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N° 3116

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 juin 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE LADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

instaurant des mesures de sûreté à lencontre des auteurs dinfractions terroristes
à lissue de leur peine
 ( 2754)

PAR Mme Yaël BRAUN-PIVET

Députée

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Voir le numéro : 2754.


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   SOMMAIRE

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Pages

avant-propos.......................................................... 5

SOMMAIRE

I. Une menace terroriste toujours présente

A. La prise en compte du risque terroriste

B. Une menace en évolution

1. Une menace désormais endogène

2. Les sortants de prison

II. Des dispositifs de suivi insuffisants

A. Les fichiers

1. Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs dinfractions terroristes (FIJAIT)

2. Le fichier national des personnes interdites dacquisition et de détention darmes (FINIADA)

B. Les instruments de suivi judiciaire

1. Le suivi socio-judiciaire

2. La surveillance judiciaire

3. Le suivi post-libération

4. La rétention et la surveillance de sûreté

C. Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS)

1. Le cadre juridique

2. Un outil régulièrement utilisé

3. Une nette augmentation des MICAS à lencontre des sortants de prison

4. Des mesures limitées dans le temps

III. La proposition de loi

A. Une mesure de sûreté dapplication immédiate

B. Le dispositif proposé

1. Les personnes visées

a. Des personnes déjà condamnées par la justice pour des actes de terrorisme

b. Le critère de la particulière dangerosité

2. Une procédure judiciaire

a. La compétence du tribunal de lapplication des peines de Paris

b. Linitiative du procureur de la République antiterroriste

c. Lavis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté

3. Les obligations rendues possibles

a. Les actions soumises à autorisation du juge

b. Les interdictions de contact et de paraître

c. Lobligation de pointage

d. La surveillance électronique

4. Des mesures limitées dans le temps

5. La coordination avec les mesures existantes

IV. Les travaux de la commission des Lois

Compte rendu des débats

Personnes entendues

Annexe : Avis du conseil détat

 


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Mesdames, Messieurs,

Est-il besoin de décrire l’engagement de l’État, des institutions, des parlementaires dans la lutte contre le terrorisme ? De rappeler les vies perdues dans ce combat et les efforts consentis par les Français ? De dénoncer encore cet ennemi blessé par les victoires de nos soldats hors de nos frontières et poursuivi par nos forces de sécurité, que nous savons aujourd’hui repoussé mais pas vraiment vaincu ?

Depuis 2012, des attentats odieux nous ont éprouvés. Ils ont frappé le peuple français, au cœur de Paris. Ils ont fauché des vies au hasard, à Nice ; ils ont emporté des héros, à Trèbes. Ils ont eu lieu jusque dans nos prisons.

Face à la menace, les gouvernements successifs, et avec eux les oppositions successives, ont su où se trouvait leur devoir : dans l’impérieuse nécessité de protéger les Français. L’actuelle majorité, depuis le début de la législature, a pris sa part à l’entreprise commune. La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi « SILT », a produit des résultats dont nous pouvons nous féliciter. Les conclusions que nous tirons de son suivi régulier, à travers le contrôle parlementaire renforcé prévu par le législateur, nous en convainquent largement.

Pourquoi, alors, cette proposition de loi ?

Il faut insister, au préalable, sur le fait que cette initiative parlementaire est née d’un constat « de terrain », d’une observation empirique, de contacts approfondis avec les professionnels de la lutte antiterroriste. Elle vient de travaux conduits par votre rapporteure au sein de la Délégation parlementaire au renseignement, du contrôle de la loi SILT, de la commission des Lois. Il n’est donc pas étonnant qu’une démarche analogue ait conduit le président de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Bas, à déposer une proposition de loi qui n’est pas si éloignée de celle qui vous est présentée, ni que des hautes autorités administratives et judiciaires aient approuvé cette démarche.

Le constat est simple : des personnes très dangereuses, condamnées pour des faits de terrorisme, vont sortir de prison et nous n’avons pas tous les outils nécessaires pour assurer leur suivi.

Paradoxalement, ce manque met en lumière l’efficacité de la procédure pénale et du droit pénal français. Depuis la loi du 9 septembre 1986 a été institué un ensemble d’infractions spécifiques, de circonstances aggravantes, de procédures dérogatoires et de compétences nationales qui permettent de répondre avec force aux agressions. Les terroristes peuvent être identifiés et interpelés avant même de commettre leur crime. Les faits, qui auparavant étaient correctionnalisés, sont maintenant jugés comme ils le doivent : en cour d’assises.

Les djihadistes et les partisans de l’État islamique ont été incarcérés en leur temps, le plus souvent sous l’incrimination délictuelle d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ils ont été condamnés. Ils ont été incarcérés. Mais leur peine vient à son terme. Entre 2020 et 2022, 153 condamnés pour crimes ou délits terroristes recouvreront leur liberté.

Incarcérés, certains ont pu s’amender. Nous savons pourtant que tous n’ont pas abandonné leurs idées mortifères. Ceux-là sont les plus dangereux : ils sont déjà passés à acte ; nous les avons punis ; les mesures de sûreté existantes, souvent conçues contre les perversions des infractions sexuelles et non contre l’aveuglement d’une foi terroriste, sont insuffisantes ou inadaptées.

Nous avons besoin, aujourd’hui, d’une mesure de sûreté qui n’existe pas dans notre droit, pour combler un vide juridique et prendre en compte cette menace nouvelle. La présente proposition de loi, dont votre rapporteure est la première signataire aux côtés de l’ensemble des membres du groupe La République en Marche de l’Assemblée nationale, la prévoit. Elle ne retient que les contraintes indispensables à son objet, qu’elle encadre des garanties propres à la procédure judiciaire et qu’elle fonde sur une appréciation objective de la dangerosité. Les mesures seront renouvelables, sur décision judiciaire, mais limitées dans le temps.

De surcroît, la modification ou la levée de ces mesures pourra être demandée à tout moment. L’ensemble des autres garanties prévues par le code de procédure pénale avant le prononcé de mesures de surveillance post‑peine s’appliqueront. Il en va ainsi du contradictoire, des droits de la défense, des voies de recours et de cassation, de l’assistance d’un avocat.

Ainsi, face à un péril identifié par avance, il est proposé au Parlement d’apporter une réponse nécessaire, adaptée et proportionnée. Une réponse urgente, ce que le Gouvernement a perçu en engageant sur ce texte la procédure accélérée, et conforme à nos règles constitutionnelles et nos engagements conventionnels, ce qui justifiait une saisine pour avis du Conseil d’État par le président de l’Assemblée nationale ([1]).


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I.   Une menace terroriste toujours présente

A.   La prise en compte du risque terroriste

La Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme définit l’acte de terrorisme comme « tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou par son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à sabstenir daccomplir un acte quelconque » ([2]).

Face à ces actes, le droit interne a évolué en fonction des attaques subies par la France ou par des nations alliées, qui ont pris la forme d’épisodes terroristes intenses entrecoupés de périodes d’accalmie.

La vague dattentats qui a frappé le territoire national entre décembre 1985 et septembre 1986, perpétrée par le groupe de Fouad Ali Saleh et qui s’ajoute à l’activité d’Action directe à la même période, a conduit le législateur à opérer des choix importants à l’occasion de la loi n° 861020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme ([3]). Alors que les actes de terrorisme étaient auparavant réprimés selon le droit commun, tant pour la définition des incriminations qu’au regard de la procédure applicable, ces deux éléments reçurent de profondes modifications :

– le code pénal prévoit depuis une liste d’infractions de droit commun comme l’assassinat, l’attentat à l’explosif, le détournement d’avion, les attroupements armés ou encore les actes tendant à faire dérailler les trains, susceptibles d’être commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ;

– le code de procédure pénale édicte des règles spéciales de procédure, parmi lesquelles la compétence nationale du parquet, du juge d’instruction et des juridictions de jugement de Paris pour connaître des actes de terrorisme ([4]).

Entré en vigueur le 1er mars 1994 ([5]), le nouveau code pénal consacre au sein de son livre IV, relatif aux « crimes et délits contre la nation, lÉtat et la paix publique », un titre entier aux infractions terroristes. Les articles 421‑1 et suivants, qui reprennent les dispositions issues de la loi du 9 septembre 1986, forment ainsi le titre II, avec notamment les « atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation » (titre Ier) et les « atteintes à lautorité de létat » (titre III).

Une seconde vague dattentats, perpétrés à lété et à lautomne 1995, a provoqué un nouvel approfondissement des dispositions répressives. Les délais de prescription applicables aux actes terroristes furent allongés ([6]). Le délit dassociation de malfaiteurs terroriste est créé en 1996 ([7]), qui permet une répression en amont des infractions et la sanction de leurs auteurs avant même qu’ils ne puissent commettre leur forfait ([8]).

Les attentats du 11 septembre 2001 et les attaques terroristes consécutivement menées contre des États européens ont incité le législateur à compléter le code pénal par de nouvelles infractions ([9]).

La dernière période s’est ouverte avec les tueries de Toulouse et de Montauban en mars 2012, qui ont marqué le retour du terrorisme islamiste sur le territoire français, jusqu’aux événements de l’année 2015. Cette période a marqué un approfondissement régulier des dispositifs légaux de lutte contre le terrorisme :

– la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme applique la loi pénale française aux crimes et délits terroristes commis à létranger par des Français ou par des personnes résidant en France ([10]). Elle érige également en délit les offres, promesses, menaces ou pressions sur une personne pour qu’elle participe à une association de malfaiteurs terroriste ou commette des actes de terrorisme ([11]) ;

– la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a créé le délit dentreprise terroriste individuelle ([12]). Elle a également transféré dans le titre du code pénal relatif aux actes de terrorisme, entraînant ainsi l’application des règles procédurales strictes de la matière, les délits de provocation à la commission dactes terroristes et dapologie du terrorisme autrefois soumis au régime plus souple des infractions d’opinion ([13]).

Depuis le début de l’année 2015, la France a subi une nouvelle vague dattentats terroristes de type islamiste. Les attaques du Bataclan, de Magnanville, de Saint–Etienne–du Rouvray, d’Orly, de Trèbes, de Carcassonne, ainsi que celles qui ont eu lieu dans les prisons à Osny ou Condé–sur–Sarthe notamment, ne sont que quelques exemples de la folie meurtrière qui a ensanglanté notre pays.

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été décrété sur le territoire national. Conformément à l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 ce régime d’exception peut en effet être déclaré sur tout ou partie du territoire en cas de « péril imminent résultant datteintes graves à lordre public ». Il permet à l’autorité administrative de disposer, face à l’urgence, de prérogatives accrues pour défendre l’ordre public.

Eu égard à la gravité de la menace, l’état d’urgence a été prolongé à six reprises par le Parlement. Ce fut en particulier le cas à l’issue du terrible attentat de Nice le 14 juillet 2016, suivi par la loi prorogeant l’état d’urgence promulguée le 21 juillet ([14]).

La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a accru les moyens d’investigation des enquêteurs en matière terroriste. En ce qui concerne les peines, elle a notamment rendu applicable aux actes de terrorisme le suivi socio-judiciaire ([15]).

Prenant acte du fait que les menaces durables ou permanentes devaient être traitées, dans le cadre de l’État de droit, par les instruments permanents de la lutte contre le terrorisme, le législateur a adopté la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 30 octobre 2017 et doté ainsi les autorités administratives de moyens leur permettant de lutter contre le terrorisme : mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, périmètres de protection, fermeture des lieux de culte.

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, enfin, a modifié la spécialisation issue de la loi du 9 septembre 1986 en retirant la compétence de poursuite des actes de terrorisme au procureur de la République de Paris pour instituer un procureur national antiterroriste ([16]).

À cette architecture particulière il convient d’adjoindre les moyens financiers et humains croissants alloués aux services de renseignement mais aussi les nouveaux outils juridiques dont ils ont été dotés par la loi du 24 juillet 2015 ([17]). En outre, l’organisation administrative de la communauté du renseignement a été profondément remodelée au cours des dix dernières années.

Plusieurs plans d’action ont ainsi été mis en œuvre pour mieux lutter contre le terrorisme ; le dernier en date est le plan daction contre le terrorisme (PACT) présenté le 13 juillet 2018 par le Premier ministre. C’est dans ce contexte que la DGSI a été désignée service chef de file opérationnel pour la prévention et la lutte contre le terrorisme affectant le territoire national.

Il ressort de ce rappel historique que la démarche engagée dans le combat contre le terrorisme a évolué au cours des années. Alors que la loi s’est d’abord attachée à définir comme infractions terroristes des infractions de droit commun en relation avec une entreprise terroriste, elle s’est ensuite engagée dans la définition dinfractions purement terroristes qui n’étaient pas appréhendées par le droit pénal général. Par la suite, la stratégie de réaction a laissé la place à une logique danticipation prenant la forme d’une incrimination de comportements périphériques à l’acte terroriste proprement dit et d’un renforcement des services de renseignement. L’ambition est d’appréhender non seulement le passage à l’acte terroriste mais aussi les comportements de soutien à celui-ci, les initiatives de propagation des idéologies à sa source et le processus de radicalisation préalable au basculement dans l’action violente.

Comme le note désormais la doctrine, « lobjectif essentiel dune lutte efficace contre le terrorisme est de neutraliser préventivement des actes potentiellement terroristes » ([18]).

B.   Une menace en évolution

À plusieurs reprises, le Conseil d’État a confirmé la persistance de cette menace. Saisi par exemple d’une demande tendant à suspendre l’état d’urgence ou, à défaut, d’ordonner au Président de la République d’y mettre fin, le juge des référés a souligné, en 2016, que, « même sils ont été de moindre ampleur que ceux du 13 novembre, des attentats se sont répétés depuis cette date à létranger comme sur le territoire national et que plusieurs tentatives dattentat visant la France ont été déjouées ». Il a relevé ensuite que « la France est engagée, aux côtés dautres pays, dans des opérations militaires extérieures de grande envergure qui visent à frapper les bases à partir desquelles les opérations terroristes sont préparées, organisées et financées » ([19]).

Aujourd’hui encore le Conseil d’État considère le terrorisme comme « lune des menaces les plus graves pour les sociétés démocratiques » ([20]). Mais celle-ci évolue : si le risque exogène n’est pas écarté, le péril endogène a pris davantage d’importance.

1.   Une menace désormais endogène

Les attaques du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis, mais aussi du 13 mars 2016 sur la plage de Grand Bassam en Côte d’Ivoire et du 22 mars 2016 à Bruxelles, étaient le fait des organisations terroristes Daech et AQMI. En particulier, Daech a pu s’appuyer sur plusieurs centaines de ressortissants français ayant rejoint ses rangs, mais également sur plusieurs milliers d’autres combattants francophones, tous susceptibles d’être projetés sur le territoire français ([21]).

Avec la chute du « califat », l’État islamique a basculé dans la clandestinité et adopte désormais une logique insurrectionnelle, conduisant des attaques ciblées ([22]). Les services du renseignement, en particulier la DGSI, estiment en conséquence que le risque d’opérations d’ampleur similaire à celle des attaques du 13 novembre 2015 est désormais plus réduit ([23]).

De même, si la question des returnees a focalisé l’attention au cours des dernières années, elle ne constituerait pas, pour les services de renseignement, la principale menace à laquelle la France est aujourd’hui confrontée. Les difficultés pratiques à quitter la Syrie et l’efficacité des mesures d’entrave ont limité les risques de fuite et de retours non contrôlés ([24]).

Aujourd’hui, les périls viennent davantage de l’intérieur et, de ce point de vue, la question des sortants de prison est d’une très grande acuité.

2.   Les sortants de prison

On distingue deux catégories de sortants de prison radicalisés.

– Les personnes ayant purgé une peine pour des faits liés au terrorisme islamiste (TIS) :

Au 30 mars 2020, 534 personnes prévenues et condamnées sont détenues en France pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste. 153 TIS définitivement condamnés pour crime ou délit qualifié d’acte de terrorisme doivent être libérés dans les trois ans qui viennent.

personnes condamnées pour terrorisme islamiste sortant de prison

TIS sortant de prison à 3 ans

153

à fin 2020

42

à fin 2021

64

à fin 2022

47

Source : ministère de la justice.

Les sortants de prison TIS des années à venir ont par ailleurs relevé d’une politique pénale moins sévère que celle qui est pratiquée depuis quelques années. Ainsi, seules 11 d’entre eux ont été condamnés pour des crimes terroristes. Les autres ont été condamnés pour le délit d’association de malfaiteurs terroristes.

– Les personnes ayant purgé une peine de droit commun, mais étant par ailleurs radicalisées :

Au 30 mars 2020, le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) dénombrait 853 personnes détenues pour des faits de droit commun identifiées comme radicalisées, dont 327 personnes détenues dont la radicalisation est avérée sont sortants dans les trois prochaines années.

Votre rapporteure a mené, dans le cadre du contrôle parlementaire exercé sur la loi SILT, des auditions qui ont confirmé le caractère actuel et prégnant de la menace liée aux sortants de prison radicalisés.

Ainsi, à l’Assemblée nationale le 10 février 2020, le procureur de la République antiterroriste, M. Jean‑François Ricard, a évoqué « plus quune inquiétude, une vraie peur » s’agissant du « devenir des dizaines de personnes qui vont sortir de prison, qui sont très dangereuses et dont les convictions sont absolues ».

Quelques jours auparavant, le 5 février 2020, les membres de la mission de contrôle ont entendu M. Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris. S’agissant de l’évaluation de la menace terroriste, celui-ci a confirmé que le risque principal venait désormais des personnes condamnées qui vont sortir de prison dans les prochaines années.

Le même jour, les membres de la mission de contrôle ont auditionné le directeur général de la sécurité intérieure, M. Nicolas Lerner. Il a en particulier indiqué qu’il fallait prendre en compte « un aspect qualitatif : les individus impliqués dans des projets au moment de la grosse menace ou le plus versés dans lapologie ne sont pas sortis. Ceux qui restent et qui sortiront après 2022 sont les plus endurcis. »

Lors des auditions organisées le 12 juin 2020 sur la présente proposition de loi cette inquiétante actualité liée à la libération de détenus arrivant au terme de l’exécution de leur peine, qui demeurent ou se sont radicalisés et persistent dans leur adhésion aux visées de groupements à caractère terroriste prônant l’attentat comme mode d’action, a été pleinement confirmée. Le Conseil d’État l’évoque dans son avis en la qualifiant de « risque majeur pour la sécurité publique » ([25]).

Lorganisation administrative de la sortie de prison des personnes radicalisées

Depuis le mois de mai 2017, le renseignement pénitentiaire, désormais assuré par le service national du renseignement pénitentiaire ([26]), diffuse aux autres services de renseignement compétents une note de signalement en fin dincarcération (NSFI) avant la libération des personnes dites « TIS » ou radicalisées « RAD ». Ces notes contiennent lensemble des informations dont il dispose susceptibles dêtre utiles aux services de renseignement partenaires en cas de mise en œuvre dune surveillance à compter de la libération du condamné. Elles permettent ainsi une évaluation individualisée du niveau de menace que représente chaque condamné à sa libération.

En outre, l’administration pénitentiaire a mis en place un système d’alertes automatiques en cas de libération de toute personne « TIS » ou « RAD ». Effectif depuis fin octobre 2019, ce dispositif permet d’alerter les unités déconcentrées du SNRP, les services de renseignement partenaires et les services judiciaires, de la date et de l’heure de la libération de ces personnes.

Deux mois avant la libération d’un détenu radicalisé, la désignation du futur service chef de file est effectuée en groupement d’évaluation départementale (GED) du lieu de détention et, s’il y a lieu, en GED du futur lieu de domiciliation. À la date de la libération, la modification du chef de file est effectuée dans le FSPRT.

Enfin, sous l’égide de l’UCLAT, se tient tous les mois une réunion d’échanges et de coordination permettant de dresser un tableau exhaustif des personnes (TIS et RAD) appelées à être libérées. Ces réunions, qui s’accompagnent de communications permanentes entre l’ensemble des services et administrations concernés, permettent de consolider les éléments opérationnels en possession des différents partenaires et de lever les éventuelles ambiguïtés

II.   Des dispositifs de suivi insuffisants

Dans ce contexte, la question du caractère suffisant ou pas des dispositifs de suivi existants se pose à l’évidence. Or, les travaux menés par le Parlement depuis le début de la législature, fondés sur un dialogue avec les spécialistes de la lutte antiterroriste, laissent percevoir, plus qu’une faiblesse, un véritable vide : il existe en apparence de nombreux instruments préventifs et répressifs mais l’énumération est trompeuse car certains ne sont tout simplement pas applicables alors que d’autres sont insuffisants.

A.   Les fichiers

1.   Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT)

Le fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) vise à prévenir le renouvellement dactes de terrorisme et à faciliter l’identification des auteurs de ces infractions. Issu de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, il figure à la section 3 du titre XV du livre IV du code de procédure pénale, qui traite « de la poursuite, de linstruction et du jugement des actes de terrorisme » ([27]). Il est opéré par le service du casier judiciaire national sous l’autorité du ministre de la justice et le contrôle d’un magistrat.

Les infractions qui provoquent une inscription au FIJAIT de leur auteur à la suite de sa condamnation même non définitive, sur demande du juge d’instruction ou après une déclaration d’irresponsabilité pénale en raison d’un trouble mental, sont la violation d’une interdiction de sortie du territoire (IST) ([28]), le manquement au contrôle administratif des retours sur le territoire national ([29]) et la commission d’un acte de terrorisme ([30]).

Le FIJAIT recense les données relatives à l’identité de la personne ainsi qu’à la raison et à la date de l’inscription qui y est faite. Ces informations sont conservées vingt ans lorsque l’inscription découle d’un acte de terrorisme, cinq ans quand elles font suite à la violation d’une interdiction de sortie du territoire ou d’un contrôle administratif des retours ([31]).

L’inscription au FIJAIT vaut inscription automatique au fichier des personnes recherchées (FPR), ce qui facilite l’identification des personnes concernées en cas de contrôle par les militaires de la gendarmerie nationale, les personnels de la police nationale et les agents des douanes ([32]).

Elle emporte les obligations de déclarer son adresse dans les quinze jours suivant la notification de l’inscription, puis tous les trois mois, ainsi que tout changement dadresse et tout déplacement à létranger dans les quinze jours. La durée de ces obligations est fixée à dix ans lorsque l’inscription est liée à la commission d’un acte terroriste et à cinq ans en cas de condamnation pour violation d’une IST ou d’un contrôle administratif ([33]).

L’inscription au FIJAIT n’a cependant pour conséquence que des obligations déclaratives et une mention au fichier des personnes recherchées. Elle ne saurait constituer un instrument efficace de prévention du passage à lacte chez des individus identifiés pour leur particulière dangerosité. Comme le souligne le Conseil d’État, le dispositif créé par la proposition de loi, au demeurant plus complet par les mesures qu’il prévoit, doit nécessairement être perçu comme « complémentaire » ([34]).

2.   Le fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA)

Le fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA) est prévu à l’article L. 312-16 du code de la sécurité intérieure. Il recense les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes en application de décisions administratives et à la suite de condamnations judiciaires. Les informations relatives à la personne interdite d’acquisition et de détention d’armes peuvent être conservées durant vingt ans à compter de la date de levée de l’interdiction ([35]).

L’article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure ordonne notamment la privation du droit d’acquérir et de détenir une arme de catégorie A, B ou C ([36]) pour les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire porte la mention d’une condamnation pour l’un des actes de terrorisme prévus aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal.

L’interdiction d’acquérir ou de détenir une arme qu’enregistre le FINIADA constitue une mesure de sûreté automatique et, dans la rédaction du code de la sécurité intérieure, perpétuelle. Elle permet de partiellement prémunir la société contre la récidive des auteurs d’actes terroristes en leur fermant l’accès aux armureries et aux achats d’arme légaux. Cette précaution ne saurait cependant permettre la détection dune entreprise terroriste.

B.   Les instruments de suivi judiciaire

Le code de procédure pénale comporte plusieurs dispositifs explicitement destinés à prévenir la réitération des personnes condamnées. Toutefois, si ces mécanismes peuvent présenter un intérêt pour les détenus radicalisés en cours de peine, ils apparaissent inadaptés à ceux qu’un tribunal correctionnel ou une cour d’assises ont condamné pour un acte de terrorisme ([37]).

1.   Le suivi socio-judiciaire

Le suivi socio-judiciaire est régi par les articles 131‑36‑1 à 131‑36‑8 du code pénal. Il a été créé par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, dans un objectif différent de la lutte contre le terrorisme.

Il consiste à astreindre une personne condamnée, pour une durée maximale de dix années en matière correctionnelle et de vingt années en matière criminelle ([38]), à des mesures de surveillance et à des obligations sociales ou médicales, exécutées sous le contrôle du juge de l’application des peines (JAP). La méconnaissance des obligations assignées conduit à la réincarcération de l’individu pour une durée maximale fixée par la juridiction qui a prononcé la condamnation et qui ne peut excéder trois ans en cas de condamnation pour délit et sept ans en cas de condamnation pour crime.

Les obligations susceptibles d’être prononcées, proches de celles prévues par la présente proposition de loi, sont les trente-trois mesures énumérées par le code pénal dans le cadre du régime de la probation ([39]), qui comprennent notamment :

– les obligations de répondre aux convocations du juge, d’obtenir son autorisation pour tout changement d’emploi ou de résidence, de l’informer de tout déplacement à l’étranger, ou encore de s’astreindre à une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique destinée à permettre la réinsertion ;

– les interdictions de paraître en certains lieux et d’entrer en relation avec certaines personnes ;

– le placement sous surveillance électronique mobile.

Par ailleurs, une disposition spéciale permet l’assignation à résidence d’un individu condamné à une peine de réclusion criminelle supérieure ou égale à quinze ans dans le cadre du suivi socio-judiciaire ([40]).

Depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, larticle 4218 du code pénal permet la condamnation des personnes coupables dinfractions de nature terroriste à un suivi socio-judiciaire à titre complémentaire ou, dans le seul cas des délinquants, à titre principal ([41]). Cette évolution permet de les astreindre à des mesures de surveillance à leur sortie de détention.

Toutefois, si les caractéristiques du suivi socio-judiciaire l’apparentent à une mesure de sûreté en ce qu’il vise à prévenir une infraction future et non à punir une infraction passée, et bien que le code pénal précise que « les mesures dassistance auxquelles est soumise la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire ont pour objet de seconder ses efforts en vue de sa réinsertion sociale » ([42]), il sagit juridiquement dune peine prononcée ab initio par la juridiction de jugement, qui ne saurait être prononcée en répression de faits commis avant son institution par la loi pénale ([43]).

Il résulte du principe de non-rétroactivité des peines plus sévères que le suivi socio-judiciaire ne peut être prononcé quà lencontre des personnes condamnées pour des faits commis postérieurement à lentrée en vigueur de la loi du 3 juin 2016.

De ce point de vue, il convient de relever que, en raison des délais d’instruction, qui atteignent généralement quatre ans, les faits dont la cour d’assises antiterroriste est appelée à connaître sont encore souvent trop anciens pour s’inscrire dans le régime né de la loi du 3 juin 2016 ([44]).

Par ailleurs, il est certes avéré que le suivi socio-judiciaire est en train de monter en puissance dans les affaires correctionnelles, où il est systématiquement requis par le parquet et prononcé par le tribunal lorsque la chronologie des faits le permet ([45]). En revanche, en matière criminelle, la durée des peines de réclusion infligées ne permet pas à la juridiction de jugement de présumer de la dangerosité des condamnés à l’issue de leur peine, de sorte qu’une réticence prévaut à leur adjoindre un suivi socio-judiciaire.

Le suivi socio-judiciaire nest donc pas une réponse suffisante pour la prévention des menaces suscitées par les condamnés pour acte de terrorisme libérables à l’issue de leur peine dans un avenir proche dès lors qu’ils ont commis leurs méfaits avant 2016. Pour les autres, en matière criminelle, il apparaît qu’il n’est pas prononcé par les cours d’assises ou de manière extrêmement marginale. Cette insuffisance est constatée par le Conseil d’État qui en déduira, dans son avis, malgré la proximité des contraintes prévues, que « le dispositif créé par la proposition de loi revêt une utilité pour ces deux catégories de personnes » ([46]).

2.   La surveillance judiciaire

Prévue aux articles 723‑29 à 723‑39 du code de procédure pénale, la surveillance judiciaire est une mesure de suivi post-sentenciel, prononcée par la juridiction de l’application des peines.

Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à sept ans pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru ou d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour un crime ou un délit commis une nouvelle fois en état de récidive légale, le tribunal de l’application des peines peut ordonner à titre de mesure de sûreté et aux seules fins de prévenir une récidive dont le risque paraît avéré, qu’elle sera placée sous surveillance judiciaire dès sa libération. La durée de cette mesure ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine et aux réductions de peines supplémentaires dont elle a bénéficié.

La surveillance judiciaire consiste à imposer des mesures de surveillance et des obligations identiques à celles prévues dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. Sauf décision contraire du juge, le condamné sous surveillance judiciaire est soumis à une injonction de soins lorsqu’il est établi, après expertise médicale, qu’il est susceptible de faire l’objet d’un traitement.

Si la réinsertion du condamné paraît acquise, le juge met fin à la surveillance judiciaire. Si, en revanche, le juge constate des manquements aux obligations assignées, il peut retirer tout ou partie de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié et ordonner sa réincarcération.

Le mécanisme de la surveillance judiciaire est donc une mesure de sûreté insérée dans une modalité d’exécution de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Il apparaît toutefois inadapté au cas des condamnés pour des infractions terroristes :

– d’une part, depuis 2016 ([47]), l’article 721‑1‑1 du code de procédure pénale exclut les personnes condamnées pour des crimes et délits terroristes ([48]) du bénéfice des crédits automatiques de réduction de peine, tandis que les réductions supplémentaires de peine leur sont consenties avec une extrême parcimonie, de sorte que ces condamnés sont en pratique inéligibles à la surveillance judiciaire ([49]) ;

– d’autre part, l’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive repose exclusivement sur un examen médical, ce qui traduit son ambition initiale de lutte contre les infractions sexuelles. Or, si un psychiatre est en capacité de détecter la dangerosité médicale résultant d’une perversion ou d’un trouble mental, il en va différemment de la dangerosité criminologique et de l’intention terroriste. Comme le souligne un récent rapport du Sénat, « dans la pratique, les experts sollicités peinent à se prononcer sur les cas de condamnés pour des faits de terrorisme, rendant parfois complexe, pour le magistrat, le prononcé dune telle mesure, y compris dans les cas où la dangerosité apparaît évidente, au regard du comportement en détention par exemple » ([50]).

3.   Le suivi post-libération

Le suivi post-libération figure à l’article 721‑2 du code de procédure pénale où il a été introduit par la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Il prévoit que les condamnés non éligibles à une mesure de surveillance judiciaire peuvent faire l’objet, sur décision du juge de l’application des peines, d’un suivi post-libération, aux seules fins de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée et de prévenir la commission de nouvelles infractions. Ce dispositif les soumet à des mesures d’aide et de contrôle, ainsi qu’à des obligations et des interdictions dont la liste est plus restreinte que pour la surveillance judiciaire.

De même que la surveillance judiciaire, le suivi post-libération napparaît pas comme une réponse adaptée à la prochaine libération de détenus condamnés pour des actes de terrorisme : il est également plafonné à la durée correspondant au cumul des crédits automatiques de réduction de peine et des réductions de peine supplémentaires accordées, dont les condamnés pour terrorisme ne bénéficient pas ou peu.

4.   La rétention et la surveillance de sûreté

Instituées par la loi n° 2008‑174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la rétention et la surveillance de sûreté figurent aux articles 706‑53‑13 à 706‑53‑22 du code de procédure pénale – soit au chapitre III du titre XIX du livre IV, titre relatif à « la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes ».

La rétention de sûreté vise les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle égale ou supérieure à quinze ans pour un crime sur mineur, un crime aggravé ou un crime en récidive, dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce quelles souffrent dun trouble grave de la personnalité.

La rétention de sûreté, qui n’est possible que si la cour dassises la expressément prévu dans sa décision de condamnation ([51]), prend la forme d’un placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel est proposé, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure.

La décision, qui est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, est conditionnée au fait que la personne condamnée ait effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique adaptée au trouble de la personnalité dont elle souffre. Elle vaut pour une année et peut être renouvelée par la juridiction pour une même durée. Elle peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté, puis d’un pourvoi en cassation ([52]).

Si la rétention de sûreté prend fin alors que la personne présente des risques de récidiver, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut la placer sous surveillance de sûreté pour une durée de deux ans renouvelable. Ce régime est identique à la surveillance judiciaire, si ce n’est qu’un manquement aux obligations entraîne le placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté et non une incarcération.

La rétention de sûreté et la surveillance de sûreté ne répondent pas aux difficultés soulevées par la libération prochaine des détenus condamnés pour des actes de terrorisme et présentant toujours une dangerosité avérée :

– elles doivent être prononcées par la cour dassises au moment de la condamnation, ce qui en exclut de jure les criminels terroristes condamnés avant le 25 février 2008 ;

– parce qu’elles visent d’abord à protéger la société des infractions sexuelles en récidive, elles sont assises sur une appréciation médicale de la dangerosité, critère inopérant dans les affaires de terrorisme ;

– en douze années de fonctionnement du dispositif, celui-ci n’a jamais été mis en œuvre dans une affaire de terrorisme, et rien ne permet de penser qu’il le sera un jour.

Cette inadaptation ne doit pas surprendre dès lors que l’objectif poursuivi par le législateur résidait dans la prévention des crimes sexuels et non dans la lutte contre le terrorisme. Comme le rappelle le Conseil d’État, « la situation des personnes radicalisées condamnées pour crimes de terrorisme (ou pour certains délits de terrorisme) qui persistent dans la dangerosité relève dune autre logique et dun autre type de prise en charge » ([53]).

C.   Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS)

1.   Le cadre juridique

Aux termes de l’article L. 228–1 du code de la sécurité intérieure, aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, le ministère de l’intérieur peut prononcer une mesure individuelle de contrôle et de surveillance (MICAS) dès lors que plusieurs conditions sont réunies :

– il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne constitue une menace dune particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics (critère cumulatif) ;

– cette personne entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ;

– ou elle soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission dactes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes (critère alternatif).

Trois catégories d’obligations peuvent être imposées aux personnes faisant l’objet d’une MICAS :

– les mesures rassemblées à l’article L. 228–2 sont les plus restrictives de liberté, quoique très éloignées des assignations à résidence qui peuvent être prononcées sous l’empire de l’état d’urgence, comme l’illustre le tableau ci–après. Différence majeure entre les deux régimes, il ny a par exemple pas dastreinte à domicile dans le cadre de la loi SILT ;

– les mesures de l’article L. 228‑4, peu restrictives de liberté, essentiellement de nature déclarative ;

– l’interdiction de se trouver en relation avec certaines personnes nommément désignées, prévue à l’article L. 228‑5.

comparaison entre les mICAS et les assignations à résidence

 

Article 6 de la loi du 3 avril 1955

Article 3 de la loi SILT

Nom

Assignation à résidence

Mesure individuelle de surveillance

Finalité

Maintien de la sécurité et l’ordre publics

Seule fin de prévention du terrorisme

Autorité

Ministre de l’intérieur

Ministre de l’intérieur

Public concerné

Toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics

Toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui :

· soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ;

· soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger ou faisant l’apologie de tels actes

Astreinte à domicile

Au plus 12 heures par jour

Pas d’astreinte à domicile

Résidence dans un périmètre

Lieu fixé par le ministre, doit permettre de résider dans une agglomération ou à proximité

Ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur à la commune

Pointage

3 fois par jour au plus

1 fois par jour au plus

Mesures complémentaires

Remise du passeport

Ne pas se trouver en relation avec certaines personnes nommément désignées

 

Déclaration du domicile

Signaler ses déplacements en dehors d’un périmètre

Ne pas se trouver en relation avec certaines personnes nommément désignées

Interdiction de séjour

Durée maximale

12 mois au plus, prolongation pour une durée de 3 mois (au maximum la durée de l’état d’urgence)

12 mois au plus (éléments nouveaux / complémentaires à 6 mois)

Sanction pénale

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

2.   Un outil régulièrement utilisé

Les MICAS ont été régulièrement utilisées depuis l’entrée en vigueur de la loi du 30 octobre 2017. Elles ont notamment permis une sortie maitrisée de l’état d’urgence en assurant la continuité du suivi de certaines personnes représentant une menace particulièrement grave assignées à résidence.

micas

 

Mesures initiales

1e année dapplication

73

2e année dapplication

134

3e année dapplication (au 4 juin 2020)

80

Cumul depuis le 1er novembre 2017

287

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Les obligations les plus fréquemment imposées aux personnes faisant l’objet d’une MICAS sont les mesures de l’article L. 228–2, c’est-à-dire les plus restrictives de liberté.

S’agissant de l’astreinte géographique, la très grande majorité des MICAS la limite ainsi à la commune. Il faut toutefois noter que cette contrainte est très différente en fonction de la taille de la commune, dans la mesure où la restriction aux arrondissements, étudiée lors de l’examen de la loi SILT, n’avait pas été retenue, faute d’intérêt opérationnel pour les services.

S’agissant de la périodicité du pointage, c’est également la mesure maximaliste qui est le plus fréquemment retenue puisque dans plus de 90 % des cas, c’est un pointage quotidien qui est imposé.

3.   Une nette augmentation des MICAS à l’encontre des sortants de prison

Les MICAS, dès l’entrée en vigueur de la loi SILT, ont pu être mobilisées pour des personnes sortant de prison.

Cette utilisation est restée relativement résiduelle la première année (moins de deux par mois en moyenne).

Elle s’est en revanche largement développée au cours de la deuxième année, témoignant d’un basculement des profils des personnes faisant l’objet de MICAS. Cette évolution est d’une part liée à l’extinction des assignations à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence, d’autre part à l’augmentation du nombre de personnes sortant de prison radicalisées.

Source : commission des Lois de lAssemblée nationale.

4.   Des mesures limitées dans le temps

Eu égard à leur caractère restrictif de liberté et afin de prendre en compte la jurisprudence constitutionnelle sur les assignations à résidence ([54]), le législateur a décidé de borner dans le temps la durée maximale des MICAS.

Le tableau ci–dessous décrit les différentes étapes séquençant la durée des obligations qu’elles rendent possibles.

Renouvellement des micas

 

Début de la mesure - 3 mois

3-6 mois

6-9 mois

9-12 mois

(fin de la mesure)

L. 228-2

1ère décision

1er renouvellement

2e renouvellement (éléments nouveaux ou complémentaires)

3e renouvellement

(éléments nouveaux ou complémentaires)

L. 228-4

1ère décision

1er renouvellement (éléments nouveaux ou complémentaires)

L. 228-5

1ère décision

1er renouvellement (éléments nouveaux ou complémentaires)

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Au-delà de six mois, eu égard à la nécessité de fournir des éléments nouveaux ou complémentaires, la très grande majorité des MICAS ne peut être renouvelée.

Il faut en outre noter que plusieurs MICAS ont dû être abandonnées malgré la présence de tels éléments, dans la mesure où les informations émanaient soit de sources humaines, soit de partenaires étrangers des renseignements français, qui ne pouvaient donc pas être utilisées en application de la règle dite du tiers service.

Ainsi, sur les 287 MICAS édictées depuis novembre 2017 ([55]), seules 42 ont fait lobjet dun renouvellement au-delà de 6 mois (14 % des MICAS° et 16 (5,5 % des MICAS) au–delà de 9 mois.

Or, le profil de certains détenus terroristes, dont le parcours montre un ancrage profond et une adhésion constante, nécessite à l’évidence un suivi au long cours que les MICAS ne permettent pas.

On ajoutera, pour conclure sur ce point, que les chapitres VI à X du livre II du code de la sécurité intérieure ne sont applicables que jusqu’au 31 décembre 2020, ce qui vaut pour les MICAS dont l’avenir législatif ne peut donc pas être considéré, en tout état de cause, comme assuré de manière certaine.

III.   La proposition de loi

La libération prochaine de détenus condamnés pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste est un risque majeur pour la sécurité publique.

Dès lors, l’inadaptation des mesures judiciaires de suivi des personnes condamnées pour des faits de terrorisme et arrivant en fin de peine, ainsi que les limites inhérentes aux dispositifs administratifs de surveillance, plaident en faveur d’une mesure de sûreté de nature judiciaire qui puisse édicter sans délai des obligations suffisamment strictes.

Il existe, en effet, un manque dans notre législation, et il serait vain de croire qu’une surveillance renforcée des personnes concernées suffirait à le combler. De fait, cette surveillance est déjà mise en œuvre, quels que soient les dispositifs de suivi administratif ou judiciaire auquel il est recouru. Elle mobilise des moyens humains, technologiques et financiers déjà considérables, pour ne traiter qu’une menace parmi toutes celles qui sont susceptibles de troubler l’ordre public.

L’article unique de la proposition de loi comble ce manque. Encore fallait-il s’assurer que ce dispositif entrait effectivement dans la catégorie des mesures de sûreté et qu’il pourrait être mis en œuvre également à l’égard de personnes déjà condamnées, ce qui a justifié au premier chef la saisine du Conseil d’État, qui a répondu de façon affirmative à cette double question.

A.   Une mesure de sûreté d’application immédiate

La doctrine est rapidement parvenue à différencier la sanction pénale de la mesure de sûreté ([56]) :

– la peine a un caractère afflictif puisqu’elle poursuit un but de rétribution. Elle est un châtiment ; pour la faute qu’il a commise, l’individu se voit infliger une souffrance, une gêne qui marque sa punition. Au contraire, la mesure de sûreté tend uniquement à réadapter l’individu, par un certain traitement, une assistance tutélaire ; il n’est pas question de le punir. C’est pourquoi la mesure de sûreté ne doit pas avoir de « coloration morale » ;

– la peine implique un blâme social, le coupable qui a enfreint les règles posées par l’autorité est désigné à la réprobation publique, et cette réprobation est d’autant plus accentuée que l’acte commis est plus grave et la peine plus forte. La mesure de sûreté ne doit pas avoir de caractère infamant ;

– la peine peut être fixée définitivement par le juge, dans la mesure où il n’a à se soucier que du passé pour procéder à cette fixation. Le juge dispose, en effet, à ce moment, de tous les éléments utiles pour dire le droit et pour doser la peine. La mesure de sûreté, au contraire, est foncièrement de durée indéterminée. Tout dépend non seulement de l’état dangereux de l’intéressé au moment où le tribunal se prononce, mais de l’évolution que subira cet état dangereux à la suite de la mesure appliquée ; il faut donc pouvoir ajuster perpétuellement le traitement dont lintéressé est lobjet à lévolution que subit son état dangereux ;

– la décision qui prononce une peine devient définitive à l’expiration des voies de recours ; elle bénéficie alors de l’autorité de la chose jugée. Au contraire, les mesures de sûreté sont essentiellement révisables, susceptibles de toutes sortes de modifications après qu’elles ont été prononcées. Elles doivent être continuellement adaptées à l’évolution de l’état dangereux sur laquelle elles ont pour rôle d’agir.

Ces principes ont peu évolué avec le temps. Ils se retrouvent largement dans la jurisprudence constitutionnelle qui a distingué les peines des mesures de sûreté à l’occasion de la création de la rétention de sûreté. Le Conseil constitutionnel applique ainsi un raisonnement très proche : « la rétention nest pas décidée par la cour dassises lors du prononcé de la peine mais, à lexpiration de celle-ci, par la juridiction régionale de la rétention de sûreté ; [elle] repose non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour dassises, mais sur sa particulière dangerosité appréciée par la juridiction régionale à la date de sa décision ; [elle] nest mise en œuvre quaprès laccomplissement de la peine par le condamné ; [elle] a pour but dempêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant dun trouble grave de la personnalité ; [ainsi], la rétention de sûreté nest ni une peine, ni une sanction ayant le caractère dune punition » ([57]).

Toutefois, le Conseil constitutionnel précise dans la même décision que les mesures de sûreté sont assujetties au respect de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ([58]) et de l’article 66 de la Constitution ([59]). Il en résulte qu’elles doivent respecter le principe « selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; quil incombe en effet au législateur dassurer la conciliation entre, dune part, la prévention des atteintes à lordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, dautre part, lexercice des libertés constitutionnellement garanties ; quau nombre de celles-ci figurent la liberté daller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont larticle 66 de la Constitution confie la protection à lautorité judiciaire ; que les atteintes portées à lexercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à lobjectif de prévention poursuivi » ([60]).

Par ailleurs, comme on l’a vu, le Conseil constitutionnel, se prononçant sur la rétention de sûreté, a considéré que celle-ci, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait quelle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant lobjet dune condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ». Sont donc soumises à une condition particulière de non-rétroactivité les mesures de sûreté privatives de liberté ([61]).

Les mesures de sûreté sont ainsi compatibles avec la Constitution à la triple condition de leur nécessité, de leur proportionnalité et de leur adaptation à l’objectif de prévention poursuivi. Elles sont applicables rétroactivement sous les réservées énoncées ci-dessus, résultant de la décision du 21 février 2008.

La Cour européenne des droits de l’homme, pour sa part, admet pleinement que les dispositions destinées à prévenir une infraction ne sont pas soumises aux obligations liées à la notion de peine, et notamment au principe de non-rétroactivité ([62]). Elle a notamment déjà jugé qu’un mécanisme de « surveillance spéciale ne saurait se comparer à une peine car elle vise à empêcher laccomplissement dactes criminels » ([63]).

À l’aune de ces considérations, le Conseil d’État, eu égard à la gravité du risque terroriste, déjà relevée, et aux caractéristiques des dispositions prévues par la proposition de loi, a confirmé que « ces mesures ont exclusivement la nature de mesures de sûreté, comme cela ressort de lexposé des motifs et de léconomie du dispositif : elles ont pour objet non de punir mais de prévenir la commission dinfractions à caractère terroriste [et] la juridiction compétente pour les prononcer se fonde non sur les infractions commises par les intéressés et pour lesquelles ils ont été condamnés (…), mais sur leur particulière dangerosité appréciée au moment de leur sortie de prison (…). Il considère, en second lieu, quelles seront applicables dès le lendemain de la publication de la loi et pourront être mises en œuvre également à légard de personnes condamnées pour des crimes et délits commis antérieurement à sa promulgation » ([64]).

Le dispositif proposé opère en outre, selon votre rapporteure, au vu de la menace et des risques encourus et eu égard aux contraintes qu’il emporte, une conciliation équilibrée des libertés fondamentales et de l’objectif à valeur constitutionnelle de préservation de l’ordre public. Il met en œuvre une procédure judiciaire visant des individus à la dangerosité avérée pour lesquels le risque de réitération est élevé. Il prévoit des mesures de sûreté adaptées, nécessaires et proportionnées à la situation.

B.   Le dispositif proposé

L’article unique de la proposition de loi prévoit la possibilité d’édicter, en fin de peine, des mesures de sûreté destinées à prévenir la récidive des personnes concernées. La procédure bénéficiera de toutes les garanties attachées à la procédure judiciaire

Cette disposition constitue une nouvelle section au sein du titre XV du livre IV du code de procédure pénale, consacré aux procédures particulières applicables au terrorisme.

1.   Les personnes visées

a.   Des personnes déjà condamnées par la justice pour des actes de terrorisme

L’alinéa 4 limite l’édiction des mesures de sûreté prévues par la proposition de loi aux seuls individus déjà condamnés à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421‑1 à 421‑6 du code pénal.

Se trouvent cependant exclus de ce périmètre les condamnés sur le fondement des articles 421‑2‑5 et 421‑2‑5‑1 du même code. Ces dispositions, relatives à l’apologie et à la provocation au terrorisme, répriment des délits d’expression, auquel le code de procédure pénale réserve un régime moins sévère ([65]). Par ailleurs, la récidive de tels actes, pour néfaste qu’elle soit à la société, ne saurait emporter des conséquences comparables à une action de type terroriste proprement dite.

Le prononcé de la mesure de sûreté n’est affecté ni par l’infraction, ni par la peine prononcée par la juridiction de jugement. Il ne constitue pas une conséquence ou un complément de cette peine. En revanche, les auteurs de la proposition de loi considèrent que les faits dont la matérialité est attestée par la condamnation trahissent une dangerosité certaine. L’association de malfaiteurs terroriste ou, a fortiori, un crime terroriste, implique une détermination à agir, une aptitude à la violence. Elle s’est souvent accompagnée, notamment dans le cas d’un départ vers un théâtre d’opérations terroristes, d’une formation au maniement des armes et aux techniques de combat. Elle a manifesté l’appartenance à un réseau ou à un groupe structuré, voire des qualités didéologue ou de commandement mises au service d’une cause hostile à la France et à ses alliés.

La première condamnation pour acte de terrorisme témoigne donc d’une orientation certaine pour laction directe qui sépare les individus concernés des autres citoyens et détenus, fussent-ils radicalisés, qui peuvent partager les mêmes penchants mortifères mais dont le passage à l’acte n’aurait pas la même intensité.

b.   Le critère de la particulière dangerosité

Une mesure de sûreté ne pourrait se fonder solidement sur les seuls éléments ayant donné lieu à condamnation. Du reste, rien ne permet d’écarter par hypothèse la rédemption d’un condamné au cours de son incarcération.

Pour cette raison, l’alinéa 4 exige que les personnes susceptibles de faire l’objet d’une mesure de sûreté présentent encore une particulière dangerosité à lissue de lexécution de leur peine, de sorte que le risque de commettre un nouvel acte de terrorisme soit élevé.

Cette approche est conforme à la définition théorique des mesures de sûreté, qui ont vocation à prendre en compte la dangerosité dun individu pour lavenir et non en fonction seulement de son passé. L’appréciation de la dangerosité sera faite en fin de peine, par le juge, à l’initiative du procureur de la République antiterroriste et après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (voir infra), à l’issue d’un examen approfondi des conditions d’exécution de la peine, et devra reposer sur des éléments actuels caractérisant la volonté persistante dune action terroriste.

2.   Une procédure judiciaire

a.   La compétence du tribunal de l’application des peines de Paris

La proposition de loi confie le soin de juger de la particulière dangerosité des personnes concernées au tribunal de l’application des peines ([66]). Cette juridiction collégiale est déjà en charge de la surveillance judiciaire et, dans les cas les plus graves, du suivi socio-judiciaire.

Par dérogation aux règles de droit commun, l’article 706‑22‑1 du code de procédure pénale confère aux juridictions de lapplication des peines de Paris une compétence nationale pour le jugement des affaires de terrorisme, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné. Cette application du droit commun maintiendrait la spécialisation des juridictions parisiennes pour ces affaires d’une grande technicité, ce qui est le gage d’une bonne administration de la justice.

L’article 712-11 du code de procédure pénale prévoit que les décisions du tribunal de l’application des peines font l’objet d’un appel devant la chambre de lapplication des peines de la cour dappel, qui serait en l’occurrence celle de Paris. L’article 712-15 du même code prévoit que les arrêts de la chambre de l’application des peines peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Enfin, même si l’hypothèse dans laquelle un enfant condamné à une peine d’emprisonnement pour un acte de terrorisme n’aurait pas encore atteint l’âge de la majorité à la fin de sa peine semble très improbable, la rédaction retenue par les auteurs de la proposition de loi présente l’avantage de se conformer au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ([67]). En effet, la combinaison des articles 20-9 de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, qui prévoit que le tribunal pour enfants exerce les compétences dévolues au tribunal de l’application des peines, et de l’article 706‑22‑1 du code de procédure pénale, octroyant aux juridictions d’application des peines du tribunal de Paris la compétence pour connaître de la situation des condamnés terroristes, aboutirait à la compétence en premier ressort du tribunal pour enfant de Paris.

L’alinéa 22 de l’article unique renvoie à l’article 712-6 du code de procédure pénale qui règle le fonctionnement normal des juridictions de l’application des peines. La procédure garantit donc le respect des droits de la personne devant le tribunal, à qui il revient d’évaluer la dangerosité.

b.   L’initiative du procureur de la République antiterroriste

L’alinéa 4 prévoit que la mesure de sûreté fait l’objet de réquisitions du procureur de la République. Conformément à l’article 706-17 du code de procédure pénale, le procureur de la République antiterroriste exerce les fonctions du parquet dans les affaires relatives au terrorisme.

Magistrat le mieux informé et le plus en lien avec les différents services de renseignement et les administrations en charge de la lutte contre le terrorisme, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis, il apparaît le mieux placé pour présenter au tribunal les éléments à même d’établir la dangerosité de la personne dont il requiert l’assignation à des mesures de sûreté.

c.   L’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté

La proposition de loi prévoit la sollicitation de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté afin qu’elle formule un avis motivé quant à la dangerosité des personnes qui font l’objet de la procédure.

La composition de cette commission, qui exerce sa compétence dans le ressort d’une ou de plusieurs cours d’appel, est fixée à l’article R. 61‑8 du code de procédure pénale. Elle comprend un président de chambre à la cour d’appel désigné pour une durée de cinq ans par le premier président de la cour d’appel, président ; le préfet de région, préfet de la zone de défense, ou son représentant ; le directeur interrégional des services pénitentiaires compétent dans le ressort de la cour d’appel, ou son représentant ; un expert psychiatre ; un expert psychologue ; un représentant d’une association d’aide aux victimes ; un avocat, membre du conseil de l’ordre. Cette composition permet de croiser les regards et d’objectiver lappréciation de la dangerosité.

S’il est établi que les mesures de sûreté dans le domaine du terrorisme ne sauraient se fonder exclusivement sur un examen médical, comme elles peuvent l’être notamment en matière sexuelle, l’appréciation donnée par un psychiatre et un psychologue sont de nature à éclairer le tribunal quant à la personnalité du condamné. Par ailleurs et surtout, la présence d’un membre du corps préfectoral et d’un représentant de l’administration pénitentiaire permet d’apporter dans les débats de la commission les éléments recueillis par les services de renseignement, à l’extérieur comme à l’intérieur de la prison, ainsi que les différents faits saillants relatifs au comportement de lindividu et, le cas échéant, de ses proches demeurés en liberté.

Il conviendra, en outre, d’adapter la composition de cette commission, par la voie réglementaire, pour tenir compte des particularités de la matière terroriste.

Enfin, la commission pourra fonder son avis motivé sur l’audition du condamné ([68]) mais aussi, et surtout, sur son placement, pour une durée dau moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité (alinéa 20).

3.   Les obligations rendues possibles

Outre l’obligation de répondre aux convocations du juge de l’application des peines, le condamné pourra être astreint à solliciter des autorisations du juge, à une obligation de pointage, à des interdictions de contact et de paraître, voire à un dispositif de surveillance électronique.

L’alinéa 25 réprime la violation des obligations assignées d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, équivalente à la sanction d’un manquement aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance.

a.   Les actions soumises à autorisation du juge

Le tribunal de l’application des peines pourra exiger du condamné, afin de s’assurer plus facilement de sa présence et de prévenir tout risque de réitération d’un acte terroriste ou d’un départ vers un théâtre d’opérations :

– qu’il établisse sa résidence en un lieu déterminé, c’est-à‑dire, en pratique, qu’il communique son adresse et s’abstienne de déménager sans autorisation préalable ;

– qu’il obtienne l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout changement demploi lorsque ce changement est de nature à faire obstacle à l’exécution des mesures de sûreté ;

– qu’il conditionne à l’aval du juge de l’application des peines tout déplacement à létranger, l’inscription au fichier des personnes recherchées consécutive à l’inscription au FIJAIT permettant un contrôle de cette obligation.

b.   Les interdictions de contact et de paraître

Le tribunal de l’application des peines pourra empêcher, ou du moins compliquer, la reconstitution d’un réseau terroriste autour du détenu au moment de son élargissement en lui interdisant :

– d’entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes spécialement désignées ;

– de paraître en tout lieu spécialement désigné.

c.   L’obligation de pointage

Le tribunal de l’application des peines pourra ordonner une présentation périodique auprès des services de police ou des unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine.

L’efficacité de cette mesure est particulièrement vantée par les forces de l’ordre dans le cadre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance car elle implique un contact fréquent avec la personne surveillée, ce qui facilite la détection d’éventuelles difficultés et révèle immédiatement le manquement aux obligations.

d.   La surveillance électronique

La proposition de loi permet, après vérification de la faisabilité technique de la mesure, l’obligation prévue à l’article 131‑36‑12 du code pénal, c’est-à-dire le placement sous surveillance électronique mobile à condition que la personne concernée y consente.

4.   Des mesures limitées dans le temps

La proposition de loi comprend des obligations proportionnées et adaptées, qui opèrent une conciliation équilibrée entre les droits du condamné et la préservation de l’ordre public.

D’une part, les mesures de sûreté, telles qu’elles sont proposées, excèdent la simple portée déclarative attachée au FIJAIT mais ne sauraient pour autant être qualifiées de privatives de liberté comme le Conseil constitutionnel a pu le juger à propos de la rétention de sûreté. Cette appréciation est partagée par le Conseil d’État ([69]).

D’autre part, ces mesures restrictives de liberté sont comparables au dispositif administratif des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, à deux différences près :

 au bénéfice du condamné, elles procèdent dune décision judiciaire entourée de garanties supérieures à une décision administrative ;

 au bénéfice de la société, elles échappent à la limite intrinsèque des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, qui sont bornées à trois mois et (difficilement) renouvelables jusquà un maximum dune année. Or, comme la indiqué le directeur général de la sécurité intérieure à votre rapporteure, « il est rare quun projet terroriste disparaisse dans un délai de six mois ».

La proposition de loi prévoit donc lédiction de ces mesures de sûreté par le tribunal de lapplication des peines pour une durée dune année, renouvelable dans une limite de dix à vingt ans en fonction de la qualification des faits ayant justifié lincarcération.

La personne concernée pourra demander la modification ou la levée de ces mesures à tout moment, sans attendre l’échéance d’une année. Cette initiative pourra également émaner de la juridiction elle-même.

5.   La coordination avec les mesures existantes

Afin de garantir que ces mesures de sûreté ne soient pas indûment prononcées, la proposition de loi encadre la compétence du tribunal de l’application des peines. Celui-ci ne pourra ordonner les mesures qu’à la double condition :

– que les obligations déclaratives imposées dans le cadre de l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs dinfractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission de nouvelles infractions ;

– et si ces mesures constituent l’unique moyen de prévenir la commission de ces infractions, donc si aucun autre dispositif ne permet de parvenir au même résultat. Cette disposition vise principalement à empêcher le cumul, certes improbable, avec un suivi socio-judiciaire, une surveillance judiciaire, une rétention ou une surveillance de sûreté si ces mécanismes trouvaient à s’appliquer.

Quant à la coordination entre les mesures de sûreté de la proposition de loi et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, la chronologie y pourvoit. Les mesures judiciaires de sûreté seront prononcées au terme dune procédure engagée au moins trois moins avant la libération du condamné et prononcées préalablement à cet élargissement, à un moment où une MICAS serait dépourvue de sens. Au contraire, une fois lindividu libéré, la procédure issue de la proposition de loi ne sera plus accessible, faisant des mesures administratives la seule option à la disposition des pouvoirs publics.

IV.   Les travaux de la commission des Lois

Au cours de sa réunion du mercredi 17 juin 2020, la commission des Lois a adopté dix-neuf amendements.

L’essentiel des modifications apportées au texte de la proposition de loi s’inscrivent dans le prolongement direct de l’avis rendu par le Conseil d’État et sont destinées à renforcer l’équilibre recherché entre la protection de l’ordre public et la garantie des droits des justiciables. La Commission a ainsi adopté :

– trois amendements de votre rapporteure prévoyant la compétence exclusive de la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris pour prononcer les mesures de sûreté prévues par la proposition de loi, sur les réquisitions du procureur de la République antiterroriste. Cette spécialisation géographique permet de concentrer les compétences utiles auprès de juridictions expérimentées. Par ailleurs, dès lors qu’il s’agit bien de prononcer une mesure de sûreté et en aucune façon une peine, la compétence de la juridiction régionale de la rétention de sûreté est apparue préférable à celle du tribunal de l’application des peines, sauf à ce que la minorité du condamné entraîne le traitement de son dossier par le tribunal pour enfants de Paris ([70]) ;

– deux amendements de votre rapporteure précisant la définition de la notion de « particulière dangerosité » ([71]). Comme il a été fréquemment rappelé, l’exemple de la rétention de sûreté, qui fonde la procédure sur un constat médical, ne peut être reproduit. La dangerosité est ici idéologique et criminologique, non psychiatrique. En conséquence, elle découle davantage d’une adhésion persistante à une entreprise visant, par l’intimidation ou la terreur, à troubler l’ordre public ([72]). Par ailleurs, en cohérence avec la rédaction retenue par le législateur pour la surveillance de sûreté, le « risque élevé » de commettre une infraction a été remplacé par une « probabilité très élevée » ([73]) ;

– un amendement de votre rapporteure donnant « à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté compétence pour donner un avis sur tout renouvellement des mesures de surveillance de sûreté » ([74]), de sorte que la juridiction appelée à statuer dispose de son expertise non seulement lors de sa décision initiale mais aussi pour les prolongations et les modifications ultérieures ;

– deux amendements présentés par M. Raphaël Gauvain et les membres du groupe La République en marche, d’une part, ainsi que deux amendements de Mme Paula Forteza et des membres du groupe Écologie, démocratie et solidarité, d’autre part, réduisant de moitié la durée maximale durant laquelle les mesures de sûreté peuvent être prononcées à l’encontre d’un condamné. Fixée à dix années, voire vingt années en cas de crime ou de délit puni de dix ans d’emprisonnement, le Conseil d’État avait suggéré « quelle soit significativement diminuée (…) au regard des exigences découlant du principe constitutionnel selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » ([75]). Cette durée se trouve donc établie à cinq années dans le premier cas, dix dans le second ;

– un amendement de votre rapporteure transcrivant la recommandation du Conseil d’État « que cette durée soit inférieure pour les mineurs, par exemple de moitié » ([76]). Elle ne saurait donc excéder trois années, voire cinq années en cas de crime ou de délit puni de dix ans d’emprisonnement ;

– un amendement de votre rapporteure mettant en œuvre la recommandation du Conseil d’État tendant à prévenir le risque de superposition de dispositifs judiciaires sur un même condamné ([77]). Dans le cas où la juridiction de jugement aurait prononcé un suivi socio-judiciaire, ou dans l’hypothèse exceptionnelle où une surveillance judiciaire serait possible, ce sont ces instruments qu’il conviendrait de privilégier, notamment parce qu’ils offrent une palette de mesures plus large ;

– un amendement de votre rapporteure clarifiant la soumission au principe du contradictoire de l’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté ([78]) ;

– un amendement de votre rapporteure mentionnant explicitement la possibilité pour la juridiction de mettre fin aux mesures de sûreté dès lors qu’elle l’estime nécessaire ([79]). Il précise également les règles selon lesquelles le condamné peut solliciter la modification ou la mainlevée de ces mesures, sur la base des délais prévus pour la surveillance de sûreté ([80]). La demande pourra être formulée après un délai de trois mois à compter de la décision définitive de la juridiction. Il sera mis fin d’office aux mesures de sûreté si la juridiction n’a pas statué dans un délai de trois mois à compter de sa réception. En cas de rejet, aucune nouvelle demande ne pourra être déposée avant l’expiration d’un délai de trois mois ;

– un amendement de votre rapporteure précisant les voies de recours ouvertes contre la décision de la juridiction régionale de la rétention de sûreté ([81]), et prévoyant la suspension de plein droit des mesures de sûreté en cas de détention. Une décision ad hoc de reprise serait requise dans le cas d’une détention de plus de six mois, à nouveau sur le modèle de la surveillance de sûreté ([82]).

La Commission a par ailleurs adopté :

– deux amendements identiques présentés par Mme Laurence Vichnievsky et les membres du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, d’une part, Mme Paula Forteza et les membres du groupe Écologie, démocratie et solidarité, d’autre part, retirant de la liste des mesures de sûreté prévues par la proposition de loi le placement sous surveillance électronique mobile. Il a été considéré que cette disposition pouvait poser des problèmes juridiques alors qu’elle est d’un intérêt relatif pour les autorités en charge de la surveillance des personnes assujetties, qui n’y ont encore jamais recouru dans le cadre procédural voisin des mesures individuelles de contrôle et de surveillance (MICAS) ([83]) ;

– un amendement de votre rapporteure intégrant parmi les mesures de sûreté que la juridiction peut imposer au condamné la « prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté », le cas échéant au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel le condamné est tenu de résider. Le dispositif de la proposition de loi doit également poursuivre l’objectif, lorsque c’est possible, de réinsérer les condamnés et d’accompagner leur renoncement aux doctrines radicales. Cette prise en charge pourra avoir lieu dans le cadre du dispositif « PAIRS » (« prise en charge individualisée et pluridisciplinaire d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale ») ([84]), qui permet un suivi personnalisé des personnes concernées, allant de 3 à 20 heures par semaine ;

– un amendement de votre rapporteure prévoyant qu’un décret en Conseil dÉtat précisera les conditions et les modalités d’application de la nouvelle procédure, de sorte que le fonctionnement de la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris, aujourd’hui conçue pour connaître des infractions sexuelles, puisse être adapté aux spécificités des affaires de terrorisme.

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 17 juin 2020, la Commission examine la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à lencontre des auteurs dinfractions terroristes à lissue de leur peine (n° 2754) (Mme Yaël Braun-Pivet, rapporteure).

Lien vidéo : http://assnat.fr/8ukJjV

M. Stéphane Mazars, président. Nous examinons ce matin la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Je laisse la parole à sa rapporteure, Mme la présidente Yaël Braun-Pivet.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. La proposition de loi que je présente vise les auteurs d’infractions terroristes. Depuis plusieurs années, notre pays est durement touché par des attentats, qui nous ont profondément endeuillés : à Paris, Trèbes ou Nice, mais également en prison, notamment à Condé-sur-Sarthe. Pour faire face à cette menace, la législation s’est considérablement renforcée. En 2017, notre majorité a adopté la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, qui a créé les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). La loi prévoit un contrôle parlementaire renforcé, que j’exerce avec Raphaël Gauvain, rapporteur de ladite loi, pour le groupe La République en Marche, et Éric Ciotti, représentant le principal groupe d’opposition. Nous avons mené des auditions, nous sommes destinataires de tous les actes pris en vertu de la loi – notamment les MICAS anonymisées, dont nous pouvons contrôler la motivation – et nous avons réalisé des déplacements. Ainsi, nous avons pu observer les dispositifs de prise en charge des détenus radicalisés à Fleury-Mérogis.

En outre, en tant que présidente de la commission des Lois, je suis membre de droit de la délégation parlementaire au renseignement, qui auditionne les acteurs de la lutte contre le terrorisme, notamment le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) et le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI). Dans le cadre de ces fonctions, j’ai effectué des travaux sur la radicalisation, l’antiterrorisme et le renseignement pénitentiaire.

Enfin, vous le savez, je porte une attention particulière aux sujets liés à la détention. J’ai effectué de nombreuses visites en prison depuis trois ans – tout comme vous. Notre attention est attirée par tous les acteurs sur le risque important que nous font courir les sortants de prison condamnés pour terrorisme. En février 2020, lors d’une audition, M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste, a déclaré : « C’est plus qu’une inquiétude pour nous, c’est une vraie peur. Vont être remis en liberté des individus extrêmement dangereux, aux convictions intactes ». Lors d’une audition liée à l’examen de la présente proposition de loi, il indiquait : « Nous affirmons que ce suivi des détenus, et le suivi des sortants, est devenu la première de nos priorités ». M. François Molins, procureur général auprès de la Cour de cassation, estimait que nous courrions un risque majeur à laisser sortir des gens non repentis, voire encore plus endurcis compte tenu de leur séjour en prison.

Face à ce risque, qu’avons-nous fait ? Nous avons renforcé les moyens des services de renseignement et avons instauré un chef de filât à la DGSI dans la lutte antiterroriste. Mais nous manquons d’instruments judiciaires. Certes, il en existe, mais leur accumulation crée un trompe-l’œil car les dispositions durcissant la législation antiterroriste ont rendu inapplicables certaines mesures de suivi judiciaire. Nous avons donc besoin d’un dispositif ad hoc de sûreté, objet de la proposition de loi.

Tous les parlementaires chargés de ces contrôles ont abouti à la même conclusion que Raphaël Gauvain et moi-même : Éric Ciotti a également déposé une proposition de loi, différente de la nôtre, mais qui poursuit le même objectif – renforcer le suivi judiciaire des personnes concernées. Au Sénat, mon homologue, Philippe Bas, et les sénateurs chargés du contrôle de la loi SILT, ont également déposé une proposition de loi proche de celle que je vous présente.

Les dispositions dont nous allons débattre émanent donc du Parlement, sont assez largement partagées par les deux assemblées et dépassent les clivages politiques. Avec Raphaël Gauvain, nous avons construit un dispositif qui remet le juge et le contradictoire au centre de la procédure. Nous avons sollicité l’avis du Conseil d’État car nous savons que la frontière entre les mesures de sûreté et les peines est ténue. L’enjeu est important puisqu’il conditionne l’applicabilité immédiate du dispositif.

Le Conseil d’État a confirmé que l’architecture de la proposition de loi autorise une application dès sa promulgation. C’est essentiel afin de protéger nos concitoyens du risque que certains de ces détenus feront courir à notre société lorsqu’ils seront libérés. Les amendements que je vous présenterai reprennent la quasi-totalité des préconisations du Conseil d’État, afin d’assurer la sécurité juridique du dispositif.

M. Raphaël Gauvain. Nous entendons répondre à une problématique dont la presse s’est fait l’écho : la libération au cours des trois prochaines années de cent cinquante à deux cents détenus condamnés pour terrorisme, qui présentent donc un degré de dangerosité important.

La situation est paradoxale : appréhendés par la justice au début des années 2010, par exemple parce qu’ils souhaitaient partir sur des théâtres d’opérations terroristes, puis condamnés à des peines assez faibles – l’aggravation des sanctions est intervenue en 2016 –, ces condamnés terminent leur peine sans être éligibles à aucune remise, ni aucun aménagement du fait de la législation adoptée en juillet 2016. Contrairement aux détenus de droit commun, et alors qu’ils sont encore extrêmement dangereux, ils vont sortir de façon « sèche », sans bénéficier d’aucun accompagnement de réinsertion ni de suivi.

La proposition de loi tend à combler ce vide pour les détenus qui vont sortir dans les trois prochaines années. Le dispositif, confié au juge judiciaire, sera respectueux du contradictoire et permettra à ces condamnés de se réinsérer, mais visera également à les surveiller. Les mesures iront de la simple déclaration de domicile jusqu’à l’obligation de pointage au commissariat.

Nous sommes sur une ligne de crête, l’avis du Conseil d’État le souligne, entre le nécessaire respect des libertés individuelles et la mise en place de mesures pour faire face aux dangers de la situation. Nous allons en débattre, en gardant cependant à l’esprit l’importance du caractère opérationnel de ces mesures. En effet, certaines propositions déposées par d’autres parlementaires nécessitaient de modifier la Constitution, ou n’auraient été applicables que dans trente ans – même leurs auteurs le reconnaissent. À l’inverse, les dispositions de la proposition de loi que nous vous présentons pourront être utilisées par les services de lutte contre le terrorisme dès leur adoption.

M. Éric Diard. Au 30 mars 2020, 534 personnes étaient condamnées et détenues pour actes terroristes en lien avec la mouvance islamiste, dont 42 doivent être libérées en 2020, 64 en 2021 et 47 en 2022, soit 153 libérations au cours des trois prochaines années. Nous savions tous qu’elles allaient, tôt ou tard, être libérées, mais tout le monde a fait comme si elles n’allaient jamais sortir, comme si la menace qu’elles représentent allait disparaître.

Pourtant, loin d’apaiser la violence et la radicalité des détenus, la prison les enferme souvent dans leur extrémisme. La radicalisation en prison est un fait documenté – le Conseil d’État le souligne à la page 5 de son avis. À titre d’exemple, Michaël Chiolo à la prison de Condé-sur-Sarthe, Mohamed Merah, Amedy Coulibaly, Chérif Chekatt, Mehdi Nemmouche – auteur de l’attentat au Musée juif de Bruxelles –, tous ces individus se sont radicalisés en prison. Dans une interview, François Molins confirmait que le milieu carcéral est un incubateur des radicalisations et du terrorisme.

Les magistrats prennent en compte la menace particulière que représente la sortie des détenus pour faits de terrorisme. Ainsi, Marc Trévidic, ancien juge antiterroriste et président de la cour d’appel de Versailles, estime qu’après leur libération, le risque de récidive de ces détenus terroristes est très élevé, d’autant que l’idéologie en question est toujours vivace. Il les compare à des criminels ou des violeurs en série.

Adel Kermiche, auteur de l’attentat du 26 juillet 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray, avait aidé des mineurs à partir en Syrie. Il avait été placé sous contrôle judiciaire et puis fiché « S » avant d’être arrêté, incarcéré puis relâché. De même, l’auteur du récent attentat au couteau à Londres, qui a fait deux morts, avait été condamné en 2012 à seize ans de prison pour préparation d’actes terroristes, libéré en 2018 et placé sous contrôle judiciaire. Ces deux exemples illustrent à quel point les mesures de contrôle judiciaire peuvent être insuffisantes face à la dangerosité de détenus radicalisés ou terroristes.

La proposition de loi, comme tous les dispositifs permettant d’accentuer la lutte contre le terrorisme qui menace notre société, va dans le bon sens. Mais nous regrettons qu’elle n’aille pas assez loin. Nous serons donc attentifs à son évolution lors de l’examen en commission et en séance. Nous ne devons pas perdre de temps en adoptant une proposition de loi inefficace. Ainsi, certaines dispositions semblent incongrues, comme celle prévue à l’alinéa 14 de l’article unique, qui consiste à placer les détenus pour terrorisme sous bracelet électronique lors de leur libération « sous réserve de leur accord », pour faire suite à la recommandation du Conseil d’État.

En outre, vous occultez le cas des détenus de droit commun radicalisés. Ils seraient environ mille selon l’administration pénitentiaire, mille sept cents selon les syndicats. Le milieu carcéral est un incubateur de radicalisation et de développement du terrorisme. La menace est grave. Notre groupe souhaite que les dispositifs proposés soient étendus aux détenus de droit commun dont la radicalisation entraîne des risques importants de récidive ou de passage à l’acte lors de leur sortie de prison. Il souhaite également instaurer une mesure de rétention de sûreté pour les auteurs d’infractions terroristes visés par la présente proposition de loi, afin de prendre la pleine mesure de leur dangerosité.

Certes, la mesure ne pourra être rétroactive et ne sera donc applicable qu’aux personnes ayant commis des actes en lien avec le terrorisme après la promulgation de la loi. Mais ce n’est pas une raison pour se priver, à l’avenir, d’un dispositif efficace et respectueux du droit.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Cette proposition de loi vise à créer un régime de sûreté applicable aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme, afin de protéger notre territoire et les Français face au terrorisme. Elle s’inscrit dans un contexte où des terroristes islamistes, extrêmement dangereux, vont bientôt avoir purgé leur peine et devraient être libérés. Dès 2017, la loi SILT nous a permis de sortir de l’état d’urgence, tout en disposant d’outils nécessaires pour faire face à la menace – périmètres de protection, fermetures des lieux de culte, MICAS, visites domiciliaires et saisies.

Mais les dispositifs actuels, administratifs ou judiciaires, de suivi en sortie de détention sont insuffisants, compte tenu de la dangerosité potentielle de ces individus. La proposition de loi est issue de constats de terrain et des professionnels de la lutte antiterroriste. Comme l’a rappelé la rapporteure, elle est le fruit de travaux conduits au sein de la Délégation parlementaire au renseignement, du contrôle de la loi SILT et de la commission des Lois.

Elle crée un régime de sûreté ad hoc et prévoit des obligations pour les personnes sortant de détention : obligation de répondre aux convocations du juge, établissement de la résidence, autorisation avant tout changement d’emploi ou de résidence, mais également possibilité de placement sous surveillance électronique mobile.

Ces mesures ne pourraient être prononcées qu’après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui devra évaluer la dangerosité de la personne. Les mesures seraient ensuite décidées par le tribunal de l’application des peines, en formation collégiale, dans le respect du principe du contradictoire. Elles seraient ordonnées pour une durée d’un an, renouvelables dans une limite de dix ans en matière correctionnelle et de vingt ans en matière criminelle. Il s’agit de mesures préventives – et non de peines, conformément au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Toutefois, afin de s’assurer de la constitutionnalité des mesures prévues, vous avez décidé de saisir le Conseil d’État et de suivre ses conclusions par voie d’amendements. Ils vont dans le bon sens et sécurisent juridiquement le dispositif. Mes collègues du groupe Modem et moi-même avions quelques réserves sur la rédaction initiale de la proposition de loi, compte tenu des risques constitutionnels. Dans le même objectif, le groupe MODEM proposera par amendement de supprimer la possibilité de prononcer un placement sous surveillance électronique mobile de la liste des mesures de sûretés applicables.

La proposition de loi vise à combler les insuffisances des mesures actuellement applicables à ces détenus lors de leur sortie de prison, afin de prévenir le risque de récidive. Pour que les dispositions soient efficaces, elles doivent être considérées comme des mesures préventives, afin d’être immédiatement applicables aux personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à la promulgation de la loi.

Enfin, nous plaidons pour une évaluation de l’ensemble des dispositifs applicables – le Conseil d’État le mentionne d’ailleurs à la page 16 de son avis.

M. Christophe Naegelen. Cette proposition de loi est nécessaire. Mais elle pose aussi des questions car nous disposons déjà d’un arsenal juridique. Nous comprenons parfaitement l’objectif : combler le vide juridique lié à certains cas – les condamnés avant 2016 et ceux pour lesquels un suivi sociojudiciaire n’a pas été prononcé. En outre, en complément des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, il est intéressant de proposer un dispositif judiciaire, avec les garanties qui l’accompagnent.

Mais nous serons vigilants sur certains points : la surcharge potentielle de travail pour les policiers et les gendarmes liée aux pointages et aux différents contrôles prévus par la proposition de loi ; l’écueil constitutionnel lié au dispositif de placement sous surveillance électronique mobile – en audition, un intervenant a pointé le risque que cette mesure s’apparente à une peine. Qu’en pensez-vous ? Il y a aussi le risque de superposition avec des dispositifs existants – comment cela s’articulera-t-il ?

Il faut également clarifier les conditions de mise en œuvre et de renouvellement de ces mesures : le tribunal d’application des peines ne semble pas le plus compétent pour prononcer de telles mesures de sûreté.

Bien entendu, nous souscrivons à votre volonté de protéger nos concitoyens du danger que représentent ces individus lorsqu’ils sortent de prison. Mais le problème devrait être traité beaucoup plus en amont : dans les prisons, avec une prise en charge spécifique, mais également en traitant le mal « à la racine », dès l’école. Il nous faut rappeler la devise de notre pays – liberté, égalité, fraternité – et insister sur le fait que la radicalisation religieuse n’a pas de place dans un pays laïc.

Enfin, ces mesures ne pourront être pleinement effectives sans moyens supplémentaires pour tous les services concernés. Qu’est-il prévu ? Nous attendrons vos réponses et suivrons les débats avec attention.

M. Ugo Bernalicis. L’avis du Conseil d’État est intéressant : il pointe les dispositifs existants permettant d’arriver au même but que le vôtre et souligne que l’intérêt de la proposition de loi se limite au cas des personnes condamnées avant 2016 – ainsi qu’à la simplification de quelques petites mesures.

Vous allez un peu vite en besogne en parlant de consensus transpartisan ! Année après année, le concept de dangerosité a dérivé et il a fini par nous échapper – où est désormais la frontière entre une peine et une mesure de sûreté ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais le Conseil d’État dans son avis, et la jurisprudence. Régulièrement, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), des mesures de sûreté sont requalifiées en peines.

Nous appliquons des mesures restrictives – voire privatives – de liberté à des gens qui n’ont encore commis aucune infraction, alors qu’avec l’association de malfaiteurs, nous disposons d’outils pénaux pour faire de la prévention. Le Conseil d’État le souligne, les services de renseignement disposent d’importants pouvoirs en la matière.

En réalité, votre proposition de loi vise à satisfaire aux exigences de la communication de la droite et de l’extrême droite : vous ne savez pas comment gérer les personnes radicalisées ou détenues pour des infractions en lien avec des actes terroristes !

Pourquoi en est-on arrivé là ? Nous avons créé une justice d’exception pour les actes terroristes, puis une incarcération d’exception : ces détenus sont pour la plupart quasiment à l’isolement et soumis à des mesures particulières. Ce faisant, vous leur rendez service car ils ne souhaitent qu’une chose : qu’on reconnaisse la spécificité et l’envergure de leurs crimes. Notre arsenal juridique et judiciaire valide leur schéma ! Contrairement aux autres détenus, ils ne bénéficient pas d’aménagements ou de réductions automatiques de peines, ni de mesures d’accompagnement.

Pourtant, le pire affront que nous pourrions leur faire serait de les considérer comme les autres. Et pour les détenus de droit commun, nous disposons déjà de toutes les mesures privatives de liberté, de rétention et de sûreté. Dans les autres secteurs de la criminalité, nous pouvons parfaitement retenir les détenus en prison pendant des années alors que leur peine est terminée…

C’est pourquoi nous sommes vigoureusement opposés à votre proposition de loi. L’avis du Conseil d’État le souligne à plusieurs reprises : vous introduisez une confusion supplémentaire dans notre droit entre la peine – qui devrait garder toute sa force – et la prévention.

Je partage le constat de M. Naegelen sur la prévention en prison : l’administration pénitentiaire a fait au mieux, avec les moyens dont elle disposait. Quel bilan tirer des quartiers d’évaluation ou de prise en charge de la radicalisation ? Nous n’en savons rien, pas plus que nous ne disposons d’analyse criminologique. Comment alors se prononcer sur le fond ? Non, il n’y a pas d’accord transpartisan sur ce texte.

M. Jean-Félix Acquaviva. Notre groupe est très réservé sur la proposition de loi. Bien entendu, nous sommes favorables à la mise en œuvre de mesures visant à prévenir la récidive d’actes terroristes, en particulier lorsqu’il s’agit du terrorisme islamiste, visé par ce texte. Malheureusement, les dispositifs prévus s’appliqueront plus largement.

Empêcher la récidive chez les détenus radicalisés à leur sortie de détention est un véritable défi. Au cours des trois prochaines années, plus de cent cinquante d’entre eux sortiront de prison. Leur éventuelle dangerosité et le risque potentiel de récidive terroriste sont une source légitime d’inquiétude pour les Français, et un enjeu de sécurité et de responsabilité pour les autorités.

Les mesures de prévention de la récidive doivent être strictement proportionnées. Le Conseil d’État note que le dispositif créé par la proposition de loi prend place dans un arsenal où les instruments préventifs et de répression sont déjà nombreux. Ainsi, l’infraction d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste est largement utilisée par les juridictions terroristes pour prévenir la commission d’actes terroristes.

En préalable, il faudrait mener une vaste étude sur les risques réels de récidive des personnes condamnées pour des actes terroristes en France. La Belgique l’a réalisée, et publiée cette année : elle révèle que le taux de récidive de ces détenus est très faible comparé à celui des détenus dits « classiques ». Ce résultat, totalement contre-intuitif pour l’opinion publique, le monde judiciaire et les services de sécurité, doit peut-être nous inviter à la prudence et à une analyse plus poussée du phénomène. L’étude belge révèle que les individus qui récidivent en matière de terrorisme le font généralement très rapidement – moins d’un an, voire moins de neuf mois, après leur sortie. Ce constat pose la question de la pertinence des délais extrêmement longs des mesures de sûreté prévus dans la proposition de loi – le renouvellement de ces mesures peut intervenir dans un délai de dix ou vingt ans. C’est d’ailleurs une des critiques majeures émise dans l’avis du Conseil d’État.

Nous nous interrogeons également sur le caractère préventif de certaines mesures, punitives et portant atteinte à la liberté d’aller et venir – comme le placement sous bracelet électronique. Nous partageons l’analyse du collègue de l’UDI et du Conseil d’État et considérons qu’il s’agit d’une mesure d’aménagement de peine, permettant d’exécuter une peine de prison sans être incarcéré, alors que les mesures de sûreté sont des mesures préventives, non fondées sur la commission d’une infraction, mais uniquement sur la constatation de la dangerosité supposée d’un individu.

Enfin, la proposition de loi présente un autre risque, très grave : celui que ces mesures de sûreté s’appliquent à d’autres publics que ceux auxquels elles sont destinées – écologistes, altermondialistes, animalistes, militants corses et basques. Nous vous avions déjà alerté sur le fait que le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT), créé pour lutter contre le terrorisme islamiste, était anachronique. Vous allez encore plus loin !

Les causes des tensions doivent être résolues par le débat public. La situation s’est souvent apaisée, des condamnations ont été prononcées et, demain, ces militants se verraient appliquer des mesures de sûreté anachroniques ! Considérez-vous que ces derniers sont aussi dangereux que les islamistes ? Le terrorisme islamiste se manifeste par une idéologie barbare qui aboutit à l’atteinte – barbare – à la vie humaine.

Dans le contexte actuel, très troublé, fait de clivages, de crises sociales et politiques, il n’est peut-être pas nécessaire de mettre de l’huile sur le feu… Ne faudrait-il pas mieux caractériser le phénomène islamiste, mieux l’évaluer et préciser le caractère temporaire de l’urgence ? À défaut, vous contribuerez au clivage de la société et aux résurgences de tensions.

Mme Paula Forteza. Bien sûr, nous savons qu’il s’agit d’individus particulièrement dangereux et fautifs, mais le groupe Écologie démocratie solidarité (EDS) s’interroge : s’agit-il d’une double peine ? Les dispositifs sont-ils proportionnés ? Quels sont les risques d’inconstitutionnalité ?

Ces questions expliquent nos amendements. Tout d’abord, les délais proposés nous semblent déraisonnables : nous proposerons de passer à cinq et dix ans – contre dix et vingt ans. Nous souhaitons supprimer les dispositifs liés à la surveillance électronique mobile, particulièrement intrusifs et privatifs de liberté, qui se révèlent inefficaces. Enfin, nous proposerons de conditionner les mesures de contrôle à un suivi sociojudiciaire afin d’améliorer l’inclusion de ces individus dans la société et de contribuer à leur déradicalisation, seule façon de lutter structurellement contre la récidive.

Nous nous positionnerons sur le texte à l’issue des débats.

M. Dimitri Houbron. Je ne compte plus le nombre de fois où nous nous sommes réunis pour examiner des dispositions destinées à nous protéger des actes terroristes. Pourquoi ? Le groupe Agir ensemble l’explique par plusieurs raisons. Tout d’abord, le terrorisme démontre sa capacité à s’adapter aux législations nationales et aux accords internationaux. Il les contourne et s’insère dans leurs angles morts et leurs vides juridiques. Cette stratégie nous pousse à devoir, sans cesse, repenser notre arsenal juridique.

En outre – c’est le cœur de la proposition de loi –, nous devons préserver l’équilibre entre respect de l’État de droit et impératif de sécurité. Si nous avons déjà légiféré sur les moyens d’intercepter et d’incarcérer les personnes pour des faits de terrorisme, reste à opérer le même travail pour l’étape suivante – lorsque le condamné a purgé sa peine.

Dans son avis, le Conseil d’État nous alerte : les dispositifs de lutte contre le terrorisme et sa récidive sont complexes, nombreux, issus de différentes sources et s’appliquent sous la responsabilité d’autorités différentes. Il estime que l’efficacité de l’action publique est menacée et préconise une évaluation des dispositifs préventifs applicables au terrorisme afin « d’améliorer la cohérence de l’ensemble des dispositifs, leur bonne articulation les uns aux autres et, par conséquent, leur efficacité, tout en facilitant les évolutions nécessaires et en consolidant l’équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution ».

Le Conseil d’État ne l’a pas relevé, mais nos débats nous permettront de vérifier qu’aucun dispositif existant ne permet de garantir que les terroristes islamistes (TIS) sont suivis à leur sortie de prison afin d’éviter qu’ils passent à l’acte ou réitèrent. Si des mesures complémentaires sont nécessaires, nous plaidons pour une évaluation de l’ensemble des dispositifs. Nous proposerons des amendements destinés à contribuer à l’efficacité des mesures proposées, dans l’esprit des préconisations du Conseil d’État. Confiant dans le bien-fondé des travaux réalisés par la rapporteure, le groupe Agir ensemble votera en faveur de la proposition de loi.

M. Stéphane Peu. Notre groupe n’a pas encore arrêté son vote. Nous allons continuer de travailler et mener d’autres auditions avant la séance. Nous ne devons pas nous habituer, comme la majorité depuis trois ans, à aborder la question des libertés avec autant de légèreté. Il y a 3 mois, Philippe Bas a proposé au Sénat un texte sur le même sujet : c’est une course « à l’échalote » entre la majorité de l’Assemblée et celle du Sénat, alors qu’il faudrait avoir la main qui tremble avant de modifier des fondamentaux de l’État de droit. En outre, ce texte, présenté dans une semaine d’initiative parlementaire, est dépourvu d’étude d’impact et rien ne nous permet d’en mesurer les risques.

Il fait également totalement l’impasse sur la radicalisation en prison de détenus de droit commun. Quelle est notre politique de déradicalisation ? Après les grands discours, où en sommes‑nous ? Par ailleurs, il n’y a pas de justice préventive dans notre État de droit ! Depuis la réforme du service de renseignement pénitentiaire, des dispositifs permettent de suivre certains détenus. Mais prendre des mesures de restriction de liberté, une fois la peine purgée, pose un problème. Si vous doutez de la justice républicaine, interrogeons‑nous sur le quantum de la peine, pour complicité de terrorisme et acte de terrorisme. On ne peut pas, sous prétexte qu’on n’est pas satisfait de la réponse pénale ou de la politique pénitentiaire à l’égard des personnes radicalisées, essayer d’inventer un dispositif qui contredit notre État de droit.

À force de telles lois, vous vous êtes coupés de ceux qui sont attachés à une République équilibrée, notamment des gens du premier cercle d’Emmanuel Macron, comme François Sureau. La moitié des juristes vous reproche d’hystériser le pays, de saper les fondements de la République et de jouer aux apprentis sorciers avec la légèreté des novices.

Mme George Pau-Langevin. Nous comprenons bien le problème que le texte aborde, et savons qu’il est grave. Mais, dans une société démocratique, on essaie d’aborder tous les sujets, quelques graves qu’ils soient, en respectant les principes fondamentaux. Or il nous semble qu’instaurer une peine après la peine va à leur encontre. J’entends également la nuance entre peine et mesure de sûreté, mais, en l’état actuel, nous risquons d’attenter très significativement à un principe important de notre droit pénal : la non‑rétroactivité. Notre groupe examinera de nouveau en détail votre proposition. Mais votre orientation semble dangereuse. Si l’on suivait la jurisprudence du Conseil constitutionnel, votre mesure de sûreté ne s’appliquerait qu’aux gens condamnés maintenant, soit dans dix ans, et n’atteindrait donc pas votre but. Parce que votre proposition ne nous semble pas aboutie, nous ne vous suivrons pas. La question essentielle est bien de réussir à prévenir la radicalisation en prison. Or votre texte ne peut y répondre.

Mme Laurence Vichnievsky. Nous sommes tous d’accord : nous voulons nous prémunir contre le danger que représentent ces personnes, qui ont été condamnées pour terrorisme et sortent de manière sèche. Les dix-huit pages de l’avis du Conseil d’État témoignent de sa difficulté à distinguer les mesures de sûreté des peines, ainsi qu’à évaluer le caractère nécessaire et adapté de la proposition de loi. Il a précisé que de nombreux dispositifs existaient, de nature judiciaire ou administrative. Mais il a également relevé que, pour une catégorie de personnes, certes limitée, aucun dispositif ne pouvait s’appliquer. S’agissant des mesures de surveillance administrative, qui paraissent avoir sa préférence, il nous rappelle qu’elles ne sont applicables que jusqu’en décembre 2020. Il a proposé des mesures, dont vous avez tenu compte, madame la rapporteure, pour rééquilibrer la proposition de loi. Une réserve cependant : certaines s’apparentent à mon sens plus à une peine qu’à une mesure de sûreté et ne sont donc pas applicables immédiatement, selon le principe de la non‑rétroactivité.

M. Arnaud Viala. Je souscris aux remarques d’Éric Diard : il est dommage que le texte n’embrasse pas la question de la radicalisation des détenus de droit commun, un sujet concernant beaucoup plus de personnes. Par ailleurs, je suis choqué que l’on puisse s’interroger sur la préservation de la liberté de gens qui ont porté atteinte à notre nation et à nos concitoyens, en commettant des actes terroristes. Il est évident que vos mesures auraient dû figurer dans la loi initiale et qu’il faut les mettre en œuvre de toute urgence. Combien de détenus seraient concernés ?

M. Éric Ciotti. Je voterai ce texte, qui est utile, et m’étonne que l’on puisse douter de sa pertinence, alors que la menace est évidente et que des détenus présentant un risque de dangerosité majeur sortiront bientôt de prison. Le principe de précaution et la sécurité collective doivent prévaloir sur la préservation des libertés d’individus condamnés pour terrorisme et qui représentent une menace très grave. Nous ne sommes pas à la hauteur. Certes, la marge juridique est très étroite, puisque nos principes constitutionnels nous empêchent de sortir d’une forme de naïveté pour mieux nous protéger. Nous devrons avoir le courage de dire qu’une société a le droit de se protéger contre les menaces. Anticipons, avant qu’un individu sorti de prison commette un attentat et qu’on nous demande, en réaction, et sous le coup de l’émotion, de légiférer ! La rétention de sûreté instaurée par le Président Nicolas Sarkozy pour les criminels sexuels devrait pouvoir s’appliquer plus largement, au‑delà des quelque 500 personnes qui sortiront de prison, après avoir été condamnées pour terrorisme, aux 800 à 2 000 condamnés de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR). Enfin, les terroristes condamnés de nationalité étrangère devraient être systématiquement expulsés de notre pays, à leur sortie de prison, ce qui éviterait de les surveiller.

M. Didier Paris. Il est nécessaire que, sur un texte de cette nature, des questions de droit fondamental se posent. Néanmoins, il me semble qu’il atteint un juste équilibre entre droits fondamentaux et absolue nécessité de protéger nos concitoyens. Nous avons des dispositifs de suivi socio‑judiciaire, que mentionne le Conseil d’État et qui peuvent s’appliquer sans limite de temps. Ce texte fixe une durée de dix ou vingt ans ; il permet également de revoir la position de l’individu concerné tous les ans. La position de la juridiction évoluera progressivement, au fur et à mesure de l’analyse de la personnalité, et de nombreuses personnes ne seront sans doute pas suivies dix ou vingt ans. La mesure doit être rétroactive, sans quoi le texte n’a aucune valeur. Enfin, le Conseil d’État a été très clair : c’est une mesure restrictive de liberté, qui n’empêche pas la personne de se déplacer. Elle est soumise à un contrôle élémentaire, qui paraît nécessaire, au regard de la gravité des actes commis.

M. Raphaël Schellenberger. Nous soutiendrons votre texte et vous proposerons des amendements pour préciser certains points. Malheureusement, il ne changera pas la stratégie pénale du Gouvernement. Pendant le confinement, 13 500 détenus ont été libérés de façon anticipée et autant ont échappé aux poursuites judiciaires, si bien que, çà et là, des tensions montent. Tous ces gens, qui devraient être en prison et auraient dû faire l’objet d’un suivi particulier, participent à l’embrasement de certains de nos territoires. J’ai la faiblesse de penser que ce qui se passe à Dijon est lié aux libérations anticipées et à la mise à l’arrêt du système judiciaire. La politique pénale doit suivre, sans quoi la proposition de loi ne servira à rien.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous sommes tous conscients du danger que représente le terrorisme et souhaitons tous protéger les Français. La proposition de loi me semble nécessaire, même si elle n’est évidemment pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre le terrorisme.

Ce texte circonscrit vise à combler « un trou dans la raquette ». Il ne concerne pas des apprentis terroristes, mais des personnes condamnées pour terrorisme. C’est dommage que Stéphane Peu, qui m’a accusée d’opportunisme, soit parti, après avoir manqué ma présentation du texte. En lisant le compte rendu, il verra que cette proposition de loi est issue de trois ans de travail au sein de la Délégation parlementaire au renseignement et du contrôle parlementaire de la loi SILT. Les sénateurs, qui ont mené les mêmes travaux, ont abouti à la même conclusion, sans la moindre course « à l’échalote » pour reprendre son expression. S’il est possible de contester les dispositions en elles‑mêmes, il me semble malvenu de contester le processus.

Nous nous sommes bien évidemment interrogés sur l’équilibre du texte. Notre commission a toujours veillé à préserver les droits fondamentaux et les libertés publiques. C’est pourquoi nous avons souhaité saisir le Conseil d’État. Je garderai le souvenir de l’Assemblée générale qui a duré plus de trois heures, où nous avons pu échanger sur les concepts de peine et de sûreté. Nous proposons clairement une mesure de sûreté, qui vise à prévenir la récidive et non pas à punir. Il y aura une procédure contradictoire et une évaluation pluridisciplinaire régulière. Il ne s’agit pas de considérer que tout est perdu, mais qu’il faut absolument instaurer un suivi. Je fais confiance à l’autorité judiciaire pour apprécier qui doit bénéficier de cette mesure de sûreté – les 150 détenus identifiés n’y seront pas tous soumis. Cela ne signifie pas pour autant que nous renonçons à travailler sur la radicalisation en détention. Nous devons être réalistes : nous ne pourrons pas toujours déradicaliser les détenus.

Mes amendements reprennent les recommandations du Conseil d’État. Je regarderai avec beaucoup d’attention les vôtres, qui se rejoignent parfois.

Concernant le champ d’application, nous avons retenu l’incrimination terroriste, parce que les détenus de droit commun peuvent d’ores et déjà bénéficier des dispositifs de libération conditionnelle et de suivi judiciaire, et ne font pas l’objet d’une sortie sèche, contrairement aux détenus pour terrorisme, qui sont exclus explicitement des dispositifs d’aménagement de peine depuis 2016.

Article unique (art. 706‑25‑15 à 706‑25‑19 du code de procédure pénale) : Mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine 

La Commission examine l’amendement CL32 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. L’enjeu de notre discussion est de savoir comment prévenir la récidive. On sait que le meilleur moyen est de préparer la sortie. Notre collègue remarquait que nous n’étions pas là pour défendre les droits des personnes condamnées. Mais si ! Parce que c’est un facteur de désistance. Or je crois que tout n’est pas fait en détention pour prévenir la récidive. Les mesures de sûreté que vous proposez doivent être prises seulement après que toutes les autres auront été essayées en vain. C’est vrai que ces détenus ne doivent pas sortir de manière sèche, c’est‑à‑dire, pour moi, non pas sans surveillance, mais sans avoir fait un travail pendant leur détention. Or c’est le cas, malgré quelques expérimentations.

Madame la rapporteure, vous disiez que votre dispositif s’appliquait déjà aux détenus de droit commun dits radicalisés. Votre texte met le pied dans la porte et incite à instaurer ces mesures de rétention pour des gens dont la caractérisation de TIS laisse à désirer, en ce qu’elle ne repose que sur la religiosité, qui est souvent loin de faire le lit des passages à l’acte violents.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable. La proposition de loi ne remplace pas les dispositifs de prise en charge de la radicalisation en détention, pour laquelle beaucoup est fait. Tout n’est pas parfait, bien sûr, mais, dans la mesure où c’est un enjeu majeur pour nos démocraties, il ne faut jamais renoncer à rechercher la meilleure façon de prendre en charge les personnes radicalisées. C’est pourquoi nous avons créé de nombreux quartiers de prise en charge de la radicalisation en détention et avons développé des programmes de sortie qui ont montré une certaine efficacité. La proposition de loi vise à assurer une meilleure prise en charge à la sortie de la détention.

M. Ugo Bernalicis. Ces mesures ne sont pas nécessaires. Le Conseil d’État a d’ailleurs fait remarquer que nous n’étions pas dépourvus d’outils. Faire des quartiers spécifiques n’est pas résoudre le problème. J’aimerais être aussi péremptoire que vous ! En vérité, je ne sais rien sur l’efficacité des dispositifs. Je n’ai pas de rapport sur le sujet. À chaque fois que j’ai interrogé des personnels, dans les quartiers d’évaluation ou de prévention de la radicalisation, ils m’ont répondu qu’ils n’avaient aucun retour ni aucune évaluation. Et vous, parce que vous participez depuis trois ans à des réunions auxquelles nous n’assistons pas et que vous disposez d’informations auxquelles nous n’avons pas accès, vous nous dites que c’est bien ce qu’il faut faire. Permettez‑moi de douter ! Quand il s’agit de prendre des mesures restrictives de liberté, je m’interroge. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) examine in concreto si un dispositif est une peine ou une mesure de sûreté, et ne se fie pas à l’exposé des motifs. Et concrètement, c’est un peu flou.

Mme Laurence Vichnievsky. Monsieur Bernalicis, je ne peux pas vous laisser dire que vous ne savez pas qu’il n’y a pas une catégorie de condamnés qui sort de façon sèche. Vous le savez, puisque le suivi socio‑judiciaire n’a été étendu aux infractions de terrorisme qu’en 2016. Certains condamnés pour terrorisme avant 2016 sortiront bientôt, sans être éligibles à un quelconque dispositif, à l’exception des mesures de surveillance administrative.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le procureur national antiterroriste nous a donné les chiffres des prononcés de suivi socio‑judiciaire en matière criminelle. Depuis septembre 2019, alors que le nombre de terroristes islamistes jugés par la cour d’assises de Paris était déjà largement supérieur à celui jugé devant cette juridiction en vingt‑cinq ans, sur dix‑neuf dossiers en premier ressort et trois en appel, aucun suivi socio‑judiciaire n’a été prononcé – il n’a été requis qu’une seule fois pour une peine de huit ans. Deux catégories seront visées par la proposition de loi : les condamnés avant 2016 et les condamnés pour des faits criminels pour lesquels il semblerait que la jurisprudence de la cour d’assises de Paris soit de ne pas prononcer de suivi socio‑judiciaire, les peines étant trop longues pour évaluer sa nécessité au moment de la condamnation.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL4 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’amendement vise à reprendre l’article 6 de la proposition de loi du Sénat renforçant la lutte contre le terrorisme et le suivi des condamnés terroristes à leur sortie de détention. Le renforcement des dispositifs de suivi judiciaire apparaît comme la voie la plus adaptée. Même si l’objet de votre proposition est de prendre diverses mesures de sûreté, sans vous offenser, madame la présidente, celles présentées dans cet amendement sont plus efficaces, en introduisant dans le code de procédure pénale une nouvelle mesure destinée à permettre un suivi renforcé et prolongé des personnes condamnées pour des infractions terroristes, qui présentent à leur sortie de détention une dangerosité élevée et un risque avéré de récidive. Cette surveillance n’est pas une sanction pénale, mais une mesure d’accompagnement à la réinsertion, pour protéger la société contre des individus ayant purgé une peine, mais dont la dangerosité a été reconnue par le tribunal d’application des peines. Dans la proposition de loi du Sénat, il y a la possibilité de recevoir la visite du travailleur social et de se soumettre à un examen médical et à des injonctions thérapeutiques. C’est pourquoi je souhaite ajouter à votre article l’article 6 du Sénat.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous n’ajoutez pas seulement un dispositif ; vous supprimez le mien ! Mon homologue du Sénat a abouti aux mêmes conclusions et souhaite créer le même dispositif. Les points de convergence entre nos propositions sont nombreux. C’est pourquoi je ne doute pas que nous parviendrons à un accord en commission mixte paritaire. J’ai même commencé à discuter avec Philippe Bas. Notre dispositif comporte un point supplémentaire important : il prévoit la possibilité d’un pointage trois fois par semaine au commissariat, ce que ne prévoit pas le suivi socio‑judiciaire présenté par le Sénat. Or les acteurs de terrain, notamment le directeur général de la sécurité intérieure, nous ont dit à quel point ce pointage était important pour mesurer l’évolution d’un individu et assurer son suivi. Avis défavorable à l’amendement.

M. Éric Diard. Êtes‑vous prête à intégrer l’examen médical et les injonctions thérapeutiques ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Un amendement vise à rendre possible le recours au dispositif PAIRS. Nous pourrons voir, pour la séance, si nous ajoutons le suivi médical.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL46 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Premier d’une longue série, l’amendement vise à tenir compte tant des recommandations du Conseil d’État que des auditions que nous avons tenues qui prônaient toutes deux la saisine de la juridiction régionale de la rétention de la sûreté de Paris dans la mesure où il s’agit de mesures de sûreté et non de peines.

Le parquet national antiterroriste de Paris centralise en outre toutes ces affaires en raison de la compétence de ses services et de leur connaissance très fine de tous ces enjeux. Il convient donc de préciser qu’il sera en charge des réquisitions.

L’amendement propose donc de substituer au tribunal d’application des peines la juridiction régionale de rétention de sûreté de Paris, et de rendre le tribunal pour enfants de Paris compétent concernant les mineurs, même s’il ne s’agira que de situations exceptionnelles qu’il ne faut pour autant pas écarter.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL5 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. L’amendement vise à préciser les modalités de la définition de la particulière dangerosité sur la base de laquelle le procureur de la République pourra ordonner les mesures de sûreté envisagées. Comment déterminera-t-il le risque que la personne visée commette les infractions au code de procédure pénale mentionnées à l’alinéa 6 sans que cela ne porte atteinte à la présomption d’innocence ?

Si le renforcement des dispositifs pénaux me semble essentiel, une personne ne doit pas pouvoir être condamnée parce qu’elle serait susceptible de commettre une infraction : cela ébranlerait en effet un pilier de notre édifice juridique.

L’amendement tend donc à supprimer l’alinéa 6, dans l’attente d’une meilleure rédaction.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cet alinéa détermine précisément le champ d’application de la proposition de loi, à savoir les détenus ayant été condamnés pour des faits de terrorisme, à l’exclusion d’un certain nombre d’autres condamnations. Je ne peux donc qu’être défavorable à l’amendement, tout l’enjeu du dispositif tenant à l’appréciation de la particulière dangerosité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL15 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Le champ de la proposition de loi n’inclut pas les délits d’apologie du terrorisme et de diffusion de messages en faisant l’apologie. Or il serait opportun qu’ils le soient. Certaines personnes condamnées pour de tels délits peuvent en effet présenter une dangerosité majeure qui doit être prise en compte au-delà de la condamnation pour terrorisme. Pourquoi, donc, les exclure, au détriment du principe de précaution ?

Il s’agit, non pas d’une peine, mais d’une volonté collective de la société de se protéger contre une menace.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous nous sommes effectivement beaucoup interrogés sur le champ à retenir pour cette proposition de loi. Nous avons exclu les deux infractions que vous mentionnez car nous avons considéré qu’en dépit de leur extrême gravité, elles visaient des délits d’expression.

En outre, elles sont aujourd’hui punies de peines de cinq ans d’emprisonnement. Or les mesures de surveillance judiciaire – réservées aux délits passibles de peines supérieures à sept ans d’emprisonnement – et de sûreté sont traditionnellement réservées à des incriminations beaucoup plus importantes, la rétention et la surveillance de sûreté étant quant à elles réservées à des crimes passibles de quinze ou plus d’emprisonnement.

Enfin, de telles dérogations existent déjà pour de tels délits dans la procédure pénale : je pense par exemple au régime de la garde à vue ou de la perquisition.

M. Ugo Bernalicis. La logique de M. Ciotti, à laquelle je suis rigoureusement opposé et à laquelle votre texte ouvre la porte, se tient : à partir du moment où l’on admet l’existence du concept de dangerosité, qu’on le définit et qu’on prévoit des mesures de sûreté spécifiques, on peut, le risque zéro n’existant pas, les appliquer à tout le monde. Or elles emportent des conséquences concrètes sur la vie des gens puisqu’elles sont au minimum restrictives de liberté.

Dans le droit fil des lois successives depuis 2015, vous avez ouvert une boîte de Pandore, préparant ainsi la prolongation des dispositifs de la loi SILT. L’ambiance sécuritaire dans laquelle nous vivons autorise en effet, au prétexte d’une limitation des risques et d’une protection collective, ce type de discours au détriment des libertés fondamentales, notamment individuelles, dont on finit par oublier qu’elles constituent la norme, et les mesures restrictives et privatives de liberté l’exception.

M. Éric Diard. Au mois de mai, un individu fiché « S », emprisonné à Vannes pour infraction à la législation sur les stupéfiants, a été libéré avec deux mois d’avance car il a bénéficié des mesures de l’ordonnance du 25 mars 2020. Or il a été arrêté pour avoir refusé un contrôle de police – il n’avait pas de permis de conduire, et était armé. Il avait pourtant été condamné en 2019 pour apologie du terrorisme !

M. Fabien Di Filippo. Où s’arrête la naïveté et où commence la suspicion généralisée ? Ni la proposition de loi, ni l’amendement de M. Ciotti ne créent un nouveau délit. Une chose est sûre : tous nos concitoyens ne se livrent pas, lorsqu’ils font usage de leur liberté d’expression, à l’apologie du terrorisme, qui est clairement réprimée par la loi. En revanche, dans de très nombreux cas de passage à l’acte, les intéressés ont au préalable, sur les réseaux sociaux ou dans des correspondances privées, fait l’apologie du terrorisme. Il faut donc tenter d’empêcher tout nouveau passage à l’acte ainsi que toute réitération. L’amendement y contribuerait.

M. Raphaël Gauvain. Cher collègue Bernalicis, la commission des Lois n’est pas en train d’inventer les peines de sûreté ou la notion même de sûreté : elles font en effet partie depuis très longtemps de notre droit et ne sont pas, contrairement à ce que vous avez dit, réservées à la matière terroriste.

Il en va de même de la notion de dangerosité en fonction de laquelle un magistrat, – ou en matière administrative un préfet ou le ministre de l’intérieur – peut prendre des mesures de sûreté : nous n’ouvrons aucune brèche.

Comme vous l’avez dit, la proposition de loi se situe dans le droit fil des textes visant à lutter contre le terrorisme, et notamment celui du 21 juillet 2016 qu’elle corrige puisqu’un amendement de M. Ciotti prévoyant que tous les condamnés pour des faits de terrorisme n’auraient droit à aucune réduction de peine avait alors été adopté. La majorité socialiste de l’époque l’avait d’ailleurs allègrement voté.

Or, ce faisant, on n’a fait que repousser le problème : quatre ans après, les intéressés se retrouvent en sortie sèche, ce qui justifie les mesures de sûreté. Elles permettront de les surveiller à leur sortie de prison.

Chers collègues, nos activités de contrôle nous ont amenés à faire état devant vous de nos auditions et de nos travaux. Celles s’exerçant sur la mise en application de la loi SILT nous rendent notamment destinataires d’une copie de tous les actes pris sur son fondement, notamment des MICAS – par ailleurs placées sous le contrôle du juge administratif – prises au moment des sorties de détention et qui établissent la dangerosité des intéressés. Or ils présentent des profils extrêmement dangereux : il nous faut donc intervenir.

M. Éric Ciotti. L’amendement en question, monsieur Gauvain, qui privait de réductions de peine automatiques les condamnés pour terrorisme, était porté avec Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des Lois – avec lequel nous avons également donné naissance au renseignement pénitentiaire –, contre l’avis de Mme Taubira, Garde des Sceaux à l’époque.

Or si nous sommes aujourd’hui capables d’évaluer la dangerosité en prison et de dresser un état des lieux de la menace, c’est précisément grâce au renseignement pénitentiaire. Je regrette que la logique poursuivie par M. Urvoas lorsqu’il avait excellemment exercé les fonctions de Garde des Sceaux ait été totalement mise à mal par Mme Belloubet qui a fait totalement sienne la philosophie de Mme Taubira.

Madame la rapporteure, comme le savent les services de renseignement, la dangerosité n’est pas liée à la condamnation : un individu qui n’a été condamné que pour un acte d’apologie du terrorisme, celui-ci pouvant précéder un très grave attentat, peut être extrêmement dangereux. Alors que la société doit s’en protéger, rien n’est prévu à sa sortie de prison. Je ne peux pas m’y résoudre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je comprends vos arguments, mais nous n’avons fait entrer dans le champ d’application de la proposition de loi que les infractions les plus graves.

N’y voyez pas malice, monsieur Ciotti, mais l’amendement CL4 d’Éric Diard, que vous avez cosigné et qui reprend la proposition de loi de l’excellent Philippe Bas, prévoit exactement la même exclusion que celle que je propose, à savoir celles « […] définies aux articles 42125 et 421251 […] » du code pénal.

M. Éric Ciotti. Il s’agissait d’un amendement de repli au cas où vous ne répondiez pas à ma légitime attente. (Sourires.)

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL11 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cette proposition de loi visant à créer un régime ad hoc pour les individus condamnés pour des faits de terrorisme en passe d’être libérés est présentée comme s’inscrivant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste.

Notre forte réserve, que j’ai déjà exprimée au nom du groupe Libertés et territoires, vient du fait que l’on passe d’un exposé des motifs comportant une identification très précise et très factuelle de la dangerosité de ce terrorisme à une proposition de loi générale.

Or selon l’article 421-1 du code pénal, et plus précisément selon son troisième alinéa, de nombreuses infractions peuvent être, comme cela s’est déjà vu, qualifiées de terroristes : je pense aux dégradations de sous-préfectures commises par les bonnets rouges ou par les gilets jaunes, et à d’autres faits imputables à certains militants écologistes ou altermondialistes ou aux situations corse et basque.

La proposition de loi semble donc dangereuse et disproportionnée dans la mesure où elle trouverait à s’appliquer après la peine consécutive à une condamnation par ailleurs normale s’agissant d’actes de violence.

Or les actions relevant du terrorisme islamiste me semblent être caractérisées quasi-exclusivement par l’atteinte à la vie humaine, ce qui les lie évidemment à la notion de dangerosité sur l’évaluation de laquelle nous rejoignons le Conseil d’État. Sur le sol français, je n’en connais aucune en effet qui ait pris la forme de dégradations.

Il nous semble donc plus juste et nécessaire de distinguer les atteintes matérielles aux biens des atteintes délibérées à la vie humaine pour ne pas, en étant trop général, créer de situations clivantes n’ayant rien à voir avec l’objet même de la proposition de loi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article 421-1 du code pénal définit comme terroriste « […] une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur […] ». Or je n’imagine pas que des militants écologistes ou des gilets jaunes puissent commettre des actes répondant à cette définition : la confusion est impossible.

Par ailleurs, l’exclusion du champ d’application de la proposition de loi des destructions matérielle ne me paraît pas opportune. Certains actes terroristes peuvent en effet ne viser que la destruction de biens et troubler ainsi gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Je suis donc défavorable à l’amendement.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit évidemment d’un amendement d’appel : j’ai en tête au moins une cinquantaine de cas dans lesquels on a par le passé, au cours des années 1980 et 1990, qualifié de terroristes certains actes, dont on pourrait dresser la liste, issus de tels mouvements.

Oui, une telle généralisation a eu lieu et par conséquent oui, le risque existe. Non, la proposition de loi n’offre pas de ce point de vue de sécurité tant juridique que démocratique. Elle met en outre de l’huile sur le feu, tout comme le FIJAIT, qui visait le terrorisme islamiste mais qui a été clairement étendu à des détenus ne présentant pas de dangerosité, générant ainsi des tensions parmi les Corses et les Basques.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL47 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’amendement tend à répondre à l’une des préoccupations du Conseil d’État en définissant la particulière dangerosité des individus entrant dans le champ d’application de ce texte. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, nous a en effet indiqué qu’il serait préférable de la préciser, afin de consolider le dispositif.

Il vise donc à insérer, à l’alinéa 6, après le mot : « par », les mots : « une adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur […] ». Il reprend la définition de l’acte terroriste figurant dans le code pénal.

M. Ugo Bernalicis. Si je comprends bien, les mesures de sûreté ne devraient s’appliquer qu’à des personnes manifestant une telle adhésion, cette définition servant par ailleurs à caractériser certains faits dans le cadre de poursuites judiciaires.

Si cette définition est identique dans les deux cas, je préfère alors le traitement judiciaire, quitte, si la personne en question a continué à communiquer en détention avec l’extérieur en manifestant son intention de commettre dès sa sortie un acte terroriste, à rouvrir une enquête et à la condamner.

Cela illustre bien votre difficulté à mettre une frontière et le risque de jugements subjectifs fondés par exemple, comme l’amendement suivant CL48, sur « une probabilité très élevée ».

On entre ainsi dans un monde qui n’est ni celui des faits ni celui de la justice classique. Quoi qu’en dise notre collègue Raphaël Gauvain, non, il n’en a pas été ainsi de tout temps ni en toute matière. Le code pénal a connu un effet cliquet, conduisant, d’année en année, à une vision de plus en plus sécuritaire et répressive, sans pour autant, bien au contraire, que les résultats aient suivi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous avez raison : si les personnes concernées ont commis une infraction qu’il est possible de caractériser, le procureur national antiterroriste les poursuivra pour ce motif. Il s’agit en l’espèce de définir le champ des personnes qui continuent d’adhérer aux thèses terroristes et radicales. Les MICAS sont éclairantes à cet égard. Cela se déduit de la persistance d’un comportement en détention caractérisé par une accumulation d’agressivité envers les surveillants et parfois d’incidents de détention impliquant par exemple la fabrication d’armes.

Il ne s’agit pas de poursuivre des personnes en raison de faits, mais d’identifier celles qui manifestent une radicalité et qui, de ce fait, présentent un danger pour la société. L’amendement CL47 vise à le caractériser en prévoyant une adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public.

Soyez rassuré, les acteurs du monde judiciaire savent très bien faire la distinction.

M. Raphaël Gauvain. La distinction entre l’infraction et la peine de sûreté est, en pratique, extrêmement claire. Acheter un billet d’avion en vue de rejoindre un théâtre d’opérations relève, depuis 1986, de la première. La personne concernée sera donc, même si elle n’a pas commis d’acte terroriste, appréhendée, placée en garde à vue puis condamnée à une peine de prison.

Si au cours de sa détention elle profère certains propos, voire des menaces, on surveillera son entourage, ses appels. C’est sur la base de son dossier, de manière objective et à l’issue d’une procédure judiciaire conduite par des magistrats en fonction d’une jurisprudence et d’un débat contradictoire qu’on pourra en conclure que la personne présente une certaine dangerosité et doit donc faire l’objet de mesures de sûreté.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL48 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Il vise, dans la même ligne que le précédent, à caractériser le champ d’application du texte. S’ils souhaitent soumettre une personne aux mesures de sûreté, les magistrats devront, au-delà de la persistance d’une adhésion à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, prouver qu’il existe « une probabilité très élevée » de commettre l’une des infractions en question.

Également inspiré par l’audition de François Molins, l’amendement vise à harmoniser plusieurs rédactions, puisque cette qualification juridique figure déjà à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale relatif à la rétention et à la surveillance de sûreté.

M. Ugo Bernalicis. Plusieurs d’entre vous ont employé les mots : peines de sûreté. Or de facto, la confusion est totale, car il s’agit, non pas de peines, mais de mesures de sûreté, distinction qu’il est nécessaire d’opérer pour éviter notamment une inconstitutionnalité. Si nous-mêmes employons spontanément le mot peines à leur propos, c’est peut-être qu’elles soulèvent une difficulté.

Si une personne est trouvée en possession d’armes au cours de sa détention, il s’agit d’un délit qui peut être poursuivi. Si une autre tient des propos incitant à la violence ou à la haine et fait l’apologie du terrorisme, cela peut également donner lieu à des poursuites. Tous les faits que vous avez cités peuvent en faire l’objet : je vous mets au défi d’en trouver pour lesquel cela serait impossible.

Nous évoluons vers une justice prédictive alors que l’on devrait examiner des faits et condamner. Je le dirai autant de fois que cela sera nécessaire.

M. Raphaël Schellenberger. J’entends que la mention « une probabilité très élevée » figure déjà dans notre droit. Pour autant, un risque élevé et une probabilité très élevée sont des notions différentes. Je crains que la seconde conduise à une analyse du risque. En outre, définir une probabilité en matière de comportements humains sera plus compliqué que de définir un risque, a fortiori si l’on requiert que son niveau soit très élevé.

Cette rédaction, qui vise à sécuriser juridiquement la démarche, peut avoir pour conséquence de vider de sa substance votre proposition de loi.

M. Éric Ciotti. Il faudrait à tout le moins supprimer l’adverbe « très », sauf à ne cibler qu’un nombre de cas extraordinairement limité. Un tel critère sera en effet compliqué à appliquer. Cela risque de détruire l’architecture du texte.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL18 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. L’amendement vise à étendre la possibilité de prendre des mesures de sûreté à l’égard de détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR). Il s’agit, non pas d’une peine après la peine, ce qui n’aurait bien entendu aucun fondement juridique, mais de protéger notre société contre la dangerosité de certains individus.

Le profil des terroristes qui ont tragiquement marqué l’histoire contemporaine de notre pays nous enseigne que nombre d’entre eux avaient fait l’objet d’une condamnation pour apologie du terrorisme.

En l’espèce, le schéma est similaire : les détenus identifiés par le renseignement pénitentiaire comme présentant une dangerosité en raison de leur radicalisation persistante ou opérée au cours de leur séjour derrière les barreaux constitueront, à la fin de leur détention, une menace et un risque – ou une probabilité – élevés ou très élevés de passage à l’acte.

Incluons-les dans le champ d’application du texte sous peine de perdre une grande partie du bénéfice du dispositif ! Auditionnés dans le cadre du contrôle de la loi SILT, le président du tribunal judiciaire de Paris, comme le procureur de la République antiterroriste, avaient considéré que 800 à 1 200 prévenus et condamnés correspondraient à ce profil radicalisé. Pour les syndicats pénitentiaires ils étaient de l’ordre de 1 500 à 2 000. Nous ne pouvons pas ne rien faire face à cette menace.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis d’accord avec vous : il n’est pas possible de ne rien faire face à cette menace mais, précisément, nous disposons des outils judiciaires nécessaires avec la surveillance judiciaire et les aménagements de peine.

Par ailleurs, nous avons défini le champ d’application de la loi à partir d’un certain nombre d’infractions et ce que vous proposez me semble trop flou.

Avis défavorable.

M. Éric Diard. Comme notre collègue Éric Poulliat et moi-même l’avions signalé dans notre rapport, l’administration pénitentiaire a eu le tort d’évaluer la radicalisation des cinq cents terroristes islamistes avant celle des détenus de droit commun susceptibles de radicalisation, actuellement en cours. Nous avons ainsi perdu beaucoup de temps.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL49 de la rapporteure et CL27 de M. Dimitri Houbron.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Afin de tenir compte de la recommandation du Conseil d’État, il s’agit de substituer au « tribunal de l’application des peines » la « juridiction régionale de la rétention de sûreté ».

M. Dimitri Houbron. Mon amendement a le même objectif.

La Commission adopte l’amendement CL49.

En conséquence, l’amendement CL27 tombe.

La Commission examine l’amendement CL6 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Si le procureur de la République est prêt à faire part auprès du tribunal d’application des peines d’une requête visant à exercer sur une personne des mesures de sûreté contraignantes, c’est qu’il considère que la personne condamnée a fait preuve d’une dangerosité avérée.

Dans cette éventualité, il serait particulièrement délicat pour les personnels des services judiciaires de ne pas faire appliquer toutes les mesures nécessaires à la surveillance de cette personne ou tout dispositif permettant de prévenir tout acte malveillant de sa part.

L’emploi de l’optatif, dans la formulation actuelle de l’alinéa 6, soulève le problème de la responsabilité des détenteurs de l’autorité judiciaire. Il me semble donc nécessaire que le procureur « ordonne » que des mesures strictes soient prises à l’encontre de cette personne.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable. Il faut faire confiance aux magistrats, qui ont une appréciation très fine des dossiers. De plus, l’individualisation de chaque situation est au cœur de notre système judiciaire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL7 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Nous évoquons le cas de personnes condamnées et reconnues dangereuses à l’issue de leur peine. Dès lors que le procureur de la République ordonne que des mesures de sûreté soient prises, le système judiciaire français reconnaît que des dispositifs spéciaux doivent être appliqués pour garantir la sécurité des Français. Il ne semble donc pas illégitime que ces personnes fassent l’objet d’une attention soutenue des services de surveillance compétents. Il n’est pas illégitime non plus d’exiger d’elles qu’elles indiquent aux autorités tout changement de situation.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. C’est déjà le cas, l’alinéa 8 disposant que la personne doit déclarer sa résidence et l’alinéa 9 qu’elle doit « obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout changement d’emploi ou de résidence… ». Je vous renvoie également à l’article 132-44 du code pénal.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL8 de Mme Marie-France Lorho et CL16 de M. Éric Ciotti.

Mme Marie-France Lorho. Il n’y a aucune raison valable pour limiter la fréquence de présentation de l’ancien détenu reconnu dangereux à l’issue de sa peine auprès des autorités compétentes. Si, dans le cadre de tel ou tel dossier, celles-ci jugent nécessaire que la personne se présente à eux tous les jours, un tel pointage doit être possible. Mon amendement vise donc à supprimer la limite de trois pointages hebdomadaires.

M. Éric Ciotti. Le pointage peut être étendu à sept jours hebdomadaires contre trois actuellement. Pourquoi se priver de cette possibilité ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons beaucoup hésité s’agissant de la périodicité du pointage, dont nous savons à quel point il est utile. Nous avons opté pour un pointage maximal de trois jours par semaine pour sécuriser juridiquement et constitutionnellement le dispositif.

En 2008, lorsqu’il s’est prononcé sur la rétention de sûreté et plus récemment à l’occasion de l’examen de deux QPC sur les MICAS – où le pointage quotidien est possible –, le Conseil constitutionnel a jugé que ce dernier restreint les libertés. S’il jugeait que notre proposition de loi n’était pas conforme à la Constitution, elle ne pourrait s’appliquer. Il me semble donc nécessaire de maintenir une périodicité de trois jours hebdomadaire.

Avis défavorable à ces amendements.

M. Éric Ciotti. Je le regrette. Compte tenu de la conviction que vous avez manifestée, j’espérais que vous émettriez enfin un avis favorable à l’un de mes amendements.

Vous préjugez d’une décision du Conseil constitutionnel, or, comme vous l’avez rappelé, celui-ci n’a pas remis en cause le principe du pointage quotidien dans le cadre des MICAS. Je ne pense donc pas que le risque d’inconstitutionnalité soit très grand.

M. Raphaël Schellenberger. Pour les législateurs que nous sommes, il est insupportable de faire valoir un risque d’inconstitutionnalité en raison de votre impréparation. Cela fait des mois que nous vous alertons sur le sujet. Si l’on veut qu’un texte soit efficace, il doit être travaillé suffisamment en amont pour éviter ce genre de risque et, le cas échéant, revoir la copie si elle n’est pas entièrement conforme à la Constitution.

J’ajoute que le pointage quotidien que nous proposons n’est pas une obligation mais une possibilité laissée au juge.

M. Raphaël Gauvain. Je ne savais pas qu’il était constitutionnellement possible de saisir le Conseil constitutionnel sur une proposition de loi avant qu’elle ait été déposée ! Il est en revanche possible de saisir le Conseil d’État pour qu’il joue son rôle de conseil juridique du Parlement – ce que nous avons fait.

Nous avons évoqué un « chemin de crête », or, face au risque d’inconstitutionnalité, nous souhaitons en rester à des mesures de sûreté. Le Conseil constitutionnel peut en effet fort bien opérer une requalification et juger que le pointage quotidien relève plutôt de la sanction. Dans ce cas, le texte ne serait pas immédiatement applicable alors que notre objectif est qu’il le soit.

De plus, le dispositif proposé s’ajoute à la loi SILT et le ministère de l’intérieur, pendant la première année, pourra instaurer un pointage quotidien.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine les amendements identiques CL25 de Mme Paula Forteza et CL40 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Paula Forteza. Nous proposons la suppression du dispositif de surveillance électronique mobile, très intrusif et privatif de liberté. Nous sommes également préoccupés par le recours de plus en plus fréquent à ce type d’outils, qui nous entraîne vers un modèle de société dont nous ne voulons pas.

De plus, le droit en vigueur permet déjà l’utilisation de ces bracelets dans le cadre du suivi socio-judiciaire pour une durée de deux ans, renouvelable une fois en matière délictuelle et deux fois en matière criminelle.

Enfin, le pointage en présentiel est plus efficace.

Mme Laurence Vichnievsky. Je précise également que le placement sous surveillance électronique mobile peut être prononcé dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, peine complémentaire prononcée par la juridiction de jugement, ou dans le cadre de la surveillance judiciaire, laquelle ne s’applique que pour la durée de la peine.

Je ne crois pas me tromper en reprenant le terme de « confusion » qui figure dans l’avis du Conseil d’État s’agissant de la distinction entre mesures de sûreté et peines. Selon moi, une telle mesure s’apparenterait à une peine. Supprimer cette possibilité éviterait donc un risque d’inconstitutionnalité.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je comprends les préoccupations de nos deux collègues.

Le parquet national antiterroriste et le directeur général de la sécurité intérieure nous ont convaincus de l’utilité primordiale du pointage, le placement sous bracelet présentant en revanche moins d’intérêt opérationnel. Par ailleurs, un tel usage est possible dans le cadre des MICAS mais il est très peu utilisé.

Avis favorable à ces amendements qui, de surcroît, contribuent à sécuriser constitutionnellement le texte.

M. Éric Ciotti. Je suis très défavorable à ces amendements car la surveillance électronique mobile est un dispositif parmi les plus efficaces du texte et les services de renseignement en ont besoin.

Le texte ne prévoyant pas d’assignation à résidence ou de rétention administrative pour ces individus dangereux, ce que je regrette, comment ne pas utiliser ce dispositif de géolocalisation, d’autant plus qu’il évitera une surveillance physique où plusieurs dizaines d’agents de renseignement peuvent être mobilisés ?

M. Raphaël Schellenberger. Je suis très surpris par cette suppression. Peu à peu, vous videz ce texte de toute sa substance.

Je comprends que des questions de liberté individuelle se posent mais ce fut manifestement moins le cas lorsqu’il s’est agi d’adopter en commission des dispositifs de surveillance numérique à l’endroit de toute la population pour lutter contre le covid-19 que cela ne l’est lorsqu’il s’agit de lutter contre des individus radicalisés !

Les conséquences d’une censure constitutionnelle seraient quant à elles bien moins importantes que précédemment et nous pouvons en prendre le risque. Si la disposition n’est pas censurée, la protection des Français sera satisfaite.

M. Raphaël Gauvain. Il faut placer ce nouveau régime juridique dans un ensemble de mesures visant les personnes sortant de prison, notamment le suivi administratif et la loi SILT.

Lors de la première année qui suit la sortie de prison, il est possible de cumuler une limitation de sortie à l’échelle de la commune et le port du bracelet électronique.

Par ailleurs, M. Ciotti sait bien qu’aucun bracelet électronique n’a été proposé dans le cadre des MICAS et suite à des sorties de prison. Il est faux de prétendre qu’une telle mesure, supposément très efficace, serait demandée par les services de renseignement.

M. Éric Diard. Le groupe Les Républicains était plutôt favorable à cette proposition de loi mais elle vire de plus en plus au Canada Dry : elle a le goût de la mesure de sûreté sans l’être vraiment.

Mme George Pau-Langevin. Sans être dans un état d’esprit sécuritaire, je trouve également qu’il y a un manque de logique. Vous faites de nombreuses propositions pour encadrer le suivi de la personne qui sort de prison mais pourquoi semblez-vous faire peu de cas du bracelet électronique ?

M. Éric Ciotti. Nous avions en effet un a priori favorable sur ce texte mais vous êtes en train de le vider de sa substance. Il n’en reste rien ! Un pointage maximal trois jours par semaine… avec café et chocolat ?

Le placement sous surveillance électronique géolocalisée est rarement utilisé en raison de problèmes techniques et d’un coût très élevé alors que, comme tous les services de renseignement le disent, il est beaucoup plus utile qu’un placement sous surveillance électronique fixe.

M. Bruno Questel. Compte tenu de la philosophie de ce texte et de l’avis du Conseil d’État, soit ces amendements sont rejetés et la proposition de loi a une raison d’être juridique, soit ils sont votés et autant y renoncer.

M. Ugo Bernalicis. Je voterai quant à moi ces amendements de suppression, qui plus est parce que je suis opposé à ce texte (Sourires).

Le placement sous surveillance électronique mobile n’est pas anodin. Nous avons besoin d’une sécurité juridique et nous ne sommes pas là pour faire n’importe quoi. Pourquoi les services de renseignement ne sont-ils pas demandeurs ? Parce qu’un individu surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre ne présente plus aucun intérêt alors que celui qui ne l’est pas peut être physiquement suivi.

La Commission adopte ces amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL3 de M. Éric Diard et CL21 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Diard. Cet amendement ultra-répressif vise à ajouter une mesure de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes puisqu’il s’agit de leur interdire certains emplois publics ou privés visés à l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure.

M. Éric Ciotti. Mon amendement s’inscrit dans la lignée de celui de M. Diard et des remarquables propositions qu’il a formulées au terme de la mission qu’il a menée avec Éric Poulliat, de même que des conclusions de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de Paris le 3 octobre 2019, approuvées à l’unanimité.

Ce sont 806 personnes qui sont inscrites sur le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et qui travaillent dans une profession sensible. Dans le public ou le privé, elles ne doivent pas pouvoir exercer. Finissez-en avec le « en même temps » au lieu de prendre des mesures gadgets !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Les choses sont très claires : les personnes condamnées pour des faits de terrorisme ne peuvent pas accéder à ce type d’emplois. Les articles 422-3 et 131-26-2 du code pénal prévoient déjà une peine complémentaire emportant interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique. Je ne reviens pas sur l’enquête administrative. Enfin, l’article 5 du statut général de la fonction publique indique que nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions. Vos amendements sont satisfaits. Avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger. Ces deux amendements n’ont pas exactement la même portée.

Nous considérons que des personnes condamnées pour de tels faits ne doivent pouvoir accéder à aucun emploi public.

Par ailleurs, un certain nombre de missions sensibles de surveillance ou de sécurité, par exemple sur des sites classés SEVESO, relèvent d’emplois privés et de telles personnes ne doivent pas pouvoir y prétendre non plus.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article L.114-1 du code de la sécurité intérieure vise déjà les emplois publics ou privés. Une plus grande vigilance n’implique pas d’empiler les dispositifs.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL50 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cet amendement très utile, auquel mon homologue du Sénat est avec raison attaché, vise à intégrer dans le dispositif une nouvelle obligation. Il s’agit du dispositif PAIRS, programme d’accompagnement individualisé et de réaffiliation sociale qui peut s’étendre de trois à vingt heures par semaine. Cette prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique me semble indispensable pour poursuivre le travail de déradicalisation après la peine. Le magistrat pourra prononcer cet accompagnement s’il le juge utile. Vous le voyez, cette proposition de loi n’est pas vidée de sa substance, bien au contraire !

M. Raphaël Schellenberger. Je ne suis pas sûr que vous nourrissiez ce texte avec cet amendement. Il faut évidemment user de tous les moyens pour réinsérer les détenus radicalisés qui le peuvent mais tous ne sont pas dans cet état d’esprit et ce sont eux qui soulèvent des problèmes, qui s’opposent de toute façon à la République, à la France, à l’État de droit, à nos valeurs.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CL9 de Mme Marie-France Lorho et les amendements identiques CL17 de M. Éric Ciotti et CL30 de M. Dimitri Houbron.

Mme Marie-France Lorho. Il me semble plus raisonnable de laisser aux mains de l’autorité judiciaire compétente la possibilité de déterminer le temps d’application des mesures de sûreté à la personne dangereuse. Si j’entends la nécessité pour les auteurs de cette proposition de loi de donner un cadre temporel normatif à ces mesures, il apparaît plus légitime de laisser les autorités ayant évalué la dangerosité particulière de la personne déterminer combien de temps celle-ci doit être contrainte aux mesures de sûreté la concernant. Tel est l’objectif de l’amendement CL9.

M. Éric Ciotti. L’amendement CL17 vise à porter à deux ans la durée maximale durant laquelle des mesures de sûreté peuvent être ordonnées, ce qui nous paraît relever d’une volonté de protection plus forte, plus ambitieuse et, disons-le, plus courageuse.

M. Dimitri Houbron. En vertu de l’article R. 53-8-44 du code de procédure pénale, une surveillance de sûreté d’une durée de deux ans peut être prononcée et, le cas échéant, renouvelée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté à la suite d’une surveillance judiciaire, d’un suivi socio-judiciaire ou d’une rétention de sûreté.

Du fait que la présente proposition de loi dessine un régime, certes plus restrictif, mais pour des individus présentant un degré de dangerosité particulièrement élevé, le présent texte doit se calquer sur la même variable temporelle que celle du régime appliqué pour les personnes condamnées pour meurtre, torture, viol ou enlèvement. Tel est l’objectif de l’amendement CL30.

Je précise que nous avons déposé un autre amendement proposant que la personne concernée puisse, au bout d’un an, demander une réévaluation de sa situation, et que ces deux propositions complémentaires l’une de l’autre aboutissent à une situation que le Conseil constitutionnel devrait juger équilibrée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’ai hésité sur la durée des mesures prononcées par la juridiction, qui constitue un équilibre fragile. L’essentiel pour qu’une mesure de sûreté soit considérée comme équilibrée, c’est le caractère réexaminable de la situation et son caractère non définitif – il faut qu’il y ait des réévaluations périodiques. J’ai opté pour une durée d’un an, étant précisé qu’il est procédé durant la détention de la personne à une première évaluation, beaucoup plus approfondie que les autres. L’équilibre constitutionnel me semble atteint avec ce dispositif. Nous pourrons en débattre en séance publique mais, pour le moment, je préfère que nous en restions à une surveillance de sûreté d’un an.

M. Dimitri Houbron. Compte tenu de ce que vient de dire Mme la rapporteure, je retire mon amendement.

L’amendement CL30 est retiré.

La Commission rejette successivement l’amendement CL9 et l’amendement CL17.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CL52 de la rapporteure et CL28 de M. Dimitri Houbron. 

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cet amendement de cohérence établit la compétence de la juridiction régionale de la rétention de sûreté de préférence à celle du tribunal de l’application des peines et précise que l’avis de la commission doit être sollicité pour chaque renouvellement.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL28 tombe.

La Commission examine les amendements identiques CL22 de Mme Paula Forteza et CL38 de M. Raphaël Gauvain.

Mme Paula Forteza. Le texte prévoit que les mesures de sûreté s’appliquent dans le cas d’une infraction répondant à la qualification d’un délit puni par une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement, un niveau qui nous semble trop élevé et que nous proposons de ramener à cinq ans.

M. Raphaël Gauvain. L’amendement identique CL38 vise à adapter la durée maximale totale des mesures de sûreté prévues. Il est proposé de la ramener à cinq ans, au lieu de dix dans la proposition initiale, et à dix ans lorsque les faits commis par le condamné constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement, au lieu de vingt ans dans la proposition. Nous conserverions une claire distinction entre ce qui est de nature délictuelle et ce qui est de nature criminelle.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis favorable à ces amendements qui reprennent l’esprit des préconisations du Conseil d’État en proposant une réduction sensible de la durée des mesures de sûreté – cette durée restant toutefois suffisamment importante.

La Commission adopte ces amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL51 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Reprenant une préconisation du Conseil d’État, l’amendement CL51 vise à diminuer la durée maximale de prononcé des mesures de sûreté lorsque le condamné est mineur. Il est proposé que cette durée passe à trois ans en cas de délit terroriste et à cinq ans en cas de crime.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL23 de Mme Paula Forteza et CL45 de M. Raphaël Gauvain, ainsi que l’amendement CL24 de Mme Paula Forteza.

Mme Paula Forteza. L’amendement CL23 propose de faire passer la durée maximale de la mesure de sûreté en matière criminelle de vingt ans à dix ans maximum.

M. Raphaël Gauvain. L’amendement CL45 est défendu.

Mme Paula Forteza. L’amendement de repli CL24 propose de faire passer la durée maximale de la mesure de sûreté en matière criminelle de vingt ans à quinze ans maximum.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis favorable aux amendements identiques CL23 et CL45. 

La Commission adopte ces amendements

En conséquence, l’amendement CL24 tombe.

La Commission est saisie de l’amendement CL31 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Je retire cet amendement de cohérence avec un amendement qui n’a pas été adopté.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL53 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cet amendement répond à une recommandation du Conseil d’État, qui a souhaité prévenir le risque de superposition de dispositifs judiciaires sur un même condamné. Pour cela, il vise à insérer à l’alinéa 18, après le mot « moyen », le mot « judiciaire ».

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL10 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Cet amendement de précision vise à conditionner l’application strictement nécessaire des mesures de sûreté à la commission des infractions mentionnées à l’alinéa 18, mais également à leur réitération. Si la personne condamnée est en situation de récidive, il paraît évident que la répétition de son acte doit constituer un motif inconditionnel d’application de telles mesures de sûreté. S’il se peut qu’une telle affirmation soit comprise tacitement dans la locution « commission de l’infraction », il semble plus sage de faire apparaître directement la réitération des infractions comme une condition à la nécessaire application de telles mesures.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme vous le dites vous-même, cet amendement est déjà satisfait par le texte.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL26 de Mme Paula Forteza. 

Mme Paula Forteza. L’amendement CL26 visait à conditionner la mise en place des mesures de sûreté à un suivi socio-judiciaire, mais il a été satisfait par un amendement de la rapporteure que nous avons examiné précédemment. Par conséquent, je le retire.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL33 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement d’appel vise à contester le recours à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Vous vous êtes efforcée de nous convaincre, lors de votre propos liminaire, que le texte ne prévoyait pas des peines, mais des mesures de sûreté, faisant par ailleurs l’objet d’un examen par une commission pluridisciplinaire, censé garantir le respect du principe du contradictoire. Or, dans les faits, il est très rare que cette commission reçoive la personne détenue : peut-être permet-elle que différents professionnels aient un droit de regard sur la décision prise, mais elle n’assure en rien le respect du principe du contradictoire, qui suppose que la personne concernée puisse elle-même faire valoir son point de vue – ce qui n’est pas le cas.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme vous le savez très bien, c’est la procédure qui doit être contradictoire, et elle l’est. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. J’ai parfaitement compris que les commissions pluridisciplinaires n’ont pas vocation à garantir le respect du contradictoire, et c’est bien ce que je dénonce ! Par ailleurs, ces commissions se prononcent essentiellement sur la notion de dangerosité, qui n’est que très vaguement définie. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté s’est elle-même interrogée au sujet de leur capacité à démontrer une dangerosité, alors que la décision prise à ce sujet est lourde de conséquences pour les personnes sortant de détention, qui se voient imposer des mesures restrictives de liberté.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL54 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Lors des auditions que nous avons effectuées, la présidente d’une juridiction de sûreté nous a indiqué que le délai de trois mois était trop bref pour procéder à l’examen des situations, c’est pourquoi je vous propose de le porter à six mois.

M. Raphaël Schellenberger. A-t-on vraiment mesuré quel serait l’impact d’un doublement du délai ? Une telle mesure est-elle compatible avec le contexte d’urgence, qui impose d’examiner rapidement un grand nombre de dossiers ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Techniquement, il faut du temps pour examiner un dossier, mais votre argument est pertinent, et j’admets que nous devons également faire en sorte de nous doter le plus rapidement possible d’un dispositif opérationnel. Je retire mon amendement pour réexaminer cette question en vue de la séance publique.

M. Éric Diard. Pouvez-vous nous préciser pourquoi le délai de trois mois est trop court ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Il faut faire effectuer un examen, réunir la commission pluridisciplinaire et procéder à une évaluation globale durant six semaines, ce à quoi un délai de trois mois ne suffit pas toujours. Peut-être la solution consistera-t-elle à retenir un délai de six mois pour l’avenir, mais un délai plus court durant une période transitoire – par exemple, jusqu’à la fin de l’année 2020 –, afin de rendre le dispositif opérationnel le plus rapidement possible. Je vous propose de travailler en ce sens.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL55 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Conformément à une suggestion du Conseil d’État – et aux préoccupations exprimées par M. Bernalicis –, le présent amendement précise que la commission pluridisciplinaire adresse à la juridiction régionale de la rétention de sûreté et au condamné un avis motivé sur la particulière dangerosité de celui-ci.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement de cohérence CL56 de la rapporteure.

En conséquence, l’amendement CL29 tombe.

La Commission est saisie de l’amendement CL57 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le présent amendement poursuit deux objectifs. En premier lieu, conformément à une suggestion du Conseil d’État, il mentionne explicitement la possibilité pour la juridiction de mettre fin aux mesures de sûreté dès lors qu’elle l’estime nécessaire, même en dehors de l’échéance annuelle de renouvellement. En second lieu, il précise les règles selon lesquelles le condamné peut solliciter la modification ou la mainlevée des mesures de sûreté, ce qui est essentiel pour la philosophie du dispositif et sa sécurité juridique.

M. Raphaël Schellenberger. Si nous ne sommes pas opposés au principe du dispositif proposé, la durée d’un an nous paraît un peu courte. Il faut espérer que la rédaction actuelle, qui ne prévoit pas de délai de carence entre deux demandes, ne va pas conduire à un engorgement de l’administration chargée du suivi.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL58 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cet amendement vise à préciser les voies de recours de la décision de la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris, et à permettre que les mesures de sûreté ordonnées soient suspendues dans le cas d’une détention de plus de six mois pour des faits de droit commun.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL59 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’amendement CL59 autorise le Gouvernement à déterminer par décret en Conseil d’État les détails de la procédure créée par la proposition de loi, notamment en ce qui concerne la composition de la commission pluridisciplinaire.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

Après l’article unique

La Commission examine l’amendement CL19 de M. Éric Ciotti.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement vise à inverser le principe s’appliquant au suivi socio-judiciaire des condamnés en matière de terrorisme, en rendant ce suivi systématique et en permettant au juge de le lever s’il l’estime inutile. Un tel dispositif nous semble beaucoup plus adapté à la nature des infractions visées et au caractère particulièrement dangereux des détenus concernés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je comprends la préoccupation consistant à renforcer le suivi des personnes condamnées pour terrorisme, mais je suis très défavorable à la systématisation des peines, car j’estime qu’il faut laisser les magistrats apprécier souverainement chaque situation. Les spécialistes du terrorisme nous ont expliqué qu’il existait une difficulté dans les affaires criminelles où sont prononcées des peines très longues, car personne ne parvient à se représenter le condamné à une échéance de quinze ou vingt ans.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement laisse au juge la latitude de ne pas prononcer le suivi socio-judiciaire. Par ailleurs, s’agissant d’une peine dont la nature particulière nécessite la mise en place d’un accompagnement, notre amendement vise à rendre plus efficace le dispositif ayant vocation à s’appliquer aux futures condamnations pour actes de terrorisme, alors que votre proposition de loi concerne les peines déjà prononcées – cela pour tenter de rattraper le retard pris dans un domaine où notre groupe alerte la représentation nationale depuis des mois.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL12 de M. Éric Ciotti.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement vise à rendre applicable aux personnes condamnées pour un crime terroriste le dispositif de la rétention de sûreté, qui permettra de les maintenir en détention à l’issue de leur peine si elles continuent de présenter une forte dangerosité. Puisque la rétention de sûreté peut déjà s’appliquer à certains crimes, notamment les viols, il est logique qu’elle concerne aussi les actes de terrorisme, qui sont sans doute les plus dangereux pour l’ensemble de la société.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le dispositif que nous proposons est immédiatement opérationnel et me semble beaucoup plus satisfaisant que celui qui résulterait de votre amendement. La rétention de sûreté pour les actes de terrorisme se heurte à une difficulté majeure, à savoir son absence de rétroactivité, qui fait qu’elle ne pourrait s’appliquer à tous les détenus qui vont faire l’objet d’une libération dans les prochains mois. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement.

M. Raphaël Schellenberger. L’amendement de notre collègue Ciotti ne procède pas à la réécriture de votre texte, mais porte un article additionnel après l’article unique qui vient d’être adopté. Complémentaire de votre dispositif, il vise à son extinction pour les peines futures, auxquelles s’appliquerait la rétention de sûreté. 

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en présentation commune, les amendements CL1 et CL2 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Il faut faire preuve d’un peu de courage politique : la rétention de sûreté n’est pas inconstitutionnelle et, si elle avait été étendue dès la loi du 25 février 2008 aux actes de terrorisme, cela nous aurait facilité la vie ! Il y a des attentats en France depuis de nombreuses années et je crains malheureusement qu’il y en ait encore, c’est pourquoi nous devons absolument introduire dans cette proposition de loi la rétention de sûreté pour les crimes terroristes. Tel est l’objet de ces amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable. J’en profite pour dire à M. Schellenberger, qui affirme que les députés du groupe Les Républicains nous alertent depuis des mois, que lui et ses collègues auraient pu utiliser les journées qui leur sont réservées pour inscrire l’une de leurs propositions à l’ordre du jour, ce qu’ils n’ont pas fait. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de renforcer notre arsenal juridique et je ne pense donc pas opportun de nous chamailler pour savoir qui a été le premier a faire une proposition sur ce point : l’important est d’avancer et de faire collectivement les choses du mieux que nous pouvons.

M. Raphaël Schellenberger. Lorsque des textes contribuant à la sécurité des Français ont été présentés par d’autres groupes que le nôtre, nous les avons soutenus – beaucoup plus souvent que la majorité n’a voté les textes présentés dans le cadre des niches qui nous étaient réservées ! Ce que je voulais dire tout à l’heure, c’est que nous avons du mal à aller aussi loin que nous le voudrions parce que nous sommes contraints par le temps et par le risque d’une censure du Conseil constitutionnel. Je rappelle que notre excellent collègue Éric Diard a mené sur les sujets qui nous occupent aujourd’hui des travaux reconnus pour leur qualité, obtenu la constitution de missions d’information et fait des propositions intéressantes. Vous pouvez donc difficilement nous reprocher de ne pas avoir travaillé sur ces sujets. Aujourd’hui, en tant que groupe majoritaire, vous disposez de fait de l’essentiel de l’initiative législative, et vous avez la fâcheuse tendance à rejeter tout ce que nous proposons.

M. Raphaël Gauvain. Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur Diard, quand vous dites que la rétention de sûreté ne pose pas de problème en termes de constitutionnalité – d’ailleurs, si j’ai bonne mémoire, le texte que vous aviez présenté à ce sujet était une proposition de loi constitutionnelle.

Pour ce qui est de l’efficacité, il se trouve que la rétention de sûreté n’existe dans aucun autre État européen comparable à la France. La dernière fois qu’elle a été mise en œuvre, c’était en Irlande au début des années 1970, afin de faire face aux attentats de l’IRA – et ce dispositif a été abandonné au bout de quelques mois, ayant démontré qu’il était totalement inopérant.

M. Éric Diard. J’invite M. Gauvain à comparer ce qui est comparable, en l’occurrence à se pencher sur les attentats terroristes commis dans les différents pays d’Europe, il trouvera sans doute cela très instructif.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL34 de M. Ugo Bernalicis. 

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement vise à ce que la décision de classement d’une personne en TIS ou en DCSR fasse l’objet d’une audience spéciale en commission pluridisciplinaire unique en présence de l’intéressé, afin de garantir le respect du principe du contradictoire. En effet, les classements TIS et DCSR ne relèvent pas uniquement du renseignement, mais ont des conséquences en matière de détention : par exemple, les détenus concernés font l’objet de ce qu’on appelle une « gestion menottée » impliquant un port de menottes beaucoup plus fréquent que pour les autres détenus.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je rappelle que le champ de la proposition de loi est celui des détenus condamnés pour acte de terrorisme et qu’il ne concerne donc pas les détenus DCSR.

Quant au classement en TIS, il résulte directement de la nature de l’infraction commise. Les détenus placés en quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et en quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) le sont dans le cadre d’une procédure définie réglementairement et respectant le principe du contradictoire. Votre amendement étant en grande partie satisfait, j’y suis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Il est heureux que cet amendement soit satisfait pour les QPR et les QER, qui impliquent que les détenus soient transférés dans un quartier à part ! Je vous confirme qu’il vise les détenus n’entrant pas dans ces catégories mais qui, du fait de leur classement TIS ou DCSR, se voient opposer un refus d’aménagement de peine ou d’accès à certaines activités en détention – ce qui me semble porter atteinte à notre objectif commun de prévention de la récidive, car le respect du principe du contradictoire contribue à ce que la peine soit mieux comprise et mieux acceptée par le détenu.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL35 de Mme Danièle Obono. 

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement vise à permettre à la représentation nationale de bénéficier d’un rapport exhaustif sur les différents programmes de prévention de la radicalisation violente mis en place par l’administration pénitentiaire, ainsi que sur leurs conclusions. Cela nous permettra de disposer d’éléments tangibles et objectifs sur l’efficacité des différents dispositifs existants, et d’éviter d’avoir à débattre à l’aveuglette sur des sujets particulièrement délicats, car touchant aux libertés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’évaluation est l’une des trois missions constitutionnelles du Parlement. Vous pouvez saisir la commission des lois d’une demande d’évaluation, son bureau l’examinera avec la plus grande attention. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. La possibilité de présenter une demande d’évaluation n’exclut pas celle que l’exécutif rende lui-même un rapport, j’en veux pour preuve que vous aviez prévu dans le cadre de la loi SILT que le ministre de l’intérieur nous rende un rapport tous les ans – ce qui a d’ailleurs été l’occasion d’un beau cafouillage, avec l’envoi d’une première version qui n’était pas la bonne... Le fait que vous repoussiez l’idée d’un rapport rendu par l’exécutif me semble aussi incompréhensible qu’inquiétant, car il va se trouver lui-même dans l’incapacité de disposer d’éléments d’information objectifs : que vont pouvoir dire les ministres interrogés à ce sujet s’ils n’ont pas ces éléments ?

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL36 de M. Ugo Bernalicis. 

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL36 vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’accès aux activités de réinsertion des personnes détenues mises en cause dans des affaires classées TIS ou DCSR.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Même avis que sur l’amendement précédent.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL37 de Mme Danièle Obono. 

M. Ugo Bernalicis. Si je peux admettre que vous me suggériez de faire une demande d’évaluation, madame la rapporteure, je m’inquiète un peu à l’idée que vous fassiez voter la mise en place de mesures de sûreté sans disposer vous-même d’éléments d’information objectifs à ce sujet.

L’amendement CL37 vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les conséquences – notamment en matière de prévention de la récidive – de l’isolement sur les personnes détenues mises en cause dans des affaires classées TIS ou DCSR. L’isolement augmentant l’agressivité du détenu et sa dangerosité, il serait bon de connaître ses effets avec précision afin d’être en mesure d’adapter éventuellement les dispositions appliquées aux détenus concernés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

M. Éric Diard. J’ai dit lors de la discussion générale que le groupe Les Républicains était a priori favorable à cette proposition de loi. Celle-ci ayant été vidée de sa substance, elle est devenue purement cosmétique, c’est pourquoi nous avons finalement décidé de nous abstenir.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine (n° 2754) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


— 1 —

 

   Personnes entendues

La proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine est issue de travaux conduits au sein de la Délégation parlementaire au renseignement, à l’occasion du contrôle parlementaire de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ou plus largement dans le cadre de la commission des Lois. De nombreuses personnes ont alors été entendues.

En outre, à l’issue de son instruction puis de son examen par le Conseil d’État par la section de l’Intérieur le mardi 9 juin 2020 puis par l’Assemblée générale le jeudi 9 juin, elle a donné lieu aux auditions complémentaires présentées ci-après :

 M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation ;

 M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste ;

 Mme Katell Cavellat Couhe, présidente de la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Bordeaux ;

 M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) ;

 M. Hugo Micheron, chercheur en sciences politiques.

 

 


— 1 —

 

   Annexe : Avis du conseil d’état

 

CONSEIL D’ÉTAT

 

Assemblée générale

_________

 

Séance du jeudi 11 juin 2020

399857

M. LAMY,

rapporteur

 

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

AVIS SUR LA PROPOSITION DE LOI

instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes

à l'issue de leur peine

 

  1.                Le Conseil d’État a été saisi le 11 mars 2020, sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi n°2754 enregistrée le 20 mars 2019 à la présidence de l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi, présentée par Mesdames et Messieurs les députés Yaël BRAUN-PIVET, Raphaël GAUVAIN, Gilles LE GENDRE, Guillaume VUILLETET, et les membres du groupe La République en Marche et apparentés, a pour objet d’introduire dans le code de procédure pénale un dispositif permettant au tribunal d’application des peines d’imposer des mesures de sûreté aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme ayant purgé leur peine d’emprisonnement.

 

  1.                Les choix majeurs faits par la proposition de loi sont les suivants :

 

-         elle s’applique aux personnes condamnées à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs des infractions pour actes de terrorisme mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à lexclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 (délits d’apologie du terrorisme) du même code, et qui présentent, à lissue de lexécution de cette peine, une particulière dangerosité caractérisée par un risque élevé de commettre lune de ces infractions ;

 

-         les mesures sont décidées par jugement du tribunal d’application des peines sur réquisition du procureur de la République, après examen, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10 du code de procédure pénale (CPP), qui formule un avis motivé sur leur dangerosité, et à l’issue d’une procédure contradictoire ;

 

-         les mesures pouvant être imposées sont : l’obligation de répondre aux convocations du juge dapplication des peines, d’établir sa résidence en un lieu déterminé, d’obtenir une autorisation avant tout changement demploi ou de résidence ainsi que pour tout déplacement à létranger, l’obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie, l’interdiction dentrer en relation avec certaines personnes ou de paraître dans certains lieux, le placement sous surveillance électronique mobile avec le consentement de l’intéressé ;

-         leur durée est d’un an ; elles peuvent être renouvelées par le tribunal de lapplication des peines pour la même durée dans la limite de dix ans, et de vingt ans en cas de crime ou de délit puni de dix ans demprisonnement ;

 

-          ces mesures ne peuvent être ordonnées que si les obligations imposées dans le cadre de linscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs dinfractions terroristes (FIJAIT) apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions et si ces mesures constituent lunique moyen de les prévenir ;

 

-          le fait de méconnaître ces obligations est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 damende.

 

Le Conseil d’État, après avoir examiné le contenu de la proposition de loi, formule les observations qui suivent.

 

Considérations générales

 

Sur la nature de mesures de sûreté des obligations créées par la proposition de loi

 

  1.                La distinction entre la peine et la mesure de sûreté, héritée de l’époque positiviste, tient à leur but respectif : tandis que la peine tend à punir l’auteur d’une infraction, la sûreté, dépourvue d’un tel but, tournée exclusivement vers l’avenir, vise à prémunir la société contre la dangerosité de certains individus à travers diverses mesures, privatives ou restrictives de liberté. La proposition de loi prévoit des mesures restrictives de liberté.

 

Les mesures de sûreté doivent être prévues par la loi car elles concernent les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, certaines d’entre elles étant en outre relatives à la procédure pénale.

 

Le type de dangerosité à laquelle la mesure de sûreté vise à répondre peut être

 

-          d’ordre criminologique, liée au risque que la personne commette ou réitère des crimes ou des délits : surveillance ou rétention de sûreté (art. L. 706-53- 13 et suivants du CPP), inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS, aux art. 706-53-1 et suivants du CPP) ou au FIJAIT (art. 706-25-3 et suivants du CPP), mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (art. L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure), assignations à résidence de la loi de du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

 

-          d’ordre psychiatrique : hospitalisation sous contrainte administrative (art. L. 3211-1 et suivants du code de la santé publique) ou judiciaire (art. 706-135 du CPP)

 

-          d’ordre sanitaire : placement à l’isolement ou mise en quarantaine (art. L. 3131-1 et L. 3131-17 du code de la santé publique).

 

Les mesures peuvent être judiciaires ou administratives, ces dernières, lorsqu’elles sont privatives de liberté, devant être placées sous le contrôle de l'autorité judiciaire (Conseil constitutionnel, décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 et n° 2020-800 DC du 11 mai 2020) en application de l’article 66 de la Constitution.

 

La gamme possible de mesures de sûreté est particulièrement large, s’étendant des mesures d’enfermement - rétention de sûreté, hospitalisation sous contrainte - à l’obligation de déclarer son domicile auprès de l’autorité compétente en passant par des déclarations, restrictions ou interdictions très diverses portant sur des activités, des fréquentations, ou des déplacements.

 

  1.                Les mesures de sûreté qui, comme celles créées par la proposition de loi, visent à protéger la société contre des personnes présentant le risque de commettre des crimes et des délits graves se heurtent, intrinsèquement, à la difficulté consistant à imposer à une personne des mesures restrictives voire privatives de libertés en raison de crimes ou de délits qu’elles seraient susceptibles de commettre, appréciation nécessairement difficile et par nature plus exposée au risque d’arbitraire que la sanction. Pour autant, les mesures de sûreté ne se heurtent, en elles-mêmes, à aucun obstacle constitutionnel (Conseil constitutionnel décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 et décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018). Elles participent à l’objectif constitutionnel de « prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle » (Conseil constitutionnel, décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008). Pas davantage les mesures de sûreté ne se heurtent-elles, par principe, à un obstacle conventionnel (Gardel c. France, n° 16428/05, CEDH, 17 décembre 2009).

 

  1.                La différence de nature entre la peine et la mesure de sûreté a été consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 2008 sur la base des critères suivants : « la rétention n'est pas décidée par la cour d'assises lors du prononcé de la peine mais, à l'expiration de celle-ci, par la juridiction régionale de la rétention de sûreté () elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour d'assises, mais sur sa particulière dangerosité appréciée par la juridiction régionale à la date de sa décision () elle n'est mise en œuvre qu'après l'accomplissement de la peine par le condamné () elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d'un trouble grave de la personnalité () ainsi, la rétention de sûreté n'est ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d'une punition () la surveillance de sûreté ne l'est pas davantage () dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 sont inopérants ; ».

 

Le Conseil constitutionnel a cependant jugé « que la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement », à la différence des dispositions relatives à la surveillance de sûreté qui peuvent s’appliquer immédiatement, y compris à des personnes condamnées antérieurement

 

  1.                Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les mesures de sûreté échappent normalement à l’article 7 de la Convention, comme l’inscription d’une personne sur un fichier judiciaire d’auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Gardel, préc.). Mais la notion de « peine » contenue à l’article 7 possédant une portée autonome, la Cour, au-delà des apparences et des qualifications données par le droit national, détermine elle-même in concreto si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause ou en une « mesure de sûreté » à laquelle l’article 7 ne s’applique pas. Ainsi, comme elle le rappelle au §38 de son arrêt du 3 septembre 2015, n° 42875/10, Berland c. France, la Cour a jugé que la détention de sûreté allemande était une peine, en retenant notamment qu’elle avait été ordonnée après une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifié et qu’elle visait davantage un but punitif que préventif, ainsi qu’en attestent son exécution dans une prison ordinaire, l’absence de soins spécialisés pour réduire la dangerosité de la personne concernée, la durée illimitée de la détention, son prononcé par les tribunaux et son exécution déterminée par les tribunaux de l’application des peines qui font partie du système de la justice pénale.

 

  1.                Le Conseil d’État observe que si la distinction entre peine et sûreté est claire en principe, elle l’est moins dans le code pénal et le code de procédure pénale. La proposition de loi s’insère en conséquence parmi un ensemble de dispositions dans lequel la frontière entre peine et sûreté n’est pas toujours nette.

 

Il relève en effet qu’une relative confusion entre la peine et la mesure de sûreté résulte de l’empilement au fil des années de dispositifs visant à apporter une réponse à des phénomènes nouveaux, ou non pris en compte par le droit pénal, qui ont mêlé mesures à caractère répressif, ou s’insérant dans l’exécution des peines, et mesures à caractère préventif, faisant perdre à la distinction entre peine et mesure de sûreté sa clarté.

 

Ainsi :

 

- certaines mesures de sûreté peuvent-elles être décidées, par le juge d’application des peines, dans le cadre de l’exécution de la peine, comme c’est le cas des mesures de surveillance judiciaire de personnes dangereuses condamnées pour crime ou délit, qui s’appliquent aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement d’au moins 10 ans, libérées pendant la durée de leur crédit de réduction de peines (art. 723-29 à 723-37 du CPP), ou comme c’est le cas également du « suivi post libération » prévu par l’article 721-2 du CPP, applicable lorsque les conditions de la surveillance judiciaire tenant au quantum de la peine prononcée ne sont pas remplies ;

 

- tandis que d’autres mesures de sûreté peuvent être des peines prononcées par la juridiction de jugement à titre complémentaire, comme c’est le cas du suivi socio-judiciaire (art. 131-36-1 du code pénal), dont les mesures pourront continuer à être mises en œuvre plusieurs années après l’exécution de la peine privative de liberté ; les mesures d’interdiction du territoire, d’interdictions professionnelles, de confiscations prononcées à titre de peine complémentaire comportent également, comme les mesures de sûreté, une dimension préventive ;

 

- de même, selon l’article 706-53-14 du CPP, si la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier au juge de l'application des peines pour qu'il apprécie l'éventualité d'un placement sous surveillance judiciaire.

 

Pratiquement ce brouillage est accentué par le fait que les mêmes mesures, régies par les mêmes dispositions - les articles 131-36-12 (placement sous surveillance électronique mobile), 132-44 et 132-45 du code pénal, 723-30 du CPP - peuvent être mises en œuvre aussi bien dans le cadre de l’exécution de peines que dans le cadre de mesures de sûreté. La proposition de loi prévoit d’ailleurs des mesures qui toutes, à une exception près, sont régies par des dispositions s’appliquant aussi à la surveillance judiciaire de personnes dangereuses condamnées pour crime ou délit, au suivi socio-judiciaire, et à la surveillance de sûreté.

 

  1.                Les mesures créées par la proposition de loi dans le code de procédure pénale sont les suivantes

-          Répondre aux convocations de la juridiction compétente ;

-          Établir sa résidence en un lieu déterminé ;

-          Obtenir l’autorisation préalable de la juridiction compétente pour tout changement d’emploi ou de résidence, afin qu’elle apprécie si ce changement est de nature à mettre obstacle à l’exécution des mesures de sûreté ;

-          Obtenir l’autorisation préalable de la juridiction compétente pour tout déplacement à l’étranger ;

-          Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ;

-          Ne pas entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes spécialement désignées ;

-          Ne pas paraître dans tout lieu spécialement désigné ;

-          Après vérification de la faisabilité technique de la mesure, l’obligation prévue à l’article 131-36-12 du code pénal, c’est-à-dire le placement sous surveillance électronique avec le consentement de l’intéressé.

 

  1.                Le Conseil d’État estime, en premier lieu, que ces mesures ont exclusivement la nature de mesures de sûreté, comme cela ressort de l’exposé des motifs et de l’économie du dispositif :

- elles ont pour objet non de punir mais de prévenir la commission d’infractions à caractère terroriste,

- la juridiction compétente pour les prononcer se fonde non sur les infractions commises par les intéressés et pour lesquelles ils ont été condamnés et ont purgé leur peine, mais sur leur particulière dangerosité appréciée au moment de leur sortie de prison, notamment au vu des conditions dans lesquelles ils ont exécuté leur peine privative de liberté, après évaluation par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10 du CPP.

 

Il considère, en second lieu, qu’elles seront applicables dès le lendemain de la publication de la loi et pourront être mises en œuvre également à l’égard de personnes condamnées pour des crimes et délits commis antérieurement à sa promulgation, ces mesures n’ayant pas la nature et les caractéristiques de celles auxquelles le Conseil constitutionnel (décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 cons. 10) applique le principe de non rétroactivité : notamment, elles sont restrictives de liberté et non privatives de liberté et renouvelables dans la limite d’une durée maximale.

 

Sur les principes constitutionnels et conventionnels applicables aux mesures de sûreté

 

Les exigences constitutionnelles et conventionnelles s’appliquant aux mesures de sûreté ont été précisées par le Conseil constitutionnel et la CEDH.

 

  1.            Dans sa décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 sur la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté le Conseil constitutionnel a jugé qu’elles « doivent respecter le principe, résultant des articles 9 de la Déclaration de 1789 et 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; qu'il incombe en effet au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention poursuivi ».

 

  1.            Selon la CEDH, pour que la détention puisse être considérée comme « régulière » et dépourvue d’arbitraire (art. 5), il faut démontrer que la privation de liberté́ est nécessaire au vu des circonstances (Cour européenne des droits de l’homme, 4 décembre 2018, n° 10211/12 et 27505/14, ILNSEHER c. Allemagne, Grande chambre). Dans l’affaire Gardel c. France, elle a jugé que l’inscription au fichier judiciaire national d’auteurs d’infractions sexuelles pour une durée maximale de trente ans à compter de l’expiration de la peine d’emprisonnement n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi et que cette mesure ne méconnaissait pas l’article 8 de la convention.

 

  1.            Dans le cadre ainsi rappelé, il appartient au Conseil d’État de veiller à ce que les mesures envisagées soient effectivement nécessaires, compte tenu notamment des dispositifs répressifs et préventifs existants, et adaptées à la nature des risques qu’elles ont pour objet de prévenir.

 

Appréciation du dispositif au regard des normes supérieures

 

Sur la nature et la gravité des risques

 

  1.            Cette gravité n’est pas douteuse, le terrorisme étant l’une des menaces les plus graves pour les sociétés démocratiques. Pour cette raison, il est l’objet d’un droit pénal spécial comportant des peines plus sévères et une procédure donnant des moyens plus importants au parquet et aux juridictions d’instruction. La Cour européenne des droits de l’homme a affirmé de son côté, à plusieurs reprises, que « la criminalité terroriste entre dans une catégorie spéciale »… « en raison du risque de souffrances et de perte de vies humaines dont cette criminalité s’accompagne » (par exemple Cour européenne des droits de l’homme, 20 octobre 2015, n°5201/11, Sher c. Royaume-Uni).

 

D’après les informations transmises au Conseil d’État par les services des ministères de l’intérieur et de la justice, près de 4 ans et demi après les attentats du 13 novembre 2015, le contexte national et international demeure marqué par la persistance de la menace terroriste de type islamiste, endogène et exogène. La radicalisation dans les prisons, qu’elle soit le fait de détenus de droit commun ou condamnés pour des infractions à caractère terroriste, est un fait documenté. La libération de détenus arrivant au terme de l’exécution de leur peine qui demeurent ou se sont radicalisés, leur persistance dans l’adhésion aux visées de groupements à caractère terroriste prônant l’attentat comme mode d’action, notamment l’attentat de masse, à l’image des attentats de Paris du 13 novembre 2015 et de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, font courir un risque majeur pour la sécurité publique.  

 

Au 30 mars 2020, 534 personnes prévenues et condamnées étaient détenues pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste.

 

Parmi elles le nombre de personnes condamnées devant être libérées dans les trois ans est - selon les prévisions de la chancellerie - de 153 (42 en 2020, 64 en 2021 et 47 en 2022). 11 d’entre elles ont été condamnées pour des crimes terroristes. Les autres ont été condamnées pour le délit d’association de malfaiteurs terroristes.

 

Sur les instruments préventifs et répressifs existants

 

Le Conseil d’État observe que le dispositif créé par la proposition de loi prend place dans un domaine dans lequel les instruments préventifs et répressifs sont déjà nombreux.

 

La répression pénale du terrorisme

 

  1.            Pour le Conseil d’État il y a lieu d’abord de tenir compte des particularités de l’arsenal de répression pénale du terrorisme édifié à partir de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, résultant de plus d’une quinzaine de lois, très complet et adapté à la criminalité terroriste.

 

Il formule deux observations à cet égard.

 

La première tient à l’une des caractéristiques majeures de la législation pénale antiterroriste : permettre la répression d’agissements en amont de l’acte terroriste et même de sa préparation. L’infraction d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, prévue à l’article 421-2-1 issu de la loi du 22 juillet 1996, est devenue l’instrument essentiel des juridictions antiterroristes pour prévenir la commission d’actes terroristes. L’article 421-2-6 issu de la loi du 13 novembre 2014 réprime, de manière spécifique au champ des infractions terroristes, le fait de préparer ces actes de manière individuelle. La dimension fortement préventive de ces infractions, même si elle ne rend pas par elle-même inutile la création de mesures préventives de sûreté dans ce domaine, en limite nécessairement l’intérêt.

 

La seconde observation tient à l’existence d’un pôle judiciaire de compétence antiterroriste depuis 1986, comprenant un parquet et des juridictions d’instruction et de jugement spécialisés, le tout renforcé par la création du procureur de la République antiterroriste par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

 

Avec les services spécialisés de renseignement, dont les moyens ont été accrus par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, ce pôle est l’instrument essentiel de l’État de lutte contre le terrorisme sur le territoire national.

 

Il parait utile au Conseil d’État, pour garantir la meilleure efficacité de tout dispositif de sûreté en matière d’infractions terroristes et pallier les risques de dysfonctionnement inhérents à la dispersion des autorités compétentes dans un même domaine, d’assurer sa bonne articulation dans la loi avec ces juridictions parisiennes.

 

Les dispositifs de surveillance et de sûreté existants susceptibles d’être appliqués aux personnes condamnées pour des actes terroristes à la fin de l’exécution de la peine privative de liberté à laquelle elles ont été condamnées

 

Si la surveillance judiciaire de personnes dangereuses condamnées pour crime ou délit (art. 723-29 à 723-37 CPP) permet l’application de presque toutes les mesures de la proposition de loi et, en outre, l’assignation à résidence, la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 en a, de fait, exclu nombre de personnes condamnées pour terrorisme, en privant celles-ci du bénéfice des crédits automatiques de réduction de peine.

 

Mais le Conseil d’État observe que plusieurs autres dispositifs permettent déjà ou permettront à terme d’imposer des obligations aux personnes entrant dans le champ d’application de la proposition de loi. Ces obligations sont parfois identiques à celles prévues par la proposition de loi.

 

La rétention de sûreté et la surveillance de sûreté

 

  1.            La rétention de sûreté et la surveillance de sûreté (art. 706-53-13 et suivants du CPP) sont prévues pour les auteurs de certains crimes et dont la particulière dangerosité résulte d'un trouble grave de leur personnalité.

 

Concernant les personnes condamnées pour des actes de terrorisme ces mesures ne peuvent être prononcées qu’à l’égard de celles condamnées à une peine de réclusion criminelle d’au moins 15 ans pour les actes les plus graves, notamment les crimes d’assassinat ou de meurtre aggravé commis dans un but terroriste.

 

Elles sont décidées par la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente après intervention de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

 

La rétention de sûreté est une mesure privative de liberté qui s’effectue dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel est proposée à la personne, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique. La mesure ne peut être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté.

 

Si la rétention de sûreté n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin, la juridiction régionale de la rétention peut placer la personne sous le régime de la surveillance de sûreté, qui permet d’imposer à celle-ci des mesures restrictives de liberté qui sont les mêmes que celles de la surveillance judiciaire. La durée de la mesure est d’un an, elle peut être renouvelée sans limitation. Le régime de surveillance de sûreté peut également être mis en œuvre à l’expiration des mesures de suivi socio judiciaire (art. 763-8 du CPP) ou d’une surveillance judiciaire (art. 723-37 du même code).

 

Toutefois, comme le Conseil d’État l’avait souligné dans son avis du 17 décembre 2015 n° 390867 (Avis sur la constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux de la France de certaines mesures de prévention du risque de terrorisme) « … la rétention de sûreté prévue en application des articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale est conçue (comme la surveillance de sûreté) pour les personnes à troubles graves de la personnalité. Son objet est de favoriser, après expertise médicale, un traitement par des soins adaptés tendant à la réinsertion par la guérison. La situation des personnes radicalisées condamnées pour crimes de terrorisme (ou pour certains délits de terrorisme) qui persistent dans la dangerosité relève d’une autre logique et d’un autre type de prise en charge. »

 

Le suivi-socio-judiciaire

 

  1.            Le régime du suivi socio-judiciaire, crée par la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions sexuelles (art. 131-36-1 du code pénal) est applicable depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (art. 421-8 du code pénal) aux infractions terroristes.

 

La juridiction de jugement peut prononcer, à titre principal en matière correctionnelle, ou à titre complémentaire en matière criminelle, un suivi socio judiciaire qui emporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive.

 

Les mesures pouvant être imposées à la personne sont celles des articles 132-44 et 132-45 du code pénal et celles prévues aux articles 763-1 et suivants du CPP, soit une vaste gamme de mesures, qui inclut toutes celles qui sont prévues par la proposition de loi, à l’exception de celle relative à l’obligation de se présenter, dans la limite de trois fois par semaine, au services de police ou aux unités de gendarmerie. Elle inclut également une assignation à domicile, pour les individus condamnés à des peines de réclusion criminelle supérieure ou égale à 15 ans, mesure que ne comporte pas le dispositif crée par la proposition de loi.

 

Selon l’article 131-36-5 du code pénal, le suivi socio-judiciaire qui accompagne une peine privative de liberté sans sursis, s'applique, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. La durée de ces mesures est de dix ans au plus en cas de condamnation pour délit, de vingt ans au plus en cas de condamnation pour crime, et sans limitation en cas de crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, si la cour d'assises le décide.

 

Le Conseil d’État constate que le régime du suivi socio-judiciaire :

 

- permet aux juridictions compétentes d’imposer aux personnes visées par la proposition de loi des mesures de contrôle et de surveillance quasiment identiques, et pour certaines – l’assignation à résidence – plus sévères, pour des durées pouvant être aussi longues, voire davantage ;

 

- et que les mesures qu’il comporte ont une finalité qui rejoint celle du dispositif crée par la proposition de loi puisqu’elles sont « destinées à prévenir la récidive » (art. 131-36-1 du code pénal).

 

Mais le suivi socio-judiciaire n’est pas applicable aux auteurs d’infractions commises avant la loi du 3 juin 2016. S’il est souvent imposé par les tribunaux correctionnels au moment où ils condamnent des faits de terrorisme, il l’est plus rarement par les cours d’assises lorsqu’elles prononcent, dans le même domaine du terrorisme mais en matière criminelle, des peines d’emprisonnement nécessairement plus longues. Le dispositif créé par la proposition de loi revêt en conséquence une utilité pour ces deux catégories de personnes.

 

 

L’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT)

 

  1.            Toutes les personnes comprises dans le champ de la proposition de loi seront inscrites à un titre ou un autre au FIJAIT (art. 706-25-3 du CPP). Cette inscription apporte une réponse aux situations visées par la proposition de loi à travers ses deux effets :

 

- leur recensement dans un fichier qui permet d’assurer leur suivi par les autorités et agents pouvant consulter le fichier ;

 

- leur placement sous un régime de sûreté : obligation de donner son adresse, de signaler tout changement d’adresse dans les quinze jours, de déclarer tout déplacement à l’étranger quinze jours avant le départ.

 

Ces mesures de sûreté sont applicables pendant 10 ans si la personne est majeure, cinq ans si elle est mineure, ces délais ne commençant à courir qu'à compter de la libération lorsque la personne exécute une peine privative de liberté (art. 706-25-7 du CPP).

 

Le dispositif crée par la proposition de loi est conçu comme complémentaire : ses mesures – plus restrictives des libertés car elles substituent un régime d’autorisation au régime de déclaration du FIJAIT - ne peuvent être ordonnées que si les obligations imposées dans le cadre de l’inscription au fichier apparaissent insuffisantes au regard de la particulière dangerosité de la personne.

 

La prévention administrative du terrorisme

 

  1.            Au titre des pouvoirs de police administrative qu’il tient des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieur (CSI) issus de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, applicable jusqu’au 31 décembre 2020, le ministre de l’intérieur peut, aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, imposer diverses mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) : assignation à résidence prenant la forme d’une interdiction de se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé qui ne peut être inférieur au territoire d’une commune ; obligation de se présenter aux services de police ou aux unités de gendarmerie dans la limite d’une fois par jour ou, en dispense de cette mesure, et avec l’accord de la personne, placer celle-ci sous surveillance électronique mobile ; obligation de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation.

 

Ces obligations peuvent être imposées à « toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ». Selon les informations données par l’administration, près de 80 % des MICAS prises concernent des sortants de prison.

 

Ces mesures sont, en raison de leur contenu, de nature à répondre à l’objectif recherché par la proposition de loi, mais avec deux sortes de limites à leur utilisation à l’égard du public visé par la proposition de loi :

 

- des conditions de mise en œuvre fixées à l’article L. 228-1 qui peuvent empêcher leur application à des personnes pourtant d’une particulière dangerosité que la proposition de loi entend viser, dès lors que ces conditions ne pourraient être établies ;

 

- une durée relativement brève, six mois, pouvant être prolongée de six mois supplémentaires en cas d’éléments nouveaux, dans une limite maximale totale de douze mois.

 

A ces mesures il convient d’ajouter les perquisitions administratives autorisées par le juge des libertés et de la détention sur saisine motivée du représentant de l’État dans le département « (…) aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme et lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité publique () » (art. L. 229-1 du CSI).

 

Sur le caractère nécessaire et adapté du dispositif et la conciliation qu’il opère entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution

 

En ce qui concerne le caractère nécessaire

 

  1.            La question de savoir si l’existence de dispositifs législatifs déjà mis en place doit être prise en compte pour apprécier la nécessité d’y ajouter un régime supplémentaire, lui-même restrictif de liberté, a été abordée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-611QPC du 10 février 2017 rendue à propos du délit de consultation de sites internet terroristes, qui portait une atteinte forte à la liberté de communication. A propos du critère de nécessité des dispositions contestées, le juge constitutionnel retient que « les autorités administratives et judiciaires disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution ». Mais cette décision ne s’inscrit pas dans un courant jurisprudentiel vraiment établi : la question de savoir si et comment le critère de nécessité doit être pris en compte dans l’examen de la constitutionnalité d’une disposition législative qui vient compléter un dispositif déjà en place n’appelle pas de réponse absolument certaine.

 

  1.            À supposer que le critère de nécessité doive s’apprécier au regard des dispositifs préexistants, l’apport du dispositif envisagé appelle un constat nuancé.

 

D’un côté, l’utilité supplémentaire apportée par les mesures de la proposition de loi est indéniablement limitée par l’existence d’autres dispositifs de même nature.

 

Comme il a été dit au point 16, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 a rendu applicable le suivi socio-judiciaire aux auteurs d’infractions terroristes commises après son vigueur, qui permet d’imposer les mêmes obligations, la présentation au commissariat et à l’unité de gendarmerie en moins mais l’assignation à domicile en plus. Dans ce dispositif il faut remarquer que si le prononcé de la condamnation à un suivi socio judiciaire peut précéder de plusieurs années la sortie de prison, le juge de l'application des peines peut, la peine privative de liberté ayant été exécutée, modifier ou compléter les mesures prononcées par la juridiction de jugement (art. 763-3 du CPP) pour, le cas échéant, les adapter à une aggravation du risque de récidive.

 

Les auteurs d’infractions terroristes commises avant la loi du 3 juin 2016, peuvent – comme les auteurs d’infractions terroristes commises après la loi du 3 juin 2016 – faire l’objet des autres mesures suivantes:

 

- celles résultant de leur inscription au FIJAIT, pour une durée de 10 ans ;

 

- celles des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, certes pour une durée maximale limitée à un an, mais avec des obligations plus rigoureuses, comme l’assignation à résidence, ou la présentation plus fréquente aux services de police et unités de gendarmerie.

 

D’autres dispositifs, de nature différente, concourent aux mêmes objectifs, comme l’expulsion du territoire des ressortissants étrangers, certains ayant été créés ces dernières années, comme l’interdiction de sortie du territoire en cas de risque de déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes (article L. 224-1 du même code), les mesures de contrôle administratif lors de retours sur le territoire national (article L. 114-1 du même code), ou les enquêtes administratives prévues à l’article L. 225-1 du même code concernant certains emplois en lien direct avec la sécurité des personnes.

 

En outre, les personnes condamnées à certains crimes, en cas de particulière dangerosité liée à des troubles de la personnalité, peuvent relever des régimes de la surveillance et de la rétention de sûreté.

 

D’un autre côté, il faut admettre que, comme l’ont expliqué les auteurs de la proposition de loi, celle-ci présente un intérêt pour prévenir le risque terroriste venant de deux catégories principales de personnes : d’une part, celles condamnées à des peines d’emprisonnement pour des faits de terrorisme commis avant l’intervention de la loi du 21 juillet 2016, d’autre part celles pour lesquelles les mesures de suivi socio-judiciaire ne seront que rarement prononcées au moment de la condamnation, notamment en matière criminelle, compte tenu de l’écart temporel entre le jugement et la sortie de prison, qui reste une échéance trop lointaine pour permettre à la juridiction de jugement d’encadrer avec précision les conditions dans lesquelles elle doit intervenir.

 

En ce qui concerne le caractère adapté

 

  1.            Ce point soulève également des interrogations de la part du Conseil d’État, au regard de deux considérations.

 

La première tient à ce qu’à la différence d’autres dispositifs, comme les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance de l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, la proposition de loi laisse en dehors de son champ les personnes prévenues ou condamnées pour délits ou crimes de droit commun identifiées comme radicalisées (327 au 30 mars 2020), dont les sorties prévues ces deux prochaines années seront plus nombreuses que celles des personnes visées par le texte envisagé (185 en 2020, 102 en 2021, 40 en 2022), et alors que le risque qu’elles représentent est de même nature et peut être de même gravité.

 

La seconde vient de l’articulation encore imparfaite entre la mise en œuvre du dispositif créé par la proposition de loi et celle des mesures administratives individuelles de contrôle administratif et de surveillance, dont l’utilité est avérée et qui sont très largement utilisées pour les personnes visées par la proposition de loi.

 

La proposition de loi prévoit en effet que le juge ne peut ordonner les mesures de sûreté que si elles constituent « l’unique moyen de prévenir la commission d’infractions terroristes ».

 

Cette condition pourrait être difficile à remplir dès lors que les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance sont a priori plus efficaces, puisqu’elles peuvent comporter des obligations plus rigoureuses. A l’inverse, si le juge considère la condition remplie, la décision du ministre de l’intérieur de prendre une mesure de l’article L. 228-1 pourrait en être fragilisée.

 

Quant au fait que les durées maximales totales des mesures de sûreté prévues par la proposition de loi puissent être bien supérieures – 10 ans et 20 ans pour les crimes et délits les plus graves – à celles des MICAS, il convient de souligner que les mesures de sûreté créées par la proposition de loi doivent être renouvelées au bout d’un an par une décision du juge de l’application des peines, décision dont le sens ne peut être présumé, d’autant plus que l’on s’éloignera de l’année de la sortie de détention de la personne placée sous ce régime.

 

  1.            En troisième lieu, pas plus que les autres mesures de sûreté simplement restrictives de liberté, celles de la proposition de loi ne sont-elles de nature à garantir que toutes les personnes auxquelles elles s’appliquent, si elles sont déterminées, seront par l’effet des obligations imposées, dissuadées ou empêchées de commettre un crime ou un délit terroriste. De telles mesures ont surtout pour utilité, à partir d’un manquement à une obligation, d’alerter et de conduire à des judiciarisations, le cas échéant, assorties de mesures privatives de liberté, ou de faciliter la détection d’un risque précis, qui appellera une surveillance renforcée.

 

Or cette action de surveillance renforcée, dont les moyens ont été accrus par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et par la création de traitements comme le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste créé par décret en Conseil d’État (non publié) du 5 mars 2015, est la mieux adaptée à la réalité de la menace car elle permet non seulement de prévenir la récidive mais aussi de détecter et mesurer l’influence que peuvent avoir les personnes concernées sur leur entourage et des tiers, et, si les conditions sont réunies, d’aboutir à un traitement de la menace par la voie judiciaire, notamment en cas d’infraction aux articles 421-2-1 et 421-2-6 du code pénal, qui comme précisé ci-dessus répriment des agissements en amont de l’acte terroriste et même de sa préparation.

 

Une telle surveillance renforcée et permanente par les services spécialisés et le renseignement territorial des personnes condamnées pour faits de terrorisme achevant leur peine ces prochaines années doit assurément faire partie des priorités.

 

Le Conseil d’État rappelle l’importance de l’action en commun du parquet national antiterroriste et des services de renseignement ainsi que celle de renseignement et de suivi dans les départements, sous l’autorité des préfets et en coopération avec l’autorité judiciaire, ainsi que du service de renseignement pénitentiaire. Il s’interroge néanmoins sur les complications susceptibles de résulter de la multiplication des intervenants dans ce domaine qui exige pour atteindre l’efficacité maximale recherchée une très grande coordination et complémentarités des actions engagées.  

 

  1.            Au regard de l’ensemble des développements qui précèdent, il subsiste des interrogations sur le caractère nécessaire et adapté du dispositif tel qu’il est proposé. Il est en effet difficile de répondre avec certitude à la question de savoir si le texte, dans l’état dans lequel il est soumis à l’examen du Conseil d’État, opère, au regard d’une jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle elle-même nuancée, une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.

 

  1.            Surmonter ces interrogations suppose, d’une part, de prendre en compte deux arguments qui pèsent dans cette mise en balance, d’autre part, de construire un meilleur équilibre capable de minimiser le risque juridique évoqué plus haut.

 

Le premier argument est que, même réduite et questionnable au regard du dispositif déjà en place, l’utilité des mesures crées par la proposition de loi ne peut, dans certains cas au moins, être niée, face à un risque dont la gravité est avérée. Le second est que, si le Conseil d’État est convaincu de la priorité à donner, en raison de leur efficacité même, aux mesures individuelles de surveillance, l’avenir législatif de ces mesures n’est pas, au moment où est rendu cet avis, assuré de manière certaine : aux termes du II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017, les dispositions des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure qui prévoient ces mesures de surveillance administrative ne sont applicables que jusqu’au 31 décembre 2020.

 

Pour construire un meilleur équilibre du texte et réduire autant que possible les incertitudes relevées plus haut, le Conseil d’État fait les propositions qui suivent, en réponse aux interrogations qu’il a formulées au paragraphes 23.

 

Sur la juridiction compétente

 

  1.            La proposition de loi donne compétence au tribunal d’application des peines, sur réquisitions du procureur de la République, pour mettre en œuvre le dispositif nouveau de surveillance de sûreté et, d’office ou à la demande de l’intéressé et après avis du procureur, pour modifier les mesures de sûreté.

 

Même si aucun principe n’interdit l’attribution de cette compétence nouvelle au tribunal d’application des peines, le Conseil d’État considère, eu égard à la nature et aux finalités des mesures de surveillance de sûreté, différentes de celles des mesures prises dans le cadre de l’exécution des peines, et à l’intérêt qui s’attache à distinguer clairement les règles propres aux peines des règles propres aux mesures de sûreté pour conforter l’applicabilité des principes propres aux mesures de sûreté, que l’attribution de cette compétence aux juridictions régionales de la rétention de sûreté régies par les articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale serait mieux justifiée.

 

Le Conseil d’État estime que pourrait opportunément être recherchée une spécialisation - celle-ci ayant fait ses preuves en matière de terrorisme - en confiant ces compétences à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris et au procureur national antiterroriste. Dans ce cas il y aurait lieu de veiller à ce que la composition de la juridiction régionale soit mieux adaptée aux particularités des crimes et délits terroristes et de leurs auteurs. Pour les mineurs, même si l’hypothèse de l’application du nouveau dispositif à un mineur est très peu probable, la compétence pourrait être attribuée au tribunal pour enfants de Paris avec des délais de sûreté adaptés.

 

Sur l’articulation des mesures de la proposition de loi avec d’autres dispositifs

 

  1.            Le Conseil d’État suggère à ce titre :

 

- d’exclure la mise en œuvre des mesures de sûreté qu’elle crée lorsque la personne a été condamnée à un suivi socio judiciaire, à l’instar de ce que l’article 723-36 du CPP prévoit pour l’application des mesures de surveillance judiciaire de personnes dangereuses condamnées pour crime ou délit ;

 

- de prévoir que la mise en œuvre du régime de la rétention et de la surveillance de sûreté prévue par les articles 706-53-13 et suivants soit exclusive du dispositif prévu par la proposition de loi, car ce régime se suffit à lui seul pour les personnes souffrant de graves troubles de la personnalité et permet la prise en charge la plus adaptée.

 

Sur la procédure

 

  1.            Le Conseil d’État propose :

 

- de donner à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté compétence pour donner un avis sur tout renouvellement des mesures de surveillance de sûreté ;

 

- de prévoir la transmission des avis de la commission à l’intéressé ou son avocat ;

 

- de prévoir que la juridiction peut, doffice ou à la demande du condamné, et après avis du procureur de la République, mettre fin aux obligations.

 

Sur l’appréciation de la particulière dangerosité

 

  1.            Le Conseil d’État souligne la différence de nature qui existe entre le dispositif crée par la proposition de loi et celui issu de loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. La surveillance de sûreté et la rétention de sûreté, outre qu’elles ne sont applicables qu’aux auteurs de crimes d’une particulière gravité, visent exclusivement les personnes dont la particulière dangerosité résulte d'un trouble grave de leur personnalité, médicalement constatée.

 

Cette dimension objective du trouble dont est atteinte la personne, qui rend très élevée la probabilité d’une récidive, est absente du dispositif créé par la proposition de loi. La particulière dangerosité de la personne résultant de la persistance supposée de son adhésion à un projet terroriste, même soumise à une évaluation rigoureuse, confiée à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, même reposant sur l’examen approfondi de l’exécution de sa peine par l’intéressé, est nécessairement plus difficile à apprécier et par suite exposée à une plus grande subjectivité et à des erreurs d’appréciation.

 

Aussi le Conseil d’État suggère-t-il, tout en étant conscient que ces améliorations ne permettent pas, à elles seules, de lever entièrement les doutes sur le caractère objectivable de la notion de dangerosité :

 

- que la proposition de loi prévoie que le procureur fasse état dans ses réquisitions des éléments circonstanciés tendant à établir la particulière dangerosité de la personne, notamment à partir de faits, comportements ou attitudes observés pendant son incarcération ;

 

- que la décision de la juridiction soit spécialement motivée au regard des éléments circonstanciés tendant à établir tant la particulière dangerosité de la personne que la nécessité et l’adéquation des mesures ordonnées pour prévenir le risque.

 

Sur la durée maximale des obligations

 

  1.            S’agissant de la durée maximale totale des obligations retenues par la proposition de loi - dix ans, et vingt ans en cas de crime ou de délit puni de dix ans demprisonnement - le Conseil d’État suggère qu’elle soit significativement diminuée - par exemple en la limitant dans tous les cas à cinq ans - au regard des exigences découlant du principe constitutionnel selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.

 

Il suggère également que cette durée soit inférieure pour les mineurs, par exemple de moitié.

 

Utilité d’une évaluation d’ensemble des dispositifs préventifs pouvant être mis en œuvre en matière de prévention du terrorisme

 

  1.            Comme il a été dit ci-dessus, il résulte de l’ensemble des dispositifs de lutte contre le terrorisme et sa récidive, une grande complexité liée à leur nombre, à leurs inspirations parfois très différentes, aux cumuls de prescriptions qu’ils permettent, parfois identiques, parfois voisines, sans que les différences ne soient toujours explicables, sous la responsabilité d’autorités différentes, judiciaires ou administratives. Cette superposition de mesures susceptibles d’être appliquées aux mêmes fins, à des mêmes personnes, au-delà d’un certain seuil, expose la création de dispositifs nouveaux – même justifiés par de bonnes raisons– à un risque de fragilité.

 

Cette complexité peut aussi nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires, lorsqu’elle appelle l’intervention d’autorités ou de services différents, entre lesquels la nécessaire coopération reste à construire.

 

Au-delà de telle nouvelle mesure, ponctuelle destinée à combler un manque, une évaluation des dispositifs de prévention de la récidive terroriste, pris dans leur ensemble, de leur efficacité, de leur complémentarité, de leur champ d’application, par exemple à l’occasion de l’examen prochain du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, apparait un préalable nécessaire au Conseil d’État. Cette évaluation pourrait permettre d’améliorer la cohérence de l’ensemble des dispositifs, leur bonne articulation les uns aux autres et par conséquent leur efficacité, tout en facilitant les évolutions nécessaires et en consolidant l’équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution.

 

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’État en Assemblé générale dans sa séance du 11 juin 2020.

 

SIGNÉ :  Le président :

Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État,

 

 Le rapporteur :

 Francis Lamy, président adjoint de section la section de l’intérieur,

   

 Le secrétaire de séance :

 Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général du Conseil d’État.

1


([1]) Conseil d’État (assemblée générale), avis n° 399857 sur la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, 11 juin 2020.

([2]) Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, faite à New York le 10 janvier 2000, publiée en France par le décret n° 2002‑935 du 14 juin 2002.

([3]) Les dispositions de cette loi ont été jugées conformes à la Constitution par la décision n° 86‑213 DC du 3 septembre 1986 du Conseil constitutionnel.

([4]) Le Titre XV du livre IV du code de procédure pénale traite aujourd’hui « de la poursuite, de linstruction et du jugement des actes de terrorisme ».

([5]) Loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la Nation, l’État et la paix publique.

([6]) La loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, bien qu’adoptée avant la reprise des activités terroristes sur le territoire français, est notamment inspirée par les tensions constatées en Afrique du Nord.

([7]) L’article 421‑2‑1 du code pénal est inchangé depuis sa création par la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire : « Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, dun des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. »

([8]) Cette rédaction a été examinée par le Conseil constitutionnel, qui ne l’a pas jugée contraire à la Constitution dans sa décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996. Elle a fait l’objet d’une validation explicite par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt n° 228 du 7 février 2018 (17-82.994) rejetant une question prioritaire de constitutionnalité « dès lors que, dune part, la notion de “participation” à une association de malfaiteurs est suffisamment claire et précise pour que son interprétation, qui entre dans loffice du juge pénal, puisse se faire sans risque darbitraire et, dautre part, cette infraction, qui nexige pas un dol spécial en ce que lélément intentionnel nest pas subordonné à la démonstration du but terroriste poursuivi par son auteur, dès lors quil a connaissance du caractère terroriste du groupement ou de lassociation auquel il apporte son soutien, apparaît nécessaire, adaptée et proportionnée à lobjectif de lutte contre le terrorisme et de défense de lordre public poursuivi par le législateur ».

([9]) Délit de financement des actes de terrorisme et peine de confiscation des biens des coupables d’actes de terrorisme (articles 421-2-2 et 422‑6 du code pénal créés par la loi n° 2001‑1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne), délit de non-justification de ressources par une personne en relation avec une ou plusieurs personnes se livrant à un ou plusieurs actes de terrorisme (article 421‑2‑3 du code pénal issu de la loi n° 2003‑239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure), crime d’association de malfaiteurs terroriste (article 421‑6 du code pénal créé par la loi n° 2006‑64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers).

([10]) Article 113‑13 du code pénal.

([11]) Article 421-2-4 du code pénal.

([12]) Article 421-2-6 du code pénal. Ce délit a été jugé conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitution n° 2017‑625 QPC du 7 avril 2017, M. Amadou S.

([13]) Ces infractions, qui figurent désormais aux articles 421‑2‑5 et 421-2-5-1 du code pénal, étaient auparavant soumises aux règles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([14]) Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

([15]) Essentiel dans la lutte contre le terrorisme, le fonctionnement du suivi socio-judiciaire et ses limites seront développés infra.

([16]) Articles 706-17 et suivants du code de procédure pénale.

([17]) Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

([18]) Didier Guérin, « Les actes de terrorisme », JurisClasseur Pénal, Fasc. 20.

([19]) Conseil d’État, Ord., 27 janvier 2016, Ligue des droits de lhomme et autres, requête n° 396.220.

([20]) Conseil d’État, avis sur la présente proposition de loi, n° 399857, point n° 13.

([21]) Assemblée nationale, XIVème législature (19 juillet 2016), rapport n° 3978, p. 6.

([22]) Délégation parlementaire au renseignement, rapport n° 1869, XVème législature (avril 2019) de Mme Yaël Braun–Pivet relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2018, p. 38.

([23]) Ibid.

([24]) Ibid.

([25]) Conseil d’État, avis précité sur la présente proposition de loi, point n° 13.

([26]) Le service national du renseignement pénitentiaire a été substitué par un arrêté du 29 mai 2019 au bureau central du renseignement pénitentiaire créé en 2017. Il recherche, collecte, exploite, analyse et diffuse les informations et renseignements susceptibles de révéler des risques d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, à la sécurité des établissements pénitentiaires, des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues et des services pénitentiaires.

([27]) Articles 706-25-3 à 706-25-14 du code de procédure pénale.

([28]) Figurant à l’article L. 224‑1 du code de la sécurité intérieure créée par la loi précitée du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, l’interdiction de sortie du territoire vise à empêcher un Français de partir à l’étranger pour participer à des activités terroristes ou sur un théâtre d’opérations de groupes terroristes. Résultant d’une décision du ministre de l’intérieur valable pour six mois renouvelables, elle entraîne l’invalidation du passeport et de la carte d’identité de la personne concernée. La violation d’une IST est réprimée de trois ans d’emprisonnement et de 45 000  d’amende, et de deux ans d’emprisonnement et de 4 500  d’amende lorsque la personne concernée refuse de restituer ses documents d’identité.

([29]) Prévu aux articles L. 225‑1 à L. 225‑8 du code de la sécurité intérieure, le contrôle administratif des retours sur le territoire national vise toute personne qui a quitté le territoire national et dont il existe des raisons sérieuses de penser que ce déplacement a pour but de rejoindre un théâtre d’opérations de groupements terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. Décidé par le ministre de l’intérieur, le contrôle administratif impose de résider dans un périmètre géographique déterminé et de se présenter au plus trois fois par semaine aux forces de l’ordre pendant une période d’un mois renouvelable deux fois, mais aussi de déclarer tout changement de domicile et de s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes nommément désignées pendant une période de trois mois renouvelable une fois.

([30]) Sont considérés à cette fin comme des actes de terrorisme toutes les infractions prévues au titre II, relatif au terrorisme, du livre IV du code pénal. Font toutefois exception les délits d’expression que sont la provocation au terrorisme et l’apologie du terrorisme.

([31]) Ces durées sont respectivement réduites à dix ans et trois ans dans le cas où l’auteur est mineur.

([32]) En application du 15° de l’article 230‑19 du code de procédure pénale.

([33]) Ces durées sont respectivement réduites à cinq ans et trois ans dans le cas où l’auteur est mineur.

([34]) Conseil d’État, avis précité sur la proposition de loi, point n° 17.

([35]) Comme le code de la sécurité intérieure ne prévoit pas de procédure de relèvement de l’interdiction lorsque celle-ci découle d’une condamnation pénale, il convient de se reporter à la date à laquelle les condamnations sont effacées du bulletin n° 2, ce qui varie en fonction du quantum de la peine.

([36]) Soit toutes les armes autres que celles relevant de la catégorie D, dont l’achat et la détention sont libres.

([37]) Cette analyse est partagée par le Conseil d’État pour qui « l’utilité des mesures créées par la proposition de loi ne peut, dans certains cas au moins, être niée, face à un risque dont la gravité est avérée » (avis précité sur la présente proposition de loi, point n° 24).

([38]) Toutefois, en matière correctionnelle, cette durée peut être portée à vingt ans par décision spécialement motivée ; lorsqu’il s’agit d’un crime puni de trente ans de réclusion criminelle, cette durée est de trente ans ; lorsqu’il s’agit d’un crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, la cour d’assises peut décider un suivi socio-judiciaire sans limitation de durée, sous réserve de la possibilité pour le tribunal de l’application des peines de mettre fin à la mesure à l’issue d’un délai de trente ans.

([39]) Articles 132‑44 et 132‑45 du code pénal.

([40]) Article 763‑3 du code de procédure pénale.

([41]) Article 131-36-7 du code pénal.

([42]) Article 131-36-3 du code pénal.

([43]) Cass. crim, 2 septembre 2004, pourvoi n° 04-80518 : « Attendu que selon ce texte, peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle les faits constitutifs d’une infraction ont été commis ; Attendu quaprès avoir déclaré Valdemar X... coupable de viols aggravés commis en 1985 et 1986, la Cour et le jury le condamnent notamment à 8 ans de suivi socio-judiciaire ; Mais attendu quen prononçant ainsi, alors que cette peine complémentaire introduite dans les articles 131-36-1 et suivants du code pénal par la loi du 17 juin 1998, nétait pas légalement prévue à la date de la commission des faits, la Cour et le jury ont méconnu le texte susvisé (…) ».

([44]) Alors que le nombre de dossiers de terrorisme jugés par la cour d’assises a atteint depuis septembre 2019 un nombre largement supérieur à celui traité par cette juridiction en 25 ans, soit 19 dossiers en première instance et 3 en appel, donc 22 dossiers, un seul suivi socio-judiciaire a pu être requis et aucun n’a été prononcé.

([45]) Quatorze suivis socio-judiciaires ont été prononcés par le tribunal correctionnel de Paris au second semestre 2019 et treize à ce jour en 2020 – dans des conditions troublées par l’épidémie de covid‑19.

([46]) Conseil d’État, avis précité sur la présente proposition de loi, point n° 16.

([47]) Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55‑385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

([48]) Les délits d’expression que sont la provocation au terrorisme et l’apologie du terrorisme échappent à cette rigueur.

([49]) L’avis précité du Conseil d’État sur la proposition de loi confirme que la loi du 21 juillet 2016 « a, de fait, exclu nombre de personnes condamnées pour terrorisme » du mécanisme de la surveillance judiciaire (point n° 14).

([50]) Rapport d’information n° 348 (2019-2020) de M. Marc-Philippe Daubresse sur le contrôle et le suivi de la loi n° 2017‑1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, fait au nom de la commission des Lois du Sénat, 26 février 2020.

([51]) Reconnaissant la nature de mesure de sûreté de la rétention de sûreté, le Conseil constitutionnel ne l’a pas soumis au principe constitutionnel de légalité des peines figurant à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Toutefois, le Conseil a estimé que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait quelle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant lobjet dune condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement » (décision n° 2008‑562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration dirresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. n° 10).

([52]) Article 706-53-15 du code de procédure pénale.

([53]) Conseil d’État, avis précité sur la proposition de loi, point n° 15, citant l’avis n° 390867 du 17 décembre 2015 sur la constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux de la France de certaines mesures de prévention du risque de terrorisme.

([54]) Le Conseil constitutionnel a considéré que, compte tenu de sa rigueur, la mesure d’assignation à résidence ne saurait excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois (décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, paragraphe 17).

([55]) Au 5 juin 2020.

([56]) Georges Levasseur, « Politique criminelle : peines ou mesures de sûreté ? », Cours de droit pénal général complémentaire, Paris, 1960.

([57]) Conseil constitutionnel, décision n° 2008‑562 DC du 21 février 2008, op. cit., cons. n° 9.

([58]) « Tout homme étant présumé innocent jusquà ce quil ait été déclaré coupable, sil est jugé indispensable de larrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour sassurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

([59]) « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - Lautorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

([60]) Conseil constitutionnel, décision n° 2008‑562 DC du 21 février 2008, op. cit., cons. n° 13.

([61]) Ibid., cons. n° 10.

([62]) « En ce qui concerne le but et la nature de la mesure litigieuse, la Cour constate que le requérant regarde la nouvelle obligation mise à sa charge comme punitive. Toutefois, la Cour estime que lobjectif principal de cette obligation est dempêcher la récidive. À cet égard, elle considère que la connaissance par les services de police ou de gendarmerie et les autorités judiciaires de ladresse des personnes condamnées, du fait de leur inscription au FIJAIS comporte un élément de dissuasion et permet de faciliter les investigations policières. Lobligation découlant de linscription au FIJAIS a donc un but préventif et dissuasif et ne peut être regardée comme ayant un caractère répressif et comme constituant une sanction » (CEDH, Gardel c/ France, 17 décembre 2009, req. n° 16428/05, § 43).

([63]) CEDH, Raimondo c/ Italie, 22 février 1994, req. n° 12954/87, § 43.

([64]) Conseil d’État, avis précité sur la proposition de loi, point n° 9.

([65]) L’article 706-24-1 écarte explicitement, pour la répression de ces délits, les dispositions dérogatoires en matière de terrorisme pour les régimes de la garde à vue et de la perquisition.

([66]) Le tribunal de l’application des peines est composé d’un président et de deux assesseurs désignés par le premier président parmi les juges de l’application des peines du ressort de la cour d’appel. Il est compétent pour l’aménagement des peines les plus lourdes et pour certaines autres mesures telles que le relèvement de la période de sûreté attachée à certaines peines criminelles, certaines libérations conditionnelles, certaines suspensions de peines (articles 712‑1 et suivants du code de procédure pénale).

([67]) Conseil constitutionnel, décision n° 2002‑461 DC du 29 août 2002, Loi dorientation et de programmation pour la justice, cons. n° 26 : « Considérant que latténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de lâge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle… » 

([68]) Article R. 61-10 du code de procédure pénale.

([69]) Conseil d’État, avis précité sur la proposition de loi, point n° 9.

([70]) Conseil d’État, avis précité sur la présente proposition de loi, point n° 25.

([71]) Ibid, point n° 28.

([72]) Cette définition est celle de l’entreprise terroriste aux termes de l’article 421-1 du code pénal.

([73]) Article 706-53-13 du code de procédure pénale.

([74]) Conseil d’État, avis précité sur la présente proposition de loi, point n° 27.

([75]) Ibid, point n° 29.

([76]) Ibid.

([77]) Ibid, point n° 26.

([78]) Ibid, point n° 27.

([79]) Ibid.

([80]) Article 706-53-17 du code de procédure pénale.

([81]) Le dispositif prévoit un appel devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté et la possibilité de pourvoi en cassation, sur le modèle des dispositions applicables aujourd’hui à la surveillance de sûreté (art. 706‑53‑15 du code de procédure pénale).

([82]) Article 706-53-21 du code de procédure pénale.

([83]) Aucune mesure individuelle de contrôle et de surveillance n’a jamais mis en œuvre une surveillance électronique mobile depuis la création du dispositif par la loi du 30 octobre 2017 précitée, selon les informations recueillies par votre rapporteure.

([84]) Initialement dénommé « Programme Recherches et Intervention sur les violences extrémistes » (RIVE) lors de sa création fin 2016, ce dispositif devait favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale, par la mise en place d’un suivi individualisé et pluridisciplinaire (travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres, chercheurs et spécialistes de l’islam), complémentaire au suivi effectué par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation annoncé en février 2018, le Gouvernement a décidé, au vu de son bilan positif, la pérennisation, l’extension et le renforcement du programme.