N° 3703
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2020.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse,
Présidente
Mme Sandrine Mörch
Rapporteure
Mme Marie-George Buffet
Députées.
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 3068 et 3165.
La commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse est composée de :
– Mme Sandrine Mörch, présidente ;
– Mme Marie-George Buffet, rapporteure ;
– Mme Sandra Boëlle, Mme Danièle Cazarian, Mme Sylvie Charrière, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, Mme Marianne Dubois, M. Pierre-Henri Dumont, M. Alexandre Freschi, Mme Albane Gaillot, Mme Perrine Goulet, M. Régis Juanico, Mme Anissa Khedher, Mme Anne-Christine Lang, M. Michel Larive, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Gaël Le Bohec, M. Philippe Meyer, M. Bertrand Pancher, Mme Maud Petit, Mme Florence Provendier, M. Frédéric Reiss, Mme Mireille Robert, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, Mme Sylvie Tolmont, Mme Souad Zitouni.
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Pages
I. « la jeunesse est rÉsiliente », une affirmation À nuancer
A. un État sanitaire pour l’essentiel prÉservÉ mais qui cache des disparités importantes
1. Des tranches d’âge peu exposées et contribuant peu au risque épidémique
b. Une moindre contribution des enfants aux chaînes de contamination
a. Les effets négatifs du recul de l’activité physique et de déséquilibres alimentaires
b. Des retards possibles dans la prévention et les traitements
B. Un ÉQUILIBRE PSYCHIQUE et moral des jeunes à reconstruire
1. Une crise sanitaire propice à l’apparition ou à l’aggravation de troubles psychiques
b. Des expressions de mal-être et de fragilité chez les adolescents et jeunes adultes
2. Des séquelles possibles dans le développement personnel des jeunes
C. DES capacitÉs de socialisation ALTÉRÉES ?
II. une occasion de revisiter de fond en comble la place des jeunes au sein des politiques publiques
A. Un discours culpabilisant, aux conséquences à long terme incertaines
1. Un récit qui fait de l’enfant et du jeune un coupable potentiel
2. Les dangers d’un discours culpabilisant
1. La verticalité, une méthode qui trouve ses limites, un manque de lieux d’échange et d’écoute
a. Une gestion en silos qui privilégie l’urgence
b. Une méthode qui relègue les jeunes dans l’angle mort
c. Des structures qui existent mais qui peinent à trouver leur place
d. Une parole qui ne doit pas être ignorée ou disqualifiée lorsqu’elle ne rejoint pas l’attendu
1. Un contexte insécurisant depuis plusieurs années insuffisamment pris en compte
2. Des mesures affectant les enfants pendant la crise et lors du retour à l’école
I. Le droit à la santé, un droit fondamental
b. Le nécessaire renforcement de la protection maternelle et infantile
c. La nécessité d’évaluer l’usage de la téléconsultation pour les enfants
2. Le besoin de soutenir la pédopsychiatrie et de renforcer son rôle
3. La continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap en question
a. Un accès aux structures évoluant au gré de l’évaluation du risque épidémique
B. Un investissement nÉcessaire dans la santÉ à l’école et à l’université
1. Une médecine scolaire assez largement démunie dans le contexte de la crise épidémique
a. Une médecine scolaire en très grande difficulté
b. Des personnels insuffisamment associés pendant la crise sanitaire
a. Un contexte sanitaire favorisant la persistance d’un non-recours aux soins
b. Des capacités de prise en charge des étudiants qui ne sont pas à la hauteur des besoins
II. un accès À L’Éducation rÉaffirmé mais À la mise en œuvre problÉmatique
A. la continuité de la scolarité des enfants en question
1. Une année 2019-2020 partiellement escamotée, césure inédite pour les élèves
a. Fermeture des écoles : rappel de la chronologie
b. La mise en place d’un dispositif d’accueil dès le 16 mars en faveur des enfants de soignants
b. Des familles déboussolées par « la classe à la maison »
d. La crise sanitaire comme révélateur de la fracture numérique
e. Les vacances apprenantes : une relance bienvenue des colonies de vacances
3. Des modalités d’examen perturbées, l’absence de rite de passage pour les jeunes de terminale
a. Un baccalauréat 2020 fortement perturbé
b. Le baccalauréat 2021 dans l’incertitude
4. Le creusement des inégalités scolaires et sociales lié à l’interruption de la scolarité
b. Un retour plus difficile à l’école pour les enfants des catégories populaires
c. Des apprentissages qui ont souffert du confinement
B. Une rentrée scolaire 2020-2021 sous le signe de l’incertitude
a. Sortir du récit démobilisateur d’une prétendue normalité
b. Adapter les programmes pour tenir compte du contexte
c. Maintenir la pratique sportive à l’école
d. Prévoir des moments de concertation dans les équipes pédagogiques
a. Former les enseignants, les élèves et les parents d’élèves au numérique
b. Développer l’accompagnement des familles et le soutien scolaire
c. À plus long terme, ouvrir l’école à l’ensemble des acteurs de l’enfance et de la jeunesse
C. Des activitÉs sportives entravÉes, la nécessitÉ de rÉaffirmer leur rôle
1. La chute du nombre de licenciés et son corollaire financier
a. Une véritable hémorragie de sportifs pratiquants
2. Une urgence à maintenir l’offre sportive à destination des jeunes
a. Augmenter les subventions aux fédérations
b. Mettre rapidement en place le « pass’sport »
c. Apporter une attention particulière au sport féminin
D. des cursus D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PERTURBÉS, UNE VIE ÉTUDIANTE TRONQUÉE
a. Des calendriers chahutés par la survenue puis le prolongement de la crise épidémique
c. Des conditions d’accueil exigeant une évaluation et des accompagnements renforcés
2. La vie étudiante mise entre parenthèses, des mobilités internationales entravées
3. Le risque d’un creusement des inégalités entre étudiants selon leur cursus d’étude
A. des menaces accrues dans des environnements familiaux et sociaux dÉstabilisés
1. Des signaux contrastés quant à une recrudescence des violences intrafamiliales
b. Une activité soutenue du numéro d’appel d’urgence 119
c. Le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED) réorganisé
d. Le rôle des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP)
2. Des inquiétudes particulières à propos de la situation des jeunes LGBT+
a. Un public déjà fragile sur lequel le confinement a des conséquences exacerbées
b. Des associations en difficulté pour jouer leur rôle
c. Au-delà des violences, des conditions de vie compliquées par la crise
d. Le plan d’urgence gouvernemental
B. Des dispositifs d’identification et de prise en charge des victimes À conforter
1. Des moyens à étoffer pour la libération de la parole et le signalement des violences
2. Le rôle de la police et de la justice à préserver dans le contexte d’un épisode épidémique
3. L’enjeu du soutien à la parentalité : une timidité à dépasser
ii. Les effets contrastés du confinement pour les enfants relevant de l’ASE
iv. Les questions soulevées par la suspension des droits de visite et d’hébergement
b. Une justice exerçant ses missions dans un cadre aménagé, un impact difficile à mesurer
b. Des normes et objectifs d’une politique à reconsidérer ?
B. B. les mineurs non accompagnés : un jeune public vulnérable appelant une attention particulière
2. Une crise sanitaire qui a mis à l’épreuve la protection de ces mineurs vulnérables
a. Le principe d’une mise à l’abri inconditionnelle
b. De réelles défaillances constatées dans la mise en œuvre de ce principe
c. Les difficultés administratives rencontrées
d. Un accompagnement parfois insuffisant, ayant abouti à des situations extrêmement difficiles
e. La nécessité d’améliorer leur prise en charge, avec une réaffirmation du rôle de l’État
troisiÈme partie – la jeunesse en première ligne d’une conjoncture économique et sociale dégradée
1. Une crise qui creuse les inégalités sociales
B. des difficultés exacerbées pour les familles en grande précarité
1. Des conditions de vie ne répondant pas aux besoins élémentaires des enfants
2. Des difficultés aggravées pendant la crise sanitaire
D. Les associations caritatives : un rôle essentiel à consolider
1. Un rôle très important lors la crise sanitaire, qui doit être soutenu
A. des répercussions négatives sur le niveau de vie des étudiants
1. Un contexte propice à la baisse du niveau de vie des étudiants
1. Les mesures prises pour soutenir les étudiants pendant la crise
2. La nécessité de déployer des mesures pérennes de soutien à la condition étudiante
III. DES CAPACITÉs d’insertion Économique et sociale À préserver
C. l’accent porté sur le soutien à l’apprentissage
1. La nécessité d’ouvrir le bénéfice du RSA aux moins de 25 ans
2. La nécessité d’améliorer l’accès des jeunes à leurs droits et de lutter contre le non-recours
A. Un conseil scientifique aux larges prérogatives consultatives et à l’influence importante
1. Le tissu associatif, un outil essentiel de l’expression des jeunes à renforcer financièrement
2. Muscler le Haut Conseil à la vie associative
B. mieux associer les jeunes aux décisions les concernant
C. Renforcer la place des jeunes dans les organismes décisionnels ou de contrôle
a. Renforcer la clause d’impact jeunesse
b. Créer une délégation aux droits de l’enfant et à la jeunesse à l’Assemblée nationale
2. Pérenniser la présence des jeunes au sein du Conseil économique, social et environnemental
3. Mobiliser plus régulièrement le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse
4. Doter le délégué interministériel à la jeunesse de ressources propres
5. Créer un Observatoire national de la jeunesse
Personnes auditionnées par la commission d’enquête
PERSONNES auditionnées LORS DES DÉPLACEMENTS
PERSONNES auditionnées PAR LA PRÉSIDENTE
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La crise est un détonateur, un révélateur, un stimulateur. Elle nous a poussés à innover et à entreprendre. Elle a socialement désinhibé beaucoup d’entre nous, a assoupli des hiérarchies, et obligé chacun à prendre des initiatives. Partant d’une montagne de difficultés, la situation a aussi généré des sommes d’ingéniosité et de courage.
Sans panique ni déni, il nous faut prendre le parti des jeunes.
À l’Assemblée nationale, Marie-George Buffet, rapporteure, et moi-même, présidente, avons souhaité une commission d’enquête rigoureuse, implacable, qui puisse nous aider tous à mesurer mais aussi à prévenir les effets de cette crise sanitaire sur la jeunesse.
Nous avons donné la parole à une multitude de jeunes extrêmement différents les uns des autres, du squat au campus d’HEC, du bidonville à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), du jeune en milieu rural au jeune habitant un quartier prioritaire de la ville, et dans une fourchette d’âge la plus large possible. Tous, sans exception, ont apprécié d’avoir été écoutés, et pris en compte. Une soif d’être entendu qui en dit long sur leur sentiment d’être trop peu concertés sur les sujets qui les concernent. Et qui oblige chacun d’entre nous, adultes, parents, professionnels ou politiques, à reconsidérer les problématiques des jeunes, mais aussi leurs ressources, leurs talents, leurs idées et leur créativité. Afin qu’ils fassent eux-mêmes partie de la solution.
Les jeunes ne sont pas épargnés par le virus. Ils subissent très fortement la précarisation économique, l’isolement et une série de ruptures scolaires, affectives, psychologiques. Mais pour autant, cette crise violente que toutes les générations subissent est l’occasion de faire émerger la cause des jeunes. Entraide, fraternité, solidarité, ces mots parfois galvaudés ont repris tout leur sens à l’ère du Covid‑19. Les jeunes ont été propulsés en première ligne pour prêter main forte. Partout en France, ils ont accepté de prendre des risques pour être solidaires, avec leurs pairs, avec les personnes âgées, avec leurs voisins, pour aider les plus vulnérables à traverser cette crise. De la distribution alimentaire à la continuité pédagogique, en passant par des courses pour les plus fragiles ou la traduction des gestes barrières, les jeunes ont souvent pallié le manque criant de bénévoles, souvent âgés, ou le déficit en personnels, eux-mêmes touchés par le Covid-19. L’engagement associatif est une véritable solution qui donne du sens à leur vie, et leur permet de toucher aux réalités de la société qui les entoure.
Ces jeunes nous le disent et nous le redisent : la société, les médias, les adultes en général véhiculent une image négative et pessimiste de leur génération. Ils n’ont pas été contaminés par le virus, mais par la sinistrose. Le Covid-19 n’est pas le seul à leur avoir ravi leur insouciance déjà battue en brèche bien avant par les informations en continu, les attentats, la violence et la crise éco-climatique. À en écouter certains, ces jeunes n’ont plus aucun avenir.
Le Covid-19 a mis le doigt sur la grande pauvreté qui s’accentue depuis des années chez les jeunes et les touche au fur et à mesure que la société de consommation asphyxie toute autre aspiration. Le Gouvernement a pris la mesure de ces difficultés aggravées par la pandémie en prenant des mesures fortes qu’il déploie également dans son plan, « 1 jeune 1 solution » doté de 6,7 milliards d’euros. Alors que nous sortons de décennies de politiques publiques trop sourdes à la jeunesse, faisons-en sorte de ne plus perdre de vue tous ceux que la crise a enfin rendu visibles. C’est ce que nous pourrions appeler « l’opportunité » de cette crise : elle a obligé les décideurs et l’administration à scruter de très près les réalités du terrain.
Après plus de 80 heures d’auditions, les constats sont alarmants :
– plus de 50 % des jeunes sont inquiets sur leur santé mentale ;
– 30 % des jeunes ont renoncé à l’accès aux soins pendant le Covid-19 faute de moyens ;
– 700 000 jeunes vont faire leur entrée sur le marché du travail ; ils vont rejoindre les 600 000 jeunes déjà au chômage en France. C’est le plus fort contingent en Europe : 21,2 % des jeunes de 18 à 25 ans sont au chômage en France ;
– 38 % de jeunes travaillent dans le cadre d’un contrat précaire, soit sans contrat, en CDD ou en auto-entreprenariat ;
– un jeune sur six a arrêté ses études après la crise ;
– 43 % des non diplômés n’ont pas accès à internet ;
– 38 % de jeunes travaillent dans le cadre d’un contrat précaire, soit sans contrat, en CDD ou en auto-entreprenariat.
Bien évidemment, ces chiffres et surtout les réalités qu’elles recèlent n’atteignent pas le degré de gravité des conséquences de la pandémie dans certaines régions du monde. L’Unicef estime en effet que 6,7 millions d’enfants supplémentaires de moins de cinq ans, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du sud, souffriront de malnutrition et donc d’émaciation. Parmi eux, 10 000 en mourront chaque mois. Le rapport reviendra également sur la déscolarisation dans les pays à faibles revenus, spécialement celle des filles avec sa cohorte de conséquences en terme de travail infantile et de mariages précoces. Les effets de cette situation seront visibles à long terme jusque chez nous. Dans notre pays et concernant notre jeunesse, nous avons, en tout état de cause, des leviers pour transformer une épreuve en opportunité. La condition étant un accompagnement sans faille des adultes.
Quatre mois d’auditions, de rencontres, de discussions. Quatre mois d’histoires touchantes, bouleversantes, éprouvantes. Quatre mois pour mettre en lumière la parole d’une jeunesse souvent forte et engagée, qui, malgré les difficultés, les incertitudes et l’instabilité, tient debout tant bien que mal. Elle fourmille de solutions pour construire le monde de demain. Dans ce contexte de crise multiforme, c’est délibérément par le prisme du novateur et du constructif qu’il faut aborder un certain nombre de thématiques. Cette jeunesse demandait d’abord à être entendue. C’est chose faite avec cette commission, même si nous ne prétendons pas en avoir une parole exhaustive. Désormais, cette jeunesse demande à pouvoir agir, contribuer et participer aux politiques publiques d’aujourd’hui et de demain. Non seulement la voix des jeunes est indispensable dans la défense de leurs droits, mais leur regard sur la société est également fondamental. On ne résout pas un problème sans écouter ceux qui le subissent, sans associer étroitement les jeunes aux décisions grâce notamment au mouvement des Civic Tech pour une démocratie numérique.
1. La santé psychique des jeunes
L’engagement de la jeunesse pendant le confinement ne doit pas occulter l’immense précarité et la détresse engendrées par cette crise, conjuguées à l’angoisse d’un horizon professionnel engorgé. Et si la commission a entendu de « belles histoires de jeunes », tous n’ont pas eu la chance d’être aidés par un proche ou un contact de confiance.
Si certains ont eu l’opportunité de s’engager, d’autres sont tombés en état de sidération parfois prolongé. Déprimés, désabusés par le monde, certains de ces jeunes ont totalement délaissé leur implication sociale et civique.
Les effets délétères du Covid-19 et du confinement sur un grand nombre de jeunes sont bien là : décompensations, tentatives de suicide, désespoirs en tous genres. Le ressenti d’un empêchement supplémentaire à vivre le présent, comme avant-goût angoissant de l’avenir qui se profile : situation écologique et économique désastreuse, terrorisme, géopolitique tendue, etc.
Témoignages de jeunes :
« Aujourd’hui, pour en parler autour de nous, les jeunes de 20 ans sont au bord de la déprime généralisée : les perspectives d’avenir sont toutes remises en question, et pourtant les modalités de parcours et d’exigence ne changent pas, les relations sociales sont « interdites » et le sentiment de culpabilité est omniprésent. Nous restons persuadés que les jeunes sont, dans leur grande majorité, responsables et conscients des enjeux de la pandémie et que la culpabilisation permanente par les discours politiques et médiatiques est contre-productive et presque malsaine : comment peut-on parler « d’éthique » (à propos du « seul confinement des personnes âgées ») lorsque seuls les jeunes étudiants sont, dans les faits, confinés ? Plus largement, nous pensons que soutenir psychologiquement les jeunes, et tous les jeunes (gratuité / démultiplication des centres d’aides), serait bénéfique d’un point de vue productiviste : l’absence de relations sociales, le mal-être et le stress permanent face aux perspectives d’avenir bloquent les jeunes, leur font perdre confiance en eux et dans les institutions. Il faut que les jeunes puissent mettre des mots sur cette période plus que compliquée pour eux, mais aussi pour leurs proches. Il ne faut pas revenir « comme avant » comme si de rien n’était. Le soutien psychologique permettrait d’améliorer et de maximiser la productivité des jeunes, et aussi de les faire renouer avec leurs institutions : un tout qui ne pourrait être que positif pour notre pays »
« Nos expériences nous font affirmer qu’il faut développer l’aide psychologique pour les jeunes. Notamment en mettant en relation les administrations, les professeurs et les élèves, qui souvent, osent s’adresser à eux, avec des dispositifs comme les Missions Locales ou les Maisons de Jeunesse pour que l’offre soit connue de tous et accessible. La gratuité est primordiale : tous les jeunes n’ont pas les moyens de se faire aider, la survie alimentaire ou le logement sont prioritaires, pourtant la stabilité psychologique est essentielle »
À cet égard, 1 600 référents supplémentaires ont été créés dans les CROUS qui quotidiennement travaillent à éviter l’isolement des étudiants et à détecter les situations de mal-être. C’est un premier pas qui en appelle beaucoup d’autres afin que nul ne se sente plus isolé dans l’univers estudiantin. Le Premier ministre a également annoncé le recrutement de psychologues et d’assistantes sociales.
Malheureusement la psychiatrie, très affaiblie dans notre système de santé, n’est pas prête aujourd’hui pour répondre à l’afflux des jeunes en souffrance. Quant au volet prévention, il est encore embryonnaire dans notre pays. De plus en plus de petits groupes d’étudiants pratiquent la méditation par visioconférence. Une façon efficace de combattre le stress, d’échanger sur les difficultés ressenties, et de se serrer les coudes.
Témoignage :
« Apprendre à se poser, à réfléchir, à ressentir et analyser ses émotions, savoir prendre du recul, cultiver de belles valeurs telles que la bienveillance, l’amour, la compassion, l’empathie, la patience, la générosité, la tolérance… et développer encore plus de joie, de créativité, de liberté… à travers la méditation est pour moi, l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse offrir à un enfant pour qu’il devienne un adulte heureux ! »
La santé psychique des jeunes de moins de dix ans est encore plus complexe. Les pédopsychiatres constatent des situations variables. Les enfants ne sont pas tous en mesure de comprendre ce qui est en jeu. Selon l’immaturité, la mort elle-même est un concept relativement abstrait ; mais ils sont les « éponges » de parents anxieux.
Enfin, il est estimé par les pédopsychiatres entendus qu’un tiers des jeunes vont bien. Ils ont bénéficié du temps de confinement pour prendre ou reprendre goût à la vie au sein de la cellule familiale, même dans un espace réduit. La commission a recueilli la parole d’un certain nombre d’entre eux, notamment collégiens de quartiers prioritaires, qui ont apprécié ce temps familial privilégié. Dans ce cas, la famille a pu rejouer le rôle protecteur et nourricier qui lui est dévolu.
Le rapport reviendra plus largement sur cette question et formulera un certain nombre de recommandations à ce sujet, notamment sur la pédopsychiatrie.
2. La jeunesse frappée par la pauvreté
La pandémie a révélé la grande pauvreté qui se répand chez les jeunes depuis vingt ans. Entre 2002 et 2018, le taux de pauvreté des 18-29 ans a déjà progressé de plus de 50 %. Les chiffres sont accablants.
Trois millions d’enfants, soit un sur cinq, vivent sous le seuil de pauvreté en France. 31 000 enfants sont sans domicile fixe. Entre 8 000 et 10 000 enfants habitent dans des bidonvilles. La moitié des 5 millions de pauvres a moins de 30 ans et selon le témoignage du secrétaire général des Restos du cœur, la moitié des personnes que l’association aide ont moins de 25 ans, et 40 % d’entre eux sont mineurs.
La crise a fragilisé des jeunes déjà vulnérables, en particulier les décrocheurs, les jeunes ruraux, les femmes et les ultra-marins. Pour la plupart sans qualification, ni réseau, issus de familles elles-mêmes en difficulté, ils passent souvent sous les radars des aides et des mesures d’accompagnement de l’État.
La crise a permis de lever de véritables élans de solidarité à travers le pays et notamment à Toulouse.
Sandrine Mörch, présidente : « J’ai eu la chance de participer à cet élan de solidarité qui s’est mis en place dès les premiers jours du confinement. Une chaîne inédite, avec des coopérations jusque-là impensables, entre des acteurs de champs différents. J’ai donc été aux côtés des habitants eux-mêmes, des associations locales et départementales, j’ai rapidement fait le lien entre le terrain et la Préfecture de la Haute-Garonne. J’ai de nouveau constaté la grande implication, quasi quotidienne, des acteurs sociaux, y compris des toutes petites associations, souvent inconnues des services de l’État mais pourtant bien présentes sur le terrain. Présente aux côtés de ces acteurs, j’y ai rencontré des jeunes très actifs et impliqués dans cette urgence au quotidien. Ils distribuaient des colis alimentaires, ils assuraient la continuité pédagogique, ils faisaient de l’aide aux devoirs, ils traduisaient lors dans des maraudes sanitaires, etc. Ils étaient jeunes chômeurs, étudiants, jeunes travailleurs, jeunes volontaires en service civique. Ils habitaient en campagne, en ville, sur des bidonvilles, dans les quartiers populaires. Ils étaient jeunes, ils étaient là, et œuvraient sans calcul et avec empathie, en ayant accepté de prendre des risques, de modifier leurs missions, leurs quotidiens pour s’adapter aux besoins et aux urgences du moment. »
Les habitants eux-mêmes ont pris leur destin en main à la faveur de la crise, notamment ceux des bidonvilles autour de Toulouse.
Sandrine Mörch, présidente : « Une nouvelle tranche de vie de jeunes « héros du quotidien » amenés à jouer un rôle nouveau, assumer de nouvelles responsabilités, avec des engagements inédits. Si certains étaient déjà engagés auparavant dans l’action sociale ou associative, d’autres ont découvert un nouvel univers, celui de la solidarité, avec tout ce qu’il comporte : son lot de stress, d’imprévus, de tensions mais aussi de bonnes surprises, des rencontres furtives et inattendues. Ces jeunes y ont appris de nouvelles choses, à commencer par la gestion de crise, tout en apportant leur pierre à l’édifice : certains étaient polyglottes – très utile pour les traductions sur leurs propres campements –, d’autres étaient plus débrouillards, plus disponibles, plus introduits dans les communautés à qui il fallait porter secours. Ils ont chacune et chacun révélé des qualités humaines et professionnelles inédites, des talents cachés, insoupçonnés et insoupçonnables. Ils ont permis de rapprocher des catégories socio-professionnelles qui ne se parlaient ni ne se connaissaient, et même d’inverser les rôles. Ils sont devenus les « sésame ouvre-toi » de toute une série de lieux « fermés » ou « repliés » sur eux-mêmes : bidonvilles, squats, hôtels sociaux, fins fonds des QPV. Ces jeunes qui d’un coup, ont tordu le cou à certains préjugés dont ils sont souvent victimes. Des jeunes qui se sont pris en main et ont mis la main à la pâte pour aider les autres, contribuant aux nombreuses chaînes de solidarités qui naissaient de part et d’autre ».
Face à cette pauvreté aggravée par la crise, le Gouvernement a débloqué des moyens financiers conséquents.
Ainsi plusieurs aides d’urgence ont été versées aux jeunes pour qu’ils puissent se loger et se nourrir. Depuis la rentrée dernière, les étudiants peuvent par exemple profiter de repas universitaires à 1 euro.
Et la lutte contre la pauvreté des jeunes ne se passera pas de l’implication des chefs d’entreprise pour les employer. Ainsi des primes exceptionnelles ont été octroyées aux entreprises pour soutenir l’embauche des jeunes et permettre leur insertion sur le marché du travail. Le nombre d’apprentis a battu un nouveau record cette année malgré la crise pour atteindre près de 420 000 contrats signés.
Les mesures du Gouvernement reposent sur l’idée simple qu’aucun jeune ne doit être empêché de s’engager dans une démarche de formation ou de parcours vers l’emploi faute de ressources financières. Ainsi, le Gouvernement a augmenté les moyens financiers alloués aux missions locales pour permettre une hausse du nombre d’entrées en garantie jeunes. La ministre du Travail Mme Élisabeth Borne a déjà annoncé le doublement du nombre de bénéficiaires de la garantie jeune en 2021 pour atteindre 200 000 places. Conformément à la philosophie du revenu de solidarité active (RSA), les bénéficiaires reçoivent une rémunération s’ils suivent des périodes de formation, des mises en situation en milieu professionnel ou bien même un accompagnement social et professionnel. Il s’agira d’entamer une réflexion au sein de l’Assemblée nationale avec le Gouvernement pour pousser encore plus loin le dispositif, dont la qualité est saluée par l’ensemble des acteurs de terrain.
Le rapport reviendra plus largement sur l’ensemble des aides et des dispositifs que le Gouvernement a pu prendre pour soutenir la jeunesse.
3. Le confinement dans des logements insalubres
À l’occasion de ses déplacements sur le territoire national, la commission d’enquête s’est enquis des conditions de logement des populations les plus précaires au moment où chacun était assigné à son domicile. Jamais la taille et les conditions du logement n’ont été aussi déterminantes pour le bien-être ou simplement pour la survie de la famille que pendant le premier confinement. Et habiter un hôtel social, c’est la certitude pour les enfants de ne pas avoir accès aux droits, et singulièrement le droit à l’éducation.
Les hôtels dits « sociaux » sont un exemple d’habitats précaires en France. À la suite de sa visite, la présidente a reçu un courrier d’une habitante de ces lieux qui consomment énormément d’argent public et qui rendent pourtant un service indigne de notre pays.
« Pourquoi cette action de l’État, qui à la base est salutaire, finit par se dévoyer bien souvent ? Pour répondre à cette interrogation, nous vous invitons, mesdames et messieurs, à porter en plus de vos masques, des gilets de protection, des chaussures confortables (pour les escaliers), des vêtements très chauds, et ne pas oublier de bien vous enduire tout le corps d’une crème anti-bestioles, pour nous suivre dans l’univers des enfants vivant en hôtel social…
« Les bagarres et autres formes de violence, les actes de vandalisme, le trafic et la consommation de stupéfiants, la manipulation d’armes, les interventions policières, etc. sont le vécu quotidien de ces enfants. Interrogez des enfants vivant en hôtel social sur la vie dans ces endroits, ils vous rapporteront des faits dignes de séquences de films d’horreur. Au-delà de l’insalubrité et la promiscuité du cadre de vie, l’insécurité permanente et la peur qui en découle restent les éléments les plus traumatisants pour ces enfants. »
Les personnes mises à l’abri sont bien conscientes que l’État ne joue pas là son rôle de contrôle de ses structures consommatrices d’argent public.
« Sauf erreur de notre part, nous ne croyons pas qu’il existe des dispositifs de contrôle des conditions d’hébergement dans les hôtels ; encore moins des moyens de pression sur ces hôteliers et structures d’accueil auprès desquels l’État engage d’importantes sommes d’argent pour garantir un minimum de bien-être à ces enfants. Au cas où ils existeraient, nous regrettons que leur application ne soit effective… Quand on voit l’insalubrité, le manque d’entretien, la vétusté ou le manque d’équipements de base (chauffage, ascenseurs, éclairage…), l’invasion de bestioles et j’en passe ; on ne peut que se demander si l’État exerce un droit de regard sur ces endroits ou en déduire tout simplement que c’est une volonté de ne s’en tenir qu’à la mise à l’abri. »
Il a été indiqué à la commission d’enquête que des travaux sur le sujet de l’accueil des mineurs isolés dans les hôtels sociaux ont été engagés à la demande de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles.
4. Des dispositifs ambitieux auxquels les jeunes n’ont pas recours
À quoi sert-il que nous votions des lois, que nous construisions des dispositifs d’aides aux plus fragiles, si ceux-là même qui doivent en bénéficier n’y ont pas recours ? Cette question a longtemps été un angle mort des politiques publiques.
Et même s’il y a un regain d’intérêt de la part des pouvoirs publics depuis quelques années :
23 % des jeunes déclaraient toujours ne pas avoir bénéficié de dispositifs, allocations, droits, aides ou tarifs sociaux auxquels ils auraient eu droit : une part en progression depuis 2016 (+ 5 points).
Une part plus importante encore de jeunes (32 %) ne savaient pas s’ils avaient été en situation de non-recours au cours des 12 derniers mois ([1]).
Les jeunes sont les premières victimes de la complexité de l’administration qu’ils côtoient souvent pour la première fois. Les jeunes ne sont pas les seuls à ne pas connaître les droits et les services auxquels ils peuvent prétendre. Il n’est d’ailleurs pas rare que les accompagnateurs et les éducateurs ne les connaissent pas eux-mêmes face à un enchevêtrement de dispositifs incompréhensibles. Il ne faut pas non plus oublier l’auto censure de certains jeunes face aux lourdeurs des démarches et la honte ressentie face à la dépendance de ces aides. Dans cette société qui prône la réussite et le succès solitaire de l’individu, la demande d’une aide peut être vue comme un échec. Alors que cette crise sanitaire a manifestement accru l’isolement des jeunes et leur précarité, la simplification de la gouvernance, des démarches et le renforcement de l’accompagnement des jeunes qui en ont besoin, s’avèrent une priorité. Encore faut-il les connaître et aller à leur rencontre en renouvelant notamment nos modes de communication grâce aux outils numériques.
À cet égard, avec plus de 400 000 visiteurs depuis le début de son lancement, la plateforme « 1 jeune 1 solution », portail numérique recensant les offres et demandes de formation et d’emploi, assure une mise en relation des jeunes et des entreprises. Elle permet de mettre en relation un jeune avec un conseiller, de demander un accompagnement. Elle propose aux entreprises de déposer une offre, de valoriser et partager des initiatives en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes.
5. L’éducation des enfants et des jeunes, un défi relevé malgré un décrochage scolaire non négligeable
Le rapport revient bien évidemment sur les problématiques liées à la continuité pédagogique et sur les difficultés générées par la fracture numérique. Mais de l’adversité sont nés de nouveaux usages : tout d’abord, le fait de réussir à mettre autour d’une même table l’Éducation nationale et les associations. Le premier confinement a poussé les uns et les autres à mettre leurs connaissances et leurs pratiques en commun, notamment pour repérer, rattraper et aider les décrocheurs.
C’est une des réussites qu’il est nécessaire de valoriser et pérenniser. En effet, il ne s’agit pas qu’une fois la crise terminée, tout redevienne comme avant.
Plus largement, le Gouvernement a, dès 2017, pris un certain nombre de mesures qui ont permis de mieux appréhender la crise et d’endiguer la catastrophe.
Les vacances apprenantes ont été une chance pour assurer une continuité pédagogique durant un été inédit qui marquera longtemps les esprits. C’est l’un des legs positifs de cette période. Pour mettre en place les vacances apprenantes, le Gouvernement a débloqué 200 millions d’euros en faveur des collectivités locales et des associations.
Les cités éducatives, embryonnaires avant la crise, se sont magnifiquement déployées pendant le premier confinement. En provoquant très rapidement la mise en lien des associations et des écoles et collèges, elles ont réellement pu mener un travail extrêmement efficace auprès des jeunes et prévenir un décrochage qui aurait pu être beaucoup plus important. Il conviendra de les systématiser. En effet, organiser des alliances dans et hors de l’école permet d’appréhender l’enfant dans toutes ses dimensions. Les adultes ont ainsi pu très vite identifier les problématiques sociales et liées au numérique. Il s’agit d’un écosystème qui fait converger à la fois des acteurs qui connaissaient bien les enfants et des financements immédiatement mobilisables puisqu’antérieurs à la crise.
Ainsi, les aspects positifs de cette crise ne sont pas négligeables. Isolés pendant le confinement, nombreux sont ceux qui se sont rendu compte de l’importance du contact humain, des liens sociaux, des rapports avec les camarades de classe, du rôle de l’école. Les manques générés par la crise auront là aussi été un révélateur. Le 11 mai, la majorité des enfants étaient contents de retourner à l’école.
Les élèves ont réussi à développer leur autonomie, à travailler et à bénéficier plus que d’autres de ce mode d’enseignement. Pour autant on ne peut pas ignorer le nombre de décrocheurs scolaires provoqué par la crise. Le rapport donne quelques chiffres à ce sujet, forcément partiels, concernant notamment les départements d’Outre-mer et plus particulièrement la Guadeloupe et la Martinique.
La lutte contre le décrochage doit être menée à tous les niveaux. Le raccrochage à l’école, ce n’est pas seulement et ce n’est pas prioritairement une question de maintien de continuité pédagogique. C’est aussi et avant tout une histoire affective, relationnelle, de liens, de motivations, de bien-être, qu’il est important de pouvoir restaurer. Depuis la rentrée, nous sommes confrontés à de plus en plus d’enfants et adolescents qui, s’ils ne sont pas en situation de décrochage, sont en situation d’évitement de l’école ou de refus ponctuel. Il s’agit par ailleurs d’enfants qui, jusqu’à présent, n’étaient pas nécessairement en difficulté d’accroche avec l’école.
La « génération sacrifiée » se constate depuis longtemps parmi les décrocheurs. Discriminés, accusés d’être la cause de leur échec, maltraités par le système, alors que l’échec scolaire est avant tout l’échec du système. Ils ont plus que jamais besoin d’un cadre stable et qu’on les aide à reconstruire leur image d’eux-mêmes. Par ailleurs, l’Éducation nationale doit impérativement s’ouvrir au monde de l’entreprise.
Pour ces jeunes, il faut également réfléchir à des outils adaptés, sur tous les territoires. Un certain nombre de jeunes risquent encore de décrocher et il est nécessaire de les accompagner aussi psychologiquement dans cette période d’instabilité, d’anxiété et d’enfermement.
Les enfants de familles confinées dans les hôtels sociaux du département ont particulièrement souffert de cet abandon, et de l’isolement qui en a découlé. Avec l’aide d’une travailleuse sociale particulièrement investie, et devant la détresse des parents déjà extrêmement précaires, une maman, elle-même hébergée, a organisé du soutien scolaire auprès des enfants résidants dans l’hôtel. Son témoignage est édifiant.
« En outre, le droit à l’éducation est l’un des droits fondamentaux de l’enfant. La France œuvre à ce que chaque enfant aille à l’école indépendamment de sa situation ou celle de ses parents, en rendant l’école obligatoire de 3 à 16 ans. Nous voulons saluer haut et fort cette initiative. Mais encore une fois, là où cette action est dévoyée, c’est dans sa mise en œuvre. Pour nous qui côtoyons au quotidien cette frange de la population scolaire vivant en hôtel social, nous pensons qu’il reste encore beaucoup à faire au niveau de ces milliers d’enfants et surtout ceux de familles allophones, analphabètes ou très peu instruites, qui débarquent dans l’inconnu avec ce gros handicap de la barrière du capital culturel et de la langue, dans un système méritocratique. Les dispositifs existants en la matière tels que la CASNAV, les UP2EA, etc. ont leurs compétences et places, certes, mais restent insuffisants. De toute évidence, bon nombre de ces enfants s’accrochent au système et finissent par décrocher à leur corps défendant. »
Pour faire face à ces situations qui peuvent se révéler explosives, le Gouvernement envisage de lancer une mission relative à l’accès à l’école pour tous. Ce sera l’occasion de chercher chaque enfant, dans chaque parcelle du territoire national, hexagonal et outre-mer, afin qu’il puisse bénéficier de son droit à l’éducation et à l’instruction qui lui est formellement garanti par nos lois et principes.
6. Changer de discours sur les jeunes
« Générations sacrifiées », « Les ados dépressifs », « Nos jeunes seraient devenus vieux en quelques mois ! » : attention à la parole publique adulte et au signal politique et médiatique adressé aux jeunes. Les slogans encourageants sont rares. Les messages envoyés aux jeunes au début de la crise n’ont pas été les bons, provoquant un sentiment de culpabilité. Pour les aider à transformer leur inquiétude en engagement, il est nécessaire de leur parler plus souvent par le biais de nouveau vecteur de communication, notamment à travers les influenceurs qu’ils suivent – le Président de la République l’a fait le 4 décembre dernier sur un média dédié – mais surtout de les écouter afin d’instaurer ou de restaurer la confiance. Comment les jeunes pourraient-ils avoir confiance en eux si les adultes ne leur font pas suffisamment confiance ?
Conclusion
Il n’est pas question ici de réinventer des solutions maintes fois proposées par l’ensemble des acteurs de terrain qui se sont mobilisés pendant la crise pour accompagner notre jeunesse. Aujourd’hui, il s’agit d’abord de la respecter, puis surtout de l’écouter, de la valoriser et de lui donner les moyens d’actionner ses propres leviers. Le débat sur leur avenir ne peut pas se faire sans eux. Eux-mêmes font partie de la solution, avec les convictions fortes qui les animent. Notre jeunesse n’a pas peur de s’engager et la frustration de ne pas être à la manœuvre s’est exacerbée pendant la crise.
Pas question non plus de tomber dans le misérabilisme. Les jeunes « sortent » de cette crise plus dépendants aux écrans, plus pauvres, plus déprimés, mais ils en sortent vivants, plus visibles et mieux pris en compte. Certains se recroquevillent, légitimement effrayés par la crise économique, d’autres décident de courir le risque de lancer une nouvelle activité, de chercher un emploi porteur de sens. Ce virus les oblige à se projeter et à définir dans quel monde ils voudront atterrir, même s’il empêche l’action présente. Ce virus a le mérite de replacer l’enfant et le jeune au cœur de nos politiques publiques, de privilégier une méthode horizontale et de nous appuyer sur les acteurs dans les territoires. Ces bonnes pratiques doivent maintenant être pérennisées dans nos politiques structurelles.
En mobilisant des sommes colossales pour la jeunesse, l’action du Gouvernement a incontestablement pris un nouveau tournant depuis la crise sanitaire. À nous parents, associations, administrations, collectivités, élus et ensemble des acteurs sur le terrain, de conjuguer nos forces pour accompagner chaque jeune vers sa solution. Et aujourd’hui plus qu’hier nous devons écouter les mots de Wilson Churchill pour construire une politique de jeunesse ambitieuse : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ».
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La crise sanitaire inédite que vit le monde à grande échelle depuis le mois de mars dernier est d’une grande violence. Il s’agit d’une crise sanitaire, bien évidemment, mais également sociale et économique, et in fine financière et politique.
Il est un paradoxe souligné par tous les interlocuteurs et interlocutrices : le virus ne touche pas – ou de manière très minoritaire – les enfants et les jeunes dans ses formes graves, mais ses conséquences les frappent de plein fouet. Celles-ci ne sont pas toujours appréhendées à leur juste mesure dès lors qu’elles ne sont que rarement mesurées à hauteur d’enfant.
C’est tout l’objet de cette commission d’enquête : mesurer l’ampleur de ces conséquences et les prévenir au mieux, dans la perspective d’une nouvelle crise, de quelque nature qu’elle soit. Les membres de la commission ont exprimé la volonté de s’attacher à différents aspects, dans le but d’appréhender l’enfant et le jeune dans sa globalité. Ils se sont attachés à écouter un grand nombre d’acteurs, que ce soit des professionnels de la santé psychique et physique des enfants, de l’éducation, de la protection de l’enfance, de l’insertion professionnelle, et bien sûr les jeunes eux-mêmes, dans toute leur diversité.
L’une des premières conclusions retirées des auditions de la commission d’enquête est le peu de place laissée aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes dans nos politiques publiques : ils sont essentiellement appréhendés comme usagers de l’Éducation nationale ou par le biais des politiques familiales. Ainsi, leurs conditions morales et matérielles n’apparaissent que peu dans leur globalité. Elles sont généralement évoquées pour réaffirmer, à intervalles réguliers, des grands principes à portée générale sur la priorité absolue que constitue la jeunesse.
Cette absence a des conséquences importantes sur les enfants et les jeunes, et par extension sur l’avenir de la Nation toute entière. En effet, il est frappant de constater qu’au cours de ces dernières années, la plupart des réformes dans le champ social mais aussi les choix budgétaires ont abouti à fragiliser le quotidien de la jeunesse et/ou à obérer son avenir. La prise en compte insuffisante du long terme dans nos préoccupations politiques – les questions environnementales en sont l’exemple type – ajoute également au sentiment d’incertitude dans lequel vit notre jeunesse, première concernée par les bouleversements à venir. De telle sorte qu’il semble désormais acquis pour une majorité de Français que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, les jeunes eux-mêmes ayant intégré ce qui apparaît comme une fatalité.
Les causes de cette carence dans les politiques publiques sont multiples et complexes, d’où n’est probablement pas absente une certaine forme de frilosité à l’égard ce qui apparaît à de nombreux responsables politiques comme une terra incognita.
Ainsi, la commission d’enquête elle-même s’est heurtée à une insuffisance des données concernant les enfants et les jeunes. Les études, lorsqu’elles sont disponibles, sont souvent partielles et si les jeunes en sont les objets, ils n’en sont que rarement les sujets. Leur parole est difficile à récolter. Les lieux dédiés sont insuffisants et tendent même à se raréfier. Enfin, lorsqu’une parole est exprimée, elle n’est que peu prise en compte faute de relais politiques suffisamment puissants. Elle est même parfois ignorée, car non conforme à ce qui est attendu.
Ce panorama dessine une approche verticale, avec un discours et des décisions descendant des « adultes » vers les « jeunes ». Cette méthode a singulièrement atteint ses limites avec la crise sanitaire que nous vivons. En effet, la parole « adulte » a du mal à toucher les jeunes. Elle se contente, usant d’arguments d’autorité, d’utiliser ce qui apparaît aux jeunes comme des formules dénuées de sens ; les destinataires du message ne voient pas les effets concrets de cette parole, sauf en ce qui concerne les interdictions. Cette méthode se leurre sur son efficacité alors que les jeunes ont accès à des sources d’information multiformes, notamment sur internet, qu’ils mettent, dans le meilleur des cas, sur le même plan que la parole officielle.
Il est urgent de changer notre approche. Cet éloignement entre la société et sa jeunesse est en effet porteur d’un réel risque. La société peut se défaire. Si les jeunes n’ont plus confiance dans l’adulte et sa parole – soit pour accepter cette parole, soit pour la contester avec plus ou moins de virulence –, ils auront tendance à créer des sociétés parallèles à l’extérieur du cadre commun et institutionnel. Ce risque est particulièrement élevé concernant les jeunes vivant dans les territoires urbains ou ruraux défavorisés, qui cumulent les difficultés de tout ordre. À la vérité, ce processus est déjà à l’œuvre. Il faut écouter la parole des jeunes, qui ne se sentent ni entendus, ni compris. De nombreuses personnes auditionnées l’ont souligné devant la commission d’enquête.
En définitive, il s’agit de sortir de l’état de défiance à l’égard de la jeunesse. Défiance qui tend à devenir réciproque. Il est frappant que cette jeunesse ait été très vite accusée d’être le premier vecteur de transmission de la maladie. D’abord, les enfants dans les écoles puis les jeunes, lors de fêtes sans distanciation sociale, ni gestes barrières. Ce regard, non dénué de paternalisme et de culpabilisation, nous devons le déconstruire.
Plus largement, les travaux de la commission d’enquête ont également mis en évidence lors de la crise sanitaire une verticalité trop importante dans les décisions et le fonctionnement des services de l’État, alors que nombre d’initiatives venaient du terrain et permettaient de créer de nouvelles dynamiques entre les acteurs. Les exemples sont légions – le rapport en citera plusieurs – mais ils sont généralement le fait d’initiatives personnelles et ne trouvent que peu souvent des relais suffisamment puissants pour être étendus.
Le rapport fera un certain nombre de recommandations méthodologiques en ce sens. Il s’agit de définir collectivement une méthode la plus horizontale et la plus inclusive possible. Il convient d’une part de multiplier les lieux d’échange et d’écoute des enfants et des jeunes et d’identifier les canaux permettant à leur parole de trouver des traductions concrètes, et d’autre part de créer et d’encourager les dynamiques locales.
La crise sanitaire a agi comme un révélateur des difficultés et des fractures qui traversent la société. Elle a mis en lumière autant qu’elle a aggravé les inégalités au sein même de l’ensemble de la société, et au sein de la jeunesse. Ceux qui étaient les plus en difficulté, les plus en rupture avec la société, le sont et risquent de l’être davantage. Le creusement de ces inégalités est de tout ordre : difficultés sociales, droit à l’éducation avec notamment une fracture numérique béante et des retards d’apprentissage, accès aux soins, hausse des violences intrafamiliales… Le rapport reviendra sur chacune de ces problématiques.
La période que nous vivons depuis mars 2020 fait courir un réel risque à notre pays. Elle constitue cependant une opportunité si nous prenons collectivement conscience, à sa faveur, des dégâts pour l’ensemble de la société du creusement des inégalités. La rapporteure fera également un certain nombre de propositions visant à renforcer la lutte contre ces inégalités, révélées ou aggravées par la crise.
Elle tient d’ores et déjà à rendre un hommage appuyé à l’ensemble des personnes travaillant avec ou pour les enfants et les jeunes. Enseignants, fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales dans tous les domaines, de la protection de l’enfance à la protection maternelle et infantile, personnel médical et paramédical, salariés ou bénévoles des associations, tous ont fait preuve d’une capacité de réaction et d’adaptation remarquable. Ils permettent jusque-là de maintenir une certaine cohésion sociale avec les moyens dont ils disposent. Toutefois, avec ce deuxième confinement, ils manifestent un épuisement dû à un engagement sans faille. Nous devons les entendre et les prendre en compte.
En définitive, ce rapport est destiné à mettre réellement la jeunesse au centre de nos préoccupations, à faire des jeunes la priorité de la Nation. Cela implique d’évaluer toutes les politiques publiques à cette aune, et d’établir notamment un rapport bénéfices/risques pour les décisions concernant les enfants et les jeunes, au regard de leur développement et de leurs droits, ce qui n’a pas été toujours le cas pendant la première phase de cette crise.
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PREMIÈre partie – une ÉpidÉmie inÉdite aux conséquences sur la santé des enfants et des jeunes, aggravant et mettant en lumière leurs difficultés
I. « la jeunesse est rÉsiliente », une affirmation À nuancer
A. un État sanitaire pour l’essentiel prÉservÉ mais qui cache des disparités importantes
En soi, la santé physique des enfants et des jeunes ne constitue pas une préoccupation nouvelle. Dans un tableau publié en juillet 2019 ([2]), Santé publique France considérait déjà que, même si les enfants et les jeunes apparaissaient globalement en bonne santé – et se percevaient comme tels –, deux sujets essentiels appelaient une attention particulière :
– d’une part, les inégalités sociales de santé qui dès, le plus jeune âge, peuvent avoir des répercussions sur l’avenir des enfants et des jeunes ;
– d’autre part, l’impact de comportements préoccupants installés depuis l’enfance (sédentarité, comportements alimentaires, obésité, etc.) ou à l’adolescence (tabagisme, consommations d’alcool épisodiques excessives).
À n’en pas douter, la protection contre l’épidémie de Covid-19 représente aujourd’hui un nouvel enjeu de santé publique pour la jeunesse. Il importe d’en mesurer toutes les implications et d’en tirer des conséquences pratiques au plan sanitaire, tant au regard de l’exposition au virus de cette classe d’âge que des répercussions possibles sur son état physique et psychique.
1. Des tranches d’âge peu exposées et contribuant peu au risque épidémique
En premier lieu, il importe de rétablir quelques vérités : contrairement à un préjugé tenace, les enfants et les jeunes ne comptent pas parmi les premiers propagateurs de l’épidémie de Covid-19. Les plus récents travaux scientifiques démontrent le caractère infondé de représentations qui, aux débuts de la crise sanitaire, ont nourri une méfiance déraisonnable à l’encontre d’enfants et d’adolescents considérés comme les premiers propagateurs de l’épidémie, et parfois même traités de « bombes humaines ».
a. Des infections en nombre relativement limité et peu susceptibles de conduire à des formes graves de la maladie
● D’une part, le dernier état des connaissances sur l’épidémie tend à établir que les moins de dix-huit ans courent nettement moins de risques de contracter le Covid-19 que les adultes.
Suivant le résultat des études analysées par la revue JAMA Pediatrics ([3]), la probabilité d’une infection apparaît 44 % inférieure pour les enfants et adolescents de moins de vingt ans par rapport aux adultes. On notera également que les enfants âgés de dix à quatorze ans courent un risque de développer le virus inférieur de 48 % à celui des personnes âgées de vingt ans et plus.
Le rapport publié en août 2020 par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) sur l’infection par le Covid-19 chez les enfants et le rôle du milieu scolaire dans la transmission du virus indiquait qu’à l’échelle de l’Union européenne, la classe d’âge des moins de dix-huit ans ne représentait que moins de 5 % des cas porteurs du Covid-19 entre mars et juillet 2020 ([4]).
Le taux d’incidence du virus ([5]) s’avère systématiquement moins élevé chez les moins de quatorze ans, par rapport à l’ensemble de la population. À titre d’exemple, selon les chiffres présentés dans le bulletin épidémiologique de Santé publique France le 22 octobre dernier ([6]), le taux d’incidence des cas confirmés pour 100 000 habitants était de 94 chez les 0-14 ans, contre 367 pour les 15-44 ans, et 255 dans l’ensemble de la population.
Ces résultats corroborent les éléments d’analyse développés devant la commission d’enquête à propos de la situation observée en France et à l’étranger, à l’issue de la première phase de la crise sanitaire.
D’après les statistiques citées par M. Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie (SFP), l’effectif des enfants infectés par le Covid-19 représenterait 3 % à 4 % de la population de cette classe d’âge ; les enfants représentent moins de 1 % des hospitalisations pour cause de Covid-19 enregistrées depuis le printemps 2020.
Ce dernier chiffre correspond peu ou prou à l’ordre de grandeur établi par des études américaines récentes dont la Société française de pédiatrie fait état : dans le cadre de ces travaux, le taux cumulé d’hospitalisations causées par l’épidémie chez les jeunes de moins de dix-huit ans est évalué à 8/100 000 entre mars et juillet 2020, à comparer à 154,5 pour 100 000 chez l’adulte. Le rapport précité du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) soulignait également qu’en cas de diagnostic positif de Covid-19, les enfants sont beaucoup moins susceptibles d’être hospitalisés que les adultes.
Les chiffres publiés par Santé publique France le 26 novembre dernier ([7]) confirment la faiblesse du nombre des hospitalisations pour cause de Covid-19 parmi les enfants et les adolescents : au 24 novembre 2020, on dénombrait 88 enfants âgés de 0 à 14 ans admis pour cette affection, dont 15 placés en réanimation ([8]) – soit 0,3 % des patients de ces services enregistrés en France ([9]). Il convient de rapprocher ces chiffres des effectifs pris en charge à l’hôpital pour des affections saisonnières. Ainsi, la bronchiolite entraîne chaque année de 20 000 à 25 000 hospitalisations d’enfants de moins d’un an tandis que 3 500 enfants âgés de 0 à 4 ans sont admis à cause de la grippe saisonnière ([10]).
Par ailleurs, depuis le 1er mars 2020, on déplore trois décès d’enfants âgés de 0 à 14 ans enregistrés à l’issue d’une hospitalisation pour Covid-19 en France.
Dès lors, le virus ne relève pas de la catégorie des maladies pédiatriques, ainsi que le soulignait Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie (SFP) lors de son audition : il infecte très peu les jeunes enfants, et d’autant moins qu’ils sont jeunes. Suivant l’état des lieux dressé devant la Commission d’enquête, très peu de cas ont ainsi été détectés chez les nouveau-nés, y compris parmi ceux dont la mère était porteuse du virus à l’accouchement.
● D’autre part, un consensus semble aujourd’hui exister quant à la propension des 0-18 ans à développer des formes bénignes de la maladie.
L’ensemble des spécialistes de la pédiatrie soulignent que pour la majorité des enfants atteints, le Covid-19 se manifeste sous des formes asymptomatiques ou peu symptomatiques : les sujets ne présentent pas ou peu de signes de l’infection.
Largement développé devant la commission d’enquête et dans la littérature existante ([11]), ce constat parait aujourd’hui objectivé par de nombreux travaux réalisés depuis la première vague de l’épidémie. Il convient de citer l’étude Ped‑Covid cordonnée par l’hôpital Necker (AP-HP) et l’Institut Pasteur : réalisée auprès d’un panel de 775 enfants âgés de 0 à 18 ans ([12]), elle conclut notamment que 69,4 % ne présentaient pas de symptômes de la maladie ou pouvaient présenter des symptômes mineurs susceptibles de ne pas permettre d’établir ce diagnostic.
Au-delà de l’absence ou de la faiblesse des symptômes, le consensus scientifique actuel porte à relativiser très fortement la probabilité de complications susceptibles d’aboutir à des formes aiguës.
Il en va ainsi pour la maladie de Kawasaki. Maladie orpheline, ce syndrome se caractérise par une inflammation des parois des vaisseaux sanguins (vascularite systémique aiguë), en conséquence d’une réponse disproportionnée de l’organisme à l’agression d’un virus ([13]). La maladie de Kawasaki peut entraîner certaines complications cardiovasculaires ([14]). Dans la grande majorité des cas, elle touche les nourrissons et les jeunes enfants avant la puberté.
D’après les statistiques produites par Santé publique France ([15]), le nombre des patients jeunes atteints, avec lien possible, probable ou confirmé avec le Covid‑19, pouvait être estimé, depuis le début de l’épidémie, à 196 cas. Plus largement, Santé publique France évalue à 13,5 cas par million d’habitants dans la population des moins de 18 ans l’incidence des « syndromes inflammatoires multi‑systémiques » (PIMS) en lien avec le Covid-19.
L’état des lieux présenté par M. Christophe Delacourt donne à penser qu’il existe un lien établi entre la recrudescence des syndromes de Kawasaki et la présente épidémie pour une proportion importante des enfants affectés. Sur la base des informations disponibles lors de son audition le 24 septembre dernier, il estimait que « la moitié de ces enfants a clairement été infectée par le Covid-19, puisqu’ils ont présenté un PCR ou une sérologie positifs. Un quart a été qualifié de cas Covid-19 probables, puisqu’il n’existait pas de résultat de test positif mais un lien de contact certain avec une personne infectée par le Covid. Au final, la preuve d’un lien direct ou indirect avec le Covid existe donc pour une proportion importante de ces enfants. »
Il a ajouté par ailleurs, s’agissant du suivi de ces enfants, qu’un seul décès était survenu : « Il s’agit de symptômes très aigus et l’ensemble de ces enfants a été admis en réanimation en raison de l’atteinte cardiaque. Un seul est décédé, et il s’agissait d’un des tout premiers cas. Je ne connais pas le détail de cet événement et j’ignore si une prise en charge non adaptée a pu se produire. Néanmoins, à partir du moment où la reconnaissance du diagnostic a été avérée, tous ces enfants ont parfaitement évolué dans les jours qui ont suivi. »
● Cela étant, les études disponibles, ainsi que l’observation des hospitalisations, ne permettent pas nécessairement de déterminer dans quelle mesure les enfants porteurs d’une maladie chronique peuvent développer une forme plus grave du Covid-19. D’après M. Christophe Delacourt, le constat semble établi pour les enfants placés en réanimation : le taux de comorbidité, unique ou multiple, atteignait en effet au moins 50 % de ces enfants pendant le premier confinement.
En revanche, l’identification d’une pathologie ou de facteurs de risques spécifiquement responsables, pour les patients jeunes, de formes graves du Covid‑19, soulève plus de difficultés, notamment du fait de cohortes limitées d’enfants hospitalisés pour le Covid-19.
Selon les données transmises par la Société française de pédiatrie, la proportion d’enfants hospitalisés au titre du Covid-19, et qui ont au moins une comorbidité, varie de façon importante dans les différentes séries pédiatriques publiées. La surreprésentation de chacune de ces comorbidités, telles que l’asthme ou l’obésité, dans ces cohortes reste incertaine, et surtout rarement reproduite d’un pays à l’autre. Dans une série européenne, 52 % des enfants admis en soins intensifs ont au moins une comorbidité, comparé à 22 % des enfants hospitalisés en secteur conventionnel ([16]). La série française mono-centrique de l’hôpital Necker est aussi en faveur de ce constat, avec 70 % des enfants admis en réanimation ayant au moins une co-morbidité (Oualha et al.).
D’autres publications évoquées par la Société française de pédiatrie n’identifient pas de risques accrus chez les enfants qui souffrent de certaines maladies chroniques telles que les maladies rénales chroniques (Plumb et alii), l’asthme (Hepkaya et alii) ou le diabète (Rabbone et alii), ou ceux qui souffrent de cancers avec chimiothérapie (Hrusak et alii).
L’ensemble des recherches tendent néanmoins à conclure que la présence d’au moins une comorbidité peut majorer le risque de formes graves du Covid-19.
b. Une moindre contribution des enfants aux chaînes de contamination
Un certain nombre d’études semble démontrer que quel que soit l’âge, la charge virale – c’est-à-dire la quantité de virus présente dans leur organisme en cas d’infection au Covid-19 – des enfants peut être similaire à celle des adultes.
Il en va ainsi des travaux réalisés par les immunologistes et pédiatres du Massachussets General Hospital de Boston ([17]). L’étude visait à mesurer le lien éventuel entre la présence du virus dans les prélèvements réalisés sur des enfants atteints et l’importance des récepteurs qui lui permettent de pénétrer dans les cellules. Les résultats montrent que le nombre de récepteurs augmente avec l’âge mais que de jeunes enfants peuvent présenter une charge virale élevée. Les chercheurs en déduisent que le niveau de cette dernière ne varierait pas nécessairement en fonction de l’âge, et ne notent pas de différence entre la charge virale des patients pédiatriques et celle observée chez des adultes nécessitant d’être intubés.
Par ailleurs, en l’état des connaissances scientifiques, la capacité des enfants de transmettre le Covid-19 paraît assez largement établie, notamment au regard des résultats d’une étude menée par des chercheurs des hôpitaux universitaires de Genève ([18]). Néanmoins, un débat persiste entre scientifiques quant à la propension exacte des enfants à être victimes ou vecteurs de contaminations par le Covid-19, suivant l’environnement.
L’état des connaissances scientifiques semble permettre d’affirmer que le taux de contamination chez les jeunes augmente avec l’âge.
Ainsi que le soulignait Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie (SFP), « [t]rès peu de cas ont été décrits chez des enfants fréquentant une crèche, une école maternelle ou une école primaire mais le nombre de cas augmente au collège, puis au lycée et à l’université – des clusters s’y sont formés à la rentrée ».
En outre, un certain nombre de travaux aboutissent à la conclusion que les enfants ne contribuent que peu aux chaînes de contamination, notamment les enfants de moins de onze ans ; les conclusions sont plus difficiles à établir s’agissant des adolescents, à partir de douze ans. L’étude de foyers épidémiques tend à prouver que les enfants se trouvent rarement à l’origine de la contamination d’adultes ; à l’inverse, « les adultes sont beaucoup plus souvent sources de contamination, soit d’autres adultes, soit d’enfants. »
Développée par Mme Gras-Le Guen aux débuts des travaux de la commission d’enquête, cette analyse désormais assez consensuelle paraît confirmée, tant au regard des derniers travaux relatifs aux conditions de circulation du virus que des enseignements tirés du déroulement de la dernière rentrée scolaire en France.
L’exposition au Covid-19 au sein des établissements scolaires et de l’enseignement supérieur selon le Conseil scientifique
Les principales connaissances sur la circulation du virus à l’issue de la première vague épidémique en Europe sont résumées dans la note de l’ECDC du 6 août 2020 (Covid-19 in children and the role of school setting in Covid-19 transmission). On peut y rajouter l’expérience tirée de la rentrée universitaire en septembre dernier, pour aboutir aux conclusions suivantes :
Pour les universités, les clusters ont été nombreux partout dans le monde, et la majorité des contaminations semble avoir eu lieu dans les résidences des campus, dortoirs, et lors d’activités récréationnelles ou festives en marge de l’université.
Pour les lycées et les collèges : Les adolescents de 12 à 18 ans semblent avoir la même susceptibilité au virus et la même contagiosité vers leur entourage que les adultes. Ils font cependant des formes moins sévères de la maladie comparés aux adultes, avec une proportion de formes asymptomatiques autour de 50 %. Le risque d’épidémie est bien documenté (France, Chili, Israël), avec une transmission vers le personnel enseignant. Les mesures de contrôle bénéficient d’un bon niveau de compréhension des élèves, mais le risque de contamination extra-scolaire est élevé.
Pour les écoles primaires : les enfants âgés de 6 à 11 ans semblent moins susceptibles, et moins contagieux, comparés aux adultes. Ils font des formes bénignes de la maladie, avec une proportion de formes asymptomatiques autour de 70 %. Peu d’épidémies ont été documentées, mais une transmission silencieuse du virus entre enfants a été décrite. En revanche, elle ne semble pas affecter de façon significative les enseignants, mais peut s’accompagner de transmission intrafamiliale secondaire.
Pour les crèches : quelques foyers de transmission limités ont été décrits dans les crèches, sans forme sévère chez les enfants. Les personnels de crèche semblent peu touchés (enquête de séroprévalence), mais des cas de transmission intra-familiale secondaire ont été décrits. »
Source : Conseil scientifique, avis du 26 octobre 2020, extrait de l’annexe I., page 25.
Néanmoins, la littérature scientifique met également en exergue des incertitudes que les pouvoirs publics ne sauraient méconnaître.
La première interrogation porte sur le « pouvoir contagieux » des cas asymptomatiques. Même si elle représente un paramètre clé, la charge virale ne constitue pas l’unique déterminant de la transmission du Covid-19. En l’état des recherches menées, la question demeure de savoir si les enfants asymptomatiques excrètent des quantités similaires, supérieures ou inférieures à celles des enfants présentant les signes de la maladie. Or, il s’agit là d’une donnée capitale dans la mesure où l’infection virale peut passer totalement inaperçue ou ne pas faire l’objet d’un diagnostic.
La seconde incertitude découle de l’impact de l’environnement et des interactions sociales dans les modalités de transmission du virus.
La méta-analyse réalisée par Jama Pediatrics invite en effet à considérer que les enfants, les adolescents et les jeunes adultes peuvent jouer un rôle sensiblement différent au sein des chaînes de contamination suivant le cadre.
En outre, le taux de contamination des enfants, des adolescents et des jeunes adultes se révèle assez tributaire des conditions de mise en œuvre des mesures de prévention sanitaire et de distanciation sociale.
Tel semble être l’enseignement à tirer d’une étude israélienne ([19]) signalée dans son blog par M. Marc Gozlan ([20]) : ses auteurs constatent la survenue d’une grande flambée épidémique une dizaine de jours après la réouverture d’une école, dans un contexte où les élèves de classes surchargées avaient enlevé leurs masques pour cause de canicule.
Les opérations de dépistage massif réalisées dans la faculté de médecine de Paris VI, en septembre dernier, suite à la multiplication de cas positifs, signalée par le doyen Bruno Riou, semble conduire à la même conclusion : elles montraient que le taux de contamination au Covid-19 atteignait près de 14 % parmi la promotion des étudiants de deuxième année, considérée comme la plus propice aux divertissements et à la fête – contre 2 % au sein de promotions plus soumises à des exigences de sérieux.
Ces constats ne peuvent que plaider en faveur d’un développement de la recherche sur les modalités de circulation de l’épidémie de Covid-19 et à la place des jeunes (enfants, adolescents et jeunes adultes) dans les chaînes de contamination.
Dans l’esprit de la rapporteure, cet effort de veille incombe tout particulièrement aux opérateurs publics de recherche dans leur diversité, notamment l’INSERM ([21]) et le CNRS ([22]), ainsi qu’aux grandes structures hospitalières du service public de la santé.
La connaissance des modalités exactes de transmission du virus relève évidemment d’un enjeu de santé publique pour l’ensemble de la collectivité nationale. Mais elle intéresse tout autant la jeunesse en ce qu’elle conditionne le retour à des conditions de vie plus conformes à ses aspirations et à son épanouissement.
Proposition : Développer les moyens de recherche consacrés à l’étude des modalités de circulation de l’épidémie de Covid-19 et au rôle des jeunes dans les chaînes de contamination
2. Des conséquences potentiellement importantes sur la santé des jeunes, plus marquées pour les catégories populaires
Même indirectes, les implications de la crise sanitaire ne manquent pas de renforcer les inquiétudes et les interrogations exprimées dans le débat public avant sa survenue.
De fait, les signalements et témoignages recueillis ne permettent pas d’écarter la perspective d’une dégradation de l’état physique de la jeunesse, à raison de deux grands facteurs de risques : en premier lieu, les effets du recul de l’activité physique et des déséquilibres alimentaires ; en second lieu, des retards possibles dans la prévention et le suivi des traitements curatifs.
a. Les effets négatifs du recul de l’activité physique et de déséquilibres alimentaires
● À l’évidence, le manque d’activité physique et la sédentarité représentent le premier facteur de risque pour la santé que le confinement menace d’aggraver.
De fait, les témoignages apportés par l’ensemble des professions médicales, des professeurs d’éducation physique et sportive (EPS) et des éducateurs auditionnés portent à conclure qu’une liberté de circulation restreinte, l’absence d’espace dans les logements, l’interruption des activités sportives, que ce soit à l’école ou dans les clubs, ont favorisé une forte sédentarité chez les enfants et adolescents. Ce constat semble se vérifier pour l’ensemble des classes d’âges et ressort de la pratique de nombreux professionnels.
Ce sujet a été évoqué au cours de la table ronde des syndicats de professeurs d’EPS.
L’ensemble des intervenants soulignent « une prise de masse corporelle graisseuse chez certains élèves », ainsi qu’une diminution de leurs capacités physiques. D’après M. Benoît Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l’éducation physique, les enquêtes réalisées par l’Association européenne des professeurs d’éducation physique dans certains États ([23]) corroborent les constats empiriques établis par les enseignants en France. Ces études longitudinales réalisées concluent que deux élèves sur cinq présentent une augmentation de leur masse graisseuse ; elles mettent en relief une diminution tant de la capacité aérobie (– 16 %) que de la coordination et de la capacité physique globale (– 13 %).
À supposer qu’ils puissent être généralisés, les résultats de ces enquêtes sont inquiétants. En 2016, des représentants de la Fédération française de Cardiologie (FFC) alertaient déjà l’opinion et les pouvoirs publics sur le fait qu’en quarante ans, les collégiens avaient perdu 25 % de leur capacité physique. En sa qualité de cardiologue au CHRU de Rennes et de membre de la FFC, le professeur François Carré observait alors que si un collégien courait 600 mètres en trois minutes en 1971, il lui fallait une minute de plus en 2013 afin de parcourir la même distance.
Au-delà, les témoignages présentés par les représentants des pédiatres et des professeurs d’EPS soulignent l’importance des environnements géographiques et sociaux pour le maintien d’une bonne condition physique par l’activité sportive.
D’après Mme Cécile Rossard, représentante du syndicat général de l’Éducation nationale de la CFDT (SGEN-CFDT), les constats réalisés à l’issue du déconfinement révèlent de fortes disparités suivant le milieu socioéconomique et le contexte dans lesquels vivent les enfants. Ainsi, elle estime que dans la zone d’éducation prioritaire où elle enseigne, de 20 % à 50 % des élèves auraient été en mesure de pratiquer une activité physique pendant cette période. En milieu rural, les enseignants évalueraient cette part – de manière manifestement empirique – à un taux compris entre 50 % et 70 %, probablement grâce à un accès à l’extérieur favorisé.
Ainsi, plusieurs personnes entendues rendent compte d’une exacerbation des inégalités existantes à la faveur de la crise sanitaire. Suivant le tableau brossé par Mme Cécile Rossard, « ce sont les jeunes urbains les plus défavorisés qui ont peu pratiqué l’activité physique pendant cette période, ceux qui disposaient des espaces de vie les plus exigus, avec une grande densité de personnes dans une petite superficie ; ceux qui ne possédaient ni ordinateur ni corde à sauter ni vélo d’appartement ni forêt à proximité ; ceux qui ont le moins bien mangé, le moins bien dormi ». Comme nombre de ses collègues, elle dit anticiper des conséquences tant psychologiques que physiques lors de la reprise.
● S’ajoutant à la diminution de l’activité physique, les contraintes propres au confinement à la maison, se traduisant par une propension plus grande au grignotage, souvent corrélée à un usage accru des écrans, et par une augmentation des activités de cuisine – qui est d’ailleurs positive –, peuvent se traduire par un accroissement des cas de surpoids chez les enfants et les jeunes.
Au cours de leur audition, Mmes Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français (SNPF), et Fabienne Kochert, présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), ont affirmé qu’au sortir du premier confinement, une prise de poids significative chez les enfants et les adolescents pouvait être observée, en conséquence de « l’inactivité et de l’usage augmenté des écrans ». D’après Mme Kochert, une prise de poids de l’ordre de six kilos constituait généralement la norme.
D’après un récent rapport de l’Unicef, parmi les 38 États les plus riches au monde, la France se classe en 26e position sur le critère du surpoids et de l’obésité des enfants ([24]). Comme d’autres travaux, l’étude observe un accroissement de la part de jeunes âgés de cinq à dix-neuf ans en surpoids ou obèses. Cette proportion atteint 30 % en France. L’on peut craindre que cette tendance ne s’accentue dans le prolongement de la crise sanitaire.
Au-delà, de nombreux témoignages recueillis accréditent l’idée que les jeunes appartenant aux publics en situation de précarité ont pu pâtir d’une dégradation de la qualité de leur alimentation, en termes d’équilibre nutritionnel mais aussi de quantité. Il s’agit là d’une conséquence indirecte du contexte créé par le premier confinement, marqué par des restrictions de circulation, ainsi que par des pertes de revenus et d’emplois.
L’ensemble des personnes interrogées ([25]) conviennent de ce qu’en dehors de la poursuite des apprentissages, la fermeture des établissements scolaires emportait une conséquence préjudiciable : la perte d’un lieu où certains enfants prennent leur seul repas complet et équilibré de la journée. De fait, ainsi que l’a relevé M. Pierre Suesser, co-président du Syndicat national des médecins de Protection maternelle et infantile (SNMPMI), « [C]ertaines familles se sont retrouvées sans ressources du jour au lendemain, voire en grande difficulté financière pour celles dont les parents travaillent « au noir » ou qui s’approvisionnent dans des centres de distribution d’aide alimentaire, qui étaient fermés durant le confinement ». M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, a quant à lui souligné : « Dans certains départements tels que la Seine-Saint-Denis, l’absence de cantine peut priver l’enfant d’un repas ; l’alimentation se limite parfois à la consommation d’un kebab le soir. »
À certains égards, la fermeture des restaurants universitaires a contribué à créer les conditions d’une précarité de la population étudiante au plan alimentaire. Toutefois, ce jugement mérite sans doute quelques nuances, eu égard aux mesures prises par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), aux actions développées par les associations caritatives ([26]) et aux opérations de solidarité entre étudiants.
b. Des retards possibles dans la prévention et les traitements
Assurément, nous manquons encore du recul nécessaire pour mesurer, au plan statistique, l’effet des contraintes que l’épidémie de Covid-19 a pu faire peser sur l’administration des soins. La question demeure ainsi posée de l’importance des pertes de chances qui ont pu en résulter dans le traitement d’autres pathologies. Néanmoins, les signalements et témoignages recueillis par la Commission peuvent nourrir deux questionnements.
● Le premier questionnement porte sur l’évolution des actes préventifs et, notamment, l’administration des vaccins.
Sur ce dernier point, les éléments recueillis par la Commission d’enquête incitent à considérer que la crise sanitaire a engendré un recul plus ou moins marqué de la pratique vaccinale.
Les données collectées dans le rapport d’EPI-PHARE ([27]) illustrent une très nette diminution du nombre des délivrances de vaccins par rapport aux prévisions avec, suivant les vaccins, des inflexions sur la période allant de mars à septembre 2020 ([28]). Le constat d’ensemble vaut pour les vaccins penta et hexavalents pour nourrissons, pour le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), ainsi que pour les vaccins antitétaniques (hors nourrisson).
Le tableau ci-après permet de constater la nette diminution des délivrances de vaccins par rapport au niveau attendu, au regard des données des années précédentes, et l’absence de rattrapage (sauf pour les vaccins penta et hexavalents) à la sortie du confinement :
Écart absolu entre le nombre de délivrances de vaccins observé en 2020 et le nombre attendu en 2020, selon les périodes.
|
Écart du nombre de délivrances (observé-attendu) |
Écart du nombre de délivrances (observé-attendu) |
Écart du nombre de délivrances (observé-attendu) |
Vaccins anti-HPV (contre le papillomavirus) |
-89 510 |
-63 048 |
-152 558 |
Vaccins penta- hexavalents pour nourrissons |
-44 173 |
+5 558 |
-38 615 |
Vaccins ROR |
-123 974 |
-3 536 |
-127 510 |
Vaccins antitétaniques (hors nourrissons) |
-446 585 |
-174 950 |
-621 535 |
Source : Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020, Rapport EPI-PHARE
Les graphiques ci-dessous illustrent la baisse très sensible des délivrances de vaccins par rapport au niveau attendu pour les vaccins penta et hexavalents et les vaccins ROR :
Nombre par quinzaine des délivrances sur ordonnance de vaccins
penta- et hexavalents pour nourrissons durant les 37 premières semaines de 2018, 2019 et 2020 – comparaison observé sur attendu.
Source : Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020 ; Rapport EPI-PHARE.
Note de lecture : La période de confinement entre les semaines 12 et 19 est représentée en bleu.
Nombre par quinzaine des délivrances sur ordonnance de vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) durant les 37 premières semaines de 2018, 2019 et 2020 - comparaison observé sur attendu
Source : Rapport EPI-PHARE Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020.
Note de lecture : La période de confinement entre les semaines 12 et 19 est représentée en bleu.
D’après les témoignages fournis à la Commission d’enquête, le recul enregistré dans l’administration des vaccins s’explique pour partie par la peur des familles de s’exposer au virus du Covid-19. Du reste, la situation peut varier de manière parfois significative entre les départements.
M. Pierre Suesser, co-président du SNMPMI, a indiqué qu’une chute de 15 % à 30 % a été enregistrée en Seine-Saint-Denis, suivant les vaccins, par rapport à l’année 2019. Néanmoins, le niveau de vaccination pourrait être qualifié de relativement satisfaisant par rapport aux statistiques des années précédentes. Et il a été constaté que peu de familles refusaient de se rendre dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI).
La pratique vaccinale observée au cours de la crise sanitaire reflète également les priorités fixées au regard des contraintes de l’épidémie, ainsi que les nécessités médicales.
Ainsi que l’a indiqué Mme Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français, sur la recommandation des sociétés savantes, les pédiatres se sont attachés à éviter la rupture des calendriers vaccinaux des plus jeunes enfants. En conséquence, les vaccinations des enfants plus âgés, entre 6 et 11 ans, ont pu connaître des reports, dans la mesure où ces vaccinations pouvaient être différées. En revanche, les pédiatres se sont efforcés de fixer un rendez-vous à la fin du printemps 2020 et à la sortie du confinement, afin de limiter les retards.
Si le sens des responsabilités des professionnels de la petite enfance ne peut être mis en cause, l’impact de la crise sanitaire sur la pratique vaccinale ne doit pas être minoré, dans un pays où elle suscite une défiance persistante. Ainsi que l’affirmait l’Unicef à la suite de la publication du rapport déjà évoqué ([29]), « les taux de vaccination constituent un vrai point noir de ce rapport, situant notre pays en dernière position du classement, au regard du pourcentage d’enfants ayant reçu leur deuxième dose du vaccin contre la rougeole. Ce taux a chuté de manière significative entre 2010 et 2018. »
Aussi, la rapporteure juge-t-elle indispensable que les autorités sanitaires prennent les mesures nécessaires afin de remédier aux retards pris dans l’application des calendriers vaccinaux pour les jeunes enfants.
Outre des recommandations données aux professionnels de la petite enfance (cabinets pédiatriques, médecins généralistes, PMI, crèches) et le suivi qui leur incombe, la réalisation de cet objectif pourrait nécessiter la diffusion périodique de supports informatifs (dans les médias, sur les réseaux sociaux) destinés aux familles afin de rappeler les obligations vaccinales. Il pourrait s’agir là d’un préalable nécessaire à l’organisation d’une campagne de vaccination afin de rattraper les retards éventuels pris lors du premier confinement.
Propositions :
Mesurer avec précision les retards enregistrés pendant la crise sanitaire dans les calendriers vaccinaux pour les jeunes enfants
Remédier aux éventuels retards constatés par la diffusion de supports informatifs et l’organisation d’une campagne de vaccination ciblée
L’organisation de cette campagne de vaccination pourrait d’ailleurs fournir le cadre d’une réévaluation des exigences de la couverture vaccinale des enfants et des adolescents.
Au cours de son audition, Mme Sylvie Hubinois a souligné l’intérêt de rendre plus accessible le vaccin contre la gastro-entérite.
D’après une étude publiée par Santé publique France ([30]), l’infection à rotavirus serait responsable de 300 000 épisodes de diarrhée aiguë chez les enfants de moins de cinq ans en France, dont 160 000 diarrhées sévères. Le nombre annuel de décès engendrés par ces infections se limiterait à neuf. Les infections à rotavirus seraient à l’origine de 138 000 consultations en ville par an (dont 112 000 chez un médecin généraliste et 26 000 chez un pédiatre) ; elles occasionneraient 18 000 hospitalisations chaque année. Les auteurs de l’étude estiment le coût annuel de l’infection pour le système de santé à 28 millions d’euros (dont plus de 80 % résultent des frais d’hospitalisation).
D’après Mme Hubinois, le coût du vaccin contre la gastro-entérite représenterait un obstacle à son accès pour beaucoup de familles. Dans la mesure où la recommandation émise par l’Académie de Médecine montre que son administration présente un intérêt sanitaire dans le contexte de la crise épidémique actuelle ([31]), la rapporteure estime qu’il conviendrait d’envisager le remboursement par la sécurité sociale des vaccins contre le rotavirus.
Proposition : Assurer la prise en charge du coût du vaccin contre les infections à rotavirus par la sécurité sociale
● Le second questionnement touche aux répercussions de la crise sanitaire sur l’efficacité de la détection, du suivi et du traitement des maladies chroniques et des pathologies graves.
Indéniablement, l’ensemble des données disponibles rend compte d’une baisse de l’activité des services médicaux pédiatriques. Il en va ainsi pour les urgences, avec par exemple un recul de 65 % des prises en charge dans les services d’accueil des urgences et de 88 % pour les consultations, pendant le premier confinement à l’Hôpital Necker ([32]).
Exemple de l’activité du Département médico-Universitaire (DMU) Médecine de l’enfant et de l’adolescent - Necker-Enfants Malades en 2019 et 2020
Source : Société française de pédiatrie. Note de lecture : HDJ = hospitalisation de jour.
Plusieurs causes peuvent expliquer la moindre fréquentation des urgences, et plus généralement des services accueillant des enfants et des adolescents, au-delà des craintes que pouvaient éprouver les personnes à se rendre dans les établissements hospitaliers pendant le confinement et de la volonté de ne pas solliciter davantage ces établissements alors qu’ils étaient surchargés par les cas de Covid-19. Suivant l’analyse développée par M. Christophe Delacourt, le premier facteur tient aux restrictions du confinement, lequel « a empêché la transmission des autres pathologies infectieuses, réduisant le nombre d’angines et d’autres pathologies bénignes. » Le second facteur consiste dans les retards de diagnostic.
En l’état des connaissances, il s’avère cependant difficile de déterminer l’importance exacte de cette seconde cause.
Ainsi que l’a relevé M. Christophe Delacourt, aucune publication n’établit à ce jour un lien entre un accès différé au système de soins et le décès de patients atteints d’affection grave en France. Il a cité des travaux communs publiés en Angleterre et en Irlande, qui imputent un certain nombre de morts à des retards de diagnostics, mais a indiqué : « le système de soins et l’accès aux soins est un peu différent en France et en Angleterre. Je ne suis pas certain que ce constat puisse être extrapolé pour la situation française. Dans les équipes que j’ai contactées, personne ne m’a fait remonter d’information sur des décès d’enfants liés à des retards de prise en charge. A priori, les retards de prise en charge qui se sont produits n’ont pas occasionné de décès. »
En revanche, dans plusieurs pays – France, Allemagne et Italie –, un retard important de diagnostic des nouveaux cas de diabète de type I semble établi pendant le confinement. Selon les conclusions des travaux évoqués par M. Christophe Delacourt, ces retards expliquent un nombre d’enfants victimes d’acidocétose sévère et modérée plus important que les années précédentes.
Les documents transmis par la Société française de pédiatrie soulignent que ce « modèle » de la maladie diabétique témoigne que le confinement induit un retard diagnostique devant des symptômes initialement mineurs, la consultation aux urgences ne venant que devant des symptômes plus sévères. Par extrapolation, il est possible que d’autres pathologies chroniques que le diabète, dont le retard diagnostique est moins facile à documenter, soient concernées par ces retards : tumeurs, infections d’évolution lente (tuberculose), maladies inflammatoires chroniques… L’impact à long terme de ces potentiels retards diagnostiques n’est pas clairement établi.
Quoi qu’il en soit, le premier confinement a conduit au report d’un certain nombre d’interventions jugées non urgentes. Il a également occasionné une interruption de la prise en charge des enfants et adolescents dont l’état nécessitait le suivi de thérapies médicales et paramédicales (telles que des séances de kinésithérapie, de rééducation, etc.).
À l’instar des professionnels entendus, la rapporteure ne peut que s’interroger sur les conséquences – à court ou moyen terme – de ces ruptures dans les parcours de soins, notamment pour les publics les plus fragiles et/ou précaires. Aussi, elle appelle les autorités sanitaires, les établissements hospitaliers et de recherche scientifique à systématiser l’évaluation de l’impact de la crise sanitaire sur le diagnostic et le suivi des maladies chroniques et des pathologies graves, afin de disposer d’une exacte connaissance des répercussions de la crise sanitaire du point de vue de la perte de chances, voire des décès causés, et d’améliorer les conditions de détection et de prise en charge des patients dans l’hypothèse d’un nouvel épisode épidémique.
En tout état de cause, l’on observe que de premiers enseignements ont été retirés des débuts de la crise sanitaire, lors du deuxième confinement mis en place le 30 octobre ; le suivi et la prise en charge des patients hors Covid-19 sont maintenus autant que possible au regard des contraintes résultant de l’épidémie, et des campagnes de communication ont été déployées pour encourager les Français à consulter leur médecin et à ne pas reporter leurs rendez-vous médicaux.
Propositions :
Évaluer l’impact de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid‑19 sur le diagnostic et le traitement des maladies chroniques et des pathologies graves
Définir les conditions d’une prise en charge adaptée des patients dans le contexte d’un épisode épidémique de cette nature
B. Un ÉQUILIBRE PSYCHIQUE et moral des jeunes à reconstruire
Nul ne sait le souvenir que laissera la présente crise sanitaire dans la société. Mais pour certains jeunes, rien n’interdit de penser qu’elle pourrait revêtir la dimension d’un véritable traumatisme, du fait de la brutalité de son déclenchement, de l’imprévisibilité de son cours et de son dénouement, ainsi que de la menace inédite de la mort.
Quoi qu’il en soit, la crise sanitaire et le confinement affectent – de manière très concrète – les trois cadres essentiels au développement des jeunes et à leur intégration : la famille, l’école, le cercle des relations sociales et amicales. Dans la mesure où les professionnels attirent l’attention des pouvoirs publics depuis plusieurs années sur les enjeux de la santé mentale des jeunes et, en particulier des adolescents ([33]), les impacts possibles de la crise appellent une vigilance renouvelée.
De fait, à compter du mois d’octobre 2020, les statistiques se sont multipliées et fournissent autant d’indices d’une altération du bien-être moral des enfants, des adolescents et des jeunes adultes.
Premiers impacts de la crise sanitaire sur la santé mentale
en France et dans le monde
D’après CoviPrev ([34]), 21 % des personnes interrogées déclaraient souffrir d’un état dépressif au 6 novembre 2020 (contre 10 % à la fin septembre). À titre de comparaison avec la période antérieure à l’apparition du Covid-19, 10 % de la population a vécu un épisode dépressif dans l’année précédente, selon la dernière enquête menée en 2017.
L’étude montre que la proportion d’adultes souffrant d’un état dépressif dépasse nettement cette moyenne parmi les personnes déclarant une situation financière très difficile (35 %), parmi celles avec des antécédents de troubles psychologiques (30 %), ainsi que parmi les inactifs (28 %), les personnes suivant des études (30 %) et chez les jeunes (29 % chez les 18-24 ans, 25 % chez les 25-34 ans).
À cette même date, le taux d’anxiété est estimé à 20,8 %, en hausse depuis septembre 2020.
Des résultats préliminaires de l’enquête internationale COH-FIT ([35]) publiés le 10 novembre 2020, il ressort que la crise a augmenté le niveau de stress, la sensation de solitude ou de colère, en particulier chez les femmes et les jeunes : 27 % des femmes ressentent un stress accru (contre 14 % des hommes) et 23 % rapportent un sentiment de solitude plus important (contre 12 % des hommes). Il en va également ainsi pour un jeune sur quatre.
1. Une crise sanitaire propice à l’apparition ou à l’aggravation de troubles psychiques
a. Des changements de comportement parmi les enfants en bas âge et en âge scolaire, susceptibles d’exprimer un sentiment d’insécurité
● Ainsi que l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées par la Commission d’enquête, l’impact de la crise sanitaire sur le bien-être mental des enfants et des adolescents peut être difficile à mesurer et ses effets ne présentent pas un caractère univoque.
Dans certaines circonstances, le confinement et le repli sur la sphère familiale ont pu procurer une forme d’apaisement et de bien-être. Selon les observations de Mme Catherine Lacour Gonay, membre du conseil d’administration de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées (SFPEADA), de nombreux enfants et adolescents ont vécu un bref moment d’euphorie : en raison de la fermeture des établissements scolaires, ils pouvaient rester chez eux, avec leurs parents et/ou devant les écrans.
Même si le confinement s’est accompagné de troubles du sommeil et des rythmes, comme évoqué infra, Mme Stéphanie Bioulac, praticienne hospitalière, a également souligné que l’un des points positifs du confinement a résidé dans le fait que les adolescents pouvaient vivre un peu plus à leur rythme, notamment en termes de sommeil. Elle a ainsi souligné que « d’un point de vue physiologique, demander à un adolescent – à partir de 13-14 ans – de se lever à 6 heures 30 du matin et d’être en cours de 8 heures à 10 heures est en quelque sorte une aberration : son organisme n’est pas adapté pour se concentrer si tôt dans la journée. Le confinement a souvent permis aux adolescents d’adopter des horaires et un rythme physiologiquement plus adaptés. (…) De nombreuses études scientifiques de chronobiologistes ont démontré qu’uniquement en faisant débuter les cours une heure plus tard à l’adolescence, on améliore les résultats scolaires ; c’est automatique. Peut-être cette pandémie peut-elle servir à prendre conscience de telles données importantes. »
Ce constat conduit d’ailleurs la rapporteure à préconiser une réflexion plus large sur une meilleure prise en compte des rythmes physiologiques de l’adolescent par l’Éducation nationale.
Proposition : Engager une réflexion sur l’adaptation des rythmes scolaires pour les jeunes adolescents
● L’impact de la crise sanitaire varie en fonction de la vulnérabilité des enfants et de leur entourage. Selon les recherches menées par Mmes Édith Galy et Andréa Soubelet, il s’avère que les populations ayant déjà été exposées à des événements pénibles ou traumatiques risquaient davantage de ressentir un syndrome de stress pendant le premier confinement.
Pour sa part, M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, a identifié neuf facteurs qui pourraient conditionner l’impact de la crise sanitaire au plan psychique. Parmi ceux-ci, on retiendra notamment : la propension des parents à développer un état dépressif pendant la phase de confinement, cette dépressivité s’accompagnant systématiquement d’une augmentation des troubles chez les enfants ; la difficulté des parents à s’occuper de leurs enfants par perte de motivation ; le rapport qu’entretiennent les parents avec la crise (suivant la proximité avec une zone affectée par l’événement, la mort d’un parent) ; la pauvreté et l’inemploi, étant constaté que le chômage des parents a des effets sur les relations familiales et les enfants, et crée de l’angoisse chez ces derniers ([36]).
Au-delà de ces constats, l’ensemble des professionnels entendus mettent en exergue des changements observés dans l’attitude des enfants et adolescents. Même s’ils ne revêtent pas une dimension pathologique, ces changements peuvent être considérés, de l’avis général, comme une réaction face au caractère anxiogène de la crise sanitaire.
De l’enquête réalisée et analysée par Mmes Édith Galy et Andréa Soubelet ([37]), on peut ainsi retenir que :
– 68 % des parents déclarent observer une augmentation des comportements qui expriment de la colère et de l’irritabilité chez leurs enfants ;
– 53 % rapportent des problèmes de sommeil chez les enfants ;
– 47 % décrivent une augmentation de l’agressivité, ainsi que des difficultés de concentration ;
– 38 % des enfants manifestent davantage d’émotions négatives et font davantage de cauchemars qu’en temps ordinaire ;
– près de 70 % des enfants s’agrippent davantage à leurs parents – ce qui témoigne d’un probable sentiment d’anxiété ;
– plus de la moitié des enfants ont des souvenirs ou des pensées intrusives par rapport à des événements qu’ils ont vécus en lien avec la crise du Covid-19.
D’après leurs auteures, ces résultats révèlent, au sein de la population étudiée et selon les parents, l’existence d’un stress relativement important qui affecte le comportement, le sommeil, la concentration et peut susciter des réactions d’agressivité ou de colère. Il a pu contribuer à une dégradation des rapports entre parents et enfants dans certains foyers.
● Les observations tirées de cette étude font écho aux divers constats évoqués par les personnes auditionnées. Il en va ainsi des troubles du sommeil, évoqués dans 25 % des réponses à une enquête réalisée par le SNMPMI. D’après M. Pierre Suesser, ces problèmes peuvent être mis en rapport « avec le manque d’activité, l’excès d’écrans, la perte de rythme de vie et le sentiment d’insécurité ». Ils sont en effet souvent liés à des perturbations des rythmes des enfants, du fait du confinement.
Pendant le confinement, les rythmes biologiques ont été désynchronisés chez certains enfants, adolescents ou jeunes adultes. En effet, différents facteurs environnementaux influent sur les rythmes biologiques des enfants et contribuent à leur synchronisation. Ces facteurs, appelés « time-givers », sont les heures de coucher, de repas mais aussi les heures d’école et celles des activités sportives et culturelles. La disparition de ces activités et le basculement vers l’« école à la maison » ont conduit à la perte de ces facteurs durant le confinement. Mme Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, a ainsi indiqué : « cette désynchronisation a entraîné un certain nombre de troubles du sommeil. Des études ont mis en évidence des associations entre les troubles du sommeil et des problèmes auxquels les enfants et les adolescents peuvent être confrontés : l’anxiété, la dépression – ainsi que les troubles bipolaires pour les adultes –, l’hyperactivité et les déficits attentionnels (difficultés de concentration impliquant le cortisol), les troubles autistiques et la schizophrénie ; (…) il est donc important de repérer les troubles du sommeil. Nous en voyons les conséquences au long cours depuis le déconfinement, avec la désynchronisation des rythmes mais aussi des changements de comportement. »
En dernier lieu, on notera qu’au cours du premier confinement, les premières ré-hospitalisations nécessaires ont concerné les troubles du comportement alimentaire. Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi indiqué que « chez les anorexiques ou boulimiques cloîtrés à la maison, tous les symptômes ont flambé : il a fallu intervenir très vite. »
b. Des expressions de mal-être et de fragilité chez les adolescents et jeunes adultes
Ainsi que l’ont relevé plusieurs personnes auditionnées, le printemps 2020 s’est caractérisé par une baisse de l’activité des services de santé et des hospitalisations, notamment psychiatriques. Pour sa part, Mme Catherine Lacour Gonay a également indiqué qu’une diminution des tentatives de suicide et des scarifications a pu être observée.
Afin d’expliquer ce constat paradoxal, certains professionnels formulent l’hypothèse d’une volonté délibérée des adolescents de refouler l’expression de leur éventuel mal-être afin, dans certains cas, de ne pas ajouter aux propres fragilités que trahissait le comportement de leurs parents.
Tous identifient en revanche des signaux de détresse et de souffrance psychologiques apparus après la levée du premier confinement.
Certes, les statistiques disponibles ne rendent pas compte – comme anticipé – d’une recrudescence des suicides dans l’ensemble de la population et chez les jeunes. Néanmoins, suivant les déclarations publiques de M. Guillaume Vaiva, chef de service en psychiatrie adulte au Centre hospitalier universitaire de Lille et vice-président du Groupement d’études et de prévention du suicide ([38]), on observe une baisse des suicides à l’automne moins nette que remarquée au cours du premier confinement. En outre, M. Vaiva évoque des propos et des conduites suicidaires exprimés de manière inédite par des jeunes de dix à vingt-cinq ans et des soignants.
De récentes informations parues dans la presse ([39]) font par ailleurs état de chiffres inquiétants. M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert-Debré, situé dans le nord-est de Paris, a adressé un message d’alerte à l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France et aux autorités sanitaires, alors que les tentatives de suicide chez les mineurs de moins de quinze ans enregistrées dans son établissement en septembre-octobre ont doublé par rapport à la même période de 2019, passant de 20 à 40. Selon un tableau de bord de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) du 19 novembre recensant l’activité hors-Covid-19 des 39 hôpitaux – majoritairement franciliens – du groupe, les hospitalisations en pédiatrie pour raisons psychiatriques augmentent depuis août. Elles se situaient fin octobre à 3 600, contre 2 400 un an plus tôt, soit une hausse de 50 %.
Mme Catherine Lacour Gonay a également évoqué l’existence pendant le confinement de cas de décompensation psychotique (schizophrénie, hallucinations auditives), tout en soulignant qu’il ne s’agissait pas de nouvelles pathologies, mais que la crise sanitaire pouvait accentuer celles qui existaient ; elle a également cité l’augmentation de la consommation de cannabis, pour ceux qui en disposaient, ou bien le sevrage de ceux qui ne parvenaient plus à s’en procurer pendant le confinement, avec des syndromes de sevrage et l’émergence de ce que pouvait masquer la consommation de cannabis, notamment des troubles anxieux importants.
En ce qui concerne plus spécifiquement les étudiants, les éléments communiqués par les représentants de l’association Nightline, qui propose aux étudiants une permanence d’écoute nocturne, fournissent un autre indice de la hausse des besoins motivés par des vulnérabilités accrues à raison de la crise.
Ils donnent à penser que la prise en charge par les services de santé universitaires se heurtent à une saturation de leurs capacités d’accueil. Pour sa part, l’association a fait état publiquement d’un maintien des demandes reçues par ses antennes à un niveau très important depuis la rentrée universitaire, avec une augmentation de plus de 40 % des appels reçus ([40]).
Les déclarations publiques de représentants de La Fondation santé des étudiants de France et du Réseau de soins psychiatriques et psychologiques pour les étudiants (Resppet) quant à la hausse très nette des consultations depuis la rentrée 2020 donnent à penser que nous assistons à l’expression de besoins durables.
De fait, les réponses apportées dans le cadre de l’étude réalisée par le Centre national de ressources et de résilience (CNRR) auprès des universités françaises ([41]) tendent à montrer des facteurs de souffrance psychologique pendant le premier confinement : 27,5 % des étudiants ayant participé à l’enquête déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère, et 11,4 % des idées suicidaires.
L’étude tend à prouver que les étudiantes sont les plus touchées. Parmi les facteurs de risque exposant les étudiants à des formes de souffrance psychologique pendant le confinement, on trouve aussi :
– la précarité (en conséquence d’une perte de revenus subie ou anticipée) ;
– des conditions de logement médiocres ;
– des antécédents psychiatriques ;
– des symptômes compatibles avec le Covid-19 ;
– l’isolement social ;
– la qualité médiocre de l’information accessible sur la situation sanitaire.
Par ses résultats, l’enquête menée par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) ([42]) fournit une autre illustration du rôle joué par l’isolement et la perte des relations sociales. En effet, il en ressort que la moitié des étudiants ont déjà souffert de solitude ou d’isolement pendant le premier confinement et que 31 % d’entre eux (soit près d’un étudiant sur trois) ont présenté les signes d’une détresse psychologique.
Au cours de son audition, M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, a affirmé vouloir « consacrer de l’énergie et du temps » au sujet de la santé mentale des jeunes et, notamment, celle des adolescents.
Au vu des conséquences de la crise sanitaire sur le bien-être moral des enfants, adolescents et jeunes adultes, l’organisation d’une prise en charge efficace des fragilités et détresses psychiques de cette classe d’âge constitue en effet une priorité nationale.
2. Des séquelles possibles dans le développement personnel des jeunes
La Commission d’enquête ne saurait dresser un inventaire exhaustif des incidences de la crise sanitaire sur la construction de la personnalité et le bon développement des jeunes. Les auditions menées l’incitent toutefois à accorder une attention particulière à deux conséquences de la crise sanitaire dont on ne mesure pas totalement les implications, notamment pour ce qui est des jeunes enfants.
● Le premier sujet de préoccupation a trait aux conséquences d’un éloignement des jeunes enfants d’avec certains membres de la famille élargie, notamment les grands-parents, ainsi qu’à l’impact des deuils causés par la crise sanitaire.
Dans l’optique contemporaine des disciplines relatives au développement de l’enfant, les grands-parents se voient en effet reconnaître le rôle de figure d’attachement. Ils peuvent occuper une place importante dans la construction de l’enfant en ce qu’ils peuvent lui donner la possibilité de tisser un autre rapport que celui entretenu avec les parents, qui incarnent l’autorité. Pour certains auteurs, les grands-parents offrent également des références plus stables par rapport à des parents qui travaillent et, parfois, se séparent.
La crainte de la contagion et l’application de strictes mesures sanitaires (telles que la restriction du nombre des participants aux réunions privées ou des visites dans les EHPAD) ont pu conduire, depuis le déclenchement de la crise épidémique, à un desserrement des liens avec cette génération. L’absence de rencontres avec les grands-parents peut être mal ressentie par les enfants, suivant le rôle que ces derniers jouent auprès d’eux.
L’impossibilité pratique d’accomplir tous les rituels du deuil lors de la crise peut exposer les jeunes à des difficultés et à une remise en cause. Mme Hélène Romano a souligné le fait qu’« un événement traumatique comme un deuil provoque une perte de repères et de continuité […] ». D’après son analyse et les études dont elle a fait état, « le fait de ne pas avoir pu voir le corps de la personne décédée, ni d’avoir participé aux funérailles, peut rendre le deuil plus douloureux ». Ce constat a déjà pu être établi pour des adultes et des enfants en des circonstances plus ordinaires.
En conséquence, l’éloignement d’avec les grands-parents et les difficultés à faire le deuil en famille en cas de décès pourraient créer des traumatismes chez les enfants. Suivant l’opinion exprimée par M. Yann Renault, vice-président Éducation populaire du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP), l’impact psychologique sur les enfants mériterait sans doute une évaluation.
L’on peut toutefois ajouter, dans un sens favorable cette fois, que face à l’angoisse de mort véhiculée par l’épidémie, le message transmis sur l’importance de la vie de chacun pendant la crise sanitaire a été très positif. Comme l’a souligné Mme Catherine Lacour Gonay : « nous avons donné un formidable message à nos enfants et adolescents : la vie peut être un critère d’importance absolue, supérieur à tous les autres enjeux, qu’ils soient économiques ou autres. Ils ont vraiment pris à leur compte cette dimension éthique : la vie des personnes âgées, des personnes vulnérables, a de l’importance. On leur a transmis qu’il y a une responsabilité sociétale, et qu’ils sont eux-mêmes responsables. »
● Le second motif d’interrogation porte sur les conséquences du port du masque sur le développement des fonctions cognitives et des apprentissages. En effet, sa généralisation occasionne manifestement des difficultés non négligeables pour des publics dont le développement repose sur des interactions.
Ce besoin s’avère essentiel, en premier lieu, pour les bébés et les enfants faisant l’apprentissage du langage. Selon Mme Natacha Collomb, secrétaire nationale de l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale, « le regard est précieux, mais sans une partie du visage, l’interaction est plus difficile. » Voir le visage des personnes influe sur le développement, la construction et l’apprentissage de la communication des tout-petits.
Pour les enfants de maternelle et de cours préparatoire (CP), le port du masque complique l’apprentissage de la lecture et de l’expression orale. D’après le témoignage de Mme Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU), face à un adulte masqué, un enfant de maternelle risque d’ignorer les messages qui lui sont adressés dans la mesure il entend un bruit sans en identifier la provenance. Ainsi, « il est extrêmement difficile de mobiliser les enfants avec la voix et les gestes sans le support des expressions du visage. En CP, c’est également une difficulté que rencontrent les enseignants pour l’apprentissage de la lecture. »
Le port du masque peut également mettre en cause la bonne intégration des enfants en situation de handicap, malentendants ou autistes.
D’une part, son usage ne va pas de soi pour certains enfants, adolescents ou jeunes adultes en situation de handicap. Suivant le signalement de Mme Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, pour les enfants atteints de troubles autistiques, « même s’ils ont de bonnes capacités cognitives, ils étouffent et font des crises anxieuses. » D’autres ne comprennent pas l’usage des masques et les privent de toute utilité en les triturant ou en ne les gardant pas.
D’autre part, les modalités du port du masque pour certains jeunes en situation de handicap paraissent tributaires de la politique des établissements. D’après le récit de Mme Langloys, la compréhension des principaux et des proviseurs peut varier assez considérablement. Certains élèves et leurs familles ont ainsi été sommés de choisir entre le respect strict de l’ensemble des mesures sanitaires et l’exclusion, notamment au lycée. À l’inverse, dans certains collèges et lycées, des aménagements ont pu être négociés qui permettaient aux élèves, par exemple, de sortir toutes les heures pour respirer dans la cour de récréation ou de ne porter le masque que dans les couloirs, et pas dans les classes.
On rappellera cependant que dans le cadre des confinements et à la levée de l’état d’urgence sanitaire, le droit applicable admet bien une dérogation au port du masque au bénéfice des personnes en situation de handicap, sous réserve d’un certificat médical ([43]).
À l’évidence, ces multiples témoignages démontrent la nécessité de favoriser dans les meilleurs délais la mise à disposition et l’usage des masques dits « inclusifs » ([44]).
Ainsi que certains membres de la Commission d’enquête ont pu en faire le constat, ces dispositifs restaient assez peu utilisés à la rentrée scolaire, compte tenu des difficultés d’approvisionnement et, parfois, de leur coût pour les familles.
D’après les éléments communiqués par Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, le Comité interministériel du Handicap (CIH) et la Direction générale de l’Armement (DGA) se sont employés depuis le mois de mai 2020 à accélérer les procédures d’homologation des produits disponibles. L’État a noué des partenariats avec une start-up et des entreprises adaptées (avec le concours de l’association APF France Handicap) afin d’accélérer la production de masques « inclusifs ». D’après les chiffres évoqués par la secrétaire d’État le 1er octobre dernier, la production mensuelle dans les entreprises adaptées atteindrait les 500 000 unités (contre 10 000 à 20 000 à la fin du mois d’août 2020) ; l’homologation de ces masques n’est en effet intervenue qu’à la fin de ce mois d’août.
Par communiqué conjoint en date du 17 novembre 2020, le ministre des Solidarités et de la santé et le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles ont annoncé que l’État demandait à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) de financer, à titre exceptionnel, l’acquisition de trois masques transparents pour chaque professionnel des catégories de modes d’accueil concernées – à savoir ceux dans lesquels le port du masque est obligatoire en permanence : crèches, micro-crèches, maisons d’assistants maternels. À la suite de l’accord donné par le conseil d’administration de la Caisse à un financement unique et exceptionnel, 500 000 masques « inclusifs » devraient être ainsi livrés ([45]).
Selon les informations transmises par le ministère de l’Éducation nationale, une commande de 300 000 masques « inclusifs » a été passée par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) pour un montant de 2,48 millions d’euros. Cette commande a été livrée aux académies courant octobre 2020 en deux vagues, la première de 120 000 masques et la seconde de 180 000.
Au terme de ses travaux, la rapporteure ne dispose pas d’une évaluation de l’efficacité de ces distributions. Elle estime néanmoins qu’il conviendrait d’évaluer les besoins en masques inclusifs et de développer leur usage auprès de l’ensemble des enfants, adolescents et jeunes adultes dont le développement et l’intégration pourraient être entravés par le port d’un masque classique (bébés, enfants en phase d’apprentissage du langage et de la lecture, jeunes en situation de handicap). La réalisation de cet objectif suppose également de doter toutes les personnes chargées de leur prise en charge.
Dans cette optique, une action ponctuelle telle que la distribution de 500 000 masques « inclusifs » financée par la CNAF semble insuffisante. Devant les incertitudes entourant la durée et la récurrence de la crise sanitaire actuelle, la question se pose de l’organisation durable, par l’État et les collectivités territoriales, d’une fourniture de masques inclusifs.
Propositions :
Évaluer précisément les besoins en masques inclusifs et développer leur utilisation auprès des bébés, des enfants en phase d’apprentissage du langage et de la lecture et des jeunes en situation de handicap
Envisager l’organisation d’une fourniture durable de masques inclusifs par l’État et les collectivités territoriales
C. DES capacitÉs de socialisation ALTÉRÉES ?
À ce stade de la crise sanitaire, on ne saurait préjuger de son incidence sur le lien social et sur le regard que les enfants portent sur leur environnement, cette question méritant sans doute un certain recul que ne permet pas le ressaut de l’épidémie. Néanmoins, l’éventualité d’une distanciation sociale persistant au-delà des nécessités sanitaires ne saurait être écartée.
1. Une crise sanitaire favorisant l’isolement et un repli sur la cellule familiale, mais aussi un resserrement des liens familiaux
De manière assez logique, les mesures de confinement adoptées par les pouvoirs publics ont eu pour effet premier de restreindre les interactions sociales. En conséquence de la fermeture des lieux de sociabilité (bars, restaurants, discothèques), de travail et d’enseignement, ainsi que des limitations apportées à la liberté de se déplacer et de se réunir, les jeunes ont été amenés à se replier sur le cercle parental ou sur leur lieu de résidence.
Les propos recueillis lors des auditions illustrent une certaine diversité et une évolution des réactions au fil du premier confinement.
● En règle générale, il semble que les enfants et les adolescents aient vécu une sorte d’« euphorie » dans les premières semaines – du fait de la possibilité de demeurer auprès de leurs parents et disposer de leur temps sans avoir à composer avec les obligations du temps scolaire. Néanmoins, le temps passant, il a pu être observé une certaine lassitude pouvant conduire à des conflits, notamment avec les adolescents.
Selon l’enquête réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), ce constat vaut pour de nombreux étudiants ([46]). 44 % des étudiants interrogés déclarent avoir quitté le logement de leur lieu d’étude. L’entourage familial (parents et, dans une moindre mesure, fratrie ou conjoint) est apparu comme un refuge pendant la crise sanitaire, puisque plus des trois quarts des étudiants ayant changé de logement, majoritairement décohabitants avant la crise, ont été confinés avec au moins un de leurs parents. Toutefois, 34 % des étudiants rapportent des difficultés d’ordre relationnel avec les personnes avec lesquelles ils ont cohabité ([47]).
Dans certains cas, les pédopsychiatres et les professionnels de la petite enfance interrogés affirment l’existence de comportements symptomatiques d’un repli sur la sphère domestique.
Comme évoqué supra, des enfants ont pu subir une désynchronisation par rapport aux différents temps qui scandent la vie ordinaire ; d’autres ont parfaitement adopté le rythme de familles qui n’en ont pas. Les pédiatres font également état de difficultés à reprendre les consultations, voire une anxiété ou une réaction phobique face à la perspective d’un retour à l’école.
À certains égards, de tels comportements peuvent évoquer le « syndrome de la cabane » popularisé par de nombreux médias, c’est-à-dire un trouble poussant les personnes qui en souffrent à ressentir – parfois à la suite d’une période prolongée d’isolement – une véritable angoisse à l’idée de sortir d’un espace clos et contrôlé. Toutefois, aucune étude n’indique à ce jour que la crise sanitaire ait pu contribuer au développement de ce syndrome.
Plusieurs professionnels de la petite enfance et pédopsychiatres notent que le confinement a pu contribuer à l’apaisement d’enfants pour lesquels les contacts avec des personnes étrangères et les sorties de l’environnement familier représentent une épreuve et une source d’insécurité. Ils constatent que la période a pu être très bien vécue par les enfants souffrant de troubles du spectre autistique qui, dans ce contexte, se sentaient protégés.
● Le confinement a été également l’occasion de resserrer les liens familiaux, et pour les parents, notamment pour les pères, de passer davantage de temps avec leurs enfants, de partager des activités qu’ils ne feraient pas d’ordinaire avec eux. Comme l’a souligné M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l’enfance, « beaucoup de parents ont tout de même trouvé un intérêt à la période de confinement, car malgré le travail et l’anxiété du moment, ils ont aussi pu reconstruire des liens de stabilité avec leurs enfants, alors qu’ils étaient traditionnellement à courir continuellement et être eux-mêmes envahis par leurs écrans, d’où très peu de disponibilité pour leurs enfants. » Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’UNAF, a également relevé : « Le confinement a montré qu’un temps avait été retrouvé, ensemble, même si des tensions ont évidemment existé. Il a aussi montré l’importance des dispositifs de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. »
Cet aspect positif du confinement est particulièrement accentué pour les tout jeunes parents. Mme Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre, a ainsi souligné cet effet positif : « lors de la proximité de la naissance, en période périnatale, un repli des parents sur eux-mêmes permet une immense disponibilité pour le bébé qui en a tout à fait besoin. »
Il importe de ne pas occulter cet aspect lorsque l’on cherche à mesurer les effets du confinement, même s’il a tendance à être éclipsé par les sujets liés à la recrudescence des violences intrafamiliales, qui ont été fortement mis en avant – et à juste titre, pour assurer la protection des enfants.
● En dernier lieu, la crise sanitaire a pu aggraver l’isolement d’étudiants se trouvant dans l’impossibilité de regagner le domicile familial ou le département d’origine.
Il en va ainsi pour des jeunes originaires des départements et collectivités d’outre-mer et accomplissant leurs études dans l’Hexagone. Au cours de l’année 2019-2020, ils représentaient un effectif estimé à 40 000 personnes. Une part d’entre eux n’a pu regagner leur territoire d’origine, faute de moyens financiers ou en raison de la fermeture des dessertes aériennes.
Il convient cependant de ne pas méconnaître l’action engagée par la Délégation interministérielle pour l’Égalité des chances des Français d’Outre-mer et la visibilité des Outre-mer. Par le biais de la plateforme « #OutremerSolidaires », la Délégation interministérielle a en effet proposé une prise en charge des coûts de retour dès avril 2020. La Commission d’enquête ne dispose pas à ce jour de statistiques actualisées quant au nombre de bénéficiaires de ce dispositif, dont la mise en œuvre procédait de l’exploitation d’un questionnaire créé en avril 2020 et destiné à recenser les situations des étudiants ultramarins dans l’Hexagone pendant la crise sanitaire.
Les étudiants étrangers ont pu connaître des situations assez similaires, et, au vu des enquêtes réalisées, apparaissent comme ceux qui ont le plus souffert de l’isolement. Néanmoins, il ressort de l’audition de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation que la France s’est efforcée de maintenir ses frontières ouvertes pendant les deux confinements, y compris vis-à-vis de ressortissants d’États où le virus circulait beaucoup. D’un point de vue juridique, l’inscription à une formation dispensée par un établissement d’enseignement supérieur en France constitue une dérogation aux restrictions à l’entrée sur le territoire national.
Au-delà, ainsi que l’a indiqué la ministre, 50 000 étudiants qui n’ont pas pu ou pas voulu rejoindre leur famille ont pu demeurer dans les logements des Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) ; ils ont bénéficié d’un accompagnement par les personnels et par les étudiants référents identifiés par les CROUS.
2. Un usage croissant des écrans, avec des risques de dépendance, mais un outil essentiel à la continuité sociale des jeunes
● Le consensus des scientifiques appelle à une certaine vigilance sur les effets de la consommation excessive des écrans pour les enfants. Dans un avis de décembre 2019, le Haut conseil de la santé publique a mis en avant les effets négatifs qu’ils pouvaient entraîner chez les enfants, notamment chez les plus petits ([48]).
Cela pose la question de l’impact de l’augmentation de la place des écrans lors de la présente crise sanitaire. Si des statistiques précises manquent encore au sujet du temps consacré à leurs différents usages, les propos recueillis portent à conclure qu’à la faveur du premier confinement, les jeunes ont nettement accru leur consommation d’écrans.
Ce constat empirique procède des signalements apportés lors des consultations médicales. Il paraît cohérent avec des observations plus globales. Ainsi, suivant une enquête publiée en juin 2020 dans le journal JMIR Public Health and Surveillance ([49]), 64,5 % des personnes interrogées en France auraient augmenté leur consommation d’écrans. Il ressort également de ces travaux que parmi les utilisateurs ayant augmenté leur temps d’usage, 15,3 % affirment avoir éprouvé des difficultés à garder le contrôle ([50]).
Cette évolution mérite d’autant plus l’attention que les dernières études soulignent une hausse continue du temps passé devant les écrans, tant par les enfants que par les adolescents et jeunes adultes. D’après une enquête Ipsos (Junior’s connect) de 2018, les 13-19 ans passaient en moyenne 15 heures 11 minutes par semaine sur internet en 2017, soit 1 heure 41 minutes de plus qu’en 2015. Le temps passé par les 7-12 ans s’élevait lui à 6 heures 10 minutes en moyenne par semaine (soit 45 minutes supplémentaires par rapport à 2015) ; celui des 1-6 ans était estimé à 4 heures 37 minutes (soit 55 minutes de plus par rapport à 2015).
En soi, l’augmentation de la consommation d’écrans ne parait pas illogique au regard de l’équipement croissant de ces classes d’âges. D’après le baromètre numérique établi par l’ARCEP ([51]) en 2019, 90 % des 12-17 ans ([52]) possèdent ainsi un téléphone portable, contre 72 % en 2005, et 99 % des 18-24 ans.
● Sur le plan du développement personnel des enfants et des adolescents, les propos des personnes entendues tendent à mettre en exergue des effets négatifs de l’usage accru des écrans, notamment des troubles du sommeil et des manifestations d’anxiété observées en réaction à la couverture de la crise sanitaire par les médias, ainsi que des troubles du langage et de l’apprentissage chez les plus petits.
En revanche, les éléments recueillis par la Commission d’enquête ne permettent pas d’apporter la preuve d’une recrudescence de « syndromes de Hikikomori », en conséquence de la crise sanitaire. Touchant essentiellement les garçons, le syndrome désigne la propension à la désocialisation de sujets menant une existence centrée sur leur domicile, manifestant un intérêt ou un désir nuls pour l’école ou le travail et ayant souvent les jeux vidéo pour activité essentielle. La caractérisation d’un cas de Hikikomori suppose la persistance des symptômes pendant plus de six mois. D’après Mme Stéphanie Bioulac, praticienne hospitalière, il semble que ces troubles soient l’expression d’une psychopathologie sous-jacente, et non de la consommation accrue d’écrans. Elle note que « [l]es premiers cas qui ont été décrits ne relevaient pas de l’addiction aux jeux vidéo : il s’agissait du symptôme perçu, mais au terme d’une analyse sémiologique, il s’agissait bien dans la grande majorité des cas d’un premier épisode psychotique ».
Sur le plan des relations au sein de la cellule familiale, la place nouvelle acquise par les écrans a pu mettre à l’épreuve l’autorité des parents et leurs méthodes d’éducation. En effet, certains d’entre eux ne parvenaient pas à fixer des règles admises par les adolescents à propos du temps consacré à cette activité.
Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi souligné que face à l’explosion de la consommation des écrans, les professionnels avaient beaucoup été interpellés par les parents sur des enjeux de guidance parentale : « ils nous disaient en substance : « Comment dois-je faire avec le sommeil ? Mon enfant est complètement décalé, toujours sur un écran. Mais que puis-je y opposer, je n’ai rien d’autre à lui proposer ? ». Pour les parents comme les professionnels, il a fallu repartir des compétences de chacun. Leur rappeler qu’ils étaient parents, qu’ils avaient des compétences, le droit d’émettre des règles à la maison, de fixer des règles de base sur les heures de sommeil, les heures de repas, les heures d’écran… Et leur faire imaginer des activités qu’ils pourraient faire avec leurs enfants, en ayant recours à leur propre créativité. »
● Ces constats sur les effets négatifs des écrans ne doivent pas occulter le rôle essentiel des outils numériques pour le maintien de la sociabilité des jeunes pendant le confinement, alors qu’ils étaient privés de contact avec leurs amis et leur famille plus éloignée. Grâce aux réseaux sociaux, aux applications, ils ont continué à entretenir des liens, à échanger, à partager, à jouer avec leurs amis.
Mme Lacour Gounay a ainsi indiqué : « la solitude a bien sûr été ressentie par les jeunes, mais peut-être pas autant que par leurs aînés. Les jeunes restaient connectés avec leurs réseaux. Un jeune qui va bien restait en contact, et même en hypercontact, avec les amis sur tous les réseaux. Ces contacts virtuels ont continué d’exister. (…) Ils ont imaginé des groupes WhatsApp ou autres, pour garder les liens [avec leurs grands-parents], et je crois que les grands-parents ont fait un bond technologique pendant ce confinement. »
S’ils n’ont bien évidemment pas pu remplacer les contacts directs avec leur entourage, les outils numériques ont joué un rôle essentiel pour les jeunes pour rompre l’isolement et l’ennui.
● Pour autant, la place croissante prise par les écrans et la consommation de contenus sur internet pourraient retentir de manière plus substantielle sur le rapport au monde des enfants et des adolescents. Au cours de la table ronde consacrée aux jeunes et au numérique, M. Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès, a affirmé avoir observé sur les réseaux sociaux « une explosion de discours racistes, xénophobes, violents, antisémites, islamophobes, terroristes, accompagnés par le cheval de Troie des théories du complot et du conspirationnisme » pendant le confinement. Si la crise épidémique ne peut être tenue pour la cause première de ce développement de la désinformation, elle a pu créer un contexte favorable en ce que l’enfermement chez soi, du fait du confinement, et l’absence d’autres activités, alimentaient l’enfermement intellectuel auquel peuvent pousser la fréquentation des réseaux sociaux et l’action des algorithmes. Or, ainsi que le soulignait le professeur Séraphin Alava, « internet ne crée pas de la mixité sociale mais crée l’entre-soi. En créant l’entre-soi, il isole les individus dans leur classe, dans leur groupe, dans leurs idées, dans leur appartenance ».
Ces constats militent pour un nouvel effort en faveur de la formation à l’usage des outils numériques des jeunes et des familles.
La réalisation de cet objectif passe par une sensibilisation accrue des élèves dans le cadre des programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs « le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique ». Elle implique également une sensibilisation des parents, notamment par le biais de supports informatifs ([53]).
Propositions :
Favoriser une sensibilisation des jeunes et des familles à un usage raisonné des outils numériques et d’internet
Renforcer les programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs « le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique »
Promouvoir l’exercice d’une parentalité numérique par la diffusion de supports informatifs
● L’émergence d’une culture partagée sur le bon usage des outils numériques et d’internet pourrait permettre d’apporter des réponses à des phénomènes que la crise sanitaire a pu nourrir, tels que le cyber-harcèlement et les cyber-violences.
Certes, l’évolution de l’ampleur de ces dérives sous le premier confinement ne fait pas l’objet d’une quantification précise ([54]). Le nombre des signalements recueillis par des associations fournit aujourd’hui la seule mesure chiffrée du cyber-harcèlement. L’association e-Enfance évoque ainsi une hausse de 30 % des faits pendant le confinement mais il semble que ce chiffre doive être consolidé.
L’association e-Enfance a par ailleurs présenté en novembre dernier un sondage sur les usages numériques et les cyber-violences, réalisé auprès des adolescents (10-19 ans) et leurs parents lors du premier confinement en mai dernier par OpinionWay. Elle fait ainsi état des éléments suivants : 8 % des adolescents qui ont eu accès à des classes virtuelles ont été témoins de cyber-harcèlement sur ces nouveaux espaces d’échanges. Du côté des parents, parmi les problèmes en ligne fréquemment subis par les adolescents pendant le confinement, ils évoquent les cyber-violences, avec une prééminence des insultes et une explosion des arnaques en ligne à destination des mineurs (22 %, contre 7 % hors confinement). Les principales raisons évoquées par les jeunes victimes de cyber-violences concernant leurs auteurs sont la jalousie et le physique. En revanche, ils mentionnent moins souvent la vengeance qu’en période normale (8 %, contre 22 %), mais beaucoup plus la colère (21 % contre 13 %) ; outre l’ennui généré par le confinement, la période a pesé sur l’humeur des jeunes.
Selon un constat partagé par M. Adrien Taquet et M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l’Enfance, on a pu observer au cours du premier confinement une sorte de substitution entre le cyber-harcèlement – en hausse – et le harcèlement scolaire – rendu impossible par la fermeture des établissements scolaires. Les réseaux sociaux et les messageries instantanées auraient – en quelque sorte – procuré aux harceleurs les moyens de poursuivre leurs agissements.
Plusieurs personnes interrogées par la Commission d’enquête décrivent par ailleurs la multiplication des faits de cyber-harcèlement à caractère sexuel, sous la forme de chantages ayant pour objet la publication de photos intimes sur les réseaux sociaux. Les menaces évoquées visent particulièrement les lycéennes, avec l’utilisation de comptes dits « fisha » sur la messagerie Instagram, parfois par des groupes de cyber-harcèlement.
Ces signalements recoupent en partie l’état des lieux dressé par M. Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale, et selon lequel « les infractions en lien avec la pédopornographie sur internet ont largement crû durant le confinement ».
En revanche, les raisons de cette hausse et l’effet du contexte créé par la crise sanitaire suscitent un débat. Certaines personnes entendues avancent l’hypothèse d’un simple « effet loupe » de la crise sur des phénomènes existants. M. Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), établit un lien entre l’augmentation de ces phénomènes et « une augmentation significative des usages et des utilisations du numérique, et de l’équipement de manière générale, des enfants et des adolescents dans notre pays ». Selon M. Vincent Le Beguec, les dangers de l’internet appellent une vigilance des parents quant à la mise en place de contrôles appropriés, notamment pour les plus jeunes.
Les parents assumeront d’autant mieux leurs responsabilités – en particulier dans le contexte d’un confinement pour cause d’épidémie – qu’ils posséderont une connaissance plus étayée des manifestations du cyber-harcèlement, de ses atteintes, et des risques de sanctions qu’il fait courir à ses auteurs. La rapporteure préconise donc l’organisation d’actions de sensibilisation des parents et des jeunes aux manifestations et risques du cyber-harcèlement.
Cette action pourrait avoir pour cadre les enseignements de l’Éducation nationale et pour support des outils d’information développés par les services publics et les associations. À titre d’exemples, peuvent être citées les actions de communication de la police et de la gendarmerie nationales ([55]) destinées à alerter les parents, par le biais d’internet et des réseaux sociaux, sur les risques de cyber-violences et de cyber-harcèlements dont les enfants peuvent être victimes.
Proposition : Sensibiliser les jeunes et les familles aux manifestations et aux risques des cyber-harcèlements et des cyber-violences sur internet
II. une occasion de revisiter de fond en comble la place des jeunes au sein des politiques publiques
A. Un discours culpabilisant, aux conséquences à long terme incertaines
1. Un récit qui fait de l’enfant et du jeune un coupable potentiel
Au cours de la première comme de la seconde vague épidémique, les enfants et les jeunes ont régulièrement été mis en cause comme principaux vecteurs de la transmission du virus. Pourtant, comme vu supra, cette maladie n’est pas une maladie pédiatrique au sens virologique du terme. Le virus infecte très peu les jeunes enfants, et d’autant moins qu’ils sont jeunes.
Plusieurs journaux ont assimilé les établissements scolaires et les universités à de « véritables bombes à retardement ([56]) ». D’ailleurs, les écoles ont été fermées dans les zones de forte circulation du virus au tout début mars, soit avant le confinement général qui n’a été instauré qu’à compter du mardi 17 mars. Un certain nombre d’enfants ont intégré l’idée selon laquelle la circulation du virus était de leur responsabilité et se sont sentis très dangereux pour leurs parents, et surtout pour leurs grands-parents, dont ils avaient compris qu’ils étaient à risque. Cela a pu susciter chez eux une très forte anxiété, voire une angoisse.
À la fin du mois de septembre 2020, d’autres médias, se fondant sur le bulletin hebdomadaire de Santé publique France ([57]), ont dessiné une catégorisation des clusters où les établissements scolaires et universitaires sont apparus, avec 32 % d’entre eux, comme les principaux lieux de contamination. Enfin, les médias se sont fait les échos de plusieurs fêtes clandestines regroupant parfois un nombre important de jeunes sans distanciation sociale, ni gestes barrières évidemment.
Ces reportages et sujets journalistiques récurrents ont dessiné l’image d’une jeunesse insouciante, hédoniste et irresponsable. Cette image est d’autant plus insupportable pour une majorité des jeunes qu’elle ne correspond pas à leur vécu actuel, fait de privations et de restrictions.
Les journalistes se sont dotés de leurs propres outils pour effectuer les choix déontologiques nécessaires. Il n’est évidemment pas question de leur imposer une ligne éditoriale. Subsiste toutefois l’impression que la présentation univoque d’une jeunesse irresponsable, selon un discours parfois empreint de paternalisme, ne correspond pas aux réalités constatées au quotidien, ni au travers des auditions de la commission d’enquête. Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice d’une Maison d’enfants à caractère social (MECS), a par exemple souligné que leur « première excellente surprise au début de la crise » a été le « respect du confinement de façon quasiment immédiate et facile » par les jeunes hébergés dans l’établissement ; elle a ainsi indiqué : « alors qu’ils n’étaient pas inquiets pour eux, le discours sur la mise en danger possible des autres a été extrêmement efficace. Nous avons pu constater l’empathie, la citoyenneté de nos jeunes dès les premiers jours ».
Les médias n’ont parfois fait que relayer la parole institutionnelle ou y ont fait écho. À titre d’exemple, toujours au mois de septembre, une vidéo du ministère de la santé montrant une fête d’anniversaire d’une mère de famille embrassée par ses enfants et se terminant par l’hospitalisation de celle-ci, n’a pu échapper à aucun Français. Comme le soulignait Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie, devant la commission : « ce mode de communication n’aidera pas nos concitoyens à traverser les mois qui viennent. Il est donc urgent de lancer une communication qui ne reposerait pas sur la peur mais qui chercherait à responsabiliser chacun d’entre nous et sans stigmatiser les jeunes en leur procurant un sentiment de culpabilité à l’égard du malheur qui pourrait frapper leurs aînés. »
Cette communication gouvernementale, relayée et amplifiée par les médias, fait principalement appel à la responsabilité individuelle. Le corollaire de la responsabilité individuelle est bien évidemment la culpabilisation de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas respecter les règles édictées. Le message subliminal est par conséquent une culpabilisation de chacun pour les victimes de la pandémie dont le nombre a été énuméré chaque soir par les responsables politiques et administratifs.
Évidemment, la responsabilité individuelle est d’autant plus difficile à exercer que l’on est jeune. Or le poids moral a pesé sur chacun quel que soit son âge, et plus encore sur les plus jeunes présentés a priori comme irresponsables. Ce poids moral a pu toucher les jeunes dès lors qu’ils ont eu le sentiment de s’écarter de ce qui était attendu d’eux.
En définitive, les condamnations fréquentes des comportements jugés répréhensibles ou trop légers des jeunes ont installé l’idée qu’ils étaient par essence irresponsables, qu’ils ne faisaient pas suffisamment preuve d’empathie vis-à-vis de leurs parents ou de leurs grands-parents. Par ailleurs, les pédopsychiatres qu’a entendus la commission d’enquête ont fait part de cas où les enfants se sont sentis responsables de la mise en danger de leurs parents vulnérables par le seul fait d’aller à l’école. Mme Andréa Soubelet, psychologue et psychothérapeute, a ainsi cité l’exemple de jeunes patients dont les parents souffrent de troubles chroniques : « Les enfants ont conscientisé le risque et, par volonté de protéger le parent, manifestent un refus scolaire. Certains enfants ne sont pas retournés à l’école pour protéger leurs parents. »
Le discours de responsabilisation trouve là ses limites.
2. Les dangers d’un discours culpabilisant
Il est évidemment trop tôt pour mesurer les effets de ce discours culpabilisant sur la jeunesse. Toutefois, un discours culpabilisant conduit l’enfant et le jeune à devoir lutter contre une partie de lui-même, de ses penchants, présentés par le discours comme mauvais ou à tout le moins inappropriés. Cette lutte interne vise à faire de l’enfant une meilleure personne, capable de respecter les règles édictées.
La gestion de ce sentiment conduit à un certain nombre de réactions : colère, déprime, comportements erratiques de tous ordres… Ce mal-être peut avoir des conséquences sur le long terme, surtout lorsqu’il apparaît chez des enfants vivant des situations difficiles par ailleurs.
En effet, les pédopsychiatres que la commission d’enquête a auditionnés ont fait part du fait que les difficultés les plus grandes ont été observées chez les enfants qui ont connu des catastrophes dans leurs familles – décès d’un proche ou autres bouleversements dus ou non au Covid-19. Mme Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre, a ainsi présenté le cas d’un jeune patient qui est ressorti pour la première fois de chez lui le jour de la rentrée des classes. Mme Hélène Romano, psychologue clinicienne, a également fait état du cas d’un jeune garçon dont le père était décédé. « On a expliqué à la mère que l’enfant était probablement porteur du virus, ce qui a été traduit hâtivement par : « L’enfant a tué son père » ! Le court‑circuitage élaboratif peut être violent chez une personne seule. »
En définitive, comme l’a rappelé Mme Catherine Lacour Gonay, membre du conseil d’administration de la SFPEADA, il faut faire confiance au sens de la responsabilité des jeunes et des adolescents : « Certains adolescents vont se faire tester avant de rendre visite à leurs grands-parents. Les faire culpabiliser était vraiment délétère. Nos jeunes ont des projets de société, il faut leur laisser rencontrer d’autres jeunes, prendre leurs risques en toute conscience s’ils le peuvent. Bien sûr, on a un devoir de protection, mais il faut leur laisser aussi un peu de liberté : c’est fondamental pour les adultes qu’ils deviendront et pour notre société. »
B. une parole des enfants et des jeunes qui peine à être recueillie et accueillie, en l’absence de communication adaptée à leur égard
L’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 (CIDE) stipule : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »
Mme Claire Hédon, défenseure des droits, précise dans son rapport annuel 2020, la portée qui doit être donnée à ces stipulations : « Pour que la participation des enfants ne soit pas « décorative », elle doit être préparée, s’accompagner des conditions d’une expression libre, et s’inscrire dans le circuit décisionnel. ».
1. La verticalité, une méthode qui trouve ses limites, un manque de lieux d’échange et d’écoute
a. Une gestion en silos qui privilégie l’urgence
L’organisation politique et administrative privilégie les approches verticales. L’administration centrale travaille de manière privilégiée – lorsque ce n’est pas de manière exclusive – avec ses directions régionales et locales et peine à associer les autres acteurs. La crise sanitaire que nous vivons a encore accentué ces travers.
À titre d’exemple, Mme Pauline Spinas-Beydon directrice de la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Jean de Sannois, a fait part à la commission de son incompréhension, durant le premier confinement, face à la suspension des droits d’hébergement des jeunes enfants placés, qui sont en quelque sorte en garde alternée entre le foyer parental et l’établissement. En effet, l’absence de concertation avec les acteurs de terrain, le sentiment d’urgence et in fine la méthode verticale ont conduit à « oublier » les enfants de la protection de l’enfance. Le déplacement des parents divorcés ou séparés pour conduire les enfants d’un foyer à l’autre était considéré comme un motif légitime de sortie, mais pas celui visant à venir chercher son enfant placé en institution. Plusieurs exemples ont été donnés d’enfants qui n’ont pas pu voir leur famille durant cette période.
b. Une méthode qui relègue les jeunes dans l’angle mort
Cette absence de concertation est particulièrement préjudiciable dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, pour lequel la complémentarité et le travail en synergie sur tous les sujets sont importants, et qui mobilise un grand nombre d’acteurs. Une absence de concertation suffisante entre les ministères, entre les équipes qui travaillent dans le champ scolaire, dans le champ de la protection de l’enfance, du soutien à la parentalité, sur les questions sanitaires et médico-sociales, peut rapidement générer des situations inextricables ou conduire à passer à côté de véritables dangers.
Si la concertation entre les acteurs travaillant avec les enfants et les jeunes est insuffisante, la situation est encore plus critique concernant la concertation avec les jeunes eux-mêmes.
L’ensemble des organisations de jeunesse que la commission a pu auditionner ont fait part d’un défaut criant d’écoute et de concertation. Elles ont précisé que la crise du Covid-19 a été l’illustration de la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques personnes au motif de la situation de crise. Mme Nelly Vallance, présidente du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), a ainsi souligné : « sous le prétexte de cet état d’urgence, les décisions sont portées par un groupe restreint et nous avons noté l’absence de travail avec les corps intermédiaires pour construire des réponses adaptées et diversifiées. » M. Yann Renault, vice-président du CNAJEP, a aussi indiqué : « Les associations de jeunesse et d’éducation populaire sont aujourd’hui toujours motivées, toujours présentes, mais elles sont sans doute un peu fatiguées. Elles sont fatiguées parce qu’il a fallu confiner, fatiguées parce qu’il a fallu déconfiner, fatiguées parce que des concertations ont eu lieu qui n’avaient de concertation que le nom. Ceci n’a pas donné lieu à un vrai travail commun avec la puissance publique, notamment pour préparer l’été ».
Le manque de prise en compte de l’expression des enfants et des jeunes provient en partie de difficultés pour les adultes à reconnaître un intérêt aux idées et aux perceptions de l’enfant, le droit pour les enfants d’être entendus n’étant pas une considération primordiale pour l’ensemble des adultes, a fortiori en temps de crise où le temps d’écoute est considéré comme du temps perdu.
La culture décisionnelle française reste encore grandement celle d’une décision se prenant par un nombre restreint de personnes dans le but de la rendre la plus efficace et cohérente possible. Les jeunes sont les premières victimes de ce déficit de dialogue et de concertation.
c. Des structures qui existent mais qui peinent à trouver leur place
Plusieurs structures de recueil de la parole des jeunes existent néanmoins mais elles n’ont été que peu utilisées durant la crise sanitaire.
Placé auprès du Premier ministre, le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) a été créé par le décret n° 2016-1377 du 12 octobre 2016. Celui-ci en fixe les missions, la composition, l’organisation et les modalités de fonctionnement.
Le rôle du COJ va au-delà de l’évaluation des politiques de jeunesse et de la consultation facultative sur les projets législatifs ou réglementaires à l’initiative du Premier ministre ou du ministre chargé de la jeunesse. Il dispose en effet aussi d’un pouvoir d’initiative, pour adresser au Gouvernement toutes propositions relatives aux politiques publiques de jeunesse et d’éducation populaire
Le COJ ne s’est réuni qu’une seule fois en formation plénière depuis le 17 mars, soit le 14 octobre 2020 ([58]). Les commissions thématiques se sont quant à elle réunies une dizaine de fois. Le COJ n’a en tout état de cause pas permis de porter la parole des jeunes dans le débat public, soit qu’il n’ait pas été saisi par les autorités, soit qu’il n’en ait pas pris l’initiative lui-même. De façon générale, les réunions plénières du COJ ont été très espacées depuis sa création.
Au niveau local cependant, certaines synergies ont pu être créées grâce à un plein investissement des dialogues structurels régionaux permettant de co‑construire les politiques de jeunesse au niveau régional, avec les jeunes, dans ces processus regroupant les conseils régionaux, les directions régionales, les organisations de jeunesse. La région Bretagne a fait preuve d’originalité dans ce domaine, notamment en mettant en place un observatoire régional de la jeunesse.
Enfin, le lieu dédié à la prise en compte de la parole des jeunes devrait être le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les organisations étudiantes et mouvements de jeunesse y sont présents depuis deux mandats. Il est important que les organisations de jeunes ne disparaissent pas du CESE lors des prochains mandats et surtout que leur apport soit davantage mis en avant au sein de l’institution. Le rapport reviendra plus spécifiquement sur ce point dans la partie IV.
Il reviendra également sur la nécessité de mieux utiliser le Conseil national de la vie lycéenne (CNVL), instance consultative placée auprès du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
d. Une parole qui ne doit pas être ignorée ou disqualifiée lorsqu’elle ne rejoint pas l’attendu
Les jeunes ont subi de plein fouet la crise du Covid-19. Leur donner la parole et, plus que la parole, leur donner l’occasion de co-construire les réponses avec les pouvoirs publics est essentiel pour cette génération que l’on commence déjà à appeler « la génération confinée ».
Les jeunes ont pris leur part dans les actions de solidarité durant le confinement, ils ont respecté les gestes barrières, ils se sont confinés comme leurs aînés. Ils ont une expérience à faire valoir, une parole à exprimer.
Cette parole doit être accueillie. Le vécu et l’expérience de la jeunesse ne peuvent pas être disqualifiés par des arguments d’autorité. Le récent rapport de la défenseure des droits sur la prise en compte de la parole de l’enfant ([59]) rappelle que cette négligence a encore plus d’effets sur les enfants en difficulté : « Les conséquences d’une privation de ce droit sont d’autant plus fortes que la vulnérabilité de l’enfant qui la subit est grande. Pour un enfant en situation de grande pauvreté, la non-considération de sa parole viendra s’ajouter à la dépossession de leur pouvoir d’agir que subissent ses parents, si bien que les décisions prises à son encontre ont toutes les chances d’être dénuées de pertinence et d’ancrer un peu plus profondément sa vulnérabilité ».
Le même rapport ajoute que : « La réticence des adultes à écouter un enfant peut […] résulter d’une crainte ou d’un sentiment d’illégitimité à entendre et à recevoir sa parole. […]. Par conséquent, le manque de connaissance, d’information, de formation, de considération, de moyens et de temps témoigne d’une forme d’indifférence à l’égard de la parole de l’enfant qui, n’est pas intégrée dans les habitudes, ne fait pas partie des projets et ne constitue pas une obligation pour les adultes. ». Il en résulte que lorsqu’elle est exprimée, la parole des jeunes n’est prise en compte que si elle rejoint l’attendu et a tendance à être disqualifiée comme illégitime en cas de divergence avec les propos qui sont attendus.
2. L’insuffisance de messages adressés aux enfants et aux jeunes, la possibilité d’utiliser leurs propres canaux de communication
● Si le recueil de la parole des enfants et des jeunes est insuffisant, la parole qui leur est directement adressée, avec un langage adapté, est quasi inexistante, et cela a été particulièrement marquant durant la crise sanitaire.
Pire, le décompte des décès tous les soirs par le directeur général de la santé, avec trop souvent, une télévision allumée dans le salon sans intermédiation parentale – les parents étant eux-mêmes affectés par les effets de la crise sanitaire –, qui diffusait en boucle des informations sur l’épidémie, était anxiogène et a pu avoir des conséquences graves auprès des plus fragiles des enfants et des jeunes. Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, a également rappelé que « les enfants ont été confrontés aux spots destinés aux adultes, qui pouvaient s’avérer extrêmement angoissants pour eux. Ces mêmes spots figurent encore dans les programmes de jeunesse. Ils peuvent même être diffusés entre deux dessins animés destinés aux enfants en bas âge. »
L’Unicef a pourtant alerté sur les effets de la communication anxiogène. L’organisation onusienne a préconisé « l’honnêteté et la franchise sur la situation » mais a également recommandé de présenter « les solutions possibles » sans « laisser l’enfant seul devant les chaînes d’information en continu, ce qui pourrait accroître son anxiété ».
● Comme l’a souligné Mme Hélène Romano, docteur en psychopathologie clinique, « les enfants ont été les grands oubliés de l’information et de la communication pendant la crise sanitaire. Dans d’autres pays, comme au Danemark, en Islande ou en Norvège, les responsables politiques (ministres en charge de l’éducation, présidents, etc.) se sont adressés aux enfants ». Ces pays ont élaboré une communication avec l’enfant sur les causes et les conséquences d’une éventuelle contagion. Les premières ministres danoise, Mme Mette Frederiksen, et norvégienne, Mme Erna Solberg, ont toutes deux organisé une séance de questions-réponses exclusivement réservée aux enfants, et cette démarche était attendue et a été saluée dans les deux pays. Mme Hélène Romano a ajouté : « cela ne réclamait pas beaucoup de temps d’expliquer aux enfants pourquoi ils étaient confinés, puis déconfinés. En France, des informations étaient transmises aux parents, à charge pour ces derniers d’expliquer la situation à leurs enfants alors qu’eux-mêmes ne savaient pas exactement ce qu’était un virus, ce qu’était cette maladie en particulier. »
Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, a également abondé en ce sens : « Une information claire et précise, adaptée à l’âge et aux situations de vulnérabilité des enfants et des jeunes, aurait été souhaitable. (…) Ce problème renvoie au droit des enfants à recevoir une information appropriée, c’est-à-dire précise, exacte et accessible. Cela permettrait notamment de lutter contre les fausses informations, auxquelles sont notamment confrontés les adolescents. L’enquête menée au mois de mai par la commissaire suédoise aux droits des enfants montre que 70 % d’entre eux ont besoin d’une information adaptée. »
En France, il a fallu attendre le mois d’octobre pour que le Président de la République affirme qu’il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 après bien des spots, et une communication en général, beaucoup trop anxiogènes.
● La rapporteure préconise de faire évoluer les campagnes de communication dans le cadre des telles crises, en déployant des messages ciblés, à destination des enfants, d’une part, et des adolescents et jeunes adultes, d’autre part. Ces campagnes doivent s’inscrire dans une approche positive, sans jouer sur la peur ou la culpabilisation, qui, de l’avis de toutes les personnes entendues, ne sont pas des ressorts efficaces ; elles doivent utiliser des mots et un langage adaptés aux enfants et aux jeunes, en diffusant des messages clairs, porteurs d’explications, mobilisateurs, qui rassurent plutôt qu’ils ne stigmatisent.
Par ailleurs, et particulièrement pour les adolescents et les jeunes adultes, le choix du vecteur du message est essentiel : pour atteindre les jeunes, il est nécessaire de passer par les moyens d’informations qu’ils utilisent, notamment les réseaux sociaux, au-delà des médias traditionnels que sont la télévision et la radio.
Propositions :
Modifier les campagnes de communication, aujourd’hui trop axées sur la peur et la stigmatisation ; ne pas axer les messages uniquement sur les interdictions
Recourir à des messages ciblés, clairs et utilisant un langage adapté, en direction des enfants et des jeunes
Utiliser davantage les vecteurs de communication utilisés par les adolescents et les jeunes adultes
C. une société qui appréhende difficilement les questions de jeunesse, mais encline à s’interroger sur la jeunesse
Notre pays ne prend pas suffisamment en compte sa jeunesse. Il compte souvent sur sa résilience naturelle. La jeunesse serait plus encline à se reconstruire dès lors qu’elle serait encore en construction. Pourtant, les traumatismes de l’enfance peuvent s’enkyster à l’âge adulte et générer toutes sortes de pathologies, et ce d’autant plus que le contexte dans lequel vit la jeunesse depuis plusieurs années contribue à saper sa confiance dans l’avenir.
De plus, c’est la jeunesse la plus fragile qui subit en priorité les difficultés inhérentes à la crise sanitaire. M. François Salomé, président de Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) l’a clairement affirmé : « Cette période a été une épreuve pour beaucoup. Elle est venue perturber et parfois mettre en péril la vie des jeunes, en particulier celle des jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires. Bien sûr, ils ne sont pas les seuls à avoir été affectés, mais leur situation habituellement précaire leur a fait prendre de plein fouet les changements liés au confinement. »
1. Un contexte insécurisant depuis plusieurs années insuffisamment pris en compte
Chez un enfant encore plus que chez l’adulte, un événement traumatique provoque une perte de repères et de continuité. Le sentiment de normalité s’évanouit.
Le confinement, le déconfinement puis le reconfinement et enfin son allègement sans horizon précis sont aussi des événements traumatiques pour les enfants et même pour certains adultes, car le sentiment de sécurité et de protection disparaît. Une ou plusieurs ruptures de la continuité interviennent. Cela est susceptible d’entraîner des répercussions. Mme Hélène Romano, docteur en psychologie clinique, a parlé de « fracture de vie » lors de son audition par la commission d’enquête.
L’évènement traumatique que constitue la pandémie l’est d’autant plus qu’il survient dans un contexte déjà relativement insécurisant pour les enfants, notamment ceux vivant dans les grandes villes. Les enfants de Paris, Lyon ou Nice ont connu des attentats et ont dû apprendre à vivre dans un climat d’insécurité croissant. S’ajoutent à cela le contexte écologique, avec la perspective des effets du réchauffement climatique, et les autres difficultés d’ordre économique et social. Le taux de pauvreté des enfants est de 20 %. Avant même le déclenchement de l’épidémie, les enfants étaient déjà soumis à un contexte relativement angoissant. La confiance en l’avenir de la société française était ébranlée.
Les difficultés d’adaptation du discours politique et médiatique à la réalité vécue n’ont fait qu’accentuer l’affaiblissement de cette confiance dans l’avenir et dans la parole de l’adulte. En effet, les nouvelles relayées par les médias sont évolutives. Les décisions politiques ont été ajustées au jour le jour face à une maladie qui était encore méconnue au printemps 2020. Les conseils prodigués par les professionnels de santé changent en fonction de la connaissance du virus. Ces informations contradictoires sont diffusées en continu par les chaînes d’information. Ce qui relevait jusqu’ici d’un débat d’experts est exposé sans filtre sur la place publique et donc mis à la disposition des enfants.
Par ailleurs, les enfants, outre leur propre vécu d’un événement traumatique, sont extrêmement sensibles à la réaction des adultes. Lorsque les parents, les enseignants et les professionnels ne sont pas sereins, leur anxiété rejaillit sur les enfants, et la situation peut être compliquée à gérer pour eux. La notion de protection est fondamentale du point de vue psychique.
2. Des mesures affectant les enfants pendant la crise et lors du retour à l’école
Des cas de discrimination envers les enfants ont été constatés dès le premier confinement de mars 2020. Ces discriminations ont été justifiées par l’impératif sanitaire qui l’a emporté sur tous les autres principes, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant.
À cet égard, le cas d’enfants accompagnant leurs parents et interdits d’accès aux grandes surfaces a été le plus révélateur. Le Défenseur des droits a indiqué avoir reçu des dizaines de réclamations individuelles et de nombreux signalements téléphoniques : cette situation s’est la plupart du temps produite pour des femmes seules élevant des enfants en bas âge, mais l’on peut supposer que ces mesures discriminatoires ont touché beaucoup plus de cas. Cette interdiction constitue « une atteinte au droit de l’enfant à être protégé », a estimé le Défenseur des droits dans un communiqué daté du 8 avril 2020. Il a ajouté que « contraindre un parent à laisser son enfant seul à l’extérieur d’un magasin, ou seul auprès d’un adulte qu’il ne connaît pas, constitue une atteinte au droit de l’enfant à être protégé contre toute forme de violence » ([60]).
Les personnes entendues ont également souligné que les mesures sanitaires très restrictives, notamment celles retenues lors du déconfinement, ont pu constituer également des formes de maltraitance à l’égard des enfants. Mme Nathalie Vabres, pédiatre au CHU de Nantes, a ainsi souligné : « Nous avons tous des témoignages pour nos petits patients et, dans notre entourage, des enfants qui vivent des choses contraires à leurs droits et à leurs besoins fondamentaux, sous le prétexte de mesures de protection vis-à-vis du Covid-19 qui n’ont pas un substratum scientifique. » Elle a illustré son propos d’un exemple concret : « Par exemple, à la reprise de l’école, un garçon de 7 ans n’avait pas de couverts pour son pique-nique à l’école et aucun adulte ne lui a prêté de couverts. Cela peut paraître tout bête, mais il a fait pipi dans sa culotte l’après-midi alors que cela ne lui était jamais arrivé. Le soir, quand il est rentré, il n’a pas pu expliquer ce qui s’était passé. Il n’a pas osé manger avec ses doigts et aucun adulte ne lui a prêté de fourchette alors que nous savions largement à cette période qu’il suffisait de laver la fourchette sans que cela ne pose problème. »
Elle a alors souligné les risques associés à ce type de petites « maltraitances », commises sans volonté de nuire bien évidemment : « Pour l’enfant choyé par des parents qui s’ajustent à lui et qui respectent ses besoins fondamentaux, ces tracasseries ou petites maltraitances institutionnelles seront compensées. En revanche, pour les enfants plus vulnérables, (…), ces petites humiliations, difficultés ou manques de bienveillance ne seront pas compensés et ils peuvent générer de graves dégâts chez les enfants. »
Mme Christèle Gras-Le Guen a également évoqué « les images d’enfants qui devaient rester chacun dans un cercle, ne pas s’approcher de leurs camarades et ne pas partager leur balle ou leur crayon. Ces mesures apparaissent inadaptées au vu de nos connaissances actuelles sur la manière dont la maladie peut se transmettre entre enfants ».
Les enfants de soignants ont quant à eux vécu une sorte de double peine. En plus de voir leur parent prendre des risques en exerçant sa profession, certains d’entre eux ont été mis à l’écart lors de la reprise de l’école. À titre d’exemple, à Toulouse, une inspectrice de l’Éducation nationale a adressé le 5 mai une lettre aux parents d’élèves soignants leur annonçant qu’ils devraient laisser leurs enfants dans des écoles particulières. Une décision motivée par la volonté de « ne pas occasionner un brassage d’enfants qui ne serait pas en accord avec les conditions sanitaires requises ». Ce qui a conduit le syndicat national des infirmièr(e)s-anesthésistes (SNIA) à adresser un courrier au ministre de l’Éducation nationale en date du 11 mai 2020 pour dénoncer cette directive. « La note toulousaine est un message catastrophique envoyé à l’ensemble de la population française et notamment aux camarades de nos enfants : certains élèves français ne sont plus fréquentables. Cette décision qui semble plus être guidée par la peur irrationnelle et l’approximation que par des arguments scientifiques éclairés ou éthiques va à l’encontre des valeurs républicaines de fraternité et d’égalité ».
À l’inverse, même lorsqu’il s’est agi de ne pas faire porter de contraintes inutiles aux enfants, le défaut d’explication a pu avoir des conséquences délétères. En effet, les enfants en école maternelle ou primaire n’ont pas l’obligation de porter le masque mais ils entendent par ailleurs que le masque sert à se protéger et à protéger les autres. Faute d’explication suffisante, un enfant peut en déduire que sa vie est considérée comme sans valeur et qu’il risque de mourir.
Ces quelques exemples ne visent pas à jeter l’opprobre sur des responsables qui ont dû prendre des décisions inédites dans une urgence absolue et ce, sans aucun recul. Toutefois, ils visent d’une part à réaffirmer la nécessité d’expliquer aux enfants et aux jeunes les raisons pour lesquelles les mesures sont prises, et d’autre part, à ne pas perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant, lors des prises de décision les concernant.
3. Des conséquences potentiellement problématiques, un risque d’éloignement entre les jeunes et les adultes
La capacité d’adaptation des enfants ne rend pas ces derniers insensibles à la douleur et ce d’autant plus que cette génération d’enfants et d’adolescents est soumise à des traumatismes multiples depuis 2015, soit dans un temps assez court. Cela peut soulever des enjeux de santé publique, dès lors que l’expression des troubles post-traumatiques liés au confinement ne sera pas nécessairement immédiate et aura des effets à plus long terme.
D’après les études internationales, citées par Mme Hélène Romano, la souffrance des enfants – mais aussi des adolescents ou des adultes – à la suite d’un événement traumatique est susceptible d’exploser trois ou quatre ans plus tard. 30 % des personnes confinées du fait du SRAS ou du virus Ébola présentaient des troubles post-traumatiques immédiats et le taux de personnes présentant ces troubles atteignait 70 % trois ou quatre ans plus tard. La dimension temporelle est donc fondamentale.
Si l’enfant n’a pas confiance dans le monde des adultes et ne trouve pas en lui cette bienveillance, cette écoute indispensable, le conflit de générations risque de s’exacerber, avec toutes les conséquences négatives qui s’ensuivent. En effet, le manque de confiance amène les adolescents et les jeunes adultes à considérer que les adultes sont de connivence dans le but de maintenir une société qui leur profite. Cette situation peut conduire à une rébellion ou à la constitution de « sociétés parallèles ».
Cette confrontation n’est pas nouvelle et est inhérente à la production de chaque nouvelle génération qui doit pour exister, s’autonomiser et se différencier de la précédente. Toutefois, les multiples fractures – économiques, sociales, culturelles, territoriales – qui traversent notre pays, ainsi que les craintes sur les conséquences du réchauffement climatique, et plus largement sur l’état de notre planète, et la dégradation de la conjoncture économique, peuvent alimenter les tensions générationnelles.
La crise sanitaire actuelle n’a été que peu mise à profit pour combler ce déficit de confiance. Elle a conduit au contraire à l’aggraver.
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deuxiÈme partie – une crise sanitaire mettant en cause LA PROTECTION Des droits fondamentaux des enfants
et de la jeunesse et creusant les inégalités
I. Le droit à la santé, un droit fondamental
A. UNe organisation des SOINS dont la continuitÉ, la coordination et l’efficacité doivent être garanties
Dans les circonstances exceptionnelles du confinement décidé en mars 2020, priorité a été donnée à la lutte contre la diffusion du Covid-19 sur le territoire national. En conséquence, le système de santé – structures hospitalières, cliniques, cabinets médicaux – a consacré une partie essentielle de ses ressources à l’accueil et au soin des patients atteints par le Covid-19. Dans le cadre du plan blanc, activé début mars, les hôpitaux ont déprogrammé toutes les activités médicales non indispensables. Les cabinets libéraux ont vu leurs consultations diminuer dans l’ensemble, largement sous l’effet de la crainte de contamination des populations. La téléconsultation s’est fortement développée, prenant pour partie le relais des consultations in situ.
Comme précédemment souligné, les inquiétudes quant aux pertes de chance, voire aux décès causés par des retards de diagnostics ou l’absence de prise en charge en temps utile, ont conduit à faire évoluer cette approche pendant le deuxième confinement, avec des campagnes de communication encourageant les Français à ne pas reporter leurs rendez-vous médicaux et à consulter leur médecin.
De fait, l’expérience du premier confinement a révélé l’existence de besoins qui touchent très directement à l’exercice du droit à la santé et qui ne se résument pas à la protection contre les atteintes du Covid-19. En ce qui concerne la jeunesse, il convient d’en tirer les enseignements sur la prise en charge des enfants en bas âge, les moyens de la pédopsychiatrie et la continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap
1. Une prise en charge des enfants maintenue mais à conforter, dans le cadre de réseaux et par un usage raisonné de la téléconsultation
Si la fréquentation des structures hospitalières et des cabinets a pu connaître des fluctuations suivant les craintes des familles à l’égard du virus, les professionnels de la médecine infantile ont fait montre d’un réel engagement face aux contraintes que la crise sanitaire faisait peser sur l’exercice de leur profession, et ce en dépit du manque de moyens de protection, notamment de masques, pendant la première partie de l’épidémie.
Pour autant, le bilan du premier confinement met aussi en lumière la nécessité de conforter les moyens disponibles de la médecine infantile sur l’ensemble du territoire, en particulier dans le contexte créé par la crise sanitaire, et de favoriser une organisation en réseau sur les territoires.
a. Une poursuite de l’activité des professionnels n’excluant pas une organisation plus formelle de la continuité des soins, l’intérêt de développer davantage une organisation en réseau
● S’agissant des établissements hospitaliers, la situation épidémique a imposé de déprogrammer les opérations et consultations non indispensables, y compris pour les enfants, afin de permettre de mobiliser les personnels soignants dans la prise en charge des adultes atteints du Covid-19. Comme vu supra, l’activité des services pédiatriques a fortement baissé. M. Christophe Delacourt a ainsi indiqué : « du personnel était indispensable pour prendre en charge ces patients en réanimation adulte, mais également pour renforcer les équipes des services de gériatrie, qui ont été très durement touchés », précisant que dans les services de pédiatrie de l’hôpital Necker, « cinquante des infirmières sont parties dans des services adultes. Face à cet effort considérable, nous ne pouvions pas continuer à prendre en charge les enfants. » Il a par ailleurs observé que « dans les quelques services qui ont continué d’assurer la prise en charge, les familles ne voulaient pas se rendre à l’hôpital. Il existait un obstacle psychologique majeur au fait de se déplacer dans cette situation épidémique. »
● Hors établissements hospitaliers, les éléments recueillis par la Commission d’enquête portent à conclure que pendant le confinement établi en mars 2020, l’accueil des enfants et de leurs familles a été maintenu, à des degrés divers, moyennant les priorités et adaptations recommandées par les sociétés savantes, mais aussi sous réserve des difficultés constatées dans l’accès aux services de protection maternelle et infantile (PMI).
Il en va ainsi en pédiatrie. Ainsi que l’a indiqué Mme Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français, suivant les recommandations de la Société française de pédiatrie et l’Association française de pédiatrie ambulatoire, les pédiatres ont recentré leurs activités sur les plus jeunes enfants, afin d’éviter une rupture des calendriers vaccinaux, et notamment sur les bébés en sortie de maternité, puisque ces sorties ont eu lieu de façon plus précoce qu’en temps normal. En revanche, pour les enfants plus grands, leur activité a été resserrée sur ceux qui en avaient vraiment besoin. Les pédiatres ont par ailleurs pu constater des changements dans la nature de leurs activités, à raison notamment d’une quasi disparition des cas d’urgence dans les dix à quinze jours suivant le début du confinement. D’après Mme Hubinois, il s’agit là de l’une des conséquences de l’arrêt des activités en collectivité, dans le contexte de la fermeture des écoles et des crèches. Par ailleurs, les pédiatres ont recouru, comme les autres professions médicales, à la téléconsultation (voir infra).
S’agissant des services de PMI, l’enquête réalisée par le Syndicat national des médecins de Protection maternelle et infantile (SNMPMI) ([61]) indique que dans dix-neuf départements sur les vingt-huit ayant répondu, les professionnels de la PMI ont maintenu dès le départ des consultations auprès des enfants, avec des modes plus ou moins dégradés. D’après M. Pierre Suesser, co-président du SNMPMI, l’objectif principal restait là encore la réalisation des vaccinations et l’accueil des nouveau-nés à la sortie de maternité. Il s’agissait également de recevoir les familles confrontées à un certain nombre de difficultés et pour lesquelles les professionnels nourrissaient davantage d’inquiétudes. Généralement, il semble qu’au niveau de chaque département, une partie des centres aient été fermés, et que les activités dites prioritaires aient été réunies dans un ou plusieurs centres.
Suivant la même enquête, quatorze départements ont déclaré maintenir les consultations auprès des femmes enceintes et les consultations de planification familiale. Dans les quatorze autres, les situations se révèlent plus contrastées. Le suivi des nourrissons en famille d’accueil a été globalement poursuivi quand des consultations étaient ouvertes dans les centres médico-sociaux (CMS), ou à domicile si les visites y étaient autorisées.
M. Pierre Suesser a toutefois souligné que le maintien de l’ouverture des centres de PMI a suscité de réelles difficultés dans certains départements, notamment aux débuts du confinement. Il a ainsi souligné « l’effet de sidération » qui s’est produit dans des services de PMI, « car un certain nombre de collectivités départementales ont fermé leurs services du jour au lendemain. Nous avons noté dans l’enquête que lorsqu’un médecin-chef de PMI a toute sa place dans l’organigramme, lorsqu’il est reconnu dans ses missions par les élus et l’administration, le fonctionnement a été plus probant que dans d’autres départements où le service de PMI a été déstructuré et n’a plus qu’une organisation horizontale », faisant état de difficultés plus structurelles de l’organisation des services de PMI dans les départements.
Il a même indiqué que « dans certains départements, les médecins de PMI se sont battus face à leur administration pour rouvrir les consultations. (…) Certaines équipes de PMI ont été paralysées par [les] difficultés [d’accès aux masques et au gel hydroalcoolique]. Même si je ne devrais pas le dire, je pense que des situations que certains qualifieraient d’insubordination se sont produites, où des consultations ont été ouvertes en dépit des consignes données par le département. Ces éléments vous renseignent sur l’état de profonde crise du dispositif de PMI. ».
Il ne s’agit nullement de remettre en cause le professionnalisme des personnels de PMI ; ces constats ne doivent pas occulter tout le travail réalisé dans les centres ni les nombreuses initiatives prises pour assurer le suivi des enfants, y compris en utilisant les téléconsultations et le téléphone. Toutefois, les difficultés évoquées supra ne manquent pas d’interpeller, d’autant qu’elles renvoient à l’égalité de la prise en charge médicale des enfants selon les départements, donc à des inégalités territoriales.
Il apparaît donc indispensable de mieux définir les modalités de fonctionnement des services de PMI en temps de crise épidémique, afin de déployer un plan de continuité des activités sur l’ensemble des territoires ; des réflexions en ce sens ont d’ailleurs été évoquées par M. Suesser, et là encore, comme pour l’ensemble des services médicaux, les activités des centres de PMI sont maintenues pendant ce deuxième confinement.
La rapporteure juge par ailleurs utile que soient établis des schémas locaux plus exigeants en ce qui concerne la permanence des soins dans le cas d’un épisode épidémique, notamment pour les services de la médecine infantile.
En soi, l’article L. 1431-2 du code de la santé publique peut fournir un cadre. En effet, parmi les objectifs qu’il assigne au schéma régional de santé, figure la « préparation du système de santé aux situations sanitaires exceptionnelles », dans le cadre du dispositif ORSAN ([62]). L’article prévoit également que les objectifs du schéma régional peuvent être mis en œuvre par les contrats territoriaux de santé ([63]), ainsi que par les contrats territoriaux de santé mentale ([64]), voire les contrats locaux de santé ([65]).
La Commission d’enquête ne dispose pas d’éléments quant au contenu et à l’efficacité des schémas et contrats en vigueur. Compte tenu des enseignements de la crise sanitaire, il pourrait être pertinent de réviser le champ et les objectifs des instruments existants afin d’organiser la continuité des soins en matière de santé infantile et d’y associer, à l’échelle locale, tous ses acteurs publics (notamment les départements) et privés (les cabinets libéraux).
Propositions :
Définir des plans de continuité des activités sur l’ensemble du territoire pour les services de PMI en tirant les enseignements de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie
Établir des schémas locaux propres à garantir la permanence des soins pour les services de médecine infantile
● Cela étant, la lourdeur des organisations et procédures administratives dans le domaine de la santé peut inciter à s’en remettre d’abord aux acteurs eux-mêmes afin de développer une offre de soins adaptée en cas de crise sanitaire, et plus largement en « temps normal ».
À plusieurs reprises, lors des auditions, a en effet été invoqué l’intérêt de construire des réseaux, entre la médecine de ville et l’hôpital, entre les centres de référence et les médecins de proximité, pour améliorer la prise en charge des enfants ; ces réseaux permettent d’établir des niveaux de gradation des soins, une bonne coordination et une évaluation globale de l’état de santé de l’enfant. Ainsi que l’a souligné M. Christophe Delacourt, une des leçons du confinement est que « ces réseaux ne sont pas suffisamment formalisés et coordonnés ».
Il est d’ailleurs possible d’aller plus loin, en associant d’autres acteurs intervenant auprès des enfants, notamment l’Éducation nationale, ainsi que les forces de l’ordre et la justice lorsqu’il s’agit de la protection des enfants contre les violences. Une initiative dans le champ de la protection des enfants contre les violences a été présentée devant la commission, et constitue un excellent exemple, à généraliser, d’une approche structurée, au niveau territorial. Mme Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, chef du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PHUPEA) au centre hospitalier de Rennes, a ainsi présenté une plateforme mise en place dans l’académie de Rennes, en collaboration avec les services de l’Éducation nationale, afin d’assurer le repérage des enfants en difficulté psychologique, avec une permanence téléphonique tenue par des pédopsychiatres. Ce dispositif prévoit ensuite la prise en charge des enfants en difficulté, par le biais d’équipes mobiles en mesure d’intervenir rapidement. Est également mis en œuvre dans ce cadre un dispositif de détection et de prise en charge des enfants victimes de violences, associant la gendarmerie, la police, la justice, le centre départemental d’action sociale, les médecins généralistes et pédiatres ainsi que l’Éducation nationale, avec l’intervention d’une équipe mobile de crise intrafamiliale (CRIFEM).
Sur la base de ces exemples, la rapporteure préconise la formation de réseaux pluridisciplinaires opérationnels dans le champ de la médecine infantile au niveau des bassins de vie, et associant d’autres partenaires, notamment l’école, ainsi que la police, la gendarmerie et la justice dans le champ de la prévention des violences faites aux enfants.
Proposition : Favoriser la formation de réseaux pluridisciplinaires opérationnels dans le champ de la médecine infantile au niveau des bassins de vie, avec pour objectifs la continuité de l’accès aux soins et une prise en charge globale de l’enfant
● Au-delà, il importe de lever les obstacles au recours aux spécialistes intervenant auprès de la petite enfance (pédiatres, pédopsychiatres, psychomotriciens, ergothérapeutes…).
En effet, les propos recueillis donnent à penser que le prix des consultations de ces spécialistes représente un coût dissuasif pour certaines familles. Au-delà de la propension des familles à recourir à ces spécialités, le problème posé est sans doute celui de la prise en charge par la sécurité sociale et/ou les mutuelles, par exemple dans le cadre d’un parcours de soins. Si l’assurance maladie, sollicitée, n’a pas fourni d’éléments précis sur les conditions de prise en charge de ces consultations, il apparaît souhaitable de les améliorer ([66]).
La rapporteure préconise donc de travailler à l’allégement du reste à charge pour les familles, le cas échéant en prenant en considération leur niveau de ressources. Elle préconise également la création d’une consultation remboursable « pédopsy famille » en libéral. En effet, les éléments recueillis par la Commission d’enquête quant à la propension des familles à consulter ces professionnels suggèrent que le remboursement de la sécurité sociale (actuellement de 39 euros) n’est pas adapté.
Propositions :
Travailler à la réduction du reste à charge sur le prix des consultations des spécialistes de la petite enfance (pédiatres, pédopsychiatres, psychomotriciens, ergothérapeutes), par un meilleur remboursement de la sécurité sociale et/ou des mutuelles
Créer une consultation remboursable « pédopsy famille » en libéral
b. Le nécessaire renforcement de la protection maternelle et infantile
● Cette nécessité ne découle pas des seules conséquences de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19. Elle ressort des travaux réalisés depuis quelques années ([67]) qui, comme d’ailleurs pour la médecine scolaire (voir infra), dressent le constat d’une réduction des moyens et des activités des centres de PMI et de fortes inégalités territoriales.
Ainsi, le rapport établi par notre collègue Michèle Peyron en mars 2019 souligne :
– des disparités territoriales entre départements, qui préexistaient à la décentralisation de 1982, mais qui sont toujours très fortes : d’après les évaluations du rapport, la dépense annuelle par habitant [0-6 ans] peut varier de moins de 1 euro à plus de 300 euros selon les départements (avec une moyenne à 33 euros) ;
– en second lieu, une pénurie de médecins qui aboutit au rétrécissement marqué des actions sanitaires des centres et de leur capacité d’assumer leurs missions : le rapport met en exergue une baisse des consultations (– 45 % depuis 1995) – qui désormais se concentrent sur la tranche d’âge 0-2 ans, une division de moitié du nombre des visites à domicile infantiles par des infirmières puéricultrices en 25 ans ; une forte diminution des visites à domicile maternelles par des sages-femmes de PMI ; un taux de couverture de 6 % des besoins en termes d’entretien prénatal précoce ;
– en dernier lieu, des ressources en très nette diminution : le rapport estime à 100 millions d’euros les pertes de financements annuels subies par la PMI depuis dix ans, en conséquence d’un financement marginal de l’Assurance maladie (seulement 35 millions d’euros, sur un budget total estimé à 500 millions d’euros ([68])) et un engagement très fluctuant – pour ne pas dire en retrait – de la part de départements.
● Pourtant, l’article L. 2112-2 du code de la santé publique assigne des missions essentielles à la Protection maternelle et infantile. Dans ce cadre, il lui revient notamment d’assurer :
– des consultations médicales préventives (en direction des femmes enceintes, des enfants de la naissance à six ans, des femmes et des jeunes dans le cadre de la planification familiale),
– des visites à domicile de puéricultrices et de sages-femmes ;
– des bilans de santé en école maternelle ;
– des actions médico-sociales de soutien aux familles ;
– des actions de prévention et de prise en charge des mineurs en danger ;
– des activités d’agrément et de contrôle des modes d’accueil de la petite enfance ;
– le traitement d’informations épidémiologiques et en santé publique relatives à la maternité et à la petite enfance.
Comme précédemment observé, il s’agit là de missions qui touchent à la continuité des soins et aux actions de prévention si nécessaires en période de crise sanitaire. Du reste, l’accès aux soins dans les centres de PMI est facilité par la gratuité des consultations, par l’absence de formalités administratives excessives et par un accueil en principe inconditionnel, y compris en l’absence de droits ouverts à l’aide médicale de l’État ou à la protection universelle maladie.
● Aussi, la rapporteure juge-t-elle indispensable de soutenir davantage les services de PMI en rehaussant leur financement à hauteur des pertes subies depuis dix ans. De son point de vue, l’État doit exercer sa vigilance quant à la réalité des missions accomplies sur l’ensemble des territoires, afin d’assurer une égalité d’accès aux soins pour tous les enfants.
C’est la raison pour laquelle elle propose le déblocage de moyens importants, dans la lignée des préconisations du rapport de Mme Michèle Peyron, qui proposait de mobiliser 75 millions d’euros en 2020, 80 millions d’euros en 2021 et 100 millions d’euros en 2022. À cet égard, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles a indiqué lors de son audition que l’État apporterait sur trois ans 100 millions d’euros aux centres de PMI, soit un montant en deçà des préconisations précitées.
Proposition : Soutenir les services de la Protection maternelle et infantile (PMI) à hauteur de 100 millions d’euros par an, pour compenser les pertes subies au cours des dix dernières années
c. La nécessité d’évaluer l’usage de la téléconsultation pour les enfants
● Bien plus que l’aménagement des espaces d’accueil et d’examen, le développement de l’usage de la téléconsultation représente la conséquence la plus spectaculaire de la crise épidémique sur les conditions d’exercice des métiers de la santé.
Le terme désigne une consultation réalisée par un professionnel médical à distance d’un patient par le biais de la visioconférence, le patient pouvant être assisté ou non par un autre professionnel de santé (médecin, infirmier, pharmacien, etc.). Ce procédé technique a pu permettre aux thérapeutes de conserver un suivi de leurs patients pendant le confinement, même à distance. En conséquence, un nombre croissant de professionnels y ont eu recours à partir de mars 2020 et jusqu’à la levée des mesures de confinement. D’après une étude de la DREES ([69]), trois médecins généralistes sur quatre ont mis en place la téléconsultation depuis le début de l’épidémie de Covid-19.
S’agissant de la médecine infantile dans sa diversité, la téléconsultation a été jugée utile par les pédiatres, notamment pour la prise en charge d’un certain nombre de pathologies chroniques. Mme Sylvie Hubinois a ainsi indiqué : « nous avons pu réaliser des téléconsultations pour obésité ou pour suivre des troubles de l’apprentissage. La téléconsultation a permis d’aider les parents des jeunes enfants, qui sont souvent perdus face à des situations qui ne nécessitent pas un déplacement chez le pédiatre ». Pour autant, une fois le confinement passé, l’adhésion est apparue moins générale. Selon les personnes entendues, le déconfinement s’est traduit par une reprise des consultations en vis-à-vis dans les cabinets libéraux et à l’hôpital, et par la chute des téléconsultations. M. Delacourt a ainsi indiqué : « nous nous étions fixé l’objectif de maintenir une proportion de 10 à 20 % de nos consultations en téléconsultation. Or, nous observons aujourd’hui qu’en pédiatrie, tous les médecins ont repris les consultations en présentiel et aucun n’a conservé un service de téléconsultation. » Pour sa part, M. Pierre Suesser a exprimé des doutes quant à la propension des services de la PMI à utiliser le procédé, du fait de l’insuffisance des équipements informatiques nécessaires.
● De fait, les analyses développées devant la Commission donnent à penser que le recours à la téléconsultation ne se prête pas à tous les usages et présente des limites.
D’une part, la place que pourrait occuper la téléconsultation semble dépendre de l’importance et de la qualité des rapports directs entre professionnels et parents.
En ce qui concerne la pédiatrie à l’hôpital, M. Christophe Delacourt estime ainsi que « le contact avec les parents et avec l’enfant, cette relation tout à fait particulière à la pédiatrie, est peut-être plus difficile à obtenir en téléconsultation, où souvent seuls les parents sont consultés ». En ce qui concerne la pédiatrie en ville, les propos de Mme Sylvie Hubinois suggèrent que la connaissance antérieure des patients peut contribuer à ce que la visioconférence n’altère pas la qualité du diagnostic.
D’autre part, les professionnels entendus soulignent que la pertinence du recours à la téléconsultation varie suivant la situation et le diagnostic à établir, et selon l’âge de l’enfant. Selon Mme Sylvie Hubinois, son usage peut se concevoir pour des motifs de consultation relativement circonscrits, tels que des problèmes dermatologiques ou des troubles du sommeil. En revanche, elle considère qu’il doit être écarté pour les cas d’urgence – « en particulier avec des troubles respiratoires et la toux » –, ainsi que pour les états dont le diagnostic ne peut être établi avec sûreté sans constatations visuelles précises. Par ailleurs, la téléconsultation ne paraît pas adaptée pour les enfants en situation de handicap, notamment les enfants présentant des troubles autistiques.
La question se pose en termes un peu différents en pédopsychiatrie ; l’intérêt de la téléconsultation a été salué à plusieurs reprises, et le fait d’être à distance et de ne pas être physiquement face au thérapeute peut même libérer la parole de l’enfant, ou faciliter les échanges. Mme Sylvie Tordjman a ainsi indiqué : « j’ai à l’esprit l’exemple d’un jeune qui était sujet à des problèmes de comportement et de délinquance. J’ai été très surprise de voir que nos entretiens pouvaient dépasser une demi-heure au téléphone alors qu’en présentiel, des objets commençaient à voler à travers la pièce après dix ou quinze minutes. » Pour autant, ce mode de consultation n’est pas considéré comme une panacée, Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi noté : « au début, les adolescents ont d’ailleurs beaucoup apprécié ce passage à l’écran, mais ils se sont ensuite lassés. Tout cela doit être réfléchi. »
En mai 2019, la Haute autorité de Santé (HAS) a publié un guide de bonnes pratiques à propos du recours à la téléconsultation et à la téléexpertise ([70]). Mais les prescriptions qu’il contient ne semblent pas être applicables au champ de la pédiatrie dès lors qu’elles mettent en premier lieu l’accent sur l’information du patient et le recueil de son consentement.
Aussi, il apparaît nécessaire d’évaluer l’apport de la téléconsultation pour les enfants et les adolescents et de déterminer aussi précisément que possible les usages qui présentent un réel intérêt thérapeutique, que ce soit pendant une crise sanitaire ou de façon générale.
Il s’agit notamment d’évaluer le rapport entre les facilités que procure ce procédé et les impacts possibles sur la qualité du diagnostic et du suivi – étant observé que les professionnels qui y recourent engagent leur responsabilité et qu’il est sans doute moins aisé d’appréhender à distance l’état physique et moral d’un enfant que celui d’un adulte.
Proposition : Évaluer l’apport de la téléconsultation et déterminer avec précision les usages qui présentent un réel intérêt thérapeutique
2. Le besoin de soutenir la pédopsychiatrie et de renforcer son rôle
● Dans le contexte de la crise sanitaire, la pédopsychiatrie n’a plus à démontrer son importance. Néanmoins, au moment où les enfants et les jeunes ont le plus besoin de pédopsychiatres, la filière traverse une crise profonde.
C’est d’ailleurs le constat qu’a dressé M. Adrien Taquet lors de son audition : « nous sommes tous au fait de la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays, et de la psychiatrie, qui est le « parent pauvre » de la santé, pour reprendre la formule d’Agnès Buzyn, depuis 20 ans au moins en France. ». Il a souligné que lors de tous ses déplacements, cette problématique était soulevée par les associations et les départements.
Le nombre de pédopsychiatres a fortement diminué au cours des dernières années : M. Michel Dugnat, pédopsychiatre, a indiqué à la commission qu’en 2006, près de 1 200 pédopsychiatres formés exerçaient leur activité en France, contre 600 actuellement, tandis que leur moyenne d’âge atteint entre 61 à 62 ans.
La situation est également défavorable s’agissant du nombre de lits en pédopsychiatrie dans les établissements hospitaliers. Mme Touati-Pellegrin a ainsi indiqué : « À Paris, lorsqu’un enfant de dix ans fait une tentative de suicide, on n’a pas de place pour lui. Et on a beaucoup, beaucoup de mal à l’hospitaliser. Un enfant de dix ans qui a envie de mourir, c’est tout de même une catastrophe pour lui, pour sa famille et pour la société. Il serait urgent qu’on intervienne aussi sur cette question. »
Les délais d’attente pour un suivi au sein des centres médico-psychologiques (CMP) sont également très longs, atteignant souvent au moins une année, ce qui n’est pas acceptable.
● Des efforts sont engagés par le Gouvernement pour tenter de remédier à cette situation. M. Adrien Taquet a ainsi indiqué que des moyens ont été ouverts pour parer à l’urgence, avec, dans le cadre de la feuille de route pour la santé mentale, 80 millions d’euros dédiés à la pédopsychiatrie devant servir à créer des places en accueil de jour, des équipes mobiles pouvant intervenir dans des situations de crise – par exemple dans les foyers de l’ASE, auprès d’assistantes familiales. Au-delà de ces 80 millions d’euros, deux autres fonds peuvent être mobilisés par les agences régionales de santé pour financer des actions sur les territoires : le fonds d’innovation psychiatrie et le fonds psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
Ces dispositifs sont complétés de façon plus structurelle par des créations de postes. Le secrétaire d’État a ainsi indiqué : « nous avons ajouté sur ces deux dernières années deux fois dix postes de chefs de clinique pour recréer une filière. Cela mettra six à sept ans, mais il est essentiel d’agir en ce sens puisqu’aujourd’hui il manque des pédopsychiatres. »
La rapporteure juge indispensable de développer davantage les créations de postes, et plus largement de dégager les ressources humaines et financières nécessaires au renforcement massif de la pédopsychiatrie, notamment à l’hôpital.
La profession ne parvient pas à se renouveler et la moyenne d’âge actuelle des professionnels en exercice – soit 61 ans – comporte le risque d’une rupture des capacités de prises en charge à plus ou moins brève échéance. Il est donc nécessaire de valoriser le choix de la spécialité de pédopsychiatrie pour les étudiants, ce qui passe par une réflexion sur l’organisation des études médicales.
Propositions :
Augmenter le nombre de pédopsychiatres en créant de nouveaux postes et en valorisant le choix de la spécialité de pédopsychiatrie dans les cursus de formation, pour renforcer son attractivité pour les étudiants
Développer les capacités d’accueil des services psychiatriques des enfants dans les établissements hospitaliers
3. La continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap en question
a. Un accès aux structures évoluant au gré de l’évaluation du risque épidémique
● Selon les données fournies par les services du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, environ 2 400 structures prennent en charge les enfants et les adolescents en situation de handicap, dont 1 309 instituts médico-éducatifs (IME) ([71]), 491 instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) ([72]), 197 établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) ([73]) et 146 instituts d’éducation motrice (IEM) ([74]). Le nombre de places d’accueil pour les enfants et adolescents s’élève à 110 600, dont 70 400 en IME, 17 000 en ITEP, 5 740 en EEAP et 7 570 en IEM. Ces différents établissements peuvent fonctionner en externat ou en internat.
Par ailleurs, les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), constitués d’équipes pluridisciplinaires, accompagnent les enfants en situation de handicap sur tous leurs lieux de vie, y compris à l’école.
● Lors du confinement, à compter du 15 mars dernier, le Gouvernement a posé comme principe général de favoriser le maintien à leur domicile des personnes en situation de handicap afin de freiner la propagation du virus et protéger les enfants les plus fragiles : pour ce faire, ont été organisés la fermeture, totale ou partielle, des externats, pour les enfants comme les adultes, ainsi que le maintien des personnes dont le domicile était un établissement médico-social : il s’agit essentiellement des adultes, mais aussi des enfants confiés à l’ASE qui sont placés en internat dans un IME, IEM ou ITEP. Les visites dans ces structures ont été suspendues sauf dérogation après avis médical, de même que les sorties collectives.
Selon les informations transmises par les services du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, 65 000 enfants (et 30 000 adultes) ont ainsi été confinés au domicile de leurs familles ou de leurs proches – ou à leur domicile personnel pour les adultes.
39 300 enfants (et environ 160 000 adultes) sont quant à eux restés au sein des établissements médico-sociaux qui les hébergent toute l’année.
Ces données sont des estimations, encore en cours de vérification ; elles sont issues d’une enquête, intitulée « Adaptation de l’offre et coopérations territoriales en période de crise sanitaire », réalisée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et faite auprès de 4 977 établissements et services.
Les fermetures, qu’elles aient été totales ou partielles, concernent majoritairement les structures pour enfants. L’évolution des internats de semaine en internats à temps complet ne s’est pas faite pour au moins la moitié de ceux-ci ; lorsqu’elle s’est opérée, elle a été plutôt partielle pour les internats d’enfants, et plutôt totale pour les internats accueillant des adultes.
Les établissements comme les services ont largement réorienté leurs activités en appui du domicile, avec une part de réorientations totales de l’activité plus marquée pour les services. Cela devait permettre l’organisation du soutien aux personnes qui vivaient à domicile, à savoir la famille de l’enfant en situation de handicap.
Le graphique ci-après présente la part des établissements médico-sociaux restés ouverts, partiellement ou non, pendant le confinement, par catégorie d’établissement : 20 % des IME sont restés ouverts, et environ 32 % ont été fermés, les 48 % restants étant « partiellement fermés », sans que l’on sache la part des enfants effectivement accueillis dans ce cas. Environ 34 % des ITEP sont restés ouverts, et 41 % des EEAP.
Ouverture ou non de la structure en fonction du type d’ESMS
● Néanmoins, à compter du 4 avril 2020, des possibilités d’hébergement provisoire ont été ouvertes pour répondre aux besoins de répit des aidants exposés à un risque d’épuisement, et aux besoins de soutien des personnes isolées.
La secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a ainsi annoncé qu’« en cas de difficulté très importante dans le maintien à domicile, l’accueil temporaire en hébergement pouvait être proposé par les professionnels », sans formalité particulière auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), « pour 7 à 14 jours renouvelables dans le respect des consignes sanitaires nationales ».
Selon l’enquête précitée réalisée par la CNSA, 30 % des établissements répondants ont mis en place des solutions d’accueil temporaire d’urgence pour les personnes ne pouvant plus être prises en charge par leurs familles ou ne pouvant se maintenir à domicile, avec quatre places par établissement concerné, en moyenne. Ce chiffre concerne le secteur du handicap dans sa globalité, sans distinction entre les secteurs enfant et adulte.
Les données fournies par le secrétariat d’État à la commission précisent que ces places temporaires se sont accompagnées de « solutions plus souples et modulaires, toujours dans un objectif de proportionnalité entre le maintien au domicile (confinement) et la poursuite des accompagnements (le cas échéant hors du domicile). Des solutions de relayage à domicile (pour une durée d’une à douze heures maximum) ont également été mises en place par les équipes des établissements et services médico-sociaux et les services d’aide et d’accompagnement à domicile. Ces solutions de répit ont également pu être mobilisées par les accueillants familiaux en charge des jeunes handicapés confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE).
« Enfin, la mise en place d’un accompagnement personnalisé hors du domicile (cf. accompagnement personnalisé par un professionnel dans les locaux de l’ESMS) a été réalisée lorsque les interventions au domicile ne pouvaient pas se dérouler dans des conditions adaptées : toujours selon l’enquête précitée, 35 % des établissements ont mis en place un accompagnement personnalisé (1 pour 1) dans les espaces sécurisés de l’ESMS. »
« Concernant les SESSAD, la consigne donnée a été la poursuite des accompagnements au domicile. Lorsque cela a été possible, des visioconférences ont été déployées avec les enfants pour réaliser des séances et/ou des exercices à distance. »
b. Des répercussions sur l’état des enfants et jeunes en situation de handicap encore difficiles à mesurer
● Si les données transmises font état du maintien de l’ouverture d’une partie des établissements accueillant les enfants en situation de handicap et du déploiement de solutions d’accompagnement, les éléments recueillis par la commission d’enquête laissent à penser que le confinement s’est traduit par un fort report de la prise en charge des enfants sur les familles, qui ont ressenti parfois un fort isolement.
Selon l’enquête réalisée par le Collectif interassociatif des aidants familiaux (CIAAF) en octobre dernier ([75]), les familles ont pour beaucoup subi de plein fouet la fermeture des établissements, la réduction ou l’interruption des services d’aide à domicile, ainsi que l’impossibilité pour leur famille de venir les aider. Alors que 67 % des aidants ayant répondu à l’enquête étaient accompagnés dans le rôle d’aidant pendant le confinement, seuls 48 % sont restés accompagnés pendant cette période. Comme développé infra, les établissements de l’ASE et les familles d’accueil ont aussi relevé les difficultés soulevées par les fermetures des IME et des ITEP.
Selon Mme Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, « les établissements, à de rares exceptions près, ont fermé massivement en laissant les enfants sans solution (…). La situation a été surtout difficile pour les enfants en IME, qui sont atteints des troubles les plus sévères. Ils se sont retrouvés brutalement à la maison, sans aide et sans soutien, sauf rares exceptions. » Celle-ci a également souligné que les solutions d’accompagnement à distance n’étaient pas nécessairement adaptées : « les relais proposés en visioconférence n’ont pas été adaptés au profil des enfants et adultes avec les troubles les plus sévères. Les aides proposées ont mis crûment en évidence les niveaux très hétérogènes de compétences des professionnels dans les IME et les services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) », car beaucoup d’entre eux n’ont pas les compétences spécifiques nécessaires pour accompagner les personnes autistes.
Dans sa contribution écrite, l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents, des personnes handicapées mentales et de leurs amis) indique que « l’organisation des interventions à domicile a été variable selon les territoires, la disponibilité des moyens humains et matériels, avec la question de la pénurie de matériels de protection. Les interventions à domicile ont été développées en fonction des besoins prioritaires et des ressources disponibles. Par exemple, plusieurs associations ont mis en place des équipes ambulatoires pouvant intervenir en fonction des besoins prioritaires et des ressources disponibles. »
Les familles ont donc dû faire face à la situation, en prenant en charge les différents aspects de la vie de leur enfant, au risque parfois de l’épuisement. On peut citer plusieurs témoignages recueillis par l’enquête précitée du CIAAF. La mère d’un enfant souffrant de troubles du spectre autistique a ainsi indiqué : « le confinement a fait de moi une femme de ménage, une infirmière, une secrétaire administrative, une institutrice, une éducatrice spécialisée et un punching-ball pour mon fils ». La mère d’une enfant de moins de 20 ans ayant un polyhandicap a souligné : « le positif est que je passe plus de temps avec mon enfant. Le négatif est qu’elle ne reçoit plus aucun soin : kiné, orthophonie, psychomotricité… Je suis seule à la stimuler, ce qui me fait éprouver des doutes, car je ne suis pas une professionnelle, cela génère de l’angoisse et du stress. »
L’UNAPEI a également indiqué que « force est de constater que certaines familles se sont retrouvées en grande difficulté pour accompagner leurs enfants (inégalités sociales, fracture numérique, besoins complexes). »
Il faut d’ailleurs relever que la continuité pédagogique, déjà difficile à assurer de façon générale pour les parents, était plus compliquée encore pour les parents d’enfants en situation de handicap, alors que ces derniers étaient habituellement suivis par des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), qui ne pouvaient pas venir à leur domicile (voir infra sur les enjeux de la reprise de la scolarité des enfants en situation de handicap).
Face à ces situations difficiles, des initiatives sont venues du terrain pour apporter de l’aide aux familles. La commission a par exemple entendu Mme Sonia Pareux, éducatrice spécialisée et référente handicap en Indre et Loire, qui a mis en place une structure de répit éphémère, baptisée « Le truc en plus », en coordination avec la caisse des allocations familiales, pour accueillir des enfants en situation de handicap pendant une semaine.
Il convient également de noter qu’à partir du 2 avril, les personnes en situation de handicap vivant à domicile ont bénéficié d’un assouplissement des règles de confinement : leurs sorties, seules ou accompagnées, n’étaient plus ni limitées à une heure ou restreintes à un kilomètre autour du domicile, ni régulées dans leur fréquence et leur objet.
Enfin, il a été souligné que la réouverture des établissements lors du déconfinement semble avoir été parfois très progressive, « tardive et à doses homéopathiques » pour reprendre l’expression de Mme Langloys.
● La commission ne dispose pas d’éléments chiffrés sur l’impact de la crise sanitaire sur l’état de santé des enfants en situation de handicap, notamment en termes de régression des apprentissages ou d’apparition de troubles spécifiques. Toutefois, au vu des propos recueillis, la prise en charge et le suivi des enfants et adolescents ont nécessairement été affectés par l’interruption ou la réduction des soins résultant du confinement. S’agissant des enfants atteints de troubles autistiques, ainsi que l’a indiqué Mme Danièle Langloys, « les cabinets privés ont fermé massivement, dont, entre autres, les orthophonistes et les psychologues du développement, qui accompagnent avec efficacité les enfants et adultes. Cela a été catastrophique. L’autisme est un trouble de communication sociale ; aussi, l’abandon des rééducations pendant plusieurs mois a été délétère (…) De précieux mois ont donc été perdus, en particulier pour les plus jeunes. »
Elle a également indiqué : « des comportements problématiques sont apparus, alors qu’ils avaient réussi à être stabilisés : de l’agitation, de la régression dans les acquis – c’est ce qui fait le plus mal, quand on s’est battu pour faire avancer un enfant, que l’on soit parent ou professionnel. C’est la continuité et la prévisibilité qui garantissent la stabilité et les progrès des personnes autistes. (…). Les enfants et les adultes ont massivement perdu les repères spatio-temporels patiemment construits et dont ils ont vraiment besoin ».
Dans sa contribution écrite, l’UNAPEI indique que « si le secteur médico-social s’est mobilisé pendant le confinement pour accompagner les enfants et leurs familles, des retards dans les apprentissages ont été constatés. Outre ces ruptures, la rupture sociale a eu de forts impacts sur les élèves. »
Au vu de ces différents éléments, il apparaît donc nécessaire de mener une évaluation aussi précise que possible des implications de la crise sanitaire sur l’état des enfants et adolescents en situation d’handicap, ainsi que sur l’efficacité de leur prise en charge au sein des structures spécialisées et par les services à domicile.
Il apparaît en tout cas que des enseignements du premier confinement ont été retirés, puisque dans le cadre du confinement mis en œuvre le 30 octobre dernier, les services et établissements médico-sociaux (ESMS, accueils de jour, externats, SESSAD, plateformes de répit…) restent ouverts, ainsi que les services de soins à domicile, pour éviter, notamment, les ruptures dans les parcours de soins et les pertes d’acquis. Le protocole applicable aux établissements sociaux et médico-sociaux en date du 5 novembre prévoit également un maintien des visites, des sorties le week-end (retour en famille), des interventions des professionnels dans les établissements en cohérence avec les mesures relatives au confinement national en vigueur.
Proposition : Évaluer les conséquences du premier confinement sur l’état des jeunes en situation de handicap, ainsi que l’efficacité de leur prise en charge au sein des institutions spécialisées et de l’Éducation nationale
B. Un investissement nÉcessaire dans la santÉ à l’école et à l’université
Si la responsabilité première de veiller au bien-être physique et moral des enfants et adolescents incombe aux familles, les établissements scolaires et universitaires ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les inégalités de santé, ainsi que dans l’acquisition d’une culture sanitaire et dans l’apprentissage des gestes d’une vie en bonne santé, qui font partie de l’éducation, dans son acception la plus large.
À bien des égards, la crise sanitaire invite à donner davantage de place à la médecine scolaire et à la médecine universitaire.
1. Une médecine scolaire assez largement démunie dans le contexte de la crise épidémique
a. Une médecine scolaire en très grande difficulté
● Les rapports sur la médecine scolaire qui se sont succédé au cours des dernières années, qu’ils soient issus de l’Académie nationale de médecine ([76]), du Sénat ([77]), du CESE ([78]) ou bien encore, tout récemment, de la Cour des comptes ([79]), établissent tous le constat d’une médecine scolaire en déshérence, qui n’est pas en mesure d’accomplir les missions qui lui sont attribuées. Dans le contexte créé par l’actuelle crise sanitaire, ce constat ne peut qu’inquiéter.
La Cour des comptes a ainsi établi un constat alarmant, diagnostiquant une « organisation défaillante » et une « performance médiocre » de la médecine scolaire.
Le nombre de missions confiées à la médecine scolaire n’a cessé de s’accroître au fil des années, avec, outre les visites médicales organisées à la sixième et à la douzième année, des actions de promotion de la santé, la surveillance de l’environnement scolaire, le suivi des élèves à risque ou présentant des difficultés particulières… Pour autant, pour prendre en charge toutes ces missions dans les 62 000 établissements scolaires, on compte, en termes de postes occupés (en équivalents temps plein), seulement :
– 966 médecins scolaires, en baisse de 15 % par rapport à 2013 ; le ratio est d’un médecin scolaire en poste pour 12 572 élèves (hors vacataires) ;
– environ 7 890 infirmiers scolaires – en hausse de 4 % par rapport à 2013 ; le ratio est d’un infirmier pour environ 1 300 élèves.
Le rapport de la Cour des comptes laisse apparaître une dynamique inverse sur les deux dernières décennies entre le taux d’encadrement des infirmiers – en amélioration dans les trois quarts des départements – et celui des médecins scolaires – en recul de 20 % sur la période étudiée. D’après son calcul, dans six départements sur 99, le nombre d’élèves par équivalent temps plein de médecin est inférieur à 8 000, quand ce rapport dépasse les 20 000 élèves pour un médecin dans dix-neuf départements, ce qui illustre les grandes disparités territoriales.
En conséquence, la médecine scolaire peine à remplir ses missions. La visite obligatoire prévue lors de la sixième année de l’enfant par les médecins scolaires n’est effective que pour 18 % des élèves en 2018, (contre 26 % en 2013). Le taux de réalisation du bilan de la douzième année, réalisé par les infirmiers scolaires, est quant à lui de 62 % ([80]) ; ce taux est en revanche en hausse de plus de six points depuis 2013.
● L’une des raisons du ratio très défavorable du nombre d’élèves par médecin scolaire réside dans les difficultés de recrutement et le manque d’attractivité de la profession, qui est illustré par la faiblesse du nombre de postes pourvus par rapport aux postes offerts :
Recrutements des médecins par concours depuis 2013
(hors recrutements réservés)