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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 321


SÉNAT

 

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale
le 5 janvier 2022

 

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 janvier 2022

 

RAPPORT

 

FAIT

 

au nom de la commission mixte paritaire (1) chargée de proposer un texte               sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes,

 

 

par Mme Carole GRANDJEAN,
Rapporteure,

Députée
 

 

par Mme Frédérique PUISSAT,
Rapporteur,

Sénateur
 

 

 

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente ; Mme Fadila Khattabi, députée, viceprésidente ; Mme Frédérique Puissat, sénateur, Mme Carole Grandjean, députée, rapporteurs.

 

Membres titulaires : Mmes Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, MM. Jean-Luc Fichet, Olivier Jacquin, Dominique Théophile, sénateurs ; M. Dominique Da Silva, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, MM. Stéphane Viry, Gérard Cherpion, Mme Michèle de Vaucouleurs, députés.

 

Membres suppléants : Mmes Florence Lassarade, Annie Delmont-Koropoulis, Pascale Gruny, M. Olivier Henno, Mme Annie Le Houerou, M. Stéphane Artano, Mme Cathy Apourceau-Poly, sénateurs ; M. Sylvain Maillard, Mme Fiona Lazaar, MM. Boris Vallaud, Paul Christophe, Mme Valérie Six, M. Michel Castellani, députés.

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale (15ème législ.) :

Première lecture : 4361, 4481 et T.A. 665
 

Sénat :

Première lecture : 868 (2020-2021), 140, 141 et T.A. 33 (2021-2022)
Commission mixte paritaire : 322 (2021-2022)


 

 


- 1 -


 

 

 

 

SOMMAIRE

 

 

 

 

Pages

 

Travaux de la commission mixte paritaire

Tableau comparatif

 

 


- 1 -


Travaux de la commission mixte paritaire

___________

 

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes s’est réunie au Sénat le mercredi 5 janvier 2022.

Elle procède tout d’abord à la désignation de son bureau, constitué de :

– Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente ;

– Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente.

Puis ont été désignées :

– Mme Frédérique Puissat, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;

– Mme Carole Grandjean, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale.

 

*

*      *

 

La commission mixte paritaire procède ensuite à l’examen des dispositions restant en discussion.

Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente. – Permettez‑moi tout d’abord de vous souhaiter une excellente année 2022 !

Notre commission mixte paritaire (CMP) est réunie pour examiner la possibilité de parvenir à un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021‑484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes, qui a été adopté par l’Assemblée nationale le 28 septembre 2021 et par le Sénat le 15 novembre 2021.

Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente. – Je vous adresse également tous mes vœux, en espérant que cette année sera la dernière où nous parlerons du virus !

Merci de nous accueillir à nouveau au Sénat après la CMP sur la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, qui s’est tenue au mois de décembre dernier. J’indique toutefois que les deux prochaines CMP concernant nos commissions, celle sur le projet de loi relatif à la protection des enfants et celle sur les propositions de loi organique et ordinaire relatives aux lois de financement de la sécurité sociale, auront lieu à l’Assemblée nationale. Comme la dernière fois, je me réjouis que nous nous orientions vers un accord entre nos deux chambres.

Mme Frédérique Puissat, sénateur, rapporteur pour le Sénat. – Le projet de loi que notre commission mixte paritaire examine cet après‑midi a pour objet d’organiser un dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants qui y ont recours dans deux secteurs : la conduite de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) et la livraison de marchandises en véhicule à deux ou trois roues.

Ce texte comptait initialement deux articles : l’article 1er, ratifiant l’ordonnance n° 2021‑484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs de plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, et l’article 2, portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes. Le Sénat a ajouté un article 3, visant à définir les thèmes et la périodicité de la négociation obligatoire au niveau de chacun des secteurs concernés. Trois articles sont donc en discussion.

Tout en regrettant la méthode suivie par le Gouvernement, qui choisit de passer par de nouvelles ordonnances, le Sénat a globalement approuvé l’objectif de faire émerger des garanties collectives en faveur des travailleurs des plateformes par la voie du dialogue social. Un accord semble aujourd’hui possible sur ce texte, et je tiens à remercier Carole Grandjean pour nos échanges constructifs en amont de cette réunion.

Nos travaux s’inscrivent cependant dans un contexte européen qui évolue. La Commission européenne a ainsi présenté, le 9 décembre dernier, une proposition de directive pour l’amélioration des conditions d’activité des travailleurs des plateformes qui introduit notamment une présomption de salariat avec un renversement de la charge de la preuve au bénéfice de ces travailleurs lorsque certains critères sont vérifiés. Même si le processus législatif européen est long et encore en discussion, nous légiférons donc avec un horizon temporel limité, en considérant néanmoins que le travail qui sera conduit en France dans l’intervalle ne pourra être que profitable au rééquilibrage du rapport de force entre les travailleurs et les plateformes.

Le Sénat a approuvé la ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 sous réserve de quelques modifications. Je me félicite de pouvoir vous proposer, en accord avec Carole Grandjean, de conserver deux amendements du Sénat relatifs à la nouvelle Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) : d’une part, l’objet de cet établissement public restera circonscrit à la régulation du dialogue social – et non des « relations sociales » – entre les travailleurs et les plateformes des deux secteurs concernés ; d’autre part, nous ne reviendrons pas sur la suppression de la présence d’un député et d’un sénateur au conseil d’administration de cet établissement public sous la tutelle de l’État, et nous ferons ainsi l’économie d’un nouvel organisme extraparlementaire, conformément à la volonté du Sénat de rationaliser la participation des parlementaires à ces organismes.

En revanche, il semble préférable de renoncer au « droit d’option » que le Sénat a prévu concernant les travailleurs qui seraient électeurs dans les deux secteurs d’activité, car sa mise en œuvre s’écarterait du droit commun applicable aux salariés et pourrait engendrer des freins opérationnels à l’organisation des premières élections.

À l’article 2, le Sénat n’a pas souhaité rejeter l’ensemble de l’habilitation à prendre de nouvelles ordonnances, mais a tâché d’opérer un tri afin de la restreindre aux dispositions apparaissant comme les plus urgentes ou techniques. Il a ainsi supprimé tous les éléments de l’habilitation concernant l’organisation du dialogue social au niveau de chaque plateforme, considérant que les principaux enjeux du dialogue social en matière de régulation de l’économie des plateformes se situent au niveau sectoriel et que la mise en place d’un dialogue social de plateforme interviendra éventuellement dans un second temps. Nous vous proposerons de maintenir ces modifications, ce qui représente de mon point de vue un gage déterminant.

Le Sénat a en conséquence fixé la durée de l’habilitation à six mois, le délai de douze mois prévu par l’Assemblée nationale nous ayant paru excessif pour la mise en place du seul dialogue social de secteur. Sur ce point, nous vous proposerons d’adopter une position intermédiaire en fixant à neuf mois le délai pour prendre les ordonnances. Je rappelle que le texte déposé prévoyait une durée d’habilitation de dix‑huit mois.

Le Sénat a par ailleurs supprimé les alinéas visant à confier à l’ARPE un rôle de médiation entre plateformes et travailleurs, d’une part, et un rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs, d’autre part. La rédaction qui vous sera soumise en accord avec Carole Grandjean réintègre ces alinéas en tenant compte des réserves du Sénat : le rôle de médiation de l’ARPE ne concernera ainsi que les relations entre les représentants des travailleurs et les plateformes, et son rôle d’expertise s’exercera dans le cadre de sa mission de régulation du dialogue social.

Enfin, le Sénat a souhaité inscrire directement dans le projet de loi les règles concernant les thèmes et la périodicité de la négociation obligatoire sectorielle. Il a ainsi précisé, à l’article 3, que les organisations représentatives au niveau d’un secteur devraient obligatoirement négocier, selon une périodicité fixée par accord collectif et au moins tous les quatre ans, sur trois thèmes structurants communs aux deux secteurs : la fixation du prix des prestations, le développement des compétences professionnelles et la prévention des risques professionnels. Le renvoi à une ordonnance a en conséquence été supprimé à l’article 2.

Il ne paraît pas possible à ce stade d’aboutir à une rédaction commune de ces dispositions, en raison notamment des incertitudes qui demeurent sur leur compatibilité avec le droit européen de la concurrence. Nous vous proposons donc de les rétablir à l’article 2 sous la forme d’une habilitation dont le champ serait précisé, en inscrivant clairement que les thèmes de négociation doivent notamment inclure les trois thèmes identifiés par le Sénat. L’article 3 serait, en cohérence, supprimé.

Au total, le texte que nous vous proposons d’adopter constitue un pari, à la fois parce que le résultat du processus de désignation des représentants des travailleurs concernés et de la mise en place d’un dialogue social avec les plateformes est incertain, et parce que cette approche ne s’est pas encore imposée au niveau européen. Toutefois, je reste convaincue qu’il s’agit d’une voie de régulation féconde pour les secteurs concernés, qui peut améliorer les protections aujourd’hui insuffisantes dont bénéficient les travailleurs indépendants, sans compromettre les opportunités économiques offertes par le développement des plateformes.

Mme Carole Grandjean, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – Le projet de loi que notre commission mixte paritaire est appelée à examiner confère à une catégorie de travailleurs de plus en plus nombreux, les chauffeurs de VTC et les livreurs de marchandises à deux roues, soit plus de 50 000 personnes, le droit de désigner des représentants chargés de dialoguer avec les plateformes numériques auxquelles ils recourent pour leur activité.

Vous le savez, l’émergence de ces plateformes et, avec elle, l’apparition d’une nouvelle organisation du travail n’ont pas manqué de soulever des interrogations d’ordre juridique à la fois nombreuses et complexes portant, entre autres, sur le statut des travailleurs ou leurs droits sociaux, aussi bien en France qu’à l’étranger. Le besoin de régulation est fort et il est nécessaire d’agir.

Le présent projet de loi s’inscrit dans le prolongement de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, qui, la première, a posé le principe de la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants dès lors qu’elles déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent son prix. Cette responsabilité consiste dans la prise en charge d’une assurance couvrant le risque d’accident du travail, et également dans la prise en charge de la contribution à la formation professionnelle et des frais d’accompagnement des actions de formation permettant de faire valider les acquis de l’expérience.

Il s’inscrit aussi dans le prolongement de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), qui a ajouté de nouvelles pierres à l’édifice encore récent de la responsabilité sociale des plateformes numériques, leur reconnaissant par exemple la possibilité d’établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de cette responsabilité. Cette loi a également ouvert la voie à la construction d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs indépendants qui exercent dans les secteurs de la conduite de VTC et de la livraison de marchandises à deux roues, en autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine législatif afin de déterminer les modalités de représentation de ces travailleurs et les conditions d’exercice de cette représentation.

C’est sur ce fondement qu’a vu le jour l’ordonnance du 21 avril 2021, qui insère dans le titre IV du livre III de la septième partie du code du travail un ensemble de dispositions. L’article 1er du projet de loi ratifie cette ordonnance.

Parce qu’il n’est pas envisageable de s’en tenir là, l’article 2 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires à la poursuite de l’édification du dialogue social dans les secteurs que j’ai mentionnés – conduite de VTC et livraison de marchandises à deux roues.

À l’origine, cet article revêtait un quadruple objet : compléter les dispositions organisant le dialogue social de secteur ; fixer les règles organisant le dialogue social au niveau de chacune des plateformes relevant des deux secteurs d’activité concernés ; doter l’ARPE de nouvelles prérogatives ; et enfin, étendre les obligations incombant aux plateformes à l’égard des travailleurs afin de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité.

Le 28 septembre 2021, l’Assemblée nationale adoptait ce texte, non sans l’avoir enrichi sur quelques points. Elle a notamment précisé que les représentants des travailleurs et des plateformes pourront recourir à une expertise portant sur les éléments nécessaires à la négociation des accords de secteur, que j’appelais tout particulièrement de mes vœux.

Le Sénat a apporté des contributions importantes. Il a supprimé les dispositions ayant trait à l’édification d’un dialogue social au niveau des plateformes et a introduit un article posant des règles de droit substantiel touchant aux domaines et à la périodicité de la négociation obligatoire au niveau des deux secteurs d’activité précédemment évoqués – cette solution a été préférée à celle qui consistait à laisser à l’ordonnance le soin de définir ces règles.

Je veux remercier très sincèrement Frédérique Puissat, ainsi que les sénateurs, pour leur écoute et leur engagement en faveur de la recherche de solutions consensuelles, par‑delà nos divergences de points de vue, bien naturelles au demeurant.

Le texte de compromis que nous vous proposons aujourd’hui traduit, me semble‑t‑il, un équilibre entre les volontés des deux assemblées.

À l’article 1er, il nous a semblé préférable de ne pas imposer aux travailleurs qui exercent à la fois une activité de conduite de VTC et de livraison de marchandises d’avoir à choisir un secteur plutôt qu’un autre pour exercer leur droit de vote. Cette solution présentait le risque de complexifier l’organisation des élections.

Du reste, il nous est apparu opportun de recentrer le rôle de l’ARPE sur la régulation du dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs qui leur sont liés par un contrat commercial plutôt que sur la régulation des relations sociales entre les deux parties d’une manière générale.

À l’article 2, les points de divergence entre les deux assemblées ont également été levés un à un.

En premier lieu, la suppression de l’habilitation à légiférer par ordonnance pour organiser le dialogue social au niveau de chacune des plateformes relevant des secteurs de la conduite de VTC et de la livraison de marchandises à deux roues a été maintenue, les réserves exprimées par le rapporteur Frédérique Puissat sur son caractère prématuré ayant été entendues.

En deuxième lieu, le souci partagé par les deux assemblées d’encadrer davantage les futures dispositions relatives à la périodicité et au champ de la négociation collective au niveau des secteurs trouve une traduction dans le cadre de l’habilitation à légiférer par ordonnance, plutôt que dans un nouvel article – en l’espèce l’article 3 – inscrivant d’ores et déjà ces dispositions dans le code du travail.

Ainsi, la solution que nous vous proposons de retenir consiste à prévoir que l’ordonnance définira les thèmes et la périodicité de la négociation collective et que – point essentiel – ces thèmes incluront notamment les modalités de détermination des revenus des travailleurs, les modalités du développement de leurs compétences professionnelles et de la sécurisation de leurs parcours professionnels, ainsi que les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels ils peuvent être exposés en raison de leur activité, soit les trois thèmes que le Sénat avait identifiés comme thèmes centraux de la future négociation collective.

En troisième lieu, les nouvelles missions de l’ARPE font l’objet de quelques ajustements dans le texte soumis à votre approbation. Son rôle de médiation ne s’exercera pas entre les plateformes et les travailleurs indépendants, ce qui supposerait qu’elle dispose de moyens considérables, mais entre les premières et les représentants des seconds. Au demeurant, son rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et des travailleurs s’exercera « dans le cadre de sa mission de régulation du dialogue social », par cohérence avec la modification effectuée à l’article 1er.

En quatrième et dernier lieu, il est proposé que le délai de l’habilitation à légiférer par ordonnance soit fixé à neuf mois, comme l’a indiqué Mme le rapporteur pour le Sénat.

Les attentes sont fortes et légitimes ; elles doivent à l’évidence être traduites par une régulation de ce secteur. À cet égard, je forme le vœu que vous adoptiez le texte que Frédérique Puissat et moi‑même vous présentons.

M. Olivier Jacquin, sénateur. – Ce texte baroque a tout de même le mérite de prévoir à l’article 1er la ratification de l’ordonnance visée. Il nous permet aussi d’observer un véritable clivage entre la droite et la gauche, un fait rassurant à l’ère du « en même temps ». En témoigne l’opposition de la gauche, alors qu’il s’agit de construire un dialogue social, ce qui est fort. En effet, derrière cette proposition de dialogue social se cache le piège du « tiers‑statut », sous la forme d’un sous-statut d’indépendant. Je me permets, madame Grandjean, de citer vos propos : « L’objectif est de réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination tel que celui‑ci est défini par la jurisprudence entre les plateformes et les travailleurs », des propos qui n’ont pas été démentis par Mme Borne.

Après l’arrêt de la Cour de cassation de mars 2020, Mme Borne a pointé un risque pour le modèle économique des plateformes, ce qui prouve qu’elle protège plus les plateformes que les travailleurs qui y ont recours.

Concernant la seconde ordonnance qui doit organiser une négociation sur la rémunération des travailleurs, le Conseil d’État parle d’une application incertaine. L’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ne permet pas à des indépendants de dialoguer entre eux sur la rémunération. Aussi, je m’interroge sur la constitutionnalité du dispositif proposé.

Enfin, Mme Puissat a rappelé les travaux de la Commission européenne. Mais, sur le rapport de Sylvie Brunet, le Parlement européen a adopté le 16 septembre dernier une résolution prévoyant la présomption de salariat, une proposition reprise par Nicolas Schmit, le 9 décembre, avec trois idées fortes : la présomption salariale, l’inversion de la charge de la preuve en matière de requalification et une régulation nécessaire de l’algorithme. À cet égard, permettez‑moi de mentionner la proposition de résolution européenne que j’ai déposée le 7 décembre dernier.

Dans ces conditions, nous ne voterons pas le texte proposé par cette CMP, qui nous semble préjudiciable aux droits des travailleurs en créant ce sous-statut d’indépendant, et au respect de l’État de droit.


 

Article 1er

Mme Carole Grandjean, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – La proposition commune de rédaction n° 1 revient sur la précision ajoutée par le Sénat suivant laquelle un travailleur qui exercerait à la fois une activité de conduite d’un VTC et de livraison de marchandises à deux roues serait tenu de choisir un secteur plutôt qu’un autre pour exercer son droit de vote. La mise en œuvre d’une telle restriction soulèverait des difficultés techniques, notamment un travail d’identification préalable des travailleurs, ce qui risquerait de conduire à un report dans le temps du premier scrutin destiné à désigner leurs représentants.

La proposition commune de rédaction n° 1 est adoptée.

L’article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2

Mme Frédérique Puissat, sénateur, rapporteur pour le Sénat. – La proposition commune de rédaction n° 2 fixe à neuf mois, contre six dans le texte du Sénat, la durée de l’habilitation du Gouvernement.

La proposition commune de rédaction n° 2 est adoptée.

Mme Carole Grandjean, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – La proposition commune de rédaction n° 3 rétablit l’habilitation du Gouvernement, adoptée par l’Assemblée nationale, à définir par ordonnance les thèmes et la périodicité de la négociation obligatoire dans le cadre du dialogue social sectoriel. Elle précise toutefois que l’ordonnance devra prévoir que la négociation portera notamment sur les modalités de détermination des revenus des travailleurs, les modalités du développement de leurs compétences professionnelles et de la sécurisation de leurs parcours professionnels ainsi que les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels ils peuvent être exposés en raison de leur activité. Il nous semble important d’ajouter cette précision utile reprenant les thèmes proposés par le Sénat.

La proposition commune de rédaction n° 3 est adoptée.

Mme Frédérique Puissat, sénateur, rapporteur pour le Sénat. – La proposition commune de rédaction n° 4 rétablit, en l’encadrant plus précisément, l’habilitation du Gouvernement à confier par ordonnance à la nouvelle Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi des missions de médiation et d’expertise.

Le rôle de médiation de l’ARPE s’exercerait ainsi entre les plateformes et les représentants des travailleurs indépendants et ne serait donc pas ouvert à l’ensemble de ces travailleurs.

En outre, il est précisé que le rôle d’expertise, d’analyse et de proposition de l’ARPE concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs s’inscrirait dans le cadre de sa mission de régulation du dialogue social.

La proposition commune de rédaction n° 4 est adoptée.

L’article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.


 

Article 3 (nouveau)

L’article 3 est supprimé.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l’ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.

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*          *

.


- 1 -


 

Tableau comparatif

___

 

Texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture
 

Texte adopté par le Sénat en première lecture
 


 

      

      

 

 

 

 

 

 

 

Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes

Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes

 

Article 1er

Article 1er

 

L’ordonnance n° 2021‑484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation est ratifiée.

I. – (Non modifié)

 

II (nouveau).  Le titre IV du livre III de la septième partie du code du travail est ainsi modifié :

 

 L’article L. 73437 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

 

« Les travailleurs qui remplissent la condition mentionnée au premier alinéa pour plusieurs secteurs d’activité mentionnés à l’article L. 73431 choisissent le secteur pour lequel ils exercent leur droit de vote. » ;

 

 À l’article L. 73438, les mots : « de la condition définie » sont remplacés par les mots : « des conditions définies » ;

 

 Au deuxième alinéa de l’article L. 73451, les mots : « des relations sociales » sont remplacés par les mots : « du dialogue social » ;

 

 Au deuxième alinéa de l’article L. 73452, les mots : « un député et un sénateur, » sont supprimés.

Article 2

Article 2

 

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution le Gouvernement est autorisé, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin :

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin :

1° De compléter les règles organisant le dialogue social de secteur, défini à l’article L. 7343‑1 du code du travail, entre les plateformes mentionnées à l’article L. 7342‑1 du même code et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité, en définissant :

1° De compléter les règles organisant le dialogue social de secteur, défini à l’article L. 7343‑1 du code du travail, entre les plateformes mentionnées à l’article L. 7342‑1 du même code et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité, en définissant :

a) Les modalités de représentation de ces plateformes ;

a) Les modalités de représentation de ces plateformes ;

b) L’objet et le contenu des accords de secteur, notamment leur champ d’application, leur forme et leur durée, ainsi que les domaines et la périodicité de la négociation obligatoire ;

b) L’objet et le contenu des accords de secteur, notamment leur champ d’application, leur forme et leur durée ;

c) Les conditions de négociation, de conclusion et de validité des accords de secteur ;

c) Les conditions de négociation, de conclusion et de validité des accords de secteur ;

d) L’articulation des accords de secteur avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l’article L. 7342‑9 dudit code ainsi qu’avec les accords de plateforme, en déterminant pour quels thèmes de négociation et dans quelles conditions les accords de secteur peuvent primer sur les accords de plateforme, et inversement ;

d) L’articulation des accords de secteur avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l’article L. 7342‑9 dudit code ;

e) Les conditions d’application des accords de secteur ainsi que les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;

e) Les conditions d’application des accords de secteur ainsi que les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;

f) Les conditions dans lesquelles les accords de secteur peuvent être rendus obligatoires, par le biais d’une homologation décidée par l’État, pour toutes les plateformes et tous les travailleurs indépendants compris dans leur champ d’application ;

f) Les conditions dans lesquelles les accords de secteur peuvent être rendus obligatoires, par le biais d’une homologation décidée par l’État, pour toutes les plateformes et tous les travailleurs indépendants compris dans leur champ d’application ;

g) (nouveau) Les conditions dans lesquelles les organisations représentatives des travailleurs de plateformes et des plateformes au niveau des secteurs mentionnés à l’article L. 7343‑1 du même code peuvent recourir à une expertise portant sur les éléments nécessaires à la négociation des accords de secteur et qui peut être d’ordre économique, financier, social, environnemental ou technologique ;

g) Les conditions dans lesquelles les organisations représentatives des travailleurs de plateformes et des plateformes au niveau des secteurs mentionnés à l’article L. 7343‑1 du même code peuvent recourir à une expertise portant sur les éléments nécessaires à la négociation des accords de secteur et qui peut être d’ordre économique, financier, social, environnemental ou technologique ;

2° De fixer les règles organisant, au niveau de chacune des plateformes mentionnées à l’article L. 73421 du code du travail relevant des secteurs d’activité mentionnés à l’article L. 73431 du même code, le dialogue social avec les travailleurs indépendants mentionnés à l’article L. 73411 dudit code qui y recourent pour leur activité, en définissant :

2° (Supprimé)



a) Les modalités de représentation des travailleurs indépendants ainsi que les conditions d’exercice de cette représentation, en particulier, le cas échéant, les garanties offertes aux représentants en termes de protection contre la rupture du contrat ;

 

 

b) L’objet et le contenu des accords de plateforme, notamment leur champ d’application, leur forme et leur durée, ainsi que, le cas échéant, les domaines et la périodicité de la négociation obligatoire ;

 

 

c) Les conditions de négociation, de conclusion et de validité des accords de plateforme ;

 

 

d) L’articulation des accords de plateforme avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l’article L. 73429 du même code ;

 

 

e) Les conditions d’application des accords de plateforme ainsi que les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;

 

 

f) Les modalités selon lesquelles les plateformes assurent l’information et la consultation des travailleurs indépendants sur les conditions d’exercice de leur activité ;

 

 

3° De compléter les missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi mentionnée à l’article L. 7345‑1 du code du travail, afin de lui permettre :

3° De compléter les missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi mentionnée à l’article L. 7345‑1 du même code, afin de lui permettre :



a) De fixer, au nom de l’État, la liste des organisations représentatives des plateformes au niveau des secteurs définis à l’article L. 7343‑1 du même code ;

a) De fixer, au nom de l’État, la liste des organisations représentatives des plateformes au niveau des secteurs définis à l’article L. 7343‑1 du même code ;



b) D’homologuer, au nom de l’État, les accords de secteur ;

b) D’homologuer, au nom de l’État, les accords de secteur ;



c) D’exercer un rôle de médiation entre les plateformes et les travailleurs indépendants, notamment en cas de suspension provisoire ou de rupture du contrat commercial à l’initiative de la plateforme ;

c et d) (Supprimés)



d) D’exercer un rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs ;

 

 

4° De compléter les obligations incombant aux plateformes mentionnées à l’article L. 1326‑1 du code des transports à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent, afin de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité :

4° De compléter les obligations incombant aux plateformes mentionnées à l’article L. 1326‑1 du code des transports à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent, afin de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité :



a) En améliorant les modalités selon lesquelles ils sont informés sur les propositions de prestation, notamment en ce qui concerne la destination, et peuvent y souscrire, notamment en disposant d’un délai raisonnable pour se prononcer sur ces propositions ;

a) En améliorant les modalités selon lesquelles ils sont informés sur les propositions de prestation, notamment en ce qui concerne la destination, et peuvent y souscrire, notamment en disposant d’un délai raisonnable pour se prononcer sur ces propositions ;



b) En leur garantissant une marge d’autonomie pour déterminer les modalités de réalisation des prestations, notamment en ce qui concerne l’itinéraire, et les moyens mis en œuvre à cet effet, tels que le matériel utilisé.

b) En leur garantissant une marge d’autonomie pour déterminer les modalités de réalisation des prestations, notamment en ce qui concerne l’itinéraire, et les moyens mis en œuvre à cet effet, tels que le matériel utilisé.



Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.



 

Article 3 (nouveau)

 

 

Le chapitre III du titre IV du livre III de la septième partie du code du travail est complété par des sections 3 et 4 ainsi rédigées :

 

« Section 3

 

« Représentation des plateformes

 

« Section 4

 

« Objet et contenu des accords de secteur

 

« Soussection 1

 

« Domaines et périodicité de la négociation obligatoire

 

« Paragraphe 1

 

« Ordre public

 

« Art. L. 734321.  Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur d’activité mentionné à l’article L. 73431 se réunissent au moins une fois tous les quatre ans pour négocier sur :



 

«  Les modalités de détermination du prix que peuvent obtenir les travailleurs pour leur prestation de services ;



 

«  Les modalités du développement des compétences professionnelles et de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs ;



 

«  Les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité.



 

« Paragraphe 2



 

« Champ de la négociation collective



 

« Art. L. 734322.  Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur d’activité mentionné à l’article L. 73431 peuvent engager, à la demande de l’une d’entre elles, une négociation précisant le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociation dans le secteur considéré.



 

« Art. L. 734323.  L’accord de secteur conclu à l’issue de la négociation mentionnée à l’article L. 734322 précise :



 

«  Les thèmes des négociations et leur périodicité, de telle sorte que soient négociés au moins tous les quatre ans les thèmes mentionnés à l’article L. 734321 ;



 

«  Le contenu de chacun des thèmes ;



 

«  Le calendrier et les lieux des réunions ;



 

«  Les informations que les organisations de plateformes remettent aux négociateurs sur les thèmes prévus par la négociation qui s’engage et la date de cette remise ;



 

«  Les modalités selon lesquelles sont suivis les engagements souscrits par les parties.



 

« La durée de l’accord ne peut excéder cinq ans.



 

« Paragraphe 3



 

« Dispositions supplétives



 

« Art. L. 734324.  À défaut d’accord prévu à l’article L. 734323 ou en cas de nonrespect de ses stipulations, les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur d’activité mentionné à l’article L. 73431 engagent les négociations mentionnées à l’article L. 734321 dans les conditions prévues aux articles L. 734325 et L. 734326.



 

« Art. L. 734325.  Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur se réunissent, au moins une fois par an, pour négocier sur les modalités de détermination du prix que peuvent obtenir les travailleurs pour leur prestation de services.



 

« Art. L. 734326.  Les organisations de travailleurs et de plateformes reconnues représentatives au niveau d’un secteur se réunissent pour négocier, tous les deux ans, sur :



 

«  Les modalités du développement des compétences professionnelles et de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs ;



 

«  Les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité. »

