N° 3602

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2020.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, autorisant la ratification de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine,

PAR M. Jean François MBAYE

Député

——

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

PAR M. Marc LE FUR

Député

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

Voir les numéros :

 Assemblée nationale :  2986.


 


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  SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. passer du rôle de cogestionnaire de la monnaie à celui de garant

A. le franc cfa, une monnaie qui a permis de garantir une certaine stabilité mais qui fait l’objet de nombreuses critiques

1. Le franc CFA, une monnaie arrimée au franc français puis à l’euro

2. Un régime qui a favorisé la stabilité monétaire et contenu l’inflation

3. Une monnaie qui favorise toutefois la consommation de produits importés au détriment des productions locales et de l’exportation

4. Le franc CFA, un « irritant » politique à dépasser

B. L’ÉCHo : la France devenant un strict garant financier de la zone monétaire sans prérogative décisionnelle

1. Une convertibilité au niveau actuel et une transférabilité illimitée qui demeurent inchangées

2. La fin de la centralisation des réserves de change auprès du Trésor français

3. La sortie des représentants français des instances de gestion de la monnaie

4. Le choix de maintenir une parité fixe avec l’euro

5. Les modalités d’activation d’une éventuelle garantie

II. la suite de la réforme monétaire : une histoire strictement ouest-africaine que la France est prête à accompagner

A. une réforme qui lève quelques irritants dans la perspective à long terme de monnaie unique

1. L’eco à l’échelle de la CEDEAO, une perspective à long terme ?

2. L’accord d’Abidjan : un accord qui n’est pas dirigé contre le Nigéria

3. Une monnaie qui peut servir d’embryon à la future monnaie unique ouest-africaine

B. la CEDEAO, un bilan plutôt positif qui peut devenir une zone monétaire optimale partenaire de la France et de l’UNIOn européenne

1. L’intégration régionale la plus accomplie d’Afrique mais qui reste perfectible

2. Un déséquilibre démographique et économique difficile à dépasser

3. Un rôle à définir pour le Nigéria

III. changer de méthode en associant les élus et la société civile

A. une réforme annoncée lors d’un sommet entre chefs d’État et qui a surpris tout le monde

B. Établir un véritable discours de la méthode

1. Esquisser un calendrier

2. Associer les élus et la société civile

Avis fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

I. Les francs CFA : trois zones monÉtaires qui ont su Évoluer

A. Les premiÈres rÉformes des annÉes 1970

B. Un approfondissement des zones monÉtaires dans les annÉes 1990

C. L’accroissement de l’indÉpendance des banques centrales

II. Les zones Franc CFA et leur réforme

A. Le fonctionnement actuel des zones franc CFA

1. La fixité du taux de change avec l’euro

2. La garantie de convertibilité

3. L’obligation de centralisation des réserves de change

4. La présence de la France dans certaines institutions de gouvernance de la zone

B. Les Évolutions proposÉes dans L’accord du 21 DÉCEMBRE 2019

1. La fin de la centralisation des réserves de change

2. Le retrait des instances de gouvernance

III. Le franc CFA, un atout économique pour les pays de la zone

A. Un dÉbat Économique ancien éclairÉ par des travaux rÉcents

1. L’impact globalement positif du taux de change fixe sur la dynamique de la croissance

2. Un effet stabilisateur propice à la réduction de la pauvreté

3. Des risques à nuancer

a. Le risque de désalignement du taux de change

b. La faiblesse de l’intégration commerciale

B. Atout Économique, le franc CFA est avant tout une monnaie crÉdible

IV. Des Évolutions À anticiper

A. Le projet d’une monnaie commune À la CEDEAO

B. Quelles Évolutions futures pour les francs CFA ?

1. Le rattachement à un panier de devises

2. La fixation d’une bande de fluctuation

TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈres

I. Examen en commission

II. Audition de m. jean-yves le drian, ministre de l’europe et des affaires étrangères

TRAVAUX DE LA commission de la commission des finances saisie pour avis

Annexe 1 : texte adopté par la commission

Annexe 2 : carte

annexe 3 : personnes auditionnées par le rapporteur

annexe 4 : Personnes auditionnées par le rapporteur pour avis


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   introduction

Lors de son déplacement au Burkina Faso, le 28 novembre 2017, le président de la République a indiqué que « le franc CFA est un non-sujet pour la France ». En effet, si cette monnaie est issue de l’histoire commune qui lie notre pays à un certain nombre d’États africains, elle est depuis les indépendances un des attributs de la souveraineté de ces États. L’appartenance ou pas à l’union monétaire étant une décision souveraine de chacun d’entre eux.

Le franc CFA découle de traités internationaux sur lesquels le présent rapport reviendra. Ces traités ont été librement signés et ratifiés par des États souverains, à la suite des déclarations d’indépendance. Ainsi, et parmi les anciennes colonies françaises, la Guinée n’a jamais adopté le franc CFA. La Mauritanie l’a d’abord adopté puis en est sorti pour créer sa propre devise, l’ougouya, tandis que le Mali l’a adopté après en être une première fois sorti. À l’inverse, un État n’ayant pas eu de rapports historiques de nature coloniale avec la France, la Guinée-Bissau, a jugé opportun de l’adopter à la fin des années 1990, considérant que cela correspondait à son intérêt économique.

Les évolutions concernant le franc CFA ne sont donc pas des mesures prises par la France, mais par les États concernés, dans le cadre de traités internationaux auxquels la France est partie prenante au titre de la coopération historique et multiforme qu’elle entretient avec eux.

Ainsi, au cours de l’année 2019, à la suite de débats récurrents, principalement en Afrique de l’ouest, les autorités de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) ont fait part de leur souhait de voir évoluer le fonctionnement de leur coopération monétaire avec la France. L’objectif était de parvenir à un ensemble de réformes modernisant l’UMOA, mais aussi facilitant son extension progressive à d’autres pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

La France a naturellement répondu favorablement et les discussions entre notre pays et ses partenaires africains ont abouti à une proposition commune de réforme des instances et du fonctionnement de la zone franc en UMOA. Cette réforme est formalisée dans l’accord signé entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’UMOA le 21 décembre 2019 à Abidjan (Côte d’Ivoire).

La transformation du franc CFA en eco facilite également la mise en place d’une monnaie commune incluant d’autres pays de la CEDEAO dont le Nigéria et le Ghana afin de renforcer l’intégration économique de la sous-région.

Si les objectifs sont connus et partagés par le plus grand nombre en Afrique de l’ouest – la mise en place d’une monnaie unique à l’échelle de la sous-région – la méthode et le calendrier pour y parvenir sont essentiels. Le rapporteur appelle à mettre en place une véritable méthode privilégiant le débat public en impliquant autant que possible les intellectuels, les opérateurs économiques et surtout les élus de chacun des pays concernés. La monnaie est l’affaire de tous et ne peut être laissée à l’appréciation de techniciens ni être l’apanage des seuls chefs d’État.

C’est dans cette perspective que votre rapporteur se prononce en faveur de l’adoption du présent projet de loi, qui permettra de moderniser la coopération monétaire entre la France et les États membres de l’UMOA en l’adaptant à notre époque et en laissant la porte ouverte à d’autres évolutions.

 


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I.   passer du rôle de cogestionnaire de la monnaie à celui de garant

A.   le franc cfa, une monnaie qui a permis de garantir une certaine stabilité mais qui fait l’objet de nombreuses critiques

1.   Le franc CFA, une monnaie arrimée au franc français puis à l’euro

La zone franc regroupe non pas une mais trois zones monétaires :

– les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) - Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo ([1]) ;

– les États membres de l’Union monétaire d’Afrique centrale (UMAC) - Cameroun, Tchad, Centrafrique, Congo, Gabon et Guinée équatoriale (depuis 1985) ;

– les Comores.

Dans chacune des sous-zones monétaires, des institutions communes sont chargées d’élaborer la politique monétaire : la banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) dont le siège est à Dakar (Sénégal) qui émet le franc CFA XOF, la banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) dont le siège est à Yaoundé (Cameroun) qui émet le franc CFA XAF et la banque centrale des Comores qui émet le franc comorien dit KMF. L’UMOA et L’UMAC se sont également constituées en unions économiques afin d’accélérer l’intégration de pays disposant de la même monnaie. Ce sont l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) d’une part, et la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) d’autre part.

Le présent projet de loi concerne la transformation du franc CFA XOF en eco et ne concerne par conséquent pas les deux autres devises qui restent inchangées.

 


BREF HISTORIQUE DU FRANC CFA

 

Le franc CFA naît le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire internationale (FMI). Il résulte du décret n° 45-0136 fixant la valeur de certaines monnaies des territoires d’outre-mer libellées en francs et signé par Charles de Gaulle, président du Gouvernement provisoire de la République française. La fixité du taux permet à l’origine aux entreprises françaises d’acquérir des matières premières et d’offrir un débouché à ses produits manufacturés sans risque de change dans un contexte colonial. C’est le péché originel qui continue à alimenter des idées devenues fausses sur lesquelles le rapporteur reviendra.

 

Le franc CFA signifie alors « franc des Colonies Françaises d’Afrique ». Il prendra par la suite la dénomination de « franc de la Communauté Financière Africaine » pour les États membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) créée en 1962, et « franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale » pour les pays membres de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC).

 

Dans les années 1970, des accords de coopération monétaire signés avec les unions monétaires se substituent aux accords bilatéraux. Ces accords visent à accroître le rôle des pays africains dans les instances de la zone franc, notamment à travers le transfert des banques centrales en Afrique : la BEAC de Paris à Yaoundé (Cameroun) en 1977 et la BCEAO de Paris à Dakar (Sénégal) en 1978.

 

Parité FCFA

 

Création du FCFA

26 décembre 1945

1 FCFA = 1,70 FF

Dévaluation du FF

17 octobre 1948

1 FCFA = 2,00 FF

Instauration du nouveau FF

1er janvier 1960

1 FCFA = 0,02 FF

Dévaluation du FCFA

12 janvier 1994

1 FCFA = 0,01 FF

Arrimage du FCFA à l’euro

1er janvier 1999

655,957 FCFA = 1 euro

 

 

Ce rappel historique, qui n’a pas la prétention de l’exhaustivité, vise à montrer la charge symbolique du franc CFA qui ne peut être dissocié de l’histoire franco-africaine. Le contexte de création des francs CFA et son effet sur les imaginaires collectifs perdurent encore et affectent fortement la manière de percevoir la coopération monétaire avec la France.  Il nous conduit aujourd’hui à manier ces sujets avec la plus grande rigueur – pour éviter le double reproche d’abandon ou au contraire d’ingérence – tant la question monétaire dépasse, dans ce cas, la seule question économique et financière.

 

Ce seul rappel justifie à lui seul de sortir de la monnaie franc CFA afin d’écrire une nouvelle page de l’histoire entre notre pays et les pays ouest-africains, page où chaque partenaire assumera ses responsabilités dans l’intérêt de sa population.

 

 

 

 

Les mécanismes de coopération monétaire entre la France et les États africains membres des zones franc reposent sur quatre principes fondamentaux :

– la garantie de convertibilité : La convertibilité désigne la propriété d’une monnaie d’être librement échangeable à tout moment contre de l’or ou contre une devise étrangère, ce qui suppose que les autorités soient en capacité de satisfaire toute demande de conversion présentée. Elle est un facteur essentiel de la confiance dans une monnaie. En l’espèce, la garantie de convertibilité illimitée est accordée par la France : en cas de choc sur la situation des comptes extérieurs de l’une des sous-régions de la zone franc qui se traduirait, par exemple, par l’impossibilité pour les États de la sous-région d’assurer en devises le paiement de leurs importations, le Trésor français s’engage à apporter les sommes nécessaires en euros. Il est à noter que la garantie est assurée par des fonds budgétaires, la Banque centrale européenne et l’Eurosystème n’étant pas parties à la convention. La France offre sa garantie à la banque centrale en cas d’épuisement des réserves. Cela n’implique pas l’approvisionnement en euros de tous les agents économiques, États compris ;

– la fixité des parités : La parité des francs CFA et comorien avec l’euro est fixe. La valeur de ces monnaies par rapport à l’euro ne change pas au jour le jour, à la différence des monnaies soumises à un régime de change flottant. Ce régime de change fixe n’est pas incompatible avec des changements de parité (dévaluation ou réévaluation) qui sont décidés par les chefs d’État africains de la zone. Ces changements de parité doivent néanmoins rester exceptionnels pour ne pas entamer la confiance dans la monnaie. Depuis 1945, la zone franc n’a connu que deux changements de parité, en 1948 et 1994 (1 FF, qui valait 50 FCFA, est passé à 100 FCFA) ;

– la libre transférabilité : Les transferts, relatifs aux transactions courantes ou aux mouvements de capitaux, sont libres au sein de chacune des unions monétaires et à l’intérieur de la zone franc.

En contrepartie de la parité et de la convertibilité, il est prévu une centralisation des réserves de change (en euros). Si un pays présente un déficit commercial, il doit trouver un moyen de financer ce déficit. Ce financement peut se faire en contractant de la dette auprès des autres pays, ou en vendant des actifs domestiques (actions, immobilier…). Un autre moyen de payer les importations est de puiser dans ses réserves, en l’occurrence les réserves de change. L’obligation de centralisation des réserves de change des banques centrales dans les livres du Trésor français a connu une évolution : elle est passée de 65 % à 50 % pour la Banque centrale de l’Afrique de l’ouest en 2005 et la Banque des États de l’Afrique centrale en 2007. Elle a, en revanche, été maintenue à 65 % pour la Banque centrale des Comores. Le Trésor français doit pouvoir apprécier l’évolution des réserves de change et mesurer les risques éventuels que la garantie de convertibilité soit appelée, mais bien sûr les réserves ne sont pas captives. Elles fluctuent selon les besoins. Évidemment, les dépôts africains sont rémunérés avec un taux d’intérêt de 0,75 %, soit un taux supérieur au taux de marché.

En outre, jusqu’à présent, la France a un représentant à la BCEAO, la Banque centrale des États d’Afrique de l’ouest, un autre à la commission bancaire, et un dernier au conseil de politique monétaire, basés à Dakar.

2.   Un régime qui a favorisé la stabilité monétaire et contenu l’inflation

a)     Les avantages du régime monétaire

La coopération monétaire entre la France et l’Afrique de l’ouest a pour objectif de conforter le choix fait par les pays de l’UEMOA d’un régime de change fixe et de contribuer à sa crédibilité. Ce choix vise à favoriser la stabilité monétaire et économique de la région, ainsi que son attractivité pour les investissements internationaux.

À cet égard, cette coopération monétaire a atteint ses objectifs. L’arrimage du XOF à une monnaie stable, telle que l’est l’euro, couplée à une interdiction faite à la BCEAO – contrairement à la CEMAC – de monétiser le déficit budgétaire des États, offre un cadre favorable à l’atteinte d’un objectif de faible inflation dans l’UEMOA, soit moins de 3 %. Cette faible inflation et l’impact positif pour les acteurs économiques que représente la parité fixe sur l’euro contribuent positivement à la croissance et au développement économique de la zone dès lors qu’elle encourage l’investissement. C’est un facteur de protection des acteurs locaux et internationaux contre les fluctuations de change.

Enfin, une inflation faible est un facteur de préservation du pouvoir d’achat et de protection de l’épargne in fine contribue au maintien de la paix sociale et de la stabilité.

Par ailleurs, la libre transférabilité permet aux entreprises étrangères de rapatrier leurs bénéfices. C’est également un facteur déterminant au moment du choix de tel ou tel pays pour réaliser un investissement important.

Enfin, l’appartenance à la zone franc CFA élimine de facto le risque de crise de balance des paiements tant que la convertibilité du change est assurée. Il s’agit d’une assurance pour des pays majoritairement exportateurs de matières premières et donc exposés à de fortes variations des termes de l’échange. Un pays comme le Ghana, dont la structure économique est assez proche de celle de la Côte d’Ivoire avec une filière cacao prépondérante, connaît des variations de sa monnaie, le cédi, porteur de graves risques sociaux. La Côte d’Ivoire en a été prémunie même pendant les années 2002 à 2010 où le pays a été coupé en deux du fait de la crise politique qu’il a connue.

En définitive, même dans les crises les plus aiguës, les ménages ont continué à disposer d’une monnaie leur permettant de consommer et n’ont pas subi une hyperinflation « polarisée » caractérisée par un effondrement de la monnaie doublé d’une recherche effrénée de dollars ou d’euros comme c’est le cas aujourd’hui au Liban ou au Zimbabwe.

b)     Une croissance positive quoiqu’encore insuffisante

Ainsi, avant la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19, l’activité économique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA/UMOA) connaissait un dynamisme continu depuis 2012. En 2019, la région a enregistré un taux de croissance global de 6,1 %, bien supérieur à la moyenne d’Afrique subsaharienne, et dans un contexte de stabilité des prix. Le déficit budgétaire global de l’UEMOA s’est réduit en 2019 à 2,3 % du PIB, contre 3,4 % en 2018. Le taux d’endettement de l’Union demeurait limité à 44,5 % de PIB en décembre 2019. Les équilibres macroéconomiques étaient par conséquent satisfaisants.

Le ralentissement de la croissance mondiale induit par la propagation de l’épidémie a réduit la demande extérieure. Il a fortement affecté plusieurs secteurs (transport aérien, tourisme) et réduit les flux d’envois de fonds vers l’UEMOA notamment en provenance des diasporas en Europe. Il a également perturbé les chaînes mondiales d’approvisionnement, affectant les appareils productifs de pays de l’UEMOA. Ce ralentissement mondial, couplé aux mesures nationales de lutte contre la pandémie, exerce une forte pression sur les finances publiques de l’Union et expose ses populations vulnérables, particulièrement les travailleurs informels et les zones exposées à l’insécurité alimentaire.

Post-crise, l’UEMOA demeurerait cependant une des régions les plus dynamiques d’Afrique subsaharienne et du monde. Selon les dernières données disponibles du FMI ([2]), la croissance de l’UEMOA s’établirait à 2,3 % en 2020 contre 6,3 % prévu auparavant. En dépit de la crise et à l’exception de la Guinée-Bissau, les pays de l’Union devraient tous connaître des taux de croissance positifs en 2020, sous réserve d’une éventuelle dégradation ultérieure : Burkina Faso (+2 %), Côte d’Ivoire (+2,7 %), Mali (+1,5 %), Niger (+1 %) ou Sénégal (+3 %). Cela étant, ces taux de croissance sont inférieurs à la croissance démographique (sauf au Sénégal), ce qui entraînera une baisse du PIB par habitant. De plus, alors que les marges de manœuvre budgétaire des États de la région sont déjà très limitées, la collecte de revenus douaniers et fiscaux (déjà faible en étant comprise entre 12 et 16 % du PIB) devrait reculer. Le niveau d’endettement public moyen de l’UEMOA pourrait ainsi augmenter de 44,5 % à 48 % en 2020, avant de se stabiliser en 2021 à environ 47 %.

Les autorités de l’UEMOA ont globalement mis en œuvre une réponse adéquate et ambitieuse à la crise. Le 27 avril 2020, les chefs d’État et de Gouvernement de l’UEMOA ont suspendu temporairement l’application du Pacte de convergence de l’Union pour dégager des marges de manœuvre budgétaires. Des plans de soutien à l’économie ont été élaborés dans de nombreux pays de l’Union, qui ont tous bénéficié d’un soutien exceptionnel du FMI depuis le début de la crise. Environ 2,2 milliards de dollars ont ainsi été mis à disposition des pays de l’UEMOA par le Fonds depuis mars 2020. Enfin, l’ensemble des pays de l’UEMOA sont éligibles à l’initiative de suspension du service de la dette négociée en Club de Paris / G20 (DSSI) permettant de suspendre l’ensemble des paiements aux créanciers officiels bilatéraux entre le 1er mai 2020 et le 31 décembre 2020.

Au plan monétaire, la BCEAO a publié dès le 21 mars 2020 un ensemble de mesures pour atténuer l’impact de la pandémie du Covid-19 sur le système bancaire et le financement de l’activité économique dans l’Union. Parmi ces mesures, la BCEAO a notamment décidé d’élargir le champ des collatéraux à la disposition des banques pour accéder au refinancement de la banque centrale ou de sensibiliser les banques à l’utilisation des ressources disponibles sur le guichet spécial de refinancement des crédits accordés aux petites et moyennes entreprises. Les réserves de change demeurent stables depuis le début de l’année 2020, à un niveau d’environ 12 milliards d’euros représentant environ cinq mois d’importations.

3.   Une monnaie qui favorise toutefois la consommation de produits importés au détriment des productions locales et de l’exportation

Le fonctionnement de la monnaie unique ouest-africaine fait clairement apparaître une préférence pour la stabilité souvent au détriment de la croissance et de l’emploi. La croissance est en outre loin d’être inclusive dès lors qu’elle repose sur les matières premières et sur un petit nombre de grandes entreprises attirées par la stabilité mais peu pourvoyeuses d’emplois.

En outre, la maîtrise de l’inflation profite principalement à une faible partie de la population – celle qui a les moyens de consommer des produits importés. Dans certaines zones rurales, il n’est pas rare que les transactions se fassent sous forme de trocs tant la valeur de la monnaie est trop élevée pour être utilisée dans les petites transactions quotidiennes.

Par ailleurs, la frange la plus aisée de la population a la possibilité de transférer librement ses avoirs à l’extérieur des pays concernés. Elle est probablement la plus concernée par le maintien du régime actuel.

En revanche, la valeur de la monnaie renchérit mécaniquement les coûts de production et – même s’il ne s’agit pas du seul facteur – empêche les pays de la sous-région de tirer pleinement profit du faible coût de leur main-d’œuvre dans les échanges internationaux. À titre d’exemple, le coton malien est produit en franc CFA et cédé sur les marchés mondiaux en dollar. Toute dépréciation de la devise américaine par rapport à l’euro réduit les marges bénéficiaires des opérateurs maliens. Dans cette configuration, la Chine qui maintient sa devise à un taux bas et évidemment les États-Unis ont un avantage comparatif déterminant avec le dollar. Le franc CFA, et le niveau de parité, induit par conséquent une préférence pour le produit importé et favorise l’économie de rente au détriment des entrepreneurs. C’est également le cas pour le riz, aliment de base en Afrique de l’ouest, qui est encore majoritairement importé d’Asie.

Si la monnaie et sa parité avec l’euro ne sont pas les seules raisons – loin s’en faut –, elles contribuent à maintenir un niveau de production faible. Ainsi, la récente baisse du taux directeur de la BCEAO destinée à soutenir l’activité pendant l’épidémie mondiale reste prudente tellement est grande l’appréhension d’une réalimentation de la pompe à importations payables en euro ou en dollar. La baisse des réserves de change pouvant entraîner une dévaluation à moyen terme et rappeler le souvenir cuisant de l’année 1994. Cette politique monétaire prudente destinée à contenir l’inflation et à maintenir la parité entre le franc CFA et l’euro entraîne cependant une rareté de la liquidité pour les porteurs de projets locaux obligés de chercher des financements au sein de leurs communautés ou de faire appel à des bailleurs internationaux, notamment par le biais de l’aide au développement.

Au cours de son déplacement à Dakar, le rapporteur a pu s’entretenir longuement avec des entrepreneurs locaux et les plus importantes banques de la place. Si les déterminants de l’investissement sont de trois ordres – coût de la ressource, coût du risque, gain attendu – l’existence du franc CFA n’est pas neutre. S’il minimise le coût du risque, notamment du risque de change, il renchérit le coût de la ressource dès lors qu’il est nécessaire de maintenir des taux d’intérêt élevés afin de maintenir la parité. Les banques commerciales ont fait état de taux d’intérêt situés entre 15 et 20 %, ce qui demande des taux de rentabilité extraordinaires pour déclencher un investissement.

C’est une des raisons – non la seule – qui obèrent la croissance d’un tissu de PME locales, qui permettrait de créer une dynamique d’emploi.

En définitive, le choix du régime de change fixe ou flottant est un choix politique qui appartient par conséquent aux peuples de la sous-région et à leurs dirigeants.


LA DÉVALUATION DE 1994

Une succession d’événements économiques défavorables au cours des années 1980, notamment la conjonction de la baisse du dollar et du prix des matières premières, a conduit à une forte détérioration de la compétitivité des pays de l’UMOA (mais également d’Afrique centrale et des Comores). Cette dégradation a rendu nécessaire une dévaluation de 50 % des francs CFA XOF et XAF (et de 33 % du franc comorien) en janvier 1994, la seule à ce jour. La décision a été prise souverainement par les États africains, avec l’accord de la France. La division par deux du pouvoir d’achat et de l’épargne des ménages a entraîné certains troubles, notamment à Dakar où des affrontements de rue ont coûté la vie à plusieurs personnes. La dévaluation jugée brutale par certains est encore considérée comme un traumatisme.

À partir de cet évènement, les États de l’UMOA (comme ceux de la CEMAC) ont décidé de s’engager dans la constitution d’une union économique, complémentaire de l’union monétaire. Le Traité constitutif de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) a été signé le 10 janvier 1994 à Dakar afin de tirer pleinement parti d’une appartenance commune à un même ensemble monétaire.

Plus d’un quart de siècle est passé ; l’intégration économique reste assez modeste. Le commerce intra-régional n’excède pas les 15 % en zone UEMOA alors qu’il est de 60 % en zone euro. Dans ces conditions, l’appartenir à une zone monétaire unique perd grandement de son intérêt.

Le rapporteur reviendra sur la nécessité d’une plus grande intégration afin de tirer pleinement parti de l’appartenance à une même zone monétaire.

4.   Le franc CFA, un « irritant » politique à dépasser

Le franc CFA fait l’objet de nombreuses critiques, principalement en Afrique de l’ouest. Les débats y sont les plus vifs.

Au préalable, le rapporteur rappelle que tout choix politique est susceptible d’être discuté dans des sociétés démocratiques. La monnaie autant que d’autres options de politiques publiques. Le débat est par conséquent parfaitement légitime sur le franc CFA. Il ne doit cependant pas être fondé sur des idées fausses véhiculées principalement par les réseaux sociaux.


IDÉES FAUSSES CONCERNANT LE FRANC CFA

Non, la France n’oblige pas les pays africains à déposer leur réserve de change chez elle pour les contraindre ensuite à s’endetter. Comme il est dit plus haut, les réserves de change servent à combler un éventuel déficit commercial. La centralisation sert uniquement au garant à apprécier son risque. Les montants déposés pouvant être plus ou moins importants par ailleurs. L’endettement, comme dans tous les autres pays, est lié aux besoins de financement. Par ailleurs, la réforme met fin à la centralisation.

Non, le franc CFA ne conduit pas à maintenir le monopole des entreprises françaises. Les entreprises françaises sont présentes en Afrique francophone du fait de l’histoire, de la langue et des liens de tout ordre. Le franc CFA est arrimé à l’euro et de ce fait, si avantage il y a, il concerne l’ensemble des pays de l’Union européenne. Enfin, la stabilité de la monnaie et sa convertibilité attirent de nouveaux investisseurs – Chine, Turquie, pays du Golfe – de telle sorte que la part de la France et celle de l’Europe ne cessent de diminuer dans ces pays.

Non, la France ne gagne pas d’argent sur les dépôts des États africains. Au contraire, les dépôts sont rémunérés à hauteur de 0,75 % alors qu’actuellement les taux de marché sont plutôt négatifs.

Non, l’Union européenne n’interdit pas à la France de jouer son rôle de garant en dernier ressort. La garantie accordée par la France est une garantie budgétaire. La Banque centrale européenne (BCE) ne jouant aucun rôle là-dedans. Or la politique budgétaire des États membres est libre, sous réserve du respect des critères de déficit public, dit critères de Maastricht.

Non, la France ne décide pas de la quantité de monnaie en circulation dans les zones franc. La fabrication des billets de banque en France est de nature commerciale. Sont fabriqués également en France des billets de banque d’autres pays qui n’ont rien à voir avec la zone franc. C’est bien la BCEAO qui décide de la quantité de monnaie en circulation en suivant ses objectifs d’inflation et de croissance et qui passe des commandes en conséquence.

Oui, la France a intérêt à la stabilité des pays africains et principalement ouest-africains. La stabilité monétaire, en évitant une inflation trop forte, est un facteur de paix sociale.

Depuis quelques années, le nom de la monnaie est devenu le principal argument des détracteurs de la monnaie du fait de sa charge symbolique. Le franc Communauté Financière Africaine est en effet le successeur du franc Colonies Françaises d’Afrique. C’est la raison pour laquelle, une rupture a été opérée en changeant le nom de la monnaie en eco.

En revanche, la France ne contrôle pas la quantité de monnaie en circulation en zones franc CFA. C’est une prérogative des banques centrales. La Banque de France imprime certes les billets mais elle le fait dans le cadre d’un contrat de nature commerciale. Elle a ce type de contrat avec des États à la zone franc comme Madagascar. Parallèlement, de nombreux autres États africains font appel à des sociétés privées ailleurs en Europe.

En outre, la centralisation des réserves de change ne constitue une « épargne captive » devant servir de collatéral à une éventuelle garantie, ni « une obligation de dépôt obligeant les États en question à s’endetter par la suite auprès de la France ». Les États ont la liberté de retirer ces montants à leur convenance.

Enfin, la France ne dispose d’aucun droit de veto au sein des organes de gouvernance technique de la BCEAO. Elle dispose d’un siège sur neuf.

Une modernisation des relations monétaires entre les États de l’UEMOA était toutefois nécessaire afin d’inscrire le débat monétaire dans une certaine rationalité et préparer l’avenir. Dans cette optique, la réforme annoncée en décembre 2019 est le fruit de la volonté de l’ensemble des États de l’UEMOA. Elle est aussi une étape préalable pour s’inscrire dans la feuille de route du projet de monnaie unique de la CEDEAO, formellement lancé en 1983, et qui a connu une accélération à l’été 2019.

B.   L’ÉCHo : la France devenant un strict garant financier de la zone monétaire sans prérogative décisionnelle

L’accord de coopération conclu le 21 décembre 2019 vient remplacer l’accord de coopération du 4 décembre 1973. Il sera ultérieurement complété par une convention de garantie, texte technique d’application, qui sera conclue avec la BCEAO.

L’accord comprend un préambule et dix articles répartis en cinq titres traitant successivement des définitions, des principes du rôle de la France, des relations entre la France et l’UMOA, des dispositions applicables pour la gestion de crises et enfin des dispositions finales.

1.   Une convertibilité au niveau actuel et une transférabilité illimitée qui demeurent inchangées

L’article 2 de l’accord prévoit que : « le garant apporte son concours à l’UMOA pour garantir la convertibilité de sa monnaie en euro à un cours fixe sur la base de la parité en vigueur ». Il est à rappeler que depuis 1994, 1 franc français correspond à 100 francs CFA et que depuis 1999, 1 euro équivaut par conséquent à 655,95 francs CFA.

Les transferts, relatifs aux transactions courantes ou aux mouvements de capitaux, demeurent libres.

2.   La fin de la centralisation des réserves de change auprès du Trésor français

L’article 2 prévoit également que : « la BCEAO, […] met en œuvre la politique de change de l’UMOA et gère les réserves officielles de change ».

Aux termes de la convention de compte d’opérations du 4 décembre 1973, la BCEAO dispose d’un compte courant ouvert dans les écritures du Trésor français. La clôture de ce compte sera effective une fois le solde ramené à zéro, soit avant la fin de l’année 2020.

Compte tenu de la situation macroéconomique globalement favorable de l’UEMOA avant la crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19, de la maîtrise des déficits de balance des paiements courants et du niveau élevé de réserves de change – environ 12 milliards d’euros à fin mai 2020, soit près de cinq mois d’importations –, y compris depuis la crise, le taux de couverture extérieure de la monnaie (TCM) demeure significativement supérieur à 70 % depuis plusieurs années, et le niveau des réserves est stable depuis décembre 2019 (cf. graphiques ci-dessous). Pour mémoire, les derniers cas d’activation de la garantie dans le cadre de l’accord actuel sont limités et anciens (antérieurs à 1994).

Source : Direction générale du Trésor

Le rapatriement de ces montants est davantage une question politique et symbolique que monétaire ou économique dès lors qu’ils représentent cinq mois d’importation. La fin de la centralisation devrait mettre fin aux polémiques qui assimilent régulièrement la centralisation à un « impôt colonial » qui priverait les pays ouest-africains des liquidités nécessaires à leur développement.

La BCEAO pourra désormais, à l’instar des autres banques centrales, placer ces montants où elle le souhaitera.

3.   La sortie des représentants français des instances de gestion de la monnaie

L’article 4 de l’accord stipule que : « le Comité de politique monétaire de la BCEAO comprend une personnalité indépendante et qualifiée, nommée intuitu personae par le Conseil des ministres de l’UMOA en concertation avec le garant. Cette personnalité est choisie en fonction de son expérience professionnelle dans les domaines monétaire, financier, ou économique ».

In concreto, la personnalité devra être capable de faire le pont entre les dynamiques de réflexion en zone euro et en zone UMOA.

En définitive, la France retirera l’ensemble de ses représentants à la BCEAO, à la commission bancaire, au conseil de politique monétaire, au profit de cette personnalité indépendante au Comité de politique monétaire.

Pour s’inscrire dès à présent dans l’esprit de la réforme, qui entrera formellement en vigueur lorsque les accords seront ratifiés par les pays signataires et que les textes d’application seront signés, des ajustements à la situation existante sont prévus. Ainsi, la BCEAO a commencé à transmettre les informations prévues par l’accord depuis avril. Les représentants de la France devraient s’abstenir de siéger aux instances de gouvernance technique auxquelles ils demeureraient convoqués.

4.   Le choix de maintenir une parité fixe avec l’euro

Le choix de maintenir une parité fixe avec l’euro est un choix fait souverainement par les chefs d’États des pays membres de l’UMOA comme c’est le cas pour la plupart des États africains.

Ce choix de régime de change fixe est un choix de prudence dans des pays qui n’ont pas encore une crédibilité suffisante et qui ont besoin d’un ancrage externe. Les pays – ou les zones monétaires – en voie d’acquérir cette crédibilité ont des régimes de change gérés, dans lesquels la banque centrale intervient pour réguler le taux de change et éviter une dépréciation ou une appréciation trop rapide susceptible de générer des désordres macroéconomiques. Les pays de l’UEMOA appartenant aux pays à faibles revenus ont donc fait le choix d’un régime de change en adéquation avec le développement de leur économie et de leur système financier. C’est à eux de décider souverainement si et quand ils souhaiteraient passer à un régime de change plus flexible permettant d’utiliser l’arme monétaire pour leur développement sans risques excessifs.

En outre, le choix d’un régime de change fixe découle du choix d’avoir une union monétaire entre pays plutôt importateurs – comme le Sénégal, pays caractérisé par un important déficit de la balance commerciale extérieure ([3]) –, pays exportateurs – comme la Côte d’Ivoire qui a besoin d’une monnaie faible pour soutenir sa filière café-cacao – et des pays qui pratiquent le réexport de produits importés comme le Bénin. À défaut de convergence des modèles économiques, un régime de change flexible ferait prendre un risque à la zone. Il serait en effet susceptible d’aggraver les chocs externes et pourrait amener un pays à quitter la zone monétaire comme nous l’avons constaté avec la Grèce et dans une moindre mesure l’Italie à la suite de la crise des dettes souveraines européennes des années 2010.

Il est à noter qu’il n’existe que quatre zones monétaires dans le monde : le franc CFA XOF, le franc CFA XAF – qui constituent deux zones bien distinctes malgré le même nom –, la zone Caraïbes et la zone euro. Seule la zone euro a opté pour un régime de change flottant au regard de sa puissance économique et financière. Puissance qui ne la préserve pas complètement par ailleurs comme l’ont montré les crises successives de l’euro.

L’accord de coopération avec la France est destiné à aider ces pays dans le maintien de leur choix de régime de change et n’a pas d’autre objet que maintenir la parité au titre de ce change fixe.

5.   Les modalités d’activation d’une éventuelle garantie

Après l’entrée en vigueur du présent accord, la France sera en position de pur garant financier et non plus de codécideur même si elle l’était dans une position très minoritaire. Comme tout garant financier, la France doit être en position de piloter son risque.

Le risque correspondant à l’activation de la ligne de garantie (jusqu’à son remboursement lors de la reconstitution des réserves de change) demeure le même que celui de découvert du compte d’opérations dans le dispositif actuel. Les modalités d’activation de cette garantie seront fixées par la convention de garantie auquel renvoie l’accord. Ce risque d’activation demeure à l’heure actuelle très limité.

a)     Un cadre de dialogue permanent afin d’évaluer le risque

L’UEMOA et la France ont défini ensemble de nouveaux mécanismes d’information et de dialogue. Dans ce cadre, et comme prévu par l’accord de coopération monétaire, des informations techniques sont régulièrement transmises par la BCEAO (notamment un cadre de reporting, des informations financières sur l’évolution des réserves et les évolutions monétaires dans la zone, des prévisions macroéconomiques, etc.) pour permettre à la France de suivre le risque financier auquel elle est exposée en tant que garant financier.

b)     Une garantie assumée par le budget de l’État

La convention de garantie prévue à l’article 2 de l’accord vise principalement à préciser le fonctionnement technique de la garantie, après la suppression du compte d’opérations actuel. Rappelons que la garantie fonctionnera sur les mêmes principes qu’actuellement : si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les euros nécessaires auprès de la France.

Du point de vue budgétaire, la garantie de convertibilité de la monnaie de l’UEMOA est assurée par le programme budgétaire 881 Relations avec l’Union monétaire ouest-africaine du compte de concours financiers Accords monétaires internationaux. Ce compte, qui concerne également les zones d’Afrique centrale et des Comores, est doté de crédits évaluatifs actuellement fixés à zéro, compte tenu du faible risque d’activation de la garantie.

Si la garantie devait être activée, il serait dans ce cas nécessaire de doter ce programme et par conséquent de présenter une mesure en projet de loi de finances rectificative devant le Parlement.

Cette garantie de convertibilité ne relève pas d’une « garantie de l’État » au sens de l’article 34 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Par sa construction et son fonctionnement, elle correspond en réalité à un mécanisme de prêt à la BCEAO, ce que confirme le choix de la création d’un compte de concours financiers ad hoc par l’article 46 de la loi de finances pour 2006. Compte tenu du maintien de la garantie de convertibilité, il n’est pas envisagé de modifier l’architecture budgétaire actuelle sur ce point.

Le mécanisme concret d’activation de la garantie est en voie de finalisation et figurera dans la convention de garantie. Il devrait reposer sur une ligne de trésorerie, permettant la même fluidité qu’à l’heure actuelle. Ainsi, si les conditions prévues par l’accord de coopération monétaire et la convention de garantie sont remplies, la BCEAO pourra se procurer à première demande autant d’euros que nécessaires pour couvrir ses engagements en devises.

c)     Un retour de la France dans les instances en cas d’activation de la garantie

L’accord de coopération monétaire et la convention de garantie prévoient l’ensemble des mécanismes d’association de la France auprès de ses partenaires de l’UEMOA en situation de crise, et a fortiori en cas d’activation de la garantie. Pour prévenir ou gérer une telle crise, la France peut demander, à titre exceptionnel et pour une durée limitée, à participer sans voix délibérative aux réunions du conseil d’administration de la BCEAO et à la commission bancaire de l’Union pour y porter sa position.

En outre, l’article 8 de l’accord prévoit que lorsque le montant moyen des avoirs extérieurs de la BCEAO représente moins de 20 % de ses engagements, le garant, c’est-à-dire la France, a la possibilité de désigner « pour la durée nécessaire à la gestion de la crise », un représentant « au Comité de politique monétaire de la BCEAO, avec voix délibérative ».

La situation habituelle depuis les indépendances deviendra donc exceptionnelle et circonscrite aux situations de crise.

LA CONVENTION DE GARANTIE : UN POINT AVEUGLE À CE STADE

La convention de garantie est encore à ce stade en cours de négociation avec la BCEAO. Le rapporteur suivra avec attention sa publication dès lors que les modalités pratiques de la garantie seront déterminantes pour apprécier l’ampleur de la réforme.

Lors de son déplacement à Dakar, le rapporteur n’a pas pu rencontrer de représentants de la BCEAO faute de volonté de leur part. Cette attitude conservatrice et peu transparente n’est pas propice à construire la prévisibilité et la stabilité dont ont besoin les opérateurs économiques, ni à éviter la suspicion du grand public à l’égard de la future monnaie. Le rapporteur le regrette et espère qu’il ne s’agit pas là d’une volonté de maintenir l’existant malgré l’accord signé entre la France et les pays de l’UMOA.

De la même manière, un avenant à la convention de compte d’opérations actuelle devrait être signé en même temps que la future convention de garantie et permettra d’abaisser le taux de centralisation des réserves – aujourd’hui de 50 % – à 0 %.  Les fonds déposés par la BCEAO sur le compte d’opérations devraient être retirés dès la mise en œuvre des textes, comme il était prévu avant la crise du Covid-19.

 

II.   la suite de la réforme monétaire : une histoire strictement ouest-africaine que la France est prête à accompagner

A.   une réforme qui lève quelques irritants dans la perspective à long terme de monnaie unique

1.   L’eco à l’échelle de la CEDEAO, une perspective à long terme ?

Le communiqué final de la 55ème session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO qui s’est tenue à Abuja (Nigéria) le 29 juin 2019 « réaffirme l’approche graduelle pour la création de la monnaie unique en privilégiant le démarrage avec les États membres qui respectent les critères de convergence ». Elle « adopte le régime de change flexible assorti d’un cadre de politique monétaire axé sur le ciblage de l’inflation et le système fédéral pour la Banque centrale communautaire ». Elle a choisi pour nom à la nouvelle monnaie, l’eco.

Des discussions sont toujours en cours entre les États africains au sein de la CEDEAO. La conférence des chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO a souligné le 9 février 2020 que la réforme engagée en UEMOA était une étape pour parvenir à la mise en place de l’eco telle que prévue par la feuille de route adoptée par la CEDEAO, et a exprimé sa satisfaction sur ces importantes évolutions engagées par l’UEMOA.

La mise en œuvre du projet de monnaie unique de la CEDEAO pourrait débuter rapidement, comme annoncé par les autorités de la région, sous réserve que les critères de convergence qui ont été définis soient considérés comme atteints. La crise économique et sanitaire mondiale liée à la pandémie de Covid-19 soulève toutefois des incertitudes sur l’atteinte de ces critères. Le 23 avril 2020 les chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO ont décidé de convoquer une réunion du conseil de convergence afin d’examiner les implications de la pandémie sur les performances de la Communauté en matière de convergence macroéconomique à moyen terme.

La transition vers un régime de change flexible, décidé par la CEDEAO pour sa monnaie unique, correspond à un objectif de très long terme, lorsque le projet de monnaie unique CEDEAO aura pu être concrétisé à l’échelle de toute la Communauté.

L’accord d’Abidjan entre la France et les États de l’UMOA n’obère par conséquent en rien la mise en place de l’eco à l’échelle de la CEDEAO. Il s’agit là de deux processus distincts : l’un à court terme susceptible de préparer, l’autre quand les conditions macroéconomiques et politiques seront réunies. En tout état de cause, la France n’est pas partie au processus devant aboutir à mettre en place une monnaie unique ouest-africaine et prendra naturellement acte des décisions des États de la sous-région.

2.   L’accord d’Abidjan : un accord qui n’est pas dirigé contre le Nigéria

Le président nigérian Muhammadu Buhari a fait part à plusieurs reprises de sa désapprobation quant à la transformation du franc CFA en eco. En effet, l’annonce d’une zone eco, indexée sur l’euro et garantie par la France, a entraîné une vive réaction des pays membres de la CEDEAO, hors zone franc CFA, regroupés autour du Nigéria le 16 janvier à Abuja (Nigéria) en conseil de convergence de la zone monétaire d’Afrique de l’ouest (ZMAO).

Dans un communiqué commun, ils soulignent que « cette décision n’est pas conforme avec la décision de la Conférence d’État et de gouvernement de la CEDEAO d’adopter l’eco comme nom d’une monnaie unique indépendante de la CEDEAO ». Ils recommandent « qu’un sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement membres se réunisse prochainement pour examiner en profondeur cette question ».

Le président ivoirien Alassane Ouattara a précisé en réponse que le processus de mise en place de l’eco-CEDEAO devait être graduel et que la première des conditions était de réunir les critères de performance en termes de déficit budgétaire, de dette publique et d’inflation notamment. Il a rappelé l’exemple de la zone euro qui a été mise en place avec 11 pays et qui en regroupe aujourd’hui 19 ([4]).

Depuis, le sommet de la CEDEAO du 7 septembre 2020 à Niamey (Niger) a acté le report de la mise en place de l’eco-CEDEAO eu égard au choc économique généré par la crise sanitaire.

Le débat est évidemment légitime au sein de la CEDEAO. Le rapporteur rappelle que la France soutient ce processus et souhaite approfondir sa coopération avec l’ensemble des pays de la zone. Le président de la République a montré cet intérêt en se rendant au Nigéria dès le mois de juillet 2018. Il y a clairement rappelé son credo : « nous avons besoin que les Africains parlent eux-mêmes de l’Afrique ».

Enfin, il est à signaler que le calendrier de mise en place de l’eco-CEDEAO est largement tributaire de la situation institutionnelle et sécuritaire de la Côte d’Ivoire qui est la principale économie de l’UEMOA.

3.   Une monnaie qui peut servir d’embryon à la future monnaie unique ouest-africaine

Le fait que le changement de monnaie solde un héritage controversé est susceptible de générer une dynamique politique entre pays francophones et pays anglophones d’Afrique de l’ouest. Il peut permettre à d’autres pays, aujourd’hui extérieurs à l’UMOA, de rejoindre l’eco tel qu’il ressort de l’accord d’Abidjan.

Des pays comme le Ghana, la Guinée ou le Libéria pourraient trouver là un vecteur d’efficacité pour atteindre les critères de performance définis par la CEDEAO.

Le Ghana vient de prendre la présidence de la CEDEAO lors du sommet de Niamey du 7 septembre dernier. Le président Nana Akufo-Addo a fait part de sa claire volonté d’avancer sur le dossier monétaire. Le choix de son pays de faire partie du nouvel eco-UMOA sera à ce titre déterminant pour la poursuite de la réforme monétaire.

Dans un second temps, il appartiendrait aux pays de la région de conserver l’arrimage à l’euro ou de décider d’indexer la future monnaie à un panier de monnaies – euro, dollar, livre sterling, yuan – correspondant à leurs principaux partenaires commerciaux. À ce moment-là se posera bien évidemment la question de la garantie de la France du fait du risque de change que constituerait une monnaie non arrimée exclusivement à notre devise.

Il appartient aux chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO de définir les modalités et le calendrier de la mise en place de leur future monnaie.

B.   la CEDEAO, un bilan plutôt positif qui peut devenir une zone monétaire optimale partenaire de la France et de l’UNIOn européenne

1.   L’intégration régionale la plus accomplie d’Afrique mais qui reste perfectible

Créée le 28 mai 1975 et destinée à coordonner les politiques des États membres, la CEDEAO est l’organisation sous-régionale la plus attractive du continent. La Mauritanie qui s’en était retirée pour adhérer à l’Union du Maghreb arabe en 1989 a demandé à y être à nouveau associée en 2017 tandis que le Maroc a déposé une demande formelle d’adhésion, pour l’instant bloquée faute de consensus suffisant.

Les quinze États ([5]) qui la constituent regroupent 375 millions d’habitants et disposent donc d’un marché intérieur suffisant. La CEDEAO a été créée pour favoriser la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace commun.

La mise en place d’un passeport commun, la libre circulation et la liberté d’établissement dans l’ensemble de la zone sont aujourd’hui des acquis.

En revanche, l’intégration économique est encore insuffisante et réduit l’intérêt de partager une monnaie unique. En effet, le partage d’une monnaie unique doit pouvoir fluidifier le commerce intra-zone et être un élément essentiel d’un marché unique profitable à chacun. Or, avec 22 milliards de dollars par an entre 2013 et 2017 ([6]), le commerce intracommunautaire ne représente que 11 % du commerce total de la zone. À titre de comparaison, le commerce intracommunautaire dans l’Union européenne est de l’ordre de 60 %.

Pourtant, la CEDEAO compte parmi ses membres les deux premiers producteurs mondiaux de cacao – la Côte d’Ivoire et le Ghana – le septième producteur mondial de pétrole – le Nigéria – mais également une production importante de coton et d’or et une agriculture diversifiée. Une plus grande intégration pourrait permettre à une industrie de transformation de trouver des débouchés internes naturels. La transformation sur place des matières premières africaines, et leur écoulement dans un vaste marché intérieur, est probablement le plus grand défi qui devra être relevé. La monnaie n’en sera qu’un des facteurs facilitants.

2.   Un déséquilibre démographique et économique difficile à dépasser

De nombreux interlocuteurs sénégalais l’ont rappelé. La CEDEAO est un ensemble plutôt performant mais souffrant d’un déséquilibre patent. En effet, le Nigéria représente 60 % de la population de la zone et 66 % du PIB. De ce fait, l’appréhension des pays de l’UMOA à faire partie d’une même zone monétaire avec ce pays est légitime et doit être entendue.

Par ailleurs, le Nigéria est un pays pétrolier qui tire de ce fait 90 % de ses recettes de cette seule ressource. Cette ressource qui représente 75 % de son PIB est tributaire du dollar américain. En revanche, un pays comme le Sénégal est un pays importateur net dont les revenus proviennent essentiellement du tourisme, des services et des transferts de la diaspora. La divergence entre ces deux pays est patente – sans parler de la population : 200 millions d’habitants d’un côté contre 16 millions de l’autre. Ainsi, la mise en place trop rapide et pas assez préparée d’une monnaie à régime flottant est porteuse de graves déséquilibres potentiels. Nos interlocuteurs sénégalais nous ont rappelé que l’euro lui-même a profité surtout à l’industrie allemande et s’est fait au détriment de pays aux économies plus faibles telle la Grèce. Il est nécessaire sur ce point également d’entendre les craintes.

Le gouvernement sénégalais a ainsi souligné auprès du rapporteur l’importance d’une plus grande convergence des économies de la sous-région comme préalable à toute intégration monétaire. L’exploitation de gisements pétroliers sénégalais à compter de 2023 pourrait être un facteur favorisant.

Enfin, il pourrait être intéressant de dépasser la césure nette entre l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale héritée de l’histoire mais qui ne fait plus guère sens à l’heure de la nécessaire intégration africaine. Dans un premier temps, il serait nécessaire d’agir sur l’interopérabilité entre le franc CFA XOF en Afrique de l’ouest et le franc CFA XAF en Afrique centrale. Aujourd’hui, il est extrêmement difficile de transférer des fonds entre les deux zones, ce qui crée une frontière artificielle quasi infranchissable.

À plus long terme, la fusion avec une zone plus équilibrée – la CEMAC ([7]) où le Cameroun, principal pays ne représente que 50 % de la population et 40 % du PIB – pourrait favoriser une zone, certes plus large, mais paradoxalement plus équilibrée et donc lever les craintes de certains pays à l’égard du géant nigérian.

3.   Un rôle à définir pour le Nigéria

Le Nigéria est la locomotive naturelle de l’intégration ouest-africaine. Cependant, tout en tenant un discours intégrationniste, il pose épisodiquement des actes freinant cette intégration de telle sorte que ses intentions sont difficilement lisibles.

En effet, avec ses 200 millions d’habitants et sa rente pétrolière, ses dirigeants envoient trop souvent des signaux isolationnistes et protectionnistes. Les fermetures unilatérales de frontières – principalement avec le Bénin depuis le 20 août 2019 et le Niger – pour contrer le phénomène de réexport de son voisin de l’ouest accusé d’écouler du riz asiatique dans un pays qui cherche à développer sa propre filière en sont la manifestation la plus éclatante. Le pays donne ainsi l’impression de ne pas avoir besoin des consommateurs des autres pays ouest‑africains ou alors seulement à ses propres conditions.

La gestion du naira – la devise nigériane – est un autre facteur de faiblesse qui freine son leadership. Les critères d’inflation et de déficit public ne sont pas respectés.

En définitive, il appartient au Nigéria de clarifier sa position quant à la position qu’il souhaite occuper dans son environnement naturel. La France ne peut être tenue pour responsable des difficultés de l’intégration ouest-africaine, dont elle n’est pas partie prenante.

III.   changer de méthode en associant les élus et la société civile

A.   une réforme annoncée lors d’un sommet entre chefs d’État et qui a surpris tout le monde

L’annonce du 21 décembre 2019 à Abidjan, par les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara, de la réforme monétaire a été une surprise pour tout le monde – élus, opérateurs économiques, banque centrale et population.

Lors de son déplacement à Dakar, le rapporteur a recueilli la parole de dirigeants des plus importantes banques du pays, l’un d’eux lui a fait savoir qu’il a cru dans un premier temps « à une blague » lorsqu’on lui a rapporté la nouvelle. Plus largement, les opérateurs économiques et financiers, que l’on n’a pas associés en amont, ont tendance à considérer qu’il s’agit là d’une opération politicienne qui ne sera suivie d’aucun effet concret. Une formule a été maintes fois entendue : « après l’annonce politique, vient la réalité économique et financière ».

Il est évident qu’une méthode verticale, avec un accord négocié dans le plus grand secret par une poignée de personnes à Paris et à Abidjan, n’est nullement un gage d’acceptabilité de la réforme et n’est pas susceptible d’emporter l’adhésion du plus grand nombre.

Les responsabilités sont partagées sur ce point :

– Notre pays a trop tendance à gérer la question du franc CFA comme une question technique à laisser à des experts du ministère chargé des finances et à quelques banques présentes en Afrique de l’ouest ;

– Les pays concernés et notamment les parlementaires de ces pays ont quant à eux tendance à laisser la responsabilité politique d’une éventuelle réforme monétaire à la France dès lors que cette question est inflammable dans les opinions publiques.

Le résultat est que la dimension politique de la question monétaire n’est prise en charge par personne et est laissée au mieux à des intellectuels et au pire à des démagogues.

Par conséquent, si nous voulons construire une zone monétaire stable et permettant le développement, il est urgent de changer de méthode.

B.   Établir un véritable discours de la méthode

1.   Esquisser un calendrier

La question du calendrier est essentielle. Trop rapide, il favorise l’incrédulité. Trop lointain, il apparaît dilatoire. « L’agenda parisien est ambitieux », a été maintes fois entendu à Dakar. Le fait de reporter la mise en place de l’eco lors du sommet de la CEDEAO du 7 septembre 2020 à Niamey n’a ainsi surpris personne comme nous l’ont répété nos interlocuteurs à Dakar.

Le calendrier doit pouvoir intégrer une date de fin de la garantie française. Ainsi, l’ensemble du système, et notamment la BCEAO, pourrait être mis sous tension. Les acteurs financiers, qui ont par construction, besoin de lisibilité pourraient également anticiper la réforme et surtout y croire vraiment.

Par rétro-planning, de nouveaux critères de convergence – seuils d’inflation et de déficit public notamment – pourraient être définis dans un arbitrage entre croissance et stabilité qui appartient aux États concernés et à la BCEAO.

Enfin, le calendrier doit pouvoir être mis à profit pour définir les paramètres de la future monnaie, ainsi que son extension ou non à d’autres pays d’Afrique de l’ouest et notamment au Nigéria.

2.   Associer les élus et la société civile

Le rapporteur a été surpris par le fait que les parlementaires des différents pays concernés ne se sont que peu saisis de la réforme monétaire. Non pas négligence mais parce que celle-ci apparaît comme la chasse gardée des chefs d’État et de Gouvernement.

Pourtant, la transition monétaire doit faire l’objet d’une feuille de route la plus partagée possible.

Toutes les institutions pourraient être mises à contribution. Il pourrait être envisagé la création d’un comité de réflexion sur les contours de la future réforme monétaire. Ce comité prospectif pourrait utilement être adossé à l’UEMOA et à sa commission interparlementaire. L’UEMOA pourrait être le cadre idoine dès lors qu’elle a la légitimité pour intervenir, afin de faire œuvre de pédagogie – par le biais de débats publics, de colloques dans les universités ou en participant à des débats dans les parlements – dans l’ensemble des pays concernés. En tout état de cause, la réforme monétaire ne peut faire l’économie d’une bonne préparation en amont afin d’être bien acceptée et permettre de « passer d’une zone de stabilité à une autre zone de stabilité plus performante », selon la formule d’un des interlocuteurs sénégalais du rapporteur.

La France, à travers ses institutions, est évidemment prête à accompagner toute transition monétaire décidée par les pays ayant aujourd’hui en partage le franc CFA et demain l’eco.


—  1  —

   Avis fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Bien que souvent utilisée au singulier, l’expression « franc CFA » désigne en réalité trois monnaies différentes qui ont cours dans deux zones monétaires – l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) – et dans un État, l’Union des Comores. La carte ci-dessous détaille les pays membres de ces deux zones.

La création du franc CFA est datée du décret du 25 décembre 1945 fixant la valeur de certaines monnaies des territoires d’outre-mer, libellées en francs. Dans le cadre du système de Bretton-Woods, la France réalise alors une première déclaration de parité de 100 francs CFA pour 170 francs.

À la suite des indépendances, la coopération monétaire entre les pays utilisant le franc CFA et la France évolue avec la création de deux unions monétaires : l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) ([8]) en 1962 et l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC) ([9]) en 1972.

Ces organisations ont signé des conventions avec la France sur le fonctionnement de leur monnaie, en 1972 pour l’UMAC et le CFA d’Afrique centrale (XAF) et en 1973 pour l’UMOA et le CFA d’Afrique de l’Ouest (XOF). L’Union des Comores est également liée à la France par une convention monétaire de 1979 qui régit le franc comorien.

Les zones Monétaires et économiques en Afrique de l’Ouest et centralehttps://www.banque-france.fr/sites/default/files/images/illustrations/819421zfcartezoneseco.png

Source : Banque de France

Chacune de ces zones utilise une monnaie propre émise par une banque centrale : la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour l’UEMOA, la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) pour la CEMAC ainsi que la Banque centrale des Comores (BCC) pour l’Union des Comores. Un franc CFA ayant cours au Tchad et au Cameroun n’a, ainsi, pas cours légal au Niger. Ce ne sont, matériellement, ni les mêmes pièces ni les mêmes billets qui circulent dans ces différentes zones monétaires.

I.   Les francs CFA : trois zones monÉtaires qui ont su Évoluer

Depuis leur création à la fin de la Seconde guerre mondiale, les institutions des zones monétaires utilisant le franc CFA (FCFA) ont connu des évolutions sensibles qui en ont, toutefois, préservé les caractéristiques fondamentales. 

A.   Les premiÈres rÉformes des annÉes 1970

Les trois zones CFA ont fonctionné, dès le début, selon des caractéristiques similaires : fixité des parités entre francs CFA et comorien et franc français, liberté des changes entre les pays d’une même zone, contrôle des changes partagé vis-à-vis de l’extérieur, garantie de convertibilité au travers des différents comptes d’opérations monétaires.

La signature des accords des années 1970 introduit les premières réformes du fonctionnement des zones franc CFA. Elles actent un recul de l’influence française au sein des instances de gouvernance des banques centrales : ainsi, les représentants de la France au sein du conseil d’administration de la BCEAO n’occupent plus que le septième des sièges, contre le tiers auparavant. Le siège de la banque est, par ailleurs, transféré à Dakar. La BEAC a suivi un mouvement similaire, son siège étant transféré à Yaoundé.

En parallèle de ce retrait, les banques centrales sont autorisées à soutenir plus directement le développement économique : élargissement des possibilités d’avances aux trésors publics, assouplissement des conditions d’octroi de crédits et encouragement de la distribution du crédit aux secteurs prioritaires et aux petites et moyennes entreprises ([10]).

L’exigence de dépôt des réserves de change sur le compte d’opération ouvert auprès du Trésor français est progressivement abaissée : de 100 % initialement, elle est passée à 65 % avec ces accords, avant d’atteindre 50 % dans les années 2000.

B.   Un approfondissement des zones monÉtaires dans les annÉes 1990

Jusqu’aux années 1990, les transferts de capitaux vers la France étaient libres. La mise en place de la liberté des changes au sein de l’Union européenne avec le traité de Maastricht a néanmoins justifié, de la part des pays de l’UEMOA et de la CEMAC, la mise en place d’un contrôle des changes avec l’ensemble des pays tiers, dont la France. La liberté des mouvements de capitaux est dès lors limitée aux opérations internationales courantes, conformément à l’article VIII des statuts du FMI, auquel les deux unions monétaires ont adhéré en 1996 ([11]).

En parallèle, les pays des zones franc ont décidé, à la suite de la dévaluation du CFA décidée en 1994, d’étendre leur union monétaire à une union économique comprenant la mise en place d’un marché commun et une surveillance multilatérale des finances publiques. Des critères de convergence relatifs à l’inflation, au déficit budgétaire, à l’endettement et aux arriérés de paiement sont alors consacrés.

Enfin, la mise en place de l’euro a entraîné une transition vers un ancrage des francs CFA sur cette nouvelle monnaie.

C.   L’accroissement de l’indÉpendance des banques centrales

Afin de renforcer l’indépendance des banques centrales, une nouvelle architecture institutionnelle est retenue avec la modification des statuts de la BCEAO et de la BEAC en 2010. Celles-ci sont désormais organisées autour de cinq organes de gouvernance principaux.

Les instances de gouvernance des banques centrales des zones franc CFA

Les banques centrales des zones utilisant le franc CFA sont constituées sur le même schéma, avec cinq instances de gouvernance :

– le conseil d’administration ;

– le comité de politique monétaire, chargé de prendre les décisions de politique monétaire ;

– le gouvernement de la banque, qui applique les décisions du comité de politique monétaire ;

– le comité d’audit, responsable du contrôle interne ;

– les conseils nationaux de crédit qui siègent dans chaque État avec un rôle d’information en matière économique et financière.

Les règles de nomination des membres du comité de politique monétaire et du gouvernement de la banque viennent renforcer leur indépendance : ce sont les instances politiques régionales et non les États membres qui les nomment.

Les possibilités de financement direct des États par les banques centrales sont, par ailleurs, encadrées, bien que ces dernières puissent opérer sur le marché secondaire par rachat aux banques commerciales des titres publics. 

II.   Les zones Franc CFA et leur réforme

L’accord qu’il est proposé d’approuver fait évoluer le fonctionnement de la zone franc CFA d’Afrique de l’Ouest.

A.   Le fonctionnement actuel des zones franc CFA

Les zones franc CFA fonctionnent aujourd’hui selon quatre caractéristiques communes, que sont la fixité du taux de change avec l’euro (1), la garantie de convertibilité (2), l’obligation de centralisation des réserves de change (3) et la présence de la France dans les instances de gouvernance (4).

1.   La fixité du taux de change avec l’euro

La parité du franc CFA avec l’euro est fixe (1 € = 655,957 CFA). L’évolution de ce taux implique l’unanimité des chefs d’État de chaque zone monétaire.

Cette parité est garantie par le Trésor français, sous réserve que les émissions monétaires au sein des zones CFA soient couvertes à hauteur de 20 % minimum par les réserves de change : cette condition doit permettre d’assurer aux pays de la zone une capacité à régler leurs importations en devises.

Ce plancher constitue un premier mécanisme de correction : si les réserves de change descendent en dessous, des mesures plus volontaristes doivent être mises en œuvre, l’activation de la garantie française venant, en cas de besoin, atténuer le choc sur la balance des paiements.

Le respect de ce plancher est également assuré par une « clause de ratissage » : en cas de déséquilibre, la banque centrale doit « aspirer » les devises étrangères présentes dans l’économie en demandant la cession contre francs CFA des devises détenues par les organismes publics ou privés des pays membres et en invitant les États membres à exercer leurs droits de tirage spéciaux auprès du Fonds monétaire international.

Cette solidarité entre pays de la zone dans la gestion des réserves avec, en dernier ressort, une intervention de la France, contribue à sécuriser la fixité du taux de change.

Depuis la mise en place des zones franc CFA, une seule dévaluation a été décidée. Intervenue en 1994, elle a permis de faire face à de fortes tensions sur la parité en lien avec un épuisement des réserves de change des banques centrales.

2.   La garantie de convertibilité

La garantie de convertibilité est apportée par le Trésor français en cas de choc sur la balance des paiements. Ce dispositif est de nature budgétaire et non monétaire : un compte de concours financier dédié est prévu à l’article 24 de la LOLF.

La garantie repose, concrètement, sur le compte d’opération ouvert par chacune des banques centrales auprès du Trésor français. Ce compte sert de véhicule à la garantie apportée par la France en cas de déséquilibre extérieur menaçant la parité d’un des trois francs CFA avec l’euro : dans ce cas, un prêt de devises peut être accordé pour un montant illimité afin de permettre à la banque centrale de faire face à ses engagements extérieurs.

Ce mécanisme repose bien sur un prêt libellé en euro, qui fait l’objet d’un taux déterminé et doit être remboursé.

La direction générale du Trésor ne dispose pas de document retraçant, au franc et au jour près, l’ensemble des découverts consentis aux banques centrales des zones franc CFA : le compte d’opération de la BCEAO a néanmoins été durablement à découvert entre 1988 et fin 1991.

3.   L’obligation de centralisation des réserves de change

L’obligation de centralisation comporte deux niveaux : les États des zones franc CFA centralisent leurs réserves auprès de leur banque centrale, qui doit elle-même déposer 50 % de ces réserves sur son compte d’opération ouvert auprès du Trésor français. 

Cette obligation de centralisation est conçue comme la contrepartie de la garantie de convertibilité évoquée supra.

4.   La présence de la France dans certaines institutions de gouvernance de la zone

En contrepartie de la garantie apportée, la France est représentée dans les instances de gouvernance des unions monétaires utilisant le franc CFA. Cette présence s’est néanmoins effacée au fil des ans (voir supra).

Avec le système actuel, la France joue donc le rôle de garant financier de la valeur du franc CFA, à la demande et au bénéfice des États qui l’utilisent. Même rarement mise en œuvre, cette garantie est essentielle afin de rendre crédible la fixité du taux de change avec l’euro.

B.   Les Évolutions proposÉes dans L’accord du 21 DÉCEMBRE 2019

L’accord dont le présent projet de loi autorise l’approbation a été signé le 21 décembre 2019 entre la France et les États membres de l’UEMOA, conformément à la demande exprimée par ces pays de faire évoluer les modalités de leur coopération monétaire avec la France.

1.   La fin de la centralisation des réserves de change

La réforme prévoit de supprimer le compte d’opération de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français, sur lequel la banque était contrainte de conserver, à tout moment, 50 % de ses réserves de change. En moyenne, le montant déposé par la BCEAO en 2019 atteignait 7,5 milliards d’euros.

Les dépôts correspondants à ces réserves de change sont rémunérés au taux de marché pour des dépôts à vue, tels que pratiqués par la BCE, avec un plancher de 0,75 %, ce qui est très favorable dans la situation actuelle de taux négatifs (– 0,5 % pour le dépôt au jour le jour). Pour les dépôts allant au-delà, la rémunération correspond au taux des opérations principales de refinancement de la BCE (0 % depuis septembre 2019).

La rémunération de la BCEAO au titre de ses dépôts aurait ainsi atteint 40 millions d’euros en 2019, selon les chiffres indiqués par la direction générale du Trésor. À l’issue de la réforme, la France n’aura plus à verser une telle somme à la BCEAO.

Ces dépôts obligatoires bénéficient d’une garantie de valeur face à la dépréciation éventuelle de l’euro par rapport aux autres monnaies internationales. Concrètement, chaque 31 décembre, les comptes d’opération des zones franc CFA sont crédités du montant de la dépréciation calculée cumulativement au jour le jour. Ce mécanisme est asymétrique : une appréciation nette de l’euro ne se traduit pas par un débit sur le compte d’opération mais par un report des gains de change sur l’année N+1.

Aussi, les dépôts de réserves de changes des banques centrales sont assortis de conditions particulièrement favorables.

La fin de cette centralisation ne doit pas avoir d’effet sur la qualité de la signature de la dette française : en effet, ces dépôts représentent 0,4 % de l’ensemble de la dette négociable de l’État (2 015,5 milliards au 30 septembre 2020). Par ailleurs, les montants des dépôts des correspondants du Trésor – c’est-à-dire l’ensemble des personnes ou organismes qui ont la faculté ou l’obligation de déposer des fonds auprès du Trésor public (dont les collectivités territoriales) – sont de l’ordre de 130 milliards d’euros : les dépôts de la BCEAO représentent moins de 6 % de cette somme.

En conséquence de la suppression du compte d’opération, il est prévu que l’accord soit complété par une convention de garantie qui viendrait remplacer la convention relative au fonctionnement du compte d’opération. Aux termes de l’accord, cette convention sera conclue entre le ministre de l’économie et des finances et le gouverneur de la BCEAO.

La fin du mécanisme du compte d’opération implique de trouver de nouvelles modalités de gestion du risque et de traitement des crises.

Alors qu’auparavant le mécanisme du compte d’opération de la BCEAO permettait au Trésor français de suivre au jour le jour les réserves de changes de la banque et donc sa capacité à faire face à ses engagements externes, la clôture du compte implique de trouver de nouvelles modalités de suivi. L’article 5 de l’accord prévoit ainsi que la BCEAO transmettra au garant des informations régulières « afin de permettre au garant de suivre l’évolution du risque qu’il couvre ». La coopération doit également se traduire par la tenue de rencontres techniques organisées « en tant que de besoin ».

Par ailleurs, l’accord stipule que la convention de garantie doit prévoir « les modalités d’association du garant aux mesures permettant de prévenir ou de gérer une crise » (article 8). Un mécanisme de correction en cas de déséquilibre serait également préservé : si le rapport entre le montant moyen des avoirs extérieurs de la BCEAO et le montant de ses réserves de change disponible devient inférieur à 20 %, la France pourra de nouveau désigner un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO avec voix délibérative. Cette nomination a vocation à rester exceptionnelle et ne pourra valoir que pour la durée nécessaire à la gestion de la crise.

2.   Le retrait des instances de gouvernance

En contrepartie de la garantie qu’elle accorde, la France est représentée à la BCEAO, au sein du conseil d’administration, du comité de politique monétaire et de la commission bancaire, laquelle est l’autorité de supervision financière de la zone.

Cette participation est néanmoins très minoritaire, avec une voix sur dix au conseil d’administration et une voix sur seize au sein du comité de politique monétaire. Étant donné que les décisions de ces instances se prennent à la majorité simple, la France ne dispose pas de capacité d’influence significative des décisions de la BCEAO et en aucun cas de droit de véto. La France n’est pas représentée au sein des instances politiques que constituent la Conférence des chefs d’État et gouvernement ou le Conseil des ministres de la zone UEMOA.

La capacité d’influence de la France dans les décisions de gouvernance de la zone apparaît, avant même la réforme proposée, comme limitée.

La réforme acte néanmoins le retrait de la France des organes de décision où elle conservait une voix.

L’article 4 du projet d’accord prévoit que le comité de politique monétaire de la BCEAO comprend une personnalité « indépendante et qualifiée », nommée par le Conseil des ministres de l’UMOA en concertation avec la France.

La réforme présentée acte donc des évolutions importantes, qui répondent à certaines des critiques portant sur le fonctionnement du franc CFA. La France conserverait son rôle de garant financier et la fixité du taux de change serait préservée. Si le présent accord ne concerne que la zone franc d’Afrique de l’Ouest, il pourrait entraîner des évolutions similaires en Afrique centrale.

III.   Le franc CFA, un atout économique pour les pays de la zone

Les débats sur l’impact économique du franc CFA, complexes, sont éclairés par des travaux récents. La stabilité et la crédibilité de la monnaie apparaissent comme les principaux atouts pour les États membres de la zone monétaire.

A.   Un dÉbat Économique ancien éclairÉ par des travaux rÉcents

Les effets d’une parité fixe avec l’euro sur la dynamique de la croissance dans les zones franc CFA sont difficiles à évaluer. En contenant l’inflation, cette parité fixe contribuerait à préserver le revenu des plus pauvres.

1.   L’impact globalement positif du taux de change fixe sur la dynamique de la croissance

Le débat économique sur l’apport du franc CFA en matière de croissance et de développement est ancien. Bien évidemment, un régime de change à lui seul ne permet pas d’enclencher cette dynamique de développement ; il peut néanmoins créer des conditions plus ou moins favorables à une croissance durable, inclusive et résiliente aux chocs externes.

Au cours des travaux menés par le rapporteur, tant la direction générale du Trésor que la Banque de France ont souligné l’importance de cette stabilité monétaire, sur la base de données économiques objectives :

– les pays de l’UEMOA connaissent un taux de croissance de 6,1 % en moyenne depuis 2012, bien supérieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne ;

– le niveau d’inflation y est faible, ce qui constitue un élément favorable aux investissements internationaux et de préservation du pouvoir d’achat des plus pauvres ;

– la valeur de la monnaie y est protégée, y compris pendant les crises politiques ou sanitaires.

À cet égard, une étude de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI) demandée par le Gouvernement et publiée en janvier conclut que, « en longue période, les résultats ne montrent pas de différence significative de croissance des pays de la Zone franc par rapport aux autres pays en développement, africains ou non […] En outre l’effet marginal des conflits ne semble pas être différent en Zone franc de ce qu’il est ailleurs » ([12]). Cette conclusion peut sembler décevante : en lui-même, le fonctionnement de la zone franc n’aurait donc pas d’influence positive sur le niveau de croissance. Cependant, à l’inverse, elle permet d’écarter l’hypothèse que le franc CFA aurait un effet défavorable sur la croissance.  

Les données de la FERDI, présentées ci-dessous, indiquent que les performances des pays de l’UEMOA ou de la CEMAC en matière de croissance du PIB ne sont pas systématiquement inférieures à celles des autres pays d’Afrique subsaharienne. Ainsi, depuis 2012, alors que la croissance dans ces pays s’est ralentie, les économies de l’UEMOA ont continué de croître à un rythme élevé. À l’inverse, au début des années 2000, la croissance moyenne en Afrique subsaharienne était significativement supérieure à celle des pays de la zone franc CFA d’Afrique de l’Ouest.

Évolution des taux de croissance du PIB

(en % du PIB en dollars constants des États-Unis de 2010)

Source : FERDI

Dès lors, il semble difficile de conclure à un quelconque déterminisme monétaire sur les performances de croissance des pays utilisant le franc CFA, même si l’impact semble globalement positif.

2.   Un effet stabilisateur propice à la réduction de la pauvreté

La question de la réduction de la pauvreté doit également être posée : le régime de taux de change peut en effet avoir des effets déterminants sur la répartition des richesses. Le taux de change fixe, en ce qu’il tend à réduire l’inflation, protège les ressources des ménages les plus pauvres, qui sont le plus souvent de nature fiduciaire.

De ce point de vue, les conclusions de l’étude précitée sont plus positives : « la croissance en UEMOA correspond, dans une plus forte mesure qu’ailleurs, à ce que l’on attend d’une croissance inclusive, la croissance des revenus ayant pour conséquence d’y réduire davantage les privations (monétaires) des plus pauvres […] Le caractère pro-pauvres de la croissance en UEMOA semble due à la stabilité monétaire qui constitue la principale caractéristique de la Zone franc ».

En d’autres termes, la croissance dans les zones monétaires utilisant le franc CFA apparaît plus favorable aux personnes dont les revenus sont les plus faibles.

3.   Des risques à nuancer

Les critiques du franc CFA soulignant les risques de désalignement du taux de change avec les fondamentaux de l’économie et le faible impact de la monnaie unique sur l’intégration commerciale des pays utilisateurs sont à relativiser.

a.   Le risque de désalignement du taux de change

L’alignement du franc CFA sur l’euro est souvent présenté comme un facteur de désalignement entre le taux de change et les fondamentaux de l’économie des pays de la zone.

Les critiques sont récurrentes sur ce point : un taux de change trop élevé, en renchérissant le prix des exportations, est défavorable au développement d’une industrie locale.

La dernière étude du FMI sur les politiques communes des pays membres de l’UEMOA évalue la surévaluation de la monnaie à 5 % ([13]), ce qui reste un écart limité. L’étude de la FERDI précitée indique que, à long terme, les zones Franc (UEMOA et CEMAC) « n’ont pas connu globalement de déséquilibres durables de leur taux de change ».

Le risque de surévaluation du taux de change ne semble donc pas se matérialiser.

b.   La faiblesse de l’intégration commerciale

La faible intégration commerciale au sein des deux zones monétaires utilisant le franc CFA est souvent considérée comme le signe d’un échec de cette monnaie unique, contrairement à la trajectoire des pays de la zone euro. Historiquement, il convient toutefois de souligner que les zones franc CFA et euro ne se sont pas constituées de la même façon :

– en Europe, l’intégration commerciale a précédé la création de la monnaie commune. La mise en place du tarif douanier commun (TDC) au sein de la Communauté économique européenne (CEE), prévue par le traité de Rome, date de 1968, alors que la monnaie unique est entrée en vigueur trente ans plus tard ;

– au sein de l’UEMOA et de la CEMAC, l’union monétaire établie avec les accords des années 1970 a largement précédé l’union commerciale, mise en place dans les années 1990.

Ainsi, le franc CFA n’a pas été conçu comme l’aboutissement d’un processus de rapprochement économique et d’intégration commerciale mais avant tout comme une union de transferts de capitaux ([14]).

La faible intégration commerciale des pays de l’UEMOA et de la CEMAC ne peut, dès lors, être porté au débit du seul franc CFA. Les économies des États de ces zones sont traditionnellement portées vers l’exportation internationale de matières premières, pour lesquelles elles sont concurrentes sur les marchés internationaux. Elles apparaissent ainsi peu complémentaires.

Le rapporteur considère, dès lors, que le franc CFA ne peut être tenu pour responsable de toutes les faiblesses des unions monétaires, de même qu’il ne peut être le seul facteur de leurs réussites. 

B.   Atout Économique, le franc CFA est avant tout une monnaie crÉdible

La politique monétaire d’un État détermine des paramètres aussi fondamentaux que les taux d’intérêts pratiqués par les banques pour le financement de l’économie, le taux de change – et donc le coût relatif des importations et les recettes liées aux exportations – ainsi que l’attractivité d’un pays pour les investissements internationaux. Cette politique monétaire peut avoir un impact déterminant sur le niveau d’inflation et le taux d’emploi d’un pays : pour cela, une monnaie crédible au niveau international est indispensable.

Or, avec le franc CFA, les pays de l’UEMOA disposent d’une monnaie à forte crédibilité grâce à la parité garantie par la France. Dans ce contexte, la principale réussite du franc CFA est d’avoir limité le taux d’inflation au sein des pays qui l’utilisent.

Le choix d’un taux de change fixe n’est d’ailleurs pas une exception au sein des pays africains : en 2018, la majorité (32 États, soit 59,2 %) avaient opté pour un régime de change fixe ajustable. Cette proportion est significativement plus élevée que dans le reste du monde (36,4 %).

Les rÉgimes de change en 2018 selon le FMI

Source : FMI, Annual Report on Exchange Arrangements and Trade Restrictions 2018, cité par FERDI, op. cit.

Les défections ont, par ailleurs, été peu nombreuses : au moment des indépendances, seuls la Guinée de Sékou Touré et le Mali ont décidé de créer leur propre monnaie. Le Mali est depuis revenu au sein de la zone, en 1967 de façon bilatérale avant d’être intégrée à l’union monétaire en 1984. La Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise, l’a rejointe en 1997. La Mauritanie, quant à elle, a décidé de quitter la zone en 1972. Une même stabilité se retrouve au sein de la CEMAC, qu’aucun pays n’a quitté jusqu’à présent. La Guinée équatoriale l’a même rejointe en 1985.

La question à se poser est donc la suivante : les pays de la zone franc CFA veulent-ils toujours bénéficier d’une monnaie dont la crédibilité est garantie par la parité de change avec l’euro ? Si c’est bien le cas, le rôle de la France doit être de les aider à maintenir ce système. Cette réforme devra d’ailleurs également être ratifiée par les parlements des pays membres de l’UEMOA : il s’agit bien d’une réforme politique et non technocratique.

IV.   Des Évolutions À anticiper

Alors qu’un projet de monnaie commune au sein de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest existe de longue date, plusieurs évolutions plus profondes du fonctionnement du franc CFA peuvent être anticipées.

A.   Le projet d’une monnaie commune À la CEDEAO

Les pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui regroupe quinze pays dont les huit membres de l’UEMOA, ont élaboré dès 1983 un projet de monnaie commune. La réunion des chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO du 29 juin 2020 a précisé le calendrier prévisionnel de mise en place de cette monnaie unique, qui serait dotée à terme d’un taux de change flexible assorti d’un ciblage de l’inflation. 

La réforme du franc CFA, devenu eco au sein de l’UEMOA, s’inscrit dans ce contexte. La confusion peut porter sur le fait que ce nom est le même que celui retenu pour la monnaie commune à l’ensemble de la CEDEAO, dont les caractéristiques seraient pourtant très différentes. Il existerait donc deux eco : un eco UEMOA, qui fait l’objet de la présente réforme, et un eco CEDEAO, qui reste à l’état de projet.

Or, alors que la réforme présentée réaffirme le rôle de la France comme garant financier de la fixité du taux de change, l’eco CEDEAO implique de passer à un taux de change flexible : inévitablement, la France ne pourrait plus jouer le même rôle dans ce nouveau système monétaire.

Le président du Nigéria, M. Buhari, a critiqué ce choix de l’UEMOA de préempter le nom choisi pour la monnaie commune de la CEDEAO : le nom « eco » correspond d’ailleurs aux trois premières lettres de ECOWAS, acronyme anglais de la CEDEAO. Le 10 février 2020, le pays a demandé le report de la mise en place de la monnaie commune.

Le poids économique du Nigéria pose un problème particulier : il représente à lui seul 70 % du PIB et la moitié de sa population de la CEDEAO. Ses revenus sont fortement dépendants des exportations pétrolières (57 % des revenus de l’État nigérian). Aussi, il est raisonnable d’envisager qu’une politique monétaire à l’échelle de la CEDEAO sera déterminée par les prix internationaux du pétrole. La zone serait ainsi confrontée à des chocs asymétriques massifs : en cas de baisse des cours, l’économie du Nigéria serait en difficulté alors que celles des autres pays bénéficieraient de ces prix à l’importation moins élevés.

Ainsi, l’intégration monétaire de la zone commerciale que constitue la CEDEAO semble repoussée à plus long terme. Alors que le projet existe depuis les années 1980, elle devait se réaliser d’abord avec la constitution d’une zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) regroupant les pays de la Communautés non-membres de l’UEMOA, puis une fusion des deux zones monétaires. La ZMOA n’a cependant jamais été mise en œuvre.

B.   Quelles Évolutions futures pour les francs CFA ?

La rigidité du taux de change reste parfois vécue comme une contrainte. La dévaluation n’est intervenue qu’une seule fois, de façon massive et uniforme pour l’UEMOA et la CEMAC, en 1994. En effet, une telle décision doit être prise à l’unanimité des chefs d’État et de gouvernements de chaque zone, ce qui constitue un facteur de rigidité mais également une assurance de stabilité.

Deux solutions sont évoquées afin de répondre à cette rigidité de la parité fixe : le rattachement à un panier de devises ou la détermination d’une marge de fluctuation.

1.   Le rattachement à un panier de devises

Le rattachement des francs CFA non plus à l’euro mais à un panier de devises est une évolution souvent évoquée. Dans ce cas, les monnaies ne seraient plus rattachées à l’euro mais à un panier constitué de plusieurs devises, dont, par exemple, le dollar des États-Unis, l’euro, le renminbi (RMB) ou encore le droit de tirage spécial du FMI ([15]). Cela permettrait d’atténuer l’impact de la variation du cours de l’euro par rapport aux autres devises sur l’équilibre extérieur des zones franc CFA.

L’adoption de l’ancrage sur un panier de monnaie incluant le dollar des États-Unis pourrait d’ailleurs être avantageuse pour des pays dont les exportations sont essentiellement des matières premières cotées dans cette devise.

Le système actuel permet néanmoins d’éviter le risque de change dans les échanges avec les pays de la zone euro. En adoptant l’ancrage sur un panier de devises, une partie du risque de change réapparaîtrait, contribuant à renchérir le coût des exportations pour les entreprises des pays concernés. Cet élément est d’autant plus important que les pays des zones franc CFA réalisent l’essentiel de leurs échanges commerciaux entre eux et avec les pays de la zone euro, même si cette part tend à diminuer au profit de la Chine ([16]). À ce sujet, il convient de noter que la parité fixe profite à l’ensemble des pays de la zone euro alors que seule la France assure un risque qui pèse sur ses finances publiques.

L’adoption d’un panier de devises modifierait également la nature de la garantie apportée par la France. Actuellement, cette garantie se traduit par l’engagement de prêter les euros nécessaires à la banque centrale de la zone monétaire qui serait en difficulté pour rétablir son équilibre extérieur. Or, comme le soulignait M. Guillaume Chabert, chef du service des affaires multilatérales et du développement de la direction générale du Trésor devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, « la situation de la France est différente si elle apporte une garantie en euros, puisque c’est notre monnaie, ou si elle apporte une garantie sur un panier de devises, sur lequel il y a un risque de change relatif à l’évolution des autres monnaies par rapport à l’euro. S’agissant de la maîtrise du risque, cela conduirait à une situation très différente » ([17]).

2.   La fixation d’une bande de fluctuation

La définition d’une bande de fluctuation permettrait de laisser le taux de change fluctuer autour de la parité. Cette évolution rétablit une part de souveraineté monétaire, en laissant les banques centrales intervenir sur le marché des changes – cette part de souveraineté est d’autant plus grande que la bande de fluctuation choisie est large. La politique monétaire pourrait ainsi contribuer à amortir les chocs extérieurs frappant une des zones franc CFA par un ajustement de la parité.

Ce régime de change était celui du système monétaire européen, en vigueur à partir de 1979, au sein duquel les monnaies nationales étaient autorisées à varier de 2,25 % autour de l’Ecu, unité de compte constituée à partir des différentes monnaies participant au système.

L’adoption d’un tel régime présente toutefois des limites : l’absorption des chocs externes ne peut être que partielle et, une fois atteinte la borne supérieure ou inférieure de la bande, les anticipations de réévaluations ou de dévaluation peuvent être fortes, ce qui contribue à alimenter les mouvements spéculatifs.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈres

I.   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 25 novembre 2020, la commission des affaires étrangères examine le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (n° 2986).

Mme Isabelle Rauch, présidente. Notre ordre du jour appelle l’examen et le vote sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine.

Je remercie de sa présence Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Nous l’entendrons après notre rapporteur au fond.

L’accord de coopération avec l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), conclu le 21 décembre 2019, constitue une réforme monétaire majeure. Il faut remonter à 75 ans, avec la création du franc CFA, pour trouver une réforme de cette ampleur en Afrique. Cet accord vise à moderniser l’UMOA et à faciliter son extension à d’autres pays membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. La nouvelle zone monétaire de l’ECO va ainsi engager une véritable restructuration des marchés de l’Afrique de l’Ouest.

Notre pays se retirera des instances de gestion de la future monnaie renommée ECO. Le Trésor français ne centralisera plus les réserves de change, mais la France maintiendra sa garantie financière pour couvrir les engagements en devises de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il s’agit d’un projet monétaire, économique et politique qui porte une nouvelle vision du développement de l’Afrique de l’Ouest en faveur de l’intégration économique régionale et d’une souveraineté renforcée.

M. Jean François Mbaye, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères. Chers collègues, je voudrais adresser un soutien amical à notre présidente Marielle de Sarnez et saluer la présence de Marc Le Fur, rapporteur pour avis, qui témoigne de l’importance qu’attachent à ce texte notre assemblée, la commission des affaires des étrangères et la commission des finances.

La commission des affaires étrangères est saisie au fond pour autoriser l’approbation de l’accord monétaire entre la France et les pays de l’UMOA, au nombre de huit : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces pays ont en partage une monnaie, le franc CFA qui, demain, sera l’ECO. C’est tout l’objet de cet accord qui vient modifier le précédent qui date de 1973.

J’énoncerai en premier lieu un postulat de base. Le franc CFA est une affaire ouest-africaine qui concerne uniquement les habitants de la sous-région. C’est un attribut de leur souveraineté et un élément essentiel de leur modèle économique.

Une fois dit cela, je me dois d’ajouter qu’en raison de l’histoire, de la géographie et des relations multiformes qui unissent notre pays aux nations de l’Afrique de l’Ouest, nous ne pouvons pas rester indifférents ici à ce qui se passe là-bas. C’est la raison pour laquelle nous demeurons, en accord avec eux, associés à la gestion de leur monnaie.

Je ferai maintenant un peu d’histoire. Ces huit pays ont en partage le franc CFA, dit XOF, différent du franc CFEA, dit XAF, la devise des États d’Afrique centrale comme le Cameroun, le Gabon ou le Tchad. Cette monnaie, franc de la communauté financière africaine, est héritière du franc colonies françaises d’Afrique. Les initiales sont les mêmes et il est inutile de préciser que la charge symbolique du nom est immense et alimente tous les procès en néocolonialisme. Ne serait-ce que pour cette raison et après bien des débats et des polémiques, principalement en Afrique de l’Ouest, cette réforme monétaire est indispensable, la page doit être tournée.

Le franc CFA XOF est une monnaie partagée par huit pays et arrimée depuis 1945, par un taux de change fixe, au franc français puis à l’euro. Depuis la dévaluation de 1994, un franc français valait cent francs CFA, un euro équivaut à ce jour à 655,95 francs CFA.

Cette parité fixe offre l’avantage d’éviter l’inflation et de préserver le pouvoir d’achat des ménages ainsi que leur épargne. Elle a le mérite de maintenir la stabilité monétaire et d’éviter les risques de change, notamment pour les investisseurs qui bénéficient des mêmes avantages que dans la zone euro. Elle présente cependant l’inconvénient de faire évoluer des pays à faible revenu avec une monnaie trop forte. Pour maintenir la parité, la Banque centrale pratique des taux d’intérêt très élevés. À l’occasion de mon déplacement au Sénégal, il m’a été rappelé que les taux d’intérêt pratiqués par les banques commerciales pouvaient atteindre 15 à 20 %. La monnaie est un choix en faveur du consommateur et au détriment de l’investisseur et peut être perçue comme une rente pour les plus aisés. Cela dit, c’est un choix politique qui ne nous appartient pas – il convient de le souligner.

Par ailleurs, ce qui fait la force d’une monnaie réside dans la confiance que peuvent avoir en elle les agents économiques. C’est d’ailleurs à ce niveau qu’intervient la France, qui est garante sur son budget du franc CFA. Si les réserves de change venaient à être insuffisantes dans un des pays de la zone et que les importations en devises ne pouvaient plus être honorées, la France s’est engagée, en vertu de l’accord de 1973, à apporter les sommes nécessaires, désormais en euro. Aussi, les transferts de devises sont libres, dans la mesure où il n’y a pas de risque de fuite des capitaux, et la convertibilité du franc CFA est assurée.

Pour permettre à la France de piloter son risque, les accords monétaires prévoient une centralisation des réserves de change. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest a ainsi obligation de déposer 50 % de ses réserves sur un compte ouvert auprès du Trésor français. De même, la France a un représentant au sein des instances dirigeantes de cette même BCEAO. C’est une prérogative du garant et non une ingérence dans les affaires intérieures d’États souverains. En effet, contrairement à plusieurs rumeurs véhiculées, notamment à travers les réseaux sociaux, les dépôts de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest sont rémunérés à hauteur de 0,75 %, soit un taux supérieur aux taux actuels et le représentant français n’a aucun droit de veto au comité de politique monétaire. Il fallait toutefois sortir de ce schéma, la situation de 2020 n’étant plus celle de 1973.

L’accord d’Abidjan du 21 décembre 2019, signé entre les Présidents français, Emmanuel Macron, et ivoirien, Alassane Ouattara, en tant que président en exercice de l’UMOA, dont nous sommes saisis, modifie trois éléments : le nom ; le franc CFA devient l’ECO. Ensuite, il met fin à la centralisation. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest pourra désormais retirer l’ensemble des réserves et les placer là où elle le souhaitera. Le compte d’opérations ouvert au Trésor français sera clôturé au plus tard le 31 décembre 2020. Enfin, la place de la France évolue. Il n’y aura plus de représentant français au sein des instances monétaires ouest-africaines, si ce n’est ponctuellement dans le cas où la garantie de la France viendrait à être appelée.

Le reste de l’architecture monétaire demeure inchangé, à savoir la parité avec l’euro, la convertibilité et la libre transférabilité.

Est-ce pour autant la fin de l’histoire ? Certainement pas. Cependant, la suite se joue au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette organisation est la plus aboutie d’Afrique et a pour objet de favoriser l’intégration la plus poussée possible entre ses membres. La CEDEAO comprend, outre les huit pays qui ont en partage l’actuel franc CFA, le Cap Vert, la Gambie, la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone et surtout le Ghana et le Nigeria.

La CEDEAO mène une réflexion sur la monnaie. Avant la crise du covid, elle avait d’ailleurs pour ambition de mettre en place en 2020 sa propre monnaie unique, l’ECO, que nous appellerons ici l’ECO CEDEAO pour ne pas le confondre avec l’ECO UMOA, institué par le présent accord.

Lors de mon déplacement au Sénégal, j’ai pu mesurer l’appréciation des quatorze autres pays et singulièrement des huit pays de l’UMOA à l’égard du géant nigérian. Avec ses 200 millions d’habitants, ce pays représente à lui seul 60 % de la population de la zone et 66 % du PIB grâce à sa manne pétrolière. Une monnaie unique ECO CEDEAO risque fort de n’être qu’un avatar du naira, l’actuelle devise nigériane, d’autant que ce pays plaide pour le désarrimage de la monnaie à l’euro au profit d’un panier de monnaies susceptible de comprendre du dollar, du yuan chinois et de la livre britannique.

Dans ce cas de figure, les risques d’instabilité monétaire sont grands, notamment dans les pays à l’insécurité forte comme le Mali ou le Burkina Faso. Même dans les moments de crise les plus aigus – coup d’État ou guerre civile –, les populations ont pu continuer à faire leurs courses grâce à une monnaie qui ne s’est pas effondrée. Le spectre d’une hyperinflation dollarisée, d’une fuite de la population devant la monnaie locale et de la recherche effrénée de dollars, comme le montre la situation libanaise, n’est pas à exclure en cas de précipitation. Tout le monde en Afrique de l’Ouest en est conscient.

C’est la raison pour laquelle nos interlocuteurs m’ont fait part de leur volonté de bien préparer leur future monnaie unique, tout en insistant sur plusieurs préalables. Tout d’abord, une plus grande intégration sous-régionale, de l’ordre de 15 % actuellement contre 60 % dans l’Union européenne. En effet, le partage d’une même monnaie perd beaucoup de son intérêt si le commerce intra-zones demeure marginal. Ensuite, une plus grande convergence des économies par le développement d’une industrie de transformation des matières premières. Si les économies importatrices et vivant de transferts de diasporas et du tourisme, comme celle du Sénégal, se satisfont d’une monnaie forte, les économies exportatrices commerciales, notamment de matières premières, telle celle de la Côte d’Ivoire avec le cacao, ont besoin d’une monnaie plus faible pour rester compétitives. La convergence est donc un préalable si nous voulons éviter de reproduire l’exemple grec en Afrique de l’Ouest. Enfin, nos interlocuteurs ont insisté sur des critères macro-économiques à respecter par tous portant sur l’inflation, le déficit public et la dette.

Lors du Sommet de Niamey, les chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO ont décidé de repousser l’avènement de l’ECO en raison des dérapages budgétaires dus à la crise sanitaire. Ce temps pourrait être mis à profit pour trancher diverses questions essentielles – le régime de change fixe ou flottant avec les avantages et les inconvénients des deux régimes, l’arrimage à un panier de monnaies, les critères de ciblage de l’inflation, le mandat et le siège de la Banque centrale, la fin de la garantie française dès lors que notre pays ne peut prendre le risque de garantir une monnaie partagée par 350 millions de personnes et arrimée à des devises étrangères. Je le répète, il s’agit là de choix politiques lourds, que je détaille dans le rapport, et qui sont de la seule responsabilité des États concernés. Il paraît toutefois essentiel que toute réforme soit précédée de débats approfondis avec les opinions publiques et que les parlements ouest-africains s’en saisissent et ne renvoient pas cette question à un simple tête-à-tête entre leurs chefs d’État et la France. Les outils de concertation existent, notamment au sein de l’Union monétaire ouest-africaine. D’autres seront probablement à créer pour réfléchir à ces questions essentielles.

Mon dernier point tracera le rôle de notre pays. La France prend ses responsabilités comme l’a affirmé à plusieurs reprises le Président de la République, notamment à Ouagadougou dès 2017. Elle accompagnera, autant que nécessaire, par sa garantie, la stabilité monétaire ouest-africaine, mais elle ne prendra pas une responsabilité qui n’est pas la sienne. Elle prendra, de ce fait, acte d’un désarrimage dès que celui-ci sera décidé par les principaux pays concernés. Nous nous tenons prêts à travailler avec la CEDEAO à quinze membres qui partageront une monnaie unique, y compris avec les pays anglophones que sont le Nigeria et le Ghana. Le Président de la République l’a répété de manière forte lors de son déplacement à Lagos et à Abuja en juillet 2018.

En définitive, cet accord distend le lien entre la France et l’Afrique de l’Ouest en matière monétaire sans le couper à ce stade. Libre aux principaux intéressés d’en faire la demande au moment voulu.

Ces explications vous étant livrées, je vous invite à approuver cet accord du 21 décembre 2019.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances. Merci, madame la présidente, mes chers collègues, de m’accueillir au sein de votre commission. J’en suis très honoré comme je suis très heureux de travailler avec Jean François Mbaye.

La commission des finances a souhaité se saisir de ce sujet et a donné un avis favorable à cet accord. Je ne répéterai pas ce qu’a très bien exposé Jean François Mbaye, je me limiterai à ajouter quelques éléments.

C’est une évolution sans être une rupture, sachant que d’autres évolutions sont intervenues par le passé et que, progressivement, la part relative de la France a décliné. La France n’a jamais eu une fonction de censure, son rôle était de participer aux instances.

Par ailleurs, parmi les évolutions importantes, la principale, qui a le plus touché les opinions, est celle intervenue en 1994 et qui s’est traduite par une dévaluation de moitié de la valeur du franc CFA. Si ce franc CFA disparaît et évolue, ce n’est pas le cas d’autres monnaies. Peut-être l’Afrique centrale connaîtra-t-elle demain une telle évolution, mais à ce stade, une demande de cette nature n’existe pas.

Parmi les quatre principes fondamentaux constituant le franc CFA, deux disparaissent, deux sont maintenus. Disparaissent donc la représentation du Trésor français dans les principales instances de gouvernance et l’obligation faite à la Banque centrale, située à Dakar, de centraliser la moitié de ses réserves de change à Paris. Demeure très explicitement la parité, naguère entre le franc CFA et le franc, désormais entre l’ECO et l’euro. Cette parité reste fixe. La garantie du Trésor français est maintenue.

Il convient de retenir que l’essentiel est préservé. Premièrement, ces pays ont décidé de partager cette monnaie depuis soixante ans. Deuxièmement, cette monnaie commune est un préalable et un outil efficace de commerce entre ces pays. À l’inverse de l’Europe qui a créé son marché avant la monnaie, ces pays ont fait leur monnaie avant leur marché. Mais le marché intra-africain évolue, même s’il est encore relativement limité. Troisièmement, la monnaie commune est une garantie contre l’inflation, un facteur de poids pour les populations, en particulier les plus modestes. Jean François Mbaye l’a parfaitement expliqué : même en des périodes très troublées, à l’instar de celle que nous connaissons dans le Sahel, la monnaie reste un élément de stabilité, sa valeur ne décline pas ; c’est un élément majeur.

L’évolution du nom est importante en termes politiques. C’est également une évolution dans les relations avec la France. Toutefois, deux ou trois problématiques restent en perspective, qu’il ne faut pas nier. Cette monnaie a-t-elle vocation à devenir une monnaie de la zone commerciale qu’est la CEDEAO avec des pays gigantesques comme le Nigeria et le Ghana qui n’obéissent pas du tout aux mêmes logiques puisque leur monnaie n’est pas fixe ou avec des pays, en particulier le Nigeria, dont l’économie est calée sur l’exportation d’une matière première qui est le pétrole alors que la majorité des autres pays africains sont plutôt acheteurs de cette même matière première ? Les intérêts peuvent donc diverger, sans oublier le poids relatif du Nigeria qui est écrasant.

Autre évolution, qui ne nous concerne plus, mais qu’il convient d’avoir présent à l’esprit : le passage, qui est loin d’être aisé, d’une monnaie à une autre. Il faudra convertir les billets contre d’autres billets, mais également répondre à d’autres exigences. Nous savons que l’économie africaine ne se limite pas au fiduciaire, l’économie numérique est en pleine croissance, grâce au téléphone en particulier. Il n’empêche qu’en raison de son caractère très technique, la conversion constituera un exercice compliqué qui exigera du temps.

Nous nous situons à un moment important dans l’histoire de nos relations avec ces pays. L’évolution sera considérable, tout en restant cependant dans une logique partagée par les deux zones. Elle comptera pour les opinions dans la mesure où, physiquement, la monnaie changera de nature : si les opinions sont soucieuses que les noms changent, elles souhaitent également que les réalités de stabilité demeurent.

M. Pierre Cabaré. Monsieur le rapporteur, merci de cet excellent rapport fouillé, technique et explicite.

Nous sommes heureux que la France ait répondu favorablement à ces demandes de discussions entre notre pays et les pays africains. En effet, il fallait aller plus loin, le franc CFA devenait, je vous cite « un non-sujet pour la France. » Rappelons que cette monnaie est issue de l’histoire commune qui lie notre pays à un certain nombre d’États africains et qu’elle est, depuis les indépendances, un des attributs de la souveraineté de ces États. Vous le dites, ce projet d’accord permettra de moderniser la coopération monétaire entre la France et les États membres de l’UMOA.

Nous pouvons apprécier la méthode que vous appelez de vos vœux. Elle privilégie le débat public en y apportant l’enrichissement de la discussion entre les opérateurs économiques, les élus de chaque pays concerné et les intellectuels qui sauront, à coup sûr, donner une consistance humaine.

Vous parlez de la différence de ressources entre le Nigeria, pays producteur de pétrole, et le Sénégal, pays importateur dont le revenu provient du tourisme et des transferts de diasporas. Cette différence est encore accentuée par une différence considérable de population. Le Sénégal exprime sa crainte légitime au regard de ce qui s’est passé en Europe lors de la naissance de l’euro entre les pays forts et les pays plus faibles – vous avez cité respectivement l’Allemagne et la Grèce.

Vous préconisez au chapitre III de changer de méthode, en associant les élus et la société civile. L’annonce du 21 décembre 2019 a surpris positivement l’ensemble de la place politique et financière.

La crise sanitaire provoque une crise économique majeure et, à la suite, des secousses dans des pays n’ayant pas ou ayant peu de ressources naturelles. Personne ne peut préjuger des effets précis qu’elles induiront au cours de la prochaine décennie. Laissera-t-elle cette réforme monétaire en suspens ? Pensez-vous que les élus et la société civile puissent s’accorder et quels obstacles y voyez-vous ? Bien sûr, le groupe La République en Marche votera ce texte.

M. Michel Herbillon. Je salue l’excellent travail que viennent de nous communiquer Jean François Mbaye et Marc Le Fur.

Au nom du groupe Les Républicains, je salue cette évolution, souhaitable et souhaitée par les pays africains qui se traduit tout d’abord par le changement du nom de la monnaie, qui était perçu comme un symbole postcolonial. Par ailleurs, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest n’aura plus à déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France. Enfin, la France se retire des instances de gouvernance de l’UMOA où elle était présente. Ces évolutions marquent un changement fort par rapport au régime précédent en même temps que seront maintenus des éléments de stabilité, essentiels pour ces pays : la parité fixe entre le futur ECO et l’euro ainsi que le rôle de la France en tant que garant financier des huit pays de l’UMOA. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains votera le projet.

Dans le prolongement des éléments que vous avez indiqués, je souhaiterais que nous revenions sur les conditions qui doivent être réunies pour aboutir au projet de monnaie unique de la CEDEAO : des conditions de convergence des économies sont nécessaires ; de même, les conditions de cette réforme doivent être débattues. Des étapes sont-elles d’ores et déjà fixées pour discuter de ces réformes avec la société civile, avec les opinions publiques, avec les parlements, sur un sujet aussi central, qui met en cause la souveraineté et les économies ? Il ne s’agit pas d’un sujet habituel de discussion avec les opinions publiques. Ainsi que l’a souligné Jean François Mbaye, généralement, le débat se déroule dans des cercles plus restreints, entre chefs d’État ou de gouvernement. Quelles mesures sont d’ores et déjà prises pour débattre de ces questions essentielles ? Quelle est votre évaluation, à l’un et à l’autre ? Quel sera le calendrier qui permettra à cette monnaie de devenir celle des pays de la CEDEAO et les conditions qu’il convient de réunir ?

En ce qui concerne le rôle de la France, avez-vous le sentiment que tout est extrêmement bien clarifié ou que des ambiguïtés subsistent, telles qu’elles sont évoquées par un certain nombre de gouvernements ou par les opinions publiques ?

M. Bruno Fuchs. Je commencerai en adressant une pensée amicale et affectueuse à notre présidente Marielle de Sarnez, qui est très attachée à ce sujet et, plus globalement, à la question de la souveraineté des États.

Avec la réforme du franc CFA, nous sommes au cœur de la démarche de refondation des relations qui lient la France et ses partenaires africains. Tourner la page du franc CFA est la seule façon d’écrire une nouvelle histoire entre la France, l’Europe et l’Afrique, à l’instar du projet de loi pour la restitution des biens culturels au Sénégal et au Bénin que nous examinerons ces prochains jours. Il est ici question, pour la France, de poser les bases d’un nouveau partenariat équitable avec l’Afrique.

Pour les pays d’Afrique de l’Ouest, il s’agit, après la période coloniale, puis post-coloniale de la France Afrique, d’être en mesure de reconquérir leur souveraineté qui passe par l’abandon du franc CFA, lequel porte, dès son origine, les germes malsains d’une relation contrainte, puisque la première dénomination, le 1er décembre 1945, de cette monnaie est le franc des colonies françaises d’Afrique, puis le franc de la communauté française d’Afrique, avant de devenir le franc de la communauté financière d’Afrique.

Je voudrais souligner le riche travail de M. Jean-François Mbaye, qui a fait une démonstration plutôt innovante et originale pour un rapport parlementaire ! Il a ainsi déconstruit certains préjugés contre le franc CFA qui nourrissent parfois des discours démagogues. S’il peut être perçu comme un instrument de subordination et de domination économique, ce mécanisme permet aussi de couvrir les risques d’hyperinflation et de se prémunir contre les crises liées à l’effondrement de la monnaie, telle celle que connaît le Liban depuis plus d’un an. Pour ses détracteurs, si le franc CFA protège de l’inflation, il n’augure pas non plus d’une croissance forte. C’est la problématique de ce franc CFA rapporté à la vitalité de l’économie. Pour le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés, le nouvel accord monétaire s’inscrit non seulement sur la bonne voie mais sur la seule voie possible si l’on veut refonder les relations d’État souverain à État souverain.

Néanmoins, comme a pu le souligner, à juste titre, le rapporteur, je m’interroge sur la méthode, et tout d’abord sur la dimension apparemment bilatérale de l’accord annoncé à Abidjan en décembre 2019 pour entériner la fin du franc CFA. Pareille réforme aurait été mieux comprise et acceptée si toutes les parties prenantes avaient été associées dès son annonce. C’est une décision qui, par essence, relève du multilatéralisme. D’ailleurs, elle a suscité une forte controverse, bloquant le processus engagé. La réaction du président du Nigeria voisin a été immédiate, qui a demandé le report de cette réforme du franc CFA.

Ce projet de loi est donc un premier pas, imparfait certes, mais indispensable. De nombreuses questions n’ont pas été abordées ou tranchées, dont une grande partie relève à présent de la responsabilité des pays africains eux-mêmes. Quelle articulation imaginer avec une autre monnaie également baptisée ECO, dont l’initiative a été prise par les pays de la CEDEAO ? La question monétaire renvoie également à celle de l’organisation politique, car quel type d’organisation politique et de gouvernance sera refondé entre les pays de la sous-région ?

On le voit, avec ce projet de loi, tout commence, mais rien n’est encore réglé. C’est dans l’espoir de la refondation profonde des relations de la France, et plus globalement de l’Europe, avec le continent africain, que le groupe MoDem et Démocrates apparentés soutiendra ce texte.

M. Christian Hutin. Merci de la qualité de ce travail, cher Jean François Mbaye. C’est incontestablement une convention historique parce qu’historiquement marquée. Le franc CFA était manifestement suranné, connoté et correspondait à une forme de tutelle et de néocolonialisme perdurant, bien qu’il se soit révélé d’une efficacité remarquable, en particulier dans les situations de conflit et de grandes difficultés. Je pense donc que nous pouvons nous féliciter des valeurs de notre pays comme des progrès moraux et démocratiques que nous avons accomplis, dans le respect de ces pays depuis les années coloniales. C’est une excellente chose.

Je ne livrerai pas l’avis de mon groupe aujourd’hui, car nous n’en avons pas encore débattu. Nous nous abstiendrons donc en attendant des réponses à quelques questions avant de nous prononcer.

J’exprimerai quelques inquiétudes. La première est que l’accord de coopération ne concerne qu’une partie des pays, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) n’étant pas encore visée. À cet égard, nous avons assisté à un certain nombre de réactions hostiles de plusieurs pays de la CEMAC, dont celle de son président dont j’ai lu quelques déclarations sur le sujet. Peut-être considèrent-ils que le processus de la discussion n’a pas débuté par un échange multilatéral – je l’ignore. Il n’en reste pas moins que des pays sont donc restés dubitatifs, voire ont marqué leur hostilité, sur certains points.

Ma seconde inquiétude concerne le Nigeria, qui est la puissance centrale. C’est un pays riche qui maîtrise sa propre monnaie, laquelle fluctue en fonction du prix du pétrole, pour lui essentiel. Dans les années qui viennent, le panier de monnaies auquel il souhaite s’arrimer est susceptible de déséquilibrer cet accord. Je crois que le Nigeria, puissance régionale dominante, fera cavalier seul.

L’Europe en a fait l’expérience. Vous l’avez indiqué, les critères d’une maîtrise budgétaire fixée à 3 % et d’une inflation limitée assèchent le crédit et empêchent la croissance. Nous y avons été confrontés dans le cadre de l’Union européenne. Aussi pouvons-nous éprouver quelques doutes quant à l’adaptation de tels critères à l’économie africaine.

Autre inquiétude, en raison de la parité avec l’euro, il y aura incontestablement de grands gagnants dans le cadre de cet accord. Je pense aux multinationales qui pourront immédiatement transférer leur argent et leurs bénéfices sans aucun risque, en ne réinvestissant pas forcément dans le pays. Par ailleurs, on ne peut ignorer que des élites pourraient profiter de la convertibilité immédiate pour tirer certains avantages de l’accord. Cela existe dans tous les pays, pas uniquement en Afrique.

Cela suppose d’être très attentif : il ne faudrait pas qu’il y ait deux grands gagnants, et que ce soit les deux États les plus riches. Dans chaque écosystème – la monnaie s’appelant l’ECO, le jeu de mots est aisé – quand un des membres se retire, la France en l’occurrence, des États plus voraces, plus intéressés essaient de prendre la place, les États-Unis et la Chine, par exemple. Le retrait ne se fera pas au détriment de la France parce que je pense qu’il est une bonne chose politiquement, intellectuellement et démocratiquement, mais il ne faudrait pas qu’il se fasse au détriment des Africains qui quitteraient une forme de tutelle historique, dont nous devons nous éloigner, pour tomber entre d’autres mains, qui ne seraient pas forcément plus agréables.

Merci d’apporter des réponses à ces questions, dont je référerai à mon groupe, car si le groupe Socialistes et apparentés exprime un sentiment favorable quant à l’évolution historique, il n’en reste pas moins que des inquiétudes subsistent.

Mme Aina Kuric. Messieurs les rapporteurs, merci de ce travail franc, lucide et éclairant.

La fin prochaine du franc CFA, objet de tant de fantasmes, et l’un des derniers vestiges de la françafrique, reste une question sensible. Il est donc souhaitable que soient levées les dernières interrogations restées en suspens. En effet, il ne reste que quelques mois avant de lancer la nouvelle monnaie unique de la CEDEAO, un délai bien court alors qu’il reste encore à créer la Banque centrale fédérale et à préciser le régime de change de la nouvelle monnaie, sans compter les nécessaires démarches administratives et informatiques liées à un changement de devises et à la fabrication des pièces et billets.

Réunis le 7 septembre à Niamey, les chefs d’État et de gouvernement de la région ont acté le report inéluctable de la mesure. Ils ont évoqué l’élaboration d’une nouvelle feuille de route sans, pour l’heure, déterminer le nouveau calendrier. Aussi souhaiterions-nous de plus amples précisions sur la fin effective du franc CFA et son remplacement par l’ECO, ainsi qu’un agenda détaillé de cette réforme. Comme l’a dit le rapporteur pour avis, il s’agit bien d’une évolution et non d’une rupture. Cette étape marquant le point de départ de relations nouvelles entre nos deux continents, le groupe Agir ensemble votera cet accord.

M. Jean-Michel Clément. Je félicite tout d’abord Jean François Mbaye de son éclairage sur un sujet qui n’a été abordé que par la presse internationale : Jeune Afrique bien sûr, Le Monde diplomatique de temps à autre. Le reste du temps, nous avions l’impression que l’on ne faisait qu’effleurer le sujet. Avec vous, messieurs les rapporteurs, nous sommes allés au fond des choses.

Suis-je pour autant rassuré ?

Je ne suis pas forcément de ceux qui pensent qu’abandonnant le franc CFA, nous tournerons une page de notre histoire ou nous nous dédouanerons de nos responsabilités passées. Des dollars circulent dans d’autres pays et régions de ce monde ; ils ne sont pas pour autant inféodés aux États-Unis quoi qu’il arrive. Je ne suis pas attaché à ce point à une image. Je constate que les vieux démons ont existé quand il s’est agi de passer du franc à l’ECO. On nous annonce un accord pris de manière bilatérale avec Alassane Ouattara, dont on connaît l’approche démocratique qui s’attache à son maintien au pouvoir. À la surprise générale des élus, des opérateurs, des banques centrales et de la population elle-même, le président Macron a annoncé le changement de monnaie – on ne sait pas encore quand.

De votre rapport, il ressort que la dimension politique de la question monétaire n’est pas été prise en compte. Cela m’interpelle. Vous dites aussi que les parlementaires ne se sont pas saisis de cette réforme monétaire, laissant éventuellement les responsabilités à d’autres. D’une certaine façon, on n’a encore rien réglé dans cette histoire.

Quand on entre dans le détail, transparaît le déséquilibre entre les États. Quelle sera la position du grand Nigeria demain dans cette forme de congruence africaine de l’Ouest subsaharienne allant jusqu’au Nigeria ? Qui sortira gagnant, si ce ne sont les pays qui ont le nombre, la population, la force économique ? Les petits, même réunis, n’ont jamais battu les gros, cela n’existe pas. Qui connaît l’Afrique sait que les gagnants sont les multinationales qui y sont présentes et pillent les richesses. Minerais de fer, or et métaux rares sont entre les mains de compagnies sud-africaines, canadiennes, américaines, britanniques.

M. Jean-Paul Lecoq. Et françaises !

M. Jean-Michel Clément. Françaises aussi, bien sûr, mais je ne voulais pas jeter de l’huile sur le feu !

Les peuples africains ne seront pas forcément les gagnants dans cette histoire. En outre, que la population s’en désintéresse m’inquiète un peu. En conclusion, pour que cela change, il faudrait que rien ne change, excepté la devanture. C’est ce que vous nous dites.

Je m’interroge sur la présence de la France, qui est un gage de sécurité face à l’instabilité économique permanente. La parité assurée permet à des peuples de vivre encore décemment. Qu’en a-t-il été des pays où les parités ont explosé ? Voyez ce qui se passe en Amérique du Sud, par exemple.

Aussi, je m’interroge. Le problème n’est pas celui de la confiance entre la France et l’Afrique, il est ailleurs. Notre politique au Sahel est certainement plus négative que notre politique monétaire. Le groupe réserve évidemment son vote : nous aurons l’occasion d’en rediscuter le moment venu.

M. Jean-Paul Lecoq. Merci, messieurs les rapporteurs, de votre présentation.

Le groupe de la Gauche démocratique et républicaine n’a pas la même analyse que vous tous ici, excepté peut-être celle de M. Jean-Michel Clément. Le texte que nous examinons semble cynique et trompeur. Il maquille d’un nouveau nom les vieilles pratiques pour mieux donner l’illusion de la nouveauté. Peut-on appeler réforme un texte qui ne modifie qu’un seul des quatre critères qui président au fonctionnement du franc CFA ? La parité fixe avec l’euro sera maintenue ; la liberté de transaction entre la zone euro et l’UMOA ne changera pas, non plus que la convertibilité illimitée entre l’ECO et l’euro. Seule la centralisation des réserves de change auprès du Trésor français prendra fin.

La portée de ce texte est donc dérisoire. Ainsi, le maintien de la parité fixe avec l’euro pose au moins deux problèmes majeurs. Premièrement, maintenir une parité fixe avec une monnaie forte valorise les importations au détriment des exportations et induit deux conséquences : d’un côté, les pays qui utilisent le franc CFA ne disposent pas des leviers pour créer une économie indépendante et résiliente puisqu’il est plus simple d’importer des biens que de les produire ; de l’autre, la limitation des exportations induite par cette monnaie les contraint dans leur rôle d’exportateurs de matières premières, ce qui sert essentiellement les multinationales et leurs actionnaires.

Deuxièmement, la parité avec l’euro oblige à mener une lutte obsessionnelle contre l’inflation. Or, pour limiter l’inflation, il faut limiter l’accès au crédit, ce qui suppose des emprunts à des taux élevés dont pâtissent les plus pauvres. Par ailleurs, les entreprises locales ne peuvent pas être compétitives face aux entreprises étrangères qui bénéficient de crédits abordables. Celles-ci sont d’autant plus favorisées que l’on maintient la convertibilité illimitée entre l’ECO et l’euro, le maintien de la parité fixe sécurisant en amont les investissements en euro et le rapatriement des bénéfices dans cette même monnaie en aval – « déversoir de produits manufacturés et réservoir de matières premières », dit l’économiste sénégalais Séraphin Prao.

Le projet politique est évident. Emmanuel Macron a déclaré que le franc CFA était un non-sujet, indiquant ainsi que rien ne s’opposait à le réformer. Force est de constater que vous avez fait une non-réforme pour être assurés de ne pas perdre l’avantage monétaire de la France dans cette zone, voire pour l’étendre. Il va falloir faire vite car cet avantage est menacé.

Le projet de monnaie unique de la CEDEAO, la zone économique qui englobe la zone du franc CFA, et d’autres pays anglophones, dont le poids lourd nigérian, commence à prendre forme. Il fallait donc le prendre de court. La France a même poussé le cynisme jusqu’à utiliser le nom proposé par la CEDEAO pour sa monnaie, l’ECO, quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de son contenu. Le geste est lourd, trop visible pour que nous acceptions une manœuvre aussi grossière qui prouve bien que nous n’en avons pas terminé avec cette si injuste et insupportable Françafrique, que l’on va rebaptiser – tel est peut-être d’ailleurs l’objet de ce rapport –, dans sa version multinationale, Afrique.

Les députés communistes voteront évidemment contre cette non-réforme.

M. Jean-François Mbaye, rapporteur. Je remercie tous les orateurs des groupes qui se sont exprimés. Permettez-moi avant d’en venir à leurs questions d’apporter une réponse globale. L’origine du franc CFA est très lointaine. À bien y regarder, elle fait suite au financement d’une économie coloniale de traite agricole et au drainage subséquent des ressources locales vers la métropole par les grandes maisons industrielles et commerciales, marseillaises et bordelaises. Cette histoire a été lourde de conséquences, mais la situation d’hier n’est pas celle de 2020. À entendre certains d’entre vous, on a l’impression que c’est la France qui a décidé de sortir et qui impose un accord de ratification. Soyons honnêtes, le Président de la République française a rencontré le président en exercice de l’Union monétaire ouest-africaine, qui comprend huit pays, et la demande émane de ces pays.

Jean-Paul Lecoq dit grosso modo que la France a signé un arrangement avec la Côte d’Ivoire ; cet accord a été signé par les huit chefs d’État des pays de la zone UMOA et, aujourd’hui, la France entre dans le processus de ratification, conformément à la convention, en prenant en compte la date fixée par les pays de l’UMOA pour fermer, au plus tard au 31 décembre 2020, le compte du Trésor public français qui accueillait 50 % des réserves de change de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Les huit pays de l’UMOA ont posé les conditions de la refonte de cet accord. Comme je l’ai indiqué dans le rapport, la France ne prendra pas des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Si, demain, il est question de désarmer totalement et d’arrêter la convertibilité et la transférabilité, la France en donnera acte, mais la demande doit émaner des huit pays de la zone UMOA.

Christian Hutin a parlé de points de crispation au sein de la CEMAC. Les points de crispation se sont plutôt fait sentir dans la Zone monétaire ouest-africaine (ZMAO) car cet accord, je le rappelle, ne concerne que la partie UMOA et, à ce jour, nous n’avons pas été saisis d’un projet de refonte de l’accord monétaire concernant la CEMAC. Cela également doit être très clair.

Pierre Cabaré m’a interrogé sur le lien entre la société civile et les élus. J’en profite pour répondre également à Michel Herbillon : le dialogue existe en Afrique de l’Ouest. Seulement, il ne faut pas laisser le débat aux seuls démagogues. Je l’ai dit, tout comme à ceux qui se demandaient pourquoi les parlements africains ne se saisissaient pas de la question de la souveraineté monétaire. Le fonctionnement de la ZMAO comprend un comité interparlementaire (CIP). Ce CIP doit se saisir de la question et les parlementaires africains doivent engager la procédure de ratification, puisque les chefs d’État de ces pays ont signé l’accord de refonte du cadre monétaire.

Nous le faisons pour la partie qui nous concerne, en nous appuyant sur l’échéance du 31 décembre 2020 et, comme je l’ai indiqué aux interlocuteurs que j’ai pu rencontrer au Sénégal ou lors d’une visioconférence avec le Ghana, ou encore aux principaux économistes africains que j’ai pu auditionner, il appartient aux États africains de s’emparer de cette question de la souveraineté monétaire. Ce n’est pas la France qui construira la future monnaie. La France ne fait que ratifier la demande que lui ont adressée les pays de l’UMOA de quitter la zone « franc » et de sortir de l’instance gouvernementale politique.

M. Michel Herbillon. Le processus de ratification par les parlements est-il d’ores et déjà prévu ? Un calendrier est-il fixé ?

Mme la présidente Isabelle Rauch. La question du calendrier a été posée par un autre député. Il y sera répondu.

M. Jean François Mbaye, rapporteur. À vrai dire, le calendrier n’a pas été évoqué, et il est à noter que le Sommet de Niamey, qui était prévu en septembre 2020, a été reporté sine die. Nous ne connaissons pas le calendrier, nous ne le maîtrisons pas. Là encore, il revient aux pays d’Afrique de mettre en place ce mécanisme.

Michel Herbillon me demandait si les conditions étaient réunies. La première d’entre elles est la convergence. Le Sénégal s’inscrit dans une optique d’exploitation pétrolière d’ici à 2023 et, pour réussir, a une exigence forte en termes de convergence.

Pierre Cabaré, comme je l’ai indiqué aux pages 26 et 27 de mon rapport, la relation entre opinion publique et élus civils résulte d’une erreur de méthode, conséquence de torts partagés entre la France – qui a tendance à considérer la question du franc CFA comme étant exclusivement technique – et les pays de l’UMOA – qui ont tendance à se reposer excessivement sur notre pays quand il s’agit d’aborder les problèmes politiques qui y sont rattachés, notamment la question du franc CFA.

Bruno Fuchs, l’organisation politique qui accompagne la monnaie unique est, à l’évidence, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. Elle devrait se transformer pour approfondir l’intégration économique.

Christian Hutin, la CEMAC n’a rien demandé en ce qui concerne la monnaie. Elle n’est pas hostile. L’inquiétude se fait plutôt sentir au sein de la ZMAO, qui rassemble sept pays de la CEDEAO non-membres de l’UMOA. Mais je suis d’accord avec vous quant à la question des multinationales. Cela dit, cela dépasse le sujet qui nous occupe. En vérité, la question des multinationales ne changera rien puisque la libre-transférabilité existe déjà. Quant à une éventuelle tutelle, celle-ci n’est pas prioritairement monétaire. Nous ne pouvons que faire confiance aux multinationales à ce sujet.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce sont les derniers à qui je fais confiance.

M. Jean François Mbaye, rapporteur. J’ai répondu à la question d’Aina Kuric concernant le calendrier. Nous n’en disposons pas dans la mesure où les pays africains qui ont eux-mêmes signé l’accord n’ont pas encore engagé le processus de ratification. La France fait ce qu’elle a à faire au moment voulu, pour aboutir avant la fin de l’année 2020.

Jean-Michel Clément, je suis d’accord avec vous sur les questions liées à l’exploitation des ressources et les multinationales. Elles rejoignent l’intervention de Christian Hutin et dépassent de loin la seule question monétaire.

Je terminerai par mon ami Jean-Paul Lecoq. J’entends toujours ce qu’il dit mais, aujourd’hui tout particulièrement, je ne peux pas être d’accord avec lui parce que changer les trois autres paramètres de cet accord n’est pas la demande des États concernés.

Nous ne faisons que répondre à la demande des pays de la zone UMOA. Nous ne pouvons faire leur monnaie sans eux ni contre leur volonté – et nous ne devons pas le faire. L’ECO a été choisi pour ne pas avoir à changer le nom de la devise à deux reprises et à réimprimer les billets, une fois la réforme de la CEDEAO actée. Je veux que ce soit clair, car cette question suscite de nombreux débats et controverses. Ne donnons pas de responsabilités à la France sur un sujet aussi sensible et explosif alors telle n’est pas la demande des États de la zone UMOA ; ce que les huit pays ont signé est clairement énoncé dans l’accord de même que les points sur lesquels la France s’engage.

Une fois cela dit et fait, il est nécessaire, en effet, que les États africains se saisissent de cette question. C’est à eux d’y répondre, à eux de construire leur future monnaie et à eux de déterminer la manière dont ils veulent établir leur souveraineté monétaire. À l’heure actuelle, tout ce que je peux dire et répéter, c’est que je regrette que les parlements africains ne se soient pas saisis plus en profondeur de cette question.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. La France est un pays qui aime beaucoup l’histoire et à force d’aimer l’histoire, on en oublie le présent. L’histoire est faite de cette longue relation avec la France ; le présent, c’est une France qui n’a pas le même poids désormais face à celui, gigantesque, de la Chine, et ce sont les banques qui montent, au premier rang desquelles les banques marocaines et turques. Voyant ces nouveaux acteurs arriver, certains pays aspirent à ce que la France continue malgré tout à jouer son rôle. Tous ces éléments sont à prendre en considération. Les dirigeants mais aussi les opinions publiques sont visiblement attachés à cet élément de stabilité contre l’inflation et la monnaie unique pour l’essentiel de l’Afrique de l’Ouest. C’est aussi le cas des structures gestionnaires. Les responsables de la banque centrale que nous avons rencontrés à Dakar nous ont dit leur souci face au recul relatif des banques françaises, en particulier de celles qui, traditionnellement, étaient très présentes en Afrique, comme la Société Générale. Ils appellent notre attention sur le fait que d’autres sont en train de prendre notre place, et qu’ils souhaitent notre présence. Que la situation soit donc bien identifiée par les uns et par les autres !

Certains ont parlé de contraintes. Je vous rappelle que les pays qui ont souhaité sortir du franc CFA en sont sortis. Pour ce qui est de la Guinée, l’histoire est très ancienne et a été un peu compliquée. Mais la Mauritanie en est sortie sans problème dans les années soixante-dix. Le Mali en est sorti pour mieux y revenir. La Guinée-Bissau, qui ne s’inscrivait pas dans la même histoire que les autres pays a, très volontairement, voulu intégrer le franc CFA, et compte se maintenir dans l’ECO. Les pays présents dans le dispositif sont donc des pays volontaires, et ceux qui veulent le quitter sont libres de le faire.

Le problème de fond – qui est l’affaire des pays africains, mais qui nous concernera en retour – est de savoir s’ils tendront vers une monnaie associant de grands pays comme le Nigeria. Le schéma serait alors tout autre, puisque le Nigeria se fonde sur un système non stable de taux de change flottants et non de taux de change fixes, qui répond mieux à ses préoccupations pétrolières. Si l’ensemble de ces pays abandonne le principe de la convertibilité systématique pour une monnaie flottante, la France n’aura plus à jouer son rôle de garantie financière. Donc, le choix d’intégrer le Nigeria et le Ghana dans le même système monétaire aura des conséquences à moyen ou long terme. À ce stade, la France répond aux demandes des pays africains. Elle n’a pas choisi le nom de la future monnaie. Notre préoccupation était tout autre, elle visait à garantir la stabilité et la convertibilité – ce qui est fait, et ce à quoi les populations étaient très attachées.

M. Jean-Paul Lecoq évoque les intérêts divergents entre pays exportateurs et importateurs. C’est une logique constante dans toutes les monnaies. S’il est vrai que les pays qui exportent des matières premières, comme la Côte d’Ivoire, sont soucieux, les pays qui importent massivement du riz qui vient de loin sont bien contents de s’appuyer sur une monnaie relativement forte, qui leur permet de l’acheter à des prix convenables. Cela compte pour les populations qui habitent les grandes métropoles et qu’il faut nourrir. C’est aussi l’intérêt d’une monnaie stable. Entre le schéma africain de la monnaie stable et le schéma libanais de la monnaie qui s’effondre, le premier choix est autrement plus raisonnable.

Mme Marion Lenne. Merci, monsieur Mbaye, pour la qualité de vos travaux. Vous le mentionnez dans votre rapport, la croissance est loin d’être inclusive dès lors qu’elle repose sur les matières premières et sur un petit nombre de grandes entreprises attirées par la stabilité d’un régime de change fixe mais peu pourvoyeur d’emplois. En effet, avec des taux d’intérêt entre 10 et 20 % – sans même évoquer ceux du microcrédit – qui demandent des taux de rentabilité extraordinaires pour déclencher un investissement, l’émergence d’un tissu de PME locales, donc d’une dynamique d’emploi, est empêchée. Au regard de la réalité des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, on peut se demander si cette politique de la prudence leur est adaptée.

Si le choix du régime de change fixe ou flottant est un choix politique qui appartient aux peuples de la sous-région et à leurs dirigeants, la réforme monétaire conclue par un accord signé lors du voyage du président Macron en Côte d’Ivoire en décembre 2019 a surpris tout le monde. Vous évoquez également à cet égard un problème de méthode. Or pour qu’entre la France et cette partie du continent africain l’histoire d’amour continue, il faut de la confiance. Vous l’avez aussi rappelé.

Après les annonces politiques, vient le temps des réalités économiques et financières. Le projet de monnaie unique de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, formellement lancé en 1983, s’accélère depuis l’été 2019. Vous venez de revenir sur le calendrier lointain de concrétisation de ce projet et sur les échéances d’intégration des autres zones du franc CFA, c’est-à-dire les États membres de l’Union monétaire d’Afrique centrale et les Comores. Quelles sont les perspectives pour préparer l’avenir de la relation partenariale entre la zone ECO et la zone euro ?

M. Rodrigue Kokouendo. Après avoir adressé une pensée amicale et chaleureuse à Marielle de Sarnez, notre présidente, je tiens à remercier Jean François Mbaye pour les apports très concrets de son rapport. Merci également à Marc Le Fur pour son apport technique et ses explications qui rendent ce rapport encore plus compréhensible.

Vous l’avez rappelé, chers rapporteurs, la réforme annoncée comporte des avancées et des évolutions très importantes : le changement de nom, la fin de la centralisation sur un compte d’opérations ouvert au Trésor français, le retrait des représentants de l’État français des instances gouvernantes et, enfin, l’établissement de nouveaux mécanismes de dialogue et de suivi des risques.

Ma question concernera l’article 2 de l’accord de coopération, dans lequel la France est présentée comme un garant dont les modalités mais aussi le rôle seront précisés dans une convention ultérieure, la garantie restant fondée sur les mêmes principes que ceux de l’ancien accord. Autrement dit, en cas d’épuisement des réserves de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, l’État français s’engage à lui fournir les euros nécessaires. Cela peut se comparer à un mécanisme de prêt.

Ce dispositif de garantie a‑t‑il un impact sur le budget de l’État français ? Bien qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une garantie d’État, si cette garantie devait être activée, même si le risque est faible à ce stade, il est précisé qu’il faudra présenter au Parlement une mesure en projet de loi de finances rectificative. Pouvez-vous nous en dire plus sur les conséquences de cette mesure sur le budget français ?

M. Sébastien Nadot. L’intégration monétaire africaine est un sujet d’importance pour la région. Elle va de pair avec l’intégration économique et une certaine intégration politique. La France y a, bien évidemment, un rôle à jouer du fait de ses liens historiques avec les pays d’Afrique de l’Ouest. Mais nous connaissons les troubles politiques et les craintes de dérives autoritaires qui existent dans certains de ces pays. Ma question est simple : peut‑on envisager de lier le sujet de la démocratie et de l’État de droit à celui de l’intégration monétaire ?

Nous connaissons de tels questionnements au sein même de l’Union européenne et nous comprenons bien que l’économique ne peut se faire au détriment du respect de la démocratie et l’État de droit. Cet accord ressemble, par certains aspects, à un réhabillage de l’existant, au service de l’économie et, éventuellement, des chefs d’État des pays concernés, mais où sont les populations dans cet accord ? Avec ces pays, nous avons une histoire, mais aussi un présent et un futur. Quels avantages avez-vous pu détecter, monsieur le rapporteur, dans le quotidien des habitants concernés par ce processus d’intégration monétaire ouest-africaine ? Finalement, quel est l’intérêt de ce nouvel accord pour les populations ?

Mme Mireille Clapot. Au‑delà de ses mots péjoratifs, qui ne sont certes pas tous erronés, mais qui contribuent surtout à mettre de l’huile sur le feu, j’aurais aimé demander à M. Lecoq ce qu’il propose. L’UMOA n’a pas demandé à la France de se désengager et vous passez, monsieur Lecoq, par pertes et profits la stabilité de la monnaie, la stabilité sociale et son utilité pour préparer l’augmentation du commerce intra‑africain.

Je voulais à mon tour féliciter les rapporteurs. Cela leur a été dit, mais cela ne fait jamais de mal de le répéter : cher Jean François, bravo pour ce rapport ! Merci également à Marc Le Fur pour son éclairage. Ce sujet, la monnaie, qui pourrait être technique, revêt une forte puissance émotionnelle, qui ouvre sur des thèmes tout à la fois économiques et géopolitiques. J’avais prévu initialement de vous poser une question sur les autres pays de la CEDEAO, mais comme vous y avez déjà largement répondu, je vais plutôt évoquer la dématérialisation numérique et des réseaux sociaux.

La monnaie est à la fois fiduciaire – les pièces et les billets –, scripturale – celle que l’on a sur son compte en banque –, et électronique. En période de covid‑19, parce que l’on est moins en contact direct, l’usage de la monnaie fiduciaire a tendance à considérablement baisser au profit de la forme électronique d’échange. Je ne suis pas la seule à le dire ; M. Wankele Mene, secrétaire général de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), rappelait que la plupart des échanges commerciaux en Afrique, en particulier transfrontaliers, sont informels et généralement réalisés par des femmes.

Vous avez précisé de façon fort pertinente que cet accord distend le lien entre ces pays et la France sans le rompre. Vous avez rappelé les bienfaits de la monnaie, mais évoqué également le rôle des réseaux sociaux. J’en viens à mon propos : vous le savez, les GAFAM ont eu la tentation de battre monnaie, et ne l’ont pas tout à fait abandonnée. Or nous connaissons le pouvoir des réseaux sociaux sur les rumeurs, et le pouvoir des rumeurs sur la valeur d’une monnaie. Ma question est la suivante : dans ce contexte de forte économie informelle, de grande dématérialisation des échanges, de covid‑19, donc de distanciation sociale, d’influence croissante des réseaux sociaux, de tentation des GAFAM de battre leur propre monnaie, comment ce nouvel ECO va-t-il se comporter ? Que peut surtout faire la France de façon non inclusive et bienveillante pour le protéger d’éventuelles turbulences ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Je joins ma voix à celles de mes collègues qui ont évoqué l’intérêt que Marielle de Sarnez porte à cette grande affaire, qu’elle suit en effet très attentivement. Je m’en félicite et j’attends avec impatience qu’elle puisse le faire avec nous ici directement. Je me joins également aux félicitations adressées aux deux rapporteurs pour ce travail remarquable et leurs commentaires très pertinents sur un sujet passionnant et décisif, qui a été pleinement et excellemment traité. Nous pouvons être fiers qu’un tel rapport ait été élaboré dans notre commission.

Si je ne suis pas tout à fait d’accord, vous l’imaginez bien, avec les propos de Jean‑Paul Lecoq, je considère malgré tout qu’il a raison sur un point : ce n’est pas une réforme révolutionnaire. Marc Le Fur l’a très bien résumé en disant que le système reposait sur quatre éléments et que deux étaient maintenus et deux supprimés. Ce qui est maintenu n’est toutefois pas négligeable, puisque l’on conserve le lien fondamental avec l’euro ainsi que la garantie.

Je suis bien conscient, et c’est un mauvais procès que fait M. Jean-Paul Lecoq à notre Gouvernement, que l’avenir et les décisions appartiennent avant tout aux États africains. De ce point de vue, nous sommes à l’écoute et en respect des décisions prises par leurs gouvernements. Nous avons toutefois le droit d’avoir une vision de la future organisation monétaire de cette partie de l’Afrique.

À ce sujet, je voudrais savoir comment la France et ses partenaires africains perçoivent la convergence, qui n’a rien d’évident, entre les deux systèmes monétaires qui se mettent en place. En réalité, nous voyons bien que nous sommes en train de sortir à pas comptés du système traditionnel fondé sur des liens privilégiés entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe, notamment la France. Nous en sortons à pas ultra-comptés mais il n’en reste pas moins que nous en sortons progressivement. Les États africains concernés vont vers un système de solidarité avec d’autres États de la zone, notamment le Ghana et surtout le Nigeria. Le rapport fait ressortir très nettement l’extraordinaire difficulté qu’il y aurait à créer une zone monétaire commune solide – à l’image de l’intégration que nous connaissons en Europe avec l’euro – dans la mesure où des États sont loin de répondre à des critères de convergence suffisants, mus qu’ils sont par des intérêts économiques très spécifiques à certains États et pas à d’autres. Je pense notamment au pétrole nigérian.

Le système actuel apporte une sécurité et une garantie contre l’inflation ; dans le même temps, il offre l’opportunité d’une monnaie forte qui favorise l’importation et défavorise l’exportation de ces pays. Qu’apporterait l’autre système ? Si les États en question s’engagent plus avant dans l’intégration d’une zone africaine, ne risquons‑nous pas d’aboutir à un chaos économique et monétaire dans lequel duquel nous serions amenés à nous dégager complètement ? Quel est, selon les rapporteurs, l’avenir prévisible des équilibres monétaires dans cette zone de l’Afrique ?

Mme Frédérique Dumas. De nombreuses questions ayant déjà été abordées, je livrerai plutôt un commentaire qui rejoint les propos de notre collègue, M. Bourlanges.

Ce pas en avant est finalement plus émotionnel et psychologique qu’autre chose. Je trouve cela dommage parce qu’on lui accorde une importance qu’il n’a pas, du moins, on lui prête plus qu’il n’a à offrir parce que, je suis désolée de le dire, ce n’est vraiment pas grand‑chose. Je suis triste de voir tout ce qui est relève de la communication ne permet pas de fondamentalement changer les rapports. Ne pas abandonner les deux paramètres évoqués ne changera pas grand-chose économiquement pour les populations, et si jamais ce pas était franchi à la demande des pays, à mon avis, les populations perdraient totalement la main au profit d’autres intérêts.

Mon interrogation est de même nature que celle de Jean-Louis Bourlanges et porte sur la prévisibilité de ce qui pourrait advenir, c’est‑à‑dire sur ce que pourraient demander les pays ensuite. Je n’ai pas vraiment le sentiment qu’ils aient très envie d’aller plus loin.

M. Jacques Maire. Merci à Jean-François Mbaye et Marc Le Fur pour cet excellent rapport et leurs très intéressants commentaires.

Ma première question a trait à l’aspect monétaire. La stabilité monétaire est un enjeu essentiel, mais la fixation de la parité est autre chose. Est‑il possible dans le cadre du nouveau dispositif d’engager des débats sur une évolution possible de la parité ? Le sujet n’est pas tabou, nous l’avons déjà ajustée, et vous avez rappelé, à juste titre, la dévaluation opérée par le gouvernement d’Édouard Balladur en 1994. Cette question de la parité pose non seulement un problème de compétitivité, mais pourrait également constituer un frein à l’intégration régionale.

Ma deuxième interrogation porte sur le périmètre pertinent. M. Mbaye évoque tout l’intérêt de dépasser la césure nette entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. C’est une frontière qui coupe y compris des régions très impliquées en termes d’intégration, comme le G5 Sahel, puisque le Tchad relève de l’Afrique centrale. Des débats sont-ils engagés à ce sujet entre l’UMOA et leurs homologues d’Afrique centrale ?

La troisième question est la question démocratique. M. Mbaye l’aborde parfaitement, en évoquant un changement de méthode. Pour avoir eu l’occasion de discuter de façon approfondie de ces sujets avec le Premier ministre nigérien, le manque d’appropriation ne se limite pas aux parlements, mais touche également les exécutifs – même si le sujet est perçu comme étant intéressant sur le plan électoral.

Je formule donc une proposition dans la continuité de l’évocation de la question démocratique par Jean-François Mbaye : pourquoi ne pas organiser un échange entre notre Assemblée et le Comité interparlementaire de l’UEMOA ? Après le précédent que nous avons connu dans le cadre du CIP G5 Sahel, je suis persuadé que cela les intéresserait. Chaque fois qu’un domaine est ainsi réservé parce que relevant d’un partenariat international, parce que leur propre Bercy n’est pas trop partageur, il me paraît intéressant d’encourager de telles initiatives pour aller plus loin ensemble plutôt que d’œuvrer chacun de son côté.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je remercie le rapporteur pour ce rapport passionnant, et formulerai une remarque préalable.

Comme l’a dit Marc Le Fur, nous avons encore un vieux complexe colonisateur, alors que le présent en Afrique aujourd’hui est la Chine, la Russie, la Turquie, le Maroc et les États‑Unis, qui ont bien compris que l’avenir du monde au XXIe siècle serait sur ce continent. Avec un doublement de sa population dans les trente prochaines années, notre destin européen dépend réellement de notre capacité à nouer des relations équilibrées avec l’Afrique. De mon point de vue, cette question de souveraineté monétaire est donc absolument vitale. Je souhaiterais d’ailleurs que notre commission parle davantage d’Afrique, car notre sort se joue là.

Pour en venir à mes questions, premièrement, j’ai le sentiment qu’il existe une contradiction profonde entre la volonté d’affirmer l’indépendance de l’UMOA, ce qui est bien normal parce que l’on peut tout à fait comprendre le besoin de changer de nom pour solder le passé, et l’ouverture future vers le Nigeria, qui signifierait une déstabilisation totale du système. Certains affirment que c’est difficile. Pour moi, ce n’est pas seulement difficile, c’est quasiment impossible et, si la fusion entre les deux zones s’opérait, le changement serait tellement radical qu’il mettrait en position d’infériorité terrible les États francophones, donc l’influence française. J’ai l’impression que cette contradiction entre les deux objectifs explique la très grande réticence des États africains à aller plus loin. J’aimerais avoir l’avis des rapporteurs : cette idée de fusionner les deux zones monétaires n’est-elle pas un mythe ?

Deuxièmement, je comprends très bien que la France garantisse le futur système. C’est un moyen d’influence et un moyen de sécurité pour les habitants de la zone. Mais comment garantir ? Peut-être n’ai-je pas bien compris, et je m’en excuse, mais quels sont les dispositifs prévus pour que la garantie s’effectue en toute connaissance de cause alors même que nous ne siégerons plus au Conseil ? Je comprends la volonté des partenaires africains que la France n’y siège plus, mais comment garantir dans ces conditions ? Comment pourrons‑nous être sûrs qu’une dérive éventuelle ne peut pas mettre en cause les intérêts de notre pays ?

Ma troisième et dernière question concerne le problème de la parité. La libre circulation est importante. Mais si l’on veut que la zone monétaire de l’UMOA survive et serve les populations, l’alignement sur une parité trop forte, qui a épuisé ces pays et qui explique un retard économique par rapport à la zone anglophone, cette parité fixe ne pourrait‑elle pas être aménagée ? En 1994, elle avait été brutale, la parité du franc CFA ayant été dévaluée de moitié. Sans aller jusque-là, avez‑vous senti dans vos échanges avec les représentants de la Banque centrale à Dakar une volonté d’évoluer à terme ? Une parité qui soit plus favorable à la production locale ne serait-elle pas un moyen d’éviter à terme une fusion, qui serait trop brutale, avec le Nigeria ?

Mme Aude Amadou. M. le rapporteur mentionne dans son rapport que l’ECO serait calibré sur l’euro – je le cite : « C’est à eux de décider souverainement quand et s’ils souhaitent passer à un régime de change plus fixe. »

Ma question porte sur la possibilité de prendre le contrôle total sur la politique monétaire par l’ECO. Si l’ECO devait être calibré sur l’euro, on courrait à la catastrophe si ces schémas n’étaient pas anticipés. Le non‑alignement, la volonté de sortir d’une politique calibrée sur l’euro a-t-elle été anticipée par les pays africains ? Si oui, quelle procédure souhaitent-ils mettre en place ?

M. Jean François Mbaye, rapporteur. De nombreux sujets ont été abordés.

Marion Lenne, les perspectives seront celles tracées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Le Ghana, qui vient d’en prendre la présidence, a fait de la monnaie sa priorité. En adoptant l’ECO, l’UEMOA serait susceptible d’attirer dans son orbite d’autres membres de la CEDEAO, comme le Liberia ou la Guinée. À la suite des débats qui se sont tenus principalement en Afrique de l’Ouest, les autorités ont fait part de leur souhait de voir évoluer le fonctionnement même de la coopération monétaire avec la France, dans l’objectif de parvenir à un ensemble de réformes visant à moderniser l’UMOA mais aussi à faciliter son extension. C’est la raison pour laquelle je dis que ces perspectives seront celles tracées par la CEDEAO elle-même.

Pour répondre à Rodrigue Kokouendo, la garantie aura un impact si elle est appelée. Les crédits éventuellement ouverts seront des dépenses budgétaires classiques et, à ce stade, le compte de concours financiers sur lequel s’ouvriraient ces crédits existe mais n’est pas alimenté. Vous le savez, d’un point de vue strictement budgétaire, la garantie de convertibilité de la monnaie de l’UMOA est assurée par le programme budgétaire 811 « Relations avec l’Union monétaire ouest-africaine » du compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux ». Ce compte concerne également, je le précise, les zones d’Afrique centrale et les Comores qui sont les autres partenaires d’accords monétaires avec la France. Je le répète : il est actuellement doté de crédits évaluatifs fixés à zéro euro.

S’agissant de la question de Sébastien Nadot sur l’État de droit, la démocratie et la souveraineté monétaire, aujourd’hui, l’intérêt pour les populations est la construction d’un espace économique et humain intégré. Elles auront ainsi profondément conscience d’appartenir à un ensemble monétaire et économique.

La question de Mireille Clapot est extrêmement technique. La présidente m’ayant invité à faire des réponses concises, nous pourrons en reparler. Je me bornerai à dire qu’à ce stade, cette monnaie se comportera comme le franc CFA, exactement de la même manière. La seule chose que peut faire la France est d’apporter sa garantie.

Jean-Louis Bourlanges et Frédérique Dumas m’ont posé deux questions qui allaient dans le même sens. En effet, la refonte de cet accord monétaire qui date de 1973 n’est pas révolutionnaire mais ce n’est pas la fin de l’histoire, je pense avoir été très clair à ce sujet, et l’on est en droit d’avoir une vision. J’ai essayé de la tracer dans le rapport.

Pour répondre à Jean-Louis Bourlanges et Frédérique Dumas, l’autre système apporterait certes un régime de change plus en phase avec la réalité économique africaine, mais présenterait également un fort risque d’inflation. Il convient de garder à l’esprit que, la CEDEAO – avec des pays comme le Ghana et le Nigeria – et la zone UMOA – avec des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire – présentent deux économies différentes. Même si l’économie ivoirienne peut à certains égards revêtir le caractère d’une économie exportatrice, je le concède, ces deux économies n’ont fondamentalement, pas le même mode de fonctionnement. Vous avez, d’un côté, une économie exportatrice – vous l’avez vu avec le Ghana et j’ai rappelé le poids du Nigeria ; de l’autre, une économie importatrice, l’importation étant à ce jour le principal moteur de l’économie de la zone UEMOA. Créer une monnaie unique reposant sur une intégration régionale avec une zone CEDEAO, revient, pour user d’une métaphore, à se trouver dans le même lit qu’un éléphant, qui s’appelle le Nigeria ; qu’il se retourne et vous vous retrouverez en bien mauvaise position ! Il faut en être conscient, car c’est la réalité. Vous comprendrez qu’il n’appartient pas à votre rapporteur de trancher cette question ni d’affirmer la nécessité de tendre vers cette intégration régionale. C’est un choix politique, et la France ne pourra pas garantir la monnaie de la CEDEAO dans son ensemble. Mais il n’y a pas vraiment de débat à ce sujet – en tout cas, pas à mon niveau.

Jacques Maire, lors de mon déplacement au Sénégal, j’ai voulu rencontrer des interlocuteurs, dont ceux de la BCEAO dont l’absence de réponse m’a frappé. Lorsque j’ai voulu rencontrer aussi les représentants des parlements, je n’ai pu que constater l’absence de réflexion. Vous avez relevé, à juste titre, – et je m’associe complètement à votre propos puisque c’est une demande que j’ai formulée moi-même avec insistance auprès de mes interlocuteurs – que le Comité interparlementaire de la zone UMOA doit se saisir de cette question ! Encore faudrait-il qu’il réponde… Encore faudrait-il également que la BCEAO réponde sur un sujet aussi central. Je l’ai dit précédemment, j’ai l’impression que cette question de la monnaie n’est traitée qu’entre chefs d’États et que les parlements africains s’en désintéressent. Mais il revient aux parlements de faire le nécessaire. Je suis tout à fait d’accord avec Jacques Maire qui propose que le CIP UMOA se saisisse de la question – encore faudrait‑il qu’il réponde.

Il n’y a pas vraiment de débats entre la CEDEAO et la CEMAC. J’ai émis pour ma part la proposition de dépasser cette frontière, en posant la question de l’importance du Nigeria dans la zone. Cela m’amène à la question soulevée par M. Dupont-Aignan. Le Nigeria est une contrainte, sauf dans une zone plus large incluant également le Cameroun et le Tchad. Reste, pour le moment, la crainte du Sénégal.

Ce que nous apportons est véritablement une garantie budgétaire. Le dialogue est constant entre la BCEAO et le Trésor public français. Pour être totalement franc, le fait de sortir de l’instance monétaire politique de la zone UMOA et le fait de dire que la garantie de la France serait appelée, que la France enverrait un garant si jamais cette garantie était appelée, est assorti, dans le projet d’accord, de la nomination d’une personnalité qui serait choisie tout à la fois par les États membres et par la France. Mais je suis d’accord avec Nicolas Dupont‑Aignan, cela ne figurera pas précisément dans la convention de garantie ; quant à la parité, j’en suis d’accord également, elle est trop forte pour favoriser la production. Je l’ai d’ailleurs mentionné dans le rapport et, pour vous livrer un avis personnel, je pense que la BCEAO est encore bien trop conservatrice sur ce point.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. J’organiserai ma réponse autour de trois séries de questions.

Premièrement, comment jouerait le mécanisme de la garantie ? Il jouerait comme il a toujours joué. Un compte est ouvert – qui, pour le moment, n’est pas approvisionné, mais il pourra l’être en permanence – et le Trésor suit cela. Nous confirmons cette garantie depuis soixante ans. Il n’y a pas de changements fondamentaux. Les seuls changements sont que nous n’avons plus une partie des réserves de change et que nous ne sommes plus présents dans les instances – donc, quid de l’information ? La convention de garantie doit être négociée afin de pouvoir mettre en place – pardonnez‑moi ce néologisme anglosaxon – un reporting le plus précis possible, de sorte que les éléments d’alerte puissent être pris en compte par le Trésor français. C’est normal et ce n’est contesté par personne. L’autre élément de la garantie, le plus fondamental, est l’extrême sagesse en termes de gestion budgétaire des pays des pays africains. Ces derniers, pour nombre d’entre eux sont très sages, plus sages que nous en termes de dette, par exemple. Nous sommes donc face à des interlocuteurs extrêmement crédibles.

Deuxièmement, la question de fond qui revient : quid du Nigeria ?

La métaphore de Jean‑François Mbaye me semble la bonne : l’arrivée du Nigeria dans la même union monétaire – il fait déjà partie de la même union commerciale – changerait fondamentalement la donne. Le Nigeria viendrait avec sa logique monétaire de change flottant. Dès lors, il n’y a plus de garantie, donc plus de sollicitation ni de présence de la France, on changerait complètement de système. Mais les pays et les opinions sont très interrogatifs sur des changes flottants. Celui qui a quelques sous dans sa poche, qui habite Bamako ou Dakar, sait qu’il pourra acheter la même chose demain, après-demain. Ses sous auront grosso modo la même valeur : si vous voulez, c’est son bol de riz ; dans un système flottant, le prix du riz fluctuera. Les choses s’en trouveraient fondamentalement modifiées. Cela explique la prudence, voire l’inquiétude qui s’exprime parfois. Mais certains pays vivent essentiellement du commerce avec le Nigeria ou avec le Ghana, comme le Bénin ou le Togo. Pour eux, être proches du Nigeria est majeur.

Troisièmement, j’en viens à la question de la parité, qui a été posée par Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Maire.

On entend souvent dire qu’une parité élevée nuit à l’exportation. Elle établit un clivage interne entre ces pays, dont certains sont plus soucieux d’exporter. La Côte d’Ivoire a pour concurrent le Ghana qui vend, comme elle, du café et du cacao. Il ne faut évidemment pas que le Ghana soit avantagé par une monnaie stable, et donc plus forte, que celle de la Côte d’Ivoire. On peut comprendre leurs préoccupations. Mais le souci des autres pays, en particulier ceux de la bande sahélienne, est que le peu d’argent qu’ils ont ne se déprécie pas à l’excès.

Nous avons eu ce débat dans les mêmes termes en 1994. Mon grand âge me permet encore de m’en souvenir. En 1994, cela a été très compliqué. Comme toujours, la France a été accusée de tous les maux, puisque la monnaie a été dépréciée de 50 % mais, à l’époque, cela avait été jugé nécessaire pour faciliter le développement et les exportations africaines. Sur le moyen terme, cela s’est d’ailleurs révélé une bonne chose, même si la situation a été compliquée pour certains pays, en particulier pour le Sénégal.

Mme Mireille Clapot. Je voulais revenir sur la réponse qui m’a été faite. S’il est vrai que ma question revêtait un aspect technique, mais je ne voudrais pas que l’on dise qu’elle est technique, simplement parce qu’elle est complexe. Je pense au contraire qu’elle est éminemment politique. Quand on parle de manipulation d’opinion par les réseaux sociaux, de cyberattaques et de toutes ces questions ayant trait au numérique, on peut se demander si le crime ne profite pas à d’autres puissances qui pourraient être tentées d’utiliser ce changement pour asseoir une domination sur ces pays. Je ne demande pas de réponse immédiate, mais je tenais à rectifier : ma question n’est pas seulement technique, elle est aussi politique.

M. Jean François Mbaye, rapporteur. Vous ne demandez pas une réponse, mais une prise en compte du caractère politique de votre question. Vous avez raison, madame, au-delà de la technicité : politiquement, il faut savoir poser les choses. Mais le cadre de cet accord et la vision qu’on pourrait avoir à l’aune de la future création de la monnaie et tout ce qui va avec, y compris ses aspects politiques, seront largement déterminés par la volonté des États africains eux-mêmes d’asseoir une véritable souveraineté monétaire autour de cette monnaie unique. La France accompagnera en tant que de besoin, et si cette responsabilité lui est confiée.

Quant à ce que vous mentionnez à propos d’autres puissances, nous avons aujourd’hui une relation à refonder avec nos partenaires africains au regard de l’expansion de la Chine et, parfois, de la Russie, et de la place qu’elles occupent désormais. On voit ce qui se passe avec l’hégémonie russe en Afrique centrale, notamment en Centrafrique, et tout cela doit à l’évidence être pris en compte dans le cadre de la création d’une monnaie. Mais je pose la question : est-il de la responsabilité de la France aujourd’hui et à ce stade d’organiser cela pour les pays africains ? Il faut bien comprendre que ce qui motive ma conviction est qu’à partir du moment où des pays africains ont émis le souhait de refonder une partie de l’accord qui les lie avec la France – une partie, j’y insiste, parce que tout n’a pas été refondé – il faut savoir, je l’ai dit et redit, se limiter aux responsabilités que l’on nous confie. Nous en prendrons certainement d’autres à l’avenir, une fois que ces pays l’auront décidé – et peut‑être cette question en fera-t-elle partie.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Vous avez raison, chère collègue, les réseaux sociaux peuvent déstabiliser bien des choses, dont les monnaies, surtout qu’il y a dans la monnaie une part de confiance. La monnaie, c’est avant tout la confiance que les propriétaires de cette monnaie lui accordent. La bonne réponse est que, depuis les indépendances – et c’est encore confirmé aujourd’hui par l’accord –, il y a une stabilité, une convertibilité, fondée sur une garantie qui n’a jamais été prise à défaut. C’est la réponse idoine, parfaite, à ceux qui voudraient déstabiliser – et il en existe certainement. Aujourd’hui, l’Afrique de l’Ouest ne connaît pas de marché noir des autres monnaies, parce que ce n’est pas nécessaire puisque cette monnaie permet déjà l’accès. Mais ce phénomène pourrait arriver avec une monnaie à change flottant car, pour le coup, le change flottant est livré à telle nouvelle, telle rumeur, tel bruit de bottes, qui provoquent la hausse et la baisse, sans même parler de l’intérêt des spéculateurs. Mais c’est un débat fondamental, qui n’est pas simplement africain et européen, entre change fixe et change flottant.

Mme la présidente Isabelle Rauch. La discussion générale est close. Les dimensions techniques et politiques du sujet ont été abordées et les responsabilités des protagonistes ont été précisées.

Nous en venons au vote.

Article unique

La commission adopte, à l’unanimité des présents, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union européenne ouest-africaine sans modification.

II.   Audition de m. jean-yves le drian, ministre de l’europe et des affaires étrangères

Le mercredi 25 novembre 2020, la commission des affaires étrangères a auditionné M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. L’audition a porté, pour partie, sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser notre présidente Marielle de Sarnez, qui ne peut être parmi nous pour des raisons médicales que vous connaissez. Nous la saluons très chaleureusement. Malgré cela, comme à son habitude, elle s’est bien entendu investie dans la préparation de l’audition de ce jour.

Nous avons donc le plaisir de retrouver parmi nous Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, pour une audition qui portera, d’une part, sur deux projets de loi importants dont la commission est ou sera saisie prochainement, et, d’autre part, sur l’actualité internationale.

Le calendrier législatif de notre commission est en effet marqué, en cette fin d’année, par l’examen de deux projets de loi de grande importance.

Il s’agit, en premier lieu, de celui qui autorise la ratification de l’accord de coopération avec l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA). Il sera examiné en séance publique le jeudi 10 décembre, sur le rapport de notre collègue Jean François Mbaye. Celui-ci soutient l’accord ; il s’est rendu à Dakar pour en évaluer les termes. Je lui donnerai la parole après votre intervention. Il a des propositions constructives à faire pour associer les élus et les sociétés civiles à ce grand projet économique.

L’accord conclu le 21 décembre 2019 constitue en effet une réforme monétaire majeure. Il faut remonter soixante-quinze ans en arrière, avec la création du franc CFA, pour trouver une réforme de cette ampleur en Afrique. Notre pays se retirera des instances de gestion de la future monnaie – renommée « eco » –, le Trésor français ne centralisera plus les réserves de change, mais la France maintiendra sa garantie financière pour couvrir les engagements en devises de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Cette réforme va moderniser l’Union monétaire ouest-africaine et faciliter son extension à d’autres pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La nouvelle zone monétaire de l’eco va ainsi permettre une véritable restructuration des marchés de l’Afrique de l’Ouest. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez les enjeux de cet accord de coopération pour la France

[…]

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Un dernier mot concernant la réforme du franc CFA. Vous l’avez rappelé, monsieur le président, l’Assemblée nationale examinera le 10 décembre prochain le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine. Cet accord, qui remplace celui de 1973, répond à une demande des pays concernés. Il s’agit d’une nouvelle étape dans la coopération monétaire entre la France et les pays de l’UMOA, qui marquera le changement de nom de la monnaie unique ouest-africaine – ce sera a priori l’eco, mais les discussions sont encore en cours –, la fin de la centralisation des réserves de change de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest auprès du Trésor français et le retrait de la France des instances de gouvernance ; en revanche, le maintien d’une parité fixe avec l’euro a été décidé par les chefs d’État des pays membres de l’UMOA. Cette réforme est une étape importante, conforme aux orientations qu’avait données le Président de la République dans son discours de Ouagadougou ; elle intervient au moment où les Africains sont eux-mêmes en train de mettre en place une zone de libre-échange continentale africaine. Il est par conséquent tout à fait essentiel d’établir un véritable partenariat entre l’Europe et l’Afrique. La fin du franc CFA a évidemment une très forte valeur symbolique à cet égard.

[…]

M. Jean François Mbaye, rapporteur. Ce matin, notre commission a examiné et adopté le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine, qui refonde l’accord monétaire de 1973.

Je rappelle que, de concert avec les autres États membres de la CEDEAO, les États non membres de l’UMOA étaient convenus qu’ils organiseraient une convergence macro-économique durable et vérifiable en leur sein, dans le cadre d’un deuxième regroupement monétaire régional nommé ZMOA, zone monétaire ouest-africaine, l’objectif étant, à moyen ou à long terme, de fusionner ces deux zones monétaires régionales dans la perspective de la création d’une monnaie commune à l’ensemble des quinze États membres de la CEDEAO. À l’époque, le Nigéria avait proposé de nommer cette monnaie commune l’eco ; elle était appelée à évoluer en régime de changes flottants, sans rattachement fixe à une quelconque devise étrangère, à l’image de la monnaie nigériane, le naira. C’est dans ce contexte que l’accord de coopération monétaire a été conclu.

Néanmoins, j’ai pu voir, lors des auditions que j’ai conduites et des déplacements que j’ai effectués, que les points d’étape organisés de concert avec la ZMOA montraient clairement une absence de progrès vers la convergence macro-économique, ce qui éloigne la perspective de la création d’une monnaie unique couvrant à moyen terme l’ensemble de la CEDEAO. Il y a en outre dans l’opinion publique une forme de procès d’intention qui est fait à la France. On pourrait envisager de créer un comité de réflexion sur les contours de la future réforme monétaire, auquel le comité interparlementaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) serait associé.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, comment, selon vous, monsieur le ministre, la France pourrait-elle engager une réflexion avec les pays africains sur le sujet et contribuer à la définition d’un calendrier qui permette d’inclure le plus grand nombre de participants, notamment les parlements africains et le comité interparlementaire de l’UEMOA ?

[…]

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur M’Baye, je n’ai pas grand-chose à ajouter à vos propos. La France soutient entièrement les Africains, qui doivent gérer souverainement cette monnaie naissante. Nous sommes tout à fait favorables à des accompagnements parlementaires, mais c’est aux Africains d’en décider. Cette initiative au service de l’intégration monétaire régionale marque une avancée, même si elle a été freinée par la pandémie. En tout cas, il importe que nous accompagnions les Africains dans cette dynamique.

[…]

 


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   TRAVAUX DE LA commission de la commission des finances saisie pour avis

Lors de sa réunion du mercredi 9 septembre 2020, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire examine, pour avis, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (n° 2986).

M. le président Éric Woerth. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle maintenant l’examen pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine. Nous avions nommé, cette fois en temps et en heure, Marc Le Fur rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères est saisie au fond de ce texte ; elle se réunira le 23 septembre.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Effectivement, monsieur le président, j’ai été désigné rapporteur pour avis il y a déjà un certain temps ; j’ai donc pu travailler durant l’été. Nous allons employer des mots qui peuvent prêter à confusion : pour que chacun comprenne bien de quoi il s’agit ici, je m’appuierai donc sur la carte suivante.

L’accord dont il s’agit concerne les huit pays qui sont en bistre, à savoir les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui constituent donc une zone monétaire. Les pays hachurés – parmi lesquels figurent aussi les huit pays que j’évoquais – appartiennent à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui est une union commerciale. Certes, la comparaison avec l’Europe n’a pas beaucoup de sens, mais il y a là aussi, d’un côté, une union monétaire – celle dont nous allons parler – et, de l’autre, une union commerciale, dont sont membres également les États membres de l’union monétaire. Plus à l’est, en vert, vous voyez une autre union monétaire, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui n’est pas concernée par l’accord, mais qui est, à bien des égards, très comparable à l’UEMOA.

Telles sont les quelques précisions géographiques que je voulais donner, afin que notre échange soit aussi renseigné que possible.

La commission des finances est saisie pour avis d’un projet de loi autorisant l’approbation d’un accord de coopération entre la France et les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.

Comme je le disais, il existe plusieurs zones monétaires différentes liées à la France et à l’euro. La zone de la CEMAC n’est pas concernée par l’accord, même si elle utilise elle aussi un franc de la communauté financière africaine, le franc CFA d’Afrique de l’Est. Des accords de même nature existent également avec l’Union des Comores.

Ces zones fonctionnent selon des logiques très comparables : un taux de change fixe avec l’euro ; une garantie de convertibilité du franc CFA avec l’euro accordée par le Trésor français ; en contrepartie de cette garantie, l’obligation pour les banques centrales – chaque zone en a une et elles disposent de filiales dans les pays membres – de centraliser une partie de leurs réserves en France ; la présence de la France au sein des institutions de gouvernance. Notre pays joue donc un rôle de garant financier de la valeur du franc CFA.

Un accord est intervenu, sur l’initiative, en particulier, du président de la Côte d’Ivoire – M. Ouattara – et du Président de la République française. Il prévoit un certain nombre d’évolutions qu’il nous est demandé d’approuver – ce que je vous proposerai d’ailleurs de faire. La réforme supprime l’obligation de dépôt des réserves de change, acte le départ de la France des organes de gouvernance de la zone et modifie le nom de la monnaie, qui devient l’eco.

L’approbation de l’accord est le préalable à la diffusion de la nouvelle monnaie, pour laquelle aucune date précise n’a d’ailleurs été avancée. C’est un exercice compliqué, car il va falloir procéder à des échanges pour les titulaires de francs CFA.

La suppression de l’obligation de dépôt des réserves de change est une des grandes affaires de la réforme. La banque centrale de l’UEMOA dispose d’un compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français. L’obligation de dépôt était conçue comme une contrepartie de la garantie apportée par la France. En cas de déséquilibre, le compte d’opérations de la banque centrale peut être débiteur ou à découvert. Dans ce cas, la France prête des euros afin que cette banque puisse faire face à ses engagements externes et continuer d’assurer la parité du change avec l’euro. L’accord supprime donc le compte d’opérations mais pas la garantie française.

Le niveau des dépôts est très variable – il change au jour le jour. En 2019, il était en moyenne de 7,5 milliards d’euros. Les dépôts sont rémunérés au taux de 0,75 %, ce qui a occasionné pour le Trésor français une dépense de l’ordre de 40 millions d’euros en 2019. Les banques centrales des trois zones ont donc plutôt intérêt à placer cet argent auprès du Trésor français. Bien entendu, la fin des dépôts met également un terme à la rémunération ; c’est un petit effet d’économie.

L’obligation de dépôt est critiquée par certains, mais ce n’est en rien une clause léonine, précisément du fait de la rémunération. D’aucuns disent aussi que ce mécanisme permet à la France de supporter une partie de sa dette ; en réalité, les sommes en jeu sont très peu importantes par rapport au montant de la dette française, et même en comparaison des dépôts des collectivités territoriales françaises – car celles-ci ont elles aussi l’obligation de déposer leurs disponibilités auprès du Trésor. Quoi qu’il en soit, le dispositif pouvait effectivement, à certains égards, apparaître comme anachronique.

L’accord, je le disais, prévoit également le retrait de la France des instances de gouvernance, où elle était très minoritaire et ne possédait en aucun cas de droit de veto.

Le débat autour de l’accord et des évolutions qu’il prévoit est aussi l’occasion d’examiner les effets économiques du franc CFA : quel est, au fond, l’intérêt de cette zone monétaire ?

D’abord, tout le monde ne le sait peut-être pas, mais les huit pays de la zone franc d’Afrique de l’Ouest ont connu depuis 2012 un taux de croissance important – 6 % en moyenne –, de la même manière qu’ils avaient déjà, globalement, échappé à la crise de 2008, et ce en dépit des effets très importants des crises militaires, voire des guerres civiles qui affectent un certain nombre d’entre eux – par exemple le Mali, même si c’est l’un des moins importants en termes économiques.

Ensuite, l’inflation est très faible dans cette zone, ce qui rend possibles les transactions.

Enfin, la valeur de la monnaie est protégée. C’est un peu le contraire de ce qui se passe au Liban, où la valeur de la monnaie s’est effondrée et où prospère un marché noir des devises. Ce n’est pas du tout le cas en Afrique de l’Ouest : s’il y existe aussi un marché noir des devises, celui-ci est assez réduit et le différentiel est très faible, précisément du fait du contrôle des changes. La monnaie conserve sa valeur, ce qui est objectivement intéressant, en particulier pour les gens relativement modestes : quand ils ont quelques billets en poche, ils ont la garantie que ces derniers auront toujours la même valeur les jours suivants.

Ce constat peut être dressé alors même que, dans la plupart des pays d’Afrique, il existe un taux de change fixe, comme dans la zone franc d’Afrique de l’Ouest : de ce point de vue, celle-ci ne présente pas de singularité.

Les pays ont plutôt trouvé leur compte dans le système car ils auraient très bien pu quitter le franc CFA, à l’image de ce qu’avaient fait, au moment des indépendances, la Guinée et le Mali – ce dernier étant revenu par la suite – et la Mauritanie en 1972. La Guinée-Bissau, quant à elle, est dans une situation très particulière, car cette ancienne colonie portugaise a rejoint la zone franc CFA.

La réforme vise donc à conserver l’essentiel, c’est-à-dire une monnaie commune aux huit pays, ce qui est une occasion de commerce intéressante, et la garantie de la France, élément de stabilité jugé très précieux.

Si l’on se projette au-delà de l’accord qui nous occupe, il faut aussi avoir présent à l’esprit le fait que, comme je vous l’expliquais, les huit pays concernés font partie d’une zone commerciale plus large, la CEDEAO. Or, non seulement les pays membres de cette organisation sont dans une logique d’union commerciale – même s’il y a des droits de douane –, mais ils ont officiellement, et depuis longtemps, la volonté de se diriger vers une monnaie commune. Il faut donc se poser dès à présent la question suivante : que deviendra l’ancien franc CFA d’Afrique de l’Ouest, devenu eco, dans cette logique plus générale ? Cela peut poser des problèmes assez importants, notamment dans la mesure où l’un des pays de la CEDEAO est particulièrement important : le Nigeria compte la moitié de la population et représente plus de la moitié de l’activité économique de la zone et, à la différence des autres, il est très lié au pétrole, dont les cours sont extrêmement erratiques. Comment, à l’avenir, sera-t-il possible de concilier une monnaie issue du franc CFA, qui s’appellera l’eco, et une monnaie plus générale, qui d’ailleurs avait vocation à porter le même nom ? C’est une petite difficulté qui n’a pas été tranchée. Globalement, les huit pays de la zone monétaire ne se précipitent pas vers une union monétaire générale, du fait essentiellement du poids relatif du Nigeria. Mais, en tout état de cause, il faut avoir présent à l’esprit cette préoccupation, comme c’est le cas des responsables africains dans leur ensemble.

Pour conclure, je considère que l’essentiel est conservé par l’accord, c’est-à-dire la crédibilité de la garantie de la France ; l’existence d’une zone monétaire qui fédère ces pays et leur permet d’avoir une activité commerciale, en dépit des difficultés multiples qu’ils rencontrent ; la stabilité et l’absence d’inflation, ce qui est un avantage certain pour leurs ressortissants. En outre, les évolutions que l’accord prévoit sont souhaitées par les pays africains, tout au moins certains d’entre eux – plus spécialement la Côte d’Ivoire, qui a été très allante. Notre commission émet seulement un avis sur ce projet de loi de ratification : je m’autorise à dire que le mien est favorable. Je rappelle également que, comme pour tout accord international, le texte n’est pas susceptible de faire l’objet d’amendements autres que de suppression.

M. Laurent Saint-Martin. Je remercie notre collègue Marc Le Fur pour son travail et son exposé très complet, qui répond à un grand nombre des interrogations que l’on pouvait avoir à propos de cet accord. Je voudrais seulement quelques précisions supplémentaires.

En définitive, comment la France restera-t-elle associée à la gouvernance ? Vous avez dit qu’elle ne serait plus présente dans certaines instances, ce que l’on peut comprendre : les choses évoluent – c’est d’ailleurs tout l’objet de l’accord. Mais quels seront les points d’arrimage entre la France et l’union monétaire en termes de gouvernance ? Que restera-t-il pour garantir l’équilibre ? Il me paraît important que les enjeux de gouvernance soient décrits précisément.

Vous avez parlé à juste titre du Nigeria à propos de la CEDEAO – organisation plus large, en effet, que l’UEMOA. Quelle position ce pays a-t-il publiquement exprimée à propos de l’accord ? Il pourrait tout à fait considérer qu’il y a une contradiction entre la mise en place de cette nouvelle monnaie et la perspective d’une monnaie unique de la CEDEAO.

Peut-on imaginer, à l’avenir, d’autres évolutions similaires pour d’autres unions monétaires, notamment la CEMAC, qui utilise elle aussi le franc CFA, et l’Union comorienne ?

M. Saïd Ahamada. Monsieur Le Fur, je suppose que vous avez pris connaissance de la déclaration récente de M. Ouattara : selon lui, le franc CFA perdurerait au moins jusqu’à la fin de l’année 2023, voire jusqu’en 2025. Quel est l’impact de cette déclaration sur le texte dont nous discutons ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je voudrais tout d’abord féliciter notre excellent collègue Marc Le Fur, qui a produit un rapport complet. Il connaît bien le sujet et ses explications nous permettent de comprendre les bases de cet accord.

Je voudrais malgré tout m’assurer d’avoir bien compris. Il existe donc plusieurs zones monétaires, et la CEDEAO compte, outre les huit pays parties à l’accord, les États d’Afrique de l’Ouest suivants : la Guinée, le Nigeria, le Ghana, le Liberia, la Sierra Léone et la Gambie. Seront-ils parties à l’accord ?

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Non. Si j’ai évoqué la CEDEAO, qui est une zone commerciale, c’est parce que la zone monétaire y est intégrée. Il existe des zones commerciales qui ne sont pas des zones monétaires – l’Europe en est l’exemple.

Mme Marie-Christine Dalloz. La monnaie issue du franc CFA s’appellera donc l’eco. A-t-on une idée précise de sa date de mise en circulation ? Qu’en sera-t-il de la parité et du cours : est-ce qu’on va se fonder sur une transformation du franc CFA, ou bien créera-t-on un nouveau mécanisme ? C’est un enjeu important, car la France va être garante de la réalisation de cet accord et des actifs financiers.

M. Charles de Courson. On a parlé de gouvernance, mais, à ma connaissance, ces pays se gouvernent déjà tout seuls sur le plan monétaire : ce n’est plus la Banque de France qui s’en occupe, quand bien même nous continuons à avoir un rôle de conseil.

La vraie question est la suivante : quelles garanties l’État français apporte-t-il à cette zone monétaire ? En cas de problèmes graves, quels sont les engagements de la France – et les coûts éventuels pour le budget de l’État français, car il n’y a pas de garantie sans risque ?

M. Éric Coquerel. Merci à Marc Le Fur pour son travail. J’ai lu avec attention l’accord de coopération. Pour ma part, je considère que tout ce qui va dans le sens d’une véritable souveraineté monétaire des pays africains, afin d’enclencher un véritable développement, est positif. Or, et il importe de le noter, il y a dans cet accord des éléments qui ne sont pas seulement cosmétiques, à commencer par le changement de nom, qui n’est pas qu’un problème de mots : il marque une rupture avec le franc CFA, qui, comme chacun sait, est l’acronyme du franc de la communauté financière africaine, mais est souvent ressenti, avec raison, comme restant le franc « des colonies françaises d’Afrique » par les pays concernés. La fin de la centralisation des réserves de change de l’UEMOA à Paris va elle aussi dans le bon sens.

Cela dit, j’observe que la France va rester très présente : si elle n’est plus co-gestionnaire, elle conserve son rôle de garant financier de l’union ; elle pourra, à titre exceptionnel, pour la durée nécessaire à la gestion d’une crise, avoir de nouveau un représentant au comité de la politique monétaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Deux choses surtout m’inquiètent – ce sont mes réserves envers le texte.

Premièrement, je crains que l’accord n’enterre le projet de monnaie commune de la CEDEAO. J’observe en effet qu’il ne concerne que huit pays francophones et n’inclut évidemment ni le Nigeria ni le Ghana – pas davantage, d’ailleurs, que les pays d’Afrique centrale utilisant eux aussi le franc CFA.

Deuxièmement, la nouvelle monnaie restera indexée sur l’euro. De ce point de vue, je me demande si on ne risque pas, en définitive, de passer du franc CFA à une sorte d’euro CFA – avec la logique monétariste que cela suppose, qui n’est pas forcément ce qu’il faut pour relever les défis auxquels sont confrontés les pays subsahariens, qui décident de gros investissements. De la même manière, d’ailleurs, je considère que cette logique n’est pas non plus nécessaire pour l’Europe – mais c’est un autre débat.

Que penseriez-vous, Marc Le Fur, de détacher l’eco de l’euro et de le rattacher plutôt à un panier de devises ?

Ne pourrait-on pas envisager une fin programmée de la tutelle française sur une période longue, par exemple cinq à dix ans, en accord avec les pays concernés – ce qui permettrait cette fois de couper réellement le cordon ombilical ?

Comment la France peut-elle contribuer à une réflexion sur le statut de cette monnaie commune, afin d’éviter le syndrome de la monnaie forte, dont l’euro est l’illustration et qui n’est pas profitable aux pays en question ?

M. Vincent Ledoux. Je salue à mon tour l’excellent rapport de Marc Le Fur. La réforme proposée permet de faire disparaître les « irritants politiques » – selon l’expression d’un fonctionnaire du Trésor auditionné par notre commission le 12 février dernier –, c’est-à-dire tous les symboles hérités du contexte colonial. Toutefois, sur le fond, l’accord monétaire est inchangé, avec une garantie de la parité, couverte en cas de besoin par la France.

Ma première question porte sur la gouvernance. Une personnalité qualifiée doit être nommée au comité de politique monétaire, en concertation avec le Président de la République française. Un profil particulier a-t-il déjà été retenu, monsieur le rapporteur pour avis ? S’agira-t-il d’un universitaire, français ou européen, ou encore d’un fonctionnaire ? Il faut se garder d’adresser un mauvais signal, qui donnerait l’impression de rétablir d’une manière subreptice une forme de tutelle. En Afrique de l’Ouest, il y a de très bons connaisseurs des échanges avec la zone euro, qui sont en mesure d’apporter, en toute indépendance, l’expertise dont la BCEAO aura besoin.

Sur le plan technique, se pose le problème, que vous avez évoqué tout à l’heure, de la rémunération – voire de la sur-rémunération – des sommes déposées chez nous par les pays africains. Les montants en jeu sont très importants ; ils couvrent une bonne partie des charges de fonctionnement des banques centrales. Une fois l’accord entré en vigueur, la rémunération des dépôts n’existera plus. Monsieur le rapporteur pour avis, vous êtes-vous enquis auprès des responsables de la BCEAO de la façon dont ils vont faire face à cette baisse brutale de leurs ressources ? La France envisage-t-elle de la compenser ? En 2005, une précédente réforme avait réduit de 65 % à 50 % la part des réserves qui devait être centralisée. Or cela s’était traduit par la mise en place d’une compensation abondée par le budget de l’État. En sera-t-il de même dans le projet de loi de finances pour 2021 ? Le système bancaire africain, en termes de capacité de centralisation, ne présente pas les mêmes garanties que le système européen : dans un contexte de crise politique, les États en question pourraient se trouver déstabilisés.

Les banques centrales des zones franc CFA sont les principaux clients de la Banque de France, hors zone euro, pour la fabrication de billets. Celle-ci représente, par exemple, plus de 50 % de l’activité de l’imprimerie de Chamalières. Les dépenses d’entretien de la circulation fiduciaire, c’est-à-dire l’achat de billets de banque – fabriqués chez nous –, leur transport et leur assurance, s’élèvent à 45 millions d’euros par an environ pour la BCEAO. Certes, les économies africaines accélèrent leur transition numérique, mais le besoin de papier existe toujours. Force est de constater que, soixante ans après les indépendances, nous ne sommes toujours pas en mesure de faire en sorte que les banques centrales africaines des zones franc CFA ne dépendent pas d’un approvisionnement extérieur. C’est un comble : ce sont leurs pays qui exportent le coton qui constitue la matière première des billets de banque que nous produisons pour eux ! Le préambule de l’accord que nous examinons prévoit un changement de nom : on peut en déduire qu’il faudra, à brève échéance, émettre de nouveaux billets de banque portant la nouvelle dénomination. Ne pensez-vous pas, monsieur le rapporteur pour avis, que c’est l’occasion de revoir rapidement les accords opérationnels avec la BCEAO, afin d’assurer un véritable transfert de compétences ?

Enfin, est-il vraiment réaliste de continuer à considérer, en 2020, que la parité fixe par rapport à l’euro est adaptée en toutes circonstances aux besoins d’États d’Afrique de l’Ouest dont l’économie et la démographie diffèrent totalement de celles de la zone euro ?

M. M’Jid El Guerrab. La fin prochaine du franc CFA, objet de tant de fantasmes, et qui constitue l’un des derniers vestiges de la Françafrique, reste une question sensible auprès des populations africaines, lesquelles souhaitent que soient levées les dernières interrogations en suspens. En effet, il ne reste plus que quatre mois pour lancer la monnaie unique de la CEDEAO, un délai bien court alors qu’il faut encore créer la banque centrale fédérale et préciser le régime de change de la nouvelle monnaie, sans compter les nécessaires démarches administratives et informatiques liées à un changement de devise et la fabrication des pièces et billets. Réunis avant-hier à Niamey, les chefs d’État et de gouvernement de la région ont donc acté le report inéluctable de la mesure. Ils ont évoqué l’élaboration d’une nouvelle feuille de route, sans pour l’instant déterminer un calendrier. Monsieur le rapporteur pour avis, pouvons-nous avoir de plus amples précisions sur la fin du franc CFA et son remplacement par l’eco, ainsi qu’un agenda détaillé de cette réforme ?

M. Benjamin Dirx. Je voudrais être sûr d’avoir bien compris, monsieur le rapporteur pour avis : à la suite de cet accord, le Tchad et le Niger n’auront plus la même monnaie, n’est-ce pas ?

Il a été question d’une possible instabilité monétaire, mais la principale source d’instabilité au Sahel, c’est bien l’insécurité – on essaie de faire fonctionner le G5 Sahel, et on voit bien que les difficultés sont nombreuses.

Lorsque nous avons construit l’Europe, nous nous sommes unis autour d’une monnaie. D’ailleurs, le seul pays qui ne l’avait pas adoptée est parti. En outre, nous rencontrons de très grandes difficultés pour fonder une défense et une sécurité communes au niveau européen.

Le fait pour les pays du G5 Sahel d’avoir des monnaies différentes ne sera-t-il pas une source de complexité supplémentaire pour le fonctionnement de l’alliance ?

M. le président Éric Woerth. Par curiosité, monsieur le rapporteur pour avis, y a-t-il une rémunération de la garantie apportée par la France ?

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Non, monsieur le président. En revanche, comme je le disais, les dépôts effectués par les pays sont rémunérés – à un taux convenable au regard de la faiblesse générale des taux actuels : 0,75 %.

La convention de garantie qui doit accompagner l’accord est encore en cours de rédaction. Elle revêt évidemment une importance particulière pour la partie française, car nous continuons à garantir la parité avec l’euro – ce qui est d’ailleurs une demande tout à fait explicite des pays africains. Or, nous n’aurons plus ni dépôts ni présence humaine dans les conseils d’administration en contrepartie de la garantie. L’idée est de proposer un reporting plus fréquent et plus substantiel : les modalités en seront précisées par la convention de garantie. Par ailleurs, en cas de crise, la possibilité du retour d’un représentant du Trésor français dans le comité de politique monétaire – sans qu’il en soit membre – est prévue.

Quel est le risque lié à la garantie ? Il y a toujours un risque. Force est pourtant de constater que, depuis 1994, nous n’avons jamais eu l’occasion d’actionner la garantie. La garantie offerte est donc certes très forte, mais elle n’est pas utilisée car, traditionnellement, la BCEAO, installée à Dakar, est très prudente. Le pari est fait qu’il en ira de même à l’avenir. Croyez-moi, les pays de l’UEMOA sont très attachés à la garantie de la France. En même temps, avec l’accord, les « irritants politiques » disparaissent, comme le disait Vincent Ledoux. Ce n’est pas une évolution cosmétique : au-delà du changement de nom, les modalités de gestion évoluent aussi. Toutefois, je le disais, l’essentiel est conservé.

Les pays de la zone franc d’Afrique centrale bénéficient eux aussi de la parité de change avec l’euro, et ce sera toujours le cas. Comme la parité vaudra également pour les pays d’Afrique de l’Ouest, qui veulent la garder, les relations entre les deux ensembles ne changeront pas fondamentalement. Il est vrai que l’accord nous liant aux pays d’Afrique centrale sera différent : la France sera toujours représentée dans leur banque centrale et ils continueront d’être soumis à l’obligation de dépôt. Notre relation avec ces pays n’évoluera pas pour l’instant, mais, étant donné celle qui est engagée avec l’Afrique de l’Ouest, nous irons dans la même direction avec les pays d’Afrique centrale s’ils en font explicitement la demande. Quoi qu’il en soit, l’accord n’occasionne pas de rupture au sein de l’Afrique puisque, pour les deux zones, la parité a vocation à rester la règle. Par ailleurs, il est vrai que le Tchad s’inscrit dans une logique d’Afrique centrale.

S’agissant des modalités concrètes, le changement de monnaie aura effectivement des conséquences pour la population. Certes, l’utilisation du téléphone pour les paiements est très répandue en Afrique, beaucoup plus que chez nous, et c’est un avantage car la téléphonie mobile se répand plus vite que d’autres formes de services plus lourdes, mais il va quand même falloir changer les billets à un moment donné. C’est une donnée objective – et complexe. L’opération est délicate, en particulier pour les pays dont les infrastructures ne sont pas parfaitement opérationnelles, sans parler de ceux qui sont en situation de guerre.

Avant cela, il faudra effectivement imprimer de nouveaux billets, monsieur Ledoux. Très peu d’entreprises sont capables d’en produire. En effet, la question n’est seulement de se procurer la matière première : la fabrication de billets est un processus très sophistiqué. En l’occurrence, de nombreux pays n’impriment pas leur propre monnaie et ont recours à des entreprises – françaises, parfois même bretonnes – spécialisées dans ces impressions sophistiquées. Le choix relève très clairement des pays d’Afrique de l’Ouest : nous n’avons pas à interférer.

Le calendrier est sensiblement décalé – entre 2023 et 2025 selon certains, je ne saurais dire. Quoi qu’il en soit, l’opération est compliquée et il faut éviter toute rupture de confiance au moment où les gens transféreront leur argent. Pour cela, il vaut mieux prendre un peu plus de temps et bien faire les choses plutôt que de changer de monnaie à la sauvette. Le support papier doit être très sécurisé, car il y a toujours des trafics.

Autant il y a une incertitude sur la date, autant il n’y en a pas s’agissant de la parité : elle reste inchangée. La seule ambiguïté tient aux mots utilisés, car la monnaie doit s’appeler eco, ce qui était également le nom retenu par la CEDEAO pour sa future monnaie commune. Cela occasionne une petite difficulté entre ces pays, car ils appartiennent tous à la même zone commerciale mais pas à la même zone monétaire et la zone de l’UEMOA préempte en quelque sorte le nom qui était prévu pour la monnaie de l’ensemble. Mais il s’agit là d’un problème interne.

La particularité de cette grande zone – c’est là une différence très importante avec l’Europe, par exemple – tient au fait que l’un de ses pays a un poids considérable et que son économie est fondée sur la production pétrolière, alors que les autres sont plutôt importateurs de pétrole. De ce point de vue, la situation n’est pas simple, mais en tout état de cause nous avons tous intérêt, pour l’Afrique, à ce que la zone commerciale fonctionne bien. L’activité essentielle d’un pays comme le Bénin, en particulier, celle qui le fait vivre, c’est le commerce avec le Nigeria.

S’agissant de la personnalité qualifiée, elle sera, en dernière analyse, choisie par le conseil des ministres de l’UEMOA, même si le processus a lieu en concertation avec la France ; il n’y a donc aucune ambiguïté. En outre, elle ne sera qu’un membre parmi d’autres au sein du comité de politique monétaire, même si, comme elle échappera à la logique de l’intérêt de chaque pays, elle aura peut-être un certain poids, surtout si la personne choisie possède un certain rayonnement.

En ce qui concerne les éléments d’anachronisme qui subsisteraient, je tiens à souligner que j’ai rencontré à Dakar des représentants de la banque centrale et qu’ils sont très attachés à la logique de la parité, du change fixe – en dernière analyse, à la garantie française : ils y voient un élément de stabilité économique majeur. Ils me signalent d’ailleurs d’autres difficultés, notamment le fait que les banques françaises sont moins présentes proportionnellement en Afrique qu’elles ne l’étaient par le passé, comme c’était le cas par exemple de la BNP et du Crédit lyonnais. D’autres banques, en particulier marocaines et turques, jouent désormais un rôle important. Il faut dire que les banques marocaines, en particulier, sont tout à fait adaptées à la petite épargne, car elles sont capables d’organiser des succursales dans de toutes petites villes, ce qui, bien évidemment, n’est pas le cas des nôtres.

Pour conclure, je le répète, l’essentiel est conservé du point de vue monétaire et économique. L’évolution est légitime, elle est demandée et n’est en rien cosmétique.

M. le président Éric Woerth. Merci beaucoup, monsieur le rapporteur pour avis. Je salue la qualité et la précision des informations que vous nous avez données.

La commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article unique du projet de loi.

 

 


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   Annexe 1 : texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine, signé à Abidjan le 21 décembre 2019 et dont le texte est annexé à la présente loi.

 


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   Annexe 2 : carte

 

https://www.banque-france.fr/sites/default/files/images/illustrations/819421zfcartezoneseco.png

Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo

Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) : 8 pays de l’UEMOA et Cap Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Libéria, Nigéria, Sierra Leone

Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) : Cameroun, Centrafrique, Congo, Sao Tomé et Principe, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad

 


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   annexe 3 : personnes auditionnées par le rapporteur

À Paris :

   M. Rémi Maréchaux, directeur de l’Afrique et de l’océan indien au ministère de l’Europe et des affaires étrangères 

   M. Guillaume Chabert, direction générale du Trésor, ministère de l’économie et des finances

À Lomé (Togo) par visioconférence :

   M. Kako Nubukpo, économiste, ancien ministre togolais, ancien directeur de la francophonie économique et numérique à l’Organisation internationale de la Francophonie

À Accra (Ghana) par visioconférence :

   M. Olivier Martiel, chef du service économique de l’ambassade de France au Ghana

À Dakar (Sénégal) :

   M. Amadou Hott, ministre sénégalais de l’économie, du Plan et de la coopération internationale

   M. Abdoulaye Daouda Diallo, ministre sénégalais des finances et du budget

   M. Philippe Lalliot, ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie

   M. Joël Godeau, chargé d’affaires au sein de l’antenne diplomatique de la France en Gambie

   M. Didier Larroque, consul général de France à Dakar

   M. Balqis Kaouk et M. Hassan Bahsoun, conseillers consulaires représentants des Français établis au Sénégal, en Gambie et au Cap Vert

   Mme Gisèle Sabbagh et M. Gérard Sénac, conseillers du commerce extérieur Sénégal

 

Table ronde autour de l’impact de la nouvelle monnaie sur le financement des PME :

   M. Idrissa Diabira, directeur général de l’ADEPME

   M. Bocar Sy, directeur général de la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) 

   M. Amadou Bao, directeur des études et du Suivi-Evaluation (DER/FJ) 

   M. Pierre Maspoli, Proparco

   M. Thomas De Vericourt, Agence française de développement

Table ronde avec des représentants de la société civile sénégalaise :

   M. Maguèye Kassé, professeur et modérateur de la conférence de l’Institut français « FCFA cette monnaie qui divise »

   M. Abdou Diaw, journaliste économique du quotidien Le Soleil

   M. Omar Thiam, directeur de l’école de management et de la recherche - ISM, auteur d’articles sur le sujet FCFA

   M. Alain Lamine Sakho, économiste, analyste financier

   M. Abdel Munim Zampalegre, directeur général, M. Mamadou Igor Diarr, directeur régional des filiales UMOA et M. Mactar Diack, directeur général adjoint corporate, Bank of Africa

   M. Bernard Levie, administrateur directeur général de la banque internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal (BICIS) 

   M. Jean-Marc Mancel, directeur général de la société générale Sénégal


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   annexe 4 : Personnes auditionnées par le rapporteur pour avis

Direction générale du Trésor

   M. Guillaume Chabert, chef du service des affaires multilatérales et du développement

   M. Félix de Liège, adjoint au chef de bureau Afrique subsaharienne et Agence française de développement

Banque de France

   M. Bruno Cabrillac, directeur général adjoint des études et des relations internationales

   Mme Véronique Bensaïd-Cohen, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur de la Banque de France

FERDI

   Professeurs Patrick Guillaumont et Sylviane Guillaumont-Jeanneney

 

 

 


([1]) Accord de coopération du 4 décembre 1973.

([2]) World Economic Outlook, avril 2020.

([3]) 7 % du PIB en 2019 (source : Banque mondiale).

([4]) AFP – 30 janvier 2020.

([5]) Bénin – Burkina Faso – Cap Vert – Côte d’Ivoire – Gambie – Ghana – Guinée – Guinée-Bissau – Libéria – Mali – Niger – Nigéria – Sénégal – Sierra Léone – Togo.

([6]) Source : CEDEAO.

([7]) Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale : Cameroun – Centrafrique – Congo – Gabon – Guinée équatoriale – Tchad.

([8])  L’Union monétaire d’Afrique de l’Ouest (UMOA) a intégré l’Union économique et monétaire ouest-africaine lorsque celle-ci a été créée en 1994.

([9])  L’UMAC a été intégrée à la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale au moment de la création de cette dernière, également en 1994.

([10])  M. Patrick Guillaumont et Mme Sylviane Guillaumont-Jeanneney, « La Zone franc en perspective », Revue d’économie du développement, 2017.

([11])  M. Dominique Strauss-Kahn, « Zone franc, pour une émancipation au bénéfice de tous », avril 2018.

([12])  MM. Sosso Feindouno, Samuel Guérineau, Patrick Guillaumont, Patrick Plane et Mme Sylviane Guillaumont Jeanneney, Zone franc, croissance économique et réduction de la pauvreté, Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI), janvier 2020.

([13])  Fonds monétaire international (FMI), « Union économique et monétaire ouest-africaine », rapport du FMI n° 19/90, mai 2019.

([14])  M. Strauss-Kahn, op. cit.

([15])  À titre d’illustration, la European Currency Unit (Ecu), outil du système monétaire européen ancêtre de la monnaie unique, constituait également un panier de monnaie.

([16])  M. Patrick et Mme Sylviane Guillaumont, « La zone franc en perspective », revue d’économie du développement, 2017.

([17])  Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, compte rendu n° 43 de la réunion du mercredi 12 février 2020.