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N° 4038

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
 

limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive ( 366)

PAR M. Charles de COURSON

Député

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Voir les numéros : 366

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

avant–propos........................................................ 5

I. La rétroactivité fiscale recouvre des situations multiples progressivement encadrées par la jurisprudence

A. la pluralité de la rétroactivité fiscale

B. la progressive mise en œuvre d’un contrôle jurisprudentiel

1. Le renforcement continu du contrôle de la rétroactivité juridique

2. Le développement récent du contrôle de la rétroactivité économique et de la rétrospectivité

II. la critique récurrente de l’insécurité juridique causée par la rétroactivité fiscale justifie l’intervention du législateur organique afin d’encadrer plus strictement son application

A. la rétroactivité fiscale provoque une insécurité juridique unanimement dénoncée

B. La proposition de loi répond à la nécessité de consacrer le principe de non-rétroactivité fiscale au niveau organique

Examen des articles

Article 1er Principe et exceptions à la non-rétroactivité de la loi fiscale

Article 2 Stabilité des régimes fiscaux spéciaux d’une durée comprise entre un et quinze ans

Article 3 Stabilité des règles relatives à des avantages fiscaux créés pour une durée déterminée

Article 4 Justification des dispositions fiscales rétroactives et mesures transitoires

1. L’état du droit

2. Les modifications proposées

3. La position de la Commission

COMPTE RENDU DES DÉBATS

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES


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Mesdames, Messieurs,

Déposée en novembre 2017, cette proposition de loi organique poursuit un objectif clair : limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives. La rétroactivité fiscale recouvre plusieurs réalités, selon qu’elle correspond au caractère rétrospectif de la loi de finances, qu’elle revêt un caractère strictement juridique ou qu’elle présente une dimension « économique ». Si elle peut se justifier dans certaines hypothèses, la rétroactivité des dispositions fiscales souligne l’imprévisibilité de l’évolution des règles applicables, au détriment de la sécurité juridique et de la confiance des contribuables, particuliers comme entreprises.

De nombreux exemples témoignent de l’instabilité de la norme fiscale. À titre illustratif, la loi de finances pour l’année 2000 a brutalement supprimé un crédit d’impôt en faveur des entreprises créatrices d’emplois, lequel avait été instauré pour une durée initiale de trois ans par la loi de finances pour 1998. Si cette abrogation ne vallait que pour l’avenir, elle a complètement déstabilisé des entreprises qui avaient choisi de recruter du personnel en pensant de bonne foi pouvoir bénéficier d’un avantage fiscal sur une durée de trois ans, soit jusqu’au 1er janvier 2001. Saisi de cette question, le Conseil d’État a donné raison à l’entreprise requérante, en estimant à juste titre que cette abrogation anticipée avec effet immédiat avait méconnu les « effets légitimement attendus » par l’entreprise bénéficiaire au regard de la durée prévisionnelle triennale de cet avantage fiscal.

Comme l’écrivait le grand juriste Maurice Cozian, ceci revient à ce que l’État dise aux contribuables : « Jouez d’abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie ! ».

La rétroactivité des dispositions fiscales doit donc être strictement encadrée. S’il n’apparaît pas opportun de remettre en cause le caractère « rétrospectif » de la loi de finances, le contrôle de la « rétroactivité juridique » et de la « rétroactivité économique » permet de renforcer la prévisibilité de la règle fiscale.

Le rôle du Parlement consiste précisément à fixer des principes dotés d’une force juridique véritablement contraignante. En l’état actuel du droit, seul l’article 2 du code civil énonce que « la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». Cette règle n’a pas de valeur organique : elle peut donc être écartée par la loi fiscale, puisque le seul principe supra-législatif garanti par le juge constitutionnel est la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Dans le sillage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont fait œuvre utile ces dernières années en contrôlant plus efficacement les dispositions fiscales rétroactives. Il convient désormais d’ancrer au niveau organique les règles limitant le recours à ces dispositions, non seulement en confortant la jurisprudence existante mais aussi en franchissant un pas supplémentaire. Il appartient au législateur d’exercer pleinement sa compétence afin que ces enjeux majeurs ne se résument pas à de simples déclarations d’intention politique dépourvues d’effet juridique, laissant ainsi un vide comblé par les seules décisions prétoriennes.

Cette proposition de loi organique vient à la suite d’une dizaine de propositions de loi déposées depuis trente ans sur ce sujet, à l’instar de celles présentées devant la commission des Lois en 1999 par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy et en 2013 par notre ancien collègue Olivier Dassault. En outre, plusieurs travaux ont préconisé de mieux encadrer la rétroactivité fiscale, à l’exemple des deux rapports rédigés par le président de la branche française de l’IFA (International Fiscal Association), M. Bruno Gibert, en 2004, et par le président de section honoraire du Conseil d’État, M. Olivier Fouquet, en 2008.

Face à ce constat, il est donc indispensable de garantir le respect du principe de sécurité juridique et de restaurer la confiance, en protégeant les droits et les intérêts des contribuables tout en parvenant à un équilibre afin de préserver l’efficacité de la politique fiscale et la bonne gestion des finances publiques.

Cette proposition de loi organique vise à concrétiser cette ambition. Elle constitue ainsi un engagement juridique sans ambiguïté, précis et solide, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens.


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I.   La rétroactivité fiscale recouvre des situations multiples progressivement encadrées par la jurisprudence

Dans son acception objective, la sécurité juridique requiert l’accessibilité et l’intelligibilité de la norme. Dans son acception subjective, elle implique le respect d’une certaine stabilité normative dont découle le principe de non-rétroactivité énoncé par l’article 2 du code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Si cette règle est constitutionnellement garantie s’agissant des sanctions pénales les plus sévères ([1]), elle ne revêt qu’un caractère législatif dans les autres matières telles le droit fiscal. La dimension multiforme de la rétroactivité fiscale a néanmoins été progressivement appréhendée par la jurisprudence depuis les années 1980, dans le but d’en circonscrire les effets et de limiter le préjudice qu’elle peut causer aux intérêts pécuniaires des particuliers et des entreprises.

A.   la pluralité de la rétroactivité fiscale

La rétroactivité des dispositions fiscales se décline en trois catégories, selon le cadre temporel dans lequel elles s’inscrivent.

Premièrement, la « petite rétroactivité » ou « rétrospectivité » correspond au principe en vigueur depuis 1948 ([2]) selon lequel les dispositions fiscales prévues par la loi de finances pour l’année N+1 s’appliquent à l’ensemble des opérations réalisées au cours de l’année N. Concrètement, les modifications du taux ou de l’assiette de l’impôt sur le revenu (IR) ou et l’impôt sur les sociétés (IS) prévues par la loi de finances promulguée à la fin du mois de décembre de l’année N s’appliquent aux revenus et bénéfices intervenus au cours de l’année N, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de ces modifications.

Il ne s’agit pas formellement d’une rétroactivité dans la mesure où l’entrée en vigueur de la loi de finances intervient en pratique quelques jours avant la date à laquelle est réalisé le fait générateur de l’impôt qui correspond, pour l’IR, au 31 décembre de l’année N ([3]), et, pour l’IS, à la clôture de l’exercice annuel ([4]). Le prélèvement à la source de l’IR appliqué depuis le 1er janvier 2019 relativise quelque peu cette rétrospectivité. En effet, l’évolution éventuelle des règles d’imposition prévues par la loi de finances pour l’année N aboutit désormais à de simples régularisations a posteriori survenant à l’issue des déclarations de revenus effectuées par les contribuables à N+1.

Applicable dans de nombreux États de l’Union européenne et aux États-Unis, la « petite rétroactivité » favorise la réactivité de la politique fiscale en ajustant ainsi de façon rapide et effective les règles d’imposition à l’évolution de la situation économique conformément aux objectifs poursuivis par le Gouvernement. Cependant, elle représente une incertitude majeure pour les particuliers et les entreprises en ce qu’ils ne peuvent déterminer de façon sûre et définitive les règles fiscales auxquelles leurs revenus et bénéfices déjà réalisés au cours de l’année N seront in fine assujettis au 31 décembre.

Deuxièmement, la « grande rétroactivité » ou « rétroactivité juridique » se caractérise lorsque les dispositions fiscales s’appliquent à des faits générateurs d’imposition qui ont déjà eu lieu au moment où elles entrent en vigueur. La rétroactivité juridique de la loi fiscale peut présenter plusieurs formes, selon le but qui lui est assigné :

        la loi de validation consiste à sécuriser juridiquement des règles d’imposition afin de surmonter une décision de justice susceptible de les remettre en cause et d’aboutir, en conséquence, à une décharge d’imposition en faveur des contribuables requérants ([5]) ;

        la loi de nature interprétative vise à préciser les modalités d’application de dispositions fiscales souffrant d’ambiguïtés ou de défauts techniques faisant peser une incertitude sur la volonté initiale du législateur ([6]) ;

        la loi visant à appliquer la règle de la « fair announce » a pour objet de neutraliser le délai séparant la date à laquelle est annoncée ([7]) une mesure fiscale de la date à laquelle celle-ci est adoptée, afin d’éviter des effets d’aubaine ou des comportements d’optimisation ([8]), ou encore de faire profiter immédiatement les contribuables d’une mesure fiscale favorable ([9]).

Troisièmement, la « rétroactivité économique » renvoie à la modification pour l’avenir des règles fiscales sous l’empire desquelles les contribuables ont fondé leurs décisions économiques. Si elles n’emportent pas d’effet rétroactif au sens strictement juridique, ces mesures fiscales modificatives bouleversent les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles se sont appuyés les particuliers et les entreprises afin de déterminer leur choix d’épargne, d’investissement ou de production, en faisant brutalement évoluer les règles applicables à des situations en cours.

À titre d’exemple, la loi de finances pour 1984 a ainsi ramené de vingt-cinq à quinze ans la durée d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties applicables aux logements sociaux achevés avant 1973. De même, la loi de finances pour 2000 a supprimé un régime fiscal incitatif institué par la loi de finances pour 1998 ayant créé un crédit d’impôt pour une durée de trois ans en faveur des entreprises créatrices d’emplois.

Source d’instabilité, cette « rétroactivité économique » emporte des conséquences d’autant plus fortes sur les intérêts des contribuables qu’elle n’est pas nécessairement assortie de mesures transitoires ou d’accompagnement susceptibles d’en différer l’application. Ces dispositions illustrent la réversibilité de la norme fiscale, bien qu’elles n’aient pas pour effet de modifier rétroactivement les règles applicables à des faits générateurs d’imposition déjà réalisés à la date de leur entrée en vigueur.

Sous l’influence du droit européen, l’émergence du principe de sécurité juridique a progressivement conduit les juridictions constitutionnelle, administrative et judiciaire à contrôler l’application de la rétroactivité des dispositions fiscales afin de préserver un juste équilibre entre la protection des droits des contribuables et les motifs d’intérêt général susceptibles de les justifier.

B.   la progressive mise en œuvre d’un contrôle jurisprudentiel

Garanti par l’article VIII de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), le principe de non-rétroactivité de la loi la plus sévère en matière pénale ([10]) ne s’applique pas aux dispositions fiscales ([11]), à l’exception de celles relatives à des sanctions pouvant être prononcées à l’encontre des contribuables ([12]). Le Conseil constitutionnel a également rappelé la simple valeur législative du principe de non-rétroactivité des lois énoncé par l’article 2 du code civil, le législateur étant libre de s’en affranchir s’il le souhaite ([13]).

Cependant, les effets déstabilisateurs provoqués par la rétroactivité fiscale ont fait l’objet d’un encadrement jurisprudentiel accru, notamment fondé sur la préservation de la garantie des droits des contribuables résultant de l’article XVI de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Initialement circonscrit à la rétroactivité juridique, ce contrôle s’est progressivement étendu à la rétroactivité économique et à la rétrospectivité, dans le sillage de la jurisprudence européenne.

1.   Le renforcement continu du contrôle de la rétroactivité juridique

Outre le respect du principe de non-rétroactivité des sanctions fiscales plus sévères ([14]), les dispositions fiscales rétroactives doivent également être justifiées par un motif d’intérêt général dont le Conseil constitutionnel assure le contrôle depuis la fin des années 1980 ([15]). Ce motif d’intérêt général doit présenter un caractère « suffisant » ([16]), ce qui n’est pas le cas d’un motif « purement financier » ([17]) tel que l’augmentation des recettes fiscales perçues par l’État.

C’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 9 de la loi de finances pour 2013 en tant qu’elles avaient pour objet de soumettre à l’IR au titre de l’année 2012 les revenus de capitaux mobiliers pour lesquels les prélèvements forfaitaires libératoires de l’IR avaient été opérés à compter du 1er janvier 2012. Le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions avaient pour effet de remettre en cause de manière rétroactive le caractère libératoire des prélèvements forfaitaires, alors que leur fait générateur était intervenu antérieurement à l’année 2013 et que l’imposition en question avait déjà été acquittée. Leur rétroactivité portait donc une atteinte excessive à une situation légalement acquise ([18]).

À l’inverse, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions fiscales rétroactives adoptées conformément au principe précité de « fair announce » par lequel la date à laquelle celles-ci s’appliquent est avancée à la date de leur annonce correspond à un motif d’intérêt général suffisant, afin d’éviter des effets d’optimisation contraires aux objectifs poursuivis ([19]).

La vérification par le juge constitutionnel de l’existence d’un motif d’intérêt général a récemment été approfondie par l’exigence d’un caractère « impérieux » ([20]) attaché à celui-ci, conformément à ce que prévoit la jurisprudence européenne ([21]).

Conseil constitutionnel
Décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, considérant n° 3

« Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution " ; qu’il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition que […] l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général […] »

Les lois de validation font également l’objet d’un contrôle très strict, dépassant la simple vérification du motif impérieux d’intérêt général ([22]). Leur constitutionnalité exige le respect des décisions de justice passées en force de chose jugée, c’est-à-dire des décisions rendues par des juridictions suprêmes ou par d’autres juridictions dès lors que le délai d’appel ou de pourvoi s’est écoulé et qu’aucun appel n’a été interjeté ni aucun pourvoi formé ([23]). Le caractère constitutionnel de la disposition validée ([24]) et la stricte définition de la portée de la validation ([25]) sont également requis.

Enfin, la rétroactivité des dispositions fiscales présentées comme « interprétatives » est soumise à un encadrement jurisprudentiel rigoureux ([26]). Si leur rétroactivité ne se présume pas ([27]), les juridictions administratives et judiciaires peuvent même rejeter l’application rétroactive de dispositions fiscales interprétatives ([28]). La jurisprudence judiciaire ([29]) et constitutionnelle ([30]) fait apparaître l’existence d’un contrôle substantiel de la dimension interprétative de ces dispositions en vérifiant notamment si l’intention du législateur consistait effectivement à préciser des dispositions dont la mise en œuvre nécessitait une clarification.

Le renforcement du contrôle de la rétroactivité juridique se conjugue aujourd’hui au développement bienvenu d’un contrôle de la rétroactivité économique et de la rétrospectivité des dispositions fiscales.

2.   Le développement récent du contrôle de la rétroactivité économique et de la rétrospectivité

Ayant consacré dès 1962 l’existence du « principe général de la sécurité juridique » ([31]), la jurisprudence européenne s’est appuyée sur le concept de « confiance légitime » ([32]), inspiré du droit allemand, afin d’encadrer la rétroactivité économique de certaines dispositions fiscales. La protection de la confiance légitime permet de garantir « les espérances fondées » des justiciables à l’égard de l’administration, ces derniers pouvant ainsi s’en prévaloir afin de bénéficier du maintien des règles applicables à leur situation. La Cour de justice des communautés européennes a ainsi considéré que la suppression sèche d’un régime fiscal particulier contredit le principe de confiance légitime dont les contribuables peuvent se prévaloir dans certaines circonstances ([33]).

La mise en échec de la rétroactivité économique induite par certaines mesures fiscales grâce à la mobilisation prétorienne de la notion de confiance ou « d’espérance » ([34]) légitime a longtemps été rejetée par la jurisprudence constitutionnelle et administrative.

Le Conseil constitutionnel s’est ainsi refusé à reconnaître l’existence d’un principe constitutionnel de confiance légitime ([35]). Cependant, l’influence du droit de l’Union européenne et de la CEDH s’est traduite par une évolution singulière de la position du juge administratif puis du juge constitutionnel au cours de la dernière décennie.

En effet, à l’occasion du contrôle de conventionnalité de la loi de finances pour 2000, le Conseil d’État a considéré que la suppression pour les années 1999 et 2000 d’un crédit d’impôt d’une durée de trois ans institué par la loi de finances pour 1998 au bénéfice des entreprises dans le but de stimuler la création d’emplois était contraire à l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH qui garantit le droit au respect des biens.

Ainsi, le Conseil d’État a estimé que la société requérante « pouvait utilement invoquer une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». En outre, « la suppression du crédit d’impôt, en tant qu’elle avait été décidée à titre rétroactif pour les créations d’emploi réalisées au cours de l’année 1999, était disproportionnée faute de motifs d’intérêt général susceptibles de la justifier », de sorte que « l’application rétroactive de cette suppression à la société […] méconnaissait les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». ([36])

En l’espèce, la rétroactivité économique, au regard de la suppression du crédit d’impôt pour l’année 2000, et la rétrospectivité, au regard de la suppression de celui-ci pour l’année 1999, se heurtent donc au nécessaire respect de l’espérance légitime des contribuables, esquissant ainsi les contours d’un premier encadrement jurisprudentiel en la matière ([37]).

S’il ne se réfère pas exactement à la notion « d’espérance légitime » mentionnée dans la décision du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a cependant évoqué pour la première fois en 2013 l’exigence par laquelle le législateur ne saurait porter atteinte « aux effets qui peuvent légitimement être attendus » de situations régies par un régime fiscal particulier ([38]). Le juge constitutionnel a en effet considéré que le législateur ne saurait revenir sur des avantages fiscaux accordés à des contribuables ayant respecté la durée légale de détention de produits d’épargne à l’issue de laquelle les gains réalisés sont exonérés de l’IR.

C’est ensuite au nom du respect des « effets légitimement attendus » par les contribuables que le Conseil constitutionnel a censuré a posteriori l’assujettissement à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), prévu par la loi de finances pour 2012, de revenus ayant déjà fait l’objet de prélèvements libératoires de l’IR ([39]).

Cette évolution de la jurisprudence constitutionnelle favorable aux contribuables doit cependant être relativisée. L’interprétation des « effets légitimement attendus » présente une portée encore limitée. Elle ne saurait à elle seule motiver la censure de dispositions fiscales qui suppriment ([40]) le bénéfice d’avantages fiscaux exigeant une durée minimale de détention préalable. Contrôlant la constitutionnalité de la modification par la loi de finances rectificative pour 2012 du régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières, le Conseil constitutionnel a considéré que la détention des titres durant une période inférieure à celle requise pour bénéficier de l’abattement ne justifiait pas en soi l’existence d’une attente légitime de bénéficier de l’abattement lors de la cession ultérieure des titres ([41]). Pourtant, ce régime fiscal avait pour but d’encourager la conservation des contrats pendant une durée minimale de huit ans afin de bénéficier de l’avantage, ce qui aurait pu suffire à caractériser un « effet légitimement attendu ».

Si l’encadrement jurisprudentiel de la rétroactivité fiscale a progressé dans un sens favorable aux contribuables, un consensus existe aujourd’hui parmi les spécialistes du droit fiscal afin de renforcer cette protection, dans un souci de sécurité juridique. C’est précisément l’objectif que poursuit la présente proposition de loi organique.

II.   la critique récurrente de l’insécurité juridique causée par la rétroactivité fiscale justifie l’intervention du législateur organique afin d’encadrer plus strictement son application

Plusieurs rapports et de nombreuses initiatives parlementaires ont mis en exergue la nécessité de mieux encadrer, à l’échelle supra-législative, l’application des dispositions fiscales à caractère rétroactif. La présente proposition de loi organique s’inscrit pleinement dans cette perspective.

A.   la rétroactivité fiscale provoque une insécurité juridique unanimement dénoncée

Bien que contrôlée par la jurisprudence, la rétroactivité fiscale, qu’elle présente un caractère rétrospectif, juridique ou économique, affecte la sécurité juridique pourtant reconnue par le Conseil d’État comme un principe général du droit ([42]). Cette « insécurité fiscale », indépendamment du bien-fondé des motifs qui peuvent parfois l’expliquer, présente deux inconvénients majeurs.

D’une part, elle déstabilise l’environnement dans lequel les contribuables, particuliers et entreprises, fondent leurs choix économiques. Elle complexifie leurs anticipations puisque les règles fiscales peuvent varier brutalement d’une année sur l’autre, provoquant aussi bien des effets dans le passé que dans le présent ou le futur. Cette évolutivité rend difficile voire impossible toute prévision économique à court ou moyen terme, comme le souligne avec pertinence le Professeur Thibaut Massart : « Lorsqu’une entreprise souhaite investir, elle doit décider dans un environnement économique déjà incertain. Ajouter une incertitude fiscale rend la décision encore plus difficile à prendre. » ([43])

D’autre part, la rétroactivité fragilise la confiance des contribuables envers l’État. Elle nuit d’ailleurs à la crédibilité des règles fiscales instaurant de nouveaux régimes fiscaux spéciaux dans la mesure où la réversibilité inopinée de ces dispositifs peut dissuader les investisseurs d’y recourir.

En plus d’altérer les droits et libertés des contribuables, l’insécurité fiscale porte préjudice à l’attractivité économique de la France. Dès 1994, le Conseil des impôts établissait un constat qui demeure d’actualité :

« Le préjudice causé aux entreprises par l’instabilité de la norme de droit tient à la difficulté de définir une stratégie à long terme lorsque le contexte juridique est incertain. Cette incertitude affecte notamment les décisions relatives aux structures des entreprises, puisque ces décisions les engagent pour plusieurs années. Si le régime fiscal applicable à une opération ne constitue pas, en règle générale, un des déterminants principaux de la décision, il en est tenu compte, car ce régime a des conséquences financières importantes pour l’entreprise. Une modification des règles applicables peut donc conduire à ce que, par exemple, l’intérêt d’une opération de restructuration, a priori opportune pour l’entreprise, soit remis en cause. » ([44])

Face à ces critiques légitimes, de nombreuses propositions de réformes constitutionnelles et organiques ont été émises depuis près de trente ans, sans jamais avoir abouti à ce jour.

Le Conseil des impôts a ainsi préconisé de consacrer dans un texte supra-législatif l’interdiction, d’une part, des dispositions rétrospectives, et d’autre part, des dispositions fiscales défavorables au contribuable sauf motif suffisant d’intérêt général ([45]).

Le rapport remis en 2004 par Me Bruno Gibert, auditionné par votre rapporteur, au ministre des finances ([46]) avançait également plusieurs pistes de réforme susceptibles de s’inscrire au niveau constitutionnel ou organique. Si les auteurs du rapport ne jugent pas pertinent de revenir sur la rétrospectivité des lois de finances, ils se prononcent en faveur d’une limitation de la rétroactivité juridique des mesures fiscales aux seuls cas où elles présentent un intérêt « suffisant » ou « impérieux ». Ils réprouvent la modification des règles applicables à un régime fiscal incitatif avant son terme ([47]) ainsi que la remise en cause d’un régime fiscal spécial fondé sur un contrat.

Le rapport remis en 2008 par M. Olivier Fouquet, également auditionné par votre rapporteur, au ministre du budget ([48]) préconisait d’inscrire le principe de sécurité juridique dans le préambule de la Constitution ou, à défaut, d’y inscrire le principe de non-rétroactivité applicable aux dispositifs défavorables aux contribuables, dans le prolongement de la proposition émise par le Comité de réflexion et de proposition sur le rééquilibrage des institutions de la Vè République présidé par M. Édouard Balladur en 2007 ([49]).

En 2014, le Conseil de la simplification a proposé d’interdire l’application de dispositions fiscales rétroactives aux entreprises, sauf en cas « de force majeure ». En 2018, le Conseil des prélèvements obligatoires a préconisé de généraliser le maintien du régime fiscal régissant les situations en cours, selon la règle dite du « grand-père » ([50]).

Ces pistes de réflexion se sont traduites par une dizaine de propositions de loi constitutionnelle ou organique déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat ([51]).

Si certaines d’entre elles ont été examinées par la commission des Lois ([52]), aucune n’a cependant été adoptée, en dépit du relatif consensus politique autour de ces enjeux.

B.   La proposition de loi répond à la nécessité de consacrer le principe de non-rétroactivité fiscale au niveau organique

Déposée en novembre 2017 sur le fondement du dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution, la présente proposition de loi organique vise à encadrer l’application des dispositions fiscales rétroactives contenues dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’ensemble des lois ordinaires.

L’article 1er revêt une portée essentiellement principielle, élevant la règle de non-rétroactivité prévue par l’article 2 du code civil au niveau organique. Par exception, l’article 1er autorise, d’une part, la rétrospectivité des lois de finances, et d’autre part, la rétroactivité des dispositions fiscales plus favorables aux contribuables ou justifiées par un motif d’intérêt général suffisant, conformément à la jurisprudence constitutionnelle.

Dans le prolongement des préconisations du rapport Gibert, l’article 2 prévoit l’intangibilité du régime fiscal sous l’empire duquel des contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année et moins de quinze ans ont été conclus, dès lors que l’application de dispositions modificatives compromettrait leur équilibre financier.

Dans un souci de prévisibilité, l’article 3 prohibe la remise en cause d’un régime fiscal incitatif avant son échéance.

L’article 4 précise que l’adoption de dispositions fiscales relevant des exceptions prévues par l’article 1er doit être motivée par une justification de leur caractère rétroactif et une évaluation de leurs conséquences financières pour les contribuables. Le cas échéant, ces dispositions doivent également être assorties de mesures transitoires ou de compensation dès lors qu’elles portent atteinte à l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une liberté publique.

La détermination de ces règles au niveau organique poursuit trois objectifs. Premièrement, la proposition de loi consacre un fondement textuel clair et précis aux principes dégagés par les jurisprudences constitutionnelle et administrative. Deuxièmement, les dispositions prévues par ses articles 2 et 3 renforcent considérablement le contrôle de la rétroactivité économique des dispositions fiscales, en favorisant une stabilité normative gage de sécurité juridique. Troisièmement, l’inscription de l’ensemble de ces règles au niveau organique garantit leur caractère contraignant : lorsqu’il contrôlera les lois ordinaires et les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel vérifiera la conformité des dispositions soumises à son examen au regard de ces nouvelles règles organiques ([53]).

La protection organique du principe de non-rétroactivité fiscale, moyennant les exceptions limitativement énumérées, témoigne d’un engagement juridique sans ambiguïté, clair et solide. Il grave ainsi dans le marbre de la loi un principe qui, en l’état actuel du droit, est laissé à l’appréciation de la jurisprudence et ne fait l’objet que de déclarations d’intention politique probablement sincères ([54]), mais sans aucune valeur contraignante.

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Examen des articles

Article 1er
Principe et exceptions à la non-rétroactivité de la loi fiscale

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article énonce le principe de non-rétroactivité des dispositions fiscales. Par dérogation, la rétrospectivité des lois de finances et la rétroactivité des dispositions fiscales plus favorables aux contribuables ou justifiées par un motif d’intérêt général suffisant sont autorisées.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

L’article 2 du code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif. La valeur législative de cette règle ne contraint pas le législateur ([55]) qui peut donc s’en affranchir sans encourir de censure constitutionnelle, à la condition de ne pas faire rétroagir des dispositions pénales plus sévères, en application de l’article VIII de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de l’article 7 de la CEDH. Le Conseil constitutionnel considère que ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ne s’applique pas aux dispositions fiscales ([56]), à l’exception de celles relatives à des sanctions pouvant être prononcées à l’encontre des contribuables ([57]).

La rétrospectivité correspond au principe en vigueur depuis 1948 ([58]) selon lequel les dispositions fiscales prévues par la loi de finances pour l’année N+1 s’appliquent à l’ensemble des opérations réalisées au cours de l’année N.

La rétroactivité juridique se caractérise lorsque les dispositions fiscales s’appliquent à des faits générateurs d’imposition qui ont déjà eu lieu au moment où elles entrent en vigueur. Si les dispositions rétroactives favorables aux contribuables ne soulèvent pas de difficulté ([59]), les autres dispositions rétroactives ([60]) font l’objet d’un strict contrôle jurisprudentiel tenant notamment à la vérification d’un motif impérieux d’intérêt général ([61]).

2.   Les modifications proposées

Le présent article énonce, d’une part, le principe de non-rétroactivité des dispositions fiscales, et d’autre part, les exceptions dérogeant à celui-ci. Outre la rétrospectivité de la loi de finances et la rétroactivité des dispositions fiscales favorables aux contribuables, il consacre l’exigence jurisprudentielle d’un motif d’intérêt général suffisant afin de permettre l’application rétroactive des autres dispositions fiscales.

Cet article préserve l’équilibre déterminé par la jurisprudence entre le renforcement du principe de sécurité juridique corrélé à la protection des droits des contribuables et la nécessaire gouvernabilité des finances publiques reposant sur la réactivité des mesures de politique fiscale.

Conformément au contrôle opéré par le juge constitutionnel, il est également proposé de qualifier le motif d’intérêt général « d’impérieux » et de soumettre ces dispositions rétroactives à des exigences supplémentaires telles que le respect des situations légalement acquises et des effets légitimement attendus de telles situations.

3.   La position de la Commission

La Commission a rejeté cet article, après avoir rejeté deux amendements du rapporteur.

Dans un objectif de clarification, le premier amendement définissait la notion de disposition fiscale à caractère rétroactif en tant que disposition s’appliquant à un fait générateur de l’impôt survenu avant l’entrée en vigueur de celle-ci ([62]) . Il précisait que le fait générateur de l’impôt applicable aux opérations dont la réalisation donnait lieu à déclaration et paiement immédiats de l’impôt, tels que les prélèvements forfaitaires obligatoires, correspondait à la date de réalisation de l’opération.

Le second amendement visait à préciser dans un article additionnel les exceptions au principe de non-rétroactivité des dispositions fiscales initialement prévues par l’article 1er. D’une part, il intégrait les solutions dégagées par les jurisprudences européenne, constitutionnelle et administrative s’agissant du caractère « impérieux » du motif d’intérêt général exigé, de la protection des garanties légales découlant des exigences constitutionnelles, des situations légalement acquises et des effets pouvant être légitimement attendus de telles situations. Le but était d’encadrer les conséquences de la « rétroactivité économique » des dispositions fiscales par laquelle celles-ci, bien que non-rétroactives sur le plan strictement juridique, aboutissaient à remettre en cause les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles les contribuables avaient fondé leurs décisions d’épargne ou d’investissement.

D’autre part, l’amendement précisait que des dispositions fiscales rétroactives ne sauraient justifier l’application d’un intérêt de retard aux contribuables ni s’appliquer aux procédures contentieuses en cours. En l’état actuel de la jurisprudence, il est simplement exigé que ces dispositions fiscales rétroactives ne portent pas atteinte aux seules décisions de justice passées en force de chose jugée, ce qui apparaît inéquitable au regard des contentieux en cours.

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Article 2
Stabilité des régimes fiscaux spéciaux d’une durée comprise entre un et quinze ans

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit l’intangibilité du régime fiscal sous l’empire duquel des contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année et moins de quinze ans ont été conclus, dès lors que l’application de dispositions modificatives compromettrait leur équilibre financier.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

Si la rétroactivité juridique des dispositions fiscales fait l’objet d’un contrôle jurisprudentiel resserré, leur rétroactivité économique, c’est-à-dire la modification pour l’avenir des règles fiscales sous l’empire desquelles les contribuables ont conclu des contrats, est contrôlée de façon plus souple. En dépit d’une évolution jurisprudentielle favorable à la protection des « effets légitimement attendus » de situations légalement acquises par les contribuables ([63]), aucun principe supra-législatif ne garantit aujourd’hui l’intangibilité des régimes fiscaux spéciaux auxquels sont assujettis les contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année et moins de quinze ans.

Ainsi, l’évolution des dispositions fiscales applicables à ces régimes spécifiques peut considérablement perturber l’équilibre financier des contrats antérieurement conclus sur la base de règles différentes.

2.   Les modifications proposées

Le présent article prévoit que les contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année et moins de quinze ans se poursuivent jusqu’à leur terme sous le régime fiscal en vigueur à la date de leur engagement. Les éventuelles dispositions fiscales modificatives intervenues postérieurement à cette date ne s’appliqueraient pas à ces contrats dès lors qu’elles porteraient atteinte à leur équilibre financier.

Dans un souci de stabilité et de prévisibilité de la norme fiscale, la protection du caractère intangible des régimes fiscaux spéciaux correspond à la mise en œuvre de la règle dite du « grand-père » par laquelle le régime fiscal existant pour les situations contractuelles en cours est maintenu jusqu’au terme de leur exécution, fixée ici à quinze ans ([64]). Préconisée par le Conseil des prélèvements obligatoires ([65]), l’application de la règle dite du « grand-père » ferait obstacle à des modifications induisant une rétroactivité économique afin de préserver la confiance des contribuables dans la pérennité des dispositions qui régissent les contrats qu’ils ont conclus en connaissance de cause.

3.   La position de la Commission

La Commission a rejeté cet article, après avoir rejeté un amendement rédactionnel du rapporteur.

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Article 3
Stabilité des règles relatives à des avantages fiscaux créés pour une durée déterminée

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prohibe la remise en cause d’un régime fiscal incitatif avant son échéance.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

La mise en place de régimes fiscaux incitatifs pour une durée limitée, en pratique souvent trois ou cinq ans, peut être remise en cause par le législateur avant leur terme. Si la réversibilité des mesures créant des avantages fiscaux permet chaque année d’évaluer et, le cas échéant, de mettre fin à des dispositifs considérés comme insuffisamment efficaces, elle représente un facteur d’incertitude majeur pour les contribuables. Certes, la jurisprudence administrative a récemment sanctionné l’abrogation anticipée de crédits d’impôts avant leur échéance, estimant ainsi que ces avantages fiscaux avaient fait naître des « espérances légitimes » ([66]) pour les entreprises bénéficiaires.

Cependant, aucune règle supra-législative ne garantit à ce jour l’intangibilité de ces régimes fiscaux incitatifs limités dans le temps.

2.   Les modifications proposées

Le présent article vise à interdire la remise en cause des avantages fiscaux créés pour une durée limitée, sauf à les modifier dans un sens plus favorable aux contribuables.

3.   La position de la Commission

La Commission a rejeté cet article, après avoir rejeté un amendement du rapporteur. Outre plusieurs clarifications rédactionnelles, l’amendement fixait à cinq ans la durée maximale en dessous de laquelle un avantage fiscal créé pour une durée égale ou inférieure à celle-ci ne pouvait être modifié avant son terme, sauf dans un sens plus favorable aux contribuables. Ce plafond de cinq ans, raisonnable au regard de la périodicité du consentement parlementaire, serait de nature à conforter la confiance des particuliers et des entreprises dans la stabilité des régimes fiscaux incitatifs ayant pour objectif d’orienter leurs choix d’épargne et d’investissement.

L’amendement étendait également l’exigence de stabilité quinquennale des règles applicables aux avantages fiscaux aux régimes fiscaux applicables sur option ou agrément, avant l’expiration de l’option ou de l’agrément. Cette disposition entérinait la solution dégagée par le Conseil d’État dans sa décision dite « Vivendi » rendue en octobre 2017 relative aux conditions d’application du régime du bénéfice mondial consolidé. Il s’agissait de garantir le maintien des règles fiscales applicables pendant la période couverte par l’agrément, sans que celui-ci puisse être remis en cause avant son terme, dans la limite de cinq ans.

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Article 4
Justification des dispositions fiscales rétroactives et mesures transitoires

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article précise que l’adoption de dispositions fiscales relevant des exceptions prévues à l’article 1er de la proposition de loi organique doit être motivée par une justification de leur caractère rétroactif et se fonder sur une évaluation de leurs conséquences financières. Ces dispositions doivent également être assorties de mesures transitoires, d’accompagnement ou de compensation dès lors qu’elles empêchent l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une liberté publique.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

S’agissant des documents annexés au projet de loi de finances, la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) prévoit plusieurs dispositions dans le but de garantir l’information du Parlement quant aux mesures fiscales proposées par le Gouvernement.

Par dérogation à l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, les projets de loi de finances ne font pas l’objet d’une étude d’impact. Cependant, l’article 50 de la LOLF précise que le rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la nation, annexé au projet de loi de finances de l’année, retrace l’ensemble des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques ainsi que leur évolution. Ce document intègre l’évaluation financière, pour l’année en cours et les deux années suivantes, de chacune des dispositions, de nature législative ou réglementaire, relatives aux prélèvements obligatoires et envisagées par le Gouvernement.

Sur le fondement de l’article 51 de la LOLF, une évaluation des dépenses fiscales est annexée au projet de loi de finances pour l’année. L’article 47 prévoit que tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient, les amendements non conformes aux dispositions de la LOLF étant frappés d’irrecevabilité.

 

S’agissant des mesures transitoires, de compensation ou d’accompagnement requises en cas d’adoption de dispositions fiscales rétroactives, la jurisprudence constitutionnelle ne prévoit aucune obligation en la matière. Seule la jurisprudence administrative contraint le pouvoir règlementaire, au regard du respect du principe de sécurité juridique ([67]), à accompagner les réglementations nouvelles ([68]) de dispositions transitoires lorsque leur application immédiate porterait une atteinte excessive à des intérêts publics ou privés.

2.   Les modifications proposées

Le présent article renforce les obligations de motivation et d’évaluation ex-ante des dispositions fiscales adoptées à l’initiative du Gouvernement ou du Parlement qui présentent un caractère rétroactif, en exigeant une justification de l’application rétroactive de celles-ci et une évaluation de leurs conséquences financières pour les contribuables. L’objectif consiste à garantir la bonne information de la représentation nationale, dans le respect du principe de clarté et de sincérité des débats.

Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État KPMG, cet article rend obligatoire l’adoption de mesures transitoires, d’accompagnement ou de compensation dès lors que l’adoption de mesures fiscales rétroactives a pour effet d’empêcher l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une liberté publique.

3.   La position de la Commission

La Commission a rejeté cet article, après avoir rejeté un amendement du rapporteur.

L’amendement visait à supprimer la seconde phrase du présent article qui prévoit les conditions dans lesquelles toutes les dispositions fiscales à caractère rétroactif doivent être assorties de mesures transitoires. Outre la rigidité qu’une telle obligation serait susceptible d’entraîner, elle apparaît également peu opérationnelle et relativement complexe à mettre en œuvre, compte tenu de la difficulté à appréhender les cas concrets dans lesquels l’exercice d’une activité professionnelle ou une liberté publique serait ainsi « empêchée ».

 


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   COMPTE RENDU DES DÉBATS

Lors de sa réunion du mercredi 31 mars 2021, la Commission examine la proposition de loi organique limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive (n° 366) (M. Charles de Courson, rapporteur).

Lien vidéo : https://videos.assemblee nationale.fr/video.10586090_606422e283c78.commission-des-lois--evolution-statutaire-de-la-collectivite-de-corse--recours-aux-dispositions-fi-31-mars-2021

M. Charles de Courson, rapporteur. À titre liminaire, je vous remercie de m’accueillir à la commission des Lois. Élu depuis vingt-huit ans, je suis un habitué de la commission des finances qui, par nature, est l’enceinte privilégiée des discussions budgétaires et fiscales, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances. La proposition de loi que j’ai déposée il y a près de quatre ans et qui nous réunit ce matin relève du niveau organique, ce qui explique la compétence de votre commission.

Cette proposition de loi organique poursuit un objectif très clair : limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives. Avant de détailler le contenu de ce texte et les raisons qui m’ont poussé à le présenter dans le cadre de la journée réservée de mon groupe, je tiens à rappeler quelques éléments de définition de la rétroactivité fiscale, afin de préciser les trois réalités que recouvre cette notion.

Premièrement, la « petite rétroactivité », ou « rétrospectivité », correspond au principe selon lequel les dispositions fiscales prévues par la loi de finances pour l’année N+1 s’appliquent à l’ensemble des opérations réalisées au cours de l’année N. Concrètement, les modifications du taux ou de l’assiette de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés prévues par la loi de finances promulguée à la fin de l’année N s’appliquent aux revenus et bénéfices intervenus au cours de l’année N, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de ces modifications. Il ne s’agit pas formellement d’une rétroactivité dans la mesure où l’entrée en vigueur de la loi de finances intervient en pratique quelques jours avant la date à laquelle est réalisé le fait générateur de l’impôt, qui correspond pour l’impôt sur le revenu au 31 décembre de l’année N, pour l’impôt sur les sociétés à la clôture de l’exercice annuel, et pour la taxe sur la valeur ajoutée à la date de livraison, s’il s’agit d’un bien, ou à la date de paiement, s’il s’agit d’un service.

Deuxièmement, la « grande rétroactivité » ou « rétroactivité juridique » se caractérise lorsque les dispositions fiscales s’appliquent à des faits générateurs d’imposition qui sont déjà intervenus au moment où elles entrent en vigueur.

Troisièmement, la « rétroactivité économique » – la plus subtile – correspond à la modification pour l’avenir des règles fiscales sous l’empire desquelles les contribuables ont fondé leurs décisions économiques, décisions qui sont donc antérieures à la modification de ces règles. Bien que ces mesures fiscales modificatives n’emportent pas d’effet rétroactif au sens strictement juridique, elles peuvent bouleverser les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles se sont appuyés les particuliers ou les entreprises afin de déterminer leur choix d’épargne, d’investissement ou de production. Ces évolutions font donc brutalement évoluer les règles applicables à des situations en cours.

Pour illustrer cette « rétroactivité économique », permettez-moi de prendre un exemple concret, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un contentieux devant le Conseil d’État. La loi de finances pour l’année 2000 a brutalement supprimé un crédit d’impôt en faveur des entreprises créatrices d’emplois, lequel avait été instauré pour une durée initiale de trois ans par la loi de finances pour 1998. Certes, cette abrogation ne valait que pour l’avenir, mais elle a complètement déstabilisé des entreprises qui avaient choisi de recruter du personnel en pensant de bonne foi pouvoir ainsi bénéficier d’un avantage fiscal sur une durée de trois ans, soit jusqu’au 1er janvier 2001. Le Conseil d’État, dans sa grande sagesse, a donné raison à l’entreprise requérante et tort au ministère des finances, en estimant à juste titre que cette abrogation anticipée avec effet immédiat avait méconnu les « effets légitimement attendus » par l’entreprise bénéficiaire au regard de la durée de vie prévisionnelle de trois ans de cet avantage fiscal.

Pour reprendre la belle formule du professeur de droit Maurice Cozian, cela revient à ce que l’État dise aux contribuables : « Jouez d’abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie ! »

La rétroactivité des dispositions fiscales doit donc être contrôlée et mieux encadrée.

Je ne pense pas qu’il soit possible ni même opportun de remettre en cause la première rétroactivité que j’ai mentionnée, c’est-à-dire le caractère « rétrospectif » de la loi de finances.

En revanche, s’agissant des deux autres, c’est-à-dire la « rétroactivité juridique » et la « rétroactivité économique », il me semble qu’il est nécessaire d’agir afin de renforcer la prévisibilité de la règle fiscale et donc la sécurité juridique.

Je suis convaincu que c’est le rôle du Parlement de fixer des principes dotés d’une force juridique véritablement contraignante. En l’état actuel du droit, seul l’article 2 du code civil énonce que « la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». Cette règle n’a pas de valeur organique : elle peut donc être écartée par la loi fiscale, puisque le seul principe supra-législatif garanti par le juge constitutionnel est la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Certes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État a fait œuvre utile ces dernières années en contrôlant plus efficacement les dispositions fiscales rétroactives. Mais il convient à présent d’ancrer au niveau organique les règles limitant le recours à ces dispositions, en confortant la jurisprudence existante et en allant même un peu plus loin. Il appartient donc aux législateurs que nous sommes de débattre de cette question et de fixer le cadre juridique applicable en la matière, sans s’en remettre exclusivement au juge ou à de simples déclarations d’intention politique.

Je précise que cette démarche n’est pas inédite. Ma proposition de loi organique vient à la suite d’une dizaine de propositions de loi déposées depuis trente ans sur ce sujet. Aucune d’entre elle n’a abouti. Je pense notamment à celles présentées devant la commission des Lois en 1999 par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy et en 2013 par notre défunt collègue Olivier Dassault, dont je tiens ici à saluer la mémoire. Je pense également aux très nombreux travaux qui ont préconisé de mieux encadrer la rétroactivité fiscale, à l’image des rapports remis en 2004 par Bruno Gibert, président de la branche française de l’International Fiscal Association (IFA), et en 2008 par Olivier Fouquet, président de section honoraire du Conseil d’État, que j’ai d’ailleurs longuement auditionnés en tant que rapporteur.

L’objet de cette proposition de loi organique vise donc à renforcer la sécurité juridique dont les contribuables, entreprises comme particuliers, doivent pouvoir se prévaloir. La rétroactivité fiscale, si elle est parfois nécessaire et peut, dans certains cas, se justifier, entraîne cependant une instabilité normative aux conséquences néfastes.

D’une part, elle déstabilise l’environnement dans lequel les contribuables, particuliers et entreprises, fondent leurs choix économiques. Elle complexifie leurs anticipations puisque les règles fiscales peuvent varier brutalement d’une année sur l’autre, provoquant aussi bien des effets dans le passé que dans le présent ou le futur. Ce caractère évolutif rend difficile voire impossible toute prévision économique à court ou moyen terme.

D’autre part, la rétroactivité fragilise la confiance des contribuables envers l’État. Elle nuit d’ailleurs à la crédibilité des règles fiscales instaurant de nouveaux régimes fiscaux spéciaux, dans la mesure où l’instabilité de ces dispositifs peut dissuader les investisseurs d’y recourir.

Face à ce constat, il est donc indispensable d’apporter de la sécurité et de restaurer la confiance, en protégeant les droits et les intérêts des contribuables tout en parvenant à un équilibre afin de préserver l’efficacité de la politique fiscale – « la productivité fiscale » diraient certains au ministère des finances – et la bonne gestion des finances publiques.

Venons-en au contenu de cette proposition de loi organique.

Dans sa rédaction initiale, l’article 1er revêt une portée essentiellement principielle, en élevant la règle de non-rétroactivité prévue par l’article 2 du code civil au niveau organique pour le seul domaine fiscal. Par exception, l’article 1er autorise, d’une part, la « rétrospectivité » des lois de finances, et d’autre part, la rétroactivité des dispositions fiscales plus favorables aux contribuables ou justifiées par un motif d’intérêt général suffisant, conformément à la jurisprudence constitutionnelle. En d’autres termes, l’article 1er inscrit dans une loi organique la jurisprudence existante.

Dans le prolongement des préconisations du rapport remis au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie par Bruno Gibert en 2004, l’article 2 prévoit l’intangibilité du régime fiscal sous l’empire duquel des contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année et moins de quinze ans ont été conclus, dès lors que l’application de dispositions modificatives compromettrait leur équilibre financier. J’ai déposé un amendement rédactionnel afin de substituer la notion « d’actes » à celle de « contrats ».

Partageant un même souci de prévisibilité, l’article 3 prohibe la remise en cause d’un régime fiscal incitatif avant son échéance. C’est probablement l’un des articles les plus importants de cette proposition de loi organique, qui permettra au Parlement de donner à un produit d’épargne une durée limitée et de garantir le maintien du régime fiscal existant au moment où l’on y souscrit. Tel n’est pas le cas actuellement : on ne peut pas garantir le maintien des dispositions fiscales sur une durée au cours de laquelle plusieurs gouvernements successifs sont susceptibles d’apporter des modifications. Certains ont interprété ma proposition comme une impossibilité de modifier la loi ; elle pourrait bien entendu l’être, mais pour le futur, par exemple en mettant fin à un dispositif sans affecter la situation de ceux qui en bénéficient déjà.

Dans le sillage de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, les articles 2 et 3 renforcent considérablement le contrôle de la rétroactivité économique des dispositions fiscales, en favorisant une stabilité normative gage de sécurité juridique.

Enfin, l’article 4 précise que l’adoption de dispositions fiscales relevant des exceptions prévues par l’article 1er doit être motivée par une justification de leur caractère rétroactif et une évaluation de leurs conséquences financières pour les contribuables.

Les fins juristes de cette Commission m’objecteront que cela existe déjà au travers de l’obligation de joindre une étude d’impact lors du dépôt des projets de loi. Mais faire figurer cette précision dans la loi organique donnerait au Conseil constitutionnel la possibilité d’annuler une disposition s’il considérait que le Parlement a été amené à la voter sans disposer de suffisamment d’éléments justifiant son caractère rétroactif.

À la suite des différentes auditions que j’ai menées la semaine dernière, j’ai déposé plusieurs amendements afin de corriger, préciser et même compléter l’ensemble de ces dispositions. J’aurais l’occasion de développer les modifications et ajouts que je vous proposerai d’adopter.

Permettez-moi, pour conclure, de citer devant vous, membres de la commission des Lois, les paroles du grand juriste Paul Roubier, qui considérait, au milieu du XXe siècle, que « le principe de la non-rétroactivité des lois est entré dans le patrimoine commun des peuples civilisés ». La question est donc de savoir si nous sommes civilisés ou partiellement civilisés.

Cette proposition de loi organique s’inscrit pleinement dans cette perspective. Elle constitue ainsi un engagement juridique sans ambiguïté, clair et solide, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens.

M. Alexandre Holroyd. La question posée par le rapporteur dans son exposé est ancienne et fondamentale, puisqu’en l’état actuel du droit aucun principe général de non-rétroactivité ne s’impose au législateur en matière fiscale. Cette question a été soumise à de nombreuses reprises au Parlement, sous une forme ou sous une autre, en 1991, en 1999, en 2001, en 2012 et en 2018. Et comme l’a indiqué le rapporteur, la proposition de loi organique dont nous discutons aujourd’hui est relativement similaire à celle que le sénateur Philippe Marini avait déposée en 1999.

Cela dit, il est important de noter que la réponse à apporter à cette question a beaucoup changé depuis lors, notamment en raison de l’évolution considérable de la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a rendu des décisions sur ce sujet en 1997, en 1998, en 2005, en 2012, en 2013 et en 2014. Nous ne sommes donc plus dans la même situation qu’en 1999 : la jurisprudence a évolué dans le sens d’une bien moindre tolérance en matière de rétroactivité fiscale. Aujourd’hui, celle-ci est contraire par principe à la Constitution, sauf si elle répond à un motif d’intérêt général – suffisant dans une première jurisprudence, impérieux désormais – ou si elle ne porte pas atteinte à une situation juridique acquise.

Parallèlement, le juge administratif et le juge judiciaire ont adapté leur jurisprudence dans le sens d’un durcissement. La Cour de cassation refuse de reconnaître une portée rétroactive s’il existe un doute sur la volonté du législateur.

Pour toutes ces raisons, le groupe LaREM rejettera cette proposition de loi organique. Même si la rétroactivité fiscale est une inélégance profonde, de façon parfaitement exceptionnelle elle peut être utile et doit être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général.

Pour prolonger votre conclusion sur les pays civilisés, il est toujours intéressant de regarder ce qui se fait autour de nous. La direction de la législation fiscale (DLF) a réalisé une étude comparative avec sept de nos pays partenaires et dans aucun d’entre eux n’existe au niveau organique un principe de prohibition de la rétroactivité fiscale. L’Italie le prévoit seulement par une loi ordinaire et les Pays-Bas dans le cadre d’un accord entre le Parlement et le Gouvernement, pouvant par nature être remis en question à l’occasion d’un changement de ce dernier. L’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Belgique n’en disposent pas et font partie, comme la France, des pays les plus attractifs en matière d’investissements directs. On peut donc en tirer la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une condition essentielle pour l’attractivité de la France, tant qu’existe une jurisprudence claire dont on a vu qu’elle s’était durcie depuis la fin des années 1990.

M. Raphaël Schellenberger. Nous savons que ce texte est le résultat d’un combat de longue date et reconnu du rapporteur.

La non-rétroactivité constitue une préoccupation constante pour le législateur, comme en témoigne le principe figurant à l’article 2 du code civil : la loi ne dispose que pour l’avenir. Malheureusement, du fait de son inscription dans le seul code civil, ce principe n’a pas de valeur constitutionnelle et ne s’applique pas en matière fiscale. Il ne s’impose donc pas au législateur.

Dans sa jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel attache une grande importance à la non-rétroactivité. On peut à cet égard rappeler sa décision du 18 décembre 1998 qui considère que « le principe de non-rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle […] qu’en matière répressive [et] que […] si le législateur a la faculté d’adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ».

Ce critère subjectif ouvre la voie à de nombreuses interprétations, et donc à de nombreux abus. C’est la raison pour laquelle les exemptions à cette règle de non-rétroactivité sont très fréquentes en matière fiscale. L’exemple le plus connu remonte à 1984, lorsque le gouvernement Mauroy a réduit de vingt-cinq à quinze ans la durée d’exonération de la taxe foncière pour les immeubles construits avant le 1er janvier 1973. Néanmoins, le recours abusif à des dispositions fiscales rétroactives, source d’inquiétude pour le contribuable, s’est accru ces dix dernières années. Dans les faits, le législateur justifie ces cas de rétroactivité par la volonté d’empêcher les effets d’aubaine entre l’annonce d’une mesure et son adoption, ou par la nécessité de corriger un dispositif techniquement défectueux. Mais ces pratiques suscitent chez nos concitoyens un sentiment d’insécurité juridique légitime, qui affecte durablement leur confiance dans la parole publique.

L’instabilité juridique récurrente est devenue, avec le poids démesuré des prélèvements obligatoires, l’un des deux grands fléaux de notre fiscalité, expliquant hélas le manque d’attractivité structurel de la France et le retard de nos entreprises en termes de compétitivité mondiale. Or cette instabilité fiscale, qui mine profondément la confiance des ménages et des entreprises, est encore plus handicapante quand les règles du jeu changent de manière rétroactive, ce qui fausse les anticipations et prévisions d’investissement des Français et des entreprises.

Qui accepterait que l’on change les règles du jeu en cours de match ? C’est pourtant bien ce que l’on fait quasi systématiquement dans les lois fiscales. En 2014, par exemple, le gouvernement socialiste avait modifié l’imposition des plus-values sur les terrains à bâtir avant même que ce changement ne soit inscrit dans la loi. C’est une façon très risquée de légiférer, car si les parlementaires avaient décidé d’amender le texte, tous les Français qui avaient profité de cette nouvelle fiscalité avant le vote de la loi auraient pu être lésés. Par ailleurs les lois de finances récentes ont souvent eu un caractère rétroactif lorsqu’elles ont changé les règles fiscales pour des revenus engrangés lors de l’année en cours et jusqu’alors non imposés. Les ménages concernés se retrouvaient donc dans l’incapacité de prendre leurs dispositions pour limiter la portée de ces mesures.

Cette proposition de loi organique, qui fait suite à un combat mené depuis plus de vingt ans par le rapporteur, vise à remédier à cette dérive en rendant notre fiscalité plus transparente et plus stable, contribuant ainsi à rétablir la confiance entre le contribuable et l’État. Elle n’est pas hostile à toute rétroactivité, ce qui aurait pour conséquence de lier complétement les mains du législateur, mais l’encadre strictement. Il s’agit de donner plus de visibilité et plus de liberté au contribuable.

Ayant toujours poursuivi cet idéal, le groupe LR votera cette proposition de loi organique.

M. Jean-Paul Mattei. Je salue le très bon travail du rapporteur. J’avoue m’être régalé en lisant l’exposé des motifs de cette proposition de loi organique, qui pourrait servir à de nombreux étudiants en droit de support de cours sur l’application de la loi dans le temps et la rétroactivité.

Toutefois, permettez-moi de formuler quelques remarques préalables.

S’agissant des sanctions fiscales, le contribuable est protégé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans le cas d’une disposition fiscale rétroactive, aucune majoration, y compris les intérêts de retard, ne saurait être imposée à un contribuable devant régulariser sa situation – et c’est fort heureux.

Le principe de non-rétroactivité n’est affirmé qu’à l’article 2 du code civil. En théorie, ce que la loi fait, la loi peut le défaire. Mais en pratique la possibilité pour le législateur de recourir à la rétroactivité fiscale est fortement encadrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme par celle des deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire. Il me semble que ces instances juridictionnelles ont construit au cours des deux dernières décennies un ouvrage jurisprudentiel permettant de protéger le contribuable des excès dont peut parfois faire preuve le législateur en matière de rétroactivité fiscale.

Tout d’abord, dans les différents cas où le législateur souhaite recourir à ce que la doctrine désigne sous le nom de « grande rétroactivité » – la rétroactivité juridique –, la jurisprudence vient fortement encadrer son incursion. Si le Conseil constitutionnel considère qu’il est loisible au législateur d’adopter de telles dispositions, elles doivent être justifiées par un motif d’intérêt général qui est passé de « suffisant » à « impérieux » en 2014 – le Conseil renforçant encore son contrôle. Ce motif d’intérêt général ne peut être seulement financier ; il doit être conjugué avec un autre motif comme le bon fonctionnement de l’administration fiscale, pour les dispositions fiscales interprétatives, ou encore la lutte contre la fraude fiscale.

S’agissant de la « rétrospectivité » et de la rétroactivité économique, le contrôle juridictionnel est plus récent. Le contribuable dispose là encore de nombreuses garanties. La jurisprudence administrative évoque depuis 2012 la notion d’« espérance légitime », alors que le Conseil constitutionnel a consacré depuis 2015 celle d’ « effets qui peuvent légitimement être attendus » de situations légalement acquises. Inspiré des juridictions européennes, ce mouvement devrait continuer à se développer dans les prochaines années.

En matière de petite comme de grande rétroactivité, il apparaît que le contribuable dispose des garanties nécessaires ; le législateur doit quant à lui pouvoir continuer d’adopter des dispositions rétroactives, plus que nécessaires dans certains cas.

J’en viens aux articles.

L’article 1er souhaite reprendre dans la loi les limites fixées par le Conseil constitutionnel en matière de rétroactivité, celle-ci étant subordonnée à l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général.

L’article 2 prévoit la création d’une « clause du grand-père » pour les actes dont l’exécution a une durée comprise entre un et quinze ans, lorsque l’application de dispositions rétroactives porterait une atteinte sensible à leur équilibre financier. Je préfère la rédaction initiale à celle proposée par votre amendement CL5, notamment parce que la notion d’« atteinte sensible » à l’équilibre financier me semble moins précise que celle de « compromission » de ce dernier. Cette question, qui se posait avec une grande acuité lors de la rédaction du rapport Gibert, est de mieux en mieux prise en compte par la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel avec l’application du principe de confiance légitime. La même observation peut être formulée à propos de l’article 3.

L’article 4 concentre l’essentiel de nos critiques. Séduisant pour les praticiens du droit fiscal – et il l’était assez à mes yeux dans mon ancienne vie –, il est dangereux pour les parlementaires en restreignant considérablement le droit d’amendement garanti par l’article 44 de la Constitution. L’évaluation obligatoire des conséquences financières pour les contribuables, délicate mais possible pour le Gouvernement, est en l’état actuel hors de portée des parlementaires.

Pour toutes ces raisons, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera contre cette proposition de loi organique.

Mme Cécile Untermaier. Je ne doute pas du tout de la très grande compétence de notre rapporteur. Je ferai preuve d’humilité : je ne suis pas une fiscaliste. J’interviens essentiellement pour le compte de notre collègue Jean-Louis Bricout, qui aurait voulu s’exprimer mais qui est à la commission des finances.

Cette proposition de loi organique tendant à limiter le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive s’inscrit dans le cadre du durcissement de la tolérance envers les mesures fiscales ayant une telle portée. Dans ce domaine, les exceptions sont fréquentes – trop, selon le rapporteur…

Je suis d’accord avec l’idée que cette pratique suscite une insécurité juridique alors que nous sommes tous soucieux d’avoir une fiscalité aussi stable que possible, tant pour les citoyens que pour les entreprises. Néanmoins, nous souhaitons faire observer que la rétroactivité est très encadrée et que c’est un outil utile, à la main de l’exécutif et du Parlement. Sans cela, nous n’aurions pas été en mesure de mettre en place la contribution exceptionnelle des banques qui a vu le jour il y a quelques années ou la contribution des assurances qui a été créée par la loi de finances initiale pour 2021.

Par ailleurs, et on l’a déjà dit avant moi, le présent texte dessaisirait les législatures suivantes. Que fera-t-on demain ? Il faudra bâtir rapidement une sortie de crise et nous devons avoir à notre disposition tous les outils possibles, compte tenu de l’encadrement qui existe déjà.

Si les dispositions fiscales ne sont pas rétroactives sauf en cas de baisse d’impôt, la proposition de loi organique profitera mécaniquement à ceux qui en paient le plus parce qu’ils disposent des plus gros revenus. Cela nous paraît contraire à l’idéal redistributif de la justice sociale, surtout en temps de crise et face à l’aggravation des inégalités économiques, sanitaires, sociales et éducatives que nous connaissons. La rétroactivité que vous proposez serait à géométrie variable mais univoque. Nous ne pourrons pas vous suivre sur ce chemin.

Encadrer davantage les possibilités de légiférer d’une manière rétroactive en matière fiscale porterait atteinte à la capacité d’initiative des parlementaires, à laquelle vous êtes, comme nous, je le sais, très attaché. Cette capacité, qui est déjà très limitée, serait encore davantage menacée par ce texte.

Voilà, succinctement, les raisons pour lesquelles nous ne pourrons pas, en l’état, voter en faveur du texte. Nous espérons que la navette permettra d’apporter les modifications possibles en la matière.

M. Dimitri Houbron. Je dois confesser que je ne suis pas, moi non plus, un spécialiste de la fiscalité. En tant que juriste, je perçois néanmoins tout l’intérêt de la question de la rétroactivité de la loi, en particulier fiscale, sur le plan intellectuel. Il y a eu des débats doctrinaux importants depuis une trentaine d’années.

Dans les faits, il me semble que le cadre juridique actuel est suffisamment protecteur pour les contribuables et qu’il permet également de laisser au législateur de la souplesse pour adopter une disposition rétroactive lorsque c’est nécessaire.

L’application rétroactive de la loi fiscale peut être utile et protectrice pour le contribuable dans certains cas, par exemple s’il s’agit de remédier à un manque de clarté de certaines dispositions législatives et de préciser l’intention initiale. Cela peut également permettre de corriger un dispositif juridiquement valide mais inopérant, du point de vue de son application.

Cela fait plus de trente ans que les parlementaires se sont emparés de ce thème. Nous partageons évidemment la philosophie qui inspire ce texte, dont le but est d’assurer aux contribuables une plus grande sécurité juridique. Toutefois, si la jurisprudence du Conseil constitutionnel pouvait être incomplète il y a quelques années, il est clair que ce n’est désormais plus le cas. Les jurisprudences administrative, judiciaire, constitutionnelle et européenne offrent désormais un cadre protecteur qui nous paraît satisfaisant.

L’usage de la rétroactivité en matière de législation fiscale est contrôlé par le Conseil constitutionnel. En l’état de sa jurisprudence, une disposition fiscale rétroactive est en principe contraire à la Constitution, sauf si une telle mesure ne porte pas atteinte à une situation juridique acquise ou à une attente légitime du contribuable ou si c’est justifié par un motif impérieux d’intérêt général.

J’ai une question concernant l’article 2, qui tend à insérer dans le droit interne français une grandfather rule pour tous les contrats dont la durée d’exécution varie entre un et quinze ans. Pouvez-vous nous préciser à partir de quel moment on constatera que des dispositions législatives entravent l’équilibre financier des contrats ? Existe-t-il des critères objectifs ?

M. Jean-Félix Acquaviva. Le principe de sécurité juridique est une condition essentielle au bon fonctionnement des sociétés. Il faut que chaque citoyen puisse connaître à l’avance et d’une manière précise les avantages et les inconvénients de ses actes eu égard aux règles juridiques qui s’imposent. Mon groupe se veut le défenseur de la simplification. La loi peut devenir à bien des égards, difficile à appréhender et impraticable pour le citoyen.

La sécurité juridique implique, autant que faire se peut, que la norme juridique soit à la fois accessible, claire et prévisible. Or la multiplication, au cours des dernières années, des dispositions fiscales rétroactives ou rétrospectives a contribué à développer un fort sentiment d’insécurité parmi les contribuables.

Cette situation produit deux effets pervers. D’une part, elle a un impact direct sur l’investissement. Si l’environnement juridique de l’entreprise ou du patrimoine devient instable, toute prévision tend à devenir impossible et les agents économiques ne sont plus encouragés à développer leurs activités, à créer et à pérenniser les emplois, ce qui pour nous doit être central. D’autre part, l’utilisation de la rétroactivité affaiblit la crédibilité et l’efficacité de la politique fiscale, qui doit être la plus juste et la plus équitable possible. Les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales de l’État dès lors qu’elles peuvent être effacées ou remises en cause quelques années plus tard.

La proposition de loi organique de notre collègue Charles de Courson a pour objectif d’améliorer l’encadrement de la rétroactivité des lois fiscales. Néanmoins, le texte ne prévoit pas, afin de consacrer le principe de sécurité juridique, une interdiction pure et simple des lois rétroactives. Nous pensons que la rétroactivité est parfois utile voire nécessaire, notamment pour des dispositifs défectueux ou peu clairs.

Si le législateur doit pouvoir rectifier des erreurs ou des mésinterprétations, l’équilibre actuel n’est pas satisfaisant. Les jurisprudences de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme ne paraissent pas suffisantes. Elles ne donnent pas un cadre clair à la rétroactivité. En 2014, le ministre des finances socialiste Michel Sapin avait rendu publique une charte de non-rétroactivité fiscale visant à rassurer les entreprises qui investissent en France. Nous avons besoin d’une loi claire et lisible qui limite la rétroactivité fiscale pour renforcer notre attractivité. La présente proposition de loi organique nous permettra de le faire.

Parmi les partenaires de la France, les pays qui font confiance aux entrepreneurs, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ont tous adopté des règles encadrant strictement le principe de la rétroactivité fiscale. L’Italie et les Pays-Bas ont même interdit toute loi fiscale rétroactive dès lors que celle-ci serait défavorable aux contribuables. Nous nous devons d’aller dans ce sens. C’est pourquoi mon groupe soutiendra le texte.

M. Michel Zumkeller. La jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État encadre la rétroactivité des lois fiscales mais nous sommes confrontés, sur le plan de l’efficience, à certaines limites. Même si le Conseil constitutionnel s’est efforcé de fixer des limites à la rétroactivité en matière fiscale, aucune norme constitutionnelle ne fait référence au principe de non-rétroactivité.

Il faut également rappeler, comme le rapporteur et de nombreux collègues l’ont fait, qu’il ne s’agit pas du premier texte portant sur ce sujet. Le sénateur Jean-Claude Carle avait déjà déposé une proposition de loi organique, en 2001, de même que notre regretté collègue Olivier Dassault, en 2013. La majorité socialiste de l’époque avait rejeté le précédent texte, mais elle avait rendu publique une charte de non-rétroactivité fiscale dont le but était de rassurer les entreprises qui investissent en France.

Est-ce assez ? Nous ne le pensons pas, car il existe de nombreux problèmes. En droit français, la sécurité juridique n’est pas garantie, comme le souligne très justement l’exposé des motifs de la présente proposition de loi organique. Les dispositions fiscales rétroactives abîment le droit de propriété, nuisent à l’attractivité de la France et engendrent une instabilité juridique néfaste pour nos concitoyens et nos entreprises.

L’insécurité juridique produit, en effet, deux effets pervers. D’une part, elle a un impact direct sur l’investissement. Si l’environnement juridique de l’entreprise ou du patrimoine devient instable, toute prévision tend à devenir impossible et les agents économiques ne sont plus encouragés à développer leurs activités. D’autre part, l’utilisation de la rétroactivité affaiblit la crédibilité et l’efficacité de la politique fiscale. Les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales de l’État dès lors qu’elles peuvent être effacées ou remises en cause quelques années plus tard.

Un des apports intéressants du texte est que le Parlement sera mieux associé, grâce à un renforcement de son information et de son pouvoir de contrôle, lors de la création de toute disposition fiscale rétroactive – il faut en évaluer les conséquences financières pour les contribuables. Nous saluons particulièrement cette disposition.

Alors que notre pays va s’engager activement dans la relance de son tissu économique et industriel, cette proposition de loi organique nous semble bienvenue. Elle offrira un terreau stable sur lequel l’investissement pourra se développer d’une manière pérenne. Il est primordial, dans le contexte actuel, d’assurer la stabilité de notre fiscalité, en associant le Parlement, afin de renforcer la confiance des contribuables envers l’État.

Pour toutes ces raisons, mon groupe votera pour cette proposition de loi organique.

M. Arnaud Viala. Merci, monsieur le rapporteur, d’avoir remis l’ouvrage sur le métier, après plusieurs tentatives. Nous connaissons tous votre expertise en matière financière et fiscale. Cette proposition de loi organique est utile, voire indispensable.

J’aimerais savoir si l’article 2 permettra de traiter un problème auquel nous avons été confrontés cette année lors du vote de la loi de finances : la révision des contrats concernant certains dispositifs de production d’énergie photovoltaïque, quelques années après leur conclusion, met en difficulté les opérateurs, en particulier des exploitants agricoles dont l’investissement reposait sur un modèle économique désormais obsolète.

M. Guillaume Larrivé. Merci, monsieur le rapporteur, de nous avoir soumis ce texte d’une très grande portée et d’une très grande clarté, qui est rédigé dans une langue cristalline et qui concerne un sujet compliqué qu’il nous revient de traiter.

Je regrette que le groupe majoritaire ait annoncé, par la voix d’Alexandre Holroyd, qu’il ne voterait pas cette proposition de loi organique. Je pense que les deux séries d’arguments qui ont été donnés ne tiennent pas.

L’argument selon lequel les jurisprudences de nos diverses cours suprêmes – le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État – ont évolué s’entend, mais il nous appartient, comme législateurs organiques, de reprendre la main et de préciser les choses. Nous sommes tout à fait fondés à le faire, sans être subordonnés à des évolutions de jurisprudence.

Quant au second argument, qui consiste à dire qu’aucun autre pays n’a adopté un dispositif législatif similaire, j’y vois au contraire une incitation puissante à aller dans ce sens pour défendre l’attractivité de la France. Le texte de Charles de Courson donnera une plus grande sécurité juridique aux acteurs économiques au moment où nous devons tout faire pour retrouver des leviers de croissance et sortir notre pays de la dépression profonde dans laquelle il est plongé depuis le choc de la covid. Nous avons tout à fait intérêt, y compris et surtout sur le plan économique, à nous donner des outils juridiques permettant d’envoyer des signaux de confiance aux investisseurs et aux acteurs économiques.

Pour ces deux séries de raisons, juridiques et économiques, je pense que le moment est venu d’adopter le texte proposé par notre collègue.

M. Alexandre Holroyd. Je remercie de nouveau le rapporteur d’avoir remis cette question sur la table, car c’est l’occasion d’avoir un débat très important, j’en conviens.

L’article 2 réduirait considérablement les marges de manœuvre du législateur actuel et des suivants : il y aurait une contrainte pour les quinze prochaines années et potentiellement trois législatures. Démocratiquement, cela pose des questions considérables.

Y a-t-il suffisamment de lisibilité et de crédibilité de la parole de l’État en France ? La réponse donnée par tous les classements réalisés au cours des dernières années est positive. Des investisseurs étrangers viennent s’installer en France. Comme dans tous les pays, il existe des risques qui sont inhérents aux changements démocratiques et avec lesquels tout investisseur doit composer. La jurisprudence du Conseil constitutionnel et des différents ordres juridiques donne aux investisseurs une lisibilité et une certitude suffisantes.

S’agissant du photovoltaïque, il se trouve que des contrats signés au milieu des années 2000, lorsque vous étiez dans la majorité, cher collègue, rémunéraient d’une façon éhontée certains producteurs d’électricité. Le Conseil constitutionnel, qui a regardé la disposition dont vous parlez, a été très clair il y a quelques semaines. Il a considéré que « le législateur a entendu remédier à la situation de déséquilibre contractuel entre les producteurs et les distributeurs d’électricité et ainsi mettre un terme aux effets d’aubaine dont bénéficiaient certains producteurs, au détriment du bon usage des deniers publics et des intérêts financiers de l’État ». Il est de notre responsabilité de législateurs de veiller sur les deniers publics, et c’est ce que nous avons fait. Il est regrettable que l’on n’ait pas suivi cette leçon dans les années 2000.

M. Charles de Courson, rapporteur. La question du photovoltaïque n’entre pas dans le champ de la proposition de loi organique : la disposition en cause n’était pas fiscale. Le Conseil constitutionnel ne l’a pas annulée parce que nous avions complété le texte pour permettre de négocier un prix intermédiaire évitant un déséquilibre financier majeur dans le cadre du contrat.

Nous sommes les législateurs, monsieur Holroyd. Devons-nous attendre les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État pour définir les règles ? Certaines jurisprudences peuvent nous satisfaire et d’autres non : c’est à nous de voir.

Ce que je vous propose est conforme à l’évolution jurisprudentielle. Votre argument est le même que celui du directeur de la législation fiscale, qui m’a demandé à quoi serviraient l’article 1er et une bonne partie de l’article 2, compte tenu de la jurisprudence. Or celle-ci peut évoluer et c’est au Parlement de se prononcer. Les juridictions n’ont fait que pallier une absence. Notre droit ne comporte même pas de définition de la rétroactivité. L’article 1er en propose une qui est claire et très précise. Légiférer en la matière a un véritable intérêt, même si on se cale sur la jurisprudence actuelle.

Les articles 2 et 3, dont je vous proposerai d’adopter une nouvelle rédaction, vont plus loin : ils permettront aux législateurs que nous sommes de garantir qu’un régime fiscal instauré parce qu’on veut inciter, dans le cadre d’une politique publique, à aller dans tel sens ne sera pas remis en cause par un nouveau gouvernement. On pourra supprimer un régime fiscal, mais pour l’avenir. Cela respecte donc totalement les droits du Parlement. Presque chaque ministre du logement est, par exemple, à l’origine d’un dispositif fiscal, le dernier en date étant le « Denormandie ». Si on veut apporter des modifications, pas de problème, mais c’est pour l’avenir : si on met fin au « Pinel », on ne dit pas à ceux qui se sont engagés dans ce cadre pour douze ans que c’est fini pour eux au bout de neuf ans.

C’est à nous, je l’ai dit, de voir si nous sommes d’accord avec la jurisprudence. Ce n’est pas elle qui s’impose au législateur. Par ailleurs, le texte a pour intérêt de porter ce qu’elle prévoit au niveau organique.

N’y a-t-il plus de problème d’attractivité ? Permettez-moi de vous dire que les investisseurs étrangers qui viennent en France répondent, quand on les interroge, qu’ils ont toujours peur. C’est un des freins, les questions fiscales n’étant qu’un élément parmi d’autres. Nous donnerons davantage de garanties : si on investit dans tel cadre, on bénéficiera d’une stabilité du dispositif, quels que soient les gouvernements suivants. Si le Parlement change la règle, ce sera pour de nouveaux investissements. Le prévoir dans une loi organique, et non dans une loi ordinaire, que l’on peut changer à tout moment, permettra d’assurer une sécurisation.

Vous avez dit que nous serions quasiment les seuls à adopter ce dispositif en Europe. Pourquoi les Allemands n’en ont-ils pas besoin ? Vous connaissez le droit allemand : il est beaucoup plus stable. Nos voisins se mettent d’accord dans le cadre d’un large consensus. La France se caractérise – ce n’est pas moi qui le dis, mais tous ceux qui suivent ces questions sur le plan international – par une grande instabilité. On a tendance à changer les règles tout le temps. Si on veut le faire, ce sera possible, mais pas pour ceux qui ont pris des engagements à la suite d’une incitation du Parlement français.

Je voudrais dire à mon bon ami Mattei que ses propos concernant l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme ne sont que partiellement exacts : cet article vise les sanctions et non les intérêts de retard. C’est pourquoi un de mes amendements fait référence à ces derniers. J’ai découvert cette question lors des auditions : lorsqu’une disposition rétroactive s’applique, pour un motif d’intérêt général, il n’est pas normal de faire payer des intérêts de retard, comme si les malheureux contribuables concernés avaient commis une faute – ce n’est pas le cas.

J’ai déposé à l’article 4 un amendement qui permettra de régler la question soulevée par notre collègue. Si nous légiférons au niveau organique, c’est pour permettre au Conseil constitutionnel d’annuler une disposition rétroactive lorsqu’il n’existe pas de motif impérieux d’intérêt général ou lorsqu’un déséquilibre est causé. J’ai déposé un autre amendement, complémentaire, qui vise à renforcer les pouvoirs du Parlement, en particulier ceux du président de la commission des finances.

Je remercie Les Républicains pour leur appui.

Je voudrais dire à ma chère collègue Cécile Untermaier que ses arguments sont discutables. On pourra parfaitement modifier les règles, mais pour l’avenir. Il n’est pas vrai que cela réduira les pouvoirs du Parlement. Par ailleurs, j’ai prévu une disposition permettant une rétroactivité en matière de baisse d’impôt. Ce sera à nous de décider si c’est légitime ou non. De la même façon, le droit pénal s’applique rétroactivement s’il est plus favorable, sinon ce n’est pas le cas. Ce que je propose est une transposition en matière fiscale, sauf que ce ne sera qu’une possibilité : il n’y aura pas du tout d’automaticité.

Un de mes amendements, déposé à l’article 2, répond aux questions de notre collègue du groupe Agir Ensemble.

Je remercie le porte-parole du groupe Libertés et Territoires pour son intervention, ainsi que celui du groupe UDI-I. Demander de la stabilité dans ce domaine est une vieille tradition de ce courant politique – les centristes et la droite modérée.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Principe et exceptions à la non-rétroactivité de la loi fiscale

Amendement CL3 du rapporteur.

M. Charles de Courson, rapporteur. Mon amendement maintiendra la première phrase de l’article 1er : « Les dispositions relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ne disposent que pour l’avenir. » Cela revient à appliquer en matière fiscale un principe qui est certes inscrit dans le code civil mais qui n’a pas de portée juridique puisqu’il n’est prévu qu’à un niveau législatif.

La deuxième phrase de l’amendement tend à définir, pour la première fois, ce qu’est la rétroactivité : « Constitue une disposition rétroactive celle qui s’applique à un fait générateur de l’impôt antérieur à la date de son entrée en vigueur. » En ce qui concerne l’impôt sur le revenu (IR), le fait générateur se situe le 31 décembre. Comme la loi de finances est adoptée les 28 ou 29 décembre de l’année N-1, il n’y a pas de rétroactivité. Pour l’impôt sur les sociétés, c’est la date de bouclage des comptes, qui est en général le 31 décembre, mais beaucoup d’entreprises clôturent leurs comptes à un autre moment, par exemple le 31 octobre, parce qu’elles ont des cycles différents. Une mesure est rétroactive par rapport au fait générateur.

Le troisième alinéa, qui est plutôt utile à mon avis – nous en avons parlé lors des auditions –, vise à couvrir les cas un peu particuliers que sont les prélèvements forfaitaires. Par exemple, quelques revenus sont imposés forfaitairement dans le cadre de l’IR.

Guillaume Larrivé a parlé d’écriture cristalline. Nous avons beaucoup travaillé sur ce texte, avec des spécialistes, afin d’essayer d’améliorer encore la rédaction initiale.

Cet article ne sera pas une reprise de la jurisprudence : il vise à définir très précisément les concepts.

M. Jean-Paul Mattei. Ceux qui suivent l’actualité fiscale scrutent les réunions du conseil des ministres du mois d’octobre dans l’attente de l’annonce de dispositions fiscales. Celles-ci sont souvent applicables – on l’a vu notamment en matière d’assurance vie – à compter du mois d’octobre : la loi peut le prévoir. Ce que vous proposez nous lierait en la matière : comment pourrons-nous faire si nous voulons éviter des effets d’aubaine ?

M. Alexandre Holroyd. J’aimerais revenir sur les réponses du rapporteur.

Une proposition de loi organique a été déposée en 1999 parce qu’on considérait qu’il y avait un vrai problème. La jurisprudence a évolué dans un sens avec lequel nous sommes, grosso modo, d’accord : elle s’est durcie et est devenue satisfaisante. Vous voulez donc légiférer alors que la jurisprudence a évolué depuis vingt ans dans le sens que vous souhaitez. Elle répond à la majorité des angoisses que chacun peut avoir dans ce domaine.

La jurisprudence peut évoluer dans l’autre sens : c’est possible. La question de savoir s’il faut légiférer se posera alors, comme elle se posait au début des années 2000 – c’est à ce moment-là qu’il aurait fallu adopter un texte. Je ne vois pas en quoi la possibilité d’une évolution de la jurisprudence nous imposerait d’adopter un texte maintenant.

M. Charles de Courson, rapporteur. Le premier alinéa de l’amendement CL4 prévoit ceci, monsieur Mattei : « À titre exceptionnel, des dispositions modifiant l’assiette, le taux ou les modalités de recouvrement des impositions de toute nature peuvent s’appliquer de manière rétroactive en considération d’un motif impérieux d’intérêt général, et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. » Cela pourra concerner, par exemple, la TVA : en cas de baisse ou de hausse de taux, il est en général prévu que les dispositions prises s’appliquent à la date à laquelle elles ont été annoncées par le Gouvernement, ce qui est tout à fait logique. Le premier alinéa de l’amendement CL4 permettra de le faire.

Devons-nous rester passifs, monsieur Holroyd, face aux évolutions jurisprudentielles ? Certaines d’entre elles peuvent être positives, compte tenu de ce que la majorité d’entre nous pense, mais il y a aussi quelques cas au sujet desquels de bons juristes estiment que la cohérence jurisprudentielle n’est pas assurée. C’est à nous, en tant que parlementaires, de voir si nous voulons stabiliser la jurisprudence sur certains points ou si nous ne sommes pas d’accord. Le juge ne fait que pallier nos insuffisances, soit par abstention, parce que nous n’avons pas légiféré dans un domaine, soit parce que nous l’avons fait d’une façon trop approximative et qu’on ne sait pas très bien ce qui s’applique.

Le texte permettra de réaliser une cristallisation et d’aller un peu plus loin, en nous dotant d’un outil très intéressant. La direction de la législation fiscale ne conteste pas qu’on ne peut pas sécuriser un produit aujourd’hui. Ce sera désormais possible – mais j’anticipe sur l’article 3.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 1er.

Après l’article 1er

Amendement CL4 du rapporteur.

M. Charles de Courson, rapporteur. J’ai déjà abordé cet amendement qui vise à clarifier les exceptions au principe de non-rétroactivité.

Je propose d’intégrer les solutions dégagées par les jurisprudences européenne, constitutionnelle et administrative en ce qui concerne la protection des garanties découlant des exigences constitutionnelles, des situations légalement acquises et des effets pouvant être légitimement attendus de telles situations. Le but est d’encadrer les conséquences de la « rétroactivité économique » de dispositions fiscales qui, tout en n’étant pas rétroactives sur le plan strictement juridique, peuvent conduire à remettre en cause les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles les contribuables ont fondé leurs décisions d’épargne ou d’investissement.

J’ai déjà présenté par anticipation le premier alinéa et le deuxième, qui concerne les sanctions et les intérêts de retard – ce dernier point n’est pas couvert par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme.

La seconde phrase du deuxième alinéa, selon laquelle les dispositions visées « ne peuvent pas porter atteinte à une décision de justice passée en force de chose jugée ni s’appliquer aux instances en cours », est très importante. Dans l’état actuel du droit, nous, législateur, ne pouvons remettre en cause une décision de justice ayant force de chose jugée, mais nous pouvons faire tomber les contentieux en cours ; c’est très choquant. Depuis vingt-huit ans que je siège en commission des finances, je l’ai vu faire plusieurs fois à la suite d’une décision de justice qui ne nous plaisait pas. Cette phrase permet aux contentieux en cours de prospérer : c’est un progrès pour la stabilité juridique.

Le troisième alinéa – « Elles ne sauraient davantage porter atteinte aux situations légalement acquises ou aux effets qui peuvent être légitimement attendus de telles situations » – correspond à la jurisprudence actuelle.

Le dispositif de l’amendement précise enfin que « les dispositions présentant un caractère plus favorable peuvent s’appliquer rétroactivement », ce qui ne veut pas dire qu’elles s’appliquent nécessairement de manière rétroactive : c’est nous qui en décidons.

Cet amendement est important pour la sécurité juridique de nos concitoyens.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 : Stabilité des régimes fiscaux spéciaux d’une durée comprise entre un et quinze ans

Amendement CL5 du rapporteur

M. Charles de Courson, rapporteur. Il apporte plusieurs précisions rédactionnelles à l’article 2. Celui-ci consacre, dans sa rédaction initiale, l’intangibilité des régimes fiscaux auxquels sont soumis les actes d’une durée comprise entre un et quinze ans, dès lors que les modifications apportées à ces derniers porteraient une atteinte sensible à leur équilibre financier. L’article renforce ainsi la stabilité des règles fiscales et réduit les risques de rétroactivité économique en protégeant le principe d’espérance légitime des contribuables, consacré par la jurisprudence.

Afin de circonscrire le champ d’application de l’article 2, l’amendement propose substituer la notion d’« actes » à celle de « contrats ».

Cette véritable innovation permettrait au Parlement de garantir un régime fiscal durable, dans la limite de quinze ans. À l’intérieur de cette limite, à nous de calibrer la durée – le dispositif Pinel, par exemple, propose trois possibilités d’engagement, pour six, neuf ou douze ans. Une fois cela fait, le mécanisme est stabilisé pour cette durée au profit de ceux qui l’ont utilisé. Nous nous doterions ainsi d’un outil fiscal inédit.

M. Jean-Paul Mattei. L’idée est séduisante, mais dangereuse.

Prenons un bail commercial pour des locaux soumis à un taux donné de TVA. Selon la situation de chacun – redevable ou non de la TVA, pouvant ou non la récupérer –, en modifiant le taux de TVA, on ferait de ce bail une sorte de paradis fiscal, soumis à un taux différent de celui fixé par le législateur. D’ailleurs, les contrats incluent souvent la précision « sauf modification du taux de TVA ».

Prenons une société civile constituée pour cinquante ans et ayant opté pour le régime de l’impôt sur le revenu ; pendant quinze ans, elle ne pourrait pas changer de régime fiscal puisqu’elle repose sur un contrat qui engage les personnes.

L’amendement limite ainsi la capacité de légiférer et entraînerait la création d’îlots de fiscalité favorable, voire d’effets d’aubaine.

M. Alexandre Holroyd. Je suis d’accord. Une certitude absolue, l’impossibilité de tout changement pendant quinze ans sont très séduisantes, mais l’amendement se heurte aux mêmes objections que les autres propositions visant à fixer le dispositif dans le temps.

Pour en revenir à l’attractivité, ce que les investisseurs étrangers critiquent le plus en France, c’est l’absence de lisibilité de la fiscalité. Or vous créez ici différents dispositifs parallèles qui seraient applicables aux mêmes sujets : deux, trois, quatre ou cinq mécanismes, votés par des majorités qui se succèdent ou qui auront changé d’avis, pourraient coexister. À raison d’un projet de loi de finances par an, en quinze ans, ce sont quinze régimes fiscaux applicables au même domaine qui seraient susceptibles de cohabiter – je conviens que ce serait un cas extrême, supposant trois majorités successives qui changeraient d’avis très souvent. Cela entraînerait en tout cas une complexité fiscale abyssale et fausserait les relations concurrentielles.

Outre que la démarche contraint le législateur pour une longue durée, elle décuple ainsi ce qui est déjà l’une de nos plus grandes faiblesses.

Le groupe La République en Marche votera donc contre ce qui est proposé à l’article 2 comme à l’article 3.

M. Charles de Courson, rapporteur. Monsieur Mattei aurait raison si mon amendement ne remplaçait pas le terme de « contrats » par celui d’« actes ». C’est au moment où l’acte est établi que la sécurité juridique est acquise, quoi que vous fassiez par la suite – le législateur peut avoir changé entre-temps.

Monsieur Holroyd, c’est nous qui définissons ces régimes, et nous ne sommes pas tenus de les sécuriser pour une durée aussi longue que quinze ans. Nous avons choisi cette limite après avoir constaté avec les spécialistes qu’elle correspondait à la durée maximale des dispositifs fiscaux en vigueur. En effet, l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements sociaux, qui pouvait durer vingt-cinq ans, a été abrogée et remplacée – rétroactivement ! – par un dispositif d’une durée de quinze ans, sans compensation pour les collectivités locales, soit dit en passant, ce qui est très choquant. C’est notre responsabilité de parlementaires que d’assumer la clarté et la stabilité de la fiscalité.

M. Guillaume Larrivé. Qu’est-ce qu’un acte, monsieur le rapporteur ?

M. Charles de Courson, rapporteur. C’est une décision que vous prenez à un instant donné. Le contrat tombait sous le coup de l’argument de notre collègue Mattei. L’introduction de la notion d’acte détermine mieux le champ de la possibilité que nous ouvrons au Parlement – et que celui-ci n’utilisera que s’il le souhaite.

M. Guillaume Larrivé. Tous les actes ne sont pas des contrats, certes, mais tous les contrats ne sont-ils pas des actes ?

M. Charles de Courson, rapporteur. Le texte ne parle plus de contrat.

M. Jean-Paul Mattei. Je comprends la dimension déclarative de la démarche. Je songe à l’inapplicabilité de l’article 150-0 D bis du code général des impôts, qui exonérait d’imposition sur les plus-values les cessions de titres détenus depuis plus de huit ans.

L’amendement parle d’acte et de durée comprise entre un et quinze ans : on y retrouve bien la notion d’application d’un engagement dans le temps ; autrement dit, on n’est pas loin du contrat.

M. Alexandre Holroyd. Je partage l’inquiétude exprimée en filigrane par M. Larrivé. Ce qui distingue un contrat d’un acte est la présence de deux parties dans le premier, et non nécessairement dans le second. Mais, comme l’a dit M. Larrivé, tout contrat est un acte. Le texte ne restreint donc pas le dispositif, mais l’étend, pour inclure tous les contrats ainsi que les actes qui ne sont pas des contrats.

Concernant la responsabilité du Parlement, je partage entièrement votre point de vue, monsieur le rapporteur. Aux Pays-Bas, je l’ai dit, la question ne fait pas l’objet d’une disposition à valeur constitutionnelle, mais d’un accord de responsabilité entre le gouvernement et le Parlement. Vous avez raison de dire que le Parlement est responsable de ses actions. Du coup, le texte n’a pas lieu d’être, puisque les parlementaires sont tenus par les engagements hérités de leurs prédécesseurs et par la nécessité de préserver la sécurité juridique des investisseurs. La responsabilité parlementaire que vous invoquez s’exprime par la liberté parlementaire – que votre proposition de loi tente de contraindre.

M. Charles de Courson, rapporteur. La liberté du Parlement est totale : s’il ne veut pas utiliser le dispositif, il ne le fera pas. Simplement, s’il l’utilise, aucune autre majorité ne pourra, pendant la durée de l’engagement, en modifier les termes. C’est une sécurité pour l’investisseur. On ne peut pas modifier au bout de deux, trois ou cinq ans le cadre dans lequel on a permis à une personne physique ou morale de s’engager et sur lequel elle a fondé ses calculs – sauf exception prévue par le texte, comme un motif impérieux d’intérêt général.

Il est ressorti de nos longues discussions avec les spécialistes que la notion de « contrat » devait être écartée au profit de celle « d’acte ».

Mme Cécile Untermaier. S’il faut aller vérifier dans le Dalloz les définitions du contrat et de l’acte, nous ne nous en sortirons pas avant la semaine prochaine… Il faudra clarifier ce point en vue de la séance.

La question que vous soulevez, monsieur le rapporteur, est essentielle. Dans le cas du photovoltaïque, des personnes se sont engagées et endettées compte tenu de l’équilibre d’investissement qui avait été prévu, mais qui a été entièrement remis en cause par des mesures votées ici même. Nous le payons très cher : des dispositifs alléchants inspirent désormais la méfiance parce qu’ils risquent d’être modifiés par le législateur.

En l’occurrence, la modification se fondait sur de bonnes raisons, car le calcul initial n’était pas juste. Mais le résultat est désastreux. Il faut garantir de la stabilité à ceux qui investissent conformément à une orientation politique que nous soutenons – quitte à prévoir des clauses de revoyure au bout de cinq ou six ans. Si nous incitons quelqu’un à s’engager sur une voie, il doit connaître son trajet et son point d’aboutissement.

Voilà pourquoi j’ai finalement soutenu vos propositions : il sera très intéressant d’en débattre en séance, notamment pour obtenir des éclaircissements de nos collègues commissaires aux finances quant à notre passif concernant le photovoltaïque. Dans ma circonscription, les gens sont très inquiets ; des entreprises qui s’étaient installées ont dû mettre la clé sous la porte à cause d’une modification apportée au montant du contrat. La stabilité juridique leur aurait été très profitable.

M. Jean-Paul Mattei. J’ai moi aussi été choqué par cette affaire dans laquelle on revient sur la parole donnée, sur le contrat, et j’ai moi-même déclaré dans l’hémicycle que je n’y étais pas favorable. Mais le texte qui nous est soumis n’aurait pas résolu ce problème, qui relève d’une relation contractuelle entre un entrepreneur et l’État, ou des organismes dépendant de lui.

En droit des sociétés, nous débattons très souvent de la question de savoir si, quand la réglementation évolue, c’est le contrat ou la loi qui s’applique. Mais ici, en matière fiscale, on bride le législateur, on entrave sa capacité à légiférer et à faire évoluer le droit. Parce qu’un acte – ou un contrat – a été établi, il ne serait plus possible d’y toucher. Cela me trouble.

M. Charles de Courson, rapporteur. Ce n’est pas ce que dit le texte ! Il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une ouverture donnée au législateur. Au contraire, l’outil renforcerait le Parlement et sa crédibilité.

Ma proposition de loi ne s’applique pas à l’affaire du photovoltaïque, mais traite, en matière fiscale, le même problème : à force de modifier, même pour des motifs impérieux, ce qui est juridiquement possible au vu de la jurisprudence, on n’est plus crédible vis-à-vis des acteurs économiques.

Le texte nous permettrait, si nous le souhaitons, d’instaurer des dispositifs qui resteront stables pendant une certaine durée ; nous les modifierons si nous le voulons, mais pour l’avenir, non pour le passé.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3 : Stabilité des règles relatives à des avantages fiscaux créés pour une durée déterminée

Amendement CL6 du rapporteur

M. Charles de Courson, rapporteur. Premièrement, l’amendement fixe à cinq ans la durée maximale en deçà de laquelle un avantage fiscal créé pour une durée égale ou inférieure ne peut être modifié avant son terme, sauf dans un sens plus favorable aux contribuables, si le Parlement en décide ainsi. Ce plafond de cinq ans, raisonnable compte tenu de la périodicité du consentement parlementaire, serait de nature à conforter la confiance des particuliers et des entreprises dans la stabilité des régimes fiscaux incitatifs ayant pour objectif d’orienter leurs choix d’épargne et d’investissement.

Deuxièmement, l’amendement étend l’exigence de stabilité quinquennale des règles des avantages fiscaux aux régimes fiscaux applicables sur option ou agrément, avant l’expiration de l’option ou de l’agrément. Cette disposition entérine la solution dégagée par le Conseil d’État dans sa décision dite Vivendi d’octobre 2017 relative aux conditions d’application du régime du bénéfice mondial consolidé, lequel avait été créé pour cinq ans mais supprimé au bout de trois ans. Il s’agit de garantir le maintien des règles fiscales applicables pendant la période couverte par l’agrément, sans que celui-ci puisse être remis en cause avant son terme, dans la limite de cinq ans.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 3.

Article 4 : Justification des dispositions fiscales rétroactives et mesures transitoires

Amendement CL7 du rapporteur

M. Charles de Courson, rapporteur. Je propose de supprimer la seconde phrase de l’article, qui oblige à assortir toutes les dispositions fiscales à caractère rétroactif de mesures transitoires, d’accompagnement ou de compensation dès lors que ces dispositions empêchent l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une liberté publique. Elle risquerait en effet de créer de la rigidité et apparaît peu opérationnelle et relativement complexe à mettre en œuvre, compte tenu de la difficulté à appréhender les cas concrets dans lesquels l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une liberté publique serait empêché.

Pourquoi, en revanche, introduire et maintenir dans une loi organique la mesure contenue dans la première phrase de cet article, selon laquelle « l’adoption de dispositions fiscales rétroactives dans les conditions prévues à l’article 1er doit être motivée par un exposé justifiant leur caractère rétroactif et par une évaluation des conséquences financières pour les contribuables » ? Pour donner aux juridictions, particulièrement au Conseil constitutionnel, un motif d’annulation des mesures prises si l’évaluation révèle que celles-ci ne respectent pas les grands principes précédemment évoqués. Jusqu’à présent, aucune décision du Conseil constitutionnel ne s’est appuyée sur une défaillance complète de l’étude d’impact, ce qui est regrettable. C’est la jurisprudence actuelle ; elle peut changer, comme toute jurisprudence. Le texte incite à aller plus loin, du moins dans le domaine de la rétroactivité.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 4.

Après l’article 4

La Commission examine l’amendement CL8 du rapporteur.

M. Charles de Courson, rapporteur. Cet amendement permet de renforcer les pouvoirs du Parlement, particulièrement des présidents de commission, en précisant que « les règlements des assemblées déterminent les conditions dans lesquelles les amendements non conformes aux dispositions de la présente loi organique sont irrecevables ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Dans la mesure où les articles de la proposition de loi ont tous été rejetés, cet amendement n’a plus beaucoup de sens.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le débat aura lieu en séance publique sur le texte initial.

M. Charles de Courson, rapporteur. À ceux de mes collègues qui n’ont pas soutenu le texte, je veux dire ceci : vous êtes des conservateurs, à la remorque des décisions de justice, c’est-à-dire que vous avez renoncé à être parlementaires. C’est votre grand crime ! Vous êtes aussi à la remorque de la direction de la législation fiscale, qui ne veut surtout pas que le Parlement se mêle de ces sujets, trop sérieux pour lui !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’espère que vous aurez des mots plus aimables la prochaine fois que vous viendrez en commission des Lois !

M. Charles de Courson, rapporteur. J’aurai grand plaisir à revenir vous voir, madame la présidente : vous savez combien j’apprécie votre indépendance d’esprit !

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi organique limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive (n° 366).

 


— 1 —

 

   LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

 

 


([1]) Article VIII de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

([2]) Décret n° 48-1986 du 9 décembre 1948.

([3]) Articles 12 et 36 du code général des impôts.

([4]) Article 209 du code général des impôts.

([5]) Voir par exemple la loi organique n° 2002-161 du 11 février 2002 portant validation de l’impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française.

([6]) Tel est le cas de l’article 196 de la loi de finances pour 2019 qui précise l’objet des ressources allouées aux départements en application du dispositif de compensation péréquée, du fonds de solidarité en faveur des départements et des recettes résultant du relèvement du taux de la taxe de publicité foncière ou du droit d’enregistrement.

([7]) Il s’agit généralement de la date à laquelle le projet de loi de finances est présenté devant le conseil des ministres.

([8]) La loi de finances pour 2020 a ainsi prévu que la suppression de l’exonération des intérêts générés par les primes versées dans le cadre de contrats d’assurance-vie souscrits avant 1983 s’applique à compter du 10 octobre 2019, soit la date à laquelle l’amendement prévoyant cette disposition a été adopté par la commission des finances de l’Assemblée nationale.

([9]) Ce fut le cas de la rétroactivité au 1er septembre 1987 de la baisse de la TVA applicable aux automobiles prévue par la loi de finances pour 1988 afin que les consommateurs ne diffèrent leurs achats entre la date de l’annonce et la date d’entrée en vigueur de la loi de finances, soit le 1e janvier 1988.

([10]) Dans son avis n° 1766111 rendu le 5 avril 1996, le Conseil d’État a confirmé l’effet rétroactif de la loi plus douce en matière fiscale.

([11]) Conseil constitutionnel, décision n° 80-126 DC du 30 décembre 1980.

([12]) Conseil constitutionnel, décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982.

([13]) Conseil constitutionnel, décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995.

([14]) Ce principe induit corrélativement l’interdiction de faire renaître des prescriptions légalement acquises, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988. Cependant, la rétroactivité des pénalités de retard a été acceptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 89-248 DC du 17 janvier 1989.

([15]) Conseil constitutionnel, décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988.

([16]) Conseil constitutionnel, décision n° 98-404 DC du 29 décembre 1998.

([17]) Conseil constitutionnel, décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995.

([18]) Conseil constitutionnel, décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012.

([19]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013.

([20]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014.

([21]) Cour de justice des Communautés européennes, Racke, 25 janvier 1979 et Cour européenne des droits de l’Homme, Building Societies c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997.

([22]) Cour de cassation, assemblée plénière, 23 janvier 2004 et avis du Conseil d’État, Provin, 27 mai 2005.

([23]) Conseil constitutionnel, décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 et décision n° 86-223 DC 29 décembre 1986.

([24]) Conseil constitutionnel, décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997.

([25]) Conseil constitutionnel, décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999.

([26]) Elle ne sauraient entraîner sur le patrimoine du contribuable des conséquences d’une ampleur telle qu’elles porteraient atteinte au droit de propriété garanti par la Constitution, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991.

([27]) Cour de cassation, chambre commerciale, 6 juin 1990.

([28]) Ibid et Conseil d’État, Rubin, 23 juin 1986.

([29]) Cour de cassation, chambre commerciale, 7 avril 1992.

([30]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017.

([31]) Cour de justice des communautés européennes, Bosch, 6 avril 1962.

([32]) Cour de justice des communautés européennes, Lemmerz-Werke GmbH, 13 juillet 1965 et Commission c./ Conseil, 5 juin 1973.

([33]) Cour de justice des communautés européennes, Belgique c./ Commission, 22 juin 2006.

([34]) Cour européenne des droits de l’Homme, Pine Valley Developments, 29 novembre 1991.

([35]) Conseil constitutionnel, décision n° 97-391 DC du 7 novembre 1997.

([36]) Conseil d’État, Société EPI, 9 mai 2012.

([37]) Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil d’État dans une décision dite « Vivendi » rendue le 25 octobre 2017 relative aux conditions d’application du régime du bénéfice mondial consolidé.

([38]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013.

([39]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014-435 QPC du 5 décembre 2014.

([40]) Sans être assorties de mesures transitoires ou à effet différé.

([41]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019.

([42]) Conseil d’État, Société KPMG, 24 mars 2006.

([43]) Lexbase, La lettre juridique, n° 599, 29 janvier 2015.

([44]) Conseil des impôts, 13è rapport, 1994.

([45]) Ibid.

([46]) Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer l’attractivité du territoire, rapport de Me Bruno Gibert remis au ministre des finances, septembre 2004.

([47]) Dans la limite de trois ou cinq ans.

([48]) Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche, rapport de M. Olivier Fouquet, remis au ministre du budget, septembre 2008.

([49]) Proposition n° 73 : « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. »

([50]Les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages, rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, janvier 2018.

([51]) Proposition de loi constitutionnelle déposée en 1991 par M. Pascal Clément, député, et destinée à prohiber la rétroactivité des lois ; proposition de loi organique déposée en 1998 par M. Nicolas Sarkozy, député, et modifiant l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances afin de garantir le caractère pluriannuel des avantages fiscaux dont la durée est précisément limitée dans la loi ; propositions de loi constitutionnelle et organique déposées en 1999 par M. Philippe Marini, sénateur, et posant le principe de non-rétroactivité des lois de finances, des lois de financement de la sécurité sociale et des lois ordinaires ; propositions de loi constitutionnelle et organique déposées en 2000 par MM. Charles Millon et Michel Meylan, députés, portant respectivement reconnaissance du principe de sécurité juridique et limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive ; propositions de loi constitutionnelle et organique, déposées en 2000 par M. Alain Suguenot, député, et limitant le recours aux dispositions fiscales rétroactives ; propositions de loi constitutionnelle et organique déposées en 2001 par M. Jean-Claude Carle, sénateur, portant respectivement reconnaissance du principe de sécurité juridique et limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive ; propositions de loi constitutionnelle et organique déposées en 2012 par M. Olivier Dassault, député, et tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales ; proposition de loi constitutionnelle déposée en 2014 par M. François Sauvadet, député, et tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales.

([52]) Proposition de loi organique de M. Nicolas Sarkozy et propositions de loi constitutionnelle et organique de M. Olivier Dassault.

([53]) Voir à ce sujet la décision n° 85-202 DC du 16 janvier 1986.

([54]) À l’image de la charte de la nouvelle gouvernance fiscale publiée en décembre 2014 par M. Michel Sapin, ministre des finances.

([55]) Conseil constitutionnel, décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995.

([56]) Conseil constitutionnel, décision n° 80-126 DC du 30 décembre 1980.

([57]) Conseil constitutionnel, décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982.

([58]) Décret n° 48-1986 du 9 décembre 1948.

([59]) Le rapport Gibert estimait que près de 70 % des dispositions fiscales rétroactives intervenues entre 1982 et 1999 ont été favorables aux contribuables.

([60]) Qu’il s’agisse de lois de validation, de lois interprétatives ou de lois garantissant le respect de la règle dite de « fair announce ».

([61]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014.

([62]) Cette définition exclut de facto la rétrospectivité de la loi de finances du champ des dispositions fiscales considérées comme rétroactives.

([63]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013

([64]) Selon votre rapporteur, il s’agit de la durée maximale des régimes fiscaux spéciaux, la loi de finances pour 1984 ayant ramené de vingt-cinq à quinze ans la durée d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles antérieurs à 1973.

([65]) Les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages, rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, janvier 2018.

([66]) Conseil d’État, Société EPI, 9 mai 2012.

([67]) Conseil d’État, Société KPMG, 24 mars 2006.

([68]) En l’espèce, le décret attaqué par les requérants prévoyait une réforme de la profession de commissaire aux comptes, en renforçant notamment le principe de la séparation des fonctions d’audit et de conseil.