la funeste loi NOTRe, qui a fait de nombreux dégâts, s’imposera. Je suis partisan d’échelons de proximité et je soutiens que ces grandes régions, à l’image des grandes administrations déconnectées des réalités, ne sont peut-être pas, en tout cas pas partout, les échelons les plus pertinents. Leurs politiques, souvent, privilégient les très grandes structures et, faute d’un élément de proximité adéquat, il ne leur est pas possible d’aider les commerçants et les artisans.

Il ne s’agit pas d’avoir une vision idéologique des choses : ma famille politique compte des régionalistes et des départementalistes, les responsables de Régions de France s’opposent à ceux de l’Assemblée des départements de France. Mais dans une telle situation, il faut éviter de garder les yeux rivés sur notre pré carré et lancer une mobilisation générale à laquelle les départements peuvent et doivent participer : c’est précisément l’objet de cette proposition de loi.

M. Pierre Cordier, rapporteur. S’agissant des aides, monsieur Balanant, si nous avions pensé que le Gouvernement n’avait pas été à la hauteur, nous n’aurions pas voté les deux textes qu’il a proposés. M’avez-vous entendu dire qu’aucun effort n’avait été réalisé ? Si cela n’avait jamais atteint un tel niveau, c’est aussi parce que la France n’a pas connu une crise sanitaire comparable depuis longtemps. Je ne remets pas en cause, pas plus que le groupe Les Républicains, les dispositifs très intéressants dont les commerçants et les artisans peuvent d’ores et déjà bénéficier.

Si personne ne vous a parlé des aides départementales dans votre petite enquête, c’est parce qu’elles n’existent pas. Si votre conseil départemental avait mis en place un dispositif d’aide pour reconstituer les stocks ou acheter des matériels de protection, croyez bien que les commerçants et les artisans vous en auraient parlé ! Notre objectif visait précisément à pallier ce manque.

Lorsque j’ai été élu, en 2004, il était possible de recevoir des aides du département ou de la région, parfois même des communes, dans des domaines souvent différents : parfois une subvention, parfois un prêt à taux zéro, parfois un remboursement différé ; tous ces dispositifs se complétaient. Combien d’entreprises ont pu voir le jour grâce à eux ! Il s’agit simplement pour nous de s’inscrire dans ce mouvement.

Je le répète : je me suis inspiré du texte que vous avez voté en décembre 2019, je n’ai rien inventé. Le parallélisme avec l’état de catastrophe naturelle pouvait être retenu.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. L. 3231-3 du code général des collectivités territoriales) : Permettre aux départements d’accorder des aides aux entreprises fragilisées par l’état d’urgence sanitaire

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Gage de recevabilité financière

La commission rejette l’article 2.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La proposition de loi est donc rejetée. Elle sera examinée dans l’hémicycle la semaine prochaine.

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*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à permettre aux conseils départementaux d’accorder des subventions aux petites et moyennes entreprises et industries et aux artisans fragilisés, en particulier du secteur du tourisme, par la crise du covid-19 (n° 2996).


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   PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

 

     M. Noël Bourgeois, président du conseil départemental des Ardennes

     M. Patrick Septiers, président du conseil départemental de Seine-et-Marne

     M. Pierre Monzani, directeur général de l’Assemblée des départements de France (ADF)

 


([1]) Paiement prioritaire des acomptes et autres factures aux entreprises, prolongement des délais d’appel d’offres, abandon des pénalités de retard dues à la crise, etc.

([2]) Article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales.

([3]) Article L. 3232-1-2.

([4]) Article L. 3232-4.

([5]) Article L. 1511-8.

([6]) Régime d’aide spécifique n° SA.40424 relatif aux aides destinées à remédier aux dommages causés par certaines catastrophes naturelles.