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N° 3973

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
ADOPTÉE PAR LE Sénat, aprÈs engagement de la procÉdure accÉlÉrÉe,
 

tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (n° 3948)

PAR Mme Caroline ABADIE

Députée

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Voir les numéros : 3948

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVAnt-Propos......................................................... 5

I. Des conditions de détention dégradées par une surpopulation carcérale chronique et la nécessité d’une voie de recours effective

A. Les conditions de détention en france

1. Une problématique ancienne qui a conduit à plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)

2. Des conditions de détention dégradées par la surpopulation carcérale

3. La surpopulation carcérale, un problème structurel en France

B. Une condamnation récente de la France par la CEDH a conduit LES juges français à aller dans le sens de la création d’une nouvelle voie de recours

1. L’arrêt J.M.B. et autres c. France du 30 janvier 2020 de la CEDH

2. L’arrêt n° 1400 du 8 juillet 2020 de la Cour de cassation

3. La décision QPC du 2 octobre 2020 du Conseil constitutionnel

II. Une PROPOSITION DE LOI pour INSCRIRE DANS LA LÉGISLATION UNE VOIE DE RECOURS pour remÉdier à d’Éventuelles conditions indignes de détention

A. Le texte initial

1. La création d’une voie de recours devant le juge judiciaire spécialement dédiée aux conditions de détention indignes

2. Une procédure encadrée par des délais et présentant des garanties équilibrées

B. Les modifications apportÉes en première lecture

1. Les modifications apportées par le Sénat

2. Les modifications apportées par la Commission

Examen de l’article unique

Article unique (art. 144-1, 707 et 803-8 [nouveau] du code de procédure pénale) Procédure de saisine du juge judiciaire de conditions indignes de détention

CompteS rendu des débats

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Le 3 mars dernier en commission des Lois, puis le 8 mars en séance, nos collègues sénateurs ont adopté et enrichi de précisions mesurées, constructives et bienvenues la proposition de loi déposée par M. François-Noël Buffet tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

Comportant un article unique, cette proposition de loi insère au sein du code de procédure pénale une nouvelle voie de recours permettant aux personnes détenues de saisir le juge judiciaire de condition de détention qui seraient contraires à la dignité de la personne humaine. Elle tire ainsi les conséquences d’une récente décision du Conseil constitutionnel qui a enjoint au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne, afin qu’il y soit mis fin ([1]).

Si cette décision du juge constitutionnel ne concernait que les personnes en détention provisoire, la présente proposition de loi prend toutefois acte que les principes qui s’en dégagent s’appliquent également aux personnes incarcérées après une condamnation en créant une voie de recours ouverte à l’ensemble des personnes détenues, qu’elles soient prévenues ou condamnées. Votre rapporteure ne peut que saluer cette vision élargie de la décision constitutionnelle qui permet de compléter utilement notre système normatif et de répondre ainsi aux exigences de la jurisprudence de la CEDH en la matière ([2]).

Les travaux de votre rapporteure la conduisent à considérer que cette nouvelle voie de recours est satisfaisante, notamment en ce qu’elle garantit un équilibre précieux entre la poursuite du service pénitentiaire et la garantie du respect de la dignité humaine. Tant les étapes, que les délais impartis et les mesures d’intervention prévues, partagées entre les moyens de l’administration pénitentiaire et les pouvoirs du juge judiciaire forment en effet un nouveau dispositif qui apparaît à la fois adapté, réaliste et pertinent.

 


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I.   Des conditions de détention dégradées par une surpopulation carcérale chronique et la nécessité d’une voie de recours effective

Bien connue et dénoncée, y compris par les voix parlementaires, depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, la qualité des conditions de détention et la surpopulation carcérale demeurent, aujourd’hui encore, des sujets préoccupants.

A.   Les conditions de détention en france

1.   Une problématique ancienne qui a conduit à plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)

Au début des années 2000, deux commissions d’enquête sont instituées, d’abord à l’Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises, puis au Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France. Le rapport du député Jacques Floch, constatant une grande variété des conditions de détention, soulignait déjà les problématiques liées à la surpopulation carcérale qui « aboutit au non-respect des textes, rend très difficiles les conditions de vie en détention et empêche l'administration pénitentiaire d'assurer correctement son rôle » ([3]). Le rapport des sénateurs Jean-Jacques Hyest et Guy‑Pierre Cabanel estimait quant à lui que les conditions de détention dans notre pays étaient souvent contraires à la dignité la personne humaine et « indignes de la patrie des droits de l’homme », particulièrement au sein des maisons d’arrêt ([4]).

En 2019, la Contrôleure général des lieux de privation de liberté constatait que « dans la plupart des établissements visités, mais tout spécialement dans les maisons d’arrêt, l’immobilier est en piteux état, vite dégradé en raison de la surcharge d’occupation, mal maintenu faute de crédits et de capacité à libérer les cellules nécessaires le temps des travaux, et mal entretenu pour les mêmes raisons. Les nuisibles, en particulier les rats et les punaises, ne sont pas rares, les sanitaires sont en mauvais état, l’étanchéité n’est pas assurée, l’eau chaude est aléatoire, les abords des bâtiments sont sales et les cours de promenade sont dégradées. Il reste encore des établissements dans lesquels les toilettes, non séparées du reste de la cellule, sont visibles depuis l’œilleton de la porte » ([5]).

Ces conditions indignes de détention se sont traduites par de nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de la violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui stipule que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Ces condamnations appelaient le plus souvent à des mesures individuelles, notamment du fait des conditions matérielles de détention.

Exemples de condamnations de la France par la CEDH au titre de la violation de l’article 3 de la Convention

2009 - Les conditions de détention du requérant, classé détenu particulièrement signalé dès le début de son incarcération, soumis à des transfèrements répétés d’établissements pénitentiaires, placé en régime d’isolement à long terme et faisant l’objet de fouilles corporelles intégrales régulières ont été analysées par la Cour, par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3.

(CEDH, Khider c. France, 9 juillet 2009, req. n° 39364/05)

2011 – La France a été condamnée s’agissant des conditions de détention au sein du quartier disciplinaire de l’établissement pénitentiaire de Fleury-Merogis, la saleté, la vétusté, les inondations et l’absence de lumière suffisante pour lire ou écrire constituant un traitement indigne

(CEDH, Payet c. France, 20 avril 2011, req. n°°19606/08)

2012 - L’affaire concerne le suicide en prison par pendaison d’un détenu polytoxicomane condamné pour faits de violences avec arme. La Cour rappelle ici que l’État français a manqué à son devoir de vigilance particulière afin de prévenir le suicide d’un prisonnier vulnérable.

(CEDH, Ketreb c. France, 19 juillet 2012, req. n° 38447/09)

2013 – La CEDH a jugé que l’« effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et à le rabaisser », emportant violation de l’article 3.

(CEDH, Canali c. France, 25 juillet 2013, req. n°°40119/09)

2015 – La Cour a condamné la France en raison d’une violation de l’article 3 découlant de l’absence ou l’insuffisance de soins et du fait que la nécessité de se faire aider d’un codétenu pour prendre ses douches ont soumis le requérant à un niveau de souffrance dépassant celui qui est inhérent à une privation de liberté.

(CEDH, Helhal c. France, 19 février 2015, req. n° 10401/12)

2019 – La Cour a relevé que le requérant avait subi des traitements inhumains et dégradants et un usage disproportionné de la force par le personnel pénitentiaire ; elle a également conclu qu’il n’a pas bénéficié d’une enquête effective et conclut à la violation du volet procédural de l’article 3.

(CEDH, J.M. c. France, 5 décembre 2019, req. n° 71670/14)

Ces condamnations reflètent la variété des situations qui peuvent définir une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutes ne sont pas synonymes de conditions matérielles de détention indignes, mais certaines sont liées à des traitements inhumains ou dégradants. Plusieurs aspects entrent ainsi régulièrement en compte dans la jurisprudence de la CEDH (quel que soit le pays concerné) : les conditions d’hygiène en cellule, les fouilles corporelles imposées aux détenus, l’isolement, les mauvais traitements infligés par les gardiens de prison ou par des codétenus, les transfèrements répétés, ou encore l’espace personnel en cellule collective. Ces différents critères ne sont bien sûr pas exclusifs, mais bien souvent c’est le cumul de ces difficultés qui conduit à caractériser le caractère indigne de certaines conditions de détention.

La jurisprudence de la CEDH en matière de surface au sol par détenu : les conclusions de l’arrêt Muršić c. Croatie du 20 octobre 2016

L’appréciation que fait la Cour de la compatibilité avec l’article 3 des conditions de détention ne peut se réduire à un calcul du nombre de mètres carrés alloués au détenu. Pareille approche ne tiendrait pas compte du fait qu’en pratique, seul un examen de l’ensemble des conditions de détention permet d’appréhender précisément la réalité quotidienne des détenus.

Néanmoins, lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate. La forte présomption de violation ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis : les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures ; elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates ; le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention.

Lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, elle conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques.

Lorsqu’un détenu dispose de plus de 4 m² d’espace personnel en cellule collective et que cet aspect de ses conditions matérielles de détention ne pose donc pas de problème, les autres aspects demeurent pertinents aux fins de l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat des conditions de détention de l’intéressé.

Source : Cour européenne des droits de l’Homme, arrêt Muršić c. Croatie, 20 octobre 2016, req. n° 7334/13

Votre rapporteure tient à rappeler qu’en 2015 des normes fondamentales minimales en matière d’espace vital individuel par détenu ont été clairement édictées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Une cellule individuelle doit pourvoir un espace vital de 6 m2 minimum, auxquels doit venir s’ajouter une annexe sanitaire. En cellule collective, cet espace vital minimum par détenu doit être de 4 m2 ; l’annexe sanitaire étant comptabilisée à part et devant être entièrement cloisonnée. En outre, le CPT considère que toute cellule utilisée pour l’hébergement de détenus devrait mesurer au moins 2 mètres d’un mur à l’autre de la cellule et 2,5 mètres du sol au plafond ([6]).

Si l’espace vital minimum est donc un critère important, il résulte toutefois de la jurisprudence de la CEDH que l’appréciation du caractère indigne des conditions de détention relève d’un ensemble de facteurs devant être globalement envisagés.

2.   Des conditions de détention dégradées par la surpopulation carcérale

Comme le souligne la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, « la surpopulation, non seulement dénature le sens de la peine privative de liberté, mais porte atteinte à la dignité et à l’ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues, du fait de l’aggravation manifeste des conditions matérielles de détention, des tensions et violences qu’elle génère, de l’altération de la qualité des soins ou des obstacles au maintien des liens extérieurs et aux dispositifs de réinsertion qui en découlent » ([7]).

En effet, la surpopulation carcérale a des effets néfastes sur la vie en détention : elle augmente la promiscuité, conduit à transformer des cellules initialement pensées comme individuelles en cellules collectives, accentue la perte d’intimité – les toilettes n’étant parfois pas vraiment séparées du reste de la cellule. En outre, elle accélère la dégradation de certains locaux, entraînant parfois d’importantes carences en termes d’hygiène et de salubrité. Comme le rappelle la CGLPL, la surpopulation est également propice à l’aggravation des violences et au développement d’un climat de tension permanente qui touchent aussi bien les personnes détenues que les personnels pénitentiaires. Elle entrave également l’accès des personnes détenues aux différentes activités, aux soins et nuit parfois au maintien de leurs liens familiaux.

Favorisant donc le non-respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées, la surpopulation est également contraire au principe d’encellulement individuel posé par la loi du 5 juin 1875. Visant à l’origine à éviter la détention collective, considérée comme un facteur favorisant la récidive, ce principe a été réaffirmé par la loi pénitentiaire de 2009 ([8]), mais fait aujourd’hui l’objet d’un moratoire et voit son application reportée à 2022.

3.   La surpopulation carcérale, un problème structurel en France

La surpopulation s’installe depuis plusieurs années de façon pérenne dans le paysage carcéral français, en raison notamment de l’augmentation continue du nombre de personnes détenues. En effet, depuis vingt ans, la population carcérale s’est constamment accrue en raison de l’allongement et de l’augmentation des condamnations à des peines de prison ferme, en lien notamment avec la création de nouveaux délits et le développement de procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate. Ainsi, la population carcérale est passée d’environ 61 000 personnes en 2010 à plus de 70 651 au 1er janvier 2020.

Cette évolution a de plus été renforcée par l’augmentation du nombre de personnes prévenues, passées d’environ 15 000 à 21 000 entre 2010 et 2020. Si leur part relative parmi l’ensemble des personnes sous écrou a d’abord diminué pour se stabiliser autour de 21 %, elle est en constante augmentation depuis 2015 et représentait plus de 25 % en 2020.

Or, en parallèle de cette augmentation continue du nombre de personnes incarcérées, le parc pénitentiaire demeure quant à lui insuffisant pour accueillir l’ensemble des détenus puisqu’il comprend, en 2020, 61 080 places opérationnelles. Ainsi, le manque de places opérationnelles net était de 9 571 places ([9]). En 2020, le taux annuel moyen d’occupation des établissements pénitentiaires était d’environ 117 %, un chiffre préoccupant qui cache toutefois d’importantes disparités avec des taux d’occupation variant de 50 % pour certains centres pénitentiaires à près de 200 % pour certaines maisons d’arrêt.

L’impact de la crise sanitaire sur la surpopulation carcérale

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a considérablement réduit la population carcérale. Au-delà du rythme habituel des flux sortants d’incarcération, plusieurs mesures ont contribué à cette évolution :

– le ralentissement de l’activité de jugement des tribunaux qui a freiné les placements sous mandat de dépôt des personnes condamnées ;

– la facilitation des procédures permettant la libération anticipée des personnes condamnées ;

– la réduction supplémentaire de peine à titre exceptionnel.

Cette évolution a été particulièrement marquée sur le premier semestre 2020. Ainsi, le nombre de détenus a diminué de 11 956 personnes entre le 1er janvier et le 1er juillet 2020, faisant passer le taux d’occupation moyen des établissements pénitentiaires de près de 117 % à 97 %.

Même si la seconde moitié de l’année a été marquée par une reprise des incarcérations et par une hausse de la population carcérale, l’amélioration de la situation pénitentiaire a toutefois été sensible.

En un an, entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 :

– le nombre de détenus est passé de 70 739 à 62 673 ;

– la part des prévenus parmi les détenus est passée de 25,9 % à 28,5 % ;

– le taux d’occupation global est passé de 117 % à 103 % ;

– en maison d’arrêt (hors places mineurs), ce taux est passé de 141 % à 119 % ;

– le nombre de personnes détenues dans un établissement suroccupé à plus de 120 % est passé de 42 853 à 21 664 ;

– le nombre de personnes détenues dans un établissement suroccupé à plus de 150 % est passé de 22 118 à 6 117 ;

– les détenus en surnombre, par rapport aux places opérationnelles disponibles, sont passés de 14 905 à 9 650 ;

– le nombre de matelas au sol est passé de 1 614 à 688 ;

– le taux d’encellulement individuel est passé de 40,9 % à 48,6 %.

Source : Ministère de la justice, mesure de l’incarcération au 1er janvier 2021

Malgré les évolutions encourageantes permises en 2020, la situation carcérale demeure en France marquée par une surpopulation chronique qui nuit aux conditions de détention, tout particulièrement au sein des maisons d’arrêt, et qui a de nouveau été dénoncée par la CEDH en janvier 2020.

B.   Une condamnation récente de la France par la CEDH a conduit LES juges français à aller dans le sens de la création d’une nouvelle voie de recours

1.   L’arrêt J.M.B. et autres c. France du 30 janvier 2020 de la CEDH

Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a de nouveau condamné la France pour violation de l’article 3 et de l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La saisine portait sur trente-deux affaires concernant les mauvaises conditions de détention dans les centres pénitentiaires de Ducos (Martinique), Faa’a Nuutania (Polynésie française), Baie-Mahault (Guadeloupe) ainsi que dans les maisons d’arrêt de Nîmes, Nice et Fresnes, prisons surpeuplées et l’effectivité des recours préventifs permettant aux détenus concernés d’y remédier.

La CEDH a jugé que les requérants ont, pour la majorité d’entre eux, disposé d’un espace personnel inférieur à la norme minimale requise de 3 m² pendant leur détention, situation aggravée par l’absence d’intimité pour l’utilisation des toilettes. Pour les requérants qui ont disposé de davantage d’espace personnel, la Cour a estimé que les établissements pénitentiaires où ils étaient – ou sont encore – détenus n’offraient pas, de manière générale, des conditions de détention décentes ni une liberté de circulation et des activités hors des cellules suffisantes.

La Cour a également relevé le caractère systémique de la surpopulation carcérale française qui constitue un problème structurel affectant inévitablement l’ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues. Elle recommande à la France d’envisager l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention.

La CEDH a en outre jugé que les recours administratifs que sont le référé‑liberté et le référé mesures utiles sont ineffectifs en pratique. Elle considère ainsi que le pouvoir d’injonction du juge administratif a une portée limitée, notamment parce qu’il ne lui permet pas d’exiger la réalisation de travaux d’une ampleur suffisante pour mettre fin aux conséquences de la surpopulation carcérale. Elle observe en outre que le juge fait dépendre son office du niveau des moyens de l’administration, ainsi que des actes qu’elle a déjà engagés et elle estime que la mise en œuvre des injonctions connaît des délais qui ne sont pas conformes avec l’exigence d’un redressement diligent.

Si la CEDH reconnaît une évolution favorable de la jurisprudence, elle juge toutefois que la surpopulation carcérale et la vétusté de certains établissements font obstacle à la possibilité, au moyen de ces recours administratifs qui sont offerts aux personnes détenues, de faire cesser pleinement et immédiatement des atteintes graves aux droits fondamentaux. Elle conclut donc qu’un recours préventif doit être établi pour permettre aux détenus de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire, de redresser la situation dont ils sont victimes et d’empêcher la continuation d’une violation alléguée.

2.   L’arrêt n° 1400 du 8 juillet 2020 de la Cour de cassation

Dans cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de la condamnation prononcée par la CEDH le 30 janvier 2020 à raison des conditions indignes de détention dans plusieurs centres pénitentiaires et maisons d’arrêt et de l’absence de recours devant les autorités françaises permettant d’y remédier de manière effective.

Elle a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité qui alléguait notamment des atteintes au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et au droit au recours effectif par les articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale, en ce qu’ils ne prévoient pas « que le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention puisse, de manière effective, redresser la situation dont sont victimes les détenus dont les conditions d’incarcération constituent un traitement inhumain et dégradant afin d’empêcher la continuation de la violation alléguée devant lui ».

S’agissant d’une privation de liberté constituant une situation d’urgence, la chambre criminelle a considéré qu’elle n’avait pas à surseoir à statuer dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel et devait examiner immédiatement la valeur de l’exception d’inconventionnalité soulevée. Elle a rappelé que le juge national est chargé d’appliquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qu’il n’a donc d’autre choix que de tenir compte des décisions de la CEDH sans attendre une éventuelle modification des textes. En tant que gardien de la liberté individuelle, le juge judiciaire doit ainsi veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant.

L’arrêt précise également les étapes d’un tel recours devant le juge judiciaire. Le détenu doit fournir dans sa demande des éléments « suffisamment crédibles, précis et actuels » susceptibles de contenir un commencement de preuve du caractère indigne des conditions de détention. Ces éléments doivent se rapporter à la situation personnelle de l’intéressé et ne peuvent se contenter de décrire l’état général de la détention dans l’établissement dans lequel il est détenu. La chambre de l’instruction devra alors, si le ministère public ne l’a pas fait, faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’apprécier la réalité de ces allégations. Si ces vérifications établissent la réalité de l’atteinte au principe de dignité de la personne détenue sans qu’il y ait été remédié depuis lors, le juge doit ordonner la mise en liberté de la personne en lui imposant, éventuellement, une assignation à résidence avec surveillance électronique ou un contrôle judiciaire.

La chambre criminelle rappelle ainsi le pouvoir dont dispose la chambre de l’instruction, conformément à son office, de libérer le détenu. Elle rappelle également le rôle important que peut jouer le ministère public en la matière. Dès lors qu’il est informé de la demande, ce magistrat peut se rapprocher de l’administration pénitentiaire afin de vérifier, en amont de l’audience, la réalité des assertions du détenu. L’administration pénitentiaire peut ainsi faire cesser l’atteinte éventuelle avant même que la chambre de l’instruction ne se prononce.

Cet arrêt marque un infléchissement de la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle puisque, dorénavant, des conditions indignes de détention sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de cette détention.

Il a d’ailleurs été suivis de faits. Selon Christophe-André Frassa, rapporteur de cette proposition de loi au Sénat, « le nombre de recours [par cette nouvelle voir ouverte aux détenus depuis juillet dernier] est demeuré modéré, une vingtaine de demandes ayant par exemple été recensées dans la région ÎledeFrance. La direction de l’administration pénitentiaire a indiqué […] qu’un prévenu détenu au centre pénitentiaire de Nouméa Camp Est, en NouvelleCalédonie, a été remis en liberté sur ce fondement » ([10]).

3.   La décision QPC du 2 octobre 2020 du Conseil constitutionnel

Par cette décision, répondant à la saisine du 9 juillet 2020 par la Cour de cassation relative à deux questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Il était reproché aux dispositions des articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale, relatifs à la détention provisoire, d’être entachées d’incompétence négative, faute d’imposer au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine, et de méconnaître à ce titre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de prohibition des traitements inhumains et dégradants, la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée.

La décision rappelle tout d’abord le cadre constitutionnel :

– Il ressort du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle.

– Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

– Il résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

De ces différentes exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a déduit qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. Les autorités judiciaires sont en outre compétentes pour prévenir et réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne placée en détention provisoire, ainsi que pour ordonner la réparation des préjudices subis. Enfin, le juge constitutionnel a donc considéré qu’il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Dans la continuité de la décision de la CEDH, le Conseil constitutionnel a constaté que les recours devant le juge administratif en référé, sur le fondement des articles L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, ne permettaient pas de garantir qu’il soit mis fin aux conditions indignes de détention.

Concernant les possibilités de recours judiciaires des personnes détenues, le Conseil constitutionnel a relevé que le juge n’était tenu de donner suite à une demande de mise en liberté que dans les cas prévus au second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénal : lorsque la détention excède un délai raisonnable ou lorsqu’elle n’est plus justifiée par l’une des causes propres à la sauvegarde de l’ordre public ou la recherche des auteurs d’infraction (conditions qui sont définies par l’article 144 du même code). Il a également observé que l’article 147 du même code ne permettait au juge la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire « que dans la situation où une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention ».

Le Conseil constitutionnel en a conclu qu’aucun recours devant le juge judiciaire ne permet finalement au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire. En conséquence, il a déclaré contraire à la Constitution le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale. L’abrogation de cet alinéa prend effet le 1er mars 2021.

II.   Une PROPOSITION DE LOI pour INSCRIRE DANS LA LÉGISLATION UNE VOIE DE RECOURS pour remÉdier à d’Éventuelles conditions indignes de détention

La décision du juge constitutionnel ne concernait que les personnes en détention provisoire, mais, considérant que les mêmes principes s’appliquent également aux personnes condamnées, la présente proposition de loi crée une voie de recours, devant le juge judiciaire, ouverte à l’ensemble des personnes détenues, qu’elles soient prévenues ou condamnées.

A.   Le texte initial

1.   La création d’une voie de recours devant le juge judiciaire spécialement dédiée aux conditions de détention indignes

La présente proposition de loi crée une nouvelle voie de recours ouverte à l’ensemble des personnes détenues, qu’elles soient condamnées définitivement ou placées en détention provisoire, et organisée en plusieurs étapes.

Le juge, soit le juge des libertés et de la détention pour les prévenus ou le juge de l’application des peines pour les condamnés, se prononce tout d’abord, dans un délai de dix jours, sur la recevabilité de la requête qui lui est soumise et qui doit comporter des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve du caractère indigne des conditions de détention. Il dispose ensuite d’un second délai de dix jours pour se prononcer sur le bien-fondé de cette requête, au vu des allégations, des vérifications réalisées, des observations de l’administration pénitentiaire, de l’avis du procureur de la République et, les cas échéant, de celui du juge d’instruction. Il peut pour cela également entendre le requérant, ainsi que l’administration pénitentiaire et le ministère public.

Si la requête est considérée comme fondée, deux étapes sont prévues pour apporter rapidement une solution et mettre fin aux conditions indignes de détention. Tout d’abord, au maximum dix jours après la décision de recevabilité, le juge fait connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité de la personne humaine. Il fixe à l’administration un délai compris entre dix jours et un mois pour remédier à la situation. Ensuite, dans un deuxième temps et seulement si dans le délai imparti il n’a pas été mis fin aux conditions indignes de détention, le juge prend lui-même une décision pour y parvenir. Il dispose d’un délai de dix jours pour statuer et peut alors ordonner le transfèrement de la personne, une mise en liberté pour une personne prévenue ou un aménagement de peine pour une personne condamnée.

Les décisions du juge, y compris concernant la recevabilité de la requête, peuvent faire l’objet d’un appel soit devant le président de la chambre de l’instruction, soit devant le président de la chambre de l’application des peines.

2.   Une procédure encadrée par des délais et présentant des garanties équilibrées

Cette procédure est ainsi encadrée par plusieurs délais qui garantissent l’efficacité de la réponse apportée pour mettre fin aux conditions de détention contraire à la dignité de la personne humaine.

Votre rapporteure considère que ces délais sont suffisamment courts pour garantir une action rapide contre une situation inacceptable tout en demeurant raisonnables pour laisser le temps, notamment à l’administration pénitentiaire, de concevoir et de mettre en œuvre la solution la plus adaptée aux circonstances.

Elle rappelle en outre que cette procédure tient ainsi compte du fait qu’une mesure remettant en cause l’exécution de la peine ou le principe même de l’incarcération ne se justifie que s’il s’avère autrement impossible de mettre fin au caractère indigne des conditions de détention. La nouvelle voie de recours proposée permet ainsi de concilier la garantie des droits des détenus, marquant une avancée dans le respect des droits fondamentaux, et l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public intrinsèquement lié avec la gestion carcérale.

B.   Les modifications apportÉes en première lecture

1.   Les modifications apportées par le Sénat

Outre différents amendements d’amélioration rédactionnelle, la commission des Lois du Sénat a adopté, à l’initiative de son rapporteur Christophe-André Frassa, les amendements suivants :

– le Sénat a rétabli le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale dont l’abrogation est effective depuis le 1er mars 2021, date fixée par le Conseil constitutionnel.

– le Sénat a prévu une information du magistrat en charge de la procédure (juge d’instruction ou procureur de la République) lorsqu’un recours par cette nouvelle procédure est déposé ;

– le Sénat a précisé que le JLD peut, pour prendre sa décision, également consulter, s’il le juge nécessaire, le juge d’instruction en charge du dossier ;

– le Sénat a également complété les possibilités de recours de celle de faire appel de la décision du juge de déclarer recevable ou non la requête du détenu ;

– enfin, le Sénat a précisé que l’obligation de statuer en appel dans un délai de quinze jours porte seulement sur l’hypothèse d’un appel du ministère public.

Par ailleurs, la commission des Lois a adopté un amendement de MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qui accorde au requérant la faculté de demander à être entendu par le juge – alors que la version initiale de cette proposition de loi laissait au seul juge la faculté de décider d’entendre, ou non, le requérant.

En séance publique, seul un amendement du rapporteur, proposant une nouvelle rédaction de la coordination en lien avec certains territoires ultramarins, a été adopté.

Ces modifications utiles et bienvenues sont venues enrichir un dispositif qui permettra de garantir aux personnes détenues une voie de recours pour dénoncer et remédier à des conditions de détention contraires à la dignité humaine. Votre rapporteure estime donc que le texte soumis au vote de notre Assemblée est, en l’état, de nature à satisfaire les exigences posées par la CEDH et par la censure prononcée par le Conseil constitutionnel.

2.   Les modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté cette proposition de loi sans modification.

 

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   Examen de l’article unique

Article unique
(art. 144-1, 707 et 803-8 [nouveau] du code de procédure pénale)
Procédure de saisine du juge judiciaire de conditions indignes de détention

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article insère au sein du code de procédure pénale un nouvel article 803‑8 qui prévoit une voie de recours permettant à une personne détenue de saisir le juge judiciaire lorsqu’il estime subir des conditions indignes de détention, afin qu’il y soit mis fin. Il procède également à des mesures de coordination complétant les articles 144-1 et 707 du même code afin de tenir compte de l’insertion de ce nouvel article 803-8.

       Dernières modifications législatives intervenues

Introduit par la loi de 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme ([11]), l’article 144-1 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, évaluée en fonction de la gravité des faits reprochés et de la complexité de l’enquête. Son second alinéa a été complété en 2001 ([12]) pour y intégrer le juge des libertés et de la détention (JLD). Il précise que le juge d’instruction ou le JLD doit ordonner la remise en liberté du prévenu dès que la détention provisoire excède une durée raisonnable ou si les conditions de ce placement en détention ne sont plus remplies.

L’article 707 du code de procédure pénale prévoit certaines dispositions générales relatives à l’exécution des sentences pénales. Il prévoit notamment que toute personne condamnée bénéficie, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté. Cette disposition a été modifiée en 2014 ([13]) pour préciser que ce retour à la liberté se fait « en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte, afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».

       Les modifications apportées par le Sénat

● La commission des Lois a adopté huit amendements du rapporteur, dont quatre rédactionnels. Outre une coordination d’ordre légistique, les amendements du rapporteur ont précisé les voies de recours applicables et ont prévu de mieux associer le juge d’instruction aux décisions du juge des libertés et de la détention. La commission a également adopté un amendement déposé par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qui consacre le droit pour le détenu à être entendu par le juge concerné.

● En séance, seul un amendement du rapporteur, proposant une nouvelle rédaction de la coordination en lien avec les territoires de Nouvelle‑Calédonie, de Polynésie française et les îles Wallis et Futuna a été adopté.

     Les modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

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1.   L’état du droit

a.   Les voies de recours accessibles aux personnes détenues, qu’elles soient condamnées ou prévenues

Une personne détenue dispose de plusieurs moyens pour dénoncer, en vue d’y faire remédier, des conditions indignes de détention.

● L’administration pénitentiaire étant garante des conditions de détention ([14]), elle peut être saisie directement par la personne détenue et peut décider de mesures permettant de remédier aux conditions indignes de détention. La partie réglementaire du code de procédure pénale précise par ailleurs les dispositions relatives à l’hygiène dans les établissements pénitentiaires (articles D. 349 à D. 351).

● Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) peut lui aussi être directement saisi d’une situation qui porte atteinte aux droits fondamentaux d’une personne privée de liberté. Chargé par la loi de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux » ([15]), le CGLPL peut, s’il le juge nécessaire, « formuler des recommandations relatives aux faits ou aux situations en cause à la personne responsable du lieu de privation de liberté » ([16]) ou communiquer « sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, constate s’il a été mis fin à la violation signalée » ([17]). Ces différentes observations peuvent être rendues publiques.

● Les référés administratifs constituent ensuite la principale voie de recours permettant à une personne détenue de saisir le juge de conditions de détention jugées indignes.

Prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le référéliberté vise à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Saisi d’une demande qui doit être justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toute mesure utile et doit se prononcer dans un délai de quarante-huit heures.

La question des conditions de détention fait l’objet d’une jurisprudence administrative importante. Le Conseil d’État estime depuis 2012 que « lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence » ([18]). Le rôle du juge administratif dans le cadre du référé-liberté est toutefois limité aux situations d’urgence et il ne peut alors prescrire que des mesures susceptibles d’agir très rapidement sur la situation dont il est saisi, et non des « mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique insusceptibles d’être mises en œuvre » ([19]).

La personne détenue peut également engager un référé-mesures utiles prévu par l’article L. 521-3 du code de justice administrative. Cette procédure, elle aussi conditionnée par l’urgence, permet de demander au juge d’ordonner toutes mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative.

Si cette procédure demeure moins utilisée, elle a par exemple conduit le tribunal administratif de Marseille à enjoindre à l’administration pénitentiaire d’effectuer des travaux d’étanchéité et d’installation de cloisons d’intimité au centre pénitentiaire de Marseille ([20]).

● Par ailleurs, sans lien avec les conditions de détention et sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, dispose que la détention peut être suspendue, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention.

● Il existe également une voie de recours indemnitaire : la responsabilité de l’administration pénitentiaire, et donc de l’État, peut ainsi être engagée du fait des mauvaises conditions de détention.

b.   Les voies de recours spécifiques aux personnes placées en détention provisoire

En ce qu’elle porte une atteinte à la présomption d’innocence et à la liberté individuelle, le régime de la détention provisoire prévoit plusieurs garanties et, en sus des référés d’urgence mentionnés ci-avant, différentes voies de recours devant les juridictions.

● L’article 144-1 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, déterminée au regard de la gravité des faits et de la complexité des investigations afférentes. Il dispose que le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le JLD doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire dès que la détention provisoire excède, au vu de ces critères, une durée raisonnable ou si les conditions de ce placement en détention, prévues par l’article 144 du même code, ne sont plus remplies. En effet, la détention provisoire ne peut être ordonnée – ou prolongée – que si elle constitue l’unique moyen de :

‒ conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;

‒ empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

‒ empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;

‒ protéger la personne mise en examen ;

‒ garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

‒ mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;

‒ mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice causé.

Cette mise en liberté se fait selon la procédure prévue par l’article 147 du code de procédure pénale, selon laquelle elle peut être ordonnée d’office par le juge d’instruction après avis du procureur de la République, éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire. Elle peut également être requise, à tout moment, par le procureur de la République. Si le juge d’instruction n’accède alors pas à cette requête, il doit, dans les cinq jours, transmettre le dossier, assorti de son avis motivé, au juge des libertés et de la détention, qui statue dans le délai de trois jours ouvrables.

● Par ailleurs, l’article 148 du code de procédure pénale prévoit qu’une personne placée en détention provisoire peut, à tout moment, demander sa mise en liberté selon la procédure prévue par l’article 147 du même code et décrite ciavant. L’article 148 précise que le JLD statue par une ordonnance qui doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l’article 144 du même code.

Le dernier alinéa de l’article 148 précise que si ce délai n’est pas respecté, la personne prévenue peut saisir directement de sa demande la chambre de l’instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, doit se prononcer dans les vingt jours de sa saisine, faute de quoi la personne est mise d’office en liberté sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées

● Depuis 2014, une personne prévenue placée en détention provisoire peut également solliciter une mise en liberté pour motif médical. Cette procédure, prévue par l’article 147-1 du code de procédure pénale, s’inspire de la suspension médicale de peine prévue pour les personnes détenues condamnées par l’article 72011 du code de procédure pénale. La mise en liberté du prévenu peut être prononcée, sauf en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction, dès lors qu’une expertise médicale établit qu’il est atteint « d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention ».

● Enfin, si à l’issue de la procédure, la détention provisoire paraît injustifiée, un recours de nature indemnitaire est possible : l’article 149 du code de procédure pénale prévoit ainsi que la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France dans un arrêt du 30 janvier 2020 non seulement pour conditions de détention, estimées inhumaines et dégradantes (en violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales), mais également en raison d’une ineffectivité des voies de recours offertes aux personnes détenues pour faire remédier à des conditions de détention ne respectant pas la dignité humaine (en violation de l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales) ([21]).

Cette condamnation a été prise en compte par le juge judiciaire dans l’arrêt du 8 juillet 2020 ([22]), puis, en octobre 2020, le Conseil constitutionnel a finalement enjoint au législateur de garantir aux personnes détenues la possibilité de saisir le juge de conditions de détention qui seraient contraires à la dignité de la personne humaine ([23]).

2.   Le dispositif proposé

En réponse à ces décisions des juges européens et français, l’article unique de cette proposition de loi crée une nouvelle voie de recours, ouverte à toutes les personnes détenues, qu’elles soient condamnées et incarcérées ou en détention provisoire, permettant de saisir le juge judiciaire de conditions de détention considérées comme contraires au respect de la dignité humaine. Il insère pour cela un nouvel article 8038 au sein du code de procédure pénale.

a.   Des précisions insérées aux articles 144-1 et 707 du code de procédure pénale en coordination avec la nouvelle voie de recours créée

L’article 144-1 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable et son second alinéa, visé par la censure précitée du Conseil constitutionnel, dispose que le juge d’instruction ou le JLD doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne prévenue dès que la détention provisoire excède une durée raisonnable ou si les conditions de ce placement en détention ne sont plus remplies.

Ce second alinéa est complété afin de préciser qu’il s’applique sans préjudice des dispositions qui sont prévues par le nouvel article 803-8 et qui garantissent le droit de la personne à être détenue dans des conditions respectant sa dignité.

Le III de l’article 707 du code de procédure pénale est complété pour y préciser que le droit de la personne d’être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions du nouvel article 803-8. Cet alinéa dispose qu’une personne condamnée incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte, afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.

b.   La création via le nouvel article 803-8 d’une nouvelle voie de recours pour saisir le juge judiciaire de conditions indignes de détention

● Le I de l’article 803-8 du code de procédure pénale prévoit qu’une personne détenue dans un établissement pénitentiaire qui estime que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine a la possibilité de saisir le juge judiciaire afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes.

Le juge compétent est le JLD pour les personnes en détention provisoire et le juge de l’application des peines pour les personnes condamnées et incarcérées en exécution d’une peine privative de liberté. Un doute semble toutefois exister quant à la répartition de compétence entre ces deux juges pour les cas de personnes détenues qui seraient à la fois condamnées définitivement et prévenues pour une autre affaire, ce qui concernerait environ 2 500 personnes au 1er février 2020.

Il est précisé que cette nouvelle voie de recours est introduite sans préjudice de la possibilité pour la personne détenue de saisir le juge administratif en référé‑suspension (article L. 521-1 du code de justice administrative), en référé‑liberté (article L. 521-2 du même code) ou en référé-mesures utiles (article L. 521-3 du même code).

● Les deuxième et dernier alinéas du I précisent les modalités de cette procédure devant le juge judiciaire.

Celui-ci ne peut déclarer recevable la requête de la personne détenue que si les allégations y figurant sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne.

Si la requête est recevable au regard de ces critères, dans un délai compris entre trois jours ouvrables et dix jours, le juge fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire.

Si le juge estime la requête fondée, il se tourne alors vers l’administration pénitentiaire pour mettre fin aux conditions de détention indignes :

– il fait tout d’abord connaître à l’administration pénitentiaire quelles sont les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité de la personne humaine ;

– il fixe ensuite un délai compris entre dix jours et un mois pour mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention ;

– il ne peut toutefois adresser à l’administration pénitentiaire d’injonction de prendre des mesures déterminées.

L’administration pénitentiaire est alors seule compétente pour agir et apprécier quels moyens doivent être mis en œuvre pour remédier à ces conditions de détention indignes. Il est toutefois précisé que l’administration pénitentiaire peut procéder au transfèrement de la personne détenue concernée dans un autre établissement pénitentiaire.

● Le II de l’article 803-8 du code de procédure pénale vient ensuite préciser les pouvoirs du juge si les mesures prises par l’administration pénitentiaire n’ont pas permis de mettre fin à ces conditions de détention indignes. En effet, c’est seulement dans ce cas que le juge judiciaire prend une décision pour faire cesser cette situation. Il a alors le choix entre trois types de décision :

– transférer la personne concernée dans un autre établissement pénitentiaire ;

– s’il s’agit d’une personne en détention provisoire, ordonner sa mise en liberté, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique ;

– s’il s’agit d’une personne définitivement condamnée et si elle est éligible à une telle mesure, ordonner un aménagement de peine.

Le juge peut toutefois refuser de prendre l’une de ces trois décisions si un transfèrement a déjà été proposé et refusé par la personne détenue concernée, sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement aurait porté une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale.

● Le III de l’article 803-8 apporte plusieurs précisions concernant les éléments pris en compte par le juge dans cette procédure et les délais impartis, ainsi que les possibilités d’appel.

– Le premier alinéa du III prévoit que les décisions prises par le juge doivent être motivées et prises au vu de plusieurs éléments : la requête et les observations de la personne détenue ou, s’il y a lieu, de son avocat ; les observations écrites de l’administration pénitentiaire ; l’avis écrit du procureur de la République.

Le juge peut également décider d’entendre la personne détenue concernée. Il doit alors entendre également le ministère public et le représentant de l’administration pénitentiaire si ceux-ci en font la demande. Il est précisé que ces auditions peuvent être réalisées selon un moyen de télécommunication audiovisuelle conformément à l’article 706-71 du même code.

– Le deuxième alinéa du III dispose que la décision du juge prise dans un second temps, si les mesures de l’administration pénitentiaire n’ont pas permis de mettre fin aux conditions de détention indignes, peut faire l’objet d’un appel soit devant le président de la chambre de l’instruction, soit devant le président de la chambre de l’application des peines. L’appel du ministère public est suspensif lorsqu’il est formé dans un délai de vingt-quatre heures. L’affaire est examinée au plus tard dans un délai de quinze jours, faute de quoi l’appel est non avenu.

– Le dernier alinéa du III précise les autres délais qui encadrent cette procédure. D’une part, le juge doit statuer sur la recevabilité de la requête dans un délai de dix jours à compter de sa réception. D’autre part, le juge dispose d’un autre délai de dix jours pour faire connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime indignes. Enfin, si l’administration pénitentiaire n’a pas mis fin aux conditions de détention indignes, il dispose, à compter de l’expiration du délai qu’il avait fixé à l’administration, d’un autre délai de dix jours pour statuer.

En cas de non-respect de ces délais, la personne détenue peut saisir directement le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’application des peines, qui interviennent normalement en appel.

● En dernier lieu, le IV de cet article 803-8 du code de procédure pénale prévoit un décret en Conseil d’État pour préciser les modalités d’application de cette nouvelle voie de recours, et notamment :

– les modalités de saisine du juge (JLD ou JAP) ;

– la nature des vérifications que le juge peut ordonner pour évaluer si la requête est fondée, sans préjudice de sa possibilité d’ordonner une expertise ou de se transporter sur les lieux de détention ;

– l’articulation entre cette voie de recours et celle des référés administratifs.

3.   Les modifications apportées par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a adopté neuf amendements dont huit ont été présentés par le rapporteur. Parmi les amendements du rapporteur :

● Cinq amendements apportent des corrections ou des précisions :

–  deux sont de nature rédactionnelle (COM-35 et COM-37) ;

–  un amendement met à jour l’article du code de procédure pénale relatif à l’application outre-mer de ces dispositions (COM-34) ;

–  l’amendement COM-30 tient compte de l’effectivité de la censure du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale qui a été abrogé depuis le 1er mars 2021, en application de la décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 du Conseil constitutionnel ;

–  l’amendement COM-36 vise à lever une ambiguïté au deuxième alinéa du III de l’article 803‑8 relatif aux possibilités d’appel. Il modifie une ponctuation pour préciser que l’obligation de statuer en appel dans un délai de quinze jours porte seulement sur l’hypothèse d’un appel du ministère public. Votre rapporteure souligne qu’en effet, l’appel du ministère public étant suspensif, il importe qu’une décision soit rendue rapidement. Elle souligne toutefois que cette modification conduit également à ce que ce délai ne s’applique qu’à cet appel du ministère public et qu’aucun délai ne soit donc par contre prévu pour les autres appels.

● Les trois autres amendements du rapporteur complètent opportunément la procédure prévue par l’article unique de la présente proposition de loi :

–  l’amendement COM-31 complète deuxième alinéa du I de l’article 803-8 par la phrase « Le cas échéant, il informe par tout moyen le magistrat saisi du dossier de la procédure du dépôt de la requête. » permettant ainsi une information du magistrat en charge de la procédure (juge d’instruction ou procureur de la République) lorsque le JLD considère recevable la requête de la personne prévenue concernée ;

–  l’amendement COM-32 modifie le premier alinéa du III de l’article 803‑8 pour préciser que le juge des libertés et de la détention peut également consulter, s’il le juge nécessaire afin de prendre sa décision, le juge d’instruction en charge du dossier.

–  l’amendement COM-33, enfin, modifie le deuxième alinéa du III de l’article 803‑8 pour prévoir la possibilité de faire appel de la décision du juge de déclaration recevable ou non la requête du détenu.

En sus des amendements du rapporteur, la commission des Lois du Sénat a également adopté l’amendement COM-23, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui vient modifier une phrase du premier alinéa du III de l’article 803-8 afin d’accorder au requérant la faculté de demander à être entendu par le juge – tandis que la proposition de loi initiale prévoyait que seul le juge décidait, ou non, d’entendre le requérant. Votre rapporteure considère cette modification comme particulièrement opportune en ce qu’elle garantit les droits du requérant dans cette procédure ; il est en effet important de lui permettre d’avoir accès au juge s’il le souhaite. Elle souligne par ailleurs que cette formulation ne devrait pas être comprise comme empêchant le juge d’entendre la personne détenue de sa propre initiative ; celui-ci devrait toujours pouvoir le faire au titre des capacités d’expertise et de vérification qui lui sont accordés par l’article 803‑8 du code de procédure pénale.

En séance publique, seul l’amendement n° 19 du rapporteur, proposant une nouvelle rédaction de la coordination en lien avec les territoires de Nouvelle‑Calédonie, de Polynésie française et les îles Wallis et Futuna a été adopté.

4.   La position de la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

 

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   CompteS rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 10 mars 2021, la Commission examine la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (n° 3948) (Mme Caroline Abadie, rapporteure).

Lien vidéo :
http://assnat.fr/QCizBw

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous débutons notre réunion par l’examen de la proposition de loi, adoptée avant-hier par le Sénat, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, qui sera examinée vendredi 19 mars en séance publique par notre assemblée. Ce calendrier est très resserré mais, vous le savez, par une décision du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin. Cette décision s’appliquant depuis le 1er mars, il y a urgence à légiférer.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Avec l’examen de cette proposition de loi adoptée par le Sénat à l’initiative de M. François-Noël Buffet, notre commission est amenée à travailler de nouveau sur un sujet qui nous tient tous à cœur : la situation des prisons françaises et, plus précisément, les conditions de détention.

Vous le savez, nous légiférons dans un contexte et des délais particuliers car ce texte fait en réalité suite à plusieurs décisions des juges européen et français.

Tout d’abord, l’arrêt du 30 janvier 2020 de la Cour européenne des droits de l’Homme, la CEDH, a condamné la France pour violation des articles 3 et 13 de la Convention, relatifs respectivement à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit à un recours effectif. Au-delà de la question des conditions de détention dans nos prisons, la Cour de Strasbourg a en effet estimé que les recours administratifs existants ne constituent pas un recours préventif effectif car ils ne permettent pas d’empêcher la continuation de la violation alléguée ni d’assurer aux requérants une amélioration de leurs conditions matérielles de détention.

Ensuite, l’arrêt du 8 juillet 2020 de la chambre criminelle de la Cour de cassation a marqué une évolution jurisprudentielle importante en énonçant que le juge judiciaire, en tant que gardien de la liberté individuelle, doit veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant.

Enfin, le Conseil constitutionnel a jugé, le 2 octobre dernier, qu’il nous incombe, en tant que législateur, de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Préoccupés par cette injonction à laquelle il convenait de répondre avant le 1er mars, nous avons été plusieurs, en décembre dernier, à tenter d’introduire ce recours par voie d’amendement au texte sur le parquet européen, dont Naïma Moutchou était la rapporteure. Mais ni l’amendement du Gouvernement ni les nôtres n’ont passé l’obstacle de l’article 45 de la Constitution.

Largement inspirée de l’amendement du Gouvernement, la présente proposition de loi tire les conséquences de ces décisions et de la censure prononcée par le juge constitutionnel en créant une nouvelle voie de recours accessible aux personnes détenues, qu’elles soient condamnées définitivement ou placées en détention provisoire.

Avant d’en venir au contenu de cette nouvelle procédure introduite dans le code de procédure pénale, je ferai deux remarques.

Premièrement, en examinant ce texte nous devons avoir en tête un certain nombre de réalités. Nous l’avons constaté au cours de nos travaux et lors de nos déplacements dans les établissements pénitentiaires : la surpopulation carcérale est devenue chronique dans notre pays et elle a, bien souvent, de lourdes conséquences sur la qualité des conditions de détention.

D’importants efforts ont été entrepris ces dernières années pour remédier à ce problème et revenir à une situation adaptée et respectueuse des droits des personnes détenues. Alternatives à la détention, régulation de la population carcérale, adaptation de l’échelle des peines : les mesures prises pendant la crise sanitaire ont prouvé leur efficacité et mis en évidence non seulement la nécessité d’accélérer la lutte contre la surpopulation carcérale, mais également le caractère tout à fait réalisable de cette évolution.

Ce n’est toutefois ni l’objet ni l’objectif de cette proposition de loi qui porte sur un sujet bien spécifique et précis : la création d’une nouvelle voie de recours. Bien sûr, cela doit s’inscrire dans une vision plus large de la politique pénitentiaire, mais le présent texte est circonscrit.

Deuxièmement, cette nouvelle voie de recours n’a pas vocation à être un outil de la politique carcérale et ne porte pas sur toutes les conditions de détention. Nous parlons ici uniquement des cas où les conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine, ce qui, fort heureusement, ne concerne pas les 63 000 détenus que compte notre pays. Il n’en reste pas moins que ces situations sont inacceptables et insoutenables et nous nous devons d’agir et de garantir aux personnes détenues d’être incarcérées dans le respect de leurs droits et de leur dignité.

J’en viens au texte.

Outre deux coordinations prévues aux articles 144‑1 et 707 du code de procédure pénale pour tenir compte de cette nouvelle voie de recours, la proposition de loi crée un nouvel article 803-8.

Cette nouvelle voie de recours pour saisir le juge judiciaire de conditions indignes de détention s’organise en plusieurs étapes. Tout d’abord la personne incarcérée qui estime ses conditions de détention contraires à la dignité humaine saisit le juge par une requête qui doit comporter des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve du caractère indigne des conditions de détention.

Le juge compétent est soit le juge des libertés et de la détention (JLD) pour les personnes en détention provisoire, soit le juge de l’application des peines (JAP) pour les personnes définitivement condamnées. Il doit statuer en dix jours sur la recevabilité de la requête.

Si la requête est recevable, le juge fait procéder à des vérifications et recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois jours ouvrables et dix jours.

Si la requête est alors considérée comme fondée, le juge dispose d’un autre délai de dix jours pour faire connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime indignes. C’est alors à l’administration d’agir pour y mettre fin. Le juge lui fixe pour cela un délai compris entre dix jours et un mois.

Arrive ensuite un deuxième temps éventuel : dans le cas où l’administration pénitentiaire n’a pas mis fin, dans le délai fixé, aux conditions indignes de détention, le juge a alors dix jours, à compter de l’expiration du délai, pour prendre lui-même une décision pour remédier à cette situation.

Cette décision peut être de trois ordres : le transfert de la personne concernée dans un autre établissement pénitentiaire ou, s’il s’agit d’une personne en détention provisoire, sa mise en liberté, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, ou, s’il s’agit d’une personne définitivement condamnée et si elle est éligible à une telle mesure, un aménagement de peine.

Le juge peut toutefois refuser de prendre l’une de ces trois décisions si un transfèrement a déjà été proposé et refusé par la personne détenue concernée, sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement aurait porté une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale.

Enfin, il est précisé que la décision du juge peut faire l’objet d’un appel soit devant le président de la chambre de l’instruction, soit devant le président de la chambre de l’application des peines. Nos collègues sénateurs ont ajouté que cet appel peut concerner aussi la décision de recevabilité de la requête.

Au-delà de ce point concernant l’appel, les sénateurs ont finalement assez peu amendé le texte initial, que ce soit en commission ou en séance. Quelques modifications, dont je tiens à saluer la pertinence, ont toutefois été apportées.

Deux amendements du rapporteur Christophe-André Frassa sont ainsi venus compléter le second alinéa du I et le premier alinéa du III pour mieux associer le juge d’instruction à cette procédure et à la décision du JLD. Ces ajouts me semblent tout à fait pertinents, en ce qu’ils garantiront une parfaite information des différents acteurs judiciaires impliqués : nous devons toujours aller dans le sens d’un meilleur dialogue entre les parties.

Un autre amendement du rapporteur a modifié une ponctuation au 15e alinéa, ce qui a entraîné une conséquence assez importante car cela implique que l’obligation de statuer en appel dans un délai de quinze jours porte seulement sur l’hypothèse d’un appel du ministère public. Cela semble pertinent : puisque l’appel est suspensif, il importe qu’une décision soit rendue rapidement. Toutefois je m’interroge sur le fait que cette modification conduit également à ce que ce délai ne s’applique qu’à cet appel du ministère public et qu’aucun délai ne soit par contre prévu pour les autres appels.

Enfin, un amendement présenté par M. Sueur a permis de consacrer la faculté du requérant de demander à être entendu par le juge – tandis que la proposition de loi initiale prévoyait que seul le juge décidait, ou non, d’entendre le requérant. Cette modification me paraît particulièrement opportune en ce qu’elle garantit les droits du requérant dans cette procédure et lui permet d’avoir accès au juge s’il le souhaite.

Vous l’aurez constaté, j’ai fait le choix de ne pas amender cette proposition de loi en commission. Compte tenu des délais très courts dans lesquels j’ai dû travailler, je n’ai pas encore terminé mes auditions, pourtant fort nombreuses ces derniers jours, et il me semblait dès lors prématuré de vous soumettre des propositions d’amendements.

J’ai toutefois très peu de réserves sur l’ergonomie générale de cette nouvelle voie de recours qui me semble à la fois adaptée, réaliste et pertinente.

Quelques points d’interrogation demeurent et je ne manquerai pas d’y chercher réponse au cours des auditions que je conduirai la semaine prochaine et, le cas échéant, auprès du Gouvernement. Dans cette attente, je sollicite de votre part l’adoption de cette proposition de loi et la poursuite du travail engagé, dans la perspective de la séance publique.

M. Stéphane Mazars. Pour sortir la France des rangs des plus mauvais élèves européens en matière de vie en détention, notre majorité a, au cours de cette législature, engagé de nombreuses réformes, notamment pour résorber la surpopulation carcérale. Ainsi il a été décidé de créer 7 000 nouvelles places de prison d’ici à 2022 et de lancer des opérations de prospection pour l’ouverture de 8 000 autres places. Sera ainsi tenu l’engagement d’Emmanuel Macron de créer au total 15 000 places de prison d’ici 2027, en disposant de divers types d’établissement pour mieux s’adapter aux différents profils de détenus.

Par ailleurs, nous avons adopté la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui organise la réforme de l’échelle des peines et qui pose le principe d’interdiction de peines d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure à un mois et l’aménagement ab initio des peines d’une durée comprise entre un et six mois d’emprisonnement ferme. Nous avons également ratifié l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

Enfin, le budget dédié à l’administration pénitentiaire est en constante augmentation depuis trois ans : 6 milliards d’euros y seront consacrés cette année, dont 556 millions alloués au programme immobilier pénitentiaire dont je viens de parler, ou encore 82 millions pour développer le programme des peines alternatives.

Malgré ces efforts sans précédent et ces réformes, la France continue d’être régulièrement pointée du doigt pour ses conditions de détention, qui, au-delà du phénomène de surpopulation, présentent dans certains cas des problèmes de vétusté, d’insalubrité, d’hygiène défaillante, d’absence d’intimité, de carences d’activités.

Le présent texte vise donc, au-delà des moyens et des réformes que je viens d’énumérer, à remédier à ces défaillances et carences de notre système pénitentiaire. Surtout, il tire les conséquences de décisions successives de la Cour européenne des droits de l’Homme du 30 janvier 2020, de la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 8 juillet 2020, du Conseil constitutionnel qui, le 2 octobre 2020, au terme de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), soulignait que le législateur, par incompétence négative, n’avait pas prévu de garanties légales suffisantes permettant au détenu de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu’il y soit mis fin. Le Conseil a ainsi abrogé pour insuffisance, avec effet au 1er mars 2021 les dispositions de l’article 144‑1alinéa 2 du code de procédure pénale qui prévoit la possibilité de libération d’une personne en détention provisoire. C’est ce qui explique les conditions d’urgence dans lesquelles nous devons examiner la présente proposition de loi et que viennent de rappeler la présidente et la rapporteure.

Il convient par ailleurs de préciser que cette proposition de loi sénatoriale n’est que la reprise d’un amendement que le Gouvernement, en la personne du garde des sceaux, avait porté dès l’examen du projet de loi sur le Parquet européen et la justice pénale spécialisée, amendement qui avait été déclaré alors irrecevable car trop éloigné du texte initial.

Ainsi la proposition de loi crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 803-8 qui permet au juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, d’être saisi par une personne détenue et d’apprécier in concreto les conditions de sa détention. Dans l’hypothèse où serait relevées des conditions dites indignes et en cas de carence de l’administration pour y mettre fin, le texte ouvre à ce même juge la possibilité de prendre toutes les mesures utiles pour faire cesser les conditions indignes de cette détention. Ce nouveau recours effectif devant le juge judicaire s’ajoute aux recours administratifs déjà connus, notamment le référé‑liberté ou le référé­mesures utiles prévus aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du code de la justice administrative.

Cette nouvelle procédure devant le juge judiciaire permettra à toute personne placée en détention de dénoncer les conditions contraires au respect de la dignité humaine dans lesquelles elle vit, par une saisine du JLD ou du JAP selon qu’elle est en détention provisoire ou qu’elle exécute sa peine après condamnation ; au terme d’une requête motivée d’allégations circonstanciées, personnelles et actuelles ; par une appréciation par le juge de cette requête in concreto dans les dix jours de sa saisine avec possibilité de dmander des informations complémentaires à l’administration pénitentiaire.

Enfin, dans 1’hypothèse où le juge retient des éléments de nature à fonder l’indignité de la détention, un délai sera donné à l’administration pour prendre toutes les mesures qu’elle estime nécessaires pour rétablir des conditions de vie décentes et mettre fin aux conditions de détention indignes, tel le changement de cellule ou le transfèrement. Si l’administration pénitentiaire se trouve prise à défaut ou dans l’impossibilité de remédier à ces conditions de détention, alors le juge judiciaire intervient dans un second temps et statue par une décision motivée, en ordonnant soit le transfèrement de la personne détenue, soit la mise en liberté de la personne placée en détention provisoire, éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique, soit un aménagement de la peine si la personne est définitivement condamnée et si elle est éligible à une telle mesure.

J’ai à ce propos deux interrogations. Je me demande tout d’abord si le dispositif n’emporte pas un risque d’embolie de l’activité du JLD et du JAP, dans la mesure où nombre des personnes détenues vont s’emparer de ces nouvelles dispositions pour tenter de faire reconsidérer leurs conditions de détention.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas un risque de chevauchement entre la possibilité de recours devant le juge judiciaire nouvellement ouverte, et le système actuel de saisine du juge administratif en cas de référé-liberté ou de référé­mesures utiles ? Cela ne pourrait-il pas nuire à la lisibilité des blocs de compétences judiciaire et administratif, voire aboutir à des décisions contradictoires ?

M. Antoine Savignat. Le 30 janvier 2020, la CEDH a condamné la France à indemniser trente‑deux personnes incarcérées dans divers établissements – à Fresnes, Nîmes, Nice, en Martinique, en Guadeloupe et en Polynésie française –, car elle considérait que leurs conditions indignes de détention étaient constitutives d’un mauvais traitement au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle a aussi recommandé à l’État de prendre des mesures visant à résorber la surpopulation carcérale. Dans la même décision, elle a jugé que les requérants ne disposaient pas d’une voie de recours effective pour faire cesser ces conditions de détention indignes, en violation de l’article 13 de la Convention qui reconnaît à toute personne dont les droits et libertés ont été violés, le droit à un recours effectif devant une instance nationale. La Cour a estimé que les voies de recours offertes par la procédure du référé-liberté ou du référé­mesures utiles devant le juge administratif n’étaient pas entièrement satisfaisantes.

Le Conseil constitutionnel a quant à lui décidé le 2 octobre 2020 qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Pour se mettre en conformité avec cette exigence, le président de la commission des lois du Sénat, M. François-Noël Buffet, a donc déposé le 11 février 2021 la proposition de loi que nous examinons.

En moins de vingt ans, les prisons sont passées de 48 000 à 72 000 personnes détenues. Si ce chiffre a ponctuellement, et de manière significative, baissé à la faveur de la crise sanitaire, le nombre de personnes incarcérées est reparti à la hausse depuis plusieurs mois. La surpopulation carcérale demeure un mal chronique des prisons françaises.

Il avait pourtant été prévu, dans la loi de programmation et de réforme pour la justice votée en 2019, d’augmenter le budget de la justice afin de construire 15 000 places de prison, de nouveaux types d’établissement et de créer des emplois pénitentiaires, mais également de réviser l’échelle des peines : peines d’emprisonnement d’un mois supprimées, travaux d’intérêt général et bracelets électroniques privilégiés pour les peines comprises entre un et six mois.

Au 1er janvier 2021, 21 664 personnes sont détenues dans des établissements dont le taux d’occupation est supérieur à 120 %, alors que la construction des 15 000 places de prison n’est plus qu’une promesse à l’horizon 2027 – si tant est que ce soit possible.

Cette proposition de loi entend tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel en prévoyant un dispositif de nature à garantir le droit à des conditions dignes de détention. Toute personne détenue se plaignant de conditions indignes de détention aurait le choix de saisir soit le juge des référés qui dispose d’un pouvoir d’injonction, soit le juge judiciaire qui n’a pas un tel pouvoir mais qui peut ordonner la remise en liberté.

Les députés du groupe LR voteront cette proposition de loi répondant à un engagement international et constitutionnel, même si, et nous le regrettons, elle ne résoudra pas à elle seule le problème des conditions de détention.

Si l’on veut qu’il ne soit pas un pansement sur une jambe de bois, ce nouveau dispositif ne saurait donc dispenser la France de poursuivre son programme de construction et de rénovation de places de prison.

Mme Laurence Vichnievsky. Cette proposition de loi fait suite aux décisions de la Cour européenne, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel. Par conséquent, nous nous mettons en conformité, mais nous aurions dû prendre les devants et prévoir depuis longtemps un recours effectif pour les détenus subissant des conditions de détention indignes.

Une décision de la Cour de cassation du 29 février 2012 m’avait particulièrement interpellée. À Nouméa, un détenu qui effectuait un recours administratif, mais qui avait ensuite saisi le juge judiciaire pour obtenir sa mise en liberté, avait fait valoir des conditions de détention indignes : il dormait sur un matelas par terre, à dix centimètres des toilettes, qui ne fonctionnaient pas bien. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté avait décrit les conditions de détention dans cet établissement. Il n’y avait pas le problème du recueil des preuves, d’ailleurs prévu de manière équilibrée dans cette proposition de loi. L’avocat général avait requis la mise en liberté de ce détenu. La Cour de cassation, prudente, avait estimé – cela m’avait choquée – que malgré les conditions de détention décrites, l’intéressé n’avait pas démontré le préjudice subi.

Cette proposition de loi apporte de la lisibilité et aide à la compréhension de la procédure prévue, ce qui n’est pas toujours le cas des textes qui nous sont soumis. Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés soutient ce texte qui prévoit une procédure compréhensible et mesurée, avec d’abord l’intervention de l’administration pénitentiaire, si on a recueilli suffisamment d’éléments laissant penser que les conditions de détention sont indignes, puis l’intervention du juge, JLD ou JAP selon que la détention est provisoire ou qu’il s’agit de l’exécution de peine d’un condamné. Les recours, prévus dans des délais assez courts, sont encadrés.

J’émets deux réserves. S’agissant des moyens, je crains un engorgement devant le JLD, dont la tâche est sans cesse plus lourde. Nous ne voterons pas un texte sans que les moyens indispensables ne l’accompagnent. S’agissant des détenus dangereux, notamment condamnés pour terrorisme, même si des dispositions empêchent l’aménagement de la peine, si une mise en liberté s’imposait en raison d’une des trois possibilités offertes au juge, il pourrait ordonner des mesures de surveillance particulière.

Mme la Présidente Yaël Braun-Pivet. Quiconque s’est rendu au Camp‑Est à Nouméa – Philippe Dunoyer ne manque pas de nous le rappeler – a tout de suite en tête les images de certaines cellules et de conditions de détention particulièrement compliquées.

Mme Cécile Untermaier. Je citerai une phrase de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, la CGLPL, qui dit avoir reçu de nombreuses lettres sur la situation des personnes incarcérées ou en détention provisoire : « On vient de m’enlever la table sur laquelle nous pouvions à peine manger à deux pour la poser sur une armoire afin de pouvoir entasser une troisième personne qui pour son malheur est forcée à dormir par terre. » On ne parle donc pas là d’un détenu en situation d’accueil dégradé mais de trois personnes dans une cellule : c’est tout le drame de la surpopulation carcérale. Dans son courrier, la CGLPL nous rappelle qu’il n’y a pas de statistiques sur le nombre de recours introduits à ce sujet : le Conseil d’État en a peut‑être, la Chancellerie, elle, n’en a pas.

Nous n’avons pas de dispositions permettant un recours effectif pour les détenus. Dans ces conditions, je rejoins ma collègue Vichnievsky, il est incroyable qu’au XXIe siècle, on soit encore dans l’obligation de travailler parce qu’on nous met un pistolet dans le dos. Le principe de dignité nous oblige à agir, notamment lorsque c’est du droit d’asile qu’il s’agit, et d’éviter la reconduite à la frontière lorsqu’il y a un risque de dégradation pour la personne concernée.

Après la décision bienvenue de la CEDH de janvier 2020, la Cour de cassation a rendu un arrêt important qui nous fait réagir et mentionne l’urgence, ce que je salue. Désormais, un recours sera ouvert aux individus, le contexte imposant toutefois une action plus générale.

Il ne faut évidemment pas limiter les effets de cette nouvelle disposition aux seuls prévenus mais les élargir aux détenus, et il faut veiller à ce que ces mesures individuelles améliorent les conditions d’incarcération. Il ne faudrait pas que le recours suivi d’une décision positive fasse que la place ainsi libérée soit affectée à un autre détenu, qui y connaîtrait les mêmes conditions indignes. Je n’ai pas vu dans le texte le moyen d’écarter cela, mais nous pourrons y travailler ensemble.

La situation actuelle est aussi dégradante pour les personnels pénitentiaires. Comment valoriser son travail et son action dans des conditions attentatoires à la dignité de la personne humaine ?

Le texte pose d’autres questions, complexes, qu’il s’agisse de la place du juge et de son contrôle sur une décision prise tendant à une incarcération qui ne satisferait pas au principe de dignité ; de la régulation carcérale ; de la décision du juge de mettre en prison si la loi le lui permet – il ne faut pas le brider dans cette action ; du risque d’embolie, parce que le JLD est le couteau suisse de la juridiction judiciaire et qu’il faudra augmenter ses moyens ; des deux ordres juridictionnels – heureusement que le tribunal administratif est là pour condamner l’État, comme il le fait depuis de nombreuses années.

Nous souhaitons faciliter le recours, selon une procédure écrite ou orale, au regard de la gravité de la situation et du principe constitutionnel et conventionnel mis en défaut. Cela a été fait en partie par l’amendement du sénateur Jean-Pierre Sueur.

Nous préconisons par ailleurs que l’on utilise l’expression « faisceau d’indices » plutôt que « commencement de preuve ».

Le recours judiciaire fait suite à un manquement qui tient à des raisons n’engageant pas la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Pour remettre le juge au cœur du dispositif, le recours devrait permettre au JLD ou au JAP de décider de mesures selon les propositions de l’administration pénitentiaire, afin d’éviter un aller‑retour qui n’est pas cohérent avec l’urgence de régler la situation.

Le transfèrement ne peut être qu’une proposition et ne saurait remettre en question l’organisation familiale, sociale, ni le parcours d’insertion.

Nous voterons ce texte mais nous souhaitons que des amendements soient adoptés sans attendre, car tel est bien le rôle du législateur, lorsqu’il n’en est pas privé par la révision constitutionnelle.

M. Christophe Euzet. Nous pouvons, comme l’a fait Laurence Vichnievsky, regretter l’état du droit, ou voir les choses sous un angle plus positif et se réjouir que ce texte arrive devant nous dans une période où l’on s’interroge beaucoup sur les droits fondamentaux, la démocratie et l’évolution de l’État de droit. Cela témoigne que notre système juridique s’inscrit bien dans la pyramide des normes.

La CEDH nous condamne pour non‑respect de dispositions de la Convention européenne, nous en prenons acte en mettant notre droit en conformité avec ses préconisations.

Il s’agit de renforcer une procédure de nature à mieux protéger les droits fondamentaux dans un domaine particulièrement sensible et à mettre fin aux conditions de détention de personnes confrontées à la surpopulation et à des conditions de salubrité ou d’hygiène critiquables.

Réjouissons‑nous de cette grande avancée de l’État de droit en parallèle de l’impératif de modernisation et d’adaptation de nos établissements pénitentiaires qui demeure d’actualité, en dépit de tout ce qui a été fait au cours de cette législature.

La proposition de loi fait suite à une condamnation de la CEDH, prise en considération de façon prétorienne par la Cour de cassation, le dernier mot étant revenu au Conseil constitutionnel, qui considère que le référé-liberté ou le référé­mesures utiles et les conditions d’aménagement des procédures décidées par la Cour de cassation demeurent insuffisants et qu’il faut passer par la voie législative. Le texte propose une procédure tout à fait équilibrée selon que l’on soit détenu ou prévenu, avec un recours possible devant le JAP ou le JLD, et un juge en mesure de prendre, selon le cas, des décisions de transfèrement, de mise en liberté ou d’aménagement de peine, à condition que la personne y soit éligible et avec certaines restrictions.

Le groupe Agir ensemble se réjouit que ce texte nous soit soumis, mais nous avons deux interrogations. La première tient au risque d’une surcharge de demandes suivant cette nouvelle procédure. La seconde concerne les détenus pour terrorisme. Ils peuvent demander leur liberté conditionnelle au titre de l’article 730-2-1 du code de procédure pénale qui requiert deux exigences : une décision collégiale par trois juges et une évaluation de la dangerosité de l’individu devant une commission spéciale. Il a été suggéré lors d’une audition que le JAP seul pourrait contourner la procédure de l’article 730-2-1. Avez‑vous des éléments de réponse madame la rapporteure ?

M. Pascal Brindeau. Nous examinons cette proposition de loi adoptée par le Sénat, faisant suite tout d’abord à la condamnation de la France par la CEDH en janvier 2020, ainsi qu’à la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020, qui, considérant que les recours administratifs existants ne suffisent pas à garantir au détenu le droit effectif à un recours, impose au législateur de créer au bénéfice d’un détenu un recours judiciaire au titre de l’indignité de ses conditions de détention. Ce texte fait aussi suite à l’impossibilité d’intégrer cette disposition au texte examiné récemment sur le Parquet européen, les amendements, dont celui du Gouvernement, ayant été jugés irrecevables en tant que cavaliers législatifs.

Même si ce texte ne concerne que l’établissement d’un recours et la procédure de saisine du JLD ou du JAP, il met en exergue la politique carcérale de notre pays. Ce nouveau dispositif ne sera efficace que si le transfèrement permet réellement d’améliorer leurs conditions de détention. Toutefois, le transfèrement doit être mis en balance avec les inconvénients que peuvent présenter l’éloignement de la famille ou de l’entourage du détenu.

La situation immobilière des centrales pénitentiaires, anciennes pour beaucoup, se ressemble. Des promesses ont été faites quant à la construction de nouvelles places de prison, mais pas pour des programmes d’amélioration des centres pénitenciers, qui accueillent plus de 60 000 détenus.

Aux termes de la proposition de loi, les modalités de saisine du juge seront fixées par décret. Est‑ce à dire que ce ne sont pas les modalités de droit commun ? Quelles sont celles qui sont envisagées ? Comment faciliter le recours pour les personnes en détention provisoire ou incarcérées après une condamnation définitive ?

N’allons‑nous pas assister à une embolie, notamment du travail des JLD ? Cela pose la question des moyens alloués, d’autant que le dispositif fait reposer l’amélioration des conditions de détention du prévenu ou du condamné sur l’administration pénitentiaire, sans que des moyens y soient dédiés.

Nonobstant ces réserves évoquées et en espérant que nos amendements tentant d’améliorer son équilibre soient adoptés, le groupe UDI et Indépendants votera le texte.

M. Ugo Bernalicis. Au-delà des dispositions techniques de la proposition de loi et de la jurisprudence qui la justifie, comment ne pas rappeler que ce qui est à l’origine de tout cela, ce sont les conditions indignes de la détention, qui ne tiennent évidemment pas qu’à la vétusté des locaux mais aussi, souvent, à la surpopulation en maison d’arrêt et à bien d’autres éléments ?

La question de la dignité des conditions de détention se pose en outre avec une particulière acuité en cette période de pandémie, alors que la plupart des activités sont à l’arrêt et que le travail des détenus est fortement réduit.

La surpopulation est à l’origine de nombreuses difficultés et on a d’ailleurs vu que les libérations opérées au début du premier confinement ont été un grand soulagement pour le personnel pénitentiaire, qui a eu le sentiment de pouvoir, enfin, travailler. C’est en tout cas les retours que j’ai eus lors de mes visites d’établissements.

Dans la quasi-totalité des cas, l’administration pénitentiaire fait ce qu’elle peut, avec les moyens dont elle dispose : aucun directeur de prison, aucun surveillant n’est heureux de mettre un matelas au sol pour entasser plus de détenus dans une cellule !

Pourtant, entre le 1er juillet 2020 et le 1er février 2021, 5 000 personnes de plus ont été incarcérées, alors qu’on nous avait promis, avec la loi de programmation pour la justice et l’impossibilité d’incarcérer pour une durée inférieure à six mois, qu’on allait voir ce qu’on allait voir et que le nombre des détenus allait baisser ! Or les collègues qui ont visité des établissements depuis le vote de cette loi ont pu constater que, partout, on continuait à incarcérer pour des durées inférieures à six mois. Bien sûr, on a toujours pour cela une bonne excuse : la personne n’a pas de domicile, c’est mieux pour elle… Mais, au bout du compte, le résultat est celui que nous avons sous les yeux : en dépit des libérations du confinement, le taux d’occupation dépasse 100 % dans la quasi-totalité des maisons d’arrêt et même 180 % dans une vingtaine. On croit rêver !

Autre promesse de la loi de programmation pour la justice : « nous allons réduire la détention provisoire, qui explique pour partie la surpopulation ». Force est de constater que cela n’a pas non plus changé grand-chose.

Au moment où nous examinons ce texte sur l’indignité des conditions de détention, le garde des sceaux annonce vouloir supprimer les crédits de réduction de peine. Ah la bonne idée, qui ne fera qu’aggraver le problème !

Si vous aviez accepté, au moment du vote de la loi de programmation, qu’on débatte d’un mécanisme de régulation carcérale, nous ne serions peut-être pas dans la situation que nous connaissons. Mais ne refaisons pas le débat.

À la suite des décisions de la CEDH, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, il nous est proposé d’ouvrir un nouveau recours, par un texte qui est heureusement assez large pour traiter à la fois des personnes en détention provisoire et des personnes condamnées.

Certains semblent craindre que tous les détenus usent de ce nouveau recours. Mais tel est bien le but : ouvrir un droit effectif au recours car c’est bien parce qu’elle ne le prévoyait pas que la France a été condamnée. Les amendements que nous avons déposés et ceux que nous déposerons en vue de la séance publique – je vois que nous ne sommes pas les seuls à avoir réussi à travailler en dépit des délais contraints – sont précisément destinés à garantir l’effectivité du recours. Nous voulons par exemple ouvrir au juge la possibilité de requérir pour recueillir les éléments de preuve auprès du contrôleur général des lieux de privation de liberté et d’associations. Nous proposons aussi de réduire les délais car, dès lors que l’indignité est avérée, chaque jour qui passe est un jour de trop ; de supprimer l’attribution de la responsabilité de remédier à la situation à la seule administration pénitentiaire, dont les agents sont déjà pris en étau entre la façon dont ils aimeraient exercer leur métier et les conditions qui leur sont faites et dans lesquelles vivent les détenus.

Enfin, je regrette que ce texte soit l’occasion d’étendre à nouveau la visioconférence, alors que d’autres arrêts indiquent que ce n’est pas la voie la plus adaptée en matière de justice.

M. Paul Molac. La France a été condamnée à dix‑neuf reprises par la CEDH pour conditions indignes, violant ainsi l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le 30 janvier 2020, un arrêt a condamné la France une fois de plus.

La surpopulation dans les maisons d’arrêt, pour les peines de moins de deux ans, était de 138 % en janvier 2020 et elle est de 122 % aujourd’hui avec les libérations anticipées, soit un taux toujours élevé. La loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales voudrait que ces personnes soient en encellulement individuel, ce n’est le cas que pour 40 % d’entre elles.

Nous avons parlé de conditions difficiles : certains détenus sont dans des containers ! Nous pouvons imaginer les problèmes d’aération, les conditions en été, la surpopulation – ils sont les uns sur les autres. Ce n’est pas à l’honneur de notre pays ! Ce problème n’est pas nouveau, il poursuit les différents gouvernements, bien avant ces cinq dernières années.

La Cour de cassation a enjoint au juge d’accepter les recours. Une QPC demande au législateur de régler le problème, ce que nous faisons avec cette proposition de loi dont l’article unique ouvre les voies de recours.

Nous voterons ce texte que nous trouvons bien rédigé, en consensus avec le Sénat : les délais y sont encadrés, des garde‑fous évitent les remises en liberté d’individus dangereux, le juge a la possibilité d’ordonner des aménagements de peine. Nos collègues socialistes ont déposé des amendements pour qu’il soit tenu compte du lien familial, que tel ne soit pas le cas est peut‑être le seul bémol de la proposition de loi : lorsque des détenus doivent sortir, il faut les placer à coté de leur famille pour qu’ils retissent des liens et soient soutenus, c’est particulièrement important pour leur réinsertion.

M. Éric Diard. Cette proposition de loi répond à la nécessité de lutter contre les conditions de détention indignes auxquelles sont soumis de nombreux prisonniers en France. Cette nécessité est d’autant plus grande que la CEDH a condamné la France en janvier 2020 pour traitement inhumain ou dégradant à l’encontre de détenus. Le Conseil constitutionnel lui a emboîté le pas en rappelant, dans sa décision d’octobre 2020, que les autorités doivent veiller à ce que la détention des personnes soit respectueuse, en toutes circonstances, de leur dignité.

Force est de reconnaître que la situation est particulièrement préoccupante dans plusieurs de nos prisons, nos visites nous permettent d’en témoigner. Le caractère indigne de la détention est intrinsèquement lié à la surpopulation carcérale. Nombreux sont les établissements où les détenus s’entassent à trois dans une cellule de 9 m². Où sont les 15 000 places de prison promises par le Président de la République au cours de sa campagne ?

L’adoption de cette proposition de loi ouvrira certes de nouveaux droits aux détenus mais ne nous leurrons pas : ce ne sera qu’un outil juridique. L’essentiel, ce sont les moyens donnés à la politique carcérale. Il est donc impératif d’ouvrir de nouvelles places de prison pour désengorger les établissements et de rénover les centres de détention pour les rendre plus dignes mais aussi plus sûrs.

Avec de nouvelles places, nous pourrons cesser le mélange des populations carcérales, quand des petits délinquants sont enfermés avec des criminels violents ou avec des détenus radicalisés. Trop de détenus de droit commun se radicalisent en prison. Il n’est pas normal que des détenus qui entrent pour un trafic de stupéfiant ou un vol de véhicule, ressortent radicalisés et passent à l’acte terroriste.

Nous adopterons cette proposition de loi, mais la réponse pour lutter contre les conditions de détention indignes et la radicalisation en prison ne peut venir que de la volonté du Gouvernement d’ouvrir les 15 000 places promises. Les choses ont avancé mais pas assez, nous sommes encore très loin de l’objectif.

M. Philippe Gosselin. Une unanimité se dessine dans les interventions de mes collègues parce que le constat est sévère : les conditions de détention en France sont mauvaises, contrairement à ce que croit l’opinion publique qui se plaint assez facilement d’hôtels quatre ou cinq étoiles qui seraient mis à disposition des détenus – on en est très loin. Pour avoir visité de nombreuses maisons d’arrêt et centres pénitentiaires en France métropolitaine ou dans les territoires ultra marins, nous pouvons attester de conditions parfois correctes – il ne faut pas non plus peindre un tableau infernal – mais souvent très limites, notamment dans les maisons d’arrêt qui sont connues pour leur surpopulation et l’indignité de la détention. Il n’est pas rare d’avoir des dortoirs de six ou huit détenus avec des sanitaires limités. Parfois le troisième lit en hauteur est sous le plafond avec vue sur la douche qui n’est pas fermée, sans parler de la salubrité ou des rats.

Comparaison n’est pas raison, tel ou tel centre ou maison d’arrêt ne fait pas l’ensemble des établissements pénitentiaires français mais la question de la dignité de la détention se pose. Des conditions dignes permettent la réinsertion et évitent la récidive, ce n’est pas automatique mais cela participe aussi à assurer une bonne sortie.

C’est un problème de fond depuis des années qui nous rattrape aujourd’hui. Il ne date pas de 2017 mais a tendance à s’amplifier malgré un desserrement de l’étau car 13 000 prisonniers ont été libérés en raison de la covid. De nouveaux détenus sont arrivés et il faut mettre l’accent sur les conditions de détention. Si les mètres carrés supplémentaires ne sont pas la solution, ils y participent.

L’engagement de l’État de construire 15 000 places de prison ne sera pas tenu. Faute de mieux, nous votons ce que je qualifierai d’expédients, même si évidemment cette nouvelle procédure permettra de mieux protéger les droits et les libertés des détenus, ce qui relève de la dignité humaine.

Mme Emmanuelle Ménard. Nous ne pouvons pas le contester : la surpopulation carcérale existe en France, les conditions de détention indignes également, même si ce n’est pas la règle partout, les conditions étant respectueuses des individus dans certains établissements pénitentiaires. Quelle réponse y apporter ?

Certes, dans la procédure pénale, on peut donner au détenu des moyens de dénoncer ses conditions de détention lorsqu’elles sont indignes, mais la réponse essentielle était la promesse de M. Macron, lors de sa campagne présidentielle, de créer 15 000 places d’ici 2022. On entend désormais, notamment de la part du garde des sceaux, que cette promesse était pour 2027, mais elle avait bien été faite pour 2022 et elle ne sera pas tenue ! Avec les programmes de construction qui ont été lancés on peinera à atteindre la moitié de l’objectif en 2022. C’est malheureusement très insuffisant : au bas mot, 20 000 places seraient nécessaires. Les Français ont parfois l’impression que les détenus vivent dans des hôtels quatre étoiles, c’est évidemment très loin de la réalité, mais créer des places mettrait fin au sentiment de l’impunité de délinquants qui ne purgent pas les peines de prison auxquelles ils sont condamnés.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. S’agissant de l’embolie que pourrait provoquer ce nouveau recours, nous avons été rassurés lors de nos auditions, même si certains pensaient qu’il y aurait beaucoup de demandes, d’autres pas assez. Depuis l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juillet 2020, qui a reconnu sa compétence en la matière et sa capacité à mettre fin à des conditions de détention indignes, vingt demandes auraient été faites à la direction interrégionale d’Île‑de‑France : on est loin de l’embolie. Bien sûr, dès que ce droit sera voté, il sera certainement très utilisé, mais on devrait ensuite avoir un rythme plus régulier. Je ne m’inquiète pas à ce stade.

Quant à savoir si la saisine est trop simple ou trop compliquée, nous avons eu à cœur de trouver un équilibre pour que ce ne soit ni l’un ni l’autre.

La question de l’articulation entre la compétence du tribunal administratif et celle du tribunal judiciaire a aussi été évoquée lors des auditions. Ils pourront être saisis indépendamment par le détenu. Le Gouvernement avait imaginé une procédure plus complexe impliquant d’abord la saisine du tribunal administratif puis celle du tribunal judicaire, le Conseil d’État l’avait regretté et l’amendement avait été modifié. Le Conseil d’État suggère de laisser vivre ce dispositif pour voir comment les compétences des tribunaux vont s’articuler. Le tribunal administratif examinera les conditions de détention d’un établissement dans un temps long avec des mesures structurelles, alors que le tribunal judiciaire, ayant des délais beaucoup plus courts d’intervention avec des réponses très rapides exigées, regardera les situations individuelles et y remédiera par un transfèrement ou des travaux ou de la maintenance dans la cellule ou dans l’établissement.

Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Nous pourrions regretter de ne pas avoir anticipé la condamnation de la CDEH et ses exigences vis‑à‑vis des pays européens, que montraient les condamnations de l’Italie, de la Belgique ou du Portugal. M. Bernalicis l’a noté, nous sommes dans l’anticipation : la condamnation concernait les personnes en détention provisoire, nous légiférons également pour les personnes condamnées. Nous pouvons nous féliciter d’être plus exigeant que ce qu’avaient demandé les juges.

Quelle sera la prochaine étape pour la CEDH une fois tous les pays dotés de ce type de recours ? Elle nous demandera certainement d’évaluer ces dispositifs pour voir comment le recours fonctionne et comment il s’articule avec la justice administrative. Donner du temps au dispositif était aussi le souhait du Conseil d’État, charge à nous d’anticiper avec une évaluation rapide, dans un an ou deux.

Certains se sont inquiétés que les transfèrements ne respectent pas la vie familiale des détenus. Il est bien prévu qu’ils peuvent être refusés si la vie familiale s’en trouvait empêchée. L’administration pénitentiaire a l’habitude de faire des transfèrements en bonne intelligence, pour que tout se passe bien, mais ils ne sont pas l’alpha et l’oméga du dispositif puisque l’administration pénitentiaire aura un mois pour intervenir, ce qui permet de faire des travaux de maintenance. Elle voit ce dispositif comme une injonction à agir pour améliorer les conditions immédiates de détention de la personne ayant saisi le juge.

Le budget de la maintenance nous a été communiqué : en moyenne de soixante à quatre-vingt millions d’euros par an entre 2014 et 2016, il est de cent-dix millions entre 2018 et 2022. Cela montre l’effort de l’administration pénitentiaire pour améliorer les conditions de détention. Fresnes, Ducos et les autres prisons condamnées, font l’objet d’un schéma directeur pour les rénover ou les agrandir. L’administration pénitentiaire a conscience du problème, elle n’aime pas plus que nous être condamnée par les juges européens.

Mme Vichnievsky et M. Euzet se sont demandé si nous allions libérer des condamnés dangereux ? Les condamnés feront l’objet d’aménagements de peine et le JAP prendra en considération différents éléments. Comment s’articule le droit commun, la libération conditionnelle et l’aménagement de peine avec ce dispositif ? Nous avons auditionné l’association nationale des JAP qui s’interroge sur les procédures qui seront utilisées pour décider des aménagements de peine. Ce point pourra être précisé dans un décret car il est important pour les JAP de savoir quels outils ils utiliseront. Lors de l’examen en séance, nous demanderons au garde des sceaux de nous éclairer sur le contenu du décret d’application.

M. Brindeau s’est demandé si on utiliserait le droit commun ou la nouvelle procédure pour saisir le juge ? Cette dernière est plus simple, notamment pour que le recours soit effectif. Nous parlons de détenus en cellule qui ont besoin de faire connaitre leur situation à un juge, il faut un minimum de formalisme, que certains regrettent, mais pas trop. Le succès de ce dispositif sera lié au mode de saisine, qui doit être précisé par décret. Nous demanderons plus d’informations au Gouvernement en séance.

Nous aurons l’occasion de reparler de la visioconférence, monsieur Bernalicis, mais nous avons évoqué les délais très courts de cette procédure : dès lors que l’objectif est d’être rapide, la visio semble justifiée. Nous sommes dans un cas de force majeure où un détenu veut démontrer qu’il vit dans des conditions indignes, ce qui justifie l’urgence de la procédure et l’usage d’outils qui permettent de l’accélérer.

Nous nous réjouissons de la baisse de la pression carcérale durant le confinement. N’oublions pas qu’elle a été possible parce que des outils ont été mis en place, notamment la régulation carcérale, mais aussi en raison de la baisse des entrées avec une délinquance empêchée. L’arrivée en prison de 135 détenus par semaine en moyenne nous préoccupe. Il ne faudrait pas que les mauvaises habitudes reviennent au galop. Je suis heureuse que nous soyons à l’unisson au sein de la commission.

S’agissant du plan prison, je vous communique à nouveau les chiffres publiés dans le rapport de Bruno Questel sur le projet de loi de finances pour 2021 : cet automne, 25,7 % des 7 000 places étaient livrées, soit un peu moins de 2 000 places sur les 5 000 prévues durant ce quinquennat. L’acquisition du foncier pour les autres places était sécurisée à 73 %, c’est ce qui est le plus difficile car il faut accepter plus de places dans nos territoires. La participation des collectivités territoriales est essentielle. Selon l’administration pénitentiaire, 5 314 places pourront être livrées en 2022 : ce ne sont donc pas 7 000 places prévues mais nous ne sommes pas non plus dans les choux comme on a pu le sous-entendre. Le covid a aussi empêché d’avancer aussi vite que nous le souhaitions ralentissant le déroulement des travaux. Ces chiffres datent d’octobre 2020, il est essentiel que le garde des sceaux nous communique le dernier état du plan prison. Quoi qu’il en soit, le dispositif qui nous est proposé n’est pas destiné à réguler la population carcérale.

Article unique

La Commission examine l’amendement CL26 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Certains des amendements que nous avons dû déposer dans l’urgence sont évidemment imparfaits.

Celui-ci, inspiré par le Conseil national des barreaux, le CNB, vise à réécrire l’article unique afin de lui apporter plusieurs améliorations importantes. Il prévoit notamment que l’allégation ne figure pas obligatoirement dans la requête ; que le recours soit facilité par une procédure souple, écrite ou orale ; que la situation de vulnérabilité de la personne détenue soit prise en considération ; que le juge puisse enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures pour mettre fin aux conditions indignes de détention – nous sommes en effet favorables à ce que le juge ait bien davantage la main sur cette situation que ne le prévoit le texte ; que le prononcé d’une mesure de transfèrement soit conditionné à un examen approfondi de la situation familiale et sociale de l’intéressé.

Toutefois, à ce stade de l’examen du texte, je vous propose de retirer cet amendement.

Mme la Présidente Yaël Braun-Pivet. Nous sommes en contact avec le CNB, qui travaille en effet sur cette question. Ses représentants ont été auditionnés et j’aurai demain un échange avec eux. Merci d’avoir ouvert ce débat.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL5 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Les allégations doivent être énoncées dans le cadre d’une requête écrite ou de manière orale devant le JLD ou le JAP.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Le retrait du premier amendement pour lequel j’avais beaucoup d’explications me frustre mais je ferai une réponse commune.

Nous avons auditionné le CNB et nous nous sommes interrogés sur ce que recouvrait le mot allégation. Elle est le moyen le plus simple pour un détenu d’établir un commencement de preuve.

Avec l’amendement CL5, vous vous demandez si elle peut être faite par oral. Il faut imaginer le travail qui sera effectué par le juge. Nous devons privilégier les demandes construites par écrit parce que cela fera gagner du temps à tout le monde, mais aussi pour conserver l’équilibre du dispositif afin qu’il soit effectif. Il faut pouvoir saisir facilement le juge mais sans pouvoir déposer, de façon abusive ou sans fondement, des requêtes qui ne seraient pas argumentées. Rien de tel qu’un écrit pour argumenter. Celui qui a été imaginé dans la proposition de loi est très léger. Les juges auront la possibilité, dans leurs jurisprudences, dans leurs manières d’accepter ces allégations, de s’adapter aux situations. Néanmoins, nous pourrons en séance demander au Gouvernement des garanties quant au formalisme de cette requête et à la procédure précise de saisine des juges. Je vous propose de retirer cet amendement, à défaut j’émettrai un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement est essentiel car il favorise le droit au recours effectif. Comment une personne détenue s’organise durant sa détention pour faire son recours par voie écrite, alors qu’elle ne peut pas prendre rendez-vous au cabinet d’avocat pour mettre noir sur blanc ses conditions de détention ? L’objectif est que les personnes dans une situation compliquée puissent faire valoir leurs droits et que la justice se mette au niveau du justiciable, non pas que l’on oblige ce dernier à utiliser une forme particulière, à passer par un filtre disproportionné. Vous nous dites vouloir garder un équilibre mais ne devons-nous pas entendre « on ne voudrait pas être noyés sous les recours donc toutes les recommandations orales dehors, cela demanderait trop de travail ». Mais est-ce trop de travail que de s’assurer que les conditions de détention sont dignes ? Or, c’est bien ce qui nous oblige et doit obliger le garde des Sceaux et le Gouvernement à faire en sorte que le droit au recours soit effectif.

Mme Laurence Vichnievsky. La CEDH demande un recours effectif et les détenus savent comment l’exercer : quand ils veulent se plaindre, ils savent le faire. La procédure est équilibrée et garantit l’effectivité du recours exigée par la CEDH sans risquer de bloquer la procédure par une multiplication de saisines, qui ne seraient pas toutes justifiées.

M. Stéphane Mazars. Je rejoins Mme Vichnievsky. Au stade de l’examen de la recevabilité, pouvoir présenter la demande oralement signifie qu’il faut accéder au juge auquel les détenus voudront présenter le début du commencement de preuve de leurs allégations. Cela me semble totalement illusoire et non opérationnel. Un détenu peut formuler une demande de remise en liberté simplement, il peut la formaliser dans des termes qui lui sont propres et on l’examine. Ce mode opératoire ne pose pas de problème.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. On nous fait le procès d’intention de vouloir empêcher les détenus ou les condamnés d’employer cette procédure, mais c’est précisément pour garantir le recours effectif qu’il faut un écrit et que nous l’inscrivons dans la loi ! Nous recevons suffisamment de courriers qui montrent que tous les détenus ont la capacité d’écrire des allégations décrivant leurs conditions de détention et leurs problèmes. Je maintiens mon avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je ne fais pas de procès d’intention, je ne suis pas dans cet état d’esprit. Je me mets simplement à la place d’un détenu qui n’a pas les facilités pour écrire et expliquer les choses, qui ne sait peut‑être pas ce que veut dire « éléments circonstanciés » ou « allégations ». Lors d’un interrogatoire, d’un examen pour une remise de peine ou lorsque le juge a un rendez-vous avec un détenu, si ce dernier lui fait état des conditions dégradantes dans lesquelles il vit, le juge ne peut rien faire et il doit attendre la requête, le cas échéant écrite par l’avocat, pour se préoccuper de cette question. Je pensais utile qu’on puisse user de tout moyen pour faire cesser cette indignité et je ne retire pas donc pas mon amendement, déposé dans cet esprit.

M. Stéphane Mazars. Une personne détenue n’a pas vocation à rencontrer le juge tous les quatre matins mais lors de l’examen de renouvellement de son mandat de dépôt lorsqu’elle est en détention provisoire et, lorsqu’elle est condamnée, en fin de parcours éventuellement pour solliciter du JAP un aménagement en fin de peine. Il s’agit de cas très limités. L’idée qu’un détenu pourrait rencontrer son juge et se plaindre oralement de ses conditions de détention est vraiment un cas d’école.

Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas un cas d’école. Mais, si cela s’applique dans les rares situations où le détenu rencontre le juge, il n’y a donc pas de risque d’embolie… Je ne dis pas qu’il faut provoquer un entretien avec le juge mais que, s’il a connaissance de cette situation, il doit réagir.

La Commission rejette l’amendement CL5.

La Commission examine l’amendement CL6 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement résulte d’une demande de l’Observatoire international des prisons. En raison de la suite qui lui est réservée, il serait cohérent de parler de « faisceau d’indices » plutôt que de « commencement de preuve ».

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Cela n’apporterait pas grand-chose. La notion de « commencement de preuve » est plus englobante, elle peut concerner un seul aspect du caractère de la détention, alors que le « faisceau d’indices » induit une pluralité d’éléments. Plus exigeante, votre rédaction réduirait l’effectivité du recours et compliquerait la requête pour le détenu.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CL3 de Mme MarieFrance Lorho.

La Commission examine l’amendement CL7 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. L’alinéa 7 prévoit une réponse entre trois jours ouvrables et dix jours, nous proposons un délai « inférieur à dix jours ».

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Le délai de trois jours ouvrables à dix jours ne s’attache pas seulement au recueil des observations de l’administration pénitentiaire mais aussi aux vérifications nécessaires auxquelles le juge peut procéder. Il s’agit d’un délai global raisonnable parce qu’il s’imposera à l’administration pénitentiaire pour présenter ses observations et qu’il faut un minimum de temps pour ce faire. Le juge doit lui laisser le temps nécessaire pour recueillir ces éléments. Sans délai-plancher, on peut craindre qu’il soit de quelques heures : ce ne serait pas raisonnable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL19 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons d’ajouter à l’alinéa 7 que le juge peut solliciter le contrôleur général des lieux de privation de liberté, le CGLPL, ou toute association intervenant dans les établissements pénitentiaires afin de recueillir des éléments circonstanciés permettant de vérifier les allégations du requérant. Ainsi, le magistrat pourrait avoir à sa disposition des personnes extérieures à l’administration pénitentiaire pouvant objectiver des éléments en réponse à sa demande. Ce serait une corde de plus à son arc.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Le texte ne limite absolument pas les vérifications nécessaires auxquelles le juge peut procéder. Il a beaucoup de cordes à son arc dans le dispositif : les observations et la requête de la personne détenue, de son avocat, les observations écrites de l’administration pénitentiaire, l’avis du procureur de la République, l’avis du juge d’instruction. Il peut aussi ordonner des expertises ou se transporter sur le lieu de détention. Nous n’avons pas voulu limiter les possibilités pour le juge de prendre connaissance le plus précisément de la situation du détenu.

S’agissant de votre proposition, le juge sera parfaitement libre de rassembler des éléments de cette nature. Les services de la CGLPL travaillent d’ailleurs actuellement à la réalisation de fiches-état par établissement pénitentiaire qui seront fournies aux juges comme outil utile dans le cadre de cette nouvelle procédure. Votre remarque judicieuse ne peut pas s’inscrire dans le texte mais verra sa concrétisation dans les faits, à n’en pas douter.

M. Ugo Bernalicis. Le texte ne limite pas les moyens d’investigation du magistrat et notre amendement non plus, mais ce dernier met en exergue un moyen intéressant, sans pour autant contraindre le magistrat. La CGLPL y a travaillé et elle est à la disposition des magistrats pour qu’ils aient une vision d’ensemble du parc pénitentiaire et des conditions de détention comme des conditions de travail des surveillants pénitentiaires. Le magistrat a souvent le réflexe de travailler avec les services de police et avec l’administration pénitentiaire mais pas avec les services de la CGLPL et les associations.

Mme la Présidente Yaël Braun-Pivet. Le CGLPL est une autorité administrative indépendante, il ne faudrait pas que le magistrat puisse lui enjoindre d’effectuer tel ou tel contrôle.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine en discussion commune les amendements CL8 de Mme Cécile Untermaier et CL17 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Cécile Untermaier. Mon amendement vise à simplifier la procédure. Il est issu d’échanges avec l’Observatoire international des prisons. Étant à l’origine de la décision de la CEDH, il a un avis autorisé sur ces questions et propose de supprimer l’étape au cours de laquelle l’administration pénitentiaire remédie d’abord au problème des conditions de détention, afin de passer directement à celle où le juge statue après avoir jugé la requête recevable. L’amendement prévoit néanmoins que, dès lors que la requête est recevable, l’administration présente au juge des propositions, permettant de mettre fin par tout moyen aux conditions de détention contraires à la dignité humaine, dans une logique davantage consultative qui l’aidera ensuite à statuer. Le délai de présentation des propositions est fixé à dix jours maximum et nous considérons que l’administration pénitentiaire a tous les moyens pour faire ses propositions dans ce délai et que la dignité de la personne humaine exige d’aller vite. Nous reprenons la préconisation de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, déposée par le sénateur Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste au Sénat.

M. Ugo Bernalicis. Nous pensons que le délai devrait être inférieur à dix jours. À partir du moment où les faits sont avérés, que le commencement de preuves a été examiné et que le juge a jugé que les conditions étaient indignes, alors dix jours nous semblent plus que raisonnables pour que l’une des trois propositions prévues puisse être appliquée.

L’amendement de Mme Untermaier supprime en outre la fin de l’alinéa 8 pour une raison simple : il y a un problème avec le positionnement de l’administration pénitentiaire dans cette procédure, qui rend les choses complexes.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. L’amendement de Mme Untermaier ajoute une étape qui fragilise le dispositif plus qu’elle ne le simplifie. Un requérant saisit le juge qui regarde si la requête est fondée, qui recueille des éléments et qui, si elle est fondée, demande à l’administration pénitentiaire de faire des travaux ou ce qu’il faut pour que la situation cesse. Si nous vous suivions, l’administration pénitentiaire indiquerait comment elle va résoudre le problème et une autre étape serait nécessaire pour vérifier qu’elle l’a fait.

Toutefois, ce qui est intéressant dans votre amendement est que l’administration pénitentiaire sera certainement apte à trouver des solutions et qu’elle pourra les formuler dès le stade des observations quand elle a l’occasion de les transmettre au juge. Nous pourrons débattre en séance de la possibilité que les observations et les mesures qui seraient prises soient communiquées systématiquement à l’étape précédente.

Monsieur Bernalicis, le délai que vous proposez est très court : en dix jours, on n’aura pas le temps de faire grand-chose. Dès lors, vous renforcez l’idée que la seule option serait un transfèrement. En revanche, en un mois, on peut réparer une canalisation ou une fenêtre et entamer des travaux de maintenance, probablement pas structurants à l’échelle d’un établissement mais permettant de résoudre certains problèmes. Votre amendement entraînerait donc ce vous vouliez éviter, que le transfèrement devienne l’alpha et l’oméga du dispositif et soit, pour finir, la seule solution à la main de l’administration pénitentiaire.

M. Ugo Bernalicis. C’est la proposition de loi qui prévoit une procédure en deux temps, pas nos amendements, qui entraîneraient au contraire une simplification. Certes, le délai serait de dix jours mais le juge déciderait ce qu’il convient de faire et l’administration devrait s’exécuter. Vous, vous renvoyez à l’administration la responsabilité de prendre la décision de se mettre en conformité avec un jugement de la manière qui lui semble la plus adéquate. Si le compte n’y est pas, le juge pourrait intervenir de nouveau pour enjoindre à l’administration d’agir. La procédure est lourde ! Pour être efficace et pleinement compétent, le juge devrait constater le problème et dire ce qui doit être fait.

Ce que nous proposons revient aux trois solutions : transfèrement, remise en liberté sous contrôle judiciaire ou surveillance électronique, aménagement de peine.

Le premier amendement de notre collègue Untermaier reprenait l’objectif du CNB d’établir une autre hiérarchie, sans que le magistrat soit obligé de passer par les deux premières étapes avant d’en venir à la troisième. La simplification est bien de notre côté. Répondre en dix jours est certes compliqué pour l’administration pénitentiaire, mais, à partir du moment où les preuves ont été recueillies et que le magistrat dit que les conditions de détention sont indignes, ce sont dix jours de trop ! Il faut tout faire pour que le magistrat puisse prendre la décision et que l’administration l’exécute. Vous, vous mettez l’administration en difficulté en lui demandant quelque chose d’extraordinaire : qu’elle s’auto-exécute, qu’elle s’auto-flagelle, qu’elle règle elle-même les problèmes qu’elle n’est jusqu’ici pas parvenue à régler au quotidien.

M. Stéphane Mazars. Je suis d’accord avec la rapporteure. Je ne pense pas que le juge judiciaire puisse enjoindre à l’administration pénitentiaire de réaliser avec précision telle ou telle chose dans la maison d’arrêt : ce serait contraire à la séparation des pouvoirs et poserait un problème d’ordre constitutionnel.

Avec votre système, le juge judiciaire enjoindrait à l’administration pénitentiaire de réaliser tels ou tels travaux pour faire cesser les conditions d’indignité. Si ce n’est pas fait dans un délai de dix jours, soit sans doute dans 99 % des cas, il serait obligé de prendre une décision de transfèrement, qui ne serait pas toujours la plus adaptée. C’est totalement inopérant !

Mme Cécile Untermaier. Nous manquons de temps pour travailler sur cette question. Nous n’avons pas eu d’étude d’impact, ce que le Conseil d’État déplore dans son avis, considérant en outre que le temps qui lui a été donné était extrêmement court. Lorsqu’on parle d’un recours effectif, le juge a la main sur l’administration sinon ce n’est plus un recours effectif. J’ai beaucoup d’estime pour l’administration pénitentiaire, elle vit une situation compliquée et nous devons lui être reconnaissants de la gérer dans ces conditions. Néanmoins, cela ne me choque pas, dès lors que le juge judiciaire s’empare d’un réel problème – parce c’est de dignité humaine qu’il s’agit – qu’il puisse, à raison, prendre des mesures d’injonction et qu’il puisse y avoir appel de cette décision. On condamne l’État financièrement, mais on ne règle pas le problème du détenu. Le recours effectif est extrêmement important et il n’y a aucun problème de constitutionnalité dès lors qu’on écrit dans la loi que le juge judiciaire a compétence pour enjoindre de changer une situation.

M. Stéphane Mazars. Effectivement, il faut assurer un recours effectif pour faire cesser des conditions d’indignité mais, si elles demeurent en l’état alors que l’administration a eu le diagnostic et les moyens d’y remédier, le juge prendra effectivement ses responsabilités. Dans le texte, la responsabilité incombe d’abord à l’administration pénitentiaire parce que c’est son rôle : une fois que les juges décident d’incarcérer quelqu’un, elle prend en charge la personne et doit donc assurer des conditions de détention dignes. Si elle est effectivement en carence sur ce sujet, le juge décidera du transfèrement, de la remise en liberté ou de l’aménagement de peine. L’objectif est donc bien atteint mais avec cette étape intermédiaire de la responsabilisation de l’administration pénitentiaire après que le juge lui a démontré une difficulté dans son établissement. Ensuite, si elle n’agit pas, alors le juge prend le relai.

La Commission rejette successivement les amendements CL8 de Mme Cécile Untermaier et CL17 de M. Ugo Bernalicis.

La Commission examine l’amendement CL18 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Au‑delà de la simplification de la procédure, supprimer la fin de l’alinéa 8 ne relève pas d’un simple débat juridique. Le rôle du juge judiciaire est d’enjoindre à l’administration d’agir, mais croyez‑vous que l’administration, délibérément, ne met pas les moyens pour que les conditions de détention soient dignes ? En renvoyant à l’administration la responsabilité de régler un problème qu’elle ne peut pas régler d’habitude, vous la mettez dans une situation inextricable. Bien sûr, les directeurs d’établissement mettront le jugement en avant pour demander au directeur interrégional de débloquer les fonds immédiatement, mais simplifions donc les choses pour tout le monde ; faisons en sorte que la décision de justice s’impose et que l’administration s’exécute par voie de conséquence. Pour avoir travaillé quelques temps dans l’administration, je sais bien qu’il plus simple de régler des situations quand la justice y oblige.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. La proposition de loi a effectivement été voulue ainsi : nous créons un recours et une nouvelle charge pour les juges, et nous agissons par étapes. Or, l’administration pénitentiaire est la plus à même de dire ce qu’il faut faire dans un établissement et de conduire les travaux.

Votre amendement ne répond pas à votre intention et ne permet pas que le juge judiciaire enjoigne quoi que ce soit à l’administration pénitentiaire puisque vous conservez la phrase « le juge ne peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées. »

Je reviens en outre au problème de constitutionnalité : assigner au juge judiciaire un pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration pénitentiaire serait contradictoire avec l’organisation de notre justice en deux ordres distincts, le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision du 23 janvier 1987. Certes, un pouvoir d’injonction ne serait pas impossible à instaurer, sous réserve de concevoir des blocs distincts de compétences, mais il ne me semble pas opportun de réserver la question de la prison au juge judiciaire. Le juge administratif doit garder toute sa place et je suis très favorable à une articulation des recours possibles entre le juge judiciaire et le juge administratif.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL21 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit d’instaurer un mécanisme d’astreinte lorsque le juge judiciaire enjoint à l’administration de prendre des mesures déterminées pour faire cesser les conditions indignes de détention. Ce serait peut-être compliqué mais voulons‑nous résoudre le problème ?

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Votre proposition suppose un pouvoir d’injonction du juge judiciaire à l’égard de l’administration pénitentiaire qui n’existe pas. Je suis tout à fait défavorable à des mesures qui viseraient à punir, à sanctionner ou à pointer du doigt une administration pénitentiaire dont on ne peut que saluer le travail et le dévouement.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL22 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de supprimer la possibilité laissée à l’administration pénitentiaire de transférer la personne détenue avant toute décision du juge. Le transfèrement doit s’opérer pour des motifs de proximité familiale ou de santé. Il ne faudrait pas que le détenu renonce à son recours par crainte d’être transféré plus loin et de troquer ainsi une indignité contre une situation défavorable d’une autre façon.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Vous souhaitez conditionner la possibilité de transférer un prévenu dans un autre établissement pénitentiaire à l’accord du magistrat saisi du dossier. Mais le transfèrement des personnes condamnées et, sous réserve de l’accord de l’autorité judiciaire, des personnes prévenues relève du pouvoir normal de l’administration pénitentiaire. N’y aurait-il pas un paradoxe à empêcher toute mesure de transfèrement ? Quelle autre solution proposez‑vous ? Vous voulez réduire les délais, ce qui ne donne pas le temps de faire les travaux, mais vous voulez aussi empêcher le transfèrement. Que deviendrait le recours si nous adoptions vos amendements ? Les transfèrements ne sont certes pas l’alpha et l’oméga mais ils sont évidemment un outil de gestion de la détention, dont nous n’entendons pas priver l’administration.

M. Ugo Bernalicis. La libération avec contraintes et l’aménagement de peine sont d’autres solutions. Parce que l’indignité est intrinsèque à la surpopulation, nous proposions un mécanisme de régulation carcérale consistant à privilégier la liberté – y compris avec des contraintes, à la détention et les mesures de probation à celles d’incarcération pour toutes les personnes proches de leur sortie. Cette logique politique ne devrait pas vous surprendre puisque nous la défendons depuis plus de trois ans.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL29 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Par parallélisme des formes, nous proposons que, lorsque l’administration pénitentiaire opte pour un transfèrement, cette décision soit soumise à l’accord du juge aussi bien pour les personnes définitivement condamnées que pour celles qui sont en détention préventive. Nous ne comprenons pas pourquoi la protection du juge serait accordée à un condamné définitif et pas à un détenu provisoire.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Avec votre amendement, en cas de conditions de détention indignes, la marge d’action de l’administration pénitentiaire serait moins grande qu’habituellement. La règle est la suivante : pour le transfèrement des personnes condamnées, l’administration pénitentiaire a la main ; pour le transfèrement des personnes prévenues, c’est l’autorité judiciaire. Prévoir des règles différentes serait incohérent.

M. Pascal Brindeau. La proposition de loi soumet la décision de transfèrement de l’administration pénitentiaire à l’accord du juge lorsqu’elle vise une personne incarcérée, mais pas lorsqu’elle concerne une personne détenue en préventive. L’instauration de ces dispositions, effectivement liées à l’indignité, crée donc entre les deux régimes une dichotomie à laquelle nous essayons de remédier. Mais peut‑être notre rédaction est-elle inadaptée.

Mme Caroline Abadie. Je n’avais peut‑être pas compris votre intention mais l’alinéa 8 prévoit, pour les personnes prévenues, l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure.

M. Ugo Bernalicis. L’incompréhension tient au fait qu’il est dit précédemment que l’administration pénitentiaire est compétente pour proposer des solutions. Elle peut donc procéder au transfèrement de condamnés et l’idée était simplement de préciser qu’il fallait l’accord du juge en cas de détention provisoire, afin d’éviter que l’administration pénitentiaire soit à la fois juge et partie.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL30 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Je défends en même temps mon amendement CL31. Le transfèrement ne s’entend que s’il représente un réel progrès des conditions d’incarcération. Ce ne serait évidemment pas le cas si une personne en détention préventive à quatre dans une cellule pour deux était transférée dans une cellule pour deux qui hébergerait trois personnes mais serait située à 800 km de chez elle.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Nous poursuivons le même objectif. Effectivement, il sera utile que les juges amenés à décider de transfèrements soient informés des conditions de détention dans les établissements avoisinants pour être sûrs de ne pas mettre le détenu qui vient d’engager cette procédure dans une situation qui s’avérerait moins bonne. Il n’est pas possible de prévoir dans le texte l’information des magistrats à ce propos mais il faudra avoir cette idée en tête. Un bon transfèrement est préparé, discuté avec le détenu et avec le lieu d’accueil. C’est d’ailleurs pourquoi un mois est parfois nécessaire.

Cela dit, votre souhait est satisfait par la procédure prévue, qui est destinée à mettre fin à des conditions de détention indignes et permet donc nécessairement une amélioration. Puisque nous n’avons pas limité le nombre de saisines par détenu, il serait incohérent que la justice le déplace pour que sa situation soit pire, puisqu’il ne manquerait pas de saisir la justice de nouveau dès le lendemain, d’autant qu’il connaîtrait déjà la procédure…

Quant à l’amendement CL31, je répondrai que le juge ne va pas ordonner n’importe quoi : le transfèrement doit évidemment se faire dans de meilleures conditions.

M. Stéphane Mazars. Il faudrait quand même éviter que quelqu’un soit baladé de maison d’arrêt en maison d’arrêt ou de centre de détention en centre de détention, à charge pour lui de faire valoir à chaque fois qu’il est toujours victime de conditions d’hébergement indignes. Je comprends l’intention de notre collègue Brindeau, mais je pense que cela va de soi : si on transfère quelqu’un pour faire cesser des conditions d’indignité ce n’est pas pour le mettre dans une nouvelle situation d’indignité. Cela va peut‑être mieux en le disant, même s’il faut éviter que les lois soient trop bavardes.

J’ajoute que le texte comporte un garde‑fou contre l’incarcération à plusieurs centaines de kilomètres du lieu initial : le transfèrement ne doit pas porter une atteinte grave à la vie privée et familiale du condamné. Cela doit éviter un transfèrement qui serait, par son éloignement, constitutif d’indignité.

M. Pascal Brindeau. J’ai en tête le garde‑fou lié à l’éloignement de la vie privée et familiale mais ce n’est pas ce que vise l’amendement. Un très grand nombre de nos maisons d’arrêt sont surpeuplées, d’autant plus pour la détention préventive. Selon M. Bernalicis, la surpopulation est entre 120 et 180 %.

L’administration pénitentiaire étant tenue de répondre au recours judiciaire, on pourra proposer à un détenu de passer d’une maison d’arrêt à 180 % d’occupation à une autre à 120 %. En quoi est‑ce plus satisfaisant tant que l’on ne traite pas la question immobilière ? Peut‑être la disposition que je propose est-elle un peu bavarde mais je ne suis pas aussi sûr que la rapporteure qu’un vrai dialogue s’instaure avec le détenu. Non pas par facilité mais parce qu’elle sera contrainte d’apporter une réponse, l’administration pénitentiaire, risquera d’en apporter une non satisfaisante.

La Commission rejette l’amendement CL30.

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CL9 de Mme Cécile Untermaier.

La Commission examine en discussion commune les amendements CL23 de Mme Danièle Obono et CL12 de Mme Cécile Untermaier.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de déplacer l’alinéa 10 afin d’insister sur la nécessité que le transfèrement soit précédé d’un examen approfondi du respect de la vie privée et familiale, mais aussi du respect des droits à la réinsertion et à la santé. Il pourrait en effet être préjudiciable au détenu qui se prépare à sortir de se trouver dans une prison éloignée de son futur bassin d’emplois comme du suivi médical dont il peut avoir besoin – on parle souvent de la santé mentale en prison.

Mme Cécile Untermaier. Notre préoccupation est que le transfèrement s’opère au bénéfice de la personne détenue ou prévenue. L’indiquer dans la loi est essentiel pour éviter que l’administration pénitentiaire réponde de manière sèche à une demande de transfèrement.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. L’ordre de présentation des mesures n’établit aucune hiérarchie des mesures entre elles mais répond à une logique légistique, la première d’entre elles concernant tous les détenus, qu’ils soient condamnés ou prévenus, alors que les deux suivantes ne s’appliquent qu’à l’un ou l’autre de ces groupes. Je comprends vos inquiétudes mais le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et le juge est également garant de ces principes dans le cadre de cette proposition de loi. Si je partage votre préoccupation sur le fond, je pense que ce que vous proposez est superflu car cela participe déjà de la décision du juge.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission rejette successivement les amendements CL10 de Mme Cécile Untermaier, CL31 de M. Pascal Brindeau, CL11 de Mme Cécile Untermaier et CL4 de Mme MarieFrance Lorho.

La Commission examine les amendements identiques CL13 de Mme Cécile Untermaier et CL24 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Telle que la proposition de loi est rédigée, un détenu peut renoncer à la démarche par crainte que sa future situation soit identique à sa condition d’indignité actuelle, voire pire. C’est pourquoi nous souhaitons supprimer l’alinéa 13 et revoir l’architecture des mesures.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Le texte prend en considération la dimension des liens familiaux. Nous ne parlons pas ici du confort de la cellule, mais des cas graves d’atteinte à la dignité de la personne, de traitements inhumains et dégradants. Dans cette situation d’extrême gravité, les détenus n’hésiteront pas à engager ce recours.

M. Ugo Bernalicis. Les mots que vous employez montrent que, lors du débat en séance publique, nous n’échapperons pas à la question fondamentale : que considérez‑vous comme digne et indigne ?

La Commission rejette les amendements.

La Commission examine les amendements identiques CL25 de M. Ugo Bernalicis et CL27 de M. Pascal Brindeau.

M. Ugo Bernalicis. Vous connaissiez mon opposition absolue et déterminée à la visioconférence pour de ce qui a trait à la justice, aux rapports entre le juge et le justiciable. S’il y a bien un endroit où il faut préserver les rapports humains, au sens physique, c’est celui‑là.

M. Pascal Brindeau. La jurisprudence du Conseil d’État a remis en question l’ordonnance prise par le Gouvernement pour la mise en œuvre de la visioconférence en matière de procès pénal. La proposition de loi pourrait ainsi se trouver fragilisée si des recours étaient opérés par visioconférence. Cela n’apportant pas grand-chose au texte, mieux vaut ne pas prendre le risque.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Je suis au contraire convaincue que la visioconférence peut être un outil utile pour la justice. Elle n’est pas à employer systématiquement mais pourquoi devrait‑on l’exclure dans le cadre de cette proposition de loi ? Pour rappel, l’alinéa 1 de l’article 706-71 du code de procédure pénale dispose : « Aux fins d’une bonne administration de la justice, il peut être recouru au cours de la procédure pénale, si le magistrat en charge de la procédure ou le président de la juridiction saisie l’estime justifié, dans les cas et selon les modalités prévus au présent article, à un moyen de télécommunication audiovisuelle. » La visioconférence est autorisée dans notre droit positif devant le JLD et le JAP, il est cohérent de le permettre ici également, d’autant que cela peut aussi accélérer la procédure lorsqu’il est nécessaire d’agir urgemment pour mettre fin aux conditions indignes de détention.

La Commission rejette successivement les amendements.

La Commission examine l’amendement CL14 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement supprime le risque que l’appel du requérant de la décision du juge soit déclaré non avenu en cas de non‑respect du délai de quinze jours, sous lequel il doit être examiné. La non‑intervention du magistrat dans le délai requis sanctionne l’intéressé et l’empêche de bénéficier d’une décision en appel. Je souhaiterais une explication à ce sujet.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. La commission des lois du Sénat a adopté un amendement qui a précisé clairement qu’en cas d’appel suspensif du ministère public, le délai est de quinze jours. Comme l’appel est suspensif, il est important de fixer un délai car une suspension sans limite pourrait maintenir les conditions indignes de détention. Supprimer ce délai ne serait donc pas dans l’intérêt du détenu.

M. Stéphane Mazars. Comme le parquet audience l’appel devant la cour d’appel, il doit faire preuve de célérité, cela va donc dans l’intérêt du justiciable.

L’amendement CL14 est retiré.

La Commission adopte l’article unique sans modification.

Après l’article unique

La Commission examine les amendements CL15 et CL16 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je présenterai simultanément ces deux amendements qui demandent au Gouvernement de remettre deux rapports au Parlement mais, si vous souhaitez n’en retenir qu’un, ma préférence va au deuxième…

Parce que le législateur doit s’assurer que le dispositif profite à tous et qu’une décision prise pour un détenu ne conduise pas à ce que la place vacante soit occupée par un autre se retrouvant dans la même situation, il me semble indispensable que le Gouvernement nous fasse rapport de l’application des dispositions de la présente proposition et de ses effets afin de garantir le respect à la dignité en détention.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Je reprends le refrain des rapporteurs hostiles aux demandes de rapport…

S’agissant de la surpopulation carcérale, visée par l’amendement CL15, je rappelle que notre collègue Bruno Questel dresse un état de la question dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2021, que d’autres travaux parlementaires peuvent être utiles, sans compter ceux de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

S’agissant du deuxième amendement, nous venons de nommer un rapporteur d’application et je ne vois pas l’intérêt de doubler les travaux du parlement d’un rapport du Gouvernement mais il faudra en effet veiller à ce que ce nouveau droit créé pour les détenus soit effectif et regarder à la loupe comment il s’applique, le Conseil d’État l’a d’ailleurs souligné dans son avis.

M. Stéphane Mazars. Le Conseil d’État a rappelé la dualité des procédures administratives et judiciaires. Il faut laisser vivre le dispositif et se donner un délai et du recul pour apprécier au mieux la pertinence des deux systèmes qui cohabiteront. Une évaluation serait pertinente.

Mme Cécile Untermaier. Si l’évaluation est pertinente, allons‑y ! La désignation d’un rapporteur d’application ne permettra pas de traiter l’ensemble de la problématique. Nous sommes dans une situation compliquée où nous n’avons pas connaissance par la chancellerie du nombre de recours effectifs. On nous dit que les rapports du Gouvernement ne sont pas nécessaires et que le rapporteur d’application fera le travail. Mais nous avons une vraie responsabilité et nous ne sommes pas fiers de devoir adopter un texte en raison de situations indignes et dégradées de détenus ou de prévenus en prison. Dans un dossier aussi particulier et sensible, dans lequel un texte est voté en urgence, une évaluation spécifique pourrait être menée, afin d’envoyer le signal que les recours auront comme effet de régler de manière cohérente et dans son ensemble le problème de la surpopulation carcérale et, au-delà, de l’accueil des personnes dans la dignité. Nous poserons la question au ministre en séance.

Mme la Présidente Yaël Braun-Pivet. Je rejoins la rapporteure. Nous pouvons et devons exercer pleinement nos missions de contrôle. Nous l’avons fait lorsque cela était nécessaire, Guillaume Vuilletet et Aurélien Pradié avaient notamment entamé des démarches, procédé à des contrôles et mené des auditions après six mois d’application de la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes. Il appartient bien aux rapporteurs d’application d’effectuer ce contrôle. Je les inviterai à le faire et mettrai les moyens de la commission à leur disposition. Nous pouvons procéder à des auditions. La nouvelle CGLPL n’a pas encore été entendue depuis sa nomination, il sera intéressant de le faire à l’occasion de la remise de son rapport annuel. Il serait bon également que nous auditionnions Laurent Ridel, nouveau directeur de l’administration pénitentiaire, afin qu’il fasse un point de la situation sanitaire dans les prisons et nous expose les grandes lignes de son action pour les années à venir.

La Commission rejette successivement les amendements.

Titre

La Commission examine l’amendement CL28 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Cet amendement modifie le titre afin de refléter la réalité du texte, la rédaction actuelle semblant un peu ambitieuse.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Ne manquons pas d’ambition : il faut tirer les conditions de détention vers le haut. Pour cela, je préfère respecter le choix de notre collègue sénateur François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi initiale.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

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* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (n° 3973) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

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   Personnes entendues

      M. Nicolas Ferran, responsable du pôle contentieux

      M. Matthieu Quinquis, avocat et membre du conseil d’administration

      M. Ivan Guitz, président

       Mme Brigitte Ernoult-Cabot, directrice adjointe de la direction de l’administration pénitentiaire

     M. Olivier Caracotch, directeur adjoint de la direction des affaires criminelles et des grâces

      Mme Anne-Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

      Mme Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats, et M. Ludovic Friat, secrétaire général

      Mme Valérie Dervieux, présidente de la chambre de l'instruction à la Cour d'appel de Paris, déléguée régionale d’Unité Magistrats à la Cour d'appel de Paris

      M. Boris Kessel, membre de la commission libertés et droits de l’homme

      M. Charles Renard, chargé de mission au sein de la direction des affaires publiques

     Mme Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

      M. Stéphane Noël, président

      M. Henri Moyen, 1er vice-président en charge du service de l’application des peines

     M. Frédéric Nguyen, 1er vice-président en charge du service des juges de la liberté et de la détention

      Mme Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ, présidente du tribunal judicaire de Caen

      M. Julien Simon-Delcros, vice-président de la CNPTJ, président du tribunal judiciaire d’Orléans

      Mme Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires SNDP-CFDT

      Mme Gaëlle Verschaeve, secrétaire générale adjointe du Syndicat national pénitentiaire SNP-FO-Direction

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([1]) Conseil constitutionnel, décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020.

([2]) CEDH, Arrêt J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020.

([3]) Rapport de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, créée en vertu d’une résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 3 février 2000, 28 juin 2000.

([4]) Rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, créée en vertu d’une résolution adoptée par le Sénat le 10 février 2000, 29 juin 2000.

([5]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, 2018.

([6]) Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT, 15 décembre 2015.

([7]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, 2018.

([8]) Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

([9]) Avis n° 3404 réalisé par M. Bruno Questel sur les programmes Administration pénitentiaire et Protection judiciaire de la jeunesse du projet de loi de finances pour 2021, 13 octobre 2020.

([10]) Rapport n°418 sur la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, par M. Christophe-André Grasse, sénateur, 3 mars 2021.

([11]) Loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme.

([12]) Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

([13]) Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.

([14]) L’article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire dispose en effet que : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits ».

([15]) Article 1er de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

([16]) Article 6-1 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007.

([17]) Article 9 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007.

([18]) Conseil d’État, 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, n° 364584, 364620, 364621 et 364647.

([19]) Conseil d’État, 10e - 9e chambres réunies, 28 juillet 2017, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 41067.

([20]) Tribunal administratif de Marseille, 10 janvier 2013, n° 1208146.

([21]) CEDH, Arrêt J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020.

([22]) Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt n° 1400 du 8 juillet 2020 (20-81.739).

([23]) Conseil constitutionnel, décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020.