N° 4049

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant la ratification de l’accord de partenariat stratégique
entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part,
et le Japon, d’autre part,

PAR Mme Sandra BOËLLE

Députée

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 Voir le numéro : 3597.

 

 

 


 

 

 


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SOMMAIRE

Pages

introduction

I. un accord qui vient couronner le partenariat stratégique existant entre l’union européenne et le japon

A. l’accord de partenariat stratégique pourra renforcer la relation bilatérale entre l’union européenne et le japon tout en s’inscrivant dans la politique régionale européenne en asie

1. L’Union européenne et le Japon bénéficient déjà d’une relation bilatérale riche et dense

2. L’accord de partenariat stratégique s’inscrit dans le cadre de la politique régionale de l’Union européenne en Asie et dans l’Indopacifique

B. Un accord de partenariat qui sera également favorable à l’approfondissement de la relation bilatérale franco-japonaise

C. l’accord de partenariat stratégique doit être distingué de l’accord de partenariat économique, signé à la même date

II. l’accord de partenariat stratégique fournit un cadre juridique contraignant aux relations bilatérales entre l’union européenne et le japon et pourra faciliter les coopérations futures

A. OBJECTIFS DE L’ACCORD ET VALEURS PARTAGées

B. DIALOGUE POLITIQUE ET DE SéCURITE

C. POLITIQUE DE DéVELOPPEMENT ET ACTION HUMANITAIRE

D. coopération économique, financière, sociale et fiscale

E. CLIMAT ET ENVIRONNEMENT

F. COOPéRATION éDUCATIVE, culturelle et scientifique

G. SéCURITé ET COOPéRATION JUDICIAIRE

H. autres thématiques

I. cadre institutionnel et dispositions finales

Examen en commission

annexes

Annexe n° 1 : texte adopté par la commission

Annexe n° 2 : liste des personnes auditionnées par la rapporteure

ANNEXE N°3 : liste des accords sectoriels bilatéraux entre l’union européenne et le japon

annexe n°4 : Liste des principaux accords bilatéraux entre la France et le Japon

 


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   introduction

La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres et le Japon, signé le 17 juillet 2018, en même temps que l’accord de partenariat économique entre l’Union européenne et le Japon entré en vigueur le 1er février 2019.

L’accord de partenariat s’inscrit ainsi dans une dynamique de renforcement et de consolidation d’une relation bilatérale déjà riche et dense. Il vient remplacer le plan d’action conjoint adopté entre l’Union européenne et le Japon en 2001. Il couvre un grand nombre de domaines et se présente comme un accord facilitateur pour les coopérations futures. L’Union européenne et le Japon ont manifesté un intérêt particulier pour des domaines tels que la sécurité et la défense, le climat et l’environnement, ou encore la connectivité, qui a déjà fait l’objet d’un autre accord de partenariat sectoriel, scellé en 2019.

Pour l’Union européenne, la conclusion de cet accord – similaire dans sa structure à d’autres accords de coopération ou de partenariat signés avec des pays d’Asie Pacifique ces dernières années – s’inscrit pleinement dans l’affirmation de sa politique régionale asiatique, qui pourrait donner lieu très prochainement à l’adoption d’une stratégie européenne pour l’indopacifique. Pour la France, dont l’approche vis-à-vis du Japon est très proche de l’approche portée au niveau européen, l’accord de partenariat stratégique sera aussi de nature à renforcer une relation bilatérale solide et dynamique. Au plan régional, la France, seul État membre de l’Union européenne à être présent activement dans le Pacifique et premier à s’être doté d’une stratégique indopacifique, apparaît par ailleurs comme une force d’impulsion pour l’adoption d’une telle stratégie au plan européen.

 

 


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I.   un accord qui vient couronner le partenariat stratégique existant entre l’union européenne et le japon

A.   l’accord de partenariat stratégique pourra renforcer la relation bilatérale entre l’union européenne et le japon tout en s’inscrivant dans la politique régionale européenne en asie

1.   L’Union européenne et le Japon bénéficient déjà d’une relation bilatérale riche et dense

L’accord de partenariat stratégique (APS) signé entre l’Union européenne et le Japon le 17 juillet 2018 vise à donner un cadre global à une relation bilatérale dense et vaste, en permettant un renouvellement du cadre juridique qui se trouvera ainsi rehaussé. Comme l’a souligné en audition l’actuel ambassadeur du Japon en France, Son Excellence M. Ihara, le partenariat qui lie le Japon à l’Union européenne est déjà « très mûr et très riche » et l’accord de partenariat stratégique invite les parties à renforcer l’existant.

Ainsi, un sommet annuel a lieu chaque année entre les dirigeants japonais et européens, la dernière rencontre ayant pris la forme d’une visioconférence, le 26 mai 2020, réunissant le Président du Conseil européen, Charles Michel, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ainsi que le Premier ministre japonais, Shinzo Abe. Cette visioconférence a permis d’entretenir la dynamique du partenariat stratégique UE-Japon et s’est concentrée sur la thématique de la lutte contre la covid-19 et ses conséquences économiques et sociales. Le communiqué de presse conjoint fait mention de la coordination globale dans les instances internationales (G7, G20, Nations unies) et de nombreux autres sujets tels que le renforcement des capacités de préparation, de réaction et de partage de l’information, la coopération pour le développement d’un vaccin comme bien commun et de manière globale la coopération en matière de recherche sur la santé, la nécessité d’une reprise économique robuste et plus soutenable, inclusive et résiliente, l’assistance aux pays tiers ou encore les conséquences géopolitiques de la crise. Outre ces thématiques liées au covid-19, le renforcement de la coordination pour résoudre les crises régionales dans le cadre du droit international (Est de l’Ukraine, Afghanistan, Corée du Nord, mers de Chine méridionale et de l’Est, Libye, Syrie, Sahel) a également été abordé.

Les dirigeants européens et japonais sont convenus de tenir le 27ème sommet UE-Japon dès que les conditions sanitaires le permettront – idéalement au printemps 2021 – afin de renforcer la coopération dans les domaines de la connectivité, des sujets environnementaux d’intérêt commun, du climat, de la transformation digitale, de la recherche et innovation, de la santé, de l’énergie, du commerce, de la sécurité et la défense, des transports et de la politique urbaine. La thématique de l’Indopacifique devrait également s’intégrer dans ces priorités, à la suite de l’échange sur ce sujet entre les ministres européens des affaires étrangères et leur homologue japonais, Toshimitsu Motegi, lors du Conseil Affaires étrangères du 25 janvier dernier (voir infra).

L’accord de partenariat stratégique peut ainsi se définir comme un accord « facilitateur », qui ne remet aucunement en cause les accords bilatéraux déjà entrés en vigueur (voir liste en annexe) et vise à favoriser la conclusion de nouveaux instruments juridiques bilatéraux et de projets concrets de coopération entre les parties (voir infra). L’APS, qui couvre un nombre important de domaines, allant de la sécurité à la culture en passant par le climat, est similaire dans sa structure à d’autres accords globaux conclus récemment par l’Union européenne avec d’autres pays de la zone Asie Pacifique, tels l’accord-cadre entre l’Union européenne et la Corée du Sud (2010), l’accord de partenariat sur les relations et la coopération entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande (2016) ou l’accord-cadre entre l’Union européenne et l’Australie (2017). À la différence des accords conclus avec l’Australie et avec la Nouvelle-Zélande, l’APS accorde toutefois une place réduite aux questions économiques et commerciales, qui sont couvertes par l’accord de partenariat économique (APE) conclu en parallèle et signé à la même date.

Le partenariat sur la connectivité durable
et les infrastructures de qualité

Le 27 septembre 2019, en marge du Forum européen sur la connectivité, l’Union européenne et le Japon ont signé un partenariat sur la connectivité durable et les infrastructures de qualité, faisant suite aux sommets UE-Japon de 2018 et de 2019 et à l’adoption de la stratégie européenne de connectivité Europe-Asie à l’automne 2018. L’Union européenne et la France avaient par ailleurs soutenu l’adoption, sous présidence japonaise, des principes du G20 sur la qualité des investissements dans les infrastructures.

Le partenariat signé avec le Japon est le premier à avoir été conclu avec un pays tiers depuis l’adoption de la stratégie de connectivité Europe-Asie, qui vise notamment à répondre à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie en proposant une autre approche de la connectivité, notion qui renvoie à la construction d’infrastructures (routes, ponts, chemins de fer, etc.) mais aussi à d’autres formes de liens tels que le commerce ou l’éducation. Il s’agit de proposer, en partenariat avec des pays affinitaires, une approche de la connectivité basée sur des normes et valeurs portées par l’Union européenne. Or la région indopacifique a vocation à occuper une place particulière dans la mise en œuvre de cette stratégie. Si le parnenariat signé avec le Japon doit encore trouver une concrétisation, en identifiant des projets qui pourront être cofinancés, il s’agit d’une bonne illustration du type de coopérations qui pourront être facilitées par l’entrée en vigueur de l’accord de partenariat stratégique.

L’accord de partenariat stratégique a vocation à remplacer le « plan d’action conjoint » adopté en 2001 entre l’Union européenne et le Japon. Ce plan visait à ce que les parties coordonnent leurs actions et développent des initiatives concrètes dans quatre grands domaines : la promotion de la paix et de la sécurité, le renforcement du partenariat économique et commercial, l’adaptation aux défis mondiaux et sociétaux et le rapprochement des peuples et des cultures. La relation économique s’en est trouvée renforcée, notamment à travers la mise en œuvre d’un accord de reconnaissance mutuelle signé en 2010 et visant à alléger les contrôles de marchandises exportées et importées. Les échanges et coordinations sur les sujets de politique étrangère régionaux et globaux se sont intensifiés, de même que les coopérations sectorielles, avec par exemple la signature d’un accord sur la coopération en matière de science et de technologie (2009). L’accord de partenariat stratégique est à la fois plus large que le plan d’action – notamment en intégrant de nouveaux secteurs de coopération tels que l’espace (article 16), les technologies de l’information et de la communication (article 21) ou encore la politique industrielle (article 17) et la recherche et l’innovation (article 14) – et plus engageant dans la mesure où il est contraignant juridiquement, à l’inverse du plan d’action.

L’APS doit ainsi permettre de conférer une nouvelle dimension au partenariat nippo-européen, qui a été rehaussé dès 2003 au rang de « partenariat stratégique ». En plus d’élargir le champ de la coopération et de l’ancrer dans le droit, l’accord réaffirme les valeurs partagées par le Japon et l’Union européenne, telles que les droits de l’Homme, la démocratie et l’État de droit, que les parties s’engagent à défendre (article 2). En audition, l’ambassadeur du Japon en France Son Excellence M. Ihara a insisté sur l’importance de cet aspect du partenariat nippo-européen, qui prend une dimension particulière à l’heure où ces mêmes valeurs apparaissent menacées partout dans le monde.

La signature de l’accord s’inscrit dans une dynamique d’approfondissement de la relation bilatérale, qui avait d’abord été orientée vers les questions économiques. Il répond à des évolutions tant du côté européen que du côté japonais.  

D’une part, le Japon s’est engagé depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir du précédent Premier ministre Shinzo Abe – remplacé en 2020 par Yoshihide Suga, issu de la même formation politique, le parti libéral démocrate, au pouvoir au Japon de façon quasi continue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ([1])  – dans une nouvelle approche, plus « proactive ». Pour la spécialiste du Japon Céline Pajon, « déterminé à replacer le Japon sur l’échiquier international, Shinzo Abe a doté le pays d’une grande vision et des moyens pour la mettre en œuvre », tels que la Stratégie de sécurité nationale adoptée pour la première en 2013 et prônant un « pacifisme actif dans le monde ». Surtout, le gouvernement Abe a été à l’origine d’une stratégie de promotion de « l’Indopacifique » libre et ouvert (Free and Open Indo-Pacific – FOIP), repris ensuite par l’administration Trump et visant à faire « contrepoids » ([2]) à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie (voir infra). Or, a fortiori dans un contexte marqué par une forte rivalité sino-américaine, associée à l’unilatéralisme du président Trump et à la montée en puissance de la Chine, le renouveau diplomatique japonais s’est traduit par une volonté de diversification des partenariats internationaux. Si l’arrivée au pouvoir de Joe Biden a été l’occasion de réaffirmer le caractère privilégié de la relation bilatérale entre le Japon et les États-Unis – ce qui vaut tout particulièrement en matière de sécurité et de défense – en faisant du Premier ministre Suga le premier chef de gouvernement qui sera accueilli par le Président américain ([3]), l’intérêt du Japon pour ses alliés européens (la France mais aussi l’Allemagne ou le Royaume-Uni) reste entier.

Du côté de l’Union européenne, la signature de cet accord manifeste la prise de conscience progressive de ses intérêts en Asie, symbolisés par la reconnaissance d’un « lien direct entre la prospérité en Europe et la sécurité en Asie » et l’ambition européenne « d’approfondir la diplomatie économique et d’élargir son rôle concernant la sécurité en Asie » inscrites dans la Stratégie globale de l’Union européenne de 2016 ([4]). Pour l’Union européenne, il s’agit de faire évoluer son image auprès de ses partenaires asiatiques, qui la perçoivent encore parfois exclusivement sous l’angle économique et commercial ou de l’aide au développement. Comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi, le présent accord vise ainsi à « affirmer le rôle de l’Union européenne en tant qu’acteur crédible et efficace sur les enjeux de sécurité traditionnels et non-traditionnels en Asie, en prévoyant l’approfondissement des échanges avec le Japon sur les sujets politiques et de sécurité d’intérêts communs ». Conformément à la volonté des parties, les questions de sécurité et de défense occupent ainsi une place particulière dans l’accord de partenariat stratégique.

2.   L’accord de partenariat stratégique s’inscrit dans le cadre de la politique régionale de l’Union européenne en Asie et dans l’Indopacifique

L’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Japon s’inscrit dans le cadre plus global de la politique régionale de l’Union européenne dans la zone Asie-Pacifique, à l’heure où cette région suscite l’intérêt d’autres puissances, à commencer par les États-Unis, tandis que le Royaume-Uni a présenté en mars 2021 sa « Revue stratégique en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère », qui sous le slogan « Global Britain » et dans la continuité du Brexit, cherche à enclencher un « basculement vers la zone indopacifique », qui devient « progressivement le centre géopolitique et économique du monde » ([5]).

La politique régionale de l’Union européenne dans la zone Asie-Pacifique vise tout d’abord à renforcer son action sur les enjeux politiques et de sécurité, à travers la mise en avant de sa plus-value sécuritaire par rapport aux acteurs régionaux dans le domaine de la sécurité dite non traditionnelle, telles que la lutte contre les catastrophes naturelles, la sécurité maritime ou encore la lutte contre le terrorisme. Elle a également pour but de contribuer au développement des échanges économiques, en tant que premier investisseur dans la région, et de promouvoir les droits de l’Homme. Dans ce contexte, l’Union européenne a conclu une série d’accords de coopération avec des pays de la région : Corée du Sud, Indonésie, Mongolie, Philippines, Vietnam (en vigueur), Australie, Singapour, Nouvelle Zélande (en cours de ratification). Par ailleurs, des négociations sont en cours avec Brunei, la Malaisie et la Thaïlande.

Dans le contexte de l’aggravation des tensions entre la Chine et les États-Unis, les pays d’Asie-Océanie sont à la recherche de puissances médiatrices, offrant à l’Union européenne une fenêtre d’opportunité pour devenir un acteur à la fois crédible, bienveillant et incontournable aux yeux de ses partenaires. Cela implique de donner une cohérence d’ensemble à l’action de l’UE dans la région, qui s’appuie sur le renforcement des relations bilatérales avec ses partenaires, dont ses cinq partenaires stratégiques (la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde  et l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est, l’ASEAN ([6])) et sur un engagement au sein des instances multilatérales régionales.

Pour l’Union européenne, le Japon apparaît comme un partenaire privilégié sur lequel s’appuyer pour développer sa politique régionale dans l’Indopacifique. Lors du Conseil Affaires étrangères du 25 janvier 2021, auquel le ministre japonais des affaires étrangères Toshimitsu Motegi a été invité à participer, celui-ci a présenté les trois piliers de la stratégie japonaise pour un espace indopacifique libre et ouvert (Free and Open Indopacific, FOIP) en mettant en avant le potentiel de la coopération bilatérale nippo-européenne sur chacun d’entre eux :

-         Promotion de la démocratie, des droits de l’Homme, de l’État de droit et du libre-échange ;

-         Prospérité économique et connectivité (via la mise en œuvre de l’accord bilatéral sur la connectivité durable) ;

-         Paix, sécurité et stabilité, avec une attention particulière pour la sécurité maritime ([7]), via la mise en œuvre de projets conjoints de renforcement des capacités des pays en développement.

Ces différents piliers, relayés par l’accord de partenariat stratégique, manifestent une importante convergence de vues entre le Japon et les États membres de l’Union européenne sur l’Indopacifique, de nature à favoriser les coopérations et à renforcer les relations bilatérales. À ce jour, la stratégie européenne pour l’Indopacifique reste en cours d’élaboration, et certains États – dont la France, qui est depuis le Brexit le seul État membre à être présent dans la zone ([8]) – cherchent à donner une impulsion pour progresser sur ce sujet. La France, à l’instar de l’Allemagne ([9]) et des Pays-Bas, a ainsi d’ores et déjà présenté sa stratégie nationale pour l’Indopacifique (voir infra), mais les priorités de l’approche européenne doivent encore être arrêtées. Comme l’a souligné en audition M. Stéphane Dupuis, secrétaire général adjoint aux affaires européennes, la définition de cette stratégie soulève des enjeux de souveraineté pour l’Union européenne.

Pour le Japon, l’espace indopacifique libre et ouvert est un concept « ouvert et inclusif » invitant à la coopération entre pays partenaires partageant la même vision, « sans exclure aucun pays de ce partenariat » ([10]). Ainsi, la coopération avec l’Europe et avec ses États membres n’est en rien exclusive du partenariat existant avec d’autres pays. Cela vaut notamment pour l’alliance formée en 2007 avec l’Australie, les États-Unis et l’Inde, le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité ou Quad (Quadrilateral Security Dialogue), qui permet de relayer la vision d’un Indopacifique libre et ouvert et dans le cadre duquel des manœuvres navales tactiques conjointes ont eu lieu en 2020, après un premier essai en 2007. Le 12 mars dernier a ainsi eu lieu la première rencontre en format Quad de l’administration Biden. À plusieurs égards, ce sommet virtuel a souligné l’importance accordée à la région par le nouveau président américain :  première édition du Quad au niveau chefs d’État et de gouvernement, publication pour la première fois d’un communiqué conjoint à l’issue de la réunion, convocation du sommet avant la première rencontre en personne entre autorités américaines et autorités chinoises, le 18 mars à Anchorage (Alaska).

Par ailleurs, les États-Unis sont également un partenaire important de l’Union européenne dans l’Indopacifique. La communication conjointe sur le nouvel agenda transatlantique, publiée le 2 décembre 2020, qui souligne les opportunités accrues de coopération avec nos partenaires dans l’Indopacifique, reconnaît ainsi le caractère essentiel d’une coopération étroite avec les États-Unis pour aligner nos objectifs stratégiques et soutenir les progrès des démocraties dans la région.

Sur différents sujets, l’Union européenne comme le Japon entretiennent également une importante coopération avec la Chine. Pour rappel, le cadre des relations de l’Union européenne avec la Chine repose sur la stratégie de 2016 et la communication conjointe de mars 2019, cette dernière caractérisant la Chine comme un partenaire de coopération, un partenaire de négociation, un concurrent économique à la recherche du leadership technologique ou comme un rival systémique promouvant des modèles alternatifs de gouvernance.

B.   Un accord de partenariat qui sera également favorable à l’approfondissement de la relation bilatérale franco-japonaise

Si l’accord de partenariat stratégique a été conclu entre le Japon et l’Union européenne, son entrée en vigueur permettra aussi de renforcer la relation bilatérale qui lie le Japon à la France. Comme l’ont souligné en audition les représentants du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, il existe un très fort alignement de l’approche européenne et de l’approche française vis-à-vis du Japon. L’entrée en vigueur de l’accord aura ainsi une portée globale, en apportant un cadre juridique et des canaux de communication stables aptes à faciliter la coopération, et aura une valeur particulière dans certains domaines identifiés comme prioritaires pour le renforcement de la relation bilatérale, tels que la sécurité et la défense.

La relation franco-japonaise se fonde sur des liens anciens, une adhésion à des valeurs communes (démocratie, État de droit, libertés fondamentales, résolution des conflits par le dialogue) et des intérêts convergents (voir en annexe la liste des principaux accords bilatéraux). Ces dernières années, elle a été marquée par la densification des cadres de dialogue politiques et sectoriels et une coordination croissante dans les enceintes multilatérales. Elle se caractérise également par l’ambition de renforcer la coopération de sécurité et de défense, et de développer des projets concrets dans l’espace indopacifique, dans les domaines de l’environnement, des infrastructures, de la sécurité maritime et de la santé.

Le Japon est un partenaire stratégique de la France depuis 1995. Ce partenariat a été élevé au rang de « Partenariat d’exception » à l’occasion de la visite d’État du Président de la République François Hollande au Japon en juin 2013. Cette notion traduit la spécificité et la profondeur des liens entre les deux pays et la volonté partagée de donner une nouvelle impulsion politique en faveur de leur renforcement, dans tous les domaines. Comme l’ont souligné en audition Mme Guibourg Delamotte et Mme Karoline Postel-Vinay, chercheures et spécialistes du Japon, le renforcement de la relation bilatérale franco-japonaise s’explique notamment par un changement de regard côté français, la France s’étant « redécouverte » puissance du Pacifique et ayant fait évoluer son analyse de la Chine et de sa puissance régionale.

Le partenariat d’exception prend appui sur une « feuille de route pour la coopération franco-japonaise (2019-2023) », qui fixe, à cinq ans, les grands objectifs de coopération, par domaine. Il s’est accompagné d’un renforcement du dialogue bilatéral, avec la mise en place d’un sommet annuel entre chefs d’État et de gouvernement et un dialogue politico-militaire (dit « dialogue 2+2 ») au niveau des ministres en charge des affaires étrangères et de la défense, auxquels s’ajoutent d’autres cadres préexistants tels que le dialogue stratégique des ministres des affaires étrangères ou dialogue économique et financier des ministres de l’économie.

La feuille de route, adoptée à l’occasion de la visite du Président de la République au Japon les 26-27 juin 2019, fixe cinq priorités : le renforcement de la coopération dans l’espace indopacifique, l’approfondissement de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense, la promotion d’une gouvernance mondiale fondée sur le multilatéralisme pour répondre aux enjeux globaux, le développement d’un partenariat économique tourné vers l’innovation et la création d’une nouvelle dynamique en matière d’échanges humains.

Le développement de la coopération bilatérale dans l’Indopacifique est une composante majeure de la relation bilatérale. Le Japon est, au même titre que l’Australie ou l’Inde, un partenaire-clé pour la France dans cet espace. Les deux pays ont une vision convergente des enjeux régionaux, la France mettant l’accent sur la promotion d’un espace inclusif, d’équilibre et de diversité, et le Japon d’un ordre maritime fondé sur des règles, libre et ouvert. Depuis 2019, les deux pays renforcent leur coopération dans le cadre d’un « Partenariat franco-japonais pour l’Indopacifique », qui vise à développer des projets concrets en pays tiers autour de quatre piliers : la sécurité maritime ; le climat, l’environnement et la biodiversité ; les infrastructures de qualité ; la santé. La mise en œuvre de ce partenariat repose notamment sur :

-         un dialogue maritime global franco-japonais, dont la première édition s’est tenue le 20 septembre 2019 à Nouméa ;

-         un groupe de travail franco-japonais sur l’Indopacifique, coordonné au niveau des ministères des affaires étrangères, chargé de faciliter l’identification et le suivi de projets ;

-         un memorandum of cooperation « pour la coopération en pays tiers en Afrique et dans l’Indopacifique », conclu entre l’Agence française de développement (AFD) et son homologue japonais, la JICA, en juin 2019.

La stratégie indopacifique de la France

Après avoir annoncé l’ambition indopacifique de la France à Garden Island, la base navale de Sidney, le 3 mai 2018, le président de la République a précisé les grands axes de la politique indopacifique française à la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices de 2019.

Le président a précisé à cette occasion qu’il ne s’agissait pas de s’opposer à la Chine mais de soutenir un rééquilibrage géopolitique des partenariats dans la région, tout en réaffirmant l’importance de la liberté de circulation maritime et aérienne. Pour le chef de l’État, « il nous faut revisiter cette région d’abord en actant que nous sommes une puissance de celle-ci, mais en développant une alliance si je puis dire complémentaire, non confrontationnelle mais complémentaire de cette relation avec la Chine par cet axe indopacifique (…) nos partenaires sont l’Inde, l’Australie, le Japon, l’Indonésie, Singapour sur ce sujet, chacun sur des axes différents selon des logiques qui sont complémentaires. »

Si le cœur de cette stratégie est d’abord militaire et s’accompagne d’une stratégie de défense française en Indopacifique présentée par le ministère des armées (autour de quatre priorités : défendre l’intégrité de notre souveraineté et assurer la protection de nos ressortissants, territoires et zones économiques exclusives ; contribuer à la sécurité des espaces régionaux autour de nos départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (DROM-COM) par la promotion de coopérations militaires et de sécurité ; préserver, avec nos partenaires, un accès libre et ouvert aux espaces communs et assurer la sécurité des voies de communication maritimes ; participer au maintien de la stabilité stratégique par une action globale fondée sur le multilatéralisme afin de protéger les intérêts européens, notamment dans le domaine de la lutte contre la prolifération), la France souhaite aborder l’Indopacifique d’une façon plus englobante, en déclinant la stratégie indopacifique aux plans diplomatique, économique, climatique et technologique. La stratégie diplomatique pour l’Indopacifique présentée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères repose ainsi sur quatre principaux piliers :

- l’implication de notre pays dans le règlement des crises régionales, dans la sécurité des principales voies de navigation, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme, la radicalisation et la criminalité organisée ;

- le renforcement de nos partenariats avec les grands acteurs de la région avec lesquels nous partageons une communauté de valeurs et d’intérêts à l’instar de l’Inde, de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la Corée du Sud, de l’Indonésie ou de Singapour, tout en approfon­dissant notre relation avec la Chine ;

- une mobilisation renforcée auprès des organisations régionales, au premier rang desquelles l’ASEAN ;

- un engagement déterminé pour la promotion des biens communs mondiaux – le climat, l’environnement et la biodiversité, mais aussi la santé, l’éducation, le numérique et les infrastructures de qualité – tout cela en appui d’un engagement accru de l’Union européenne dans la région comme acteur de développement durable et de stabilité, notamment dans le cadre de sa stratégie de connectivité avec l’Asie.

 

Les prochaines échéances bilatérales et la perspective des Jeux olympiques d’été de Tokyo en 2021 seront l’occasion de renforcer nos échanges dans tous les domaines. La coopération dans le cadre de la préparation des JO s’appuie sur la feuille de route sur la coopération franco-japonaise, un accord signé entre l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) et le Japan Sport Council, un mémorandum signé entre Tokyo 2020 et Paris 2024, et la déclaration d’intention de coopération dans le domaine du sport entre les deux ministères en charge du sport. Elle encourage non seulement les échanges entre les fédérations sportives, mais aussi les échanges d’informations et de connaissances dans le domaine du sport. À noter que la relation bilatérale franco-japonaise a déjà été marquée sur la période récente par un exercice de coordination étroit dans le cadre de la préparation du G20 d’Osaka et du G7 de Biarritz, qui ont eu lieu à quelques semaines d’intervalle en juin et août 2019. Ce cadre de coopération avait notamment été l’occasion d’aborder le sujet de l’égalité entre hommes et femmes, qui était l’une des priorités du G7 de Biarritz et sur lequel notre coopération bilatérale rencontre quelques difficultés à prendre forme malgré des initiatives côté français.

 

D’autre part, la culture constitue un domaine très dynamique de coopération bilatérale entre la France et le Japon, marqué par des échanges riches dans plusieurs secteurs (création artistique, patrimoines, cinéma, etc.). En outre, la saison de la France au Japon doit avoir lieu entre octobre 2021 et 2022, suite au succès rencontré par l’opération « Japonismes 2018 », temps fort du 160ème anniversaire des relations diplomatiques bilatérales. La saison de la France au Japon aura pour but de densifier et d’enrichir notre relation culturelle, valoriser notre expertise culturelle et faciliter l’accès de nos industries culturelles et créatives à certains secteurs et marchés fermés ou difficiles à pénétrer, renouveler l’imaginaire de la France et diversifier nos publics, en ciblant notamment la jeunesse et en valorisant nos pôles d’excellence et notre capacité́ d’innovation et enfin développer de nouveaux partenariats dans une perspective durable.

En matière de sécurité et de défense, la coopération avec Tokyo s’est renforcée ces dernières années. Elle s’inscrit dans un schéma global qui vise à mieux valoriser notre présence militaire dans le Pacifique et à encourager le Japon à contribuer davantage aux efforts internationaux en matière de sécurité (surveillance maritime, maintien de la paix). Elle vise aussi à pénétrer le marché japonais des équipements de défense en faisant valoir l’intérêt pour le Japon, très dépendant des États-Unis, de diversifier ses approvisionnements et de développer des projets industriels conjoints. Notre statut de puissance du Pacifique dans le contexte des craintes du Japon face à la montée en puissance de la Chine doit nous permettre de renforcer l’attractivité de la France en tant que partenaire dans le domaine de la défense.  Un accord de soutien logistique mutuel (Acquisition and Cross-servicing Agreement ACSA) a été signé le 13 juillet 2018 et est entré en vigueur le 26 juin 2019. Le groupe aéronaval constitué autour du Charles de Gaulle a effectué un exercice conjoint inédit avec le Japon à l’occasion de son déploiement dans l’océan Indien en mai 2019, tandis qu’un accord bilatéral de statut des forces à l’étranger (Status of Forces Agreement SOFA) est en cours de négociation. En matière de cyber-sécurité, la dernière édition du dialogue instauré depuis 2014 a eu lieu à Rennes, le 12 juillet 2019. La coopération dans le domaine spatial se renforce également avec la signature de deux accords sur la surveillance de l’espace en mars 2017.

Sur le plan économique, le Japon est, avec 18 milliards d’euros d’échanges bilatéraux en 2019, le deuxième partenaire commercial de la France en Asie après la Chine et compte parmi les pays prioritaires pour les exportations françaises. Les échanges bilatéraux se caractérisent côté français par une forte concentration des importations, deux postes (équipements et transport) représentant 70 % du total, tandis que les exportations sont plus diversifiées (agro-alimentaire, matériels de transport, équipements, de produits pharmaceutiques et produits chimiques). La France n’est toutefois que le 15ème fournisseur du pays, avec une part de marché de seulement 1,4 %.

C.   l’accord de partenariat stratégique doit être distingué de l’accord de partenariat économique, signé à la même date

Signés le même jour, le 17 juillet 2018, l’accord de partenariat stratégique et l’accord de partenariat économique (APE, parfois désigné sous l’acronyme anglais JEFTA pour Japan-EU free trade agreement) entre l’Union européenne et le Japon apparaissent comme les deux piliers d’une relation bilatérale rehaussée et renforcée mais doivent être distingués. Comme le souligne l’étude d’impact du présent projet de loi, les questions économiques et commerciales occupent une place relativement limitée dans l’accord de partenariat stratégique dans la mesure où elles sont abordées par l’APE.

Représentant près de 30 % du PIB mondial et 635 millions de consommateurs, l’APE est l’un des plus importants accords commerciaux au monde. Lors de son entrée en vigueur en 2019, c’est toutefois sa portée symbolique et stratégique qui a été mise en avant, face au protectionnisme de l’administration Trump et dans un contexte de tensions commerciales accrues entre les États-Unis et la Chine. En effet, la relation bilatérale équivaut à moins de 1 % du commerce international. En 2019, le Japon était le 7ème partenaire commercial de l’Union européenne et l’Union européenne était le 3ème partenaire commercial du Japon.

L’entrée en vigueur de cet accord, signé après quatre ans de négociations, devrait être mise à profit par l’Union européenne et par la France pour rééquilibrer les échanges commerciaux et renforcer l’attractivité de la région à l’égard des investisseurs japonais. En 2019, le déficit commercial de la France vis-à-vis du Japon s’élevait en effet à près de 3,5 milliards d’euros, soit le huitième déficit commercial à l’échelle mondiale, tandis que le déficit commercial européen s’élevait à environ 2 milliards d’euros, selon une tendance fortement baissière (il était de l’ordre de 18 milliards d’euros en 2009).

Si l’on s’intéresse aux services, c’est à l’inverse l’Union européenne qui affiche un excédent, de l’ordre de 13 milliards d’euros (données 2018). Les importations japonaises en Europe sont dominées par les machines, les véhicules à moteur, les produits chimiques, les instruments optiques et médicaux et le plastique. Les exportations européennes vers le Japon sont également marquées par ces secteurs, à l’exception du plastique et en ajoutant les produits agroalimentaires.

éTAT DES LIEUX DES éCHANGES COMMERCIAUX ENTRE L’Union européenne
et le JAPON AVANT L’ENTRéE EN VIGUEUR DE L’APE

Echanges commerciaux entre l'Union européenne et le Japon, qui ont signé mardi un vaste accord commercial

Sources : Commission européenne, AFP, France Culture

L’APE se présente comme le vecteur d’un partenariat commercial réciproque fondé sur une série de règles, et prévoyant une baisse des tarifs douaniers (pour les produits agricoles, industriels et pour la fourniture de services, sur une période plus ou moins étendue en fonction des produits) ([11]), une ouverture accrue des marchés publics japonais (notamment dans les domaines des services ferroviaires, des hôpitaux et de la distribution d’électricité, longtemps fermés), une protection d’appellations d’origines géographiques (205 indications géographiques protégées européennes ont été reconnues par le Japon), des dispositifs spécifiques pour les PME ainsi que des dispositions sur la croissance durable et le respect des normes.

À noter que si l’accord de partenariat économique ne contient aucune disposition sur la protection des investissements, des négociations – aujourd’hui à l’arrêt - ont été lancées en parallèle pour conclure un accord bilatéral à ce sujet ([12]). La conclusion d’un tel accord revêt une importance particulière pour la France et pour l’Union européenne, qui pâtissent d’un fort déséquilibre vis-à-vis du Japon en matière d’investissements directs à l’étranger (de l’ordre de 87 milliards d’euros au niveau européen en 2018 ; pour la France, le rapport est de l’ordre de 1 à 10).

La signature de l’accord de partenariat économique a pour l’instant eu un impact positif sur le commerce extérieur de la France avec le Japon (hausse significative des exportations de vins et de produits laitiers), même si sa mise en œuvre intégrale demeure un enjeu (présence résiduelle de barrières non tarifaires). Durant les dix premiers mois ayant suivi son entrée en vigueur, les exportations françaises au Japon (+18 %) ont surperformé les exportations européennes, quasi stables (6 %).  Les échanges commerciaux ont augmenté dans les deux sens et les effets de l’accord sont perçus de façon positive côté japonais. Par ailleurs, s’il s’agit du premier accord commercial de l’Union européenne à faire explicitement référence à l’accord de Paris sur le climat de 2015 – les parties s’engageant à coopérer pour sa mise en œuvre – il a pu faire l’objet de critiques de la part d’ONG et d’associations qui ont déploré un manque en matière de transparence et de protection environnementale ([13]).

Pour le Japon, la signature de l’APE s’inscrit dans le contexte d’une ouverture commerciale accrue, par rapport à une tradition beaucoup plus réservée en la matière. Le Japon a ainsi récemment signé l’accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership TPP), conclu le 4 février 2016 et devenu le Partenariat transpacifique global et progressiste suite au départ des États-Unis (2017). Entré en vigueur fin 2018, cet accord de libre-échange réunit dix pays d’Asie et d’Amérique. Le Japon a également conclu en septembre 2020 un accord commercial bilatéral avec le Royaume-Uni, quelques mois avec sa sortie effective de l’Union européenne. Surtout, le Japon compte parmi les pays signataires du Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership RCEP) aux côtés de 14 autres pays d’Asie-Pacifique ([14]). Représentant 30 % du PIB mondial et de plus de 2 milliards de consommateurs, cet accord, signé le 15 novembre 2020, a vocation à devenir, une fois entré en vigueur, le plus important accord de libre-échange dans le monde.

Comme l’a souligné en audition M. Franck Michelin, historien, si le moment est sans doute « propice » pour développer des « relations fructueuses avec le Japon », où l’on peut observer une forme de prise de conscience sur la période récente – au moins depuis la rupture brutale de la croissance en 1991 – en matière économique, le taux d’ouverture de l’économie reste faible (34 % en 2017 contre 63 % pour la France) et l’économie reste structurée par des grands groupes industriels et commerciaux soutenus par l’État, tout particulièrement dans des secteurs jugés stratégiques ou fragiles et où la pénétration de produits étrangers reste limitée.

II.   l’accord de partenariat stratégique fournit un cadre juridique contraignant aux relations bilatérales entre l’union européenne et le japon et pourra faciliter les coopérations futures

L’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Japon, signé le 17 juillet 2018 à l’occasion du 25ème sommet UE-Japon, se définit comme un accord-cadre juridiquement contraignant devant couvrir l’ensemble des domaines de la coopération sectorielle et réaffirmer des valeurs partagées. L’Union européenne et le Japon s’étaient accordés pour lancer un processus de négociations parallèles (accord de partenariat stratégique et accord de partenariat économique) en mai 2011, lors du 20ème sommet UE-Japon. Aucun désaccord majeur n’a été identifié au cours du processus de négociation du présent accord, qui se s’est déroulé durant treize cycles. Un accord de principe global a été annoncé en juillet 2017, et les discussions se sont ensuite poursuivies sur la question des clauses politiques et du champ de l’application provisoire de l’accord. Elles se sont clôturées le 25 avril 2018.

L’accord de partenariat stratégique est un accord mixte, qui relève pour partie de compétences exclusives de l’Union européenne (c’est le cas par exemple des articles 18 et 28, qui portent respectivement sur les douanes et sur la pêche) et pour partie – en majorité – de compétences partagées (au sens de l’article 4, paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ([15]).

Par ailleurs, plusieurs articles de l’accord établissent une coopération politique et de sécurité entre les parties qui, dans la mesure où ils seront mis en œuvre par l’Union, peut être rattachée à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). C’est le cas, au moins en partie, des articles 2 (démocratie, État de droit, droits de l’homme et libertés fondamentales), 3 (promotion de la paix et de la sécurité), 4 (gestion de crise), 5 (armes de destruction massive), 6 (armes conventionnelles), 7 (crimes graves de portée internationale et Cour pénale internationale), 8 (lutte contre le terrorisme), 9 (atténuation des risques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires), 10 (coopération internationale et régionale et réforme des Nations unies).

Diverses stipulations de l’accord relèvent de compétences dites « parallèles » entre l’Union et les États membres, c’est-à-dire que, en vertu de l’article 4, paragraphes 3 et 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions, sans que l’exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer la leur. C’est le cas, par exemple, des articles 11 (politique de développement), 12 (gestion des catastrophes et action humanitaire), 14 (science, technologie et innovation) ou 16 (espace extra-atmosphérique). Enfin, pour certains articles de l’accord, l’UE dispose d’une compétence pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres, notamment les articles 17 (coopération industrielle), 20 (tourisme), 40 (éducation, jeunesse et sport) ou 41 (culture).

Du point de vue de la France, plusieurs sujets apparaissent comme prioritaires :

-         la lutte contre le changement climatique et la préservation de l’environnement, dans un contexte où la mise en œuvre de l’accord de Paris  sur le climat constitue une priorité diplomatique ;

-         la sécurité et la défense, autour notamment de la stratégie indopacifique de la France ;

-         la connectivité, qui a déjà donné lieu à la signature d’un accord sectoriel de premier plan en septembre 2019 (voir supra).

A.   OBJECTIFS DE L’ACCORD ET VALEURS PARTAGées

De façon assez classique, l’article 1er de l’accord en énumère les principaux objectifs, parmi lesquels on trouve :

-         le renforcement du partenariat global entre les parties via la coopération politique et sectorielle et le développement d’actions conjointes sur les questions présentant un intérêt commun ;

-         l’apport d’un « fondement juridique durable » en vue du renforcement des coopérations bilatérales et au sein des organisations régionales et internationales ;

-         la contribution commune à la paix et à la stabilité internationales, en conformité avec les principes de justice et de droit international ;

-         la contribution à la promotion de valeurs et principes communs, à commencer par la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Ces valeurs fondamentales sont réaffirmées à l’article 2, qui prévoit notamment que les parties contribuent à leur promotion dans les enceintes internationales.

Sur ce point, il est important de souligner que l’accord de partenariat stratégique devra aussi apporter un cadre pour aborder d’éventuels points sensibles, parmi lesquels on trouve la question du statut des enfants binationaux qui peuvent se voir privés de leur parent européen en cas de séparation. Si cette situation vaut pour les parents japonais comme pour les parents étrangers ([16]) et s’explique par le droit national, qui ne reconnaît ni le droit de visite ni le partage de l’autorité parentale – au profit du maintien de la famille en tant que cellule unique – elle n’a pas évolué malgré la signature par le Japon dès 1994 de la convention de New-York sur le droit des enfants et plus récemment, en 2014, de la convention de La Haye sur les enlèvements internationaux d’enfants. Une résolution a été adoptée par le Parlement européen en juillet 2020 « sur l’enlèvement parental international et national d’enfants de l’Union européenne au Japon ([17]) ». L’Union européenne s’est engagée à réaliser un suivi du nombre de cas non résolus et à mettre à profit le partenariat stratégique avec le Japon pour obtenir des avancées sur ce sujet. Afin de garantir le droit parental de chaque individu et de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant à entretenir des relations avec ses deux parents, le Japon doit se conformer aux règles internationales en cas d’enlèvement d’enfant et doit garantir un droit de visite du parent étranger et de partage de l’autorité parentale.

Le respect des droits de l’Homme, au même titre que la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (article 5), est considéré comme un « élément essentiel », dont la « violation particulièrement grave et substantielle » (article 43) pourrait mener à la suspension de l’accord ou à la mise en œuvre d’autres mesures appropriées en conformité avec le droit international, telles que la suspension d’autres accords bilatéraux entre l’UE et le Japon.

B.   DIALOGUE POLITIQUE ET DE SéCURITE

Les premières thématiques à être abordées dans le détail par l’accord sont des questions d’ordre politique et liées à la sécurité.

L’article 3 revient ainsi sur la promotion de la paix et de la sécurité, et réaffirme l’importance d’un règlement des conflits par des moyens pacifiques et dans le cadre prévu par le droit international. L’article 4 porte quant à lui sur la gestion de crise et la consolidation de la paix, au niveau des enceintes internationales et en intervenant directement pour soutenir les efforts déployés nationalement par les pays sortant d’un conflit.

L’article 5 porte sur la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (ADM) et de leurs vecteurs. Cela doit notamment passer par la promotion du Traité de non-prolifération nucléaire (1968), ratifié par l’ensemble des États membres de l’Union européenne et par le Japon (en 1976), décrit comme « la pierre angulaire du régime mondial de non-prolifération nucléaire et la base de la promotion des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire ».

Pour le Japon, le nucléaire – militaire mais aussi civil (voir infra) – est une question qui revêt une importance particulière, pour de nombreuses raisons. Le Japon est en effet le seul pays à avoir connu sur son sol des bombardements atomiques, sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki (6 et 9 août 1945) à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a dix ans, le pays a été touché par la catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue le 11 mars 2011 suite aux effets combinés d’un séisme et d’un tsunami et classée au même degré de gravité que la catastrophe de Tchernobyl (1986) sur l’échelle internationale des évènements nucléaires (soit le niveau 7, niveau le plus élevé). Très présents dans la mémoire collective, ces catastrophes permettent de comprendre la forte opposition de la population à l’arme nucléaire. Pour autant, le Japon promeut une approche progressive et non prohibitive en la matière, cohérente avec celle de la France. En effet, la conscience d’être entouré de plusieurs pays dotés de l’arme nucléaire est réelle au Japon, et avec elle le fait de dépendre de l’arsenal militaire et de l’arme nucléaire américains pour sa protection. Pour rappel, le traité de coopération mutuelle et de sécurité avec les États-Unis (1951) demeure la clé de voûte de la sécurité japonaise (55 000 soldats américains sont présents sur le territoire), bien que le précédent Premier ministre Shinzo Abe ait initié une stratégie de diversification des partenariats dans le domaine de la défense (voir supra et infra).

Dès lors, si le Japon est pleinement engagé dans la lutte contre la non-prolifération et le désarmement nucléaires sur la scène internationale, en soumettant chaque année depuis 1994 à l’Assemblée générale des Nations unies une résolution sur le désarmement nucléaire (adoptée chaque année), en se montrant particulièrement actif au niveau de l’Initiative contre la prolifération et pour le désarmement (PSI, qui a pour objectif de lutter contre les transports illicites d’armes de destruction massive, de leurs vecteurs et des matériels connexes) ou en indiquant son soutien à la perspective d’une interdiction totale des essais nucléaires, les autorités ont également clairement indiqué que le Japon ne signerait pas le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) de 2017, dont l’approche – qui n’a pu associer aucun des pays dotés de l’arme nucléaire – n’a pas été jugée adéquate, et plus encore risquant de compromettre la sécurité du Japon vis-à-vis de la Chine et surtout de la Corée du Nord.

 

La menace nucléaire et balistique nord-coréenne

Depuis le début des années 1990, la menace balistique et nucléaire nord-coréenne s’est intensifiée. La Corée du Nord a déclaré en février 2005 avoir fabriqué des armes nucléaires et 6 essais nucléaires ont été effectués entre 2006 et 2017 (le tir lancé ayant alors survolé le Japon, pour la première fois depuis 2009). Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un en 2011, le régime a officialisé et renforcé sa position vis-vis des armes nucléaires. En 2012 la Constitution a été révisée pour désigner le pays comme « État doté d’armes nucléaires » et en 2013 une stratégie nationale indiquant les priorités techniques à suivre a été adoptée. Ces objectifs ont été officiellement réalisés (miniaturisation de la bombe en 2013, bombe thermonucléaire miniaturisée en 2016 et arme thermonucléaire multifonctionnelle pouvant équiper un missile balistique intercontinental (intercontinental ballistic missile, ICBM) en 2017).

Parallèlement la menace balistique s’accroit également, et inquiète particulièrement le Japon du fait de sa proximité géographique. Un premier test en mer du Japon a eu lieu en 1993, tandis qu’en 1998 un lanceur spatial Taepodong a survolé le Japon. En 2016 et 2017, Pyongyang a intensifié ses tirs de missiles balistiques (une vingtaine d’essais en 2017), tout en les diversifiant (missiles à portée intermédiaire et intercontinentale, missiles à propulsion solide dont le Pukguksong-1, missile mer-sol). Les sites de lancement se sont également multipliés. La stratégie du pays est désormais de développer ses capacités balistiques de précision et de courte portée (comme le montrent les récents tirs de missiles du 23 mars 2021), notamment pour les associer à terme à des armes nucléaires tactiques.

Les tentatives de la communauté internationale, bilatérales ou multilatérales visant au démantèlement complet, vérifiable et irréversible du programme nucléaire et des autres programmes d’armes de destruction massive, ont toutes échoué, bien qu’elles ont été nombreuses. Le pays s’est retiré en janvier 2003 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et le Conseil de sécurité des Nations unies a exigé de la Corée du Nord à plusieurs reprises qu’elle abandonne ses programmes nucléaire et balistique. Face au refus du pays, le Conseil a institué un régime de sanctions dès 2006 par la résolution 1718, étendu par d’autres résolutions par la suite. L’UE a également mis en place des sanctions à partir de 2006, renforcées régulièrement depuis.

Le Japon est directement menacé par les programmes nucléaire et balistique de la Corée du Nord, et appelle la communauté internationale à exercer une pression sur le pays pour un arrêt complet de ces derniers. Le rapprochement américano-nord-coréen de 2018 a été perçu comme une marginalisation du Japon par son allié sur un dossier qui l’affecte directement, le pays craignant à la fois un accord portant uniquement sur les missiles à longue portée, les IRBM (intermediate range ballistic missile) et les ICBM, et non sur l’ensemble de l’arsenal balistique nord-coréen, ainsi qu’un retrait des troupes américaines de Corée du Sud.

La Japon développe ainsi des initiatives diplomatiques vers d’autres acteurs pour assurer sa sécurité, tandis que la « relation » avec la Corée du Nord continue d’être marquée par l’enlèvement d’une vingtaine (selon les cas répertoriés) de ressortissants japonais par le régime nord-coréen, sans reconnaissance officielle de sa part.

Les sujets liés à la sécurité et à la défense sont également abordés par plusieurs autres articles de l’accord de partenariat stratégique, les parties s’engageant à renforcer leur coopération en matière de contrôle des transferts d’armes conventionnelles et des biens et technologies à double usage (article 6), de lutte contre le terrorisme (article 8), de prévention, de réduction et de contrôle des risques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (article 9) et sur les questions liées au cyberespace (article 36).  L’article 29, qui porte sur les affaires maritimes, s’inscrit pour partie dans la coopération sécuritaire, en ce qu’il permet aux parties de réaffirmer l’importance du respect du droit international en vigueur – à commencer par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 – et notamment du principe de liberté de navigation. Il engage également les parties à coopérer pour la gestion durable et pour une meilleure connaissance des ressources et écosystèmes des mers et océans.

L’article 37, qui porte sur l’utilisation des dossiers passagers mis au point pour lutter contre les actes de terrorisme et les crimes graves, peut être rapproché de l’article 8.

Il affirme également que l’usage de ces outils doit se faire dans le respect du droit à la protection de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, thématique qui fait l’objet à part entière de l’article 39. A ce sujet, on peut rappeler que la Commission européenne a adapté en 2019 une décision d’adéquation au Règlement général sur la protection des données (RGPD) concernant le Japon. En d’autres termes, la Commission a ainsi reconnu un niveau de protection des données personnelles adéquat aux normes fixées au niveau européen par le RGPD, également reconnu par la partie japonaise, réciproquement. Cette décision de reconnaissance, intervenue après que le Japon a mis à jour sa législation sur plusieurs points, peut favoriser les transferts de données entre les deux zones.

De façon générale, les thématiques de sécurité et de défense sont évoquées au sein des instances de dialogue créées par l’accord, et participent à la dynamique globale d’une coopération concrète accrue entre le Japon et l’Union européenne.  

En effet, le renforcement de la coopération dans ce domaine, qui fait partie des priorités européennes, pourra tout d’abord s’appuyer sur des coopérations existantes, telles que la coopération menée dans le cadre de l’opération Atalante. Cette opération, lancée en 2008, vise à lutter contre la piraterie au large de la Somalie et s’inscrit dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne. L’Union européenne cherche à favoriser l’association du Japon aux missions et opérations de la PSDC, idéalement via l’élaboration d’un accord-cadre de participation aux opérations de gestion de crise de la PSDC, en remplacement des coopérations ad hoc actuelles.

Sur ce point, l’approche du Japon en matière de sécurité et de défense doit être remise dans le contexte d’évolutions encore récentes. En effet, le mandat de Shinzo Abe a été marqué par une tentative de redéfinition profonde de la politique de défense japonaise, à tel point qu’on a pu parler de « doctrine Abe », le Premier ministre ayant aussi œuvré pour une évolution de la politique étrangère japonaise avec le concept d’Indopacifique « libre et ouvert » (voir supra). Tout en veillant à consolider les liens historiques avec les États-Unis, Abe a opéré en parallèle un renforcement inédit de la politique de sécurité et de défense nationale, en augmentant de manière continue le budget des forces d’autodéfense (45 Md € en 2020, + 14 % sur 8 ans), en créant un conseil de sécurité national et en dotant le pays d’un cadre juridique et institutionnel lui permettant de jouer un rôle plus actif sur la scène internationale. C’est dans ce contexte que s’est inscrit le vote le 19 septembre 2015 d’une loi de sécurité nationale étendant le périmètre d’intervention des Forces d’autodéfense (FAD) japonaises, qui permet aux FAD, en vertu d’une clause dite de légitime défense collective, de porter secours à des alliés n’importe où dans le monde et de mettre en place des actions militaires pour libérer des otages japonais. Sans modifier la Constitution de 1947 et son fameux article 9, en vertu duquel « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force (…) il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales ou aériennes, ou autre potentiel de guerre », Shinzo Abe est ainsi parvenu à en modifier pour partie l’interprétation. À noter que les FAD restent dans l’interdiction d’utiliser la force létale, mais que cela ne constitue pas un obstacle pour une participation aux missions ou opérations de la PSDC.

Si d’autres accommodements avec le texte de la Constitution avaient déjà été opérés, au moins depuis la signature du traité de coopération et de sécurité avec les États-Unis puis la création des FAD en 1954, en passant par la réforme de 1991 qui a permis aux FAD de participer aux opérations de maintien de la paix de l’ONU et jusqu’à la loi de lutte contre le terrorisme adoptée après les attentats du 11 septembre 2001 ([18]), l’approche d’Abe a ouvert une fenêtre d’opportunités pour la coopération en matière de défense et de sécurité, tournée vers les pays de la région Asie-Pacifique (Inde, Australie) mais aussi vers l’Union européenne ou le Royaume-Uni. Toutefois, toute évolution du Japon dans le domaine de la défense devra tenir compte de l’opinion publique, qui comme l’a rappelé en audition M. Franck Michelin reste fondamentalement non interventionniste. Pour l’historien, il devrait être difficile d’amener le Japon vers une politique de défense vigoureuse tant le blocage de l’opinion peut être fort sur ce sujet.

Les différents articles portant sur la sécurité et la défense s’accompagnent d’une volonté de coopération politique pour promouvoir la lutte contre l’impunité des crimes graves de portée internationale (article 9) et les objectifs du Statut de Rome, qui a permis la mise en place de la Cour pénale internationale (2002) et que tous les États membres de l’Union européenne ont ratifié, de même que le Japon (en 2007). L’article 10 porte quant à lui sur la coopération dans les cadres définis par les Nations unies et dans les autres enceintes internationales et régionales, ainsi que sur la réforme des Nations unies. À ce sujet, on peut rappeler que le Japon fait partie des pays du « G4 » aux côtés du Brésil, de l’Inde et de l’Allemagne et se positionne en ce sens en faveur d’un élargissement du Conseil de sécurité et pour l’obtention d’un siège de membre permanent. Le Japon est également candidat au sein du Groupe Asie Pacifique pour un siège de membre non-permanent pour le mandat 2023-2024.

C.   POLITIQUE DE DéVELOPPEMENT ET ACTION HUMANITAIRE

L’article 11 porte sur la coopération en matière de politique de développement, les parties s’engageant à renforcer leurs échanges de vues et d’informations dans ce domaine et à coordonner s’il y a lieu leurs positions sur les questions liées au développement dans les enceintes régionales et internationales. À ce propos, comme l’a rappelé en audition Mme Guibourg Delamotte, la politique d’aide au développement japonaise semble s’enrichir d’un lien avec la promotion de la stabilité et de la pacification, en plus de son articulation plus traditionnelle avec la politique commerciale. L’aide au développement fait également pleinement partie de la vision japonaise de l’Indopacifique, avec pour ambition de promouvoir un développement viable et intégrant un transfert des savoir-faire, ce qui peut se lire en creux comme une distanciation vis-à-vis de l’approche portée par la Chine notamment dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie.

Dans le Livre bleu diplomatique du Japon pour 2020, sont ainsi mentionnés l’usage « proactif et stratégique de l’Aide publique au développement (APD) » qui est celui du Japon, et qui « participe à la fois au développement des entreprises japonaises à l’étranger et au développement économique et social des pays partenaires, et ce, afin de contribuer à la paix, à la stabilité et à la prospérité de la communauté internationale et de défendre les intérêts nationaux du Japon à travers ces mesures », la contribution du Japon à l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) ainsi que la nécessité de promouvoir des « infrastructures de qualité », dans la continuité des « Principes du G20 en matière d’investissements dans les infrastructures de qualité » adoptés lors du G20 d’Osaka en juin 2019.

L’article 12 porte quant à lui sur la gestion des catastrophes et l’action humanitaire, les parties s’engageant à renforcer la coopération sur ces sujets aux niveaux bilatéral, régional et international. La coopération peut prendre la forme d’opérations de secours d’urgence, dans le but d’apporter « des réponses efficaces et coordonnées ».

D.   coopération économique, financière, sociale et fiscale

Comme évoqué, les questions économiques et financières sont relativement peu abordées dans l’accord de partenariat stratégique, dans la mesure où elles ont été traitées dans l’accord de partenariat économique. L’article 13, intitulé « politique économique et financière », aborde toutefois les échanges d’informations et la coordination des politiques bilatérales et multilatérales pour soutenir des objectifs communs de « croissance durable et équilibrée ». La promotion de la création d’emplois et la lutte contre toute forme de protectionnisme sont également mentionnées, de même que les politiques et règlementations financières. À noter qu’un article distinct est consacré à l’emploi et aux affaires sociales (article 30), qui inclut un engagement à respecter et promouvoir les normes sociales et du travail reconnues au niveau international, sur la base des instruments internationaux pertinents forgés notamment au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT).

L’article 17 porte sur la coopération industrielle, dans le but d’améliorer la compétitivité des entreprises, y compris en facilitant les activités de coopération établies entre secteur public et secteur privé pour favoriser le dialogue. Sont également abordés le domaine douanier (article 18), pour faciliter le « commerce légitime tout en garantissant un contrôle douanier efficace » en respectant le cadre de l’accord bilatéral signé en 2008 entre l’Union européenne et le Japon relatif à la coopération et à l’assistance administrative mutuelle en matière douanière, et le domaine fiscal (article 19). Sur ce sujet, les parties s’engagent pour lutter contre les pratiques fiscales dommageables, en se positionnant auprès de pays tiers sur cette question et en faveur de la transparence et de l’échange d’informations.

Enfin, l’article 20 porte sur le tourisme et se donne pour objectifs l’amélioration de la compétitivité des industries du tourisme ainsi que le développement durable du tourisme. L’article 22 engage les parties à encourager le dialogue et les échanges de vues sur les politiques et cadres juridiques en matière de protection des consommateurs et se place ainsi sur le terrain des normes.

E.   CLIMAT ET ENVIRONNEMENT

S’ils sont essentiellement concentrés sur deux articles (article 23, « environnement » et article 24 « changement climatique »), la lutte contre le changement climatique et la préservation de l’environnement apparaissent comme des domaines prioritaires. La nécessité de maintenir la hausse de la température moyenne nettement en-dessous de 2°C et à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, ainsi que la mise en œuvre de l’accord de Paris du 12 décembre 2015, sont réaffirmées (article 24), de même que la référence au cadre juridique international en vigueur dans le domaine de l’environnement (article 23). Plusieurs domaines sont identifiés pour la coopération : diversité biologique, utilisation rationnelle des ressources, préservation et gestion durable des forêts, etc.

En matière climatique, il faut noter que la politique menée par le Japon vient de connaître une accélération, le Premier ministre Suga ayant annoncé en octobre 2020 un objectif de neutralité carbone à horizon 2050. Dans le prolongement de cette annonce, le gouvernement a publié une stratégie de croissante verte, déclinée en feuilles de route pour 14 secteurs clés, qui témoignent d’intentions plus marquées en faveur du climat et de la décarbonation du mix énergétique. Le Japon ne renonce cependant pas à la production thermique à partir de sources fossiles, dont il reste très dépendant depuis l’arrêt de la quasi-totalité du parc nucléaire après la catastrophe de Fukushima. La stratégie japonaise mise également sur les innovations favorisant la transformation numérique de la société et permettant d’optimiser l’usage des ressources énergétiques.

Ces annonces font suite à une approche qui était considérée au plan international comme relativement peu ambitieuse. Le Japon, sixième émetteur de gaz à effet de serre (GES) de la planète, avait communiqué en mars 2020, dans le cadre de l’Accord de Paris, une contribution nationale révisée ne prévoyant pas de nouvelle cible pour 2030, avec un objectif de diminution des GES de 26 % par rapport à 2013. Deuxième financeur public de centrales à charbon après la Chine, Le Japon a annoncé l’arrêt de ces projets dans les pays insuffisamment engagés dans une trajectoire de décarbonation à l’été 2020 mais se réserve en pratique des marges de manœuvre pour autoriser le financement de nouveaux projets.

La prise de conscience sur le changement climatique a pris un certain retard au Japon, que les annonces récentes permettent de relativiser mais qui devra encore faire face à certains défis en pratique. Le gouvernement doit présenter à l’été 2021 le mix énergétique pour les prochaines années, or, pour atteindre l’objectif de neutralité carbone et faire reculer la part des énergies fossiles dans la répartition, beaucoup d’experts considèrent que le nucléaire civil sera indispensable. Si le Japon avait beaucoup investi dans ce secteur, l’accident nucléaire de Fukushima a conduit à une remise en cause brutale. La part de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique est passé de 29 % en 2010 à 6,5 % en 2019, et les prévisions pour 2030 se situent autour de 20 %, des centrales ayant rouvert pour tenir compte notamment des délais nécessaires pour développer des énergies nouvelles et renouvelables, mais dans un contexte de forte opposition de la population.

Dans ce contexte, l’entrée en vigueur de l’accord de partenariat pourra favoriser les échanges de vues et d’informations pour avancer de concert sur la transition écologique, le projet de création d’une « Alliance verte » ayant déjà été formulé lors de réunions du comité mixte lié à l’accord (voir infra).

Les articles 27 et 28, qui portent respectivement sur l’agriculture et sur la pêche, sont par ailleurs fortement marqués par des objectifs de durabilité. Sur ces sujets, des marges de progression peuvent également être identifiées. Si le Japon partage une vision de l’agriculture similaire à la France, avec en particulier l’augmentation des produits sous label de qualité et des indications géographiques qui témoignent de l’importance accordée aux territoires, l’agriculture biologique y est en revanche timidement encouragée. Dès lors, l’accord de partenariat stratégique et les dialogues associés pourraient apporter des opportunités pour des échanges de vues et d’informations en la matière. Concernant la pêche, les positions du Japon ont pu évoluer mais le pays s’est retiré en 2018 de la Commission baleinière internationale et a repris en 2019 la chasse commerciale à la baleine, en fixant toutefois des quotas pour empêcher la surpêche. Dès lors, le sujet gagnera également à être abordé dans le cadre du partenariat nippo-européen.

Enfin, on peut également mentionner les articles 25 et 26, qui portent respectivement sur la politique urbaine – avec une attention particulière sur les « défis communs » dont ceux liés aux « dynamiques démographiques et au changement climatique », et sur l’énergie, autour de différentes thématiques (sécurité énergétique, commerce mondial de l’énergie, efficacité énergétique, etc.).

F.   COOPéRATION éDUCATIVE, culturelle et scientifique

L’article 40 porte sur la coopération dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse et des sports. Si l’éducation est présentée comme un nouveau secteur de coopération bilatérale, un dialogue politique de haut niveau a déjà été lancé en 2018 sur l’enseignement supérieur, la culture et le sport et il existe de nombreux partenariats entre universités et établissements d’enseignement supérieur européens et japonais. Il a été suivi du lancement, en octobre 2018, d’un programme de masters communs, dans le cadre du programme européen Erasmus Mundus et du projet japonais d’échanges inter-universités (IUEP). Trois programmes associant des universités japonaises et européennes ont ainsi été sélectionnés à l’été 2019. Cofinancés, ils devraient pouvoir favoriser les mobilités étudiantes, notamment via l’octroi de bourses ([19]). L’entrée en vigueur de l’accord de partenariat stratégique devrait favoriser la mise en œuvre d’initiatives concrètes similaires ([20]).

À noter qu’en matière d’éducation, la France est le 5ème pays partenaire du Japon pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, tandis que celui-ci est le 2ème partenaire de la France en Asie. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est un acteur essentiel de cette coopération bilatérale avec plusieurs laboratoires de recherche implantés dans la région, aux côtés de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) (1 laboratoire associé) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale INSERM (2 unités internationales avec le Japon).

L’article 41, qui porte sur la culture, vise également à favoriser les échanges humains et le développement d’initiatives communes, tout en invitant à la coopération dans les enceintes internationales pertinentes, à commencer par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Enfin, l’article 14 porte sur la coopération dans le domaine de la science, de la technologie et de l’innovation, en s’appuyant sur l’accord bilatéral de 2009 sur la coopération scientifique et technologique. On peut également mentionner dans ce domaine le partenariat stratégique UE-Japon dans le domaine de la recherche et de l’innovation ([21]) ainsi que les coopérations en cours pour faciliter la participation de chercheurs japonais et les financements de l’Agence japonaise des sciences et technologies au programme-cadre européen de recherche Horizon 2020 ([22]) et aux actions Marie Sklodowska-Curie, programme consacré aux ressources humaines et à la mise en valeur des carrières des chercheurs des secteurs public et privé. L’article 21, intitulé « société de l’information », invite les parties à des échanges de vues sur leurs politiques et règlementations dans le domaine des technologies de l’information et des communications pour renforcer les coopérations dans plusieurs domaines, dont l’interconnexion des réseaux de recherche et la promotion des activités de recherche et d’innovation.

G.   SéCURITé ET COOPéRATION JUDICIAIRE

La sécurité est également abordée dans l’accord de partenariat stratégique au prisme de la coopération judiciaire (article 32), de la lutte contre la corruption et le crime organisé (article 33), de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (article 34, qui peut être rapproché de l’article 8 qui porte sur la lutte contre le terrorisme de façon plus générale), et de la lutte contre les drogues illicites (article 35).

Concernant la coopération judiciaire, la base existante de l’accord bilatéral relatif à l’entraide judiciaire en matière pénale (2009) est réaffirmée.

H.   autres thématiques

Parmi les autres domaines abordés par l’accord de partenariat stratégique, on trouve les transports (article 15), qu’il s’agisse de l’aviation, du transport maritime ou du transport ferroviaire, en invitant les parties à dialoguer et à échanger des informations, et à coordonner s’il y a lieu leurs positions dans les enceintes internationales consacrées au sujet. L’article est suivi d’un article portant sur la coopération dans l’espace extra-atmosphérique (article 16) et peut être rapproché de l’article 36 qui porte sur le cyberespace. L’article 16 prévoit un dialogue sur les politiques et activités spatiales des parties et un engagement des parties pour promouvoir les utilisations « pacifiques » de l’espace extra-atmosphérique. À titre indicatif, le Japon est doté d’un programme spatial traditionnellement fondé sur le principe d’une utilisation pacifique de l’espace, mais qui, au diapason des évolutions de la politique de sécurité et de défense nationale, vise également aujourd’hui à assurer la sécurité nationale, par des moyens non offensifs ([23]).

L’accord prévoit également en son article 38 une coopération renforcée sur les politiques migratoires, qu’il s’agisse de la migration légale comme de l’immigration irrégulière ou des questions liées à l’asile.

L’article 31, qui porte sur la santé, mentionne les problèmes sanitaires « transfrontières » et la prévention et le contrôle des maladies transmissibles et non transmissibles. Dans le domaine sanitaire, on peut rappeler la coopération bilatérale existant entre la France et le Japon qui a trouvé de nouvelles concrétisations dans le cadre de la lutte contre la covid-19. En matière de lutte contre le covid-19, la France et le Japon ont développé des échanges réguliers aux niveaux technique et politique. Les deux pays participent à la lutte contre la covid‑19 au sein des enceintes internationales et y soutiennent le développement de traitements, de vaccins et de tests pour un accès universel, juste et équitable, en particulier pour les pays en voie de développement.

De façon plus générale, des programmes de coopération bilatérale existent entre chercheurs français et japonais, impliquant notamment l’Institut Pasteur, dans le domaine des biotechnologies (collaboration avec l’institut Riken sur des projets de transfert technologique concernant la bioproduction de médicaments, collaboration avec le groupe Fujifilm sur la mise au point d’une lignée cellulaire permettant de tester la toxicité éventuelle de médicaments candidats). Les deux gouvernements sont également convenus d’étendre leur partenariat dans l’Indopacifique à la coopération dans le champ des maladies infectieuses. Un plan d’action franco-japonais qui impliquerait notamment les instituts Pasteur en Asie du Sud-est est en préparation.

I.   cadre institutionnel et dispositions finales

L’article 42 de l’accord prévoit la création d’un comité mixte, composé de représentants des parties et co-présidé par ces mêmes représentants. Ce comité mixte se voit attribuer plusieurs fonctions, dont la coordination du « partenariat global » reposant sur le présent accord, l’ajout de domaines de coopération ne figurant pas dans l’accord mais compatibles avec celui-ci ou encore la formulation des recommandations ou la facilitation de « certains aspects spécifiques de coopération » en se fondant sur le présent accord. De façon générale, le comité mixte a pour but de « veiller au bon fonctionnement et à la bonne application » de l’accord de partenariat stratégique et doit s’efforcer de résoudre tout différend « découlant de l’interprétation, de l’application ou de la mise en œuvre du présent accord ».

Le texte prévoit également que le comité se réunit normalement une fois par an, alternativement à Tokyo et à Bruxelles. Il peut toutefois se réunir de manière extraordinaire à la demande de l’une ou l’autre des parties.

La première réunion du comité mixte, qui s’est déroulée le 25 mars 2019 à Tokyo, a permis d’adopter le règlement intérieur du comité et d’aborder les derniers développements politiques et économiques respectifs en Europe et au Japon. Les échanges se sont poursuivis sur les thématiques de la connectivité (volonté d’adopter un partenariat sur la connectivité), du développement, du changement climatique et de l’environnement, de la coopération au sein des Nations unies ainsi que des affaires maritimes.

Suite à la deuxième réunion du comité mixte (Bruxelles, 31 janvier 2020), la troisième réunion s’est tenue le 26 février dernier en visioconférence. Les sujets liés à la connectivité et à la transition écologique (proposition de former avec le Japon une « Alliance verte ») ont été particulièrement mis en avant, en tant que livrables potentiels dans la perspective du prochain Sommet UE-Japon. Les échanges ont également permis d’aborder les visions respectives de l’Indopacifique, la lutte contre la pandémie, le développement, la coopération scientifique et culturelle, la transformation digitale, les droits de l’Homme, la sécurité/défense et la coopération internationale. La quatrième réunion du comité mixte se déroulera en 2022 à Bruxelles. Les thématiques telles que la connectivité, la lutte contre le changement climatique, l’Indopacifique, la coopération internationale ou la lutte contre la pandémie devraient toujours faire partie des priorités identifiées pour le partenariat bilatéral.

L’article 43 est consacré aux modalités de règlement des différends entre les parties. Il prévoit que les différends portant sur l’interprétation, l’application ou la mise en œuvre de l’accord doivent être réglés par voie de consultation entre les parties, au besoin en le portant à la connaissance du comité mixte, à la demande de l’une des parties. Le paragraphe 4 précise qu’une « violation particulièrement grave et substantielle » par l’une des parties de ses obligations dans le cadre des dispositions relatives aux droits de l’Homme ou relatives à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, définies comme des éléments essentiels (voir supra), peut être considéré comme un cas d’urgence particulière, justifiant une convocation sous quinze jours maximum du comité mixte. L’article précise les modalités de suspension de l’accord dans ce cas d’urgence particulière et lorsqu’aucune solution mutuellement acceptable n’a été trouvée au niveau ministériel.

L’article 44 précise que la coopération et les actions au titre du présent accord sont mises en œuvre conformément aux lois et règlements respectifs des parties. L’article 45 définit la notion de « parties » à l’accord, à savoir, d’une part l’Union et ses États membres ou l’Union ou ses États membres, suivant la répartition des compétences, et le Japon d’autre part.

En vertu de l’article 46, aucune disposition de l’accord ne doit exiger qu’une partie fournisse des informations contraires à ses intérêts essentiels en matière de sécurité.

L’article 47 précise les conditions d’entrée en vigueur de l’accord, et les dispositions qui seront appliquées dans l’attente de la ratification par tous les États membres de l’Union européenne. Le caractère mixte de l’accord a en effet permis l’entrée en vigueur à titre provisoire au 1er février 2019 de plusieurs articles, également précisés par la décision 2018/1197 du Conseil du 26 juin 2018. Il s’agit :

-          des articles 11, 12, 14, 16, 18, 20, 25, 28, 40 et 41 ;

-          des articles 13, 15 (à l’exception du paragraphe 2, point b), 17, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 29, 30, 31, 37, 38, paragraphe 1 et 39, mais uniquement dans la mesure où ils portent sur des questions pour lesquelles l’Union a déjà exercé sa compétence au niveau interne ;

-          des articles 1, 2, 3, 4 et 5, paragraphe 1, dans la mesure où ils portent sur des questions relevant de la compétence conférée à l’Union pour mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune ;

-          des articles 42 (à l’exception du paragraphe 2, point c), 43, 44, 45, 46, 47, 48, paragraphe 3, 49, 50 et 51, dans la mesure où ces dispositions se bornent à assurer l’application provisoire de l’accord.

Pour le reste, l’accord de partenariat stratégique entrera pleinement en vigueur lorsque les 27 États membres l’auront ratifié et que les instruments de ratification des parties auront pu être échangés. L’entrée en vigueur interviendra le premier jour du deuxième mois suivant la date d’échange. Au 3 mars 2021, 16 États membres de l’UE ont ratifié l’accord (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Luxembourg, Malte, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie, Slovaquie). Le Japon a, quant à lui, achevé ses procédures internes de ratification et déposé son instrument de ratification le 21 décembre 2018.

Comme l’indique l’article 48, l’accord reste en vigueur sauf dénonciation par l’une des parties. Ainsi, chaque partie peut notifier par écrit à l’autre partie son intention de le dénoncer. La dénonciation prend effet six mois après la notification à l’autre partie.

L’article 49 précise que si un nouvel État souhaite adhérer à l’Union européenne, cette dernière doit en informer le Japon pour que les parties puissent examiner les implications que cela aurait sur le présent accord. L’Union européenne est ensuite tenue d’informer le Japon et de la signature et de l’entrée en vigueur d’un traité d’adhésion d’un État tiers.

Par ailleurs, si le Royaume-Uni, alors membre de l’Union européenne, a signé l’accord en juillet 2018, il ne l’a pas ratifié et, n’étant plus membre de l’Union, n’est plus fondé à le faire. Ainsi, le Royaume-Uni ne ratifiera pas et ne sera pas une partie à cet accord. Le fait que cet État ait signé l’accord ne lui impose pas d’obligation en droit international, puisqu’il n’a pas exprimé son consentement à être lié par l’accord. En outre, depuis le 1er janvier 2021, le droit de l’Union ne s’applique plus au Royaume-Uni. Dès lors, l’application provisoire de l’accord par l’Union européenne, qui liait le Royaume-Uni jusqu’à la fin de la période de transition, ne le lie plus depuis cette date.

L’article 50 précise le champ d’application territoriale de l’accord, soit le Japon et les territoires où les traités européens s’appliquent, dans les conditions prévues par ces derniers. Enfin, l’article 51 énumère les 25 versions de l’accord faisant foi, dont la version française.

 

 

 


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   Examen en commission

Le mercredi 7 avril 2021, la commission examine, sur le rapport de Mme Sandra Boëlle, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Japon, d’autre part (n° 3597).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Japon, d’autre part, signé le 17 juillet 2018, offre un cadre juridiquement contraignant, qui vise à promouvoir les relations avec le Japon et à faciliter la conclusion d’accords, notamment bilatéraux, dans des domaines variés, définis par l’accord – dialogue politique, sécurité, développement, action humanitaire, coopération économique, environnement, éducation, culture, coopération scientifique, santé, coopération judiciaire, espace. Un accord de partenariat économique traitant plus spécifiquement des échanges économiques et commerciaux a été signé le même jour.

L’accord de partenariat stratégique s’inscrit dans le cadre de la stratégie menée par l’Union européenne à l’égard de l’Asie. Au cours des dernières années, l’Union a commencé à structurer ses relations avec les pays de ce continent. En 2010, elle a conclu un partenariat stratégique à peu près comparable avec la Corée du Sud. Elle a fait de même avec la Nouvelle-Zélande en 2016 et avec l’Australie, en 2017. Ces textes s’ajoutent aux accords de coopération conclus avec huit pays d’Extrême-Orient et à trois accords qui sont en cours de négociation.

L’accord de partenariat stratégique avec le Japon est donc un élément d’un vaste ensemble, dans un espace où, traditionnellement, les États-Unis nouent des relations économiques et politiques très fortes, et où des organisations régionales puissantes structurent les relations internationales. Dans le contexte de tensions avec les États-Unis, où plusieurs États européens sont entraînés, la Chine tisse un réseau de relations structurelles sur l’ensemble du continent au moyen de sa Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. L’Europe doit apporter une offre cohérente et coordonnée d’échanges dépassant le cadre usuel des accords de libre-échange et d’investissement, pour placer la relation sur le terrain de la défense des valeurs, sous tous leurs aspects – sécurité, éducation, environnement, échanges humains, coopération judiciaire, qui a retenu notre attention ces dernières années.

Depuis 2003, les relations entre l’Union européenne et le Japon ont été hissées au rang de partenariat stratégique, un terme qu’affectionne l’Union. Elle entretient de telles relations avec la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN). Toutefois, l’accord de partenariat stratégique avec le Japon de 2018 couvre des domaines d’action très vastes et est juridiquement contraignant. Pour la France, cet accord est d’autant plus essentiel que notre pays jouit au Japon d’une position privilégiée de partenaire économique ancien et bien implanté – nous y sommes le deuxième investisseur étranger. Le Japon est par ailleurs un interlocuteur politique de confiance.

Mme Sandra Boëlle, rapporteure. L’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Japon, signé le 17 juillet 2018, vise à donner un cadre juridique englobant et contraignant à une relation bilatérale dense et dynamique, qui s’appuyait jusqu’à présent sur un plan d’action conjoint adopté en 2001, que l’accord a vocation à remplacer. Signe de la vitalité de la relation bilatérale, un sommet a lieu chaque année entre l’Union européenne et le Japon, afin d’aborder les différents domaines de coopération – le prochain devrait avoir lieu dès que les conditions sanitaires le permettront.

Le présent accord doit être distingué de l’accord de partenariat économique, signé le même jour et entré en vigueur dès le début de l’année 2019. Il s’agit des deux piliers de la relation bilatérale souhaitée pour les prochaines années entre l’Union européenne et le Japon. Leurs approches sont complémentaires. L’accord que nous examinons ne contient que de rares dispositions sur les questions économiques et commerciales, et n’est pas un accord de libre-échange. Les exportations de la France vers le Japon ont augmenté de 18 % en 2019 après l’entrée en vigueur de l’accord. Cette dynamique pourrait favoriser un rééquilibrage des relations commerciales avec le Japon, pour la France comme pour l’Union européenne.

L’accord de partenariat stratégique, qui compte 51 articles, couvre de très nombreuses thématiques, allant de l’éducation et la culture à la politique de développement, en passant par la coopération judiciaire et la promotion de la paix et de la sécurité. Dans ses premiers articles, il met l’accent sur la promotion des valeurs communes, notamment dans les enceintes internationales. L’ambassadeur du Japon en France que j’ai rencontré lors de mes travaux préparatoires a insisté sur ce point : ces valeurs communes, qu’il s’agisse de la démocratie ou de l’État de droit, doivent d’autant plus nous mobiliser qu’elles sont partout menacées. L’accord de partenariat stratégique se présente comme un accord facilitateur, qui doit favoriser la réalisation de projets concrets et la conclusion de nouveaux accords bilatéraux, plus ciblés. Comme le Japon, nous serons libres de proposer des coopérations dans tel ou tel domaine. Certains font déjà l’objet d’une attention particulière. C’est le cas de la sécurité et de la défense, d’une part, et de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique, d’autre part. Ces dernières années, le Japon, sixième émetteur mondial de gaz à effet de serre, et signataire de l’accord de Paris sur le climat, a mené dans ce domaine une politique jugée peu ambitieuse. À l’automne 2020, l’actuel Premier ministre, Yoshihide Suga, issu de la même formation politique que son prédécesseur Shinzō Abe, a toutefois présenté une politique plus volontariste, qui fixe un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. La mise en œuvre de l’accord de partenariat pourra permettre d’avancer ensemble sur ce sujet : un projet d’alliance verte entre l’Union européenne et le Japon est déjà en cours d’élaboration.

Concernant la sécurité et la défense, la constitution que le Japon a adoptée à l’issue de la Seconde guerre mondiale prévoit dans son article 9 le renoncement du peuple japonais à la guerre et à l’usage de la force. L’interprétation de cet article a toutefois beaucoup évolué. Depuis 2015, la loi admet que les forces japonaises d’autodéfense peuvent contribuer à la légitime défense collective en venant en aide à leurs alliés, tant qu’elles n’utilisent pas la force létale. Dans ce contexte, l’Union européenne aimerait mettre à profit l’accord de partenariat pour favoriser une participation du Japon aux missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), comme cela a déjà pu se faire lors de l’opération Atalante de lutte contre la piraterie.

Enfin, l’accord fait de la lutte contre la prolifération nucléaire un objectif commun. Le Japon est très engagé sur ce sujet du fait de son histoire : les catastrophes nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que l’accident de la centrale de Fukushima il y a dix ans, restent très présents dans la mémoire collective, et permettent de comprendre la forte opposition de la population à l’arme nucléaire. Chaque année depuis 1994, le Japon présente une résolution sur le désarmement nucléaire devant l’Assemblée générale des Nations unies. Conscient d’être entouré de puissances nucléaires et de dépendre de la protection américaine, il adopte une position pragmatique en la matière. Comme la France, il a fait le choix de ne pas signer le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires de 2017.

L’accord de partenariat stratégique s’inscrit aussi dans la politique régionale que mène l’Union européenne en Asie-Pacifique. D’abord perçue comme un acteur commercial, l’Union cherche à faire évoluer son image dans la région, au profit d’une coopération politique et sécuritaire. L’Asie-Pacifique, notamment la région indo-pacifique, suscite un intérêt grandissant de la part de l’Union européenne, dans le sillage des États-Unis. Dans la logique du Brexit, le Royaume-Uni cherche également à se tourner de plus en plus vers la région. S’il a signé l’accord en tant que membre de l’Union européenne en juillet 2018, il ne l’a pas ratifié et n’est plus fondé à le faire depuis sa sortie de l’Union européenne.

Ces dernières années, l’Union européenne a conclu plusieurs accords de partenariat ou de coopération semblables à celui que nous examinons, notamment avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Notre commission a pu en débattre, en 2018 et en 2020. Pour l’Union européenne, le Japon apparaît comme un partenaire prioritaire pour renforcer sa présence régionale. Depuis quelques années, les autorités japonaises promeuvent leur stratégie pour un Indo-Pacifique libre et ouvert, appuyé sur trois piliers, sur lesquels des coopérations avec l’Europe sont possibles : la promotion de la démocratie et du libre-échange ; la paix, la sécurité et la stabilité ; et la prospérité économique et la connectivité.

Ce dernier domaine a justement fait l’objet d’un partenariat sur la connectivité durable et les infrastructures de qualité, signé en 2019. Tous mes interlocuteurs ont insisté sur l’importance de cet accord, qui vise notamment à proposer une alternative aux nouvelles routes de la soie chinoise, en promouvant une approche de la connectivité fondée sur les valeurs défendues par l’Union européenne. L’accord doit faciliter la mise en œuvre de projets d’infrastructures comme des routes et des chemins de fer, ainsi que le développement d’autres formes de connectivité, par exemple autour de l’éducation. Il s’agit pour le Japon de poursuivre la politique du précédent Premier ministre, Shinzō Abe, afin d’être plus actif sur la scène internationale et de diversifier les partenariats, dans un contexte de montée en puissance de la Chine.

La thématique de l’Indo-Pacifique conduit à aborder l’intérêt qu’aura l’entrée en vigueur du présent accord de partenariat stratégique du point de vue de la France. Comme l’ont confirmé mes interlocuteurs du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, il existe un très fort alignement de l’approche européenne et de l’approche française vis-à-vis du Japon. Nous avons avec ce pays une relation bilatérale ancienne, solide et dynamique, qui a été érigée au rang de partenariat d’exception il y a quelques années. Nos échanges s’appuient sur une feuille de route pour la période 2019-2023, qui fixe cinq priorités : le renforcement de la coopération dans l’espace indo-pacifique ; l’approfondissement de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense ; la promotion d’une gouvernance mondiale fondée sur le multilatéralisme ; le développement d’un partenariat économique tourné vers l’innovation ; et la création d’une nouvelle dynamique en matière d’échanges humains.

La coopération dans l’espace indo-pacifique fait l’objet d’un partenariat franco-japonais, qui vise à développer des projets concrets autour de quatre piliers – la sécurité maritime ; le climat, l’environnement, la biodiversité ; les infrastructures de qualité ; et la santé. La France, seul pays de l’Union européenne à être activement présent dans le Pacifique depuis le retrait du Royaume-Uni, est le premier État membre à avoir adopté une stratégie nationale pour l’Indo-Pacifique. Elle se distingue par la présence de plus de 1,6 million de concitoyens, répartis sur 7 départements, régions et collectivités d’outre-mer, auxquels s’ajoutent environ 8 000 militaires en mission dans la zone. Notre pays cherche ainsi à donner une impulsion pour l’adoption d’une stratégie européenne pour l’Indo-Pacifique, ce qui fait de la France un partenaire particulièrement important pour le Japon en Europe.

L’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Japon, qui s’accompagne d’une série de dialogues thématiques réguliers, fournira davantage d’occasions pour aborder ensemble tout sujet, y compris ceux sur lesquels il existe des différences d’approche, voire des désaccords. Le dialogue pourrait par exemple s’intensifier sur le thème de l’égalité hommes femmes. Il en va de même pour l’épineuse question du statut des enfants binationaux, qui peuvent être privés de leur parent européen en cas de séparation. Le droit japonais ne reconnaît en effet ni le droit de visite ni le partage de l’autorité parentale. Cette situation n’a pas évolué malgré l’adhésion du Japon aux instruments internationaux de référence sur les droits des enfants. Le Parlement européen a adopté une résolution sur ces questions en juillet 2020, et nos collègues du Sénat, en février de la même année. L’Union européenne s’est engagée à suivre le nombre de cas non résolus et à mettre à profit le partenariat stratégique avec le Japon, pour obtenir des avancées sur ce sujet sur lequel nous devrons rester vigilants. Le Japon a récemment fait référence à des réflexions en cours pour faire évoluer la législation japonaise en matière de garde partagée.

Mes chers collègues, malgré ces quelques réserves, je vous invite à voter en faveur de la ratification de cet accord. Le Japon a achevé sa procédure interne de ratification ; du côté européen, seize États membres ont déjà ratifié l’accord. Il pourra entrer en vigueur lorsque tous les États membres en auront fait de même.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame la rapporteure, vous avez su clarifier la différence entre un accord de partenariat stratégique et un accord de partenariat économique. Ces deux textes, signés le même jour, ont des portées et des domaines d’action différents.

Mme Anne Genetet (LaREM). Je suis députée des Français qui résident au Japon. Le projet de loi vise à autoriser la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres d’une part, et le Japon, d’autre part. Ces accords sont un moyen de définir un cadre et des règles là où ils n’existent pas. Il est toujours très important de structurer des relations, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales.

Le présent accord compte énormément pour la France. Le Japon est un pays allié, avec lequel nous sommes liés par une même communauté de valeurs, tels la démocratie et l’État de droit, par des préoccupations communes face à certains défis – la lutte contre les armes de destruction massive, contre le terrorisme, contre le crime organisé –, par nos signatures de l’accord de Paris sur le climat, un sujet sur lequel je souhaiterais que nous développions une ambition commune, par le respect du droit international et maritime, ainsi que par un goût et une curiosité réciproques de l’autre, par la fierté de nos propres cultures et par un profond respect mutuel. Le Japon aspire à être, avec les États-Unis, l’Inde ou l’Australie, un partenaire indispensable au renforcement du droit international dans toutes ses dimensions, notamment en matière de liberté de circulation dans l’espace indo-pacifique. Depuis le Brexit, la France est la seule puissance européenne à être territorialement et militairement présente dans cette zone. On peut d’ailleurs espérer que l’accord serve de terreau pour que de nouveaux partenariats se nouent entre Japonais et Européens en matière de défense ou d’innovation technologique.

Qu’un texte consacre ces points et donne une épaisseur politique à notre relation est bienvenu. Bien qu’il soit différent, il rejoint le traité commercial entre l’Union européenne et le Japon, entré en vigueur en 2019. Notre assemblée avait adopté une résolution positive mais exigeante à l’égard de ce dernier.

Mme la rapporteure l’a souligné, si l’amitié que la France porte au Japon est sincère, nous avons parfois des nuances voire des divergences. Je souligne à mon tour le drame inacceptable des enfants enlevés par leur parent japonais à l’issue d’un divorce ou d’une séparation, que certains de nos ressortissants ont traversé ou sous la menace de laquelle ils se trouvent. Il appelle à une meilleure concertation des institutions judiciaires dans nos deux pays pour que de telles pratiques cessent. La résolution du Parlement européen et celle du Sénat pour faire cesser ces drames familiaux ont été évoquées. Notre assemblée s’honorerait d’en voter une semblable.

En dépit de cette réserve, le groupe La République en Marche votera en faveur du projet de loi.

M. Michel Herbillon (LR). Notre collègue Sandra Boëlle a eu raison d’insister sur l’Indo-Pacifique, qui nous préoccupe : le Japon et la France ont noué un accord à ce sujet, et un autre accord a été signé avec l’Union européenne. Pour la première fois, la chancelière allemande a évoqué une stratégie indo-pacifique. L’Union européenne a pris des décisions en ce sens. Boris Johnson a également abordé ce thème lorsqu’il s’est exprimé sur la nouvelle politique étrangère du Royaume-Uni, il y a quinze jours. Les événements relatifs aux nouvelles routes de la soie ont conduit à une prise de conscience de l’ensemble des pays : tout le monde est concerné. Dans cette optique, quel rôle le Japon et la France pourraient-ils jouer ? Quelle pourrait être leur coopération sur ce sujet ?

Par ailleurs, quel est le lien entre le projet d’alliance verte entre l’Union européenne et le Japon, et le plan vert que la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a placé au cœur de son mandat ?

Enfin, s’agissant des enfants binationaux, notre commission ne pourrait-elle pas aller plus loin pour trouver une issue concrète à ces drames humains, qui concernent parents et enfants ? Il serait bon que, par l’intermédiaire de Sandra Boëlle, elle puisse suivre cette question, pour la faire évoluer.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le sujet peut intéresser les groupes, qui ont la possibilité de déposer un projet de résolution. Il nous concerne tous.

M. Sylvain Waserman (Dem). Le groupe Dem votera en faveur de ce texte, et mon analyse rejoint largement celle d’Anne Genetet. J’y ajouterai cependant trois points.

Tout d’abord, l’accord de partenariat stratégique est une façon de réaffirmer le rôle de l’Union européenne dans la région indo-pacifique, où les enjeux sont majeurs. Il s’agit notamment de contrebalancer l’influence de la Chine dans la zone ou, du moins, d’y exercer une influence plus forte. Le présent accord est un pas dans le bon sens.

Ce qui est vrai pour l’Union l’est particulièrement pour la France. Le Japon est notre deuxième partenaire économique dans la région. Lorsque j’ai découvert le pays et sa culture, j’ai été sensible au respect et à l’intérêt réciproque que se portent nos deux peuples, ainsi qu’à la façon dont les Japonais abordent la logique de partenariat et les cycles de temps. Ayant travaillé un temps au Japon, j’ai pu mesurer l’importance de ces échanges, notamment d’un point de vue économique. Les accords de partenariat stratégique ont le double avantage d’éviter l’écueil classique du verbiage et des bonnes intentions, et d’être juridiquement contraignants. Un tel accord avec le Japon a un sens particulier, très loin de l’affichage politique d’autres textes.

Ensuite, je souligne la création du comité mixte, qui fera vivre l’accord, notamment en ce qui concerne l’alliance verte, pour laquelle le texte constitue un point de départ, non d’arrivée. Il relève aussi le défi d’aborder des sujets connexes.

Enfin, c’est lorsque l’Union européenne se lance dans une démarche de partenariat stratégique que les accords de commerce prennent tout leur sens : un cadre stratégique qui les englobe et les complète donne sens au développement du commerce. C'est pourquoi l’articulation entre partenariat économique et partenariat stratégique paraît comme une référence. La logique du présent accord de partenariat stratégique est inspirante : le MODEM la soutiendra avec force.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. M. Herbillon me fait savoir que son groupe votera en faveur du projet de loi – emporté par sa volonté de faire bref, il a omis de le dire.

M. Alain David (SOC). Nous avons trop souvent déploré que les accords commerciaux voulus par la Commission européenne n’aient pas de volets prévoyant des coopérations renforcées dans d’autres domaines pour ne pas voir d’un bon œil ce projet de loi. L’accord de partenariat économique et commercial conclu en janvier 2018 avec le Japon s’accompagne, pour une fois, d’un second texte comportant des dispositions politiques et sectorielles qui sont prometteuses, notamment en matière environnementale et culturelle.

Je me félicite que la question de la lutte contre le réchauffement climatique occupe une place de choix. J’y vois une suite de l’action menée par la France, en particulier par François Hollande, lors de la COP21, qui s’est tenue à Paris.

Comme je travaille sur le rôle diplomatique des géants du numérique, dans le cadre d’une mission d’information conduite avec Marion Lenne, je suis sensible aux dispositions concernant la protection des données et la volonté de coopération dans de nouveaux domaines tels que l’espace et les technologies de l’information.

Pour toutes ces raisons, et étant entendu que nous serons beaucoup plus vigilants lorsque viendra le moment d’examiner le second volet, économique et commercial, nous voterons en faveur du présent texte.

Mme Aina Kuric (Agir ens). Permettez-moi de saluer le travail de Mme la rapporteure.

Nous nous félicitons de cet accord qui tend à renforcer les relations bilatérales et la coopération entre l’Union européenne et le Japon dans plus de quarante domaines, tels que la sécurité, l’énergie, la gestion des catastrophes, les cybermenaces, les affaires économiques, l’éducation, la recherche et le développement ou encore la lutte contre le terrorisme et le changement climatique. Une fois en vigueur, l’accord devrait faciliter les efforts conjoints du Japon et de l’Union européenne pour promouvoir des valeurs communes, comme les droits de l’homme et l’État de droit, un système international fondé sur des règles mais aussi la paix et la stabilité dans le monde, tout en apportant des bénéfices concrets aux citoyens japonais et européens.

Je partage la préoccupation déjà exprimée, notamment par Anne Genetet, au sujet des enfants binationaux issus de familles franco-japonaises.

Dans un contexte marqué par de faibles échanges entre les peuples et des barrières linguistiques, il nous faut saisir les opportunités et l’élan offerts par cet accord pour développer les relations culturelles et la coopération en ce qui concerne la jeunesse, l’éducation et les sports. Il nous faut également investir davantage dans les interactions entre les citoyens, les dialogues éducationnels et culturels ainsi que les programmes de mobilité académique dans le cadre d’Erasmus +.

Je souhaite vous interroger sur le mémorandum relatif à la coopération en pays tiers, en Afrique et dans l’Indo-Pacifique, qui a été conclu entre l’Agence française de développement (AFD) et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) en juin 2019. Quelle sera l’articulation avec les coopérations menées par les autres pays européens ? A-t-on une idée précise des premiers projets culturels qui devraient recevoir un cofinancement ?

M. Jean-Michel Clément (LT). Cet accord de partenariat stratégique porte bien son nom : il renforcera la coopération entre l’Union européenne et le Japon dans plus de quarante domaines, dont la sécurité et la défense, le climat et l’environnement ne sont pas les moindres.

Le Japon est un allié de la France dans cette région, et on ne peut que se satisfaire de la conclusion d’un tel accord qui permettra de renforcer la relation bilatérale qu’entretiennent déjà les deux pays.

L’Union européenne et le Japon ont des relations économiques étroites. Le texte vise à ancrer le fait que les relations avec le Japon sont aussi fondées sur des valeurs partagées. Nous ne pouvons que rappeler la nécessité de défendre les valeurs et les principes communs que sont la démocratie, les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Alors que l’autoritarisme et le nationalisme s’accroissent et que la pandémie est l’occasion pour de nombreux pays de s’accommoder avec les libertés, cet accord permet de réaffirmer nos liens avec une démocratie partenaire.

L’accord est également important dans le contexte géopolitique de l’expansionnisme chinois dans la zone Asie-Pacifique. Le Japon veut que l’Indo-Pacifique soit libre et ouvert et compte sur la relation avec l’Union européenne pour développer cette stratégie. Il faut préciser que la France est le seul État membre de l’Union européenne à être présent dans le Pacifique et qu’elle est le premier à s’être doté d’une stratégie pour l’Indo-Pacifique. La doctrine française dans la région est parfaitement en cohérence avec celle développée par le Japon.

Il nous paraît pertinent de développer nos partenariats avec les pays de cette région qui forment avec nous une communauté de valeurs, comme la Corée et le Japon. Le dialogue quadrilatéral pour la sécurité qui a été récemment engagé par l’Inde, les États-Unis, l’Australie et le Japon permet notamment de contrebalancer la stratégie chinoise des routes de la soie.

L’Asie de l’Est est en passe de devenir le nouveau cœur économique et stratégique de la planète. La France et l’Union européenne doivent jouer un rôle plus important dans cette zone et privilégier les alliés avec lesquels nous partageons un socle de valeurs communes. C’est pourquoi cet accord est bienvenu. Mon groupe votera en faveur du projet de loi.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Nous voterons contre le texte et contre la méthode.

L’Union européenne, depuis l’accord économique et commercial global (CETA) et l’accord de libre-échange transatlantique (TAFTA), a compris qu’il fallait saucissonner les textes pour mieux les faire avaler. On se retrouve ainsi avec des morceaux d’accord, dont certains doivent être ratifiés par les États alors que d’autres, concernant les questions commerciales, n’ont pas besoin de l’être selon la Commission européenne mais pas nécessairement selon les textes européens, comme l’a dit la Cour de justice de l’Union européenne. On se retrouve donc avec des accords de partenariat stratégique alors qu’il n’y avait, tout au début, que des accords de libre-échange. Les députés communistes refusent de cautionner cette méthode.

Il y a ensuite le contenu. La rapporteure a notamment parlé de « valeurs communes ». Vérifions si elles le sont.

Il a été question des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’article 30 encourage la coopération entre les parties dans les domaines de l’emploi et des affaires sociales mais on constate que le Japon n’a jamais ratifié deux conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) : celle concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession et celle sur l’abolition du travail forcé. Le Japon régresse sur le plan de l’égalité hommes-femmes, c’est dit dans le rapport. Ce n’est pas une « valeur commune », et nous devrions réagir fortement à la situation. Ce n’est pas moi qui le dis mais le forum économique mondial. Selon un rapport de 2019 qui portait sur la politique, l’économie, l’éducation et la santé, le Japon se trouvait à la 121e place sur 153 pays.

Qu’en est-il en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique, objets des articles 23 et 24 ? Les parties conviennent de renforcer leur coopération en matière de lutte contre le changement climatique mais le Japon est le premier importateur mondial de bois et le principal marché pour le bois illégal, qui vient de Russie, de Chine, d’Indonésie et même de Roumanie, selon Greenpeace. L’exploitation illégale du bois contribue directement au changement climatique. C’est le premier crime environnemental au monde : cela représenterait près de 17 % des émissions mondiales de carbone, ce qui représente davantage que les émissions combinées des trafic aérien, routier, ferroviaire et maritime. Malgré les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris, le Japon ne devrait pas remédier au manque de réglementation en la matière.

Avons-nous des valeurs communes en matière de pêche ? Selon l’article 28, l’Union européenne et le Japon conviennent de renforcer le dialogue dans ce domaine. Malgré le moratoire de 1986, le Japon continue à pêcher la baleine, officiellement à des fins scientifiques. Ce pays a tenté d’obtenir la fin du moratoire, s’est retiré de la commission baleinière internationale et a repris officiellement la pêche à la baleine à visée commerciale en 2019.

Je ne reviendrai pas, car le temps est compté, sur l’article 39, qui concerne les données à caractère personnel. Il y a une difficulté, mais on reporte la question à plus tard : on fait adopter les choses, puis on n’aura plus besoin d’une ratification par les États.

Je voudrais également dire à la rapporteure que Hiroshima et Nagasaki ne sont pas des catastrophes pour moi, mais des crimes contre l’humanité.

Nous ne voterons pas en faveur de ce texte, je l’ai dit. Mon groupe a demandé qu’il fasse l’objet d’un débat dans l’hémicycle.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous ai laissé un peu plus de temps car c’était un réquisitoire et vous étiez le seul à l’instruire.

Mme Mireille Clapot. Merci, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail.

J’ai quelques nuances à apporter, moi aussi, même si je partage l’idée que nous avons beaucoup de valeurs en commun avec le Japon. Mes questions portent sur les libertés fondamentales et les droits humains. Le Japon, bien qu’étant l’un des pays les plus développés au monde, connaît d’importants retards en la matière.

Il n’a toujours pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l’OIT : la convention n° 111, concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, et la convention n° 105, sur l’abolition du travail forcé. Sur le plan de l’égalité femmes-hommes, on l’a dit avant moi, le Japon se trouve en bas du classement établi par le forum économique mondial : il est à la 121e place sur 153 pays, derrière le Bangladesh, le Sénégal ou les Émirats arabes unis. Le Japon perpétue une culture sexiste, marquée par des discriminations professionnelles, du harcèlement sexuel et des rôles stéréotypés. Près de 70 % des Japonaises cessent de travailler quand elles deviennent mères. Ce n’est pas culturel, mais lié à l’absence de politique publique dans ce domaine.

Enfin, et surtout, le Japon est l’un des rares pays industrialisés à n’avoir pas aboli la peine de mort. Il y a actuellement plus de cent personnes condamnées à la peine capitale, et les détenus sont parfois exécutés sans avoir été prévenus.

Pourriez-vous nous indiquer si cet accord de partenariat stratégique débouchera sur une coopération accrue entre l’Union européenne et le Japon en matière de droits des femmes ? Par ailleurs, l’Union européenne a-t-elle entamé un dialogue avec le gouvernement japonais en vue de l’adoption d’un moratoire sur la peine capitale et de son abolition éventuelle ?

M. Frédéric Petit. Si nous intervenons au sujet des divorces entre Français et Japonais, comme le proposent certains collègues, je crois qu’il faudra le faire d’une manière plus large. Cette question, sensible, n’est pas spécifique au Japon. Elle se pose aussi s’agissant de l’Allemagne et d’autres pays de l’Union européenne. Il serait dommage de concentrer l’effort uniquement sur un pays.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le fait que les problèmes de justice n’aient pas été abordés m’a frappé. Ils ont été mis en avant lors de l’affaire Ghosn : on a vu qu’il y avait des différences fondamentales entre notre système judiciaire et celui du Japon.

Mme Sandra Boëlle, rapporteure. M. Herbillon, qui est parti, m’a interrogée sur la stratégie de la France dans l’Indo-Pacifique. L’ambassadeur du Japon en France, que j’ai rencontré, m’a dit que le rôle de la France dans la zone était reconnu par son pays.

Depuis 2019, la France et le Japon renforcent leur coopération dans le cadre d’un partenariat pour l’Indo-Pacifique qui vise à développer des projets concrets dans des pays tiers autour de quatre piliers : la sécurité maritime, le climat, l’environnement et la biodiversité, des infrastructures de qualité et la santé. La mise en œuvre de ce partenariat repose notamment sur un dialogue maritime global, dont la première séance s’est tenue en septembre 2019 à Nouméa, sur un groupe de travail portant sur l’Indo-Pacifique qui est coordonné au niveau des ministères des affaires étrangères, lesquels sont chargés de faciliter l’identification de projets et le suivi de ces derniers. Par ailleurs, un mémorandum pour la coopération en pays tiers, en Afrique et dans l’Indo-Pacifique, a été conclu entre l’AFD et son homologue japonais, la JICA, en juin 2019 – Mme Kuric en a parlé.

La stratégie française pour l’Indo-Pacifique repose sur une stratégie de défense et une stratégie diplomatique, qui sont respectivement pilotées par le ministère des armées et par celui des affaires étrangères. Le volet diplomatique repose sur quatre piliers : l’implication de notre pays dans le règlement des crises régionales, dans la sécurité des principales voies de navigation et dans la lutte contre le terrorisme, la radicalisation et la criminalité organisée, le renforcement de nos partenariats avec les grands acteurs de la région avec lesquels nous partageons une communauté de valeurs et d’intérêts, dont le Japon fait partie, tout en approfondissant notre relation avec la Chine, une mobilisation renforcée auprès des organisations régionales, au premier rang desquelles figure l’ASEAN, et enfin un engagement déterminé en faveur de la promotion des biens communs mondiaux, le climat, l’environnement et la biodiversité mais aussi la santé, l’éducation, le numérique et des infrastructures de qualité, tout cela en appui d’un engagement accru de l’Union européenne dans la région, comme acteur de développement durable et de stabilité, notamment dans le cadre de la stratégie de connectivité avec l’Asie.

Une question sur l’alliance verte m’a été posée. L’Union européenne et le Japon pourront échanger des bonnes pratiques. Le défi pour le Japon est de réduire la part du charbon dans son mix énergétique en tenant compte des réticences de la population à l’égard du nucléaire civil.

J’en viens aux observations de M. Lecoq.

S’agissant de l’égalité hommes-femmes, en dépit des annonces faites en 2014 par le précédent Premier ministre, Shinzō Abe, qui avait promis de « faire briller les femmes », le Japon demeure effectivement au 121e rang mondial sur 153 pays, selon le Forum économique mondial. Les réformes, surnommées Womenomics, qui étaient destinées à promouvoir le travail des femmes achoppent sur des mentalités encore très patriarcales, sur un manque d’aide concrète pour permettre aux femmes de concilier vie de famille et carrière professionnelle et sur les difficultés à faire évoluer les pratiques professionnelles, encore basées à l’excès sur le présentéisme. La majorité des femmes qui travaillent se trouvent sur le marché des emplois précaires, qui concerne 40 % des actifs des deux sexes. Par ailleurs, la hausse des suicides constatée depuis l’année dernière au Japon touche davantage les femmes. Je suis bien consciente de la situation.

C’est un domaine dans lequel la coopération avec le Japon rencontre quelques difficultés à prendre forme, malgré des initiatives du côté français, tant sur le plan bilatéral, depuis l’ambassade, que sur le plan multilatéral – le G7 de Biarritz a débouché sur un partenariat pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’inégalité hommes-femmes est étroitement liée au problème de la natalité, qui connaît une baisse constante au Japon. Ce problème a aussi contraint le pays à revoir sa politique migratoire, traditionnellement très fermée – une ouverture limitée a été décidée en 2019 pour combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs où la demande est la plus forte, comme la construction – la main-d’œuvre vient essentiellement des pays d’Asie du Sud-Est, notamment les Philippines. J’ajoute que le gouvernement japonais ne compte que deux femmes à l’heure actuelle.

La pêche à la baleine est devenue très réglementée. Le Japon a repris cette activité en 2019 mais en introduisant des quotas pour éviter une surpêche et en limitant les zones concernées – il n’y a plus de pêche en haute mer dans ce domaine. Par ailleurs, la demande de baleine baisse : sa consommation fait de moins en moins partie des mœurs. Il est probable que cette pêche baisse également, mais nous devons être vigilants. L’objectif d’un développement d’une pêche durable est inscrit dans l’accord.

Les droits des femmes et les conventions de l’OIT que vous avez mentionnées, madame Clapot, sont des questions qui pourront être abordées dans le cadre de l’accord. Nous pourrons sensibiliser le ministre à ce sujet, comme à tous ceux qui sont délicats.

S’agissant des enfants en grande difficulté à la suite de séparations ou de divorces, nous pourrons peut-être – je le souhaite de tout cœur – adopter une résolution, comme l’ont fait le Sénat et le Parlement européen.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je suis très sensible, à titre personnel, aux observations formulées par Mme Clapot et M. Lecoq sur les insuffisances qu’on observe au Japon en matière de droits de l’homme et de droits de la personne. Je pense aussi qu’il y a un problème écologique, avec la pêche à la baleine, un problème d’égalité entre les hommes et les femmes et des problèmes de coopération judiciaire qui ont été beaucoup mis en avant à l’occasion du procès de M. Ghosn. En ce qui concerne certaines dispositions de l’OIT, notamment relatives aux enfants, la situation est également imparfaite.

Il appartient à chacun d’en tirer des conclusions. Il me semble, pour ma part, qu’il faut bien voir que ce partenariat stratégique, différent d’un partenariat économique, comme l’a très bien dit M. David, permet de poser enfin, même si c’est peut-être imparfaitement ou insuffisamment, ces problèmes fondamentaux de nature démocratique. L’accord de partenariat ne signifie en aucune façon que nous cautionnons certaines pratiques qui peuvent être différentes des nôtres. Nous créons un cadre visant à réfléchir ensemble et, dans toute la mesure du possible, à progresser dans ces domaines, qui cessent ainsi d’être tabous ou mis sous le tapis. Certains diront que le compte n’y est pas – c’est un peu ce qu’a indiqué M. Lecoq, si j’ai bien compris – mais d’autres relèveront surtout qu’on crée un partenariat et qu’on va avancer sur cette base, en abordant enfin des questions qui sont fondamentales sur le plan des droits humains.

La commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le texte est adopté à une très large majorité, mais pas à l’unanimité.

 

 


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   annexes

   Annexe n° 1 : texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Japon, d’autre part, signé à Bruxelles le 17 juillet 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 


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   Annexe n° 2 : liste des personnes auditionnées
par la rapporteure

   M. Emilien Roulot, rédacteur à la direction générale des affaires politiques et de sécurité, sous-direction d’Extrême Orient de la direction d’Asie et d’Océanie

   M. Guillaume Abisset, rédacteur à la direction de l’Union européenne, sous-direction des relations extérieures de l’Union européenne

   Mme Lou Brenez, rédactrice à la mission des Accords et traités de la direction des affaires juridiques

   M. Stéphane Dupuis, secrétaire général adjoint

   M. Aurélien Billot, chef du secteur commerce et développement

   Mme Constance Deler, cheffe du secteur Parlements

   M. Ihara Junichi, ambassadeur du Japon en France

   M. Frank Michelin, historien, professeur à l’université Teikyo

   Mme Guibourg Delamotte, chercheuse et maître de conférences au Centre d’études japonaises de l’Inalco

   Mme Karoline Postel-Vinay, directrice de recherche au centre de recherches international (CERI) – Sciences Po


   ANNEXE N°3 : liste des accords sectoriels bilatéraux entre l’union européenne et le japon

 

 

 


   annexe n°4 : Liste des principaux accords bilatéraux entre la France et le Japon

 

Relations bilatérales

 

Sécurité & Défense

 

 


([1]) Le parti libéral démocrate (PLD) est le principal parti politique japonais, situé à droite de l’échiquier politique.  Le parti a été à la tête du pays depuis sa création en 1955, à l’exception de quelques mois en 1993 et d’une période de trois ans entre 2009 et 2012.

([2])  « Bilan contrasté de l’ère Abe : Tensions domestiques, succès diplomatiques - Lettre du Centre Asie, n° 83, 4 septembre 2020 », Céline Pajon

([3]) A la date de présentation du rapport, la rencontre était prévue pour le 9 avril.

([4])  Ce constat a été poursuivi dans des conclusions du Conseil (Affaires étrangères) du 28 mai 2018 sur le « renforcement de la coopération de l’Union européenne en matière de sécurité avec ses partenaires asiatiques ».

([5]) https://www.gov.uk/government/publications/global-britain-in-a-competitive-age-the-integrated-review-of-security-defence-development-and-foreign-policy/global-britain-in-a-competitive-age-the-integrated-review-of-security-defence-development-and-foreign-policy  

([6]) L’ASEAN est organisation régionale intergouvernementale fondée en 1967 et regroupant aujourd’hui 10 pays d’Asie du Sud-Est : Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Viêt Nam, Laos, Birmanie et Cambodge.

([7]) Ce point fait notamment écho aux tensions existantes en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale, où se trouvent les îles Senkaku (Diaoyutai en chinois) qui font l’objet d’un conflit territorial opposant le Japon et à la Chine.

([8]) La France compte ainsi 1,6 million de citoyens répartis sur sept régions, départements et collectivités d’outre-mer (DROM-COM) que sont Mayotte, la Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton, et auxquels s’ajoutent 8 000 militaires en mission et près de 80 % de la zone économique exclusive française.

([9]) L’Allemagne, jusqu’alors en retrait sur la question, a ainsi publié le 2 septembre 2020 ses directives politiques pour la région de l’Indopacifique, dans le contexte de la présidence allemande de l’Union européenne.

([10]) Voir notamment le « Livre bleu diplomatique » du Japon https://www.mofa.go.jp/policy/other/bluebook/2020/html/fr/index.html

([11])  Par exemple, les taxes sur les vins et mousseux sont passées à 0, contre 15 % auparavant, de même que les taxes pour la viande de porc transformée, qui s’élevaient à 8,5 %. Les professionnels de la viande bovine voient par ailleurs les droits de douane passer de 38,5 % à 9 % d’ici à 15 ans.

([12])  Les services du MEAE ont indiqué à votre rapporteure que ces négociations étaient à l’arrêt du fait d’une divergence entre l’Union européenne et le Japon sur la nouvelle approche européenne en matière de règlement des différends entre investisseurs et États.

([13])  Par exemple, si les parties s’engagent à « ne pas affaiblir les législations nationales en matière de travail et d’environnement dans le but d’attirer des échanges commerciaux et des investissements », certaines ONG ont déploré l’absence de sanctions commerciales en cas de manquement, seule une « sanction » politique étant prévue via la publication d’un rapport d’experts indépendants.

([14]) Les dix États membres de  l’ASEAN (Vietnam, Malaisie, Singapour, Brunei, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Laos, Myanmar, Cambodge) et cinq autres États d’Asie-Pacifique : la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

([15])  C’est le cas, par exemple, des articles 15 (transports), 23 (environnement), 24 (politique climatique), 26 (énergie), 27 (agriculture), 30 (emploi et affaires sociales), 31 (santé), 32 (coopération judiciaire) ou encore 38 (migration). Pour ces articles, l’Union dispose toutefois d’une compétence exclusive dans la mesure où ils portent sur des questions pour lesquelles elle a déjà exercé sa compétence interne.

([16]) Entre 100 et 200 000 parents japonais seraient concernés chaque année ainsi que des centaines de parents étrangers, dont des Français dont le nombre est estimé entre 30 et 300. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/17/le-drame-des-parents-separes-de-leurs-enfants-au-c-ur-d-un-proces-au-japon_6026155_3210.html

([17])  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/B-9-2020-0205_FR.html Cette résolution a été précédée de quelques mois par l’adoption au Sénat de la proposition de résolution de Richard Yung et plusieurs de ses collègues relative aux enfants franco-japonais privés de tout lien avec leur parent français à la suite d'un enlèvement parental (5 février 2020).

([18])  Cette loi permit aux FAD de soutenir les troupes américaines et alliées dans l’océan Indien et dans le golfe Arabo-Persique via un ravitaillement en carburant, du transport logistique et du soutien médical. Pour plus de précisions voir « L’article 9 de la Constitution japonaise : vers une résurgence de l’armée nipponne ? », Landreau, Alexis in Revue Défense Nationale, 2016, vol. 793, no. 8, pp. 97-102.

([19])  https://ec.europa.eu/luxembourg/news/EU-and-Japan-select-first-Erasmus-Mundus-Joint-Master-Programmes_fr

([20]) On peut également citer parmi les initiatives déjà lancées, on peut citer le un programme d’échanges de fonctionnaires entre la Commission européenne et le ministère japonais de l’éducation, de la culture, des sports, de la science et des technologies (MEXT).

([21]) https://ec.europa.eu/research/iscp/pdf/eu-japan_strategy_paper.pdf  

([22])  https://www.horizon2020.gouv.fr/cid73300/comprendre-horizon-2020.html

([23]) Pour plus de précisions voir notamment Le programme spatial du Japon. S’éloigner des objectifs non offensifs ?, Lionel Fatton in Asie.Visions, n° 115, juillet 2020.