N° 3887

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2021

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI 
de programmation relatif au développement solidaire

et à la lutte contre les inégalités mondiales,

PAR M. Hervé BERVILLE

Député

 

 

 

 

 

 Voir les numéros :

Assemblée nationale : 3699.


 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. les nouveaux enjeux de l’aide au développement

A. la redéfinition du cadre international de la politique de DÉVELOPPEMENT, dans un paysage mondial en plein bouleversement

1. La multiplication et l’imbrication des crises

2. La remise en cause de l’aide au développement

3. Le renouvellement du cadre de coopération internationale

a. Sur le plan mondial

b. À l’échelon européen

B. La relance de l’aide française

1. Le déclin de l’aide française jusqu’en 2016

2. La loi de 2014

3. Le saut qualitatif et quantitatif de l’aide française

a. L’aide publique au développement replacée au cœur des politiques publiques

b. La réunion du CICID de 2018

II. Un projet de loi ambitieux qui peut encore Être amÉliorÉ

1. Une singularité française

2. La définition d’un cadre stratégique de référence

3. Le renforcement du pilotage politique

4. Une programmation budgétaire ambitieuse

5. L’affirmation du caractère partenarial de la politique de développement

6. L’amélioration de l’évaluation et de la redevabilité

Examen des articles du projet de loi

titre ier dispositions RELATIVES AUX OBJECTIFS DE LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE ET DE LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS MONDIALES ET À LA PROGRAMMATION FINANCIÈRE

Article 1er A [nouveau] Principaux objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales

Article 1er Grands axes de la politique de développement solidaire et programmation financière

Article 2 Rapport annuel du Gouvernement  relatif à la politique de développement solidaire

titre ii DISPOSITIONS NORMATIVES INTÉRESSANT LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE ET DE LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS MONDIALES

Article 3 (article unique de la loi n° 2015411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ; articles L. 231111, L. 257338, L. 33112, L. 36612, L. 43101, L. 44252, L. 5217102, L. 711102 et L. 721002 du code général des collectivités territoriales) Prise en compte des Objectifs de développement durable inscrits dans le l’Agenda 2030 adopté par les Nations Unies

Article 4 (article L. 11153 [rétabli] du code général des collectivités territoriales) Possibilité pour les autorités organisatrices  de la mobilité de financer des actions de coopération

Article 5 Conseil national du développement et de la solidarité internationale

Article 6 (articles 1 et 2 de la loi n° 2005-159 du 23 février 2005  relative au contrat de volontariat de solidarité internationale) Volontariats dits « réciproques »

Article 6 bis [nouveau] Devoir de vigilance des organisations proposant des actions de volontariat

Article 7 (articles L-515-13 du code monétaire et financier) Renforcement de la tutelle sur l’Agence française de développement

Article 8 (loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010) Rapprochement d’Expertise France avec le groupe Agence française de développement

Article 9 Création d’une commission d’évaluation

Article 10 Habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance sur l’attractivité

Article 11 Abrogation des articles de la précédente loi du 7 juillet 2010

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement

II. Audition de M. Jean-Yves le drian, ministre de l’europe et des affaires étrangères

III. Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

IV. Examen des articles

A. Réunion du mercredi 10 février, 9 h 30

B. réunion du mercredi 10 février, 15 heures

C. Réunion du mercredi 10 février, 21 heures

D. Réunion du jeudi 11 février, 9 h 30

E. Réunion du jeudi 11 février, 15 heures

F. Réunion du jeudi 11 février, 21 heures

Annexe n° 1 : contribution de Mme Bérengère Poletti, corapporteure sur la mise en application de la loi  en application de l’article 145-7 du règlement

annexe n° 2 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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   introduction

La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Ce texte attendu, et dont le dépôt a été retardé notamment par les circonstances exceptionnelles qu’a connues l’année 2020, vient consacrer une ambition élevée pour l’aide au développement, exprimée dès le début du quinquennat par le Président de la République. Cette ambition nouvelle a été formalisée lors de la réunion, en février 2018, du Comité interministériel du développement et de la coopération internationale (CICID), qui a défini une trajectoire d’aide publique au développement (APD) en vue d’atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022, mis en avant des priorités claires et acté la nécessaire rénovation du pilotage politique et de la redevabilité du dispositif.

Le présent projet de loi constituait au demeurant un rendez-vous nécessaire. La loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI) du 7 juillet 2014 est en effet arrivée à échéance en 2019. Le texte soumis à la commission des affaires étrangères a vocation à se substituer à la quasi-totalité des articles de la loi de 2014.

La présentation du projet de loi relatif au développement solidaire intervient dans un environnement bien différent de celui de 2014. Le contexte international a changé à de multiples égards, ne serait-ce qu’en raison des avancées accomplies dans le domaine du développement durable, avec par exemple l’adoption en 2015 de l’Agenda 2030 des Nations Unies. C’est une conception différente de l’aide au développement qu’il s’agit aujourd’hui de promouvoir. L’expression d’« aide au développement » elle-même apparaît datée. Il s’agit bien plus désormais de nouer des partenariats réciproques que de fournir une aide. Il n’est pas question non plus d’imposer un unique modèle de développement mais de partir des besoins des populations et des stratégies propres aux États partenaires.

Le projet de loi soumis à notre Assemblée reflète cette conception modernisée du développement solidaire, à travers notamment le « cadre de partenariat global » qui lui est annexé. Les articles du projet de loi proposent des moyens financiers importants, des outils et des réformes pour mettre en œuvre une politique de développement efficace et à la hauteur des enjeux actuels, à une heure où la crise de la covid-19 fragilise particulièrement les pays partenaires. Le texte proposé par le Gouvernement, issu d’une large concertation, peut encore être amélioré sur plusieurs points afin notamment de renforcer le pilotage et l’évaluation du dispositif et d’en préciser les objectifs majeurs.

 

 

 


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I.   les nouveaux enjeux de l’aide au développement

A.   la redéfinition du cadre international de la politique de DÉVELOPPEMENT, dans un paysage mondial en plein bouleversement

1.   La multiplication et l’imbrication des crises

En février 2020, lors de la conférence de presse annuelle précédant la pandémie de la Covid-19, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) António Guterres a évoqué le « vent de folie » balayant le monde et la nécessité de briser « le cercle vicieux des souffrances et des conflits ».

Le bilan est aujourd’hui plus préoccupant encore, et la crise de la covid-19 a mis en exergue le caractère interdépendant des crises (sanitaires, environnementales, sociales, humanitaires et sécuritaires). Selon un rapport d’octobre 2020 de la Banque mondiale, la pandémie a conduit à une aggravation de la pauvreté et des inégalités, et à une explosion des besoins. Ainsi, elle risque d’entraîner entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté en 2020, et jusqu’à 150 millions d’ici à 2021, en fonction de la gravité de la récession économique. Autre exemple, les écoliers des pays à revenus faibles et intermédiaires avaient déjà perdu, fin 2020, près de quatre mois de scolarité depuis le début de la pandémie, contre six semaines dans les pays à revenus élevés.

Dans ce contexte, la politique de développement revêt une importance première : en luttant contre la pauvreté et les inégalités mondiales, en œuvrant pour la préservation des biens publics mondiaux, elle contribue à la stabilité internationale et à la paix, dans l’intérêt de tous les citoyens. Comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi, c’est l’affaire et l’intérêt de tous.

2.   La remise en cause de l’aide au développement

Le projet de loi est examiné dans un contexte de profonde remise en question des politiques d’aide au développement, qui implique une redéfinition des orientations et des modalités de l’aide.

D’abord, l’impact et l’efficacité de l’aide au développement sont largement débattus, tant dans les pays développés que dans les pays bénéficiaires. Ainsi, les travaux sur la pauvreté d’Esther Duflo, prix Nobel d’économie, visent à renouveler l’économie du développement, en proposant des solutions innovantes permettant d’améliorer l’impact de l’aide sur le terrain.

Ensuite, la logique tendant à appliquer aux pays du « sud » le modèle de développement des pays « nord » a été battue en brèche, en raison notamment des fragilités des pays développés eux-mêmes et de la montée en puissance rapide de pays émergents aux stratégies de développement distinctes.

Enfin, les politiques de développement souffrent d’une certaine dispersion, qui peut les détourner de leur destination prioritaire : les pays les moins avancés. Une part croissante du financement est ainsi orientée vers les projets d’infrastructures dans les pays émergents. À titre d’exemple, selon le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, les trois premiers bénéficiaires des apports français, bilatéraux et multilatéraux en 2018 étaient l’Inde (414 millions d’euros), la Colombie (385 millions d’euros) et la Turquie (346 millions d’euros).

3.   Le renouvellement du cadre de coopération internationale

a.   Sur le plan mondial

Les « Forums de haut niveau sur l’efficacité de l’aide » de Rome, Paris, Accra et Busan, organisés respectivement en 2003, 2005, 2008 et 2011, ont défini les grands principes que sont l’appropriation par les pays partenaires, l’alignement des stratégies entre donneurs et bénéficiaires, la gestion axée sur les résultats, la redevabilité mutuelle et l’harmonisation de l’action des bailleurs.

La déclaration de Paris de 2005 a particulièrement mis en avant ces cinq principes. Elle a présenté une feuille de route pratique en vue d’améliorer la qualité de l’aide et son impact sur le développement. Elle a aussi mis en place un système de suivi pour évaluer les progrès réalisés.

La déclaration de Busan de 2011 a insisté, de son côté, notamment sur la mobilisation du secteur privé par les acteurs publics (ce que l’on appelle le financement mixte public­-privé).

Le programme d’action d’Addis-Abeba de 2015 a défini plusieurs principes structurants parmi lesquels la mobilisation de l’ensemble des acteurs et sources de financement (publics, privés, locaux, internationaux), l’importance de la thématique climat, la soutenabilité de la dette et le rôle essentiel de la mobilisation des ressources intérieures des pays dans le processus de développement.

En 2015 également, l’Agenda 2030, définissant dix-sept Objectifs de développement durable (ODD), a été adopté par les 193 États membres des Nations Unies. Ces ODD recouvrent l’ensemble des enjeux de développement tels que le climat, la biodiversité, l’énergie, l’eau, la pauvreté, l’égalité des genres, la prospérité économique ou encore la paix, l’agriculture, l’éducation. Ils ont pris le relai des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) adoptés par les Nations Unies en 2000.

En 2015 toujours, l’Accord de Paris sur le climat, adopté dans le cadre de la COP 21, a imposé le climat comme nouvel impératif structurant. Il a permis de mettre sur pied le Fonds vert pour le climat, avec une dotation initiale de 10 milliards de dollars ayant vocation à financer des projets d’atténuation et d’adaptation dans les pays en développement.

b.   À l’échelon européen

 

L’aide publique au développement est une priorité de longue date de la politique extérieure de l’Union européenne. Le Traité de Rome prévoyait déjà en 1957 l’apport d’une aide technique et financière aux pays africains. Deux ans plus tard fut mis en place le premier Fonds européen de développement (FED).

 

L’Union européenne est aujourd’hui le plus important contributeur en matière d’aide au développement à l’échelle mondiale, avec une contribution de 75,2 milliards d’euros à l’aide publique au développement pour l’année 2019 ([1]). Cela représente 55,2 % de l’aide apportée au niveau mondial.

 

Un « Nouveau consensus européen pour le développement » a été défini en 2017. Il constitue un cadre commun global pour la coopération européenne en la matière. Il réaffirme que l’élimination de la pauvreté constitue l’objectif principal de la politique européenne de développement et intègre les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable. Ce faisant, il harmonise l’action européenne de développement avec le programme de développement durable à l’horizon 2030. Il décline la mise en œuvre de l’Agenda 2030 autour de cinq Priorités (les « cinq P ») : Peuples, Planète, Prospérité, Paix et Partenariat. L’Union et les États membres s’engagent à avoir une approche globale, à la fois dans la conception du développement (incluant la sécurité, l’environnement, la gouvernance, les jeunes, l’égalité femmes-hommes) et dans les moyens mis en œuvre, et à recourir à des partenariats adaptés avec un large panel d’acteurs.

B.   La relance de l’aide française

1.   Le déclin de l’aide française jusqu’en 2016

L’aide française a connu un déclin régulier du début des années 2010 jusqu’à 2016, comme le montre le tableau ci-dessous :

Année

APD nette totale
des pays du CAD

APD nette
de la France

 

Ratio APD (en % RNB de la France)

2010

128 484

12 915

0,50

2011

135 111

12 997

0,46

2012

127 030

12 028

0,45

2013

134 847

11 339

0,41

2014

137 581

10 620

0,37

2015

131 555

9 039

0,37

2016

142 619

9 501

0,38

Source : CAD OCDE (versements, en millions de dollars)

À partir de 2010, tous les canaux d’aide publique au développement observent une diminution, celle enregistrée par l’aide bilatérale étant la plus importante.

2.   La loi de 2014

La loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI) du 7 juillet 2014 marque une première étape dans le processus de rénovation de la politique de développement et de solidarité internationale de la France. Elle définit des objectifs en abordant les dimensions à la fois économique, sociale et environnementale du développement, souligne la nécessaire cohérence entre les objectifs de cette politique et ceux des autres politiques publiques et invite à la recherche d’efficience. Elle ne propose pas toutefois de programmation pluriannuelle des moyens budgétaires, ne définit pas de stratégie suffisamment claire et ne renforce pas le pilotage politique. Arrivant à échéance en 2019, elle doit en tout état de cause faire place à un nouveau texte et ne saurait tenir lieu de référence stratégique pour les années à venir.

3.   Le saut qualitatif et quantitatif de l’aide française

a.   L’aide publique au développement replacée au cœur des politiques publiques

Dès le début de son mandat, le Président de la République a souhaité porter une ambition nouvelle pour la politique de développement et la solidarité internationale. En mai 2017, il s’était engagé à augmenter l’aide publique au développement pour la porter à 0,55 % du RNB en 2022, contre 0,38 % en 2016. Dans sa lettre aux citoyens européens du 4 mars 2019, il insistait sur le partenariat privilégié à nouer avec le continent africain : « Une Europe qui se projette dans le monde doit être tournée vers l’Afrique, avec laquelle nous devons nouer un pacte d’avenir. En assumant un destin commun, en soutenant son développement de manière ambitieuse et non défensive : investissement, partenariats universitaires, éducation des jeunes filles… » À son tour, dans sa déclaration de politique générale du 12 juin 2019, le Premier ministre Édouard Philippe confirmait ces ambitions : « la France (…) cherche à porter la voix de la paix et de la stabilité (…) en investissant dans l’aide au développement. Au-delà des moyens en hausse que nous y consacrons, pour aller jusqu’à 0,55 % du PIB, c’est l’ensemble de notre dispositif qui doit être revu. »

Cette ambition retrouvée s’est traduite par des gestes significatifs. Dans un contexte de dégradation des finances publiques, l’APD a constitué la politique publique enregistrant la plus forte hausse sur l’ensemble du quinquennat. Après une progression de 14 % des crédits de la mission APD entre 2017 et 2020, la loi de finances pour 2021 a amplifié cette progression avec une hausse de 17 % des crédits. La France s’est engagée à augmenter sa contribution au Partenariat mondial pour l’éducation (PME) à hauteur de 200 millions d’euros sur la période 2018-2020, contre 17 millions d’euros sur la période précédente (2015-2017). Elle s’est aussi engagée sur une contribution au Fonds vert pour le climat à hauteur de 1 548 milliards d’euros pour la période 2020-2023, ainsi qu’au Fonds pour l’environnement mondial (FEM), dont la contribution française pour la période 2019-2022 correspond à 300 millions de dollars.

Tout récemment encore, le Conseil présidentiel du développement de décembre 2020 a décidé la mise en place d’un Fonds d’innovation pour le développement (FID), présidé par Esther Duflo. Ce fonds a pour mission de financer des projets innovants à fort impact, qu’il s’agisse d’innovations technologiques, sociales, financières ou encore environnementales. Il teste rigoureusement les projets afin d’identifier les solutions qui fonctionnent réellement. Tous les types de structures peuvent présenter une demande de financement : institutions de recherche, gouvernements, ONG, ou encore entreprises privées, les approches partenariales étant tout particulièrement encouragées.

Cette montée en puissance a fait de la France un acteur incontournable et influent du développement sur le plan international : elle est le troisième bailleur du G7 en termes de pourcentage de RNB consacré à l’APD, et l’activité de l’AFD est aujourd’hui sensiblement supérieure à celles de nombreux bailleurs bilatéraux.

b.   La réunion du CICID de 2018

Les conclusions de la réunion de février 2018 du Comité interministériel du développement et de la coopération internationale (CICID), instance de pilotage interministériel de la politique d’aide au développement, marquent un saut tant qualitatif que quantitatif dans l’aide française.

Le CICID du 8 février 2018 a prévu une augmentation graduelle de l’APD : 0,44 % du RNB en 2018, 0,44 % en 2019, 0,47 % en 2020, 0,51 % en 2021 et 0,55 % en 2022.

Le CICID a acté la rénovation du pilotage politique et de la redevabilité du dispositif de développement ainsi que la concentration autour de priorités claires :

—  l’accroissement des moyens alloués à l’AFD, avec un milliard d’euros d’autorisations d’engagement supplémentaires dès 2019 ;

—  l’augmentation de l’aide humanitaire, qui devra être portée à 500 millions d’euros en 2022 ;

—  le doublement (en valeur absolue) des fonds transitant par les ONG entre 2017 et 2022 ;

—  la concentration de l’aide sur dix-neuf pays prioritaires et cinq secteurs : la santé, l’éducation, l’égalité femmes-hommes, les fragilités et les crises, l’environnement et le climat ;

—  le doublement des fonds destinés au soutien de l’action extérieure des collectivités territoriales d’ici à 2022.

II.   Un projet de loi ambitieux qui peut encore Être amÉliorÉ

1.   Une singularité française

Avec le présent projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, la France se dote d’orientations et d’une programmation ambitieuses, et à contre-courant de la tendance observée chez la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

En premier lieu, les nouvelles orientations ne suivent pas la logique tendant à renforcer la conditionnalité de l’aide, qui implique une certaine subordination du développement aux intérêts nationaux des États, qu’ils relèvent par exemple de la politique économique et commerciale, de la politique d’influence ou encore de politique migratoire. Cette approche contribue, notamment en Afrique, à faire prévaloir la compétition sur la coopération, comme en a témoigné la « diplomatie du masque » menée par la Chine pendant la crise de la covid-19.

En affirmant clairement les objectifs de sa politique de développement, à commencer par la lutte contre la pauvreté et les inégalités, la défense des droits humains, et la promotion des biens publics mondiaux, la France s’oppose à cette logique conduisant à détourner l’aide publique au développement de sa première finalité : le développement.

En second lieu, dans un contexte de crise et de forte dégradation des finances publiques, les principaux pays de l’OCDE réduisent le budget consacré à l’aide publique au développement. C’est le cas notamment du Royaume-Uni, qui a choisi de faire passer son budget consacré à l’aide publique au développement de 0,7 % à 0,5 % du revenu national brut.

La France se singularise en étant le seul pays au monde à se doter d’une loi de programmation de l’aide publique au développement. Dans un contexte d’augmentation considérable des besoins des pays partenaires, la France a pris ses responsabilités et choisit, à l’inverse, de maintenir ses objectifs budgétaires en volume, en augmentant de 17 % les crédits de la mission « aide publique au développement » en 2021.

2.   La définition d’un cadre stratégique de référence

Votre rapporteur avait eu l’occasion de souligner, dans son rapport de 2018 sur la modernisation de la politique partenariale de développement et de solidarité internationale, l’absence de cadre stratégique de référence, le relevé de conclusions du CICID ne pouvant être confondu avec une stratégie globale de la politique de développement. En effet, jusqu’en 2017, la vision stratégique de l’État et celle de l’AFD étaient essentiellement sectorielles et peu articulées. Il en résultait une distorsion entre les priorités et l’allocation des moyens, la part de l’Afrique dans l’APD ayant reculé, au profit de celle des pays émergents. Parallèlement, la dispersion sectorielle s’est faite au détriment des secteurs sociaux (santé et éducation de base notamment). De même, au sein du canal bilatéral, la décennie 2007-2017 a été marquée par une stagnation des moyens en dons, tandis que les prêts, qui favorisent les pays les moins risqués, ont connu une forte croissance.

Dans le sillage du CICID de 2018, le présent projet de loi innove en établissant un cadre stratégique de référence, le cadre de partenariat global, qui fixe les objectifs, les principes d’actions, les axes prioritaires d’intervention géographiques et sectoriels, et le cadre de résultats.

Ainsi, afin de concentrer les moyens vers les zones prioritaires de l’aide publique au développement de la France, le Gouvernement se fixe comme objectif, dans le cadre de partenariat global, de consacrer 75 % de l’effort financier total de l’État en subventions et en prêts et au moins 85 % de celui mis en œuvre via l’AFD dans la zone Afrique et Méditerranée. Par ailleurs, la moitié de l’aide-projet mise en œuvre par l’État, ainsi que les deux tiers des subventions mises en œuvre par l’AFD, devront bénéficier aux dix-neuf pays prioritaires.

Dans la même logique, l’article 1er prévoit que l’effort budgétaire fourni par la France en matière d’aide publique au développement devra permettre, dans le cadre d’un effort soutenu tout au long du quinquennat, de renforcer en premier lieu la composante bilatérale de l’aide au développement, ainsi que les dons, qui permettent de cibler plus efficacement les dix-neuf pays prioritaires de l’aide française au développement.

Parmi les priorités sectorielles figurent le climat, la biodiversité, l’égalité femmes-hommes, le traitement des crises et fragilités, les droits humains, ainsi que la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau, la croissance économique inclusive et durable, la gouvernance démocratique. Le projet de loi rappelle également l’importance de l’approche transversale au cœur de l’Agenda 2030 pour relever les défis de la préservation des biens publics mondiaux.

Votre rapporteur estime toutefois opportun de préciser, à l’article 1er du projet de loi, les principaux objectifs de la politique française de développement solidaire. Cette précision permettrait de clarifier et de mieux cibler les priorités, en les mettant en exergue dans le corps du projet de loi lui-même, l’objet du cadre de partenariat étant, quant à lui, de définir de façon détaillée la stratégie et le cadre d’évaluation.

3.   Le renforcement du pilotage politique

Le pilotage politique actuel de la politique d’aide au développement et particulièrement complexe. Il repose en effet sur une multiplicité d’acteurs : une instance de coordination, le CICID, qui se réunit de façon irrégulière, trois acteurs principaux dont les objectifs ne convergent pas toujours, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE), le ministère de l’économie, des finances et de la relance (MEFR), et l’Agence française de développement, dont le MEAE et le MEFR assurent la cotutelle. À ce dispositif s’ajoute une dizaine d’autres ministères, d’opérateurs et instances spécialisées.

À cet égard, la création du Conseil présidentiel du développement, qui s’est tenu pour la première fois le 17 décembre 2020, est une avancée. Présidé par le président de la République, il réunit le Premier ministre, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, le ministre de l’économie, des finances et de la relance et les autres principaux ministres concernés, ainsi que les directeurs généraux de l’Agence française de développement et d’Expertise France. Cette instance permettra de renforcer le pilotage politique et stratégique de l’aide publique au développement et d’améliorer la coordination entre ses acteurs principaux.

En outre, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport de 2020 sur le pilotage stratégique des opérateurs de l’action extérieure de l’État, la tutelle de l’État sur l’AFD est insuffisamment stratégique et laisse à l’agence une autonomie affirmée.

Aussi le projet de loi prévoit-il de renforcer la tutelle sur l’AFD en rehaussant au niveau législatif les dispositions relatives aux missions de l’agence et à l’exercice de la tutelle de l’État sur l’opérateur. Il vise également à rattacher explicitement l’AFD à la catégorie des établissements publics concourant à l’action extérieure de l’État tels qu’ils ont été créés par la loi de 2010 relative à l’action extérieure de l’État et vis-à-vis desquels les chefs de mission diplomatique exercent leur activité. Dans la lignée des recommandations de la Cour des comptes, cette disposition permettra de conforter, dans les pays partenaires, le rôle d’animateur et de coordinateur des ambassadeurs. Ainsi, il reviendra à ces derniers de présider chaque année des conseils locaux du développement, regroupant les services de l’État, les opérateurs du développement sous tutelle de l’État, ainsi que, le cas échéant, les organisations françaises de la société civile, les acteurs de la coopération décentralisée et les parties prenantes locales de la solidarité internationale, afin d’élaborer une stratégie commune en matière de développement dans les pays partenaires.

De plus, le projet de loi poursuit la rationalisation de l’écosystème français du développement en consacrant, à compter du 1er juillet 2021, le rapprochement entre Expertise France et l’AFD, ce qui permettra de construire une offre française d’aide au développement plus complète, cohérente et lisible, sur le modèle de la JICA japonaise, dans un contexte de regroupement des acteurs sur la scène internationale. Ce rapprochement est rendu possible par la transformation d’Expertise France en société par actions simplifiée, dont tout ou partie du capital pourra être détenu par l’AFD.

Le Gouvernement a veillé à ce que cette évolution optimise les synergies avec l’AFD sans remettre en cause l’autonomie stratégique d’Expertise France : le projet de loi prévoit ainsi que l’agence exerce une mission permanente d’intérêt public, que son capital soit public, et que sa gouvernance préserve le rôle de l’État.

Dans le cadre du nouvel élan que le Président de la République souhaite donner à la coopération technique, l’enjeu sera de s’assurer que la bonne personne soit à la bonne place : le renforcement de l’expertise pourra ainsi profiter prioritairement aux politiques stratégiques que sont la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et la mobilisation des ressources intérieures dans les pays en développement (élaboration de politiques fiscales efficaces, renforcement des administrations des pays partenaires, optimisation des instruments de coopération).

S’agissant de la gouvernance de l’AFD, et dans la perspective du renforcement du pilotage politique de la politique d’aide au développement, il convient d’être particulièrement attentif à la présence des parlementaires au sein du conseil d’administration de l’agence, en veillant à ce que leur désignation respecte le pluralisme de chaque assemblée.

Plus largement, l’examen du projet de loi doit être l’occasion, pour les parlementaires, de débattre plus largement du modèle de l’AFD, dans un contexte où la politique d’aide publique au développement se fixe comme objectifs l’augmentation de l’aide bilatérale sous forme de dons et la concentration sur les pays prioritaires. La singularité de la France, qui a placé l’AFD, une institution financière soumise au régime des établissements de crédits et dont l’activité repose majoritairement sur les prêts, au cœur de son dispositif bilatéral d’APD mérite d’être débattue, d’autant que le volume croissant des prêts consentis par l’agence implique un effort budgétaire significatif de renforcement de ses fonds propres.

4.   Une programmation budgétaire ambitieuse

La loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI) ne proposait pas de programmation pluriannuelle des moyens budgétaires. Le présent projet de loi constitue de ce point de vue une avancée historique.

Il définit d’abord des objectifs en termes de pourcentage de l’APD dans le RNB, fixé à 0,55 % en 2022, et à 0,7 % dans un second temps.

Il définit ensuite des objectifs en volume. Les crédits de paiement de la mission APD (hors charges de pension), après avoir atteint 3 251 millions d’euros en 2020, atteindront 3 935 millions d’euros en 2021 et 4 800 millions d’euros en 2022. 50 millions d’euros de crédits de paiement de la mission « Plan de relance » sont alloués à la politique de développement en 2021. Une augmentation supplémentaire de 100 millions d’euros en 2022 est prévue pour venir abonder soit le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), soit la mission APD. L’addition des crédits de la mission APD, de ceux de la mission « Plan de relance » consacrés à la politique de développement et de ceux du FSD aboutit à un montant global de 3 989 millions d’euros en 2020, 4 723 millions d’euros en 2021 et 5 638 millions d’euros en 2022

Le projet de loi pose par ailleurs le principe d’un renforcement de l’aide bilatérale, et de la part de celle-ci constituée de dons. Il prévoit enfin un doublement entre 2017 et 2022 à la fois de l’APD transitant par les organisations de la société civile et des fonds consacrés par l’État au soutien de l’action extérieure des collectivités territoriales.

5.   L’affirmation du caractère partenarial de la politique de développement

Le présent projet de loi adopte une approche résolument « partenariale » visant à associer les pays en développement, le Parlement, les collectivités territoriales, la société civile, le secteur privé, les diasporas. La politique d’aide au développement ne doit plus en effet être conçue d’après un modèle que l’on pourrait qualifier de « développementaliste » où il s’agirait de conduire certains pays de manière rectiligne d’un point A à un point B. Il n’y a pas un modèle unique de développement et la France et les autres pays les plus « développés » sont évidemment loin de constituer des exemples à suivre en tous points. Le projet de loi exprime un changement de philosophie en dénommant précisément « cadre de partenariat » la stratégie de la France en matière d’aide au développement. Le terme « aide » est en effet souvent connoté négativement alors que la notion de « partenariat » intègre plus fortement la dimension égalitaire de la relation et exprime plus clairement la poursuite d’objectifs partagés. Le cadre de partenariat annexé à la loi précise ce que recouvre cette nouvelle approche : « La politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales est définie et mise en œuvre dans le cadre de partenariats multipartites (…) [elle] est fondée sur un dialogue étroit avec les pays partenaires et la prise en compte de leurs stratégies de développement et des besoins des populations ». Il souligne que « cette dimension partenariale lui permet de démultiplier l’impact de son action en faveur de la réalisation des ODD ([2]) ».

Le caractère partenarial se manifeste également dans le projet de loi par l’ouverture des dispositifs de volontariat à l’international aux ressortissants de pays tiers, ce qui signifie que des volontaires étrangers pourront accomplir des missions en France. L’entraide fonctionnera ainsi dans les deux sens.

De son côté, le Parlement est associé à la politique de développement, non seulement par le vote des crédits de la mission budgétaire APD, mais aussi, comme le prévoit l’article 2 du projet de loi, à travers la remise chaque année par le Gouvernement d’un rapport d’information. La présence de députés et de sénateurs au Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) et au conseil d’administration de la société Expertise France y contribue également. Les recommandations issues de plusieurs rapports parlementaires, dont celui de votre rapporteur, ont par ailleurs incontestablement été prises en compte dans l’élaboration du texte.

La place des collectivités territoriales dans la politique de développement est reconnue par le projet de loi. 121,5 millions d’euros ont été consacrés par les collectivités territoriales en 2019 aux pays du sud, dont 51,4 en Afrique, la France constituant le troisième pays de l’OCDE pour la contribution de ses collectivités au développement. Le projet de loi fixe un objectif de doublement des fonds de l’État destinés au soutien à leur action extérieure et met à jour le cadre de référence de leurs politiques publiques avec le programme de développement durable à l’horizon 2030. Il introduit aussi la possibilité, pour celles qui sont autorités organisatrices de la mobilité, de financer sur les budgets des services de mobilité des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères.

Le projet de loi insiste ensuite sur le caractère irremplaçable des organisations de la société civile dans le soutien au développement. Il fixe un objectif de doublement de l’aide transitant par elles et reconnaît expressément leur droit d’initiative et l’existence d’un dispositif spécifique dédié à l’octroi de subventions à leurs projets de développement.

Le cadre de partenariat global insiste sur l’importance des établissements d’enseignement supérieur et des instituts de recherche (comme l’IRD ou le CIRAD).

Il met l’accent sur le rôle essentiel du secteur privé et de Proparco, filiale de l’AFD, qui apporte son appui à ce secteur. En s’implantant dans les pays en développement, les entreprises françaises contribuent aux progrès de ceux-ci en termes d’emploi, de structuration de filières économiques ou d’infrastructures. Il importe bien entendu, conformément au devoir de vigilance, de veiller à ce que ces entreprises ne portent pas atteinte aux droits humains ou à l’environnement. La place du secteur privé est également irremplaçable en ce que les financements publics resteront toujours insuffisants pour l’atteinte des ODD. Enfin, au-delà des acteurs français, ce sont les TPE-PME des pays partenaires qui auront un rôle clé dans le développement. Il ne saurait en effet y avoir de sortie de la pauvreté sans renforcement du tissu économique local.

Le cadre de partenariat souligne aussi le rôle fondamental des diasporas : « La France (…) encourage les initiatives des diasporas en France, qui jouent un rôle majeur dans le développement de leur pays d’origine », s’efforce « d’offrir des canaux sûrs pour une part croissante des transferts de fonds des diasporas » et offre un « appui à la création d’entreprises et à l’investissement productif des diasporas ([3]) ». Le rôle des diasporas va d’ailleurs bien au-delà de la mobilisation de fonds. Au-delà des moyens financiers, c’est d’abord le recours à leurs compétences, à leur expérience et à leur expertise qui constitue un levier pour l’aide au développement.

6.   L’amélioration de l’évaluation et de la redevabilité

Comme votre rapporteur a eu l’occasion de le souligner dans son rapport de 2018, la politique d’évaluation de l’aide au développement est inadaptée à l’évolution des enjeux.

D’abord, l’indicateur principal mesurant l’aide publique au développement, une mesure du volume des dépenses exprimée en pourcentage du revenu national brut, est imparfaite. Sa méthode de calcul est contestée puisqu’elle inclut des dépenses qui ne concernent pas directement le développement (frais d’écolage), et en exclut d’autres qui y sont liées (activités de maintien de la paix). En outre, une attention exclusive sur cet indicateur quantitatif détourne les parties prenantes de la question du sens et de l’impact. Aussi conviendra-t-il de plaider, auprès des partenaires internationaux, en faveur de la production d’indicateurs complémentaires à celui de l’APD et d’une communication centrée sur les résultats.

Ensuite, le dispositif actuel d’évaluation est fragmenté. Le suivi interne est assuré par trois pôles distincts : ceux du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, du ministère de l’économie, des finances et de la relance, et de l’AFD. Plusieurs institutions réalisent un suivi externe, notamment le Parlement, la Cour des comptes et l’OCDE.

Enfin, l’évaluation de l’APD souffre d’un déficit de transparence et, surtout, elle constitue rarement une évaluation à proprement parler : il s’agit davantage d’une analyse du processus de gestion que d’une évaluation de l’impact de l’aide.

En outre, la fragmentation budgétaire de la mission « Aide politique au développement » nuit à l’évaluation, au suivi de performance et à l’analyse des résultats.

Dans ce contexte, des initiatives ont été prises pour améliorer l’évaluation de l’aide, comme la création d’un observatoire des coûts de l’aide au développement, dont le but est d’objectiver et de rendre plus transparents les coûts de l’aide. Cependant, ces initiatives n’apparaissent pas à même de garantir un cadre d’évaluation à la hauteur.

L’une des avancées majeures du projet de loi est ainsi de combler les lacunes de la France en matière d’évaluation en créant une commission indépendante d’évaluation, sur le modèle de l’Independant Commission for Aid Impact (ICAI), qui est responsable de l’évaluation indépendante de l’impact de l’aide au développement britannique. Celle-ci permettra de renforcer les capacités d’évaluation externe de la politique de développement et de rationaliser les dispositifs existants. L’unification des structures d’évaluation permettra de disposer d’une vision globale de l’évaluation.

Compte tenu de l’importance du rôle que cette commission jouera dans l’évaluation, la transparence et la redevabilité de l’aide au développement, il conviendra de préciser ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement. L’indépendance de ses membres et de son programme de travail devront être garanties, mais cette indépendance ne devra toutefois pas se traduire par un isolement : un « droit de tirage » du Parlement semblerait opportun. L’enjeu est ainsi de trouver l’équilibre entre indépendance organisationnelle et dialogue nourri avec les parties prenantes, afin de rendre les évaluations objectives et contribuant à l’apprentissage collectif.

De même, un rattachement de la commission à la Cour des comptes pourrait être envisagé. La commission pourrait ainsi tirer avantageusement profit de l’indépendance, de l’expertise et de l’expérience de la Cour en matière d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Dans ce scénario, la Cour des comptes assurerait le secrétariat et la présidence de la commission. La commission serait, quant à elle, constituée d’une quinzaine d’experts issus des unités d’évaluation du MEAE, du MEFR et de l’AFD. Ces experts seraient encadrés par deux personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement en raison de leurs compétences en matière d’évaluation et de développement.

Comme votre rapporteur a eu l’occasion de le souligner dans son rapport de 2018, l’indépendance et les missions de la commission, qui sont l’évaluation de l’efficacité et de l’impact de la politique de développement solidaire, ne pourront être garanties qu’en concentrant chaque année les moyens humains et financiers sur des sujets structurants. Tout ne pourra pas être évalué, car certains projets ne sont pas conçus pour faire l’objet d’évaluations scientifiquement rigoureuses. Il conviendra donc d’être ambitieux mais réalistes dans le choix des sujets d’étude ainsi que dans les méthodes d’évaluation.

 

 


   Examen des articles du projet de loi

titre ier
dispositions RELATIVES AUX OBJECTIFS
DE LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE
ET DE LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS MONDIALES
ET À LA PROGRAMMATION FINANCIÈRE

Article 1er A [nouveau]
Principaux objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales

Introduit par la Commission, le présent article vise à mettre en exergue, dans un article spécifique placé au tout début du projet de loi, les objectifs majeurs de la politique de développement solidaire. Le fait qu’ils soient décrits en détail dans le rapport annexé (dit « cadre de partenariat global ») est une chose ; mais il a paru important à la commission de les faire figurer également, pour les plus importants d’entre eux, dès les premières lignes du corps de la loi, dans un souci de visibilité et d’intelligibilité de la politique que la France entend mettre en œuvre dans ce domaine.

Cette politique vise en particulier l’éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, la protection des biens publics mondiaux, la lutte contre les inégalités, la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, la protection de la planète, la promotion des droits humains, le renforcement de l’État de droit et de la démocratie et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Incluant l’action humanitaire, elle veille à assurer la continuité entre les phases d’urgence, de reconstruction et de développement. Elle promeut les normes internationales en matière de droits humains, de droit international humanitaire et de réalisation des Objectifs de développement durable (ODD).

Ces objectifs correspondent notamment aux « Cinq P » des Nations Unies : « Peuples, Planète, Prospérité, Paix et Partenariats » (People, Planet, Prosperity, Peace, and Partnerships).

Article 1er
Grands axes de la politique de développement solidaire et programmation financière

L’article 1er du projet de loi fixe à la fois les grands axes et la programmation financière de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales pour la période 2020-2025.

1.   Les grands axes de la politique de développement solidaire

Le II de l’article 1er du projet de loi approuve un document intitulé « cadre de partenariat global » (CPG), destiné être annexé à la loi. Ce document fixe « les orientations, la stratégie, les modalités de pilotage au niveau central et dans les pays partenaires, ainsi que le cadre de résultats, de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ». L’élaboration d’un tel document unique exposant la vision stratégique de la France à long terme constituait l’une des principales préconisations mises en avant par votre rapporteur dans son rapport d’août 2018.

Renouvelant les objectifs stratégiques poursuivis par la France, le présent document stratégique remplace le rapport annexé à la loi de 2014.

Compte tenu de sa longueur (167 alinéas), de son objet et de son niveau de détail, ce cadre de partenariat devait prendre la forme d’un document distinct, à l’image du rapport annexé à la loi de programmation militaire, faute de quoi les articles du corps de la loi s’en seraient trouvés dilués. Le CPG, tout comme l’article 1er qui l’approuve, constituent des dispositions de nature programmatique, au sens de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution (« Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État. »). Le Conseil d’État, dans son avis du 15 septembre 2020 rendu sur le projet de loi, distingue bien les « dispositions de programmation » des « dispositions normatives » qui modifient directement les règles de droit. Il rappelle qu’il admet la coexistence de ces deux types de dispositions au sein d’un même projet de loi, « sous réserve que, aux fins d’assurer les exigences de lisibilité et d’intelligibilité de la loi, les dispositions de programmation fassent l’objet d’une présentation clairement séparées des autres », ce qui, ajoute-t-il, est bien le cas en l’espèce. Il n’en pourrait pas moins être utile, afin de faire ressortir davantage la nature et les objectifs majeurs de la politique de développement solidaire, d’en rappeler l’essentiel au sein de l’article 1er.

Ce cadre de partenariat global est particulièrement exhaustif et structuré même si certaines précisions ou certains développements supplémentaires pourraient encore y trouver place. Il se décompose en six parties.

a.   Les objectifs

Le cadre de partenariat global énonce les principes d’action sur lesquels repose la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Celle-ci a pour objectifs principaux la protection des biens publics mondiaux, l’éradication de la pauvreté, la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, la protection de la planète, la promotion des droits humains, le renforcement de l’État de droit et de la démocratie et l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle concourt ainsi à la politique étrangère de la France et à son rayonnement.

Pour atteindre ces objectifs, la France promeut le multilatéralisme, dans le cadre des Nations Unies (Objectifs de développement durable adoptés dans le cadre de l’Agenda 2030, Accord de Paris sur le climat, Cadre stratégique mondial pour la biodiversité 2011‑2020, Programme d’action d’Addis‑Abeba sur le financement du développement) comme dans celui de l’Union européenne (Consensus européen pour le développement de juin 2017).

La conception française du développement solidaire est fondée sur la notion de partenariat, avec les pays partenaires, les collectivités territoriales et l’ensemble des organisations de la société civile (syndicats, entreprises, jeunesse, diasporas, établissements d’enseignement supérieur, de recherche et de formation).

La politique de développement solidaire s’appuie sur des principes partagés en matière d’efficacité de l’aide, définis par la Déclaration de Paris (2005) et réaffirmés à Busan (2011) et à Nairobi (2016) dans le cadre du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement. La France adhère ainsi aux principes de l’appropriation des priorités de développement par les pays partenaires, d’harmonisation, de priorité accordée aux résultats et de responsabilité mutuelle. Elle met en œuvre les standards internationaux en matière de transparence de l’aide, en particulier vis‑à‑vis du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

La France veille à l’absence de contradiction entre sa politique de développement solidaire et les politiques qu’elle mène en matière commerciale, fiscale, migratoire, de sécurité et de défense, d’appui aux investissements à l’étranger, de francophonie ou encore de développement durable (cette dernière politique étant matérialisée par la Feuille de route nationale de mise en œuvre des ODD adoptée en 2019).

b.   Les axes prioritaires

Le cadre de partenariat global définit d’abord des priorités géographiques. La France entend désormais consacrer à la zone Afrique et Méditerranée 75 % de l’effort financier total de l’État en subventions et en prêts, et au moins 85 % de celui mis en œuvre via l’AFD. Elle concentre sa politique sur les dix‑neuf pays prioritaires définis par le CICID du 8 février 2018, appartenant tous à la catégorie des Pays les Moins Avancés (PMA) ([4]). Ces pays prioritaires bénéficieront d’ici 2022 de la moitié de l’aide projet de l’État et des deux tiers des subventions mises en œuvre par l’AFD. Pour les pays à revenu intermédiaire, la France recourt largement à l’instrument des prêts.

Le cadre de partenariat définit ensuite quatre priorités thématiques de nature transversale :

—  relever les défis environnementaux et climatiques les plus urgents de la planète,

—  soutenir l’égalité femmes‑hommes,

—  prévenir et traiter les crises et les fragilités,

—  défendre une approche fondée sur les droits humains.

Enfin, le cadre de partenariat met en avant six priorités thématiques à caractère sectoriel :

—  renforcer l’action pour lutter contre les maladies et soutenir les systèmes de santé,

—  renforcer l’effort sur l’éducation, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, au profit de l’employabilité des jeunes,

—  continuer à œuvrer pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable,

—  améliorer la gestion de l’eau et l’assainissement,

—  renforcer les capacités commerciales pour une croissance économique inclusive et durable,

—  promouvoir la gouvernance démocratique, économique et financière.

c.   Le pilotage

Le cadre de partenariat global précise les modalités du pilotage de la politique de développement solidaire.

Le Conseil du développement, présidé par le président de la République, prend les décisions stratégiques. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), réunissant les ministres concernés sous l’égide du Premier ministre, fixe le cadre général des interventions de l’État. Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) est l’instance de concertation des différents acteurs. La Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) organise le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales concernant leur action internationale.

L’État exerce le pilotage du groupe AFD sur la base d’une convention‑cadre. Le conseil d’orientation stratégique de l’agence, composé des représentants de l’État à son conseil d’administration, coordonne la préparation de son contrat d’objectifs et de moyens (COM) et en contrôle l’exécution. Il prépare, avant leur présentation au conseil d’administration, les orientations fixées à l’agence en application des décisions arrêtées par le CICID. L’action de l’AFD à l’étranger s’exerce sous l’autorité de chaque chef de mission diplomatique.

L’État fixe par ailleurs les orientations stratégiques et les moyens alloués à l’ensemble des entités du groupe AFD, incluant l’agence de coopération technique Expertise France et Proparco, filiale dédiée à l’accompagnement des entreprises et des institutions financières.

Dans les pays partenaires, l’ambassadeur de France préside annuellement un conseil local du développement, qui regroupe les services de l’État, les opérateurs du développement sous tutelle de l’État ainsi que, le cas échéant, les organisations françaises de la société civile, les acteurs de la coopération décentralisée et les acteurs locaux. Ce conseil élabore des projets de stratégie‑pays et de programmation‑pays, dont l’ambassadeur supervise la mise en œuvre.

d.   Les moyens et les canaux

Le cadre de partenariat global décrit les moyens et les instruments de la politique de développement solidaire.

Les moyens augmenteront pour atteindre 0,55 % du RNB en 2022, puis 0,7 % dans un second temps. La part accordée aux dons, à l’action bilatérale et aux moyens transitant par les organisations de la société civile est renforcée. Les dix‑neuf pays prioritaires bénéficieront d’ici 2022 de la moitié de l’aide­‑projet de l’État et des deux tiers des subventions mises en œuvre par l’AFD (hors fonds dédiés à la préparation des projets).

L’action bilatérale est mise en œuvre surtout par les opérateurs de l’État, principalement l’AFD, mais aussi par Expertise France, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Canal France international ou encore l’Institut Pasteur. L’AFD intervient à la fois sous forme de subventions (aide‑projet, aide budgétaire, projets financés dans le cadre de contrats de désendettement et de développement, Fonds français pour l’environnement mondial, programme pour le renforcement des capacités commerciales) et de prêts concessionnels ([5]). Par le biais de sa filiale Proparco et du Fonds d’investissement de soutien aux entreprises en Afrique (FISEA), elle octroie aussi des prêts, des garanties, et prend des participations directes en appui au secteur privé des pays en développement.

L’action bilatérale des opérateurs est complétée par celle mise en œuvre directement par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (via le Fonds de solidarité pour les projets innovants ([6]), les crédits gérés par le Centre de crise et de soutien, l’aide alimentaire programmée, l’expertise technique, les fonds de soutien aux dispositifs de volontariats et de coopération décentralisée des collectivités territoriales et les bourses octroyées aux étudiants des pays en développement) et par le ministère de l’économie et des finances (via les prêts concessionnels du Trésor, le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé, l’allocation d’aides budgétaires globales et les allègements de dette). S’y ajoutent les projets de coopération décentralisée portés par les collectivités territoriales.

Sur le plan multilatéral, la France intervient par le biais des instruments de coopération de l’Union européenne, financés par le budget de l’UE ou hors budget de l’UE pour le Fonds européen de développement (FED). Elle contribue au capital des banques multilatérales de développement, telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et la Banque asiatique de développement. Elle participe également aux fonds de développement qui y sont rattachés tels que l’Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale en Afrique, ou le Fonds africain de développement (FAD). Elle contribue à des fonds verticaux tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), le Fonds vert pour le climat et le Partenariat mondial pour l’éducation (PME).

e.   Les prévisions

Le cadre de partenariat global énumère les dépenses françaises comptabilisables au titre de l’aide publique au développement. La méthode de comptabilisation de l’aide publique au développement est définie par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, qui réunit les principaux pourvoyeurs. Elle a été révisée notamment en 2014, pour une première application en 2018. Cette méthode est parfois critiquée en ce qu’elle mêle des éléments de nature composite. Comme cela a été indiqué plus haut, l’inclusion des annulations de dettes, des frais d’écolage et des frais d’accueil de réfugiés provenant de pays éligibles est ainsi souvent contestée (en sens inverse, toutefois, on peut remarquer que les dépenses fiscales qui bénéficient aux associations du secteur ou à des ONG ne sont pas comptabilisées alors qu’elles participent de l’effort financier de l’État dans ce domaine). Il faut reconnaître aussi que la complexité de cette comptabilisation ne facilite ni le contrôle par le Parlement, ni l’intelligibilité pour le citoyen.

Quoi qu’il en soit, les dépenses françaises d’APD comptabilisables comprennent actuellement :

—  les crédits de la mission budgétaire « Aide publique au développement » (programmes 110 et 209 ([7])) destinés à financer l’activité en subventions de l’AFD (aide‑projet), l’aide‑projet du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (Fonds de solidarité pour les projets innovants) et les crédits de gestion de crise (Fonds d’urgence humanitaire ([8]), Aide alimentaire programmée ([9]), aide budgétaire) ainsi qu’à contribuer aux principaux fonds multilatéraux et au Fonds européen de développement ([10]),

—  les prêts bilatéraux de l’AFD,

—  les instruments d’aide au secteur privé (prêts, prises de participation et garanties au bénéfice du secteur privé),

—  les autres programmes du budget de l’État et de ses opérateurs (frais d’écolage, frais d’accueil de réfugiés provenant de pays éligibles à l’APD, travaux de recherche conduits par l’IRD et le CIRAD…),

—  les autres prêts (principalement ceux du Trésor),

—  les prêts multilatéraux au bénéfice des organisations éligibles à l’APD,

—  la contribution française au budget de l’Union européenne finançant l’APD européenne,

—  les opérations de traitement de la dette (allègements et annulations de dettes, contrats de désendettement),

—  l’APD financée par les taxes affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) (taxe de solidarité sur les billets d’avion et une part de la taxe sur les transactions financières),

—  les autres dépenses (APD réalisée par les collectivités territoriales, frais administratifs de l’AFD).

Le cadre de partenariat global comporte par ailleurs un tableau précisant la trajectoire financière d’aide publique au développement de 2017 à 2022. Ce tableau fait notamment apparaître, pour chacune des années concernées, le montant total du budget de l’État consacré à l’APD (13 587 millions d’euros en 2022), le montant total de l’APD (14 165 millions d’euros en 2022) et le pourcentage de l’APD par rapport au RNB (0,55 % en 2022). Cette trajectoire a été établie sur la base des données disponibles en septembre 2020, préalablement à la présentation du projet de loi en Conseil d’État. Il appartiendra au Gouvernement d’actualiser, par voie d’amendement, le tableau en fonction des données plus récentes (révision des hypothèses de croissance, création du programme budgétaire 365 « Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement »).

f.   Le cadre de résultats

Le cadre de partenariat global prévoit enfin que chacune des priorités thématiques mentionnées plus haut (à l’exception de l’approche par les droits humains) fera l’objet d’indicateurs de résultats, bilatéraux ou multilatéraux, renseignés annuellement par les ministères concernés ou par les institutions internationales.

Un tableau récapitule ces priorités thématiques, transversales ou sectorielles. Pour chacune d’entre elles, il précise les ODD correspondants, les objectifs à atteindre et les indicateurs qui sont numérotés. À titre d’exemple, la priorité « Prévention et traitement des crises et des fragilités » correspond aux ODD 1, 2, 8, 10 et 16 ([11]). Elle se décline en deux objectifs : « renforcer la résilience des populations » et « accompagner les États ». L’atteinte du premier est mesurée, sur le plan bilatéral, par le « nombre de personnes bénéficiant de l’assistance alimentaire française » (indicateur 1.1) et par le « nombre de personnes vivant en zone de crise bénéficiant d’une aide de la France » (indicateur 1.2) et, sur le plan multilatéral, par le « nombre de personnes sous-alimentées recevant de l’aide européenne » (indicateur 1.4).

2.   La programmation financière

L’article 1er du projet de loi contient, outre des objectifs et une stratégie, une programmation pluriannuelle des moyens financiers de l’aide au développement.

En application du III de l’article 1er, la France consacrera ainsi 0,55 % de son RNB à l’aide publique au développement en 2022. Cet objectif correspond à l’engagement pris par le Président de la République et réitéré par le CICID du 8 février 2018. La crise sanitaire et économique de l’année 2020 n’a pas conduit le Gouvernement à revoir à la baisse cette ambition.

La France a « l’objectif de porter ultérieurement » la part de l’APD à 0,7 % du RNB, sans qu’une année précise soit fixée. Le I de l’article 1er précise simplement que la programmation financière sera « complétée, avant la fin de l’année 2022, pour les années 2023, 2024 et 2025 ». La programmation chiffrée ne va donc pas au-delà de l’année 2022, le Gouvernement n’ayant pas mandat pour définir une politique au-delà de la fin du quinquennat.

S’agissant de l’objectif de 0,7 % du RNB, qui remonte à une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies dans les années 60, il apparaît contestable à plusieurs égards. Tout d’abord, il ne dit rien du contenu de l’APD ni de ses aspects qualitatifs. Il peut par ailleurs être atteint, en tout ou partie, par l’effet d’une baisse du dénominateur, c’est–à-dire d’une récession de l’économie. Il ne faudrait donc pas se satisfaire à bon compte de l’atteinte d’un tel indicateur. Il n’en conserve pas moins son utilité, comme aiguillon, sous réserve d’être accompagné d’autres objectifs en volume et d’indicateurs tels que ceux qui figurent au VI du cadre de partenariat global.

Le Gouvernement a fait le choix, dans le présent projet de loi, du maintien d’ambitions élevées en volume, en dépit de la récession qui frappe l’économie française. Eu égard au principe d’annualité budgétaire, il s’agit d’engagements de nature politique qui préservent la liberté du Gouvernement et du législateur dans le cadre de la discussion des futurs projets de lois de finances.

Le IV (1°) de l’article 1er dispose que les crédits de paiement de la mission APD (hors charges de pension), après avoir atteint 3 251 millions d’euros en 2020, atteindront 3 935 millions d’euros en 2021 et 4 800 millions d’euros en 2022 ([12]).

Le IV (2°) précise que 50 millions d’euros de crédits de paiement de la mission « Plan de relance » (plus précisément du programme 364 « Cohésion ») sont alloués à la politique de développement en 2021. Il a en effet été décidé à l’automne dernier d’inclure dans le plan de relance une partie de l’aide publique au développement, en particulier celle à destination de la vaccination au bénéfice des pays en développement. Ces 50 millions seront utilisés à hauteur de 25 millions pour une contribution à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le cadre de l’initiative ACT-A ([13]) et de 25 millions pour d’autres organismes de santé internationaux (comme Gavi ([14]) ou Unitaid ([15])). Il s’agit d’une opération ponctuelle dont le rattachement à la notion de relance pourrait – il est vrai – être discutée.

Selon le IV (3°) de l’article 1er, les ressources du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) seront augmentées de 100 millions d’euros en 2022 par rapport à leur niveau de 2020 et 2021, et seront ainsi fixées à 838 millions d’euros en 2022. Le Fonds de solidarité pour le développement (FSD) est un fonds extrabudgétaire, sans personnalité morale, créé par l’article 22 de la loi n° 2005‑1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005. Il a le statut, en comptabilité nationale, d’organisme divers d’administration centrale (ODAC). Géré par l’Agence française de développement, il participe au financement de dépenses principalement dans les domaines de la santé, du climat et de l’environnement ([16]). Il finance, par exemple, la Facilité de financement internationale pour la vaccination (IFFIm) et le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP). Signalons que la France s’est engagée, dans le cadre de la conférence de reconstitution d’octobre 2019, à augmenter sa contribution au FMSTP de 20 % pour atteindre 1,429 milliard de dollars. Le FSD est alimenté par deux taxes affectées : la taxe de solidarité sur les billets d’avion ([17]) (qui est en très forte baisse depuis le début de la crise de la covid‑19 ([18])) et une part du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF), qui a été pensée d’abord pour financer l’aide publique au développement.

Le projet de loi précise que, en l’absence d’une telle augmentation des ressources du FSD, ce sont les crédits de paiement de la mission APD qui seront alors fixés à 4 900 millions d’euros en 2022. Le projet de loi ne tranche donc pas sur l’affectation de l’augmentation de 100 millions d’euros entre le FSD, d’une part, et la mission budgétaire APD, d’autre part. La première option impliquerait d’augmenter la part de la TTF affectée au FSD ([19]), ce sur quoi le Gouvernement n’a pas souhaité d’ores et déjà s’engager. On peut ajouter que les taxes affectées, si elles présentent des avantages, ont aussi leurs limites en ce que, outre qu’elles peuvent être soumises à des variations imprévues dans leur rendement, elles font perdre en lisibilité et en contrôle parlementaire ([20]). On peut s’interroger plus profondément sur la pertinence aujourd’hui de financer de l’aide au développement, ce qui implique un choix politique et une stabilité dans le temps, avec des recettes directement corrélées à l’activité des pays pourvoyeurs.

Synthétisant les 1°, 2° et 3° précédents, le IV (4°) souligne que l’addition des crédits de la mission APD, de ceux de la mission « Plan de relance » consacrés à la politique de développement et de ceux du FSD aboutit à un montant global de 3 989 millions d’euros en 2020, 4 723 millions d’euros en 2021 et 5 638 millions d’euros en 2022.

Le V de l’article 1er rappelle que l’évolution des autres ressources concourant à l’aide publique au développement figure à titre indicatif dans le cadre de partenariat global. Ces autres ressources sont prises en compte pour l’atteinte de l’objectif de 0,55 % du RNB en 2022.

Le VI prévoit le renforcement, d’ici 2022, de la composante bilatérale de l’aide publique au développement, et au sein de celle-ci de la part constituée par les dons.

L’article 1er insiste ensuite sur le rôle majeur joué par les organisations de la société civile dans le soutien au développement. Le VII dispose ainsi que le montant de l’aide publique au développement allouée pour leurs projets augmentera en vue d’atteindre en 2022 le double du montant constaté en 2017. Ce doublement correspond à un objectif fixé par le CICID. Le VIII reconnaît par ailleurs expressément leur droit d’initiative en inscrivant dans la loi l’existence d’un dispositif d’octroi de subventions pour les projets qu’elles présentent ([21]). L’AFD gère d’ailleurs déjà un dispositif, dénommé « Initiatives des organisations de la société civile » (I-OSC), qui est le principal canal par lequel transite l’APD mise en œuvre par les acteurs de la société civile.

L’article 1er du projet de loi souligne enfin le rôle tout aussi essentiel joué par les collectivités territoriales. Le IX prévoit ainsi que le montant des fonds consacrés par l’État au soutien de leur action extérieure augmentera en vue d’atteindre en 2022 le double du montant constaté en 2017.

3.   Les apports de la Commission

Outre des modifications rédactionnelles, la Commission a adopté un amendement de Mme Bérengère Poletti disposant que, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, le Gouvernement remettrait au Parlement un rapport étudiant les différentes activités pouvant être comptabilisées au titre de l’aide publique au développement française. Le but est d’encourager une réflexion sur les activités aujourd’hui intégrées dans cette comptabilisation, sur les critères utilisés et sur les évolutions possibles en la matière.

Deux amendements de votre rapporteur ont été adoptés, vise à mettre à jour le montant exact des crédits pour la mission APD figurant dans la loi de finances pour 2021, promulguée le 29 décembre 2020 (prise en compte d’un amendement de « taxation interministérielle » de -10 millions d’euros sur la mission APD lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2021). Ces crédits s’élèvent à 3 925 millions d’euros. En conséquence, la somme des crédits de paiement de la mission APD, de ceux de la mission « Plan de relance » alloués à la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales et des crédits du FSD s’établit à 4 713 millions d’euros en 2021.

Des amendements identiques de M. Jean-Paul Lecoq, de M. Hubert Julien‑Laferrière et de M. Bertrand Pancher ont été adoptés en vue de préciser que les ressources du FSD ont pour objet de financer les biens publics mondiaux.

À l’initiative de M. Vincent Ledoux, il a aussi été précisé que les services de l’État à l’étranger concourant à la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales disposent d’une trajectoire de moyens humains cohérente avec la hausse des ressources prévue à l’article 1er.

Enfin, à l’initiative de votre rapporteur, il a été précisé que le droit d’initiative était reconnu aux organisations de la société civile, qu’elles soient françaises ou implantées dans les pays partenaires.

La Commission a par ailleurs adopté de très nombreux amendements portant sur le cadre de partenariat global.

Outre des modifications rédactionnelles, il a été rappelé que les biens publics mondiaux consistaient en particulier en la santé, le climat, la biodiversité et l’éducation. Une insistance particulière a été ajoutée concernant, dans le cadre de la promotion des droits humains, celle en particulier des droits de l’enfant. Les enfants sont les premières victimes des crises compte tenu, notamment, des conséquences qu’elles entraînent sur les structures éducatives. La France s’engage en faveur de la protection de l’enfant et de ses droits, tels qu’ils sont rappelés notamment dans la convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. La France souhaite aussi inscrire la question des mille premiers jours de l’enfant au cœur de son action.

S’agissant des partenariats, la mobilisation de l’enfance et des jeunesses, ainsi que celle des parlementaires, a été mentionnée. Les Parlement étrangers, eux aussi, doivent bénéficier de la transparence accrue de l’aide française. La France soutient par ailleurs le renforcement des capacités de contrôle des parlements des pays bénéficiaires, en particulier dans le domaine budgétaire

La mobilisation du secteur privé implique non seulement la mise en œuvre par les entreprises françaises de projets dans les pays partenaires mais aussi le renforcement du tissu économique local, en particulier celui des très petites, petites et moyennes entreprises. Les diasporas jouent un rôle clé par les compétences et l’expérience qu’elles peuvent mettre à la disposition des pays partenaires.

Le rôle fondamental de l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI), s’adressant à tous les jeunes, aux éducateurs mais aussi aux adultes, a été mis en avant. Le souci d’intégrer les personnes en situation de vulnérabilité, et pas seulement de pauvreté, a été pris en compte. L’importance de prendre les besoins des populations comme fondement de la politique de développement a été soulignée. La nécessité d’associer les élus locaux des Français établis à l’étranger a aussi été rappelée.

La France devra veiller à la cohérence des politiques publiques ainsi qu’au respect des engagements pris dans le cadre des ODD et de l’Accord de Paris pour toutes les politiques de l’Union européenne impactant le développement des pays partenaires. Le souci de cohérence doit concerner aussi les politiques éducative et culturelle.

S’agissant des priorités géographiques, la région du Sahel devra, au sein du continent africain, mobiliser tout particulièrement les efforts et l’engagement de la France, compte tenu du caractère aigu des crises et des fragilités qu’on y rencontre et des liens forts et anciens tissés avec les pays concernés. Dans sa version initiale, le CPG indiquait déjà que les dix-neuf pays prioritaires bénéficiaient de la moitié de l’aide projet mise en œuvre par l’État. La Commission a précisé qu’un tiers de cette part devait être concentré sur les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad). Par ses engagements chiffrés concernant les pays prioritaires (qui appartiennent tous à la catégorie des pays les moins avancés), la France contribue à l’engagement collectif de l’Union européenne de consacrer de 0,15 % à 0,20 % du RNB aux pays les moins avancés. L’Amérique latine, l’Asie et le voisinage de l’Union européenne, notamment les pays des Balkans occidentaux, ont été mentionnés dans les priorités.

D’un point de vue thématique, la question de l’assainissement a été mentionnée, en complément de celle de l’eau. Il en est de même de la mise en place de réseaux de transport et de distribution adaptés. La France devra aussi continuer de soutenir l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives et s’assurer de l’effectivité, dans son périmètre d’action, de l’application des règlementations européennes de transparence des paiements dans ce domaine.

La question de l’égalité entre filles et garçons a été ajoutée à plusieurs endroits du CPG. La France reconnait les filles, adolescentes, jeunes femmes et femmes comme des actrices à part entière des dynamiques de transformation sociale en ne les considérant pas uniquement comme des bénéficiaires de l'aide et favorise leur participation authentique dans l'élaboration, la mise en œuvre et le suivi des programmes et politiques publiques les concernant. Des objectifs chiffrés ont également été fixés en termes d’égalité femmes-hommes, en s’inspirant des recommandations du Plan d’action de l’Union européenne.

Dans le même esprit, l’ambassadeur accrédité auprès du pays partenaire devra veiller à susciter la présence de femmes au sein du conseil local du développement et à tendre vers une représentation équilibrée et paritaire en termes de genre. Il peut par ailleurs y convier les entreprises qui peuvent apporter une contribution au développement du pays par leur activité propre, mais aussi par leur engagement en matière de responsabilité sociale et environnementale et de gouvernance.

En vue d’optimiser son action en faveur de la résolution des crises, la France met en œuvre tous les moyens de nature à permettre la bonne exécution des missions de chacun des acteurs. Elle œuvre tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle nationale afin de soutenir l’action humanitaire menée par des organisations dont les missions et les actions répondent aux principes de neutralité, d’indépendance et d’impartialité. Elle renouvelle son attachement au principe de non-discrimination des populations bénéficiaires de son assistance humanitaire.

Pour répondre à la problématique des enfants sans identité, une attention toute particulière a été apportée à l’importance de l’identité juridique, réalisable notamment via un état‑civil fiable.

La France accentue son engagement pour la liberté de l’information dans les pays où la désinformation des populations contribue à l’instabilité et la résurgence de mouvements et d’activités terroristes. Elle s’engage dans la lutte contre le travail forcé, la traite des êtres humains, l’esclavage moderne et le travail des enfants. Elle promeut le renforcement dans les pays partenaires des critères de responsabilité sociale et environnementale dans les marchés publics.

La France soutient les partenariats et les organisations internationales en matière de santé mondiale. Elle s’attache à soutenir la structuration durable des filières agricoles et agroalimentaires. La Décennie des Nations unies pour l’agriculture familiale 2019‑2028 devra être appuyée. La France accompagne et promeut les actions mises en œuvre dans le cadre du projet de la « Grande Muraille verte ».

La France encourage la coopération décentralisée entre collectivités territoriales. Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent solliciter l’Agence française de développement et Expertise France pour bénéficier d’un appui renforcé dans la mise en œuvre de leur action extérieure. La France finance enfin les agences spécialisées des Nations unies répondant aux priorités de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

Article 2
Rapport annuel du Gouvernement
relatif à la politique de développement solidaire

1.   Les dispositions du projet de loi

Le présent article prévoit la remise chaque année par le Gouvernement au Parlement, avant le 15 septembre, d’un rapport portant sur la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Ce rapport devra aborder tant la stratégie adoptée que les résultats obtenus, mesurés notamment au moyen des indicateurs du « cadre de résultats » figurant dans le cadre de partenariat annexé à la loi. Il devra également s’assurer de la cohérence de cette politique avec les autres politiques publiques menées par exemple en matière de migrations, de fiscalité ou encore de défense et de sécurité. Il devra enfin faire le point sur la mise en œuvre de la trajectoire financière prévue par la présente loi et sur les contributions versées aux fonds et programmes multilatéraux et européens.

Le ministre chargé du développement sera chargé de son élaboration et de sa présentation au Parlement, en lien avec le ministre de l’économie et des finances et les autres ministres concernés. Comme le souligne l’étude d’impact, il se substituera au rapport bisannuel actuellement transmis au Parlement en application de la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale ([22]).

L’article 2 précise que le rapport pourra faire l’objet d’un débat au Parlement, au Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) et à la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD).

Cette disposition contribue en partie à répondre au vœu exprimé par votre rapporteur dans son rapport d’août 2018 tendant à renforcer le contrôle parlementaire et le débat public en matière d’aide au développement ([23]).

2.   Les apports de la Commission

À l’initiative de votre rapporteur, la Commission a prévu une remise du rapport au 15 juin afin de permettre aux parlementaires d’être éclairés plus en amont, et notamment avec suffisamment d’anticipation par rapport aux débats budgétaires. Une remise au 15 septembre, soit environ quinze jours avant le dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, ne les mettrait pas en mesure de préparer en détail ces débats. C’est particulièrement vrai pour les rapporteurs spéciaux et rapporteurs pour avis de la mission budgétaire APD.

Une série d’amendements ont été adoptés en vue d’élargir le champ de ce rapport aux domaines suivants :

—  la présentation de la contribution de l’action extérieure des collectivités territoriales et des acteurs territoriaux à la mise en œuvre de la trajectoire d’APD ;

—  la liste des pays d’intervention de l’Agence française de développement ;

—  la répartition des contributions françaises (bilatérales et multilatérales) vers les secteurs et pays prioritaires définis, afin que l’évolution de la répartition budgétaire de l’aide publique au développement traduise bien les priorités sectorielles et géographiques de la France ;

—  les résultats en termes de communication et de visibilité de l’aide publique au développement de la France, afin d’identifier et de comprendre la perception de cette politique auprès de nos concitoyens et de nos partenaires récipiendaires ;

—  les positions défendues par la France en matière d’aide au développement au sein des institutions financières internationales où elle est représentée ;

—  la liste des pays prioritaires pour l’aide publique au développement et les critères qui ont amené à sa constitution ;

—  les progrès effectués en matière de gouvernance et de lutte contre la corruption par les pays qui bénéficient de l’aide publique au développement.

Le principe de cohérence, sur lequel le rapport devra éclairer le Parlement, a été reformulé sur proposition de Mme Bérangère Poletti, en s’inspirant des recommandations de l’OCDE.

Des amendements identiques de M. M'jid El Guerrab, de M. Bertrand Pancher et de Mme Aina Kuric ont enfin été adoptés en vue de faire du débat à l’Assemblée nationale, au Sénat, à la CNDSI et à la CNCD, une obligation, et non plus une simple faculté.

titre ii
DISPOSITIONS NORMATIVES INTÉRESSANT LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE ET DE LUTTE CONTRE
LES INÉGALITÉS MONDIALES

Article 3
(article unique de la loi n° 2015411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ; articles L. 231111, L. 257338, L. 33112, L. 36612, L. 43101, L. 44252, L. 5217102, L. 711102 et L. 721002 du code général des collectivités territoriales)
Prise en compte des Objectifs de développement durable inscrits dans le l’Agenda 2030 adopté par les Nations Unies

L’article 3 du projet de loi actualise le cadre de référence des politiques publiques poursuivies tant par l’État que par les collectivités territoriales, en y intégrant le programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté le 25 septembre 2015 à l’Assemblée générale des Nations unies. Cette mise à jour doit contribuer à renforcer la cohérence des politiques publiques, menées à l’échelon national comme à l’échelon local, avec les Objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations Unies.

1.   La mise à jour du cadre de référence pour l’État

S’agissant de l’État, le I de l’article 3 apporte une précision à l’article unique de la loi n° 2015‑411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Cet article dispose aujourd’hui que « le Gouvernement remet annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable », rapport qui peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement. La date retenue du premier mardi d’octobre permet de faire coïncider la remise du rapport avec le dépôt du projet de loi de finances de l’année. Le but poursuivi par la loi du 13 avril 2015 était de pouvoir appréhender l’ensemble des politiques publiques et des réformes menées au prisme de nouveaux indicateurs de richesse, le seul produit intérieur brut (PIB) ayant montré ses limites.

Le projet de loi précise que les indicateurs mesurés par ce rapport correspondent « aux objectifs de développement durable inscrits au Programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies ».

2.   L’actualisation du cadre de référence pour les collectivités territoriales

Le II (1°) de l’article 3 du projet de loi insère une référence aux ODD dans une série de dispositions du code général des collectivités territoriales relatives au « rapport sur la situation en matière de développement durable » qui doit être présenté devant l’assemblée délibérante, « préalablement aux débats sur le projet de budget », par l’exécutif d’un certain nombre de collectivités territoriales. Ce rapport doit être produit plus précisément par le maire dans les communes de plus de 50 000 habitants et par le président d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants (L. 2311‑1‑1), par le président du conseil départemental (L. 3311‑2), par le président du conseil de la métropole de Lyon (L. 3661‑2), par le président du conseil régional (L. 4310‑1), par le président du conseil exécutif de Corse (L. 4425‑2), par le président du conseil de la métropole (L. 5217‑10‑2), par le président de l’assemblée de Guyane (L. 71‑110-2) et par le président du conseil exécutif de Martinique (L. 72‑100‑2).

Le but de ce rapport est de mettre en valeur les projets qui ont un effet positif en termes de développement durable, sans se limiter au seul critère financier. Un parallèle peut être dressé avec les dispositions applicables à certaines sociétés commerciales qui doivent joindre à leur rapport de gestion une « déclaration de performance extra-financière » qui « comprend notamment des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit, à ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire (…) » (art. L. 225‑102‑1 du code de commerce). Il s’agit dans tous les cas de favoriser la mobilisation du plus grand nombre d’acteurs possible, publics et privés, afin que le paramètre environnemental prenne place au premier rang des critères à considérer lors de la prise de décision.

Les dispositions en vigueur exigent « un rapport sur la situation en matière de développement durable intéressant le fonctionnement de la collectivité, les politiques qu’elle mène sur son territoire et les orientations et programmes de nature à améliorer cette situation ». Le projet de loi précise que les « orientations et programmes » auxquels il est ainsi fait référence doivent « contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable inscrits au Programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies ». Le II (2°) de l’article 3 précise que cette obligation s’applique aussi aux communes de la Polynésie française.

Comme le souligne l’étude d’impact à propos des collectivités territoriales, « l’évolution du cadrage du rapport de développement durable (…) vise à faire de l’Agenda 2030 la référence de leur action en matière de développement durable ».

3.   Les apports de la Commission

Des amendements identiques de M. Bruno Fuchs, de Mme Valérie Thomas et de Mme Aina Kuric ont été adoptés concernant le rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse. Les indicateurs mesurés par ce rapport devront comprendre notamment les indicateurs de suivi mondiaux du programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies, définis par la commission statistique des Nations unies.

Article 4
(article L. 11153 [rétabli] du code général des collectivités territoriales)
Possibilité pour les autorités organisatrices
de la mobilité de financer des actions de coopération

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 4 du projet de loi vise à introduire un dispositif « 1 % transports » dans le code général des collectivités territoriales (CGCT), sur le modèle des dispositifs « 1 % » déjà existants.

Le CGCT prévoit en effet déjà la possibilité pour les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes compétents, de mener des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères dans les domaines de l’eau et de l’assainissement (« 1 % eau »), de la distribution publique d’électricité et de gaz (« 1 % énergie ») et de la collecte et du traitement des déchets des ménages (« 1 % déchets »), dans la limite à chaque fois de 1 % des ressources qui sont affectées aux budgets de ces services (articles L. 1115‑1‑1 et L. 1115‑2 du CGCT). Les collectivités françaises peuvent ainsi diffuser leur expertise auprès de leurs homologues des pays en développement. Ces dispositifs s’inscrivent dans le cadre plus général posé par l’article L. 1115‑1 qui permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements de « mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire » et, à cette fin, de « conclure des conventions avec des autorités locales étrangères ».

Saluant le bilan de l’action extérieure des collectivités territoriales, l’étude d’impact ([24]) souligne que « près de 5 000 collectivités territoriales françaises mènent des actions de développement à l’étranger avec plus de 8 000 collectivités locales partenaires, totalisant plus de 10 000 projets dans 134 pays » et que « plus de 100 millions d’euros d’aide publique au développement ont ainsi été déclarés par les collectivités territoriales pour l’année 2018 ».

Sur le modèle des dispositifs déjà en vigueur, l’article 4 du projet de loi prévoit d’insérer dans le CGCT un article L. 1115‑3 permettant aux autorités organisatrices de la mobilité de financer, dans la limite de 1 % des ressources hors versement de transport affectées aux budgets des services de mobilité, des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères, d’aide d’urgence au bénéfice de ces collectivités et de solidarité internationale dans le domaine de la mobilité. La mobilité est en effet un enjeu croissant pour les pays en développement, à la fois en termes de croissance économique et d’accès à l’emploi, mais aussi du point de vue de la transition écologique. Elle s’inscrit pleinement, tout comme l’eau, l’énergie et la gestion des déchets, dans le cadre des Objectifs de développement durable des Nations Unies (respectivement les ODD 11, 6, 7 et 12).

Cette nouvelle possibilité de coopération est donnée plus précisément aux « autorités organisatrices de la mobilité en application du I de l’article L. 12311 du code des transports » (communautés d’agglomération, communautés urbaines, métropoles, métropole de Lyon), aux « communes continuant à organiser des services de mobilité en application du II du même article » et à « l’établissement public “Île de France Mobilités” visé à l’article L. 12411 du même code ([25]) ».

Comme le souligne encore l’étude d’impact, le dispositif « 1 % transports » « n’aura pas d’impact négatif sur les entreprises puisqu’il exclut du périmètre des ressources prises en compte, celles provenant du versement de transport incombant aux employeurs, et ne fait porter le 1 % que sur la part tarifaire et la subvention des collectivités territoriales ».

2.   Les apports de la Commission

À l’initiative de votre rapporteur, un amendement a été adopté visant à prendre en compte le remplacement du « versement de transport » par le « versement mobilité » opéré par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

Un amendement de Mme Aina Kuric a par ailleurs ajouté une précision au premier alinéa de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales. Celui-ci disposera désormais que les collectivités territoriales peuvent mettre en œuvre toute action internationale de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire, dans le respect des engagements internationaux de la France « et notamment du Programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies ».

Enfin, la Commission a adopté un amendement de M. Vincent Ledoux qui crée un dispositif de « 1 % Logement solidarité internationale » en autorisant les bailleurs sociaux Français, sur la base du volontariat, à financer des actions de coopération et de solidarité internationales conduites avec leurs homologues des pays éligibles compétents en matière de logement (bailleurs sociaux, collectivités territoriales étrangères), dans la limite de 1 % du budget d’investissement des bailleurs sociaux français.

Article 5
Conseil national du développement et de la solidarité internationale

1.   Les dispositions du projet de loi

Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) a été créé par le décret n° 2013-1154 du 11 décembre 2013 ([26]), puis a reçu une consécration législative par la loi du 7 juillet 2014 dans son article 4. Celui-ci lui donnait pour mission de « permettre une concertation régulière entre les différents acteurs du développement et de la solidarité internationale sur les objectifs, les orientations, la cohérence et les moyens de la politique française de développement ». Comme le rappelle l’étude d’impact, des structures de concertation existent sous différentes formes chez la plupart de nos partenaires, avec par exemple, aux États‑Unis, le Federal Advisory Committee to the Secretary of State for Strategic Dialogue with civil society et, pour l’agence USAID, l’Advisory Committee on Voluntary Foreign Aid.

La loi de 2014 devenant caduque par l’adoption de la présente loi ([27]), il est nécessaire de prévoir dans cette dernière des dispositions maintenant l’existence, au niveau législatif, de cette instance. Tel est l’objet de l’article 5 du présent projet de loi. Celui-ci définit le CNDSI comme « l’enceinte privilégiée et permanente de concertation entre les principaux acteurs du développement et l’État sur les objectifs, les orientations, la cohérence et les moyens de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ». Cette rédaction est quasi-identique à celle figurant à l’article 4 de la loi du 7 juillet 2014.

L’article 5 renvoie à un décret le soin de préciser l’organisation du CNDSI, son fonctionnement et sa composition, dont il est seulement précisé qu’elle doit inclure « deux députés et deux sénateurs ». Cette dernière précision était indispensable dans la mesure où l’article L.O. 145 du code électoral ([28]) dispose que seule la loi peut prévoir la participation de parlementaires au sein d’organismes extraparlementaires. L’article L.O. 145 précise que la loi doit aussi déterminer « les conditions » de leur désignation, ce que ne fait pas l’article 5 du projet de loi. Par comparaison, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction actuelle, prévoit que la CNIL comprend deux députés et deux sénateurs, « désignés respectivement par l’Assemblée nationale et par le Sénat de manière à assurer une représentation pluraliste » ([29]).

Le cadre de partenariat, annexé au présent projet de loi, précise que le CNDSI sera présidé par le ministre chargé du développement qui, ce faisant, sera « le garant de la mobilisation de l’ensemble des parties prenantes ».

Le décret mentionné au présent article 5 a, de façon un peu curieuse, déjà été pris par le Premier ministre. Il s’agit du décret n° 2020-1756 du 30 décembre 2020 portant modification du décret n° 2013-1154 créant un Conseil national du développement et de la solidarité internationale. Il modifie la composition du CNDSI et fixe à dix le nombre de collèges dont il est composé (contre huit auparavant). Il fait passer de deux à trois le nombre minimum de réunions par an.

Votre rapporteur, dans son rapport d’août 2018, avait souligné l’utilité qu’il y aurait pour le CNDSI à se doter d’un collège dédié à la jeunesse tant le rôle de celle-ci, notamment sur le continent africain, sera l’élément clé des politiques durables de demain. Une telle initiative ne relève bien entendu pas du domaine de la loi.

2.   Les apports de la Commission

Outre une modification rédactionnelle, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteur précisant que les parlementaires membres du CNDSI sont désignés par la commission permanente chargée des affaires étrangères de leur assemblée respective de manière à assurer une représentation pluraliste.

 

Article 6
(articles 1 et 2 de la loi n° 2005-159 du 23 février 2005
relative au contrat de volontariat de solidarité internationale)
Volontariats dits « réciproques »

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 6 vise à étendre le dispositif du volontariat international en vue de proposer aux étrangers des missions en France. Votre rapporteur salue cette avancée historique, qui place la mobilité circulaire au cœur de la stratégie de partenariat et reconnaît l’intérêt mutuel des pays partenaires à développer ce type d’échanges.

Le volontariat constitue en effet une voie privilégiée de l’appropriation par la jeunesse des enjeux de la politique de développement. Or, le volontariat français souffre d’un très faible niveau de réciprocité. Selon l’étude d’impact, en 2018, moins de 200 jeunes provenant de 40 pays partenaires ont effectué un service civique en France, auxquels il convient d’ajouter une cinquantaine de jeunes prenant part aux programmes Jeunesse solidarité internationale et Ville-vie-vacances solidarité internationale. La France accuse en ce domaine un retard par rapport à certains partenaires, comme l’Allemagne, dont le programme de service civique à l’international Welwärts permet à 800 jeunes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine d’effectuer un volontariat sur le territoire allemand.

L’accueil de volontaires internationaux en lien avec l’Agence du service civique s’est peu développé en raison des freins administratifs et réglementaires encadrant le dispositif : le Service civique est en effet peu adapté aux volontariats réciproques, dans la mesure où il répond aux priorités de la politique publique Jeunesse, et a été conçu avant tout pour mobiliser, sur le territoire national, des Français ou des résidents en France.

Aussi, il a été choisi, aux termes de l’article 6, d’étendre le champ des bénéficiaires du volontariat de solidarité internationale (VSI) afin de permettre aux ressortissants de pays tiers de s’engager sur le territoire français dans le cadre d’un contrat de volontariat de solidarité internationale. Afin de ne pas concurrencer le dispositif du Corps européen de solidarité, dispositif européen existant qui offre la possibilité à un jeune résident d’un État membre de l’Union européenne, de l’Islande, du Liechtenstein, de la Norvège, de l’ancienne République yougoslave de Macédoine, de la Turquie et des pays voisins de l’Union, d’effectuer un volontariat dans un de ces pays participants, il a été choisi en effet de ne pas ouvrir le VSI de réciprocité aux ressortissants de pays membres de l’Union européenne ou parties à l’accord sur l’espace économique européen.

L’étude d’impact anticipe une montée en charge progressive de ce dispositif, avec environ 80 missions financées la première année, et 300 missions, en cumulé, financées à horizon 2022.

2.   Les apports de la commission

Sur l’initiative de Mme Anne Genetet, la commission a souhaité lutter contre les dérives du « volontourisme », pratique qui consiste à proposer des séjours touristiques via les services d’une agence de voyage en les faisant passer pour du volontariat. À cette fin, elle a adopté un amendement assimilant à un dol l’utilisation des termes de « volontariat » ou « bénévolat » pour des activités payantes et à but lucratif, dès lors que cette contribution financière ne participe pas à financer le projet initial ou des projets annexes d’intérêt général.

 

Article 6 bis [nouveau]
Devoir de vigilance des organisations proposant des actions de volontariat

Introduit par la commission, le présent article vise à soumettre les organisations proposant des actions de volontariat au sein de structures œuvrant auprès de mineurs aux mêmes règles de vigilance que les organisations travaillant en France, en empêchant l’accès à ces séjours touristiques ou missions aux personnes ayant été condamnées pour crime ou pour certains délits.

Ainsi, les entreprises, les organisations ou les établissements d’enseignement supérieur, français ou étrangers, préparant depuis la France l’envoi à l’étranger de volontaires, de bénévoles ou de stagiaires dans le but d’effectuer des stages, des missions, des séjours touristiques ou des excursions au sein d’organisations qui bénéficient à des mineurs sont tenus de vérifier l’absence de condamnation à une « peine d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, pendant la durée de la mesure » mentionnée au bulletin n° 3, comme le prévoit le 4 ° de l’article L. 777 du code de procédure pénale.

 

Article 7
(articles L-515-13 du code monétaire et financier)
Renforcement de la tutelle sur l’Agence française de développement

1.   Les dispositions du projet de loi

L’activité de l’Agence française de développement s’est considérablement renforcée au cours de ces dernières années, tant sur le plan des missions qui lui ont été confiées que sur le plan des moyens budgétaires. L’État lui a ainsi progressivement transféré des compétences (notamment le secteur de la gouvernance en 2016) et a investi massivement dans la croissance de l’activité de l’agence en en faisant l’opérateur pivot de la mise en œuvre de la politique bilatérale de la France, par le biais notamment :

—  d’un renforcement des fonds propres de l’AFD en 2016, pour un montant de 2 408 millions d’euros, ce qui a permis à l’agence d’accroître ses engagements, notamment dans les pays où elle intervient en prêts ;

—  d’un rehaussement sans précédent des moyens de l’agence consacrés aux dons, avec un milliard d’euros d’engagements supplémentaires en 2019, dans le cadre d’un « effort qui sera soutenu tout au long du quinquennat », selon la formulation du CICID de 2018.

Cette forte croissance de l’activité de l’AFD implique un renforcement de l’exercice de la tutelle de l’État sur l’agence, tant au niveau national qu’au niveau des pays partenaires, et une meilleure redevabilité devant le Parlement.

Aussi, l’article 7 vise à rehausser au niveau législatif les dispositions relatives aux missions de l’agence et à l’exercice de la tutelle de l’État sur l’opérateur, et à expliciter le rattachement de l’AFD à la catégorie des établissements publics concourant à l’action extérieure de l’État. Dans cette optique, il précise les missions de l’AFD, la tutelle exercée par l’État et le statut de l’agence, qui deviendra un établissement public à caractère commercial contribuant à l’action extérieure de l’État, au sens de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État. À ce titre, les règles du chapitre 1er de cette loi s’appliqueront à l’agence, en particulier les dispositions concernant son activité à l’étranger, qui s’exercera sous l’autorité des chefs de mission diplomatique, dans le cadre de la mission de coordination et d’animation de ces derniers. Cette disposition permet d’orienter les efforts de tous les services et opérateurs de l’État vers une stratégie commune, pour une plus grande efficacité de l’aide. Elle s’incarnera dans la mise en place d’un conseil local du développement, présidé par le chef de mission diplomatique, regroupant tous ces acteurs, dont le fonctionnement est détaillé dans le cadre de partenariat global.

L’article 7 reconduit également les dispositions prévoyant que l’AFD est autorisée à gérer, sous la forme de fonds de dotation, des fonds publics ou privés. Ces dispositions étaient déjà présentes dans la loi du 7 juillet 2014 précitée, mais leur période de validité était limitée à cinq ans. Cette autorisation est particulièrement nécessaire dans le contexte du rapprochement avec Expertise France. Elle permettra de renforcer la capacité de l’AFD à recevoir ou à confier la gestion de fonds à une large variété d’organismes (Union européenne, institutions ou organismes internationaux, collectivités publiques, États étrangers).

Enfin, l’article 7 autorise l’AFD à détenir tout ou partie du capital de la société Expertise France, afin de poser le cadre juridique du rapprochement avec Expertise France ([30]).

2.   Les apports de la commission

Dans sa rédaction actuelle, l’article 7 ne prévoit pas la présence de parlementaires dans le conseil d’administration de l’AFD, ce qui revient à supprimer leur participation à cette instance stratégique, puisque la présence des parlementaires dans les organismes extérieurs au Parlement doit être prévue par la loi. La commission a considéré que l’objectif de redevabilité et de renforcement du pilotage politique de l’aide publique au développement devrait conduire, au contraire, au renforcement de la présence des parlementaires.

Aussi, la commission a souhaité porter à trois députés et à trois sénateurs le nombre de parlementaires membres du conseil d’administration de l’AFD, selon des modalités de désignation respectant la configuration politique de chaque assemblée.

 

 

Article 8
(loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010)
Rapprochement d’Expertise France avec le groupe Agence française de développement

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 8 modifie la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État afin de prévoir la transformation de l’établissement public dénommé « Agence française d’expertise technique internationale » en société par actions simplifiée dénommée « Expertise France », dont le capital est public, et à la date de sa transformation, entièrement détenu par l’État.

Cette disposition s’inscrit dans la suite logique des décisions du CICID de 2018, qui avait prévu une intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD élargi à horizon mi-2019, afin de poursuivre la rationalisation et d’accompagner la montée en puissance de l’écosystème français du développement. Ce rapprochement, déjà largement anticipé par les acteurs concernés, permettra à l’AFD de disposer d’une gamme complète de services et de disposer d’une taille critique, dans un contexte international marqué par la concentration croissante des opérateurs.

Conformément aux objectifs du CICID, les dispositions de l’article 8 rendent possible l’intégration au groupe AFD d’Expertise France tout en préservant l’autonomie stratégique et la mission de service public de cette dernière.

L’alinéa 4 prévoit ainsi, à compter du 1er juillet 2021, la transformation d’Expertise France en société par actions simplifiée, option la plus à même de faciliter les synergies au sein du groupe et de simplifier la gestion d’Expertise France. Le positionnement de l’activité d’Expertise France sur les marchés concurrentiels est l’une des principales raisons ayant conduit à retenir le statut de société commerciale. En outre, comme le souligne l’étude d’impact, le statut de la société par actions simplifiée a été préféré à celui de la société anonyme, car il « permet de bénéficier de la robustesse du cadre légale et réglementaire s’imposant aux sociétés commerciales tout en permettant certaines adaptations en matière de gouvernance, incompatibles avec le statut de société anonyme mais indispensables pour maintenir un lien fort entre la société et ses tutelles ».

Les autres options envisagées ne présentaient pas les mêmes avantages. Ainsi, la création d’un GIE a été écartée car elle limitait les synergies attendues du rapprochement entre les deux agences. De même, la création d’un groupement d’EPIC, avec deux EPIC « filles » dépendant d’un EPIC « mère » a été écartée en raison des limites observées lors de l’expérimentation menée par la SNCF entre 2014 et 2018. Enfin, la création d’un dispositif ad hoc rattachant l’EPIC Expertise France à l’EPIC AFD a été jugée trop complexe et risquée, en raison de l’absence de modèle préexistant.

Plusieurs dispositions de l’article 8 permettent de garantir la préservation de l’autonomie stratégique et des spécificités d’Expertise France.

D’abord, l’alinéa 4 prévoit que son capital est public, et entièrement détenu par l’État à sa date de transformation. Pour mémoire, l’article 7 prévoit que l’AFD, qui « exerce une mission permanente d’intérêt public » puisse, à terme, détenir « tout ou partie » de son capital.

Ensuite, aux termes de l’alinéa 8, il est prévu qu’Expertise France « participe à des missions d’intérêt public au service de la politique extérieure, de développement, d’influence et de diplomatie économique de la France, dans le cadre des orientations stratégiques définies par l’État. »

Enfin, un système ad hoc de gouvernance est défini afin de permettre à l’État d’assurer un pilotage étroit des interventions d’Expertise France. Ainsi, des dérogations sont apportées à l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, afin de doter l’État des outils nécessaires pour assurer le pilotage de la société et des spécificités de ses missions, en application des conclusions du CICID du 8 février 2018. Le III de l’article 8 précise la composition du conseil d’administration de l’agence, qui comprendra notamment des parlementaires, et dont le président sera nommé par décret, sur proposition conjointe du ministre chargé du développement et du ministère chargé de l’économie.

En outre, conformément à l’article 1er de la loi de 2010 relative à l’action extérieure de l’État, une convention pluriannuelle conclue entre l’État, l’AFD et Expertise France définira les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en œuvre de ses missions. Le ministre chargé du développement et le ministre chargé de l’économie nommeront chacun un commissaire du Gouvernement et continueront à disposer, au sein de leurs effectifs, d’équipes en charge du pilotage stratégique de l’agence. Le VI de l’article 8 prévoit que l’agence soit soumise au contrôle économique et financier de l’État dans les conditions prévues par le décret n° 55‑733 du 26 mai 1955 relatif au contrôle économique et financier de l’État. Enfin, le VII de l’article 8 prévoit que les statuts de la société soient approuvés par décret : ils préciseront ses missions, ses modalités d’organisation ainsi que son fonctionnement.

2.   Les apports de la commission

Dans une logique de renforcement de la redevabilité et du pilotage politique de l’aide publique au développement, la commission a porté à deux députés et à deux sénateurs le nombre de parlementaires membres du conseil d’administration d’Expertise France. Elle a également souhaité clarifier la gouvernance d’Expertise France en distinguant le rôle du président et du directeur général. Elle a, en outre, réduit de quinze à huit jours le délai imparti pour rendre exécutoire les délibérations du conseil d’administration. Enfin, elle a demandé la transmission par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur les coopérations opérationnelles entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations.

Article 9
Création d’une commission d’évaluation

1.   Les dispositions du projet de loi

Dans un contexte d’accroissement sans précédent des moyens consacrés à la politique de développement, l’article 9 crée une commission d’évaluation de cette politique, afin de faire de la redevabilité un axe central de la politique de partenariats. Cette commission s’inspire de l’Independant Commission for Aid Impact (ICAI) créée en 2011 par le Royaume-Uni. Le rapporteur salue cette avancée permise par le projet de loi, qu’il avait appelée de ses vœux dans son rapport de 2018, et qui s’inscrit dans la lignée de plusieurs autres rapports parlementaires, comme celui de M. Rodrigue Kokouendo et de Mme Bérengère Poletti ([31]).

Ainsi, la commission d’évaluation instituée par l’alinéa 1 de l’article 9 a vocation à renforcer les capacités d’évaluation externe de la politique de développement et de rationaliser les dispositifs existant. L’alinéa 2 précise que la commission sera constituée de personnalités qualifiées désignées dans des conditions fixées par décret, et renvoie également à un décret le soin de fixer ses modalités de fonctionnement. Enfin, l’alinéa 3 précise que la commission arrêtera son programme de manière indépendante, et que tous les acteurs publics concernés devront lui apporter leur concours dans l’exercice de ses missions.

2.   Les apports de la commission

Compte tenu de l’importance du rôle que cette commission jouera dans l’évaluation, la transparence et la redevabilité de l’aide au développement, la commission a souhaité préciser les missions, la composition et les modalités de fonctionnement de la commission indépendante.

Ainsi, elle a précisé que la commission indépendante conduirait des évaluations portant sur la politique de développement, notamment son efficacité et son impact, et qu’elle contribuerait à la redevabilité de cette politique, à la transparence sur les résultats atteints ainsi qu’à l’information du public. Elle a souhaité rattacher le secrétariat de la commission à la Cour des comptes, afin de lui faire bénéficier de l’indépendance, de l’expertise, de l’expérience et de la renommée de cette institution de référence, tant le domaine du contrôle que dans l’évaluation des politiques publiques.

Le rattachement à la Cour des comptes s’inscrirait également dans une logique de rationalisation et de mutualisation des moyens. D’autres institutions de référence sont déjà adossées à la Cour des comptes, comme le Conseil des prélèvements obligatoires ou le Haut Conseil des finances publiques.

Enfin, la commission indépendante pourra être saisie de demandes d’évaluation par le Parlement et transmettra à ce dernier ses rapports d’évaluation.

Article 10
Habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance sur l’attractivité

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 10 prévoit d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour définir les modalités d’octroi par le Gouvernement de privilèges et immunités sur le territoire français aux organisations internationales et aux associations ou fondations de droit français ou étranger assimilables à ces organisations internationales, qui installent leur siège en France ou qui souhaitent y organiser des conférences internationales, dans le but de renforcer l’attractivité du territoire français.

L’émergence, sur la scène internationale, de nouveaux acteurs, comme les associations ou fondations assimilables à des organisations internationales, implique en effet la mise en œuvre d’une politique d’attractivité visant à accueillir, en France, ces organismes très actifs dans le domaine du développement. Comme le souligne l’étude d’impact, le succès de ces organismes s’explique par leur adaptation aux nouvelles formes de gouvernance associant davantage la société civile, au besoin de réactivité de la communauté internationale, et à la volonté de promouvoir le multilatéralisme en associant certains États réticents à la création d’organisations internationales.

Compte tenu de la contribution directe de ces organismes internationaux au rayonnement international de la France et des importantes retombées économiques qu’ils génèrent, la définition d’une politique d’attractivité s’impose, dans des délais d’autant plus brefs que la concurrence internationale s’accroît.

Or, en la matière, la France est pénalisée par la lenteur de ses procédures, incompatible avec le besoin de réaction immédiate et de prévisibilité de la communauté internationale : la procédure d’approbation d’un accord de siège, soumis à l’autorisation préalable du Parlement, dure en moyenne dix-huit mois. En outre, comme l’a relevé le Conseil d’État dans une note de 2009, l’absence de politique française en matière d’attractivité des organismes internationaux est susceptible de conforter une image négative de notre pays : une politique d’accueil dynamique exige un « affichage plus séducteur » des privilèges et immunités, c’est-à-dire de l’ensemble des avantages dérogatoires au droit commun, comprenant notamment des mesures de protection contre l’intervention des organes étatiques, des exemptions fiscales et diverses facilités, qui leur sont accordés afin de garantir l’accomplissement sans entrave et en toute indépendance de leurs missions sur le territoire des États d’accueil.

De fait, plusieurs organismes importants ont choisi récemment de s’implanter dans d’autres pays plus attractifs de l’Union européenne, notamment la Suisse ou l’Autriche. Ainsi, la Suisse a pu accueillir ces vingt dernières années des organisations majeures dans le domaine de la santé, parfois créées à l’initiative de la France, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ou le GAVI (Alliance du vaccin). Plusieurs projets d’accueil d’organismes font actuellement l’objet de discussions, comme celui du Partenariat mondial pour l’éducation.

Aussi, l’article 10 prévoit d’habiliter le Gouvernement à recourir à des ordonnances pour répondre de façon cohérente à ces difficultés en mettant en place un dispositif rendant possible l’octroi de privilèges et immunités à ces organismes internationaux, sans qu’il soit nécessaire que des dispositions législatives ad hoc soient adoptées pour chacune d’entre elles.

L’ordonnance définira les modalités d’accueil et de séjour :

1° des organisations internationales ou des agences décentralisées de l’Union européenne qui envisagent de s’installer en France ou qui souhaitent y organiser des conférences internationales, de leurs personnels, des représentations et des représentants des États membres, des personnes officiellement invitées à participer à leurs travaux ainsi que des experts en mission pour le compte de ces organisations, en mettant le Gouvernement en mesure de leur accorder des privilèges et immunités sur le territoire français dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’accord international conclu aux mêmes fins ;

2° des associations ou fondations de droit français ou étranger assimilables à ces organisations internationales qui envisagent de s’installer en France ou qui souhaitent y organiser des conférences internationales, ainsi que de leurs personnels et des personnes officiellement invitées à participer à leurs travaux, en mettant le Gouvernement en mesure de leur accorder des privilèges et immunités sur le territoire français.

2.   Les apports de la commission

La commission n’a apporté que des modifications d’ordre rédactionnel à cet article.

Article 11
Abrogation des articles de la précédente loi du 7 juillet 2010

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 11 vise à abroger les dispositions de la loi du 7 juillet 2014 précitée, à l’exception de ses articles 11, 13 et 14.

L’article 15 de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale prévoyait en effet que la loi s’appliquerait jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation. Cependant, les dispositions normatives, codifiées ou non codifiées, de la précédente loi resteront en vigueur. Il s’agit de :

– l’article 11 de la loi du 7 juillet 2014, qui complète le titre Ier du livre II du code monétaire et financier par un chapitre VIII relatif à l’offre d’opérations de banque à des personnes physiques résidant en France par des établissements de crédit ayant leur siège social dans un État figurant sur la liste des États bénéficiaires de l’aide publique au développement et qui n’est pas partie à l’accord sur l’espace économique européen ;

– l’article 13 de la loi du 7 juillet 2014, qui modifie le chapitre IV du titre Ier de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État et portant création d’Expertise France comme établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l’économie ;

– l’article 14 de la loi du 7 juillet 2014, qui prévoit notamment l’instauration du dispositif « 1 % déchets » permettant aux collectivités territoriales et autorités responsables de la collecte et du traitement des déchets de financer, dans la limite de 1 % des ressources affectées à ces services, des actions de coopération dans ce domaine avec les collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, ainsi que l’organisation de campagnes d’information sur la solidarité internationale des territoires.

2.   Les apports de la commission

Sur l’initiative de Mme Sira Sylla et de M. Vincent Ledoux, la commission a souhaité que le Gouvernement présente au Parlement une évaluation du dispositif dit de « bi-bancarisation » établi par l’article 11 de la loi n° 2014 773 du 7 juillet 2014, et lui remette un rapport examinant les modalités de réduction des coûts de transaction des envois de fonds effectués par des personnes résidant en France vers des personnes résidant dans des pays éligibles à l’aide publique au développement.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement

Lors de sa réunion du mercredi 27 janvier 2021 après-midi, ouverte à la presse, la commission a auditionné M. Rémy Rioux, directeur général de l’agence française de développement, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre ordre du jour appelle l’audition ouverte à la presse de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Le rapporteur du projet de loi est M. Hervé Berville. Notre commission a souhaité vous entendre afin de bénéficier de votre regard expérimenté sur ce projet de loi et de recueillir votre analyse de l’évolution de l’aide publique au développement.

Ce projet de loi était extrêmement attendu par notre commission. Dès la fin de l’année 2018, nous nous étions organisés pour suivre l’élaboration de ce texte et préparer son examen. La commission était alors présidée par ma prédécesseur, Marielle de Sarnez, qui nous a quittés dans des conditions absolument tragiques. Notre commission est en deuil. Nous avons accompagné, durant tout le trimestre précédent, les souffrances de madame de Sarnez et sa disparition entraîne un deuil collectif.

La commission a exprimé, en 2019 et en 2020, des souhaits forts quant à ce texte, sur lesquels nous souhaiterons recueillir votre appréciation. Nous avons demandé que la future loi fixe les orientations stratégiques traduisant la vision de la France à long terme en matière d’aide au développement, et fixe une stratégie reposant sur deux axes : l’affirmation d’une politique de solidarité à l’égard des pays pauvres ou en crise d’une part, et la poursuite d’une politique de partenariat au développement avec les pays à revenus intermédiaires d’autre part.

Notre commission avait estimé nécessaire de renforcer le pilotage politique de l’aide publique au développement, en définissant une gouvernance renforçant la cohérence et la complémentarité des actions de la France dans les différents domaines d’intervention de cette aide. Ce pilotage devrait être national tout en accordant aux ambassadeurs, dans une logique de déconcentration, un rôle renforcé de coordination des aides.

Notre commission a souhaité que les financements bilatéraux et multilatéraux soient mieux articulés et fassent l’objet d’évaluations précises.

Nous avons également insisté sur la nécessité de renforcer les partenariats avec les entreprises privées et les collectivités territoriales.

Il nous est apparu en outre indispensable de mieux sensibiliser et d’associer les citoyens aux actions d’aide au développement.

Enfin, nous avons souhaité qu’une véritable culture du résultat soit mise en place par le contrôle et l’évaluation.

M. Hervé Berville. J’adresse, pour commencer, une pensée amicale, émue et pleine de gratitude à Marielle de Sarnez. Sans son abnégation, nous ne serions pas en train de discuter de ce projet de loi aujourd’hui. Je me souviens quand, en 2017, le gouvernement a pris la décision de raboter les crédits alloués aux organisations non-gouvernementales (ONG) alors qu’il avait promis de ne pas le faire. Elle s’était alors battue pour rétablir ces crédits. Elle a toujours été attachée à l’enjeu de la solidarité internationale et de la protection des plus vulnérables. Je souhaite ici la remercier.

Elle avait également été à l’initiative du rassemblement de tous les chefs de file des partis politiques sur ces questions. Ainsi, grâce à l’action de madame de Sarnez, madame Bérengère Poletti et moi-même avons été reçus le 25 janvier par le ministre des affaires étrangères pour discuter de ce texte de loi.

Je tiens enfin à vous féliciter, monsieur le président. J’ai beaucoup de bonheur à vous voir désormais présider cette commission.

Ce projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est le fruit d’un travail collectif, mené depuis plus de trois ans avec le gouvernement. Nous y retrouvons un certain nombre de priorités très fortes pour nous.

Pour la première fois, le gouvernement se dote d’une stratégie claire et lisible. Ce cadre de partenariat global donne à voir d’une part les priorités et les objectifs stratégiques du gouvernement, et d’autre part comment cette politique de partenariat est mise en cohérence avec l’agenda 2030 et l’accord de Paris. Cela est essentiel. Ma première question, monsieur le directeur, porte sur ce premier point : relevez-vous des manques ou bien des avancées dans ce cadre de partenariat global ? Correspond-t-il aux objectifs stratégiques de l’Agence française de développement (AFD) dans les prochaines années ?

Ma seconde question porte sur la programmation financière. Nous félicitons le gouvernement d’avoir maintenu un volume stable d’aide publique au développement, alors que la chute du revenu national brut (RNB) aurait insidieusement pu autoriser le gouvernement à réduire son volume. Le gouvernement poursuit une trajectoire claire, et cela apporte une prévisibilité à tous les acteurs. Dans un monde où les pays en développement font face à une augmentation massive de la dette, comment situez-vous le modèle de l’AFD ? Ce modèle de développement est d’abord basé sur les prêts. Dans quelle mesure la priorité accordée aux dons est-elle susceptible de faire évoluer le modèle de l’AFD et notamment ses relations avec l’État ? Enfin, tenant compte de cette trajectoire budgétaire, comment envisagez-vous les perspectives de soutenabilité budgétaire de l’AFD et le maintien de son modèle ?

Je soulève également une question sur les partenariats. Nous voulons que ce projet de loi soit résolument contemporain. La politique d’aide au développement ne se conduit pas simplement d’État à État. Au contraire, cette politique doit être en capacité de financer des plus petits acteurs – les acteurs de la diaspora, les jeunesses, les collectivités locales. Ce texte de loi prévoit ainsi le doublement des financements accordés aux organisations de la société civile, aux collectivités locales, mais également aux entreprises privées. Quel est le rôle de l’AFD dans ce contexte ? L’agence ne peut pas se substituer à un ministère de la coopération, mais en raison de ses compétences, joue un rôle important de plateforme. Comment l’opérateur AFD se positionne-t-il dans le contexte de démultiplication des acteurs et de foisonnement des initiatives dans les années à venir ? Je souhaiterais également en savoir davantage sur l’accompagnement et l’appui apporté par l’AFD aux petits projets.

Je terminerai par une question sur l’article 9 de ce projet de loi, portant sur la création d’une commission indépendante d’évaluation. La création de cette commission indépendante d’évaluation représente une grande avancée à nos yeux. Le parlement considère que l’augmentation des crédits de l’aide publique au développement doit créer une politique de redevabilité et de transparence, d’autant plus que les bénéficiaires finaux de cette aide vivent à des milliers de kilomètres. Vous avez été à l’initiative de la trajectoire de l’agence vers une plus grande évaluation de ses actions. Je souhaite recueillir votre avis sur cette politique d’évaluation et savoir comment l’AFD s’inscrira dans ce cadre. La commission indépendante fusionnerait l’unité d’évaluation du quai d’Orsay, l’unité d’évaluation de la direction générale du Trésor et celles de l’AFD. Comment inscrivez-vous votre groupe dans cette stratégie et comment comptez-vous améliorer l’évaluation de l’impact ? À nos yeux, l’évaluation ne revêt pas seulement un enjeu de transparence et d’efficience, mais aussi de crédibilité de notre action et d’influence. Par l’évaluation se joue la capacité de la France à rayonner dans sa politique de partenariats.

Je m’intéresserai également au pilotage de l’AFD. Le parlement est attaché à l’autonomie stratégique d’Expertise France. Comment comptez-vous garantir cette autonomie dans un groupe élargi ? Expertise France couvre un mandat géographique et sectoriel plus large que l’AFD. Je souhaite m’assurer que ses agents ne deviennent pas des experts exécutants des projets de l’AFD et que la France conserve une capacité à déployer de l’expertise en matière de politiques publiques. Dans le même temps, l’écriture actuelle du texte de loi ne prévoit-elle pas des lourdeurs en matière de gouvernance ? Le texte de loi ne nomme pas le directeur général, mais mentionne un président de conseil d’administration. Comment envisagez-vous l’amélioration et la simplification de la gouvernance ? Enfin, quel regard portez-vous sur la nouvelle architecture proposée par le projet de loi, qui prévoit des conseils locaux du développement animé par les ambassadeurs ?

Je souhaite enfin vous remercier. Depuis trois ans, en dépit de l’augmentation des crédits octroyés à l’AFD, nous avons maintenu une excellente qualité de relation et vous avez toujours été disponible pour répondre à nos questions. Siégeant au conseil d’administration, je témoigne du fait que toutes les informations qui doivent être communiquées le sont.

Cette loi d’orientation et de programmation ouvre l’opportunité de donner à la France tous les moyens pour répondre au triple objectif qu’elle s’est fixée : lutter contre la pauvreté, lutter contre les inégalités et lutter contre les changements climatiques en respectant les droits humains.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le rapporteur s’est fait l’écho des questions principales qui nous occupent. Je vous laisse le temps nécessaire pour nous apporter les éclaircissements que vous jugez utiles.

M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement. Je souhaite d’emblée rendre hommage à votre présidente, Marielle de Sarnez. Je sais qu’elle attendait ce débat avec un grand intérêt et tout son engagement. Elle avait préparé ce projet de loi par beaucoup de travaux de la commission. C’est une douleur qu’elle ne soit pas présente.

Marielle de Sarnez était très attachée au fait que ce texte constitue bien une politique : la politique de développement. Je suis tout à fait d’accord avec cette lecture. Nous avons, pendant de nombreuses années, eu tendance à considérer le développement comme un instrument au service d’autres fins politiques. Le développement constitue un pilier de notre politique étrangère, en effet, mais celui-ci doit recevoir un mandat politique spécifique, fixé au plus haut niveau par la représentation nationale. L’agence que je dirige doit exécuter ce mandat. Le débat que vous avez engagé autour de cette loi de programmation est par conséquent très important pour nous. Nous sommes conscients de notre responsabilité et de la redevabilité attendue, à mesure d’ailleurs que la charge budgétaire qui nous est confiée augmente.

Ma lecture de la loi est très positive. Elle donne l’occasion d’un débat public et d’une refondation de cette politique. Vous allez fixer une ligne, qui avait été troublée ou oubliée par le passé – au moins depuis 2014 et la dernière loi, qui était d’ailleurs la première du genre. Je salue les nombreux travaux de votre commission à ce sujet : les différents rapports produits ainsi que le groupe de travail sur l’aide publique au développement et l’action humanitaire. Nous sommes très heureux que cette mandature soulève des débats qui nous interpellent.

Ce débat est d’autant plus important que nous conduisons chaque année des sondages sur les Français et le développement. Les personnes qui se déclarent informées de la politique de développement la trouvent efficace à 70 % ; les personnes qui s’avouent mal informées la considèrent inefficace. Nous constatons que la plupart des personnes se déclarent mal informées –  d’où l’importance de diffuser un maximum d’informations sur la politique d’aide au développement.

Les évaluations sont une matière absolument essentielle. La totalité de nos évaluations est désormais mise à disposition en ligne. En 2020, nous avons évalué 43 % de nos projets – dans le Sahel, ce chiffre atteint les 88 %. Nous versons toute cette matière au débat public. Il est très important de disposer d’une instance indépendante qui vienne questionner les résultats des opérateurs et porter sur eux un regard extérieur et objectif. L’évaluation des projets internationaux est également intéressante en ce sens qu’elle peut servir à nourrir nos propres politiques publiques en France. Plus cette approche sera adoptée, plus nos politiques publiques seront riches et éclairées d’éléments utiles de parangonnage. En ce sens, l’article 9 du projet de loi ainsi que tous les éléments portant sur la transparence sont très bienvenus dans le cadre de ce débat.

La loi apporte une visibilité budgétaire : les crédits de la mission aide publique au développement connaissent 75 % d’augmentation entre 2016 et 2022. Il s’agit de la mission qui augmente relativement le plus dans tout le budget de l'État. La fixation de l’objectif de 0,55 % – qui sera atteint, et peut-être même dépassé – constitue une excellente nouvelle pour nous tous. Cela est d’autant plus vrai à un moment où nos collègues britanniques, considérés pendant vingt ans comme les leaders de la politique d’aide au développement dans le monde, réduisent d’un tiers les crédits qui y sont alloués. Je le regrette. Les décisions du gouvernement français sont donc très positives pour l’influence de notre pays.

La loi fixe un nouveau récit de la politique de développement : elle mentionne les politiques partenariales, le développement solidaire, les inégalités mondiales, l’approche globale intégrée. Nous trouvons ainsi les mots français pour dire les objectifs de développement durable et l’accord de Paris. Cela permet de mieux transcrire le lien entre les politiques et les espaces, et d’exprimer l’idée selon laquelle les enjeux nationaux se retrouvent dans l’international. Cela permet de ne pas faire du développement seulement un enjeu extérieur et étranger, mais de reconnaître que nos intérêts s’y expriment. Ces intérêts sont bienveillants, généreux, ouverts ; ils recouvrent également l’intérêt de bâtir une relation de long terme avec les pays du Sud. De ce point de vue, tous les éléments issus du rapport d’Hervé Berville et des travaux d’Esther Duflo sur l’innovation, le volontariat réciproque (article 6), l’attractivité de la France (article 10) viennent nourrir le récit du lien réciproque entre notre pays et le reste du monde.

Il me semble que l’AFD est déjà mobilisée au service de cette ambition. Je ne vois pas de contradiction entre le cap que vous allez fixer et le mandat de l’AFD. Au contraire, nous souhaiterions pousser plus loin encore ces ambitions. Nous menons toutes nos activités sous le contrôle du gouvernement et des ambassadeurs. Je souhaiterais que l’agence soit le plus près possible de son mandat politique – c’est en effet de là qu’elle tire sa force et ses moyens. Nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et nos activités prennent place dans le cadre d’une gouvernance et d’un conseil d’administration dans lequel siègent des députés et des sénateurs. Je salue ici Hervé Berville, Amélia Lakrafi, Bérengère Poletti et Dominique Potier pour leur soutien vigilant depuis plusieurs années.

Une partie du chemin financier tracé dans la loi de programmation est déjà mené. Nous sommes passés de 7 milliards d’euros à 14 milliards d’euros de financements par an. Cela représente une empreinte financière significative. Nous allons stabiliser notre budget 2021 et 2022 autour de 12 milliards d’euros par an, et poursuivre la consolidation et la modernisation de l’agence, notamment en améliorant les décaissements.

Il est en effet nécessaire de trouver un équilibre entre les prêts et les dons. Pendant de nombreuses années, nos moyens en subventions et en dons ont été réduits à portion congrue et nous avons donc fortement soutenu l’activité en prêts. Nous sommes maintenant revenus, avec votre confiance et votre vote, à un ratio de 80 % de prêts pour 20 % de dons et subventions – à cela s’ajoute près d’un milliard d’euros alloués par l’Union européenne, puisque notre agence met également en œuvre des moyens et des priorités européennes. Il est donc nécessaire de garder un équilibre d’instruments et de savoir les gérer de façon différente selon leurs caractéristiques. Je me considère agnostique sur les instruments. Il faut disposer des instruments correspondant à la politique qui nous est fixée, et non élaborer une politique en fonction de nos instruments – comme cela a pu être le cas dans le passé.

En réponse à votre question sur le soutien que l’AFD apporte aux petits projets : à mes yeux, la seule distinction utile est celle entre les bons et les mauvais projets. Il ne faut pas s’arrêter au montant du projet. Il faut être capable de gérer avec agilité des projets de petite taille, s’ils ont un impact et une exemplarité très forts, et savoir mener des projets de taille plus significative.

Je reviendrai que le cadre de partenariat et les priorités fixées. Qu’il s’agisse des priorités transversales, des priorités sectorielles ou des priorités géographiques, nous sommes tout à fait à l’aise avec votre formulation et vos documents. Nous soutenons et servons les activités en Afrique et dans la Méditerranée ; sur le climat ; en matière de diplomatie féministe et d’égalité entre les femmes et les hommes. Il est intéressant d’étudier la somme de ces priorités. Les sujets climatiques se rapprochent de la biodiversité ; ces sujets ayant trait à la planète amènent la question des inégalités et donc les questions sociales. L’agenda des objectifs de développement durable émerge et oriente nos activités.

J’ai en effet affirmé que l’AFD devenait une plateforme. J’ai indiqué dans notre plan stratégique que nous devions adopter un réflexe partenarial. Le message que je passe aux agents de l’AFD est de systématiquement chercher à tourner le plus grand nombre possible de partenaires vers le sud et vers notre action internationale. Il peut s’agir de partenaires français – cela est notre responsabilité – mais aussi de partenaires internationaux. Je citerai l’alliance Sahel de 2017 ou le sommet Finance en commun de novembre 2020 qui a rassemblé les banques de développement. Nous nous servons donc des moyens que vous nous accordez pour rassembler des coalitions plus larges.

Plusieurs dispositions du projet de loi nous concernent très directement. Les deux articles portant sur l’AFD et sur Expertise France sont les plus importants pour nous : ils fondent le groupe AFD. Jusqu’à présent, l’AFD ne disposait que d’une filiale, Proparco. Si vous nous témoignez cette confiance, vous nous ajouterez une seconde filiale et nous deviendrons alors un groupe public très différent. L’on voit déjà émerger, dans le rapprochement mené avec Expertise France, des dynamiques très intéressantes. Je regrette que notre expertise et notre capacité d’assistance technique se soient effondrées : elles représentaient 70 % de l’aide publique au développement dans les années 1970, rassemblant 25 000 experts dans le monde entier – ils sont aujourd’hui 150 experts. Cet instrument a connu le choc le plus brutal, en partie car il était isolé. L’AFD a d’ailleurs une part de responsabilité dans cet effondrement. Elle a considéré qu’il valait mieux conduire des financements et oublier la dimension humaine de l’assistance technique, qui est absolument essentielle. Nous allons maintenant présenter à nos clients une offre commune, réunissant en même temps l’offre financière et l’offre non financière. Cela va avoir pour effet de renforcer considérablement le volet d’expertise de notre action internationale. Nous allons apporter à Expertise France un réseau : le modèle économique d’Expertise France ne lui permet pas de créer un réseau à l’étranger, or l’AFD dispose déjà d’un réseau. Soyez assurés que nous allons le faire dans le respect du mouvement propre et de l’autonomie d’Expertise France dans le groupe AFD. Il est nécessaire qu’Expertise France remporte des marchés auprès de l’Union européenne, du Fonds vert pour le climat, de la Banque mondiale pour rayonner encore davantage et accroître les ressources orientées par les priorités fixées par la France. Je n’ai pas de problème de principe avec les dispositions prévues dans ce projet de loi pour garantir le mouvement propre d’Expertise France.

Le 1 % mobilité est une très bonne disposition. Nous disposons de l’expérience en la matière car nous connaissons la loi Oudin dans le domaine de l’eau. Ce type de financement innovant est extrêmement important.

Enfin, nous sommes très attachés à bien distinguer les deux mandats que nous servons : un mandat de solidarité et de lutte contre la pauvreté orienté vers les pays qui ont décroché et qu’il est nécessaire de ramener dans le mouvement général de coopération internationale ; un mandat portant sur les biens publics mondiaux et le développement durable, qui s’exprime dans les pays émergents ainsi que dans nos Outre-Mer. Qualifier d’aide ces deux mandats conduit à délégitimer le mandat conduit avec les pays les plus riches. La loi est très intéressante en ce sens car elle distingue bien ces deux mandats, très différents et qui ont tous deux leur utilité.

Je terminerai par quelques remarques sur des éléments qui pourraient émerger de vos discussions et qui ne sont pas présents dans le projet de loi.

Il existe un débat sur les biens mal acquis. Il s’agit de savoir s’il est possible d’envisager un mécanisme qui permette, dans une logique de grande transparence et de respect des droits humains, de rendre les sommes aux populations des pays dans lesquels elles ont été prélevées. L’agence et son réseau sont absolument disponibles pour contribuer à cette orientation.

Émergera également peut-être de vos débats la question de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le terrorisme, et notamment sa compatibilité avec des actions de développement dans des zones très fragiles comme le Sahel. À ce sujet, peut-être une solution juridique pourrait-elle émerger pour assurer une cohérence entre ces deux objectifs, qui se retrouvent parfois en contradiction dans certains territoires.

Enfin, je souhaite revenir sur nos Outre-Mer. Il est important, dans ce nouveau récit, de faire de nos territoires ultramarins des plateformes de coopération avec les pays voisins. Je souhaiterais que l’on puisse aligner et rendre opérants l’ensemble des outils du groupe AFD à l’étranger et en Outre-Mer : cela n’est pas le cas de Proparco ni d’Expertise France, qui n’interviennent aujourd’hui pas dans les Outre-Mer. S’agissant de Proparco, la décision relève du conseil d’administration de l’AFD. S’agissant d’Expertise France en revanche, il s’agit d’un sujet de nature législative puisque la loi fixe le mandat et les territoires d’intervention d’Expertise France.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si je puis me permettre une comparaison insolente – n’y voyez pas malice, je la formule dans un souci de pédagogie – : la difficulté est que vous êtes à la tête d’une institution chauve-souris, dont on ne sait pas si elle vole ou si elle marche. Vous êtes à la fois le bras séculier d’un ministère qui s’efforce de développer une politique publique à caractère régalien d’aide et d’assistance ; et un opérateur bancaire qui est amené à prélever et à distribuer des ressources, à prendre des risques et à avoir le souci de la rentabilité. Toutes ces activités sont conduites, vous l’avez rappelé, au service de deux objectifs assez différents. Je cède maintenant la parole aux représentants des groupes politiques.

M. Jean-François Mbaye. La solidarité internationale constitue l’un des fers de lance de la politique étrangère française, et celle-ci est rendue d’autant plus indispensable dans le contexte d’une crise sanitaire certes mondiale, mais qui frappe avec plus d’intensité les pays les plus pauvres et les plus fragiles. La logique de partenariat est essentielle en ce sens ; je rejoins M. Hervé Berville pour préférer employer ce terme plutôt que celui d’aide publique au développement. Je suis ravi de constater que le gouvernement maintient le cap d’une trajectoire financière ambitieuse, au service d’une gouvernance et de moyens renforcés. L’AFD sera au cœur de ce dispositif qui permettra de remplir ses missions actuelles avec encore plus d’efficacité.

Je souhaite vous entendre sur l’initiative, qui émane d’un rapport parlementaire de nos collègues Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann publié en novembre 2019, d’un dispositif de restitution des produits de la cession des biens mal acquis. Cet élément manque, à mon sens, à ce projet de loi – je l’avais évoqué lors de l’examen des crédits de la mission en séance publique. Je juge bon d’inscrire et de porter collectivement cet enjeu dans ce texte.

Je souhaiterais ensuite également voir figurer dans le texte un volet sur le droit humanitaire et l’action des ONG, qui constituent un des moteurs essentiels de l’aide publique au développement. Je souhaite recueillir votre sentiment à ce sujet.

Mme Bérengère Poletti. Je souhaite vous remercier une nouvelle fois, monsieur Rémy Rioux, pour vos vœux, par lesquels j’ai appris incidemment que je n’étais plus membre du conseil d’administration de l’AFD. J’ai fait part de cette nouvelle au ministre. Au moment où le parlement étudie un texte de loi qui se veut rassembleur, il est injuste de ne faire siéger au conseil d’administration de l’AFD plus que deux représentants de la majorité de l’Assemblée nationale. La loi de 2018 relative à la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement, sous prétexte de mieux représenter les parlementaires, a supprimé les suppléants au sein des conseils d’administration. Cela pose problème d’un point de vue démocratique, alors que nous souhaitons augmenter de manière considérable les moyens alloués à l’aide publique au développement. J’ai demandé à mon président de groupe de s’adresser au président de l’Assemblée nationale afin de corriger cela. Il s’agit d’un irritant, je trouve cela très injuste et non propice à la sereine discussion.

Marielle de Sarnez était soucieuse de la place du parlement ; or, la transparence constitue un enjeu important dans l’aide publique au développement pour nous, parlementaires, ainsi que pour nos concitoyens. La totalité de l’aide publique au développement demeure bien opaque. Un tableau, page 52 du texte, présente les prévisions d’aide publique au développement pour la période 2020 – 2022. Il apporte plus d’informations que je n’en ai reçues durant les dernières années écoulées. Ce tableau très clair décrit assez précisément les mouvements de crédits qui vont s’engager. Je formule à ce sujet plusieurs questions.

La commission d’évaluation constitue, à mon sens, le cœur de la réforme. Elle doit faire l’objet d’un décret. Énormément d’informations à son sujet sont manquantes dans la version actuelle du texte : quels seront sa composition, son statut, ses méthodes, ses objectifs ? Tout cela reste à définir. Le ministre nous a expliqué récemment qu’il était très ouvert sur la constitution de cette commission. Beaucoup de questions se posent sur le rôle de la Cour des comptes dans cette commission. Comptons-nous mettre en place une commission totalement indépendante sur le modèle britannique ? Je souhaite donc vous interroger sur le contenu de la commission. S’occupera-t-elle exclusivement d’évaluation, ou s’intéressera-t-elle également aux problématiques de transparence et de contrôle ?

Je soulève également la problématique de la programmation des crédits. Il s’agit d’une loi de programmation 2020 – 2025. Or, la vision sur la ventilation et l’augmentation des crédits s’arrête en 2022. J’ai compris que pour les années suivantes, des décisions devront être prises ultérieurement, sans forcément recueillir l’avis du parlement. Cela me pose problème. Si les crédits actuels étaient prolongés jusqu’en 2025, je souhaite recueillir votre avis sur l’inscription du 0,7 % dans la loi. Les ONG évoquent même un détail de 0,15 % du RNB, inscrit dans la loi, pour les pays les moins avancés.

Je formule un dernier commentaire sur cette programmation. L’objectif de 0,55 % ne serait pas atteint en 2021 ni même en 2022, si nous ne ressentions pas l’impact très important de la dette et l’augmentation de la contribution de la France au budget de l’Union européenne au titre de l’aide publique au développement.

M. Bruno Fuchs. Vous avez évoqué une culture du résultat. À ce sujet, je partage les réflexions de notre rapporteur sur les indicateurs. Quel est votre regard sur les indicateurs actuels ? Ne pensez-vous pas nécessaire de les repenser à la lumière d’objectifs très concrets tels que le recul de la faim dans le monde, l’alphabétisation, l’accès à l’eau potable, plutôt que la part de RNB dépensée ?

Ma deuxième question porte sur le lien entre la bonne gouvernance démocratique des États et les programmes que nous continuons à déployer dans ces pays. Le projet de loi entend faire de la politique de développement un pilier de la politique diplomatique de notre pays, mais il n’entend pas créer de lien entre les positions politiques et diplomatiques de la France à l’encontre de régimes et de dirigeants qui contreviennent gravement aux principes démocratiques et à leurs engagements internationaux d’une part, et à sa politique financière d’aide au développement d’autre part. Il restera donc théoriquement possible de condamner les agissements politiques d’un régime tout en initiant des programmes de développement dans ces mêmes régimes. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Je rejoins la question précédemment posée sur les biens mal acquis. Trois procédures ont actuellement cours en France à ce sujet. Des actifs, détenus par le vice-président de la Guinée-Équatoriale, ont été saisis par la justice. Par ailleurs, une proposition de loi émanant du sénateur Jean-Pierre Sueur a déjà été votée au Sénat sur ce sujet. Je soutiens donc la légitimité de l’AFD pour porter un éventuel fonds pour gérer les sommes saisies.

Enfin, ne faudrait-il pas lier plus clairement l’aide au développement aux facteurs de développement économique de la France, en privilégiant les programmes qui font appel aux entreprises et aux acteurs français ou francophones, et en exclure plus systématiquement les acteurs d’autres pays ?

M. Alain David. Mon collègue Frédéric Petit et moi-même avons présenté ce matin un dossier sur les dérèglements climatiques et les risques de conflits dans le monde. Ceci est relativement mal pris en compte par les pays et par la solidarité internationale. L’AFD pourrait-elle intervenir plus souvent sur ces dossiers, qui nécessitent une attention particulière dans les années à venir ?

Ensuite, France Médias Monde, notre opérateur d’audiovisuel extérieur, fait rayonner la France et la francophonie à l’étranger. L’État étant obligé de restreindre sa participation, France Médias Monde connaît actuellement des difficultés de financements. Pourrions-nous trouver, avec l’AFD, des moyens pour aider à stabiliser les financements de notre audiovisuel extérieur ?

Enfin, j’en viendrais à la question des suppléants au conseil d’administration de l’AFD, qui concerne mes collègues Dominique Potier et Bérengère Poletti. Notre groupe a effectivement protesté contre cette situation qui nous semble tout à fait anormale s’agissant de la représentation de l’opposition dans votre administration.

M. M’jid El Guerrab. À l’été 2015, le Président de la République avait annoncé l’augmentation de 4 milliards d’euros des engagements de l’AFD à l’horizon 2020 et son rapprochement avec le groupe de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), avec l’objectif de renforcer les moyens de l’agence et de faire de la CDC l’une des plus importantes institutions financières publiques européennes. Trois scénarios avaient été esquissés : d’abord, une intégration de l’AFD à la CDC ; ensuite, la transformation de l’agence en filiale du groupe CDC, codétenue par l'État et par la Caisse des dépôts ; enfin, le rapprochement de l’AFD par une intégration au groupe sans intervention capitalistique.

Cette troisième hypothèse fut celle que vous souteniez alors, monsieur le directeur général. Les objectifs annoncés de ce rapprochement furent de renforcer les fonds propres de l’AFD pour lui permettre d’honorer ses engagements et de développer les synergies importantes qui existent entre la Caisse des dépôts et l’AFD, sur le modèle de la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW ; en français : Établissement de crédit pour la reconstruction) allemande. Or, il est apparu très vite que la nécessité de respecter le modèle financier de la Caisse des dépôts rendait difficile le modèle d’une filialisation. Vous avez récemment appelé, monsieur le directeur général, à s’appuyer davantage sur les investissements publics à l’occasion d’une tribune dans Les Échos. Le rapprochement entre la Caisse des dépôts et l’AFD pourrait-il être réactualisé, et si oui, comment ?

La loi Sapin II, en son article 153, prévoyait la publication d’un rapport sur cette alliance nouvelle. Qu’en est-il ?

Si cela n’était pas possible, comment accroître l’activité internationale de la Caisse des dépôts, qui dispose d’un budget confortable ?

Ensuite, comment permettre à l’AFD de répondre à une critique qui lui est souvent adressée, à savoir celle de ne pas financer beaucoup de micro-projets en raison de ses procédures financières très complexes ?

Enfin, je me fais l’écho de la question de ma collègue Sira Sylla, qui n’a pas pu participer à cette audition. Elle souhaite recueillir votre avis sur sa proposition de loi sur la bi-bancarisation. Ce texte prévoit la possibilité de détenir un compte en Europe et en Afrique, afin de procéder à des virements bancaires sans recourir aux agences de transferts d’argent. Ces transferts financiers entre le Nord et le Sud représentent trois à quatre fois le montant de l’aide publique au développement des pays du Nord vers l’Afrique. La Banque mondiale les évalue à environ 500 milliards de dollars. Comment serait-il possible de s’appuyer sur ces transferts et de les réorienter vers des investissements productifs plutôt que vers de l’aide à la subsistance ?

Je conclurai en abordant une question à laquelle je sais que le ministre est très sensible : la communication de l’AFD s’agissant de l’aide publique française apportée aux pays en voie de développement. Je constate une forme de pudeur dans cette communication. Au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, je ne vois pas beaucoup de drapeaux français affichés sur les projets que nous finançons. D’autres pays, comme la Turquie et la Chine, les revendiquent bien davantage.

M. Rémy Rioux. Je répondrai à votre interpellation initiale sur les chauve-souris. J’espère vous apporter la démonstration que nous disposons du sérieux et de la capacité d’une banque. Dans beaucoup de contextes, soit parce qu’ils sont risqués, soit parce qu’il faut être à l’échelle du problème, nous finançons des petits projets – nous trouvons alors l’agilité d’une agence. Il me semble que nous disposons plutôt, auprès de nos partenaires et clients, du crédit de l’agilité.

Je répondrai ensuite à la question de Jean-François Mbaye. Nous sommes bien informés, conscients, et en contact avec les parlementaires qui portent le sujet des biens mal acquis. Plusieurs rédactions de textes sont en cours d’élaboration au sein du gouvernement, comme au Sénat et à l’Assemblée nationale, poursuivant chacune différentes options techniques. L’option du fonds de concours est sans doute la plus prometteuse. Le fait que la France porte ce sujet constituerait un signe important en matière de bonne gouvernance et de droits humains, ainsi qu’un honneur pour notre agence de l’exécuter. Nous en avons acquis l’expérience technique avec le mécanisme des contrats de désendettement (C2D), que nous pratiquons depuis plusieurs années. Ce mécanisme devra évidemment être adapté, mais la restitution des biens mal acquis pourrait lui ressembler. Le sujet, avec votre attention, est bien exploré – c’est la raison pour laquelle je pense qu’il est prêt à aboutir, et nous nous tenons à votre disposition pour cela.

L’AFD est un opérateur du développement. Ce sujet est très nettement distinct des sujets humanitaires. L’humanitaire consiste à porter secours et à apporter des solutions de court terme. Le métier de l’AFD, au contraire, repose sur des enjeux de long terme. Cela ne veut pas dire que les questions de long terme ne doivent pas se traiter dans le court terme. L’on observe ainsi que le monde de l’humanitaire (le Comité international de la Croix-Rouge, CICR ; le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, HCR) vient chercher des acteurs comme l’AFD. Il les sollicite, par exemple, sur la problématique des camps de réfugiés qui deviennent pérennes et demandent l’adduction d’eau et l’assainissement. Il est alors nécessaire de recourir à l’expertise des acteurs du développement pour venir en aide à ces populations qui se fixent. Je mentionnais tout à l’heure les enjeux de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme : ceux-ci concernent avant tout le secteur humanitaire, mais peuvent entraver l’action des acteurs du développement. C’est pourquoi je souhaiterais trouver un cadre utile pour que les différents instruments puissent se déployer simultanément.

Madame Poletti, vos deux questions ne s’adressaient pas à moi, vous m’excuserez donc d’y répondre de façon laconique. Je vous remercie, vous et Dominique Potier, pour ce que vous avez amené d’exigence, de qualité, d’expérience de terrain dans les débats de notre conseil d’administration. Je rappelle que la présence des parlementaires dans un conseil d’administration d’un établissement public est un élément important, qui constitue une corde de rappel du mandat qui nous est fixé et enrichit largement les débats collectifs.

S’agissant de la transparence et de la trajectoire budgétaire, il revient aux ministres et à leurs administrations de vous répondre sur la mécanique prévue d’ici à 2022 puis à 2025. Évidemment, des échéances politiques majeures auront lieu d’ici à 2025, ce qui explique la rédaction actuelle de la proposition de loi. À ce titre, l’article 2 qui prévoit la publication d’un rapport annuel peut permettre de progresser encore dans l’explicitation de la trajectoire budgétaire. Cette politique est complexe dans son fonctionnement ; il est important de pouvoir la préciser.

Il est très important de ne pas s’arrêter aux chiffres financiers engagés. Il faut présenter des résultats. La politique de développement doit prouver des résultats de trois ordres : d’abord, des impacts concrets (à ce sujet, nous rendons des comptes régulièrement par des grands indicateurs d’impacts et à travers nos projets) ; ensuite, la mobilisation (un euro d’argent public investi doit être démultiplié par des effets d’entraînement sur d’autres acteurs financiers publics et privés) ; enfin, et cela est beaucoup plus difficile à mesurer, les projets doivent avoir un effet sur les politiques publiques et engager la transformation attendue du pays. Le travail même d’Esther Duflo est de mesurer la capacité des innovations à changer les politiques publiques dans les pays bénéficiaires. Cet objectif, bien que difficile à mesurer, n’est pas négligeable et est pleinement inclus dans la mission de développement. Il sera très utile de disposer d’une commission d’évaluation qui viendra nous demander des comptes sur ces résultats.

Je ne suis pas favorable à une conditionnalité très stricte, comme le proposait Bruno Fuchs. À mon sens, remettre la politique de développement et ses instruments à un niveau d’intérêt significatif constitue un élément de la relation bilatérale. Il appartient aux ambassadeurs et au ministères des affaires étrangères, qui disposent de la vision d’ensemble des différents fils tissés avec un pays, d’orienter cette relation. Je reçois énormément d’indications sur les volontés politiques de différents pays et sur l’orientation de nos relations bilatérales par les directeurs géographiques du Quai d’Orsay. J’en tiens évidemment compte dans le pilotage de l’agence.

J’ai donné beaucoup de signes encourageant l’influence économique. Nos réflexions à ce sujet évoluent et sont en cours de maturation. Les financements de l’AFD sont déliés. Cela s’explique en partie par le fait que nous rentrons dans de nombreux cofinancements avec d’autres banques de développement ; cela crée, in fine, de beaucoup plus gros volumes d’opportunités pour les entreprises françaises à l’international. Dans notre travail, nous pouvons nous positionner sur des secteurs tout aussi bien que peser sur la qualité, les normes, les exigences attendues dans les appels d’offres. Nous avons noué beaucoup de liens avec le tissu d’entreprises françaises et nous sommes très heureux quand celles-ci gagnent les appels d’offres. Cela marche très bien pour le conseil et les bureaux d’études : près de deux tiers des marchés financés par l’AFD sont remportés par des bureaux d’études français. Les entreprises françaises ne répondent pas toujours à nos marchés, mais, quand elles répondent, elles bénéficient d’un taux de succès très élevé. Nous avons ainsi apporté plus de 12 milliards d’euros de contrats aux entreprises françaises depuis quelques années.

Monsieur David, je suis à votre disposition pour vous présenter plus en détail notre action sur les questions climatiques. Il y a quelques années, l’un de mes prédécesseurs, Jean-Michel Severino, avait insisté pour hisser les enjeux climatiques au même rang stratégique que la lutte contre la pauvreté. L’AFD a, depuis, accumulé une grande expérience sur les liens entre climat et développement, climat et exclusion, climat et conflits, et s’efforce de construire des projets qui répondent aux deux enjeux. Je constate que nous disposons d’une voix assez forte dans les enceintes climatiques. Nous pourrons, à ce sujet, vous apporter plus de détails sur notre action dans le Sahel.

France Médias Monde appartient au secteur du développement. Une information de qualité, parfois en langue locale, couvrant les enjeux de développement durable et de climat, sont un vecteur d’éducation et crée le terreau utile pour faire émerger des politiques publiques. Nos collègues britanniques ont longtemps financé les programmes de la BBC, les Allemands font la même chose avec Deutsche Welle ; nous avons également pris ce chemin. Nous apportons près de 30 millions d’euros à France Médias Monde sur plusieurs années, non pas au titre de son budget de fonctionnement, mais afin d’apporter des moyens contribuant à des programmes, à des contenus et à une information de qualité et indépendante. L’AFD est donc déjà bien engagée sur ce sujet, mais peut-être pourrez-vous interroger directement Marie-Christine Saragosse pour savoir si elle est satisfaite de notre action.

L’alliance entre l’AFD et la Caisse des dépôts, signée en décembre 2016, avait été très utile lors des négociations de l’accord de Paris sur le climat. Cela montre à quel point il est précieux d’articuler notre action internationale avec notre action nationale : car nous recherchons aussi notre intérêt, fût-il solidaire, dans l’action internationale, et car l’action internationale inspire. L’AFD apporte à la Caisse des dépôts des expériences et des innovations, repérées dans le monde entier, qui peuvent contribuer à transformer l’action de la Caisse des dépôts en France. Ce principe, inscrit dans la loi, est très fort. Nous n’avons malheureusement pas conduit le rapport prévu dans la loi Sapin II. Je me rapprocherai d’Éric Lombard et de ses équipes pour le faire. Dans l’attente du rapport, nous pourrons évidemment vous fournir tous les éléments de ce rapport de partenariat, qui a progressé : je citerai l’échange de personnels ou encore le fonds d’investissement STOA, réservé aux entreprises françaises pour mener de grands projets d’infrastructures à l’international. Plus profondément, je suis très impressionné et heureux de l’évolution de la Caisse des dépôts sur les sujets climatiques et de développement durable depuis 2015. Eric Lombard, ses équipes et moi-même parlons beaucoup de ces sujets. À l’international, je me présente comme l’allié de la Caisse des dépôts. Elle centralise une expérience française accumulée sur de nombreux sujets, que je suis en mesure de proposer à des partenaires internationaux.

Je suis complètement d’accord avec vous sur l’exercice de communication de l’AFD. Le système est encore peut-être un peu trop marqué par la modestie. Nous y travaillons en grande proximité avec les ambassadeurs. Nous menons à ce sujet un exercice gouvernemental sur la marque France à l’international. N’hésitez pas, dans le cadre de vos groupes d’amitié, de vos déplacements ou de vos rapports, à nous signaler quand la présence française pourrait être davantage mise en avant.

Enfin, nous avons également mis en place avec la Caisse des dépôts un programme dédié aux diasporas. Je me tiens à la disposition de madame Sira Sylla pour préciser mes vues sur ce point.

M. Michel Herbillon. Je me joins aux remarques faites par madame Bérengère Poletti et monsieur Alain David, pour que nos collègues de l’opposition soient de nouveau présents au conseil d’administration de l’AFD. Il y a une contradiction à souhaiter que cette politique soit celle de la France et que ce projet de loi soit voté par l’ensemble des forces politiques de cette assemblée, et commencer par exclure du conseil d’administration les représentants de l’opposition.

Vous avez insisté sur l’importance de disposer de résultats. Je m’interroge donc sur la commission d’évaluation et de contrôle. L’article 9 prévoit que le rôle et la composition de cette commission sont renvoyés à un décret futur. Nous demandons à pouvoir disposer, pour l’examen du projet de loi et si possible en amont de celui-ci, des informations suffisantes ainsi que du texte du décret. Je formule cette requête. Comment, à vos yeux et idéalement, devrait se composer cette commission et quel devrait être son rôle ?

Mme Marion Lenne. En 2019, vous vous prêtiez devant nous à l’exercice des questions-réponses, avant d’être reconduit dans vos fonctions de directeur général de l’AFD. Vous nous exposiez alors en quoi l’AFD est une agence, par ses moyens en dons et en subventions, et non une banque, et qu’elle aspirait à devenir une plateforme, permettant l’ouverture et l’accueil de projets tournés vers l’Afrique. L’AFD est-elle une agence, une banque, une plateforme, une institution chauve-souris comme l’a si bien résumé notre président ? Je m’en remets ici à votre sagacité.

Quoi qu’il en soit, de la crise sanitaire que nous traversons a émergé de belles initiatives, comme le sommet Finance en commun de novembre 2020, réunissant virtuellement 450 banques de développement pour « prendre soin des vivants de façon résiliente ». Ces banques se sont engagées à aligner leurs puissances financières, représentant 10 % des investissements globaux, sur l’accord de Paris. Leur mandat public permet d’établir des liens directs entre les gouvernements et le secteur privé, les agendas nationaux et internationaux, les priorités à court et long termes. La volonté est louable. Quels enseignements tirez-vous de ce sommet pour rendre l’investissement auprès de l’AFD plus attractif ?

Par ailleurs, toujours en conséquence de la pandémie, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) vient de repousser l’échéance de la monnaie unique en 2025. Les finances des États sont en banqueroute, alors même que paradoxalement, la bulle boursière continue de gonfler. Dans ce contexte, comment relève-t-on le défi du développement solidaire et de la lutte contre les inégalités mondiales ?

Mme Amélia Lakrafi. Ce projet de loi concerne les moyens que la France met à disposition de l’aide publique au développement, mais il propose aussi une refonte de la gouvernance de notre politique de développement solidaire. Je souhaite vous interroger sur la manière très concrète selon laquelle vous imaginez que le pilotage des activités de l’AFD s’organisera sur le terrain. Il est en effet prévu que l’ambassadeur du pays partenaire préside un conseil local de développement. Quel impact aura cette disposition sur les relations entre l’AFD et nos représentations diplomatiques ? Y voyez-vous un moyen de contrôle des activités de l’AFD ou s’agit-il d’une évolution bienvenue, permettant de mieux coordonner les actions de l’AFD avec les projets de coopération des ambassades ? Enfin, est-il prévu ou souhaitez-vous que les milieux économiques français implantés à l’étranger puissent participer à ces conseils locaux de développement, représentés par exemple par les chambres de commerce françaises ? Y verriez-vous un intérêt en termes de retombées économiques ? Jugez-vous pertinent d’associer ces entreprises à la définition de la stratégie d’intervention de l’AFD sur le terrain ?

Je me joins absolument aux propos de M’jid El Guerrab sur la communication. J’ai moi aussi des exemples saisissants en la matière.

Enfin, s’agissant des biens mal acquis, pourquoi visons-nous toujours les pays des anciennes colonies francophones d’Afrique de l’Ouest ? Je me demande si ailleurs dans le monde, ou en Europe, nous ne trouvons pas de biens mal acquis.

M. Sébastien Nadot. Je souhaite d’abord vous interroger sur l’enjeu de la responsabilité des entreprises français qui opèrent en Afrique de l’Ouest, et pour certaines avec des relents de Françafrique évident. Ces entreprises bénéficient de contrats liés, sous une forme ou sous une autre, à l’aide publique au développement de la France. Sur ce point, le projet de loi évoque bien le devoir de vigilance et l’exigence de responsabilité sociétale des acteurs privés. Mais l’on a peine à voir les garanties opérationnelles. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un puissant sentiment anti-français se répand en Afrique de l’Ouest, qui est en partie dû aux agissements des entreprises françaises, complices des régimes peu respectueux des principes démocratiques et de l'État de droit. La France est en passe de perdre certains des liens privilégiés qui l’unissent à l’Afrique et je crois important de vous faire part de mon inquiétude à ce sujet.

Notre pays me semble ainsi devoir jouer un rôle fort autour des questions de santé. Le coronavirus a mis en évidence une interdépendance des pays de toute la planète, et à de multiple reprises par le passé, la France s’est fortement engagée dans la lutte contre des maladies comme le sida ou ebola. Des initiatives très intéressantes, comme celle portée par Drep.Afrique, ont reçu jusqu’à présent un soutien sans faille du président Macron et du ministre des affaires étrangères. La volonté politique existe donc. Pourtant, l’on mesure dans la mise en œuvre de ce projet de multiples freins structurels. Grâce à ce projet de loi, l’AFD sera-t-elle plus réactive et davantage en capacité de porter fort et loin la volonté politique de la France, et particulièrement en matière de santé ?

Mme Mireille Clapot. Je suis intéressée par l’efficacité, la transparence, la bonne gouvernance et la redevabilité. Qu’est-ce que ce projet de loi permet qui n’était pas possible avant, et qu’est-ce qui manquerait pour qu’il atteigne davantage d’objectifs ?

Je balayerai brièvement cinq points.

Je suis tout d’abord sensible à l’égalité des genres et à la diplomatie féministe. Le texte me semble bien la définir. Que va permettre ce projet de loi en la matière ?

J’évoquerai l’articulation du développement avec l’image de notre pays, en particulier au Mali. Vous avez parlé des médias, mais les réseaux sociaux font des dégâts terribles en la matière. Comment peut-on améliorer l’impact perçu de toutes nos actions ?

Je regrette que la réflexion sur les droits humains ne soit pas tout à fait aussi approfondie que celle sur les questions de genre. Il doit être possible de faire davantage référence à la loi sur le devoir de vigilance des entreprises implantées localement, et de mentionner l’appréciation de l’amélioration de leurs droits par les populations locales.

Ensuite, les Balkans n’apparaissent pas dans les priorités définies dans le cadre de partenariat global, qui mentionne seulement l’Afrique et la Méditerranée. Comment travaillez-vous dans les Balkans, et comment votre action s’articule-t-elle avec la perspective de leur intégration dans l’Union européenne ?

Je porte enfin une réflexion sur les migrations. Comment ce projet de loi pourrait-il amener la France à être plus positive sur ce sujet ? Les volontariats réciproques existent ; ne pourrait-on pas ajouter que les jeunes ou les adultes d’autres pays peuvent contribuer au développement global et aller et venir en France sans que cela soit vécu comme une menace ?

Mme Liliana Tanguy. Je souhaite évoquer le soutien à des projets situés ailleurs que sur le continent africain, et en particulier dans les pays des Balkans occidentaux. Je souligne à ce sujet la nécessité de pouvoir financer des projets de petite envergure. J’ai senti beaucoup de frilosité de la part des entreprises et des investisseurs français à mobiliser des fonds sur des petits projets. Ces pays (Serbie, Macédoine, Albanie, Bosnie) ont pourtant besoin d’un accompagnement financier pour mener à bien des projets d’infrastructures de petite échelle dans leurs collectivités territoriales. De quelle manière ce projet de loi pourrait-il encourager l’investissement français dans le développement de cette région de l’Europe ?

Enfin, je reviendrai sur les Outre-Mer. Je souligne que la souveraineté maritime française et européenne est une approche qui pourrait être poursuivie pour ouvrir de nouvelles perspectives pour les territoires d’Outre-Mer.

Mme Aina Kuric. À l’occasion de la quatrième édition du One planet summit qui s’est tenue le 11 janvier 2021, l’AFD a annoncé un nouveau plan en faveur de la biodiversité : un milliard d’euros seront investis chaque année en faveur de la biodiversité d’ici à 2025, ce qui représente un doublement de son financement à la protection de la biodiversité. Cela n’est pas sans rappeler l’agenda des objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Dans son rapport de mai 2016, « Financement des objectifs de développement durable dans les pays les moins avancés », l’AFD met en avant que le défi est de savoir comment mobiliser et allouer les ressources financières et technologiques à des fins de développement durable. Si ce défi se pose partout dans le monde, il est encore plus vif dans les quarante-huit pays considérés comme les moins avancés par les Nations Unies. Ne serait-il pas possible d’aller plus loin en intégrant les objectifs de développement durable dans le fonctionnement de l’AFD, et notamment en incluant les indicateurs de développement durable dans ses projets ?

M. Hubert Julien-Laferrière. La mesure des impacts est essentielle. Ce projet de loi inclut les priorités géographiques (les pays les plus pauvres), les priorités sectorielles (santé, éducation, genre, gouvernance, climat) et les priorités en termes d’instruments (prioriser les dons sur les prêts). Ces priorités, décidées par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, seront inclues dans la loi. Néanmoins, je ne saurais pas dire si ces priorités ont pu bénéficier de l’augmentation des crédits depuis trois ans. Pouvez-vous nous apporter des éléments à ce sujet ? De quels moyens pouvons-nous nous doter pour disposer à l’avenir d’une meilleure lisibilité de notre politique de développement et de ses priorités sectorielles, en termes de financements aussi bien que d’impacts ? Beaucoup d’ONG priorisent aujourd’hui les financements, alors qu’il sera nécessaire demain de mesurer davantage les impacts.

Prenons l’exemple de la priorité sectorielle de la santé. En 2019, il me semble que 5 % des dépenses de l’AFD y étaient consacrées. Les dépenses de l’AFD en matière de santé ont-elles augmenté conformément aux priorités affichées il y a maintenant deux ans et demi ? Qu’en est-il des priorités géographiques ? Avons-nous les moyens de mesurer concrètement les progrès accomplis en matière de priorités sectorielles dans les pays les plus pauvres, ainsi que l’atteinte de l’objectif de décaissement plus rapide, qui constituait une priorité dans le cadre de l’Alliance Sahel ?

Mme Nicole Le Peih. Les derniers mois ont été particulièrement difficiles, mais ils ont également offert l’occasion de se rendre compte de la chance immense de disposer d’un État protecteur. S’agissant des vaccins, si l’Union européenne a fait le choix d’avancer unie pour négocier un prix et des quantités, tous les pays n’ont pas cette chance. La vaccination est un premier sujet essentiel du développement solidaire. Pourriez-vous nous donner votre avis sur notre accompagnement de la stratégie sanitaire et vaccinale dans les pays en développement ?

Ensuite, le réchauffement climatique causera des conséquences graves, en termes d’alimentation, de biodiversité, et plus largement d’impacts sur le développement économique. À l’occasion du One planet summit, un premier accord a été trouvé pour accélérer le développement de la grande muraille verte en Afrique, représentant un engagement total de 14 milliards d’euros. Pouvez-vous, au-delà des financements, nous préciser les modalités d’intervention de la France dans ce projet ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je me permettrai à mon tour deux observations précises.

La première porte sur la situation de madame Poletti et sur la représentation politiquement diversifiée que nous souhaitons dans une instance comme l’AFD. Quand le parlement prévoit une pluralité de députés pour le représenter dans une institution, cela suppose une diversité des approches. Nous ne nous situons pas dans une logique majoritaire, mais dans une logique de représentation de la diversité. Au nom de cette commission, je ferai tout ce qui est possible pour que cette diversité soit à nouveau prise en compte. Je pense que notre collègue madame Poletti a toute sa place dans une instance comme le conseil d’administration de l’AFD.

Je suis très conscient de la sensibilité de cette commission au sujet des biens mal acquis. Il est important que cette commission puisse, à travers un amendement, prendre position sur cette affaire, et que l’argent récupéré à ce titre concoure d’une façon efficace au développement international. Nous serons cependant confrontés à des difficultés juridiques à ce sujet. Cela nécessitera des réflexions, mais l’essentiel est de faire en sorte que l’amendement par lequel nous exprimerions notre souci de voir l’argent récupéré au titre des biens mal acquis affecté efficacement au développement soit rédigé de telle manière qu’on ne puisse pas considérer qu’il constitue un cavalier législatif.

M. Hervé Berville. Monsieur le président, je suis en total accord avec les propos que vous venez d’exprimer. Au nom de mon groupe politique, j’apporte tout mon soutien à Bérengère Poletti. Sa présence a contribué, par bien des égards, à la richesse des débats en conseil d’administration de l’AFD. Nous pourrions déposer un amendement qui permettrait de rétablir la pluralité de la représentation nationale dans cette instance.

La question des biens mal acquis est épineuse, mais nous devrons nous rapprocher du Sénat et de tous les collègues qui ont travaillé sur ce sujet pour l’éclaircir. Elle pourrait impliquer une modification du code pénal. Je pense, par ailleurs, que nous devrions envisager que tout l’argent récupéré au titre des biens mal acquis n’aille pas à l’AFD – d’autres mécanismes pourraient être mis en place. L’AFD est l’institution la plus à même de recevoir une grande partie de ces fonds, mais nous devons envisager toutes les options pour les débourser.

Je vous remercie, monsieur le directeur général, d’avoir répondu à la grande majorité de nos questions avec la précision que l’on vous connaît. Par le passé, le développement international était considéré comme un instrument ; aujourd’hui, les objectifs de développement durable, l’accord de Paris, la notion de partenariat, l’inclusion des diasporas, la mobilisation du secteur privé et de la recherche font évoluer le développement vers une politique plus symétrique. Nous avons beaucoup à apprendre des pays en voie de développement, selon un principe d’innovation inversée. La gestion de la crise sanitaire nous l’a également montré. L’AFD peut ainsi constituer une plateforme qui permettrait d’aller chercher dans les pays du Sud les éléments de résolution des problèmes des pays du Nord.

Je souhaiterais, pour conclure, que vous reveniez précisément sur le modèle de l’AFD. L’agence a connu une forte croissance pendant quelques années, qui a permis d’explorer de nouveaux secteurs et de nouvelles géographies. Quelle est maintenant votre stratégie ? Quels volumes d’activité envisagez-vous ? Pourquoi jugez-vous bon que Proparco intervienne en Outre-Mer ? À quoi vont vous servir les dons ? Je souhaiterais des réponses précises sur l’augmentation des activités de l’AFD, son rythme, ses stratégies.

M. Rémy Rioux. Merci à tous. Au nom de tous les collègues de l’AFD et des professionnels du développement, il est très réconfortant de recevoir autant de questions et de voir autant d’intérêt pour notre mission et nos métiers.

La commission indépendante d’évaluation est absolument décisive dans ce dispositif ; il ne revient pas à l’AFD de décider de sa composition. J’aspire néanmoins à ce que la commission soit forte, qu’elle ne conduise pas seulement des missions de contrôle, mais qu’elle s’intéresse également aux impacts. Il est intéressant que sa composition puisse être diversifiée, et inclue le cas échéant un regard étranger, des pays qui font l’objet de nos programmes eux-mêmes.

Je répondrai à Hervé Berville en affirmant que nous nous situons à un moment stratégique. Nous avons connu une période de croissance très forte et nous allons nous stabiliser à 12 milliards d’euros d’activité par an en 2021 et 2022 – la loi ouvre une autre étape à partir de 2022 et jusqu’en 2025. Après cette période de très forte croissance, il est stratégique de consolider notre maison. Je souhaite également, dans cette nouvelle période, évoluer vers une redevabilité encore plus forte en matière d’impact de nos activités. Un contrat d’objectifs et de moyens vous sera présenté un peu plus tard pour avis et examen.

Pour répondre à Hubert Julien-Laferrière, l’augmentation des crédits a un impact très direct sur l’orientation de nos activités sur les secteurs et les géographies prioritaires. L’année dernière, 20 % de notre activité s’est concentrée sur la santé. Ces sujets ont une intensité budgétaire forte et nous pouvons désormais les mener sans préjudice de notre action climatique. Ces chiffres sont publics et je pourrai vous transmettre ultérieurement les données actualisées pour 2020.

Le sommet Finance en commun a constitué un moment très prometteur. Nous avons touché 450 institutions financières, qui sont parvenues à un très important consensus sur les questions climatiques et veulent coopérer beaucoup plus étroitement.

Les annonces faites lors du One planet summit vont permettre de lier la finance « climat » et la finance « biodiversité » : 30 % de notre finance « climat » sera ainsi à impact positif pour la nature, et nous espérons que cela devienne un standard. Les britanniques nous ont d’ailleurs instinctivement suivi le 11 janvier dernier. Nous en discutons actuellement avec la Banque mondiale. Les banques publiques de développement ont un rôle très singulier à jouer dans les systèmes financiers.

Le secteur privé et les entreprises françaises contribuent évidemment au développement. Nos clients et nos partenaires nous demandent de mettre des forces privées au service du développement pour investir dans leur pays. L’AFD le fait de façon ordonnée et en respectant les standards environnementaux et sociaux les plus élevés. Le secteur privé fait d’ailleurs désormais cette proposition de valeurs à l’international – celle de l’exemplarité environnementale et sociale. De ce point de vue, l’AFD bénéficie de cet alignement de valeurs.

Tout cela doit s’organiser autour de nos ambassadeurs. Le conseil local de développement est en ce sens une très bonne initiative. À nouveau, j’aspire à plus de pilotage politique et à plus d’intérêt pour l’agence. Le pilotage, à mon sens, est différent du contrôle – nous avons besoin d’orientations fortes, de légitimité, de force. Existe également auprès des ambassadeurs le conseil économique, qui réunit les conseillers du commerce extérieur et des représentants locaux. Ces deux enceintes peuvent évidemment échanger.

La santé est un grand sujet. Je ne rentrerai pas dans les arbitrages sur les vaccins. Notre structure de soutien à la société civile et aux ONG françaises étudie actuellement la mise en place d’un programme qui permette de porter secours à un maximum de malades de la drépanocytose.

L’AFD est une agence féministe ; le projet de loi prévoit plusieurs éléments sur ce point. Nous nous sommes notamment engagés à ce que 50% des projets de l’AFD aient un impact positif sur l’égalité de genre. Nous menons de plus en plus de programmes dédiés aux acteurs des questions de genre.

Nous pourrons vous fournir de nombreux éléments sur les Balkans. Nous avons fait passer hier un projet de 50 millions d’euros pour le financement d’un chemin de fer en Serbie. Nous disposons depuis récemment d’un bureau à Belgrade : nous essayons de monter en puissance et de fournir aux ambassadeurs un instrument dont ils ne disposaient pas jusqu’à présent.

S’agissant des migrations, ma réponse sera la même que précédemment : maintenant que la politique de développement a repris son rang dans vos débats, essayons de l’articuler à la politique migratoire. Je n’aime pas l’idée selon laquelle les instruments de développement sont des instruments de la politique migratoire. En revanche, des liens existent, bien sûr, entre les deux.

L’Outre-Mer est un sujet fascinant, historiquement présent à l’AFD. Nous l’avons complètement revu en créant le département Trois océans : il regroupe, dans la même organisation, nos territoires ultramarins et les pays voisins. Nous y parlons de développement, de développement durable et de coopération internationale. Nous réalisons 3 milliards d’euros de financement dans les vingt-six pays qui forment la chaîne de l’Indo-Pacifique.

S’agissant de la grande muraille verte, nous avons annoncé 600 millions d’euros sur les 14 milliards d’euros engagés. Ils concernent l’agroécologie et la biodiversité sur la bande saharo-sahélienne, au centre du continent africain.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je constate avec vous une familiarité et une intimité d’échanges extrêmement agréables et stimulantes pour nos travaux. Je suis très fier et très heureux d’avoir pu vous entendre sur ces sujets, qui étaient chers à madame de Sarnez. Je vous remercie.

 


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II.   Audition de M. Jean-Yves le drian, ministre de l’europe et des affaires étrangères

Lors de sa réunion du mardi 2 février 2021, ouverte à la presse, la commission a auditionné M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699). L’audition s’est poursuivie en début de réunion du mercredi 10 février 2021, matin.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. J’aurais préféré que ce soit Marielle de Sarnez qui vous accueille, mais permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de ma grande satisfaction de vous voir parmi nous et de savoir qu’à l’avenir, vous continuerez d’honorer la commission de votre présence régulière car vos analyses, vos observations et vos propositions en matière de politique étrangère sont précieuses, notamment compte tenu de l’ampleur des mutations mondiales.

Ce soir, nous nous concentrerons sur le projet de loi dont notre collègue Hervé Berville est rapporteur. Peut-être me permettrais-je simplement de revenir sur deux événements : en Russie, l’extraordinaire courage personnel de M. Navalny et, en Birmanie, le coup d’État terriblement impressionnant, en écho à la question posée par M. David, président du groupe d’amitié France-Birmanie, lors des questions au Gouvernement. Nous serions heureux que vous nous en disiez quelques mots, même si vous avez publié un communiqué et répondu lors des questions au Gouvernement. Vous le savez, la commission partage vos préoccupations et elle est extrêmement sensible à la question birmane, à l’évolution de la démocratie comme au sort des Rohingyas, notamment à la situation tragique de ceux qui ont émigré au Bangladesh. Une délégation de la commission s’est d’ailleurs rendue sur place.

Nous n’ouvrirons pas le débat mais, d’ici à quelques semaines, vous reviendrez parmi nous et nous examinerons ensemble tous les dossiers de politique étrangère.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. La situation en Birmanie est très grave. J’ai répondu à Alain David cet après-midi, afin d’exprimer la position de la France : nous condamnons vigoureusement le coup d’État, ainsi que le fait que le président Win Myint et Mme Aung San Suu Kyi soient en prison. C’est inacceptable après ces élections qui étaient l’aboutissement d’une longue démarche démocratique.

J’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises Mme Aung San Suu Kyi à Bruxelles et en Birmanie. C’est une femme arc-boutée sur les principes démocratiques, dans un pays où le dispositif constitutionnel et le partage des postes et des responsabilités entre l’armée et les civils sont très complexes – j’avais eu l’occasion de le constater en plein milieu d’une crise avec les Rohingyas. Sa posture était parfois difficile à comprendre, mais elle avait la volonté d’instaurer un processus démocratique dans un pays où le poids politique de l’armée est extrêmement fort. Dès 2018, cela avait d’ailleurs amené l’Union européenne à prendre des sanctions et à rompre toute relation avec les militaires.

La situation est inédite et doit entraîner notre mobilisation car, je l’ai déjà dit à Alain David, après avoir moi-même effectué plusieurs déplacements en Birmanie, seul le processus démocratique permettra de régler la crise des Rohingyas, et non l’inverse. Ce coup d’État risque d’induire un effet boomerang contre les Rohingyas.

Nous avons sollicité le Conseil de sécurité, avec le soutien des pays membres de l’Union européenne, afin qu’il prenne fermement position à l’égard de la junte – je ne sais pas s’il a statué. Si cette dernière ne renonce pas, nous serons amenés à prendre des mesures nouvelles, et pas uniquement des sanctions. Cela fera l’objet de discussions lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, qui doit se tenir le 22 février.

Évidemment, je vous tiendrai informés des évolutions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avions constaté avec satisfaction la grande convergence des réactions de l’État français, par votre intermédiaire, et de l’Union européenne, monsieur Borrell ayant publié un communiqué qui recueille notre approbation.

Nous allons revenir au projet de loi « Berville », monsieur le rapporteur ! Ce projet de loi est très attendu par notre commission. À l’initiative de Marielle de Sarnez, dès la fin de l’année 2018, nous nous sommes organisés pour suivre l’élaboration de ce texte et préparer son examen. Un groupe de travail, au sein duquel tous les groupes politiques étaient représentés, a mené de nombreuses auditions en 2019 et 2020.

Nous nous sommes également – c’est une innovation intéressante – rapprochés de nos homologues du Sénat pour dégager des positions communes. Marielle de Sarnez et Christian Cambon vous ont écrit le 13 février 2019 pour vous présenter les propositions communes aux deux commissions parlementaires.

Je vous remercie d’avoir réuni à deux reprises autour de vous les parlementaires de la majorité, comme de l’opposition, de l’Assemblée nationale, comme du Sénat, pour discuter des axes stratégiques du projet de loi et répondre aux préoccupations des parlementaires. Cette consultation, en amont du dépôt du projet de loi, est également innovante et ne peut qu’être appréciée par les membres de la commission.

Notre première demande visait à clarifier la stratégie française d’aide au développement. Le rapporteur y reviendra, mais le projet de loi décline avec précision les objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités dans le monde. Il reste que ces objectifs et ces priorités sont formulés non dans le projet de loi au sens strict du terme, mais dans son annexe relative au cadre du partenariat global, qui s’apparente plus à un cahier des charges qu’à des dispositions législatives à proprement parler, c’est-à-dire normatives et contraignantes.

Nous vous donnons toutefois acte que cette stratégie a le mérite d’être clairement formalisée et de bénéficier de la sanction du législateur. Elle repose sur deux arbitrages légitimes et qui correspondent aux préoccupations de la commission parlementaire susmentionnée : un arbitrage sectoriel et un arbitrage géographique. L’arbitrage sectoriel, c’est l’affirmation d’une priorité claire en faveur des pays les plus pauvres et de ceux – ce sont souvent les mêmes – qui sont en crise. Priorité ne signifiant pas monopole, cela n’exclut pas la poursuite d’une politique de partenariat au développement avec les pays à revenus intermédiaires.

Géographiquement, la stratégie de la France continue de privilégier l’Afrique. C’est un choix logique car c’est là que se situent les besoins les plus criants, mais également là que se sont développés les partenariats les plus éprouvés. Une relative concentration géographique est garante d’efficacité et rien ne serait pire qu’une politique de saupoudrage, compte tenu de la modestie relative de nos moyens.

Le second mérite du projet de loi est de présenter clairement et précisément la trajectoire amenant la France à consacrer 0,55 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement (APD), dans la perspective d’atteindre ensuite 0,7 %. Mais à quand ces 0,7 % ? Il vous est sans doute difficile de répondre à la question, mais cette trajectoire doit être traduite dans les lois de finances successives – notre commission y veillera tout particulièrement. Des engagements ont été pris au cours des débats sur le projet de loi de finances, mais – vous sentez bien que c’est une frustration pour la commission – la force contraignante des engagements financiers est annuelle. Nous craignons donc que les engagements pluriannuels soient insuffisamment consolidés.

Notre commission a souhaité que les financements bilatéraux et multilatéraux soient mieux articulés et fassent l’objet d’évaluations précises. Elle a également estimé nécessaire de renforcer le pilotage politique de l’aide au développement. Nous savons que vous partagez cette préoccupation. La France semble être le seul pays à confier la définition de ses interventions d’aide au développement à un établissement public industriel et commercial (EPIC) que ni ses tutelles ministérielles, distantes, ni les instances de gouvernance multiples n’ont protégé jusqu’à présent d’un risque de dérive – d’une bienveillante et nécessaire autonomie vers une autodétermination parfois abusive.

C’est le mérite de ce projet de loi que de s’attacher à combattre ces dérives. Le pilotage politique de cet EPIC doit être renforcé – si ce n’est restauré – au plan national. Notre rapporteur fera des propositions et la commission est très attachée au renforcement du conseil d’administration de l’Agence française de développement (AFD), au sein duquel les parlementaires doivent prendre toute leur place, dans le respect de la diversité des sensibilités politiques.

Ne doit-on pas s’interroger sur la multitude des instances de pilotage de la politique de développement ? L’annexe du projet de loi décrit leurs fonctions respectives. Le projet de loi en ajoute une – le conseil national du développement et de la solidarité internationale. Sur le terrain, nous sommes très désireux que le rôle des ambassadeurs soit conforté dans la coordination des aides. Dans le passé, c’est paradoxalement au niveau des postes que s’incarnait le mieux l’exigence de cohérence qui faisait parfois défaut au niveau national.

Notre commission souhaite également que les partenariats avec les entreprises privées et les collectivités territoriales soient consolidés, et les acteurs de la société civile mieux associés. En outre, il est indispensable de mieux sensibiliser et associer les citoyens aux actions d’aide au développement.

Enfin, une véritable culture du résultat doit être mise en place, par le contrôle et l’évaluation. Avec le rapporteur, nous nous interrogeons sur les choix effectués pour que cette instance ait à la fois la compétence et l’autorité nécessaires pour formuler les analyses critiques qui s’imposent et des propositions qui ne soient pas négligées par ceux auxquels elles s’adressent. C’est dans cet esprit que nous auditionnerons demain après-midi le premier président de la Cour des comptes.

Je retranscris ici, monsieur le ministre, le message de ma prédécesseure et des instances qu’elle avait réunies, dont le rapporteur est le porte-parole compétent. Nous sommes heureux de pouvoir débattre de ce projet de loi cardinal, car nous sommes plus habitués à voter des accords et des traités.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  Cette audition a un sens tout particulier car c’est la première fois que nous nous retrouvons depuis la disparition de Marielle de Sarnez. Je vous redis mon émotion, même si j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer, de lui rendre hommage et de répondre à M. Herbillon lors des questions au Gouvernement.

D’ailleurs, à cette occasion, j’avais souligné qu’il aurait pu être opportun de consacrer l’un de nos prochains rendez-vous au rapport d’information sur les dimensions internationales et européennes de la crise pandémique qu’elle a rédigé, quasiment jusqu’à la fin. Ce serait une manière de lui rendre hommage ; je serai disponible pour cet exercice.

C’est également une réunion très particulière car je ne vois plus Claude Goasguen, que je connaissais depuis longtemps, et c’est vous, cher Jean-Louis Bourlanges, qui reprenez le flambeau. Je tiens à vous féliciter. Je suis sûr que nous tisserons une relation de confiance. Nous nous connaissons depuis très longtemps et cela contribuera à la bonne qualité de nos relations ! C’est toujours un plaisir de venir dans cette commission.

Enfin, cette réunion est particulière car c’est un aboutissement. Nous pouvons enfin examiner le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales que j’ai présenté en conseil des ministres le 16 décembre dernier. Vous l’attendiez de longue date, moi aussi ! Il sera examiné en séance publique les 17 et 19 février prochains, puis au Sénat, et j’espère qu’il sera adopté par le Parlement d’ici à la fin de la session, en juillet prochain.

Je salue tout d’abord le soutien sans faille que vous nous avez apporté chaque année lors de l’examen de la mission « Aide publique au développement » dans le cadre des débats relatifs au projet de loi de finances.

Je tiens également à souligner la grande qualité de vos travaux : le rapport réalisé par Hervé Berville ; la mission d’information portée par Bérengère Poletti et Rodrigue Kokouendo ; le travail en commun réalisé depuis deux ans avec Christian Cambon et le Sénat afin de faire la synthèse de vos propositions. Ce texte est donc le fruit d’un dialogue déjà très charpenté.

C’est aussi le début d’un processus. Si vous le souhaitez, je pourrai participer mercredi matin à l’examen des amendements par votre commission – j’ai demandé à pouvoir m’absenter du conseil des ministres.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La commission en est fort honorée !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est important. Je souhaitais également vous proposer – étant donné que de nombreux sujets internationaux sont au cœur de l’actualité – de consacrer deux heures au cours de cette même journée pour les évoquer, notamment ceux concernant la Russie et la Birmanie.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Votre proposition est précieuse et nous allons la saisir. Votre présence serait fort utile lors de l’examen des amendements. Nous allons commencer la discussion générale, puis passerons assez vite – si M. Berville en est d’accord – aux amendements, avant de conclure, quand le moment sera venu, sur les grands sujets que nous avons évoqués – la Russie, la Birmanie, mais aussi les changements au sein de l’administration américaine, les accords commerciaux avec la Chine signés fin décembre, etc.

M. Michel Herbillon. Sauf si j’ai mal compris, il me semble que le ministre nous propose d’être présent au moment où nous examinerons les amendements – ce qui va nous prendre du temps. Bien entendu, les autres sujets dont nous souhaitons discuter avec le ministre sont très nombreux, mais je crois que la proposition du ministre était plus circonscrite.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ma proposition est double.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez raison, monsieur Herbillon, le travail sur le projet de loi doit précéder les débats. C’est ce que j’avais précisé.

Mme Bérengère Poletti. Je soumets une proposition aux collègues de la commission : il arrive parfois qu’on considère que la discussion générale a lieu lors de l’audition du ministre, puisque chacun y intervient. Ainsi, lorsque nous nous retrouverons pour l’examen des amendements, nous pourrons les discuter tout de suite. Cela permettrait d’« optimiser » la présence du ministre.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’était mon idée, mais sans doute ne suis-je pas très clair. Je vous propose que le bureau de la commission examine ces sujets liés à la procédure et je rends la parole au ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. L’année 2020 a vu les dérèglements du monde s’imposer brutalement dans notre vie collective. Avec le virus de la covid-19, nos concitoyens expérimentent un monde où la fragilisation des écosystèmes et les atteintes portées à la biodiversité mettent la santé humaine en danger, un monde d’interdépendance et de défis globaux et un monde où le chacun pour soi est une impasse pour tous.

Dans un tel monde, en de telles circonstances, jouer la carte du repli serait non seulement illusoire, mais irresponsable et dangereux. Il est de notre intérêt de miser sur le multilatéralisme, sur la force de notre projet européen et sur la solidarité internationale.

C’est dans cet esprit que, depuis le premier jour, notre diplomatie s’est mobilisée pour faire face aux urgences de la crise pandémique. C’est également dans cet esprit que nous nous battons dans le cadre de l’initiative Access to covid-19 tools accelerator (ACT-A) afin que les vaccins et les traitements contre la covid-19 deviennent de nouveaux biens publics mondiaux et que nos partenaires du Sud puissent, eux aussi, y avoir accès. En effet, aucun pays ne viendra véritablement à bout du virus tant qu’ensemble, nous n’en serons pas venus à bout, partout.

Le prochain conseil d’administration d’ACT-A, mardi 9 février, sera très important puisqu’il devrait permettre l’adoption de la charte que nous avons portée sur le vaccin comme bien public mondial. Cette charte a plus particulièrement pour objet de donner une impulsion politique forte en faveur d’un accès équitable et universel aux produits de santé permettant de lutter contre la covid-19. Il s’agit d’encourager toutes les parties prenantes à financer la recherche, à partager la connaissance et les données, à effectuer des transferts de technologie, à produire à un prix juste ou encore à soutenir les systèmes de santé sans lesquels il n’est pas possible de rendre ces produits de santé concrètement accessibles. C’est notre réponse de court terme à la crise.

En outre, avec nos partenaires du monde entier, et plus particulièrement ceux de l’Alliance pour le multilatéralisme que nous avons lancée avec nos amis allemands il y a maintenant un an et demi, nous avons aussi commencé à poser les bases d’une réforme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour tirer toutes les leçons de ce qui s’est produit au cours des derniers mois et nous doter de capacités d’alerte renforcées afin de gagner en réactivité en cas de nouvelle menace pandémique, avec le futur conseil d’experts de haut niveau et l’approche « Une seule santé » dont la création a été actée en novembre dernier au Forum de Paris pour la paix.

Il s’agit de nous doter du « GIEC » de la santé mondiale dont nous avons besoin pour suivre en temps réel les interactions entre les grands équilibres environnementaux, la santé animale et la santé humaine. Avec nos partenaires européens, nous travaillons à construire une Europe de la santé plus souveraine et mieux à même de protéger les Européens. Cela passe notamment par le renforcement du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, qui doit devenir une véritable agence de gestion des crises en surveillant mieux les évolutions épidémiologiques au sein de l’espace européen, en alertant de façon plus précoce et en apportant des recommandations et des réponses sanitaires.

Il s’agit aussi de renforcer l’Agence européenne des médicaments (EMA) qui, outre ses fonctions actuelles, se verrait confier la tâche de surveiller le risque de pénurie de médicaments et de dispositifs médicaux critiques, et de coordonner les études d’efficacité des vaccins, ainsi que les essais cliniques. Enfin, il s’agit de créer, sur le modèle de la Biomedical advanced research and development authority (BARDA) américaine, une autorité pour gérer les urgences sanitaires et nouer des partenariats public-privé avec l’industrie pharmaceutique et les organismes de recherche. Il est essentiel de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne en matière de produits de santé, alors que nous dépendons actuellement à 80 % de la Chine et de l’Inde pour nous fournir en matières premières indispensables à la conception des médicaments.

J’évoque ce dernier sujet en avant-première car il est intrinsèquement lié à la situation pandémique que nous vivons. Il sera abordé lors d’un conseil européen spécial des chefs d’État et de Gouvernement à la fin de février. Ce sont les premiers éléments de notre réponse à moyen terme, et le cap que nous essaierons de suivre dans les mois qui viennent.

Enfin, qu’est-ce que la crise du coronavirus a révélé du monde dans lequel nous vivons et de quelle manière ces soubresauts risquent-ils de nous affecter ? La réponse, de long terme, à cette question, c’est le nouvel élan que nous allons impulser à notre politique de développement et de solidarité internationale, au cœur du présent projet de loi.

Depuis le début du quinquennat, l’aide publique au développement française a dépassé les 10 milliards d’euros par an. Notre pays est revenu dans le jeu, après quelques années d’éclipse, et il le fallait pour ne pas laisser les coudées franches aux nouveaux acteurs qui s’engagent sur le terrain du développement avec des méthodes et des intentions différentes. Il est essentiel que nous soyons au rendez-vous afin de proposer une autre voie à nos partenaires.

La relance de notre politique de développement, M. le président Bourlanges l’a rappelé, c’est d’abord un changement de braquet : conformément à l’engagement pris par le Président de la République dès le début de son mandat, nous allons porter notre aide publique au développement à 0,55 % de notre richesse nationale en 2022 – contre 0,37 % par le passé et 0,44 % actuellement. Ce texte est un projet de loi de programmation, et non uniquement d’orientation comme la loi de 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Il fixera la trajectoire budgétaire qui nous permettra d’y parvenir.

Contrairement à certains de nos voisins, nous avons décidé de maintenir notre engagement malgré la crise actuelle, parce que cette dernière nous a confortés dans l’idée qu’il est tout à fait crucial de le maintenir. Notre aide publique au développement continuera d’augmenter en volume : + 18 % entre 2019 et 2020 ; + 33 % entre 2020 et 2021. En 2021, pour la première fois en dix ans, elle pourrait dépasser celle du Royaume-Uni et nous placer au quatrième rang mondial des bailleurs d’aide publique au développement.

Mais il ne s’agit pas seulement de faire plus. Grâce à ces moyens renforcés, nous entendons aussi faire mieux. Le projet de loi inaugure un changement radical de méthode, dans le sillage des efforts de rénovation engagés depuis le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018. Ce comité est d’ailleurs maintenu dans ses fonctions car il constitue le nœud de la procédure d’échanges et de la préparation des décisions. Dans ce sillage donc, nous voulons mettre en place un nouveau paradigme, avec des priorités clairement définies.

Vous avez évoqué les priorités géographiques ; vous avez raison, nous allons concentrer notre aide publique au développement en dons vers les pays les plus vulnérables, en particulier les dix-neuf pays prioritaires appartenant à la catégorie des pays les moins avancés, essentiellement situés en Afrique subsaharienne, sauf Haïti. Ces pays seront destinataires de la moitié de l’aide aux projets mise en œuvre par mon ministère via le Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI). Cette année, le FSPI est doté de 70 millions d’euros. En outre, les deux tiers de l’aide aux projets mis en œuvre par l’AFD représenteront 816 millions d’euros en crédits de paiement en 2021.

Vous l’avez également rappelé, le projet de loi vise à mieux définir nos priorités thématiques. Partout où nous investissons, que ce soit dans les pays en développement ou dans les pays émergents, nous voulons que ce soit dans l’avenir de nos biens communs. Ainsi, le renforcement des systèmes de santé primaires dans les pays les plus fragiles est le premier maillon de la sécurité sanitaire mondiale. La formation des personnels de santé est, avec les traitements et les vaccins, l’un des piliers de l’initiative ACT-A. Afin de répondre à la crise de la covid-19, nous avons déjà mis en place via l’AFD une initiative Santé en commun de 1,2 milliard d’euros, dont 150 millions d’euros de dons qui ont permis d’améliorer la prise en charge des malades au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine (RCA), avec le soutien de l’organisation non gouvernementale (ONG) The alliance for international medical action (ALIMA). Cela nous a également permis de renforcer les laboratoires de référence de l’Institut Pasteur au Cameroun, en RCA, à Madagascar, en Guinée et au Sénégal.

La préservation du climat et de la biodiversité est une autre de nos priorités. Non seulement les financements de l’AFD sont 100 % compatibles avec l’accord de Paris, mais le Gouvernement s’est également engagé lors du CICID de 2018 à ce que la moitié des financements de l’AFD contribue, en plus de leur finalité première, à l’atteinte des objectifs de l’accord. En conséquence, tous les engagements sont compatibles et les financements à co‑bénéfices climat sont privilégiés. Ainsi, lorsque nous aidons à la construction d’un tramway dans une ville, nous faisons d’une pierre deux coups : nous facilitons la vie de ses habitants, les échanges et le développement, tout en réduisant les émissions de CO2. Sur deux euros de financement AFD, un euro sert directement le combat contre les dérèglements climatiques.

Il s’agit ainsi de tirer vers le haut le système européen et le système multilatéral de développement, l’urgence environnementale étant une priorité absolue pour la France, cinq ans après l’accord de Paris et au seuil d’une année déterminante. En effet, le Congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) va avoir lieu à Marseille, la COP26 à Glasgow à la fin de l’année, la COP15 sur la biodiversité à Kunming en Chine. En outre, cette année également, le One Planet summit consacré à la biodiversité nous a permis de relancer le projet de grande muraille verte, projet né d’une initiative africaine dans les années 80 pour verdir le Sahel, puis abandonné pour toutes sortes de raisons, notamment de sécurité. Nous souhaitons le relancer en partenariat avec les responsables de ces pays, avec l’Union africaine et l’ensemble du système onusien en charge du développement.

En troisième lieu, investir dans l’avenir et nos biens communs, c’est également investir dans l’éducation, qui contribue à faire reculer toutes les formes d’obscurantisme et qui corrige une partie des inégalités de destin. Nous sommes le troisième bailleur mondial en faveur de l’éducation – plus d’un milliard d’euros en 2019 – et avons multiplié par dix notre contribution au partenariat mondial pour l’éducation.

Les résultats sont là, qu’il s’agisse de l’éducation de base, de la scolarisation des filles, de la formation des enseignants ou des dépenses consacrées par les États à l’éducation. En 2019, le Partenariat mondial pour l’éducation a soutenu la scolarisation de 22 millions d’enfants. Cela est d’autant plus essentiel que la pandémie a entraîné un phénomène massif de déscolarisation au niveau mondial. En 2021 se tiendra également la conférence de reconstitution des ressources du Partenariat, un élément essentiel de cette démarche.

Quatrième priorité thématique : la promotion de l’égalité de genre, en commençant par l’égalité des filles et des garçons à l’école. Nous aborderons aussi ces enjeux lors du Forum génération égalité, qui se tiendra en mars. L’initiative commune de la France et du Mexique se tiendra vingt-cinq ans après l’adoption du programme d’action de Pékin.

Notre nouveau paradigme, ce sont aussi des partenariats refondés. Il s’agit non plus seulement de faire pour nos partenaires du Sud, mais de faire avec eux, et ce, pour une raison simple : face aux défis que nous avons en partage, nous avons des responsabilités et des intérêts communs. Cette évolution est essentielle. Chacun en est conscient, notre relation avec nos partenaires du Sud n’est pas une forme de soutien généreux, qui leur permettrait de régler des problèmes qui ne concernent qu’eux. En réalité, en les aidant, nous nous aidons nous-mêmes car bien des réponses aux grandes questions du XXIe siècle se trouvent dans ce partenariat. La solidarité internationale est un cercle vertueux, non une abstraction.

Pour prendre un exemple très concret, la France et l’Europe ne sauraient faire face au défi de l’immigration irrégulière et des tragédies humaines qu’elle occasionne qu’en aidant la jeunesse du Sud à retrouver des perspectives d’avenir, qui ne passent ni par le déchirement du départ, ni par les périls des routes de la nécessité. Là encore, nous avons des responsabilités et des intérêts communs.

Ce renforcement de la dimension partenariale se jouera également en France. Les acteurs de la société civile française se verront reconnaître un droit d’initiative, qui leur permettra de proposer eux-mêmes des projets – c’était une demande forte. Les fonds de soutien de l’État aux organisations de la société civile et aux collectivités territoriales seront doublés d’ici à 2022. Nous approchons ainsi de la moyenne du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Nous voulons également mieux associer à nos efforts les diasporas africaines en France. Le Président de la République l’a dit à plusieurs reprises, y compris dans une réunion spécifique, qu’il avait organisée avec le président Nana Akufo-Addo à Paris, en juillet 2019. Les diasporas africaines ont un rôle crucial à jouer dans cette nouvelle relation, que nous voulons inventer avec l’Afrique. Elles seront au cœur du prochain Sommet Afrique France, qui se tiendra cette année à Montpellier.

Vous l’avez évoqué, monsieur le président, ce nouveau paradigme est enfin un renforcement du pilotage de la politique de développement par l’État, avec une chaîne de commandement et de responsabilités clarifiée, du plus haut niveau de l’État au plus près du terrain, en particulier grâce à une implication renforcée de nos ambassades. J’ai pu constater à de nombreuses reprises dans mes déplacements combien cela était indispensable.

Le projet de loi prévoit donc des conseils locaux de développement, présidés sur le terrain par l’ambassadrice ou l’ambassadeur. Ils veilleront à la cohérence des efforts déployés par l’ensemble des acteurs du développement présents dans un pays donné, dans le cadre d’une stratégie déclinant nos grandes priorités politiques en fonction des réalités locales et en tenant compte sur place de la programmation européenne et de l’action des autres bailleurs internationaux. Sur le terrain, c’est une révolution. Je veillerai, si le texte est adopté, à ce que cette disposition soit bien appliquée. Je souhaite que vous y contribuiez aussi, car il peut y avoir des résistances.

Par ailleurs, compte tenu de l’importance des efforts consentis, et de ces enjeux considérables, il faut mieux mesurer l’incidence des projets que nous accompagnons. C’est pourquoi, dans un souci de transparence et de redevabilité, le projet de loi prévoit la création d’une commission indépendante d’évaluation, comme cela existe déjà au Royaume-Uni ou en Allemagne. Cette disposition est notamment issue des propositions formulées par M. Berville dans son rapport et des travaux menés par Mme Poletti et M. Kokouendo. Il vous reviendra de vous prononcer sur les modalités de cette commission. Je reste ouvert aux propositions, sans position a priori. Il faut toutefois garantir une efficacité et une vraie indépendance à l’outil qui sera créé. Je souhaite aussi que les recommandations que pourrait faire la commission soient formulées directement auprès du Parlement, lieu de l’arbitrage final, et qu’il soit le lieu de la redevabilité. Le Sénat veut avancer sur cette question ; vous aussi, sans doute. Je suis prêt à entendre vos propositions. Le texte, que nous avons en quelque sorte co-construit depuis le début, peut encore être modifié et amélioré. Je ne suis pas arc-bouté sur l’ensemble du dispositif. Les responsabilités du Gouvernement n’y sont pas diluées.

Enfin, le projet de loi comporte un volet relatif à l’attractivité, qui permettra de renforcer la capacité de la France à attirer les organisations et les fondations internationales, dont beaucoup occupent un rôle central dans l’agenda mondial du développement et de la promotion des biens publics mondiaux. En effet, la France joue un rôle majeur en faveur du multilatéralisme. Nous avons contribué à la création de nombreux organismes internationaux tels que Unitaid ou le Fonds mondial. Or ces structures ne s’installent pas en France. Pourquoi privilégient-elles Genève ? La raison principale, souvent essentielle, est que nos procédures d’octroi des privilèges et immunité aux personnels de ces organisations sont trop longues. C’est pourquoi je vous ai proposé d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance, pour avoir une réponse immédiate, avant que vous n’entériniez la décision finale de la ratification d’un accord de siège, lorsque la procédure sera achevée. Cela permet d’éviter que ces organisations ou fondations ne s’installent ailleurs qu’en France, où elles auraient toute leur place.

Avec ce texte, la France sera à la pointe du renforcement du multilatéralisme et de la défense des biens communs de l’humanité. Depuis trois ans, nous agissons pour que l’Europe engage davantage ses valeurs humanistes et ses réflexes de coopération sur la scène internationale. Nous devons y contribuer, pour nous assurer de renforcer cette volonté. La crise pandémique est venue confirmer le bien-fondé de ces choix. Nouveau braquet, nouvelle orientation, nouvel élan, nouvelle relance, tels sont les éléments essentiels de ce texte sur lequel je suis disposé à travailler encore avec vous, pour l’améliorer ou le clarifier, si nécessaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, monsieur le ministre. Vos propos ont montré que ce travail d’élaboration a vraiment associé notre commission, notamment M. Berville, Mme Poletti et M. Kokouendo. Nous espérons que le résultat sera à la hauteur de cette collaboration.

 Je vous remercie également d’avoir placé votre propos liminaire sous l’angle de la lutte contre la pandémie et d’avoir précisé que les évolutions tragiques que nous connaissons, loin d’affaiblir l’engagement international de la France en matière de développement, vous confirmaient dans vos orientations antérieures.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je me réjouis de cette audition, qui permet enfin de discuter du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Nous y travaillons depuis plus de deux ans et demi. Vous l’avez dit, monsieur le président, ce texte de loi n’a peut-être jamais été si pertinent, mais il n’a peut-être jamais été aussi périlleux de le proposer maintenant. Dire que l’on augmentera les financements, notamment pour permettre aux pays les plus pauvres d’avoir accès à des vaccins, n’est pas très populaire. Après avoir travaillé de manière transpartisane sur ces bancs, nous pouvons être satisfaits que le projet de loi arrive sur la table et que notre commission défende ces mesures, dans le contexte d’un regain de protectionnisme vaccinal et de populisme.

Je remercie le ministre, qui se bat depuis deux ans, en interministériel, malgré les vicissitudes de la vie politique, pour que le texte soit déposé en conseil des ministres. C’est l’aboutissement d’un engagement du Président de la République, de refonder la politique de développement solidaire, pour qu’elle soit plus efficace, afin d’agir contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique, et d’atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) d’ici à 2022. L’objectif sera vraisemblablement atteint, voire dépassé.

Cela nous invite à nous interroger sur la pertinence de ces indicateurs. Vous le savez, je n’en suis pas un grand partisan. Si nous avions tenu la logique du 0,55 %, la France aurait été dans son droit de diminuer le volume de l’aide. Au contraire, nous l’augmentons. Nous devons donc profiter de ce texte pour interroger la manière dont on quantifie l’aide publique au développement et la pertinence de cette mesure qui date des années 1960, où la vision était sensiblement différente de celle d’aujourd’hui.

Vous l’avez dit, l’aide publique au développement est un pilier de la politique étrangère. Elle doit être pleinement alignée sur l’Agenda 2030, comme sur l’Accord de Paris. Elle est au croisement des cinq « P » des Nations unies – paix, planète, prospérité, population et partenariats. Pour relever les défis globaux et trouver des solutions communes, on ne peut pas se passer d’une politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

Je vous remercie aussi non seulement d’avoir défendu ce sujet, mais d’y avoir mis votre marque, conformément à votre engagement de 2017, avec des dispositions sur le bilatéral, l’augmentation dans les ambassades, l’augmentation des dons, la concentration sur les pays les plus vulnérables ou le réinvestissement dans les secteurs sociaux, de la santé et de l’éducation. En audition, des partenaires tels que l’ONG Action santé mondiale ou Coordination Sud l’ont dit : sans être satisfaits de tout, ils constatent qu’après une décennie perdue de sous-investissement, depuis 2017, la France réinvestit dans les champs de la santé et de l’éducation.

Cela me permet de remercier également de nombreux collègues avec lesquels nous avons travaillé et qui, comme moi, sont satisfaits de voir que la lumière est au bout du tunnel. Nous nous étions engagés pour une stratégie de long terme, claire et lisible – nous ferons le travail parlementaire nécessaire pour qu’elle le soit encore davantage, et que nous soyons collectivement satisfaits de ce qu’elle contient –, sur une trajectoire pluriannuelle, avec de vrais crédits budgétaires – le projet de loi le permet –, et, ce qui tient beaucoup à nos amis sénateurs, sur la préservation d’Expertise France, malgré l’intégration dans le groupe AFD. Nous devrons y veiller, et peut-être renforcer les garanties pour faire en sorte que l’expertise française puisse être mobilisée par les administrations, au-delà de la relation hiérarchique de filiale qu’Expertise France entretient avec l’AFD.

Enfin, nous considérons comme essentiel de favoriser l’engagement des jeunes et de reconnaître celui de la société civile, des collectivités et des acteurs de la diaspora. Le projet de loi inclut cet aspect. L’ancien ministre Jacques Godfrain m’avait dit qu’il serait satisfait lorsque le volontariat de réciprocité figurerait dans le texte : il y est enfin. Cela fait plus de quinze ans que certains acteurs l’attendaient ! Cela permet d’envoyer un signal à nos partenaires, notamment africains. Il s’agit de dire que cette relation de partenariat ne va pas que dans un sens, que nous avons beaucoup de choses à apprendre de personnes qui vivent dans les pays du Sud, que l’on doit sortir de cette relation sinon néocoloniale, du moins teintée parfois d’un sentiment de supériorité. La disposition sur le volontariat de réciprocité donne à voir que la mobilité circulaire et le partenariat peuvent se faire dans les deux sens. On le voit notamment avec la question de la santé : nous avons beaucoup à apprendre de l’innovation dans ces pays.

Nous voulons tous faire en sorte que ce texte de loi soit le moment de démocratiser la politique de développement, d’en faire l’affaire de tous, de la détechnocratiser et de faire que tous nos concitoyens puissent s’engager à avoir les moyens d’agir dans les pays partenaires, sur les questions relatives au climat, à l’éducation ou à la santé.

Le projet de loi est riche, chacun peut y trouver un élément qui le touche. Ses trois titres et neuf articles montrent bien, comme le ministre l’a dit, que le local et le global sont liés. Le texte traite des objectifs de la politique de développement solidaire, du contrôle du Parlement, de l’inclusion des objectifs de développement durable (ODD), du 1 % transports, qui concerne les autorités de transport, du Conseil national du développement et de solidarité internationale, de la diaspora, du volontariat, du statut de l’AFD, de l’intégration d’Expertise France, de la création de la commission indépendante d’évaluation et de l’accueil des organisations internationales.

Il modifiera tous les pans de cette politique, pour répondre à un triple objectif : lutter pour éradiquer la pauvreté ; combattre les inégalités mondiales ; préserver les biens publics mondiaux et lutter contre les changements climatiques.

S’agissant du pilotage et de la stratégie, une ligne de commandement a été créée, du Conseil présidentiel pour le développement (CPD) au conseil local de développement (CLD). Pouvez-vous préciser quelles garanties juridiques permettent à l’ambassadeur d’être chef de file, sur le terrain ? Il ne faudrait pas que son rôle ne soit que la conséquence de relations interpersonnelles. Le dispositif doit permettre à l’ambassadeur d’être le chef de l’équipe France, d’assurer la cohérence des politiques publiques nécessaire pour être le plus efficace possible et répondre à l’objectif politique. L’ambassadeur rend en effet compte devant le Président de la République.

Pour ce qui concerne le financement et le budget, le texte trace une vraie trajectoire budgétaire. Quel est votre regard sur l’indicateur de 0,7 % du RNB ? Est-il dépassé ? Pouvez-vous préciser si les 100 millions d’euros d’augmentation correspondent au financement d’engagements pris précédemment ou s’ils serviront à financer de nouveaux projets ?

Troisième sujet : la coopération, l’engagement à remettre de l’humain dans cette politique. Quelles dispositions garantissent l’autonomie stratégique d’Expertise France dans son intégration ? Comment pouvez-vous garantir qu’elle ne sera pas le cheval de Troie de l’Agence française de développement pour aller vers d’autres secteurs, qui ne sont pas ceux de l’APD, ou d’autres territoires que ceux définis par le cadre.

Quant aux partenariats, on veut donner plus de place au secteur privé, à la société civile, aux collectivités. Où en sont les discussions sur l’évolution, sur un an, de 1,2 % des dépenses de fonctionnement des collectivités et le fait de ne pas comptabiliser les dépenses relatives à l’aide publique au développement dans leur budget, pour ne pas les pénaliser ?

Enfin, s’agissant de l’innovation et du soutien aux petits projets, pouvez-vous revenir sur le lancement du Fonds d’innovation pour le développement ? En quoi symbolise-t-il ou non les ambitions nouvelles de faire mieux et plus envers nos partenaires, pour éradiquer la pauvreté, lutter contre les inégalités et préserver les biens publics mondiaux ?

M. Jean-François Mbaye. Je vous remercie pour votre présence, monsieur le ministre. Permettez-moi de saluer la mémoire de Marielle de Sarnez, qui s’était beaucoup investie dans ce projet de loi et aurait souhaité présider nos débats. Elle n’avait ménagé aucun effort pour que ce texte puisse parvenir devant notre commission et au Parlement. C’est une bonne chose que nous débattions, malgré les circonstances actuelles.

C’est un texte d’une importance majeure. Il n’est jamais inutile de rappeler la place cruciale qu’occupe la solidarité internationale au sein de notre politique étrangère.

C’est aussi un texte technique, avec une programmation budgétaire qui traduit la volonté du Président de la République d’augmenter notre APD d’ici à 2022, et d’optimiser sa gouvernance.

C’est aussi un texte éminemment stratégique et politique, avec un cadre partenarial global fourni, qui permet d’identifier les grandes orientations, transversales, géographiques et sectorielles, que suivra l’APD. Parmi les priorités sectorielles identifiées par le cadre de partenariat global (CPG), annexé au projet de loi, figurent en bonne place la lutte contre les maladies et le renforcement des systèmes de santé. Ces impératifs, incontournables en temps normal, le sont davantage devenus avec la pandémie de covid-19.

Ma première question portera sur la traduction concrète de cette priorité sectorielle de premier ordre. Jusqu’à présent, 10 % du montant de l’APD étaient alloués à la santé. Cette loi de programmation permettrait de consacrer l’objectif ambitieux et nécessaire de 15 %, dans le prolongement des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Qu’en pensez-vous ?

Le CPG a également souligné le rôle déterminant qu’a joué la France dans le cadre d’ACT-A, seule initiative globale pour financer la réponse à l’épidémie. À la suite de l’annonce du Président de la République de la financer à hauteur de 510 millions, seuls 160 millions auraient été décaissés. Pouvez-vous indiquer de quelle manière la France entend échelonner les décaissements, afin de satisfaire ses engagements ? Compte-t-elle renforcer sa contribution eu égard aux besoins en présence, s’agissant notamment du volet traitements d’ACT-A.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le ministre, je suis heureuse de vous entendre dire que nous pourrons approfondir ces sujets lors de l’examen des articles.

Vous souhaitez réussir l’appropriation des politiques de développement solidaire par les élus et par nos concitoyens, nous aussi. Pour cela, il faut placer la transparence, le contrôle et l’évaluation au cœur de nos discussions. Je vous remercie de l’avoir fait. Je vous remercie également de cette ouverture que vous proposez pour améliorer le texte et faire en sorte que nous puissions nous retrouver sur ces questions. Je m’en réjouis.

Le projet de loi a pour objet une programmation budgétaire pour la période de 2020 à 2025. Nous sommes en 2021. Nous ne déciderons en fait que pour l’année 2022 : nous saurons ce que l’on fera pour l’APD huit mois plus tôt que d’habitude. Viendront ensuite 2023, 2024 et 2025. Or pour le moment, le texte ne prévoit pas de recueillir l’avis du Parlement sur cette nouvelle programmation. Du moins, cela n’est pas dit clairement, alors que ce point est capital.

L’augmentation des montants, parfois très forte – sur une année, on dépasse 0,55 % – révèle certaines subtilités budgétaires, telles que l’effacement de la dette pour le Soudan, de plus de 4 milliards. Il s’agit non seulement de sommes dues, mais également de pénalités ou de sanctions financières qui viennent gonfler le montant, donc pourcentage d’aide publique au développement. Cela ne retire pas les efforts faits par ailleurs, mais il est essentiel d’être clairvoyants et de savoir où nous en sommes.

Les critères fixés par l’OCDE pour comptabiliser l’aide publique au développement n’ont rien d’obligatoire. Prenons les frais d’écolage, par exemple : la France intègre les frais élevés, payés pour des Chinois, dans son montant d’aide publique au développement. Ils sont comptabilisés comme de l’aide à l’éducation. Ces subtilités mériteraient d’être discutées. La France aurait pu choisir de sortir ces éléments de sa comptabilisation.

Pourriez-vous détailler ce que vous entendez faire avec la gouvernance d’Expertise France ? Quid d’un directeur, ou d’une directrice, d’un président ou d’une présidente ? Quelle serait l’articulation entre les deux et les missions que vous souhaitez leur confier ?

Par ailleurs, quels moyens financeront la commission d’évaluation et de contrôle ? S’il s’agit d’une commission indépendante, il faudra payer des salaires, des frais de fonctionnement, de déplacement. Pour la gouvernance, on ne sait pas bien où l’on va. Vous avez dit que la discussion était ouverte, que l’on pourrait l’alimenter, mais il y a tout de même là un problème budgétaire.

Enfin, la Cour des comptes ne semble pas être le meilleur levier car elle exerce un contrôle budgétaire, alors que ce sont les politiques d’aide publique au développement que nous souhaitons faire évoluer.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous aborderons ces questions essentielles avec M. Moscovici.

M. Sylvain Waserman. Au nom du groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés, je m’associe aux propos de Jean-François Mbaye concernant Marielle de Sarnez.

Notre groupe soutient fortement le projet de loi. Au début de la législature, j’ai rencontré de nombreuses ONG pour évoquer le sujet. Les représentants de l’ONG ONE, en particulier, mentionnaient trois points.

D’abord, leur espoir d’atteindre 0,55 %, après trois ans entre 0,37 % et 0,38 %, de 2014 à 2016. C’était un saut considérable, sur lequel ils disaient être très vigilants. Je leur avais répondu que, parlementaires de la majorité ou de l’opposition, nous le serions tous, car nous devions contrôler que l’engagement du candidat Macron se transforme en une réalité. Tous, nous devons nous réjouir que cet engagement soit tenu, et que l’on arrive au 0,55 % en fin de mandat. Tenir cet engagement est non une question politique de droite, de gauche, du centre, mais un vrai défi remporté par nous tous et par l’exécutif.

Deuxième point soulevé : l’absence de clarification dans les priorités. Le projet de loi y répond pleinement. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) nous a cependant saisis d’un regret, que la logique des droits de l’enfant n’apparaisse pas nettement. Cela est dommage car les actions à ce titre sont nombreuses et l’on connaît sur le terrain l’engagement de notre pays sur ces thématiques.

En 2017, les associations, y compris les plus pointues dans le suivi de l’aide au développement, ne savaient pas à quoi les 0,37 % servaient. À l’époque, les ministres n’étaient pas capables de dire, euro par euro et ligne par ligne, à quoi le montant de l’APD correspondait. En trois ans, nous avons fait des progrès notables, que je salue.

J’ai assisté mi-janvier à la restitution de l’évaluation du Fonds d’urgence humanitaire, qui associait les ONG. La démarche était remarquable en termes de méthode. Envisagez-vous d’associer ces organisations à l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des politiques publiques ?

M. Alain David. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos éclaircissements, qui permettent d’entrer dans le cœur du projet de loi que porte notre collègue Hervé Berville.

Jusqu’à récemment, les représentants suppléants de l’Assemblée nationale participaient au conseil d’administration de l’AFD. Dominique Pottier et Bérengère Poletti assuraient une présence constructive et vigilante, en plus de celle des titulaires, Hervé Berville et Amélia Lakrafi. Une modification législative récente et inopportune les empêche désormais de suivre les travaux de l’Agence. Nous envisageons d’y remédier à l’occasion de l’examen du projet de loi. Vous y opposerez-vous ?

M. M’jid El Guerrab. La pandémie de covid-19 est une crise sans précédent, qui n’épargne ni les pays du Nord ni ceux du Sud, et entraîne un accroissement des défis globaux. Ces crises appellent une solution multilatérale et coordonnée, empreinte de dialogue et de coopération. Ce projet de loi tant attendu en est une réponse. Or notre aide publique au développement poursuit de nombreux objectifs, parfois mal hiérarchisés, parfois contradictoires. Le manque de concentration sur les pays les plus fragiles et l’importance des financements pour les pays émergents brouillent bien souvent le message, et ne sont compris ni des parlementaires locaux, ni de nous-mêmes, ni des concitoyens locaux, ni de nos concitoyens. Elle est même parfois peu visible auprès de nos partenaires bénéficiaires.

Le projet de loi a l’ambition d’y remédier. Il est nécessaire de disposer d’instruments permettant une action rapide, efficace, dans des contextes de crise où les enjeux de sécurité et de développement sont fortement interconnectés, à l’image de l’agence Expertise France, qui a su développer une telle capacité d’action, en particulier au Sahel.

Or il y a un angle mort que nous devons renforcer, celui de la culture et de la francophonie, en un mot, le soft power, et l’envie de France. Comment faire pour que nous soyons plus fiers de notre aide publique au développement ? Comment sortir de cette forme de gêne, de pudeur de gazelle post-coloniale, là où d’autres pays n’hésitent pas à sortir l’artillerie lourde en matière de communication, insinuant même que la France est aux abonnés absents ?

Enfin, qu’en est-il de la place de la francophonie dans notre stratégie d’aide publique au développement, alors que de nombreuses questions se posent quant à la tenue du prochain Sommet mondial de la francophonie à Djerba, en Tunisie ?

M. Meyer Habib. Tous mes vœux vous accompagnent dans vos nouvelles fonctions, cher président.

Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir évoqué la mémoire de Marielle de Sarnez et de Claude Goasguen. Nous sommes doublement orphelins, et j’ai une pensée émue pour ces deux géants qui nous ont quittés et nous manquent tellement.

Vous l’avez évoqué, avec 10 milliards par an, nous sommes devenus numéro 4 mondial. Ce niveau d’aide au développement fait honneur à notre pays. Augmenter en permanence les budgets est très positif mais certaines questions peuvent se poser quant à l’utilisation de ces moyens.

Ainsi, je ne comprends pas pourquoi l’État français continue d’augmenter les crédits de l’AFD, sans imposer des règles plus strictes et des missions plus claires. En particulier, l’article 9 du projet de loi semble flou : il institue une commission d’évaluation de la politique de développement sans préciser avec qui et comment.

La question de la transparence est très chère au groupe UDI et Indépendants. Or des subventions ont été accordées à des organismes qui peuvent poser question. Ces dernières années, des organisations ont été soutenues, qui ont fait la promotion du boycott d’Israël, interdit par la loi française. C'est le cas de l’Association France Palestine Solidarité, dont les membres sont régulièrement condamnés par les juridictions françaises. De même, le centre culturel Al Bustan a été subventionné, alors qu’il entretient des liens très étroits avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), responsable notamment de l’attentat de la rue Copernic. Je pourrai aussi évoquer l’ONG Development Center.

Il faut aider les Palestiniens, il faut même augmenter l’aide qui leur est destinée, et tout faire pour qu’ils soient vaccinés encore plus rapidement, que de l’aide médicale leur soit apportée, avec un contrôle très rigoureux. En avril 2018, le Président de la République avait organisé la conférence de lutte contre le financement du terrorisme « no money for terror » : à l’heure où notre pays est touché dans sa chair, on ne peut pas accepter de se fourvoyer avec des programmes et des organisations un peu troubles.

Puisqu’il est question de terrorisme, je veux faire part de mon émotion et de ma tristesse devant la mort brutale d’Esther Horgen en Cisjordanie. Cette Française de 52 ans, née en région parisienne – nous avons fréquenté la même école –, a été massacrée. Je voulais lui rendre ouvertement hommage,

Enfin, monsieur le ministre, vous l’avez évoqué dans votre propos liminaire, et Antony Blinken a été très clair sur le sujet : il est indispensable que nous traitions les questions relatives à la nucléarisation iranienne.

M. Jean-Michel Clément. Je me suis aperçu que les précédents Présidents de la République ont tous promis d’atteindre l’objectif de 0,7 % – ce fut le cas en 1981, 1992, 2000, 2002, 2005, 2008, 2012, 2014 et 2015. Faire une promesse, c’est une chose, la tenir, c’est en une autre… Le Président Macron a été plus modeste : il s’est engagé à atteindre un taux de 0,55 % en 2022, contre 0,44 % cette année.

Premier bémol, l’augmentation de l’aide française au développement, rapportée au PIB, doit beaucoup au fait que ce dernier a chuté en 2020 et 2021, à cause du covid. Le dénominateur est donc plus petit.

Autre bémol, 20 % de l’aide consistent en des prêts, selon les documents budgétaires. L’ONG ONE, qui a été citée, parle même de 50 %.

Je rappelle aussi qu’une partie des crédits ne quitte pas la France : elle est consacrée aux frais de scolarité d’étudiants étrangers et aux bourses qui leur sont versés, ainsi qu’à l’aide destinée aux réfugiés présents sur le territoire français. Nous l’avions fait remarquer lors de l’examen en commission du projet de loi de finances pour 2021.

Par ailleurs, si notre aide passe de 12 à 17 milliards d’euros en un an, c’est parce que le Gouvernement anticipe, comme le Fonds monétaire international (FMI), une explosion du surendettement dans les pays pauvres : il a prévu d’annuler 4 milliards d’euros de dette l’an prochain, ce qui est intégré dans le calcul de l’aide au développement. Certes, personne ne se plaindra que la dette de certains pays soit allégée, bien au contraire, mais il faut reconnaître que les populations n’en bénéficieront pas directement.

Si la France accroît plutôt son aide aux pays pauvres, au lieu de la diminuer alors qu’elle traverse une crise importante – un mouvement inverse avait eu lieu après 2008 –, c’est que la crise qui s’annonce n’a rien à voir avec celle de 2008, notamment pour les pays africains. Alors qu’ils n’avaient pas connu de récession à cette époque, ils vont en subir une. Des risques de déstabilisation pèsent, de ce fait, sur le continent africain. Sur le plan sanitaire, ne pas aider les pays en difficulté où circule le virus prolongerait la pandémie.

Au-delà des chiffres, on doit regarder les faits et les conséquences. Malgré la bonne volonté affichée, nous sommes en retrait par rapport aux besoins des pays en difficulté. Voilà les remarques d’ensemble que je voulais formuler – je n’ai pas de question particulière à poser.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois que tout le monde conviendra que nous n’aurons jamais tous les moyens qui permettraient de répondre à tous les besoins.

Mme Clémentine Autain. Je voudrais évoquer, pour commencer, le retard avec lequel ce texte arrive : il aurait dû être soumis à notre assemblée en 2018 ou 2019. C’est une marque de non-respect à l’égard de la représentation nationale et de l’aide publique au développement, qui mérite mieux qu’un projet de loi aussi tardif.

Certains passages sont presque d’un autre temps : ils sont bien antérieurs à la pandémie que nous sommes en train de traverser – le texte n’en porte pas la trace. Or, selon la Banque mondiale, entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires se trouvent désormais en situation d’extrême pauvreté – elles ont moins de 1,90 dollar par jour pour vivre ; elles pourraient être 150 millions en 2022. Cette question n’est pas prise en considération alors qu’elle est tout à fait centrale.

Je tiens néanmoins à citer un progrès qui me tient à cœur : la suppression de la conditionnalité des aides aux politiques migratoires. Je trouve qu’il est bon d’y renoncer – c’est d’ailleurs salué par les ONG.

Autre progrès – très relatif –, la part de l’APD doit être portée à 0,55 % du PIB dans un premier temps puis, mais ce n’est très sécurisé dans le texte qui nous est présenté, à 0,7 %. Malgré l’engagement pris par Emmanuel Macron, on a du mal à être dans les clous, budget après budget, et nous aimerions que la trajectoire soit sécurisée plus durablement, au-delà du mandat du Président de la République. Vous connaissez notre position : le groupe La France insoumise est pour qu’on atteigne 0,7 % du PIB tout de suite, durant cette législature. C’est un point de désaccord entre nous.

Le projet de loi souffre, en outre, de problèmes structurels.

Le premier est que le cœur des objectifs de l’APD se trouve dans le préambule ou en annexe, et non dans le texte en tant que tel, c’est-à-dire, demain, dans le marbre de la loi.

Il y a aussi la question du pilotage. Nous débattons très souvent, dans cette commission, de la place de l’AFD et du fait que la tutelle du ministère des affaires étrangères est très relative. C’est plutôt l’Élysée qui s’occupe de l’AFD, et surtout l’autonomie de cette dernière pose un problème. À cela s’ajoutent toutes les critiques dont l’AFD a pu faire l’objet, mais je n’y reviens pas.

Plus fondamentalement encore, on ne sort pas des politiques néolibérales qui sont menées depuis que vous êtes là et, au-delà, depuis des décennies. Il existe une incohérence : on ne peut pas afficher les objectifs figurant dans le texte et mener des politiques néolibérales qui vont dans le sens contraire. L’accord avec le Mercosur est un exemple typique de contradiction totale entre les objectifs concernant l’aide publique au développement et la réalité de la politique de la France : elle est capable de nouer un accord de cette nature, qui est une catastrophe environnementale et un drame pour les politiques indigènes. Il faudrait éviter ce type de contradictions mais le projet de loi n’en donne aucune garantie.

M. Jean-Paul Lecoq. Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales aurait pu être intéressant et plus que bienvenu en 2018 ou, à la rigueur, en 2019. En 2021, les députés communistes peinent à lui trouver un intérêt extraordinaire… C’est une charte de principes non contraignants : tout l’intérêt, Clémentine Autain vient de le dire, réside dans le préambule et dans l’annexe. Il y aura tout un travail à faire pour donner à ce texte – je ne sais pas s’il faut parler d’un projet de loi de Jean-Yves Le Drian ou d’une proposition de loi d’Hervé Berville – la force que vous souhaitez. J’y reviendrai lorsque nous examinerons les articles en commission et en séance.

Afin de mettre le texte à l’épreuve des réalités, je me concentrerai sur l’aide publique au développement là où notre pays est présent par l’intermédiaire de ses entreprises privées – même s’il n’y a pas grand-chose dans le projet de loi à ce sujet.

Total s’est implanté au Mozambique, par exemple, pour exploiter de gigantesques réserves de gaz situées au large des côtes du nord du pays, dans une zone où sévit une rébellion islamique soutenue par Daesh et attisée par le ressentiment que suscitent les multinationales au sein de populations démunies, notamment en raison d’expropriations violentes et du chantier catastrophique auquel je fais référence.

Pour redresser la barre au Mozambique et pour éviter que ce genre de scénarios se reproduise, il faudrait faire en sorte que les multinationales françaises suivent les prescriptions inscrites dans le projet de loi. L’image de la France pourrait ainsi être respectée – et respectable – partout où nous sommes présents, au travers d’opérateurs publics, d’ONG ou d’entreprises privées. La diplomatie française est-elle en contact avec Total afin qu’il y ait une redistribution des richesses en faveur des habitants qui ont été expropriés ou qui n’ont plus le droit de pêcher alors que c’était leur seule source de revenu ? La France travaille-t-elle avec le gouvernement mozambicain pour reconstruire des services publics locaux – des écoles, des hôpitaux et des routes – dans la région concernée ? La France va-t-elle surveiller la situation ? Il existe un devoir de vigilance que vous connaissez bien, monsieur le ministre. La France va-t-elle demander des comptes sur les agissements des sous-traitants, au premier rang desquels figurent de nombreuses compagnies de sécurité privées ? Il faudrait que ces entreprises forment des salariés mozambicains – souvenez-vous du proverbe : plutôt que de distribuer du poisson, apprenez – aussi – aux gens à pêcher, pour qu’ils puissent être autonomes – et qu’elles paient des impôts à la hauteur des enjeux. Je rappelle aussi qu’il y a des accusations d’exactions de la part de soldats mozambicains qui sembleraient être payés, indirectement, par les multinationales. La France peut-elle prendre une position ?

L’implantation d’une base arrière de Total à Mayotte m’inquiète aussi. Vous connaissez ma position s’agissant de ce territoire et du respect du droit international.

En tant que président du groupe d’amitié avec le Mozambique, je souhaite également savoir si la France va envoyer de l’aide humanitaire pour aider les populations touchées par le passage – il y a une semaine – du cyclone Éloïse, qui a fait plus de 250 000 déplacés.

Le projet de loi devrait être modifié sur plusieurs points si on veut qu’il ait une réelle utilité. On doit faire en sorte que tous les relais, privés ou publics, de la présence française soient soumis aux mêmes exigences en matière d’exemplarité, qu’ils contribuent au développement solidaire et qu’ils luttent contre les inégalités mondiales. La France doit respecter et faire respecter les droits humains – ceux des femmes, des enfants et sur le plan environnemental – partout où elle est présente. On doit aussi faire en sorte que la France respecte absolument toutes les résolutions des Nations unies, en particulier celle qui demande de consacrer 0,7 % du PIB à l’APD. Une de mes premières interventions, il y a trois ans, consistait à expliquer que le pourcentage pouvait augmenter parce que le PIB diminuait. On m’avait dit à l’époque que cela ne risquait pas d’arriver, mais vous voyez bien que si ! Pourtant, je n’avais pas prévu la crise actuelle.

Mon groupe sera attentif. Je vous proposerai, en son nom, une multitude d’amendements. L’un d’entre eux, je le dis tout de suite, tendra à intégrer le CPG dans les articles du projet de loi. Cela permettra de répondre à de nombreuses attentes formulées par les ONG lors des auditions – je le dis en regardant le rapporteur. Le fondement de la loi doit être dans la loi elle-même.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Les représentants des groupes ont pu s’exprimer, et je vais donner la parole au ministre pour leur répondre. Nos réunions se terminent en principe à dix-neuf heures trente. Comme nous avons consacré quelques minutes, au début, à une importante question d’actualité, je pense que nous pourrons aller jusqu’à dix-neuf heures quarante-cinq. Néanmoins, je ne pourrai sans doute pas donner la parole à l’ensemble des inscrits. Nous reprendrons mercredi prochain le débat là où nous le laisserons tout à l’heure. Comme le disait Victor Hugo, « chacun en [aura] sa part et tous l’[auront] tout entier ».

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Certaines questions ou observations se recoupent. J’y répondrai donc en même temps.

En ce qui concerne le pilotage, qu’est-ce qui obligera l’ambassadeur à réunir autour de lui le conseil local de développement, rassemblant l’ensemble des partenaires ? C’est la loi : c’est prévu dans le cadre du CPG. Les ambassadeurs respectent généralement la loi…

Aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er, « est approuvé le rapport annexé à la présente loi qui établit le cadre de partenariat global ». Cela fera donc partie de la loi. J’ai une certaine ancienneté au Parlement : il en a toujours été ainsi. Ce n’est pas normatif, mais on appliquera le texte…

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cela veut-il dire que cela sera amendable ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Oui.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il faudra préciser la question des dispositions ayant une valeur légale sans être toutefois contraignantes. Nous pourrons certainement le faire lorsque nous examinerons les articles du projet de loi.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cela existe aussi dans le cadre des lois de programmation militaire, qui comptent un faible nombre d’articles : des documents annexes leur sont intégrés – dès lors qu’un article du texte dit qu’ils sont approuvés.

L’objectif de 0,7 % a fait l’objet de plusieurs interventions. Il faudrait reconnaître que le texte dit toute la vérité à ce sujet : on est actuellement à 0,52 %. Je ne me cache pas derrière la dette du Soudan – avec elle, on serait à 0,69 % et donc presque à 0,7 %. Nous voulons être clairs à propos de nos orientations et de nos engagements. Nous atteindrons 0,55 % l’année prochaine en renforçant l’action du ministère des affaires étrangères : les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » passeront de 3,9 à 4,8 milliards d’euros.

On voit bien qu’il y a une question mais je ne pense pas que nous la réglerons seuls. L’objectif de 0,7 % date d’une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1970 : cette norme a été conçue pour donner une impulsion et permettre de réaliser des comparaisons. Je rappelle que seuls cinq pays ont actuellement atteint la cible : le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni. Les règles applicables sont celles établies par l’OCDE. Tout le monde doit utiliser les mêmes, sinon il n’y a plus de comparaison possible – je réponds un peu, de cette manière, à Mme Poletti. À ma connaissance, les autres pays prennent aussi en compte les frais d’écolage.

L’aide publique au développement est aussi un instrument d’influence. La compétition se fait également par ce biais. Vous fréquentez beaucoup le Mozambique, monsieur Lecoq, mais moi aussi… Il existe une véritable compétition, dans ces pays, entre les types de développement. Nous nous inscrivons dans cette logique, sans la moindre ambiguïté.

M. Berville m’a demandé s’il fallait maintenir l’objectif de 0,7 %, parce qu’on peut jouer avec les chiffres – ce que je ne veux pas faire. Vous savez que les Britanniques ont fait un choix différent du nôtre. Nous avons décidé de maintenir notre effort pour atteindre le niveau sur lequel nous nous sommes engagés. Nous pensons que c’est aussi dans notre intérêt, pour toute une série de raisons que j’ai déjà évoquées.

Je ne peux pas m’engager pour la période 2023-2025 sauf si vous demandez, par amendement, que je reste en place jusque-là (Sourires). Une réévaluation annuelle est prévue mais je suis très ouvert à une disposition qui serait semblable à celle prévue par les lois de programmation militaire, si vous estimez que c’est préférable. On pourrait retenir la date de 2022, par exemple. Il faut continuer à travailler ensemble, je l’ai dit, pour coconstruire ce texte le mieux possible.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avons entendu ce message.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les 100 millions d’euros d’augmentation de la taxe sur les transactions financières (TTF) seront affectés au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme – j’ai demandé à mes collaborateurs un petit mémorandum sur les fonds existants : je m’y perds moi-même…

Expertise France gardera un président, un conseil d’administration et un directeur général, et on pourra passer directement des commandes. L’intérêt de l’intégration de cette agence dans le dispositif est de pouvoir proposer en même temps son appui technique, lorsque des projets ne sont pas assez élaborés, et des financements de l’AFD.

Le critère de hausse maximale de 1,2 % des dépenses de fonctionnement est tombé – le Premier ministre me l’a confirmé. Les contrats de Cahors ne s’appliquent plus dans la période actuelle. Si vous le voulez, néanmoins, je ne verrais pas d’inconvénient à une sécurisation.

Le Fonds d’innovation pour le développement, placé sous la présidence de l’économiste Esther Duflo, sera doté de 15 millions d’euros par an. Ce fonds vise à soutenir toutes les innovations technologiques, sociales, financières ou environnementales ayant un fort impact sur le terrain dans les secteurs thématiques prioritaires que j’ai indiqués. Un suivi sera réalisé. Nous voulons absolument développer une capacité d’expérimentation. Je pourrais citer des exemples très significatifs que j’ai vus lors de mes déplacements : il existe de véritables pépinières d’innovation qui permettent de sortir des habitudes ou des pratiques classiques, en particulier en ce qui concerne les relations avec les ONG locales. Je précise, sur ce point, qu’il y aura des acteurs locaux dans les comités présidés par les ambassadeurs, aux côtés de l’AFD, des services des ambassades et des ONG nationales ou européennes. Cela permettra d’assurer une cohérence.

La Cour des comptes n’était pas favorable, jusque-là, à faire partie du dispositif, madame Poletti, mais son Premier président nous a fait savoir qu’il était tout à fait désireux de travailler sur cette question – il pourra vous en parler demain lorsque vous l’auditionnerez. Je n’ai pas de position en la matière, mais je partage les exigences que vous avez évoquées, comme les sénateurs. Il faut trouver le bon outil en ce qui concerne l’indépendance, la redevabilité et les vérifications. Le coût du dispositif sera marginal par rapport à l’ensemble. On peut envisager, par exemple, que la présidence de la commission d’évaluation soit assurée par le Premier président de la Cour des comptes. Il faudrait adapter la composition de la commission d’évaluation en conséquence et faire en sorte, bien sûr, qu’elle comporte de vrais experts. Je suis très ouvert. Essayons d’avancer ensemble, assez vite – avant le 17 février.

Il pourrait y avoir de nouveaux effacements de dette. J’ai publié tous les chiffres, et nous ferons de même à l’avenir. Le G20 a décidé un moratoire sur la dette et un échelonnement des paiements pour une quarantaine de pays. Nous sommes partie prenante, et nous irons peut-être, dans certains cas, jusqu’à une extinction de dette. Ce sera bien identifié afin d’éviter d’atteindre l’objectif de 0,7 % par effraction. Je tiens à être très clair, car il n’y a pas d’arrière-pensées. Il est vrai qu’on peut se demander, dans ce contexte, si le critère de 0,7 % est toujours valable. Ce débat peut être ouvert au sein de l’OCDE ou en France mais je m’en tiens, pour l’instant, aux orientations qui existent.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. On pourrait peut-être résumer en disant que les effacements de dette ne compteront pas dans le calcul mais que le critère de 0,7 % n’a plus grand sens.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cela ne compte pas s’agissant de l’objectif de 0,55 % sur lequel je m’engage : sinon, on serait déjà à 0,69 % compte tenu de l’effacement de la dette soudanaise.

Il pourrait y avoir demain, en particulier lors de la sortie de crise et pour des pays africains, une volonté du G20 d’effacer des dettes ou d’appliquer un moratoire. Cela entrera dans le cadre de la comptabilisation prévue par l’OCDE pour tout le monde. Tant que nous n’avons pas trouvé autre chose, restons-en là. Néanmoins, il faut faire preuve de transparence – j’y tiens.

La part de la santé est supérieure à 10 %, monsieur Mbaye. Des engagements internationaux très significatifs ont été pris dans le cadre d’ACT-A. La charte dont j’ai parlé tout à l’heure sera normalement validée dans quelques jours. Nous avons pris cette initiative pour faire en sorte qu’il y ait une véritable mobilisation en ce qui concerne les systèmes de santé, les diagnostics, les traitements et les vaccins.

S’agissant de Gavi, l’outil de distribution des vaccins, nous avons porté notre contribution à 500 millions d’euros. En ce qui concerne le COVAX, qui est la facilité financière permettant d’acheter des vaccins, nous avons mobilisé 100 millions. Je pense avoir répondu à votre question, monsieur Mbaye.

M. Jean-François Mbaye. Cela ne correspond pas à ce que j’attendais, notamment en ce qui concerne la trajectoire, mais nous pourrons en rediscuter.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je reprends. Il faut distinguer, au sein du dispositif concernant les vaccins, le distributeur et le financeur. Ce dernier, s’agissant de la covid-19, est le COVAX, pour lequel nous mobilisons 100 millions d’euros. Pour ce qui est du distributeur, Gavi, nous apportons 500 millions, sur un total de 2 milliards, de mémoire. ACT‑A a quatre silos, je le répète : les vaccins, les traitements, les diagnostics et les systèmes de santé.

M. Jean-François Mbaye. Quels montants ont été décaissés à ce stade ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je n’ai pas le chiffre mais nous allons vérifier.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous propose de nous faire parvenir une note que je diffuserai auprès de l’ensemble des membres de la commission.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous le ferons pour mercredi prochain.

S’agissant des droits de l’enfant, on peut regarder comment cette question pourrait s’insérer dans le texte : il est déjà beaucoup question de l’éducation.

En ce qui concerne l’évaluation en continu, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) joue déjà un peu ce rôle mais je suis également ouvert sur ce point.

Je le suis, de même, aux propositions de M. David. J’ai évoqué la question avec le Président mais cette décision ne m’appartient pas.

La francophonie ne relève pas directement du développement. Néanmoins, le projet de loi précise que la politique de développement « œuvre également à la promotion de la diversité culturelle et de la francophonie ». Celle-ci a un budget, un mode de fonctionnement et des partenaires qui sont spécifiques.

J’ajoute que l’effort réalisé dans le cadre du partenariat mondial pour l’éducation est tourné en priorité vers les 19 pays dont j’ai parlé. Ils appartiennent en grande partie à l’Afrique francophone – mais il y a aussi Haïti. On contribue donc à la francophonie en développant l’enseignement dans ces pays.

C’est aussi une question qui se pose dans le cadre de la politique d’influence que peut constituer la politique de développement, comme vous l’avez souligné.

Je ne reviens pas sur l’intervention de Jean-Michel Clément : il a formulé des observations plutôt que des questions, et il est parti.

Je me suis entretenu la semaine dernière avec M. Blinken, monsieur Habib, et nous allons nous reparler cette semaine.

S’agissant des ONG concernées par des aides ou des partenariats de projets utilisant des outils français, nous sommes très clairs : il faut un criblage des bénéficiaires pour éviter le blanchiment d’argent ou des détournements à des fins terroristes, sauf en ce qui concerne l’aide humanitaire. Cette aide urgente pour des populations dans le désarroi ou en détresse n’est pas soumise au criblage : nous n’avons pas le temps – ni la volonté – de le réaliser. Ce sont les normes internationales, de l’OCDE, auxquelles tout le monde doit se plier.

Nous avons des points d’accord et des divergences, madame Autain, ce n’est pas nouveau. Je suis d’accord avec vous quant à la nécessité d’un pilotage des outils dont nous disposons, pour éviter qu’ils se comportent d’une manière autonome. Je crois que le texte permettra de l’éviter en ce qui concerne l’AFD : il fera en sorte qu’il y ait une véritable direction pour l’ensemble des acteurs. L’article 7 est très clair : « L’Agence française de développement est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’État et contribuant à l’action extérieure de la France au sens de l’article 1er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État ».

Vous avez également évoqué la cohérence de notre action – je ne vais pas revenir sur le Mercosur. Mais l’alinéa 3 de l’article 2 insiste sur la cohérence entre les objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales et ceux des autres politiques publiques susceptibles d’avoir un impact sur l’atteinte des objectifs de développement durable dans les pays partenaires, en particulier les politiques sociale, commerciale, fiscale, migratoire, de sécurité et de défense, de recherche et d’innovation, et d’appui aux investissements à l’étranger.

Monsieur Lecoq, nous ne sommes pas d’accord sur le Mozambique, j’en suis désolé. Peut-être ai-je de mauvaises informations – je vais les vérifier. Je suis allé plusieurs fois à Maputo, j’ai vu le président Filipe Nyusini, qui a signé un partenariat avec Total, bien qu’il soit membre du parti révolutionnaire Frelimo – cela peut donc arriver ! Il est soucieux de la sécurité de la zone. Nous pouvons engager le débat sur le Mozambique, mais peut-être pas aujourd’hui.

M. M’Jid El Guerrab. Monsieur le ministre, quid de la communication de l’AFD et nos pudeurs de gazelle ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je serai très heureux que, lors de nos débats en séance publique, le sujet de la communication, de l’identification et de la lisibilité de l’action de la France soit porté par des parlementaires car je partage votre avis. Je suis parfois stupéfait de nos pudeurs et, en même temps, de l’absence de pudeur d’autres qui, pour de petites choses, font beaucoup de bruit quand nous faisons de grandes choses, mais avec moins de bruit… C’est cela aussi la politique d’influence.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le ministre, vous allez nous obliger à citer de vieilles maximes de la bourgeoisie lyonnaise : le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit !

Nous n’allons pas commencer le débat avec les députés s’exprimant à titre individuel. Nous y reviendrons le 10 février à neuf heures trente en votre présence, mais je ne prendrai pas de nouveaux inscrits. Interviendront donc pour deux minutes chacun M. Jacques Maire, Mme Amélia Lakrafi, M. Michel Herbillon, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Marion Lenne, Mme Anne Genetet, Mme Liliana Tanguy, M. Pierre Cabaré, M. Éric Girardin, Mme Nicole Le Peih, Mme Aina Kuric, Mme Olga Givernet et Mme Sira Sylla et M. Rodrigue Kokouendo.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces échanges très intéressants et l’affirmation de votre volonté de cheminer ensemble pour perfectionner ce projet de loi, coproduit par les assemblées et vous-même.

Nous serons heureux de vous accueillir à l’occasion de l’examen des articles, et donc des amendements. Notre objectif est de coller à une réalité qui a profondément changé. C’est aussi de bâtir une gouvernance au sein de laquelle les engagements pris par l’exécutif seront tenus. Nos collègues sont très soucieux de disposer d’une terre solide sur laquelle bâtir.

Marielle de Sarnez aurait été heureuse de voir que les discussions qu’elle avait tant contribué à préparer, en collaboration avec le Sénat, se déroulent de manière constructive. J’avais le devoir de le rappeler, ce qui explique ma longue introduction.

Enfin, je remercie M. Berville. Je sais qu’il ne vous lâchera pas, monsieur le ministre !

 

Lors de sa réunion du mercredi 10 février 2021, 9h30, ouverte à la presse, la commission a terminé l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je remercie M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, d’être présent pour représenter le Gouvernement lors de l’examen de ce texte important, qui est « le » projet de loi de notre commission dans cette législature. Je donne à présent la parole aux orateurs qui n’ont pas pu s’exprimer mardi dernier dans la discussion générale.

M. Michel Herbillon. Monsieur le ministre, je salue votre présence. L’article 9 prévoit la création d’une commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, création que nous appelions de nos vœux, depuis longtemps. Elle sera, nous l’espérons, un outil essentiel pour mettre fin à l’éparpillement des données relatives à l’aide publique au développement.

Je salue aussi, dans un contexte où les moyens consacrés à la politique d’aide au développement sont en augmentation, la volonté de renforcer et de rationaliser les capacités d’évaluation externe, et de s’inspirer de la commission indépendante sur l’impact de l’aide, créée en 2011 au Royaume-Uni.

Quelle est votre vision du rôle de cette commission ? Son architecture, sa composition et son fonctionnement sont renvoyés à un décret. Son rattachement à la Cour des comptes est un point essentiel pour le groupe Les Républicains, notamment pour Bérengère Poletti, que je représente aujourd’hui. Comment entendez-vous concilier la nécessaire indépendance et l’efficacité de la commission pour évaluer les projets et contrôler ce qui est fait, sans tomber dans un contrôle strictement comptable et budgétaire de l’aide publique au développement ?

Pour que la commission soit réellement indépendante – mon groupe le souhaite –, quels moyens humains, techniques et financiers entendez-vous lui accorder ?

Enfin, la taxe sur les transactions financières abonde pour partie le Fonds de solidarité pour le développement. Comptez-vous faire évoluer son niveau, son périmètre ou l’étendre à d’autres pays européens ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Les sujets que vous évoquez sont pour partie inscrits dans le texte. Je suis très favorable à la création d’une commission indépendante d’évaluation de la politique de développement. Elle est indispensable, à l’égard de la représentation nationale comme de nos compatriotes, pour qu’ils sachent si les actions que nous menons correspondent à la mission qui a été donnée. La fonction de cette commission sera non pas de contrôler la régularité des comptes – d’autres outils existent pour cela ; la Cour des comptes, en particulier, joue un rôle important – mais d’évaluer l’application de la politique de développement et son incidence réelle sur le terrain. Pour cela, la commission doit être totalement indépendante et permettre à la fois la systématicité, la transparence et la visibilité.

Quant à sa composition et à la manière dont elle pourra s’organiser, qui relèvent en effet d’un décret, j’écouterai les propositions de votre commission, et celles de la commission des affaires étrangères du Sénat. J’ai participé hier à un débat sur le Sahel au Sénat, où les questions de développement ont été évoquées. Je l’ai dit avec beaucoup de clarté : il faut une indépendance réelle de la commission, et que son objet soit bien la visibilité des évaluations et la transparence de l’aide. Cela permettrait de fournir une information à un large public, dans un langage accessible, afin que nos concitoyens puissent juger de l’efficacité de notre aide au développement. La commission devra ensuite avoir les moyens de réaliser ses travaux, mais, je le redis, elle doit d’abord être totalement indépendante, du Parlement comme du Gouvernement, de l’État comme du Quai d’Orsay.

M. Jacques Maire. Nous attendions le présent projet de loi depuis trois ans et demi. Il arrive à un point opportun, puisqu’il ne précède pas mais suit les actes en matière politique et budgétaire, ainsi que sur le terrain. Nous nous réjouissons que le Parlement soit enfin au rendez-vous sur cette question.

En dehors de la composition des conseils d’administration, le Parlement n’est mentionné qu’une seule fois dans le texte, ce qui est dommage car les assemblées jouent un rôle essentiel. D’abord, le Parlement est votre ami. Vous le savez, la politique d’aide au développement n’a pas beaucoup de lobbies parmi la population, mais les parlementaires impliqués sur les sujets internationaux sont vos principaux alliés dans le combat permanent vis-à-vis des administrations ou des finances.

Surtout, le Parlement est un acteur de gouvernance, à la fois ici et sur le terrain. La question des financements internationaux fait partie du domaine réservé des gouvernements des pays bénéficiaires. Ils ne font l’objet de pratiquement aucun contrôle. Avec cet ambitieux projet de loi, nous proposons de reconnaître le rôle des parlements – des pays donateurs comme des pays bénéficiaires – dans la gouvernance de l’aide. Ils représentent la diversité des populations, des ethnies, des régions ; en faire des acteurs, y compris de l’appropriation de l’aide et de la capacité à mener des contrôles budgétaires sur place, est un instrument de lutte contre la corruption.

Enfin, il faut constater les difficultés des ONG s’agissant du blanchiment et du criblage. Monsieur le ministre, serez-vous disposé à recevoir nos propositions à ce sujet, pour permettre à ces organisations de travailler dans des zones complexes comme Idlib ou Ménaka, où le terrorisme est constamment présent ?

M. Hubert Julien-Laferrière. « Enfin ! » est le premier mot qui nous vient à l’esprit en débutant l’examen du présent projet. La place singulière qu’occupe la France dans le monde nécessite que nous relevions notre ambition en matière d’aide publique au développement. C’est ce qui est fait depuis le début du quinquennat en matière budgétaire. Une loi de programmation était attendue depuis le début de la législature, et encore plus depuis les engagements pris en 2018 avec le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Nous aurons l’occasion de discuter de ses objectifs financiers, de ses priorités sectorielles et de ses instruments privilégiés. L’ambition de la France est de rester à la hauteur de cette place singulière qu’elle occupe pour la réduction des inégalités mondiales, la lutte contre la pauvreté, la préservation des biens publics mondiaux – santé, climat, biodiversité – et l’atteinte des objectifs de développement durable.

Au mieux, la loi sera promulguée avant l’été, ce qui est cocasse pour une loi de programmation qui s’arrête en 2022. Nous avons besoin d’une loi de programmation pour 2025, qui précise l’aide en pourcentage, en valeur absolue et la ventilation des objectifs financiers. Cela est vrai tant pour les priorités géographiques – nous sommes attachés à ce que notre aide publique au développement s’oriente encore davantage vers les pays pauvres prioritaires, que le CICID a listés en 2018 – que pour les instruments, avec une priorité aux dons, ou les priorités sectorielles.

À l’avenir, comment pourra-t-on mesurer davantage les impacts de l’aide, ce que nous sommes nombreux à demander et que vous appelez aussi de vos vœux ? Depuis des décennies, l’aide publique au développement se mesure de manière déclarative : on compare ce que les pays déclarent. Demain, il faudra mesurer clairement les effets sur les populations des pays bénéficiaires.

Mme Aina Kuric. Monsieur le ministre, je salue votre détermination, qui nous permet aujourd’hui d’examiner ce texte, à la suite de l’engagement du Président de la République. Nous sommes prêts à travailler avec vous, avec beaucoup d’enthousiasme. Parmi les nombreux sujets dont nous débattrons, je veux insister, avec ma collègue Laurence Dumont, sur l’enregistrement des naissances, qui doit être placé au cœur de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

D’après le Fonds des Nations unies pour l’enfance, en décembre 2019, 166 millions d’enfants de moins de 5 ans, soit un quart des enfants, ne sont pas enregistrés dans le monde. Dans cette même tranche d’âge, 237 millions d’enfants, soit un enfant sur trois, ne disposent pas d’un acte de naissance.

Lorsque l’on élabore des stratégies de développement, on doit savoir de combien de personnes nous parlons. L’identité est le premier des droits, celui qui permet l’ouverture de tous les autres. Notre commission a déjà exprimé son engagement sur la question, en votant à l’unanimité le rapport de la mission d’information sur les enfants sans identité. Je vous demanderai, chers collègues, de renouveler votre soutien, en votant un amendement visant à flécher les moyens pour faire de l’enregistrement à la naissance une réalité, conformément à l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant, au seizième objectif de développement durable ainsi qu’aux valeurs de notre nation à l’égard de tous les enfants. J’espère que le Gouvernement soutiendra également cette proposition.

Mme Olga Givernet. Le présent projet de loi donne un nouvel élan à notre politique d’aide au développement. Malgré la crise sanitaire et économique, il concrétise un engagement fort du Président de la République. Pour reprendre les mots du ministre, notre pays est enfin revenu dans le jeu, après quelques années d’éclipse.

Comme le plan de relance, ce cadre stratégique s’appuie sur un effort budgétaire sans précédent. Surtout, il traduit notre préoccupation de gérer l’urgence sans sacrifier l’avenir. Mais la montée en puissance de l’aide au développement va bien au-delà de l’amplification de l’effort budgétaire. Elle en fait un véritable pilier de l’action extérieure de la France, en complément de la diplomatie et de la défense.

La coopération décentralisée, c’est-à-dire l’action extérieure des collectivités territoriales, joue un rôle croissant en matière d’aide au développement. Dans les dernières années, plusieurs évolutions législatives ont consacré une véritable autonomie des collectivités, dans les limites des engagements internationaux de la France. Dans nos territoires, la demande en ce sens est forte. L’action extérieure est perçue comme une expression signifiante de la démocratie locale. Dans ma circonscription, plusieurs initiatives ont été engagées, comme le financement d’un réseau d’eau potable à Madagascar et au Togo par la communauté de communes du pays de Gex.

Nous souhaitons donc nous assurer que l’État conçoit bien les acteurs locaux comme des partenaires stratégiques à part entière dans la stratégie française d’aide au développement. Nous ferons des propositions en ce sens.

Mme Sira Sylla. Les représentants de la diaspora constituent aujourd’hui un ensemble organisé. Ils peuvent être des catalyseurs et vecteurs d’efficacité, grâce à leur capacité de suivi de projets à très petite échelle, en lien avec une communauté de bénéficiaires d’un projet de développement. Les diasporas sont d’ailleurs le premier acteur du développement.

Dans un avis du 26 février 2020, le Conseil économique, social et environnemental, représentatif de la société civile, a rappelé l’importance d’impliquer davantage les membres de la diaspora organisée dans le pilotage et l’évaluation de la politique française d’aide, et de valoriser en particulier les diasporas engagées pour le développement de leurs pays d’origine.

Vous l’avez rappelé la semaine dernière, Monsieur le ministre, nous voulons associer nos partenaires à nos efforts – faire « avec », et non plus « pour ». Les diasporas sont au cœur de ce partenariat refondé avec l’Afrique. J’en veux pour preuve la rencontre avec les diasporas à l’Élysée, la deuxième édition de la Mobilisation européenne pour l’entreprenariat en Afrique (MEET Africa 2), que vous aviez lancée avec l’ancien ministre sénégalais des affaires étrangères, Amadou Ba, ou le Sommet Afrique-France, où les diasporas joueront un rôle central. Comme mes collègues, je me réjouis que le soutien aux diasporas soit bien présent dans le projet de loi. Depuis 2018, nous demandions qu’il y figure. Nous avons été écoutés : le texte a été coconstruit, sous l’impulsion de notre présidente Marielle de Sarnez et de notre rapporteur, Hervé Berville, qui a associé les parlementaires à ses travaux.

La représentativité des diasporas au sein des organes de pilotage est essentielle. Elle peut encore être améliorée, afin de garantir une participation de toutes les parties prenantes aux politiques de développement et de lutte contre les inégalités mondiales. Il en va ainsi de la représentativité au sein du Conseil national du développement et de la solidarité internationale, dont la composition sera fixée par décret, ou de celle de la commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

M. Rodrigue Kokouendo. En octobre 2017, la commission des affaires étrangères, sous la présidence de Marielle de Sarnez, pour laquelle nous avons une pensée émue, a confié à Bérengère Poletti et à moi-même une mission d’information sur l’aide publique au développement, faisant notamment écho aux ambitions du Président de la République d’augmenter l’intervention de la France. Sous l’impulsion de notre présidente, nous avons beaucoup travaillé, avec le rapporteur et nos collègues, députés et sénateurs, pour coconstruire le présent projet de loi.

Il redessine les moyens d’intervention de notre politique de développement, dans un contexte mondial qui devra privilégier la lutte contre la pauvreté ainsi que la sauvegarde et le développement des biens publics mondiaux, en nous appuyant plus spécifiquement sur les actions multilatérales. La lutte contre la pauvreté et les inégalités passe par la recherche et par l’innovation. Je me réjouis des nouveaux moyens de financement et du lancement du Fonds d’innovation pour le développement par le Président de la République. S’il faut encourager et expérimenter de nouvelles idées, il convient aussi de tester leur efficacité. J’espère que le nouveau fonds tiendra ses promesses. J’attache de l’importance à cette initiative de progrès.

Avec ces moyens augmentés, il faudra être particulièrement solidaire avec les pays d’Afrique subsaharienne, notamment pour les aider à réinventer leur économie, privilégier les besoins sociaux, la survie des hommes et des femmes, instaurer une coopération plus étroite, favoriser aussi la coopération Sud-Sud, privilégier les dons, plutôt que l’endettement. En ce sens, l’affirmation des 19 pays prioritaires est une bonne chose. Que ces nouveaux moyens et cette politique volontariste et solidaire, sous l’impulsion du ministre, avec l’appui du Président de la République et le soutien du Parlement, puissent contribuer à donner à la jeunesse africaine un avenir en Afrique.

Que pensez-vous de l’idée de fixer une proportion minimale de l’aide bilatérale à allouer aux pays prioritaires ? Nous suggérons aussi de hiérarchiser et sélectionner les contributions françaises en matière d’APD, afin d’éviter une dispersion de l’aide multilatérale française et de la concentrer sur les organisations dont les objectifs premiers coïncident avec les priorités du Gouvernement.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me réjouis avec vous de l’arrivée de ce texte devant le Parlement, dont je n’avais pas relevé qu’il n’était cité qu’une fois dans le texte. Le cadre de partenariat global permettra de parer à cette insuffisance. Je propose donc d’y remédier par voie d’amendement.

En raison de l’urgence et de la rapidité d’intervention, l’aide humanitaire n’est pas soumise aux demandes de criblage des bénéficiaires : il faut l’apporter aux populations le plus rapidement possible. En revanche, le criblage permet de sécuriser la destination des actions de développement, et de nous assurer qu’il n’y a pas de risque de corruption et de blanchiment d’argent. Il est donc nécessaire pour des relations de longue durée.

Les actions de stabilisation, qui se trouvent entre l’aide humanitaire et l’aide au développement, posent quelques difficultés. Elles donnent lieu à des discussions avec les acteurs, pour savoir dans quelle mesure on peut s’assurer de la qualité des destinataires et de l’efficacité de l’action. Cette zone grise n’est pas encore suffisamment clarifiée. Comme la réponse varie selon les pays, il faut adopter une position assez souple.

Les principes fondamentaux qui ont été évoqués restent les nôtres : être au rendez-vous des objectifs de développement durable, renforcer les dons par rapport aux prêts, le bilatéral par rapport au multilatéral. Nous avons tenu ces propos dès le début de la législature, et les avons appliqués dans les réalités financières concrètes – les chiffres l’attestent.

S’agissant de l’objectif de 2025, l’article 1er prévoit une révision avant la fin de l’année 2022, pour prévoir le dispositif financier des années suivantes. Il en va de même dans les autres lois de programmation. Dans d’autres fonctions, j’ai ainsi présenté un projet de loi de programmation militaire, qui prévoyait également une révision à mi-parcours, avec une réévaluation de la programmation sur la seconde partie de la période, en fonction de la situation économique et financière du pays.

Je partage avec vous la nécessité de mesurer les impacts de l’APD. La commission d’évaluation aura ce rôle : elle pourra être très exigeante, à condition d’être indépendante – du Gouvernement, du Parlement et des acteurs – et de pouvoir s’exprimer librement, sans intervention extérieure. J’y veillerai dans le débat, même si c’est aussi votre préoccupation. Nous y parviendrons.

Je suis sensible à l’enjeu de l’enregistrement des naissances à l’état-civil et des droits de l’enfant, qui sont une préoccupation permanente. Au Sahel, par exemple, y compris dans les pays qui font l’objet d’une attention particulière, l’état-civil n’est pas à la hauteur des nécessités. C’est un effort d’appartenance nationale qu’il faut poursuivre dans ces pays. Je suis intéressé par les propositions qui seront faites, pour préserver les droits de l’enfant. Je partage notamment les conclusions du rapport d’information sur les enfants sans identité. J’espère que nous pourrons avancer sur cette question préoccupante : c’est indispensable à la cohérence de notre action extérieure.

Au début de mon mandat, j’avais annoncé que je souhaitais aboutir au doublement des fonds destinés aux collectivités territoriales qui agissent dans le cadre de la coopération décentralisée. Il importe de renforcer leurs capacités. Je l’ai dit aux acteurs, notamment de Cités unies France (CUF), une coordination est souhaitable dans les pays où la coopération décentralisée est forte. Au Mali, au Burkina Faso, à Madagascar, où de nombreux jumelages et des actions significatives sont menés, l’action commune est insuffisante. Chacun agit dans son coin avec sa propre commune, sans cohérence globale. Il est essentiel de renforcer, dans la loi, la responsabilité de la coordination territoriale, non seulement avec les collectivités mais avec l’ensemble des acteurs qui interviennent dans un territoire. Le Mali a beau être l’un des pays où il y a le plus de coopération décentralisée, cela n’a pas empêché ce qui s’y est passé.

Le soutien financier de l’État à l’activité des collectivités territoriales sera au rendez-vous. En outre, l’article 4 du projet de loi leur donne la possibilité de financer les actions liées à la mobilité et à la connectivité par dispositif du 1 % transport. Il faut seulement que la recette soit affectée à un système qui fonctionne et soit cohérent avec le secteur où le prélèvement est effectué. C’est une volonté concrète d’agir en ce sens.

Associer la diaspora est essentiel. Au Sénégal, elle est un acteur majeur de développement. Je suis d’accord pour travailler à ce que les diasporas soient mieux représentées dans les différents collèges car elles sont un acteur majeur. Leur connaissance des deux côtés de l’action permet des réalisations d’importance. La diaspora doit être présente dans le CICID. Elle sera placée au centre du prochain Sommet Afrique-France, à Montpellier, en juillet.

Le Fonds d’innovation pour le développement, animé par Mme Esther Duflo, permettra, je l’espère, des avancées méthodologiques significatives pour concevoir un nouveau partenariat. Nous le suivrons de près. La clé de l’innovation réside non pas nécessairement dans des financements lourds, mais dans des financements originaux, rapides, afin de tester des projets. Les Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain (FSPI), que j’ai déployés à partir de 2018, ont déjà pu contribuer à soutenir des projets d’innovation technologique, sociale, financière ou environnementale. Ils doivent être renforcés, et le Fonds d’innovation pour le développement sera pertinent à cet égard.

La nécessité de la coopération bilatérale a également été rappelée. Nous avons fixé des montants d’intervention bilatérale élevés, notamment vers les 19 pays prioritaires, pour lesquels une certaine part d’aide doit impérativement être respectée. Le rapport d’information de M. Kokouendo contient des propositions dans ce domaine. Nous pourrons sans doute les conforter au cours du débat.

 

 


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III.   Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Lors de sa réunion du mercredi 3 février 2021 après-midi, ouverte à la presse, la commission a auditionné M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je remercie monsieur Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, d’avoir accepté d’être auditionné sur projet de loi qui comprend des dispositions importantes en matière d’évaluation et de contrôle. Nous souhaiterions que vous nous expliquiez en quoi le premier président de la Cour des comptes et la Cour des comptes pourraient apporter leur soutien à ce dispositif, l’un et l’autre étant impliqués à des titres différents dans les opérations d’évaluation et de contrôle du groupe Agence française de développement.

La Cour des comptes a publié en février dernier un rapport portant sur le pilotage stratégique par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères des opérateurs extérieurs de l’État. Ce rapport précise notamment que l’Agence française de développement (AFD) doit être bien contrôlée, encadrée et orientée. L’AFD est à la fois le bras séculier de l’État, en tant qu’elle diffuse des politiques animées par le gouvernement, et un opérateur financier qui exerce en toute responsabilité sur le marché, rassemblant des ressources et consentant des prêts. De manière générale, le rapport de la Cour rappelle l’exigence de cohérence dans les liens qu’entretiennent l’Agence française de développement et le ministère. Il conclut que le ministère peine à en orienter et à en contrôler l’action et que les instruments de pilotages dont il dispose présentent des limites qui entravent l’exercice de tutelle. Comment élargiriez-vous ces limites si vous exerciez des responsabilités importantes dans l’organisme de contrôle ? Comment le système pourrait-il être mieux piloté, contrôlé et évalué ?

Notre rapporteur, monsieur Berville, s’est engagé avec énergie et persévérance à faire aboutir ce projet de loi coconstruit entre le ministère, le parlement et ses commissions. Je lui laisse la parole. Nous veillerons à ce que cette étroite symbiose se maintienne à l’avenir.

M. le rapporteur Hervé Berville. Je vous remercie, monsieur le premier président, d’avoir accepté notre invitation dans des délais assez courts pour l’examen du projet de loi qui nous intéresse. Le sujet porté autour de cette table est moins le contrôle que l’évaluation, qui au-delà de ses impacts directs, doit être comprise comme un élément de crédibilité de notre action. Une caractéristique notoire de la politique de développement est que ses premiers bénéficiaires ne sont pas français. La redevabilité n’est donc pas la même. Dans un contexte où l’objectif est d’augmenter l’aide publique au développement à 0,55 % du RNB et même au-delà, l’évaluation devient cruciale, car c’est bien la crédibilité qui crée l’adhésion des citoyens à nos actions et le consensus. La crédibilité nous confère de surcroît une influence à l’international. La voix française sera d’autant plus écoutée sur les questions de développement solidaire qu’elle aura démontré que ses actions, qu’elles soient menées par l’Agence française de développement ou par les ambassades, ont des impacts au quotidien. L’évaluation détermine en somme les rapports de confiance que nous pouvons nouer avec les concitoyens.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi institue une commission d’évaluation. Nous noterons tout d’abord qu’elle n’est pas qualifiée d’« indépendante ». Nous remédierons rapidement à cette lacune. Néanmoins, comme l’a indiqué hier le ministre, la situation peut être encore être précisée. Les débats parlementaires peuvent donc se poursuivre sur le sujet et votre présence nous est précieuse dans ce cadre.

Plusieurs questions se posent. Premièrement, comment garantir l’indépendance de la commission ? Deuxièmement, comment s’assurer de la diffusion de ses travaux à tous les publics, de manière à ce que les citoyens soient bien informés de l’aide publique au développement ? L’enjeu n’est certes pas de limiter la présentation de l’évaluation effectuée à notre commission, mais de communiquer ces travaux aux citoyens. Il nous semble essentiel de démocratiser l’aide publique au développement et d’en communiquer régulièrement les résultats au grand public. Troisièmement, quelle est selon vous la place du parlement dans l’architecture ? Personnellement, je ne suis pas favorable à ce que des parlementaires siègent à la commission. Ce n’est ni notre vocation ni notre métier. En revanche, il me semble important que la commission présente ses travaux devant le parlement ainsi qu’un bilan de la mise en œuvre de ses recommandations d’ici un an et demi. Quelle est votre perception de cette « redevabilité » de la commission ?

Le rattachement de la commission à la Cour des comptes est au nombre des scénarios que nous examinons. Il soulève au moins cinq interrogations sur la domiciliation, la présidence, la composition de la commission, le mode de travail adopté, à savoir le recours ou non à des prestataires externes, et la redevabilité. Comment envisageriez-vous les conditions d’un rattachement ?

Enfin, la Cour des comptes rend régulièrement des avis sur l’Agence française de développement, et notamment sur le rôle des tutelles. Quelles sont les avancées de ce texte dans ces domaines ? Pensez-vous que la loi vise un bon équilibre, c’est-à-dire qu’elle permette au ministère de veiller à ce que l’Agence française de développement mette en œuvre la politique du gouvernement, tout en lui laissant la flexibilité inhérente à son statut ? L’indépendance de la commission et centrale est la confiance des Français en dépendra.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il me semble également de bon sens que les parlementaires ne fassent pas partie de la commission dès lors qu’elle doit rendre des comptes au parlement. On ne peut pas être à la fois être évaluateur et responsable. Les enjeux fondamentaux sont l’indépendance et la transparence de la commission. Je précise que je ne mélange pas le contrôle et l’évaluation et il s’agit bien d’une commission d’évaluation. Il n’en demeure pas moins que l’Agence française de développement est contrôlée. Étant donné, monsieur le premier président, que vous vous exercez aux deux bouts de la chaîne, peut-être pourriez-vous préciser comment s’articulent le rôle d’évaluateur et le rôle de contrôleur, qui restera celui des chambres de la Cour des comptes.

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Je suis très heureux d’intervenir devant vous à plusieurs titres. Premièrement, le renforcement de la dimension européenne et internationale de nos travaux est pour moi un axe prioritaire, tout comme le développement de liens plus étroit avec le parlement. Deuxièmement, je connais bien votre commission, y étant intervenu à plusieurs reprises, d’abord comme ministre des affaires européennes, plus récemment comme ministre de l’économie et des finances, et comme commissaire européen. Enfin, je fus membre de cette commission entre 2007 et 2009.

Évidemment, je n’ai pas compétence pour m’exprimer sur le fond du projet de loi et pour commenter à chaud la politique du gouvernement. Ce n’est pas mon rôle et je ne le ferai pas. En revanche, j’aborderai les deux sujets du contrôle et de l’évaluation, car la Cour exerce ces deux activités. J’exposerai en un premier temps les travaux de la Cour portant sur le périmètre de la commission. Je présenterai ensuite les avantages que pourrait présenter son rattachement à la Cour des comptes si vous le décidez.

La Cour a établi cinq rapports depuis 2018 sur l’aide publique au développement. Le principal rapport concerne le groupe Agence française de développement lui-même, qui a fait l’objet d’une insertion spécifique dans notre rapport public annuel en 2019. Ce groupe comprend l’Agence et sa filiale Proparco. Il est aujourd’hui l’opérateur pivot de l’aide bilatérale française, et reconnu comme tel. Depuis une quinzaine d’années, il s’est beaucoup s’est développé, grâce à une augmentation notable de ses ressources propres et à un renforcement régulier de son assiste financière par l’État. Son directeur général monsieur Rioux a beaucoup agi en ce sens. Notre rapport expose différentes voies d’amélioration relative à la gestion et à l’organisation de l’Agence française de développement. Il souligne d’abord que sa soutenabilité financière dépendra à l’avenir de sa capacité à maîtriser ses charges, notamment de personnel. Notre rapport appelle d’une part, à refondre le statut de ces personnels, dont le régime de rémunération est assez coûteux et d’autre part, à moderniser ses systèmes d’information. Il souligne aussi que le maintien de son efficacité économique et la qualité de son portefeuille financier sont déterminants. Le prêt devrait demeurer dans les années à venir l’instrument privilégié de financement du développement.

Vous avez évoqué le pilotage de l’Agence française de développement. Dans une enquête menée en 2010, la Cour avait pointé les insuffisances du pilotage interministériel. Elles demeurent pour nous d’actualité en 2019. Le rapport recommande une réunion au moins annuelle du comité interministériel de coopération internationale et du développement (CICID). Ces recommandations sont émises depuis sa création en 1998. Il importe maintenant de soutenir son plein déploiement, ainsi que celui du conseil d’orientation stratégique qui accompagne l’AFD dans la définition de sa stratégie. Nous plaidons également pour doter les instances de gouvernance du groupe de compétences plus diversifiées, notamment bancaires et financières pour l’agence, ou d’expertise et de développement pour Proparco. Le rapport souligne enfin la nécessité d’une plus grande intégration de l’AFD et de Proparco dans les réseaux économiques et diplomatiques français. Il préconise de renforcer la capacité de l’AFD à évaluer les résultats des projets qu’elle a financés, et plus globalement sa contribution aux objectifs de l’aide publique au développement française. Je précise que nous avons inscrit au deuxième semestre de l’année 2021 un contrôle de la fonction d’évaluation au sein de l’Agence française de développement.

En sus de cette enquête sur le groupe AFD, mon prédécesseur Didier Migaud a adressé en 2019 au premier ministre un référé qui portait sur la contribution de la France au fonds vert pour le climat. Ce contrôle complétait celui par la Cour en 2015 sur le fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, et celui de 2018 sur le fonds européen de développement.

 Le fonds vert pour le climat est né en 2009 pour aider les pays en développement à atténuer les effets du changement climatique et à adapter leurs économies en conséquence. Il a été installé en Corée du sud en 2012. Il a fallu attendre 2015 pour que les pays donateurs effectuent les premiers versements et 2016 pour que les projets agréés bénéficient des premiers décaissements. En 2014, le président de la République François Hollande s’était engagé à faire contribuer la France à hauteur d’un milliard de dollars entre 2015 et 2018, soit près de 780 millions d’euros. Cela correspondant à 10 % du montant total des promesses. L’engagement a été tenu sous deux formes : un prêt concessionnel de 285 millions d’euros, que l’Agence française de développement a versé en 2017 avec une bonification d’Etat ; et un don de 489 millions d’euros que le fonds de solidarité pour le développement a versé en plusieurs tranches jusqu’en 2018. La France est aujourd’hui quatrième donateur du fond. Elle est membre de son conseil et donc pleinement légitime à s’assurer de l’emploi des contributions au plus près de l’objet du fond. Dans son référé, la Cour a attiré l’attention du gouvernement sur les délocalisations coûteuses des réunions du conseil du fond, ainsi que sur la nécessité de maîtriser les coûts élevés d’instruction et de gestion des actions financées. Le fonds vert approuve les projets, mais en confie l’exécution à des agences de développement qu’il agrée, dont l’AFD. L’addition des coûts de gestion peut sembler disproportionnée dans certains cas par rapport au bénéfice final pour les économies locales. La Cour ajoute qu’il est également important de s’assurer du caractère complémentaire et concordant des financements multilatéraux de la France en faveur de l’environnement et du climat, de façon à ce que les priorités de la France se reflètent dans celles du fonds vert pour le climat.

Un autre fonds fait l’objet d’un travail de la Cour remis aux assemblées parlementaires l’année dernière. Il s’agit du fonds d’investissement et de soutien aux entreprises en Afrique. Créé par Nicolas Sarkozy pour soutenir les PME africaines, le FISEA a été doté de 250 millions d’euros et c’est le premier fonds d’impact français doté en capital. Il avait pour objectif de créer ou soutenir 100 000 emplois et de regrouper 1 milliard d’euros d’investissements. Il s’agit d’un instrument financier assez original, à mi-chemin entre subvention et fonds de capital. Il revêt la forme d’une société par actions simplifiées, dont la gestion est assurée par Proparco. L’intégralité du capital n’a été libérée que fin 2019. Notre rapport fait état d’une distribution des investissements certes diversifiée, mais trop orientée vers l’Afrique orientale anglophone. En outre, l’objectif de parité entre le nombre des investissements directs dans les entreprises et les prises de participation dans d’autres fonds n’est pas respecté. Le bilan financier des dix dernières années, en perte de 80 millions d’euros, nous est apparu décevant. La Cour, constatant que l’activité du fond est rentable pour Proparco, recommande aussi de mieux mesurer la création d’emplois directs et indirects liée à l’intervention du FISEA, notamment au moyen d’évaluations contrefactuelles.

J’en viens au quatrième rapport. En 2020, la Cour a mené à la demande du Sénat une enquête sur le pilotage stratégique des opérateurs du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Une large part de cette enquête a été consacrée à l’aide au développement. Le rapport souligne la nécessité d’une plus grande coordination tant entre les directions du ministère qu’avec les autres ministères compétents et avec les opérateurs eux-mêmes. Cela répond indirectement à la question que vous posiez concernant les tutelles et illustre la progression de la force de frappe de l’Agence française de développement. L’élargissement de ses périmètres géographique, thématique et sectoriel lui permet de couvrir l’ensemble du champ de la coopération et de la solidarité internationale. Elle apparaît à la Cour des comptes comme l’héritière institutionnelle de l’ancien ministère de la coopération.

La Cour pointe plusieurs défaillances du dispositif de pilotage stratégique de l’AFD, déjà mises en évidence lors de son contrôle de la direction générale de la mondialisation en 2018. Elles se traduisent par l’absence de contrats d’objectif et de moyens, de lettres de mission du directeur général, ainsi que par l’absence de révision depuis 2007 de la convention régissant les relations financières entre l’État et l’AFD. Par conséquent, la Cour recommande la mise en place d’une instance de pilotage stratégique au niveau des tutelles de l’AFD, ainsi qu’un meilleur encadrement de l’activité de don financée sur crédits budgétaires. La Cour a également émis des réserves quant au rapprochement d’Expertise France et de l’AFD prévu prochainement. Cette opération ne doit pas conduire à amoindrir la capacité du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à orienter et à contrôler les travaux d’expertise internationale.

Nous formulons régulièrement, dans nos notes d’exécution budgétaire, l’observation suivante : en 2019, le montant total des crédits de la mission d’aide publique au développement s’élève à 4,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 3,8 milliards d’euros en crédits de paiement. La mission est interministérielle, regroupant le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère des finances. Elle ne représente que 42 % de l’effort budgétaire de l’État en matière d’aide publique au développement, le reste étant réparti dans vingt-deux autres programmes budgétaires, notamment au sein des missions actions extérieures de l’Etat ou en prêts à des États étrangers. Cela soulève trois grandes difficultés. La première est la soutenabilité budgétaire, c’est-à-dire la reconstitution des fonds multilatéraux, et notamment le doublement de notre contribution au fonds vert pour le climat. La deuxième difficulté est liée à l’importance des crédits extrabudgétaires. Dans tous ses travaux effectués sur le budget de l’État, la Cour déplore depuis plusieurs années cette tendance qui porte atteinte au principe d’unité et d’universalité budgétaires dont nous sommes les gardiens. S’agissant de la mission Aide publique au développement, ces crédits extrabudgétaires proviennent de la taxe sur les billets d’avion et de la taxe sur les transactions financières françaises. Nous attentons toujours l’établissement d’une taxe européenne, projet auquel j’ai ardemment travaillé dès 2013 lorsque j’étais ministre, puis pendant cinq ans en tant que commissaire européen. Quoi qu’il en soit, la tendance s’est inversée en 2019 avec la réintégration au sein de la mission de 270 millions d’euros issus du produit de la taxe sur les transactions financières. La troisième difficulté est une efficacité insuffisante de la fonction évaluation au sein de l’AFD, au regard des montants envisagés.

De manière générale, la Cour des comptes a abordé ces dernières années l’aide publique au développement dans plusieurs travaux d’envergure qui mobilisent des équipes nombreuses et indépendantes. Les enquêtes conduites viennent compléter les anciennes et elles nourrissent de futurs travaux d’instruction. Elles permettent d’aborder le sujet de façon globale et d’entretenir une expertise de longue date sur le sujet. La fonction de contrôle est importante à la Cour et elle persistera. Nous sommes en train de mener une enquête sur la contribution de la France en matière d’APD dans le domaine de la santé. Elle aborde notamment la lutte contre les grandes épidémies, le renforcement des systèmes de santé et la gouvernance sanitaire dans les pays bénéficiaires. Le rapport sera prolongé au second semestre 2021 par l’examen de la présence française dans les institutions internationales en charge de la santé, en particulier l’OMS.

Tous les travaux que j’ai présentés défendent au fond deux convictions. Premièrement, l’aide publique au développement est d’une importance cruciale pour les pays concernés, notamment au niveau multilatéral. Cela fait partie intégrante du rayonnement de notre pays et de son devoir, presque moral, à l’égard du sud. Deuxièmement, il convient d’être très attentif à l’efficacité de cette aide en évaluant ses impacts directs et indirects. Il est préférable de raisonner en termes de résultats concrets et durables plutôt qu’en termes d’enveloppes allouées. Au regard des enjeux qu’elle défend, le climat, la santé, l’éducation et les inégalités, l’aide publique au développement ne peut pas se permettre de ne pas atteindre ses objectifs. C’est pourquoi l’évaluation et le contrôle sont les deux faces d’une même pièce.

J’en viens ainsi à la commission indépendante d’évaluation prévue par le projet de loi de programmation. Du fait de sa mission constitutionnelle d’évaluation des politiques publiques, la Cour des comptes souscrit à la nécessité d’une évaluation renforcée de la politique de développement. Elle l’a appelée de ses vœux dans plusieurs de ses travaux. Dès lors, la Cour des comptes ne peut que saluer l’objectif porté par le projet de loi. La commission d’évaluation existe déjà dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne. Je pense comme vous, monsieur le député, que la politique de développement ne peut pas échapper plus qu’une autre à l’exigence accrue de redevabilité. J’ai moi aussi la conviction que la redevabilité peut devenir un axe stratégique. La place que vous lui accordez dans votre projet de loi me semble tout à fait bienvenue.

Le projet de loi est actuellement discuté dans votre assemblée. Je sais que parmi les dispositions à clarifier figure l’organisme de rattachement de la commission d’évaluation. Les débats de votre commission et de l’assemblée sont souverains. Mon rôle n’est pas de participer à vos échanges, mais je peux contribuer à les éclairer. Dans cette perspective, je souhaiterais présenter les différents avantages que présenterait une commission indépendante d’évaluation de la politique de développement rattachée à la Cour des comptes. Le premier serait de faire bénéficier la commission de l’expertise de la Cour sur les sujets se trouvant au cœur de son activité. Cette expertise s’exerce aussi bien dans le contrôle et l’audit des fonds publics que dans l’évaluation des politiques publiques. La mission nous en a été confiée par la constitution en 2008 dans le cadre de notre rôle d’assistance au parlement et au gouvernement. L’évaluation complète depuis lors nos missions plus historiques que sont le contrôle juridictionnel, la certification des comptes publics et le contrôle de gestion des organismes publics. Ces missions traditionnelles sont précieuses pour l’évaluation, car elles nous offrent une connaissance intime des acteurs publics, et la capacité à travailler de manière interdisciplinaire. Nous avons progressivement bâti notre propre méthode d’évaluation, exercée dans le respect des principes fondamentaux d’indépendance, de collégialité et de contradiction qui s’attachent à l’ensemble de nos travaux. Travailler avec la Cour des comptes est une garantie d’indépendance absolue. Le choix a été fait de ne pas confier exclusivement l’évaluation à une chambre spécialisée. Elle s’exerce ainsi de manière transversale, c’est-à-dire que chacun peut faire de l’évaluation à la Cour des comptes. Dans le cadre du projet stratégique que je prépare pour la Cour, je souhaite que nous multipliions par cinq les ressources que nous consacrons à l’évaluation durant les cinq années qui viennent. Elle représente aujourd’hui 4 à 5 % de nos missions. Je souhaite faire croître ce taux à 20 % dans cinq ans. Nous confrontons régulièrement notre méthode avec celles d’autres institutions supérieures de contrôle. Nous présidons notamment le groupe de travail sur l’évaluation des politiques publiques de l’INTOSAI. Cette organisation anime en particulier des formations sur ce thème.

La Cour des comptes s’est par ailleurs dotée d’un guide méthodologique dédié à la conduite de projets. En matière d’analyse quantitative, nous comptons désormais une équipe importante de data-scientists. Nous avons noué plusieurs partenariats avec des laboratoires universitaires de recherche, avec Sciences-Po, avec l’École d’économie de Paris et avec le CNRS. Grâce à ces adaptations et à la robustesse de ses méthodes, la Cour a été amenée à évaluer depuis 2011 vingt-cinq politiques ou dispositifs publics, et ce en grande partie à la demande du parlement. Nous avons évalué récemment à sa demande les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air. Nous ne sommes pas le seul acteur de l’évaluation des politiques publiques en France et ne revendiquons pas de l’être. Néanmoins, nous disposons d’atouts que les autres ne possèdent pas. Le premier est notre assise constitutionnelle, notre lien privilégié avec le parlement. Nous sommes habitués à travailler ensemble. Je pense également à certaines pratiques bien établies comme les enquêtes de terrain, la constitution d’échantillons de travail représentatifs ou au suivi des recommandations. Je pense encore au travail mené en réseau avec les chambres régionales et territoriales des comptes qui permet de coordonner les niveaux central et territorial lors d’une enquête. J’ai annoncé récemment mon intention de défendre ces atouts pour faire de la Cour l’instance de référence en France dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques. Si la commission d’évaluation que vous envisagez de créer nous était rattachée, elle pourrait tirer profit de notre expertise en matière d’aide publique au développement, de nos méthodes de travail et de nos partenariats. Elle profiterait en un mot de ce qui fait le sérieux et la qualité des travaux de la Cour. Une autre mission au cœur de notre identité est l’information du citoyen. Sur ce point également, nous pourrions aider la commission à remplir les objectifs que le législateur lui assignerait.

Le deuxième avantage que présenterait une commission d’évaluation adossée à la Cour serait de bénéficier de notre indépendance institutionnelle et de notre positionnement à équidistance du gouvernement et du parlement. Je le répète, la Cour entretient une relation privilégiée avec le parlement. Ces liens étroits sont une chance et une responsabilité que nous mesurons pleinement. L’équilibre entre indépendance et dialogue nous permet de travailler à l’abri des pressions extérieures. Le choix de rattacher la commission d’évaluation à la Cour assurerait une réelle indépendance à celle-ci par rapport au gouvernement et aux administrations qui sont en première ligne de l’aide publique au développement. Le fait que la commission soit représentée à l’extérieur par le premier président de la Cour des comptes enverrait également un signal fort à nos partenaires.

Pour résumer, il m’apparaît pertinent – et c’est la position de la Cour des comptes que j’exprime ici et pas seulement la mienne – que la commission indépendante d’évaluation soit adossée à une institution indépendante qui conduit déjà au nom de la Constitution des évaluations de politiques publiques, notamment de développement. Le législateur a choisi à plusieurs reprises dans le passé des organismes indépendants à la Cour. Je pense notamment au conseil des prélèvements obligatoires et au conseil des finances publiques, que j’ai présidé ès qualités. Le troisième avantage est que la Cour des comptes détient déjà une riche expérience dans l’animation de ce type de structure. 

Je vais maintenant répondre aux cinq questions que vous avez posées. Pourquoi avoir choisi de rattacher le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) à la Cour ? Au-delà de l’impératif d’indépendance prévu par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ce choix était motivé par deux raisons. Premièrement, il nous semblait nécessaire, compte tenu de la place occupée par la Cour dans notre système institutionnel, économique et financier, qu’elle fût partie intégrante du dispositif. Deuxièmement, nous souhaitions pouvoir établir des synergies entre la Cour et le conseil. De ce point de vue, le contrôle et l’évaluation ne s’opposent pas. Le conseil est une structure spécifique, distincte de la Cour des comptes. Il a son service de communication et son propre site internet. Néanmoins, il bénéficie de ses moyens d’expertise. En outre, il est proche du parlement, il en est un allié et lui présente systématiquement ses travaux. Je souligne que ni le haut conseil des finances publiques ni le conseil des prélèvements obligatoires n’ont privé la Cour de ses missions et prérogatives traditionnelles. La Cour ne s’est pas non plus privée de l’ouverture nécessaire et bienvenue à d’autres membres, y compris des parlementaires. Vous déciderez si la commission doit compter ou non des parlementaires et j’entends vos réserves. Les deux conseils des prélèvements obligatoires et des finances publiques ne comptent pas aujourd’hui de parlementaires, mais des personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux assemblées. Ils comptent aussi d’anciens parlementaires et d’anciens élus, ce qui n’est pas inutile dans les domaines financiers. Leur présence enrichit l’expérience, au-delà de celle de nos magistrats et rapporteurs.

Il me semble que dans le cadre du projet de loi qui vous occupe, les avantages du rattachement de la commission indépendante à la Cour seraient les mêmes que ceux que j’évoque. Face aux questions que vous avez posées, plusieurs formules sont envisageables. Le CPO, par exemple, est une structure légère qui ne compte pas de personnel permanent et qui établit un rapport par an. Ses réunions sont présidées par le premier président de la Cour des comptes et un secrétariat général, mais le CPO n’est pas une vraie institution. Le haut conseil des finances publiques est une véritable institution qui porte à la fois une mission budgétaire et des méthodes de travail éprouvées. Le haut conseil rapporte systématiquement devant les commissions parlementaires. Se pose aussi la question des moyens. Dans le premier cas, un magistrat de la Cour fait office de secrétaire général à temps partiel. Dans le deuxième, la structure compte maintenant cinq personnes qui conduisent une mission permanente. En somme, l’alternative est, d’un côté, une structure souple et légère et de l’autre une véritable institution dotée de moyens. Dans les deux cas, la commission est rattachée à la Cour et hébergée par elle. Néanmoins, alors que dans le premier cas, les missions seraient portées par des personnes en sus de leur activité principale, dans le deuxième, des personnels seraient affectés à l’institution avec des bureaux, des moyens et un secrétariat.

En conclusion, nous sommes volontaires à la Cour des comptes pour accueillir la commission et participer à son animation dans les conditions que vous définirez. Son existence nous paraît non seulement souhaitable, mais même nécessaire. Les trois avantages d’un rattachement de la commission à la Cour sont l’expertise, l’indépendance et l’expérience, que nous possédons de manière assez unique parmi les évaluateurs. Si vous nous confiez cette responsabilité, nous mettrons tout en œuvre pour défendre dans la politique de développement la transparence, la redevabilité et l’efficacité dont les personnes ont grand besoin. À titre personnel, je serais très enthousiaste de contribuer à l’enrichissement de la politique de développement solidaire, tant je suis persuadé du rôle que peut jouer notre pays peut jouer dans ce domaine. Ce serait pour moi un investissement personnel tout à fait important.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, monsieur le premier président pour votre exposition précise des raisons pour lesquelles la commission d’évaluation pourrait s’adosser à la Cour des comptes. Les deux arguments importants pour notre commission sont l’indépendance de la cour, et ses compétences, notamment issues des opérations qu’elle a menées. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes.

M. Jean-François Mbaye. Le projet de loi, qui succède à la loi d’orientation de 2014, fait évoluer considérablement les ambitions de notre pays en matière d’aide publique au développement puisque l’objectif est de porter l’aide publique à 0,55 % du RNB de notre pays. La trajectoire est ambitieuse et d’autant plus incontournable que la pandémie risque de porter atteinte aux avancées obtenues en matière de solidarité internationale. Monsieur le premier président, les responsabilités qui sont les vôtres font sans doute du « quoi qu’il en coûte » une philosophie discutable à vos yeux, mais il est des causes qui méritent qu’on y investisse à la mesure des besoins identifiés. Investir beaucoup ne signifie pas investir n’importe comment et l’expertise de la Cour des comptes est précieuse pour déterminer les actions à entreprendre pour faire mieux et non moins. Dans cette perspective, je souhaiterais des précisions concernant l’affectation du produit des taxes sur les billets d’avion et sur les transactions financières, car la dernière analyse de l’exécution budgétaire de la mission APD en dénonçait l’opacité. La note indiquait qu’un audit externe était mené afin de traiter ce problème. Quelles sont les conclusions de cet audit ? Par ailleurs, certains acteurs militent pour un fléchage accru du produit de ces taxes vers le fonds de solidarité pour le développement (FSD). La note d’exécution budgétaire préconisait une évaluation de l’utilisation des crédits transitant par le FSD au profit des fonds multilatéraux et de l’APD. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Michel Herbillon. Monsieur le premier président, vous avez plaidé en creux dans votre intervention pour que la Cour des comptes intervienne dans la commission d’évaluation et de contrôle. Je n’aurai qu’une question à poser : si vous vous mettiez à notre place, que vous avez d’ailleurs occupée, quels arguments développeriez-vous pour faire obstacle à la réticence de certains parlementaires face à un rattachement de la commission à la Cour des comptes ? Nous sommes enthousiastes quant au vote de ce projet de loi, car nous sommes très attachés à la politique d’aide au développement de notre pays, mais nous souhaitons qu’elle se traduise par des résultats lisibles et identifiables, par conséquent évalués et contrôlables.

M. Pierre Moscovici. Je peux faire preuve d’imagination jusqu’à un certain point, mais je ne peux pas me mettre à la fois à la place du parlementaire que je fus et de celui que vous êtes. Je souhaiterais donc que les réticences auxquelles vous faites allusion me soient présentées.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La question était un peu appelée par votre développement. Lorsqu’on décrit le "porte-avions" Cour des comptes, entouré de ses organismes, pourquoi ne pas ajouter un nouveau navire à la flotte amirale ?

M. Alain David. Je souhaiterais revenir sur la note d’analyse de l’exécution 2019 de la Cour des comptes, et en particulier au paragraphe titré « Une soutenabilité fragile à court et moyen termes ». La Cour a rédigé le passage ainsi : « L’augmentation des crédits de la mission s’inscrit dans la volonté du président de la République de porter le montant global de l’aide publique au développement à 0,55 % du revenu national brut d’ici 2022 et des décisions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement de février 2018. Elle résulte également du rythme de reconstitution de fonds multilatéraux, avec notamment l’annonce par le président de la République du doublement de la contribution française du fonds vert pour le climat, portant ainsi l’engagement français à 1,5 milliard d’euros sur la période 2019-2023. De plus, la France s’est engagée, lors de la sixième conférence de reconstitution du fonds mondial contre le VIH SIDA, la tuberculose et le paludisme qui s’est tenue à Lyon en octobre 2019, à augmenter sa contribution de 20 % pour atteindre 1,3 milliard d’euros sur trois ans, ce qui pourrait poser un problème de soutenabilité budgétaire. » Ceci était écrit avant la crise sanitaire. Monsieur le premier président, pensez-vous qu’il soit possible pour nos finances publiques d’atteindre en 2022 un montant global d’aide publique au développement correspondant à 0,55 % du revenu national brut ? 

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le premier président, vous avez indiqué que l’évaluation va prochainement gagner en indépendance, mais l’adossement de la commission d’évaluation à la Cour des comptes ne risque-t-il pas de limiter l’évaluation à un contrôle trop technique, qui ne serait que la vérification d’une bonne gestion comptable ? Au-delà du travail quantitatif, nous avons besoin d’éléments qualitatifs et d’un certain sens critique. La question de la soutenabilité des 0,55 % a été évoquée, mais nous savons qu’un certain nombre d’apports ne bénéficieront pas directement aux populations concernées. La population de destinataires ne sera pas forcément fléchée. Ce problème sera-t-il pris en compte dans vos travaux ? Nous sommes tous favorables à faire plus et mieux, mais le plus est une chose, le mieux en est une autre.

M. M'jid El Guerrab. Les activités internationales de la Cour des comptes impliquent des actions de coopération bilatérales avec d’autres instituts supérieurs de contrôle des finances publiques étrangers, des contributions aux travaux de normalisation internationale des pratiques de contrôle et d’audit, ainsi que des travaux dans le cadre de mandats d’audit externes d’organisations internationales. Vous-même, monsieur le premier président, êtes le commissaire aux comptes de plusieurs organisations internationales et en état de procéder à l’examen de la gestion de ces organisations à travers des audits de performance et de régularité. Vous répondez en cela à des demandes de bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale ou la Commission européenne que vous connaissez bien. Par ailleurs, l’activité de coopération bilatérale peut prendre la forme de jumelages. Tel est le cas avec la Tunisie, l’Algérie ou le Maroc, sous l’égide de l’Union européenne ou à travers des accords de coopération avec le Brésil, le Niger, la Chine, la Chili et le Sénégal notamment. Je m’en réjouis, car la Cour des comptes est ainsi présente dans un certain nombre de pays de ma circonscription des Français à l’étranger. Or, comme le dit une auditrice de la Cour des comptes, il faut savoir varier ses sources d’apprentissage. Comment percevez-vous la perspective d’un adossement de l’Agence française de développement à la Caisse des dépôts et consignations ? Comment faire en sorte que l’argent de l’épargne des Français puisse être mis au service de l’aide publique au développement pour amplifier notre capacité d’action ? En second lieu, s’agissant de la mission de contrôle et d’évaluation, nous sommes face à un problème de communication de notre aide publique au développement aux populations locales. Comment concevez-vous l’évaluation dans le cadre de la nouvelle instance qui serait créée ?

M. Brahim Hammouche. Monsieur le premier président, je souhaiterais vous interroger sur trois points concernant le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales. Premièrement, la trajectoire budgétaire ambitieuse d’augmentation de la contribution pour atteindre 0,55 % du RNB est percutée par le contexte sanitaire et économique mondial. L’objectif vous semble-t-il toujours accessible? Ma deuxième question concerne la coordination des acteurs de terrain et le rapprochement des opérateurs. Quelles sont vos recommandations pour permettre de mettre en relation les autres opérateurs ? On m’a souvent parlé de Campus France et Business France. Quels sont les moyens d’éviter la dispersion des énergies et l’émiettement des aides publiques? Enfin, au-delà de la coordination, comment structurer le pilotage afin de gagner en efficacité ? Nos ambassades sont en première ligne, mais quelles seraient les conditions matérielles et humaines permettant d’assurer au mieux l’aide au développement ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Certes, l’évaluation et le contrôle sont distincts. Néanmoins, le contrôle, en tant qu’exigence d’information et de sanction, repose sur une évaluation. Or, la Cour, tout en veillant à la régularité et à l’exactitude des dépenses publiques dans son activité de droit commun, est de plus en plus soucieuse d’efficience et de mesure de la performance. En vous écoutant, monsieur le premier président, on a le sentiment que l’Agence française de développement bénéficiera des qualités d’indépendance et des compétences de la Cour des comptes. Néanmoins, que restera-t-il lorsque la cour sera amenée à effectuer son contrôle ? En d’autres termes, n’est-on pas contraint de distinguer le contrôle « noble » de la commission, qui évaluera l’efficience des politiques mises en œuvre, c’est-à-dire leur conduite au moindre coût par rapport aux avantages requis ? Comment s’articulera-t-il avec le travail de la Cour des comptes ? Par ailleurs, il me semble percevoir une certaine impatience de la Cour à voir internalisés un certain nombre d’organismes juridictionnels comme la cour de discipline budgétaire ou le conseil supérieur des finances publiques. Comment percevez-vous ce partage ?

L’objectif de 0,55 % a été évoqué par plusieurs membres de la commission. On ne sait plus très bien ce que recouvrent ces chiffres. Lorsqu’on apure une dette, le taux de participation monte sans qu’on sache précisément comment s’effectue ce mouvement et s’il est volontaire. On est confronté à un problème de règles du jeu, chacun ayant tendance à comptabiliser l’effort en valorisant sa propre contribution. Le ministre a rappelé à juste titre que la loi est celle de l’OCDE, mais un certain nombre d’acteurs se soustraient à ce cadre. Quels sont les efforts à mener pour rendre ces engagements financiers réalistes et homogènes?

M. Pierre Moscovici. Je commencerai par répondre aux questions budgétaires avant d’en venir au contrôle et à l’évaluation. Tout d’abord, monsieur le député Mbaye, je ne suis pas un pourfendeur du « quoi qu’il en coûte », mais un défenseur d’une trajectoire de dette soutenable et d’une qualité de dépense publique assurée dans la durée. Le « quoi qu’il en coûte » durera le temps nécessaire, car face à une crise aussi importante que celle que nous vivons, il est logique de mettre à disposition des moyens budgétaires. Néanmoins, d’une part, nous finirons bien par sortir de cette crise et d’autre part, nous ne pouvons être certains que le contexte de taux d’intérêt bas perdure. Nous devons par conséquent réfléchir à ce que peut être une trajectoire de dette à moyen terme et il serait irresponsable de faire l’économie de ce travail. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une dette puisse être annulée ou mutualisée d’un coup.

L’audit relatif à la taxe sur les billets d’avion et à la taxe sur les transactions financières est en cours. Je ne peux donc vous donner davantage de précisions, mais la critique de notre rapport portait davantage sur la débudgétisation que sur l’opacité. La soutenabilité budgétaire a été évoquée par la Cour, car elle est conditionnée à des ouvertures de crédits supplémentaires de la mission APD. Dans quelques semaines, nous examinerons l’exécution budgétaire 2020 et nous verrons en quoi la crise sanitaire a influé sur l’augmentation des crédits prévue en loi de finances initiale. En ce qui concerne le fonds d’investissement et de soutien aux entreprises Afrique (FISEA), nous avons examiné en quoi le destinataire était touché. Nous savons porter une appréciation sur la performance du fonds, ce qui est constitutif d’une bonne démarche d’évaluation. La trajectoire budgétaire n’est pas remise en cause pour l’heure.

La coordination des acteurs de terrain doit être renforcée autour de l’ambassadeur. De bonnes pratiques ont été déployées à ce niveau. S’agissant du pilotage, la coordination doit être renforcée d’abord au plan ministériel, puis au niveau local. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères doit veiller dans son activité de tutelle à faire prévaloir les objectifs de l’APD française tels qu’ils sont définis par les CICID. Enfin, je ne me prononcerai pas ex ante sur une éventuelle fusion avec la Caisse des dépôts.

Nous avons besoin de l’appui du parlement dans notre institution d’audit. Nous sommes candidats à la mission de contrôle des Nations unies pour la période 2021-2027. Nous aurons besoin du soutien de toutes les autorités françaises pour y parvenir. Ce serait une plateforme importante pour la Cour et pour la France.

S’agissant de l’objectif de 0,55 %, le point important est la constance de l’engagement pris par la France au service d’une politique de développement solidaire. Le niveau a été fixé à un certain moment et sous certaines conditions, mais il faut aussi prendre en compte la question de la pente. En cette période cruciale, on doit différencier les pays qui maintiennent et augmentent leur effort, alors que d’autres, comme le Royaume-Uni, ont décidé de le réduire. C’est par la différence entre le niveau et la pente qu’on peut appréhender la pertinence des chiffres.

J’en viens maintenant aux réticences. S’agissant de la métaphore du « navire amiral », il me semble que c’est un atout pour la Cour des comptes de compter dans son enceinte le conseil des prélèvements obligatoires, le conseil des finances publiques et la cour de discipline budgétaire et financière. L’unité de lieu permet des synergies et des complémentarités. La cour est indépendante et impartiale parce qu’elle est collégiale. Elle compte son premier président, mais aussi toute une collectivité autour de lui, notamment les chambres qui mènent les travaux.

La question importante est de déterminer si le contrôle et l’évaluation entretiennent un rapport de contradiction ou de complémentarité. Je peux plaider clairement pour la complémentarité. Le métier traditionnel et principal de la Cour est le contrôle, juridictionnel ou organique. Elle compte en outre comme je l’ai dit des métiers d’évaluation, qui représentent 5 % des ressources et que je souhaite porter à 20 % sur les cinq ans qui viennent. Les chambres mènent à la fois des contrôles et des évaluations. Nous savons faire les deux et les opérations sont menées en toute impartialité. Il est hors de question que quiconque y touche. La fonction de contrôle est bien distincte de celle de l’évaluation. Une évaluation de la politique publique n’est pas le contrôle d’un organisme. De ce point de vue, il existe à la Cour des savoir-faire dont une commission d’évaluation indépendante peut se nourrir. 

Il n’y a pas non plus de contradiction entre les chambres de la cour et les institutions hébergées par la Cour. Par exemple, le haut conseil des finances publiques aborde des questions qui peuvent être traitées également par la première chambre de la Cour des comptes sur les finances publiques. Les angles d’attaque sont différents. Nous pouvons donc très bien faire croître le haut conseil des finances publiques sans affaiblir la Cour. Je ne souhaite pas « endogénéiser » ces institutions au sein de la Cour des comptes. Les institutions sont indépendantes et se nourrissent de nos travaux. Il en irait de même pour la commission d’évaluation si elle était adossée à la Cour des comptes.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous pouvons à présent en venir aux questions des députés.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le premier président, nous entendons très souvent des annonces intéressantes de la Cour des comptes que nous faisons nôtres, mais je ne suis pas certaine qu’elle soit toujours entendue dans ses recommandations. Évaluez-vous la quantité de vos avis ou recommandations qui sont suivis par le gouvernement ? Les avis de la Cour des comptes sont très souvent d’ordre budgétaire, comptable et financier, or l’aide publique au développement s’étend bien au-delà de ces sujets. Je salue la mise en place par le gouvernement d’une commission par l’intermédiaire de ce texte. Je salue également l’ouverture démocratique de cette commission réaffirmée hier par le ministre. Celle-ci pourra en effet nourrir et amender le texte. Je souhaiterais en changer le titre en « commission indépendante d’évaluation et de contrôle ». Ces ajouts sont importants. La situation de la commission est exemplaire en Grande-Bretagne : la commission est indépendante, elle a ses propres locaux et elle rend compte chaque année au parlement.

La commission sera importante pour emporter l’adhésion et la confiance du public. Si les citoyens souhaitent que la France soit solidaire et apporte son aide aux pays, leur confiance est limitée faute de transparence. Nous-mêmes au parlement ne bénéficions pas de toute la transparence requise. Nous étudions chaque année 30 % seulement du budget de l’aide publique au développement. Le document des politiques transversales est très complexe et nous avons besoin de documents synthétiques afin de nous approprier les sujets. Enfin, sur le plan financier, le multilatéral a prévalu sur le bilatéral ces dernières années. Ne serait-il pas souhaitable de renforcer les politiques bilatérales d’aide au développement ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il est clair que le multilatéralisme ne doit pas être l’alibi d’un désengagement du bilatéral.

Mme Marion Lenne. L’AFD est à la fois un établissement public industriel et commercial et une société de financement ; c’est un vrai casse-tête juridique pour moi qui considère que l’enjeu de l’agro-international dont je suis spécialiste est de semer de bonnes graines dans des sols parfois très dégradés par de mauvaises pratiques agricoles. À la lecture du texte qui nous occupe et au regard des activités exercées, peut-on dire que l’Agence française de développement exerce un monopole, avec les conséquences que cela entraîne sur l’aide au développement française ? Sommes-nous confrontés parfois à une forme d’autodétermination abusive de certains EPIC, comme notre présidence de commission l’évoquait hier lors de l’audition du ministre Le Drian ? Comment y remédier ?

M. Jacques Maire. L’exercice d’évaluation tel qu’il peut être mené par la Cour des comptes en matière d’aide publique au développement est difficile, car il concerne des populations et des maîtres d’ouvrage qui ne sont pas français. Le champ d’évaluation d’audit ou de contrôle des bailleurs de fonds s’arrête en général à la frontière de la souveraineté du bailleur. Certes, il est toujours possible d’interroger des panels d’utilisateurs finaux, mais lorsque la difficulté porte sur les problématiques internes aux maîtres d’ouvrage ou sur l’administration locale, on se heurte à une frontière. L’enjeu est donc de faire des acteurs locaux des co-évaluateurs. Cela permet d’augmenter la redevabilité financière et politique. Trois acteurs sont importants : le maître d’ouvrage local, le bénéficiaire ultime, c’est-à-dire la population, et le parlement du pays bénéficiaire. Comment pensez-vous les prendre en compte ? Il me semble que bâtir une plateforme de coopération vis-à-vis de ces acteurs serait un véritable progrès pour le travail d’évaluation, à la fois en termes de qualité et de lisibilité. Par exemple, la chaire Sahel, financée par l’Agence française de développement, apporte bien plus à l’évaluation de notre impact que nos propres évaluations. Il est nécessaire de dynamiser l’action politique locale en associant plus étroitement les parlementaires étrangers à la problématique des financements internationaux. Enfin, la présidence de la commission me semble comporter un enjeu symbolique. Il serait intéressant de compter à la présidence une personnalité d’un pays bénéficiaire dotée des compétences requises d’évaluateur ou de financeur. Le défi porte aussi sur notre capacité à construire un nouveau type d’approche.

M. Sébastien Nadot. Le rapport de la Cour des comptes est édifiant, même si le voile entourant la trajectoire budgétaire demeure sur ce projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale, et ce dans le contexte de finances publiques dégradées dû à la crise sanitaire.

Tout d’abord, je partage les interrogations formulées par le président Bourlanges quant à la confusion entre évaluation et contrôle et au travail qui en découlera durant les années à venir, à la Cour des comptes notamment. Il me semble que le conseil, l’audit, l’évaluation ou le contrôle sont des activités très différentes qu’il conviendrait d’expliciter, tant pour la Cour des comptes que pour le parlement. La confusion existe déjà en la matière s’agissant des exportations d’armes de la France. Je ne souhaite pas que ces errements se retrouvent ailleurs.

En ce qui concerne le projet de loi, les entreprises françaises qui opèrent en Afrique de l’Ouest bénéficient souvent de contrats liés à l’aide publique au développement de la France. Le projet de loi permet-il de mieux s’assurer de comportements responsables de la part de ces acteurs ? Le texte évoque le devoir de vigilance et de responsabilité sociétale des acteurs privés, mais nous peinons à discerner les garanties opérationnelles.

S’agissant de la diplomatie en santé, il me semble que la France dispose déjà avec les instituts de recherche d’un excellent maillage, en particulier en Afrique. Ne devrait-on pas consacrer une partie plus importante de l’aide publique au développement et à la coopération en matière de santé, notamment dans le domaine de l’enseignement, de la recherche et de l’économie ? Une attention particulière devrait être portée au développement des entreprises dans ces secteurs.

Mme Sira Sylla. Monsieur le premier président, comme vous le savez, les transferts d’argent effectués par les diasporas africaines participent à notre politique de développement. Ces transferts, qui représentent deux, voire trois fois le montant de l’aide publique au développement, sont malheureusement très onéreux. Par exemple, leur coût atteint un taux de 20 % quand ils concernent l’Afrique australe. L’ODD 10 de l’agenda 2030 a pour ambition de faire baisser ces coûts en dessous de 3 %. Un outil, la bibancarisation, pourrait permettre de réduire le coût de ces transferts et de pérenniser lesdits fonds s’il était amélioré. La bibancarisation avait été promue lors du G8 de L’Aquila et lors du G20 de Cannes en 2011. Lorsque vous étiez ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur, vos travaux sur le sujet ont permis de mettre en place la bibancarisation en France au travers des dispositions de l’article 11 de la loi du 7 juillet 2014. Désormais, sous réserve d’obtenir l’autorisation de l’ACPR, les banques étrangères ont le droit d’offrir leurs services bancaires en France. Malheureusement, les dispositions de la loi n’ont pas permis d’élargir l’accès des banques africaines au marché français. Deux banques marocaines seulement ont obtenu l’autorisation de l’APCR. Quelles raisons peuvent selon vous expliquer ces mauvais résultats ?

M. Pierre Moscovici. La question que vous évoquez, madame la députée Sylla, est très importante, mais je ne peux nourrir ma réponse de faits qui aient été attestés ou jugés par la Cour des comptes en quoi que ce soit.

Madame la députée Poletti, le taux de suivi de nos recommandations est présenté chaque année dans le rapport public. Quantitativement, il est plutôt bon, puisque 72 % de nos recommandations seraient suivies d’effets, mais je ne m’en contente pas. Une analyse plus qualitative permettrait d’apprécier l’importance des recommandations suivies ou non. Dans le projet de juridiction financière 2025 que je dois présenter demain, je proposerai la constitution d’une banque de recommandations qui soit ouverte aux citoyens.

Je tiens à la réaffirmer : je ne confonds pas le contrôle et l’évaluation. Hormis les notes d’exécution budgétaire, les contrôles effectués par la Cour des comptes ne sont pas purement budgétaires et financiers. La Cour mène des contrôles budgétaires, juridictionnels et organiques, des contrôles à portée évaluative et des évaluations de politiques publiques. Nous savons mener ces évaluations et je souhaite que nous en fassions davantage.

Nous disposons d’atouts très importants pour conforter notre positionnement. Par exemple, personne ne peut porter mieux que nous l’indépendance. Le lien que nous entretenons avec le parlement est régulier et fréquent. Depuis que je suis premier président, je suis davantage venu devant les commissions plus que lorsque j’étais commissaire européen. Nous avons établi une tradition de travail avec le parlement. Étant une institution constitutionnelle, nous pouvons contribuer au débat public et développer l’adhésion des citoyens à nos initiatives. Je souhaite mettre le respect dû à l’institution au service du travail que nous pourrions mener ensemble. Par ailleurs, il est fondamental de respecter la diversité démocratique. La commission ne peut être partisane et je souhaite à cet égard lever l’ambiguïté : vous ne confieriez pas cette mission à la Cour des comptes, mais à une commission indépendante dont la présidence est assurée par le premier président de la Cour des comptes. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une mise sous tutelle de la commission par la Cour des comptes. La nuance me semble très importante.

Il est exact qu’on observe un déséquilibre entre bilatéral et multilatéral au détriment du bilatéral. La Cour a par conséquent recommandé que les fonds multilatéraux n’oublient pas les priorités de l’aide publique au développement française. Vos questions, madame la députée Lenne, trouvent réponse dans notre rapport sur le pilotage des opérateurs par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous avons plaidé pour un pilotage qui tienne compte de la puissance et de l’autonomie de l’Agence française de développement.

En réponse à l’intervention de monsieur le député Maire, il me semble que la commission devrait plutôt être présidée par un ressortissant français. Par ailleurs, il serait pertinent que les acteurs locaux soient des co-évaluateurs. Il appartient aux organismes qui interviennent pour accorder l’aide publique au développement de faire procéder à des évaluations par les acteurs locaux. Les services diplomatiques français pourront jouer un rôle d’intermédiaire pour transmettre le ressenti des bénéficiaires.  En règle générale, une évaluation de politique publique associe obligatoirement les stakeholders, les décideurs et les bénéficiaires via les groupes d’usagers. Il appartiendra à la future commission d’évaluation de l’APD de définir le cadre dans lequel les bénéficiaires de l’aide seront associés aux évaluations. La Cour des comptes pourrait également apporter son aide sur ce point, car elle est insérée dans un réseau d’institutions supérieures de contrôle qui sont souvent des évaluateurs au plan local. Par exemple, je suis aussi le secrétaire général et l’opérateur de l’association des institutions supérieures de contrôle de la francophonie. À ce titre, nous menons aussi une politique de relations internationales. La dimension de la francophonie est très présente dans notre aide publique au développement. Nous pouvons tout à fait jouer un rôle d’intermédiaire.

Enfin, s’agissant de la contribution de la France à l’APD dans le domaine de la santé, une enquête est en cours. Ce contrôle d’ensemble est le premier. La France s’est engagée en octobre 2019 à augmenter sa contribution de 20 %. Face à la pandémie de covid-19, elle a adopté l’initiative santé en commun et levé à ce titre 1,7 milliard d’euros sur les marchés financiers en 2020. L’enquête comporte trois volets : les acteurs de la politique d’APD santé, les moyens mis en œuvre et l’analyse de la performance et les résultats des actions financées. Comme vous le voyez, ces travaux s’étendent bien au-delà du contrôle budgétaire. L’enquête sera prolongée au second semestre par un examen de la présence française dans les institutions internationales en charge de la santé. Je serai heureux de venir devant vous rendre compte des travaux menés afin de nourrir vos propres réflexions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie pour votre proposition. Il sera très utile à notre commission de bénéficier de votre expertise.

M. Jacques Maire. Je souhaiterais poser une dernière question concernant Expertise France en lien avec le rapport établi pour le Sénat. Expertise France mutualise depuis 2012 les opérateurs ministériels de coopération technique en vue de leur donner la taille critique et la capacité à monter en compétences. Expertise France est ainsi le bras armé de la coopération des ministères. La conséquence de cette mutualisation est que l’on donne un espace au niveau du conseil d’administration et aux ministères pour qu’ils ne se désinvestissent pas de la coopération technique et que l’opérateur unique Expertise France puisse être considéré comme leur outil. Or, le rapport propose une simplification drastique de la gouvernance, qui prévoit la sortie des observateurs, des titulaires du conseil d’administration santé, travail emploi et éducation. Que pensez-vous de cette simplification telle qu’elle est proposée, en ligne avec votre rapport de février 2020 ? Ne craignez-vous pas qu’on aille trop loin dans la désappropriation par les ministères « techniques », au seul bénéfice de Bercy et du Quai d’Orsay ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous soulevez là une vaste question qui mériterait un dialogue approfondi. Yves Rolland peut en dire quelques mots s’il le souhaite, mais nous ne pouvons rouvrir le débat à ce stade.

M. Yves Rolland, président de la section de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Vous pointez l’un des dangers que nous avons identifiés, à savoir la perte du lien avec les ministères techniques. J’avais contrôlé Civipol, le bras armé du ministère de l’Intérieur. Il était réticent à toute intégration, car il craignait de perdre la main. Le vivier des experts se trouvant dans les ministères, la Cour a recommandé de veiller à ne pas réduire le lien entre Expertise France, un peu éloigné, rattaché à l’Agence française de développement, et les ministères. La Cour est favorable à tout exercice de mutualisation à condition qu’il ne réduise pas l’efficience des organismes. La crainte en l’occurrence est que l’efficience soit remise en cause. Le rapport a été établi en 2019. Nous verrons au cours du suivi des recommandations dans quelle mesure la recommandation a été appliquée. Mes collègues ayant travaillé sur ce sujet sont à votre disposition pour approfondir la question dans une autre enceinte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, monsieur le premier président, pour votre intervention. Chacun a pu mesurer à la fois votre implication personnelle et l’apport très important que représenterait la Cour des comptes par ses compétences et son indépendance, que personne ne peut sérieusement mettre en cause. Être rattaché à la Cour des comptes est toujours une garantie de présence dans l’opinion publique. La Cour des comptes représente l’une des seules institutions profondément populaires par sa rigueur intellectuelle et sans céder à la démagogie, ce qui est très rare. Notre souci de donner de la lisibilité aux actions de l’Agence française de développement pourrait prendre la forme d’un resserrement du lien avec la Cour des comptes. Vous avez souligné que nous pouvons nous mutualiser sans nous « assécher ». Nous notons également que vous n’avez pas l’ambition d’« endogénéiser » l’Agence française de développement. Vous êtes le bienvenu dans cette commission afin de poursuivre nos échanges, soit sur le sujet général des affaires étrangères, soit sur l’aide publique au développement.

 

 


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IV.   Examen des articles

Lors de ses réunions des mercredi 10 février et jeudi 11 février, ouvertes à la presse, la commission a examiné le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699).

A.   Réunion du mercredi 10 février, 9 h 30

La réunion a débuté par les interventions des derniers orateurs inscrits dans la discussion générale et les réponses de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères (cf. compte rendu de l’audition du ministre).

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je tenais à assister au démarrage de vos travaux en commission ce matin. L’après-midi et demain, Jean-Baptiste Lemoyne me remplacera car je participerai à des réunions avec le président Kaboré puis à une réunion européenne.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous comprenons très bien la lourdeur de votre emploi du temps, monsieur le ministre, et nous sommes très honorés que vous soyez parmi nous en personne ce matin.

Je précise à mes collègues qu’à ma demande et en accord avec les groupes politiques, la conférence des présidents a, à l’unanimité, fixé hier à dix minutes, au lieu de cinq, le temps de parole dévolu aux groupes dans la discussion générale en séance publique.

L’adoption du projet de loi fera l’objet d’un vote solennel le mardi 2 mars, après les questions au Gouvernement.

La commission est saisie de 596 amendements, ce qui montre la créativité de ses membres… Si nous n’avons pas terminé l’examen du texte jeudi à minuit – ce n’est pas une menace mais un pronostic, ou un risque –, je devrai convoquer la commission pour poursuivre nos travaux vendredi. Tout dépendra de notre rapidité, mais cela ne veut pas dire qu’il faudrait escamoter les débats.

J’ajoute que 331 amendements portent sur le cadre de partenariat global. Afin de permettre un échange avec le ministre sur le plus grand nombre d’articles possible, en accord avec le rapporteur et le Gouvernement, ce cadre sera examiné à la fin du projet de loi, après l’article 11.

Je vous informe qu’après avoir consulté le président de la commission des finances j’ai déclaré irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, pour motif de création d’une charge, les amendements AE36 de M. Pancher, AE106 de Mme Givernet, AE107 de Mme Cazebonne, AE304 de Mme Poletti, AE356 du rapporteur, AE435, AE450, AE451, AE452 et AE453 de M. Potier, AE504 et AE506 de M. Fuchs, AE623 de Mme Sylla et AE675 de M. Potier. J’ai toujours été assez réservé quant à l’interprétation très stricte qu’on donnait de l’article 40, mais je n’ai pas le pouvoir d’en faire prévaloir une qui serait plus large.

J’ai déclaré les amendements suivants irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution qui proscrit les cavaliers législatifs : AE112, AE113 et AE115 de M. Orphelin, AE326, AE328, AE329, AE330 et AE333 de Mme Genetet, AE161 de Mme Poletti, AE432, AE433 et AE434 de M. Potier, ainsi que AE611 de M. Gouttefarde. L’interprétation du Conseil constitutionnel de l’article 45 est extrêmement stricte, ce qui m’a conduit à adopter une attitude que j’aurais personnellement souhaitée moins sévère.

J’ai été contraint de déclarer les amendements AE587 de M. Lecoq et AE614 de Mme Sylla irrecevables au titre des articles 34 et 37 de la Constitution dans la mesure où ils contiennent des dispositions relevant des seuls pouvoirs de l’exécutif et non des compétences du Parlement.

J’ai déclaré irrecevable l’amendement AE588 de M. Lecoq dans la mesure où il donne une injonction à l’exécutif, ce qui contrevient aux dispositions de l’article 52 de la Constitution.

J’ai enfin déclaré irrecevable l’amendement AE35 de M. Pancher car ses dispositions ne relèvent pas de la loi mais des règlements des assemblées parlementaires.

TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES AUX OBJECTIFS DE LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE ET DE LUTTE CONTRE
LES INÉGALITÉS MONDIALES
ET À LA PROGRAMMATION FINANCIÈRE

Avant l’article 1er

La commission examine en discussion commune les amendements AE336 du rapporteur, AE15 et AE63 de M. Bertrand Pancher, AE149 de Mme Bérengère Poletti, AE468 de M. Dominique Potier, AE541 de Frédérique Dumas, AE592 de M. M’Jid El Guerrab, AE608 et AE643 de Mme Mireille Clapot, AE131 de Mme Clémentine Autain, AE585 de M. Bruno Fuchs, AE111 de M. Matthieu Orphelin, AE286 de Mme Aina Kuric et AE469 de Mme Laurence Dumont.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je suis, comme vous toutes et vous tous, particulièrement heureux de pouvoir enfin discuter de ce projet de loi et de nous engager dans son amélioration, sa coconstruction. J’ai évidemment une pensée pour Marielle de Sarnez, qui a largement contribué à ce que ce texte soit examiné par notre commission.

Mon amendement est l’illustration de notre volonté de travailler autant que possible avec les organisations de la société civile, notamment Coordination SUD et Action Santé mondiale. L’une de leurs demandes, que je partage pleinement, est qu’un article additionnel avant l’article 1er définisse les objectifs prioritaires, principiels, de notre politique de solidarité internationale et de lutte contre les inégalités mondiales.

Il s’agit notamment de rappeler que cette politique vise à éradiquer la pauvreté dans toutes ses dimensions, à protéger les biens publics mondiaux, à lutter contre les inégalités, l’insécurité alimentaire et la malnutrition, à promouvoir les droits humains et l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu’à renforcer l’État de droit. L’amendement souligne que c’est un pilier central de notre politique étrangère et qu’il ne doit pas y avoir de tentation, comme cela a pu arriver, d’utiliser notre politique de développement, qui a ses objectifs propres, qui sont nobles, comme un levier pour la politique migratoire.

Cet amendement, qui est le fruit d’un travail mené avec des collègues de tous bords, essaie de synthétiser ce que pourrait être l’essence de notre politique et vise à faire en sorte qu’elle soit alignée sur l’Agenda 2030 des Nations unies et sur l’accord de Paris pour le climat, qui constituent deux piliers fondamentaux de notre stratégie internationale. Nous dirons ainsi quels sont nos valeurs et nos principes.

M. Bertrand Pancher. Nous nous retrouvons très bien dans les objectifs du projet de loi, monsieur le ministre. Néanmoins, une des principales critiques adressées par les grandes organisations avec lesquelles nous avons travaillé est que le texte n’a pas vraiment de valeur normative et qu’il paraît très en recul par rapport à la loi de 2014. Il est important de créer un article additionnel insistant sur les normes internationales, l’accord de Paris, la lutte contre la pauvreté, le développement des services sociaux de base, l’approche partenariale, les droits humains et environnementaux ou encore la protection des jeunes. Les amendements AE15 et AE63 visent à définir un cadre en faisant figurer les objectifs dans le projet de loi et non pas uniquement dans le cadre de partenariat global, qui n’a pas de valeur normative.

M. Pierre-Henri Dumont. L’amendement AE149 tend, de même, à donner une portée normative aux objectifs de la politique relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales en les inscrivant dans la loi. Cela permettra de renforcer la portée de ce texte – il faut se placer au même niveau que la loi de 2014.

M. Dominique Potier. Monsieur le ministre, vous avez répondu à une question de Boris Vallaud, il y a quelques mois, que vous n’aviez jamais connu un monde aussi dangereux : vous disiez, à propos des désordres géopolitiques, votre profonde inquiétude mais aussi votre espérance européenne. Tous les observateurs et les scientifiques pensent que nous sommes dans une décennie capitale en matière de lutte contre le changement climatique.

Ce projet de loi arrive dans ce contexte. Malgré la crise, nous a dit une collègue – mais j’ai plutôt envie de dire à cause de la crise –, ce texte est un des plus importants dont nous ayons à débattre. Il faut lui redonner du sens et une perspective, dans la tradition normative de la loi de 2014. J’avais alors eu le bonheur de planter quelques graines au nom du groupe socialiste : nous avons notamment esquissé, en termes déclaratifs, ce qui est devenu la loi relative au devenir de vigilance, que nous avons adoptée in extremis à la fin de la dernière législature et qui est train de déboucher sur une directive européenne. L’amendement AE468 tend à consacrer quelques concepts, quelques principes qui pourraient prospérer plus tard – notre parole a une force.

En tant que sociodémocrates, nous nous retrouvons dans le préambule proposé par Coordination SUD, qui évoque notamment le processus démocratique et le renforcement de l’État de droit. Nous serons très attentifs à la cohérence entre les politiques économiques des entreprises françaises et l’APD, l’aide publique au développement. Nous serons également sensibles à toutes les innovations sociales qui permettront en particulier d’engager des processus économiques et sociaux capables d’apporter des solutions nouvelles et de réincarner un multilatéralisme d’espérance.

M. M’jid El Guerrab. L’amendement AE592 vise à inscrire dans le corps de la loi, et non pas seulement dans le cadre de partenariat global qui lui est annexé, les principaux objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, afin de les consacrer et d’inspirer l’action des différents acteurs qui y contribuent. Cette politique doit être fondée sur un dialogue politique global, équilibré et approfondi, et il faut qu’elle soit régulièrement évaluée avec les pays partenaires et des représentants de la société civile, dans sa diversité. Nous souhaitons, par ailleurs, que cette politique s’aligne sur la stratégie de développement définie par les gouvernements nationaux, en consultation avec les Parlements des États partenaires, qu’elle respecte et promeuve le principe transversal, inhérent à l’Agenda 2030, selon lequel il ne faut laisser personne de côté. Enfin, elle doit promouvoir les principes et les normes internationaux, notamment en matière de droits humains, de droit international humanitaire, de réalisation des objectifs de développement durable (ODD), de l’accord de Paris et du programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement.

Mme Mireille Clapot. Je défendrai en même temps les amendements AE608 et AE643, qui visent à inscrire certains principes dans le corps du projet de loi, au sein d’un préambule, notamment l’importance de la promotion et de la protection des droits humains et celle de la diplomatie féministe qui est la pierre angulaire de l’action extérieure de la France. Ces amendements visent à faire de l’égalité femmes-hommes et filles-garçons une priorité transversale : la diplomatie féministe n’a pas vocation à être uniquement une politique sectorielle.

Mme Clémentine Autain. L’amendement que nous avons déposé fait écho à mon intervention au sujet de l’ensemble du texte. L’article additionnel que nous proposons intégrera dans la loi les principes et les objectifs de l’aide au développement, qui doivent être clairement établis. Il faut que la notion d’intérêt général humain figure dans le texte, à côté du respect de l’accord de Paris et des biens communs en matière sociale et écologique. Je vous laisse apprécier la rédaction de l’amendement, dont nous pourrons éventuellement discuter. Nous devons, en tout cas, graver dans le marbre de la loi ce que sont les objectifs de l’aide au développement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Avant de donner la parole à M. Bruno Fuchs pour présenter l’amendement AE585, je précise que si mon nom y figure c’est parce qu’il n’a pas encore été retiré. Je considère que je n’ai pas à déposer des amendements en tant que président, sauf sur les points où une unité entre nous existe.

M. Bruno Fuchs. Je crois que votre nom n’y figure pas. Votre volonté est faite (Sourires).

Cet amendement ayant le même objet que les précédents, j’indiquerai seulement qu’on voit que la grande majorité des groupes parlementaires peuvent se mettre d’accord sur de grands sujets d’intérêt général, de politique publique et de solidarité. L’amendement AE585 a ainsi été cosigné par des députés issus d’une majorité des groupes parlementaires de cette commission.

M. Hubert Julien-Laferrière. Il nous semble important – et cela transcende les clivages politiques – d’inscrire dans le marbre de la loi les grands objectifs de notre aide publique au développement : la lutte contre les inégalités mondiales, la protection des biens publics mondiaux, en particulier le climat et la biodiversité, la lutte contre l’extrême pauvreté ainsi que la promotion des droits humains. C’est l’objet de l’amendement AE111.

Mme Aina Kuric. Nous voulons expliciter les objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Afin de clarifier le cadre dans lequel cette politique s’exerce, l’amendement AE286 reprend notamment trois instruments internationaux déjà cités par le cadre de partenariat global annexé au projet de loi : le programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015, l’accord de Paris, conclu en décembre de la même année, et la convention sur la diversité biologique qui a été adoptée à Rio de Janeiro le 22 mai 1992. Nous réaffirmerons ainsi la valeur normative des objectifs de l’aide publique au développement. Ce sera un symbole fort.

Mme Laurence Dumont. Nous mettons le doigt, par l’amendement AE469, sur un élément absent du projet de loi et des amendements précédents, y compris celui du rapporteur, à savoir l’enregistrement des naissances, dont on a déjà parlé, et l’aide à l’institution d’états civils fiables : ce sont des conditions du développement durable des sociétés.

Un enfant de moins cinq ans sur quatre n’est pas enregistré à la naissance, et un sur trois n’a pas d’acte de naissance – 277 millions d’enfants se trouvent dans cette situation. Les causes sont bien identifiées et les conséquences dramatiques. Nous avons présenté, Aina Kuric et moi-même, un rapport sur ce sujet en septembre dernier. Ces enfants sont, de fait, exclus de la politique d’aide au développement puisqu’ils ne sont pas repérés. L’absence des termes « état civil » et « enregistrement des naissances » dans un texte consacré à la programmation de notre aide au développement est vraiment surprenante.

Le droit élémentaire dont il est question est déterminant pour l’accès des citoyens à l’ensemble des droits. Le projet de loi dit s’inscrire dans le cadre des ODD. Or vous savez que l’ODD 16.9 porte sur la généralisation de l’enregistrement des naissances et que l’ODD 17.19 concerne les capacités statistiques des pays en développement. J’ajoute que les pays les plus touchés par l’absence d’enregistrement des naissances font partie de la liste de dix-neuf pays prioritaires définie par le CICID.

Nous considérons que l’enregistrement des naissances et la mise en place d’états civils fiables doivent constituer un principe directeur pour l’ensemble des politiques menées par la France. Cela doit être gravé dans le marbre de la loi et non pas seulement dans le cadre de partenariat global. J’ai été heureuse de vous entendre dire, monsieur le ministre, que vous étiez attaché à ce sujet, qui ne figure pas, j’insiste sur ce point, dans les autres amendements en discussion.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je voudrais préciser que la conférence des présidents a décidé hier qu’il y aurait le mercredi 3 mars, dans le cadre de la semaine de contrôle, un débat sur les conclusions du rapport de la mission d’information sur les enfants sans identité.

M. Hervé Berville, rapporteur. Tous ces amendements, similaires mais plus ou moins détaillés, sont de grande qualité. Je serai naturellement favorable au mien et plutôt défavorable aux autres. Nous avons travaillé avec le Gouvernement pour faire en sorte que l’article additionnel ne soit ni trop long ni trop court et qu’il reste vraiment centré sur les objectifs principiels et les grandes orientations de cette politique.

Je connais le combat que vous menez, madame Dumont. Néanmoins, je pense que c’est le cadre de partenariat global qu’il faudra compléter, sur ce point, par amendement. Sinon, beaucoup d’autres éléments très importants mériteraient d’être également inclus dans l’article additionnel. Restons aux grands objectifs et à l’alignement sur les grands accords internationaux.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ai dit devant votre commission, lorsque j’ai présenté le texte, que je n’étais pas opposé à ce qu’un article additionnel permette de bien cadrer les objectifs, les engagements, la volonté politique qui se trouvent derrière ce projet de loi. Il est vrai que cela manque, et je ne peux que me réjouir que des propositions aient été faites. Je me retrouve dans l’amendement déposé par le rapporteur, auquel je suis favorable car il constitue une bonne synthèse. Je suggère que les autres soient retirés.

J’ai une interrogation spécifique en ce qui concerne l’état civil. C’est une grande question dont je m’occupe très concrètement sur le terrain depuis un certain temps, et je vois bien la difficulté : cela mérite, à mon avis, plus qu’un mot dans cet article additionnel. Je suggère de consacrer à ce sujet un paragraphe complet au sein du cadre de partenariat global afin de décliner non seulement nos orientations mais aussi nos initiatives en la matière. La situation résulte à la fois d’une insuffisance des interventions et, parfois, d’une complicité faite de renoncement. Quand il n’y a pas d’état civil, c’est parfois parce que les moyens sont absents mais cela peut être aussi par manque d’intérêt – ou du fait d’intérêts pervers.

Nous pourrions préciser, dans le cadre d’un paragraphe spécifique ne portant pas seulement sur les droits de l’enfant mais plus généralement sur l’état civil, que nous considérons qu’il est prioritaire d’avoir des partenariats spécifiques en matière, en particulier avec les dix-neuf pays qui ont été évoqués. J’ai déjà conclu des partenariats avec certains États et je vois la difficulté de la mise en œuvre, notamment le manque d’enthousiasme dans certains cas.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je pense que votre appel a été entendu par tout le monde et j’ajoute que la possibilité de déposer des amendements ne se limite pas au stade de l’examen du texte en commission.

Mme Laurence Dumont. Nous proposons que l’enregistrement et l’aide à l’institution d’états civils fiables constituent un objectif transversal et structurant. On sait très bien que sans ce droit tous les objectifs qui sont très bien déclinés dans l’amendement du rapporteur ne peuvent pas être atteints.

L’un n’empêche pas l’autre : on peut très bien avoir un paragraphe détaillé dans le cadre de partenariat global et une référence dans l’article liminaire, qui définit les principes.

Si la France – je ne parle pas des États qui ne font pas ce qu’il faut – ne fait pas de l’enregistrement des naissances un principe structurant, on ratera la cible : les politiques de développement n’atteindront pas, dans leur grande majorité, ceux qui ne sont pas enregistrés à l’état civil. Je ne comprends pas votre position.

Mme Clémentine Autain. Je tiens à insister sur ce que notre collègue Laurence Dumont vient de dire. Elle a produit un rapport édifiant sur l’ampleur de ce phénomène. On ne peut pas faire comme si le rapport et ses conclusions n’existaient pas quand la loi arrive et comme si nous n’avions pas eu un débat en commission : je n’ai entendu personne, me semble-t-il, contester l’idée qu’il fallait prendre en considération ces enjeux fondamentaux. Je ne comprends donc pas votre réticence. Pouvez-vous éclairer notre assemblée ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vais donner la parole à M. Lecoq puis à Mme Kuric, et j’espère que nous pourrons nous arrêter là : le débat a déjà été très bien posé.

M. Jean-Paul Lecoq. Oui, mais il faut qu’il aboutisse. C’est une annexe du débat que nous avons eu en commission. Lors de la présentation du rapport, l’ensemble de la commission des affaires étrangères a considéré que nous devions en faire un marqueur de toutes les politiques d’aide au développement, de toutes les politiques internationales. Nous en avons l’occasion, dans le cadre de ce projet de loi, mais nous ne le ferions pas ? Ce n’est pas acceptable : ce serait pour nous un renoncement. Il faut que ce soit dans la loi et non dans le texte qui l’accompagne.

Mme Aina Kuric. Merci de permettre le débat. J’ai déjà parlé de ce sujet lors de mon intervention liminaire, et Laurence Dumont vient d’expliquer très bien de quoi il s’agit. La commission a voté à l’unanimité en faveur des 23 propositions du rapport. Cet amendement est la traduction de l’une d’entre elles.

Nous sommes ravies qu’il y ait un débat en séance publique le 3 mars prochain, mais l’enregistrement des naissances doit être le commencement de notre aide publique au développement : elle ne peut pas démarrer si on n’est pas enregistré à la naissance, on n’aide pas ceux qui n’existent pas. Il est primordial d’inscrire dans la loi ce « marqueur ». Je ne dis pas que le contrat de partenariat global n’est pas important, mais il faut un engagement. Lorsqu’on démarre une stratégie de développement, il faut être en mesure d’identifier l’ensemble des personnes concernées.

Cet amendement très important a donc tout mon soutien.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je suis très sensible à cette question, et je sais la qualité du rapport de Laurence Dumont et d’Aina Kuric, qui ont notamment travaillé avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Néanmoins, votre amendement ne porte pas sur un objectif principiel mais sur un moyen d’action pour atteindre des objectifs. On pourrait, de même, prévoir que les enfants doivent avoir accès à l’eau dès leur naissance : sans cela, il ne sert à rien de faire de l’aide au développement.

L’objectif de l’article additionnel est de fixer un cadre général. J’observe que votre proposition ne figure pas dans les rédactions issues des ONG ou des collectifs. Cela ne signifie pas que ce n’est pas important : tous ces acteurs se battent sur cette question. Mais c’est un moyen d’atteindre d’autres objectifs.

Par ailleurs, la question de l’état civil est incluse dans le renforcement de l’état de droit et dans la promotion des droits humains. Le droit d’être enregistré à sa naissance est une sous-catégorie importante, voire première, des droits humains et du renforcement de l’état de droits. Je vous invite à retirer cet amendement, afin qu’il soit retravaillé pour faire de ce que vous demandez un objectif transversal au sein du cadre de partenariat global.

Le fait de ne pas être enregistré à l’état civil est une catastrophe pour la vie des personnes concernées, mais cela n’empêche pas de faire de l’aide au développement : on peut apporter de la nourriture ou de l’eau à ces personnes, et on peut faire en sorte qu’elles aient la possibilité d’aller à l’école. Il peut y avoir une politique d’aide au développement même quand des personnes ne sont pas enregistrées. On doit faire en sorte que l’enregistrement soit une action prioritaire de la politique de développement. C’est une question fondamentale pour moi, mais cela n’entre pas dans le cadre de l’article liminaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous allons passer au vote, même si je comprends très bien l’importance de cet amendement que j’aurais tendance à qualifier d’amendement Gogol, en référence aux Âmes mortes.

J’ajoute que si l’amendement du rapporteur est adopté, les autres tomberont. Vous pourrez vous concerter et déposer d’autres amendements en vue de la séance publique.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je suis du même avis que le rapporteur. Sur cette question très importante, il faut avoir un descriptif prescriptif. C’est au sein du cadre de partenariat global que nous pourrons le faire.

La commission adopte l’amendement AE336.

En conséquence, les amendements AE15, AE63, AE149, AE468, AE541, AE592, AE608, AE643, AE131, AE585, AE111, AE286 et AE469 tombent.

Article 1er : Objectifs de la politique de développement solidaire et programmation financière

La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques AE2 de M. Bertrand Pancher et AE38 de M. Hubert Julien-Lafferière, ainsi que l’amendement AE467 de M. Dominique Potier.

M. Bertrand Pancher. Cette loi de programmation est un peu étrange puisqu’elle ne décline les crédits budgétaires que jusqu’en 2022 et, au final, qu’elle n’est donc pas plus ambitieuse qu’un projet de loi de finances classique.

Le tableau que nous proposons de compléter à l’alinéa 5 permet de prolonger la programmation financière jusqu’en 2025 afin d’atteindre l’objectif de consacrer 0,7 % du revenu brut national (RNB) à l’APD. À cette fin, le scénario de croissance utilisé pour estimer le RNB est celui-là même que le Gouvernement a défini dans la dernière loi de finances, puis, envisage un retour à des niveaux de croissance antérieurs à la crise pour les années 2023, 2024 et 2025. Nous formulons donc des objectifs très précis d’évolution des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement ».

M. Hubert Julien-Lafferière. Il est vrai que la situation est un peu cocasse. Nous ne sommes pas dans le même cas de figure que celui d’une loi de programmation militaire, monsieur le ministre, et cette loi n’est pas plus ambitieuse qu’un chapitre d’une loi de finances.

Si le RNB diminue, il importe d’autant plus de disposer d’une programmation financière en valeur absolue et pas seulement en pourcentage afin de respecter l’objectif pour 2022 et celui qui avait été pris en 1970 devant l’assemblée générale des Nations unies. Certes, un objectif financier n’est pas l’alpha et l’oméga mais le respect de celui de 0,7 %, que la France se doit de tenir, ne nous interdit pas d’être intelligents en tenant compte des priorités sectorielles et géographiques.

Nous proposons également qu’à partir de 2023 50 % de l’APD relèvent de la mission budgétaire « Aide publique au développement » et du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), certains types d’aides, dont les frais d’écolage par exemple, ne bénéficiant pas aux populations des pays en voie de développement.

M. Dominique Potier. Nous en sommes tous d’accord : l’APD n’est pas qu’une question de volume mais de qualité et de cohérence. Néanmoins, le respect de celui qui a été fixé nous hisserait à la hauteur de nos promesses et de l’action menée par certains pays. Je le dis clairement au nom du groupe Socialistes et apparentés : cette promesse n’a pas été tenue et il est urgent de la tenir. C’est donc avec humilité mais, aussi, avec conviction que nous défendons une programmation étendue jusqu’en 2025. Les acteurs de terrain doivent pouvoir se projeter : l’initiative « Une seule santé », les politiques de lutte contre la corruption ou de renforcement de l’État de droit s’inscrivent dans le temps et doivent bénéficier de moyens stables et programmés.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je suis plutôt favorable à l’idée de fixer un objectif général mais vous savez fort bien que des échéances électorales se produiront en 2022. Tels qu’ils sont rédigés, ces amendements engageraient le prochain Gouvernement, or, imaginons que, demain, les amis de M. Lecoq arrivent au pouvoir : peut-être ne souhaiteront-ils pas utiliser les crédits de la mission « APD » tels quels, même s’ils souhaitent que l’APD atteigne les 0,7 % !

De plus, lors de ces quinze dernières années, une focalisation unique sur cet objectif quantitatif nous a fait perdre de vue l’objectif qualitatif. L’Angleterre est d’ailleurs revenue sur sa politique. Depuis 2017, nous avons ainsi quant à nous choisi d’augmenter la part de dons, de redéfinir les pays prioritaires et les parts consacrées à l’éducation et à la santé. Nous avons besoin de flexibilité.

Avis défavorable.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ajoute que la loi inscrit le principe d’une révision en 2022 et de rapports annuels d’adaptation car nous ne pouvons pas exciper de ce que sera l’évolution économique et budgétaire de la France en sortie de crise. Il est bon de s’en tenir au texte tel qu’il est.

M. Jean-Paul Lecoq. Je remercie M. Berville, pour qui l’arrivée au pouvoir des communistes est crédible, étant entendu que nous formerions une coalition tant les situations hégémoniques peuvent être délétères pour la démocratie.

Les exécutifs changent, en effet, mais parfois, les ministres demeurent, comme M. Le Drian. Peut-être même, si sa pensée évolue, pourra-t-il être membre de notre Gouvernement ! Pour avoir défendu des lois de programmation militaire, il sait très bien qu’il est possible de programmer et… de réviser. Les objectifs fixés dans la loi pourraient en l’occurrence être fort bien révisés en 2022 par un nouvel exécutif. Affirmons donc les ambitions qui sont les nôtres dans cette loi de programmation !

M. Bertrand Pancher. La majorité donne des verges pour se faire battre : une loi de programmation votée en fin de mandat n’engagerait que la majorité actuelle mais nous nous battons depuis longtemps pour que les objectifs définis soient atteints, or, tel ne sera pas le cas.

Ce serait faire preuve de bon sens et de respect à l’endroit de nos accords internationaux que de lister clairement les objectifs et de rééquilibrer les masses financières en direction de l’APD. Si les majorités successives avaient été fidèles à l’objectif des Nations unies formulé en 1970, ce sont environ 200 milliards supplémentaires qui auraient été dévolus aux politiques d’aide au développement !

Il est vrai qu’une majorité peut défaire ce qu’une majorité précédente a fait mais ce serait l’honneur de tous les groupes politiques de soutenir un amendement de ce type.

Mme Clémentine Autain. J’abonde dans le sens de mon collègue communiste, avec lequel j’espère nous pourrons bientôt, avec d’autres, gouverner !

Par définition, l’aide publique au développement vise à promouvoir des projets qui s’inscrivent dans la durée. Ne pas être capables d’engager la parole de la France au-delà d’une année est contraire à cet esprit même. Il est donc paradoxal de ne pas s’engager, y compris sur une valeur absolue, qui plus est lorsque les difficultés ne manqueront certes pas pour la France mais, surtout, pour les pays censés être soutenus. En pleine pandémie, nous nous devons de leur apporter un certain nombre de garanties.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je remercie M. Lecoq pour son offre de service, car telle est la définition latine du minister. Dans les fonctions exécutives que j’ai occupées, j’ai toujours compté des membres du Parti communiste au sein de mes majorités. J’ai donc un peu d’expérience, et j’ai versé des arrhes.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est un point commun avec le général de Gaulle !

M. Hervé Berville, rapporteur. Ne nous trompons pas de débat : depuis 2017, nous tenons nos engagements. Nous avons augmenté l’aide publique au développement, comme nous l’avions promis, dans le domaine de l’éducation. Notre contribution au Partenariat mondial pour l’éducation est ainsi passée de 17 à 200 millions ; celle au Fonds mondial de lutte contre le sida a augmenté de 20 % et, surtout, l’objectif de consacrer 0,55 % du RNB à l’APD sera atteint l’année prochaine. Après ce que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) appelle « une décennie perdue », ayons l’honnêteté de reconnaître que c’est ce Gouvernement qui, en Europe, a augmenté l’aide au développement comme jamais ! La mission « APD » passe de 2,7 à 5,6 milliards. C’est celle qui augmente le plus ! En outre, nos partenaires savent fort bien qu’en 2022, les choix qui seront faits ne correspondront pas forcément aux nôtres. Nous faisons simplement preuve de réalisme.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement AE133 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Savez-vous, monsieur le rapporteur, que la loi de programmation militaire s’étend de 2019 à 2025 ? Savez-vous que de lourds investissements ont été engagés, y compris pour moderniser la bombe atomique ? En cas de changement de majorité en 2022, pensez-vous que les 14,5 millions dépensés chaque jour à cette fin seront immédiatement asséchés ? Il est vrai que si c’est nous qui sommes aux affaires, ce n’est pas exclu, car nous pensons que cet argent pourrait être utilisé autrement.

Cet amendement dispose donc que la programmation financière porte sur les années 2020 à 2025, une révision pouvant avoir lieu en 2022, faute de quoi cette loi se réduira à une portion de PLF pour 2022.

Les derniers propos de M. le rapporteur m’incitent à poser la question : que faisons-nous ici aujourd’hui ?

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AE204 de Mme Bérengère Poletti.

M. Michel Herbillon. Il a été cosigné par l’ensemble des membres du groupe Les Républicains de cette commission.

Première curiosité : cette programmation est censée s’étendre de 2020 à 2025, or, la programmation financière, elle, n’est prévue que pour la période 2020-2022.

Seconde curiosité : l’année 2020 est déjà exécutée et l’exécution de 2021 est en cours. Plus de la moitié de la programmation concerne donc une période qui ne couvre pas l’actuel quinquennat. Il est essentiel que le Parlement soit à nouveau consulté sur la suite qui lui sera donnée et sur les moyens qui seront consacrés à cette politique de 2022 à 2025.

Il faudrait vraiment vérifier, monsieur le rapporteur, si tous vos engagements ont été respectés. De notre point de vue, nous sommes très loin du compte. « L’avenir dure longtemps », dit-on, mais nous aimerions en savoir un peu plus sur l’avenir de cette loi ! Un vote du Parlement s’imposera donc en 2022.

M. Hervé Berville, rapporteur. Votre amendement, pour une part, va dans le sens de ce que je viens de dire, la loi prévoyant de surcroît une clause de revoyure.

J’ajoute que la révision de la programmation doit être opérée en amont du vote du Parlement et que votre amendement pèche d’un point de vue rédactionnel.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AE 136 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Cet amendement vise à intégrer la totalité du cadre de partenariat global (CPG) dans la loi.

Lors des auditions, de nombreuses voix se sont élevées pour demander qu’un article 1er récapitule les grands objectifs de la loi, comme tel était le cas dans la précédente loi relative à l’aide publique au développement. Le cadre de partenariat global, a-t-on répondu, vise à remédier à ce manque, et il est bien plus précis que ne l’aurait été l’ajout d’un certain nombre de principes dans un article 1er.

Je vous propose que cet article 1er accueille le CPG afin de pouvoir dérouler ensuite les mesures budgétaires au regard des objectifs. Les députés communistes vous proposent donc un compromis, ce qui supposera d’affiner la rédaction du CPG en séance publique.

M. Hervé Berville, rapporteur. Ce cadre de partenariat global ne doit pas se réduire en effet à une simple déclaration d’intention. Sa non-intégration dans le corps de la loi correspond à une recommandation du Conseil d’État : la clarté de la loi suppose d’en détacher le versant stratégique et de le placer en annexe, tout en faisant en sorte que son approbation formelle figure à un alinéa d’un article du texte.

Outre que je ne suis pas certain de la pertinence juridique du mot « intégré », je considère que votre amendement est satisfait puisque, s’il n’est pas normatif, le CPG a néanmoins une valeur juridique.

Avis défavorable.

M. Jean-Paul Lecoq. Le CPG est-il ou non opposable ? Un certain nombre d’acteurs, suite au vote de cette loi, investiront dans des actions et doivent être d’une certaine façon protégés.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le CPG est d’autant plus prescriptif et opposable qu’il fait partie de la loi.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AE132 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Les objectifs de la politique relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ne sont pas mentionnés dans le projet de loi mais seulement énoncés dans le cadre de partenariat global annexé qui, en l’état, n’a pas de valeur normative, comme l’a précisé le ministre des affaires étrangères lors de l’audition du 2 février dernier devant la commission.

Comme l’ont rappelé les ONG concernées, les objectifs encadrant l’aide française au développement ne peuvent être laissés, de fait, à l’appréciation des opérateurs. Ils doivent être fixés par la représentation nationale.

Cet amendement vise à graver dans le marbre de la loi un certain nombre d’objectifs précis.

M. Hervé Berville, rapporteur. Il est si vrai que le CPG a une valeur juridique opposable que nous l’avons nous-mêmes amendé.

La loi doit être claire, comme l’a rappelé le Conseil d’État. Nous avons d’ailleurs prévu un régime « ceinture, bretelles » et même « casque » avec l’alinéa 2 de cet article disposant que le CPG annexé à cette loi est approuvé.

Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Je rappelle que, selon le Conseil d’État, les documents annexés à une loi, même lorsqu’ils ont été approuvés par le Parlement ou prévus par une loi organique, n’ont pas de valeur normative. Ils se réduisent à de plus ou moins bonnes intentions.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je répète que l’absence de valeur normative n’induit pas une absence de valeur juridique. Demain, une ONG jugeant qu’un certain nombre d’objectifs n’a pas été atteint pourra aller devant un tribunal. En revanche, un Gouvernement ne sera pas immédiatement mis à l’amende et un ministre emprisonné ! Le Conseil d’État est très clair.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AE135 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Je considère qu’il a été défendu et qu’il vise à donner une deuxième chance au rapporteur et au ministre d’intégrer le CPG dans la loi.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement AE137 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Je propose de remplacer la référence à 0,55 % du revenu national brut par la somme de 15 milliards d’euros, soit 0,55 % du RNB de 2019.

Le débat autour de la définition d’un objectif en valeur relative ou en valeur absolue a été présent dans toutes les prises de paroles et toutes les auditions du rapporteur. La question est d’autant plus sensible que nous examinons ce texte alors que le revenu de l’économie française s’est contracté de 8,3 % cette année en raison de la pandémie.

J’avais déclaré en 2017 au sein de cette commission qu’un chiffre relatif ne vaut que par son dénominateur. Lorsque le revenu national diminue, le montant de tous les objectifs en valeur relative baisse. Nous allons donc atteindre 0,7 % du RNB en 2022 sans avoir fait d’effort budgétaire conséquent, par le seul effet de la récession économique.

Imposer le respect d’un pourcentage de la richesse nationale brute ne fait qu’accompagner les périodes de croissance et de récession. En politique économique et budgétaire, il faut relancer en période de récession au lieu d’accompagner la contraction de l’économie d’une réduction du budget national. Ainsi, les années 2020-2021 auront mis à mal toutes les doctrines qui fixent des cibles en pourcentage. Ce n’est pas un mal, il est bien plus concret de raisonner en valeur absolue.

Il faut sanctuariser le volume de l’aide publique au développement. Elle est utilisée par des gens qui investissent et se projettent, et il ne leur est pas possible de s’appuyer sur un chiffre qui peut varier à la baisse.

M. Hervé Berville, rapporteur. Avis défavorable, mais je suis content de voir que nos points de vue se rejoignent, monsieur Lecoq. Je dis depuis trois ans que cet indicateur est inadapté, vous venez d’en faire la démonstration parfaite.

Vous dites que l’effort budgétaire en faveur de l’aide publique au développement n’est pas conséquent, rappelons qu’il est inédit au cours des quinze dernières années, et inégalé dans l’espace européen. Certes, il n’est pas suffisant pour atteindre tous nos objectifs, mais passer de 2,9 milliards d’euros à 5,6 milliards représente un effort inédit, particulièrement dans le contexte économique que nous connaissons. Nous pouvons au moins convenir de cela.

Il ne faut pas faire de cet objectif de 0,7 % un totem. Le fait qu’il soit possible de l’atteindre parce que le RNB diminue prouve l’inadaptation du modèle. Mais la référence en valeur absolue que vous proposez peut aussi se révéler inadaptée. Il est possible que dans quatre ans, grâce à l’arrivée des communistes au pouvoir, le produit intérieur brut explose. Dans ce cas, un objectif exprimé en valeur absolue serait moins élevé qu’un pourcentage.

Les outils quantitatifs ne répondent pas aux souhaits des citoyens des pays du Sud. Ils veulent des transformations qui améliorent leurs conditions de vie. Notre débat devrait porter sur des indicateurs tels que le recul de la mortalité infantile, l’augmentation de la superficie des aires marines protégées, le ralentissement de la déforestation. Ce sont des indicateurs concrets, qui se traduisent dans la vie des gens et en disent plus sur la qualité de notre action qu’un objectif chiffré.

Passons sur le fait qu’au sein des 0,7 %, on regroupe des choux et des carottes. Il faut un énorme travail pour définir ce qui doit y figurer.

Ce projet de loi va permettre de sortir de cette logique quantitative pour nous concentrer sur la transformation de la vie des gens.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le rapporteur a bien développé notre point de vue sur le sujet. Nous pouvons jouer sur les pourcentages et les montants, ce qui m’importe, c’est la trajectoire et elle figure dans le texte. Les pourcentages varient en fonction du revenu national brut et sous l’effet de certaines décisions. Ainsi l’allégement des dettes peut faire monter ce pourcentage à un niveau très élevé, sans pour autant se traduire de façon tangible. Nous souhaitons que les montants affectés correspondent à une réalité tangible, et c’est bien ce qui est prévu dans le projet de loi.

Il en va de même de l’objectif de 0,7 %. Nous pourrions considérer qu’il est atteint par l’effet cumulé de la baisse du revenu national brut et de l’annulation de la dette soudanaise. Ce raisonnement ne me satisfait pas : nous focaliser sur l’objectif de 0,7 % n’est pas un bon indicateur.

M. Julien-Laferrière a cité la Grande-Bretagne. Nos amis britanniques ont considéré que par l’effet de la baisse du revenu national brut, l’objectif de 0,7 % était atteint, et ils ont donc réduit le budget de l’aide publique au développement de 2 milliards de livres. Ce n’est pas ce que je souhaite, et c’est pourquoi nous ne devons pas être hypnotisés par les indicateurs.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il me semble en vous écoutant que vous êtes d’accord sur le diagnostic, mais vous n’en tirez pas les mêmes conclusions sur le vote.

M. Jean François Mbaye. Il ne faut définir une trajectoire financière en se référant à des chiffres en valeur absolue. L’évolution de la conjoncture économique affecte les ressources publiques, il est normal de tenir compte de cette incertitude pour décider des moyens alloués aux différentes politiques publiques. Ce n’est pas le volume de l’investissement qui importe, il ne faut pas investir n’importe comment.

Je n’appelle pas à rogner sur un poste budgétaire, et certainement pas celui de l’aide publique au développement, mais il nous faut tenir compte du contexte et des fonds à notre disposition. Cette approche stratégique correspond vraiment à la vocation d’une loi de programmation : fixer une trajectoire sans se défaire de toute souplesse qui pourrait être nécessaire si le contexte venait à changer.

Nous sommes opposés à cet amendement, même s’il traduit une convergence avec l’approche du rapporteur.

M. Hubert Julien-Laferrière. Je n’ai pas compris toutes les réponses du rapporteur et du ministre.

Nous débattrons de l’objectif de 0,7 %, mais l’amendement de M. Lecoq porte sur un engagement pris en début de mandat, défini en valeur absolue. Je me souviens de nombreux débats, notamment en commission des finances, et les prévisions en début de mandat établissaient que 0,55 % du revenu national en 2022 correspondait à 15 milliards d’euros. Il manque donc 900 millions. Alors que la crise du covid accroît les inégalités mondiales, je ne comprends pas que ce chiffre ne soit pas atteint alors que la volonté de respecter les engagements de début de mandat est affichée.

Le débat ne porte pas sur l’objectif de 0,7 %, mais sur le respect d’un engagement pris en début de mandat : consacrer à l’aide publique au développement 0,55 % du RNB constaté avant la crise du covid. Tout le monde était d’accord, y compris la majorité, pour raisonner en valeur absolue pour respecter l’engagement du Président de la République.

M. Michel Herbillon. Je suis un peu étonné des propos du rapporteur, il risque d’avoir des problèmes avec le Président de la République qu’il soutient. Je conçois que l’objectif de 0,55 % du RNB ne soit pas un totem, mais c’est la forme que le Président de la République a choisie pour exprimer son engagement.

Bien entendu, on peut jouer sur les pourcentages et les montants. La réponse du ministre a d’ailleurs été extrêmement claire sur la dette soudanaise, et je l’en remercie. C’est la trajectoire financière qui compte, mais ce sont aussi les sommes que nous voulons consacrer à l’aide au développement. C’est la raison pour laquelle nous regrettons que cette loi de programmation s’achève en 2022 et que nous ne sachions pas ce qu’il adviendra après.

Je suis donc assez surpris de cette mise en cause du pourcentage, donc de l’engagement du Président de la République, de la part du rapporteur.

M. Jean-Paul Lecoq. L’objectif de 0,7 % a été défini par l’ONU, à une époque ou dans les pires années, la croissance était de zéro, et les pays riches s’enrichissaient toujours plus. Aujourd’hui, la crise que nous connaissons affecte tout le monde, et la France doit faire un effort de solidarité.

Je suis d’accord avec le ministre, et je me réjouis de sa décision de ne pas prendre en compte l’effacement de la dette soudanaise, mais je ne retrouve pas ses paroles dans le texte de ce projet de loi. La trajectoire financière s’arrête en 2022, je n’arrive pas à voir ce qui arrivera en 2025. J’essaie de proposer des amendements qui permettent à tous les acteurs de se projeter et de préparer des projets.

Si vous rejetez cet amendement, proposez une alternative qui donne une lisibilité à tous. Pour l’instant, on ne la trouve pas dans le texte.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AE138 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous proposons de consacrer 18 milliards d’euros d’ici 2025 à l’objectif fixé par la résolution 2626 de l’Assemblée générale des Nations Unies : que chaque pays riche consacre 0,7 % de son RNB à l’aide au développement.

Un rapport d’Oxfam démontre que le manque à gagner pour l’aide publique au développement s’élève à 500 milliards sur cinquante ans. La France part de très loin, et il n’est pas normal de considérer qu’en raison du faible nombre de pays atteignant cet objectif, il n’est pas dramatique que la France ne le fasse pas. Il me paraît très important d’y parvenir.

M. Hervé Berville, rapporteur. L’objectif principal fixé dans la loi doit être défini en fonction des variations du RNB, avec une clause de revoyure. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AE542 de Mme Frédérique Dumas.

Mme Frédérique Dumas. Je souhaite fixer l’échéance de 2025 à l’objectif de 0,7 %. Je suis surprise qu’il soit remis en cause par le rapporteur et le ministre, puisque c’est le Gouvernement qui le mentionne à l’alinéa 3, certes pour en repousser l’échéance.

Ce matin, Barbara Pompili expliquait à propos de la loi Climat qu’il était important de poser des jalons pour respecter une trajectoire. Cette remarque devrait s’appliquer à notre projet de loi et nous inciter à fixer l’échéance de 2025, s’agissant d’une promesse que nous faisons depuis très longtemps.

On ne cesse de dire que nous sommes meilleurs que tous les autres pays européens, sur ce sujet comme d’autres, mais certains pays atteignent déjà cet objectif de 0,7 %, notamment les Pays-Bas, qui ont souvent été vilipendés pendant les discussions sur le plan de relance européen. Nous ne sommes pas les meilleurs en Europe, d’autres pays ont atteint cet objectif et n’ont pas besoin de faire les efforts supplémentaires dont nous sommes incapables.

M. Hervé Berville, rapporteur. Ce n’est pas parce que nous nous fixons un objectif que nous devons nous interdire d’y réfléchir et de nous interroger sur sa pertinence. C’est en effet un étalon international historique, mais j’ai eu la chance de travailler sur ces questions au Mozambique et au Kenya, et j’ai pu constater les effets pervers de la course à la dépense simplement pour atteindre des objectifs.

Certains pays atteignent cet objectif de 0,7 %, mais il est possible de le faire uniquement avec des prêts, sans faire de dons ni financer l’éducation ou la santé. Il est possible d’atteindre 0,7 % d’aide au développement uniquement en faisant de l’appui au secteur privé. Je ne crois pas que ce soit notre volonté.

Le Président de la République a exprimé notre objectif par un pourcentage car c’est l’étalon international qui permet à chacun de mesurer son effort, mais nous savons qu’il est inadapté et imparfait. D’ailleurs, les pays concernés s’interrogent également : certains s’achètent une bonne conscience en dépensant des sommes sans se préoccuper de la qualité des actions qu’elles financent. Cette question est très légitime.

Nous ne prétendons pas être les meilleurs, mais c’est un fait : par rapport à la décennie précédente et en regard des autres pays de l’Union européenne, dont l’aide est en recul, le montant que nous consacrons à l’aide augmente. Et l’effort réalisé depuis 2017 est inédit, c’est incontestable. Sachons reconnaître les bons points quand il y en a.

Je suis plutôt favorable à votre amendement, dans le sens où il faut nous fixer cet objectif, mais le ministre va revenir sur les différentes considérations à prendre en compte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Êtes-vous favorable à l’amendement, ou défavorable ?

M. Hervé Berville, rapporteur. Défavorable.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Madame Dumas, votre amendement est satisfait : nous avons déjà atteint 0,7 % du revenu national brut. Regardez le tableau de la page 52 du projet de loi, vous pouvez y lire qu’en 2021, la part de l’aide publique au développement dans le revenu national brut est de 0,69 %. En prenant en compte les nouveaux allègements de dette que nous allons accorder à des pays africains, nous allons dépasser 0,7 %.

Je ne remets pas en cause cet objectif, mais il ne faut pas s’y attacher de façon trop rigide. Je suis d’accord avec M. Lecoq : il s’agit d’une référence, depuis 1970, mais elle ne suffit pas à quantifier l’ampleur de l’aide publique au développement. Sinon, je pourrais faire constater que l’objectif fixé par le Président de la République est déjà atteint, mais ça ne serait pas sérieux. Si nous sommes tous de bonne foi, il faut affiner cet objectif, car il comporte des risques : lorsqu’ils ont atteint 0,7 % du revenu national, les Britanniques ont supprimé les crédits au motif qu’ils considéraient avoir rempli leurs engagements. Et personne ne les critique.

La simplification peut parfois aboutir à la caricature, c’est pourquoi je suis réservé sur tous les amendements qui imposent d’atteindre cet objectif en 2025. Formellement, il est déjà atteint en 2021. Une majorité communiste nouvellement élue pourrait décider de le porter à 0,9 %, mais d’autres majorités pourraient considérer que le ratio de 0,7 % étant atteint, il est possible de réduire l’aide au développement. Je connais des acteurs qui seraient facilement amenés à faire ce raisonnement. Je suis donc défavorable à tous les amendements qui portent sur l’objectif de 0,7 %, car ce n’est pas la bonne approche, et je suis prêt à trouver une meilleure rédaction.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il ressort de nos débats que ce pourcentage de 0,7 % est une valeur sacrée. La caractéristique d’une valeur sacrée est de ne pas être claire. Notre commission devra se pencher sur la nature exacte de cet engagement, sur la façon dont il est observé par la communauté internationale. Il faut sortir de ce maquis, car ce chiffre recouvre des réalités extrêmement différentes.

Mme Frédérique Dumas. Effectivement, cette valeur de 0,7 % peut signifier tout et n’importe quoi.

Monsieur le ministre, vous appartenez à ce Gouvernement depuis plus de quatre ans. Vous venez présenter une loi de programmation, qui fixe des objectifs. L’alinéa 3 mentionne expressément cet objectif, pour signaler que son échéance est reportée. Si cet objectif est déjà atteint, il est étonnant de le reporter dans ce projet de loi.

Je suis prête à retirer mon amendement si vous modifiez le projet en profondeur. Si vous jugez que votre propre projet de loi dit un peu n’importe quoi, parce que vous n’avez pas fait l’effort de travailler sur de meilleurs indicateurs quatre ans après le début de la mandature, il y a un énorme problème !

C’est vous qui écrivez dans le projet de loi que la France a l’objectif de porter ultérieurement la part de son revenu national brut consacrée à l’aide publique au développement à 0,7 %, nous ne faisons qu’amender cet alinéa. Je retirerai cet amendement si vous présentez en séance une proposition intéressante de modification profonde de ces indicateurs.

M. Michel Herbillon. Arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt, le ministre vient d’évoquer la possibilité de trouver une autre rédaction. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’une loi de programmation, mais qu’elle s’arrête en 2022 ; que nous consacrons déjà 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement, mais que nous nous fixons l’objectif d’y parvenir ultérieurement ; et que ces indicateurs ne doivent pas être des totems. On n’y comprend plus rien ! Et le rapporteur vient nous dire que les pourcentages ne sont pas importants !

Il faut que de manière tranquille, calme et si possible unanime, nous arrivions à sortir du problème. Indépendamment des sensibilités des uns et des autres, nous comprenons bien que le 0,7 % n’est pas un totem, que le contenu des actions compte aussi. Mais si cette valeur a été retenue par les Nations unies en 1970, ce n’est pas par hasard.

Nous sommes au début de nos débats, il faut apporter de la clarté sur un dispositif essentiel.

M. Frédéric Petit. Le chiffre de 0,7 % n’est pas fixé par la loi française, c’est un objectif de l’OCDE. Et nous aurons du mal à faire changer l’OCDE avant l’examen de ce texte en séance…

M. M’jid El Guerrab. J’ai déposé l’amendement AE288, qui fixe à 2030 l’échéance pour atteindre 0,7 %, mais je vais le retirer car je suis convaincu par les propos du ministre. Fixer cet horizon n’a aucun sens si l’objectif est déjà atteint.

Depuis cinquante ans, nous sommes lassés d’entendre que la France ne tient pas ses engagements. Mais si l’objectif est atteint en raison de l’effondrement de l’économie, ça n’a pas de sens. Je suis absolument d’accord avec notre collègue Herbillon, il faut trouver une rédaction qui satisfasse la majorité de notre commission.

M. Hervé Berville, rapporteur. Les choses sont claires, monsieur Herbillon. Il y a différents niveaux de lecture, je considère que l’objectif de 0,7 % n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique de développement, et que nous devons trouver de meilleurs indicateurs. Mais la société civile et les ONG estiment nécessaire de disposer d’un chiffre pour établir des comparaisons internationales, et je les entends.

Madame Frédérique Dumas, une trajectoire est définie pour atteindre cet objectif, et le Président de la République a fixé un jalon à 0,55 %. Mais si nous envisageons de changer les méthodes à l’occasion de ce projet de loi, c’est bien parce que la situation actuelle ne nous convient pas.

Mais nous n’avons pas la possibilité de changer cet objectif, les discussions se tiennent au sein de l’OCDE et durent pendant des mois, voire des années. Il a fallu quatre ans pour changer la qualification des subventions en prêts.

En tant que législateur, nous nous posons des questions. Nous nous référons à ce pourcentage qui est important pour les organisations de la société civile, mais elles connaissent ma réticence à son sujet. Mon rôle est aussi de les écouter, et nous reprenons ce chiffre dans le projet de loi car il est important que le ministère des affaires étrangères puisse expliquer devant l’Union européenne ou l’ONU comment nous nous situons par rapport à cet objectif.

Je reconnais sa portée symbolique, mais décider de l’atteindre ne permet pas de déterminer ce que nous ferons ensuite. Nous devons débattre de toutes ces questions. Je demande donc à Mme Dumas le retrait de son amendement, j’ai déposé un amendement pour reconnaître la valeur symbolique de cet objectif. À défaut, avis défavorable.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. L’objectif de 0,7 % reste important, la meilleure preuve en est que dans les prévisions, ce ratio descend après 2022. C’est une mesure de l’effort, un référentiel qui permet de nous comparer, et une référence historique. Je suis favorable à son maintien.

Mais il ne faut pas se fonder sur ce 0,7 % de manière fétichiste, il cache parfois des loups. Le projet de loi est rédigé ainsi car dans l’évolution de la situation économique et sanitaire est incertaine, et il est important de conserver les deux paramètres d’évaluation. Nous ne renions pas l’objectif de 0,7 %, il permet d’établir où nous en sommes, et de constater que lorsque les Britanniques atteignent cette valeur, ils réduisent leur aide, et pas nous. Il faut trouver une bonne formule.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ce chiffre de 0,7 % est une référence historique sacrée et multilatérale qu’il est difficile de remettre en cause. Le Gouvernement nous explique qu’il la respecte, mais chacun en perçoit les limites. C’est pourquoi il serait intéressant que notre commission mène le nécessaire travail intellectuel de clarification des engagements respectifs. Il faut dépoussiérer et analyser ce très important objectif et proposer dans le débat international une solution nouvelle. Il nous faut travailler dans cette direction.

Mme Frédérique Dumas. Je remercie le ministre, nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il s’agit d’un référent, mais qu’il n’est pas suffisant. Je remercie également le président de proposer ce travail de fond. Je ne retire pas mon amendement, puisque le rapporteur a expliqué qu’il y était favorable, dans une certaine mesure.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AE260 de Mme Marion Lenne.

Mme Marion Lenne. Je souscris pleinement à l’inscription dans le texte de l’engagement du Président de la République de consacrer 0,55 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement en 2022. Mais il me paraît contre-productif d’ajouter que l’objectif de 0,7 % est reporté ultérieurement. Nous le reportons déjà depuis un demi-siècle, ce qui n’a échappé à personne dans le monde. Et s’il est déjà atteint, cette précision est inutile.

Par ailleurs, l’aide publique au développement est un outil de rayonnement de la France, il est bon de tenir nos engagements dans ce domaine.

J’ai déposé un autre amendement – AE685 – qui affirme l’objectif de la France de consacrer 0,7 % du RNB à l’aide au développement au plus tard en 2025, dans le respect des engagements pris dans le cadre du programme d’action d’Addis-Abeba. Ce programme d’action me semble plus en phase avec le monde contemporain que l’engagement pris à l’Assemblée générale des Nations unies en 1970, il me semble utile d’y faire référence dans le texte.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je connais, madame Lenne, votre implication sur tous ces sujets, et je vous rejoins quant à la nécessité de mettre en cohérence les actes et les discours. Je vous suggère de retirer votre amendement au profit de celui que je présenterai dans quelques instants et qui poursuit la même ambition. À défaut, avis défavorable.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me suis déjà exprimé à ce sujet. Même avis que le rapporteur.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements AE205 de Mme Bérengère Poletti et AE338 du rapporteur.

Mme Sandra Boëlle. Nous souhaitons rappeler l’objectif de 0,7 %, qui correspond à l’engagement pris par la France à la tribune de l’ONU en 1970 ; même si nous avons parfaitement conscience des difficultés à l’atteindre, en ces temps de contrainte budgétaire et de crise majeure, nous considérons cet objectif comme un marqueur, y compris symbolique, de la volonté de notre pays de ne pas renoncer à aider les pays les plus pauvres. Il nous semble important de nous donner de la visibilité en la matière : c’est pourquoi l’amendement AE205 vise à substituer au mot « ultérieurement » les mots « à horizon 2025 ».

M. Hervé Berville, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir proposé que notre commission mène un travail complémentaire sur cet objectif de 0,7 %. Je suis sûr que nous aurons l’occasion d’y revenir en séance publique et que nous pourrons alors entrer dans le détail du sujet. Je reconnais le caractère symbolique de cet objectif, qui ressort des nombreuses auditions que nous avons menées, et l’utilité de cet indicateur en matière de comparaisons internationales. L’amendement AE338 est presque identique à celui que vient de défendre Mme Boëlle ; il vise à réaffirmer que la France tient son engagement. Il conviendra également de travailler à la construction d’indicateurs permettant de mesurer l’impact de notre aide publique au développement sur des aspects autres que quantitatifs tels que l’amélioration de la condition de vie des personnes ou la transformation des politiques publiques.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous demanderai de jouer ce que Molière appellerait le rôle de Maître Jacques : quel est votre avis de rapporteur sur ces deux amendements ?

M. Hervé Berville, rapporteur. Eu égard aux discussions que nous venons d’avoir et à nos échanges avec le Gouvernement, je considère que le chemin n’est plus très long mais qu’il reste encore quelques petites étapes à franchir. Il y a là une sorte de schizophrénie, dont je vous prie de bien vouloir m’excuser, mais en tant que rapporteur, je demande le retrait des deux amendements afin qu’ils soient retravaillés en vue de la séance publique.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Allez-vous nous inviter à la sagesse, monsieur le ministre ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je suis tenté de le faire, monsieur le président. Mais votre proposition de mener un travail complémentaire sur ce sujet me paraît tout à fait opportune ; en séance publique, chacun pourra alors se prononcer en toute connaissance de cause, sans aucune ambiguïté.

Mme Laurence Dumont. Je n’ai pas bien compris le sens de votre intervention, monsieur le rapporteur. Retirez-vous votre amendement ?

Je n’ai pas très bien compris non plus votre avis sur l’amendement AE260 de Mme Lenne, qui visait simplement à supprimer le mot « ultérieurement ». Honnêtement, cela ne changeait rien ; dès lors, pourquoi avoir émis un avis défavorable ?

M. Hervé Berville, rapporteur. J’ai été très clair : j’ai dit que je retirais mon amendement. J’ai même souligné la schizophrénie inhérente à la fonction de rapporteur dans une telle situation ! Ce retrait se justifie par les discussions que nous venons d’avoir et par la proposition du président de notre commission de mener un travail spécifique sur ce sujet, en lien avec le Gouvernement. Tout cela m’amène à penser que nous pourrons aboutir à une meilleure rédaction d’ici à la séance publique.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. J’ai bien compris, monsieur le rapporteur, que vous retiriez votre amendement AE338. Mais quel est votre avis sur l’amendement AE205 ? En demandez-vous le retrait ? À défaut, y serez-vous défavorable ?

M. Hervé Berville, rapporteur. Tout à fait, monsieur le président.

M. Michel Herbillon. Le ministre et le rapporteur ont dit qu’il fallait rédiger autrement l’alinéa 3. Quand et comment allons-nous travailler à cette nouvelle rédaction qui pourrait faire consensus ? Nous devons nous y atteler avant la séance publique ! En attendant, nous maintenons l’amendement AE205.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il va de soi que cette rédaction consensuelle de l’alinéa 3 sera recherchée avant la séance publique.

M. Bruno Fuchs. Il ne s’agit pas d’un débat de fond, mais d’un débat rédactionnel. Peut-être devrions-nous examiner dès à présent les amendements suivants, qui proposent des formulations très voisines, afin de réfléchir sans plus attendre à une rédaction qui satisferait l’ensemble des membres de notre commission.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est au rapporteur qu’il appartiendra de nous dire, le moment venu, ce qu’il en est. La procédure doit être respectée : les amendements suivants, qui feront également l’objet d’une discussion commune, sont un peu différents de ceux que nous venons d’examiner.

L’amendement AE338 est retiré.

La commission rejette l’amendement AE205.

M. Michel Herbillon. Permettez-moi de vous faire remarquer, monsieur le président, que la situation est pour le moins curieuse : la majorité vient de voter contre un amendement du groupe Les Républicains, alors qu’il était quasiment identique à celui que le rapporteur a décidé de retirer.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je n’ai pas à apprécier le vote de nos collègues.

La commission examine, en discussion commune, les amendements AE1 de M. Bertrand Pancher, AE508 de M. Hubert Julien-Laferrière et AE685 de Mme Marion Lenne, M. M’jid El Guerrab ayant retiré son amendement AE288.

M. Bertrand Pancher. J’ai bien compris que nous serions amenés à rediscuter de la rédaction de l’alinéa 3. Personne n’est favorable à ce que nous cassions le compteur de vitesse, mais il est important que nous tenions notre objectif. Notre trajectoire actuelle suscite des controverses avec les grandes organisations avec lesquelles nous travaillons, que ce soit sur la remise de la dette du Soudan, dont il n’est pas certain qu’elle ait vraiment contribué au développement de ce pays, sur les aides directes, notamment dans le cadre sur notre politique migratoire, ou encore sur la base utilisée pour calculer le taux de 0,7 %, alors que notre RNB évolue. Pour notre part, nous sommes favorables à un maintien du rythme actuel : c’est pourquoi l’amendement AE1 prévoit que l’objectif de 0,7 % sera atteint « d’ici 2025 ».

M. Hubert Julien-Laferrière. Le débat autour de cet objectif de 0,7 % est très intéressant. Se fixer un objectif financier ne nous interdit pas d’être intelligents et d’améliorer notre politique de développement. Il est vrai que nous avons atteint le taux de 0,7 % du fait de la baisse de notre RNB. Cependant, nous espérons et prévoyons un rattrapage de ce RNB : dans un an ou deux, nous redescendrons donc sous la barre de 0,7 %. Il serait bon pour l’image de la France, qui occupe une place singulière sur la scène internationale, en particulier pour tout ce qui touche à la solidarité entre les nations, que nous respections l’engagement pris devant les Nations unies en 1970, il y a un peu plus de cinquante ans. Certains pays comme la Suède, la Norvège et le Luxembourg dépassent la barre de 1 % du RNB. Gardons donc cet objectif, faisons en sorte que notre aide soit efficace et efforçons-nous d’en mesurer l’impact, compte tenu des priorités géographiques et sectorielles que nous nous sommes fixées.

M. Hervé Berville, rapporteur. Dans la continuité de nos discussions précédentes, vous comprendrez que je sois défavorable à ces amendements.

Je précise à M. Herbillon que l’amendement AE338, que j’ai retiré tout à l’heure, n’était pas identique à l’amendement AE205.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me suis déjà exprimé à ce sujet. Cependant, je ferai remarquer à M. Pancher que l’allégement de la dette du Soudan a fait du bien à ce pays, qui en avait besoin ; c’est pourquoi cette mesure a été comptabilisée dans l’aide publique au développement. Par ailleurs, nous nous en tenons aux normes en vigueur ; on pourrait décider aujourd’hui de modifier celles de l’OCDE, mais ce serait un long travail que nous ne pourrions achever d’ici à la semaine prochaine !

Je rejoins l’avis du rapporteur : je ne repousse pas ces amendements sur le fond, mais dès lors que nous sommes convenus de trouver une nouvelle rédaction de l’alinéa 3, je préférerais qu’ils soient retirés.

M. Frédéric Petit. Cette discussion est passionnante, mais il faut être précis. Le ministre l’a dit tout à l’heure, le taux dont nous parlons n’est pas un indicateur financier ; il mesure l’effort d’un pays et d’une société en faveur du développement et permet les comparaisons internationales en la matière. Par ailleurs, j’ai entendu dire qu’annuler une dette ne permettait pas d’aider un pays… Il faut quand même raison garder ! Enfin, dans le cadre de notre travail commun, nous déciderons sans doute d’exclure certaines dépenses de l’indicateur. Cela ne voudra pas dire qu’elles sont bonnes ou mauvaises – il ne s’agira pas d’un jugement de valeur. Annuler la dette du Soudan est un acte fort et positif. Que nous décidions de considérer qu’il ne s’agit pas d’argent qui part de la France vers le Soudan, c’est une chose, mais nous devrons le dire très précisément afin que le futur indicateur puisse être compris de nos concitoyens.

M. Bruno Fuchs. Dès lors que nous avons décidé que notre commission mènerait un travail complémentaire sur cette question, il n’y a pas lieu de maintenir nos amendements. Je retire donc par avance l’amendement AE584, qui viendra plus tard dans la discussion même s’il aurait logiquement dû être placé en discussion commune avec ceux que nous examinons actuellement.

Monsieur Herbillon, vous avez déclaré que la majorité avait voté contre l’amendement AE205. Ce n’est pas la majorité, mais « une » majorité – pour ma part, je me suis abstenu. Pourquoi faites-vous cet amalgame ? J’aurais préféré que l’amendement soit retiré, puisque nous nous sommes tous placés dans le sillage du président de notre commission pour travailler ensemble à une nouvelle rédaction de l’alinéa 3. Il est temps de passer au sujet suivant !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Fuchs, personne ne met en cause le droit du MODEM à la singularité !

Mme Laurence Dumont. Nous avançons : nous avons obtenu une forme d’aveu du ministre, qui a reconnu que la rédaction du projet de loi n’était pas idéale. Il est tout de même un peu délicat de fixer dans la loi l’objectif de porter « ultérieurement » à 0,7 % le taux de notre aide publique au développement ! Je comprends donc l’utilité de mener un travail en commun pour modifier la rédaction de l’alinéa.

Certes, monsieur le rapporteur, l’amendement que vous avez retiré n’était pas identique à celui du groupe Les Républicains : le vôtre prévoyait que l’objectif serait atteint « en 2025 », tandis que l’amendement AE205 prévoyait qu’il le serait « à horizon 2025 ». Reconnaissez cependant qu’il était discutable de donner un avis défavorable à un amendement quasiment identique au vôtre ! Faisons preuve d’un peu d’honnêteté intellectuelle dans nos débats.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avons très bien compris cette observation critique de l’avis du rapporteur. Mais ce dernier est libre de sa position.

Mme Frédérique Dumas. Nous sommes évidemment ravis que le ministre, le rapporteur et le président de notre commission aient proposé de travailler à une nouvelle rédaction de l’alinéa 3. Nous comprenons que la majorité retire ses amendements ; cependant, il est normal que nous maintenions les nôtres tant que ce travail n’aura pas abouti.

La commission rejette successivement les trois amendements.

Elle est saisie de l’amendement AE465 de M. Dominique Potier, M. Bruno Fuchs ayant retiré son amendement AE584.

M. Dominique Potier. Le groupe Socialistes et apparentés proposera probablement, en séance publique, une rédaction de l’alinéa 3 prévoyant, en période de crise économique et de baisse du revenu national brut, une stabilisation en volume des dépenses consacrées à l’aide publique au développement.

Nous parlons d’une enveloppe qui passerait de 13 à 17 milliards d’euros : l’écart entre la dépense actuelle et la dépense cible est donc de l’ordre de 4 milliards d’euros. Permettez-moi de vous donner deux chiffres qui vous montreront que l’objectif n’est pas inatteignable pour ceux qui nous succéderont lors du prochain quinquennat. Ces 4 milliards d’euros représentent 5 % de l’évasion fiscale en France. Ils pourraient être obtenus en votant simplement une non-déductibilité de l’impôt sur les sociétés de la part des salaires au-delà de 10 000 euros. Je rappelle également que le 1 % des habitants les plus riches de la planète émettent autant de CO2 que 50 % de l’humanité. Nos débats ont un caractère surréaliste ! En séance, nous devrons être capables de dire qu’en 2025, nous aurons atteint cet objectif, qui est un minimum vital.

M. Hervé Berville, rapporteur. Monsieur Potier, je souscris à votre plaidoyer. Cet objectif de 0,7 % est l’un des éléments centraux de notre politique de développement solidaire. Je vous invite à retirer votre amendement au bénéfice du travail qu’accomplira notre commission ; à défaut, mon avis sera défavorable. Je prends bonne note de votre invitation à inscrire cet effort dans la durée : il ne s’agit pas d’atteindre notre objectif une seule fois. Nous devons aussi donner de la visibilité à nos partenaires.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Avis défavorable, toujours dans le même état d’esprit.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il est assez étrange d’entendre tous ces accords de fond se traduire par des avis défavorables.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AE175 de Mme Amélia Lakrafi.

Mme Marion Lenne. Il vise à faire en sorte que la trajectoire française de l’aide publique au développement reste réellement ascendante et que le montant alloué à cette politique ne diminue pas, d’une année sur l’autre, en termes de ressources budgétaires, du fait de la baisse du revenu national brut.

M. Hervé Berville, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment. Par ailleurs, la rédaction de cet amendement ne me semble pas correcte d’un point de vue juridique. Dans les faits, depuis 2017, nous essayons toujours d’augmenter les fonds alloués à l’aide au développement, en volume comme en pourcentage. Cependant, nous ne pouvons présager de l’avenir : en cas de crise économique et financière, qui sait si nous ne serons pas amenés, un jour, à diminuer ces crédits ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis.

M. Jean-Paul Lecoq. Puisque nous devons trouver une nouvelle rédaction de l’alinéa 3, il aurait été opportun d’acter tous nos points d’accord. Nous aurions dû voter tous les amendements dont nous approuvions le principe, même en cas d’avis défavorable du rapporteur, considérant qu’ils constituent les éléments de référence qui nous serviront à rédiger, ensemble, le nouvel alinéa 3. Ce n’est pas en commission que nous écrivons la loi définitive : nous verrons cela en séance ! Je vais dans votre sens, monsieur le président : il est aberrant de rejeter ces amendements, dont nous approuvons pourtant le principe, comme s’il n’y avait plus de discussion possible !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez tout à fait raison dans votre inspiration, mais ce n’est pas au cours d’une réunion comme celle-ci que nous trouverons la meilleure rédaction de l’alinéa. Il faudrait que les représentants des groupes se rapprochent du rapporteur pour y travailler.

Mme Laurence Dumont. Monsieur le rapporteur, si vos propos étaient cohérents avec ce que vous écrivez dans votre rapport, nous pourrions peut-être progresser… Vous dites que l’amendement AE175 n’est pas très bien rédigé d’un point de vue juridique ; l’emploi de l’adverbe « ultérieurement » n’est pas très juridique non plus… Vous dites aussi qu’on ne peut obliger l’APD à suivre une pente ascendante, au cas où le RNB diminuerait. Or vous écrivez : « L’objectif apparaît contestable à plusieurs égards. Il peut être atteint en tout ou partie par l’effet d’une baisse du dénominateur, c’est-à-dire d’une récession de l’économie. » Ce n’est pas très cohérent ! Soit le fait que le RNB peut baisser est un vrai problème, et il faut donc adopter l’amendement AE175 imposant une trajectoire ascendante de l’APD, soit il ne faut pas inscrire cet objectif dans la loi.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris l’intervention de Mme Dumont. Mes propos ne souffrent d’aucune contradiction. D’une part, il me semble inopportun d’inscrire dans la loi une règle prévoyant que l’aide publique au développement ne peut jamais diminuer. D’autre part, j’explique dans mon rapport que l’objectif de 0,7 % est imparfait et inadéquat dans la mesure où il peut être atteint en diminuant le RNB, c’est-à-dire sans réaliser d’effort financier substantiel.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AE245 de Mme Sonia Krimi.

Mme Laëtitia Saint-Paul. Cet amendement, comme plusieurs autres déposés par Mme Krimi, s’inspire de son rapport d’information sur la lutte contre le financement du terrorisme international. Notre aide publique au développement doit cibler des zones géographiques très précises.

M. Hervé Berville, rapporteur. Il est évidemment essentiel, pour notre commission, d’accorder une priorité aux pays les moins avancés – nous voyons bien tout ce qui se passe au Sahel. Pour autant, cette priorité géographique est déjà inscrite dans le CPG. Avis défavorable, dans la mesure où l’amendement est satisfait.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement AE215 de Mme Bérengère Poletti.

M. Michel Herbillon. Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport étudiant les différentes activités pouvant être comptabilisées au titre de l’aide publique au développement française.

Le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE donne une définition internationale de l’aide publique au développement, selon un certain nombre de critères plusieurs fois modifiés. En 2017, par exemple, le CAD a souhaité clarifier les directives sur la notification pour aider les donateurs à déterminer les activités pouvant être comptabilisées au titre de l’APD et fournir à ses membres un modèle à suivre pour comptabiliser les dépenses consacrées aux réfugiés sur leur territoire. La même question se pose s’agissant de la prise en compte des bourses accordées aux étudiants étrangers et des frais d’écolage.

Les députés du groupe Les Républicains ne remettent pas en cause l’intégration de ces données dans le calcul du montant de l’APD, dans le strict respect des critères de l’OCDE. À l’instar d’un certain nombre d’acteurs du développement, nous souhaiterions toutefois que le Gouvernement étudie cette question et considère, par exemple, que seuls les frais de bourses et d’écolage versés aux dix-neuf pays prioritaires méritent d’être intégrés à l’APD. Certains pays de l’OCDE grands pourvoyeurs d’APD n’intègrent d’ailleurs pas ces critères dans le calcul de leur APD.

Je reviens, monsieur le rapporteur, à l’amendement AE205, que la commission a rejeté. Cet amendement était identique au vôtre, à un mot près ; dans un premier temps, vous aviez d’ailleurs exprimé votre accord. C’est pourquoi j’ai trouvé notre discussion un peu curieuse, et même ubuesque.

M. Hervé Berville, rapporteur. Nous pourrons trouver dans les critères de comptabilisation de l’APD définis par le CAD matière à nourrir notre réflexion, dans le cadre du travail proposé par le président de notre commission.

Pour ma part, je suis favorable à cette demande de rapport, pour au moins trois raisons.

Premièrement, elle permettra à notre assemblée d’avoir un vrai débat sur le contenu de l’aide publique au développement, à l’aune des besoins de financement actuels. En effet, le financement de l’APD est très différent en 2021 de ce qu’il était dans les années 1960. Par exemple, les questions relatives aux transferts directs d’argent se posaient beaucoup moins il y a quelques décennies, lorsque le mobile banking n’existait pas. De même, la nécessité de mettre les femmes au cœur du dispositif n’était pas aussi prégnante.

Deuxièmement, la rédaction de ce rapport imposera au Gouvernement d’effectuer un travail de désagrégation, d’expliciter les choses et de vulgariser des questions complexes.

Troisièmement, ce rapport donnera à la France l’occasion de défendre devant le CAD de l’OCDE la nécessité de réviser ou de rediscuter les critères de comptabilisation de l’APD.

Cet amendement est donc légitime et bienvenu. Nos partenaires sur le terrain attendent que les critères de comptabilisation de l’APD soient clarifiés ou adaptés, à l’aune des nouveaux enjeux du développement et de la lutte contre les inégalités mondiales.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le Gouvernement donne à cet amendement un avis favorable, assorti de deux réserves.

D’une part, j’ai bien compris qu’il s’agissait d’un rapport d’analyse, unique, publié après la promulgation de la loi. Autrement dit, ce ne sera pas un rapport annuel – souvent, d’ailleurs, les rapports annuels ne sont même pas lus.

D’autre part, l’exposé sommaire semble indiquer que le but de la manœuvre est de limiter l’intégration des bourses et des frais d’écolage aux dix-neuf pays prioritaires. Mais cette observation ne figure pas dans le dispositif de l’amendement : c’est à lui seul que je donne un avis favorable. Je ne peux pas dire ici que je remets en cause les normes de l’OCDE, d’autant que le siège de cette institution est à Paris.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. On ne vote pas sur l’exposé sommaire, monsieur le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Certes, mais j’émets, en quelque sorte, une réserve d’anticipation.

M. Hubert Julien-Laferrière. Il s’agit d’un débat important, qui ne date pas d’hier : cela fait longtemps que de nombreux acteurs du développement demandent que certaines dépenses ne soient pas comptabilisées dans l’APD. Le montant d’APD déclaré par la France est trois fois supérieur aux crédits de la mission « Aide publique au développement » votés par le Parlement, car le CAD accepte notamment que les dépenses d’écolage soient comptabilisées au motif que les étudiants aidés rentreront ensuite dans leur pays d’origine, qui bénéficiera donc d’un savoir financé par notre argent public. De même, l’aide aux réfugiés originaires des pays en développement peut être prise en compte car elle soulagerait les pays d’émigration. Je l’ai dit, de nombreux acteurs du développement contestent ces pratiques. Ce n’est pas parce que l’OCDE accepte que ces dépenses soient comptabilisées dans l’APD que nous sommes obligés de les déclarer. Certains pays ont ainsi fait le choix, depuis des années, de ne pas déclarer les dépenses d’écolage ou d’aide aux réfugiés, estimant que ces montants n’avaient rien à faire au sein de l’APD ; ce faisant, ils ont assumé de descendre dans le classement des pays donateurs. Ayons nous aussi le courage, peut-être, plus tard, de déclarer dans l’APD ce qui relève vraiment de l’aide publique au développement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si la demande de rapport est adoptée, nous pourrons en débattre.

M. Frédéric Petit. Suivant votre proposition, monsieur le président, notre commission vient de décider de conduire un travail approfondi au sujet de l’aide publique au développement. Je suis très intéressé par cette démarche, car je pense que notre commission doit être force de proposition sur ces questions de transparence et de modalités de calcul de l’APD – même si je ne suis pas forcément d’accord avec certains de nos collègues sur ce sujet. Dès lors, nous aurons besoin des données demandées dans ce rapport dès le premier jour, et non six mois après la promulgation de la loi. Il ne faudrait pas que ce travail se fasse sans nous !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je comprends très bien votre remarque, mais il faut quand même laisser au Gouvernement le temps de réfléchir à ce sujet. Je fais mienne cette maxime du président Kennedy au moment de la crise de Cuba : « Ce que je veux, […] c’est le choix des moyens et le temps de la réflexion. »

M. Michel Herbillon. Pour répondre à M. le ministre, il s’agira bien d’un rapport unique. Par ailleurs, comme l’a rappelé le président Bourlanges, on ne vote pas l’exposé sommaire des amendements ; pour autant, le rapport permettra de débattre des questions qui y sont soulevées, à savoir de la comptabilisation des bourses versées aux étudiants étrangers, des frais d’écolage et du périmètre des dix-neuf pays prioritaires.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AE246 de Mme Sonia Krimi.

Mme Laëtitia Saint-Paul. Lors de la conférence des ambassadeurs en 2019, le Président de la République a rappelé la nécessité de s’appuyer sur la société civile. Aussi suggérons-nous de consacrer au moins 70 % du montant des subventions versées par l’État au financement de projets qui répondent aux besoins concrets des populations.

M. Hervé Berville, rapporteur. Nos concitoyens demandent que l’aide apportée aux pays en développement aille au plus près du terrain, qu’elle ne serve pas à des opérations de corruption et qu’elle ne soit pas gaspillée dans la réalisation de projets parfois qualifiés d’« éléphants blancs », éloignés des besoins des populations les plus vulnérables.

Je demande le retrait de cet amendement. À défaut, je lui donnerai un avis défavorable, pour deux raisons. D’une part, l’expression « besoins concrets des populations » est un peu floue ; peut-être faudrait-il essayer de préciser ce que vous entendez par là. D’autre part, l’amendement sous-entend que les 30 % de subventions restantes ne seraient pas consacrées à des projets concrets. Je préférerais que 100 % des fonds servent à ce genre de projets !

Enfin, nous évoquions tout à l’heure notre objectif de doublement des subventions versées à la société civile et aux collectivités locales. La dotation du FSPI, qui permet aux ambassades de mener sur le terrain des actions gérées par les populations et les ONG locales, est passée de 27 millions d’euros en 2017 à 70 millions d’euros cette année.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis.

Mme Laëtitia Saint-Paul. J’ai bien entendu les arguments formulés par M. le rapporteur : cet amendement sera donc retravaillé. Je le maintiens cependant.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement AE247 est retiré.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement AE139 de M. Jean-Paul Lecoq, ainsi que les amendements identiques AE140 de M. Jean-Paul Lecoq et AE466 de M. Dominique Potier.

M. Jean-Paul Lecoq. Le travail effectué par notre commission doit permettre à chacun de bien comprendre quelles sommes seront engagées dans le cadre de ce projet de loi de programmation. Aussi l’amendement AE139 vise-t-il à modifier le tableau de l’alinéa 5, en poursuivant un triple objectif. Il s’agit tout d’abord d’établir une véritable programmation financière pour les années 2020 à 2025. En outre, nous ajoutons 1 milliard d’euros aux crédits de la mission « Aide publique au développement » dès l’année prochaine. Il s’agit enfin de faire en sorte que la moitié de l’APD soit pilotable et passe par la mission budgétaire qui lui est consacrée, tout en atteignant l’objectif de 0,7 % du revenu national brut en 2025.

Au-delà de sa faiblesse programmatique, qui sera corrigée, je l’espère, à l’occasion des travaux complémentaires menés par notre commission en vue de la séance publique, le problème majeur de ce projet de loi de programmation est que les projections budgétaires n’ont pas été modifiées depuis la crise du covid-19. Il conviendrait pourtant de prendre en compte l’effondrement économique, social et sanitaire des pays les plus fragiles. Les crises s’accumulent, et il est nécessaire que notre aide publique au développement intègre cette nouvelle donne. La pauvreté va gagner du terrain : pour la première fois depuis les années 1990, 500 millions de personnes pourraient sombrer dans la pauvreté et 150 millions de personnes pourraient se retrouver dans une situation d’extrême pauvreté. Le contexte international est grave. Il serait important que la France y prête attention et qu’elle investisse fortement, en tant que pays donateur, dans l’aide publique au développement. Il serait temps, par exemple, que la France finance à la hauteur de ses annonces l’initiative ACT-A, qui a pour ambition d’aider les pays les moins riches à se fournir en vaccins, en tests et en traitements anti-covid. Alors que le Président de la République a promis 510 millions d’euros, seuls 160 millions ont été décaissés à l’heure actuelle. Une somme de 350 millions d’euros pourrait d’ores et déjà être utilisée pour ce mécanisme. Les engagements de la France en faveur du Fonds mondial ne sont pas non plus à la hauteur des annonces. Il y a de la marge !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je perçois des petites nuances entre vos amendements AE139 et AE140. Puis-je considérer que le second est également défendu ?

M. Jean-Paul Lecoq. Si vous avez vu ces nuances, monsieur le président, je pense que tout le monde les a vues. J’avais déposé l’amendement AE140 pour bénéficier d’un peu plus de temps de parole, mais je ne développerai pas davantage mon propos.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cela montre que vous êtes un parlementaire expérimenté !

M. Dominique Potier. Il n’y a pas de nuances entre mon amendement AE466 et l’amendement AE140 de M. Lecoq, puisqu’ils sont identiques.

M. Hervé Berville, rapporteur. M. Lecoq a déjà développé son argumentation à l’occasion d’un amendement précédent. Mon avis reste défavorable.

La commission rejette les amendements.

B.   réunion du mercredi 10 février, 15 heures

Article 1er (suite) : Objectifs de la politique de développement solidaire et programmation financière

La commission est saisie des amendements identiques AE27 de M. Bertrand Pancher et AE141 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Bertrand Pancher. L’amendement AE27 vise à allouer 1 milliard d’euros supplémentaires à la mission « Aide publique au développement » d’ici à 2022, afin de remplir l’engagement présidentiel de 0,55 % du revenu national brut (RNB) alloué à l’aide publique au développement (APD) en valeur absolue, soit l’équivalent de 15 milliards d’euros en 2020. Ce ratio est calculé sur la base du RNB de 2019. Nous ne pouvons arguer de la chute du RNB en 2020 pour nous contenter de constater un gonflement artificiel de l’APD.

M. Jean-Paul Lecoq. La crise sanitaire a accentué les besoins dans les pays concernés. Ce milliard supplémentaire sera le bienvenu. De tels amendements ne devraient poser aucun problème au rapporteur ni à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Berville, rapporteur. Avis défavorable. La trajectoire financière de l’APD est en hausse dans ce quinquennat. Certes, les besoins se sont accentués, mais l’APD augmente en volume, en dépit de la diminution du RNB.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie. Mesdames et messieurs les membres de la commission, je suis ravi de vous rejoindre et de suppléer Jean-Yves Le Drian, qui, ce matin, est revenu avec vous sur les grands équilibres du texte, notamment la trajectoire budgétaire de l’APD. S’agissant des amendements en discussion, l’avis du Gouvernement est identique à celui du rapporteur.

La commission rejette les amendements.

La commission examine l’amendement AE171 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Hervé Berville, rapporteur. Avis défavorable. Depuis 2017, la mission « Aide publique au développement » est celle dont le budget augmente le plus fortement. Ceux qui proposent de l’augmenter davantage auraient sans doute demandé plus s’il avait progressé plus fortement encore. La trajectoire financière de l’APD est orientée à la hausse, à hauteur de 2,5 milliards d’euros au cours du quinquennat.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Même avis. Les chiffres sont là, et plaident. Le budget de l’APD a augmenté d’année en année, à un rythme annuel de 16 % en moyenne. Nous sommes au rendez-vous.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AE340 du rapporteur.

M. Hervé Berville, rapporteur. Il vise à mettre à jour le montant exact des crédits de la mission « Aide publique au développement » adoptés dans le cadre de la loi de finances pour 2021, en le faisant passer de 3,935 à 3,925 milliards d’euros, du fait d’une taxation interministérielle de 10 millions d’euros.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques AE45 de M. Bertrand Pancher, AE179 de M. Jean-Paul Lecoq et AE510 de M. Hubert Julien-Laferrière.

M. Bertrand Pancher. Il s’agit de faire clairement figurer le produit des financements innovants dans nos politiques d’aide au développement. Le fonds de solidarité pour le développement (FSD) a été créé pour contribuer au financement des pays en développement et tendre à réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), notamment dans le domaine de la santé. Il gère une part du produit de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et de la taxe sur les transactions financières (TTF). Ces financements innovants sont affectés à l’aide publique au développement. Dans un contexte de creusement des inégalités provoqué par la pandémie en cours, il semble essentiel que la loi rappelle la nature de ces financements, afin de justifier leur augmentation bienvenue en 2022. Par ailleurs, comment ne pas rappeler l’intérêt que présente l’augmentation de la TTF ? Dans de nombreux pays européens, une envie d’aller plus loin se manifeste. La France a longtemps été le fer de lance de ces stratégies ; elle donne le sentiment que tel est nettement moins le cas. Enfin, il serait judicieux, pour réguler la finance, d’augmenter la TTF.

M. Jean-Paul Lecoq. Il s’agit de rappeler la façon dont est abondé le FSD. S’il va sans dire qu’il est alimenté par la TTF et par la TSBA, il semble prudent de l’écrire dans la loi, ce qui d’ailleurs donne du sens au présent projet de loi de programmation, pour prévenir toute velléité de modifier cet état de fait. Le FSD est nécessaire au financement de l’APD. Il importe d’en rappeler le détail, fût-ce à titre symbolique.

M. Hubert Julien-Laferrière. Les financements innovants étaient mentionnés dans la rédaction originale du texte, avant d’en être retirés. J’aimerais savoir pourquoi. Il importe, me semble-t-il, de rappeler l’importance que nous attachons aux financements innovants, notamment dans la perspective de l’adoption d’une taxe sur les transactions financières dans l’Union européenne.

M. Hervé Berville, rapporteur. Chers collègues, je suis attaché comme vous à l’usage du FSD pour des objectifs définis – tel sera l’objet de plusieurs amendements dont nous débattrons ultérieurement –, d’une part, et, d’autre part, à la préservation de son financement par la TTF et la TSBA. La mention des financements innovants a été retirée du texte pour une raison juridique. Elle ne permet pas de répondre à la question que vous posez. Je suggère donc le retrait des amendements pour les retravailler, et émets à défaut un avis défavorable. Au demeurant, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, nous avons réaffecté 270 millions d’euros destinés à l’Agence française de développement (AFD) vers le budget général de l’État pour financer l’APD, considérant que le FSD doit être financé par des fonds verticaux et par des financements innovants.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Il n’y a aucun doute sur le fait que la France a été à la pointe des financements innovants. Chacun se souvient de l’engagement du président Chirac sur ce point. Politiquement, ce concept est une réalité. Juridiquement, c’est autre chose. J’émets donc un avis défavorable, tout en étant conscient de ce que représentent les financements innovants, dont la part dans l’APD n’est nullement remise en cause. C’est ainsi que le Gouvernement voit les choses.

M. M’jid El Guerrab.  Pour beaucoup de gens, les financements innovants ne signifient pas grand-chose, mais pas pour d’autres, notamment les Américains, qui ont bloqué la fameuse taxe Chirac sur les billets d’avion, pourtant approuvée par de nombreux pays du Nord. Il s’agissait de créer une taxe infime sur les billets d’avion pour financer la solidarité internationale avec les pays du Sud. Certains pays d’Europe, notamment le nôtre, l’ont adoptée d’office. D’autres ont opté pour une contribution volontaire en sus du prix des billets d’avion. Les financements innovants, pour les pays du Sud, sont complémentaires de ceux issus des diasporas, évoqués ce matin par notre collègue Sira Sylla, ainsi que de l’APD, qui, si elle ne s’amenuise pas, suscite un nombre croissant de questions s’agissant de son utilisation et de son montant. Il s’agit d’un débat important, que nous devons avoir en commission et dans l’hémicycle.

M. Jean-Paul Lecoq. Il s’agit en effet d’un débat important, mais si nous ne l’avons pas lors de l’examen des amendements, quand l’aurons-nous ? Nous devons nous mettre au clair, si nous voulons éviter de nous demander ce que nous faisons ici. Si, lorsque nous présentons un amendement, le rapporteur et le Gouvernement nous disent qu’ils sont d’accord avec nous sur le fond, leurs avis respectifs devraient être favorables. Si les seuls amendements adoptés sont ceux qui ont été négociés entre certaines forces politiques sans que l’on sache comment – pour notre part, nous n’avons pas été invités aux négociations – ou entre le Gouvernement et le rapporteur, le débat n’aura pas lieu, car tout aura été décidé d’avance. Si, en commission, nous prenons le temps de nous convaincre les uns et les autres, et si le rapporteur et le Gouvernement expriment un accord sur le fond, adoptons nos amendements ! La rédaction du projet de loi n’en est pas à sa phase finale, nous pouvons encore travailler pour qu’elle vous convienne davantage.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques AE44 de M. Bertrand Pancher, AE143 de M. Jean-Paul Lecoq et AE511 de M. Hubert Julien-Laferrière.

M. Bertrand Pancher. L’amendement AE44 va dans le même sens que les amendements identiques qui précèdent.

M. Jean-Paul Lecoq. J’ajoute qu’ils offrent une chance au rapporteur et à M. le secrétaire d’État de se racheter !

M. Hubert Julien-Laferrière. Il s’agit de compléter la première phrase de l’alinéa 7 par les mots « , afin de financer les biens publics mondiaux ». L’APD doit financer la lutte contre les inégalités, la lutte contre la grande pauvreté et la préservation des biens publics mondiaux. Plusieurs de nos priorités sectorielles, notamment la santé, le climat et l’éducation, sont des biens publics mondiaux. On entend souvent dire que les financements innovants sont un peu opaques, que le FSD manque de lisibilité et de transparence, qu’on ne voit pas très bien à quoi il sert. Il me semble donc essentiel de rappeler au sein de l’article 1er que le FSD finance le système multilatéral de l’APD par le biais de grands fonds tels que Unitaid et Gavi en matière de santé, le Fonds vert pour le climat et le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE), soit autant de biens publics mondiaux.

M. Hervé Berville, rapporteur. Le rapporteur est totalement libre de ses avis, M. Lecoq le sait mieux que quiconque. De surcroît, que deux amendements visent à préciser une disposition n’implique pas qu’ils sont de même nature, ni qu’ils feront l’objet d’un avis identique. On peut très bien, tout en approuvant un objectif, considérer qu’un amendement doit être retravaillé ou qu’il est satisfait. C’est tout l’intérêt d’examiner les textes en commission, puis en séance publique. S’agissant des amendements identiques AE44, AE143 et AE151, j’émets un avis favorable, pour la simple et bonne raison qu’ils sont satisfaits par le décret précisant les modalités d’usage du FSD, publié en 2006 et modifié en 2016.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je sens naître un élan, auquel nous nous joignons. S’agissant du FSD, les choses sont claires : il permet de financer les biens publics mondiaux, notamment la Facilité financière internationale pour la vaccination, qui est – ô combien ! – un bien public mondial, et plusieurs actions en matière de santé, de climat et d’environnement. Cela va sans dire et ira mieux en le disant.

M. Jean François Mbaye. Je souscris à l’objectif général visé par les auteurs des amendements. Toutefois, je précise que la disposition proposée figure à l’alinéa 10 du cadre de partenariat global (CPG). Disons les choses clairement : soit nous la supprimons du CPG pour l’inclure dans l’article 1er, soit nous l’y laissons et nous rejetons les amendements. Je suis favorable au financement des biens publics mondiaux dans le cadre du FSD, notamment par la TSBA et la TTF, et considère qu’ils doivent faire l’objet d’une attention particulière, mais je crains que ces amendements ne fassent doublon avec le CPG, et qu’ils ne rendent la loi bavarde.

M. M’jid El Guerrab. Cher collègue Mbaye, je ne suis pas d’accord avec vous. S’il est des questions sur lesquelles le risque de bavardage est nul, c’est bien celles-là. La question des biens publics mondiaux est fondamentale, même si on peut être en désaccord sur leur définition. Je salue l’ouverture d’esprit dont font preuve M. le rapporteur de M. le secrétaire d’État. Comme l’a indiqué notre collègue Lecoq, si nous voulons avoir le sentiment de contribuer à rédiger la loi, que quelques-uns de nos amendements à ce sujet soient adoptés dans un projet de loi de programmation relatif à l’APD n’est pas de trop.

M. Hubert Julien-Laferrière. Les acteurs de l’APD considèrent que les dispositions du présent projet de loi sont contenues pour l’essentiel dans le CPG, et non dans ses articles. Il s’agit ici d’un point essentiel, que nous proposons d’inscrire dans un article. On ne peut pas nous opposer systématiquement l’argument selon lequel les dispositions que nous proposons figurent dans le CPG, alors même que tout le monde s’accorde à dire que celui-ci en comporte trop, et qu’il faut enrichir le cœur politique du projet de loi. Je salue l’avis favorable donné sur ces amendements, qui visent à inscrire à l’article 1er, dans le corps de la loi, les biens publics mondiaux, dont la préservation est l’un des trois objectifs de l’APD. Elle est souvent réalisée avec des fonds abondés, voire proposés par la France. M. le secrétaire d’État a rappelé que la France, sous la présidence de Jacques Chirac, a fortement encouragé les financements innovants, contribuant à la création d’un poste de Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des financements innovants pour le développement, dont le premier titulaire fut le Français Philippe Douste-Blazy.

La commission adopte les amendements.

Puis elle examine l’amendement AE341 du rapporteur.

M. Hervé Berville, rapporteur. Cet amendement procède à une rectification budgétaire, afin de mettre à jour le montant cumulé exact des crédits des missions « Aide publique au développement », « Plan de relance » et des crédits alloués au FSD pour l’année 2021. Leur montant passe de 4,723 à 4,713 milliards d’euros.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AE172 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Clémentine Autain. Il vise à allouer 1 milliard d’euros supplémentaires à la mission « Aide publique au développement » d’ici à 2022. L’objectif est de transcrire dans les faits l’engagement présidentiel d’allouer 0,55 % du RNB à l’APD en valeur absolue, soit 15 milliards d’euros en 2022, sur la base du RNB de 2019. La chute du RNB au cours d’une année de pandémie provoque un gonflement artificiel du budget de l’APD, ce qui permet d’atteindre la cible de 0,55 % mécaniquement. Nous tenons à faire en sorte que l’engagement précité ne soit pas vidé de son sens.

Pour ce faire, nous disposons d’un levier puissant qui n’est pas utilisé : la TTF. Je reprends un argumentaire précédemment développé dans cette commission. Même si je connais d’ores et déjà la réponse qui sera formulée sur cet amendement, j’insiste sur ce point. Il nous semble indispensable non seulement de pérenniser, mais aussi d’augmenter et de stabiliser l’APD. Or nous n’obtenons absolument rien sur ce point, ni du côté du Gouvernement, ni du côté du rapporteur. Cette attente est pourtant forte parmi les députés de tous bords. J’aimerais que cette requête soit entendue. Nous finirons par nous demander à quoi servent les débats parlementaires, si rien ne peut être modifié.

M. Hervé Berville, rapporteur. Chère collègue, j’imagine que vous avez suivi les débats à ce sujet. Vous avez donc constaté des avancées sur ce point, ce qui nous dispense d’adopter votre amendement. Vous souhaitez pérenniser et augmenter l’APD ; nous le faisons depuis 2017. Son augmentation n’est pas artificielle, mais bien réelle. En dépit de la chute du RNB, le volume de l’APD est tenu. Avis défavorable.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Le volume est tenu. Au demeurant, le présent projet de loi de programmation repose sur des chiffres antérieurs au choc pandémique. Par conséquent, en ratio, l’augmentation de l’APD en 2021 est largement supérieure aux prévisions, comme Jean-Yves Le Drian a dû le dire ce matin. C’est pourquoi nous raisonnons prioritairement en valeur absolue. Nous ne voulons pas suivre l’exemple des Britanniques qui, ayant atteint un ratio de 0,7 % en raison de la contraction du PIB, ont appliqué une réfaction de 2 milliards de livres. Nous sommes au rendez-vous du côté des valeurs absolues, de façon très claire et très précise. Avis défavorable.

M. Hubert Julien-Laferrière. En valeur absolue, le montant de l’APD sera légèrement inférieur aux prévisions – environ 900 millions d’euros en moins. Les calculs réalisés avant la pandémie pour tenir l’engagement de 0,55 % du RNB nous amenaient à 15 milliards d’euros, nous serons à 14,1 milliards. J’ai présenté un amendement à ce sujet ce matin. Un réel effort est consenti, selon un raisonnement en valeur absolue, mais nous sommes un peu en deçà de l’objectif.

Mme Clémentine Autain. Depuis le début de la législature, j’ai suivi les débats sur le financement de l’APD. Chaque année, nous constatons que l’effort ne correspond pas à l’engagement pris par le Président de la République. Ce n’est pas une nouveauté !

Monsieur le rapporteur, vous affirmez que nous sommes dans les clous de l’engagement pris. Non ! Dès la première année, nous avons constaté que la trajectoire suivie n’était pas la bonne – je parle sous le contrôle de nos collègues un peu raisonnables. (Protestations sur les bancs du groupe LREM). Mais si ! Consultons les budgets ! Dès le début, nous ne suivions pas la trajectoire prévue ! Le discours était invariablement le suivant : « Nous allons y parvenir au bout du bout, mais cette année, l’effort consenti ne permet pas une montée en puissance de l’APD ». Nous nous inscrivons donc dans une logique de rattrapage, à défaut d’une montée en puissance régulière depuis le début de la législature. Raison de plus pour inscrire cet objectif dans la loi, non seulement en pourcentage, mais aussi en valeur absolue, afin de ne pas dépendre totalement des évolutions du RNB ! Il faut bien convenir qu’il s’agit d’une véritable difficulté.

M. Sylvain Waserman. Madame Autain, vous semblez suggérer qu’il faut adopter votre amendement pour que le Président de la République puisse tenir son engagement. J’indique très simplement et très sereinement, après en avoir discuté avec les organisations non-gouvernementales (ONG) depuis le début du mandat, que l’objectif de 0,55 % du RNB pour l’APD a été pris par le Président de la République dès la campagne électorale, et qu’il s’agit d’un rendez-vous en fin de mandat, en 2022. Rien n’interdit de s’interroger sur la trajectoire suivie, mais je dis clairement et fortement que l’engagement est mathématiquement tenu. Il me semble dommage de laisser planer le doute à ce sujet. L’engagement de 0,55 % du RNB pour l’APD en fin de mandat est tenu. C’est mathématique et factuel.

Mme Sira Sylla. En effet, cet engagement est tenu. Il faut ajouter à l’APD les fonds issus des diasporas africaines, que nous avons trop peu évoqués jusqu’à présent. Je rappelle que le Président de la République les a placés au cœur de ce partenariat renouvelé.

L’argent des diasporas africaines représente trois fois le montant de l’APD et dépasse de beaucoup le montant des investissements directs étrangers (IDE). Nous menons une politique couplée. Dois-je évoquer le programme « MeetAfrica2 » ? La mobilisation des fonds de la diaspora vivant en Union européenne ? Le fonds de la République du Sénégal ? L’initiative « Choose Africa » ? Les investissements de BPIFrance en Afrique ? Depuis plus de trois ans, notre politique en la matière repose sur l’APD et sur les fonds des diasporas. Vous ne pouvez pas dire le contraire, madame Autain, sauf à insinuer que je vis dans un rêve depuis trois ans, et nos collègues avec moi, et que j’ai assisté en rêve au lancement du programme « MeetAfrica2 » par Jean-Yves Le Drian et Amadou Ba au Sénégal ! S’il vous plaît, dites la vérité ! Tenez compte de la société civile et des diasporas !

M. Hervé Berville, rapporteur. J’aimerais procéder à une clarification pour la suite de nos débats. Comme l’a très bien dit M. Waserman, l’engagement est tenu. Madame Autain, vous pouvez dire que ce n’est pas assez ou que c’est trop lent, mais politiquement, l’engagement est tenu. C’est un fait. D’autres ont pris cet engagement et ne l’ont pas tenu. Nous, nous le tenons.

Vous suggérez de modifier les règles du jeu en cours de route, en prenant pour base de calcul du ratio de 0,55 % du RNB celui de l’année 2019. Pourquoi pas ? Le Gouvernement a préféré maintenir le volume de l’APD. Politiquement, nous tenons notre engagement. S’agissant des besoins nouveaux suscités par la crise sanitaire, nous en tenons compte, en maintenant le volume de l’APD. Cette mission budgétaire est celle qui a augmenté le plus. Je rappelle que, lorsque vous étiez au pouvoir, ses crédits étaient en diminution.

Reconnaissez au moins que l’engagement est tenu en volume. Il ne faut pas faire croire aux gens que l’APD n’augmente pas. Elle augmente en espèces sonnantes et trébuchantes. Au demeurant, les ONG rassemblées au sein du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) en conviennent. Je veux bien entendre tout ce que l’on veut, mais on ne peut pas faire abstraction de la réalité.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Les faits, rien que les faits, tous les faits. 2016 : 8,7 milliards d’euros en crédits d’engagement pour la mission « Aide publique au développement ». 2019 : 10,9 milliards d’euros. 2020 : 12,9 milliards d’euros. 2021 : 17 milliards d’euros, compte tenu de l’annulation de la dette du Soudan. 2022 : 14 milliards d’euros. La trajectoire financière de l’APD est clairement ascendante. Les chiffres sont têtus : nous passons de 8,7 milliards en 2016 à 12,9 en 2020. Chacun peut constater qu’un point bas a été atteint lors du précédent quinquennat et que nous avons inversé la tendance. Vous devriez vous réjouir de ce réengagement de la France, madame Autain, à l’unisson de nombreux acteurs du monde du développement. Au demeurant, il n’a rien de cosmétique et se mesure aux projets qui le concrétisent. C’est du lourd, si vous me permettez l’expression ! Nous n’avons pas à rougir, car les engagements sont tenus. C’est pourquoi nous sommes défavorables à l’amendement.

M. Jean-Paul Lecoq. Je n’ai pas tout compris aux fonds qu’a cités Mme Sira Sylla. J’ai lu le projet de loi de bout en bout : ces fonds ne sont mentionnés nulle part comme composante de l’APD. J’ai demandé à mon collaborateur de se renseigner, au cas où j’aurais loupé quelque chose.

S’agissant de la modification des règles du jeu évoquée par M. le rapporteur, je regrette, mais elle est imposée par la crise économique. Dès lors que le diviseur évolue à la baisse, le pourcentage évolue à la hausse. Quant au volume de l’APD, il ne faudrait pas que le discours du Gouvernement change en fonction de son représentant. Ce matin, le ministre Le Drian a exclu l’annulation de la dette du Soudan du calcul du montant de l’APD, contrairement à vous à l’instant, monsieur le secrétaire d’État. Il faudrait savoir !

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez sans doute l’habitude de trajectoires financières qui partent de très bas pour augmenter de façon exponentielle en fin de mandat, ce qui permet peut-être de faire de la communication, mais telle n’est pas la trajectoire que nous envisagions. Là réside sans doute la cause du décalage entre nos discours respectifs.

Mme Clémentine Autain. Je rappelle à M. Berville que je n’ai jamais participé à une majorité soutenant un gouvernement. Il est donc inutile de rappeler ce que j’ai fait lorsque j’étais au pouvoir, car cela n’est jamais arrivé. Cela arrivera probablement, mais pour l’heure, cette expérience n’a jamais été menée, ce dont je suis navrée !

« Les faits, rien que les faits, tous les faits » : nous sommes d’accord avec vous, monsieur le secrétaire d’État ! Le problème, c’est que vos chiffres relèvent en partie de la projection. Personne ne nie que le budget de l’APD a augmenté. Nous disons que sa trajectoire financière est en retard sur les prévisions. Nous touchons au terme de la législature, et le RNB a chuté en raison de la pandémie. Le taux de 0,55 % n’a donc pas la valeur qu’il aurait eue si le budget de l’APD avait augmenté avant. C’est simple à comprendre ! Certes, l’engagement de consacrer 0,55 % du RNB à l’APD sera sans doute tenu à la fin de la législature, mais nous estimons que le rythme adopté induit un manque à gagner par rapport à ce qu’aurait produit une trajectoire plus linéaire, étape par étape, dès le début de la législature. Entendons-nous au moins sur nos désaccords !

M. Frédéric Petit. Nous avons eu le débat sur le rythme d’augmentation de l’APD dès le début de la législature, s’agissant de la part de son budget que nous maîtrisons, soit 3 ou 4 milliards d’euros en crédits d’engagement et en autorisations de paiement sur la dizaine de milliards qu’il représentait alors. Il ne portait pas sur les chiffres rappelés à l’instant, qui témoignent d’une augmentation cohérente. Madame Autain, vous vous fondez sur un débat qui n’a rien à voir avec les chiffres précités, qui montrent une progression incontestable depuis 2017.

M. Sylvain Waserman. Nous sommes tous d’accord – je tiens à en prendre acte – que l’engagement de consacrer 0,55 % du RNB à l’APD a été tenu en 2020 et qu’il le sera en 2021 et en 2022. Le présent projet de loi le garantit.

Mme Sira Sylla. On ne peut pas dire que le Président de la République n’a pas respecté cet engagement. Pour la première fois, notre politique d’aide au développement, telle qu’elle est définie dans le présent projet de loi de programmation, place à l’avant-garde un partenariat avec les diasporas africaines, dont les fonds seront mobilisés, aux côtés des fonds traditionnels de l’APD, tels que le Fonds d’appui aux initiatives de collaborations solidaires (FAICS), et des fonds de l’Union européenne. Tout cela permet de financer des hôpitaux et des sociétés d’autoroutes, ainsi que des programmes tels que « MeetAfrica2 », que les membres de la majorité ici présents connaissent bien. Il ne faut pas se concentrer sur le taux de 0,55 % du RNB. Il importe aussi de tenir compte des fonds des diasporas africaines, qui représentent trois fois le montant de l’APD. C’est inédit. Je présenterai plusieurs amendements visant à pérenniser leur usage.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AE342 du rapporteur.

La commission est saisie de l’amendement AE154 de Mme Bérengère Poletti.

M. Michel Herbillon. Il vise à rappeler que la taxe sur les transactions financières (TTF) est un outil majeur du financement de l’APD.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je comprends l’esprit de l’amendement. J’émets néanmoins un avis défavorable, car son adoption nous obligerait à énumérer les taxes et les recettes qui concourent au financement de l’APD. La plus-value offerte par l’amendement m’échappe, même si le TTF est une composante essentielle du financement de l’APD, qui évoluera peut-être à l’échelle européenne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. D’après l’exposé sommaire rappelé par Michel Herbillon, l’amendement vise à rappeler que la TTF est un outil majeur du financement de l’APD. En présentant l’amendement, Michel Herbillon l’a fait. Nous en prenons acte et nous y souscrivons. L’amendement peut donc être retiré – à défaut, nous émettrons un avis défavorable. Chacun a entendu les propos de M. Herbillon, qui figureront au compte rendu de nos débats. Il est inutile d’inscrire la disposition proposée dans la loi, ce qui nous entraînerait dans une énumération des recettes contribuant au financement de l’APD à tout le moins fastidieuse.

M. Michel Herbillon. Voilà qui est extraordinaire ! Nous sommes en pleine innovation juridique ! Je remercie M. le secrétaire d’État d’exprimer son accord avec mon argumentation tout en émettant un avis défavorable. Certes, nous avons été témoins d’une autre curiosité juridique ce matin, due à notre excellent collègue rapporteur. Il ne s’agit pas de procéder à une énumération à la Prévert. La TTF est une composante importante du financement de l’APD. De surcroît, nul ici n’ignore que nous l’avons incluse dans le projet de loi autorisant l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom, adopté la semaine dernière avec les voix du groupe Les Républicains. Voici ce qui m’étonne, en ce début d’examen du texte : M. le ministre Le Drian, ce matin et lorsque nous l’avons auditionné, ainsi que M. le rapporteur, ont dit à quel point ils souhaitent parvenir à un consensus sur le texte ; pourtant, dès que nous présentons des amendements, tel que celui-ci, qui vise à opérer un rappel de portée importante, rapporteur et Gouvernement en approuvent le fond tout en émettant un avis défavorable. Cette attitude n’est pas la meilleure façon de parvenir à un consensus sur le texte.

M. Hervé Berville, rapporteur. Certes, la TTF est une composante importante du financement de l’APD. Imaginons que l’amendement soit adopté et que les transactions financières s’effondrent ; le produit de la TTF en sera amoindri et nous devrons modifier la loi. Rejeter l’amendement permet d’éviter une énumération des taxes et des recettes qui contribuent au financement de l’APD. En outre, il ne devrait pas figurer à cet endroit du texte. Nos débats sont loin d’être achevés, ce qui laisse place à d’autres évolutions et à d’autres améliorations.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Nul ne conteste l’importance de la TTF. Toutefois, l’amendement porte sur l’alinéa 9, qui vise les autres ressources qui concourent à l’APD. Or l’alinéa 8 vise les fonds de l’APD, dont fait partie la TTF. L’amendement n’est donc pas placé au bon endroit, ce qui justifie son rejet sur le fond, même si l’exposé sommaire qui l’accompagne tinte agréablement aux oreilles.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ce débat m’inspire une observation générale : l’accord de fond entre les membres de la commission est assez large. Nous gagnerions, d’ici à l’examen du texte en séance publique, à le manifester davantage. (Applaudissements.)

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement AE464 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Le groupe socialiste le dit depuis le début : la question qui se pose ne concerne pas seulement le volume ou le calendrier mais aussi l’utilisation des crédits. La part des dons et des prêts ainsi que des décaissements est toujours un peu mystérieuse, et il y a des dizaines de programmes, des aides qui font l’objet de promesses et des prêts qui se transforment en dons. Je ne suis pas parlementaire depuis très longtemps, mais je sais que les mêmes difficultés se posent depuis des années, même pour les plus aguerris et les plus motivés d’entre nous. C’est une véritable boîte noire. Philippe Baumel, qui a siégé ici avant de travailler à l’AFD, m’a redit récemment à quel point c’était compliqué.

Un vrai problème de fond se pose, y compris sur le plan démocratique. Nous avons déposé plusieurs amendements, et nous attendons du rapporteur une réponse de principe, un rendez-vous pour changer les choses. Il faut de la transparence, de la clarté pour permettre un contrôle par la société civile et par le Parlement. Nous devons absolument progresser en la matière. Je regrette que nous n’ayons pas posé les bases d’une clarification en 2014. Nous devons le faire aujourd’hui. Une démocratie moderne n’a rien à cacher. Si des fonds ont un usage diplomatique, à caractère confidentiel, il faut les mettre à part, mais le Parlement et la société civile doivent être au fait de ce qui est réalisé en France dans le domaine de l’aide publique au développement. Ce serait un immense progrès, dont nous vous saurions gré.

Il y a une vraie question. Les montants de l’aide augmentent mais la part des prêts s’accroît aussi par rapport à ce qu’on observe dans d’autres pays qui ont des APD comparables. La clarification que nous demandons ne serait que le début du travail que nous voulons réaliser ensemble, mais elle serait tout à l’honneur de ce que nous faisons dans des pays tiers et de notre démocratie.

M. Hervé Berville, rapporteur. Vous savez notre intérêt et notre détermination en la matière. Il ne peut pas y avoir d’aide publique au développement efficace sans une commission d’évaluation indépendante : il faut renforcer la redevabilité, pour pouvoir dire à nos concitoyens non seulement combien et comment on dépense mais aussi quel est l’impact de ce qu’on fait.

Une partie de votre demande est déjà satisfaite par le tableau précisant la répartition entre les prêts et les dons ainsi que la part relevant de la mission budgétaire. D’autres éléments figurent dans le document de politique transversale (DPT), qui a été largement amélioré en 2018, en réponse à la demande de l’ensemble de la commission étrangère – j’en remercie le Gouvernement –, et dans le projet annuel de performances (PAP) joint, chaque année, au projet de loi de finances.

Je vous invite à retirer l’amendement, sans quoi j’émettrai un avis défavorable. Néanmoins, je considère que nous devons absolument travailler sur un point : il faut arriver à rassembler toutes les informations, qui sont un peu éparpillées, pour avoir une vision d’ensemble. Nous pourrons revenir sur cette question lorsque nous examinerons l’article 2, qui demande au Gouvernement de transmettre tous les ans un rapport sur la politique de développement.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je me retrouve tout à fait dans l’argumentation du rapporteur. Beaucoup d’informations figurent notamment dans le DPT, qui a été refondu et complété. Grâce à la loi organique relative aux lois de finances, qui a déjà quelques années, vous avez des documents qui permettent de regarder la performance, la réalisation ou non des objectifs. Par ailleurs, la commission indépendante permettra de mieux mesurer l’impact de la politique menée.

Toutes les informations se trouvent dans le DPT, les rapports annuels de performances (RAP), les PAP, etc. Il est urgent de faire en sorte que ces éléments soient mieux vulgarisés. La matière et les chiffres sont là, mais ils sont trop peu partagés. Il faut sensibiliser la population à ce qui est fait – et pas seulement elle : je suis frappé de voir qu’on a de plus en plus de mal à faire partager un élan pour le développement dans les assemblées locales – il est plus difficile de faire adopter des budgets en la matière.

L’amendement étant largement satisfait, je préconise son retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Jacques Maire. J’ai beaucoup de sympathie pour l’argumentation développée par Dominique Potier, si ce n’est pour la rédaction de son amendement. Il y a un vrai problème que les améliorations apportées en 2018 n’ont que très imparfaitement permis de traiter. On part de très loin, c’est-à-dire d’une opacité voulue par certaines administrations pour rendre ce budget non pilotable par l’extérieur. Le mélange des prêts et des dons, des opérateurs, des banques de financement, les annulations de crédits et les reports rendent les choses ingérables. Quand on regarde très concrètement le DPT, les documents de performances et les jaunes pour savoir ce qu’on dépense, ce qu’on décaisse, on n’a pas de réponse à cette question pourtant simple. Cela doit être un signal d’alarme.

La solution ne figure pas à l’article 1er. S’agissant de l’article 2, qui prévoit un rapport annuel de synthèse, il reste à voir si on peut définir ce que nous attendons comme niveau de détail.

Quand on demande à un de nos postes à l’étranger quels sont les décaissements, par exemple dans le domaine de la santé ou de la protection des femmes, sous forme de dons et de prêts, on n’a pas de réponse. Le rapporteur m’a dit que les membres du conseil d’administration de l’AFD peuvent le savoir. J’en suis ravi, mais si c’est possible pour eux, cela doit l’être aussi pour les parlementaires. Je me fais l’écho de tous les membres des groupes d’amitié et de tous nos collègues qui font des déplacements : ils se heurtent en permanence à un obstacle. Si nous arrivons à avancer sur ce point, ce sera un énorme progrès en matière de transparence. Celle-ci, comme le ministre l’a dit avant-hier, est un des quatre piliers de ce projet de loi sur le plan méthodologique.

M. M’jid El Guerrab. La transparence est fondamentale. Si nous ne sommes même pas capables d’avoir ces chiffres, comment peut-on communiquer auprès des populations et des institutions locales ? J’ai rencontré des députés du Sénégal ou du Niger qui ne sont pas du tout au courant de ce que fait l’AFD dans leurs circonscriptions. Comment voulez-vous que cela infuse ensuite dans la population, qu’on sache que la France, ce n’est pas seulement l’armée mais aussi le pont ou la route entre telle et telle ville ? Si on veut donner de la visibilité à notre action, il faut d’abord qu’il y ait de la transparence et que nous ayons des informations.

M. Jean-Paul Lecoq. Je propose qu’on adopte l’amendement et que le rapporteur, peut-être en lien avec le Gouvernement, en prépare un autre encore meilleur en vue de la séance. Comme tous les groupes ont l’air d’être d’accord sur le problème de transparence, il faut avancer. Cet amendement permet de le faire.

M. Bertrand Pancher. Je veux remercier Dominique Potier et Jacques Maire d’avoir ouvert le débat et d’avoir tenu des propos de grande qualité. J’organisais tous les ans une rencontre entre les collectivités territoriales engagées dans l’aide au développement, les ONG et les services de l’État, notamment l’AFD, mais j’ai arrêté de le faire car les uns me disaient qu’ils avaient la masse critique pour agir et les autres qu’il était impossible d’avoir des aides directes. Étant engagé dans la coopération avec plusieurs pays d’Afrique, je peux apporter le même témoignage que M’Jid El Guerrab : quand on se rend dans un pays et qu’on cherche à savoir quelles sont les aides directes et comment on peut les obtenir, on a affaire à une boîte noire. Il me semble que le Parlement devrait avoir des explications et bénéficier de comptes rendus. Il faut de la clarté, sinon on ne peut pas défendre la politique qui est menée et l’augmentation des budgets. Je ne suis pas certain que l’article 2, même s’il constitue une avancée, permettra d’apporter toute la transparence nécessaire. Je ne sais pas comment faire, mais il faut se poser la question.

M. Bruno Fuchs. Je veux remercier Dominique Potier et Jacques Maire, qui nous ont fait toucher du doigt un mal français : l’incapacité à comprendre la manière dont les politiques publiques se déploient. Au-delà de la question de la transparence, je veux mettre l’accent sur la capacité à piloter les politiques menées et à mesurer leur efficacité. Si on n’a pas des outils partagés par tous, on ne peut pas le faire.

M. Dominique Potier. J’ai failli retirer l’amendement pour le modifier d’ici à la séance mais les préoccupations exprimées par nos collègues m’encouragent à suivre la position exposée par Jean-Paul Lecoq. Adoptons cet amendement, qui n’est pas d’une grande violence puisqu’il demande simplement de la transparence en ce qui concerne la part des prêts et des dons, et élaborons d’ici à la séance, monsieur le rapporteur, une architecture permettant de rendre visible le contenu de la boîte noire.

Tout cela ne concerne pas seulement le Parlement. J’ai été amené à regarder, pas plus tard qu’hier, une étude du Comité catholique contre la faim et pour le développement portant sur les flux financiers publics et privés dans l’agroalimentaire, notamment en Afrique. Sans porter de jugement sur l’étude en tant que telle, j’observe qu’il a fallu faire appel à un bureau privé pour éplucher 35 lignes budgétaires, ministérielles et interministérielles : c’était un maquis plus dense que les flux privés. Il a fallu mobiliser une expertise extérieure, ce qui ne devrait pas être nécessaire dans une démocratie. Nous avons vraiment besoin de progresser.

L’amendement que j’ai déposé apportera une pierre à l’édifice, et nous pourrons en rediscuter en séance. La transparence est tout aussi importante que la part du PIB consacrée au développement : il faut de l’efficacité. Pour nous, c’est la démocratie.

Mme Frédérique Dumas. Je soutiens Dominique Potier. Le rapporteur et le ministre nous ont expliqué ce matin que les États utilisaient des prêts pour respecter l’objectif de 0,7 %, que c’était un peu fake. On ne peut pas dénoncer cette situation et refuser l’amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois qu’il faut souligner que l’information est publique mais que nous avons tous – les associations, le public et les parlementaires – du mal à y accéder. C’est ce décalage qui suscite le malaise.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je suis très sensible à cette question, comme tous ceux qui ont travaillé dans des ONG ou auprès d’acteurs du développement, mais je ne peux pas laisser dire qu’il existe une opacité totale, qu’on ne sait rien. Vous pouvez trouver dans les DPT et les PAP tout ce qui est financé, mission par mission et action par action, du petit fonds au Ghana pour l’entreprenariat des femmes jusqu’aux crédits alloués à la Banque ou au FMI. Vous dites qu’on n’a pas le détail pays par pays dans le cadre du DPT. Or tous les décaissements figurent dans ce document. L’activité de l’AFD est également retracée, en distinguant les dons-projets, l’aide budgétaire globale, les prêts, les prêts concessionnels, etc. Par ailleurs, nous avons accès au conseil d’administration de l’AFD, et les informations sont ensuite reversées au débat public.

Votre amendement demande que des éléments figurent dans le CPG, qui vaudra jusqu’à une prochaine révision. Or ce que nous souhaitons tous, c’est que des informations soient délivrées par le Gouvernement de manière régulière, peut-être en les regroupant davantage. Il peut exister des marges d’amélioration, mais je ne pense pas que votre amendement, tel qu’il est rédigé, permettra d’atteindre les objectifs que vous fixez. Nous pourrons le faire, en revanche, lorsque nous examinerons l’article 2 ou lorsque nous travaillerons sur la création d’une commission indépendante d’évaluation.

Il faut encore plus d’évaluation, notamment en ce qui concerne l’impact des actions menées, mais nous pouvons déjà avoir les éléments que vous demandez. Les documents font 200 pages : il faut peut-être les améliorer, les rendre plus synthétiques, mais tout le monde peut y accéder.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. L’objectif de transparence est clairement partagé – je le redis, après Jean-Yves Le Drian. Ne laissons pas croire qu’il n’y aurait pas de transparence.

Certains documents ont été améliorés, et je suis tout à fait prêt, cet engagement concernant naturellement le ministre et le Gouvernement, à ce que l’on continue à le faire pour le DPT. Il comprend effectivement un tableau qui montre la répartition par pays : on pourrait l’affiner en distinguant les prêts et les dons, qui sont plutôt détaillés par grandes zones géographiques. Il serait bien préférable de travailler sur cette question dans le cadre des DPT annuels, qui synthétisent toutes les données. Voilà la proposition que je fais.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois que chacun apprécie l’engagement d’améliorer très substantiellement les informations dont chacun ressent le besoin.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avons néanmoins l’engagement du ministre.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Nous allons avancer, c’est acté.

La commission examine les amendements identiques AE168 de M. Jean-Luc Mélenchon, AE298 de Mme Bérengère Poletti, AE509 de M. Hubert Julien-Laferrière et AE543 de Mme Frédérique Dumas.

Mme Clémentine Autain. Vous nous expliquerez probablement, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que vous allez le faire et que ce n’est pas la peine de l’inscrire dans la loi, mais nous persistons à penser que notre objectif doit figurer dans le texte. Or celui-ci ne va pas au-delà de 2022. Nous voulons préciser que 0,7 % du revenu national brut sera consacré à cette politique d’ici à 2025. Au-delà des engagements pris par le Président de la République, il est important d’inscrire dans le marbre de la loi la trajectoire que nous voulons emprunter, quels que soient les changements possibles en 2022.

M. Michel Herbillon. J’observe que le ministre et le rapporteur n’arrêtent pas d’acter des accords à l’occasion d’amendements auxquels ils donnent des avis défavorables. Ils pourraient essayer de faire l’inverse à propos de l’amendement AE298 (Sourires).

M. Hubert Julien-Laferrière. Nous avons déjà largement débattu de l’objectif, qui a désormais cinquante ans, de consacrer 0,7 % du RNB à l’aide publique au développement. Le retard cumulé s’élève, je crois, à 200 milliards d’euros. Fixer un objectif quantitatif n’interdit pas d’être intelligent et d’essayer d’améliorer notre aide.

J’ai été un peu attristé par le débat qui a eu lieu tout à l’heure. On a affirmé à ma gauche que l’aide n’avait pas augmenté depuis le début de la législature ; Sylvain Waserman a répondu que l’objectif de 0,55 % était tenu et que la question se résumait à cela. Or l’engagement, oral, qui a été pris compte tenu de la baisse du RNB concernait la trajectoire en valeur absolue. Il y a eu, évidemment, une hausse sans précédent des crédits consacrés à l’APD sous ce quinquennat, mais l’engagement pris par certains ministres et par la majorité n’est pas tout à fait respecté : il manque un peu d’argent par rapport aux 15 milliards d’euros

S’agissant de l’objectif de 0,7 %, il me semble important que la France respecte au moins en 2025 l’engagement qui a été pris. Il y va de l’image singulière que notre pays occupe sur la scène internationale.

Mme Frédérique Dumas. L’amendement AE543 est également défendu. À la suite du débat de ce matin, j’attends avec impatience la nouvelle rédaction et le travail intellectuel sur les indicateurs qui ont été annoncés.

M. Hervé Berville, rapporteur. Le dernier point est au-dessus de mes moyens d’ici à la séance mais j’ai bon espoir que l’on aboutisse, pour le reste, à une solution permettant de tous nous satisfaire.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Même avis. Jean-Yves Le Drian a été clair sur ce point.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques AE512 de M. Hubert Julien-Laferrière et AE145 de M. Jean-Paul Lecoq. 

M. Hubert Julien-Laferrière. Nous devons renforcer la part bilatérale de notre aide publique au développement, qui a trop longtemps – avant 2017 – servi de variable d’ajustement budgétaire : elle a diminué contrairement à l’aide multilatérale, en raison de nos engagements pluriannuels. Il ne faudrait pas que cela entretienne, pour autant, une petite musique sur l’efficacité de l’aide multilatérale – on se demande, par exemple, si elle n’est pas un peu bureaucratique. Dans certains domaines, tels que la santé mondiale, on obtiendrait beaucoup moins de résultats si l’aide multilatérale n’était pas renforcée. L’amendement AE512 vise à ne pas oublier cette dimension, surtout après la création d’ACTA (ACT-Accelerator) : nous préciserons que l’aide bilatérale doit « notamment » être renforcée.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Permettez-moi de faire une petite observation : le « notamment » que vous voulez ajouter à l’alinéa 10 devrait, me semble-t-il, être placé après la référence à 2022 et non avant.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous proposons aussi d’ajouter « notamment ». Il ne faudrait pas que le rééquilibrage des priorités tourne à un basculement complet. Il y avait déjà des débats sur la part de l’aide bilatérale pendant les années 2007-2012 – je crois que Nicole Ameline avait remis un rapport sur le bilatéralisme et le multilatéralisme – et j’ai trop entendu le Gouvernement parler d’un travail sur l’influence et la puissance de la France au moyen de l’aide bilatérale.

Il faut un véritable équilibre entre le multilatéral et le bilatéral, au service des populations concernées. Pour les députés communistes, l’aide publique au développement n’exige pas un retour sur investissement. On accompagne, on aide face aux fléaux qui touchent l’humanité, comme la guerre et la misère. Une trop forte envie d’en revenir à l’aide bilatérale peut cacher des choses – je ne dis pas que c’est le cas mais nous proposons, pour l’éviter, d’ajouter « notamment ».

M. Hervé Berville, rapporteur. Ces amendements sont satisfaits. Je ne vois pas bien la plus-value qui résulterait de l’ajout de « notamment » au sujet de l’aide bilatérale. Je vous demande de retirer l’amendement, sans quoi j’émettrai un avis défavorable. Il ne faut pas opposer le bilatéral et le multilatéral – Hubert Julien-Laferrière insistait fréquemment sur ce point lorsqu’il était rapporteur pour avis des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. L’aide bilatérale a atteint un point bas en 2015 – les crédits correspondants étaient alors de 4,6 milliards d’euros. Il a été acté, lors de la réunion du CICID qui a eu lieu en 2018, qu’une part prépondérante de notre réengagement prendrait une forme bilatérale, mais je veux rassurer Hubert Julien-Laferrière et Jean-Paul Lecoq. Les chiffres et les actes parlent d’eux-mêmes : le Président de la République et le Gouvernement sont totalement mobilisés pour faire en sorte que le multilatéralisme soit renforcé en matière de développement.

J’ai le souvenir d’un accroissement de l’engagement de la France dans le cadre du Partenariat mondial pour l’éducation – notre contribution a été portée à 200 millions d’euros –, d’un engagement additionnel, annoncé il y a un peu plus d’un an, en faveur du Fonds mondial, d’une France à la manœuvre pour réunir des crédits au profit du Fonds vert en juillet 2019 et, plus récemment, d’une France qui consacre 500 millions à l’initiative ACTA. Nous continuons donc à nous réengager.

Je vous suggère de retirer ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Jean-Paul Lecoq. Voici la rédaction de l’alinéa 10 : « La hausse des moyens prévue par le présent article contribuera au renforcement, d’ici à 2022, de la composante bilatérale de l’aide publique au développement de la France ». Je comprends que la hausse ne concernera que l’aide bilatérale.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. À hauteur de deux tiers.

M. Jean-Paul Lecoq. Où est-ce écrit ? Nous proposons d’ajouter « notamment ».

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement AE146 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Puisque « notamment » était apparemment trop long pour vous, en nombre de lettres, je vais essayer avec des chiffres. Nous proposons de remplacer, au même alinéa, 2022 par 2025. J’ai perdu aux lettres mais j’espère gagner aux chiffres (Sourires).

M. Hervé Berville, rapporteur. J’aimerais être sûr de comprendre, compte tenu de ce que vous avez dit tout à l’heure : le renforcement de l’aide bilatérale n’aurait plus lieu d’ici à 2022 mais d’ici à 2025. Vous voulez donc réduire l’ambition, alors que vous avez affirmé qu’elle n’était pas assez forte. J’émets un avis défavorable pour vous permettre d’être en totale cohérence avec vous-même.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. M. Lecoq a évoqué les chiffres et les lettres : mon avis reste défavorable au tirage comme au grattage (Sourires).

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AE344 du rapporteur.

Elle examine en discussion commune l’amendement AE593 de Mme Mireille Clapot et les amendements identiques AE38 de M. Bertrand Pancher, AE91 de Mme Emmanuelle Anthoine et AE127 de Mme Albane Gaillot.

Mme Mireille Clapot. L’amendement AE593 tend à renforcer les ambitions concernant l’égalité femmes-hommes dans le cadre de notre aide au développement. On ne doit pas se contenter de déclarations d’amour, si je puis dire : il faut également fournir des preuves, en suivant des objectifs chiffrés. Le CICID a décidé en février 2018 que le marqueur « genre » de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) serait utilisé dans le cadre des statistiques de l’AFD et que 50 % des volumes annuels d’engagements de l’AFD devraient avoir le genre pour objectif principal ou significatif.  Le Gender Action Plan de l’Union européenne place, quant à lui, la barre à 85 %. Notre amendement propose de retenir un niveau intermédiaire : 75 % des volumes annuels d’engagements de l’aide publique au développement bilatérale auront l’égalité femmes-hommes pour objectif principal ou significatif, et 20 % auront cette question pour objectif principal.

M. Bertrand Pancher. Selon l’OCDE, seuls 20 % de l’APD bilatérale française avaient l’égalité femmes-hommes pour objectif principal ou significatif, que l’on considère les engagements financiers ou les dépenses réelles, et seuls 4 % du total avaient le genre pour objectif principal. D’autres pays ayant adopté une diplomatie féministe, comme le Canada et la Suède, sont en passe d’atteindre la cible de 85 %.

La rédaction actuelle du projet de loi ne prévoit qu’un objectif limité, qui a été qualifié d’insuffisant par le Conseil économique, social et environnemental : le taux des volumes annuels d’engagements de l’AFD ayant le genre pour objectif principal ou significatif est fixé à 50 %. Aucun objectif concernant spécifiquement la part de l’APD ayant l’égalité femmes-hommes pour objectif principal n’est prévu. L’amendement AE38 tend à y remédier.

M. Hubert Julien-Laferrière. Il peut y avoir une confusion au sujet de ce qu’on appelle le marqueur « genre » de l’OCDE, et c’est pourquoi ces amendements me paraissent très importants. Il est prévu que 100 % des projets de l’AFD sont marqués « genre », mais cela signifie simplement qu’ils ont été évalués en fonction du marqueur de l’OCDE : ils peuvent très bien avoir obtenu la note 0, 1 ou 2. Cela ne veut donc rien dire : 100 % des projets marqués « genre » peuvent ne pas prendre en compte ces questions… Ce n’est pas le cas, heureusement : je rappelle que c’est à la fois une des cinq priorités sectorielles et une priorité transversale à laquelle la France est très attachée. Néanmoins, il est essentiel d’aller plus loin : l’amendement demande que 85 % des volumes annuels d’engagements de l’aide publique au développement bilatérale aient l’égalité femmes-hommes pour objectif principal ou significatif en 2025.

M. Hervé Berville, rapporteur. Cette question est éminemment importante : c’est une des cinq priorités de nos engagements à l’international. Il y a eu, en la matière, un réinvestissement massif depuis quelques années parce que nous avions du retard et que c’est un enjeu central pour la solidarité internationale et le développement.

Je connais l’engagement des uns et des autres, notamment de Mireille Clapot et d’Albane Gaillot, mais j’émettrai un avis défavorable à ces amendements, comme à tous ceux qui visent à insérer des cibles sectorielles ou géographiques à l’alinéa 10 : de tels engagements ont plutôt leur place au sein du cadre de partenariat global, qui comporte des objectifs chiffrés – nous pourrons en reparler à cette occasion.

J’ajoute que plusieurs déclarations, en particulier celle de Paris, de 2005, et celle de Busan, de 2011, ont souligné qu’il fallait prendre en compte la stratégie des pays concernés et s’aligner sur les besoins des populations. Quand on multiplie les indicateurs – relatifs au climat, à l’égalité femmes-hommes, à l’éducation ou à la biodiversité –, la situation devient très compliquée pour ceux qui mènent concrètement les projets. Par ailleurs, les besoins des populations ne correspondent pas nécessairement aux objectifs que nous nous sommes fixés. Il faut donc rester prudent et partir davantage du terrain.

L’objectif visé par ces amendements est évidemment essentiel, même si on peut discuter du pourcentage retenu. Si j’émets un avis défavorable, je le répète, c’est parce cette disposition aurait davantage sa place au sein du cadre de partenariat global qu’à l’alinéa 10 de l’article 1er.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je partage la philosophie développée par le rapporteur.

Nous avons demandé à l’ADF d’être à un taux de 100 % pour le marqueur 1 de l’OCDE, et il serait naturellement hors de question que des projets soient contraires à un objectif placé si haut… S’agissant du marqueur 2 – le fait d’avoir l’égalité femmes-hommes pour objectif principal –, nous avons demandé à l’AFD d’être à un taux de 50 %. Il faut rappeler d’où on vient : en 2019, l’AFD en était à 35 %.

Passer à 50 % représente déjà une marche importante, d’autant qu’il y a d’autres objectifs à atteindre, notamment en matière de climat et de biodiversité. Dans la vraie vie, cela devient très complexe pour les gestionnaires des projets. J’aimerais que le mieux soit l’ami du bien, mais on sait que ce n’est pas toujours le cas.

Nous comprenons et nous partageons l’enthousiasme, l’élan des signataires des amendements : le CPG est très clair en ce qui concerne cette grande cause. Nous avons fixé à l’AFD des objectifs qui sont déjà ambitieux. Je vous demande donc de retirer ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Mireille Clapot. Je vais retirer et réécrire mon amendement afin qu’il porte sur le CPG. J’ai bien noté l’engagement du ministre et du rapporteur concernant des objectifs chiffrés dans ce cadre.

L’amendement AE593 est retiré.

La commission rejette les amendements AE38, AE91 et AE127.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement AE6 de M. Bertrand Pancher, l’amendement AE114 de M. Matthieu Orphelin, les amendements identiques AE170 de M. Jean-Luc Mélenchon et AE461 de M. Dominique Potier ainsi que l’amendement AE5 de M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. L’amendement AE6 prévoit d’appliquer d’ici à 2022 la norme de l’OCDE requérant 86 % d’élément de don dans les prêts, et d’assurer ainsi une meilleure concessionnalité des prêts.

Le surendettement est un grave problème pour les pays en développement. En Afrique subsaharienne, avant la crise sanitaire, deux pays sur cinq faisaient face à une terrible crise de la dette. Au Kenya, la moitié des recettes du pays est affectée au remboursement de la dette. Le respect de la norme de l’OCDE sur l’élément de don des prêts est donc nécessaire, et si l’échéance de 2022 est trop rapprochée, nous pouvons en débattre.

M. Hubert Julien-Laferrière. Nous proposons de prévoir pour 2023 l’échéance pour respecter la norme de l’OCDE qui fixe à 86 % la proportion d’élément de don dans les prêts consentis dans le cadre de l’aide publique au développement.

Une réforme – bienvenue – de la comptabilisation des prêts dans l’aide publique au développement a été adoptée par le Comité d’aide au développement de l’OCDE. Jusqu’à présent, on retenait la valeur de l’ensemble des prêts nets, au même titre que les dons. C’est ainsi qu’à la faveur d’un prêt, la Colombie pouvait soudain apparaître première bénéficiaire de l’APD, avant de redescendre dans le classement suite à son remboursement. Il n’était pas possible de voir quels étaient réellement les premiers bénéficiaires de l’aide au développement. La mesure de l’élément de don permet de quantifier la différence entre le prêt bonifié et les conditions de marché.

Lorsqu’un prêt relève de l’aide publique au développement, nous proposons d’inscrire dans la loi le respect de la norme de l’OCDE imposant 86 % d’élément de don, alors que cette valeur se situe autour de 75 % pour la France.

Mme Clémentine Autain. L’amendement AE170 vise à renforcer la part des dons au sein de l’APD française, car le recours aux prêts accentue la dette des pays.

Nous avons constaté une dérive au cours des dernières années, le recours aux prêts s’étant imposé comme une norme, au détriment des dons. Nous proposons d’inscrire dans la loi que le ratio entre prêts et dons doit être favorable à ces derniers.

M. Alain David. L’amendement AE461 poursuit le même objet. La France fait partie des trois pays dont la part des prêts dans l’aide au développement est la plus élevée, après le Japon et la Corée du Sud, alors que l’aide accordée par le Danemark ou l’Australie est exclusivement constituée de dons.

M. Bertrand Pancher. Selon la base de données de l’OCDE, en 2018, près de 50 % de l’APD brute bilatérale française était attribuée sous forme de prêts, contre 16 % en moyenne pour l’ensemble des pays du Comité d’aide au développement.

Les dons permettent d’apporter des aides plus directes, mieux ciblées sur les demandes locales. La part des dons doit donc augmenter dans des proportions beaucoup plus importantes. Dans les pays en développement, on entend sans cesse dire que pour obtenir des aides directes, il faut s’adresser à tous les pays sauf à la France.

Monsieur le secrétaire d’État, partagez-vous cet objectif de bon sens ?

M. Hervé Berville, rapporteur. Les amendements de cette discussion commune se distinguent en deux catégories.

Certains proposent d’augmenter la part des dons dans l’aide au développement. Je suis d’accord, c’est la trajectoire que nous cherchons à suivre. Il est vrai que nous partons de très loin par rapport à d’autres pays. En revanche, je suis défavorable à l’objectif proposé dans les amendements. Il n’est pas réaliste en effet de prétendre l’atteindre d’ici à 2025 au vu de l’effort nécessaire.

Les autres amendements proposent d’augmenter l’élément de don des prêts, conformément à la norme de l’OCDE. Sur ces sujets très techniques, il faut bien mesurer les conséquences. Augmenter l’élément de don nous interdirait d’intervenir dans les pays à revenus intermédiaires tels que le Mexique ou le Vietnam. Or octroyer à ces États des prêts à des taux plus avantageux que le marché permet aussi d’y lutter contre la pauvreté ou les inégalités. En augmentant dans de telles proportions l’élément de don, nous nous priverions de la capacité d’intervenir. En Chine, il n’est pas possible d’intervenir avec un élément de don important, alors que c’est possible dans d’autres pays, tels que le Burkina Faso.

Avis défavorable sur tous les amendements.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. L’aide française est majoritairement composée de dons : ils représentaient 80 % de nos financements bilatéraux et multilatéraux en 2019, ce qui fait de la France le quatrième bailleur mondial en dons.

Nous souhaitons voir progresser la composante bilatérale de l’aide publique au développement de la France, et la part de cette dernière qui est constituée de dons – c’est écrit à l’alinéa 10. L’OCDE a édicté une norme, mais devons-nous appliquer toutes les normes qu’elle publie ? Du reste, l’Organisation a rendu un rapport sur l’APD française qui relevait beaucoup d’éléments positifs. Notre dynamique est positive et va s’accroître. Regardons le verre aux trois quarts plein.

L’élément de don dans les prêts de la France se situe à 75 % : aller au-delà risquerait de nous priver de possibilités d’interventions, ici ou là. Avis défavorable sur ces amendements.

M. Bertrand Pancher. Je comprends qu’il soit difficile d’atteindre ces objectifs en 2025, mais serait-il possible de travailler à une autre trajectoire ? L’APD ne doit pas financer que des activités rentables ; sinon, comment financer des politiques de santé, d’accès à l’eau ou de scolarisation, qui sont stratégiques dans les politiques d’aide au développement Certes, la France veut intervenir partout dans le monde et soutenir de nombreux pays notamment en généralisant les prêts, mais l’aide au développement ne doit pas aller qu’à des projets rentables.

Dans les pays africains, nous constatons que les aides directes des pays voisins – je pense à l’Allemagne – sont systématiquement beaucoup plus importantes que les nôtres. Notre action n’est pas très lisible, y compris pour appuyer notre diplomatie.

Je comprends que l’objectif de 85 % d’élément de don en 2025 est sans doute trop ambitieux. Essayons d’en trouver un plus réaliste. Je suis prêt à retirer mes amendements pour y parvenir.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je suis disposé à y travailler.

Les amendements AE6 et AE5 sont retirés.

La commission rejette successivement l’amendement AE114 et les amendements identiques AE170 et AE461.

Elle est saisie des amendements identiques AE4 de M. Bertrand Pancher, AE289 de M. M’jid El Guerrab et AE462 de M. Alain David.

M. Bertrand Pancher. Je propose que d’ici à 2022, l’État s’assure que 50 % de l’aide publique au développement transite par la mission budgétaire « Aide publique au développement », pour financer les priorités que sont la santé, l’éducation, l’adaptation au changement climatique, l’égalité entre femmes et hommes et l’aide humanitaire dans les pays en crise.

M. M’jid El Guerrab. Une telle mesure aurait plusieurs effets positifs. Elle faciliterait le respect des priorités du dernier CICID, car la mission budgétaire « Aide publique au développement » est le cœur de nos actions en ce sens. Elle permettrait également d’améliorer la transparence, la lisibilité et le contrôle parlementaire de notre aide au développement.

Entre 2017 et 2020, la mission « Aide publique au développement » ne représentait que 35,09 % de l’APD totale. La hausse de notre aide au cours des dernières années n’a pas entraîné un rééquilibrage en faveur de la mission budgétaire : en 2020, elle concernait 4 milliards d’euros sur un montant total de 12,86 milliards, soit 35,77 %.

Enfin, les priorités thématiques et géographiques ne reçoivent pas les contributions financières nécessaires. La France devrait au moins respecter ses objectifs internationaux, par exemple la cible de l’OMS d’allouer 0,1 % du RNB à l’aide à la santé, soit 15 % de l’APD totale. Pour y parvenir, il est nécessaire de faire transiter le plus de fonds possible par cette mission « Aide publique au développement ».

M. Alain David. La mission « Aide publique au développement » ne porte que sur 30 % environ de l’aide publique de la France. Ces amendements prévoient d’augmenter cette part à 50 %. Cela permettrait aussi d’améliorer le contrôle parlementaire de l’aide.

M. Hervé Berville, rapporteur. Ces amendements soulèvent la question de l’éclatement budgétaire, et notre capacité à rassembler tous ces sujets au sein d’une seule mission budgétaire. Le problème n’est pas nouveau, et résulte de la cotutelle de cette politique.

Je suis défavorable à tous les amendements qui imposent des pourcentages ou l’allocation de l’aide selon des critères géographiques ou thématiques. C’est au CICID que ces décisions doivent être prises, et ces éléments doivent figurer dans le cadre de partenariat global.

En outre, une grande partie de notre aide au développement passe par l’aide européenne et les fonds multilatéraux, sur lesquels nous avons moins de maîtrise. Fixer un objectif de 50 % de l’aide publique est très ambitieux, et il est très peu probable que nous puissions l’atteindre d’ici à 2022. Je demande le retrait des amendements, sinon avis défavorable.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Notre aide publique au développement passe par des canaux nationaux, mais nous sommes également très engagés au niveau européen. Nous finançons de façon significative les outils d’aide au développement européens. Ainsi, le nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI), d’un montant total de 70 milliards, sera financé à hauteur de 17 % par la France, ce qui représente environ 12 milliards.

Cela explique l’existence d’autres canaux que la mission « Aide publique au développement », qui ne regroupe que 35 % des crédits. Ces autres canaux sont importants et intéressants et permettent de contribuer de façon décisive à la politique de développement. Nous avons tous promu une approche multilatérale : elle passe aussi par un pilier européen fort en la matière.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le rapporteur, je comprends qu’il ne soit pas possible d’atteindre ce résultat d’ici à 2022, mais puisque nous discutons d’une loi de programmation, vous pourriez proposer une autre échéance : par exemple 2025. Nos débats sur cette loi de programmation butent systématiquement sur cette année 2022. Il faut trouver un moyen de dépasser cette limite.

M. M’jid El Guerrab. J’ai entendu les explications du rapporteur et du ministre, et je constate que nous partageons la même préoccupation. Je vais retirer mon amendement. Je voulais surtout que soit réaffirmée la volonté de mieux contrôler l’aide publique au développement. Il est évidemment illusoire d’espérer que 50 % de l’aide au développement passe par la mission « Aide publique au développement », mais il est important de fixer un horizon.

M. Bertrand Pancher. Je comprends vos arguments, monsieur le secrétaire d’État, j’aurais sans doute la même position si j’étais au Gouvernement, de façon à avoir toute latitude pour mener à bien les stratégies d’aide au développement. Mais je ne comprends pas que le Parlement ne s’arc-boute pas sur cette question. Pour mieux dépenser, il faut se fixer des objectifs précis, et affecter clairement les dons. La principale critique qui peut être faite à ce projet de loi est qu’il n’identifie pas de cible claire.

J’entends que l’on puisse discuter des calendriers et des montants, mais le Parlement serait renforcé s’il fixait des cibles précises. Si nous voulons tout faire, nous ne contrôlerons rien et nous ne ciblerons pas les actions ou les pays qui en ont le plus besoin.

M. Jacques Maire. Avec mes camarades de la commission, nous avons entrepris un voyage de quelques jours avec ce texte. Nous nous connaissons depuis quatre ans, maintenant. Nous partageons le même engagement au sujet du développement et nous nous sommes progressivement approprié ces sujets.

Aujourd’hui, nous constatons notre accord sur nombre de points fondamentaux de ce texte. En écoutant les arguments des uns et des autres sur la proportion entre prêts et dons, la transparence, ou l’échéance 2025, il est clair que ce qui nous rassemble est beaucoup plus important que ce qui nous sépare et qui relève davantage de problèmes rédactionnels. C’est normal à ce stade et nous devrions aboutir dans quelques jours à un texte commun.

Pourquoi ne pas accepter des amendements hétérodoxes, en gage de bonne volonté, quitte à mener ensuite un travail commun permettant d’aboutir à des formulations plus acceptables ? L’ambiance n’en serait que plus sympathique, alors même qu’il n’y a pas de volonté de différenciation politique de la part des uns ou des autres.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Effectivement, vous êtes d’accord sur beaucoup de choses. Ce sont les votes qui vous séparent… (Sourires.)

M. Michel Herbillon. J’allais le dire, monsieur le président, mais vous l’avez encore mieux formulé, avec le sens de l’humour qui vous caractérise et que nous apprécions.

Mais les problèmes ne sont pas uniquement rédactionnels, monsieur Maire. Certes, il y a une volonté de trouver des accords au sein de notre commission. Mais alors que nous discutons d’une loi de programmation, chaque fois que nous souhaitons prévoir au-delà de 2022, on nous répond qu’il est impossible de s’engager au-delà de cette date, et toutes nos discussions achoppent sur ce point.

Le rapporteur et le Gouvernement ont déclaré être ouverts à d’autres rédactions et à certaines de nos propositions, mais bien qu’ils se disent d’accord avec nous, ils ne donnent pas un avis favorable à nos amendements. Il faut sortir de ce processus, pour la suite de l’examen de ce texte en commission et la séance publique. À défaut, on affirmera la volonté d’un accord, mais la réalité du texte sera tout autre. Rapprochez vos intentions louables de la réalité des textes soumis aux votes et des avis donnés sur les amendements.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le grand souci de Marielle de Sarnez était de parvenir, sur des sujets qui font l’objet d’un large consensus, à dégager une position très largement majoritaire. Nous avons aussi le devoir de parvenir à un accord avec le Sénat en commission mixte paritaire. Il faut nous attacher à faire prévaloir des solutions communes. Il ne n’agit pas de gommer les aspérités, mais dès lors qu’une convergence sur les diagnostics et les propositions existe, vous avez le devoir de manifester cette convergence.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je comprends mes collègues Herbillon et Lecoq, et j’aurais la même démarche à leur place.

Mais la politique de développement regroupe une multitude d’objectifs et d’indicateurs. Or les modifications que nous apportons sur cet alinéa devront être reproduites sur tous les autres sujets – promotion de l’État de droit, place des entreprises privées, éducation, changement climatique… Ce serait intenable, et la loi deviendrait inapplicable du fait de cet empilement d’objectifs.

Dans le moment politique que nous connaissons, l’enjeu principal est de répondre aux besoins des pays. Nous menons une politique de partenariats, il ne s’agit pas de décider seul. Les pays partenaires nous demandent précisément de mieux prendre en compte leurs besoins et la réalité de ce qu’ils vivent, plutôt que de mesurer l’impact de nos politiques en référence à des cibles quantitatives.

C’est pourquoi je suis défavorable à tous les amendements qui fixent des cibles dans cette partie du texte. Leur place est dans le cadre de partenariat global, que nous étudierons plus tard.

Enfin, ce texte n’arrive pas sans avoir été discuté. Il a fait l’objet de trois tours de table au Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI). Le travail parlementaire a été pris en compte. On le mesure aux modifications apportées au projet depuis sa version initiale, publiée il y a un an. Nous avons tous contribué à faire évoluer le texte.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Nous avons eu le temps de travailler ensemble ce texte que nous attendons depuis longtemps. Il a été mis sur le métier dès 2018 et a fait l’objet de nombreuses séances au CNDSI, dont certains d’entre vous sont membres.

Le CNDSI est un héritage de la loi de 2014, et le projet dont nous discutons laissera également un héritage. La commission indépendante est une avancée indéniable. La création du mécanisme « 1 % transports » permettra de concrétiser des projets. Ce matin, vous avez adopté un article additionnel avant l’article 1er sur l’ensemble des orientations de la politique de développement.

Il y a déjà eu des avancées, il y en aura encore. Je n’ai aucun doute sur le fait que nous trouverons des points de convergence. Lors de la dernière séance du CNDSI, la semaine dernière, j’ai indiqué que j’étais ouvert à l’insertion d’un article dédié à la société civile. Ce ne sont pas des paroles en l’air, nous aurons l’occasion de les vérifier. Nous ne sommes qu’au début de l’examen de ce texte et il ne fait pas de doute qu’il sera enrichi au terme de nos travaux.

L’amendement AE289 est retiré.

La commission rejette les amendements AE4 et AE462.

Elle est saisie des amendements identiques AE3 de M. Bertrand Pancher, AE151 de Mme Bérengère Poletti et AE463 de M. Dominique Potier.

M. Bertrand Pancher. Je conçois qu’on ne conditionne pas notre politique d’aide au développement à une généralisation de grands objectifs humains. Ce n’est pas le cas de ces amendements, qui visent à consacrer au moins 50 % de notre politique de développement aux pays les moins avancés.

Il semble de bon sens que l’aide au développement profite aux pays les moins avancés, mais bien que la France ait défini une liste de dix-neuf pays prioritaires, ils ne font pas partie des dix principaux récipiendaires. C’est un problème ! Nous saupoudrons l’aide partout dans le monde, sans doute en lien avec notre volonté de rayonnement diplomatique, mais nous sortons complètement des objectifs d’aide au développement.

En 2019, les trois premiers pays bénéficiaires de notre aide sont l’Inde, la Turquie et la Colombie. Certes, ils connaissent des problèmes de développement, mais sans commune mesure avec les pays prioritaires, notamment en Afrique. Il faut vraiment que nous puissions cibler au moins 50 % de notre aide vers les pays les moins avancés.

M. Michel Herbillon. Ce projet de loi a pour ambition de lutter contre les inégalités mondiales. Notre aide au développement doit donc cibler les populations qui en ont le plus besoin. Il faut faire en sorte que 50 % de notre aide publique au développement soit allouée aux pays les moins avancés d’ici à 2025. Il est tout de même étonnant que le deuxième attributaire de l’aide publique au développement soit la Turquie. La France a défini dix-neuf pays prioritaires qui ne font pourtant pas partie de ses dix principaux récipiendaires. Cibler notre aide publique au développement vers les pays les moins avancés participerait automatiquement au rééquilibrage entre prêts et dons que nous avons déjà évoqué au cours de nos débats.

C’est une mesure d’urgence, alors que l’aide publique au développement allouée aux pays les moins avancés a reculé de 26 % depuis 2015.

Mme Laurence Dumont. Il semble évident que l’aide doit être ciblée sur ceux qui en ont le plus besoin. Or ce n’est pas le cas de l’aide publique au développement française aujourd’hui. En outre, et comme vient de le dire M. Herbillon, cette pratique permettrait de rééquilibrer la part des dons et des prêts. L’aide aux pays les moins avancés a reculé de 26 % depuis cinq ans : on marche sur la tête !

Jacques Maire a parlé d’or, puisque nous sommes tous d’accord sur ce sujet, adoptons ces amendements, quitte à les retravailler pour la séance. Vous connaissez l’adage « Là où il y a une volonté, il y a un chemin » – certains l’attribuent à Einstein, d’autres à Lénine, tout le monde peut s’y retrouver.

M. Michel Herbillon. Et à Churchill !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Et au Général de Gaulle !

Mme Laurence Dumont.  Il devient difficile d’entendre le rapporteur dire sans arrêt qu’il est d’accord, mais refuser les amendements.

M. Hervé Berville, rapporteur. Nous partageons tous l’objectif de consacrer 50 % de l’APD aux PMA en 2025, bien évidemment. Mais les PMA ne se situent pas qu’en Afrique, il y en a dans d’autres continents, notamment en Asie. La stratégie de la France, eu égard à nos relations, nos liens et notre proximité géographique, vise à axer notre aide sur le continent africain, notamment le Sahel. Nous prévoyons de faire en sorte que 75 % de nos dons aillent aux dix-neuf pays pauvres prioritaires. Nous allons donc au-delà de votre proposition. Mais l’adoptions de vos amendements nous empêcherait de concentrer notre aide sur les pays pauvres prioritaires, notamment au Sahel.

Si nous voulons vraiment consacrer notre aide à l’éducation, la santé, le changement climatique et la biodiversité, il faut des dons. Si la loi imposait de verser 50 % de l’APD aux PMA, nous pourrions comptabiliser des prêts, vu la définition très large retenue pour l’APD.

Ces amendements risquent de freiner notre capacité à atteindre un certain nombre d’objectifs dans les pays les plus vulnérables d’Afrique et du Sahel, c’est pour cela que j’y suis défavorable. Je partage bien sûr votre volonté de destiner l’APD aux pays les plus pauvres mais il ne faut pas empêcher la France de la diriger vers les plus pauvres des plus pauvres.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. L’APD inclut des composantes constatées ex post. Il faut nous intéresser à sa part pilotable, et dans cette catégorie, nous souhaitons que les deux tiers des dons projets de l’AFD aillent vers les PMA. C’est dans ce cadre que les dix-neuf pays prioritaires déterminés lors du CICID de 2018 pourront bénéficier d’un certain nombre de projets.

La France est particulièrement engagée dans le Sahel, qui connaît un certain nombre de fragilités qu’il faut aider à résorber. Le pourcentage de la part pilotable de l’APD dédiée aux PMA va au-delà des souhaits des auteurs de ces amendements.

Vous avez évoqué la situation de la Turquie, il convient de relativiser les choses. La Turquie était le vingt-troisième bénéficiaire de l’APD française en 2019, à hauteur de 66 millions d’euros, et uniquement en raison de prêts AFD qui couvraient des financements d’infrastructure, mais aussi des actions en faveur de l’emploi féminin ou des dons bilatéraux en faveur de l’aide aux réfugiés. Ce ne sont pas des actions superflues.

M. M’jid El Guerrab. Ce débat passionnant illustre l’intérêt du Parlement lorsqu’il se saisit de sa fonction de discussion et de vote. Je crois que tous les pays pauvres prioritaires sont des PMA. Notre aide publique au développement, c’est notre force dans ces pays. La moitié des pays pauvres prioritaires font partie de ma circonscription des Français de l’étranger, et je constate que d’autres pays souhaitent intégrer cette liste, tels la Sierra Leone et le Liberia. Comment pourraient-ils y être intégrés, pour bénéficier aussi de notre aide publique ?

M. Hubert Julien-Laferrière. Nous avons un problème pour établir les comptes. À un moment, la Colombie faisait partie des premiers bénéficiaires de l’APD, et on y trouve maintenant la Turquie. Vivement que la réforme du Comité d’aide au développement de l’OCDE permette de ne compter que l’élément de don des prêts ! Nous pourrons enfin classer les bénéficiaires de manière pertinente. Actuellement, les pays emprunteurs apparaissent parmi les principaux bénéficiaires, ce qui n’a pas de sens puisque le prêt sera remboursé.

J’ai essayé de cumuler les montants d’APD reçus pendant trois ans, de 2016 à 2018. Il apparaît que les premiers bénéficiaires sont la Turquie, le Maroc, l’Inde, le Cameroun, la Colombie, l’Éthiopie et le Nigeria. On ne trouve pas un seul pays parmi les pays pauvres prioritaires ou les PMA ! Depuis la définition des pays prioritaires par le CICID de 2018, l’allocation de notre aide a-t-elle beaucoup changé ?

Par ailleurs, je suis d’accord avec le secrétaire d’État, il faut savoir ce que nous retenons au sein de l’APD. L’écolage ou les politiques d’asile et d’immigration, dont bénéficient des nationaux des PMA, ne doivent pas y figurer.

Il me semble complémentaire de prévoir que les deux tiers des dons bilatéraux dans l’aide pilotable doivent bénéficier aux pays pauvres prioritaires, et que la moitié de l’APD globale aille aux PMA. Il est en tout cas urgent d’avoir une vraie visibilité sur les premiers bénéficiaires de l’aide.

M. Bertrand Pancher. Quand on confronte vos arguments, monsieur le secrétaire d’État, aux éléments dont on dispose, on se dit qu’il y a forcément quelqu’un qui se trompe. Comme ce n’est pas vous, c’est nécessairement nous…

Cela dit, j’ai sous les yeux des notes émanant de grandes organisations œuvrant pour le développement. Or j’y lis que l’APD à destination des PMA a reculé de 26 % depuis 2015, passant d’un quart à moins d’un cinquième. Si j’ai bien compris, vous nous dites que nous sommes plutôt aux alentours de 50 %. Quoi qu’il en soit, une part significative de l’aide au développement doit être accordée aux pays les moins avancés.

M. Bruno Fuchs. Il faudrait séparer ce qui est de l’ordre du prêt et ce qui est de l’ordre du don. L’augmentation en proportion de la part de l’APD consacrée aux PMA ne peut pas passer par des prêts, sauf à accroître encore leur endettement. Si l’on fait cette distinction, on s’aperçoit que les amendements sont satisfaits : les dix-neuf pays prioritaires sont parmi les mieux dotés.

M. Michel Herbillon. Certes, il convient de séparer ce qui relève du prêt et ce qui relève du don, mais ces amendements ont tout simplement pour objet d’inscrire dans le texte que l’aide doit s’adresser aux pays les plus pauvres. Ceux qui s’y opposent répondent qu’ils veulent que l’aide aille en priorité à l’Afrique. Les deux positions ne sont pas contradictoires. Je m’étonne que ces amendements, dont les auteurs sont de sensibilités politiques différentes, ne recueillent pas votre assentiment.

Quant aux prêts, les pays les plus pauvres ne peuvent pas y recourir facilement : ils n’en ont pas les moyens.

Le projet de loi est relatif « à la lutte contre les inégalités mondiales » : il ne s’adresse pas uniquement à l’Afrique. Les amendements visent à flécher l’aide vers les pays les plus pauvres. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pourrions pas les adopter.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le rapporteur, n’avez-vous pas le sentiment qu’avec les distinctions qui sont apparues, notamment celle entre l’aide pilotable et l’aide non pilotable et celle entre les dons et les prêts, il y a matière à réfléchir, dans la perspective de la séance publique, à un nouvel amendement, rédigé avec les auteurs de ceux que nous examinons, et qui traduirait notre préoccupation commune, tout en tenant compte des objections techniques très fortes que vous avez marquées ? Notre commission aspire à plus d’unité qu’elle n’en produit. Si vous vous engagiez dans la voie que j’indique, nous pourrions demander à nos collègues de retirer leurs amendements.

M. Jean François Mbaye. Effectivement, on peut comprendre l’objectif de ces amendements. La difficulté est de trouver, pour l’alinéa 10, une formulation acceptable pour tout le monde. Le rapporteur est-il prêt à y travailler en tenant compte de ces amendements ?

M. Frédéric Petit. Nous sommes tous d’accord sur l’objectif poursuivi, mais pas sur les amendements eux-mêmes. Je suis d’accord avec le rapporteur : sur le plan technique, ils posent problème car les alinéas 33 à 36 du CPG définissent des priorités géographiques et indiquent clairement que les dix-neuf pays prioritaires bénéficient des deux tiers des subventions et de la moitié de l’aide projet. Nous ne pouvons pas écrire une chose dans l’article 1er et une autre dans le cadre de partenariat global. Nous n’allons pas non plus entreprendre de compléter l’article 1er avant d’avoir étudié le CPG.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La possibilité d’ouvrir une voie commune passe par le retrait des amendements, la chose est claire.

Mme Laurence Dumont. Nous sommes au cœur d’un débat majeur.

D’abord, sommes-nous d’accord sur le fait que la part attribuée aux pays les moins avancés recule de manière continue ? Ensuite, souhaitons-nous nous fixer pour objectif d’inverser cette tendance ? Si nous pouvions répondre positivement à ces deux questions, nous avancerions déjà beaucoup.

Par ailleurs, ces amendements ne viennent pas seulement de nous : ils sont inspirés par Oxfam et par la Coordination Solidarité urgence développement (SUD), c’est-à-dire par des gens qui travaillent au quotidien sur ces questions, qui les suivent de près au quotidien, encore plus que nous.

Enfin, je ne vois pas de contradiction entre ces amendements, qui visent à affecter 50 % de l’aide publique au développement aux PMA, et l’objectif que vous rappeliez, à savoir attribuer les deux tiers des dons aux PPP. Je ne retirerai donc pas l’amendement dont je suis signataire.

M. Bruno Fuchs. L’alinéa 34 du CPG est ainsi libellé : « La France a décidé de consacrer 75 % de l’effort financier total de l’État en subventions et en prêts et au moins 85 % de celui mis en œuvre via l’Agence française de développement (AFD) dans la zone Afrique et Méditerranée. » Les amendements sont en contradiction avec cette phrase. On ne peut pas écrire à deux endroits différents du texte des choses contradictoires. Il est certes intéressant de lancer ce débat, mais le texte doit être limpide, clair et précis. Si nous décidions d’adopter ces amendements, il faudrait modifier aussi les alinéas 34 et 35 du CPG, car le texte doit être cohérent.

Par ailleurs, nous ne sommes pas là pour traduire la volonté d’Oxfam ou d’autres associations, quel que soit leur apport.

Ces amendements sont généreux, et nous sommes d’accord avec l’objectif poursuivi, mais l’effort prévu plus loin dans le texte est plus important encore.

M. Michel Herbillon. Encore une fois, je ne vois pas où se trouve la contradiction. Nous pouvons aider à la fois le Maroc et Madagascar. Toutefois, le second est beaucoup plus pauvre que le premier.

Nous pourrions trouver un accord sur le sujet. Monsieur le secrétaire d’État, avons-nous augmenté, au cours des trois dernières années, notre aide à destination des PMA ? Si oui, dans quelle proportion ? Nous voulons flécher l’aide vers les pays les moins avancés ; je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible. Cet objectif peut certainement être concilié avec ce qui est écrit par ailleurs dans le texte.

M. Hubert Julien-Laferrière. Il n’est pas vrai de dire que les deux objectifs sont contradictoires. Les PPP sont un sous-ensemble des PMA. Dire que l’on consacre les deux tiers des dons bilatéraux aux PPP, c’est très bien, et on ne peut que l’approuver, mais cela n’empêche pas de fixer un objectif complémentaire, en l’occurrence affecter 50 % du total de l’APD aux PMA, soit 15 à 17 milliards. Ce n’est qu’une manière d’affirmer davantage la volonté de réallouer notre aide aux pays les plus pauvres.

Par ailleurs, les dons bilatéraux sont certes un instrument essentiel pour les pays prioritaires, mais les prêts bonifiés peuvent également être intéressants pour certains secteurs économiques, y compris dans des pays pauvres.

M. Frédéric Petit. Madagascar est cité à l’alinéa 35, ainsi que le Burkina Faso, mais il n’y est pas question du Maroc ni de la Turquie.

Nous nous lançons dans de grandes discussions très généreuses à propos d’une phrase tenant en une ligne, alors que le CPG consacre trois alinéas entiers à la question. L’alinéa 34 précise la répartition globale ; le suivant indique que l’essentiel de cet effort est affecté à dix-neuf pays prioritaires. Le texte suit donc une progression logique.

Dans l’amendement, il est question des « pays les moins avancés », quand l’alinéa 34 mentionne « la zone Afrique et Méditerranée » et l’alinéa 35 les dix-neuf pays en question. Si nous écrivons des choses différentes à deux endroits distincts du texte, nous allons fournir du travail aux avocats… Je dis non pas que les deux objectifs sont contradictoires, mais qu’en rédigeant le texte ainsi, celui-ci va grincer.

Autant inscrire directement la disposition dans le CPG. Si vous préférez qu’elle figure dans l’article 1er, nous pouvons y recopier les trois alinéas que j’évoquais : un autre amendement avait un objet comparable. Mais si nous abordons la question à deux endroits différents, nos successeurs, dans dix ans, auront encore plus de mal que nous n’en avons à reconstituer les choses, car le Gouvernement produira deux rapports distincts : dans l’un il montrera qu’il a bien alloué 50 % de l’aide aux PMA, et dans l’autre il rendra compte de la mise en œuvre du CPG.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cette observation me paraît pleine de bon sens : le problème tient au fait que ces amendements ne portent pas sur l’alinéa 35 du CPG, où la question est traitée.

M. Hervé Berville, rapporteur. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer. Un certain nombre d’amendements sont consacrés à la géographie de l’aide, ce que je conçois tout à fait, même si, à mes yeux, la question principale est celle de son impact – est-ce que l’on augmente le taux de vaccination, est-ce que l’on améliore la qualité de l’hospitalisation, est-ce que l’on fait reculer la mortalité infantile ? Tels sont les enjeux qui devraient nous occuper longuement, et ce sera peut-être le cas.

Je comprends, monsieur Herbillon, que l’exercice soit un peu frustrant, car ces amendements semblent de bon sens, mais il n’est pas possible de les concilier avec le CPG. Le texte fixerait des objectifs sinon contradictoires, en tout cas dissonants. Vous disiez que l’objectif devait concerner des dons et non des prêts. Or, on pourrait tout à fait consacrer 50 % de l’APD aux PMA en augmentant la part des prêts. Ce faisant, votre objectif ne serait pas atteint, tandis que le CPG prévoit 80 % en dons pour les pays pauvres prioritaires. Autrement dit, les amendements constitueraient un recul.

L’objectif est bien de cibler les pays les plus vulnérables. À cet égard, je vous sais tous attachés à ce que la France élabore une stratégie et fixe des priorités, et j’entends souvent certains – notamment M. Herbillon – dire qu’il ne faut pas saupoudrer l’aide. Or, en ciblant les PMA, on en arriverait à considérer que le Bhoutan et le Népal sont des priorités pour la France. Nous partageons l’objectif consistant à aider davantage les pays les plus pauvres, mais le CPG contient déjà des éléments permettant d’aller plus loin que ce que vous proposez.

Je comprends que vous vous disiez que ces amendements sont de bon sens et qu’il faut les adopter, mais, en tant que rapporteur, je dois veiller à la cohérence du texte.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je souscris à l’argumentation du rapporteur.

M. Herbillon demandait des chiffres démontrant l’accroissement de l’engagement de la France envers les PMA. En voici. En 2016, la France consacrait 1,9 milliard aux PMA, soit à peine plus de 20 % du total de l’APD ; en 2019, nous en étions à 2,8 milliards, ce qui avoisinait les 30 %. Orienter les deux tiers des dons vers les PPP permet donc d’accroître la part dédiée aux PMA.

Par ailleurs, le fait d’énumérer des pays prioritaires ne veut pas dire que l’on se limite à cette liste. M. El Guerrab évoquait le Libéria et la Sierra Leone : le Libéria est inscrit dans la liste des PPP ; quant à la Sierra Leone, rien ne nous interdit de l’aider. Ce n’est pas parce que l’on concentre l’aide sur certains pays qu’on ne fait rien pour les autres. Il est possible d’y engager des projets, même s’ils sont moins importants.

L’alinéa 35 du CPG expose les choses très clairement. Il réaffirme que les deux tiers des subventions accordées par l’AFD seront consacrés aux PPP. Pour les PMA, nous arrivons à plus de 75 %, quasiment 80 %, comme le disait M. le rapporteur. Nous sommes donc tous d’accord, et l’objectif est inscrit noir sur blanc.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Tout cela est maintenant très clair. Chacun d’entre nous prendra ses responsabilités. Au-delà du vote qui va intervenir, des convergences pourront d’ailleurs être trouvées d’ici à la séance publique.

L’amendement AE3 est retiré.

La commission rejette les amendements AE151 et AE463.

Elle examine, en discussion commune, les amendements AE460 de M. Dominique Potier et AE7 de M. Bertrand Pancher.

M. Hervé Berville, rapporteur. L’éducation et la santé ont longtemps été les parents pauvres de l’aide publique au développement. Toutefois, un réinvestissement important a été opéré, aussi bien au niveau bilatéral qu’au niveau multilatéral Ainsi, 200 millions d’euros sont désormais consacrés au Partenariat mondial pour l’éducation (PME), notamment, contre 17 millions d’euros précédemment. En ce qui concerne la santé, cependant, des efforts restent à faire, même si certains projets sont en cours, notamment dans le contexte de la pandémie. Par ailleurs, ces amendements se rapportent davantage au CPG qu’à l’article 1er. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en arrive à l’amendement AE71 de M. Vincent Ledoux.

M. Vincent Ledoux. Tout d’abord, je vous remercie de m’accueillir comme membre de la commission des finances et rapporteur spécial de l’action extérieure de l’État.

Il a été beaucoup question des moyens budgétaires affectés à l’aide publique ; je vous parlerai quant à moi des moyens humains alloués aux postes diplomatiques, notamment ceux dans les pays éligibles à l’aide publique au développement. En effet, il ne suffit pas de voter la programmation de crédits : il faut aussi s’assurer que le ministère dispose des effectifs, des compétences nécessaires au regard des objectifs fixés par la loi, par exemple pour mieux piloter les actions sur le terrain et contribuer au renouvellement des actions menées en partenariat avec la société civile.

J’en profite pour saluer la détermination de Jean-Yves Le Drian et de M. le secrétaire d’État. Pendant des années, des sacrifices importants ont été consentis. Or le budget pour 2021 est le premier au format LOLF dans lequel il n’a pas été demandé au Quai d’Orsay de supprimer des effectifs. La mention que je propose d’inscrire dans la loi programmation serait donc une marque de soutien au ministère en vue de la préparation des prochains budgets.

M. Hervé Berville, rapporteur. La question est déjà abordée dans le cadre du programme Action publique 2022. Par ailleurs, l’opérateur principal doit maîtriser le niveau de ses effectifs : il faut donc s’assurer que ce sont bien les postes qui sont renforcés. Enfin, cet amendement serait peut-être plus à sa place en loi de finances. Je vous propose donc de le retirer pour le retravailler – notamment avec les services du Quai d’Orsay.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je propose moi aussi un retrait de l’amendement en vue de le retravailler.

Nous avons effectivement mis un coup d’arrêt, cette année, à l’érosion des effectifs. Nous le devons d’ailleurs en partie à la mobilisation de votre commission, qui a permis de défendre un certain nombre d’emplois. En cette période exceptionnelle, je tire d’ailleurs un coup de chapeau au personnel du Quai d’Orsay : l’épidémie étant mondiale, il a dû travailler en mode dégradé, les postes ont adapté leur fonctionnement et il a fallu gérer le rapatriement de 370 000 Français qui étaient de passage à l’étranger. Le personnel a donc eu plus de travail, dans des conditions plus difficiles. Cela mérite qu’on lui rende hommage. Nous continuerons à nous battre pour avoir des moyens humains permettant de mener une action diplomatique et une politique de développement à la hauteur de nos ambitions.

M. Frédéric Petit. Cet amendement est très intéressant. Une remarque en passant pour M. le rapporteur : le fait qu’il s’agisse d’une loi de programmation n’interdit pas d’y inscrire des objectifs chiffrés, notamment pour les équivalents temps plein (ETP). Nous l’avons fait pour la recherche, par exemple.

Je tiens à souligner la complexité du travail effectué par le Quai d’Orsay – d’ailleurs, on a commencé à parler en 2019, à l’occasion de la semaine des ambassadeurs, ambassadeurs généralistes, ambassadeurs thématiques. Certaines missions sont très techniques, par exemple quand elles touchent au développement ou à l’environnement, notamment à l’eau. Certains ETP ne peuvent pas être gérés selon les règles des ressources humaines du ministère. Ainsi, on ne peut pas travailler sur un projet de barrage si l’on doit changer d’affectation au bout de deux ans et demi. Il faudrait donc trouver une formule appelant à des moyens humains suffisants, mais sans que ces derniers soient nécessairement gérés par l’administration centrale. Je suis assez d’accord avec la remarque du rapporteur concernant l’opérateur principal, tout en sachant que celui-ci ne doit pas être le seul.

L’idée de l’amendement est donc intéressante, monsieur Ledoux, mais je ne suis pas sûr que vous aurez assez de temps pour y retravailler d’ici à la séance.

M. Jacques Maire. Merci à notre collègue Vincent Ledoux de poser excellemment le débat. En effet, depuis trente ans, on assiste à une disparition progressive du réseau des fonctionnaires de l’État à l’étranger en charge du développement. Quand je suis entré au Quai d’Orsay, ils étaient plusieurs dizaines de milliers, des services entiers étaient en charge de ce domaine dans les postes ; dorénavant, il n’y a plus qu’un conseiller chargé du développement. Un phénomène d’attrition s’est donc produit, tant en quantité qu’en qualité.

On confie à l’ambassadeur un rôle d’animation et de mise en cohérence de la politique de développement à travers le conseil de développement local, mais si le conseiller en charge de la question n’a qu’une vision globale et institutionnelle des enjeux, la relation entre le champ du politique et celui du développement – à travers l’opérateur, à savoir la Banque de développement – restera désincarnée. C’est ce qui se passe de plus en plus. Or le projet de loi a précisément pour ambition de redresser la barre, d’engager une nouvelle implication de l’État dans l’animation de ses opérateurs, pour projeter une politique de développement, ce qui nécessite un minimum de moyens.

Dans mon souvenir, le personnel sur place qui se consacre à la politique de développement relève du budget de l’APD. Est-ce bien le cas ? Si oui, il est pertinent de l’évoquer dans une loi de programmation.

Si je comprends bien l’amendement de M. Ledoux, il est question non pas des effectifs de l’AFD – lesquels ne sont pas budgétaires –, mais des effectifs régaliens. Or, depuis trois ans, nous nous battons pour renforcer l’action régalienne et le rôle du Quai d’Orsay dans le domaine du développement. Ne pas s’autoriser à voter cet amendement, dans ce texte ou dans un autre, serait donc en totale contradiction avec cette ambition.

M. M’jid El Guerrab. Je remercie à mon tour M. Ledoux pour cet amendement. Toutes celles et ceux qui sont allés sur le terrain ont observé, au cours des dernières années, le rabougrissement de nos services diplomatiques. La coopération n’est plus le fer de lance de notre politique d’influence ; on est à l’os. Les Françaises et les Français de l’étranger le vivent dans leur chair, ils voient les services offerts se réduire sans arrêt.

Faut-il pour autant inscrire dans le projet de loi de programmation la phrase proposée par M. Ledoux, telle qu’elle est rédigée, même si, comme le soulignait Frédéric Petit, on peut inscrire des objectifs chiffrés dans une loi de programmation ? Quoi qu’il en soit, M. le rapporteur a laissé la porte ouverte en suggérant de retravailler l’amendement. Sur le principe, en tout cas, chacun ici ne peut être que favorable à l’objectif poursuivi.

M. Jean-Paul Lecoq. Cet amendement ne fait que rappeler ce que nous disons depuis la première discussion budgétaire de la législature. Notre ancienne présidente elle-même était le fer de lance de notre commission pour préserver les moyens de l’action de l’État à l’étranger, à travers les postes diplomatiques et l’administration centrale.

Dans la loi de programmation militaire, les effectifs nécessaires à la mise en œuvre des objectifs ont été inscrits. Il convient de faire de même ici s’agissant de la politique d’aide au développement – à travers cet amendement ou d’autres, peu importe : quand une idée est bonne, il faut la valider, même si l’amendement n’arrive pas au bon endroit ou n’est pas écrit comme il faut. En l’occurrence, il est crédible d’inscrire des effectifs dans une loi de programmation, et il est bon que nous ayons un débat sur le pilotage politique de l’aide au développement. L’État, le régalien doit piloter la politique d’aide au développement, au lieu de laisser les coudées franches à une agence puissante. Je voterai donc cet amendement.

M. Jean François Mbaye. Cela fait plusieurs années, en effet, que nous nous battons ensemble, avec le ministre, pour maintenir notre niveau d’exigence en la matière. C’est indispensable. Il y va de l’action régalienne. Les effectifs du Quai d’Orsay contribuent à asseoir la politique d’aide publique au développement de la France. Votre amendement, cher Vincent Ledoux, est donc pertinent. Certes, sa rédaction pourrait être revue d’ici à la séance, mais il convient de le voter unanimement.

M. Hervé Berville, rapporteur. L’idée est intéressante, bien sûr, et en cohérence avec ce que notre commission défend collectivement depuis le début de la législature. J’avais un doute quant au fait que l’expression « services de l’État à l’étranger » inclue les opérateurs. La discussion ayant permis de lever ce doute, je suis favorable à l’amendement. L’un de nos objectifs est d’ailleurs, s’agissant de la relation entre l’État et les opérateurs, de renforcer sa composante politique, ce qui sera le cas avec les conseils locaux de développement.

Merci donc, cher collègue, pour votre amendement qui va permettre d’assurer la cohérence, sur le terrain, entre nos moyens et nos ambitions.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Ce débat est intéressant, et il a fait apparaître de larges convergences.

Au Quai d’Orsay, nous tirons toutes les conséquences du pilotage politique réaffirmé que M. Lecoq appelait de ses vœux, notamment à travers les conseils locaux de développement. J’ai d’ailleurs un souvenir très précis de la naissance de ce concept : l’idée a émergé dans le bureau de Jean-Yves Le Drian, alors que la question du pilotage politique était posée par Marielle de Sarnez et un certain nombre de parlementaires, lors d’une réunion de travail. C’est donc le résultat d’une coproduction en amont du texte.

Pour que l’ambassadeur pilote correctement le conseil local de développement, encore faut-il qu’il dispose de ressources dédiées. Nous en tirons les conséquences en nous orientant, pour le choix des conseillers de coopération et d’action culturelle (COCAC), vers des profils de plus en plus expérimentés, et en utilisant le levier de la formation : avant le départ des agents, l’accent est mis sur la question du développement, car il faut s’approprier le sujet.

Nous nous rejoignons donc, et, compte tenu des débats, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la commission.

M. Vincent Ledoux. Je tiens à vous rassurer : mon amendement reprend la terminologie de l’étude d’impact – je vous renvoie à la page 19. Il s’agit bien de mettre les moyens humains en cohérence avec les moyens budgétaires. Je vise effectivement les postes et non pas l’administration centrale. Il n’y a pas d’ambiguïté non plus s’agissant des postes affectés aux opérateurs. Par ailleurs, je parle d’une « trajectoire […] cohérente », ce qui ne signifie pas une hausse automatique : il convient de tenir compte des choix et de l’efficience.

Si nous n’inscrivions pas cette précision dans le texte, nous ne pourrions pas le faire au moment du PLF, car un tel amendement ne serait pas recevable.

Merci à tous : en adoptant cet amendement, nous allons saluer nos postes diplomatiques, qui, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, font un travail absolument exemplaire, tout en nous assurant de la cohérence entre les moyens humains et les objectifs affichés dans ce projet de loi de programmation.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous mesurons, en vous écoutant, l’importance qu’il y a à ce que l’un de nos collègues de la commission des finances participe à nos travaux.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement AE31 de M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Cet amendement vise à doubler les aides transitant par les organisations de la société civile (OSC) engagées dans le domaine de la solidarité internationale, l’objectif étant d’atteindre 1 milliard d’euros environ en 2022. Depuis le début, notre stratégie en la matière souffre d’un vrai déséquilibre, au détriment de ces organisations. Je tiens, au passage, à rendre un vibrant hommage à ces dernières : animées le plus souvent par des bénévoles, elles parviennent en effet à rassembler des moyens considérables en déployant des trésors d’imagination. D’autant que, lorsqu’elles s’adressent aux services de l’État, ceux-ci sont très souvent aux abonnés absents. En ma qualité de coprésident du groupe d’études sur la coopération au développement et de président de groupe, je suis souvent sollicité : certaines OSC, affichant des budgets importants, me demandent de les aider à obtenir des moyens de la part de l’État. Or cela ne donne jamais le moindre résultat, à tel point que j’ai cessé de m’adresser à l’AFD. Au début, on me répondait qu’il n’y avait pas de moyens ; après, que ce n’était pas la priorité, ou bien pas le bon moment. Je suis passé à l’Agence pour demander clairement quelles étaient les priorités : les dossiers ont été modifiés en conséquence et déposés de nouveau, mais rien n’y a fait. Bref, c’est toujours non. Il y a d’ailleurs un problème, monsieur le secrétaire d’État : quelles réponses l’AFD donne-t-elle aux organisations de la société civile qui frappent à sa porte ? C’est une véritable boîte noire.

M. Hervé Berville, rapporteur. Avis défavorable. Je sais votre attachement à ces organisations. La demande dont vous vous faites l’écho a été débattue à plusieurs reprises au sein du CNDSI ; cela représenterait un effort très important. Toutefois, tous les autres canaux permettant de soutenir les organisations de la société civile (OSC) bénéficient d’augmentations substantielles. Dans le domaine de l’humanitaire, la trajectoire consiste à atteindre 500 millions, soit quasiment un doublement. Les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dans les ambassades, passent de 27 millions d’euros à 71 millions d’euros.

Vous avez qualifié l’AFD de boîte noire. Je note pourtant qu’Oxfam vient de signer une convention avec l’Agence pour des financements en Afrique de l’Ouest. Un certain nombre d’autres ONG travaillent également avec elle. C’est tellement vrai que les financements de l’AFD au titre du droit d’initiative vont franchir pour la première fois la barre des 100 millions d’euros.

Par ailleurs, on ne cesse de dire que la participation de la France recule, mais si sa contribution au Fonds européen de développement (FED), qui alimente lui aussi les ONG sur le terrain, était prise en compte, la perception serait différente.

Quoi qu’il en soit, je vous rejoins s’agissant de l’importance capitale des ONG. C’est pourquoi le projet de loi consacre un paragraphe à leur droit d’initiative, et ce pour la première fois – il n’en était pas fait mention dans la loi de 2014. C’est une manière de reconnaître leur rôle dans le dispositif.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Non seulement la question des OSC est bien identifiée, mais nous souhaitons la prendre en compte aussi bien que possible. Elle a fait l’objet de nombreux échanges au sein du CNDSI. Je rends d’ailleurs hommage à la persévérance de Philippe Jahshan, à l’époque où il représentait la Coordination SUD.

Le CICID a pris un engagement très clair : doubler l’APD française transitant par les OSC. Les chiffres montrent que nous réussisson à monter la marche : nous y consacrons quasiment 500 millions d’euros, contre 310 millions en 2017, et nous atteindrons 620 millions en 2022. Le doublement aura donc été réalisé.

Par ailleurs, la reconnaissance du droit d’initiative va être gravée dans le marbre de la loi. C’était une demande forte.

Ce sont autant d’appuis importants pour donner de l’élan aux OSC.

Les crédits du guichet de l’AFD dédié aux dons pour les ONG ont progressé de 20 millions d’euros par rapport à 2020 ; ils s’élèvent à 130 millions. Les trois quarts des dossiers sont acceptés.

Certes, on peut toujours faire mieux, mais quand on sait d’où nous venons, il n’y a pas de quoi rougir. En outre, et comme le disait M. le rapporteur, l’aide aux OSC passe par différents canaux, notamment dans le domaine de l’humanitaire. La logique du projet de loi consiste également à s’appuyer sur le volontariat dans le Sud, sur les OSC locales.

Nous partageons donc la même philosophie, monsieur Pancher, mais point n’est besoin de modifier le texte.

M. Bertrand Pancher. J’observe en effet un accroissement de la part de l’APD française transitant par les OSC. En revanche, il est quasiment impossible, pour les petites organisations de la société civile, d’obtenir des aides. On ne sait pas comment s’y prendre. Essayez de faire en sorte que l’AFD soit plus ouverte. On a l’impression qu’en dessous d’une certaine somme, cela ne relève plus de sa compétence.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement AE147 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Le texte a pour objectif le doublement, d’ici à l’année prochaine, du montant de l’APD allouée à des projets menés par des OSC. L’amendement vise à ce que le montant atteint en 2022 soit maintenu jusqu’en 2025, ce qui constituerait un message politique fort.

M. Hervé Berville, rapporteur. J’y suis favorable sur le principe, mais on demandera en 2022 une augmentation de ce volume d’aide.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Une fois qu’on aura atteint le doublement, qu’en sera-t-il si l’APD continue à augmenter ? Entendez-vous geler le volume ou le pourcentage de ces fonds au sein de l’APD ?

M. Jean François Mbaye. Une fois le doublement atteint, faut-il se fixer l’objectif d’un nouveau doublement ? On ne sait pas exactement de quel équilibre vous parlez dans l’amendement.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous voulons éviter tout retour en arrière, par un effet cliquet.

M. Hervé Berville, rapporteur. Nous souhaitons éviter d’entremêler les objectifs dans le texte. Je vous rappelle que le Conseil d’État nous demande de veiller à ce que la loi soit la plus intelligible possible. Je vous invite donc à retirer votre amendement, ce qui vous permettra de le retravailler pour la séance. À défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à la discussion commune des amendements AE458 de M. Dominique Potier et AE32 de M. Bertrand Pancher.

M. Alain David. L’amendement vise à reconnaître formellement le « droit d’initiative » des organisations de la société civile, associations et ONG dans la politique d’aide au développement française. Il précise également qu’à l’échéance de 2022, 70 % de l’aide publique au développement bilatérale française versée aux organisations de la société civile et transitant par elles passeront par les dispositifs de subvention et de financement de l’innovation sociale.

M. Hervé Berville, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons précédemment évoquées.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Le droit d’initiative est formellement reconnu au VIII de l’article 1er. Le Gouvernement souhaite s’en tenir à cette rédaction explicite. Avis également défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement AE72 de M. Vincent Ledoux.

M. Vincent Ledoux. Cet amendement concerne le nouveau guichet de financement des projets issus de la société civile et vise à apporter deux précisions. Il prévoit que la contribution de l’État pourra couvrir certaines dépenses aujourd’hui mal prises en compte. L’AFD ou le centre de crise peuvent inclure dans leurs subventions un forfait de fonctionnement de 12 à 14 %, qui permet de tenir compte de certains frais de structure, mais qui n’est pas toujours suffisant. Il pourrait être utile de préciser qu’au titre du financement du droit d’initiative des organisations de la société civile, la subvention pourra couvrir les dépenses d’études, de réponse à des appels d’offres internationaux ou de mise en place de démonstrateurs. Il s’agit d’éviter que ces dépenses, parfois très utiles, saturent les plafonds des forfaits de fonctionnement.

En contrepartie, je propose d’indiquer que l’attribution d’une subvention donnera systématiquement lieu à une évaluation selon des conditions définies au préalable dans les conventions d’attribution. Dans mon rapport sur l’ouverture de nos territoires à la priorité africaine de la France, j’avais relevé que les subventions accordées par le ministère à des associations en France font l’objet d’une convention préalable avec la délégation des programmes et des opérateurs (DPO) mais que leur impact n’était pas toujours évalué. Il existe donc un risque que les subventions soient automatiquement reconduites, dans le cadre des mêmes conventions d’objectifs.

M. Hervé Berville, rapporteur. Votre amendement concerne plusieurs sujets. S’agissant des frais de gestion, je suis défavorable au fait d’inscrire la disposition que vous proposez dans la loi, surtout à l’article 1er. L’AFD finance déjà les frais de structure. L’étude d’impact, quant à elle, est en effet indispensable. Il faut aussi octroyer de petits fonds d’étude aux structures les plus modestes, ce que l’AFD commence à faire. Cela leur permettra de préparer des projets difficiles dans des territoires risqués. Avis défavorable.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Même avis. Le dispositif « Initiatives OSC » finance déjà, à hauteur de 12 à 14 %, les frais de gestion et, par extension, de structure. Le centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères procède de même.

M. Jacques Maire. Dans la partie du CPG dédiée à la gouvernance, il n’y a pas de volet consacré à l’évaluation et au contrôle, ce qui me semble pourtant nécessaire. Je suggère qu’on y réfléchisse afin de nourrir la dimension de la gouvernance, qui manque un peu dans le texte.

M. Vincent Ledoux. Je suis prêt à retirer l’amendement pour le retravailler. Peut-être M. le secrétaire d’État pourrait-il préciser que les exigences d’évaluation que nous appelons de nos vœux seront définies par la voie réglementaire ? Les opérateurs doivent rendre des comptes dès lors qu’ils utilisent de l’argent public.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. J’ai indiqué qu’on pouvait travailler sur ce sujet et améliorer les choses, si besoin est, par la voie réglementaire.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement AE681 du rapporteur.

M. Hervé Berville, rapporteur. L’amendement vise à ce que le droit d’initiative soit reconnu aux OSC françaises ou implantées dans les pays partenaires, ce qui permettrait de s’aligner sur les stratégies des États et les besoins locaux. On entend souvent dire qu’il faut au préalable renforcer les capacités de ces pays, car ils ne seraient pas capables de définir les solutions à leurs problèmes. Or, une grande majorité d’entre eux, en particulier en Afrique, ont des réponses endogènes et savent bien mieux que nous ce qu’il faut faire. Il convient donc de leur offrir la possibilité de lancer des initiatives et d’être financé.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine l’amendement AE459 de M. Dominique Potier.

Mme Laurence Dumont. L’amendement vise à reconnaître formellement le rôle joué par les organisations de la société civile, associations et ONG. Dans votre rapport sur la « modernisation de la politique partenariale de développement et de solidarité internationale », monsieur le rapporteur, vous constatiez déjà que « les OSC sont […] davantage considérées comme des prestataires que comme de véritables partenaires des politiques de développement ». Il convient de remédier à cet état de fait et de reconnaître formellement dans la loi l’importance de leur rôle. Il faut aussi renforcer leur représentativité au sein des agences et des opérateurs de l’État en permettant que les OSC soient représentées au sein de la commission indépendante d’évaluation, des conseils locaux de développement, des conseils d’administration de l’AFD, d’Expertise France et de Canal France international.

M. Hervé Berville, rapporteur. Je suis sensible à votre préoccupation, mais il me semble nécessaire de retravailler l’amendement, qui traite de sujets distincts. Je suis favorable à la première partie, consacrée au droit d’initiative et à la reconnaissance du rôle des associations, des OSC, de l’ECSI, du volontariat mais non à la seconde, qui concerne la représentation des OSC au sein des organisations et des opérateurs, et qui n’a pas sa place à l’alinéa 12. Les associations de la société civile sont représentées au sein du CNDSI et dans les conseils d’administration. Je vous demande de retirer votre amendement et de retravailler la première partie.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je suis très favorable à ce qu’on aboutisse à une disposition consacrée aux OSC. À l’instar du rapporteur, je pourrais être d’accord sur certains aspects de l’amendement. Je réaffirme mon engagement à ce que l’on travaille à la rédaction d’un amendement consensuel en vue de la séance.

Mme Laurence Dumont. Nous tenons à la deuxième partie de l’amendement mais sommes disposés à y retravailler en vue de la séance.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AE148 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Je le retire pour travailler à une nouvelle rédaction.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement AE8 de M. Bertrand Pancher.

La commission est saisie des amendements AE558 et AE555 de Mme Aina Kuric.

Mme Aina Kuric. Je retire l’amendement AE558, afin que l’on y retravaille en vue de la séance – nous avons eu des échanges avec le rapporteur et le secrétaire d’État à ce sujet.

L’amendement AE555 vise à allouer à l’enregistrement des naissances, à l’enrôlement de la population à l’état civil et à la création de bases de données biométriques au sein des pays partenaires, une partie des nouveaux fonds octroyés à l’aide publique au développement par le projet de loi. Il s’agit de lutter contre le fléau des enfants sans identité, qui les expose à la traite d’êtres humains, aux mariages forcés, aux conflits armés. Favoriser l’enregistrement de chaque naissance, c’est un enjeu central de développement et de la lutte contre les inégalités, qui s’inscrit dans la droite ligne de l’objectif de développement durable 16.9 figurant dans le programme de développement durable adopté en septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies.

M. Hervé Berville, rapporteur. Cette