N° 292

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2022.

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

PAR M. Jean-René CAZENEUVE,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 30
 

 

Justice

 

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Patrick Hetzel

 

Député

____



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SOMMAIRE

___

Pages

PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAl

DONNÉES CLÉS

INTRODUCTION

PremiÈre partie : la mission justice

I. LE PROGRAMME 166 : Justice judiciaire

A. Une hausse sensible des moyens allouÉs aux juridictions judiciaires

1. Des dépenses de personnel en progression soutenue

a. Un schéma d’emplois particulièrement dynamique

b. 57,4 millions d’euros alloués à des mesures catégorielles

2. Des moyens de fonctionnement en hausse pour tenir compte des créations d’emplois et de l’inflation

a. La dynamique des frais de justice

b. Des moyens de fonctionnement en hausse de 46,7 millions d’euros en crédits de paiement

c. Les dépenses d’investissement immobilier du programme

B. La poursuite du vieillissement du stock d’affaires civiles

1. Des délais de jugement toujours élevés pour la justice civile

2. Un allongement des délais de traitement des procédures pénales

3. La lente transformation numérique du ministère de la justice

II. Le programme 107 : Administration pÉnitentiaire

A. la crÉation de 809 postes, principalement pour accompagner l’ouverture de places de prisons supplÉmentaires

B. une hausse des moyens de l’administration pÉnitentiaire

1. La poursuite du plan « prisons »

2. La sécurité des établissements pénitentiaires

3. La réinsertion des personnes placées sous-main de justice

a. Les crédits alloués à l’aménagement des peines

b. Les moyens en faveur de l’insertion des personnes placées sous-main de justice

III. le programme 182 : protection judiciaire de la jeunesse

A. Des crÉdits en hausse du fait de la progression des dÉpenses de personnel

1. Le renforcement des effectifs de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse

2. Le décalage du calendrier de création de la réserve de la protection judiciaire de la jeunesse

3. Le retard du plan de construction de nouveaux centres éducatifs fermés

B. Des dÉlais de prise en charge en voie d’amÉlioration

IV. le programme 101 : AccÈs au droit et À la justice

A. Un budget en hausse de 5 % en 2023

1. La progression des crédits alloués à l’aide juridictionnelle

2. Une hausse des crédits alloués à l’accès au droit et à l’aide aux victimes

B. la mise en place du systÈme d’information pour l’aide juridictionnelle

V. le programme 310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice

A. Des moyens en hausse pour le secrÉtariat gÉnÉral du ministÈre

B. La conduite des projets informatiques du ministÈre de la justice

C. le budget des opÉrateurs rattachÉs au programme

VI. Le programme 335 : Conseil supÉrieur de la magistrature

Examen de l’article rattachÉ

Article 44 (Article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle) Prolongation et extension de l’expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales

I. L’État du droit

II. le droit proposÉ

III. La position de la commission

EXAMEN EN COMMISSION

L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 20,5 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances. Le rapporteur spécial déplore ce faible taux de réponse.

 


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PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAl

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de doter la mission Justice de 12,51 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 11,56 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). Les AE diminueraient de 259,6 millions d’euros (– 2 %) et les CP augmenteraient de 822 millions d’euros par rapport à 2022 (+ 7,7 %).

Hors compte d’affection spéciale (CAS) Pensions, les crédits de la justice progresseraient de 711 millions d’euros par rapport à 2022 (+ 8 %). Après deux hausses comparables du budget de la mission de 8 % en 2021 et en 2022, cette augmentation s’inscrit dans la continuité des exercices précédents.

En 2023, la progression des crédits résulterait principalement de la hausse des dépenses de personnel. Celles-ci augmenteraient de 551,8 millions d’euros en 2023, tandis que les crédits hors titre 2 progresseraient de 270,2 millions d’euros par rapport à 2022. Le schéma d’emplois des programmes de la mission prévoit la création de 2 253 postes en 2023, qui s’accompagneraient d’une enveloppe de 80 millions d’euros allouée à différentes mesures catégorielles.

Ces dernières permettraient notamment de mettre en œuvre les annonces formulées par le garde des Sceaux, selon lesquelles les magistrats judiciaires bénéficieraient d’une revalorisation de leur rémunération de 1 000 euros brut par mois à compter d’octobre 2023.

Les moyens supplémentaires prévus par le projet de loi de finances pour 2023 se révèlent nécessaires. Ils répondent en partie aux recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice, dont le rapport, publié en juillet 2022, montre l’ampleur du malaise qui traverse le service public de la justice.

Toutefois, si l’augmentation des crédits de la mission permettra de combler une partie du retard de la France sur les autres pays européens en termes de moyens alloués au système judiciaire, elle ne saurait suffire à régler l’ensemble des difficultés rencontrées par les justiciables et les agents du ministère. Au-delà des moyens, la gestion des politiques publiques de la justice se révèle à bien des égards très défaillante. Les annonces du Gouvernement, nourrissant de nombreux espoirs, connaissent trop souvent des retards et des dysfonctionnements dans leur mise en œuvre.

De surcroît, les délais de traitement des affaires civiles et pénales ainsi que le taux d’occupation des établissements pénitentiaires atteignent des niveaux très préoccupants, en dépit des moyens complémentaires. Cette situation alimente une défiance croissante à l’égard de la justice judiciaire et porte préjudice à l’attractivité de ses métiers. Le rapporteur spécial considère par conséquent que l’un des principaux défis du ministère est d’améliorer le pilotage de ses politiques publiques et la bonne allocation de ses moyens.

 


—  1  —

   DONNÉES CLÉS

Évolution des crÉdits de la mission justice

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Programmes de la mission

LFI 2022

LFR 2022

PLF 2023

Évolution PLF 2023/LFI 2022

LFI 2022

LFR 2022

PLF 2023

Évolution PLF 2023/LFI 2022

166 – Justice judiciaire

3 920,8

22,3

4 516,4

15,2 %

3 849,1

22,3

4 148,8

7,8 %

107 – Administration pénitentiaire

6 544,7

38,7

5 409,9

-17,3 %

4 584,0

38,7

4 927,4

7,5 %

182 – Protection judiciaire de la jeunesse

992,3

39,1

1 103,7

11,2 %

984,8

39,1

1 087,3

10,4 %

101 – Accès au droit et à la justice

680,0

11,7

712,5

4,8 %

680,0

11,7

712,5

4,8 %

310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice

619,0

7,4

764,5

23,5 %

638,2

7,4

682,5

6,9 %

335 – Conseil supérieur de la magistrature

13,8

0,1

4,1

-70,5 %

5,3

0,1

5,0

-5,5 %

Total

12 770,7

119,3

12 511,0

-2,0 %

10 741,4

119,3

11 563,4

7,7 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

RÉpartition du schÉma d’emplois de la mission en 2023

(en ETP)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

PrÉvision et exÉcution des frais de justice

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

 

 

prÉvision et exÉcution des crÉdits allouÉs à l’aide juridictionnelle

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

 

 


—  1  —

   INTRODUCTION

La mission Justice comprend l’ensemble des moyens humains, matériels et financiers dont dispose le ministère de la justice. Elle comporte six programmes, dont trois programmes « métiers » :

– le programme 166 Justice judiciaire, qui porte les crédits alloués au fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire ;

– le programme 107 Administration pénitentiaire, portant le budget de la direction de l’administration pénitentiaire ;

– le programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse, qui porte les crédits de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

Le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice rassemble les moyens de l’état-major, des directions législatives et des services d’intérêt commun du ministère. Le programme 101 Accès au droit et à la justice finance la politique de soutien à l’accès au droit et la justice. Enfin, le programme 355 vise à garantir l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature.

Près de 80 % des crédits de la mission sont concentrés sur l’administration pénitentiaire et la justice judiciaire.

rÉpartition des crÉdits de paiement demandÉs sur la mission Justice en 2023

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

En revanche, le périmètre de la mission Justice ne comprend pas les juridictions de l’ordre administratif, dont les crédits sont inscrits sur le programme 165 de la mission Conseil et contrôle de l’État.


—  1  —

   PremiÈre partie : la mission justice

Le projet de loi de finances prévoit de porter les crédits de la mission Justice à 12,51 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 11,56 milliards d’euros en crédits de paiement (CP).

Les AE diminueraient de 2 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2022, tandis que les CP progresseraient de 7,7 %.

ÉVOLUTION DES crédits de la mission Justice en 2023

(en millions d’euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

Programme 166 – Justice judiciaire

3 920,8

4 516,4

15,2 %

3 849,1

4 148,8

7,8 %

Programme 107 – Administration pénitentiaire

6 544,7

5 409,9

– 17,3 %

4 584,0

4 927,4

7,5 %

Programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse

992,3

1 103,7

11,2 %

984,8

1 087,3

10,4 %

Programme 101 – Accès au droit et à la justice

680,0

712,5

4,8 %

680,0

712,5

4,8 %

Programme 310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice

619,0

764,5

23,5 %

638,2

682,5

6,9 %

Programme 335 – Conseil supérieur de la magistrature

13,8

4,1

– 70,4 %

5,3

5,0

– 6,1 %

Total

12 770,6

12 511,0

– 2,0 %

10 741,4

11 563,4

7,7 %

● La diminution du montant des autorisations d’engagement demandées en 2023 par rapport à 2022 ne traduit pas une baisse du budget de la mission ; elle s’explique par le renouvellement des marchés délégués de gestion des prisons réalisé en 2022 par l’administration pénitentiaire, qui a rendu nécessaire l’ouverture d’un montant important d’AE qui n’ont pas à être reconduites en 2023.

Cette hausse s’inscrit plus généralement dans un contexte de progression du budget du ministère de la justice, qui s’est un peu accélérée à compter de l’année 2021.

 

Évolution des crÉdits de paiement de la mission justice

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

● Hors compte d’affectation spécial (CAS) Pensions, les crédits de paiement de la mission progresseraient de 8 % en 2023 pour s’établir à 9,57 milliards d’euros, soit une augmentation de 711 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en 2022. Cette hausse fait suite à une progression de ces mêmes crédits de 8 % en 2021 puis en 2022. Au total, le budget de la justice (hors CAS Pensions) progresserait de 26 % entre 2020 et 2023.

Cette hausse mérite d’être soulignée dans la mesure où, jusqu’en 2021, les crédits ouverts et exécutés sur la mission sont restés en deçà de la trajectoire fixée par la loi de programmation et de réforme pour la justice pour les années 2018 à 2022 ([1]). Une nouvelle loi de programmation a par ailleurs été annoncée pour la période 2023 à 2027.

 

 

● Pour 2022, la progression du budget de la mission avait pour principale origine l’augmentation des crédits hors titre 2 (HT2) ; en 2023, cette hausse serait principalement tirée par l’augmentation des dépenses de personnel. Celles-ci augmenteraient de 551,8 millions d’euros en 2023, tandis que les crédits HT2 des différents programmes de la mission progresseraient de 270,2 millions d’euros par rapport à 2022. Cette augmentation différenciée s’explique par les efforts réalisés par le ministère en 2023 en matière de recrutements et de revalorisation des rémunérations de certaines catégories de personnel.

Évolution des crÉdits par titre

(en millions d’euros)

 

LFI 2022

Évolution par rapport
à la LFI 2021

PLF 2023

Évolution par rapport
à la LFI 2022

Titre 2

6 127,9

+ 3 %

6 679,7

+ 9 %

Hors titre 2

4 613,5

+ 12 %

4 883,7

+ 6 %

Mission Justice

10 741, 4

+ 6,8 %

11 563 ,4

+ 7,7 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Le projet de loi de finances prévoit la création de 2 253 emplois en 2023, soit 1 533 postes supplémentaires par rapport aux créations permises par la loi de finances pour 2022. Ces créations concernent en premier lieu les services judiciaires (1 220 postes) et l’administration pénitentiaire (809 postes).

RÉpartition du schÉma d’emplois de la mission en 2023

(en ETP)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Le plafond d’emplois du ministère, conformément aux dispositions de l’article 32 du projet de loi de finances pour 2023, s’élèverait à 92 061 ETPT, en hausse de 1 394 ETPT par rapport au plafond d’emplois pour 2022. Ces hausses concerneraient principalement le programme Justice judiciaire (+ 574 ETPT) et l’administration pénitentiaire (+ 629 ETPT).

En outre, 80 millions d’euros financeraient des mesures catégorielles, notamment celles concernant les magistrats judiciaires, les personnels de greffe et les personnels de l’administration pénitentiaire. Une part non négligeable de la hausse des dépenses de personnel du ministère est également imputable à la revalorisation du point d’indice de la fonction publique intervenue en juillet 2022 (66,4 millions d’euros pour l’ensemble de la mission en 2023).

● Autre spécificité du budget de la mission pour 2023, l’analyse de l’évolution relative des enveloppes allouées à chacun des programmes « métiers » du ministère montre que, pour la première fois depuis la loi de finances pour 2019, les crédits du programme 107 Administration pénitentiaire progresseraient, en proportion, moins fortement que les crédits alloués aux programmes 166 Justice judiciaire et 182 Protection judiciaire de la jeunesse.

progression relative du budget des programmes 107, 166 et 182

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

● Le projet de loi de finances pour 2023 poursuit deux ambitions principales pour le budget de la justice.

En premier lieu, il s’inscrit dans la continuité des exercices précédents. Les crédits de la mission permettraient, s’agissant des juridictions judiciaires, de soutenir la justice de proximité et les moyens d’enquête de la justice, d’accompagner la mise en œuvre de la réforme du code de justice pénale des mineurs (CJPM) ou encore de moderniser le parc immobilier des juridictions.

En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, le budget de la mission financerait la poursuite du plan de construction de 15 000 places de prisons, dont les très importants retards de livraison ont été actés en 2021, et renforcerait les moyens alloués à la sécurisation des sites ainsi qu’à l’insertion des personnes placées sous-main de justice.

Les crédits du programme 101 Accès au droit et à la justice sont en grande partie alloués à l’aide juridictionnelle, dont les critères d’éligibilité ont été modifiés par la loi de finances pour 2020 ([2]) et qui a été étendue à certaines procédures non juridictionnelles par la loi de finances pour 2021 ([3]). L’unité de valeur servant de calcul pour la rétribution des avocats a, par ailleurs, été doublement revalorisée, en 2021 ([4]) et 2022 ([5]), pour être portée à 36 euros.

Le Gouvernement a fait part de son intention de poursuivre ces réformes en élargissant les prérogatives des bureaux d’aide juridictionnelle afin de faciliter le recouvrement des sommes engagées par l’État au bénéfice de justiciables non éligibles. Cette réforme, qui serait proposée par voie d’amendement lors de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, est toutefois évoquée dans le projet annuel de performances de la mission. Le rapporteur spécial considère que, dans ces circonstances, ces dispositions auraient pu être introduites dès le dépôt du texte et accompagnées d’une évaluation préalable.

Enfin, le budget du programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice porte les crédits alloués à la modernisation des systèmes d’information du ministère. Un nouveau plan de transformation numérique (PTN) serait ainsi engagé à compter de 2023.

En second lieu, le ministère de la justice semble vouloir tirer les conséquences des conclusions formulées par le comité des États généraux de la justice dans son rapport Rendre justice aux citoyens, remis au Président de la République le 8 juillet dernier.

Ce rapport dresse des constats que le rapporteur spécial partage en grande partie et qu’il a pu lui-même formuler dans le cadre de ses précédents travaux. Le comité des États généraux dépeint une justice en grande difficulté, marquée par un allongement des délais de jugement et une dégradation de la qualité des décisions. D’un point de vue budgétaire, ce rapport documente l’insuffisant investissement dont a pu bénéficier le service public de la justice ces dernières années, et surtout les difficultés de pilotage auxquelles sont confrontés les gestionnaires du ministère.

Ces constats sont par ailleurs cohérents avec les chiffres présentés chaque année par la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe. Cette dernière indique ainsi que la France a consacré 4,9 milliards d’euros en 2020 pour le fonctionnement de son système judiciaire, soit 72,5 euros par habitant. Si ce montant est supérieur à la médiane européenne (64,5 euros par habitant), il se situe en deçà de ce seuil s’agissant de la part du PIB consacrée au système judiciaire (0,21 % du PIB en France, contre 0,3 % pour l’ensemble des pays membres de la CEPEJ). Le budget alloué en France au système judiciaire est en outre inférieur à la moyenne des quarante-six États membres de la CEPEJ (78,1 euros par habitant).

Le budget de la justice pour 2023 constituerait ainsi une première étape pour tenter de régler la crise profonde que traverse la justice judiciaire. La hausse des créations d’emplois, notamment de magistrats judiciaires, et les revalorisations de rémunération répondent notamment à des recommandations centrales du rapport du comité des États généraux de la justice ([6]).

Le rapporteur spécial s’interroge néanmoins sur la manière dont ces efforts seront mis en œuvre. En effet, s’agissant des postes de magistrats créés en 2023, rien n’indique si ceux-ci concernent des fonctionnaires installés en juridiction ou à l’inverse des auditeurs de justice qui débuteront leur formation à l’École nationale de la magistrature en 2023.

De la même manière, si la hausse de 1 000 euros par mois de la rémunération des magistrats est une mesure qu’il convient de saluer, il apparaît qu’elle se traduira en réalité par la revalorisation de primes forfaitaires et modulables perçues par les magistrats, laissant penser que le gain qui en sera tiré profitera principalement aux magistrats les plus expérimentés.

Derrière les effets d’annonce, il conviendra donc d’être attentif à la mise en œuvre des réformes qui seront issues des États généraux de la justice. Le rapporteur spécial considère à cet égard qu’en parallèle de la hausse des moyens humains et budgétaires, l’amélioration du quotidien des justiciables et des personnels du ministère suppose de réaliser des progrès considérables en matière de pilotage des politiques publiques de la justice.


I.   LE PROGRAMME 166 : Justice judiciaire

Le programme 166 représente 36 % des crédits de la mission et finance les moyens alloués aux juridictions de l’ordre judiciaire. Malgré la hausse régulière de leurs moyens, ces dernières restent confrontées à l’allongement des délais de traitement des affaires.

A.   Une hausse sensible des moyens allouÉs aux juridictions judiciaires

En 2023, les crédits du programme 166 s’élèveraient à 4,52 milliards d’euros en AE et 4,15 milliards d’euros en CP. Les AE progresseraient de 15,2 % (+ 595,6 millions d’euros) et les CP augmenteraient de 7,8 % (+ 299,7 millions d’euros) par rapport à 2022.

 

AE

CP

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

01 – Traitement et jugement des contentieux civils

1 087,1

1 173,6

8 %

1 087,1

1 173,6

8 %

02 – Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

1 408,5

1 456,6

3 %

1 408,5

1 456,6

3 %

03 – Cassation

65,2

71,2

9 %

65,2

71,2

9 %

05 – Enregistrement des décisions judiciaires

11,5

12,6

9 %

11,5

12,6

9 %

06 – Soutien

1 176,5

1 609,9

37 %

1 104,8

1 242,3

12 %

07 – Formation

157,3

177,0

13 %

157,3

177,0

13 %

08 – Support à l'accès au droit et à la justice

14,7

15,5

6 %

14,7

15,5

6 %

Total

3 920,8

4 516,4

15 %

3 849,1

4 148,8

8 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

1.   Des dépenses de personnel en progression soutenue

Les dépenses de titre 2 du programme s’élèveraient en 2023 à 2,74 milliards d’euros et constitueraient 61 % des crédits du programme. Elles progresseraient en outre de 211 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2022.

Hors CAS Pensions, les dépenses de personnel s’établiraient à 1,99 milliard d’euros et progresseraient de 11 % par rapport à 2022.

a.   Un schéma d’emplois particulièrement dynamique

Ces crédits financeraient la création de 1 220 emplois en 2023 (soit 1 180 emplois de plus qu’en 2022), répartis de la manière suivante :

– 200 emplois de magistrats de l’ordre judiciaire ;

– 575 emplois de personnels d’encadrement ;

– 210 emplois de catégorie B « administratifs et techniques » ;

– 44 emplois de catégorie C « administratifs et techniques » ;

– 191 emplois de catégorie B relevant des métiers du greffe et du commandement.

● À ces emplois s’ajoute la pérennisation de 500 ETP correspondant aux recrutements en contrats temporaires effectués en 2021 dans le cadre du volet civil de la justice de proximité, de 105 ETP recrutés dans le cadre de la lutte contre les violences intrafamiliales et de 90 ETP accordés au ministère de la justice dans le cadre de la généralisation de l’intermédiation des pensions alimentaires. À ce titre, selon le projet annuel de performances de la mission, un amendement sera déposé par le Gouvernement sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022 afin de rehausser le plafond d’emplois pour 2022 du programme 166.

Il peut être constaté que les recrutements de personnels d’encadrement, qui comprennent les contrats de juristes assistants et assistants spécialisés, seraient particulièrement élevés en 2023. Ces créations de postes apportent une première réponse à une recommandation du rapport du comité des États généraux de la justice portant sur la nécessité d’étoffer l’équipe travaillant autour des magistrats ; pour y parvenir, il était ainsi préconisé de recruter a minima 2 000 juristes assistants.

● Les annonces formulées par la Première ministre lors de son discours de politique générale, prononcé devant l’Assemblée nationale le 6 juillet 2022, paraissent également cohérentes avec les recommandations du rapport Rendre justice aux citoyens. 1 500 postes de magistrats judiciaires devraient ainsi être créés en cinq ans.

Toutefois, le recrutement de 200 magistrats dès 2023, comme le prévoit le schéma d’emplois du programme 166, appelle davantage de commentaires. Ces derniers sont majoritairement recrutés par voie de concours, qu’il s’agisse des trois concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature (ENM) ou du concours complémentaire. Dans ce cas, la durée de formation d’un magistrat oscille entre 7 à 9 mois – pour le concours complémentaire – ou 31 mois pour les premier, deuxième et troisième concours.

Le nombre de places ouvertes au concours de l’ENM n’a pas sensiblement augmenté au cours des trois dernières années (entre 200 et 285 places pour les trois premiers concours). Il semble ainsi que, derrière ces effets d’annonce laissant entendre que 200 magistrats supplémentaires viendraient renforcer les effectifs des juridictions dès l’année 2023, se cachent en réalité des ouvertures de postes d’auditeurs de justice qui n’entreront pas en fonction, pour la plupart, avant l’année 2025.

Ces emplois sont par ailleurs nécessaires pour réduire le taux de vacance de postes, qui s’élève à 5,7 % pour les magistrats du parquet et à 3,52 % en moyenne en 2022.

magistrats en exercice en juridiction et taux de vacance
au 1er septembre 2022

 

 

2019

2020

2021

2022

Nombre de magistrats exerçant au siège

5 958

6 084

6 182

6 220

Taux de vacance des postes du siège

0,95 %

– 0,03 %

0,18 %

2,74 %

Nombre de magistrats exerçant au parquet

2 036

2 097

2 117

2 112

Taux de vacance des postes du parquet

0,97 %

0,47 %

1,72 %

5,76 %

Nombre total de magistrats exerçant en juridictions

7 994

8 181

8 299

8 332

Taux de vacance global

0,95 %

0,10 %

0,58 %

3,52 %

Source : direction des services judiciaires.

 S’agissant des personnels de greffe, la création de 191 emplois doit être saluée. Le comité des États généraux de la justice a, sur ce sujet, souligné que la dégradation de la situation des juridictions n’était pas sans lien avec la diminution des effectifs réels de personnels de greffe sur la période 2010-2021.

Les créations de postes de magistrats ne se sont par ailleurs, au cours de cette période, pas traduites par une évolution proportionnelle des effectifs de greffe. Le ratio personnel de greffe/magistrat a ainsi décru de 0,17 point entre 2011 et 2021, pour s’établir à 2,51.

En outre, le taux global de vacance des postes des agents des greffes s’est progressivement dégradé. Il est passé de 6,20 % en 2019 à 6,97 % au 1er janvier 2022 ; plus particulièrement chez les greffiers, ce taux est passé de 4,55 % en 2019 à 7,24 % en 2022.

Enfin, ces créations de postes ne lèvent pas toutes les difficultés auxquelles sont confrontées les juridictions et doivent s’accompagner de la création d’un référentiel d’évaluation de la charge de travail des magistrats pour favoriser une allocation optimale des moyens entre les juridictions.

Les travaux sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats

À la suite des recommandations formulées par la Cour des comptes, par la commission
européenne pour l’efficacité de la justice, par le rapporteur spécial et désormais par le comité des États généraux de la justice, la direction des services judiciaires a engagé des travaux destinés à mettre en place un système de pondération des affaires judiciaires pour mesurer de manière plus satisfaisante l’activité des magistrats.

Un groupe de travail composé de représentants des associations professionnelles et des organisations syndicales de magistrats et accompagné par l’inspection générale de la justice a été formé pour trouver un consensus autour de la conception de cet outil.

Les travaux reposent sur une expérimentation menée au sein d’un panel de 20 tribunaux judiciaires. La finalisation des tables de pondération des fonctions de magistrat du siège et du parquet devrait, selon le projet annuel de performances, intervenir dans le courant de l’année 2023, avant que ne débutent les travaux sur les fonctions judiciaires en cour d’appel.

Le rapporteur spécial constate que ce projet prend du retard, dans la mesure où, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, il lui avait été indiqué que les travaux pourraient trouver une concrétisation opérationnelle à la fin de l’année 2022. Il ne peut que souligner à nouveau l’importance de ces travaux pour améliorer l’allocation des moyens au sein des juridictions.

b.   57,4 millions d’euros alloués à des mesures catégorielles

Le projet annuel de performances du programme prévoit par ailleurs qu’une enveloppe de 57,4 millions d’euros serait consacrée à des mesures catégorielles. Ces crédits seraient ouverts à la suite des annonces formulées par le garde des Sceaux portant sur une revalorisation de la rémunération des magistrats de 1 000 euros par mois à compter du mois d’octobre 2023.

Plus précisément, les mesures catégorielles prévues pour 2023 se décomposent de la manière suivante :

– 27,9 millions d’euros seraient alloués à l’alignement de la rémunération des magistrats judiciaires sur celle des magistrats administratifs ;

– 1,3 million d’euros permettrait d’aligner la rémunération des élèves de l’ENM sur le traitement des élèves de l’Institut national du service public (INSP) ;

– 14,8 millions d’euros seraient alloués à la revalorisation du régime indemnitaire des personnels de greffe ;

– 4,6 millions d’euros seraient alloués à la revalorisation de la rémunération des corps communs.

S’agissant des magistrats, les mesures catégorielles prévues portent sur la revalorisation de la prime forfaitaire (pour 20,9 millions d’euros) et de la prime modulable (pour 7 millions d’euros).

Selon les dispositions réglementaires en vigueur ([7]), la prime modulable est attribuée « en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l’institution judiciaire, notamment en tenant compte, le cas échéant, des attributions spécifiques qui lui ont été confiées et du surcroît d’activité résultant d'absences prolongées de magistrats ». Tout comme la prime forfaitaire, son calcul est par ailleurs fonction du traitement indiciaire brut des magistrats. Toutefois, à l’inverse de la prime forfaitaire, il dépend également d’un taux moyen et d’un taux plafond déterminés par arrêté du ministre de la justice.

Ces revalorisations ne bénéficieraient donc pas en priorité aux plus jeunes magistrats, dès lors que le montant des primes forfaitaire et modulable dépend du montant du traitement indiciaire, lui-même croissant en fonction de l’ancienneté. Le rapporteur spécial estime donc que ces revalorisations ne sauraient suffire à régler réellement la question de l’attractivité de la magistrature judiciaire.

2.   Des moyens de fonctionnement en hausse pour tenir compte des créations d’emplois et de l’inflation

Les dépenses HT2 du programme 166 s’élèveraient à 1,77 milliard d’euros en AE et 1,40 milliard d’euros en CP en 2023. Ces crédits seraient en hausse de 385 millions d’euros en AE et 89 millions d’euros en CP par rapport à 2022.

Ils financeraient la progression des frais de justice ainsi que l’augmentation des moyens de fonctionnement des juridictions.

a.   La dynamique des frais de justice

Les frais de justice s’élèveraient à 660,4 millions d’euros en 2023 et progresseraient de 12 millions d’euros par rapport à 2022. Cette hausse est justifiée par la revalorisation des tarifs des experts, afin de renforcer leur attractivité, ainsi que par le renforcement de certaines politiques pénales, dont celle relative à la lutte contre les violences intrafamiliales.

Ces crédits ont augmenté de manière soutenue et ont surtout fait l’objet de sur-exécutions régulières par le passé. Leur maîtrise demeure donc un point de grande attention, quand bien même l’exécution du budget de la mission pour 2021 a démontré que la prévision avait été respectée. La dépense moyenne des frais de justice par affaire faisant l’objet d’une réponse pénale continue ainsi sa progression, avec une cible fixée à 501 euros en 2023, contre 441 euros en 2022. Les segments connaissant les plus fortes hausses concernent les dépenses d’analyse et d’expertise médicales (+ 17,9 % entre 2020 et 2021), les dépenses d’investigation (+ 29,8 %) et les dépenses en matière d’interception judiciaire (+ 15,1 %).

PrÉvision et exÉcution des frais de justice

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Il convient de préciser que les frais de justice sont difficiles à maîtriser dès lors que la dépense suit les actes de prescription des magistrats et officiers de police judiciaire, dont l’indépendance et la liberté de prescription doivent être préservées.

La direction des services judiciaires a néanmoins lancé un plan d’optimisation en 2021, ayant pour objectif de développer des outils de suivi de la dépense, qui se décline en trois axes pour 2023 :

– l’animation du réseau ;

– la sensibilisation des acteurs de frais de justice ;

– le renforcement des segments les plus générateurs en frais de justice.

Des expérimentations ont dans ce cadre été menées par la direction des services judiciaires afin de réduire leur coût. Celles-ci portent sur le recrutement d’interprètes contractuels au sein d’une quinzaine de cours ou le gardiennage externalisé des scellés. La Cour des comptes ([8]) souligne toutefois que les résultats de ces expérimentations ne sont toujours pas connus. Le rapporteur spécial souligne qu’il est impératif que le fruit de ces expérimentations et les outils développés dans le cadre du plan d’action se concrétisent.

b.   Des moyens de fonctionnement en hausse de 46,7 millions d’euros en crédits de paiement

Hors frais de justice, les dépenses de fonctionnement inscrites sur le programme 166 s’élèveraient à 607,7 millions d’euros en AE et 472,3 millions d’euros en CP, soit une hausse de 123,3 millions d’euros en AE et 46,7 millions d’euros en CP par rapport à 2022.

● Les dépenses de fonctionnement courant ouvertes en 2023 (192,4 millions d’euros), principalement inscrites sur l’action 6 Soutien du programme 166, augmenteraient de 20 millions d’euros afin de tenir compte de l’inflation et pour financer l’acquisition et le renouvellement de matériel informatique, ainsi que des mesures de réorganisation rendues nécessaire par l’évolution des effectifs.

● Les dépenses afférentes à l’immobilier occupant (379,5 millions d’euros en AE et 244,7 millions d’euros en CP) augmenteraient de 101 millions d’euros en AE et 24,4 millions d’euros en CP en 2023. L’évolution significative des AE s’explique par le réengagement des marchés ministériels de fluides (pour 75 millions d’euros) et par des prises à bail de locaux supplémentaires pour accueillir les nouveaux effectifs attendus à compter de 2023 (58,3 millions d’euros).

 S’agissant enfin de l’ENM, opérateur rattaché au programme 166, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de porter la subvention pour charges de service public (SCSP) lui étant versée à 35 millions d’euros (+ 2 millions d’euros). Cette augmentation se justifie par la hausse du nombre d’élèves en formation attendus au cours des prochaines années (450 en 2023, 600 ou 650 pour les années à venir), ce qui implique pour l’école d’adapter son organisation et ses locaux. Le rapporteur spécial souligne à cet égard que la capacité de l’ENM à absorber en un temps relativement court les recrutements importants de magistrats annoncés pour les cinq prochaines années est un enjeu auquel il conviendra d’être attentif.

c.   Les dépenses d’investissement immobilier du programme

501,8 millions d’euros en AE et 269 millions d’euros en CP seraient alloués aux dépenses immobilières de la justice judiciaire. Ces crédits sont respectivement en hausse de 249,2 millions d’euros et de 30 millions d’euros par rapport à 2022.

S’agissant des crédits confiés à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) :

– 44,7 millions d’euros en AE et 52 millions d’euros en CP participeraient au financement d’opérations en cours (construction du palais de justice de Lille, réhabilitation du palais de justice de Perpignan) ;

– 175 millions d’euros complémentaires en AE seraient alloués à la restructuration du palais de justice de Paris sur l’île de la Cité ;

– 91,7 millions d’euros en AE et 25,1 millions d’euros en CP financeraient la poursuite des opérations lancées dans le cadre de la programmation immobilière 2018-2022 (entre autres, l’extension du palais de justice de Basse-Terre, la construction de la cité judiciaire de Cayenne, la restructuration du palais de justice de Meaux) ;

– 49,4 millions d’euros en AE et 29,6 millions d’euros en CP porteraient sur les nouvelles opérations programmées pour la période 2023-2027.

Par ailleurs, 109 millions d’euros en AE et 111,4 millions d’euros en CP relèveraient des opérations menées par les services déconcentrés : celles-ci concerneraient notamment les opérations de mise en accessibilité et de rénovation du câblage des bâtiments des juridictions.

Enfin, 32 millions d’euros en AE et 50,9 millions d’euros en CP sont alloués au paiement des loyers des contrats de partenariat conclus par le ministère de la justice.

B.   La poursuite du vieillissement du stock d’affaires civiles

L’allongement des délais de jugement fait l’objet de développements importants dans le cadre du rapport Rendre justice aux citoyens. Le comité des États généraux de la justice relève à cet égard un paradoxe : si, en moyenne, le nombre d’affaires nouvelles ne progresse pas, les stocks d’affaires s’accumulent et conduisent à un rallongement des délais.

Le rapporteur spécial a, à de nombreuses reprises, alerté sur ce phénomène qui affaiblit le sens de la décision judiciaire.

1.   Des délais de jugement toujours élevés pour la justice civile

La justice civile représente la majeure partie de l’activité judiciaire et relève de la « justice du quotidien ». La dégradation des délais de traitement des procédures civiles constitue donc l’aspect le plus visible des difficultés rencontrées par le service public de la justice.

En 2021 les délais moyens de traitement des affaires dans les tribunaux judiciaires s’établissaient à 13,7 mois. En dépit d’une prévision en baisse pour 2022 (11,5 mois), le projet annuel de performances fixe une cible de 13 mois pour l’année 2023. Les cours d’appel connaissent une situation également dégradée, dans la mesure où les délais atteignaient 17,5 mois en 2021 et que les cibles pour les années à venir demeurent élevées (15,5 mois en 2022, 16,5 mois en 2023).

 

DÉlais moyens de traitement des procÉdures civiles, hors procÉdures courtes

(en mois)

Source : Projet annuel de performances pour 2023.

Cette situation reflète les difficultés rencontrées par les cours d’appel et les tribunaux judiciaires pour infléchir l’âge moyen du stock d’affaires, si bien que la réduction des délais de traitement, particulièrement pour les cours d’appel ([9]), ne pourra être envisageable qu’après avoir traité les affaires les plus anciennes.

Le comité des États généraux de la justice apporte une analyse complémentaire à cette situation. Selon ce dernier, la baisse du nombre de juges civilistes et le recours de plus en plus fréquent à la formation du juge unique, dans un contexte de moyens particulièrement contraints, a eu pour effet de dégrader la qualité de la décision de justice, ce qui, par répercussion, a conduit à une saturation des cours d’appel ([10]). Ces difficultés d’ordre structurel démontrent à quel point il est urgent d’agir.

Le rapporteur spécial souligne ainsi que les recrutements de juristes assistants et de magistrats prévus pour les prochaines années sont susceptibles de produire des effets positifs sur les délais de jugement, à la condition que ces moyens supplémentaires soient correctement alloués.

2.   Un allongement des délais de traitement des procédures pénales

Lors de l’examen du précédent projet de loi de finances initiale, le rapporteur spécial avait constaté que les délais moyens de traitement des procédures pénales étaient susceptibles de s’infléchir. Les données du projet annuel de performances pour 2023 démontrent que la situation tend au contraire à se dégrader, en dépit des efforts réalisés dans le cadre du volet pénal du renforcement de la justice de proximité. Sur ce point, les efforts fournis les années précédentes commencent à porter leurs fruits : le taux de rappels à la loi réalisés par un délégué du procureur de la République atteignait 39,4 % en 2021, en hausse de 9,3 points par rapport à 2020.

Toutefois, le délai moyen de convocation par un officier de police judiciaire (COPJ) devant le tribunal correctionnel est passé de 11,1 mois à 11,9 mois entre 2020 et 2021. Le délai de jugement des crimes s’est également allongé, passant de 47 mois à 49,4 mois sur la même période.

Toutefois, la part des COPJ traitées dans un délai inférieur à six mois s’améliore (+ 1,8 point) et s’établissait, en 2021, à 35,2 %.

3.   La lente transformation numérique du ministère de la justice

Comme indiqué lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, le développement du plan de transformation numérique du ministère de la justice tarde à produire des résultats.

Le taux d’usagers accédant à leur dossier en ligne s’établit ainsi à 1,1 % en 2021, soit un taux inférieur de 0,09 point à celui constaté en 2020. Le taux de saisine en ligne n’est pas plus satisfaisant et s’établit à 1,17 % des justiciables.

Pour 2022 et 2023, le ministère s’est fixé des cibles peu ambitieuses (10 % dans les deux cas). Toutefois, au regard des résultats obtenus en 2021, des doutes sérieux peuvent être émis sur sa capacité à atteindre ces deux objectifs.


II.   Le programme 107 : Administration pÉnitentiaire

Le programme 107 Administration pénitentiaire représente 43 % des crédits de la mission Justice. Ses crédits sont composés à 62 % de dépense de titre 2 et à 24 % de dépenses de fonctionnement. Les dépenses d’investissement du programme (650,9 millions d’euros en 2023) sont principalement allouées à la mise en œuvre du plan « prisons ».

A.   la crÉation de 809 postes, principalement pour accompagner l’ouverture de places de prisons supplÉmentaires

Le programme 107 serait doté de 5,41 milliards d’euros en AE et 4,93 milliards d’euros en CP en 2023. Ces crédits seraient respectivement en baisse de 17,3 % et en hausse de 7,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2022.

Évolution des crÉdits du programme 107 Administration pÉnitentiaire en 2023

(en millions d’euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

01 – Garde et contrôle des personnes placées sous-main de justice

3 538,3

3 450,9

– 2,5 %

3 109,7

3 313,3

6,5 %

02 – Accueil et accompagnement des personnes placées sous-main de justice

2 562,5

1 498,4

– 41,5 %

1 038,0

1 153,5

11,1 %

04 – Soutien et formation

443,9

460,6

3,8 %

436,3

460,6

5,6 %

Total

6 544,7

5 409,9

– 17,3 %

4 584,0

4 927,4

7,5 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

La baisse du montant des AE demandées pour 2023 s’explique par l’engagement, en 2022, de 1,7 milliard d’euros pour la passation des marchés de gestion déléguée des prisons dits MGD 2021 (2022-2029). Ces marchés s’inscrivent dans la procédure de renouvellement des marchés dits MGD 15 passés en 2015.

Les dépenses de personnel du programme progresseraient de 242,8 millions d’euros en 2023 (+ 9 %) pour s’établir à 3,1 milliards d’euros – dont 2,04 milliards d’euros de crédits hors CAS Pensions.

Cette hausse s’explique en partie par le schéma d’emplois de la direction de l’administration pénitentiaire ([11]), qui prévoit la création de 809 postes par rapport à 2022 ([12]). Parmi ces derniers, 489 emplois relèvent de recrutements rendus nécessaires par l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires et 180 emplois seront consacrés à la poursuite du déploiement des équipes de sécurité pénitentiaires.

La hausse des capacités d’accueil de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP)

La hausse du nombre de recrutements au sein de l’administration pénitentiaire a rendu nécessaire la progression des capacités d’accueil de l’ENAP. En 2022, celle-ci a inauguré un quatrième village d’hébergement qui lui a permis de porter sa capacité hôtelière à 1 750 lits.

S’agissant plus spécifiquement de sa capacité pédagogique, une augmentation de 900 places avait été réalisée en 2019. Un nouveau chantier, piloté par l’Agence pour l’immobilier de la justice (APIJ) a été lancé en 2022 afin de doter l’école, en 2026, d’un nouveau bâtiment de 1 300 m2 et d’une capacité de 900 places supplémentaires. Cette extension s’accompagne d’une hausse de la SCSP versée à l’école de 2,5 millions d’euros en 2023, ce qui la porterait à 35,9 millions d’euros au total.

Les créations de postes prévues pour 2023 concerneraient en premier lieu les personnels de surveillance, pour lesquels le schéma d’emplois s’établirait à + 628 ETP.

Le rapporteur spécial considère que ces créations d’emplois sont nécessaires, mais il constate que le schéma d’emplois des personnels de surveillance, quoique dynamique depuis plusieurs années, est régulièrement sous-exécuté.

Écart entre la prÉvision et l’exÉcution du schÉma d’emplois des personnels de surveillance de l’administration pÉnitentiaire

(en ETP)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Cette sous-exécution traduit les difficultés de recrutement importantes rencontrées par l’administration pénitentiaire et le déficit d’attractivité du métier de surveillant. La direction de l’administration pénitentiaire, interrogée par le rapporteur spécial, indique à cet égard que, si le nombre d’inscriptions au concours de surveillant pénitentiaire reste élevé, le taux d’érosion atteint près de 80 % entre les inscrits et les présents aux épreuves d’admissibilité et de 29 % entre celles-ci et les épreuves d’admission.

En dépit de la hausse des effectifs depuis 2017, le taux de vacance des postes de surveillant s’élèverait ainsi à 4,2 % à la fin de l’année 2022.

taux de vacance des postes des personnels de surveillance

ETP

Effectifs théoriques

Effectifs réels

Postes vacants

Taux de vacances de postes

Décembre 2017

28 099

26 245

1 854

6,60 %

Décembre 2018

29 855

27 451

2 404

8,05 %

Décembre 2019

30 371

28 740

1 631

5,37 %

Décembre 2020

31 014

29 154

1 860

5,99 %

Décembre 2021

31 065

29 517

1 548

4,98 %

Décembre 2022 (projection)

31 397

30 102

1 295

4,12 %

Source : réponses au questionnaire budgétaire.

Pour y remédier, la direction de l’administration pénitentiaire a mis en place un plan de requalification de 1 400 agents dans le corps de commandant, à un rythme de 280 promotions par an.

Le projet annuel de performances indique en outre qu’une mesure indemnitaire, à hauteur de 1,6 million d’euros, serait prise en faveur des personnels surveillants.

Le rapporteur spécial sera donc attentif à ce que le schéma d’emplois de ces personnels soit correctement exécuté.

S’agissant plus particulièrement des personnels affectés en service d’insertion et de probation (SPIP), pour lesquels 1 500 créations de postes étaient prévues sur la période 2018-2022, le taux de vacance des postes demeure à un niveau élevé (5,1 % en 2022). Toutefois, des progrès considérables ont été réalisés, dans la mesure où ce même taux atteignait 20,7 % en 2018. Pour 2023, 30 créations d’emplois de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) sont prévues, contre 53 créations de postes de directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP). Pour ces deux catégories d’emploi, la question de l’attractivité représente également un enjeu majeur. Après plusieurs mesures de revalorisation accordées aux CPIP en 2021 et 2022 ([13]), les DPIP devraient bénéficier de deux mesures indiciaires d’un montant total de 2,1 millions d’euros en 2023.

Au total, 56,5 millions d’euros seraient alloués à des mesures catégorielles, dont 7,8 millions d’euros au titre de l’extension en année pleine de la revalorisation accordée aux CPIP en 2022.

B.   une hausse des moyens de l’administration pÉnitentiaire

Les dépenses hors titre 2 du programme s’élèvent à 2,34 milliards d’euros en AE (– 38 % par rapport à 2022) et 1,86 milliard d’euros en CP (+ 6 % par rapport à 2022).

Ces crédits sont consacrés à l’aménagement des peines, à la sécurisation et à la maintenance des sites de l’administration pénitentiaire, à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes placées sous-main de justice. Les dépenses d’investissement du programme sont principalement allouées à la poursuite du plan « prisons », dont le retard a été officiellement acté en 2021.

1.   La poursuite du plan « prisons »

Les dépenses immobilières de l’administration pénitentiaire s’élèvent à 772 millions d’euros en AE et 650,9 millions d’euros en CP. Ces crédits sont principalement alloués à la mise en œuvre du plan « prisons », dans le cadre duquel est prévue la création de 15 000 places de détention à horizon 2027. Ce plan, dont l’objectif est de limiter la surpopulation carcérale et d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 %, se décompose en deux tranches :

– la construction de 7 000 premières places, qui devait intervenir au plus tard en 2022 ;

– celle des 8 000 places restantes entre 2022 et 2027.

Après deux hausses significatives des crédits ouverts en 2021 (+ 41,5 %) et 2022 (+ 14 %), les dépenses immobilières du programme progresseraient plus modérément de 2 % en 2023.

Ces crédits financent les opérations menées par l’APIJ, relevant du plan « prisons », et les opérations de maintien en condition opérationnelle des établissements pénitentiaires menées par les services déconcentrés. Au titre du plan « prisons », 569,9 millions d’euros en AE et 417,4 millions d’euros en CP sont demandés pour 2023, contre 812,1 millions d’euros en AE et 399,9 millions d’euros en CP en 2022.

L’état d’avancement du plan « prisons »

Le Gouvernement a pris acte du retard de livraison des places programmées dans le cadre du plan prison. Les 7 000 places programmées avant la fin de l’année 2022 n’ont pas été construites en intégralité. Au 1er juillet 2022, 2 081 places nettes ont été mises en service et 360 places seront ouvertes d’ici la fin de l’année avec la livraison du centre de détention de Koné (120 places) ainsi que des deux structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) de Caen (90 places) et de Montpellier (150 places).

En 2023, 10 nouveaux établissements actuellement en voie d’achèvement, représentant 1 958 places, seront livrés : les centres pénitentiaires de Troyes-Lavau et de Caen-Ifs, le centre de détention de Fleury-Mérogis ainsi que 7 SAS (Valence, Avignon, Meaux, Osny, Le Mans-Coulaines, Noisy-le-Grand et Toulon).

Au total, 24 établissements, soit la moitié de la prévision initiale, seront opérationnels en 2024.

En définitive, l’échéancier annuel présenté par la direction de l’administration pénitentiaire montre qu’après un pic de livraison qui devrait être atteint en 2023 (1 958 places) la majorité des ouvertures ne sont pas attendues avant 2027. Ce calendrier laisse par ailleurs craindre que les dernières places seront livrées au-delà de cette échéance – ce qui est désastreux puisque le Président de la République s’était déjà engagé dès 2017 pour la création de 15 000 supplémentaires d’ici à 2022.

ÉchÉancier annuel de crÉation de places nettes de prison

2017 - 2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Total

Livrées

Livraison

Livraison

Livraison

Livraison

Livraison

Livraison

Livraison

2 081

360

1 958

390

930

1 776

8 361

15 856

Source : réponses au questionnaire budgétaire.

Si les retards de livraison sont regrettables, ils ne sont guère étonnants et ne peuvent pas être justifiés par une contrainte budgétaire. Ces retards résultent avant tout d’un manque de pilotage des crédits d’investissement, systématiquement sous consommés en exécution. On ne peut que le regretter très vivement et demander à la Chancellerie de se ressaisir enfin sur la question.

Si la crise sanitaire a accentué les décalages, il convient de rappeler que des difficultés propres au domaine pénitentiaire, notamment dans la validation des emprises foncières avec les collectivités territoriales, constituent la principale cause du retard accumulé.

Ce retard a souvent été justifié par les refus formulés par les élus locaux s’agissant de l’implantation d’une prison sur leur territoire. Cet argument doit néanmoins être nuancé par le fait que l’administration pénitentiaire, en privilégiant des terrains à proximité des tribunaux, réalise également des arbitrages susceptibles de repousser le lancement d’un projet de construction. À ces difficultés s’ajoute la fluctuation des coûts des matériaux, aggravée par le conflit russo-ukrainien, qui laisse craindre que de nouveaux retards surviennent dans la deuxième phase de déploiement du plan.

En tout état de cause, le rapporteur spécial souhaite que la construction de ces places supplémentaires intervienne rapidement afin d’améliorer les conditions de détention, de limiter la surpopulation carcérale et de mettre en œuvre une politique pénale efficace.

À ce titre, le nombre de détenus s’élevait à 72 067 au 1er juillet 2022, soit un nombre supérieur aux records atteints avant la pandémie (70 651 détenus au 1er janvier 2020).

Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires, structurellement élevé, atteint désormais un taux critique de 118 % en moyenne et plus particulièrement de 138,8 % en maison d’arrêt.

taux d’occupation des Établissements pÉnitentiaires par catÉgorie d’Établissement

Type d’établissement/quartier

Nombre de détenus

Taux d’occupation

Tous quartiers et établissements confondus

72 067

118,7 %

Centre national d'évaluation

139

82,2 %

Établissement public de santé national de Fresnes

62

73,8 %

Établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs

223

64,8 %

Quartier ou centre de détention

19 111

93,8 %

Quartier ou centre de semi-liberté

1 022

70,3 %

Quartier ou centre pour peines aménagées

458

74,7 %

Quartier ou maison centrale

1 684

79,9 %

Quartier ou maison d'arrêt

49 368

138,8 %

Source : commission des finances, d’après les réponses au questionnaire budgétaire.

Ce taux d’occupation inédit ne peut qu’inquiéter le rapporteur spécial. Il s’accompagne nécessairement de la baisse du taux d’encellulement individuel, qui est passé de 47,9 % à 42,9 % entre 2020 et 2021 – un niveau bien éloigné de l’objectif de 80 % défini au lancement du plan « prisons ». Rien ne semble prêt pour soulager les établissements pénitentiaires, ce qui porte en tout premier lieu préjudice aux détenus et aux personnels.

2.   La sécurité des établissements pénitentiaires

En parallèle de la construction de places de prisons, 124,1 millions d’euros en AE et 114 millions d’euros en CP seraient alloués à la maintenance et la sécurisation des établissements en gestion publique. Ces crédits diminueraient de 21 millions d’euros par rapport à 2022, en raison de la baisse de la dotation consacrée aux dispositifs de détection des communications illicites.

En revanche, l’enveloppe finançant la sécurisation passive des sites serait en hausse de 7,5 millions d’euros et s’établirait à 18,4 millions d’euros, afin de permettre, à hauteur de 6 millions d’euros, le déploiement de caméras piétons pour les agents de surveillance. À ce stade, 640 caméras ont été déployées dans 34 établissements et 22 structures (unités hospitalières, équipes de transfèrement).

18,8 millions d’euros seraient par ailleurs alloués au déploiement du programme « mobilité » visant à équiper les personnels de surveillance d’un terminal mobile polyvalent leur permettant de disposer en tout lieu des informations nécessaires pour assurer leurs missions.

Ces crédits sont essentiels pour assurer la sécurité des personnels. À cet égard, le rapporteur spécial constate que le nombre de faits d’agression physique reste élevé : 4 222 ont été recensés au cours de l’année 2021, essentiellement caractérisés par des « coups ou bousculades ». 573 faits de projection d’objets et 136 « coups avec armes ou objets » ont par ailleurs été dénombrés.

3.   La réinsertion des personnes placées sous-main de justice

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ([14]) comportent plusieurs mesures ayant pour objectif de développer les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération, afin de favoriser une réinsertion rapide des personnes placées sous-main de justice. 

a.   Les crédits alloués à l’aménagement des peines

Le rapporteur spécial constate que les peines alternatives à l’emprisonnement se développent, ce qu’il convient de saluer. Le pourcentage de personnes condamnées bénéficiant d’une mesure sous écrou de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), d’un placement extérieur (PE) ou d’une semi-liberté atteignait 27 %, soit 3,7 points de plus qu’en 2020. La cible prévue pour 2023 est fixée à 30 %.

Les moyens budgétaires mobilisés au bénéfice de ces dispositifs seraient en hausse de 13,6 millions d’euros en 2023 et s’établiraient à 53,4 millions d’euros. Plus spécifiquement, ces crédits financeraient :

– le placement sous surveillance électronique (PSE) à hauteur de 28 millions d’euros, soit une augmentation de 1,2 million d’euros par rapport à 2022, pour accompagner la montée en charge de ce dispositif ([15]) ;

– le placement à l’extérieur (PE) bénéficierait de 13,9 millions d’euros en 2023, soit 5 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2022. Ce dispositif, s’appuyant sur des associations ayant passé une convention avec l’administration pénitentiaire, est plus particulièrement adapté pour les personnes désocialisées ou souffrant d’addictions. Les crédits augmenteraient fortement afin de financer une revalorisation du prix de la journée de placement, qui progressera de 10 euros en 2023 pour permettre aux associations de couvrir les charges de leurs structures d’hébergement ;

– le bracelet anti-rapprochement, dont les modalités d’utilisation ont été élargies par les dispositions de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille ([16]), serait doté de 11,5 millions d’euros en 2023, ce qui représente une hausse de 6,8 millions d’euros par rapport à 2022. Ce bracelet est un dispositif de surveillance électronique permettant de géolocaliser une personne à protéger et un auteur réel ou présumé de violences conjugales. En cas de franchissement de la distance d’alerte, préalablement définie par l’autorité judiciaire, une intervention immédiate des forces de sécurité est sollicitée.

Cet outil a été déployé en trois phases à compter du 24 septembre 2020 et a été généralisé à l’ensemble des tribunaux judiciaires métropolitains et ultra-marins en janvier 2021. Par conséquent, le nombre de bracelets actifs a progressivement augmenté depuis deux ans. Au cours de l’année 2022, 971 ont été déployés et 835 étaient actifs au 1er septembre 2022 :

Nombre de bracelets anti-rapprochement dÉployÉs en 2022

 

Janvier

Février

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

Août

Nombre de BAR déployés mensuellement

77

91

120

86

130

197

123

147

Total

77

168

288

374

504

701

824

971

Source : réponses au questionnaire budgétaire.

La hausse des crédits demandés en 2023 est justifiée par la nécessité de financer autant de bracelets que de besoin et par des opérations de « modernisation des outils informatiques dédiés au traitement du suivi des mesures ».

Derrière cette justification sibylline, se cachent en réalité d’importantes difficultés rencontrées par l’administration pénitentiaire pour déployer efficacement les bracelets anti-rapprochement. De nombreux dysfonctionnements ont été répertoriés sur ces outils dont le système de géolocalisation s’est révélé défaillant à de nombreuses reprises. Cette situation, ne permettant pas de localiser précisément et à toute heure certains auteurs de violences conjugales, a conduit le ministère à changer de prestataire au cours de l’année 2022.

Le rapporteur spécial ne peut que déplorer ces incidents qui portent en tout premier lieu préjudice aux femmes victimes de violences, dont la protection n’est, en dépit des ambitions affichées à la suite du Grenelle de lutte contre les violences conjugales, toujours pas assurée. À nouveau, ces difficultés ne sont pas imputables à un manque de moyens budgétaires, mais plutôt aux erreurs commises par l’administration pénitentiaire dans la mise en œuvre de ce dispositif et dans la procédure de sélection du prestataire chargé de la gestion des bracelets.

b.   Les moyens en faveur de l’insertion des personnes placées sous-main de justice

Outre l’aménagement des peines, l’administration pénitentiaire alloue des moyens à l’insertion professionnelle des personnes placées sous-main de justice, qu’il s’agisse de personnes réalisant leur peine en milieu fermé ou ouvert. L’Agence nationale du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous-main de justice (Atigip), chargée de favoriser l’insertion professionnelle des détenus et le travail en prison, ainsi que les SPIP sont les acteurs principaux de cette politique publique.

Les crédits demandés pour 2023 progresseraient à ce titre de 15 % par rapport à 2022, pour s’établir à 111,7 millions d’euros en AE et 106,7 millions d’euros en CP.

● 2,8 millions d’euros supplémentaires seraient notamment alloués au renforcement du statut des détenus travailleurs, réformé par les dispositions de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Ces dernières ont modifié la nature du contrat de travail, la durée du travail en prison et les droits des travailleurs. Elles ont également ouvert aux détenus le bénéfice du compte personnel de formation (CPF) et du compte d’engagement citoyen (CEC). Ces évolutions interviendront toutefois à compter de l’entrée en vigueur d’une ordonnance prise en vertu d’une habilitation prévue par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et dont la publication est attendue pour le début de l’année 2023.

Parmi les autres dépenses allouées à la réinsertion, il peut être souligné que 2 millions d’euros supplémentaires seraient consacrés à l’augmentation et la diversification des actions de réinsertion offertes aux détenus (apprentissage social, sportif, culturel et professionnel). 4 millions d’euros supplémentaires seraient par ailleurs alloués à la prise en charge collective en milieu ouvert, organisée par les SPIP dans le cadre de programmes ou de stages.

Le rapporteur spécial constate de surcroît que les outils à disposition de l’administration pénitentiaire pour favoriser la réinsertion des détenus sont en voie de diversification. Dans le cadre du projet InSERRE, trois structures expérimentales axées sur la réinsertion par le travail et la formation professionnelle seront ouvertes et dotées d’une capacité de 100 à 180 places chacune. Ces établissements ont vocation à accueillir des personnes détenues avec un faible reliquat de peine (1 à 3 ans).

● La réinsertion des personnes détenues se traduit également par la lutte contre la pauvreté en prison. Les aides matérielles et financières allouées aux personnes sans ressources suffisantes (PSRS) augmenteraient à ce titre d’un million d’euros, afin de financer la revalorisation de 10 euros de l’aide en numéraire qui était fixée, depuis 2013, à 20 euros par mois, et du relèvement du seuil d’indigence, ouvrant droit à l’aide en numéraire, de 50 à 60 euros ([17]).

Il convient néanmoins de constater qu’après une hausse de 4 % en 2022, le montant des crédits alloués aux associations chargées d’organiser des activités culturelles en prison diminuerait pour retrouver un niveau proche de celui constaté en 2021, soit 7,8 millions d’euros.

D’autre part, si la hausse des moyens alloués à la réinsertion des personnes placées sous-main de justice est nécessaire, elle ne s’accompagne pas, pour le moment, de résultats satisfaisants. La part de détenus bénéficiant d’une formation générale ou professionnelle plafonne en deçà de 9 % en 2021 et le taux de détenus scolarisés par l’éducation nationale a chuté de moitié entre 2020 et 2021, pour s’établir à 15 %. Le taux de personnes détenues travaillant en établissement pénitentiaire s’établit quant à lui à 30,4 %, soit un niveau encore bien éloigné de la cible de 50 % fixée par l’administration à horizon 2025. Si ces résultats sont en partie imputables à la crise sanitaire, le rapporteur spécial estime qu’il est indispensable qu’ils progressent dans les années à venir : la réinsertion des personnes placées sous-main de justice est un enjeu fondamental pour donner un sens à la peine et prévenir la récidive.


III.   le programme 182 : protection judiciaire de la jeunesse

Le programme 182 représenterait 9,4 % des crédits de la mission en 2023. Il finance les moyens affectés à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui assure, directement ou par les associations qu’elle habilite et finance, la prise en charge des mineurs et jeunes majeurs qui lui sont confiés par la justice, et qui contrôle l’ensemble des structures publiques et associatives accueillant les mineurs sous mandat judiciaire.

A.   Des crÉdits en hausse du fait de la progression des dÉpenses de personnel

Le programme serait doté de 1,10 milliard d’euros en AE et 1,08 milliard d’euros en CP, soit une augmentation de 11,2 % et de 10,4 % par rapport à la loi de finances pour 2022.

Hors CAS Pensions, ces crédits s’élèveraient à 916,7 millions d’euros et seraient en hausse de 85,6 millions d’euros (+ 10,3 %) par rapport à 2022.

Évolution des crÉdits du programme 182 en 2023

(en millions d’euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

01 – Mise en œuvre des décisions judiciaires

837,4

937,3

11,9 %

830,5

918,3

10,6 %

03 – Soutien

115,8

122,4

5,7 %

114,4

124,6

8,9 %

04 – Formation

39,1

44,0

12,6 %

40,0

44,4

11,0 %

Total

992,3

1 103,7

11,2 %

984,8

1 087,3

10,4 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires

Le budget du programme s’inscrit dans le contexte de la mise en œuvre de la réforme du code de justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur le 30 septembre 2021, qui a refondu la procédure d’instruction applicable devant le juge des enfants et donné un nouveau cadre d’exercice à l’action éducative.

L’activité de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) est par ailleurs guidée par les lignes directrices qui se dégagent des consultations menées dans le cadre des États généraux du placement, dont l’objectif est d’améliorer l’offre de placement et la prise en charge en hébergement.

1.   Le renforcement des effectifs de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse

Les dépenses de personnel du programme s’élèveraient à 644,7 millions d’euros en 2023, soit 77,1 millions d’euros de plus qu’en 2022 (+ 13,6 %).

Ces crédits supplémentaires financeraient des mesures catégorielles, à hauteur de 18,5 millions d’euros, et un schéma d’emplois de + 92 ETP, à hauteur de 2,25 millions d’euros.

Les créations de postes programmées pour l’année 2023 portent sur les personnels d’encadrement (45 ETP) et les personnels éducatifs (47 ETP). Le schéma d’emplois s’inscrit dans la continuité des années précédentes, au cours desquelles 338 ETP ont été créés sur la période 2018 – 2022. Au cours de cette période, les recrutements ont essentiellement permis de renforcer les effectifs en milieu ouvert et de préparer l’ouverture de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF).

CrÉations d’emplois de la protection judiciaire de la jeunesse sur la pÉriode 2018-2022

(en ETP)

 

2018

2019

2020

2021

2022

Total 2018-2022

Centres éducatifs fermés

/

34

/

19

80

133

Redéploiement des dispositifs de prise en charge

/

/

– 29

– 83

– 84

– 196

Pluridisciplinarité

/

17

/

/

/

17

Renfort du milieu ouvert

40

/

/

84

55

179

Internats tremplin

/

/

5

/

/

5

Ordonnance de 1945

/

/

94

/

/

94

Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP)

/

/

/

20

/

20

Total des créations d'emplois hors justice de proximité

40

51

70

40

51

252

Justice de proximité de novembre 2020 à décembre 2022

/

/

86

/

/

86

Total des créations d'emplois y c. justice de proximité

40

51

156

40

51

338

Source : réponses au questionnaire budgétaire.

Il convient à cet égard de remarquer que la DPJJ compte un nombre important de contractuels au sein de ses effectifs. Sur les 1 564 sorties et les 1 656 entrées prévues en 2023, plus de 40 % de ces flux sont liés à des recrutements d’agents contractuels ou des fins de contrats.

2.   Le décalage du calendrier de création de la réserve de la protection judiciaire de la jeunesse

L’article 189 de la loi de finances pour 2022 prévoit la création d’une réserve de la protection judiciaire de la jeunesse, reposant sur le volontariat de personnes âgées de 75 ans au plus. Elle s’adresse plus particulièrement aux retraités de la protection judiciaire de la jeunesse, aux retraités de la fonction publique ou aux volontaires de la société civile. En vertu d’un accord de partenariat signé avec le ministère des armées, cette réserve a de surcroît vocation à accueillir des réservistes militaires.

240 000 euros avaient été ouverts en 2022 pour accompagner le lancement de ce nouveau dispositif. Toutefois, les projets de texte réglementaire précisant les modalités de sa mise en œuvre (montant de l’indemnité de réserve, modalités de recrutement des réservistes) sont toujours en cours de finalisation. La cible de 1 200 journées réservistes prévue en 2022 ne sera donc pas atteinte et doit être réévaluée par la DPJJ.

Le rapporteur spécial considère que ces retards traduisent une nouvelle fois la relative impréparation du ministère de la justice. En effet, quand bien même la création de la réserve de la protection judiciaire de la jeunesse avait été annoncée dès le mois de septembre 2021, il avait fallu attendre le dépôt d’un amendement en seconde partie du projet de loi de finances lors de son examen en première lecture à l’Assemblée nationale pour qu’elle trouve une traduction législative : l’absence de publication de textes d’application confirme que cette réforme pâtit d’un problème de méthode.

Au surplus, le rapporteur spécial estime que ces renforts auraient été utiles pour accompagner les agents de la DPJJ et favoriser une meilleure prise en charge des jeunes. Il ne peut qu’inviter le Gouvernement à agir rapidement pour que la réserve puisse être opérationnelle dans les meilleurs délais.

3.   Le retard du plan de construction de nouveaux centres éducatifs fermés

Les crédits versés au secteur associatif habilité s’élèveraient à 289 millions d’euros et augmenteraient de 19,5 millions d’euros en 2023. Constituant 65 % des crédits hors titre 2 du programme, ils correspondent aux prestations réalisées par les établissements et services du secteur associatif habilité à la demande du juge des enfants, des juges d’instruction et des magistrats du parquet. Le coût de ces prestations recouvre pour chaque établissement et service l’ensemble des dépenses de personnel, de fonctionnement, mais également d’investissements, de provisions, de frais de siège et de charges financières.

Les dépenses de fonctionnement du secteur public s’établiraient à 55,8 millions d’euros en 2023, soit un niveau équivalent à celui de 2022. Elles financent les services d’hébergement et du milieu ouvert ainsi que les frais liés directement ou indirectement à la prise en charge des jeunes.

La progression des crédits en 2023 se justifie à deux titres :

– en premier lieu, la hausse tendancielle de la dépense, tirée par l’inflation ;

– la hausse du coût budgétaire de placement dans les structures du secteur public, qui s’explique à la fois par la hausse du point d’indice de la fonction publique et, s’agissant des dépenses hors titre 2, par l’application d’une nouvelle méthodologie de calcul issue de travaux de comptabilité analytique, visant à améliorer la sincérité et le réalisme de la prévision.

Par ailleurs, 45,9 millions d’euros seraient consacrés aux dépenses au titre de l’immobilier occupant (+ 4 millions d’euros) et 25,2 millions d’euros seraient alloués aux dépenses de l’immobilier propriétaire (+ 1,5 million d’euros).

Dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, un programme de construction de 20 nouveaux CEF, dont 15 relevant du secteur associatif et 5 du secteur public, en plus de la rénovation de certaines structures existantes, a été lancé. Ces travaux s’avèrent indispensables pour moderniser le parc immobilier de la DPJJ, composé en partie de locaux anciens et peu fonctionnels.

0,6 million d’euros en AE et 1,9 million d’euros en CP seraient consacrés en 2023 à la construction des CEF du secteur public. Comme le rapporteur spécial a pu le signaler lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, ces chantiers ont pris du retard, si bien qu’à ce stade, seuls ont été livrés les CEF d’Épernay, de Saint-Nazaire et, en février 2022, de Bergerac. Les travaux du CEF de Charente-Maritime sont toujours en cours, tandis que des études de maîtrise d’œuvre sont toujours menées pour le CEF de Haute-Saône.

La DPJJ prévoit par ailleurs d’ouvrir un CEF supplémentaire à Mayotte, compte tenu des enjeux spécifiques de ce territoire. 0,65 million d’euros seraient consacrés aux acquisitions foncières et aux études en 2023.

B.   Des dÉlais de prise en charge en voie d’amÉlioration

En premier lieu, s’il est encore trop tôt pour quantifier les effets produits par l’entrée en vigueur du CJPM sur l’activité de la DPJJ, il peut être signalé que les délais de jugement prévus par le nouveau code sont de manière générale respectés au niveau national :

– le délai entre la poursuite de l’audience et la culpabilité s’établit à 59 jours ;

– le délai entre l’audience de culpabilité et l’audience de sanction s’établit à 201 jours ;

– le délai entre la poursuite et l’audience de sanction s’élève à 260 jours.

Néanmoins, certaines juridictions de taille importante font part de leurs difficultés pour respecter ces délais de jugement.

S’agissant plus spécifiquement des indicateurs de performance du programme 182, les délais de prise en charge imputables au secteur associatif habilité et aux services du secteur public s’infléchissent de manière significative et pourraient être inférieurs à 10 jours en 2023, contre plus de 21 jours en 2020.

En outre, la DPJJ conduit des projets de transformation numérique de la protection judiciaire de la jeunesse, dont le système d’information Parcours est la pierre angulaire. Ce dernier a pour objectif de remplacer les deux anciens systèmes utilisés par la direction, devenus obsolètes. Il s’agit dans ce cadre de permettre un meilleur suivi du parcours des jeunes et une meilleure allocation des moyens. Après le déploiement du lot 1 en 2021, une deuxième version de l’applicatif était attendue pour 2022, à destination des éducateurs ; cette deuxième étape sera finalement réalisée en 2023.

Cet applicatif devrait favoriser une meilleure connaissance statistique de l’activité de la DPJJ. À ce stade et à titre d’exemple, les systèmes d’information actuels ne permettent pas à l’administration de connaître le nombre de jeunes pris en charge dans un dispositif d’insertion sociale et professionnelle.


IV.   le programme 101 : AccÈs au droit et À la justice

6 % des crédits de la mission sont inscrits sur le programme 101 Accès au droit et à la justice. Celui-ci finance principalement les dépenses d’intervention au profit des justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle, des associations apportant une aide aux victimes d’infraction pénale, des conseils départementaux de l’accès au droit, des associations gérant un espace de rencontre entre parents et enfants et de celles intervenant en matière de médiation familiale.

A.   Un budget en hausse de 5 % en 2023

Les crédits du programme 101 s’élèveraient à 712,5 millions d’euros en 2023 et progresseraient de 4,7 % par rapport à 2022.

Évolution des crÉdits du programme 101 en 2023

(en millions d’euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

01 – Aide juridictionnelle

615,2

641,1

4,2 %

615,2

641,1

4,2 %

02 – Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité

12,3

14,7

19,7 %

12,3

14,7

19,7 %

03 – Aide aux victimes

40,3

43,0

6,8 %

40,3

43,0

6,8 %

04 – Médiation et espaces de rencontre

12,3

13,7

11,7 %

12,3

13,7

11,7 %

Total

680,0

712,5

4,7 %

680,0

712,5

4,7 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

1.   La progression des crédits alloués à l’aide juridictionnelle

Les crédits alloués à l’aide juridictionnelle constituent 77 % des crédits du programme et s’élèveraient à 641,1 millions d’euros en 2023. Ils progresseraient de 25,9 millions d’euros, après une hausse de 81 millions d’euros en 2022.

 

 

 

Évolution de la prévision et de l’exÉcution des crÉdits allouÉs à l’aide juridictionnelle ([18])

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

L’aide juridictionnelle a fait l’objet de diverses réformes menées depuis 2020 :

– l’article 243 de la loi de finances pour 2020 a simplifié les critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle et fondé l’appréciation de la condition de ressources sur le revenu fiscal de référence (RFR), la valeur en capital d’une partie du patrimoine du demandeur, ainsi que la composition du foyer ;

– l’article 234 de la loi de finances pour 2021 a refondu le régime de rétribution des avocats commis d’office pour les missions effectuées au titre de l’aide juridictionnelle. Ce nouveau régime – dit de l’AJ garantie – prévoit notamment que lorsqu’un avocat est commis ou désigné d’office, il peut percevoir la contribution de l’État sans qu’il lui soit nécessaire de justifier de la situation du demandeur. L’examen de l’éligibilité du justiciable est alors réalisé a posteriori. Ce même article de la loi de finances pour 2021 a également étendu le bénéfice de l’aide juridictionnelle à certaines procédures non juridictionnelles et il a par ailleurs revalorisé l’unité de valeur servant au calcul des rétributions perçues par les avocats pour leurs interventions devant les juridictions en la portant à 34 euros ;

– l’article 188 de la loi de finances pour 2022 a complété ces mesures en revalorisant une nouvelle fois l’unité de valeur servant au calcul des rétributions perçues par les avocats, en la portant à 36 euros.

En 2023, la hausse des crédits versés au titre de l’aide juridictionnelle serait principalement tirée par la progression des dépenses de rétribution des avocats (+ 22,5 millions d’euros, pour un total de 601,7 millions d’euros). Si cette augmentation s’explique par la revalorisation de l’unité de valeur, elle résulte également de l’achèvement des affaires qui avaient pris du retard pendant la crise sanitaire, de la réforme de la justice pénale des mineurs ou encore de la hausse du nombre de gardes à vue.

En revanche, la hausse tendancielle des dépenses d’aide juridictionnelle ne s’explique pas par un plus grand nombre d’admissions. Ce dernier est resté, en 2021, en deçà du niveau atteint avant la crise sanitaire.

Évolution des demandes d’aide juridictionnelle et des admissions

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

S’il n’est pas envisagé de revaloriser une nouvelle fois l’unité de valeur servant au calcul de la rétribution des avocats en 2023, le service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes a indiqué au rapporteur spécial qu’un projet de décret est en cours de rédaction pour revaloriser les rétributions à l’aide juridictionnelle des huissiers, notaires et officiers publics ou ministériels.

Cette mesure est attendue dans la mesure où, comme le rappelait le comité des États généraux de la justice, la nomenclature des rémunérations versées aux notaires et huissiers de justice n’a pas été modifiée depuis près de 50 ans. Les montants par acte atteignent ainsi des montants faibles (10 euros par acte, 22 euros pour un procès-verbal) conduisant de nombreux huissiers à ne pas réaliser les démarches nécessaires pour obtenir un remboursement au titre de l’aide juridictionnelle.

2.   Une hausse des crédits alloués à l’accès au droit et à l’aide aux victimes

● L’enveloppe allouée à l’accès au droit s’élèverait à 14,7 millions d’euros et progresserait de 2,4 millions d’euros par rapport à 2022 (+ 19,6 %). Ces crédits supplémentaires bénéficieraient aux 101 conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et aux deux conseils de l’accès au droit (CAD) ouverts en 2022 à Saint-Martin et en Polynésie française, ainsi qu’aux différents points-justice.

Le ministère prévoit ainsi de renforcer le maillage territorial de ces structures en créant deux nouveaux CAD, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Nouvelle-Calédonie, ainsi que trois nouvelles maisons de justice et du droit (MJD), à Paris, Limoux et Lesparre-Médoc. Au total, 2 080 points-justice étaient recensés en 2021, dont 148 MJD. Les crédits supplémentaires ouverts en 2023 participeraient par ailleurs à développer et spécialiser les consultations et informations juridiques délivrées au sein des juridictions et dans les lieux de proximité.

● Les crédits alloués à l’aide aux victimes s’élèveraient à 43 millions d’euros et seraient en hausse de 2,7 millions d’euros par rapport à 2022 (+ 6,8 %). Ces dépenses supplémentaires bénéficieraient principalement aux associations locales d’aide aux victimes, notamment celles tenant des permanences dans les bureaux d’aide aux victimes (BAV).

Les dépenses consacrées à l’aide aux victimes financent également le dispositif permanent d’assistance téléphonique « 116 006 » et le déploiement des téléphones grave danger (TGD). Au 1er août 2022, 4 312 TGD étaient déployés. L’objectif fixé par le ministère est de maintenir une capacité opérationnelle de 5 000 téléphones en 2023.

● S’agissant enfin des crédits alloués à la résolution des conflits familiaux, 1,4 million d’euros supplémentaires seraient ouverts par rapport à 2022. L’augmentation de la dépense se justifie par la croissance régulière du nombre de médiations judiciaires et la prolongation de l’expérimentation rendant obligatoire une médiation préalablement à la saisine du juge pour certaines affaires familiales, prévue à l’article 44 du projet de loi de finances (cf. infra le commentaire de cet article). Ces crédits permettraient également de financer la possibilité ouverte au juge des enfants par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants ([19]) de proposer à des parents une médiation en lien avec une mesure d’assistance éducative qu’il a ordonnée.

B.   la mise en place du systÈme d’information pour l’aide juridictionnelle

La loi de finances pour 2020 a ouvert la possibilité pour les justiciables de formuler une demande d’aide juridictionnelle par voie dématérialisée afin de faciliter leurs démarches et de réduire les délais de traitement des bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ).

Cette dématérialisation s’adosse à la création d’un système d’information pour l’aide juridictionnelle (SIAJ) dont l’objectif est de numériser l’intégralité de la procédure d’attribution de l’aide. Après une phase d’expérimentation débutée en mars 2021 sur deux juridictions, le SIAJ a entamé une nouvelle phase de déploiement. 77 juridictions en sont aujourd’hui dotées. Le ministère s’est fixé comme objectif d’équiper 90 % des sites métropolitains d’ici la fin de l’année 2022, et l’intégralité des juridictions à la fin du premier semestre 2023.

À ce stade, il ne peut absolument pas être affirmé que le déploiement du SIAJ a permis de simplifier la vie des justiciables : seules 5 % des demandes d’aide juridictionnelle avaient été réalisées par voie dématérialisée en 2021, ce qui s’explique notamment par le fait que le SIAJ n’en était qu’à sa première phase de déploiement. En revanche, une cible plus ambitieuse de 50 % des demandes réalisées en ligne est fixée pour 2023 et les années suivantes.

Le second objectif du déploiement du SIAJ est de favoriser un meilleur taux de recouvrement des sommes engagées par l’État au bénéfice des justiciables non éligibles à l’aide juridictionnelle. Le taux de recouvrement de ces sommes a structurellement diminué entre 2016 et 2020, jusqu’à atteindre un point bas de 3 % en 2020, avant d’amorcer une progression en 2021 (4,4 %). Les raisons expliquant ces résultats sont multiples :

– elles sont d’ordre conjoncturel et ont trait à la crise sanitaire ainsi qu’à la résorption relative du stock de décisions recouvrables ;

– elles relèvent, de manière plus inquiétante, d’une diminution d’ordre structurel résultant des difficultés rencontrées par le ministère pour identifier et recouvrer les sommes versées à des justiciables inéligibles.

Outre un travail pédagogique engagé par l’administration centrale du ministère pour favoriser un meilleur recouvrement, la loi de finances pour 2021 a permis, comme indiqué précédemment, de réviser les modalités d’examen de l’éligibilité à l’aide juridictionnelle en réservant un contrôle a posteriori, pour certaines procédures, aux seuls avocats commis d’office ([20]). Or, ce contrôle n’est pour le moment pas effectif, en raison du déploiement incomplet du SIAJ, qui doit permettre l’échange d’informations entre les BAJ, la direction générale des finances publiques (Dgfip) et les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (Carpa).

Le Gouvernement envisage à cet égard de déposer un amendement sur la seconde partie du projet de loi de finances afin de confier aux BAJ la mission de constater l’inéligibilité du justiciable et d’initier le processus de recouvrement, ce qui permettrait d’améliorer le taux de récupération des sommes versées et favoriserait une meilleure maîtrise de la dépense.

Le rapporteur spécial estime que la mise en œuvre de ce second volet de la réforme initiée en 2021 est souhaitable. Toutefois, il s’interroge sur les raisons qui ont une nouvelle fois poussé le Gouvernement à attendre jusqu’au dernier moment pour présenter ces dispositions qui, annoncées dans le projet annuel de performances, auraient dû figurer dans le projet de loi de finances au stade de son dépôt. Sans évaluation préalable, de sérieux doutes peuvent être émis sur la manière dont cette réforme sera gérée.


V.   le programme 310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice

Le programme 310, qui concentre les moyens de l’état-major, des directions
législatives et des services d’intérêt commun du ministère, porte également les
crédits du plan de transformation numérique du ministère de la justice.

A.   Des moyens en hausse pour le secrÉtariat gÉnÉral du ministÈre

Les crédits du programme 310 s’élèveraient à 764,5 millions d’euros en AE et 682,5 millions d’euros en CP en 2023 et seraient respectivement en hausse de 23,5 % et 6,9 % par rapport à 2022. De surcroît, la maquette du programme évolue en 2023 avec la création d’une nouvelle action isolant les crédits alloués au développement des techniques d’enquête numériques judiciaires.

Évolution des crÉdits du programme 310 en 2023

(en millions d’euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

01 – État-major

10,4

10,7

3,7 %

10,4

10,7

3,7 %

02 – Activité normative

27,8

28,9

4,1 %

27,8

28,9

4,1 %

03 – Évaluation, contrôle, études et recherche

22,2

22,9

3,1 %

22,2

22,6

2,0 %

04 – Gestion de l'administration centrale

187,1

245,6

31,3 %

176,9

196,5

11,1 %

05 – Développement des techniques d’enquêtes numériques judiciaires

-

32,0

/

-

45,6

/

09 – Action informatique ministérielle

310,9

360,9

16,1 %

340,2

314,7

– 7,5 %

10 – Politiques RH transverses

60,7

63,4

4,4 %

60,7

63,4

4,4 %

Total

619,0

764,5

23,5 %

638,2

682,5

6,9 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Les dépenses de personnel du programme 310 s’élèveraient à 220,6 millions d’euros et augmenteraient de 20,8 millions d’euros par rapport à 2022 (+ 10,4 %).

Environ la moitié de ces dépenses supplémentaires financerait le schéma d’emplois du programme, qui s’établirait à + 132 ETP. Ces postes relèveraient exclusivement de personnels d’encadrement, afin de renforcer les fonctions d’appui et de pilotage du secrétariat général dans la conduite de ses projets.

Le plafond d’emplois du programme s’établirait quant à lui à 2 630,4 ETPT et serait en hausse de 64,7 ETPT par rapport à 2022.

Les crédits HT2 du programme atteindraient 543,9 millions d’euros en AE et 461,9 millions d’euros en CP (+ 5,4 % par rapport à 2022). Au sein de ces derniers, 310,5 millions d’euros en AE et 264,3 millions d’euros en CP seraient consacrés aux dépenses informatiques.

Ces crédits financeraient l’entretien des systèmes informatiques et surtout la poursuite des travaux de modernisation engagés dans le cadre du plan de transformation numérique du ministère (PTN) déployé entre 2018 et 2022. Ce plan avait pour objectif d’améliorer l’accessibilité du service public de la justice, d’améliorer les conditions de travail des agents et de générer des économies budgétaires.

Dans ce cadre, des moyens budgétaires et humains avaient été alloués au service du numérique du ministère. Les dépenses prévues au titre du PTN par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice devaient ainsi atteindre près de 530 millions d’euros sur la période et s’accompagner de 260 créations de postes.

Si les postes dont la création était prévue ont effectivement été pourvus, l’exécution budgétaire relative au PTN pourrait vraisemblablement demeurer légèrement inférieure à la prévision. Au 31 août 2022, 431,7 millions d’euros avaient été consommés sur l’ensemble de la période.

exÉcution du plan de transformation numÉrique du ministÈre de la justice

(en millions d’euros)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2018-2022

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Prévisionnel

84

66,2

118,6

98,4

86,3

106,6

90

109,9

193,7

148,3

572,6

529,3

Exécuté

82,4

61,5

128,1

105,1

98,7

87,1

99

108,9

107

69,2

515,1

431,7

Source : réponses au questionnaire budgétaire.

Le ministère a engagé une réflexion ayant pour objectif de bâtir un second plan de transformation numérique pour la période 2023-2027. Six axes stratégiques guideront les priorités d’investissement, parmi lesquels figurent l’adaptation au télétravail, l’accompagnement et le soutien aux utilisateurs et agents ou encore la maîtrise des enjeux de sécurité.

Si ces thématiques semblent pertinentes, de nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre des résultats obtenus dans le cadre du précédent PTN. Le comité des États généraux de la justice relevait ainsi des dysfonctionnements récurrents des infrastructures et applicatifs, l’archaïsme de certains logiciels et l’absence d’anticipation des besoins des utilisateurs. De manière générale, il soulignait « l’absence d’approche systémique dans l’élaboration des réformes au sein du ministère » et l’absence de transversalité dans la conduite des projets. Le rapporteur spécial partage ces constats et souhaite que des conséquences en soient tirées dans le cadre du déploiement du second PTN.

B.   La conduite des projets informatiques du ministÈre de la justice

Le choix a été fait, dans le cadre du projet annuel de performances pour 2023, de redéfinir le périmètre des grands projets informatiques pour n’intégrer que les dernières extensions en cours de mise en œuvre et non pas l’intégralité des différents volets d’un même projet. Cette mesure de périmètre, si elle peut se justifier à certains égards, a pour conséquence d’atténuer les taux d’écart calendaire et budgétaire calculés pour chaque projet et crée une discontinuité statistique pour analyser leur gestion au fil des ans.

Au total, le taux d’écart budgétaire des projets informatiques du ministère s’élève à 5,3 % en 2023 (pour un coût révisé de 228,2 millions d’euros, contre 216,6 millions d’euros en prévision initiale). Ce taux est mécaniquement, pour les raisons précisées ci-dessus, bien inférieur au taux calculé pour 2022 (28,8 %) mais il s’agit bien d’un artefact statistique. L’écart le plus élevé concerne le projet « Numérique en détention » (NED), pour lequel le coût révisé dépasse de 56,6 % le coût prévisionnel.

Les principaux projets menés par le ministère en 2023 sont les suivants :

– le programme Astrea de dématérialisation du casier judiciaire a entamé une nouvelle phase en 2021, avec le déploiement d’interconnexions avec les casiers judiciaires d’autres pays de l’Union européenne (UE) s’agissant de condamnations de ressortissants de pays tiers à l’UE (ce projet, d’un coût total de 43,1 millions d’euros, devrait s’achever en 2024) ;

– la plateforme Atigip360 visant à doter l’Atigip d’un système d’information au service des acteurs de la justice, des acteurs externes et des personnes placées sous-main de justice (le coût total du projet depuis son lancement et jusqu’à son terme à la fin de l’année 2023 s’établit à 11,4 millions d’euros) ;

– le projet NED, qui a pour objectif de dématérialiser les processus de gestion administrative en détention et de proposer de nouveaux services numériques pour les détenus et les familles de détenus (réservation de créneaux de parloirs, réalisation des commandes de cantine). Le coût de ce projet depuis son lancement et jusqu’à sa livraison en 2025 s’élève à 6,9 millions d’euros ;

– Portalis, le système d’information de la chaîne civile, sera progressivement étendu à de nouveaux contentieux. La généralisation à l’ensemble des conseils de prud’hommes est prévue pour le premier semestre 2023, en parallèle d’une expérimentation concernant les affaires familiales. Le coût total du projet, depuis son lancement et jusqu’à son terme en 2026, s’élève à 77,7 millions d’euros ;

– le projet Procédure pénale numérique (PPN) a pour objectif de traiter de manière entièrement numérique une affaire pénale, de la réception de la plainte jusqu’au jugement. L’année 2023 sera consacrée au déploiement des « petits X » ([21]) en outre-mer et à l’amélioration des échanges entre avocats et huissiers. Le coût total du projet, devant s’achever à la fin de l’année 2024, s’établit à 75,8 millions d’euros.

C.   le budget des opÉrateurs rattachÉs au programme

Trois opérateurs sont rattachés au programme 310. Ils bénéficient d’un montant total de 29,8 millions d’euros de subventions pour charge de service publique et de transferts.

L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) est un établissement public administratif (EPA) chargé de la gestion des sommes saisies au cours d’une procédure pénale et de l’aliénation des biens ordonnée ou autorisée avant jugement.

L’Agrasc est financée en partie par l’affectation d’une fraction du produit des avoirs confisqués, dans la limite d’un plafond de 9,9 millions d’euros ([22]), et par l’octroi d’une subvention pour charges de service public dont le montant s’élèverait à 19,7 millions d’euros en AE et 11,1 millions d’euros en CP en 2023. Les moyens de l’Agrasc seraient ainsi en hausse de 10,8 millions d’euros en AE et de 2,25 millions d’euros en CP afin de tenir compte de la hausse de son plafond d’emplois (+ 15 ETPT), justifiée par l’ouverture de deux nouvelles antennes régionales, par l’augmentation du nombre de dossiers traités, et par un projet de déménagement en 2023.

L’APIJ serait quant à elle dotée de 17,3 millions d’euros en 2023 (+ 3,1 millions d’euros). Cette hausse résulte du rebasage de la subvention versée à l’opérateur, auparavant structurellement déficitaire, et de l’augmentation de son activité. Son schéma d’emplois s’établirait par ailleurs à + 19 EPT.

Enfin, l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (Ierdj), serait doté de 1,4 million d’euros en 2023, une enveloppe stable par rapport à 2022.


VI.   Le programme 335 : Conseil supÉrieur de la magistrature

Le programme 335 permet au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’exercer les missions que lui confient la Constitution et la loi organique du 2 février 1994 en matière de nomination, de discipline et de déontologie des magistrats.

Le programme, composé d’une unique action, serait doté de 4,1 millions d’euros en AE et de 5 millions d’euros en CP. Ces crédits seraient en baisse de 70,7 % s’agissant des AE et de 5,5 % s’agissant des CP en 2023.

Les dépenses de personnel du programme progresseraient de 0,1 million d’euros et s’établiraient à 3,1 millions d’euros, pour tenir compte de l’évolution du point d’indice de la fonction publique. Les effectifs du CSM seraient par ailleurs stables en 2023 (24 ETPT).

La baisse significative du montant des AE demandées pour 2023 s’explique par l’arrivée à échéance, en 2022, du bail des locaux hébergeant le CSM. Des travaux de prospection immobilière avaient été engagés en 2021 afin d’étudier l’opportunité d’un relogement, en parallèle de négociations visant à renouveler le bail existant pour 9 ans. Il a finalement été décidé de maintenir le CSM dans ses locaux actuels dans des conditions financières plus favorables qu’auparavant. L’engagement des AE nécessaires à la reconduction du bail ayant été consommées en 2022, il n’est pas nécessaire de les ouvrir à nouveau en 2023. La diminution des CP s’explique quant à elle principalement par le moindre loyer dont doit désormais s’acquitter le CSM.

   Examen de l’article rattachÉ

Article 44
(Article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle)
Prolongation et extension de l’expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales

Adopté par la commission

Cet article prévoit de prolonger pour deux ans l’expérimentation de tentative de médiation préalable obligatoire pour certaines affaires familiales, prévue par l’article 7 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Actuellement expérimentée dans onze tribunaux judiciaires, cette expérimentation a été prolongée à deux reprises par les lois de finances pour 2020 et 2021. La crise sanitaire n’a toutefois pas permis de l’étendre à un nombre plus important de tribunaux et d’évaluer pleinement ses effets.

I.   L’État du droit

L’article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice pour le XXIe siècle institue une expérimentation, jusqu’au 31 décembre 2022, dans les tribunaux judiciaires désignés par un arrêté du garde des Sceaux.

Dans le cadre de cette expérimentation, la saisine du juge aux fins de fixer ou modifier les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ainsi que les stipulations contenues dans une convention homologuée doit être précédée d’une tentative de médiation familiale, sauf dans des cas limitativement énumérés :

– si la demande émane conjointement des deux parents pour solliciter l’homologation d’une convention d’exercice de l’autorité parentale et de fixation de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant ;

– si l’absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;

– si des violences ont été commises par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant.

En dehors de ces cas, l’absence de tentative de médiation préalable peut entraîner le soulèvement d’office de l’irrecevabilité de la saisine par le juge.

En vertu d’un arrêté publié le 23 mars 2017, cette expérimentation est menée dans onze tribunaux judiciaires. Elle devait initialement s’achever au 31 décembre 2019. Afin d’organiser son extension à de nouvelles juridictions, la loi de finances pour 2020 ([23]) a prévu de la prolonger jusqu’au 31 décembre 2021. En raison de la crise sanitaire, une nouvelle prorogation a été prévue par la loi de finances pour 2021 ([24]), jusqu’au 31 décembre 2022. Toutefois, ce délai supplémentaire n’a pas permis d’étendre l’expérimentation à de nouvelles juridictions depuis sa création.

II.   le droit proposÉ

L’article 44 du projet de loi de finances modifie le premier alinéa de l’article 7 de la loi du 18 novembre 2016 afin de prolonger de deux ans l’expérimentation précitée, soit jusqu’au 31 décembre 2024.

L’évaluation préalable de l’article précise que cette prolongation permettra de l’étendre à l’ensemble des tribunaux du ressort des cours d’appel comptant déjà une ou plusieurs juridictions expérimentales, à l’exception de celles de Paris, de Versailles et de Saint-Denis de la Réunion. 33 juridictions supplémentaires seraient concernées, ce qui permettrait de porter à 44 le nombre de tribunaux judiciaires participant à l’expérimentation.

Le rapporteur spécial soutient cette mesure, considérant que le développement des modes alternatifs de règlement des litiges (MARD) permet, lorsque cela est possible, de trouver une issue plus adaptée aux conflits et d’éviter la saisine du juge.

Toutefois, il est proposé que cette expérimentation soit prolongée pour la troisième fois. Si la crise sanitaire permet d’expliquer les difficultés rencontrées par le ministère pour procéder à son extension, il conviendra à l’issue de l’année 2024 de disposer d’une évaluation exhaustive des effets produits par la tentative de médiation préalable obligatoire en matière familiale.

De surcroît, il apparaît que le Gouvernement propose de prolonger cette expérimentation sans avoir précisément arrêté son périmètre. En effet, le financement de la médiation préalable obligatoire repose à 25 % sur la participation de l’État et à 75 % sur le financement alloué par les caisses d’allocations familiales (CAF).

L’incidence financière d’une extension à 44 juridictions aurait donc un coût de 7,77 millions d’euros en année pleine, dont 2,87 millions d’euros seraient pris en charge par l’État et 4,9 millions d’euros par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Cette dernière n’a cependant, selon l’évaluation préalable de l’article, pas encore donné son accord pour rehausser le montant de sa participation. Dans l’hypothèse où elle déciderait de maintenir son financement actuel (soit 1,46 million d’euros), l’expérimentation ne serait alors étendue qu’à 24 juridictions supplémentaires.

Le rapporteur spécial regrette ainsi que le Parlement soit amené à se prononcer sur une mesure dont il ne connaît pas exactement la portée.

III.   La position de la commission

La commission des finances a adopté cet article sans modification.

 


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa seconde réunion du 21 octobre 2022, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Justice.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.

Contrairement à l’avis défavorable du rapporteur spécial et après avoir examiné 13 amendements, la commission a adopté sans modification les crédits de la mission Justice.

Elle a ensuite adopté sans modification l’article 44 du projet de loi de finances, rattaché à la mission Justice.

 

 

*

*     *

 


([1]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.  

([2]) Article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

([3]) Article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.  

([4]) L’article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 a porté de 32 à 34 euros l’unité de valeur.  

([5]) L’article 188 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 a porté de 34 à 36 euros l’unité de valeur.

([6]) Le rapport du comité des États généraux recommandait de recruter au moins 1 500 magistrats supplémentaires (en plus du remplacement des départs à la retraite) au cours des cinq prochaines années.

([7]) Décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire.

([8]) Cour des comptes, Note d’exécution budgétaire de la mission Justice pour l’année 2021, juin 2022.

([9]) Pour les cours d’appel, l’âge moyen du stock d’affaires est passé de 10,2 mois en 2010 à 17,4 mois en 2020.

([10]) Selon le comité des États généraux de la justice, 24,9 % des jugements en tribunaux judiciaires faisaient, en 2019, l’objet d’un appel, contre 16,3 % en 2008.

([11]) Le coût total du schéma d’emplois s’élève à 30,6 millions d’euros en 2023, dont 13,4 millions d’euros au titre de l’extension en année pleine du schéma d’emplois 2022 en 2023.

([12]) Le plafond d’emplois du programme s’établirait à 44 582,54 ETPT, en hausse de 681,52 ETPT par rapport à 2022.

([13]) Les CPIP de classe normale ont bénéficié de 200 euros nets mensuels supplémentaires en cours d’année 2022. Pour les CPIP de classe exceptionnelle, cette revalorisation s’est élevée à 220 euros.  

([14]) Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

([15]) Au 1er janvier 2022, 13 133 personnes bénéficient d’une mesure de PSE, ce qui représente une hausse de 12 % par rapport au 1er janvier 2021. L’objectif fixé en 2023 est d’atteindre une capacité opérationnelle de 21 000 mesures actives.

([16]) Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

([17]) Le seuil d’indigence et les différentes aides pouvant être allouées aux PSRS sont définis aux articles D. 333-1 et suivants du code pénitentiaire.

([18]) Avant 2020, le financement de l’aide juridictionnelle était assuré par des crédits budgétaires ainsi que par un prélèvement sur la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) et sur certaines amendes pénales, affecté au Conseil national des barreaux. La rebudgétisation de ces ressources (83 millions d’euros au total) explique une partie de la hausse des dépenses d’aide juridictionnelle constatée entre 2019 et 2020.

([19]) Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

([20]) Ces procédures sont énumérées par l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’ide juridique.

([21]) Les « petits X » désignent les procédures sans poursuite.

([22]) Ce plafond est défini par l’article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

([23]) Article 242 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

([24]) Article 237 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.