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N° 4860

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 janvier 2022

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE
ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI
relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes

(n° 4742),

PAR Mme Bénédicte TAURINE

Députée

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 Voir le numéro : 4742


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

I. Une privatisation dÉsÉquilibrÉe au plan financier

A. Des cessions de parts perdantes pour l’État

1. Des procédures imparfaitement maîtrisées entre 2002 et 2006

a. Les ouvertures de capital par les gouvernements Jospin et Raffarin

b. La privatisation complète par le gouvernement de Villepin

2. Une série d’opérations doublement défavorable aux comptes publics

a. À court terme, un prix de vente insuffisant

b. À moyen et long termes, la perte de la maîtrise des péages

B. Une profitabilitÉ excessive sur le dos des usagers

1. Une lecture difficile des profits des sociétés concessionnaires

a. Les ambivalences du taux de rentabilité interne

b. D’autres données inquiétantes

2. Une augmentation du tarif des péages injustifiée

a. Une hausse qui dépasse la simple application des conventions

b. Une charge pour des automobilistes captifs

II. L’urgence d’une reprise en main par L’État

A. Des stipulations contractuelles trop peu suivies

1. Des clauses qui avantagent les délégataires

a. Une rédaction privilégiant les intérêts des entreprises cessionnaires

b. Des obligations sociales et environnementales lacunaires

2. La persistance de marges d’amélioration en matière de contrôle

a. Des administrations limitées par une faible volonté politique

b. Une autorité indépendante scrupuleuse quant à ses missions

B. La nationalisation, un objectif Évident au regard du principe de l’intÉrÊt gÉnÉral

1. L’opportunité de la proposition de loi n° 4742

2. La moindre pertinence de solutions alternatives

TRAVAUX en commission

Discussion générale

Examen des articles

Article 1er Nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes

Article 2 Gage de recevabilité financière

Liste des personnes auditionnÉes


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   Avant-propos

La maîtrise pleine et entière des infrastructures de transport nationales caractérise une puissance publique garante de l’intérêt général. En particulier, le réseau autoroutier est un outil central d’aménagement du territoire.

À cet égard, la privatisation en 2005 de l’essentiel des sociétés auxquelles leur gestion est concédée – pour une valorisation sous-évaluée de 10 milliards d’euros, comme l’a fait remarquer la Cour des comptes ([1]) – et le gel des tarifs des péages signé par Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, et M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, sans que le protocole correspondant fasse l’objet d’une consultation de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) apparaissent aujourd’hui comme ayant clairement abouti à des désavantages pour les usagers et une rentabilité annuelle déconnecté des résultats nets.

D’année en année, à mesure de leur prolongation, les contrats de concession posent davantage question.

Il ressort des auditions de la rapporteure, notamment de l’aveu même de l’Autorité de régulation des transports (ART), que des abus ont sans doute pu avoir lieu avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques réforme la gouvernance de ces contrats et renforce l’encadrement juridique des marchés de travaux, fournitures et services des concessionnaires. L’ART et la DGITM ont souligné conjointement qu’auparavant, les avenants se concluaient de gré à gré, sans réel contrôle. D’après l’association A10 gratuite, un usager dépenserait en moyenne 1 300 euros par an pour se rendre sur le lieu de son travail en empruntant les tronçons franciliens qu’elle suit. Leur monopole sur l’exploitation d’un service public offrirait aux sociétés concessionnaires de 18 à 36 % de taux de profitabilité par an.

Les réponses de la part du Gouvernement aux associations d’usagers consisteraient en son impuissance à modifier les contrats de concession, après l’avoir fait pourtant unilatéralement en 2015 : déguisé en avantage pour les consommateurs, le protocole en question a eu les conséquences que l’on connaît, au détriment de ces derniers – rattrapage des tarifs gelés – et au bénéfice des entreprises – rallongement des concessions et extension des allègements fiscaux.

À cette étape, il semble important de rappeler que les contrats de concession « confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service » ([2]) et justifiant les profits ainsi réalisés.

Dès lors, en 2014, l’Autorité de la concurrence a considéré que la « rentabilité nette exceptionnelle » des sociétés concessionnaires « n’apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposée » ([3]). La rapporteure s’est enquise de cette situation auprès de l’ART sans recevoir de réponses. L’association A10 gratuite relève de son côté un taux de rentabilité de 36 % pour la concession historique COFIROUTE en 2020, année pourtant affectée par la pandémie ; elle précise que plusieurs entreprises gérant des autoroutes ont engagé un contentieux aux fins de ne pas s’acquitter d’une contribution de 60 millions d’euros destinée à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) l’année dernière ([4]).

L’ART confirme que la baisse de 17,5 % de chiffre d’affaires enregistrée en 2020 par rapport à 2019 du fait, entre autres, des confinements, n’altère pratiquement en rien les résultats des sociétés ([5]).

Plus généralement, les recettes des péages sont vouées à progresser quoi qu’il arrive, puisque le décret précité et les contrats excluent l’hypothèse d’une inflation négative et que, comme l’a bien montré l’Autorité de la concurrence, la possibilité d’une diminution du trafic n’est pas avérée.

Avec ces cas particulièrement concrets, la définition de « risques » dans les contrats des concessions demeure donc bien abstraite.

La validité des concessions autoroutières dans les termes ainsi souscrits, en cette absence de risque ainsi prouvée, est posée.

De plus, la légalité du décret n° 95-81 du 24 janvier 1995, instituant l’indexation des tarifs autoroutiers sur l’inflation, est questionnée par certains professeurs de droit public, notamment M. Vila, puisqu’il est contraire à trois dispositions législatives très claires (cf. infra).

La DGITM, pour sa part, rappelle à juste titre que l’État peut provoquer la fin anticipée d’un contrat pour motif d’intérêt général renvoyant à une raison supérieure et extérieure, tenant le plus souvent aux exigences du service public qui peut inciter à mettre fin à son exécution – ce principe est un des privilèges de la puissance publique – et que la cause de rentabilité déraisonnable pourrait conduire effectivement à l’absence d’indemnisation. Il a été confirmé que les dividendes distribués sont en moyenne de 90 % des résultats des sociétés concessionnaires et supérieures à 100 % certaines années (en 2016, 2007 et 2011 pour l’ensemble d’entre elles ou en 2019 pour COFIROUTE) ; elles accroîtraient leurs dettes pour alimenter ces versements à leurs actionnaires.

L’interrogation des usagers apparaît toute légitime : comment concevoir qu’après plus de 35 milliards versés en dividendes, toutes sociétés confondues, depuis 2005, on puisse verser plus de 47 milliards d’euros d’indemnisations pour leur retour dans le giron public, ainsi que l’a avancé M. Jean-Baptiste Djebarri, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, alors que le rachat des parts de l’État avait déjà été sous-estimé ?

Par ailleurs, l’association A10 gratuite dresse un tableau prouvant que les axes les plus utilisés feraient l’objet de tarifs plus élevés, sans pour autant que cette augmentation soit autorisée par les contrats, qui prévoient une base de 70 % selon l’inflation et de 30 % selon les aménagements complémentaires liés aux avenants.

L’ART répond que les automobilistes doivent être dissuadés d’emprunter les voies les plus congestionnées afin de fluidifier le trafic.

Si une nationalisation doit en général faire l’objet d’une compensation pécuniaire, il existe un principe constitutionnel supérieur à toute loi ou clause de contrat qui interdit aux personnes publiques de consentir des libéralités, comme le rappelle M. Paul Cassia, professeur de droit public également auditionné par la rapporteure. En d’autres termes, il est interdit aux personnes publiques de verser une indemnisation manifestement disproportionnée par rapport au préjudice subi, y compris à la suite de la rupture anticipée d'un contrat administratif ([6]). De manière surabondante, M. Vila rappelle la jurisprudence suivant laquelle une augmentation tarifaire au titre de nouveaux travaux ne saurait avoir pour effet de limiter le risque contractuel ([7]).

Le Conseil d’État a eu l’opportunité de rappeler ce principe relativement à l’annonce, faite le 17 janvier 2018 par M. le Premier ministre, de résilier de manière anticipée et pour un motif d’intérêt général le contrat de concession de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes passé avec le groupe Vinci : il a indiqué à cette occasion que les montants de l’indemnisation ne doivent correspondre au manque à gagner du cocontractant pendant la durée normale de la concession qu’à condition qu’ils ne soient ni disproportionnés, ni dissuasifs pour l’usage de ses droits par la personne publique ([8]).

Puisque les investissements sont absorbés, il n’y a pas de manque à gagner entrant dans les indemnisations attendues.

En l’occurrence, l’expert en fusions et acquisitions auquel le Sénat a fait appel récemment conclut que :

– s’agissant de Vinci, les dividendes cumulés entre 2006 et 2019 s’établissent à 13,8 milliards d’euros, de sorte que la société a déjà recouvré les 10,4 milliards d’euros qu’elle avait déboursés, les dividendes cumulés entre 2020 et 2036 seraient de 20,7 milliards d’euros ;

– s’agissant d’Eiffage, les dividendes cumulés entre 2006 et 2019 s’établissent à 9 milliards d’euros, soit une somme faisant plus que rembourser les 6,7 milliards d’euros investis, puis représenteraient 13,3 milliards d’euros entre 2020 et 2035 ;

– s’agissant d’Abertis, les dividendes cumulés entre 2006 et 2016 s’établissent à 4,8 milliards d’euros, si bien que l’entreprise a presque recouvré sa mise de 5,3 milliards d’euros, puis ils seraient de 7,9 milliards d’euros entre 2020 et 2036 ;

– s’agissant de COFIROUTE, seule société concessionnaire ayant toujours eu un statut privé, les dividendes s’élèveraient à 12,5 milliards d’euros sur les deux périodes ([9]).

Par ailleurs, M. Vila met en exergue le plan de relance autoroutier (PRA) contracté en 2015 car l’État cherchait un investissement de 3,5 milliards d’euros : il pourrait conduire à un bénéfice net de 20 milliards pour les sociétés signataires et créerait alors une surcompensation en aides d’État déguisées, illégales au regard du droit européen.

Au terme de ses travaux, la rapporteure note que l’abandon par l’État des parts qu’il détenait dans les concessions autoroutières s’est fait à ses propres dépens comme à ceux des usagers (I) et que ce déséquilibre s’est accentué au fil de l’exécution des contrats lesquels ne cessent par ailleurs d’être prolongés, de sorte qu’il conviendrait de les résilier sans plus attendre (II).

*

*     *

Actuellement, l’on dénombre vingt contrats de concession autoroutière conclus entre l’État et dix-neuf sociétés, dont dix-sept de droit privé et deux au capital majoritairement public.

Parmi ces dix-sept premières délégataires, sept sont qualifiées d’historiques, à savoir les six qui ont été privatisées, en trois lots de deux, en 2006 (ASF et ESCOTA, APRR et AREA, ainsi que SANEF et SAPN) et COFIROUTE, lesquelles gèrent 90 % du réseau concédé et dix sont qualifiées de récentes car leurs concessions ont débuté entre 2001 et 2019 (dans l’ordre chronologique : CEVM, ALIS, ARCOUR, ADELAC, ALIENOR, ALICORNE, ATLANDES, ALBEA, ARCOS et ALIAE).

Les deux sociétés mixtes sont ATMB (tunnel du Mont-Blanc) et SFTRF (tunnel de Fréjus).

Horizon des concessions autoroutiÈres

 

Début

Fin

Durée (ans)

ADELAC

27/10/2005

31/12/2060

55

ALBEA

28/12/2011

29/12/2066

55

ALIAE

12/03/2020

12/03/2068

48

ALICORNE

22/08/2008

23/08/2063

55

ALIENOR

18/12/2006

19/12/2066

60

ALIS

29/11/2001

31/12/2067

66

APRR

19/09/1963

30/11/2035

72

ARCOS

29/01/2016

29/01/2070

54

ARCOUR

07/04/2005

31/12/2070

66

AREA

05/04/1971

30/09/2036

65

ASF

13/03/1961

30/04/2036

75

ATLANDES

21/01/2011

22/01/2051

40

ATMB

15/04/1971

31/12/2050

80

CEVM

08/10/2001

31/12/2079

78

COFIROUTE (tunnel)

25/11/1999

31/12/2086

87

COFIROUTE

12/05/1970

30/06/2034

64

ESCOTA

21/05/1957

29/02/2032

75

SANEF

25/11/1963

31/12/2031

68

SAPN

01/08/1963

31/08/2033

70

SFTRF

31/12/1993

31/12/2050

57

Source : Autorité de régulation des transports.

RÉpartition des 9 100 km d’autoroutes concÉdÉes

  

Source : Autorité de régulation des transports.


I.   Une privatisation dÉsÉquilibrÉe au plan financier

Apparues en France il y a plus de soixante-dix ans, les autoroutes sont définies par l’article 1er de la loi n° 55-435 du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, repris à l’article L. 122-1 du code de la voirie routière, comme des « voies […] sans croisements, accessibles seulement en des points aménagés à cet effet et essentiellement réservées aux véhicules à propulsions mécaniques ».

Initialement, les concessions autoroutières ont été confiées à des sociétés d’économies mixtes (SEMCA) publiques : la Société de l’autoroute Estérel, de la Côte d’azur et des Alpes (ESCOTA), la Société de l’autoroute de la vallée du Rhône (SAVR), la Société de l’autoroute Paris-Lyon (SAPL) et la Société des autoroutes de Paris et de Normandie (SAPN).

Elles appartenaient, pour 20 % à 30 %, à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et, pour le reste, à des collectivités territoriales ou des établissements consulaires locaux. L’État leur accordait des avances et le décret n° 63-585 du 20 juin 1963 avait créé une caisse nationale des autoroutes (CNA) pour garantir leurs emprunts bancaires.

Sur le fondement du décret n° 70-398 du 12 mai 1970, se sont ensuite constituées quatre sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) au statut privé : la Compagnie financière et industrielle des autoroutes (COFIROUTE), l’Association pour la réalisation et l’exploitation des autoroutes (AREA), la Société des autoroutes de Paris, de l’Est et de la Lorraine (APEL) et la Société de l’autoroute de la côte basque (ASCOBA). N’ayant pas pu assurer la continuité du service public dans le contexte des chocs pétroliers, ces trois dernières ont été rachetées par la CDC. Créé par le décret n° 83-774 du 31 août 1983, l’établissement public administratif Autoroutes de France (ADF) a d’abord assuré une péréquation entre les SCA avant de lui-même reprendre tout ou partie de leur actionnariat.

Les évolutions du droit européen ([10]) et national, avec la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et l’ordonnance n° 2001-273 du 28 mars 2001 relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures et réformant le régime d’exploitation de certaines sociétés concessionnaires d’autoroutes, ont enfin apporté deux évolutions : le nombre de SCA est passé à dix-neuf, tandis que les engagements respectifs de l’État ont été retracés dans des contrats de plan, en général conclus pour cinq ans.

Avec la vente des actions publiques dans les SCA, les Français ont été lésés deux fois : d’abord comme contribuables il y a une vingtaine d’années (A), puis comme automobilistes, chaque jour (B).

A.   Des cessions de parts perdantes pour l’État

Conduite précipitamment et sans consensus politique, la privatisation des SCA (1) a été un échec du point de vue des finances publiques (2).

1.   Des procédures imparfaitement maîtrisées entre 2002 et 2006

Au début du siècle, la participation publique dans les SCA a connu un nouveau mouvement de recul (a) puis a été quasiment supprimée (b).

a.   Les ouvertures de capital par les gouvernements Jospin et Raffarin

En 2002, la Société des autoroutes du sud de la France (ASF), nouvelle dénomination de la SAVR, est introduite en bourse, suivie en 2004 par la Société des autoroutes de Paris, du Rhin et du Rhône (APRR), auparavant désignée comme la SAPL, et en 2005 par la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF), c’est-à-dire l’ancienne SANF.

Ainsi que le soulignent de récents travaux du Sénat, la libéralisation du capital d’ASF est arrêtée en juillet 2001 par M. Lionel Jospin, Premier ministre, et « cette ouverture […] était destinée à dégager des crédits pour alimenter, à titre principal, le fonds de réserve des retraites (FRR) et, subsidiairement, la Banque de développement des petites et moyennes entreprises (BDPME), le secteur aérien et des dotations en capital de l’établissement multimodal » ([11]).

Lorsqu’ils annoncent, en décembre 2003, l’apport de fonds privés supplémentaires au capital d’APRR et de la SANEF, le but de MM. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, et Francis Mer, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, est d’optimiser le montant de leurs dividendes.

Dès 2007, la Cour des comptes estimait que ces augmentations « étaient d’une nécessité incertaine » et relevait que « deux risques n’avaient pas été traités : celui, clairement identifié cependant, d’une captation des marchés de travaux autoroutiers par une ou des entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) [ou] d’un nouvel actionnaire susceptible, par sa présence, de réduire significativement la concurrence en cas de cession du solde » ([12]).

Il est intéressant de noter que MM. Jean-Claude Gayssot et Gilles de Robien, les ministres successivement chargés de l’équipement, des transports et du logement – ainsi que du tourisme et de la mer pour le second –, respectivement issus du Parti communiste français (PCF) et de l’Union pour la démocratie française (UDF), se sont tous deux opposés à leur majorité sur ce sujet.

b.   La privatisation complète par le gouvernement de Villepin

Dans son discours de politique générale de 2005, M. Dominique de Villepin, Premier ministre, indique avoir « décidé de poursuivre la cession par l’État de ses participations dans les SCA afin de financer [de] grands travaux et de leur permettre de souscrire aux appels d’offre européens » ([13]). L’État détenait alors 50 % d’ASF, 70 % d’APRR et 76 % de la SANEF.

Pour l’exécutif de l’époque, la vente de toutes les parts publiques avait trois motivations, d’ordre financier et administratif : l’affectation de moyens supplémentaires à l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF), établissement institué par le décret n° 2004-1317 du 26 novembre 2004, une contribution au désendettement de l’État et une clarification du rôle de ses représentants dans les instances dirigeantes des SCA.

Menée par l’Agence des participations de l’État (APE) et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) sous la tutelle respective de MM. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et Dominique Perben, ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, cette cession semble avoir été insuffisamment rigoureuse.

En effet, alors qu’ont été déposées quatre propositions pour APPR et le même nombre pour la SANEF, seul le groupe Vinci a fait une offre d’acquisition du reliquat des actions d’ASF : ayant progressivement porté sa participation de 14,4 % à 23 % des titres de cette SCA et réussi à faire monter sa cotation entre 2002 à 2006, il a manifestement dissuadé toute concurrence.

La Cour des comptes a jugé qu’il aurait mieux valu « constater l’échec de la procédure d’appel de candidatures […] et procéder à une nouvelle mise aux enchères, comme cela avait été fait avec succès en 2002 pour la cession de la participation résiduelle de l’État dans le Crédit lyonnais » ([14]).

Au total, sur les dix-neuf SCA, seules deux sont encore constituées sous la forme de SEMCA : la Société des autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) et la Société française du tunnel routier de Fréjus (SFRTF).

2.   Une série d’opérations doublement défavorable aux comptes publics

La vente du capital public de la majorité des SCA a généré une perte de recettes à la fois immédiate (a) et durable (b). Il importe pour la rapporteure de rappeler que tel a aussi été le cas avec la privatisation d’autres secteurs stratégiques, par exemple dans le secteur de l’énergie.

a.   À court terme, un prix de vente insuffisant

Les opérations effectuées entre 2002 et 2006 ont rapporté 16,5 milliards d’euros à l’État, dont 1,7 milliard d’euros au titre de l’ouverture du capital d’ASF et 14,8 milliards d’euros à celui des privatisations.

Or l’État aurait pu percevoir 6,5 milliards d’euros de plus.

Premièrement, la sous-estimation du prix de vente des parts d’ASF du fait de l’absence de concurrence pour leur acquisition par Vinci atteindrait 1,2 milliard d’euros d’après le Sénat ([15]).

À ce propos, la Cour des comptes a jugé que « le patrimoine de l’État aurait été mieux valorisé si le processus conduisant à cette issue inéluctable n’avait été engagé prématurément, s’il avait été tenu compte de la montée rapide du cours de bourse et si une prime pour acquisition de majorité avait été demandée et obtenue, comme cela est courant dans ce type de situation » ([16]).

Deuxièmement, les actionnaires ont dépensé 22,5 milliards d’euros pour obtenir le contrôle total des SCA historiques :

– sur les 10,4 milliards d’euros mobilisés par Vinci pour ASF, seulement 7,6 milliards d’euros ont bénéficié à l’État (dont 5,9 milliards d’euros en 2006) ;

– sur les 6,7 milliards d’euros déboursés par Eiffarie (alliance de circonstance entre Eiffage et Macquarie) pour acheter APRR, l’État n’a perçu que 4,8 milliards d’euros ;

– sur les 5,3 milliards d’euros investis par Abertis pour acquérir la SANEF, l’État n’a touché que 4 milliards d’euros.

Une fois retraités plusieurs arrondis, ces 2,8 milliards d’euros, 1,9 milliard d’euros et 1,3 milliard d’euros de différence représentent une perte potentielle de 5,9 milliards d’euros.

Ce montant est ramené à 5,3 milliards d’euros si l’on en retranche les dividendes perçus par l’État avant l’extinction complète de ses participations.

Encore la Cour des comptes a-t-elle souligné que le livre d’ordres, c’est-à-dire le total proposé par l’ensemble des investisseurs, dépassait dix fois l’offre pour ASF, sept fois pour APRR et cinq fois pour la SANEF, mais qu’« au lieu de tester l’impact d’un prix supérieur sur la demande, l’État est resté dans la fourchette initiale pour APRR ; il a même appliqué une décote de 12 % par rapport aux évaluations des analystes [de l’APE et de six banques] pour la SANEF, alors qu’aucun élément ne justifiait un tel rabais » ([17]).

b.   À moyen et long termes, la perte de la maîtrise des péages

De façon plus structurelle, l’État réduit son contrôle des péages, à la fois pour en moduler le montant en fonction des usagers (cf. infra) et pour percevoir les dividendes liés à son statut d’actionnaire, largement assis sur ces redevances.

Saisie par MM. Gilles Carrez et Christian Eckert, alors président et rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, en application de l’article L. 462-2 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence relevait en 2013 que « l’État a privatisé les SCA au moment même où leur rentabilité a commencé à croître fortement […] ; en seulement sept années, […] les dividendes versés par les seules SCA privatisées se sont élevés […] à 14,9 milliards d’euros » ([18]).

En 2020, les redevances de péage et les dividendes ont respectivement correspondu à 8,7 milliards d’euros et 2,4 milliards d’euros ([19]). Compte tenu de l’augmentation tendancielle de ces sommes, leur bénéfice régulier aurait été plus intéressant que le numéraire de 16,5 milliards d’euros.

Le statut des péages

L’article L. 122-4 du code de la voirie routière dispose que « l’usage des autoroutes est en principe gratuit ». Limitée à « l’intérêt et l’amortissement des capitaux investis, ainsi qu’à l’entretien et, éventuellement, l’extension de l’autoroute » dans sa rédaction issue de la loi n° 55-435 du 18 avril 1955 précitée, la possibilité d’imposer un droit de péage a été élargie à « la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure » par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Le juge administratif considère ainsi que le péage est une redevance, qui doit refléter le coût de la prestation fournie ([20]) et reposer sur les dépenses utiles au service public ([21]), mais peut aussi tenir compte de la valeur du service pour son bénéficiaire ([22]).

B.   Une profitabilitÉ excessive sur le dos des usagers

En ligne avec la jurisprudence ([23]), l’article L. 1121-1 du code de la commande publique, créé par l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique, dispose :

« Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes […] confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix.La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire […] n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts […] qu’il a supportés. »

Une bataille de chiffres se livre depuis plusieurs années sur le degré de couverture des charges des concessionnaires par leurs recettes (1), mais il est établi que les automobilistes subissent des frais de péage disproportionnés (2).

1.   Une lecture difficile des profits des sociétés concessionnaires

Si le régulateur conclut à une rentabilité modérée des SCA (a), d’autres mesures plus exhaustives montrent qu’elle dépasse l’ordinaire (b).

a.   Les ambivalences du taux de rentabilité interne

L’article 13 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a prévu, dans un nouvel article L. 122-9 du code de la voirie routière, que soit assuré « un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession » par l’Autorité de régulation des transports (ART ; cf. infra).

Faute de précision donnée par le législateur, l’ART a choisi de définir la notion de taux de rentabilité interne (TRI) comme suit :

– il s’agit d’une « mesure de la rentabilité d’un investissement qui s’appuie sur les flux de trésorerie [et] correspond au taux d’actualisation qui annule la valeur actualisée nette de [ces] flux sur [sa] durée de vie » ;

– le TRI implique une comparaison entre des mouvements déjà intervenus et, à titre prospectif, le « coût moyen pondéré du capital (CMPC), estimation de [sa] rémunération attendue par l’ensemble des pourvoyeurs de fonds » ;

– la rentabilité n’est pas étudiée du point de vue des actionnaires (TRI des fonds propres) ou de la collectivité (TRI socio-économique), mais de chaque projet concédé en lui-même ;

– ne doit pas être considérée une valeur absolue du TRI, mais sa variation, même si pour l’heure, les calculs n’ont de facto été effectués qu’une fois ([24]).

L’ART estime ainsi que, premièrement, « en 2019, le TRI des concessions d’autoroutes est ainsi estimé à 7,8 % pour les concessions historiques [avec une fourchette d’incertitude entre 6,4 % et 9,2 %] et à 6,4 % pour les concessions récentes » et que, deuxièmement, « au niveau agrégé, les TRI des concessions se sont améliorés entre 2017 et 2019 de l’ordre de 15 points de base » – une évolution qu’elle qualifie de « faible » ([25]).

Or cet indice souffre de lacunes qui affectent sa crédibilité.

D’abord, ne sont évoqués que les exercices 2017, 2018 et 2019.

Ensuite, dans l’impossibilité de disposer de données comptables fiables entre 1957 et 2003, l’ART a eu recours à un « TRI tronqué », reposant sur l’hypothèse que l’actif de chaque concession aurait été acheté en 2002 et consistant donc à calculer dans quelle proportion les coûts de reconstruction d’un actif moderne équivalent sont en voie d’amortissement ou plus qu’amortis.

Une étude remarquée a jugé « étonnante » et « peu orthodoxe » cette méthodologie, relevant que « les ouvrages spécialisés en théorie économique ne [s’en] font pas l’écho » ([26]) mais qu’elle aurait été développée en 2003 par deux cabinets d’audit, Oxera et Frontier economics, aux fins de conseiller les autorités britanniques sur des dossiers relatifs à la téléphonie ([27]).

Enfin, l’ART ne prétend pas avoir conduit d’audit sur pièces et sur place aux fins de mesurer ce TRI, mais reconnaît avoir uniquement demandé leurs études financières aux SCA. Toutefois, leurs données sont susceptibles de faire l’objet de plusieurs retraitements de bonne ou de mauvaise foi, ne serait-ce que parce que les groupes concernés interviennent dans d’autres secteurs (BTP, aéroports, etc.) et mutualisent ou contractent certaines opérations.

b.   D’autres données inquiétantes

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) définit la rentabilité économique comme « le rapport entre l’excédent brut d’exploitation sur la somme des immobilisations brutes corporelles et incorporelles et du besoin de fonds de roulement » et la rentabilité financière comme « la capacité des capitaux investis par les actionnaires et associés (capitaux propres) à dégager un certain niveau de profit ». Si l’on retient ces acceptations plus exhaustives et plus lisibles, la rentabilité des SCA excède largement le TRI calculé par l’ART.

● En 2013, l’Autorité de la concurrence avait relevé que « les SCA historiques affichaient des taux d’excédent brut d’exploitation, de résultat d’exploitation et de résultat net sur chiffre d’affaires oscillant respectivement entre 65 % et 72 %, 44 % et 51 % et 20 % et 24 % », soit une performance « très supérieure à celle que connaissent les autres secteurs », et en avait inféré qu’elles « ne présentent pas un profil [qui] justifie les taux de rentabilité exceptionnels ; […] les recettes des SCA sont largement soutenues par des tarifs qui sont voués à augmenter ; […] leur dette […] est gérée dans l’intérêt des actionnaires auxquels sont versés des dividendes considérables » ([28]).

● Plus récemment, le Sénat a fait appel à un expert en fusions et acquisitions dont les conclusions sont les suivantes :

– de manière générale, « si la rentabilité économique des concessions est très significative sur la période 2006-2019, elle se situe cependant légèrement en deçà des attentes ; en revanche, sur la période 2020-2036, la rentabilité deviendrait très élevée, ce qui permettrait aux SCA d’atteindre des niveaux de TRI très supérieurs à ceux qui avaient été initialement prévus » ;

– s’agissant de Vinci (ASF et ESCOTA), les dividendes cumulés entre 2006 et 2019 s’établissent à 13,8 milliards d’euros, de sorte que la société a déjà recouvré les 10,4 milliards d’euros qu’elle avait déboursés, les dividendes cumulés entre 2020 et 2036 seraient de 20,7 milliards d’euros et le TRI atteindrait 8 % en 2022 et 10,9 % à l’échéance (contre une prévision de 7,13 %) ;

– s’agissant d’Eiffage (APRR et AREA), les dividendes cumulés entre 2006 et 2019 s’établissent à 9 milliards d’euros, soit une somme faisant plus que rembourser les 6,7 milliards d’euros investis, puis représenteraient 13,3 milliards d’euros entre 2020 et 2035, permettant au TRI d’atteindre 8 % dès 2021 et 11,3 % à l’échéance (contre une prévision de 9,2 %) ;

– s’agissant d’Abertis (SANEF et SAPN), les dividendes cumulés entre 2006 et 2016 s’établissent à 4,8 milliards d’euros, si bien que l’entreprise a presque recouvré sa mise de 5,3 milliards d’euros, puis ils seraient de 7,9 milliards d’euros entre 2020 et 2036, avec un TRI de 7,2 % à l’échéance (contre une prévision de 8 %) ;

– s’agissant de COFIROUTE, seule SCA ayant toujours eu un statut privé, les dividendes s’élèveraient à 12,5 milliards d’euros sur les deux périodes ;

– « la durée des contrats de concessions [avec Vinci et Eiffage] était donc manifestement trop longue d’au moins dix ans [et] un tel niveau de rentabilité ouvre à l’État une marge de négociation avec les groupes concernés » ([29]).

● Par ailleurs, M. Paul Cassia, professeur de droit auditionné par la rapporteure, a calculé que « le taux de rentabilité des SCA […] est passé de 18 % en 2005 à 31 % en 2019 » ([30]).

2.   Une augmentation du tarif des péages injustifiée

Les redevances de péage perçues durant chaque concession fournissent 97,3 % des recettes des SCA ([31]). Déjà favorable à ces dernières, la règle d’indexation prévue par les contrats semble parfois contournée (a), pénalisant chaque année davantage les usagers (b).

a.   Une hausse qui dépasse la simple application des conventions

L’évolution des péages est calculée suivant deux composantes.

Premièrement, reprenant un principe auparavant posé par le seul second alinéa de l’article 3 du décret n° 95-81 du 24 janvier 1995, l’article 11 de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports est venue compléter l’article L. 112-3 du code monétaire et financier pour prévoir que « par dérogation aux dispositions de l’article L. 112-1 et des premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 ([32]) et selon des modalités définies par décret, peuvent être indexés sur le niveau général des prix : […] 11° les rémunérations des cocontractants de l’État et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de concession et de marché de partenariat conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport ».

En pratique, la disposition réglementaire de 1995 précitée, plus précise, reste appliquée, de sorte que « la majoration des tarifs de péages ainsi fixés ne peut être inférieure à 70 p. 100 de l’évolution des prix à la consommation (hors tabac) » de l’année précédant leur révision.

La légalité de ce décret est par ailleurs mise en question par certains professeurs de droit public, notamment M. Vila, auditionné par la rapporteure, en ce qu’il serait contraire à trois dispositions très claires : les troisième et quatrième alinéas de l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959, et les rédactions alors en vigueur de l’article L. 122-4 du code la voirie routière, précité, et de l’article L. 112-3 du code monétaire et financier, précité.

Malgré l’intervention du législateur en 2013, la doctrine estime qu’un acte réglementaire ad hoc aurait dû être pris à chaque dérogation.

Deuxièmement, les tarifs sont ajustés en fonction des travaux supplémentaires que peuvent exiger chaque contrat de plan quinquennal.

À ces paramètres peuvent s’ajouter deux majorations servant à rattraper d’ici 2023 le gel des tarifs intervenu au titre de l’année 2015 ([33]) et à compenser une hausse de fiscalité qui affecterait directement les SCA (cf. infra).

Par exemple, le II de l’article 25 de la convention entre l’État et APRR, dans la rédaction issue de son dix-huitième avenant, stipule que :

– « pour la période couverte par le contrat de plan 2014-2018, la hausse annuelle des tarifs de péage (hors taxes) intervient au 1er février (n) et, pour les véhicules de la classe 1 […] est égale à 85 % In + 0,37 % », avec I l’inflation ;

– « l’évolution est majorée d’une hausse de 0,81 % pour 2016, 0,22 % pour 2017 et 0,76 % pour 2018 en compensation de la hausse de la redevance domaniale issue du décret n° 2013-436 du 28 mai 2013 » ;

– « pour 2019 à 2021, la hausse annuelle des tarifs de péage applicable aux véhicules de la classe 1 est égale à 70 % In + 0,198 % » ;

– « pour 2019 à 2023, l’évolution des tarifs de péage applicable aux véhicules de la classe 1 […] est majorée d’une hausse de 0,25 % chaque année, en compensation de l’absence de hausse des tarifs au 1er février 2015 » ([34]).

Dès 2013, la Cour des comptes indiquait que sur les quatre exercices précédents : « pour la classe 1, la progression des tarifs a été particulièrement importante chez SAPN, ASF et ESCOTA (+ 2,2 % par an), COFIROUTE (+ 1,9 % par an), APRR et AREA (+ 1,8 %), alors que l’indice des prix à la consommation hors tabac n’a augmenté que de 1,6 % par an ».

La tendance est confirmée pour la période récente.

Exemples de hausses de tarifs de pÉage en 2019 et 2020

(en pourcentage)

 

2019

2020

APRR

+ 1,81 %

+ 0,87 %

AREA

+ 2,01 %

+ 1,07 %

ASF

+ 1,36 %

+ 0,96 %

COFIROUTE

n. c.

+ 0,71 %

Indice des prix à la consommation (INSEE)

+ 1,1 %

+ 0,5 %

Indice des prix à la consommation (EUROSTAT)

+ 1,3 %

+ 0,5 %

Source : commission des finances d’après l’UNAF, l’INSEE et EUROSTAT.

Ces augmentations s’entendent comme une moyenne par contrat.

En 2008, la Cour des comptes critiquait le fait que « les SCA, à des degrés divers, font porter les principales hausses sur les trajets les plus fréquentés, si bien que les recettes effectives tirées des péages croissent plus rapidement que les hausses accordées ; […] ces mécanismes induisent une recette kilométrique moyenne  supérieure au tarif moyen affiché de chaque réseau puis, lorsqu’ils sont  systématisés, un effet de “foisonnement” des recettes qui augmentent, à trafic constant, au-delà des hausses de tarifs accordées » ([35]).

Au cours des années suivantes, des travaux de la Cour des comptes ([36]) et de l’Assemblée nationale ([37]) avaient estimé que cette pratique avait cessé.

Pourtant, les données infra montrent une différence de tarif selon les portions d’autoroutes pour des distances comparables à hauteur de 20 % environ pour un véhicule léger et de 30 % environ pour un poids lourd : l’association A10 gratuite estime le gain annuel pour COFIROUTE à 30 millions d’euros.

Comparaison des tarifs pour 2020 entre des tronÇons comparables
de l’A10 et de l’A11, concÉdÉs À COFIROUTE

(en euros par kilomètre)

Source : association A10 gratuite.

Note : pour le troisième exemple de la série « province », lire « 0,097 €/km » pour le tarif applicable aux VL.

Enfin, l’article L. 122-4 du code de la voirie routière précité dispose dans sa rédaction issue du b) du 3° du I de l’article 15 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée que « le cahier des charges prévoit un dispositif de modération des tarifs de péages, de réduction de la durée de la concession ou d’une combinaison des deux, applicable lorsque les revenus des péages ou les résultats financiers excèdent les prévisions », mais la rapporteure n’a pas recueilli d’élément allant dans le sens de l’application de ces clauses.

b.   Une charge pour des automobilistes captifs

Certes, ainsi que le résumait le Conseil d’analyse économique, « l’autoroute est plus rapide (vitesse moyenne supérieure de 70 %), plus sûre (quatre fois moins d’accidents au kilomètre), plus fiable (davantage de garantie sur le temps de trajet) et plus confortable que les routes traditionnelles » ([38]).

Néanmoins, la lourdeur des péages n’est pas acceptable car, bien souvent, le fait d’emprunter l’autoroute relève plus de l’obligation que du choix.

Or l’Autorité de la concurrence souligne que « si le marché pour obtenir l’exploitation des autoroutes est, d’un point de vue économique, oligopolistique, il s’analyse une fois les concessions attribuées comme une juxtaposition […] de monopoles géographiquement limités, d’autant plus protégés que la substituabilité entre les différents modes de transport est très partielle » ([39]) .

Les représentants des automobilistes entendus par la rapporteure témoignent d’une situation critique pour leurs adhérents : « racket » de 1 300 euros annuels pour trajet quotidien entre le domicile et le lieu de travail (association A10 gratuite), maintien de tarifs « plein pot » en dépit des ralentissements causés par des travaux (UNAF), etc.

II.   L’urgence d’une reprise en main par L’État

Non content d’avoir vendu les concessions autoroutières dans des conditions financières défavorables aux intérêts du contribuable-usager, l’État a signé avec les entreprises concernées des conventions dérogeant au droit commun, dont le contrôle demeure partiel (A). La rapporteure estime indispensable de changer immédiatement de paradigme et de nationaliser les SCA (B).

A.   Des stipulations contractuelles trop peu suivies

L’équilibre des conventions penche nettement en la faveur des concessionnaires (1), ce que renforcent les insuffisances du contrôle (2).

1.   Des clauses qui avantagent les délégataires

La puissance publique dispose d’importantes prérogatives face à son cocontractant : pouvoir de direction ([40]), de prescription ([41]), de sanction ([42]) et de modification unilatérale ([43]), voire de résiliation sous la réserve de présenter un motif d’intérêt général ([44]), etc. Ces principes sont d’ordre public ([45]) et n’ont donc pas besoin de figurer explicitement dans les conventions.

Symétriquement, l’autre partie jouit de garanties telles l’impossibilité pour une résiliation anticipée de porter sur les seules clauses financières ([46]), ce que le juge vérifie spécifiquement ([47]), et le bénéfice d’une rémunération supplémentaire en cas de bouleversement extérieur ([48]), d’apparition de sujétions imprévues ([49]), de force majeure ([50]) ou d’une décision administrative alourdissant ses charges ([51]).

S’agissant des autoroutes, il est manifeste que la seconde série de règles est plus respectée que la première (a). Il faut également regretter la faiblesse des engagements des SCA en matière sociale et environnementale (b).

a.   Une rédaction privilégiant les intérêts des entreprises cessionnaires

D’une part, l’idée même de relations contractuelles faisant porter aux SCA certains risques est contestable.

Si, comme le note l’Autorité de la concurrence, ces sociétés « supportent théoriquement un risque lié à l’évolution du trafic, force est de constater qu’il ne s’est en pratique jamais réalisé depuis un demi-siècle » ([52]) – et le premier épisode de confinement décidé en réaction à l’épidémie de covid-19 n’aurait pas eu d’effet significatif sur la rentabilité des autoroutes ([53]).

Les conséquences financières de sa matérialisation seraient neutralisées puisque, comme la Cour des comptes l’a relevé de son côté :

– « l’évolution négative de l’indice des prix à la consommation hors tabac entre octobre 2008 et octobre 2009 (– 0,22 %), constatée en novembre 2009, a surpris les services du ministère [chargé des transports] » ;

– « l’hypothèse d’une inflation négative n’avait pas été prise en compte lors de la rédaction des contrats de concession et des contrats de plan ; de fait, la rédaction du décret 95-81 […] évoque une majoration ou une hausse des tarifs, ce qui exclut toute idée de baisse tarifaire ; l’inflation négative n’a finalement pas été intégrée dans le calcul des hausses tarifaires de 2010, qui s’est effectué en considérant une inflation nulle » ([54]).

Il est aisé de vérifier dans les contrats que cette situation perdure.

Par ailleurs, « les risques [liés à une augmentation des taux d’intérêt] apparaissent limités, à la fois parce que la dette des SCA elle-même est peu risquée et parce qu’une part importante de cette dette a été contractée via des emprunts à long terme auprès de la Caisse nationale des autoroutes » ([55]).

D’autre part, toujours d’après l’Autorité de la concurrence, « les contrats de plan compensent des investissements qui, en toute logique, ne devraient pas être compensés […] et les hypothèses macroéconomiques et financières [y] sont toutes favorables aux SCA » ([56]).

Deux exemples de surcompensation peuvent être donnés à ce propos:

– la référence pour la composante des hausses de péage tenant aux travaux n’est pas celle de leur coût initial mais « contrairement aux préconisations de l’INSEE, les tarifs de l’année n-1 » ([57]) ;

– alors que la Commission européenne avait exigé à propos du plan de relance autoroutier de 2015 que « l’allongement de la durée de la concession correspond[e] strictement à la charge nouvelle imposée à la SCA » et que des rapports d’étape lui soient fournis tous deux ans ([58]), ce qui n’était toujours pas le cas en 2020 ([59]) et ne le semble toujours pas aujourd’hui, la Cour des comptes a récemment déploré le fait que « reporter le financement de travaux à une échéance lointaine, en le faisant supporter par l’usager futur, est une solution de facilité qui entraîne un renchérissement » chiffré à une « quinzaine de milliards d’euros », loin des 3,2 milliards d’euros initialement consentis ([60]).

Au delà des contrats, un cadre fiscal accommodant pour les SCA

Premièrement, en méconnaissance de règles posées par le juge administratif de longue date ([61]) puis récemment confirmées ([62]), les SCA « sont parvenues à se prémunir contre toute hausse [d’impôt spécifique] qui ne serait pas compensée » ([63]), au titre de la taxe d’aménagement du territoire prévue à l’article 302 bis ZB du code général des impôts et de la redevance domaniale prévue à l’article R. 122-48 du code de la voirie routière.

Par exemple, l’article 32 du contrat entre l’État et APRR stipule qu’« en cas de modification, de création ou de suppression […] d’impôt, de taxe ou de redevance, y compris non fiscale, spécifiques aux SCA, les parties se rapprocheront […] pour examiner si [elle] est de nature à dégrader ou améliorer l’équilibre économique et financier de la concession, tel qu’il existait préalablement […] ; dans l’affirmative, les parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures de compensation […] » ([64]).

Deuxièmement, l’article 39 du code général des impôts permet de déduire certaines charges financières de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Le coût de cet allègement a été réduit par la réintégration d’une fraction de ces charges (15 % à 25 % selon les années), en vertu de l’article 23 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

Toutefois, l’article 212 bis du même code prévoit que la déductibilité reste illimitée pour les « charges financières […] afférentes aux biens acquis ou construits par lui dans le cadre d’une délégation de service public mentionnée à l’article 38 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ». Même si le champ de cette déductibilité illimitée inclut certaines charges engagées par les SCA, il excède largement ce type de sociétés.

b.   Des obligations sociales et environnementales lacunaires

Au tournant de la privatisation, s’est développé le fait pour le cahier des charges associé à chaque contrat entre l’État et une SCA de comporter des objectifs de qualité d’exploitation, assortis d’indicateurs de performance.

Néanmoins, aucun item n’aborde la responsabilité sociale des délégataires vis-à-vis de leurs salariés ou de ceux de leurs sous-traitants. De même, ils ne prévoient pas de cible en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou d’utilisation de matériaux durables.

Par exemple, dans la convention liant l’État à APRR, les indicateurs concernent « l’état de surface des chaussées, l’état structurel des ouvrages d’art, la fonctionnalité des ouvrages d’art, la sécurité sur ouvrage d’art, la qualité des aires de repos, les délais d’intervention sur événement, les délais de signalement d’un événement grave par radio et panneaux à messages variables, la gêne au péage, la gestion de la viabilité hivernale, les délais de réponse aux sollicitations écrites d’usagers, les délais de dépannage, l’état des structures de chaussées » tandis que l’unique mention des « aménagements environnementaux » se situe à la toute dernière page des annexes et regroupe cinq points dont le bénéfice écologique n’est pas toujours évident : « création de passages à faune, réalisation de parkings de covoiturage, amélioration de la continuité hydraulique des passages inférieurs, restauration de cours d’eau ou de milieux humides et traitement des eaux sur les gares et viaducs » (4). 

Devant la rapporteure, l’association France nature environnement a qualifié ces éléments de « gouttes de vert insuffisantes » et estimé « curieux » que certaines conventions intègrent le télépéage sans arrêt dans les opérations durables alors qu’elles permettent aux SCA de « faire des économies de personnel ».

L’Autorité de régulation des transports estime que « moduler les tarifs en fonction de la congestion permettrait […] d’améliorer le bien-être collectif ; en alignant les coûts privés sur les coûts sociaux (qui incluent les externalités négatives) selon une logique de type “pollueur-payeur”, une telle tarification conduirait à une meilleure utilisation des capacités disponibles ; des tarifs plus élevés en période de pointe amèneraient les usagers qui attribuent le moins de valeur au déplacement envisagé à y renoncer […] ; réciproquement, fixer des tarifs inférieurs en période creuse rendrait l’usage de l’autoroute accessible à des acteurs pour lesquels le tarif moyen n’est pas abordable ; la réduction de la congestion peut contribuer à lisser les pics de pollution […] » ([65]) .

La rapporteure souhaite que soit mieux appliqué l’article L. 122-4 du code la voirie routière, précité, dont le onzième alinéa inséré par l’article 160 la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités concerne la « mise en place d’une tarification solidaire adaptée pour les publics fragiles ».

2.   La persistance de marges d’amélioration en matière de contrôle

Pour ses relations avec les SCA, l’État est surtout représenté par la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qui dispose visiblement d’un mandat assez ténu de la part du Gouvernement (a). Des progrès sont encore possibles en ce qui concerne la régulation externe (b).

a.   Des administrations limitées par une faible volonté politique

Au sein de la DGITM, la sous-direction des financements innovants, de la dévolution et du contrôle des concessions autoroutières surveille la gestion des tronçons délégués, la qualité du service rendu aux usagers, le suivi des avenants et le respect de l’encadrement du tarif des péages.

Elle dispose d’environ quarante agents, soit un effectif constant depuis environ vingt ans. Plus des deux tiers sont affectés au contrôle technique (environ 150 inspections d’ouvrages d’art par an, complétées par une dizaine d’audits) : il existe un consensus pour dire que cette mission, qui mobilise aussi le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), est effectuée avec rigueur.

À l’inverse, les dérives évoquées supra témoignent du fait que le contrôle juridique et financier des autoroutes n’est pas une priorité pour l’exécutif :

– il n’a pour l’heure pas été fait usage de la possibilité (article 35.6 des contrats) de désigner un commissaire du Gouvernement auprès des conseils d’administration ou de surveillance des SCA ;

– d’après le Sénat, la direction générale du Trésor « n’est pas systématiquement saisie » de chaque projet d’avenant et « aucun agent de la direction juridique des ministères économiques et financiers ne suit spécifiquement les concessions autoroutières » ([66]).

Toujours est-il que les appels de M. Jean-Paul Chanteguet, ancien président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, à « rompre avec une attitude de fatalisme » et à « abandonner un raisonnement à droit constant vis-à-vis des concessions » ([67]) n’ont pas été entendus : d’après son responsable auditionné par la rapporteure, la DGTIM ne travaille tout simplement pas sur un certain nombre de sujets, tels le chiffrage d’une nationalisation, car « le Gouvernement ne l’a pas demandé puisqu’il n’envisage pas cette piste ».

b.   Une autorité indépendante scrupuleuse quant à ses missions

Avant 2015, la puissance publique se trouvait en position de faiblesse pour obtenir les informations techniques et comptables qu’il sollicitait des SCA et ne disposait que d’une faible latitude juridique pour contrôler les contrats qu’elles-mêmes passaient pour aménager les aires de service sur leurs tronçons.

L’exposé des motifs du projet de loi qui allait devenir la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée faisait ainsi référence aux travaux de la Cour des comptes et de l’Autorité de la concurrence sur lesquels la rapporteure s’est appuyée – et dont elle note que toutes les préconisations n’ont pas été appliquées.

Ce texte a transformé l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), créée par la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, en Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) : ses compétences ont été élargies au transport routier interurbain de voyageurs (à compter du 15 octobre 2015) et au secteur autoroutier (à compter du 1er février 2016).

Dans le champ autoroutier, lui ont d’abord été confiées les quatre missions suivantes :

– être consultée sur les projets de contrats de concession et d’avenants à un contrat existant lorsqu’ils ont une incidence sur les tarifs de péage ou sur la durée de la concession ;

– effectuer un suivi économique et financier du secteur (rapports annuels et quinquennal précités) ;

– contrôler les procédures de passation des marchés des SCA, avec la possibilité d’engager des recours prévus par la réglementation en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;

– contrôler l’attribution des contrats passés par ces mêmes sociétés en vue de l’exploitation des installations annexes à caractère commercial, en veillant notamment au respect des obligations en termes de modération tarifaire pour la distribution de carburants.

Renommée Autorité de régulation des transports (ART) sur le fondement de l’article 1er de l’ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires, elle a connu une dernière extension de ses missions, concernant le système européen de télépéage, avec l’article 13 de la loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances.

La loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 relève de 101 à 102 ses équivalents temps plein travaillé sous plafond et de 11,4 millions d’euros à 14 millions d’euros sa subvention pour charges de service public. Son président, M. Bernard Roman, « considère que ces moyens sont insuffisants » est estime avoir besoin de 110 postes et 18,6 millions d’euros.

Pour le secteur autoroutier, l’ART emploie une quinzaine de personnes et s’appuie ponctuellement sur le bureau d’études SETEC, par exemple pour construire une base de données renseignant les coûts de construction.

Dans l’ensemble, l’ART juge que « les avis [qu’elle émet] sont généralement suivis d’effet à court terme [par l’État], avec des modifications apportées au projet d’avenant concerné ».

Par exemple, « en 2017, l’Autorité a été consultée sur des projets d’avenants relatifs au plan d’investissement autoroutier (PIA), qui portait initialement sur 57 opérations représentant 800 millions d’euros de travaux ; l’Autorité a recommandé une révision des projets, puisqu’une compensation par le péage était prévue pour des opérations (i) relevant d’obligations contractuelles préalables, (ii) dont la nécessité ou l’utilité́ pour l’usager n’était pas démontrée, ou encore (iii) dont le coût (opérationnel ou financier) apparaissait surévalué ; […] le périmètre du plan a été ajusté, le PIA comprenant finalement 43 opérations au lieu de 57, pour moins de 700 millions d’euros de coûts prévisionnels au lieu d’environ 800 millions d’euros » ([68]).

Vis-à-vis des SCA, l’ART reconnaît que la collecte de données représentait une « nouveauté » mais que la communication s’est rapidement fluidifiée sous la menace d’actions contentieuses, et avoir « plusieurs fois relevé que l’utilité ou la nécessité des [travaux] qui lui étaient soumises pour avis n’étaient pas démontrées ».

La rapporteure espère que l’expertise et l’indépendance de l’ART iront croissant ; les préconisations du Sénat à cet égard sont intéressantes :

– « porter de trois à quatre mois le délai d’instruction des avis de l’ART sur les projets d’avenants et les nouveaux contrats de concession pour lui permettre de procéder à une analyse approfondie » ;

– « prévoir que le ministère chargé des transports fournisse à l’ART, en cas d’attribution d’une nouvelle concession autoroutière, […] les dossiers présentés par les candidats non retenus, ce qui lui permettrait de mettre en œuvre un contrôle plus efficace sur les coûts prévisionnels » ;

– « prévoir que l’ART rende un avis simple, avant le lancement d’un appel d’offres, sur le dossier […] pour l’attribution d’une nouvelle concession afin de vérifier qu’il permettra un contrôle des coûts prévisionnels » ;

– « donner à l’ART les moyens de collecter auprès des sociétés d’autoroutes les informations nécessaires à l’analyse des variations de leur rentabilité depuis 2002 » ([69]).

B.   La nationalisation, un objectif Évident au regard du principe de l’intÉrÊt gÉnÉral

Le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 fait figurer parmi les « principes particulièrement nécessaires à notre temps » celui tenant à ce que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Tel est indubitablement le cas des concessions autoroutières : leur nationalisation (1) doit être privilégiée à d’autres pistes (2).

1.   L’opportunité de la proposition de loi n° 4742

Compte tenu de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, la possibilité d’une résiliation des contrats et du rachat des concessions pour un motif d’intérêt général ne souffre aucun doute.

De solides arguments indiquent que le coût de cette démarche pourrait se révéler inférieur à ce que des travaux de contrôles antérieurs ou la prise de position de certains membres du Gouvernement ont avancé. Ainsi, un montant de 47 milliards a été évoqué par M. Jean-Baptiste Djebarri, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, sans aucune consultation de ses services ni de l’ART.

Soucieux de la bonne affectation des droits acquittés par les contribuables et persuadés qu’il revient à l’État d’assumer un plus grand rôle dans l’aménagement durable du territoire, les députés du groupe La France insoumise ont inscrit la proposition de loi n° 4742 à l’ordre du jour de la journée de séance publique qui leur est réservée, le 13 janvier 2022, en application du cinquième alinéa de l’article 48 de la Constitution et du neuvième alinéa de l’article 48 du Règlement de l’Assemblée nationale.

L’article 1er de cette proposition met en œuvre la nationalisation des SCA, déjà préconisée par l’Assemblée nationale : 

– « la dénonciation des concessions en cours est une possibilité ; en effet, l’État dispose du droit d’exercer ce pouvoir pour motif d’intérêt général […] en vertu des dispositions de chacun des articles 38 des différents traités de concession ; [M. Jean-Paul Chanteguet] privilégie le recours à cette disposition qu’il conviendrait de notifier à chaque concessionnaire avant le 31 décembre [2014], pour une date d’effet au 1er janvier 2016 ; un tel motif justifie que l’exploitation du service concédé soit établie sur des bases nouvelles, […] aujourd’hui il est clairement admis que la préservation des deniers publics, y compris sous la forme de recettes futures, procède de l’intérêt général » ;

– « il ne s’agit pas d’un choix idéologique de “renationalisation” mais d’un recours au dispositif le plus opportun pour réviser l’écosystème financier des autoroutes au bénéfice de l’État et des usagers ; l’État doit faire preuve de détermination politique » ([70]).

2.   La moindre pertinence de solutions alternatives

Dès lors, si une nouvelle prolongation des concessions doit naturellement être exclue, il en va de même de tout statu quo jusqu’à leur terme actuel, soit entre 2031 et 2086 selon les contrats.

Il en irait de même si ce maintien était accompagné, comme le propose le Sénat, de l’organisation d’un « sommet des autoroutes […] pour définir l’équilibre économique et financier » des délégations ou de la formulation auprès des SCA de demandes de modulations selon le degré de pollution des véhicules ou la typologie de leurs conducteurs ([71]), par exemple afin de favoriser les usagers se rendant quotidiennement sur leur lieu de travail ou ayant recours au covoiturage.

En effet, il est malheureusement improbable aux yeux de la rapporteure que ces entreprises acceptent la moindre sujétion supplémentaire sans bénéficier d’une compensation.

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*     *

 


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   TRAVAUX en commission

   Discussion générale

Lors de sa réunion du mercredi 5 janvier 2022, la commission examine la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes (n° 4742) (Mme Bénédicte Taurine, rapporteure).

M. le président Éric Woerth. Mes chers collègues, je vous souhaite une bonne et heureuse année 2022, sur le plan tant personnel que politique. Cette année, comme l’an passé, la commission des finances doit renoncer à organiser la cérémonie des vœux qu’elle avait coutume de célébrer depuis le début de cette législature. En ce qui concerne nos auditions, elles pourront être organisées de façon mixte, à la fois en présentiel et par visioconférence.

La proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes, dont la rapporteure est Bénédicte Taurine, fait partie des neuf textes que le groupe La France insoumise a souhaité inscrire à l’ordre du jour de la journée de séance du 13 janvier prochain qui lui est réservée. Elle a d’ailleurs des chances d’être examinée, étant le quatrième texte dans l’ordre d’appel des propositions de loi et de résolution déposées à l’occasion de cette niche.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Merci de m’accueillir dans votre commission.

C’est en partant du constat de dérives avérées et insupportables que mon groupe, La France insoumise, a souhaité inscrire la présente proposition de loi à l’ordre du jour. La rentabilité excessive des entreprises gestionnaires d’autoroutes est un fait ; elle a été constituée au détriment des finances des Français, contribuables comme automobilistes. Face à ce problème, leur nationalisation nous est apparue comme l’unique solution.

Environ 78 % des 11 700 kilomètres du réseau autoroutier français sont gérés par des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA). Celles-ci sont liées à l’État, qui reste propriétaire du domaine, par des contrats généralement conclus pour une durée de cinq ans.

Depuis leur développement à compter du milieu des années 1950, les autoroutes n’ont pas toujours été gérées par des entreprises privées. Les premiers tronçons ont été exploités par des sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (SEMCA), intégralement détenues par des personnes publiques, à savoir la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et les collectivités territoriales intéressées. Une brève expérience de gestion privée a eu lieu entre 1970 et 1983, mais les entreprises concernées n’ont pas su assurer la continuité du service face aux chocs pétroliers. Déjà, à l’époque, la puissance publique avait dû racheter leur capital, d’abord au moyen de la CDC, puis par l’intermédiaire de l’établissement public Autoroutes de France.

Voilà seulement une vingtaine d’années que les concessions historiques ont été cédées à des opérateurs privés, tandis que les nouveaux tronçons ont d’emblée été soumis à exploitation privée. Parmi les vingt sociétés concessionnaires actuelles, seules Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) et la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF) ont un capital majoritairement public. Ce sont des actionnaires privés qui détiennent le capital des dix-sept autres sociétés et treize d’entre elles appartiennent à trois groupes prépondérants du secteur du bâtiment et des travaux publics : Vinci, Eiffage et l’entreprise espagnole Abertis.

Deux problèmes apparaissent. Premièrement, la concentration du capital place ces trois investisseurs ultramajoritaires en position de force non seulement vis-à-vis de l’État, mais aussi de leurs sous-traitants. Deuxièmement, les opérations d’ouverture du capital menées par les gouvernements Jospin, Raffarin et Villepin entre 2002 et 2006 ont abondé les recettes publiques à hauteur de 16,5 milliards d’euros, mais la façon dont ces cessions ont été réalisées a fait perdre 6,5 milliards d’euros à l’État. Ce propos n’est pas seulement celui de mon groupe politique. C’est aussi, avec toutes les nuances qu’il convient de respecter, celui de MM. Gayssot et de Robien, anciens ministres, et de MM. Carrez et Eckert, qui furent aux commandes de votre commission.

La fin prévisionnelle des concessions s’échelonne entre 2031 et 2086, mais l’exécutif ayant la fâcheuse tendance de prolonger la durée des contrats à chaque réforme, leur horizon semble de plus en plus brumeux.

J’en viens à la rentabilité des SCA. Je partage l’avis de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes qui, l’une comme l’autre, ont jugé cette rentabilité exceptionnelle.

La mesure du profit est complexe, entre la méthode fondée sur un taux de rentabilité interne (TRI) tronqué et des données comptables inquiétantes. Quoi qu’il en soit, cette rentabilité justifie la reprise en main des autoroutes par l’État. Un tour de vis très ferme exercé au niveau des clauses des contrats et du contrôle de leur application se heurtera vraisemblablement au refus des SCA.

Il faut donc que l’État rachète leur capital, de sorte que la politique tarifaire soit guidée non plus par des stratégies commerciales fondées sur la recherche d’un profit maximal, mais par les principes du service public et de l’intérêt général.

Quatre éléments permettent d’affirmer que les groupes détenant les sociétés concessionnaires ont plus que profité de la situation depuis vingt ans.

Premièrement, comme l’a relevé l’Autorité de la concurrence, les SCA, contrairement au principe même d’une concession, n’assument pas de vrai risque. En effet, l’évolution du trafic est favorable et les contrats excluent toute baisse des tarifs des péages.

Je suis d’ailleurs frappée que l’Autorité de régulation des transports (ART) ait estimé que la baisse de leur chiffre d’affaires à hauteur de 17,5 % sur l’année 2020, du fait des périodes de confinement, n’a pas altéré le résultat de ces entreprises.

Deuxièmement, le prix des péages augmente de manière automatique. Non seulement il progresse plus vite que l’inflation, ainsi que l’a dénoncé la Cour des comptes en 2013 et que l’ont récemment vérifié des associations d’usagers, mais il se fonde toujours sur l’indice le plus dynamique en ce qui concerne le coût des travaux, contrairement aux recommandations de l’INSEE et de la Commission européenne.

Troisièmement, à rebours de ce que commande le bon sens et de ce qu’avait préconisé le Conseil d’État, les groupes possédant l’essentiel des SCA ont obtenu que toute augmentation des deux impôts qui les frappent spécifiquement soit compensée. En outre, ils sont parvenus à conserver la jouissance de certaines niches fiscales sur des prélèvements communs que les pouvoirs publics avaient tenté de nettoyer.

Enfin, les conventions et leurs avenants sont muets s’agissant des obligations sociales des entreprises, en même temps qu’ils classent comme « opérations environnementales » des ajustements réalisés sur des parkings ou l’installation de télépéages...

Ne passons pas sous silence le fait que, entre 2006 et 2019, Vinci a distribué 13,8 milliards d’euros de dividendes, recouvrant ainsi les 10,4 milliards d’euros qu’elle avait déboursés à l’origine. Sur la période 2020-2036, ses dividendes cumulés atteindraient 20,7 milliards d’euros. Eiffage, de son côté, a dégagé 9 milliards de dividendes entre 2006 et 2019, somme qui rembourse largement les 6,7 milliards investis. Sur la période 2020-2035, ses dividendes représenteraient 13,3 milliards. Quant à Abertis, elle a distribué 4,8 milliards d’euros de dividendes entre 2006 et 2019 et a quasiment recouvré son investissement de 5,3 milliards. Ses dividendes cumulés sur la période 2020-2036 sont estimés à 7,9 milliards.

Tout cela donne raison à nos collègues sénateurs Éric Jeansannetas et Vincent Delahaye, qui écrivent dans le rapport de la récente commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières que Vinci et Eiffage ont plus que recouvré leur mise d’il y a vingt ans, voire dépassé le TRI projeté à la signature, et qu’Abertis s’achemine vers la même réussite. La durée des contrats est trop longue – d’au moins dix ans – et ouvre à l’État ce que le Sénat appelle des « marges de négociation » et que j’appelle, pour ma part, l’urgence d’une nationalisation.

Notre proposition de loi prévoit le rachat du capital des SCA par l’État. Cette opération est-elle possible ? Il se trouve qu’elle est prévue par les contrats de concession eux-mêmes, sans parler du fait que le Conseil d’État, depuis le début du vingtième siècle, a produit une jurisprudence claire sur les pouvoirs de direction, de modification et de résiliation unilatérale d’un contrat administratif. Cela étant, il s’agit de mesures réglementaires ; puisque le Gouvernement ne se préoccupe pas du déséquilibre des concessions autoroutières aux dépens des comptes publics et du portefeuille des usagers, nous n’avons pas d’autre choix que de passer par la loi.

Le présent texte, dont l’objectif est revendiqué par nombre de nos concitoyens – notamment ceux qui ont participé au mouvement des gilets jaunes – captifs d’une série de monopoles de fait, s’inscrit dans le cadre constitutionnel : tant le préambule de la Constitution de 1946 que les grandes décisions du Conseil constitutionnel rendues en 1982, puis en 2019, établissent la faisabilité et la pertinence de la nationalisation d’entreprises, pour le bien du service public.

Cette nationalisation a un coût, tenant bien évidemment au rachat des actions, mais aussi à l’indemnisation des investisseurs actuels et, si le choix était fait d’abandonner les concessions au profit de régies, à l’exploitation future des autoroutes. Quel serait ce coût ? La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, lorsqu’on lui pose la question, dit n’en avoir aucune idée. En fait, l’exécutif n’a pas demandé à l’administration de travailler sur cette hypothèse. Voilà qui est curieux sachant que, il y a un peu plus de six mois, M. Djebbari, ministre délégué chargé des transports, évoquait devant le Sénat un montant de 47 milliards d’euros, estimation proche de celle qu’avait faite une mission d’information de notre Assemblée en 2014. C’est d’autant plus curieux que le Président de la République, lorsqu’il était ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, parlait de 20 milliards d’euros.

Pour ma part, j’estime, à l’appui de calculs détaillés dans mon rapport, qu’il est possible de limiter la dépense à 15 milliards d’euros tout au plus. En effet, certaines sommes ont déjà été payées deux fois par le contribuable et n’ont donc pas vocation à être intégrées à ce que Vinci, Eiffage et Abertis perdraient en n’exploitant plus les autoroutes qui leur sont aujourd’hui concédées. Rappelons que le juge administratif interdit de longue date à toute personne publique de consentir des libéralités en versant notamment une indemnisation disproportionnée au regard du préjudice subi par un cocontractant.

Afin de mettre un terme à ces profits scandaleux et de soutenir un aménagement du territoire plus écologique et plus juste, il nous faut bouleverser radicalement les clauses des concessions. Il est essentiel que nous puissions débattre de ce sujet, déterminant aux yeux des Français, et à propos duquel l’opinion de mon groupe se trouve confortée par des auteurs aux vues habituellement éloignées des siennes.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général (LaREM). Je ne reviendrai pas sur l’historique : chacun peut penser que la vente des parts publiques des sociétés concessionnaires a été une bonne ou une mauvaise opération. Vous avez dit un certain nombre de vérités, madame la rapporteure, mais observons la situation au prisme de 2022. Votre proposition de loi présente-t-elle, aujourd’hui, un intérêt pour nos concitoyens ? Surtout, prend-elle bien en compte toutes les difficultés qu’elle créerait ?

Quel objectif, in fine, votre texte vise-t-il précisément ? Pour l’instant, il se borne à rendre publics les capitaux des SCA, impliquant de l’État qu’il signe un chèque. À lire votre proposition de loi, il semble que le modèle concessif demeure. Pouvez-vous nous préciser si vous entendez-vous conserver les concessions en les fondant sur des capitaux publics ou si vous souhaitez, comme vos propos semblent l’indiquer, nationaliser les autoroutes ? Dans ce dernier cas, prévoyez-vous un retour à une gestion étatique ou bien décentralisée ? Bref, quel transfert de propriété et quel mode de gouvernance envisagez-vous ?

Par ailleurs, votre texte a trait à deux controverses politiques fortes, à commencer par la rentabilité des SCA. Il y a une bataille de chiffres en la matière – on ne peut pas dire que les travaux du régulateur ne soient régulièrement remis en cause par certains observateurs. Autre controverse : le coût de la nationalisation. Vous comprendrez que, en qualité de rapporteur du budget, je m’en inquiète. Dans les hypothèses que vous avez évoquées, le coût varie de 15 à 50 milliards d’euros, soit du simple au triple. Cela me paraît très coûteux et, encore une fois, pour quel objectif final ? Quels éléments avez-vous rassemblés pour émettre votre hypothèse de chiffrage ?

À titre personnel, je pense que nous ne devons pas voter ce texte, qui ressemble davantage à un appel politique, car, pour l’heure, il ne précise ni pourquoi, ni comment, ni à quel coût nationaliser la gestion des autoroutes. Le montant de la facture présentée aux Français paraît bien trop important et risque de les entraîner dans un chemin hasardeux et probablement extrêmement coûteux.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). On peut partager sur certains points le constat dressé par la rapporteure. À l’origine, Dominique de Villepin avait cédé les participations de l’État dans le souci de limiter l’endettement de la France. Manifestement, la privatisation des autoroutes n’a pas eu les effets positifs escomptés. Depuis l’extension de la durée des concessions, défendue par la majorité précédente, et en raison de l’absence de mise en concurrence, la position de rente des concessionnaires autoroutiers s’est accentuée. Les tarifs imposés aux usagers ont quant à eux explosé : c’est, de fait, un scandale.

Reste que la solution que vous préconisez est encore plus douloureuse que les constats fâcheux que nous faisons à propos de la situation actuelle. Son coût aggraverait encore la dette publique, qui dépasse déjà largement 115 % de notre PIB. Or ce sont non seulement les usagers des autoroutes qui finiront par payer cette dette, mais tous les contribuables. À vouloir ainsi une plus grande justice, vous risquez de créer des effets inverses à ceux que vous recherchez.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas la proposition de loi.

M. Mohamed Laqhila (Dem). En 2006, François Bayrou déclarait que la privatisation des autoroutes était une faute. Une faute politique, d’abord : le Parlement n’a pas été amené à se prononcer, contrairement à ce qui s’est passé pour les privatisations que nous avons votées au début de cette législature. Une faute financière, ensuite, car s’il n’est pas sûr que l’État eût profité d’autant de dividendes que le secteur privé, cette cession, mieux organisée dans le temps, aurait pu être négociée à meilleur prix. Parce qu’ils étaient mal préparés, les contrats de concession, déjà anciens, n’étaient pas suffisamment adaptés à cette privatisation. La notion d’équilibre économique, elle, n’était pas définie. Enfin, les relations entre l’État et les concessionnaires n’était pas arrêtée.

Les SCA se sont engouffrées dans ces failles au moyen de pratiques parfois douteuses. Elles ont entre autres augmenté les tarifs des péages, non pas pour développer le réseau, mais pour soutenir les dépenses de fonctionnement, requalifiées en dépenses d’investissement, et pour automatiser ces péages à leur seul profit.

Depuis le vote, en 2015, de la loi dite Macron, qui a permis une meilleure régulation du secteur, la situation s’est fortement améliorée. Mais nombreuses sont les voix qui réclament, en s’appuyant sur un constat déjà daté, la nationalisation des SCA, que ces voix imaginent être une véritable poule aux œufs d’or pour nos finances publiques.

Cependant, cette nationalisation est une fausse bonne idée. Car, en vertu du principe de garantie de la propriété posé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’État devrait indemniser Vinci, Eiffage et les autres sociétés concessionnaires à hauteur de 40 milliards d’euros, auxquels s’ajouteraient 30 milliards d’euros de reprise de dettes, alors qu’il suffirait d’attendre la prochaine décennie pour commencer à récupérer gratuitement ces concessions. Au demeurant, l’État n’est sans doute pas le meilleur des gestionnaires…

Mieux vaut anticiper la fin des concessions, en ne renouvelant pas les contrats en cours sans appel d’offres, en veillant au maintien d’investissements suffisants, en incitant les sociétés concessionnaires à préparer les modalités de déplacement de demain – je pense aux voitures électriques –, sans toutefois en faire supporter la charge aux finances publiques, et continuer à améliorer la régulation du secteur en renforçant les pouvoirs de l’ART, notamment sur les questions tarifaires ou les sous-concessions.

M. Jean-Louis Bricout (SOC). Par cette proposition de loi, notre collègue Bénédicte Taurine pose un nouveau jalon sur le chemin qui conduit à la restauration d’un équilibre entre intérêts publics et intérêts privés dans la gestion des autoroutes.

Je n’ai aucune illusion quant au sort qui sera réservé à ce texte. Je me rallie toutefois au constat, de plus en plus répandu, du caractère inacceptable des paramètres actuels de l’exploitation des autoroutes par les majors des travaux publics. Voilà des années que nous sommes englués dans un véritable scandale économique, écologique et juridique.

Nos concitoyens sont complètement pris en otage : alors qu’ils ont financé la construction des autoroutes, cela fait des lustres qu’ils paient en plus le droit de les emprunter. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sous la précédente législature, et Christine Pires Beaune ont beaucoup travaillé sur le sujet.

Aujourd’hui, on continue de faire face à l’enfumage et à la démagogie des sociétés concessionnaires. La rapporteure juge exceptionnelle la rentabilité des concessions. Pour ma part, je la qualifie d’indécente ! Entre 2006 et 2019, le taux moyen de distribution des dividendes de la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) et des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) était supérieur à 100 %.

On ne peut pas parler de nationalisation sans parler de coût. En la matière, les approximations vont bon train. M. Chanteguet évoquait à l’époque 20 milliards d’euros, alors que l’administration annonçait un montant de l’ordre de 40 à 50 milliards d’euros.

Quant au ministre des transports, il a évalué le coût de l’opération à 47 milliards d’euros en mai 2021, sans donner de détails sur les calculs. Toutes les prévisions sont à la hausse alors que le montant du rachat devrait mécaniquement diminuer au fur et à mesure que l’on se rapproche du terme des concessions.

En outre, qui dit rachat ne signifie pas rachat total. Il est possible de revenir à une gestion partagée sous forme de société d’économie mixte (SEM), pour un coût limité – c’est l’une des hypothèses dont parlait le rapporteur général. Ce serait un scénario gagnant-gagnant.

Est-ce vraiment utile de nationaliser les autoroutes ? Selon les estimations de nos collègues sénateurs, les sociétés concessionnaires engrangeraient 40 milliards d’euros de profits d’ici à 2036. Un tel montant serait mieux investi s’il servait à revitaliser les petites lignes ferroviaires, à financer le tout-électrique dans les transports collectifs urbains ou, comme pourrait me le chuchoter Christine Pires Beaune, à réaliser la ligne de TGV Paris-Clermont-Ferrand.

Oui, nationaliser, c’est compliqué. Oui, d’autres solutions sont envisageables. Mais il est souhaitable que l’on prépare progressivement la reprise de contrôle des autoroutes par l’État, afin de mettre celui-ci en position de force et de minimiser le coût financier – le jeu en vaut la chandelle. Je salue la mobilisation de nos collègues sur ce sujet complexe.

Notre groupe, moyennant quelques précisions, votera bien sûr le texte.

Mme Lise Magnier (Agir ens). Je rappelle d’abord un point de terminologie : les autoroutes françaises n’ont pas été privatisées, elles font toujours partie du domaine public ; seules les sociétés d’exploitation ont été privatisées.

Le débat sur la nationalisation des sociétés concessionnaires est récurrent. Cette année, il est de nouveau mis en avant par plusieurs candidats déclarés à l’élection présidentielle. Ce n’est pas un petit sujet : nous parlons de sommes considérables et d’infrastructures stratégiques pour notre pays, utilisées quotidiennement par un nombre important de nos concitoyens.

Notre groupe partage les constats de la commission d’enquête sénatoriale. Chaque année, les SCA versent des dividendes considérables à leurs actionnaires, ce qui choque à juste titre nos concitoyens. Les paramètres financiers d’un certain nombre de contrats conclus avec l’État ont été définis à l’avantage des concessionnaires, leur offrant une rentabilité plus rapide ou plus importante que prévue.

Nous n’approuvons pas pour autant la solution de facilité que proposent nos collègues de La France insoumise. Tout d’abord, il semble inutile de dépenser plusieurs dizaines de milliards d’euros dès maintenant aux fins de nationaliser ces entreprises alors que les concessions historiques arrivent à échéance à compter de 2031. Mieux vaut investir dans d’autres infrastructures de transport, notamment dans les secteurs ferroviaire et fluvial.

Ensuite, nous devons avoir un débat posé sur le mode de gestion que nous voulons pour nos autoroutes. La concession a été utilisée depuis les années 1950 pour bâtir, il faut le dire, un réseau autoroutier complet et de grande qualité. L’État peut-il se passer de ce mode de gestion qui permet d’apporter le savoir-faire et le financement du secteur privé ? Nous n’en sommes pas pleinement convaincus.

En revanche, il nous faut absolument revoir les modalités de fonctionnement des concessions autoroutières pour rendre leurs clauses plus précises, le partage des profits plus juste, le calcul de la rentabilité plus fin, et plus clairs les engagements sur le prix des péages et les nouveaux investissements à consentir.

En attendant, notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.

M. Christophe Naegelen (UDI-I). Ce genre de dossier est symptomatique de la vision de court terme que l’État a quelquefois de ses investissements et de ses propriétés – voyez plutôt la vente récente de La Française des jeux ! On privatise des sociétés qui, sur le long terme, rapporteraient à l’État, si celui-ci en conservait la propriété, bien plus que le fruit de leur vente. Si les entreprises privées étaient gérées ainsi, voilà longtemps qu’elles auraient disparu.

Vous abordez, madame la rapporteure, ce que coûterait la nationalisation et ce qu’elle rapporterait. En revanche, vous n’avez rien dit du coût annuel d’entretien des autoroutes. Nationaliser les SCA implique que l’État rachète leur capital. Mais à quel prix valoriser ces entreprises ? Pour l’heure, seule une fourchette de prix nous est donnée. J’insiste, combien l’entretien régulier des autoroutes coûterait-t-il à l’État ? La reprise par l’État des activités des sociétés concessionnaires sera de facto plus onéreuse.

Dans l’attente de ces précisions, notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.

M. François Ruffin (LFI). Chers collègues marcheurs, quel député voulait, en 2019, renationaliser les autoroutes ? Quel député déclarait : « Nos concitoyens ont le sentiment que les sociétés d’autoroutes se goinfrent sur leur dos » ? C’était Jean-Baptiste Djebbari ! Il est depuis devenu ministre et a complètement oublié son projet. Et nous préférerions qu’il le reprenne en main au lieu de frimer sur TikTok. Car ce n’est pas seulement un sentiment qu’ont les Français : l’UFC-Que choisir, sous le titre « Péages d’autoroute, une augmentation inédite », indique qu’« à partir du 1er février 2022 les tarifs des péages vont augmenter en moyenne de 2 % », avant de conclure que « si ces chiffres sont validés » – en effet, l’État peut encore s’y opposer –, « l’augmentation de 2022 sera la plus importante depuis longtemps ».

En parallèle, les dividendes continuent d’être distribués. Comme l’a dit le rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale, « 2020, une année noire… mais pas pour les autoroutes ! ». En effet, environ 3 milliards d’euros de dividendes ont été versés chaque année, faisant des Français des vaches à lait chaque fois qu’ils passent les péages.

Que s’est-il passé ? En 2005, le Gouvernement a offert un premier cadeau : il a privatisé les autoroutes en cédant ses parts 10 milliards d’euros en dessous de leur prix. En 2015, le Gouvernement accorde un second cadeau – Macron était forcément dans le coup en tant que ministre de l’économie – en promettant aux sociétés concessionnaires un bonus de 3,2 milliards d’euros.

Dans un tel contexte, il est urgent que l’État reprenne la main, qu’il exerce un contrôle légitime, qu’il empoche le bénéfice de la hausse des tarifs, qu’il nationalise les autoroutes. Cela semble évident ; or on entend très peu de contre-propositions pour arrêter avec cette poule aux œufs d’or.

M. Charles de Courson (LT). Le texte que nous examinons nous conduit implicitement à faire, seize années après, le bilan de la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Cette privatisation, je l’ai combattue du temps du gouvernement Villepin, alors même que j’appartenais à la majorité. Cette opération a-t-elle été profitable ? Pour les trois principaux concessionnaires, la réponse est assurément positive. Mais, pour l’État et les usagers, c’est loin d’être le cas.

La privatisation de 2006 a été mal pilotée, notamment s’agissant du montant : l’État, en cédant son capital, n’a perçu que 16,5 milliards d’euros, et le rapport de la commission d’enquête sénatoriale remis en septembre 2020 estime sa perte à 6,5 milliards. Bref, les parts ont été très mal vendues – à supposer qu’il eût fallu les vendre.

En outre, mon groupe déplore que les sociétés concessionnaires aient constitué de telles rentes. Au-delà de 2022, leurs dividendes cumulés représenteraient environ 40 milliards d’euros, dont 32 milliards d’euros pour les seuls actionnaires de Vinci et d’Eiffage. Ces résultats sont difficiles à accepter alors que les tarifs des péages poursuivent inéluctablement leur augmentation – de 2 % en 2022 –, en application de contrats de concession extrêmement mal négociés.

Faut-il nationaliser dès à présent ou attendre patiemment la fin des dernières concessions historiques, de 2031 à 2036 ? La nationalisation que vous proposez, madame la rapporteure, coûterait à l’État la modeste somme de 40 à 50 milliards d’euros. Il serait absurde de faire peser une telle facture sur nos finances publiques. Vous essayez de contourner cette difficulté en refusant toute indemnisation. Ce raisonnement juridique est quelque peu chancelant étant donné que, depuis 1982, la jurisprudence du Conseil constitutionnel exige explicitement une juste et préalable indemnité, en application de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Limiter ce principe, outre le risque d’inconstitutionnalité manifeste, serait de nature à créer une défiance durable des entreprises privées vis-à-vis de l’État. Une nationalisation sans indemnisation n’est donc pas une option raisonnable.

Mon groupe partage tout de même nombre des constats formulés par notre rapporteure. Ne restons pas les bras croisés face à la fin imminente de certaines concessions historiques : il appartient à l’État de se préparer dès maintenant. Nous devons, en application du droit de l’Union européenne, interdire toute prolongation des concessions sans mise en concurrence des entreprises lors de l’attribution des contrats. S’il a été décidé plusieurs fois de prolonger les concessions, c’est parce que l’État, impécunieux, négociait en contrepartie la réalisation de travaux. C’est une pratique absolument contestable, par laquelle l’État a maintenu la rente des concessionnaires.

Bien que nous partagions une partie des critiques formulées par la rapporteure quant à la gestion de ce dossier, nous ne voterons pas le texte.

M. Alain Bruneel (GDR). Mon groupe votera ce texte. En 2014, déjà, nous avions déposé une proposition de loi similaire, reprise en 2019 par nos collègues du groupe communiste au Sénat. Pour rappel, c’est sous l’égide de Thierry Breton, alors ministre de l’économie, et de Dominique Perben, ministre des transports, que, le 18 juillet 2005, les autoroutes ont été cédées au secteur privé. Cette opération a asséché le financement des programmes d’infrastructures de transport en privant l’État des dividendes des sociétés d’autoroutes et a offert aux entreprises du bâtiment et des travaux publics une situation de rente exceptionnelle, sur le dos des usagers.

Depuis 2005, les concessionnaires privés ont réalisé d’importants bénéfices et distribué des dividendes considérables. La proposition de loi pose la question essentielle de la stratégie économique de notre pays, dont l’enjeu de la nationalisation, ou renationalisation, est un aspect important. Deux façons de penser s’affrontent. Vous, les libéraux, estimez que la situation est catastrophique, mais que l’on peut patienter – on attend toujours avec vous et on ne voit jamais rien venir ! Or le capital continue de toucher de l’argent et l’État, qu’on le veuille ou non, met la main à la poche. Et lorsque celui-ci demande aux concessionnaires de réaliser des travaux pour améliorer l’état du réseau, il allonge systématiquement, en contrepartie, la durée des concessions pour deux ou cinq années supplémentaires.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous soutiendrons cette proposition de loi.

M. Michel Castellani. Est-il possible de mieux contrôler la hausse injustifiée des tarifs des péages ? Et comment y parvenir ?

L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) a été fortement touchée par la privatisation des autoroutes. Quelle forme son financement pourrait-il prendre en cas de nationalisation ou à l’expiration des concessions ?

M. Julien Aubert. Ce texte est l’occasion de faire une leçon d’économie : une privatisation peut créer au bout du compte une situation de monopole. Jointe au choix de l’isofiscalité, elle aboutit à une situation qui n’est pas saine du point de vue budgétaire. Cela pose en fait la question du calcul économique. En 2006, la droite était parvenue à faire baisser la dette publique, qui était alors de l’ordre de 1 200 milliards d’euros, ainsi que le déficit public. Mais, en 2022, la dette atteindra 3 000 milliards d’euros. De même, on ne peut pas balayer le problème du calcul économique de la nationalisation, laquelle ne saurait être réalisée si elle coûte plus qu’elle ne rapporte.

En revanche, je suis parfaitement d’accord sur deux points. D’abord, nous devons préparer les choses dès à présent : n’attendons pas la fin des concessions pour nous demander comment réintroduire les autoroutes dans le giron de l’État !

Par ailleurs, je considère que l’on ne peut pas mener une politique de transition écologique tant que l’on ne maîtrise pas les autoroutes, c’est-à-dire le pouvoir d’achat de ceux qui se déplacent. L’État a beau s’efforcer de calmer la hausse du prix de l’essence et des transports, encore faut-il que les concessionnaires n’augmentent pas les tarifs des péages ! Si nous voulons conduire une politique d’aménagement du territoire et des transports qui soit sociale et écologique, nous devons reprendre la main sur ces instruments de souveraineté que sont les autoroutes.

Mme Zivka Park. Nous sommes nombreux à partager certains des constats dressés par notre collègue rapporteure. Mais quelle solution choisir ? La loi dite Macron du 6 août 2015, chère à François Ruffin, a introduit un dispositif de régulation, placé sous contrôle de l’ARAFER, devenue l’ART. Elle prévoit également – cela rassurera peut-être Charles de Courson – l’interdiction de prolonger la durée des concessions, sauf décision explicite du législateur pour couvrir le coût d’investissements supplémentaires qui, sans être inclus dans le contrat initial, seraient demandés par l’État.

Je le rappelle, les tarifs des péages augmentaient déjà avant la privatisation des autoroutes. Comment garantir leur diminution au vu des coûts qui incomberaient à l’État sous l’effet d’une nationalisation ?

M. le président Éric Woerth. Pour ma part, je suis plutôt opposé à l’idée de nationalisation : on privatise, on nationalise, on reprivatise, on renationalise… On n’en finit pas ! L’État n’est pas Dieu – cela se saurait – et les sociétés d’autoroutes ne sont pas le diable. Il convient toutefois d’aménager le mode de fonctionnement de ces dernières. Le contrôle des contrats, comme leur contenu, est fondamental. Indépendamment de la question du prix auquel l’État a cédé ses parts à l’époque, il est évident que ces contrats n’étaient pas très bien conçus ; c’est ainsi qu’ils sont jugés de manière générale. Certes, les concessions ont évolué, Zivka Park a raison de le rappeler, mais l’apparition d’éléments imprévus a nécessité d’en prolonger la durée ; cette manière de procéder n’est pas acceptable.

Pour ce qui est des dividendes, les sociétés d’autoroutes ne sont pas à plaindre, mais en tout cas, nos autoroutes sont en bon état. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’il faille prendre pour modèle les routes nationales, qui dépendent directement de l’État. Nous ne sommes pas toujours obligés, dans ce genre de dossier, de nous régler sur le moins-disant, y compris qualitatif. Nous pouvons au moins être fiers de notre réseau autoroutier.

Quant à la question de la répartition du coût entre usagers et contribuables, elle ne se pose pas seulement en matière d’autoroutes. On peut concevoir, dans certains cas, que l’usager se substitue au contribuable, les services publics étant par ailleurs financés par l’État.

Enfin, je remarque que les chiffres ne sont jamais tout à fait stabilisés. Des milliards d’euros sont pourtant en jeu, comme l’a très bien dit notre rapporteure. Chacun, au fond, y va de son idéologie – elles sont toutes respectables, je remercie d’ailleurs La France insoumise d’avoir de nouveau provoqué ce débat, plutôt opportun en fin de mandat. Il s’agit tout de même aussi d’un marronnier. Souvent, les informations qui circulent dans l’opinion publique à ce sujet sont fausses : dans l’esprit des Français, les sociétés concessionnaires sont propriétaires des autoroutes ; ils ignorent pour la plupart que, au terme des concessions, la gestion des autoroutes reviendra à l’État. Dans ce débat vertueux, gardons-nous des idées simplistes.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Notre proposition de loi est aussi l’occasion d’anticiper la fin des contrats de concession, qui approche. Pour notre part, nous suggérons une nationalisation ; d’autres groupes peuvent défendre des solutions différentes ; l’essentiel est que l’on puisse en débattre. Le consensus au sein de la commission semble assez large sur le sujet, notamment en ce qui concerne les coûts imposés aux usagers. Une étudiante m’a récemment confié qu’elle ne pouvait plus emprunter l’autoroute à cause des tarifs des péages, alors que cette voie est plus sûre que les petites routes de campagne.

Monsieur le rapporteur général, ce n’est pas le principe même de la concession qui me choque, mais le fait que des dividendes aussi élevés soient versés aux actionnaires, notamment au sein des trois principaux groupes. Comment faire pour que les usagers ne payent pas pour les dividendes des actionnaires ?

Si le chiffrage n’est pas assez précis, c’est aussi que le ministère des transports ne nous a pas fait part des données demandées. Mon rapport, à la page 35, détaille et explique les sommes que nous déduisons.

Monsieur de Courson, notre groupe ne s’oppose pas au versement d’une indemnité. Nous voulons simplement limiter la somme que l’État rembourserait aux sociétés concessionnaires.

Monsieur Bricout, nous nous sommes appuyés sur le rapport de notre ancien collègue Jean-Paul Chanteguet pour conclure que l’État devait retrouver la position de force qu’il a perdue au profit des concessionnaires.

La dette des SCA, lorsque celles-ci se sont trouvées propriétaires des parts de l’État, était de l’ordre d’une vingtaine de milliards d’euros. Ce sont les SCA elles-mêmes qui l’auraient aggravée de moitié en versant des dividendes à leurs actionnaires. C’est le fonctionnement même de ces sociétés qui pose problème : alors qu’elles ont augmenté le prix des péages au prétexte d’entretenir le réseau routier – dont l’état est certes, en effet, plutôt satisfaisant, monsieur le président –, elles ont creusé leur dette pour distribuer des dividendes. C’est un affront pour nos concitoyens !

La nationalisation n’est pas une solution de facilité, madame Magnier, c’est simplement celle que nous avons choisie, sachant qu’il est essentiel de décider ce qu’il faut faire à partir de 2031. Vous pouvez en proposer d’autres. Le texte étant discuté à l’occasion d’une niche parlementaire, vous comprendrez que nous ayons limité le nombre de ses articles ; nous pourrons détailler ultérieurement les modalités exactes de ce que nous suggérons.

Concernant le coût annuel supporté par l’État pour l’entretien des autoroutes, nous pourrions vous communiquer, monsieur Naegelen, des chiffres plus précis grâce aux données que nous avons collectées lors de nos auditions.

Quant aux tarifs des péages, ils augmenteront encore cette année de 2 %, comme l’a dit François Ruffin. Nous devons donc veiller à les encadrer ; les usagers doivent sentir que le législateur se penche sur ce problème.

Vous avez raison de parler de rente, monsieur de Courson ; nous devons nous y attaquer, car le rôle des sociétés concessionnaires n’est pas d’engranger des profits sur le dos de nos concitoyens !

M. le président Éric Woerth. Je vous propose de passer à l’examen des deux articles et trois amendements déposés sur ce texte. Je vous indique que j’ai déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution un amendement qui présentait toutes les caractéristiques d’un cavalier législatif. Il visait une réforme générale des règles applicables dans les contrats administratifs de la commande publique, ce qui concernerait des centaines de milliers de contrats, bien au-delà de la question des concessions autoroutières.

 


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   Examen des articles

Article 1er
Nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes

Rejeté par la commission

I.   L’état du droit

Le réseau autoroutier français s’étend sur 11 700 km.

Si l’intégralité des tronçons relève matériellement du domaine de l’État – ce qui explique que son occupation soit soumise à une redevance –, la gestion de 9 100 km est fonctionnellement assurée par des sociétés concessionnaires (SCA) dont le capital peut appartenir à des entités privées.

Outre le cas des tunnels du Mont-Blanc et de Fréjus, ainsi que des voies permettant d’y accéder, exploités par des sociétés d’économie mixte (SEMCA) dont les parts demeurent majoritairement publiques, et sans revenir sur la distinction, exposée supra, entre les concessions historiques et les concessions récentes, il convient de relever que « de manière remarquable, toutes les SCA privées présentent des liens capitalistiques plus ou moins importants avec des groupes actifs dans le secteur des bâtiments et des travaux publics » ([72]) et que treize de ces dix-sept sociétés appartiennent à trois groupes industriels.

Le groupe Vinci gère 4 450 km d’autoroutes, soit 47 % du linéaire, dont il a tiré 5,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019. Il s’agit de l’autoroute du contournement ouest de Strasbourg (ARCOS), de l’autoroute Artenay‑Courtenay (ARCOUR), des autoroutes du Sud de la France (ASF), de la Compagnie financière et industrielle des autoroutes (COFIROUTE) et de l’autoroute de l’Estérel, de la Côte d’azur et des Alpes (ESCOTA).

Le groupe Eiffage a acquis six sociétés exploitant 2 460 km, soit 28 % du linéaire, pour un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros en 2019 : l’autoroute des Deux-Lacs (ADELAC), la future autoroute A79 que deviendra l’actuelle RN79 après sa transformation (ALIAE), les autoroutes de Paris, du Rhin et du Rhône (APRR), l’Association pour la réalisation et l’exploitation des autoroutes du Rhône et des Alpes (AREA) et la Compagnie d’exploitation du viaduc de Millau (CEVM), ainsi que 65 % de l’autoroute de Gascogne (ALIENOR).

Le groupe Abertis – contrôlé à 50 % et une action par Atlantia, filiale de Benneton, et à 50 % moins une action par Hochtief, filiale d’Actividades de construcción y servicios – possède la Société des autoroutes de Paris et de Normandie (SAPN) et la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF), ainsi que, via cette dernière, 35 % d’ALIENOR. Il exploite donc 1 760 km, soit 19 % du linéaire concédé, pour un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros en 2019 (hors ALIENOR).

Quatre groupes participent au capital d’autres SCA :

– le groupe Fayat détient des parts de la Société de l’autoroute de liaison Barentin Écalles‑Alix (ALBEA) ;

– le groupe NGE possède des actions d’ALBEA, de l’autoroute de liaison du Calvados et de l’Orne (ALICORNE) et de la section de l’autoroute A63 entre Salles et Saint-Geours-de-Maremne (ATLANDES) ;

– le groupe SPIE Batignolles est également au capital d’ALICORNE ;

– le groupe EGIS, dont il faut noter qu’il est lui-même détenu à 75 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), est actionnaire d’ATLANDES et de l’entreprise gérant l’autoroute de liaison Seine‑Sarthe (ALIS).

Les actions résiduelles sont susceptibles de changer de main fréquemment mais il est possible de noter la présence de fonds d’investissement au capital d’ALBEA, d’ALICORNE, d’ALIS et d’ATLANDES ([73]).

Ces SCA sont liées à l’État par des contrats qui, comme leurs avenants, sont approuvés par décret pris après avis du Conseil d’État.

La bonne exécution de leurs obligations légales, réglementaires et conventionnelles est suivie par plusieurs administrations centrales, dont la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et certains services du ministère des finances, ainsi que par l’Autorité de régulation des transports (ART).

II.   Le dispositif proposÉ

À l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, l’article 1er prévoit la nationalisation de seize entreprises signataires d’un contrat de concession autoroutière, c’est-à-dire le rachat par l’État de l’ensemble de leur capital : quinze des dix-sept SCA précitées (sauf ALIAE et ARCOS) et la Société marseillaise du tunnel Prado‑Carénage (SMTPC).

A.   Le cadre juridique d’une nationalisation

Les sixième et dixième alinéas de l’article 34 de la Constitution disposent que « la loi fixe […] les règles concernant les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé ».

Les onzième et seizième alinéas du même article disposent que « la loi détermine les principes fondamentaux […] du régime de la propriété ».

L’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 proclame enfin que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 81‑132 DC du 16 janvier 1982, il est donc loisible au législateur, sous la réserve de ne méconnaître par ailleurs aucune exigence constitutionnelle, de procéder à la nationalisation d’entreprises qu’il désigne.

Assurément, les autoroutes peuvent entrer dans le champ des services publics nationaux dont le neuvième alinéa, précité, du Préambule de la Constitution de 1946 exige la nationalisation : dans sa décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, le Conseil constitutionnel a en effet considéré que « si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas ».

Face au refus du Gouvernement d’avoir recours à la possibilité que lui ouvre l’article 38 de chaque convention avec les SCA, stipulant que « l’État pourra, pour un motif d’intérêt général, racheter la concession par arrêté conjoint du ministre chargé de la voirie nationale, du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé du budget ; ce rachat ne pourra s’exécuter qu’au 1er janvier de chaque année, moyennant un préavis d’un an dûment signifié à la société concessionnaire », il revient à la représentation nationale d’agir.

Au regard de la façon dont le juge et la doctrine ([74]) l’ont défini, l’intérêt général qui s’attache à l’article 1er de la proposition de loi ne fait aucun doute : les opérations de 2002 et de 2006 ont été conduites au détriment des comptes publics, tandis que l’exploitation actuelle des concessions se fait à celui des usagers.

B.   Le coÛt de l’opÉration

La renationalisation des SCA historiques et la nationalisation simple des SCA récentes entraînerait naturellement une dépense pour l’État.

● Sa charge serait de trois ordres : le rachat du capital en lui-même, l’indemnité à laquelle les concessionnaires actuels ont droit – que l’article 38 des contrats, précité, définit comme « correspondant au préjudice subi par elle […] et dont le montant net d’impôt dû au titre de sa perception et après prise en compte de toutes charges déductibles sera égal à la juste valeur de la concession reprise, estimée selon la méthode d’actualisation des flux de trésorerie disponibles » – et les coûts d’exploitation ultérieurs, tenant à la rémunération d’agents et à la réalisation de travaux.

À la connaissance de la rapporteure, deux estimations ont été fournies :

– « la direction des infrastructures de transports a pris l’initiative de missionner, au début de l’année 2013, un conseil financier indépendant, la Royal bank of Canada [d’une] étude de scenarii de reprise des SCA », laquelle a évoqué « un montant indemnitaire global de 44 milliards [qui] doit assurément être considéré comme un maximum absolu » ([75]) ;

– M. Jean-Baptiste Djebarri, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, parlait récemment d’une « gabegie financière de plus de 47 milliards d’euros » ([76]).

Cette dernière prise de parole étonne car, à la question « détaillez le calcul ayant permis au ministre délégué d’informer le Sénat qu’une renationalisation coûterait 47 milliards d’euros en distinguant, pour chaque société concessionnaire, le rachat des actions et les éventuelles provisions pour indemnités ou frais de contentieux puis en estimant les dépenses et les ressources d’une gestion assurée par l’État ou un établissement public », la DGITM n’a fourni aucune réponse à la rapporteure au prétexte que le Gouvernement ne travaillerait pas sur une telle hypothèse.

L’Autorité de régulation des transports a indiqué qu’« à partir des plans d’affaires prévisionnels des SCA dont ils disposent et en retenant, dans une approche conservatrice, le taux d’actualisation implicitement utilisé par l’État et les SCA lors de la négociation du PIA, la valorisation annoncée par le ministre délégué aux transports ne semble pas incohérente » ([77]).

● Faute d’alternative, la rapporteure propose de retenir cette base et d’en soustraire d’importantes sommes.

M. le Président de la République, alors ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, avait indiqué lors des débats autour du projet de loi de 2015, précité, désormais connu sous son nom, que « le coût de 40 milliards à 55 milliards d’euros peut être ramené à 20 milliards d’euros » ([78]).

Pour sa part, la rapporteure estime qu’une nationalisation coûterait autour de 15 à 16 milliards d’euros : sans l’écarter, une indemnisation devrait voir son montant minoré.

En effet, pourraient être retranchés de l’étiage gouvernemental :

– 12 milliards d’euros tenant à la différence entre la quinzaine de milliards d’euros perçus par les SCA au titre du plan de 2015 et le seuil des aides d’État, dans la mesure où la Commission européenne avait estimé qu’un montant supérieur à 3,2 milliards d’euros pourrait être requalifié, car contraire à l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;

– entre 550 millions d’euros ([79]) et 1,5 milliard d’euros ([80]) pour les reliquats figurant dans les comptes pour travaux de renouvellement et les provisions pour la reconstitution des biens de retour à leur valeur initiale d’achat ; le juge administratif a en effet récemment affirmé avec force que ces biens reviennent à l’autorité concédante ([81]), alors que, pour les SCA, ces charges ont déjà été compensées via les mécanismes applicables aux travaux ;

– 11,7 milliards d’euros de recettes supplémentaires que l’État aurait pu percevoir s’il était établi que les dotations pour amortissement pratiquées par les SCA étaient illégales (en premier lieu, la déduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés des sommes correspondant à la dépréciation des biens est tolérée pour les cocontractants de la puissance publique, non propriétaires du domaine qu’ils exploitent, lorsque la durée d’une convention est insuffisante pour reconstituer leur investissement, sous des conditions strictes et cumulatives – or, dans le cas d’espèce, la doctrine a pu douter de la réunion de ces conditions ([82]) – et, en second lieu, l’ordre de grandeur correspond à une règle de trois entre le gain de 3,9 milliards d’euros affiché par ASF ([83]) et le fait qu’elle gère environ un tiers du linéaire concédé) ;

– 6,5 milliards d’euros à raison de la moins-value résultant de la maîtrise imparfaite du processus d’ouverture puis de cession du capital des SCA historiques entre 2002 et 2006, puisque ces sommes, qui n’ont naturellement pas été touchées indûment par les entreprises privées concernées, n’ont en revanche plus besoin d’être remboursées compte tenu du fait que ces entreprises ont, grâce aux recettes de péage, déjà recouvré leur mise ou qu’elles sont en voie de le faire.

D’autres mécanismes légaux mais pouvant être considérés comme participant d’une forme d’optimisation doivent également être cités :

– d’une part, la déductibilité des emprunts des SCA, présentée supra, allègerait leur effort fiscal de 430 millions d’euros par an ([84]) ;

– d’autre part, la pratique des groupes possédant l’essentiel des SCA de leur faire effectuer des travaux pour le compte de la structure-mère et d’enregistrer la facturation de ceux-ci comme une charge pour ces premières mais comme une recette pour les comptes consolidée de cette dernière pourrait permettre d’en inclure une partie dans le calcul des tarifs, pour un enjeu financier que d’aucuns ont chiffré à 5 milliards d’euros pour ASF entre 2005 et 2020 ([85]) et qu’une extrapolation porterait à 15 milliards d’euros au total.

III.   La position de la commission

Contrairement à l’avis de la rapporteure, la commission a rejeté cet article.

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La commission rejette l’article 1er.

 


Article 2
Gage de recevabilité financière

Rejeté par la commission

I.   L’état du droit

Si le premier alinéa de l’article 89 de l’Assemblée nationale dispose que « le dépôt [des propositions de loi] est refusé lorsqu’il apparaît que leur adoption auraient les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution », à savoir la création ou l’aggravation d’une charge publique ou la réduction des ressources publiques, il est de coutume que le Bureau de l’Assemblée nationale admette le dépôt d’une proposition dont le dispositif constitue une charge dès lors qu’elle est assortie d’un gage de compensation.

Les présidents successifs de la commission des finances ont rappelé que le texte ainsi publié n’est pas purgé de son irrecevabilité et que son éventuelle inscription à l’ordre du jour ouvre la possibilité d’un contrôle incident.

II.   Le dispositif proposÉ

L’article 2 propose :

– par le biais de la « diminution de l’exonération sur la contribution [pour le] climat [et l’]énergie » et de la « diminution du dégrèvement supplémentaire de la taxe intérieure sur la consommation des produits pétroliers », un plus fort assujettissement du gazole utilisé pour la propulsion des véhicules routiers affectés au transport de marchandises ou de personnes lorsque leur masse est supérieure à 7,5 tonnes au titre des taxes intérieures prévues aux articles 265 septies et 265 octies du code des douanes, alors que ces allègements créés en 1999 et 2001 représentaient une perte cumulée de 1,63 milliard d’euros ([86]) ;

– la création d’une taxe additionnelle aux droits assis sur la consommation des tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, dont le produit actuel est estimé à 13,68 milliards d’euros ([87]).

Ce total de 15,31 milliards d’euros semble justement calibré (cf. supra).

III.   La position de la commission

Contrairement à l’avis de la rapporteure, la commission a rejeté cet article.

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*     *

La commission rejette l’article 2.

Après l’article 2

Amendement CF4 de Mme Christine Pires Beaune

M. Jean-Louis Bricout. Il vise à relever de 7,32 à 8,50 euros le tarif de base de la taxe d’aménagement du territoire (TAT) portant sur l’activité des sociétés concessionnaires d’autoroutes, telle qu’elle est établie à l’article 302 bis ZB du code général des impôts.

La TAT contribue à financer les infrastructures, par le biais de l’AFITF.

Les enjeux sont non seulement économiques, mais également écologiques : il s’agit de financer des solutions alternatives au transport routier, qui représente 28,5 % de nos émissions de gaz à effet de serre, et d’internaliser les externalités négatives du transport autoroutier, notamment les pollutions locales ou l’usure des voies annexes.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. La TAT est, avec la redevance domaniale, l’un des deux prélèvements auxquels les SCA sont assujetties de manière spécifique. Son produit, qui devrait être de 567 millions d’euros en 2022, finance l’AFITF dans la limite d’un plafond. De manière incroyable, contrairement à des règles posées par le Conseil d’État en 1950 de manière générale puis répétées en 2013, les SCA ont obtenu que toute hausse de l’un ou l’autre de ces deux impôts soit compensée, par exemple au moyen d’une nouvelle hausse des péages ; voilà une clause qu’il conviendrait de supprimer.

Avis favorable.

M. François Ruffin. J’observe que, quand il s’agit du citoyen, on ne se pose pas trop la question des droits : on peut le confiner, le déconfiner, le reconfiner, lui imposer des couvre-feux à dix-huit heures, dix-neuf heures, vingt heures, lui interdire l’accès aux restos, aux bars et ainsi de suite. Mais quand il s’agit des firmes, on est très respectueux du droit, en particulier du plus sacré d’entre eux : le droit de propriété.

Je salue l’amendement. On nous dit depuis le début de la réunion que la nationalisation n’est pas une solution, mais on ne nous en a pas proposé d’autre ! Il en existe, pourtant. D’abord, le Gouvernement peut refuser dès maintenant la hausse de 2 % des tarifs des péages qui doit intervenir au 1er février. Ensuite, il peut instaurer des pénalités de retard pour les travaux. L’ARAFER avait dénoncé des hausses de tarifs et des travaux surévalués ; sur les 57 opérations d’un plan d’investissement à 803 millions d’euros, l’organisme public estimait que près d’un tiers des travaux sont inutiles ou qu’ils sont déjà prévus dans le contrat d’entretien de base, et, pour 41 % des investissements, que le coût des travaux est surévalué. La dernière solution – en ce sens, l’amendement est de repli – consisterait à augmenter les taxes sur les sociétés d’autoroutes. Nous avons des motifs de le faire : les dividendes colossaux, mais aussi les travaux non effectués, sans aucune transparence.

L’accord initialement passé par Macron et Alexis Kohler – déjà, quand on entend que celui-ci est dans la négociation, c’est le signe qu’il y a un problème ; alors quand il négocie de manière secrète avec les sociétés d’autoroutes…

M. le président Éric Woerth. Monsieur Ruffin, on sait que vous êtes coutumier du fait, mais, s’il vous plaît, ne mettez pas en cause des gens comme ça.

M. François Ruffin. C’est public, monsieur le président ! L’accord en question a été négocié secrètement avec les sociétés d’autoroutes, mais son contenu a fini par être dévoilé car le Conseil d’État a obligé Bercy à publier le protocole d’accord. On a alors vu qu’il contenait une compensation automatique, avec un allongement de la durée des concessions et une augmentation des tarifs des péages à partir de 2019, disproportionnée aux gains pour l’État et les particuliers.

Voilà une série de motifs qui justifient que l’on arrache au moins certaines choses aux sociétés d’autoroutes : à défaut de nationalisation, cela pourrait être l’augmentation de la TAT.

Je n’ai pas moi-même le droit de vote au sein de cette commission, mais j’invite tous mes collègues à voter l’amendement, en cohérence avec ce qu’avait proposé Jean-Baptiste Djebbari avant d’être ministre, comme je l’ai rappelé.

M. Charles de Courson. Je crois me souvenir que les contrats ont été si bien négociés qu’ils permettent de répercuter une hausse des droits spécifiques sur les tarifs des péages – c’est tout de même formidable : un État négocie avec des sociétés privées que les augmentations d’impôts seront payées par l’usager ! Tout cela a été fait en dépit du bon sens ; la Cour des comptes l’a dit et redit.

Dès lors, l’amendement est sympathique, mais ce ne sont pas les sociétés qui paieront, seulement l’usager. Je ne le voterai donc pas.

M. le président Éric Woerth. Voilà pourquoi il y a une autre piste à explorer, contrairement à ce qu’a dit François Ruffin, et qui n’est pas la nationalisation : retravailler le contenu des contrats pour les assouplir afin de respecter à la fois l’actionnaire et le concédant tout en protégeant l’usager, au nom de la liberté de mobilité, par un encadrement plus strict des prix.

Cela dit, les sociétés d’autoroutes font face à un mur d’investissements – pour pourvoir à l’équipement électrique des autoroutes, lutter contre le bruit, etc. On peut toujours contester leurs chiffres à ce sujet, se demander s’ils ne sont pas surévalués ; tout ce que je vois, c’est qu’elles font des investissements, ce qui me ravit dans un pays comme le nôtre où l’entretien des infrastructures a tendance à laisser rapidement à désirer.

M. Charles de Courson. Mon intervention avait trait à la TAT, dite taxe Pasqua : Madame la rapporteure peut-elle nous confirmer que l’augmentation de la fiscalité spécifique sur les sociétés d’autoroutes est répercutée sur les tarifs ?

La commission rejette l’amendement CF4.

Amendement CF2 de Mme Christine Pires Beaune

M. Jean-Louis Bricout. Nous proposons d’abroger le 11° de l’article L. 112‑3 du code monétaire et financier afin de permettre aux pouvoirs publics de mieux contrôler le rythme et l’ampleur des augmentations des tarifs des péages, de manière à mieux équilibrer les intérêts financiers des usagers et ceux des concessionnaires, le tout en cohérence avec la profitabilité théorique des contrats telle qu’elle fut établie au moment de leur conclusion.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Avis favorable.

L’une des grandes raisons de la rentabilité exceptionnelle des SCA est, comme l’ont souligné l’Autorité de la concurrence, la Cour des comptes et le Sénat, que les tarifs des péages progressent au moins au même rythme que l’inflation ; il faut mettre un terme à cette situation.

La commission rejette l’amendement CF2.

Amendement CF1 de Mme Christine Pires Beaune

M. Jean-Louis Bricout. Il vise à inscrire dans la loi la communication au Parlement par le Gouvernement d’un rapport étudiant l’exercice par l’ART de ses compétences relatives aux conditions de l’exploitation du réseau autoroutier par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, ainsi que les effets de cet exercice sur l’économie des concessions et la qualité du service rendu.

Cela permettrait au législateur d’être mieux informé et, le cas échéant, de modifier les dispositions législatives encadrant les relations contractuelles entre l’État concédant et les concessionnaires.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Avis favorable.

L’ART exerce cinq missions vis-à-vis des SCA : elle doit être consultée sur les projets de contrats de concession et d’avenants lorsqu’ils ont une incidence sur les tarifs des péages ou sur la durée de la concession ; effectuer un suivi économique et financier du secteur ; contrôler la passation des marchés par les SCA et le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence ; contrôler les contrats des installations annexes à caractère commercial, avec une modération tarifaire pour la distribution de carburants ; enfin, suivre le système européen de télépéage.

Il est malaisé de dire si les contrôles effectués par l’ART ont entraîné des changements dans les relations entre le concédant – l’État – et les SCA : ni les travaux du Sénat ni les auditions que j’ai menées ne permettent de conclure en un sens positif pour les comptes publics et le portefeuille des usagers. Je suis donc favorable à la remise d’un rapport à ce sujet ; cet amendement pourrait faire consensus.

La commission rejette l’amendement CF1.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

 

 


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   Liste des personnes auditionnÉes

Ministère de la transition écologique et ministère chargé des transports (direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) : MM. Fabien Balderelli, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, sous-directeur des financements innovants, de la dévolution et du contrôle des concessions autoroutières, et Christophe Mascitti, ingénieur divisionnaire des travaux publics de l’État, adjoint au chef du bureau des contrats

Autorité de régulation des transports : M. Bernard Roman, ancien député, ancien président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, ancien Questeur, président

Personnalités qualifiées :

– MM. Paul Cassia, maître des requêtes au Conseil d’État, professeur des universités en droit public (Paris I / Panthéon-Sorbonne), et Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public (institut Léon Duguit de Bordeaux)

– MM. Jean Claude Lagron et Frédéric Labbat (association A10 gratuite)

– M. Daniel Quéro (association 40 millions d’automobilistes)

– M. Gérard Allard (association France nature environnement)

*

*     *

La rapporteure a également reçu une contribution écrite de Mme Hélène Marchal (Union nationale des associations familiales).

 

 


([1]) Cour des comptes, Rapport public annuel pour 2009, 4 février 2009.

([2]) Article L. 1121-1 du code de la commande publique (cf. infra).

([3]) Autorité de la concurrence, Avis n° 14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires.

([4]) Annexe n° 11b de MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel au rapport n° 163 de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le projet de loi de finances pour 2022, enregistré à la présidence du Sénat le 18 novembre 2021.

([5]) Autorité de régulation des transports, Rapport établi en application du deuxième alinéa de l’article L. 122-9 du code de la voirie routière portant synthèse des comptes pour l’exercice 2020, 30 décembre 2021.

([6]) Conseil d’État, 7ème et 2ème SSR, 22 juin 2012, Chambre de commerce et d’industrie de Montpellier c. Service départemental d’incendie et de secours de l’Hérault (req. n° 348676), concl. M. Bertrand Dacosta (« considérant qu’en vertu de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, un contrat administratif ne peut légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de non-renouvellement qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation ou de ce non-renouvellement »).

([7]) Conseil d’État, Ass., 21 décembre 2012, Commune de Douai (req. n° 342788), concl. M. Bertrand Dacosta, pub. au Recueil.

([8]) Conseil d’État, section des travaux publics, 26 avril 2018, Diverses questions de droit des concessions concernant un projet d’aéroport et le réaménagement d’un aéroport (avis n  394398). 

([9]) Rapport n° 709 de M. Vincent Delahaye, fait au nom de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières, présidée par M. Éric Jeansannetas, enregistré à la présidence du Sénat le 16 septembre 2020.

([10]) Directives nos 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992, 93/36/CEE du Conseil du 14 juin 1993, 93/37/CEE du Conseil du même jour et 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1997 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux.

([11]) M. Vincent Delahaye, op cit.

L’établissement mentionné in fine a été créé par le I de l’article 3 de la loi n° 2002-3 du 3 janvier 2002 relative à la sécurité des infrastructures et systèmes de transport, aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre ou aérien et au stockage souterrain de gaz naturel, d’hydrocarbures et de produits chimiques en vue de « concourir à la mise en œuvre de la politique intermodale des transports […] par le financement des investissements nécessaires ».

([12]) Cour des comptes, Référé n° 2007-445-3.

([13]) Compte rendu de la séance publique unique du 8 juin 2005 à l’Assemblée nationale.

([14]) Cour des comptes, op. cit.

([15]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([16]) Cour des comptes, op. cit.

([17]) Ibid.

([18]) Autorité de la concurrence, op. cit.

([19]) Autorité de régulation des transports, Rapport portant synthèse des comptes pour l’exercice 2020, préc.

([20]) Conseil d’État, 5ème et 3ème SSR, 13 mai 1977, COFIROUTE (req. n° 01139), APEL (req. n° 01146), ACOBA (req. n° 01147) et AREA (req. n° 01159), concl. M. Michel Morisot, pub. au Recueil.

([21]) Conseil d’État, 7ème et 10ème SSR, 30 septembre 1996, Société stéphanoise des eaux (req. n° 156176) et Ville de Saint-Étienne (req. n° 156509), concl. M. Stéphane Fratacci, pub. au Recueil.

([22]) Conseil d’État, Ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice de la médecine libérale à l’hôpital (req. n° 293229), concl. M. Christophe Devys, pub. au Recueil.

([23]) Conseil d’État, Ass., 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux (req. n° 59928), concl. M. Pierre Chardenet, pub. au Recueil.

([24]) Autorité de régulation des transports, Rapport établi en application du premier alinéa de l’article L. 122-9 du code de la voirie routière sur l’économie générale des concessions autoroutières, 4 novembre 2020.

([25]) Ibid.

([26]) MM. Jean-Baptiste Vila et Yann Wels, « L’équilibre économique des autoroutes et la couverture du risque : une lapalissade juridique étatisée », in La semaine juridique n° 2020-48, 30 novembre 2020.

([27]) Office of fair trading, Assessing profitability in competition policy analysis (n° OFT657), juillet 2003.

([28]) Autorité de la concurrence, op. cit.

([29]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([30]) Mme Aziliz Le Corre, « Nationalisation des autoroutes : que dit le droit ? », in Le Figaro, 10 septembre 2021.

([31]) Autorité de régulation des transports, Rapport portant synthèse des comptes pour l’exercice 2020, préc.

([32]) Lesquels disposent respectivement que « l’indexation automatique des prix de biens ou de services est interdite » et que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur […] le niveau général des prix ou sur les prix des biens ».

([33]) Protocole entre l’État et APRR, AREA, ASF, COFIROUTE, ESCOTA, SANF et SAPN, 9 avril 2015.

([34]) Décret n° 2018-960 du 6 novembre 2018 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’État et les sociétés APRR et AREA.

([35]) Cour des comptes, Rapport public annuel pour 2008, 6 février 2008.

([36]) Cour des comptes, Les relations entre l’État et les SCA (en application du 2° de l’article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances), 24 juillet 2013.

([37]) Rapport n° 2476 de M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 17 décembre 2014.

([38]) Conseil d’analyse économique, Infrastructures de transport, mobilité et croissance, 30 août 2007.

([39]) Autorité de la concurrence, op. cit.

([40]) Conseil d’État, 27 juillet 1932, Léonard.

([41]) Conseil d’État, 22 février 1952, Société d’exploitation Ingrand (req. n° 70901), pub. au Recueil.

([42]) Conseil d’État, 31 mai 1907, Sieur Deplanque c. Ville de Nouzon (req. n° 16342), concl. M. Jean Romieu, pub. au Recueil.

([43]) Conseil d’État, 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen (req. n° 94624), concl. M. Paul Arrivière, pub. au Recueil.

([44]) Conseil d’État, Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval (req. n° 32401), concl. M. Jean Kahn, pub. au Recueil.

([45]) Conseil d’État, 2ème et 6ème SSR, 2 février 1983, Transports publics urbains et régionaux (req. n° 34027), concl. M. Renaud Denoix de Saint-Marc, pub. au Recueil.

([46]) Conseil d’État, 11 juillet 1941, Hôpital-Hospice de Chauny (req. n° 60158), pub. au Recueil.

([47]) Conseil d’État, Ass., 2 février 1987, Sociétés TV6 et France 5 (req. nos 81131, 82432, 82437 et 82443), concl. M. Marc Fornacciari, pub. au Recueil.

([48]) Conseil d’État, 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, préc.

([49]) Conseil d’État, sect., 14 avril 1961, Ministre de la reconstruction et du logement c. Société sud-aviation (req. n° 32468), concl. M. Claude Heumann, pub. au Recueil.

([50]) Conseil d’État, Ass., 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg (req. n° 89655), concl. M. Pierre Josse, pub. au Recueil.

([51]) Conseil d’État, 11 mars 1910, Compagnie générale française des tramways (req. n° 16178), concl. M. Léon Blum, pub. au Recueil.

([52]) Autorité de la concurrence, op. cit.

([53]) Autorité de régulation des transports, Rapport sur l’économie générale des concessions autoroutières, préc.

([54]) Cour des comptes, op. cit.

([55]) Autorité de la concurrence, op. cit.

([56]) Ibid.

([57]) MM. Jean-Baptiste Vila et Yann Wels, « Convoquons les États généraux du droit pour les concessions d’autoroutes ! », in La semaine juridique n° 2020-48, 30 novembre 2020.

([58]) Commission européenne, Décision n° 2014-7850, 28 octobre 2014.

([59]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([60]) Cour des comptes, Référé n° S2018-4023, 23 janvier 2019.

([61]) Conseil d’État, Ass., 17 juillet 1950, Chouard (req. n° 01645), concl. M. François Gazier, pub. au Recueil.

([62]) Conseil d’État, 7ème et 2ème SSR, 16 décembre 2013, Société des autoroutes Esterel-Côte d’Azur-Provence-Alpes (req. n° 369304), concl. M. Bertrand Dacosta, pub. au Recueil.,

([63]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([64]) Décret n° 2018-960 du 6 novembre 2018, préc.

([65]) Autorité de régulation des transports, op. cit.

([66]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([67]) M. Jean-Paul Chanteguet, op. cit.

([68]) Réponses de l’Autorité de régulation des transports au questionnaire transmis par la rapporteure.

([69]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([70]) M. Jean-Paul Chanteguet, op. cit.

([71]) Ibid.

([72]) Autorité de régulation des transports, op. cit.

([73]) Autorité de régulation des transports, op. cit.

([74]) Mme Noëlle Lenoir, ancienne ministre, membre honoraire du Conseil constitutionnel, « L’intérêt général, norme constitutionnelle », in Les cahiers constitutionnels de Paris I, 6 octobre 2006.

([75]) M. Jean-Paul Chanteguet, op. cit.

([76]) Compte rendu de la séance publique unique du 6 mai 2021 au Sénat.

([77]) Réponses de l’Autorité de régulation des transports au questionnaire transmis par la rapporteure.

([78]) Compte rendu de la séance publique unique du 9 avril au Sénat.

([79]) M. Vincent Delahaye, op. cit.

([80]) MM. Jean-Baptiste Vila et Yann Wels, « L’équilibre économique des autoroutes… », préc.

([81]) Conseil d’État, 10ème et 9ème CR, 18 octobre 2018, Société Électricité de Tahiti (req. n° 420097), concl. M. Édouard Crépey, pub. au Recueil.

([82]) MM. Jean-Baptiste Vila et Yann Wels, op. cit.

([83]) Autoroutes du sud de la France, Rapport financier annuel, 31 décembre 2019.

([84]) Autorité de la concurrence, op. cit.

([85]) MM. Jean-Baptiste Vila et Yann Wels, op. cit.

([86]) Notices nos 800221 et 800222 du tome II de l’annexe Voies et moyens jointe au projet de loi de finances pour 2022.

([87]) Tome I de l’annexe Voies et moyens précitée.