—  1  —

N° 4665

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 novembre 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit
des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France

 

 

 

 

Président

M. Sébastien NADOT

 

Rapporteure

Mme Sonia KRIMI

Députés

 

——

 

 

 

 

 Voir les numéros : 4046 et 4144.


 

La commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France, est composée de : M. Sébastien Nadot, président ; Mme Sonia Krimi, rapporteure ; Mme Ramlati Ali ; Mme Aude Bono-Vandorme ; Mme Mireille Clapot ; M. Pierre-Henri Dumont ; Mme Stella Dupont ; M. Jean-François Eliaou ; Mme Elsa Faucillon ; Mme Maud Gatel ; M. Fabien Gouttefarde ; Mme Élodie Jacquier-Laforge ; Mme Chantal Jourdan ; M. Mansour Kamardine ; M. Fabrice Le Vigoureux ; M. Vincent Ledoux ; M. Jacques Maire ; Mme Emmanuelle Ménard ; Mme Marjolaine Meynier-Millefert ; Mme Sandrine Mörch ; M. Christophe Naegelen ; Mme Danièle Obono ; Mme Bénédicte Pételle ; Mme Natalia Pouzyreff ; Mme Cathy Racon-Bouzon ; M. Julien Ravier ; Mme Sira Sylla ; M. Guy Teissier ; Mme Michèle de Vaucouleurs ; Mme Michèle Victory.

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT PROPOS DU Président

introduction

1. Les migrations, un phénomène constant et global mais limité au regard des déséquilibres du monde

2. Une réalité de l’immigration en France déformée par le débat public

3. Des primo-arrivées principalement portées par le dynamisme de l’accueil des étudiants étrangers alors que l’asile focalise le débat

Liste des recommandations

première partie

rÉguler les migrations, une affaire « ÉtrangÈre et europÉenne » plus qu’« intÉrieure »

I. agir sur les dÉterminants du dÉpart sans faire de la question migratoire notre seul sujet de discussion avec nos partenaires

A. une question d’abord gÉopolitique à traiter au bon niveau

1. Le cas des différents conflits irakiens : la route de l’Est

2. Le cas de l’effondrement libyen : la route de la Méditerranée centrale

3. Le cas particulier des Balkans occidentaux

B. contribuer au maintien des populations sur leur lieu de vie sans faire de la question migratoire l’unique monnaie d’Échange

1. Décorréler l’aide au développement de la question migratoire

2. Éviter de pénaliser les populations par une politique des visas restrictive

C. la politique des visas au cœur des relations bilatÉrales avec de nombreux états

1. Des accords de réadmission qui ont touché leur limite

2. Créer des voies de migration légale pour fluidifier les déplacements et réduire le pouvoir des mafias de passeurs

II. Les pays de transit ou la rente gÉographique

A. Les migrants, un outil gÉopolitique puissant pour les pays de transit

1. Avec la Turquie, une volonté de parler « d’Empire à Empire »

2. Avec le Maroc, une relation directement corrélée à la question sahraouie

3. L’Égypte, garde-frontière contre non-ingérence dans les affaires intérieures

B. La France, gardienne de la frontiÈre britannique : sortir de l’impasse

III. ASILE : En finir avec le rÈglement DUblin et crÉer un vÉritable « OFPRA » EuropÉen

A. Un rÈglement DUBLIN irrÉformable

1. Des propositions sur la table depuis 2016

a. Un système qui aiguise les égoïsmes nationaux

b. Des propositions sur la table depuis 5 ans

2. Des positions irréconciliables qui obèrent la conclusion d’un accord signifiant

3. En attendant, le migrant joue au jeu de l’oie

B. Des consÉquences non nÉgligeables sur les relations bilatÉrales avec les pays voisins, dont les migrants font les frais

C. CrÉer un vÉritable asile europÉen

1. Des avancées sous la présidence portugaise

2. Vers une agence européenne de l’asile au pouvoir élargi sous présidence française

deuxiÈme partie

adapter notre organisation politique et administrative À la rÉalitÉ des migrations

I. renforcer la dimension interministÉrielle DES POLITIQUES MIGRATOIRES

A. La réforme de 2007 a donnÉ au ministère de l’intÉrieur une compétence exclusive pour l’asile et les migrations

1. La Direction générale des étrangers en France (DGEF), concentre les moyens et la conduite de la politique migratoire

2. Une intégration indispensable des politiques migratoires qui permette de dépasser la seule gestion policière de l’immigration

B. rÉformer notre outil politico-administratiF

1. Un virage important a été pris, en 2018, avec la création de la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés

2. Consacrer et étendre la gestion interministérielle des questions migratoires en renforçant le rôle et les moyens de la DIAIR

II. la mÉdiation interculturelle et la participation pour fluidifier les relations entre les acteurs

A. la médiation interculturelle, outil de la restauration du dialogue

B. La participation des migrants : faire entendre leur voix

III. le parlement ne peut rester à l’Écart des choix de politique migratoire

A. Pour un dÉbat annuel plus syStématique au parlement

B. la liste des pays sûrs : une dÉcision politique et non administrative

TROISIÈME PARTIE

l’accès des personnes migrantes aux droits sur le territoire français : une promesse de la république insuffisamment tenue

I. L’Accès au droit

A. L’impérative simplification du droit des étrangers

B. Les difficultés générées par la dématérialisation des procédures

1. La mise en place de plateformes numériques de prise de rendez-vous : un problème ancien non-résolu

2. Les conséquences pour les usagers de la dématérialisation des procédures

II. L’accès aux soins

A. la nécessité d’un bilan de santé initial pour les étrangers primo-arrivants

1. Les personnes en situation régulière

2. Les personnes en situation irrégulière

B. Des dispositifs de prise en charge globalement satisfaisants

1. Les permanences d’accès aux soins (PASS)

2. Les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP)

3. Les centres d’accueil de Médecins du monde

C. Un accès aux dispositifs de prise en charge des frais de santé qui devrait être élargi

1. L’aide médicale de l’État (AME)

a. Le problème de l’insuffisant recours à l’AME plutôt que celui de son usage abusif

b. La réclamation abusive de certaines pièces par les CPAM

c. Des délais qui encadrent de façon excessive le recours à l’AME

2. L’accès des demandeurs d’asile à la prise en charge des frais de santé

III. L’accès à l’emploi

A. L’accès des demandeurs d’asile au marché du travail

B. Élargir le champ des métiers ouverts aux travailleurs étrangers

C. Mieux reconnaître les qualifications et les compétences des étrangers primo-arrivants

1. Un système particulièrement complexe et peu lisible

2. « 1 000 parcours de VAE collective »

3. Effectuer un état de lieux approfondi des compétences et des qualifications lors de la signature du CIR

D. La modernisation des formations linguistiques à l’appui d’une meilleure insertion professionnelle

IV. L’accès à l’hébergement et au logement

A. L’accès à l’hébergement

1. Malgré des efforts importants, le sous-dimensionnement persistant des places d’hébergement

2. Pour une meilleure répartition des demandeurs d’asile sur le territoire

B. L’accès au logement social

1. L’insuffisance de l’offre de logements sociaux

2. Les difficultés spécifiques rencontrées par les réfugiés

V. HABITATS INFORMELS ET ACCès aux droits

A. À Calais, mettre fin à la délétère et coûteuse politique dite « zéro point de fixation »

1. Calais et sa région : un coût élevé et déséquilibré

2. Les effets délétères de cette politique pour la population concernée

B. une mise en œuvre partielle de l’instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des campements

C. Derrière les habitats informels : l’enjeu de la domiciliation prérequis pour l’accès À la quasi-totalité des droits

VI. la prise en compte des besoins spÉcifiques de certains migrants

A. Les femmes migrantes : DES RISQUES accruS

B. Les personnes LGBTQ+ : une attention particuliÈre À porter à leurs droits

C. Les mineurs

1. Les mineurs non accompagnés (MNA)

2. Mineurs en rétention : un encadrement absolument nécessaire

D. Les étudiants étrangers

1. L’attractivité de plus en plus contestée de la France

2. Pour la suppression des frais d’inscription différenciés pour les étudiants extra-européens

3. Une coordination renforcée entre les acteurs pour fluidifier les parcours

Annexes AU RAPPORT

Annexes à l’avant propos

EXAMEN EN COMMISSION

PERSONNES AUDITIONNÉES

PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS

contributions des groupes politiques et des députés

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LA RAPPORTEURE

DOCUMENTS TRANSMIS PAR LES ASSOCIATIONS

 


—  1  —

   AVANT PROPOS DU Président

 

« C’eût été y prendre part que de ne pas s’y opposer »

Molière, 1665.

 

Migrations, étrangers, réfugiés, sans-papiers, frontières, racisme, ostracisme, exclusion : la France a perdu sa carte d’identité nationale et son passeport est périmé.

Le zinzin médiatique et le vertige électoral de quelques-uns ont fait perdre le Nord à tout le monde. À peine prononcé le mot migrant ou immigré que « Liberté - Égalité - Fraternité » se transforme, par fainéantise ou idéologie, en « peur - indifférence - humiliation et répression ».

En matière de respect des personnes, du droit national et international et des valeurs qui fondent notre République, les engagements de la société française vis‑à‑vis des étrangers ne sont pas tenus. Pire parfois : ils sont bafoués, avec des conséquences dramatiques. En étant incapable de faire la place qui revient à un être humain, c’est-à-dire lui permettre d’accéder aux droits dont il est censé disposer, la France, patrie des droits de l’homme, a perdu son message à vocation universelle. Elle ne sait pas, elle ne sait plus, quelle est sa place dans le monde. Même, les droits de l’enfance sont écornés dans notre pays dès qu’il s’agit de ceux des étrangers. Les femmes – qui représentent plus de 50 % des personnes migrantes – sont également en grand danger et en mal de protection : elles sont les premières victimes de la mollesse ou de la non-application du droit national.

Nous sommes à la dérive. Collectivement.

Au fil des auditions de migrants à l’Assemblée nationale, d’observations effectuées, un peu partout en France sur le terrain, en confrontant le discours d’élus et d’agents des services publics avec la réalité visible ou certains documents comptables, le constat s’impose : la situation relative aux droits humains des migrants et leurs conditions de vie en France sont alarmantes.

Jusqu’où la grève de la faim d’Anaïs Vogel, Ludovic Holbein et le père Demeestère à Calais doit-elle se poursuivre ? Eux ne réclament que l’arrêt des traitements inhumains et dégradants contre les personnes exilées à la frontière franco-britannique ! Selon quel principe une personne migrante perd son rang d’être humain pour ne devenir qu’un animal ? Il ne s’agit même plus de comparer les Soudanais ou les Érythréens avec des troupeaux de bétail paisible, mais de voir là de véritables battues de service public, non pour chasser le sanglier, mais notre semblable ! La situation dans les centres de rétention administratives (CRA) est tout aussi malsaine et indigne d’une démocratie comme la France au 21ème siècle. L’enfermement administratif est en soit assez contestable. Que dire de cette maman mise en CRA à Mayotte, sans son bébé, alors qu’elle l’allaitait tandis que l’enfant, confié à des tiers, s’est trouvé en rupture d’alimentation à un mois ! Les droits de l’enfance sont impunément bafoués par les services de l’État français. Notre pays est condamné très régulièrement par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour traitement inhumain et dégradant lorsque des enfants sont enfermés en CRA. La qualité « d’enfant » devrait l’emporter sur celle « d’étranger ». Mais non ! Même le droit français n’est pas appliqué à ce sujet.

Un récent texte sur la protection de l’enfance en France est examiné à l’Assemblée nationale ? Le ministre en charge de cette loi, probablement terrorisé à l’idée d’affronter la doxa politico-médiatique du moment, n’ose pas avancer un mot sur la protection des enfants quand il s’agit de ceux des migrants !

L’un de mes amendements au projet de loi reprenait en tous points la recommandation de La Défenseure des droits, émise par avis au Gouvernement et au Parlement, de faire évoluer la législation, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant, pour proscrire, en toutes circonstances, le placement de familles avec enfants en CRA et en zone d’attente. Réponse de la présidente de la commission des affaires sociales : « Le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution dispose que tout amendement est recevable, en première lecture, dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte. Tel n'est pas le cas de cet amendement dont le dépôt ne peut être accepté ». Quelle confusion, quelle méprise, quel fourvoiement de la part de mes collègues députés de refuser, même le débat, sur un sujet aussi grave. D’abord parce que ces parlementaires semblent prendre leur mandat sur injonction du gouvernement et non en représentants de la Nation qu’ils sont. Mais également parce que pour eux, un enfant parce qu’il est migrant n’est plus un enfant. Sommes-nous vraiment dans l’hémicycle des combats de Jaurès et Simone Veil ?

Les échéances électorales à venir n’invitent pas à l’optimisme quant à un redressement du pays, vers un prompt et nécessaire rétablissement de ses valeurs, patiemment et parfois difficilement construites. Le cénacle politique ne se résout pas à sortir du mensonge.

Il y a d’abord les théories de l’extrême droite, relayés par des candidats à l’élection présidentielle, autour du « grand remplacement », lesquelles ne tiennent pas la route à l’épreuve d’une analyse des données, d’une approche scientifique et raisonnée. Ces théories reposent sur une « peur qui échappe à toute argumentation rationnelle » explique François Héran, professeur au Collège de France. En manque de repère sur la place de la France dans le monde et faute de pouvoir s’inscrire dans un projet politique clair pour le pays, de nombreuses Françaises et Français croient entendre un discours conforme à leur ressenti quotidien. Éric Zemmour ou Marine Le Pen, quand ils s’engagent sur ce terrain-là, ne sont que de piètres figures de Philippulus, le prophète dans Tintin et l’Etoile Mystérieuse, prêchant tout à la fois des jours de terreur à venir, le châtiment et la fin du monde.

Quand un quart des espèces sont menacées d’extinction sur la planète, que nous sommes sur une trajectoire de réchauffement de + 3°C d’ici la fin du siècle, que notre système de santé est très affaibli tout comme nos principes démocratiques – français, européens et mondiaux – ce ne sont pas les migrations qui menacent notre monde, ni notre pays. Un peu de bon sens ne fera de mal à personne.

Il y a ensuite tout le groupe des bonimenteurs. À la recherche de suffrages, ils ont choisi de surenchérir toujours davantage sur le péril migratoire. D’abord pour masquer la vacuité de leur projet sur d’autres sujets essentiels, ensuite convaincus que les sondages invitent à cette stratégie plutôt qu’à un discours honnête et responsable. Ainsi, dans la course aux votes, un moratoire sur l’immigration est présenté comme le remède miracle pour le pays. « Fermer le robinet de l’immigration » ou la magie d’une solution qui ne l’est pas. Nous sommes en 2021. À ma connaissance, il n’existe qu’un seul pays expérimentant cette stratégie avec succès : la Corée du Nord. On pourrait éventuellement s’accorder sur un deuxième – encore que – l’Afghanistan des Talibans. Bigre ! Que voilà une étrange identité nationale pour la France des Lumières…

Ce que les tenants de cette poudre de perlimpinpin ne disent pas – ou ce à quoi ils n’ont même pas réfléchi – c’est que la France a des engagements au moins de trois ordres : nationaux, européens et internationaux. Pour certains adeptes du moratoire sur les migrations, quelques rapides modifications de la Constitution française seraient suffisantes. Non ! C’est l’essence même de notre Constitution qu’il faudrait sacrifier et remplacer par je ne sais quoi. Tout le préambule serait à revoir et la majorité des principes constitutionnels aussi. Sans parler de notre devise qui n’aurait plus aucun sens... Il faudrait également se départir de l’Union européenne (UE) et des droits fondamentaux qu’elle promeut tant bien que mal. Changer de Constitution et quitter l’UE ne serait pas encore suffisant. Il faudrait également se retirer de nombreux textes fondateurs des Nations-Unies, particulièrement ceux-là même que la France peut s’enorgueillir parfois d’avoir imposé au monde. Quels droits resteraient-ils pour les Français eux-mêmes en s’engageant comme cela dans pareille mauvaise aventure ? Nulle garantie.

Ces propos politiciens qui s’amusent à mettre en pâture les migrants sont de courte-vue, totalement irréalistes et la plupart de leurs tenants en sont parfaitement conscients. Le cynisme 2.0 s’acharne contre les pauvres et les plus démunis. Les migrants cochent toutes les cases et en plus ils ne votent pas ! Dans son livre En mer, pas de Taxis, Roberto Saviano exprime parfaitement le grand mensonge des politiques : « l’immigration et les migrants sont le grand prétexte, le grand mensonge employé ces dix dernières années par le monde politique pour ne plus parler de politique (…) l’immigré est un ennemi bien commode ».

Il y a enfin les mensonges de ceux qui gouvernent, hier et aujourd’hui. L’inventaire serait trop long pour cet avant-propos. Arrêtons-nous aux plus récents. Le dernier en date est une réponse de Marlène Schiappa à Jennifer de Temmerman, députée du Nord, lors des Questions au gouvernement du 26 octobre 2021. À la députée qui l’interpellait sur les trois grévistes de la faim de Calais, en raison du traitement indigne et inhumain subi par les migrants, la Ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur chargée de la Citoyenneté, osait cette réponse : « il y a effectivement régulièrement des camps démantelés. Démantelés pourquoi ? Pour mettre les personnes à l’abri dans des centres d’accueil où leur sont proposées des solutions. Ce fut encore le cas le 27 septembre dernier. 324 agents de l’État se sont mobilisés pour mettre à l’abri 286 migrants ». D’une part, la ministre ment sans vergogne devant la Représentation nationale. D’autre part, elle n’a manifestement pas la moindre idée de ce qui se passe vraiment à Calais. Les associations et ONG sur place – que la ministre salue au passage pour leur travail ! – sont empêchées ou gênées par les services de l’État dans leur action de solidarité au quotidien et déplorent que l’action publique « inflige la détresse ». La ministre semble évoquer une expulsion isolée, alors qu’elles sont nombreuses et quasi quotidiennes. La mise à l’abri évoquée des 286 migrants est simplement une « invitation » à monter dans un bus pour une destination, aussi lointaine que possible, Metz ou Toulouse, sans promesse d’un hébergement de plus de deux jours. À noter que la plupart n’auront pas pu récupérer et emporter leurs effets personnels et que les tentes dans lesquels ils s’abritaient auront été détruites. Voilà ce que signifie une « mise à l’abri » pour la ministre.

Terrible imaginaire fantasmé du réel calaisien depuis les salons dorés de la République, qui trouvera son lot de fans parmi les médias…

Autre mensonge grossier, celui du Président de la République Emmanuel Macron en octobre 2019 qui, dans un entretien accordé au magazine Valeurs Actuelles, à l'occasion d'un déplacement à Mayotte, s'était donné pour objectif de réaliser 100 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à la fin de son quinquennat. Le même message a été relayé par le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin, dans un entretien au Figaro en mai 2021 et encore à l’issue d’une sorte de Conseil de défense sur l’immigration en juin 2021. Cette duperie est également portée par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, concomitamment au durcissement de l’octroi de visas à l’Algérie, au Maroc et à la Tunisie, fin septembre 2021.

Pourquoi ce sont des mensonges ? Le principe d’une OQTF est simple : une fois la décision d’expulsion prononcée, encore faut-il que le pays vers lequel la France souhaite renvoyer quelqu’un accepte de recevoir cette personne. Laisser croire autre chose, c’est prendre les gens pour des imbéciles et les induire en erreur.

« Le pouvoir exécutif dit que d’ici le mois d’avril 2022, on sera à 100 % d’OQTF effectives, pensez-vous que l’on puisse atteindre cet objectif, oui ou non, et pour quelles raisons ? » : j’ai posé cette question à Jacques Henri Stahl, président adjoint de la Section du contentieux du Conseil d’État et président du groupe d’étude sur la simplification du contentieux des étrangers, lors de son audition dans le cadre de la commission d’enquête. Réponse du conseiller d’État : « Je ne le crois pas (…) C’est une action administrative qui est particulièrement difficile à mettre en œuvre et en l’état de ce que l’on peut voir, à la fois des moyens de l’administration et des procédures qu’elle est susceptible de mettre en œuvre, je ne crois pas que ce soit possible d’aboutir à brève échéance à ce type de taux d’exécution ». Alors, oui, de juillet 2020 à janvier 2021, sur plusieurs milliers d’OQTF prononcées vers l'Algérie, à peine une vingtaine auraient effectivement eu lieu… Mais comment escompter un autre résultat alors même que les relations diplomatiques entre France et Algérie sont très tendues ? On notera tout de même que les mesures de rétorsion visant à limiter le nombre de visas à un pays récalcitrant, c’est punir un peuple quand on ne sait s’arranger avec son chef. Pour bien comprendre le raisonnement rien ne vaut une comparaison : un pays, parce que furieux contre le Président Macron, s’en prendrait aux gilets jaunes…

Qu’on soit favorable à la logique des OQTF ou pas, une évidence s’impose : la non-exécution d’une décision de justice est une entaille aux principes fondamentaux de la République. Mentir sur un sujet aussi grave l’est également…

Dans la série des mensonges, l’irresponsabilité politique amène soit à rejeter la faute sur nos voisins, soit à expliquer, chiffres inventés à l’appui, que l’on fait mieux qu’eux.

Dans l’émission « Elysée 2022 » du 23 septembre 2021 sur France 2, face à l’invitée du jour Valérie Pécresse, Gérald Darmanin assène cette leçon à son interlocutrice (les deux étaient côte à côte au sein du gouvernement pendant le quinquennat du Président Nicolas Sarkozy) : « Nous faisons mieux que les Allemands, beaucoup mieux que les Allemands. Nous faisons beaucoup mieux que les Allemands qui ont deux fois plus d’étrangers sur leur sol que nous. Nous faisons beaucoup plus que les Allemands puisqu’on a 120 000 demandes d’asile et qu’ils en ont 160 000. Nous faisons beaucoup plus que les Allemands parce qu’on gère en 18 mois, c’est déjà un peu trop, quand les étrangers font des recours, avant de pouvoir les expulser, c’est un des problèmes, eux ils mettent 2 ans. On fait beaucoup mieux que les Allemands au moment où eux, ils acceptent 50 % de leurs demandes d’asile sur 160 000, quand nous on en accepte 30 % sur 120 000 ». Ces propos ne veulent rien dire et sont extrêmement graves. Qu’un ministre de l’Intérieur se félicite de moins bien protéger les personnes fuyant des guerres et des persécutions qu’un autre pays et dénigre le droit d’asile, liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, en le présentant comme un problème, est caractéristique de la dérive que nous vivons en France. Ce qui fonde notre République est remplacé par des conceptions raccourcies d’idéologues en mal d’électeurs. La première comparaison avec l’Allemagne est aberrante. Celle sur le nombre de demandeurs d’asile et le pourcentage de demandes acceptées est une ineptie qui repose sur la méconnaissance de ce qu’est la demande d’asile au regard de la Convention de Genève qui définit le statut de réfugié. En matière d’asile, il s’agit d’appliquer le droit et non pas de raisonner en termes de générosité ou de fermeté. Considérer l’asile comme une faveur que l’on octroierait ou pas revient à considérer que la Cour Nationale du Droit d’Asile examinerait les demandes à la lumière de quotas sans considérer la situation humaine. Ce serait contraire au droit international. Ce serait totalement contraire au droit national. En se félicitant de la sorte, le ministre de l’Intérieur induit donc en erreur les citoyennes et citoyens dans une émission grand public, mais assigne également des objectifs implicites illégaux à tous les agents du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice. Enfin, l’association directe dans le discours entre « recours des étrangers » et « expulsions prochaines » remet en cause le principe même de la justice en France : un recours ne peut pas être légitime quand il est déposé par un étranger ? Se vanter de temps d’instruction plus court des recours par rapport à l’Allemagne, c’est sans doute aussi que la France est moins soucieuse du respect des droits des personnes et de l’application de la Convention de Genève de 1951 qui affirme clairement que « toute personne » qui craint avec raison pour sa sécurité doit être protégée.

En tant que signataire de cette Convention, la France doit garantir l’égalité des chances à chaque demandeur d’asile, leur donner la possibilité d’être entendu et compris, et bien évidemment de procéder à un recours en cas de refus.

Les manquements des pays voisins de l’Union Européenne et des pays de départ ne peuvent être ignorés. Mais après six mois d’enquête relative aux migrations, aux conditions de vie et d’accès au droit des migrants, il est évident que la responsabilité politique française face à la situation actuelle inacceptable est entière.

Malmenés par des mouvements politiques nationaux racistes depuis le début du 21ème siècle, Allemagne, Italie, Espagne ou France, pour ne citer que ces démocraties occidentales, n’ont pas vraiment fait preuve de bonne volonté dans l’accueil des migrants : quelles solutions concrètes ont-elles apportées pour que migration ne rime pas avec abandon ?

S’agissant de la défense des droits humains, la plupart des gouvernements ont baissé pavillon. Certes, le contexte est difficile. Les multiples attaques terroristes traumatisantes ont été exploitées par les démagogues pour alimenter la peur de l’étranger. Les constructions populistes, sans proposer de solutions, se sont attachées à désigner les minorités vulnérables et défavorisés comme boucs émissaires, responsables de tous les maux. Enfin, les médias et les réseaux sociaux ont remplacé le journalisme, plutôt pour le pire que pour le meilleur. Il ne peut plus être question que de faits sensationnels, d’images fortes et de propos calomnieux. Les médias privés ne donnent plus aucune limite aux propos stigmatisants. Les médias publics leur font également la part belle et ne cherchent même pas à opposer un discours politique construit au torrent d’invectives quotidien à l’égard des étrangers. Le buzz pour répondre au buzz. Parfois quelques associatifs se verront proposer un micro, parfois quelques chercheurs. Très rarement, on entend une réponse politique par des politiques à cette idéologie prédatrice qui s’est emparée des médias. Dans le match politique médiatique : le propos construit, factuel et responsable, n’est plus invité. Mais qu’attendent les services publics de l’audiovisuel ?

Aujourd’hui, au carrefour de la mollesse des uns et du bon filon politicien des autres, les fantasmes archaïques et les préjugés raciaux traversent abondamment notre société. L’irrationnel politico-médiatique est devenu la seule réponse visible, laquelle prend forme d’un concours de flatteries des bas instincts.

Qu’il s’agisse d’accueil, d’asile ou de retour, la traduction par les services de l’État de la politique migratoire dans notre pays est défaillante, avec des conséquences humaines lourdes. À la décharge des fonctionnaires, le message politique est tellement brouillé par les prises de position mensongères que leur exercice au service de l’État est rendu difficile.

Ballotés entre facilité, démission, manque de moyens et instrumentalisation, les services publics sont incapables d’apporter une réponse cohérente et respectueuse de nos lois : une inaptitude partielle ou totale à donner assistance et protection aux migrants. Il faut cependant exempter l’éducation nationale et l’université de ce constat tant chercheurs, enseignants et agents ont su y préserver l’essentiel pour les enfants et la jeunesse. D’autant plus remarquable que ce formidable souffle de solidarité discrète des instits, profs, aides de camps et profs de fac n’est vraiment pas inspiré par leurs chefs de la rue de Grenelle et de la rue Descartes.

Quelques irréductibles fonctionnaires, en bas ou au sommet de la hiérarchie, tentent bien l’impossible, mais pour la plupart, le migrant est devenu chose invisible ou gênante. L’interminable file indienne, impatiente mais silencieuse, devant les préfectures, a disparu. On pourrait s’en réjouir. En réalité, le numérique a gommé tous ces gens de l’espace public ! Les relations humaines ne se font plus que par proxy interposé, même quand il s’agit de se livrer à des échanges qui touchent à l’intime, comme ces témoignages de migrants LGBT devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ayant à prouver leur orientation sexuelle en quelques minutes, ou parfois par un mail et deux ou trois clics, pour espérer l’asile ! Petit à petit, les services publics se désengagent de toute proximité avec la personne humaine. Quand le contact humain reste néanmoins impossible à supprimer complètement, l’État sous-traite à des associations sous-dotées en moyens.

De même, le budget national alloué à la gestion de l’immigration pour 2022 - annoncé avec roulement de tambour à 1 ? 9 milliard d’euros - sera en grande partie utilisé pour soustraire à la vue du citoyen ces migrants – qu’on les éloigne ou qu’on les enferme…

Comment est-on arrivé à cet ostracisme d’État au Pays des Lumières et comment en sortir ?

Quelle mouche a piqué la société française pour qu’elle développe tant de veulerie quand ces femmes et ces hommes venus d’ailleurs se noient, meurent écrasés sous les trains ou transis de froid ?

Pourquoi la tolérance, la confiance dans la connaissance scientifique et ce que l’on appelle communément l’État de droit ont perdu tout crédit dans la classe politique, la haute administration et les médias dès lors qu’il s’agit de parler des étrangers ?

La création d’un ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire en 2007, le débat vicié sur l’identité nationale de l’automne 2009 puis le rattachement de l’immigration au ministère de l’Intérieur en 2010 ont pénétré en profondeur toutes les strates de la société française. À cette période, l’appareil d’État a intégré que « l’étranger » serait désormais opposé à « l’identité nationale » et que l’immigration serait un problème, désormais adossé à l’insécurité, aux troubles à l’ordre public, de manière systémique.

S’il est une théorie du ruissellement qui s’est concrétisée pendant ce quinquennat, c’est bien celle-là. Des plus puissants et décideurs jusqu’à tous les endroits de notre société, le migrant est désormais considéré comme une chose, parfois comme un animal. Flux, chiffres, données démographiques galopantes, mineurs non accompagnés vus comme des hordes n’appartenant à personne et donc pas à l’Humanité.

Nous sommes à la dérive. Collectivement.

Il est donc nécessaire de rappeler à quel continent nous sommes censés nous raccrocher !

Le préambule de la Constitution française en vigueur commence par ces mots : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789. » Et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 commence elle-même ainsi : « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs… » avec pour article premier : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

Traduction : les Français naissent avec des droits en France et à l’étranger. Les étrangers naissent avec des droits à l’étranger et en France. N’en déplaise aux Français en parfaite méconnaissance de la Constitution et du droit national du pays auquel ils se disent appartenir.

Hébergement cherche solidarité

Notre pays connaît actuellement une contradiction essentielle. Pas dans les textes mais dans la pratique. En effet, la question migratoire renvoie aux questions d’hébergement et de logement. Historiquement en France, les priorités de la puissance publique en matière de logement des immigrés découlent des priorités économiques et peu des grands principes affichés. Dire le contraire serait très naïf. Mais puisque certaines priorités économiques réclament de la main d’œuvre étrangère (de plus en plus qualifiée), comment se fait-il qu’aucune politique publique ne s’attache vraiment au sujet, sauf en dernière roue du carrosse ?

Sur le terrain, partout en France, les évacuations de camps et de squats sont devenues quotidiennes. C’est une sorte de nouveau sport national qui n’offre aucune solution pérenne, ni même un début de solution. L’Instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles de janvier 2018, adressée aux préfets, agences régionales de santé et rectorats, a beau avoir été signée de la main de 8 ministres, et se donner pour objectif « une politique à la fois humaine et exigeante quant au respect du droit et de la loi mais aussi une politique efficace, avec une réduction durable du nombre de bidonvilles », elle est restée incantatoire. On évacue, on expulse, puis on sécurise des bâtiments mais pas les gens qu’on déloge !

« Il faut bien faire appliquer les décisions de justice » vous diront les chefs exécutants de ces séquences très traumatisantes. Les mêmes n’auront plus rien à répondre quand vous leur démontrerez que par la même occasion, ils enfreignent eux-mêmes d’autres lois supérieures de la République. Certes, la solution est difficile. Très fréquemment le 115, numéro destiné à l’hébergement d’urgence, ne répond pas et pour cause : rien à proposer ! Nous manquons cruellement de lieux d’accueil. En dépit d’un certain volontarisme affiché – handicapé par la pandémie, il faut le reconnaître – on assiste en France à un problème de flux entrants vers le 115. L’hébergement d’urgence est inopérant, miroir de l’échec de plusieurs politiques publiques (en psychiatrie, migratoire ou encore d’aide à l’enfance). Mais il y a surtout un problème de flux sortants de l’hébergement d’urgence vers le logement.

Faute de disposer d’une capacité d’accueil suffisante, deux options s’offrent pour une politique publique qui veut vraiment aller vers un toit pour tout le monde : construire du logement là où les tensions sont les plus manifestes ou bien optimiser l’existant.

La première option est entravée par plusieurs problèmes sérieux. Le temps nécessaire aux démarches préalables à la construction, du choix foncier jusqu’à livraison du logement, est long : y parvenir en moins de six ans est un exploit. De plus, dans les zones en tension, le foncier ne se trouve que rarement à des prix abordables, et, dans le cadre pertinent de la lutte contre l’artificialisation des sols, les contraintes sont encore plus conséquentes. Globalement, on fait face à une machine à exclure les plus précaires du logement privé, dans laquelle les migrants sont au plus bas de l’échelle.

Aussi, la deuxième option d’une « optimisation de l’existant » s’impose comme celle du bon sens, au moins en accompagnement de la première et pour le court et moyen terme. Combien de rapports sur le nombre de logements vides en région parisienne ? Fin 2020, pour ne citer que cet exemple, Paris connaissait plus de 18 000 logements vacants depuis plus de deux ans. La ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, a annoncé en janvier 2021 un nouveau programme de lutte contre la vacance des logements basé sur une approche locale. Les résultats se font attendre. Les potentiels de la solidarité privée restent ignorés. D’autant plus étonnant que, comme l’écrivait l’ingénieux sociologue Abdelmalek Sayad : « un migrant avec des meubles, ça n’existe pas ». Ce n’est pas la logistique d’emménagement des gens concernés qui pèse…

Pire même : s’est construite au fil des ans cette idée qu’être solidaire est pénalement répréhensible. Impossible d’énumérer ici le nombre de gens inquiétés par la police et la justice pour un geste d’humanité en direction d’une personne migrante. Notre pays bascule vers une pratique sans fondement juridique, de ce qui a fini par être dénommé le « délit de solidarité ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 juillet 2018, a pourtant remis les pendules à l’heure en considérant la fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle, se fondant sur les articles 2 et 72-3 et le préambule de la Constitution. Par suite, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 26 février 2020, a clarifié encore davantage l'interprétation de la loi en tranchant le débat entre acte humanitaire et acte militant, pour finalement juger que la protection des actes solidaires ne se limitait pas aux actions purement individuelles et pouvait s'appliquer aussi aux actes militants accomplis au sein d'associations. Le droit national est donc très clair. Mais rien n’y fait : en pratique pèse un soupçon sur les aidants aux migrants.

Contradiction essentielle donc que cette puissance publique, incapable d’apporter une réponse au problème de l’hébergement d’urgence et du logement des étrangers en France, mais qui ne fait pas appel aux solidarités privées et ne mobilise pas les collectivités en vraies partenaires. Rassurons les tenants du discours de la peur de l’étranger, il ne s’agit pas d’obliger tel ou tel à héberger une famille de migrants chez lui mais de faire appel à la solidarité des Françaises et des Français qui le souhaitent !

Côté collectivités, les mécanismes de domiciliation sont parfois assez étonnants : quand une personne migrante est domiciliée dans une ville, la ville ne reçoit aucun concours financier supplémentaire de la part de l’État. Pas vraiment une invitation à être accueillant… Cela explique ce jeu parfois malsain des villes à essayer de renvoyer à leur voisine les migrants, cela explique aussi toute la difficulté des étrangers à obtenir une domiciliation, sésame pourtant indispensable pour faire valoir ses droits. Fort heureusement, de nombreuses collectivités font œuvre de solidarité à l’égard des migrants, à l’image de celles réunies au sein de l'Association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA) qui œuvrent pour des politiques d'accueil inconditionnelles, incluant les publics exilés, et pour l'hospitalité sur leurs territoires.

Des dispositifs associatifs de solidarité active pour l’hébergement existent également de longue date au Secours Catholique, à la Fondation Abbé Pierre, le programme Welcome porté par le Service jésuite des réfugiés (JRS), le programme ELAN du Samu social, les initiatives de l’association SINGA ou dans de plus petites structures, à l’instar de Famille au grand cœur à Montpellier. Cette dernière association, dont la plupart des membres et animateurs sont des demandeurs d’asile, accueille et vient en aide aux jeunes primo-arrivants gays, lesbiennes, bisexuels ou encore transgenres, pour les sortir de leur isolement. Un toit dans une famille française et l’intégration s’accélère.

De constat d’échec en constat d’échec, pendant des décennies, avec des situations aussi criantes et dramatiques que celles de Calais, Briançon ou de la Porte de la Chapelle à Paris, il reste pour le moins étonnant que la puissance publique ne fasse pas de la force solidaire française – individuelle, associative et des collectivités – un levier pour améliorer et faciliter l’hébergement des migrants.

Les lacunes des dispositifs d’hébergement d’urgence et de logement impactent encore davantage les femmes migrantes. Pour certaines, cette précarité les maintient dans les réseaux desquels elles ont voulu s’extraire ou dont elles sont victimes en quittant leur pays. Pour d’autres, il s’agit ni plus ni moins de les laisser en proie aux réseaux mafieux en France. 

En conséquence, il faut passer dans notre pays d’une solidarité empêchée à une solidarité facilitée, encouragée et reconsidérée. Le « délit de solidarité » ne doit plus exister dans notre pays qui reconnaît la fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle. Par ailleurs, il faut stopper le discours lénifiant sur les associations entravant le travail des services de l’État : quand l’État se fourvoie, elles doivent continuer de le dire et de s’opposer.

La réponse à l’incapacité de l’État à agir dignement se trouve dans un contrat de confiance avec les associations, lequel passe par leur financement à hauteur de la mission qu’elles remplissent pour le compte de l’autorité publique.

Francophonie hasardeuse

Par lettre en date du 5 octobre 2020, le Premier ministre Jean Castex avait confié à l’Inspection générale de l’administration, à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche une mission « relative aux moyens de favoriser l’accès des étrangers primo-arrivants à la reconnaissance des diplômes, des qualifications et à la validation des acquis de l’expérience professionnelle ». L’objectif poursuivi était de permettre aux étrangers primo-arrivants de s’intégrer plus rapidement sur le marché du travail français, dans un contexte où beaucoup d’entreprises peinent à recruter. L’enjeu était aussi celui d’une plus grande efficacité de la politique d’intégration, en limitant les phénomènes de déclassement et en assurant, en parallèle, une meilleure promotion de l’activité des femmes migrantes. On ne peut que saluer cette commande d’un Premier ministre manifestement pragmatique, soucieux de la lettre et de l’esprit des valeurs de notre République et, surtout, affranchi des stériles querelles politiciennes sur ce sujet.

Le rapport en résultant a été achevé en avril 2021 sous le titre : L’insertion par l’emploi des étrangers primo-arrivants : reconnaissance des diplômes et des qualifications, validation des acquis de l’expérience professionnelle. On peut regretter que le rapport n’ait pas été rendu public : égratignant les a priori, il allait rejoindre les étagères poussiéreuses, cimetière des rapports embarrassants. On pourrait aussi s’inquiéter de voir que l’avis de la commission des lois pour le projet de loi de finances pour 2022 sur la mission « Immigration, asile, intégration » repose sur un rapport d’octobre 2013 (L’évaluation de la politique d’accueil des étrangers primo-arrivants, IGA-IGAS, octobre 2013) quand il en existe un d’avril 2021 IGA-IGAS-IGESR ! Fort heureusement, on peut rester optimiste puisque ce travail précis et de grande qualité devient utilisable, particulièrement à la mesure de ses trente recommandations.

Ainsi, sur l’apprentissage de la langue, voici quelques-unes des préconisations :

– Au niveau de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), orienter les signataires du Contrat d’Insertion Républicain qui ne maîtrisent pas la langue mais qui ont le désir de travailler vers un apprentissage du français à visée professionnelle,

– Au sein du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, étendre le dispositif « DU Passerelle – étudiants en exil » aux signataires du CIR qui possèdent au moins le niveau bac et qui ont besoin d’une mise à niveau linguistique pour reprendre des études universitaires ou pour compléter leurs qualifications professionnelles,

– Au niveau de la DGEF et de l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), intégrer dans le cahier des charges des formations linguistiques un critère de certification qualité pour les prestataires de formation,

– Toujours chez la DGEF, confier les évaluations initiales, intermédiaires et finales du niveau de langue à des prestataires spécialisés, indépendants des organismes de formation,

– À la DGEF et l’OFII, faire certifier l’atteinte du niveau A1 pour l’ensemble des bénéficiaires des formations linguistiques et faire prendre en charge la totalité du coût des certifications par l’OFII.

Il s’agit d’éviter le saupoudrage, de rationaliser les apprentissages, d’inciter à l’atteinte d’un meilleur niveau de français, d’éviter les formations totalement inadaptées ou plus que médiocres et aussi de pouvoir évaluer les organismes de formation, de manière à assainir un marché très lucratif et très sauvage aussi. Les petites structures, scrupuleuse d’un travail de haute qualité vis-à-vis de leur public apprenant migrant, ont tôt fait de se faire sortir des marchés publics par des officines peu scrupuleuses et qui n’ont d’efficace que leurs lobbyistes et leurs spécialistes de la réponse aux appels d’offre.

Les auditions menées auprès de responsables d’organismes de formation et de l’OFII montrent des difficultés importantes pour une offre adaptée aux apprenants, des ruptures dans leurs parcours assez fréquentes et souvent un volume insuffisant d’heures d’apprentissage. Sur le terrain, il est possible de voir des dispositifs très efficaces mais trop rares. La comparaison avec le modèle allemand - ici me semble-t-il légitime - est assez saisissante. L’Allemagne impose un niveau plus élevé d’apprentissage de l’allemand pour l’obtention de certains titres de séjour mais donne les moyens de l’atteindre par des volumes d’apprentissage de la langue plus conséquents auxquels viennent s’ajouter de nombreuses heures d’« apprentissage de la vie en Allemagne », axées sur le marché du travail, l’éducation des enfants, les passe-temps, la vie en société et le paysage médiatique du pays. Les résultats paraissent plus probants outre-rhin.

La question des moyens pour améliorer l’apprentissage du français par les étrangers en France est une évidence, même pour le Président de la République. Dans un intéressant discours, prononcé à l’Institut de France en mars 2018, il indique qu’ : « Apprendre à parler et écrire le français, c’est établir dans toute la francophonie cette Constitution qui nous unit et nous rapproche (…) Et apprendre le français, c’est d’abord l’apprendre en France et nous ne saurions proposer quoi que ce soit pour la francophonie si nous ne savons regarder nos propres imperfections, nos propres lacunes, parfois nos propres reculs (…) Ce devoir d’apprendre le français en France s’impose de manière plus impérieuse au moment où nous devons accueillir des femmes et des hommes chassés par la guerre et leur donner un destin au sein de notre communauté nationale. Je ne vois pas de meilleur titre de séjour pour eux que la langue française et c’est par là aussi qu’ils entreront dans la Nation, c’est par là qu’ils trouveront leur juste place. Et si on ne leur donne pas cette chance, si on ne leur donne pas cette possibilité de rentrer dans notre pays par et dans la langue, quelle place prétend-t-on leur donner ? (…) Nous devons établir des passerelles, créer des instances qui rapprochent. C’est le sens de la mission que j’ai confiée à Leïla Slimani. Son rôle à mes côtés est de relier, nouer, faire converger et donc de repérer et sentir les dynamiques qui sont à l’œuvre, de percevoir les signaux faibles et saisir les mouvements qui émergent… ».

Il est l’heure de dire au Président de la République que les signaux faibles sont plutôt des signaux de faiblesse de notre pays en matière d’apprentissage du français. Ce sont des millions d’euros de deniers publics qui sont mobilisés dans une francophonie parfois hasardeuse, où la promotion du français peut facilement se confondre avec quelques projets économiques aventureux… alors que dans le même temps, on escamote, sur notre territoire, les possibilités d’une intégration réussie, en oubliant la promesse francophone. Pourquoi ne pas miser vraiment sur ces gens qui veulent s’installer, durablement ou pas ? S’ils restent en France, ils auront besoin du français. S’ils quittent la France, tout ce qu’ils emporteront de français, de reconnaissance à avoir été accompagnés un temps, c’est autant de gagné pour la francophonie, pour le rayonnement de notre pays. C’est un gâchis incompréhensible.

On peut essayer de terminer ce chapitre sur une note positive avec ces propos encourageants de la présidente de l’université Jean-Jaurès à Toulouse, présidente de la commission des relations internationales et européennes de la Conférence des présidents d’université : « De nombreuses universités ont lancé des initiatives remarquables et originales en faveur des migrants. L’université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, qui regroupe plusieurs établissements, propose ainsi un diplôme d’université en français langue étrangère, de manière à amener chaque année des étudiants en situation de très grande fragilité à un niveau de maîtrise de la langue et d’acculturation leur permettant ensuite de suivre une formation au sein de l’université comme des étudiants « ordinaires », c’est-à-dire avec des chances de réussir. » L’initiative conjointe UNIV’R (Université pour les réfugiés), élaborée conjointement par le HCR (Haut-commissariat aux Réfugiés) et l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) est également encourageante : 50 réfugiés en bénéficieront à partir de 2022. Ce couloir universitaire, tout comme le « couloir recherche » du formidable programme national PAUSE du Collège de France pour les chercheuses et chercheurs qui ne peuvent exercer librement leur profession et sont contraints à l’exil, sont exemplaires. Le dispositif DiverPass, projet européen Erasmus + qui rassemble une équipe française, italienne, hongroise et polonaise pour proposer un tutorat professionnel aux migrants, porté en France par la Cité Saint Pierre à Lourdes, est également porteur d’espoir en matière de formation professionnelle. Mais, à l’Université comme dans la formation, les financements nécessaires sont difficiles à mobiliser pour les migrants et les initiatives ne peuvent prendre l’ampleur nécessaire, faute d’un budget assez conséquent.

Plutôt que de porter des projets de Francophonie hasardeux aux quatre coins de la planète, jamais évalués, un effort sans précédent doit être porté à l’apprentissage de la langue française pour ceux qui ont vocation à séjourner ou s’installer sur notre territoire. Quoi de mieux qu’un service commun « éducation nationale – enseignement supérieur » pour apporter une réponse adaptée sur l’ensemble du territoire ?

Appel d’air et politique étrangère

Mercredi 8 septembre 2021, la commission d’enquête auditionne Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la Justice. À ma question : « À l’heure actuelle, en France, pensez-vous que la politique de contrôle des flux migratoires prévaut sur la protection de l’enfance ? », sa réponse pleine d’assurance est la suivante : « Il faut être extrêmement vigilant sur les sujets de l’enfance et des politiques migratoires. À mon sens, le ministère de l’Intérieur a la légitimité pour agir en la matière. Il a raison d’être vigilant quant à l’appel d’air que crée notre dispositif de protection de l’enfance, sous un double rapport : la logique de flux et, surtout, le parcours migratoire des mineurs. Les enfants sont envoyés vers l’Europe, car on sait qu’elle les protège. Il faut prendre conscience des souffrances qu’ils endurent avant d’arriver sur notre territoire. Il serait irresponsable de ne pas veiller à l’équilibre entre les flux et la protection que l’on doit aux enfants lorsqu’ils foulent le sol de notre pays. Lorsqu’ils se trouvent sur notre territoire, on ne doit pas avoir le moindre état d’âme : ces mineurs – pour autant qu’ils le soient réellement – doivent être protégés, accompagnés, formés, scolarisés et vraisemblablement – car ils restent souvent longtemps en France – définitivement intégrés. Cela étant, il faut veiller à ce que des majeurs ne bénéficient pas de cette protection. Il faut être vigilant quant à l’appel d’air, à l’origine de flux extrêmement problématiques ». Cette réponse d’une fonctionnaire du ministère de la Justice est révélatrice de la pénétration d’une idéologie dans la haute administration, bien au-delà du seul ministère de l’Intérieur.

D’abord, cette réponse à une question qui évoque enfance et migrant intègre mécaniquement la suspicion. Cet élément de langage, systématique parmi les politiques, a-t-il lieu d’être chez les haut-fonctionnaires tenus à l’obligation de réserve ? Ainsi donc, voilà le discours de l’encadrement supérieur de l’administration française : tout jeune migrant, parce qu’il est migrant, doit être regardé comme suspect ! Combien de cadres publics dirigeants glissent insidieusement ce genre de commentaire au détour d’une phrase, d’un raisonnement sur toute autre question ? De la part d’un agent du ministère de la Justice, censé se préoccuper de la protection judiciaire de la jeunesse, étaler ce genre de préjugé est ahurissant. On s’attendrait plutôt à une défense sans concession de l’article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

Ensuite, il y a cette mise en scène de la théorie de « l’appel d’air ». C’est devenu un incontournable de l’argumentaire de toute politique publique « responsable » en matière migratoire dans notre pays. Et pourtant… fondée sur l’idée que les politiques d’immigration et d’accueil sont déterminantes dans le choix des individus à migrer et à se rendre dans tel ou tel pays, celles-ci seraient des clés d’incitation ou de dissuasion, impactant les trajectoires migratoires. Cette théorie est démentie par les travaux de recherche : plusieurs études montrent que ce sont beaucoup moins les conditions d’arrivée (souvent mauvaises) qui attirent, que la situation dans les pays de départ : l’absence d’espoir, le chômage massif des jeunes et parfois aussi la guerre et l’insécurité sont les moteurs des migrations auxquels s’ajoutent les facteurs individuels, notamment le capital économique et social.

Comment des gens censés avoir une tête bien faite et remplie peuvent-ils tenir un discours aussi crétin, infondé et à mille lieux de tous les témoignages ?

De mes échanges avec des Irakiens, Afghans, Syriens, Tunisiens, Camerounais, Yéménites ou Egyptiens, pas une seule fois un élément quelconque des dispositifs d’accueil en France ne s’est révélé être le motif de leur choix de migrer vers notre pays. Les réfugiés syriens que j’ai pu rencontrer dans un camp au nord de Mossoul, dans le Kurdistan irakien, ne réfléchissent certainement pas en termes de qualité de l’accueil d’un pays leur projet migratoire : c’est ce qu’ils veulent quitter qui compte. Ils ne vivent plus dans leur pays, en ruine, ont vécu le traumatisme de l’occupation de l’État islamique et ses horreurs. Quoi qu’il en soit, un pays comme la France sera considéré comme terre de soulagement. Lors de notre étape à Lampedusa, alors que nous visitions l’infirmerie du « hotspot » de l’île, une jeune ivoirienne de 16 ans s’est confiée à un membre de notre délégation : elle venait voir le médecin pour un test VIH, violée plusieurs jours durant en Tunisie. Elle savait que la vie n’était pas facile pour des jeunes comme elle en Europe, elle disait ne rien regretter de son parcours. Elle était soulagée d’avoir fui sa condition en Côte-d’Ivoire, c’est tout. Aucun appel d’air en provenance de la France en dehors du fait qu’elle parlait français.

Interpelée au cours de l’audition, par ailleurs fort intéressante, sur son utilisation de la théorie de l’appel d’air, la directrice de la protection judiciaire reprend : « Je me suis mal fait comprendre. Si l’on a pour seul dispositif celui de la protection de l’enfance tel qu’il existe aujourd’hui, on provoque un appel d’air en encourageant les flux migratoires de mineurs isolés. Il ne m’appartient pas de prendre position sur la politique générale d’immigration ». Elle parlera par suite de « générosité naïve » pour conclure sur le sujet par « excusez-moi d’avoir utilisé l’expression « appel d’air », mais je l’ai employée pour expliquer que la situation pourrait inciter des réseaux ou des parents qui se trouvent dans une situation très difficile à envoyer des enfants, parfois très jeunes, en Europe ». Le mal est fait. L’art d’enfoncer un clou en prétendant le contraire !

Cette audition illustre bien les mécanismes idéologiques pleins d’a priori à l’œuvre parmi les responsables du pilotage des politiques publiques de notre pays.

S’il faut chercher une théorie de « l’appel d’air » en matière migratoire, ce n’est pas du côté des conditions d’accueil qui seraient trop favorables en France mais plutôt dans un discours de séduction à l’international du Président de la République et du ministre des Affaires étrangères : la Déclaration des droits de l’homme et de citoyen de 1789 serait comme une preuve intangible que la France est le pays éternel des droits et libertés. La réalité est toute autre et il n’est nul besoin ici de détailler comment la défense des droits de l'Homme par le chef de l’État est à géométrie variable, mais clairement réglée à la mesure des intérêts de quelques entreprises françaises. Le violent épisode colonial de l’empire français et ses déclinaisons contemporaines devraient suffire à chacun pour comprendre que le respect des droits fondamentaux est un combat perpétuel, jamais totalement victorieux. Et chacun doit saisir que si l’on veut inverser les chemins migratoires, il faut inverser les situations de vie. En somme, le jour où les conditions de vie en Tunisie seront celles de la France et inversement, le sens migratoire s’inversera. Ce n’est pas l’accueil en France aujourd’hui qui fait appel d’air. S’il faut chercher un appel d’air, c’est du côté de notre histoire et son instrumentalisation dans les discours de politique étrangère.

La contradiction est totale entre le jeu d’attraction à l’étranger des uns et la tentative de répulsion des autres à l’intérieur de nos frontières. Précision utile, cette contradiction ne date pas d’aujourd’hui. Le 3 décembre 1989, Michel Rocard, invité d'Anne Sinclair dans l'émission 7 sur 7 sur TF1, affirme la position de la France en matière d'immigration : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu'elle est, une terre d'asile politique […] mais pas plus. » Beaucoup de contempteurs ou acteurs du Parti socialiste ont voulu donner des réinterprétations plus mesurées à ces propos du Premier ministre d’alors. Ils oublient volontiers que François Mitterrand déclarait dans une interview à Europe 1 et Antenne 2, le 10 décembre 1989, que le « seuil de tolérance » des Français à l'égard des étrangers « a été atteint dans les années 70 ». Discours de fermeté intra-hexagonal quand dans le même temps ou presque, François Mitterrand prononçait le Discours de la Baule en juin 1990, comme une invitation aux pays d’Afrique à se lancer dans des processus démocratiques avec la France pour modèle.

La schizophrénie française de la théorie de « l’appel d’air » couvre un très large spectre politique qui va de l’extrême-droite aux cendres du Parti socialiste d’aujourd’hui. En 2016, dans une interview à la presse allemande, le Premier ministre du gouvernement socialiste, Manuel Valls, critiquait sérieusement la politique migratoire de la Chancelière allemande, Angela Merkel, pour sa politique d’ouverture des frontières. Manifestement, la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés – dans le cas présent Syriens – est une notion dérisoire pour le chef du gouvernement qui se permet de dénigrer un engagement international et en même temps un pays comme l’Allemagne, chez elle, qui le respecte.

Ces affronts à nos engagements internationaux, ces coups de menton en direction de pays respectueux du droit international et surtout cette manie de donner des leçons à une bonne partie de la planète en matière de droit humain a abouti aujourd’hui à une perte totale de crédibilité de la voix française dans le jeu diplomatique mondial mais continue de jouer sur la crédulité des populations des pays de départ. Ce faisant, on comprend mieux pourquoi le Président Emmanuel Macron organise des sommets Afrique-France à Montpellier en n’y invitant que des représentants de la société civile africaine et de sa jeunesse : il ne reste guère que ce public (quoi que…) qu’on peut encore duper.

Qui peut à ce point se mettre la main sur les yeux pour ne pas voir que les agissements de la France, hier en Lybie ou en Tunisie, aujourd’hui au Sahel, sont sans conséquence dans le déclenchement ou la densification des phénomènes migratoires ?

Qui peut à ce point se mettre la main sur les yeux pour ne pas voir que la diplomatie du migrant, qui consiste à négocier des accords avec un pays en intégrant la matière humaine au milieu des ventes d’armes, des exemptions de droits de douane ou de l’achat de matières premières, n’est pas que l’apanage de la Turquie ou du Maroc ?

Qui peut à ce point ignorer qu’à Calais ou à la frontière biélorusse, la France avec ou sans l’Union européenne joue pleinement à ce jeu dangereux de la diplomatie du migrant ?

Il faut en finir avec cette théorie fantasque de l’appel d’air et penser le phénomène migratoire avec les pays de départ, sans l’adosser systématiquement aux questions économiques. Il faut en finir avec l’étranger qui viendrait d’un monde sans valeurs, imperméable à l’éthique, avec une morale douteuse. Il faut cesser ce double discours du Président Macron - et de ses prédécesseurs - accueillant en tournée à l’étranger, accusateur sur la scène nationale envers ceux qui voudraient un accueil décent en France. Les droits de l’homme, c’est soit partout, en tout temps, en toutes circonstances et c’est bien ça la France, soit nulle part.

« Alors quoi ? L’humanité ? La fraternité ? Concepts magnifiques qui resteront des mythes que chacun brandit pour la gloire de prononcer ces mots, se rengorger en les disant », ce sont les termes du roman « Les Noyés » d’Elyssa Bejaoui, ceux qu’il est si grave d’utiliser par tromperie.

Quand des femmes victimes de violences, de mariages forcés, d’excisions ou de viols voient encore, et à raison, dans le pays des droits de l’Homme et du citoyen un refuge, doit-on mettre en travers de leur chemin murs, barbelés et tracasseries en tous genres, ou bien faire honneur à notre histoire et regarder un futur ensemble serein ?

Cela suppose d’imaginer des voies d’immigration légales, de redessiner un tracé clair dans ce que la France veut être au monde, et de construire un nouveau dialogue de continent à continent, de pays d’Europe à pays d’Afrique.

Ciel ! De nouvelles voies d’immigrations légales ! La phrase est prononcée. Voyons plus loin ce qu’elle signifie et ne signifie pas.

Union européenne, tralala français et noyade.

En 2018, une mission d’information de l’Assemblée nationale pompeusement intitulée Refondation démocratique de l’Union européenne m’avait amené au Parlement danois – le Folketing – mieux connu par le surnom du bâtiment qui l’accueille « Borgen » et la série télévisée du même nom. J’avais pu observer un dispositif de contrôle de l’action du gouvernement dénommé « procédure du mandat ». Avant d’entamer une négociation concernant un acte législatif européen, le ministre danois compétent se doit d’avoir reçu, en amont de la réunion du Conseil de l’Union, un mandat de la commission des affaires européennes du Folketing. Chaque mandat est négocié, très en amont, entre les partis politiques et le Gouvernement, ce dernier essayant d’obtenir l’adhésion la plus large possible et le plan d’actions le plus précis possible. Cette manière de faire permet ainsi au Gouvernement d’intérioriser, très tôt dans le processus, les préoccupations des parlementaires et facilite par la suite la transposition des directives. C’est également un mode de clarification de la politique nationale portée par le gouvernement au sein de l’UE. Rien d’équivalent en France où aucune information ne peut être récupérée par un parlementaire de ces échanges interministériels par une voie officielle !

Qui peut dire ce que la France a porté au sein de l’UE jusqu’à ce « Pacte sur la migration et l’asile », présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020, projet de réforme de la politique migratoire européenne mise en place pour l’essentiel avant la crise de 2015 et qui est intervenu après l’échec des négociations du « Paquet asile » initiées en 2016 ?

Quelles sont les options réellement défendues en matière migratoire par la France parmi les 27 États membres ?

Les conclusions du Conseil européen du 25 juin 2021 affichent de belles intentions : « Afin d'éviter des pertes de vies humaines et de réduire la pression sur les frontières européennes, les partenariats et la coopération avec les pays d'origine et de transit, qui sont avantageux pour toutes les parties, seront intensifiés, en tant que partie intégrante de l'action extérieure de l'Union européenne. Cette approche sera pragmatique, souple et adaptée aux besoins, fera une utilisation coordonnée, en tant qu'Équipe Europe, de l'ensemble des instruments et incitations disponibles au niveau de l'UE et des États membres, et fera l'objet d'une étroite coopération avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés et l'Organisation Internationale des Migrations ». À la lecture, on pourrait croire que migrations et UE, c’est un beau roman, c’est une belle histoire… mais chacun sait qu’une meilleure appréhension des phénomènes migratoires dépend fortement de ce que les États membres décident réellement à partir de la base commune européenne. 

Le propre des instruments destinés à répondre à une situation complexe est généralement leur complexité. En la matière, on n’est pas déçu…

Le nouveau pacte se compose de cinq instruments juridiques :

● un nouveau règlement sur l'examen analytique,

● une proposition modifiée révisant le règlement sur les procédures d'asile une proposition modifiée révisant le règlement Eurodac (système d'information à grande échelle contenant les empreintes digitales des demandeurs d'asile et de protection subsidiaire et immigrants illégaux se trouvant sur le territoire de l'UE),

● un nouveau règlement sur la gestion de l'asile et des migrations

● une nouvelle réglementation sur les crises et les cas de force majeure)

● trois recommandations (un plan de préparation et de gestion des crises en matière de migration ; une recommandation sur la réinstallation et les voies complémentaires ; une recommandation sur les opérations de sauvetage par des navires privés).

Ce nouveau pacte repose sur quatre piliers :

● les procédures de préadmission aux frontières extérieures ;

● les mécanismes de partage des responsabilités et de solidarité ;

● un mécanisme spécial pour les crises et les cas de force majeure ;

● les nouveautés dans le mécanisme de gouvernance en matière d'asile et de migration.

Fin septembre 2021, la Commission a également adopté un plan d'actions renouvelé de l'UE contre le trafic de migrants et une communication relative à l'application de la directive de l'UE concernant les sanctions à l'encontre des employeurs (contre l’emploi frauduleux).

Ce nouveau pacte, s’il était entièrement traduit législativement, présente des imperfections. L’analyse d'impact du nouveau pacte sur l'immigration et l'asile de la Commission européenne demandée par la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen est sans appel : « les solutions politiques proposées sont anticipées, plutôt que dérivées d'une base factuelle solide », « les objectifs du nouveau pacte  ne sont pas bien définis, et il manque souvent des critères clairs pour évaluer l'efficacité de l'action de l'UE », « les procédures de préadmission (dépistage obligatoire aux frontières extérieures, procédures d'asile obligatoires et procédures de retour aux frontières) sont caractérisées par une fiction juridique de non-admission qui n'est ni justifiée ni expliquée de manière adéquate. Il est donc à craindre que ces procédures n'entraînent un recours excessif à la détention », « le RAMM [règlement Gestion de la migration et de l’asile], introduit pour remplacer le système de Dublin et pour établir la solidarité en tant qu'élément structurel du RAEC [réforme du régime d'asile européen commun], n'atténuera pas les déséquilibres existants dans la répartition des demandeurs d'asile entre les États membres, mais renforcera plutôt le critère du premier pays d'entrée », « plusieurs procédures devraient avoir un impact négatif sur les droits fondamentaux »… avec cette conclusion : « Le nouveau pacte ne propose pas non plus de solutions aux problèmes actuels en matière de protection des droits fondamentaux des migrants et des demandeurs d'asile. Au contraire, les mesures proposées, et en particulier les procédures de pré-entrée, risquent d'exacerber les problèmes liés au recours massif à des mesures limitant la liberté individuelle des migrants et des demandeurs d'asile. »

Tout ça pour ça…

Mais il y a pire. Les échanges que la commission d’enquête a pu avoir avec le cabinet du ministre de l’Intérieur italien, avec le cabinet de la commissaire européenne à la Migration, aux Affaires intérieures et à la Citoyenneté, Ylva Johansson, ou avec des fonctionnaires de la Représentation permanente de la France auprès de l’UE vont tous dans la même direction. Dans l’équilibre à trouver entre solidarité et responsabilité (joli mot pour parler de contrôles renforcés, enfermement et expulsions), tout indique des divergences trop fortes concernant l’appareil législatif portant le pôle solidarité. Dit autrement, la Présidence française de l’UE qui s’annonce – à partir du 1er janvier 2022 et pour six mois – risque d’aboutir à des accords uniquement sur le déploiement des outils de contrôle, d’enfermement et les procédures d’expulsion.

Jusqu’à présent, le Président de la République française dit vouloir accélérer l’examen et l’adoption du « pacte global pour la migration » et bâtir dès janvier 2022 un traité de paix et d’amitié avec l’Afrique, argumentant fort justement qu’il « faut penser avec les États d’origine une politique migratoire beaucoup mieux organisée, en particulier avec l’Afrique ». Coté gouvernement français, début d’octobre 2021, lors d’un débat tenu à l’Assemblée nationale sur la vision de la France pour sa présidence de l’UE, il a été rappelé qu’il fallait trouver un consensus autour de ce pacte européen, en soutenant notamment le « filtrage » aux frontières extérieures et un « contrôle rigoureux » comme « condition de la solidarité ». N’importe quel diplomate vous dira qu’aux vues des positions des États membres sur le sujet migratoire, seule une position extrêmement claire, affirmée et forte de la part de la Présidence française de l’UE quant à la nécessité de l’équilibre entre « responsabilité » et « solidarité » pourrait permettre de sortir de la seule logique en forme d’impasse du contrôle, de l’enfermement et des expulsions. Le jeu pré-électoral présidentiel qui s’achèvera en avril 2022 n’augure rien de très optimiste. Bref, on peut s’attendre à quelques coups de communication sans lendemain, des jolis tralalas en français bien de chez nous, pour finalement ne pas s’atteler, une fois de plus, à la question migratoire à l’échelle européenne qui, tôt ou tard, risque fort de faire éclater l’UE.

Mais il y a encore pire… les noyades en mer Méditerranée. Selon la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Solas) datant de 1974, les États côtiers ont l'obligation légale d'organiser et d'assister les recherches en cas de signal de détresse. Pourtant, depuis 2016, des organisations civiles pallient le manque d'engagement des pays européens. Comme le révèlent régulièrement des journalistes, comme Nejma Brahim pour Mediapart ou Emmanuelle Chaze pour France 24, ayant embarqué plusieurs semaines à bord d’un navire de sauvetage de SOS Méditerranée, non seulement la puissance publique des États ou de l’UE est peu ou pas active mais elle dresse des obstacles supplémentaires aux secours portés par les ONG ! Sans assistance des autorités maritimes compétentes, les navires arrivent parfois trop tard sur zone et le drame est total. Fermeture des ports au débarquement des naufragés, pressions politiques sur les États auprès desquels sont pavillonnés les bateaux et stratégie de harcèlement judiciaire contre les ONG et les marins qui ont porté secours en mer ou encore mise sous séquestre de certains navires d’assistance : le silence tranquille des autorités françaises quant aux agissements d’Etats voisins est symptomatique de l’abandon français. Est-ce cette même France qui défendra le « pôle solidarité » du futur Pacte migratoire en prenant la présidence de l’Union européenne au 1er janvier 2022 ?

Comme dans sa relation au reste du monde, la France doit porter un discours clair sur sa propre politique migratoire et celle qu’elle veut promouvoir conjointement au sein de l’UE. Lors de la Présidence française, elle doit rappeler la portée juridique de la Charte des droits fondamentaux de l'UE qui s’applique aux institutions et organes de l’UE, dans le respect du principe de subsidiarité, mais aussi aux États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

Les six valeurs individuelles et universelles constituant le socle de la construction européenne : « dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice » ne doivent pas mourir sous la Présidence française au sujet des questions migratoires. Il faut donc, à 27 ou un peu moins, que l’UE non seulement ne fasse pas obstacle à la solidarité associative de sauvetage, mais prête main forte, pour stopper ce scandale et ces drames.

Des frontières physiques, des femmes et des hommes

Lors de son audition en commission d’enquête, le directeur des affaires européennes et internationales du ministère de l’Intérieur Jean Mafart expliquait : « Le pacte représente une véritable perspective européenne et c’est pourquoi la France le soutient aussi fermement, notamment le règlement Screening. En effet, les flux migratoires irréguliers sont à la source de ces phénomènes et, en l’état, leur traitement n’est pas satisfaisant parce que la diversité des pratiques est préjudiciable à l’efficacité collective. Notre frontière extérieure commune appelle des règles communes. En attendant, nous sommes malheureusement obligés de prendre des mesures palliatives telles que les contrôles aux frontières intérieures. La France a rétabli et régulièrement prolongé depuis près de six ans des contrôles à ses frontières intérieures. Le Président de la République a annoncé le doublement des effectifs de policiers et de gendarmes affectés aux frontières italienne et espagnole afin de restreindre les flux secondaires ».

Petit rappel : le rétablissement des contrôles avec la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Confédération Suisse, l'Italie et l'Espagne, ainsi qu'aux frontières aériennes et maritimes, mis en place depuis le 13 novembre 2015, dans le cadre de la COP 21 et de la promulgation de l’état d’urgence du fait des attentats a pour base juridique la lutte contre le terrorisme. Il est renouvelé depuis tous les six mois, sur la même base. On pourrait s’étonner de cette situation alors que fin octobre 2018, le Procureur de la République de Paris, François Molins, avait pourtant déclaré que la menace terroriste était désormais une menace de nature endogène. Mais, ce sont davantage les propos de ce haut fonctionnaire qui posent question : au regard du Code Schengen aux Frontières, ce maintien des contrôles aux frontières n’est acceptable (et encore) qu’au motif « d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre ». Mais visiblement, au ministère de l’Intérieur, ces contrôles aux frontières ont un but tout autre, éloignés de leur base juridique déjà très fragile : lutter contre les flux migratoires irréguliers.

Approche tout aussi discutable que vouée à l’échec. La France métropolitaine possède des frontières terrestres avec huit pays voisins, totalisant 2 913 km. Outre-mer, les frontières terrestres font 1 263 km, avec trois pays. Les frontières maritimes viennent s’ajouter, encore plus longues, avec encore trente-cinq autres pays. En se focalisant sur les frontières internes de l’UE, le gouvernement ne modifie pas le nombre de passage en France. Tout au plus, il l’a ralenti en 2015, mais aujourd’hui les obstacles sont intégrés et le flux est identique à ce qu’il serait sans les contrôles aux frontières intérieures de l’UE par la France. Mais surtout, il renvoie les étrangers vers des chemins plus difficiles ou entre les mains des passeurs.

Échanges courtois avec deux frères Afghans d’une vingtaine d’année à Paris, lesquels ont rejoint leurs parents, après avoir été séparés les uns des autres sur une île grecque. Ils ont quitté l’Afghanistan en 2018. D’errances en camps de réfugiés, ils se retrouvent à Turin en Italie. De là, ils opèrent deux tentatives infructueuses pour traverser la frontière. Pour leur troisième tentative, réussie, chacun se paiera les services d’un passeur à hauteur de 600 euros.

Dans les propos de Jean Mafart, il est une piste intéressante : « Notre frontière extérieure commune (européenne) appelle des règles communes ». Quant aux « mesures palliatives en attendant », elles sont inopérantes en termes de régulation des flux, génératrices de danger pour des personnes humaines et fabriquent de nouveaux royaumes de passeurs et de trafics. C’est précisément la situation à Calais, à Menton ou à la frontière belge.

Calais est une impasse où l’on harcèle ceux qui s’y sont fait piéger. Rien d’étonnant à ce qu’ils prennent des risques insensés pour en échapper : tous les moyens sont mis pour que la nasse soit efficace. Il faut ruser et prendre des risques… Au titre du Traité franco-britannique de Sandhurst du 18 janvier 2018, 31,4 millions d’euros ont été versés à la France par la Grande-Bretagne pour l’année 2020 (55,6 millions pour les années 2018 et 2019 cumulées). L’allocation des fonds était initialement dédiée à la sécurisation des sites (murs, barrières, barbelés), il s’agit désormais davantage de renfort d’effectifs et de moyens technologiques. La Direction Générale des Étrangers en France a précisé que le coût de la mission de lutte contre l’immigration clandestine Nord (ensemble du littoral du Nord et Pas-de-Calais) s’élève à 178 millions d’euros. À cela s’ajoute le coût pour les collectivités ou les entreprises qui gèrent les ports ou le tunnel sous la Manche. On s’approche au total « France » des 180 millions annuels. On peut se demander ce que 180 + 30 = 210 millions euros annuels franco-britanniques permettraient en termes de gestion humaine de la migration. Cela ne résoudrait peut-être pas tous les problèmes car la situation est très complexe mais cela permettrait d’entamer un travail de fond et une prise en charge plus digne… Comment se fait-il que l’urgence actuelle, le dénuement de ces migrants en mal de traversée de la Manche, ne trouve pas dans ces millions d’euros quelques-uns qu’on appellerait les euros de la dignité ?

Concernant les évacuations de camps à Calais et les fameuses mises à l’abri que semble méconnaître la ministre Schiappa, suite à une réunion le 8 août 2019 en sous-préfecture de Calais, dans le relevé de décision figurent les propos suivants : « Suite à des allégations orchestrées par les associations d’aide aux migrants, une réunion a été organisée en Sous-Préfecture de Calais » et un nouveau mode opératoire est décidé. La police travaillera désormais aux démantèlements, en partenariat avec la société APC. « Allégations orchestrées » : on comprend que les associations, du point de vue de la préfecture, ont monté de toutes pièces une opération mensongère. Le principe de neutralité du service public interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque. Le titre de ce relevé de décision montre une pratique contraire ! Et on peut se demander pourquoi la Préfecture a quand même cru bon de changer le dispositif pour répondre à des allégations orchestrées… Même remarque lorsque Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, devenu médiateur d’infortune, propose de laisser un délai de 45 minutes pour les migrants avant que leurs affaires ne soient saisies et de stopper les évacuations surprises… Jusqu’à fin octobre 2021, il n’y avait donc pas de délai pour emporter ses affaires et les évacuations se faisaient par surprise ?

Dans ce contexte tendu, déplorons le manque de dialogue et de confiance entre les différents protagonistes mais également l’inversion des ordres de priorité de la puissance publique. Au lieu de gérer l’urgence, on passe son temps à inventer de nouveaux dispositifs depuis les bureaux parisiens pour « se rassurer » et éviter une nouvelle jungle de Calais. N’importe quel urgentiste ou pompier vous dira qu’en premier lieu, on sauve les personnes, et on réfléchit ensuite à ce qu’il faut faire pour reprendre la façade ! N’importe quel observateur attentif vous dira également que la Jungle de Calais n’a pas été démantelée mais disséminée. Juste de quoi rendre la vie un peu plus difficile aux migrants qui sont là. Que de temps perdu. Que de misère humaine acceptée sans sourciller.

Croire en la gestion migratoire par l’outil magique des frontières physiques est un leurre. Croire qu’on doit se préoccuper des flux sans s’inquiéter des personnes en danger est irresponsable. L’obstination européenne et française, après celle des États-Unis d’Amérique, n’a guère d’explications même si le salon Milipol à Paris – « Événement mondial de la sûreté et de la sécurité intérieure des États » – montre à quel point le contrôle des frontières est un business en expansion vertigineuse.

Les modes opératoires dominants vers lesquels s’acheminent à grand pas la France et l’Union européenne censés réguler les flux paraissent totalement orientés par les potentiels lucratifs de la sécurité des frontières. Les portes-monnaies ont plus d’âme que les migrants…

La gestion des frontières physiques devrait être passée systématiquement par son coût financier ET humain et les raisons réelles qui orientent les choix vers toujours plus de surveillance et d’obstacles.

L’administration et la justice pour fermer le robinet ?

La France s’est construite sur son ouverture au monde, sur ses valeurs devenues universelles, sur une langue très répandue. La Constitution de notre pays, nos engagements internationaux comme nos lois reflètent notre histoire. Fort heureusement jusqu’ici, les textes et les principes qui régissent notre vie en société ne se sont pas amollis, ils sont là, et bien là, avec leurs farouches défenseurs du quotidien. Toutefois, quand il s’agit de migrants, partout la justice s’exercera à peu près, puis plus du tout. Partout, y compris concernant les droits les plus fondamentaux de tout être humain, les migrants passeront après les autres, les femmes migrantes encore un peu après, puis ne passeront plus. Ce mouvement ne s’est pas produit en un jour mais petit à petit.

Que constate-t-on ?

La première chose extrêmement frappante en France est la suivante : quand on est un étranger, on ne peut pas obtenir de rendez-vous pour se signaler, pour faire une demande de titre de séjour. La plupart des préfectures de France n’ont plus d’accueil physique et il faut se rendre sur l’espace numérique dédié. Là, pas de chance, plusieurs sites de préfectures aboutissent au même résultat : « error 404 » ou « retour à la page d’accueil » en pleine procédure… Et les services consulaires français ? Bonne question, et cette illustration : prenons le cas d’une famille syrienne qui vient de subir un énième bombardement et n’a plus de toit à sa maison. Cette famille a des proches en France, une sœur naturalisée, installée et parfaitement insérée. Elle réunit les pièces pour constituer un dossier conséquent, et les expédie au consulat à Beyrouth (la France a fermé son ambassade à Damas en 2012 et si l’ambassadeur pour la Syrie exerce son activité depuis le quai d’Orsay à Paris, les services consulaires pour les Syriens sont à Beyrouth, autant dire dans un pays actuellement très chahuté). Les pièces expédiées en avril 2021 ont accusé réception, mais aucune réponse, ni rendez-vous proposé 8 mois plus tard !

C’est terrible : quand on est dans une situation qui relève du droit d’asile, des délais interminables sont parfois fatals et expliquent que certains se jettent, en connaissance de cause, sur les routes très dangereuses de l’exil. La France est assez loin de respecter la convention de Genève de 1951 sur le droit des réfugiés et laisse bien des situations en suspens mettant en danger les personnes concernées. L’épisode Afghan de l’été 2021 est à ce titre assez désespérant et plein de mensonge de la part du ministre des Affaires étrangères : contrairement à ce qu’il affirme, de très nombreuses demandes n’ont pas été examinées. Non, la France n’a pas fait ce qu’elle pouvait dans cette situation tout à fait dramatique… Mais qui peut comprendre que dans notre pays, l’octroi des visas ne relève plus du ministère des Affaires étrangères, mais revienne au ministère de l’Intérieur ?

La preuve de la très mauvaise volonté française se trouve à chaque point de passage de frontière important. Lorsque la commission d’enquête s’est déplacée à Briançon et au col de l’Echelle, frontière avec l’Italie, nous avons pu mesurer la mesquinerie de l’État français. Des Irakiens et Afghans qui étaient arrivés au Refuge solidaire, lieu associatif à peine ouvert, à peine fermé, à quelques centaines mètres de la sous-préfecture de Briançon, nous avaient dit vouloir demander l’asile et souhaitaient donc se rendre à Paris. Interrogeant la préfète des Hautes-Alpes pour avoir des explications sur l’absence d’un guichet de sous-préfecture dédiée, au plus près des demandeurs, la première réponse obtenue, habituelle : « nous n’avons pas les moyens en personnels pour des irréguliers ». Pas davantage de guichet à Gap, la préfecture, c’est à Marseille qu’ils doivent aller pour demander l’asile. Pas de train direct, pas de bus direct, avec une probabilité d’y trouver un guichet ouvert à peu près égale à zéro, sachant que contrairement aux propos de la préfète qui connaît mal le droit, ces étrangers ne sont pas en situation irrégulière.

Demander l’asile en France…

Ainsi donc, il faut commencer par trouver un SPADA (structure de premier accueil des demandeurs d'asile), une association dont la mission est notamment de fixer votre rendez-vous au guichet unique. Vous serez alors orienté vers un GUDA (guichet unique de demande d'asile) qui comprendra deux étapes : préfecture et OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration). Dès lors vous pourrez introduire une demande d'asile à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Si tout a été fait dans le respect des délais et de procédures rigoureuses, vous recevrez une convocation à un entretien avec un officier de protection de l'OFPRA, adressée par courrier ordinaire à votre dernière adresse postale connue. Après l’entretien à Fontenay-sous-Bois, en région parisienne, vous n’aurez plus qu’à attendre six mois, mais « dans certains cas déterminés, s'ajoutera un maximum de quinze mois, soit vingt-et-un mois au total ». Bien sûr, pendant ce temps, il faut se nourrir, se loger, se domicilier, se soigner, inscrire les enfants à l’école mais hélas, pas travailler légalement.

Mettre un guichet de l’OFPRA aux points de frontière désengorgerait les services des préfectures d’île de France, là où tout converge mécaniquement. Ce serait permettre à ces gens d’exercer leur droit, celui de demander l’asile, ce serait surtout mettre un service public là où les personnes utilisatrices se trouvent. Quel niçois accepterait d’être obligé de faire faire sa carte d’identité à Paris, en étant obligé de revenir plusieurs fois, faute de guichet ouvert à horaire dédié et de rendez-vous à prendre à l’avance ?

La demande d’asile n’est malheureusement pas le seul point de congestion administrative des étrangers en France. Les propos de Claude d'Harcourt, directeur général de la direction générale des étrangers en France au ministère de l’Intérieur, lors de son audition vont dans le bon sens, pour partie : « Je considère le recours au contentieux comme un échec. Entre 40 % et 50 % du contentieux administratif en France vient des étrangers. Il en coûte à notre pays 17 millions d’euros chaque année. La judiciarisation systématique m’apparaît comme une voie sans issue. La multiplication des référés de suspension met sens dessus dessous le fonctionnement de nos juridictions administratives. C’est ce que j’explique à nos interlocuteurs de la Cimade. Une sorte de culture du contentieux s’est malheureusement implantée, alors que je préférerais largement discuter en face à face avec la Cimade et les cinq associations qui nous ont traîné devant les tribunaux à propos de délais de prise de rendez-vous en région parisienne. Nous devons rétablir une relation exigeante et forte, quoique difficile pour nous, avec les associations ». L’embolie judiciaire est constatée, regrettée et l’un des chemins pour y remédier est évoqué : le dialogue. Reste le problème de départ : les associations comme la Cimade, qui ont vocation à accompagner sur mille et une choses les migrants, se passeraient volontiers des passages au tribunal. Et cet étrange appel au dialogue tout en mettant la Cimade au banc des accusés. Mais monsieur le directeur général ! Il s’agit de faire valoir un droit, clef d’entrée à tout le reste, pour ces personnes étrangères ! Et ce droit, de notre droit national, les services de l’État ne permettent pas de le faire valoir.

L’encombrement de la justice administrative française par le contentieux des étrangers n’a pas seulement un coût exorbitant que l’on pourrait éviter en amont. C’est aussi une manière d’industrialiser l’instruction puis la décision de justice. C’est vrai dans tous les tribunaux administratifs qui ont en plus et dans le même temps subi récemment la vague de recours liés à la pandémie. C’est également le cas à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) dont la mission globale est de ce fait intenable.

L’accès au marché du travail est également d’une complexité extrême, avec des situations inextricables, alors que le travail est le moyen de subsistance. J’ai eu plusieurs situations assez cocasses à traiter ces derniers mois : pour travailler, l’étranger devait présenter un titre de séjour alors même que pour obtenir le titre de séjour, il lui fallait présenter une attestation de travail. Il faut prendre conscience que dans notre pays tout est rendu un peu plus difficile dès qu’il s’agit de démarches administratives si vous êtes étranger. Ce message s’adresse à tous les Français qui se sont cassé les dents eux-mêmes quelques fois sur des démarches administratives ou bancaires compliquées.

Je ne peux terminer ce chapitre sans évoquer l’aide médicale de l'État (AME). Celle-ci est destinée à permettre l'accès aux soins des personnes démunies et en situation irrégulière au regard de la réglementation française sur le séjour en France. C’est la loi. Rien que la loi. Eh bien, il est actuellement de plus en plus fréquent que des personnes en situation irrégulière en soient privées, parce qu’elles sont en situation irrégulière ! Les délais encadrant le recours à l’AME sont beaucoup trop longs mais il faut aussi souligner la manière totalement abusive avec laquelle certaines Caisses Primaires d’Assurance Maladie demandent plus de pièces à produire que ne l’exige le décret du 28 juillet 2005 qui en fixe la liste. Une manière détournée de ne pas délivrer ou de retarder l’AME et donc d’empêcher l’accès à des soins de première nécessité aux personnes demandeuses. L’accès universel aux soins de première nécessité est un droit fondamental sur lequel la France ne doit pas céder. Il faut par ailleurs également considérer les problèmes de santé publique qui pourraient découler d’un défaut de prise en charge des personnes en situations irrégulières. Pourtant, les étrangers en situation irrégulière ont un accès très limité à la médecine de ville. Fort heureusement, le travail en France de Médecins du Monde, de Médecins Sans Frontières ainsi que des structures publiques adossées aux hôpitaux est remarquable. Concernant la psychiatrie, la situation dramatique que connaît notre pays se retrouve bien évidemment encore démultipliée quand il s’agit d’absence de prise en charge des étrangers, dont certains ont connu des épisodes traumatiques importants dans leur pays de départ ou pendant leur migration.

Il ressort que le système administratif, de justice et de santé qui « gère » les étrangers en France est discriminant en défaveur des étrangers, mais surtout qu’il n’atteint pas les objectifs fixés par les lois de la Nation.

Interpellé sur le sort des sans-papiers, en mai 2021 à Nevers, le Président Emmanuel Macron avait déclaré : « Vous avez des devoirs, avant d'avoir des droits. On n'arrive pas en disant « on doit être considéré, on a des droits ». On a une culture d'accueil et les choses se passeront bien si chacun fait son devoir, et dit « je respecte les règles, j'essaie de m'intégrer, j'apprends la langue ». Étrange expression depuis le sommet du pouvoir, qui n’allège pas l’oppression, pire, marque un peu plus l’absence de considérations humaines. Espérons qu’en lisant ces lignes, le chantre du « en même temps » comprendra mieux le sens de l’interpellation qui lui était adressée. En France, tout individu a des droits et des devoirs, simultanément.

En conséquence, les responsables politiques, quand ils accèdent à leurs fonctions, doivent être formés aux lois de notre pays, y compris tous ceux qui comme moi participent du pouvoir législatif de notre pays. Etonnant ces absences systématiques des 4 députés Les Républicains à toutes les auditions de la commission d’enquête sur les conditions de vie et d’accès au droit des migrants. Peut-être que le sujet n’interpelle pas leur famille politique ? À moins que leurs paraphrases médiatiques des discours de l’extrême-droite ne puisse s’accorder d’un bain de réalité…

En conséquence, tous les agents des services publics en relation avec les politiques migratoires doivent aller à la rencontre des migrants, là où ils vivent, suffisamment régulièrement, pour s’apercevoir de leur condition et en tenir compte dans leur travail quotidien. Ils doivent être mieux formés à nos textes nationaux essentiels, à la Charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi qu’au droit international et ce que cela signifie dans leur quotidien professionnel. Quand on est fonctionnaire, on ne répond pas à la dernière commande propagandiste du supérieur hiérarchique sans la mettre à l’examen des lois de la République. Ainsi, au pays de Condorcet, la promesse éducative et de formation aux relations aux autres s’avère plus que jamais indispensable.

En conséquence, il faut remettre de l’humain dans les bureaux des préfectures, dans les services de justice, de santé. Le numérique est un outil en trompe-l’œil quand il devient l’unique possibilité de proposer un service. Il ne s’agit pas de remettre de l’humain pour remettre de l’humain mais de répondre à la promesse républicaine qu’à force d’habitude nous avons oublié collectivement.

Rien de plus évident pour terminer ce chapitre que de donner la parole à l’inclassable philosophe Simone Weil, morte en exil à Londres pendant la seconde guerre mondiale, quelques temps après avoir écrit L’enracinement en 1943 : « L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. […] Les échanges d’influences entre milieux très différents ne sont pas moins indispensables que l’enracinement dans l’entourage naturel. Mais un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense ».

Pour conclure sans exclure…

Depuis des années, le discours politique est bien réglé : à tous les problèmes que nous rencontrons, la faute aux immigrés. Autant trouver plus malheureux que soit pour se défouler. Rien de nouveau donc du côté de la rhétorique des boucs émissaires. Les empêcher de venir en France, et s’ils viennent quand même, leur rendre la vie impossible. La cruauté est une des déraisons de l’homme mais elle rassure : le réconfort social de voir plus miséreux que soi est une étrange passion française… Ces migrants nécessiteux permettent aussi de détourner le regard de la misère de 12 millions de compatriotes vivant sous le seuil de pauvreté en France en 2021. Au choix : « Ne vous plaignez pas, il y a pire que vous », ou bien : « Ils prennent vos emplois, vos aides et votre place dans la société ».

Croire qu’enfoncer un peu plus dans la misère les uns va en faire sortir les autres est une absurdité de plus que le discours politico-médiatique, à force d’en marteler et laisser marteler les slogans à tout-va, l’a répandu dans nos têtes.

Par ailleurs, les travaux du Prix Nobel d’économie Jean Tirole, qu’on ne catalogue généralement pas du côté des gauchistes, montrent que la croyance selon laquelle les immigrés prennent le travail de Français est inexacte (Économie du Bien commun, Paris, PUF, 2016, p. 345).

Mais rien n’y fait, le stop immigration du Rassemblement national apparaîtrait donc comme la solution aux problèmes des Français.

Depuis le début des années 1980, la plupart des politiques se sont adressés au cerveau reptilien de chacun d’entre-nous. Et notre cerveau reptilien s’inquiète de la différence, de la nouveauté, jusqu’au rejet primitif de l’autre.

La difficulté pour la caste politique française à sortir de ce discours, car il faut en sortir, c’est que ce populisme de bas étage, teinté d’ostracisme pour les uns, de racisme pour les autres, est porteur électoralement. La prime au sondage en quelques sortes.

Pourtant, politiciens de tous bords et médias, bercés par l’illusion électoraliste pour les premiers, excités par la course à l’audimat pour les seconds, n’ont pour seule recette à tous nos maux que celle de fermer le « robinet migratoire ». Les frontières doivent devenir imperméables à leur venue en France, ou du moins dans l’Hexagone, car pour les territoires d’outre-mer, qu’ils se débrouillent…

Cette commission d’enquête parlementaire a démontré, à rebours de ce discours, qu’il existait de nombreux leviers à actionner simultanément pour parvenir à une politique migratoire cohérente. La « fermeture du robinet » renvoie à des sociétés très éloignées de la nôtre. Si Éric Zemmour fait les louanges de la Corée du Nord et de son identité nationale intérieure forte, expliquez-lui qu’en Corée du Nord, il aurait cédé depuis longtemps sa place dans les médias et croupirait au mieux au fond d’une cellule sombre sans aucune autre forme de procès !

Nous sommes à la dérive. Collectivement.

Les migrants ne sont plus regardés comme des êtres humains par nos pouvoirs publics, par une partie de nos concitoyens ? Il faut réagir ! Le sursaut des consciences du plus grand nombre est possible. Il est nécessaire.

On peut être optimiste et considérer que le trumpisme n’est pas et ne sera pas un idéal français, que notre égarement relatif à notre identité nationale ne demande que le débat, le vrai, raisonné, profond, qui saura rendre les solidarités fécondes, continuer de nous ouvrir au monde en sachant nous protéger des vrais dangers. L’horizon français est universel. Nous devons reprendre ce chemin, vers une politique d’immigration durable, structurée, cohérente, respectueuse de nos valeurs et des combats à porter encore davantage comme l’égalité femme-homme ou la lutte contre les discriminations LGBT.

Cet avant-propos peut paraitre souvent critique : il n’est qu’à la mesure de l’écart entre ce qui doit être au regard du droit français, européen et international, et ce qui est. Ces critiques sont le plus souvent assorties de propositions, mais il ne faut pas non plus occulter toutes les dynamiques et expériences positives à l’œuvre dans notre pays. Il y a d’abord toutes ces hussardes et hussards des valeurs de la République dans le monde éducatif, des professeurs des écoles des plus petits jusqu’aux universitaires qui font vivre au quotidien les plus belles valeurs de notre pays à l’égard des migrants. La Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) a montré, en organisation socioprofessionnelle responsable et pragmatique, que l’évidente nécessité d’une main-d’œuvre issue de l’immigration était toujours là en France. Le dispositif conjoint de la Diair (Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés), du HCR et de l’IFRI avec son académie de la participation des réfugiés met à jour une réussite inédite et ouvre la voie à un aspect fondamental dans la manière de penser l’étranger qui vient en France : lui permettre d’être acteur de son parcours, de construire son chemin. On notera au passage que les synergies sont fécondes sur un sujet considéré comme difficile entre une entité du ministère de l’Intérieur (la Diair), un organisme des Nations unies (le Haut-Commissariat aux Réfugiés) et un institut de recherche sur les relations internationales (l’IFRI). On ne peut pas non plus oublier le Musée national de l’histoire et de l’immigration qui, après quelques années d’errement, est devenu ce rare lieu apaisé de diffusion du savoir sur notre identité collective. Enfin, pour terminer avec les expériences positives, celles qui redonnent de la fierté à notre pays, il y a la Maison des journalistes (Paris 15ème) qui accueille et accompagne des professionnels des médias, contraints de fuir leur pays. Ces journalistes, photographes et reporters participent au développement d’une information diversifiée et contribuent à la sensibilisation des jeunes aux défis d’une information libre, en partenariat avec les ministères de l’Education nationale, de la Justice et de la Culture. Dans un climat glacial, les bonnes graines parviennent encore à germer… Nous ne partons pas de rien !

Voies légales d’immigration

Dans la tourmente politico-médiatique, il est une proposition déclenchant systématiquement une sorte d’hystérie : ouvrir davantage les voies légales d’immigration. « On est déjà en panne de logement ! On a assez de pauvres ! Ils vont prendre notre travail ! Ils n’ont même pas la même religion que nous ! (Tiens, on n’est plus dans un pays laïc là…) »

Pourtant, ouvrir davantage de voies légales pour un pays comme la France (géographiquement, historiquement, culturellement) est la seule manière pour que l’essentiel des étrangers qui viennent sur notre territoire ne soient justement pas un poids supplémentaire pour nos politiques publiques de logement, de l’emploi et de la cohésion sociale. La migration étudiante représente la plus importante part du flux migratoire des ressortissants de pays tiers vers la France. L’étude des chercheurs Hippolyte d’Albis et Ekrame Boubtane (2021) sur « La contribution des étudiants internationaux aux flux migratoires » fait état de 22 à 32 % des étudiants étrangers disposant encore d’un titre de séjour en France 10 ans après leur arrivée.  Cette immigration « qualifiée », majoritairement issue du continent africain, est à l’évidence une immigration légale, contrôlable, et positive pour notre pays.

Pourtant, ouvrir davantage de voies légales est la seule manière de « contrôler » qui vient sur notre territoire.

Pourtant, ouvrir davantage de voies légales, c’est justement permettre à ces gens de répondre aux dynamiques du marché de l’emploi. Pour ne reprendre que cet exemple marquant, le milieu médico-social connaît une pénurie dans notre pays que la pandémie a accentué. Le public féminin, qu’il soit bénéficiaire de la protection internationale ou arrivant en France pour motif familial, reste cependant le parent pauvre de la politique d’intégration, comme en témoigne le faible nombre de programmes prenant en compte les contraintes spécifiques de ces femmes. L’activation de différents leviers permettrait de remédier à cette situation : identification et mobilisation des lieux de recrutement spécifiques aux femmes, notamment le milieu scolaire ; mise en œuvre d’actions de socialisation préalables aux programmes d’insertion professionnelle ; adaptation du rythme de ces programmes aux charges éducatives et ménagères, afin de faciliter l’acceptation de l’environnement familial ; mobilisation des opérateurs de compétences (OPCO) regroupant des publics majoritairement féminins, tels que l’OPCO santé.

Pourtant, ouvrir davantage de voies légales est la garantie que les étrangers ne perdront pas tout leur argent dans les mésaventures de l’immigration irrégulière, alimentant la multinationale des mafias, et pourront l’utiliser à bon escient pour s’installer sur notre territoire.

Pourtant, ouvrir davantage les voies légales est la seule manière pour articuler notre identité nationale avec les maux du monde.

Pourtant, ouvrir davantage de voies légales est la dernière possibilité de renouer le dialogue avec tous ces pays d’Afrique en voie de sortie complète de notre sphère d’influence.

L’immigration irrégulière sert les peurs, l’asservissement et la perte de dignité humaine. L’émigration/immigration sur notre planète est un phénomène aussi constant que la respiration chez l’être humain. On ne l’arrête pas. En revanche, on peut poser les principes d’un système intelligent pour l’organiser, au bénéfice du plus grand nombre. La réponse à cette immigration irrégulière se trouve probablement plus dans une meilleure maitrise des migrations régulières et le dialogue avec les pays de départ qu’en construisant de nouveaux murs surveillés par des drones...

Ce système ne peut être pensé à l’échelle du ministère de l’Intérieur. Par définition, les phénomènes migratoires renvoient à l’étranger ! Il revient donc au ministère des Affaires étrangères de reprendre les commandes d’une situation qui dégénère et s’écarte de l’identité nationale mais universelle de notre pays. Seul le Quai d’Orsay en a la capacité, les compétences et dispose des fondements d’une nouvelle approche, avec nos voisins, ceux de l’Union européenne ou du Royaume-Uni, avec les pays de départ et avec les instances internationales.

Le défi est conséquent dans le contexte déraisonnable du moment sur les sujets migratoires. Il s’impose pourtant à nous et les échecs d’hier et d’aujourd’hui ne font que nous inviter à réfléchir plutôt que réagir. Dans ses travaux sur Les Cités du désert, d’Algérie, de Lybie, d’Egypte ou du Soudan, les routes, les territoires, les migrations et les espaces de la mondialisation, le géographe Olivier Pliez fait état d’un constat étonnant. Jamais aucun Etat n’est parvenu véritablement à organiser les migrations car elles sont davantage circulaires que linéaires. Depuis des siècles, les mouvements des hommes se fracassent sur des structures politico-administratives qui les ignorent. Mais à quoi servent donc les politiques ?

Admiration, limites et remerciements

Je voudrais dire d’abord toute mon admiration à Oula Alhindy, palestinienne devenue syrienne devenue française. Dès le premier jour d’audition de cette commission d’enquête, nous avons pu recueillir son témoignage à la fois bouleversant et hautement significatif :

« Agée de 47 ans, je viens de Syrie. Je ne m’étendrai pas sur mes raisons personnelles de quitter mon pays. Vous savez ce qu’il s’y passe depuis dix ans, si ce n’est cinquante ans. Les crimes qui s’y commettent, parce qu’on les laisse se perpétrer, sont une honte pour l’humanité. Je suis arrivée en France le 19 décembre 2014 pour fuir la guerre, le cœur serré de quitter mon pays, ma famille et mes souvenirs, souffrant à l’idée de ne plus être là pour soutenir mes parents vieillissants ni pour leur tenir la main aux portes de la mort.

J’ai d’abord été très bien accueillie à Lyon par une famille française qui ne nous connaissait pourtant pas. Puis nous avons déménagé à Albi, où nous avons déposé une demande d’asile et d’hébergement auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Nous avons alors été logés au centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Monclar-de-Quercy. Je ne vois qu’un élément positif à ce CADA, une ancienne ferme située à 6 kilomètres d’un petit village isolé : les formidables bénévoles qui lui prêtaient leur concours. L’absence de réseau téléphonique nous empêchait de nous connecter à internet, ce qui s’apparente à un cauchemar pour des réfugiés. Dix à treize familles de différentes nationalités y logeaient sous le même toit, en pleine nature. Nous qualifiions pour plaisanter ce CADA de Guantanamo de la France. Nous nous y sentions tous en exil sur le sol même de la France, tels des parias livrés à leur sort.

Une fois à Albi, j’ai bénéficié grâce à l’OFII d’un peu plus d’une centaine d’heures de cours de français, afin d’acquérir un niveau qui suffit peut-être à faire les courses ou à ouvrir un compte bancaire, mais pas à travailler ni à étudier ni même à simplement communiquer au quotidien. Du fait du très mauvais niveau des leçons de français langue étrangère qu’ils reçoivent, les réfugiés restent marginalisés. L’intégration dans un nouveau pays passe d’abord par la langue. J’ai fait beaucoup d’efforts pour apprendre le français par moi-même, avec mes enfants scolarisés. J’ai suivi quarante heures de cours à l’Alliance française de Toulouse, mais maîtriser le français, quand on l’apprend seul, requiert une volonté colossale. Par chance, je viens d’une famille palestinienne qui a développé toutes les stratégies possibles pour contrer les mécanismes de sélection naturelle.

Pédiatre en Syrie, je devais, pour exercer mon métier en France, passer une épreuve de vérification de connaissances.

Au préalable, il fallait que j’obtienne un niveau B2 de français et que j’acquière une bonne maîtrise du français en contexte professionnel. Seulement, il n’existait aucune formation adéquate. J’ai tenté d’effectuer des stages d’observation dans des hôpitaux, en vain, faute d’un statut officiel, puisque je ne préparais aucun diplôme. Heureusement, le professeur Bremont, pneumologue, a pris la responsabilité de m’accueillir pendant trois mois au service de pédiatrie générale du centre hospitalier universitaire de Toulouse. Il est demandé aux médecins de se soumettre à une épreuve de vérification de connaissances sans leur donner les moyens nécessaires de la réussir, puisqu’il ne leur est pas permis d’accéder aux hôpitaux. En 2016, j’ai malgré tout passé avec succès cette épreuve, ce qui m’a permis de travailler trois ans en tant qu’assistante associée dans des hôpitaux publics agréés pour les internes. J’ai ainsi commencé mon activité à l’hôpital Henri-Mondor d’Aurillac, où j’exerce encore aujourd’hui.

En avril 2020, j’ai déposé mon dossier à la commission d’autorisation d’exercice, qui devait se réunir en juin. La séance a été reportée en octobre. Sans nouvelles de sa part, en janvier 2021, j’ai demandé par courriel où en était mon dossier, en vain. Le 14 janvier 2021, un gestionnaire m’a informée qu’il n’avait pas été étudié et que je devais le mettre à jour en vue de la prochaine réunion de la commission, le 14 février, puisque les dossiers non envoyés au moins un mois avant la séance ne sont pas pris en compte. J’ai ajouté à mon dossier deux lettres de recommandation expédiées au plus vite et finalement obtenu l’autorisation d’exercer en mars. Il n’en a pas été de même pour mon collègue, bien qu’il ait accompli les mêmes démarches que moi. Son dossier, qu’il lui a été demandé de compléter le jour même de la date limite pour le renvoyer, n’a même pas été examiné par la commission.

Aucune volonté ne se manifeste d’améliorer le fonctionnement du système, alors même que la crise sanitaire a montré les limites du système de santé. En France s’exerce une discrimination administrative contre ceux qui ne connaissent pas les démarches à effectuer, qu’ils soient français ou étrangers, encore que ces derniers, plus fragiles, en pâtissent plus. Les administrations françaises, incompétentes, ne se montrent pas à la hauteur de leur tâche humanitaire. Selon moi, la notion d’immigration illégale n’a pas de sens. Tous ceux qui risquent leur vie pour quitter leur pays devraient avoir le droit de trouver un pays d’accueil. Je suis sûre que des dossiers s’entassent dans les tiroirs des ambassades et des consulats français. L’immigration légale, très sélective, dépend de critères établis par la France, dont la position dans ce domaine me paraît sujette à caution. Si je me montre aussi critique, c’est parce que je m’intéresse au sort de la France. C’est parce que j’ai le sentiment d’appartenir à ce pays et que son incapacité à traduire ses valeurs dans la réalité me peine. Je n’oublierai jamais que la France nous a sauvés. Je vis avec mon mari et mes enfants, qui s’enracinent en France. Bons élèves, ils s’épanouissent dans la société française. Mon mari continue quant à lui de tracer sa voie en dépit des obstacles.

Nous devons nous pencher sur les motifs qui poussent les migrants au départ. Le monde entier doit prendre ses responsabilités en cessant de soutenir des dictateurs en contrepartie de bénéfices plus ou moins dissimulés. Nul ne renonce à la vie qu’il s’est construite de gaieté de cœur. Il faut cesser de penser qu’existent des frontières. L’Europe devrait arrêter de nourrir un sentiment de supériorité et de donner des leçons. Nous vivons sur une petite planète et sommes tous responsables de ce qui se passe ici ou ailleurs. Si je tends aujourd’hui la main pour sauver quelqu’un, une autre main se tendra, demain, vers mes enfants pour les sauver à leur tour.

Je ne me mêle pas de politique. Il est peut-être possible, en dressant des murs physiques et psychologiques entre les peuples, d’empêcher certains d’arriver en Europe, mais ces murs risquent à terme de nous envahir. Nous vivons dans un monde individualiste, où chacun ne pense qu’à soi. Certains, même, manquent de générosité vis-à-vis de leurs propres enfants.

J’ai adopté la nationalité française, cinq ans après mon arrivée en France. Toute ma vie, j’ai été réfugiée. Ma mère, née en Syrie, n’a pas la nationalité syrienne. Palestinienne à la naissance, je n’ai quant à moi pris la nationalité syrienne qu’en me mariant. Pourtant, avant déjà, j’étais prête à tout donner pour la Syrie. Maintenant, je suis prête à tout donner pour la France, mais pas parce que je possède la nationalité française ».

Je voudrais ensuite présenter les nombreuses limites de cette enquête. L’ampleur de la tâche dans un temps contraint n’a pas permis d’aborder pleinement certains sujets. Ainsi, des populations – pourtant nombreuses sur notre territoire – n’ont pu être intégrées à ces travaux, faute de temps, en raison aussi de la rupture complète de communautés entières avec les représentants de l’État ou de la nation. Les Roms, repoussés chaque année méthodiquement un peu plus loin à la périphérie du Grand Paris, la déscolarisation des plus jeunes d’entre eux augmentant d’années en années tout comme les difficultés d’accès à l’eau et aux soins doivent nous alerter. La condition humaine des uns quand elle est si dégradée, est une alarme qui doit s’ensuivre d’un réveil.

Je pense également aux Rohingyas, Palestiniens et autres apatrides. En 1948 était adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies la résolution 194 pour le droit au retour des réfugiés palestiniens, qui demeure néanmoins interdit depuis par Israël. Loin de vouloir rentrer ici dans un débat toujours brûlant, toujours plus violent, il demeure que plus de 5,6 millions de réfugiés sont enregistrés auprès de l’UNRWA, l’agence des Nations unies qui gère les réfugiés Palestiniens, dont près du tiers vivent dans des camps. Plus de 3 millions d’entre eux vivent au Liban, en Syrie et en Jordanie. La communauté internationale porte une part de responsabilité et elle a des devoirs, la France donc aussi.

Je pense aussi à toutes ces femmes et ces filles à la vie abîmée là-bas qu’on n’arrive pas à extraire de leur condition misérable et des réseaux de prostitution ici.

Ni Mayotte, ni la Guyane n’ont fait l’objet d’une analyse spécifique alors que le phénomène migratoire que connaît chacun de ces territoires est spécifique et ne reçoit pas une réponse de l’État à la mesure de la situation.

Cette commission d’enquête est issue du droit de tirage parlementaire du groupe Libertés et territoires, dont je suis membre. Je tiens à remercier Sylvia Pinel et Bertrand Pancher, co-présidents de Libertés et territoires, ainsi que tous mes collègues du groupe pour m’avoir confié ce travail, je dirais même, cette lourde responsabilité. Mes remerciements vont également à Jean-Michel Clément, qui aurait mené cette commission avec bien plus d’expérience que moi mais qui m’a affirmé d’emblée, qu’au vu de la situation grave concernant le sujet, mieux valait la fougue à l’expérience… Je veux également saluer l’intransigeant et courageux travail de fourmi et de patience de Gaël Simon et Nicolas Leron, collaborateurs engagés à mes côtés pendant ces six mois de commission d’enquête et enfin rappeler ici le travail constant et de haute qualité des administratrices et administrateurs de l’Assemblée nationale, chevilles ouvrières du travail sur les chemins accidentés de la Représentation nationale et son principe démocratique. Mes remerciements vont également à Sonia Krimi, rapporteure, avec qui le partage des points de vue étaient fréquents, mais surtout avec qui le désaccord est source de débat constructif.

Une commission d’enquête est un instrument de contrôle par le Parlement de l’action du Gouvernement et par conséquent un moyen d’information pour les citoyens sur un sujet donné. Celle-ci est née des nombreuses interrogations des associations présentes sur le terrain, en particulier de MSF, la Cimade, le Secours Catholique, Amnesty International et Médecins du Monde, et de leurs observations répétées du décalage important entre les textes qui font loi et la réalité vécue par les migrants sur notre territoire, qu’il s’agisse de leurs conditions de vie ou de leur accès au droit. Celle-ci est également née de la volonté de représentants de la nation de donner la parole à ces étrangers à qui on ne la donne jamais.

Enfin, pour leur vigilance citoyenne et par leur engagement pour rendre le quotidien de chacun, sans distinction, plus humain, je veux saluer l’engagement du mouvement associatif, des collectifs solidaires, le monde de l’éducation tout particulièrement, de tous ces gens anonymes, ici et là, authentiques résistantes et résistants, bien campés sur leurs valeurs, œuvrant discrètement ou pas, bardés de leurs convictions pour apporter quelque réconfort, une aide administrative substantielle, un toit, un repas, un espoir. Bref, à toutes celles et tous ceux qui savent encore vivre Brassens, avec une mention spéciale pour l’accueil à la MJC de Briançon par les associatifs locaux :

 

Elle est à toi, cette chanson, Toi, l'hôtesse qui, sans façon,

M'as donné quatre bouts de pain, Quand dans ma vie il faisait faim,

Toi qui m'ouvris ta huche quand, Les croquantes et les croquants,

Tous les gens bien intentionnés, S'amusaient à me voir jeûner...

Ce n'était rien qu'un peu de pain, Mais il m'avait chauffé le corps,

Et dans mon âme il brûle encor’, A la manière d'un grand festin.

 

 


—  1  —

   introduction

Les migrations ne sont pas un phénomène transitoire, appelé à se tarir pour peu qu’un Gouvernement parvienne enfin à le traiter « avec fermeté ». Les déplacements de populations de régions à faibles ressources et/ou connaissant des périodes d’instabilité vers des régions plus stables ou plus prospères, – même si cette explication est à relativiser parce qu’en réalité, les migrations se font principalement entre pays de même niveau de développement – est une constante de l’histoire humaine. Elles le demeureront tant que les déséquilibres mondiaux sont appelés à perdurer et même à s’accentuer du fait notamment des dérèglements climatiques.

Le présent rapport a d’abord vocation à présenter la réalité des migrations internationales dans le but de poser un débat rationnel et de trouver des solutions pragmatiques et humaines.

1.   Les migrations, un phénomène constant et global mais limité au regard des déséquilibres du monde

Il convient d’abord de rappeler une évidence. Un immigré est une personne qui vit et/ou travaille dans un autre pays que celui qui l’a vu naître.

Selon François Héran ([1]), entendu par la commission au début de ses travaux, il y avait, en 2015-2016, près 260 millions de personnes qui, nées dans un pays, vivent durablement dans un autre pays, au moins pour une durée d’un an, soit 3,5 % de la population mondiale. Le phénomène n’est donc pas massif.

Cette propension limitée des humains à migrer s’explique d’abord par le fait que des pays, parmi les plus peuplés – Chine, Inde, États-Unis, Nigeria, Brésil – émigrent très peu en proportion de leur population. À titre d’exemple, la diaspora chinoise ne représente pas plus de 1 % de la population totale de la Chine.

Ensuite, dans les pays à très faibles revenus peu de personnes peuvent émigrer même lorsque leur croissance démographie est dynamique. Il ne suffit pas d’avoir des aspirations à migrer pour être en mesure de le faire massivement. Le Niger ou le Tchad, pays très pauvres et enclavés, ne sont pas des pays de départ, par exemple. Selon François Héran, 2 % de la population d’Afrique subsaharienne vit à l’étranger et principalement dans un pays voisin. Il y a par exemple 1,5 million de Burkinabés qui vivent en Côte d’Ivoire et plus de 3 millions de Soudanais en Égypte.

Cette donnée relativise la peur irrationnelle portée par le débat public français, d’une population africaine en croissance exponentielle qui va nécessairement venir s’échouer sur les côtes européennes.

En effet, ce sont les pays à revenu intermédiaire qui sont en réalité les principaux pays de départ. La commission d’enquête s’est particulièrement intéressée aux pays des Balkans ex-communistes comme la Roumanie, la Bulgarie, le Kosovo, la Serbie, etc., où en moyenne 22 % de la population vit à l’étranger, soit un taux d’émigration parmi les plus élevés au monde. Ils constituent le flux principal en Europe, à savoir les migrations intracontinentales, de l’Europe du Sud à l’Europe du Nord, de l’Europe de l’Est à l’Europe de l’Ouest.

Si la majorité des migrations est un phénomène intracontinental, c’est bien évidemment les migrations intercontinentales qui cristallisent le débat public du fait de leurs conséquences sociales. Les plus importantes migrations intercontinentales sont celles de l’Amérique du Sud vers l’Amérique du Nord – pour peu qu’on considère l’Amérique comme deux continents –, les ressortissants du sous-continent indien vers les pays du Golfe et des Africains en Europe. Avec 10 millions de migrants, le Maghreb est proportionnellement la zone de départ principal, ce qui touche évidemment la France comme pays de destination.

2.   Une réalité de l’immigration en France déformée par le débat public

L’immigration étant devenue un sujet de campagne électorale par excellence, ses enjeux ne sont à peu près jamais posés avec une volonté de les traiter de manière rationnelle. Depuis l’irruption de cette thématique dans le débat public au début des années 1980, elle est abordée comme un mal transitoire, soit comme un phénomène que des Gouvernements faibles ou complaisants laissent prospérer alors qu’il suffirait d’être ferme, soit au contraire comme un épiphénomène à l’impact mineur sur la société et dont il conviendrait de ne pas parler.

Or, l’immigration est un phénomène cyclique qui obéit à ses propres dynamiques.

On se doit de considérer la perspective, pour les années à venir, compte tenu de la forte reprise économique actuelle et du manque de main-d’œuvre dans des secteurs économiques en tension, alors même que nous ne sommes pas complètement sortis de la pandémie mondiale, de la persistance des flux migratoires et des besoins croissants de main-d’œuvre. Ce sont des tendances lourdes que devront être organisées et régulées.

Quant au migrant lui-même, il n’a que peu de place dans l’univers politique. Celui-ci n’étant appréhendé au mieux que comme un élément du flux donc comme une donnée quantitative ou au pire comme une nuisance. Les causes en sont complexes, une certaine forme de peur de ce qui apparaît à de nos nombreux responsables politiques comme une terra incognita, potentiellement dangereuse n’en est pas absente. Elle emprunte notamment à une méconnaissance des déterminants du départ et de la place de l’Europe et de la France dans l’accueil des migrations internationales.

Ainsi, dans l’imaginaire collectif, – imaginaire bâti par des décennies de débat politique incessant – le migrant est un jeune homme provenant d’un pays d’Afrique ou du Moyen-Orient, pauvre et se dirigeant vers l’Europe parce que le modèle social l’y incite. Depuis quelques années maintenant, s’est ajouté un amalgame récurrent entre immigration et insécurité.

Parallèlement, les défenseurs des migrants tentent de contrer ces représentations en mettant en avant des noms célèbres d’artistes, de sportifs ou de scientifiques ayant immigré ou même étant simplement des descendants plus ou moins lointains de personnes immigrés. De bonne foi, ces discours participent d’un discours utilitariste de l’immigration et fabriquent l’image du migrant méritant qui finit par légitimer le discours qui réserve la citoyenneté à l’héritage ou au mérite.

Or, les données vont à rebours des représentations collectives et c’est l’objet de ce rapport de l’affirmer. La majorité des migrants sont des migrantes. Leur niveau d’instruction moyen est supérieur à la moyenne du pays de départ mais également du pays d’arrivée. Le migrant est simplement un être humain ne méritant ni excès d’opprobres ni éloges disproportionnées.

En définitive, les conditions morales et matérielles de vie des migrants sur le territoire ainsi que l’accès aux droits qui leur sont théoriquement reconnus ne sont que peu appréhendés dans leur globalité Cette approche est le fruit d’un traitement de l’immigration progressivement devenu de plus en plus sécuritaire qui obère notre capacité à définir et appliquer des politiques publiques efficaces et bénéfiques pour l’ensemble de la société et pour les migrants eux-mêmes.

Changer de paradigme suppose la mise en place d’une politique intégrée des migrations et de l’asile associant l’ensemble des acteurs ministériels, locaux et associatifs. La rapporteure tient à ce propos à souligner une l’évolution récente dans la prise en charge des questions d’intégration avec notamment la création de la Délégation interministérielle chargée de l’accueil et de l’intégration des réfugiés (DIAIR) sous l’impulsion du Président de la République et des mesures prises par le comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018 qui comporte notamment la modernisation du contrat d’intégration républicaine.

Le présent rapport présente des pistes pour appuyer cette dynamique après avoir rétabli une réalité des chiffres visant à analyse objective.

3.   Des primo-arrivées principalement portées par le dynamisme de l’accueil des étudiants étrangers alors que l’asile focalise le débat

Il convient de rétablir la réalité des chiffres des migrations.

La France a délivré 277 406 premiers titres de séjour en 2019 – tout motif d’admission réuni. Ce nombre est tombé à 220 535 en 2020 et s’établirait à 219 302 en 2021 ([2]) sur une population totale de 67,4 millions d’habitants, ce qui représente 0,3 % de la population. À titre de comparaison, l’Allemagne a délivré 460 000 autorisations de séjour en 2019 et le Royaume-Uni 450 000 avant le Brexit (dont les deux tiers venaient d’un pays de l’Union européenne).

Si les chiffres sont globalement stables, c’est bien évidemment le pays d’origine des migrants qui alimentent le procès d’une impossible assimilation. En effet, si en 1975, la majorité des migrants venait de la péninsule ibérique, en 2014, ce sont 44 % des premiers titres qui sont délivrés à une personne venant d’un pays d’Afrique ou d’Asie.

La plus grande partie des migrants sont les étudiants. Nous sommes de plus face à un problème de sémantique : les étudiants sont-ils des migrants quand il a été établi que seulement un tiers des étudiants terminant leurs études reste en France selon l’OCDE. La France n’est pas un cas unique puisque le courant qui a le plus augmenté dans le monde depuis 25 ans est la migration des étudiants internationaux. La France en accueille 90 000 chaque année – en augmentation constante – contre environ 250 000 pour le Royaume-Uni pour une population comparable. La France a pour objectif de rester dans la compétition internationale, – c’est une question de rayonnement et de défense de ses intérêts dans le monde – sans toujours éviter les signaux contradictoires. La hausse des frais d’inscription universitaires qui va retentir sur les étudiants de la francophonie en est l’exemple. Le rapport reviendra sur la question des étudiants étrangers.

La migration familiale est extraordinairement stable depuis plusieurs décennies, soit autour de 90 000 primo titres – que ce soit le fait de familles de Français ou d’étrangers et ce, malgré les différents durcissements des conditions d’admission – les seuils de ressources, les surfaces des logements, les conditions réelles de la vie maritale, etc. Là encore, ce type de migration n’est pas transitoire. Elle résulte du fait que des Français se marient ou vivent avec des personnes de nationalité étrangère et qu’ils peuvent choisir de vivre en France. Cette stabilité montre bien que la multiplication et le durcissement des conditions ne conduisent pas à limiter les migrations familiales mais bien plutôt à « faire attendre ». Le primo titre est le plus souvent délivré à des personnes présentes sur le territoire depuis un certain nombre d’années mais en situation de « clandestinité légale ». C’est toute la question de l’accès au droit qui fera l’objet d’une partie spécifique dans le présent rapport.

La migration de travail est quant à elle extrêmement réduite en France depuis 1974 avant d’être timidement relancée en 2006 avec « l’immigration choisie ».

Enfin, viennent les titres humanitaires. Avec 36 000 titres délivrés en 2019, les délivrances de titres pour des raisons humanitaires restent minoritaires parmi les motifs d’entrée sur le territoire et très faibles par rapport à d’autres pays, bien que ce soient celles qui cristallisent le plus le débat public. C’est également la raison pour laquelle, le présent rapport leur réserve une place importante. Par million d’habitants, au cours de l’année 2015 et les années suivantes, l’Allemagne a porté la plus forte charge, de très loin, mais, par exemple, un pays comme la Grèce se situe très au-dessus de la France. Dans la dernière période, la France est revenue au niveau de l’Allemagne.

Enfin, il convient de préciser que les trois pays du Maghreb constituent le trio de tête des primo délivrances – Marocains 34 929, Algériens 27 391 et Tunisiens 19 596 – avant la Chine, la Côte d’Ivoire et les États-Unis.

En définitive, il apparaît bien que l’immigration est un phénomène qui emprunte à de multiples causes, revêt les aspects les plus divers et nécessite donc de mobiliser l’ensemble de nos politiques publiques. Cela ne peut être une simple affaire de police.

*

Entre les mois de mai et octobre 2021, la commission a tenu 47 réunions et a entendu des personnalités qui ont fait des migrations leur domaine d’expertise ou le centre de leur activité professionnelle. Migrants, personnels politiques ou administratifs français et étrangers, associations, travailleurs humanitaires, universitaires, les membres ont souhaité entendre les avis et les analyses les plus larges.

La commission s’est également déplacée sur le terrain. En France, elle s’est rendue à Calais, à Menton et dans le Briançonnais où la thématique migratoire a un réel impact social sur tout un territoire. Elle a pu se rendre compte des conditions de logement souvent indignes lors d’un déplacement dans la commune d’Aubervilliers. Elle s’est rendue dans une permanence d’accès aux soins et dans un centre d’accueil, d’orientation et d’accompagnement de Médecins du monde pour mieux appréhender la question de l’accès des migrants aux soins, et a effectué une visite du musée national de l’histoire de l’immigration, au cours de laquelle la thématique de la représentation de la question migratoire a été longuement abordée.

À l’étranger, la commission s’est déplacée chez notre voisin italien, pays avec lequel la question migratoire est souvent la cause de crispations épisodiques. Le règlement Dublin et sa réforme y ont été le centre des discussions bilatérales avec le thème de la solidarité européenne comme leitmotiv. Une délégation est aussi allée à la rencontre des institutions européennes à Bruxelles sur le même thème. Enfin, le président et la rapporteure sont allés aux sources du phénomène migratoire dans les pays de départ mais aussi de transit que sont l’Irak et l’Égypte.

À la suite de ses travaux, le présent rapport formule un certain nombre de propositions pour enfin appréhender les migrations dans leur globalité, c’est-à-dire comme un phénomène humain.

Phénomène global qu’il convient de traiter à l’échelle la plus large possible. L’ensemble des migrants – en tout cas, ceux qui souhaitent demander l’asile – que la commission a rencontrés a dit souhaiter se rendre en Europe. Pas en France, en Allemagne ou en Suède, en Europe. Dès lors, il convient d’appréhender le phénomène à sa juste dimension. Ainsi la rapporteure recommande de créer un véritable service de l’asile européen, avec une clé de répartition entre pays membres – qui aura l’immense avantage de mettre un terme aux transferts Dublin, transferts aussi inefficaces qu’ils sont injustes.

La rapporteure recommande également d’adapter notre appareil politicoadministratif pour traiter les questions migratoires dans leur globalité. En effet, nous ne pouvons plus ignorer les questions diplomatiques mais aussi d’enseignement supérieur, de logement, de santé et de travail lorsqu’il s’agit d’entrée et de séjour des étrangers dans notre pays. C’est d’abord une question d’efficacité et d’efficience de nos politiques publiques.

Il est en outre impératif de remettre du liant dans notre traitement de la question migratoire. Une question qui polarise la société à l’extrême. La rapporteure fait un certain nombre de propositions dont la montée en puissance de la médiation interculturelle qui fonctionne très bien dans un pays voisin comme l’Italie.

Enfin, afin de mieux accueillir et intégrer les personnes étrangères, la rapporteure recommande, notamment, de moderniser le contrat d’intégration républicaine (CIR) pour renforcer l’accès à l’emploi, en mettant en place un état des lieux approfondi et systématique des compétences et qualifications des étrangers primo-arrivants et en mettant l’accent sur les formations linguistiques à visée professionnelle.

 

 

 


—  1  —

   Liste des recommandations

 

PARTIE 1 : RÉGULER LES MIGRATIONS, UNE AFFAIRE ÉTRANGÈRE ET EUROPÉENNE PLUS QU’INTÉRIEURE

 

I. Agir sur les déterminants du départ

Recommandation n° 1 : Prévoir des financements dédiés à l’aide au retour des populations déplacées à la suite de la guerre contre Daesch.

Recommandation n° 2 : Renforcer nos équipes diplomatiques et consulaires en Libye, dans le pays même ou à partir des territoires tunisiens et égyptiens et ajouter la Libye dans les pays prioritaires de l’aide publique au développement.

Recommandation n° 3 : Ne pas pénaliser les populations par une réduction drastique de la délivrance des visas avec pour seule conséquence un renforcement des filières clandestines.

 

II. Les pays de transit ou la rente géographique

Recommandation n° 4 : Cesser de faire de la question migratoire la question essentielle de nos relations avec les pays de transit pour ne pas leur donner un moyen de pression géopolitique.

Recommandation n° 5 : Sortir de la relation bilatérale franco-britannique et négocier un accord global entre l’Union européenne et le Royaume-Uni avec une participation financière accrue du pays de destination.

 

III. Asile : en finir avec le Règlement Dublin et créer un véritable « OFPRA » européen

Recommandation n° 6 : Revenir pleinement au droit commun de la gestion de la frontière franco‑italienne – accord Schengen - et redéployer les forces de sécurité.

Recommandation n° 7 : Pour éviter de nouveaux drames, appliquer pleinement l’accord de La Valette sur la répartition : le sauvetage en mer ne vaut pas automatiquement responsabilité de l’État au sens du Règlement Dublin.

Recommandation n° 8 : Sous présidence française de l’Union européenne, créer une Agence de l’asile européen qui aura la capacité de se prononcer sur des demandes d’asile

 

 

PARTIE 2 : ADAPTER NOTRE ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE À LA RÉALITÉ DES MIGRATIONS

 

I. Renforcer la dimension interministérielle des politiques migratoires

Recommandation n° 9 : Transformer la DIAIR en Haut-commissariat placé auprès du Premier ministre aux compétences renforcées en la dotant des moyens adaptés à ses nouvelles missions dans l’objectif d’une gouvernance intégrée des politiques migratoires, associant l’ensemble des acteurs ministériels (principalement l’intérieur, des affaires étrangères, du travail, du logement et de la santé), les acteurs locaux, associatifs et les entreprises.

 

II. La médiation culturelle et la participation pour fluidifier les relations entre les acteurs

Recommandation n° 10 : Créer de véritables filières de médiateurs interculturels issus des associations, des collectivités et des services de l’État pour dénouer des situations de conflits ou d’incompréhension entre les acteurs.

Recommandation n° 11 : Encourager et faire monter en puissance toutes les formes de participation des réfugiés à la définition des politiques dont ils sont les bénéficiaires directs et à l’évaluation de leur mise en œuvre.

 

III. Le Parlement ne peut rester à l’écart des choix de politique migratoire

Recommandation n° 12 : Rendre au Parlement toutes ses prérogatives en lui donnant la possibilité de se prononcer à l’occasion d’un débat annuel et du vote d’une loi de programmation par législature notamment sur la capacité d’accueil de la France, sur la liste des métiers en tension nécessitant une immigration de travail mais aussi sur la liste des pays sûrs.

 

PARTIE 3 : L’ACCÈS DES PERSONNES MIGRANTES AUX DROITS SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS

 

I. L’accès au droit

Recommandation n° 13 : Prévoir une alternative systématique à la prise des rendez‑vous dématérialisée en préfecture, débloquer les moyens budgétaires permettant aux préfectures de traiter dans les temps les demandes de titre de séjour et s’assurer du bon déploiement du dispositif d’accueil et d’accompagnement pour les démarches en ligne prévu par le décret du 24 mars 2021.

 

II. L’accès aux soins

Recommandation n° 14 : Renforcer la détection et la prise en charge des troubles psychiques. Prévoir un bilan de santé initial pour tous les étrangers primo-arrivants en situation régulière ; pour ceux en situation irrégulière, proposer une visite médicale lors du retrait de la carte de bénéficiaire de l’AME.

Recommandation n° 15 : Mettre en œuvre une politique volontariste pour lever les obstacles à l’accès à l’AME et supprimer le délai de carence s’appliquant aux demandeurs d’asile avant leur affiliation à la PUMA.

 

III. L’accès à l’emploi

Recommandation n° 16 : Ouvrir la possibilité de travailler aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande.

Recommandation n° 17 : Élargir le champ des métiers ouverts aux travailleurs extra européens.

Recommandation n° 18 : Prévoir un état des lieux approfondi et systématique des compétences et qualifications des étrangers primo-arrivants, réalisé par un spécialiste de l’insertion professionnelle au moment de la signature du CIR.

 

Recommandation n° 19 : Poursuivre l’individualisation des formations linguistiques proposées dans le cadre du CIR et mettre l’accent sur celles à visée professionnelle.

 

IV. L’accès à l’hébergement et au logement

Recommandation n° 20 : Poursuivre l’augmentation du nombre de places d’hébergement et les efforts visant à permettre une meilleure répartition des demandeurs d’asile sur le territoire pour faciliter leur accueil.

Recommandation n° 21 : Poursuivre l’augmentation du nombre de places de logement social et améliorer l’accès des BPI au logement en s’assurant de l’implication des collectivités territoriales, en faisant en sorte que l’offre de logement social soit mieux adaptée à leurs profils et en pensant les capacités de logement en lien avec les opportunités d’emploi sur les territoires.

 

V. Habitats informels et accès aux droits

Recommandation n° 22 : À Calais, mettre fin à la politique « zéro point de fixation » et mettre en place des « petites unités de vie le long du littoral » ; mettre en place une commission de suivi réunissant des migrants et l’ensemble de ceux qui interviennent localement.

 

VI. La prise en compte spécifique des besoins de certains migrants

Recommandation n° 23 : Faire des problématiques que rencontrent les femmes migrantes une dimension à part entière des politiques de migration et d’intégration.

Recommandation n° 24 : Prévoir un référent LGBT+ dans chaque préfecture avec pour mission de mener des actions de sensibilisation et de formation.

Recommandation n° 25 : Privilégier une approche interdisciplinaire pour déterminer la minorité, au-delà de la création d’un fichier, et ne pas judiciariser la question à l’extrême.

Recommandation n° 26 : Délivrer un récépissé dans l’attente de la confirmation/infirmation de la minorité afin d’entrer tout de suite dans un processus de mise à l’abri et d’insertion.

Recommandation n° 27 : Contractualiser avec les conseils départementaux en incluant des incitations financières selon le modèle de logement choisi et le taux de mise à l’abri.

Recommandation n° 28 : Garantir aux mineurs isolés un accès à une information claire et compréhensible ainsi qu’à l’exercice effectif de leurs droits aux frontières.

.

Recommandation n° 29 : pour les familles avec enfants, prévoir systématiquement des alternatives à la rétention par des lieux d’accueil dédiés

Recommandation n° 30 : Supprimer la mise en place des frais d’inscriptions différenciés pour les étudiants extra-européens et renforcer le dialogue entre les différents acteurs (les universités, Campus France et les réseaux consulaires) pour simplifier et accélérer les procédures d’inscription des étudiants étrangers.

 


   première partie

   rÉguler les migrations, une affaire « ÉtrangÈre et europÉenne » plus qu’« intÉrieure »

I.   agir sur les dÉterminants du dÉpart sans faire de la question migratoire notre seul sujet de discussion avec nos partenaires

A.   une question d’abord gÉopolitique à traiter au bon niveau

Les migrations sont souvent une réaction en chaîne. Elles résultent essentiellement de situations de conflit, de la mauvaise gouvernance et de l’absence de perspective, qui aboutissent au départ de ceux qui sont souvent les mieux formés parmi la jeunesse de leur pays.

La commission d’enquête s’est plus particulièrement intéressée à un certain nombre de routes migratoires soit au cours de ses déplacements en Italie, Irak et Égypte, soit en auditionnant par visioconférence les ambassades de pays concernés.

PRINCIPALES ROUTES MIGRATOIRES VERS L’EUROPE

 

 

2017

2018

2019

2020

Route de la Méditerranée centrale

118 962

23 485

14 003

35 673

Route des Balkans occidentaux

12 179

5 869

15 152

26 969

Route des Canaries

421

1 323

2 718

23 029

Route de l’Est

42 319

56 561

83 333

20 283

Route de l’Ouest

23 063

56 245

23 969

17 228

Route de la Grèce vers l’Albanie

6 396

4 550

1 944

1 365

Route des pays de l’ex-URSS

872

1 084

722

677

Total

204 750

149 117

141 846

125 226

Source : Frontex

https://graphics.rfi.fr/mars2016-carte-interactive-routes-migrants-europe/images/carte-routes-migratoires-600.jpg

En préambule, la rapporteure souhaite souligner que les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’Europe qui focalisent l’attention des médias et nourrissent un débat public anxiogène sur les questions migratoires portent sur environ 150 000 personnes par an, soit 0,03 % de la population de l’Union européenne dans son ensemble. Sans en négliger la dimension symbolique, il devrait être possible de gérer cette question de manière rationnelle et sans peur excessive.

Pour l’année 2021, à la suite de l’allégement des restrictions prises en raison de l’épidémie de Covid-19, le nombre de franchissements illégaux s’établit à 103 630 personnes pour les 8 premiers mois de l’année, soit une augmentation de 64 % par rapport à 2020. À titre d’exemple, 20 000 arrivées cumulées sur l’île de Lampedusa – route de la Méditerranée centrale – avaient été recensées à la date de la visite de la délégation de la commission, le 12 juillet dernier.

La rapporteure tient aussi à rappeler que depuis 2014, 20 000 personnes se sont noyées en Méditerranée ([3]), ce qui en fait un des plus grandes catastrophes humanitaires de notre temps. Cette question nous oblige.

1.   Le cas des différents conflits irakiens : la route de l’Est

L’Irak, où une délégation de la commission s’est rendue du 12 au 15 septembre 2021, est un pays clé, en même temps qu’un cas d’école. En effet, les conséquences de l’intervention américaine puis la fragmentation du pays – avec comme point d’orgue la prise de Mossoul par Daesh – ont jeté sur les routes des centaines de milliers de personnes. La guerre en Syrie en a, ensuite, fait un pays de destination et/ou de transit.

De ce fait, les autorités irakiennes sont préoccupées par la problématique des déplacés internes que les autorités peinent à faire rentrer chez eux dès lors que les conditions minimales de vie ne sont pas réunies. Les départs vers l’étranger ne sont pas traités au niveau de l’État central.

La délégation s’est rendue au ministère des déplacés. Il lui a semblé que les responsables étatiques n’avaient ni les moyens, ni l’autorité nécessaire sur l’ensemble du territoire pour résoudre cette question, source de conflits futurs. Les antagonismes communautaires structurent la vie politique et sociale et restent porteurs d’éventuels déplacements de population de grande ampleur.

Les autorités considèrent, en particulier, que le départ de ressortissants irakiens n’est pas une question prioritaire. La coopération franco-irakienne sur le retour et la réadmission est à l’arrêt. Il a été indiqué à la délégation qu’au cours du premier semestre 2021, un seul retour forcé avait été opéré et qu’un second était envisagé prochainement, alors que 1 087 mesures d’éloignement ont été prononcées sur les 5 premiers mois de l’année. La situation a été résumée par un membre du gouvernement irakien : « L’Irakien préfère aller en enfer de son propre gré qu’au paradis de manière contrainte ». Cette situation illustre, en réalité, la fragilité de l’État irakien et sa réticence à gérer les conséquences d’un retour forcé qui peut avoir un impact sur de nombreuses familles, dans une société qui reste marquée par le fait tribal, et avoir des conséquences politiques et sécuritaires non négligeables.

Il s’agit finalement pour nos administrations d’une perte de temps et d’énergie alors que persiste une forte présence de ressortissants irakiens en France, principalement désireux de rejoindre le Royaume-Uni. En effet, la présence irrégulière de ressortissants irakiens reste élevée : le nombre d’interpellations concernant ces ressortissants a connu une hausse exponentielle depuis 2014, passant de 399 à 12 046 en 2019. Toutefois, le flux a fortement diminué à compter de 2019, avec les restrictions de circulation imposées par la Turquie et l’Iran : 2 066 Irakiens ont franchi irrégulièrement les frontières extérieures de l’Union européenne contre 10 114 en 2018. Il s’agit principalement de personnes provenant de la région autonome du Kurdistan – région la plus sûre et la plus prospère du pays.

La frontière irako-turque est donc particulièrement stratégique sur la route vers l’Europe. Elle le sera d’autant plus que les autorités turques ont annoncé le 16 décembre 2020 envisager de libéraliser la politique des visas entre la Turquie et l’Irak. Le poste frontière Ibrahim Khalil que la délégation a visité et qui est tenu et géré par le gouvernement régional kurde, verra donc son importance encore renforcée. La rapporteure rappelle l’importance de la coopération avec la région autonome où la France jouit d’une image très positive, encore renforcée par la visite du président de la République le 29 août dernier.

La rapporteure estime, en définitive, indispensable de renforcer la coopération avec la région autonome du Kurdistan et en particulier avec le Parlement kurde, centre du pouvoir régional. La région autonome du Kurdistan est également celle où se trouve la très grande majorité des camps de déplacés et de réfugiés – Syriens, Yézidis et Chrétiens irakiens. La délégation a pu observer les difficultés financières du camp de Bardarash géré par la fondation Barzani. La communauté internationale et singulièrement la France, à travers l’Agence française de développement (AFD) doivent veiller à un financement pérenne du fonctionnement de ces camps. Il est de notre responsabilité autant que dans nos intérêts d’aider les Kurdes à faire fonctionner les camps de réfugiés et de déplacés.

Recommandation n° 1 : Prévoir des financements dédiés à l’aide au retour des populations déplacées à la suite de la guerre contre Daech.

 

La crise afghane

Lors de son point presse du 19 août 2021, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que tous les signalements effectués auprès des services de l’État sur la situation de ressortissants français se trouvant encore en Afghanistan ou d’Afghans qui seraient menacés en raison de leurs liens avec la France ou de leur engagement dans la société civile afghane étaient pris en compte et consolidés, notamment en lien avec notre ambassade à Kaboul.

Alors que la France a été le seul pays occidental à avoir anticipé la chute de Kaboul, elle a joué son rôle dans l’évacuation jusqu’aux limites du possible et ce, sans soldats sur place. La rapporteure tient particulièrement à saluer le rôle joué par la cellule de crise du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Par ailleurs, le ministère des armées a indiqué que 1 057 Afghans ont travaillé au service de la France entre 2002 et 2019. 220 d’entre eux ont été évacués vers notre pays, dont 31 au cours du mois d’août 2021. D’autres ont préféré demeurer en Afghanistan ou ont été transférés vers d’autres pays avec lesquels ils avaient également travaillé.

2.   Le cas de l’effondrement libyen : la route de la Méditerranée centrale

La route de la Méditerranée centrale a vu récemment une explosion des arrivées de Tunisiens. Ils constituent, en effet, la majorité des 36 415 migrants qui ont rejoint l’Europe par cette voie en 2020 (soit une augmentation de 165 %). Cette situation est évidemment à mettre en relation avec l’instabilité politique et sociale dans le pays. L’incertitude qui règne depuis l’été 2021 – avec la suspension de la Constitution – peut encore potentiellement jeter sur des bateaux un nombre important de Tunisiens.

De façon plus globale, la Libye même si ce n’est pas un pays de départ, est au cœur de la route de la Méditerranée centrale. Les migrants viennent de la corne de l’Afrique qui connaît des soubresauts réguliers depuis des décennies – guerre au Tigré, absence d’État en Somalie, dictature sévère en Érythrée, coups d’État successifs et transition démocratique difficile au Soudan. Ils proviennent également d’Afrique de l’ouest et centrale après un franchissement périlleux du Sahel et du Sahara.

La Libye est également le point focal de réseaux de trafic d’êtres humains originaires de régions bien plus lointaines comme le Bangladesh. En effet, de véritables réseaux organisent le transfert de candidats à la migration du sous-continent indien vers les pays du Golfe à des fins de travail, puis par le biais de faux documents d’identité à destination de la Libye où des passeurs les entassent littéralement sur des bateaux sous-dimensionnés en direction des eaux italiennes.

 

cid:df4fad2d-a283-4a72-9fb5-83c237017073@assemblee-nationale.fr

cid:aff3e846-984c-40bc-bffa-f1a1a141427b@assemblee-nationale.fr

Photographies de bateaux provenant de Libye et transportant entre 300 et 400 personnes chacun, prises par la rapporteure au cours du déplacement sur l’île de Lampedusa (Italie) le 12 juillet 2021

Dix ans après l’effondrement libyen, le Président de la République a pu parler de « dette de notre pays envers la Libye ». Ce pays reste le principal point noir sur les routes migratoires. Le passage des migrants par– la Biélorussie, le Maroc, la Turquie – est complexe et source de danger, mais la Libye cumule toutes les difficultés : absence d’État ; rançonnement et viol des migrants, hommes comme femmes, jeunes ou moins jeunes, notamment aux checkpoints. Une réalité effrayante a été répétée à plusieurs reprises par les personnes auditionnées par la commission d’enquête : la quasi-totalité des migrants – femmes ou hommes – étant passée par la Libye ont été violés.

La délégation qui s’est rendue à Lampedusa a pu constater la grande différence d’état physique et psychologique entre les migrants venant de Tunisie – avec une idée assez précise de l’endroit où ils venaient de débarquer et de la suite de leur parcours – et ceux venant de Libye, craintifs, traumatisés et totalement perdus. La rapporteure a notamment été témoin des efforts des équipes médicales sur place pour apporter une solution à des jeunes filles aux prises avec des grossesses résultant d’un viol en Libye.

Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch a soulevé devant la commission le caractère très problématique de la politique de l’Union européenne à l’égard de la Libye : «   En réalité, l’Union européenne sous-traite une partie de sa politique migratoire aux garde-frontières libyens, et ce n’est pas en faisant obstacle aux opérations de secours en mer que l’on porte assistance aux migrants, qui fuient de graves abus ». Cette politique donne un pouvoir exorbitant à des entités infra-étatiques mais néanmoins armées.

La rapporteure soutient sans équivoque les efforts du président de la République et de l’ensemble de notre appareil diplomatique pour rapprocher les points de vue de reconstruire un État libyen capable d’assumer ses responsabilités à l’égard des migrants. Pour appuyer ces efforts, il est nécessaire de renforcer notre appareil diplomatique et consulaire dans ce pays, soit en ouvrant notre représentation sur place dès qu’un minimum de sécurité sera assuré, soit à partir du sud de la Tunisie. Le rôle joué par nos diplomates est toujours essentiel dans les pays en crise comme la commission d’enquête a pu le constater à Bagdad notamment. Par ailleurs, le Comité interministériel de coopération internationale et du développement (CICID) qui s’est tenu en 2018 a décidé de réserver les deux tiers des subventions de l’aide publique au développement française à 19 pays prioritaires. Parmi ces pays, ne figure aucun de la corne de l’Afrique, pas plus que le Soudan ou la Libye.

La rapporteure estime qu’à tout le moins la Libye pourrait être intégrée à cette liste – même si le pays n’est pas un pays pauvre – pour pouvoir toucher les populations, pour la plupart issues des 19 pays en question, en transit dans ce pays. C’est ce que la commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale a appelé « le dernier kilomètre » lors de l’examen du projet de loi de coopération internationale ([4]) : des financements au service des populations quel que soit le lieu où elles se trouvent.

Recommandation n° 2 : Renforcer nos équipes diplomatiques et consulaires en Libye, dans le pays même ou à partir des territoires tunisiens et égyptiens et ajouter la Libye dans les pays prioritaires de l’aide publique au développement.

3.   Le cas particulier des Balkans occidentaux

Les Balkans occidentaux et principalement l’Albanie, ont un des plus importants taux de départ rapporté à leur population. Leurs ressortissants émigrent vers d’autres pays européens, dont la France. Parallèlement, ces pays, qui ne sont pas membres de l’espace Schengen, se révèlent des lieux de transit pour des flux migratoires en provenance du Proche-Orient, d’Afghanistan et d’Afrique du Nord, en direction de l’espace Schengen ou du Royaume-Uni. Ces flux migratoires passent pour l’essentiel par la Grèce, spécialement en été.

Lors de l’audition de membres de l’ambassade de France à Tirana, la difficulté d’enrayer ces départs est apparue manifeste.

L’Albanie, comme le Kosovo ou la Serbie, se situe dans une zone de conflits récents. Le salaire moyen y reste cinq fois moindre qu’en France. Les ressources y sont limitées et les opportunités moins importantes à mesure que l’on est éloigné des cercles dirigeants. Ce climat incite les Albanais à l’émigration, d’autant plus qu’il existe une tradition de départ vers l’Europe et les États-Unis. La population albanaise décroît d’année en année pour se situer à 2,5 millions d’habitants contre près 1,5 million qui vivent à l’étranger.

Il convient de souligner que les autorités albanaises bénéficient de l’assistance des dispositifs européens, en particulier de celui de l’agence Frontex chargée des frontières extérieures de l’Union européenne. L’agence participe à la surveillance de la frontière avec la Grèce. L’Union finance également un programme de retour en Albanie et de réinsertion.

En définitive, la quantification de l’émigration irrégulière albanaise vers la France demeure difficile notamment parce que les allers-retours sont nombreux.

Cette situation doit être replacée dans le contexte de l’ouverture des négociations pour l’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord à l’Union Européenne qui a fait l’objet d’un accord politique le 24 mars 2020, approuvé deux jours plus tard par le Conseil européen. Dans la mesure où ces pays se trouvent désormais dans un processus d’intégration la question du renvoi systématique de leurs ressortissants se pose en effet.

 

La nouvelle route biélorusse

À la suite des élections biélorusses de 2020 et des manifestations qui ont suivi, l’Union européenne a adopté un premier paquet de sanctions. Les opposants les ont considérés comme des sanctions morales, sans effet réel sur le régime. Ces sanctions ont été complétées par la fermeture de l’espace aérien européen, après le détournement du vol Ryanair le 23 mai 2021 par les autorités biélorusses..

En réaction, le président biélorusse a menacé les membres de l’Union européenne de ne plus assurer la sécurité de leurs ambassades à Minsk mais aussi d’envoyer des migrants et des drogues vers l’Union. De fait, le nombre de migrants en provenance de Biélorussie qui pénètrent sur les territoires lituanien et polonais a fortement augmenté. Le gouvernement biélorusse affrète des avions directement depuis Bagdad ou Istanbul vers Minsk. Les avions utilisés sont de plus en plus grands : au départ, il s’agissait de Boeing 737, désormais ce sont des Boeing 777.

La rapporteure s’est déplacée en Pologne et en Lituanie dans le cadre d’une mission de la commission des affaires étrangères. Selon les chiffres recueillis à cette occasion : du 1er janvier 2021 à la mi-juin 2021, 387 migrants non européens ont traversé illégalement la frontière pour se rendre en Lituanie depuis la Biélorussie, soit trois fois plus que sur les trois années précédentes réunies. 80 % de ces migrants provenaient de la Turquie et du Moyen Orient. Du 1er au 14 juin, en moins de quinze jours, 200 migrants sont arrivés en Lituanie, soit presque autant qu’entre 2018 et 2020. De plus, 1 000 migrants attendaient à Minsk d’être acheminé vers les frontières biélorusses. Ainsi, le gouvernement biélorusse est devenu un « passeur » de migrants avec pour résultat que plusieurs dizaines de migrants attendent dans le froid et le dénuement dans un hinterland situé aux confins de l’Europe.

Ces tentatives d’intimidation n’ont pas empêché l’Union européenne de renforcer la semaine dernière les sanctions à l’égard de la Biélorussie.

Lors du déplacement en Irak en septembre, il a été spécifié à la délégation que l’Irak avait cessé tout déplacement vers la Biélorussie, afin que sa population ne soit pas utilisée comme une « arme hybride ». La rapporteure soutient le renforcement des sanctions contre le régime biélorusse et condamne fermement l’utilisation par un État d’êtres humains dans une visée géopolitique.

B.   contribuer au maintien des populations sur leur lieu de vie sans faire de la question migratoire l’unique monnaie d’Échange

1.   Décorréler l’aide au développement de la question migratoire

En 2002, le Conseil européen de Séville exigeait « instamment que, dans tout futur accord de coopération, accord d'association ou accord équivalent que l'Union européenne ou la Communauté européenne conclura avec quelque pays que ce soit, soit insérée une clause sur la gestion conjointe des flux migratoires ainsi que sur la réadmission obligatoire en cas d'immigration illégale. » Le lien entre aide au développement et réadmission des migrants illégaux est établi dès cette date et depuis, constamment réaffirmé.

Toutefois, l’aide publique au développement, même si elle connaît depuis 2017 une forte augmentation et atteindra 0,7 % du RNB en 2022, ne sera pas au niveau des transferts financiers des migrants qui restent pour de nombreux pays africains une des premières sources de revenus (les transferts formels comptent notamment pour 5 % du PIB en Tunisie, 6,7 % au Maroc et 12,8 % au Sénégal).

Transferts financiers des diasporas vers les pays d’origine

Une étude de juillet 2020 menée pour le compte de l’AFD ([5]) montre que chaque migrant en France envoie en moyenne 1 375 euros par an dans son pays d’origine, en majorité en soutien financier à sa famille ou sa communauté villageoise. Pendant la crise, même s’ils ont baissé, ces transferts ont joué le même que les plans de relance contra-cycliques qu’ont adopté les pays les plus riches. Ces transferts contribuent à la stabilité sociale et donc politique de nombreux États, d’où l’extrême réticence à délivrer des laissez-passer consulaires.

Même s’il ne faut donc pas surestimer les effets de l’aide au développement, celle-ci doit contribuer à préserver les conditions de production des communautés, notamment par la lutte contre les effets du réchauffement climatique, avec des financements devant aller prioritairement aux femmes qui assurent le plus souvent le quotidien des familles. Cette aide, à l’échelle des familles, a pour effet de maintenir les populations dans leur terroir sans pour autant faire du contrôle de l’émigration une monnaie d’échange.

2.   Éviter de pénaliser les populations par une politique des visas restrictive

Le mardi 28 septembre 2021, le Gouvernement a annoncé la réduction de l’octroi de visas aux ressortissants maghrébins – diminution de moitié pour les demandes des ressortissants algériens et marocains et d’un tiers concernant les Tunisiens. Ces décisions visent à créer un rapport de force constructif face au refus de ces pays de délivrer les laisser passer consulaires, nécessaire à la reconduction des ressortissants de ces pays qui sont expulsables.

Lors des travaux sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire ([6]), à la faveur d’un amendement parlementaire, la représentation nationale s’est accordée sur le fait de ne pas pénaliser les populations en raison d’une politique gouvernementale de refus de délivrer des laissez-passer consulaires. Une approche privilégiant une restriction à la circulation des dirigeants a été privilégiée. Le rapporteur a indiqué qu’il était intéressant « d’agir à travers la délivrance de visas diplomatiques », approche qui a montré son efficacité par le passé. Elle préserve les populations, étudiants, société civile, chefs d’entreprises, tout en augmentant le niveau de pression diplomatique. À titre d’exemple, en 2019, près d'un étudiant étranger en mobilité internationale sur deux était d'origine africaine, dont 26 % issus du Maghreb. Ces étudiants contribuent au prestige de la France.

Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Tourisme, des Français de l'étranger et de la Francophonie a pour sa part déclaré : « Depuis 2017, le nombre de laissez-passer consulaires délivrés a augmenté de 89 %. Tous pays confondus, le taux de délivrance était de 67 % en 2019, contre 51 % en 2017 ; pour les pays prioritaires, il est passé de 42 % à 58 %. Nous avons donc mis de la pression dans le système. Il existe désormais un ambassadeur chargé des migrations, qui dialogue au quotidien avec les États étrangers et leurs administrations ([7]) ». Ces chiffres montrent bien qu’il n’est pas nécessaire de pénaliser les forces vives des pays en question mais plutôt d’agir efficacement sans effet d’annonce.

Recommandation n° 3 : Ne pas pénaliser les populations par une réduction drastique de la délivrance des visas avec pour seule conséquence, un renforcement des filières clandestines.

C.   la politique des visas au cœur des relations bilatÉrales avec de nombreux états

1.   Des accords de réadmission qui ont touché leur limite 

Les accords de réadmission sont une convention entre deux États, visant à contraindre l'un d'entre eux d'accepter de recevoir des personnes qui peuvent être, ou non, ses ressortissants, et qui viennent d'être expulsées par l'autre État.

Pour les mettre en œuvre, les laissez-passer consulaires sont un document indispensable. L’absence de documents de voyage constitue un obstacle important pour l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière. Seulement 8 356 demandes ont été adressées en 2019 (soit 5,4 % des mesures d’éloignement) aux différents consulats des pays d’origine et que le taux de délivrance est passé de 35,2 % en 2013 à 67,1 % en 2019 – 51,2 % pour les trois pays du Maghreb alors que 18 906 éloignements forcés ont été exécutés cette année-là.

Ainsi, si les mesures d’éloignement sont largement sous-exécutées, la question des laissez-passer consulaire est-elle largement surévaluée.

 

Mesures d’Éloignement prononcÉes ([8])

 

2016

2017

2018

2019

2020

Retour RPT ([9])

77 886

81 866

100 642

119 804

105 427

Réadmissions RPT dans UE

8 305

17 251

27 651

27 585

16 448

Renvois ressortissants UE

5 939

4 823

4 685

4 792

3 838

Total mesures prononcées

 92 130  

 103 940  

132 978

152 181

125 713  

Source : DGEF

Éloignements et dÉparts exÉcutÉs des Étrangers
en situation irrÉguliÈre ([10])

 

 

2016

2017

2018

2019

2020

Éloignements non aidés

retours forcés RPT

6 539

6 909

7 348

9 060

3 544

dont vers les pays tiers

6 166

6 596

7 105

8 858

3 329

réadmissions RPT

3 338

4 589

  5 372

6 890

3 664

renvois forcés RUE ([11])

3 084

2 772

2 957

2 956

1 903

Total forcés

12 961

14 270

15 677

18 906

9 111

retours spontanés RPT

2 150

1 861

1 878

1 750

1 259

renvois spontanés RUE

537

358

332

338

356

Total spontanés

2 687

2 219

2 210

2 088

1 615

Total éloignements non aidés

15 648

16 489

17 887

20 994

10 726

Éloignements aidés 

retours aidés RPT

809

1 066

2 066

2 752

1 655

renvois aidés RUE

32

12

4

0

3

Total éloignements aidés 

841

1 078

2 070

2 752

1 658

Total éloignements (A) 

16 489

17 567

19 957

23 746

12 384

Départs volontaires aides 

départs volontaires RPT aidés

2 504

3 734

4 758

2 512

930

départs volontaires RUE aidés

123

44

17

3

0

Total départs volontaires aidés (B) 

2 627

3 778

4 775

2 515

930

Départs spontanés (C)

5 591

5 438

5 544

5 143

2 635

Total sorties du territoire (A) + (B) + (C) 

24 707

26 783

30 276

31 404

15 949

Source : DGEF

La rapporteure estime qu’il est absolument nécessaire de ne pas se focaliser sur le laissez-passer consulaire au regard de la réalité des chiffres des éloignements et du faible volume – quelques milliers d’individus – que cela représente.

2.   Créer des voies de migration légale pour fluidifier les déplacements et réduire le pouvoir des mafias de passeurs

Aujourd’hui, pour un ressortissant d’un pays de la rive sud de la Méditerranée, il est quasiment impossible d’imaginer un parcours d’émigration légale vers l’Europe et donc la France. Il ne reste que l’option du détournement des procédures de l’asile ou bien de nombreuses années de clandestinité avant une hypothétique régularisation.

Cette situation a été créée par les nombreuses barrières mises à l’entrée sur le territoire européen. Cette politique a pourtant des effets pervers : en mettant une barrière à l’entrée, elle met également une barrière à la sortie. Des migrants, qui n’ont pas toujours l’intention de s’installer, refusent de rentrer chez eux car ils ont la certitude de ne jamais pouvoir revenir.

Favoriser les visas à entrées multiples pour permettre les allers et venues plutôt que la clandestinité avec ces maux subséquents, relève pourtant de la même approche que celle qui vise à fluidifier le marché du travail.

François Gemenne en a développé l’idée lors de son audition : « Il faut selon moi davantage utiliser les ambassades dans les pays d’origine et de transit et la politique de visa. Nous n’avons aucune politique de visa. Des visas humanitaires ou économiques permettraient à certains d’arriver en avion, et ceux qui envisageraient la traversée par bateau disposeraient de critères précis pour obtenir un visa. Une politique de visa plus précise amènerait moins de personnes à prendre le risque de mourir en Méditerranée et de dépenser des fortunes auprès de passeurs. » Le Canada est le seul pays à mener une politique de visa, et notamment de visa humanitaire.

La rapporteure reviendra (cf. infra) sur ce sujet : ouvrir des voies légales de migration discutées et acceptées par l’opinion publique à la suite d’une discussion au Parlement.

II.   Les pays de transit ou la rente gÉographique

Les pays de transit détiennent une rente géographique, du fait de leur position de gardien des flux migratoire, qui accroît leur pouvoir de pression pour avancer des positions géopolitiques ou économiques.

Recommandation n° 4 : Cesser de faire de la question migratoire la question essentielle de nos relations avec les pays de transit pour ne pas leur donner un moyen de pression géopolitique.

A.   Les migrants, un outil gÉopolitique puissant pour les pays de transit

La question migratoire est une question hautement géopolitique qui est le plus souvent utilisée à d’autres fins et les migrants peu ou prou utilisés comme des « armes hybrides ».

Les États membres, dont la France, premiers destinataires des demandes, voire des exigences politiques de ces pays, doivent y répondre en fonction de leurs intérêts et de leur valeur. Parallèlement, l’Union européenne conclut des accords migratoires avec les pays de départ et de transit dont le plus emblématique est celui de 2016 avec la Turquie.

Cette division entre une Union européenne, à la capacité financière importante mais sans prérogative politique et diplomatique et des États membres assumant leur rôle en politique étrangère mais aux finances publiques contraintes n’est pas optimale.

1.   Avec la Turquie, une volonté de parler « d’Empire à Empire »

La Turquie est un pays incontournable sur les sujets de migrations en tant que pays de départ, de destination et de transit.

C’est le pays qui compte le plus grand nombre de réfugiés venant de la zone syrienne avec 3,5 millions de réfugiés syriens placés sous statut ad hoc. L’Union européenne reconnaît et participe financièrement à cet accueil.

Depuis 2014, la Turquie est aussi le premier pays hôte au monde, totalisant 4 millions de réfugiés et demandeurs d’asile, soit 4,5 % de la population turque. Enfin, l’ambassadeur de France en Turquie estime que en juin 2021  « 1,1 million d’étrangers titulaires d’un permis de séjour étaient présents sur le sol turc» auquel s’ajoute un nombre estimé de 1 million de personnes en situation irrégulière.

L’accord migratoire Union Européenne – Turquie

Dans un contexte de crise migratoire, une Déclaration, dite « accord UE – Turquie », a été adoptée le 18 mars 2016, ayant pour objectif principal « d’éviter qu’une route de migration irrégulière ne s’ouvre » au départ du territoire turc en direction de l’Union européenne. L’accord prévoyait ainsi principalement le renvoi en Turquie de « tous les migrants en situation irrégulière qui partent du territoire turc pour gagner les îles grecques », et la mise en place d’un programme de réinstallation pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, dans la limite de 72 000 personnes. De plus, l’Union s’est engagée à verser à la Turquie une aide financière d’un montant de six milliards d’euros, à relancer le processus d’adhésion du pays à l’UE, et à mettre en place une procédure de libéralisation des visas pour les ressortissants turcs.

Cet accord a eu un impact significatif sur le nombre d’arrivées de migrants en Europe et en particulier en Grèce. Alors que près de 861 630 personnes avaient rejoint la Grèce en 2015 depuis la Turquie, le nombre d’arrivées recensées a chuté à 36 310 l’année suivant la signature de l’accord, avant de remonter à 74 613 en 2019. Le nombre de personnes disparues en mer Égée a également diminué, passant de 441 cas en 2016 à 71 en 2019.

L’Ambassadeur de France en Turquie a cependant précisé à la commission que : « Nous notons actuellement une reprise des flux sur les routes méditerranéennes. Les flux augmentent généralement au début de l’été. Une reprise est également à attendre du fait de la décrue de l’épidémie de Covid-19 ».

Cette situation crée également un fait politique qui génère des risques d’instrumentalisation. La coopération avec la Turquie, si elle doit être renforcée, ne peut avoir pour seul objectif de prévenir les arrivées et d’augmenter le nombre de retours et de réadmissions. Dans le cas contraire, il en résulterait un réel pouvoir de pression. La Turquie a de plus, tendance à parler avec l’Union européenne en se plaçant dans une logique « d’empire à empire ». La carte migratoire lui donnant un moyen de pression qu’elle sait existentielle pour l’Europe.

La rapporteure recommande de cesser de faire de la question migratoire l’alpha et l’oméga de notre relation à la Turquie, le prix à payer en terme géopolitique, économique et financier risquant d’être exorbitant.

2.   Avec le Maroc, une relation directement corrélée à la question sahraouie

Durant la semaine du 17 mai 2021, entre 8 000 et 9 000 Marocains et autres ressortissants de pays d’Afrique de l’ouest, profitant de la passivité des contrôles marocains, sont entrés illégalement dans l’enclave espagnole de Ceuta.

Les conséquences ont été quasi nulles dès lors que depuis 1992 – en vertu d’accords bilatéraux – l’Espagne peut renvoyer vers le Maroc sans délai, ni procédure les migrants entrés illégalement dans cette enclave. Cependant, ces images ont fait le tour du monde et ont illustré l’importance de la rente géographique que détiennent les pays de transit du fait de l’externalisation des flux migratoires.

Dans ce cas précis, il s’agissait clairement d’un différend entre le Maroc et l’Espagne suite à l’accueil du président du Polisario dans un hôpital espagnol, le Maroc attendant une reconnaissance de jure de sa souveraineté sur le Sahara occidental par les principaux États européens à la suite de celle opérée par les États-Unis en décembre 2020.

Sans se positionner sur la pertinence d’une telle reconnaissance, il conviendrait de décorréler la question migratoire des autres sujets de coopération afin de ne pas se retrouver dans une position d’otage obligeant à faire un choix entre un allié historique qu’est le Maroc et des pays de l’Union européenne.

3.   L’Égypte, garde-frontière contre non-ingérence dans les affaires intérieures

L’Égypte où la commission d’enquête s’est rendue a fait un effort significatif de surveillance de ses frontières. Les autorités égyptiennes ont fortement réduit les départs depuis les côtes de leur pays à compter de l’année 2016.

Si le pays est un pays de transit, il est surtout un pays d’accueil et de départ.

L’Égypte héberge officiellement 265 393 bénéficiaires de l’asile dont 133 856 ressortissants syriens. Contrairement à d’autres pays de la région, le choix y a été fait de ne pas construire de camps. Les réfugiés et les autres migrants sont directement au contact de la population locale. Au-delà de ce nombre assez restreint, le pays abrite près de 6 millions de ressortissants des pays voisins dont 3 millions de Soudanais, 1 million de Libyens, 700 000 Syriens mais aussi des Yéménites, des Éthiopiens et Érythréens, personnes qui n’ont pas particulièrement vocation à se rendre en Europe. Les Syriens sont particulièrement bien intégrés en Égypte. Il s’agit d’une population plutôt aisée qui a investi près d’un milliard de dollars dans le pays depuis 2015 et y a créé un nombre conséquent d’emplois surtout dans le tourisme et la restauration. Quant aux Soudanais, il s’agit d’une immigration ancienne, assez bien intégrée dans le pays.

Les autorités égyptiennes – sachant que 70 % de l’émigration du pays se dirige vers les pays du Golfe – ont fait valoir qu’elles remplissaient parfaitement leur part du contrat à l’égard de l’Union européenne, sans demander de contrepartie. Ce discours visait directement l’accord entre l’Union européenne et la Turquie – pays traditionnellement concurrent de l’Égypte dans la course au leadership dans la sous-région et avec lequel une crise profonde a été ouverte à la suite du renversement du président élu Mohamed Morsi. Il laisse donc entendre que l’Égypte attendrait des contreparties à sa fermeté en matière migratoire.

Là encore, mettre en avant de manière trop ostensible la question migratoire affaiblit notre position vis-à-vis des pays gardiens de nos frontières et nous oblige à des positions diplomatiques délicates qui peuvent être préjudiciables aux intérêts à long terme de la France.

B.   La France, gardienne de la frontiÈre britannique : sortir de l’impasse

La France joue également le rôle de pays de transit. Aux termes des accords du Touquet de 2003, elle est en effet devenue le « gardien de la frontière britannique » dès lors que celle-ci a été déplacée de Douvres (Royaume-Uni) à Calais (France).

Évidemment si le Brexit, effectif depuis le 31 janvier 2020, n’a aucun effet sur un accord bilatéral, il a posé un contexte moins coopératif.

La déclaration conjointe entre la France et le Royaume-Uni signée à Calais le 20 août 2015 et les ajustements qui ont suivi ont permis de renforcer la coopération en matière de sécurité et de lutte contre les filières criminelles, tout en en élargissant le champ à la prise en charge humanitaire et à l’accueil des migrants. Trois conventions ont été signées entre le 2015-2017 au titre de la prise en charge des migrants et des mineurs isolés, ainsi que de l’hébergement.

Le traité de Sandhurst relatif au renforcement de la coopération pour la gestion coordonnée de leur frontière commune, signé le 18 janvier 2018 entre la France et le Royaume‑Uni, a également cherché à renforcer le cadre de coopération bilatéral.

Ces traités se sont accompagnés de conventions fixant la contribution britannique au financement de la sécurisation de la frontière. Pour une évaluation précise du coût de celui-ci se reporter à la troisième partie (V) du présent rapport.

Malgré le renforcement des activités de patrouille des États côtiers, la route de la Manche continue à être considérée comme une option possible pour les migrants – Irakiens, Syriens, Afghans ou encore Soudanais – souhaitant atteindre le Royaume-Uni, à partir de Dunkerque, Grande Synthe ou Calais.

Au premier semestre 2021, les traversées maritimes, (59 % des passages) ont pour la première fois dépassé le passage par le tunnel (41 %) et constitue désormais la voie principale utilisée par les migrants pour rejoindre le Royaume-Uni. Les migrants ayant été interceptés à bord de poids lourds se montent à 11 375 depuis le début de l’année, en baisse de 11 % par rapport à l’année dernière. Le plus grand nombre des montées continue à s’effectuer depuis la Belgique (38 %).

La rapporteure estime donc tout à fait nécessaire d’intéresser la Belgique aux accords du Touquet, voire de prévoir un traité global entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Recommandation n° 5 : Sortir de la relation bilatérale franco-britannique et négocier un accord global entre l’Union européenne et le Royaume-Uni avec une participation financière accrue du pays de destination.

Les traversées maritimes par des « small boats » ne devraient pas diminuer à moyen terme malgré le danger, sachant que le taux de réussite est élevé – la police française hésite à arraisonner les bateaux pour ne pas mettre en danger les occupants – et que le délai de recherche et de sauvetage en cas de naufrage est court. On compte 9 000 traversées en « small boats » réussies, sur 17 000 traversées, sur les huit premiers mois de l’année 2021.

L’annonce par la ministre de l’intérieur britannique d’un projet de réforme visant à durcir le système d’asile du Royaume-Uni, tout en prévoyant des pouvoirs élargis de l’UK Border Force agissant en mer, risque d’avoir pour effet d’aggraver encore la situation sur les régions côtières françaises.

III.   ASILE : En finir avec le rÈglement DUblin et crÉer un vÉritable « OFPRA » EuropÉen

A.   Un rÈglement DUBLIN irrÉformable

1.   Des propositions sur la table depuis 2016

a.   Un système qui aiguise les égoïsmes nationaux

Le Règlement Dublin s’applique à tous les États européens. Dès lors qu’il s’agit d’un Règlement – et non d’une directive – il est d’application directe et n’a pas besoin d’être transposé par une loi interne.

Il pose le principe selon lequel un seul État est responsable de l’examen d’une demande d’asile si le demandeur circule ou se déplace d’un État vers un autre. L’État responsable est donc le plus souvent l’État de première entrée, le plus souvent l’Espagne, l’Italie, la Grèce mais aussi la Bulgarie pour les routes empruntées par les Afghans par exemple. L’objectif initial du texte est de permettre un accès rapide à une procédure d’asile, de déterminer un État en charge de cet examen et d’éviter les demandes d’asile multiples.

Les États européens doivent enregistrer dans une base de données commune, EURODAC, les empreintes des migrants qui entrent irrégulièrement dans l’espace Schengen ou qui y déposent une demande d’asile. Le Règlement Dublin pose une série de critères hiérarchisés pour déterminer cet État responsable de la demande d’asile présentée. Après un critère de minorité et de présence de membres de famille nucléaire dans un autre État, l’État responsable sera celui qui a pris part dans l’entrée en Europe du demandeur d’asile que cette entrée soit régulière ou non.

Le texte prévoit quelques dérogations à cette stricte application des critères dont une clause humanitaire, une clause de suspension en cas de défaillance du système d’asile du pays responsable ou une clause de souveraineté : les États se sont gardé la possibilité de choisir d’examiner une demande d’asile même s’ils ne sont pas expressément responsables au titre du Règlement Dublin.

Ce système Dublin est presque unanimement décrié pour son inefficacité mais demeure, faute d’accord sur une alternative satisfaisante pour l’ensemble des États.

D’une part, il ne tient pas compte du parcours ou des intentions du demandeur d’asile. Il ne tient pas compte non plus des disparités existantes entre les différents systèmes d’asile nationaux, au risque d’atteindre les droits fondamentaux des demandeurs. En effet, les associations relèvent de nombreuses violations des droits des demandeurs par des pays de l’Est de l’Europe mais aussi d’autres pays en fonction du climat politique qui y règne. D’autre part, il fait peser une charge plus importante sur les pays de première entrée que sur les autres. Ces pays d’entrée qui ont justement déjà en charge le contrôle des frontières extérieures. Enfin, il ne concerne environ que 15 % des demandes d’asile en Europe sachant que les transferts effectifs sont proches de 5 % ([12]).

En définitive, le Règlement Dublin génère des comportements non-coopératifs de la part de l’ensemble des États de l’Union, chacun essayant de minimiser le nombre des demandeurs chez lui.

b.   Des propositions sur la table depuis 5 ans

Décrié depuis sa mise en place, le règlement cristallise les tensions depuis la crise migratoire de 2015. Le mécanisme est vite devenu un problème pour l’Italie, l’Espagne ou la Grèce, principaux pays d'arrivée pour les migrants. Pour beaucoup d'autres, il a permis de se dédouaner de la responsabilité de l'accueil sur ses partenaires, en affirmant notamment qu'ils n'étaient pas assez rigoureux dans leurs examens de demande d'asile. C’est le cas de la plupart des pays d’Europe centrale et orientale.

Dans le cadre du « pacte migratoire », Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a promis « des mesures pour lutter contre les passeurs, renforcer les frontières extérieures, approfondir les partenariats extérieurs et pour créer des voies légales d'accès ». Cette annonce reste volontairement floue, l'annonce d'un nouveau mécanisme de solidarité, et non d’une réforme permettant d'éviter les crispations, notamment du groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), peu enclin à l'accueil des réfugiés.

Il ne s'agit pourtant pas de la première tentative de réforme. Un texte dit « Dublin IV » était déjà déposé depuis 2016, proposait par exemple que la responsabilité du premier État d'accueil soit définitive. Il n’a pas abouti. En 2016, un projet de répartition et de quotas obligatoires, imaginé par la Commission, avec le soutien de l'Allemagne, pour remplacer le système du premier pays d'accueil, avait également été imaginé. Les pays du groupe de Visegrad s'étaient opposés à l'idée même de l'accueil d'étrangers.

Le 23 septembre dernier, la Commission européenne a présenté le « Pacte sur la migration et l’asile ». Il s’agit d’un projet de réforme de la politique migratoire européenne mise en place pour l’essentiel avant la crise de 2015. Il intervient après l’échec des négociations du « Paquet asile » initiées en 2016. Prévue initialement pour le printemps 2020, la publication de ces propositions a été plusieurs fois retardée en raison de la situation sanitaire et de la priorité donnée à d’autres échéances européennes importantes comme le plan de relance et le budget 2021-2027.

Le « Pacte pour la migration et l’asile » est composé d’une communication générale et de cinq propositions législatives.

Trois nouveaux règlements sont proposés :

– Un règlement introduisant une procédure de filtrage (« screening ») aux frontières extérieures de l’Union afin de procéder rapidement à des vérifications d’identité, de sécurité et de vulnérabilité avant d’orienter le ressortissant de pays tiers vers la procédure la plus adaptée ;

– Un règlement établissant un cadre de gestion de l’asile et de la migration, qui a vocation à remplacer le règlement Dublin afin d’assurer un plus juste équilibre entre les principes de responsabilité et de solidarité qui doivent présider l’Europe de l’asile. À ce stade, nous ignorons ce qu’est un juste équilibre ;

 Un règlement de gestion des situations de crises et de force majeure devant permettre de répondre à des situations imprévisibles et d’urgence par le biais d’aménagements procéduraux et de réponses solidaires.

Par ailleurs, deux ajustements de textes existants sont prévus par la Commission :

– Une proposition amendée du règlement « Eurodac » devant permettre une information plus complète sur les demandeurs d’asile et une meilleure appréhension des mouvements secondaires avec des données par individu et non plus seulement par demande ;

– Une proposition amendée de règlement sur la procédure commune d'asile, introduisant notamment les nouvelles procédures à la frontière (procédures d’asile et de retour à la frontière).

2.   Des positions irréconciliables qui obèrent la conclusion d’un accord signifiant

Lors de son déplacement à Bruxelles le 30 septembre dernier, une délégation de la commission d’enquête a eu l’occasion de rencontrer outre les services de la Commission européenne, des membres de la représentation française mais également des acteurs de la société civile.

Il ressort de ces entretiens qu’il sera très complexe de parvenir à un compromis entre :

– les pays partisans de plus de solidarité, essentiellement les pays de premières arrivées qui appellent à dissocier la question du sauvetage en mer qui est une obligation internationale – la convention des Nations Unies sur le droit de la mer dite de Montego Bay du 10 décembre 1982 prévoit que les États côtiers doivent participer au sauvetage par la création d’un service spécialisé et collaborer en la matière avec les États voisins – et celle de la responsabilité inhérente de l’arrivée sur leur sol des migrants. Se retrouvent dans ce groupe de pays les pays de première entrée, Espagne, Italie, Grèce, Chypre et Malte ;

– les pays partisans de plus de responsabilité, qui font le reproche aux premiers de ne pas complètement assumer leur rôle de pays responsable de la première demande d’asile et qui subissent les flux secondaires. L’Allemagne et la France sont peu ou prou sur cette position ;

– les pays du refus, essentiellement les quatre pays dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie), qui refusent toute responsabilité quant à l’asile. La Pologne et ses voisins qui subissent depuis l’été 2021 les effets de la crise avec le Belarus et voient une nouvelle route migratoire faire de leur territoire un territoire de première entrée vont peut-être faire évoluer leur position. À ce stade, ils se contentent de fortifier leurs frontières, qui sont aussi des frontières extérieures de l’Union européenne.

Enfin, même parmi les pays méditerranéens, les positions ne sont pas unanimes et ceux-ci ne sont pas nécessairement pressés d’aboutir à une réforme du règlement Dublin.

L’Espagne privilégie une approche bilatérale avec les pays de départ et de transit, singulièrement avec le Maroc. Elle ne semble réellement demandeuse d’aucune réforme particulière. L’Italie est peu ou prou dans le même cas. Le ministère italien des affaires étrangères a fait part à la délégation parlementaire de son accord bilatéral avec la Tunisie qui prévoit le retour forcé de 80 Tunisiens par mois lorsqu’il en rentre en moyenne 2 000. Ces approches privilégient les retours volontaires, sachant qu’un nombre important de ces primo-arrivants se déplacent vers des pays plus au nord, dont la France, ou servent de main-d’œuvre d’appoint dans l’agriculture ou la restauration, main-d’œuvre dont manquent ces pays.

La Grèce a en revanche une véritable approche européenne. Elle a accepté l’installation de plusieurs « hotspots » dont celui de Lesbos quand l’Italie n’en possède qu’un seul et l’Espagne aucun. Cette approche grecque est contrainte par la géographie, ce pays étant composé essentiellement d’îles mais également par la géopolitique. La Grèce ne peut pas se permettre une approche bilatérale avec une Turquie bien plus vaste et bien plus peuplée.

En tout état de cause, les divergences apparaissent aujourd’hui trop grandes pour aboutir à une réforme du règlement Dublin satisfaisant.

3.   En attendant, le migrant joue au jeu de l’oie

Ces différentes stratégies dessinent un système européen de l’asile complètement éclaté où chaque pays cherche à minimiser sa responsabilité tout en demandant la solidarité des autres.

Le demandeur d’asile lui voit ses droits déniés et continue à être théoriquement renvoyé vers son pays de première entrée. En pratique, peu de décisions de transfert sont exécutées – il n’a pas été possible d’obtenir les chiffres exacts des demandes formulées mais seulement ceux des transferts effectivement réalisés – et cette situation aboutit à la présence de demandeurs d’asile potentiels qui ne peuvent pas effectivement déposer une demande en préfecture.

nombre de transferts de demandeurs d’asile enregistrÉs sous procÉdure dublin en 2020

Transferts sortants

 

Transferts entrants

 

Allemagne

1 427

Allemagne

3 278

Espagne

489

Royaume-Uni

1 263

Italie

297

Belgique

1 047

Royaume-Uni

220

Grèce (au titre des hotspots)

757

Autres pays

756

Autres

2 044

Total mesures prononcées

3 189  

 

8 389

Source : DGEF

La rapporteure souligne le faible nombre de procédures Dublin réalisées, certes dans une année assez particulière du point de vue sanitaire, avec la conclusion que la France voit plus de personnes entrer sur son territoire qu’en sortir par le biais de cette procédure. De la même façon, seulement 297 personnes ont été reconduites en Italie alors que 201 personnes ont été « dublinées » d’Italie vers la France, soit un nombre faible et sensiblement équivalent. Ce seul chiffre montre l’inanité de ce Règlement et l’extrême urgence d’en sortir.

B.   Des consÉquences non nÉgligeables sur les relations bilatÉrales avec les pays voisins, dont les migrants font les frais

La commission s’est particulièrement intéressée à la relation bilatérale franco-italienne fortement compliquée par la question migratoire.

L’Italie, second partenaire commercial de la France avec l’Allemagne est à la recherche de la création d’un véritable couple franco-italien, à l’instar de celui qui existe avec l’Allemagne depuis le traité de l’Élysée. Sur ce sujet, un traité du Quirinal est en préparation qui devrait renforcer les synergies entre les deux pays.

Pour autant, la frontière est toujours en place et les contrôles qui y sont opérés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme relèvent finalement pour une grande part de la gestion des migrations  ([13]).

À Menton et à Briançon, où la commission d’enquête s’est rendue, le rétablissement de la frontière franco-italienne a des conséquences majeures :

– pour les personnes migrantes en premier lieu : prises de risques importantes pour traverser la frontière entraînant de nombreux accidents allant dans certains cas dramatiques jusqu’au décès ([14]), privations de liberté, parfois durant de longues heures, dans les constructions modulaires attenantes aux services de la police aux frontières, refus d’entrée opposés sans examen individuel de la situation pourtant prévu par le droit et sans possibilité de déposer une demande d’entrée sur le territoire au titre de l’asile ([15]) ;

Source : photo du local de mise à l’abri de la police aux frontières de Menton transmise par des associations

– mais également pour d’autres acteurs locaux : les conducteurs et agents de la SNCF travaillant sur la ligne Vintimille – Menton qui sont régulièrement témoins d’accidents résultant de tentatives de traversée de la frontière, les acteurs du tourisme en montagne, les personnes d’apparence étrangère contrôlées de manière discriminante aux points de passage autorisés, etc.

Les atteintes aux droits à nos frontières ont été abondamment recensées et dénoncées par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, le Défenseur des droits, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les associations œuvrant sur place. Il est temps d’y mettre un terme.

Recommandation n° 6 : Revenir pleinement au droit commun de la gestion de la frontière franco‑italienne – accord Schengen - et redéployer les forces de sécurité

Les autorités italiennes rencontrées lors du déplacement de la délégation à Rome, ont unanimement souhaité une plus grande solidarité de la part de la France. La France a été un des premiers pays à assumer la solidarité européenne. Cette solidarité a été formalisée par l’accord de La Valette, accord de septembre 2019 entre l’Allemagne, la France, l’Italie et Malte en vue de relocaliser les migrants sauver en mer.

La rapporteure appelle évidemment à amplifier cette approche en englobant les trois routes méditerranéennes et l’ensemble des pays européens.

Recommandation n° 7 : Pour éviter de nouveaux drames appliquer pleinement l’accord de La Valette sur la répartition : le sauvetage en mer ne vaut pas automatiquement responsabilité de l’État au sens du Règlement Dublin.

C.   CrÉer un vÉritable asile europÉen

Les traités européens donnent une compétence générale à l’Union en matière d’asile. Le droit dérivé – règlement ou directive – peut donc en découler à la suite d’un accord politique entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen.

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 67 (ex-article 61 TCE et ex-article 29 TUE)

1. L'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres.

2. Elle assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers. Aux fins du présent titre, les apatrides sont assimilés aux ressortissants des pays tiers.

Article 78 (ex-articles 63, points 1et 2, et 64, paragraphe 2, TCE)

1. L'Union développe une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu'aux autres traités pertinents.

2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures relatives à un système européen commun d'asile comportant :

a) un statut uniforme d'asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l'Union ;

 

1.   Des avancées sous la présidence portugaise

Depuis la crise de 2015, le nombre de personnes passées par un premier pays européen avant de venir déposer l'asile ailleurs en Europe, a explosé.

En France, en 2019, plus de 35 000 parmi les 138 000 demandeurs d'asile avaient été déboutés dans un autre pays. Le principal point d'achoppement au niveau européen se situe dans « l'absence de reconnaissance mutuelle des décisions », selon Didier Leschi ([16]). Ainsi, lorsqu'une personne déboutée de l'asile en Allemagne arrive par exemple en France, elle peut de nouveau déposer une demande dans l'Hexagone à condition d'y avoir séjourné 6 ou 18 mois selon les cas.

Le Règlement EASO ([17]), qui porte la création d'un Bureau européen d'appui en matière d'asile, future agence européenne de l’asile, a fait l’objet d’un accord politique sous présence portugaise au Conseil. Ce texte permettra de progresser vers une harmonisation des conditions de traitement des demandes d’asile. La disparité des taux de protection d’un État membre à l’autre constitue, en effet, un problème récurrent. À titre d’exemple, en 2019, le taux de protection des Afghans s’élevait à 21 % en Allemagne, 63 % en France et 93 % en Italie. Il s’avère donc complexe de faire appliquer le règlement Dublin dans toute sa rigueur. L’harmonisation des pratiques et, à terme, des taux de protection, constitue un objectif essentiel.

 

Une agence européenne pour l’asile

Les représentants du Parlement européen et la présidence du Conseil ont trouvé un accord, le 29 juin 2021, sur la mise en place d’une Agence européenne pour l’asile. Si l’accord trouvé est voté par les députés européens et validé par les chefs d'État ou de gouvernement, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) deviendra l’Agence pour l’asile.

Cette dernière pourra ainsi agir sur la base d’un mandat élargi. En 2021, l'EASO dispose d'un budget de 142 millions d'euros et compte environ 500 employés, présentes à Chypre, en Grèce, en Italie, à Malte et en Espagne. Sur les dix dernières années, l'EASO a enregistré 40 % des demandes d'asile à Chypre, en Grèce, en Italie et à Malte.

La nouvelle agence qui sera dotée de 500 experts (interprètes, gestionnaires de dossiers, spécialistes de l’accueil) sera compétente pour :

 renforcer la coopération, y compris avec les pays tiers, et harmoniser le traitement des demandes d'asile ;

– fournir une assistance opérationnelle et technique aux États membres notamment en cas de situation de crise ;

– développer les normes opérationnelles, les indicateurs, les lignes directrices et les bonnes pratiques afin de faciliter la mise en œuvre du droit de l’UE en matière d’asile. L’agence aura à sa disposition un officier aux droits fondamentaux, responsable d’un nouveau mécanisme de plainte. Il veillera au respect des droits fondamentaux et à leur promotion dans la politique d’asile.

À compter du 31 décembre 2023, l’agence devra contrôler le bon respect du régime commun d’asile, notamment les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, les garanties procédurales et la protection des enfants dans les États membres.

Une fois que l’actuel règlement de Dublin sera abrogé, il pourra se mettre en place à la fois :

– un mécanisme de contrôle pleinement effectif ;

– et les dispositions nécessaires concernant la capacité et l’état de préparation des pays de l'UE en cas de pression disproportionnée.

 

Ainsi la reconnaissance des décisions et l’harmonisation des pratiques sont les deux conditions pour avoir un système européen enfin efficace et efficient.

2.   Vers une agence européenne de l’asile au pouvoir élargi sous présidence française

La rapporteure estime que la meilleure manière d’avancer vers une meilleure reconnaissance des décisions et une harmonisation des critères est la création d’une agence européenne de l’asile, non seulement chargée de veiller au respect du droit mais aussi d’instruire les dossiers et de prendre les décisions de protection.

La présidence française de l’Union européenne à compter du 1er janvier 2022 devrait porter cette proposition avec force.

Recommandation n° 8 : sous présidence française de l’Union européenne, créer une Agence de l’asile européen qui aura la capacité de se prononcer sur des demandes d’asile

Certains pourraient craindre la perte de souveraineté qui résulterait de la création d’un OFPRA européen. Elle serait pourtant minime. En effet, tant les traités que les textes de droit dérivé organisent des clauses de souveraineté.  L’article 72 du TFUE indique que les dispositions adoptées dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice ne portent « pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité unité intérieure ». Cette clause de souveraineté générale constituera une première limite. D’autre part, il ne fait aucun doute que les États membres s’attacheraient à introduire dans la législation dérivée établissant un OFPRA européen une, voire plusieurs, dispositions définissant les circonstances dans lesquelles ils pourraient recouvrer leur pouvoir de décision en matière d’asile.

En revanche, les gains que l’on peut en attendre sont majeurs :

– l’apaisement des relations entre les pays de l’Union européenne ;

– la détermination d’une vraie répartition des bénéficiaires de l’asile en fonction de la population du pays, de ses capacités et des souhaits des bénéficiaires eux-mêmes ;

– la décorrélation entre le pays responsable et le pays de première entrée, et donc la fin avec des transferts coûteux et source de crispation entre partenaires européens ;

– l’amélioration du taux de reconduite : dès lors qu’un demandeur aura vu sa demande rejetée par l’agence et les différents recours épuisés, il aura vocation à être reconduit.

 


—  1  —

   deuxiÈme partie

   adapter notre organisation politique et administrative À la rÉalitÉ des migrations

I.   renforcer la dimension interministÉrielle DES POLITIQUES MIGRATOIRES

Après la seconde guerre mondiale, la politique d’immigration était partagée entre le ministère des affaires étrangères, le ministère des affaires sociales et le ministère de l’intérieur. Ce partage a globalement bien fonctionné pendant quarante ans, chaque ministère ayant ainsi son approche de la question migratoire. Progressivement, les préoccupations d’ordre sécuritaire l’ayant emporté, le ministère de l’intérieur a largement fait valoir son point de vue au détriment des autres administrations au nom de la recherche d’efficacité.

A.   La réforme de 2007 a donnÉ au ministère de l’intÉrieur une compétence exclusive pour l’asile et les migrations

En 2007, le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement est créé. La co-tutelle de la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France lui est confiée, avec le ministère des affaires étrangères, par le décret n° 2007-999 du 31 mai 2007. Depuis, la concentration de l’ensemble des problématiques migratoires n’a cessé de s’accentuer. En effet, à la disparition du ministère en charge de l’immigration en 2010, au lieu de revenir à une répartition des compétences, le choix a été fait de leur transfert au ministère de l’intérieur.

1.   La Direction générale des étrangers en France (DGEF), concentre les moyens et la conduite de la politique migratoire

Aujourd’hui, la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’intérieur, qui a été créée en 2013, est amenée à conduire la politique migratoire dans son ensemble, soit directement, soit à travers les deux opérateurs dont elle assure la tutelle : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

En effet, la DGEF est chargée au sein du ministère de l’intérieur de la politique d’immigration, d’asile, d’intégration et d’accès à la nationalité française. Elle agit dans les domaines qui couvrent l’essentiel du parcours des étrangers en France : entrée sur le territoire, séjour, travail, lutte contre l’immigration irrégulière, asile, intégration, naturalisation.

La DGEF est compétente pour traiter :

– de la réglementation en matière de visas ;

– des règles générales en matière d’entrée, de séjour et d’exercice d’une activité professionnelle en France des ressortissants étrangers ;

– de la lutte contre l’immigration irrégulière, le travail illégal et la fraude documentaire ;

– de l’asile ;

– de l’accueil et de l’accompagnement des étrangers primo-arrivants ;

– de l’accès à la nationalité française, essentiellement par décret et par mariage.

Or, la question migratoire, les conditions d’entrée sur le territoire mais aussi l’accueil et l’intégration des migrants nécessitent la mise en synergie un nombre important de politiques publiques intérieures, mais aussi extérieures.

Le ministère de l’intérieur lui-même a dû s’adapter en créant en son sein en 2020 une délégation des affaires européennes internationales (DAEI) qui est notamment chargée de conduire les travaux liés à la présidence française de l’Union européenne, en lien étroit avec l’ensemble des services compétents au sein du ministère, avec la représentation permanente auprès de l’Union européenne, le ministère des Affaires étrangères et le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). En effet, bien que l’immigration soit une affaire pleinement européenne, comme l’a précisé M. Cyril Piquemal, directeur adjoint de la direction de l’Union européenne au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à la commission : « La mission de la direction de l’Union européenne du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères consiste à accompagner la négociation [du pacte sur l’immigration et l’asile] de sorte qu’elle se déroule dans les meilleures conditions possibles en regard de nos intérêts, étant entendu que le ministère de l’intérieur pilote ces questions ».  

2.   Une intégration indispensable des politiques migratoires qui permette de dépasser la seule gestion policière de l’immigration

La commission d’enquête a, tout au long de ses travaux, recueilli des témoignages répétés et concordants de ruptures de parcours pénalisantes ou de difficultés administratives inutilement bloquantes qui proviennent d’un manque de coordination des intervenants, voire de leur absence de dialogue résultant d’approches irréconciliables.

La commission d’enquête a pu constater sur le territoire, en particulier à Calais, Menton et Briançon, que les relations entre le tissu associatif, les services de l’État et les collectivités locales, étaient particulièrement conflictuelles. Au mieux, des réunions ont parfois lieu mais, selon les acteurs, elles ne permettent aucune avancée concrète ; au pire, le dialogue est totalement rompu.

M. Jacques-Henri Stahl a fait part à la commission de ce même constat, apparu lors de ses travaux sur la simplification du droit des étrangers, et de la difficulté de mener un dialogue constructif : « le sujet de la situation des étrangers est devenu si conflictuel que les capacités de dialogue entre les services administratifs et les différents acteurs ont progressivement disparu. Autrefois, les situations individuelles particulièrement difficiles pouvaient faire l’objet d’échanges directs entre des associations, des avocats et l’autorité préfectorale, ce qui pouvait ponctuellement permettre de dépasser les difficultés. Cela ne relève pas de la question de la structure administrative, mais de l’état d’esprit des administrations et des contraintes politiques qui pèsent sur elles et de l’attitude des leurs partenaires ».

Pourtant, assurer sur le territoire français un accueil conforme aux valeurs de la République et aux engagements internationaux qui nous obligent, ne sera possible que si une gouvernance intégrée des migrations et de l’asile se met en place, associant l’ensemble des acteurs ministériels, locaux, associatifs et les entreprises.

B.   rÉformer notre outil politico-administratiF

1.   Un virage important a été pris, en 2018, avec la création de la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés

Au début de l’année 2018, une Délégation interministérielle chargée de l’accueil et de l’intégration des réfugiés a été instituée, auprès du ministre de l’intérieur, avec pour mission de participer à la définition et à l’animation de la politique d’accueil et d’intégration des réfugiés.

La délégation joue un rôle moteur dans la coordination de l’action des différentes administrations sur ces sujets, avec pour ce qui concerne le logement des réfugiés, la Délégation interministérielle à l’habitat et à l’accès au logement (DIHAL), mais aussi dans l’implication des collectivités territoriales.

Elle accompagne les personnes réfugiées dans la maîtrise de la langue française et dans la prise en charge sanitaire et sociale. Elle facilite leur accès à l’emploi, au logement, à la formation, à l’éducation, à la culture et aux droits. Elle mobilise les territoires, les associations, la société civile et les personnes réfugiées et elle participe, en lien avec la DGEF, au suivi des réfugiés « réinstallés ».

La dimension territoriale de co-construction est essentielle ; elle passe par les contrats territoriaux d’accueil et d’intégration des réfugiés.

Les contrats Ctair de La DIAIR

Ces contrats sont signés entre les collectivités territoriales et les préfectures afin de mettre en œuvre des actions concrètes pour les bénéficiaires de la protection internationale.

Les actions, généralement portées par des partenaires associatifs et parfois par la collectivité, s’inscrivent dans les axes définis dans le cadre de la Stratégie Nationale pour l’Accueil et l’Intégration des Réfugiés. Elles répondent à des besoins en matière d’accès aux soins, au logement, à la formation linguistique, à l’emploi et aux offres sportives et culturelles.

En 2019 et 2020, 11 métropoles se sont engagées dans la démarche de la contractualisation proposée par la Diair : Brest, Dijon, Lyon, Grenoble, Nantes, Toulouse, Rennes, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Nancy et Strasbourg. 7 contrats sont en cours de signature

Le champ de compétence de la délégation interministérielle est cependant limité aux personnes bénéficiant d’une protection internationale, conformément à sa mission de pilotage de l’accueil et de l’intégration.

La rapporteure considère cette approche interministérielle comme primordiale. Le fait que l’immigration soit sous l’égide du ministère de l’intérieur depuis 2007 ne sert pas la prise en charge des personnes migrantes sous les angles de la santé, de la formation ou de l’insertion professionnelle. Chacun a en effet son métier, et il va de soi que l’accompagnement de ces personnes ne doit pas se limiter au volet administratif.

Il convient cependant d’aller plus loin dans l’interministérialité.

2.   Consacrer et étendre la gestion interministérielle des questions migratoires en renforçant le rôle et les moyens de la DIAIR

La DIAIR est une administration de mission, catalyseur de transformation comme le rappelle son délégué, Alain Régnier. Elle n’a pas vocation à se transformer en une nouvelle administration spécialisée si elle veut conserver son efficacité. Sa mission est, en effet, d’animer et mettre en œuvre des projets avec une équipe dédiée et qui mobilise via des postes budgétaires les administrations du ministère de l’intérieur et des ministères de l’éducation nationale, des solidarités et de la santé, de la transition écologique, et du travail, de l’emploi et de l’insertion.

Pour traiter la question migratoire au bon niveau, la rapporteure propose d’accélérer la dynamique impulsée en 2017 en associant le ministère des affaires étrangères, le ministère de l’intérieur, le ministère de la santé et des solidarités, le ministère de la cohésion des territoires et le ministère du travail, de l'emploi et de l’insertion et le ministère de l’enseignement supérieur au sein d’une délégation interministérielle renforcée dont les missions seraient étendues à l’ensemble des migrants et non plus seulement aux seuls réfugiés.

La tutelle de l’OFPRA et de l’OFII devrait également lui être confiée et sa mission d’impulsion des actions sur les territoires consacrés.

Cette délégation pourrait alors devenir un Haut-commissariat aux migrations placé auprès du premier ministre

Recommandation n° 9 : Transformer la DIAIR en Haut-commissariat placé auprès du Premier ministre aux compétences renforcées en la dotant des moyens adaptés à ses nouvelles missions dans l’objectif d’une gouvernance intégrée des politiques migratoires, associant l’ensemble des acteurs ministériels (principalement l’intérieur, des affaires étrangères, du travail, du logement et de la santé), les acteurs locaux, associatifs et les entreprises.

II.   la mÉdiation interculturelle et la participation pour fluidifier les relations entre les acteurs

À Calais principalement, mais également à Menton et à Briançon, la commission a constaté un « dialogue impossible » entre les associations, l’État, les collectivités locales et les personnes exilées.

A.   la médiation interculturelle, outil de la restauration du dialogue

Les crispations sont nombreuses autour des camps de migrants alors que le dialogue serait tout à fait perfectible.

La situation à Calais en ce mois d’octobre 2021 en témoigne encore. Alors qu’une grève de la faim en soutien aux migrants du Calaisis est en cours, le Gouvernement a décidé d’envoyer, à compter du 27 octobre 2021, un médiateur, en la personne de Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Sa mission sera une « mission de contact ».

La rapporteure salue cette décision mais note tout de même que la recherche de solutions ne devrait pas attendre d’en arriver à une situation de crise inextricable pour être mises en œuvre.

Plus largement, lors du déplacement à Lampedusa, la délégation a pu noter le rôle joué par les médiateurs interculturels – parlant plusieurs langues –. Leur présence dans le camp est tout à fait essentielle pour rapprocher les points de vue d’acteurs à la culture professionnelle si éloignée.

L’expérience italienne est à ce titre éclairante. En tant que premier contact auquel le réfugié a affaire à son arrivée, le médiateur joue un rôle déterminant, qui peut conditionner la suite de son parcours : il traduit, informe, et joue les intermédiaires avec les autorités locales. Il renseigne le migrant sur ses droits et sur les services auxquels ils ont accès dans ce nouveau pays. Il leur explicite également les différences culturelles utiles à connaître pour évoluer en pays étranger, tout en transmettant les informations essentielles aux travailleurs humanitaires.

Il s’agit d’une véritable compétence. L’université de Catane en Sicile a mis en place un cursus de formation d’un an comme « une formation de conseillers et d’informateurs spécialisés dans le domaine des droits civils, de la migration et de la médiation culturelle et linguistique »

La rapporteure recommande de généraliser l’intervention locale de médiateurs, notamment dans les points de crispation : côtes de la Manche, Mention, Briançon, nord de Paris… etc. Des formations du type de celle mises en place en Italie pourraient voir le jour dans les centres de formation français.

Recommandation n° 10 : Créer de véritables filières de médiateurs interculturels issus des associations, des collectivités et des services de l’État pour dénouer des situations de conflits ou d’incompréhension entre les acteurs

B.   La participation des migrants : faire entendre leur voix

Les migrants sont les premiers usagers des politiques de l’immigration. Pourtant ce sont les derniers à qui l’on songe à demander leur avis, à consulter pour profiter de leur expérience et d’un regard qui sort du cadre strictement franco-française. Qui mieux que les migrants eux-mêmes connaissent le bien-fondé et les conditions de l’efficacité des politiques qui s’adressent à eux ?

Témoignage de Mathieu Tardis, chercheur à l’IFRI

Nous sommes convaincus que la société d’accueil a, au moins à deux égards, à tirer des bénéfices de la participation des personnes exilées. Premièrement, une participation développe le pouvoir d’agir et le sentiment de citoyenneté, facteurs d’intégration. Deuxièmement, la participation permet d’améliorer l’efficacité des programmes d’accueil et d’intégration. Demander aux personnes exilées de penser, d’évaluer et de mettre en œuvre ces programmes permet de s’assurer qu’ils répondent réellement aux besoins des adressés.

C’est bien un mouvement de fond qu’il est indispensable d’opérer pour transformer l’approche de l’administration qui place souvent le bénéficiaire d’une politique en position de sujet et non d’acteur en mesure de contribuer à la construction des politiques publiques et à leur évaluation, selon les termes mêmes du délégué interministériel Alain Reignier. ([18]) 

En complément des initiatives qui ont été prises localement, notamment par des conseils municipaux, viennent de se mettre en place, à l’initiative de la DIAIR, de l’IFRI et l’UNHCR, une Académie pour la participation des réfugiés qui se veut une instance de participation au niveau national. Les réfugiés qui en sont membres n’en font pas partie en tant que représentants des réfugiés, fonction pour laquelle ils n’auraient pas de légitimité particulière ; ils ne sont pas non plus de simples témoins partageant leur expérience mais bien des experts des questions de migration avec l’objectif immédiat de faire partie des comités de sélection des associations et des fondations des projets relatifs aux migrants.

Participer, c’est d’abord rendre visible. À ce titre, la rapporteure se félicite du choix qui a été fait de constituer avec l’Académie, une instance paritaire entre les hommes et les femmes.  

Participer c’est aussi l’œuvre de tous. En octobre 2018 a été ouvert dans le cadre du Service civique, le programme Volont’R ouvrant l’engagement citoyen à des jeunes réfugiés. Selon le bilan dressé par le délégué interministériel, ce programme qui a mobilisé plus de 10 000 jeunes sur trois ans sur des missions d’accompagnement des réfugiés, a permis d’intégrer 1 000 réfugiés volontaires en service civique.

La rapporteure soutient ces initiatives et leur poursuite sachant que cela demande une action déterminée à la fois pour surmonter l’obstacle de l’absence de maîtrise du français et la difficulté à toucher les personnes depuis longtemps sur le territoire mais qui restent pourtant à l’écart.

Recommandation n° 11 : Encourager et faire monter en puissance toutes les formes de participation des réfugiés à la définition des politiques dont ils sont les bénéficiaires directs et à l’évaluation de leur mise en œuvre.

III.   le parlement ne peut rester à l’Écart des choix de politique migratoire

A.   Pour un dÉbat annuel plus syStématique au parlement

Dans le rapport pour avis présenté par la commission des affaires étrangères, à laquelle appartiennent le président et la rapporteure, sur le projet de loi « immigration et asile » de 2018, il avait été recommandé la tenue d’un débat annuel à l’Assemblée nationale sur l’immigration. Le 30 septembre 2019, s’est tenu en séance publique le premier débat parlementaire annuel sur les questions migratoires. Le dernier s’est tenu en juin 2021.

Ce débat est organisé selon les modalités prévues par l’article 50-1 de la Constitution qui dispose que : « Devant l'une ou l'autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire au sens de l'article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité. »

Au regard des dispositions constitutionnelles, la systématisation devrait prendre la forme d’un engagement politique du Gouvernement devant la représentation nationale.

En France, la politique migratoire a le plus souvent été gérée sans véritablement associer le Parlement quant à ses objectifs, sur ce que l’on veut faire de l’immigration en France ce qui s’avère finalement propice à toutes les instrumentalisations. Nous sommes toujours dans une logique d’urgence et de réaction défensive Les Françaises et les Français ont l’impression que nous sommes en crise migratoire permanente, alors que ce n’est la réalité est autre et que, quand elles surviennent, les crises humanitaires sont parfois largement créées par l’absence d’anticipation ou d’organisation des flux.

Alors que l’examen d’une loi de programmation, en début de législature, au cours de duquel seraient débattues les capacités d’accueil de notre pays et voté un nombre déterminé de migrants que nous pourrions accueillir ferait beaucoup pour apaiser les passions autour de l’immigration et éviterait une instrumentalisation permanente. Ce nombre pourrait concerner tous les types de migrations, y compris la question de l’asile.

La question de l’immigration de travail trouverait parfaitement sa place au cours de l’examen d’un tel projet de loi. En définitive, la rapporteure estime que les Parlementaires doivent avoir un vrai pouvoir de décision sur les métiers en tension mais également sur un nombre plafond que la France peut accueillir.

Ces avancées s’inscriraient dans une dynamique impulsée depuis 2017. En effet, au cours du débat parlementaire de 2019, la modernisation de la politique d’immigration professionnelle a été réaffirmée. Celle-ci passe par la facilitation du recrutement d’étrangers dans les métiers en pénurie de main-d’œuvre. La liste des métiers en tension a été réactualisée pour la première fois depuis 2008. La marge de manœuvre des Parlementaires continue malheureusement à être marginale. Le Gouvernement annonce des décisions prises préalablement et ailleurs.

B.   la liste des pays sûrs : une dÉcision politique et non administrative

Le débat parlementaire devrait être le lieu où se discute et se décide la question des pays sûrs. La détermination de cette liste est une question politique, ce n’est pas seulement une liste administrative fixée par le conseil d’administration de l’OFPRA, sous le contrôle du Conseil d’État.

La liste de 16 pays établie par l’OFPRA expose, en effet, les ressortissants des pays en question à une procédure d’expulsion dès le rejet de leur demande d’asile en première instance, avant même un éventuel recours. À la suite d’un recours, le Conseil d’État a retiré, vendredi 2 juillet 2021, les Républiques du Bénin, du Sénégal et du Ghana de la liste, notamment du fait des risques encourus par les personnes LGBT+. L’arrêt est particulièrement motivé sur ce point : « Compte tenu de l’existence de dispositions législatives pénalisant les relations homosexuelles au Sénégal et au Ghana et de la persistance de comportements, encouragés, favorisés ou simplement tolérés par les autorités de ces pays, conduisant à ce que des personnes puissent effectivement craindre d’y être exposées à [des] risques, l’OFPRA ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, tenir ces États pour des pays d’origine sûrs dans l’examen des demandes présentées par leurs ressortissants. »

Il s’agit évidemment d’une appréciation politique de l’OFPRA, auquel le Conseil d’État a substitué la sienne. Il apparaît pourtant évident que c’est le Parlement qui a la légitimité pour avoir le dernier mot en la matière. Le Parlement pourrait par exemple apporter son appréciation en votant sur une liste actualisée chaque année au cours du débat parlementaire.

 

Recommandation n° 12 : Rendre au Parlement toutes ses prérogatives en lui donnant la possibilité de se prononcer à l’occasion d’un débat annuel et du vote d’une loi de programmation par législature notamment sur la capacité d’accueil de la France, sur la liste des métiers en tension nécessitant une immigration de travail mais aussi sur la liste des pays sûrs.

*

*     *

 

 


—  1  —

   TROISIÈME PARTIE

   l’accès des personnes migrantes aux droits sur le territoire français : une promesse de la république insuffisamment tenue

 

I.   L’Accès au droit

A.   L’impérative simplification du droit des étrangers

Le caractère excessivement complexe du droit des étrangers fait depuis longtemps l’objet d’un large consensus. À la source de cette complexité qui a fini par rendre la règle illisible, des modifications législatives et réglementaires incessantes, une pluralité de délais applicables, la multiplication de règles particulières, l’intervention de plusieurs ordres de juridiction mais aussi des « répétitions, renvois et dérogations multiples » comme l’a récemment rappelé le Conseil d’État ([19]).

Il en découle des conséquences délétères pour l’ensemble des acteurs concernés : pour les personnes étrangères au premier chef, pour l’administration, les agents publics peinant à mettre en œuvre cette politique publique et aussi pour les juridictions, la complexité générant elle-même des contentieux. « Ce maquis procédural finit par perdre et décourager tous les acteurs, mais aussi par engendrer des coûts de compréhension, d’organisation et de mise en œuvre, qui finalement finissent par dépasser les gains d’efficacité espérés lors de la mise en place des changements réglementaires » dénonce Jacques-Henri Stahl lors de son audition devant la commission, le 6 octobre 2021.

Le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives

Le contentieux des étrangers fait intervenir trois juges différents : le juge administratif, qui apprécie la légalité des décisions prises dans le cadre d’une activité de police administrative, le juge judiciaire et en particulier le juge des libertés et de la détention, compétent lorsque l’étranger est privé de liberté du fait d’un placement en rétention en vue de son éloignement forcé du territoire, et enfin la Cour nationale du droit d’asile, qui connaît des contentieux relatifs à l’asile.

*

Le contentieux des étrangers constitue en effet le principal type de contentieux dont les juridictions administratives sont saisies. En 2019, il a représenté 18 086 affaires, soit 40 % des affaires enregistrées devant les tribunaux administratifs et 50 % de celles enregistrées devant les cours administratives d’appel.

Le Premier ministre, par lettre du 31 juillet 2019, a demandé au Conseil d’État de procéder à une étude de l’ensemble des règles qui régissent le contentieux des étrangers pour déterminer les mesures réglementaires et législatives susceptibles de simplifier les procédures ([20]).

Le Conseil d’État a mis en lumière quatre grands constats : (i) « l’extraordinaire complexité » des textes et procédures applicables, (ii) l’exigence de célérité de certaines procédures, qui porterait une atteinte excessive à l’effectivité du droit au recours, (iii) l’examen partiel de la situation des étrangers par l’administration et certaines inadaptations procédurales conduisant à la multiplication des recours contentieux et (iv) certains dysfonctionnements administratifs, qui ont des répercussions sur les procédures contentieuses.

L’étude propose, pour simplifier le droit des étrangers, de notamment :

– remplacer la douzaine de procédures juridictionnelles actuelles par trois procédures, une procédure ordinaire et deux procédures d’urgence ;

– définir la procédure applicable au contentieux des différentes décisions administratives (telles que les OQTF, l’application du Règlement Dublin…) en fonction des exigences réelles de célérité de l’action administrative.

Pleinement consciente de ce défi, la rapporteure a à cœur, dans les préconisations qu’elle formule dans le cadre du présent rapport, de ne pas contribuer à accroître la complexité. Cela nécessite, d’aborder la question migratoire comme un enjeu structurel et permanent de nos sociétés et non comme une réponse ponctuelle à apporter en réaction aux soubresauts de l’opinion publique.

Elle recommande donc la poursuite d’un objectif de simplification du droit des étrangers :

– via des ajustements ponctuels quand cela est possible (simplification de certains titres de séjour, par exemple la création d’un titre de séjour unique en remplacement des cartes de séjour « salarié » et « travailleur temporaire », prévue par l’article 52 de la loi du 10 septembre 2018 et non mise en place) ([21]) ;

– mais aussi par une évolution structurelle, en mettant en œuvre des recommandations de l’étude du Conseil d’État 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, transmises au Premier ministre en mars 2020 et qui n’ont pas été examinées en raison du contexte sanitaire.

B.   Les difficultés générées par la dématérialisation des procédures

La dématérialisation de certaines procédures en matière de droit des étrangers assure d’incontestables progrès : elle permet d’éviter aux personnes de se déplacer, donc de poser des jours de congé ou de manquer des cours, et de devoir patienter, parfois des heures durant, devant les préfectures.

Ces évolutions numériques, qui offrent de nouveaux moyens d’accès aux services publics, devraient être un levier d’amélioration du service aux usagers en permettant de gagner du temps dans l’examen des dossiers. Or, le constat est clair, la dématérialisation porte trop souvent atteinte, dans sa mise en œuvre, à l’effectivité de l’accès aux droits.

Témoignage de La Cimade, Mme Sarah Belaisch, le 9 juin 2021

La Cimade a créé il y a quelques années un robot qui interroge les plages de rendez-vous disponibles dans les préfectures. Dans certaines préfectures, le robot évoque l’impossibilité de prendre rendez-vous dans près de 100 % des cas. La dématérialisation apparaît aujourd'hui comme un système de tri des personnes qui sollicitent un titre de séjour. Les personnes sans papier sont les plus touchées par cette situation, maintenues à distance de la procédure de régularisation parfois durant une année. La fermeture des guichets fabrique des sans-papiers : des personnes perdent le renouvellement de leur titre de séjour du fait de l’incapacité du service public à respecter ses obligations légales.

Deux dispositifs doivent être distingués ici : la prise des rendez-vous en préfecture via des plateformes numériques, et la dématérialisation des procédures de constitution des dossiers de demande.

1.   La mise en place de plateformes numériques de prise de rendez-vous : un problème ancien non-résolu

Certaines démarches en matière de séjour des étrangers, variables selon les préfectures, sont subordonnées à la prise préalable d’un rendez-vous en ligne avec les services de celles-ci. En janvier 2021, 84 préfectures et sous‑préfectures recouraient à cet outil, la crise sanitaire ayant encore accéléré cette évolution.

Or, paradoxalement, comme l’ont avancé plusieurs associations, « la dématérialisation imposée pour accéder au guichet des préfectures est devenue la difficulté centrale d’accès aux droits de nombre de personnes étrangères, presque partout en France » ([22]). Le Défenseur des droits dans sa décision n° 2020-142 du 10 juillet 2020 a dénoncé le fait que certaines préfectures allaient jusqu’à « refus[er] systématiquement d’accorder des rendez-vous aux personnes qui en font la demande par tout moyen autre que la plateforme dédiée, y compris pour les demandes les plus urgentes ».

Le problème structurel à l’origine des difficultés de prise de rendez-vous est celui d’un sous-dimensionnement des services préfectoraux chargés du droit des étrangers. Il faut noter que l’accélération de la délivrance d’un plus grand nombre de titres pluriannuels, qui évite la multiplication des procédures, serait un facteur d’amélioration de cette situation. Il reste que, tel que souligné par la Défenseure des droits dans son avis n° 21- 03 du 28 avril 2021 « la raison la plus fréquemment invoquée pour expliquer le nombre insuffisant de créneaux de rendezvous est celle du nombre insuffisant d’agents à même d’accueillir les usagers et d’instruire les demandes ». D’importants efforts budgétaires ont pourtant été entrepris. De fait, ils demeurent insuffisants face à l’augmentation des demandes.

Les effectifs de services étrangers ont crû de 375 ETP entre 2016 et 2021 dans le cadre du plan « préfectures nouvelles générations », soit une augmentation de 11,2 %. Le renforcement des effectifs permanents s’est doublé d’un recrutement important de vacataires : 83,5 ETP en 2017, 100 ETP en 2018, 113 ETP en 2019 et 610 ETP en 2020 ([23]).

Dès lors, l’engorgement physique devant les préfectures est rapidement devenu un engorgement numérique, aggravé par le retard pris pour le traitement des dossiers accumulés pendant la crise sanitaire de 2020. « Dans certains départements, les usagers qui se rendent quotidiennement sur les sites de prise de rendez-vous parviennent très difficilement à se connecter et les créneaux ouverts par l’administration sont presque instantanément remplis ». En conséquence, « se développent […] des pratiques de piratage des systèmes d’information et de revente illégale des créneaux disponibles » ([24]).

Ces obstacles à la fois administratifs et matériels ont des conséquences lourdes pour les personnes étrangères. Le Défenseur des droits précise qu’à la veille de l’entrée en vigueur des mesures de confinement, il était par exemple devenu quasiment impossible d’obtenir un rendez-vous pour déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour dans des départements de la région parisienne Dans certains départements, de nombreux conjoints de Français ne parvenaient pas à obtenir de rendez-vous depuis plusieurs mois pour le renouvellement de leur titre de séjour » ([25]).

Les conséquences en sont d’autant plus importantes que, lorsqu’aucun rendez‑vous n’est disponible, les personnes ne peuvent obtenir aucun document attestant de leurs tentatives. Il est pourtant essentiel qu’elles puissent justifier de leurs démarches vis‑à-vis de la préfecture et des services de police car un contrôle de leur droit au séjour se traduira potentiellement par une retenue au commissariat pour vérification et leur placement en centre de rétention en vue de leur éloignement. 

Ces dispositifs ont également des conséquences pour le fonctionnement de la justice confrontée à un nombre massif de procédures juridictionnelles simplement destinées à contraindre l’administration à accorder un rendezvous en préfecture. Les avocats demandent des « référés mesures utiles », leur prestation facturant « non plus des services juridiques, mais l’accès au service public » dont ils sont devenus les auxiliaires. Les juges se consacrent à l’examen de ces demandes et « le reste du contentieux prend du retard » ([26]).

Comme l’a rappelé le Conseil d’État dans une décision du 27 novembre 2019 ([27]) : « le décret du 27 mai 2016 ([28]) ne saurait avoir légalement pour effet de rendre obligatoire la saisine de l’administration par voie électronique […] Les difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour prendre rendez-vous par voie électronique dans les préfectures […] trouvent leur origine dans des décisions rendant obligatoires de telles prises de rendez-vous ».

En conséquence, la rapporteure demande qu’il soit mis fin à une situation inacceptable qui dure depuis trop longtemps. Il doit toujours y avoir une alternative à la prise de rendez-vous dématérialisée, ne serait-ce que pouvoir prendre en compte les situations d’urgence.

2.   Les conséquences pour les usagers de la dématérialisation des procédures

La plateforme ANEF (administration numérique des étrangers en France) est appelée à succéder à l’ancienne application AGDREF, qui date de 1993. Elle doit permettre, d’ici la fin de l’année 2022, la dématérialisation de l’ensemble des demandes de titre de séjour et d’accès à la nationalité française. Le programme ANEF doit permettre, selon le Gouvernement, un gain de temps pour les usagers, une réduction du nombre de passages physiques en préfecture et des économies de fonctionnement (estimées à environ 15 millions d’euros par an) ([29]).

La dématérialisation des procédures dans leur totalité pose des difficultés de nature à porter atteinte aux droits des personnes concernées. « Les personnes vont désormais créer et nourrir des dossiers via le site FranceConnect, ce qui engendre des numéros de dossiers, mais rien ne se passe ensuite, et aucun recours n’est possible » ([30]). Dans les faits, les publics reçoivent, après dépôt numérique de leur dossier, une notification du type « votre dossier est en construction », qui n’a pas la valeur juridique du récépissé qui est remis lors des dépôts physiques des dossiers dans les préfectures, récépissé permettant de régulariser le séjour et de faire courir le délai de recours. Il est en effet logique qu’une vérification des pièces transmises et de la complétude du dossier soit opérée avant toute remise de récépissé.

Pour prendre en compte cette situation, depuis le décret du 24 mars 2021 ([31]), l’article R. 431-15-1 du CESEDA prévoit que « le dépôt d’une demande présentée au moyen du téléservice […] donne lieu à la délivrance immédiate d’une attestation dématérialisée de dépôt en ligne. Ce document ne justifie pas de la régularité du séjour de son titulaire ». Cette disposition, si elle n’apporte aucune modification à l’existant, sécurise juridiquement la pratique. En revanche, il est désormais prévu qu’une attestation de prolongation de l’instruction, qui justifie de la régularité du séjour, peut ensuite être remise, « lorsque l’instruction d’une demande complète et déposée dans les délais […] se poursuit au-delà de la date de validité du document de séjour détenu ». Cette attestation est donc prévue dans les cas de renouvellement de titres. Il faut préciser qu’elle peut également être remise dans le cadre de certaines primo-demandes précisées au troisième alinéa du même article ([32]), à condition que celles-ci soient complètes et déposées dans le respect des délais. Il convient désormais de veiller à la bonne application de ces dispositions, ce qui ne semble pas être encore le cas selon certaines remontées du terrain ([33]).

La dématérialisation pose aussi des difficultés d’accès aux droits pour certains publics « dépourvus d’accès à la langue et d’accès matériel à la connexion internet » ([34]).

Témoignage de Mme Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux, 6 octobre 2021.

« La dématérialisation suppose une certaine culture, une certaine intelligence et des moyens, et rend invisible l’absence de moyens de la fonction publique. Le problème est que le téléservice s’est aujourd’hui généralisé, y compris pour les premières demandes ou encore pour l’admission exceptionnelle au séjour. […] Cela peut concerner une personne qui travaille de manière précaire depuis 10 ans ou encore une personne qui est allée au front du Covid-19 pendant de nombreux mois ».

Là aussi, il est indispensable qu’en parallèle de l’outil numérique continuent d’exister des points de contacts physiques. Les associations font un travail remarquable d’accompagnement des personnes étrangères, mais l’État ne peut pas continuer indéfiniment à s’appuyer sur elles en la matière.

La nécessité de points d’accueil physiques a été prise en compte par le décret précité qui précise que les « personnes qui ne sont pas en mesure d’effectuer elles-mêmes le dépôt en ligne de leur demande bénéficient d’un accueil et d’un accompagnement leur permettant d’accomplir cette formalité »

La rapporteure formule en conséquence deux recommandations en matière de dématérialisation des procédures :

– la poursuite des efforts budgétaires entrepris. Il est impérieux de doter les services préfectoraux en charge des titres de séjour des moyens humains suffisants pour leur permettre de remplir leur mission et de résorber le retard dans le traitement des dossiers qui s’est encore aggravé avec l’interruption de l’accueil des étrangers en préfecture dans le contexte de l’épidémie de Covid-19. Cette recommandation, inlassablement répétée par de nombreux acteurs, doit aujourd’hui être suivie d’effets ;

– pour les migrants qui ne disposent pas nécessairement des outils et des moyens numériques nécessaires aux démarches en ligne, le déploiement de l’accueil et de l’accompagnement pour l’accomplissement des formalités tel qu’il est prévu par le décret de 2021.

Recommandation n° 13 : Prévoir une alternative systématique à la prise des rendez‑vous dématérialisée en préfecture, débloquer les moyens budgétaires permettant aux préfectures de traiter dans les temps les demandes de titre de séjour et s’assurer du bon déploiement du dispositif d’accueil et d’accompagnement pour les démarches en ligne prévu par le décret du 24 mars 2021.

 


II.   L’accès aux soins

L’accès aux soins des personnes migrantes est garanti par plusieurs textes, au niveau international, européen et national. Il constitue un volet essentiel de l’accès aux droits des personnes exilées qui conditionne souvent les autres.

L’état de santé des personnes migrantes est un « apparent paradoxe » selon les termes de Mme Cécile Lambert, cheffe de service à la DGOS, entendue par la commission. En effet, du fait de leur âge, les personnes migrantes sont « plutôt en meilleure santé que la moyenne des personnes dans leur pays d’origine et dans leur pays d’accueil » ([35]). Pourtant, leur état de santé se dégrade fortement au cours du parcours migratoire, puis après leur arrivée sur le territoire français, en raison des difficultés rencontrées et de leurs conditions de vie, tout particulièrement dans les campements, comme l’a rappelé par Claire Hédon, Défenseure des droits, lors de son audition ([36]).

Elles sont, en particulier, particulièrement exposées aux troubles psychiatriques et aux dépressions : stress post-traumatique résultant des événements vécus dans leur pays d’origine et des violences subies sur le trajet, précarité sur le territoire français en lien avec l’isolement social et la perte d’identité. Les problématiques addictives sont également fréquentes.

La détection des souffrances psychiques est toutefois particulièrement malaisée : « cela n’est jamais évoqué comme une demande de soins : la souffrance est soit somatisée, soit l’on arrive parfois à comprendre au cours de l’entretien médical que les maux de tête ou de ventre sont dus à une expérience d’emprisonnement ou de la violence » ([37]). Sur certains territoires frontaliers dits « de passage », comme Menton et Briançon la commission a pu constater combien la prise en charge des troubles de santé mentale, qui doit s’inscrire dans un temps a minima de moyen terme, est particulièrement difficile.

Le renforcement de la prise en charge de ces troubles psychiques et des syndromes de stress traumatique résultant des violences subies pendant le parcours de migration, nécessite un effort spécifique notamment par le soutien aux associations spécialisées. Cette orientation a été retenue par le Comité interministériel à l’intégration de 2018. La rapporteure insiste sur le caractère indispensable de sa mise en œuvre alors même que les services de psychiatrie de droit commun ont eux-mêmes du mal à répondre aux besoins.

A.   la nécessité d’un bilan de santé initial pour les étrangers primo-arrivants

Comme l’a rappelé à la commission Mme Carine Rolland, présidente de Médecins du monde : « Toutes les instances de santé s’accordent sur le fait qu’un bilan de santé initial est nécessaire pour les primo-arrivants […]. Un diabète dépisté tôt, par exemple, est très bien soigné et à moindres frais ».

1.   Les personnes en situation régulière

Pour permettre une prise en charge suffisamment tôt et atteindre un meilleur niveau de connaissance de l’état de santé des personnes exilées, le périmètre des personnes bénéficiant d’une visite médicale doit être élargi.

Il fut un temps où tous les étrangers sollicitant la délivrance d’une carte de séjour devaient passer une visite médicale, d’abord auprès de l’Office national de l’immigration (ONI), puis auprès de l’OFII à partir de 2009. ([38]). Le périmètre des visites médicales de l’OFII s’est drastiquement réduit. Seule une minorité d’étrangers primoarrivants bénéficie aujourd’hui de cette visite (211 946 visites médicales en 2016, 50 000 en 2017, 40 000 en 2020) malgré les conséquences pour les intéressés et les impératifs de santé publique ([39]).

Les étudiants étrangers, par exemple, depuis la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers ne sont plus soumis à la visite médicale de l’OFII car cette compétence a été transférée aux services de santé des établissements d’enseignement supérieur. Or, comme l’ont précisé les représentants de la Conférence des présidents d’université, ce transfert ne s’est pas accompagné de celui des moyens que l’OFII y consacrait. Pourtant, les risques sont réels compte tenu du nombre d’étudiants amenés à se côtoyer régulièrement. « Quand [nos services de médecine préventive] essaient de faire [cette visite médicale], celle-ci est beaucoup moins complète que celle qui était organisée par l’OFII, notamment en ce qui concerne la détection de la tuberculose » ([40]).

Les demandeurs d’asile, en l’état actuel du droit, ne sont pas soumis à une visite médicale.

Une personne étrangère, provenant par exemple des États-Unis ou de Russie, arrivant légalement en France pour y travailler, est soumise à une visite médicale, et non un demandeur d’asile arrivant de Somalie ou d’Afghanistan. En réponse à cet état de fait, l’action n° 1 du plan adopté en mai 2021 pour renforcer la prise en charge des vulnérabilités des demandeurs d’asile et des réfugiés prévoit la mise en place d’un « rendez‑vous santé » dès l’enregistrement de la demande d’asile. Une expérimentation est en cours dans plusieurs directions territoriales de l’OFII. Ce « rendez-vous santé » s’adresse également aux signataires du contrat d’intégration républicaine présents sur le territoire depuis moins de 12 mois et non soumis à une visite médicale obligatoire pour l’obtention de leur premier titre de séjour.

La rapporteure souscrit pleinement à ce dispositif et recommande la poursuite de cette expérimentation, dans l’optique de sa généralisation.

2.   Les personnes en situation irrégulière

Pour les personnes en situation irrégulière, à défaut de pouvoir mettre en place un dispositif d’accueil, une visite médicale pourrait être proposée aux bénéficiaires de l’aide médicale de l’État, lors du retrait de la carte de bénéficiaire à l’accueil d’une caisse primaire d’assurance maladie ([41]).

Le coût de cette mesure, évalué à 15 millions d’euros par le rapport de l’IGF et de l’IGAS L’aide médicale d’État : diagnostic et propositions (octobre 2019), paraît, selon ce même rapport, « pertinent au regard de la réduction des coûts de séjours hospitaliers évités et de son bénéfice sanitaire pour les intéressés et la population générale ».

Recommandation n° 14 : Renforcer la détection et la prise en charge des troubles psychiques. Prévoir un bilan de santé initial pour tous les étrangers primo-arrivants en situation régulière ; pour ceux en situation irrégulière, proposer une visite médicale lors du retrait de la carte de bénéficiaire de l’AME.

B.   Des dispositifs de prise en charge globalement satisfaisants

Au-delà de l’accueil inconditionnel dans les établissements de santé publics, les principales structures de soins accueillant des étrangers en situation de vulnérabilité sont les permanences d’accès aux soins (PASS) et les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) ([42]). La rapporteure souligne le travail remarquable mené par les équipes médicales, para­médicales et sociales au sein de ces dispositifs et rappelle, en amont de toute autre considération, leur caractère essentiel dans la prise en charge sanitaire des personnes étrangères vulnérables.

Malgré un bilan globalement positif de ces structures, des axes d’amélioration demeurent en matière d’accès aux soins et de la prise en charge des psychotraumatismes. Ces orientations, retenues par le comité interministériel à l’intégration en 2018 et qui doivent se traduire par la montée en puissance de l’offre de soins mobilisée pour les migrants sur les territoires, du nombre de PASS, d'EMPP et de conventions avec des associations spécialisées dans les troubles psychiques, sont en cours de développement (cf. Bilan DIAN en Annexe 1).

1.   Les permanences d’accès aux soins (PASS)

Les PASS sont des unités fonctionnelles financées par l’assurance maladie qui prennent en charge les patients quel que soit leur statut administratif. Il existe 438 PASS sur le territoire, comprenant 851 ETP, qui accueillent environ 200 000 patients par an.

Ministère des Solidarités et de la santé.

Le 8 juillet 2021, une délégation de la commission d’enquête s’est rendue à la PASS de l’hôpital de Saint-Antoine (Paris 12e), qui accueille 5 jours sur 7, avec et sans rendez-vous ([43]), une patientèle à 80 % étrangère. La rapporteure salue l’engagement de l’équipe soignante et d’accompagnement social ([44]) de cette PASS et prend acte des difficultés qu’elle a à cette occasion portées à son attention : des problématiques d’accès à l’interprétariat ([45]), un niveau d’activité croissant avec des patients aux pathologies de plus en plus compliquées, une faible attractivité pour le corps soignant rendant difficile les recrutements et la pérennisation des postes, et des moyens insuffisants. Sur ce dernier point, Barbara Bertini, coordinatrice régionale des PASS franciliennes à l’agence régionale de santé (ARS) d’Île‑de‑France, fait état dans sa contribution écrite aux travaux de la commission d’un allongement des délais de prise en charge en PASS sur de nombreux sites « en raison de l’embolisation du dispositif ». C’est pourquoi dans le cadre du « Ségur de la santé » une enveloppe de 10 millions d’euros à destination des PASS a été débloquée (mesure n° 27 – « Inégalités de santé »). Ce soutien doit être poursuivi.

2.   Les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP)

Les EMPP ont été créées en 2005 avec une double mission : la prise en charge psychiatrique des personnes précaires et le soutien des professionnels sanitaires et sociaux en première ligne. Il existe 140 EMPP sur le territoire qui accueillent environ 30 000 patients par an et qui travaillent en synergie avec les structures d’accueil et d’hébergement d’urgence.

Les EMPP sont de plus en plus sollicitées : « Plusieurs équipes soulignent une hausse de leur activité [depuis 2019], qui a concerné principalement des personnes migrantes dans les territoires des métropoles mais aussi périurbains » ([46]).

La rapporteure se félicite donc de l’effort budgétaire en faveur des EMPP décidé dans le cadre du « Ségur de la santé » ([47]) et de la prise en compte par le ministère des Solidarités et de la Santé du développement de l’interprétariat dans ces structures ([48]).

Le renforcement de la prise en charge des troubles psychiques et des syndromes de stress traumatique résultant des violences subies pendant le parcours de migration, nécessite, en effet, un effort spécifique, notamment par le soutien aux associations spécialisées. Cette mesure a été retenue dans le cadre du Comité interministériel à l’intégration de 2018. La rapporteure insiste sur le caractère indispensable de sa mise en œuvre alors même que les services de psychiatrie de droit commun ont eux-mêmes du mal à répondre aux besoins.

3.   Les centres d’accueil de Médecins du monde

Médecins du monde déploie sur l’ensemble du territoire 14 centres d’accès aux soins et d’orientation (CASO), qui accueillent environ 14 000 patients par an, pour des consultations de médecine générale, dentaire, paramédicale et des entretiens sociaux. Ces centres reçoivent le public sans condition et offrent des consultations gratuites, majoritairement sans rendez-vous.

Une délégation de la commission d’enquête s’est rendue le 8 juillet 2021 au Centre d’accueil, d’orientation et d’accompagnement de Médecins du monde de Picpus (Paris 12e).

La rapporteure souligne l’importance de leurs actions et la complémentarité entre les dispositifs du type PASS et EMPP et ces centres d’accueil – cette synergie a été confirmée par les bénévoles de Médecins du monde comme par le ministère des Solidarités de la Santé.

Ce type d’initiatives associatives est nécessaire, en raison des obstacles auxquels se heurtent les personnes migrantes vulnérables pour se faire soigner : problèmes financiers, linguistiques ([49]) ou de l’ordre de la compréhension générale du système de soins. « Il est difficile pour ces personnes d’avoir accès à un service public ou à un service d’action sociale qui est le vecteur de ces informations » ([50]). De surcroît, « l’empilement d’un certain nombre de dispositifs ou de modalités changeantes contribue à une forme de brouillage », qui participe de l’isolement et à l’épuisement des personnes exilées selon les propres termes de Mme Laurence Kotobi, anthropologue, entendue par la commission le 7 juillet 2021.   

C.   Un accès aux dispositifs de prise en charge des frais de santé qui devrait être élargi

1.   L’aide médicale de l’État (AME)

Créée en 1999, l’aide médicale de l’État (AME) a pour objet d’assurer une couverture maladie aux personnes démunies en situation irrégulière ([51]). Elle poursuit une triple logique de protection de la santé publique, d’accès aux soins et de maîtrise des dépenses publiques. Toute personne en situation irrégulière dont les ressources ne dépassent pas 754 euros par mois ([52]) et qui fait état d’un séjour de plus de trois mois de manière ininterrompue et irrégulière en France y est éligible ([53]).

Parce que l’AME fait l’objet d’instrumentalisation voire de fantasmes, il est important de rappeler que ce dispositif qui donne lieu à un financement budgétaire d’1 milliard d’euros, coût qui peut sembler élevé à certains, ne représente qu’ « un peu plus de 0,5 % de la consommation totale de biens et services médicaux » ([54]).

Les travaux de la commission d’enquête mettent en lumière trois difficultés : un taux de recours à l’AME très bas, des pièces demandées parfois de manière abusive par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) lors de la constitution des dossiers, et le récent durcissement des délais encadrant le recours à l’AME.

a.   Le problème de l’insuffisant recours à l’AME plutôt que celui de son usage abusif 

À rebours des réactions virulentes que suscite trop souvent l’AME et de la dénonciation des abus dans son usage, la rapporteure voudrait insister sur le fait que tous les bénéficiaires potentiels de l’aide médicale sont loin d’y recourir. Parmi les personnes éligibles à l’AME, un tiers n’en a jamais entendu parler et une partie importante qui y a déjà eu accès n’a pas procédé à son renouvellement – par absence de besoin ou par découragement face à la lourdeur de la procédure ([55]).

D’après Médecins du monde, parmi les personnes reçues dans les CASO, 81,8 % des personnes relevant théoriquement de l’AME n’étaient pas couvertes. Ces estimations rendent nécessaire la mise en place d’une politique publique volontariste pour s’assurer que l’AME atteigne les objectifs pour lesquels elle a été conçue. Il en va de la dignité des personnes, de leur santé et de la santé publique.

b.   La réclamation abusive de certaines pièces par les CPAM

Il a été porté à l’attention de la rapporteure que certaines CPAM réclamaient de manière abusive certaines pièces lors de la constitution des dossiers de demandes d’AME ([56]). Le décret du 28 juillet 2005 relatif aux modalités d’admission des demandes d’aide médicale de l’État fixe la liste des pièces demandées permettant de justifier l’identité du demandeur, sa présence ininterrompue sur le territoire depuis au moins trois mois, ses ressources et une attestation de domicile. Or, certaines CPAM demandent « la copie de toutes les dernières démarches à la Préfecture (…) » ou encore des compléments de justificatifs de domicile, qui ne sont légalement pas requis puisque le principe déclaratif en matière de domicile s’applique à tous les droits sociaux. Ces pratiques, certes ponctuelles, doivent cesser. Elles retardent l’accès au droit des personnes, contribuant à « l’épuisement administratif » dont beaucoup d’acteurs font état.

c.   Des délais qui encadrent de façon excessive le recours à l’AME

Deux délais encadrent le bénéfice de l’AME :

– le délai de résidence en situation irrégulière s’appliquant avant de pouvoir déposer une demande d’AME, qui s’établit à 3 mois ([57]). Ce délai « vise à prévenir les abus potentiels de personnes arrivant sur le territoire avec des visas de court séjour et se maintenant sur le territoire après l’expiration de leur visa dans le but de basculer immédiatement dans l’AME et de bénéficier de soins » ([58]) ;

– le délai de carence s’appliquant à certains soins non urgents s’élève à 9 mois à compter de la première admission à l’AME ([59]). Ces soins non pris en charge dans les 9 premiers mois concernent par exemple les prothèses de genou, d’épaule ou encore la pose d'implants auditifs ([60]).

Ces délais posent des questions de principe : « quel est le sens d’une politique publique de santé laissant sciemment la santé des personnes […] se dégrader, avant de les prendre en charge à des stades aggravés, le plus souvent à l’hôpital ? » ([61]). Le temps est en effet une donnée essentielle dans la prise en charge médicale.

Soucieuse de trouver un équilibre entre la prise en charge sanitaire anticipée des personnes en situation irrégulière et l’impératif de lutte contre les abus, la rapporteure suggère de réduire ces deux délais.

2.   L’accès des demandeurs d’asile à la prise en charge des frais de santé

Depuis le décret n° 2019-1531 du 30 décembre 2019 relatif à la condition de résidence applicable aux demandeurs d’asile pour la prise en charge de leurs frais de santé, un délai de carence de 3 mois s’applique aux demandeurs d’asile avant leur affiliation à la Protection universelle maladie (PUMA). Dans l’intervalle, ils sont affiliés à l’AME soins urgents pour les soins « dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître » ([62]). Cette évolution a été justifiée par « la croissance rapide du nombre des demandes d’asile et notamment en provenance de pays sûrs […] qui crée une pression sur le système de santé et pose la question du dévoiement dispositif de demande d’asile » ([63]).

La mise en place d’un délai de carence « nie les situations traumatisantes qu’ont vécues les demandeuses et demandeurs d’asile dans leur pays d’origine ou lors de leur parcours migratoire » ([64]) et retarde, comme pour les personnes en situation irrégulière, leur prise en charge. Selon Barbara Bertini, elle a déjà eu un « retentissement important sur l’activité des PASS et est en contradiction avec l’instruction ministérielle du 8 juin 2018 sur le parcours santé des migrants primoarrivants ».

La rapporteure appelle à revenir sur cette disposition et permettre, de nouveau, l’affiliation à la PUMA dès l’attestation de demande d’asile.

Au-delà de ces remarques et recommandations spécifiques à la santé des personnes exilées, il ne saurait être trop rappelé que la question de l’accès aux soins est liée à la question plus générale de l’accueil et de l’accès aux droits : « il faut agir sur un ensemble de déterminants dont la langue, l’accès au logement, l’accès à l’éducation et l’accès aux informations » ([65]) . Les politiques migratoires qui ne relèvent pas strictement du champ sanitaire ont des impacts majeurs sur l’état de santé, physique et mental, de ces populations et sur leur accès effectif aux soins.

Recommandation n° 15 : Mettre en œuvre une politique volontariste pour lever les obstacles à l’accès à l’AME et supprimer le délai de carence s’appliquant aux demandeurs d’asile avant leur affiliation à la PUMA.

III.   L’accès à l’emploi

« La pression migratoire a pour effet de voler le travail des Français ». Elle exerce « une pression à la baisse sur les salaires ». Non seulement ces idées toutes faites, alors même que les entreprises peinent à recruter sur des secteurs en tension, ne font qu’encombrer le débat public sur un sujet qui mérite mieux, mais elles participent de la marginalisation des migrants qui leur est ensuite reprochée. En effet, comment vivre sans revenu, comment s’intégrer sans travailler ?

L’analyse des effets économiques des migrations dépasse le cadre de ce rapport, on peut cependant se référer à des analyses telles que celles du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) qui montrent que : « [les] simulations indiquent qu’entre 1990 et 2010, l’immigration n’a eu aucun effet global sur les salaires des natifs : sur longue période, les salaires sont, en moyenne, indépendants de la proportion d’immigrés dans la population active. » ([66]) Selon la direction générale du Trésor, « Globalement, l’immigration a un effet mécanique positif sur l’activité : une hausse homogène de la population augmente le niveau d’emploi productif et donc le PIB, laissant inchangé le niveau de vie des natifs » ([67]). De même, comme l’a fait valoir M. Grégory Verdugo, professeur des universités à l’université d’Évry devant la commission d’enquête, le bilan des politiques publiques ayant pour objet de favoriser l’intégration des immigrés sur le marché du travail montre que celles-ci sont en réalité « très rentables en termes d’analyses coûts-bénéfices ».

A.   L’accès des demandeurs d’asile au marché du travail

Lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a toujours pas statué sur une demande d’asile au terme d’un délai de 6 mois, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, alors en application de l’article L. 554-1 du CESEDA, celui-ci pourra solliciter une autorisation de travail.

Il revient à l’employeur de demander cette autorisation, qui est examinée selon les règles qui s’appliquent à l’ensemble des travailleurs étrangers en France ([68]). Ce dossier, bien qu’il se soit amélioré et dématérialisé, reste très lourd à constituer ce qui limite l’engagement de cette démarche par les employeurs. En 2017, sur 100 755 nouvelles demandes d’asile enregistrées par l’OFPRA, 1 248 demandes d’autorisation de travail ont été déposées.

Compte tenu des délais de traitement de la demande d’asile (262 jours en moyenne de délai de traitement d’un dossier par l’OFPRA en 2020 ([69])) et les difficultés de délivrance des attestations, cette réglementation constitue un obstacle à l’emploi. « L’accès au marché du travail reste un droit théorique. Dans la pratique, il n’est pas appliqué » ([70]). En 2017, moins de 1 000 demandeurs d’asile ont été autorisés à travailler ([71]). Pourtant la directive dite « Accueil » n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 précise que « les États membres décident dans quelles conditions l’accès au marché du travail est octroyé au demandeur […] tout en garantissant que les demandeurs [d’asile] ont un accès effectif à ce marché ».

Le constat de ces difficultés a conduit à la réduction du délai pour le dépôt d’une demande d’autorisation de travail de 9 mois, à 6 mois en 2018 (loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie). Cette loi a également prévu que l’absence de réponse de l’autorité administrative dans un délai de deux mois vaut accord.

La rapporteure recommande de réviser ces dispositions pour permettre un accès des demandeurs d’asile au travail plus tôt, à l’image de ce qui est pratiqué dans d’autres pays européens.

L’accès des demandeurs d’asile au marché du travail à l’étranger

– Accès immédiat des demandeurs d’asile au marché du travail, dès le dépôt de la demande : Autriche, Espagne, Portugal et Suède ;

– Accès possible entre trois et six mois : Allemagne, Belgique, Finlande, Pologne, Roumanie et Suisse ;

– Accès possible après a minima neuf mois : Croatie et Slovaquie.

Source : Rapport n° 3357 déposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, XVe législature, 23 septembre 2020

Plus un demandeur d’asile est en mesure de travailler tôt sur le territoire, plus son intégration sur le marché du travail a des chances d’être durable ([72]). À l’inverse, Selon une étude publiée en mai 2021 dans The Journal of the European Economic Association et citée par Hillel Rapoport, professeur d’économie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, lors de son audition, le fait pour un demandeur d’asile d’être soumis à une interdiction de travailler dans les mois qui suivent son arrivée réduit ses perspectives d’emploi à horizon de deux ans de 15 %.

L’accès au marché du travail des demandeurs d’asile pourrait être autorisé dès l’introduction de leur demande d’asile ([73]). À tout le moins, les demandeurs d’asile pourraient être autorisés à déposer une première demande d’autorisation de travail durant la phase de recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile ([74]).

Recommandation n° 16 : Ouvrir la possibilité de travailler aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande.

B.   Élargir le champ des métiers ouverts aux travailleurs étrangers

Favoriser l’intégration par l’emploi des personnes étrangères requiert également d’ouvrir de nouveaux emplois aux étrangers, en particulier non européens. Selon l’Observatoire des inégalités, en 2019, près d’un emploi sur cinq – soit 5,4 millions de postes de travail – demeure inaccessible aux étrangers non européens en France.

Pour la majorité d’entre eux (4,3 millions), il s’agit de postes de la fonction publique ([75]). En effet, en France, pour rejoindre en tant que titulaire l’une des trois fonctions publiques (étatique, territoriale et hospitalière), il faut être français ou européen ([76]). Les emplois dits « de souveraineté » ([77]) ne sont, en revanche, accessibles qu’aux Français.

La rapporteure rejoint sur ce point la recommandation formulée par Aurélien Taché dans son rapport 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France (février 2018) : « Proposition  42 : supprimer la condition de nationalité pour l’accès aux concours ouvrant droit aux fonctions non régaliennes de la fonction publique ». L’unique limite déterminant si un étranger (européen ou extra-européen) peut ou non exercer une profession serait celui de « l’exercice de la souveraineté ou de la participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique » ([78]). En effet, la condition de nationalité ne se justifie aucunement pour un certain nombre d’emplois techniques par exemple. Cette évolution aurait pour conséquence d’ouvrir un nombre conséquent d’emplois aux étrangers extra-européens.

Recommandation n° 17 : Élargir le champ des métiers ouverts aux travailleurs extra-européens.

C.   Mieux reconnaître les qualifications et les compétences des étrangers primo-arrivants

Les difficultés de reconnaissance des compétences et des qualifications restent des obstacles discriminants dans l’accès effectif à l’emploi.

1.   Un système particulièrement complexe et peu lisible

La reconnaissance des qualifications et compétences des étrangers primo‑arrivants devrait permettre d’« éviter le sentiment de déclassement professionnel et de favoriser l’adéquation entre les compétences du primo-arrivant et les besoins du marché du travail ». L’insertion par l’emploi des étrangers primo-arrivants : reconnaissance des diplômes et des qualifications, validation des acquis de l’expérience professionnelle (avril 2021) de l’IGESR, de l’IGA et de l’IGAS,

Au-delà de la seule situation des migrants, la validation des acquis de l’expérience (VAE) est un système complexe ; il est qualifié dans le rapport mentionné supra de « dispositif en perte de vitesse ». Le nombre de candidats recevables dans l’ensemble des ministères certificateurs ne cesse de décliner depuis 2017 en raison de la complexité du dispositif – le parcours s’effectue en plusieurs étapes successives, implique des acteurs multiples et reste largement méconnu. Si le système de reconnaissance est peu lisible pour les nationaux, il l’est d’autant plus pour les publics migrants, en raison notamment d’une non-maîtrise de la langue ou encore de l’absence totale ou partielle de documents de preuves. Tel que souligné par Alain Régnier, Délégué interministériel à l’accueil et à l’intégration des réfugiés, à l’occasion de son audition : « nous avons ouvert la validation des acquis de l’expérience (VAE) aux réfugiés, mais dans la réalité, elle se heurte à des rigidités et des corporatismes ».

2.   « 1 000 parcours de VAE collective »

Dans l’attente d’une réforme d’ensemble du système de VAE, pour faciliter la reconnaissance des qualifications et l’accès à l’apprentissage, l’expérimentation « 1 000 parcours de VAE collective » a été lancée. Ce plan adapte la procédure d’accès à la certification par la VAE pour les signataires du contrat d’intégration républicaine (CIR) qui ont exercé une activité professionnelle dans leur pays d’origine. L’AFPA peut se déclarer « tiers de confiance » pour celui qui ne dispose pas des justificatifs attestant d’une expérience d’au moins un an en rapport avec la certification visée.

Le recul manque encore dans la mesure où « le lancement de cette expérimentation avait été validé […] en 2018 mais il a pris du temps. Par conséquent, elle n’a vraiment débuté qu’en toute fin d’année 2020 » ([79]). À ce stade, une personne a obtenu un titre professionnel complet de la part du ministère du Travail en application de cet outil, et une centaine de dossiers sont en cours de constitution.

Cette expérimentation, supposée se terminer à la fin de l’année 2021, pourrait utilement être prolongée, pour « rentrer dans le droit commun » ([80]) si son efficacité était démontrée.

3.   Effectuer un état de lieux approfondi des compétences et des qualifications lors de la signature du CIR

Chaque année, environ 100 000 étrangers issus de pays tiers à l’Union européenne signent un CIR. Aux termes de l’article L. 413-3 du CESEDA, le parcours d’intégration républicaine, prenant appui sur le CIR, comprend notamment « 3° Un conseil en orientation professionnelle et un accompagnement destiné à favoriser son insertion professionnelle, en association avec les structures du service public de l’emploi ».

En pratique, cette composante du CIR se traduit par une information apportée sur l’offre territoriale de services de nature à faciliter l’insertion professionnelle et une orientation vers un organisme concourant au service public de l’emploi, une première fois lors de l’entretien de début de CIR, et une seconde lors de l’entretien de fin de parcours.

Tel que souligné par le rapport de l’IGESR, de l’IGA et de l’IGAS mentionné supra, « les auditeurs de l’OFII ne sont pas des conseillers en emploi. Cibler ce premier entretien sur les compétences professionnelles des migrants acquises tout au long de leur parcours n’apparaît ni possible dans le temps imparti, ni envisageable compte tenu des aptitudes spécifiques à mobiliser par les auditeurs pour conduire ce type d’entretien. » En outre, en fin de parcours, il existe une déperdition massive entre l’orientation vers un service public de l’emploi et la réalité des démarches effectuées.

Dès lors, la rapporteure recommande de renforcer ce volet du CIR en mettant en place un entretien, qui ferait suite à l’entretien de début de parcours, afin d’établir avec le primo-arrivant un « bilan de compétences » comprenant un état des lieux de ses expériences, formations, diplômes, acquis formels et non formels. Cet entretien devrait être réalisé par un spécialiste de l’insertion professionnelle. Tel que souligné par le rapport de l’IGESR, de l’IGA et de l’IGAS mentionné supra, qui formule cette recommandation, cet entretien pourrait être organisé pour l’ensemble des primo-arrivants signataires d’un contrat CIR, y compris ceux qui ne sont pas en recherche d’emploi, et, en particulier, en faveur des femmes qui restent éloignées du marché du travail.

Recommandation n° 18 : Prévoir un état des lieux approfondi et systématique des compétences et qualifications des étrangers primo-arrivants, réalisé par un spécialiste de l’insertion professionnelle au moment de la signature du CIR.

D.   La modernisation des formations linguistiques à l’appui d’une meilleure insertion professionnelle

L’absence ou la mauvaise maîtrise du français est un obstacle majeur pour l’accès à l’emploi. « Pour Pôle Emploi, l’enjeu principal est de permettre une intégration durable et une autonomie de ces publics sur le marché du travail. De ce point de vue, la maîtrise de la langue apparaît comme un élément crucial » ([81]).

Agir sur la formation linguistique des étrangers primo-arrivants pourrait passer par une modernisation de la composante « linguistique » du CIR.

En effet, la moitié des signataires du CIR suit une formation linguistique. Sa composante linguistique a d’ores et déjà été revue à la suite du Comité interministériel à l’immigration de juin 2018 ([82]). Ces évolutions positives ont été soulignées par de nombreux acteurs.

Pour autant, seulement 73,8 % des personnes atteignent le niveau A1 (le niveau minimal de compétence du Cadre européen commun de référence pour les langues) à l’issue des formations organisées ([83]). De nouvelles évolutions pourraient utilement être apportées au dispositif évoqué par les personnes entendues par la commission : travailler à la mise en place de groupes d’apprenants aux profils plus homogènes ([84]), une plus grande souplesse face aux ruptures de parcours ([85]), et la mise en place de tests de positionnement linguistiques affinés et moins standardisés ([86]). À plus long terme, une révision du niveau à atteindre du niveau A1 au niveau « au moins B1 » devra être envisagée ([87]).

La rapporteure recommande également la mise en place de parcours de formation linguistique à visée professionnelle au sein du CIR. De nombreuses initiatives locales et nationales, indépendantes du CIR, existent d’ores et déjà en la matière. Hervé Adami, sociolinguiste, a indiqué lors de son audition regretter que les étrangers salariés ou poursuivant un projet professionnel précis soient souvent dispensés d’assister aux formations en langue et recommande plutôt de les orienter vers des formations en français langue professionnelle (FLP). Cette évolution est également recommandée par le rapport de l’IGESR, de l’IGA et de l’IGAS mentionné supra (recommandation n° 1). Ces formations pourraient avoir pour objet l’apprentissage d’un vocabulaire technique spécifique aux secteurs en tension – métiers du bâtiment ou de l’aide à la personne par exemple ([88]).

Témoignage de Mme Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération des particuliers-employeurs de France (FEPEM) sur le secteur de l’emploi à domicile

L’emploi à domicile est un secteur d’activité (aide à l’enfance, aide aux personnes âgées, aide au ménage, etc.), dans lequel la moitié des employés partiront à la retraite avant 2030. « Il ne faudra pas moins de 600 000 recrutements pour compenser ces cessations d’activités ». Un poste sur cinq est à ce jour occupé par une personne étrangère. L’aide à domicile constitue ainsi une voie d’insertion professionnelle pour des étrangers pas ou peu diplômés.

Or, la maîtrise de la langue est essentielle, elle est la première condition avancée par les particuliers employeurs pour que « le recrutement d’une personne étrangère leur donne satisfaction ».

Recommandation n° 19 : Poursuivre l’individualisation des formations linguistiques proposées dans le cadre du CIR et mettre l’accent sur celles à visée professionnelle.

L’importance de la maîtrise de la langue française dépasse naturellement le seul impératif de l’accès à l’emploi. Tel que souligné par Leïla Marçot, directrice de la Plateforme d’orientation linguistique et d’accès à l’emploi (Pole) : « ces personnes éprouvent avant tout le besoin de se repérer dans notre société et d’en comprendre le fonctionnement, c’est-à-dire d’abord apprendre le français général ». Par exemple, « beaucoup d’associations […] ont […] signalé que les primo-arrivants peinaient à comprendre les consignes du Gouvernement lors de la crise du Covid » ([89]). Les formations linguistiques à visée professionnelle doivent ainsi demeurer complémentaires des cours généraux, et ne pas s’y substituer.

IV.   L’accès à l’hébergement et au logement

A.   L’accès à l’hébergement

M. Bruno Morel, directeur d’Emmaüs-Solidarité l’a rappelé lors de son audition « tant qu’une personne n’a pas été reconduite à la frontière, elle a droit à un toit ». Pourtant, la part des étrangers dans la population sans domicile fixe ne cesse d’augmenter ; elle est passée de 38 % en 2001 à 56 % en 2021 ([90]).

En application du principe d’accueil inconditionnel, les centres d’hébergement dits « généralistes », c’est-à-dire relevant de la mission budgétaire « Cohésion des territoires », acceptent tous types de publics, y compris ceux qui ne disposent pas d’une situation administrative en règle. Les personnes dites « à droits incomplets » représentent ainsi entre 40 et 50 % des personnes hébergées ([91]).

Les demandeurs d’asile disposent eux d’un programme d’hébergement distinct. Ils peuvent être hébergés dans un centre d’accueil et d’examen des situations (CAES), un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ou dans une structure d’hébergement d’urgence dédiée aux demandeurs d’asile (HUDA). Les réfugiés disposent de places d’hébergement dans des centres provisoires d’hébergement (CPH). Ces structures sont financées par des crédits de la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration ».

1.   Malgré des efforts importants, le sous-dimensionnement persistant des places d’hébergement

Des efforts importants ont été réalisés ces dernières années pour faire face à la crise de l’hébergement d’urgence, et en particulier pour mettre les personnes à l’abri pendant la crise sanitaire.

40 000 places d’hébergement « généraliste » supplémentaires ont été créées entre 2020 et 2021, portant le parc à une capacité de 200 000 places. S’agissant de l’hébergement en faveur des demandeurs d’asile, la capacité du parc a doublé en cinq ans, pour atteindre 107 000 places en 2020 ([92]). Au regard des remontées du terrain, et telles que confirmées à l’occasion des auditions conduites ([93]), il est pourtant indéniable que les places d’hébergement d’urgence restent insuffisantes.

M. Bruno Morel, directeur d’Emmaüs Solidarité le rappelle devant la commission : « Nous avons en France une difficulté avec l’organisation du premier accueil ». Au vu de ce qu’a permis en 2015, l’installation de la Bulle de la Chapelle, où 25 000 personnes ont été mises à l’abri en 17 mois évitant ainsi des situations de rue et de campement. Il rappelle que : « Nous avions plaidé pour la mise en place de dispositifs dédiés au premier accueil sur la route migratoire interne en France. Ce choix a été écarté, mais il vaudrait la peine de l’étudier, particulièrement sous l’angle de la solidarité nationale ».

Le sous-dimensionnement des solutions d’hébergement est, en effet, particulièrement criant aux abords de nos frontières. À Calais et à Briançon, où la commission d’enquête s’est rendue, les associations ont unanimement souligné l’insuffisance du nombre de places proposées dans le cadre des services intégrés d’accueil et d’orientation – les SIAO, qui sont les points de contact du « numéro 115 ».

L’association « le Refuge solidaire » à Briançon

Cette association exclusivement financée par des fonds privés, a accueilli environ 11 000 personnes depuis 2017. Lors de la visite des lieux ([94]) par la commission d’enquête, les bénévoles ont porté deux éléments à l’attention de la délégation :

-          une augmentation importante du nombre de familles avec enfants en bas âge accueillies au sein du refuge, qui a triplé entre janvier et juin 2021 faute de places d’hébergement ;

-          une saturation globale du refuge, se traduisant, au moment de la visite de la délégation, par une sur-occupation massive des lieux. Les bénévoles avaient en effet fait face une réponse partielle ou négative du « 115 » lorsqu’ils ont tenté de diriger les personnes exilées vers des solutions d’hébergement, et ont alerté à plusieurs reprises la préfecture sur les difficultés rencontrées.

Au niveau national, le taux de réponse positive des SIAO aux demandes d’hébergement est inférieur à un sur deux (45 % en 2019 et à 42 % en 2020) ([95]). C’est plus qu’insuffisant et personne ne peut s’en satisfaire.

Tout en ayant conscience des obstacles existant face à la mise en place de nouvelles capacités d’hébergement (insuffisante disponibilité du foncier, oppositions des élus locaux et parfois des populations, coûts de construction, difficultés de recrutement des travailleurs sociaux, etc.), la rapporteure appelle à la poursuite rapide et volontariste des efforts engagés.

Elle se félicite donc de l’annonce, par le Gouvernement, d’une réforme d’ensemble de la politique d’hébergement d’urgence visant à mettre en place une « programmation pluriannuelle de l’hébergement et du logement […], pour prévoir, programmer, anticiper et transformer les places en fonction des besoins des territoires et des publics ».

2.   Pour une meilleure répartition des demandeurs d’asile sur le territoire

Outre l’offre d’hébergement, il convient également d’agir sur la demande d’hébergement.

Dans le cadre du Schéma national d’accueil, le nombre de places d’hébergements pour les demandeurs d’asile a fortement augmenté : il est passé de 55 000 en 2015 à 107 000 en 2020. Le taux d’occupation, de 98 %, masque pourtant d’importantes disparités territoriales et le manque de places reste criant sur certains territoires, en particulier en Île-de-France où se concentre 46 % de la demande pour 19 % des capacités d’hébergement.

M. Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) a souligné à ce propos, lors de son audition, que la question de l’orientation initiale des demandeurs d’asile sur le territoire était essentielle et que, en particulier, les primo-installations en Île-de-France devaient être évitées au maximum.

À Briançon, par exemple, la préfecture la plus proche compétente pour recevoir les demandes d’asile étant celle de Marseille, située à plus de 250 kilomètres ([96]) , en pratique les personnes exilées se rendent à Paris. Il conviendrait, sans doute, de revoir à la hausse le nombre de préfectures compétentes pour enregistrer les demandes d’asile, en particulier aux abords des frontières.

En réponse à ces difficultés, la loi du 10 septembre 2018 a prévu une orientation directive des demandeurs d’asile depuis les régions en tension vers celles moins tendues. L’article L. 551-4 du CESEDA ainsi modifié prévoit que « lorsque la part des demandeurs d’asile résidant dans une région excède la part fixée pour cette région par le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et les capacités d’accueil de cette région, le demandeur d’asile peut être orienté vers une autre région, où il est tenu de résider le temps de l’examen de sa demande d’asile ».

Ces implantations, qui suscitent souvent des craintes, voire des réactions épidermiques, se passent finalement généralement bien quand elles sont préparées avec les acteurs locaux, comme l’a notamment confirmé M. François Héran, professeur au Collège de France, lors de son audition.

Le travail engagé dans le cadre du Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés, a été initié au début de cette année. La rapporteure sera attentive à ces résultats.

Recommandation n° 20 : Poursuivre l’augmentation du nombre de places d’hébergement et les efforts visant à permettre une meilleure répartition des demandeurs d’asile sur le territoire pour faciliter leur accueil.

B.   L’accès au logement social

Au-delà de l’hébergement, qui vise à répondre à une urgence, et tel que rappelé par M. Fabrice Bizet, directeur d’Elia : « tout être humain a besoin d’un logement pérenne pour trouver une place stable dans une société et pour bénéficier de la disponibilité intérieure et intellectuelle nécessaire à son processus d’intégration » ([97]). L’objectif de la politique d’hébergement doit être la sortie vers le logement ; à défaut, c’est le dispositif d’hébergement est saturé.

La rapporteure souscrit toutefois aux propos de M. Emmanuel Brasseur, représentant de l’association Coallia, pour lequel il n’apparaît pas « possible de remplacer totalement les dispositifs d’hébergement d’urgence […] par une politique du logement d’abord qui se voudrait un accès à tous au statut de locataire et à un accompagnement adapté. Une part [du] public n’est pas en situation d’accéder à un logement en pleine autonomie ». Il est impérieux de trouver une « complémentarité, adaptable selon les territoires et la tension sur le logement » ([98]) entre les politiques d’hébergement et de logement.

1.   L’insuffisance de l’offre de logements sociaux

Pour rappel, l’éligibilité au parc de logement social repose sur deux conditions : (i) être français ou étranger séjournant régulièrement en France et titulaire d’une carte en cours de validité (carte de résident, de séjour, de ressortissant européen, etc.), et (ii) disposer de ressources inférieures à un certain plafond ([99]).

Le constat largement partagé par les acteurs entendus est celui d’un « déficit structurel en logements » ([100]). Ce constat et les solutions qui doivent y être apportées dépassent largement la prise en compte de la seule population migrante. Le plan « Logement d’abord », lancé en 2017 et coordonné par la DIHAL constitue un effort important mais demeure insuffisant. La Cour des comptes a en effet souligné que ses résultats étaient globalement en deçà des attentes : « le parc social reste trop fermé et, dans les territoires les plus tendus, l’offre de logements très sociaux et adaptés est insuffisant pour couvrir les besoins » ([101]).

Le parc de logement social est également « de moins en moins ouvert à de nouveaux entrants » ([102]).

La rapporteure formule le souhait que le plan pluriannuel mentionné supra permette la mise en place d’une politique publique volontariste en la matière, de nature à, enfin, pallier le déficit structurel de logements sociaux. Les 250 000 nouveaux logements sociaux annoncés par la ministre déléguée au Logement pour 2021 et 2022 constituent à court terme une avancée salutaire.

2.   Les difficultés spécifiques rencontrées par les réfugiés

Alors que l’accueil de ménages réfugiés est une mission historique du parc social, ils n’y accèdent que de façon limitée.

En matière d’accès à l’hébergement comme au logement, le principe de « non concurrence entre les publics vulnérables », tel que rappelé par M. Sylvain Mathieu, Délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, lors de son audition doit être inlassablement rappelé. Le Délégué précise d’ailleurs que « l’accès au logement des réfugiés s’est ajouté à d’autres « segments » du public de la DIHAL et a augmenté l’offre. Nous n’avons pas constaté de concurrence au sens où des personnes issues de la rue verraient leur offre d’accès au logement réduite ».

Le Délégué a également indiqué à l’occasion de son audition que plusieurs facteurs limitaient l’accès au logement, parmi lesquels le fait que les « collectivités territoires ne soient pas assez impliquées dans la mise à disposition de ces logements », il est donc « difficile de mobiliser des logements en dehors du contingent préfectoral ». Malgré la contractualisation opérée dans le cadre des contrats territoriaux d’accueil et d’intégration des réfugiés (CTAIR), l’objectif de 14 000 logements mis à disposition des bénéficiaires de la protection internationale en 2021 n’est atteint qu’à 50 %. Il est ainsi impératif que les collectivités locales, compétentes en matière de logement, s’impliquent davantage en la matière.

De plus, les appartements proposés au sein du parc de logement social sont souvent peu adaptés aux nouveaux profils de réfugiés ([103]).

Témoignage de M. Emmanuel Brasseur, représentant de l’association Coallia

« Nos publics de réfugiés vont majoritairement vers le logement dit social ou à vocation sociale. Or, l’offre de logement social reste très souvent limitée à des typologies dites familiales, T3 et T4. De plus en plus de réfugiés sont des personnes isolées, souvent jeunes, en grande précarité économique ». La production des nouveaux logements sociaux doit ainsi s’adapter à ce type de demandes.

Cette inadéquation entre les profils des réfugiés et les logements sociaux proposés a d’importantes répercussions sur la fluidité du DNA. Le rapport de la DGEF Évaluation des mesures mises en œuvre à la suite du Comité interministériel à l’Intégration du 5 juin 2018 sur le champ de l’accès aux droits, au logement et à l’emploi des BPI (juillet 2021) souligne que « les premières observations menées à l’échelle des territoires ont permis de constater qu’une grande majorité des personnes qui obtiennent le statut de réfugiés ne sortent pas rapidement du DNA du fait d’un manque de typologie de logements adaptés aux profils (personnes isolées, familles nombreuses, familles monoparentales) et aux besoins d’accompagnement des personnes BPI ».

Enfin, tel que recommandé par la DGEF dans ce même rapport, il convient de « repenser la stratégie de relogement en lien avec les opportunités d’emploi, les critères d’attractivité et la disponibilité de logement dans les villes d’accueil, en orientant notamment les efforts vers des villes moyennes au logement accessible ». Face à cet impératif, des programmes « engagés pour la mobilité et l’insertion par le logement et l’emploi » (EMILE) ont été développés. Tel que précisé par le DIHAL à l’occasion de son audition, « leur but est d’accompagner des personnes vivant en Île-de-France, en difficulté d’insertion professionnelle et mal-logées, vers une nouvelle vie, dans des territoires présentant de forts besoins en main-d’œuvre et disposant de logements vacants. Si le programme EMILE semble être évident, il est très compliqué à mettre en œuvre en raison du travail interministériel conséquent qu’il suppose et des nombreuses actions à mener avec les collectivités territoriales. Par conséquent, la DIHAL joue un rôle d’intégrateur des différentes compétences. »

La rapporteure souhaite que ce type de programme poursuive son déploiement et est convaincue que la proposition qu’elle formule, visant à consacrer et étendre la gestion interministérielle des questions migratoires (II. de la deuxième partie du présent rapport), pourrait faciliter sa mise en œuvre.

Recommandation n° 21 : Poursuivre l’augmentation du nombre de places de logement social et améliorer l’accès des BPI au logement en s’assurant de l’implication des collectivités territoriales, en faisant en sorte que l’offre de logement social soit mieux adaptée à leurs profils et en pensant les capacités de logement en lien avec les opportunités d’emploi sur les territoires.

V.   HABITATS INFORMELS ET ACCès aux droits

A.   À Calais, mettre fin à la délétère et coûteuse politique dite « zéro point de fixation »

Le 10 juin 2021, une délégation de la commission d’enquête s’est rendue à Calais afin de rencontrer les services préfectoraux, ceux de la mairie et les associations venant en aide aux migrants. Elle s’est également rendue dans les campements afin d’échanger plus directement avec les personnes exilées. À cette occasion, les membres de la commission d’enquête ont pu mesurer l’étendue des atteintes aux droits portées aux migrants et l’échec de la politique de « lutte contre les points de fixation », qu’il est aujourd’hui impérieux de faire évoluer.

En effet, à Calais, la « grande jungle » a été démantelée le 24 octobre 2016 à la suite de la décision du ministre de l’intérieur de l’époque, M. Bernard Cazeneuve, d’évacuer les milliers de personnes qui s’y trouvaient vers des centres d’accueil ouverts dans toute la France. Depuis six ans, le nombre de personnes exilées à Calais a baissé mais les arrivées restent massives. En avril 2021, le nombre de migrants présents sur le Calaisis était estimé à entre 770 et 800  ([104]) par la sous‑préfecture de Calais et à 1 200 par les associations. Ces personnes, principalement des jeunes hommes originaires du Soudan, d’Afghanistan, d’Iran et de Syrie souhaitent traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre – parce qu’ils y ont déjà des attaches, qu’ils en maîtrisent la langue, nourrissent l’espoir de s’y intégrer plus facilement en tirant avantage d’un marché du travail perçu comme plus flexible.

Depuis le démantèlement de la « jungle de Calais », les pouvoirs publics appliquent une politique dite de « lutte contre les points de fixation » qui a pour objectif de dissuader les personnes exilées de venir dans cette zone

Cette orientation suscite de fortes réserves de la rapporteure en raison, d’une part, de son coût élevé et déséquilibré et, d’autre part, de ses effets délétères sur les populations migrantes.

1.   Calais et sa région : un coût élevé et déséquilibré

La rapporteure s’est attachée à déterminer le coût pour l’État, la ville de Calais, l’agglomération Grand Calais terres & mers, Getlink (ex-Eurotunnel) et la société d’exploitation des ports du détroit ([105]) de la présence de migrants, c’estàdire les dépenses qui n’auraient pas été engagées en l’absence de ces populations sur Calais et le littoral de la Manche et de la mer du Nord.

À cet effet, douze institutions ont été interrogées ([106]) pour connaître les dépenses qu’elles ont exécutées mais également les atténuations de dépenses qu’elles ont reçues sous la forme de versements britanniques ou européens. Initialement, cette étude entendait déterminer les montants constatés en 2020, ainsi que leur évolution récente. Cependant, l’absence de données fines transmises par certains opérateurs sur les exercices budgétaires antérieurs n’a pas permis de retracer cette évolution  ([107]).

Seule une « photographie financière » a pu être réalisée pour l’année 2020. Cette étude financière évalue à :

 160 millions d’euros le montant des dépenses exécutées en lien avec la présence des migrants sur Calais et le littoral de la Manche et de la mer du Nord,

– 40 millions d’euros le montant des atténuations de dépenses reçues des autorités britanniques (aucune contribution européenne n’étant versée),

 120 millions d’euros le coût net supporté par la France du fait de la présence de migrants à Calais et sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord.

Le tableau suivant décompose ces montants.

Une note méthodologique présentant de manière détaillée les sources, la méthode retenue et la décomposition de l’estimation des coûts est annexée au présent rapport. 

 

Estimation des coûts liés à la présence de populations migrantes à Calais et sur le littoral de la Manche de la mer du Nord pour l’année 2020 (1)

 

Dépenses

Atténuation de dépenses

Coût net

COÛT POUR L'ETAT

 

Dépenses de fonctionnement

 

 

 

1.1

Permanence d'accès aux soins de santé des centres hospitaliers de Calais et de Dunkerque

786 500 €

0 €

786 500 €

1.2

Secours en mer

0 € (2) 

0 €

0 €

1.3

Hébergement et dispositifs humanitaires (eau, sanitaires, aide alimentaire)

24 500 000 €

 

11 613 000 €

 

99 325 000 €

1.4

Mobilisation de forces de l'ordre (unités mobiles)

86 435 000 €

 

Sous-total A1 :

111 721 500 

11 613 000 

100 108 500 

 

Dépenses d’investissement

 

 

 

1.5

Permanence d'accès aux soins de santé des centres hospitaliers de Calais et de Dunkerque

61 000 €

61 000 €

0 €

1.6

Secours en mer

0 €

0 €

0 €

1.7

Hébergement et dispositifs humanitaires (3) 

1 000 000 €

 

17 418 000 €

 

– 4 518 000 €

1.8

Sécurisation des infrastructures

11 900 000 €

 

Sous-total A2 :

12 961 000 €

17 479 000 €

 4 518 000 €

 

Total A (sous-total A1 + sous-total A2) :

124 682 500 €

29 092 000 €

95 590 500 €

COÛT POUR LA VILLE DE CALAIS ET L'AGGLOMÉRATION GRAND CALAIS TERRES & MERS

 

Dépenses de fonctionnement

 

 

 

2.1

Gardiennage, nettoyage, frais juridiques, etc.

199 500 €

19 800 €

179 700 €

 

Dépenses d’investissement

 

 

 

2.2

 Sécurisation de sites et d’installations

2 227 700 €

1 272 000 €

955 700 €

 

Total B :

2 427 200 

1 291 800 

1 135 400 

COÛT POUR GETLINK (EX-EUROTUNNEL) ET LA SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DES PORTS DU DÉTROIT

 

Dépenses de fonctionnement

 

 

 

3.1

Getlink

17 805 000 €

5 053 000 €

12 752 000 €

3.2

Société d'exploitation des ports du détroit

8 229 100 €

2 124 800 €

6 104 300 €

 

Sous-total C1 :

26 034 100 

7 177 800 

18 856 300 

 

Dépenses d’investissement

 

 

 

3.3

Getlink

5 657 100 €

618 900 €

5 038 200 €

3.4

Société d'exploitation des ports du détroit

1 593 110 €

1 591 000 €

2 110 €

 

Sous-total C2 :

7 250 210 

2 209 900 

5 040 310 

 

Total C (sous-total C1 + sous-total C2) :

33 284 310 

9 387 700 

23 896 610 

 

Total global (total A + B + C) :

160 394 010 €

39 771 500 €

120 622 510 €

(1) Ces chiffres, la méthodologie retenue et les sources exploitées sont présentés de manière détaillée en annexe 3.

(2) Ce coût nul est expliqué en annexe 3.

(3) Accès à l’eau, aux sanitaires, aux soins de base, à une aide alimentaire et à des places d’hébergement.


Cette estimation financière appelle deux observations : le coût net des dépenses engagées est élevé et leur nature est déséquilibrée.

Le coût net de 120 millions d’euros représente, à titre de comparaison :

– une fois et demie le budget de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides qui, en 2020, a enregistré près de 100 000 demandes d'asile (96 424) ([108]),

– un an de dépenses publiques en faveur de l’intégration professionnelle des réfugiés, ([109])

– quatre fois le coût annuel des 3 136 places ouvertes sur toute la France dans les centres d’accueil et d’évaluation des situations (CAES) pour mettre à l'abri les demandeurs d’asile dénués d’hébergement, analyser leur situation administrative et orienter les intéressés vers d'autres dispositifs d'hébergement ([110]).

Ce coût élevé est également affecté par deux déséquilibres.

Le premier déséquilibre concerne la nature des dépenses : 85 % des dépenses exécutées financent la sécurisation des territoires et 15 % sont dédiées à la prise en charge sanitaire, sociale ou humanitaire des populations migrantes. Le second déséquilibre tient à la répartition des dépenses entre la France, le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les contributions versées par le Royaume-Uni couvrent 20 % des dépenses engagées en 2020. De ce point de vue, les accords de coopération conclus à ce jour avec le Royaume-Uni sont peu favorables à la France. Un rééquilibrage est cependant attendu avec la conclusion, en juillet 2021, d’un nouvel accord financier prévoyant des versements britanniques plus conséquents ([111]). On peut également s’interroger sur l’absence de tout versement européen. Sur ce point, le Brexit est susceptible de « changer la donne » puisque le littoral français de la Manche et de la mer du Nord constitue désormais une frontière extérieure de l’Union.

2.   Les effets délétères de cette politique pour la population concernée

En 2020, d’après Human Rights Observers, 1 000 expulsions de lieux de vie informels ont été recensées et 88 % de ces expulsions ont eu lieu à Calais et Grande-Synthe. Concrètement, cette politique prend la forme d’opérations quasi‑quotidiennes de démantèlement des campements. Le paysage calaisien est profondément marqué par celle-ci : des zones boisées ont été déforestées et les grillages et barbelés sont omniprésents.

Les répercussions de la politique « zéro point de fixation » sur les conditions de vie des personnes migrantes comme sur leur santé mentale sont massives. Les associations œuvrant sur place comme les personnes exilées directement interrogées ont fait part à la délégation de leur exténuation. Selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, « les personnes exilées s’épuisent à errer, sans cesse à la recherche d’abris de fortune et de moyens de survie dans des lieux toujours plus hostiles, plus insalubres, plus isolés, et ainsi plus dangereux » ([112]).

Les suites données aux opérations de démantèlement : le rôle de la « Ressourcerie »

À Calais, a été mis en place un dispositif ayant pour objet de « donner la possibilité aux associations clairement identifiées de récupérer pour le compte des migrants leurs affaires personnelles » ([113]) à la suite des démantèlements. Deux agents de la « Ressourcerie », chargée de cette mission, doivent assurer la réception des effets personnels récupérés lors des opérations par la société chargée de la collecte et du premier tri ([114]). Ces produits font ensuite l’objet d’un second tri, sont stockés et redistribués aux personnes exilées en présence de personnes désignées par des associations ([115]). Les associations ont affirmé aux membres de la commission d’enquête qu’il ne permettait la récupération que d’environ 25 % des affaires. Elles dénoncent également un tri insatisfaisant entre les affaires transmises à la « Ressourcerie » et celles envoyées à la déchetterie, et « l’humiliation » endurée par les personnes exilées qui doivent fouiller d’immenses conteneurs à la recherche de leurs biens, souvent en vain. 

Les associations œuvrant sur place et les personnes exilées ressentent cette politique comme un « harcèlement » des forces de l’ordre et dénoncent des « violences policières ». Des témoignages en ce sens ont été portés à la connaissance des membres de la commission d’enquête et un rapport d’inspection de 2017 donne un certain crédit à ces informations. Ainsi, l’IGA, l’IGPN et l’IGGN considèrent que : « L’accumulation des témoignages écrits et oraux, bien que ne pouvant tenir lieu de preuves formelles, conduit à considérer comme plausibles des manques à la doctrine d’emploi de la force et à la déontologie policière, principalement à Calais. Ils portent sur des faits de violence, sur un usage disproportionné des aérosols lacrymogènes, la destruction d’affaires appartenant aux migrants, ainsi que le non-respect de l’obligation du port du RIO  [référentiel des identités et de l’organisation] » ([116]).

S’il n’est pas souhaitable de laisser se former une nouvelle « jungle », la simple poursuite de la politique de lutte contre les « points de fixation » n’est pas tenable. Il convient de mettre « fin à cette traque » dénoncée par la Défenseure des droits ([117]).

 L’argument avancé par les pouvoirs publics pour justifier cette politique est celui du risque d’un prétendu « appel d’air ». Pourtant, les dernières années démontrent que mêmes les conditions d’accueil les plus indignes et les conditions de passage les plus dangereuses ne dissuadent pas les personnes exilées de vouloir tenter leur chance pour l’Angleterre. En effet, force est de constater que l’extrême sécurisation de la frontière franco-britannique à l’œuvre n’a pas les effets attendus sur les flux migratoires. Le dernier rapport de l’Union européenne sur les flux migratoires, présenté en septembre 2021, précise que du début de l’année 2021 jusqu’à la fin du mois de septembre, 13 500 personnes ont traversé la Manche, contre 8 500 en 2020. La politique menée conduit seulement les personnes migrantes à privilégier la voie maritime et à déplacer plus au sud les zones de départ des tentatives de traversée.

Dans l’attente d’une solution durable négociée entre la France et l’Angleterre, la rapporteure fait sienne la recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui suggère d’implanter « des petites unités de vie le long du littoral, permettant aux personnes exilées de trouver un lieu sécurisé et un temps de répit » ([118]). Ces unités de vie devraient naturellement s’accompagner d’un socle humanitaire (accès à l’eau, à la nourriture, à la santé, etc.) suffisant.

Recommandation n° 22 : À Calais, mettre fin à la politique « zéro point de fixation » et mettre en place des « petites unités de vie le long du littoral » ; mettre en place une commission de suivi réunissant des migrants et l’ensemble de ceux qui interviennent localement.

B.   une mise en œuvre partielle de l’instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des campements

Une instruction du Gouvernement du 25 janvier 2018 a pour objet de mieux encadrer la résorption des campements illicites et des bidonvilles, en mettant en place une « politique à la fois humaine et exigeante quant au respect du droit et de la loi mais aussi une politique efficace, avec un objectif de réduction durable du nombre de bidonvilles dans les 5 ans à venir » ([119]). Elle recommande notamment la mise en œuvre d’un « diagnostic social et global initial » qui doit servir à identifier les différentes caractéristiques des occupants pour définir la nature de l’accompagnement à apporter en matière de santé (orientation vers des PASS, l’AME ou la PUMA), d’accès à l’emploi et à la formation et de scolarisation (accès aux dispositifs prévus pour les élèves allophones notamment).

Si cette instruction a constitué une véritable avancée, qu’il faut souligner, elle n’est pas appliquée de façon égale sur tout le territoire comme le regrettent les associations : « Lorsque des diagnostics sociaux sont réalisés […], ils se bornent alors souvent à un recensement des personnes considérées comme vulnérables auxquelles une proposition de logement ou d’hébergement pourrait être faite » ([120]). « La remise à la rue est l’une des principales issues des expulsions » ([121]), selon l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels.

La rapporteure appelle ainsi à la mise en œuvre systématique de cette instruction.

C.   Derrière les habitats informels : l’enjeu de la domiciliation prérequis pour l’accès À la quasi-totalité des droits

La domiciliation est un prérequis pour la quasi-totalité des procédures d’accès aux droits (titre de séjour, emploi, CPAM, AME, CAF, etc.). Comme l’ont rappelé plusieurs associations, l’accès à la domiciliation est en cela la « clef de voûte garantissant l’accès aux droits communs des personnes vivant en habitat informel » ([122]).

L’article L. 264-2 du code de l’action sociale et des familles prévoit que les étrangers en situation irrégulière ([123]) ont accès au service de domiciliation pour les bénéfices de certains droits et prestations auxquels ils souhaitent prétendre (l’AME, l’aide juridictionnelle, etc.). L’élection de domicile est remise par les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (CCAS et CIAS), ainsi que par les organismes agréés.

Or, les personnes exilées rencontrent de grandes difficultés pour accéder à la domiciliation, en raison de refus répétés de la part des CCAS et des CIAS qui illustreraient selon certaines associations « une volonté politique de ne pas officialiser la présence sur la commune de certaines personnes jugées indésirables, mais résultant également du manque de moyens dédiés à la domiciliation » ([124]). Ces refus de domiciliation « viennent retarder des démarches vers le droit commun des personnes, et les poussent à être orientées vers des associations domiciliataires agréées » ([125]).

Rencontre d’une délégation de la commission d’enquête avec le collectif de la rue « Schaeffer »

Le 21 juillet 2021, une délégation de la commission d’enquête s’est rendue à Aubervilliers, à la rencontre du collectif de migrants du collectif de la rue « Schaeffer » ([126]). Ce collectif, composé en majorité de demandeurs d’asile et de déboutés du droit d’asile, vit dans un squat.

À cette occasion, les représentants du collectif ont notamment mis en avant ces difficultés de domiciliation et les effets de celles-ci sur leur accès au droit. En effet, le squat est situé entre deux communes (La Courneuve et Aubervilliers) et chaque commune se déclarerait, selon les dires du collectif, incompétente pour leur octroyer une attestation d’élection de domicile. Sans cette domiciliation, ils ne peuvent effectuer certaines demandes, notamment la demande d’aide médicale de l’État (AME). La rapporteure considère que cette situation, si elle est avérée, est contraire au droit et ne saurait durer. Le juge administratif a en effet rappelé que la notion d’installation doit être appréciée par les CCAS « au regard de la situation des personnes sans domicile stable » et « qu’une personne qui justifie d’un lien quelconque avec une commune, paraît-il ténu, est en droit d’obtenir une domiciliation auprès de celleci » ([127])

De surcroît, aux termes de l’article L. 264-4 de ce même code, lorsque les CCAS ou les CIAS refusent l’élection de domicile aux personnes qui en font la demande, parce qu’elles ne présentent aucun lien avec la commune ou le groupement de communes, « ils doivent motiver leur décision ». Or, certaines associations soulignent que les refus sont souvent oraux, et ne sont pas motivés ni notifiés au demandeur par écrit ([128]).

En outre, s’agissant de l’accès au titre de séjour, l’évaluation des mesures mises en œuvre à la suite du Comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018 sur le champ de l’accès aux droits, au logement et à l’emploi des BPI (DGEF -juillet 2021) met en avant « un problème d’harmonisation des règles [qui] existe entre territoires, concernant la justification de la domiciliation. Celle-ci est souvent vérifiée par une attestation d’hébergement ou de domiciliation, mais dans certains territoires observés, il est demandé un justificatif de domicile, beaucoup plus contraignant à obtenir ». La rapporteure appelle ainsi à renforcer les moyens alloués aux services de domiciliation et à une application plus homogène sur le territoire des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’élection de domicile.

VI.   la prise en compte des besoins spÉcifiques de certains migrants

A.   Les femmes migrantes : DES RISQUES accruS

Les femmes migrantes, qui représentent la majorité des personnes qui migrent notamment, mais pas seulement, au travers de la procédure du regroupement familial, sont encore trop souvent les invisibles des parcours migratoires comme des politiques d’intégration.

Les femmes migrantes, trop peu visibles

Sur les 260 000 premiers titres de séjour délivrés en 2018, 49 % l’ont été à des femmes, mais celles-ci représentent 60 % des personnes recevant un premier titre de séjour pour raison familiale. Les femmes représentent 51 % des premiers titres de séjour des étudiants. La proportion de demandeurs d’asile femmes est de 34 à 35 % selon les années alors qu’elles sont les premières victimes des guerres et des dictatures. Enfin, les femmes reconnues réfugiées ou protégées subsidiaires représentent 40 % de la population ayant reçu une protection internationale.

Il est pourtant clair que leur situation appelle des prises en charge spécifiques pour faire sortir de leur isolement, leur permettre l’accès au marché du travail et d’avancer dans la résolution de problématiques spécifiques non réductibles à ceux des « migrants en général », au premier rang desquels la lutte contre les réseaux criminels.

La traite des êtres humains ou « l’esclavage moderne » touchant environ 40 millions de victimes au niveau mondial, dont 71 % sont des femmes, est un phénomène de grande ampleur. L’une des formes de traite les plus répandues est la traite aux fins d’exploitation sexuelle.

En France, 80 % des personnes prostituées en France sont d’origine étrangère. Parmi elles, nombreuses sont celles qui sont originaires du Nigeria. On compte environ 45 000 femmes nigérianes transportées chaque année en Europe à cette fin. La destination première est souvent l’Italie mais la France n’est pas épargnée par le phénomène.

Pour rendre effectifs les droits des personnes victimes de traite des êtres humains, la CNCDH recommande la création, en France, d’un véritable « mécanisme national de référence » pour la détection, l’identification, l’orientation et l’accompagnement des victimes de traite, présumées ou avérées.

La rapporteure estime la mise en place d’un tel mécanisme indispensable.

Les persécutions liées au genre, visant plus spécifiquement les femmes, telles que les mutilations sexuelles, les stérilisations forcées, l’exploitation sexuelle, sont aussi un déterminant important du départ sans parler des violences subies dans les pays de transit, notamment en Libye.

Les petites filles ou les parents qui fuient une mutilation génitale féminine peuvent se voir accorder l’asile, si celle-ci est suffisamment étayée ; de la même manière, une jeune femme qui refuse de subir une mutilation sexuelle, peut bénéficier de la protection internationale dès lors qu’elle s’oppose à cette pratique de l’excision. Il reste que l’« appartenance à un certain groupe social » est le motif principal utilisé par les autorités françaises pour favoriser la protection des personnes particulièrement vulnérables, ce qui en soit pose problème pour les persécutions liées au genre. Des associations comme la Cimade plaident pour que ces persécutions soient pleinement examinées au regard des autres motifs de la convention de Genève, comme les opinions politiques.

Une fois sur le territoire français pour rompre l’isolement, le plus puissant facteur d’intégration étant le travail, lui-même conditionné par l’apprentissage du français, des actions spécifiques devraient être menées pour les femmes non issues de pays francophones.

Témoignage de Mme Frédérique Martz, directrice générale

de l’institut Women Safe & Children

« Nous recevons des femmes d’Afrique subsaharienne et de nombreuses femmes d’Afrique du Nord. Elles sont souvent mal intégrées, voire pas identifiées sur le territoire français. Elles n’ont pas côtoyé les services sociaux et souvent ne parlent pas français. Nous sommes confrontés à un problème d’accréditation des traducteurs car, bien souvent, les personnes qui se disent habilitées à accompagner les femmes ne parlent la langue et la traduction ne convient pas. Bien souvent, des femmes présentes sur le territoire depuis deux à trois ans ne parlent pas du tout français. Une priorité en matière d’insertion serait de placer ces femmes dans une filière où elles puissent acquérir de l’autonomie par l’échange et par la langue ». Audition du 1er septembre 2021

À cet égard, il est regrettable, comme l’a fait valoir Didier Leschi, le directeur général de l’OFII devant la commission, qu’à l’occasion de la transformation du contrat d’accueil d’intégration en contrat d’intégration républicaine, on ait supprimé la possibilité de commencer les cours de français dans les pays d’origine via les alliances françaises. Cette possibilité devrait être réouverte quitte à le faire dématérialiser pour faciliter l’intégration de femmes qui compte tenu des contraintes domestiques qui pèsent sur elles peuvent moins se consacrer à l’apprentissage de la langue.

Les femmes migrantes bénéficient des initiatives prises par le réseau associatif mais la prise en compte des spécificités de leurs situations devrait être une dimension à part entière des politiques d’intégration.  

Recommandation n° 23 : Faire des problématiques que rencontrent les femmes migrantes une dimension à part entière des politiques de migration et d’intégration

B.   Les personnes LGBTQ+ : une attention particuliÈre À porter à leurs droits

La question des personnes LGBT+ migrantes est une question globale tant elle embrasse tous les aspects de la vie. La commission d’enquête s’est particulièrement intéressée à l’accès à leurs droits, notamment le droit à l’asile, de ces personnes en état de fragilité.

En amont de la procédure d’asile, les personnes migrantes LGBT+ subissent, comme les autres populations migrantes, les difficultés du parcours migratoire, de la traversée de la mer. Le risque de viol et de violence est cependant accru.

La commission d’enquête, lors de sa journée d’audition des différentes associations ([129]) activant avec ces publics fragiles a reçu de nombreux témoignages des dysfonctionnements dans l’accès au droit :

– la question de l’établissement du danger. Les personnes doivent faire reconnaître une homosexualité qu’elles ont toute leur vie chercher à dissimuler du fait des risques en découlant pour leur intégrité. Philippe Neyer, secrétaire de l’ARDHIS a particulièrement relevé ce problème : « Par exemple, un Sierraléonais a été débouté de sa demande d’asile à Munich à 20 ans, les autorités considérant que son orientation sexuelle n’est pas établie. Or, son pays d’origine est un des plus violents envers les personnes homosexuelles. Quel autre choix s’offre à lui en ultime recours que de demander l’asile en France ? L’OFPRA le lui a accordé, mais après une procédure Dublin avec l’Allemagne qui a duré trop longtemps. Les mesures de contrôle dans le cadre de cette procédure sont humiliantes et déstabilisent les personnes, provoquant des problèmes de santé mentale. ».

Lorsqu’elles sont placées en centre de rétention administrative, la situation se complique. Les entretiens de demande l’asile avec des agents OFPRA ont lieu par visioconférence. La conduite de l’entretien en visioconférence est peu adaptée aux questions relevant de la vie intime, amoureuse et sexuelle. Il se conclut le plus souvent par un refus de protection ;

– les questions liées à la mise à l’abri. Dans les lieux d’accueil les personnes LGBT+ subissent trop souvent des violences. Pour éviter qu’elles ne se retrouvent à la rue un accompagnement spécifique, dont la nécessité est reconnue par les institutions et le Défenseur des droits, doit être mise en place avec un financement à hauteur des enjeux.

Pour ces deux enjeux, accès au droit et mise à l’abri, la rapporteure estime qu’un effort de formation doit être mené au bénéfice de tous les acteurs de l’asile : officiers de protection, juges, magistrats, interprètes, travailleurs et travailleuses sociaux. Pour cela, il serait nécessaire de nommer un référent LGBT+ par préfecture comme il en existe dans certains commissariats pour mieux appréhender ces problématiques spécifiques et mettre en tension l’ensemble du système. 

Recommandation n° 24 : Prévoir un référent LGBT+ dans chaque préfecture avec pour mission de mener des actions de sensibilisation et de formation.

C.   Les mineurs

1.   Les mineurs non accompagnés (MNA)

Le rapport des Inspections générales de l’action sociale, de l’administration et de la justice de mai 2021 ([130]) estime qu’après une forte augmentation du nombre d’arrivées jusqu’en 2018, le nombre d’admissions à l’aide sociale à l’enfance (ASE) de MNA s’est stabilisé en 2019 autour de 17 000. Avec 9 524 MNA admis par les conseils départementaux (– 43 % par rapport à 2019), 2020 est une année particulière du fait de la quasi-fermeture des frontières pour raisons sanitaires. Depuis le début de 2021, les arrivées de MNA ont cependant retrouvé un rythme soutenu.

95 % d’entre eux sont des garçons – les filles étant le plus souvent victimes de la traite – et proviennent principalement Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire, la part de ceux originaire du Maghreb augmentant cependant.

Le présent rapport n’a pas vocation à traiter de la question des mineurs non accompagnés dans sa globalité mais retient tout de même plusieurs questions qui devront être traitées de façon urgente.

– la détermination de la minorité : Lorsqu’ils se trouvent sur le territoire français, ces mineurs doivent être protégés, accompagnés, formés, scolarisés et vraisemblablement – car ils restent souvent longtemps en France – définitivement intégrés. La question essentielle est donc celle de la détermination de la minorité.

La minorité est un état provisoire qui ne peut être établi scientifiquement, définitivement, à moins de disposer – pour les pays qui en délivrent – de documents d’état civil. Cette difficulté peut se révéler insurmontable.

La rapporteure dit, à ce stade, son opposition à la reconnaissance d’une présomption de minorité qui aboutirait à faire cohabiter dans un même espace de vie de véritables mineurs et des mineurs « très majeurs », avec tous les risques conséquents. Une approche pluridisciplinaire et la plus complète possible est plutôt à privilégier, sachant que l’utilisation des examens osseux n’a pas fait la preuve de sa fiabilité, particulièrement pour la tranche d’âge la plus délicate à évaluer, c’est-à-dire entre 16 et 20 ans.

Le rapport précité prône une série de recommandations qui vont dans ce sens : systématisation et harmonisation des contrôles biométriques, consultation du fichier EURODAC lorsqu’un jeune se présente en préfecture, recours systématique à l’interprétariat et à la médiation culturelle, recours systématique à l’entretien médical mais aussi à un pédopsychiatre…etc.

Il faut préciser ici que le projet de loi relatif à la protection de l’enfance qui est en cours de discussion va obliger les départements à recourir au fichier d’évaluation de la minorité et qu’il a été ajouté à l’Assemblée nationale à l’initiative de la rapporteure de ce texte une disposition qui prévoit que la reconnaissance de la minorité et de l'isolement d'une personne se déclarant comme MNA par un président de conseil départemental s'applique à l'ensemble des départements. Dès lors la réévaluation d'un MNA lorsqu'il est reconnu comme tel et orienté dans le département par décision de l'autorité judiciaire en application de l'article 375-5 du Code civil sera interdite. 

Recommandation n° 25 : Privilégier une approche interdisciplinaire pour déterminer la minorité, au-delà de la création d’un fichier, et ne pas judiciariser la question à l’extrême.

– la question des « ni mineurs, ni majeurs » : Pendant la période d’évaluation de la minorité et de mise à l’abri et en attendant que l’administration statue, de nombreux jeunes, qui ne possèdent aucun document témoignant de leur démarche de reconnaissance de minorité, non seulement ne sont pas pris en compte en tant que MNA, mais n’entrent dans des dispositifs prévus pour les majeurs. Ils ne sont nulle part comme l’a soulevé Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice, lors de son audition.  

Heureusement, des progrès substantiels ont été réalisés depuis 2017 quant aux délais d’évaluation. Selon le rapport cité, la durée moyenne d’évaluation de la minorité et de l’isolement, entre la date de mise à l’abri du jeune se déclarant MNA et la notification de la décision d’admission ou de non-admission à l’ASE est passée de 40 jours en 2017 à 16 jours en moyenne. Si cette estimation doit être prise avec précaution, elle reflète néanmoins une tendance certaine, qui résulte à la fois d’un ralentissement des arrivées et du renforcement des moyens d’évaluation des conseils départementaux (consolidation des équipes d’évaluation et des capacités de mise à l’abri). Toutefois, cela reste une durée suffisante pour perdre la trace de nombreux jeunes. Le rapport précité met en évidence le rôle déterminant des ONG et associations dans la prise en charge de ces « mijeurs » que ce soit dans le domaine de l’hébergement (non accès aux hôtels de l’ASE), de la santé ou de l’éducation.

Témoignage de Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, 6 octobre 2021

« Par souci de préserver le concept de protection de l’enfance, on veut absolument éviter tout lien avec les majeurs, de sorte que ceux qui ont un âge intermédiaire sont comme en suspens. Je prêche donc pour qu’avec l’AEM, l’administration, chargée de l’identification, délivre un document qui servira de base tout au long du processus d’insertion du mineur – puisqu’au bout du compte, tel est bien l’objectif –, que ce soit dans les départements ou à la PJJ. »

La rapporteure souscrit à cette proposition.

Recommandation n° 26 : Délivrer un récépissé dans l’attente de la confirmation/infirmation de la minorité afin d’entrer tout de suite dans un processus de mise à l’abri et d’insertion

– les disparités de traitement entre les départements dans la mise à l’abri des MNA : de trop nombreux départements logent principalement les MNA dans des hôtels où ils sont l’objet de toutes les sollicitations. Dans le cadre de la contractualisation relative à la « Stratégie nationale MNA », il serait opportun de mettre en place une incitation financière en faveur des conseils départementaux mettant à l’abri les jeunes se déclarant MNA dans des établissements adaptés, c’est-à-dire hors hôtel.

Recommandation n° 27 : Contractualiser avec les conseils départementaux en incluant des incitations financières selon le modèle de logement choisi et le taux de mise à l’abri.

– les mineurs aux zones frontalières. Les associations agissant à la frontière franco-italienne ont massivement observé et documenté des atteintes aux droits des enfants contraires à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

Recommandation n° 28 : Garantir aux mineurs isolés un accès à une information claire et compréhensible ainsi qu’à l’exercice effectif de leurs droits aux frontières (accompagnement par un administrateur ad hoc, droit à un interprète, droit d’accès aux soins, de demander l’asile, etc.).

 

Les manquements des autorités françaises aux devoirs élémentaires de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits des mineur(e)s isolé(e)s étranger(e)s en danger (2020) ([131])

Ce rapport, signé par 11 associations, fait état à la frontière franco-italienne de renvois immédiats de mineurs en Italie sans avoir respecté le délai d’un jour franc, ni la désignation d’un mandataire ad hoc pour les assister, ou encore en ayant refusé l’enregistrement de leur demande d’asile, d’impossibilités d’exprimer la minorité au poste de la police aux frontières en raison de l’absence d’entretien individuel ou d’interprète, de pratiques de confiscation voire de destruction par les forces de l’ordre des documents d’identité des mineurs interpellés. Lorsque la minorité est contestée, ils sont enfermés avec des adultes dans les constructions modulaires attenantes aux locaux de la police aux frontières.

Il conviendrait, à tout le moins, de garantir à ces mineurs isolés un accès à une information claire et compréhensible ainsi qu’à l’exercice effectif de leurs droits aux frontières (accompagnement par un administrateur ad hoc, droit à un interprète, droit d’accès aux soins, de demander l’asile, etc.).

Bien évidemment, la question des MNA est bien plus large que les points qui viennent d’être exposés. Elle relève une fois encore d’une approche interministérielle et d’une coopération sans faille entre les services de l’État et les départements, qui sont au fondement d’une gestion efficace des phénomènes migratoires. 

-         Le titre de séjour à la majorité

On constate que très peu de mineurs non accompagnés demandent l’asile (au plus quelques centaines par an). Les raisons en ont été analysées par Julien Boucher, directeur général de l’OFPRA : un défaut de connaissance de la procédure de la part des personnes qui assistent ces mineurs, particulièrement au titre de l’aide sociale à l’enfance ; l’idée selon laquelle la procédure d’asile ne revêtirait guère d’intérêt pour des mineurs qui bénéficient de l’aide sociale à l’enfance alors que la protection de l’asile prend tout son sens à l’accession à la majorité, quand le dispositif de l’aide sociale à l’enfance s’interrompt ; des contraintes liées à leur représentation car en l’absence de représentant légal, il revient au procureur de désigner un administrateur ad hoc ; la longueur de la procédure qui se révèle parfois dissuasive ([132]) .

2.   Mineurs en rétention : un encadrement absolument nécessaire

La rétention administrative des mineurs – et la privation de liberté qui la caractérise – est un des sujets les plus épineux des politiques migratoires.

En effet, la privation de liberté est absolument contraire à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de la Convention des Nations unies relative au droit de l’enfant de 1999. Or, interdire purement et simplement la rétention des mineurs ne laisse que deux alternatives, également non satisfaisantes :

– séparer les familles – dans ce cas, à qui confier les mineurs ? – lorsqu’un ou les deux parents du mineur doivent être placés en centre de rétention administrative, le temps que soit statué sur l’obligation de quitter le territoire qui le/les vise ;

– renoncer à fixer totalement les règles d’entrée et de séjour sur le territoire en rendant les familles avec enfants non expulsables.

La rapporteure rappelle la nécessité deprévoir la plus stricte proportionnalité lorsqu’un mineur doit être placé en rétention avec sa famille. Dans ce sens, elle a été cosignataire de la proposition de loi n°1303 du 12 mai 2020 visant à encadrer la rétention administrative des mineurs, proposition qui a été ensuite retirée.

La stricte proportionnalité emportait plusieurs conséquences :

– la réduction du temps de rétention au minimum. La proposition de loi la fixait à 5 jours ;

– la saisine automatique du juge des libertés et de la détention dès que l’autorité administrative prend une décision de placement en rétention administrative d’une famille avec enfants. Le juge statue sur l’impérieuse nécessité du placement en rétention ;

– des centres dédiés aux familles avec enfants afin de limiter au maximum les traumatismes liés à la promiscuité et aux éventuelles violences.

Il est ressorti des positions exprimées par les membres de la commission d’enquête qu’il fallait aller plus loin dans le dispositif prévu par la proposition de loi précitée.

Recommandation n° 29 : Pour les familles avec enfants, prévoir systématiquement des alternatives à la rétention par des lieux d’accueil dédiés

D.   Les étudiants étrangers

Le nombre croissant d’étudiants choisissant d’effectuer leurs études supérieures, ou une partie de celles-ci, dans un pays étranger constitue une évolution structurelle. Les étudiants en mobilité représentent aujourd’hui 2,4 % du total des étudiants dans le monde, soit 5,6 millions d’étudiants ([133]). Les projections de Campus France à partir des données de l’UNESCO démontrent que le nombre d’étudiants en mobilité internationale pourrait atteindre 9,9 millions en 2025.

En France, selon les chiffres communiqués par la Conférence des Présidents d’université, 370 000 étudiants internationaux étaient inscrits au cours de l’année scolaire 2019-2020 dans un établissement d’enseignement supérieur ; ce chiffre est en progression de 23 % depuis 5 ans.

1.   L’attractivité de plus en plus contestée de la France

La France est en 2018 le 6e pays d’accueil, derrière, notamment, l’Allemagne, la Russie et l’Australie ([134]).

L’enseignement supérieur français offre de nombreux atouts : qualité de la formation, valeur des diplômes, diversité du milieu étudiant, octroi de différentes aides sociales, etc. Sur ce dernier point, la rapporteure insiste sur l’importance de l’action des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), qui agissent à la fois en matière de restauration universitaire, d’hébergement et d’attribution de bourses. Jean-Paul Roumegas, conseiller international et partenariats du CNOUS, l’a rappelé lors de son audition : « La mission d’accueil des étudiants internationaux est une mission historique du CNOUS, qui figure dans sa convention constitutive ». Sur les 170 000 places du parc de logements des CROUS, environ 30 % sont d’ailleurs occupées par ces étudiants.

La France fait pourtant face à une « perte relative de son attractivité » ([135]) car si le nombre d’étudiants étrangers y progresse toujours, cette progression est moins rapide que celle de la moyenne mondiale. En 2016, la France était encore le 4e pays d’accueil ([136]).

Or, l’attractivité des étudiants internationaux constitue un enjeu stratégique. Leur nombre est un signe de l’attractivité du système [d’un pays], de sa capacité à former les élites de demain et à promouvoir ses valeurs ». Au-delà de la diplomatie d’influence, les étudiants étrangers en mobilité internationale constituent un « vecteur utile pour améliorer la compréhension mutuelle entre les pays, ou encore comme une voie de renforcement de nos relations scientifiques et de nos liens économiques » ([137]).

Face aux stratégies d’attractivité offensives mises en place par certains pays – en particulier la Chine, l’Arabie Saoudite et la Turquie, la France se devait d’être au rendez-vous. Le Premier ministre a présenté le 19 novembre 2018 la nouvelle stratégie, dite « Bienvenue en France – Choose France » fixant un objectif d’accueil de 500 000 étudiants internationaux d’ici 2027. Cette stratégie inclut notamment des mesures de simplification et d’amélioration de l’accueil et de l’accompagnement des étudiants étrangers, ainsi que de leurs conditions de vie (simplification de l’octroi de visas, création d’un label « Bienvenue en France » pour les établissements, généralisation des guichets uniques réunissant l’ensemble des services dont les étudiants internationaux ont besoin, etc.).

La rapporteure souscrit naturellement à l’ensemble de ces mesures, mais souligne qu’elles ne doivent pas affaiblir notre lien historique avec les étudiants des pays francophones, en particulier ceux du Maghreb.

Le contexte particulier de la crise sanitaire ne permet néanmoins pas encore de mesurer les effets de cette stratégie sur l’attractivité de la France.

2.   Pour la suppression des frais d’inscription différenciés pour les étudiants extra-européens

Malgré ses incontestables atouts, cette stratégie suscite des inquiétudes qui tiennent à la mise en place de frais d’inscription différenciés pour les étrangers extra-européens. Mettant en avant un objectif d’équité, le Gouvernement précise que cette mesure vise à dégager de nouvelles ressources pour les établissements d’enseignement supérieur pour financer leur politique d’attractivité, et prévoit en parallèle une augmentation des exonérations ([138]) et des bourses offertes aux étudiants internationaux.

Cette évolution n’est pas encore totalement effective ([139]). En 2019, seuls 681 étudiants internationaux ont payé des droits différenciés ; en 2020, ils étaient 2 447.

La Conférence des présidents d’universités a fait part à la commission d’enquête, lors de son audition, de son opposition à cette mesure : « alors que nombre d’étudiants sont originaires de pays en butte à des difficultés politiques, économiques ou sociales, il serait vraiment regrettable que les jeunes méritants à fort potentiel de réussite se voient fermer les portes de l’enseignement supérieur et de la recherche français pour des raisons économiques. Il serait également regrettable de donner de la France l’image d’un pays qui se referme sur lui-même ». En 2018, la Cour des comptes soulignait qu’une hausse des frais d’inscription pour les étudiants non européens n’était susceptible d’apporter un financement complémentaire significatif que dans l’hypothèse d’une progression très importante de ces droits, qui entraînerait par conséquent un « fort effet d’éviction, diminuant d’autant le produit attendu d’une telle hausse » ([140]).

La rapporteure rejoint ces analyses et se montre défavorable à cette évolution, pour des raisons à la fois d’accessibilité de l’enseignement supérieur français aux étudiants internationaux, donc d’égalité, et d’attractivité.

3.   Une coordination renforcée entre les acteurs pour fluidifier les parcours

Il ressort des auditions menées par la commission qu’en matière d’inscription des étudiants étrangers, le dialogue entre les différents acteurs permettrait de gagner en efficacité.

Témoignage d’Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes de la CPU,

Il faudrait « intégrer dans la discussion le réseau consulaire », avec lequel un dialogue existe d’ores et déjà. Pour autant, selon elle, « les universités sont ouvertes à un dialogue plus étroit, y compris sur plan technique, avec le réseau consulaire », « nous en avons discuté avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui considère lui aussi que l’on pourrait optimiser un certain nombre de procédures ».

Le rapport de l’Assemblée nationale (2019) mentionné supra soulignait déjà que « la procédure d’octroi des visas étudiants a été décrite à vos rapporteurs, par différents acteurs, comme à la fois complexe, lente et coûteuse. Les modalités et la durée d’instruction des dossiers par les consulats sont très variables et il arrive que le visa ne soit obtenu qu’après le début de l’année scolaire ».

Ce constat a été réaffirmé par M. Cheikh Mbacké Toure, membre de la FESSEF, à l’occasion de son audition par la commission d’enquête : « la lourdeur de la procédure, la non-conformité d’un document ou encore le décalage avec le calendrier universitaire ou académique du pays d’origine peuvent retarder un étudiant ».

Il convient de renforcer les échanges entre les établissements d’enseignement supérieur en France, l’établissement public Campus France et le réseau consulaire pour fluidifier les procédures d’arrivée en France des étudiants étrangers.

Recommandation n° 30 : Supprimer la mise en place des frais d’inscriptions différenciés pour les étudiants extra-européens et renforcer le dialogue entre les différents acteurs (les universités, Campus France et les réseaux consulaires) pour simplifier et accélérer les procédures d’inscription des étudiants étrangers.


—  1  —

   Annexes AU RAPPORT

 

 

ANNEXE 1 : Bilan de la réalisation des mesures décidées lors du comité interministériel à l'intégration de 2018

ANNEXE 2 : Exemple de demande abusive de document dans le cadre de la constitution d’un dossier de demande d’aide médicale de l’État (AME)

ANNEXE 3 : Note sur la méthodologie du calcul des coûts liés à la présence de populations migrantes à Calais

 


ANNEXE 1 : Bilan de la réalisation des mesures décidées lors du comité interministériel à l'intégration de 2018

 

Suites du Comité interministériel à l'intégration (C2I)

 (transmis par la DIAN)

 

 

 

 

Ministères / Délégations

Axes / Mesures

État

Commentaires

Ministère de l'intérieur (17 actions)

 

Axe 1: Maîtrise de la langue française

1

Mesure 1                   Mesure 2 Objectif 1

Doublement des forfaits de formation linguistique A1

Fait

Mise en place dans le cadre du CIR rénové avec taille des groupes réduite et mallette pédagogique modernisée le 1er mars 2019. Actions de formation continue des prestataires de la formation linguistique : plateforme de ressources pédagogiques, classes virtuelles

2

Mesure 3

Mise en place d'un module de 600 heures destiné aux personnes non scolarisées dans leur pays d'origine

Fait

Mise en place dans le cadre du CIR rénové  le 1er mars 2019.

3

Mesure 2 Objectif 2

Certification du niveau A1

Fait

Mise en place dans le cadre du CIR rénové, prise en charge par l'Etat dans les 6 mois suivants la fin de la formation linguistique pour fluidifier le passage vers la suite des parcours A2/B1. La certification a été peu mobilisée et fait l'objet de mesures de redynamisation pour la période 2022-2024.

4

Mesure 4

Organisation des cours de français au bénéfice de certains demandeurs d'asile

Fait

Expérimentation poursuivie de cours de conversation en français à destination du public relocalisé, en l’accompagnant d’un suivi national resserré

 

Axe 2 : Formation civique

5

Mesure 1 Objectif 1

Refonte de la formation civique avec passage à 24 heures et rénovation des contenus et méthodes

Fait

Mise en place dans le cadre du CIR rénové le 1er mars 2019 (refonte des contenus centrés sur l’appropriation des principes de la République et la réalisation des démarches d’intégration, pédagogie interactive, taille des groupes réduite, utilisation du numérique, choix en journée 4 d'un atelier en fonction des besoins du bénéficiaire)  
Actions de formation continue des formateurs de la formation civique assurées par la DGEF, mise en place d'une plateforme de ressources pédagogiques

 

Axe 3 : Accès à l'emploi et à la vie économique

6

Mesure 1 Objectif 1

Orientation vers le SPE sur les plateformes (PFA) OFII

Fait

Mise en place dans le cadre du CIR rénové le 1er mars 2019 (entretien allongé, conseils et orientation vers les services de proximité). Diffusion d'un nouveau film d'accueil traduit en plusieurs langues depuis fin septembre 2021

7

Mesure 1 Objectif 1

Bilan de fin de CIR sur les plateformes OFII

Fait

Mise en place dans le cadre du CIR rénové depuis septembre 2019 (point de situation, bilan des formations, orientation vers les services de proximité et notamment vers le service public de l'emploi). L'objectif est maintenant de réduire le délai entre la fin des formations et la réalisation du bilan de fin de CIR.

8

 Mesure 3

Dynamiser l'action locale pour développer les formations linguistiques à visée professionnelle, les prestations d'accompagnement vers l'emploi et les actions conjointes avec les collectivités territoriales

Fait

Mise en ligne d'un MOOC proposant une formation linguistique gratuite autour de cinq secteurs professionnels identifiés comme en tension (vocabulaire professionnel, codes et usages en entreprise) visant les niveaux A2/B1, financement de projets d'acteurs associatifs et de collectivités territoriales ("Territoires d'intégration") par appels à projet national et local sur le BOP104.

9

Mesure 2

Mobiliser les réseaux d'entreprises

En cours

Conventions pluriannuelles avec le réseau des clubs régionaux d'entreprises partenaires de l'insertion et la Fondation agir contre l'exclusion.
Partenariat, en lien avec la DGE, avec les chambres consulaires, en cours de constitution. Le partenariat avec le MEDEF doit être relancé.

 

Axe 4 : Réfugiés et demandeurs d'asile

10

Mesure 1 Objectif 2

Développer les plateformes intégrées de type ACCELAIR

En cours

Enveloppe dédiée à la mise en place de projets structurants d'accompagnement global sur les territoires depuis 2019, accompagnement de l'extension du programme ACCELAIR à AURA et Occitanie, préparation de la généralisation dans le cadre du programme AGIR à partir de 2022

11

Mesure 1 Objectif 1

Nouvelle prestation d'accompagnement social et administratif (SPADA)

Fait

Marché public en place pour la période 2019-2021

12

Axe 4 Mesure 3 Objectif 3

Mise à l'abri et accompagnement renforcé de femmes demandeuses d'asile ou réfugiées vulnérables (avec ou sans enfants)

Fait

Spécialisation de structures d'hébergement pour un public vulnérable poursuivie dans le cadre du Plan vulnérablités (notamment lancement d'un appel à projets pour labelliser 200 places d’hébergement pour le public LGBTI vulnérable)

13

Axe 4 Mesure 3 Objectif 3

Programme expérimental d'accueil de femmes membres de minorités religieuses

Fait

Mise en place d'un corridor humanitaire et d'un programme d'accompagnement de femmes yézidies et leurs enfants sur deux ans achevés.
Nouveau programme en cours de mise en place, adapté aux besoins restants de ce public (notamment renforcement de l'apprentissage de la langue, accès à une prise en charge médicale en particulier en matière de santé mentale, accompagnement à la parentalité, forfait interprétariat) permettant de renforcer la transition vers le droit commun

 

Axe 5: Développer les outils numériques et développer la connaissance de l'intégration

14

Mesure 3 Objectif 1

Portail d'information pour les étrangers

En cours

Rubriques en français faciles et traduites (accueil et intégration, apprendre le français, emploi, santé, logement, accès la nationalité) en cours de finalisation (échéance prévue fin 2021)

15

Mesure 3 Objectif 1

Développement de MOOC

Fait

3 MOOC d'apprentissage du français (niveaux A1, A2, B1), 1 MOOC à visée professionnelle, 1 MOOC sur le fonctionnement de la société française (valeurs, démarches d'intégration), 3 applications mobiles (langue, civique)

16

Mesure 3 Objectif 1

Cartographie de l'offre de formation linguistique

Fait

Recensement de l'offre de formation linguistique (formations OFII, PE/Conseils régionaux, ateliers sociaux linguistiques, ateliers OEPRE, offre à visée professionnelle, certifications..). Développement d'une appli grand public prévue au 1er T 2022.

17

Mesure 6 Objectif 1

Etude de cohorte ELIPA 2 (2019-2022) : enquête longitudinale sur l'intégration des étrangers primo-arrivants

En cours

Vagues 1 et 2 réalisées, retour vague 3 attendu pour l'été 2022

DIAIR (7 actions)

18

Axe 5 Mesure 5

1 000 projets pour 1 000 réfugiés

Fait

Projets finalisés ayant pour objectif de développer des initiatives permettant de favoriser l’engagement des jeunes et de faciliter la création de liens avec les réfugiés

19

Axe 5 Mesure 4

Engagements territoriaux

Fait

11  contrats d'accueil et d'intégration des réfugiés.
Renouvellement des contrats en cours avec Strasbourg, Nantes, Lyon, Grenoble, Bordeaux.
Déploiement de nouveaux contrats (7).

20

Axe 5 Mesure 2 Objectif 2

Le Lab

Fait

Organisation de "Fabriques" réunissant des acteurs pour trouver collectivement des solutions aux défis de l’accueil et de l’intégration des réfugiés. Le Lab’R offre un espace commun pour proposer, innover, rapprocher les acteurs et les bénéficiaires

21

Axe 4 Mesure 1 Objectif 4

Partenariats public-privé

Fait

Une douzaine de partenariats engagés avec notamment l'Ifri, IC Migration, Lab Archipel, Emmaus Connect, GIP Marsouin, Desinfox, Mednum, CNFPT. Le partenariat avec l'Institut français des relations internationales (Ifri) a permis la création de l’Académie des réfugiés (espace d'échanges et de recueil de la parole des bénéficiaires de la politique d'intégration)

22

Axe 5 Mesure 3 Objectif 2

Plateforme numérique Réfugiés.info

Fait

Mise en place du site réfugiés.info, lancement d'une application mobile en cours

23

Axe 4 Mesure 3 Objectif 2

Poursuite du programme de réinstallation

Fait

Programme 2018-2019 de 10 000 réfugiés réinstallés et poursuite en 2021

24

Axe 4 Mesure 4

Grand programme national service civique pour et avec les réfugiés

Fait

Associations engagées pour accueillir des jeunes réfugiés, production d'outils de valorisation des missions réalisées (flyer, vidéo, kit d'accueil des jeunes étrangers)
Production d'une plaquette de présentation du programme élargi aux primo-arrivants, campagne de communication sur les réseaux sociaux

Ministère de l'éducation nationale (copilotage MI)

25

Axe 2 Mesure 1 Objectif 2

Doublement des ateliers OEPRE

Fait

Doublement atteint (968 ateliers à la rentrée 2020 contre 460 à la rentrée 2018). Feuille de route 2018 / 2020 réalisée.

Ministère du travail  (8 actions dont 1 action copilotée avec le MI)

26

Mesure 4
Objectif 4

Possibilité de travailler 6 mois après la demande d'asile

Fait

Mise en place depuis 2019 suite à la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie du 10 septembre 2018

Reprise du suivi par le MI dans le cadre de la réforme de l'immigration professionnelle en 2021, et dépôt des demandes en ligne

27

Axe 3 Mesure 1 Objectif 2

Charte d'orientation et d'accompagnement des primo-arrivants vers l'emploi

Fait

Charte intégrée dans l'Accord-cadre Etat/OFII/service public de l'emploi signé le 1er mars 2021

28

Axe 3 Mesure 4 Objectif 2

Offre d'une certification en français à visée professionnelle tenant compte des compétences transversales

En cours

Rédaction d'un arrêté et enregistrement de la certification dans le répertoire en cours (échéance à l'automne 2021)

29

Axe 3 Mesure 4 Objectif 2

Reconnaissance des compétences et qualifications et parcours collectifs de VAE

En cours

Examen en cours du MT pour prolonger l'expérimentation du programme 1 000 VAE
Deux nouvelles expérimentations engagées en partenariat avec le MEN dans la perspective d'une généralisation de dispositifs de reconnaissance des qualifications et des compétences.

30

Axe 4 Mesure 1 Objectif 3

Appel à projet national pour l'accompagnement global des réfugiés intitulé "intégration professionnelle des réfugiés IPR"

Fait

Projets retenus dans le cadre de trois vagues. Conventions pluriannuelles avec les associations porteuses jusqu'à fin 2023.

31

Axe 3 Mesure 4 Objectif 1

Création d'un sas linguistique et socio-professionnel intégré au PACEA

Fait

Prolongation de l'expérimentation du parcours d'intégration par l'acquisition de la langue (PIAL) jusqu'en 2022.

32

Mesure 1 Objectif 2

Parcours HOPE (copiloté avec le MI)
Promotions Marie Curie et Marc Chagall

Fait

2 promotions achevées, 2 promotions en cours. 2775 stagiaires accueillis, 73 % des stagiaires en emploi, 85 % en logement.

33

Axe 3
Mesure 4
Objectif 4

Autoriser certains mineurs isolés à accéder à l'apprentissage

Fait

Prévue à l'art. 50 de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie du 10 septembre 2018)

Ministère de la santé et des solidarités (2 actions)

34

Axe 4 Mesure 3 Objectif 1

Améliorer l'accès aux soins et la prise en charge du psychotraumatisme

En cours

Montée en puissance de la cartographie de l’offre de soins mobilisée pour les migrants sur ses territoires, du nombre de PASS, d'EMPP, de conventions avec des associations spécialisées dans les troubles psychiques

Moyens délégués dans le cadre de la mesure « lutter contre les inégalités de santé » du Ségur de la santé (mesure 27) pour les PASS mobiles et renforcement pérenne des EMPP en personnel notamment médicaux et création d’EMPP dans des territoires actuellement dépourvus

Amélioration de l'accessibilité de l'information sur l'accès à la santé (flyer, livret de santé bilingue disponible en 15 langues diffusé par Santé Publique France)

Montée en puissance de l’interprétariat en santé avec un projet porté par le MSS.

35

Axe 1 Mesure 2 Objectif 3

Dispositifs de gardes de jeunes enfants

À relancer

Exigence des marchés publics de formations civique et linguistique 2019-2021 d'informer les étrangers de l'offre de garde formelle et informelle disponible

Relance du projet de partenariat avec la CNAF et diffusion des bonnes pratiques à opérer dans le cadre des Territoires d'intégration.

Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (4 actions)

36

Axe 3 Mesure 4 Objectif 3

Doublement du programme PAUSE

Fait

Atteint

37

Axe 1 Mesure 5

Doubler les programmes d'apprentissage de la langue dans le cadre de l'Agence Universitaire de la Francophonie

Réorientée

Doublement non atteint compte tenu d'une réorientation de l'objectif en faveur d'une approche plus qualitative avec création d'un diplôme universitaire passerelle pour les étrangers souhaitant commencer ou reprendre des études.

38

Axe 2 Mesure 4 Objectif 2

Extension des bourses sur critères sociaux aux bénéficiaires de la protection subsidiaire

Fait

Mesure effective

39

Axe 5 Mesure 6 Objectif 2

Programme Convergences de recherche pluridisciplinaire sur l'intégration et l'immigration

Fait

Institut Convergences Migrations en place, organisation d'activités de recherche (séminaire, journées scientifiques, publications…) autour des sujets d'immigration, d'intégration, finance des projets de recherche émergents, des jeunes chercheurs

Partenariat DIAIR / IC Migration

Ministère des sports (3 actions)

40

Axe 2 Mesure 3 Objectif 1

Mobiliser les fédérations pour l'activité sportive des primo-arrivants

En cours

4 fédérations engagées (UFOLEP, ASPTT, Rugby, Football). Conventions en cours sur des projets spécifiques
Mise en place du Pass Sport, dispositif de droit commun ciblant un public jeune ayant le moins de ressources financières susceptible d’être mobilisé par les étrangers primo-arrivants

41

Axe 2 Mesure 3 Objectif 2

Favoriser les activités sportives dans les classes UP2A via le label Génération 2024

À relancer

Pas d'établissements scolaires labellisés Génération 2024 concernés à ce jour

42

Axe 2 Mesure 3 Objectif 3

Favoriser la pratique du sport pour les réfugiés dans une optique de prévention pour la santé

En cours

Projets portés par les DRAJES mobilisant le programme de service civique Volont’R dans 6 régions

Ministère de la culture (3 actions)

43

Axe 2 Mesure 2 Objectif 1

Dévolution du Pass-culture aux jeunes primo-arrivants l'année de leurs 18 ans

Fait

Généralisation du Pass Culture en mai 2021

44

Axe 2 Mesure 2 Objectif  2

Accès des étrangers aux lieux culturels

En cours

Une vingtaine d'établissements essentiellement en IDF proposant des actions spécifiques pour les publics migrants. Une extension à la province serait souhaitable.

45

Axe 2 Mesure 2 Objectif  3

Soutien aux projets portés par des acteurs culturels destinés à favoriser l'apprentissage de la langue française dans les bibliothèques et les médiathèques.

Fait

Intégration de la priorité du public étranger dans le plan de transformation des bibliothèques
50 % des projets financés au titre de l’appel à projets (AAP) « action culturelle et langue française » en faveur du public allophone
Reconduction de l'AAP biannuel  de la DGLFLF fin janvier (2021-22)

DIHAL (3 actions)

46

Axe 4
Mesure 2
Objectif 1

Mobilisation de logements dans les contingents préfectoraux au bénéfice des réfugiés

Fait

Les objectifs de mobilisation des contingents préfectoraux ont été atteints à 60 % en 2019 et à 100 % en 2020.

47

Axe 4
Mesure 2
Objectif 2

Accompagnement des réfugiés vers et dans le logement

Fait

15 000 réfugiés bénéficient d'actions AVDL par an.

48

Axe 4Mesure 2Objectif 3

Soutien à l'hébergement citoyen chez les particuliers Elargissement aux colocations solidaires en 2019  pour former le programme Cohabitations solidaires

Fait

Projets associatifs sélectionnés dans le cadre d'un appel à projets annuel


ANNEXE 2 : Exemple de demande abusive de document dans le cadre de la constitution d’un dossier de demande d’aide médicale de l’État (AME)

\\dfs\fichiers\Partages\DIRECTION_CONTROLE_ET_EVALUATION\Commissions d'enquête\CE Migrations\Rapport\Plan - préparation du rapport\Annexe - courrier demande abusive AME.jpg

ANNEXE 3 : Note sur la méthodologie du calcul des coûts liés à la présence de populations migrantes à Calais

 

1.   Quelles dépenses prendre en compte ?

La rapporteure a déterminé un périmètre d’étude incluant certaines dépenses et en excluant d’autres. 

a.   Les dépenses prises en compte

L’étude prend en compte les dépenses de fonctionnement et d’investissement exécutées en 2020 par les douze institutions et personnalités suivantes :

– la direction générale des étrangers en France,

– la préfecture du Pas-de-Calais,

– la préfecture du Nord,

– la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord,

– Mme la préfète déléguée pour la défense et la sécurité auprès du préfet de la région des Hauts-de-France, préfet de la zone de défense et de sécurité Nord, préfet du Nord,

– la ville de Calais,

– l’agglomération Grand Calais terres & mers,

– l’agence régionale de santé des Hauts-de-France,

– le centre hospitalier de Calais,

– le centre hospitalier de Dunkerque,

– Getlink (ex-Eurotunnel),

– la société d’exploitation des ports du détroit.

Toutes ces institutions ont répondu aux questions posées sans qu’il soit nécessaire de recourir aux pouvoirs reconnus aux commissions d’enquête par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Les dépenses présentées ne se limitent pas à Calais et à son agglomération. Les dépenses retenues sont centrées sur ce territoire mais incluent également des dépenses intéressant la sécurisation de l’ensemble du littoral de la Manche et de la mer du Nord.

b.   Les dépenses non prises en compte

La rapporteure a fait le choix, d’une part, de ne pas interroger le Conseil départemental du Pas-de-Calais et le conseil départemental du Nord et, d’autre part, de ne pas estimer les coûts indirects associés à la présence des migrants sur le territoire.

Le Conseil départemental du Pas-de-Calais et le Conseil départemental du Nord auraient pu être interrogés pour connaître les coûts attachés à la prise en charge des mineurs non accompagnés présents sur leur territoire et désireux de se rendre au Royaume-Uni. Après réflexion, ces deux institutions n’ont pas été interrogées dans la mesure où il a paru difficile d’isoler, parmi l’ensemble des mineurs non accompagnés pris en charge par ces conseils départementaux, ceux dont la présence dans ces territoires est motivée par une volonté de départ vers le Royaume-Uni. En revanche, la préfecture du Pas-de-Calais a indiqué que l’état des dépenses établi par ses soins incluait, à hauteur de 2 millions d’euros pour l’année 2020, des frais de mise à l’abri à destination des mineurs non accompagnés. Cette dépense, exécutée « en relais » du Conseil départemental, en revanche a été prise en compte dans le tableau financier.

La commission d’enquête n’a également pas cherché à estimer les coûts indirects, favorables ou défavorables, liés à la présence des migrants sur le territoire de Calais et sa région.

La ville de Calais considère que la présence de ces populations nuit fortement à son attractivité et à son développement : certaines entreprises refuseraient de s’installer pour ce motif dans ses zones d’activité et l’activité touristique pâtirait du contexte migratoire. L’État souscrit à ce raisonnement puisqu’un contrat de territoire en faveur du développement du Calaisis a été conclu en 2015 afin de « soutenir Calais et son territoire, dont l’attractivité naturelle est bouleversée par les effets de la crise migratoire que connaît l’Europe entière » ([141]). Ce contrat, d’un montant de 155 millions d’euros, a été exécuté jusqu’en 2020 et est actuellement en renégociation.

Enfin, la rapporteure n’a pas cherché à évaluer l’activité supplémentaire induite par la présence des migrants en faveur de certaines entreprises locales (par exemple dans les métiers de la sécurité ou en matière de travaux publics).

2.   Le tableau, ligne après ligne

L’ensemble des estimations retenues dans le tableau est expliqué ci-après.

a.   Le coût pour l’État

 

COÛT POUR L'ÉTAT

 

Dépenses de fonctionnement

 

 

 

1.1

Permanence d'accès aux soins de santé des centres hospitaliers de Calais et de Dunkerque

786 500 €

0 €

786 500 €

1.2

Secours en mer

0 €

0 €

0 €

1.3

Hébergement et dispositifs humanitaires (eau, sanitaires, aide alimentaire)

24 500 000 €

 

11 613 000 €

 

99 325 000 €

1.4

Mobilisation de forces de l'ordre (unités mobiles)

86 435 000 €

 

Sous-total A1 :

111 721 500 

11 613 000 

100 108 500 

 

Dépenses d’investissement

 

 

 

1.5

Permanence d'accès aux soins de santé des centres hospitaliers de Calais et de Dunkerque

61 000 €

61 000 €

0 €

1.6

Secours en mer

0 €

0 €

0 €

1.7

Hébergement et dispositifs humanitaires ([142])

1 000 000 €

 

17   418 000 €

 

– 4 518 000 €

1.8

Sécurisation des infrastructures

11 900 000 €

 

Sous-total A2 :

12 961 000 

17 479 000 

 4 518 000 

 

Total A (sous-total A1 + sous-total A2) :

124 682 500 

17 481 000 

95 590 500 

– Ligne 1.1 : Permanence d'accès aux soins de santé des centres hospitaliers de Calais et de Dunkerque (dépenses de fonctionnement)

● Le centre hospitalier de Calais a chiffré le coût de fonctionnement de sa permanence d’accès aux soins de santé à 629 033 euros en 2020. Ce coût (arrondi à 629 000 euros) a été retenu à 100 % ;

● L’agence régionale de santé des Hauts-de-France a indiqué avoir financé la PASS de l’hôpital de Dunkerque à hauteur de 315 498 euros en 2020. Ce coût a été retenu à hauteur de 50 % (arrondis à 157 500 euros).

● Aucun versement britannique ou européen n’a été identifié.

– Ligne 1.2 : Secours en mer (dépenses de fonctionnement)

● La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a indiqué que le développement des traversées par « small boats » « n’a pas donné lieu à l’affectation de moyens nouveaux pour les administrations concourant à l’action de l’État en mer. Les opérations de sauvetage ont été assumées par les moyens d’État qui les assurent habituellement, l’intensification du phénomène les contraignant à réduire leur implication dans leurs autres champs d’action ». Les opérations de sauvetage en mer des migrants se font donc à budget constant au détriment d’autres activités. Comme aucune dépense supplémentaire n’a été engagée, ce poste est donc chiffré à zéro euro.

● À titre d'indication, il est rappelé qu'en 2016 l’État a consacré un peu plus de 23 millions d’euros pour garantir la sécurité maritime en Manche et mer du Nord ([143]).

● En revanche, un coût de 400 000 euros est intégré dans les dépenses humanitaires financées par l’État au titre de la prise en charge des migrants secourus en mer une fois ceux-ci ramenés à terre.

● Aucun versement britannique ou européen n’a été identifié.

– Ligne 1.3 : Hébergement et dispositifs humanitaires (eau, sanitaires, aide alimentaire) (dépenses de fonctionnement)

● La DGEF a indiqué que le coût des dépenses d’hébergement et des dispositifs humanitaires s’élevait en 2020 à 25,5 millions d’euros pour les départements du Nord (8,1 millions d’euros) et du Pas-de-Calais (17,4 millions d’euros). Les dépenses humanitaires réunissent les dépenses « permettant un accès à l’eau, aux sanitaires, aux soins de base, à une aide alimentaire et à des places d’hébergement ». 

● La DGEF a également précisé que « les dépenses relatives au dispositif humanitaire relèvent à la fois de dépenses d’investissement et de fonctionnement puisque des places d’hébergements pérennes ont été créées pour 3 M€ ». Cette somme de 3 millions d'euros ayant été engagée sur 3 ans, une somme de 1 million d’euros a été comptée sous la forme de dépenses d’investissement pour 2020.

● En conséquence, les 25,5 millions d’euros comptabilisés au titre des dépenses d’hébergement et des dispositifs humanitaires pour 2020 ont été répartis entre 24,5 millions d’euros en dépenses de fonctionnement et 1 million d’euros en dépenses d’investissement.

● Concernant le montant d’atténuation de dépenses retenu, l’explication du calcul figure dans le développement associé à la ligne 1.4.

– Ligne 1.4 : Mobilisation de forces de l'ordre (unités mobiles) (dépenses de fonctionnement)

● La DGEF a précisé que le coût de la mission de lutte contre l’immigration clandestine Nord « ne se limite pas à Calais mais inclut l’ensemble du littoral du Nord et du Pas-de-Calais, sur une distance d’environ 140 km ». Cette opération mobilise des forces mobiles (337 effectifs) et des forces territoriales (police aux frontières, services de police, gendarmerie nationale, 357 effectifs), soit 694 effectifs policiers, pour un montant de 178 millions d’euros.

● La rapporteure a choisi de ne retenir qu’une partie de ce coût de 178 millions d’euros avancé par la DGEF. Seul le coût de mobilisation des forces de l’ordre mobiles a été intégré au tableau financier. En l’absence de migrants, ces forces mobiles ne seraient pas déployées sur Calais et dans sa région.

 Le coût des forces territoriales n’a pas été pris en compte puisque, même en l’absence de migrants, ces forces existeraient. Certes, en raison de la situation migratoire, les effectifs territoriaux de police à Calais et dans sa région sont peut-être proportionnellement plus importants que ceux observés dans d’autres bassins de population similaires. De la même façon, il est probablement fait plus régulièrement appel aux réservistes de la gendarmerie nationale et de la police nationale sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord que dans d’autres régions littorales françaises. Cependant, ces surcoûts spécifiques n’ont pas pu être isolés.

● Les forces mobiles représentant 337 effectifs sur 694, la somme retenue est donc égale à : (178 millions d’euros x 337) / 694 soit 86 435 000 euros.

● Concernant les atténuations de dépenses, la DGEF a précisé que le ministère de l’intérieur a reçu 87,1 millions d’euros de contributions britanniques pour les exercices 2018-2019, 2019-2020 et 2020-2021 étant entendu que ces contributions sont versées sur la base de l'année budgétaire britannique courant du 1er avril au 31 mars de l'année suivante. La rapporteure a établi une moyenne annuelle égale à : 87,1 millions d’euros / 3 = 29,03 millions d’euros par exercice.

● Cette somme de 29,03 millions d’euros a été retenue pour l’exercice 2020. Cette atténuation de dépenses a ensuite été ventilée entre les dépenses de fonctionnement et celles d'investissement à hauteur de 40 % de dépenses de fonctionnement (soit 11 613 000 euros) et 60 % de dépenses d’investissement (soit 17 418 000 euros). Cette clé de répartition 40 / 60 a été déterminée au vu de la nature des dépenses financées par les contributions britanniques.

– Ligne 1.5 : Permanence d'accès aux soins de santé des centres hospitaliers de Calais et de Dunkerque (dépenses d’investissement)

● Le centre hospitalier de Calais a indiqué qu’un investissement de 61 045 euros a été réalisé en 2020 en lien avec la présence de populations migrantes. En l’espèce, les travaux financés ont permis d’améliorer l'infrastructure de sécurité de l’hôpital « afin de dissuader, de détecter et de déjouer les tentatives d'entrée et d'occupation de la zone par des migrants ». Si cet investissement ne concerne pas uniquement la PASS, celui-ci a été malgré tout rattaché à ce poste (à hauteur d’une somme arrondie à 61 000 euros).

● Cette dépense a été prise en charge à 100 % par le Royaume-Uni. Un montant comparable est donc porté dans la colonne « atténuation de dépenses ».

– Ligne 1.6 : Secours en mer (dépenses d’investissement)

● Une dépense nulle a été comptée sur cette ligne pour les mêmes raisons que pour la ligne 1.2 (cf. supra).

– Ligne 1.7 : Hébergement et dispositifs humanitaires (dépenses d’investissement)

● Une dépense de 1 million d’euros a été renseignée selon les modalités expliquées à la ligne 1.3 (cf. supra).

– Ligne 1.8 : Sécurisation des infrastructures (dépenses d’investissement)

● La DGEF a indiqué qu’une dépense de 11,9 millions d’euros a été effectuée « au titre de la sécurisation des infrastructures dans le cadre de l'enveloppe Sandhurst 2020-2021 ». Ces crédits ont servi au paiement de travaux de sécurisation des infrastructures, à des travaux d’éclairage et à l’acquisition de véhicules. Une dépense de 328 000 euros a également été dédiée au financement d’équipes cynophiles et d'équipements de sécurisation dans le port de Ouistreham.

● Interrogée pour savoir si ces dépenses n’étaient pas redondantes avec celles financées par les autorités britanniques en faveur de Getlink et de la SEPD, la DGEF n’a pas explicitement répondu. Il a donc été considéré que ces dépenses ne faisaient pas doublon. Cette interprétation a été confirmée lors d’un échange ultérieur au cours duquel la DGEF a indiqué que les crédits accordés aux gestionnaires de ces sites leur étaient directement versés par les autorités britanniques (après examen des demandes par une commission conjointe franco-britannique).

● Le montant de l’atténuation de dépenses retenu dans le tableau (17 418 000 euros) résulte du calcul présenté à la ligne 1.4. Ce montant est certes supérieur au montant des dépenses exécutées en 2020 mais il est représentatif de la moyenne des versements annuels effectués par les autorités britanniques.

b.   Le coût pour la ville de Calais et l'agglomération Grand Calais terres & mers

COÛT POUR LA VILLE DE CALAIS ET L'AGGLOMÉRATION GRAND CALAIS TERRES & MERS

 

Dépenses de fonctionnement

 

 

 

2.1

Gardiennage, nettoyage, frais juridiques, etc.

199 500 €

19 800 €

179 700 €

 

Dépenses d’investissement

 

 

 

2.2

 Sécurisation de sites et d’installations

2 227 700 €

1 272 000 €

955 700 €

 

Total B :

2 427 200 

1 291 800 

1 135 400 

– Ligne 2.1 : gardiennage, nettoyage, frais juridiques, etc. (dépenses de fonctionnement)

● La ville de Calais a présenté le détail des dépenses de fonctionnement supportées par ses soins et par l’agglomération Grand Calais terres & mers. Pour l’année 2020, ces dépenses se sont élevées à 199 500 euros réparties entre 105 000 euros à la charge de la ville et 94 500 euros à la charge de l’agglomération. Ces frais sont essentiellement constitués de dépenses de gardiennage, de nettoyage et de frais juridiques liés aux expulsions de migrants.

● Les contributions britanniques se sont établies à 19 800 euros

– Ligne 2.2 : gardiennage, nettoyage, frais juridiques, etc. (dépenses d’investissement)

● Les dépenses d’investissement en lien avec la présence de migrants prises en charge par la ville de Calais en 2020 s’établissent à 1 646 900 euros et celles supportées par l’agglomération Grand Calais terres & mers à 580 800 euros. Il s’agit essentiellement d’installation d’équipements de vidéosurveillance, de caméras nomades et d’opérations de sécurisation en divers endroits (incluant la pose de clôtures).

● Les contributions britanniques s’établissent à 1 272 000 euros répartis entre la commune (1 132 000 euros) et l’agglomération (140 000 euros).

c.   Le coût pour Getlink (ex-Eurotunnel) et la Société d'exploitation des ports du détroit

 

COÛT POUR GETLINK (EX-EUROTUNNEL) ET LA SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DES PORTS DU DÉTROIT

 

Dépenses de fonctionnement

 

 

 

3.1

Getlink

17 805 000 €

5 053 000 €

12 752 000 €

3.2

Société d'exploitation des ports du détroit

8 229 100 €

2 124 800 €

6 104 300 €

 

Sous-total C1 :

26 034 100 

7 177 800 

18 856 300 

 

Dépenses d’investissement

 

 

 

3.3

Getlink

5 657 100 €

618 900 €

5 038 200 €

3.4

Société d'exploitation des ports du détroit

1 593 110 €

1 591 000 €

2 110 €

 

Sous-total C2 :

7 250 210 

2 209 900 

5 040 310 

 

Total C (sous-total C1 + sous-total C2) :

33 284 310 

9 387 700 

23 896 610 

– Ligne 3.1 : Getlink (dépenses de fonctionnement)

● Pour des raisons de sécurité, le détail des dépenses de fonctionnement supportées par Getlink n’est pas présenté. Il est simplement indiqué que ces frais se sont établis à 17 805 000 euros en 2020 et qu’ils ont été couverts à hauteur de 5 053 000 euros par des contributions britanniques.

– Ligne 3.2 : Société d'exploitation des ports du détroit (dépenses de fonctionnement)

● Pour des raisons de sécurité, le détail des dépenses de fonctionnement supportées par la Société d'exploitation des ports du détroit n’est pas présenté. Il est simplement indiqué que ces frais se sont établis à 8 229 100 euros en 2020 et qu’ils ont été couverts à hauteur de 2 124 800 euros par des contributions britanniques.

● Il est en revanche précisé qu’un litige existe entre la SEPD et les autorités françaises concernant les conditions de prise en charge de certaines dépenses. La SEPD considère qu’en application du traité du Touquet, l’État devrait financer certaines dépenses qui, en pratique, lui incombent. En avril 2021, la SEPD a engagé sur ce sujet un contentieux contre l’État devant le tribunal administratif de Lille en vue d’obtenir une indemnisation couvrant les dépenses concernées (à hauteur de 40 millions d’euros depuis 2015).

– Ligne 3.3 : Getlink (dépenses d’investissement)

● Pour des raisons de sécurité, le détail des dépenses d’investissement supportées par Getlink n’est pas présenté. Il est simplement indiqué que ces frais se sont établis à 5 657 100 euros en 2020 et qu’ils ont été couverts à hauteur de 618 900 euros par des contributions britanniques.

– Ligne 3.4 : Société d'exploitation des ports du détroit (dépenses d’investissement)

● Pour des raisons de sécurité, le détail des dépenses d’investissement supportées par la Société d'exploitation des ports du détroit n’est pas présenté. Il est simplement indiqué que ces frais se sont établis à 1 593 110 euros en 2020 et qu’ils ont été couverts à hauteur de 1 591 000 euros par des contributions britanniques.

 

 

*


—  1  —

   Annexes à l’avant propos

Signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale des actes de la préfète des Hautes-Alpes avec leurs conséquences humaines sur des personnes migrantes

Sébastien Nadot, député de Haute-Garonne

 

J’avais prévu initialement d’évoquer ici l’accueil des migrants syriens au Kurdistan irakien. En effet, cet accueil, massif, ne génère pas du tout les mêmes effets, ni sur les médias, ni sur les politiques, ni sur la population. Les autorités irakiennes et les Irakiens n’ont pourtant pas les mêmes moyens financiers à disposition que la France mais s’est établi là-bas un rapport totalement différent entre la population et les réfugiés.

 

Devant la gravité de la situation française, sur l’ensemble du territoire national, particulièrement à quelques points frontières, il m’a semblé nécessaire de rapporter ici le signalement que j’ai effectué au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, relatif aux actes de la préfète des Hautes-Alpes, avec leurs conséquences humaines sur des personnes migrantes. Après 6 mois de commission d’enquête sur les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, il me semble indispensable que la justice puisse redire le droit au pouvoir exécutif et aux services de l’État concernant les droits des personnes étrangères sur le territoire national.

 

Sont annexés ci-dessous, deux courriers

-          la lettre de signalement au Procureur de la République »

-          la  lettre de la Préfète des Hautes-Alpes à l’association le Refuge solidaire

 


 

 

Sébastien NADOT

Député de Haute-Garonne

Président de la Commission d’enquête

Parlementaire sur les migrations

 

12 novembre 2021

 

 

Objet : Signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale des actes de Mme Martine Clavel, préfète des Hautes-Alpes

 

 

 

 

Monsieur le Procureur de la République,

 

Au titre de l’article 40 du code de procédure pénale et en ma qualité de parlementaire, je vous signale par la présente des actes de Mme Martine Clavel, préfète des Hautes-Alpes, dont j’ai eu connaissance et qui me semblent constituer des infractions pénales graves.

Le 24 octobre 2021, l’association Refuges Solidaires de Briançon a dû fermer les portes de son refuge pour des raisons de sécurité́ : le refuge abritait plus de 200 personnes alors même que sa capacité́ maximum était de 80 personnes. L’association a alors contacté la préfète des Hautes-Alpes pour que la préfecture prenne en charge les réfugiés ne pouvant être hébergés, sachant que les conditions météorologiques rendaient périlleuse la perspective pour ces personnes de passer une ou plusieurs nuits dehors.

Le 8 novembre 2021, la préfète des Hautes-Alpes leur a répondu par une lettre dont j’ai eu connaissance (cf. document joint) et dans laquelle elle déclare : « Comme vous avez pu le constater en revanche, des moyens supplémentaires ont été́ concentrés à la frontière afin d’entraver les passages illégaux [...] Aucun dispositif d’accueil ne sera initié par nos soins. »

À la suite de cette décision de refus d’initier un dispositif d’accueil pour ces personnes migrantes, plusieurs dizaines d’entre elles ont dû passer plusieurs nuits dehors, par grand froid, avec les risques qu’une telle situation entraîne.

D’autre part, comme précisé dans sa lettre, la préfète des Hautes-Alpes a durci les contrôles à la frontière franco-italienne pour que les réfugiés du côté italien ne puissent pas accéder au territoire français, les forçant ainsi à emprunter des chemins détournés et dangereux, et cela alors même que les conditions météorologiques étaient extrêmement précaires, ce que ne pouvait ignorer la préfète. En conséquence, comme l’a rapporté le journal Le Dauphiné, huit réfugiés qui essayaient de traverser la frontière franco-italienne dans le secteur du mont Janus par des chemins détournés se sont retrouvés en situation d’hypothermie et ont dû être héliportés en urgence vers le centre hospitalier de Briançon.

 

 

 

Les actes de la préfète des Hautes-Alpes me semblent constituer :

 

-          une mise en danger délibérée de la vie de ces personnes migrantes au regard de l’article article 223-1 du code pénal (Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende),

 

 

-          une omission de leur porter secours au regard de l’article 223-6 alinéa 2 du code pénal (Sera puni des mêmes peines [cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende] quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours),

 

 

-          ainsi que des atteintes involontaires à leur intégrité physique au regard des articles 222-19 et suivants et R625-2 du code pénal (Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende).

 

 

En vous demandant, Monsieur le Procureur de la République, de considérer ce signalement avec la plus grande attention, je vous prie de croire en l’expression de ma haute considération.

 

Sébastien NADOT

Député de Haute-Garonne

 

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur le Procureur de la République


 

\\dfs\fichiers\Partages\DIRECTION_CONTROLE_ET_EVALUATION\Commissions d'enquête\CE Migrations\Rapport\Plan - préparation du rapport\annexes avant propos\Lettre de la Préfète des Hautes-Alpes à l'Association Refuges Solidaires.jpg

 


—  1  —

 

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 10 novembre 2021, la commission d’enquête procède à l’examen du rapport.

M. le président Sébastien Nadot. Nous concluons aujourd’hui les travaux de la commission d’enquête sur les migrations internationales par l’examen du rapport.

Nous pouvons nous féliciter du travail accompli collectivement sur un sujet trop souvent objet de controverses, pour ne pas dire de débats parfois totalement irrationnels. Je me réjouis de la manière dont nos réunions se sont déroulées et du sérieux avec lequel nous avons mené les travaux.

Nous avons tenu à entendre le plus largement possible l’ensemble des personnes intervenant dans la mise en œuvre des politiques migratoires et auprès des migrants, que ce soit au titre de leurs fonctions ou en raison d’un engagement personnel. Avec la rapporteure, nous avons souhaité accorder une place particulière aux travaux universitaires, en faisant venir à de nombreuses reprises des chercheurs devant la commission. Nous avons aussi tenu à recueillir directement le témoignage de migrants, premiers usagers de ces politiques.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquête, le rapport était consultable lundi, mardi et ce matin sous forme papier dans une salle de notre assemblée. Un exemplaire vous est remis pour cette réunion. Je précise toutefois que nous sommes tenus par les règles applicables aux commissions d’enquête : ce rapport ne pourra être publié avant le mardi 16 novembre, un délai de cinq jours francs étant ouvert pendant lequel l’Assemblée nationale pourrait demander à se réunir en comité secret pour se prononcer sur sa publication.

Mme Sonia Krimi, rapporteure. Nous voilà au terme des six mois de travaux de la commission d’enquête. Nous avons mené quarante-six auditions. Nous nous sommes également rendus sur le terrain en France : à Calais, Menton et Briançon, mais aussi au sein d’une permanence d’accès aux soins et d’un centre d’accueil de Médecins du monde, dans un squat à Aubervilliers, ainsi qu’au musée national de l’histoire de l’immigration.

La dimension européenne n’a pas été négligée. Nous nous sommes déplacés à Bruxelles pour faire un point sur l’état des négociations sur le paquet « migration et asile », et particulièrement sur le règlement Dublin. Je présenterai des propositions sur ce volet de la politique migratoire.

Je remercie toutes les personnes que nous avons pu rencontrer et écouter avec intérêt.

Le sujet des migrations dans leur ensemble peut paraître immense, tout d’abord par ses implications internationales et par le rôle que la France et l’Europe ont à jouer. Ensuite, par l’organisation et les moyens nécessaires pour accueillir dignement ceux qui viennent dans notre pays. Enfin, par l’enjeu que représente la construction quotidienne d’une société dans laquelle chacun, les migrants comme les autres, peut faire valoir ses atouts.

Ce sujet est pourtant loin d’être insurmontable : il faut avant tout revenir à la réalité des migrations pour éviter les faux débats. Tel a été mon premier objectif. J’aurais pu choisir une approche plus polémique, voire journalistique, mais j’ai voulu un document synthétique d’une centaine de pages, assorti d’une trentaine de recommandations. Le but est que ce rapport soit lu et appliqué. Je me suis efforcée d’aborder les principales problématiques et j’assume les choix qui ont conduit à sa rédaction actuelle. C’est un choix équilibré qui essaie d’introduire de la rationalité dans un débat trop souvent hystérisé.

Pour cette présentation, je vais m’en tenir à trois points et à quatre propositions que j’estime essentiels.

Tout d’abord, c’est peut-être une évidence mais il est toujours bon de rappeler que pour qu’il y ait immigration, il faut qu’il y ait eu préalablement émigration. Les déterminants du départ sont donc essentiels ; ils n’ont pas grand-chose à voir avec le modèle social des pays de destination mais tout à voir avec la mauvaise gestion dans les pays de départ, qui y engendre de l’instabilité. On ne quitte pas l’Afghanistan parce qu’on connait le montant de l’aide personnalisée au logement en France. C’est pourquoi j’ai voulu rappeler que les migrations ne sont pas un phénomène transitoire, mais bien structurel. Il est important que l’aide publique au développement obéisse à des objectifs politiques précis, dont celui de fixer des populations dans leur propre territoire, la décision d’émigrer n’étant jamais un choix de facilité. C’est le débat que nous avons eu au sein de la commission des affaires étrangères lors de l’examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, débat qui doit être poursuivi.

Ensuite, j’estime qu’il est primordial de cesser de faire de l’immigration l’alpha et l’oméga de nos relations diplomatiques avec les pays de départ et de transit ; les dernières propositions d’un candidat à l’élection présidentielle en font encore la démonstration par l’absurde. Nous ne maîtrisons pas les facteurs déterminants du départ et nous fragilisons notre position diplomatique en demandant trop aux pays de départ. Inutile de bomber le torse.

Enfin, nous devons sortir des postures et des impostures en rétablissant quelques réalités souvent occultées, dont la première est que le migrant est majoritairement une migrante – alors même que les femmes restent trop souvent les invisibles des politiques migratoires. Les migrants ont un niveau d’études plus élevé que la moyenne et ne demandent pas toujours l’asile. Le rapport présente des données chiffrées sur ces points. Il est frappant de constater que sur les 220 000 titres de séjour accordés chaque année, 90 000 concernent des étudiants et seulement 35 000 environ sont délivrés à titre humanitaire. Pourtant, c’est bien cette dernière catégorie qui alimente le débat public. Si ce rapport a une vertu, ce sera d’essayer de susciter un débat plus serein.

Voilà pour les points sur lesquels je souhaitais revenir.

Quatre propositions maintenant, qui partent du constat que les migrations sont un phénomène global qu’il convient de traiter par une politique intégrée et coordonnée. J’insiste sur ce dernier point.

Premièrement, tous les migrants que la commission a rencontrés ont dit vouloir se rendre en Europe – du moins pour ceux qui souhaitent demander l’asile. Je propose donc de créer un véritable service de l’asile européen, avec une clé de répartition entre les États membres – ce qui aura l’immense avantage de mettre un terme aux transferts Dublin, qui sont aussi inefficaces qu’injustes. Il s’agit ni plus ni moins que de pérenniser et d’étendre la déclaration de La Valette, qui prévoyait déjà une répartition des personnes sauvées en mer afin de découpler le sauvetage et la responsabilité de l’asile. La présidence française de l’Union européenne devrait être l’occasion de faire prospérer cette idée, pour mettre fin à un blocage qui dure depuis 2015.

Deuxièmement, nous devons adapter notre appareil politico-administratif pour le faire changer de vision. La coordination des actions est essentielle. Nous le constatons tous : lorsqu’il s’agit d’entrée et de séjour des étrangers dans notre pays, des questions diplomatiques, de logement, de santé et de travail, mais aussi d’école et d’enseignement supérieur se posent. C’est une question d’efficacité d’ensemble de nos politiques publiques. C’est pourquoi je souhaite prolonger la réforme de 2018 qui a mis en place une délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (DIAIR), en transformant et en renforçant cette dernière. Le rapport propose donc la création d’un Haut-commissariat aux migrations, désormais placé auprès du Premier ministre et non pas du ministre de l’intérieur.

Troisièmement, j’ai été frappée par la plus grande fluidité avec laquelle nos voisins italiens traitaient des questions migratoires, alors qu’en France la polarisation est extrême entre les services de l’État – singulièrement la police –, les collectivités territoriales et les associations. L’absence de médiateurs culturels n’est pas étrangère à cet état de fait. Il est impératif de remettre du liant dans le traitement de la question migratoire, afin que les différents acteurs se parlent. L’actualité récente à Calais nous en montre l’urgence. Je propose donc de créer des filières de médiateurs culturels, issus des associations, des collectivités et des services de l’État, dont la tâche sera de dénouer les situations de conflit ou d’incompréhension entre les acteurs.

Quatrièmement, la question des conditions de l’accueil et de l’intégration des étrangers sur le territoire français est examinée en détail dans le rapport. J’y insiste sur les situations inacceptables et toujours pas résolues concernant l’accès aux services des préfectures, ainsi que sur la complexité du droit des étrangers. Les règles applicables sont parfois contradictoires, ce qui débouche sur les situations insolubles dont tous les députés ont été saisis à un moment ou à un autre au cours de cette législature. Cette complexité est source de nombreux contentieux, qui encombrent les juridictions.

Le rapport analyse l’accès aux différents droits – aux soins, à l’emploi, à l’hébergement et au logement – et la dimension spécifique de l’accès aux droits au sein des habitats informels, avec une attention spéciale pour la situation à Calais. J’ai souhaité évaluer la politique de sécurisation de ce site et son coût. Il s’élève à 120 millions d’euros par an pour la France si l’on tient compte de la contribution de 40 millions d’euros versée par le Royaume-Uni – pour gérer la présence de 3 000 migrants.

S’agissant de l’accès à l’emploi, je recommande de réaliser un état des lieux systématique et approfondi des qualifications et des compétences des étrangers primo-arrivants. C’est une demande des entreprises et des syndicats. Ce bilan serait réalisé à la suite de la signature du contrat d’intégration républicaine. Cette démarche doit être accompagnée par une individualisation des formations linguistiques proposées, en fonction des besoins et en mettant l’accent sur celles à visée professionnelle.

Le rapport met en lumière les efforts qui ont été réalisés en matière d’intégration, mais aussi sur ce qui doit encore être fait, en soulignant notamment le rôle majeur joué par les associations – toutes les contributions qu’elles nous ont adressées figureront en annexe.

Enfin, une partie du rapport est consacrée aux besoins spécifiques de certains migrants : les femmes, les personnes LGBTQ+, les mineurs et les étudiants étrangers.

Après ces quelques mots qui sont loin d’épuiser le sujet, je suis prête à répondre à vos questions, remarques et suggestions.

M. le président Sébastien Nadot. Ce rapport constitue un travail extrêmement sérieux et de qualité, qui peut améliorer la situation. Telle était bien l’ambition à l’origine de la création de cette commission d’enquête. Je suis d’accord avec les deux tiers des propositions et je voterai donc en faveur du rapport. Le fait que la promesse républicaine de l’accès au droit ne soit pas tenue y est bien identifié. C’est un point essentiel.

Dans mon avant-propos, j’ai essayé de reconstituer l’histoire qui part d’une idéologie politique émergente à partir de 2007, visant à restreindre l’immigration, qui trouve ensuite un écho auprès de certains hauts fonctionnaires, puis est intégrée par de nombreux fonctionnaires, pour finir par être relayée par les médias et s’installer dans l’esprit du grand public. Le moment est extrêmement grave et nous faisons face à une idéologie contraire aux lois de la République, qui s’est immiscée dans les esprits et a été progressivement intériorisée. Nous avons eu suffisamment d’auditions au cours desquelles des hauts fonctionnaires ont pris des positions contraires à l’esprit républicain – et en tout cas contraires à leur devoir de respect de la loi – pour mesurer la gravité du problème.

Je me félicite donc que nous ayons entendu les premiers concernés, à savoir les migrants, pour pouvoir redonner un aspect humain à ce débat. Ils sont devenus totalement invisibles, la numérisation supposée magique des procédures d’accueil des migrants ne faisant que renforcer les problèmes. Où que l’on regarde, que ce soit le logement, la justice ou l’accès aux documents administratifs, nous sommes dans un pays qui organise manifestement l’ostracisme des étrangers. Voilà la conclusion à laquelle j’ai abouti.

Je voudrais revenir sur une proposition qui m’est chère et concerne les centres de rétention administrative. Peut-on admettre d’y enfermer des enfants en France au XXIe siècle pour des raisons de commodité ? D’autres solutions sont possibles pour les familles avec enfant, avec l’assignation à résidence, à domicile ou dans des hôtels. Il faut cesser de croire que les gens s’enfuient systématiquement. Une réflexion et une avancée sont nécessaires sur cette question. Le fait que le France soit condamnée tous les ans par la Cour européenne des droits de l’homme est un signal qui ne doit pas être pris à la légère.

Par ailleurs, je constate qu’aucune politique cohérente n’est menée pour les mineurs non accompagnés.

Les constats réalisés par cette commission d’enquête sont assez lourds de conséquences, à l’image du moment que nous vivons. Il ne faut pas se leurrer : les faits observés à Calais ou à Briançon ne concernent pas que les frontières. Ils sont révélateurs d’une situation générale sur l’ensemble du territoire. Il suffit pour s’en convaincre d’avoir assisté à l’évacuation d’un squat, au cours de laquelle on laisse des enfants dormir dehors en pleine nuit, sous la pluie – tout cela pour protéger un bien.

Mme Stella Dupont. Je tiens d’abord à remercier la rapporteure pour son travail. Pour avoir participé à beaucoup des auditions de cette commission d’enquête, je sais combien la matière brute est importante. Le champ était très vaste, peut-être trop, et la synthèse est compliquée. Je me demandais comment résumer tout cela en seulement une centaine de pages, et je trouve intéressant d’arriver à sérier les sujets comme la rapporteure le propose. Je me permets juste de regretter que les modalités d’accès au rapport aient été limitées.

Il ressort de vos derniers propos, monsieur le président, une mise en cause de l’administration. Vous avez même parlé d’illégalité. Je suis moi-même intervenue lors d’une audition où une haute fonctionnaire employait l’expression « appel d’air » de façon si directe que j’avais eu besoin d’exprimer un rappel à l’ordre. Je ne pense pas cependant que l’on puisse mettre en cause de façon large et générale l’administration.

Le rapport qui nous est proposé contient trente recommandations. J’en partage la plupart, ainsi que le diagnostic posé. Je vois un point de désaccord dans la recommandation n° 29 sur la rétention des familles avec enfants. Je préférerais que nos conclusions écartent le séjour de ces familles en centre de rétention, et préconisent plutôt l’assignation à résidence. Le centre de rétention affecte en effet profondément les enfants. J’aimerais que nous en discutions, mais je me rangerai à l’avis de Mme la rapporteure.

Le rapport a plusieurs axes forts, à commencer par la recommandation n° 9 sur la dimension interministérielle du sujet. Transformer la DIAIR en Haut-Commissariat est une option intéressante. Nous devons évoluer sur ce sujet. La création d’une agence de l’asile de l’Union européenne et les propos sur l’EASO, le bureau européen d'appui en matière d'asile, qui est en cours de construction, me semblent aussi pertinents, mais je laisse les spécialistes des affaires étrangères développer le sujet.

S’agissant de l’accès aux droits, vous savez peut-être que j’ai travaillé sur le problème majeur de l’accès aux préfectures, avec la dématérialisation de la prise de rendez-vous, ainsi que sur l’accès à la santé. Les recommandations nos 13, 14 et 15 vont tout à fait dans le sens des auditions que j’avais menées. Il nous faut une alternative à la prise de rendez-vous dématérialisée. Il nous faut surtout, parce que c’est le cœur du problème, élargir les créneaux de rendez-vous en préfecture. Je préconise une précision sur ce point, car il n’y a pas d’indicateur en la matière : rien ne permet de constater que M. Untel n’a jamais réussi à se connecter entre telle et telle date. Nous devrions pousser à l’évaluation, par les services de l’État et par le Parlement, de cette question très sensible. Il faut également renforcer les moyens consacrés aux bureaux des étrangers des préfectures. Nous avons adopté, à l’initiative de Jennifer de Temmerman, un amendement au projet de loi de finances qui en augmente les moyens humains.

L’accès à l’emploi des étrangers est un véritable parcours du combattant. Il convient d’y remédier. Merci à Mme la rapporteure d’avoir mentionné les études nombreuses qui démontrent les conséquences positives du travail des étrangers pour notre économie et nos emplois, et pour eux-mêmes bien sûr. Il est difficile de lutter contre les idées reçues, mais nous avons vraiment matière à argumenter : nous avons tout intérêt à faciliter le travail des étrangers présents sur notre territoire.

Je termine avec la recommandation n° 22, qui concerne Calais. Vous préconisez de petites unités de vie le long du littoral. J’ai moi-même pu faire ce type de proposition en travaillant sur le sujet, bien que n’étant pas de la région – car c’est un problème qui nous concerne tous et qui se produit à toutes nos frontières. La crise particulière qui se déroule à Calais a entraîné un travail de médiation, mené sous la responsabilité de Didier Leschi, directeur général de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), qui sera très intéressant à suivre. La mise en place d’un dispositif permettant d’héberger les étrangers une nuit et de les orienter pour la suite va dans le bon sens. Ce ne sont pas des petites unités de vie le long du littoral, mais c’est tout de même une étape qui mérite d’être expérimentée, même si je sais que la municipalité de Calais y est tout à fait opposée. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de se remettre en cause là-bas, compte tenu des difficultés observées. La médiation permanente est difficile, mais nécessaire. Nous pourrions compléter cette recommandation n° 22 en insistant sur l’absolue nécessité d’organiser les discussions, la collaboration, la coopération dans ce secteur, tout en sachant combien c’est difficile.

M. le président Sébastien Nadot. S’agissant des modalités de consultation du rapport, il ne tient qu’à nous de changer le règlement de l’Assemblée nationale.

M. Vincent Ledoux. Effectivement, nous devons faire évoluer cette méthode de travail sur le rapport, à la fois frustrante et intellectuellement peu défendable. Nous n’avons pas le temps de travailler sur le rapport.

Je ne peux pas laisser dire que des hauts fonctionnaires agiraient de façon contraire aux principes de la République. Je respecte trop la fonction publique pour cela. Les fonctionnaires ne sont que des gens qui exécutent une commande politique : c’est donc cette commande politique qu’il faut remettre en cause. Si un fonctionnaire déroge aux principes de la République, l’administration doit en être informée et il doit immédiatement être sanctionné, parce que ce n’est pas tolérable.

Pour le reste, le principe de la commission d’enquête parlementaire est aussi que les gens puissent s’exprimer librement devant elle. Si certains propos interpellent, comme l’expression « appel d’air » qui avait été employée, c’est à nous de demander à la personne auditionnée ce qu’elle entend par là – et Stella Dupont l’avait très bien fait. Mais je n’aimerais pas voir figurer dans le rapport cette remise en cause désagréable et malvenue des fonctionnaires.

Notre travail s’est trouvé confronté à un double écueil. D’abord, le champ exploratoire était considérable, et constitué de sujets très divers, même s’ils sont tous liés. Par exemple, nous avons beaucoup parlé du départ mais très peu du retour, qui pour moi est un sujet essentiel. Il y a des personnes qui sont là depuis vingt ans et qui ont envie de retourner chez eux, nous devons les aider.

Ensuite, ce sujet fait intervenir le cœur et la raison. Quand on entre dans cette matière-là, éminemment vivante, qui touche à des êtres humains, forcément, ça transperce le cœur, ça touche, ça fait pleurer. Mais en même temps, quand on fait de la politique, qu’on doit construire des politiques publiques, on doit garder le cap de la raison. Nous devons nous situer entre les deux, et prendre garde à la confusion.

Ainsi, nous parlons d’asile, de réfugiés, d’immigration irrégulière, mais nullement du migrant légal, de l’étudiant étranger entré régulièrement en France. Or ces catégories-là connaissent aussi des problématiques, qu’il faut absolument traiter. Je ferai une contribution sur ce sujet majeur. Nous devons en particulier améliorer encore l’accueil des étudiants africains dans les années qui viennent : cela ne va pas assez loin.

Je m’interroge aussi sur le type de gouvernance que vous envisagez pour cette politique publique. Quelle est, madame la rapporteure, l’architecture administrative que vous avez en tête ? L’interministériel, il y en a déjà beaucoup : c’est imparfait certes, mais les préfets dans les territoires, c’est bien de l’interministériel. Comment positionnez-vous les acteurs ?

Vous évoquez très justement, dans la recommandation n° 2, le renforcement des équipes diplomatiques et consulaires, en Lybie par exemple. Je pense que cette politique-là doit être appréhendée par tous les corps de notre fonction publique, y compris les ambassadeurs. J’ai proposé, dans un rapport au Premier ministre qui portait sur notre articulation avec l’Afrique, de renforcer la triade ambassadeur-préfet-territoire. Vous préconisez pour votre part de contractualiser avec les départements. Oui, mais il faut également mieux associer tous les acteurs, associations et conseils départementaux compris, à la définition comme à la réalisation de ces politiques. C’est essentiel.

C’est un peu comme le plan de relance : s’il a fonctionné dans nos départements, comme le dit mon préfet de région, c’est parce qu’il a été territorialisé. De la même façon, je pense qu’il faut territorialiser au maximum la politique de la migration, la mener au plus proche des gens – parce que de toute façon, la réaction épidermique, ce sont nos concitoyens qui l’éprouvent. Bien sûr, monsieur le président, madame la rapporteure, vous avez raison, nous sommes environnés de fumée, conditionnés par des discours qui ont été travaillés depuis de nombreuses années pour nous accoutumer à penser dans un certain sens, pour créer des réactions automatisées. Il faut remettre un peu de réalité dans tout cela. Mais j’aimerais bien avoir des précisions sur l’architecture de la gouvernance de cette politique.

Car nous avons déjà tous les ingrédients : des préfets à l’immigration, des conseillers diplomatiques auprès des préfets… Pour avoir Calais dans ma région, je pense qu’on pourrait associer un peu plus étroitement ces derniers, d’une autre manière. La question est donc de savoir comment on met dans une même dynamique tous ces acteurs qui sont déjà dans nos territoires et qui pourraient mieux collaborer.

Sur l’état des lieux des métiers en tension, je suis mille fois d’accord. Nous avons peiné à les réviser, la procédure est longue et compliquée. J’ai moi-même constaté que des obligations de quitter le territoire français (OQTF) peuvent être prononcées contre des gens qui travaillent dans des métiers en tension, comme la restauration. C’est ridicule !

Enfin, je pense que nous avons un véritable problème en matière de politique du retour. Nous ne sommes pas bons et nous ne communiquons pas bien. Comment aider quelqu’un qui est sur notre territoire et qui se dit qu’il s’est trompé, qu’il veut retourner chez lui ? Comment améliorer le retour des irréguliers, mais aussi de ceux qui sont légalement sur notre territoire ? Comment accompagner un projet d’entreprise dans le pays d’origine ? Nous n’avons aucun dispositif destiné à ceux qu’on appelle les « repatriés ». Des Franco-Maliens ou Franco-Sénégalais qui ont envie de faire le lien entre les deux continents ne sont pas aidés.

Quoi qu’il en soit, bravo pour ce travail, qui était une gageure. Au moins, nous n’avons pas hystérisé le débat, nous avons conservé de la rationalité.

Mme Sonia Krimi, rapporteure. Je commencerai par les centres de rétention. Vous savez que s’il ne tenait qu’à moi, je supprimerais les frontières de 2015 et j’intégrerais les migrants dans le marché du travail, surtout dans les métiers en tension. Mais il faut tenir compte de l’acceptabilité sociale.

Je fais partie des signataires de la proposition de loi Boudié visant à encadrer la rétention administrative des familles avec mineurs. Nous sommes allés sur le terrain, jusqu’à Mayotte, nous avons énormément auditionné. Cette proposition de loi pousse à créer des centres dédiés. Pour moi, soit on décide que les familles avec enfants sont « inéloignables », soit on trouve d’autres solutions que le centre de rétention, comme un appartement. En Allemagne, on ne décide d’éloigner que les gens qui sont « éloignables ».

L’esprit de mon rapport, c’est un accompagnement maximal. Il n’y a pas plus simple pour moi que d’écrire dans la recommandation n° 29 qu’il faut interdire totalement les centres aux familles avec mineurs. Je peux travailler à une modification pour que cette recommandation colle plus à ce que je souhaite profondément tout en restant conforme à ce que j’ai porté avec Florent Boudié. Quoi qu’il en soit, ce rapport doit être lu et appliqué.

Merci à Stella Dupont pour ses commentaires sur les recommandations nos 13, 14 et 15. Je suis d’accord pour l’ajout d’un indicateur qui fasse apparaître ce qui a été a bien fait ou pas. Pour ce qui est des modalités d’application, je les laisserai définir par l’exécutif.

Je suis également d’accord avec ce qui a été dit sur l’accès à l’emploi et sur les propos tenus par certaines personnes que nous avons auditionnées. Il y a en France, à un haut niveau de responsabilités, des gens qui ont une vision qu’on sait fausse du sujet, et qui appliquent donc de fausses solutions. Didier Leschi, directeur de l’OFII, expliquait ainsi qu’il faut trouver du travail pour les Français avant de trouver du travail pour les migrants. Il ne s’agit pas de mettre les x millions d’emplois à pourvoir en France en face des x millions de chômeurs : il y a tout un processus à prendre en compte entre les deux. C’est pour cela qu’il faut porter une grande attention au choix des personnes chargées de ces matières, quel que soit le ministère. Nous avons besoin de personnes qui ont compris le système, dans toutes ses difficultés et toute son interdisciplinarité.

Si je recommande de sortir les politiques migratoires de la seule compétence du ministère de l’intérieur, c’est parce que, depuis 2007 et l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, elle ont été réduites à une dimension totalement sécuritaire. Certes nous savons agir en interministériel mais, d’une part il n’y a de conseiller diplomatique qu’auprès des préfets de région, et d’autre part le préfet, s’il représente l’État sur le terrain, dépend fonctionnellement du ministère de l’intérieur.

Le Gouvernement sait travailler en interministériel, sauf que s’agissant de l’immigration, il faut aussi travailler avec les associations et les collectivités territoriales. Médecins du monde, par exemple, explique qu’il y a dix ans, ils pouvaient parler sur le terrain à des gens de l’agence régionale de santé. En tant que médecins, ils pouvaient parler à d’autres médecins et arrivaient à des solutions meilleures qu’ils ne le font avec des personnes qui émanent du seul ministère de l’intérieur. Je ne dis pas que tout est de la faute du ministère de l’intérieur, mais qu’il ne sait faire que ce qui est de sa compétence : du sécuritaire.

Il faut absolument réduire les compétences du ministère de l’intérieur en matière d’immigration. Je considère qu’on peut revenir sur ce qui a été fait en 2007, quand on a pris une centaine d’équivalents temps plein au ministère des affaires étrangères pour les donner au ministère de l’intérieur. Ouvrons un peu les portes. Le ministère des affaires étrangères demande à avoir plus la main sur les visas, parce qu’il sait exactement ce qu’il faut faire ou non. Que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dépende du ministère de l’intérieur, moi, cela me dérange.

Les associations, les collectivités territoriales – encore une fois, l’État n’est pas le seul à traiter la question des migrants – veulent aussi avoir d’autres interlocuteurs. La dimension interministérielle ne résoudrait pas tous les problèmes, mais elle serait perçue comme un facteur d’apaisement et elle rétablirait un lien perdu en raison de la volonté du ministère de l’intérieur d’avoir la main sur l’ensemble de cette politique. Du reste, celui-ci est le seul à estimer que tout va bien. Si l’on met d’autres acteurs autour de la table, les choses prendront peut-être plus de temps, mais on gagnera en visibilité et on pourra proposer des solutions au niveau approprié.

Cela me conduit à évoquer la recommandation relative aux médiateurs culturels. Les associations doivent pouvoir avoir accès à tous les lieux dans lesquels se trouvent des migrants. C’est la rareté des échanges entre police, État et associations qui crée la crispation dont certains partis politiques, quels qu’ils soient, font leur miel en vue des élections.

M. Jacques Maire. Le rapport est fort et subtil, sans être provocant ; je souscris entièrement à sa philosophie.

Un mot sur la gouvernance. Lorsque j’étais directeur des affaires internationales au ministère de l’emploi, j’avais, face à moi, une direction de la population et des migrations. Il y avait, au quai d’Orsay, un véritable service des étrangers en France ; il n’y a plus désormais qu’une boîte aux lettres. La situation actuelle est une exception si l’on considère l’histoire sur le temps long de l’État français. Du reste, dans aucun autre État, les affaires étrangères sont dépossédées du pouvoir d’émettre des visas. Ne partons donc pas battus. De fait, la DGEF n’est pas interministérielle. La réponse se trouve-t-elle dans la création d’un haut-commissariat ? Je l’ignore. Mais le fait de conférer à cette question un caractère fondamental lui donnera de l’écho. Par ailleurs, je sais que ce point n’est pas consensuel, mais il me paraissait important de replacer le Parlement au cœur du sujet.

S’agissant du comportement des fonctionnaires, on ne peut pas dire à la fois qu’il existe des dénis de droit et que personne n’est responsable. Il y a, en la matière, quelques péchés par omission et beaucoup de péchés par action. Plus on monte dans la hiérarchie, plus il y en a. Soit on change le droit, soit on l’applique. Ce qui est dit à propos du déni de droit est intéressant, mais on doit aller plus loin.

J’appelle votre attention sur le fait que certaines de nos recommandations peuvent être manipulées. Je n’en citerai qu’un exemple : la recommandation n° 13 – dont la formulation devrait peut-être corrigée. Au sujet de la prise de rendez-vous par internet, le directeur de la DGEF nous a en effet indiqué, lors de son audition, qu’il distinguait les renouvellements de titres, des régularisations. Je comprends que, du point de vue de l’urgence et de l’accès au droit, le renouvellement soit un impératif – car ne pas y procéder constituerait un déni de droit –, mais le fait de ne pas pouvoir demander une régularisation est également un déni de droit. Il faut donc aller un peu plus loin, si cela est possible, en précisant que renouvellements et régularisations ne doivent pas être distingués, de manière à éviter toute mésinterprétation.

En ce qui concerne la recommandation n° 2, mieux vaut s’appuyer sur le fait que la stratégie de l’Agence française de développement en matière de migrations doit s’inscrire dans des priorités politiques – un programme consacré à la Lybie est nécessaire – plutôt que de se mettre dix-neuf pays à dos. Un ajustement serait donc bienvenu.

Peut-être faudrait-il expliciter la recommandation n° 6 : « Revenir pleinement au droit commun de la gestion de la frontière franco-italienne ». Si, comme je le comprends, il s’agit de supprimer les contrôles internes, pourquoi mentionner cette frontière-ci et pas les autres ? C’est trop ou trop peu. Cela me paraît un peu dangereux.

Quant à la rédaction de la recommandation n° 8, elle me semble contradictoire. On propose de créer une agence européenne de l’asile, sans préciser qu’elle doit pouvoir accorder l’asile, tout en indiquant un peu plus loin que les États membres doivent pouvoir retrouver le droit d’accorder l’asile en cas de nécessité. Si l’on avance cette proposition, il faut l’assumer.

Mme Maud Gatel. Je vous remercie pour la manière dont vous avez conduit les travaux de la commission et pour la qualité du rapport, qui traduit un volontarisme et une énergie fidèles à l’état d’esprit qui fut le nôtre. Dans la situation actuelle, qui est assez désagréable – je pense à la campagne présidentielle –, cela fait du bien. J’appelle cependant votre attention sur la communication qui en sera faite. Il est très important de faire œuvre de pédagogie et, sinon d’être exhaustif, du moins de faire en sorte que la trace que laissera le rapport soit celle que vous avez voulue. Compte tenu du nombre des propositions, il faudra faire des choix.

L’un des éléments qui font la qualité du rapport réside dans le fait qu’il dépeint la réalité des migrations sur le territoire français et en identifie les différents types. Il aurait peut-être été plus lisible si l’on avait présenté des recommandations pour chaque profil de personnes. Traiter les choses de manière globale a davantage de sens, mais cela peut compliquer la communication.

Plusieurs éléments me semblent devoir être mis en avant. Le premier est la dimension européenne, que je vous remercie d’avoir placée au cœur de nos recommandations ; je pense en particulier à la proposition de créer une agence de l’asile européenne. Je suis moins optimiste que vous quant aux avancées que l’on peut attendre de la présidence française de l’Union européenne, mais j’espère me tromper.

Je vous remercie également d’avoir souligné la nécessité de remettre le Parlement au cœur de la politique migratoire, notamment en organisant un débat annuel sur la question des quotas et de la liste des pays sûrs.

Il me semble que nous devrions expliciter davantage ce que nous attendons de la numérisation des procédures et insister sur la nécessité de maintenir un guichet, donc une présence physique.

Je souscris entièrement à la recommandation n° 30 : si nous voulons mener une politique de rayonnement, les frais d’inscription dont les étudiants étrangers doivent s’acquitter ne peuvent pas continuer à augmenter. J’ajoute, à propos de la recommandation n° 29, qu’il conviendrait de reprendre les termes de la Défenseure des droits, de manière à s’inscrire dans le cadre de la jurisprudence et à adopter une ligne qui nous rassemblera.

Par ailleurs, je m’interroge sur la recommandation n° 4. S’il convient en effet d’insister sur le fait que le rapport de force instauré par certains pays – je pense à la Turquie et à l’Égypte – n’est pas acceptable dans la mesure où ils instrumentalisent la question des migrants, il me paraît un peu illusoire de souhaiter que cette question ne soit pas l’alpha et l’oméga de notre politique vis-à-vis de ces pays.

Enfin, je suis dubitative quant à la recommandation de ne pas utiliser l’arme que peut constituer la délivrance des visas contre les pays qui rechignent à délivrer des laissez-passer consulaires. J’ai bien conscience que les populations ne doivent pas souffrir d’une politique de rétorsion qui concerne surtout les États, mais cet outil me paraît pas intéressant.

Mme Natalia Pouzyreff. Tout d’abord, il me paraît effectivement important d’avancer au niveau européen dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

Surtout, je remercie Mme la rapporteure pour les recommandations nos 16, 18 et 19, relatives à l’accès à l’emploi. Je suis notamment favorable à la recommandation d’offrir la possibilité pour les demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande. Il me semble que cette possibilité existe en Allemagne – même si les délais peuvent être différents selon l’origine des migrants. Le travail est en effet le meilleur vecteur d’intégration, et il est préférable que les demandeurs d’asile travaillent de manière légale, y compris, s’ils sont finalement déboutés de leur demande, pendant les trois ans que dure la procédure. Au demeurant, on ne peut pas nier la réalité économique : dans certains secteurs, l’emploi est sous tension. Je pense notamment au BTP, qui emploie de toute façon des migrants, ou à l’aide aux personnes. Au reste, ces migrants perçoivent l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), dont le montant est de 200 euros par mois. Je ne critique pas cette politique d’aide, mais l’intégration par le travail me paraît plus émancipatrice.

La question de la territorialisation de la politique migratoire, en particulier la contractualisation avec les collectivités territoriales, me paraît très intéressante et mérite d’être discutée. En matière de logement, je privilégierais le logement de suite pour les migrants qui ont obtenu leur titre de séjour et basculent vers le RSA. Ces logements, dans lesquels ils sont encadrés, me semblent plus appropriés que le logement social, où ils seront moins accompagnés. Toutefois, il faut éviter de saturer davantage encore le logement social en Ile-de-France et de créer des phénomènes de concentration en banlieue.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous sur la gratuité, pour les étudiants étrangers, de l’inscription à l’université. Si nous voulons valoriser notre enseignement, nous devons permettre à nos universités d’atteindre les standards internationaux. Par principe, les étudiants extra-européens doivent donc payer plus cher, des exceptions pouvant être prévues, comme l’a indiqué la ministre de l’enseignement supérieur, sous la forme d’exonérations pour les doctorants, de bourses délivrées par le ministère des affaires étrangères ou d’exonérations accordées par les ambassades. Du reste, certains étudiants africains sont riches. Il faut aider ceux qui en ont besoin.

Pour conclure, je remercie Mme la rapporteure d’avoir abordé la question des femmes migrantes. Nous devons les aider à s’insérer dans la société en leur permettant de suivre une formation professionnalisante, en les autorisant à travailler et en facilitant la garde ou la scolarisation de leurs enfants.

Mme Mireille Clapot. Plutôt que de passer en revue les nombreux éléments positifs du rapport, je me concentrerai sur ceux qui me paraissent pouvoir être améliorés.

Premièrement, je ne vois mentionner nulle part les termes « politique publique ». Or la France pourrait reconnaître qu’elle doit mener une politique publique d’accompagnement du fait migratoire, qui serait en tant que telle soumise à évaluation selon des indicateurs préalablement définis. Je suggère donc un ajout en ce sens.

Deuxièmement, je regrette l’absence de la question de l’exécution des obligations de quitter le territoire français. C’est l’éléphant dans la pièce : ne pas aborder le sujet risque d’affaiblir l’ensemble du rapport. Si les OQTF ne sont pas exécutées, nombre des mesures préconisées ne sont pas réalistes, notamment en matière de logement. Du reste, lorsqu’on discute avec les acteurs impliqués dans l’accompagnement des migrants, cette question est rapidement abordée.

Troisièmement, il est dommage que ne soit pas non plus abordé le pouvoir discrétionnaire des préfets – je pense à la circulaire Valls. Je supporte de moins en moins les injonctions paradoxales auxquelles ils sont soumis. Ils se voient en effet assigner des objectifs implicites : moins ils régularisent, mieux ils sont notés. Comment nous, parlementaires, pouvons-nous supporter de telles contradictions ? Et comment accepter qu’on laisse entendre aux étrangers faisant l’objet d’une OQTF que, s’ils parviennent à se faire oublier pendant cinq ans et qu’ils ont des enfants scolarisés ainsi que des témoignages favorables, ils seront éligibles à une régularisation ?

Enfin, je veux évoquer le cas des deux pays des Balkans occidentaux candidats à l’intégration européenne – l’Albanie et la Macédoine du Nord –, qui est rapidement abordé dans le rapport. Je déposerai une contribution à ce sujet car il me semble que nous pourrions susciter une aide au retour, avec un projet, dans une perspective européenne. Il s’agit d’inciter les ressortissants de ces pays à retourner chez eux, sachant que, dans un certain délai, il est possible qu’ils soient des citoyens européens.

M. le président Sébastien Nadot. Traiter la question du retour des ressortissants albanais, par exemple, dans la perspective de l’adhésion de leur pays à l’Union européenne est une piste intéressante qui mérite d’être discutée.

Mme Sonia Krimi, rapporteure. L’idée est en effet intéressante. Peut-être faut-il améliorer l’efficacité du retour des ressortissants de certains pays dans le cadre du processus d’adhésion de ces derniers à l’Union européenne.

Je vous propose de formuler la recommandation n° 29, relative à la rétention des mineurs, qui figure à la page 100 du rapport, de la manière suivante : « Prévoir systématiquement des alternatives à la rétention des familles avec des enfants ».

Natalia Pouzyreff a évoqué l’intégration par le travail et l’existence de secteurs en tension. Le Gouvernement a su intégrer 750 000 jeunes en une année, pendant le confinement, grâce à des dispositifs tels que « un jeune, une solution ». On pourrait imaginer un dispositif « un migrant, une solution ». De fait, je suis perplexe lorsque j’entends des personnes parler de l’immigration sans prendre en considération la situation de notre pays. L’économie se porte très bien ; on a besoin de main-d’œuvre; de nombreux métiers sont sous en tension et je n’ai pas de retour précis des administrations concernant les actions menées pour intégrer les jeunes. C’est l’objet des recommandations n°s 13, 14 et 15, ainsi que de la recommandation n° 10. Dès que des migrants arrivent, nous devons être beaucoup plus efficaces pour les orienter sur le chemin de l’emploi. Nous savons le faire, puisque le Gouvernement a réussi à intégrer 750 000 jeunes en un an. Mais nous n’avons pas été assez efficaces sur l’apprentissage, le permis et les autres freins qui empêchent un jeune de trouver un travail, et sur le chômage structurel.

Je reviens sur la remarque concernant l’Agence de l’asile européen. Va-t-elle être en charge des demandes d’asile et l’accorder ? Cela me semble implicite, mais nous pouvons préciser qu’elle serait l’équivalent d’un OFPRA européen, traitant tous les dossiers de la même façon, que l’on demande l’asile à Rome, à Marseille, à Nice ou au Portugal. Cela permettrait de mettre fin à l’actuelle et inhumaine situation de ces êtres humains, baladés en Europe pendant des années.

Madame Gatel, je suis plus optimiste que vous quant à la capacité du Président de la République à défendre ce dossier. À Bruxelles, les services de l’ambassade et ceux de l’Union européenne nous ont confirmé travailler fortement sur ce thème.

M. Maire m’a interrogée sur la recommandation n° 6. Pourquoi évoquer spécifiquement la frontière à Menton, et non les autres ? Parce que je les ai toutes passées en voiture – vers l’Espagne, à Dunkerque ou à Briançon, où l’on doit faire un petit arrêt – et elles n’ont rien de commun avec ce qui a été mis en place à Menton, où la frontière est extrêmement sécurisée et où des Algécos y ont été installés. Même si je me fais reprendre à chaque fois, car le mot n’est pas très juridique, je le répète, on y pratique le refoulement des mineurs. Je l’indique d’ailleurs dans le rapport.

L’expression politique politiques publique est présente à plusieurs reprises dans le rapport, madame Clapot, notamment pages 11, 46, 50 et 70. En outre, il ne s’agit pas de faire des propositions d’ordre administratif mais politique. Quand nous recommandons la création d’un Haut-commissariat ou l’interdiction de retenir des mineurs en centre de rétention, nous énonçons des solutions politiques. Même si je fais partie de la majorité, j’ai essayé de produire trente recommandations applicables, issues d’expériences réussies dans d’autres pays, susceptibles de faire évoluer cette politique publique. Mais je peux le préciser plus clairement, si vous le souhaitez.

S’agissant de l’Albanie, vous avez raison, je vais ajouter ce point. Il faut faire le lien avec le processus d’intégration pour que cela ne soit pas vain, et inefficace.

J’ai pris le parti de ne pas évoquer les OQTF, puisque tout le monde en parle en brandissant des chiffres, alors que leur taux d’efficacité est extrêmement faible. Chacun a des idées pour faire mieux, notamment les candidats à la Présidence de la République. Il aurait été vain, et contraire à la philosophie du rapport, d’aller dans le même sens. En outre, j’estime qu’il faudrait arrêter de prendre des OQTF.

Monsieur Ledoux m’a interrogée sur les politiques de retour. Je ne connais aucun Franco-Tunisien ou Franco-Algérien ayant passé vingt ans en France qui veuille ensuite rentrer au pays. Il s’agit probablement de cas isolés. La plus grosse erreur des Maghrébins, Sénégalais ou Camerounais arrivés à partir des années trente en France pour participer à la construction de notre pays a été de penser qu’ils rentreraient chez eux, car ce n’a pas été le cas. Ils ont fait des enfants et ces enfants sont totalement français. Un Français doté d’un Guide du routard connaît mieux le Maroc qu’un enfant de Marocains vivant en France, qui ne parle en outre pas la langue ! Ces immigrés sont restés dans des HLM et n’ont pas investi, contrairement à l’immigration actuelle, celle de ma génération, celle des trentenaires qui arrivent en France, s’intègrent très rapidement, achètent un logement puis, trois ou quatre ans plus tard, demandent la nationalité française, exercent leurs droits et ressemblent à madame et monsieur tout le monde. C’est pourquoi j’ai du mal à faire le lien avec les Chibanis – dont vous parlez probablement –, qui veulent rentrer chez eux.

En tant que femme politique, il me semble important de construire le futur, mais votre question sur l’aide au retour est intéressante. Nous l’avons d’ailleurs évoqué avec Mme Dupont et un interlocuteur du ministère de l’intérieur. On nous a confirmé que c’est un axe important de travail. Les montants ont d’ailleurs considérablement augmenté – nous sommes d’ailleurs très attaqués par l’extrême droite sur ce point – afin que les personnes puissent réellement s’installer et développer un projet dans leur pays. Quand on donne 600 ou 1 000 euros à des migrants qui il faut le rappeler ont parfois payé 20 000 euros pour venir en France et sont très endettés.

Nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur les filières de départ et la collaboration policière avec les pays, notamment par le biais d’Europol. Il ne sert à rien de démanteler les filières quand les migrants – surtout des hommes – ont déjà tout payé et sont à Calais… De la même façon, nous n’évoquons pas Mayotte. Il était malheureusement difficile de rédiger un rapport exhaustif.

M. le président Sébastien Nadot. J’aborde les OQTF dans mon avant-propos car la situation actuelle constitue une tromperie coupable. Il nous faut soit diminuer le nombre d’OQTF, soit comprendre, et faire comprendre, qu’une OQTF ne dépend pas uniquement d’une volonté franco-française mais doit être le fruit d’un dialogue et d’une volonté partagée avec le pays vers lequel on veut expulser. Avant de prendre des OQTF par milliers en direction d’un pays dont on sait pertinemment qu’il ne voudra pas recevoir ses ressortissants, il faut y réfléchir. Cela ne doit pas rester un impensé car le problème est évident et très largement relayé par les médias et une frange de l’extrême droite, d’une manière tout à fait pernicieuse. Ce n’est pas satisfaisant.

Monsieur Ledoux, aucun pays de l’Union européenne n’a été capable d’apporter une réponse cohérente aux phénomènes migratoires circulaires des pays du Maghreb et du Sahel. Nos systèmes politico-administratifs doivent structurer de nouvelles voies migratoires légales, avec des contreparties.

Mme Bénédicte Pételle. Je vous remercie pour ce rapport très clair sur une situation très complexe. Je reviendrai sur quelques recommandations. Je suis entièrement d’accord avec celles qui concernent l’Agence de l’asile européen et le renforcement de la dimension interministérielle des politiques migratoires.Vous avez raison concernant la recommandation n° 13 sur les titres de séjour : il faut ré-humaniser les rendez-vous en préfecture.

Mme Dupont, la recommandation du rapport spécial que vous avez rédigé avec Jean-Noël Barrot sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2020 du 26 mai 2021 me semble intéressante – peut-être pourrions-nous l’ajouter au présent rapport ? Il faudrait effectivement développer les titres pluriannuels. Tout le monde serait gagnant. Mais cela implique de changer de mentalité.

Dans votre recommandation n° 22, il faudrait aussi parler de médiation permanente. Avec Mme Dupont, nous sommes en lien permanent avec les acteurs qui travaillent à Calais. Cet après-midi, Didier Leschi, directeur général de l’OFII et médiateur du Gouvernement, devait rencontrer la préfecture et les associations. Ces dernières ont refusé d’un bloc, même si certaines, ou leur direction nationale, y étaient favorable. La situation est extrêmement complexe et s’est considérablement durcie depuis septembre 2020, quand on a interdit aux associations de distribuer de la nourriture aux migrants et d’avoir des contacts avec eux.

Une médiation permanente, ou la présence d’un collège d’observateurs avec la préfecture, la police, les élus et les associations, serait donc utile. J’insiste sur l’importance d’associer la police, dans un esprit de consensus. Pendant la grève de la faim des trois personnes à Calais, des policiers en civil sont venus témoigner de leur désarroi, soulignant que ce qu’on leur demandait était contraire à leur éthique.

Votre recommandation n° 26 aborde la problématique des mineurs non accompagnés, ni majeurs ni mineurs, également appelés « mijeurs », qui évoluent dans une sorte no man’s land. Je soutiens entièrement votre proposition de récépissé afin qu’ils accèdent à l’école et au logement. Ma contribution écrite insistera d’ailleurs sur la différence de traitement de ces mineurs, selon qu’ils arrivent avant ou après seize ans. Lorsqu’ils ont plus de seize ans, ils ne bénéficient pas d’un titre de séjour vie privée et familiale et doivent justifier de six mois de formation destinée à une qualification professionnelle. Or ils n’ont pas eu le temps d’apprendre le français et les formations de langue française de l’éducation nationale, comme les formations préqualifiantes, ne sont pas reconnues.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je vous remercie pour ce rapport. Arriver à une synthèse de cette qualité est un exploit. Je suis extrêmement favorable à la recommandation n° 9 visant à transformer la DIAIR en Haut-commissariat aux politiques migratoires.

Je suis également pleine d’espoir concernant l’Agence de l’asile européen, sans en attendre de miracles – si ce n’est une plus grande harmonisation – car il s’agit d’un chantier de très long terme, compte tenu des divergences européennes.

Pourriez-vous revenir sur la recommandation n° 10 relatives à la médiation culturelle, qui vous tient à cœur. Qu’en attend-on ? Un renforcement de la présence d’interprètes ? Une meilleure maîtrise des arcanes administratives pour mieux accueillir et accompagner les migrants ? S’agira-t-il de médiation interculturelle afin de mieux comprendre et de mieux accompagner les migrants dans leur intégration culturelle ? S’agira-t-il de faire en sorte que les différents intervenants dans le champ de la migration s’écoutent et se respectent plus ? Des formations existent en médiation interculturelle, mais je ne sais pas si c’est ce que l’on vise. Il faudrait peut-être le clarifier.

Concernant les OQTF, n’oublions pas les préalables : l’accès des migrants au droit doit être effectif et il faut qu’ils puissent entreprendre leurs démarches correctement, que nous soyons capables de les accompagner – notamment sur le plan linguistique et culturel – afin qu’elles les réalisent dans les meilleurs délais, sans partir du principe que cela va constituer un appel d’air ! Nous aurions alors moins d’états d’âme à mettre en œuvre les OQTF…

Monsieur Nadot, la négociation de contreparties à la délivrance de visas me semble un outil pertinent, notamment avec certains pays du Maghreb à partir desquels il n’y a pas de raison qu’il y ait autant de migrations.

Je suis d’accord avec vous, madame la rapporteure. Il faut mieux évaluer les compétences des personnes migrantes, et les valoriser. D’ailleurs, un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), dont je suis membre, pointe leur sous-emploi au regard de leurs qualifications. Il est regrettable de se priver de telles ressources.

Mme Sonia Krimi, rapporteure. Vous avez raison, il faut mieux connaître les migrants. C’est pourquoi je plaide pour une modernisation du contrat d’intégration républicaine (CIR), déjà rénové à la suite du rapport de la mission sur la refonte de la politique d’accueil et d’accompagnement des étrangers en France, dit rapport Taché. Qu’ils restent ou non en France, il faut notamment que les migrants apprennent rapidement et mieux le français.

Pourquoi n’entend-on jamais parler de la jungle de Cherbourg à la différence de celle de Calais ? L’ancien ministre, Gérard Collomb, se demandait pourquoi je m’intéresse à ces questions car il n’y a pas de problème à Cherbourg. Pourtant, nous ne mettons pas des millions d’euros dans la sécurité ou dans le recrutement de nouveaux policiers aux frontières (PAF). Alors, pourquoi tout se passe bien ? Tout simplement parce que les passeurs n’ont jamais eu la main sur les migrants car, s’ils ont besoin d’un logement, ils sont logés. Quand ils ont besoin d’un téléphone, l’association Itinérance leur en fournit un. Quand il leur faut des cours de français en accéléré, des associations, voire les collèges, s’en chargent. Nous travaillons donc main dans la main à leur intégration, avec la mairie et les associations, mais aussi avec l’appareil judiciaire. Le procureur de la République ne se focalise pas sur les OQTF, ni sur les migrants, mais plutôt sur le trafic d’héroïne…

Si j’ai voulu aller plus loin que ce que propose le rapport d’Aurélien Taché, c’est parce que l’intégration républicaine, pour moi, ce n’est pas seulement « bleu, blanc, rouge » ou « liberté, égalité, fraternité ». Les mineurs non accompagnés, chez moi, ont dérangé des femmes dans la rue. Il a fallu leur expliquer que ce n’est pas parce qu’une femme met une mini-jupe que c’est une prostituée : ce sont des questions basiques, mais qui se posent sur le terrain. C’est pourquoi je crois utile de sortir d’une approche trop théorique. Enfin, je pense qu’il faut effectivement faire aussitôt le lien avec les métiers en tension. Les associations arrivent à faire des miracles avec peu de moyens. Si nous organisons un peu mieux nos politiques publiques, nous obtiendrons aussi des résultats.

Madame Gatel, vous dites ne pas comprendre pourquoi nous continuons à faire de la question sécuritaire l’alpha et l’oméga de nos relations avec des pays comme la Turquie et l’Égypte. Mais ce sont des dictatures, comme le Maroc ! Je vous invite à regarder les drapeaux de tous les pays membres de l’ONU et à compter ceux qui ne sont pas des dictatures. Vous verrez que les démocraties ne sont pas très nombreuses. Est-il normal de laisser à quelqu’un comme Erdogan la main sur notre politique migratoire ? Et que dire de l’Égypte, où 60 000 personnes sont emprisonnées ?

Mme Maud Gatel. Je me suis mal exprimée : j’ai voulu dire qu’il ne faut pas tout accepter de ces régimes, sous prétexte qu’ils « gèrent » les migrants que nous ne voulons pas voir arriver dans notre territoire. Je posais la question des droits de l’homme.

Mme Sonia Krimi, rapporteure. Nous sommes donc d’accord pour dire que l’immigration ne doit pas être le premier sujet à traiter avec ces dictatures. Je pense aussi à ce qui se passe actuellement à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Lorsque je me suis rendue en Pologne et en Lituanie, il y a quelques mois, j’ai vu les migrants qui commençaient à arriver. Les Irakiens ont d’ailleurs arrêté les vols directs vers la Biélorussie, car ils ne veulent pas que leurs ressortissants soient instrumentalisés et utilisés comme une arme hybride, ce qui pourrait nuire à leurs relations avec l’Union européenne.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le rapport précise que lorsqu’on a délégué la prise en charge des migrants à la Turquie, trois conditions ont été posées : une aide financière, la relance du processus d’adhésion à l’Union européenne et une libéralisation de l’octroi des visas pour les ressortissants turcs. Où en est-on sur ces points ?

Mme Sonia Krimi, rapporteure. Il y a des hauts et des bas dans notre relation avec la Turquie, comme avec beaucoup de dictatures dans le monde. On est dans une autre phase de notre rapport avec la Turquie, d’autant que la relation du président Macron avec Erdogan n’est pas très amicale.

Il existe une seule formation au métier de médiateur culturel : c’est le diplôme interuniversitaire « Hospitalité, médiation, migration (H2M) : reconnaître les compétences des exilés, changer le regard sur les exilés ». Le médiateur, tel que je le conçois, doit avoir toutes les compétences que vous avez évoquées : il doit connaître la langue et la culture du pays d’origine des migrants, il peut avoir lui-même fait le parcours de migration et il doit pouvoir expliquer aux migrants les difficultés qu’ils vont rencontrer. En Italie, j’ai vu des médiateurs monter sur les bateaux des garde-côtes italiens : les gendarmes, lorsqu’ils vont faire des sauvetages en mer, prennent des médiateurs avec eux. Entre la police, les gendarmes et les migrants, il y a toujours un médiateur, qui sert notamment d’interprète, et qui est capable de donner des explications aux arrivants. Il importe que le premier accueil soit pris en charge par des gens qui connaissent la langue des migrants.

Mme Danièle Obono. Bien que nos approches soient différentes, on voit se dessiner un large consensus. La création d’un Haut-Commissariat aux migrations est, de mon point de vue, la proposition clé de ce rapport, celle qu’il faudra mettre en avant.

Vous avez évoqué la création d’une Agence de l’asile européen mais vous ne parlez pas de son articulation avec les autres dispositifs existants, notamment avec l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex. Le fonctionnement de Frontex est une question à part entière. Il est problématique que cette agence ne rende de comptes à personne, ni au Parlement européen, ni aux parlementaires français.

Il a été question de la responsabilité politique de l’administration et je suis d’accord avec notre collègue Jacques Maire : une orientation politique est donnée, que les fonctionnaires traduisent. La formation est essentielle, pas seulement dans la police, mais dans toute la fonction publique, dont les agents sont en contact quotidien avec les personnes migrantes. C’est en améliorant leur formation que l’on améliorera les conditions de l’accueil.

S’agissant de la formation linguistique, les associations m’ont beaucoup parlé du fait que les ateliers sociolinguistiques ne sont ouverts qu’aux primo-arrivants, ce qui exclut une partie des personnes étrangères vivant en France depuis de nombreuses années, notamment des femmes, souvent mères de famille, qui ont besoin de cette formation pour s’intégrer. Il faut évidemment prêter attention aux primo-arrivants, mais ne pas oublier que de nombreuses personnes étrangères présentes dans notre pays depuis plus longtemps ont également besoin d’apprendre le français.

Mme Chantal Jourdan. Sur la question des soins, vous notez que les dispositifs de prise en charge sont globalement satisfaisants, ce qui m’a surprise. Il est vrai que les dispositifs sont satisfaisants, notamment les permanences d’accès aux soins de santé (PASS). En revanche, il faut absolument souligner le manque de moyens et l’inégale répartition de ces services sur le territoire national. Vous soulignez d’ailleurs que le délai de carence de l’aide médicale de l’État, l’AME, est un autre problème, qui ne permet pas de suppléer à l’absence de PASS dans certains territoires.

Nous avions par ailleurs évoqué la possibilité que des antennes de l’OFII soient ouvertes un peu partout en France Ce serait une bonne chose, car des expériences positives ont montré que le regard des Français sur les étrangers change lorsqu’ils sont en contact direct avec eux.

Mme Sandrine Mörch. Je salue moi aussi l’ouverture qui a caractérisé nos débats, même si l’entre-soi me dépasse : je ne comprends pas que l’opposition n’ait pas pris part à nos travaux. C’est presque un problème structurel : on ne sait pas faire participer les oppositions à nos débats, et c’est dommage. Je suis curieuse de découvrir l’accueil qui sera réservé à notre rapport dans la société, dans les médias et dans le débat politique, et de voir le poids qu’il aura.

L’essentiel est de gagner la bataille de l’opinion publique, en renversant l’image des personnes migrantes : c’est la clé. La médiation culturelle, que vous avez découverte en Italie, est vraiment un outil dont il faut s’emparer. Je suis chargée d’une mission sur les obstacles à la scolarisation et j’ai pu constater l’intérêt des médiateurs scolaires qui, dans les bidonvilles, sont les seuls à pouvoir ramener les enfants à l’école. Sans eux, on a 70 % d’échec. Comme il y a une forme d’incompréhension entre les associations et la préfecture, la personne qui arrive est elle aussi dans l’incompréhension la plus totale.

Il faut évidemment travailler à mettre en lumière la valeur intrinsèque des personnes migrantes, leurs qualités et leur apport, mais il faut aller plus loin et montrer qu’elles peuvent devenir des interlocuteurs essentiels. J’ai poussé et aidé une mère de famille qui faisait de l’aide aux devoirs dans des hôtels sociaux à créer une association. Aujourd’hui, elle est la porte-parole de toutes ces familles et l’interlocutrice des agents de la préfecture et de l’agence régionale de santé (ARS). Les élus et les administrations sont souvent trop éloignés de la réalité et ce contact-change radicalement les choses. Désormais, ce n’est pas moi qu’on écoute, c’est elle. J’ai aussi en tête des associations qui se chargent du premier accueil à la mairie. Tout cela est très innovant et il faudrait le conceptualiser davantage.

Mme Sonia Krimi, rapporteure. S’agissant de l’augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiants extra-communautaires, je ne pense pas que ce soit une bonne mesure. L’essentiel des étudiants étrangers que nous recevons continue de venir d’Afrique, qu’on le veuille ou non. Je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle certains pays auraient les moyens de financer des bourses. Cette politique nous a fait perdre des étudiants francophones, notamment africains, mais elle ne nous a pas fait gagner d’étudiants venant d’autres aires géographiques, par exemple du Brésil. Je préconise donc de ramener les frais d’inscription à leur niveau antérieur, ce qui ne signifie pas la gratuité. Lorsque je suis arrivée en France pour étudier, en 2005, j’ai payé 675 euros de frais d’inscription. Sur le terrain, le programme « Welcome to France » n’a pas marché.

On ne peut pas obliger les membres du groupe Les Républicains ou l’extrême droite à assister à nos réunions, mais je saurai vendre ce que nous avons fait, pourquoi pas au ministre de l’intérieur lui-même. L’important, c’est de faire un rapport qui nous ressemble. Nous pensons tous qu’il faut mener une réflexion sur le moyen et le long terme. Il est vrai que j’ai préféré éviter les deux ou trois points qui nous opposent – les OQTF, par exemple, pour mettre l’accent sur des solutions plus modestes que l’exécutif était susceptible de mettre en œuvre.

Je ne partage pas la ligne selon laquelle il faudrait « accueillir moins et mieux », tout simplement parce qu’on n’est pas en mesure d’accueillir moins. On ne peut pas obliger les gens à ne pas venir. La politique qui consiste à bomber le torse ne donne pas de résultat : s’agissant des OQTF, par exemple, on arrive seulement à humilier des pays comme l’Algérie. C’est peut-être parce que nous avons rejeté cette posture que nos travaux n’ont pas intéressé nos collègues de droite et d’extrême droite.

M. le président Sébastien Nadot. Je vais mettre aux voix le rapport. Je note l’abstention de M. Vincent Ledoux. 

 

La commission adopte le rapport.

 

 


—  1  —

 

   PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-d-enquete-sur-les-migrations/(block)/ComptesRendusCommission

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

27 mai 2021

– M. Claude d'Harcourt, directeur général de la Direction générale des étrangers en France (DGEF).

– M. François Héran, professeur au Collège de France, Chaire "Migrations et sociétés".

– Témoignages de migrants sur leur trajectoire : Mme Nathaly Rangel, M. Abdoulaye Thiam et Mme Oula Alhindy.

2 juin 2021

– M. Bertrand Walkaenert, directeur général adjoint de l'Agence française de développement.

 Témoignages de migrants sur leur trajectoire : M. Kader Allou, M. Mamadou Diallo et M. Yasin Sherzad.

9 juin 2021

– M. Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

– Table ronde réunissant :

France Terre d'Asile : M. Thierry Le Roy, président et Mme Delphine Rouilleault, directrice générale ;

Amnesty International France : Mme Sofia Dagna, chargée de plaidoyer migrations/discriminations et M. Jean-Claude Samouiller, vice-président ;

La Cimade : M. Henry Masson, président et Mme Sarah Belaïsch, directrice des pôles thématiques nationaux.

– M. François Gemmene, Chercheur à l'université de Liège, Enseignant à Sciences‑Po.

16 juin 2021

– M. Julien Boucher, directeur général de l’office français de protection des réfugiés et apatrides.

– Table ronde réunissant :

M. Olivier Chatelais, premier conseiller de l'ambassade de France au Nigeria et M. Emmanuel Verin, attaché de sécurité intérieure ;

M. Jérôme Spinoza, conseiller de coopération et d'action culturelle l'ambassade de France en Albanie.

– Mme Dominique Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit d'asile.

23 juin 2021

– M Jean-Marie Burguburu, président de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) , Mmes Geneviève Jacques et Geneviève Colas, membres.

– Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, M. Jean-François Delfraissy, président du comité consultatif national d’éthique (CCNE) et M. Pierre-Henri Duée, président de la section technique du CCNE.

– Table ronde réunissant :

Mme Véronique Devise, présidente du secours catholique  et M. Laurent Giovannoni, département accueil et droits des étrangers ;

Mme Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme et référente pour le groupe de travail "Etrangers et immigrés" ;

Mme Claudia Charles, chargée d'études au groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI).

1er juillet 2021

– M. Cédric Prieto, sous-directeur de la politique des visas à la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

– M. Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie.

 Réseau Migreurop : Mme Lydie Arbogast, responsable des questions européennes à La Cimade, membre de Migreurop et M. Filippo Furri, anthropologue, membre de Migreurop.

7 juillet 2021

– Table ronde réunissant :

Mme Cécile Lambert, cheffe de service, adjointe à la directrice générale de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du Ministère des solidarités et de la santé ;

Mme Wuthina Chin, chargée de mission « parcours de soins des personnes vulnérables » au bureau prises en charge post-aigues, pathologies chroniques et santé mentale ;

M. Laurent Gallet, chef de service adjoint au directeur de la direction générale de la sécurité sociale (DSS) du Ministère des solidarités et de la santé.

– Table ronde réunissant :

Mme Barbara Bertini, anthropologue et coordinatrice régionale des PASS franciliennes à l’ARS Ile-de-France ;

Mme Laurence Kotobi, directrice de la faculté d'anthropologie sociale – éthnologie de l’université de Bordeaux ;

M. Paul Dourgnon, économiste, directeur de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES).

– Table ronde réunissant :

Mme Carine Rolland, présidente de Médecins du Monde et M. Christian Reboul, référent migration droits et santé ;

M. Thierry Couvert-Leroy, délégué national enfants & familles / lutte contre les exclusions de la Croix-Rouge française.

21 juillet 2021

– M. Grégory Verdugo, professeur des universités à l’université d’Evry et de M. Hillel Rapoport, professeur d’économie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

– Table ronde réunissant :

Forum réfugiés - Cosi : Mme Marélie Arrighi, adjointe de direction Intégration pour la région Occitanie et responsable du pilotage des programmes Accelair dans la région ;

Jesuit Refugee Service France : M. Guillaume Rossignol, directeur adjoint, et M. Pierre Nicolas, responsable du programme JRS accompagnement juridique.

– Mme Ivane Squelbut, directrice des partenariats et de la territorialisation à Pôle emploi, et de Mme Pascale Gérard, directrice de l’insertion sociale l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

22 juillet 2021

– Mme Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération des particuliers-employeurs de France (Fepem) et M. Pierre-Olivier Ruchenstain, délégué général.

– M. Hervé Adami, sociolinguiste, professeur à l’université de Lorraine.

– Table ronde réunissant :

Mme Claire Verdier, directrice du Centre d’études, de formation et d’insertion par la langue (CEFIL)  ;

Mme Leïla Marçot, directrice de Paroles voyageuses ;

M. Mourad Allal directeur de la Plateforme d’orientation linguistique et d’accès à l’emploi (Le POLE).

1er septembre 2021

– Table ronde réunissant :

Mme Aude Le Moullec Rieu, présidente de Ardhis et M. Philippe Neyer, secrétaire ;

M. Marc Dixneuf, directeur général d’Aides, et Mme Aurélie Mayeux, responsable appui au plaidoyer et observatoires ;

Mme Alicia Maria, responsable du pôle LGBT du Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM).

– Table ronde réunissant :

Mme Camille Schmoll, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ;

Mme Armelle Andro, professeure à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directrice de l’IDUP (Institut de Démographie de Paris 1), Fellow à l’ICM (Institut Convergence Migrations).

– Table ronde réunissant :

Mme Frédérique Martz, co-fondatrice et directrice générale de l’Institut Women Safe & Children , et M. Pierre Foldes, co-fondateur et président - prix Nobel de la paix 2018 ;

Mme Claudie Lesselier, militante associative Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées (Rajfire).

8 septembre 2021

– Table ronde réunissant :

Médecins sans frontières (MSF) : Mme Mélanie Kerloc’h, responsable du pôle santé mentale du centre d’accueil de jour de Pantin pour mineurs non accompagnés en recours et Mme Euphrasie Kalolwa, responsable du plaidoyer santé de la mission France ;

Les midis du MIE : Mme Agathe Nadimi, présidente ; 

Droit à l’école : M. Sylvain Perrier, secrétaire général.

– Table ronde réunissant :

Unicef France : M. Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer ;

Human Rights Watch : Mme Bénédicte Jeannerod, directrice France.

– Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice et Mme Yasmine Degras, responsable de la mission des mineurs non accompagnés.

9 septembre 2021

– M. Clément Cadoret, directeur des projets au Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et M. Jean-Paul Roumegas, conseiller international et partenariats.

– M. Cheikh Mbacké Toure, membre de la commission organisation Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF).

– M. Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU) et Mme Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes.

22 septembre 2021

– Table ronde réunissant :

M. Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité ;

M. Fabrice Bizet, directeur de Evaluation logement initiative altérité (Elia) ;

M. Emmanuel Brasseur, directeur de l’hébergement et du logement accompagné (Coallia).

– Table ronde réunissant :

M. Thierry Asselin, directeur politiques urbaines et sociales de l’Union sociale pour l’habitat ;

M. Jean-Paul Clément, directeur général d’Adoma ;

M. Gilles de Warren, directeur de l’exploitation (CDC Habitat).

– Mme Bérangère Taxil, professeure d’université en droit public, directrice de master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin, Université d’Angers.

23 septembre 2021

– M. Matthieu Tardis, chercheur, centres migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et de Mme Sophie Bilong, consultante pour l'Observatoire de l'immigration et de l'asile de l'Ifri.

– Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) : M. Sylvain Mathieu, délégué interministériel, M. Jérôme d'Harcourt, adjoint au délégué interministériel et M. Georges Bos, directeur du pôle migrants - accès au logement des réfugiés.

– M. Alain Régnier, délégué interministériel à l’accueil et à l'intégration des réfugiés.

29 septembre 2021

– Maitre Emmanuelle Néraudau, docteure en droit public, avocate au barreau de Nantes et M. Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l’association Res Publica.

– M. Cyril Piquemal, directeur-adjoint de la direction de l’Union européenne du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

– M. Jean Mafart, directeur des affaires européennes et internationales du Ministère de l’intérieur.

6 octobre 2021

– Mme Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux (CNB) et Mme Hélène Gacon, avocate et membre de la commission Libertés et droits de l’homme du CNB.*

– Conseil d’Etat : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux du Conseil d’Etat et président du groupe d’étude sur la simplification du contentieux des étrangers.

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


—  1  —

 

   PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS

DÉPLACEMENT À CALAIS

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

M. Pierre-Henri Dumont, Vice-Président

Mme Stella Dupont, Secrétaire

M. Vincent Ledoux, Secrétaire

M. Jacques Maire, Secrétaire

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Mme Maud Gatel

Mme Cathy Racon-Bouzon

Jeudi 10 juin 2021

– M. Emmanuel Agius, 1er adjoint à la mairie de Calais, délégué aux projets, à l’aménagement et à l’habitat

– En préfecture :

M. Louis Le Franc, préfet du Pas-de-Calais

Mme Deprez-Boudier, sous-préfète de l’arrondissement de Calais

M. le directeur des migrations et de l’intégration de la préfecture du Pas-de-Calais

Mme la directrice départementale de l’emploi, du travail et des solidarités

M. le directeur territorial de l’Office français de l’immigration et de l’intégration

M. le chef du bureau de la cohésion sociale de la sous-préfecture de Calais

Les opérateurs de l’État : La vie active ; l’AUDASSE (Association unifiée pour le développement de l’action sociale, solidaire et émancipatrice) ; EPDAHAA (Établissement public départemental pour l’accueil du handicap et l’accompagnement vers l’autonomie du Pas-de-Calais) ; FTDA (France terre d’asile).

– Rencontre avec les services de nettoyage : APC (Aprogée, Propreté, Conseil), La ressourcerie ainsi qu’avec des maraudeurs.

– M. Jean Ollier, directeur départemental adjoint de la police nationale ; M. Franz Tavart, commandant groupement de gendarmerie départementale ; Mme Nathalie Chomette, directrice départementale de l’emploi, du travail et des solidarités ; M. Francis Manier, directeur des migrations et de l’intégration de la préfecture du Pas-de-Calais.

– Services de la police aux frontières à Coquelles

 Visite du Centre de rétention administrative à Coquelles

– Accueil de jour du Secours catholique : déplacement sur les lieux de vie des migrants, avec Médecins du Monde, Refugee Info Bus, le Secours Catholique, Utopia56.

 

DÉPLACEMENT À NICE ET MENTON

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

M. Jean-François Eliaou

 

Jeudi 1er juillet et vendredi 2 juillet 2021

 – M. le Préfet des Alpes-Maritimes, Bernard Gonzalez, le directeur de la réglementation, de l’intégration et des migrations et du directeur territorial de l’OFII et le Directeur de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes 

– Visite au Centre administratif départemental

– Réunion de la Cellule de coopération opérationnelle départementale

– Temps d’échange avec les forces de sécurité : Direction départementale de la police aux frontières ; Direction départementale de la sécurité publique ; Groupement de Gendarmerie départementale ; Centre de coopération policière douanière de Vintimille ; Service central du renseignement territorial

– Visite du centre de rétention administrative de Nice

– Visite du service de la police aux frontières terrestre (SPAFT) de Menton et de l’espace de mise à l’abri

– M. Jean-Claude Guibal, maire de Menton et président de la communauté d’agglomération de la Rivera française

– SNCF

Séquence TER : M. Pascal Zuppo, responsable des questions de problématiques migratoires ; contrôleur, agent et conducteur : M. Pascal Gorisse, M. Simon Vincent, M. Ludovic Pecheux

Séquence FRET et SUJE : Responsable de la SUJE NICE : M. Franck Jaunet 

Conducteur et agents : M. Yohann Bataille¸ M. Philippe Cailloux

– Rencontre avec les associations

– Visite d’un lien de contrôle à la frontière (Gare de Menton Garavan) et d’un lieu de refoulement (entre les postes frontières français et italiens à Menton Pont Saint-Louis) et entretien avec des bénévoles

– Traversée de la frontière en voiture par la route prise par les personnes migrantes refoulées, arrêts pour échanger avec les personnes exilées.

 

DÉPLACEMENT AU SEIN D’UNE PASS ET D’UN CENTRE D’ACCUEIL, D’ORIENTATION ET D’ACCOMPAGNEMENT DE MÉDECINS DU MONDE

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

M. Jean-François Eliaou

M. Christophe Naegelen

Mme Michèle de Vaucouleurs

Mme Michèle Victory

Jeudi 8 juillet 2021

– Permanence d'accès aux soins de santé (PASS) de l’hôpital Saint-Antoine : Dr Eida Bui, Dr Olivier Cha et M. Jérôme Hubin, directeur de l’hôpital Saint-Antoine

– Centre d’accueil, d'orientation et d'accompagnement de Médecins du monde : Mme Sandrine Lecomte, Coordinatrice programme centre d'accueil, d'orientation et d'accompagnement, M Christophe Vavasseur, Coordinateur régional Ile-de-France, M. Julien Boye, Coordinateur programme mineurs non accompagnés

 

DÉPLACEMENT EN ITALIE

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Jeudi 15 et vendredi 16 juillet 2021

– M. Vincenzo Celeste, Directeur Général pour l’Union Européenne

– M. Patrick Doelle, en charge des questions migratoires à la représentation de la Commission européenne à Rome.

– Gardes côtes italiens (MARICOGECAP) - entretien avec le personnel de la 3ème division du Commandement Général et de la centrale opérationnelle des Gardes côtes italiens

– Entretien avec le Viminale, au ministère de l’intérieur, avec la directrice des migrations

– Entretiens avec des représentants de EASO, UNHCR, Organisation internationale des migrants (OIM)

– Visite du Hotspot de Lampedusa  

 

DÉPLACEMENT À AUBERVILLIERS

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Mercredi 21 juillet 2021

– Introduction sur le collectif Schaeffer et les actions de Médecins du Monde avec les habitants du squat

– Discussion avec les délégués du collectif Schaeffer et visite des lieux

 

DÉPLACEMENT À BRIANÇON

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Mme Mireille Clapot

Mme Michèle Victory

Mme Bénédicte Pételle

Jeudi 9 et vendredi 10 septembre 2021

– Représentants du secteur associatif   : Tous Migrants, Médecins du Monde, La MAPEmonde, Le Collectif des maraudes, Refuges solidaires, Terrasses solidaires, Le Refuge d’Oulx (Italie), La CAFI

– Visite des Terrasses solidaires et échange avec les équipes des Refuges solidaires et avec des personnes exilées

– M. Serge Cavalli, directeur de la DDETSPP des Hautes-Alpes, en présence de Mme Hélène Lestarquit, sous-préfète de l’arrondissement de Briançon

– Échanges avec les forces de sécurité (DIDPAF ; DDSP ; GGD) en présence de Mme Martine Clavel, préfète des Hautes-Alpes, de Mme Hélène Lestarquit, sous-préfète de l’arrondissement de Briançon, de M. Nicolas Belle, directeur de cabinet

– Visite des locaux de la PAF de Montgenèvre, en présence de M. Boni, commandant de police, directeur interdépartemental de la PAF 04-05

– M. Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère

 

DÉPLACEMENT EN IRAK

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Lundi 13, mardi 14 et mercredi 15 septembre 2021

– M. Eric Chevallier, ambassadeur, M. Jean-Christophe Paris, premier conseiller et Mme Selin Uysal, deuxième conseillère ;

– Délégation de l’Union Européenne : Mme Angela Martini, première conseillère et Iba Abdo, project manager

– Mme Ivan Faeq Yacoub, ministre des Emigrés et déplacés

 – M. Shorko Mohammed Salih, président de la commission des affaires étrangères du parlement irakien

– M. Raad al-Dahlaki président de la commission des déplacés à l’Assemblée nationale irakienne

– Mme Irina Vojackova, Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général en Irak et Coordonnatrice résidente et un représentant de l’Organisation internationale des migrations (OIM)

– Rencontre avec les agents du Consulat

– Visite du camp de réfugiés de Bardarash, entretien avec le directeur de l’administration du camp

– M le Gouverneur de Dohouk

– Visite du poste-frontière d’Ibrahim Khalil avec la Turquie

– Entretien avec les responsables du Centre de crise (JCC) du ministère de l’Intérieur de la Région autonome du Kurdistan et avec le Consul général, M. Zakarya Mzoary

– Présidence du parlement de la Région autonome du Kurdistan

– Mme Sherri Talabani, directrice de la Fondation SEED

– M. Bakr Bengirdi, militant associatif

– M. Daban Shadala, vice-ministre des Affaires étrangères du Gouvernement régional du Kurdistan.

 

DÉPLACEMENT EN ÉGYPTE

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Jeudi 16 septembre 2021

– Mme Naela Gabr, présidente du National Coordinating Committee on Combating and Preventing Illegal Migration and Trafficking in Persons

– Mme Nivine Al Husseini, adjointe de l’assistant du Ministre des Affaires étrangères pour les migrations, le droit d’asile et la lutte contre la traite des êtres humains

– Mme Carmela Godeau, Directrice régionale de l’OIM

– Entretien avec les représentants du Haut commissariat aux réfugiés

 

VISITE DU MUSÉE DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Mme Bénédicte Pételle

Mme Michèle Victory

Mercredi 29 septembre 2021

– M. Pap Ndiaye, directeur général Etablissement Public du Palais de la Porte Dorée, M. Sébastien Gokalp, directeur du Musée national de l’histoire de l’immigration et Mme Agnès Arquez Roth, cheffe du service Réseau & Partenariats, MNHI

 

DÉPLACEMENT À BRUXELLES

Composition de la délégation :

M. Sébastien Nadot, président

Mme Bénédicte Pételle, vice-présidente

Mme Sonia Krimi, rapporteure

Mme Michèle de Vaucouleurs

Mme Michèle Victory

Jeudi 30 septembre 2021

– Commission européenne : Mme Ylva Johansson, Commissaire aux affaires intérieures et Mme Asa Weber, cheffe du cabinet

 – Mme Alexandra Cupsan-Catalin, chargée du nouveau pacte sur la migration et l’asile

– Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne : M. Guillaume Dederen, Mmes Guylène Sandjo et Mme Lucie Boulanger, conseillères pour les Affaires intérieures

– Commission européenne : Direction générale des affaires intérieures (HOME)

– M. Michael Schotter, directeur chargé de la migration, de l’asile et des visas.


—  1  —

 

  contributions des groupes politiques et des députés 

CONTRIBUTION DU GROUPE LA FRANCE INSOUMISE

 

“Aucun être humain n’est illégal” peut-on lire régulièrement sur les pancartes des manifestations en solidarité aux personnes migrantes. “Il n’y a pas d’immigration illégale. Toute personne qui fuit son pays et qui risque ainsi sa vie pour la sauver est dans la légalité.” Houla Al Hindy était réfugiée palestinienne en Syrie et a dû fuir ce pays quand la guerre a éclaté. Lors de son audition par notre commission d’enquête parlementaire sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrant·es, réfugié·es et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France, elle exprimait cette même idée qui s’inspire des principes gouvernant le droit international des migrations.

 

En effet, selon l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, toute personne est en droit de se déplacer librement sur l’ensemble du globe et d’installer sa résidence dans n’importe quel Etat, dès lors qu’elle en respecte les lois. Et conformément à la Convention de Genève, les personnes persécutées dans leur pays de nationalité ont droit à la protection des Etats dans lesquels elles se réfugient. Par conséquent, si les Etats demeurent libres d’accorder ou non un titre de séjour à un·e étranger·e en vertu de leur compétence souveraine de maîtrise des flux migratoires, ils ne peuvent refuser d’accueillir une personne qui traverse leur frontière pour demander l’asile sans porter atteinte à la substance même de ce droit.

 

Le rapport de la commission d’enquête rappelle opportunément ces principes élémentaires de solidarité internationale et formule des recommandations positives en matière de droit d’asile et de politique migratoire. Ces recommandations rejoignent par ailleurs un certain nombre de propositions que notre groupe de La France insoumise a formulées au cours des différents débats parlementaires sur ce sujet depuis 4 ans. La présente contribution entend les approfondir et aller plus loin.

 

Parce que l’émigration est toujours un déchirement pour celles et ceux qui y sont contraint·es, il est nécessaire de s’interroger sur les causes de ces départs forcés et nos responsabilités dans ceux-ci. Parce que les migrants et migrantes sont des êtres humains disposant de droits inaliénables, il est primordial de les respecter et de les accueillir dignement. Et parce que les étrangers et étrangères présent·es sur notre territoire sont aussi des citoyen·nes, habitant·es de la cité, il est indispensable de leur garantir un accès effectif aux droits dont ils sont titulaires.

 

Seul 1% des personnes migrantes rejoignent l’Union européenne. L’essentiel des migrations se fait au sein des pays d’origine ou dans les pays limitrophes. Ce sont donc principalement les pays pauvres et en voie de développement qui accueillent migrants et migrantes. Les Etats européens et occidentaux, en revanche, font trop souvent preuve d’une hostilité démesurée vis-à-vis des migrant·es qui n’a d’égal que les prédations qu’ils commettent souvent dans les pays d’origine de ces derniers et dernières. Il y a urgence à redéfinir les termes du débat public sur les migrations, monopolisé par les discours xénophobes, en commençant par dresser un tableau objectif de la situation, et en portant l’attention sur les causes de ces phénomènes.

 

I. Lutter contre les causes des migrations forcées

 

“Plutôt que d’essayer de dissuader les gens de venir en Europe, vous feriez mieux de vous attaquer aux dictateurs et aux dirigeants corrompus qui persécutent et maintiennent leur peuple dans la pauvreté”. Abdoulaye Thiam, migrant camerounais, a vécu l’enfer en Libye et tenté 2 fois la traversée de la Méditerranée. Son témoignage, recueilli lors des auditions de la commission d’enquête, exprime parfaitement le positionnement de notre groupe qui estime qu’en matière de migrations, il faut lutter contre les causes des départs plutôt que contre les migrants eux-mêmes.

 

Dominique Kimmerlin, la présidente de la Cour nationale du droit d’asile, indiquait ainsi que les principaux pays d’origine des migrants sont “tous en conflit armé ou en guerre civile”. Or, la France a une part de responsabilité dans ces situations. Le chaos libyen découle directement de l’intervention militaire de notre pays en 2011. Notre pays a participé à l’intervention en Syrie qui a enfoncé le pays dans la guerre civile. Il se rend actuellement complice de crimes de guerre au Yémen du fait de la poursuite des ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Sa présence au Sahel n’a pas permis d’améliorer la situation. Au contraire, le Mali s’est enfoncé dans la crise politique[144]. Notre groupe demande :

- la fin des interventions militaires sans mandat de l’ONU, 

- que le Parlement soit systématiquement saisi des décisions d’intervention ;

- que notre politique extérieure soit axée sur une active diplomatie altermondialiste et le règlement pacifique des conflits.

 

Autre cause importante des déplacements de population : la pauvreté, qui n’est pas une fatalité mais bien le résultat de choix politiques économiques. Or, en la matière, l’action de la France s’avère souvent déterminante, notamment au travers des accords commerciaux inégaux conclus bilatéralement ou dans le cadre de l’Union européenne. Le déversement de produits européens subventionnés déstabilise les économies de pays entiers. Il désoriente l’agriculture, empêche le développement d’une économie locale et maintient les pays concernés dans la dépendance vis-à-vis des produits français et européens. C’est la raison pour laquelle notre groupe dénonce les accords de libre-échange qui dévastent autant l’environnement que les économies.

 

Le changement climatique et la destruction de la biodiversité sont une des grandes causes des migrations forcés. Or, la France fait partie des pays qui ont historiquement contribué au dérèglement climatique que nous subissons aujourd’hui. Elle doit donc participer, comme le demandent les pays du sud particulièrement affectés par ces changements et les associations de défense de l'environnement, à l’indemnisation des pays les plus touchés. Nous proposons d’engager une bifurcation écologique et solidaire, qui articule, au niveau international contributions financières, coopération technologique et aide matérielle et financière. Il faut sortir des énergies fossiles et du nucléaire, et réparer les dégâts causés à l’environnement et la biodiversité par leur exploitation en mettant notamment à contribution les sociétés extractivistes comme Total et Areva.

 

II. Garantir les droits des migrant·es aux frontières

 

À l’instar des associations et organisations non gouvernementales (ONG) investies auprès des migrants et migrantes, les rapporteurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont constaté de nombreuses violations des droits fondamentaux aux frontières françaises[145]. En novembre 2019, notre groupe parlementaire s’était aussi mobilisé pour alerter sur ces comportement et les 37 314 morts qui ont péri à nos frontières depuis 1993[146]. Violences, traitements inhumains et dégradants, refoulements à la frontière notamment de personnes mineures, harcèlement des soutiens… Autant d’infractions signalées aux autorités judiciaires que des parlementaires ont pu également constater, un temps, lors de déplacements à Briançon et Menton, avant de voir leur droit de visite remis en cause sur instruction ministérielle[147]. Ce fut notamment le cas des députées Elsa Faucillon (PCF) et Danièle Obono (LFI), et la députée européenne Manon Aubry (LFI - The Left) à la police aux frontières de Menton. 

 

Malgré les interpellations et signalements, les violations perdurent, encouragées par l’attitude d’un gouvernement dont le ministre de l’Intérieur se félicite de l’action répressive des forces de police contre les migrants et migrantes à Calais notamment[148]. Il est d’autant plus important que les parlementaire puissent exercer sans entrave les missions de contrôle et que les autorités administratives et judiciaires se saisissent des violations signalées[149]. Par ailleurs, nous souhaitons insister sur l’urgence d’une meilleure formation, initiale et continue, des agent·es de l’ensemble des administrations, notamment la police, chargées de l’asile et de la politique migratoire, qui sont censé·es d’abord et avant tout assurer la protection des personnes.

 

Les violations des droits des migrant·e interviennent également aux frontières extérieures européennes. Les associations auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête comme Amnesty International ont dressé un tableau déplorable des actions de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dotée de l’enveloppe budgétaire la plus importante de toutes les agences de l’Union. Refoulement en mer et aux frontières terrestres, remise de migrant·es aux garde-côtes libyens, tentative de destruction des embarcations, violences… Les violations des droits fondamentaux des migrants et migrantes commises en mer comme aux frontières terrestres de l’Union sont régulièrement documentées, ainsi que ses liens problématiques avec les industries de sécurité, et son opacité[150].

 

La France doit agir avec fermeté et résolution pour rendre cette Agence compatible avec l’État de droit et les valeurs fondamentales que l’Europe se targue de protéger, notamment par la mise en place d’un réel contrôle démocratique et le cas échéant judiciaire sur les activités de Frontex. En outre, il est indispensable de revoir ses missions et l’allocation de se ressources afin que soit priorisé le sauvetage et l’accueil des migrant·es plutôt que les refoulements illégaux aux frontières européennes.

 

III. Accueillir dignement les migrant·es

 

Les autorités françaises piétinent au pied les conventions internationales dont nous sommes signataires et multiplient les obstacles à l’accès des migrant·es aux droits qui devraient leur être garantis par notre Constitution. Refoulement des demandeur·euses d’asile aux frontières, impossibilité d’obtenir un rendez-vous en préfecture pour déposer sa demande d’asile ou de régularisation, absence de prise en charge par l’Office français de l’immigration et l’intégration (Ofii) des déplacements pour se rendre aux convocations de l’Office français de protection des réfugié·es et apatrides (Ofpra) et de la Cour national du droit d’asile (CNDA)...Ces violations de droits se matérialisent également par l’impossibilité d’obtenir un hébergement, de bénéficier de l’allocation de subsistance, de travailler, d’accéder aux services de santé, d’intégrer une formation linguistique dès le dépôt de la demande d’asile…

 

Notre groupe est favorable au renforcement de la protection des demandeurs et demandeuses d’asile et souhaite garantir une procédure dans des délais raisonnables et respectueuse des droits.

• Instauration d’une procédure unique pour les demandes d’asile qui assure pleinement le respect des conventions internationales et les droits fondamentaux des personnes concernées

• Suppression de la procédure accélérée qui prévoit des délais raccourcis et des droits au rabais pour les demandeurs et demandeuses d’asile

• Autorisation de travailler pour les demandeurs et demandeuses d’asile dès leur arrivée sur le territoire et pendant la période d’examen des dossiers

• Revalorisation de l’allocation pour demandeur et demandeuses dont les montants ont été sanctionnés à de nombreuses reprises par la justice en raison de leur trop faible montant

• Augmentation des moyens et revalorisation des statuts des employé·es de l’Ofii, de l’Ofpra et la Cnda pour garantir une haute qualité de service public et des conditions de travail décentes pour les agents.

 

La France insoumise prône également une refonte du système actuel pour organiser rationnellement l’accueil suivant une priorisation claire : mettre à l’abri d’abord, accompagner dans la demande de titres ensuite ; et pour une plus grande complémentarité des structures et une plus grande lisibilité pour les publics concernés.

• Création de places en centre humanitaire provisoire aux normes internationales, en priorité dans les zones saturées où la demande d’hébergement est forte ; et de 10 000 places en structure type Centre d’accueil des demandeur·euses d’asile (Cada) suivant les recommandations de Forum-Réfugiés Cosi.

• Mise aux normes internationales sur l’ensemble du territoire français des structures d’accueil doit être effectuée d’urgence. Ces structures doivent également mieux s’adapter à la diversité des publics et permettre aux familles, mineur·es isolé·es, femmes seules et personnes LGBTQI+, d’avoir des espaces adaptés à leurs besoins en terme de santé, de soutien psychologique, social, juridique, d’éducation…, ainsi que des espaces de vie commune.

• Création d’un guichet unique de l’accueil (sans préfecture), porté sur le conseil juridique et l’information des différentes procédures et structures utiles et l’évaluation des besoins.

 

IV. Intégration et citoyenneté

 

Aujourd’hui, le parcours d’une personne migrante est fait d’humiliations, de précarité et de clandestinité. Pour construire une véritable politique d’hospitalité et de solidarité, nous devons, d’une part, cesser de criminaliser le séjour irrégulier, et, d’autre part, garantir l’égalité des droits et une même justice pour tous et toutes sur tout le territoire.

• Le placement en rétention administrative des enfants, même accompagnés de leurs parents, doit être interdit. Maintes fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, la France se singularise par la permanence d’une telle pratique.

• Il faut mettre fin à l’automaticité des obligations de quitter la France (OQTF) et des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF), renforcer l’obligation de motivation, et supprimer la procédure des “OQTF 6 semaines”.

• Enfin, il faut une politique forte de régularisation des personnes migrantes, déjà insérées économiquement, socialement et culturellement, et des compétences desquelles la France bénéficie d’ailleurs très largement par leur participation active à la vie citoyenne de notre pays. Nous proposons donc de régulariser les travailleur·euses, étudiant·es, parents d’enfants scolarisé·es ainsi que conjoint·es marié·es ou pacsé·es qui se retrouveraient “sans papier”.

 

L’universalisme républicain exige de mener une politique inclusive, respectueuse du parcours de chacun·e, conformément à notre modèle démocratique et égalitaire. Ce principe doit être un fondement de la politique d’accueil de la France et la promesse qui garantit de pouvoir “faire France de tout bois”. La France insoumise veut créer les conditions pour que toutes et tous contribuent le plus facilement et largement à la société.

• Il faut améliorer l’obtention des titres d’entrée et de séjour des personnes étrangères et donner aux préfectures les moyens financiers et humains d’assurer pleinement leur mission d’accueil des personnes étrangères.

• La formation des personnels est primordiale. L’accompagnement des personnes exige une maîtrise technique, une compréhension rigoureuse des enjeux et une prise en charge dédiée (prenant en compte un développement des qualités humaines et un positionnement spécifique).

• Pour restaurer un peu de stabilité dans l’existence des personnes, favoriser leur insertion et par là même l’occasion de désengorger les services administratifs nous proposons de rétablir la carte de séjour de dix ans comme titre de séjour de référence pour les personnes étrangères respectant le droit au regroupement familial.

 

Une des principales conditions pour participer pleinement à la vie sociale est la maîtrise de la langue.

• L’apprentissage de la langue française par les enfants doit donc être une priorité. Cela suppose d’augmenter le nombre de classes et les moyens alloués. La formation et le recrutement des enseignant·es sont déterminants. Nous proposons la création d’un contingent spécifique au Capes de lettres, à l’instar de la distinction qui a cours entre lettres classiques et modernes.

• Les adultes doivent également pouvoir bénéficier de dispositifs d’apprentissage de la langue. Dans la perspective de l’appropriation de la langue, la démarche des ateliers sociolinguistiques (ASL) doit être soutenue et son financement pérennisé, sans condition de statut, avec pour objectif d’y donner accès gratuitement à toutes les personnes en exprimant le souhait.

• La protection des droits sociaux doit être également garantie en assurant aux enfant non accompagné·es une prise en charge jusqu’à 21 ans par la délivrance de contrats jeunes majeur·es.

 

La normalisation de la situation des personnes étrangères résidant en France passe enfin par la reconnaissance de leur contribution active à la vie politique et sociale.

• Les résident·es communautaires (membre d’un État de l’Union européenne) jouissent déjà du droit de vote aux élections locales. Nous proposons son extension aux résident·es non-communautaires qui vivent et travaillent parfois depuis des décennies sur notre sol.

• Et parce que le hasard de la naissance ne peut être un obstacle à l’acquisition de la nationalité, nous sommes favorables à ce que l’octroi de la nationalité française soit facilité. Les critères d’obtention de la nationalité française doivent être rendus objectifs, clairs et ne pas être susceptibles d’être interprétés arbitrairement selon les préfectures.

• Enfin, nous proposons l’actualisation d’un véritable droit du sol pour tous et toutes les enfants né·es en France par l’acquisition automatique de la nationalité, sans critères supplémentaires pour celles et ceux né·es de parents étrangers.


CONTRIBUTION DE MME MIREILLE CLAPOT
Députée de la Drôme

logo Assemblée nationale                                                                                                     Paris, le 15/11/2021

   Mireille Clapot

   Députée de la Drôme

   Membre de la Commission des Affaires étrangères

   Pte de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes (CSNP)

 

 

 

Contribution au rapport de la Commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides, en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France, de novembre 2021.

 

1/ Il est à regretter que la question des Obligations de Quitter la France (OQTF) ne soit pas davantage abordée dans le rapport. Sur quels critères sont-elles délivrées, quel est le processus qui s’enclenche lors de la délivrance d’une OQTF, comment l’Etat tente-t-il de les faire exécuter, comment y réussit-il, que deviennent les personnes qui sont reconduites à la frontière ou dans leur pays d’origine, que deviennent ces personnes lorsqu’elles basculent dans la clandestinité, quel rôle jouent les associations et les réseaux de citoyens ?

Sur la base de ces constats, des pistes de réforme pourraient alors être esquissées.

2/ La circulaire Valls, du 28/11/2012, donne un pouvoir important aux préfets afin de délivrer des titres exceptionnels d’admission au séjour ; une rumeur persistante fait état d’objectifs qui leur seraient donnés afin de minimiser les délivrances de titres de séjour, pouvant les amener à choisir entre deux dossiers solides. L’existence de cette circulaire s’assimile à la diffusion d’injonctions paradoxales, tant aux fonctionnaires qu’aux étrangers.

3/ La situation spécifique des Albanais et des Nord-Macédoniens, dont les pays d’origine sont candidats à l’intégration de l’Union européenne, mériterait d’être traitée à part. En effet, ces pays doivent se rapprocher des standards européens, donc pourraient être davantage incités à accompagner leurs ressortissants ayant tenté leur chance à l’émigration dans une démarche de retour.

 

 


Contribution de Madame Jourdan pour le rapport de la Commission d’enquête sur les migrations

 

1)     Noter les entorses au droit dénoncées par de nombreuses associations, accompagnateurs et personnes migrantes

 

-          Au regard de la convention de Genève (accueil digne, droit à un toit, droit aux soins)

-          Au regard de l’insuffisance de structures en matière d’hébergement,

-          Au regard de l’insuffisance de structures en matière de santé (les Permanences d’Accès aux Soins de Santé ne suffisent pas à répondre aux besoins et peuvent être éloignées des lieux de résidence de personnes en demande d’asile, à noter également la réforme de l’AME qui retarde l’entrée des personnes dans un dispositif de soins),

-          Au regard de la prise en charge inhumaine des personnes lors de leur entrée sur le territoire français,

-          Au regard de la prise en charge non effective de nombreux MNA.

 

2)     Noter les entraves dénoncées par divers organismes dans les démarches de demande de statuts de réfugiés ou d’apatrides

 

-          Au regard du témoignage d’employeurs de personnes migrantes dont les parcours de formation ou d’emploi sont compromis par les freins administratifs ou par des répressions législatives (exemple : jeunes majeurs ayant débuté un parcours professionnel se trouvant empêcher de le poursuivre),

-          Au regard des démarches administratives dématérialisées qui empêchent les personnes d’accéder à leurs droits (exemple : rendez-vous impossibles à obtenir),

-          Au regard des suspicions des préfectures portées sur la légalité des actes d’état civil.

 

3)     Noter les points de vigilance pour favoriser la bonne intégration des personnes migrantes

 

-          Renforcer toutes les situations permettant l’apprentissage de la langue française (proposer des cours dès l’arrivée sur le territoire, Ne pas escamoter le temps des CIR, Renforcer les cursus d’apprentissage de la langue),

-          Décentraliser les bureaux de l’OFII (en raison de l’accès difficile dans les zones rurales).

                   

4)     Des préconisations pour répondre à l’exigence d’un accueil digne

 

-          Proscrire la rétention administrative des mineurs,

-          Lever les entraves aux droits et aux démarches administratives,

-          Mettre en place une politique interministérielle de l’accueil migratoire,

-          Travailler un régime européen de l’asile pour un accueil digne qui permette une application effective de la convention de Genève,

-          Faciliter le dispositif de villes accueillantes,

-          Faciliter les solutions de parrainage civil,

-          Privilégier l’obtention de titres de séjour de longue durée pour permettre une projection positive sur le territoire français et favoriser l’intégration,

-          Contrôler, évaluer l’utilisation des fonds de l’Agence de développement,

-          Promouvoir l’intérêt d’une politique de libre circulation.

 


CONTRIBUTION DE M. VINCENT LEDOUX
Député du Nord

 

Seul parlementaire à m’abstenir lors du vote sur le rapport présenté à notre commission, je regrette le spectre trop large de ses investigations mêlant et confondant des problématiques relevant pourtant de réalités totalement différentes, ce qui a dévoyé le principe même d'une commission d'enquête, censée établir des faits incontestables et devant laquelle, je le rappelle, les personnes auditionnées devaient prêter serment.

 

Nous aurions sans doute gagné à réduire notre champ d’investigation pour éviter l’écueil final de l’inévitable confusion, confusion de l’approche et confusion dans les propositions et dans les esprits ! Quoi de commun en effet entre toutes les catégories de migrants, migrants économiques, réfugiés, étudiants, sans papiers, regroupement familial … ?

 

Les préconisations figurant dans le rapport se résument d'une part, à un détricotage du pilotage actuel de la politique migratoire de notre pays, au motif que, relevant du ministère de l'intérieur, il aurait une orientation trop sécuritaire, et d'autre part, à l'addition impressionniste de propositions de dépenses supplémentaires, au terme d'un paronoma des difficultés d'accès des « migrants »aux droits, au logement ou à la santé, alors même que n'est présenté aucun bilan global et chiffré des moyens financiers et humains que l’État et l'ensemble des acteurs publics consacrent aux différents aspects de la politique migratoire, ni de leur efficacité.

 

Sans remettre en cause l’esprit de mes collègues commissaires animés d’une volonté d’améliorer l’humanité de l’accueil des migrants, je regrette que le rapport final présente tant de biais, et en vienne à considérer que l'exigence même de contrôle des migrations soit un élément du problème alors que c'est le premier prérequis de toute politique migratoire acceptée par nos compatriotes.

 

  1.   La légitimité de la politique d'accueil des migrants repose sur la capacité de l’État à en garder le contrôle

L’accélération des migrations de toutes natures est, aujourd'hui, un fait qu'il ne convient pas de sous-estimer, ni de chercher,à l'excès, à relativiser. C'est une réalité vécue par nos compatriotes dans leur vie quotidienne.

 

De façon symétrique, jamais les Français n'ont été aussi nombreux à l'étranger, en hausse de 50% depuis 20 ans, soit presque au même rythme que l'augmentation des migrations dans le monde.

Pourtant, dans notre pays, une même angoisse paraît suscitée par le fait migratoire que par le phénomène, indissociable, de la mondialisation dont 60% des Français auraient une mauvaise opinion.

 

La mission me paraît s'être fourvoyée en voulant faire croire à nos compatriotes qu'il n'y aurait pas d'enjeu migratoire mais juste un « sentiment » nourri de fantasmes et alimenté par les extrémistes et que tout l'enjeu serait seulement de donner tous les moyens financiers à l'accueil des migrants...

 

L'idéologie n'est pas bonne conseillère et aurait sans aucun doute un résultat contraire à l'objectif recherché, en donnant le sentiment d'une déconnexion entre le peuple et ses représentants, ce qui ne pourrait avoir que pour effet d'accroître le rejet inconsidéré de l'étranger dans une partie croissante de la population, rendant plus difficile encore la situation des étrangers présents sur notre sol.

 

L'enjeu était tout au contraire, de montrer comment notre pays est un acteur souverain dans le processus des migrations, qu'il se dote d'outils pour ne jamais perdre la capacité de contrôle, qui est fondement de la légitimité de tout État-nation, et pour orienter les migrations dans un sens favorable à notre pays et aux pays d'origine des migrants.

 

Il faut donc tracer une approche volontariste, cohérente et positive de la politique migratoire, afin qu'elle soit le levier d'une meilleure insertion de notre pays dans la mondialisation, ce croisement des intelligences, savoirs, expertises, talents et expériences.

Ce doit être une politique véritablement ambitieuse, avec des bénéfices et des résultats concrets tant pour les migrants que pour nos compatriotes.

 

Notre grand défi est de rendre solubles les mobilités internationales dans une stratégie migratoire qui allie protection des droits et insertion dans notre société en pleines mutations. Il est donc impératif de « Faire retrouver du sens et de l’ambition à notre stratégie migratoire » !

 

  1. Pas de politique migratoire sans l'efficacité d'un pilotage cohérent

Le Président de la République le rappelait à juste titre dans son intervention du 9 novembre dernier : le grand défi de notre stratégie migratoire, c’est d’allier humanisme et efficacité. L’un ne va pas sans l’autre. Sans efficacité, la solidarité et le devoir de fraternité envers tous ceux qui, victimes de destins parfois cruels, se tournent vers la France, seraient des mots vains. L’efficacité, c’est l’humanisme en actes.

 

La réponse que nous apportons à la crise des migrants, les solutions que nous trouvons aux drames humains, la gestion des flux de personnes, le contrôle de nos frontières, la mise en œuvre des politiques d’intégration découlent de notre capacité politique et administrative à agir rapidement.

 

C'est là tout le sujet du pilotage de notre stratégie migratoire. Proposer un éclatement du traitement de la politique migratoire entre plusieurs administrations, le tout sous couvert d’une « meilleure décentralisation », c'est prendre le risque inconsidéré de détricoter notre système administratif qui, s’il est perfectible, reste bel et bien fonctionnel.

 

Fragmenter la gestion de la politique migratoire ? Pourquoi ? Parce qu’elle serait concentrée au ministère de l’intérieur, donc avec un biais « sécuritaire » nous explique le rapport ? C’est faire une double erreur d’analyse.

 

D’abord, parce que le ministère de l’Intérieur n’est pas le ministère de la police : il est d’abord et surtout le ministère des libertés publiques, et donc celui qui organise l’entrée, le séjour et l’intégration des étrangers sur notre territoire. Il pilote à cet égard les grands opérateurs que sont l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui gèrent, l’un la demande d’asile, et l’autre la prise en charge des étrangers désireux de s’établir sur notre sol.

 

Ensuite, parce que l’interministérialité existe déjà : se réunissent périodiquement, sous l’autorité du Premier ministre, des comités interministériels à l’immigration et à l’intégration. Le dernier a eu lieu en 2019, permettant de bonnes avancées notamment par le renforcement sans précédent des cours de français dispensés aux primo-arrivants.

 

Si le pilotage existe en central, y aurait-il un problème au niveau local ? En tant qu’élu local pendant plus de deux décennies, je peux témoigner du remarquable travail effectué par les préfets, au plus proche des besoins des territoires. Représentants du gouvernement, c’est-à-dire de tous les ministres, les Préfets sont les garants de la cohérence des politiques publiques. La politique migratoire n’y fait pas exception. Les préfets assurent ainsi à la fois un rôle d’animation et de liaison entre Paris et les territoires.

 

 

Les enjeux du débat méritent davantage de rigueur et une meilleure appréhension du travail des remarquables fonctionnaires qui ne sont pas une « cause-racine » (sic) des difficultés de la politique migratoire. Ils sont bien au contraire, ceux qui au quotidien, assurent la protection et la défense des droits des migrants, dont le premier droit à leur arrivée en France reste celui à la situation régulière qui leur assure la pleine protection de la République.

 

Nul procès à instruire contre la France en la matière ! Le droit à l’asile est l’une des dignités qui fait l’honneur et la grandeur de l’humanisme français.

Dès 2015, la France a été à la hauteur des enjeux, en étant entièrement impliquée dans la mise en place du mécanisme innovant de la relocalisation, afin de mieux répartir les demandeurs d’asile entre les pays de l’Union Européenne depuis les États de première entrée.

 

La France a ainsi relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l'Italie entre 2015 et 2018, et, depuis juin 2018, près de 1 300 personnes supplémentaires en participant aux prises en charges consécutives à des débarquements, auxquelles s'ajoute l'engagement à relocaliser 1000 personnes depuis la Grèce, dont 900 demandeurs d’asile.

 

J'ajoute que conformément à l'objectif recherché par la loi du 10 septembre 2018, la révision du modèle de contentieux de l’asile à la Cour nationale du droit d'asile, va permettre de réduire les délais globaux d’instruction des demandes d’asile. La gestion des demandes d'asile au plan européen va également gagner en cohérence avec la création d’une Agence Européenne de l’Asile, décidée le 29 juin 2021 et dont la présidence française de l’Union Européenne, au premier semestre 2022, va garantir la mise en place effective.

 

3                    Nul besoin de perdre tout contrôle, juridique ou budgétaire, pour innover dans l'accueil des migrants!

L'amélioration concrète de l'accueil des migrants ne saurait se résumer à un simple suppression des contrôles ou à l'ajout de moyens supplémentaires.

 

Peut-être autant par goût du paradoxe que par idéologie, le rapport affirme par exemple que le problème de l'aide médicale d'Etat ne serait pas celui de l'augmentation continue de la dépense, mais que ce serait d'abord et avant tout l'insuffisance du recours...Cela revient à rayer d'un trait de plume les nombreux rapports parlementaires sur ce sujet, ainsi que l'intervention du législateur pour ajuster le panier des soins pris en charge à 100%...Il semble donc particulièrement vain d'inviter, dans un même temps, le Parlement à « ne pas rester à l'écart des choix de politique migratoire » !

 

Plutôt que l'angélisme et le « toujours plus », la politique d'accueil des migrants appelle, comme toutes les politiques publiques, des efforts d'innovation, au plus près du terrain, dans une recherche d’efficacité et d'efficience, au meilleur coût pour l’État et les collectivités territoriales.

 

Je suis favorable à ce que l’on aille encore plus loin dans la territorialisation de nos politiques migratoires avec une déconcentration accrue de moyens, juridiques comme financiers.

Je plaide par exemple pour la création d'une feuille de route départementale, avec l’appui de comités de pilotage réguliers associant les services de l’État, les directions territoriales de l’OFII, les acteurs du service public de l’emploi, ainsi que les représentants des collectivités territoriales, les acteurs économiques et les associations. Elle permettrait par exemple de recenser les actions conduites pour la politique d’intégration des étrangers primo-arrivants et des bénéficiaires de la protection internationale.

 

Afin que le temps de l'instruction de la demande d'asile ne soit plus un temps "perdu", je propose également d'expérimenter des partenariats public – privé, pilotés par les Préfectures, afin que, le temps de l'instruction des demandes d'asile , puissent être repérés les talents et que leur insertion soit ensuite accélérée.

 

Dans différents territoires de projet, une "Maisons de l'étranger" pourrait être expérimentée, où seraient accessibles les informations sur les dispositifs d'insertion dans la société française, par la langue et par le travail, ainsi que sur les aides au retour au pays, en mettant en avant des parcours atypiques et des réussites

De quelques catégories qu'ils relèvent, les étrangers pourraient ainsi être plus facilement mis en relation avec les entreprises des secteurs sous tension.

Ce meilleur pilotage territorial pourrait aussi mettre un peu plus en cohérence les interventions des nombreuses associations qui œuvrent inlassablement à l'appui des migrants et des étrangers, dans les domaine de l'aide sociale, de l'écoute et du soin, afin d'éviter l'éparpillement des dispositifs, mais également pour mieux évaluer les résultats et l'adéquation des financements publics.

 

La question des mineurs non-accompagnés (MNA) constitue sans doute aujourd'hui le premier test d'efficacité de toute politique migratoire, et montre à quel point le pilotage et le contrôle sont indissociables de toute politique sociale viable.

Avec plus de 31 000 MNA relevant de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ce phénomène migratoire pèse sur les départements, le plus souvent démunis pour en assurer à la fois l'évaluation sociale et la prise en charge.

Alors que son coût annuel dépasse désormais 1,1 milliard d'euros, il faut que cette politique, écartelée entre le ministère de la justice, de la solidarité, des affaires étrangères et de l’intérieur, bénéficie d’un pilotage plus affirmé et coordonné de l’État.

 

Aussi, pour mieux lutter contre la fraude, j'appelle à revoir les modalités d’évaluation de la minorité au moment de l’arrivée en France en s’appuyant sur l'OFII pour procéder à un examen anticipé du droit au séjour pour les mineurs. Il est aussi impératif de renforcer la coopération internationale en matière d’état civil pour améliorer le fonctionnement des services nationaux d’état civil des pays d'origine.

 

  1. Activer les vrais leviers d'échanges gagnants-gagnants dans les migrations

Alors que nos compatriotes ne perçoivent trop souvent les migrations que sous leurs aspects les plus subis et anxiogènes, comme les migrants « massés aux frontières de l'Europe » ou les mineurs non accompagnés à la charge des départements, l'enjeu est de valoriser et d'activer tous les leviers de migrations aux effets visiblement bénéfiques tant pour la France que pour les pays d'origine.

 

Or le rapport de la commission d'enquête n'a prêté aucune attention aux efforts engagés pour favoriser une immigration professionnelle vers la France.

 

Ces efforts ont pourtant, pour la plupart, anticipé dans les faits les préconisations récentes du Conseil d'analyse économique dans son rapport rendu public le 8 novembre dernier qui a abondement documenté le lien, sur la longue durée, entre immigration professionnelle qualifiée et croissance économique.

 

Le dispositif d’immigration professionnelle a ainsi été réformé en avril dernier, avec un transfert depuis le ministère du Travail vers le ministère de l’Intérieur et avec la dématérialisation des procédures des demandes d’autorisation de travail. Les demandes sont désormais instruites par six nouvelles plateformes interrégionales et une plateforme nationale pour les saisonniers. Les démarches sont simplifiées par la réduction de sept à trois des critères permettant d'obtenir des autorisations de travail. Fin octobre 2021, 106 000 demandes d'autorisation de travail ont été formulées, dont 86 % traitées, dans un délai moyen administration de cinq jours. 74 % des demandes ont été acceptées. Lorsque l'administration gagne en efficacité, au bénéfice tant des étrangers demandeurs que de la bonne utilisation de l'argent public, il serait tout de même dommage de ne pas en faire état devant le Parlement !

 

Les étudiants étrangers provenant des pays d'origine des migrations : premier levier de renouvellement de la politique migratoire

 

La présence en France d'étudiants provenant des principaux pays d'émigration, notamment d'Afrique, est dans l'intérêt de notre économie et de notre rayonnement, et appelle une politique cohérente visant, indissociablement :

 

Alors que le rapport de la commission consacre très peu de place à ce sujet central, ses constats paraissent en total décalage avec la réalité et avec les enjeux.

 

Sans autre forme de procès, le rapport disqualifie, concernant les étudiants venant des pays du Sud et notamment d'Afrique, la possibilité accordée désormais aux universités publiques de faire acquitter une participation aux droits de scolarité. C'est méconnaître profondément les facteurs d'attractivité dans la concurrence internationale pour l'enseignement supérieur. C'est négliger le rôle des classes moyennes et moyennes supérieures émergentes des pays du Sud, qui envoient en masse leur enfants étudier dans des systèmes beaucoup plus coûteux qu'en France et qui interprètent parfois la gratuité totale comme le signe d'une moindre qualité. Au demeurant, près de la moitié des étudiants Africains en France acquittent déjà, sans difficulté, des frais de scolarité parce qu'ils sont admis dans des écoles de commerce ou des grandes écoles.

 

Comme j'ai pu le souligner dans mon rapport d'évaluation sur la politique du Quai d'Orsay en matière d'attractivité étudiante lors du dernier Printemps de l'évaluation de la commission des finances, l'enjeu principal est de dégager des ressources pour améliorer l'accueil des étudiants, et pour augmenter et mieux utiliser les enveloppes budgétaires pour bourses accordées aux meilleurs étudiants étrangers. Faire contribuer les étudiants internationaux qui le peuvent doit participer à la cohérence de cette politique d'ensemble.

 

En tout état de cause, il ne fait pas de doute que le Quai d'Orsay va continuer de pouvoir exempter la plupart des étudiants des pays d'Afrique, les boursiers du gouvernement français bien entendu mais également beaucoup de non boursiers, afin d'éviter de dissuader ceux pour qui la gratuité demeure un atout du système français et afin que les postes diplomatiques disposent d'un outil supplémentaire pour attirer les étudiants à qui ils ne pourraient pas accorder de bourses.

 

La réussite de notre politique d'attractivité à l'égard des étudiants du Sud me paraît désormais le principal indicateur du renouveau de notre politique migratoire car les étudiants sont le symbole de l'immigration d’avenir et un levier de coopération « en acte », entre la France et les pays d'origine.

 

Je relève que depuis 2019, la carte de séjour « recherche d’emploi et création d’entreprise » (RECE), apporte une bien meilleure réponse aux étudiants et aux chercheurs ayant achevé leurs études et qui sont à la recherche d’un emploi, que l’autorisation provisoire de séjour de 6 mois qui leur était délivrée auparavant.

Le rapport de la commission d'enquête semble pourtant ignorer le fait que les étudiants étrangers qui achèvent leurs études peuvent désormais intégrer le marché du travail dans la logique de la formation suivie en France, sans que la situation de l'emploi ne leur soit opposable. Ils peuvent également demeurer sur le territoire pour un travail sans rapport avec le parcours initial dès lors qu'ils disposent d'un contrat de travail, au-delà de l'année de recherche d'emploi couverte par la RECE.

 

Je propose d'aller plus loin avec les pistes d'action suivantes :

 

● L'évaluation et le renforcement du programme “Bienvenue en France”, lancé en 2019 et l’extension du label à des territoires exemplaires en matière d'accueil étudiant ;

● La généralisation de visas de circulation de plus longue durée et sans être soumis à une date couperet permettant d’aller et venir entre la France ;

● La multiplication des doubles diplômes avec les universités des pays du sud et l’intensification de la stratégie de délocalisations de Campus Français de grandes universités ;

● Une simplification accrue des procédures de changement de statut ou de renouvellement de titres de séjour.

 

Les migrations circulaires et l'aller-retour professionnel : une synthèse mutuellement profitable de l'ouverture et du contrôle

 

Depuis ma mission pour le Premier ministre sur l'ouverture des territoires à la priorité africaine de la France, j'ai inlassablement plaidé pour une politique d’attractivité favorisant les migrations circulaires. Il faut ainsi sortir d’une logique qui relève pratiquement de l’assistanat, pour basculer vers une montée en compétence et une approche gagnant-gagnant.

 

J'ai soutenu la diffusion des titres de séjour « passeport talent », créés en 2016. Or leur dynamique se confirme, notamment grâce aux interventions successives du législateur.

La loi du 10 septembre 2018 a ainsi créé de nouveaux cas de délivrance au bénéfice d’entreprises innovantes souhaitant recruter des étrangers non diplômés en France, et, en janvier 2020, les conditions de reconnaissance de ces entreprises innovantes ont été assouplies. Depuis mars 2019, le dispositif est ouvert aux profils non diplômés en France et la loi de programmation pour la recherche en décembre 2020 a assoupli les conditions pour les chercheurs. En 2019, 37 010 passeports talents ont été délivrés, soit une hausse de 23,9%, et la baisse de 16,6 % en 2020, avec 31 000 titres délivrés, était moins marquée que la délivrance générale de titres, impactée par la crise sanitaire.

 

 

J'ai plaidé pour la montée en puissance du dispositif « Jeunes professionnels », prévu par des accords bilatéraux avec des États africains partenaires, afin de favoriser les mobilités croisées.

Il doit permettre à des jeunes déjà engagés dans la vie active d’approfondir leurs connaissances professionnelles par une expérience de travail dans une entreprise en France, dans le but d’améliorer leurs perspectives de carrière lors de leur retour dans leur pays d’origine.

Or le contrat Jeunes professionnels paraît souffrir d’un déficit d’image auprès des préfectures et des services visas des consulats, du fait de craintes de non-représentation de bénéficiaires du programme à l’issue de leur séjour en France Outre la réticence des employeurs à effectuer les démarches administratives pour l’admission en France d’un étranger, les jeunes potentiellement intéressés se heurtent surtout à la difficulté de convaincre un employeur d’enclencher une embauche à distance.

 

Je propose donc de promouvoir ce dispositif auprès des entreprises par le biais des chambres consulaires (CCI et CCMA), ce que ne peut plus faire l’OFII au regard des moyens réduits dont dispose aujourd’hui sa cellule « Migration professionnelle ».

Un excellent exemple à suivre a été fourni en la matière par la gestion du dispositif Jeunes professionnels au Sénégal, avec des retombées positives notables : création de viviers d’entreprises susceptibles d’accueillir ces jeunes pros, engagement citoyen des jeunes pros à leur retour et création d’emplois, ouverture des entreprises accueillantes vers les marchés africains.

 

Enfin, il faut rendre plus efficaces, les dispositifs d'aide au retour pour en faire un véritable accompagnement à la réinstallation et à la réinsertion.

 

Salué par la Cour des Comptes pour son efficacité et sa soutenabilité pour les finances publiques (une aide au retour coûte trois à quatre fois moins cher qu’une procédure de reconduite aux frontières), l'aide au retour est accordée aux étrangers en situation irrégulière qui souhaitent quitter la France pour regagner leur pays. Elle comprend une assistance pour préparer le voyage, la prise en charge de frais de transport ainsi qu’une aide financière dédiée à la réinsertion (micro-entreprise, formation, assistance médicale, logement).

 

Malgré le taux de succès de près de 80% en cas de retour, le dispositif est peu connu des bénéficiaires potentiels et parfois perçu comme une simple modalité de mise en œuvre des mesures d'éloignement du territoire, sans que le volet d'aide à l'insertion sur place ne soit pleinement compris.

Je propose donc de réformer en profondeur le dispositif en transformant l’Aide au retour en un Accompagnement à la Réinstallation et à la Réinsertion, de l'étendre aux personnes étrangères en situation régulière, et de mieux intégrer cette compétence dans le champ d’action des préfets.

Pour de nombreux travailleurs précaires que j’ai pu rencontrer dans les foyers maliens ou sénégalais, un tel dispositif serait une chance et l'opportunité d’un nouveau projet professionnel, créateur de valeur et d’emplois dans les pays d’origine.

Cela nécessite d'associer les entreprises françaises actives en Afrique par exemple en définissant des quotas de recrutement de réinstallés. Sur ce point, un dialogue plus fluide est nécessaire entre les services de l’État en charge du commerce extérieur, Business France et l’Agence Française de Développement.

Il faut également investir massivement dans la promotion et la communication du dispositif, notamment en mettant en valeur les réinstallation réussies : en 2020, parmi les bénéficiaires de l’aide au retour, l’OFII dénombre deux entrepreneurs ayant créé des unités industrielles dans leurs pays d'origine.

 

L'orientation mutuellement bénéfique des migrations : un « investissement solidaire » indissociable du renouveau de l'aide publique au développement

 

Très loin d'être un simple accompagnement sans contrôle des flux migratoires dans une France ouverte à tous vents, la politique voulue par cette majorité et attendue par nos concitoyens est une démarche maîtrisée d'orientation des migrations, tant dans le gestion des crises humanitaires appelant à accorder l'asile à ceux qui en relèvent, que dans la coopération avec les États d'origine afin que des migrations biens réglées contribuent aux objectifs de développement.

 

Le récent Sommet Afrique-France de Montpellier, du 8 octobre 2021 a permis de souligner la place des migrations dans notre politique de développement, le Président de la République mettant alors en valeur le rôle des diasporas africaines dans cet « investissement solidaire ».

 

L'enjeu est que, les migrants résidant et travaillant en France puissent, sans difficultés, contribuer à l'investissement financier et humain dans leur pays d'origine, dès lors qu'ils peuvent le souhaiter.

 

Dans ce but, il faut développer des outils, notamment financiers, permettant d'orienter une partie des fonds envoyés par les migrants vers leurs pays d'origine vers l'investissement productif, dans un cadre sécurisé permettant de contribuer à des projets bénéficiant, par ailleurs, d'apports d'investisseurs institutionnels, publics ou privés.

 

Je propose également que l'Agence Française de Développement mette en place un Guichet de l’Entrepreneuriat Solidaire pour favoriser un accompagnement plus intégré des migrants, en appui de la formulation de leurs projets jusqu'à leur structuration juridique, ce qui justifierait la mise en place d'un Fond d’amorçage pour des projets de petits montants.

Ce guichet pourrait également offrir les mêmes solutions financières aux diasporas en situation régulière, souhaitant mener des projets à fort impact social et environnemental dans leurs pays d’origine ou sur les deux territoires, avec un engagement à recruter en priorité des candidats au retour.

 

 

 


CONTRIBUTION DE MME EMMANUELLE MÉNARD
Députée de l’Hérault

 

Paris, le 11 novembre 2021

À la lecture du rapport issu des travaux de la commission d’enquête, la réalité de l’immigration en France serait « déformée par le débat public ». On peut d’ailleurs lire en introduction qu’il existe un « amalgame récurrent entre immigration et insécurité » ou encore que « ses enjeux ne sont encore à peu près jamais posés avec une volonté de les traiter de manière rationnelle ».

Si certaines propositions de ce rapport sont tout à fait pertinentes, comme celle consistant à créer une Agence de l’Asile européen sous présidence de l’Union européenne, il n’en reste pas moins que d’autres propositions vont à l’encontre d’une politique migratoire contrôlée et donc raisonnée. Sans même parler d’une immigration choisie…

Ce contrôle est d’autant plus important qu’il permettrait, en premier lieu, un accueil de meilleure qualité des personnes qui arrivent sur notre territoire.

C’est dans cette perspective que sont faites les recommandations qui suivent.

 

Depuis plusieurs décennies, l'immigration figure parmi les thèmes récurrents des campagnes présidentielles. Certains chiffres interpellent pour ne pas dire inquiètent de plus en plus de Français. Parmi eux, ceux qui concernent les frontières « passoires ».

A ce titre, la frontière espagnole fait l’objet de nombreuses crispations. En octobre 2018, dans un entretien donné au Journal du dimanche, Christophe Castaner, nouveau ministre de l’Intérieur, expliquait : « Je m’inquiète, par exemple, de la pression qui s’exerce à la frontière espagnole. Depuis le début de l’année, on a recensé en Espagne 48 000 entrées irrégulières en provenance du Maroc, une augmentation de 155 %. En un an, les non-admissions à la frontière franco-espagnole ont augmenté de près de 60 % dans les Pyrénées-Atlantiques. »

En visite dans les Pyrénées-Orientales le 5 novembre 2020, Emmanuel Macron avait annoncé son intention de doubler les effectifs de la police aux frontières en vue de lutter, notamment, contre le terrorisme ; il s’était rendu au poste frontalier du Perthus, où quelques 35 000 véhicules franchissent chaque jour la frontière entre la France et l’Espagne. Cinq routes transfrontalières sont fermées par des blocs de béton sur arrêté préfectoral, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, le risque terroriste et le trafic de drogue. La frontière franco-espagnole est la deuxième porte d’entrée de l’immigration clandestine vers le territoire français derrière l’Italie, a encore indiqué le ministère de l’Intérieur.

Avec une augmentation de 3 % des crédits de paiement de la mission Immigration, asile et intégration et seulement 36,5 millions consacrés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, le Gouvernement n’a, malgré les nombreuses alertes, toujours pas pris la mesure de la question migratoire pour l’année 2022.

Cette aveuglement politique s’efface pourtant devant la prise de conscience populaire et scientifique. Selon l’étude de l'INSEE publiée en avril 2021 : « En 2017, 44 % de la hausse de la population provient des immigrés. » Concrètement cela signifie que, actuellement, la population croît démographiquement pour moitié par l'immigration.

 

Par ailleurs, si offrir l’asile fait partie des traditions françaises, peut-on pour autant se réjouir d’accueillir autant de réfugiés chaque année, lorsque l’on sait, notamment, que très peu de demandeurs sont en réalité éligibles au droit d’asile ?

De sérieuses questions se posent, quoi que la réalité nous ait déjà livré sa réponse… La France a-t-elle toujours les moyens d’accueillir comme elle le fait ? L’accueil de nouvelles personnes est-il réalisable dans de bonnes conditions ?

Même Emmanuel Macron l’admet : la France ne peut pas accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien.

La situation actuelle ne peut plus durer. Il est temps de pratiquer une politique migratoire réellement maîtrisée, une immigration choisie. D’autres pays démocratiques le font. Il n’y a pas de honte à cela. C’est simplement une question de justice pour les Français.

 

Recommandations :

 

1-     Reconsidérer avec l’UE la politique des quotas qui est aujourd’hui défaillante.

2-     Contrôler et encadrer plus strictement le financement des associations qui soutiennent les migrants via des fonds publics.

3-     Geler les aides que la France verse aux États dès lors qu’ils refusent d’accueillir leurs propres ressortissants déboutés d’une demande d’asile.

4-     Créer une caution de 250 euros pour les demandeurs d’asile déboutés qui font appel. Celle-ci sera remboursée en cas de décision favorable.

5-     Analyser le flux d’étudiants étrangers en France à la fin de leurs études : retour au pays / installation en France / départ pour un autre pays de l’espace Schengen ou hors de cet espace.

6-     Renforcer les investigations concernant les filières d’immigration irrégulière et de traite des êtres humains en vue de les démanteler.

7-     Réformer le règlement Dublin afin de mieux réguler l’immigration au sein de l’Europe.

 

 

En France, l’Aide médicale d’État a été mise en place le 1er janvier 2000. Elle est destinée à assurer « la protection de la santé des personnes étrangères résidant en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois mais ne remplissant pas la condition de régularité du séjour ». Plus clairement dit, le budget AME bénéficie aux personnes en situation irrégulière qui vivent en France.

Concrètement, l’AME permet à une personne en situation irrégulière de bénéficier gratuitement d’une prise en charge jusqu’à 100% de leurs soins de santé médicaux et hospitaliers. Le panier de soin est vaste car il permet même de rembourser un patient opéré pour un recollement d’oreille ou la pose d’un anneau gastrique.

La question du risque d’une « migration pour soins » est d’ailleurs pointé depuis 2019 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Dans un rapport de 200 pages, commandé par Matignon, l’IGAS décrit ce dispositif comme étant « l’un des plus généreux d’Europe »… Il l’est d’ailleurs tellement que l’AME permet à tout étranger résidant sur le sol français de façon irrégulière depuis plus de trois mois d’être soigné gratuitement. 

La question n’est pas de remettre en cause la nécessité de l’AME pour les étrangers en état d’urgence d’absolue, d’autant plus qu’elle permet de prévenir des épidémies et de pallier certaines urgences sanitaires (tuberculose, rougeole, hépatite B). Toutefois, il est inquiétant de constater l’évolution importante du coût de l’AME depuis sa création.

Le budget de l’AME était de 75 millions d’euros en 2000. En 2022, le budget alloué à l’Aide médicale d’État a passé la barre symbolique du milliard d’euros. Un budget qui ne cesse d’augmenter et connaît une nouvelle hausse de 2,08 %. Face à ces chiffres, on ne peut que constater que le budget AME est incontrôlable et qu’aucune politique de vérification n’est déployée. Avant la crise sanitaire, en 2019, 334 000 personnes percevaient l’AME.

Parallèlement, et alors que le budget de cette ligne s’envole, la crise sanitaire que nous traversons a mis en exergue les failles de notre système de santé. Dans un tel contexte, il convient de réorienter les priorités budgétaires en renforçant d'abord notre système de santé qui doit être plus opérationnel que jamais pour les Français et les étrangers légalement installés en France.

Par ailleurs, et contrairement à la recommandation qui figure dans le rapport de la commission d’enquête, il ne faut pas toucher aux délais de trois et neuf mois au bout desquels les immigrés clandestins peuvent prétendre à bénéficier de l’AME. Ceci est une question d’équité. En effet, les Français établis à l’étranger et qui reviennent en France doivent attendre un délai de trois mois pour avoir accès à la couverture maladie (hors crise sanitaire). C’est en raison de ce délai que le bénéfice de l’AME a été subordonné à trois mois de présence sur le sol français de l’immigré clandestin. Afin qu’un Français ne soit pas moins bien considéré qu’un clandestin sur son propre sol.

 

Il convient donc de réformer l’accès à l’AME afin que l’appel d’air migratoire qu’elle alimente soit enfin contrôlé.

 

Recommandations :

 

1-     Réduire le budget alloué à l’AME.

2-     Renforcer le contrôle d’identité des personnes qui sollicitent des prestations médicales en systématisant les contrôles d’identité.

3-     Réduire le panier de soins auquel les personnes en situation irrégulière peuvent avoir accès en les limitant aux soins essentiels et d’urgence sanitaire.

4-     Renforcer la coopération entre les hôpitaux français et ceux des principaux pays dont sont issues les personnes qui arrivent en France de façon irrégulière en facilitant le rapatriement des personnes malades dont le pronostic vital n’est pas engagé.

5-     Fixer, dès la première consultation, le montant de la cotisation à l’AME autour de 50 euros par personne.

6-     Exiger à l’arrivée de la personne migrante un certificat provenant des autorités de son pays, stipulant que le malade ne peut y être soigné comme son traitement l’exige.

 

 

En 2005, un rapport de l’IGAS estimait qu’il y avait en France 2 500 mineurs non accompagnés (MNA) présents dans les services départementaux d’aide sociale à l’enfance (ASE). En décembre 2019, ce nombre a littéralement explosé puisque 31 009 MNA étaient pris en charge par les conseils départementaux. Ce sont les derniers chiffres connus.

Dans ses travaux d’octobre 2020, un chercheur de l’Institut Montaigne estimait que, pour cette même année, environ 40 000 immigrés auraient sollicité le statut de MNA.

 

Concrètement, entre 2005 et aujourd’hui, le nombre de MNA pris en charge par l’ASE a augmenté de 1 500 %. Le coût de ces accompagnements est de deux milliards d’euros par an.

Face à une telle augmentation, les départements ont tiré la sonnette d’alarme et cela d’autant plus que réguler les flux migratoires est bel et bien une prérogative de l’État, qui semble l’avoir oublié en se défaussant sur les départements.

 

Cela est d’autant plus grave que le flux migratoire des MNA est gangréné par de nombreuses fraudes. Selon les dernières études, il apparait que de nombreux MNA - qui sont à 95 % des garçons - ne sont en réalité ni mineurs ni isolés mais missionnés par leurs familles pour les faire venir par la suite en France (par le biais notamment de la réunification familiale, élargie en 2018 par la majorité gouvernementale).

Or, ces vrais ou faux MNA participent à une surenchère de la violence. Dans un article publié dans Le Parisien du 29 septembre 2020, on pouvait lire : « En 2018, on recensait 7603 interpellations de mineurs isolés dans l'agglomération parisienne (Paris, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Hauts-de-Seine). En 2019, c'était 9 134 interpellations, soit une hausse de 20%. Et pour les huit premiers mois de 2020, on dénombre déjà l'interpellation de 6 309 mineurs étrangers, soit 300 de plus qu'en 2019 sur la même période. Une nouvelle augmentation de 42%, qui atteint même 51% à Paris !

À la Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), le constat est sévère : “la moitié des personnes interpellées pour cambriolages sont des mineurs isolés maghrébins”. “Parfois, on va avoir une réponse pénale digne de ce nom parce que le vol s'accompagne de violences, et là, la qualification juridique permet au parquet de pouvoir requérir l'enfermement des mineurs”. Autrement, ils sont placés en foyer, “et deux minutes après, ils fuguent”. »

Face à ce constat, il est urgent d’agir.

Recommandations :

 

1-     Permettre une meilleure circulation des informations relatives aux MNA en encourageant le partage de données et donc en alimentant le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM). 

2-     Expulser du territoire national le mineur non accompagné en situation irrégulière ayant commis une infraction grave et le confier à l’autorité administrative compétente de son pays d’origine.

3-     En cas de refus de se soumettre aux examens médicaux permettant d’attester de la minorité de la personne se disant MNA, celle-ci sera déclarée automatiquement majeure et sera expulsée du territoire national.

4-     Créer un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par un département pour empêcher qu'une personne reconnue majeure par un département ne vienne solliciter les différentes aides dont il pourrait bénéficier, s'il était mineur, dans un autre département.

 

L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est la procédure de droit commun prise par la préfecture pour l’éloigner, hors de France, les étrangers en situation irrégulière. Elle oblige à quitter la France dans un délai de 30 jours, et parfois même sans délai.

Dans les faits, seulement 12 % des OQTF prononcées sont exécutées et à peine un millier des éloignements forcés hors de l’espace Schengen, alors qu’il y aurait plus de 450 000 personnes en situation irrégulière qui continuent de vivre sur notre territoire national. Dans son rapport adopté en juillet 2021, La Cour des comptes européenne relève d’ailleurs que « le manque d’efficacité du système de retour de l’Union européenne encourage la migration irrégulière. »

 

Selon les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur, entre janvier et juillet 2021, l’administration ne serait parvenue à expulser vers l’Algérie que 22 migrants illégaux sur les 7 731 obligations de quitter le territoire délivrées par les préfectures, Alger ayant concédé seulement 31 laissez-passer consulaires. Durant la même période, la France a renvoyé 80 Marocains sur 3 301 OQTF et 131 Tunisiens sur 3 424 OQTF.

Certains pays africains sont encore moins coopératifs. Ainsi, le Mali n’a délivré aucun laissez-passer consulaire depuis trois ans, et ce malgré les moyens de pression que nous avons sur ce pays avec l’opération Barkhane que nous conduisons sur son territoire.

Il faut cependant expliquer que le coût des OQTF n’est pas neutre. Le rapport des députés MoDem et LREM Jean-Noël Barrot et Alexandre Holroyd fait un bilan complet de cette politique. En 2018, il y a eu 30 276 départs d’étrangers en situation irrégulière depuis la métropole (26 783 en 2017). Les deux rapporteurs estimaient le coût global de la politique d’éloignement forcé des étrangers à 468,5 millions d’euros en 2018. Plus précisément encore, sur l’ensemble du territoire, le coût moyen d’un éloignement forcé est de 13 800 €.

Ce système n’est pas tenable, il convient donc de l’adapter.

 

Recommandations :

1-      Redimensionner la chaîne administrative pour qu’elle puisse faire face au nombre de dossiers à traiter car, concrètement, les services préfectoraux sont débordés par le nombre et la complexité des décisions à prendre.

2-      Réduire le nombre de visas aux pays qui refusent d’accueillir leurs ressortissants faisant l’objet d’une OQTF.

3-      Quand cela est possible, faire exécuter dans les pays d’origine les peines de prison des étrangers ayant commis un délit ou un crime. Intensifier dans ce sens les relations diplomatiques pour que des accords soient scellés, tel que c’est le cas en Belgique ou au Royaume-Uni par exemple.

4-      Réformer la Constitution en vue de privilégier les lois françaises, et non les engagements internationaux, dès lors que ces derniers vont à l’encontre des intérêts de la France en matière migratoire.

 

Il resterait de nombreuses choses à dire et propositions à développer. La campagne présidentielle de 2022 remet d’ailleurs encore une fois la question de l’immigration au centre des discussions et ajoute aux débats habituels sur les flux migratoires une dimension identitaire. L'enjeu reste chaque fois de savoir si la France doit (ou peut) accueillir plus ou moins d'immigrés. Face à ce défi et à la vague d’immigration toujours plus importante que doit affronter l’Europe – il n’y a qu’à voir la frontière entre la Biélorussie et la Pologne –, il est urgent d’agir vraiment.

 

 


CONTRIBUTION DE MME SANDRINE MÖRCH
Députée de la Haute-Garonne

 

Lever les freins à la scolarité des enfants en grande précarité

 

C'est délibérément par le prisme du novateur et du constructif qu’il faut aborder cette thématique de l’accès à l’éducation des enfants et jeunes en situation de grande précarité.

Car la crise sanitaire a aussi servi de détonateur, de révélateur, de stimulateur. Elle a poussé à innover, et à entreprendre. Elle a socialement désinhibé beaucoup d'acteurs, a assoupli des hiérarchies, et obligé chacun à prendre des initiatives.

 Pendant le confinement, les jeunes issus des bidonvilles, des squats, ceux logés dans les hôtels sociaux, les mineurs isolés, les enfants ROMS ont basculé dans une précarité plus grande encore qu'avant la crise, une précarité sanitaire, économique, et une rupture avec l'école. Comment ces élèves, fragilisés par leurs conditions de vie, avec un rapport à l’école souvent très distancié, peuvent-ils désormais réussir leur émancipation ?

Les freins sont bien identifiés : problème d’accès aux inscriptions dans les établissements scolaires, instabilité du lieu de vie, grande pauvreté, racisme. Si ces populations sont exclues du fait de leurs conditions d’habitation, elles sont également exclues de nos institutions, donc de notre République et de ses valeurs. Pourtant, pour une majorité de familles et leurs enfants, l’école est le lien fondamental avec la France. L’école est le point d’ancrage pour s’intégrer, pour apprendre, pour s’arracher à sa condition et devenir un citoyen français, avec ses devoirs et ses droits.

Au-delà des freins identifiés sur lesquels nous reviendront il est important d’insister sur une méthode de travail plus collaborative, les associations (à l’exception de celles qui ont uniquement une posture politique) engagées sur l’intervention sociale ou médicale sont responsables et capables de comprendre les contraintes de l’Etat. Leur positionnement de principe ne les empêche pas d’entrer dans un partenariat gagnant-gagnant. Par exemple, Médecins du monde fait partie des associations constructives. L’Etat doit coconcevoir la stratégie territoriale, la leur partager, les associer à sa mise en œuvre et aux expulsions qui sont indispensables pour des questions de sécurité, ou pour des questions d’obligation juridique après une décision de justice.

Il est aussi indispensable de mobiliser les solutions de droit commun (accès à l’école pour tous les enfants indépendamment du statut des parents, travail social du département et du CCAS, missions locales pour l’insertion des jeunes, DREETS pour la partie insertion professionnelle : embauche des adultes dans des chantiers d’insertion sinon l’apprentissage linguistique ne mobilise pas les personnes)

La justice doit aussi pouvoir être mobilisée en vue d’un moratoire des décisions judiciaires d’expulsions (quand il n’y a pas d’urgence ou de sécurité) 

D’autre part il est primordial de renforcer les crédits alloués aux politiques de la DIHAL et de lutte contre la pauvreté.

Concernant les obstacles qui entravent l’accès et la réussite à l’école certains sont identifiés et semblent surmontables par des mesures simples :

1/ La simplification de l’inscription scolaire, pour qu’aucun maire ne puisse plus refuser l’accès à l’école d’un enfant au prétexte qu’il habite dans un bidonville, un squat, dans une voiture, ou à la rue.

2/ Le développement de la médiation scolaire pour que le lien de confiance entre l’école et ceux qui en sont le plus éloignés soit créé ou renforcé.

3/ L’instauration d’une "trêve scolaire" pour limiter les expulsions pendant l’année scolaire, qu’il s’agisse d’un bidonville, d’un squat, d’une aire d’accueil ou d’un foyer pour mineur…

4/ L’application de la présomption de minorité pour qu’aucun jeune mineur isolé n’ait à attendre à la porte de l’école pendant l’évaluation administrative de son âge

5/ La systématisation du contrat jeune majeur jusqu’à 21 ans pour qu’aucun jeune en cours de formation ne soit forcé de quitter l’école à l’âge de 18 ans

6/ Développer et adapter les classes UPE2A, unité pédagogique pour allophones arrivants.

 L’amendement « simplifier et uniformiser les pièces requises lors de l’inscription scolaire pour tous les enfants » a mis fin à une cause majeure de discrimination dans l’accès à l’école de la République Française. L'inscription à l'école pour les enfants vivant en bidonvilles, squats et hôtels sociaux est désormais facilitée grâce à une liste uniformisée des pièces justificatives demandées par les mairies. Il faut désormais s’assurer que le décret est bien appliqué uniformément sur le territoire, ce qui n’est actuellement pas le cas. On pourrait aussi penser à des micro-formations dans les mairies, afin de former les agents d’accueil à la grande précarité. Car c’est une réalité que bien souvent, ils ne comprennent pas. 

Une mesure simple et efficace est d’augmenter le nombre de médiateurs scolaires sur le terrain. En moyenne, 80% des enfants présents sur un bidonville sont scolarisés lorsqu’il y a un médiateur, alors qu’ils ne sont que 20% quand le poste de médiateur n’existe pas. Ce sont eux qui vont sensibiliser les familles, les comptabiliser et leur faciliter les démarches d’inscription. Ils font ensuite le lien avec le professeur et permettent d’assurer une assiduité des élèves. Ils sont actuellement 36 . La  Dihal, , la délégation interministérielle à l’hebergement et à l’accès au logement, estime pouvoir couvrir les besoins des 5 à 6000 enfants de squat et bidonvilles si elle peut obtenir le financement et la formation de 80 médiateurs scolaires sur le territoire français. Ce sont des médiateurs associatifs qui sont financés par l’Etat sur les fonds de la DIHAL. Sur les 8 millions d’euros du budget de la Dihal, 1,5 million est fléché sur le programme de médiation scolaire. Ce rôle des médiateurs est structurant, il dépasse largement le cadre de la scolarisation puisqu’il intervient sur toutes les difficultés rencontrées par l’enfant : l’accès au droit, aux soins (lunettes, vaccins), la protection de l’enfance, l’accès au périscolaire. 

Concernant le contrat jeune majeur, pour les jeunes étrangers pris en charge par la protection de l’enfance et qui atteignent l’âge de 18 ans, leur prise en charge prend fin brutalement, y compris en cours d’année scolaire. Ces mêmes jeunes se retrouvent à la rue sans aucune solution de relogement ou d’hébergement. Le projet de Loi relative à la protection de l’enfance présenté par Adrien Taquet et en cours d’étude par le parlement va dans ce sens.

Autre outil à développer et à adapter : les classes UPE2A, où sont scolarisés les enfants qui ne maitrisent pas le français. Il faudrait augmenter le nombre de classe, en faire une meilleure répartition sur le territoire, et augmenter le nombre d’heures d’enseignement du français, ce qui est proposé ne semble pas toujours suffisant. On doit aussi mieux adapter la durée du dispositif, pour certains adolescents arrivés tard en France, et non scolarisé auparavant, 2 ans ne suffisent souvent pas. Il faut aussi envisager l’accueil des étrangers nouveaux arrivants francophone, qui ne sont pas forcément immédiatement intégrables à notre système scolaire.

Concernant les enfants expulsés de leur lieu de vie, c’est un cercle vicieux dans lequel des milliers de familles ou de jeunes non accompagnés s’enlisent. Pour chaque famille expulsée, c’est en moyenne 6 mois sans école pour les enfants et un traumatisme à long terme.

Ces jeunes se retrouvent structurellement et durablement éloignés de l’école. Quand on ne sait pas où on habitera dans trois mois, la promesse émancipatrice de l’instruction obligatoire est une abstraction, ce n’est pas une réalité. Au contraire le répit temporaire, raisonnable et réaliste, d'un habitat plus stable leur ferait à nouveau voir l’école de la République comme un moyen d’intégration sociale et de progrès.

 Il est impossible d’avoir un recensement exact des enfants et jeunes n’ayant pas un accès fiable et constant à l’éducation. Plusieurs évaluations sont possibles :

- Près de 6 000 enfants vivent en bidonville sur le territoire de France métropolitaine, d’après la DIHAL, hors médiation scolaire, 80% ne sont pas scolarisés 

 - 10 000 familles vivent en hôtel social, rien qu’en région en Île-de-France, d’après l’enquête ENFAMS publiée par le Samu social en 20144. 30 % d’entre eux n’ont pas accès à l’école, soit près de 10 000 enfants et jeunes, parce que le « nomadisme forcé » d’hôtel en hôtel rend impossible leur intégration scolaire.

 - 25 000 mineurs Isolés étrangers d’après l’avis du Sénateur Mouiller, présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de Finances 2019, le 22 novembre 2015. A Paris, plus des 2/3 d’entre eux restent à la porte de l’école 

 Le fait qu’aucun chiffre précis n’existe et soit reconnu illustre le manque criant de connaissances, de données publiques fiables tant sur l’ampleur du phénomène, encore méconnue et approximative, que sur les mécanismes et dysfonctionnements qui en sont à l’origine. C’est très compliqué de recenser une population qui n’existe pas toujours administrativement. Ne pas avoir de chiffre précis continue à propager un flou autour de la problématique. La bataille des chiffres est fondamentale.  

La crise a permis de rendre ces enfants invisibles enfin visibles. Cette jeunesse a des atouts qu'il vaut mieux cultiver au sein de l’Éducation Nationale plutôt que de laisser de pseudos mentors les récupérer. Au niveau international, l’Europe a adopté une garantie européenne pour l'enfance dans ses orientations politiques pour 2019-2024 : accueil de l'enfance et aide à l'enfance. Le plan d'action vise à réduire d'au moins 15 millions, dont au moins 5 millions d'enfants, le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale dans l'UE d'ici à 2030.

 

 

 

 


 

CONTRIBUTION DE MME BÉNÉDICTE PETELLE
Députée des Hauts-de-Seine

 

Les MNA, accès à l’éducation, accès à la formation et accès à l’emploi

Introduction

Selon le code d’action sociale et des familles, un mineur est considéré comme non accompagné (MNA) « lorsque aucune personne majeure n’en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend effectivement en charge et ne montre sa volonté de se voir durablement confier l’enfant, notamment en saisissant le juge compétent. »

Le nombre de nouveaux MNA recensés par la mission MNA du ministère de la Justice, serait en 2015 de 5 990, en 2019 de 16 660 et en 2020 de 9 501. La croissance fut significative entre 2005 et 2019 puis a diminué nettement suite à la crise sanitaire. Ce sont à 95% des garçons dont 60% viennent de Guinée, Mali et Côte d’Ivoire. Face à cette croissance inégalement répartie sur les territoires, certains départements, des associations de Protection de l’Enfance, l’Education Nationale et des formations professionnelles ont donc dû s’adapter pour répondre à cette évolution.

 La députée Bénédicte Pételle a choisi non pas de traiter le sujet des MNA dans sa globalité mais de centrer sa réflexion sur la problématique suivante : Les MNA, accès à l’éducation, accès à la formation et accès à l’emploi. En effet, selon l’article 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant « L’enfant a le droit à l’éducation et l’État a l’obligation de rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit, d’encourager l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire accessibles à tout enfant et d’assurer à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun ».

I-Accès à l’Education et à la formation

Si l’on peut noter une véritable amélioration des délais d’orientation vers les classes MODAP (Module d'Alphabétisation et de pré-professionnalisation) ou UPE2A  (unités pédagogiques pour élèves allophones) pour les MNA arrivant en début d’année (quelques jours dans les Centres d’information et d’orientation de Seine Saint Denis ou des Hautes-Pyrénées), la situation se complique à partir d’avril car il n’y a plus d’affectation et les jeunes doivent attendre la rentrée suivante pour recevoir une affectation. Sachant combien l’attente, sans activité est délétère pour ces jeunes fragilisés par leur parcours migratoire, par l’attente  de l’évaluation de la minorité, il semble important de proposer une orientation à tout moment de l’année scolaire comme cela se fait dans les classes d’UPE2A de l’école élémentaire.

Proposition 1 : offrir à tous les moments de l’année scolaire une orientation pour les MNA

Selon les enseignants auditionnés, le nombre de lycées proposant une classe UPE2A a considérablement augmenté dans l’Académie de Versailles mais il reste insuffisant pour certaines associations comme les Apprentis d’Auteuil, RESF, Le liens Yvelinois ou Droit à l’école dans certains territoires notamment dans les hauts de Seine. Ceci limite la possibilité pour certains  jeunes, non scolarisés ou faiblement scolarisés antérieurement, de rester une année de plus dans ces dispositifs et d’être scolarisés à tout moment de l’année.

Proposition 2 : augmenter le nombre de lycées recevant une classe UPE2A dans territoires insuffisement pourvus

Les enseignants rencontrés regrettent de ne pas avoir un éducateur ASE référent. Ils témoignent que si un jeune prend un travail, est arrêté ouest à l’hôpital, l’Education Nationale n’est pas informée.

Proposition 3 : prévoir un éducateur référent ASE pour une meilleure collaboration avec les équipes enseignantes.

II-Accès à l’Emploi

Pour éviter les ruptures de parcours, la circulaire du 21 septembre 2020 prévoit de systématiser une pratique mise en place par certaines préfectures :  l’examen anticipé du droit au séjour des mineurs plusieurs mois avant leur majorité, en partenariat avec les services d’aide sociale à l’enfance. Les associations saluent cette réelle avancée pour les MNA confiés aux services de l’ASE avant l’âge de 16 ans.

Elles saluent aussi la simplification des critères des autorisations de travail depuis le 1er avril 2021 :  les contrats de travail gérés depuis cette date par les Opérateurs de compétences autorisent à travailler pour toute la durée du contrat y compris lorsque le jeune bénéficiaire devient majeur. Le MNA n’a donc pas besoin de solliciter une nouvelle autorisation de travail, alors que la nature du contrat et l’employeur restent le même. A Paris, les associations regrettent que les Opérateurs de compétences renvoient les demandes d’autorisation de travail pour les jeunes majeurs vers le site « étrangers en France » où les délais d’attente sont de plus de 6 mois.

Cependant l’obtention du droit au séjour se complique pour les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance après l’âge de 16 ans. Comme le dispose l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le titre de séjour est délivré « à titre exceptionnel » dans l'année qui suit le dix-huitième anniversaire si l’étranger justifie « depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle ».

Entre le temps d’être évalué mineur, d’être orienté et d’apprendre le français, le délai est parfois trop court pour justifier de 6 mois de formation visant à lui apporter « une qualification professionnelle ». Les jeunes se voient  refuser un titre de séjour et sont donc dans l’impossibilité d’obtenir une autorisation de travail alors qu’ils ont entamé un parcours scolaire ou de formation. Cette décision entraine un découragement pour les patrons, les formateurs, les éducateurs et les enseignants. Pour les MNA, c’est une rupture brutale du parcours, une perte de sens et le risque de s’orienter vers le travail au noir, les réseaux mafieux ou la radicalisation. C’est aussi un gaspillage de l’argent public dépensé pour ces jeunes.

Comme le résume un jeune MNA des apprentis d’Auteuil « Si on n’a pas de papier, on n’a pas de patron. Si on n’a pas de patron, on ne peut pas avoir de formation. Si on n’a pas de formation, on n’a pas de papier. » Afin d’appréhender le temps de scolarisation et de formation plus sereinement, sans vivre l’obtention du titre de séjour comme « une épée de Damoclès », les associations comme les Apprentis d’Auteuil, le Lien Yvelinois, Ecole pour tous et RESF demandent que les formations en UPE2A, ou en MODAP et les prépa apprentissages soient aussi reconnues pour obtenir un titre de séjour.

Proposition 4 : Pour les MNA confiés à l’aide sociale à l’enfance entre 16 et 18 ans, reconnaître les formations prépa apprentissage, en UPE2A ou en MODAP pour l’obtention du titre de séjour.

Les parcours de formation des MNA sont aussi fragilisés, dans certaines préfectures, par la durée des titres de séjour de courte durée : « autorisation provisoire de séjour » d’un mois, titre de séjour « apprentissage » de huit mois, titre de séjour motif étudiant… Alors que le titre de séjour vie privée, vie familiale est d’une durée d’un an et dispense d’une autorisation de travail.  Il semble donc approprié pour simplifier les démarches et sécuriser les parcours.

 

Proposition 5 :  Pour les MNA confiés à l’aide sociale à l’enfance entre 16 et 18 ans, délivrer après leur majorité un titre de séjour « vie privée et familiale »

 

Si on peut se réjouir d’une meilleure collaboration entre les préfectures et l’ASE depuis la circulaire de septembre 2020, il semble important de maintenir des contacts entre les préfectures et les associations afin de s’informer mutuellement de l’évolution des lois, de l’évolution des publics concernés, de maintenir une relation de confiance et surtout de gagner en efficacité afin d’éviter les ruptures de parcours. Les associations nous ont fait part d’une pratique pertinente qui se pratiquait à Paris jusqu’en 2019 : une rencontre annuelle entre les associations représentant les MNA et la préfecture à la fin du mois août, avant la rentrée scolaire.

 

Proposition 6 : Systématiser une rencontre annuelle avant la rentrée scolaire entre les services des étrangers de la préfecture et les associations représentant les MNA.

Conclusion

Des avancées significatives ont été mises place pour mieux accueillir les MNA depuis 2006, comme l’augmentation des classe UPE2A dans les lycées et la simplification des autorisations de travail. Pour les examens anticipés des titres de séjour, le bilan est positif pour les MNA confiés à l’ASE avant 16 ans, mais moins pour ceux qui ont été confiés après 16 ans.

Des difficultés persistent pour les MNA arrivés après 16 ans en France, avec des inégalités suivant les territoires : titres de séjour hybrides, temps d’attente pour le renouvellement des titres de séjour, OQTF… Mais rien n’est irrémédiable.

 


 

CONTRIBUTION DE MME NATALIA POUZYREFF
Députée des Yvelines

 

La question des femmes migrantes en france

 

Ce point de vue est personnel, il ne prétend pas être exhaustif mais ressort des entretiens que la députée a pu avoir lors de ses visites dans les centres d’hébergement de sa circonscription.

 

A l’échelle mondiale, 51% des migrants sont des femmes. En 2016, elles représentaient 34% des demandeurs d’asile en France. Je souhaite apporter une brève contribution à propos des femmes migrantes en France qui sont davantage vulnérables que les hommes.

 

Parmi les femmes d’origine subsaharienne que j’ai rencontrées, les récits étaient particulièrement touchants, car nombre d’entre elles sont réfugiées en France pour fuir le risque d’excision qui menace leurs filles. Ce faisant, elles ont laissé une partie de leur famille derrière elles.Je m’interroge néanmoins sur le parcours de femmes qui, en dépit d'une situation extrêmement précaire durant l'instruction de leur demande d'asile, donnent naissance à d’autres enfants. Si la création d’un nouveau cercle familial relève d’un besoin de socialisation et d’enracinement, la charge d’enfants en bas âge pourait être un frein à l’émancipation économique et professionnelle de ces femmes.

 

Aussi, je préconise un meilleur accès au suivi gynécologique et à la contraception dans les lieux d’accueil des femmes migrantes. Je salue à ce titre l’action menée dansma circonscription par le professeur Pierre Foldes et Mme Frédérique Marz, fondateurs de l’association Women safe and children.

 

En outre, lors de mes visites sur le terrain, il m’a été notifié qu’aucun cours de langue, ni formation professionnelle n’étaient prévus par l’administration publique dans le temps d’instruction de demande d’asile. Pourtant celle-ci peut durer plusieurs années. Les initiatives reposent sur l’engagement d’associations, mais les femmes migrantes y renoncent souvent en l’absence de solutions de garde pour leurs enfants en bas âge.

 

Je recommande l’instauration de cours de langue ainsi qu’un accès adapté aux besoins des femmes et mères de famille.

De plus, comme l’a souligné la rapporteure dans son rapport, la domiciliation du dossier de demande d’asile pose des problèmes. Elle est souvent différente de celle du lieu de séjour effectif du demandeur. Or, la première adresse est utilisée par défaut pour les inscriptions des enfants à l’école. Le changement d’adresse nécessite un travail administratif supplémentaire.

Les démarches de scolarisation des enfants doivent être simplifiées en lien entre les préfectures et les municipalités. Il en va de l’intérêt de l’enfant et de celui de la société, qu’ils puissent être éduqués et intégrés dans les meilleures conditions.

De façon plus générale, la question se pose d’assurer une meilleure intégration des demandeurs d’asile et des réfugiés sur le territoire français. A cet égard, il pourrait être intéressant de réviser les conditions d’autorisation de travail sur la base de critères objectifs, notamment au regard des besoins de notre marché du travail et des tensions sur certaines professions. En ce sens, je soutiens la recommandation 17 du rapport de la commission d’enquête. Les femmes migrantes pourraient, entre autres, trouver leur place dans les besoins croissants en matière d’aide à la personne, à condition d’y être formées.

Je préconise que les autorisations à travailler soient accordées de manière plus systématique aux demandeurs et demandeuses d’asile faisant part de leur motivation à travailler dans les secteurs en tension.

En conclusion, face aux risques de trafic d’êtres humains, de proxénétisme ou de toute autre forme d’esclavage moderne, je me prononce en faveur de mesures visant à réduire la vulnérabilité et à émanciper les femmes demandeuses d’asile et réfugiées.

 


CONTRIBUTION DE MME RACON BOUZON
Députée des Bouches-du-Rhône

 

Sur la situation particulière des Mineurs Non Accompagnés (MNA) et leur difficile accès eu droit.

 

 

      Accueil des mineurs non accompagnés (MNA) dans les Bouches-du-Rhône

 

Le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) se présentant pour un premier accueil est très variable dun département à lautre.

Certains départements, comme les Bouches-du-Rhône, doivent répondre à un afflux - en forte augmentation depuis 10 ans - de jeunes se déclarant mineurs et demandant à être mis à labri. Cela met le dispositif daccueil et de mise à labri durgence sous tension, faute danticipation, le rendant objectivement défaillant.

 

Ces manquements ont été soulignés par la décision de la Défenseure des droits du mois de mars 2021 : si aujourdhui, un jeune peut espérer être mis à labri à Marseille sous environ 2 ou 3 semaines, l’hiver dernier, les délais ont pu monter jusqu’à 4 mois dattente. Au cours de cette période, le mineur est condamné à vivre dans la rue et ne peut compter que sur la solidarité des citoyens pour survivre.

 

Il est tenu de se présenter aux heures et aux jours douverture du « centre de premier accueil » mis en place par lADDAP13, opérateur pour le Département pour assurer sa mission de mise à labri/évaluation/placement des mineurs en danger. Ce centre se situe à un point unique excentré de Marseille et enregistre les mineurs dans une file active suivant laquelle ils sont ensuite mis à labri par ordre dinscription. Si le lieu leur permet de trouver un peu de répit autour dune boisson chaude et dune madeleine, aucun soutien matériel ne leur est offert pour pouvoir survivre dans les rues de Marseille en attendant leur mise à l’abri.

 

Ce temps dattente beaucoup trop long du fait dun manque de places et dun dysfonctionnement du dispositif condamne ces jeunes à lerrance et les expose au risque d’être forcé à commettre des délits, pris sous lemprise dun réseau organisé de délinquance, voire de traite.

Laisser ces mineurs sans repère et sans toit est une mise en danger que nous ne pouvons pas tolérer.

 

Les Départements sont en charge de la protection de l’enfance depuis 30 ans. Le droit commun en matière de protection de l’enfance s’applique à tous les mineurs sans conditions de nationalité.

L’Etat aide sur la phase daccueil et d’évaluation, en versant aux Départements un montant forfaitaire de 500 euros par jeune à évaluer. Sajoute une participation de lEtat pour la mise à labri du jeune, dun montant de 90 euros par jour pendant 14 jours, réduit à 20 euros entre le 15ème et le 23ème jour.

 

Nombre de MNA pris en charge par le Département BDR :
en 2015 : 233 ; en 2016 : 311 ; en 2017 : 597 ; en 2018 : 857 ; en 2019 : 1074 ; au 31 décembre 2020 : 992

Eléments chiffrés BDR 2020 Source ADDAP13

620 personnes reçues au premier accueil
406 personnes mises à l’abri pour évaluation
345 évaluations éducatives et sociales transmises
170 personnes prises en charge par l’ASE (mineures), soit 49,2 % 175 personnes déboutées de l’ASE (majeures), soit 50,8 %

 

 

Recommandation n° 1 : inciter le département des Bouches-du-Rhône à contractualiser avec l’Etat pour améliorer la protection des mineurs non accompagnés, dès leur repérage et jusqu’à ce quintervienne la confirmation de leur minorité et de leur isolement, en raccourcissant les délais de mises à l’abri.

Proposer un soutien matériel composé dune aide alimentaire quotidienne, dun kit dhygiène, dun kit vestimentaire et de titres de transport si la mise à labri n’intervient pas immédiatement.

 

Recommandation n° 2 : de la même manière que la contribution de l’Etat n’est pas versée au département qui n’organise pas la présentation de la personne à la Préfecture ou s’il ne transmet pas chaque mois les dates et sens des décisions prises lors des évaluations, conditionner la contribution de l’Etat à une mise à l’abri effective du jeune sous 48h au plus tard et à la remise d’un kit de survie en cas de remise à la rue après le premier accueil.

 

Recommandation n° 3 : prendre en compte - lors de l’élaboration de la répartition proportionnée - du nombre effectif de personnes ayant demandé une protection.

Le nombre de mineurs pris en charge par laide sociale à lenfance ne suffit pas ; le nombre de demandeurs a également sa place dans le calcul afin de refléter la réalité des territoires, exposé de façon très disparate à laccueil de mineurs non accompagnés (MNA).

 

Recommandation n° 4 : favoriser l’émergence d’alliances Etat/collectivités/associations pour augmenter le nombre d’hébergements d’urgence dédiés aux MNA en lien avec les besoins de chaque territoire

 

Recommandation n° 5 :  ouvrir les agréments (par contractualisation) aux associations pour augmenter les capacités d’accueil.

 

 

 

      Evaluation des mineurs isolés sur le territoire français

 

Une fois mis à labri, les mineurs non accompagnés sont évalués pour confirmer ou infirmer leur minorité afin de décider de leur placement au titre de laide sociale à lenfance.

 

Dans certains départements, la mission de protection de lenfance est déléguée à un opérateur comme cest le cas dans les Bouches-du-Rhône. LADDAP13 est en effet en charge dassurer à la fois la mise à labri durgence, l’évaluation du jeune et son placement. Dans un système tendu où le nombre de places fait défaut, cela pose la question de lindépendance et de lobjectivité de l’évaluation.

 

Par ailleurs, certains dysfonctionnements dans les procédures d’évaluation mont été rapportés par la commission mineur non accompagné du Barreau de Marseille et par de nombreuses associations accompagnant ces jeunes dans leur parcours administratif/judiciaire : des retranscriptions dentretien non conformes à ce que le traducteur a déclaré avoir dit pour traduire la parole de lenfant, une mise sous tension du mineur à qui lon prête des postures ou des regards attestant ainsi de sa « maturité » (négligeant ainsi le parcours migratoire souvent traumatisant de cet enfant), labsence dans le dossier dentretien de l’évaluation éducative rédigée par l’éducateur qui a encadré le jeune pendant sa mise à labri, souvent mieux à même dattester de la véracité dun récit ou dune réelle maturité.

 

Enfin, le partage des informations figurant dans le fichier dénommé « appui à l’évaluation de la minorité » (créé par larticle 51 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit dasile effectif et une intégration réussie) entraine parfois un biais dans l’évaluation.

 

De nombreux mineurs isolés entrent en Europe sous une identité dadulte, à laide de passeports demprunts ou de faux documents. Cette identité peut alors être celle qui leur est reconnue par la comparaison dempreintes.

 

Lors de leur entrée sur le territoire français, certains passeurs conseillent au jeune de se déclarer majeur afin de faciliter lobtention dun visa ou dune carte de séjour. Le mineur se retrouve de fait enregistré majeur alors quil est mineur, linformation transmise fausse alors l’évaluation.

 

En conséquence de quoi, il semble nécessaire de préciser les modalités d’évaluation pour mettre en place des garde-fous et garantir lobjectivité de l’évaluation de la personne se déclarant mineure.

 

Recommandation n° 6 : exiger que lorganisme qui accueille le mineur non accompagné ne soit pas à la fois juge et partie.

Cette problématique fait également lobjet dune recommandation des sénateurs DOINEAU et GODEFROY émise dans leur rapport de juin 2017 sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés. Les deux parlementaires proposent dinciter les conseils départementaux à émettre, chaque fois que possible, des appels à projets distincts pour les deux missions d’évaluation et de mise à labri, avec impossibilité de cumul.

 

Recommandation n° 7 : mieux évaluer la situation de la personne se présentant comme mineur en la faisant bénéficier dun avocat, ou dun bénévole associatif, et dun interprète indépendant lors de son évaluation par les services du département. L’évaluation doit prendre en compte tous les avis rendus par les professionnels qui ont encadré le jeune à partir de sa mise à labri.

 

Recommandation n° 8 : si le représentant de l’Etat dans le département communique au département des informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne, l’âge renseigné dans le fichier AEM ne doit pas être communiqué afin  de ne pas influencer l’évaluation.

 

 

      La zone grise des « mijeurs »

 

La situation des jeunes déboutés de laide sociale à lenfance (ASE) est particulièrement kafkaïenne. Ces « Mijeurs », sont dans une situation administrative inextricable : mineurs selon leurs papiers de leur pays dorigine, majeurs selon la décision des services du département. Louverture des droits est difficile pour des jeunes souvent à la rue car elle nécessite une domiciliation. Sans représentant légal et sans lautorisation dun adulte responsable, ils ne peuvent avoir ni accès aux soins ni compte en banque.

 

Les Mijeurs, souvent en procédure de recours quant à l’évaluation de leur minorité́ ne peuvent prétendre à bénéficier de la PUMa, ce qui revient à nier la présomption de minorité́ dont ils doivent bénéficier en attendant une décision définitive du juge pour enfant. Certains jeunes sont scolarisés grâce à laide des associations et des citoyens hébergeurs solidaires, ils bénéficient dune bourse scolaire quils ne peuvent pas toucher faute de pouvoir ouvrir un compte en banque, faute de domiciliation.

 

Le nombre de ces situations est aggravé par la possibilité donnée aux départements de réévaluer les personnes mineures qui arrivent sur leur territoire. Il nest pas rare quun mineur « confirmé » soit déplacé dans un autre département où le nombre de places disponibles pour laccueillir est plus grand, il est alors réévalué par le département qui peut le « déminoriser », entrainant pour ce jeune une nouvelle traversée du désert administrative.

 

Recommandation n° 7 : Interdire les réexamens de la minorité et de l'isolement des mineurs non accompagnés orientés dans un département après avoir été évalués mineurs dans un premier département (recommandation satisfaite par larticle 14bis du projet de loi relatif à la protection des enfants).

 

Recommandation n° 8 : instaurer une présomption de minorité pour les personnes se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, conformément à la Convention internationale des droits de lenfant (CIDE).

Cette recommandation est contraire à la proposition de la rapporteure.

 

 

      Le difficile parcours administratif

 

Si la volonté « daller à l’école » est souvent lun des moteurs du parcours migratoire du jeune, sa scolarisation en France, même si elle est garantie par le droit à l’éducation est souvent un parcours semé dembûches.

Après son évaluation par les services du Centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV), il intègre, en fonction des places disponibles et de sa situation scolaire antérieure, les dispositifs UPE2A ou NSA (classe dédiée aux élèves allophones non scolarisés antérieurement). Le délai dattente pour obtenir une place dans un de ces dispositifs peut aller jusqu’à 3 mois dans lAcadémie dAix-Marseille par exemple.

 

Lorsquil est reconnu mineur et placé à lASE, il bénéficie de la possibilité de travailler dans le cadre des stages (apprentissages et bac professionnel), en revanche, sil est scolarisé avant d’être évalué puis déminorisé par l’évaluation, ou lorsquil devient majeur avant la fin de son parcours scolaire, la situation se complique. La législation permet laccompagnement du jeune jusquau terme de son année scolaire engagée, la suite dépend du droit au séjour qui lui est accordé mettant ainsi à mal un parcours scolaire et une intégration parfois bien enclenchée.

 

Actuellement, si l’étranger mineur pris en charge par les services de lASE au plus tard à ses 16 ans obtient une admission au séjour de plein droit (sous réserve des dispositions mentionnées à larticle L. 313-11 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) et peut ainsi se voir délivrer à sa majorité une carte de séjour temporaire dun an portant la mention « vie privée et familiale », le mineur pris en charge après ses 16 ans peut prétendre uniquement à une admission exceptionnelle au séjour.

 

Cette inégalité entre les mineurs pris en charge avant ou après leurs 16 ans na pas lieu d’être et semble contraire à la Convention internationale des droits des enfants (CIDE) et à la jurisprudence de la Cour de justice de lUnion européenne (CJUE).

 

Elle implique également que, pour ceux qui ont été pris en charge après 16 ans, lobtention dune carte salarié ou travailleur temporaire ou étudiant se fait après un nouveau processus de demande administrative dont les délais dattente pénalisent leur parcours scolaire et les empêche souvent deffectuer les stages pourtant requis dans le cadre de leur diplôme.

 

Rétablir cette égalité permet d’éviter de nouveaux obstacles à ces jeunes dans leur parcours qui en a généralement déjà comporté et de renforcer leur processus dintégration.

 

Recommandation n° 9 : généraliser lobtention de cartes de séjour « vie privée et familiale » pour tous les mineurs non accompagnés, et ce peu importe l’âge de prise en charge par laide sociale à lenfance.

 

Recommandation n° 10 : prolonger la durée de validité du titre de travail octroyé au mineur non accompagné jusqu’à la fin de son cursus scolaire ou universitaire. Il pourra ainsi - à la fin de sa minorité - continuer à travailler. Cela évitera les ruptures brutales de formation et favorisera son intégration.

 

Recommandation n°11 : multiplier les contrats jeune majeur pour un délai minimal dun an.

Actuellement, comme la rappelé à plusieurs reprises le Conseil d’État, « alors même que lintéressé remplit les conditions d’âge et de situation sociale, le président du conseil général nest pas tenu daccorder ou de maintenir le bénéfice de la prise en charge par le service chargé de laide sociale à lenfance. » De nombreuses disparités sont donc observées entre les départements : en fonction de la mise en tension des dispositifs daccueil et ou de placement, certains contrats jeunes majeurs peuvent être réduits à la portion congrue et conclus pour une durée de 3 mois.

 


—  1  —

 

   LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LA RAPPORTEURE

Mardi 6 juillet 2021

Jeudi 8 juillet 2021

      Paul Thompson, conseiller aux affaires intérieures et justice

      John Sykes, conseiller aux affaires intérieures et justice

      Clémentine Martin, attachée service politique, relations avec les élus

Vendredi 9 juillet 2021

      Sissoko Anzoumane (Malien)

 

      Driss ElKherchi (Maroc)

      Nacer El Idrissi président de l’ATMF (Dossier des Chibanis)

 

      Guitoun Saddok (Algérie)

 

      Bernard Dréano, président du CEDETIM

 

      Fernanda  Marruchelli

 

      Jean Baptiste Eyraud

 

      Mohamed Bensaid (Tunisien)

 

 

Jeudi 21 octobre

Auditions avec les associations locales sur la question des migrations

 

      Madame Anne Caron

      Madame Noelle Madec

      Madame Dominique Goriaux

 

      Madame Anabel Couppey

      Madame Béatrice Le Chatreux

      Madame Marie-France Thomas

 

      Monsieur Pierre Harel

      Monsieur Jean-Luc Varenne

      Monsieur Jean-Albert Demeulenaere

 


—  1  —

 

   DOCUMENTS TRANSMIS PAR LES ASSOCIATIONS

 

        Fiche thématique sur l’accès à la santé des migrants, Médecins du monde

 

        Réponse du Secours catholique – Caritas France au questionnaire adressé par la commission d’enquête

 

        Fiche thématique sur la situation des personnes migrantes aux frontières italiennes et espagnoles, Projet de la Coordination d'actions inter-acteurs aux frontières intérieures (Amnesty, La Cimade, Médecins sans frontières, Secours catholique – Caritas France), Anafé et Tous migrants

 

        Fiche thématique sur les campements, bidonvilles et squats, Association Accueil, Coopération, Insertion pour les Nouveaux Arrivants, Collectif National Droits de l'Homme Romeurope, Médecins du Monde et le Secours catholique – Caritas France

 

        Contribution de la Ligue des droits de l’homme

 

        Contribution de l’association Le Pole

 

        Contribution du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF)

 

        Contribution de l’association les Midis du MIE (Mineurs isolés étrangers)

 

        Fiche thématique sur la situation des personnes migrantes travailleuses du sexe, Paloma et Médecins du monde

 

        Contribution de l’association Droit à l’école

 

        Réponse de La Cimade au questionnaire adressé par la commission d’enquête

 

        Contribution du Réseau Alpha

 

        Fiche thématique sur le respect des droits des enfants et adolescents marocains, Fatiha Khettab (SOS migrants mineurs) et Thalita Le Bel Esquivillon (avocate)

 

        Propositions pour assurer un premier accueil de qualité et fiabiliser l’évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés, Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF)

 

        Fiche thématique sur les violences contre les femmes migrantes, Réseau pour l'autonomie des femmes immigrées et réfugiées

 

        Fiche thématique sur l’asile et le Règlement Dublin, La Cimade et le Secours Catholique – Caritas France

 

        Fiche thématique sur la dématérialisation, La Cimade et le Secours catholique – Caritas

 

        Contribution de Jesuit Refugee Service (JRS) France

 

        Fiche thématique sur le Français pour tous, Collectif le Français pour tous

 

        Fiche thématique sur la résilience des réfugiés palestiniens, Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient

 

        Fiche thématique sur le contexte humanitaire en Méditerranée centrale, SOS Méditerranée

 

Les documents sont consultables à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cemigrants/l15b4665_rapport-enquete.pdf

 

 


([1])  Sociologue et démographe. Professeur au collège de France

([2]) Source : direction générale des étrangers en France – ministère de l’intérieur

([3]) D’après François Gemenne, auditionné par la commission d’enquête le 9 juin 2021

([4])  Loi n°2021-1031 du 4 août 2021 relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales

([5])  Enquête IPSOS sur les diasporas africaines de France et les transferts d’argent vers le continent africain – juillet 2020

([6]) Loi n°2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales

([7]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b3887_rapport-fond.pdf page 282

([8])  Champ : France métropolitaine, tous pays

([9]) RPT : Ressortissants de pays tiers.

([10]) Champ : France métropolitaine, tous pays, majeurs.

([11]) RUE : Ressortissants de l’Union européenne.

([12])  Maître Emmanuelle Naraudau, audition du 23 septembre 2021

([13])  En effet, la France a procédé en novembre 2015 au rétablissement des contrôles à ses frontières sur le fondement de l’article 25 § 1 du Code frontières Schengen (CFS), d’abord institué par un Règlement du 15 mars 2006 et aujourd’hui codifié par le Règlement 2016-399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016. Des points de passage autorisé (PPA) ont été réinstaurés, où des contrôles frontaliers peuvent avoir lieu 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. En 2019, entre 4 000 et 4 500 policiers étaient affectés au contrôle aux frontières.

([14])  27 cas de personnes décédées et 2 disparitions inquiétantes recensées par les associations depuis 2015 à la frontière franco-italienne des Hautes-Alpes, et 23 décès à la frontière des Alpes-Maritimes.

([15]) Voir par exemple la décision du TA de Nice n° 1801843 du 2 mai 2018 qui condamne le préfet des Alpes-Maritimes pour violation du droit d’asile. En outre, entre le 8 et le 9 septembre 2021, les associations ont observé le refoulement de 12 personnes, dont 2 familles afghanes, vers l’Italie, personnes qui ont témoigné par la suite avoir émis le souhait de demander l’asile.

([16])  Audition du 27 mai 2021

([17])  Règlement (UE) n ° 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d'un Bureau européen d'appui en matière d'asile

([18])  Audition du 23 septembre 2021

([19]) 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, Étude du Conseil d’État à la demande du Premier ministre, mars 2020.

([20]) 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, Étude du Conseil d’État à la demande du Premier ministre, mars 2020.

([21]) M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, rapport n° 4195 fait au nom de la commission des Finances sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour l’année 2020, annexe n° 28, Assemblée nationale,  XVè législature, 26 mai 2021.

([22]) Communiqué « Dématérialisation imposée pour les titres de séjour : la préfecture de Vienne devant le tribunal administratif », la Cimade, Ligue des droits de l’Homme, et GISTI, 3 février 2021.

([23]) Rapport n° 4195 fait au nom de la commission des Finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2020, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, XVe législature, 26 mai 2021.

([24])  20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, Étude du Conseil d’État à la demande du Premier ministre, mars 2020.

([25]) Décision du Défenseur des droits n° 2020-142, 10 juillet 2020.

([26]) Audition de Mme Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du CNB, 6 octobre 2021.

([27]) CE, décision n° 422516, La Cimade & autres, 27 novembre 2019.

([28]) Décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en œuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique.

([29]) Annexe au projet de loi de finances pour 2022, programme 216 « conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ».  

([30]) Audition de Mme Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du CNB, 6 octobre 2021.

([31]) Décret n° 2021-313 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titre de séjour.

([32]) Les demandes de titre de séjour d’étrangers qui séjournent déjà en France, mentionnés aux 2°, 3° et 4° de l’article R. 431-5 du CESEDA (par exemple : la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT », la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » pour les étrangers qui atteignent dix-huit ans et qui ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance, etc.)

([33]) Notamment de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF).

([34]) Audition de Mme Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du CNB, 6 octobre 2021.

([35]) Mme Cécile Lambert, cheffe de service à la DGOS, audition du 7 juillet 2021.

([36]) Ces difficultés tiennent à des délais très longs avant l’installation des infrastructures d’hygiène, à l’insalubrité de l’environnement et la promiscuité des lieux de vie, de même qu’à l’éloignement des structures de soins qui favorise le renoncement aux soins.

([37])  Audition de Mme Barbara Bertini, coordinatrice des PASS franciliennes, 7 juillet 2021.

(1) Cet examen comportait notamment un examen clinique général, un examen radiographique des poumons, une vérification du statut vaccinal et du diabète. Arrêté du 11 janvier 2006 relatif à la visite médicale des étrangers autorisés à séjourner en France.

([39])  L’importance de ce « rendez-vous santé » pour l’ensemble des étrangers (étudiants, immigration familiale, demandeurs d’asile, etc.) est soulignée par le Haut conseil de la santé publique dans son avis relatif aux recommandations concernant la visite médicale des étrangers primo-arrivants en provenance de pays-tiers, 6 mai 2015.

([40]) M. Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d’universités et Mme Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes, audition du 9 septembre 2021.

([41]) Recommandation issue du rapport L’aide médicale d’État : diagnostic et propositions, IGF – IGAS, octobre 2019.

([42]) Ces structures ne sont pas exclusivement consacrées aux personnes étrangères.

([43]) Cette PASS est composée de 3,7 ETP médecins, 5 ETP infirmiers, 0,5 ETP cadre, 1 ETP secrétariat, 0,5 ETP psychologue, 5 ETP agents d’accueil et aide-soignant, 1,5 ETP assistante sociale et 0,5 ETP secrétariat assistante sociale.

([44]) En particulier les Dr Olivier Cha, Eida Bui, et Mme Charlotte Garrien, assistante sociale, rencontrés à l’occasion de ce déplacement.

([45]) L’équipe soignante a confié faire appel à un réseau interne sur le site de l’hôpital et faire appel à ISM interprétariat en dernier recours, pour les cas les plus graves comme les annonces de diagnostic par exemple, en raison du coût élevé et du temps que cela prend.

([46]) Contribution écrite du ministère des Solidarités et de la Santé aux travaux de la commission d’enquête.

([47]) Mesure n° 27 des accords du « Ségur de la santé », 2020.

([48]) Contribution écrite du ministère des solidarités et de la santé aux travaux de la commission d’enquête.

([49]) En réponse à cette problématique, de plus en plus de documents d’informations sur l’accès aux droits ont été traduits et Santé publique France a mis en place des livrets de santé bilingues

([50]) Mme Cécile Lambert, audition du 7 juillet 2021.

([51]) Le dispositif de droit commun pour les personnes étrangères en France de manière stable et régulière est la protection universelle maladie (Puma).

([52]) Plafond de ressources pour un célibataire en France hexagonale.

([53]) Les mineurs font exception à la règle puisqu’ils bénéficient de l’AME dès leur arrivée sur le territoire.

([54]) M. Paul Dourgnon, économiste et directeur de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), audition du 7 juillet 2021.

([55]) M. Paul Dourgnon, ibid.

([56]) Voir l’annexe n° 2

([57]) Disposition introduite par l’article 264 de la loi de finances n° 2019-1479 du 28 décembre 2019.

([58]) M. Laurent Gallet, chef de service adjoint au directeur de la sécurité sociale, audition du 7 juillet 2021.

([59]) Disposition introduite par l’article 264 de la loi de finances n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 pour l’année 2020, précisée par le décret n° 2020-1325 du 30 octobre 2020.

([60]) Pour permettre cependant une prise en charge, les professionnels hospitaliers doivent faire une demande d’entente préalable à la sécurité sociale, « procédure chronophage pour des professionnels déjà surchargés », comme cela est rappelé par Médecins du monde dans leur contribution écrite aux travaux de la commission d’enquête.

([61]) M. Christian Reboul, référent migration droits et santé chez Médecins du monde, audition du 7 juillet 2021.

([62]) Article L. 254-1 du code de l’action sociale et des familles.

([63]) L’aide médicale de l’État : diagnostic et propositions, IGF – IGAS, octobre 2019.

([64]) M. Christian Reboul, référent migration droits et santé chez Médecins du monde, audition du 7 juillet 2021.

([65])  Mme Laurence Kotobi, anthropologue, audition du 7 juillet 2021.

([66]) L’immigration en France, quelles réactions des salaires et de l’emploi ?, La lettre du CEPII  347, septembre 2014.

([67]) Lettre n° 74 relative à l’ouverture du marché du travail français aux ressortissants des nouveaux États membres de l’Union européenne, Trésor éco, mai 2010.

([68]) La demande est appréciée au regard de plusieurs éléments déterminés par l’article R. 5221-20 du Code du travail, relatifs à l’emploi lui-même, à l’employeur et à la rémunération. L’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de 2 mois.

([69]) Projet annuel de performances de la mission « Immigration, asile et intégration », annexé au projet de loi de finances pour 2022.

([70]) M. Pierre Nicolas, responsable du programme JRS accompagnement juridique, audition du 21 juillet 2021.

([71]) Rapport n° 3357 déposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, XVe législature, 23 septembre 2020.

([72]) M. Grégory Verdugo, professeur des universités à l’université d’Évry, audition du 21 juillet 2021.

([73]) Recommandation de Mme Stella Dupont, membre de la commission d’enquête, issue du rapport n° 3357 déposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, XVe législature, 23 septembre 2020.

([74]) Le CESEDA est muet sur ce point, pour autant, il semblerait qu’il ne soit possible de déposer une demande d’autorisation de travail que lors de la phase d’instruction de l’OFPRA ; rapport n° 3357 déposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, XVe législature, 23 septembre 2020.

([75]) Seuls deux corps de fonctionnaires sont ouverts à tous les étrangers : les médecins des hôpitaux et les enseignants-chercheurs des universités, soit 150 000 emplois.

([76]) Article 5 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

([77]) C’est-à-dire les emplois dont les attributions ne sont pas séparables de l’exercice de la souveraineté. Ils correspondent principalement aux emplois des ministères de la Défense, du Budget, de l’Économie, de l’Intérieur, et des Affaires étrangères.

([78]) Une forme méconnue de discrimination : les emplois fermés aux étrangers, Groupe d’études et de lutte contre les discriminations¸ mars 2000.

([79]) Mme Pascale Gérard, directrice de l’insertion sociale au sein de l’AFPA, audition du 21 juillet 2021.

([80]) Mme Pascale Gérard, directrice de l’insertion sociale au sein de l’AFPA, audition du 21 juillet 2021.

([81]) Mme Ivane Squelbut, directrice des partenariats et de la territorialisation au sein de Pôle Emploi, audition du 21 juillet 2021.

([82]) Augmentation importante du nombre d’heures de formation, création d’un quatrième parcours à destination des publics non-lecteurs non-scripteurs, et réduction de la taille des groupes.  

([83]) Projet annuel de performance de la mission immigration asile intégration pour l’année 2020. Taux de réalisation de l’année 2020.

([84]) Proposition de Mme Claire Verdier, directrice du centre d’études, de formation et d’insertion par la langue, audition du 22 juillet 2021. 

([85]) Proposition de Mme Leïla Marçot, directrice de la Plateforme d’orientation linguistique et d’accès à l’emploi (Pole), audition du 22 juillet 2021. 

([86]) Proposition de Mme Claire Verdier, directrice du centre d’études, de formation et d’insertion par la langue, audition du 22 juillet 2021. Sa mise en place a été annoncée par le ministère de l’Intérieur pour l’année 2022.

([87]) Mme Ivane Squelbut, directrice des partenariats et de la territorialisation au sein de Pôle Empli, audition du 21 juillet 2021.

([88]) Recommandation issue de l’avis n° 4525 fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi de finances pour 2022, Mme E. Jacquier-Laforge, Assemblée nationale, XVe législature, 7 octobre 2021.

([89]) Audition de M. Hervé Adami, sociolinguiste, professeur à l’université de Lorraine, 22 juillet 2021.

([90]) L’état du mal-logement en France, Fondation Abbé-Pierre, rapport annuel, 2021.

([91]) Rapport n° 632 fait au nom de la commission des finances du Sénat sur la politique d’hébergement d’urgence, M. Philippe Dallier, session ordinaire de 2020 – 2021, 26 mai 2021.

([92]) Places dans les CADA, les HUDA, les SAS et les CPH ; dossier de presse du Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés, 2021-2023.

([93]) Par exemple : « la moitié seulement des 100 000 demandeurs d’asile environ qui arrivent en France chaque année se voit offrir une possibilité d’hébergement », M. Emmanuel Brasseur, représentant de l’association Coallia, audition du 22 septembre 2021.

([94]) Il s’agit d’un nouveau lieu d’accueil ouvert à l’été 2021, que l’association  a dû trouver après que le bail de l’ancien lieu n’a pas été renouvelé. Il s’agit d’une maison de 6 étages mais seuls 3 étages sont « habitables ».

([95]) Rapport annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires », projet de loi de règlement pour 2020.

([96]) La préfecture de Marseille est en effet compétente pour enregistrer les demandes d’asile pour les départements des Alpes-de-Haute-Provence, les Bouches-du-Rhône, les Hautes-Alpes, le Vaucluse, la Haute-Corse et la Corse-du-Sud.

([97]) M. Fabrice Bizet, directeur d’Elia, audition du 22 septembre 2021.

([98]) M. Emmanuel Brasseur, représentant de l’association Coallia, audition du 22 septembre 2021.

([99]) Les étrangers en situation irrégulière n’ont ainsi pas accès au parc de logement social.

([100]) M. Fabrice Bizet, directeur d’Elia, audition du 22 septembre 2021.

([101]) Référé relatif à la politique en faveur du « logement d’abord », Cour des comptes, 20 octobre 2020.

([102]) Une stratégie de finances publiques pour la sortie de la crise, concilier soutien à l’activité et soutenabilité, Cour des comptes, juin 2021.

([103]) Audition de M. Thierry Asselin, directeur politiques urbaines et sociales pour l’Union sociale pour l’Habitat, 22 septembre 2021.

([104])  Répartis dans 579 tentes selon la contribution écrite de la sous-préfecture de Calais aux travaux de la commission d’enquête.

([105]) Depuis 2015, la société d’exploitation des ports du détroit est le concessionnaire du port de Calais et de Boulogne-sur-Mer.

([106]) Il s’agit de la direction générale des étrangers en France, de la préfecture du Pas-de-Calais, de la préfecture du Nord, de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, de Mme la préfète déléguée pour la défense et la sécurité (auprès du préfet de la région des Hauts-de-France, préfet de la zone de défense et de sécurité Nord, préfet du Nord), de la ville de Calais, de l’agglomération Grand Calais terres & mers, de l’agence régionale de santé des Hauts-de-France, du centre hospitalier de Calais, du centre hospitalier de Dunkerque, de Getlink (ex-Eurotunnel) et de la société d’exploitation des ports du détroit.

([107]) Les éléments partiels réunis suggèrent notamment que l'essentiel des dépenses d'investissement a été effectué.

([108]) Budget exécuté de l'OFPRA en 2020 : 81,92 millions d'euros. Rapport annuel de performance 2020 de la mission Immigration, asile et intégration, page 37.

([109])  En 2020, la commission des finances de l'Assemblée nationale a estimé à 250 millions d'euros le coût des actions en faveur de l’intégration professionnelle des bénéficiaires de la protection internationale engagées entre 2018 et 2020. Un an de dépenses publiques en faveur de ces publics s'établit donc à 125 millions d'euros (Assemblée nationale, commission des finances, rapport d'information n° 3357 sur l'intégration professionnelle des demandeurs d'asile et des réfugiés, Mme Stella Dupont et M. Jean-Noël Barrot, page 50).

([110]) Rapport annuel de performance 2020 de la mission Immigration, asile et intégration, page 40. Budget exécuté des CAES en 2020 : 28,56 millions d'euros.

([111]) Une déclaration franco-britannique du 20 juillet 2021 indique que le « Royaume-Uni s’est engagé à un investissement financier de 62,7 millions d’euros en 2021-2022 pour renforcer la présence des forces de l'ordre le long des côtes françaises, déployer sur une zone plus étendue des technologies et des véhicules de surveillance, investir dans des équipements pour renforcer la sécurité des frontières et investir dans des centres dédiés à l'accompagnement des migrants dans toute la France et aux retours volontaires dans les pays d’origine » (cf. communiqué de presse du ministère de l'intérieur du 20 juillet 2021).

([112]) Avis sur la situation des personnes exilées à Calais et à Grande-Synthe, Commission nationale consultative des droits de l’Homme, 11 février 2021.

([113]) Note « Tri et redistribution des effets personnels » transmise par la sous-préfecture de Calais à la commission d’enquête.

([114]) Sacs de couchage, duvets, vêtements, trousses de toilette, médicaments, objets cultuels, etc.

([115]) HRO, Secours catholique, Utopia 56 et Salam.

([116]) Évaluation de l’action des forces de l’ordre à Calais et dans le Dunkerquois, IGPN, IGA, IGGN, octobre 2017.

([117]) Communiqué de presse relatif à la visite de la Défenseure des droits à Calais, les 22 et 23 septembre 2021.

([118])  Avis sur la situation des personnes exilées à Calais et à Grande-Synthe, Commission nationale consultative des droits de l’homme, 11 février 2021.

([119]) Instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, 25 janvier 2018.

([120]) Contribution écrite de Médecins du monde aux travaux de la commission d’enquête.

([121]) Note d’analyse détaillée, Observatoire des expulsions de lieux de vie informels, 1er novembre 2019 – 31 octobre 2020.

([122]) Fiche thématique « campements, bidonvilles et squats » transmise par ACINA, le CNDH Romeurope, Médecins du monde et le Secours catholique.

([123]) L’article dispose que l’attestation d’élection de domicile ne peut être délivrée à la personne non ressortissante d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, qui n’est pas en possession de certains titres de séjour, à moins qu’elle sollicite l’AME, l’aide juridictionnelle ou l’exercice des droits civils qui lui sont reconnus par la loi.

([124])  Fiche thématique « campements, bidonvilles et squats » transmise par ACINA, le CNDH Romeurope, Médecins du monde et le Secours catholique.

([125])  Ces associations, pour la majeure partie, ne sont pas dotées de budget pour cette mission et devraient uniquement domicilier les ménages qui n’ont aucun lien avec une commune ; Fiche thématique « campements, bidonvilles et squats » transmise par ACINA, le CNDH Romeurope, Médecins du monde et le Secours catholique.

([126]) Du nom d’une rue de l’ancien « squat » qu’ils occupaient.

([127]) TA de Pau, n° 1200683, 23 avril 2013.

([128]) Fiche thématique « campements, bidonvilles et squats » transmise par ACINA, le CNDH Romeurope, Médecins du monde et le Secours catholique.

([129])  ARDHIS association pour la défense des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour, AIDES, BAAM bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants 

([130])  Rapport IGAS n° 2020-099R/ IGAn°20108-R/IGJ n° 2020/00195 Évaluation de la prise en charge des jeunes se déclarant mineurs non accompagnés – mai 2021

([131]) Rapport interassociatif

https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/70ddf3a5-0027-426d-ac8d-183cf3a8b9d0_Les-Manquements-Des-Autorites-Francaises.pdf

 

([132]) Audition du 16 juin 2021.

([133]) Chiffres pour l’année 2018, Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde, Campus France, mars 2021.

([134]) Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde, Campus France, mars 2021.

([135]) Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde, Campus France, mars 2021.

([136]) Audition du 9 septembre 2021 de M. Guillaume Gellé, vice-président et Mme Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes de la Conférence des présidents d’université (CPU).

([137]) Rapport d’information n° 1763 déposé par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’accueil des étudiants étrangers en France, M. Pascal Brindeau et Mme Marion Lenne, XVe législature, 13 mars 2019.

([138]) Pour les enfants, conjoints et partenaires d’un résident de longue durée par exemple.

([139]) La plupart des établissements ayant appliqué le décret du 19 avril 2019 relatif aux modalités d’exonération des droits d’inscription des étudiants étrangers ont proposé une exonération partielle générale avec les mêmes frais d’inscriptions que les étudiants français et communautaires, et 34 proposent des exonérations ciblées sur certains publics internationaux ; voir le rapport n° 4524 sur le projet de loi de finances pour 2022, Annexe n° 33 – recherche et enseignement supérieur, M. Fabrice le Vigoureux, 7 octobre 2021.

([140]) Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public, Cour des comptes, novembre 2018.

([141]) https://www.prefectures-regions.gouv.fr/hauts-de-france/Region-et-institutions/L-action-de-l-Etat-dans-la-region/Amenagement-du-territoire-logement-transport-et-infrastructures/Contrat-de-territoire-en-faveur-du-developpement-du-Calaisis.

([142]) Ces chiffres, la méthodologie retenue et les sources exploitées sont présentés de manière détaillée en annexe.

([143]) Objectivation du risque maritime en Manche et en mer du Nord, direction des affaires maritimes (2018), page 3.

[144] Mediapart, “De la Syrie à la Libye, les dessous du grand jeu”, 31/07/21 ; The Conversation, “Pourquoi l’opinion publique malienne a une vision négative de l’opération Barkhane ?”, 10/02/20 ; Care, “Six ans de guerre au Yémen : la France complice”, 23/03/21.

[145] Contrôleur général des lieux de privation des libertés, Rapport de visite : contrôle des personnes migrantes à la frontière franco-italienne, juin 2018 ; Amnesty International, “La France viole le droit d’asile à la frontière franco-italienne confirme le Conseil d’État”, 09/07/20.

[146] La France insoumise, “Stop aux violations des droits humains à nos frontières ! - #37314morts”, 15/11/21

[147] Libération, “A Menton, la police aux frontières sous inspection parlementaire”, 01/04/18 ; France 3 régions, “L’eurodéputé France insoumise Manon Aubry interdite d'accès au centre d'accueil de la Police aux frontières de Menton”, 01/11/19 ; L’Humanité, “Immigration. La frontière franco-italienne, une zone de non-droit ?”, 18/11/19

[148] Les jours, “Violences policières sur migrants : « Harceler, épuiser, disperser »”, 07/12/20 ; France 3 régions, “Migrants : le déplacement de Gérald Darmanin à Calais, prétexte à la surenchère sécuritaire”, 24/07/21

[149] Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la violation des droits humains aux frontières françaises - n° 2394 rectifié, déposée le 06/11/19 par Danièle Obono, les membres du groupe LFI et plusieurs de leurs collègues

[150] Sea Watch, “Crimes of the European Border and Coast Guard Agency Frontex in the Central Mediterranean Sea”, 12/05/21;  Alternative économique, “Frontex : la porte grande ouverte aux lobbies”, 09/03/21 ; Human Rights Watch, “Frontex manque à son devoir de protéger les migrants aux frontières de l’Europe”, 23/06/21 ;  Touteleurope.eu, “Qu'est-ce que l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) ?”, 10/11/21. Lire également les travaux du projet “The Migrants Files” (2013-2016), sur les coûts humains et financiers de l’Europe forteresse : https://www.themigrantsfiles.com/.