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N° 4043

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis,

 

 

 

Par M. François‑Michel LAMBERT,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 2099.

 

 


 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Exposé général

I. État des lieux

A. Une consommation toujours plus importante

1. Chiffres de la consommation

2. La stigmatisation hypocrite des consommateurs

B. L’Échec de la politique de rÉpression

1. Une surexploitation inefficace des forces de police

2. Les conséquences du trafic de cannabis : un échec sécuritaire

3. Un sempiternel combat infructueux

C. Un Échec sanitaire

1. Une politique de prévention limitée

2. Affaissement de la qualité des produits en circulation

D. Les territoires perdus de la rÉpublique

II. La lÉgalisation contrÔlÉe de la production, de la vente et de la consommation de cannabis comme solution

A. La crÉation d’une sociÉtÉ nationale d’exploitation du cannabis (SECA)

B. La mise en place de stratÉgies de prÉvention pÉrennes

C. Des conditions de production et de vente

1. Définition de points de vente adéquats

2. L’importance de garantir la quantité et la qualité du produit

a. Importance de la qualité du produit vendu sur le marché légal

b. Importance de la quantité à disposition sur le marché légal

3. Production agricole du cannabis

D. DÉveloppements Économiques et fiscalitÉ du commerce de cannabis

COMMENTAIRE des articles

Article 1er Légalisation et encadrement de la vente de cannabis

Article 2 Fiscalité pesant sur le cannabis

Article 3 Gage financier

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

Annexe 2 : liste des textes susceptibles D’être abrogÉs ou modifiÉs À L’occasion de l’EXAMEN  DE LA PROPOSITION DE LOI


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   Exposé général

 

La répression est aujourd’hui, en France, le fil conducteur de la politique de lutte contre le cannabis. Cette politique de prohibition et de répression est non seulement un cuisant échec, mais est également à rebours de la dynamique mondiale de dépénalisation ou de légalisation du cannabis, puisque partout à travers le monde, des pays de plus en plus nombreux innovent et proposent des approches alternatives, ressources empiriques dont il conviendrait de s’inspirer.

Cette politique répressive n’a en effet pas permis de juguler les trafics ni même de limiter la consommation, qui est en constante hausse depuis plusieurs décennies. Pourtant, la société connaît une évolution de ses pratiques et de ses mœurs vis-à-vis du cannabis. Les Français portent un jugement nuancé sur la dangerosité du produit, qu’ils classent dans la même catégorie que l’alcool et considèrent moins dangereux que le tabac. Cette incohérence entre le cadre légal et la réalité des pratiques et des opinions des Français conduisent à décrédibiliser l’action des pouvoirs publics, et l’hypocrisie de la situation mène à la marginalisation de millions de consommateurs, puisque considérés comme délinquants, quel que soit leur âge, leur type de consommation ou leur rapport au produit.

Il n’est pas non plus question de nier les effets parfois néfastes qu’a le cannabis sur la santé de ses consommateurs. Si le cannabis, lorsqu’il est consommé modérément, n’a pas d’effets nocifs sérieux avérés sur la santé des adultes ([1]), et qu’il est beaucoup moins addictif que d’autres substances légales (alcool, tabac, etc.) ([2]), il présente en revanche des dangers pour la santé des plus jeunes, favorisant le risque de développer une schizophrénie ou autre trouble psychotique. En tant que produit stupéfiant, il induit également des pratiques à risques. Il existe néanmoins une grande différence entre une consommation raisonnable, récréative, occasionnelle et une consommation moins maîtrisée, plus compulsive, plus addictive qui s’assimile à la toxicomanie.

La légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis et des produits dérivés du cannabis à des fins récréatives semble la solution la plus à même de répondre aux enjeux sanitaires, sociétaux et sécuritaires tout en permettant de bénéficier de la manne économique représentée par la légalisation du cannabis.

I.   État des lieux

Malgré la politique de répression mise en place depuis plusieurs décennies, la consommation de cannabis n’a jamais cessé de croître ces dernières années. Cette politique, inefficace, représente un gâchis très important de l’utilisation du temps des forces de police et du système judiciaire, est très coûteuse, et ne parvient pas à freiner le trafic, source de violences et de nuisances pour les citoyens. Enfin, la politique de répression est, sur le plan sanitaire, un échec.

A.   Une consommation toujours plus importante

En France, la consommation de cannabis est très importante. Les consommateurs, toujours plus nombreux, sont pourtant les cibles d’une stigmatisation hypocrite due à leur consommation.

1.   Chiffres de la consommation

La politique de répression actuellement en place n’a pas permis de freiner la consommation de cannabis en France ; au contraire, elle n’a eu de cesse d’augmenter. Ainsi, la France est le pays ayant le plus haut taux d’expérimentation du cannabis en Europe. Particulièrement chez les jeunes par ailleurs, où le niveau d’expérimentation du cannabis a doublé entre 1993 et 2014. L’entrée des adolescents français dans la consommation est ainsi la plus jeune d’Europe, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Usage au cours de la vie de cannabis parmi les 17 ans – Évolution depuis 1993

Source : OFDT.

Le baromètre 2017 de Santé publique France réalisé avec l’OFDT révèle que notre pays compte 5 millions de consommateurs dont 700 000 usagers quotidiens.

Évolution de l’usage de cannabis (au moins un usage au cours de l’annÉe) parmi les 18-64 ans depuis 1992

Source : OFDT.

Ainsi, en 2016, 41,4 % des Français âgés de 15 à 64 ans avaient déjà consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie. En comparaison, la moyenne européenne s’établit à 18,9 %.

Loin d’enrayer sa consommation, la prohibition a favorisé l’expérimentation du cannabis du fait de sa très grande disponibilité, et cela en dépit d’investissements massifs dans la politique de répression.

2.   La stigmatisation hypocrite des consommateurs

La politique de répression à l’égard du commerce et de la consommation de cannabis stigmatise hypocritement l’usager qui reste un délinquant, éventuellement un malade, un individu victime de discriminations sociales, alors que la société a évolué dans ses mœurs et dans ses pratiques.

La stigmatisation peut avoir une incidence majeure sur la qualité de vie des personnes qui consomment du cannabis. Les consommateurs de cannabis, notamment les consommateurs réguliers, souffrent en effet d’une triple stigmatisation : sociale, structurelle et l’autostigmatisation. La première est responsable de l’étiquette négative que peuvent avoir à porter ces individus en société, et la stigmatisation structurelle peut conduire à l’éviction de ces individus des services publics et des systèmes de santé publique. Cette stigmatisation peut donc être la cause de la création d’obstacles majeurs à l’accès à des services essentiels, notamment ceux qui peuvent prévenir ou amener à sortir des comportements addictifs néfastes dans le cadre d’une consommation non contrôlée du cannabis.

Les Français sont aujourd’hui désormais convaincus que les politiques publiques actuelles de répression ne fonctionnent pas, et 51 % d’entre eux se déclarent désormais en faveur d’une régulation du marché du cannabis (IFOP Terra Nova juin 2018). Il est temps de mettre un terme aux postures morales qui empêchent l’ouverture d’un réel débat autour de la question de la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis.

Réponse à la question : « Une régulation et un encadrement du cannabis pourraient consister à fixer des règles concernant sa production, sa distribution et sa consommation en France tout en maintenant son interdiction dans certains cas (conduite d’un véhicule, lieux publics…). Seriez-vous favorable à ce qu’elle telle régulation et un encadrement permettent… ? »

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Source : Ifop pour Terra Nova et Écho citoyen - Les Français et le cannabis, mai 2018.


B.   L’Échec de la politique de rÉpression

1.   Une surexploitation inefficace des forces de police

La politique de répression à l’égard du commerce illégal et de la consommation du cannabis n’a eu de cesse de s’accentuer durant ces dernières décennies. Désormais, près de 145 000 personnes sont interpellées chaque année pour usage de stupéfiants, dont 90 % concernent des consommateurs de cannabis. Le nombre d’interpellés pour usage simple a été multiplié par 50 depuis 1970.

Évolution des personnes interpellÉes pour INFRACTION À LA LÉGISLATION SUR LES STUPÉFIANTS, par catÉgorie
(personnes mises en cause par la police ou la gendarmerie) (1972-2013)

Source : État 4001 annuel, DCPJ (police + gendarmerie), via Obradovic I. (2015), « Trente ans de réponse pénale à l’usage de stupéfiants », Tendances, n° 103, OFDT.

Cette hausse reflète une augmentation de la consommation mais, surtout, celle de la répression à l’égard des usagers, favorisée par une politique du chiffre.

Motifs des condamnations liées aux stupéfiants en 2015

Cette politique répressive mobilise une part importante des ressources des forces de l’ordre. Ainsi, les interventions liées à l’usage simple de cannabis ont représenté plus d’un million d’heures de travail des forces de l’ordre en 2016. Plus de la moitié de la part proactive de l’activité policière est donc consacrée à la répression de l’usage de drogues, laquelle concerne à 90 % le cannabis. La politique de répression participe de surcroît à une politique du chiffre qui fabrique des statistiques de répression de la délinquance sans régler les questions de fond.

La dépense publique engagée pour lutter contre le cannabis est estimée à 568 millions d’euros. Ces coûts recouvrent essentiellement les dépenses liées à la répression, en particulier les actions policières et judiciaires, qui représentent respectivement 70 % et 20 % du total.

La légalisation encadrée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis permettrait de libérer les moyens considérables déployés pour organiser la prohibition. Un report de ces moyens vers la lutte contre d’autres trafics et contre les gros trafiquants, ainsi que vers le renforcement du respect de l’interdiction de vente aux mineurs du cannabis, mais aussi de l’alcool et du tabac, serait certainement plus efficace.

2.   Les conséquences du trafic de cannabis : un échec sécuritaire

La prohibition du cannabis couplée à la croissance continue de la consommation de ce type de stupéfiant encourage logiquement une économie parallèle source de violence et de délinquance. Le type de violence né de ce trafic s’est considérablement accentué ces dernières années, et le champ des zones touchées s’est lui-même élargi. La violence autour de la drogue s’est ainsi banalisée à la fois sur le terrain familier de gros trafics de cités et sur de nouvelles zones, notamment dans les villes moyennes et dans les zones périurbaines et rurales où se sont ancrés des réseaux secondaires.

3.   Un sempiternel combat infructueux

La politique de lutte contre le trafic de cannabis se révèle dans les faits être inefficace tant sur le terrain, ou elle épuise inutilement les services de voie publique et d’investigation de proximité qu’au tribunal, où le nombre d’affaires à traiter est tel qu’il est impossible d’appliquer la loi en tout temps, créant des inégalités de traitement entre les territoires et les personnes.

a.   Des actions de terrain sans aboutissement

Les services de voie publique et d’investigation de proximité ont une approche de la lutte contre le trafic sous l’angle des nuisances qu’ils génèrent dans l’espace public et qui font l’objet de demandes pressantes d’intervention policières des riverains. Selon le chercheur Mathieu Zagrodzki, auteur du rapport « Cannabis : pour une autre stratégie policière et pénale » pour Terra Nova en octobre 2020, auditionné par le rapporteur dans le cadre de ses travaux, l’impression générale qui ressort est de « vider l’océan avec une petite cuillère ».

Les actions entreprises par les services de police de voie publique et d’investigation de proximité ne permettent en effet, dans les faits, que de déplacer les problèmes ou encore juste de retarder les choses, les dealers interpellés quand une affaire est menée à son terme étant rapidement remplacés et le trafic reprenant de ce fait très rapidement, étant entendu que les quantités de produit saisies ne sont qu’une goutte d’eau dans ce marché très lucratif. Ce serait ainsi sur ce volet que l’on retrouverait la plus grande lassitude de la part des effectifs de police, qui ont l’impression de faire quelque chose certes utile socialement sur le papier mais concrètement peu efficace.

b.   Une embolie judiciaire

Toujours selon le rapport de Terra Nova réalisé par Mathieu Zagrodzki, la politique de répression en place fait que certaines juridictions sont embolisées par les affaires de stupéfiants. En 2015, les 58 000 condamnations qui ont résulté des procédures liées aux stupéfiants ont engendré un volume d’incarcération important : 25,7 % des condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) ont entraîné des peines de prison ferme. Résultat : 14,7 % de la population carcérale a été condamnée au titre d’une ILS. Les condamnations à de la prison pour usage simple – l’infraction la plus représentée – restent cependant rares (3 390 sur 58 000 en 2015).

Évolution des condamnations en France depuis 2001

Source : Ministère de la justice via Les décodeurs, Le Monde.

Face à l’inflation du nombre d’affaires liées au cannabis, les parquets ne peuvent engager des poursuites, ni appliquer des peines, dans tous les cas. Ils ont donc défini des approches alternatives qui leur sont propres. La sévérité et l’application de la loi varient d’un territoire à l’autre, notamment entre zones rurales, urbaines et péri-urbaines, créant de facto des problèmes de discriminations épinglés par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Ainsi, sur la période 1990-2010, 93,4 % des interpellés pour usage simple étaient des hommes, jeunes, et issus de minorités ([3]).

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C.   Un Échec sanitaire

La politique de répression ne permet pas de déployer une politique de prévention adéquate permettant de freiner la consommation, ni de réguler la qualité sanitaire des produits qui sont en vente sur le marché noir.

1.   Une politique de prévention limitée

La politique de répression de l’usage du cannabis est souvent défendue à partir de statistiques qui témoignent des seules activités policières dont les indicateurs nous montrent les efforts fournis ou la sévérité des interventions. Elle ne montre ainsi en rien les résultats de la politique de prévention de l’usage problématique du cannabis. La politique de répression française se caractérise donc aujourd’hui par une grande faiblesse de sa politique de santé, de prévention et d’accompagnement à l’attention des usagers.

Si les politiques de prévention contre l’usage non contrôlé du cannabis sont fondamentales, les dépenses de soins, de prévention et de promotion de la recherche ne constituent que 10 % du total des dépenses publiques engagées pour lutter contre le cannabis (les 90 % restants étant attribués aux actions policières et judiciaires), faisant d’elles les parents pauvres du budget de lutte contre le cannabis.

La politique de prévention à destination des jeunes pâtit de ce manque de moyen. Dans les collèges et les lycées, il est difficile de mesurer l’application réelle des obligations prévues par les textes officiels puisqu’aucun recensement n’est effectué au-delà d’un déclaratif (obligatoire) dans les projets d’établissement. Si certains établissements semblent disposer de sessions de formation et de sensibilisation régulières, d’autres n’en font pas état. Trop souvent, cette activité obligatoire relève de l’initiative individuelle d’un acteur de l’établissement, de la direction, du corps enseignant ou du service médical, ou bien du volontarisme des policiers et des gendarmes, sans réelle politique généralisée dans tous les établissements.

2.   Affaissement de la qualité des produits en circulation

La politique de répression met sur un marché parallèle des produits ne faisant l’objet d’aucun contrôle sanitaire et ne garantit ainsi pas la qualité des produits vendus, faisant courir des risques aux nombreux consommateurs qui ne peuvent juger de la qualité du produit qu’ils achètent. La mise en place d’un marché légal permettrait d’assurer au consommateur une transparence, une traçabilité et d’autres indicateurs de suivis qualitatifs.

Par ailleurs, la prohibition empêche de pouvoir contrôler la teneur en THC des produits du cannabis en circulation du marché. La teneur en THC du cannabis et des produits issus du cannabis a eu tendance ces dernières années à s’envoler. Ainsi, la teneur en THC dans la résine de cannabis a presque triplé en quinze ans, pour atteindre 26,5 % en 2018, tandis que celle de l’herbe a augmenté de 40 %, pour atteindre plus de 11 % en 2018.

 

 

D.   Les territoires perdus de la rÉpublique

Dans les territoires gangrénés par les trafics de drogue, la République n’est plus la perspective pour des centaines de milliers de nos concitoyens. En effet, là où les trafics se structurent, se professionnalisent, deviennent une économie pérenne avec ses règles et ses codes, ils deviennent un débouché naturel et accepté, dans des territoires où aucune autre porte de sortie ne semble pouvoir exister, où le chômage atteint des sommets. Le taux de chômage dans les quartiers dits « prioritaires » de la politique de la ville est près de trois fois plus important que dans les quartiers environnants, puisqu’il atteint en moyenne 23,4 %, selon les données 2018 de l’Observatoire national de la politique de la ville. Chez les jeunes actifs de moins de 30 ans, le taux approche même les 33 %, contre 15 % dans les autres quartiers. 

Le trafic est également générateur de méfaits importants qui viennent aggraver ces inégalités : incivilités, présence sur la voie publique et dans les parties communes de revendeurs et de clients, abandon de ces territoires par certains professionnels qui n’osent plus y pénétrer, image dégradée qui réduisent les chances de convaincre un employeur potentiel pour ceux qui y résident, etc. La structuration sociale de certains quartiers autour des trafics et d’une « économie de la débrouille » est une forme de double peine pour des populations peu fortunées qui en subissent en outre les externalités.

Les nombreux plans de transformation et de reconquête lancés depuis des décennies ont tous échoué sur les bas-fonds de l’économie souterraine. Sans un changement de perspective pour les habitants de ces quartiers, l’économie informelle et la loi des trafiquants restera l’horizon.

II.   La lÉgalisation contrÔlÉe de la production, de la vente et de la consommation de cannabis comme solution

La légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis devra passer par la création d’une société nationale d’exploitation du cannabis. Des politiques de prévention pérennes contre la consommation chez les jeunes et la consommation non contrôlée chez les adultes seront durablement mises en place. Il faudra définir des conditions de production et de vente adéquates aux objectifs recherchés par la légalisation contrôlée. Enfin, la légalisation contrôlée du cannabis permettra un développement économique des secteurs concernés ainsi que la création de nouvelles sources de recettes fiscales.

A.   La crÉation d’une sociÉtÉ nationale d’exploitation du cannabis (SECA)

Dans le cadre d’une légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis, la création d’une société nationale, la Société d’exploitation du cannabis (SECA), permettrait de réguler la production et la vente au détail tout en contrôlant la consommation. La SECA fixerait les conditions d’exploitation des débits de vente de cannabis et de produits du cannabis, et fournirait l’ensemble des débits de vente, fixerait les prix minimaux du cannabis et des produits du cannabis.

Ce système de production et de distribution centralisées, modèle adopté par l’Uruguay, le Québec ou encore la Colombie-Britannique, permettrait d’assurer un meilleur contrôle de la consommation des jeunes. Il est en effet préférable d’avoir la mainmise sur l’organisation du secteur plutôt que d’avoir à subir les mécanismes du marché, à l’image de certains États américains qui avaient privilégié des marchés privés réglementés, régulièrement tenus de recadrer des dynamiques qu’ils n’avaient pas anticipées.

La SECA contribuerait à la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, et participerait à la protection de la santé et au développement des programmes de prévention, de lutte contre les conduites addictives et de sensibilisation.

B.   La mise en place de stratÉgies de prÉvention pÉrennes

Le passage d’une politique prohibitionniste à une politique d’encadrement régulé de la production, de la consommation et de la vente de cannabis devrait être conjugué à une forte politique de prévention en termes de conduite à risque et de santé publique, notamment en direction des populations les plus vulnérables. La politique de prévention mettrait l’accent sur la protection des mineurs et l’accompagnement sanitaire et social des comportements à risques et des conduites addictives.

La prévention contre la consommation du cannabis doit en particulier cibler la population jeune, chez qui un usage non contrôlé peut avoir des conséquences en matière de santé. Des cours de santé publique et d’hygiène, centrés autour de faits objectifs, pourraient être intégrés au cursus scolaire, ainsi que des dépistages de pratiques précoces, qui déboucheraient sur un accompagnement du mineur. Au-delà des plus jeunes, des campagnes d’information nationales relayés par les médias et les réseaux sociaux, doivent être mises en place.

Par ailleurs, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du cannabis et des produits du cannabis sera interdite en dehors des débits de vente.

Une politique de prévention adaptée vaut mieux, sur le long terme, qu’une politique de répression pour freiner la consommation de produits néfastes pour la santé. Ainsi, ces dernières années, les pratiques d’expérimentations et de consommations de l’alcool et du tabac ont pu diminuer grâce aux différentes politiques de prévention mises en place. Ce déclin de la consommation d’alcool et de tabac dans notre pays prouve que les politiques de la demande qui se fondent sur la prévention et l’éducation fonctionnent.


C.   Des conditions de production et de vente

La réglementation entourant la production et la vente du cannabis nouvellement légalisé devra prendre en compte plusieurs aspects fondamentaux, notamment la définition de points de vente adéquats, l’importance de garantir la quantité et la qualité du produit, ainsi que le développement d’une filière agricole.

1.   Définition de points de vente adéquats

Le monopole d’État pourrait s’exercer à travers des licences et des distributeurs agréés, via le réseau des débitants de tabac, déjà solidement implanté aujourd’hui en France. Les débitants de tabac constituent en effet aujourd’hui un réseau de près de 24 000 points de vente sur tout le territoire, en faisant le premier réseau de commerces de proximité en France, massivement implanté dans les territoires ruraux, puisque 41 % des buralistes exercent dans des communes de moins de 3 500 habitants.

L’importance d’une implantation locale forte des distributeurs est primordiale pour lutter contre le marché noir, qui pourrait se saisir des failles d’un maillage territorial non adapté à la demande de cannabis.

2.   L’importance de garantir la quantité et la qualité du produit

Pour assécher le marché noir et rendre crédible la légalisation contrôlée du cannabis, le nouveau marché légal devra disposer d’un approvisionnement suffisant de cannabis et de produits de cannabis, qui devront être qualitativement viables.

a.   Importance de la qualité du produit vendu sur le marché légal

Le consommateur est relativement alerté sur la qualité du produit qu’il consomme. La qualité du cannabis semble aujourd’hui discriminante dans le choix du consommateur, qui se voit confronté à une offre plurielle de nouveaux produits, qu’ils soient sous forme résineuse, de synthèse ou d’herbe issues de semences génétiquement modifiées.

Dans le cadre d’une légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis, il sera ainsi nécessaire de proposer un produit de bonne qualité, afin de ne pas laisser davantage d’espace de survie au marché noir qui propose, à l’heure actuelle, une grande diversité de qualité du produit.

b.   Importance de la quantité à disposition sur le marché légal

Pour assécher le marché des dealers, il serait impératif que la puissance publique prévoie un approvisionnement suffisant en amont de la légalisation, afin de viser un assèchement du marché noir.

 

Les expériences internationales nous démontrent l’importance fondamentale de cet approvisionnement suffisant dans les premiers temps de la légalisation : en Uruguay, mais aussi au Canada, une production insuffisante de cannabis en amont de la légalisation a conduit à un rationnement des consommateurs. Ces derniers ne pouvant s’approvisionner légalement, ils ont continué à avoir recours au marché noir, en contradiction avec les objectifs de la politique de régulation du cannabis mise en place.

3.   Production agricole du cannabis

Dans l’objectif de développer une véritable filière française du cannabis, complémentaire de la filière créée par la libéralisation du cannabis thérapeutique, la production du cannabis sera confiée aux agriculteurs. Une légalisation contrôlée de la production de cannabis bénéficierait indéniablement aux agriculteurs, qui pourraient y trouver de nouveaux débouchés et de nouvelles opportunités d’exploitation. La légalisation contrôlée du cannabis représente donc une opportunité économique et de diversification pour l’agriculture française, qui bénéficiera en premier lieu aux territoires et aux agriculteurs.

L’autoculture de cannabis représente également un enjeu important. Selon l’OFDT, en 2017, 7 % des usagers récents (au cours du mois de l’étude) de 18 à 64 ans, soit de 150 000 à 200 000 personnes ([4]), ont eu recours durant l’année 2017 à l’autoculture pour se procurer leur cannabis. La quantité qu’il est possible de produire en autoculture devra être régulée, ainsi que le taux de THC. En aucune façon les « autoproducteurs » ne seront en droit de revendre le fruit de leur production, et cette autoculture devra être réservée à une consommation personnelle.

Selon une étude de Jansen faite en 2002 ([5]), l’Europe a le potentiel pour devenir autosuffisante dans la production de cannabis et de ne plus dépendre de ses importations. Les progrès technologiques en matière d’agriculture permettent en effet d’appliquer au cannabis les méthodes d’agriculture intensive et de se dégager des contraintes climatiques.


D.   DÉveloppements Économiques et fiscalitÉ du commerce de cannabis

La légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis aura pour conséquence la création d’une filière dont les retombées économiques et industrielles seront profitables à la France. Cela est d’autant plus vrai que, la France étant tenue par le cadre légal de prohibition établi par diverses conventions de l’Organisation des Nations unies, le commerce international de cannabis est interdit, notamment au niveau européen. Par conséquent, ce nouveau marché et ces nouvelles opportunités seraient légalement protégés de la concurrence étrangère, et la production ainsi que la commercialisation de cannabis récréatif en France seraient des activités exclusivement hexagonales. Cela permettrait de générer des nouveaux emplois légaux en créant de nouvelles activités agricoles et de nouveaux commerces.

Selon les travaux des économistes Emmanuelle Auriol, professeure à TSE et à l’Université de Toulouse Capitole et membre du Conseil d’analyse économique (CAE), et Pierre-Yves Geoffard, professeur à l’École d’économie de Paris (PSE), dans le cadre de la rédaction d’une note « Cannabis : comment reprendre le contrôle ? » et auditionnés par le rapporteur, une légalisation contrôlée du cannabis permettrait la génération de près de 2 milliards d’euros de recettes fiscales. Ceci en pratiquant un prix d’éviction de 9 euros, permettant d’assécher le marché noir, où l’herbe de cannabis est accessible à 11 euros le gramme en moyenne. S’agissant de la création d’emploi, en exploitant les estimations sur les données de Californie et du Colorado, la légalisation contrôlée du cannabis pourrait entraîner la création de 27 500 à 57 000 emplois, qui, rémunérés à 1,2 SMIC en moyenne, permettrait à l’État de percevoir 250 à 530 millions d’euros de cotisations sociales supplémentaires.

Le think tank Terra Nova avait quant à lui estimé en 2014 que la régulation du marché du cannabis par l’État serait susceptible de rapporter 1,8 milliard d’euros de recettes fiscales.

Ainsi, la politique de répression actuellement en place prive notre pays d’importantes recettes fiscales, de débouchés économiques et d’emplois, notamment agricoles. La légalisation contrôlée de la production et de la vente de cannabis doit produire de la richesse et se traduire par des ressources conséquentes pour les finances publiques et des économies de moyens. Ces ressources seront pour partie consacrées aux politiques de prévention et de réduction des risques, notamment en direction des jeunes et des populations vulnérables.


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   COMMENTAIRE des articles

Article 1er
Légalisation et encadrement de la vente de cannabis

I.   Le droit en vigueur : thÉorie et pratique

Le modèle de gestion des stupéfiants en France est hérité de la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie. Elle s’inscrit dans un contexte général de consommation accrue de stupéfiants et à la suite de la mort très médiatisée d’une jeune fille de 17 ans par overdose d’héroïne au casino de Bandol, en août 1969.

La nouvelle loi décidait d’apporter une réponse unifiée à la consommation et au trafic de stupéfiants, distinguant les drogues licites et illicites, et plaçant sur le même plan le cannabis que la cocaïne, l’opium, la morphine, la méthadone ou l’héroïne, alors que seule cette dernière substance était impliquée dans le drame de Bandol.

A.   dÉfinition des stupÉfiants en droit interne

La classification actuelle des stupéfiants en France résulte des classifications internationales issues de la convention unique de 1961 sur les stupéfiants, de la convention de Vienne de 1971 sur les psychotropes, et de la convention de Vienne de 1988 sur le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes.

Elle a donné lieu à un ensemble de textes en droit interne dont on trouve les dispositions à la fois dans le code pénal et dans celui de la santé publique.

Au sein du code pénal, l’article 222-41 précise ainsi que constituent des stupéfiants, dont le trafic est sanctionné, « les substances ou plantes classées comme stupéfiants en application de l’article L. 5132-7 du code de la santé publique ».

Ce dernier mentionne que les substances ou préparations vénéneuses sont classées comme stupéfiants ou psychotropes, ou sont inscrites sur les listes I et II prévues par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

L’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, pris en application de cet article, a ainsi précisé ainsi que le cannabis et la résine de cannabis étaient classés comme stupéfiants (annexe I de l’arrêté correspondant aux tableaux I et IV de la convention internationale sur les stupéfiants de 1961), de même que les tétrahydrocannabinols (THC) (annexe IV qui correspond aux substances psychoactives non classées au plan international et à certains précurseurs).

Il résulte de cet arrêté et de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique que le cannabis, sa plante, sa résine et tous les produits qui en contiennent, ainsi que les tétrahydrocannabinols, sont aujourd’hui classés comme stupéfiants à moins de relever des exceptions prévues par ce même article et par l’arrêté du 22 août 1990 en portant application.

Si cette classification repose sur celle prévue par la convention unique de 1961, il est à noter que le 2 décembre 2020, la Commission des stupéfiants des Nations Unies (CND) a décidé de déclassifier le cannabis et sa résine du tableau IV de celle-ci en raison de son potentiel thérapeutique.

B.   Une rÉpression du trafic de stupÉfiant aux résultats limitÉs

La loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie a posé le cadre légal de la politique contre les drogues en France et a consacré une distinction entre, d’une part, les usagers relevant de soins, et, d’autre part, les trafiquants considérés comme méritant des peines plus sévères.

Le législateur a par la suite introduit dans le code pénal les dispositions relatives à la répression du trafic des stupéfiants aux articles 222-34 à 222-51 qui figuraient antérieurement dans le code de la santé publique. L’expression « trafic de stupéfiants », qui ne figurait jusqu’alors que dans le titre du code pénal introduisant ces articles, s’est vue consacrée pour la première fois dans une disposition normative par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, au travers de l’article 706-73 du code pénal. Ce dernier dispose ainsi que relève du trafic de stupéfiant les crimes et délits « prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ».

Dans ces derniers articles, le législateur a distingué les crimes et les délits en lien avec le trafic de stupéfiants. Sont ainsi considérés comme des crimes :

– le fait de « diriger ou d’organiser un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l’importation, l’exportation, le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants » (article 222-34, alinéa 1er du code pénal) ;

– la production ou la fabrication illicites de stupéfiants (article 222-35, alinéa 1er, du code pénal) ;

– l’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants commises en bande organisée (article 222-36, alinéa 2, du code pénal) ;

– le blanchiment portant sur des biens ou des fonds provenant de l’un des crimes précédant (article 222-38, alinéa 2, du code pénal).

Constituent un délit relevant du trafic de stupéfiant les infractions suivantes :

– l’importation ou l’exportation illicites (article 222-36, alinéa 1er, du code pénal) ;

– le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants (article 222-37, alinéa 1er, du code pénal) ;

– le fait de faciliter l’usage illicite de stupéfiants (article 222-37, alinéa 2, du code pénal) ;

– le fait de se faire délivrer des stupéfiants au moyen d’ordonnances fictives ou de complaisance, et le fait de délivrer des stupéfiants sur la présentation d’une telle ordonnance, en connaissant leur caractère fictif ou complaisant (article 222-37, alinéa 2, du code pénal).

– le blanchiment de nature délictuelle qui se caractérise par le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un délit de trafic de stupéfiant (article 222-38, alinéa 1er, du code pénal) et par le fait d’apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d’un délit de trafic de stupéfiant (article 222-38, alinéa 1er, du code pénal) ;

– la cession ou l’offre à une personne en vue de sa consommation personnelle (article 222-39, alinéa 1er, du code pénal).

Pour ces faits tombant sous l’incrimination de trafic de stupéfiants, les crimes sont punis de vingt ans de réclusion criminelle à la réclusion criminelle à perpétuité, et de 7 500 000 euros d’amende. S’agissant des délits, la peine peut aller de cinq à dix ans d’emprisonnement, et de 75 000 à 7 500 000 euros d’amende.

La palette d’outils mis à la disposition des magistrats a permis une réponse pénale quasi systématique à plus de 97 % des infractions constatées de trafic de stupéfiants. Elles apparaissent cependant peu sévères, la plupart faisant l’objet d’alternatives aux poursuites et de peines d’emprisonnement faibles et susceptibles d’aménagements ab initio.

Il apparaît ainsi que le nombre de saisies de cannabis n’a cessé d’augmenter depuis 2015 ([6]) et que la répression du trafic de stupéfiants, sur la base des évaluations de l’INSEE, ne concerne qu’une part infime d’un commerce illégal dont près de 48 % concernerait le cannabis.

 

C.   Une forte consommation du cannabis malgrÉ la rÉpression de son usage illicite

L’article L. 3421-1 du code de la santé publique réprime quant à lui tout usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants par l’arrêté du 22 février 1990. C’est en particulier le cas pour la personne qui consomme du cannabis et par extension pour celle qui en reconnaît l’usage ou sur laquelle un test biologique se révèle positif.

Le champ d’application de ces dispositions se distingue de celles de l’article 222-37 du code pénal : pour retenir la qualification de détention de stupéfiants, il doit être démontré que les substances retrouvées sur un individu n’étaient pas exclusivement destinées à sa consommation personnelle.

L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende (article L. 3421-1, alinéa 1er, du code de la santé publique). Cette peine peut être portée à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en présence de circonstances aggravantes (articles R. 3421-1 à R. 3421-3 du code de la santé publique).

En application de l’article L. 3421-1 du code de la santé publique, une personne condamnée pour usage illicite de stupéfiants se verra également confisquer les substances ou plantes saisies. Sera également encourue l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants (article 131-35-1 du code pénal), une obligation de soins dans le cas d’un sursis probatoire (article 132-45 du code pénal), et une mesure d’injonction thérapeutique (article L. 3425-1 du code de la santé publique).

Malgré ce volet sanitaire, la consommation de cannabis n’a cessé de croître, faisant de la France le premier consommateur en Europe. Les injonctions thérapeutiques sont aujourd’hui peu mises en application et les obligations de soins ne permettent pas un suivi continu ni de distinguer les consommateurs occasionnels de ceux présentant des consommations problématiques. Les dispositifs actuels se sont ainsi démarqués de l’esprit de la loi du 31 décembre 1970 qui envisageait une réponse sanitaire forte pour les consommateurs.

De plus, bien que la consommation de cannabis par les moins de 16 ans ait fortement diminué, passant de 35 % en 1999 à 23 % en 2019, le niveau d’usage dans le mois pour cette tranche d’âge reste près de deux fois supérieur à la moyenne européenne (12 % contre 7 %) ([7]).

En réponse à ces problématiques, l’Assemblée nationale a voté en novembre 2018 le principe d’une contravention forfaitaire payable immédiatement, visant notamment la détention d’une petite quantité de cannabis. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a ainsi prévu qu’en cas d’usage illicite d’une substance ou plante classée comme stupéfiant, y compris en cas de récidive, l’action publique pourrait être éteinte par le versement d’une amende forfaitaire dont le montant s’élève à 200 euros (article L. 3421-1, alinéa 3, du code de la santé publique).

Le bilan de cette mesure, bien que récente, est cependant contrasté : a notamment été évoqué le risque de voir des personnes aux moyens limités condamnées à payer cette amende à la suite d’une simple consommation occasionnelle et la charge pour les services concernés risque de demeurer importante notamment en cas de contestation, limitant les gains de temps et d’argent espérés.

D.   les utilisations licites et encadrÉes de stupÉfiants

Le caractère illicite des faits de production, fabrication, importation, exportation, transport, détention, offre, cession, acquisition ou emploi de stupéfiants est un élément constitutif de chacune des infractions de trafic de stupéfiants qui leur correspondent. Il permet de les distinguer de certaines opérations licites.

L’article R. 5132-86 du code de la santé publique proscrit ainsi la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi du cannabis, sa plante, sa résine, les produits qui en contiennent ou ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, sa plante ou sa résine, ainsi que tétrahydrocannabinols, ses esters, éthers et sels, mais autorise ces mêmes utilisations s’agissant du delta 9-tetrahydrocannabinol.

Des dérogations sont également prévues au bénéfice des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes en matière de recherche ainsi que lorsque ces opérations portent sur des spécialités pharmaceutiques.

L’arrêté du 22 août 1990, venu préciser ces dispositions a ainsi autorisé ces utilisations pour les variétés Cannabis sativa L qu’elle a listées et dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,20 %.

Enfin, dans son article 43, la loi de financement de la sécurité sociale 2020 a prévu qu’à « titre expérimental, pour une durée de deux ans, l’État [puisse] autoriser l’usage médical du cannabis sous la forme de produits répondant aux standards pharmaceutiques ». Ces dispositions ont été précisées par le décret du 7 octobre 2020 relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis.


II.   le dispositif proposÉ

La proposition de loi crée un nouveau titre (alinéa 1) dans le code de la santé publique, inséré dans la partie de ce code consacrée à la lutte contre les maladies et la dépendance, et plus particulièrement au sein du livre IV qui s’intéresse à la lutte contre la toxicomanie. Cette position illustre la volonté de proposer la commercialisation du cannabis, dont la pénalisation totale est devenue obsolète, tout en soulignant l’intérêt de renforcer la lutte contre les conduites addictives, en particulier pour les publics les plus fragiles.

Les dispositions insérées s’inspirent de celles préexistantes pour d’autres substances psychoactives dont l’usage est légal mais encadré, comme l’alcool (livre III du même code) ou le tabac (livre V).

A.   la commercialisation encadrÉe du cannabis

1.   Champ d’application de la loi

Le chapitre Ier de ce titre (alinéa 4) apporte des définitions aux termes de « plante de cannabis », « résine de cannabis, « cannabis » et « produit du cannabis », dont la commercialisation et l’encadrement sont l’objet de la présente proposition de loi à l’article L. 3431-1 (alinéas 6 à 10). Il entend à ce titre définir au sens le plus large et le plus concret possible les produits qui pourront faire l’objet d’une commercialisation.

Ces dispositions font écho à celles qui existent déjà s’agissant des produits du tabac à l’article L. 3511-1 du code de la santé publique.

En définissant toute plante du genre cannabis comme « plante de cannabis », la proposition de loi s’intéresse à l’ensemble des plantes de la famille des Cannabaceae, et inclut le chanvre (alinéa 6). Elle reprend la définition prévue à l’article 1er de la convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée par le protocole de 1972.

Les définitions de la « résine de cannabis » (alinéa 7), communément désignée sous le terme de haschich, et du mot « cannabis » (alinéa 9) reprennent également celles prévues dans cette convention.

La définition de « l’huile de cannabis » (alinéa 8) peut s’étendre à l’huile cannabidiol (CBD) dans la rédaction proposée mais leurs définitions diffèrent. Faisant suite à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 novembre 2020, le rapporteur proposera un amendement excluant le CBD du dispositif de régulation prévu par la proposition de loi.

 

 

Huiles de cannabis et CBD

Le cannabidiol (CBD) est une molécule présente dans le cannabis qui n’a pas d’effet stupéfiant. Il est principalement dérivé des fleurs de la plante. Certaines variétés de plantes sont plus chargées en CBD que d’autres et ne contiennent pas de tétrahydrocannabinol (THC). Pour être mises dans le commerce, elles ne doivent pas présenter un taux de THC supérieur à 0,2 %.

Les huiles de cannabidiol sont une des formes sous laquelle est présenté le CBD. Il s’agit de CBD extrait de la plante de cannabis et mélangé à d’autres huiles (d’olive, de tournesol, de noix, etc.). Des terpènes y sont généralement ajoutés pour en rehausser le goût de même que des hydrocarbures.

Les huiles de cannabis, quant à elles, contiennent davantage de THC. Elle sont fabriquées à partir d’extraits de fleurs de cannabis contenant de hauts niveaux de THC, d’autres cannabinoïdes et de terpènes.

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans une décision C-663/18 du 19 novembre 2020, que le CBD ne pouvait pas être qualifié de stupéfiant lorsque son taux est inférieur à 0,2 % de THC et qu’elle ne présente dès lors pas d’effet psychotrope ni nocif sur la santé humaine. Sa commercialisation est donc, d’ores et déjà, conforme au droit de l’Union et devra par ailleurs être retranscrite en droit français par la modification de l’arrêté du 22 août 1990.

L’article L. 3431-2 (alinéa 11) autorise ainsi la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’emploi, et de manière générale les opérations agricoles, artisanales, commerciales et industrielles du cannabis et de ses produits.

Cette disposition déroge à l’article R. 5132-74 du code de la santé publique ainsi qu’à celles du code pénal dans la section consacrée au trafic de stupéfiant, en autorisant la mise en place de toute la chaîne de production et la commercialisation du cannabis et de ses produits.

Elle permet de faire sortir le cannabis et le tétrahydrocannabinol (THC) de la liste des stupéfiants, ce qui conduira en parallèle à une modification de l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, de l’article R. 5132‑86 du code de la santé publique et de l’arrêté du 22 août 1990 pris en application de ce dernier.

Cet article maintient cependant qu’au-dessus d’un taux de tétrahydrocannabinol (THC) fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé, les utilisations du cannabis et de ses produits resteront illégales. Il conserve ainsi un volet de santé publique face à l’augmentation de la vente de produits à forte teneur en THC ces dernières années dont l’impact sur la santé présente un danger avéré et permettra d’éviter que ne circulent ce type de produits.

2.   La création d’un établissement public administratif

L’article L. 3432-1 (alinéas 16 à 21) crée un établissement public administratif, dénommé Société d’exploitation du cannabis (SECA) qui dispose du monopole de la production et de la vente au détail du cannabis et de ses produits. Il s’agira de la seule structure habilitée à mettre en œuvre la production, la transformation et la distribution du cannabis et de ses produits.

Il s’inspire fortement du fonctionnement de la Société d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) telle qu’elle existait avant 1980 et sa transformation en société d’économie mixte. C’est pourquoi, les dispositions proposées reprennent l’article 568 du code général des impôts en matière de droit de licence existant en matière de tabacs.

La SEITA étant un établissement public à caractère industriel et commercial, un amendement sera proposé par le rapporteur afin de qualifier ainsi le nouvel établissement.

EPA, EPIC et AAI

Les établissements publics administratifs (EPA) se définissent comme des établissements publics remplissant une mission traditionnelle de souveraineté ou d’action sociale et soumise au droit public administratif : leur personnel est composé d’agents publics, leurs décisions sont des actes administratifs et les conflits auxquels ils peuvent être partie relèvent en principe de la justice administrative.

Ils se distinguent des établissements publics administratifs à caractère industriel et commercial (EPIC), dont l’objet est principalement la production et la commercialisation de biens et services. Ils sont largement régis par le droit privé : leur personnel est soumis en principe au code du travail et les contrats qu’ils passent avec leurs usagers relèvent du droit privé.

Ils diffèrent encore des autorités administratives indépendantes (AAI), qui sont dépourvues de la personnalité morale mais disposent d’un pouvoir propre, et sont chargées de veiller à la régulation d’un secteur d’activité déterminé. La loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes en a recensé dix-neuf.

La création de ce monopole permettra à cet établissement de gérer au mieux l’exploitation du cannabis et de ses produits, de sa production jusqu’à sa vente au consommateur.

Le rôle de cet établissement public sera en particulier de fixer les conditions d’exploitation des débits de vente de cannabis et de ses produits, sans pour autant empiéter sur les prérogatives des ministères ayant aujourd’hui en charge la question de l’addiction, de la lutte contre le trafic de stupéfiant ou des taxations (alinéa 17).

Cela permettra donc aux ministères qui en ont la charge de continuer à agir contre les différents trafics qui s’organiseraient en marge de la commercialisation du cannabis encadrée par la proposition de loi, et contre les addictions.

Cet article prévoit ainsi également que la Société d’exploitation du cannabis participe à la lutte contre le trafic de stupéfiant (alinéa 14). Sa position de monopole et les différents pouvoirs qui lui sont conférés lui permettront d’avoir le regard le plus large possible sur la commercialisation du cannabis et de ses produits et d’identifier les dérives potentielles.

L’article L. 3432-1 (alinéa 19) prévoit aussi que, sans préjudice de la définition de la politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue qui relève de l’État, la SECA participera à la protection de la santé et au développement des programmes de prévention, de lutte contre les conduites addictives et de sensibilisation.

À cette fin notamment, une information complète sera fournie au consommateur par la SECA, sur les produits dont elle aura le monopole, en leur précisant la composition des produits qu’ils consomment, ainsi que les risques que leurs consommations abusives et associées représentent (alinéa 20).

Elle mettra en place des mécanismes de prévention adaptés et participera au contrôle de l’offre et à la modération de la demande grâce à son statut de monopole. Elle pourra ainsi maîtriser les coûts de vente du cannabis et de ses produits, assécher par ce biais les marchés illégaux préexistants à sa création, et devenir un acteur de premier ordre sur le plan sanitaire face aux consommations non maîtrisées.

C’est ainsi que de par son activité et les bénéfices qu’elle en tire, elle participera ainsi au financement des campagnes d’information et de prévention des risques inhérents au cannabis et à ses produits.

L’article L. 3432-1 (alinéa 21) prévoit également que la SECA fournira les semences nécessaires à la culture des plantes de cannabis aux exploitants qui y seront autorisés.

Cela lui permettra de parfaitement réguler la culture du cannabis et d’en contrôler les flux de production, de vente, par voie de conséquence de coût, et en d’autres termes, de consommation. À cette fin, des contrats d’exploitations seront passés entre la SECA et ces exploitants qui permettront d’encadrer cette culture en s’assurant notamment de la qualité des semences et de la production des plantes de cannabis.

Un décret en Conseil d’État viendra fixer les modalités d’application du nouveau titre créé au sein du code de la santé publique. Comme le prévoit l’article L. 3435-1 (alinéa 73), il précisera notamment les conditions dans lesquelles est exercé le monopole de vente au détail et la participation de la SECA à la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants.

 

3.   La production du cannabis et de ses produits

L’article L. 3432-2 (alinéa 24) du code de la santé publique introduit une section consacrée à la production du cannabis et des produits du cannabis, tels qu’ils ont été définis par l’article L. 3431-1, et en particulier à sa production agricole. Il permet le développement d’une filière française de production en s’appuyant notamment sur celle du chanvre, déjà leader européen avec plus de la moitié des surfaces cultivées.

La culture sera soumise à autorisation qui ne peut être délivrée qu’à des exploitants agricoles tels que définis à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, c’est-à-dire les exploitants ayant la maîtrise et exploitant un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle et dont les activités exercées se trouvent dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation.

L’autorisation à l’exploitant précisera les parcelles sur lesquelles la culture du cannabis sera autorisée et sera délivrée de la façon suivante : la Société d’exploitation du cannabis devra émettre un avis conforme, ainsi que le représentant de l’État dans le département où se situe ladite exploitation. Ce même représentant délivrera ensuite l’autorisation à l’exploitant.

Afin de permettre la parfaite maîtrise de la production, l’absence de réponse de l’administration pendant plus de deux mois vaudra décision de rejet.

Ce texte ne prévoit pas, dans sa rédaction actuelle, de dispositions relative à l’autoculture. Le rapporteur proposera un amendement dans ce sens.

L’article L. 3432-2 (alinéa 25) prévoit également que l’exploitant agricole sera tenu de délivrer l’intégralité de sa production de cannabis à la SECA. Seules les graines servant à l’usage immédiat de la plantation pourront être conservées, ce qui conduit à l’absence de stocks pour l’exploitant agricole.

Ces dispositions permettront d’éviter le trafic qui pourrait résulter de la semence de graines par des exploitants qui n’auraient pas été habilités ou des particuliers.

 

L’autoculture du cannabis

La consommation de cannabis par l’autoculture a crû ces dernières années en France. En 2017, selon le baromètre Santé publique France, 7 % des consommateurs réguliers de cannabis de 18 à 64 ans avaient recours à leur propre production, soit entre 150 000 et 200 000 personnes. Ils représentaient 15 % des consommateurs en 2020. Ce chiffre varie de 8 % pour les 18-25 ans à 27 % pour les 45-64 ans laissant entrevoir que l’autoproduction augmente avec l’âge.

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), se distinguent les consommateurs ayant pour partie recours à l’autoculture, soit un tiers, et ceux produisant la quasi-totalité de leur consommation, qui représentent également un peu plus d’un tiers.

Cette croissance s’est illustrée ces dernières années par l’augmentation du nombre de magasins spécialisés mettant en vente du matériel permettant l’autoculture (environ 300 enseignes en 2016) et par le nombre de saisies, qui a augmenté de 30 % entre 2018 et 2019.

Ce type de consommation et de production croît notamment en réponse à la baisse de qualité du cannabis mis en vente de manière illégale et au souci des consommateurs de pouvoir consommer des produits dont ils connaissent la provenance.

Les éléments nécessaires à l’exploitant agricole pour obtenir l’autorisation d’exploitation seront déterminés par un arrêté des ministres en charge de l’agriculture et de la santé.

Afin d’assurer un suivi rapproché des stocks produits et leur maîtrise par l’établissement public, ce même arrêté précisera les modalités de livraison de la production de cannabis par les exploitants à la SECA ainsi que les conditions de contrôle et de traçabilité des produits (alinéa 26).

4.   Le transport du cannabis

L’article L. 3432-3 (alinéa 29) du code de la santé publique, inscrit sous une section intitulée « Transport du cannabis et des produits du cannabis », encadre les modalités de transport. Il ne vise pas celui lié à un usage personnel qui est de fait autorisé, mais celui qui s’organise dans le cadre du commerce du cannabis et de ses produits.

Ce transport est soumis à autorisation afin de s’assurer, tout au long de la chaîne de production et de vente du cannabis et de ses produits, un suivi et une parfaite traçabilité. Comme pour la production, le silence de l’autorité administrative chargée de délivrer cette autorisation vaut décision de rejet.

Un arrêté des ministres en charge de la santé, de la sécurité intérieure et des transports fixera l’ensemble des conditions en lien avec le transport et l’entreposage du cannabis et de ses produits, à savoir : son emballage, son chargement, son déchargement, les conditions de manutention et la garde des marchandises (alinéa 30).

Ce même arrêté fixera les conditions dans lesquelles le titulaire de l’autorisation de transport adressera à l’autorité compétente un état périodique, au moins une fois par an, des quantités qu’il a reçues, de celles qu’il a cédées et des stocks au début et à la fin de cette période.

Cela permettra de s’assurer qu’aucune part des stocks n’a été détournée de son objet commercial et n’a échappé au monopole de l’établissement public. Toute forme de trafic sera ainsi prévenue.

Comme le prévoit l’article L. 3435‑1 (alinéa 73), un décret en Conseil d’État précisera à quelle autorité ces informations seront transmises.

5.   La vente et l’usage du cannabis

La section 4, nouvellement introduite, encadre la vente du cannabis et de ses produits, ainsi que son usage (alinéa 32). Elle constitue un pivot essentiel en ce qu’elle précise les conditions dans lesquelles le consommateur pourra acheter du cannabis ou l’un de ses produits, et quelles informations lui seront délivrées.

L’article L. 3432-4 (alinéa 33) prévoit que le cannabis et ses produits ne peuvent être vendus au détail que dans des débits de vente de cannabis dont les caractéristiques seront définies par un arrêté ministériel.

La France ayant un réseau de débitants de tabacs étendu, aussi bien dans des zones rurales qu’urbaines (24 315 débitants de tabac au premier semestre 2019 selon la Confédération des buralistes), il pourrait être envisagé de s’appuyer sur eux pour qu’ils remplissent également une mission de débitants de cannabis et de ses produits.

Ces débitants devront se voir délivrer une autorisation par le représentant de l’État dans le département, et ce après avis du maire de la commune du lieu où ils souhaiteront implanter un débit de cannabis (alinéa 34). Ce lien avec les élus locaux permettra de prévenir les difficultés d’implantations locales. En l’absence de réponse de l’autorité administrative dans un délai de deux mois, l’ouverture d’un débit de vente de cannabis ne pourra se faire.

Comme le prévoit l’article L. 3432-5 du code de la santé publique (alinéa 35), par renvoi à l’article L. 3335-1, les débits de cannabis ne pourront être localisés à proximité de certains établissements en deçà d’une distance qui sera établie par arrêté par le représentant de l’État dans le département, et après information des maires des communes concernées.

Les établissements en question seront, de manière exhaustive :

– les établissements de santé, centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie et centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues ;

– les établissements d’instruction publique, des établissements scolaires publics ou privés ou des établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse ;

– les stades, piscines, terrains de sport publics ou privés.

La distance en deçà de laquelle un débit de cannabis ne pourra être situé sera calculée de manière similaire à ce qu’elle est aujourd’hui pour les débits de tabac.

Par exception, dans les communes où il n’existera qu’un débit de cannabis, le représentant de l’État dans le département pourra autoriser, après avis du maire, l’installation d’un autre débit de cannabis malgré les distances fixées lorsque les nécessités touristiques ou d’animation locale le justifieront.

6.   La mise en place de mesures de santé publiques et d’information

Parallèlement à la commercialisation du cannabis et de ses produits, la proposition de loi entend lutter contre la consommation entraînant des usages dangereux et en particulier la consommation des mineurs.

C’est ainsi que la section 4 introduite comporte également un volet informatif et préventif s’inspirant des dispositions existantes en matière de tabacs aux articles L. 3512-4 et suivants du code de la santé publique.

Ainsi, l’article L. 3432-6 (alinéa 37) prévoit l’encadrement de la publicité du cannabis et de ses produits, qu’elle soit directe ou indirecte et l’interdit en dehors des débits de vente.

En parallèle, les opérations de parrainage ou de mécénat du cannabis et de ses produits par les fabricants, importateurs ou distributeurs, qu’elles soient directes ou indirectes, seront interdites.

Les fabricants, importateurs et distributeurs de cannabis et de ses produits ne pourront pas non plus mettre en place des opérations de parrainage ou de mécénat ayant pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, qu’elle soit directe ou indirecte, en faveur du cannabis et de ses produits (alinéa 38). Il ne sera par exemple pas possible pour un fabricant, importateur ou distributeur de cannabis de sponsoriser un festival de rock.

Sera ainsi considérée comme relevant de la propagande ou de la publicité indirecte toute forme de propagande ou de publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre que le cannabis ou un produit du cannabis, lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, cette propagande ou publicité indirecte rappellera le cannabis ou un produit du cannabis (alinéa 39).

 

La vente du cannabis sera également encadrée par l’article L. 3432‑7 (alinéa 40) afin que le consommateur dispose, au moment de son achat, de l’information la plus large possible sur le produit qu’il achète, sa qualité, et les risques associés à son usage.

Comme c’est le cas pour la vente de tabac, les unités de conditionnement, les emballages extérieurs et les suremballages devront être neutres et uniformisés (alinéa 41).

De plus, l’étiquetage des unités de conditionnement, de même que tout emballage extérieur ainsi que le cannabis ou ses produits proprement dits, ne pourront comprendre d’éléments (alinéa 42) qui contribueront à la promotion du cannabis ou inciteront à sa consommation en donnant une impression erronée quant à ses caractéristiques, ses effets sur la santé, ses risques ou ses émissions. Ils ne pourront non plus ressembler à un produit alimentaire ou cosmétique.

Les unités de conditionnement et les emballages extérieurs porteront en revanche un certain nombre d’informations destinées au consommateur sur le cannabis ou ses produits (alinéa 45), à savoir :

– la composition intégrale du produit vendu ;

– sa teneur en tétrahydrocannabinol ;

– un message à caractère sanitaire sur les risques associés à l’usage du cannabis et de ses produits.

Cette information répond à un problème de santé publique alors que ces dernières années le cannabis et ses produits mis en vente sur le marché souterrain ont vu leur qualité diminuer, ceux-ci étant souvent coupés avec des substances nocives, sans que les consommateurs n’en aient conscience.

B.   le prÉlèvement sur les produits issuS de la vente

L’article L. 3433-1 prévoit la création d’un prélèvement sur le produit de la vente de la plante de cannabis qui sera fixé par décret et dans la limite d’un montant de 0,10 euro par quintal (alinéa 57). Il s’appliquera au moment de la vente de la plante de cannabis par les producteurs.

Le prélèvement sur le produit de la vente du cannabis (alinéa 58) et de ses produits sera également fixé par décret et dans la limite de 0,1 % du montant hors taxe de ce produit. Il devra s’appliquer au moment de la vente au débitant.

Ces prélèvements seront recouvrés et contrôlés selon les règles, garanties et sanctions prévues en matière de taxe sur la valeur ajoutée (alinéa 60). Les réclamations dont ils pourront faire l’objet seront instruites et jugées selon les règles applicables également en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

Le II du même article (alinéa 61) prévoit que ce prélèvement sera affecté au financement de la politique de réduction des risques et dommages en direction des usagers de drogues telle qu’elle est définie à l’article L. 3411-8 du code de la santé publique. Cette politique vise à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liée à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants.

Elle financera ainsi les actions visant à délivrer des informations sur les risques et les dommages associés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants et à orienter les usagers de drogue vers les services sociaux et les services de soins généraux ou de soins spécialisés, afin de mettre en œuvre un parcours de santé adapté à leur situation spécifique et d’améliorer leur état de santé physique et psychique et leur insertion sociale.

Ce financement permettra également de promouvoir et distribuer des matériels et produits de santé destinés à la réduction des risques, de même qu’à promouvoir et superviser les comportements, les gestes et les procédures de prévention des risques. Il renforcera le financement de l’analyse, de la veille et de l’information, à destination des pouvoirs publics et des usagers, sur la composition, sur les usages en matière de transformation et de consommation et sur la dangerosité des substances consommées.

C.   le volet pÉnal de la loi

L’article L. 3432-8 (alinéa 49) conserve des dispositions d’ordre pénal affectant le cannabis et ses produits. Il vise à prévenir le commerce du cannabis qui ne s’organiserait pas selon les dispositions fixées par la présente proposition de loi.

Sera ainsi interdite la distribution ou l’offre à titre gratuit de cannabis et de ses produits (alinéa 50), ainsi que leur vente aux mineurs (alinéa 51). Sur ce dernier point, la personne qui délivrera le cannabis ou l’un de ses produits devra s’assurer de la majorité de celui à qui il les délivre.

De plus, la vente de cannabis ou de ses produits hors du cadre établi par la loi sera également pénalisée (alinéa 51) de même que la détention à usage personnel d’une quantité de cannabis ou de ses produits qui sera supérieure à un plafond fixé par décret en Conseil d’État. Ces dispositions reprennent la jurisprudence constante en la matière qui permet de distinguer le consommateur de cannabis de celui qui en fait la vente. Il est ainsi considéré que la possession de cannabis au-delà d’une certaine quantité ne peut relever du simple usage personnel. L’alinéa 52 vise donc à le prévenir.

Dans la suite de cette disposition, la vente à une même personne, pour son usage personnel, d’une quantité de cannabis ou de ses produits, supérieure au plafond fixée par ce même décret en Conseil d’État sera pénalisée. Elle agit en amont de la disposition précédente en cherchant à éviter une vente non encadrée du cannabis et de ses produits par des personnes qui n’auraient pas la qualité de débitant requise (alinéa 53).

Enfin, comme c’est le cas pour le tabac, l’article L. 3432-9 (alinéa 54) prévoit que l’usage du cannabis et de ses produits sera interdit dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les transports publics.

Le chapitre IV (alinéa 62) prévoit quant à lui les sanctions en cas de non‑respect des différentes dispositions de la nouvelle section créée dans le code de la santé publique.

Sera ainsi puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait pour toute personne de céder, d’offrir ou de revendre du cannabis ou un de ses produits sans avoir la qualité de débitant, tel que définis par la présente proposition de loi (alinéa 65).

Sera puni de la même peine le fait pour tout débitant de vendre à des mineurs du cannabis ou un produit du cannabis, ou d’en vendre des quantités supérieures à celles établies par décret et prévu au 4° de l’article L. 3432-8 du code de la santé publique (alinéa 66).

Il en sera de même du fait de détenir du cannabis ou un produit du cannabis en quantité supérieure à celle fixée par le décret prévu au 3° de l’article L. 3432-8 du code de la santé publique (alinéa 67).

De manière plus générale, l’article L. 3434-2 (alinéa 68) prévoit que le non‑respect des dispositions relatives à la société d’exploitation du cannabis, à la production du cannabis et de ses produits, à leur transport et à la vente et l’usage des produits stupéfiants sera puni de deux ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

En matière de production de cannabis et de ses produits, seront notamment exposés à ces peines ceux qui produiront du cannabis sans autorisation, les exploitants agricoles ne livrant pas l’intégralité de leur production de cannabis à la société d’exploitation du cannabis et les exploitants agricoles détenant un stock de graines autre que pour les besoins immédiats de la plantation.

En matière de transport de cannabis et de ses produits, seront notamment exposés à ces peines ceux transportant du cannabis ou ses produits sans autorisation, hors les cas de consommation individuelle, les transporteurs qui n’adresseront pas à l’autorité compétente un état périodique indiquant les quantités de cannabis et de ses produits reçus, celles cédées et les stocks en début et en fin de période et ceux qui ne respecteraient pas les conditions d’emballage, de chargement, de déchargement, de manutention et de garde des marchandises prévues par arrêté.

S’agissant de la vente et de l’usage du cannabis (alinéa 69), seront exposés à une amende de 100 000 euros ceux qui feront la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du cannabis ou de ses produits en dehors des débitants habilités ; les fabricants, importateurs et distributeurs de cannabis ou de ses produits qui effectueront des opérations de parrainage ou de mécénat ayant pour objet ou effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte du cannabis ou de ses produits ; et les débitants dont les produits en vente ne présenteront pas les informations prévues par l’article L. 3432-7 (paquets neutres, absence de promotion sur les paquets, information sur la composition du cannabis et de ses produits, etc.).

Enfin, ceux qui fumeraient du cannabis dans un lieu affecté à un usage collectif ou dans les transports publics s’exposeront à une amende contraventionnelle de deuxième classe, à savoir 150 euros (alinéa 70).

Ces dispositions remplissent à la fois la fonction de s’assurer du monopole de l’établissement public et de lui donner les moyens de le faire.

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Article 2
Fiscalité pesant sur le cannabis

I.   Le droit en vigueur

L’article 2 effectue un renvoi aux articles 575 à 575 D du code général des impôts.

Ces derniers prévoient un droit de consommation sur les tabacs constitué par une accise (ou impôt indirect) dont le produit est affecté au financement du budget de la sécurité sociale qui se compose de trois éléments :

– une part proportionnelle au prix de vente au détail ;

– une part spécifique assise sur les quantités (exprimée en euros pour 1 000 unités ou 1 000 grammes) ;

– un minimum de perception qui joue le rôle d’un impôt minimal exprimé en euros pour 1 000 unités ou 1 000 grammes. Le montant total du droit de consommation (part proportionnelle + part spécifique) ne peut être inférieur à ce minimum de perception.

Les taux et parts prévus à l’article 575 A du code général des impôts évolue selon le type de produit vendu (cigarette, cigarillos, tabac à priser, etc.) Ils mettent en application les directives 2011/64/UE sur le taux minimal d’accise sur les cigarettes et 2011/64/UE sur les tabacs manufacturés autres que les cigarettes.

II.   le dispositif proposÉ : la mise en place d’un droit de consommation

L’article 2 prévoit que, de manière similaire ce qui existe pour le tabac, le cannabis et les produits du cannabis vendus au détail ou importés en France continentale, seront soumis à un droit de consommation spécifique.

Ce droit à consommation sera organisé selon les modalités prévues aux articles 575 à 575 D du code général des impôts, et qui organise d’ores et déjà le régime fiscal applicable aux tabacs.

L’inspiration venue de ces articles est d’autant plus opportune que la taxation actuelle sur les produits du tabac se fait aujourd’hui au niveau du producteur, via un circuit de distribution très centralisé et un distributeur unique, comme se propose de faire la loi.

Cependant, il semble qu’en l’absence de texte spécifique pour la taxation du cannabis et de ses produits qui diffèrent de ceux du tabac, il soit difficile de mettre en application ce renvoi tel quel.

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Article 3
Gage financier

Cet article vise à prévoir un mécanisme de compensation des pertes de recettes et des charges qui résulteraient, pour l’État, de l’adoption des articles 1er et 2 de la présente proposition de loi.

 

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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa quatrième réunion du mercredi 31 mars 2021, la commission examine la proposition de loi relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis (n° 2099) (M. FrançoisMichel Lambert, rapporteur) ([8]).

M. François-Michel Lambert, rapporteur. Le moment est, à bien des égards, historique, puisque c’est la première fois que l’Assemblée nationale est amenée à discuter de la légalisation du cannabis. La proposition de loi relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis, dont je suis l’auteur et le rapporteur, vise à mettre un terme à la répression hypocrite du commerce et de la consommation de cannabis qui prévaut depuis cinquante ans. Il est temps d’en finir avec les postures morales qui empêchent l’ouverture d’un réel débat sur la question de la légalisation du cannabis !

La prohibition, fil conducteur de la politique de lutte contre le cannabis depuis des décennies, est un cuisant échec ; il faut savoir le reconnaître. Plutôt que de s’enfoncer dans cette voie sans issue positive, prenons le train en marche, partout dans le monde, de la dépénalisation, voire de la légalisation du cannabis. Des pays de plus en plus nombreux innovent et proposent des approches alternatives. Il faut savoir en tirer les enseignements, dans une société où les mœurs et les pratiques ont évolué.

Les Français sont prêts à ce changement. Plus de la moitié d’entre eux est désormais convaincue que les politiques publiques actuelles de répression ne fonctionnent pas, et est favorable à une régulation du marché du cannabis. Le succès de la consultation citoyenne lancée par la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis a confirmé cette attente forte : plus de 250 000 personnes y ont participé.

En France, la politique de répression n’a jamais été aussi importante. Les forces de police sont usées par une tâche qui n’a guère de sens. Depuis 1970, le nombre des personnes interpellées pour usage simple de stupéfiants a été multiplié par cinquante, et 90 % de ces personnes sont des consommateurs de cannabis. Plus de la moitié de la part proactive de l’activité policière est consacrée à la répression de l’usage du cannabis plutôt qu’à des fins autrement plus nécessaires. Ces forces de police, qui nous disent avoir le sentiment de vider l’océan avec une petite cuillère, ne peuvent que déplacer le problème, pas le régler.

La hausse du nombre des interpellations reflète l’amplification de la répression encouragée par une politique du chiffre. Depuis des années, les statistiques de la répression de la délinquance sont affichées comme témoins de la lutte contre la consommation de cannabis sans régler les questions de fond ni avoir le moindre effet en matière de sécurité. Pis, la politique de répression actuelle provoque une embolie judiciaire puisque les parquets ne peuvent engager les poursuites ou appliquer les peines dans tous les cas. Ainsi la sévérité et l’application de la loi varient-elles d’un territoire à l’autre selon un facteur 4, ce qui est inacceptable dans une République égalitaire.

De surcroît, la prohibition du cannabis, couplée à la croissance de sa consommation, favorise l’installation d’une économie parallèle, source de violence et de délinquance. Celle-ci s’est considérablement développée ces dernières années, jusqu’à former des territoires gangrenés par le trafic de drogue, où la République n’est plus la perspective pour des centaines de milliers de nos concitoyens. Dans ces territoires où aucune autre porte de sortie ne semble pouvoir exister et où le chômage atteint des sommets, les trafics se structurent et se professionnalisent, devenant un débouché naturel et accepté. Ces trafics sont générateurs de méfaits importants, qui aggravent les inégalités préexistant dans ces territoires où certains professionnels n’osent même plus pénétrer. Les nombreux plans de transformation et de reconquête lancés depuis des décennies ont tous échoué dans les bas-fonds de l’économie souterraine ! Sans un changement de perspective, l’économie informelle et la loi des trafiquants, la loi du plus fort, continueront de former l’horizon des habitants de ces quartiers.

Malgré cette politique insensée que l’on entretient par hypocrisie, les consommateurs de cannabis sont, dans notre pays, toujours plus nombreux et surtout, toujours plus jeunes. La France détient ainsi le triste record du pays européen où le taux d’expérimentation du cannabis est le plus haut et l’âge d’entrée dans la consommation le plus bas. Selon le baromètre 2017 de Santé publique France, notre pays compte 5 millions de consommateurs, dont 700 000 usagers quotidiens. En raison de la prohibition, ces millions de consommateurs, notamment les plus jeunes d’entre eux, ne peuvent bénéficier d’une politique de prévention adéquate. De fait, la politique de prévention et de soin contre les usages non contrôlés du cannabis est le parent pauvre du budget de la lutte contre le cannabis : elle ne représente que 10 % de l’ensemble des crédits finançant la prohibition.

L’heure n’est plus à traiter ces millions de Français comme des délinquants et à les discriminer socialement. La société a évolué : faisons évoluer la législation sur le cannabis pour qu’elle réponde aux attentes des Français ! Tel est l’objet de cette proposition de loi.

La légalisation contrôlée du commerce et de la consommation de cannabis apparaît comme la seule solution pour mettre fin à tous les maux que causent son trafic et sa consommation illégale. Toutefois, elle ne doit pas être mise en œuvre n’importe comment. C’est pourquoi nous proposons de créer la société nationale d’exploitation du cannabis (SECA), qui prendrait en charge les conditions de production, de vente et de consommation du cannabis. L’une de ses premières missions serait de doter enfin la France d’une politique de prévention digne de ce nom, à destination de tous, surtout des plus jeunes, en participant à la protection de la santé et au développement de programmes de prévention, de lutte contre les conduites addictives et de sensibilisation.

La vente de cannabis serait évidemment strictement interdite aux mineurs. Lorsqu’il est consommé de manière non contrôlée, trop jeune, le cannabis, peut être à l’origine de troubles psychotiques. Ce danger ne doit pas être écarté ou caché sous le tapis : il faut le regarder en face. Seule la légalisation permettra de saisir ces problématiques à bras‑le‑corps ; les différentes expériences internationales nous le démontrent. Elle doit toutefois être conjuguée à une forte politique de prévention.

La proposition de loi a également trait aux conditions de production et de vente du cannabis légalisé. Les points de vente pourraient être créés via le réseau des débitants de tabac, habitués à commercialiser ce type de produits, qui assure un maillage territorial sans pareil puisque près de la moitié d’entre eux sont implantés dans des communes de moins de 3 500 habitants.

La qualité du produit pourrait enfin être garantie. De fait, les millions de Français qui consomment actuellement du cannabis n’ont aucune visibilité sur son origine ou sa qualité. Le marché noir n’offre aucune transparence, si bien que peuvent y être écoulés des produits frelatés nocifs pour la santé et que, ces dernières années, la concurrence sauvage et non réglementée a conduit à une explosion du taux de tétrahydrocannabinol (THC). La transparence, caractéristique de la vente légale du cannabis, sera un atout de taille pour enfin réussir à assécher le marché noir, qui ne parviendrait plus à s’aligner. La quantité proposée, c’est-à-dire l’approvisionnement en amont, la légalisation et le prix fixé seront des éléments déterminants dans la lutte contre le trafic.

Enfin, la légalisation contrôlée du cannabis offrirait d’importantes retombées économiques au secteur agricole. Les agriculteurs français, dont le savoir-faire est sans pareil, y trouveront assurément l’opportunité économique d’une diversification qui leur bénéficiera en tout premier lieu, ainsi qu’aux territoires français. Qui plus est, la création d’un secteur du cannabis favoriserait d’importants développements économiques et industriels. Outre l’économie considérable réalisée par la fin de la politique de prohibition, qui coûte 560 millions d’euros par an, la légalisation aurait pour effet, selon les travaux d’économistes, de créer près de 2 milliards de recettes pour les finances publiques ainsi que des dizaines de milliers d’emplois dans l’agriculture, l’industrie et le commerce. La politique de répression actuelle prive ainsi notre pays d’importantes recettes fiscales, de débouchés économiques et d’emplois. Ces ressources considérables permettraient de financer enfin une politique de prévention des usages excessifs du cannabis qui soit, cette fois, réellement à la hauteur des enjeux, tout en favorisant une reconquête des territoires perdus de la République ; nous aurions enfin les moyens de nos ambitions.

Cette proposition de loi a pour vocation de faire avancer le débat sur la légalisation du cannabis, d’apporter une pierre à l’édifice de cette grande avancée économique et sociale. Nous devons, tous ensemble, faire évoluer la législation actuelle, qui est hypocrite, à rebours de l’évolution des pratiques et des mœurs, sur le plan international et surtout en France.

J’ai souhaité compléter le dispositif proposé en déposant des amendements visant à : faire de la société d’exploitation du cannabis un établissement public à caractère industriel et commercial, puisque son objet est assimilable à celui d’une entreprise privée ; préciser que le cannabidiol (CBD) ne relève pas de la réglementation prévue par la présente proposition de loi ; clarifier les conditions dans lesquelles la fabrication et la transformation du cannabis s’organisent ; permettre la production de cannabis à domicile sous certaines conditions ; centraliser les dispositions d’ordre fiscal pour les affilier au code général des impôts.

En conclusion, si la légalisation contrôlée de la production, de la consommation et de la vente de cannabis à des fins récréatives ne permettra pas de faire face à tous les enjeux, elle apparaît comme la solution la plus à même de nous permettre de relever les défis sanitaires, sociétaux et sécuritaires et elle est une manne économique. La question qui se pose est celle du modèle dont elle s’inspirera et de la date à laquelle elle adviendra, car elle adviendra. Le plus tôt sera le mieux !

M. Ludovic Mendes. Je tiens tout d’abord à saluer la volonté du groupe Libertés et Territoires, en particulier de François-Michel Lambert, de débattre de la légalisation du cannabis.

L’Assemblée nationale a créé, il y a un an, une mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis, qui se conclura au mois de mai par la présentation, par Mme Janvier, d’un rapport thématique sur le cannabis récréatif et du rapport général sur les trois usages de cette substance, autour desquels s’est organisée la mission : récréatif, bien-être et thérapeutique. En tant que rapporteur thématique, j’ai pu approfondir l’ensemble des enjeux liés au cannabis, plus particulièrement son usage lié au bien-être.

La légalisation du cannabis est un sujet sociétal qui mérite que la représentation nationale en débatte. Sa portée symbolique, qui dépasserait les frontières politiques, impose d’agir avec responsabilité. À cet égard, une mission ministérielle serait la meilleure solution pour structurer les débats à venir et établir le cadre de discussion précis d’un sujet qui devra être mis sur la table lors de la prochaine législature.

Cependant, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la légalisation offrirait certains avantages. Non seulement elle permettrait d’assurer la traçabilité et de certifier la qualité des produits consommés et de favoriser la diminution de la consommation chez les mineurs, mais elle pourrait assécher le marché noir. En outre, elle serait une manne financière pour l’État et permettrait la création de nombreux emplois. Par ailleurs, alors que la France mène une politique répressive parmi les plus dures du monde, elle est le pays d’Europe où la consommation de cannabis est la plus élevée. Il est donc légitime de s’interroger sur l’utilité d’une telle politique.

Néanmoins, force est de constater que le marché n’est pas prêt. La légalisation demande un temps d’adaptation important qui permette la mise au point de chaque détail logistique. Nous devons protéger au mieux les consommateurs et garantir un marché équilibré. Il n’est pas envisageable d’improviser l’ouverture du marché : celle-ci doit être parfaitement encadrée.

Votre proposition de loi a notamment pour objet de créer un établissement public administratif auquel serait confié le monopole de la production et de la vente. Le rôle de l’établissement est crucial ; il ne doit intervenir que pour réguler le marché, la gestion de la production, de la distribution et de la vente devant être laissée aux agriculteurs ou aux entreprises privées.

Concernant la vente, vous souhaitez impliquer les buralistes dans le processus et cela pose problème. La vente croisée entre le tabac et le cannabis dans une même enseigne risquerait d’entraîner une augmentation de la vente de tabac et une incitation à la consommation des deux produits, et le contrôle ne serait pas facile. Vous évoquez une interdiction de consommation dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les transports publics. Mais il faut montrer l’exemple aux plus jeunes et, à ce titre, il n’est pas envisageable de permettre la consommation de cannabis dans tout l’espace public, même sur son lieu de travail.

Enfin, vous prônez l’interdiction de la publicité pour les produits liés au cannabis. Cette mesure pénaliserait fortement l’industrie du CBD, qui peine à se structurer en France. Cela porterait un coup d’arrêt à une filière prometteuse.

Pour conclure, je rappelle que la légalisation du cannabis est un sujet très complexe. Beaucoup de questions restent sans réponse et de nombreuses zones d’ombre entourent cette proposition de loi. C’est pour toutes ces raisons que le groupe La République en Marche ne la votera pas.

M. Bernard Perrut. Cette proposition de loi qui vise à légaliser la production, la vente et la consommation du cannabis m’interpelle. Je ne suis pas opposé à l’ouverture d’un débat sur ce sujet, mais je m’interroge sur le fait que ce texte ait été déposé avant la fin des travaux de la mission d’information lancée par l’Assemblée nationale. N’aurions-nous pas meilleur temps d’attendre de disposer de toute l’information nécessaire ?

Ce texte minimise, par ailleurs, la menace que fait peser le cannabis sur la santé des Français. Elle n’est pourtant plus à démontrer. Le cannabis a des effets délétères pour la santé, qui sont d’autant plus risqués que l’usager est jeune. Il peut faire baisser le quotient intellectuel des plus jeunes. Il est dangereux pour les conducteurs et altère les capacités de perception et d’attention, et la mémoire immédiate. Il provoque des troubles relationnels, scolaires ou professionnels. Il révèle ou aggrave les troubles mentaux et provoque un risque de dépendance. Votre présentation, monsieur le rapporteur, d’une consommation dite récréative tend, à mon sens, à minorer les choses. Le cannabis reste une substance dangereuse, causant des troubles psychiques potentiellement graves, notamment pour les plus jeunes.

Vous évoquez une politique française de lutte contre le cannabis répressive. Pourtant, plusieurs aménagements ont été faits depuis la loi de 1970 qui ne distinguait pas les différents types de stupéfiants : plusieurs circulaires ont vu le jour qui différencient le cannabis. Enfin, vous présentez la légalisation comme une sorte de solution magique qui permettrait de produire de la richesse et des ressources fiscales, de libérer les moyens de la police et de la justice, et de réduire la criminalité. Ces effets sont cependant à nuancer : les études conduites à l’étranger montrent que les bénéfices, s’ils existent, ne sont ni automatiques ni certains et que perdurent la criminalité liée au cannabis, les activités des groupes criminels et bien sûr le marché noir.

Pour l’ensemble de ces raisons, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi et reste avec mes collègues Les Républicains dans l’attente des conclusions de la mission d’information commune. La question de la légalisation du cannabis doit faire l’objet d’un travail approfondi, qui ne peut se limiter au constat de l’échec de l’État. En tout cas, je m’opposerai à la création d’une société nationale d’exploitation du cannabis : où allons-nous ! En l’espèce, sur ce sujet, nous allons en tout cas un peu vite.

Mme Michèle de Vaucouleurs. La mission d’information commune sur les différents usages du cannabis a mis en évidence la nécessité de faire évoluer notre législation. Elle a déjà rendu ses conclusions sur le cannabis thérapeutique et sur le cannabis bien-être ; elle examinera le rapport thématique sur le cannabis récréatif le 5 mai.

Vous proposez de faire évoluer la législation dès à présent, avec une légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis. Sans présumer des conclusions de la mission, nous savons déjà que la politique répressive prépondérante dans notre pays n’a eu que peu d’effets sur l’usage du cannabis, puisqu’on estime à 5 millions le nombre de consommateurs réguliers. Cette politique a souvent été mise en avant pour protéger les plus jeunes, qui s’exposent à des risques non négligeables sur le plan du développement cognitif. Certains progrès ont été réalisés puisqu’on a pu observer un recul de la consommation des jeunes ces dernières années. En revanche, 83 % des consommateurs et 92 % des consommateurs quotidiens sont des adultes et le maintien de l’interdiction soulève de nombreuses questions, liées au respect de la liberté des personnes, à la toxicité des produits accessibles sur le marché illicite, aux liens de ce marché avec la criminalité et à la politique de prévention et de soin à apporter au consommateur.

Si les dispositifs du texte sont étayés, ils ne font l’objet d’aucune étude d’impact ni avis consultatif d’une quelconque institution. Ce véhicule législatif n’apparaît donc pas le plus opportun pour une mesure aussi engageante sur le plan sociétal. Par ailleurs, si les Français se montrent ouverts à un changement de la législation, les modalités d’évolution et d’encadrement sont nombreuses et méritent une large consultation pour définir le bon modèle à appliquer. Aussi, si le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés juge utile d’amorcer ce débat afin de présenter aux Français les options qui pourront être envisagées dans le cadre de la prochaine législature, il est opposé à une évolution insuffisamment pensée et concertée et n’apportera donc pas ses suffrages à cette proposition de loi.

Mme Michèle Victory. Avec 1 500 000 consommateurs très réguliers de cannabis, la France se place sur le podium des pays les plus touchés en Europe. Quasiment un jeune de 17 ans sur deux a déjà expérimenté le cannabis. Ces chiffres doivent appeler à la modestie.

Le cannabis fonctionne comme un reflet de la cristallisation des contradictions de notre société : beaucoup d’interdits et de transgressions. La mission d’information commune à laquelle vous participez, monsieur le rapporteur, que nous menons depuis plusieurs mois et dont je suis la vice-présidente, publiera très prochainement son rapport sur le cannabis récréatif. Ses travaux font ressortir un manque de réalisme sur la question et une certaine hypocrisie du discours ambiant. En effet, les forces de l’ordre sont trop largement mobilisées sur le cannabis et rapportent leur frustration de devoir vider un océan à la petite cuiller, au détriment de missions plus essentielles et d’une politique de prévention et de santé publique de grande ampleur. Le narcobanditisme et la souffrance sociale dans les quartiers se sont aggravés sans qu’aucun dispositif répressif puisse en aider les habitants à se réapproprier l’espace public.

Aussi, monsieur le rapporteur, et à l’instar de pays de plus en plus nombreux dans le monde, vous proposez une légalisation contrôlée du cannabis. Cela serait un bénéfice pour nos agriculteurs : dans ma circonscription comme ailleurs, ils me sollicitent régulièrement, avec des entreprises, pour dénoncer l’interdiction de production de cannabis en France quand les officines de CBD, dont la qualité n’est pas surveillée, importent leurs produits de République tchèque ou d’Allemagne.

Vous suggérez d’instaurer un monopole d’État et de confier la vente de détail aux buralistes. C’est peut-être un point de divergence avec nous, sur lequel il faudra encore travailler : pour protéger en particulier notre jeunesse, il faut réfléchir aux modalités de la distribution et confier plutôt la vente à des boutiques dédiées. Et nous ne sommes pas sûrs que l’État doive forcément organiser l’ensemble de la production d’une substance qui reste dangereuse : il faut plutôt structurer la filière et laisser une autorité indépendante encadrer d’autres aspects.

Le groupe Socialistes et apparentés votera ce texte, afin de s’inscrire dans le progrès en sécurité, de donner de nouvelles opportunités aux agriculteurs et de mener une politique de santé publique ambitieuse et protectrice avec une législation encadrée.

Mme Annie Chapelier. Comme pour les deux précédentes propositions examinées aujourd’hui, ma position ne reflétera pas l’unanimité du groupe Agir ensemble, qui prône, depuis sa création, la liberté d’opinion et de vote sur de tels sujets de société.

Voilà près de cinquante ans que la France a fait de la répression le fer de lance de sa politique de lutte contre le cannabis. Notre pays ne lésine pas sur les moyens, en dépensant chaque année plus de 500 millions d’euros à des fins répressives. Force est de constater que ce système de prohibition est un échec. Il n’a pas permis de juguler les trafics ou de faire diminuer la consommation de nos concitoyens. Au contraire, la demande est en constante augmentation, et l’offre se développe et se diversifie. La France est ainsi le pays européen où la consommation régulière de cannabis est la plus importante.

Dès lors, un changement de paradigme s’impose de toute urgence, un virage que de nombreux pays ont déjà entrepris en tirant les leçons de l’échec des politiques répressives, dans un contexte d’évolution des sociétés. Les bénéfices sont nombreux : assèchement des trafics, encadrement de la consommation, réallocation de moyens au bénéfice d’autres missions de service public, sans oublier des gains économiques considérables pour l’État – à titre d’exemple l’industrie canadienne légale du cannabis a contribué à hauteur de 2,57 milliards d’euros au produit intérieur brut du Canada entre mars 2019 et mars 2020.

Aujourd’hui, en France, le consommateur est considéré comme un délinquant, indépendamment de son âge, de son type de consommation et de son rapport au produit – et Dieu sait combien les modes de consommation sont différents. Cette hypocrisie est de plus en plus mal comprise par nos concitoyens et décrédibilise l’action des pouvoirs publics en la matière. L’heure est donc venue de considérer la question avec pragmatisme et d’instaurer une politique d’encadrement régulé de la production, de la consommation, de la publicité et de la vente de cannabis, tout en mettant l’accent sur la prévention des conduites à risque, notamment auprès des plus jeunes et des populations les plus vulnérables, grâce aux moyens dégagés par la commercialisation du cannabis.

Vous l’aurez compris, à titre personnel, je suis favorable à cette proposition de loi.

Mme Valérie Six. En tant que pharmacienne, je souhaite préciser que la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis ici proposée n’a aucun lien avec l’expérimentation du cannabis thérapeutique qui a débuté le 26 mars dernier et qui permet à 3 000 patients souffrant de maladies graves de s’approvisionner en cannabis médical durant deux ans.

Cette proposition de loi, en distinguant entre consommation raisonnable et consommation compulsive du cannabis, revient à nier la toxicité de cette drogue. Selon la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), la France affiche des niveaux d’usage de cannabis à l’adolescence parmi les plus élevés d’Europe. En 2019, 23 % des jeunes Français de 16 ans ont déclaré avoir fumé au moins une fois du cannabis au cours de leur vie, et 13 % au cours du mois. Or des études montrent que le cannabis a des conséquences directes sur le fonctionnement des neurones et multiplie les risques de souffrir de troubles mentaux. Toujours selon la MILDECA, la prise de cannabis entraîne des troubles de concentration et altère la mémoire à court terme. La consommation régulière peut causer une perte de motivation qui se traduit par un désintérêt pour les loisirs et les relations amicales ou familiales, un repli sur soi, une grande fatigue ou encore un état passif.

Pour ma part, j’ai participé pendant quelques années à des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires de mon département avec l’association Stop à la drogue et je viens de défendre une proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote. Je me bats pour prévenir les conduites addictives, et la consommation de cannabis en est une. Aussi, une partie du groupe UDI et Indépendants se joint à moi pour voter contre cette proposition de loi.

Mme Frédérique Dumas. En France, 5 millions de personnes ont déjà fumé du cannabis et 700 000 en consomment quotidiennement. Regardons les faits en face : ni la répression trop forte, inapplicable, ni la forfaitisation des délits de stupéfiants, inefficace – les contraventions sont très peu recouvrées – n’ont eu ou n’auront de réel impact sur la consommation. En revanche, cet appareil répressif pèse sur nos finances publiques : la lutte contre le cannabis, dopée par la politique du chiffre, mobilise nos policiers et engorge notre système judiciaire. Les conséquences sont importantes également sur la paix sociale : la pénalisation de cette drogue crée une économie parallèle source de violence, de délinquance et de stigmatisation durable d’une partie de notre jeunesse. Cette jeunesse est, par ailleurs, la victime de l’absence de régulation et de politique de prévention : près de 10 % de nos enfants font un usage régulier du cannabis, au risque de troubler leur scolarité et de mettre en danger leur santé.

Contrairement au ministre de l’intérieur, pour qui légaliser serait une lâcheté, nous pensons que c’est le statu quo qui est une facilité. D’autres chemins sont possibles. En sortant le cannabis de la clandestinité, nous nous donnerions les moyens de faire mieux, de mener une véritable politique de santé publique, de parvenir à un contrôle général de la consommation en régulant les prix et de dégager du temps et des ressources pour nos forces de l’ordre et notre système judiciaire, le tout en créant une filière française contrôlée par l’État. Ce n’est pas être laxiste que de porter ce combat : c’est être lucide et responsable. Ce n’est pas nier la dangerosité du produit, c’est bien au contraire la prendre en compte. La vraie lâcheté consiste à se satisfaire de la politique actuelle.

Ayons le courage de tourner le dos à ce qui est en réalité une non-politique de santé publique, une politique répressive inefficace. Dans les faits, s’il y a une chose qui n’est pas interdite, c’est bien la consommation de cannabis, avec tous les dommages collatéraux qui vont avec. Inventons donc une manière de réguler et contrôler ce qui ne peut être interdit : c’est la légalisation. D’autres l’ont fait. C’est à notre tour d’accepter d’ouvrir ce débat. Je remercie François-Michel Lambert et mon groupe Libertés et Territoires de le faire.

Mme Caroline Fiat. Le groupe La France insoumise remercie François-Michel Lambert pour cette proposition de loi qu’il soutiendra. Le bilan de la prohibition, depuis trente ans, est mauvais. La France est championne d’Europe de la consommation, avec 900 000 consommateurs quotidiens, et le cannabis est devenu toujours plus toxique, avec un taux de THC sans contrôle. Dans la même période, la répression n’a cessé d’augmenter, sans résultat.

Le trafic pèse aujourd’hui 4 milliards d’euros. Les policiers ont beau agir, c’est comme vider la mer avec une cuiller. Mais si le cannabis, qui représente 80 % du trafic, est légalisé, sous contrôle de l’État, les policiers pourront se consacrer aux autres trafics : cela a son importance. Le tout permettra une meilleure politique de prévention, dont nous souhaitons qu’elle ait lieu dès la fin de l’école élémentaire, et un meilleur contrôle des usages. Cela a été fait dans plusieurs pays, comme le Canada, avec comme bilan, en deux ans, 40 % de la consommation de cannabis qui se fait via le trafic. Aujourd’hui, c’est New York qui s’y met.

Cette proposition de loi est importante pour des raisons sanitaires, des raisons de santé et de sécurité. Il faut légaliser et nous soutiendrons ce texte.

M. Pierre Dharréville. La question posée par cette proposition de loi est épineuse, mais la société doit y répondre. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur une réalité qui marque l’échec des politiques menées jusqu’ici, ou à moitié menées peut-être, à l’égard du cannabis. Cette réalité, c’est que près d’un million et demi de personnes en consomment régulièrement, que cette substance fait l’objet d’un trafic important, par nature sans contrôle des produits, et que les politiques de prévention ne sont pas à la hauteur, alors même que l’état actuel des choses n’interdit pas d’en mener, en s’épargnant au passage une posture morale hors de propos.

Le seul objectif à poursuivre doit être la santé publique. Si ses usages sont divers, nous ne saurions négliger les effets certains du cannabis sur la santé, à tout âge – des effets particulièrement délétères pour les plus jeunes. L’augmentation de la consommation de cannabis traduit aussi pour une part, même si ce n’est pas que cela, un malaise social profond. Nous doutons – hélas ! – que la légalisation permette d’éradiquer les trafics, ce qui n’est d’ailleurs pas votre propos. Mais cette légalisation – qui n’est pas une libéralisation –, ce monopole public de la production et de la distribution que vous proposez est la seule voie envisageable pour garder au maximum le contrôle.

Pour autant, quel signal la légalisation enverra-t-elle ? Cette décision n’entraînera‑t‑elle pas une augmentation de la consommation, par tête et en nombre de têtes ? Quelles garanties pouvons-nous donner que ce seront les effets de meilleure maîtrise qui l’emporteront ? Nous pensons, en tout état de cause, que toute décision devra prendre place dans une politique de santé publique et de lutte contre les addictions. Nous espérons que le débat qui vient nous aidera à répondre ensemble à ces questions.

Mme Caroline Janvier. La question qu’il faut se poser, c’est celle de l’efficacité de la politique publique, alors que l’approche idéologique a longtemps favorisé la posture politique. Ce qu’il faut trouver, c’est, d’une part, pour l’aspect sanitaire des choses, le meilleur moyen de prévenir et de lutter contre les dangers de la consommation de cannabis, notamment chez les consommateurs les plus vulnérables, les moins de 25 ans, et, d’autre part, comment régler les problèmes qui ont été créés par la prohibition, à savoir le trafic, et le trafic d’armes et le proxénétisme qui y sont associés.

On peut faire une comparaison avec des sujets mieux connus, le tabac et l’alcool. Il y a un consensus scientifique sur le fait que ces deux substances psychoactives sont à la fois plus addictives et plus dangereuses que le cannabis. Pourtant, les pouvoirs publics ont décidé depuis très longtemps qu’il était plus facile de lutter contre en légalisant ces substances et en reprenant le contrôle de la production, de la distribution et aussi de la consommation. Nous devons être capables de poser le débat sous cet aspect de l’efficacité de la politique publique, du pragmatisme, de la meilleure façon d’atteindre nos objectifs. À titre personnel, je suis favorable à une légalisation encadrée. Nous aurons l’occasion d’en reparler en mai, au moment de la présentation du rapport de la mission d’information commune.

M. le rapporteur. Merci pour toutes ces interventions, qui s’accordent à une très large majorité à reconnaître l’échec des politiques actuelles de répression, même si elles ont des ambitions différentes quant à la voie à emprunter pour assurer l’efficacité de l’action politique en s’éloignant d’une idéologie qui n’a plus lieu d’être.

Il a été rappelé que ce débat est novateur dans notre enceinte. Le tabac et l’alcool, on en parle depuis longtemps, et souvent – tous les ans même à l’occasion du projet de loi de finances. Mais légaliser le cannabis, le placer dans un cadre autorisé, c’est la première fois que nous en débattons pleinement. C’est appréciable, alors que les débats dans la chambre haute sont beaucoup plus verrouillés.

Ludovic Mendes, pour La République en Marche, reconnaît que la légalisation a des atouts, mais propose de renvoyer à la prochaine législature pour se donner du temps. Il s’interroge sur le rôle de la SECA, sur les risques de croiser le tabac et le cannabis chez les buralistes ou sur les lieux d’autorisation ou d’interdiction. J’aurais aimé qu’il propose des amendements pour enrichir le texte sur ces sujets.

Bernard Perrut s’interroge sur la date choisie pour examiner ce texte, mais il connaît cette maison mieux que moi. Il se trouve que le groupe Liberté et Territoires dispose d’une niche le 8 avril, peu avant les conclusions de la mission d’information commune sur le cannabis : nous saisissons cette occasion pour avancer, proposer, débattre. Bien loin de minimiser la menace que représente le cannabis pour la santé, nous nous inquiétons de la situation actuelle, où le contrôle a été perdu. Des jeunes, des très jeunes consomment du cannabis issu de trafics, donc forcément frelaté, d’origine inconnue, avec un taux de THC élevé ; il faut trouver une voie. Quant à savoir si la légalisation sera suffisante, c’est une question intéressante. Nous devons travailler à convaincre, et c’est le chemin que je vais emprunter.

Michèle de Vaucouleurs rappelle que tout le monde fait le constat de l’échec de la politique de répression. Elle semble vouloir aller de l’avant, mais s’inquiète d’un manque de consultations et d’avis. Toutefois cette proposition de loi a été présentée, il y a bientôt deux ans, de façon concomitante avec un rapport du Conseil d’analyse économique, rattaché au Premier ministre, qui avait la même approche. D’autres études présentent le sujet sous le même angle, même si d’autres encore ont d’autres visions. En tout cas, la mission d’information commune nous a, me semble-t-il, largement fournis en informations.

Je remercie Michèle Victory, vice-présidente de la mission d’information commune, pour ses propos. Elle perçoit clairement l’enjeu, et ses critiques portent sur la mise en œuvre : les buralistes, la SECA... Quoi qu’il en soit, il faut avancer, et alors les dispositions prévues par ce texte pourront évoluer.

Je remercie très chaleureusement Annie Chapelier de son soutien depuis plus de deux ans sur le sujet. Elle rappelle les échecs subis et montre la voie dans laquelle nous devons nous engager, tout en faisant part de quelques questionnements. En expliquant que sa position n’est pas partagée par l’ensemble de son groupe, et j’en tiens compte, elle démontre qu’il s’agit bien d’un sujet de société.

L’expérience de Valérie Six est extrêmement intéressante, et elle conforte peut‑être justement le sentiment que nous sommes dans une impasse. Nous sommes, pour une grande part d’entre nous, des parents, parfois des grands-parents. Vous avez sans doute connu, comme moi, l’inquiétude du passage de l’adolescence. Je le vois dans ma circonscription, nos enfants évoluent dans un cadre qui les met plus au contact du cannabis que je ne le suis moi‑même ! Nous devons avoir cette réalité en tête. L’éducation et la prévention ne seront pas suffisantes. Nous devons trouver d’autres leviers pour agir, comme pour le tabac et l’alcool, sur des produits qui ne doivent absolument pas être consommés avant 18 ans, voire plus. Il nous semble que la légalisation nous permettrait de reprendre la main et sans aucun doute de faire reculer le nombre de jeunes qui sont au contact du cannabis. C’est une conviction personnelle.

Frédérique Dumas a parlé de non-politique de santé publique. Effectivement, nous en sommes à cinquante ans d’aggravation et d’échecs. D’autres ont fait ce que nous proposons. L’Europe dans son ensemble avance, à des niveaux différents. Ludovic Mendes, qui est voisin du Luxembourg, sait très bien que dans quelques mois, peut-être un an, la vente de cannabis y sera légale. Je ne sais pas comment la France pourra avoir une position beaucoup plus restrictive que ce pays si proche dont la frontière est à peine plus visible qu’entre deux régions françaises.

Je remercie Caroline Fiat de son soutien. Elle a rappelé les bilans positifs des politiques menées à l’étranger – il y a eu aujourd’hui encore une avancée à New York – et leurs résultats en termes de santé – on connaît son expertise professionnelle en la matière. Oui, nous devons aller de l’avant.

Pierre Dharréville a rappelé que le sujet n’est pas simple et soulève beaucoup de questions. Notre seul objectif est celui de la santé publique, je le confirme : on peut entendre parler, dans la présentation de cette proposition de loi, de données économiques ou d’emplois dans les territoires, mais ce qui me conduit et ce que j’ai entendu dans chacune des interventions, c’est le souci de la santé publique. Chacun veut éviter un échec qui pourrait être pire que la situation actuelle. Alors débattons, voyons comment aller de l’avant avec une légalisation encadrée du cannabis.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Avant l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement AS4 de M. Éric Coquerel.

Mme Caroline Fiat. Nous souhaitons renforcer les politiques de prévention et de sensibilisation sur les dangers du cannabis, et ce dès l’école élémentaire. En l’état actuel du droit, une information est délivrée au moins une fois par an dans les collèges et les lycées sur les effets neuropsychiques et comportementaux du cannabis. Nous proposons de l’étendre aux écoles élémentaires, la sensibilisation devant intervenir dès le plus jeune âge. Une sensibilisation au risque tabagique a d’ailleurs été rendue obligatoire dès 2003 dans les écoles primaires. Il semble souhaitable de s’aligner sur cette action pour le cannabis.

M. le rapporteur. La proposition de loi présente, outre des dispositions permettant et encadrant le commerce du cannabis, du producteur au consommateur, un volet de santé publique qui permet de renforcer les dispositifs existants en matière de stupéfiants et de lutter contre les abus.

Je vous remercie pour cet amendement qui conforte cet aspect en renforçant la prévention contre les dangers des stupéfiants dès le plus jeune âge. S’il est avéré que la première expérience avec les stupéfiants commence en général à l’adolescence, il n’existe pas de dispositif dédié à la petite enfance. Or c’est à cet âge que vont se forger les opinions des futurs consommateurs, davantage à l’écoute qu’ils pourraient l’être à l’adolescence, et que nous pourrons les sensibiliser. Je suis favorable à cet amendement.

Mme Michèle Victory. Nous le sommes également. Les interventions actuellement réalisées dans les collèges et lycées, généralement par la gendarmerie, sont intéressantes mais souvent en décalage avec la réalité des adolescents, qui veulent s’opposer aux adultes. Il faudra réfléchir à des modes d’intervention un peu différents, surtout avec le secteur associatif, qui réussit très bien dans ce genre de choses. Il est important que le milieu associatif soit associé à la prévention.

M. Ludovic Mendes. Logiquement, le groupe La République en Marche votera contre ces amendements, puisque contre le texte. La proposition est intéressante, mais la consommation de cannabis chez les jeunes commence beaucoup plus tard que celle du tabac. Nous devons donc nous concentrer sur les collèges et lycées, en prévoyant par exemple deux passages obligatoires par an plutôt qu’un, et en recourant à de véritables experts : il ne faut pas ajouter cela à la charge des professeurs, qui font déjà énormément de choses. Bref, il n’y a pas de logique à aller dans les écoles élémentaires, sachant que c’est en quatrième ou troisième que la consommation commence à être importante, ou en tout cas l’envie d’essayer une nouvelle substance.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je m’inscris en faux. Dans le quartier prioritaire de la ville où j’habite, c’est dès leur entrée en sixième que les jeunes sont exposés à des propositions. Il serait bon que la prévention soit antérieure à l’entrée au collège.

Mme Michèle Peyron. La moyenne d’âge du début de consommation étant de 15,4 ans, je ne vois pas la nécessité de commencer la prévention dès l’école primaire. La classe de sixième me paraît beaucoup plus opportune.

Mme Caroline Fiat. Les enfants ne se mettent globalement pas à fumer dès le primaire, mais on y fait quand même de la prévention contre le tabac – ce n’est pas pour rien. Les enfants peuvent accompagner les grands frères et grandes sœurs et se trouver en situation de faire des choses sans savoir si c’est bien ou mal. Il faut les sensibiliser aux risques et leur donner une bonne hygiène de vie dès l’école primaire. Ce n’est pas parce qu’ils rencontrent le problème à 15,4 ans qu’il ne faut l’aborder qu’à 15,3 ans ! C’est à ce moment de l’école primaire qu’ils apprennent le plus de choses ; je ne vois pas pourquoi on leur parlerait du tabagisme et pas du cannabis.

Mme Michèle de Vaucouleurs. J’ajoute que, même si c’est exceptionnel, il y a déjà eu des trafics au sein d’écoles primaires. La prévention ne doit pas y être la même qu’au collège, les propos et les supports doivent être différents, mais une prévention précoce est utile.

M. le rapporteur. La prévention existe pour le tabac, qui est souvent consommé en même temps que le cannabis. Il est difficile de les dissocier. Ils vont de pair : c’est le même geste, la même tentation, même si ce ne sont pas les mêmes produits. En prévention, on sait qu’il faut s’intéresser au produit, mais aussi à la question du geste – le geste de fumer, qu’il s’agisse de tabac ou d’autre chose. La logique voudrait cette cohérence dans nos politiques.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS5 de M. Éric Coquerel.

Mme Caroline Fiat. Cet amendement vise à améliorer la formation des enseignants aux politiques de prévention des addictions, en faisant des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation un lieu de formation à ces questions.

M. le rapporteur. Selon l’article L. 312-18 du code de l’éducation, « une information est délivrée sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé, notamment concernant les effets neuropsychiques et comportementaux du cannabis, dans les collèges et les lycées ». Or les enseignants sont formés sur un grand nombre de sujets, mais pas spécifiquement sur celui-là. S’il est vrai qu’ils peuvent s’appuyer sur des structures publiques ou associatives, il conviendrait qu’ils reçoivent une formation pour pouvoir participer à leurs interventions dans les établissements scolaires.

Cette formation leur permettrait également d’adopter le comportement approprié en cas de consommation de stupéfiants chez des adolescents et d’apporter les réponses les mieux construites. À terme, elle permettrait de faire diminuer la consommation de stupéfiants chez les mineurs. Les enseignants se retrouvent très souvent subitement face au problème. Avoir les capacités d’y répondre grâce à une formation anticipée serait un plus.

Mme Michèle Victory. Je suis complètement d’accord, même si l’on a toujours peur d’alourdir la charge et la formation des enseignants. Il importe qu’ils puissent détecter les signes dans leur quotidien, comprendre ce qui est en train de se passer en voyant un comportement. Beaucoup d’enseignants qui ont en face d’eux des enfants et des jeunes soumis à ces addictions ne connaissent rien aux effets de cette drogue. C’est vraiment très important.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS15 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement précise que le CBD ne relève pas de la réglementation prévue par la présente proposition de loi. La décision C-663/18 du 19 novembre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne dispose, en effet, que le CBD ne peut être qualifié de stupéfiant lorsque son taux est inférieur à 0,2 %, puisqu’il n’a alors aucun effet psychotrope et ne présente pas de danger pour la santé humaine. La MILDECA est d’ailleurs en train de travailler aux modifications réglementaires nécessaires. L’objectif est de faire en sorte que les produits à base de CBD, dont la teneur en THC est inférieure à un seuil défini par décret, ne soient pas considérés comme des produits relevant du cannabis.

M. Ludovic Mendes. Il y a là un débat mais nous sommes d’accord sur le fait que le CBD ne doit pas être considéré comme du cannabis récréatif, eu égard non seulement à sa teneur en THC mais aussi aux bienfaits de la plante. Mais la loi peut-elle distinguer les différents usages du cannabis, sachant que le nom scientifique de la plante est « cannabis » ? Pour la publicité, notamment, que fait-on du cannabis thérapeutique ? Qu’advient-il des producteurs et des revendeurs de produits dits CBD, qui ne peuvent pas inclure une feuille de cannabis dans leurs publicités, car la loi l’interdit ?

La MILDECA est chargée de réécrire le décret de 1990. Poser le débat en expliquant que le CBD n’est pas du cannabis va à l’encontre des travaux de la mission d’information commune sur les différents usages du cannabis. Le CBD reste du cannabis ; il comprendra des traces de THC. Il faut traiter tous les sujets en même temps, mais expliquer clairement que les trois usages sont différents et que l’on ne s’adresse pas à la même clientèle même si, parfois, le cannabis récréatif est utilisé à des fins de bien-être ou thérapeutiques.

Je vous remercie donc pour cette précision, monsieur le rapporteur, mais je ne suis pas certain que l’on doive séparer les trois usages du cannabis.

M. le rapporteur. Nous avons une divergence sur ce point. Certes, les différents produits restent du cannabis, mais la proposition de loi doit préciser en quoi le cannabis récréatif, qui entrerait dans le cadre du monopole d’État contrôlé par la SECA, se distingue d’autres cannabis à teneur très faible en THC, qui relèveraient d’autres usages, d’autres filières de distribution et d’autres modèles économiques. Si nous n’introduisons pas cette différence, nous risquons de faire entrer tous les types de cannabis dans la catégorie que je souhaite voir relever du monopole d’État.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement fait écho aux propos tenus lors des auditions. Le développement du CBD, que M. Mendes semble souhaiter, implique de recourir à la publicité. Fixer un seuil minimum de THC permettra à la loi d’autoriser ou d’interdire certaines choses, selon les types de produits.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er : Légalisation et encadrement de la vente de cannabis

La commission est saisie de l’amendement de suppression AS11 de M. Ludovic Mendes.

M. Ludovic Mendes. Nous l’avons dit, l’idée n’est pas de ne pas débattre du cannabis ; au contraire, nous saluons cette volonté. Les parlementaires n’ont d’ailleurs jamais autant parlé de cannabis que dans cette législature, avec les différents usages que la mission d’information définit, avec les débats de l’été 2018 à la suite de l’ouverture des coffee shops CBD, sans compter la pression médiatique et civique sur les travaux que nous menons.

Malheureusement, le débat n’arrive pas au bon moment : la mission d’information commune n’a pas achevé ses travaux, et la proposition de loi ne peut pas prendre en compte ses préconisations. S’agissant du CBD, par exemple, nous avons préconisé d’aller jusqu’à 1 % de THC, non 0,2 %. Nous en discutons avec la MILDECA.

Nous saluons donc la proposition de loi. Elle est bienvenue dans le débat parlementaire, mais elle n’est pas adaptée à ce dont nous avons besoin. En particulier, la création d’une société d’exploitation du cannabis sous la forme d’un établissement public administratif n’est pas la bonne réponse. Sur le sujet du cannabis, il faut mener des travaux approfondis, parallèlement à la rédaction d’une loi, comme l’ont fait le Luxembourg, les Pays-Bas, ou l’Espagne pendant quatre ans. Le sujet prend beaucoup de temps. Nous y travaillons mais la proposition de loi arrive avant des conclusions parlementaires qui ne seront pas négligeables.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 1er.

M. le rapporteur. D’un côté, vous mettez en avant l’aspect répressif, en rappelant que, dès le mois de juillet 2020, le ministre de l’intérieur a placé le combat contre le trafic de stupéfiants parmi ses trois priorités. De l’autre, vous vous montrez favorable à une légalisation de la consommation du cannabis récréatif, ce que je salue.

J’entends les problèmes de calendrier, mais depuis huit ans que je suis député, je constate le temps considérable qu’il nous faut pour faire avancer des sujets majeurs de société, laissant nombre de nos concitoyens dans des situations déséquilibrées, voire impossibles. En l’occurrence, ce sont 700 000 à 1 million de consommateurs quotidiens et 5 millions de consommateurs occasionnels qui sont exposés à tous les risques, notamment les plus jeunes, auxquels les trafiquants peuvent fournir n’importe quel type de produit. Les retards que nous prenons sont autant de dangers pour la vie de nos concitoyens.

Plutôt qu’un amendement de suppression, j’aurais préféré des amendements de construction qui auraient permis de continuer le travail au cours de la navette parlementaire. C’est pourquoi je demande le retrait de celui-ci ; à défaut, j’appelle à voter contre.

Mme Caroline Fiat. Nous aurions dû arrêter à 23 heures ; c’était mieux tout à l’heure ! Pendant l’examen de la proposition de loi sur la fin de vie, les députés les plus anciens ont rappelé ce qu’on leur avait souvent répété lorsqu’ils voulaient aborder ces questions : pas le bon moment, pas la bonne façon de faire, pas le bon texte. Et vous reprenez les mêmes arguments ! Ce qui est sympathique, à l’Assemblée nationale, ce sont les amendements : pourquoi n’amendez-vous pas le texte, en nous disant ce que vous préconisez ? À un moment donné, il faut quand même avancer !

Le taux de THC dans le cannabis vendu en France n’a jamais été aussi élevé. Des imbéciles vendent à nos gamins du cannabis avec un taux de THC énorme ! Combien de temps va-t-on les laisser faire ? On parle de la santé de nos enfants ! Certes, dans un monde idéal, les gamins ne fumeraient pas de cannabis, mais il se trouve qu’ils le font. Le législateur aurait les moyens de les protéger au moins en plafonnant ce taux.

Quant à la société d’exploitation nationale, si vous n’en voulez pas, amendez le texte, et avançons !

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je ne suis pas d’accord non plus avec les dispositions de l’article 1er, mais je trouve dommage, dès lors que l’on ouvre ce débat, de ne pas aller plus loin. Nous pourrions mettre à profit les travaux et les auditions réalisés dans le cadre de la mission d’information commune pour tracer des perspectives. Si le taux de THC ne vous convient pas, monsieur Mendes, il est bon d’en discuter. Je ne voterai ni cet article ni ce texte, mais j’aimerais qu’on puisse en débattre.

M. Pierre Dharréville. Je m’étonne qu’on prenne comme seul argument de refus la société publique d’exploitation, alors qu’elle serait précisément une garantie de l’efficacité de notre action. Du reste, je n’ai pas compris pourquoi cela pose un problème. De mon point de vue, c’est la libéralisation du marché qui serait problématique, car elle pourrait faire naître un grand marché du cannabis, et même une forme de consumérisme. L’idée d’un contrôle public me semble vraiment bonne. En débattre me semble, en tout cas, indispensable, car je crois que nous avons, sur ce sujet, une opposition nette qui dépasse la seule question du cannabis.

Mme Annie Chapelier. Je veux, moi aussi, faire part de mon étonnement. Nous venons de passer six heures sur un texte qui s’est largement inspiré de ce qui se passait dans les pays voisins de la France. Pourquoi refuser de faire la même chose sur la question du cannabis et de nous inspirer des bonnes pratiques qui ont cours en Espagne, aux Pays-Bas, et bientôt au Luxembourg, sans parler du Canada, où la légalisation du cannabis a été une réussite à la fois pour la santé publique et sur le plan économique. Plutôt que de refuser en bloc cette proposition de loi, sous prétexte qu’elle n’arrive pas au bon moment, pourquoi ne pas l’amender, par exemple au sujet du taux de THC, puisque vous nous dites y avoir déjà réfléchi, monsieur Mendes ?

Mme Michèle Victory. Je ne voterai pas non plus cet amendement de suppression. Il est vrai que la mission d’information commune n’a pas encore publié son rapport, mais il faut avancer. On a bien senti que le ministre de l’intérieur n’était pas favorable à cette proposition, mais les arguments qui sont donnés ne me semblent pas très justes. Dans les pays qui ont fait le choix de la légalisation, on ne peut pas dire que la consommation a explosé : ce n’est pas vrai ! Soyons raisonnables ; si notre préoccupation est la santé de nos enfants, alors inspirons-nous de ce qui se fait à l’étranger. D’autres groupes politiques préparent des textes sur cette question mais cette proposition de loi nous donne l’occasion d’avancer, et de montrer que nous voulons y répondre.

M. Ludovic Mendes. Oui, nous soutenons le Gouvernement dans sa démarche de lutte contre les stupéfiants, car, même si le cannabis est le stupéfiant le plus consommé, elle concerne aussi le crack, qui fait des ravages dans certains arrondissements de Paris, la cocaïne et l’héroïne.

Vous nous dites de regarder ce qui se passe dans d’autres pays. Soit ! En Espagne, la règle veut qu’on adhère à un club, mais elle ne s’applique même pas dans tout le pays. Au Portugal, c’est une autre règle qui prévaut. Le Luxembourg prévoit encore un autre dispositif, mais le texte n’est toujours pas voté et cela fait deux ans qu’il est en discussion. Aux Pays‑Bas, la consommation et la vente sont autorisées, mais pas la production, ce qui signifie qu’une grande partie de la production vendue légalement vient du marché noir. Au Canada, les règles ne sont pas exactement les mêmes dans toutes les provinces. Aux États-Unis, seuls certains États ont voté la légalisation.

La France doit inventer son propre système. L’article 1er prévoit de créer une société publique et il contient des dispositions pénales, mais tout cela ne se fait pas en claquant des doigts ! Si une mission d’information commune a été formée, c’est justement pour ouvrir un débat sur la légalisation. Aucune législature n’avait autant avancé sur ce sujet : en 2019, nous avons voté l’expérimentation du cannabis thérapeutique, qui est enfin entrée en vigueur la semaine dernière. Je rappelle aussi que c’est grâce à nous que le débat sur le CBD est en train d’évoluer, en lien avec la Cour de justice de l’Union européenne. Et nous suivons de très près, aussi, les travaux de la MILDECA. Un immense travail est en cours mais il faut encore réfléchir à des questions essentielles, comme celle de la production : qui produira et comment ?

Toutes ces questions méritent une réflexion approfondie et nous ne pouvons pas nous contenter d’amender cette proposition de loi. Si vous voulez créer une filière où seuls les étrangers auront le droit de vendre leurs produits parce que les Français ne seront pas prêts, alors nous aurons tout raté.

M. Bernard Perrut. Il me semble prématuré de prendre des décisions alors que le rapport de la mission d’information commune va très prochainement nous donner des éléments importants. Nous ne pouvons pas nous prononcer comme cela sur des dispositions qui concerneront à la fois la création d’un monopole d’État via une société nationale, les autorisations qui régiront la production, les règles de vente et le prélèvement fiscal. Cette proposition de loi touche des domaines extrêmement variés, qui relèvent aussi bien du ministère de l’économie que de celui des solidarités et de la santé.

Je déplore également les délais auxquels nous sommes contraints pour examiner ce texte, qui nous est présenté sans qu’aient été évaluées toutes ses conséquences. Comment peut-on relativiser la dangerosité du cannabis, qui fera encore plus de dégâts si sa consommation s’étend à davantage de personnes, notamment à des jeunes ?

Si encore la solution proposée permettait de mettre fin à des trafics et à des ventes au noir, nous pourrions en discuter. Mais je n’en suis pas convaincu quand je vois ce qui se passe dans certaines villes et certains quartiers, où la demande de cannabis est forte, notamment chez les plus jeunes. Aussi devrions-nous nous assurer que soit menée, en parallèle, une véritable politique de prévention permettant de maîtriser tous les effets d’une consommation croissante de ce produit.

S’agissant des exemples étrangers, votre analyse est peut-être un peu partiale, car les évolutions de la législation n’ont pas réglé tous les problèmes, loin de là.

Il me semble donc prématuré d’aller plus loin, en quelques heures, sur un sujet aussi important.

M. Nicolas Turquois. Clairement, je suis contre l’article 1er, car je suis foncièrement opposé au cannabis. Je voterai donc cet amendement de suppression.

En milieu rural, les élus locaux entrent chez leurs concitoyens, ce qui leur permet de vivre diverses expériences. Certaines sont drôles, d’autres le sont moins. J’ai vu le pire : des femmes battues ou des enfants en difficulté, suite à la consommation de cannabis. On a d’ailleurs évoqué tout à l’heure la nécessité de sensibiliser les instituteurs à ce problème. À la campagne, les consommateurs n’ont pas besoin de fournisseurs : ils cultivent eux-mêmes leurs plants de cannabis, dans leur jardin. Toutes les conséquences de ce fléau m’amènent à demander la suppression de cet article, de même que celle des autres articles de la proposition de loi.

Mme Michèle Peyron. Dans le modèle canadien, qui est récent – il date d’octobre 2018 –, la légalisation du cannabis récréatif s’est accompagnée d’un investissement de 550 millions de dollars canadiens pour améliorer la prévention et renforcer les moyens des inspecteurs. S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions quant à l’impact de cette réforme sur la consommation, on constate que l’usage de cannabis a augmenté de 4 points dans la population générale, et que cette progression est plus forte chez les hommes et les personnes de plus de 45 ans ; en revanche, la consommation reste stable chez les jeunes de moins de 25 ans.

Quoi qu’il en soit, il faut attendre un peu avant de regarder ailleurs. Je me rappelle avoir auditionné, dès novembre 2017, l’ancienne ministre uruguayenne de la santé, l’un des premiers pays au monde à avoir légalisé le cannabis. Les Uruguayens ont subi quelques déconvenues, car ils n’ont pas fait les choses comme il aurait fallu : ils n’ont pas créé d’officine d’État pour délivrer le cannabis. Ils contrôlaient la qualité et les prix, mais cela n’a pas suffi pour enrayer les trafics.

M. le rapporteur. Vous apportez de l’eau à mon moulin en disant que l’Uruguay n’a pas étatisé la vente de cannabis ; pour notre part, nous proposons la création d’une société nationale, la SECA, parce que nous avons justement tiré les leçons des échecs subis par d’autres pays, notamment l’Uruguay et le Canada. Ces échecs tiennent à l’insuffisance des produits mis à disposition : en voulant restreindre les volumes mis sur le marché, les autorités n’ont pas réussi à tarir les trafics.

La suppression de l’article 1er et des deux autres articles de la proposition de loi ne nous permettra pas de mettre fin aux trafics responsables de la consommation des jeunes, et même des très jeunes. Elle ne nous permettra pas de bloquer l’accès de ces derniers au cannabis frelaté, dont les niveaux de THC sont de plus en plus élevés et qui cause des dégâts considérables sur la santé des consommateurs. Voilà la réalité de ces trafics, sur lesquels nous n’aurons aucune prise !

Il n’est pas acceptable d’attendre. Nous savons pertinemment que le texte que notre commission pourrait amender et adopter à 1 heure du matin a vocation à être enrichi dans les prochains mois et les prochaines années. S’il ne sort rien de notre commission, sur quelle base élaborerons-nous la loi que nous appelons de nos vœux ? Peut-être sur les travaux de la mission d’information commune, mais nous pourrions faire beaucoup mieux en nous appuyant sur la présente proposition de loi, ce qui ne nous empêcherait pas d’adopter, à l’issue d’un travail en commun, un texte très éloigné du texte d’origine.

Je réitère donc mon avis très défavorable à cet amendement de suppression, ainsi que mon avis très favorable à un travail collectif immédiat.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements AS13 du rapporteur, AS1 de M. Éric Coquerel, AS14 du rapporteur, AS2 et AS3 de M. Éric Coquerel, AS18 du rapporteur et AS8 de M. Éric Coquerel tombent.

Après l’article 1er

La commission est saisie des amendements AS6 et AS7 de M. Éric Coquerel.

Mme Caroline Fiat. Les amendements sont défendus.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine l’amendement AS16 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à autoriser l’autoculture. Le nombre de plants autorisés par foyer serait déterminé par décret en Conseil d’État.

Mme Michèle Victory. Il est tout à fait vrai que de nombreux habitants des territoires ruraux cultivent eux-mêmes le cannabis qu’ils consomment. Cela étant, beaucoup de pays ont autorisé la consommation raisonnable et raisonnée d’un certain nombre de plants de cannabis par famille, considérant que le risque lié à cet usage contrôlé était bien moindre que celui causé par la consommation d’autres drogues dont nous avons déjà parlé. Cet amendement important me paraît donc tout à fait sage.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Fiscalité pesant sur le cannabis

La commission est saisie de l’amendement de suppression AS12 de M. Ludovic Mendes.

M. Ludovic Mendes. M. le rapporteur ne contestera pas que, sans l’article 1er, l’article 2 n’a plus le même impact. Dans la même logique, j’en demande donc la suppression.

Contre l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Après l’article 2

La commission est saisie de l’amendement AS17 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il vise à centraliser les dispositions d’ordre fiscal qui se retrouvent, dans la proposition de loi, au sein du code de la santé publique et devraient, comme en matière de taxation des tabacs et de l’alcool, se trouver dans le code général des impôts.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 : Gage financier

La commission est saisie de l’amendement de suppression AS10 de M. Ludovic Mendes.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Cette discussion aurait pu être l’occasion de débattre beaucoup plus longuement de sujets comme l’autoculture. Je remercie Michèle Victory d’être intervenue sur cette question ; j’aurais aimé connaître la position des autres groupes. Ce sont des éléments sur lesquels il faut avancer. L’attente est grande chez les consommateurs qui ne veulent pas avoir affaire à des trafiquants, à des produits de mauvaise qualité ou qui souhaitent simplement avoir le plaisir de consommer les produits qu’ils ont choisi de cultiver. Ce débat, que nous n’avons pas eu, aurait pu enrichir les travaux de la mission d’information commune sur les différents usages du cannabis.

C’est un Everest que nous devons gravir. L’objet de la proposition de loi était de déterminer à quelle distance du sommet planter le camp de base. Ce soir, nous n’avons pas progressé d’un pouce et nous restons au pied de la montagne. Je le regrette.

M. Ludovic Mendes. Les travaux que nous conduisons au sein de la mission d’information commune sur les différents usages du cannabis sont très importants. Depuis un an, nous avons mené plus d’une soixantaine d’auditions, entendu des experts, des scientifiques, des médecins, des associations de patients, des élus locaux, d’anciens ministres de la justice, de l’intérieur ou de la santé. Monsieur le rapporteur, vous êtes assidu, comme Michèle Victory et Michèle de Vaucouleurs, et vous savez combien ces débats sont enrichissants. Les rapports thématiques montrent que notre système législatif n’est pas adapté, mais on ne peut pas dire que le camp de base n’est pas posé ! Caroline Janvier présentera prochainement un rapport sur l’usage récréatif qui permettra, pour la première fois, une discussion sur ce thème à l’Assemblée nationale. Quand on vote un amendement autorisant l’expérimentation du cannabis thérapeutique auprès de 3 000 personnes pendant deux ans ou quand on fait évoluer les dispositions sur le CBD, on fait avancer la question. On n’a jamais autant parlé ici de cannabis que ces trois dernières années ! Reste la dernière marche, celle de l’usage récréatif du cannabis, qui est aussi le plus controversé.

Pourquoi se précipiter aujourd’hui ? Pourquoi présenter ce texte et gâcher le travail réalisé par les parlementaires depuis un an ? Nous voulons prendre le temps de rédiger une proposition de loi solide et éviter ainsi d’avoir à faire marche arrière, comme cela a pu se produire en Uruguay et ailleurs.

Mme Annie Chapelier. Je ne disserterai pas sur la pertinence du choix de défendre maintenant la proposition de loi – chaque occasion est appréciable et la mission d’information commune aurait pu s’en saisir pour apporter des compléments et des éclairages.

Il est certain que, d’un point de vue de santé publique, la légalisation du cannabis est la seule solution pour sortir de cette forme de contrôle de la consommation du cannabis. D’un point de vue économique, la création de cet organisme public aurait été un moyen pour l’État de tirer des ressources. Monsieur Perrut, les politiques de prévention que vous appelez de vos vœux – comme nous tous ici –, sont presque toujours gagées sur les articles 575 et 575 A du code général des impôts, c’est-à-dire sur la consommation de tabac. Il aurait été appréciable que les revenus du cannabis puissent également financer la prévention, parent pauvre de la santé en France.

M. Bernard Perrut. Le tabac et le cannabis ne sont pas des produits semblables et vous ne pouvez pas comparer les politiques publiques menées en direction du tabac et des alcools et celles qui luttent contre la consommation de cannabis et ses effets dévastateurs – ils ont été démontrés. On ne peut pas justifier les trafics, les groupes organisés au prétexte que le commerce du cannabis représente une manne financière ! Ou alors, il faut consacrer les sommes générées par les trafics de toutes sortes aux politiques de santé. Il faut être plus prudent lorsque l’on est amené à s’exprimer sur le sujet. Bien sûr, l’un des objectifs de la santé publique doit être de développer la prévention, et celle-ci pourrait être financée autrement.

Mme Michèle Victory. Je pense que nous aurions pu faire un premier pas ce soir ; la navette parlementaire aurait ensuite permis d’amender le texte et de le faire évoluer.

Nous avons entendu les mêmes chiffres s’agissant de la légalisation au Canada, mais nous choisissons ceux que nous voulons citer. Alors certes, la consommation a un peu augmenté – sans pour autant exploser –, mais on a récupéré plus de 55 % du marché noir, ce qui n’est pas rien ! Une chose est certaine, la prohibition ne fonctionne pas aujourd’hui, et il faut bien voir qu’elle n’a jamais atteint ses objectifs par le passé. Quant à la filière, elle est quasi prête. Sur le terrain, je rencontre beaucoup d’agriculteurs, des industriels, le syndicat du chanvre qui n’attendent qu’une chose : démarrer. Enfin, permettez-moi de souligner que le cannabis tue quand même beaucoup moins que la cigarette et l’alcool !

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le moment n’est pas venu de légiférer en la matière. Non seulement une mission d’information consacrée à cette question doit rendre prochainement ses conclusions, mais un débat approfondi paraît nécessaire. Néanmoins, nous aurions pu, par respect pour le travail du rapporteur, dont la position a évolué au fil des auditions, et des personnes qu’il a entendues, examiner l’ensemble de ses amendements ainsi que ceux de M. Coquerel ; je regrette que cela n’ait pas été possible.

Mme Frédérique Dumas. Le débat a été positif. Il en ressort que beaucoup d’interventions sont allées dans le sens de la légalisation. Si j’y suis, pour ma part, favorable, je suis néanmoins consciente, pour avoir un fils qui a souffert d’une addiction assez forte pendant près d’un an, des problèmes que peut poser le cannabis en la matière. Certes, il est interdit, mais on en trouve partout ! Penser que la politique actuelle permettra de résoudre les problèmes de santé publique est une aberration. Il faut légaliser pour pouvoir réguler et contrôler.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Tous les articles de la proposition de loi et les amendements portant articles additionnels ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté.

M. le rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat, malgré l’heure tardive. Il est vrai qu’il intervient après l’examen de la proposition de loi de M. Falorni. Sans doute aurait-il pu, du reste, se dérouler dans le même état d’esprit car, en nous saisissant de la question de la légalisation du cannabis, nous aurions également répondu aux attentes des Français.

Le dispositif que je vous ai présenté date, certes, de juillet 2019, mais les auditions que j’ai réalisées m’ont inspiré, de même que la mission d’information commune et les diverses réflexions menées sur le sujet, les amendements que j’avais déposés ; le groupe La France insoumise avait également des propositions à faire. Ainsi aurions-nous pu poser les fondements d’un édifice dont la construction sera longue. Tel n’a pas été le cas, et je le regrette vivement. Ces travaux représentent néanmoins une matière disponible pour l’avenir. L’enjeu est important : tout retard pris dans ce domaine est dommageable à la santé publique. Nos concitoyens sont face à un danger, et nous savons quelle direction suivre pour les en prémunir. Encore une fois, je regrette que nous n’ayons pas pris cette direction ce soir.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Le débat fut, en tout cas, très intéressant. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, ainsi que ceux de nos collègues qui y ont participé.

 

*

*     *

Tous les articles de la proposition de loi et les amendements portant articles additionnels ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.


—  1  —

   ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 (Par ordre chronologique)

            Terra Nova – M. Mathieu Zagrodzki, auteur du rapport « Cannabis : pour une autre stratégie policière et pénale » (octobre 2020)

            Addictions France – M. Bernard Basset, président, et Mme Myriam Savy, responsable du pôle communication, animation associative, plaidoyer 

            Conseil d'analyse économique – Mme Emmanuelle Auriol et M. Pierre-Yves Geoffard, auteurs de la note « Cannabis : comment reprendre le contrôle » (juin 2019)

            M. Christian Ben Lakhdar, auteur du livre « Addicts ‑ Les drogues et nous » et co-auteur de la note « Cannabis : réguler le marché pour sortir de l'impasse » pour Terra Nova, chercheur dans le domaine des conduites addictives, marchés des drogues, réduction des dommages

 

 

 

 

 


 

 


—  1  —

   Annexe 2 : liste des textes susceptibles D’être abrogÉs ou modifiÉs À L’occasion de l’EXAMEN  DE LA PROPOSITION DE LOI

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d'article

1

Code de la santé publique

Titre III du livre IV de la troisième partie [nouveau]

 


([1]) National Academies of Sciences, Engineering and Medicine (2017) : The Health Effects of Cannabis and Cannabinoids : The Current State of Evidence and Recommendations for Research.

([2]) Roques B.P. (1999) : La dangerosité des drogues, Rapport au secrétariat d’État à la Santé, Odile Jacob. Pour plus d’informations, voir Fize (2019), op. cit.

([3]) Amrous N. (2016) : « Les infractions à la législation sur les stupéfiants entre 1990 et 2010 », Grand angle Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, n° 38, mars.

([4]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Drogues, chiffres clés 8ème édition, juin 2019.

([5]) A. C. M. Jansen, The Economics of cannabis-cultivation in Europe (2002), via C. Ben Lakhdar & D. Weinberger, Du marché du cannabis au marché du THC en France. Implications pour le système d’offre et les politiques de lutte contre les trafics illicites de stupéfiants, Revue Française de Socio-Économie (2011).

([6]) Observatoire européen des drogues et toxicomanie, Rapport européen des drogues sur les drogues, tendances et évolutions (2019).

([7]) OFDT, Les consommations de drogues en Europe parmi les élèves de 16 ans. Résultats de l’enquête European School Survey Project on Alcohol and other Drugs 2019 (ESPAD).

([8])  http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10595901_6064c454d35de.commission-des-affaires-sociales--droit-a-une-fin-de-vie-libre-et-choisie-suite--legalisation-co-31-mars-2021