N° 292

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2022.

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

PAR M. Jean-René CAZENEUVE,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 2
 

 

 

TOURISME

 

(ÉCONOMIE)

 

 

Rapporteure spéciale : Mme Émilie BONNIVARD

 

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

PRINCIPALES OBSERVATIONS DE LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

DONNÉES CLÉS

INTRODUCTION

PremiÈre partie : Le rattachement à la mission Économie : une dÉcision positive et plus cohÉrente avec les besoins de toute la filiÈre touristique mÊme si un ministre de plein exercice demeure nÉcessaire

I. le transfert de crÉdits du programme 185 vers le programme 134

A. du programme 185 au programme 134

1. Le transfert des crédits du tourisme vers la mission Économie

2. L’absence de conséquences sur le budget d’Atout France qui demeure stable

a. Les subventions pour charges de service public d’Atout France sont à un niveau stable

b. L’inconnue de l’équation : le montant de l’attribution d’une part des recettes de droits de visas au profit d’Atout France

B. la politique du tourisme : une politique Économique comme une autre ?

1. L’Économie comme ministère de tutelle : un champ de compétences potentiellement élargi

2. Le tourisme en tant que politique économique per se

II. l’illisibilitÉ des crÉdits du tourisme persiste du fait de leur Éclatement et du caractÈre lacunaire des documents budgÉtaires

A. le plan « destination France » : Des crÉdits introuvables

B. un document de politique transversale qui ne remplit pas son office

1. La surestimation et les explications lacunaires de l’effort financier consacré par l’État à la politique du tourisme

a. La recension biaisée de crédits comme participant de la politique transversale

b. La participation plus crédible, bien que globalement indirecte, de certains programmes budgétaires à la politique du tourisme

2. La nécessité de soumettre au Parlement un document de politique transversale recentré sur le Plan Destination France et amélioré

SECONDe partie : les bons chiffres du tourisme ne doivent pas occulter les dÉfis à venir et la nÉcessité de se doter d’une gouvernance ambitieuse

I. les dÉfis à venir pour le secteur du tourisme : une prudence de mise malgrÉ les bons chiffres retrouvÉs

A. Les bons chiffres du tourisme augurent des perspectives optimistes pour 2023

1. Le rétablissement de la fréquentation et des recettes touristiques de la France

a. Le retour des touristes à partir de 2022

b. Le rattrapage progressif des recettes touristiques

2. La reprise des flux internationaux à mettre en contraste avec la perte de parts de marché en matière de tourisme domestique

B. La matÉrialisation de certains risques appelle À la prudence et à des moyens plus ambitieux pour le tourisme

1. Les défis conjoncturels

a. Les difficultés de recrutement dans le secteur du tourisme altèrent ses résultats

b. L’augmentation des prix de l’énergie et l’inflation grèvent le bilan des entreprises touristiques : un risque majeur pour les stations de sport d’hiver et les emplois qui y sont liés

c. Le remboursement des prêts garantis par l’État empêche toute capacité d’investissement

2. Les défis de long terme : la transition écologique de la filière du tourisme

a. La nécessité de définir une politique claire et ciblée sur la grande majorité de l’impact environnemental du tourisme : les transports

b. L’action du fonds tourisme durable : une action salutaire pour laquelle il faudrait renforcer les crédits budgétaires et donner une visibilité équivalente à l’action lancée sur le recrutement

II. l’urgence de se doter d’une gouvernance forte en matiÈre touristique en rÉponse aux enjeux croissants

A. L’absence d’indicateurs de performance adÉquats et de modÈles d’Évaluation de la politique du tourisme

1. L’inadaptation des indicateurs de performance : l’exemple du document de politique transversale

2. L’inadaptation des indicateurs de performance : l’exemple du programme 134

B. L’urgence de se doter d’une vÉritable gouvernance pour une politique du tourisme ambitieuse

EXAMEN EN COMMISSION

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

 

 

 

 

 

 

 

L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 90 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances.

 


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PRINCIPALES OBSERVATIONS DE LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

La rapporteure spéciale salue le transfert des crédits du tourisme vers la Mission économie, et espère que ce transfert se traduira par une politique économique ambitieuse pour la filière. Elle déplore toutefois toujours l’illisibilité des crédits alloués au tourisme, éclatés dans de multiples missions, rendant peu aisée leur analyse et leur évaluation réelle.

L’aspect le plus notable de ce projet de loi de finances pour 2023 s’agissant du tourisme est donc le rattachement des crédits du tourisme du programme 185 de la mission Action extérieure de l’État vers le programme 134 de la mission Économie. Toutefois, ce transfert ne représente que 35,5 millions d’euros.

Dans le même temps, le plan « Destination France », doté pour sa part d’1,9 milliard d’euros sur trois ans – et qui contient donc les crédits réellement importants à commenter pour le tourisme – est le grand absent des documents budgétaires et même une lecture attentive de toutes les missions budgétaires abondées en faveur de ce plan ne permet pas d’en retracer les crédits.

Le plan « Avenir Montagne », indispensable pour les investissements en faveur du tourisme dans les territoires de montagne, ne dispose pas de crédits supplémentaires pour 2023. La rapporteure spéciale le regrette et recommande donc de lui ouvrir 50 millions d’euros pour le prochain exercice, qu’il faudrait cibler aussi sur la transition écologique des domaines skiables (économies d’énergie des remontées mécaniques, retrofit du parc de pick-up des domaines, dameuses à hydrogène, etc.).

Dans la même logique, le fonds tourisme durable, dont l’action est particulièrement intéressante pour opérer une transition des hôtels et restaurant vers des économies d’énergie notamment, ne dispose pas des 23 millions d’euros de crédits qui devaient lui être attribués pour 2023. La rapporteure ne sait donc pas, à ce stade, si ce fonds sera abondé pour 2023, et, s’il l’est, par quel véhicule juridique il le sera. La rapporteure salue l’organisation du déploiement de ces dispositifs par l’Ademe en lien avec des relais professionnels sur les territoires (CCI, CRT, etc.). Elle préconise d’élargir ce fonds afin qu’il soit à la hauteur de besoins plus coûteux mais aussi plus impactants en matière d’environnement, comme la réhabilitation thermique plus lourde des établissements.

Le document de politique transversale surestime quant à lui l’effort budgétaire de l’État à 8 milliards d’euros, montant contesté par la rapporteure spéciale. Celle-ci considère par ailleurs que ce document mériterait de gagner en qualité plutôt que d’être supprimé, comme le souhaite le Gouvernement. La rapporteure se propose de travailler à un document plus clair, plus crédible, et plus adapté à une réelle lisibilité de l’effort de l’État pour la filière.

 

Enfin, il est nécessaire de se doter d’indicateurs plus précis et adaptés aux nécessaires mutations du tourisme pour faire face à de multiples enjeux, notamment environnementaux. En ce sens, la rapporteure spéciale propose la création d’un nouvel indicateur de performance de la politique du tourisme fondé sur le verdissement des transports touristiques. En effet, les transports constituant 80 % des émissions de gaz à effet de serre du tourisme en France, ne pas s’attaquer à ce sujet reviendrait à être totalement inefficace et à rester dans le registre incantatoire quant à la transition écologique du tourisme.

Compte tenu de ces observations, à la fois positives et marquant toutefois des marges de progrès importantes, la rapporteure s’abstient de donner un avis aux crédits attribués à la politique du tourisme pour 2023.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   DONNÉES CLÉS

 Le budget du tourisme dans le programme 134 de la mission Économie s’élève à 35,5 millions d’euros pour 2023.

 

 Les subventions pour charges de service public de l’opérateur Atout France pour 2023 s’élèvent à 28,7 millions d’euros, soit un montant stable par rapport à 2022.

 

 Ce budget n’est pas exhaustif puisque des plans pluriannuels viennent se superposer à ce budget sans que les documents budgétaires n’en permettent une lecture globale susceptible d’identifier les crédits afférents pour 2023.

 

 Le Plan « Destination France » est doté d’1,9 milliard d’euros sur trois ans et constitue ce faisant le « véritable » budget du tourisme. Toutefois, il est impossible de retrouver les crédits qui abondent ce plan tant ils sont éclatés en divers programmes d’un grand nombre de missions budgétaires différentes ; par conséquent, il est pareillement impossible d’apprécier les crédits de ce plan pour l’année 2023.

 

 Le plan « Avenir Montagne » ne fait l’objet d’aucun réabondement de crédits budgétaires pour 2023, alors que les besoins en investissement des territoires de montagne sont forts et étayés.

 

 Il est regrettable par ailleurs que la construction budgétaire ne dote pas la politique du tourisme d’indicateurs de performance adaptés au poids du tourisme dans l’économie et permettant une véritable évaluation des actions menées, seule en mesure de garantir le déploiement d’une politique publique ciblée et efficace.

 

 Les taux de fréquentation touristique et de recettes tirées du tourisme se rétablissent certes à un niveau proche de celui de 2019. Pour autant, divers risques pèsent sur le secteur du tourisme en 2023 : difficultés de recrutement, augmentation du coût de l’énergie, inflation ; et à plus long terme, impacts environnementaux de l’activité touristique.


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   INTRODUCTION

Il est impossible de présenter un récapitulatif exhaustif des crédits consacrés au tourisme ou même d’exposer l’effort budgétaire global de l’État en faveur de cette politique en raison de documents budgétaires inadaptés, qui ne parviennent pas à donner une vision claire et juste de l’effort budgétaire national relatif au tourisme. Au-delà du budget, ce sont les actions relatives à cette politique elles-mêmes qui, de ce fait, sont difficiles à identifier, à suivre et à évaluer.

En effet, le budget de l’État ne comporte ni mission, ni programme, ni même une action budgétaire dédiée au tourisme. Les crédits du tourisme relèvent de divers plans pluriannuels (« destination France », « Avenir Montagne »,…) dont les moyens sont eux-mêmes éclatés sur un grand nombre de programmes budgétaires relevant souvent de missions différentes. Aucun document budgétaire ne retrace l’intégralité des crédits destinés à ces plans ni ne détaille les actions spécifiques qu’ils permettent de mener. Même en se reportant à chacun des programmes de chacune des missions abondées par ces plans, il est irréalisable d’isoler ceux qui participent de la politique du tourisme. La rapporteure spéciale ne dispose donc pas d’une vue d’ensemble du budget prévisionnel en faveur du tourisme pour 2023.

Le document de politique transversale, dont la raison d’être est précisément de simplifier la lecture du budget de politiques interministérielles n’éclaircit en rien le budget du tourisme. Au contraire, il comptabilise un grand nombre de crédits comme participant à la politique du tourisme sans qu’il n’y ait de lien avéré. Partant, il surestime l’effort budgétaire de l’État. Il ne détaille pas les plans gouvernementaux en faveur du tourisme et donc ne permet pas de les évaluer d’année en année, ce qui est également dommageable pour reconnaître les réussites de cette politique ! Des pans entiers de ce budget semblent ainsi échapper à l’autorisation budgétaire du Parlement.

Les seuls crédits véritablement lisibles du tourisme sont ceux de l’opérateur Atout France, sans évolution notable puisque son budget de 2022 serait reconduit. Le seul changement pour 2023 consiste en son rattachement au programme 134 de la mission Économie alors qu’il relevait auparavant du programme 185 de la mission Action extérieure de l’État.

Outre l’illisibilité des crédits, la rapporteure spéciale relève que les indicateurs de performance de la politique du tourisme manquent de précision et de réflexion et qu’il est primordial de se doter d’outils d’évaluation de qualité pour mener une politique touristique ambitieuse. En effet, la matérialisation d’un certain nombre de risques pour la politique du tourisme impose de se doter d’indicateurs, de moyens d’évaluation et d’une gouvernance budgétaire ambitieuse.

 

   PremiÈre partie :
Le rattachement à la mission Économie : une dÉcision positive et plus cohÉrente avec les besoins de toute la filiÈre touristique mÊme si un ministre de plein exercice demeure nÉcessaire

Le rattachement du budget du tourisme à la Mission Économie est un signal positif en ce qu’il traduit la place centrale du tourisme dans l’économie nationale, bien qu’il demeure insatisfaisant de ne pas bénéficier d’un programme dédié.

I.   le transfert de crÉdits du programme 185 vers le programme 134

L’évolution notable du budget du tourisme pour 2023 est le transfert de ses crédits de la mission Action extérieure de l’État vers la mission Économie, qui semble a priori le reflet d’une prise de conscience légitime de l’importance du tourisme dans l’économie nationale. Pour autant, cela reste sans conséquences concrètes sur le montant des crédits consacrés au tourisme ou sur leur lisibilité.

A.   du programme 185 au programme 134

Les crédits attribués au tourisme se rattachent à une mission budgétaire différente sans qu’il en résulte de changement particulier sur le budget de l’opérateur étatique en matière de tourisme, Atout France.

1.   Le transfert des crédits du tourisme vers la mission Économie

Jusque dans le dernier budget pour 2022, les crédits alloués à la politique du tourisme relevaient de l’action n° 7 Diplomatie économique et développement du tourisme du programme n° 185 Diplomatie culturelle et d’influence de la mission Action extérieure de l’État et – bien que de manière plus résiduelle – dans le programme n° 134 Développement et régulation des entreprises de la mission Économie ; les crédits dédiés au tourisme dans ce programme avaient progressivement, ces dernières années, été réduits à peau de chagrin ([1]).

En vertu de cette répartition, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères détenait la compétence de promouvoir la destination France sur les marchés étrangers et exerçait la tutelle sur l’opérateur Atout France tandis qu’étaient prioritairement du ressort de la direction générale des entreprises la structuration de l’offre et l’élaboration du cadre normatif applicable au tourisme.

Dans le présent projet de loi de finances, le budget de l’action n° 7 du programme n° 185 ne s’élève qu’à 11,9 millions d’euros (AE=CP) alors qu’il atteignait 30,8 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2022. Parallèlement, les crédits initiaux du programme n° 134 sont passés de 1,4 milliard d’euros pour 2022 à 1,8 milliard d’euros dans le présent projet – soit une augmentation de 34 %. Ce sont 35,5 millions d’euros qui ont été transférés du programme n° 185 vers le programme n° 134 pour 2023.

Pour 2023, le budget alloué au tourisme au sein du programme n° 134 est donc de 35,5 millions d’euros, soit 28,7 millions d’euros consacrés aux subventions pour charges de service public versées à l’opérateur Atout France et 6,8 millions provenant du plan « Destination France » eux-mêmes répartis en trois axes : exploitation et partage des données touristiques (700 000 euros) ; développement d’une offre d’ingénierie touristique territoriale (6 millions d’euros) ; élaboration d’un tableau des indicateurs du tourisme durable (100 000 euros).

Sur le programme n° 185, les seuls crédits du tourisme qui subsistent sont ceux du plan « Destination France » visant à développer l’attractivité de la France à l’international, pour 5,85 millions d’euros.

Par ailleurs, + 278 équivalents temps plein travaillé (ETPT) hors État ont été transférés du programme 185 au programme 134.

Ce transfert semble de prime abord refléter une prise de conscience de l’importance du tourisme comme véritable politique économique nationale, et non plus seulement comme un élément de la diplomatie française, sans répercussion toutefois sur le budget d’Atout France.

2.   L’absence de conséquences sur le budget d’Atout France qui demeure stable

L’opérateur Atout France, créé par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, est l’opérateur de l’État en charge du tourisme et poursuit un triple objectif de promotion du tourisme en France, de réalisation d’opérations d’ingénierie touristique et de mise en œuvre d’une politique de compétitivité et de qualité des entreprises du secteur. Il définit la stratégie nationale de promotion de la destination France conformément aux orientations décidées par l’État et veille à fédérer les acteurs privés et publics du tourisme, membres du GIE ou associés à ses actions.

a.   Les subventions pour charges de service public d’Atout France sont à un niveau stable

Les crédits attribués à Atout France par le biais des subventions pour charges de service public (SCSP) sont stables dans le présent projet de loi en comparaison aux précédentes années, notamment 2022.

 

Évolution des subventions pour charges de service public (SCSP)
d’Atout France

(en millions d’euros)

2019

2020

2021

2022

2023

32

29

27,4

28,7

28,7

L’opérateur estime que ce budget prévisionnel est insuffisant pour faire face à l’augmentation des coûts. Toutefois, un budget similaire durant les années de crise sanitaire lui a permis de maintenir la place de la France en tant que destination centrale, tant auprès des clientèles étrangères que nationales. Par ailleurs, l’opérateur n’a pas précisé quelles actions précises il prévoit d’entreprendre pour 2023 et quel en serait le budget adéquat. Auditionné sur ses actions concrètes, l’opérateur n’a en outre pu citer que des actions passées datant de 2020 ou 2021, sans parvenir à préciser sa feuille de route pour 2023.

La rapporteure spéciale note de surcroît que les dépenses de l’opérateur manquent parfois de transparence. Ainsi, par exemple, l’opérateur rémunère régulièrement des influenceurs pour opérer sur les réseaux sociaux à l’appui de ses campagnes de promotion ; il tient une liste de 3 000 d’entre eux pouvant être sollicités. Pour autant, Atout France n’a pas été en mesure de préciser le montant moyen des rémunérations d’influenceurs de manière générale, ni quel budget y serait consacré en 2023, la directrice générale ayant seulement précisé que ces chiffres ne sont pas disponibles, étant entendu que le recrutement des influenceurs fait partie d’actions et campagnes plus globales. Il est étonnant qu’un opérateur ne sache pas pour quels montants il rémunère des acteurs qu’il recrute pourtant lui-même.

b.   L’inconnue de l’équation : le montant de l’attribution d’une part des recettes de droits de visas au profit d’Atout France

En complément des subventions pour charges de service public, Atout France perçoit une part des recettes des droits de visas ; cette taxe affectée lui est versée directement et son montant est tributaire du nombre de visas accordé chaque année. Le montant qui sera attribué à ce titre à l’opérateur pour 2023 demeure inconnu mais devrait se rétablir par rapport aux deux dernières années compte tenu du retour massif, avec des chiffres se rapprochant de 2019, des clientèles étrangères sur le territoire français. Il est essentiel que l’État maintienne le ciblage des recettes des visas à la Promotion.

Si le rattachement des crédits du tourisme à la mission Économie ne change pas le budget d’Atout France, il semblerait toutefois qu’il ait un effet sur l’importance de la politique du tourisme comme une politique économique à part entière.

B.   la politique du tourisme : une politique Économique comme une autre ?

Le rattachement des crédits du tourisme au ministère de l’Économie, des finances et de la relance semble acter la qualité de véritable politique économique de la politique du tourisme nécessitant la tutelle de Bercy.

1.   L’Économie comme ministère de tutelle : un champ de compétences potentiellement élargi

Le portefeuille de la ministre déléguée Olivia Grégoire n’est pas une innovation puisqu’elle a ce faisant retrouvé un champ de compétences similaire à celui de Michel Crépeau de 1983 à 1986 lorsqu’il était ministre du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme. En comparaison avec le ministère chargé des affaires étrangères, dont dépendait auparavant le tourisme, ce nouveau rattachement confère potentiellement à la ministre en charge du tourisme un appui auprès du ministre de l’Économie, qui détient une très large compétence et pèse fortement dans les arbitrages interministériels. Cette modification de la maquette budgétaire s’accorde donc au fait que la politique du tourisme constitue par essence une politique transversale appelant des réponses coordonnées au niveau interministériel et le recours fréquent à des arbitrages.

Au-delà de ces compétences plus larges du ministère de tutelle, le rattachement de la politique du tourisme au ministère de l’Économie, des finances et de la relance semble acter le poids primordial de ce secteur au sein de l’économie nationale ; il ferait du tourisme une véritable politique économique nationale.

2.   Le tourisme en tant que politique économique per se

Le secteur du tourisme est crucial pour l’économie nationale puisqu’il représente près de 8 % du PIB de la France et qu’il génère deux millions d’emplois directs et indirects : il est non seulement le vecteur de l’influence de la France à l’étranger, mais également créateur d’emplois, de valeur ajoutée, de qualification, d’intégration et de promotion.

Le changement de tutelle reflète le fait que le tourisme n’est plus par essence un élément internationalisé ou internationalisant ; il est aussi un élément fédérateur de la politique nationale. La politique du tourisme doit non seulement se donner l’objectif d’attirer sur le sol français un grand nombre de touristes étrangers mais aussi, par exemple, de permettre au plus grand nombre de Français de partir en vacances à la découverte des territoires nationaux.

Pour ces raisons, la rapporteure spéciale se réjouit du transfert des crédits du tourisme vers le programme n° 134 de la mission Économie – depuis plusieurs années déjà, elle pointait dans ses rapports le non-sens du rattachement au ministère chargé des Affaires étrangères. Elle regrette toutefois que la piste de la création d’un ministère entièrement dédié au tourisme n’ait pas été envisagée en ce qu’elle permettrait de développer une véritable stratégie à long terme pour doter la France d’une politique touristique plus ambitieuse.

Malgré cet élément positif, le projet de loi de finances pour 2023 demeure caractérisé par l’illisibilité des crédits du tourisme, éclatés en divers programmes de différentes missions. Leur simple identification est laborieuse.

II.   l’illisibilitÉ des crÉdits du tourisme persiste du fait de leur Éclatement et du caractÈre lacunaire des documents budgÉtaires

L’impression d’un budget ordonné centralisé autour d’un ministère unique de tutelle est mise à mal par la réalité de l’éclatement des crédits du tourisme.

A.   le plan « destination France » : Des crÉdits introuvables

Le plan « Destination France » représente, aux yeux de la rapporteure spéciale, le véritable budget du tourisme : en comparaison aux 35,5 millions d’euros transférés au programme 134, ce plan ne représente pas moins de 1,9 milliard d’euros. Il avait été annoncé par le Premier ministre en novembre 2021 avec l’objectif affiché de fixer sur dix ans une trajectoire de développement et de transformation du secteur touristique. Sur ce budget global, 1,2 milliard d’euros est constitué de prêts et d’outils financiers de la Banque publique d’investissement et de la Banque des territoires tandis que l’effort financier de l’État sur ses fonds propres en aide directe s’élève à 650 millions d’euros – parmi lesquels 110 millions auraient déjà été engagés. Les actions de ce plan les plus intéressantes à analyser sont celles relatives à l’emploi et à la transition écologique des entreprises du tourisme. Toutefois, les documents budgétaires pour 2023 ne contiennent nulle part les détails de ce plan et son budget pour 2023, ce qui en rend impossible tout commentaire.

En effet, les crédits relatifs au plan « Destination France » ne se trouvent pas dans un document unique mais sont morcelés en divers documents budgétaires. Le document de politique transversale, dont la raison d’être est précisément d’unifier la lecture du budget d’une politique aux aspects particulièrement transversaux, ne mentionne lui-même qu’une infime partie des crédits de ce plan, à savoir les 6,8 millions d’euros de « Destination France » qui relèvent du programme 134 de la mission Économie et qui sont gérés par la direction générale des entreprises. Il est également mentionné dans le document de politique transversale que le plan « Destination France » poursuivra en 2023 son déploiement, en précisant que ses priorités pour cette année consisteront en la transition écologique et la sobriété énergétique, la coupe du monde de rugby 2023 et les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, ainsi que les pistes de modernisation de la réglementation en vigueur. Toutefois, le document n’aborde aucunement ni les actions concrètes qui seront menées dans ce cadre, ni les crédits qui y sont consacrés pour l’année 2023 ([2]).

Le plan « Destination France »

L’objectif de ce plan est de conforter la France dans sa place de première destination touristique mondiale et de devenir la première destination en termes de tourisme durable en transformant la filière touristique vers un modèle plus qualitatif, durable et résilient, en phase avec les nouvelles exigences écologiques.

Il repose sur 20 mesures construites autour de 5 axes :

Axe 1. Conquérir et reconquérir les talents :

1. Lancer une grande campagne nationale de communication et instituer une semaine des métiers du tourisme pour valoriser les métiers et carrières du secteur, notamment auprès des jeunes.

2. Déployer des guichets d’accueil et d’orientation des saisonniers dans les territoires touristiques.

3. Créer un réseau d’excellence des écoles et formations du tourisme chargé de renforcer et de rendre attractives et visibles les formations du tourisme, permettant la création de 400 places d’étudiants entre 2022 et 2024.

Axe 2. Renforcer la résilience du secteur et soutenir la montée en qualité de l’offre :

4. Renforcer l’offre publique de prêts de long terme en faveur du tourisme sur les deux prochaines années. La montée en qualité de l’hôtellerie-restauration des villes moyennes doit faire l’objet d’un soutien spécifique pour revitaliser ce segment nécessaire à l’attractivité touristique des territoires.

5. Simplifier le cadre réglementaire pour encourager l’investissement dans les secteurs de l’hôtellerie de plein air et les résidences de tourisme.

6. Soutenir à hauteur de 100 millions d’euros les acteurs du tourisme d’affaires et de l’évènementiel.

7. Mettre en place un mécanisme de réassurance publique pour sécuriser le marché de la garantie financière des opérateurs de voyages et de séjours.

8. À travers France Tourisme Observation, structurer et valoriser les données touristiques au profit d’une meilleure connaissance du secteur par ses acteurs.

9. Soutenir financièrement le départ en vacances de 50 000 jeunes et 100 000 séniors en situation de précarité par an d’ici 2025 et favoriser l’offre de tourisme social pour les ultramarins.

Axe 3. Valoriser et développer les atouts touristiques français :

10. Créer, au sein d’un fonds « Destination France », un volet de 51 millions d’euros consacré au soutien et au développement des atouts touristiques français.

11. Consacrer un volet de 55 millions d’euros au sein du fonds Destination France à la valorisation et au renforcement d’une offre d’ingénierie touristique pour les territoires.

Axe 4. Répondre aux enjeux de transformation du secteur :

12. Élargir le périmètre et renforcer les moyens du Fonds tourisme durable.

13. Accompagner de manière spécifique l’adaptation des campings au changement climatique en zone littorale.

14. Moderniser et verdir les classements des hébergements touristiques.

15. Mettre en place des outils visant la réduction de l’empreinte écologique du secteur et adopter un tableau de bord du tourisme durable.

16. Au sein du fonds Destination France, créer un volet de 44 millions d’euros pour soutenir l’investissement dans les infrastructures touristiques durables.

17. Soutenir le développement et le rayonnement des start-up du tourisme.

18. Accompagner la transition numérique des TPE-PME du tourisme.

Axe 5. Promouvoir la destination France et consolider ses parts de marché :

19. Renforcer les actions de communication et de promotion de la destination France, auprès des touristes comme des investisseurs.

20. Tirer profit des grands évènements sportifs internationaux et notamment les Jeux Olympiques 2024 pour valoriser la destination France.

Le premier axe relève des programmes 218 Conduite et pilotage des politiques économiques et financières de la mission Économie et 150 Formations supérieures et recherches universitaires de la mission Recherche ; le deuxième axe du programme 134 Développement des entreprises et régulation de la mission Économie et de fonds propres de l’Agence nationale des chèques vacances ; le troisième axe des programmes 113 Paysages, eau et biodiversité et 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture de la mission Écologie, développement et mobilités durables du programme 175 Patrimoines de la mission Culture, du programme 134, du programme 112 Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire et du programme 135 Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat de la mission Cohésion des territoires ; le quatrième axe des programmes 113, 203 Infrastructures et services de transports et 174 Énergie, climat et après-mines de la mission Écologie, développement et mobilités durables et des programmes 205 et 134 précités ; enfin le cinquième du programme 361 Transmission des savoirs et démocratisation de la culture de la mission Culture.

Or, si l’on se reporte aux programmes en question, aucun document budgétaire ne précise, dans le budget pour 2023 de chacun de ces programmes, quels crédits ont vocation à abonder le plan « Destination France » : ni le document de politique transversale du tourisme, ni les programmes annuels de performance de toutes les missions contenant des crédits du plan « Destination France » ne contiennent d’informations sur ces derniers. De ce fait, outre l’impossibilité de trouver où se situent les crédits dans le budget, il n’est pas plus possible de savoir quel budget sera consacré à ce plan pour 2023.

La rapporteure spéciale a, par conséquent, dû s’adresser au cabinet de la ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme pour obtenir des informations sur les crédits dudit plan, mais les réponses obtenues permettent seulement de savoir quel budget du plan est consacré à chacun de ses axes et quel montant de ce budget a déjà été consommé à date et demeure à consommer pour les prochaines années. Ce plan ayant un champ d’application ratione temporis pluriannuel, la rapporteure spéciale n’a pas pu savoir quel est le montant ouvert spécifiquement pour le plan « Destination France » dans le budget pour 2023.

Consommation des crÉdits du plan « Destination France »

(en milliers d’euros)

Axe

Mesure

Sous mesures

Crédits

Crédits engagés au 20/09/2022

Crédits restants à consommer

1

1

/

10 000

470

9 529,8

2

/

 

 

 

3

/

8 000

4 000

4 000

2

4

Sanctuariser les outils de financement Bpi/CDC (dette, fonds propres, quasi-fonds propres) sur 3 ans

750 000

209 000

541 000

Montée en qualité de l’hôtellerie-restauration des villes moyennes

62 500

0,00

62 500

5

/

 

/

 

6

Aide exposants : subvention pour les nouveaux exposants et exposants absents lors de la dernière édition sur les principaux salons et foires

96 200

48 100

48 100

Aide visiteurs internationaux : programme de promotion visant à faire revenir les « top acheteurs » internationaux sur les principaux salons à vocation internationale

3 800

1 719,5

2 080,4

7

/

165 000

0,00

165 000

8

Mieux exploiter et partager les données touristiques (FTO, Data tourisme)

6 100

700

5 400

9

Favoriser le tourisme pour tous
(jeunes, seniors, Outre-mer)

50 000

10 800

39 200 000

3

10

Aménagement des sites naturels

45 000

0,00

45 000 000

Valoriser les 32 ICCE (itinéraires culturels du Conseil de l’Europe) inscrits sur
le territoire français

1 200

400

800 000

Développer le tourisme de savoir-faire
(AAP – fonds d’accompagnement)

5 000

0,00

5 000 000

11

Développer une offre d’ingénierie
touristique territoriale

55 000

 

 

Atout France action 11.1 → investir dans le tourisme durable et appuyer la transformation durable de l’économie touristique

 

486

16 514 000

Atout France action 11.2 → soutenir les territoires et les filières fragilisés par la crise sanitaire

 

Atout France action 11.3 → inscrire les destinations touristiques engagées dans la mise en place d’un tourisme durable et responsable dans un écosystème digital partagé (en s’appuyant sur les réseaux territoriaux existants)

 

ANCT → renforcer les dispositifs d’ingénierie de projets touristiques

 

912

28 087 914

MTE → ingénierie territoriale pour inscrire l’immobilier touristique dans une démarche territoriale

 

0,00

9 000 000

Valoriser les stations de tourisme classées

 

/

/

4

12

/

70 000

17 400

52 600 000

13

/

4 000

0,00

4 000 000

14

/

 

/

/

15

Réduire l’empreinte écologique du tourisme

1 000

0,00

1 000 000

Mettre en place un tableau de bord du tourisme durable

300

0,00

300 000

Signature de la charte Engagement Croissance Verte (ECV)

 

/

/

16

Soutenir le vélotourisme

23 120

3 000

20 120

Verdir les transports touristiques
(trains touristiques)

4 000

0,00

4 000

Rénover et verdir les ports de plaisance
et bases nautiques

30 000

0,00

30 000

17

Animation communauté travel tech, tourisme tour et portage international (BPI)

1 540

100

1 440

Développement à l’international
de la travel tech (BF)

559

559

0,00

Soutien à l’émergence de l’écosystème de la Tourisme Tech : programme « 50 Territoires d’expérimentation »

2 500

0,00

2 500

AAP e-événementiel

1 000

0,00

1 000

18

Mieux intégrer les spécificités des TPE/PME du tourisme dans le réseau France Num et étoffer l’offre de formation au numérique dédiée au secteur du tourisme

100

0,00

100

10 000 diagnostics de transformation numériques

4 000

3 000

1 000

5

19

Plan de communication et de promotion de la destination France

19 500

720,6

18 779

Organiser des Rencontres nationales et régionales du tourisme culturel

500

100

400

Pérenniser le sommet Destination France

 

/

/

20

CM 2023 + Rugby 2023 + JOP 2024

 

/

/

 

 

Total

1 419 919

301 467

1 118 451

 

 

Décaissement du prêt relance tourisme (BDT)

500 000

 

 

 

 

Total général

1 919 919

 

 

Cette situation de fait contrevient au principe de spécialité budgétaire. L’autorisation budgétaire ne consiste pas en l’octroi d’un blanc-seing pour dépenser l’argent public ; l’objet des dépenses publiques doit être clairement spécifié. Or, en matière de politique du tourisme, tel n’est pas le cas dans les documents soumis au Parlement ; tout comme le principe d’annualité budgétaire est mis à mal par la multiplication de plans pluriannuels desquels il est impossible d’isoler les crédits relevant du budget d’une année donnée.

Recommandation n° 1 : Afin de garantir un meilleur respect des principes de spécialité et d’annualité budgétaire, doter la politique du tourisme au moins d’un programme budgétaire dédié, au sein duquel seraient répertoriés chaque année les crédits et actions afférents.

En définitive, la rapporteure spéciale regrette de ne pouvoir véritablement commenter les crédits du plan « Destination France », faute de pouvoir en isoler les différents crédits pour 2023.

B.   un document de politique transversale qui ne remplit pas son office

La raison d’être du document de politique transversale est de décliner le budget d’une politique interministérielle contenant plusieurs programmes relevant de différentes missions et ayant pour finalité la même politique transversale. Ce document doit fournir une présentation stratégique de la politique concernée en détaillant ses axes, ses objectifs et ses indicateurs de performance ; il doit présenter de manière détaillée l’effort financier consacré par l’État à la politique transversale pour l’année du budget faisant l’objet du projet de loi ; il présente enfin la manière dont chaque programme budgétaire participe à la politique transversale.

Le document de politique transversale de la politique touristique est insuffisant sous tous ces aspects : l’effort financier consacré par l’État en faveur de la politique du tourisme y est largement surestimé ; l’explication de la participation de chaque programme budgétaire à la politique du tourisme est lacunaire.

1.   La surestimation et les explications lacunaires de l’effort financier consacré par l’État à la politique du tourisme

Le document de politique transversale de la politique du tourisme pour 2023 estime à 8 milliards d’euros l’effort budgétaire fourni par l’État pour ce secteur. La rapporteure spéciale considère que ce montant n’est pas étayé et qu’il ne reflète pas la réalité, le document en question échouant à justifier le montant avancé. Certains crédits y sont considérés comme participant de la politique du tourisme bien qu’ils n’aient pas grand-chose à voir avec celle-ci ; d’autres, bien que paraissant plus raisonnables, ne sont pour autant jamais réellement consacrés au tourisme et donnent la sensation que toute politique touchant de près ou de loin à la culture ou au territoire est prise en compte dans le calcul de l’effort budgétaire fourni par l’État.

a.   La recension biaisée de crédits comme participant de la politique transversale

Selon le document de politique transversale, le programme 102 Accès et retour à l’emploi participerait au budget du tourisme à hauteur de 22,9 millions d’euros en AE et 13,5 millions en CP, sans toutefois préciser les actions concrètement financées avec ces crédits. La seule explication spécifique au tourisme est que « Parmi les contrats aidés prescrits en 2021, ce sont 5 % des PEC (secteur non marchand) et 26 % des CIE jeunes (contrats du secteur marchand) qui l’ont été dans le secteur du tourisme et dont le financement d’une partie de ces contrats s’inscrit dans le plan de relance. » ([3]). Non seulement l’explication est en elle-même sommaire, mais elle se fonde sur des éléments datant de 2021 sans nullement spécifier quelle serait la participation de ce programme à la politique du tourisme pour l’année 2023.

De la même manière, le document précise que pour 2023, 354,9 millions d’euros (AE=CP) participent de la politique du tourisme au sein du programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi. Or, dans l’encart explicatif de la manière dont ce programme contribue à la politique transversale, y est mentionné le financement de l’activité partielle durant la pandémie, laquelle a certes été particulièrement utilisée dans le secteur du tourisme mais n’a plus réellement de lien avec le budget de l’État pour 2023.

Le document de politique transversale considère que le programme 119 Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements participe de la politique du tourisme à hauteur de 3,8 milliards d’euros (AE=CP). Il n’est pas sérieux de considérer que le soutien apporté aux investissements et aux projets de développement des communes et des établissements de coopération intercommunale par l’intermédiaire de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) constituent des éléments participant tous de la politique du tourisme (écoles, etc.). De la même manière, les dépenses publiques consacrées au tourisme sont surestimées lorsqu’elles prennent en compte la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), la dotation générale de décentralisation (DGD) des communes, des départements et des régions ([4]). Là encore, en plus d’être hors sujet sur les éléments de fond, le document de politique transversale n’explique en rien comment ces éléments participeraient de la politique du tourisme pour 2023 mais se contente de noter par exemple qu’ « en 2016, le dernier bilan déclaratif connu réalisé par les préfectures au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) avait fait état de 335 opérations recensées comme ayant trait au tourisme » ([5]) ; pourtant, le document admet lui-même quelques lignes plus loin que ces éléments ne participent pas de la politique du tourisme : « la priorité tourisme n’est plus identifiée en tant que telle dans le suivi de la DETR. Elle ne l’est pas non plus pour la DSIL ni pour la dotation globale d’équipement » ([6]). Il est étrange de comptabiliser 3,8 millions d’euros de crédits comme concourant à l’effort national d’une politique publique tout en admettant dans le même document que ledit programme ne participe pas vraiment à cette politique publique.

De manière similaire, le document de politique transversale invoque le concours du programme 149 Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt à la politique du tourisme pour 636,9 millions d’euros en AE et 563,4 millions d’euros en CP en considérant que les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) au sens large et les aides à l’agriculture biologique peuvent être rattachées à la politique du tourisme ([7]) ; il n’en est rien ; ces dispositifs relèvent uniquement de la politique de l’agriculture ou, éventuellement, de l’environnement.

La logique est la même pour le programme 162 Interventions territoriales de l’État, qui participerait à la politique du tourisme pour 62,9 millions d’euros en AE et 42 millions en CP, par l’intermédiaire des plans d’investissements pour la Corse, du plan de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne, du développement littoral de l’Occitanie et du plan de lutte contre les Sargasses ([8]) ; seul le troisième point pourrait relever de la politique du tourisme.

S’agissant du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence, si la coopération culturelle et la promotion du Français ainsi que son apprentissage favorisent évidemment un attrait pour la France ([9]), il n’est toutefois pas possible de considérer qu’il s’agit d’un élément concourant à la politique du tourisme : il participe plutôt de la diplomatie culturelle de la France.

b.   La participation plus crédible, bien que globalement indirecte, de certains programmes budgétaires à la politique du tourisme

Le programme 112 Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire participerait à hauteur de 6,4 millions d’euros en AE et 11,7 millions d’euros en CP à la politique du tourisme dans le cadre du fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT) qui participerait à la préservation des zones touristiques et permettrait de diversifier l’offre touristique et la mise en œuvre d’un tourisme durable, notamment s’agissant des territoires de montagne ([10]).

Le programme 123 Conditions de vie en Outre-mer participerait pour 2,2 millions d’euros à la politique du tourisme ([11]) et le programme 138 Emploi Outre-mer à travers la promotion du tourisme par l’intermédiaire des passeports mobilité formation professionnelle et le service militaire adapté – bien que de manière subsidiaire et par effet ricochet, car le tourisme n’est pas ce qui fonde ces dispositifs.

Le programme 175 Patrimoines, pour 907,7 millions d’euros en AE et 890,5 millions en CP, notamment du fait de l’existence des conventions cadres Cultures-Tourisme, et notamment de celle du 19 janvier 2018 signée pour une durée de trois ans renouvelables par tacite reconduction ainsi que du fait de labels portés par le ministère de la Culture qui profitent à la politique du tourisme.

Le programme 219 Sport participe plus naturellement de la politique du tourisme, notamment à la veille d’événements sportifs d’envergure en France, avec la coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Ce programme participerait en 2023 à la politique du tourisme pour 19,6 millions d’euros en AE et 15,4 millions en CP ; de la même manière, les 81 millions en AE et 294,8 millions en CP du programme 350 Jeux olympiques et paralympiques 2024 participent bien à la politique du tourisme.

Finalement, le seul programme mentionné dans le document de politique transversale qui a une action directe en faveur de la politique du tourisme est le programme 134. Il n’est toutefois guère plus détaillé que ce qui figure déjà dans le Projet annuel de performance de la mission Économie, n’y adjoignant qu’une ouverture de crédits au titre du plan « Destination France » inscrite dans l’action n° 23 Industrie et services afin de permettre la poursuite des actions de rayonnement de la « Tourisme Tech » (1,25 million d’euros AE=CP) et les derniers décaissements de l’accompagnement à la transition numérique de 10 000 TPE/PME (2 millions d’euros en CP).

À la lecture de ce document, il semblerait que toute dépense publique qui touche de près ou de loin aux territoires ou à la culture est perçue ipso facto par l’État comme une dépense concourant à la politique du tourisme ; ce n’est pas le cas. Comme toute politique, celle du tourisme requiert une stratégie propre et, bien qu’elle bénéficie effectivement d’effets de levier de dépenses engagées sur d’autres politiques publiques, une politique ambitieuse doit nécessairement passer par l’engagement de dépenses propres, ciblées, et mûries dans le cadre de cette politique précise.

2.   La nécessité de soumettre au Parlement un document de politique transversale recentré sur le Plan Destination France et amélioré

En définitive, le document de politique transversale, censé faciliter la lecture des crédits budgétaires alloués à une politique interministérielle en centralisant l’analyse des actions, programmes et missions dotés d’un budget pour atteindre ses fins ne remplit pas son office à la fois car il regroupe des programmes qui n’ont rien à voir avec la politique du tourisme ; et en même temps, les crédits qui concernent réellement la politique du tourisme (« Destination France », plan « Avenir Montagne », fonds tourisme durable) n’apparaissent pas, ou n’apparaissent que de manière lacunaire. Cela pose un réel problème d’information des parlementaires quant au budget qu’ils sont amenés à voter.

Pourtant, loin de chercher à résoudre cette situation, le Gouvernement a, sur la seconde partie du présent projet de loi de finances, déposé en séance un amendement hors délai n° 2818 visant à supprimer le document de politique transversale portant sur la politique du tourisme au motif que ce document « ne représente aujourd’hui plus qu’un intérêt très limité et n’apporte pas d’informations nouvelles au regard des éléments déjà présentés dans les programmes et rapports annuels de performance » ([12]). Pourtant, si l’on se reporte au programme annuel de performance Économie, le plan « Avenir Montagne » n’y est pas mentionné une seule fois, pas plus que le fonds tourisme durable ou de la seule notion de tourisme durable (constituant pourtant la priorité affichée du plan « Destination France ») ; les seuls crédits de « Destination France » mentionnés sont logiquement ceux concernant le programme 134. Cet amendement a été adopté sans que les parlementaires ne puissent en débattre, étant entendu qu’il a été repris par le Gouvernement dans la mise en œuvre de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution avant que l’amendement ne soit examiné en séance publique.

Recommandation n° 2 : Rétablir le document de politique transversale dans une version améliorée, plus ciblée, une meilleure qualité de ce document étant plus à même de répondre à la question de son utilité que sa simple suppression.

Le problème ne réside pas dans le fait que ce document ne serve à rien ; mais que l’État ne mette pas à la disposition des parlementaires toutes les informations nécessaires pour voter le budget en connaissance de cause.

Ce manque de lisibilité des crédits du tourisme était déjà mis en exergue par la rapporteure spéciale les années précédentes ; le rattachement des crédits du tourisme à un ministère unique à Bercy, qui semblait a priori conférer une unicité au budget de cette politique et lui octroyer une place de choix dans les politiques publiques n’a en réalité pas changé les choses.

Il est urgent, compte tenu des enjeux à venir, de doter la France d’une gouvernance budgétaire du tourisme afin de conférer à cette politique une stratégie à long terme par la fixation d’objectifs clairs et l’évaluation réaliste de ses actions.

 


—  1  —

   SECONDe partie :
les bons chiffres du tourisme ne doivent pas occulter les dÉfis à venir et la nÉcessité de se doter
d’une gouvernance ambitieuse

Bien que les bons chiffres retrouvés du tourisme au deuxième semestre 2022 laissent présager un « retour à la normale », le secteur du tourisme va de nouveau devoir affronter des défis importants ; pour y faire face, il est nécessaire de se montrer plus ambitieux à la fois dans l’allocation du budget au tourisme et dans la construction budgétaire, afin de se doter d’une véritable gouvernance du tourisme.

I.   les dÉfis à venir pour le secteur du tourisme : une prudence de mise malgrÉ les bons chiffres retrouvÉs

Les bons chiffres du tourisme ne doivent pas susciter un élan d’optimisme quant à la normalité retrouvée du secteur ; il faut au contraire renforcer le soutien au secteur et l’appuyer face à la matérialisation de divers risques.

A. Les bons chiffres du tourisme augurent des perspectives optimistes pour 2023

Le dernier numéro du Baromètre de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) du tourisme mondial révèle que les arrivées de touristes internationaux ont augmenté de 172 % entre janvier et juillet 2022 par rapport à la même période de 2021. Le secteur aurait, partant, retrouvé pratiquement 60 % de son niveau pré-pandémie ([13]). Cette tendance se retrouve en France, avec une reprise de la fréquentation et une augmentation des recettes touristiques.

1.   Le rétablissement de la fréquentation et des recettes touristiques de la France

a.   Le retour des touristes à partir de 2022

Selon l’Insee, au premier trimestre 2022, la fréquentation des hébergements touristiques hors camping en France était encore inférieure de 11,3 % à la même période de 2019. Le retour de la clientèle internationale sur tout le territoire a toutefois été constaté au deuxième trimestre, et soutenu par la clientèle européenne, dont la fréquentation a dépassé les niveaux d’avant crise.

En juillet 2022, les volumes de nuitées touristiques de la clientèle domestique en France métropolitaine ont quasiment retrouvé leurs niveaux de 2019, avec un rebond des nuitées marchandes de + 5,9 %. À la fin du mois d’août 2022, la fréquentation dans l’hôtellerie de plein air depuis le début de la saison a atteint 121 millions de nuitées, soit une hausse de + 16 % par rapport à la fin du mois d’août 2021. La fréquentation observée jusqu’au mois d’août et les réservations pour septembre et octobre doivent assurer un volume minimum de 130 millions de nuitées sur l’ensemble de la saison, d’ores et déjà en hausse de + 7 % par rapport à l’ensemble de la fréquentation de 2021, soit 120,5 millions de nuitées ([14]).

La montagne a confirmé cet été son dynamisme comme destination touristique, affichant un taux d’occupation global de 61,5 %, soit un taux stable par rapport à 2021. Ce taux a même avoisiné les 75 % au mois d’août ([15]). S’agissant de l’Île-de-France, une estimation du Comité régional du tourisme (CRT) au 1er septembre 2022 fait état de 18,2 millions de touristes dans la région sur l’année 2022, ce qui représente une baisse de – 5,4 millions par rapport à 2019 (– 23 %) et + 12,5 millions pour 2021 (+ 218 %). Sur ce chiffre, il y aurait 10,8 millions de touristes français (– 2,4 millions par rapport à 2019 mais + 6,5 millions par rapport à 2021) et environ 7,4 millions de touristes internationaux (– 3,1 millions par rapport à 2019 et + 6 millions par rapport à 2021).

b.   Le rattrapage progressif des recettes touristiques

Les recettes touristiques de la France se rétablissent. Selon Atout France, à fin septembre 2022, il est possible d’anticiper pour 2022 une fréquentation internationale à hauteur de 75 millions générant environ 50 milliards d’euros de recettes touristiques. Le mois de juillet 2022 s’est achevé avec des recettes du tourisme international proches de celles de juillet 2019 et en hausse de + 51,4 % par rapport à 2021.

Les dépenses touristiques en France ont ainsi atteint, de janvier à juillet 2022, – 12 % par rapport à 2019 ; en comparaison, celles de l’Allemagne se sont situées à – 14 %, celles de l’Italie à – 23 % et celles des États-Unis d’Amérique à – 26 % ([16]). Il en résulte que sur une année glissante, la France se hisse à la première place en matière de recettes touristiques avec une part de marché représentant 17,1 % des recettes internationales au sein de l’Union européenne.

Ces évolutions sont cependant à nuancer par l’effet optique d’augmentation généré par la forte inflation.

2.   La reprise des flux internationaux à mettre en contraste avec la perte de parts de marché en matière de tourisme domestique

Les clientèles étrangères ont effectué cet été leur grand retour, générant 7,5 milliards d’euros de recettes internationales sur le mois de juillet, rattrapant pratiquement le niveau de 2019 (avec seulement – 2,3 % d’écart) ([17]). La reprise des flux internationaux reste toutefois inégale en volume de dépenses : les États-Unis (+ 45 %) portés par une parité euro-dollar favorable, la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas et l’Italie ont dépassé leurs niveaux de 2019. À l’inverse, les clientèles asiatiques demeurent les grandes absentes (– 78 % pour la Chine ; – 60 % pour le Japon) ([18]).

L’été 2022 a effectivement signé le rétablissement des flux aériens qui ont favorisé les arrivées internationales – mais aussi les départs des Français. En août 2022, les flux d’entrées étaient encore inférieurs aux arrivées de 2019 (– 28,8 %), principalement en raison de l’absence persistante des clientèles asiatiques. Le retour de la clientèle internationale a profité à l’ensemble de la filière hébergement : l’hôtellerie a ainsi affiché de très belles performances sur juillet et août, tant du point de vue du taux d’occupation (seulement – 1,4 point par rapport à 2019), que du prix moyen (+ 22,7 %).

La vigilance s’impose toutefois s’agissant de la clientèle nationale : sur le mois de juillet, le volume de nuitées a approché les niveaux de 2019 (– 1,1 %) mais apparaît en retrait par rapport à 2021 (– 9,6 %), année qui avait été record pour le tourisme des Français. Ainsi, 40 % d’entre eux ne sont pas partis en vacances cet été ([19]). Le taux de départ en vacances gagne près d’un point par rapport à la situation de juillet 2019, mais diminue légèrement par rapport à 2021 ([20]). En 2022, une partie de la clientèle nationale semble avoir renoué avec les séjours internationaux.

Le baromètre national de l’Hôtellerie de plein air, développé par Atout France, la FNHPA et ADN Tourisme, dans le cadre du Data Hub « France Tourisme Observation » a confirmé tout au long de l’été ces tendances : un fort retour des étrangers (+ 44 %) et un léger tassement des nuitées domestiques (– 4 %) par rapport à 2021 ([21]). Selon un sondage Odoxa, 76 % des Français réduisent d’ores et déjà leur budget loisirs et une étude menée par Les Échos auprès des estivaux 2022 révèle que 62 % d’entre eux sont déjà inquiets quant à leur capacité de financer leurs prochaines vacances ; 35 % se déclarent prêts à réduire leur budget consacré aux vacances.

Or, la clientèle des Français a un véritable rôle à jouer dans la politique du tourisme. Il est probable que la clé de conservation de la compétitivité et du maintien des prix réside dans une meilleure valorisation de l’offre de tourisme de nationale ([22]).

La saison automnale et hivernale apparaît quant à elle déjà contrastée selon les destinations et les clientèles. Les perspectives d’arrivées aériennes continuent à se rétablir (– 22,4 % de réservations par rapport à 2019 pour les trois prochains mois), portées notamment par les marchés nordiques et d’Amérique du Nord. Dans le champ locatif, les prévisions pour l’automne sont mitigées s’agissant du taux d’occupation (– 7,4 points en taux d’occupation prévisionnel sur octobre et novembre).

Or la filière touristique va être de nouveau confrontée à des chocs exogènes, ce qui appelle à la prudence en termes de prévisions tant la situation est volatile. L’explosion des tarifs énergétiques va jouer sur la rentabilité et les coûts des exploitants en 2023, notamment pour les opérateurs du ski, tandis que la demande pourra être impactée par le poids de l’inflation et les craintes de récession, en particulier pour les populations les moins aisées ([23]).

B. La matÉrialisation de certains risques appelle À la prudence et à des moyens plus ambitieux pour le tourisme

Il est nécessaire de demeurer prudents car le tourisme va devoir affronter en 2023 et à plus long terme un certain nombre de défis ; si certains sont conjoncturels, d’autres, plus structurels, appellent des réponses de long terme et des investissements dédiés.

1. Les défis conjoncturels

Si les chiffres du tourisme tendaient à se rétablir au deuxième semestre 2022, la saison aurait été meilleure sans les difficultés de recrutement du secteur qui persistent et pour lesquels il faut trouver une solution. À cela s’ajoutent l’inflation et l’augmentation du prix de l’énergie ainsi que le poids du remboursement des prêts garantis par l’État souscrits durant la crise sanitaire.

a.   Les difficultés de recrutement dans le secteur du tourisme altèrent ses résultats

À l’échelle mondiale, les difficultés de recrutement dans le secteur du tourisme sont sans précédent. Selon l’OMT, dans le monde, ce seraient au total 100 millions d’emplois qui risqueraient de disparaître, les petites et moyennes entreprises étant les plus durement touchées (alors qu’elles représentent 4/5e des emplois touristiques internationaux) et leur pérennité économique est en question.

En France, à l’été 2022, il aurait manqué 150 000 employés pour toute la filière touristique, ce qui a généré une dégradation de la qualité de service au moment même où le secteur repartait en hausse ; certains hôteliers n’ont pas pu ouvrir l’intégralité de leurs établissements. Au début de l’été, selon le GNI, il manquait encore un salarié sur trois, notamment des serveurs et des cuisiniers ; des restaurateurs étaient par conséquent obligés de refuser des couverts et de réduire leurs horaires d’ouverture. Sur un effectif de 750 000 salariés dans la branche HCR (hôtels, cafés, restaurants), 400 000 personnes sont des saisonniers, dont 300 000 uniquement pour l’été ([24]).

Outre les entreprises de restauration et d’hébergement, sont également touchés par cette pénurie de main-d’œuvre les agences de voyages, les parcs de loisirs, le transport aérien… Près de 4 000 postes seraient ainsi à pourvoir à Paris‑Charles de Gaulle et Paris‑Orly (agents de sûreté, agents de maintenance, ingénieurs). Il faut rappeler à cet égard l’engorgement des aéroports en Europe, y compris dans les aéroports français, cet été, en raison à la fois de la hausse de la demande de la part des touristes et d’une pénurie de personnel d’autre part. La reprise avait en effet été mal anticipée et notamment la demande a été plus forte que ce que les analystes avaient anticipé ([25]).

Fin avril 2022, Pôle Emploi proposait sur son site près de 800 offres d’emploi de conseillers en voyages, 300 offres d’accompagnateurs ou encore 3 200 offres d’animateurs ([26]).

Les causes sont multiples : salaires, conditions de travail, mais surtout incertitudes durant la pandémie. En effet, la Covid-19 a eu pour conséquence que nombre d’employés du secteur du tourisme, face à l’incertitude de leur avenir professionnel, ont choisi de se tourner vers d’autres métiers, notamment les agences immobilières et la grande distribution. Chez Belambra, par exemple, ce sont 120 000 collaborateurs qui sont partis ([27]). Il y a un problème d’attractivité pour les entreprises du secteur touristique dans lequel 9 établissements sur 10 sont des très petites entreprises de moins de 10 salariés qui emploient dès lors majoritairement des salariés saisonniers et ne disposent pas (ou peu) d’employés à l’année pour former et coordonner les équipes. En conséquence, cette forme de salariat est fortement associée à de la précarité économique. Effectivement, 80 % des emplois à pourvoir sont de premier niveau de qualification professionnelle (CAP, BEP, bac professionnel). La part importante de CDD et de temps partiels, les faibles possibilités d’évolution et les conditions de travail contraignantes (horaires atypiques, travail le week-end et durant les périodes ordinaires de congés, etc.) sont autant d’éléments qui viennent altérer la fidélisation des salariés dans ce secteur. Par ailleurs, un certain nombre de ces métiers font face à un phénomène d’invisibilisation, s’exerçant en « arrière-scène », loin des yeux des clients et de leur reconnaissance, mais apportant pourtant une forte valeur ajoutée ([28]).

Un autre élément de taille expliquant les difficultés de recrutement du secteur du tourisme relève des difficultés, pour les saisonniers, à se loger dans les zones touristiques. Pour remédier à cette pénurie, un certain nombre d’employeurs ayant recours au travail saisonnier construisent ou aménagent des locaux pour loger leurs saisonniers. Or, le coût de ces constructions ou aménagements relève de la TVA au taux normal de 20 %, ce qui majore d’autant le prix de production des logements du personnel et donc le coût supporté par l’employeur pour loger ses saisonniers sans pouvoir bénéficier du droit à déduction. Il existe pourtant à l’article 206 de l’annexe II du code général des impôts un régime légal de droit à déduction pour la construction ou la mise à disposition gratuite de logements destinés au personnel de gardiennage, de sécurité ou de surveillance sur les chantiers ou dans les locaux de l’entreprise. La rapporteure spéciale estime que cette exception pourrait être étendue au logement du personnel saisonnier des entreprises du secteur du tourisme. Le nombre d’emplois saisonniers dépassant en France le million, le coût de cette mesure demeurerait limité car il serait compensé par les recettes fiscales et sociales engendrées par l’augmentation de l’emploi dans le secteur du tourisme et une augmentation conséquente de la fréquentation touristique, générant à son tour des retombées économiques ([29]).

Recommandation n° 3 : Afin de répondre aux difficultés d’accès au logement des travailleurs saisonniers, permettre aux employeurs mettant gratuitement des logements à la disposition de leurs salariés de récupérer la TVA sur les investissements réalisés dans ces logements.

La rapporteure spéciale avait déposé en première partie du projet de loi de finances un amendement n° 667 en séance publique en ce sens. Il n’a toutefois pas pu être examiné avant l’engagement par le Gouvernement de sa responsabilité sur le fondement de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution et n’a pas non plus été repris par le Gouvernement.

Le Gouvernement entend par ailleurs répondre aux difficultés de recrutement du secteur par le déploiement du site Internet monemploitourisme.fr, développé dans le cadre du plan « Destination France ».

Parallèlement, portée par le service de communication du ministère de l’Économie et la direction générale des entreprises (DGE), la campagne nationale des métiers du tourisme a débuté le 13 septembre 2022 et doit s’étaler jusqu’à la fin de l’année 2023. Elle est dotée d’une dotation budgétaire de 9 millions d’euros sur deux ans ; mais de nouveau, il est impossible pour la rapporteure spéciale d’identifier au sein de quel programme budgétaire se trouvent ces crédits pas plus que de savoir quel est le montant des crédits prévus spécifiquement pour l’année 2023. La DGE elle-même n’a pas été en mesure de l’indiquer à la rapporteure spéciale, mais a seulement précisé que ce budget avait vocation à financer une campagne comprenant la production de deux films génériques de 30 et 15 secondes ainsi qu’un film centré sur les besoins des territoires ultramarins. Un film de promotion des métiers liés au tourisme hivernal serait également en cours de production.

Il est également prévu d’organiser une semaine des métiers du tourisme ainsi que des actions de recrutement et de formation organisées par Pôle emploi en lien avec les entreprises du secteur. Par ces actions, la DGE entend faire connaître la diversité des métiers du tourisme pour générer des vocations, notamment chez les jeunes. S’agissant des emplois saisonniers, les services de l’État soutiendront également, notamment en ingénierie, le développement de nouveaux guichets d’accueil des saisonniers portés par les collectivités territoriales et les employeurs dans les zones touristiques où ils sont encore absents afin de favoriser leur recrutement (c’est la mesure 2 du plan « Destination France »). Il est également prévu de créer un réseau d’excellence des écoles et formations du tourisme chargé de renforcer et de rendre attractives les formations du tourisme afin de permettre à terme la création de 400 places d’étudiants entre 2022 et 2024 pour anticiper les besoins des prochaines années (mesure 3 du plan).

Ces actions dédiées sont positives et la rapporteure souhaite les saluer.

b.   L’augmentation des prix de l’énergie et l’inflation grèvent le bilan des entreprises touristiques : un risque majeur pour les stations de sport d’hiver et les emplois qui y sont liés

Les entreprises du secteur du tourisme, comme toutes les entreprises, sont soumises au plan de sobriété énergétique annoncé par le Gouvernement. Dans le cadre plus général de ce plan de sobriété, des entreprises du secteur se sont ainsi engagées par des chartes sectorielles ; c’est le cas notamment des entreprises de l’hôtellerie-café-restauration, de l’évènementiel professionnel, des parcs à thèmes, du thermalisme et des domaines skiables, qui se sont engagés à baisser leur consommation d’énergie. Comme pour les particuliers, la température de 19° sera de rigueur dans les locaux touristiques et de 17° dans les salles des restaurants et les parties communes des hôtels en l’absence des clients et du personnel de salle. Les professionnels devront également limiter leur consommation en réduisant la température de 10 % dans les congrès, foires et salon par rapport à l’édition précédente de l’évènement. Ces entreprises se sont également engagées à éteindre les enseignes lumineuses dans les restaurants dès le dernier client arrivé et à minuit au plus tard dans les hôtels. Selon la ministre déléguée Olivia Grégoire, ces mesures permettront de réduire la consommation énergétique du secteur du tourisme de 10 % ([30]). Outre la soumission au plan de sobriété énergétique, c’est également la facture des entreprises du secteur du tourisme qui vont augmenter parallèlement à l’augmentation du prix de l’énergie.

Le risque est particulièrement préoccupant pour les stations de sports d’hiver. Selon le président de l’Association nationale des maires des stations de montagne, M. Jean-Luc Boch, environ 40 % des stations françaises seraient en cours de renégociation de leur contrat d’énergie avec leurs fournisseurs. Or, le prix du mégawattheure a été multiplié par vingt en l’espace de quelques mois, passant de 55 euros à une valeur variant actuellement entre 800 et 1 000 euros. Il en résulte que la facture d’électricité pourrait passer, pour certaines stations, de deux à vingt millions d’euros ([31]). Cette situation vient gravement grever les finances des stations, d’autant qu’un certain nombre d’entre elles n’ont pas encore reçu les compensations financières qu’elles étaient censées recevoir au titre de l’année 2021, promises durant la crise sanitaire, et qui devaient initialement être versées au plus tard le 31 mai 2022 ([32]).

Par conséquent, pour à la fois éviter les coupures d’électricité et s’inscrire dans la trajectoire du plan de sobriété, les stations vont devoir, à l’hiver 2023, diminuer leur consommation de 5 % en heure de pointe et de 10 % globalement jusqu’au 31 mars 2023. Pour ce faire, les mesures suivantes devront être mises en œuvre : diminution de la vitesse des remontées mécaniques, réduction de la température des bâtiments, réduction des plages horaires d’activité, augmentation des prix des forfaits entre 3 et 6 %, réduction de la production de neige artificielle – deuxième poste de consommation électrique (25 %).

Les domaines skiables espèrent un plafonnement du prix de l’électricité à 180 euros, conformément à une proposition européenne. Ils appellent également le ministère de l’Économie, des finances et de la relance à leur faire bénéficier de la mesure de soutien aux entreprises consommatrices d’énergie. Cette aide prévoit une subvention pour les entreprises dont le coût de l’énergie dépasse 3 % du chiffre d’affaires – ce qui est le cas des stations, à hauteur de 5 %. Toutefois, un certain nombre de domaines, constitués sous la forme de régies, ne répondent pas à la définition d’entreprise bénéficiaire de cette mesure. Cette situation est d’autant plus problématique que les stations sont soumises à une délégation de service public, les remontées mécaniques étant appréhendées comme des moyens de transport, de laquelle il résulte leur ouverture obligatoire.

Recommandation n° 4 : Obtenir de l’Europe, comme l’Espagne et le Portugal, une décorrelation des prix de l’électricité de ceux du gaz, pour retrouver un prix de l’énergie soutenable pour nos entreprises.

De manière générale, pour apporter une solution à long terme aux stations de sports d’hiver et ne pas seulement répondre à ce problème de manière conjoncturel, il est nécessaire de favoriser un volet investissement dans les domaines skiables ciblant leur transition écologique dans le cadre du plan Avenir Montagne.

Pour rappel, le plan « Avenir Montagne » a été mis en place dans le but d’apporter un soutien financier complémentaire aux projets d’investissement portés par les collectivités territoriales ou d’autres acteurs locaux des massifs de montagnes pour valoriser les atouts de ces territoires dans le cadre du développement d’une offre de tourisme durable et résiliente. Ce plan avait été doté d’un budget de 300 millions d’euros sur deux ans (2021 et 2022) pour accompagner 62 territoires à la conception d’un développement touristique adapté à la transition écologique.

Dans le budget pour 2023, ce plan demeure mis en œuvre par l’ANCT dans le cadre de la mission Plan de relance. Toutefois, ce dernier ne bénéficie d’aucun crédit supplémentaire pour 2023 mais ne permet que d’engager le reliquat des crédits de paiement. Le document de politique transversale mentionne le pilotage du plan Avenir Montagne au sein du programme 364 de la mission Cohésion des territoires ; lorsqu’on s’y reporte, cependant, nul élément relatif au plan « Avenir Montagne » n’y figure. Pourtant, les besoins en investissement sont pléthoriques dans les territoires de montagne, d’autant plus compte tenu de l’actualité économique, notamment pour répondre aux enjeux de l’énergie et pour effectuer une transition vers la durabilité des stations.

Il est par ailleurs étrange que parmi ses grands axes pour les années 2022‑2024, Atout France mentionne la mise en œuvre du plan « Avenir Montagne », sans que des crédits abondent ce plan dans le budget pour 2023 ([33]).

C’est pourquoi la rapporteure spéciale regrette l’absence de crédits au profit de ce plan pour 2023. Ne pouvant déposer un amendement de crédits sur la mission Plan de relance en raison de l’absence de crédits disponibles, elle a déposé en commission un amendement de crédits n° CF1403 prévoyant d’abonder de 50 millions d’euros le plan Avenir Montagne par la création d’un nouveau programme dédié au sein de la mission Cohésion des territoires avec pour finalité l’investissement dans des remontées mécaniques moins gourmandes en énergie, dans des dameuses vertes, dans la transition du parc automobile des stations et à l’investissement dans des véhicules électriques en rétrofit, ainsi que de l’acquisition de navettes propres pour les stations. Cet amendement a été rejeté, avec égalité de voix, malgré l’avis de sagesse du rapporteur des crédits de la mission Cohésion des territoires. Il a été redéposé auprès de la séance publique sous le numéro 2218, toutefois, le Gouvernement ayant engagé sa responsabilité en vertu de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution avant son examen, il n’a pas pu faire l’objet d’un débat et n’a pas été repris par le Gouvernement. Pourtant, tous les comités de massifs ont adopté des motions sollicitant un abondement du plan Avenir Montagne pour 2023 ([34]).

La situation des domaines skiables est d’autant plus à prendre en considération par l’État qu’elles ont un rôle économique significatif dans les territoires de montagne. Ainsi, par exemple, les seules stations des Hautes Alpes représentent 750 millions d’euros de chiffre d’affaires direct et génèrent 12 000 emplois. À l’échelle de la France, la montagne représente plus de 10 milliards d’euros et 300 000 emplois, directs et induits, non délocalisables. Les recettes des quatre mois d’hiver sont par conséquent cruciales dans la vie des territoires de montagne.

Par ailleurs, au-delà de la question du coût de l’énergie, l’inflation est un risque pour le secteur touristique français, notamment à l’aune du développement par d’autres destinations d’une stratégie tirant parti de l’inflation et de l’augmentation des prix de l’énergie dans d’autres pays pour capter la clientèle. Ainsi par exemple, des pays comme la Turquie, l’Égypte, l’Espagne ou la Thaïlande sont moins consommatrices d‘énergie car ont moins besoin de chauffer les locaux touristiques, et ces pays développent des offres attrayantes pour attirer les touristes européens cet hiver ([35]).

c.   Le remboursement des prêts garantis par l’État empêche toute capacité d’investissement

Nombre d’entreprises de la filière touristique demeurent handicapées par le remboursement de leurs prêts garantis par l’État (PGE) contractés pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le secteur. Selon le Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration (GNI), 8 professionnels sur 10 du secteur ont contracté un tel prêt, pour un montant en moyenne égal à 14 % de leur chiffre d’affaires. Seuls 50 % en auraient commencé le remboursement, parmi lesquels 33 % demeurent dans la première année de remboursement, 53 % bénéficient d’un différé ou d’un délai et 14 % ne sont pas en mesure de rembourser ([36]).

Au total, un peu plus de 12 milliards d’euros de PGE ont été accordés à près de 120 000 entreprises du secteur du tourisme. Au 30 juin, 10 % de ces prêts étaient remboursés en intégralité dans le secteur touristique. Pour le moment, la médiation du crédit a été peu sollicitée pour la restructuration de PGE de manière globale : 304 dossiers seulement depuis le début de la procédure, alors que plus de 288 000 PGE commençaient à être remboursés au cours du deuxième trimestre 2022. Il faut toutefois noter que le secteur de l’hébergement/restauration concentre une grande partie de ces demandes (17 %) ([37]).

Or, les difficultés de remboursement de ces prêts s’inscrivent dans le contexte plus général de hausse du taux d’endettement des entreprises en France. Selon la Banque de France, en 2022, ce taux a augmenté de + 51 % pour les grandes entreprises et + 20 % pour les PME. Dans le même temps, le délai moyen de remboursement de la dette bancaire s’est allongé de + 5,1 ans pour les grandes entreprises et + 2,3 ans pour les PME ([38]).

L’État a certes proposé des solutions de rééchelonnement de la dette par l’intermédiaire du Médiateur du crédit, mais ce faisant, les entreprises seraient identifiées comme se trouvant en difficulté, les rendant ipso jure inéligibles à des aides éventuelles de l’État, le droit européen disposant que les entreprises en difficulté ne peuvent être éligibles aux aides d’État. À l’inverse, les PGE et les PGE Résilience ne sont pas qualifiés d’aides ; les entreprises du tourisme pourraient donc toujours souscrire à un PGE Résilience.

Recommandation n° 5 : Rallonger la durée de remboursement des PGE en fonction d’un pourcentage du chiffre d’affaires par an, ou transformer les PGE en Prêt résilience, afin de rendre leur remboursement soutenable pour les entreprises qui doivent faire face à l’explosion de l’inflation.

Sans cet appui, ces entreprises, qui doivent rembourser leur PGE, ne peuvent plus investir et s’adapter aux mutations du secteur du tourisme ; c’est les priver de toute possibilité de se mettre en phase avec ce nouvel environnement. Cela leur permettrait également de disposer de moyens de négocier de nouveaux crédits visant à investir dans l’accueil des clients dans l’optique de la Coupe du monde de rugby 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.

À défaut, il serait nécessaire, a minima, d’envisager d’étendre la durée de remboursement de six à dix années afin d’alléger dans l’immédiat la trésorerie des entreprises du secteur du tourisme.

2. Les défis de long terme : la transition écologique de la filière du tourisme

Comme tous les secteurs économiques, le tourisme doit opérer sa transition écologique. Préparer un tourisme durable, de qualité sans perdre sa croissance, voire en l’augmentant, tout en diminuant son impact environnemental, est l’objectif qui doit être poursuivi selon la rapporteure.

a.   La nécessité de définir une politique claire et ciblée sur la grande majorité de l’impact environnemental du tourisme : les transports

Le tourisme compte pour 11 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Toutes choses égales par ailleurs, rappelons que ces 11 % sont à calculer sur le moins de 1 % que représente la part de la France dans les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial et, pour rappel, la Chine représente 33 % des gaz à effet de serre au niveau mondial, les États-Unis, 13 % et l’Union européenne 9 % ([39]).

En 2018, les émissions du secteur du tourisme provient à 80 % provenaient aux trois quarts des transports, et l’essentiel de ces 80 % du transport entre le domicile et la destination, et inversement – le transport aérien en représentant lui-même 40 % de ces 80 %. L’hébergement, les achats de biens et la restauration représentaient, pour leur part, 20 % des émissions.

Loin de reprendre à son compte la vision caricaturale d’un tourisme écologiste qui en nierait la place essentielle dans l’économie et qui sacrifierait le tourisme sur l’autel de l’écologie, la rapporteure spéciale rappelle que le tourisme en France génère deux millions d’emplois non délocalisables, des territoires de montagne, des territoires ruraux, des littoraux vivants qui valorisent leurs atouts. En revanche, il est clair que le tourisme doit effectuer sa transition écologique, comme tous les autres secteurs, et que l’État doit l’accompagner en ce sens, en trouvant l’équilibre adéquat. Les gouvernements successifs ont affiché leur volonté de s’emparer du sujet. M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué chargé du Tourisme, des Français de l’étranger, de la francophonie et des PME au cours du précédent quinquennat, avait par exemple indiqué que : « Dans le cadre du Plan Destination France, nous nous sommes fixé l’objectif que la France soit la première destination touristique durable. Nous nous en donnons les moyens en soutenant l’émergence de projets touristiques avec cette dimension durable sur l’ensemble du territoire » ([40]).

Toutefois, au-delà de l’affichage politique, il faut des résultats, et pour cela, évaluer la politique et se doter d’indicateurs ambitieux. Or, comme nous l’avons mentionné dans la première partie, aucun indicateur de performance ne prend en considération l’impact du secteur sur l’environnement et le présent projet ne budgétise pas des crédits dédiés à la mise en place d’un tourisme durable. Ainsi, par exemple, dans le document de politique transversale, le seul programme concourant au tourisme durable mentionné est le programme 159 Expertise, information géographique et météorologique, relevant du Commissariat général au développement durable, dont la mission est de promouvoir le développement durable au sein de toutes les politiques publiques. Dans le cadre du plan « Destination France », ce programme a reçu des crédits pour son action en faveur du tourisme durable. Or, pour 2023, les crédits de ce programme dédiés à la politique du tourisme ne s’élèvent qu’à 60 000 euros (AE=CP) ([41]), ce qui n’est absolument pas à la hauteur des enjeux. De la même manière, au sein de l’axe 4 du plan « Destination France », la mesure n° 15 Réduire l’empreinte écologique du tourisme est seulement dotée d’un million d’euros sur quatre ans, ce qui ne paraît pas non plus à la hauteur des enjeux, surtout pour un plan dont la finalité affichée est de transformer la France en première destination touristique durable.

Le concept de « tourisme durable » n’est pourtant plus si récent. C’est lors d’une conférence à Lanzarote, en 1995, qu’ont été définis les principes du tourisme durable, inspirés des fondements énoncés dans la déclaration de Rio sur l’environnement lors du Sommet de la Terre de 1992 : il s’agit d’un « tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil » ([42]). 28 ans après, nous pourrions espérer en voir émerger des conclusions concrètes et définir une politique ambitieuse en lien avec les opérateurs ferroviaires pour développer des offres ferroviaires adaptées et compétitives, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui.

Élément essentiel à la construction d’un tourisme durable, la question du verdissement des transports touristiques est totalement absente du budget pour 2023. Cette question doit pouvoir constituer un élément d’évaluation de la politique du tourisme.

Recommandation n° 6 : Mettre en place un nouvel indicateur de performance de la politique du tourisme au sein du programme 134 afin d’évaluer la politique du tourisme à l’aune du développement ferroviaire des transports touristiques.

La rapporteure spéciale a déposé un amendement n° CF1383 visant à créer un nouvel indicateur de performance « Favoriser l’émergence d’une politique de verdissement des transports touristiques » qui se fonderait notamment sur les différentiels entre les prix de l’avion et du train, le nombre de lignes de trains de nuit rétablies et la mise en place de navettes peu émettrices de gaz à effet de serre dans les zones touristiques. Cet amendement, adopté en commission des finances, n’a pas été conservé par le Gouvernement lors de l’engagement de sa responsabilité.

La rapporteure spéciale attire l’attention sur la nécessité pour l’État de soutenir le rétablissement des lignes de trains de nuit dans le cadre de sa politique touristique. Elle se réjouit de la remise en service de certaines d’entre elles. Toutefois, il faut augmenter la cadence afin d’en faire un véritable mode de transport de la politique touristique française et il faut également se doter d’une feuille de route et d’un budget précis pour y parvenir. La rapporteure spéciale regrette à ce titre l’absence de budget dédié à cette action, d’autant que la demande des voyageurs semble être au rendez-vous : selon les chiffres de la SNCF, il n’y avait eu que 90 000 voyageurs transportés par trains de nuit à l’été 2021, contre 180 000 pour cet été 2022. Le projet est d’avoir 129 voitures rénovées pour l’été 2023 ([43]).

Un exemple de construction de transports touristiques verts :
la Norvège

En Norvège, quatre grandes lignes de train desservent pratiquement l’intégralité du pays avec des trains de nuit disponibles tous les jours : la ligne de Bergen (Oslo – Bergen) ; la ligne de Dovre (Oslo – Trondheim) ; la ligne du Nordland (Trondheim – Bodø) ; la ligne du Sørtland (Oslo – Stavanger). Ces trains de nuit sont équipés de toutes les commodités : couchettes au sein de cabines deux places, lavabos, miroirs, serviettes, savons, bouteilles d’eau.

Il est également possible de circuler à travers tout le pays à vélo, grâce à des pistes cyclables qui suivent tous les itinéraires des routes nationales.

La Norvège a également grandement misé sur l’électrique. Elle est équipée en trains et en bateaux de croisière électriques. Plus globalement, le pays a développé les transports électriques à zéro émission de carbone. The Future of the Fjords est le premier navire tout électrique construit en fibres de carbone. D’autres entreprises ont suivi cette tendance, comme Citons Brim Explorer, dont les bateaux hybrides sont conçus pour avoir un impact minimal sur l’environnement, leurs bateaux étant équipés des plus grosses batteries au monde. En outre, la plupart des agences de location de véhicules proposent des voitures électriques, dont l’utilisation est facilitée par l’existence de 17 000 bornes de recharge et 3 300 bornes de recharge rapide (qu’on trouve même en pleine campagne dans le cercle polaire).

Le pays mise énormément également sur les transports par voie pédestre et a développé sur tout son territoire des pistes de randonnées, dont l’exécution est facilitée par l’existence d’un « droit à la nature » inscrit dans la législation norvégienne depuis 1957 et qui autorise de planter sa tente ou tout matériel nécessaire pour dormir n’importe où, avec la seule condition que ce soit au moins à 150 mètres d’une habitation ([44]).

En tout état de cause, il est regrettable que l’État ne se dote pas, dans le cadre de sa politique du tourisme, d’une politique des transports propre et adaptée aux enjeux environnementaux, et que l’information donnée aux parlementaires ne permette pas d’apprécier réellement l’effort fourni par l’État en la matière. Là encore, l’accès à l’information est contraint : la rapporteure spéciale, interrogeant la SNCF pour obtenir des explications quant aux différences de prix entre le train et l’avion, s’est vue opposer le secret des affaires.

b.   L’action du fonds tourisme durable : une action salutaire pour laquelle il faudrait renforcer les crédits budgétaires et donner une visibilité équivalente à l’action lancée sur le recrutement

En parallèle de la structuration politique du secteur et du suivi de l’impact des émissions de gaz à effet de serre du secteur du tourisme via un indicateur approprié, il est également nécessaire d’agir sur l’offre, en structurant une offre durable, ainsi que d’agir sur la sobriété (réduire les distances parcourues, la quantité de biens achetés, etc.), améliorer l’efficacité énergétique des lieux touristiques et diminuer l’intensité carbone par unité d’énergie. À cet égard, le travail apporté par le Fonds tourisme durable est important – même s’il est par essence insuffisant à lui seul.

Le Fonds tourisme durable, géré par l’Ademe, est financé par le Plan de relance et vise à soutenir les restaurateurs et hébergeurs touristiques dans leur démarche de transition écologique (tourisme durable), en priorité dans les territoires ruraux et communes à faible densité (moins de 20 000 habitants), en leur apportant un diagnostic gratuit d’un plan d’actions par les partenaires de l’Ademe ; ainsi que le financement d’une partie des coûts d’investissements liés à la transition écologique par l’intermédiaire de subventions. Les entreprises visées sont des TPE/PME qui ont une activité de restauration ou d’hébergement touristique dans les zones rurales ; en majorité, des établissements indépendants. Le tourisme social fait également partie des cibles privilégiées car ce secteur a un grand besoin d’accompagnement tant sur la transformation du modèle que sur l’aspect financier (centre de vacances, colonies de vacances, auberges de jeunesse, centres sportifs…).

À ce jour, plus de 1 000 établissements ayant fait l’objet d’un diagnostic ont une activité de restauration. Pour les établissements d’hébergement touristique, 34 % sont des hôtels, 19 % des gîtes, 17 % des campings, 12 % des chambres d’hôtes. Le montant moyen d’aide est de 19 000 euros, avec un taux d’aide moyen de 54 %. Près de 2 600 entreprises ont bénéficié d’un diagnostic gratuit et près de 1 550 dossiers de demande d’aide ont été déposés depuis la création du fonds en avril 2021. L’estimation de l’impact produit par le Fonds est que pour 1 euro d’aide publique, une entreprise réalise environ 2,30 euros d’économie d’énergie ; l’efficacité de l’aide publique est d’environ 230 euros par tonne de CO2. Sur ces volets 1 ([45]) et 2 ([46]), ce sont 75 millions d’euros qui ont été prévus sur la période 2021-2024 ; sur le volet 3, le slow tourisme, ce sont 10 millions d’euros qui ont été prévus.

Le budget alloué au fonds tourisme durable était de 50 millions d’euros dans le cadre de France Relance sur 2021 et 2022. Dans le cadre de Destination France, le budget annoncé était de 35 millions d’euros sur 2023 et 2024, dont 23 millions pour 2023.

Toutefois, au jour de l’audition des représentants du fonds tourisme durable – le 19 octobre 2022 – ce dernier n’avait toujours pas été notifié des fonds qui allaient lui être alloués et ce budget de 23 millions ne figure pas dans le projet de budget pour 2023 qui est présenté au Parlement. Il est regrettable que ce type de budget passe à la trappe de l’information budgétaire du Parlement. Nous ne savons pas, à ce jour, de quelle manière sera adopté le budget du fonds. Dans le même temps, le fonds a fait face en 2022 à une accélération notable des dépôts de dossiers avec un dépôt deux fois plus rapide que sur 2021. Il est par conséquent nécessaire de pérenniser et sécuriser les moyens qui avaient été annoncés.

La lettre de plafond du ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires signée fin juillet par la Première ministre reportait au collectif budgétaire de fin d’année l’ouverture d’éventuels crédits. Toutefois, le projet de loi de finances rectificative déposé le 2 novembre 2022 ne contient pas ces crédits annoncés. En l’état actuel des choses, le budget du fonds tourisme durable ne dispose donc pas de crédits pour 2023 – alors qu’étaient attendus 23 millions d’euros.

La rapporteure spéciale avait déposé en séance un amendement de crédits n° 2220 de 10 millions d’euros afin d’attirer l’attention sur la nécessité d’abonder effectivement le budget du fonds tourisme durable pour 2023. Toutefois, en raison de la mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, cet amendement n’a pas pu être discuté et n’a pas été repris par le Gouvernement.

La rapporteure spéciale ignore donc à ce jour si le budget du fonds tourisme durable qui était prévu lui sera versé pour 2023 ; elle ne sait encore moins par quel intermédiaire. Pourtant, il est urgent de se doter de moyens concrets de limiter l’impact du tourisme sur l’environnement. Cela doit également passer par la construction d’une gouvernance du tourisme plus ambitieuse.

Recommandation n° 7 : Abonder de 23 millions d’euros, comme cela était prévu, le fonds tourisme durable.

II.   l’urgence de se doter d’une gouvernance forte en matiÈre touristique en rÉponse aux enjeux croissants

Afin de répondre à ces enjeux, il est nécessaire de construire une gouvernance forte et ambitieuse du tourisme, avec des interlocuteurs clairement identifiés, un budget plus lisible, notamment doté d’un programme budgétaire dédié et des actions figurant dans les documents budgétaires, pour que les parlementaires puissent savoir quels crédits sont dépensés pour quelles actions concrètes, dans la logique de la LOLF. Il importe aussi de revoir les indicateurs de performance, car toute politique ambitieuse doit passer par des éléments permettant de l’évaluer concrètement et les indicateurs actuels sont insuffisants à cet égard.

A.   L’absence d’indicateurs de performance adÉquats et de modÈles d’Évaluation de la politique du tourisme

Le tourisme est une politique qui est par essence transversale, touchant à pléthore de domaines. Toutefois, la présentation de cette politique dans les documents budgétaires n’en améliore pas la lisibilité. Stratégiquement, les objectifs et indicateurs de performance paraissent dans une grande mesure inadaptés, que ce soit à la fois la politique transversale elle-même ou dans le cadre du programme 134 de la mission Économie, désormais en charge de la politique du tourisme.

1.   L’inadaptation des indicateurs de performance : l’exemple du document de politique transversale

La politique transversale du tourisme est structurée autour de trois axes stratégiques : améliorer l’offre touristique et favoriser l’accès à un public élargi aux vacances ; renforcer la valorisation touristique du patrimoine de la France et de sa culture ; développer un tourisme durable respectueux de l’environnement.

Le premier axe, Améliorer l’offre touristique et favoriser l’accès d’un public élargi aux vacances, est constitué d’un unique objectif qui est d’améliorer la qualité de services, dont les indicateurs de performance ne sont constitués que du niveau de retard moyen par vol pour cause ATC et le contrôle des navires. De tels indicateurs purement généraux et nullement en adéquation avec l’axe voulu sont largement insuffisants ; il paraît peu crédible que ces deux seuls indicateurs de performance puissent notamment favoriser l’accès à un public élargi aux vacances. Ces indicateurs ne prennent pas en compte notamment le pourcentage de Français ne partant pas en vacances. Pourtant, il est en recul en 2022, comme la rapporteure l’a déjà mentionné au début de cette seconde partie en nuançant les bons chiffres récents du tourisme.

Le deuxième axe, Renforcer la valorisation touristique du patrimoine de la France et de sa culture, contient deux objectifs que sont : la contribution à la promotion et au rayonnement de la France et la préservation du patrimoine culturel.

Le premier est apprécié sur la base d’indicateurs de performance visant l’attractivité touristique de la France sur la base du nombre de touristes étrangers en France et les recettes issues du tourisme international. Toutefois, s’agissant du premier indicateur, aucun nombre cible n’a été fixé pour apprécier la performance de cette politique et en évaluer les résultats concrets. Toutefois, cet indicateur est encore moins détaillé et ne présente aucun objectif. Y participent également la fréquentation des lieux subventionnés, l’effort de diffusion territoriale et l’accessibilité des collections au public (accessibilité des archives et taux d’ouverture des salles de musées). Un quatrième indicateur, le taux de satisfaction du public des institutions et des sites patrimoniaux, demeure cependant flou et peu enclin à permettre une évaluation de la politique publique et de l’adéquation des crédits lui étant dédiés. De la même manière, l’indicateur de performance lié à la diffusion de la langue française ne participe qu’indirectement à cette politique et ne permet pas d’évaluer la bonne tenue de la politique du tourisme ; un tel indicateur aurait plutôt sa place dans le seul programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence de la mission Action extérieure de l’État.

Le second objectif est apprécié à l’aide d’un indicateur relevant la part des crédits de conservation par rapport aux crédits de restauration des monuments historiques. De la même manière, cet indicateur ne permet pas d’évaluer l’efficience de la politique du tourisme et n’y participe que très indirectement ; il devrait relever uniquement de la mission Culture.

Le troisième axe est constitué d’un objectif unique Protéger les ressources naturelles, qui lui-même est constitué d’un indicateur de performance unique, le Taux d’identification des sources à l’origine de rejets illicites et polluants en mer. Compte tenu des conséquences du secteur du tourisme sur l’environnement, il paraît ironique, pour un budget dédié au tourisme qui prétend tendre vers un tourisme durable et faire de la France la première destination touristique mondiale, de n’en évaluer les effets qu’à l’aune de ce seul indicateur, sans prendre la mesure des émissions de gaz à effet de serre liées au tourisme ou encore sans apprécier l’effort fourni par l’État en matière de verdissement des transports touristiques.

Le caractère lacunaire des indicateurs n’est pas le seul fait du document de politique transversal mais caractérise par ailleurs ceux présentés dans le programme 134 de la mission Économie.

2.   L’inadaptation des indicateurs de performance : l’exemple du programme 134

Le programme 134 de la mission Économie a bénéficié du transfert des crédits du tourisme depuis le programme 185 de la mission Action extérieure de l’État et, ce faisant, a hérité des mêmes indicateurs de performance qui se trouvent désormais dans l’objectif n° 4 Développer l’attractivité touristique de la France. L’indicateur 4.1 Attractivité touristique de la France se base sur le nombre de touristes étrangers en France ainsi que sur les recettes issues du tourisme international ; l’indicateur 4.2 Renforcement des partenariats d’Atout France se fonde sur la part des cofinancements d’Atout France. S’il s’agit bien évidemment d’éléments essentiels pour évaluer la performance de la politique du tourisme, il est assez décevant que le ministère de l’Économie, des finances et de la relance n’ait pas adjoint de nouveaux indicateurs afin d’être en adéquation avec le fait que, par son rattachement à ce ministère, la politique du tourisme est reconnue comme une politique économique et non plus seulement comme une part de la diplomatie de la France. Le nouveau ministère de tutelle a simplement repris à son compte les indicateurs de performance qui existaient jusque-là sans réflexion aucune sur la nécessité de les faire évoluer.

Cet état de fait révèle qu’il n’existe pas, actuellement, de gouvernance crédible de la politique du tourisme en France ; nous devons pourtant nous doter d’une stratégie permettant d’en dégager tous les effets positifs à long terme.

B.   L’urgence de se doter d’une vÉritable gouvernance pour une politique du tourisme ambitieuse

Pour M. Jean-Luc Michaud, « le point faible de la gouvernance du tourisme français est son instabilité dans son positionnement dans l’organisation gouvernementale, qui n’a pas été corrigée par des stratégies ministérielles fortes mais au contraire, malgré les appels à la désignation d’un ministre dédié au tourisme et directement rattaché au Premier ministre ou appuyé par une délégation interministérielle, le secteur pâtit de ces changements multiples de responsables ainsi que d’un manque de suivi et de « retours d’expériences » ([47]). Effectivement, compte tenu de l’absence d’éléments homogènes, dans le budget de l’État, concernant la politique publique du tourisme, les indicateurs sont peu réfléchis, les politiques pas évaluées, les crédits éparpillés, les données lacunaires et la stratégie inexistante.

Compte tenu de l’absence d’acteurs clairement identifiés depuis un grand nombre d’années dans la gestion des crédits du tourisme, il est notable à cet égard de constater que la direction générale des entreprises – désormais, donc, chargée des crédits du tourisme – est incapable de déterminer dans quels programmes budgétaires se situent différents crédits alloués au tourisme (notamment s’agissant du plan « Avenir Montagne » ou de « Destination France ») comme de faire un bilan chiffré de la saison touristique ou d’évaluer à la fois les actions en faveur du tourisme ou les dépenses fiscales y participant. Force est de constater que cette politique publique est méconnue des dirigeants, et n’est pas évaluée, ce qui représente un problème de gestion des crédits budgétaires à la fin, car personne ne semble en mesure d’informer quant à l’utilisation des crédits sur des actions données. L’accès aux données en matière touristique a notamment trop longtemps été négligé et, malgré des efforts réalisés ces dernières années, le résultat demeure insatisfaisant ; le constat est le même que dans les derniers rapports spéciaux : l’inaccessibilité des données touristique est un obstacle majeur à l’appréciation de la politique publique du tourisme, notamment dans les collectivités territoriales. Il en résulte qu’une grande partie des conséquences de la politique publique du tourisme échappe à toute analyse.

Déjà en 1975, pourtant, des « comptes satellites du tourisme » avaient été élaborés et inscrits dans le cadre et selon les définitions de la comptabilité nationale par M. Jean-Luc Michaud, avec le concours de l’Insee et la participation des ministères concernés réunis en 1977 au sein d’une Commission interministérielle des comptes du tourisme. Dans la même logique, la mise en place de comptes régionaux du tourisme – qui ont été expérimentés dès 1980 à l’initiative de M. Pierre Racine, alors président de la mission d’aménagement du Languedoc-Roussillon – pourrait apporter un éclairage particulier et permettre de mieux évaluer les impacts de la politique du tourisme ([48]).

L’élaboration d’une gouvernance du tourisme avait été inscrite à l’ordre du jour, en janvier 2020, lors d’un « comité stratégique de filière » mais en raison de la pandémie, ce cadre n’avait en réalité qu’été utilisé comme un lieu de dialogue relatif aux mesures de soutien adoptées pour faire face à la crise ([49]). La pandémie étant dorénavant derrière nous, il y a urgence à entamer des discussions quant à la construction d’une telle gouvernance et de ne pas attendre que tous les défis susmentionnés ne se matérialisent trop fortement et handicapent de nouveau tout le secteur.

Recommandation  8 : En matière de gouvernance du tourisme, maintenir la réunion du comité de filière deux fois par an, et le doter de groupes de travail thématique. Cet outil a permis de sauver la filière durant la crise sanitaire. Il serait susceptible de l’aider à faire face aux défis à venir, en dégageant une vue d’ensemble préalable à l’élaboration d’une stratégie globale.

Compte tenu de tous ces éléments, la rapporteure spéciale s’est abstenue de se prononcer sur les crédits du tourisme dans le projet de loi de finances pour 2023.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 26 octobre 2022, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Économie.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.

Conformément à l’avis favorable du rapporteur spécial Xavier Roseren et malgré l’avis défavorable des rapporteurs spéciaux M. Michel Sala et M. Franck Allisio ainsi que l’abstention de la rapporteure spéciale Émilie Bonnivard, la commission a adopté les crédits de la mission Économie sans modification.

La commission a adopté l’amendement II-CF1383 de la rapporteure spéciale Émilie Bonnivard (amendement II-2827), portant modification de l’état G pour la mission Économie.

 

 

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   PERSONNES AUDITIONNÉES PAR
LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

 

 Atout France

– Mme Caroline Leboucher, directrice générale.

 Cabinet de la ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme

– M. Vincent Alhenc-Gelas, directeur de cabinet,

– Mme My-Lan Nguyen, conseillère parlementaire et en charge des élus locaux,

– Mme Laetitia Tabet, conseillère.

 Direction générale des entreprises (DGE)

– M. Olivier Lacoste, sous-directeur adjoint du tourisme.

 Domaines skiables de France

– M. Alexandre Maulin, président,

– M. Laurent Reynaud, délégué général.

 Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration

– M. Didier Chenet, président,

– M. Franck Trouet, directeur des relations institutionnelles et de la communication.

 Fonds tourisme durable

– M. Geoffrey Abecassis, responsable Plan de relance / France 2030 et conseiller du Président de l’ADEME.

 

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([1]) Rapport spécial portant sur les crédits du tourisme annexé au projet de loi de finances pour 2022.

([2]) Document de politique transversale 2023, Politique du tourisme, p. 8.

([3]) Document de politique transversale, op. cit., p. 42.

([4]) Document de politique transversale, ibid., pp. 46-47.

([5]) Document de politique transversale, ibid., p. 47.

([6]) Document de politique transversale, ibid., p. 47.

([7]) Document de politique transversale, ibid., p. 60.

([8]) Document de politique transversale, ibid., p. 65.

([9]) Document de politique transversale, ibid., p. 77.

([10]) Document de politique transversale, ibid., p. 44.

([11]) Document de politique transversale, ibid., p. 48.

([12]) Exposé sommaire de l’amendement n° 2818 déposé par le Gouvernement en séance publique sur la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2023 (n° 273).

([13]) Organisation mondiale du tourisme (OMT), ibid.

([14]) Organisation mondiale du tourisme (OMT), ibid.

([15]) Sources : données ANMSM par le cabinet G2A sur la base de 519 801 lits représentant le marché de la montagne du 2 juillet au 26 août 2022.

([16]) Organisation mondiale du tourisme (OMT), op. cit.

([17]) Atout France, Note de conjoncture de l’économie touristique, Décryptage mensuel des tendances du secteur, septembre 2022.

([18]) Atout France, ibid.

([19]) La Banque des territoires, « Tourisme : un très bon bilan estival 2022 » : https://www.banquedesterritoires.fr/tourisme-un-tres-bon-bilan-estival-2022.

([20]) La Banque des territoires,ibid.

([21]) La Banque des territoires, ibid.

([22]) Les Échos, « Tourisme : levons un bouclier inflation ! » : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-tourisme-levons-un-bouclier-inflation-1867643.

([23]) Ibid.

([24]) Les Échos entrepreneurs, « A l’approche de l’été, le difficile recrutement des saisonniers » : https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/ressources-humaines/0701604188976-a-l-approche-de-l-ete-le-difficile-recrutement-des-saisonniers-348400.php.

([25]) France Bleu, « Hausse de la demande, pénurie de personnel : le secteur aérien inquiet d’un engorgement des aéroports cet été » : https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/hausse-de-la-demande-penurie-de-personnel-le-secteur-aerien-inquiet-d-un-engorgement-des-aeroports-1652174092.

([26]) L’Écho touristique, « Agences et TO : comment enrayer les difficultés de recrutement » : https://www.lechotouristique.com/article/agences-et-to-comment-enrayer-les-difficultes-de-recrutement.

([27]) Les Échos, « Tourisme : les opérateurs s’alarment de la pénurie de personnel » : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/tourisme-les-operateurs-salarment-de-la-penurie-de-personnel-1328227.

([28]) Christophe Guibert et Bertrand Réau, Les travailleurs du tourisme dans la tourmente, Alternatives économiques, 2021/3, n° 91, pp. 36-46.

([29]) Audition du GNI.

([30]) L’Écho touristique, « Sobriété énergétique : les mesures qui concernent le tourisme » : https://www.lechotouristique.com/article/sobriete-energetique-les-mesures-qui-concernent-le-tourisme.

([31]) Le Monde, « Dans les Alpes, les stations de ski face à la flambée des prix de l’énergie » : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/19/dans-les-alpes-les-stations-de-ski-face-a-la-flambee-des-prix-de-l-energie_6142250_3234.html.

([32]) Audition de Domaines Skiables de France.

([33]) Atout France, feuille de route 2022-2024 :

https://www.atout-france.fr/sites/default/files/imce/feuille_de_route_22-24.pdf.

([34]) Contribution écrite de M. Xavier Giguet, secrétaire général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.

([35]) Courrier International, « Tourisme. Hausse des prix de l’énergie : venez passer l’hiver sous le soleil d’Antalya ! » : https://www.courrierinternational.com/article/tourisme-hausse-des-prix-de-l-energie-europeens-venez-passer-l-hiver-sous-le-soleil-d-antalya.

([36]) Audition du GNI.

([37]) Banque des territoires : « Tourisme : un très bon bilan estival 2022 » :

https://www.banquedesterritoires.fr/tourisme-un-tres-bon-bilan-estival-2022.

([38]) Audition GNI.

([39]) ADEME, « Bilan des émissions de gaz à effet de serre du secteur du tourisme en France », 2021.

([40]) Dossier de presse du plan France Relance : https://www.ecologie.gouv.fr/it/node/7745.

([41]) Document de politique transversale, op. cit, p. 63.

([42]) Définition de l’Organisation des Nations Unies : https://sdgs.un.org/fr/topics/sustainable-tourism.

([43]) Contribution écrite de Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire de la SNCF.

([44]) Loi de 1957 dite « Friluftsloven » régissant les loisirs de plein air en Norvège, LOV 1957-06-28 nr 16 Lov om frilufslivet.

([45]) Activités de restauration commerciale traditionnelle : réduction des déchets dont gaspillage alimentaire et consommation d’eau et d’énergie, développement de l’alimentation locale, de qualité et bas carbone, ancrage dans le territoire.

([46]) Les hébergements touristiques : réduction des déchets dont gaspillage alimentaire et consommation d’eau et d’énergie, développement de l’alimentation locale, de qualité et bas carbone, ancrage dans le territoire.

([47]) Jean-Luc Michaud, « Les enjeux de la gouvernance touristique : de la rétrospective à la prospective », Juristourisme, octobre 2022, pp. 16-21.

([48]) Jean-Luc Michaud, ibid.

([49]) Jean-Luc Michaud, ibid.