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N° 3872

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 février 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à établir un meilleur équilibre entre pouvoirs constitutionnels
( 3486 rect.)

PAR Mme Marietta KARAMANLI

Députée

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Voir les numéros : 3486 rect.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-Propos......................................................... 5

Examen des articles

titre 1er Du président

Article 1er (art. 8 de la Constitution) Procédure d’investiture du Premier ministre

Article 2 (art. 9 de la Constitution) Présidence du conseil des ministres

Article 3 (art. 12 de la Constitution) Dissolution de l’Assemblée nationale par le Premier ministre

Titre II Du gouvernement et de ses relations avec le parlement

Article 4 (art. 20 de la Constitution) Procédure d’investiture du Gouvernement

Article 5 (art.21 de la Constitution) Exercice de la présidence du conseil des ministres par le Premier ministre

Compte rendu des débats

titre Ier Du président

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Les crises économique, sociale et environnementale que nous connaissons depuis plusieurs années, amplifiées par la pandémie de la Covid-19, mettent à l’épreuve les démocraties. Partout en Europe, les citoyens expriment le besoin d’une meilleure représentation de leurs opinions et de leurs choix politiques, ainsi que d’une participation effective à la décision publique. Ce constat est encore plus prégnant en France, alors que nos institutions républicaines n’assurent plus l’équilibre pourtant nécessaire entre les pouvoirs.

Le Parlement peine à demeurer le lieu du débat et de la fabrique de la loi, attributs au cœur de son rôle constitutionnel. Les conditions de détermination de l’ordre du jour, les délais d’examen des textes et la pratique du fait majoritaire, renforcée par le quinquennat et le calendrier des élections législatives ([1]), ne permettent pas la réflexion et la concertation qui seraient utiles en ces temps de recherche d’unité nationale.

La gestion actuelle de la crise sanitaire en témoigne : alors qu’il est indispensable que la représentation nationale soit associée à l’élaboration d’une stratégie nationale et européenne pour lutter contre l’épidémie, elle est, depuis mars dernier, tenue à l’écart de la prise de décision par les votes successifs d’habilitations législatives et de mesures exceptionnelles venant renforcer la capacité d’action de l’Exécutif. Pourtant le Parlement n’a cessé d’être mobilisé tant pour proposer des dispositions législatives en réponse aux difficultés auxquelles font face nos concitoyens que pour contrôler l’action du Gouvernement. Face au décalage grandissant entre cet engagement des parlementaires et la prise en compte de leurs travaux par l’Exécutif, de nombreux groupes politiques, de toutes sensibilités, ont souligné l’urgence d’un rééquilibrage des pouvoirs.

Au sein de l’Exécutif, les décisions ne sont désormais plus prises au niveau du Gouvernement, instance collégiale responsable devant la représentation nationale, mais par le Président de la République. Cette pratique du pouvoir, justifiée par une recherche d’efficacité face aux enjeux de sécurité et de santé publique, traduit en réalité une perte du sens de l’action collective et la personnalisation accrue de la fonction présidentielle. Plus grave encore, cette pratique nous mène à une impasse démocratique : alors que le Président de la République exerce de facto toutes les responsabilités, il n’est responsable devant personne durant son mandat. En effet, le Parlement ne contrôle que l’action du Gouvernement et si l’Assemblée nationale peut engager la responsabilité de ce dernier au titre des articles 49 et 50 de la Constitution, elle s’expose au risque d’être dissoute sans que le réel chef de la majorité, soit le Président de la République, ne change d’orientation sur les politiques menées.

Or, le pouvoir confié à l’Exécutif est indissociable de la responsabilité de ce dernier devant la représentation nationale. C’est parce qu’il est responsable devant elle qu’il est légitime. La démocratie ne peut se limiter à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Elle doit, au contraire, se manifester par l’exercice effectif de leurs missions par les représentants du peuple tout au long de la législature.

Alors qu’il est d’usage de rappeler les faiblesses que présentaient les troisième et quatrième Républiques, ce « funeste système d’antan » selon le Général de Gaulle ([2]), notre République souffre actuellement de maux qui ne sont pas moins graves. D’une part, les citoyens se sentent imparfaitement représentés par un Parlement dont ils constatent qu’il manque de temps et de moyens pour exercer pleinement ses fonctions législative et de contrôle du Gouvernement. La crise des « gilets jaunes », l’abstention croissante aux échéances électorales, notamment parmi les électeurs les plus jeunes, et la montée des tensions dans notre société en sont le reflet. D’autre part, en acceptant l’affaiblissement du Parlement, c’est celui du débat public, de l’échange d’arguments, de la conciliation des positions dans le sens de l’intérêt général, mais aussi de l’expression de positions antagonistes dans le respect des opinions d’autrui, que l’on accepte. C’est également renoncer à prendre en considération les différentes composantes de la vie politique de notre société.

Par ailleurs, comme l’a souligné Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel, lors de son audition par votre rapporteure, la stabilité du Gouvernement, souvent avancée pour justifier cet état de fait, n’est qu’apparente : la durée des gouvernements est en moyenne de dix-huit mois depuis 1958. L’instabilité gouvernementale ne résulte plus des partis politiques mais du Président de la République lui-même. Le Premier ministre apparaît ainsi davantage responsable devant ce dernier que devant l’Assemblée nationale.

Cette dynamique a été renforcée par l’inversion du calendrier électoral qui, comme l’a rappelé la professeure de droit public Aurore Gaillet, constitue une inflexion importante pour l’équilibre de nos institutions.

Cette concentration des pouvoirs par le Président de la République est dommageable à plusieurs titres. En premier lieu, si la Constitution lui reconnait un rôle éminent, faisant de lui la « clef de voûte » des institutions ([3]), c’est pour lui permettre d’assurer, en toutes circonstances, leur bon fonctionnement. Il doit avoir les moyens de préserver la République, si nécessaire en s’opposant au Gouvernement. Cette fonction lui permet également de s’assurer que le Gouvernement met en œuvre les choix de politiques publiques de la mandature et de garantir la cohérence de cette dernière. Toutefois, elle ne doit pas conduire le Président à se substituer au Gouvernement, instance collégiale à laquelle est confiée l’exercice du pouvoir. C’est tout le sens de la pensée de Pierre Mendès France, exprimée dans l’ouvrage La République moderne, que le constitutionnaliste Yoan Vilain a partagé lors de son audition : « Pour un peuple, confier son sort à un seul homme, fut-il le meilleur d’entre tous, est une démission ».

En second lieu, cette concentration renforce la personnalisation du pouvoir par le Président de la République. Or, la démocratie s’accommode mal de cette figure unique : le risque est celui d’un effacement des partis et du débat politique, pourtant nécessaires à l’expression des différentes opinions au sein de la société. L’usure rapide des côtes de popularité, la difficulté pour les membres du Gouvernement ou de la majorité à être « audibles », la « crise de confiance » que traduisent les études d’opinion sont autant de signaux de l’affaiblissent de la parole publique sur laquelle reposent pourtant la confiance et l’adhésion aux politiques menées.

Ce constat n’est pas nouveau, mais il s’est aggravé du fait de la succession des crises auxquelles notre pays a été confronté. Dans ce contexte, il est légitime que notre Assemblée s’en saisisse et débatte des réformes à conduire.

La révision constitutionnelle de 2008 a constitué une première tentative de réponse en renforçant les pouvoirs du Parlement dans le cadre de la procédure législative et en matière de contrôle. Or, comme l’a souligné Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, lors de son audition, cette revalorisation, aussi importante soit-elle, n’a pas permis de lever l’équivoque de la répartition des responsabilités au sein de l’Exécutif et vis-à-vis du Parlement.

Le groupe de travail sur l’avenir des institutions, co-présidé par Claude Bartolone, ancien Président de l’Assemblée nationale, et Michel Winock, historien, a permis d’aborder cette question sous un angle juridique, mais également dans une perspective historique, politique et sociale plus large. Au-delà de propositions en faveur de l’introduction d’une représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale, d’un renforcement de la participation citoyenne et d’un recours plus fréquent au référendum, mesures qui permettraient chacune de renforcer l’expression de la souveraineté nationale, le groupe de travail a proposé de donner un « nouveau rôle » au Président de la République : « Assumant le rôle d’arbitre que la Constitution lui destine, le Président de la République, ʺplacé au-dessus des partis", pourrait […] jouer un rôle de garant de l’intérêt général et des générations futures. » ([4]) Cela implique toutefois de renforcer, en parallèle, la légitimité du Premier ministre.

C’est l’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle : d’une part, mettre un terme à l’ambiguïté de la Constitution qui organise en des termes très généraux la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre ; d’autre part, réaffirmer la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale.

L’article 1er modifie l’article 8 de la Constitution de manière à prévoir que le Premier ministre est investi par l’Assemblée nationale en préalable à sa nomination par le Président de la République. Le Premier ministre tiendrait ainsi sa légitimité de la confiance que lui accorderaient les représentants de la Nation. L’article 4 prévoit la coordination rendue nécessaire par cette disposition à l’article 20 de la Constitution.

L’article 2 prévoit, à l’article 9 de la Constitution, que le Président de la République ne préside le conseil des ministres qu’en cas d’absence ou d’empêchement du Premier ministre. En conséquence, l’article 5 prévoit une coordination à l’article 21 pour confier cette présidence à ce dernier.

L’article 3 transfère, à l’article 12 de la Constitution, le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale du Président de la République au Premier ministre. Cette mesure constitue le corollaire de l’investiture de celui-ci par les représentants de la Nation.

Ces dispositions ne reviennent pas ni sur les prérogatives essentielles du Président de la République, ni sur son élection au suffrage universel direct à laquelle les Français sont attachés. Elles permettent, dans la continuité des principes ayant inspiré la rédaction de la Constitution, de défendre la place du Parlement dans ses relations avec l’Exécutif, de manière à retrouver, comme l’a souligné le professeur Mathieu Touzeil-Divina lors de son audition, « un régime d’équilibre, d’interdépendance des pouvoirs ».


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Examen des articles

titre 1er
Du président

Article 1er
(art. 8 de la Constitution)
Procédure d’investiture du Premier ministre

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article tend à prévoir que le Premier ministre est investi par l’Assemblée nationale préalablement à sa nomination par le Président de la République.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 8 de la Constitution n’a pas fait l’objet de modification depuis son entrée en vigueur.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   Une dyarchie inégalitaire alimentée par le mode de nomination du Premier ministre prévu dans la Constitution

L’article 8 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que le président de la République nomme le Premier ministre, et met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Il précise, au second alinéa, que, sur proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

Comme le rappelle le constitutionnaliste Guy Carcassonne, la nomination par le Président de la République suffit ainsi à donner au Premier ministre la « plénitude de ses fonctions », qui n’est plus subordonnée à un vote parlementaire ([5]). De plus, dès 1966, l’interprétation de l’alinéa 1er de l’article 49 de la Constitution, qui prévoit l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme, a été précisée dans un sens dégageant l’Exécutif de toute obligation en la matière ([6]).

La nomination du Premier ministre par le Président de la République est ainsi placée au cœur de l’esprit du régime de la Vème République. Dès le discours de Bayeux du 16 juin 1946, le Général de Gaulle énonçait : « C’est donc du chef de l’État, placé au-dessus des partis […] que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement. À lui la mission de nommer les ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. »

Cette logique rompt avec celle des républiques antérieures. Sous la IVème République, le président de la République « désigne » le président du Conseil, conformément à l’article 45 de la Constitution de 1946, mais celui-ci doit aussitôt soumettre à l’Assemblée nationale le programme et la politique du cabinet qu’il se propose de constituer – jusqu’à la révision constitutionnelle de 1954 –, ainsi que la liste des membres de ce cabinet – à partir de 1954.

Si le Premier ministre doit pouvoir être accepté par la majorité à l’Assemblée nationale, devant laquelle son Gouvernement est responsable, il n’en émane pas, et relève donc, avant tout, du chef de l’État. Jean Massot relevait ainsi : « le Premier ministre procède du Président dont la liberté n’est limitée que par la nécessité d’avoir une majorité relative à l’Assemblée nationale » ([7]).

2.   Une pratique accentuant le caractère présidentialiste du régime

Installée dès les premières années du régime ([8]), cette subordination a néanmoins été aggravée par la présidentialisation progressive du régime au cours de la Vème République.

Cette concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République paraît aujourd’hui excessive. Elle l’est d’autant plus que le chef de l’État bénéficie d’une irresponsabilité politique pendant la durée de son mandat du fait de son irresponsabilité politique.

Comme le rappelait Marie-Anne Cohendet lors de son audition, notre régime se rapprocherait d’une « monarchie républicaine » ([9]) , où « tout remonte au président de la République, où tout dépend du président de la République » et où les pouvoirs sont « déséquilibrés », car le chef de l’État « donne l’impression qu’il est extrêmement puissant alors même qu’il n’est pas politiquement responsable, puisque son mandat ne peut être remis en cause pendant son exercice ».

La professeure relevait également que si « la moitié des pays de l’Union européenne » a actuellement un régime comparable au nôtre, dans lequel le chef de l’État est élu par le peuple et le chef du Gouvernement est responsable devant le Parlement, c’est en pratique le chef du Gouvernement qui exerce le pouvoir dans ces pays. Dans les régimes parlementaires, le « lien nécessaire » entre responsabilité, légitimité et pouvoir est alors assuré, car le chef du Gouvernement est « contrôlable en permanence », et peut être « sanctionné à tout moment » par les représentants du peuple.

De plus, bien que la figure du président de la République incarne une forme de stabilité de l’exécutif, celle-ci ne serait qu’apparente, dans la mesure où la durée de vie moyenne d’un Gouvernement sous la Vème République est de dix-huit mois en moyenne. Comme le précisait Armel Le Divellec, professeur de droit public, lors de son audition, l’instabilité politique des IIIème et IVème Républiques était tempérée par une relative stabilité du personnel politique au sein des cabinets, phénomène qui a disparu depuis 1958.

3.   L’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale pour renforcer sa légitimité et son autorité

L’article 1er de la proposition de loi propose de compléter la première phrase du premier alinéa de l’article 8 de manière à prévoir que le Premier ministre est investi de la confiance de l’Assemblée nationale préalablement à sa nomination par le Président de la République.

Comme le soulignait le professeur de droit public Mathieu Touzeil-Divina lors de son audition, cette proposition permettrait de « revenir à l’esprit originel de compromis » du texte tel qu’il prévalait en 1958, et de retrouver la dimension parlementaire du régime telle que la concevait Michel Debré ([10]).

Ce mécanisme permettrait en effet de renforcer la légitimité du Premier ministre, dont la nomination procéderait désormais des représentants du peuple, et non de la seule volonté du Président de la République. Pour être investi, le Premier ministre devra faire l’objet d’un large consensus parmi les députés, et non plus une simple acceptation tacite de leur part.

Il permettrait également d’assurer la position du Premier ministre comme chef du Gouvernement, en prévoyant son investiture personnelle, et non une investiture collective.

Il permettrait enfin de renforcer le Parlement : en accentuant sa proximité avec l’Exécutif, la réforme permettrait d’en affermir les possibilités de contrôle.

Concernant la procédure d’investiture, le présent article précise que le vote se ferait au scrutin public, à la majorité absolue des députés composant l’Assemblée nationale. Le seuil proposé est ainsi plus contraignant que celui appliqué dans le cas d’un scrutin organisé suite à une déclaration de politique générale de l’article 49, alinéa 1er de la Constitution, qui se fait à la majorité absolue des suffrages exprimés. Cette exigence constitue la garantie que la confiance est assurée au Premier ministre sur une base large.

Cet article a toutefois été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

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Article 2
(art. 9 de la Constitution)
Présidence du conseil des ministres

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article tend à confier la présidence du conseil des ministres au Premier ministre, en limitant l’exercice de cette prérogative par le Président de la République à son absence ou à son empêchement.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 8 de la Constitution n’a pas fait l’objet de modification depuis son entrée en vigueur.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

L’article 8 de la Constitution, selon lequel « Le Président de la République préside le conseil des ministres », établit une règle qui, en apparence, ne fait que reprendre celle prévue par l’article 32 de la Constitution du 27 octobre 1946, mais dont la portée est tout autre sous la Vème République.

En effet, l’exercice de cette présidence par le Président de la République sous la IVème République était justifié par son rôle d’arbitre, garant de la collégialité des échanges au sein du conseil et de leur bon déroulement. Les décisions prises dans ce cadre demeuraient celles du Gouvernement.

Sous la Vème République, les pouvoirs du Président sont accrus, d’une part, du fait des prérogatives propres qui lui sont attribuées et d’autre part, depuis 1962, du fait de la légitimité qu’il acquiert par son élection au suffrage universel direct. D’arbitre, de chef de l’État est devenu le chef de la majorité et impose de plus en plus ses vues au Gouvernement. Marie-Anne Cohendet considère, à ce titre, qu’« il est assez fascinant de voir comment la présidence du Conseil des ministres, qui aurait dû consister dans la simple direction des séances de cet organe collégial, a été le plus souvent comme un instrument de domination, et même de confiscation du pouvoir gouvernemental par le Président de la République. Plus encore, on y a vu parfois le fondement de compétences implicites du Président, pour justifier l’extension de ses pouvoirs. » ([11])

La présidence du conseil des ministres lui permet en effet d’arrêter l’ordre du jour et de peser sur des décisions qui relèvent pourtant de la compétence du Gouvernement. Le conseil des ministres ne tend plus alors qu’à acter les décisions prises par le Président de la République, généralement en concertation avec le Premier ministre, et non à permettre l’expression d’une collégialité. La durée de ces réunions s’est d’ailleurs fortement réduite depuis 1958.

Une réforme est donc nécessaire pour que « le conseil des ministres justifie à nouveau son nom et redevienne ce qu’il doit être : le lieu d’une collégialité active, solidaire et partant, efficace. » ([12])

À titre de comparaison, comme l’a souligné Dominique Rousseau lors de son audition, dans les États européens où le chef de l’État est élu au suffrage universel, ce dernier ne préside pas le conseil des ministres. C’est notamment le cas au Portugal, en Autriche, en Irlande et en Finlande. Dans d’autres États, comme la Pologne ou la Roumanie, cette présidence est limitée à des circonstances particulières. Par conséquent, la France est le seul pays européen à être dotée d’un régime parlementaire dans lequel la présidence du conseil des ministres est confiée au Président de la République, qui l’exerce effectivement.

Le présent article propose donc de mettre un terme à cette singularité française en confiant la présidence du conseil des ministres au Premier ministre. Le Président de la République ne pourrait exercer cette prérogative qu’en cas d’absence ou d’empêchement de celui-ci.

Cette réforme permettrait de réaffirmer le rôle et la responsabilité du Premier ministre au sein de son Gouvernement, d’une part, et au regard de la définition de l’agenda politique et des réformes à conduire, d’autre part.

Elle a toutefois été rejetée à la suite de son examen par la Commission.

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Article 3
(art. 12 de la Constitution)
Dissolution de l’Assemblée nationale par le Premier ministre

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article a pour objet de transférer le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale du Président de la République au Premier ministre.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 12 de la Constitution a été modifié par la loi constitutionnelle du 4 août 1995 ([13]) de manière à tirer les conséquences de l’instauration de la session parlementaire unique.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

Le droit de l’Exécutif de dissoudre l’Assemblée nationale constitue le corollaire, classique dans les régimes parlementaires, du droit de censure du Gouvernement par cette dernière. Il matérialise ainsi le nécessaire équilibre entre ces deux pouvoirs constitutionnels, conformément à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen selon lequel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

Toutefois, l’article 12 de la Constitution confie ce pouvoir de dissolution non pas au Gouvernement, comme cela était le cas, sous certaines réserves, durant la IVème République, mais au Président de la République dont la responsabilité ne peut être engagée par l’Assemblée nationale. Celui-ci prend seul cette décision après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées.

Il en résulte une asymétrie manifeste entre le contrôle exercé par l’Exécutif sur la représentation nationale et celui que celle-ci peut exercer à son égard, que le Général de Gaulle justifiait par la légitimité particulière du Président de la République : « Le Gouvernement qui est celui du Président, est en même temps responsable devant le Parlement. Comment concilier cela ? Répondons que le peuple souverain, en élisant le Président, l’investit de sa confiance. C’est là, d’ailleurs, le fond des choses et l’essentiel du changement accomplit [à la suite de la révision constitutionnelle de 1962]. » ([14])  

Par conséquent, si la représentation nationale peut censurer le Gouvernement, le Président, investi de cette confiance, a la faculté de la dissoudre et, le cas échéant, de rétablir le Gouvernement. C’est d’ailleurs la décision prise par le Général de Gaulle, en 1962, à la suite de l’opposition de l’Assemblée nationale au recours à l’article 11 de la Constitution pour instaurer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Comme le résume Marie-Anne Cohendet, « il faudrait que les parlementaires soient vraiment masochistes pour renverser le Gouvernement quand ils savent qu’en toute hypothèse le chef réel de l’exécutif [soit le Président de la République] restera en place et que la seule chose qu’ils risquent vraiment d’obtenir est une dissolution. […] La crise de 1962 a fort bien révélé le déséquilibre fondamental de notre régime : un Président irresponsable détient le pouvoir crucial de la dissolution tandis que le Gouvernement responsable est désarmé et que la chambre qui le contrôle est à la merci d’un Président contre lequel elle ne peut rien. » ([15])

La France fait figure d’exception en la matière. Dans les régimes parlementaires, la dissolution, lorsqu’elle n’est pas confiée au chef du Gouvernement, lui est toujours soumise pour contreseing. Au Royaume-Uni, où il s’agit d’une prérogative de la Couronne sans contreseing, elle s’exerce uniquement sur proposition du Premier ministre.

Par ailleurs, les raisons de cette décision sont éminemment politiques et contribuent à réaffirmer le rôle de chef de la majorité du Président de la République. En dehors du précédent de 1962, quatre autres dissolutions ont été prononcées :

– en 1968, pour clarifier la situation politique à la suite des évènements de mai ;

– en 1981 et 1988, pour donner une majorité au nouveau président élu ;

– en 1997, pour consolider cette majorité, deux ans après l’élection présidentielle, mais sans succès. Cette dernière dissolution illustre, s’il le fallait, l’opportunité politique qui seule motive la décision, parfois au détriment de son auteur.

Le présent article propose donc de revenir à une pratique plus respectueuse du caractère parlementaire de notre Constitution en confiant ce pouvoir au Premier ministre, après avis du Président de l’Assemblée nationale (et non plus des présidents des assemblées comme le prévoit le droit en vigueur). La dissolution serait prononcée, conformément à cette décision, par décret du Président de la République.

Cet article a toutefois été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

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Titre II
Du gouvernement et de ses relations avec le parlement

Article 4
(art. 20 de la Constitution)
Procédure d’investiture du Gouvernement

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article tire les conséquences de l’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle en précisant que le Gouvernement est investi de la confiance de l’Assemblée nationale au scrutin public, et à la majorité absolue des députés.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 20 de la Constitution n’a pas fait l’objet de modification depuis son entrée en vigueur.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

Aux termes de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, dispose de l’administration et de la force armée, et est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50.

Le présent article prévoit que le Gouvernement est investi de la confiance de l’Assemblée nationale au scrutin public, et à la majorité absolue des députés. Cette disposition pourrait être précisée lors de son examen en commission des Lois de manière à prévoir l’investiture du Premier ministre, par coordination avec l’article 1er de la proposition de loi, et non du Gouvernement, conformément à l’intention des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle.

Cet article a toutefois été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

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Article 5
(art.21 de la Constitution)
Exercice de la présidence du conseil des ministres par le Premier ministre

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article tire les conséquences de l’article 2 de la proposition de loi constitutionnelle en confiant la présidence du conseil des ministres au Premier ministre. Ce dernier pourrait déléguer ce droit au Président de la République en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 21 de la Constitution n’a pas fait l’objet de modifications depuis son entrée en vigueur.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

L’article 21 de la Constitution, dont l’objet est de déterminer les missions confiées au Premier ministre, prévoit qu’à titre exceptionnel ce dernier peut suppléer le Président de la République pour la présidence d’un conseil des ministres en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé. Cette hypothèse ne s’est concrétisée qu’à six reprises, soit du fait de problèmes de santé du chef de l’État, soit de déplacements à l’étranger (notamment en 1964, à l’occasion du voyage du Général de Gaulle en Amérique du Sud).

Par coordination avec l’article 2 de la proposition de loi, le présent article prévoit que cette présidence est confiée au Premier ministre, qui pourra la déléguer au Président de la République, en cas de nécessité, sous les mêmes conditions.

Cet article a toutefois été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 10 février 2021, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à établir un meilleur équilibre entre pouvoirs constitutionnels (n° 3486 rect.) (Mme Marietta Karamanli, rapporteure).

Lien vidéo :

http://assnat.fr/RSxltI

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Depuis le début de la législature, la commission des lois a débattu à de nombreuses reprises de l’état de nos institutions. Que ce soit dans le cadre des projets de réforme constitutionnelle portés par le Gouvernement et sa majorité ou d’initiatives parlementaires soutenues par les différents groupes que nous représentons, nous avons été amenés à dresser plusieurs constats similaires, même si nous pouvons différer sur les solutions à apporter.

Le premier est incontestablement que nos démocraties sont, sinon fragilisées, au moins profondément mises à l’épreuve par les crises économique, sociale et environnementale que nous connaissons depuis plusieurs années, et que l’épidémie de covid-19 a encore amplifiées. Partout en Europe, les citoyens expriment le besoin d’une meilleure représentation de leurs opinions et de leurs choix politiques, ainsi que d’une participation effective à la décision publique. Ce constat est encore plus prégnant en France, alors que nos institutions républicaines n’assurent plus l’équilibre pourtant nécessaire entre les pouvoirs.

Deuxième constat, le Parlement peine à demeurer le lieu du débat et de la fabrique de la loi, attributs pourtant au cœur de son rôle constitutionnel. Les conditions de détermination de l’ordre du jour, les délais d’examen des textes, la pratique du fait majoritaire, renforcée par le quinquennat et le calendrier des élections législatives, ne permettent pas la réflexion et la concertation qui seraient utiles en ces temps de recherche d’unité nationale. La gestion actuelle de la crise sanitaire en témoigne : alors qu’il est indispensable que la représentation nationale soit associée à l’élaboration d’une stratégie nationale et européenne pour lutter contre l’épidémie, elle est, depuis mars dernier, tenue à l’écart de la prise de décision par les votes successifs d’habilitations législatives et de mesures exceptionnelles venant renforcer les pouvoirs de l’exécutif.

Ce qui est vrai sous cette mandature l’était sous les précédentes. Comment ne pas s’interroger lorsqu’un arbitrage du Président de la République est nécessaire s’agissant de l’achat de masques par l’État, comme l’a rapporté une ancienne ministre de la Santé ? Nous sommes tous favorables à ce que l’exécutif soit capable de prendre les mesures qui s’imposent. Nous reconnaissons tous que le ministre de la Santé est venu à plusieurs reprises devant nous pour présenter son action. Mais pour quels résultats ? Participons-nous pour autant à la détermination des choix stratégiques de gestion de cette crise ? Disposons-nous d’éléments concrets nous permettant d’apprécier les différentes options possibles ? Non, et cet affaiblissement du Parlement illustre également l’affaiblissement des marges de manœuvre des ministres eux-mêmes, qui n’ont pas de mandat pour rechercher un consensus politique avec la représentation nationale. En effet, les décisions ne sont plus prises par le Conseil des ministres, mais par un Conseil de défense dont vous avez eu raison de dire, madame la présidente, qu’il devait être plus transparent.

Et cela m’amène au troisième constat, celui d’un déséquilibre, encore accru par la crise sanitaire, dans la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre. Au sein de l’exécutif, les décisions ne sont plus prises au niveau du Gouvernement, instance collégiale responsable devant la représentation nationale, mais par le Président de la République. Cette pratique du pouvoir, justifiée par une recherche d’efficacité face aux enjeux de sécurité et de santé publiques, traduit en réalité une perte du sens de l’action collective et la personnalisation encore renforcée de la fonction présidentielle. Plus grave, cette pratique nous mène à une impasse démocratique : alors que le Président de la République exerce de facto toutes les responsabilités, il n’est responsable devant personne durant son mandat.

Or, comme l’a souligné Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel, lors de son audition, la stabilité du Gouvernement, souvent avancée pour justifier cet état de fait, n’est qu’apparente. La durée des gouvernements est en moyenne de dix-huit mois depuis 1958 : l’instabilité gouvernementale ne résulte plus des partis politiques mais du Président de la République lui-même. Le Premier ministre apparaît ainsi davantage responsable devant ce dernier que devant l’Assemblée nationale. Nos concitoyens en viennent à s’interroger légitimement sur notre rôle, sur nos moyens d’action et sur les apports de la discussion parlementaire.

Cette concentration des pouvoirs par le Président de la République est dommageable à plusieurs titres. En premier lieu, si la Constitution lui reconnaît un rôle éminent, faisant de lui la clef de voûte de nos institutions, c’est pour lui permettre d’assurer, en toutes circonstances, leur bon fonctionnement, et non de se substituer au Gouvernement. En outre, la démocratie s’accommode mal de cette figure unique du pouvoir : le risque est celui de l’effacement des partis et de l’affaiblissement du débat politique, pourtant nécessaires à l’expression des différentes opinions au sein de la société. Lors de son audition, le constitutionnaliste Yoan Vilain nous rappelait cette citation de Pierre Mendès France, dans La République moderne : « Pour un peuple, confier son sort à un seul homme, fût-il le meilleur d’entre tous, est une démission. » Plus encore, dans le contexte actuel, qui nécessiterait au contraire une parole publique forte face aux tentatives de déstabilisation des démocraties sur fond de montée des peurs et de l’intolérance, un tel déséquilibre est dangereux. Il est donc urgent d’opérer un rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’exécutif.

C’est l’objet de la proposition de loi constitutionnelle que je présente devant vous. L’article 1er prévoit l’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, préalablement à sa nomination par le Président de la République. En effet, en l’état actuel de notre Constitution, la nomination par le Président de la République suffit à donner au Premier ministre la plénitude de ses fonctions.

L’alinéa 1er de l’article 49 de la Constitution prévoit certes l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme, mais, dès 1966, son interprétation a dégagé l’exécutif de toute obligation en la matière. Une investiture par l’Assemblée nationale permettrait de renforcer la légitimité du Premier ministre, dont la nomination procéderait désormais des représentants du peuple et de la majorité parlementaire, et non de la seule volonté du Président de la République. Elle permettrait également d’assurer la position du Premier ministre comme chef du Gouvernement. Le Parlement en serait aussi renforcé : cette procédure permettrait de réaffirmer la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale et d’affermir les possibilités de contrôle des deux chambres.

L’article 2 tend à confier la présidence du Conseil des ministres au Premier ministre, en limitant l’exercice de cette prérogative par le Président de la République à l’absence ou l’empêchement du Premier ministre. Actuellement, la présidence du Conseil des ministres permet au Président d’arrêter l’ordre du jour : ainsi, il pèse sur les décisions qui relèvent pourtant de la compétence du Gouvernement. Le Conseil des ministres ne tend plus qu’à acter les décisions qu’il a déjà arbitrées, et non à permettre l’expression d’une collégialité. Comme l’a souligné Dominique Rousseau lors de son audition, la France est un cas à part en Europe. Au Portugal, en Autriche, en Irlande et en Finlande, alors que le chef de l’État est élu au suffrage universel, il ne préside pas le conseil des ministres. Dans d’autres États, comme la Pologne ou la Roumanie, cette présidence est limitée à des circonstances particulières.

Cette réforme permettrait de réaffirmer le rôle et la responsabilité du Premier ministre au sein de son Gouvernement, d’une part, et au regard de la définition de l’agenda politique et des réformes à conduire, d’autre part.

L’article 3, enfin, a pour objet de transférer le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale du Président de la République au Premier ministre, afin de résoudre l’asymétrie manifeste qui existe actuellement entre responsabilité et dissolution, et de revenir à une pratique plus respectueuse du caractère parlementaire de notre Constitution où c’est le suffrage universel qui arbitre le différend entre l’exécutif et l’Assemblée nationale. Actuellement, si la représentation nationale peut censurer le Gouvernement, le Président, politiquement irresponsable, a la faculté de la dissoudre et, le cas échéant, de rétablir le Gouvernement. Cette situation n’est pas satisfaisante, et nous proposons d’y remédier. Ces dispositions, vous l’avez compris, ne reviennent ni sur les prérogatives essentielles du Président de la République, ni sur son élection au suffrage universel direct à laquelle les Français sont attachés. Elles permettent, dans la continuité des principes ayant inspiré la rédaction de la Constitution, de défendre la place du Parlement dans ses relations avec l’exécutif et de rétablir, au sein de ce dernier, une répartition acceptable des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre. Nous pourrons alors retrouver, comme l’a souligné le professeur Mathieu Touzeil-Divina lors de son audition, « un régime d’équilibre, d’interdépendance des pouvoirs » dont nous avons tant besoin pour répondre aux crises et défis actuels.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi est aussi l’occasion de nous saisir sereinement de la question du rééquilibrage de nos institutions et d’en débattre – à défaut d’adopter ce texte. C’est particulièrement important au regard du malaise que nous connaissons et des crises que nous traversons.

M. Bruno Questel. Le syndicat des producteurs de chrysanthèmes vous remercie de vouloir réhabiliter la fonction présidentielle telle qu’elle existait sous la IIIe et la IVe Républiques ! Quant à nous, nous regrettons ce formidable déséquilibre des institutions que vous entendez mettre en place en oubliant que le Président de la République est élu au suffrage universel direct – vous maintenez ce principe dans votre proposition de loi.

Nous pouvons vous remercier d’ouvrir le débat, mais votre proposition de loi figure au onzième rang des textes que vous présentez dans le cadre de la niche du groupe socialiste. Nous n’aurons donc pas le loisir d’en discuter dans l’hémicycle, haut lieu du débat parlementaire et public, ce qui souligne, s’il en était besoin, que vous n’êtes que dans l’affichage.

Votre texte remet en cause des prérogatives essentielles du Président : il lui enlève le droit de dissolution, le droit de désigner le Premier ministre de manière discrétionnaire et le pouvoir de présider le Conseil des ministres. Vous ne faites pas état des prérogatives que vous conservez au Président de la République, mais de celles que vous lui retirez. Quelles seraient à l’avenir l’action, les fonctions et les responsabilités du Président de la République, toujours élu au suffrage universel ? Ce point essentiel est complètement absent de votre texte 

Vous avez cité Pierre Mendès France. Je me rappelle que François Mitterrand l’a remercié le jour de sa prise de fonctions en 1981, en lui indiquant que tout cela n’aurait pas été possible sans lui. En ce début des années quatre-vingts, Pierre Mendès France s’était parfaitement inscrit dans la logique des institutions en soutenant le Président de la République, lequel avait fait de même. Par le passé, pourtant, il avait commis un livre passionnant pour les étudiants en droit que nous étions – Le coup d’État permanent.

Vous l’aurez compris, vous n’aurez pas le soutien du groupe majoritaire. Pour autant, nous ne manquerons pas de participer au débat – je vous remercie de l’avoir suscité – même si je regrette qu’il n’ait lieu qu’en commission des lois.

M. Arnaud Viala. Madame la rapporteure, nous partageons vos constats. Vous les avez d’ailleurs inscrits dans le contexte de la crise sanitaire. Il est vrai qu’elle est particulièrement révélatrice d’une forme d’affaissement des prérogatives et des pouvoirs du Parlement. Ainsi, notre agenda est embouteillé par divers textes que les parlementaires – y compris probablement ceux de la majorité – n’auraient certainement pas choisi de présenter dans cet ordre.

Nos missions de contrôle de l’exécutif sont également malmenées. Hier encore, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire a été soumise à l’Assemblée pour une durée exorbitante de six mois, auxquels s’ajoutent six mois de période transitoire, alors que le fonctionnement de nos institutions commanderait que le Parlement, et donc les Français, soit consulté de manière beaucoup plus fréquente sur des sujets d’une telle importance.

En revanche, les remèdes que vous préconisez pour redonner des prérogatives aux parlementaires, et donc de la tonicité à notre démocratie, ne sont pas les bons. La Ve République est construite sur l’équilibre entre le pouvoir présidentiel, issu du suffrage universel direct et dont le mandat a été réduit à cinq ans afin d’assurer une forme de vitalité à la démocratie, et le pouvoir parlementaire. Certes, le Gouvernement est nommé par le Président de la République, mais il est responsable devant le Parlement. Nous ne pensons donc pas qu’il faille priver le Président de la République de son pouvoir de dissolution, ni l’empêcher de présider le Conseil des ministres, et encore moins faire en sorte que le Premier ministre puisse lui confier cette mission de temps en temps, quand il est retenu !

Il faut explorer d’autres solutions : mieux encadrer la fonction de contrôle du Gouvernement par le Parlement – notamment à l’Assemblée nationale ; renforcer les pouvoirs des parlementaires, par exemple grâce au droit d’initiative pour la fixation de l’ordre du jour. Certes, quelques petites modifications du règlement intérieur concernant les niches parlementaires à l’Assemblée nationale ont permis d’avancer, mais cela reste très timide, et très largement insuffisant.

Il faudrait également songer urgemment à moderniser l’organisation du travail parlementaire. Nous passons près de six mois sur l’élaboration des lois de finances ! Or la crise sanitaire a démontré, tragiquement, que les textes étaient obsolètes au moment même où nous les votions, la situation appelant des mesures exceptionnelles et dérogatoires – les nombreuses lois de finances rectificatives l’ont bien montré… C’est cela qu’il faut toiletter si nous voulons redonner aux Français confiance dans leurs institutions et le sentiment que nous servons à quelque chose et, surtout, que nous représentons utilement l’intérêt général.

L’équilibre actuel de nos institutions est précieux. Il repose sur l’élection d’un homme, et demain peut-être d’une femme, par le peuple français pour une durée de cinq ans. Le président ainsi élu fixe des orientations qu’il charge ensuite d’autres autour de lui, et avec lui, d’exécuter. Vos références aux exemples européens me conduisent à penser que notre Constitution a encore de beaux jours devant elle, même si cela déplaît à certains.

M. Erwan Balanant. J’ai souligné la pugnacité de Mme Untermaier. J’ai envie de saluer l’audace de Mme Karamanli ! Il faut en effet être audacieux pour tenter de réviser notre Constitution dans le cadre d’une niche parlementaire. Mais je vous l’accorde, il est toujours temps de débattre de nos institutions et de notre démocratie, et c’est ce qui fait sa force.

Je vous remercie donc pour ce texte qui permet de nous interroger sur l’équilibre entre les pouvoirs constitutionnels. Comme le disait Julien Gracq, « le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour tout faire bouger. » Cela correspond assez bien à ce que peut être une Constitution : solide, équilibrée, et qui peut aussi, par de petits changements, profondément se transformer.

Vous avez raison quand vous évoquez la nécessité d’un rééquilibrage des pouvoirs : l’exécutif dispose de trop de pouvoirs par rapport au Parlement. Tous les parlementaires le disent et ceux qui deviennent ministres ont parfois tendance à l’oublier.

Je le répète, vos propositions sont audacieuses : sur la forme d’abord puisqu’elles s’insèrent dans une niche parlementaire, mais aussi sur le fond car vous touchez à des dispositions sensibles de notre Constitution. Je ne vais pas toutes les passer en revue, mais si nous voulons rééquilibrer le rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, j’ai une solution très simple : c’est l’introduction d’une dose de proportionnelle dans notre mode de scrutin.

Un Parlement est fort quand il est représentatif. Or le scrutin uninominal à deux tours sélectionne, contrairement au scrutin proportionnel, qui vise à représenter. Il serait logique que l’Assemblée nationale assure une juste représentation de notre pays afin de jouer pleinement son rôle de représentation de la Nation. Cela lui permettrait en outre d’être plus forte face au pouvoir exécutif, car elle aurait plus de poids aux yeux de nos concitoyens.

Je vous remercie donc pour cette contribution au débat sur l’équilibre des pouvoirs et j’invite tous mes collègues à s’interroger sur la mise en œuvre et les conséquences de la proportionnelle au sein de nos institutions, notamment en termes de rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Mme Cécile Untermaier. Ma chère collègue, je vous remercie pour cette réflexion courageuse, presque insolite, et pourtant ô combien nécessaire. Elle s’inscrit dans la continuité de celle que nous avions déjà menée ensemble, avec Claude Bartolone, lors des échanges du groupe de travail sur l’avenir des institutions, dont les conclusions avaient été publiées sous le titre « Refaire la démocratie », et dont sont issues certaines de vos propositions.

Vous avez raison, l’équilibre des pouvoirs est essentiel et doit être restauré. Le Parlement doit utiliser tout l’éventail des pouvoirs que la Constitution lui accorde et il ne le fait pas. L’assemblée parlementaire franco-allemande, mise en place au cours de ce quinquennat à l’initiative du président de l’Assemblée nationale et des députés de la majorité, est intéressante. Elle met en lumière la façon dont le Bundestag a trouvé son équilibre par rapport à l’exécutif.

En France, l’exécutif doit, comme le législatif l’a fait, progresser en termes de transparence et d’exigence, grâce à l’émergence de procédures et d’un droit gouvernemental améliorant la préparation des lois. Or, parfois, la rédaction des exposés des motifs de projets de loi pourtant relatifs à notre souveraineté est confiée à des conseils indépendants ! Ces exposés des motifs devraient mieux éclairer les choix du Gouvernement qui demande le suffrage de la représentation nationale.

Il conviendrait également que la responsabilité politique individuelle des ministres soit reconnue. Ils seraient alors plus réactifs, comme c’est le cas en Allemagne : ainsi, lorsque l’assemblée parlementaire franco-allemande débat de questions relatives aux transports, le ministre allemand des Transports se déplace – il n’imagine pas une seconde ne pas répondre à une invitation de parlementaires. En revanche, le ministre des Transports français ne vient pas, ce qui a beaucoup choqué les parlementaires allemands, mais aussi français.

La mise en œuvre de cette responsabilité individuelle serait utile pour interroger certains ministres sur les actions qu’ils ont menées, pour vérifier leur capacité à répondre à nos questions écrites – qui ne sont pas toujours inutiles. Or la responsabilité collective du Gouvernement est un peu l’angle mort de la République ; les motions de censure sont des motions d’affichage.

Voilà quelques réflexions que je souhaitais porter, en soutien à votre proposition.

M. Dimitri Houbron. Cette proposition de loi constitutionnelle nous invite à nous interroger sur l’essence de notre Constitution, sur la puissance des pouvoirs exécutif et législatif, sur leurs relations et donc sur l’équilibre entre les pouvoirs. Je vous en remercie.

Personne ne doute des problématiques qui découlent du parlementarisme rationalisé et nul, surtout dans ces murs, ne remet en cause les propositions destinées à renforcer l’autonomie du Parlement. Cependant, les modifications constitutionnelles pour y parvenir et les temporalités pour y aboutir ne doivent pas être minimisées.

Nous sommes tous attachés aux niches parlementaires. C’est un député qui a fait adopter une loi sur la justice de proximité à l’occasion de la niche de son groupe qui vous le dit. Mais nous connaissons leurs limites : la durée d’examen. Dans cette logique, nous doutons que ce véhicule législatif soit le plus adapté pour examiner et débattre de mesures destinées à transformer les interactions constitutionnelles de nos institutions. Cette proposition de loi part d’un constat légitime et partagé, mais elle ne peut être adoptée en quelques heures.

En outre, sans remettre en cause les objectifs visés et l’esprit de ce texte, nous ne soutenons pas ses dispositions. Vous proposez que le Président de la République ne préside plus le Conseil des ministres et qu’il ne dispose plus de la capacité de dissoudre l’Assemblée nationale, ces deux compétences revenant au Premier ministre. Nous ne pouvons soutenir ces mesures car elles tendent à nous rapprocher des régimes anglais, allemand, italien ou encore espagnol. À terme, le Premier ministre deviendrait, comme dans ces pays, le chef du parti politique au pouvoir, mais aussi celui du groupe parlementaire. Une accumulation de casquettes et de responsabilités malvenues dans la mesure où le Premier ministre n’est pas élu mais nommé, même si vous proposez qu’il soit, a minima, élu indirectement par une investiture parlementaire. À l’inverse, le Président de la République ne peut se voir retirer de telles compétences alors qu’il est élu au suffrage universel direct. Les Français pourraient s’émouvoir qu’une personne nommée puisse dissoudre l’assemblée de leurs représentants.

S’agissant de la présidence du Conseil des ministres, la pratique constitutionnelle nous a démontré que nos institutions se sont acclimatées aux lignes rigides du texte de 1958, notamment en période de cohabitation. Notons, à titre d’exemple, que le Premier ministre tenait à cette époque des conseils de cabinet, qu’il présidait, pour concurrencer le Conseil des ministres.

Ensuite, à propos du premier article relatif à l’investiture du Gouvernement par un vote de confiance de l’Assemblée nationale, notons que cette pratique devient coutumière et que la présente législature et les précédentes nous démontrent que notre institution n’hésite pas à actionner les leviers constitutionnels pour engager la responsabilité du Gouvernement avec la motion de censure.

Cette pratique doit-elle devenir une obligation constitutionnelle ? Elle doit surtout s’accompagner de dispositifs complémentaires de contrôle du Gouvernement.

Enfin, adopter de telles modifications constitutionnelles nous obligerait à nous réinterroger sur certains modes de scrutins. Il ne serait pas concevable, nous le répétons, qu’une personne nommée – et non directement élue – puisse dissoudre l’Assemblée nationale.

Le groupe Agir ensemble votera donc contre votre proposition de loi constitutionnelle.

M. Ugo Bernalicis. Cette proposition de réforme constitutionnelle a le mérite de nous permettre de discuter de l’architecture constitutionnelle. Quelle serait l’architecture idéale ? Certains collègues ont évoqué la proportionnelle, qui sera peut-être prochainement à l’ordre du jour – nous sommes nombreux à le souhaiter.

Madame la rapporteure, vous avez parlé du Conseil de défense ; ce sujet est aussi d’actualité. Cette instance met en lumière les pouvoirs du Président de la République et les non-pouvoirs du Parlement puisque personne n’est au courant de ce qui s’y passe.

Néanmoins, si, par défaut, nous pourrions être favorables à vos propositions, le groupe parlementaire de La France insoumise souhaite basculer dans une VIe République et notre président de groupe, deux, et bientôt trois, fois candidat à l’élection présidentielle, plaide en ce sens.

Ce nouveau régime de séparation des pouvoirs devrait être précédé d’une Assemblée constituante car il est nécessaire de refonder les institutions avec le peuple français. Il faut que cette assemblée puisse se réunir suffisamment longtemps – pour une durée maximale de deux ans – afin de proposer une nouvelle Constitution. Elle ne devra pas comprendre de personnes déjà élues et les membres de cette future assemblée constituante ne pourront ensuite être élus dans les instances qu’ils auront proposées de créer et qui devront être validées par référendum par le peuple français.

Cette respiration démocratique est nécessaire : de quels pouvoirs souhaite-t-on se doter ? De quelle manière veut-on être représenté ? De quelle manière le peuple veut-il se donner des pouvoirs un peu plus directs et immédiats ? Les « gilets jaunes » ont plaidé pour un référendum d’initiative citoyenne ; il doit faire partie des nouveaux outils démocratiques d’intervention populaire directe, permettant de refonder nos institutions.

Madame la rapporteure, si vous maintenez l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, si vous maintenez le calendrier actuel – élections des députés dans la foulée de l’élection du Président de la République –, vous n’échapperez pas aux travers du fait majoritaire, même si le Premier ministre n’est pas désigné par le seul Président de la République.

D’ailleurs, en l’état actuel de nos institutions, rien n’empêche nos collègues de la majorité de lever la main différemment de leur groupe ! Pourquoi ne le font-ils pas ? (Protestations.)

M. Pacôme Rupin. Nous votons comme nous voulons, monsieur Bernalicis !

M. Ugo Bernalicis. Je soulignais simplement que vous avez le pouvoir et que vous n’en faites pas usage. Je sais, ce constat pique ! Mais chacun espère être réélu et a donc besoin de l’onction divine du Président de la République, ou du futur Président de la République. Pourtant, vous n’avez pas l’obligation de voter conformément à tous les desiderata de l’exécutif qui, lui, n’est pas élu mais est la simple prolongation de la volonté du Président de la République.

Le Parlement pourrait se rebeller face au Conseil de défense, dire « c’est terminé ! On n’en veut plus ». Pourtant, nous ne le faisons pas. C’est bien qu’il faut apporter quelques modifications substantielles à l’équilibre des pouvoirs et au calendrier des élections, afin de décorréler l’élection présidentielle et les élections législatives. Nous vous proposerons d’ailleurs des amendements en ce sens.

M. Stéphane Peu. Nous partageons votre constat initial, madame la rapporteure : une crise démocratique qui fait peser des risques sur notre République, sur le pacte social et sur la cohésion nationale. Nous ne minimisons pas son aggravation, année après année. Soyons honnêtes, la crise n’a pas débuté avec ce quinquennat. Notre devoir est à la fois d’alerter, de comprendre ce risque et d’essayer de bâtir des propositions.

Notre régime ressemble aujourd’hui davantage à une monarchie présidentielle qu’à une véritable démocratie parlementaire. Il porte donc en lui-même les risques et les raisons de la crise démocratique. L’élection du Président de la République au suffrage universel direct, sujet certes complexe, devrait malgré tout être mis sur la table.

Avec toute l’amitié que je porte à Mme Karamanli et à son groupe, je dois quand même leur rappeler qu’en 2001, le ministre socialiste Vaillant avait justifié l’inversion du calendrier par la prééminence de l’élection présidentielle. Les députés communistes – dont je n’étais pas à l’époque – avaient souligné les dangers de cette mesure et proposé d’amender le texte. Ils avaient été renvoyés dans leurs cordes. Vingt ans plus tard, on s’aperçoit que ceux qui pointaient les risques inhérents à cette inversion avaient raison et on ne trouve plus grand monde pour justifier cet acte de soumission du Parlement à la Présidence de la République. C’est là que se situe le point dur de la crise démocratique. Or votre proposition de loi ne le traite pas.

Cela ne signifie pas qu’elle ne comprend pas d’avancées. La crise démocratique ne date certes pas de ce quinquennat, mais elle a été profondément aggravée par ce dernier, du fait de l’arrivée à la Présidence de la République d’un homme sans expérience démocratique, qui n’avait jamais été confronté au suffrage – ce n’est pas lui faire injure que de le dire – et de celle, concomitante, d’une majorité parlementaire et d’un Gouvernement très largement sans expérience de la vie démocratique et principalement issus du monde de l’entreprise, dont la doctrine politique fait prévaloir l’entreprise et l’économie sur tout le reste.

Alors que nous sommes en période de crise sanitaire, le recours aux cabinets privés, à un Conseil de défense, la perpétuation des états d’urgence sanitaire démontrent que la Constitution facilite la tâche de ceux qui ont des tentations autoritaires, même si ce n’est pas le cas de la majorité actuelle. C’est un risque si, demain, une majorité moins consciente des enjeux démocratiques arrive au pouvoir.

M. Bruno Questel. On a compris !

M. Stéphane Peu. Ne minimisons pas le sujet ! Je veux bien avoir raison vingt ans après, comme c’est le cas sur la loi organique du 15 mai 2001, mais, entre-temps, le pays subit de nombreux dégâts. À l’heure actuelle, personne ne peut nier que notre pays traverse une crise grave et profonde, caractérisée par une dangereuse coupure entre le peuple et la décision politique.

M. Jean-Félix Acquaviva. Le groupe Libertés et Territoires approuve globalement la réforme constitutionnelle proposée par nos collègues socialistes. Toutefois, nous souhaitons lui donner plus d’ampleur pour évoluer – nous le disons clairement – vers une VIe République. Nous partageons le constat d’une forte dévalorisation du rôle du Parlement dressé par les auteurs de la proposition de loi. En réalité, sa valorisation, dans la Ve République, n’a jamais eu lieu. À l’évidence, il faut procéder à un rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le Parlement, sans reproduire l’instabilité de la IVe République. Cette nécessité est indéniable ; nous en faisons l’expérience chaque jour.

Nul ne sera surpris de m’entendre dire que ce quinquennat est particulièrement symptomatique du caractère éculé du fonctionnement de la Ve République. Madame la rapporteure, vos propositions de rééquilibrage sont intéressantes. Auront-elles pour effet de modifier fondamentalement la répartition des pouvoirs dans notre système institutionnel ? Nous émettons quelques doutes sur ce point. Les ajustements proposés ne modifieront pas le rôle du Parlement, qui demeure limité, ce qui est inhérent à la Ve République – on appelle cela le parlementarisme rationalisé. Malheureusement, le rôle du Parlement a été restreint davantage encore en 2000, en raison de l’inversion du calendrier électoral plaçant les élections législatives juste après l’élection présidentielle. Je ne le pensais pas alors, mais il faut peut-être reconnaître que ce fut une erreur, qui a favorisé l’émergence d’un système quasi présidentiel. Depuis lors, le Parlement tend à devenir une simple chambre d’enregistrement de la volonté du Gouvernement. Il faut dresser ce constat historique et avancer pour essayer de faire évoluer les choses.

Par ailleurs, le président Emmanuel Macron en use à merveille, si l’on peut dire : recours systématique à la procédure accélérée, recours aux ordonnances, débat assez souvent – voire trop souvent – cadenassé. La gestion de la crise sanitaire exclusivement à l’Élysée est l’un des exemples les plus probants de la centralisation du pouvoir. À l’heure actuelle, le Président de la République française est le dirigeant qui concentre le plus de pouvoir parmi ceux des démocraties occidentales. Il dispose de quasiment tous les pouvoirs. Il est grand temps de modifier cette anomalie institutionnelle et d’en revenir à une pratique plus démocratique. Même s’il ne s’agit pas de la panacée dans la crise démocratique que nous vivons – abstention record, défiance vis-à-vis de la classe politique, montée des extrêmes –, il nous semble nécessaire de nous diriger vers une transformation institutionnelle ambitieuse, à la hauteur des attentes des citoyens et de l’évolution de la société. Le présidentialisme et le centralisme unitaire sont à bout de souffle. La France doit réinventer sa République, et avec elle toute l’action publique.

C’est pourquoi, en sus de rééquilibrages en faveur d’un Parlement encore plus « légiférant », pour ainsi dire, il semble indispensable d’opérer un rééquilibrage des pouvoirs et des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, afin d’appliquer concrètement le principe de subsidiarité, qui l’est peu, voire pas du tout, en France. Certaines compétences doivent être transférées aux collectivités locales, qui doivent être maîtres de leur destin dans les domaines sur lesquels elles sont les plus aptes à décider. Il appartient aux élus des assemblées délibérantes, non au préfet, de prendre les décisions importantes du quotidien. Le droit à la différenciation et à l’adaptation législative ou réglementaire est un autre moyen de ce nécessaire rééquilibrage entre pouvoir de l’État et pouvoirs territoriaux. L’exercice, en complément de la démocratie représentative, d’un pouvoir plus direct par les citoyens, qui est une revendication montante, comme l’a montré le mouvement des « gilets jaunes », doit aussi être pensé. Le renforcement de la démocratie participative au niveau territorial et l’exercice de la démocratie directe au niveau national, par exemple grâce à la facilitation et l’extension du référendum d’initiative partagée, sont autant de pistes de réflexion à développer sur ce thème. Nous regrettons amèrement l’abandon, en juillet 2018, de la réforme constitutionnelle, pour des raisons qui nous semblent totalement futiles. C’est pourquoi, même si la présente proposition de loi n’est pas à la hauteur du chantier institutionnel gigantesque auquel nous devons nous attaquer, nous ne nous y opposerons pas.

Mme Emmanuelle Ménard. Je remercie Mme Karamanli de sa proposition de loi. Madame la rapporteure, même si je suis loin de soutenir toutes vos propositions, je partage votre constat de la dévalorisation et de l’affaiblissement du Parlement face au pouvoir exécutif, et notamment présidentiel, ainsi que votre constat d’un Parlement trop souvent réduit à une simple chambre d’enregistrement, en raison d’une majorité mue par une fidélité automatique – pour reprendre vos mots – à la volonté du Président de la République. Vous proposez, pour y remédier, un nécessaire rééquilibrage des pouvoirs, ce que j’approuve pleinement.

En revanche, je suis en absolu désaccord avec certaines dispositions de votre texte. L’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, en particulier, me semble inacceptable, non en elle-même, mais en raison de son corollaire : si tel était le cas, le Premier ministre pourrait dissoudre l’Assemblée nationale. Pour moi, il est impensable que le Premier ministre, qui est nommé, puisse dissoudre l’Assemblée nationale, composée, quant à elle, de députés élus au suffrage universel direct. C’est quasiment un non-sens. En outre, cette disposition, à elle seule, réduirait un peu plus encore le pouvoir de l’Assemblée nationale, ce qui est contraire à l’objectif que vous visez.

Pour ma part, je pense que d’autres propositions permettraient de renforcer plus efficacement le pouvoir du Parlement. Au risque de décevoir M. Balanant, je n’y inclus pas la proportionnelle, qui fait la part belle aux partis politiques et tend à gommer, voire à faire taire, toute opinion divergente en leur sein. Je préfère faire en sorte que les élections législatives soient dissociées de l’élection présidentielle. En effet, il n’échappe à personne que des élections législatives qui se tiennent peu de temps après l’élection présidentielle transforment le Parlement en chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif. Cette transformation résulte de l’instauration du quinquennat. Telles sont les pistes que j’aurais préféré creuser. Malheureusement, le temps nous manque pour renforcer les pouvoirs du Parlement. Il n’est pas souhaitable pour autant de confier des pouvoirs exorbitants au Premier ministre, qui est nommé.

M. Pacôme Rupin. La présente proposition de loi constitutionnelle prévoit un changement très profond de nos institutions. D’une certaine manière, elle fait du Premier ministre la personnalité politique qui détient le plus de pouvoir. Il s’agit donc d’une remise en cause du régime présidentiel. Pour ma part, j’ai toujours été surpris par la variation dans le temps de l’appréciation de nos institutions par les socialistes. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai fait partie de cette famille politique, et m’en étonnais déjà alors. Si le président n’est pas socialiste, les socialistes sont très réservés sur le régime présidentiel. S’il l’est, ils épousent sans difficulté le régime présidentiel. Il faut faire preuve d’un peu de cohérence. Au demeurant, j’observe que M. Olivier Faure, qui est député, n’est pas signataire de la proposition de loi. Cela signifie-t-il que le parti socialiste ne soutiendra pas les idées, intéressantes et dont nous pouvons débattre, qui la sous-tendent ? Cela signifie-t-il que le parti socialiste ne soutiendra pas ces modifications institutionnelles lors des prochaines élections nationales ?

Par ailleurs, j’indique à notre cher collègue Ugo Bernalicis que je ne l’ai jamais entendu contredire son chef de parti. En ce qui me concerne, je suis prêt à lui expliquer mes votes, qui sont motivés par l’adhésion sur le fond, et non par d’autres considérations.

M. Paul Molac. Je me demande si la présente proposition de loi n’est pas un peu hors sujet. Elle engendrerait en fait un pouvoir exécutif à deux têtes, le Président de la République et le Premier ministre. Dans les autres pays démocratiques, où le Premier ministre est le plus souvent issu du Parlement, comme chez les Britanniques, il n’en a qu’une. Affaiblir l’exécutif en confortant cette structure à deux têtes ne me semble pas être une bonne chose. Le problème n’est pas que l’exécutif soit fort, mais que le Parlement soit faible. Je ne pense pas que nous le résoudrons en abaissant le pouvoir exécutif.

J’aurai l’occasion de formuler plusieurs propositions visant à rehausser véritablement le pouvoir du Parlement. Notre collègue Questel vous reprochait d’avoir déposé onze propositions de loi dans le cadre de la niche parlementaire de votre groupe. Le problème n’est pas que le groupe Socialistes et apparentés s’efforce de faire adopter un maximum de propositions de loi, au contraire. Il paraît même que les députés disposent du pouvoir législatif, en théorie du moins ! En pratique, il est rare que nous fassions la loi. Nous en débattons et nous la votons, mais nous ne la faisons pas, car elle provient du Gouvernement.

Le problème est peut-être que les groupes minoritaires et d’opposition ne disposent que d’une journée de niche parlementaire par an, et de quatre pour les plus importants. Le problème est que l’initiative des lois n’est pas d’origine parlementaire. Sur ce point, un rééquilibrage est nécessaire. Avant la révision constitutionnelle de 2008, les niches parlementaires n’existaient même pas ! Dès lors que notre ordre du jour est quasi intégralement à la main du Gouvernement, nous sommes obligés d’examiner principalement des projets de loi, ce qui nous bloque et nous empêche d’adopter des propositions de loi inspirées de la base, émanant directement des gens, et auxquelles nous tenons. Tel est, à mes yeux, le problème. Nous devons prendre le pouvoir.

M. Bruno Questel. La pédagogie reposant sur la répétition, j’indique à M. Molac que je n’ai pas reproché à Mme Karamanli et à ses collègues du groupe Socialistes et apparentés d’avoir déposé onze textes, mais d’avoir placé celui-ci en onzième position, ce qui laisse dubitatif sur l’intérêt véritable qu’ils lui portent.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je remercie chacune et chacun d’avoir contribué à ces réflexions, conformément au rôle qui est le nôtre.

J’aimerais apporter quelques éléments de réponse aux questions soulevées, sans toutefois entrer dans le détail. Monsieur Molac, il ne faut pas s’en tenir à l’exemple britannique, il faut aussi aller voir ailleurs. De nombreux pays européens vivent sous un régime conciliant bien les rôles de chef de l’État et de chef du Gouvernement. Certes, ils sont plus parlementaires que présidentiels – j’ai évoqué ce sujet en coulisses avec notre collègue Pacôme Rupin. Là n’est pas le sujet. L’équilibre entre Président de la République et Premier ministre existe. La désignation de celui-ci par le Parlement permettrait – sans menacer le suffrage universel – de contribuer à l’équilibre des pouvoirs.

Par ailleurs, il est sain que le Parlement fasse les lois. Qu’apprenons-nous aux participants du Parlement des enfants ? Que notre rôle est de contrôler l’action du Gouvernement et de légiférer. Or nous étudions surtout des projets de loi, et peu de propositions de loi. Que celles-ci soient débattues en premier ou en dernier dans l’ordre du jour importe peu : 7 % d’entre elles seulement sont adoptées.

M. Pacôme Rupin. Votre texte n’y change rien !

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Ce chiffre démontre bien que l’initiative parlementaire est limitée, et que nous ne pouvons pas adopter autant de textes que nous le souhaitons. C’est la réalité, il faut la regarder en face.

La plupart des propositions formulées par les uns et les autres ne pourront pas être intégrées dans la présente proposition de loi, dont chacun aura compris qu’elle a été élaborée en procédant à l’audition de plusieurs observateurs éminents, tels que des professeurs de droit constitutionnel, experts de nos institutions et de notre régime, et des spécialistes en droit comparé des régimes parlementaires européens. Je tiens à les remercier de leur contribution. Je remercie également ceux qui m’ont accompagnée au cours de ce travail, qui n’est pas simple, s’agissant notamment de la rédaction des amendements.

J’aimerais partager avec vous la teneur de leurs observations. En premier lieu, ils considèrent que la présente proposition de loi lève l’équivoque constitutionnelle et tend à limiter l’élection présidentielle à sa dimension d’onction populaire, tout en conservant la logique et l’objectif des élections législatives.

En deuxième lieu, ils estiment qu’elle tend à un retour non à la IIIe République ou à la IVe, mais aux sources de la Ve République, telle qu’elle a été adoptée en 1958, en vue d’adapter le régime parlementaire en donnant au Président de la République un rôle de garant de nos institutions et d’arbitre des grandes orientations. Fût-il élu au suffrage universel direct depuis la réforme constitutionnelle de 1962, il n’est pas l’homme ou la femme qui décide de tout. Le général de Gaulle, fondateur du régime, a rappelé à plusieurs reprises que le Gouvernement était chargé de ce qu’il appelait les contingences – politique économique, conflits sociaux, fonctionnement des services publics –, le Président de la République assumant la responsabilité de la place de la France sur la scène internationale, de sa défense et, plus largement, des choix fondamentaux engageant son avenir. Les choses sont claires depuis le début.

En troisième lieu, ils ont formulé des observations sur le couple responsabilité/légitimité, qui a été évoqué plusieurs fois ce matin. Nous le savons tous : si nous ne modifions pas la logique de fonctionnement de la Ve République, la crise de confiance entre citoyens et institutions ira en s’aggravant. Certes, bien des modifications sont nécessaires, et auraient pu être envisagées, mais tel n’est pas l’objet de la présente proposition de loi. Je partage certaines propositions formulées dans vos amendements, mais elles sont souvent d’un registre distinct de celui dans lequel s’inscrit le texte. Nous ne pouvons pas aborder tous les sujets. Il s’agit d’esquisser un consensus profitant à tous les groupes et les partis politiques, sans chercher à chambouler l’architecture du régime ni à limiter les pouvoirs propres du chef de l’État ou le champ d’application du suffrage universel. Il s’agit de réaffirmer l’enjeu et de donner envie à nos concitoyens de s’y intéresser, dans un cadre constitutionnel stable.

J’ai pris note du plaidoyer de notre collègue Erwan Balanant en faveur de la proportionnelle, dont il a beaucoup été question au cours des derniers jours. Toutefois, il s’agit d’un texte de fond, portant sur le rééquilibrage des pouvoirs. La proportionnelle est un outil qui ne peut y contribuer. Le débat que nous avons ce matin est nécessaire. Nous devons nous en saisir en tant que parlementaires, sans attendre qu’il soit ouvert d’en haut et que le Président de la République formule des propositions. Si nous avions eu ce débat dans le cadre de la révision constitutionnelle, j’aurais défendu plusieurs amendements en ce sens.

S’agissant de la famille socialiste, ses membres ont toujours eu des analyses diverses de nos institutions. Chaque parlementaire est libre de signer ou non une proposition de loi. Pour ma part, j’ai toujours défendu des positions cohérentes depuis que je suis parlementaire, tant sous la présidence de Nicolas Sarkozy que sous celles de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Je n’ai jamais varié. Je suis une universitaire. Je suis profondément attachée au parlementarisme. Je respecte la fonction présidentielle, mais j’estime que l’on est plus intelligent à plusieurs que seul, et que cette fonction est complexe et difficile à exercer pour son titulaire.

Quelle que soit l’issue de nos débats, le fonctionnement de nos institutions doit redevenir un enjeu de débats, et le Parlement un lieu de compromis. Souvent, dans notre pays, les évolutions sont progressives. Les groupes qui composent le Parlement formulent des propositions, qui sont débattues et parfois abandonnées, avant de revenir sur le devant de la scène médiatique à l’occasion d’événements divers et variés, de sorte que les débats initiaux servent de point de départ. Il faut s’en féliciter, et ne pas renoncer, afin de faire évoluer, à terme, la Ve République, dont la crise est inquiétante pour l’avenir.

La Commission passe à l’examen des articles.

titre Ier
Du président

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL20 de la rapporteure.

Avant l’article 1er 

La Commission examine l’amendement CL18 de M. Paul Molac.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il vise à inscrire le principe de subsidiarité à l’article 1er de la Constitution, en précisant que l’organisation de la République est décentralisée « selon le principe de subsidiarité ». Il est très éloigné des sujets abordés par la présente proposition de loi constitutionnelle, qui vise à améliorer l’équilibre des pouvoirs au sein de l’exécutif et non à le remettre en cause. Je suggère le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL5 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement porte sur un sujet dont nous aurons l’occasion de débattre à l’avenir – je fais du teasing, comme nos collègues du Modem sur la proportionnelle – : le parrainage citoyen pour la candidature à l’élection présidentielle. À l’heure actuelle, être candidat suppose de recueillir 500 signatures d’élus, ce qui pose des difficultés à des gens qui ont pourtant une légitimité populaire dans le pays. L’existence de ce filtre soulève de nombreuses questions. Nous proposons d’ouvrir une seconde voie d’accès à la candidature à l’élection présidentielle : le parrainage de 150 000 citoyens. Au demeurant, cette proposition est issue de la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, dite commission Jospin, qui a rendu son rapport en 2012.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Monsieur Bernalicis, votre amendement vise à créer un parrainage citoyen pour l’élection présidentielle, dont le seuil est fixé à 150 000 citoyens vivant dans au moins cinquante départements. Cette proposition, formulée en 2012 par la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, est intéressante. Toutefois, le Président de la République l’a écartée l’année suivante. La concertation menée à ce sujet a mis en lumière des difficultés de mise en œuvre. Comme je l’ai rappelé ici même le mois dernier, lors de l’examen du projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, je suis prête à en débattre.

Toutefois, il ne me semble pas opportun d’avoir ce débat dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi constitutionnelle, pour deux raisons. D’abord, celle-ci vise à améliorer l’équilibre institutionnel au sein de l’exécutif en renforçant la légitimité et l’autorité du Premier ministre. Votre amendement, au contraire, a pour effet de renforcer le caractère central de l’élection présidentielle. Ensuite, les dispositions proposées sont de rang organique et non de rang constitutionnel. Je suggère donc le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Article 1er (art. 8 de la Constitution) : Procédure d’investiture du Premier ministre

La Commission examine l’amendement CL12 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Je doute de l’efficacité de la disposition proposée. Les institutions de la Ve République sont ainsi faites que le Président de la République élu s’appuie sur une majorité à l’Assemblée nationale pour gouverner, car les élections législatives et présidentielle sont pratiquement simultanées. Dès lors qu’il incomberait à l’Assemblée d’investir, à la majorité absolue, le Premier ministre choisi par le Président de la République, il n’existerait aucune chance que cette investiture échoue. Inopérante et inutile, la disposition proposée risque de nuire à celles qui sont nécessaires. Afin de ne pas alourdir inutilement nos procédures constitutionnelles, je propose de supprimer l’article, dont la seule incidence sur notre vie démocratique serait de la ralentir et de l’alourdir inutilement.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. L’article 8 de la Constitution dispose : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. » La nomination du Premier ministre par le Président de la République suffit à lui assurer la plénitude de ses fonctions. Il procède directement du Président de la République, dont la liberté n’est limitée que par la nécessité de disposer d’une majorité relative à l’Assemblée nationale.

En raison de ces modalités de nomination, le Premier ministre est subordonné au Président de la République. Cette subordination s’est aggravée sous la Ve République, ce qui pose un problème de responsabilité et ne favorise pas la stabilité gouvernementale, contrairement à ce que l’on pourrait penser. L’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale n’a rien d’une disposition cosmétique, au contraire. Elle renforcerait fortement son autorité, pour trois raisons : pour être investi, le Premier ministre devrait faire l’objet d’un large consensus parmi les députés, et non d’une simple acceptation tacite de leur part ; il serait investi personnellement, ce qui permettrait d’assurer sa position de chef du Gouvernement ; les liens entre le Premier ministre et le Parlement seraient raffermis, ce qui renforcerait les possibilités de contrôle de celui-ci. Avis défavorable.

M. Bruno Questel. Le groupe La République en marche votera l’amendement de Mme Lorho, car il a pour effet de remettre à l’endroit l’équilibre des institutions, telles qu’elles ont été élaborées en 1958 et modifiées en 1962.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Monsieur Questel, je regrette que le groupe majoritaire vote l’amendement visant à supprimer l’article 1er. Vous auriez pu prendre position lors du vote sur l’article.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé, et les amendements CL21 et CL22 de la rapporteure sont sans objet.

Article 2 (art. 9 de la Constitution) : Présidence du conseil des ministres

La Commission examine l’amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Ne souhaitant pas jouer les idiots utiles, ou plutôt les idiotes utiles de la majorité, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL23 de la rapporteure.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination rédactionnelle avec l’article 5 de la proposition de loi.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3 (art. 12 de la Constitution) : Dissolution de l’Assemblée nationale par le Premier ministre

La Commission examine les amendements identiques CL1 de Mme Emmanuelle Ménard et CL14 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai expliqué mon refus d’accorder au Premier ministre le pouvoir exorbitant de dissoudre l’Assemblée nationale. Toutefois, ne souhaitant pas jouer les idiotes utiles de la majorité, je retire mon amendement.

Les amendements sont retirés.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL13 de Mme Marie-France Lorho et CL24 rectifié de la rapporteure.

Mme Marie-France Lorho. Si l’article 1er alourdissait inutilement les procédures constitutionnelles, l’article 2 allège exagérément les procédures de consultation préalable à la dissolution de l’Assemblée nationale. L’article 12 de la Constitution prévoit la consultation des présidents des assemblées et du Premier ministre. Le présent article vise à supprimer la consultation du président du Sénat. La force symbolique de l’article 12 serait fortement amoindrie par le retrait de la consultation de la chambre haute de notre démocratie. Or le Sénat joue un rôle fondamental dans le fonctionnement de notre République. L’article 2 minimise symboliquement son importance. Je propose donc de rétablir la consultation des présidents des deux chambres préalablement à la dissolution de l’Assemblée nationale.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. L’amendement de Mme Lorho sera satisfait si le mien est adopté. Il s’agit de rétablir la consultation du président du Sénat préalablement à la dissolution de l’Assemblée nationale. Une telle décision entraîne des conséquences pour le Parlement dans son ensemble, notamment en matière de représentation politique. Il est donc nécessaire que le président du Sénat soit consulté. Tel est aussi le cas du Président de la République, au titre de sa mission constitutionnelle de garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. L’amendement permet de rééquilibrer la rédaction de l’article.

S’agissant de l’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, elle me semble essentielle. Elle permet de rétablir le lien de responsabilité réciproque entre l’Assemblée nationale, élue par les citoyens, et le Gouvernement, qui est chargé de définir les politiques publiques et de les appliquer. En se prononçant, par un vote, sur la nomination du Premier ministre, les députés lui conféreront une légitimité particulière, ainsi qu’une responsabilité accrue vis-à-vis de la représentation nationale. Cette disposition est complémentaire des précédentes.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle rejette l’article 3.

Titre II
Du gouvernement et de ses relations avec le parlement

Article 4 (art. 20 de la Constitution) : Procédure d’investiture du Gouvernement

L’amendement CL15 de Mme Marie-France Lorho est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL25 et CL26 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 4.

Article 5 (art.21 de la Constitution) : Exercice de la présidence du conseil des ministres par le Premier ministre

L’amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL27 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 5.

Après l’article 5 

La Commission examine l’amendement CL7 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Je ne m’étendrai pas sur les dispositions de l’amendement, que nous avons « bricolé » pour donner matière à réflexion sur la décorrélation de l’élection présidentielle et des élections législatives. En tout état de cause, je le répète, nous sommes favorables à une réforme constitutionnelle de plus grande ampleur.

Pour nous, l’essentiel pour donner de la force au Parlement et garantir sa capacité à exercer réellement le pouvoir dans le cadre d’un régime parlementaire est de décorréler le scrutin qui décide de sa composition de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. En l’état actuel des choses, ce scrutin a pour effet de confirmer cette dernière, et de démobiliser tous les électeurs ayant le sentiment d’avoir perdu à l’élection présidentielle. Le taux de participation très faible qui en résulte, qui contraste avec le taux de participation élevé du scrutin précédent, produit un déséquilibre fondamental, en matière de légitimité, entre le Président de la République et l’Assemblée nationale.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Plusieurs orateurs ont exprimé le souhait de découpler l’élection présidentielle et les élections législatives. Nous sommes tous conscients que l’inversion du calendrier électoral, décidée dans le cadre de la loi organique du 15 mai 2001 adoptée après l’instauration du quinquennat en 2000, a fortement contribué à renforcer le fait majoritaire. Sous réserve d’une amélioration de sa rédaction, il me semble que l’amendement permet de rééquilibrer les relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement, et de rendre une place au Premier ministre, dont la légitimité se fonderait sur la majorité parlementaire, et non uniquement sur celle du Président de la République. Les auditions que j’ai menées ne m’ont pas permis d’approfondir le sujet. Il faudrait en mener d’autres. La rédaction de l’amendement doit gagner en précision, mais j’en partage le principe. Avis favorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL8 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit de faire en sorte que l’Assemblée nationale puisse convoquer le Président de la République pour qu’il rende des comptes. Au cours de ce quinquennat, nous avons eu l’occasion de débattre de cette impossibilité à plusieurs reprises, par exemple dans le cadre d’une commission d’enquête consacrée à une affaire concernant directement le Président de la République. Nous avons alors pris la mesure des limites de l’exercice.

Par ailleurs, l’irresponsabilité pénale du Président de la République emporte d’autres conséquences. Ainsi, dans le contexte que nous connaissons, le recours au conseil de défense, dont les travaux sont protégés par le secret-défense et que préside le Président de la République, permet de se mettre à l’abri de poursuites éventuelles. Il est vrai que la Cour de justice de la République a ouvert une enquête sur la gestion des stocks de masques de protection. Quelques personnes ont sans doute jugé cette démarche judiciaire un peu pénible à vivre et ont préféré s’en prémunir. L’irresponsabilité du chef de l’État, dans tous les sens du terme, est à mes yeux un problème politique fondamental.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je suis profondément défavorable à cet amendement. Il est contraire à l’objectif poursuivi par la présente proposition de loi, qui vise à rééquilibrer les pouvoirs au sein de l’exécutif en attribuant plus de pouvoir au Premier ministre, notamment en lui donnant les moyens de gouverner en étant responsable devant le Parlement, lequel serait alors en mesure de remplir de façon effective sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement. L’amendement, au contraire, aurait pour effet de conforter le déséquilibre au sein même de l’exécutif, au profit du Président de la République, et de confirmer que celui-ci gouverne à la place du Gouvernement, ce qui est inacceptable dans un régime parlementaire comme le nôtre.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL9 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il est simple : il tend à abroger l’article 40 de la Constitution. Les Françaises et les Français n’en sont peut-être pas familiers et ne le connaissent pas par cœur, mais nous si. Cet article soulève vrai débat. J’ai bien compris que la présente proposition de loi visait à rééquilibrer les pouvoirs au sein de l’exécutif – à cet égard, son titre gagnerait à être plus précis, en ciblant explicitement l’exécutif. Précisément, l’article 40 déséquilibre la répartition des pouvoirs en faveur de l’exécutif, au sein d’un régime censé être parlementaire.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je comprends votre position, cher collègue. Nous avons eu l’occasion d’en débattre à plusieurs reprises. Toutefois, il s’agit d’un sujet assez éloigné de l’objet du texte, comme vous l’avez souligné.

Par ailleurs, il me semble nécessaire de repenser dans son ensemble les conditions d’exercice de l’initiative parlementaire. Si nous pouvons déposer un nombre accru d’amendements sans pouvoir en débattre ni disposer de marges de manœuvre supplémentaires, le fonctionnement du Parlement n’évoluera pas. Il faut améliorer l’initiative parlementaire non en quantité mais en qualité, notamment en obligeant le Gouvernement à respecter les délais d’examen des textes, en contribuant d’emblée à leur conception et en exigeant de véritables études d’impact, rédigées pour nous permettre d’avancer et non pour justifier les décisions prises par le Gouvernement. Nous partageons ces préoccupations. En l’absence d’une réflexion d’ensemble sur l’initiative parlementaire, les dispositions proposées n’amélioreront pas le fonctionnement de notre assemblée. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL10 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit de modifier l’article 45 de la Constitution, afin d’alléger la tâche parfois difficile des présidents de commission et du président de l’Assemblée nationale. Le débat sur la recevabilité des amendements s’en trouverait clarifié et les décisions seraient sans doute moins mis en cause. En outre le droit d’amendement serait ainsi garanti. Bien entendu, tout cela devrait s’inscrire dans le cadre d’une réforme plus globale, respectant le temps parlementaire et abrogeant la procédure accélérée.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Comme l’a rappelé Mme la présidente de la Commission à plusieurs reprises, les règles régissant la recevabilité des amendements ont une raison d’être. Elles garantissent le bon déroulement de nos travaux et la sincérité de nos débats. Pour nos concitoyens, elles assurent la clarté et l’intelligibilité de la loi. À défaut, nous pourrions par exemple débattre de l’agriculture lors de l’examen d’un texte relatif à l’éducation. Sans règles, les débats deviennent vite confus. Certes, la réforme du règlement adoptée en 2019 a durci les règles applicables au contrôle de recevabilité. À titre personnel, je souhaite que le doute profite toujours à l’initiative parlementaire. Avis défavorable mais le cadre de la commission des Lois nous autorise à aborder tous les sujets.

M. Raphaël Schellenberger. L’amendement de M. Bernalicis est amusant. J’ai tendance à penser que, si nous subissons parfois des applications discutables de l’article 45, c’est en raison des abus récurrents du droit d’amendement commis par certains de nos collègues, notamment ceux du groupe La France insoumise, qui, pour exister, cherchent systématiquement à créer le conflit et à mettre le désordre dans nos débats, tant en séance publique qu’en commission. Il est dommage, pour combattre un excès, de modifier un point d’équilibre de la Constitution.

En la matière, nous sommes confrontés à un blocage d’une autre nature. De façon régulière, les textes de loi du Gouvernement ont un intitulé très large, mais comportent très peu de dispositions. C’est compliqué pour nous, parlementaires, qui sommes confrontés à la réalité du dialogue avec nos concitoyens : en raison du faible nombre de dispositions, nous ne pouvons quasiment pas amender le texte. Le titre ne compte pas, mais c’est lui qui est vendu à nos compatriotes par les ministres et les membres de la majorité sur les plateaux de télévision à longueur de journée. Ce procédé est inacceptable.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Nous ne sommes pas favorables à la modification de l’article 45 telle qu’elle est proposée.

S’agissant de la recevabilité des amendements, nous en avons débattu en séance publique, lors de l’examen du projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique. Il arrive que l’auteur d’un amendement considère qu’il présente un lien indirect avec le texte sur lequel il porte et n’en soit pas moins obligé de passer sous les fourches caudines du contrôle de recevabilité. Il arrive également qu’un député soit invité à modifier la rédaction d’un amendement présenté en commission en vue de son examen en séance publique.

En la matière, une certaine incompréhension règne, comme nous l’avons clairement constaté lors de l’examen du texte précité. Madame la présidente, il serait utile de vous entendre à nouveau à ce sujet, afin de clarifier la situation et peut-être dessiner les contours d’une voie de recours, non pour allonger inutilement les débats en commission ou en séance publique, mais pour nous permettre d’être performants dans la rédaction de nos amendements. Comme vous le savez, la faculté d’amender les textes de loi est un droit reconnu, auquel chacun d’entre nous tient beaucoup.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL19 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Selon nous, le rééquilibrage des pouvoirs constitutionnels passe par une autre répartition des pouvoirs et des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. En effet, si la Constitution affirme le principe de la libre administration des collectivités territoriales, dans la réalité, les collectivités territoriales ne peuvent pas modifier une réglementation de plus en plus tatillonne. En outre, elles reçoivent des dotations de l’État mais ne peuvent jouer ni sur les taux ni sur les bases d’imposition, les impôts locaux comme la taxe professionnelle et la taxe d’habitation ayant été supprimés ou nationalisés. Dans bien des cas, les collectivités territoriales ne sont que les exécutants d’une politique qui a été décidée ailleurs.

C’est pourquoi nous proposons d’inscrire dans la Constitution le principe de la différenciation, afin d’habiliter certaines collectivités à exercer des pouvoirs qui sont aujourd’hui aux mains de l’État. On évoque souvent une répartition entre pouvoirs régaliens et pouvoirs attribués aux collectivités territoriales, qui seraient plus à même de répondre aux besoins de la population sur le terrain, mais, dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi. Si la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a redistribué les compétences entre les collectivités, l’État s’est bien gardé de transférer quoi que ce soit. Depuis l’Acte I de la décentralisation, on est resté dans un entre-deux ; on note même sous ce quinquennat la volonté de revenir sur certains transferts. Cela ne nous semble pas une bonne chose.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Cher collègue, vous appelez à travers cet amendement à un nouvel acte de la décentralisation, sujet qui vous tient à cœur. Sur le fond, je partage votre préoccupation. Néanmoins, eu égard à l’objet circonscrit de la présente proposition de loi constitutionnelle, il est impossible d’intégrer de telles dispositions dans le texte : cela nous emmènerait bien trop loin. Il faudra apporter une réponse dans un autre cadre. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL4 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement, qui s’inscrit dans la lignée du précédent, tend à prévoir, dans le cadre de l’article 72 de la Constitution, un statut d’autonomie pour la Corse. Certes, la rapporteure a souligné la portée nécessairement limitée de la proposition de loi, mais l’examen de celle-ci est pour nous l’occasion d’exprimer nos regrets que la révision constitutionnelle n’ait pas eu lieu. Il est absolument nécessaire d’engager une réforme d’ensemble de nos institutions.

Dans l’exposé sommaire de cet amendement, nous rappelons un certain nombre de faits historiques, d’exigences démocratiques et de demandes relayées par la majorité des élus corses, qui expliquent pourquoi il est nécessaire d’envisager une autonomie de plein droit et de plein exercice pour la collectivité de Corse – statut qui existe déjà dans la Constitution, puisqu’elle y a été introduite au bénéfice de la Polynésie et de Saint-Barthélemy à l’occasion de la réforme constitutionnelle engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis défavorable : un tel sujet ne peut être abordé dans le cadre de la présente proposition de loi constitutionnelle. Il faudrait une révision bien plus large de la Constitution pour intégrer les différentes questions soulevées aujourd’hui.

M. Bruno Questel. Vous proposez de supprimer – ou presque – les prérogatives du Président de la République, mais vous estimez que nous ne pouvons pas traiter ici de la question soulevée par notre collègue Acquaviva ? Quel aveu, madame la rapporteure ! De fait, la Corse mérite mieux qu’une proposition de loi constitutionnelle dont on sait qu’elle n’aboutira pas en séance.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Vous comparez la Corse au Président de la République, monsieur Questel ? Ce n’est pas raisonnable ! En outre, ne faites pas dire à ce texte ce qu’il ne dit pas : il ne s’agit aucunement de supprimer les prérogatives présidentielles. Vous avez le droit d’être en désaccord avec notre proposition, mais je n’accepte pas que vous la travestissiez.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis étant parti, les deux amendements suivants ne sont pas défendus. Par conséquent, pas de débat aujourd’hui sur le référendum d’initiative citoyenne et le droit de révocation !

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Sur le premier point, j’aurais répondu à notre collègue que le référendum d’initiative parlementaire était préférable. Si l’on veut défendre le rôle des parlementaires, mieux vaut les mettre dans la boucle !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi constitutionnelle est rejetée.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle visant à établir un meilleur équilibre entre pouvoir constitutionnels (n° 3486 rect.).

 


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   Personnes entendues

 


([1])  La loi constitutionnelle n°2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République a réduit cette durée de sept à cinq ans, limitant en ce sens la probabilité d’une opposition entre ce dernier et la majorité à l’Assemblée nationale, élue dans le sillage de son élection, suite à l’adoption de la loi organique n° 2001-419 du 15 mai 2001 modifiant la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale.

([2]) Allocution du 20 septembre 1962 relative au projet de référendum sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

([3]) Selon l’expression de Michel Debré à l’occasion de son discours devant le Conseil d’État le 27 août 1958.

([4]) Rapport n° 3100 du 2 octobre 2015, Refaire la démocratie, p. 84.

([5]) Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, 15e édition, Seuil, Points Essais, 2019.

([6]) Déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale de M. George Pompidou, Premier ministre, le 13 avril 1966 : « La lettre et l’esprit de la Constitution de 1958 veulent en effet que le gouvernement soit entièrement libre de demander ou non un vote de confiance et qu’il appartienne de préférence à l’Assemblée de mettre en jeu la responsabilité ministérielle par la procédure la plus normale et la mieux adaptée, je veux dire la motion de censure. »

([7]) Jean Massot, Chef de l’État et chef du Gouvernement. Dyarchie et hiérarchie, Notes et études documentaires de La Documentation française, 1993.

([8]) On rappellera la déclaration du général de Gaulle dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Certes, on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet. Mais justement, il n’en est rien. »

([9]) Pour reprendre l’expression formulée par le Professeur Maurice Duverger dans La monarchie Républicaine, 1974.

([10]) Michel Debré, Discours devant le Conseil d’État, 27 août 1958 : « Le projet de Constitution, tel qu’il vous est soumis, a l’ambition de créer un régime parlementaire. »

([11]) Marie-Anne Cohendet, commentaire de l’article 9 de la Constitution, in La Constitution de la République française, sous la direction de François Luchaire, Gérard Conac et Xavier Prétot, Economica, 2009.

([12]) Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, 15e édition, Seuil, Points Essais, 2019

([13]) Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires.

([14]) Conférence de presse du 31 janvier 1964.

([15])  Commentaire précité.