N° 3706

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 décembre 2020.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du GrandDuché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune,

PAR Mme Isabelle RAUCH

Députée

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AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

PAR M. Xavier Paluszkiewicz

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir les numéros :

 Assemblée nationale :  3246.

Sénat :  486, 637, 638 et T.A. 128 (20192020).


 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. La convention de 2018 a modifiÉ les modalitÉs d’Élimination des doubles impositions des revenus d’emploi des travailleurs frontaliers et des revenus immobiliers

A. La convention de 2018 a modernisÉ les relations fiscales entre la France et le Luxembourg, dans un contexte d’Évolution du paysage fiscal international

1. Des avancées en matière de lutte contre la fraude et l’érosion de la base fiscale, conformément aux normes les plus récentes de l’OCDE

2. Des contreparties accordées au Luxembourg

B. La mÉthode dite de l’imputation a ÉtÉ retenue pour Éliminer les doubles impositions

1. Le système prévalant avant la convention de 2018

2. Les modifications apportées par la convention de 2018

II. Le risque de double imposition des revenus d’activitÉ des travailleurs frontaliers conduit la France et le Luxembourg À revenir sur les modalitÉs d’imposition de leurs revenus d’emploi et des revenus immobiliers

A. la crainte d’une double imposition des revenus d’emploi a ÉtÉ renforcÉe par l’adoption, par le Grand-DuchÉ, d’une rÉforme de l’impÔt sur le revenu favorable aux plus modestes

1. La rédaction de la convention de 2018 laissait craindre l’imposition du différentiel entre l’impôt acquitté au Luxembourg et l’impôt dû en France

2. Un écart entre la fiscalité française et luxembourgeoise accru par la récente réforme fiscale adoptée par le Luxembourg

B. Le prÉsent avenant permet de clarifier les dispositions relatives aux revenus d’emploi des travailleurs frontaliers et aux revenus immobiliers en revenant à une mÉthode Équivalant À celle de l’exemption

Conclusion

ANNEXE : comparaison des trois versions de l’article relatif à la prévention des doubles impositions des revenus d’emplois et des revenus immobiliers

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

I. La convention fiscale signée en mars 2018, un texte équilibré qui consacre plusieurs avancées internationales

A. Plusieurs articles de la convention sont directement issus des recommandations de BEPS

B. D’autres articles modernisent la convention en parallèle du projet BEPS

C. L’information du Parlement

II. Les dispositions concernant l’imposition des travailleurs frontaliers, contestées, sont l’objet de cet avenant

A. La version initiale de l’article 22 de la convention n’était pas adaptée à la situation des travailleurs frontaliers

1. La version initiale laissait subsister la possibilité pour certains contribuables d’être imposés à la fois en France et au Luxembourg sur le même revenu

2. La rédaction initiale ne convenait pas aux situations particulières des travailleurs frontaliers

B. Les dispositions prévues par l’avenant éliminent toute possibilité de surplus d’imposition sur les revenus des travailleurs frontaliers

1. L’avenant réécrit le paragraphe 1 de l’article 22 relatif à l’élimination des doubles impositions par la France

2. L’avenant sera appliqué aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2020

EXAMEN en commission des affaires ÉtrangÈres,  saisie au fond

EXAMEN en commission des finances, saisie pour avis

Annexe : texte de la commission


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   introduction

 

Les relations fiscales entre la France et le Grand-Duché du Luxembourg ont été profondément modernisées par la convention de 2018 visant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion et la fraude fiscale ([1]). Le projet de loi d’approbation de cette convention avait fait l’objet, en février 2019, d’un examen approfondi par notre commission, au cours duquel avaient été soulignés les progrès apportés par un texte conforme aux dernières normes de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en matière d’échange d’informations, de prévention de l’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices.

Cependant, les résidents français travaillant au Luxembourg ont fortement contesté les dispositions de la convention relatives à l’imposition des revenus d’activité, qui pouvaient laisser craindre une double imposition de leur revenu d’emploi. L’administration fiscale française aurait en effet pu imposer le différentiel entre l’impôt sur le revenu d’emploi acquitté au Luxembourg et celui qu’ils auraient payé en France sur ces mêmes revenus. L’adoption par le Luxembourg, en 2017, d’une réforme de l’impôt sur le revenu favorable aux travailleurs les plus modestes a accru ce différentiel et renforcé les inquiétudes des travailleurs frontaliers.

Ainsi, le présent avenant vise à clarifier les dispositions relatives à l’élimination des doubles impositions des revenus d’emploi en rétablissant un système équivalent au système antérieur à la convention de 2018, qui garantissait aux travailleurs frontaliers de ne pas être imposé deux fois sur le même salaire, même lorsque l’impôt luxembourgeois était plus faible, conformément au principe d’imposition des revenus d’emploi dans le pays d’exercice de l’activité. Cette modification doit s’appliquer également aux revenus immobiliers exclusivement imposables au Luxembourg, par cohérence avec les dispositions prévues par d’autres conventions signées par la France. Le principe de l’imposition partagée sera pour autant respecté, dans la mesure où l’ensemble des revenus seront pris en compte pour déterminer le taux effectif d’imposition en France.

Si cet avenant n’a pas d’impact sur les finances publiques françaises, dans la mesure où il vise à rétablir la situation antérieure à la convention avant même que les dispositions de cette dernière n’aient été appliquées, il a des conséquences concrètes sur les 107 000 résidents français qui travaillent au Luxembourg, qui représentent près de 25 % de la masse salariale du Grand-Duché. Le nombre de contribuables potentiellement concernés justifie d’ailleurs que notre assemblée accorde une attention particulière aux dispositions des conventions fiscales, a fortiori lorsqu’elles sont signées avec des pays frontaliers.

Votre rapporteure est donc favorable à l’adoption du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, qui apporte une clarification opportune des dispositions relatives à la double imposition des revenus d’emploi et de certains revenus immobiliers, tout en conservant les acquis de la convention de 2018.

Pour la clarté des débats sur le présent avenant, il convient également de rappeler qu’il ne vise qu’à préciser les modalités d’élimination des doubles impositions : les questions relatives à l’harmonisation fiscale, qui relèvent davantage de la législation européenne, ou à la participation du Luxembourg au développement des territoires frontaliers, via le co-développement ou une éventuelle rétrocession fiscale, n’entrent dans le champ ni de la convention de 2018 ni de son avenant.

 


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I.   La convention de 2018 a modifiÉ les modalitÉs d’Élimination des doubles impositions des revenus d’emploi des travailleurs frontaliers et des revenus immobiliers

A.   La convention de 2018 a modernisÉ les relations fiscales entre la France et le Luxembourg, dans un contexte d’Évolution du paysage fiscal international

1.   Des avancées en matière de lutte contre la fraude et l’érosion de la base fiscale, conformément aux normes les plus récentes de l’OCDE

La France et le Luxembourg ont signé, le 20 mars 2018, une convention en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune. Entrée en vigueur le 19 août 2019 et pour les impositions perçues à compter du 1er janvier 2020, elle s’est substituée à la convention fiscale de 1958, laquelle avait elle-même été modifiée par quatre avenants.

Les deux États avaient convenu de la nécessité de moderniser leurs relations fiscales pour tenir compte notamment des dernières avancées de l’OCDE en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et d’échange d’informations ([2]), dans un contexte d’évolution profonde du paysage fiscal international, marquée par la multiplication des révélations relatives aux pratiques fiscales dommageables. L’affaire LuxLeaks avait ainsi mis en lumière, en 2014, les rescrits fiscaux luxembourgeois permettant à près de 340 multinationales de réduire leur charge d’imposition de plusieurs milliards d’euros.

Dans la lignée de l’OCDE, l’Union européenne a également conduit une politique ambitieuse de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, fondée sur un accroissement de la transparence fiscale et une coopération des administrations, notamment par le biais de l’échange automatique d’informations ([3]), et un renforcement des règles anti-abus, afin que les entreprises soient bien imposées dans l’État où elles réalisent des bénéfices ([4]). Cet échange d’automatique ou sur demande d’informations permet notamment d’obtenir des renseignements sur les revenus ou les comptes des résidents français. Ainsi, le Luxembourg a transmis, en 2018, la liste des comptes bancaires détenus par des personnes de nationalité française, représentant près de 60 000 comptes, pour un total de 30 milliards d’euros.

L’affaire LuxLeaks a joué un rôle important dans la prise de conscience par le Luxembourg de sa responsabilité en matière fiscale et de sa dépendance économique à l’égard des pays voisins. En quête d’une respectabilité nouvelle, le pays a ainsi signé en 2018 avec la France une convention qui marque un réel progrès en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Le Grand-Duché a fait droit à plusieurs demandes françaises, comme la reprise de l’ensemble des stipulations choisies par la France dans le cadre de la convention multilatérale de l’OCDE, une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal, une définition de la résidence fiscale conforme à la pratique conventionnelle française visant à éliminer les situations de double exonération, la définition de l’établissement stable, ou encore la fiscalité immobilière (définition des dividendes ou de l’imposition des plus-values portant sur des titres de sociétés à prépondérance immobilière lorsqu’elles sont réalisées par des personnes domiciliées à l’étranger) ([5]).

Selon la direction de la législation fiscale ([6]), les nouvelles dispositions de la convention de 2018, notamment les nouvelles modalités d’imposition des redevances et de certains gains en capital auront, en outre, un effet positif sur les finances publiques françaises. Elles permettent en effet la taxation en France d’une partie des redevances versées au Luxembourg ainsi que des gains réalisés par des résidents du Luxembourg à l’occasion de la cession de participations substantielles dans les sociétés françaises. Cet impact favorable ne peut toutefois être quantifié à ce jour, dans la mesure où, d’une part, ces dispositions portent sur une année fiscale qui n’est pas achevée et, d’autre part, elles produiront leurs effets dans le temps. En raison de la Covid-19, l’année 2020 risque en outre d’être fortement atypique.

2.   Des contreparties accordées au Luxembourg

Outre la pression internationale, ce sont également les quelques concessions faites au Luxembourg qui ont permis d’obtenir les nombreuses avancées de la convention de 2018. Il s’agit d’abord du régime de fiscalisation des pensions, qui prévoit le maintien du principe d’une imposition à la résidence des pensions privées et d’une imposition à la source des pensions payées en vertu de la législation sur la sécurité sociale, alors que la France est favorable à l’imposition des pensions (non publiques) à la résidence, qui lui permet d’imposer les retraités étrangers s’installant en France.

L’autre concession concerne le télétravail des travailleurs frontaliers, qui demeurent soumis à l’impôt sur le revenu dans l’Etat d’exercice de leur activité s’ils recourent au télétravail moins de trente jours par an ([7]). Pour le Luxembourg, la France est le pays frontalier qui autorise le plus grand nombre de jours de télétravail sans que les revenus qui en découlent ne soient imposés dans le pays de résidence, puisque l’Allemagne autorise 20 jours de télétravail et la Belgique 24 jours. Cependant, cette disposition constitue un progrès par rapport à la convention de 1958, qui permettait jusqu’à 183 jours, et se traduira donc par des rentrées fiscales supplémentaires. Le Gouvernement considère que cette règle des vingt-neuf jours permet un juste équilibre entre la préservation des intérêts du Trésor français et la simplification des démarches administratives à la charge des travailleurs frontaliers ([8]).

B.   La mÉthode dite de l’imputation a ÉtÉ retenue pour Éliminer les doubles impositions

1.   Le système prévalant avant la convention de 2018

La convention de 1958 prévoyait une imposition des revenus d’emploi (traitements, salaires et autres rémunérations analogues) exclusivement dans le pays d’exercice de l’activité du salarié. À cet égard, elle constituait une renonciation par l’État de résidence à toute imposition de ce revenu, et cette exemption d’imposition pouvait conduire, en cas d’absence d’imposition effective des revenus en cause dans le pays d’exercice de l’activité, à des situations de double exonérations. Concrètement, la France avait prévu un dispositif d’exonération de l’impôt français des revenus perçus du fait d’une activité au Luxembourg, mais les prenait en considération pour fixer le taux de l’impôt à percevoir sur le reste des revenus.

Le même dispositif prévalait pour les revenus immobiliers : si la convention de 1958 prévoyait une imposition dans l’État où les biens sont situés, chacun des États conservait le droit, pour déterminer le montant de l’impôt sur la fortune, de les calculer à partir du taux correspondant à l’ensemble de la fortune du contribuable, puis de l’appliquer aux seuls éléments qui lui revenait d’imposer.

2.   Les modifications apportées par la convention de 2018

Conformément au dernier modèle de convention fiscale de l’OCDE, mis à jour en 2017, la convention de 2018 prévoit une imposition partagée des revenus d’emploi entre l’Etat de résidence du salarié et celui de l’exercice de son activité. En conséquence, la méthode d’élimination des doubles impositions des revenus salariaux a été modifiée, avec l’objectif d’éviter les risques de double exonération.

L’OCDE propose deux modèles pour éliminer les doubles impositions sur le revenu et la fortune :

la méthode d’exemption : les revenus perçus par un résident d’un État imposables dans un autre État sont exemptés d’impôt dans l’État de résidence, même si ce dernier peut les prendre en compte pour déterminer le montant de l’impôt à percevoir sur le reste des revenus ;

la méthode de l’imputation, via une déduction d’impôt : si le résident perçoit des revenus dans un autre État, l’État de résidence accorde, sur l’impôt qu’il perçoit du contribuable et calculé sur la base du montant total des revenus, une déduction d’un montant égal à l’impôt sur le revenu payé dans l’autre État.

C’est la méthode de l’imputation, par le biais d’un crédit d’impôt, qui a été retenue par la France et le Luxembourg dans le cadre de la convention de 2018. Ainsi, pour les revenus dont l’imposition est exclusivement réservée au Luxembourg, la France octroie au résident un crédit d’impôt égal à l’impôt français, ce qui revient à l’annuler totalement (b du 1 de l’article 22 de la convention).

Pour les revenus dont l’imposition est partagée entre les deux États, soit une partie des revenus d’emploi des frontaliers et les revenus immobiliers, la France octroie au résident un crédit d’impôt égal à l’impôt payé au Luxembourg, mais plafonné au montant de l’impôt français (a du 1 de l’article 22 de la convention). Concrètement, dans ce cas, l’administration fiscale peut imposer l’intégralité des revenus d’un contribuable mais elle accorde une déduction égale à l’impôt payé dans l’autre État, méthode qui a l’avantage d’éliminer les risques de double exonération et de maintenir la progressivité de l’impôt. Ces dispositions pouvaient se traduire par un traitement fiscal différent des revenus concernés à compter du 1er janvier 2020.

II.   Le risque de double imposition des revenus d’activitÉ des travailleurs frontaliers conduit la France et le Luxembourg À revenir sur les modalitÉs d’imposition de leurs revenus d’emploi et des revenus immobiliers

A.   la crainte d’une double imposition des revenus d’emploi a ÉtÉ renforcÉe par l’adoption, par le Grand-DuchÉ, d’une rÉforme de l’impÔt sur le revenu favorable aux plus modestes

1.   La rédaction de la convention de 2018 laissait craindre l’imposition du différentiel entre l’impôt acquitté au Luxembourg et l’impôt dû en France

Les travailleurs frontaliers ont exprimé de vives inquiétudes, dès la signature de la convention, sur les conséquences des nouvelles dispositions relatives à l’élimination des doubles impositions. En effet, il n’était pas certain qu’ils puissent tous bénéficier du crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français pour les revenus seulement imposables au Luxembourg, comme le prévoit le b du 1 de l’article 22 de la convention.

En l’état de sa rédaction, l’article 22 laissait ouverte la possibilité pour la France de prélever un reliquat d’impôt correspondant à la différence entre l’impôt acquitté au Luxembourg sur les salaires et l’impôt dû en France, lorsque ce dernier est supérieur. Compte tenu du différentiel d’imposition entre la France et le Luxembourg, certains frontaliers auraient pu devoir payer, en France, un impôt sur leur salaire luxembourgeois, en plus de l’impôt déjà acquitté au Luxembourg.

2.   Un écart entre la fiscalité française et luxembourgeoise accru par la récente réforme fiscale adoptée par le Luxembourg

Cette crainte a été renforcée par l’adoption par le Grand-Duché, en 2017, d’une réforme de la fiscalité favorable aux personnes disposant de revenus modestes, qui a accru le différentiel de fiscalité entre les deux pays. Les principales personnes concernées auraient été les contribuables ne bénéficiant pas du quotient familial ou des réductions et déductions d’impôts, en particulier les célibataires et les couples sans enfant disposant d’une rémunération nette annuelle par personne comprise entre 18 000 euros et 36 000 euros, alors qu’ils sont les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale luxembourgeoise.


Compte tenu du nombre de frontaliers exerçant leur activité au Luxembourg, estimé à 107 000, il était opportun de procéder à une clarification des dispositions relatives à l’élimination des doubles impositions, afin d’éviter l’imposition par la France du différentiel d’imposition, contraire au principe d’imposition des revenus d’emploi dans le pays d’exercice de l’activité. Tel est l’objet du présent avenant, signé un peu plus d’un an après la signature de la convention de 2018.

B.   Le prÉsent avenant permet de clarifier les dispositions relatives aux revenus d’emploi des travailleurs frontaliers et aux revenus immobiliers en revenant à une mÉthode Équivalant À celle de l’exemption

Le présent avenant vise à répondre aux craintes des travailleurs frontaliers en clarifiant les dispositions relatives aux modalités d’élimination des doubles impositions applicables aux revenus d’emploi des travailleurs frontaliers à l’imposition partagée. Par cohérence avec le réseau conventionnel de la France, cette modification de la méthode d’élimination des doubles impositions s’applique également aux revenus immobiliers.

Sur le plan rédactionnel, l’avenant modifie le paragraphe 1 de l’article 22 de la convention du 20 mars 2018 afin de préciser les règles d’imposition par catégorie de revenus et de contribuables et de garantir le respect du principe selon lequel les revenus d’emploi sont imposés dans l’État où se déroule l’activité, et les revenus immobiliers dans l’État où se situent les biens. Il prévoit, du côté français, que les doubles impositions en matière de revenus d’emploi et immobilier, sont éliminées par l’octroi d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français (et non plus luxembourgeois) correspondant à ces revenus.

C’est une méthode dont les conséquences pour le contribuable sont similaires à celle de l’exemption, tout en respectant le principe de l’imposition partagée : ces revenus sont pris en compte pour l’application du taux applicable aux autres revenus du contribuable, ce qui préserve la progressivité du système fiscal français. En outre, en prévoyant que seuls les revenus effectivement soumis à l’impôt luxembourgeois peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français, l’avenant contribue à lutter contre les situations de double exonération.

Ces dispositions, conformes au modèle de l’OCDE, sont couramment utilisées par la France dans ses conventions signées depuis la fin des années quatre-vingts : les mêmes dispositions relatives aux revenus d’activité à l’imposition partagée se retrouvent dans les conventions fiscales signées avec l’Allemagne, l’Italie, la Chine, la Suisse ou encore le Royaume-Uni. La clause de l’avenant est, à cet égard, plus « standard » que celle qu’elle remplace.

L’article 2 de l’avenant prévoit une entrée en vigueur à la date de réception de la dernière notification par l’une des deux parties, mais les nouvelles dispositions s’appliqueront aux périodes d’imposition commençant à compter du 1er janvier 2020. Ainsi, les travailleurs frontaliers pourront en bénéficier dès la première année d’entrée en vigueur de la convention, avant même que les modalités initialement prévue par la convention de 2018 n’aient eu à s’appliquer.  L’impact sur les finances publiques du présent avenant est donc nul.


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   Conclusion

Votre rapporteure est favorable à l’adoption du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.

La clarification apportée par cet avenant permettra en effet d’éviter le risque de double imposition des revenus d’activité des résidents français travaillant au Luxembourg, tout en préservant les acquis de la convention en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale.


  
ANNEXE : comparaison des trois versions de l’article relatif à la prévention des doubles impositions des revenus d’emplois et des revenus immobiliers

Source : commission des finances du Sénat.


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   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

La commission des finances de l’Assemblée nationale s’était saisie pour avis, en février 2019, du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, signée à Paris le 20 mars 2018. Les négociations pour moderniser l’ensemble de la convention avaient débuté en 2016 et s’étaient terminées en mars 2018.

Dans la continuité de cette saisine, elle examine le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à cette convention, signé à Luxembourg le 10 octobre 2019.

Conformément à l’obligation juridique inscrite à l’article 53 de la Constitution du 4 octobre 1958, le Parlement ne peut qu’approuver ou refuser les accords négociés par le Gouvernement et déjà signés par les parties. Un examen approfondi par les commissions des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale de tous les accords internationaux conclus par le Gouvernement en matière fiscale demeure cependant essentiel, en qu’il contribue à l’information et au suivi de ces accords. En outre, dans la mesure où les traités ont une autorité supérieure à celle des lois (article 55 de la Constitution), il est important pour le législateur de disposer de l’ensemble des informations sur un texte qui aura une autorité supérieure aux actes qu’il adopte.

I.   La convention fiscale signée en mars 2018, un texte équilibré qui consacre plusieurs avancées internationales

Le 20 mars 2018, une nouvelle convention fiscale a été signée entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg pour éviter les doubles impositions et pour établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune. Cette nouvelle convention se substitue à celle signée le 1er avril 1958 et modifiée depuis par quatre avenants successifs : le 8 septembre 1970, le 24 novembre 2006, le 3 juin 2009 et le 5 septembre 2014.

Une nouvelle convention était nécessaire pour moderniser les relations fiscales entre les deux États, et intégrer les dernières avancées en termes de fiscalité internationale. Avec plus de 107 000 résidents français qui travaillent au Luxembourg, ces dispositions ont un effet concret sur la vie quotidienne des contribuables. La signature de la convention avec le Luxembourg a ainsi été l’occasion d’intégrer plusieurs dispositifs préconisés dans le cadre du projet dit « BEPS », qui regroupe les travaux conduits par l’OCDE, sur mandat du G20, relatifs à l’actualisation des règles fiscales et à la lutte contre l’évasion fiscale.

La convention, ratifiée le 25 février 2019 par la France et le 12 juillet 2019 par le Luxembourg, est entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

A.   Plusieurs articles de la convention sont directement issus des recommandations de BEPS

Le projet BEPS détaille quinze actions à mettre en œuvre par tous les pays, qui posent un cadre de réflexion abouti sur les règles fiscales. Ces actions visent à favoriser une plus grande transparence du modèle fiscal, à lutter contre l’évasion fiscale et à améliorer la cohérence des règles fiscales internationales.

La quinzième action prévoit l’élaboration d’un instrument multilatéral pour accélérer l’intégration de ces nouvelles normes : cet instrument fait évoluer simultanément l’ensemble des conventions. Cette convention, signée le 7 juin 2017 par 87 juridictions, dont l’ensemble des États de l’Union européenne, vise à imposer un standard minimum au réseau conventionnel.

Les conventions conclues par la France suivent donc les principes définis par l’OCDE dans le modèle de convention multilatérale. Le rapporteur avait signalé lors de l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale trois avancées en lien avec le projet BEPS.

La première concerne l’ajout dans le préambule de la convention d’un objectif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, qui est un standard minimum et s’impose donc aux signataires de la convention multilatérale. C’est important pour évaluer l’engagement des États sur ces sujets.

Le deuxième concerne l’ajout d’un article spécifiquement consacré aux nouvelles règles pour définir la notion d’établissement stable, l’article 5, qui le définit comme « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Le fait qu’une entreprise ait ou non un établissement stable dans un État conditionne l’imposition de ses bénéfices par ce même État. La définition de cette notion est donc primordiale. Le paragraphe 5 de l’article doit notamment permettre d’écarter les montages dans lesquels la localisation de l’activité commerciale d’une entité ne reflète pas la réalité économique du processus de création de valeur. Il s’agit du cœur même du dispositif de lutte contre le transfert artificiel des bases fiscales. L’avenant signé le 10 octobre 2019 ne modifie pas cet article.

Cette définition est à mettre en perspective avec l’action 7 du projet BEPS, qui propose précisément de réviser cette définition pour empêcher le recours à certaines stratégies d’évasion fiscale.

Comme l’avait souligné le rapporteur lors de l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de la convention, l’introduction de cette clause représentait une avancée pour la France, le Luxembourg ayant émis une réserve sur l’article 12 de l’instrument multilatéral concernant la définition d’un établissement stable.

La troisième avancée est contenue à l’article 28, qui prévoit le refus d’octroi des avantages conventionnels lorsque qu’il est établi que l’octroi d’un avantage est en réalité le principal objectif d’un montage ou d’une transaction. Cette disposition, dite « clause anti-abus », traduit l’action 6 du projet BEPS, qui vise à prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas.

Le rapporteur rappelle que cette convention ne suffira jamais à supprimer l’entièreté de la fraude et de l'évasion, car il s’agit d’une convention fiscale et non d’une convention d’harmonisation fiscale.

B.   D’autres articles modernisent la convention en parallèle du projet BEPS

La convention contenait plusieurs autres dispositions importantes, notamment concernant le télétravail. L’article 14 de la convention prévoit l’imposition des revenus d’emploi sur le lieu d’activité. L’application stricte de cet article aurait conduit à imposer les revenus des salariés pratiquant le télétravail dans leur État de résidence à proportion de la fraction de leur temps de travail effectuée sous forme de télétravail. Le Luxembourg a souhaité introduire un élément de souplesse. Le paragraphe 3 du protocole précise donc qu’un travailleur exerçant provisoirement son activité dans un État autre que celui où il est imposable reste imposable dans cet État, sous réserve que cette période n’excède pas 29 jours par an. Cette période pouvait aller jusqu’à 183 jours dans la convention de 1958.

Le rapporteur souhaite à cette occasion saluer la signature de l’accord amiable entre la France et le Luxembourg pendant la crise sanitaire pour considérer que les jours télétravaillés pendant la crise sanitaire, sur la période du 14 mars au 31 décembre 2020, ne pouvaient être inclus dans le décompte de la période de vingt‑neuf jours. Cet accord a été prolongé jusqu’au 31 mars 2021 ([9]).

Alors que les administrations fiscales françaises et luxembourgeoises se sont accordées sur le seuil de 29 jours de télétravail autorisés par an en dehors du Luxembourg, le Grand-Duché de Luxembourg et la Belgique s’apprêteraient à conclure un nouveau seuil de 48 jours pour les frontaliers belges afin de répondre à la problématique de mobilité transfrontalière. Cette pandémie de la Covid-19 a contraint tous les gouvernements européens à prendre des mesures inédites ; de nombreux frontaliers français sont restés à leur domicile et ont découvert l’usage du télétravail. La crise actuelle doit nous faire sortir du plafond de verre des « 29 jours » et viser celui prévu par les règlements européens soit « 25 % maximum de temps de travail réalisé en France » qui correspondrait à une cinquantaine de jours par an, soit un peu moins de deux jours de télétravail par semaine. Ce sujet devait être inscrit lors du prochain séminaire intergouvernemental franco-luxembourgeois.

Enfin, d’autres avancées peuvent être signalées : l’article 12 prévoit une imposition partagée des redevances, alors que leur imposition était, dans la convention de 1958, réservée à l’État dont le bénéficiaire est un résident. De même, l’article 13 de la convention ouvre la possibilité pour chaque État d’imposer les gains issus de participations substantielles dans une société imposable sur son territoire lorsque le bénéficiaire est un résident de l’autre État.

C.   L’information du Parlement

Le rapporteur avait souligné, dans son avis sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention du 20 mars 2018, qu’il était important que le Parlement puisse être informé de l’application des conventions fiscales qu’il est amené à ratifier.

Il regrettait notamment que le dernier rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements date de 2016. Il se réjouit donc que le projet de loi de finances pour 2021 comporte en annexe ce rapport annuel.

Ce rapport détaille les différentes avancées sur l’échange de renseignements : un accord multilatéral visant à mettre en place un échange automatique des déclarations pays par pays des principaux groupes multinationaux a ainsi été signé par 87 États le 22 juillet 2020.

II.   Les dispositions concernant l’imposition des travailleurs frontaliers, contestées, sont l’objet de cet avenant

Une convention fiscale bilatérale, en ce qu’elle organise le droit d’imposer de chaque État, doit permettre d’éviter les doubles impositions des personnes susceptibles d’être des contribuables dans les deux pays.

Deux méthodes peuvent être distinguées pour éviter les doubles impositions.

La première, dite méthode d’exemption, consiste pour l’État de résidence à ne pas assujettir les revenus imposables dans l’État de la source.

La deuxième, dite méthode d’imputation, consiste pour l’État de résidence à imposer l’intégralité des revenus du contribuable, soit via une imputation intégrale (déduction correspondant au montant total effectivement payé dans l’autre État sur des revenus imposables dans cet État), soit via une imputation ordinaire (déduction au titre de l’impôt payé dans l’autre État limitée à la fraction de son propre impôt qui correspond aux revenus imposables dans l’autre État) ([10]).

A.   La version initiale de l’article 22 de la convention n’était pas adaptée à la situation des travailleurs frontaliers

Dans la convention de 1958, les revenus imposables seulement dans l’un des deux États ne pouvaient être imposés dans l’autre État : c’est le principe de l’imposition exclusive qui prévalait. L’article 19 de la convention de 1958 prévoyait cependant que ces revenus restaient pris en compte par l’autre État dans le calcul des impôts dont l’établissement lui était réservé.

La convention du 20 mars 2018, en introduisant à l’article 22 le principe d’une imposition partagée pour les revenus d’emplois entre l’État de résidence et l’État d’activité, se démarque donc sensiblement de celle de 1958.

1.   La version initiale laissait subsister la possibilité pour certains contribuables d’être imposés à la fois en France et au Luxembourg sur le même revenu

L’avenant à la convention abroge le paragraphe 1 de l’article 22 de la convention du 20 mars 2018. L’article 22 organise les modalités d’élimination des doubles impositions des contribuables, lesquelles constituent l’un des objectifs principaux des conventions fiscales bilatérales.

Le paragraphe 1 détaille la méthode choisie par la France pour éliminer les doubles impositions. Le paragraphe 2 de l’article 22 prévoit que les revenus ou la fortune d’un résident du Luxembourg imposable en France sont exemptés de l’impôt au Luxembourg.

Dans sa version résultant de la convention du 20 mars 2018, le paragraphe 1 de l’article 22 prévoit deux cas de figure :

– un contribuable résidant en France et dont une partie du revenu ou de la fortune est imposable au Luxembourg bénéficie d’un crédit d’impôt égal au montant d’impôt payé au Luxembourg, sans que le montant de ce crédit d’impôt ne puisse être supérieur au montant de l’impôt français correspondant à ce revenu ou cette fortune (a du 1) ;

– un contribuable résidant en France et dont le revenu ou la fortune n’est imposable qu’au Luxembourg bénéficie d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français (b du 1).

Dans le deuxième cas, le crédit d’impôt déduit étant équivalent à l’impôt français dû, aucune ambiguïté ne subsiste. Dans le premier cas, la rédaction entraîne l’imposition en France de la différence entre l’impôt acquitté au Luxembourg et l’impôt dû en France, dès lors que le second est supérieur au premier.

À titre d’exemple, une personne salariée au Luxembourg et résidant en France qui paye un montant X d’impôt sur le revenu au Luxembourg, n’est pas exonérée d’impôt en France au titre de ses revenus d’activité perçus au Luxembourg. Le montant de son impôt français au titre de ses revenus d’activité, soit Y, lui est notifié, et un crédit d’impôt équivalent à X est déduit de ce montant Y. Dès lors que Y est supérieur à X, le salarié acquitte la différence (Y– X) auprès du fisc français.

2.   La rédaction initiale ne convenait pas aux situations particulières des travailleurs frontaliers

La signature de la convention du 20 mars 2018 a suscité des inquiétudes chez les travailleurs frontaliers.

Ainsi, la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg (OGBL), syndicat majoritaire dans les différents secteurs d’activités marchands et non marchands, s’est émue ([11]) en février 2019 de la possibilité que cette convention se traduise par « l’introduction générale d’un impôt différentiel payable en France » et donc d’une moindre équité fiscale entre salariés résidents et non-résidents.

La rédaction de l’article 22 dans sa version initiale laissait craindre que les travailleurs frontaliers puissent être concernés par la situation décrite au a du paragraphe 1, c’est-à-dire être imposés sur leurs revenus à la fois au Luxembourg et en France. Le rapporteur ne dispose cependant pas d’une estimation précise relative au nombre de travailleurs potentiellement concerné par le cas prévu au a du 1 de l’article 22 de la convention dans sa rédaction initiale.

Cette crainte était renforcée par la réforme fiscale engagée par le Luxembourg à partir de 2017, qui a conduit à diminuer l’impôt des personnes aux revenus les plus bas. L’étude d’impact annexée à l’avenant indique que les principales personnes potentiellement concernées par le surplus d’imposition auraient été les célibataires et les couples sans enfant disposant d’une rémunération nette annuelle par personne comprise entre 18 000 euros et 36 000 euros.

Concernant la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 qui prévoyait en France, un ajustement des tranches du barème de l’impôt sur le revenu, cet ajustement a représenté une baisse d’impôt de 5 milliards d’euros pour près de 17 millions de foyers fiscaux. Cette mesure a bénéficié aux foyers dont les revenus étaient inférieurs au seuil d’assujettissement à la tranche marginale d’imposition de 30 %.

Cette réforme a permis de réduire significativement le montant de l’impôt calculé en France pour les catégories de contribuables potentiellement affectés par la nouvelle convention qui avaient bénéficié de la réforme de l’impôt luxembourgeois en 2017. Au vu de ce qui précède, le rapporteur souligne qu’il aurait été intéressant de quantifier l’impact de cette baisse d’impôt sur le revenu en France à l’échelle des travailleurs frontaliers exerçant leur activité au Luxembourg. Toutefois, la situation des contribuables concernés étant très hétérogène et dépendant des caractéristiques propres du foyer ainsi que des éventuels réductions et crédits d’impôt dont ils bénéficient, le gouvernement n’a pu produire un tel chiffrage.

B.   Les dispositions prévues par l’avenant éliminent toute possibilité de surplus d’imposition sur les revenus des travailleurs frontaliers

1.   L’avenant réécrit le paragraphe 1 de l’article 22 relatif à l’élimination des doubles impositions par la France

Dans la nouvelle rédaction résultant de l’avenant, aucune distinction n’est faite en fonction du pays où sont imposés les revenus. Une distinction est cependant établie entre l’impôt sur les revenus et l’impôt sur la fortune.

– Le a du paragraphe 1 concerne l’impôt sur les revenus.

Deux cas de figure sont prévus : celui où les revenus sont soumis à l’impôt sur les sociétés (ii du a) et celui concernant l’ensemble des revenus autres que ceux mentionnés au ii (i du a).

S’agissant des revenus soumis à l’impôt sur les sociétés, le crédit d’impôt imputable sur l’impôt français est égal au montant de l’impôt luxembourgeois, sans que celui-ci ne puisse excéder le montant de l’impôt français correspondant à ces revenus.

S’agissant des autres revenus, le crédit d’impôt est égal au montant de l’impôt français correspondant à ces revenus.

– Le b du paragraphe 1 concerne l’impôt sur la fortune : le résident de France se voit octroyer un crédit d’impôt imputable sur l’IFI égal au montant de l’impôt luxembourgeois sur cette fortune. Le résident reste donc susceptible de payer un surplus d’impôt en France si l’impôt acquitté au Luxembourg est inférieur au montant qui doit être acquitté en France. Lui accorder un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français présenterait le risque d’exonérer ce résident en cas de faible taxation au Luxembourg.

La principale modification concerne donc les revenus autres que ceux soumis à l’impôt sur les sociétés, pour lesquels la base de calcul du crédit d’impôt relatif aux revenus perçus au Luxembourg n’est plus le montant de l’impôt luxembourgeois mais le montant de l’impôt français. L’objectif de cette modification est d’assurer que des contribuables résidant en France et travaillant au Luxembourg ne soient pas imposés différemment des contribuables résidant au Luxembourg, alors que leur niveau de revenus est le même.

Les modalités réintroduites sont semblables à celles utilisées par la France dans plusieurs conventions fiscales concernant les modalités d'élimination du risque de double imposition depuis la fin des années 1980 avec l’Allemagne, l’Italie, la Chine, la Suisse ou le Royaume-Uni.

L’OGBL a salué la signature de l’avenant dans un communiqué de presse daté du 14 octobre 2019 ([12]).

2.   L’avenant sera appliqué aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2020

L’avenant a été signé le 10 octobre 2019. Le Luxembourg, le 28 avril 2020, a indiqué que les procédures internes nécessaires à l’entrée en vigueur de l’avenant avaient été conduites. Un vote favorable par l’Assemblée nationale du projet de loi portant approbation de cet avenant, après le vote favorable du Sénat, permettra son approbation et donc sa mise en œuvre.

L’article 2 précise que les dispositions de l’avenant s’appliqueront aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2020. La convention de 1958 ayant été appliquée jusqu’à l’imposition des revenus de 2019, aucun revenu n’aura été imposé selon les règles fixées par l’article 22 de la convention du 20 mars 2018 dans sa version initiale.

 

Le rapporteur pour avis se félicite de la signature de cet avenant, qui clarifie la situation fiscale des travailleurs frontaliers en supprimant toute possibilité d’un surplus d’imposition sur leurs revenus provenant du Luxembourg. En effet, au vu des négociations entamées pour moderniser l’ensemble de la convention qui avaient débuté en 2016, les différentes réformes de l’impôt sur le revenu luxembourgeois de 2017, puis de l’impôt sur le revenu français de 2020, ont rendu difficilement applicable une convention conclue en mars 2018. Alors que le Luxembourg annonce une prochaine réforme fiscale structurelle en 2021 ou 2022, celle de 2017 ayant été jugée comme insuffisante et nécessitait des ajustements, le rapporteur souligne la difficulté et la nécessité d’une convention pérenne afin d’éviter de multiples avenants au gré des réformes fiscales de chaque pays.

Cette convention marque en outre une étape utile dans la construction d’un espace fiscal européen harmonisé, à l’aide de dispositifs de lutte contre le transfert artificiel de bases fiscales, de contrôle des doubles impositions et de mise en œuvre du projet BEPS de l’OCDE dans une perspective mondiale.


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   EXAMEN en commission des affaires ÉtrangÈres,
saisie au fond

Le 16 décembre 2020, à 15 heures, la commission des affaires étrangères, saisie au fond, examine, sur le rapport de M. Jean-Michel Clément, le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Notre commission a examiné le 6 février 2019 cette convention qui vise à éviter les doubles impositions et prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, et la loi autorisant son approbation a été promulguée le 25 février de la même année. Nous sommes à présent saisis d’un avenant qui apporte une modification, certes technique mais importante et attendue.

Mme Isabelle Rauch est la rapporteure qu’il nous fallait puisqu’elle a contribué à l’élaboration de cet avenant – nous pouvons vous en féliciter, chère collègue.

Nous avons, par ailleurs, le plaisir d’accueillir parmi nous M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, qui s’était également saisie pour avis du projet de loi relatif à la convention de 2018.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Nous avons adopté en février 2019, vous l’avez dit, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale signée en 2018 par la France et le Luxembourg. Ce texte a fait l’objet d’un examen attentif par notre commission, au cours duquel nous avons eu l’occasion de souligner les progrès apportés par la convention, qui est conforme aux dernières normes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d’échange d’informations et de prévention de l’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices.

Cependant, cette convention comporte, à son article 22, des ambiguïtés sur les modalités d’élimination des doubles impositions des revenus d’activité des travailleurs frontaliers et de certains revenus immobiliers. En effet, dans sa rédaction actuelle, cet article laisse craindre que ces revenus soient imposés deux fois : concrètement, la France pourrait prélever un reliquat correspondant à la différence entre l’impôt acquitté au Luxembourg et celui dû en France. L’alerte est venue de ma circonscription frontalière avec le Luxembourg où de nombreuses personnes m’ont saisie, ce qui a favorisé un travail conjoint avec Bercy.

Cette disposition aurait des conséquences fiscales très concrètes pour les 107 000 résidents français qui travaillent au Luxembourg et représentent près de 25 % de la masse salariale du Grand-Duché. Les inquiétudes étaient d’autant plus grandes que le Luxembourg a adopté, en 2017, une réforme de l’impôt sur le revenu, favorable aux travailleurs les plus modestes, qui a accru le différentiel de fiscalité entre les deux pays. Les principales personnes concernées seraient les contribuables ne bénéficiant pas du quotient familial ou de réductions ou déductions d’impôts, en particulier les célibataires et les couples sans enfant ayant une rémunération nette annuelle par personne comprise entre 18 000 et 36 000 euros, qui sont les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale luxembourgeoise.

Les conséquences importantes qui pourraient en résulter pour un grand nombre de nos compatriotes sont une nouvelle illustration de l’importance de l’examen attentif, par le Parlement, des conventions fiscales signées par le Gouvernement.

Les dispositions relatives aux modalités d’élimination des doubles impositions des revenus d’emploi ont été fortement contestées dès l’adoption de la convention, ce qui a conduit à la signature du présent avenant, un peu plus d’un an après celle de la convention.

Le texte qui nous est soumis a pour objet de revenir, pour les modalités d’élimination des doubles impositions des revenus d’emploi et de certains revenus immobiliers, à un système équivalent à celui qui prévalait avant l’entrée en vigueur de la convention de 2018. Conformément au principe de l’imposition des revenus d’emploi dans le pays d’activité, les travailleurs frontaliers ne paieront pas d’impôts en France sur leurs revenus d’emplois s’ils s’en sont acquittés au Luxembourg.

Par cohérence avec le réseau conventionnel de la France, cette modification de la méthode d’élimination des doubles impositions s’appliquera également aux revenus immobiliers : les détenteurs de revenus issus de biens immobiliers situés au Luxembourg ne devront pas payer en France d’impôt sur ces biens s’ils se sont acquittés de leur impôt au Grand-Duché.

Conformément au principe de l’imposition partagée, ces revenus seront néanmoins pris en compte pour la détermination du taux applicable aux autres revenus du contribuable, ce qui préserve la progressivité du système fiscal français.

Concrètement, l’administration fiscale octroiera aux travailleurs frontaliers et aux détenteurs de revenus issus de biens situés au Luxembourg un crédit d’impôt égal au montant qu’ils auraient dû acquitter en France pour les revenus concernés, dans la limite de l’impôt effectivement payé au Luxembourg.

Ces dispositions, conformes au modèle de l’OCDE, sont couramment utilisées par la France dans les conventions signées depuis la fin des années 1980 : on retrouve les mêmes clauses pour les revenus d’activité relevant d’une imposition partagée dans les conventions fiscales signées avec l’Allemagne, l’Italie, la Chine, la Suisse ou encore le Royaume-Uni. La disposition qui figure dans l’avenant est, à cet égard, plus « standard » que celle qu’elle remplace.

L’avenant prévoit que les nouvelles dispositions s’appliqueront aux périodes d’imposition commençant à compter du 1er janvier 2020. Ainsi, les travailleurs frontaliers pourront en bénéficier dès la première année de l’entrée en vigueur de la convention, avant même que les modalités initiales aient à s’appliquer. L’impact sur les finances publiques du présent avenant est donc nul.

Enfin, je tiens à préciser, pour la clarté des débats, que l’avenant ne vise qu’à préciser les modalités d’élimination des doubles impositions : les questions relatives à l’harmonisation fiscale, qui relèvent davantage de la législation européenne, à la participation du Luxembourg au développement des territoires frontaliers – dans le cadre du codéveloppement – ou au statut du télétravail frontalier n’entrent pas dans le champ de la convention de 2018, ni dans celui de son avenant. Ce sont, néanmoins, des sujets importants dont nous aurons à nous saisir.

Compte tenu de ces différentes remarques, je vous propose d’adopter le présent projet de loi.

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances. Je vous remercie de m’accueillir parmi vous. La commission des finances a donné ce matin un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi, et j’aimerais me faire l’écho de certaines remarques qui ont été formulées par mes collègues.

Bien que le Parlement ne puisse qu’approuver ou refuser les accords internationaux négociés par le Gouvernement, il est nécessaire de réaliser un examen approfondi de tous ceux qui portent sur les questions fiscales.

La convention du 20 mars 2018, dont nous avons autorisé l’approbation en février 2019, a modernisé les relations fiscales entre la France et le Luxembourg, jusque-là régies par une convention datant de plus de soixante ans – elle avait été signée en 1958.

Cette nouvelle convention s’inscrit dans le contexte plus large de l’instrument multilatéral relatif à la prévention de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices. Je rappelle que le Projet BEPS (base erosion and profit shifting) détaille de nouvelles règles fiscales internationales destinées à favoriser une plus grande transparence et à lutter contre l’évasion fiscale.

Rapporteur pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de la convention de 2018, j’ai eu l’occasion de souligner les avancées qu’elle apporte, notamment la souplesse prévue par le protocole qui lui est annexé quant à l’imposition des revenus des frontaliers exerçant une partie de leur activité en télétravail. La crise sanitaire de la covid-19 a conduit de nombreux frontaliers français, restés à leur domicile, à découvrir l’usage du télétravail et a montré la nécessité d’adapter en conséquence les règles d’imposition. Si le nombre de jours de télétravail n’est pas supérieur à vingt-neuf, alors le salarié reste imposé dans l’État où il exerce son activité.

J’en viens à l’avenant, qui réécrit le premier paragraphe de l’article 22 de la convention de 2018, lequel avait suscité, sur plusieurs points, des commentaires de la part des commissaires aux finances. Il s’agit de lever toute ambiguïté sur la version initiale du texte, qui laisse planer la possibilité que certains contribuables soient imposés à la fois en France et au Luxembourg sur le même revenu, du fait des réformes fiscales qui ont eu lieu successivement dans ces deux pays. La manière dont cet article est rédigé a provoqué des inquiétudes au sein des frontaliers du Pays-Haut et des Mosellans : ils craignaient que cela entraîne pour eux un surplus d’imposition.

Deux méthodes existent pour éviter une double imposition des contribuables. La méthode dite d’exemption voit l’État de résidence renoncer à assujettir à l’impôt les revenus imposables dans l’État où ils trouvent leur source. C’est la méthode retenue par la convention de 1958. La méthode dite d’imputation consiste, pour l’État de résidence, à neutraliser l’imposition déjà acquittée dans l’État source des revenus, grâce à un crédit d’impôt.

L’avenant ne change pas la méthode suivie : il modifie simplement le mode de calcul du crédit d’impôt. La version initiale prévoit qu’il peut être égal au montant de l’impôt acquitté au Luxembourg. Dans le cas où l’impôt dû en France serait supérieur à celui acquitté au Luxembourg, le travailleur pourrait donc être imposé une seconde fois dans notre pays.

Les négociations portant sur la convention ont débuté en 2016. L’année suivante, le Luxembourg a adopté une réforme visant à réduire la fiscalité sur les bas revenus. La méthode de calcul initialement prévue conduirait à neutraliser cette réforme pour les travailleurs frontaliers : leur impôt global ne diminuerait pas. En France, la loi de finances pour 2020 a prévu un ajustement des tranches du barème de l’impôt sur le revenu se traduisant par une baisse de 5 milliards d’euros de cette imposition pour près de 17 millions de foyers. Ajoutons à cela que le Luxembourg planche sur une prochaine réforme structurelle qui pourrait intervenir en 2021 ou en 2022, car celle de 2017 a été jugée insuffisante – elle exigerait des ajustements. Vous comprendrez aisément pourquoi il faut un cadre, une méthode pérenne et imperméable aux aléas des réformes fiscales menées dans les deux pays.

Le choix qui a été fait consiste à accorder aux personnes résidant en France et travaillant au Luxembourg un crédit d’impôt égal au montant qu’elles auraient à acquitter dans notre pays.

Cet avenant, dont je me réjouis, est essentiel pour sécuriser la situation fiscale de plus de 100 000 Français qui franchissent chaque jour la frontière pour travailler au Luxembourg.

Bien que je ne sois pas autorisé à voter dans cette commission, je vous invite vivement à adopter le projet de loi, qui sera examiné en séance publique le 21 janvier prochain.

M. Denis Masséglia. Vous avez réalisé un superbe travail, madame la rapporteure. On voit bien que vous êtes une députée de terrain : vous avez été attentive aux attentes de nos concitoyens, que vous avez relayées auprès de Bercy. Je veux vraiment mettre l’accent sur tout ce que vous faites au quotidien pour répondre aux femmes et aux hommes de votre circonscription qui se tournent vers vous. Le groupe La République en Marche ne peut qu’être favorable au fruit de votre action.

Je tiens également à évoquer la beauté du masque que vous portez, ainsi que le rapporteur pour avis. Ces masques sont fabriqués dans ma circonscription… Les députés de La République en Marche sont décidément des députés de terrain, investis auprès de nos concitoyens !

M. Alain David. Cet avenant permettra d’éviter toute double imposition sur les revenus des travailleurs transfrontaliers et les revenus immobiliers, y compris lorsque l’imposition au Luxembourg est plus favorable que celle résultant des règles fiscales françaises. Le texte qui nous est soumis préservera, par ailleurs, les acquis de la convention de 2018 en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, s’agissant d’un voisin qui, il faut le dire, a souvent des pratiques s’apparentant à du dumping fiscal voire à une certaine désinvolture au sujet de la fraude fiscale. Le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de ce projet de loi.

 

La commission adopte, à l’unanimité, l’article unique du projet de loi sans modification.

 


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   EXAMEN en commission des finances, saisie pour avis

Le 16 décembre 2020, à 8 heures 45, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire examine, pour avis, sur le rapport de M. Xavier Paluszkiewicz, le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.

M. le président Éric Woerth. Nous examinons pour avis le projet de loi, adopté par le Sénat le 22 juillet, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre la France et le Grand-Duché du Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune. Ce texte sera examiné aujourd’hui par la commission des affaires étrangères, saisie au fond, puis en séance publique selon la procédure d’examen simplifié le jeudi 21 janvier 2021.

La commission des finances avait examiné pour avis, le 11 février 2019, sur le rapport de Xavier Paluszkiewicz, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale du 20 mars 2018. Ce qui est devenu la loi du 25 février 2019 a permis l’application de la nouvelle convention fiscale à compter du 1er janvier 2020. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole pour nous expliquer les raisons de cet avenant.

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. Bien que le Parlement ne puisse qu’approuver ou refuser les accords négociés par le Gouvernement, il est essentiel qu’il examine dans le détail les accords internationaux conclus par le Gouvernement en matière fiscale. Le législateur doit, en effet, disposer de l’ensemble des informations concernant un texte dont l’autorité sera supérieure aux lois.

La convention du 20 mars 2018 a modernisé les relations fiscales entre la France et le Luxembourg, organisées jusque-là par la convention de 1958, qui avait été modifiée à quatre reprises.

Elle s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la mise en œuvre de l’instrument multilatéral de prévention de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting, BEPS). Ce projet détaille les nouvelles règles fiscales internationales destinées à favoriser une plus grande transparence du modèle fiscal et à lutter contre l’évasion fiscale.

Rapporteur pour avis sur le texte autorisant son approbation, j’ai eu l’occasion de souligner les avancées qu’apporte cette convention. Ainsi, l’article 5 définit la notion d’établissement stable et écarte les montages dans lesquels la localisation commerciale d’une entité ne correspond pas à la réalité économique de création de valeur. L’article 28 prévoit le refus d’octroi des avantages conventionnels si l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction est de les obtenir.

Outre ces avancées en lien avec le projet BEPS, la convention de 1958 a permis de changer la méthode d’imposition de certains revenus. Je pense à l’article 12 qui introduit l’imposition partagée des redevances – cela ouvre à la France la possibilité de percevoir des recettes fiscales supplémentaires. Je pense aussi au paragraphe 3 du protocole qui prévoit que les résidents qui exercent une partie de leur activité en télétravail, dans la limite de vingt-neuf jours par an, demeurent imposés dans l’État d’activité. La crise sanitaire ayant conduit de nombreux frontaliers français à travailler depuis leur domicile, un accord amiable entre les deux pays, reconduit jusqu’au 31 mars 2021, a adapté les règles d’imposition. Considérant toutes les externalités positives qu’a entraînées l’usage massif du télétravail, j’appelle à relever le plafond pour se rapprocher de celui de quarante-huit jours, prévu par la future convention entre la Belgique et le Luxembourg.

L’avenant dont il nous est proposé d’autoriser l’approbation réécrit le premier paragraphe de l’article 22 de la convention. Cet article organise les modalités d’élimination des doubles impositions. Sa rédaction initiale avait suscité bien des inquiétudes parmi les travailleurs frontaliers du Pays-Haut, qui craignaient qu’elle entraîne un surplus d’imposition.

En effet, deux méthodes existent pour éviter une double imposition des contribuables. La méthode dite d’exemption revient, pour l’État de résidence, à renoncer à assujettir à l’impôt les revenus imposables dans l’État de source des revenus. C’est la méthode retenue dans la convention de 1958. La méthode dite d’imputation permet à l’État de résidence de neutraliser l’imposition déjà acquittée dans l’État source des revenus, grâce à un crédit d’impôt. C’est la méthode retenue dans la convention de 2018.

L’avenant conserve cette méthode, mais modifie le mode de calcul du crédit d’impôt. La version initiale prévoyait que ce crédit puisse être égal au montant de l’impôt acquitté au Luxembourg. Si l’impôt dû en France était supérieur à celui acquitté au Luxembourg, le travailleur se voyait imposé une seconde fois en France. Ce pouvait être le cas des personnes qui n’étaient pas éligibles aux avantages fiscaux français tels que le quotient familial ou les réductions d’impôt, mais qui bénéficiaient de la réforme fiscale luxembourgeoise de 2017.

Cette réforme, entreprise avant la signature de la convention, visait à diminuer la fiscalité des bas revenus. Puis la France, dans la loi de finances pour 2020, a prévu un ajustement des tranches du barème de l’impôt sur le revenu, avantageant les foyers dont les revenus étaient inférieurs aux seuils d’assujettissement à la tranche marginale d’imposition de 30 %. Cela a permis de réduire significativement le montant de l’impôt calculé en France pour les catégories de contribuables potentiellement affectés par la nouvelle convention, qui avaient bénéficié de la réforme de l’impôt luxembourgeois en 2017.

Considérant que la réforme de 2017 a été jugée insuffisante et que le Luxembourg prépare une nouvelle réforme fiscale structurelle pour 2021 ou 2022, il fallait une méthode pérenne, imperméable aux aléas des réformes fiscales de nos pays respectifs. Le choix a donc été fait d’accorder aux personnes résidant en France et travaillant au Luxembourg un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français dont ils ont à s’acquitter.

Cet avenant, dont je me réjouis, était essentiel pour sécuriser la situation fiscale de plus de 100 000 résidents français qui franchissent, chaque jour, la frontière pour travailler au Luxembourg. Je vous propose donc de donner un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre travail. Cet avenant ne bouleverse-t-il pas l’esprit de la convention ? Si j’ai bien compris, l’enjeu est important car l’idée est d’imposer comme des Luxembourgeois les personnes résidant en France et travaillant au Luxembourg. Sans doute est-ce ce changement que vous saluez, mais pourquoi une telle décision ?

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. Nous saluons ce changement conforme aux recommandations de l’OCDE, puisque l’organisation invite, dans le cadre du projet BEPS, à imposer les travailleurs frontaliers dans le pays où ils exercent leur activité. En tant qu’ancien frontalier, l’esprit de cette nouvelle convention me ravit, même si je dois dire que l’imposition dans l’État source de revenus n’a pas toujours que des avantages – jusqu’en 2017, l’impôt sur le revenu, au Luxembourg, était bien plus élevé qu’en France ! Il n’en demeure pas moins que pour les résidents de ce laboratoire européen qu’est notre territoire, où la frontière avec la Belgique, le Luxembourg ou l’Allemagne se franchit aisément chaque matin, il est tout à fait logique de s’acquitter de l’impôt sur le revenu dans le pays où l’on exerce son activité.

L’avenant permet d’éviter une double imposition, évidemment redoutée par les frontaliers. Nos homologues luxembourgeois avaient d’ailleurs appelé mon attention dès mon élection, et avant même l’approbation de la convention, sur la nécessité de corriger ce texte en négociation depuis 2016.

Mme Marie-Christine Dalloz. La France et le Luxembourg appartiennent tous deux à l’Union européenne. Ma circonscription est frontalière d’un pays non membre, la Suisse, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d’ordre fiscal et social – je souligne, au passage, que si le Jura est l’un des départements les plus touchés par le coronavirus, c’est que les travailleurs frontaliers sont contaminés dans un pays qui n’applique pas les mêmes mesures. Je souhaiterais savoir si une telle convention pourrait être signée entre la France et la Suisse.

M. Charles de Courson. La convention se cale-t-elle sur la définition communautaire de la notion d’établissement stable ? Y est-il question de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dont les travailleurs frontaliers sont exonérés en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ?

Compte tenu de la durée de la crise sanitaire, le plafond de quarante-huit jours de télétravail que vous préconisez risque d’être dépassé ; les travailleurs frontaliers seront alors imposés en France. Comment cette disposition sera-t-elle contrôlée par les inspecteurs des impôts ?

La méthode retenue pour éviter la double imposition est-elle spécifique à cette convention ou est-elle appliquée, dans une logique d’harmonisation, à tous les pays de l’Union européenne ?

Enfin, le secret bancaire a-t-il encore cours au Luxembourg ? Si oui, la convention permet-elle des échanges d’informations entre les administrations fiscales française et luxembourgeoise ?

M. le président Éric Woerth. J’imagine que les frontaliers sont rattachés à la sécurité sociale du Luxembourg et qu’ils y acquittent leurs cotisations sociales.

M. Charles de Courson. Certes, mais la CSG n’est pas une cotisation sociale !

Mme Cendra Motin. Cette convention nous interpelle car nous avons du Luxembourg l’image d’une terre d’accueil pour les entreprises qui cherchent à contourner des règles fiscales un peu trop strictes à leur goût… mais il est important de dépasser cette vision et de prendre en compte le cas des frontaliers. Ils sont en effet nombreux à aller travailler chaque jour au Luxembourg, comme le sont les habitants du Pays de Gex ou de Haute-Savoie qui se rendent en Suisse, ceux du Nord qui exercent en Belgique, ou des départements pyrénéens qui franchissent quotidiennement la frontière avec l’Espagne – tous se sentent citoyens européens.

Cette convention est très importante car elle fixe les règles d’imposition qui leur sont applicables. Pensez-vous qu’elle soit de nature à encourager davantage encore les échanges de travailleurs entre la France et le Luxembourg et à permettre à nos concitoyens de traverser les frontières pour aller exprimer leurs talents partout en Europe ?

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. Madame Dalloz, l’idée est de généraliser autant que possible de telles conventions bilatérales, en lien avec les recommandations BEPS. Je crois savoir que la convention fiscale avec la Suisse est semblable, dans ses grandes lignes, à la convention de 2018 avec le Luxembourg, mais j’ignore si elle a été révisée récemment pour intégrer, précisément, l’ensemble des recommandations de l’OCDE.

Monsieur de Courson, le président vient de le souligner, les Français concernés paient leurs contributions sociales au Luxembourg au même titre que l’impôt sur le revenu. M. Christian Eckert, alors secrétaire d’État chargé du budget, avait soulevé la question après que la direction générale des finances publiques avait été saisie par des contribuables français percevant tous les revenus de leur travail au Luxembourg, mais qui, en cas de plus-value réalisée lors de la vente d’un terrain, devaient régler la CSG et la CRDS en sus de la taxe sur les plus-values immobilières. En 2017, le Conseil d’État a reconnu que les frontaliers français placés dans cette situation pouvaient être exonérés de ces contributions et ils en ont été remboursés pour les années 2014, 2015 et 2016.

M. le président Éric Woerth. Ils n’acquittent donc ni la CSG ni la CRDS sur leurs revenus.

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. C’est bien cela. Je précise toutefois que la convention fiscale ne concerne que les impôts sur le revenu et la fortune.

En ce qui concerne le télétravail, le plafond retenu dans la convention est de vingt-neuf jours par an : un accord a été trouvé sur ce point. Mais la crise sanitaire, ayant entraîné partout le développement du télétravail, a remis le sujet sur la table. Dès auparavant, j’avais proposé de relever le plafond à quarante-huit jours, comme dans la future convention entre la Belgique et le Luxembourg, jugeant possible, en cohérence avec les recommandations BEPS, d’aller jusqu’à 25 % du temps de travail de chaque salarié.

La question du contrôle par l’administration fiscale est une excellente question. Le télétravail était jusqu’à présent très peu pratiqué par les salariés concernés, les employeurs luxembourgeois ne le proposant pas, et les contrôles aléatoires qui sont possibles côté français comme côté luxembourgeois étaient très rares. En prévision de l’augmentation du nombre de jours de télétravail, il faudra que les administrations fiscales de chaque État trouvent les moyens de mettre ces contrôles en œuvre. Comment ? Cela semble difficile puisque les salariés restent chez eux ; sans doute faudrait-il inviter les employeurs à déclarer le nombre de jours effectués.

M. Charles de Courson. En effet, la seule solution est une déclaration de l’employeur, mais elle n’est pas prévue dans la convention. Ne pourrions-nous pas approuver celle-ci sous réserve de l’ajout de ce petit complément ? Il est possible, lors d’une ratification, d’émettre une réserve d’interprétation.

M. le président Éric Woerth. Seul le Gouvernement peut le faire, et non le Parlement.

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. Il est impossible d’amender ce type de convention. Peut-être voudriez-vous nous inviter à demander au Gouvernement de proposer un nouvel avenant ? Mais, dans le cas présent, nous ne pouvons qu’approuver ou rejeter le texte.

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. Madame Motin, ce genre de convention fiscale incite évidemment les citoyens européens à travailler dans d’autres pays que le leur, à condition d’avoir été modifiée, comme cela nous est proposé ici. Dans mon territoire, on passe les frontières très facilement ; certains frontaliers travaillent même le matin au Luxembourg et l’après-midi en Belgique ou en Allemagne.

M. Charles de Courson. Et la question du secret bancaire ?

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. L’article 25, relatif aux modalités d’échange de renseignements entre les autorités compétentes des États contractants, garantit la possibilité d’un échange d’informations entre les deux pays conforme au standard de BEPS. Le Luxembourg s’y est engagé en 2017, après que l’Union européenne lui a demandé de se conformer aux règles européennes en matière bancaire et fiscale. Cela est perceptible au quotidien depuis deux ou trois ans au niveau tant de l’administration fiscale que des collectivités ou de la caisse d’allocations familiales : les deux pays échangent régulièrement des informations en matière fiscale et sociale sur les contribuables ou sur les prestations et allocations.

M. Charles de Courson. Donc il n’y a plus de secret bancaire au Luxembourg, comme en Suisse ?

M. le président Éric Woerth. Non ; il a fallu dix ans de combat, mais ils ont été efficaces.

La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

 


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   Annexe : texte de la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (ensemble un protocole), signé à Luxembourg le 10 octobre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 


([1])  Loi n° 2019-130 du 25 février 2019 autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.

([2]) Ces avancées ont été obtenues dans le cadre du plan d’action contre l’érosion des bases d’imposition et les transferts de bénéfices (Base erosion and profit shifting – BEPS), visant moderniser les règles fiscales afin qu’elles reflètent la réalité économique le plus fidèlement possible.

([3]) Directives relatives à la coopération administrative, dites « DAC » (Directive on administrative coopération).

([4]) Directives anti-évasion fiscale, dites « ATAD » (Anti Tax Avoidance Directive).

([5]) Les dispositions de la convention fiscale liant la France et le Luxembourg sont détaillées dans le rapport n° 1663 de M. Frédéric Petit, fait au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, déposé en février 2019.

([6]) Réponses de la direction de la législation fiscale au questionnaire de la commission de affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

([7])  Dans le cadre de l’épidémie de la Covid-19, pour des raisons de force majeure, les accords amiables passés avec le Luxembourg, les 16 juillet et 27 août 2020, permettent de considérer que les jours télétravaillés en raison des mesures sanitaires, dans la période comprise entre le 14 mars et le 31 décembre 2020 inclus, ne sont pas décomptés pour le calcul des vingt-neuf jours.

([8]) Réponse des services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères au questionnaire de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

([9]) Communiqué de presse du Gouvernement luxembourgeois daté du 7 décembre 2020 – « Prolongation de l’accord franco-luxembourgeois concernant le télétravail des frontaliers dans le contexte de la pandémie de COVID-19 »

([10]) En ce sens, voir le Bulletin officiel des finances publiques –Modalités d’imposition au regard du droit conventionnel, Élimination de la double imposition

([11]) « L’accord ne doit pas pénaliser les salariés frontaliers français – et encore moins ceux avec les revenus les plus modestes » - Communiqué de presse de l’OGBL daté du 25 février 2019

([12]) « Les frontaliers ne devront pas payer de supplément à la France sur leurs revenus luxembourgeois »
– Communiqué de presse de l’OGBL daté du 14 octobre 2019.