N° 4179

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mai 2021

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali,

PAR Mme Sira SYLLA

Députée

——

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3816


 


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SOMMAIRE

Pages

introduction

I. le mali : un partenaire et un ami de la France au SAHEL

A. Un contexte politique de transition

B. Une organisation judiciaire proche du système français

C. Des progrès encore attendus dans la garantie des droits de l’homme et du justiciable

D. Une coopération ancienne avec la France

II. deux textes organisant la coopération pénale et l’extradition

A. la convention d’entraide judiciaire

B. la convention d’extradition

III. Une ratification qui s’impose

A. Un contexte sécuritaire préoccupant malgré le soutien militaire français

B. une criminalité organisée centrée sur des trafics

C. des conventions modernes pour une réponse judiciaire plus efficace

Examen en commission

Annexe  1 : texte adopté par la commission

ANNEXE n° 2 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

 


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   introduction

 

La commission des affaires étrangères est saisie d’un projet de loi autorisant l’approbation d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale et d’une convention d’extradition, conclues avec le Gouvernement de la République du Mali.

Ces conventions sont nées du rapport remis en octobre 2016 par un groupe de travail conduit par le ministère français de la justice et consacré à l’entraide pénale en matière de lutte contre le terrorisme avec les principaux États de la bande sahélo-saharienne. Elles tendent, dans un contexte de menace terroriste et d’internationalisation de la criminalité organisée, à moderniser et à fluidifier la coopération judiciaire en matière pénale avec un État qui est un ami et un partenaire historique de la France.

 

 

 

 


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I.   le mali : un partenaire et un ami de la France au SAHEL

Le Mali est uni à la France non seulement par une histoire partagée et ancienne et par des liens d’amitié enracinés mais aussi par une importante coopération militaire et civile et par une tradition juridique et administrative commune.

A.   Un contexte politique de transition

Un coup d’État, sur fond de contestation populaire, a renversé le 18 août 2020 le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBL). Ce coup d’État a mis fin à une situation de carence de l’autorité qui perdurait depuis plusieurs mois, situation qu’on pouvait qualifier de pré-insurrectionnelle. Mené par de jeunes officiers, le coup d’État, qui s’est effectué sans effusion de sang, a été bien accueilli par la population. La transition a été accompagnée par la France et par les partenaires régionaux du Mali, notamment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ont pris acte de la nouvelle situation politique. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est rendu à Bamako les 25 et 26 octobre 2020 afin de relancer la relation bilatérale franco-malienne.

L’« architecture de la transition », d’une durée de dix-huit mois, est désormais en place et comporte un exécutif tricéphale (président, vice-président, premier ministre) et un organe législatif, le Conseil national de transition (CNT). Les autorités de transition, qui mêlent des « putschistes » (vice-président, président de l’organe législatif de transition, ministre de la défense, ministre de la réconciliation nationale) et des personnalités civiles (président, premier ministre, autres membres du gouvernement) se sont dotées d’un plan d’action. Ce dernier prévoit d’importantes réformes (amélioration de la gouvernance, lutte contre la corruption), la mise en œuvre de l’Accord de paix de 2015 ([1]) (conclu avec les groupes sécessionnistes du nord mais dont la mise en œuvre tarde à se concrétiser), la sécurisation du territoire et l’organisation d’élections (référendum constitutionnel, élections locales, législatives et présidentielle). Le calendrier électoral est désormais connu, avec un second tour de l’élection présidentielle prévu en mars 2022. Le jeu électoral pour ce scrutin est assez ouvert dans la mesure où le principal chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, est décédé du Covid‑19 après avoir été détenu pendant plus de six mois par des djihadistes. Les partis politiques apparaissent assez largement décrédibilisés. Depuis l’année dernière, on évoque des candidatures comme celles de l’ancien Premier ministre Boubou Cissé ou de personnalités du secteur économique. Tout l’enjeu est bien entendu que le calendrier prévu soit respecté et que toute tentation de prolonger la « transition » soit écartée par les autorités en place.

B.   Une organisation judiciaire proche du système français

L’organisation de la justice malienne est proche de celle de la justice française mais comporte un seul ordre juridictionnel, divisé par type de contentieux et par degré de juridiction ([2]). La magistrature malienne comporte 515 membres (y compris ceux exerçant en matière administrative) pour vingt millions d’habitants.

La plus haute instance juridictionnelle du pays est la Cour suprême, chargée d’assurer l’unité du droit national. Elle compte trois sections : une section judiciaire, une section administrative et une section des comptes. Chaque cour d’appel (Bamako, Kayes et Mopti) comprend au moins une chambre civile, une chambre commerciale, une chambre sociale, une chambre correctionnelle et une chambre d’accusation. Les affaires criminelles sont jugées par une formation spécifique de la cour d’appel qui constitue la cour d’assises. L’étendue du territoire malien, notamment celle du ressort de la cour d’appel de Mopti (plus de 700 000 km²), combinée à l’absence de voies de communication praticables, en particulier pendant la saison humide, rendent compliqué l’accès à la justice d’appel.

Les juridictions de première instance se répartissent en deux groupes : les juridictions de droit commun et les juridictions spécialisées. Les juridictions de droit commun sont les tribunaux de première instance et les justices de paix. Elles connaissent des actions civiles et coutumières et statuent également en matière correctionnelle. Près de quatre-vingt-dix pour cent des dossiers dont sont saisies les juridictions de droit commun concernent des litiges fonciers.

Les juridictions spécialisées comprennent les tribunaux du travail, les tribunaux de commerce, les tribunaux administratifs et les tribunaux militaires. Des pôles spécialisés dans la lutte contre les infractions économiques et financières sont constitués auprès de chacune des trois cours d’appel, avec des magistrats (du parquet et de l’instruction) spécialisés.

Une loi du 21 mai 2013 (modifiant celle du 20 août 2001 portant code de procédure pénale) a créé, au tribunal de première instance de la commune VI du district de Bamako, un pôle judiciaire spécialisé (PJS) dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée. Ce pôle est composé d’un parquet spécialisé placé sous l’autorité du procureur de la République, de cabinets d’instruction spécialisés et d’une brigade d’investigation spécialisée (BIS). Le PJS est destinataire des procès-verbaux établis par l’Office central des stupéfiants en matière de trafic international de stupéfiants.

Les effectifs du PJS ont été progressivement augmentés pour atteindre six parquetiers et dix juges d’instruction. Ceux de la BIS (25 gendarmes et 25 policiers) sont en cours de doublement. Des antennes du PJS sont en cours de constitution, notamment dans le centre (à Mopti) et à l’ouest (à Kayes), afin de lui donner un meilleur maillage territorial. Le pôle a une compétence exclusive sur toute l’étendue du territoire national pour la poursuite et l’instruction des infractions commises en matière de terrorisme et de criminalité transnationale organisée, ainsi que de blanchiment et des infractions connexes.

Le tribunal correctionnel de la commune VI du district de Bamako (en ce qui concerne les délits) et la cour d’assises de Bamako (s’agissant des crimes) ont une compétence exclusive pour le jugement de ces affaires. Cette compétence exclusive, censée permettre un traitement plus efficace, est néanmoins source de difficultés en raison de l’encombrement de la cour d’assises de Bamako par les affaires de droit commun (la grande majorité des dossiers traités par le PJS étant des crimes).

Il existe enfin une Cour Constitutionnelle, chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois.

C.   Des progrès encore attendus dans la garantie des droits de l’homme et du justiciable

La situation de l’État de droit et des droits de l’homme apparaît préoccupante au Mali en raison de l’instabilité politique (coups d’État de 2012 et 2020), des faiblesses institutionnelles du pays (corruption, manque de moyens, insuffisante séparation des pouvoirs) et de la situation sécuritaire dégradée au centre et au nord (violences intercommunautaires, attaques djihadistes, exactions imputées aux forces de défense et de sécurité). La France a eu l’occasion, tant publiquement que lors d’entretiens bilatéraux, de faire part à ses interlocuteurs maliens de sa préoccupation sur ces différents points. En lien avec ses partenaires internationaux, elle apporte au Mali une aide qui revêt différentes formes : appui technique au renforcement et au redéploiement de l’État, formations au respect des droits de l’homme, aide budgétaire conditionnée à certaines réformes, appui à certaines enquêtes.

En ce qui concerne plus spécialement la procédure pénale, le nouveau code, issu d’une loi du 20 août 2001 ([3]), énonce, en son article 1er, qu’elle doit être équitable, contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. Le code consacre également le principe de la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. La présomption d’innocence est proclamée à l’article 2, qui dispose en outre qu’il doit être statué sur la prévention ou l’accusation pesant contre une personne dans un délai raisonnable. L’organisation du ministère public est identique à celle existant en France mais le ministre de la justice dispose toujours du pouvoir de donner des instructions au parquet dans des affaires individuelles (toutefois le principe selon lequel « la plume est serve mais la parole est libre » s’applique). Les crimes sont jugés par la cour d’assises (spécialement composée en matière de terrorisme), les délits par les tribunaux correctionnels et les contraventions par les tribunaux de simple police.

Les nombreuses ouvertures d’informations judiciaires entraînent un encombrement des cabinets d’instruction de droit commun qui comptent régulièrement plus de 300 dossiers. Ceci, ajouté aux faibles moyens d’investigation à la disposition des juges d’instruction, est à l’origine des longs délais de traitement de ces dossiers. Le manque parfois de formation des professionnels de la justice (magistrats, officiers de police judiciaire, avocats, etc.), peut contribuer aussi aux lenteurs de traitement du système judiciaire. Si l’on ajoute à ceci l’existence de certains cas de corruption, il en ressort que le fonctionnement de la justice pénale malienne, malgré toutes les avancées réalisées, doit encore progresser dans la garantie des droits du justiciable.

S’agissant de la peine de mort, elle est toujours prévue, parmi les peines criminelles, à l’article 4 du code pénal malien. Son abolition officielle n’est pas actuellement envisagée, en raison du contexte sécuritaire très dégradé et de la multiplication en de nombreux points du territoire d’attentats terroristes dont sont victimes en premier lieu les populations civiles et les représentants de l’État (notamment les membres des forces armées et des forces de sécurité intérieure). La peine capitale n’est toutefois pas appliquée en pratique. Le Mali est donc un État abolitionniste de fait. La dernière exécution remonte à 1981.

Des condamnations à mort continuent certes d’être prononcées par les cours d’assises. Trente personnes auraient ainsi été condamnées à mort en 2020 d’après Amnesty international. Ces condamnations à mort sont commuées en réclusion criminelle à perpétuité par le biais d’un mécanisme prévu par la loi organisant la grâce présidentielle, qui fait obligation au procureur général de Bamako d’adresser une demande de grâce pour toute condamnation à mort devenue définitive. Faute de statistiques disponibles, le chiffre global et précis des condamnations à mort prononcées depuis l’ultime exécution de 1981 n’est pas connu. Quoi qu’il en soit, ces condamnations restent manifestement assez nombreuses en matière de terrorisme. Un certain nombre ont été prononcées lors de la session de la cour d’assises de Bamako qui s’est déroulée d’août à novembre 2020. Tel a été le cas, par exemple, pour les auteurs des attentats terroristes du restaurant La Terrasse et de l’hôtel Radisson Blu, perpétrés à Bamako en 2015, qui ont été condamnés à mort ([4]).

Dans le cadre des procédures actuelles d’entraide judiciaire et d’extradition, la France, comme d’autres États, demande à la partie malienne des garanties que, en cas de peine de mort prononcée, celle-ci ne soit pas exécutée. Le Mali accorde systématiquement ces garanties.

D.   Une coopération ancienne avec la France

Les liens entre le Mali et la France sont étroits et très anciens et vont bien au-delà de la similarité en matière judiciaire et administrative. La langue officielle du Mali est le français. On dénombre dans le pays plus de 8 000 ressortissants français (dont 80 % de binationaux) ([5]). Dans la rue, le sentiment anti-français est rare (même si un tel discours est parfois instrumentalisé par de petits groupes d’opposition qui l’alimentent par le biais de fausses informations diffusées sur les réseaux sociaux). La criminalité ordinaire dans les grandes villes épargne largement les expatriés.

La coopération économique entre les deux pays est par ailleurs solide. La France est le principal partenaire économique du Mali : premier employeur direct privé, premier pays en nombre d’entreprises présentes sur le sol malien, principal contributeur étranger aux recettes de l’État (20 % du total) et deuxième investisseur. Le Mali est l’un des 19 pays prioritaires de la politique de développement française. La France est le deuxième bailleur bilatéral du pays. En 2019, le Mali est devenu le premier pays bénéficiaire de subventions de l’Agence Française pour le Développement (96,5 millions d’euros, soit plus de 63 milliards de francs CFA).

Sur le plan multilatéral, la France et le Mali sont déjà parties à plusieurs conventions de coopération judiciaire en matière pénale, adoptées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, dont la Convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ([6]), la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988 ([7]), la Convention contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 ([8]) et la Convention contre la corruption du 31 octobre 2003 ([9]). La France et le Mali sont également tous deux parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies ([10]).

Sur le plan bilatéral, la France et le Mali sont actuellement liés par un Accord de coopération en matière de justice signé à Bamako le 9 mars 1962. Leur coopération de nature pénale intervient essentiellement en matière de terrorisme et de criminalité organisée. Cette entraide judiciaire est une des plus importantes de l’Afrique de l’Ouest. Elle est facilitée par l’existence au Mali d’un service judiciaire spécialisé en matière de terrorisme.

Dans les faits, la France sollicite davantage l’assistance des autorités maliennes que l’inverse. En matière d’entraide aux fins d’enquête, depuis le 1er janvier 2011, la France a adressé 64 demandes d’entraide aux autorités maliennes alors que celles-ci ont transmis sept demandes d’entraide aux autorités françaises. Plus précisément, depuis 2015, la France a adressé vingt-sept demandes d’entraide judiciaire en matière pénale au Mali, dans le cadre de procédures suivies notamment pour des faits d’association de malfaiteurs ou de meurtre. Parmi ces demandes françaises, quatorze concernaient des affaires de terrorisme. Sur l’ensemble de ces vingt-sept demandes, quatre ont déjà fait l’objet d’une exécution. Sur la même période, le Mali a transmis cinq demandes d’entraide judiciaire à la France, dont une a été exécutée à ce jour.

En matière d’extradition, depuis 2009, dix demandes ont été adressées par les autorités françaises aux autorités maliennes dont deux sont toujours en cours (demandes adressées en décembre 2019 et août 2020). Ces dix demandes concernaient principalement des faits d’atteintes aux personnes (viol sur mineur (1), enlèvement et séquestration (1), homicide (3)), de trafic de stupéfiants (2), d’atteintes à la paix publique (terrorisme (1)), ainsi que d’atteintes aux biens (escroquerie (1) et vol aggravé (1)). Ces dossiers ont donné lieu pour l’instant à neuf remises. Les difficultés identifiées tiennent au délai de traitement et à l’absence de communication des autorités maliennes au cours de la procédure, en dépit des interventions en ce sens du magistrat de liaison français (présent à Dakar). Jusqu’en 2010, les demandes étaient traitées en quelques mois mais, depuis lors, le délai de traitement varie entre un an et demi et deux ans et demi. Par ailleurs, dans la majorité des dossiers, il a été difficile d’obtenir l’information concernant la période passée sous écrou extraditionnel par la personne remise.

Sept demandes d’extradition ont été adressées depuis 2002 par les autorités maliennes aux autorités françaises. Ces demandes concernaient des faits d’atteintes aux biens : escroquerie et d’abus de confiance (5), faux et usage de faux (1) et vol (1). La peine de mort n’a été ni prononcée ni encourue dans ces dossiers. Aucun d’entre eux n’a effectivement donné lieu à remise. Plusieurs dossiers sont demeurés au stade de l’interpellation (dans deux cas, la personne recherchée n’a pas pu être localisée sur le territoire français ; dans trois cas, la demande d’extradition n’a pas été transmise après l’interpellation ou l’a été de manière incomplète, en dépit de relances, ce qui ne permettait pas la poursuite de la procédure). Un dossier a connu une phase judiciaire qui s’est toutefois achevée par un avis défavorable, en l’absence de réponse à une demande de compléments visant à vérifier la prescription. En ce qui concerne le dernier dossier, le décret d’extradition n’a pu être notifié à l’intéressé, en fuite alors qu’il était sous contrôle judiciaire. Les difficultés identifiées ici tiennent à l’absence de suivi et de réactivité, de la part des autorités maliennes, concernant leurs demandes.

II.   deux textes organisant la coopération pénale et l’extradition

Les présentes conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition ont été signées entre la France et le Mali le 29 octobre 2019.

Une fois en vigueur, ces deux conventions se substitueront aux stipulations relatives à l’entraide pénale et à l’extradition contenues dans l’Accord de coopération en matière de justice du 9 mars 1962. Les articles 12 à 17 de cet accord seront abrogés, de même que ses articles 41 à 58. Les stipulations de la convention d’entraide judiciaire de 2019 remplaceront par ailleurs les articles 1er à 4 et les articles 6 à 11 de l’accord de 1962 en tant qu’ils sont susceptibles de s’appliquer à l’entraide judiciaire en matière pénale. En revanche, les stipulations de cet accord relatives à la coopération en matière civile et commerciale ainsi que celles relatives au transfèrement de personnes condamnées demeureront en vigueur ([11]).

Les présentes conventions sont le résultat d’un travail approfondi mené sur plusieurs années. Elles offrent un texte particulièrement abouti. Elles reprennent les mécanismes standards de coopération de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Des conventions quasi similaires ont été signées avec les autorités burkinabè et nigériennes respectivement les 24 avril et 5 juin 2018 ([12]). Des négociations analogues ont aussi été finalisées avec le Sénégal en février 2020 et sont en attente de signature.

A.   la convention d’entraide judiciaire

La convention d’entraide judiciaire conclue avec le Mali acte l’engagement des parties à s’accorder l’entraide judiciaire la plus large possible en matière pénale, y compris dans les procédures tendant à engager la responsabilité d’une personne morale (article 1er).

L’entraide peut être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques ([13]) ou si la partie requise estime que son exécution est de nature à porter atteinte à l’ordre public, à sa souveraineté ou à sa sécurité (article 2). Les infractions fiscales entrent en revanche dans le champ des conventions (quand bien même la partie requise n’imposerait pas le même type de taxes que la partie requérante).

Les demandes d’entraide, et les réponses qui y sont apportées, sont échangées d’un ministère de la justice à l’autre (article 3). En cas d’urgence, les autorités judiciaires peuvent s’adresser directement copie de ces demandes. Pour la France, c’est le bureau de l’entraide pénale internationale de la direction des affaires criminelles et des grâces qui traitera l’ensemble des demandes échangées par les deux pays.

L’article 5 définit le contenu de la demande d’entraide (autorité en charge de la procédure, exposé sommaire des faits, dispositions légales applicables aux faits en cause, identité et nationalité de la personne faisant l’objet de la procédure, etc.).

En application de l’article 6, les demandes d’entraide sont exécutées conformément à la législation de la partie requise, laquelle « exécute la demande d’entraide dès que possible, en tenant compte des échéances de procédure ou d’autre nature indiquées par la Partie requérante ». Si la partie requise y consent, les autorités de la partie requérante peuvent assister à l’exécution de la demande et interroger un témoin ou un expert ou les faire interroger.

Si la partie requise juge opportun d’entreprendre des investigations non prévues initialement, elle en informe sans délai la partie requérante pour lui permettre de prendre de nouvelles mesures en ce sens (article 7).

Si la partie requérante estime que la comparution personnelle d’un témoin ou d’un expert devant ses autorités judiciaires est particulièrement nécessaire, elle en fait mention dans la demande (articles 8). La partie requise invite la personne concernée à comparaître et fait connaître la réponse de l’intéressée. Le témoin ou l’expert qui n’aura pas déféré à une citation à comparaître ne pourra être soumis à aucune sanction ou mesure de contrainte, à moins qu’il ne se rende par la suite de son plein gré sur le territoire de la partie requérante et qu’il n’y soit régulièrement cité à nouveau.

Un témoin ou un expert comparaissant, à la suite d’une citation, devant les autorités judiciaires de la partie requérante ne peut être poursuivi, détenu ou soumis à une restriction de sa liberté individuelle sur le territoire de cette partie pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la partie requise (article 9). De même, une personne poursuivie ne peut être soumise par la partie requérante à une restriction de sa liberté individuelle pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la partie requise et non visés par la citation. Ces immunités cessent lorsque la personne concernée, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la partie requérante pendant quinze jours consécutifs après que sa présence n’était plus nécessaire, est demeurée sur ce territoire ou y est retournée après l’avoir quitté.

Les témoins, experts ou parties civiles peuvent être entendus par visioconférence (article 10).

Toute personne détenue dans la partie requise dont la comparution personnelle en qualité de témoin ou aux fins de confrontation est demandée par la partie requérante est transférée temporairement sur le territoire de celle-ci, sous condition de son consentement écrit et de son renvoi dans le délai indiqué par la partie requise (articles 11 à 13).

L’envoi et la remise d’actes de procédure et les demandes d’informations en matière bancaire sont prévus et encadrés respectivement par les articles 14 et 15.

La partie requise exécute les demandes de perquisitions, de saisies de pièces à conviction et de gels d’avoirs (le cas échéant en imposant des conditions quant aux objets qu’elle remettra) et informe la partie requérante du résultat de leur exécution (article 16).

Si les produits et les instruments d’une infraction à la législation de la partie requérante se trouvent dans la juridiction de la partie requise, celle-ci prend les mesures nécessaires pour empêcher que ceux-ci fassent l’objet de transactions avant qu’une juridiction de la partie requérante n’ait pris une décision définitive à leur égard (article 17).

La convention prévoit par ailleurs la possibilité de recourir à plusieurs techniques spéciales d’enquête telles que les opérations d’infiltration (article 20), les interceptions de télécommunications (article 23) et les « livraisons surveillées » (article 19). Ces dernières consistent à laisser passer certains convois de drogues pour permettre l’identification et l’arrestation des commanditaires ou des destinataires du trafic, et non pas des seuls convoyeurs.

Une partie peut dénoncer à l’autre partie des faits susceptibles de constituer une infraction pénale relevant de sa compétence afin que des poursuites puissent être diligentées sur son territoire (article 24). Les parties peuvent, sans qu’une demande ait été présentée en ce sens, se transmettre ou échanger des informations concernant des faits pénalement punissables (article 25).

L’article 26 régit la communication des extraits de casier judiciaire, laquelle doit s’effectuer conformément à la législation de la partie requise.

La convention encadre l’usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus et prévoit des garanties assurant leur confidentialité (article 27).

L’article 28 fixe les conditions dans lesquelles les données à caractère personnel peuvent être utilisées par la partie à laquelle elles ont été transmises. Il prévoit en particulier que ces données ne peuvent être utilisées que pour la procédure concernée (ou les procédures judiciaires et administratives qui lui sont directement liées) ou pour prévenir une menace immédiate et sérieuse visant la sécurité publique. La mention de ces garanties est nécessaire du fait que le Mali n’a pas fait l’objet d’une « décision d’adéquation » de la part de la Commission européenne, qui aurait permis de reconnaître que ce pays assure un niveau adéquat de protection des données personnelles.

Enfin les articles 31 à 34 précisent les conditions d’articulation de la convention avec l’accord de coopération en matière de justice du 9 mars 1962. Ils reprennent les stipulations traditionnelles en matière de consultations, de règlement des différends, de modifications, d’entrée en vigueur et de dénonciation.

B.    la convention d’extradition

Le point de blocage majeur qui a occupé les deux parties a porté sur l’article consacré au motif de refus spécifique d’extradition en cas de peine de mort ou de peine contraire à l’ordre public de la partie requise encourue et aux assurances jugées suffisantes par la France permettant de faire exception à ce refus, la partie malienne ayant in fine accepté la proposition française dans l’intérêt des demandes d’extradition maliennes.

L’extradition est une procédure juridique par laquelle un État livre l’auteur d’une infraction à un autre État pour qu’il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine.

La convention d’extradition conclue avec Mali acte l’engagement des parties à se livrer réciproquement les personnes recherchées, soit pour l’exercice de poursuites pénales, soit pour l’exécution d’une peine privative de liberté (article 1er). Peuvent donner lieu à extradition les faits punis, en vertu des lois des deux parties, d’une peine privative de liberté d’au moins deux ans (article 2). Dans le cas d’une extradition sollicitée aux fins d’exécution d’une peine, la durée de la peine restant à exécuter doit être d’au minimum six mois.

L’article 3 précise les motifs obligatoires de refus d’extradition. Tel est le cas lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique. L’extradition est aussi refusée notamment si la partie requise a des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cette personne risque d’être aggravée pour l’une de ces raisons.

L’extradition est également refusée si l’infraction est punie de la peine capitale dans le droit de la partie requérante, sauf si cette dernière « donne des assurances jugées suffisantes par la partie requise que cette peine ne sera pas requise et que si elle est prononcée elle ne sera pas exécutée » (article 5). Cette dernière rédaction, devenue classique, est conforme aux exigences posées par le Conseil d’État ; la France sollicite systématiquement son inscription dans les conventions d’extradition, même celles négociées avec des pays ayant aboli la peine de mort ou ne l’appliquant plus. Cette stipulation a constitué momentanément un point délicat dans les négociations avec la partie malienne mais celle-ci y a finalement acquiescé.

Conformément à un principe traditionnel du droit international, les nationaux ne peuvent être extradés (article 6).

L’article 4 énumère certains motifs facultatifs de refus d’extradition. Celle-ci peut ainsi être refusée lorsque les autorités judiciaires de la partie requise ont compétence pour connaître de l’infraction à l’origine de la demande d’extradition.

Les articles 7 à 10 définissent la procédure à suivre et, en particulier, le contenu de la demande écrite d’extradition (exposé des faits, dispositions légales applicables, signalement de la personne réclamée, etc.), laquelle est transmise par la voie diplomatique. En cas d’urgence, la partie requérante peut demander (par la voie diplomatique, par le canal d’Interpol ou autre) l’arrestation provisoire de la personne recherchée (article 16).

La partie requise doit faire connaître « dans les meilleurs délais » sa décision sur l’extradition et motiver tout rejet, même partiel (article 11). La partie requise peut, après avoir accepté l’extradition, ajourner la remise de la personne réclamée lorsqu’il existe sur son territoire des procédures en cours à son encontre ou lorsqu’elle purge une peine pour une autre infraction (article 12).

Les biens issus de l’infraction et pouvant servir de pièces à conviction sont remis à la partie requérante (article 13).

L’article 19 règle les hypothèses de concours de demandes, la partie requise devant tenir compte, pour trancher dans de tels cas, de toutes les circonstances, et notamment de la gravité et du lieu de commission des faits, des dates respectives des demandes, de la nationalité de la personne réclamée et de la possibilité d’une extradition ultérieure vers un autre État.

Les conventions consacrent le principe, issu de la coutume, dit « de spécialité » (articles 14 et 15). Ce principe interdit toute poursuite pour un fait autre que celui ayant motivé l’extradition. Des exceptions sont néanmoins prévues lorsque la partie requise y consent ou lorsque la personne réclamée, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la partie à laquelle elle a été livrée, ne l’a pas quitté dans un délai de soixante jours suivant sa libération définitive ou y est retournée après l’avoir quitté.

Si la partie requise en exprime le souhait, la partie requérante doit l’informer « de l’issue des poursuites pénales engagées contre la personne extradée, de l’exécution de sa peine ou de sa réextradition vers un État tiers » (article 17).

L’article 20 fixe les conditions dans lesquelles les données à caractère personnel peuvent être utilisées par la partie à laquelle elles ont été transmises.

Les articles 23 à 25 précisent les conditions d’articulation de la convention avec l’accord de coopération en matière de justice du 9 mars 1962, et reprennent les stipulations traditionnelles en matière de règlement des différends, d’application dans le temps, d’entrée en vigueur et de dénonciation de la convention.

III.   Une ratification qui s’impose

La signature des présentes conventions avec le Mali, tout comme celle des conventions conclues avec le Burkina Faso et le Niger en 2018, fait suite aux réflexions d’un groupe de travail interministériel piloté par le ministère français de la justice et consacré à l’entraide pénale en matière de lutte contre le terrorisme avec des États du continent africain identifiés comme prioritaires (Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso).

L’approbation des conventions conclues avec le Mali apparaît aujourd’hui indispensable tant pour répondre au défi grandissant du terrorisme que pour lutter contre les réseaux internationaux de criminalité. Les évolutions de la criminalité rendent en effet nécessaire le renforcement de la coopération pénale avec cet État, comme le réclament les juridictions françaises. L’internationalisation et la complexification croissantes de la criminalité traitée par celles-ci (trafic d’êtres humains, trafic de stupéfiants, trafic d’armes, terrorisme, etc.) requièrent d’améliorer les canaux de coopération, y compris en matière de remise des personnes. L’ancien accord bilatéral apparaît en effet obsolète sur bien des points d’autant plus que, depuis sa conclusion en 1962, les moyens techniques et technologiques ont été révolutionnés, avec en particulier l’émergence et la généralisation du numérique et de la dématérialisation.

A.   Un contexte sécuritaire préoccupant malgré le soutien militaire français

À la suite de l’insurrection au nord du Mali et du coup d’État du 21 mars 2012, la situation sécuritaire du pays s’est considérablement dégradée. À la poussée indépendantiste des tribus du Nord est venue s’ajouter une montée en puissance des groupes djihadistes qui ont pu trouver chez les premiers des alliés de circonstance. Au printemps 2012, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) prenait le contrôle du Nord-Mali. Cette zone sanctuarisée par les islamistes attirait des djihadistes européens. On observait l’émergence de filières djihadistes à destination du Sahel et la présence de plusieurs Français dans les rangs d’AQMI.

L’opération Serval (2013-2014) a permis, à la demande des autorités maliennes, de stopper l’avancée des colonnes djihadistes vers le sud du pays et d’entamer la reconquête du nord. L’action des forces militaires françaises s’est ensuite réorganisée avec l’opération Barkhane, engagée en 2014. L’objectif de cette opération est d’affaiblir les groupes armés djihadistes et d’assurer la montée en puissance des forces armées maliennes. La présence militaire française repose sur une demande d’assistance des autorités maliennes (lettre du président Dioncounda Traoré du 10 janvier 2013), un accord sur le statut de la force Serval conclu par échanges de lettres le 8 mars 2013 ([14]) et un traité de coopération en matière de défense conclu le 16 juillet 2014 ([15]). L’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta a par ailleurs participé, aux côtés de ses homologues du G5 Sahel, au Sommet de Pau du 13 janvier 2020, qui a validé les quatre piliers d’intervention de la Coalition au Sahel, dont la lutte contre les groupes armés terroristes dans les pays du G5.

Si la volonté sécessionniste paraît avoir trouvé dans l’Accord d’Alger de 2015 une réponse qui la satisfait globalement, la menace des groupes armés terroristes s’est en revanche accentuée. Celle-ci se concentre essentiellement autour de groupes djihadistes qui peuvent être classés en deux catégories. La première catégorie regroupe, sous la bannière de Jamat’at Nusrat al-Islam (JNIM ou Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, GSIM), les organisations Ansar Eddine, Al Mourabitoune, le Front de Libération du Macina (FLM) et Al‑Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). La seconde comporte essentiellement l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS).

Les forces militaires françaises opèrent principalement au nord du pays, plus spécifiquement dans la zone dite des trois frontières (entre Mali, Niger et Burkina Faso). Cette priorité géographique a été accentuée à la suite du Sommet de Pau. Des succès opérationnels ont récemment été obtenus contre l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS). D’importants cadres d’Al‑Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ont aussi été neutralisés, dont son émir Abdelmalek Droukdel en juin 2020.

La situation sécuritaire au Mali reste néanmoins préoccupante, avec une extension de l’insécurité vers le sud du pays et vers les pays voisins, en raison de l’implantation de cellules djihadistes sur des parties du territoire épargnées jusqu’alors. Les attaques contre les civils ont également augmenté, particulièrement en raison de l’accroissement des violences intercommunautaires au centre du pays.

Des ressortissants français sont touchés par le phénomène terroriste, aussi bien du point de vue des auteurs que des victimes. Depuis 2012, six séjours de ressortissants français dans des groupes djihadistes au Mali ont ainsi été identifiés. Ils ont tous donné lieu à l’ouverture de procédures judiciaires du chef d’association de malfaiteurs et ont abouti à la condamnation des intéressés de ce chef par le Tribunal correctionnel de Paris. Trois procédures relatives à des projets d’action violente et de départ au Sahel ont par ailleurs été identifiées. Si l’essentiel des départs vers le Mali sont intervenus au cours de l’année 2012, ils apparaissent désormais résiduels, en comparaison avec le nombre de ressortissants français partis combattre dans les rangs d’organisations terroristes dans la zone irako-syrienne. Du point de vue des victimes, on compte sept attentats ayant visé des ressortissants français au Mali depuis 2012.

B.   une criminalité organisée centrée sur des trafics

La criminalité organisée est largement présente au Mali et montre une forte porosité avec le terrorisme. Presque tous les groupes terroristes implantés dans le pays sont liés, de façon plus ou moins étroite, à des organisations criminelles. Celles-ci tirent leurs revenus des trafics de cigarettes, d’or, d’armes ou encore d’êtres humains, avec la mise en place de filières d’immigration clandestine. Le Mali est un pays majeur à la fois en matière de transit et de départ de migrants. Les véhicules qui les transportent dans le nord du pays ne sont pas attaqués par les groupes djihadistes pour la raison simple que ceux-ci les prennent en charge pour leur faire traverser les zones désertiques et les amener jusqu’à la frontière algérienne. La même observation vaut pour d’autres types de trafics.

Les groupes criminels interviennent aussi dans le trafic de stupéfiants. Le Mali est identifié comme étant un pays de transit de la cocaïne qui arrive d’Amérique centrale et du sud pour ensuite rejoindre l’Europe. Un autre trafic constaté porte sur l’importation d’essence ou d’autres produits. La criminalité organisée n’épargne pas la capitale : d’importants volumes d’or partent de l’aéroport de Bamako (et d’autres aéroports), notamment vers certains pays du Golfe.

C.   des conventions modernes pour une réponse judiciaire plus efficace

L’accord bilatéral conclu avec le Mali en 1962 n’est plus adapté aux défis posés tant par la criminalité transfrontière que par le terrorisme. Les conventions conclues avec le Mali visent à renforcer l’effectivité de la réponse judiciaire à ces deux défis. Les moyens militaires, auxquels la France contribue depuis 2013, doivent désormais trouver un relai judiciaire renouvelé.

Les conventions de 2019 sont de nature à améliorer la coopération judiciaire en organisant de manière claire les modalités et délais de communication et de transmission des demandes d’entraide et d’extradition, notamment dans les cas les plus urgents. La coopération actuelle avec le Mali en matière d’entraide se caractérise en effet par de longs délais d’exécution, souvent supérieurs à 18 mois. Le traitement des demandes d’entraide urgentes sera ainsi accéléré par la possibilité de transmettre directement une copie de la demande par l’autorité compétente de la partie requérante (procureur, juge d’instruction ou la juridiction à l’origine du mandat judiciaire) à l’autorité compétente de la partie requise (autorité judiciaire chargée de l’exécution de la demande). L’urgence permet donc une transmission d’autorité judiciaire à autorité judiciaire et autorise l’exécution de la demande dès réception de la copie.

La convention d’extradition fait par ailleurs passer de 20 jours à 60 jours le délai accordé, après l’arrestation provisoire d’une personne réclamée, pour transmettre une demande d’extradition. Le délai actuel de 20 jours est en effet difficile à respecter tant pour la partie malienne que pour son homologue française. La transmission de la demande d’arrestation provisoire par la voie diplomatique n’est en outre plus une obligation ; elle peut se faire par l’intermédiaire de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) ou par tout autre moyen laissant une trace écrite.

Les conventions permettront par ailleurs de recourir aux techniques modernes d’enquête telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d’informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d’avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration (autant de domaines qui n’étaient pas couverts par l’accord de 1962 et qui constituent aujourd’hui des outils essentiels dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme).

Les moyens budgétaires et techniques du Mali ne lui permettront peut-être pas d’utiliser immédiatement l’ensemble de ces techniques. Toutefois, le cadre juridique étant posé, il pourra y être recouru sans délai le moment venu. Il appartient aussi à la France d’apporter à ses partenaires une aide permettant un recours plus large à ces techniques. Il incombe aussi à la France, conformément aux engagements de Ouagadougou ([16]), de répondre aux besoins de formation et aux échanges d’expertises de continent à continent, dont la nécessité a encore été soulignée par les autorités maliennes auditionnées par la rapporteure. L’AFD finance un projet sur quatre ans, doté d’un budget de 10 millions d’euros, dont la mise en œuvre opérationnelle est attendue dans le courant de l’année 2021, tendant à la création d’un réseau de bureaux d’entraide pénale dans les pays du G5 Sahel et au Sénégal. Ces différentes formes d’aide s’inscrivent dans le cadre de la stratégie dite « 3D » (diplomatie, défense et développement) mise en œuvre par la France au Sahel.

Compte tenu des enjeux existants en termes de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, et des bénéfices apportés par les conventions en matière de coopération judiciaire et d’extradition, l’adoption du projet de loi autorisant leur approbation apparaît particulièrement opportune. Du côté malien, l’autorisation de ratification des deux conventions a été inscrite à l’ordre du jour des travaux de la séance du Conseil national de transition qui s’est ouverte le 6 mai dernier. Il importe que, du côté français aussi, cette ratification intervienne dans les meilleurs délais.

 


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   Examen en commission

Le mercredi 19 mai 2021, la commission examine, sur le rapport de Mme Sira Sylla, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali (n° 3816).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons à l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de deux conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition entre la France et le Mali, sur le rapport de Mme Sira Sylla.

Le contenu de ces deux conventions est bien connu de notre commission, puisque nous avons examiné des accords analogues le 16 décembre dernier, conclus avec le Niger et le Burkina Faso. Auparavant, nous avons approuvé de telles conventions avec le Vietnam, Sainte-Lucie, le Cambodge, les Comores, les Émirats Arabes Unis et le Costa Rica.

Ces deux conventions vont cependant nous permettre d’évoquer notre coopération ancienne et active en matière de justice avec le Mali, partenaire avec lequel nous sommes étroitement liés, particulièrement au vu de la situation que connaît la région. La rénovation de cette coopération est très attendue, dans le contexte d’un développement préoccupant des actes de terrorisme et de la criminalité organisée.

Mme Sira Sylla, rapporteure. Il m’appartient de vous présenter aujourd’hui les conventions d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale conclues avec le Mali, dont il vous est demandé d’autoriser l’approbation. Ces conventions ont été signées à Bamako en 2019. Elles traduisent concrètement les réflexions d’un groupe de travail conduit par le ministère français de la justice et consacré à l’entraide pénale avec les principaux États de la région.

La France est liée au Mali par un accord de coopération judiciaire signé en 1962. Des évolutions majeures sont intervenues depuis. La criminalité organisée s’est internationalisée et complexifiée, et des réseaux de trafics d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes, d’or, exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne, étendant leurs ramifications en Europe.

Par ailleurs, les pays de la région font face depuis plusieurs années, dans des proportions inconnues jusqu’alors, à une menace terroriste qui continue malheureusement à faire de nombreuses victimes. Je voudrais ici avoir une pensée pour notre compatriote journaliste Olivier Dubois, enlevé à Gao le 8 avril dernier et aujourd’hui entre les mains du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une branche locale d’Al Qaïda.

La frontière entre criminalité organisée et terrorisme est très poreuse. Les autorités françaises peuvent avoir à connaître de ce type d’affaires lorsque des ressortissants français figurent parmi les victimes, qu’ils sont au contraire mis en cause, ou encore que les dossiers concernés sont susceptibles d’avoir des répercussions pour la sécurité de notre pays. En sens inverse, les autorités maliennes ont besoin de la coopération des juridictions françaises dans un certain nombre de dossiers sensibles.

L’accord bilatéral de 1962 n’est plus adapté, dans bien des domaines, aux nouveaux défis posés par la criminalité organisée et par le terrorisme. L’exécution des demandes françaises d’entraide et d’extradition se révèle particulièrement lente. Les deux conventions que nous examinons visent donc à rénover un cadre juridique devenu obsolète, notamment en vue de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes. Elles visent aussi à prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1962, en particulier la généralisation du numérique et la dématérialisation.

Ces conventions organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d’entraide et d’extradition, notamment dans les cas les plus urgents. Elles posent expressément une obligation de célérité. Je rappelle à toutes fins utiles, et pour éviter toute ambiguïté, que l’extradition n’a rien à voir avec le droit des étrangers. Elle vise à remettre l’auteur d’un délit ou d’un crime à un autre État pour qu’il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine. Elle a pour objet d’empêcher que l’auteur d’une infraction d’une certaine gravité aille chercher refuge dans un autre État pour ne pas avoir à répondre de ses actes.

La convention d’entraide judiciaire, en particulier, permet de recourir aux techniques modernes d’enquête telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d’informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d’avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration, autant de domaines qui n’étaient pas couverts par l’accord de 1962 et qui constituent aujourd’hui des outils essentiels dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme.

Ces conventions prévoient les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédure. L’entraide peut ainsi être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques. Les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu’elles sont appelées à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d’immunités précisément définies.

De même, l’extradition ne saurait être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique ou s’il existe des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée en vue de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques. Par ailleurs, en vertu du principe de spécialité, une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition.

Une clause excluant l’extradition lorsque l’infraction concernée fait encourir la peine de mort a aussi été insérée, alors même que le Mali est abolitionniste de fait depuis 1981. L’extradition n’est possible que si la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine capitale ne sera pas requise et que, si elle est prononcée, elle ne sera pas exécutée.

Les deux conventions comportent également des garanties pour la protection des données personnelles.

Les textes négociés ont fait l’objet d’une élaboration attentive, largement inspirée des mécanismes de coopération de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Ils sont très proches des conventions signées avec le Burkina Faso et le Niger en 2018, dont nous avons autorisé l’approbation en janvier dernier.

Les moyens budgétaires et techniques du Mali ne lui permettront peut-être pas d’utiliser immédiatement l’ensemble des techniques modernes d’audience ou d’enquête rappelées plus haut. Il est toutefois important que le cadre juridique soit posé, quitte à ce que le recours à ces techniques se développe par la suite. À la France d’apporter son aide matérielle, financière et opérationnelle pour faciliter ce recours. Notre pays s’y emploie d’ailleurs déjà, par l’intermédiaire de l’Agence française de développement ou de programmes de formation des magistrats africains.

Cette aide de la France est un complément indispensable de notre soutien militaire. Il ne suffit pas en effet de remporter des victoires sur le terrain et d’appréhender un certain nombre de membres présumés de groupes armés si ces victoires ne trouvent pas un relais judiciaire et étatique. Ce dernier aspect a d’ailleurs été expressément conçu comme l’un des quatre piliers de la coalition pour le Sahel, lancée lors du sommet de Pau du 13 janvier 2020. Ces piliers sont : la lutte contre le terrorisme ; le renforcement de l’appareil militaire, grâce au partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel ; l’appui au retour de l’État et au redéploiement des services régaliens – police, gendarmerie et douanes – sur l’ensemble du territoire malien, très centralisé ; et le développement.

C’est sur la base de ce soutien global et intégré que nous pourrons œuvrer efficacement à la lutte contre la criminalité et le terrorisme avec nos partenaires maliens, à qui nous unissent non seulement une culture juridique et administrative commune mais aussi des liens d’amitié anciens et solides.

L’approbation de ces conventions me paraît donc particulièrement opportune et bienvenue. C’est pourquoi je vous invite à adopter ce présent projet de loi.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, madame la rapporteure. Vous avez excellemment campé la volonté de continuité et d’approfondissement de la coopération avec le Mali, l’exigence de célérité et de modernisation technologique, et enfin le souci des garanties, qui sont essentielles dans la situation particulièrement difficile dans laquelle se débattent les pays de la région.

Mme Sonia Krimi (LaREM). Merci, madame la rapporteure, de votre présentation technique et détaillée. Il est en effet très important de mener jusqu’au bout le processus d’approbation de ces conventions, parce qu’il s’agit pour le Mali d’un atout indéniable, notamment en termes de développement. Vous avez souligné le caractère crucial de nos liens d’amitié avec ce pays pour la stabilité du Sahel et pour l’Europe. M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a lui-même rappelé que l’intervention militaire française en 2013 avait pour principal objectif d’arrêter la progression des groupes terroristes au Mali, contribuant ainsi à la lutte antiterroriste en France et en Europe. Cela ne nous empêche pas de parler aussi d’agriculture, d’éducation et d’économie saine. J’aimerais d’ailleurs voir passer, dans notre commission, de plus en plus de rapports et de conventions de coopération visant à promouvoir l’économie saine en lieu et place d’une économie d’asservissement s’inscrivant dans le cadre de la Françafrique. Nous devons aujourd’hui autoriser l’approbation de ces conventions, puisqu’il est important de donner au Mali des solutions à court terme, mais il est tout aussi essentiel de nous rappeler que les femmes et les hommes d’État ne travaillent pas seulement pour leur réélection, mais également pour les générations futures.

J’ai évidemment une pensée pour toutes les victimes civiles des attaques menées par les cellules djihadistes, toujours présentes au Mali, et pour leur famille. Ces attentats touchent la population malienne avant de toucher l’Europe – mais tout s’internationalise aujourd’hui, même le terrorisme. S’y ajoute une multiplication des trafics en tous genres, qui n’épargnent aucune zone du pays. Je pense ici aux femmes, qui sont toujours les premières victimes de guerres souvent menées par des hommes.

Dans ce contexte, il apparaît non seulement que l’approbation de ces conventions est pertinente, mais également qu’elle ne peut plus être différée. Ces textes clarifient et améliorent les modalités applicables aux demandes d’entraide juridique et d’extradition. L’accélération du traitement de ces demandes, dans un cadre juridique renforcé, permettra de rendre justice aux familles des victimes d’attaques terroristes. Le groupe La République en Marche y est évidemment favorable.

M. Bruno Joncour (Dem). La France et le Mali entretiennent des relations étroites. Nous avons bâti ensemble un partenariat stratégique essentiel. Nos intérêts convergent notamment autour de la lutte contre le terrorisme dans la région. La France est engagée depuis près de dix ans sur le terrain malien, dans le cadre de l’opération Barkhane. Elle a soutenu et accompagné la création du G5 Sahel, dont le siège se trouve à Bamako, et participe tant à la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali) qu’à la mission européenne civile de soutien aux forces de sécurité intérieure du Mali (EUCAP Sahel Mali).

Le Mali reste aujourd’hui un interlocuteur essentiel dans la lutte contre le terrorisme et un partenaire particulièrement important compte tenu de la situation actuelle au Sahel. En effet, les violences terroristes se multiplient dans la zone. L’enlèvement du journaliste français Olivier Dubois, le 8 avril à Gao, dans le nord du Mali, est très inquiétant ; il renouvelle notre volonté commune de combattre sans relâche les groupes armés terroristes installés dans la région. Par ailleurs, la transition politique que connaît aujourd’hui le Mali nous invite à soutenir davantage encore la mise en œuvre de l’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali.

Les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition que nous examinons ce matin s’inscrivent dans ce cadre. Elles nous permettront de renforcer la coopération bilatérale avec le Mali, notamment sur des questions judiciaires, dans le cadre de notre lutte commune contre le terrorisme. C’est dans cette perspective que mon groupe votera en faveur de l’approbation de ces deux conventions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Permettez-moi d’exprimer la très grande préoccupation et la très grande solidarité de notre commission avec Olivier Dubois, qui a été pris en otage et qui se trouve dans une situation terrible. C’est quelque chose que nous ne pouvons accepter. Nous n’oublions pas notre compatriote, qui a tout notre soutien – je ne sais pas ce que nous pouvons faire de plus – dans l’épreuve terrible, injuste, inqualifiable et véritablement préoccupante qu’il traverse. Nous formons le vœu qu’il soit libéré rapidement et puisse revenir parmi nous.

M. Alain David (SOC). À l’instar des conventions conclues avec le Burkina Faso et le Niger, dont nous avons récemment autorisé l’approbation, celles que nous examinons ce matin apportent, au-delà même de leur objet, de nouveaux outils pour lutter contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne. Elles nous donnent également l’occasion de nous pencher sur la situation de ces pays, dont les liens avec la France sont anciens et étroits.

J’ai apprécié la description de la situation malienne et du contexte de transition politique que vous avez faite, madame la rapporteure. Je souhaiterais néanmoins que vous nous éclairiez sur le calendrier de la transition. On sait que le premier ministre Moctar Ouane poursuit la formation du gouvernement de transition, mais alors que la situation sociale et sécuritaire du pays reste tendue, y a-t-il une échéance pour d’éventuelles élections ?

Le groupe Socialistes et apparentés votera ce texte.

M. Jean-Michel Clément (LT). La convention d’extradition s’inscrit dans la droite ligne de celles que nous avons examinées précédemment – au nombre d’une soixantaine, je crois. Ces accords bilatéraux ne sont pas forcément nécessaires pour permettre la remise de personnes à un autre État : cela peut se faire sur le fondement de conventions multilatérales, en application du principe de réciprocité ou, tout simplement, dans le cadre de la courtoisie internationale. Pour autant, lorsqu’il est procédé à une extradition sans accord bilatéral, l’application du droit français se trouve confrontée à un autre droit national, ce qui peut entraîner des conflits de législation et compliquer la procédure. Il m’apparaît donc nécessaire de renforcer cette coopération par un nouvel accord bilatéral : c’est précisément l’objet de la convention visée à l’article 2.

La chancellerie et le Quai d’Orsay ont négocié un cadre juridique que nous transposons d’un pays à l’autre, nonobstant quelques nuances afin de tenir compte de la spécificité de celui avec lequel nous contractons. La démarche est toujours la même, et je m’en félicite car cela assure la stabilité du droit. Par ailleurs, les pays partenaires appliquent souvent un droit qui nous est familier. Nos droits sont très proches, pour ne pas dire similaires lorsque nous parlons de pays francophones comme le Mali : nous sommes alors assurés que les mots employés dans les accords internationaux ont le même sens pour chacune des parties, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Ces conventions s’inscrivent toujours dans un contexte politique fragile ; or l’expérience nous montre qu’elles s’appliquent malgré les aléas politiques que vivent nos partenaires. Nous concluons des accords avec des États dont le régime est fragile, et nous nous apercevons que cela fonctionne malgré tout.

Depuis la conclusion du premier accord en 1962, le monde a changé. Le contexte politique, le terrorisme et les trafics en tous genres nous invitent à la vigilance. J’étais rapporteur des projets de loi autorisant l’approbation des conventions avec le Burkina Faso et le Niger, nous parlons ce matin du Mali et nous nous pencherons sans doute prochainement sur d’autres pays du Sahel : nous savons que les frontières sont étanches et que tous les États de la région sont confrontés aux mêmes problèmes. Or le droit doit s’y appliquer de la même manière. Ces conventions, qui prolongent d’une certaine manière notre présence dans ces pays depuis longtemps – et plus encore au Mali depuis l’opération Barkhane – sont donc nécessaires et bienvenues. Je ne sais pas où nous en sommes dans la négociation de conventions avec les pays qui connaissent les mêmes difficultés, mais je souhaite qu’elles soient fondées sur les mêmes principes.

Le groupe Libertés et Territoires votera évidemment des deux mains ce projet de loi.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Nous sommes assez favorables à ces accords, qui permettent aux pays partenaires d’évoluer en matière de respect de l’État de droit et sur la scène internationale. Mais en même temps, nous sommes inquiets, parce qu’il faut des deux côtés un État de droit qui fonctionne bien. C’est le cas pour l’instant en France. Au Mali, la situation est chaotique mais les institutions tiennent et l’État de droit fonctionne également. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. J’ai en tête le cas de Djibouti, car je me suis battu aux côtés de Mohamed Kadamy, un opposant au pouvoir en place aujourd’hui réfugié en France. Des membres de son parti ont été accusés d’avoir commis certaines infractions ; lui-même n’était pas sur place, mais puisqu’il dirigeait le parti, le président djiboutien a considéré qu’il était également coupable et a demandé son extradition. Heureusement, la mobilisation de ses partisans et de certains hommes politiques a alerté la justice française, qui s’est montrée attentive à la situation de M. Kadamy et à son statut de réfugié politique, et n’a pas ordonné son extradition, ce qui est plutôt rassurant. Néanmoins, ces affaires sont sensibles. Sonia Krimi a évoqué la Françafrique, et je partage son point de vue. Certains deals peuvent être borderline s’agissant du respect de l’État de droit – ce n’est pas si souvent que je parle anglais !

Je le disais, nous sommes plutôt favorables à ces accords lorsque l’État de droit est respecté par les deux parties, mais nous considérons qu’ils doivent toujours être accompagnés d’une vigilance politique, y compris dans des espaces démocratiques comme l’Assemblée nationale. Nous devons nous assurer qu’ils ne permettent pas de faire n’importe quoi, qu’ils ne nous obligent pas à abandonner certaines personnes entre les mains d’institutions judiciaires étrangères. Mme la rapporteure a évoqué la peine de mort : certes elle n’existe plus au Mali, mais elle pourrait toujours être réintroduite – en France, ce serait plus compliqué, compte tenu des traités internationaux que nous avons conclus, mais dans de nombreux pays c’est possible. Prévoir une clause à ce sujet dans l’accord est une bonne chose, mais là encore, cela ne peut suffire.

Mon groupe votera ce projet de loi car il nous semble nécessaire d’accompagner l’action menée en faveur du Mali, mais je tenais à souligner que ce genre d’accord reste très sensible à nos yeux. Nous nous montrerons donc vigilants quant à son application.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez raison, monsieur le député, le texte est important, mais le contexte l’est tout autant.

M. Bruno Fuchs. Je vous remercie, madame la rapporteure, pour votre travail de précision. Ces conventions me paraissent indispensables dans le contexte actuel au Mali, mais elles devraient s’accompagner de moyens garantissant leur bonne mise en œuvre. Le Mali est un pays certes centralisé, mais très fragilisé et fragmenté : l’État n’exerce pas son autorité sur une partie importante du territoire. Il convient aussi de prendre en compte l’histoire du Mali et l’importance du droit coutumier. Dans ce pays s’appliquent au moins trois droits : à côté du droit républicain, dont nous parlons aujourd’hui, s’applique la justice traditionnelle, rendue par les chefs de village et les chefs de tribu, et aussi depuis quelques années le droit islamique, c’est-à-dire la charia. Ces conventions sont donc très importantes, mais elles ne pourront s’appliquer à une grande partie du territoire malien ni à un certain nombre de pratiques. C’est pourquoi les moyens que nous accorderons à la mise en œuvre effective de ces accords me semblent tout aussi importants, voire plus importants, que les accords eux-mêmes.

M. Jean-François Mbaye. Ces conventions sont évidemment importantes, et je tiens à saluer moi aussi la qualité du travail de Mme la rapporteure. Cependant, comme vient de le dire Bruno Fuchs, nous les examinons dans une situation de crise particulière au Mali. Je me demande pour ma part comment notre commission des affaires étrangères pourrait apporter son soutien à ces accords alors qu’il n’existe, de l’autre côté, aucune assemblée législative constituée au Mali. Quels sont nos homologues parlementaires ? Nous parlons à un Conseil national de transition (CNT) dont les membres ne sont pas des personnes élues et qui n’a pas vocation à légiférer comme nous le faisons. Dans ce contexte particulier, et même si nous souhaitons fortement aller de l’avant et approuver ces conventions, ne nous emballons pas et prenons garde de parler aux bons interlocuteurs. C’est d’autant plus important que le peuple malien lui-même y sera sensible. Enfin, M. Fuchs a souligné que ces conventions ne seront pas appliquées sur tout le territoire. Le Mali, ce n’est pas uniquement Bamako ; dans certaines zones autour de Gao et Tombouctou, les problèmes sécuritaires sont encore importants et il reste beaucoup de choses à parfaire.

Mme Sira Sylla, rapporteure. Chère Sonia Krimi, vous avez raison d’appeler de vos vœux une plus grande coopération entre la France et le Mali. C’est l’objet de la feuille de route de Ouagadougou, qui nous invite à une relation renouvelée avec l’Afrique, à un changement de paradigme, à une association plus importante de la société civile. Ce partenariat d’égal à égal était au cœur du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que nous avons adopté en première lecture à l’unanimité et avec fierté. Nous ne sommes plus au temps de la Françafrique : nous avançons, et nous devons le rappeler. Lors de nos différentes auditions, les autorités maliennes ont sollicité une aide de la France : elles souhaitent notamment une formation plus poussée des magistrats, ainsi qu’une formation des personnels à l’utilisation des outils numériques et à l’organisation des opérations d’infiltration – j’ai évoqué tous ces outils dans mon rapport.

Vous avez raison, le terrorisme touche beaucoup plus les populations civiles. L’ennemi terroriste a fait du Sahel son principal terrain de croissance, menaçant la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest. Cependant, nous devons toujours garder à l’esprit que l’agenda des terroristes est international – l’enlèvement de notre compatriote Olivier Dubois est là pour nous le rappeler.

Monsieur Joncour, vous partagiez les interrogations de Mme Krimi. Il est important de mettre en œuvre l’accord d’Alger ; lors du sommet de N’Djamena, les autorités de transition se sont engagées auprès de la France à le relancer.

Cher Alain David, vous m’avez interrogée sur le calendrier de la transition. Si tout se passe bien, les élections législatives et présidentielle se tiendront en février et mars 2022. Ce n’est toutefois pas évident : la société civile a témoigné du chaos qui régnait au Mali, où il n’y avait quasiment plus d’État. Les populations sur place comme les diasporas n’en pouvaient plus de ce régime corrompu. Pour l’instant, les choses avancent, mais réussira-t-on à tenir le calendrier ? Un délai de dix-huit mois est assez court, dans la mesure où il faut recréer un État    – notre collègue Jean-François Mbaye a rappelé qu’il n’y avait plus d’élu au Parlement malien. Vous m’avez demandé, monsieur Mbaye, ce que nous pouvions faire en tant que membres de la commission des affaires étrangères : nous devons être vigilants et nous assurer que ce calendrier peut être respecté dans la pratique.

Monsieur Clément, vous m’avez demandé si des conventions similaires étaient en cours d’élaboration avec d’autres pays. En matière d’entraide judiciaire et d’extradition, une convention est en cours de finalisation avec le Sénégal, mais la signature a été reportée en raison de l’épidémie de covid-19.

Bien entendu, cher Jean-Paul Lecoq, l’approbation de ces conventions doit s’accompagner d’une vigilance extrême quant à leur mise en œuvre. En effet, pour qu’un accord soit appliqué, il faut qu’il y ait un État. Je vous rappelle les engagements pris à Pau et les efforts consentis par la France dans ce domaine : avec nos partenaires européens, nous œuvrons pour un retour de l’État régalien sur l’ensemble du territoire malien – et comme vous l’avez dit, cher Jean-François Mbaye, le Mali, ce n’est pas seulement Bamako ! L’État malien est centralisé et nous travaillons à son redéploiement, avec les forces de police et de gendarmerie, sur tout le territoire. C’est aussi dans cette optique que nous nous efforçons à renforcer la chaîne pénale des pays du G5 Sahel.

Cher Bruno Fuchs, il faut évidemment consacrer des moyens à l’application de ces conventions. Là encore, je rappelle les quatre piliers définis au sommet de Pau : la lutte contre le terrorisme – le coup d’État a certes freiné les avancées en la matière, mais le sommet de N’Djamena a aussi montré que les terroristes avaient été lourdement frappés et que l’intervention militaire s’était soldée par une victoire –, le renforcement de l’appareil militaire à travers la formation des forces armées nationales et la fourniture d’équipements, le retour de l’État, dont nous avons déjà parlé, et l’aide au développement, qui est aussi très importante. Ces quatre piliers, combinés aux deux conventions qui font l’objet du présent projet de loi, nous permettront d’avancer.

En effet, monsieur Mbaye, les membres du Conseil national de transition ne sont pas des élus : il n’y a pas encore de députés maliens. Ainsi que je l’ai rappelé, les élections législatives et présidentielle sont officiellement prévues pour février et mars 2022 – et encore, nous ne savons pas si ce délai est réaliste. Comme vous nous y avez vous-même appelés, j’invite l’ensemble des membres de la commission des affaires étrangères à suivre de très près la situation au Mali.

M. Jean-François Mbaye. Et la communauté internationale !

Mme Sira Sylla, rapporteure. Bien entendu.

M. Jean-Paul Lecoq. La réponse que vient d’apporter Mme la rapporteure ne me pose aucun problème, mais l’intervention de M. Mbaye suscite tout de même quelques interrogations. Au vu de la situation dans laquelle se trouve actuellement le Mali, est-ce le bon moment pour approuver une convention d’entraide judiciaire ? Pour nous, le calendrier est tout à fait régulier : les conventions nous sont soumises trois ans après leur signature. Mais entre-temps, au Mali, il y a eu un coup d’État ! Quel sens politique donnerons-nous à notre vote ? Quels interlocuteurs avons-nous du côté malien ? Quel message allons-nous adresser à la communauté internationale, au peuple malien et aux défenseurs de la démocratie au Mali ? Vraiment, l’intervention de M. Mbaye m’interpelle. J’en étais resté à notre propre contexte, mais voilà que le calendrier malien s’impose à nous. Peut-être notre discussion devrait-elle s’achever par un ajournement du vote, en attendant que l’État de droit s’applique à nouveau au Mali.

M. Jean François Mbaye. Quelques précisions sur le calendrier qu’a évoqué Mme la rapporteure : si le Mali est dans une dynamique électorale, avec une échéance au 20 mars de l’année prochaine environ, nous ne savons pas quelles élections – locales, législatives ou présidentielle – seront prioritaires.

Le Mali fait face à deux éléments extrêmement compliqués à gérer : il y a d’un côté le facteur temps, avec cette transition de dix-huit mois et cette accélération vers les élections, et de l’autre le facteur sécuritaire, car tout n’est pas réglé. Il n’y a pas que Bamako : il y a aussi des villes comme Gao ou Tombouctou, ce que ne manquent pas de rappeler les acteurs politiques et ceux de la société civile quand vous discutez avec eux.

Dans ce contexte, il faut évidemment accompagner tout accord tendant à normaliser les choses – mais, une fois que cet accord sera ratifié par l’Assemblée, vers qui le renverrons-nous ? Vers les membres du Conseil national de transition, qui ne sont pas élus ? Vers la future assemblée parlementaire malienne qui sera démocratiquement élue ? Il ne faut pas rester dans notre propre calendrier, mais comprendre que nous devons aussi envoyer des signaux forts et pertinents à nos partenaires africains. C’est très important.

Nous sommes tous ici élus, nous avons mandat pour gérer ces situations : en tant que membres de la commission des affaires étrangères, c’est notre rôle d’autoriser des ratifications. Nous parlons donc à des homologues, des élus, pas à des gens nommés au sein d’un comité de transition. C’est un peu troublant.

S’agissant de l’accompagnement que le Mali attend de nous, il ne dépend pas uniquement de la France, mais également de la communauté internationale. Il faut à ce propos saluer le groupe d’observateurs institué après la signature de l’accord d’Alger, où l’on retrouve à la fois la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union africaine et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, qui accompagnent le processus de transition.

On peut être optimiste sur l’avenir du Mali, mais il faut aussi se poser les bonnes questions : une fois ratifié un texte aussi engageant, à qui le donne-t-on ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. M. Lecoq et M. Mbaye soulèvent une question fondamentale pour notre commission.

Le problème posé par les conditions de la transition au Mali est très important. Nous avons le sentiment que ce qui se passe depuis le coup d’État est plutôt bien géré et devrait pouvoir, même si cela reste très hypothétique, conduire à un assainissement de la situation sur différents plans, notamment celui de la corruption. Nous sommes donc dans l’optique d’accompagner la transition en espérant qu’elle débouchera très rapidement sur le rétablissement d’un ordre constitutionnel pleinement satisfaisant. Mais il ne faut pas se dissimuler que tout cela reste très hypothétique et très incertain dans un pays en grande difficulté, et que nous ne pouvons pas être sûrs de notre affaire. Nous aborderons le sujet cet après-midi avec M. Le Drian.

Nos deux collègues nous demandent donc si la situation très difficile au Mali doit nous empêcher d’approuver ces conventions. Mon sentiment est que ce que nous faisons, en matière bien sûr d’entraide mais même d’extradition, renforce la coopération entre les systèmes judiciaires français et malien et contribue plutôt à tenir la main de nos partenaires maliens, dans le respect d’un certain nombre de principes fondamentaux.

Je sais bien, monsieur Lecoq, que c’est un pari, mais ne vaut-il pas mieux développer ces procédures de coopération, entraide et extradition plutôt que de rester sur le bord du fleuve en attendant que la transition démocratique se passe ? Je pense que des relations étroites sont préférables, mais je comprends que l’on défende un point de vue plus pessimiste sur l’évolution de la conjoncture.

M. Sébastien Nadot. La situation au Mali est effectivement extrêmement complexe. Fait-on de la diplomatie avec un État, avec un régime ou avec des individus ? Le groupe Libertés et Territoires considère qu’en étant favorables à cet accord, nous montrons que nous voulons maintenir notre relation avec des gens qui sont pourtant placés dans une situation extrêmement difficile et explosive, sur laquelle nous ne nous leurrons pas. Il est important que la France montre au Mali qu’elle ne l’abandonne pas dans un moment où il est particulièrement en difficulté.

M. Jean-Paul Lecoq. Madame la rapporteure, dans l’histoire des accords internationaux de cette nature, un coup d’État a-t-il déjà entraîné la suspension d’une convention d’entraide entre notre pays et un autre ? Si tel est le cas, si un accord a été suspendu parce qu’un régime ne permettait pas l’exercice de l’État de droit, nous ne sommes pas en situation de pouvoir adopter aujourd’hui le projet de loi. Si cela n’est jamais arrivé et que les accords d’entraide courent toujours quel que soit le régime en place, la question est toute autre.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est au cas par cas : on ne signerait pas, par exemple, avec le nouveau gouvernement birman.

L’appréciation collective au sein de l’État et du gouvernement français est que la situation était extrêmement tendue au Mali, que le coup d’État n’est évidemment pas du tout satisfaisant mais que nous nous engageons à soutenir un processus d’amélioration, car il faut être solidaires. Il n’y a pas de réponse binaire à votre question, monsieur Lecoq, mais une plage réservée à l’appréciation politique, qui est propre à chacun.

L’idée que se fait le Gouvernement, et que j’approuve, est qu’il faut plutôt aider ces pays à lutter contre le terrorisme, ce qui revient aussi à concourir à l’État de droit.

M. Rodrigue Kokouendo. Vous avez résumé ma pensée : je pense qu’il existe une continuité de l’État au Mali et qu’il ne faut pas les laisser sur le bord de la route, surtout s’agissant d’un sujet aussi important, qui marque normalement la fin de l’impunité. Si nous voulons soutenir la démocratie dans certains pays, il faut leur montrer la voie. Ce texte arrive dans un moment difficile pour le pays, qui est en pleine transition : il faut les aider, les accompagner, pas les écarter.

M. Frédéric Petit. Si j’ai bien compris, le rôle de la commission des affaires étrangères est d’autoriser notre gouvernement à ratifier. Où en est le côté malien, doivent-ils également ratifier ? Attend-on encore quelque chose de leur part à compter de notre ratification ? Sont-ils exonérés de ratification parce qu’ils sont en transition ? Bien entendu, nous rêvons tous d’une démocratie interparlementaire, mais en l’état actuel des choses nous devons replacer la question dans le fonctionnement de l’État français.

M. Bruno Fuchs. La question juridique posée par Jean-François MBaye est légitime, mais d’un point de vue politique, on a au Mali un processus parfaitement concerté et validé par l’ensemble des instances internationales. Le CNT, s’il n’est pas élu, est validé par elles. Ce coup d’État qui n’a fait aucun mort est susceptible de générer une situation plus vertueuse qu’auparavant. Aussi intéressantes intellectuellement que soient les questions de nos collègues, sur le terrain, tant pratiquement que politiquement, le processus est suivi, concerté et validé par les organisations internationales.

Mme la rapporteure. Chers collègues, je vous rappelle que ce projet de loi est issu d’un long travail, que le ministère de la justice a commencé en 2016. Si l’on n’autorise pas l’approbation de ces conventions, que se passera-t-il ? Allons-nous en rester à l’accord de 1962, qui est obsolète ?

Je rappelle que nous faisons cela pour les populations sur place. Le coup d’État a été le fruit de la crise qui a suivi les élections législatives et de l’exaspération de la population face à un État qui n’en était finalement pas un. Il a été accueilli avec joie par les populations maliennes. J’ai participé à plusieurs réunions avec les membres des diasporas maliennes de toute la France pour connaître leur sentiment.

On me demande ce que fera la partie malienne si nous autorisons l’approbation de ces conventions. Si, comme Jean François Mbaye l’a rappelé, le CNT n’est pas composé de députés, ses membres exercent pendant la transition le pouvoir législatif et les conventions que nous examinons figurent à l’ordre du jour de la session qui a été ouverte le 9 mai, ce qui signifie qu’elles seront signées de l’autre côté par le Conseil.

N’oubliez que l’on parle de terrorisme et de criminalité organisée. Oui, les délais sont contraints, mais la feuille de route a été décidée par la CEDEAO et partagée par les autorités de transition maliennes. Des engagements ont été pris, comme pour la relance de l’accord d’Alger. Si j’entends vos questions, qui sont bien entendu légitimes, je vous invite, chers collègues, à voter en faveur de ce projet de loi, pour les Maliens et pour l’Afrique – car on frappe aujourd’hui au Mali, mais demain peut-être à Dakar : l’agenda est international !

M. Jean François Mbaye. En 2018 ou 2019, j’ai été le rapporteur d’un projet de loi de ratification concernant le Cambodge. On nous a demandé de le mettre en stand-by compte tenu de la situation sur place et des élections législatives, car il aurait « envoyé un signal désastreux ». Nous sommes en 2021 et ce texte n’est jamais ressorti, alors que la situation au Cambodge est parfaitement démocratique.

Je fais le parallèle même si la situation des deux pays est complètement différente, puisqu’au Mali il n’y a pas d’assemblée élue. Je comprends bien que vos arguments sont politiques, mais d’un point de vue juridique, si nous ratifions ce texte, à quel organe le confierons-nous ? Certes, le CNT dispose de certaines prérogatives, mais l’opinion publique s’interroge sur sa légitimité ainsi que sur la représentativité de ses membres. Ce flou juridique m’interpelle.

Vous nous dites, madame la rapporteure, que si nous n’autorisons pas notre gouvernement à approuver ces conventions, nous devrons fonctionner avec un texte vieux de quelques années. Mais alors, que pensez-vous de mon projet de loi de ratification de l’accord avec le Cambodge dont je n’entends plus personne parler, ni le gouvernement français ni les autorités cambodgiennes ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Mbaye, dans quel sens va l’avertissement que vous nous donnez : regrettez-vous que le texte sur le Cambodge n’ait pas été approuvé, ou dites-vous qu’un texte enterré ne sera plus exhumé ?

M. Jean François Mbaye. On nous a soumis à nous, parlementaires, un projet de loi de ratification que j’estimais aller dans le bon sens, avec un bon accompagnement. Puis on nous a dit que la situation politique était un peu tendue et qu’il fallait attendre un peu. Les élections législatives ont eu lieu au Cambodge il y a belle lurette et nous n’entendons plus parler de rien. Peut-être s’agissait-il d’une décision purement politique, mais il fallait nous le dire en face !

Il en va de même pour ce texte : il y a le juridique et le politique. Je suis désolé, l’argument juridique est solide. Si vous voulez un agenda politique pour le Mali, je suis le premier à vouloir accompagner la région du Sahel, à la fois par le développement et par le sécuritaire, car c’est essentiel. Mais quant à ce texte, encore une fois, à qui le donnerons-nous une fois adopté ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous rappelle que la France reconnaît traditionnellement les États en fonction de leur effectivité. En l’espèce, on considère que l’État malien est effectif, mais vous avez raison, le système institutionnel n’est pas du tout achevé et il y a là un élément de pari.

M. Jean-Paul Lecoq. Je suis d’accord avec mon collègue de La République en Marche, ce qui est plutôt rare. Ce n’est pas le contenu de l’accord qui nous pose problème, évidemment. Quant au fait de revenir à l’accord de 1962, je vous signale que c’est celui qui s’applique en ce moment même. Le fait de reporter notre vote de quelques jours ou de quelques mois ne mettrait donc pas en péril les relations entre la France et le Mali.

Ce texte traite d’entraide judiciaire et de terrorisme. Considère-t-on qu’il est possible de conclure un accord judiciaire avec un État qui, même s’il est accepté par la communauté internationale, n’est pas en l’état actuel des choses un État de droit ? Je suis aussi sensible à la question du message politique à la population. Enfin, imaginons que nous autorisions tout de suite l’approbation de ces conventions, en prenant notre responsabilité d’élus, même si c’est inquiétant et peut-être gênant, et malgré l’image que cela donne ; et imaginons que l’exécutif considère que finalement, ce n’est pas le moment de le faire. Voilà qui serait intéressant !

Je vous propose donc, monsieur le président, de poser la question à l’exécutif cet après-midi et d’attendre sa réponse avant de voter le texte. Approuverait-il ces conventions compte tenu de la situation actuelle au Mali ou attendrait-il que les choses évoluent ? Car nous avons raison de nous poser des questions sur la situation.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Surseoir de quelques jours ne pose pas de problème grave, et nous pourrons poser la question à M. Le Drian cet après-midi. Mais je ne suis pas très à l’aise, en tant que parlementaire, avec votre raisonnement : nous n’avons pas à attendre le Gouvernement. C’est à nous de prendre notre décision, en fonction de ce que nous pensons et de ce que nous voulons. J’en ai un peu par-dessus la tête, dans ce Parlement, de devoir demander l’avis du Gouvernement sur tout.

M. Jean-Paul Lecoq. Ne me dites pas cela à moi, je ne le demande jamais !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Sauf aujourd’hui. Je le comprends très bien, mais la commission des affaires étrangères a son rôle et sa dignité : si nous estimons que nous ne sommes pas assez informés, nous pouvons demander un complément, mais nous devons prendre nos responsabilités.

La situation est originale : le péché originel est un coup d’État, mais dont l’objectif est de nous rapprocher de l’Éden, au lieu de nous en faire sortir, puisque le but du processus est de rétablir une situation à peu près normale au Mali. La modernisation et l’amélioration de l’accord de 1962 est une contribution, certes modeste, à ce processus. Refuser l’approbation de ces conventions serait plutôt un signe de solidarité envers l’ancien gouvernement, qui pourtant n’a pas donné d’exemples mirobolants de réussite.

Quoi qu’il en soit, j’envisage de procéder à un premier vote pour vous demander si vous souhaitez vous prononcer sur le projet de loi ou reporter d’une semaine. Je pense que nous avons tous les éléments pour voter, mais je comprendrais très bien que vous en décidiez autrement.

Mme Sira Sylla, rapporteure. Je suis favorable à ce que nous votions aujourd’hui. Si le Gouvernement a déposé le projet de loi, c’est qu’il a l’intention de procéder à l’approbation. Je pense qu’il est important d’envoyer ce signal au Mali, qui est demandeur de coopération en matière pénale pour former les magistrats, en particulier aux outils d’investigation, notamment numériques. Cela va dans le sens de notre partenariat avec l’Afrique, que surseoir au vote reviendrait à freiner. L’accord est couplé aux engagements pris au sommet de Pau, qui a clarifié les choses avec la définition des quatre piliers, puis lors du sommet de N’Djamena. Je comprends les arguments qui ont été avancés mais pour ma part, c’est sans réserve, en mon âme et conscience, que je souhaite voter le texte dès aujourd’hui.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Et le fait qu’un parlementaire aussi vigilant sur ces questions que Sébastien Nadot n’y voie pas d’objection est de nature à nous rassurer – ne croyez pas pour autant que je vous suivrai systématiquement, mon cher collègue !

Y a-t-il des oppositions à ce que nous votions le texte dès à présent ? Je constate que les opposants sont minoritaires. Nous allons donc procéder au vote.

 

La commission adopte successivement les articles 1er et 2 du projet de loi.

Elle adopte l’ensemble du projet de loi sans modification.

 

 

 


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   Annexe n° 1 : texte adopté par la commission

 

Article 1er

Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali, signée à Bamako le 29 octobre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Article 2

Est autorisée l’approbation de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali, signée à Bamako le 29 octobre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 


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   ANNEXE n° 2 : Liste des personnes auditionnées
par la rapporteure

   M. Didier Maze, premier conseiller

   M. Philippe Duporge, commissaire divisionnaire, attaché de sécurité intérieure

 

   M. Abdallah Ag Hama, ministre conseiller

   M. Paul Hervé Diarra, vice-consul au Consulat général du Mali à Paris

   M. Mohamed Najim, directeur national des affaires judiciaires et du sceau au ministère de la justice

 

   Mme Milca Michel‑Gabriel, magistrat, chargée de mission au service des conventions, des affaires civiles et de l’entraide judiciaire à la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE)

   M. Charlélie Marie, rédacteur Mali à la sous-direction de l’Afrique occidentale de la direction de l’Afrique et de l’Océan Indien (DAOI)

   Mme Lou Brenez, rédactrice à la mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques

 

   M. Pierre Beckers, adjoint au chef du bureau de la négociation pénale européenne et internationale à la direction des affaires criminelles et des grâces

 


([1]) L’accord d’Alger, officiellement dénommé Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, est un accord visant à mettre fin à la Guerre du Mali, signé les 15 mai et 20 juin 2015 à Bamako — après des négociations menées à Alger — entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).

([2]) Le droit malien est lui aussi fortement inspiré du droit français. Il subsiste néanmoins une justice traditionnelle, qui mêle droit coutumier et droit musulman, essentiellement pour la matière civile.

([3]) Modifiée par une loi du 21 mai 2013.

([4]) Les attentats du restaurant la Terrasse et de l’hôtel Radisson Blu de Bamako avaient coûté la vie à 25 personnes (dont des ressortissants français) ainsi qu’à deux assaillants. Le Mauritanien Fawaz Ould Ahmed, dit « Ibrahim 10 », et son co‑prévenu, Sadou Chaka, ont été condamnés à la peine de mort le 28 octobre 2020.

([5]) Chiffre de 2020.

([6]) Cette convention, entrée en vigueur en 1964, vise à limiter la production et le commerce de substances interdites en établissant une liste de ces substances, qualifiées de stupéfiants. Elle est à l’origine de la création de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) qui est l’organe indépendant responsable de la mise en œuvre des conventions de l’ONU sur les drogues.

([7]) Cette convention vise à renforcer les dispositions de la précédente en définissant un certain nombre de moyens légaux de lutte contre le crime organisé et le trafic illicite (saisie des capitaux issus du trafic de drogue, etc.).

([8]) Entrée en vigueur en 2003 et complétée par trois protocoles, cette convention stipule l’engagement des parties à prendre une série de mesures contre la criminalité organisée, notamment en reconnaissant certaines incriminations pénales (participation à un groupe criminel organisé, blanchiment d’argent, corruption et entrave à la justice) et en adoptant certains cadres en matière d’extradition, d’entraide mutuelle en matière pénale et de coopération policière.

([9]) Ayant un caractère global, cette convention traite tous les aspects relatifs à la lutte contre la corruption : la prévention, l’incrimination, les règles de droit pénal et de procédure pénale, la coopération internationale, le recouvrement d’avoirs, l’assistance technique et l’échange d’information. Elle pose notamment le principe de la restitution des avoirs à l’État ayant formulé la demande de coopération.

([10]) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966 et est entré en vigueur le 23 mars 1976. Il vise à protéger une série de libertés et de droits fondamentaux, notamment le droit à la vie, les garanties procédurales du procès équitable (dont la présomption d’innocence et le droit au silence) et le droit à la liberté d’expression, et proscrit en particulier la torture, l’esclavage, le travail forcé et la détention arbitraire.

([11]) Aucune des parties n’a en effet émis de projet de nouveau texte concernant les champs non abrogés. Il peut être noté que la position française en matière de transfèrement des personnes condamnées est de préférer l’adhésion des États à la Convention du Conseil de l’Europe du 21 mars 1983 sur le transfèrement des personnes condamnées.

([12]) Le Sénat et l’Assemblée nationale ont autorisé leur ratification. Cf. rapport de M. Jean‑Michel Clément fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger, et sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso, n° 3708, 17 décembre 2020.

([13]) Les infractions « politiques » sont traditionnellement définies comme celles qui tendent à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. L’exclusion de ce type d’infraction permet de refuser l’extradition lorsqu’il apparaît que la véritable raison de la demande est d’ordre politique.

([14])  https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000027376103

([15])  https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033451393

([16]) Les engagements de Ouagadougou, issus du discours prononcé le 27 novembre 2017, par le Président de la République Emmanuel Macron, visent à construire une relation plus partenariale avec les pays africains en donnant la priorité à l’éducation, à la formation, à la culture, à l’innovation, etc.